tag:theconversation.com,2011:/us/topics/fait-religieux-31975/articlesfait religieux – The Conversation2023-12-25T20:25:39Ztag:theconversation.com,2011:article/2171642023-12-25T20:25:39Z2023-12-25T20:25:39ZYoga, chamanisme, sorcellerie… Êtes-vous ouvert aux nouvelles spiritualités ?<p><em>Fabriquer ses propres croyances pour se distinguer de celles de sa famille, ériger la phrase « prendre du temps pour soi » en nouveau mantra, remplacer la religion par du développement personnel : le monde spirituel est-il devenu un objet de consommation comme les autres ? Pour beaucoup d’individus devenus adultes au tournant de l’an 2000, les conséquences de l’individualisme et du néolibéralisme ont eu aussi un impact sur leur rapport à la spiritualité.</em></p>
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<p>Avez-vous déjà essayé le <em>puppy yoga</em> ou le <em>yoga wine</em>, déclinaisons les plus récentes et les plus branchées d’un yoga sans cesse réinventé ? À moins que vous ne soyez davantage tenté par une « retraite spirituelle laïque » ? Ou alors avez-vous ressenti en vous l’appel de votre « sorcière intérieure » ? Mais peut-être êtes-vous plutôt « appli de méditation » ?</p>
<p>La « révolution spirituelle », constatée dès les années 1990 par les sociologues <a href="https://journals.openedition.org/assr/6402">Paul Heelas et Linda Woodhead</a>, semble plus que jamais en marche et ne cesse de gagner en ampleur.</p>
<p>Dans les librairies, les rayons qui sont dédiés <a href="https://theconversation.com/quel-nouveau-monde-et-la-spiritualite-dans-tout-ca-4-4-159959">à la spiritualité</a> ne font que croître et absorbent ceux dédiés à la religion, au bien-être, au développement personnel ou même à l’ésotérisme.</p>
<p>Associée à de multiples croyances et pratiques – du chamanisme à l’écologie en passant par la sorcellerie – la <a href="https://theconversation.com/au-travail-soyez-spirituels-mais-surtout-pas-religieux-95843">notion de « spiritualité »</a> a le vent en poupe et de plus en plus de personnes se définissent grâce à elle, <a href="https://theconversation.com/les-sans-religion-la-nouvelle-religion-103577">afin de mieux se distinguer de la religion</a>. Que cherche-t-on à exprimer aujourd’hui par ce terme ? Pourquoi l’oppose-t-on à la religion ?</p>
<p>La difficulté à définir la spiritualité se dissipe en partie lorsqu’on la met en rapport avec le contexte de notre modernité tardive, période contemporaine déterminée par l’accélération technologique, notamment, en <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/alienation_et_acceleration-9782707182067">suivant le philosophe Harmut Rosa</a>. Plus souple que la religion, il convient de comprendre la <a href="https://journals.openedition.org/assr/6402">« spiritualité moderne »</a> comme une multitude de systèmes individualisés, en permanente évolution et animée par une quête de sens et d’épanouissement personnel.</p>
<p>En filigrane, dans ces nouvelles spiritualités, s’observent aussi les conséquences de l’individualisme et du <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/neoliberalisme">néolibéralisme</a>, autant dans le rapport qu’ont les individus avec que dans l’idéologie qui les anime.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-meilleure-version-de-moi-meme-une-serie-grincante-qui-questionne-le-developpement-personnel-183750">« La meilleure version de moi-même », une série grinçante qui questionne le développement personnel</a>
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<h2>Une notion dépendante de son contexte</h2>
<p>Depuis deux décennies, les définitions académiques de la spiritualité <a href="https://www.cairn.info/la-spiritualite--9782348043451.htm">ne manquent pas</a>, rappelant en cela le problème de définition que connaît la religion.</p>
<p>La notion de « spiritualité » trouve son origine dans le christianisme et prend le sens qu’on lui prête aujourd’hui <a href="https://journals.openedition.org/assr/26353">à la fin du XVIᵉ siècle</a>. Elle désigne alors un rapport individuel et intériorisé avec Dieu, dans le cadre de la religion chrétienne, mais en dehors des voies institutionnelles.</p>
<p>Avec le temps, et en fonction des contextes, la notion évolue et renvoie à des pratiques et à des croyances extérieures au christianisme. En ce sens, la découverte du bouddhisme et des philosophies orientales, tout comme l’émergence, au XIX<sup>e</sup> siècle, du spiritisme ou de l’occultisme joue un rôle déterminant. Ainsi les sociologues ont-ils pris l’habitude de distinguer les spiritualités dites historiques de ces nouvelles spiritualités <a href="https://journals.openedition.org/assr/6402">qualifiées de « modernes »</a>.</p>
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<p><em>Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Nos vies modes d'emploi » explore nos rapports intimes au monde induits par les bouleversements technologiques, féministes et écologiques survenus au tournant du XXIe siècle.</em></p>
<p><em>À lire aussi :</em></p>
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<li><a href="https://theconversation.com/les-amis-notre-nouvelle-famille-217162"><em>Les amis, notre nouvelle famille ?</em></a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/donnees-personnelles-comment-nous-avons-peu-a-peu-accepte-den-perdre-le-controle-218290"><em>Données personnelles : comment nous avons peu à peu accepté d’en perdre le contrôle</em></a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/contraception-est-on-sorti-du-tout-pilule-219364"><em>Contraception : est-on sorti du « tout pilule » ?</em></a></li>
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<p>En effet, comme l’a mis en évidence <a href="https://vdv.mmg.mpg.de/wp-content/uploads/media/files/van_der_Veer_Social-Research-1097-1120.pdf">l’anthropologue Peter van der Veer</a>, ces spiritualités modernes ne peuvent se comprendre que dans le contexte à la fois historique et culturel de la modernité euro-américaine. Affectées par la sécularisation et l’individualisme, elles sont devenues, dans notre société, un véritable phénomène « de masse », tranchant avec la nature plutôt élitiste des spiritualités historiques. L’ampleur du phénomène a même poussé certains chercheurs, <a href="https://www.routledge.com/Selling-Spirituality-The-Silent-Takeover-of-Religion/Carrette-King/p/book/9780415302098">à l’instar de Jeremy Carette et Richard King</a>, à proposer de voir dans la spiritualité moderne la nouvelle forme qu’aurait prise la religion pour s’adapter à la modernité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/controverses-pourquoi-la-notion-de-la-cite-perturbe-le-debat-public-216654">« Controverses » : Pourquoi la notion de laïcité perturbe le débat public ?</a>
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<h2>La religion liquide</h2>
<p>Bien qu’il ne soit pas possible d’arrêter une définition universelle de la spiritualité, les discours de ceux qui s’en réclament s’articulent autour de quelques caractéristiques récurrentes et qui fonctionnent souvent en opposition avec leur perception de « la religion » – fondée sur leur compréhension du christianisme – et de « l’Occident ». La spiritualité se construit donc notamment sur un imaginaire qui oppose l’Occident moderne, à la fois chrétien et rationaliste, au reste du monde – et en particulier à l’Orient, terre par excellence de la spiritualité.</p>
<p>Contrairement à la religion, elle est vécue comme un système souple, sans dogmes ni institutions et comprenant très peu de contraintes. Elle se caractérise par une démarche personnelle, centrée sur soi et qui vise à établir une relation directe avec ce que certains appellent « le sacré », « le divin », « la transcendance », voire carrément « l’univers » – car les termes ne manquent pas.</p>
<p>La pratique n’est pas nécessairement collective et tend, de fait, à être de plus en plus strictement personnelle. En témoigne la sorcellerie solitaire, rendue populaire dans les années 1980 <a href="https://www.librarything.com/work/11569">par Scott Cunningham</a>. Dès lors, un sondage comme celui réalisé récemment par l’IFOP qui met en avant que 18 % des Français croiraient aux <a href="https://www.ifop.com/publication/etude-sur-les-croyances-irrationnelles-et-les-superstitions-aux-etats-unis-et-en-france">sorcières</a>, est difficile à interpréter. Les notions de « sorcières » et de « sorcellerie » ne renvoient à rien d’évident et peuvent exprimer, de fait, des croyances et des pratiques très hétérogènes.</p>
<p>La pratique n’est pas non plus obligatoirement attachée à des moments ni à des lieux spécifiques et peut s’exprimer aussi bien au cours d’une promenade en pleine nature que pendant qu’on fait la vaisselle, selon une technique de méditation devenue célèbre grâce au moine bouddhiste <a href="https://plumvillage.org/fr/articles-fr/the-zen-of-dishwashing">Thích Nhất Hạnh</a>.</p>
<p>Les spiritualités modernes représentent ainsi une forme de « religion liquide », à l’image de la « société liquide » dans laquelle nous évoluons aujourd’hui, décrite par le philosophe <a href="https://journals.openedition.org/osp/4389">Zygmunt Bauman</a>.</p>
<h2>Des spiritualités à la carte</h2>
<p>De nos jours, la spiritualité est devenue une sorte de catégorie dans laquelle se retrouve un grand nombre de croyances et de pratiques très différentes certes, mais qui ont en commun une même démarche intime et individuelle qui vise à établir un rapport direct avec autre chose que la réalité sensible et immédiate.</p>
<p>De fait, on ne saurait trouver un sens à imaginer la spiritualité comme étant un ensemble homogène et stable de croyances et de pratiques, car elle est bien davantage un ensemble de ressources à partir desquelles sont élaborés des systèmes individualisés et subjectifs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C46%2C6210%2C4087&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le puppy yoga, l’un des derniers courants à la mode de la pratique, interroge les nouveaux rapports au bien-être et à la spiritualité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/crop-unrecognizable-woman-training-small-purebred-dog-on-yoga-mat-4498185/">karolina grabowska/pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Chacun évolue dans cet espace en fonction de ce qui, pour lui, « fait sens » et devient un « chercheur de vérité », <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/003776801048001008?icid=int.sj-abstract.similar-articles.2"><em>un spiritual seeker</em></a>, de sorte que les systèmes religieux sont décomposés et réagencés par les individus qui composent des <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1996_num_94_1_1029_t1_0136_0000_4">« religions à la carte »</a>, en pratiquant une sorte de <a href="https://journals.openedition.org/assr/20727">« bricolage syncrétique »</a>. Ainsi a-t-on pu voir apparaître une hypnose chamanique, des « méditations quantiques » ou des individus qui en fonction des moments s’adonnent à des pratiques appartenant à différentes traditions religieuses.</p>
<p>Dans son enquête publiée en 2015, Jean-François Barbier-Bouvet dresse un portrait type des « nouveaux aventuriers de la spiritualité », articulé autour d’un profil principalement urbain, féminin et doté d’un fort <a href="https://journals.openedition.org/rsr/3302">capital social et culturel</a>. Mais le véritable point commun entre tous ces individus réside dans leurs attentes vis-à-vis de la spiritualité.</p>
<h2>Des croyances utiles</h2>
<p>Si la question du sens de l’existence apparaît comme le cœur même de la quête spirituelle, celle-ci, en fonction des individus, passe par bien des chemins. Malgré l’apparente diversité des voies spirituelles modernes, ces dernières convergeraient toutes à leur manière vers une même et unique vérité qui constituerait le fonds commun à toutes les religions du monde.</p>
<p>Cependant, lorsqu’on prête attention aux discours des « spiritual seekers », la spiritualité est souvent l’expression d’un désir d’accomplissement de soi et de dépassement d’une condition humaine associée à la souffrance et à la mort. La spiritualité se propose ainsi d’aider à l’amélioration de soi et à l’apaisement des souffrances, ce qui explique sa proximité avec les milieux du bien-être et du développement personnel. Plus ou moins implicitement, le véritable objet de la spiritualité moderne est bel et bien la recherche du bonheur dans ce monde-ci et de son vivant.</p>
<p>L’intérêt pour la spiritualité manifeste donc une dimension fortement utilitaire. La croyance dogmatique, rejetée par la démarche spirituelle, est remplacée par une croyance profitable, dans le sens où elle est susceptible d’améliorer son quotidien. La spiritualité est, en quelque sorte, une forme de religion qui « fait du bien ».</p>
<p>Entre sa souplesse et son utilité, la spiritualité moderne peut être envisagée comme étant un « style de vie », une manière de vivre au quotidien, qui réordonne le monde selon une logique adaptée à chacun. Ainsi réinvesti d’un sens à la mesure de soi, le monde redevient un espace dans lequel les individus peuvent se projeter et vivre sereinement.</p>
<h2>Se reconnecter… au néolibéralisme</h2>
<p>En vantant notamment les mérites de l’adaptabilité, du dépassement de soi et de la résilience, cette « reconnexion » au monde se révèle être en adéquation avec <a href="https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2001-1-page-257.htm">l’esprit néolibéral</a>. Plus encore : comme le suggère l’anthropologue <a href="https://journals.openedition.org/assr/26524">Lionel Obadia</a>, la spiritualité est devenue un bien de consommation comme un autre et le « chercheur de spiritualité » a tout du « consommateur de spiritualité ».</p>
<p>De fait, comme l’a mis en évidence <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/003776899046002005?journalCode=scpa">Hildegard van Hove</a>, il existe un véritable « marché spirituel », à l’intérieur duquel les individus consomment croyances et pratiques en fonction de leurs besoins et des circonstances, sans tenir compte des systèmes auxquels elles appartiennent. Dans cette perspective, les spiritualités modernes peuvent être envisagées comme le résultat d’un processus de transformation de la religion, de telle sorte à s’adapter aux nouvelles exigences d’un marché dominé par une nouvelle pratique de consommation, celle du bricolage religieux.</p>
<p>Malgré des discours parfois contestataires, les spiritualités modernes s’avèrent bien souvent être des rouages essentiels du néolibéralisme, ce qui explique l’importance que prend dans le monde du travail la <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19167/spiritualite-et-management-entre-imposture-et-promesse">question de la spiritualité</a>, pendant que le <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/le_yoga_nouvel_esprit_du_capitalisme">Yoga</a> et la Mindfulness <a href="https://theconversation.com/la-meditation-le-nouvel-esprit-du-capitalisme-110918">deviennent les nouveaux remèdes miracles</a> susceptibles de résoudre tous les maux de notre société.</p>
<h2>Un ensemble de ressources dans un monde profondément instable</h2>
<p>Bien qu’envisagées comme une alternative au néant existentiel de la société contemporaine, les nouvelles spiritualités se révèlent être bien davantage des produits de la modernité, comme en atteste leur symbiose avec le néolibéralisme.</p>
<p>Elles constituent un ensemble de ressources que chaque individu agence à son gré et au fil de ses expériences, afin de donner du sens à son quotidien et trouver sa place dans un monde devenu profondément instable.</p>
<p>La séparation entre la spiritualité et la religion permet aussi de reformuler un même objet dans des termes mieux en phase avec les aspirations de nos sociétés sécularisées, comme peut en attester le dernier ouvrage de Frédéric Lenoir, <a href="https://www.albin-michel.fr/lodyssee-du-sacre-9782226438201"><em>L’Odyssée du sacré</em></a>, dans lequel le terme de « spiritualité » permet d’extraire de la religion ce qu’elle peut avoir de noble pour nous aujourd’hui, pour mieux faire oublier le reste.</p>
<p>Cependant, la sensibilité de la question de la spiritualité rappelle de nos jours qu’elle touche directement à notre intimité, à nos émotions, et à notre manière de voir le monde, et que, bien souvent, est bien poreuse la frontière entre quête spirituelle et démarche scientifique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217164/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Karbovnik ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les nouvelles spiritualités et leur attraction, entrent en résonance avec le fonctionnement de notre société et le néolibéralisme.Damien Karbovnik, Sociologue des religions, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2126462023-09-13T19:52:02Z2023-09-13T19:52:02ZSignes religieux à l’école : une longue histoire déjà<p>En cette rentrée scolaire 2023 comme à la rentrée de l’année précédente, la question est à nouveau posée des atteintes à la laïcité que constituerait le port d’abayas pour les filles (robes amples traditionnelles couvrant l’ensemble du corps), et de leur équivalent masculin, les qamis – atteintes dont le chiffre est croissant : de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/31/gabriel-attal-precise-l-interdiction-de-l-abaya-a-l-ecole-dans-une-note-de-service_6187305_3224.html">2167 à 4710 signalements en un an</a>.</p>
<p>Certes, il convient de relativiser la signification d’une telle augmentation : d’une part, en regard des 12 000 000 d’élèves inscrits dans les établissements scolaires en France, la proportion des cas reste très faible ; d’autre part, ils ne sont pas nécessairement univoques et <a href="https://theconversation.com/hausse-des-atteintes-a-la-la-cite-des-chiffres-qui-interrogent-194569">leur interprétation est malaisée</a>.</p>
<p>Il demeure toutefois que la visibilité de l’appartenance religieuse des élèves dans un espace dont la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/la-cite-22058">laïcité</a> est un principe d’organisation majeur pose à l’institution un problème qu’elle a d’autant plus de mal à résoudre que les solutions avancées peinent à faire consensus. Arrêtons-nous sur l’histoire déjà longue – 35 ans – de ce problème et des dissensus à la fois politiques et moraux qu’il a générés.</p>
<h2>1989-2004 : les signes religieux à l’école compatibles avec la laïcité ?</h2>
<p>Le problème de la libre expression religieuse des élèves n’a commencé à être publiquement posé qu’à la rentrée scolaire de 1989, lorsque trois jeunes filles musulmanes <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000448/l-affaire-du-foulard-islamique-en-1989.html">ont refusé d’enlever le foulard</a> que leur façon de vivre leur foi leur prescrivait de porter. Depuis lors, et jusqu’en 2004, des « affaires du voile », largement médiatisées, ont périodiquement éclaté, opposant à chaque fois partisans d’une interdiction des signes religieux et tenants d’un dialogue ouvert, voire d’une reconnaissance du droit d’expression religieuse des élèves.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">« Controverses »</a> est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches</em>.</p>
<p><em>La série « » laïcité » » s’attache à décrypter les possibles incompréhensions, les polémiques mais aussi usages de ce terme et de ce qu’il recouvre au sein du débat public.</em></p>
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<p>Il faut remarquer que chacun des deux camps s’exprimait (et s’exprime encore aujourd’hui) au nom de la laïcité. Décrire cette opposition en parlant de défenseurs de la laïcité se dressant contre ceux qui voudraient la remettre en question ou l’affaiblir est tendancieux : c’est adopter le point de vue d’une seule des parties, celle qui était favorable à l’interdiction. Or ceux qui n’y étaient pas favorables ne remettaient nullement en cause le principe de laïcité : ils l’interprétaient simplement autrement en refusant à la puissance publique le droit d’intervenir dans un choix convictionnel privé et en soulignant la <a href="https://www.cairn.info/le-foulard-et-la-republique--9782707124289.htm">diversité des interprétations dont le « foulard islamique » pouvait être l’objet</a> chez celles-là même qui revendiquaient de le porter. De sorte que la controverse qui s’amorce à partir de 1989 n’oppose plus, comme au temps de Jules Ferry, partisans et adversaires de la laïcité, mais partisans… et partisans.</p>
<p>La laïcité devient conjointement l’objet d’un consensus inédit et d’un dissensus inédit : si la proclamation de l’attachement au principe de laïcité est désormais quasi unanime, les désaccords sont grands et vifs sur la façon dont il est compris. Ce qu’ont révélé les « affaires du voile » à l’école, en somme, c’est que la laïcité est devenue l’objet d’un conflit des interprétations.</p>
