tag:theconversation.com,2011:/us/topics/esclavage-49940/articlesesclavage – The Conversation2024-01-03T17:37:29Ztag:theconversation.com,2011:article/2171122024-01-03T17:37:29Z2024-01-03T17:37:29ZComment la jeune nation américaine s'est construit une légitimité grâce à l’Égypte antique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558004/original/file-20231107-15-pyj8cl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C898%2C675&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Détail de la peinture murale du dôme de la bibliothèque du Congrès réalisé par Edwin Howland Blashfield, Washington D.C. (États-Unis).</span> </figcaption></figure><p>En 1860, l’autrice et journaliste Mary A. Dodge écrivait dans <em>The Atlantic Monthly</em> (le magazine mensuel de Boston) : « Ne sommes-nous pas, dans cette catégorie de nos goûts et de nos sentiments, en train de devenir égyptiens ? » Elle faisait allusion à un mouvement qui touche la société américaine depuis la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle : l’« American Egyptomania ». Toutefois, cette idée d’égyptianisation de la société américaine renvoie à une ambivalence, entre complexe d’infériorité face aux nations du vieux continent et un effort exagéré de valorisation, fondé sur une forme d’appropriation culturelle.</p>
<h2>Une nation de « Yankees » ou le complexe américain</h2>
<p>La Révolution américaine (1775-1783) et notamment la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_d%27ind%C3%A9pendance_des_%C3%89tats-Unis">déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776</a> ont donné le jour à une jeune république peuplée pour part d’Amérindiens et d’« Euro – américains », majoritaires, que sont les premiers colons venus s’installer sur ce vaste territoire non encore maîtrisé et sauvage, désireux de s’affranchir de la métropole britannique et de constituer une nation.</p>
<p>Une nation de « Yankees », de renégats et de barbares, comme le signalent les critiques littéraires rédigées par des voyageurs de retour du nouveau continent. En témoigne le poète irlandais Thomas Moore (1779-1852) à propos de la ville américaine de Baltimore « J’ai passé le Potomac, le Rappa Hannock, l’Occoguan, le Potapsio, et beaucoup d’autres rivières, avec des noms aussi barbares que les habitants », ou encore Charles Dickens (<a href="https://www.gutenberg.org/files/675/675-h/675-h.htm"><em>American Notes</em>, 1842</a>) qui parle d’un peuple au « caractère terne et lugubre » et constitué « de personnes qui s’étaient bannies ou qui avaient été bannies de la mère patrie » comme le souligne Frances Trollope (<a href="https://books.google.fr/books/about/Domestic_Manners_of_the_Americans.html?id=hEzuJ8stYwoC&redir_esc=y"><em>Domestic Maners of the Americans</em>, 1832</a>.</p>
<p>Une jeune nation fustigée par les intellectuels européens : « Aux quatre coins du monde, qui lit un livre américain ? Où va-t-il voir une pièce de théâtre américaine ? Ou regarde un tableau ou une statue américaine ? Que doit le monde aux médecins et chirurgiens américains ? » s’exprime Sydney Smith, écrivain et intellectuel anglais dans L’<em>Edinburgh Review</em> de 1820.</p>
<p>Mais ce « ton de plus en plus méprisant et insolent que les voyageurs et les critiques britanniques, et la presse britannique en général, ont choisi d’adopter à l’égard de ce pays » comme le souligne <em>The American Whig Review</em> en juin 1846, va laisser des traces profondes et durables au sein de cette jeune nation, marquée par des années de frustrations provoquées par les abus de la Couronne britannique.</p>
<h2>Une quête d’identité et de reconnaissance</h2>
<p>Bafouée, reléguée au second rang, la jeune république, durant la période définie comme celle de la « condescendance Tory » (1825 1845), n’aura alors de cesse que de défendre ses principes, de proclamer la supériorité de son modèle et de ses vertus : « Notre pays est la seule nation qui considère la critique de sa littérature, de sa politique ou de ses mœurs comme un crime » lit-on encore dans <em>The American Whig Review</em> en mars 1847.</p>
<p>Toutes ces critiques sont à l’origine d’un « traumatisme psychologique » qui va profondément marquer la société américaine. D’un mécanisme de défense lié sans doute au départ à un complexe d’infériorité, les Américains dès le XIX<sup>e</sup> siècle font progressivement de cette faiblesse une force et décident de clamer leur supériorité. « La race américaine, en termes de liberté, de civilisation et de philosophie politique, est inapprochable », affirme ainsi <em>The United States Democratic Review</em>, juillet 1858.</p>
<p>Cette soif de reconnaissance, de grandeur « va forger le caractère national américain, le sentiment de devenir toujours plus puissant en <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2010-2-page-143.htm">comparaison avec ses voisins »</a></p>
<p>Les États-Unis façonnent alors l’idée de « vraie civilisation » (<em>The American Whig Review</em>, 1846) en s’appropriant un modèle architectural et culturel émanant d’une civilisation ayant incarné dans l’histoire, la grandeur et la puissance, dont la grandeur est partout admirée depuis les campagnes de Bonaparte (1798-1801) et la <a href="https://heritage.bnf.fr/bibliothequesorient/fr/la-description-egypte-article"><em>Description de l’Egypte</em></a> qui en émane : l’Égypte antique. Appelée « mère » ou « parent », l’Égypte antique s’inscrit ainsi dans l’histoire américaine.</p>
<p>Dès lors, le paysage américain se couvre de références égyptiennes. Un lien indéfectible et néanmoins totalement artificiel se crée par l’assimilation du nom de villes égyptiennes dans la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Little_Egypt_(r%C3%A9gion)">Little Egypt</a> (fondée en 1819 dans le Tennessee), Le Caire (fondée en 1818) et Thèbes (fondée en 1835). Même le Mississippi devient le « Nil d’Amérique ».</p>
<p>Mais ce processus d’identification s’effrite avec l’essor de l’impérialisme à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. A cette période, les États-Unis développent leur propre soft power comme on peut le voir lors de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Exposition_universelle_de_1893">l’exposition universelle de Chicago en 1893</a> et « Pour la première fois, la grande majorité des visiteurs britanniques manifestaient clairement leur respect à l’égard de cette nation riche, puissante et extrêmement complexe par-delà les océans… Ils ont plutôt tendance à regarder <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2010-2-page-143.htm">l’Amérique avec respect</a> ».</p>
<h2>L’art égyptien au service de l’exceptionnalisme américain</h2>
<p>La fascination que les États-Unis portent à l’Égypte antique s’explique en partie par la magnificence de l’architecture, la grandeur et la pérennité des monuments égyptiens. En s’appropriant le style architectural égyptien et les valeurs qui y sont associées, les Américains façonnent leur propre « culture » ; en s’associant à l’intemporalité égyptienne le « Nouveau Monde » et sa nouvelle nation se targuent d’une forme de permanence.</p>
<p>« Dans un pays qui s’efforçait à la fois d’acquérir une suprématie technologique et de faire comprendre au monde la pérennité de ses propres monuments et institutions, quelle civilisation offrait une meilleure inspiration que celle qui avait construit les pyramides éternelles ? » <a href="https://books.google.fr/books/about/Characteristically_American.html?id=ENzPBAAAQBAJ&redir_esc=y">écrità ce propos la spécialiste de la culture commémorative américaine Joy Giguere</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Beth Israel Crown Street réalisée par Thomas Ustick Walter en 1850.</span>
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<p>Ainsi de nombreux édifices s’inspirant du style architectural égyptien ont été construits sur le territoire Américain. On les trouve dans de multiples lieux, parfois insolites voire improbables, comme la synagogue de Beth Israel Crown Street réalisée par <a href="https://www.philadelphiabuildings.org/pab/app/ar_display.cfm/21624">Thomas Ustick Walter</a> en 1850 ou parfois dans des lieux ou l’occultisme mystique égyptien est jugé plus approprié : les loges maçonniques, avec la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3012287/">Skull and Bones undergraduate secret society</a> de 1856 à New Haven, Connecticut.</p>
<p>Le langage iconographique caractérisé par la mise en relief des symboles et des motifs égyptiens sur certains monuments officiels tend à rappeler les grands principes de la civilisation d’Égypte antique, comme la loi et l’ordre, très prégnants dans les prisons et les Tribunaux. En témoigne le Halls of Justice and House of Detention (1815-1838) de New-York plus communément appelés <a href="http://daytoninmanhattan.blogspot.com/2011/07/lost-1838-egyptian-revival-tombs.html">The Tombs</a>, réalisé par John Haviland.</p>
<p>Les éléments architecturaux ou figuratifs d’inspiration égyptienne, qui témoignent quant à eux de l’importance consacrée par l’Égypte aux connaissances – on pense à la célèbre bibliothèque d’Alexandrie – sont également utilisés au service de l’exceptionnalisme américain. C’est le cas par exemple avec la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Egyptian_Building#/media/File:Egyptian_Building.JPG">faculté de Médecine de Richmond en Virginie</a> de 1845. L’éclectisme égyptien sert aussi à démontrer la supériorité américaine au niveau technologique avec la construction des ponts en suspensions, les stations de métro et de tramway (Suspension Bridge de St-John-New Brunswick de 1853).</p>
<p>L’imprégnation égyptienne dépasse la sphère temporelle en s’appropriant le domaine spirituel et le souvenir des défunts. En effet, à partir des années 1820 un mouvement que l’on pourrait qualifier « d’Egypto-american way of death » (Joy Giguere) touche la réorganisation et l’embellissement des cimetières sur des critères similaires aux croyances funéraires pharaoniques. Dans l’idée de marquer le passage entre les deux mondes, les portes de certains cimetières comme celui de <a href="https://www.mountauburn.org/egyptian-revival-gate/">Mount Auburn de Jacob Bigelow</a> en 1831 (Massachusetts) sont couverts de motifs égyptiens.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Porte du cimetière fondé par le médecin et botaniste américain Jacob Bigelow en 1831 à Mount Auburn.</span>
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<h2>Une identité basée sur l’exclusion</h2>
<p>L’identité américaine s’est façonnée en grande partie sur les fondements d’une ascendance ethnique excluant tour à tour les amérindiens et les noirs américains.</p>
<p>Les civilisations amérindiennes sont évidemment riches d’une longue histoire et de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-histoire-des-indiens-d-amerique">grandes richesses culturelles</a>, mais les premiers colons ont cherché à se détacher de ces peuples <a href="https://journals.openedition.org/transatlantica/678">qu’ils considéraient comme des « sauvages »</a>. Pour les Américains des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, les populations amérindiennes n’ont joué aucun rôle dans l’essor de la civilisation américaine. Ils ne revendiquent aucun héritage culturel provenant de l’Ancien Monde : « Ils (les Amérindiens) n’avaient pas d’histoire, pas d’avenir, c’est-à-dire qu’ils étaient des sauvages » (<em>The American Whig Review</em> de Juin 1846)</p>
<p>La construction identitaire fondée sur la construction de la race au XVIII<sup>e</sup> siècle, dans le sillage de l’esclavage et de la traite transatlantique, intimement liée à « l’attitude des Américains blancs à l’égard des noirs » (Scott Malcolmson, <em>One Drop of Blood</em>), est basée sur la blancheur comme marqueur identitaire, assimilant la couleur noire à la servitude.</p>
<p>« Nous ne serons pas leurs nègres. La Providence ne nous a jamais conçus pour être des nègres, je le sais, car si elle l’avait fait, elle nous aurait donné des peaux noires, des lèvres épaisses, des nez plats et des cheveux courts et laineux, ce qu’elle n’a pas fait, et elle ne nous a donc jamais destinés à être des esclaves. » s’exprime John Adams en réaction aux taxations des documents imprimés dans les colonies imposées par le <a href="https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-22354/stamp-act/">Stamp Act en 1765</a>.</p>
<p>Cette racialisation de la société est d’ailleurs légalisée. La constitution américaine de 1787 exclut de la citoyenneté américaine les personnes d’ascendance africaine et amérindienne. À partir de 1816, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/American_Colonization_Society">l’American Colonization Society</a> propose même une solution au « problème » des Noirs américains en les réinstallant en Afrique dans une colonie appelée <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-marche-de-l-histoire/le-liberia-4354051">Libéria</a>.</p>
<p>À partir des années 1840, des théories raciales se développent sur fond de <a href="https://www.mnhn.fr/fr/buste-phrenologique">phrénologie</a> et d’égyptologie. Par l’analyse de restes humains momifiés, les égyptologues vont associer la formation crânienne aux capacités intellectuelles des populations et notamment des populations noires. Ces études permettent ainsi à l’Égyptologue Robbin George Gliddon ou encore au médecin américain Josiah Nott de justifier par des théories pseudo-scientifiques de l’infériorité intellectuelle des noirs et de <a href="https://theconversation.com/egypte-blanche-egypte-noire-histoire-dune-querelle-americaine-197119">leur place subalterne</a> dans la société américaine.</p>
<p>« Il (le noir) manque presque totalement de capacité exécutive et à très peu de génie. […] Incapable de s’éduquer au-delà de l’éducation la plus simple » lit-on dans <em>The Old Guard</em>, 1867.</p>
<p>De même au milieu du XIX siècle, des études égyptologiques américaines tentent d’établir un parallèle sociétal entre l’Égypte antique et l’Amérique postcoloniale sous suprématie blanche. Dans la même veine, sur fond d’égyptologie racialisée, certains anthropologues développent quant à eux la théorie polygénique de la race humaine dans des ouvrages comme <a href="https://www.loc.gov/item/49043133/"><em>Types of Mankind</em></a>. <a href="https://books.google.fr/books/about/Crania_Aegyptiaca.html?id=852cAkr93L4C&redir_esc=y">Samuel George Morton écrit ainsi dans <em>Crania Aegyptiaca</em>, en 1844</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La vallée du Nil tant en Égypte qu’en Nubie, a été peuplée à l’origine par une branche de race caucasienne… Les nègres étaient nombreux en Égypte, mais leur position sociale dans l’Antiquité était la même que maintenant, celle de serviteur et d’esclaves »</p>
</blockquote>
<p>Pour les Afro-Américains chrétiens, l’Amérique de l’antebellum – la période de la montée du séparatisme conduisant à la guerre de Sécession – représente un territoire imaginaire, à forte connotation biblique, sur lequel les terres agricoles sudistes incarnant l’Égypte sont délimitées par le fleuve Mississipi apparenté au Nil. Sur ce territoire vivaient les propriétaires terriens blancs associés aux Pharaons et les esclaves noirs qui s’identifient aux Hébreux. Ces mêmes esclaves que l’on a pu entendre chanter à l’extérieur de la Maison Blanche <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2012-4-page-194.htm">« Go Down Moses »</a> alors qu’Abraham Lincoln signait la proclamation d’émancipation en 1863, associant la figure du pharaon au système d’exploitation esclavagiste :</p>
<p>« Descends, Moïse,<br>
En Terre d’Égypte,<br>
Dis au vieux Pharaon,<br>
De laisser partir mon peuple ».</p>
<p>Les théories raciales prônant la supériorité de la « race blanche » sont également critiquées par des Afro-Américains réactionnaires et abolitionnistes qui essaient quant à eux de prouver une origine noire de la civilisation égyptienne. Les revendications remettant en cause la supériorité supposée des Américains blancs prennent de l’ampleur dans les villes du Nord suite aux affranchissements massifs d’esclaves et grâce à l’adoption de lois progressistes donnant davantage de droits aux populations noires.</p>
<p>Ainsi, l’imaginaire américain du XIX<sup>e</sup> siècle a façonné et conceptualisé une certaine image de l’Égypte ancienne, dans un parallélisme à la fois anachronique et totalement imaginaire, sur fond de théories raciales, afin d’asseoir une légitimité historique et culturelle qui se voulait dominatrice.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217112/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Vanthournout ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fustigée par les intellectuels européens, la jeune nation américaine a cherché à se doter d’une forme de légitimité historique et culturelle. Pour y parvenir, elle s’est tournée vers la civilisation égyptienne.Charles Vanthournout, Professeur d'histoire-géographie et Doctorant en égyptomanie américaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2154822023-10-17T19:33:33Z2023-10-17T19:33:33ZDébat : pourquoi il serait temps de bâtir un musée de l’histoire coloniale en France<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/554037/original/file-20231016-27-ylppr7.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1068%2C709&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La sculpture « Entreponts », par Pablo et Serge Castillo, dénonce l’objectivation et la marchandisation de l’humain par le capital. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://memorial-acte.fr/collection/">Pointe-à-Pitre, fonds MACTe, coll. Région Guadeloupe, </a></span></figcaption></figure><p>Les commissions d’historiens et de chercheurs sur le passé colonial et postcolonial de la France se succèdent depuis plus d’une décennie, sur un rythme de plus en plus rapide : <a href="http://www.cnmhe.fr/spip.php?article999">commission sur la mémoire des expositions ethnographiques et coloniales</a> (2011), sur les « événements » en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/la-resonance-permanente-des-emeutes-de-decembre-1959-a-fort-de-france-1185916.html">Martinique en 1959</a>, en <a href="https://www.ctguyane.fr/retour-sur-une-page-de-lhistoire-de-guyane-le-guet-apens-le-14-juin-1962-la-population-guyanaise-subissait-une-repression-qui-marquera-lhistoire-du-pays/">Guyane en 1962</a> et en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/archives-d-outre-mer-il-y-a-55-ans-en-guadeloupe-le-massacre-de-mai-67-1288648.html">Guadeloupe en 1967</a> (2015), <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/279186-rapport-duclert-la-france-le-rwanda-et-le-genocide-des-tutsi-1990-1994">sur le Rwanda et le génocide des Tutsi</a> (2019), sur les relations France-Algérie entre 1830 et 1962 (<a href="https://issuu.com/la1ere/docs/rapport_commission_stora_pour_la_mi/1?e=7830984/40987597">synthèse en janvier 2021</a>) et la guerre d’Algérie (lancement janvier 2023) et enfin sur la guerre au Cameroun (lancement mars 2023).</p>
<p>Les ouvrages savants et les travaux collectifs trouvent leur public et occupent désormais les rayons des libraires ou des festivals (comme la semaine passée aux Rendez-vous de l’histoire de Blois) à l’image des ouvrages <em>Histoire globale de la France coloniale</em> (Éditions Philippe Rey), <em>Colonisation, notre histoire</em> (Seuil), <em>Histoire de l’Algérie à la période coloniale</em>, 1830-1962 (La Découverte), <em>L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique</em> (Seuil) ou encore <em>Décolonisations françaises. La chute d’un empire</em> (Éditions de La Martinière).</p>
<p>Les bandes dessinées, les romans (avec leurs prix littéraires prestigieux de Leïla Slimani à Alexis Jenni en passant par Alain Mabanckou, David Diop, Eric Vuillard, Christophe Boltanski et beaucoup d’autres), les documentaires trouvent leur public (de <a href="https://www.france.tv/france-2/decolonisations-du-sang-et-des-larmes/">« Décolonisations, du sang et des larmes »</a> (2020) sur France 2 à <a href="https://educ.arte.tv/thematic/decolonisations-tous-les-episodes">« Décolonisations »</a> (2020) sur Arte), les fictions cinématographiques telles <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=289236.html"><em>Tirailleurs</em></a> (2022) s’emparent du sujet et les podcasts en radio sont des succès indéniables, comme l’excellente série de Pierre Haski sur France Inter depuis deux étés, intitulée <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-decolonisations-africaines">« Les décolonisations africaines »</a> en 2022 et 2023.</p>
<p>Partout, sur les réseaux sociaux, sur YouTube et dans des conférences en ligne le passé colonial et ses héritages sont questionnés et génèrent des dialogues, parfois houleux.</p>
<p>Ces dernières années, des expositions, encore rares, participent de ce processus de dévoilement, à l’image d’<a href="https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/exhibitions-34408">« Exhibitions, l’invention du sauvage »</a> (2012) ou <a href="https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/peintures-des-lointains-37627">« Peintures des lointains »</a> (2018) au Musée du quai Branly, en passant par <a href="https://theconversation.com/au-musee-dorsay-les-modeles-noirs-sortent-de-lombre-114878">« Le modèle noir, de Géricault à Matisse »</a> (2018) au Musée d’Orsay ou <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/I7QnnpN">« Décadrage colonial »</a> (2022) au Centre Pompidou.</p>
<p>Parallèlement, la France a entrepris de commencer à rendre des <a href="https://theconversation.com/restitution-des-biens-culturels-mal-acquis-a-qui-appartient-lart-89193">biens culturels pillés</a> au temps de la colonisation. Dans cette dynamique, une loi va bientôt s’attacher aux « restes humains » provenant des ex-espaces colonisés et conservés dans des institutions publiques (musées, hôpitaux, laboratoires) pour pouvoir rendre ceux-ci aux pays ou régions ultramarines et apaiser les mémoires.</p>
<p>Les manuels scolaires ne sont plus ceux du temps de François Mitterrand – pas le Mitterrand ministre des colonies de 1950-1951, mais celui président de la République de 1981-1988 : si l’étendue des parties des programmes d’histoire consacrées à ces questions continue à faire débat, la place de l’histoire coloniale a été incontestablement renforcée et les enseignants disposent désormais d’outils pédagogiques avancés (les expositions pédagogiques se comptent par dizaines et les plates-formes Lumni.fr et eduscol.education.fr sont bien dotées) pour aborder le passé colonial.</p>
<h2>Le passé colonial à l’agenda des débats publics</h2>
<p>Les débats sur le passé colonial dans l’espace public sont cependant particulièrement clivés : les tenants du décolonialisme les plus radicaux s’opposent aux animateurs de l’Observatoire du décolonialisme faisant la chasse à la « repentance », les nostalgiques du « bon temps des colonies » aux indigénistes et aux pourfendeurs de la Françafrique. Si l’on peut regretter une telle polarisation des débats publics – que nous avions identifiée dans l’ouvrage <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fracture_coloniale-9782707149398"><em>La fracture coloniale</em></a> (2005) –, contrastant avec les travaux des historiens, on peut en revanche se réjouir de la visibilisation de l’histoire coloniale.</p>
<p>En effet, l’amnésie coloniale, institutionnalisée, a longtemps dominé malgré les efforts et les travaux des historiens : inaugurée sous le général de Gaulle, entretenue sous Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, vitrifiée par un François Mitterrand mu par son désir d’ériger un musée nostalgique à Marseille (dont <a href="https://maitron.fr/spip.php?article16201">Maurice Benassayag</a> était l’inspirateur) et dont héritera Jacques Chirac, avant de transmettre le relai à Nicolas Sarkozy, ce dernier faisant de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-esprit-public/comment-les-politiques-instrumentalisent-l-histoire-6608736">l’anti-repentance</a> l’une de ses thématiques favorites et jusqu’à François Hollande, s’affirmant comme l’héritier légitime d’un parti socialiste incapable de faire retour sur ses engagements coloniaux historiques et proposant systématiquement un « regard lucide » sur ce passé mais guère plus.</p>
<p>Nous avons pensé à l’instar de beaucoup d’historiens – que l’on soit en phase ou en désaccord avec cette déclaration – que les choses allaient changer en 2017 lors de la campagne présidentielle : Emmanuel Macron, en Algérie, déclare ainsi le <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/emmanuel-macron-algerie-candidat-presidentielle-voyage-colonisation-crime-contre-l-humanite">16 février 2017</a> à propos de la colonisation : « C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »</p>
<p>François Fillon, candidat LR à l’élection présidentielle, n’y voit que la « détestation de notre Histoire, cette repentance permanente » ; Florian Philippot, alors vice-président du Front national, ajoute qu’il n’y a pas « pire insulte contre la France ».</p>
<p>Cette date est pourtant un tournant. Avec de nombreux pays – à l’image des Pays-Bas, de la Belgique, de l’Allemagne et, à un moindre niveau, du Danemark, du Portugal, de la Grande-Bretagne ou de la Suisse –, la France va engager sur plusieurs fronts un changement de posture institutionnelle. Outre les commissions d’historiens, on note la volonté de repenser la place des Français issus de l’immigration (dont une partie non négligeable provient de l’ex-Empire) dans l’espace public, avec la mission <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/portraits-france">« Portraits de France »</a> proposant des noms pouvant être utilisés pour nommer rues et bâtiments publics ; l’ouverture de la question du retour des biens culturels à l’occasion du discours <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/28/discours-demmanuel-macron-a-luniversite-de-ouagadougou">d’Emmanuel Macron à Ouagadougou</a> (novembre 2017) ; les annonces réitérées de la fin de la Françafrique ; la <a href="https://www.saisonafrica2020.com/fr">programmation Africa2020</a> et la <a href="https://www.innovationdemocratie.org/">Fondation de l’innovation pour la démocratie</a> confiée à Achille Mbembe (2022) ; les engagements en faveur des anciens combattants des colonies… tout paraissait en place pour un « grand tournant » mémoriel.</p>
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<h2>Machine arrière…</h2>
<p>Et puis, la dynamique s’est étiolée. Alors que nous étions nombreux à imaginer que cette politique qui avait tous les atours de la nouveauté allait trouver sa cohérence par une redéfinition des relations avec l’Afrique mais aussi de la francophonie, par une écoute nouvelle de la relation avec les outre-mer, par un travail approfondi sur les programmes scolaires et, surtout, par la mise en place d’un grand projet muséal qui fait défaut en France <a href="https://www.rfi.fr/fr/culture/20161107-berlin-allemagne-expose-histoire-coloniale-colonialisme-allemand">(et que nos voisins allemands</a> et <a href="https://www.africamuseum.be/fr">belges viennent de mettre en place)</a>, cet élan s’est brisé et très peu a été entrepris.</p>
<p>À la place d’un musée d’histoire coloniale a été préférée une <a href="https://www.cite-langue-francaise.fr/">Cité de la langue française à Villers-Cotterêts</a> installée dans le château de François I<sup>er</sup> avec « 1 600 m<sup>2</sup> d’expositions permanentes et temporaires ouvertes au public, un auditorium de 250 places, douze ateliers de résidence pour des artistes… » Ce choix de sanctuariser la francophonie, avec un budget important (plus de 200 millions d’investissements, soit le deuxième plus gros chantier patrimonial de France après Notre-Dame de Paris !), avec une attente ambitieuse de 200 000 visiteurs annuels et l’accueil du prochain sommet de la francophonie, montre que de grands projets sont possibles.</p>
<p>La francophonie est certes politiquement moins inflammable que l’histoire coloniale et, dans le contexte de la déstabilisation de l’influence française en Afrique de l’Ouest, on peut concevoir que la francophonie peut être conçue comme un ciment culturel à même, sinon de préserver cette influence, sans doute de freiner son effacement. Mais ne nous y trompons pas : ce projet range pour la durée du second mandat d’Emmanuel Macron celui d’un musée de l’histoire coloniale aux oubliettes, avec uniquement à Montpellier l’annonce de la création d’un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/14/pour-la-creation-d-un-institut-de-la-france-et-de-l-algerie-un-lieu-museal-ou-histoire-memoires-art-dialogue-et-cooperation-pourraient-coexister_6157893_3232.html">Institut de la France et de l’Algérie</a> qui ne s’attachera (sous une forme encore à définir) qu’à une partie de l’histoire coloniale (ce projet reprend un ancien projet, sur la base de collections aujourd’hui conservées au Mucem, à Marseille).</p>
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<p>Cette configuration rappelle de vielles querelles – elles remontent à 20 ans –, lorsque Jacques Chirac imagina son musée des « arts premiers » (actuel Musée du quai Branly) et pris conscience que le <a href="https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00086583">Musée des arts africains et océaniens</a> (MAAO, situé Porte dorée) allait être vidé de ses collections. Le risque existait que certains réclament que ce lieu devienne un musée d’histoire coloniale, d’autant plus qu’il avait été érigé pour l’immense exposition coloniale internationale de 1931.</p>
<p>À l’époque, Jacques Chirac et Jean-Claude Gaudin, comme une grande partie de la droite aux côtés du mouvement « rapatrié », ont une autre idée en tête avec le projet de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9morial_national_de_la_France_d%27outre-mer">mémorial de la France d’outre-mer à Marseille</a> pour rendre « hommage » à une certaine vision de l’histoire (on est à deux ans des célèbres articles de loi sur la <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001889/polemique-sur-le-role-positif-reconnu-a-la-colonisation-par-la-loi-du-23-fevrier-2005.html">« colonisation positive »</a> de 2005) et veulent éviter une polémique face à ce lieu désormais « vide ». C’est ainsi que sera imaginée la Cité de l’immigration, qui occupe désormais cet espace (Musée national de l’histoire de l’immigration).</p>
<h2>À quoi pourrait servir un musée d’histoire coloniale ?</h2>
<p>Vingt ans après, le projet d’un musée d’histoire colonial est au point mort. À se demander à quoi il pourrait bien servir. Peut-être à faire que toutes les trajectoires, tous les récits, toutes les mémoires, tous les acteurs de ce passé et leurs descendants y trouvent place. À concevoir un espace ouvert sur le monde, sur les comparaisons avec les autres Empires, les sociétés colonisées avant et pendant la colonisation, la société française pendant et après la colonisation. À organiser de vastes expositions autour des grandes questions sur la colonisation ouvertes au grand public, aux scolaires et aussi aux touristes qui visitent notre pays et qui viennent aussi de ces « ailleurs ». À regrouper les patrimoines épars et riches qui dorment ou sommeillent dans les <a href="https://www.geo.fr/histoire/aux-archives-daix-en-provence-la-memoire-de-la-guerre-dalgerie-sort-partiellement-de-lombre-208154">archives d’Aix-en-Provence</a>, au musée du Quai Branly, dans les réserves du Mucem, du Musée des Confluences à Lyon ou au sein du musée de l’Armée aux Invalides… et dans moult institutions et collections publiques et privées.</p>
<p>À engager, aussi, une réflexion commune avec la quarantaine de pays ex-colonies ou ex-protectorats sur la manière de tourner ensemble la page coloniale. À dynamiser une réflexion sur la « décolonisation » de nos imaginaires afin d’irriguer des projets d’expositions en France, en Europe, en Afrique et ailleurs. À accompagner le processus de « retour » des biens culturels pillés en les contextualisant. À mettre en exergue les récits de l’histoire des immigrations postcoloniales, comme la <a href="https://fresques.ina.fr/rhone-alpes/fiche-media/Rhonal00271/la-marche-pour-l-egalite-et-contre-le-racisme.html">Marche pour l’égalité et contre le racisme</a> (1983) qui commémore cette année son 40<sup>e</sup> anniversaire ou la Marche du 23 mai 1998 qui commémore son 25<sup>e</sup> anniversaire et aboutira à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/esclavage-la-reconnaissance-d-un-crime-contre-l-humanite-christiane-taubira-raconte-20-ans-apres-7713701">loi Taubira</a> (2001).</p>
<p>À repenser, aussi, notre relation avec l’Afrique au moment même où la France est en rupture avec le continent. À sortir des fantasmes et nostalgies qui continuent à irriguer les extrêmes et leur discours de rejet de l’autre, à accepter la <a href="https://theconversation.com/dans-la-classe-de-lhomme-blanc-lenseignement-du-fait-colonial-en-france-102069">complexification d’un « récit national »</a>, à éviter que d’autres radicalités s’emparent de ces enjeux, bricolent leurs « mémoires », inventent des récits fictionnels qui les éloignent de leur propre pays. À proposer des conférences, des débats, des colloques, des bourses de recherches, des politiques d’éditions et d’initiatives entre le monde des arts, la recherche académique et les structures associatives.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/exhiber-lexhibition-quand-les-historiens-font-debat-retour-sur-sexe-race-et-colonies-105139">Exhiber l’exhibition ? Quand les historiens font débat : retour sur « Sexe, race et colonies »</a>
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<p>À faire, comme s’y emploie le Musée national de l’histoire de l’immigration, le Musée du quai Branly, la <a href="https://memoire-esclavage.org/">Fondation pour la mémoire de l’esclavage</a> (FME), le <a href="https://www.memorialdelashoah.org/">Mémorial de la Shoah</a>, le <a href="https://www.memoiresdesesclavages.fr/memorial-acte-guadeloupe/">MémoialACTe</a> (en Guadeloupe), un travail de transmission des savoirs.</p>
<p>Certes, la Cité de la langue française est sans doute un beau projet, sans doute est-il nécessaire, mais il met en lumière, aussi, ce qui n’a pas été fait et qui était tout autant nécessaire.</p>
<p>Nous serons bientôt dans le peloton de queue des pays européens pour ce type d’institutions sur le passé colonial, alors <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212">que vivent dans l’hexagone</a> les plus importantes présences en Europe des diasporas antillaises, maghrébines et subsahariennes, et d’importantes communautés issues de l’océan Indien, du Moyen-Orient, du Pacifique et de l’Asie du Sud-Est.</p>
<p>Cette page d’histoire se révèle aujourd’hui à la lumière de l’effondrement du « pré carré » africain. Les causes en sont nombreuses, et au premier chef les relations toxiques et quasi incestueuses mises en place après les indépendances entre une gouvernance française privatisée par les présidents de la République et leurs conseillers « Afrique » et des gouvernements africains le plus souvent autoritaires. Les nombreuses interventions militaires françaises, la présence de bases militaires, la permanence du franc CFA indexé sur le franc puis l’Euro ont décuplé le sentiment en Afrique, dans les nouvelles générations, que la décolonisation n’était pas achevée et qu’il fallait tourner la page. C’est une caractéristique forte de la crise de confiance qui se manifeste aujourd’hui. Mais pour tourner des pages, du côté français comme du côté africain, il faut aussi des livres et des musées.</p>
<h2>Un carrefour de notre relation au passé</h2>
<p>Nous sommes à un carrefour de l’histoire de notre relation au passé. Alors que se manifestent des mouvements pour <a href="https://theconversation.com/debat-faut-il-deboulonner-les-statues-140760">déboulonner les statues</a> issues de l’histoire coloniale et esclavagiste, que des noms de rues ou de bâtiments scolaires sont changés, la réflexion sur la création d’un musée colonial n’est pas une lubie portée par quelques spécialistes en quête d’un temple pour valoriser les connaissances accumulées. C’est aussi un lieu essentiel précisément pour « tourner la page » et faire pièce à ce point aveugle de notre histoire, surtout dans un pays où la notion « d’excuses » est récusée à priori, à la différence de l’Allemagne avec la Namibie, de la Belgique avec ses anciennes colonies et notamment le Congo, des Pays-Bas avec l’Indonésie…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Histoire globale de la France coloniale, sous la direction de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Dominic Thomas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Editions Philippe Rey</span></span>
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<p>Dans un pays qui se targue d’être le « pays des musées », où l’histoire est au cœur de nos enjeux de citoyenneté, où près d’un tiers des personnes qui y vivent – entre l’hexagone et les régions ultramarines – sont liés de manière intime ou en termes d’héritages intrafamiliaux à l’histoire coloniale et qui souffre d’une relation toxique avec les quartiers populaires et les <a href="https://theconversation.com/debat-comment-decoloniser-le-lexique-sur-l-outre-mer-191891">outre-mer</a>, un musée d’histoire coloniale ne résoudra pas évidemment tous les problèmes, mais peu y contribuer.</p>
<p>Cette histoire remonte à près de cinq siècles, à l’année 1534, lors de la « <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-hommes-aux-semelles-de-vent/la-fondation-de-la-nouvelle-france-3748958">prise de possession » par le royaume de France du Canada</a>. Faudra-t-il attendre 2034 pour qu’enfin un tel projet devienne une évidence en France ? Ne pourrait-on imaginer une mission de préfiguration pour engager cette réflexion avec toutes les parties prenantes ? Cela ferait sens, cela serait utile, c’est désormais urgent. Sinon, la date du 16 février 2017 restera dans les manuels scolaires du XXI<sup>e</sup> siècle comme un rendez-vous manqué avec l’histoire.</p>
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<p><em>Nicolas Bancel et Pascal Blanchard ont participé aux Rendez-vous de l’histoire de Blois les 6, 7 et 8 octobre autour de leur ouvrage « Histoire globale de la France coloniale » (Philippe Rey)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Partout, le passé colonial et ses héritages sont questionnés et génèrent des dialogues. Pourtant, le projet d’un grand musée dédié à ces questions semble être passé aux oubliettes.Nicolas Bancel, Professeur ordinaire à l’université de Lausanne (Unil), chercheur au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation (Unil), co-directeur du Groupe de recherche Achac., Université de LausannePascal Blanchard, Historien, chercheur-associé au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation, co-directeur du Groupe de recherche Achac, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2007702023-06-26T17:22:21Z2023-06-26T17:22:21ZL’art de décoloniser un pays sans colonies<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532959/original/file-20230620-5944-fg3o9f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=37%2C7%2C4955%2C3308&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Huit musées suisses se sont réunis pour faire des recherches sur les origines coloniales de leurs collections. C’est l’“Initiative Benin Suisse”, dirigée par le musée Rietberg.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://rietberg.ch/fr/">Musée Rietberg</a></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Et j’ai dit à Monsieur et Madame la Ministre : je suis contente que la Suisse n’ait jamais participé ni à ces histoires d’esclavage ni à la colonisation. »</p>
</blockquote>
<p>Quatre ans après cette <a href="https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20184067">déclaration</a> de l’ancienne Conseillère fédérale Doris Leuthard, huit musées suisses ont rejoint l’<a href="https://rietberg.ch/fr/recherche/initiative-benin">Initiative Bénin Suisse</a>. Celle-ci s’inscrit dans le processus de décolonisation des musées. À travers cette initiative, les musées suisses ont découvert que, parmi les 97 objets de la collection originaire du <a href="https://theconversation.com/restitution-des-bronzes-du-benin-par-lallemagne-pourquoi-cest-loin-detre-suffisant-167419">Royaume du Bénin</a>, <a href="https://www.letemps.ch/culture/decolonisation-musees">40 %</a> proviennent de la <a href="https://theconversation.com/le-retour-des-objets-pilles-pendant-la-periode-coloniale-un-enjeu-de-taille-au-nigeria-107242">période coloniale</a>. Pourquoi la Suisse, un pays qui n’a jamais possédé des colonies, détient des objets fruit d’une conquête violente ?</p>
<p>Si on demandait aux Suisses ce qu’ils pensent de leur histoire coloniale, la plupart répondraient qu’elle n’existe même pas. Des chercheurs ont néanmoins prouvé l’implication coloniale de la Suisse, ou plutôt de certains Suisses. Par exemple, le commerce triangulaire fonctionnait aussi grâce aux investissements des <a href="https://academic.oup.com/ahr/article-abstract/100/5/1535/91686">banques suisses</a> et 40 % de la « traite des noirs » était couverte par des <a href="https://www.antipodes.ch/produit/la-suisse-et-lesclavage/">assurances suisses</a>. La famille du fondateur du <a href="https://theconversation.com/credit-suisse-les-lecons-dune-lente-descente-aux-enfers-202363">Crédit Suisse</a>, Alfred Escher, possédait des <a href="http://institutions.ville-geneve.ch/fr/bm/interroge/questions-recentes/questions/detail/quel-role-la-suisse-a-t-elle-joue-dans-le-commerce-des-esclaves-vers-lamerique-et-quels-avantage/">plantations esclavagistes de café à Cuba</a>.</p>
<p>Quelle est la relation entre ce passé colonial et les musées ? Ceux-ci sont une fabrique de savoir. Depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, les « savants » ont utilisé ces lieux pour divulguer leurs idées à travers des expositions. Au XIX<sup>e</sup> et au début du XX<sup>e</sup> siècle, des objets appartenant aux communautés indigènes ainsi que des collections de <a href="https://www.ville-ge.ch/meg/sql/totem/totem58.pdf">restes humains</a> devinrent des articles d’exposition. Ni les intellectuels ni les responsables des musées n’avaient la moindre considération pour le caractère religieux ou sacré de ces items. L’essor des théories racistes façonnait alors la pensée académique des élites et, inévitablement, des musées ethnologiques suisses.</p>
<p>Avec le mouvement de <a href="https://theconversation.com/retour-des-tresors-dabomey-au-benin-lavenement-dune-logistique-memorielle-172830">restitution</a>, l’appréhension de ces objets et de leur histoire a changé. Ce processus est parfois conçu en accord avec ces cultures. En est un exemple le cas d’un masque sacré d’origine Haudenosaunee, qui, jusqu’il y a peu se trouvait au Musée Ethnographique de Genève. Ce n’est que le 7 février 2023 que le MEG a procédé à sa <a href="https://www.meg.ch/fr/programme-dactivites/ceremonie-retour-objets-sacres-haudenosaunee">restitution</a>. La cérémonie qui a suivi démontre le changement d’attitude : en signe de respect pour sa sacralité, lors de l’évènement, le masque a été enfermé dans une boîte et le rituel pour accueillir son retour n’a pas été filmé.</p>
<h2>Qu’appelle-t-on « décolonisation » ?</h2>