<p>Les lignes de force de ce conflit – qui sont encore celles qui, aujourd’hui, structurent le débat sur la laïcité – peuvent être schématisées de la façon suivante. D’un côté, une laïcité qui s’affiche « républicaine » (et qui est usuellement désignée comme telle), exemplairement représentée par des philosophes comme <a href="https://www.cairn.info/revue-humanisme-2014-1-page-110.htm">Catherine Kintzler</a> et <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070303823-qu-est-ce-que-la-laicite-henri-pena-ruiz/">Henri Pena-Ruiz</a>, ou encore, plus récemment, par le mouvement Le Printemps républicain, fondé en 2016 par Laurent Bouvet et Gilles Clavreul. L’interdiction des signes religieux à l’école est alors justifiée au nom d’un universalisme laïque et émancipateur inquiet de la progression des revendications communautaristes, exigeant la fermeture de l’école aux « tumultes du monde » et la mise entre parenthèses, en son sein, des particularismes familiaux.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_u4pRhMMheU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Il y a 30 ans éclatait l’affaire du foulard à Creil.</span></figcaption>
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<p>L’approche opposée <a href="https://www.esf-scienceshumaines.fr/education-societe/438-quelle-laicite-voulons-nous-.html">peut être qualifiée de « libérale »</a>. Non moins, à vrai dire, « républicaine » que la première, mais autrement qu’elle, elle insiste sur les libertés que garantit la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État et tend à voir dans le républicanisme des défenseurs de l’interdiction des signes religieux à l’école non pas une actualisation des principes de cette loi mais au contraire un détournement de son esprit, voire, avec le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_laicite_falsifiee-9782707182173">sociologue Jean Baubérot</a>, une falsification. Outre J. Baubérot, des sociologues et historiens comme Philippe Portier, Valentine Zuber ou Patrick Weil et des philosophes comme Philippe Foray ou Jean-Fabien Spitz partagent cette orientation libérale.</p>
<p>Or en 1989, et jusqu’en 2004, c’est cette interprétation libérale qui prévaudra officiellement. En effet, le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2003/12/10/l-avis-du-conseil-d-etat-de-1989-seule-reference-en-matiere-de-droit_345423_1819218.html">Conseil d’État</a>, sollicité par le ministre de l’époque, Lionel Jospin, pour un avis sur la question, a déclaré que le voile à l’école « n’est pas en lui-même incompatible avec le principe de laïcité », dès lors qu’il ne s’accompagne pas de manquements des élèves à l’ordre régulier de l’école (refus d’enseignement, prosélytisme, etc.).</p>
<p>Cet avis fera jurisprudence lors des multiples affaires du voile qui éclatent dans les années 1990 et qui ont entraîné l’exclusion des élèves incriminés : les tribunaux administratifs n’ont validé cette exclusion que lorsque de tels manquements étaient avérés (à charge à l’établissement scolaire d’en fournir la preuve) et ont obligé à la réintégration des élèves dans tous les autres cas.</p>
<h2>Le tournant de 2004</h2>
<p>Cela n’empêchait cependant pas la querelle, amplifiée par les médias, de continuer à envenimer le débat public. Cela ne favorisait pas non plus la sérénité dans les collèges et les lycées, en conduisant les chefs d’établissement à prendre au cas par cas des décisions qui pouvaient diviser profondément les salles des professeurs et demeuraient de toute façon éventuellement soumises au jugement ultérieur des tribunaux administratifs. La jurisprudence née de l’avis du Conseil d’État était ainsi mal vécue par le monde enseignant et mal comprise par l’opinion.</p>
<p>En juillet 2003, le président de la République Jacques Chirac met en place une <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/26626-commission-de-reflexion-sur-application-du-principe-de-laicite">commission de réflexion</a> sur l’application du principe de laïcité, présidée par Bernard Stasi, alors médiateur de la République. La commission se prononcera en faveur de l’interdiction de l’affichage ostensible de signes religieux par les élèves. De la trentaine de recommandations faites par les commissaires, c’est la seule que le gouvernement a retenu, et le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006524456">15 mars 2004</a> est votée la loi qui, « en application du principe de laïcité », interdit « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Remise du rapport Stasi, en 2003 (extrait du Journal télévisé de France 2, INA).</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000252465">La circulaire du 18 mai 2004</a> précisera, à titre d’exemples, que des signes tels « le voile islamique […], la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive » tombent sous le coup de cette interdiction.</p>
<h2>Une querelle interminable ?</h2>
<p>Cette loi rend évidemment caduque la jurisprudence « libérale » antérieure. A-t-elle pour autant réglé les problèmes auxquels elle entendait apporter une solution ? On peut le discuter. Les dispositions de la loi de 2004 ont continué à être critiquées par les tenants d’une approche plus « libérale » du problème, notamment, mais pas seulement, par Jean Baubérot, qui fut le seul membre de la commission Stasi à n’avoir pas voté l’interdiction des signes ostensibles.</p>
<p>Philippe Portier n’hésite pas quant à lui à parler de <a href="https://7084e331-f642-4e01-99d5-7f9a8c018c76.filesusr.com/ugd/8cdd55_53d8710f56984e09b4f74ae73eca2267.pdf">« tournant sécuritaire de la laïcité »</a>, tournant accentué par les attentats de janvier et de novembre 2015 et par la montée de l’islamisme radical. On peut également soutenir que la loi a été, en regard de certaines de ses intentions affichées (<a href="https://aoc.media/analyse/2023/04/16/la-laicite-devoyee/">faire reculer la poussée communautariste d’une certaine partie de la population</a>), contre-productive et qu’elle présente pour les élèves l’inconvénient de leur donner l’image d’une laïcité fondée sur des interdits plutôt que sur des libertés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-cite-comment-les-enfants-la-percoivent-ils-151860">Laïcité : comment les enfants la perçoivent-ils ?</a>
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<p>Abayas et qamis sont ainsi les derniers épisodes en date d’une crise que la loi de 2004 avait voulu faire cesser… et qui dure encore. <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/28/laicite-gabriel-attal-veut-interdire-le-port-des-abayas-a-l-ecole_6186769_3224.html">Leur interdiction par le nouveau ministre Gabriel Attal</a> est indubitablement fondée en droit, ce que vient de confirmer le <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/laicite-le-conseil-d-etat-rejette-le-refere-contre-l-interdiction-du-port-de-l-abaya-a-l-ecole">Conseil d’État</a>. Elle n’est qu’un cas particulier de l’interdiction générale formulée par la loi de 2004, qui concerne en principe toute manifestation ostensible d’appartenance religieuse, le voile, la kippa ou la grande croix n’étant mentionnés qu’à titre d’exemples. Arguer que cette nouvelle mode a une <a href="https://www.bfmtv.com/societe/education/l-abaya-n-est-pas-une-tenue-religieuse-c-est-une-forme-de-mode-le-vice-president-du-cfcm-repond-a-attal_AV-202308280019.html">signification culturelle et non cultuelle</a> est difficilement soutenable, tant le « culturel » auquel il est fait ici référence est structuré, ou au moins surdéterminé, par la religion dominante des pays où cette « culture » est née.</p>
<p>N’est-il pas illusoire de penser qu’une telle interdiction règlera une fois pour toutes un problème que les interdictions précédentes n’ont pas empêché de se poser à nouveau ? Hier, le voile, aujourd’hui l’abaya, et demain ? Il serait peut-être temps de substituer à ces poussées d’inquiétude, trop facilement exposées à l’instrumentalisation politique, un débat sérieux, serein et argumenté. Un débat au cours duquel les différentes approches de la laïcité pourraient expliciter sans anathèmes leurs désaccords, et qui pourrait enfin fournir aux citoyens les éclairages nécessaires pour mieux s’orienter dans la complexité juridique, historique, sociologique et philosophique de ces questions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212646/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Kahn est l'auteur de "Quelle laïcité voulons-nous ? Essai sur la laïcité et ses possibles" publié chez ESF Sciences Humaines, et qui partage une approche libérale de la notion de laïcité.</span></em></p>De l’affaire du foulard à Creil en 1989 à l’interdiction des abayas à l’école annoncée par le ministre de l’Éducation, retour sur les débats concernant les signes religieux dans l’espace scolaire.Pierre Kahn, Professeur des universités émérite, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031762023-04-20T15:58:12Z2023-04-20T15:58:12ZRamadan dans le football : une gestion singulière du fait religieux au travail ?<p>Le ramadan qui s’achève ce 21 avril aura eu son lot de polémiques dans le monde du <a href="https://theconversation.com/topics/football-20898">football</a> professionnel. Fallait-il par exemple accorder des pauses pour permettre aux joueurs pratiquants de s’hydrater ? </p>
<p>Dans un rappel à la règle aux arbitres, la Fédération française de football (FFF) a précisé que l’arrêt des matchs pour ce motif – qui n’a pas été explicitement demandé par les joueurs – n’était pas acceptable, en vertu de la neutralité du football et de la volonté de maintenir sport et religion à distance. </p>
<p>Ce courriel a par exemple suscité l’étonnement du défenseur international <a href="https://www.footmercato.net/a9011806871116954734-la-prise-de-position-forte-de-lucas-digne-sur-le-ramadan">Lucas Digne</a> qui indiquait dans une story Instagram :</p>
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<p>« 2023 on peut arrêter un match 20 minutes pour des décisions mais pas 1 minute pour boire de l’eau »</p>
</blockquote>
<p>En Angleterre, où il évolue, un choix différent à été posé. Que les règles soient souples ou plus strictes, les joueurs choisissent parfois délibérément de botter le ballon en touche pour permettre aux musulmans pratiquants, souvent peu nombreux, de rompre leur jeûne sur le bord du terrain sans interrompre le jeu. </p>
<p>Le gardien de la Tunisie a, lui, <a href="https://www.lefigaro.fr/le-scan-sport/2018/06/04/27001-20180604ARTFIG00193-le-gardien-de-la-tunisie-simule-un-malaise-en-plein-match-pour-rompre-le-jeune-du-ramadan.php">simulé un malaise en plein match pour cela</a>.</p>
<p>Plus encore, récemment, l’entraîneur du FC Nantes a <a href="https://www.20minutes.fr/sport/4030786-20230402-fc-nantes-antoine-kombouare-convoque-joueur-car-refuse-rompre-ramadan-jours-match">écarté un joueur qui observait le ramadan un jour de match</a>, estimant avoir posé cette règle pour protéger à la fois sa santé et ses performances, et donc celles de l’équipe. En face, certains mettent en avant les performances exceptionnelles de <a href="https://www.onzemondial.com/liga/real-madrid-benzema-booste-par-le-ramadan-la-theorie-se-confirme-827544">joueurs comme Karim Benzema</a> qui affirment pratiquer le jeûne. Ils seraient des exemples de l’absence d’effets négatifs sur le niveau de jeu, voire d’effets positifs.</p>
<p>Les accusations de <a href="https://www.leparisien.fr/sports/football/psg/christophe-galtier-accuse-de-propos-racistes-par-lex-directeur-du-football-de-nice-julien-fournier-12-04-2023-5QQNF7XUW5HCFHQ34MD3VV3ZNA.php">racisme</a> lancées contre Christophe Galtier, l’entraîneur du Paris Saint-Germain, l’an passé à Nice, par l’ancien directeur sportif azuréen Julien Fournier, s’y sont mêlées également. Ce cas montre à quel point la question de la gestion du fait religieux au travail est liée à celle de la liberté de culte mais surtout à la lutte contre les discriminations, ce qui rend le sujet très sensible.</p>
<p>Pour autant, du point de vue des chercheurs sur la gestion de l’expression religieuse au travail, ces différents cas relayés dans la presse demeurent en fait assez classiques.</p>
<h2>Le fait religieux au travail : une régulation généralement apaisée</h2>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/topics/fait-religieux-31975">fait religieux</a> au travail renvoie aux manifestations de la foi des personnes dans leur contexte professionnel. Il peut s’agir de prières sur le lieu de travail, de port d’un signe religieux ou encore de demandes d’aménagement horaires ou d’absence pour pratiquer. Certains éléments sont plus diffus car il n’est pas explicitement fait référence à leur caractère religieux, mais ils peuvent tout de même être identifiés comme tels par d’autres acteurs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Factuellement, le fait religieux au travail est en général <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-un-phenomene-devenu-objet-de-management-105896">peu conflictuel</a>, et se règle le plus souvent <a href="https://theconversation.com/non-le-droit-ne-peut-tout-regler-en-matiere-de-religion-en-entreprise-75160">avec l’intervention d’un management de proximité</a>. Celui-ci peut s’appuyer sur une posture <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/ER-02-2021-0053/full/html">plus ou moins définie et mise en œuvre dans l’organisation</a>. La gestion s’effectue souvent à l’<a href="https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/fait-religieux-entreprise-franc%CC%A7ais-note.pdf">échelle individuelle</a> et ne vise pas à transgresser les règles en place dans les organisations. Seule une minorité de faits le font et reçoivent une réponse rapide et ferme de la hiérarchie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-la-cite-vertu-ou-principe-192262">La laïcité : vertu ou principe ?</a>
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<p>Certaines entreprises posent ainsi le choix d’encadrer plus ou moins explicitement l’expression religieuse dans le contexte du travail sur la base de critères définis par le <a href="https://www.village-justice.com/articles/religion-travail,38009.html">législateur et la jurisprudence</a> (sécurité, hygiène, intérêt commercial, etc.). Elles peuvent, pour cela, utiliser le règlement intérieur ou des guides. Toutefois, en vertu du principe de laïcité, ce qui prévaut en dehors des missions de service public est bien la liberté de conscience, toujours accompagnée de la liberté de culte.</p>
<h2>Du religieux dans le foot professionnel : rien de neuf !</h2>
<p>Les manifestations de la foi des joueurs de football dans le contexte de leur travail <a href="https://www.lemonde.fr/mondial-2006/article/2006/06/15/foot-et-religion-le-meilleur-et-le-pire_783998_669420.html">ne sont pas des sujets neufs</a>. Depuis de nombreuses années, y compris dans le Championnat de France, les équipes sont multiculturelles, pluriconfessionnelles, et tout simplement très diverses. Les questions d’identité ne sauraient rester à la porte de l’entreprise, même lorsqu’elle prend la forme d’un terrain d’herbe verte et que des milliers de personnes paient pour regarder ses salariés travailler.</p>
<p>Cela est d’autant plus vrai que les joueurs ont toutes les caractéristiques de ce que l’on appelle des « hauts performants », ou encore des « talents ». Cela leur donne un pouvoir de négociation assez fort et réduit les asymétries individu-organisation. De nombreux joueurs célèbrent ainsi leurs buts en faisant référence à leurs croyances, ou en louant directement le dieu qu’ils prient, par exemple en levant leurs index vers le ciel.</p>
<p>Certains joueurs ont aussi <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/comment-mohamed-salah-est-en-train-de-changer-limage-de-lislam-dans-les-stades-145091-24-05-2018/">pour habitude de se prosterner après un but</a>, individuellement ou collectivement, en signe d’adoration, comme l’attaquant star de Liverpool Mohamed Salah. Il existe même des médias sportifs qui créent des <a href="https://www.sofoot.com/articles/lequipe-type-de-ceux-qui-sen-remettent-au-christ-foot-religion-journee-internationale-la-bible">équipes types par religion</a>. Il s’agit bien ici de fait religieux au travail.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1304497702013722626"}"></div></p>
<p>Plus encore, certains footballeurs ont toujours indiqué que leur foi était une ressource pour la motivation et l’engagement. Le joueur français Olivier Giroud évoque fréquemment <a href="https://www.la-croix.com/Sport/Olivier-Giroud-Je-suis-arme-bouclier-foi-2019-10-12-1201053809">sa foi chrétienne évangélique comme un levier d’apaisement et de patience</a> lorsque les résultats sportifs ne sont pas au rendez-vous. Il en a même fait un livre. On a enfin pu entendre parler de <a href="https://theconversation.com/jeunes-sportifs-dopes-au-neoliberalisme-et-a-la-religion-cherchent-avenir-meilleur-109462">« dopage par la religion »</a> dans le milieu du football.</p>
<h2>Un phénomène pourtant complexe</h2>
<p>Les polémiques qui ont traversé le monde du football ces derniers temps ne sont pas sans rappeler les <a href="https://www.aefinfo.fr/depeche/539555-a-quoi-doivent-s-attendre-les-drh-en-periode-de-ramadan-cefrelco">questions que se posent les DRH</a> pour les métiers où la fatigue physique et psychologique expose potentiellement les travailleurs dans l’exercice de leurs fonctions. Dans certains clubs, y compris en France, la gestion du ramadan se fait en lien avec le joueur, en adaptant le <a href="https://www.eurosport.fr/football/ligue-1/2022-2023/comment-la-ligue-1-s-adapte-au-ramadan-le-principal-defi-c-est-la-deshydratation_sto9550823/story.shtml">régime et les entraînements</a>.</p>
<p>Différents cas d’études rappellent quelques <a href="https://www.afmd.fr/manager-lexpression-religieuse-au-travail">éléments bien connus en gestion</a> du fait religieux au travail. D’abord, qu’il est important de définir une règle, de la communiquer et de garantir son application, puis de l’assumer. Sans juger le contenu de la règle, la FFF a, à ce titre, fait un choix et est en mesure de le justifier, que l’on soit ou non en accord avec celui-ci.</p>
<p>Ensuite, la gestion des comportements religieux au travail pose la question de l’articulation entre les règles communes et les règles individuelles. Arrêter le jeu pour tous, par exemple, change les règles du jeu communes au profit d’une règle religieuse individuelle. Être tolérant sur le temps de remise en jeu après une sortie de balle pour que les joueurs qui le veulent puissent rompre leur jeûne et s’hydrater maintient la règle commune mais montre la volonté collective de comprendre les particularismes, de leur donner une place mais pas la priorité.</p>
<p>Exclure du groupe un salarié qui jeûne, même en l’affichant publiquement, peut paraître dissonant par rapport à d’autres équipes et contextes qui adaptent les pratiques des staffs techniques ou les plans alimentaires aux contraintes du joueur. Des exemptions de participation aux doubles entraînements ont pu être décrétées aussi. D’un côté, l’identité individuelle permet de s’affranchir d’une règle collective, de l’autre les conditions de travail s’y adaptent. Deux accommodements qui ne sont pas de même nature.</p>
<p>Dans le football, comme ailleurs, la gestion du fait religieux au travail et sa gestion, soulèvent des problématiques de maintien de l’équité entre toutes les personnes, qu’elles soient ou non croyantes ou pratiquantes, de gestion des irréversibilités que peuvent générer les accommodements plus ou moins raisonnables et plus globalement, de respect des croyances individuelles et de leur accompagnement tant que celles-ci ne contreviennent pas aux règles de fonctionnement collectif et à la finalité de l’organisation considérée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203176/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre du Bureau et du CA de l'AGRH.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lionel Honoré collabore avec l'Institut Montaigne dans le cadre du baromètre du fait religieux au travail. </span></em></p>Du point de vue des sciences de gestion, les polémiques qui concernent le monde du football sur l’adaptation des entraînements et des matchs au ramadan relèvent de problématiques assez classiques.Hugo Gaillard, Maître de conférences en Sciences de gestion, Le Mans UniversitéLionel Honoré, Professeur des Universités, IAE de Brest, Université de Bretagne Occidentale, LEGO, IAE BrestLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2005732023-02-26T17:10:31Z2023-02-26T17:10:31ZArticuler son travail et sa foi, comment les salariés réagissent-ils aux oppositions de leur hiérarchie ?<p>Il y a 10 ans arrivait sur l’agenda de la Chambre sociale de la Cour de cassation l’<a href="https://www.doc-du-juriste.com/blog/conseils-juridiques/fiche-jurisprudence-affaire-baby-loup-28-11-2017.html">affaire Baby-Loup</a>, devenue depuis emblématique de la question du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fait-religieux-31975">fait religieux</a> au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a>. Une salariée de cette crèche associative privée pouvait-elle être licenciée pour faute grave car elle n’avait pas respecté le règlement intérieur en portant un signe religieux ostentatoire et pour son comportement ? Oui, finira par décider la Cour après plusieurs aller-retour : son employeur pouvait apporter des restrictions à la liberté de manifester ses convictions religieuses car elles se justifiaient « par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché » et n’étaient pas « générales et imprécises ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"481773663667380224"}"></div></p>
<p>Depuis le début des années 2010, les questions liées à la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/religion-20867">religion</a> au travail portées dans l’actualité ont fait l’objet d’un intérêt croissant de la part des chercheurs, des entreprises, des médias et même des politiques.</p>
<p><a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/religion-au-travail-croire-au-dialogue-barometre-du-fait-religieux-en-entreprise-2020-2021">Deux entreprises sur trois</a> se disent concernées avec des réalités bien différentes d’une organisation à l’autre : la présence de la religion au travail est parfois invisible, parfois fluide et parfois conflictuelle. Elles sont de plus en plus à se doter d’<a href="https://theconversation.com/priere-de-gerer-la-religion-dans-le-contexte-du-travail-des-petits-pas-pour-de-grandes-avancees-89221">outils et de dispositifs de gestion</a> pour promouvoir la neutralité religieuse ou, à l’inverse, faire de la pratique religieuse des salariés un vecteur d’inclusion.</p>
<p>Passée la jurisprudence Baby-Loup, la loi travail de 2016 a construit la base d’un <a href="https://www.village-justice.com/articles/religion-travail,38009.html">cadre juridique</a> que les juges sont venus préciser, arrêt après arrêt. De leur côté, les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2019-4-page-59.htm">travaux de recherche</a> ont commencé par définir et décrire avant de mesurer. Ils se sont penchés sur l’impact des faits et comportements religieux sur l’organisation du travail et les relations professionnelles ainsi que sur les problématiques managériales qui en résultent. <a href="https://hal.science/hal-02434148/document">Les universitaires</a> ont ainsi répondu aux premières demandes des gouvernants politiques et entrepreneuriaux : connaitre et comprendre ce phénomène de la religion au travail puis en cerner les enjeux et les conditions de prise en charge.</p>
<p>Jusqu’à présent, une dimension est restée peu éclairée, celle du point de vue du salarié pratiquant : comment appréhende-t-il l’articulation entre travail et foi ? Dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2022-5-page-11.htm">recherche récente</a>, nous avons étudié les réactions des croyants lorsque tout ne se passe pas comme ils l’avaient imaginé, contrariés ou bloqués par l’entreprise et son management : que se passe-t-il quand est refusée sa manière de concilier les deux ?</p>
<h2>Révélations risquées</h2>
<p>Révéler, intentionnellement ou non, ses croyances et pratiques religieuses au travail peut se faire de différentes manières. Ce peut être par un signe, un bijou ou un vêtement, à l’occasion d’une discussion avec des collègues, ou à travers une demande, par exemple, de pouvoir adapter son emploi du temps. Cela peut se produire de manière plus active, en affirmant une position au nom d’un principe religieux, comme un refus de réaliser une tâche ou de travailler avec une femme ou une personne d’une autre religion.</p>
<p>Quelle que soit la manière et quelle que soit la religion, révéler ses croyances et pratiques religieuses au travail expose à un risque de <a href="https://theconversation.com/quatre-situations-qui-illustrent-la-complexite-du-fait-religieux-au-travail-151712">stigmatisation par ses collègues et de jugement par sa hiérarchie</a>. C’est prendre le risque de modifier le regard des autres et de s’exposer à des sanctions diffuses telles que des rires, des sarcasmes ou des mises à l’écart.</p>
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<p>Dans le même sens, en affirmant sa religiosité au travail, l’individu montre également la manière dont il articule (ou souhaite articuler) ses pratiques religieuses et professionnelles. Il la soumet au jugement de son manager. Ce dernier peut alors remettre en cause la projection de son subalterne dans son travail en tant que pratiquant.</p>
<p>Tout cela reste difficile à anticiper pour le salarié. Les <a href="https://agrh2020.sciencesconf.org/data/pages/VOLIA.pdf">enquêtes de terrain</a> ont en effet montré que la gestion du fait religieux s’avère souvent hétérogène et pas toujours cohérente. Il reste bien souvent difficile de savoir ce qu’il est possible ou non de faire et il en résulte des réactions et décisions potentiellement mal comprises ou mal acceptées. Lorsqu’est remise en question la manière dont ils avaient envisagé la place de leur religiosité au travail, les salariés pratiquants que nous avons observés et interrogés adoptent trois types de réactions.</p>
<h2>Invisibilisation, confrontation et départ</h2>
<p>Un premier groupe se réfugie dans l’invisibilisation des croyances au travail. Des salariés abandonnent toute pratique ou la réduisent au minimum à des moments et dans des endroits qui la rendent discrète, dans des moments de pause ou de déplacement par exemple. Une ouvrière catholique d’une entreprise industrielle nous explique ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai eu des remarques du chef alors je fais attention. Avant je ne pratiquais déjà pas au milieu de l’atelier : je faisais une petite prière dans les vestiaires et avant de manger avec un signe de croix. Maintenant si je le fais c’est vraiment discret, quand je suis seule, à la pause, hop une petite prière dans ma tête, sans signe, et voilà. »</p>
</blockquote>
<p>Comprendre l’action managériale et de ses caractères fonctionnels, justes et équitables semble déterminant pour une acceptation par le salarié, même si elle peut toujours s’accompagner de résignation et de frustration. Une employée musulmane d’une agence commerciale explique ainsi sa réaction quand son manager, Valentin, lui a demandé de retirer son voile devant les clients :</p>
<blockquote>
<p>« Je comprends qu’il y a des clients que ça gêne, disons que je l’accepte. Je savais qu’on pouvait me le demander, même si je me sentirais mieux avec. Je l’enlève en arrivant et je le remets en partant. Je ne veux pas faire de vague : je ne veux pas créer de problème ni pour Valentin, ni pour l’équipe, ni pour moi ».</p>
</blockquote>
<p>À l’opposé, d’autres salariés refuseront l’action managériale et maintiendront leur pratique religieuse, quand bien même il faut aller à la confrontation avec la hiérarchie. Cohabite ici l’incompréhension de l’action managériale et de ses dimensions éthiques, justes et fonctionnelles avec une remise en cause de la légitimité du management et de l’entreprise à contraindre la pratique religieuse.</p>
<blockquote>
<p>« Je ne suis pas d’accord. Il n’y a aucune raison valable pour que j’enlève mon voile. La seule raison, c’est que ça ne plaît pas à ma supérieure. Elle est contre parce qu’elle est soi-disant féministe. Ça n’a rien à voir avec le travail. Elle peut essayer de me licencier si elle veut, je ne l’enlèverai pas, pas sans vraies raisons en tout cas », s’emporte une salariée musulmane d’un service fonctionnel d’une entreprise de logistique.</p>
<p>« C’est ma religion avant l’entreprise », nous a aussi confié un ouvrier chrétien évangélique dans une entreprise de BTP.</p>
</blockquote>
<p>Les personnes relevant du dernier groupe en viendront, elles, à quitter l’entreprise. Au cours des entretiens réalisés, nous en avons repéré quatre modalités, qui peuvent éventuellement être mises en œuvre conjointement : se mettre à son compte ; rechercher un nouvel emploi dans des entreprises ouvertes à la pratique religieuse, souvent repérées par les communautés de pratiquants qui les répertorient sur les réseaux sociaux ; partir à l’étranger vers des pays et des zones géographiques sensées être plus ouverts à la religion au travail comme les pays du Golfe, le Royaume-Uni, le Canada ou les États-Unis ; augmenter son employabilité de manière à compenser le handicap que représente la visibilité de la pratique religieuse.</p>
<h2>Au salarié de proposer ?</h2>
<p>Tout cela semble dépendre de trois éléments : l’attachement à la pratique religieuse, un ressenti de lassitude face à ce qui est perçu comme des pratiques et des comportements managériaux stigmatisants et discriminatoires et la volonté de trouver un contexte professionnel sans tensions liées à la pratique religieuse.</p>
<p>Lorsque les salariés pratiquants perçoivent une tension entre leur pratique religieuse et leur rôle professionnel, nous avons par ailleurs observé qu’ils mobilisent rarement les ressources de l’entreprise pour trouver des solutions. Ils ont très peu souvent recours à des discussions avec l’encadrement ou avec les services fonctionnels. Ils se tournent plutôt vers des personnes extérieures à l’entreprise ou se réfèrent, dans une logique mimétique, aux comportements des autres pratiquants dans l’entreprise ou en dehors.</p>
<p>Cette défiance vis-à-vis de l’entreprise et son management peut se comprendre dans la mesure où nous nous intéressons ici aux réactions à des actions managériales contraignantes et restrictives. Elle peut également s’analyser au regard des caractéristiques du <a href="https://theconversation.com/religion-au-travail-perspectives-europeennes-et-outre-atlantique-75416">modèle français de gestion du fait religieux</a>.</p>
<p>En France, le point de départ pour gérer le fait religieux et prendre en compte les comportements traduisant la pratique religieuse est la neutralité imposée par l’entreprise sous réserve de respect d’un certain nombre de critères et de contraintes. La pratique religieuse est tolérée en creux, en dehors de cet espace de neutralité.</p>
<p>Se juxtaposent ainsi des espaces de neutralité et de tolérance aux prescriptions comportementales en tension, et c’est au salarié qu’il revient de proposer une articulation de ces prescriptions. Le manager, lui en évaluera la pertinence, la validera ou la remettra en cause à travers une action à laquelle le pratiquant réagira à son tour d’une manière qui pourra prendre une des trois formes identifiées précédemment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200573/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lionel Honoré dirige l'Observatoire du Fait Religieux en Entreprise qui est une programme de recherche universitaire réalisé en collaboration avec l'Institut Montaigne.</span></em></p>Lorsqu’un manager refuse une demande liée à la religion, certains salariés quittent l’entreprise tandis que d’autres restent en poste tout en refusant de se plier à la décision.Lionel Honoré, Professeur des Universités, IAE de Brest, Université de Bretagne Occidentale, LEGO, IAE BrestLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1958582023-01-08T16:41:03Z2023-01-08T16:41:03ZFait religieux en entreprise : à la fin, ce sont les managers qui créent les normes<p>La gestion du fait religieux devient un sujet qui s’impose depuis quelques années dans les organisations. En 2019, un rapport de l’Institut Montaigne, réalisé en collaboration avec l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE), montrait que plus de <a href="https://theconversation.com/religion-au-travail-deux-realites-de-plus-en-plus-distinctes-lune-de-lautre-126705">70 % des personnes</a> ayant répondu à l’enquête rencontraient régulièrement (chaque jour, semaine ou mois) ou occasionnellement (chaque trimestre, plusieurs fois par an) des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fait-religieux-31975">faits religieux</a> au travail.</p>
<p>Plusieurs évolutions juridiques se sont succédé, la dernière en date étant la loi « séparatisme » devenue <a href="https://theconversation.com/separatisme-un-projet-de-loi-et-beaucoup-de-questions-pour-les-services-publics-147465">loi confortant le respect des principes de la République</a>. Fin 2020, ce texte étendait l’application de la neutralité à certaines entreprises privées. Avant elle, la loi dite El Khomri précisait les conditions de restriction l’expression religieuse par le règlement intérieur. Ces renforcements juridiques faisaient suite à plusieurs affaires emblématiques, dont le <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-apres-baby-loup-le-grand-flou-103113">dossier de la crèche Baby-Loup</a>. En 2008, une employée de structure privée associative « loi 1901 » était licenciée pour refus d’enlever le voile. Après six ans de feuilleton judiciaire, la décision était avait finalement été confirmée par la justice française avant de faire l’objet, en 2018, d’un avis défavorable du Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU).</p>
<p>Malgré ces repères juridiques, malgré les <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/ER-02-2021-0053/full/html">postures des entreprises</a>, sur le terrain, on constate cependant que les règles restent avant tout fixées en interne, par les managers, au fil de cas rencontrés. Surtout, ces normes produites constituent une « jurisprudence managériale » qui s’impose pour la suite de la vie de l’équipe à ce sujet. C’est ce qu’il ressort de notre dernier travail de recherche (à paraître dans la Revue française de gestion) mené auprès de 31 managers.</p>
<h2>Décalage de postures</h2>
<p>Les types de situations rencontrées renvoient à des conséquences variées, et parfois contre-intuitives. D’abord, la décision conforme à la posture ne semble pas systématiquement conduire à un alignement global entre posture organisationnelle et posture opérationnelle, comme le reconnaît un manager interrogé :</p>
<blockquote>
<p>« Des fois, t’es sûr de toi, c’est comme ça, tu ne sais pas l’expliquer, alors tu avances bille en tête, et les gars te tombent dessus quelques jours après. Dans mon cas, c’est ce qui s’est passé ».</p>
</blockquote>
<p>En effet, lorsque l’alignement se fait de façon spécifique, c’est-à-dire pour une catégorie de faits (la prière, les signes, etc.), cela peut conduire certains managers, galvanisés par leur réussite, à raisonner par analogie sur d’autres catégories, et à prendre une posture managériale qui n’est pas conforme à la posture organisationnelle.</p>
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<p>Cependant, certaines décisions prises sans connaître la posture organisationnelle se soldent parfois par une conformité à cette posture. La réussite entraîne alors un gain de confiance, et les critères mobilisés ne sont pas conscientisés, comme en témoigne un autre enquêté :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai décidé par logique, ma logique à moi, et puis comme ça a marché. Je ne l’ai su qu’après, c’est sûr, mais j’avais pris la bonne décision. […] J’ai raisonné un peu pareil ensuite, pas au feeling mais comme je le sentais. »</p>
</blockquote>
<p>À l’inverse, lorsqu’une décision a été prise et qu’elle n’est pas conforme à la posture, une fois passée l’épreuve du déjugement personnel qui complexifie la période de consolidation de la posture opérationnelle, les encadrants se questionnent davantage concernant les autres catégories de faits religieux au travail.</p>
<p>Ce déjugement personnel reste problématique pour bon nombre d’entre eux, car il peut venir remettre en question leur positionnement et leur légitimité au sein de l’équipe, souligne un manager :</p>
<blockquote>
<p>« Le problème c’est qu’une fois que tu as dit quelque chose, et que le lendemain tu viens dire le contraire, tu passes pour un rigolo, donc tu rames, tu expliques, tu dis que tu t’es trompé, et nous clairement, on ne peut pas se tromper tous les quatre matins ! »</p>
</blockquote>
<p>Dans une situation d’absence de posture organisationnelle, les managers sont d’autant plus contraints de décider par eux-mêmes. Ils construisent ainsi une posture managériale locale et autonome, qui acte une dérégulation du fait. Cette posture semble ensuite difficilement réversible.</p>
<p>Notons également que, dans certains cas, la décision en différée conduit à la définition de la posture organisationnelle par le top management, qui se fait soit de façon spécifique par catégories de faits, soit de façon générale. Ici, c’est l’action managériale qui pousse le top à se positionner.</p>
<h2>« On est payé pour savoir quoi faire »</h2>
<p>Enfin, une conséquence plus négative des décisions prises en différé est qu’elles peuvent exposer le manager en matière de crédibilité. Un enquêté explique ainsi être parfois contrainte à affirmer qu’elle ne sait pas quelle décision prendre, pour faire patienter ses équipes :</p>
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<p>« C’est toujours très délicat de ne pas savoir, enfin non, c’est toujours très délicat de le reconnaître. On est payé pour savoir quoi faire. »</p>
</blockquote>
<p>Il semble donc plus facile de trouver un <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/ER-05-2019-0211/full/html">« terrain commun »</a> lorsque la première décision, qui définit une posture managériale, s’est avérée conforme à la posture organisationnelle, malgré les risques que nous décrivons. Ces résultats peuvent également être mis en relief avec d’autres travaux de recherche qui montrent qu’une forte densité de fait religieux au travail complexifiait le travail du manager, confronté à un phénomène plus intense, plus fréquent et plus divers.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/781014312" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quand le manager produit la norme et devient… juge (Xerfi canal, janvier 2023)</span></figcaption>
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<p>Le caractère quasi juridictionnel de l’action et de la posture managériales pourrait être dans ce type de situations encore plus marqué, car la remise en cause de cette posture pourrait y être encore plus forte, tout comme la difficile réversibilité d’une décision.</p>
<p>En abordant donc ce concept de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a> comme <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2018-3-page-333.htm?ref=doi">système quasi juridictionnel</a>, cette étude permet de montrer comment le management construit une jurisprudence locale, au sens anglo-saxon du terme. Elle souligne de quelle manière ce « droit local » façonne les comportements futurs, et impacte le comportement des acteurs dans les situations.</p>
<p>Ainsi, ces résultats montrent bien l’effet de l’expérience du phénomène, et la nécessité d’anticiper la gestion de ce phénomène, y compris dans les organisations qui n’y sont pas encore confrontées. Se sachant producteur de jurisprudence par sa propre posture, le manager pourrait ainsi être invité à systématiquement réanalyser les situations dans le souci d’aligner les postures organisationnelle et opérationnelle. Un bon moyen de réduire <a href="https://theconversation.com/gerer-le-fait-religieux-au-travail-les-paroles-et-les-actes-174486">l’écart entre les paroles et les actes</a>, déjà identifié dans certaines entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195858/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre du Bureau et du CA de l'AGRH et de la Faculty du Business Science Institute.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Meier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré la mise en place de règles générales, les aménagements au cas par cas fixent une jurisprudence managériale qui va davantage influencer l’évolution des règles dans chaque organisation.Hugo Gaillard, Maître de conférences en Sciences de gestion, Le Mans UniversitéOlivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1944112022-12-13T18:59:58Z2022-12-13T18:59:58ZL’enseignement du fait religieux dans l’école laïque : quel bilan ?<p>Cette année marque les 20 ans du <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/25911-lenseignement-du-fait-religieux-dans-lecole-laique">« rapport Debray »</a>, remis en février 2002 au ministre socialiste de l’Éducation nationale, Jack Lang. Sa proposition clé consistait à instaurer un « enseignement des faits religieux » à l’école publique et laïque. Alors qu’était organisée ce 9 décembre l’édition 2022 de la <a href="https://eduscol.education.fr/3508/journee-de-la-laicite-l-ecole-de-la-republique">journée de la laïcité</a>, revenons sur cette initiative qui avait eu en son temps un écho important.</p>
<p>Rédigé au lendemain des attentats de 11 septembre 2001, le texte avait suscité l’intérêt de l’opinion publique alors que les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/10/apres-les-attentats-du-11-septembre-une-minute-de-silence-chahutee-dans-les-ecoles-francaises_6094203_3224.html">minutes de silence dans les classes</a>, en hommage aux victimes du terrorisme, avaient parfois suscité des contestations et qu’on observait une résurgence de conflits liés au port du foulard islamique en classe.</p>