<p>Il n’existe pas de définition partagée de ce que signifie décoloniser. Selon l’<a href="https://provenienzforschung.ch/fr/schweizerischer-arbeitskreis-provenienzforschung-francais/">Association de recherche en provenance</a>, décoloniser implique l’acte de dénoncer l’idéologie coloniale qui persiste dans nos sociétés. Pour l’écrivaine <a href="https://www.museumnext.com/article/what-does-it-mean-to-decolonize-a-museum/">Elisa Schoenberger</a>, décoloniser signifie s’opposer à la domination blanche qui continue à structurer silencieusement nos sociétés et la violence latente (ou non) dans les rapports entre les communautés occidentales et non occidentales dans le monde. Ce qui fait consensus, c’est que ces relations de pouvoir inégales se manifestent dans la culture, la langue et les relations sociales et économiques. Elles persistent un peu partout dans notre société ; les musées ne font pas exception.</p>
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<p>Le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2212682116300361">Musée ethnographique</a> est né avec les <a href="https://journals.openedition.org/iss/355?lang=en">premières campagnes de pillage</a> du continent américain au XVI<sup>e</sup> siècle. Vers la fin du XVIII<sup>e</sup> et le début du XIX<sup>e</sup> siècle, le musée devient un des instruments de la politique impériale européenne. Il permet de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09528822.2019.1653065">diffuser, d’affirmer et d’asseoir à travers des images et des objets la prétendue supériorité de l’Occident sur le « sauvage »</a>. Les musées incarnent l’autorité du savoir et véhiculent un certain récit de l’histoire nationale : une épopée glorificatrice et héroïque. C’est aussi le cas en Suisse, où le silence sur le passé colonial reste enveloppé dans un brouillard épais.</p>
<h2>Les musées suisses se décolonisent</h2>
<p>Depuis une vingtaine d’années, les curateurs de musées suisses prennent conscience de cette opacité. En mars 2002, le musée ethnographique de Neuchâtel inaugure l’exposition <a href="https://www.men.ch/fr/expositions/anciennes-expositions/black-box-depuis-1981/le-musee-cannibale">« Musée cannibale »</a>. Cette démarche pionnière ouvre la voie à la décolonisation des musées suisses. En 2010, compte tenu de l’importante collection provenant du royaume de Bamoun, le musée Rietberg de Zürich lance un <a href="https://rietberg.ch/fr/interconnecte/fumban_fr">projet de coopération et de restauration</a> avec le Cameroun. En 2019, le Musée ethnographique de Genève inclut dans ses plans stratégiques la nécessité de <a href="https://www.ville-ge.ch/meg/pdf/MEG_PS_2020_2024.pdf">« rendre visible l’histoire violente et inégale des collections coloniales et néocoloniales »</a>.</p>
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<p>Le mouvement <a href="https://theconversation.com/nouveaux-mouvements-antiracistes-importation-americaine-ou-modele-europeen-146315"><em>Black Lives Matter</em></a> a permis une <a href="https://www.chahut.ch/decoloniserlaville/episode/7978b8dc/5-peut-on-decoloniser-les-musees">accélération</a> de ce processus. Selon le professeur d’histoire et politique internationale Davide Rodogno, plusieurs <a href="https://www.chahut.ch/decoloniserlaville/episode/7978b8dc/5-peut-on-decoloniser-les-musees">directrices de musées suisses ont pris conscience</a> que reconnaître la violence subie par les peuples colonisés et les représentations stéréotypées et infériorisantes des peuples non européens dans les musées est un pas crucial vers le démantèlement des relations inégales.</p>
<p>L’exposition du Musée national suisse en 2024 sera consacrée au passé colonial suisse. Sa directrice, Denise Tonella, <a href="https://youtu.be/qQJnj5Ys1ug">souligne</a> que l’existence d’une histoire coloniale helvétique surprend encore la plupart des Suisses. Pour cette raison, elle préconise de commencer par reconnaître l’existence de ce passé en le racontant.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Décoloniser la narration », intervention de Denise Tonella, directrice du Musée national suisse.</span></figcaption>
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<h2>L’identité suisse au cœur du débat</h2>
<p><a href="https://www.bilan.ch/story/le-meg-va-restituer-des-objets-sacres-aux-iroquois-772424249796">Plusieurs prises de position</a> contre les démarches de décolonisation des musées <a href="https://www.tdg.ch/le-musee-dethnographie-de-geneve-na-jamais-ete-colonialiste-790856259454">illustrent</a> les controverses qui accompagnent ce sujet. Ces efforts de la part des directeurs de musées contrastent avec certaines réactions du grand public suisse. Certains rejettent, nient, ou sont ouvertement opposés à l’idée d’une Suisse coloniale ainsi qu’à ces initiatives. <a href="https://www.chahut.ch/decoloniserlaville/episode/7978b8dc/5-peut-on-decoloniser-les-musees">Pour la directrice du Château de Prangins</a>, Helen Bieri Thomson :</p>
<blockquote>
<p>« La Suisse a un problème avec son image, elle se voit volontiers comme neutre, démocratique, humanitaire et donc irréprochable, toujours du côté du bien. C’est difficile d’aborder des thèmes moins glorieux du passé et l’amnésie qui concerne la Suisse ».</p>
</blockquote>
<p>Le processus de décolonisation des musées suisses implique des enjeux identitaires et ouvre la voie à des réflexions plus profondes : ces différents projets mettent-ils en lumière une dangereuse crise de la Confédération ? Parler de l’histoire coloniale suisse remettrait-il en question le mythe du <a href="https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/049556/2012-12-20/">« Sonderfall »</a>, l’exceptionnalisme suisse ? Le cas échéant, pourquoi et pour qui déstabiliser l’histoire nationale (construite autour d’un récit de neutralité et de tradition humanitaire) en insistant sur des questions coloniales qui n’appartiennent pas aux Suisses ? Et si la Suisse se décolonise pour satisfaire un besoin propre, dans quelle mesure la démarche prendra-t-elle en compte les communautés colonisées ? Pour que le processus de décolonisation soit bien accueilli par la population suisse, ces sensibilités devraient être prises en compte et adressées dans la continuation de la démarche décolonisatrice suisse.</p>
<h2>Vers la fin des musées ethnographiques ?</h2>
<p>Grâce au processus de décolonisation, les propriétés, objets, ou encore les restes humains pillés et exposés dans les musées ont commencé à être reconnus pour leur valeur et leur histoire. Ce premier pas permet d’entamer des discussions concernant le retour des objets, comme dans le cas du MEG. Les communautés anciennement colonisées peuvent faire reconnaître « leur version de l’histoire ».</p>
<p>Afin de briser ces dynamiques inégales, les musées doivent être plus ambitieux. Le professeur d’histoire et politique internationale Mohamed Mahmoud Mohamedou est catégorique à cet égard : <a href="https://www.chahut.ch/decoloniserlaville/episode/7978b8dc/5-peut-on-decoloniser-les-musees">la décolonisation des musées passe par la décolonisation de l’esprit</a>.Les musées ethnographiques et d’histoire, comme d’autres institutions publiques, pourraient commencer par rendre public ce qu’ils ont omis de dire sur le passé. Ils devraient également adopter une approche critique envers eux-mêmes. Il s’agirait alors de faire connaître l’histoire du musée, ses implications coloniales, son financement et la provenance de ces objets.</p>
<p>Cette démarche fait surgir des questions plus profondes. Elles touchent la nature même du musée. En effet, si le musée ethnographique est un produit de la colonisation, une décolonisation réussie n’impliquerait-elle pas son « annulation », sa fermeture définitive ? Autrement dit, si, comme soutenue par le professeur d’anthropologie sociale Fabien Van Geert, la représentation de l’Autre est la <a href="https://journals.openedition.org/iss/355?lang=en">raison d’être</a> du musée ethnographique, son existence a-t-elle toujours un sens ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200770/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Letizia Gaja Pinoja ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Réflexion sur la décolonisation des musées ethnographiques en Suisse.Letizia Gaja Pinoja, PhD Candidate, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2012102023-06-18T15:39:47Z2023-06-18T15:39:47ZMétissage musical : quand Hollywood osait le mélange des musiciens noirs et blancs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532024/original/file-20230614-18484-clcfua.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=71%2C12%2C1484%2C932&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sydney Poitier dans "Lilies of the field", 1963.</span> <span class="attribution"><span class="source">Youtube / Capture d'écran</span></span></figcaption></figure><p>Hollywood, dans son âge d’or, a produit bon nombre de films <a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/classic-hollywood-classic-whiteness">empreints d’idéologie raciste</a>, mais l’industrie a parfois tenté l’impossible, en mêlant chanteurs afro-américains et chanteurs blancs dans quelques films sortis entre 1930 et 1963.</p>
<p>Peu de temps après la guerre de Sécession (1861-1865), le (negro) spiritual a suscité l’engouement du public blanc qui découvrait alors cette musique. Il est également connu que beaucoup l’ont utilisé comme un gage d’authenticité pour illustrer des visions plus qu’idéalisées de <a href="https://theconversation.com/limage-manquante-repenser-limaginaire-visuel-de-lesclavage-139092">l’esclavage</a> et de l’Ancien Sud. L’industrie du cinéma, bien que persistant en grande partie sur la voie des stéréotypes, nous offre peut-être l’espoir de voir autre chose, à travers une poignée de films.</p>
<p>Dès que le <a href="https://theconversation.com/le-negro-spiritual-une-vraie-musique-pour-une-fausse-histoire-106203">spiritual est découvert et montré</a> au public blanc, l’industrie alors florissante du minstrel show (ces spectacles où les artistes <a href="https://www.gettyimages.fr/photos/minstrel-show">se grimaient le visage en noir</a>), ne perd pas un instant et s’empare de cette nouvelle musique. Sous une forme arrangée (à quatre voix classiques, pour coller un minimum au goût du public blanc) le spiritual devient alors l’illustration sonore d’une réécriture scénique de l’histoire des États-Unis. Le spiritual connaît ainsi une formidable diffusion, mais associée, hélas, à des démonstrations mensongères et des visions plus que stéréotypées de la réalité.</p>
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<p>Dès son arrivée, le cinéma devient un médium important de diffusion de la culture afro-américaine en général et du spiritual en particulier. L’utilisation du spiritual au cinéma va, dans un premier temps, appuyer les rôles, les images, les situations des films qui enferment la culture afro-américaine dans des stéréotypes. Mais, plus tard, le spiritual va prendre son indépendance et dépasser les seules notions de stéréotype et de représentation.</p>
<h2>Une poignée de films audacieux</h2>
<p>Nous nous intéresserons ici à l’une des portes que seul le cinéma a ouverte au spiritual : le mélange de chanteurs afro-américains et blancs au sein d’une même performance. Ce que nous nous appellerons le métissage musical. Dans le langage courant, le métissage a plus à voir avec l’ADN qu’avec la musique. Néanmoins, ce qui caractérise cette notion est l’idée de transgression et l’aspect inédit de cette disposition du spiritual – des chanteurs afro-américains et blancs (plus ou moins) mélangés – contient en elle cette idée de transgression, de nouveauté. C’est en cela que nous nous permettons une telle appropriation.</p>
<p>Sans vouloir prétendre à l’exhaustivité objective, le métissage musical concerne a priori sept films, sortis entre 1930 et 1963.</p>
<p>Cette disposition particulière du spiritual n’a pas révolutionné l’industrie hollywoodienne, mais ce petit nombre de films n’enlève rien à la force symbolique de chacun.</p>
<p>Certes, ces films sont discutables pour ce qu’ils montrent des relations noirs/blancs ou ce qu’ils disent de l’esclavage lui-même, et l’art américain (le cinéma en particulier) n’est pas exempt de démonstrations de partages culturels entre différentes populations. Il n’en reste pas moins que ces brefs moments de répit musicaux dans l’industrie hollywoodienne populaire permettent d’apprécier une certaine forme d’audace, et précisément parce qu’ils utilisent le spiritual, musique qui a particulièrement incarné de nombreux stéréotypes.</p>
<p>Nous proposons de nous intéresser particulièrement à trois d’entre eux : <em>Way Down South</em>, <em>The Vanishing Virginian</em> (<em>Au temps des tulipes</em>) et <em>Lilies of the Field</em> (<em>Le Lys des champs</em>).</p>
<h2>Le spiritual en héritage</h2>
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<p>Au début de <em>Way Down South</em>, le Timothy Reid Jr. (Bobby Breen), dont le père vient de mourir, cherche un moyen d’éviter la vente de tous ses esclaves par le nouveau gestionnaire de la plantation.</p>
<p>Au temps 45’09" du film, un moment où cette vente semble inévitable, il rejoint Clarence Muse, grimpe sur un ensemble de bottes de coton formant une sorte d’estrade et entame la partie soliste du spiritual « Sometimes I Feel Like a Motherless Child ». Ce choix, assez lourd de sens, suppose non seulement qu’il a passé assez de temps avec ses esclaves pour avoir intégré leur musique, mais peut-être également qu’il a le sentiment d’avoir été élevé par eux, qu’il est leur enfant « child » et que les perdre le rendrait, de fait, orphelin (« motherless child »).</p>
<p>La spontanéité avec laquelle le groupe et le soliste entament le chant suppose, en effet, que le personnage de Bobby Breen a écouté et pris part aux cérémonies religieuses des esclaves et a totalement intégré leur musique. À tel point qu’il peut spontanément, sans préparation, se lancer dans l’interprétation d’un spiritual.</p>
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<p>Dans <em>The Vanishing Virginian</em>, le métissage musical intervient lors de funérailles. Joshua (alias « Oncle Josh », interprété par Leigh Whipper), meurt subitement. Une cérémonie est organisée au cours de laquelle Mister Yancey (Franck Morgan) prend la parole. S’ensuit une interprétation de « Steal Away » par l’assemblée et Rebecca Yancey (Kathryn Grayson) en soliste.</p>
<p>Tout comme dans <em>Way Down South</em>, cela suggère la proximité du personnage de Grayson avec ses domestiques (nous sommes dans un temps post-esclavage), du moins suffisamment pour en connaître le répertoire de chants. On pourrait également imaginer que ses talents musicaux (son personnage se rêve chanteuse) ont en partie été développés grâce à cet apprentissage.</p>
<p><em>Way Down South</em> et <em>The Vanishing Virginian</em> ont en commun de montrer des personnages solistes jeunes, ce qui justifie d’attribuer des vertus presque didactiques au spiritual. Par la jeunesse des personnages, ainsi que par la connaissance profonde qu’ils ont de cette musique, il faut comprendre que le spiritual a fait partie de leur éducation.</p>
<h2>Quand la musique est synonyme de rencontre</h2>
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<p><em>Lilies of the field</em> attribue également des vertus didactiques au spiritual « Amen » que l’on entend dans le film. Mais ce n’est ni à travers un personnage d’enfant ni de jeune adulte que cela est démontré. C’est par le biais de Homer Smith (Sidney Poitier) que tout se passe. Contraint de passer un certain temps chez des sœurs catholiques allemandes (de l’Est) exilées, il leur enseigne les parties de chœur de « Amen ».</p>
<p>Il participe ainsi doublement à leur éducation : il souhaite les faire progresser en langue anglaise et en musique. Il se charge alors d’interpréter les parties de solistes (Poitier est doublé par Jester Hairston qui a écrit l’arrangement du spiritual), tandis que les sœurs répètent la partie du chœur sur le mot « amen ».</p>
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<p>Les quelques occurrences où l’on peut entendre le spiritual sont véritablement des moments pivots. C’est grâce à ce chant que les six personnages (Homer Smith et les cinq sœurs) réussissent à vraiment se rencontrer, c’est à travers lui également qu’ils se quitteront, lorsqu’Homer Smith partira définitivement tout en interprétant une ultime fois le spiritual après avoir déclaré « It’s English lesson time » (« C’est l’heure de la leçon d’anglais »).</p>
<p>Ici, le spiritual « Amen » occupe une place centrale dans le scénario (il est un vecteur de transmission entre le personnage de Poitier et les cinq sœurs). De plus, le spiritual est utilisé comme un leitmotiv tout au long du film. Certes, Homer Smith s’en va à la fin du film, mais il laisse une petite partie de lui. De plus, les sœurs apprennent le spiritual avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il contraste fortement avec l’austérité de leurs propres chants.</p>
<p>La différence entre les deux musiques est d’ailleurs soulignée de manière un peu caricaturale. Les sœurs allemandes chantent à l’unisson, la flûte à bec double la partie chantée, le tout sur une tonalité mineure. « Amen » est au contraire apprécié pour son dynamisme, la joie apparente qui s’en dégage et sa polyphonie (que les sœurs n’ont aucune difficulté à inventer). On imagine sans peine que les sœurs motiveront davantage leur petit nombre de fidèles avec le spiritual.</p>
<p>Le métissage musical est un phénomène important qu’il convient de remarquer et d’analyser notamment car il a permis d’attribuer des vertus extramusicales et une symbolique forte au spiritual. À travers ces trois scènes, on devine une histoire partagée par différents personnages. Enfin, le métissage musical a également permis aux spectateurs de découvrir le spiritual selon une disposition inédite en mélangeant des interprètes blancs et afro-américains.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Chéraqui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Où l’on découvre à travers une poignée de films américains sortis entre 1930 et 1963 qu’il y avait de la place pour le métissage entre noirs et blancs, même à Hollywood.Cécile Chéraqui, Professeur de musique agrégée en poste au Collège Sévigné et doctorante à Sorbonne Université, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039832023-04-20T15:57:48Z2023-04-20T15:57:48ZUne Cléopâtre noire sur Netflix, est-ce réécrire l’histoire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522090/original/file-20230420-28-azle44.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1719%2C1084&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Adele James dans le rôle de Cléopâtre (« Queen Cleopatra » de Jada Pinkett Smith, Netflix, 2023).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://parlemag.com/2023/04/netflix-preview-jada-pinkett-smith-cleopatra/">Parle Magazine</a></span></figcaption></figure><p>À partir du 10 mai 2023, Netflix devrait diffuser une série documentaire consacrée aux reines africaines, réalisée par l’actrice et productrice américaine Jada Pinkett Smith. Cléopâtre, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/egypte-24586">reine d’Égypte</a> (69-30 av. J.-C.), y est incarnée par l’actrice noire Adele James, un choix qui a déclenché une violente polémique depuis la diffusion de la bande-annonce, le 12 avril 2023.</p>
<p>Cette série ravive des polémiques très présentes et récurrentes aux États-Unis, autour de la place des Noirs dans la société et de la façon dont on raconte leur histoire.</p>
<p>Dans une pétition lancée en Égypte et déjà signée par plus de 18 000 personnes, la réalisatrice est accusée de « blackwashing », c’est-à-dire <a href="https://www.20min.ch/fr/video/cleopatre-jouee-par-une-actrice-noire-sur-netflix-les-gens-petent-un-cable-711522485835">d’avoir délibérément</a> transformé en femme noire une figure historique supposément blanche. Le <a href="https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18693854.html">« blackwashing » et le « whitewashing »</a> – bien plus fréquent – consistent respectivement à employer des acteurs noirs pour incarner des personnages blancs, ou supposés tels, et des acteurs blancs pour incarner des personnages qui ne le sont pas, dans une fresque historique ou l’adaptation d’une œuvre.</p>
<p>Dans la fiction américaine comme dans les œuvres d’art, voilà longtemps que Cléopâtre fait figure d’icône pour la communauté afro-américaine. Mais si le bât blesse avec ce nouveau film, c’est qu’il s’agit d’un documentaire : sa visée éducative exige nuances et précision.</p>
<h2>Cléopâtre en Amérique</h2>
<p>Cléopâtre est une figure de la culture américaine au moins depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle. Dès 1858, elle est incarnée dans le marbre par le très néoclassique sculpteur William Wetmore Story. En 1876, la sculptrice afro-américaine Edmonia Lewis réalise à son tour une œuvre en marbre représentant le suicide de la reine.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522093/original/file-20230420-17-yztocc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Edmonia Lewis, <em>La mort de Cléopâtre</em>, 1876, marbre, Smithsonian American Art Museum.</span>
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<p>La même année, le buste en porcelaine dorée dû à Isaac Broome nous montre une reine métissée, au profil grec et à la peau noire. Broome questionne ainsi deux thèmes majeurs aux États-Unis : le rôle politique des femmes et la place des Noirs dans la société.</p>
<p>La civilisation de l’Égypte ancienne pose un problème idéologique dans l’Amérique ségrégationniste : l’histoire de l’humanité avait connu une grande civilisation qui n’était ni blanche, ni européenne, à la différence des cultures grecque et romaine. <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.2307/2715703">Comme l’exprimait</a> dès 1854 Frederick Douglas, militant pour l’abolition de l’esclavage : « Le fait que l’Égypte ait été une des premières demeures du savoir et de la civilisation est fermement établi. […] Mais l’Égypte est en Afrique ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522099/original/file-20230420-18-r5345o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Buste de Cléopâtre par Isaac Broome, 1876.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Semantic scholar</span></span>
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<p>C’est ainsi que Cléopâtre est progressivement hissée au statut de <a href="https://theconversation.com/egypte-blanche-egypte-noire-histoire-dune-querelle-americaine-197119">symbole de la lutte contre l’esclavage</a>
.</p>
<h2>Une icône noire</h2>
<p>Mais c’est surtout dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle que Cléopâtre devient une icône noire. Le contexte dans lequel éclot ce regain d’intérêt pour la reine, et plus généralement l’égyptomanie américaine, est tout à fait particulier : le nouvel avatar de Cléopâtre s’inscrit dans le cadre de la revendication des droits civiques des Noirs.</p>
<p>La reine représente la lutte de l’Afrique contre l’esclavage. Son suicide est perçu comme un refus de se soumettre au pouvoir des blancs. Il s’agit là, bien évidemment, d’une relecture de l’histoire, d’une reconstruction rétrospective du passé dans lequel, pour des raisons toutes contemporaines, un groupe social recherche un personnage réputé glorieux afin de le transformer en figure emblématique.</p>
<p>Ce type de récupération n’est, d’ailleurs, pas propre à Cléopâtre. On peut comparer l’idole afro-américaine contemporaine <a href="https://www.babelio.com/livres/Goudineau-Le-dossier-Vercingetorix/122123">à la figure de Vercingétorix</a>, autre chef pourtant vaincu, dont la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle français a fait une gloire nationale.</p>
<hr>
<p>
<em>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vercingetorix-contre-cesar-la-propagande-romaine-de-la-guerre-des-gaules-199546">Vercingétorix contre César : la propagande romaine de La Guerre des Gaules</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>On touche là à un tout autre aspect du problème : le besoin de trouver dans le passé lointain, en l’occurrence l’Antiquité, des icônes susceptibles d’incarner des revendications ou des fiertés contemporaines.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=926&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=926&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=926&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1164&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1164&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522095/original/file-20230420-23-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1164&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Affiche du film <em>Cleopatra Jones</em> (Jack Starrett, 1973).</span>
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<p>Ce n’est donc pas un hasard si le nom de la reine a été donné à l’héroïne noire Cleopatra Jones, agent de la CIA, James Bond féminine et noire, dans deux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/blaxploitation-les-premiers-heros-noirs-avant-black-panther-8987701">films blaxploitation</a> des années 1970 : <em>Cleopatra Jones</em> (<em>Dynamite Jones</em>) en 1973, puis <em>Cleopatra Jones and the Casino of Gold</em>, 1975 (<em>Dynamite Jones et le Casino d’or</em>).</p>
<p>Une héroïne qui aime les vestes en fourrure, les pantalons « pattes d’eph » et les tenues voyantes. Comme la reine des textes d’époque romaine, elle incarne <a href="https://theconversation.com/cleopatre-reine-monstrueuse-ou-grande-femme-politique-58507">l’inversion des codes</a> de la société du moment et symbolise au contraire l’espoir d’un monde nouveau, plus juste. La justicière noire à la coupe « afro » traque de méchantes blondes, dans un mélange de revendication et d’ironie : ici, les criminels ne sont pas noirs, <em>black is beautiful</em>.</p>
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<p>En 2002, dans le film <em>Austin Powers dans Goldmember</em>, la chanteuse Beyoncé Knowles parodie le rôle de Tamara Dobson. Cette fois, elle se nomme Foxxy Cleopatra. Mais les ingrédients sont les mêmes : la Cléopâtre noire contemporaine, toute de cuir vêtue, brandit des armes à feu au service de la justice mondiale.</p>
<h2>Une relecture problématique</h2>
<p>Cléopâtre a déjà été incarnée avec succès, au théâtre, par des actrices noires, comme Yanna McIntosh dans l’<em>Antoine et Cléopâtre</em> de Shakespeare (<em>Stratford Festival</em>, 2015). Ce qui d’ailleurs <a href="https://www.cbc.ca/arts/who-is-cleopatra-shakespeare-quotes-that-ll-make-you-bow-down-1.3228972">n’est pas en contradiction avec le texte</a>, puisque la reine y est définie comme une « noiraude » (« tawny front »).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522131/original/file-20230420-20-9azdto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Yanna McIntosh (2015) et Chantal Jean-Pierre dans le rôle de Cléopâtre (2016).</span>
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<p>L’année suivante, dans le même rôle, Chantal Jean-Pierre (<em>Cincinnati Shakespeare Company</em>, 2016) a largement <a href="https://eu.cincinnati.com/story/entertainment/theater/2016/05/14/antony-and-cleopatra-captivating-but-out-sync/84369748/">convaincu le public</a> par la prestance et l’élégance de son interprétation.</p>
<p>Si la série documentaire proposée par Netflix dénote par rapport à ces interprétations fictionnelles, c’est parce qu’elle diffuse un message pour le moins discutable dans un format qui se veut pourtant éducatif.</p>
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<p>Dans la bande-annonce, une première intervenante rappelle très justement que Cléopâtre était « une souveraine ptolémaïque » et que « le tout premier Ptolémée était un général d’Alexandre le Grand ». On en déduit que Cléopâtre était, en partie au moins, <a href="https://theconversation.com/gal-gadot-peut-elle-jouer-le-role-de-cleopatre-148389">d’origine gréco-macédonienne et européenne</a>. C’est d’ailleurs la seule certitude que nous ayons sur ses origines.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522127/original/file-20230420-16-xk6cti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Adele James dans le rôle de Cléopâtre. Capture d’écran du film documentaire <em>Queen Cleopatra</em> (Jada Pinkett Smith, 2023) diffusé à partir de mai 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nerflix</span></span>
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<p>Puis, une autre intervenante affirme : « Il est possible qu’elle ait été égyptienne ». Il est vrai que sa mère et ses grand-mères auraient pu être des concubines égyptiennes des derniers Ptolémée. Mais Cléopâtre elle-même n’en dit rien dans les textes officiels. Elle n’évoque que son père, le roi Ptolémée XII Néos Dionysos, et se définit elle-même comme <em>théa philopator</em>, c’est-à-dire « déesse qui aime son père ».</p>
<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=IktHcPyNlv4">Une troisième intervenante raconte enfin</a> : « Ma grand-mère me disait : Je me fiche de ce qu’ils t’ont dit à l’école, Cléopâtre était noire. ».</p>
<p>C’est là que le documentaire prend une tournure <a href="https://theconversation.com/debat-legypte-noire-est-elle-une-imposture-199439">particulièrement douteuse</a> d’un point de vue scientifique, et charrie des accusations qui ne semblent pas fondées. Quel est l’intérêt de cette intervention, sinon de suggérer que, non seulement Cléopâtre aurait été réellement noire, mais aussi que sa couleur de peau aurait été délibérément blanchie par les mensonges répétés de générations d’enseignantes et enseignants ?</p>
<h2>Cléopâtre prise au piège</h2>
<p>En réalité, la figure de la reine est prise au piège depuis longtemps dans des débats entre « eurocentristes » et « afrocentristes ». La chercheuse Ella Shohat fait état en 2003 de <a href="https://muse.jhu.edu/article/856596">controverses aussi virulentes que vaines</a> sur la couleur de la peau de la reine et sur son type « racial ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/egypte-blanche-egypte-noire-histoire-dune-querelle-americaine-197119">Égypte blanche, Égypte noire : histoire d’une querelle américaine</a>
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<p>Cléopâtre était-elle blanche, noire ou métisse ? De telles questions renvoient moins à l’époque de Cléopâtre, multiculturelle et syncrétique, qu’aux fantasmes racistes des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles. Est-il pertinent d’essayer de qualifier d’Européen ou d’Africain la forme du nez ou les lèvres de la reine à partir de ses représentations ? Ce type de questionnement paraît extrêmement douteux. L’eurocentrisme et l’afrocentrisme ont en commun une même logique ségrégationniste, ignorant la diversité ethnique propre à l’époque et à la région où vécut la Cléopâtre historique.</p>
<p>On ne voit pas pourquoi la population de la vallée du Nil, il y a 2 000 ans, aurait été uniformément noire, c’est-à-dire fondamentalement différente de ce qu’elle est encore aujourd’hui : diverse et métissée.</p>
<h2>Égypte et stars de la chanson</h2>
<p>L’association entre Égypte ancienne et africanité a aussi conduit certaines stars de la chanson à s’emparer de thèmes égyptiens. La chanteuse afro-américaine Rihanna exhibe l’Isis ailée dont elle est tatouée sous la poitrine. Elle monte sur scène vêtue en Cléopâtre et chante, micro en main, assise sur un trône doré, <a href="https://www.rap-up.com/2012/05/15/rihanna-rules-as-cleopatra-at-charity-event/">au cours de sa « Cleopatra Performance »</a> (2012).</p>
<p>Il s’agit là d’une réappropriation « africaniste » de l’Égypte ancienne. Par la même occasion, Rihanna, célébrité planétaire des années 2010, contribue à parsemer de thèmes égyptiens cette culture mondialisée, produite en Amérique, qui se diffuse ensuite dans le reste du monde.</p>
<p>Toute cette actualité du mythe traduit l’extraordinaire popularité du personnage de la dernière reine d’Égypte, bien que de manière superficielle, auprès d’un public jeune et adolescent. Cléopâtre se prête très bien à la mise en scène d’une société mixte que le personnage historique n’aurait sans doute pas reniée.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel est l’auteur de <a href="https://www.puf.com/content/Cl%C3%A9op%C3%A2tre">« Cléopâtre », éditions PUF, collection « Biographies »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203983/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cléopâtre est une figure de la culture américaine depuis le milieu du XIXᵉ siècle : une série documentaire Netflix dans lequel elle est incarnée par une actrice noire réveille une polémique ancienne.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1981932023-02-14T20:33:14Z2023-02-14T20:33:14ZConversation avec Henry Louis Gates Jr. : les traditions africaines dans les Églises noires américaines<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509841/original/file-20230213-26-wapjoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C0%2C2048%2C1361&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Concert de gospel au Williams College (Williamstown, Massachusetts), 23&nbsp;avril 2016.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Williams College/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p><em>Henry Louis Gates Jr. est professeur de littérature et d’études afro-américaines à l’Université Harvard, où il dirige le <a href="https://hutchinscenter.fas.harvard.edu/">Hutchins Center for African and African American Research</a>. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur l’origine, l’histoire et la culture des Noirs américains. Par ailleurs, il est aussi le producteur de plusieurs séries documentaires diffusées sur PBS, dont <a href="https://www.pbs.org/weta/finding-your-roots">« Finding Your Roots »</a> (2012), très populaire aux États-Unis. <a href="https://www.laboretfides.com/ch_fr/index.php/shop/black-church.html">« Black Church. De l’esclavage à Black Lives Matter »</a> (2023) est son premier livre traduit en français.</em></p>
<p><em><a href="http://canthel.shs.parisdescartes.fr/erwan-dianteill/">Erwan Dianteill</a>, professeur d’anthropologie à l’université Paris Cité, où il a fondé le <a href="http://canthel.shs.parisdescartes.fr/">Centre d’anthropologie culturelle (Canthel)</a>, l’interroge sur l’impact que les cultures africaines ont eu par le passé, et ont encore, sur les États-Unis et, spécialement, sur les Églises dites « noires ».</em></p>
<hr>
<p><strong>ED :</strong> Dans les années 1940, un <a href="https://www.annualreviews.org/doi/10.1146/annurev.anthro.30.1.227">célèbre débat</a> a opposé les sociologues <a href="https://www.asanet.org/e-franklin-frazier/">Edward Franklin Frazier</a> et <a href="https://www.library.northwestern.edu/libraries-collections/herskovits-library/about-melville-herskovits.html">Melville Herskovits</a> : le premier pensait que les cultures africaines avaient été complètement effacées avec l’esclavage, tandis que le second retrouvait un héritage africain chez les Noirs des Amériques. Quelle est votre position sur cette question ?</p>
<p><strong>HLG :</strong> Il est totalement faux de dire que le <a href="https://www.cairn.info/etre-esclave%20--9782707174093-page-103.htm">Passage du milieu</a> (c’est-à-dire la traversée de l’Atlantique par les esclaves noirs) aurait créé une <em>tabula rasa</em> culturelle. Herskovits avait raison. Les gens qui étaient dans ces navires ont apporté aux Amériques leur système métaphysique, leurs goûts culinaires, leurs langues et, bien sûr, leur musique, leur modèle de type <a href="https://www.ableton.com/en/blog/afriqua-presents-principles-of-black-music-call-response/">« call and response »</a> – autant d’éléments fondamentaux pour la culture expressive afro-américaine. Les mots ont survécu, la syntaxe, la grammaire ont survécu. Et la religion aussi.</p>
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<p><strong>ED :</strong> Quand le christianisme s’est-il vraiment implanté chez les Noirs des colonies britanniques ?</p>
<p><strong>HLG :</strong> Nous ne savons pas grand-chose des premières années de culte des 388 000 Afro-Américains venus directement d’Afrique avant 1808, année qui marque la fin du commerce atlantique vers les États-Unis. Ce n’est qu’avec le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_r%C3%A9veil">Great Awakening</a>, c’est-à-dire l’expansion du méthodisme, un christianisme plus expressif et moins lettré, vers 1740, que les Noirs ont été évangélisés. Avant, il y avait de grands débats sur cette question dans les Églises chrétiennes blanches.</p>
<p>Chaque année, je montre à mes étudiants un <a href="https://religioninamerica.org/rahp_objects/the-negros-and-indians-advocate-suing-for-their-admission-into-the-church/">pamphlet publié par Morgan Godwin</a>, un prêtre anglais de la première moitié du XVII<sup>e</sup> siècle qui se décrivait comme l’avocat des Noirs et des Indiens. Son argument était que ces gens devaient être convertis parce qu’ils avaient une âme. C’est l’une des choses que j’ai écrites dans mon <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674244269">livre sur les Cahiers de Bordeaux</a>. Morgan Godwin écrivait : « Je sais que ces gens sont des êtres humains parce qu’ils savent lire et écrire, et qu’ils ont la “risibilité”, c’est-à-dire la capacité de rire. »</p>
<p>Pour autant, Morgan Godwin ne s’opposait pas à l’esclavage. Il plaidait pour le salut des esclaves au ciel, mais pas pour leur liberté sur Terre. En fait, il dit explicitement que les convertir ne signifie pas les libérer, car la Bible dit très clairement que les serviteurs doivent obéir à leur maître. Elle ne dit pas que le salut signifie que les esclaves doivent être libérés. Les anglicans ont donc commencé à convertir les esclaves à contrecœur. Les Quakers ont très tôt déclaré que l’esclavage était une abomination, mais il n’y a pas beaucoup d’Afro-Américains qui sont devenus Quakers. C’est vraiment au moment du Grand Réveil, à partir de 1740, que les méthodistes et les baptistes ouvrent leurs portes aux Noirs, qui se convertissent en nombre record.</p>
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<p><strong>ED :</strong> Selon l’historien <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-1-page-97.htm">W. E. B. Du Bois</a>, la prédication, la musique et la frénésie sont les trois caractéristiques de la religion noire américaine après l’esclavage. Pourtant, vous montrez qu’il existe aussi une tradition lettrée dans la religion noire américaine. Par exemple, Bilali Mohammed (1760-1855 environ), un esclave musulman dont vous parlez, a été enterré avec un Coran et un cahier de treize pages écrites de sa main. Les Kongo déportés aux Amériques étaient christianisés, et certains étaient certainement déjà alphabétisés. De plus, il y avait aussi des « érudits oraux » au sein de la culture orale en Afrique de l’Ouest (griots, babalawo, bokono). L’Église noire serait-elle aussi l’héritière de cette tradition, plus interprétative qu’expressive, puisqu’il existe des intellectuels religieux noirs américains depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle par exemple <a href="http://www.bworldconnection.tv/library/personnages/richard-allen-un-pere-fondateur-noir">Richard Allen</a>, fondateur de l’Église épiscopale méthodiste africaine (AME) ?</p>
<p><strong>HLG :</strong> Il est vrai qu’un grand nombre de Noirs ont embrassé une forme de religion émotionnelle dans les Églises baptistes et méthodistes. Mais il y avait effectivement une religion noire plus réfléchie, avec différentes formes théologiques dans l’Église noire. Prenons l’exemple de <a href="https://scafricanamerican.com/honorees/bishop-daniel-alexander-payne/">Daniel Payne</a>, un évêque de l’AME. Il est né libre, à Charleston, en Caroline du Sud. C’était un théologien très conservateur. Il est élu évêque en 1852 et convainc l’Église de fonder <a href="https://wilberforce.edu/about-wilberforce/">l’université Wilberforce</a>, la plus ancienne des universités historiquement noires de notre pays, fondé par des Afro-Américains. Il en deviendra le premier président afro-américain. Or, il désapprouvait fortement le culte traditionnel africanisé. Il était opposé aux <a href="https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780195304039.003.0006">formes de culte du Saint-Esprit imprégnées de traditions africaines</a>. Il y voyait le culte du Diable. Les gens dansaient, bougeaient et pleuraient, ils invoquaient le Saint-Esprit… Mais pour lui, ils invoquaient le Diable ! Un jour, il a sauté de sa chaire et s’est écrié : « Stop, stop, vous adorez le Diable ! » Il pensait que c’était du paganisme. Il fallait qu’ils s’assoient en ligne et chantent les hymnes. […]</p>
<p>La religion a façonné tous les aspects de l’expérience des Noirs et de leur participation à la société américaine au sens large. L’Église noire était le centre d’un monde dans un monde, un monde derrière <a href="http://xroads.virginia.edu/%7Eug03/souls/defpg.html">« le voile »</a>, pour reprendre la métaphore de Du Bois. Nos ancêtres ont reproduit le monde dont ils étaient exclus. La meilleure chose à faire dans cette terrible situation est d’empêcher votre oppresseur de définir qui vous êtes. C’est ce qu’ils ont fait, et c’est le monde que je célèbre dans mon livre sur l’Église noire.</p>
<p><strong>ED :</strong> Une dernière question, concernant la source africaine de l’Église noire. Vous avez consacré un livre important à <a href="https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1998_num_100_1_4730">Eshu, le dieu trublion des Yoruba et des Fon</a>. Vous montrez que le « signifying », c’est-à-dire le double sens, l’ironie, le discours indirect, le jeu de mots, est une caractéristique essentielle de la culture noire. Trouvez-vous un équivalent de cette rhétorique dans l’Église noire ?</p>
<p><strong>HLG :</strong> Les protestants ont diabolisé Eshu. Donc Eshu n’a pas eu la chance de se manifester dans l’Église. Il n’est pas devenu la figure du Saint-Esprit. Ce serait un lien logique, puisque le Saint-Esprit fait le lien avec les autres composantes de la Trinité et aussi avec les hommes, mais cela ne s’est pas produit. Le protestantisme a oblitéré les formes de médiation qui caractérisaient les dieux dans les religions africaines et les saints dans le catholicisme romain. Dans le protestantisme, on peut parler directement à Dieu. On n’a pas besoin de médiateur ; or Eshu est précisément le médiateur entre les humains et les dieux. Le seul endroit où Eshu a survécu, c’est dans le monde séculier à travers les modes de « signifying » et grâce au personnage de <a href="https://www.jstor.org/stable/438217">« Signifying Monkey »</a>. Qu’en pensez-vous, puisque vous avez consacré un <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20121125-michele-chouchan-co-auteure-eshu-dieu-afrique-nouveau-monde-editions-larousse">ouvrage à cette divinité avec Michèle Chouchan ?</a></p>
<p><strong>ED :</strong> Certainement ; mais la conception du Diable dans la religion populaire noire ressemble quand même un peu à celle d’Eshu, debout à la croisée des chemins…</p>
<p><strong>HLG :</strong> Oui, il se trouve indubitablement à ce carrefour avec Robert Johnson, le chanteur de blues. C’est le Diable à la croisée des chemins, et c’est clairement l’héritage d’Eshu.</p>
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<hr>