<p>La personnalité de l’auteur, Régis Debray, <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caf90034443/regis-debray">ancien compagnon d’armes de Che Guevara</a>, écrivain prolifique, haut fonctionnaire, personnellement agnostique mais fasciné par la question du sacré, contribuait à l’intérêt suscité par ses propositions. Il ne s’agissait pas de réintroduire « Dieu à l’école » mais d’étudier, de <a href="https://www.dailymotion.com/video/x2jc6el">manière distanciée et critique</a>, les traces matérielles et immatérielles des croyances passées et actuelles.</p>
<h2>Former les enseignants</h2>
<p>Plutôt que de créer un nouvel enseignement, dans un système éducatif français où les programmes étaient déjà très lourds et morcelés, Debray préconisait une approche transversale. Il s’agirait d’aborder les faits religieux au sein des disciplines qui pouvaient s’y prêter : musique, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaire-en-cours/enseigner-les-faits-religieux-grace-a-l-histoire-de-l-art-4196290">arts plastiques</a>, langues, français, lettres, philosophie. Cela supposait de modifier et de mettre en cohérence les programmes, mais aussi de mobiliser les enseignants en les armant « intellectuellement et professionnellement face à une question toujours sensible, car touchant à l’identité la plus profonde des élèves et de leurs familles ».</p>
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<p>Debray conseillait au ministre de l’Éducation de mettre en place une formation initiale obligatoire ainsi que des modules de formation continue pour les enseignants et personnels éducatifs, de produire des ressources pédagogiques adaptées, et de créer un Institut européen des sciences des religions (IESR), rattaché à la <a href="https://www.ephe.psl.eu/ecole-international/trois-sections">section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études</a>. Cet institut ferait l’interface entre la recherche en science des religions et la formation des enseignants et des fonctionnaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-cite-comment-les-enfants-la-percoivent-ils-151860">Laïcité : comment les enfants la perçoivent-ils ?</a>
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<p>Dans un premier temps, malgré un changement de ministre de l’Éducation suite aux élections, les recommandations ont pour partie été mises en œuvre. L’IESR a été créé en juin 2002. En 2005, les faits religieux ont été définis comme faisant partie du socle commun des connaissances. Les programmes et les manuels ont par ailleurs été retravaillés pour développer une approche plus scientifique des faits religieux.</p>
<p>En revanche, la <a href="https://books.openedition.org/puam/1828#tocto1n2">formation des enseignants</a> sur ces questions n’a jamais été généralisée, malgré la mise en place de modules dans certains instituts de formation des maîtres, et le développement, par l’IESR (renommé IREL, <a href="https://irel.ephe.psl.eu/institut">Institut d’étude des religions et de la laïcité</a>, en 2021), d’une offre de cours. Petit à petit, la mobilisation autour de l’enseignement des faits religieux s’est affaiblie, alors que d’autres urgences éducatives apparaissaient l’éducation au développement durable, à l’esprit critique et aux médias, à l’égalité garçon-filles, etc. Le remaniement des programmes, jugés trop lourds par les enseignants, n’a pas permis d’y développer la place des faits religieux.</p>
<h2>Répondre aux nouvelles générations</h2>
<p>Les attentats commis au nom de l’islam ont ponctuellement réactivé, sous les quinquennats de François Hollande puis d’Emmanuel Macron, les velléités de mise en œuvre raisonnée et nationale d’une politique d’enseignement des faits religieux. Cependant, aucune mesure concrète n’a été prise, dans un contexte où la priorité a été donnée à la transmission des valeurs de la République.</p>
<p>Le ministère de l’Éducation a parfois lui-même découragé les bonnes volontés, sanctionnant par exemple en 2017 un professeur des écoles qui avait fait travailler ses élèves sur la Bible pour avoir « enfreint son devoir de neutralité et de laïcité ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/parler-de-la-cite-a-lecole-en-2021-la-piste-du-theatre-forum-169190">Parler de laïcité à l’école en 2021 : la piste du théâtre-forum</a>
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<p>Bien que le tribunal administratif <a href="https://www.francebleu.fr/infos/education/l-instituteur-de-malicornay-accuse-de-proselytisme-determine-a-se-battre-pour-reintegrer-son-poste-1597082898">ait réhabilité l’enseignant</a>, l’attitude du ministère, même si elle était principalement liée à des raideurs bureaucratiques, a pu avoir un <a href="https://irel.ephe.psl.eu/actualites/affaire-mathieu-faucher-quelles-lecons-rapport-clarifie-entre-enseignement-faits">effet inhibiteur</a>. Sur le terrain, l’enseignement des faits religieux reste <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2020/10/25/pourquoi-l-enseignement-du-fait-religieux-reste-un-sujet-hypersensible_6057288_6038514.html">perçu comme hypersensible</a>.</p>
<p>Malgré les difficultés de mise en œuvre, le rapport Debray garde son actualité en ce début des années 2020. <a href="https://www.tf1.fr/tmc/martin-weill/videos/les-reportages-de-martin-weill-des-jeunes-et-des-dieux-partie-1-95475976.html">L’intérêt des nouvelles générations pour les croyances</a>, <a href="https://www.ifop.com/publication/droit-au-blaspheme-laicite-liberte-denseignement-les-lyceens-daujourdhui-sont-ils-paty/">leur conception plus libérale de la laïcité</a>, qui dessinent, selon Frédéric Dabi, une <a href="https://arenes.fr/livre/la-fracture/">fracture générationnelle</a>, semblent appeler un réinvestissement de la question des faits religieux, dans le cadre des formations « Laïcité et valeurs de la République ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/hausse-des-atteintes-a-la-la-cite-des-chiffres-qui-interrogent-194569">Hausse des atteintes à la laïcité : des chiffres qui interrogent</a>
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<p>La réflexion sur les rapports entre croire et savoir, qui est au cœur de la démarche préconisée par cet enseignement, peut par ailleurs être utile dans un contexte marqué par la post-vérité, une configuration politique et médiatique dans laquelle la crédibilité des discours repose moins sur leur adéquation aux faits que sur leur correspondance avec les croyances et les émotions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194411/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Mercier a reçu des financements de l'Institut universitaire de France. </span></em></p>Vingt ans après le rapport Debray, qu'en est-il de l’enseignement du fait religieux dans l’école
laïque en France ?Charles Mercier, Professeur des universités en histoire contemporaine, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1872022022-09-06T21:40:19Z2022-09-06T21:40:19ZBonnes feuilles : « Religion, fait religieux et management »<p><em>« Religion, fait religieux et management », coordonné par Hugo Gaillard, Géraldine Galindo et Lionel Honoré aux éditions EMS, réunit à la fois des grands entretiens et des contributions académiques, autour de la place et des manières de considérer la religion dans la sphère professionnelle. Il s’adresse au lecteur curieux qui souhaite aiguiser sa réflexion sur un sujet en plein cœur de la société, <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-un-phenomene-devenu-objet-de-management-105896">devenu objet de management</a>.</em></p>
<p><em>L’ouvrage fait une bonne place à la contextualisation, notamment au lien historique entre entreprise et religion ou encore entre travail et religion. Il aborde également des questions opérationnelles telles que les stratégies de présentation de soi des femmes musulmanes voilées, les tensions de rôle qui vivent les managers de proximité, et comment les organisations peuvent y répondre par la formation. La comparaison internationale est également au menu, dans les hôpitaux publics du Royaume-Uni, du Québec, et de France.</em></p>
<p><em>Les bonnes feuilles que nous vous en proposons en témoignent.</em></p>
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<h2>Extrait #1. Une inculture religieuse française ? Grand entretien avec Pierre-Yves Gomez, par Lionel Honoré</h2>
<p><em>Dans ce grand entretien, Lionel Honoré interroge <a href="https://theconversation.com/profiles/pierre-yves-gomez-203521">Pierre-Yves Gomez</a>, professeur à l’EM Lyon, sur ce que dit le fait religieux de l’évolution du management, de l’entreprise et du travail. Extrait.</em></p>
<p><strong>Lionel Honoré :</strong> Selon vous, les <a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/religion-au-travail-croire-au-dialogue-barometre-du-fait-religieux-en-entreprise-2020-2021">études sur les faits religieux en entreprise</a> font écho à notre façon particulière de concevoir la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/religion-20867">religion</a> dans la société et notamment de faire place à la religion musulmane ?</p>
<p><strong>Pierre-Yves Gomez :</strong> Je veux dire plus largement que ce que l’on dit sur le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fait-religieux-31975">fait religieux</a> nous éclaire autant sur lui que sur la manière dont la société considère le fait religieux. Quand elle n’en parle pas ou elle ne l’observe pas, c’est que l’appartenance religieuse des individus n’est pas une question, soit parce qu’elle imprègne toute la société, soit parce qu’elle est admise sans problème comme une référence parmi d’autres pour motiver les comportements. </p>
<p>L’intérêt nouveau pour le fait religieux révèle par contraste les embarras ou les inquiétudes de notre société pour se définir en tant que telle, selon sa capacité à reconnaître et à intégrer l’appartenance religieuse comme un registre possible et légitime pour justifier l’agir de citoyens réunis en communautés de croyances. En France en particulier, à partir des années 2000, la crispation croissante sur le phénomène religieux, et notamment sur l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/islam-21325">islam</a>, met au jour une difficulté parallèle à définir le périmètre et le contenu de la société civile dite « républicaine » et de donner du sens à ces mots.</p>
<p><strong>Lionel Honoré :</strong> Les relations entre les religions et les organisations sont anciennes. Certains outils et doctrines actuels de gestion sont d’inspirations religieuses ou ont des origines religieuses. En quoi est-ce un phénomène nouveau au regard de l’Histoire, y compris de l’histoire des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a> ?</p>
<p><strong>Pierre-Yves Gomez :</strong> Nées en Occident, les entreprises ne sont pas issues de rien, elles ont hérité d’une culture, de représentations et d’une anthropologie enracinée en Europe et en Amérique dans le milieu chrétien. De même, les entreprises japonaises bénéficient de traditions et de valeurs du contexte shintoïste et les entreprises indiennes de l’hindouisme, etc. Donc la relation entre les entreprises et les religions n’est pas problématique par nature, car il serait absurde d’imaginer une étanchéité entre les sphères de la vie sociale que ce soient celles du travail, des rituels communs et des croyances religieuses. Plus encore, les religions ont explicitement influencé de nombreuses pratiques entrepreneuriales.</p>
<p>C’est le cas en Occident, des Églises ou des cercles de <a href="https://theconversation.com/le-role-meconnu-des-patrons-chretiens-en-france-94708">dirigeants chrétiens</a> qui sont à l’origine des allocations familiales au début du XX<sup>e</sup> siècle, de la responsabilité sociale des entreprises dans les années 1950 et, si on remonte plus loin dans le temps, du principe de subsidiarité, de la comptabilité en partie double ou de la notion de personne morale. On trouvera sans doute de même en Inde, au Moyen-Orient ou ailleurs, des œuvres directement inspirées par des acteurs et des corpus religieux. C’est pourquoi la crispation contemporaine sur le religieux de la part de certains observateurs nous parle moins du phénomène religieux en soi que des difficultés de le saisir aujourd’hui, dans notre société sans culture religieuse ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WzylEjO8jl8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Religion, fait religieux et management », interview d’Hugo Gaillard pour IQSOG/Xerfi canal (juillet 2022).</span></figcaption>
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<p><em>Dans la suite de l’entretien, sont abordés la hausse des références à des principes religieux dans le contexte du travail, le besoin de spiritualité et les différentes formes de spiritualité qui irriguent le travail ou encore le caractère conventionnel de la laïcité…</em></p>
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<h2>Extrait #2. La (non-)divulgation du voile en entretien d’embauche, par Sarra Chenigle</h2>
<p><em>Dans ce texte, <a href="https://theconversation.com/profiles/sarra-chenigle-1163671">Sarra Chenigle</a>, doctorante en science de gestion, Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (UPEC), met en avant les facteurs organisationnels et intrapersonnels qui poussent à divulguer ou non, de façon subie ou choisie, le port du foulard lors d’un entretien d’embauche. Extrait.</em></p>
<p>Le contact client est le premier facteur organisationnel poussant à une non-divulgation imposée durant l’entretien d’embauche. Bien que dans le secteur privé, la neutralité religieuse des salariés ne soit pas exigée et que tout salarié dispose du droit d’exprimer sa religion au travail, dans certains cas précis, cette liberté est limitée notamment lorsque le règlement intérieur de l’entreprise dispose d’une clause de neutralité, ici, en raison du contact client. La hijabi, consciente de cette exigence de neutralité va appliquer la réglementation.</p>
<blockquote>
<p>« Lorsque j’ai été recrutée, je savais que c’était un emploi en contact avec les clients. J’avais un poste de responsable d’équipe. Je travaillais en face de la clientèle donc c’était impossible pour moi de mettre le hijab. C’était écrit dans le règlement intérieur de l’entreprise. Je n’ai pas voulu parler du hijab à l’entretien d’embauche pour avoir le poste. » (responsable d’équipe, 22 ans)</p>
</blockquote>
<p>Le <em>dress code</em> est le deuxième facteur. Il correspond à l’ensemble des codes vestimentaires imposés par l’entreprise à certains ou tous les salariés et est inscrit dans le règlement intérieur. Les <em>hijabis</em> qui connaissent cette règle ne se présenteront pas avec le <em>hijab</em> le jour de l’entretien :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne me suis pas présentée avec mon voile en entretien et je n’en ai pas parlé car c’est dans le dress code de l’entreprise. C’était impossible de travailler avec, je le savais. L’entreprise fournissait des vêtements spécifiques, c’était aussi dans le règlement intérieur. » (vendeuse dans le secteur du luxe, 25 ans)</p>
</blockquote>
<p>Le troisième facteur organisationnel dépend du secteur d’activité. Plus précisément, il concerne le secteur public où la neutralité est obligatoire et la dissimulation (du voile) exigée. Postuler dans la fonction publique exige d’emblée une suppression de tout signe religieux visible.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/stigmatisation-les-femmes-voilees-en-entreprise-contraintes-de-reorienter-leurs-carrieres-147504">Stigmatisation : les femmes voilées en entreprise contraintes de réorienter leurs carrières</a>
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<p>Tous comme les deux précédents facteurs, la posture organisationnelle dans ce type de situation fait référence à une posture de séparation où une frontière est créée entre la vie privée et la vie professionnelle. Conscientes de cette règle, les <em>hijabis</em> l’appliquent :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai retiré mon voile lors de l’entretien d’embauche car c’était dans la fonction publique. Je me suis dit ‘si je viens avec le voile, ils ne vont pas accepter ma candidature, je sais qu’on à pas le droit de travailler avec. » (agent de cantine scolaire, 44 ans)</p>
</blockquote>
<h2>Extrait #3. La formation des managers pour réduire les tensions de rôle, par Jean-Christophe Volia</h2>
<p><em>Dans son texte, <a href="https://recherche.uco.fr/chercheur/jean-christophe-volia">Jean-Christophe Volia</a>, chercheur à l’Université catholique de l’Ouest, étudie le cas d’une grande organisation française de télécommunication dans laquelle il a conduit une recherche-intervention, et s’attarde sur le design d’une formation pour réduire les conflits de rôle des managers face au fait religieux. Extrait.</em></p>
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<p>S’agissant des conflits inter-émetteurs, c’est-à-dire lorsqu’une personne perçoit des incohérences, de l’incompatibilité entre les attentes formulées par deux ou plusieurs personnes, plusieurs points sont envisagés.</p>
<p>Le partage d’expérience : l’immersion doit faire émerger des anecdotes d’une grande complexité pour les managers. Il s’agit de susciter un partage d’expérience entre managers sur le dialogue avec l’équipe dans les situations évoquées (les arguments possibles, le dépaysement). En ce sens, insister sur la nécessité de prendre une décision collective avec le responsable des ressources humaines (RRH) de proximité paraît opportun pour constituer un émetteur de rôle perçu comme fort à l’égard des salariés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-la-main-invisible-du-manager-intermediaire-148749">Fait religieux en entreprise : « la main invisible » du manager intermédiaire</a>
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<p>L’information disruptive : qu’il s’agisse d’une clarification autour du concept de laïcité et de ses implications sur le port de signes en entreprise, d’un rappel des critères potentiels de restriction du défenseur des droits et risques judiciaires encourus en cas de discrimination, ou encore d’une réaffirmation de la posture d’entreprise en matière de recrutement […], ces éléments sont envisagés afin de fournir au manager un panorama complet des repères légaux existants, susceptibles d’aiguiller ses prises de décision. Les informations fournies vont fréquemment à l’encontre des croyances et désidératas des managers.</p>
<h2>Extrait #4. Une comparaison des personnels d’hôpitaux publics entre Québec, Royaume-Uni et France, par Caroline Cintas, Sophie Brière, YingFei Gao Héliot et Florence Pasche Guignard</h2>
<p><em>Dans ce chapitre, la comparaison internationale réalisée par une équipe de chercheurs met au jour des pratiques originales et locales, qui donnent du relief à la question de l’expression religieuse au travail. Ici, nous proposons un extrait qui évoque les pratiques d’autorégulation des collectifs dans un hôpital du Royaume-Uni.</em></p>
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<p>Les employés de l’hôpital, pour atteindre des états compatibles d’identités religieuses et professionnelles, s’arrangent entre eux. Ils préfèrent ne pas faire appel à la hiérarchie locale ni au département des ressources humaines. Au lieu de cela, ils s’autorégulent. Par exemple, en fonction des confessions, ils s’échangent les congés annuels :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense avoir vu quelques exemples d’échange de congés annuels, pendant la période de Noël. Des personnes d’origine particulière qui disent qu’elles ne peuvent pas travailler la veille ou le jour de Noël, mais qu’en échange, elles peuvent me remplacer un autre jour… J’ai pas mal d’exemples en tête où des personnes se sont rapprochées pour cette raison… » (manager, musulman)</p>
</blockquote>
<p>Afin de résoudre les problèmes de planning qui pourraient être liés aux fêtes religieuses, les soignants s’ajustent de manière informelle en s’échangeant les jours travaillés selon leur confession. Certains médecins musulmans n’hésitent pas à faire part de leurs besoins de prières en étant ouverts et proactifs :</p>
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<p>« Je suis devenu plus ouvert avec les gens. Par exemple, si je vais à une conférence, je suis beaucoup plus explicite maintenant sur le fait que je veux un espace tranquille. Parce que j’ai l’impression que je dois donner aux gens l’opportunité de planifier cela, de voir le meilleur de ces gens[…], je pense que nous devons rompre le silence et l’isolement. » (médecin, musulman)</p>
</blockquote>
<p>Les pratiques d’autorégulation des collectifs s’accompagnent aussi pour certains employés d’une anticipation des risques à révéler son identité religieuse. Cela peut se traduire par une baisse d’engagement, de motivation, mais aussi une peur d’être stigmatisé et de ne pas être perçu comme un “bon professionnel” ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-ems.fr/livres-2/collections/questions-de-societe/ouvrage/695-religion,-fait-religieux-et-management.html">Éditions EMS (septembre 2022)</a></span>