<p><em>Une version longue de cet entretien a été publiée <a href="https://www.cargo.canthel.fr/henry-louis-gates-jr/">sur le site du Canthel</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198193/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erwan Dianteill ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les esclaves amenés d’Afrique dans les colonies américaines étaient porteurs de traditions spirituelles qui ont par la suite imprégné les Églises noires des États-Unis.Erwan Dianteill, Anthropologue, Directeur du Centre d’Anthropologie Culturelle (CANTHEL), Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1981012023-01-26T18:07:11Z2023-01-26T18:07:11ZAu Cap-Vert, des paysages idylliques racontent l’histoire de l’esclavage et de la créolisation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/505350/original/file-20230119-5264-omk19c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À Hortelã, sur l'île de San Nicolau, la culture de canne à sucre évoque l'histoire du passé esclavagiste de l'archipel.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pierre-Joseph Laurent, 2022</span></span></figcaption></figure><p>Désormais desservies par quatre aéroports internationaux, Boa-Vista, Mindelo, Praia et Sal, les îles du <a href="https://theconversation.com/faire-famille-dans-le-monde-globalise-lexemple-dune-famille-capverdienne-124209">Cap-Vert</a> sont devenues en une décennie une destination prisée pour ses plages et ses paysages. Autour des ruines de « <a href="https://www.cnrtl.fr/lexicographie/fazenda">fadenzas</a> », certaines grandes propriétés terriennes tombées dans l’oubli, le prix des terrains à bâtir peut s’envoler. La spéculation foncière et immobilière attire aujourd’hui les investisseurs de la diaspora et les étrangers charmés par ces sites.</p>
<p>Une histoire en chasse une autre, mais subrepticement, plus de cinq siècles d’histoire se donnent toujours à voir dans la morphologie de ces lieux.</p>
<p>Au sud de Santo-Antão, entre montagne et océan, avec ses maisons agglutinées sur une étroite coulée volcanique, <a href="https://3.bp.blogspot.com/-xo7Uw7OtQwA/T6LRMgBtX3I/AAAAAAAAAEM/CmrLXLE86Y8/s1600/IMGP0017.JPG">Tarrafal do Monte Trigo</a> est l’un d’entre eux. L’endroit n’est plus, depuis la mort du fondateur, la <em>fazenda</em> de la <a href="https://atlanticitalies.net/2020/03/02/jose-silva-evora-defends-his-phd-thesis-on-land-water-and-power-in-rural-cape-verde/">famille Ferro</a>. Instituée durant le XIX<sup>e</sup> siècle, elle se déployait sur 62,5 hectares dans une vallée fertile, encaissée, alimentée par une importante source d’eau. Elle fait partie aujourd’hui de ces lieux dont la valeur s’enflamme. La <em>fazenda</em> constitue le trait d’union entre la période esclavagiste (de la fin du XV<sup>e</sup> siècle à environ 1650) et aujourd’hui.</p>
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<img alt="Dans les ruines de certaines fazendas, la spéculation immobilière fait rage. Casa Ferro, Tarrafal do Monte Trigo, Santo-Antão" src="https://images.theconversation.com/files/505347/original/file-20230119-12-9junu6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505347/original/file-20230119-12-9junu6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505347/original/file-20230119-12-9junu6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505347/original/file-20230119-12-9junu6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505347/original/file-20230119-12-9junu6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505347/original/file-20230119-12-9junu6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505347/original/file-20230119-12-9junu6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans les ruines de certaines fazendas, la spéculation immobilière fait rage. Casa Ferro, Tarrafal do Monte Trigo, Santo-Antão.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pierre-Joseph Laurent, 2022</span></span>
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<h2>Louer des terres à ses anciens esclaves</h2>
<p>La <em>fazenda</em> émerge de la marginalisation du Cap-Vert du commerce atlantique (dès 1650) lorsque ruinés, les maîtres des plantations esclavagistes, appelés <em>morgados</em>, réorientent leur base d’accumulation. Elle ne repose plus sur la production agricole et la main-d’œuvre servile, mais la location de terres.</p>
<p>Les maîtres revendent leurs esclaves, en affranchissent d’autres, tout en gardant certains pour leur service. L’effondrement précoce de cette société esclavagiste (comparativement, la traite des Africains commence à la Martinique en 1635) ne signe pas la fin de l’<a href="https://theconversation.com/esclavage-ce-que-les-etats-unis-peuvent-apprendre-de-lafrique-en-matiere-de-reparations-161022">esclavage</a>. Même après l’abolition officielle au Cap-Vert en 1869, elle se maintient dans les faits, dans la dépendance physique et psychique des paysans sans-terre (d’anciens esclaves devenus métayers : pour louer leurs terres, ils cèdent la moitié de leur production au propriétaire).</p>
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<p>Dans la <em>fazenda</em>, le propriétaire est un seigneur respecté. Le métayer lui doit tout, l’eau, la terre et aussi de l’aide pour son mariage, le baptême d’un enfant ou l’organisation de funérailles. Les métayers et leurs familles reçoivent au prorata des services rendus et des relations personnelles entretenues avec le propriétaire et sa famille. Ainsi, sachant que les terres cultivables sont rares, pour mieux asseoir sa domination, le propriétaire module la qualité et la quantité des terres octroyées aux métayers, ainsi que les heures d’eau allouées pour irriguer. Les rapports clientélistes conditionnent les privilèges distillés en fonction de la familiarité, de l’intimité, ambivalente lorsqu’elle glisse vers les prestations de services sans fin, sexuelles parfois.</p>
<p>La <em>fazenda</em> se caractérise donc surtout par l’édification d’un espace mental façonné par des <a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">rapports sociaux clientélistes</a> entre les métayers (<em>parceiros</em>) et les anciens maîtres des esclaves, eux-mêmes basés sur la dépendance induite d’un crédit permanent.</p>
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<img alt="Corvo, Santo Antão, Cap-Vert" src="https://images.theconversation.com/files/505349/original/file-20230119-15-x0j325.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505349/original/file-20230119-15-x0j325.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505349/original/file-20230119-15-x0j325.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505349/original/file-20230119-15-x0j325.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505349/original/file-20230119-15-x0j325.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505349/original/file-20230119-15-x0j325.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505349/original/file-20230119-15-x0j325.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Corvo, Santo Antão, Cap-Vert.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pierre-Joseph Laurent, 2022</span></span>
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<h2>Des dettes inextinguibles</h2>
<p>Toujours en vie, quelques témoins peuvent détailler le fonctionnement de la <em>fadenza</em> Ferro (fondée en 1880). Il s’agit d’un trésor historique et ethnographique consigné dans la mémoire des habitants, car les relations sociales établies au sein de la <em>fazenda</em> Ferro sont similaires à celles qui émergèrent dans la seconde moitié du XVII<sup>e</sup> siècle. Ces relations perdureront, sans changements notoires, jusqu’en 1980 avec l’avènement de la réforme agraire du Cap-Vert. Celle-ci octroiera un certain nombre de titres fonciers aux paysans sans-terre (les métayers), sans parvenir à vraiment atténuer l’inégale répartition foncière précédemment instituée.</p>
<p>De surcroît, si depuis la réforme de 1980, les propriétaires n’imposent plus de la même manière la monoculture de la canne au détriment des cultures vivrières, elle reste prépondérante dans l’archipel (la monoculture a longtemps renforcé les famines, en dépit de la richesse potentielle de certaines zones comme Tarrafal). Et le mécanisme de répartition des coûts pour la location de la terre n’a pas changé. Le métayer doit toujours payer sa dette pour la terre louée, à <em>meio</em>, c’est-à-dire que 50 % de tout ce qui est produit sur les parcelles louées revient au propriétaire, dont 50 % de l’alcool de canne produit par les métayers. De ce pourcentage, tous les vingt litres d’alcool fabriqué, le <em>parceiro</em> doit encore au propriétaire quatre litres pour s’acquitter du coût de la fabrication du rhum. Ce mécanisme de répartition des coûts pour la location de la terre dite à <em>meio</em> (en métayage) et de la production du rhum sont toujours en vigueur aujourd’hui.</p>
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<h2>La plantation esclavagiste renforce la créolisation</h2>
<p>Dans les îles de Santiago et de Fogo où s’est initialement déployée la société esclavagiste, de nombreux sites évoquent donc encore le commerce des esclavages et l’économie de plantation. Ces lieux invitent également à prendre la mesure de phénomènes culturels liés à l’esclavage. À partir de la seconde moitié du XV<sup>e</sup> siècle, débarquèrent dans l’archipel inhabité, des Luso-Africains (des courtiers installés à demeure sur les côtes d’Afrique de l’Ouest), des esclaves (majoritaires et issus de différentes sociétés africaines) et des Portugais (aristocrates et colons) : les prémisses d’une société créole.</p>
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<img alt="Ribeira Grande était une cité cosmopolite où débarquèrent les esclaves, avec le pilori (XVIᵉ siècle) symbole du pouvoir, Cidade Velho, Santiago" src="https://images.theconversation.com/files/505346/original/file-20230119-22-a583dl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505346/original/file-20230119-22-a583dl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505346/original/file-20230119-22-a583dl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505346/original/file-20230119-22-a583dl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505346/original/file-20230119-22-a583dl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505346/original/file-20230119-22-a583dl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505346/original/file-20230119-22-a583dl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ribeira Grande était une cité cosmopolite où débarquèrent les esclaves, avec le pilori (XVIᵉ siècle) symbole du pouvoir, Cidade Velho, Santiago.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pierre-Joseph Laurent, 2022</span></span>
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<p>Dans sa dimension culturelle et sociale, la <a href="http://www.edouardglissant.fr/creolisation.html">créolisation</a> est une <a href="https://www.editions-depaysage.fr/livres/linvention-du-cap-vertde-la-creolisation/">manière de se transformer en continu</a>, de façon imprévisible, en suscitant d’étranges équilibres provisoires lorsque chaque composante de la société en devenir semble agir sur l’autre et être agie par l’autre, sans en prendre toujours la mesure. Ainsi, la rencontre entre la culture catholique des maîtres des esclaves et celles des esclaves aux origines diverses est inégale : l’une tente d’imposer aux autres leurs manières de penser, de comprendre, de parler, de vivre – en vain.</p>
<p>Progressivement, c’est plutôt le catholicisme qui s’est créolisé et donc aussi les maîtres qui ont appris des esclaves : le travail d’une terre aride, le savoir culinaire, la pharmacologie. Une faille s’esquisse ainsi dans cette société inégalitaire. Les esclaves s’y faufilent pour affecter le maître. Par leur compétence, leur habilité, leur ruse, certains esclaves obtiennent quelques bénéfices.</p>
<p>Avec la créolisation, la culture qui s’invente mobilise les sentiments, l’intimité, l’affectivité et, plus encore, la <a href="https://fondationuniversitaire.be/en/content/linvention-du-cap-vert">capacité d’affecter l’autre à distance</a>, par la compréhension de plus en plus partagée d’un imaginaire en commun, pétri notamment de peurs (dont celle de la sorcellerie).</p>
<p>La société créole s’est produite petit à petit. La créolisation est un processus historique involontaire, inachevé, toujours en cours. Se rendre au Cap-Vert, c’est en être le témoin… Ou, possiblement, en être un acteur ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198101/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Joseph Laurent a reçu des financements du Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS) de Belgique pour mener ses recherches au Cap-Vert</span></em></p>Si le Cap-Vert est aujourd'hui une destination touristique prisée pour sa beauté naturelle, le pays recèle aussi une riche histoire marquée par l'esclavage et le complexe processus de créolisation.Pierre-Joseph Laurent, Professeur en anthropologie, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1971192023-01-11T17:39:36Z2023-01-11T17:39:36ZÉgypte blanche, Égypte noire : histoire d’une querelle américaine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503841/original/file-20230110-20-f3skyt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=296%2C0%2C678%2C464&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Savants sur le Sphinx de Gizeh, Dominique Vivant-Denon,Voyage dans la basse et la haute Égypte, pendant les campagnes du général Bonaparte, 3 [planches], planche 7, figure 1.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b9/Sphinx_de_Gizeh_par_Dominique_Vivant_Denon.jpg">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 1845, dans sa nouvelle fantastique <em>Petite discussion avec une momie</em>, Edgar Allan Poe met en scène des savants américains ramenant une momie à la vie après l’avoir démaillotée. À travers une discussion entre Allamistakeo (la momie) et les savants, Poe moque l’ignorance des savants et des « prétendus » égyptologues américains du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Depuis les campagnes napoléoniennes (1798-1801) et l’énorme succès de la <em>Descriptions de l’Égypte</em> (1809-1828), une vague d’égyptomanie touche les sociétés occidentales européenne et nord-américaine. Les récits de voyage, le développement des études égyptologiques et l’importation d’antiquités participent à diffuser dans l’imaginaire de la jeune société américaine une égyptomanie qui lui est propre.</p>
<p>Or à cette même époque, les spécialistes s’interrogent : les Égyptiens étaient-ils Noirs ? Cette simple hypothèse, avancée notamment <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Volney">par le comte de Volney</a>, philosophe et orientaliste français, jette un froid dans une société américaine fondée sur l’esclavage.</p>
<p>Cette phrase, tirée du <em>Voyage en Égypte et en Syrie</em> (1797), marque le début d’un long débat anthropologique :</p>
<blockquote>
<p>« Penser que cette race d’hommes noirs, aujourd’hui notre esclave et l’objet de nos mépris, est celle-là même à qui nous devons nos arts, nos sciences et jusqu’à l’usage de la parole. »</p>
</blockquote>
<p>L’égyptomanie devient alors un enjeu social et politique : sous le prétexte de savoir quelle était vraiment la couleur de peau des pharaons, les partisans de l’esclavagisme trouvent de nouveaux arguments pour défendre leur société raciste, tandis que leurs détracteurs y voient matière à remettre en question les théories raciales et l’esclavagisme.</p>
<h2>Démailloter les momies pour prouver leur « blancheur »</h2>
<p>Ce débat est particulièrement exacerbé par certains « experts » tels que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Robin_Gliddon">George Robin Gliddon</a> (1809-1857), égyptologue autoproclamé.</p>
<p>Ce dernier donne de nombreuses conférences marquées par un moment phare : le <a href="https://digital.librarycompany.org/islandora/object/digitool%3A59422">démaillotage de momies</a>, objet de fascination pour le public.</p>
<p>Ces séances, ouvertes à un public érudit, visent non seulement à faire connaître l’Égypte ancienne mais également à justifier, au moyen de preuves archéologiques, l’origine « caucasienne » des anciens Égyptiens. Gliddon, dans <em>Otia Ægyptiaca</em> (1849), écrit ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Dans le crâne de cet homme, nous voyons l’un des nôtres, un Caucasien, un homme blanc pur, malgré le bitume qui a noirci sa peau ».</p>
</blockquote>
<p>L’objectif de ces conférences est de réfuter, grâce à des <a href="https://www.canal-u.tv/chaines/mnhn/le-racisme-scientifique-au-XIXeme-si%C3%A8cle-du-bon-usage-de-la-craniometrie-cycle">études craniométriques</a> – dont on sait aujourd’hui qu’elles n’ont <a href="https://theconversation.com/levolution-du-cerveau-humain-cliches-et-realite-176425">aucun fondement scientifique</a> – toute idée de « noirceur » de peau chez les anciens Égyptiens.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503839/original/file-20230110-13-slblxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503839/original/file-20230110-13-slblxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503839/original/file-20230110-13-slblxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1000&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503839/original/file-20230110-13-slblxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1000&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503839/original/file-20230110-13-slblxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1000&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503839/original/file-20230110-13-slblxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1256&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503839/original/file-20230110-13-slblxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1256&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503839/original/file-20230110-13-slblxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1256&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dessins tirés de l’ouvrage de Josiah C. Nott et George Gliddon, Indigenous races of the earth (1857), qui prône le racisme scientifique en suggérant que les Noirs se situent entre les Blancs et les chimpanzés en termes d’intelligence.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/George_Gliddon#/media/File:Races_and_skulls.png">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En d’autres termes, pour un Américain blanc du XIX<sup>e</sup> siècle, l’Égypte ancienne, par la grandeur de ses monuments et de sa civilisation, ne peut être issue d’une population d’Afrique noire. Adepte de la théorie des origines humaines de l’anthropologue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Samuel_George_Morton">Samuel George Morton</a>, Gliddon fournira plusieurs crânes de momies qui permettront la publication en 1844 de <em>Crania Ægyptiaca</em>.</p>
<p>Face à ceux qui, comme Volney, pensent que le Sphinx de Gizeh prouve que les populations égyptiennes étaient noires, Gliddon écrit dans <em>Otia Ægyptiaca</em> (1849) :</p>
<blockquote>
<p>« La mode a été de citer le sphinx comme une preuve des tendances nègres des Anciens Égyptiens. Ils prennent sa perruque pour des cheveux bouclés et comme le nez est enlevé, il est bien sûr plat… Mais même si le visage (ce que j’admets pleinement) a une forte tendance africaine, c’est un exemple presque solitaire, contre 10 000 qui ne sont pas africains ».</p>
</blockquote>
<h2>Convoquer tous les arguments possibles</h2>
<p>Dans les années 1850, avec l’aide du <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Josiah_C._Nott">Docteur Josiah Clark Nott</a>, Gliddon publie en 1854 deux ouvrages extrêmement populaires aux États-Unis : <em>Types of Mankind</em> (<em>Types d’Humanités</em>) et <em>Indigenous Races of the Earth or New Chapters of Ethnological Enquiry</em> (<em>Les races indigènes de la Terre ou Nouveaux chapitres de l’enquête ethnologique</em>, non traduit, NDLR). En associant deux domaines scientifiques, l’égyptologie et l’ethnologie, il veut démontrer qu’il existait différentes races d’hommes ; que ces « types d’humanités » qui vivaient dans l’Égypte ancienne sont les mêmes qu’au XIX<sup>e</sup> siècle et que, de fait, les Noirs sont de toute éternité destinés à être esclaves.</p>
<p>Cette théorie fallacieuse rassure ceux qui voyaient déjà la société esclavagiste et les privilèges qu’elle octroyait remise en question.</p>
<p>Outre l’utilisation des « preuves » archéologiques, scientifiques et savants du XIX<sup>e</sup> siècle utilisent encore largement la Bible pour étayer leurs propres conclusions sur l’origine de l’humanité, afin d’expliquer les différences raciales et légitimer l’esclavage. Entre abolitionnistes et fervents partisans de l’institution esclavagiste, les <a href="https://relrace.hypotheses.org/658">débats</a> sur la création divine et sur le livre de la Genèse font rage.</p>
<p>Deux théories se distinguent concernant la genèse de l’humanité, avec les partisans de la monogenèse prônant l’unité des êtres humains (toutes les races descendent d’Adam et Eve) et, d’autre part, les partisans de la théorie polygéniste soutenant l’idée d’une origine multiple des races et d’une séparation complète des races caucasiennes et africaines.</p>
<h2>Une contre-offensive nationaliste noire</h2>
<p>Un mouvement de contre-offensive au développement de cette égyptologie instrumentalisée à des fins racistes émerge alors durant les années 1830.</p>
<p>Cette tendance se veut contre-ethnologique, anti-égyptologique et anti-esclavagiste avec l’apparition de Sociétés comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/American_Anti-Slavery_Society">l’American Anti-Slavery Society</a> (1833) de William Lloyd Garrison contre les « négrophobes éclairés d’Amérique », pour reprendre l’expression de l’abolitionniste <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Wilson_Armistead">Wilson Armistead</a>.</p>
<p>S’appuyant largement sur les écrits de Volney et encouragés par des lectures comme celle de l’Abbé Grégoire (<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k844925.texteImage"><em>De la littérature des Nègres ou recherches sur leurs facultés intellectuelles</em></a>, 1808), ou encore celle d’Alexander Hill Everett (<a href="https://archive.org/details/americaorgeneral00everiala"><em>America : Or a General Survey of the Political Situation of the Several of the Wester Continent</em></a>, <em>L’Amérique : ou un aperçu général de la situation politique de plusieurs pays du continent occidental</em>, non traduit, 1827), les Afro-Américains appuyés par des organisations abolitionnistes blanches vont produire leurs propres écrits sur l’Égypte ancienne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-sommes-nous-fascines-par-legypte-des-pharaons-113228">Pourquoi sommes-nous fascinés par l’Égypte des pharaons ?</a>
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<p>Majoritairement soutenu par les penseurs afro-américains, le mouvement revendique un lien avec l’Égypte, terre africaine et donc terre ancestrale pour les descendants d’esclaves.</p>
<p>En affirmant cette ascendance glorieuse, les Afro-Américains produisent des arguments contre l’esclavage, dénonçant au passage la suprématie blanche sur fond d’institution de l’esclavage. <a href="https://www.bu.edu/missiology/missionary-biography/g-h/holly-james-theodore-1829-1911/">Théodore Holly</a>, évêque épiscopal d’Haïti, <a href="https://www.betweenthecovers.com/pages/books/400067/the-anglo-african-magazine-august-1859?soldItem=true">proclame ainsi</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Qu’ils prouvent, s’ils le peuvent, à la pleine satisfaction de leurs âmes étroites et de leurs cœurs gangrenés, que les Égyptiens des temps anciens, au visage noir, aux cheveux laineux, aux lèvres épaisses et au nez plat, n’appartenaient pas à la même branche de la famille humaine que ces nègres, victimes de la traite des esclaves africains depuis quatre siècles ».</p>
</blockquote>
<p>Les thèses afro-américaines défendues par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Walker_(abolitionniste)">David Walker</a>, <a href="https://www.nyhistory.org/web/africanfreeschool/bios/henry-highland-garnet.html">Henry Highland Garnet</a> ou encore <a href="http://www.shs.terra-hn-editions.org/Collection/?William-Wells-Brown-du-temoin-a-l-historien">William Wells Brown</a> revendiquent même la primauté civilisationnelle de l’Égypte antique Noire et la diffusion de ses savoirs vers les civilisations occidentales que sont la Grèce puis la Rome antique.</p>
<p>Ils retournent ainsi la thèse suprémaciste blanche en démontrant que les Afro-Américains descendent d’une civilisation supérieure et que rien ne vient alors justifier la thèse esclavagiste.</p>
<p>Cette lutte contre les préjugés raciaux des <a href="https://relrace.hypotheses.org/601">« darker races »</a> s’accentuera avec le mouvement panafricaniste de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Delany">Martin Delany</a> puis de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/W._E._B._Du_Bois">W.E.B. Du Bois</a> au XX<sup>e</sup> siècle, repris plus tard <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-egypte-antique-une-civilisation-noire-la-these-controversee-de-cheikh-anta-diop-4986876">par Cheikh Anta Diop</a>. Ces théories sont aujourd’hui fortement controversées chez les égyptologues.</p>
<h2>La Cléopâtre africanisée de William Wetmore Story</h2>
<p>La connaissance de l’Égypte antique passe aussi par la redécouverte de figures emblématiques de cette civilisation comme celle de la dernière reine d’Égypte <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cl%8Eop%89tre_VII">Cléopâtre</a>.</p>
<p>En raison de <a href="https://theconversation.com/gal-gadot-peut-elle-jouer-le-role-de-cleopatre-148389">son ascendance incertaine</a>, la figure de Cléopâtre a conduit le mouvement abolitionniste à la reconnaître et à se l’approprier comme femme noire, issue d’une civilisation africaine.</p>
<p>Le sculpteur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Wetmore_Story">William Wetmore Story</a> est le premier à réaliser une Cléopâtre idéalisée de type africain. Partisan Blanc du <a href="https://www.vie-publique.fr/video/279146-video-la-traite-lesclavage-et-leur-abolition">mouvement abolitionniste</a>, il crée plusieurs versions de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sHFoDpm9vgg"><em>La mort de Cléopâtre</em></a> dont celle de 1858 restera la plus emblématique. En 1860, John Sullivan Dwight écrit dans <em>Dwight’s Journal of Music</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Elle n’est pas grecque, vous le voyez d’un seul coup d’œil à l’arche audacieuse sur laquelle frémissent des narines qui respirent la vengeance… Elle n’est pas romaine non plus. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503840/original/file-20230110-25-nbxeww.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503840/original/file-20230110-25-nbxeww.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503840/original/file-20230110-25-nbxeww.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503840/original/file-20230110-25-nbxeww.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503840/original/file-20230110-25-nbxeww.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503840/original/file-20230110-25-nbxeww.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503840/original/file-20230110-25-nbxeww.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Cléopatre de William Wetmore Story, version de 1869.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Wetmore_Story#/media/Fichier:Cleopatra_by_William_Wetmore_Story_02.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Popularisée par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nathaniel_Hawthorne">Nathaniel Hawthorne</a> qui lui rend hommage dans son roman <em>Le Faune de marbre</em>, la Cléopâtre de Story se veut symbole de l’Afrique. Il écrit ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Le visage était une réussite miraculeuse. Le sculpteur ne s’était pas privé de donner les lèvres pleines de la Nubie, et d’autres caractéristiques de la physionomie égyptienne. »</p>
</blockquote>
<p>Outre les traits africains qu’il a prêtés à la Reine, le sculpteur invitait aussi à la réflexion avec cette œuvre : le suicide de Cléopâtre peut être interprété comme une métaphore du sort des esclaves africains à l’aube de la guerre civile américaine.</p>
<p>Clé de l’intérêt égyptologique du XIX<sup>e</sup> siècle, la question des races et la couleur des anciens Égyptiens à travers la Cléopâtre de Story ouvrent la voie au développement d’une égyptomanie afro-américaine : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Afrocentrisme">l’afrocentrisme</a>. Consacrant sa vie à l’égalité des noirs, <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-1-page-97.htm">W.E.B. Du Bois</a> s’efforcera à travers des ouvrages comme <em>The Negro</em> (1915) ou <em>The World and Africa and Color and Democracy</em> (1947) de reconnaître la place légitime de l’Afrique et des Africains dans l’histoire du monde, effacé selon lui par une culture blanche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197119/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Vanthournout ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans l’Amérique du XIXᵉ siècle, l’égyptomanie est un enjeu social et politique d’importance, qui divise la société entre tenants de l’esclavage et partisans de l’abolition.Charles Vanthournout, Professeur d'histoire-géographie et Doctorant en égyptomanie américaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678212022-09-07T18:01:56Z2022-09-07T18:01:56ZL’Anémone : de Bayonne à la Baie des Saintes, une épave hors du commun<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/483014/original/file-20220906-20-65ss0k.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C1%2C752%2C499&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Installation des aspirateurs à sédiment sur le site de l'Anémone, Photo François Jacaria, 2018.</span> <span class="attribution"><span class="source">J.-S. Guibert/AAPA/UA</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Très souvent, chez mes proches ou dans mon entourage, la mention de mon métier, archéologue maritime, évoque rêves et curiosité : ne suis-je pas, dans l’imaginaire de beaucoup, l’archétype du chasseur d’épaves, celui qui plonge à plusieurs mètres sous la surface pour faire revivre des navires, voire celui qui va dénicher quelque trésor des plus beaux romans d’aventure et de piraterie ?</p>
<p>Si l’émotion est souvent au rendez-vous, mon travail revêt un caractère scientifique. De plus, toute une dimension de mon travail demeure souvent inaperçue : une plongée non pas sous-marine mais dans les archives. C’est ainsi que j’ai eu la chance de mettre à jour et <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03480501">identifier une épave hors du commun</a>. L’épave de la Baie des Saintes (Guadeloupe) désormais identifiée comme l’<em>Anémone</em>. Il s’agit d’une goélette de la Marine royale de la période de la Restauration construite à Bayonne en 1823 et coulée aux Saintes en 1824 lors du cyclone du même mois.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482358/original/file-20220901-14-jil48g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482358/original/file-20220901-14-jil48g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=523&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482358/original/file-20220901-14-jil48g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=523&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482358/original/file-20220901-14-jil48g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=523&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482358/original/file-20220901-14-jil48g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=657&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482358/original/file-20220901-14-jil48g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=657&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482358/original/file-20220901-14-jil48g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=657&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte de la Guadeloupe indiquant la localisation des Saintes et de l’épave de l’<em>Anémone</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Par l’auteur</span></span>
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</figure>
<p>Si une partie du travail de recherche est celui, personnel, d’un chercheur isolé, le travail de terrain (deux à trois semaines par an) est le résultat de la collaboration d’une équipe d’une quarantaine de personnes sur cinq ans.</p>
<h2>L’épave de la Baie des Saintes : les premières données</h2>
<p>Dans le milieu des plongeurs de Guadeloupe passionnés d’archéologie, il est un site qui intrigue : celui de l’épave de la Baie des Saintes. Une épave ancienne trouvée en 1990 par Claude Édouard, un restaurateur de Terre-de-Haut et un certain Lesueur propriétaire d’un club de plongée aux Saintes.</p>
<p>Elle intrigue aussi parce qu’elle n’est pas facile à repérer : profondeur de 25 m en plein milieu de la baie entre Terre-de-Haut et l’îlet à Cabrit.</p>
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<p>L’accès n’est possible que par des amers que seuls quelques initiés connaissent et les navettes qui relient les Saintes à la Guadeloupe ne passent pas très loin dans la passe de la Baleine ce qui n’améliore pas la sécurité de plongeurs bravant ses secrets. La rencontre avec Claude Edouard me permet en 2009 de plonger sur le site avec un bon ami de l’époque, F. Nouhailas. Claude Edouard est que l’on appelle « l’inventeur du site » dans le métier, puisque premier « découvreur » de ce lieu.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482390/original/file-20220901-14673-84vlza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482390/original/file-20220901-14673-84vlza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482390/original/file-20220901-14673-84vlza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482390/original/file-20220901-14673-84vlza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482390/original/file-20220901-14673-84vlza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482390/original/file-20220901-14673-84vlza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482390/original/file-20220901-14673-84vlza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vue panoramique de la baie des Saintes avec au premier plan le navire support à proximité du site de l’<em>Anémone</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Renaud Leroux/AAPA/UA</span></span>
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</figure>
<p>En clair, il nous donne les amers (points de repères sur terre ou en mer, essentiels à la navigation) et nous parvenons lors de la seconde plongée à repérer le site : les vestiges de plaques de cuivre caractéristiques servant à doubler la coque des navires jonchent les fonds marins et ce qui semble être ceux de la carène d’un navire se découvre par endroit.</p>
<h2>Étrange « Limande »</h2>
<p>D’après les données recueillies par le ministère de la Culture (Direction de la Recherche en Archéologie Subaquatique et Sous-Marine) auprès de Claude Edouard, il pourrait s’agir de la <em>Limande</em>, un navire hydrographique, c’est-à-dire à vocation scientifique dont la mission principale est la description des fonds marins et coulé dans les années 1820 (<a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Archeologie/Acteurs-metiers-formations/Les-services-de-l-archeologie-au-ministere-de-la-Culture/Le-Departement-des-recherches-subaquatiques-et-sous-marines/Documentation-scientifique-et-technique">bilan scientifique du Drassm</a> 2002).</p>
<p>Cependant, ce nom de navire demeure inconnu des registres de la Marine française, et à titre personnel je n’ai jamais vu de navire portant ce nom dans les milliers de documents que j’ai pu consulter.</p>
<p>Ces informations intriguent forcément : comment ce nom est-il sorti ? Comment l’inventeur du site peut-il dater le site aussi précisément ? La réponse est simple : le site a été pillé et les pilleurs ont prélevé des objets qui permettent de le dater précisément.</p>
<p>Quant à l’identification, les recherches menées en archives invalident rapidement cette hypothèse. Les échanges avec plusieurs autres <em>gran moun</em> (anciens en créole) des Saintes indiquent que le site avait déjà été pillé par des Américains dans les années 1970.</p>
<p>Alors que faire ? Comment retrouver trace de cette épave et d’informations validant ou invalidant les hypothèses ?</p>
<h2>Les données d’archives : la remise en cause</h2>
<p>Mon <a href="https://www.theses.fr/174711913">travail de thèse</a> m’a habitué à fréquenter les archives maritimes, au cœur du métier d’archéologue et d’historien, au même titre que la plongée.</p>
<p>En France, la pratique de l’archéologie sous-marine est réglementée : les opérations de fouille sont réalisées par des plongeurs professionnels détenteurs d’une certification le classe B.</p>
<p>J’ai déjà quelques sources sur les <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/bshg/2013-n165-bshg01014/1020647ar.pdf">naufrages à la Guadeloupe</a> et poursuis les dépouillements entre 2009 et 2012. Au cours d’une séance aux archives départementales de Guadeloupe – où les doubles microfilmés des archives des Archives Nationales d’Outre-Mer sont conservés – je tombe sur le rapport du gouverneur Jacob faisant état des dégâts causés par l’ouragan du 7 au 8 septembre 1824 qui a touché la Guadeloupe et en particulier les Saintes.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482391/original/file-20220901-9301-qctpe1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482391/original/file-20220901-9301-qctpe1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482391/original/file-20220901-9301-qctpe1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482391/original/file-20220901-9301-qctpe1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482391/original/file-20220901-9301-qctpe1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=952&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482391/original/file-20220901-9301-qctpe1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=952&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482391/original/file-20220901-9301-qctpe1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=952&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Rapport du gouverneur de la Guadeloupe Jacob sur l’ouragan du 7 au 8 septembre 1824, 25 mars 1825.</span>
<span class="attribution"><span class="source">SG/GUA/CORR/68</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il mentionne la perte de l’<em>Anémone</em>, une goélette du roi naufragée aux Saintes au cours du cyclone et la mort de l’ensemble de son équipage alors qu’elle y était au mouillage pour passer la mauvaise saison. A cet instant, j’envisage cette piste pour élucider l’identification des vestiges de l’épave de la Baie des Saintes. Dès lors, je mène des recherches sur cette unité et complète les informations sur ce naufrage.</p>
<p>Le navire est construit à Bayonne en 1823, il participe à la guerre d’Espagne avant d’être envoyé en Guadeloupe pour servir de navire des domaines chargé du contrôle des côtes et de transport pour l’administration. Il est alors commandé par <a href="https://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/ark/436346">Louis Alexandre Guillotin</a> (1790-1824). Le navire est aussi impliqué dans la lutte contre le commerce illégal d’esclaves désormais interdit depuis 1817. Le navire saisit deux navires négriers au large de la Guadeloupe au cours de sa courte existence.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482387/original/file-20220901-27-ga786v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482387/original/file-20220901-27-ga786v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482387/original/file-20220901-27-ga786v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482387/original/file-20220901-27-ga786v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482387/original/file-20220901-27-ga786v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482387/original/file-20220901-27-ga786v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482387/original/file-20220901-27-ga786v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plan de voilure de l’Emeraude et de la Topaze, <em>sistership</em> de l’<em>Anémone</em>, 1824.</span>
<span class="attribution"><span class="source">SHD Cherbourg 2G2 321</span></span>
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<p>C’est l’une des six goélettes construites dans les années 1820 à Cherbourg, Toulon et Bayonne et la <em>sistership</em> (navire construit sur le même modèle) de la <em>Topaze</em>. Il existe d’ailleurs une monographie de la <em>Topaze</em> publiée par Jean Boudriot, spécialiste d’architecture navale. L’auteur s’appuie en fait sur l’histoire de l’<em>Anémone</em> et mentionne son naufrage aux Saintes. La boucle est bouclée !</p>
<p>L’idée d’identifier le site de l’épave de la Baie des Saintes comme étant l’<em>Anémone</em> ne me quittera plus. La datation colle et les premières observations aussi.</p>
<h2>L’identification : les résultats des recherches archéologiques</h2>
<p>Une fois ma thèse soutenue en 2013, je propose différentes pistes de recherche pour identifier plusieurs sites d’épaves à la Guadeloupe en m’appuyant sur les recherches effectuées au cours de celle-ci. Désormais recruté à l’Université des Antilles, j’envisage de mettre en œuvre un projet sur l’épave de la baie des Saintes en juillet 2015.</p>
<p>Il s’agira d’abord d’un projet de prospection (recherche) sondage (ouverture dans le sédiment pour étudier les vestiges s’y trouvant) pour localiser le site et tenter de comprendre comment il s’organise. Il faut réunir une équipe, des moyens, etc.</p>
<p>Un long travail invisible commence avec les demandes de financement, l’organisation, la préparation. Finalement nous partons depuis la Martinique avec <em>Orca</em> un navire qui nous sert à transporter le matériel nécessaire et une partie de l’équipe : Guy Lanoix, chef opérateur hyperbare et plongeur archéologue, Franck Bigot, plongeur et archéologue, Alexandre Arqué, Marie et Bruno Berton et Vassilis Tsourakos, plongeurs professionnels.</p>
<p>La première tentative de retrouver le site en plongeant n’est pas la bonne, la seconde paye ! La palanquée (groupe de plongeurs) revient en avec le navire annexe les bras en victoire le sourire aux lèvres. On a le site ! Au cours du débriefing du soir, Marie Berton, plongeuse, indique qu’elle a peut-être vu ce qui ressemble à la bouche d’un canon.</p>
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<span class="caption">Sondage autour de la caronade (2015).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photo par l’auteur/AAPA/UA</span></span>
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<h2>Des objets essentiels</h2>