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<p><em>En réunissant une large communauté d’experts, cet ouvrage est une étape de plus vers une régulation apaisée et contextualisée de ce phénomène contemporain. Il permet à toute personne curieuse d’entrer progressivement dans le sujet, et permet aux praticiens d’acquérir les repères pratiques et théoriques fondamentaux pour gérer ce phénomène. Bonne lecture !</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187202/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre du Bureau et du CA de l'AGRH, du Pôle recherche de l'Observatoire ASAP, et de la Faculty du Business Science Institute. L'ouvrage évoqué dans cet article accueille des contributions de plusieurs enseignants-chercheurs de l'Association francophone de Gestion des Ressources Humaines (AGRH), soutien de sa publication.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Géraldine Galindo est membre de l'AGRH. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lionel Honoré est rédacteur du rapport de l'Institut Montaigne sur la religion au travail et est membre de l'AGRH.</span></em></p>Un livre collectif publié le 8 septembre aux éditions EMS dresse un état des lieux de la recherche sur la place et les manières de considérer la religion dans la sphère professionnelle.Hugo Gaillard, Maître de conférences en Sciences de gestion, Le Mans UniversitéGéraldine Galindo, Professeur, ESCP Business SchoolLionel Honoré, Professeur des Universités, IAE de Brest, Université de Bretagne Occidentale, IAE BrestLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1849142022-06-24T15:07:19Z2022-06-24T15:07:19ZFin du droit à l’avortement aux États-Unis : moins de démocratie, plus de religion<p>La Cour suprême des États-Unis vient d’annoncer officiellement ce qui était déjà soupçonné depuis quelques semaines : la <a href="https://theconversation.com/vers-la-fin-du-droit-a-lavortement-aux-etats-unis-182528">fin du droit à l’avortement au niveau fédéral</a>. Confirmant la <a href="https://www.politico.com/news/2022/05/02/supreme-court-abortion-draft-opinion-00029473">fuite de documents révélée le 3 mai par le site Politico</a>, la Cour a renversé la jurisprudence des arrêts <em>Roe v. Wade</em> (1973) et <em>Planned Parenthood v. Casey</em> (1992).</p>
<p>Les conséquences à court et à moyen terme restent encore floues. Plusieurs analystes craignent qu’une interdiction sur l’ensemble du territoire soit <a href="https://www.npr.org/2022/05/09/1097680638/national-abortion-ban-could-come-to-a-vote-if-republicans-win-congress">inévitable</a> si le Parti républicain reprend la majorité au Congrès après les élections de mi-mandat, en novembre prochain, comme <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/interactive/2022/house-control-midterms-2022/">s’y attendent les Démocrates eux-mêmes</a>.</p>
<p>Deux phénomènes à la fois distincts et liés permettent de comprendre la tendance politique à l’œuvre aux États-Unis : d’une part, la montée de l’évangélisme blanc en tant qu’identité politique ; de l’autre, une tolérance – voire une préférence – croissante pour les tactiques autoritaires au sein du Parti républicain. Une idéologie et une stratégie qui, ensemble, risquent d’ébranler la démocratie américaine.</p>
<h2>« Une nation unie sous l’autorité de Dieu » : politisation de la droite religieuse</h2>
<p>Les chrétiens évangéliques blancs représentent aujourd’hui l’un des groupes démographiques les <a href="https://www.theatlantic.com/podcasts/archive/2021/05/evangelicals-republican-voters/618845/">plus unifiés et mobilisés</a> des États-Unis, formant une force politique unique. Cette <a href="https://theconversation.com/qui-sont-les-evangeliques-et-comment-influencent-ils-les-elections-106145">droite religieuse</a>, pilier du mouvement anti-IVG, constitue donc autant un culte qu’un <a href="https://theconversation.com/the-christian-rights-efforts-to-transform-society-120878">mouvement social</a> caractérisé par une variété d’opinions. En dépit de ces ces divisions internes, l’accord commun porte sur un projet nationaliste défendant une politique <a href="https://theconversation.com/women-have-been-the-heart-of-the-christian-right-for-decades-118094">anti-féministe</a>, <a href="https://nymag.com/intelligencer/2022/04/the-christian-rights-war-on-lgbtq-people-never-ended.html">anti-LGBTQ</a> et <a href="https://time.com/6181342/school-shootings-christian-right-guns/">pro-armes</a>.</p>
<p>La politisation de l’évangélisme blanc existait bien avant l’ère Trump. Malgré les dires de Jerry Falwell, pasteur évangélique et l’un des chefs de file de la droite relgieuse, elle ne date pas non plus d’un outrage moral provoqué par l’arrêt <em>Roe v. Wade</em> de 1973 qui avait institué le cadre légal de l’accès à l’avortement.</p>
<p>C’est plutôt lors de la <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2014/05/religious-right-real-origins-107133/">déségrégation</a> et de la pénalisation financière des écoles évangéliques qui refusaient d’admettre les élèves noirs que la droite religieuse a commencé à s’organiser à la fin des années 1970. <a href="https://slate.com/news-and-politics/2022/05/the-truth-about-the-religious-right-now-celebrating-the-end-of-roe.html">Lors de l’élection présidentielle de 1980</a>, l’avortement remplace la déségrégation comme cause emblématique, mais <a href="https://www.npr.org/2020/07/01/883115867/white-supremacist-ideas-have-historical-roots-in-u-s-christianity">l’héritage</a> de l’idéologie <a href="https://time.com/5929478/christianity-white-supremacy/">suprémaciste blanche</a> a <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/07/white-christian-america-needs-moral-awakening/614641/">subsisté</a> au sein du <a href="https://www.newyorker.com/books/under-review/american-christianitys-white-supremacy-problem">mouvement évangélique</a>.</p>
<p>Les chefs de la droite religieuse continuent à se mobiliser en faveur des Républicains plutôt que créer leur propre parti, une stratégie davantage susceptible d’aboutir à des victoires électorales dans le système bipartite américain. La fusion de cet évangélisme blanc avec le Parti républicain <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2021/03/22/reagan-tied-republicans-white-christians-now-party-is-trapped/">s’est affirmée avec la réélection de Ronald Reagan en 1984</a> puis avec celle de George H. W. Bush en 1988, bien qu’ils fussent eux-mêmes assez éloignés des croyances évangéliques.</p>
<p>Entre les <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2018/12/05/how-george-hw-bush-enabled-rise-religious-right/">deux conventions nationales du Parti républicain</a>, de 1992 à 1996, le taux d’adhérents à la <a href="https://cc.org/">Christian Coalition</a> a explosé, passant de 14 % à plus de 50 %. En 2000, la <a href="https://www.nytimes.com/2000/02/21/us/the-2000-campaign-the-christian-right-evangelicals-found-a-believer-in-bush.html">conversion à l’évangélisme</a> fut un élément important de la <a href="https://www.nytimes.com/2000/10/22/us/2000-campaign-matters-faith-bush-uses-religion-personal-political-guide.html">campagne de George W. Bush</a>, et en 2016, <a href="https://www.npr.org/2020/11/08/932263516/2020-faith-vote-reflects-2016-patterns">80 % des chrétiens évangéliques blancs</a> ont voté pour Trump.</p>
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<figcaption><span class="caption">États-Unis : les évangéliques, au cœur du système Trump (France 24, 31 janvier 2020).</span></figcaption>
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<h2>Un changement idéologique permis par le système institutionnel américain</h2>
<p>Parallèlement, le Parti républicain a développé une position antisystème et des stratégies illibérales depuis vingt ans. <a href="https://www.v-dem.net/static/website/img/refs/vparty_briefing.pdf">Selon l’Institut V-Dem</a>, ce mouvement s’est déclenché petit à petit entre 2000 et 2012 ; entre 2014 et 2018, le parti a basculé à la limite de ce que l’Institut considère comme de l’autoritarisme – tandis que le score du parti démocrate est resté stable sur la même période. Les atteintes aux droits civiques et politiques lors de la première année de l’administration Trump ont également poussé Freedom House <a href="https://freedomhouse.org/country/united-states/freedom-world/2018">à diminuer le « score de la liberté » aux États-Unis en 2018</a>.</p>
<p>Depuis le début des années 2000, le Parti républicain a misé sur le redécoupage des circonscriptions électorales – <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/the-secret-files-of-the-master-of-modern-republican-gerrymandering"><em>gerrymandering</em></a> en anglais – pour diminuer le pouvoir électoral des groupes traditionnellement démocrates, notamment des minorités ethniques et des jeunes. La <a href="https://www.npr.org/2020/10/17/924527679/why-do-nonwhite-georgia-voters-have-to-wait-in-line-for-hours-too-few-polling-pl">réduction du nombre de bureaux de vote</a> dans certains quartiers et la mise en place de lois d’identification des électeurs aux États-Unis (<a href="https://www.aclu.org/fact-sheet/oppose-voter-id-legislation-fact-sheet?redirect=other/oppose-voter-id-legislation-fact-sheet"><em>voter ID laws</em></a>) ont la même finalité.</p>
<p>Cette évolution s’est poursuivie jusqu’à un accord passé entre les dirigeants du Parti républicain pour <a href="https://swampland.time.com/2012/08/23/the-party-of-no-new-details-on-the-gop-plot-to-obstruct-obama/">s’opposer catégoriquement</a> à la politique de Barack Obama juste avant son investiture en 2009 – un accord dans lequel <a href="https://abcnews.go.com/Politics/kinzinger-speaks-leaving-congress-cancer-republican-party/story?id=80875434">certains élus républicains</a> ont vu une telle rupture avec la norme qu’ils ont décidé de <a href="https://www.thisamericanlife.org/600/will-i-know-anyone-at-this-party">quitter définitivement la vie politique</a>.</p>
<p>Ces décisions provoquent la situation qu’on connaît aujourd’hui : un parti qui continue de contester les <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2021/01/07/us/elections/electoral-college-biden-objectors.html">résultats des élections</a> qu’il ne gagne pas ; qui <a href="https://www.nytimes.com/2021/05/28/us/politics/capitol-riot-commission.html">bloque l’enquête</a> sur l’attaque du Capitole du 6 janvier 2021, le plus violent assaut contre le gouvernement américain depuis la guerre de 1812, auquel ont <a href="https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/exclusive-jan-6-organizers-met-congress-white-house-1245289/">contribué certains de ses membres</a> ; qui continue de <a href="https://www.nytimes.com/2021/12/04/us/politics/gop-voting-rights-democrats.html">modifier le système électoral</a> pour assurer des résultats en <a href="https://abcnews.go.com/Politics/gop-controlled-legislatures-overhaul-election-laws-ahead-2022/story ?id=82730052">sa faveur</a> aux prochaines élections. Ce n’est donc pas étonnant que les Républicains passent outre le fait que la majorité de l’opinion publique américaine <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2022/06/13/about-six-in-ten-americans-say-abortion-should-be-legal-in-all-or-most-cases-2/">soutient le droit à l’accès à l’avortement</a>.</p>
<p><a href="https://calmann-levy.fr/livre/la-mort-des-democraties-9782702164952">Selon certains politologues</a>, tous ces éléments sont emblématiques d’une rechute démocratique (<a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2021/6/15/22522504/republicans-authoritarianism-trump-competitive"><em>democratic backsliding</em></a>) – quand une démocratie cesse (ou risque de cesser) de l’être. Au niveau international, le recul du droit des femmes n’est qu’une des expressions de ce <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/09/world/abortion-rights-us.html"><em>backsliding</em> en cours</a>.</p>
<h2>Et la séparation des pouvoirs ?</h2>
<p>Si l’influence des groupes religieux est responsable de la droitisation de la société américaine, la <a href="https://theconversation.com/politisation-de-la-cour-supreme-la-democratie-americaine-en-peril-173281">politisation de la Cour suprême</a> est un phénomène plus probant encore. Au cours des 80 dernières années, la Cour suprême a joué un rôle essentiel en matière d’attribution des droits civils, en évaluant la constitutionnalité des lois au niveau des États ou en tranchant des affaires judiciaires qui restreignent ces droits. En ce sens, <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/etats-unis-il-y-a-50-ans-la-cour-supreme-autorisait-les-mariages-interraciaux-7788988572">l’autorisation du mariage interracial</a> en 1967 avait été une décision historique. En ce qui concerne la protection des droits civils, la Cour suprême joue un rôle bien plus important que les institutions françaises dont le rôle se rapproche le plus du sien, à savoir la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/politisation-de-la-cour-supreme-la-democratie-americaine-en-peril-173281">Politisation de la Cour suprême : la démocratie américaine en péril ?</a>
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<p>Nombre des droits civils des Américains ne résultent pas d’une législation adoptée par le Congrès, mais ont été décidés par le biais d’un précédent juridique de la Cour suprême. Voilà pourquoi le gouvernement fédéral n’a pas transcrit la jurisprudence <em>Roe v. Wade</em> dans la législation fédérale : jusqu’à maintenant, <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/politics/2022/05/11/why-roe-v-wade-never-codified/9650536002/">cela n’était pas considéré nécessaire</a>. Ce manque tient à la fois à une tradition politique américaine et à une mauvaise gestion de la part des Démocrates, qu’ils doivent certainement regretter aujourd’hui.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1521571208751419400"}"></div></p>
<h2>Quelle riposte de la part du Parti démocrate ?</h2>
<p>Vu de l’extérieur, on peut se demander pourquoi le président démocrate Joe Biden – dont le parti dispose toujours d’une majorité au Congrès – n’a pas le pouvoir de mener le pays dans le sens du programme pour lequel il a été élu en 2020.</p>
<p>D’abord, les Démocrates sont nombreux à avoir <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/senate-fell-short-on-enshrining-abortion-access-as-federal-law">essayé</a>. Les réseaux sociaux et la presse regorgent de prises de parole demandant aux Américains de protéger leurs droits, expliquant à quel point la décision aurait un fort impact négatif dans l’équilibre du pays. Joe Biden a notamment <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/05/03/statement-by-president-joe-biden-4/">conseillé à son peuple de voter</a> pour des candidats pro-avortement aux législatives cet automne.</p>
<p>Deuxièmement, le gouvernement n’a pas la main sur cette décision, car les outils qui sont à sa disposition peuvent tous être contournés.</p>
<p>Citons l’obstruction parlementaire que les États-Uniens appellent <a href="https://theconversation.com/fact-check-us-lobstruction-parlementaire-lun-des-obstacles-majeurs-a-venir-pour-joe-biden-153902"><em>filibuster</em></a>, une règle du Sénat par laquelle un groupe minoritaire peut prolonger indéfiniment un débat pour bloquer le vote sur un projet de loi. Cette stratégie nécessite deux tiers des sièges pour la surmonter, la <a href="https://www.politifact.com/factchecks/2022/may/11/kelda-helen-roys/yes-democrats-do-need-more-majority-codify-roe-vs-/">majorité ne suffisant donc plus</a>. Originairement destinée à des cas exceptionnels, elle a commencé à être <a href="https://www.washingtonpost.com/blogs/ezra-klein/post/the-history-of-the-filibuster-in-one-graph/2012/05/15/gIQAVHf0RU_blog.html">régulièrement utilisée par les Républicains</a> pour bloquer toute législation lors de la présidence d’Obama. La tentative des Démocrates de codifier l’accès à l’avortement a ainsi <a href="https://apnews.com/article/abortion-biden-us-supreme-court-filibusters-congress-759beeba80ac56aa95271711a8e915da">échoué à cause d’un <em>filibuster</em> républicain</a>, tout comme leur projet de loi visant à mieux <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/01/21/filibuster-voting-rights-manchin-sinema/">protéger les droits de vote</a> en janvier dernier.</p>
<p>Par ailleurs, la Cour suprême a un pouvoir <a href="https://www.usnews.com/news/politics/articles/2016-10-31/what-can-the-president-really-do">sur les décrets du président</a>. Dans le cas où Joe Biden publierait un décret exécutif consacrant <em>Roe v. Wade</em>, la Cour suprême pourrait l’annuler. Il existe donc aujourd’hui un déséquilibre de pouvoir inédit en faveur de la Cour suprême.</p>
<p>La droite religieuse pourra donc ensuite s’attaquer aux autres droits qu’elle conteste, actuellement protégés par le même principe juridique (<em>« right to privacy »</em> ou « droit à la vie privée ») que <em>Roe</em> : la <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2022/05/03/abortion-roe-leaked-opinion-consequences-katyal/">contraception, le mariage pour tous, les relations entre personnes du même sexe</a>, et certains disent même que le <a href="https://www.thedailybeast.com/if-the-supreme-court-can-overturn-roe-v-wade-it-can-ban-interracial-marriage">mariage interracial</a> pourrait être concerné. Quels que soient les détails du jugement de la Cour suprême, la fin de <em>Roe</em> confirme un tournant moins démocratique et plus théocratique aux États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184914/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kimberly Tower a reçu des financements de la Commission Franco-Américaine Fulbright et est membre invitée du CEVIPOF, Sciences Po Paris. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Camille Gélix est membre du Cevipof, Sciences po Paris </span></em></p>Après le droit à l’avortement, la droite religieuse pourrait remettre en question le droit à la contraception et le mariage pour tous.Kimberly Tower, PhD Candidate in International Relations and Comparative Politics, Sciences Po Camille Gélix, PhD candidate, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1744862022-01-11T20:51:09Z2022-01-11T20:51:09ZGérer le fait religieux au travail : les paroles et les actes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/439687/original/file-20220106-19-14p0klv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=71%2C26%2C1126%2C770&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans les enquêtes, près des deux tiers des répondants se déclarent confrontés régulièrement ou occasionnellement au fait religieux dans le milieu professionnel.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE), qui publie annuellement un <a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/religion-au-travail-croire-au-dialogue-barometre-du-fait-religieux-en-entreprise-2020-2021">baromètre de l’expression religieuse au travail</a>, montre que, si le phénomène est en stabilisation ces dernières années, et ce depuis 2013, la tendance globale reste orientée à la hausse. Plus de deux répondants sur trois (66,5 %) y sont confrontés de manière régulière ou occasionnelle. Également, les réalités constatées ne sont <a href="https://theconversation.com/religion-au-travail-deux-realites-de-plus-en-plus-distinctes-lune-de-lautre-126705">pas les mêmes selon les entreprises</a>.</p>
<p>L’expression religieuse au travail regroupe les actes, comportements et attitudes liés à l’appartenance religieuse des salariés. Elle se traduit par exemple par des demandes d’absence pour observer des fêtes religieuses, le port d’un signe religieux, ou une demande d’aménagement des horaires. Il peut également s’agir d’un refus de travailler avec ou sous la direction de personnes d’un sexe différent du sien.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Fréquence du fait religieux dans les situations de travail.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/fait-religieux-entreprise-français-note.pdf">Baromètre du fait religieux en entreprise 2020-2021</a></span>
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<p>Juridiquement, les organisations privées peuvent restreindre l’expression religieuse au travail par la voie du règlement intérieur, et à condition que ces restrictions soient d’une part légitimées par la nature de la tâche et proportionnées au but recherché, et d’autre part, liées au bon fonctionnement de l’entreprise ou à l’intérêt commercial et l’image de l’entreprise.</p>
<p>Se positionner au sein de ces critères et définir les possibles en la matière, revient pour les organisations à se doter d’une « posture » face au fait religieux.</p>
<h2>Les managers en première ligne</h2>