<p>Cet élément est très important et pourrait nous aider à identifier le site. En effet l’<em>Anémone</em> était armée de deux caronades (type de canons courts) de calibre de 12 datés de 1818 qu’il devrait être facile d’identifier. C’est d’ailleurs un de nos axes de travail. Le lendemain nous repérons ce que Marie nous avait indiqué. C’est clairement la bouche d’un canon, nous décidons d’installer un sondage autour de la structure et rapidement elle s’avère être effectivement une caronade. C’est un élément déterminant qui nous a conduits dès la première année de prospection d’avoir une forte certitude quant à l’identification du site. Le reste des éléments étudiés (mobilier archéologiques et structures) confirment que le site est celui d’une épave du début du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Forts de ces premiers résultats, le rapport est rédigé et nous déposons un projet pour cette fois comprendre comment s’organise le site. En juillet 2016, une équipe d’une quinzaine de personnes rempile.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482379/original/file-20220901-22-vky5ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482379/original/file-20220901-22-vky5ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482379/original/file-20220901-22-vky5ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482379/original/file-20220901-22-vky5ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482379/original/file-20220901-22-vky5ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482379/original/file-20220901-22-vky5ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482379/original/file-20220901-22-vky5ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’équipe du projet Anémone en 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Claude Michaud/AAPA/UA</span></span>
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<p>Nous décidons d’installer un sondage à côté de la caronade pour pouvoir étudier la coque du navire en bois repérée en 2015. Le choix est pertinent : au cours du sondage se révèlent progressivement des objets et surtout les structures de la coque en bois d’un navire : membrures, vaigrage, bordé. L’étude de la construction navale permet de mettre en lumière les caractéristiques techniques des navires mais aussi les techniques de fabrication oubliées de nos jours.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482365/original/file-20220901-4342-x7t5w1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482365/original/file-20220901-4342-x7t5w1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482365/original/file-20220901-4342-x7t5w1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482365/original/file-20220901-4342-x7t5w1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482365/original/file-20220901-4342-x7t5w1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482365/original/file-20220901-4342-x7t5w1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482365/original/file-20220901-4342-x7t5w1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sondage sur la partie avant de la coque de l’<em>Anémone</em> (2018).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Olivier Bianchimani/AAPA/UA</span></span>
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</figure>
<p>Le second sondage est installé à une dizaine de mètres à un endroit où Alexandre Arqué a repéré du bois. Le choix se révèle encore une fois gagnant.</p>
<p>En effet, l’analyse des deux sondages permet d’émettre l’hypothèse que le premier correspond à la partie avant de la coque et le second à la partie arrière. Mais, et c’est peut-être le plus important, nous observons que les structures correspondent aux données étudiées à partir du plan type de l’<em>Anémone</em> : l’équidistance entre les membrures (pièces architecturales transversales) sur le site correspond, le rythme des couples de levée (couple servant à l’élévation de la carène) et de remplissage (servant au remplissage entre les couples de levée) est aussi le même. Pour moi il n’y a quasiment plus de doute. Nous sommes en présence de l’<em>Anémone</em>. Au cours de notre séjour, Claude Edouard nous montre certains objets de la collection qu’il a pillé sur le site : plusieurs pièces de monnaie à l’effigie de Louis XVIII avec les dates de 1818 et 1822 permettent de comprendre pourquoi il avait daté aussi précisément le site.</p>
<h2>Faire le lien entre les vestiges d’une épave et les données historiques</h2>
<p>Les fouilles suivantes, réalisées entre 2017 et 2019 – fin juin et début juillet pour éviter le cœur de la saison cyclonique – ne font que confirmer <a href="https://acuaonline.org/deep-thoughts/end-of-game-on-anemone-wreck-site-les-saintes-guadeloupe-fwi">ces éléments</a>. L’étude de la construction navale mais aussi celle du mobilier prouvent définitivement que le site de la Baie des Saintes est bien celui de l’<em>Anémone</em>.</p>
<p>Dans la vie d’un archéologue sous-marin, l’identification d’un site d’épave est une belle expérience. Elle permet de faire le lien entre les vestiges d’une épave et les données historiques mentionnant un naufrage. Cette étape permet aussi de relier le site au contexte de sa perte et de sa construction, de connaître les fonctions du navire mais aussi la composition de son équipage.</p>
<p>Bref cela donne du sens et de la vie. C’est un luxe des périodes modernes et contemporaines de connaître tout ces éléments (c’est plus rarement le cas pour les périodes antique et médiévale). Au-delà, c’est aussi une satisfaction personnelle telle celle d’un enquêteur confirmant les hypothèses d’une enquête compliquée, et ici historique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482392/original/file-20220901-21-6xvy33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482392/original/file-20220901-21-6xvy33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=164&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482392/original/file-20220901-21-6xvy33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=164&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482392/original/file-20220901-21-6xvy33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=164&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482392/original/file-20220901-21-6xvy33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=206&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482392/original/file-20220901-21-6xvy33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=206&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482392/original/file-20220901-21-6xvy33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=206&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue de la Baie des Saintes depuis Terre-de-Haut (2018).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Renaud Leroux/AAPA/UA</span></span>
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<p>Pour terminer, il reste à proposer une explication quant au nom du site proposé initialement : le terme Limande est peut-être le résultat de la culture orale issu de la déformation créole du nom de l’<em>Anémone</em>. Dans tous les cas c’est sous ce nom que les pêcheurs saintois appellent le banc sur lequel ils pêchent dans la baie des Saintes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167821/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Sébastien Guibert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Être archéologue maritime c’est aussi savoir plonger dans les archives qui aident à identifier des épaves aux secrets inestimables pour l’histoire.Jean-Sébastien Guibert, Maître de conférences en histoire des mondes moderne et contemporain, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1827402022-06-21T19:21:46Z2022-06-21T19:21:46ZL’engagement d’un leader nigérian pour obtenir réparation de l’esclavage et du colonialisme<p>Alors que les études sur la question des réparations au titre de l’esclavage et du colonialisme se multiplient, elles sont peu nombreuses à se pencher précisément sur le continent africain. La position ambiguë de l’Afrique a été <a href="https://archive.nytimes.com/www.nytimes.com/books/first/s/soyinka-burden.html">soulignée par Wole Soyinka</a>, prix Nobel de littérature en 1986 : les Africains pouvaient être tenus pour co-responsables dans la vente d’êtres humains aux esclavagistes européens, mais ils pouvaient aussi revendiquer des réparations puisque l’esclavage avait ravagé les dynamiques organiques de leur développement.</p>
<p>Pour éclairer l’engagement de figures africaines dans le mouvement global pour des réparations, <a href="https://journals-openedition-org.inshs.bib.cnrs.fr/slaveries/4969">j’ai étudié l’engagement</a> du Nigérian <em>Bashorun</em> (ou « <em>Chief</em> » en anglais) <a href="https://www.liberation.fr/planete/1998/07/09/le-petit-vendeur-de-bois-devenu-prince-des-affaires-abiola-s-etait-taille-une-image-de-bienfaiteur_243442/">Moshood Kashimawo Olawale Abiola</a> pour les réparations au titre de l’esclavage et du colonialisme, ainsi que ses discours et ses initiatives opérationnelles, dont les conférences de Lagos en 1990 et d’Abuja en 1993. Pour la première fois, un représentant au plus haut niveau d’un État africain, candidat à l’élection présidentielle dans son pays, a mis tout son poids intellectuel, politique et financier dans une cause partagée avec les représentants des diasporas africaines et du mouvement panafricain.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/global-africa-une-nouvelle-revue-pour-un-concept-militant-182737">« Global Africa » : une nouvelle revue pour un concept militant</a>
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<p>Il formulait ainsi ce que j’ai appelé la promesse de l’Afrique : les États africains étaient prêts à s’engager au côté des militants de la cause des réparations, souvent issus des diasporas, pour inscrire les réparations au cœur des enjeux diplomatiques et politiques de la fin du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>L’engagement panafricaniste de Chief Abiola</h2>
<p>Chief Abiola est un de ces fameux <em>big men</em> qui ont marqué l’histoire politique et économique du Nigéria. Un entrepreneur prospère aux multiples responsabilités, qui s’est enrichi vite, qui a investi beaucoup, qui s’est marié souvent et qui dans un environnement dominé par les militaires, les coups d’État et les revenus du pétrole, a pris une dimension nationale, mais aussi panafricaine.</p>
<p>Dans cinq conférences prononcées entre 1987 et 1991 aux États-Unis, l’homme d’affaires s’appuie sur un imaginaire plus ancien, aux contours bibliques, pour encourager l’intérêt et l’engagement des Africains-Américains en Afrique. Il mobilise l’histoire pour <a href="https://www.worldcat.org/title/reparations-les-discours-de-mko-abiola/oclc/463751918">défendre l’idée</a> d’un « héritage commun de l’esclavage, du colonialisme et de la discrimination ».</p>
<p>Son raisonnement tient dans l’articulation entre deux phénomènes historiques entre lesquels il installe une relation de causalité : l’esclavage aurait eu comme conséquences le sous-développement de l’Afrique ainsi que la dette coloniale et néocoloniale qui entrave les économies africaines. Chief Abiola défend l’idée d’investissements massifs dans les infrastructures, l’industrie, l’énergie, les télécommunications, l’éducation, la santé, la technologie agricole et le soutien à la démocratie politique – qui sont qualifiés de réparations.</p>
<p>Joignant le geste à la parole, il organise et finance la première « conférence mondiale sur les réparations pour l’Afrique et les Africains de la diaspora » <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1990/12/19/l-afrique-demande-reparation-pour-cinq-siecles-d-esclavage_3980946_1819218.html">qui se tient à Lagos au Nigéria, les 13 et 14 décembre 1990</a>.</p>
<h2>La conférence de Lagos en 1990</h2>
<p>Organisée sous l’égide du général-président <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Ibrahim_Babangida/107023">Babangida</a>, son objectif était clairement de « placer la question critique des réparations pour l’Afrique et les Africains de la diaspora comme prioritaire dans l’agenda du dialogue international pour une action globale ». Des personnalités nigérianes interviennent, comme le juriste <a href="https://dbpedia.org/page/Akinola_Aguda">Akinola Aguda</a> et le diplomate <a href="https://www.ohchr.org/en/hrc-subsidiaries/iwg-on-durban/professor-ibrahim-agboola-gambari">Ibrahim Gambari</a>, ainsi que l’intellectuel Chinweizu Ibekwe et Prof. Ade Ajayi, un historien reconnu – mais aucune femme.</p>
<p>Le monde panafricain est mobilisé : il y a <a href="https://www.jstor.org/stable/23493513?seq=1">Abdulrahman Mohammed Babu</a> de Zanzibar, un des organisateurs du futur 7<sup>e</sup> congrès panafricain qui se tiendra à Kampala en 1994 ; <a href="https://history.house.gov/People/Detail/23423">Craig Washington</a>, le représentant démocrate du Texas auprès du Congrès ; <a href="https://www.bishopsgate.org.uk/collections/bernie-grant">Bernie Grant</a>, du Guyana, élu au Parlement britannique ; Randolph Peters, l’ambassadeur de Trinidad au Nigéria ; et Dudley Thompson, ambassadeur de la Jamaïque au Nigéria, un vétéran des affaires panafricaines.</p>
<p>La conférence de Lagos nomme un comité international pour les réparations, recommande le développement d’un mouvement de masse et interpelle l’<a href="https://www.rfi.fr/fr/connaissances/20220524-25-mai-1963-naissance-de-l-organisation-de-l-unit%C3%A9-africaine">Organisation de l’Unité africaine</a> (OUA) afin d’obtenir son soutien avant d’amener ses revendications jusqu’aux Nations unies. Avec cette rencontre, Chief Abiola devient un acteur majeur de l’institutionnalisation de la question des réparations et formule cette promesse : l’Afrique s’engage politiquement au côté de ses diasporas dans la cause des réparations.</p>
<h2>La promesse de l’Afrique</h2>
<p>Elle prend forme d’abord à travers les commissions mises en place dans plusieurs pays, comme au Royaume-Uni où Bernie Grant <a href="https://archiveshub.jisc.ac.uk/search/archives/e592d7bc-9dd7-3c28-8a10-49f56aadecab">fonde le <em>African Reparation Movement</em></a> (ARM), et en Jamaïque, où le premier comité pour les réparations, porté par le rastafari George Nelson, est installé en 1991. Ensuite, Dudley Thompson invite l’avocat Lord Gifford à produire une base légale à cette cause et il devient le rapporteur du Groupe des éminentes personnalités (GEP) pour les réparations, établi par l’OUA et présidé par Chief Abiola. Enfin, ce GEP organise à Abuja du 27 au 29 avril 1993 une <a href="https://www.inosaar.llc.ed.ac.uk/fr/chronologie/premiere-conference-panafricaine-sur-les-reparations">conférence panafricaine de haut niveau</a> sous le patronage de l’OUA et du Nigéria.</p>
<p>La <a href="http://ncobra.org/resources/pdf/TheAbujaProclamation.pdf">résolution finale de la conférence d’Abuja</a> soulignait que l’essentiel était la reconnaissance d’une responsabilité, le transfert de capitaux et l’annulation de la dette, et la facilitation du « droit au retour » des diasporas.</p>
<p>Chief Abiola ne cachait pas son ambition de présenter l’affaire des réparations devant les Nations unies s’il était élu président du Nigéria aux élections prévues le 12 juin 1993. La promesse de l’Afrique n’avait jamais semblé aussi proche, aussi tangible, aussi possible qu’au sortir de la conférence d’Abuja.</p>
<p>Mais c’était sans compter avec le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/06/29/nigeria-apres-l-annulation-du-scrutin-du-12-juin-le-general-babangida-annonce-une-nouvelle-election-presidentielle_3954373_1819218.html">désastre des élections nigérianes</a>. <a href="https://www.universalis.fr/media/PH00P098/">Remportées par Chief Abiola</a>, elles furent <a href="https://www.universalis.fr/evenement/12-26-juin-1993-annulation-de-l-election-presidentielle/">annulées dans la foulée</a> par le général-président Babangida. Cinq mois plus tard, un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/11/19/nigeria-la-prise-du-pouvoir-par-les-militaires-sani-abacha-l-ancien-tuteur-du-gouvernement_3973904_1819218.html">coup d’État</a> portait le général Sani Abacha au pouvoir, Chief Abiola se cache <a href="https://www.letemps.ch/monde/nigeria-liberation-prochaine-dabiola-nannonce-forcement-jours-meilleurs">avant d’être arrêté</a> alors que la répression s’abat sur les forces pro-démocratie nigérianes.</p>
<h2>Une promesse qui reste à réaliser</h2>
<p>De nombreuses questions restent en suspens. Est-ce que le réseau panafricain de Chief Abiola pouvait servir son dessein politique national ? Pensait-il vraiment que l’annulation de la dette des pays africains pouvait servir de réparation à l’esclavage et au colonialisme ? Est-ce que l’économie extravertie du secteur pétrolier pouvait être affectée par cette cause ? Y avait-il un lien entre les réparations portées par Chief Abiola et le désastre des élections de 1993 ? Le Royaume-Uni et les États-Unis, menacés par les enjeux soulevés par le mouvement pour les réparations, auraient-ils poussé à l’annulation de l’élection, qui jetait pourtant l’opprobre sur le pays ? C’est l’interprétation, peut-être déformée par l’engagement, que certains défendent.</p>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2007-2-page-4.htm">Nigéria s’enfonçait dans la violence politique</a> et la cause des réparations perdait son leadership africain. La promesse de l’Afrique, à peine formulée, était déjà brisée. L’homme d’affaires richissime, panafricaniste et engagé avait été écrasé par les forces politiques et armées de son pays. En 1996 <a href="https://www.la-croix.com/Archives/1996-06-06/L-epouse-du-chef-de-l-opposition-nigeriane-a-ete-assassinee-a-Lagos-_NP_-1996-06-06-376381">sa seconde épouse était assassinée</a> en pleine rue. Et le 7 juillet 1998, le jour où il devait sortir de prison, Chief Abiola <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1998/07/09/la-mort-de-moshood-abiola-provoque-des-emeutes-au-nigeria_3676840_1819218.html">décède</a> durant la visite de deux émissaires américains. S’il est devenu un <a href="https://www.voaafrique.com/a/le-nigeria-r%C3%A9habilite-tardivement-le-vainqueur-pr%C3%A9sum%C3%A9-des-%C3%A9lections-de-1993/4434953.html">martyr de la démocratie</a>, sa dimension panafricaine reste moins connue. Pourtant, Chief Abiola a été l’artisan d’une promesse de nature politique et panafricaine, qui n’a pas pu être honorée pour l’instant et qui a laissé orphelines les forces démocratiques nigérianes, ainsi que la dimension africaine du mouvement global pour les réparations – même si celle-ci n’a depuis cessé de se réinventer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182740/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Giulia Bonacci a reçu un financement géré par l'Agence Nationale de la Recherche au titre du projet Investissements d’Avenir UCAJEDI portant la référence n° ANR-15-IDEX-01 pour conduire ses enquêtes au Royaume-Uni et en Jamaïque. </span></em></p>Chief Abiola a dynamisé le mouvement panafricain en portant la cause des réparations au cœur des enjeux diplomatiques et politiques de la fin du XXᵉ siècle.Giulia Bonacci, Historienne, chargée de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1787962022-05-19T19:28:59Z2022-05-19T19:28:59ZParler de la traite des esclaves aux enfants : « Alma », l’histoire d’un roman<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/463916/original/file-20220518-15-ttmw40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C3687%2C2638&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Couverture d'"Alma" de Thimothée de Fombelle, illutrations de François Place </span> <span class="attribution"><span class="source">Gallimard Jeunesse</span></span></figcaption></figure><p><em>C'est en se heurtant au réel et en multipliant les expériences que chaque enfant dessine son chemin vers l'âge adulte. Mais sa personnalité et ses convictions, il les forge aussi à partir des imaginaires dans lesquels il baigne et des histoires qu'on lui raconte. Notre série « L'enfance des livres » vous invite à découvrir la complexité et l'extraordinaire diversité de la littérature de jeunesse. Après des épisodes consacrés à <a href="https://theconversation.com/cinq-auteurs-de-jeunesse-a-faire-absolument-decouvrir-aux-enfants-185235">quelques grands auteurs d'aujourd'hui</a> puis à <a href="https://theconversation.com/becassine-lheroine-qui-avait-du-mal-a-grandir-184751">une figure indémodable, Bécassine</a>, plongée dans le travail d'écriture de Timothée de Fombelle, entre histoire et fiction.</em></p>
<hr>
<p>Si l’histoire de l’esclavage a suscité plusieurs œuvres récentes – qu’on pense à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2001-3-page-86.htm"><em>Beloved</em> de Toni Morrison</a> ou à <em>Twelve Years a Slave</em> de Steve McQueen, adapté du témoignage de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Solomon_Northup">Solomon Northup</a> –, elle demeure un sujet complexe à aborder dans la littérature pour la jeunesse.</p>
<p>Comment, en effet, introduire des enfants et des adolescents à la connaissance, hautement nécessaire, d’une période de l’histoire connue pour ses atrocités ? Comment en tirer des fictions, alors qu’on dispose par ailleurs de si peu de témoignages directs d’esclaves ?</p>
<p>C’est à ce projet que s’est attelé <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table/timothee-de-fombelle-la-lecture-c-est-du-temps-incompressible-c-est-le-dernier-temps-6388978">Timothée de Fombelle</a> avec sa trilogie <em>Alma</em>, dont les deux premiers tomes, <a href="https://www.gallimard-jeunesse.fr/9782075139106/alma.html"><em>Le Vent se lève</em></a> et <em>L’Enchanteuse</em>, sont parus chez Gallimard Jeunesse en 2020 et 2021. Né en 1973, Timothée de Fombelle est l’auteur de plusieurs succès pour la jeunesse, en particulier les romans d’aventures <a href="https://www.gallimard-jeunesse.fr/personnage/tobie-lolness.html"><em>Tobie Lolness</em></a> (2006-2007) et <em>Vango</em> (2010-2022). <em>Alma</em> puise dans l’histoire du XVIII<sup>e</sup> siècle une intrigue qui aborde le commerce des Noirs africains, déportés comme esclaves par les Européens vers les territoires américains.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Alma. Le vent se lève », présenté par Timothée de Fombelle (Librairie Mollat).</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=ZMxRY9RYeQU">Invité à l’Université de Nanterre</a> au printemps 2022, dans le cadre d’une série de rencontres consacrées au XVIII<sup>e</sup> siècle dans les romans contemporains, Timothée de Fombelle est venu présenter <em>Alma</em>, exposer sa méthode de travail (ses sources, la place qu’il accorde à la documentation…) et parler du travail d’écriture du romancier confronté à un tel sujet.</p>
<p>Son récit croise les destins de nombreux personnages : captifs et marins, chasseurs et propriétaires terriens, sur fond de débats pour l’abolition. Tout commence en 1786, au sein de la vallée d’Isaya, quelque part en Afrique. Alma y coule des jours heureux avec sa famille. Lorsque son frère est fait prisonnier par des chasseurs d’esclavages, la jeune fille est prête à tout pour le retrouver, quitte à le suivre au bout du monde.</p>
<p>Elle découvrira les conditions terribles de la traversée atlantique, l’effervescence de Saint-Domingue – colonie qui ne tardera pas à être soulevée par une puissante révolte –, les injustices dans les plantations en Louisiane et le faste en sursis de la cour versaillaise.</p>
<h2>Dans le chantier de la documentation</h2>
<p>Écrire sur la traite atlantique, fût-ce pour composer un roman, suppose de se livrer au préalable à un travail de documentation. Pas seulement par fidélité historique, mais parce que l’ampleur des souffrances vécues engage l’écrivain, dans une certaine mesure, à une exigence d’exactitude, là où la réalité dépasse parfois l’imagination.</p>
<p>Comment se représenter, en effet, la place dérisoire accordée aux captifs dans les navires ? <em>Alma</em>, autour des riches illustrations de François Place, prend soin d’évoquer avec minutie les navires négriers comme le fonctionnement des plantations. Il importe de faire comprendre aux jeunes lecteurs ce <a href="https://archives.lehavre.fr/la-traite-des-noirs-et-le-commerce-triangulaire">commerce triangulaire</a>, la façon dont les armateurs convertissent « l’or invisible » en êtres humains, puis en marchandises, et de nouveau en or.</p>
<p>Pour autant, cette connaissance, nourrie par la lecture de nombreux documents, ne doit pas devenir encyclopédique. C’est par des moyens proprement romanesques que Timothée de Fombelle raconte ces vies ballottées sur trois continents. <em>Alma</em> étonne par le nombre de ses personnages, rare dans un ouvrage pour la jeunesse.</p>
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<figcaption><span class="caption">Rencontre avec Timothée de Fombelle (Bibliothèque universitaire Paris-Nanterre, 2022).</span></figcaption>
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<p>En plus de l’héroïne éponyme, on trouve Joseph Mars, un mousse français, Amélie Bassac, fille de l’armateur et propriétaire de la plantation – elle qui « peine à ouvrir les yeux sur l’immensité des drames qui vivent ces hommes et ces femmes » –, Gardel, l’infâme capitaine, ou encore Oumna, cette captive renommée Ève, dont on tente d’effacer la mémoire avec le nom…</p>
<p>Cette multitude de personnages, qui s’affiche dès la couverture du livre, permet d’évoquer tous ceux qui, directement ou indirectement, ont pris part à la traite et ainsi de la représenter dans toute sa complexité.</p>
<h2>Une traversée initiatique</h2>
<p>Alma choisit un narrateur omniscient, capable de commenter les faits en surplomb comme de s’immiscer dans les pensées des uns et des autres. L’exercice n’est pas simple. Comment parler de l’esclavage sans parler à la place de ceux qui l’ont vécu ? Signe des enjeux attachés à une telle entreprise, l’éditeur Walter Brooks, qui traduit la plupart des ouvrages de Timothée de Fombelle, <a href="https://actualitte.com/article/6899/presse/esclavage-abolition-timothee-de-fombelle-blame-pour-appropriation-culturelle">a décidé de ne pas publier</a> <em>Alma</em> en anglais.</p>
<p>Dominé par un narrateur volontiers critique, le roman donne accès aux points de vue successifs des captifs, de spectateurs extérieurs plus ou moins impliqués, parfois des esclavagistes. Joseph Mars, le mousse à qui on décrit les prisonniers entassés dans le navire, répète : « Je sais », mais « il sait bien qu’il ne sait pas vraiment ». Il lui faut assister à la longue marche des Africains emmenés dans le bateau pour prendre conscience de cette réalité.</p>
<p>Les jeunes lecteurs sont invités à réaliser le même parcours initiatique, devant la procession de ces exilés, à mesure qu’à leurs yeux s’efface « la lisière blanche de leur continent ». Moyen, sans doute, de faire sentir par la fiction à ces lecteurs, du bout de l’imagination, ce que signifiait l’esclavage.</p>
<p>Il faut parfois user de moyens détournés pour représenter le pire dans un roman pour la jeunesse. Un vieux pirate raconte comment on a coulé un navire rempli de captifs pour une raison purement administrative. Le discours rapporté montre ici sans montrer directement. De la même façon, lorsque le jeune esclave Lam s’enfuit, la possibilité d’un échec – de la punition qui l’attend – est formulée en dénarré, sous la forme d’une simple hypothèse : Lam parviendra à s’enfuir et à rejoindre les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marronnage_(esclavage)">rebelles marrons</a>.). Le roman navigue ainsi, conscient des deux écueils que seraient la surenchère et l’édulcoration.</p>
<h2>Le sillage des Lumières</h2>
<p>C’est tout un pan de l’histoire du XVIII<sup>e</sup> siècle que donne à voir <em>Alma</em>, mais aussi de sa littérature. Derrière la voix qui déclare, dans <em>Le Vent se lève</em> : « Tout ce malheur pour un peu de café, de confiture et de chocolat à l’heure du goûter… Pour <a href="https://www.cairn.info/magazine-les-grands-dossiers-des-sciences-humaines-2011-9-page-16.htm?contenu=article">cette folie du sucre</a> qui a envahi les salons d’Europe », on entend les grands textes abolitionniste qui continuent de nourrir la mémoire collective. « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe », <a href="http://expositions.bnf.fr/montesquieu/themes/esclavage/anthologie/voltaire-candide-le-negre-du-surinam.htm">disait l’esclave mutilé</a> dans <em>Candide</em> de Voltaire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Scène de Paul et Virginie », de Bernardin de Saint-Pierre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Charles-Melchior Descourtis, via Wikimedia</span></span>
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<p>« On conviendra qu’il n’arrive point de barrique de sucre en Europe qui ne soit teinte de sang humain », écrivait quant à lui Helvétius dans <em>De l’esprit</em>. On retrouve aussi dans <em>Alma</em>, comme chez Bernardin de Saint-Pierre, l’opposition entre le micro-espace utopique de la vallée heureuse et le grand monde mauvais, dans lequel la traite a libre cours. On croit revoir Domingue, ce personnage de <em>Paul et Virginie</em> représenté dans de célèbres estampes et tableaux de l’époque.</p>
<p>Oui, il y a dans le roman de Timothée de Fombelle ces échos des Lumières, mais également un questionnement sur ces dernières, dans le sillage d’un courant historiographique qui insiste sur leurs ambiguïtés idéologiques. L’armateur du navire négrier a une bibliothèque impressionnante, ce qui ne l’empêche pas de s’enrichir avec la traite. Dans la propriété de Saint-Domingue que traverse l’héroïne, on trouve les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau, grignotés par les rats – ces mêmes rats avec lesquels s’empoisonnent les esclaves réduits à les manger. Là encore, <em>Alma</em> trace sa voie entre la célébration et la critique univoques.</p>
<p>« Il est interdit de savoir ce qui n’a pas encore eu lieu », déclare malicieusement le narrateur, avant d’embrayer sur un épisode historique bien connu – le naufrage de l’expédition La Pérouse. Le second tome d’<em>Alma</em> nous laisse en 1788, à Versailles. Le curieux a une idée de ce qui l’attend, dans le tome 3, dès 1789…</p>
<p>En attendant, les jeunes (et moins jeunes) lecteurs auront, deux tomes durant, découvert dans toute leur complexité ces « vies emmêlées » par la traite négrière, dans un puissant roman d’aventures qui se concentre sur quelques années décisives de notre histoire et qui se donne pour ambition d’en incarner la mémoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178796/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>J'ai publié chez Gallimard Jeunesse, maison d'édition de Timothée de Fombelle, et j'ai rencontré l'auteur, mais cet article a été composé indépendamment.</span></em></p>Comment introduire des adolescents à la connaissance, hautement nécessaire, d’une période de l’histoire connue pour ses atrocités ? Timothée de Fombelle s’est attelé à ce projet avec « Alma ».Audrey Faulot, Maîtresse de conférences en littérature française du XVIIIe siècle, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1808232022-04-20T18:12:28Z2022-04-20T18:12:28ZL’épigénétique au tribunal, quels enjeux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/456609/original/file-20220406-14103-vz2z1x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=152%2C44%2C5838%2C3943&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Illustration numérique d'un brin d'ADN humain. </span> <span class="attribution"><span class="source">Vitstudio</span></span></figcaption></figure><p>Avez-vous entendu parler de l’épigénétique ? Ce terme, inventé il y a déjà huit décennies pour rendre compte du rôle essentiel des gènes dans l’<a href="https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/biologie-embryogenese-14875/">embryogénèse</a> (les stades précoces du développement de l’embryon) et plus généralement dans le développement des organismes vivants, a pris depuis de nombreuses autres significations.</p>
<p>Il est aujourd’hui le plus souvent invoqué pour signifier que les variations génétiques n’expliquent pas tout des différences entre individus et que l’environnement, pris au sens large, façonne en grande partie qui nous sommes. Comment ? En modulant durablement le fonctionnement des gènes, sans cependant changer la séquence de l’ADN.</p>
<p>À la manière dont la sociologue <a href="http://www.alondranelson.com/books/the-social-life-of-dna-race-reparations-and-reconciliation-after-the-genome">Alondra Nelson l’a fait pour la génétique</a>, l’actualité invite à étudier la circulation publique du terme « épigénétique » comme la diversité de ses usages à l’extérieur de la communauté scientifique.</p>
<h2>Réparer l’esclavage</h2>
<p>Ainsi, le 18 janvier dernier, le tribunal de Fort-de-France a rendu un jugement très attendu dans le cadre d’une requête en réparation et indemnisation des crimes de traite négrière et d’esclavage par l’État français.</p>
<p>Ce jugement s’inscrit dans une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/01/26/aux-antilles-une-cascade-de-proces-contre-l-etat-sur-la-question-de-l-esclavage_6111042_3224.html">procédure judiciaire</a> initiée en mai 2005 par deux associations, le Mouvement international pour les réparations (MIR) et le Conseil mondial de la diaspora panafricaine (CMDPA).</p>
<p>Il vient clore une séquence plus récente, ouverte à l’occasion du procès historique qui s’est tenu à Fort-de-France les 11 et 12 octobre 2021.</p>
<p>Durant ce procès, les avocates du MIR avançaient un nouvel argument pour les parties civiles, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/aux-antilles-l-etat-poursuivi-par-les-descendants-d-esclaves-20211014">celui de l’épigénétique</a>.</p>
<p>« Il y a l’épigénétique, c’est la dernière révolution », avait ainsi indiqué aux juges Maître Evita Chevry, défense du MIR. Selon cette dernière, cette science nouvelle permettrait « d’expliquer la transmission génétique aux descendants des esclaves du traumatisme et des réactions liées au stress ».</p>
<p>Le 18 janvier 2022, la cour d’appel de Fort-de-France <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/justice/fort-de-france-des-descendants-d-esclaves-deboutes-par-la-justice-aa9b94b8-790a-11ec-a017-96843a9ea100">déclarait irrecevable la demande de réparation</a>. Mais Garcin Malsa, ancien maire indépendantiste de Sainte-Anne et président du MIR déclarait <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/proces-sur-les-reparations-nous-allons-continuer-jusqu-en-cassation-garcin-malsa-president-du-mir-martinique-1207912.html">se pourvoir en cassation en invoquant, à nouveau, les recherches en épigénétique :</a></p>
<p>« Nous allons leur faire la démonstration que du point de vue scientifique, en nous appuyant sur des rapports épigénétiques, que dans notre population, dans les populations noires, et bien il y a un degré de causalité entre l’esclavage et l’hypertension par exemple, le diabète… »</p>
<p>Si le recours juridique à un argument épigénétique reste encore rare, il est déjà apparu aux Antilles dans <a href="https://theconversation.com/chlordecone-et-cancer-a-qui-profite-le-doute-113334">l’affaire dite du chlordécone</a>, un pesticide utilisé massivement dans les bananeraies en Martinique et en Guadeloupe. On le retrouve ainsi <a href="http://ugtg.org/IMG/pdf/Chlordecone_-_Plainte_avec_constitution_de_partie_civile.pdf">dans une plainte</a>, portée parfois par les mêmes avocats que pour la demande de réparation.</p>
<h2>L’empreinte biologique du trauma</h2>
<p>Dans le cas de l’esclavage et de la traite négrière, la plainte s’appuie sur des travaux exploitant les progrès récents du séquençage de l’ADN pour identifier l’empreinte biologique laissée par les situations d’adversité extrême (guerre, génocide, famine, etc.), leurs effets sur la santé et <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0539018419897600?journalCode=ssic">leur possible transmission à travers les générations</a>.</p>
<p>Parmi ces travaux de référence, ceux de l’équipe dirigée par Rachel Yehuda sur les descendants de survivants de l’Holocauste ou d’autres personnes confrontées à une situation d’adversité extrême ont obtenu une <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/06/23/la-shoah-un-traumatisme-hereditaire_4443865_1650684.html">couverture médiatique importante</a>.</p>
<p>On peut aussi citer ceux de Grazyna Jasienska qui, dès 2009, s’appuyait sur les avancées de l’épigénétique pour défendre l’idée selon laquelle les générations qui se sont succédées depuis l’abolition de l’esclavage aux États-Unis (1865) n’ont pas suffi à effacer l’impact de l’esclavage sur l’état biologique et sanitaire contemporain de la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0539018419899336">population afro-américaine</a>.</p>
<p>L’irruption de ces travaux aux Antilles est à relier avec le colloque <a href="https://www.madinin-art.net/lesclavage-quel-impact-sur-la-psychologie-des-populations/">« L’esclavage : quel impact sur la psychologie des populations »</a> organisé en 2016 par Aimé Charles Nicolas, professeur en psychiatrie et en addictologie.</p>
<p>À cette occasion, Ariane Giacobino, médecin et généticienne, expose l’état de la recherche, parfois exploratoire, en épigénétique.</p>
<h2>L’administration de la preuve reste à faire</h2>
<p>Les avocats du MIR ont-ils raison de voir dans l’épigénétique un appui scientifique pour défendre leur cause ? En d’autres termes, les recherches scientifiques dans le domaine de l’épigénétique prouvent-elles qu’il est possible d’hériter du traumatisme de l’esclavage ?</p>
<p>Une étude de l’état des savoirs indique que, comme pour beaucoup d’autres fronts de recherche émergents, l’essentiel de l’administration de la preuve reste à faire.</p>
<p>En effet, si la possibilité d’une transmission intergénérationnelle (des parents aux enfants voire aux petits-enfants) d’altérations physiologiques ou comportementales induites par des polluants ou des situations extrêmes commence à être bien documentée – voir les <a href="https://www.cell.com/fulltext/S0092-8674(14)00286-4">travaux de Edith Heard et Robert A.Martienssen</a> ; ceux de <a href="https://faseb.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1096/fj.201500083">Sanne D. van Otterdijk et Karin B. Michels</a> ou encore <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34545247/">ceux de Conin C et Oliver J Rando</a> -, elle est néanmoins le plus souvent limitée du fait des mécanismes moléculaires de reprogrammation épigénétique entre générations, mécanismes essentiels à la reproduction et au développement normal de l’embryon.</p>
<p>De plus, une transmission au-delà de quelques générations reste difficile à concevoir en raison des différences génétiques au sein du couple qui donne naissance à un enfant. Ces différences « rebattent les cartes » à chaque génération et influencent à des degrés divers l’état épigénétique des individus porteurs.</p>
<p>Et enfin, plus fondamentalement encore, les sociétés humaines sont caractérisées par un degré d’héritage socioculturel considérable, dont les effets sont visibles partout et à chaque instant. Dans ce contexte, proposer qu’une transmission épigénétique, qui plus est dans le temps long, des préjudices et souffrances subis par des populations soit la cause première des difficultés auxquelles leurs lointains descendants sont confrontés pose question.</p>
<p>Faut-il en conclure que les avocats du MIR font fausse route et que ce détour par la biologie ne peut qu’affaiblir une cause légitime ?</p>
<p>Si la décision du tribunal de Fort-de-France montre l’inefficacité juridique du recours à l’épigénétique, il ne faut pas sous-estimer ses effets sociaux et politiques et ceci pour au moins trois raisons.</p>
<h2>Un sujet médiatisé et internationalisé</h2>
<p>D’abord parce que les avocats du MIR s’adressent tout autant aux juges du tribunal de Fort-de-France qu’à la société civile antillaise dans son ensemble. Au-delà de la justice, c’est la société civile qu’ils souhaitent convaincre.</p>
<p>L’étude de la circulation publique de l’épigénétique montre que le grand public est fasciné par l’idée d’une transmission héréditaire du traumatisme. Par ailleurs, la couverture médiatique obtenue par des travaux exploratoires souvent spectaculaires <a href="https://academic.oup.com/eep/article/4/2/dvy018/5055599">rendent les débats scientifiques sur ces questions difficilement audibles</a> Résultat : cette notion de transmission épigénétique du trauma peut constituer un vecteur de mobilisation sociale et politique alors même qu’elle n’est pas, à ce stade, confirmée scientifiquement.</p>
<p>Ensuite, à travers cette référence à l’hérédité épigénétique, les plaignants rouvrent un débat public déjà bien nourri sur la <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Antilles-francaises-ou-les.html">nature de l’héritage des anciennes colonies françaises d’Amérique</a>.</p>
<p>Ces territoires connaissent des crises sociales à répétition, notamment parce qu’ils concentrent des inégalités sociales supérieures à celles observables en métropole. Ces inégalités ont avec l’esclavage une source historique tragique. L’épigénétique peut alors apparaître comme une ressource supplémentaire pour rendre compte, ici et maintenant, de l’ampleur de ces inégalités, en particulier sur le plan de la santé.</p>
<p>Enfin, en se référant explicitement à l’épigénétique, les avocats du MIR prennent place sur la carte mondiale des mouvements de demande de réparation historique qui, comme aux Antilles, mobilisent les avancées de l’épigénétique.</p>
<p>En effet, là où la référence à la génétique a fréquemment été rejetée par les activistes ou les militants associatifs refusant de biologiser la cause des descendants de populations opprimées, l’épigénétique à travers l’interdépendance du biologique et de l’environnement social et culturel qu’elle suppose, semble plus acceptable, <a href="https://www.polytechnique-insights.com/dossiers/sante-et-biotech/lepigenetique-comment-nos-experiences-laissent-elles-des-traces-dans-notre-adn/lepigenetique-nos-experiences-sont-elles-transmises-a-nos-descendants/">y compris dans le processus de transmission biologique des expériences vécues qu’elle permettrait</a>.</p>
<p>L’épigénétique est construite dans les termes d’une <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/9781137377722">« biologie politique »</a> présente dans des contextes revendicatifs semblables ou très différents au <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4232330/">Canada</a> avec le dossier des « boarding schools » imposées aux enfants autochtones, en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0162243919831077">Australie</a> avec les violences coloniales infligées aux populations aborigènes, aux <a href="https://www.ncobraonline.org/harmreport/">États-Unis</a> avec les conséquences de l’esclavage ou en <a href="https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/maq.12678">Afrique du Sud</a> avec une société post-apartheid qui reste profondément marquée par le racisme.</p>
<p>Cette circulation globale du terme « épigénétique » au nom des valeurs de <a href="https://theconversation.com/if-were-not-careful-epigenetics-may-bring-back-eugenic-thinking-56169">l’émancipation et de la justice sociale</a> fait plus qu’illustrer la diversité des usages sociaux et politiques de la science. Elle montre de quelle manière ses avancées, même les plus exploratoires, alimentent à l’échelle internationale de nouvelles formes de mobilisation collective.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180823/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Dubois a reçu des financements du CNRS et de l'Agence Nationale de la Recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Catherine Guaspare a reçu des financements de l'ANR</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vincent Colot a reçu des financements d'organismes de soutien à la recherche (UE, ANR et CNRS).
Vincent Colot est membre de la Société française de génétique (SFG).</span></em></p>L’argument des atteintes épigénétiques causées aux descendants d’esclaves a récemment été invoqué pour demander réparation à l’État français des crimes de traite négrière. Décryptage.Michel Dubois, Directeur de recherche CNRS, Sorbonne UniversitéCatherine Guaspare, Ingénieure d'études, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Vincent Colot, Directeur de recherche, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1761762022-02-09T20:50:30Z2022-02-09T20:50:30ZVoyons-nous les « migrants » comme étrangers à l’humanité ?<p>Les discours médiatiques et politiques concernant ceux que l’on nomme les <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/fr/asile/les-mineurs-non-accompagnes">« Mineurs non accompagnés »</a> amènent à s’interroger sur la place <a href="https://www.parislibrairies.fr/livre/9782367177335-voyager-avec-les-mineurs-non-accompagnes-reperes-pour-une-pratique-decentree-en-protection-de-l-enfance-daniel-derivois/">qu’ils occupent dans l’imaginaire collectif</a>. L'expérience traumatique de <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/athletisme/athletisme-le-champion-olympique-mo-farah-revele-etre-arrive-en-grande-bretagne-sous-une-fausse-identite_5251495.html">Mo Farah</a>, quadruple champion olympique d'athlétisme sous la bannière britannique, qui raconte dans un documentaire diffusé <a href="https://www.bbc.com/news/uk-62123886">par la BBC le 13 juillet</a> comment il est arrivé illégalement et mineur au Royaume-Uni illustre ce propos.</p>
<p>La question mérite d’être posée dans un XXI<sup>e</sup> siècle où la figure du « migrant » fait l’objet de nombreuses projections dans les sociétés d’accueil. Elle est d’autant plus cruciale que ces jeunes – « sans représentant légal » dans le pays d’accueil – sont tantôt perçus comme une menace extérieure, tantôt comme des individus sans histoire qu’il faudrait civiliser, assimiler. Ils sont parfois utilisés comme de la main-d’œuvre pas chère à exploiter <a href="https://www.infomie.net/spip.php?article2943">sous forme d’esclavage moderne</a>.</p>
<h2>Étudier les « autres »</h2>
<p>Quand, au XIX<sup>e</sup> siècle, l’épistémologie occidentale était confrontée à la nécessité d’étudier les « autres », deux grandes disciplines avaient vu le jour : <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-orientalisme-l-orient-cree-par-l-occident-edward-w-said/9782020792936">l’Orientalisme</a> pour étudier les « Grandes civilisations » et l’Anthropologie pour étudier les cultures des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/comprendre_le_monde-9782707157454">peuples soumis et opprimés</a>. </p>
<p>Cette anthropologie – historiquement antérieure à <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/nous_n_avons_jamais_ete_modernes-9782707148490">« l’anthropologie symétrique »</a> ou <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/le-renversement-du-ciel/">« réciproque »</a> – qui allait servir et renforcer les idéologies raciales, esclavagistes et colonialistes a notamment <a href="http://nousetlesautres.museedelhomme.fr/">fabriqué un « autre »</a> « inférieur », amputé de son humanité. Au cours du temps, cet « autre » va être incarné par plusieurs figures notamment celle de « migrant » au XXI<sup>e</sup> siècle. Le terme <em>migrant</em>, tel qu’on l’entend dans l’imaginaire occidental ambiant recouvre surtout les ressortissants des peuples anciennement <a href="https://www.chroniquesociale.com/seismes-identitaires--trajectoire-de-resilience__index--1011992%E2%80%933009480%E2%80%931012241--cata------3008211--catalogue.htm">colonisés par les sociétés d’accueil occidentales</a>.</p>
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<p>Un « migrant » allemand, anglais ou américain en France n’est pas perçu de la même manière qu’un « migrant » sénégalais, syrien ou algérien, par exemple. Un « Occidental » qui migre vers un « pays du Sud » n’est pas désigné comme « migrant », mais comme « expatrié ». Bref, le choix des mots véhicule des signifiés implicites qui déterminent les relations entre les peuples du monde.</p>
<p>Ainsi, si on fait l’hypothèse que le signifiant « migrant » véhicule des restes d’une anthropologie coloniale, une réflexion s’impose sur les signifiés « esclave » et « étranger » avec lesquels ce signifiant peut résonner.</p>
<h2>Une figure familière et non menaçante</h2>
<p>Si le « migrant » renvoie à un esclave, c’est probablement un devenu familier. Autrefois, certaines sociétés esclavagistes rendaient esclave celui qui était étranger à leur territoire, mais à partir du moment où il était devenu esclave, il quittait le statut d’étranger pour devenir familier. « Le propre de l’esclave est son caractère d’extériorité à la parenté, qui permet sa domestication, sa familiarité, y compris son assimilation fictive à la famille comme d’autres dépendants du chef de famille (les enfants, les femmes célibataires, etc.), voire l’entretien de relations affectives, qui ne mettront jamais en danger l’ordre social établi. L’esclave peut volontiers faire l’objet d’un attachement, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">dès lors que celui-ci n’est pas la menace d’une transgression sociale</a> ». Domestiqué, l’esclave peut alors servir de main-d’œuvre facile. Il est toujours déshumanisé, mais n’est plus perçu comme une menace identitaire.</p>
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<p>Aujourd’hui, dans nos sociétés d’accueil, certains patrons ont des attitudes ou comportements envers les mineurs migrants qui semblent <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/35072/mineurs-de-ceuta-et-melilla--le-piege-de-lexploitation-par-le-travail">relever de l’héritage de l’esclavage</a>. Comme ces jeunes sont dans des conditions précaires (sans papier, détresse psychologique…), ils constituent pour eux de la main-d’œuvre facile à exploiter au détriment du respect des droits du travail.</p>
<p>Dans un établissement qui accueille des Mineurs non accompagnés dans une région de France, les équipes éducatives rapportent le cas d’un jeune qui travaille 7 jours sur 7, de 7h à 19h, sans pause et sans fiche de paie. Ce jeune est persuadé d’avoir toutes les chances de son côté pour « obtenir des papiers ». « Viens travailler gratuitement 4 samedis par mois, dit un autre patron à un autre jeune de ce même établissement, et je te ferai une attestation pour la préfecture ». Un autre patron en boulangerie va jusqu’à menacer un jeune d’appeler la préfecture ou son école s’il n’accepte pas les conditions de travail. On peut citer aussi <a href="https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2019/06/17/uber-eats-deliveroo-quand-des-travailleurs-precaires-profitent-d-autres-plus-precaires-encore_5477543_4832693.html">ces jeunes sans-papiers à qui des livreurs (livraison de repas à domicile) sous-louent leur compte</a>.</p>
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<p>Beaucoup de jeunes acceptent de travailler dans ces conditions pour avoir un lien privilégié avec un adulte (figure parentale), une activité professionnelle, un pécule, et quand c’est possible des fiches de paie pouvant étoffer leurs dossiers pour avoir un titre de séjour à leur majorité. Ces jeunes sont ainsi coincés entre leurs motivations et les conditions de travail. Leur statut d’adolescent ou de jeune est occulté par la condition d’un migrant-esclave devenu familier.</p>
<h2>Un danger fantasmé</h2>
<p>Si,dans l’imaginaire, le « migrant » renvoie davantage à un étranger, c’est fantasmatiquement un ennemi, quelqu’un de potentiellement dangereux, voire un terroriste, qui vient de l’extérieur, et <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/2021/04/07/mineurs-non-accompagnes-et-delinquance-deconstruire-les-infox-et-prejuges/">dont il faut se méfier</a>. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">En effet</a> : </p>
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<p>« L’esclave n’a pas le même rôle que l’étranger qui ferait l’objet d’une xénophobie, d’un rejet ou d’une agressivité structurelle. Car, en même temps qu’il est symboliquement et définitivement exclu, l’esclave est aussi le familier, le domestique, dont on sait, comme le chien, qu’il restera à la place qu’on lui a assignée. »</p>
</blockquote>
<p>L’étranger, lui, fait l’objet de nombreux fantasmes. Servant parfois de bouc émissaire pour une société en mal de penser sa cohésion ou <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Etrangers-a-nous-memes#">« son inquiétante étrangeté »</a>, il alimente tous les amalgames jusqu’à faire passer des mineurs en danger à protéger pour des <a href="https://www.ouest-france.fr/medias/ouest-france/courrier-des-lecteurs/mineurs-isoles-pas-d-amalgame-7189702">mineurs dangereux à exclure de la communauté des hommes</a>.</p>
<p>Le passage, avec la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032205234/">Loi du 14 mars 2016</a> (loi n°2016-297), de l’expression « mineur isolé étranger » à celle de « mineur non accompagné » nécessite ainsi de profondes réflexions sur les signifiés potentiels véhiculés derrière ces expressions utilisées pour désigner ces jeunes enfants et adolescents migrants dans nos sociétés mondialisées. Suffit-il de changer de mot pour changer la place qui leur est attribuée dans la fantasmatique sociétale et institutionnelle ?</p>
<p>À quoi donc pourrait renvoyer dans l’inconscient collectif occidental, le terme <em>migrant</em> ? Quand on voit l’exploitation de certains jeunes par certains patrons dans la société d’accueil, quand on voit la façon dont certains jeunes sont vendus aux enchères en Libye ou sont exploités dans des réseaux proxénètes dans les sociétés de départ, de transit et d’accueil, il y a lieu de mettre au travail l’hypothèse selon laquelle ils représenteraient dans l’imaginaire collectif un esclave.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/z08zUFaF740?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Quand on voit que dans le contexte de la multiple crise sanitaire, sociale, économique et sécuritaire certains médias et politiques pointent du doigt les « Mineurs non accompagnés » comme de potentiels terroristes, il y a lieu de mettre au travail l’hypothèse selon laquelle ils représenteraient des étrangers dangereux dans une partie de la psyché collective des sociétés d’accueil.</p>
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<a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">Le « travail pour autrui », survivance de l’esclavagisme dans nos économies</a>
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<p>Ces deux hypothèses (le migrant comme esclave domestiqué et le migrant comme étranger dangereux) méritent d’être mises à l’épreuve dans le travail social et dans la société en général. Leur élaboration peut amener à mieux se positionner dans la dynamique relationnelle et transférentielle. En tout cas, qu’ils soient perçus comme esclaves-main d’œuvre facile ou comme étrangers dangereux, il se pose un hiatus dans la généalogie de l’Homme. C’est comme s’il y avait deux parties de l’Humanité qui n’arrivaient pas à s’articuler. Une humanité amputée d’une partie d’elle-même. Percevoir le migrant comme étranger à l’Humanité, c’est ne pas le considérer comme étant de la grande famille humaine. Le percevoir et le traiter comme esclave c’est tout autant lui ôter son humanité. Mais il faut être <a href="https://www.chroniquesociale.com/seismes-identitaires--trajectoire-de-resilience__index--1011992%E2%80%933009480%E2%80%931012241--cata------3008211--catalogue.htm">suffisamment déshumanisé pour déshumaniser à son tour un autre être humain</a>.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">essai historique sur l’ordre racial</a>, A. Michel a montré comment les Européens avaient du mal à reconnaître entre les esclaves et eux-mêmes un lien de parenté. Cet élément en dit long sur la difficulté des sociétés d’accueil (États, professionnels, citoyens ou autres) à accueillir les jeunes migrants comme étant leurs semblables, et devant bénéficier des mêmes droits que tout être humain. Il en dit long également sur la difficulté de certains professionnels de la protection de l’enfance à voir d’emblée chez les jeunes de simples adolescents qui pourraient être leurs enfants, leurs frères, sœurs, neveux ou nièces. Serait-ce du aux implicites d’esclave et d’étranger à notre humanité commune qui fonctionnent en « off » dans le vocable « Mineur non accompagné » ?</p>
<p>Comme le dit prix Nobel de littérature <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/lorigine-des-autres">Toni Morrison</a>, « Il n’existe pas d’étrangers. Il n’existe que des versions de nous-mêmes, auxquelles nous n’avons pas adhéré pour beaucoup et dont nous voulons nous protéger pour la plupart ».</p>
<p>Nous devons alors nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous continuons à les appeler « Mineurs non accompagnés » alors même que nous disons commencer à les accompagner, une fois leur minorité évaluée et admis dans le système de la protection de l’enfance. Nous devons nous interroger sur l’héritage de l’anthropologie coloniale dans notre regard sur ces jeunes. Devant la violence de cette appellation en contradiction avec la mission d’accompagnement, ne devrions-nous pas les appeler « mineurs nouvellement accompagnés » ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176176/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Derivois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le terme « migrant » véhicule les restes d’une anthropologie coloniale qui renvoie tantôt à la catégorie d’esclave ou à celle d’étranger dangereux.Daniel Derivois, Professeur de psychologie clinique et psychopathologie. Laboratoire Psy-DREPI (EA 7458), Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1749252022-01-27T14:08:24Z2022-01-27T14:08:24ZLa Guadeloupe est en crise et cela va bien au-delà de la situation sanitaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/442301/original/file-20220124-13-23rxzj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4025%2C2667&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Marylis Colzin, une infirmière, proteste contre la vaccination obligatoire pour le personnel en santé, à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, le 21 novembre 2021. La crise sanitaire exacerbe une série de problèmes endémiques dans ce territoire français d'outre-mer.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Elodie Soupama)</span></span></figcaption></figure><p>Couvre-feu, émeutes, violences urbaines… <a href="https://www.sudouest.fr/faits-divers/guadeloupe-apres-une-nuit-marquee-par-des-emeutes-le-couvre-feu-abaisse-7936575.php">La Guadeloupe est secouée depuis plusieurs mois par une crise sociale</a> provoquée par une autre crise, sanitaire celle-là. Le déclencheur : l’obligation vaccinale pour le personnel soignant et les sapeurs-pompiers, dans un archipel où moins de la moitié de la population a reçu une première injection contre la Covid-19.</p>
<p>Depuis juillet 2021, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/l-arrestation-d-elie-domota-jeudi-remet-elle-le-feu-aux-poudres-1193440.html">différentes organisations syndicales</a> demandent l’annulation de cette obligation vaccinale et la réintégration des salariés non vaccinés suspendus. Le mouvement s’est durci le 15 novembre, entrainant des barrages routiers paralysant ainsi l’archipel guadeloupéen, département français d’outre-mer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1484612841147621382"}"></div></p>
<p>À travers cette obligation vaccinale qui ne passe pas, ce sont les maux d’une société guadeloupéenne qui refont surface : précarité, vie chère, chômage massif, jeunesse sans perspective, crise de l’eau potable, scandale environnemental, crise identitaire, etc. Le malaise n’est pas d’hier : depuis le vote de la loi du 19 mars 1946 dite « loi de départementalisation », permettant le passage de colonie à département d’outre-mer, la Guadeloupe est sujette à différentes contestations allant du politique au social en passant par l’économie ou encore la culture.</p>
<p>Originaire de la Guadeloupe, doctorante en science politique, je travaille sur les questions liées à l’identité, l’ethnie et le politique dans l’espace caribéen.</p>
<h2>Le problème de la « vie chère »</h2>
<p>La <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/2009-une-greve-de-44-jours-paralyse-la-guadeloupe">grève générale de 2009</a> a mis en lumières les problèmes économiques inhérents à la Guadeloupe. La fixation des prix est de 33 % plus élevée que la moyenne nationale. Un petit nombre d’acteurs dans des domaines importants tels que le carburant, l’agroalimentaire ou encore dans la grande distribution, souvent des « békés », des descendants d’esclavagistes, dominent l’économie. La « vie chère » s’explique par plusieurs facteurs, dont l’insularité, l’éloignement, la fiscalité locale et l’existence d’une taxe douanière appliquée sur l’ensemble des produits importés dans les régions d’outre-mer, dont la Guadeloupe, mais aussi la Martinique.</p>
<p>Ce marché peu concurrentiel a un impact sur le pouvoir d’achat des consommateurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme dans un marché de fruits et de légumes" src="https://images.theconversation.com/files/442306/original/file-20220124-27-1mfcru8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442306/original/file-20220124-27-1mfcru8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442306/original/file-20220124-27-1mfcru8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442306/original/file-20220124-27-1mfcru8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442306/original/file-20220124-27-1mfcru8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442306/original/file-20220124-27-1mfcru8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442306/original/file-20220124-27-1mfcru8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un marché de fruits et de légumes à Pointe-à-Pitre. Plusieurs facteurs, dont l’insularité, l’éloignement, la fiscalité locale et une taxe douanière, expliquent la chèreté de la vie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<h2>Le chlordécone : un scandale environnemental et sanitaire sans précédent</h2>
<p>La méfiance actuelle de la population envers la vaccination peut s’expliquer par une méfiance envers les élites, et ce, à la suite notamment de ce qu’on appelle le scandale du chlordécone.</p>
<p>Le gouvernement français a permis l’épandage en Guadeloupe et en Martinique de ce pesticide utilisé dans les champs de bananeraies pour lutter contre le charançon jusqu’en 1993. Or, l’interdiction de son utilisation sur le sol français est prononcée dès 1990. L’OMS le classera en 1979 comme « cancérogène possible » alors que les États-Unis l’interdisent dès 1976.</p>
<p>Très résistante, la molécule du <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/06/06/scandale-sanitaire-aux-antilles-qu-est-ce-que-le-chlordecone_5310485_3244.html">chlordécone</a> empoisonne les sols pendant 700 ans après son épandage. Son utilisation massive se répand également dans les rivières, ou encore sur le littoral marin où certaines zones sont interdites à la pêche.</p>
<p>En 2018, l’« étude de Santé publique France » démontre que <a href="https://www.nouvelobs.com/ecologie/20211130.OBS51634/le-chlordecone-cet-insecticide-qui-empoisonne-les-antilles-pour-plusieurs-siecles.html">« 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens sont contaminés par ce pesticide »</a>. Les effets sont dévastateurs : « risques de prématurité, de troubles du développement cognitif et moteur des nourrissons ».</p>
<p>Il y a aussi une corrélation avec le cancer de la prostate, dont les Antilles françaises détiennent le triste record mondial. Bien que ce dernier a été reconnu fin 2021 comme une maladie professionnelle, les parties civiles et victimes demandent la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans ce scandale environnemental et sanitaire.</p>
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<img alt="Une femme debout devant une maison détruite" src="https://images.theconversation.com/files/442305/original/file-20220124-21-zt2utu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442305/original/file-20220124-21-zt2utu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442305/original/file-20220124-21-zt2utu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442305/original/file-20220124-21-zt2utu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442305/original/file-20220124-21-zt2utu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442305/original/file-20220124-21-zt2utu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442305/original/file-20220124-21-zt2utu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une femme tient son passeport brûlé, devant sa maison détruite après des émeutes à Pointe-à-Pitre, le 21 novembre 2021. Les citoyens n’ont guère confiance dans leurs élites..</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Elodie Soupama)</span></span>
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<h2>La crise de la gestion de l’eau potable</h2>
<p>La crise sociale actuelle a fait également ressurgir la crise de la gestion de l’eau potable qui perdure <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/la-crise-de-l-eau-en-guadeloupe-un-vieux-debat">depuis des décennies</a>.</p>
<p>Le manque d’entretien rend les canalisations vétustes. Une mauvaise gestion du réseau entraîne une perte massive de l’eau potable. Résultat : des coupures tournantes sont mises en place quotidiennement dans le but de répartir au mieux la distribution de l’eau sur l’ensemble des communes de la Guadeloupe. De nombreux foyers se retrouvent sans eau potable. À l’heure où il est demandé à la population d’adopter des gestes barrières, se laver les mains régulièrement est quasiment impossible pour la plupart des Guadeloupéens.</p>
<p>À qui la faute ? Les responsables politiques locaux et gouvernementaux se rejettent la responsabilité. L’État a comme <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/crise-aux-antilles/guadeloupe-une-inaccessibilite-a-l-eau-courante-perdure-depuis-plusieurs-annees_4871515.html">objectif d’injecter près de 80 millions d’euros</a> pour permettre une résolution pérenne de ce problème. Néanmoins, « l’île aux belles eaux », comme on appelle la Guadeloupe, se retrouve face à une situation critique. La population est abandonnée à elle-même et doit user d’astuces (réserves d’eau) pour tenter de maintenir une hygiène de vie des plus rudimentaires tout en continuant de payer pour l’eau la plus chère de France, toutes régions confondues.</p>
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<img alt="Des bateaux sur une plage, au bord d’une mer turquoise" src="https://images.theconversation.com/files/442307/original/file-20220124-23298-t7jrhl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442307/original/file-20220124-23298-t7jrhl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442307/original/file-20220124-23298-t7jrhl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442307/original/file-20220124-23298-t7jrhl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442307/original/file-20220124-23298-t7jrhl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442307/original/file-20220124-23298-t7jrhl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442307/original/file-20220124-23298-t7jrhl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une plage en Guadeloupe. Surnommée « l’île aux belles eaux », la Guadeloupe a de sérieux problèmes d’eau potable.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<h2>La fuite de l’intelligentsia</h2>
<p>Ces dernières semaines ont été l’occasion pour les jeunes de faire part de leurs difficultés. Je fais partie de cette jeunesse qui, après l’obtention d’une maitrise en droit public, s’est vue <a href="https://mylenecolmar.com/special-invite-la-fuite-de-lintelligentsia-de-la-guadeloupe-et-de-la-martinique/">contrainte de partir pour poursuivre ses études à Montréal il y a de cela six ans</a>.</p>
<p>Étant surqualifiée, il devenait difficile pour moi de trouver un travail correspondant à mes compétences. Chaque année, ce sont des milliers de Guadeloupéens et de Martiniquais qui prennent un aller simple en direction de la France ou de l’étranger. C’est la fuite de l’intelligentsia.</p>
<p>Environ 60 % des 16-25 ans sont affectés par le chômage. Sans perspective, beaucoup d’entre eux se trouvent contraints de quitter la Guadeloupe dans l’espoir d’une vie meilleure.</p>
<h2>L’identité en toile de fond</h2>
<p>Le 30 novembre 2021, 55 ans après son indépendance, la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/reportage-de-la-monarchie-la-republique-la-barbade-poursuit-son-emancipation">Barbade s’est détachée de la couronne britannique</a>. Cela a été possible grâce à son affirmation identitaire et à sa volonté de prendre son envol. Au même moment, la question statutaire et plus précisément l’autonomie refont surface en Guadeloupe, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/11/27/crise-aux-antilles-le-gouvernement-pret-a-parler-de-l-autonomie-de-la-guadeloupe-declare-sebastien-lecornu_6103815_823448.html">amorcée par Sébastien Lecornu</a>. Le ministre des Outre-mer estime « qu’il n’y a pas de mauvais débats du moment que ces débats servent à résoudre les vrais problèmes du quotidien des Guadeloupéens ».</p>
<p>La question identitaire est complexe. L’identité guadeloupéenne est prise entre la francité, l’indianité, la créolité ou encore la négritude. Cela a un impact dans le choix politique des Guadeloupéens quant au changement statutaire et institutionnel de l’archipel.</p>
<p>Autonomie, indépendance ou statu quo ? Un changement politique aussi majeur pour la Guadeloupe doit s’accompagner d’un travail d’éducation et de conscientisation. Il faut panser les blessures liées à la colonisation et à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Traites_n%C3%A9gri%C3%A8res">traite négrière</a>, à leurs impacts sur la construction sociétale guadeloupéenne (et caribéenne) et sur le développement politique et économique. C’est aussi prendre conscience de ce qu’est l’identité guadeloupéenne pour penser à un projet politique et sociétal commun. Quelle est cette mémoire collective qui unit la population ? Qui sommes-nous ?</p>
<p>Faisant l’objet de nombreux débats (intellectuels, politiques, économiques, etc.), l’identité guadeloupéenne est encore en construction. La population semble pour l’heure favoriser le statu quo plutôt que l’autonomie, confondue à la notion d’indépendance. La peur du changement face à un changement statutaire et institutionnel majeur au sein de la population guadeloupéenne semble également expliquer cette tendance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174925/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michelle Edwige Jeanne Martineau a reçu des financements de Université de Montréal.
Michelle E. J. Martineau
Doctorante en science politique à l’Université de Montréal
Fondatrice du blogue identitescaraibes.org
D’origine guadeloupéenne
</span></em></p>La crise sanitaire en Guadeloupe a fait ressurgir une série de problèmes endémiques, dont la précarité, le coût de la vie, le chômage massif, et les crises environnementales et identitaires.Michelle Edwige Jeanne Martineau, doctorante en science politique, spécialiste de la Caraïbe, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1726682021-12-01T18:55:15Z2021-12-01T18:55:15ZDu « Code noir » au chlordécone, comprendre le refus de l’obligation vaccinale aux Antilles françaises<p>Depuis plusieurs semaines, la situation en Guadeloupe est explosive. Plusieurs enjeux se mêlent et ont fait naître la forte mobilisation actuelle contre la politique sanitaire du gouvernement. Une partie de la population a même opté pour une résistance violente. Les mobilisations se sont aussi levées en Martinique et à Saint-Martin. Face à cela, le gouvernement français a essentiellement répondu par un rappel au respect de la loi et au maintien de l’ordre public, ce qui n’a fait que radicaliser la situation, comme l’avait prévu le politologue <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/opinions/debats/fred-reno-les-sens-et-le-moteur-de-la-crise-de-2021-en-guadeloupe-605173.php">Fred Reno</a>.</p>
<p>Pour comprendre la profondeur de la crise actuelle et plus conjoncturellement pourquoi l’argumentaire et la communication des autorités politiques et sanitaires en matière de Covid n’ont pas convaincu, il est nécessaire de replacer les récents événements dans une perspective historique plus large, qui renvoie au passé colonial des Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique) et à son héritage actuel.</p>
<h2>Aux origines du droit dérogatoire</h2>
<p>Ce passé colonial est essentiellement caractérisé par un processus de <a href="https://www.academia.edu/44158111/Du_Code_Noir_au_Chlord%C3%A9cone_h%C3%A9ritage_colonial_fran%C3%A7ais_aux_Antilles_Du_monstre_esclavagiste_au_monstre_chimique_Crimes_contre_lhumanit%C3%A9_et_r%C3%A9parations">dérogations locales au droit français</a> mené et assumé par l’État.</p>
<p>Ces dérogations sont la conséquence du statut colonial lui-même, qui entraîne intentionnellement une subordination du territoire et de sa population au profit de la métropole et de ses intérêts économiques et stratégiques. Dans son <a href="https://www.larevuedesressources.org/IMG/pdf/CESAIRE.pdf"><em>Discours sur le colonialisme</em></a>, Aimé Césaire rappelle cette réalité en insistant sur le fait que l’agriculture en particulier est orientée dans les colonies (et cette analyse reste valable aujourd’hui encore, à travers les cultures intensives de la canne et de la banane) « vers le seul bénéfice des métropoles ».</p>
<p>Parmi ces dérogations, on peut citer au premier chef le fameux <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/le-code-noir/"><em>Code noir</em></a>. Cet édit sur la police des îles françaises d’Amérique datant de 1685, constitue dès sa promulgation une profonde violation du droit français puisque ce dernier ne tolérait déjà plus, à l’époque, l’esclavage sur le sol du royaume. Les Antilles françaises avaient de plus été intégrées au domaine royal dix ans auparavant, et la coutume de Paris y était officiellement en vigueur.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le _Code noir_ datant de 1685" src="https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=723&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=723&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=723&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=908&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=908&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=908&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le <em>Code noir</em> datant de 1685 peut être considéré comme l’acte fondateur du droit colonial français.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
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<p>Ce texte législatif, préparé par les Colbert père et fils et promulgué par Louis XIV, et qui légalise l’esclavage pour des raisons économiques et géopolitiques, peut donc être considéré comme <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782247121137-code-noir-jean-francois-niort/">l’acte fondateur du droit colonial français</a> en tant qu’ensemble de règles dérogeant au droit commun national.</p>
<p>À la légalisation de l’esclavage s’ajoutera, aux XVIIIe et XIXe siècles, la mise en place d’une politique de discrimination et de ségrégation juridique et sociale envers les affranchis et leurs descendants, appelés <a href="http://calamar.univ-ag.fr/cagi/NiortConditionlibrecouleur.pdf">« libres de couleur »</a>. Ces mesures conduisent à l’institution d’un véritable apartheid racial (avant ceux instaurés dans le sud des États-Unis et en Afrique du Sud), aggravant encore davantage la spécificité dérogatoire du modèle social antillais en regard du modèle français.</p>
<p>Pire encore, lorsque Bonaparte rétablit l’esclavage à la Guadeloupe le 16 juillet 1802 (huit ans après sa première abolition en février 1794) à travers un arrêté qui viole formellement la constitution qu’il avait lui-même instaurée en 1799, il tente de masquer cette illégalité manifeste par une autre : il ordonne que le texte ne soit pas publié au Journal officiel et reste secret jusqu’en 1803.</p>
<p>On atteint ici un sommet dans l’<a href="https://my.editions-ue.com/catalog/details/store/us/book/978-3-639-50715-7/du-code-noir-au-chlord%C3%A9cone,-h%C3%A9ritage-colonial-fran%C3%A7ais-aux-antilles?search=code%20noir%20niort">histoire des crimes coloniaux</a>, à la fois dans le degré de violation du droit national, et dans le mépris exprimé par le gouvernement à l’égard des populations qui en furent victimes pendant 42 années durant.</p>
<h2>Héritage colonial</h2>
<p>Malgré l’abolition définitive de l’esclavage (1848), puis du statut colonial (1946), cette politique dérogatoire est encore bien présente dans de nombreux domaines aux Antilles françaises, alors que la départementalisation a, dans le même temps, créé par ailleurs de nouveaux retards structurels de développement, comme le rappelle le politologue <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/opinions/debats/george-calixte-ce-que-traduit-l-opposition-a-l-obligation-vaccinale-605164.php">Georges Calixte</a>.</p>
<p>Politique dérogatoire par exemple dans l’instauration en 1954 de l’indemnité dite de « vie chère » au profit des seuls fonctionnaires. Cette mesure crée une importante disparité de pouvoir d’achat (40 % en l’occurrence) avec les salariés du secteur privé, le tout dans un cadre de réelle « vie chère » due en particulier au caractère peu ouvert des circuits économiques locaux (sociétés d’import-export, de grande distribution et de concessions automobiles restées aux mains de quelques groupes très puissants contrôlant et dominant le marché local et donc les prix) et qui constitue d’ailleurs l’une des principales revendications des mobilisations actuelles.</p>
<p>Mais les dérogations les plus connues sont cependant celles liées à l’utilisation, dans les bananeraies antillaises, du chlordécone et des épandages aériens de pesticides, qui ont donné lieu à de virulentes contestations locales dans les années 2010.</p>
<p>Le <a href="https://www.la-croix.com/France/Scandale-chlordecone-Guadeloupe-Martinique-lautre-raison-colere-2021-11-22-1201186422">chlordécone</a> fut pourtant interdit dans l’Hexagone en 1990 mais reste autorisée aux Antilles jusqu’en 1993 – plus huit mois à la demande des planteurs, pour pouvoir « écouler les stocks ».</p>
<p>Quant aux <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/05/31/manifestation-contre-l-epandage-aerien-en-guadeloupe_3421953_3244.html">épandages aériens de pesticides</a>, interdits par une directive européenne de 2009 (transposée en droit français par une ordonnance en 2011), ils seront pourtant autorisés localement jusqu’en 2015, à travers de multiples autorisations préfectorales et ministérielles « dérogatoires » et réitérées malgré l’intervention des tribunaux administratifs locaux.</p>
<p>À ce sujet, dans sa lettre ouverte du 11 juin 2013 adressée à la ministre de la Santé par le <a href="https://www.facebook.com/notes/2661130637532443/">docteur Jos-Pelage</a>, présidente de l’Association médicale pour la sauvegarde de l’environnement et de la santé (AMSES) en Martinique, avait débuté par cette formule-choc : « Aux Antilles françaises, on meurt par dérogation ». Elle ajoute qu’on peut légitimement se demander si on n’assiste pas là à une « survivance du vieil esprit colonial, qui, reposant sur le honteux postulat de l’infériorité de l’autochtone, considère la vie de celui-ci comme une valeur négligeable ».</p>
<h2>« Monstruosités juridiques »</h2>
<p>Ces « monstruosités » esclavagistes d’une part et chimiques d’autre part, sont donc fondées sur des <a href="https://www.academia.edu/44158111/Du_Code_Noir_au_Chlord%C3%A9cone_h%C3%A9ritage_colonial_fran%C3%A7ais_aux_Antilles_Du_monstre_esclavagiste_au_monstre_chimique_Crimes_contre_lhumanit%C3%A9_et_r%C3%A9parations">« monstruosités juridiques »</a>, c’est-à-dire des dérogations manifestes et profondes au droit national dans des domaines aussi importants que le droit à la liberté et à l’égalité, proclamés par la Déclaration des droits de l’homme de 1789, et que le droit à la santé et à un environnement sain, affirmés par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/charte-de-l-environnement">Charte de l’environnement de 2005</a>.</p>
<p>Dès lors, il n’est pas surprenant que l’argument du gouvernement pour imposer l’obligation vaccinale des soignants selon lequel « la loi est la même pour tous » ne convainque pas autant dans les Antilles que dans l’Hexagone. La politique juridique coloniale et son héritage ont en effet profondément dégradé le rapport au droit, à la loi, à l’État, et par conséquent ont altéré le degré de confiance dans les autorités qui produisent et appliquent les règles juridiques, spécialement en matière sanitaire.</p>
<p>On comprend alors les propos d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/france/guadeloupe/guadeloupe-ce-ne-serait-pas-choquant-qu-il-y-ait-une-specificite-ultra-marine-aux-mesures-sanitaires-aux-yeux-d-yves-jego_4855909.html">Yves Jégo</a>, ancien secrétaire d’État chargé des outre-mer, plaidant pour une prise en compte de cette réalité par les gouvernants actuels, quitte à établir des spécificités ultramarines aux mesures sanitaires.</p>
<h2>Une crise au-delà des enjeux liés à la vaccination</h2>
<p>Quant à l’explosion de colère et de violence qui accompagne cette résistance à la politique sanitaire du gouvernement, il faut rappeler que le sujet de la vaccination ne constitue qu’un des <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/greve-generale-illimitee-la-plateforme-de-revendications-compte-32-points-1159861.html">32 points</a> des revendications économiques, sociales, et sociétales formulées par l’intersyndicale actuelle.</p>
<p>Notons qu’elles sont d’ailleurs quasiment identiques à celles exprimées par le <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/aux-antilles-greve-generale-2009-laisse-gout-amer-678261.html">mouvement « LKP » de 2009</a>. Cela montre à quel point, comme le souligne encore Yves Jégo dans son intervention précitée, « il y a eu une décennie de perdue » dans le traitement des retards structurels de développement qui affectent les Antilles françaises du fait de son passé et de son héritage colonial.</p>
<p>Pire encore, la situation sociale et économique s’est aggravée depuis 2009, comme le souligne <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/opinions/debats/george-calixte-ce-que-traduit-l-opposition-a-l-obligation-vaccinale-605164.php">Georges Calixte</a> dans son article précité. La précarité a en effet augmenté en Guadeloupe. Plus d’un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et près de 60 % des 16-25 ans sont au chômage.</p>
<p>Dès lors, la seule solution réelle et pérenne à cette crise, comme déjà à celle de 2009, semble être la mise à plat et le traitement, une fois pour toutes, de ces problèmes structurels, ce qui représente certes un « immense chantier », mais un « chantier indispensable », comme le rappelle Yves Jégo.</p>
<h2>Autonomie, indépendance, souveraineté : quel avenir politique pour les Antilles françaises ?</h2>
<p>Et puisqu’entre-temps le mot d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/crise-aux-antilles/cinq-questions-sur-une-autonomie-de-la-guadeloupe-evoquee-par-le-gouvernement-pour-calmer-la-contestation_4861283.html">« autonomie »</a> a été « lâché » par le gouvernement, ce chantier comportera forcément une discussion approfondie à ce sujet, car c’est par le biais d’une plus grande autonomie que le rapport à la loi et aux autorités qui la produisent et l’appliquent pourrait se réparer, s’améliorer, dès lors que cette loi deviendrait plus adaptée aux spécificités locales et surtout plus respectueuse des populations concernées.</p>
<p>Outre « l’autonomie de développement économique », lancée en 2014 par <a href="https://www.makacla.com/COMPTE-RENDU-DE-L-ACTIVITE-DU-DEPUTE-SERGE-LETCHIMY-Semaine-du-03-au-13-juin-2014_a1754.html">Serge Letchimy</a>, député de la Martinique (et aujourd’hui président de la Communauté territoriale), à l’occasion de l’affaire des épandages aériens de pesticides, la notion d’autonomie, en Guadeloupe, renvoie également à la question beaucoup plus politique de l’évolution statutaire, qui est restée en statu quo depuis l’échec du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Consultations_locales_de_2003_sur_les_modifications_de_statut_territorial_en_Outre-mer">référendum local du 7 décembre 2003</a> alors que la Martinique a finalement opté, en 2010, pour une « collectivité unique », installée en 2015.</p>
<p>Les discussions sont d’ores et déjà amorcées entre les élus locaux, qui mettent en avant la notion de <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/de-la-domiciliation-du-pouvoir-a-l-autonomie-le-complexe-des-acteurs-politiques-de-la-guadeloupe-1166314.html">« domiciliation locale du pouvoir de décision »</a>, et l’intersyndicale à l’origine de la mobilisation, qui est dominée par une tendance plus nettement « nationaliste » et même indépendantiste.</p>
<p>Car comme le rappelle le juriste <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/actualite/politique/pierre-yves-chicot-l-autonomie-comme-le-developpement-sont-d-abord-question-d-attitude-et-de-mental-605162.php">Pierre-Yves Chicot</a>, la notion d’autonomie, prévue à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000571356/">article 74 de la Constitution</a>, est polymorphe et graduée, et a même été étendue depuis la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 (art. 74-1).</p>
<p>Rappelons qu’il existe aussi une notion intermédiaire, celle de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2013-2-page-33.htm">« souveraineté » locale ou « partagée » dans une perspective fédérale</a>, d’ailleurs prévue dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000571356/">titre XIII de la Constitution de 1958</a> (abrogé en 1995 faute d’avoir été mis en pratique) à travers la forme particulière d’une « Communauté française » composée d’« États membres » (cf. les anciens art. 76 et 77), et qui pourrait constituer une option politique médiane entre simple autonomie et pleine indépendance si elle était politiquement réactivée.</p>
<p>Alors que le référendum sur l’éventuelle indépendance de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000571356/">Nouvelle-Calédonie</a>, déjà très « autonome » (cf. art. 74-1, 76 et 77 nouveaux de la Constitution), approche à grands pas, l’avenir nous révélera donc quel sera le visage de cette plus ou moins grande « autonomie » politique en Guadeloupe à l’issue de la crise actuelle.</p>
<h2>La question centrale de l’agriculture et de l’alimentation</h2>
<p>Quoi qu’il en soit, c’est en premier lieu autour de la question de l’agriculture et de l’alimentation, encore profondément impactée par le passé et l’héritage colonial comme on l’a vu plus haut, que pourrait se positionner finalement le degré de « décolonisation » et d’émancipation économique et politique aux Antilles en général et en Guadeloupe en particulier.</p>
<p>Au-delà de la simple « autosuffisance alimentaire », tentée sans succès par le Schéma régional de développement économique (SRDEII), le curseur se placera donc finalement quelque part entre « l’autonomie alimentaire », comme viennent de le proposer Didier Destouches et Cécile Madassamy dans un <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/manifeste-pour-l-autonomie-alimentaire-1106149.html">manifeste récemment paru</a>, et la pleine <a href="https://viacampesina.org/fr/1996-declaration-de-rome-de-la-via-campesina-qui-definit-la-souverainete-alimentaire-pour-la-premiere-fois">« souveraineté alimentaire »</a>, revendiquée par le mouvement « patriotique » local, qui insiste, dans le sillage du scandale du chlordécone et des épandages aériens, sur le lien entre cette souveraineté alimentaire et la défense de l’environnement ainsi que la <a href="https://www.nouvellesetincelles.fr/article/1041/SOUVERAINETE-ALIMENTAIRE-DEFENSE-DE-L-ENVIRONNEMENT-ET-LA-SANTE-Quel-modele-de-developpement.html">protection de la santé</a>.</p>