<p>L’enjeu est ensuite d’en garantir le déploiement et l’application dans l’ensemble des services, unités, sites de l’organisation, ce qui n’est pas toujours simple dans le secteur privé. Pour les organisations publiques, la règle est par exemple plus claire : c’est la neutralité des agents publics et de ceux qui portent une mission de service public.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1314063002837098498"}"></div></p>
<p>Dans un <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/ER-02-2021-0053/full/html">article</a> récent publié dans la revue <em>Employee Relations</em>, nous avons ainsi démontré que le positionnement entre ce que disent et souhaitent faire les organisations que nous avons étudiées en matière d’expression religieuse au travail est parfois différent de ce qui est mis en pratique par les managers, et vécu par les équipes de travail.</p>
<p>Les situations sont en effet complexes, car elles invitent l’identité au travail et qu’elles sont parfois mal interprétées par l’ensemble des acteurs en présence (manager, collègue, salarié). Le sujet du fait religieux peut donc rapidement devenir sensible, en particulier dans le contexte sociétal actuel, et vu le retentissement de <a href="https://theconversation.com/dans-lunion-europeenne-les-entreprises-pourront-elles-choisir-dinterdire-le-voile-au-travail-156681">certaines affaires judiciaires passées</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quatre-situations-qui-illustrent-la-complexite-du-fait-religieux-au-travail-151712">Quatre situations qui illustrent la complexité du fait religieux au travail</a>
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<p>Des <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/ER-06-2017-0142/full/html">travaux</a> sur ce sujet montrent que, dans ce contexte, le rôle du manager est majeur dans le cadre de la mise en application des règles, et que ces managers adoptent des stratégies différenciées, très sensibles à la fois au contexte de l’entreprise et au manager lui-même. En outre, les entreprises sont minoritaires à se positionner clairement le sujet du fait religieux, par exemple en utilisant les outils prévus par le droit (moins de 30 % à en parler dans leur règlement intérieur par exemple, selon l’OFRE).</p>
<h2>Appels à l’aide</h2>
<p>Dans nos recherches récentes, nous avons étudié quatre organisations différentes, par le biais d’entretiens et de périodes d’observation. Parmi ces organisations : une collectivité territoriale (dans laquelle la loi impose aux agents la neutralité), une grande entreprise de service B2B, et deux PME, l’une qui fonctionne principalement au rythme d’une confession (entreprise affinitaire), et une autre, qui met en débat l’expression religieuse au travail.</p>
<p>Nous montrons ainsi qu’il existe deux types de postures.</p>
<p>Les premières sont les <strong>postures alignées</strong>, c’est-à-dire celles pour lesquelles les souhaits énoncés par le top management en matière de régulation de l’expression religieuse au travail sont effectivement constatés à l’opérationnel par les équipes, et à l’appui des managers. C’est le cas pour les deux PME. La vision portée par le dirigeant, souvent charismatique, est claire et acceptée des salariés. Elle est également connue et appliquée.</p>
<p>Les secondes sont les <strong>postures non alignées</strong>, c’est-à-dire celle où ce que la direction proclame n’est pas toujours concrètement mis en place sur les différents sites de l’entreprise. Elles concernent deux des quatre organisations, qui doivent notamment gérer spécifiquement la prière et le port de signes religieux. Dans ces entreprises, des différences de traitements sont constatées entre les sites, ou entre les services. C’est le cas par exemple pour une salariée dans la collectivité publique qui peut dans un service porter un foulard discret, et n’y est pas autorisée dans un autre.</p>
<p>D’abord, l’on remarque que certaines demandes sont plutôt bien appréhendées par les managers, et ne sont pas perçues comme transgressives. Il est par exemple généralement admis par les organisations et les managers que les salariés peuvent demander des aménagements horaires d’ordre religieux, comme en témoigne un répondant d’une des PME étudiées :</p>
<blockquote>
<p>« Nous ne travaillons pas avec des chronomètres, nous ne travaillons pas avec des plannings : nous travaillons avec des objectifs, et ce qui compte, c’est qu’ils soient atteints. Tant que c’est planifié avec tout le monde, c’est tout à fait possible ».</p>
</blockquote>
<p>D’autres pratiques sont quant à elles complètement bannies des organisations, et les managers et leurs équipes perçoivent également ces interdictions. C’est par exemple le cas, dans l’entreprise affinitaire étudiée, pour le refus de travailler avec des personnes de sexe opposé :</p>
<blockquote>
<p>« Si demain on doit travailler en binôme et que l’un d’entre eux dit non, je ne travaille pas avec une femme, je lui dirai “eh bien, rentre chez toi si tu ne travailles pas avec une femme, monte ta boîte avec des gars” ».</p>
</blockquote>
<p>Cela dit, plusieurs facteurs ont été identifiés dans ce manque d’alignement entre la posture organisationnelle et la posture managériale. Il semble que la prière ritualisée et le port de signes visibles (et particulièrement le voile) fassent l’objet d’un traitement spécifique des managers, et qu’ils soient moins souvent considérés par eux comme des pratiques religieuses « comme les autres ». Ils les conduisent plus largement à hésiter, et sur ces deux comportements, les managers attendent des éléments d’aide à la décision.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le refus de travailler avec une femme est un comportement banni de toutes les organisations étudiées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, sans règles officielles, claires, ou en l’absence de communication large de ces règles, les managers peuvent se trouver isolés, et construire leur propre positionnement, qui expose l’entreprise juridiquement et ne garantit pas le respect des droits des personnels. En effet, de nombreux managers indiquent ne pas savoir vraiment ce qui est souhaité par l’entreprise, voire percevoir des injonctions contradictoires. Par ailleurs, ils indiquent être en difficulté pour construire leur argumentaire face à ces comportements, ne sachant pas vraiment quels critères mobiliser, ni parfois quelle décision prendre.</p>
<h2>Des leviers d’alignement envisageables</h2>
<p>Des entreprises souffrent d’un écart entre ce qu’elles disent faire en matière de régulation de l’expression religieuse, et ce qui est parfois constaté. Cela s’explique notamment par l’isolement du manager opérationnel dans ce cadre. Une plus grande formalisation de la posture, par exemple en utilisant plus fréquemment des outils tels que le règlement intérieur ou encore des démarches de sensibilisation, apparaît nécessaire.</p>
<p>Par ailleurs, si le recours à la sensibilisation et la formation tend à augmenter, il reste souvent réalisé sur un nombre de collaborateurs trop restreint, et ne touche pas toutes les populations et s’attardant notamment sur les cadres.</p>
<p>De même, cette recherche montre que les personnels qui travaillent au siège semblent mieux informés que ceux répartis sur les différents sites, dans la grande entreprise de service. Il faudra donc être attentif à d’éventuelles inégalités de répartition des crédits communication et formation, pour ne pas renforcer ces inégalités.</p>
<p>La sensibilisation évoquée pourra concerner la déconstruction des stéréotypes liés à certaines pratiques religieuses ou certaines religions, et devra aussi concerner la mise en mouvement et en pratique de la posture organisationnelle telle que définie par la direction de l’entreprise. Aussi, si la formation est une condition nécessaire, le positionnement de l’entreprise sur la base des critères prévus par la loi s’avère quant à lui être un préalable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre de l'AGRH.</span></em></p>Il y a parfois un écart entre ce que les organisations affirment faire concerner l’expression religieuse au travail, et ce qu’elles font réellement. Analyse.Hugo Gaillard, Maître de conférences en Sciences de gestion, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1583652021-04-08T18:24:58Z2021-04-08T18:24:58ZUn islam « made in Germany » affranchi de l’influence turque ?<p>Des imams indépendants de toute influence étrangère, maîtrisant bien la langue et la culture allemandes, tel est le vœu des pouvoirs publics outre-Rhin. Peut-être ne s’agit-il pas seulement d’un vœu pieux, comme en témoigne l’annonce de l’ouverture imminente – en avril 2021 – d’un cursus de formation pratique des imams au sein du centre de formation à l’islam (<em>Islamkolleg</em>), créé en 2019 à Osnabrück.</p>
<p>Alors que les tâtonnements et les difficultés du gouvernement actuel en France pour former des imams <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/03/mosquees-imams-les-propositions-de-macron-pour-un-islam-libere-des-influences-etrangeres_6054621_3224.html">« qui défendent un islam pleinement compatible avec les valeurs de la République »</a> semblent traduire un certain désarroi des pouvoirs publics français en matière de formation des imams et des cadres musulmans en général, faut-il en déduire que le voisin allemand aurait quelques longueurs d’avance, du moins pour réduire l’influence turque ?</p>
<h2>Des formations scientifiques en allemand pour les enseignants, les théologiens et les imams</h2>
<p>En octobre 2010, Christian Wulff, ancien ministre-président de Basse-Saxe et à l’époque président de la République fédérale d’Allemagne, affirmait à l’occasion du <a href="https://www.bundespraesident.de/SharedDocs/Reden/DE/Christian-Wulff/Reden/2010/10/20101003_Rede.html">vingtième anniversaire de la réunification allemande</a> « l’islam fait partie de l’Allemagne », déclenchant une polémique aux accents particulièrement virulents.</p>
<p>En 2018, Horst Seehofer (CSU), actuel ministre fédéral de l’Intérieur, du Logement et de l’Identité (<em>Bundesminister des Innern, für Bau und Heimat</em>), répondait, quant à lui, par la négative à la question : <a href="https://taz.de/Kritik-an-Islam-Aeusserung/!5489304/">« l’islam fait-il partie de l’Allemagne ? »</a>. Depuis, Seehofer affiche clairement son ambition de <a href="https://www.deutsche-islam-konferenz.de/SharedDocs/Meldungen/DE/rede-seehofer-videokonferenz-imamausbildung.html">favoriser un islam enraciné en Allemagne</a>, non sans arrière-pensées. Dans un pays qui compte aujourd’hui entre 5 % et 6 % de musulmans, la question de la place de l’islam dans la société demeure un sujet sensible et explosif, souvent associé depuis les attentats de septembre 2001 à des considérations sécuritaires ou relatives à la radicalisation.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sG7SeLsyPvc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Jusqu’à la fin du XX<sup>e</sup> siècle, la gestion publique de l’islam en Allemagne s’est effectuée essentiellement par l’intermédiaire des services consulaires turcs, reflet de l’ingérence de l’État turc dans le champ migratoire outre-Rhin et de la volonté des autorités allemandes de traiter l’islam comme un « objet » externe, de politique étrangère. Depuis le tournant du XXI<sup>e</sup> siècle, l’Allemagne tente de faire émerger un islam affranchi des influences et des financements étrangers.</p>
<p>Les pouvoirs publics allemands ont ainsi soutenu la mise en place d’un enseignement religieux islamique en allemand à l’école, au même titre que le cours de religion catholique ou protestant, dans la mesure où l’enseignement religieux est inscrit comme matière scolaire obligatoire à l’article 7-3 de la Loi fondamentale.</p>
<p>L’objectif des pouvoirs publics est aussi de limiter par ce biais l’influence d’États étrangers ou d’écoles coraniques radicales sur les élèves de confession musulmane, d’où les efforts mis en œuvre pour développer des formations universitaires en théologie islamique et en didactique de l’enseignement religieux à destination des futurs professeurs de religion islamique. Depuis 2011, des instituts de théologie islamique – alignés en grande partie sur les facultés de théologie catholique ou protestante – <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/reconnaissance-lislam-systeme-educatif-allemand-annees-1980-a-2015">ont vu le jour dans plusieurs universités</a>, à Münster, Osnabrück, Tübingen, Erlangen, Francfort, grâce au soutien financier de l’État fédéral – 20 millions d’euros sur 5 ans, renouvelés en 2016 – et des <em>Länder</em>.</p>
<p>Les tentatives visant à mettre en place des formations universitaires à l’imamat n’ont en revanche pas été couronnées de succès jusqu’à ce jour, alors que la formation des imams représente un enjeu majeur pour les acteurs musulmans comme pour les pouvoirs publics.</p>
<h2>Une formation à l’imamat affranchie de la Turquie</h2>
<p>Le centre de formation à l’islam (<em>Islamkolleg</em>) d’Osnabrück, qui inaugure à partir d’avril 2021 un cursus de formation pratique en langue allemande – ouvert aux étudiantes et étudiants titulaires d’une licence (<em>Bachelor</em>) de théologie islamique – destiné à de futurs imams, cherche à pallier une lacune dans les formations universitaires existantes. C’est en effet la partie pratique qui manquait jusqu’à présent dans les cursus de religion et de théologie islamique proposés dans les universités. La nouveauté de ce centre tient au fait qu’il a été créé par de petites associations ou fédérations islamiques indépendantes : le Conseil central des musulmans en Allemagne, fondé en 1994, et d’autres plus récentes comme le Conseil central des Marocains, l’Alliance des communautés malékites, la communauté islamique des Bosniaques et la fédération indépendante <a href="https://www.deutschlandfunkkultur.de/unabhaengiger-islamverband-in-niedersachsen-eine-stimme.1278.de.html?dram:article_id=440483">Musulmans de Basse-Saxe</a>, tandis que les grandes fédérations islamiques jugées conservatrices (Union turco-islamique pour les affaires religieuses (DITIB), Millî Görüş…) n’en font pas partie. Quant à la direction scientifique, elle est assurée par <a href="https://house-of-one.org/de/news/prof-dr-b%C3%BClent-ucar-erh%C3%A4lt-das-bundesverdienstkreuz-am-bande">Bülent Uçar, professeur de didactique de la religion islamique à l’université d’Osnabrück depuis 2008</a>, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes d’exégèse coranique en Allemagne.</p>
<p>L’un des objectifs de la formation est bien d’assurer la formation des imams en dehors de toute influence étrangère, nommément de la Turquie. Au programme des enseignements figurent non seulement la récitation du Coran, la formation aux prêches, l’accompagnement spirituel, mais également l’éducation politique avec des thématiques telles que la <a href="https://www.zdf.de/nachrichten/panorama/imamkolleg-islam-ausbildung-100.html">liberté d’opinion, la démocratie, les droits de l’homme, l’égalité entre hommes et femmes</a>. Ce programme est financé pour une période expérimentale de cinq ans – à hauteur d’un million d’euros par an – par le ministère des Sciences et de la Culture de Basse-Saxe et le ministère fédéral de l’Intérieur. Ce dernier en attend à terme une diminution drastique de l’influence turque dans les mosquées allemandes et la réduction du nombre des imams envoyés en Allemagne par l’État turc. Mais la Turquie n’a pas dit son dernier mot.</p>
<h2>Concurrence territoriale entre acteurs politiques et acteurs musulmans</h2>
<p>Depuis les années 1980, les imams des quelque 900 mosquées gérées par l’Union turco-islamique pour les affaires religieuses (DITIB), sont directement liés à la Turquie par le biais de la Direction des affaires religieuses (<em>Diyanet</em>), créée en 1924 par l’État turc pour défendre un islam sunnite officiel et représentée dans chaque ambassade par un conseiller aux affaires religieuses.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331484570366119940"}"></div></p>
<p>La <em>Dyanet</em> envoie en Allemagne ses imams pour une durée de cinq ans et les rémunère. Dans la ligne de mire des pouvoirs publics allemands depuis la tentative de coup d’État de 2016, la DITIB est fortement soupçonnée d’être le bras religieux du régime d’Ankara, d’espionner les opposants au régime membres de la mouvance Gülen et de freiner l’intégration des personnes d’origine turque. Sous le feu des critiques, elle réagit. En janvier 2020, elle a ouvert, en Rhénanie du Nord-Westphalie, un centre de formation des imams et cadres religieux musulmans qui propose un <a href="https://www.ditib.de/detail1.php?id=689&lang=de">cursus de deux ans aux titulaires d’une licence de théologie islamique</a>, désormais en concurrence directe avec la formation proposée par le centre de formation d’Osnabrück. Les imams ayant suivi ce parcours seront ensuite recrutés dans des mosquées gérées par la DITIB et rémunérés par l’État turc.</p>
<p>Le soutien financier du ministère de l’Intérieur accordé au centre de formation à l’islam (<em>Islamkolleg</em>) d’Osnabrück montre clairement quelles sont les attentes de l’État allemand. Les considérations sécuritaires ne sont pas absentes de ce projet qui est tout autant politique que religieux. La formation des imams est également perçue par le ministère de l’Intérieur comme un moyen de lutter contre la radicalisation. Les critiques ne se sont pas fait attendre, certaines grandes fédérations islamiques dénonçant une <a href="https://www.deutschlandfunk.de/ausbildungsbeginn-am-islam-kolleg-der-imam-gehoert-zu.724.de.html?dram:article_id=494311">immixtion de l’État dans les affaires des communautés religieuses</a> et une atteinte à la neutralité confessionnelle de l’État. Reste à voir quels seront le succès et les débouchés de cette formation qui devrait débuter avec trente candidats et candidates, étant donné que la DITIB et d’autres grandes fédérations islamiques proposent elles aussi des formations à l’imamat sur le sol allemand, dispensées pour l’essentiel en allemand.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158365/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Toscer-Angot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Allemagne a récemment mis en place un cursus de formation pratique des imams. Que peut-on attendre de cette initiative ?Sylvie Toscer-Angot, Maître de conférences en civilisation allemande (HDR), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1566812021-03-09T20:07:29Z2021-03-09T20:07:29ZDans l’Union européenne, les entreprises pourront-elles choisir d’interdire le voile au travail ?<p>La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) doit désormais statuer sur la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Ac10823">conformité de l’interdiction</a> du port du voile au travail, en tenant notamment compte de l’impératif d’égalité de traitement en matière d’emploi. La Cour avait été saisie à ce sujet par des salariées musulmanes allemandes dont les employeurs leur demandaient de retirer leur voile dans l’exercice de leurs fonctions.</p>
<p>Le 25 février, dans ses <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2021-02/cp210025fr.pdf">conclusions</a>, l’avocat général a conforté la décision des employeurs allemands. La CJUE n’est toutefois pas tenue de suivre cet avis. Cependant si elle le faisait, cette décision devrait faire date.</p>
<h2>Deux affaires différentes</h2>
<p>Dans une première affaire datant de 2018, une association allemande reconnue d’utilité publique, qui intervient dans le champ de l’éducation des enfants, a adopté des « instructions de service » pour le respect du principe de neutralité.</p>
<p>À partir du mois de mars de cette année-là, il n’était plus possible, pour les salariés, d’exprimer leurs convictions politiques et religieuses dans l’exercice de leurs fonctions. Il est d’ailleurs à noter que ces instructions ne s’appliquent pas aux salariés qui ne sont pas en contact avec le public.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1189292580464451584"}"></div></p>
<p>De retour de son congé parental après cette décision, une salariée portant le voile avait été suspendue provisoirement – après plusieurs avertissements – et le conteste. Ce premier cas n’est pas d’ailleurs sans rappeler, en France <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-apres-baby-loup-le-grand-flou-103113">l’affaire dite « Baby-Loup »</a>, dans laquelle la justice a finalement donné raison à l’employeur après plusieurs années de procédure.</p>
<p>La seconde affaire examinée par l’avocat général concerne le cas d’une salariée d’une chaîne de pharmacies du même pays qui portait nouvellement et à son retour de congé parental en 2014, un foulard islamique. Deux ans plus tard, son employeur lui a donné l’instruction de se rendre au travail « <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2021-02/cp210025fr.pdf">sans signe ostentatoire</a> de grandes dimensions de convictions politiques, philosophiques ou religieuses ». Elle conteste également cette décision.</p>
<h2>Qui pour juger de la taille ?</h2>
<p>Les conclusions de l’avocat général, à la suite de la saisine par les juridictions allemandes, confirment tout d’abord, en s’appuyant sur des éléments de jurisprudence, que l’interdiction des signes religieux ou politiques par une règle interne d’entreprise, ne constitue pas une discrimination religieuse directe.</p>
<p>Cela rappelle notamment le cas de l’entreprise française de conseil informatique <a href="https://theconversation.com/lemployeur-peut-interdire-le-port-du-voile-en-entreprise-sous-conditions-74599">Micropole</a>, pour lequel la CJUE avait précisé en 2017 qu’une telle interdiction ne pouvait toutefois pas être motivée par l’exigence du client, et qu’un <a href="http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=188852&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=163813">règlement interne devait l’appuyer</a>.</p>
<p>Un autre élément important est mis en avant, et n’est pas sans poser de questions pour la suite, notamment pour les managers confrontés à l’expression religieuse visible. En effet, l’avocat général précise que la politique de neutralité philosophique, religieuse et politique, n’est pas incompatible avec le port de signes religieux visibles ou non, mais toujours de petite taille, « que l’on ne remarque pas dans une première approche ».</p>
<p>Plusieurs questions se posent, d’autant que l’avocat général rappelle qu’il n’est pas de la responsabilité de la CJUE de donner une définition de « petite taille ». Dès lors, à qui reviendrait cette responsabilité ? La question reste entière et n’est pas sans rappeler la difficile distinction entre l’ostensible et l’ostentatoire.</p>
<p>Si la responsabilité revenait au manager, qui par appréciation, devrait « juger », de ce qui relève ou non d’une « petite taille », l’on peut supposer ici une extension de son champ d’intervention, au sein de <a href="https://theconversation.com/quatre-situations-qui-illustrent-la-complexite-du-fait-religieux-au-travail-151712">situations déjà complexes</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1321676142357729280"}"></div></p>
<p>Au-delà de ces débats qu’il faudra approfondir lors de la publication finale de l’avis de la CJUE – qui n’est, rappelons-le, pas tenue de suivre les conclusions de son avocat général – ces conclusions renforcent selon nous la conception européenne des accommodements raisonnables.</p>
<p>En effet, <a href="https://theconversation.com/religion-au-travail-perspectives-europeennes-et-outre-atlantique-75416">deux conceptions s’opposent</a>, au sujet de ce concept clé. En France et plus largement en Europe, l’accommodement est le plus souvent demandé à l’employé, alors qu’aux États-Unis, les organisations doivent plus fréquemment s’adapter aux aspirations religieuses des collaborateurs. En Europe, le fonctionnement du collectif prime sur l’expression de l’individu, alors qu’outre-Atlantique, il convient de faire une place à cette expression. D’un côté, le management de la diversité, de l’autre, l’inclusion.</p>
<h2>Vers une diversité de postures en France ?</h2>
<p>En France, et dans le contexte du débat sur la <a href="https://theconversation.com/separatisme-un-projet-de-loi-et-beaucoup-de-questions-pour-les-services-publics-147465">loi confortant les principes républicains</a> et de confusions à propos du <a href="https://theconversation.com/la-la-cite-un-principe-de-plus-en-plus-complexe-a-manier-pour-les-entreprises-125949">principe de laïcité</a>, ces conclusions viennent également confirmer l’importance de l’outil que constitue le règlement intérieur pour un employeur qui souhaiterait restreindre l’expression religieuse au travail.</p>
<p>Ce règlement intérieur ne doit pas interdire l’expression religieuse de manière générale et/ou absolue, ni cibler une religion ou une pratique en particulier. Ainsi, les conclusions de l’avocat général semblent confirmer également le critère de restriction lié au contact client, ou encore le travail avec des publics vulnérables, ici les enfants.</p>
<p>Plus précisément encore, ces conclusions confirment la possibilité d’une extension du domaine de la neutralité, aux entreprises privées qui le souhaiteraient, et laisse donc envisager des « postures » d’organisations de plus en plus diverses face à <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-un-phenomene-devenu-objet-de-management-105896">cet objet de management</a>. Dans le même mouvement, les salariés les moins enclins à consentir à invisibiliser (même partiellement) leur religion au travail, pourraient rechercher des structures qu’ils jugent plus compatibles, <a href="https://theconversation.com/stigmatisation-les-femmes-voilees-en-entreprise-contraintes-de-reorienter-leurs-carrieres-147504">avec des impacts sur leurs carrières</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1313947493269491719"}"></div></p>
<p>Enfin, l’origine européenne de l’avis pourrait permettre de gagner en clarté pour les décideurs des organisations privés, qui regrettent parfois la difficulté à s’approprier des règles françaises qui selon eux se croisent, <a href="https://theconversation.com/des-entreprises-toujours-sur-le-qui-vive-face-a-la-religion-116855">voire s’entrechoquent</a>.</p>
<p>Il s’agira donc d’être particulièrement attentif à l’avis final, et ne pas faire l’économie d’une nouvelle analyse au-delà des slogans, car les avis de la CJUE portent souvent des <a href="https://theconversation.com/les-faux-semblants-des-arrets-de-la-cour-de-justice-de-lunion-europeenne-sur-le-voile-au-travail-72291">faux-semblants</a> qui débouchent sur des évolutions limitées dans les faits. Sur ce sujet particulièrement, les éléments et arguments considérés peuvent donc être pluriels, ce qui laisse des voies de réponses données à ces questions sensibles très ouvertes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156681/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre de l'AGRH et de l'Observatoire Action Sociétale - Action publique (ASAP). Il collabore également aux travaux de la Chaire Gouvernance et RSE de Le Mans Université.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Géraldine Galindo est membre de l'AGRH. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lionel Honoré est rédacteur du rapport de l'Institut Montaigne sur la religion au travail et est membre de l'AGRH</span></em></p>L’avocat général de la CJUE a donné tort à deux salariées allemandes qui refusaient de retirer leur voile dans l’exercice de leurs fonctions. Cet avis, s’il est confirmé, pourrait faire date.Hugo Gaillard, Docteur en Sciences de Gestion et enseignant en GRH, Le Mans UniversitéGéraldine Galindo, Professeur, ESCP Business SchoolLionel Honoré, Professeur des Universités, Université de la Polynésie française, Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1565292021-03-04T19:11:53Z2021-03-04T19:11:53ZLes paris du pape François en Irak<p>Malgré la montée, depuis deux semaines, des <a href="https://www.courrierinternational.com/depeche/irak-dix-roquettes-sur-une-base-abritant-des-americains-deux-jours-avant-la-visite-du-pape.afp.com.20210303.doc.9468lb.xml">tensions entre l’Iran et les États-Unis</a> – un conflit dont l’Irak reste un terrain majeur – et malgré l’escalade des violences intérieures, notamment dans la province de Dhi Qar, où le pouvoir <a href="https://raseef22.net/article/1081783">réprime la contestation</a>, le voyage pastoral et diplomatique du pape François entre les 5 et 8 mars 2021 a été maintenu.</p>
<p>L’intensité des préparatifs, entamés de longue date par le Saint-Siège et les autorités locales, dont le très actif cardinal et Patriarche des Chaldéens Louis Raphaël Sako, finit par intriguer. Que vient faire le pape dans ce pays meurtri et sous influence ? Quelles sont ses intentions et peuvent-elles être couronnées de succès ?</p>
<h2>L’enjeu de la présence chrétienne en Irak</h2>
<p>La première raison de ce voyage est bien sûr de conforter les chrétiens d’Irak. Une occasion exceptionnelle leur est offerte de sensibiliser le monde à leur <a href="https://www.arabnews.fr/node/64706/monde-arabe">tragédie</a>, dans l’accumulation des tragédies irakiennes.</p>
<p>L’enjeu, pour les responsables chrétiens du pays, est de retrouver leurs ressources humaines et financières en prévision d’un retour de leur communauté éparse, à la faveur de la paix, <a href="https://www.la-croix.com/Religion/chretiens-Bagdad-revent-dexil-visite-pape-2021-02-05-1201139030">ce qui semble à courte vue irréaliste</a>. Regroupant désormais moins de 1 % des 38,4 millions d’Irakiens, les chrétiens de l’ancienne Mésopotamie sont en cours de transplantation migratoire.</p>
<p>Ayant connu de grandes tribulations aux XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, on estime qu’ils étaient encore 6 % avant 2003, dont près de 800 000 à Bagdad. Aujourd’hui, leur nombre dans la capitale a chuté à 75 000. L’intervention américaine a transformé leur singularité en dernier stigmate. À Bagdad, les lieux de culte ont été attaqués dès les premiers attentats de 2004 : la cathédrale syriaque <em>Sayidat al-Najat</em> – où le pape va se rendre – a subi une <a href="https://www.theguardian.com/world/2004/aug/02/iraq.michaelhoward">explosion à la voiture piégée</a> dans une attaque simultanée contre plusieurs églises, commanditée par le chef terroriste Zarqaoui. Cette même cathédrale a essuyé une autre <a href="https://www.liberation.fr/planete/2010/11/02/messe-de-bagdad-l-obscur-carnage_690718/">attaque d’Al-Qaeda</a>, pendant l’office de la Toussaint 2010, faisant une soixantaine de victimes dont le prêtre en chaire, le père Thar.</p>
<p>L’<a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-19-aout-2020#:%7E:text=Ils%20%C3%A9taient%201%2C5%20million,av%C3%A8nement%20du%20groupe%20%C3%89tat%20Islamique.">hémorragie des chrétiens d’Irak</a> a précédé la fuite par millions des Irakiens à partir de 2004. Leur exode s’est <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2015/01/24/refugies-etat-islamique-irak_n_6537886.html">accéléré</a> avec l’installation de Daech dans les terres sunnites. À Mossoul – autre lieu de passage de François –, surnommée jadis la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-pleine-reconstruction-Mossoul-attend-chretiens-2021-03-02-1201143407">Jérusalem de Mésopotamie</a>, les chrétiens assyriens et syriaques étaient près de 50 000 avant la première guerre du Golfe. Leur nombre est passé à 5 000 en 2014.</p>
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<p>Le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/224254/irak-elect-violence">kidnapping</a> de l’archevêque syriaque Basil George Casmoussa en 2005, une série d’<a href="http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/145921%26fr%3Dy.html">attentats et d’enlèvements ciblés en 2007</a>, l’assassinat après torture de l’évêque assyro-chaldéen <a href="https://www.nytimes.com/2008/03/14/world/middleeast/14iraq.html">Paulo Faraj Rahho</a> en 2008, l’attentat contre un <a href="https://www.cath.ch/newsf/bombe-contre-un-bus-d-etudiants-dans-la-plaine-de-ninive/">bus d’étudiants</a> venus de Qaraqosh en 2010 : tous ces évènements ont précipité leur fuite, avant même l’arrivée de l’État islamique.</p>
<p>70 familles seulement vivraient encore à Mossoul. Les 150 000 chrétiens de la plaine de Ninive, dont 50 000 syriaques de Qaraqosh – autre ville que <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Voyage-pape-Irak-Qaraqosh-recherche-legerete-perdue-2021-03-02-1201143323">visitera François</a> – ont tout quitté pour échapper au <a href="https://www.20minutes.fr/monde/1431911-20140825-irak-onu-accuse-etat-islamique-nettoyage-ethnique-religieux">nettoyage ethnoreligieux</a> qui a également frappé les <a href="https://www.infochretienne.com/en-irak-les-chretiens-et-les-yezidies-subissent-un-nettoyage-ethnique/">yézidis</a>, les <a href="https://lephenixkurde.tumblr.com/post/114786953522/les-shabaks-victimes-meconnues-de-Daech">Shabaks</a> et les <a href="https://www.trt.net.tr/francais/turquie/2017/07/06/ankara-indigne-apres-le-massacre-de-turkmenes-d-irak-par-Daech-765535">Turkmènes</a> chiites. Ils se sont réfugiés dans l’antique terre d’Erbil (Arbèle) devenue kurde – où le pape se rendra aussi – et dans les camps de réfugiés, au Liban, en Jordanie et en Turquie. Depuis, 55 000 d’entre eux ont réussi à quitter le Moyen-Orient. <a href="https://www.jadaliyya.com/Details/27531">25 000 sont revenus à Qaraqosh</a>. Les autres sont restés à Erbil. La petite <a href="https://www.cath.ch/newsf/les-communautes-religieuses-en-irak-les-armeniens-7-7/">Église arménienne</a>, issue de la diaspora marchande et des réfugiés du génocide ottoman, s’est vidée de ses fidèles depuis 2003. À Bassorah, sur les 4 500 familles assyriennes présentes avant 2003, <a href="http://fraternite-en-irak.org/a-bassorah-fraternite-en-irak-offre-un-refuge-aux-plus-pauvres/">il n’en reste plus que 200</a>.</p>
<p>Tout cela est éminemment tragique et douloureux. Mais pour le dire crûment, beaucoup d’Irakiens ont énormément souffert, et l’exode des chrétiens d’Irak ne les émeut pas outre mesure, d’autant que les chrétiens n’ont jamais été présents partout dans le pays.</p>
<h2>L’enjeu de l’unité œcuménique</h2>
<p>Qu’en est-il pour les chrétiens qui ne sont pas partis ? De grands efforts matériels ont été déployés pour réparer les édifices emblématiques, comme le couvent dominicain et le clocher de <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/irak-retour-a-mossoul-sur-le-chantier-de-notre-dame-de-l-heure-ravagee-par-Daech-7900004464">Notre-Dame de l’Heure à Mossoul</a> qui a servi de centre de torture sous Daech. Idem pour <a href="https://www.mesopotamiaheritage.org/monuments/leglise-chaldeenne-al-tahira-de-mossoul/">l’église chaldéenne Al-Tahira</a> que le pape visitera. De même, <a href="https://www.mesopotamiaheritage.org/monuments/leglise-syriaque-catholique-mar-touma-de-mossoul/">l’église syriaque orthodoxe de Mar-Touma</a> est en train d’être reconstruite, grâce au financement de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (<a href="https://www.aliph-foundation.org/fr">ALIPH</a>), qui a par ailleurs soutenu la réhabilitation du <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Mar-Behnam-renaissance-dun-lieu-saint-partage-2017-12-14-1200899373">mausolée-monastère de Mar Benham</a>, dynamité par Daech en 2015.</p>
<p>Mais l’autre véritable enjeu – outre la sécurisation des personnes, l’effort éducatif et médical et les opportunités de travail, à l’instar des besoins de tous les Irakiens – est de finaliser, en le rendant tangible avec cette visite, <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Le-Saint-Siege-Eglises-dIrak-role-novateur-pape-Francois-2021-02-26-1201142740">l’effort de communion entrepris depuis le concile catholique de Vatican II</a> entre les différentes Églises chrétiennes d’Orient que le Pape va rencontrer. Ces dernières, par leurs strates et leur diversité, récapitulent des siècles de morcellements ou d’empiètement entre territoires canoniques, justifiés par des divergences théologiques qui échappent aujourd’hui à l’entendement.</p>
<p>Ainsi les Assyriens descendent-ils de <a href="https://www.choisir.ch/societe/histoire/item/3735-l-histoire-de-de-l-eglise-assyrienne-de-l-orient">l’Église d’Orient</a>, dite aussi Église de Mésopotamie ou Église perse, entièrement autocéphale sous l’Empire sassanide. Elle a aujourd’hui deux branches : l’Église « historique », siégeant à Erbil, et l’Église chaldéenne, qui est son pendant catholique à Bagdad. À côté des Assyriens, une autre Église des origines un peu plus « tardive », l’Église syriaque, s’est formée avec les descendants des chrétiens syriens et arabes de l’Église d’Antioche, qui ont fui la répression de l’Empire byzantin au VI<sup>e</sup> siècle. L’Église syriaque a deux branches, comme l’assyrienne.</p>
<p>Un tel émiettement, auquel s’ajoute la présence de chrétiens convertis, soit anciennement, soit plus récemment au protestantisme évangélique – <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-irsem-2015-1-page-108.htm">par ailleurs mal vu pour son prosélytisme et ses origines américaines</a> – affaiblit la voix et les intérêts communs des chrétiens d’Irak, si on enlève leur avantage démultiplicateur comme réseau d’émigration. Le regroupement œcuménique des Églises en un lien opérationnel et protecteur, dont Rome serait le garant et qui rattacherait les diasporas entre elles en les « universalisant », pourrait fabriquer une cohérence à double détente. Il permettrait des actions concertées, de répartition et de coordination entre les acteurs de terrain ; surtout, il mettrait en évidence le cercle vertueux de la bonne entente qui servirait d’exemple à suivre pour le dialogue interreligieux.</p>
<h2>L’enjeu de l’unité irakienne ?</h2>
<p>C’est ici que se situe l’enjeu le plus audacieux mais peut-être aussi le plus problématique de la visite de François, si l’on tentait de le conjecturer.</p>
<p>Il s’agirait de fabriquer, à partir de l’établissement pérenne de relations interconfessionnelles entre l’ensemble des acteurs religieux d’Irak, un chemin exemplaire de réconciliation nationale et, très paradoxalement, de dépolarisation religieuse.</p>
<p>La démarche est celle de la diplomatie interreligieuse, comme antidote à la toxicité confessionnelle qui a contaminé toute la société irakienne depuis l’embargo qui a suivi la première guerre du Golfe, avec la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-3-page-138.htm">« campagne pour la foi »</a> de Saddam Hussein. Durant ces années déterminantes où le tissu social a commencé à se déliter, alors que les bombardements de cette première guerre avaient détruit toutes les infrastructures et affaibli l’État, le ressentiment communautaire s’est développé, ressentiment que la brutale politique de <a href="https://journals.openedition.org/remmm/3451">dé-baassisation</a>, parallèle au processus de démocratisation, a renforcé après 2003, quand les États-Unis ont semblé favoriser les chiites. C’est ainsi que sont apparues les milices sunnites, les groupes islamistes terroristes et les contre-milices chiites…</p>
<p>Certes, la jeunesse irakienne d’aujourd’hui, très nombreuse mais <a href="https://www.france24.com/fr/20190219-irak-avenir-economie-chomage-masse-jeunesse-corruption-austerite-entreprenariat">sans travail et sans ressources</a>, est épuisée par le discours sectaire. Elle <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/28/sans-pays-pas-d-ecole-la-jeunesse-irakienne-rejoint-le-mouvement-de-contestation_6017200_3210.html">manifeste</a> ardemment, depuis deux ans, sunnites et chiites confondus, une aspiration vitale pour la liberté, la démocratie, la fin de la corruption et la fin de la mainmise iranienne sur le pays. Elle a même obtenu la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/contestation-en-irak-sunnites-et-chiites-unis-contre-le-pouvoir">démission d’un premier ministre</a>.</p>
<p>Certes, le cardinal chaldéen Louis Raphaël Sako a réussi à organiser une <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/le-pape-en-irak-rencontrer-le-grand-ayatollah-ali-al-sistani-cest-rencontrer-le-monde-chiite-71757.php">rencontre historique entre le pape et le Grand ayatollah Ali-Al-Sistani</a> dans la ville de Najaf, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/01/22/al-sistani-le-pape-chiite-de-nadjaf_350041_1819218.html">décrite</a> par Pierre-Jean Luizard comme le Vatican chiite. Al-Sistani <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Le-pape-rencontre-layatollah-Sistani-conscience-irakienne-2021-02-27-1201142859">est devenu « la conscience irakienne »</a>, défenseur d’un Irak indépendant des influences étrangères, c’est-à-dire de l’Iran, <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-93.htm">dont la présence par milices</a> et partis politiques (Coalition Sairoun et Coalition Al-Fatha) interposés est absolument prégnante.</p>
<p>Al-Sistani est connu pour refuser <a href="https://journals.openedition.org/assr/21941">l’interprétation iranienne du velayat-e-faqhi</a> (littéralement la tutelle des jurisconsultes) et pour défendre une citoyenneté nationale commune transcendant les clivages religieux et ethniques du pays. Mais, même si Al-Sistani ne peut être comparé en rien à <a href="https://www.france24.com/fr/20200212-contestation-en-irak- %C3 %A0-quoi-joue-le-leader-chiite-moqtada-al-sadr">Moqtada Al-Sadr</a>, leader chiite des quartiers pauvres et ancien chef de l’Armée du Madhi, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/31/en-irak-l-emprise-des-milices-chiites_6064924_3210.html">milices chiites qui se sont formées à son appel contre l’État islamique en 2014</a> poursuivent leur mainmise dans les territoires sunnites, à côté de l’armée irakienne, et en opposition aux autres milices chiites pro-iraniennes également bien présentes, malgré l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani à Bagdad en janvier 2020.</p>