<p>La satisfaction des besoins alimentaires de la population locale à travers une agriculture saine et durable protégeant la santé publique et individuelle constitue en effet non seulement une nécessité économique et humaine, mais aussi un « enjeu profondément politique », comme le rappellent les auteurs du manifeste précité, non seulement aux Antilles françaises, mais dans tous les pays du monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Niort ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Revenir aux origines du droit dérogatoire appliqué aux Antilles permet de comprendre le rapport conflictuel des insulaires aux directives du gouvernement français.Jean-François Niort, Maître de conférences hdr en Histoire du droit et docteur en Science politique (Faculté des Sciences juridiques et économiques de la Guadeloupe), Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1680912021-09-22T22:25:49Z2021-09-22T22:25:49ZLe djihad dans le centre du Mali : lutte de classes, révolte sociale ou révolution du monde peul ?<p>Peu de gens le savent, mais le centre du Mali est marqué par une histoire politique et religieuse d’importance majeure. C’est dans cette région que les derniers États précoloniaux indépendants – l’État islamique de Hamdallahi, puis ceux de Ségou et de Bandiagara – se sont imposés à travers deux djihads successifs au XIX<sup>e</sup> siècle. C’est aussi une zone écologiquement riche et contrastée de presque 80 000 km<sup>2</sup>, où vivent quelque 2,8 millions d’habitants – Dogons, Peuls, Bozos, Bambaras, Songhays, etc. – qui constituent ensemble une <a href="https://www.payot.ch/Detail/hommes_du_sahel__espaces_temps_et_pouvoirs-jean_gallais-9782403043556">mosaïque de communautés socioprofessionnelles interdépendantes</a>.</p>
<p>Dans un contexte où les histoires se superposent, les ressources naturelles sont en partage et les cultures enchâssées, les sources de conflits sont multiples. La région est vue de Bamako comme « le nord » : pour les habitants d’une capitale hors sol, préservée des affres des conflits, tout ce qui se trouve au-delà de la région de Ségou (située à environ 200 km de Bamako) est perçu comme tel, c’est-à-dire linguistiquement et culturellement différent et potentiellement « rebelle ».</p>
<p>Politiquement marginalisée depuis l’époque coloniale et sous-administrée, la zone a vécu de profonds bouleversements qui ont impacté les structures sociales, mais aussi, de façon plus spécifique, les modes de régulation entre communautés. Colonisation, abolition de l’esclavage, indépendance, sécheresses, démocratie, décentralisation, croissance démographique, politiques de développement qui peinent à articuler agriculture et élevage : autant de facteurs qui déstabilisent les relations intercommunautaires. S’y ajoute le <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-2-page-191.htm">conflit qui a éclaté dans le nord du pays en 2012</a>, où la défaite de l’armée malienne a marqué symboliquement la fin du monopole légitime de la violence par l’État.</p>
<h2>L’interprétation par le djihad : les limites de l’expertise et de l’analyse par catégorie</h2>
<p>Dès les années 2000, le Mali fait l’objet d’une attention particulière du fait de l’implantation d’une katiba (terme militaire arabe désignant une brigade ou une compagnie) du <a href="https://www.institut-jacquescartier.fr/tags/gspc/">GSPC algérien</a> dans le nord-est et de <a href="https://www.letemps.ch/societe/enlevement-quinze-touristes-europeens-sahara-algerien-mystere-sepaissit">l’enlèvement d’Occidentaux</a>. De nombreux rapports et études sont commandés par les acteurs institutionnels, principalement étrangers, qui proposent autant de grilles de réflexion sur les dynamiques conflictuelles et modélisent les solutions.</p>
<p>Du côté de la France, principal acteur occidental impliqué, les analyses traduisent une vision sécuritaire, souvent importée d’autres contextes : le Mali a d’abord été inclus dans un « <a href="https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_2012_num_89_1_8241">Arc de crise</a> » qui couvrait une large partie du monde musulman, avant d’être qualifié d’« <a href="https://www.diploweb.com/Geopolitique-du-Mali-un-%C3%89tat.html">État failli</a> » et de devenir le théâtre de la « <a href="https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2017-2-page-322.htm">guerre contre le terrorisme</a> » menée par la France.</p>
<p>Ces grilles de lecture <em>par le haut</em>, qui questionnent peu le postulat « djihadiste », ont été remises en question au profit d’approches fondées sur des facteurs locaux et non nécessairement religieux, notamment à la suite de ce qu’on a appelé le « glissement » du djihad vers le centre à partir de 2015. En 2012, l’attention internationale était en effet focalisée sur les groupes djihadistes qui opéraient dans les régions septentrionales du pays. À partir de 2015, la présence de groupes se réclamant du djihad s’est intensifiée dans le centre, ce qui a été présenté comme une « dissémination », une « contagion » depuis le nord.</p>
<p>Parmi ces approches, l’hypothèse du conflit intercommunautaire a été proposée, surtout avec l’apparition de la <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/332806/politique/reportage-mali-macina-tombait-aux-mains-jihadistes/">katiba Macina</a> dirigée par <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/332808/politique/mali-hamadoun-koufa-precheur-insaisissable/">Hamadoun Koufa</a>. Initialement dénommé par les médias « Front de libération du Macina », ce groupe affilié à l’organisation Ansâr ed-Dîn est apparu début 2015 et a revendiqué plusieurs attaques, notamment <a href="https://www.afvt.org/mali-attaque-de-lhotel-radisson-blu-a-bamako/">celle ayant visé l’hôtel Radisson de Bamako en novembre 2015</a>. Les populations peules, ou identifiées comme telles parce qu’elles sont de langues peules – selon les critères de filiation assignés par les Peuls de statut libre, tous les groupes fulaphones ne sont pas considérés comme Peuls stricto sensu ; c’est notamment le cas des esclaves –, sont accusées de pactiser avec les groupes djihadistes, entraînant en réaction la formation de groupes d’autodéfense (dogons, bambaras, mais aussi peuls selon les régions) sur des bases communautaires.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le fantasme d’une « communauté peule » radicalisée, France 24, 6 septembre 2018.</span></figcaption>
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<p>Ce point de vue a été critiqué pour son approche ethnicisante et sa partialité, les groupes d’autodéfense étant perçus comme autochtones et, pour certains, progouvernementaux, là où les Peuls étaient collectivement considérés comme allochtones et djihadistes. Partant, une autre hypothèse s’est imposée plus récemment : celle d’une <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210611-sahel-l-appel-des-%C3%A9leveurs-face-%C3%A0-la-crise-pastorale-et-s%C3%A9curitaire">crise des modes de production et du pastoralisme</a> qui expliquerait la paupérisation et la marginalisation des éleveurs.</p>
<p>Si ces analyses ne sont pas sans pertinence, elles ne sont pas non plus sans défauts, surtout lorsqu’elles reposent sur des catégories préconstruites qui labellisent les acteurs (groupes terroristes, milices d’autodéfense…).</p>
<p>Au-delà de ce biais méthodologique, le travail de catégorisation a aussi des conséquences lorsqu’il faut concevoir une sortie de conflit : d’une part, on ne conclut pas (ou difficilement) la paix avec des terroristes, et d’autre part, la catégorisation se traduit souvent par l’importation non contextualisée de solutions externes, dont on voit les limites ici comme ailleurs : <a href="https://peacekeeping.un.org/fr/disarmament-demobilization-and-reintegration">processus de DDR (désarmement, démobilisation et réintégration)</a>, initiatives de réconciliation communautaire, déradicalisation…</p>
<p>Enfin, ces lectures par catégorie ont un corollaire : l’analyse de contexte. Il faut certes en tenir compte, mais le biais de cette démarche assez spécifique au marché de l’expertise est de considérer la dimension sociohistorique comme un facteur parmi d’autres du contexte, au profit d’une analyse court-termiste qui réifie les situations.</p>
<h2>Le djihad ou la rhétorique de la lutte contre les « exploiteurs »</h2>
<p>En réalité, dans cette région qui fait le lien entre nord et sud, les luttes de pouvoir visant la stratification sociale et la chefferie sont au cœur de la conflictualité et ont pavé la voie à la <a href="https://www.hdcentre.org/es/updates/nouvelle-publication-centre-du-mali-enjeux-et-dangers-dune-crise-negligee/">poussée « djihadiste »</a>. L’<a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/mali-en-territoire-peul-naissance-d-futur-boko-haram-56453">appel au djihad lancé en 2015</a> par Hamadoun Koufa illustre bien cette situation : sa rhétorique contestataire contre les élites – autant politiques que traditionnelles – rencontre l’attention d’une partie des populations peules, essentiellement pasteurs nomades et descendants d’esclave.</p>
<p><a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00083968.2019.1666016">De ce constat émerge une hypothèse peu mise en avant</a>, mais qui éclaire autrement la violence des groupes se réclamant du djihad, et plus globalement la conflictualité au centre du Mali : la fragmentation du monopole légitime de la violence par l’État a mis à jour des antagonismes non réglés et permis aux groupes sociaux dominés ou déclassés d’opérer une sorte de retour sur l’histoire, sous forme de règlement de comptes des régimes de domination sociale et politique qui se sont maintenus au fil des époques.</p>
<p>Partie prenante du monde peul et incarnant l’idéal poétique du nomade sahélien suivant son troupeau, les griefs de certains pasteurs nomades sont dirigés contre les lignages détenant les droits d’accès aux herbages depuis le XIX<sup>e</sup> siècle – les <em>Jooro’en</em> –, qui ont imposé depuis plusieurs décennies des <a href="https://www.gitpa.org/Peuple%20GITPA%20500/gitpa500MAafriqueTEXTREFhesseQAODM.pdf">taxes disproportionnées</a> avec la complicité de certains agents de l’administration.</p>
<p>Dans le Delta intérieur du Niger et jusqu’au Hombori, des pasteurs ont ainsi constitué ou rallié des katibas qui ciblent l’aristocratie et les élites communautaires, au nom de ce qu’ils considèrent comme une lutte pour la libération.</p>
<p>Dans le Guimbala (région de Niafunké), des pasteurs servent plutôt d’auxiliaires au service des katibas et sont chargés de prélever la <em>zakat</em>, l’impôt religieux, sur les troupeaux des propriétaires. D’autres acteurs participent de cette économie du djihad, notamment les voleurs de bétail – les <em>terere</em> –, qui connaissent les circuits commerciaux parallèles et assurent la vente des animaux prélevés.</p>
<p>Outre les pasteurs nomades, les katibas recrutent au sein d’une communauté liée au monde peul, mais historiquement marquée par l’économie esclavagiste de celui-ci. Il s’agit des <em>Riimaybe</em>, terme devenu un ethnique, mais qui signifie littéralement « ceux qui ne sont pas nés » par opposition aux <em>Rimbe</em>, « ceux qui sont nés ». Il s’agit là d’une opposition quasi structurale entre l’individu qui appartient à un autre et qui n’est donc né de personne si ce n’est de son maître, et l’individu qui est de statut libre parce qu’il s’inscrit dans une filiation peule avérée (lignage, clan et tribu).</p>
<p>Ces communautés d’origine servile se sont autonomisées économiquement et ont massivement opté pour la scolarisation des enfants. Pourtant, les <em>Riimaybe</em> conservent une sorte de stigmate de la servitude aux yeux des anciens maîtres, qui les déclasse socialement et les écarte du pouvoir. Ces descendants d’esclaves constituent la base d’un second mouvement de lutte au centre du Mali.</p>
<p>Dans le Sanari (région de Djenné) et le Macina (région de Mopti), d’autres <em>Riimaybe</em> ont noué des alliances avec des groupes d’autodéfense non peuls qui se réclament de la confrérie des chasseurs traditionnels <em>donso</em>, se présentant comme rempart contre les « Peuls esclavagistes ».</p>
<p>Le besoin de protection apparaît ici comme la première motivation des ralliements auprès des groupes armés qui exercent localement le monopole de la violence. Mais dans les zones de Nantaka et Koubi, au nord de Mopti, c’est l’arbitrage des djihadistes qui est recherché pour dénouer des conflits fonciers.</p>
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<figcaption><span class="caption">Comprendre la guerre au Sahel, Les cartes du Monde Afrique, 11 janvier 2020.</span></figcaption>
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<p>Au-delà des logiques de protection et d’arbitrage, les différents recours sont toujours locaux et opportunistes, témoignant d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-etudes-du-developpement-2020-3-page-67.htm?contenu=resume">conflictualité liée à la mobilité sociale</a>.</p>
<p>Les violences des groupes djihadistes renvoient à des luttes d’émancipation au sein même du monde peul : statutaire et politique pour le cas des <em>Riimaybe</em>, économique pour celui des pasteurs nomades. Ces luttes visent toujours ceux qui sont vus comme « exploiteurs », qu’ils soient d’anciens maîtres ou qu’ils exercent des droits indus sur les pâturages.</p>
<p>Si cette hypothèse est recevable, il faut alors s’interroger sur la genèse historique de cette violence et sa spécificité. Les ressorts de la conflictualité dans le centre du Mali mettent en jeu des alliances officielles, des pactes implicites et des histoires parallèles mal connues ou négligées par les études de contexte, alors qu’elles induisent une fragmentation des rapports de force.</p>
<h2>Le djihad ou l’histoire de l’État islamique qui ne passe pas</h2>
<p>Ces histoires s’enracinent dans le djihad conduit par <a href="https://www.karthala.com/128-un-empire-peul-au-XIXe-siecle-la-diina-du-maasina-9782865372348.html">l’État islamique de Hamdallahi</a> – <em>Diina</em> en langue peule –, qui a bouleversé le XIX<sup>e</sup> siècle et constitue aujourd’hui encore la référence historique de la communauté peule, mais aussi des autres communautés de la région, pour qui l’époque était particulièrement dure.</p>
<p>Toutefois, cette mémoire parfois traumatique tient moins aux dimensions religieuse et politique de l’État islamique qu’à la reconfiguration socio-économique forcée qu’il a opérée en sédentarisant la population peule d’une part, et en mettant en place une administration de la servitude d’autre part.</p>
<p>La politique de sédentarisation a concerné l’ensemble des clans peuls qui ont été contraints de former des localités – les <em>wuro</em> – et de mettre en valeur un terroir incluant des communautés d’agriculteurs assujettis et des <em>Riimaybe</em>.</p>
<p>Si ces chefferies possédaient toujours des troupeaux, elles ne participaient plus à la vie pastorale. Celle-ci revenait à un groupe socioprofessionnel constitué par l’État, qui forme encore aujourd’hui une communauté fermée et fortement endogame, exerçant un monopole sur le confiage d’animaux. Cette activité économique consiste à confier les troupeaux de différents propriétaires à un pasteur qui, en retour, est rémunéré soit en argent, soit en nature (une partie du croît des animaux). Quoiqu’antérieur à cette époque, ce système a été codifié au XIX<sup>e</sup> siècle, par l’État islamique de Hamdallahi.</p>
<p>Mais depuis quelques décennies, marquées par les insuffisances de la décentralisation, ces pasteurs, qu’on qualifie de « Peuls rouges » (<em>Fulbe wodebe</em>) en raison de la couleur claire de leur peau, subissent une pression fiscale croissante des chefferies qui contrôlent l’entrée des grands herbages, accélérant leur paupérisation et leur déclassement social.</p>
<p>Quant à la question de l’esclavage, elle est en partie la conséquence des besoins générés par l’État islamique pour ses activités stratégiques qui étaient assurées par des groupes serviles : batellerie, construction de bâtiments, comptage de la monnaie de cauris… Mais elle est également liée à la sédentarisation et aux besoins agricoles des nouvelles localités peules, qui agrègent une main-d’œuvre servile restant à demeure et une masse d’esclaves « casés » dans des villages de culture.</p>
<p>Il n’existe pas de chiffres pour le centre du Mali, mais au Nord, l’administration coloniale estimait que 75 % de la population était de statut servile au début du XX<sup>e</sup> siècle. Jean‑François Bayart note le <a href="https://le1hebdo.fr/journal/afrique-les-visages-du-djihad/43/article/les-anciens-esclaves-constituent-la-base-du-djihadisme-726.html">même phénomène au nord du Nigeria</a>, où les descendants d’esclaves constituent la base sociale du djihadisme.</p>
<p>Au sein du monde peul, où la distinction entre libres et non libres est quasi structurale, la question de l’esclavage par ascendance est sensible et a entraîné des conflits durement réprimés par un État malien pour qui l’esclavage n’existe tout simplement pas.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mali : Kayes, l’esclavage en héritage, TV5 Monde, 13 mai 2019.</span></figcaption>
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<p>Au Mali comme ailleurs au Sahel, ce phénomène a une profondeur historique qui l’écarte de la notion d’« esclavage moderne ». Il ne s’agit pas en effet de condition sociale et économique de la personne exploitée, mais de son <a href="https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1998_num_38_145_370415">statut juridique</a>, qui fait d’elle une propriété meuble dénuée de responsabilité morale au sein de la société des maîtres. Or, quelle que soit sa condition sociale – riche ou pauvre, éduqué ou analphabète –, son statut servile perdure indépendamment de l’affranchissement collectif qui a eu lieu lors de la chute de l’État islamique – s’il était esclave d’État relevant du trésor public, le <em>Beyt el-mal</em> –, ou de l’Accord de Ténenkou de 1903 entre les maîtres et les <em>Riimaybe</em>.</p>
<h2>Le djihad et la démocratie : balle au centre</h2>
<p>En soumettant la notion préconstruite du djihad à la complexité sociale et à l’histoire, on voit que les violences et les acteurs impliqués sont davantage liés à une logique de révolte qu’une question religieuse. Cela ne signifie pas que le djihad soit une notion importée ou que les groupes djihadistes n’aient rien à voir avec l’islam.</p>
<p>D’une part, le djihad contemporain est un label performatif. D’autre part, le Sahel a vu une <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/4592?lang=en">série de formations politiques au cours des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles</a> qui ont surgi au nom du djihad, et dont la particularité est d’avoir mobilisé parmi les populations peules marginalisées.</p>
<p>Le chercheur <a href="https://www.karthala.com/1517-les-musulmans-et-le-pouvoir-en-afrique-noire-9782865370689.html">Christian Coulon</a> rappelait que les religions peuvent être des appareils idéologiques que les classes subalternes s’approprient et adaptent à leur situation, de sorte que cet islam-là porte la marque des dominés. Mais il ajoutait que le champ islamique n’est pas immobile ; il évolue en fonction des changements au sein du groupe dominant et des rapports que celui-ci entretient avec celui des dominés.</p>
<p>Face à la radicalisation des maîtres et des propriétaires fonciers qui ne veulent pas disparaître de l’histoire, « ceux qui ne sont pas nés » et ceux qui vivent en brousse se sont radicalisés à leur tour. Or la question est de savoir de quelle nature est cette radicalisation, quel est son projet, et pourquoi elle intervient aujourd’hui.</p>
<p>Modibo Galy Cissé <a href="https://muse.jhu.edu/chapter/2147353">rapporte les propos d’un administrateur civil</a> qui expliquait : « L’idéal islamorévolutionnaire […] est en voie de concrétisation dans le Delta. On a pris les faibles en leur donnant des Kalachnikov, transformant ainsi leur faiblesse en force, et on a pris les pauvres en leur donnant des pétrodollars, transformant ainsi leur pauvreté en richesse. On a ainsi créé un nouvel homme qui n’a peur de rien. »</p>
<p>De nombreux indices tendent à montrer que <em>l’idéologie de la révolte</em> qui a cours dans le monde peul (au Mali, au Burkina Faso, au Niger…) n’est pas l’islam, même s’il est évident que le djihad contribue à mobiliser une <em>sémantique de la libération</em>.</p>
<p>Il permet d’animer, de verbaliser et finalement d’armer une lutte pour l’émancipation à l’égard de l’histoire, celle d’un État islamique qui aura fait des uns, des maîtres et des propriétaires, et des autres, des esclaves et des prolétaires. De même, le projet démocratique et ses promesses de liberté et d’individualité offrent une légitimité paradoxale au djihad à l’égard de cette <em>sémantique de la libération</em>.</p>
<p>De cette lecture se dégage alors quelque chose de révolutionnaire dans la crise au centre du Mali, dont il faut sans doute prendre la mesure : s’il s’agit bien de révolution, et il faut alors la considérer au sein même du monde peul, le processus d’un retour à une situation <em>antérieure</em> est probablement non négociable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168091/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour comprendre les raisons du djihad au Mali, il faut prendre en compte ses origines multiples et ancrées dans l’histoire complexe du pays.Julien Antouly, Chargé de projets LMI MaCoTer, Institut de recherche pour le développement (IRD)Boubacar (Bokar) Sangaré, LMI Macoter, Institut de recherche pour le développement (IRD)Gilles Holder, Anthropologue, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1661612021-08-17T01:08:00Z2021-08-17T01:08:00ZLes talibans réduisent les femmes et les jeunes filles en esclaves sexuelles et le monde ne peut se détourner les yeux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/416413/original/file-20210817-52421-11oaagc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4007%2C2806&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des combattants talibans prennent le contrôle du palais présidentiel à Kaboul après la fuite du président afghan Ashraf Ghani.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Zabi Karimi) </span></span></figcaption></figure><p>Depuis le retrait d’Afghanistan des troupes américaines et de l’OTAN en juillet, les talibans ont rapidement pris le contrôle de vastes régions du pays. Le président a fini par s’enfuir, dimanche, et le <a href="https://www.ledevoir.com/monde/moyen-orient/625176/afghanistan-les-talibans-ont-gagne">gouvernement par tomber</a>.</p>
<p>Enhardis par leur succès, l’absence de résistance des forces afghanes et une faible pression internationale, les talibans ont intensifié leur violence. Pour les femmes afghanes, <a href="https://abcnews.go.com/Politics/im-scared-afghan-girls-women-fear-talibans-return/story?id=78443760">cette montée en puissance est terrifiante</a>.</p>
<p>Début juillet, après que les dirigeants talibans se sont emparés des provinces de Badakhchan et de Takhar, ils ont ordonné aux chefs religieux locaux de leur fournir une <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/aug/16/there-are-no-women-kabul-street-stayed-home-fear-beaten-taliban-fighters">liste des filles de plus de 15 ans et des veuves de moins de 45 ans « à marier » avec des combattants talibans</a>. On ignore si ces derniers ont obtempéré.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une jeune Afghane regarde par le volet d’une tente, ses cheveux cachant son visage" src="https://images.theconversation.com/files/415708/original/file-20210811-25-2smtxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5990%2C4044&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415708/original/file-20210811-25-2smtxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415708/original/file-20210811-25-2smtxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415708/original/file-20210811-25-2smtxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415708/original/file-20210811-25-2smtxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415708/original/file-20210811-25-2smtxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415708/original/file-20210811-25-2smtxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une jeune fille afghane déplacée regarde par une ouverture dans sa tente de fortune dans un camp du nord de l’Afghanistan en juillet 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Rahmat Gul)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.thenationalnews.com/world/asia/2021/08/03/taliban-trying-to-force-afghan-girls-as-young-as-13-into-marriage/">Si ces mariages forcés</a> ont lieu, les femmes et les jeunes filles seront emmenées au Waziristan, au Pakistan, pour être rééduquées et converties à un « islam authentique ».</p>
<p>Cet ordre a provoqué une grande peur chez les femmes et leurs familles qui vivent dans les zones visées et les a poussées à fuir et <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/07/1100032">à rejoindre les rangs des personnes déplacées à l’intérieur du pays</a>, aggravant ainsi la catastrophe humanitaire qui se déroule en Afghanistan. Ces trois derniers mois seulement, <a href="https://tolonews.com/index.php/afghanistan-173980">900 000 personnes ont été déplacées</a>.</p>
<h2>Rappel du régime brutal des talibans</h2>
<p>Cette directive des talibans constitue un grave avertissement de ce qui est à venir ainsi qu’un rappel de leur régime brutal qui a duré de 1996 à 2001. Durant cette période, les femmes subissaient des violations constantes de leurs droits, n’étaient pas autorisées à travailler ni à s’instruire, étaient contraintes de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/en-afghanistan-depuis-le-retour-des-talibans-la-detresse-des-femmes_fr_611a13e4e4b07b9118ac81f6">porter la burqa et ne pouvaient quitter la maison sans un « tuteur » masculin oumahram</a>.</p>
<p>Bien qu’ils prétendent <a href="https://www.npr.org/2021/08/04/1023426247/the-taliban-say-theyve-changed-experts-arent-buying-it-and-fear-for-afghanistan">avoir changé leur position sur les droits des femmes</a>, les talibans démontrent tout le contraire par leurs actions et leurs efforts récents pour livrer des milliers de femmes à l’esclavage sexuel.</p>
<p>En outre, les talibans ont signalé <a href="https://time.com/6078072/afghanistan-withdrawal-taliban-girls-education/">leur intention de refuser l’éducation aux filles après l’âge de 12 ans, d’interdire aux femmes de travailler et de rétablir la loi qui exige que les femmes soient accompagnées d’un tuteur</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des femmes et des enfants afghans voyagent dans une charrette à moto" src="https://images.theconversation.com/files/415710/original/file-20210811-25-1blchd1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415710/original/file-20210811-25-1blchd1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415710/original/file-20210811-25-1blchd1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415710/original/file-20210811-25-1blchd1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415710/original/file-20210811-25-1blchd1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415710/original/file-20210811-25-1blchd1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415710/original/file-20210811-25-1blchd1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des femmes et des enfants afghans circulent dans la province de Herat, à l’ouest de Kaboul, en août 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hamed Sarfarazi)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les progrès réalisés par les femmes afghanes au cours des vingt dernières années, notamment en matière <a href="https://foreignpolicy.com/2021/07/23/afghanistan-taliban-women-gender/">d’éducation, d’emploi et de participation politique, sont gravement menacés</a>.</p>
<p>Offrir des « épouses » est une stratégie dont le but est d’inciter des militants à rejoindre les rangs des talibans. Il s’agit d’asservissement sexuel, et non de mariage, et forcer les femmes à l’esclavage sexuel sous le couvert du mariage constitue à la fois un crime de guerre et un crime contre l’humanité.</p>
<p>Voici ce que stipule l’article 27 de la <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/ProtectionOfCivilianPersons.aspx#:%7E:text=Sont%20prot%C3%A9g%C3%A9es%20par%20la%20Convention,elles%20ne%20sont%20pas%20ressortissantes.">Convention de Genève</a> :</p>
<blockquote>
<p>Les femmes seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur.</p>
</blockquote>
<p>En 2008, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la <a href="http://www.adequations.org/IMG/article_PDF/article_a889.pdf">Résolution 1820</a> qui veut que « le viol et les autres formes de violence sexuelle peuvent constituer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ». Elle reconnaît la violence sexuelle comme une tactique de guerre qui vise à humilier, à dominer les membres civils de la communauté et à susciter la peur chez ceux-ci.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Trois combattants talibans montent la garde à un poste de contrôle" src="https://images.theconversation.com/files/415709/original/file-20210811-25-1o27bch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4088%2C2907&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415709/original/file-20210811-25-1o27bch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415709/original/file-20210811-25-1o27bch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415709/original/file-20210811-25-1o27bch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415709/original/file-20210811-25-1o27bch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415709/original/file-20210811-25-1o27bch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415709/original/file-20210811-25-1o27bch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des combattants talibans montent la garde à un poste de contrôle dans la ville de Farah, capitale de la province de Farah, dans le sud-ouest de l’Afghanistan, en août 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Mohammad Asif Khan)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Que peut-on faire ?</h2>
<p>L’ONU doit agir de manière décisive pour empêcher de nouvelles atrocités contre les femmes en Afghanistan.</p>
<p>Je propose à la communauté internationale quatre actions politiques destinées à instaurer une paix durable. Elles sont guidées par la résolution 1820 qui souligne l’importance d’inclure les femmes en tant que participantes égales au processus de paix et qui condamne toutes les formes de violence sexiste contre les populations civiles dans les conflits armés :</p>
<ol>
<li><p>Appeler à un cessez-le-feu immédiat pour garantir que le processus de paix puisse se poursuivre de bonne foi.</p></li>
<li><p>Veiller à ce que les droits des femmes — inscrits dans la Constitution afghane, la législation nationale et le droit international — soient respectés.</p></li>
<li><p>Insister pour que les négociations de paix aient lieu avec une participation significative des femmes afghanes. Actuellement, il n’y a que quatre femmes négociatrices pour la paix dans l’équipe du gouvernement afghan et aucune dans celle des talibans.</p></li>
<li><p>Rendre la levée des sanctions contre les talibans conditionnelle à leur engagement à respecter les droits des femmes. L’Union européenne et les États-Unis, qui sont aujourd’hui les principaux donateurs de l’Afghanistan, doivent subordonner leur aide aux droits des femmes et à leur accès à l’éducation et à l’emploi.</p></li>
</ol>
<p>Les femmes d’Afghanistan et de toute la région accueilleraient favorablement des efforts déployés par les Nations unies et la communauté internationale pour faire en sorte que les victimes de violences sexuelles bénéficient d’une protection au regard de la loi et d’un réel accès à la justice.</p>
<p>Il ne doit y avoir aucune impunité pour les actes de violence sexuelle dans le cadre d’une approche globale en vue de parvenir à une paix durable, à la justice et à la réconciliation nationale en Afghanistan.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166161/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vrinda Narain est affiliée à Femmes sous lois musulmanes en tant que membre du conseil d'administration.</span></em></p>Forts de leur succès en Afghanistan, les talibans ordonnent désormais aux chefs religieux de leur fournir des listes de filles de plus de 15 ans à marier à des combattants talibans.Vrinda Narain, Associate Professor, Faculty of Law, Centre for Human Rights and Legal Pluralism; Max Bell School of Public Policy, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1662122021-08-16T17:45:52Z2021-08-16T17:45:52ZLes talibans réduisent les femmes en esclavage : une réalité que le monde ne peut ignorer<p>Après le retrait des forces américaines et otaniennes d’Afghanistan en juillet, les talibans ont rapidement pris le contrôle du pays. Le président a fui et le <a href="https://www.nytimes.com/live/2021/08/15/world/taliban-afghanistan-news">gouvernement est tombé</a>.</p>
<p>Enhardis par leur succès, par le manque de résistance des forces afghanes et par la faible réaction internationale, les talibans se montrent de plus en plus violents. Pour les femmes afghanes, leur retour au pouvoir constitue une <a href="https://abcnews.go.com/Politics/im-scared-afghan-girls-women-fear-talibans-return/story?id=78443760">réalité terrifiante</a>.</p>
<p>Début juillet, les dirigeants talibans qui venaient de prendre le contrôle des provinces de Badakhshan et de Takhar ont ordonné aux chefs religieux locaux de leur fournir une liste de filles de plus de 15 ans et de veuves de moins de 45 ans <a href="https://www.hindustantimes.com/world-news/taliban-asks-for-list-of-girls-widows-to-be-married-to-their-fighters-reports">à « marier » avec des combattants talibans</a>. On ne sait pas encore si les chefs religieux ont obtempéré.</p>
<p>Si ces <a href="https://www.thenationalnews.com/world/asia/2021/08/03/taliban-trying-to-force-afghan-girls-as-young-as-13-into-marriage/">mariages forcés</a> ont lieu, les femmes et les jeunes filles seront emmenées au Waziristan (Pakistan) pour être rééduquées et converties à un « islam authentique ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FLq9dVJgTnk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Cet ordre a effrayé les femmes et leurs familles vivant dans ces régions et les a forcées à <a href="https://tolonews.com/index.php/afghanistan-173504">fuir et à rejoindre les rangs des personnes déplacées à l’intérieur du pays</a>. L’Afghanistan est en proie à un véritable désastre humanitaire : rien qu’au cours des trois derniers mois, <a href="https://tolonews.com/index.php/afghanistan-173980">900 000 personnes ont été déplacées</a>.</p>
<h2>La brutalité du premier règne des talibans</h2>
<p>Cette directive des talibans, de mauvais augure pour la suite des événements, rappelle ce qu’a été leur régime quand ils ont exercé le pouvoir en Afghanistan entre 1996 et 2001. Les femmes ont alors été privées de bon nombre des droits humains les plus élémentaires. Il leur a été interdit d’exercer un emploi et d’avoir accès à l’éducation. Elles ont été systématiquement contraintes de porter la burqa et il leur était impossible de <a href="https://gandhara.rferl.org/a/taliban-repression-afghan-women/31358597.html">sortir de chez elles sans être accompagnées d’un « tuteur » masculin, ou <em>mahram</em></a>.</p>
<p>Les talibans prétendent <a href="https://www.npr.org/2021/08/04/1023426247/the-taliban-say-theyve-changed-experts-arent-buying-it-and-fear-for-afghanistan">avoir évolué sur la question des droits des femmes</a> ; mais leurs récentes actions, qui semblent attester de leur détermination à livrer des milliers de femmes à l’esclavage sexuel, montrent que ce n’est absolument pas le cas.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_n9ohBeJX9g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En outre, les <a href="https://time.com/6078072/afghanistan-withdrawal-taliban-girls-education/">talibans ont déjà annoncé leur intention de mettre fin à l’éducation des filles</a> après l’âge de 12 ans, d’interdire aux femmes de travailler et de rétablir la loi exigeant que les femmes soient accompagnées d’un tuteur pour la moindre sortie hors de leur domicile.</p>
<p>Les progrès obtenus par les femmes afghanes au cours des vingt dernières années, notamment en matière d’éducation, d’emploi et de participation politique, <a href="https://foreignpolicy.com/2021/07/23/afghanistan-taliban-women-gender/">sont gravement menacés</a>.</p>
<p>La pratique consistant à offrir des « épouses » relève d’une stratégie visant à inciter les hommes à rejoindre les rangs des talibans. Il s’agit d’esclavage sexuel, et non de mariage. Or contraindre les femmes à l’esclavage sexuel sous le couvert du mariage constitue à la fois un crime de guerre et un crime contre l’humanité. <a href="https://treaties.un.org/doc/Treaties/1954/04/19540422%2000-23%20AM/Ch_V_2p.pdf">L’article 27 de la Convention de Genève</a> stipule :</p>
<blockquote>
<p>« Les femmes seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1427251337595600896"}"></div></p>
<p>En 2008, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la <a href="https://undocs.org/fr/S/RES/1820(2008)">résolution 1820</a> qui fait observer que « le viol et d’autres formes de violence sexuelle peuvent constituer un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un élément constitutif du crime de génocide ». Elle reconnaît la violence sexuelle comme une tactique de guerre visant à humilier, dominer et instiller la peur chez les civils.</p>
<h2>Comment réagir ?</h2>
<p>L’ONU doit agir avec détermination pour empêcher de nouvelles atrocités contre les femmes en Afghanistan.</p>
<p>Je propose à la communauté internationale quatre actions politiques visant à instaurer une paix durable. Elles sont guidées par la résolution 1820 qui souligne l’importance de l’implication des femmes en tant que participantes égales au processus de paix et qui condamne toutes les formes de violence sexiste contre les civils dans les conflits armés :</p>
<ol>
<li><p>Appeler à un cessez-le-feu immédiat pour garantir que le processus de paix puisse se poursuivre de bonne foi.</p></li>
<li><p>Veiller à ce que les droits des femmes – inscrits dans la Constitution afghane, la législation nationale et le droit international – soient respectés.</p></li>
<li><p>Insister pour que les négociations futures se déroulent avec une participation significative des femmes afghanes. Lors des négociations entre le gouvernement Ghani et les talibans, il n’y avait que quatre femmes dans l’équipe du gouvernement afghan et aucune dans celle des talibans.</p></li>
<li><p>La levée des sanctions contre les talibans doit être conditionnée à leur engagement à respecter les droits des femmes. L’Union européenne et les États-Unis, qui sont actuellement les principaux bailleurs de fonds de l’Afghanistan, doivent conditionner leur aide au respect des droits des femmes et à leur accès à l’éducation et à l’emploi.</p></li>
</ol>
<p>Les femmes d’Afghanistan et de toute la région se féliciteraient des efforts que déploieraient les Nations unies et la communauté internationale pour faire en sorte que les personnes ayant survécu à des violences sexuelles bénéficient d’une protection égale au regard de la loi et d’un accès égal à la justice.</p>
<p>La lutte contre l’impunité des auteurs de violences sexuelles s’inscrit pleinement dans une approche globale visant à rechercher une paix durable, la justice et la réconciliation nationale en Afghanistan.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166212/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vrinda Narain est membre du conseil d'administration de l’organisation Women Living Under Muslim Laws.</span></em></p>Quand ils sont au pouvoir, les talibans privent les femmes de nombreux droits élémentaires. Parmi leurs exactions, l’une des pires est la pratique des mariages forcés, une forme d’esclavage sexuel.Vrinda Narain, Associate Professor, Faculty of Law, Centre for Human Rights and Legal Pluralism; Max Bell School of Public Policy, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1617072021-06-04T17:06:07Z2021-06-04T17:06:07ZAvec « The Underground Railroad », changer de regard sur ce que fut l’asservissement des Noirs aux États-Unis<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/404310/original/file-20210603-25-r87xu4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C924%2C609&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La réalisation de la série a changé la façon dont Barry Jenkins décrit et représente ses ancêtres.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://s3.amazonaws.com/sfc-datebook-wordpress/wp-content/uploads/sites/2/2021/05/MER9cb9e557d436f8f8b1691f5b0da67_jenkins0514-1024x683.jpg">Atsushi Nishijima/Amazon Studios</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.npr.org/transcripts/994616279">Dans l’émission <em>Fresh Air</em> de la radio publique américaine</a>, Barry Jenkins, le réalisateur de <a href="https://www.imdb.com/title/tt6704972/"><em>The Underground Railroad</em></a>, indique « qu’avant de faire cette série […] j’aurais répondu que je descendais d’Africains asservis. »</p>
<p>« Depuis, ma réponse a évolué », poursuit-il. « Je descends de forgerons, de sages-femmes, d’herboristes et de médiums. »</p>
<p>L’universitaire que je suis s’intéresse à la <a href="https://www.vermonthumanities.org/video-reading-the-rails/">manière dont les représentations modernes de l’asservissement influent sur notre compréhension du passé</a>, et je suis frappé par les moyens qu’emploie M. Jenkins pour modifier la façon dont les spectateurs pensent, et parlent de, l’histoire afro-américaine.</p>
<p>Ce faisant, il prend le relais d’universitaires, de militants et d’artistes qui, depuis des décennies, tentent de bousculer la compréhension qu’ont les Américains de l’esclavage. Le gros de son travail consiste à repenser les esclaves non pas comme des objets à qui l’on a fait subir des choses, mais comme des individus qui ont maintenu une identité et une capacité d’action – aussi limitées fussent-elles – malgré leur statut de possession.</p>
<h2>Repousser les frontières de la langue</h2>
<p>Depuis trente ans, nous assistons à l’émergence d’un mouvement chez les universitaires, qui tente de trouver des termes appropriés pour remplacer les termes « esclave » et « esclavage. »</p>
<p>Dans les années 90, un groupe d’universitaires <a href="https://www.chicagotribune.com/columns/eric-zorn/ct-column-slave-enslaved-language-people-first-debate-zorn-20190906-audknctayrarfijimpz6uk7hvy-story.html">a affirmé que le mot « esclave » était trop limité</a> : coller l’étiquette d’« esclave » à quelqu’un, c’était souligner le statut réifié de cette personne soumise à l’esclavage et passer sous silence ses attributs personnels, à l’exception du fait qu’il était la propriété d’un maître.</p>
<p>Dans l’optique de souligner cette humanité, d’autres universitaires ont substitué « asservissement » à « esclavage », « asservisseur » à « propriétaire d’esclave », et « personne asservie » à « esclave. » En se basant sur les principes du « <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/People-first_language">langage qui fait primer l’individu</a> », qui substitue par exemple <a href="http://www.osborneny.org/resources/resources-for-humanizing-language/">« personnes incarcérées »</a> à « prisonniers », la terminologie souligne que la personne en question ne se résume pas à l’état d’oppression qu’on lui impose.</p>
<p>Tout le monde n’a pas accueilli cette suggestion avec enthousiasme. En 2015, Eric Foner, le célèbre historien de l’esclavage et de la Reconstruction, <a href="https://slate.com/human-interest/2015/05/historians-debate-whether-to-use-the-term-slave-or-enslaved-person.html">a ainsi écrit</a>, que le mot « esclave est un terme familier et si Frederick Douglass et d’autres abolitionnistes s’en sont satisfaits, je ne vois pas pourquoi je ne le ferais pas ».</p>
<p>En dépit de cette résistance, de plus en plus d’universitaires reconnaissent les limites de l’ancienne terminologie, jugée impersonnelle, et ont commencé à adopter le mot « asservi » et ses variantes.</p>
<p>Ce nouveau langage a atteint des sommets avec la publication du <em>1619 Project</em> du <em>New York Times</em>. <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2019/08/14/magazine/black-history-american-democracy.html">Dans l’introduction</a>, la responsable du projet, Nikole Hannah-Jones, rejette les mots « esclave » et « esclavage, » et emploie systématiquement des variantes du terme « asservissement ». <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2019/12/historians-clash-1619-project/604093/">Bien que ce projet soit controversé</a>, il définit les termes des discussions actuelles sur l’asservissement.</p>
<p>« Personne asservie » est la nouvelle norme, du moins parmi les personnes ouvertes à l’idée qu’un regard neuf sur l’esclavage aux États-Unis nécessite un nouveau vocabulaire.</p>
<p>Que faire alors de la déclaration de Barry Jenkins, qui souhaite aller au-delà de cette terminologie ?</p>
<p>Lors de cette même interview, le réalisateur indique que « pour l’instant, les [Américains] se réfèrent aux [esclaves noirs] comme étant asservis, ce que je trouve très honorable, mais cela met l’accent sur ce qu’on leur a fait subir plutôt que sur ce qu’ils étaient. Or, je m’intéresse à ce qu’ils ont accompli. »</p>
<p>Je pense que Jenkins met ici le doigt sur quelque chose d’important. Quel que soit le camp que l’on choisit dans le débat actuel sur la terminologie, « esclave » et « personne asservie » effacent tous deux la personnalité et la capacité d’action des individus décrits. C’est là tout le casse-tête, car l’état d’asservissement est, par définition, déshumanisant.</p>
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<img alt="A man dressed in a dapper suit and hat poses, seated, next to a woman dressed in yellow." src="https://images.theconversation.com/files/401969/original/file-20210520-17-1i18e3n.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401969/original/file-20210520-17-1i18e3n.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401969/original/file-20210520-17-1i18e3n.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401969/original/file-20210520-17-1i18e3n.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401969/original/file-20210520-17-1i18e3n.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401969/original/file-20210520-17-1i18e3n.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401969/original/file-20210520-17-1i18e3n.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Caesar, campé par Aaron Pierre, et Cora, jouée par Thuso Mbedu, s’échappent de la plantation où ils étaient retenus dans <em>The Underground Railroad</em></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://media.press.amazonstudios.com/userfiles/images/Underground_Railroad/Season_1/Wide_Release_Stills/UGRR_S1_Unit_102_1536R_thumb.JPG">Kyle Kaplan/Amazon Studios</a></span>
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</figure>
<p>Pour les artistes, écrivains et penseurs, il est difficile de montrer la déshumanisation systématique d’individus sans diminuer certaines des caractéristiques qui les rendent uniques. Sans oublier qu’une fois que l’on s’est engagé sur ce chemin, il n’y a qu’un pas vers la réduction de l’identité du groupe – y compris ses ancêtres – à une identité définie par ses pires expériences.</p>
<h2>La représentation des esclaves à l’écran</h2>
<p>D’une certaine manière, du fait des spécificités du support audiovisuel, les réalisateurs s’en sortent mieux que d’autres artistes face à la difficulté de représenter comme un tout les expériences terribles vécues par les personnes asservies et, en parallèle, de mettre en lumière leurs expériences personnelles.</p>
<p>Où le cinéma de Barry Jenkins se situe-t-il dans la lignée des représentations cinématographiques de l’asservissement ?</p>
<p>D’entrée de jeu, les comparaisons avec <a href="https://www.imdb.com/title/tt0075572/"><em>Racines</em></a> » – la première minisérie sur l’esclavage aux États-Unis – <a href="https://www.nytimes.com/2021/05/06/arts/television/the-underground-railroad-barry-jenkins.html">sautent aux yeux</a>.</p>
<p>Diffusée en 1977, <em>Racines</em> est la première minisérie américaine à raconter comment plusieurs générations d’une même famille noire ont vécu l’esclavage, offrant par là même un espace d’expression fort à l’empathie interraciale. <a href="https://www.vulture.com/2016/05/why-roots-was-so-important.html">Comme le note le critique Matt Zoller Seitz</a>, pour « de nombreux Blancs, cette minisérie a été la première instance qui leur a demandé, sur la durée, non seulement de s’identifier à des expériences culturelles qui leur étaient étrangères, mais aussi d’en faire l’expérience émotionnelle. »</p>
<p>Certains Américains se rappellent peut-être ces huit soirées consécutives, en janvier 1977, où <em>Racines</em> a été diffusée pour la première fois. Cette expérience collective a lancé et influé sur le débat aux États-Unis autour de l’esclavage et de l’histoire du pays.</p>
<p>À l’inverse, <em>The Underground Railroad</em> arrive sur les écrans à une époque où foisonnent les représentations de l’asservissement. La série <a href="https://www.imdb.com/title/tt4522400/?ref_=nv_sr_srsg_6"><em>Underground</em></a> (2016) de la chaîne de télévision WGN, malheureusement passée un peu inaperçu, le remake de <a href="https://www.imdb.com/title/tt3315386/?ref_=nv_sr_srsg_3"><em>Racines</em></a> (2016), <a href="https://www.imdb.com/title/tt3673480/?ref_=nv_sr_srsg_0"><em>The Good Lord Bird</em></a> (2020), <a href="https://www.imdb.com/title/tt1853728/?ref_=nv_sr_srsg_0"><em>Django Unchained</em></a> (2012), <a href="https://www.imdb.com/title/tt2024544/?ref_=nv_sr_srsg_0"><em>12 Years a Slave</em></a> (2013) et <a href="https://www.imdb.com/title/tt4648786/?ref_=nv_sr_srsg_6"><em>Harriet</em></a> (2019) ne sont ainsi que quelques-uns des portraits récents et innovants proposés sur l’esclavage.</p>
<p>Les meilleures de ces œuvres poussent les spectateurs vers de nouvelles façons de voir l’asservissement et ceux qui ont lutté contre. <em>The Good Lord Bird</em>, par exemple, <a href="https://theconversation.com/in-the-good-lord-bird-a-new-version-of-john-brown-rides-in-at-a-crucial-moment-in-us-history-146653">employait l’humour pour démanteler des conceptions sclérosées de Josh Brown</a>, l’abolitionniste militant du XIX<sup>e</sup> siècle, et a relancé le débat sur le recours à la violence face à l’oppression.</p>
<h2>Une chorégraphie délicate, entre beauté et souffrance</h2>
<p>En regardant <em>The Underground Railroad</em>, je vois comment et pourquoi le point de vue de Barry Jenkins est si important à ce moment de notre histoire.</p>
<p>Grâce à ses films, <a href="https://www.imdb.com/title/tt4975722/?ref_=nv_sr_srsg_0"><em>Moonlight</em></a> et <a href="https://www.imdb.com/title/tt7125860/?ref_=nv_sr_srsg_0"><em>Si Beale Street pouvait parler</em></a>, il a montré qu’il était capable de repousser les représentations étroites et restrictives de l’identité noire sous le seul prisme de la souffrance. Ses films n’en sont pas pour autant dénués, mais ce n’est pas ce qui les caractérise. Les « mondes noirs » du réalisateur sont des lieux qui regorgent de beauté, où les personnages sont gagnés aussi bien par la vitalité que par le désespoir.</p>
<p>Il apporte aussi cette sensibilité à <em>The Underground Railroad</em>.</p>
<p><a href="https://www.theatlantic.com/culture/archive/2021/05/underground-railroad-amazon-barry-jenkins/618892/">Des critiques ont souligné</a> la manière dont il utilise le paysage pour atteindre cette beauté. J’ai, pour ma part, été frappé par la façon dont les champs gorgés de soleil d’une ferme de l’Indiana font un décor idéal pour l’amour revigorant que Cora trouve auprès de Royal.</p>
<p>Dans <em>The Underground Railroad</em>, l’esclavage – en dépit de toutes les horreurs qui le caractérisent – existe dans un environnement empreint de beauté. Le rideau de la cabane vide de Cora qui se soulève sous la brise, souligné par le bois brut des quartiers des esclaves, évoque les <a href="https://lawrencemigration.phillipscollection.org/">tableaux de Jacob Lawrence</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="A set worker holds a boom in a sunny field while two actors act out a scene." src="https://images.theconversation.com/files/401967/original/file-20210520-21-lbt5v8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401967/original/file-20210520-21-lbt5v8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401967/original/file-20210520-21-lbt5v8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401967/original/file-20210520-21-lbt5v8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401967/original/file-20210520-21-lbt5v8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401967/original/file-20210520-21-lbt5v8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401967/original/file-20210520-21-lbt5v8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les « mondes noirs » de Barry Jenkins sont des lieux empreints de beauté.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://media.press.amazonstudios.com/userfiles/images/Underground_Railroad/Season_1/Wide_Release_BTS/UGRR_S1_Unit_101_1478R_thumb.JPG">Atsushi Nishijima/Amazon Studios</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans d’autres scènes, le réalisateur juxtapose des actions et paysages radicalement différents pour souligner la complexité de ce que vivent ces personnages. Cora travaille ainsi comme comédienne dans un musée où elle joue une « sauvage d’Afrique ». À un moment, elle change de costume et enfile une élégante robe jaune. Elle parcourt ensuite les rues propres de Griffin, en Caroline du Sud, et se fait le reflet de la classe moyenne.</p>
<p>Les scènes représentant les cours de bonnes manières et de lecture offerts par les professeurs de <a href="https://www.tuskegee.edu/about-us/history-and-mission">l’institut</a> où Cora et d’autres fugitifs trouvent refuge, établissement qui emprunte à la célèbre université de Tuskegee, décrivent l’attrait de la classe moyenne pour ces valeurs. À première vue, tout cela semble prometteur. Ce n’est que plus tard, lorsque Cora est poussée par son mentor à subir une stérilisation forcée, qu’il devient évident qu’elle a atterri dans un film d’horreur.</p>
<p>Ces scènes ne sont que quelques exemples du pouvoir de l’esthétique de Barry Jenkins. Chaque épisode est marqué par des moments de beauté même si, d’un instant à l’autre, la sérénité peut dégénérer en sauvagerie.</p>
<p>Vivre en sachant que le calme peut instantanément et inopinément tourner au carnage fait partie intégrante de la condition humaine. Jenkins rappelle aux spectateurs que pour les Afro-Américains – d’hier et d’aujourd’hui – ce péril potentiel est particulièrement prononcé.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Laura Pertuy pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Nash ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La chorégraphie délicate – entre souffrance et beauté – que propose le réalisateur Barry Jenkins tend vers une représentation plus riche de la culture afro-américaine.William Nash, Professor of American Studies and English and American Literatures, MiddleburyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1610222021-05-17T18:55:51Z2021-05-17T18:55:51ZEsclavage : ce que les États-Unis peuvent apprendre de l’Afrique en matière de réparations<p>Quelque 156 ans après l’abolition officielle de l’esclavage, un vote <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/14/us/politics/reparations-slavery-house.html">adopté le 14 avril</a> par la commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis pourrait conduire à la création d’une commission de 15 personnes, chargée de présenter des « excuses nationales » pour l’esclavage, d’étudier ses effets à long terme et de soumettre des recommandations au Congrès sur la manière d’indemniser les Afro-Américains.</p>
<p>Tout projet de loi fédéral sur les réparations a de grandes chances d’être rejeté en raison de l’opposition des Républicains ; il s’agit toutefois de la plus grande avancée depuis qu’un projet de loi similaire a été introduit il y a plus de 30 ans. Ainsi, la représentante démocrate du Texas Sheila Jackson Lee y voit une étape nécessaire sur le « chemin de la justice réparatrice ».</p>
<p>Alors que les États-Unis débattent des réparations pour les descendants de l’esclavage, l’examen de la pratique de certains pays africains en la matière pourrait aider à dégager une voie à suivre, selon <a href="https://www.colgate.edu/about/directory/kkonadu">mes recherches sur l’histoire et la diaspora africaines</a>.</p>
<h2>Les réparations incomplètes de l’Afrique du Sud</h2>
<p>Aux États-Unis et dans le monde, les arguments en faveur des réparations tournent principalement autour des compensations financières. Mais un examen plus approfondi des efforts de réparation actuels illustre les limites des programmes axés uniquement sur cet aspect.</p>
<p>En Afrique du Sud, Nelson Mandela et son parti, le Congrès national africain (ANC), ont créé une <a href="https://www.justice.gov.za/trc/">Commission vérité et réconciliation</a> (CVR) en 1995, dès leur arrivée au pouvoir. Cette commission a enquêté sur les violations des droits humains commises durant près de cinq décennies d’apartheid, alors que le système législatif imposait des lois ségrégationnistes et perpétuait la violence raciste.</p>
<p>La commission a mis en place un programme de réparations, recommandant dans <a href="https://www.justice.gov.za/trc/report/">son rapport final de 2003</a> que les victimes de l’apartheid reçoivent chacune l’équivalent d’<a href="https://www.law.cornell.edu/wex/south_african_truth_commission">environ 3 500 dollars US sur six ans</a>. Mais la commission a stipulé que seules les personnes qui avaient témoigné devant elle des injustices de l’apartheid – soit environ 21 000 personnes – pouvaient y prétendre, alors que quelque 3,5 millions de Sud-Africains noirs ont souffert sous le <a href="https://www.history.com/topics/africa/apartheid">régime de l’apartheid</a>.</p>
<p>Le successeur de Mandela, Thabo Mbeki, a effectué un <a href="https://www.nytimes.com/2003/04/16/world/south-africa-to-pay-3900-to-each-family-of-apartheid-victims.html">versement unique</a>, de 3 900 dollars, en 2003. Depuis, les gouvernements sud-africains n’ont effectué aucun paiement supplémentaire aux personnes ayant témoigné ou à d’autres victimes de l’apartheid. Aucun des gouvernements de l’après-Mandela n’a non plus jugé les responsables du système de l’apartheid. La structure du pouvoir qui a soutenu l’apartheid est restée <a href="https://www.strifeblog.org/2021/02/05/the-struggle-continues-khulumani-support-group-and-reparations-in-south-africa/">largement intacte</a>.</p>
<p>L’Afrique du Sud est la <a href="https://www.cnn.com/2019/05/07/africa/south-africa-elections-inequality-intl">société la plus inégalitaire du monde</a>, selon la Banque mondiale. Les Blancs constituent la majorité des élites riches, tandis que la moitié de la population noire sud-africaine vit dans la pauvreté. Le fait d’<a href="https://www.jstor.org/stable/3557322">ignorer les dommages sociaux et économiques</a> plus larges causés par l’apartheid – les inégalités de revenus, les terres non restituées saisies par les Blancs, les infrastructures communautaires médiocres – a empêché des millions de personnes ayant subi des violences d’être considérées comme des victimes. Elles ne recevront peut-être jamais de réparations.</p>
<h2>L’effort sous-financé de la Sierra Leone</h2>
<p>À peu près au même moment où l’Afrique du Sud a créé sa Commission vérité et réconciliation, la Sierra Leone, pays d’Afrique de l’Ouest, a entrepris un effort similaire pour <a href="https://www.justiceinfo.net/en/43710-reparations-in-sierra-leone-news-from-the-periphery-of-transitional-justice.html">faire face aux conséquences de ses dix années de guerre civile</a>. La guerre civile en Sierra Leone, qui a duré de 1991 à 2002, a tué au moins 50 000 personnes et en a déplacé 2 millions d’autres. En 2004, la Commission vérité et réconciliation a recommandé des <a href="https://www.un.org/press/en/2004/ecosoc6140.doc.htm">mesures de réparation pour les survivants</a>.</p>
<p>Elle a recommandé des allocations, des soins de santé gratuits et des avantages en matière d’éducation pour les amputés, les personnes gravement blessées, les veuves de guerre et les survivants de violences sexuelles. Les gouvernements de Sierra Leone ont longtemps ignoré ces recommandations mais, en 2008, la pression exercée par la plus grande organisation de survivants du pays, l’Amputee and War-Wounded Association, et une subvention de 3,5 millions de dollars du Fonds de consolidation de la paix des Nations unies, ont relancé cet effort.</p>
<p>Cependant, au lieu de mettre en œuvre les mesures de réparation plus complètes préconisées par la CVR, le gouvernement de la Sierra Leone a versé en 2008 à chacun des 33 863 survivants enregistrés un paiement unique de 100 dollars. Les Nations unies ont par la suite accordé quelques petits paiements, des prêts et des formations professionnelles à d’autres survivants au cours des années suivantes.</p>
<p>Après avoir interrogé des survivants de la guerre civile en Sierra Leone, <a href="https://www.hsfk.de/fileadmin/HSFK/hsfk_downloads/prif129.pdf">l’Institut de recherche sur la paix de Francfort</a> a conclu en 2013 que le programme de réparation de la Sierra Leone avait échoué. Il a pointé du doigt le nombre élevé de victimes, le financement limité et les épidémies de santé publique comme Ebola qui ont rendu les réparations moins prioritaires.</p>
<h2>Réparations par le biais des tribunaux</h2>
<p>Dans d’autres pays africains, les survivants des atrocités coloniales ont demandé réparation par le biais des tribunaux.</p>
<p>En 2013, des <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/africa/mau-mau-british-empire-kenya-rebellion-independence-boycott-2017-election-a7474716.html">survivants kényans</a> ont saisi les tribunaux britanniques pour demander des réparations. Le gouvernement britannique a reconnu que « les Kényans ont été soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements aux mains de l’administration coloniale » et a accepté de verser 19,9 millions de livres sterling – 27,6 millions de dollars – en compensation à quelque 5 000 survivants âgés. Mais le gouvernement a bloqué les paiements, et les <a href="https://www.justiceinfo.net/en/42789-colonial-crimes-kenyans-un.html">Kényans ont ensuite exigé plus que ce qui avait été offert</a>.</p>
<p>En Allemagne, une action en justice similaire visant à obtenir des réparations pour le massacre des Hereros par les Allemands en 1904-1908 dans la Namibie coloniale reste <a href="https://www.dw.com/en/namibia-germany-reparations/a-54535589">controversée</a>. Les négociations se poursuivent.</p>
<h2>Repenser les réparations à travers l’Afrique</h2>
<p>Des groupes représentant des nations africaines et caribéennes ont proposé d’autres façons de penser l’esclavage colonial et la violence raciale à l’origine de ces efforts de réparation.</p>
<p>En 2019, l’Union africaine – un organe politique régional composé de 55 pays africains – a défini la <a href="https://au.int/sites/default/files/documents/36541-doc-au_tj_policy_eng_web.pdf">justice réparatrice</a> comme la réparation des « pertes subies » dans toutes les circonstances où les droits de l’homme ont été violés. Cela inclut les réparations financières – le document politique met l’accent sur le soutien matériel à la reconstruction des maisons et des entreprises endommagées par des régimes coloniaux oppressifs. Mais il appelle également les pays membres à penser au-delà de l’argent et à envisager des mesures de réparation visant à guérir les traumatismes et à instaurer une justice sociale plus large.</p>
<p>Une grande partie de la réflexion de l’Union africaine s’aligne sur le <a href="https://caricomreparations.org/caricom/caricoms-10-point-reparation-plan/">plan de réparation en 10 points</a> de la Commission des réparations de la Caricom, basée dans les Caraïbes et établie en 2013. Ce plan prévoit l’annulation de la dette des pays des Caraïbes fondée sur l’esclavage colonial et le droit pour les descendants d’Africains du monde entier de retourner dans une patrie africaine, s’ils le souhaitent, par le biais d’un programme de réinstallation soutenu par la communauté internationale.</p>
<p>Pour ces groupes, les réparations ne sont pas seulement une question d’argent – c’est un plaidoyer pour une restauration collective, pour récupérer quelque chose au nom de ceux qui ont perdu leur force travail ou leur vie au profit de puissants gouvernements et institutions blancs.</p>
<p>À travers l’esclavage et la domination coloniale, l’Afrique a perdu une partie de sa population. Mais le continent a également perdu une main-d’œuvre qualifiée, de la créativité et des innovations. Ces avantages ont été transférés aux sociétés coloniales – et leur récupération reste en jeu pour l’Afrique et les descendants d’Africains dans le monde entier.</p>
<hr>
<p><em>La traduction vers la version française a été assurée par le site <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/">Justice Info</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kwasi Konadu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aux États-Unis, la Chambre des représentants recommande la création d’une commission sur les réparations à verser aux descendants d’esclaves. Se tourner vers l’Afrique peut indiquer une voie à suivre.Kwasi Konadu, John D. and Catherine T. MacArthur Endowed Chair and Professor, Colgate UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1568892021-03-26T14:03:06Z2021-03-26T14:03:06Z« J’ai pour moi la beauté et la vertu, qui n’ont jamais été noires » : l’argument esthétique dans le racisme coloriste<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/391124/original/file-20210323-21-1foqf05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C0%2C2400%2C1706&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'Odalisque à l'esclave, Jean-Dominique Ingres, 1839.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Odalisque_%C3%A0_l%27esclave">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Dans son <em>Histoire générale des Antilles habitées par les François</em> (1667-1671), le Révérend Père Jean‑Baptiste Du Tertre, missionnaire dominicain et botaniste affecté aux Antilles, écrivait ces lignes :</p>
<blockquote>
<p>« On ne saurait mieux vérifier le proverbe qui dit que l’amour est aveugle que dans la passion déréglée de quelques-uns de nos Français qui se portent à aimer leurs Négresses malgré la noirceur de leurs visages, qui les rend hideuses, et l’odeur insupportable qu’elles exhalent, qui devrait à mon avis éteindre l’ardeur de leur feu criminel. »</p>
</blockquote>
<p>Le 8 février 2021, le Rapport sur la diversité à l’Opéra National de Paris, signé Pap Ndiaye et Constance Rivière, a été rendu public. Il y est question du corps de ballet de l’institution ; ses auteurs prônent plus de diversité dans le recrutement et l’aménagement de certaines traditions esthétiques valorisant la blancheur.</p>
<p>Plus de trois siècles séparent ces deux fragments d’histoire, qui illustrent la pérennité d’une représentation valorisée de la couleur blanche de l’épiderme partagée par l’ensemble des nations occidentales, et d’une dépréciation de la couleur noire. Le texte du R.P. Du Tertre stigmatise la conduite sexuelle des premiers colons aux îles françaises d’Amérique, dans un chapitre de son ouvrage consacré à la « naissance honteuse des Mulâtres », révélant l’existence d’archétypes esthétiques en phase avec l’esprit du lectorat de l’époque. Et le rapport récent remis à l’Opéra de Paris recommande d’accueillir tous les corps dans la diversité des carnations possibles, car s’impose encore aujourd’hui pour les danseuses, incarnations idéales de la beauté, une unité chromatique blanche.</p>
<p>Ces représentations ne partent pas d’une table rase. L’existence d’une image dévalorisée du « Noir », à travers son enveloppe corporelle, dès avant la colonisation ne semble pas faire de doute, appuyée sur une valorisation transculturelle de la clarté épidermique pour les femmes, que l’on constate dans nombre de sociétés anciennes et même contemporaines, et sur certaines récurrences symboliques liées aux propriétés physiques des couleurs ou à leur association à des phénomènes naturels. Le christianisme antique a amplifié le versant négatif de ces représentations, avec un symbolisme chromatique extrêmement affirmé, le noir étant désormais associé au péché, à la tache, et le blanc à l’idée de pureté et de virginité (la civilisation musulmane n’étant pas en reste sur ce point…).</p>
<h2>L’expérience coloniale</h2>
<p>À partir du XV<sup>e</sup> siècle, les hommes des différents continents restés jusque-là largement séparés ont été massivement mis en contact. L’aventure européenne de la découverte de mondes nouveaux, qui se prolonge rapidement en domination coloniale, a donné lieu à la découverte du corps de l’Autre, que l’on va qualifier par des attributs physiques. Et le propre de la colonisation va être d’introduire cet Autre, au premier plan l’Africain, dans le jeu des rapports sociaux et de l’enfoncer, particulièrement en ce qui concerne la traite et le capitalisme de plantation, au bas de l’échelle des positions et des valeurs. L’émergence du préjugé de couleur anti-noir doit être en effet reliée au développement de l’esclavagisme dans les colonies européennes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">Le « travail pour autrui », survivance de l’esclavagisme dans nos économies</a>
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<p>L’esclavage colonial est racialisé, à la différence de l’esclavage antique. Rappelons qu’il est de fait fondé sur une triple segmentation : sociale (maîtres de la terre/travailleurs), juridique (libres/esclaves), « raciale » (« blancs »/« noirs »). Si le système avait fonctionné sans faille, séparant par une cloison étanche les maîtres et les esclaves, le contraste phénotypique entre leur couleur de peau, au départ simple coïncidence historique, serait resté un simple épiphénomène.</p>
<p>Mais de cette coïncidence a fini par émerger une nécessité idéologique. D’une part l’équation esclave = Nègre (l’esclave est noir) a eu tendance à se renverser, devenant Nègre = esclave (on est esclave parce qu’on est noir). Le préjugé de couleur colonial s’est donc constitué bien avant que les termes de race et de racisme soient disponibles dans la sphère savante (pour la race pas avant la seconde moitié du XVIII<sup>e</sup> siècle, et pour le racisme pas avant le début du XX<sup>e</sup> siècle). Mais la naturalisation de la différence, attendu principal de l’idée de race, était déjà au rendez-vous, ainsi qu’une idéologie hiérarchisante qui postule la suprématie blanche, idéologie où les jugements esthétiques ont tenu une place centrale, largement défavorables aux Africains réduits en esclavage et à leurs descendants, même métissés…</p>
<p>Dirigeons-nous vers la société traditionnelle des Antilles françaises. Cette valorisation de la couleur blanche était intériorisée au sein de la population de couleur elle-même, avec des stratégies de blanchiment se déployant de génération en génération au sein même de cette population, animée par la croyance en la beauté suprême du blanc et en la laideur du noir. Frantz Fanon, qui écrit au tout début des années 1950, raille ces pratiques qui touchent au choix du partenaire amoureux :</p>
<blockquote>
<p>« Le nombre de phrases, de proverbes, de petites lignes de conduite qui régissent le choix d’un amoureux est extraordinaire aux Antilles. Il s’agit de ne pas sombrer à nouveau dans la négraille et toute Antillaise s’efforcera, dans ses flirts ou dans ses liaisons, de choisir le moins noir… »</p>
</blockquote>
<p>Ces choix ont une évidente dimension esthétique. Frantz Fanon rappelle les propos de l’héroïne du roman de Mayotte Capécia, écrivaine martiniquaise, qui se demande si l’homme blanc dont elle est amoureuse est beau ou laid : « tout ce que je sais, c’est qu’il avait les yeux bleus, le teint pâle et que je l’aimais ». Le même Fanon, se mettant dans la peau de l’homme blanc, n’hésite pas à écrire :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis blanc, c’est-à-dire que j’ai pour moi la beauté et la vertu, qui n’ont jamais été noires, je suis de la couleur du jour… »</p>
</blockquote>
<p>Cette intériorisation de ces préjugés esthétiques se déployait du haut en bas de la « cascade de mépris » qui dévalait du blanc vers le noir au travers des différents types intermédiaires, aboutissant à une dévalorisation de l’image de soi chez le Noir lui-même, confronté de manière permanente à un bain culturel charriant des stéréotypes esthétiques qui stigmatisaient sa couleur. En attestent de nombreuses expressions populaires, toujours pour certaines en vigueur, comme <em>améliorer ses cheveux</em> (faire en sorte que la crêpure disparaisse), <em>sauver la peau</em> (pour désigner une union avec un partenaire plus clair), <em>un enfant bien sorti</em> (pour qualifier un enfant dont le hasard génétique a fait qu’il a hérité d’une peau plus claire que celle à laquelle on aurait pu s’attendre).</p>
<p>En Haïti, tous les caractères qui rappellent des traits africains sont encore l’objet de jugements esthétiques défavorables : le cheveu crépu est dit <em>movè poin</em> (de mauvaise qualité) ou <em>movè térin</em>, tout comme les traits du visage trop « nègres » ; au contraire les traits tirant vers le type européen sont dits <em>bon poin démérit</em> (de bonne qualité)… À la Guadeloupe, le terme <em>bèl po</em> (belle peau) ne se rapporte pas à la qualité de l’épiderme, mais à sa couleur.</p>
<h2>Du côté du racisme « savant »</h2>
<p>C’est à partir de son vieux foyer colonial, des colonies vers les métropoles, de la périphérie vers le centre, que le racisme coloriste a diffusé, influant les manières de penser les différences humaines. C’est donc sous cette influence que naît le racisme « savant » (nous préférons ce terme à celui de scientifique), dans lequel l’argument esthétique apparaît comme une pièce maîtresse.</p>
<p>On fait souvent remonter l’idée de race, dans son acception « moderne » mise en place au XVIII<sup>e</sup> siècle (renvoyant à des collections d’êtres humains distingués par la particularité de leurs caractères physiques, dérivant elle-même de la séparation des ascendances) à un géographe et voyageur du nom de François Bernier dans un article paru dans le <em>Journal des</em> <em>sçavants</em>, en date du 24 avril 1684 : « Nouvelle division de la terre par les différentes espèces ou races d’hommes qui l’habitent ». </p>
<p>Distinguant les peuples par leur couleur, cette nouvelle division distingue cinq « espèces » : les habitants de l’Europe, de l’Afrique du Nord et de l’Orient jusqu’à l’Inde ; les natifs de l’Afrique (sauf l’Afrique du Nord), pour qui la noirceur est « essentielle » ; les habitants des pays de l’extrême Asie, différents de la première espèce non pas par leur couleur, mais par leur faciès ; les Lapons ( !), qualifiés de « vilains animaux » ; les Américains enfin, qui « sont à la vérité la plupart olivâtres et ont le visage tourné d’une autre manière que nous ». Mais cette raciologie naissante, avant tout géographique, n’est pas véritablement hiérarchisante et va paradoxalement de pair avec un certain relativisme esthétique. Le reste de son texte est en effet un catalogue de la beauté féminine selon les contrées. Même relativisme dans le <em>Traité de la couleur de la peau humaine</em> du à C.N. Le Cat, ouvrage paru à Amsterdam en 1765 :</p>
<blockquote>
<p>« Croit-on que les Nègres s’en estiment moins et soient en effet moins estimables, parce que la plupart des Blancs ont leur figure en horreur […]. Croyez-moi, ces peuples ont leur Vénus, comme nous avons la nôtre ; & ce n’est point à nous de décider laquelle des deux divinités grecque et éthiopienne mérite d’obtenir la pomme. »</p>
</blockquote>
<p>C’est toutefois dans le contexte des Lumières (moment où se conjuguent les exigences du principe colonial et la frénésie classificatoire des cercles savants) que se mettent en place les linéaments d’une doctrine exprimant une hiérarchisation esthétique raisonnée des hommes en fonction de leur couleur. Ainsi Buffon affirme la supériorité européenne en la matière : « C’est aussi sous cette zone (la tempérée) que se trouvent les hommes les plus beaux et les mieux faits ». Pour lui les peuples de l’Europe et de l’Asie occidentale sont « les hommes les plus beaux, les plus blancs et les mieux faits de toute la terre ».</p>
<p>Même type d’affirmation dans l’Encyclopédie, chez Maupertuis, Daubenton, Cuvier (« la race blanche nous paraît la plus belle de toutes »). Ce sentiment de supériorité va de pair avec une infériorisation de l’Africain, renvoyé systématiquement à la laideur. Sa force physique n’est pas contestée, son corps est parfois admiré, mais l’expression de dégoût n’est jamais absente des descriptions : « la mine affreuse et terrible » ; « les plus hideux dans leurs aspects de tous les nègres que j’ai rencontrés ». L’Encyclopédie compare la chevelure de l’Hottentot à « une toison remplie de crottes » : la laideur hottentote devient le paradigme de la laideur africaine. En effet, après sa déportation en Europe, Saartje Baartman, <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/089522-000-A/la-venus-noire/">« la Vénus hottentote »</a>, est perçue comme un exemple « effroyable de laideur, déformée au point d’échapper à toute notion européenne de beauté ».</p>
<p>La laideur noire est rationalisée par un discours qui se veut scientifique : l’Africain est taxé d’une plus grand degré de bestialité que l’Européen, à mi-chemin de l’homme occidental et du singe, posant la question de la limite de l’humain. Un nombre croissant de scientifiques s’accordent sur le fait que la couleur n’a qu’un rôle secondaire et se mettent à la recherche d’autres caractères, qu’ils trouvent du côté de la morphologie, notamment crânienne.</p>
<p>Peter Camper, en 1768, dans sa thèse sur l’angle facial, dessine une série de crânes et de profils, deux singes, un Nègre et un Kalmouk.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Angles faciaux de Petrus Camper (1722-1789) : Dissertation physique sur les différences réelles que présentent les traits du visage chez les hommes de différents pays et de différents âges, 1768.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans <em>l’Histoire naturelle du genre humain</em> de J.J. Virey on peut voir, sur une planche, trois têtes superposées : celles d’un orang-outang, d’un Africain Ibo et d’une statue antique de Zeus. Pour Virey, la comparaison entre les peuples doit être établie sur un double plan, culturel et esthétique : la beauté physique constitue pour lui l’apanage des nations les plus civilisées : « tous les peuples laids sont plus ou moins barbares, car la beauté est la compagne inséparable des nations les plus policées ».</p>
<figure class="align-right zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Planche de Julien-Joseph Virey (1775-1846) : L’Histoire naturelle du genre humain, Dufart, an IX (Paris 1800 ou 1801).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La <a href="https://blogs.univ-poitiers.fr/budl/2015/01/19/johann-caspar-lavater-et-la-physiognomonie/">physiognomonie de Lavater</a> fournit la justification d’une négrophobie fondamentale : « tout le monde connaît cette espèce de museau qu’ont les Nègres, ces cheveux laineux, ces grosses lèvres si gonflées ». La craniologie, un des fondements de l’anthropologie physique pendant plus d’un siècle (qui n’a plus aujourd’hui un quelconque fondement scientifique), est censée démontrer la proximité des Africains et des singes dans une échelle des valeurs esthétiques.</p>
<h2>Du côté de l’art et de la littérature</h2>
<p>En art, dès l’apparition de représentations de corps non européens, soit à partir de l’âge classique, la supériorité de la beauté des Européens ne fait pas l’ombre d’un doute, au moins jusqu’au XIX<sup>e</sup> siècle, sous l’influence des théories raciales ambiantes. Pour Winckelmann (1755), la beauté des anciens Grecs explique l’excellence de leur art.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391177/original/file-20210323-15-qhmyj3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391177/original/file-20210323-15-qhmyj3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391177/original/file-20210323-15-qhmyj3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391177/original/file-20210323-15-qhmyj3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391177/original/file-20210323-15-qhmyj3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391177/original/file-20210323-15-qhmyj3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391177/original/file-20210323-15-qhmyj3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391177/original/file-20210323-15-qhmyj3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Antoine Coypel, Angola, trompette du roi Louis XIV, avec sa maîtresse, 1684, Musée du Louvre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Antoine_Coypel_-_Young_black_boy_holding_a_fruit_basket_and_a_girl_stroking_a_dog.jpg#:~:text=Fran%C3%A7ais%20%3A%20Ce%20tableau%20figure%20dans,Com%C3%A9die%2Ditalienne%20(Versailles).">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Dans les œuvres où figurent des personnages de couleur, l’art occidental se livre à un savant dosage des traits négroïdes : éclaircissement du teint, atténuation, ou élimination de certains caractères somatiques. En 1838, dans un manuel destiné aux apprentis artistes, se trouve la notation explicite : « le blanc signifie la beauté suprême, le noir la laideur ».</p>
<p>Et, dans les tableaux où figurent différents types humains, c’est la beauté de la femme blanche qui est célébrée, comme en témoigne déjà, en 1684, un tableau d’Antoine Coypel, représentant une jeune femme blanche à côté d’un serviteur noir. Au XIX<sup>e</sup> siècle, on peut citer le tableau orientalisant <em>L’Odalisque à l’esclave</em> d’Ingres (1839), présentant une femme blanche dénudée, lascivement allongée devant la servante musicienne à la racialité imprécise, avec la présence de l’eunuque noir, discret, à l’arrière plan, ou bien <em>La Toilette d’Esther</em>, de T. Chassériau (1841), révélant la beauté de la femme blanche au teint laiteux, dénouant ses cheveux blonds et dévoilant la splendeur de son corps devant une servante noire qui lui tend un coffret à bijoux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391125/original/file-20210323-15-tp4swf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391125/original/file-20210323-15-tp4swf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391125/original/file-20210323-15-tp4swf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391125/original/file-20210323-15-tp4swf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391125/original/file-20210323-15-tp4swf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391125/original/file-20210323-15-tp4swf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=906&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391125/original/file-20210323-15-tp4swf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=906&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391125/original/file-20210323-15-tp4swf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=906&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Théodore Chassériau, La Toilette d’Esther, 1841. Musée du Louvre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Toilette_d%27Esther#/media/Fichier:Chass%C3%A9riau_Esther_1841.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Ambivalences et retournements</h2>
<p>Nous avons largement hérité, issus de ces représentations, coloniales et savantes, de certains cadres mentaux, encore largement partagés. Dans le domaine des concours de beauté, il a fallu par exemple attendre 1984 pour qu’une première femme « noire » soit élue Miss America. La France n’est au demeurant pas en reste, puisque ce n’est qu’en 1993 qu’une reine de beauté « non blanche » accède au titre de Miss France. Certes ont été primées depuis nombre de jeunes femmes de couleur, mais cela n’a pas empêché que perdurent des commentaires racistes à leur encontre sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Ce changement témoigne d’une lente évolution dans l’échelle des valeurs esthétiques. Le côté, pensé comme empreint d’animalité, du corps noir, fascinait en fait le regard occidental depuis le début du XIX<sup>e</sup> siècle et avait pu séduire des artistes, choisissant de plus en plus des modèles noirs. Dans la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle, on a assisté à une reconnaissance, non dénuée d’ambivalence, de la dimension esthétique des civilisations africaines avec la découverte de l’art nègre. Mais c’est surtout un retournement de grande envergure, qui a concerné l’image que les « Noirs » se faisaient d’eux-mêmes, avec la revalorisation proclamée de la couleur noire (illustré en France et dans ses colonies par le mouvement de la négritude), qui marque le siècle. Il est significatif que le slogan qui a servi d’emblème au nationalisme noir aux États-Unis dans les années 1960 se soit situé d’emblée dans un renversement de l’argument esthétique : « Black is beautiful ».</p>
<p>Mais qui dit race dit immédiatement genre, registres où les constructions sociales s’élaborent à partir de matériaux biologiques, dont l’association implique un jeu à quatre cases et des asymétries selon leurs mises en relation. En témoigne le débat autour de l’exposition qui eut lieu <a href="https://whitney.org/education/education-blog/looking-back-at-black-male1">autour de l’exposition « Black Male »</a>, organisée par le <em>Whitney Museum of American Art</em> à New York en 1994. L’image d’une masculinité noire a en effet généré un amalgame ambigu de peurs et de projections fantasmatiques, dont les continuités sont évidentes lorsqu’on rapproche certaines représentations du début du XIX<sup>e</sup> siècle, où les « Noirs » commencent à servir de modèles académiques, et les photographies de Robert Mapplethorpe, où se retrouve une vision identiquement esthétisée, fascinée, fétichisée du corps d’hommes noirs, autre forme de racisme, fût-il « positif ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-colorisme-et-les-cremes-eclaircissantes-ces-legs-invisibles-de-la-colonisation-82699">Le colorisme et les crèmes éclaircissantes : ces legs invisibles de la colonisation</a>
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<p>Le mimétisme peut cependant à jouer en sens inverse du retournement du stigmate précédemment évoqué, pour des raisons qui tiennent à une persistance, ou à un <em>revival</em>, du processus d’intériorisation du préjugé chez l’infériorisé, allant jusqu’à s’imprimer sur la surface des corps : il s’agit de toutes les pratiques de dépigmentation qui sont encore présentes, ou se sont récemment diffusées dans les populations mélanodermes, notamment en Afrique (le <em>xessal</em> est le terme utilisé aujourd’hui au Sénégal pour désigner ces pratiques brutales fondées sur l’utilisation de produits chimiques ou pharmaceutiques, au risque de réactions morbides).</p>
<p>Loin de l’Afrique, l’énigme des métamorphoses de Michael Jackson, obtenues au prix d’interventions corporelles extrêmes, réside peut-être dans le désir d’échapper à la fatalité d’une blancheur refusée à la naissance… Mais la palette chatoyante des couleurs des hommes ne peut-elle pas être considérée au contraire comme une chance, offrant un immense champ de variation où puisse s’exercer pleinement la liberté des choix esthétiques ?</p>
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<p><em><strong>Pour aller plus loin :</strong></em><br>
<em>Hugh Honour, « L’image du Noir dans l’art occidental. De la révolution américaine à la première guerre mondiale ». Publication de la Menil Foundation, sous la direction de L. Bugner. Paris, Gallimard, 1989.</em><br>
Frantz Fanon, « Peau noire, masques blancs », Paris, Éditions du Seuil, 1954.<br>
<em>Anne Lafont, « L’art et la race. L’Africain (tout) contre l’œil des Lumières », Les Presses du réel, 2019.</em><br>
<em>Jean‑Luc Bonniol, « La couleur comme maléfice. Une illustration créole de la généalogie des “Blancs” et des “Noirs" », Paris, Albin Michel, 1992.</em><br>
<em>Jean‑Luc Bonniol, « Beauté et couleur de la peau », in _Communications</em>, 60, 1995, p. 185-204._</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156889/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Luc Bonniol ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La représentation valorisée de la couleur blanche de l’épiderme et la dépréciation de la couleur noire ont infusé pendant des siècles l’imaginaire des nations occidentales.Jean-Luc Bonniol, Professeur émérite d’anthropologie , Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1552262021-03-11T17:53:58Z2021-03-11T17:53:58ZPourquoi l’« esclavage par ascendance » subsiste encore au Mali<p>Ces dernières années, les images de migrants africains enchaînés et <a href="https://edition.cnn.com/videos/world/2017/11/13/libya-migrant-slave-auction-lon-orig-md-ejk.cnn">vendus en Libye</a> ont rappelé la triste contemporainité de pratiques esclavagistes semblant relever d’un autre âge. Mais en Afrique, et notamment en Afrique subsaharienne, la longue histoire, souvent méconnue, de l’esclavage a encore de lourdes conséquences dans de nombreux pays. Ainsi, au Mali, se perpétue une forme d’esclavage appelée « esclavage par ascendance ». Il s’agit de l’assignation du « statut d’esclave » à une classe de personnes sous le prétexte que l’un de leurs ancêtres aurait été réduit en esclavage par le passé par des familles de l’élite locale.</p>
<p>L’esclavage et les traites internes en Afrique de l’Ouest ont prédaté la traite transatlantique et se sont perpétuées au-delà des abolitions. Le commerce transatlantique a accéléré le recentrage des économies ouest-africaines sur la traite : pour répondre à la demande atlantique mais également trans-saharienne, des razzias et des guerres sont menées, les <a href="https://www.academia.edu/3630439/_L_esclavage_au_Soudan_fran%C3%A7ais_1848_1931_In_Captivit%C3%A9_et_abolition_de_l_esclavage_dans_les_colonies_fran%C3%A7aises_ouest_africaines_Analyse_juridique_historique_et_anthropologique">captifs</a> sont gardés localement et/ou vendus comme esclaves pour financer les prochaines guerres.</p>
<p>L’esclavage en Afrique de l’Ouest connaît un regain au XIX<sup>e</sup> siècle. La multiplication de conflits locaux fait de nombreux captifs de guerre alors que l’abolition progressive de la traite transatlantique réduit la demande. L’« offre » devient alors pléthorique et les prix abordables pour toutes les couches de population. L’Afrique de l’Ouest entame à la même époque une reconversion dans l’économie de plantation, pour laquelle elle a besoin de main-d’œuvre. Les économies ouest-africaines sont dès lors basées essentiellement sur le travail des personnes esclavisées. Les enfants de ces personnes héritent du statut de leurs parents, créant une classe héréditaire reproductible et endogame, corvéable et exploitable à merci. Les rachats sont possibles mais rares.</p>
<p>Si le commerce des esclaves n’existe plus aujourd’hui, les pratiques d’exploitation sociale et économique héréditaire de type « esclavagage par ascendance » s’observent encore au sein des communautés nomades touarègues et peules résidant dans le <a href="https://www.academia.edu/3321988/2005_Article_Facing_Dilemmas_Former_Fulbe_slaves_in_modern_Mali">centre</a> et le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00083968.2005.10751309">nord</a> du pays, mais elles sont en réalité présentes dans toutes les régions du Mali, ainsi que dans d’autres pays comme le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Nigéria, le Cameroun, le Tchad, le Soudan et le Sénégal.</p>
<p>En 2020, quatre <a href="http://bamada.net/pour-avoir-refuse-de-conserver-le-statut-desclavage-4-hommes-ont-ete-battus-a-mort-dans-le-village-de-djandjame-region-de-kayes">militants</a> maliens qui oeuvraient contre cette <a href="https://www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26219&LangID=E">pratique</a> ont été battus à mort à Djandjoumé, dans l’ouest du pays, sur l’ordre d’élites locales qui continuent de défendre les hiérarchies sociales héritées du passé esclavagiste. S’en sont suivies d’importantes manifestations contre l’esclavage à <a href="https://www.studiotamani.org/index.php/magazines/24920-esclavage-a-kayes-des-associations-accusent-l-etat-de-ne-pas-faire-assez">Kayes</a>.</p>
<h2>Une perpétuation silencieuse de l’esclavage</h2>
<p>Après <a href="https://www.academia.edu/3630439/_L_esclavage_au_Soudan_fran%C3%A7ais_1848_1931_In_Captivit%C3%A9_et_abolition_de_l_esclavage_dans_les_colonies_fran%C3%A7aises_ouest_africaines_Analyse_juridique_historique_et_anthropologique">l’abolition de la traite interne des esclaves africains de 1905</a> par l’État colonial français, la libération totale des personnes esclavisées a été lente. Les autorités coloniales se préoccupaient davantage <a href="https://www.academia.edu/21746132/_I_Ask_for_Divorce_Because_My_Husband_Does_not_Let_Me_Go_Back_to_My_Country_of_Origin_with_My_Brother_Gender_Family_and_the_End_of_Slavery_in_the_Region_of_Kayes_French_Soudan_1890_1920">du contrôle des populations</a> et du recrutement des populations anciennement esclavisées pour le travail forcé sur les chantiers coloniaux.</p>
<p>Les propriétaires d’esclaves se sont adaptés au nouvel environnement juridique en <a href="https://www.academia.edu/2005269/_Under_the_Guise_of_Guardianship_and_Marriage_Mobilizing_Juvenile_and_Female_labor_in_the_Aftermath_of_Slavery_in_Kayes_French_Soudan_1900_1939">cachant la pratique</a> sous le couvert de domesticité, de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-autre-2014-2-page-167.htm">confiage</a> et de mariage. <a href="https://stichproben.univie.ac.at/fileadmin/user_upload/p_stichproben/Artikel/Nummer20/20_Pelckmans_Hahonou.pdf">L’esclavage par ascendance continue</a> ainsi d’exister aujourd’hui.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les Diambourou : esclavage et émancipation à Kayes au Mali.</span></figcaption>
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<p>Les victimes de l’esclavage par ascendance sont confrontées à des discriminations et des abus et peuvent se retrouver contraintes de travailler sans rémunération. Toute rébellion vis-à-vis de leurs supposés « maîtres » les expose à des <a href="https://www.dependency.uni-bonn.de/en/publications/report-pelckmans.pdf">sanctions</a> dans les villages où elles résident : on les empêche d’accéder aux ressources essentielles comme l’eau, la terre ou les biens de consommation de base.</p>
<h2>Un phénomène difficilement observable</h2>
<p>Il n’y a pas de législation sur l’esclavage par ascendance. Il est donc difficile de connaître le nombre exact de personnes victimes de ce phénomène. En 2020, nous avons lancé un <a href="https://www.slaveryforcedmigration.org/">projet de recherche</a> de trois ans pour analyser et cartographier les déplacements forcés de personnes cherchant à échapper aux conflits liés à l’esclavage par ascendance dans la région de Kayes au Mali.</p>
<p>L’esclavage a une place centrale dans l’histoire de Kayes ; au XIX<sup>e</sup> siècle, la région était une <a href="https://www.jstor.org/stable/44723365?seq=1">zone de transit</a> importante pour les caravanes d’esclaves. Nos recherches démontrent la continuité historique et l’ampleur des déplacements successifs liés à l’esclavage au Mali depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle. Depuis 2018, plus de 3 000 personnes victimes d’esclavage par ascendance ont dû quitter leurs villages dans la région de Kayes, notamment en raison de leur engagement contre cette pratique. Nombre d’entre elles ont subi des <a href="https://observers.france24.com/en/20190924-video-malian-man-tied-public-opposing-traditional-slavery">exactions</a>.</p>
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<img alt="L’esclavage par ascendance se perpétue au Mali" src="https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’esclavage par ascendance se perpétue au Mali.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/visionafrique23/5764820725/in/photolist-aWz184-7FD1r6-7zwpMk-ie8s6c-7JQTYX-Et6Hp-9MqcWB-9MqdmM-9Gppkg-9GsmKS-9Gprd2-9GptRk-9Gsroo-8F4gVK-9GpqnF-9Gpvqa">Nicolas Jalibert/Flickr</a></span>
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<p>Ces déplacements internes – principalement au sein de l’espace rural dans le Sahel occidental – sont largement ignorés. Il est important de les étudier pour permettre une meilleure compréhension du phénomène et épauler les responsables politiques concernés dans la prévention et l’accueil de ces flux migratoires. Il s’agit également de pouvoir anticiper ces flux et renforcer la résilience des communautés d’accueil face à l’arrivée soudaine de familles déplacées. Nos recherches visent à proposer des mesures concrètes pour remédier à cette situation et pour gérer et prévenir le déplacement prolongé des victimes qui tentent d’échapper à l’esclavage.</p>
<p>Il n’existe pas de loi spécifique criminalisant l’esclavage par ascendance au Mali, contrairement aux pays voisins, le Niger et la Mauritanie. En raison de cette absence de cadre juridique protecteur, les victimes de l’esclavage par ascendance n’ont souvent d’autre choix que de fuir vers des régions plus « hospitalières ». Ces déplacements sont souvent causés par des conflits résultant de formes extrêmes d’exclusion ou de discrimination. Une large partie de ces déplacements est totalement <a href="https://www.academia.edu/45032934/_2020_Fugitive_Emplacements_Slave_Concubines_in_Niger_Nigerian_Borderlands_In_Invisibility_in_African_Displacements_edited_by_Jesper_Bjarnesen_and_Simon_Turner_216_235_London_Zed_Books">invisible/invisibilisée</a>.</p>
<p>Il s’agit d’une tendance historique. Depuis que les Français ont aboli l’esclavage dans la majeure partie de l’Afrique occidentale française en 1905, les résistances contre l’esclavage ont généré des <a href="https://vimeo.com/245704895">vagues successives de déplacements</a>. Parmi ceux et celles qui ont échappé à l’esclavage, certains ont tenté de <a href="https://www.jstor.org/stable/181190">retourner</a> dans leur village d’origine, mais beaucoup ont décidé de ne pas le faire et se sont ré-installés ailleurs.</p>
<h2>Une diaspora militante</h2>
<p>La résistance à l’esclavage pour échapper aux violences systématiques a conduit à la fondation de <a href="https://bouillagui.soas.ac.uk/#EN_d%C3%A9part">communautés indépendantes</a> mais également à la migration vers les villes et les pays voisins comme le Sénégal. Ces migrations ont été largement ignorées et <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/history-in-africa/article/abs/listening-to-the-history-of-those-who-dont-forget/9AA0CD0C1FE6622C4A7EBB13EFECD752">passées sous silence</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Hh1WfUQxOaA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ligne Directe : Résister à l’esclavage au Mali.</span></figcaption>
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<p>Aujourd’hui, les personnes auxquelles sont encore assignés le « statut d’esclave » et leurs alliés continuent de protester contre leur traitement et leur exclusion de la société. Ils ont créé des réseaux internationaux, tels que <a href="https://web.facebook.com/ARMEPES/?_rdc=1&_rdr">Ganbanaxuun Fedde Armepes</a>, qui est activement soutenu par la diaspora. Ils utilisent largement les <a href="https://www.dependency.uni-bonn.de/en/publications/report-pelckmans.pdf">réseaux sociaux</a>. Le sujet a également été repris par la communauté des blogueurs maliens, qui a lancé la campagne « Mali sans esclaves » <a href="https://benbere.org/dossiers-benbere/mali-sans-esclaves/">#MaliSansEsclaves</a>.</p>
<p>Les partisans locaux des hiérarchies sociales historiques, avec la complicité d’une partie de l’élite dirigeante demeurée largement silencieuse sur ces questions, ont pour la plupart réagi violemment à cet activisme anti-esclavagiste. Les gens qui contestent l’ordre social basé sur l’esclavage par ascendance sont attaqués, et dans certains cas, assassinés. Ce qui provoque le déplacement forcé de centaines de familles.</p>
<p>Ces groupes déplacés de force, principalement des femmes et des enfants, font partie des populations les plus pauvres et les plus vulnérables du Sahel.</p>
<h2>Une crise non reconnue</h2>
<p>Les autorités maliennes continuent de <a href="https://bouillagui.soas.ac.uk/#EN_3.3">refuser</a> de reconnaître qu’il y a encore des victimes de l’esclavage par ascendance au Mali et prétendent plutôt que les victimes ne sont pas des esclaves mais des participants à des pratiques culturelles dites « traditionnelles », lesquelles devraient donc être respectées par souci de cohésion sociale.</p>
<p>Pourtant, le Mali est <a href="https://antislaverylaw.ac.uk/country/mali/">signataire</a> de diverses conventions internationales contre l’esclavage et la traite et qui prévoient, entre autres, le droit à la vie et à la liberté.</p>
<p>Depuis 2012, une <a href="http://news.abamako.com/h/55194.html">coalition d’organisations maliennes de défense des droits de l’homme</a> plaide pour l’adoption d’une loi criminalisant l’esclavage par ascendance. Mais ce projet de loi a finalement été relégué dans un tiroir par le gouvernement sous prétexte d’autres priorités de crise.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1220816876206469121"}"></div></p>
<p>Le gouvernement semble incapable ou peu désireux de s’attaquer à l’esclavage par ascendance et reste <a href="https://www.dependency.uni-bonn.de/en/publications/report-pelckmans.pdf">silencieux</a> sur le sujet. L’esclavage est considéré comme un <a href="https://journals.openedition.org/etudesafricaines/15854">héritage tabou</a> qu’il est honteux d’aborder ouvertement car il risque de délégitimer certaines élites dirigeantes actuelles qui ont fermé les yeux sur les tentatives de dissimulation de ces pratiques.</p>
<p>Tant que l’esclavage par ascendance ne sera pas criminalisé au Mali, il sera très difficile de poursuivre le combat contre les abus que subissent les personnes à qui est assigné le « statut d’esclave ». D’autant plus que le système judiciaire malien reste très dysfonctionnel et enclin à la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/08/01/au-mali-le-systeme-est-infeste-par-la-corruption-et-les-citoyens-y-sont-habitues_5495410_3212.html">corruption</a>.</p>
<p>Nous <a href="https://www.slaveryforcedmigration.org/">proposons</a> des mesures concrètes pour remédier à cette crise durable en formant des professionnels de la justice et en plaidant pour l’adoption d’une loi qui criminalise l’esclavage par ascendance. Nous préconisons la formation des gouvernements locaux et nationaux sur la manière de gérer efficacement les déplacements prolongés des victimes de cette pratique.</p>
<hr>
<p><em>Leah Durst-Lee, qui travaille actuellement comme stagiaire de recherche à l’Université de Copenhague avec Lotte Pelckmans sur les déplacements ruraux prolongés, a contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155226/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Rodet works as a Reader in the History of Africa for SOAS, University of London. She has received research funding from the AHRC, the ESRC, the British Library and the British Academy.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lotte Pelckmans is associate professor at the Centre for Advanced Migration Studies, Copenhagen University. She is an anthropologist working on the legacies of slavery, post-slavery and anti-slavery and their impact on different forms of mobilities. She received funding from UKRI-GCRF, UK for the project described here. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bakary Camara ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré l’abolition de l’esclavage en 1905, ce fléau n’a pas totalement disparu au Mali, où les supposés « descendants » des esclaves d’antan continuent d’être catégorisés comme esclaves eux-mêmes.Marie Rodet, Reader in the History of Africa, SOAS, University of LondonBakary Camara, Professeur Titulaire Agrégé des facultés de droit et Doyen de la Faculté de Droit Public, Université des sciences juridiques et politiques de BamakoLotte Pelckmans, Associate Professor, Centre for Advanced Migration Studies, University of CopenhagenLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1526012021-02-26T12:49:56Z2021-02-26T12:49:56ZLe préjugé racial effacé dans un classique anglais et sa réécriture antillaise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/386142/original/file-20210224-17-10brjuh.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C2%2C1655%2C1134&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image de l'adaptation cinématographique des Hauts de Hurlevent (2011)</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.imdb.com/title/tt1181614/mediaviewer/rm1576313601/?context=default">ImDB</a></span></figcaption></figure><p>En 1995, Maryse Condé propose avec <em>La Migration des cœurs</em> une réécriture des <em>Hauts de Hurlevent</em>, d’Emily Brontë. Le choix de ce classique anglais peut surprendre : quoi de commun en effet entre une région rurale d’Angleterre au début du XIX<sup>e</sup> siècle et la Guadeloupe du tournant du XX<sup>e</sup> siècle ? Entre une société relativement homogène sur le plan ethnique et une société créole encore enferrée dans l’esclavage aboli quelques décennies plus tôt ? Entre les landes austères du Yorkshire et la végétation luxuriante, ou les plages tropicales, habituellement associées aux Antilles ?</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/386171/original/file-20210224-19-1nd8v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/386171/original/file-20210224-19-1nd8v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/386171/original/file-20210224-19-1nd8v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/386171/original/file-20210224-19-1nd8v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/386171/original/file-20210224-19-1nd8v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/386171/original/file-20210224-19-1nd8v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1250&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/386171/original/file-20210224-19-1nd8v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1250&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/386171/original/file-20210224-19-1nd8v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1250&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p>Cette transposition présente l’occasion de se pencher sur les thèmes du racisme, de la stigmatisation et des freins à la mobilité sociale, des thèmes déjà ébauchés par Brontë à travers le personnage de Heathcliff, qui devient Razyé chez Maryse Condé.</p>
<p>Pour dépeindre une société marquée par la violence coloniale, Condé s’écarte des représentations d’une nature antillaise paradisiaque pour se rapprocher de la rudesse des paysages de Brontë, et montre les conséquences de la pensée raciste qui s’est développée avec la colonisation et l’esclavage.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/386150/original/file-20210224-13-1qvm7hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/386150/original/file-20210224-13-1qvm7hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/386150/original/file-20210224-13-1qvm7hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/386150/original/file-20210224-13-1qvm7hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/386150/original/file-20210224-13-1qvm7hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/386150/original/file-20210224-13-1qvm7hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/386150/original/file-20210224-13-1qvm7hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La tradition carnavalesque guadeloupéenne du « mas’ a kongo » (masque de carnaval représentant un Africain déporté) et les différentes réappropriations auxquelles cette tradition donne lieu pour se souvenir de l’esclavage et affirmer la fierté de l’ascendance africaine.</span>
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<p>La structure de l’économie guadeloupéenne de l’Ancien Régime reflétait le « préjugé de couleur » : l’affirmation de l’existence de races et leur hiérarchisation.</p>
<p>Malgré le bouleversement radical de l’ordre social en Guadeloupe au moment de la Révolution française, avec la disparition partielle des Blancs créoles, la diminution de leur pouvoir économique et la constitution progressive d’une bourgeoisie noire, la structuration sociale est restée fortement marquée par une segmentation raciale, soutenue après l’abolition de l’esclavage par la diffusion de théories sur la nature des Noirs et leur infériorité.</p>
<p>Condé illustre les conséquences de l’intériorisation de ces représentations par ceux qui en étaient victimes.</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/5f9ace4de40fec5b6e4f0adf/6036666aa9f63074a33de350?cover=true&ga=false" frameborder="0" allow="autoplay" width="100%" height="110"></iframe>
<p><a href="https://open.spotify.com/episode/1QGiw0TLHk5KmgjWiUK5HM?si=aidGn7PRSVGocSwYn6c0Rw"><img src="https://images.theconversation.com/files/321535/original/file-20200319-22606-1l4copl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1" width="268" height="70"></a> <a href="https://soundcloud.com/theconversationfrance/le-prejuge-racial-efface-dans"><img src="https://images.theconversation.com/files/359064/original/file-20200921-24-prmcs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on SoundCloud" width="268" height="70"></a> <a href="https://podcasts.apple.com/us/podcast/le-pr%C3%A9jug%C3%A9-racial-effac%C3%A9-dans-classique-anglais-et/id1538137657?i=1000510499715"><img src="https://images.theconversation.com/files/321534/original/file-20200319-22606-q84y3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=182&fit=crop&dpr=1" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p><a href="https://podcasts.apple.com/us/podcast/le-pr%C3%A9jug%C3%A9-racial-effac%C3%A9-dans-classique-anglais-et/id1538137657?i=1000510499715">
<p>Pour aller plus loin :</p>
</a><ul><a href="https://podcasts.apple.com/us/podcast/le-pr%C3%A9jug%C3%A9-racial-effac%C3%A9-dans-classique-anglais-et/id1538137657?i=1000510499715">
</a><li><a href="https://podcasts.apple.com/us/podcast/le-pr%C3%A9jug%C3%A9-racial-effac%C3%A9-dans-classique-anglais-et/id1538137657?i=1000510499715"></a><p><a href="https://podcasts.apple.com/us/podcast/le-pr%C3%A9jug%C3%A9-racial-effac%C3%A9-dans-classique-anglais-et/id1538137657?i=1000510499715">« </a><a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/bonniol_jean_luc/couleur_des_hommes/couleur_des_hommes_texte.html">La couleur des hommes, principe d’organisation sociale. Le cas antillais</a> », de Jean‑Luc Bonniol</p></li>
<li><p>« <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1736374-couleur-et-societe-en-contexte-post-esclavagist--jean-pierre-sainton-jasor">Couleur et Société en contexte post-esclavagiste. La Guadeloupe à la fin du XIXᵉ siècle</a> », de Jean‑Pierre Sainton</p></li>
<li><p>« <a href="https://theconversation.com/was-emily-bront-s-heathcliff-black-85341">Est-ce que le Heathcliff d’Emily Brontë était noir ?</a> », un article en anglais de Corinne Fowler</p></li>
<li><p><a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ttr/2000-v13-n2-ttr1493/037411ar/">« Migrations littéraires : Maryse Condé et Emily Brontë »</a>, d’Anne Malena</p></li>
</ul>
<hr>
<p><em><strong>Conception et réalisation</strong> : Sonia Zannad. <strong>Montage</strong> : Romain Pollet</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152601/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En 1995, Maryse Condé propose avec La Migration des coeurs une réécriture des Hauts de Hurlevent, d’Emily Brontë.Anna Lesne, Enseignante en sciences humaines, New York UniversitySonia Zannad, Cheffe de rubrique Culture, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1546572021-02-07T17:24:24Z2021-02-07T17:24:24ZHarriet Tubman sur les billets de 20 dollars : les États-Unis peuvent-ils se réconcilier avec leur passé esclavagiste ?<p>Le 25 janvier dernier, la nouvelle administration du 46<sup>e</sup> président des États-Unis a annoncé sa volonté de concrétiser le projet de faire figurer la militante antiesclavagiste Harriet Tubman (vers 1820-1913) sur les billets de 20 dollars. Ainsi, selon les <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/press-briefings/2021/01/25/press-briefing-by-press-secretary-jen-psaki-january-25-2021/">déclarations</a> de la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki : </p>
<blockquote>
<p>« Le département du Trésor prend des mesures pour reprendre ses efforts pour insérer Harriet Tubman sur le recto des nouveaux billets de 20 dollars. Il est important que nos billets, notre argent […] reflètent l’histoire et la diversité de notre pays, et l’image d’Harriet Tubman ornant la nouvelle coupure de 20 dollars les reflète de façon évidente. »</p>
</blockquote>
<p>Dans un climat sociopolitique marqué depuis ces dernières années par le mouvement Black Lives Matter, ce projet est-il une énième tentative de réparation ou un véritable acte vers la reconnaissance durable des Noirs dans un pays qui a du mal à panser l’héritage de son histoire esclavagiste ?</p>
<h2>Harriet Tubman : le visage d’une vie de combats sur un billet ?</h2>
<p>La militante antiesclavagiste, antiraciste et féministe Harriet Tubman est bien connue aux États-Unis où, depuis plusieurs années, sur fond de restauration de l’histoire des Noirs américains, sa mémoire est rappelée à travers des actes de portée symbolique. En 1944, pendant la Seconde Guerre mondiale, son nom est donné à un navire de la Marine américaine. En 1978, elle est la première femme noire à avoir son effigie sur un timbre. Depuis le 13 mars 1990, une loi américaine fait du 10 mars le « Harriet Tubman Day » (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Harriet_Tubman_Day">Journée d’Harriet Tubman</a>). </p>
<p>C’est dans cette ligne que s’inscrit le projet de faire apparaître son effigie sur un billet de dollar. <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2021-01-26/harriet-tubman-sera-t-elle-la-premiere-femme-noire-sur-les-billets-de-20-dollars-b5e1950b-85a3-4c5f-ae06-3cfef5ea3ca2">Ce projet</a>, porté dans un premier temps par Barack Obama en 2016, par la suite remis en cause par Donald Trump, est désormais ranimé par le gouvernement Biden.</p>
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<figcaption><span class="caption">Biden relance le billet de 20 dollars avec Harriet Tubman, que Trump avait bloqué.</span></figcaption>
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<p>Quand on se réfère à la vie et à l’action menée par Harriet Tubman, il y a de quoi adhérer au projet. La mémoire de la militante noire s’illustre à travers des actes emblématiques concernant la lutte abolitionniste et féministe. Réduite en esclavage dès l’âge de 6 ans, Aramintha Ross, de son nom de naissance, n’a qu’un objectif : échapper à cette condition. </p>
<p>Elle met ce projet en action en 1849 en s’enfuyant de la plantation Poplar Neck (Caroline County) pour effectuer, à pied, un long périple estimé à 160 km vers la Pennsylvanie. Soutenue dans sa fuite par des membres de <em>l’Underground Railroad</em>, un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chemin_de_fer_clandestin">réseau informel</a> qui aide les esclaves à s’échapper, elle s’attelle à son tour à libérer des esclaves. On estime qu’entre 1849 et 1859, Harriet Tubman effectue 19 missions d’évasion pendant lesquelles elle réussit à <a href="https://books.google.fr/books?id=4i6uxAEACAAJ">libérer</a> 300 esclaves. L’espoir de libération qu’elle fait renaître auprès des esclaves lui vaut le surnom de <em>Moïse noire</em>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Harriet Tubman, la « Moïse noire"- #CulturePrime.</span></figcaption>
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<p>Lors de la guerre de Sécession, profitant d’une loi autorisant les « personnes de couleur » à s’engager dans l’armée, elle aurait pris la direction d’une troupe de 150 soldats, <a href="https://www.franceinter.fr/culture/harriet-tubman-la-moise-noire">s’illustrant</a> ainsi comme la seule femme (noire) à jouer ce rôle à cette époque. Cette mission lui fournit l’occasion de libérer davantage d’esclaves en Géorgie. Après la guerre, elle poursuit un combat inlassable pour le droit des femmes en s’engageant aux côtés des suffragistes pour le droit de vote des femmes, droit qu’elle ne connaîtra jamais.</p>
<h2>Une initiative pas si simple</h2>
<p>Eu égard à ces actes, Harriet Tubman a recueilli une majorité de voix devant d’autres femmes comme l’ex–première dame Eleanor Roosevelt ou Rosa Parks pour figurer sur un billet de dollar en guise de reconnaissance de son activisme antiesclavagiste et de son <a href="https://www.womenon20s.org/may12_poll_results_and_petition">engagement féministe</a>. En dépit de cette adhésion majoritaire, le projet a suscité dès sa première annonce des interrogations voire des polémiques quant à certaines contradictions qu’il met en exergue. </p>
<p>Dans un <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/culture-2018-0038/html">article</a> bien documenté paru en 2018 et intitulé « Harriet Tubman and Andrew Jackson on the 20-dollar bill : A monstrous intimacy », deux universitaires américains, Sheneese Thompson et Franco Barchiesi, relèvent les contresens entourant certains aspects du projet par rapport à la question de réparation ou de restauration de la mémoire des esclaves et de leurs descendants.</p>
<p>« L’intimité monstrueuse » dont parle l’article dans son titre concerne la cohabitation envisagée sur le billet de 20 dollars entre l’ancien président américain <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andrew_Jackson">Andrew Jackson</a> – dont le soutien à l’esclavage est avéré à travers la déportation des Amérindiens – et Harriet Tubman. Le controversé président figure depuis 1928 au verso de l’actuel billet alors que l’effigie d’Harriet Tubman est pressentie pour le recto, voire pour remplacer celle d’Andrew Jackson. La cohabitation des deux personnes ou le remplacement de l’une par l’autre sur le billet ont donné lieu à des <a href="https://www.vox.com/2016/4/21/11477568/20-bill-harriet-tubman-party-alexander-hamilton">polémiques</a>. À travers ces polémiques, Thompson et Barchiesi dénoncent l’incapacité de parler d’Harriet Tubman sans comparer son histoire avec celle d’un Blanc comme si sa condition de femme noire ne lui permet pas une souveraineté.</p>
<p>Une autre raison de « l’intimité monstrueuse » pointée par l’article est la représentation de Tubman sur l’objet, l’argent, qui conditionnait le statut de possession et de marchandise des esclaves noirs. Ainsi, le projet suscite des interrogations malgré ses velléités de réparation : le visage d’Harriet Tubman peut-il orner l’objet même de sa réduction en propriété captive ? Puisqu’on parle d’argent comme support de la cause des Noirs, à qui profite le projet si ce n’est au système capitaliste ? Dans ce sens, Thompson et Barchiesi demandent si le projet ne s’apparente pas davantage à « un symbolisme déformant visant à utiliser Tubman comme une marque du capitalisme racial ».</p>
<h2>L’irrésoluble question des réparations</h2>
<p>Les interrogations et polémiques suscitées par le projet depuis sa première annonce traduisent les difficultés que présente la question des réparations qui sont au cœur des problématiques concernant l’esclavage et ses héritages. Aux États-Unis, dans une société marquée par des rapports sociaux profondément racialisés, le problème des réparations se manifeste de manière particulière à travers la question de la justice sociale. Ainsi, comme le souligne l’historienne Myriam Cottias, la mobilisation du passé, souvent subordonnée aux revendications de réparations, sert à réclamer une nouvelle définition de la citoyenneté et à dénoncer le <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/quelles-reparations-pour-lesclavage">racisme et les discriminations</a>. </p>
<p>Ce constat pousse à se questionner sur l’aboutissement des initiatives allant dans le sens de réparations, surtout quand ces dernières portent sur la volonté d’une reconnaissance des Noirs, à l’exemple du projet dont il est question dans cette contribution. Faut-il en conclure à l’impossible réconciliation de la Nation américaine ? Cette réconciliation doit-elle forcément passer par une démarche de réparations, qu’elles soient financières ou mémorielles ? En tout cas, le <a href="https://www.france24.com/fr/20200617-esclavage-et-colonialisme-la-haut-commissaire-de-l-onu-plaide-pour-des-r%C3%A9parations">Conseil des droits de l’homme</a> de l’ONU, face aux violences et discriminations dont font l’objet les Afro-Américains, a demandé aux États-Unis de réfléchir à des formes de réparations diverses afin de lutter contre le racisme systémique.</p>
<p>Avec ce projet de voir la première femme noire sur un billet de dollar, l’ancien président américain Barack Obama pensait faire entrer les États-Unis dans l’ère post-raciale. On se rend compte que le chemin vers cette ère reste long, même si l’élection du « premier président noir des États-Unis » en a constitué l’une des étapes principales. Le travail à effectuer pour y entrer, loin de la question des réparations comme seule condition, nécessite une vraie réflexion sur la construction d’une nation, dans le sens premier du terme, se caractérisant par la conscience qu’a un peuple de son unité et de sa volonté de vivre ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154657/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erick Cakpo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Joe Biden relance le projet de faire figurer la militante anti-esclavagiste Harriet Tubman sur les billets de 20 dollars. Ce projet relance les débats sur la difficile question des réparations.Erick Cakpo, Historien, chercheur, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1531442021-01-15T16:00:38Z2021-01-15T16:00:38Z« Bridgerton » sur Netflix : un portrait romancé de l’Angleterre à l’aube de la modernité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379054/original/file-20210115-23-105j8cd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Chronique des Bridgerton nous raconte les amours et le mariage de Daphné Bridgerton avec Simon Basset, Duc de Hastings.</span> <span class="attribution"><span class="source">( Liam Daniel/Netflix)</span></span></figcaption></figure><p><em>La Chronique des Bridgerton</em>, la nouvelle série romantique de huit épisodes lancée le jour de Noël sur Netflix, <a href="https://variety.com/2021/tv/news/bridgerton-netflix-viewership-1234878404/">se retrouve déjà en tête du classement dans plus de 75 pays.</a></p>
<p>Inspiré de la collection de romans d’amour de l’auteure américaine <a href="https://juliaquinn.com/">Julia Quinn</a>, ce drame d’époque se déroule en Angleterre au début du 19e siècle. Aux mains de la productrice <a href="https://www.forbes.com/sites/dbloom/2021/01/05/netflix-has-another-hit-in-shonda-rhimes-smashing-bridgerton-debut/?sh=34a422ff5cc9">Shonda Rhimes</a>, déjà connue grâce au succès de son émission télévisée <em>Grey’s Anatomy</em>, et en <a href="https://www.shondaland.com/inspire/a34860495/bridgerton-showrunner-chris-van-dusen/">collaboration avec l’auteur Chris van Dusen</a>, <em>La Chronique des Bridgerton</em> repousse les limites dans sa représentation des <a href="https://www.nbcnews.com/think/opinion/netflix-s-bridgerton-shonda-rhimes-reinvents-how-present-race-period-ncna1251989">races</a>, des <a href="https://metro.co.uk/2020/12/23/bridgerton-netflix-cast-empowering-sex-scenes-13740922/">genres</a> et <a href="https://www.insider.com/bridgerton-rape-scene-criticism-julia-quinn-2020-12">du rapport entre pouvoir et consentement</a>.</p>
<p>La série nous raconte les amours et le mariage de Daphné Bridgerton avec Simon Basset, Duc de Hastings, et les conséquences de leur relation sur leurs familles, leurs amis, les colporteurs de potins et les sympathisants qui papillonnent autour d’eux.</p>
<p>Des acteurs noirs tiennent la vedette dans des rôles principaux, en particulier <a href="https://www.imdb.com/name/nm2074546/">Regé-Jean Page</a> dans le rôle du Duc de Hastings, ainsi que <a href="https://www.imdb.com/name/nm0742929/">Golda Rosheuvel</a> qui incarne la reine d’Angleterre.</p>
<p>Le scénario <a href="https://www.washingtonpost.com/history/2020/12/27/bridgerton-queen-charlotte-black-royals">soulève un débat sur la possibilité d’une ascendance africaine de la famille royale</a>, tout en passant complètement à côté des horreurs colonialistes, de la pauvreté et du racisme, alors que ces éléments étaient centraux à l’époque, et perdurent à la nôtre, comme je l’explique dans mon livre, <a href="https://wwnorton.com/books/The-Regency-Years/"><em>The Regency Years, During Which Jane Austen Writes, Napoleon Fights, Byron Makes Love, and Britain Becomes Modern</em></a>.</p>
<p>Résultat : <em>La Chronique des Bridgerton</em> est une fantaisie profondément séduisante (<a href="https://www.refinery29.com/en-ca/2020/12/10244470/bridgerton-review-blackness-representation">certains commentateurs noirs ont suggéré qu’elle plairait tout particulièrement à un public blanc…</a>) où l’on nous présente une société sans racisme, élégante et passionnée. Dans la diversité de son casting, elle nous propose de <a href="https://www.vogue.co.uk/arts-and-lifestyle/article/inclusive-casting">nouvelles pistes pour remettre en cause des scénarios eurocentriques et ceux qui en profitent</a>.</p>
<p>Mais l’émission ne nous dit pas grand-chose sur la réalité de l’Angleterre en 1813 : c’est plutôt un conte de fées qui, à certains niveaux, abolit les préjugés raciaux, genrés, ou sexuels. Elle est à mi-chemin entre une romance à l’eau de rose et un appel à l’action.</p>
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<figcaption><span class="caption">La bande-annonce de <em>La Chronique des Bridgerton</em>.</span></figcaption>
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<h2>Un temps fort de l’histoire</h2>
<p>1813 fait partie de l’époque de la Régence, c’est-à-dire la période comprise entre février 1811 et janvier 1820. Il s’agit peut-être de la décennie la plus spectaculaire de toute l’histoire britannique, et elle signale l’aube des temps modernes.</p>
<p>On pense souvent à la Régence en <a href="https://www.britannica.com/art/Regency-style">termes de meubles, d’art, d’architecture et de mode</a>. Mais il s’agit à l’origine d’une <a href="https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/regent">notion politique</a> utilisée lorsqu’une personne de substitution est nommée afin de gérer les affaires de l’état durant la jeunesse d’un souverain, l’absence du souverain, ou encore son incapacité. Il y a eu quantité de régences à l’échelle des monarchies de la planète : l’Angleterre, à elle seule, en a connu plus d’une douzaine.</p>
<p>Cependant, la plus célèbre est <a href="https://www.vulture.com/article/bridgerton-recap-season-1-episode-4-an-affair-of-honor.html">celle qui sert de toile de fond à Bridgerton, au moment où la démence du roi George III atteint son paroxysme</a>, ce qui ouvre le chemin à la mise en régence de son fils aîné, George le débauché, prince de Galles, jusqu’à la mort de George III, lorsque le régent deviendra roi sous le nom de George IV.</p>
<p>Ce fut pour l’Angleterre une période marquée par des événements majeurs, comme la <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/war-of-1812">guerre de 1812</a>,les <a href="https://www.historic-uk.com/HistoryUK/HistoryofBritain/The-Luddites/">émeutes des Luddites</a> et le <a href="https://www.historic-uk.com/HistoryUK/HistoryofEngland/Peterloo-Massacre/">massacre de Peterloo</a> durant lequel 11 manifestants ont été massacrés à Manchester alors <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2019/aug/16/the-peterloo-massacre-what-was-it-and-what-did-it-mean#:%7E:text=Why%20is%20Peterloo%20important%3F,of%20the%20north%20of%20England.">qu’ils réclamaient des réformes politiques et le droit de vote</a>.</p>
<p>Plus importante encore fut la victoire de l’Angleterre et de ses alliés sur Napoléon lors de la <a href="https://www.history.com/topics/british-history/battle-of-waterloo">bataille de Waterloo en juin 1815</a>.</p>
<p>Ce fut aussi une époque de création artistique et littéraire : c’est alors que Jane Austen publia six de ses romans d’amour et de mariage, dont <a href="https://www.ool.co.uk/blog/29th-january-1813-publication-pride-prejudice/#:%7E:text=Jane%20Austen%E2%80%99s%20most%20well%20known,on%20the%2029th%20January%201813"><em>Orgueil et préjugés</em> paru en 1813</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un portait posthume du Major Général Sir Isaac Brock, parJohn Wycliffe Lowes Forster, circa. 1883. Brock périt le 13 octobre 1813 lors de la bataille de Niagara Queenston Heights, bataille critique de la guerre de 1812 qui défendait les intérêts britanniques au Canada.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>Rêves de liberté, adoption du consumérisme et du <a href="https://muse.jhu.edu/article/621777/summary">culte des célébrités</a>, <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/social-science-history/article/abs/petitioners-and-rebels-petitioning-for-parliamentary-reform-in-regency-england/ADA610BC6EA4CED1132AE8F0D5EA1647">manifestations de masse en faveur de la justice sociale</a>, réponses complexes à <a href="https://www.english-heritage.org.uk/learn/story-of-england/georgians/">l’accélération des avancées scientifiques et techniques</a> : la Régence, c’est à la fois une rupture décisive d’avec le passé, et le commencement d’aspirations démocratiques, commerciales et laïques d’une société opportuniste dans laquelle, pour la première fois, nous pouvons nous reconnaître.</p>
<h2>Passe-temps meurtriers et conquêtes</h2>
<p>Une bonne partie du scénario de <em>Bridgerton</em> est consacrée aux préoccupations, pressions et privilèges de l’aristocratie durant la régence.</p>
<p>Les duels étaient monnaie courante, et quelquefois mortels. Des gens issus de diverses classes sociales se ruaient au théâtre. La société semblait <a href="https://lithub.com/tight-breeches-and-loose-gowns-going-deep-on-the-fashion-of-jane-austen/">obsédée par la mode et l’apparence</a>. <a href="https://www.smithsonianmag.com/history/crockfords-club-how-a-fishmonger-built-a-gambling-hall-and-bankrupted-the-british-aristocracy-148268691/">La manie du jeu</a> était omniprésente. Et le sport faisait partie intégrante de la vie de bien des femmes et des hommes.</p>
<p>Dans la série, le Duc de Hastings se bat fréquemment avec Bill Mondrian, boxeur noir et confident du Duc, dont le personnage s’inspire peut-être de <a href="https://www.blackpast.org/african-american-history/molyneux-thomas-1784-1818/">Thomas Molyneaux</a>, esclave américain affranchi et boxeur professionnel extraordinaire.</p>
<p>La bigoterie était fort répandue sous la Régence et a servi de combustible à la violence et à la cupidité coloniale de la soi-disant « mission civilisatrice » britannique autour de la terre.</p>
<p>C’est en 1807 que l’Angleterre a interdit la traite des esclaves, et que des abolitionnistes comme William Wilberforce et Thomas Clarkson ont travaillé sans relâche afin d’assurer le respect de la nouvelle législation. Et c’est finalement en <a href="https://www.historic-uk.com/HistoryUK/HistoryofBritain/Abolition-Of-Slavery/">1833 que l’abolition de l’esclavage est devenue loi</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=831&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=831&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=831&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1044&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1044&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1044&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Robert Wedderburn, auteur de <em>The Horrors of Slavery</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><a href="https://100greatblackbritons.com/bios/robert_wedderman.html">Robert Wedderburn</a>, né en Jamaïque et <a href="https://www.ucl.ac.uk/lbs/person/view/2146643591">fils illégitime de Rosanna, une esclave noire africaine et de James Wedderburn</a>, était l’auteur noir le plus important de l’époque.</p>
<p>En pleine période de répression envers les pauvres et les marginaux, Wedderburn a déclaré en 1817 que « la <a href="https://books.google.ca/books?id=ZlgdBQAAQBAJ&pg=PA20&dq=%22making+no+difference+for+colour+or+character%22&hl=en&sa=X&ved=2ahUKEwiFy-32n5LuAhUJh-AKHV8NCVAQ6AEwAnoECAMQAg#v=onepage&q=%22making%20no%20difference%20for%20colour%20or%20character%22&f=false0">terre appartient aux enfants des hommes, peu importe leur couleur ou leur nature</a> ».</p>
<h2>Débauche et sexe sans consentement</h2>
<p>Le sexe était souvent en évidence sous la Régence. Cette époque a vu culminer la <a href="https://books.google.ca/books/about/City_of_Laughter.html ?id=KgaoPwAACAAJ&redir_esc=y">tradition libertine du 1VIII<sup>e</sup> siècle</a> et le dernier hourra des <a href="https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/rake">débauchés – ces hommes qui entretenaient des relations sexuelles avec plusieurs femmes</a>- avant de céder la place à la sobriété et aux mœurs beaucoup plus strictes de l’ère victorienne.</p>
<p><em>Bridgerton</em> présente les conflits sexuels de manière à refléter l’énorme <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo5959533.html">emphase sur la chasteté imposée aux femmes de l’aristocratie</a>. Un fardeau devenu apparent sous la Régence grâce en grande partie aux écrits de Jane Austen et de <a href="https://www.biography.com/writer/mary-shelley">Mary Shelley</a>, entre autres.</p>
<p><a href="https://www.oprahmag.com/entertainment/tv-movies/a35090027/bridgertons-controversial-sex-scene-episode-6/">La scène la plus controversée de <em>Bridgerton</em></a> soulève une question d’actualité. Daphné et son mari, le Duc de Hastings, se livrent à une séance de sexe non consenti, mais l’agresseur, c’est Daphné.</p>
<p>Avant de l’épouser, le Duc avait prévenu Daphné de son incapacité à se reproduire. Mais elle découvre rapidement que le Duc peut, mais ne veut pas. Voulant absolument tomber enceinte, elle se venge. Dans le livre, le Duc est saoul pendant l’amour, mais pas dans la version télévisée.</p>
<p>Ni le roman ni le film n’examinent les implications de ce geste. Mais la question du consentement est mise au premier plan dans les deux cas.</p>
<p>Selon l’auteure canadienne Sharon Bala, « en <a href="https://www.macleans.ca/culture/bridgertons-real-scandal">proposant une vision plus nuancée des événements que celle qui est généralement livrée dans la culture populaire, <em>Bridgerton</em> nous impose un débat sur les zones grises où s’épanouissent tant de véritables interactions</a> ».</p>
<p>Au moment où Meghan Markle (l’épouse du Prince Harry) a dû s’enfuir en Californie à la suite d’une campagne de <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/harry-and-meghan-quit-social-media-w5qrlsck7">harcèlement à connotation raciste et sexuelle</a> (plus de 5000 gazouillis sur Twitter), et des retombées des révélations de #MeToo ainsi que des procès qui continuent de faire les manchettes, <em>Bridgerton</em> soulève des questions assez pointues sur comment nous voulons nous comporter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153144/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Robert Morrison est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.</span></em></p>« Bridgerton » aborde – mais occulte aussi – les tensions sociales, raciales et politiques de l’époque de la Régence en Angleterre, la décennie extraordinaire qui marque l’aube du monde moderne.Robert Morrison, British Academy Global Professor, Queen's University, OntarioLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.