<p>Ces milices entretiennent la peur et la rancœur par leurs méthodes. Elles restent dominantes au cœur du pouvoir irakien où les institutions chiites nationales n’ont jamais eu autant d’influence. Le pouvoir religieux chiite, anti-ou pro-iranien, n’est pas un truchement de la réconciliation en Irak.</p>
<p>Enfin, du côté sunnite, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/impair-les-sunnites-oublies-de-la-visite-du-pape-francois-en-irak">aucune rencontre n’est prévue</a>, alors même que François va rencontrer des représentants kurdes à Erbil et <a href="https://rcf.fr/la-matinale/ur-le-pape-rencontrera-les-minorites-religieuses-heritieres-d-abraham">prier avec des Yézidis, mandéens et Kakaïs à Ur</a>, ville de naissance d'Abraham selon la Bible. Comment comprendre un tel manque, dans cette manœuvre interreligieuse ? Est-ce parce qu’il n’y a aucun responsable sunnite qui soit suffisamment représentatif de la population ? Est-ce parce qu’il n’y a actuellement aucun contact entre dignitaires sunnites, chrétiens et chiites ? Est-ce parce que les personnes pressenties ont décliné la proposition ? Est-ce parce que personne ne veut se rapprocher des sunnites considérés comme infréquentables après le soutien d’une partie d’entre eux à l’État islamique ? En tout cas, cette absence <a href="https://raseef22.net/article/1081783">a été critiquée par le député sunnite de la province de Salâh ad-Dîn</a>, Muthanna al-Samarrai, critique reprise par les médias arabes. Elle risque de réduire à néant les chances de mise en place d’une « coalition » interreligieuse qui plaiderait pour un Irak uni et indépendant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156529/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Blandine Chelini-Pont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La visite du pape François en Irak vise à conforter les derniers chrétiens de ce pays et à contribuer au dialogue inter-religieux. Mais le pape ne rencontrera aucun représentant sunnite…Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1553092021-02-18T20:40:01Z2021-02-18T20:40:01ZLa Charte des principes pour l’islam de France interroge<p>Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a publié sur son site, le 18 janvier 2021, une « Charte des principes pour l’islam de France », destinée à être le <a href="https://www.cfcm-officiel.fr/presentation-de-la-charte-des-principes-pour-lislam-de-france-au-president-de-la-republique/">socle</a> normatif du futur Conseil national des imams (CNI), dans le cadre du débat actuel sur la réforme de l’islam menée sous le quinquennat d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Élaborée sous la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/19/emmanuel-macron-obtient-une-charte-des-principes-pour-l-islam-de-france_6066736_3224.html">pression de l’État</a>, dans un climat plombé par l’effroi des attentats successifs, cette Charte porte la marque d’une rhétorique de la menace islamique – la référence au « terrorisme » étant par exemple explicite (art. 9)</p>
<p>Prenant acte des vives inquiétudes exprimées par les autorités, les rédacteurs du CFCM y répondent dans les termes mêmes de la commande, et font démonstration ostensible de loyauté aux pouvoirs publics et d’assimilation culturelle.</p>
<p>Mais ce faisant, ils assument dans leur discours les préventions antimusulmanes de l’opinion majoritaire. Ceci, en reprenant parfois un discours polarisant « la communauté nationale […] et tous les musulmans vivant sur le territoire de la République » (art. 1), et en concédant des engagements exorbitants du droit commun – dans le sens, où, comme nous le verrons, la charte imposerait aux imams des obligations qui excèdent le droit en vigueur.</p>
<p>Trois des fédérations du CFCM ont fait publiquement <a href="https://www.saphirnews.com/Islam-de-France-les-raisons-de-la-non-signature-de-la-charte-par-CCMTF-Milli-Gorus-et-Foi-Pratique-exposees_a27796.html">état de réserves</a> fondées pour l’essentiel sur le droit. Il s’agit du Comité de coordination des musulmans turcs de France (émanant du ministère turc des affaires religieuses) et de la Confédération islamique Milli Görüs (islam conservateur) – représentant environ 15 % des lieux de culte en France –, ainsi que de Foi & Pratique (réseaux de la Jamaat Tabligh). La Charte pourrait faire long feu.</p>
<h2>Une pression politique maximale</h2>
<p>Avant même les attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice (16 et 29 octobre 2020), le président Emmanuel Macron, dans son <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes">discours aux Mureaux du 2 octobre</a>, avait dénoncé en termes alarmants, « le séparatisme islamiste » :</p>
<blockquote>
<p>« C’est un projet conscient, théorisé, politico-religieux, affirmait-il, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société et dont les manifestations sont la déscolarisation des enfants, le développement de pratiques sportives, culturelles, communautarisées qui sont le prétexte pour l’enseignement de principes qui ne sont pas conformes aux lois de la République ».</p>
</blockquote>
<p>Dans la foulée, le chef de l’État avait lancé un « ultimatum » au CFCM, pour poser les bases d’un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/06/tensions-autour-du-projet-de-conseil-national-des-imams_6065319_3224.html">Conseil</a> visant « à certifier les imams, dans l’espoir de lutter contre l’extrémisme ».</p>
<p>Avec cette description de la situation, le chef de l’État reprenait à son compte l’inquiétude d’une partie de l’opinion publique, en énumérant des points critiques qui se retrouvent dans le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3649_projet-loi">projet de loi</a> « confortant le respect des principes de la République ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/V6shlaEaFSU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le discours d’Emmanuel Macron sur les « séparatismes ».</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais il prenait le risque d’être démenti par la réalité. En effet, ce diagnostic est loin des analyses qu’a développées par exemple Bernard Godard, longtemps chargé de mission au <a href="https://www.liberation.fr/societe/2012/04/05/bernard-godard-la-personnalite-du-culte_808450/">Bureau central des cultes</a> au ministère de l’Intérieur. Cet ancien agent des renseignements généraux, qui se prévaut pourtant d’une <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-question-musulmane-en-france-9782213682488">approche</a> « sans concessions », résumait en 2015 son propos par ces mots :</p>
<blockquote>
<p>« l’islam est le révélateur de nos appréhensions face à l’avenir ».</p>
</blockquote>
<p>Même les <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/inchallah-lislamisation-visage-decouvert-9782213705897">enquêtes</a> qui dénoncent certaines pratiques erratiques chez des musulmans <a href="https://www.puf.com/content/Les_territoires_conquis_de_lislamisme">ne valident pas</a> l’hypothèse d’une emprise globale que leurs titres généralisants suggèrent.</p>
<p>Les travaux de terrain, tels que <a href="https://agone.org/livres/lesimamsenfrance/lesimamsenfrance">l’enquête de Solenne Jouanneau</a> ou l’<em>Étude sociologique sur les imams de France</em>, réalisée par Franck Frégosi et Marie-Laure Boursin pour le Bureau des cultes du ministère de l’Intérieur (2018, non publiée), n’ont en effet pas identifié chez les imams de France un quelconque projet politico-religieux oppositionnel. Elles montrent même le contraire.</p>
<p>Comme le démontrent encore les <a href="https://www.repository.cam.ac.uk/handle/1810/290549">travaux doctoraux de Margot Dazey</a>, les acteurs associatifs musulmans souhaitent ardemment être reconnus comme des interlocuteurs respectables par les autorités publiques – la Charte en est un exemple manifeste.</p>
<h2>Démonstration de loyalisme politique</h2>
<p>Dès ses premières lignes, le texte de la Charte est émaillé de ces symboles de républicanisme qu’affectionne un certain discours politique : « valeurs républicaines », « respect des lois de la République », « une page importante de l’histoire de France », « le territoire de la République » (art. 1), « dans le cadre des principes et règles de la République qui fondent l’unité et la cohésion de notre pays » (art. 2), etc.</p>
<p>Même le plan de la Charte égrène, en intertitre et dans l’ordre, les principes de la devise républicaine : « La liberté » (titre de l’art. 3), « L’égalité » (art. 4), « La fraternité » (art. 5), en y ajoutant « L’attachement à la raison et au libre arbitre » (art. 7) et « L’attachement à la laïcité et aux services publics » (art. 8).</p>
<p>Le problème est que cette proclamation de loyalisme va de pair avec l’abaissement de la religion musulmane, comme on va le voir. Et c’est sans doute le trait le plus frappant, venant de responsables qui s’expriment en tant que représentants du culte musulman à l’échelle nationale, et s’adressent à des personnes qui exercent un magistère musulman à l’échelle locale.</p>
<p>La comparaison avec la <a href="http://www.zentralrat.de/3037.php">Charte du Conseil central des musulmans en Allemagne</a> est éloquente à cet égard. Rédigée en écho aux attentats du 11 septembre 2001, ce texte paisible et apaisant s’ouvre sur une leçon d’islam, comme les titres en témoignent : Article 1, « L’islam est la religion de la paix » ; article 2, « Nous croyons en un Dieu miséricordieux » ; article 3, « Le Coran est une révélation orale d’origine divine », etc.</p>
<p>Il faut attendre l’article 11 pour voir attester la conformité de l’islam au droit public allemand : « Les musulmans acceptent l’ordre juridique fondamental garanti par la Constitution » (art. 11), « Nous ne cherchons pas à établir une théocratie cléricale » (art. 12), « Il n’y a pas de contradiction entre la doctrine islamique et les droits fondamentaux de l’homme en Occident » (art. 13), etc.</p>
<p>Les derniers articles témoignent d’une logique d’inclusion, qui n’abdique rien de la fierté d’être musulman : « S’intégrer tout en maintenant l’identité islamique » (art. 19), « Une vie digne au sein de la société » (art.20).</p>
<h2>Démonstration d’assimilation culturelle</h2>
<p>À l’inverse de leurs homologues allemands, les rédacteurs de la Charte française insistent dès le préambule du texte sur « le respect » des « valeurs républicaines » et des « lois de la République », pour dire la subordination de l’islam de France aux lois communes.</p>
<p>Or, bien que la question de la hiérarchie entre religion et lois soit souvent posée dans les sondages (notamment pour soutenir <a href="https://www.lepoint.fr/politique/pour-57-des-jeunes-musulmans-la-charia-plus-importante-que-la-republique-05-11-2020-2399511_20.php">l’interprétation</a> selon laquelle, « pour les jeunes musulmans, la charia est plus importante que la République », elle n’en est pas moins aberrante dans notre régime de libertés.</p>
<p>Le principe de laïcité protège l’existence de deux espaces normatifs incommensurables, celui des lois humaines et celui des religions, largement autonomes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1351502031169744899"}"></div></p>
<p>La Charte des principes proclame :</p>
<blockquote>
<p>« Aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens » ; « nos convictions religieuses […] ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République. » (préambule)</p>
</blockquote>
<p>Pourtant il n’y a pas concurrence, les convictions religieuses n’ont à passer ni devant ni derrière, elles sont d’un autre ordre – c’est le principe même de « séparation des Églises et de l’État », qui fonde la loi de 1905.</p>
<p>Elles sont sujettes à sanction si elles suscitent des pratiques qui contreviennent à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, et autres critères prévus par la loi. Rappelons ainsi le célèbre article 9 de la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf">Convention européenne des droits de l’homme</a>, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité :</p>
<blockquote>
<p>1.« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »</p>
<p>2.« La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » (Nous soulignons)</p>
</blockquote>
<h2>Quel besoin d’inventer un « pacte » moral ?</h2>
<p>De ce point de vue, cette seule formule de la « Charte des principes » du CNI devrait suffire : « Nous exerçons notre mission dans le cadre des principes et règles de la République qui fondent l’unité et la cohésion de notre pays » (art. 2).</p>
<p>Quel besoin d’inventer un « pacte » moral qui lierait spécifiquement les musulmans, comme s’ils n’appartenaient pas pleinement et légitimement à l’espace français ?</p>
<blockquote>
<p>« Les musulmans […] sont liés à la France par un pacte. Celui-ci les engage à respecter la cohésion nationale, l’ordre public et les lois de la République. » (art. 1)</p>
</blockquote>
<p>Un tel « pacte » n’est requis d’aucune autre catégorie de citoyens. L’ordre public et les lois s’imposent à tout un chacun, pas de pacte en cette affaire.</p>
<p>Et qu’est-ce qu’implique des musulmans le « respect de la cohésion nationale » ? Sous couvert de donner des gages de loyauté, cette Charte requiert des imams des démonstrations de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_frontieres_de_lidentite_nationale-9782707169365">bonne assimilation</a>, à l’instar de celles qui conditionnent la « naturalisation » des <a href="https://journals.openedition.org/lectures/23052">étrangers</a>.</p>
<h2>La main de l’étranger</h2>
<p>De fait, le texte est tissé de références au partage entre Français et étranger. Il entend arracher symboliquement les musulmans de France et leurs imams à l’influence d’États dont l’extranéité est associée, dans la Charte, exclusivement à des activités nuisibles : ils « dictent » des « jugements » qui « disqualifient » certains coreligionnaires (art. 5), « soutiennent des politiques étrangères hostiles à la France » (art. 6), « visent, en toute méconnaissance des réalités de notre société, à créer la discorde et à nous diviser » (art. 9).</p>
<p>Sur ce fond d’altérisation nationale, la Charte appelle les musulmans de France, et les imams au premier chef, à « rejeter clairement toute ingérence de l’étranger dans la gestion de leurs mosquées et la mission de leurs imams » (art. 6).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1351590991162175488"}"></div></p>
<p>Ces récusations répétées des liens transnationaux sont dénoncées notamment par les fédérations de musulmans d’origine turque, non-signataires du texte. Mais elles étonnent plus généralement et paraissent relever surtout ici d’un conformisme discursif. En effet, les fédérations signataires sont elles aussi, dans leur majorité, liées à des États (Algérie et Maroc, en particulier) avec lesquels les pouvoirs publics français sont en relation constante sur les questions afférant à l’islam de France.</p>
<h2>Accepter la discrimination</h2>
<p>En fin de texte est évoqué le racisme. La Charte déplore que les musulmans en France « soient trop souvent la cible d’actes hostiles ». Mais, sans analyser plus avant le phénomène, elle enchaîne directement sur une nouvelle attestation de loyauté à l’État et au « peuple français » :</p>
<blockquote>
<p>« Ces actes sont l’œuvre d’une minorité extrémiste qui ne saurait être confondue ni avec l’État ni avec le peuple français. Dès lors, les dénonciations d’un prétendu racisme d’État, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation. Elles nourrissent et exacerbent à la fois la haine antimusulmane et la haine de la France. » (art. 9)</p>
</blockquote>
<p>Quoi qu’on pense du concept de « racisme d’État », on dispose de <a href="https://www.contretemps.eu/racisme-etat-institutionnel-police-administrations-discriminations-france-antiracisme-politique/">connaissances</a> sur la <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/16632961-du-racismedetat-en-france--fabrice-dhume-xavier-dunezat-camille-gourdeau--le-bord-de-l-eau">(re)production institutionnelle du racisme</a>.</p>
<p>Et depuis que la plainte en diffamation de Jean‑Michel Blanquer contre le syndicat Sud éducation 93 pour avoir « parlé de racisme d’État » en 2017 a été <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/02/07/racisme-d-etat-la-plainte-de-jean-michel-blanquer-contre-un-syndicat-classee-sans-suite_1628125">classée sans suite</a>, on sait qu’il n’y a pas de base juridique pour cette allégation.</p>
<hr>
<p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-peut-on-parler-de-racisme-detat-138189">Débat : Peut-on parler de « racisme d’État » ?</a>
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</em>
</p>
<hr>
<h2>Une interprétation forte de la non-compétence des religieux en matière politique</h2>
<p>Le discours pseudojuridique de la Charte montre en creux l’étau dans lequel sont pris ses rédacteurs : il est attendu des imams de France qu’ils s’interdisent absolument de critiquer l’État, ses politiques, et ses agents. Or, cette interprétation forte de la non-compétence des religieux en matière politique n’est imposée à aucun autre organisme religieux.</p>
<p>Mais en outre, le texte tend à interdire aux imams de prêter l’oreille aux éventuelles plaintes pour discriminations et de se faire l’écho des dénonciations d’un « racisme d’État », en (dis)qualifiant ces critiques politiques de « postures victimaires » et de « diffamation » (art. 9).</p>
<p>Au vu de la <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/grandes-enquetes/trajectoires-et-origines/">prévalence des discriminations</a> à raison de l’origine et de la religion supposées, cette présentation du problème du racisme <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/11/06/selon-un-sondage-40-des-musulmans-de-france-ont-fait-l-objet-de-racisme_6018225_3224.html">semble relever</a> du déni.</p>
<p>En bref, selon notre analyse, la Charte des principes pour l’islam de France appelle les imams à une performance d’assimilation culturelle et de soumission.</p>
<p>Cet appel ne saurait être entendu autrement que par pression morale, puisque le CFCM n’a pas d’autorité administrative sur les imams. Mais quel ascendant un organe peut-il exercer sur des hommes qu’il prétend attirer dans sa mouvance lorsqu’il parait entériner les préjugés et les discriminations dont ceux-ci souffrent au quotidien ?</p>
<p>La réponse est donnée par la réaction des fédérations qui refusent de se joindre aux signataires : dans ces conditions, la logique de la pression morale se retourne en défaveur de ceux qui l’exercent.</p>
<p>Ainsi ce texte suscite-t-il déjà de <a href="https://blogs.mediapart.fr/tribune-de-la-dignite/blog/090221/tribune-de-la-dignite">fortes critiques</a>, et risque d’ajouter au <a href="https://www.senat.fr/rap/r15-757/r15-7571.pdf">discrédit du CFCM parmi les musulmans</a>, sans résoudre aucunement la question de la peur de l’islam dans la population majoritaire, autrement dit sans régler la question cruciale de la confiance et de l’acceptation de l’islam comme religion de France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155309/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Dhume a reçu, pour plusieurs de ses recherches, un soutien financier du Défenseur des droits, de l'ARDIS et du FASILD/ACSE.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Françoise Lorcerie ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Prenant acte des vives inquiétudes exprimées par les autorités sur l’islam et ses liens avec le terrorisme, les rédacteurs du Conseil français du culte musulman ont proposé une charte polarisante.Fabrice Dhume, Sociologue, chercheur à CRISIS, associé à l'URMIS, Université Paris CitéFrançoise Lorcerie, Professeure, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1553142021-02-18T20:33:07Z2021-02-18T20:33:07ZLes impensés de la « réforme de l’islam »<p>L’idée de vouloir « réformer l’islam » n’est pas neuve, elle a une véritable légitimité dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gd-cW6MGPuQ">champ islamique</a> et elle fut même théorisée par nombre de penseurs, savants, hommes ou femmes, et ce, depuis au moins le premier tiers du XIX<sup>e</sup> siècle parmi le milieu des oulémas en <a href="https://livre.fnac.com/a9866152/Mohamed-Haddad-Le-reformisme-musulman-une-histoire-critique">Tunisie ottomane</a> ; autant qu’on puisse remonter.</p>
<p>C’est d’ailleurs sur cet héritage peu connu, écrasé par l’actuelle domination du salafisme saoudien et de la galaxie des Frères musulmans, que des femmes courageuses tentent, depuis la France, de faire émerger un <a href="https://www.facebook.com/MosqueeFatima/">islam progressiste</a>, telles que Kahina Bahloul avec la « mosquée Fatima » ou <a href="http://www.voix-islam-eclaire.fr/">Anne-Sophie Monsinay et Eva Janadin</a> avec leur « Mouvement pour un islam spirituel et progressiste ».</p>
<p>Les hommes ne sont pas en reste bien sûr, certains contribuent à l’effort des premières, Faker Korchane notamment aux côtés de <a href="https://www.saphirnews.com/Avec-la-mosquee-Fatima-les-voix-de-l-islam-liberal-s-affirment_a26640.html">Kahina Bahloul</a> ou Omero Marongiu-Perria qui intervient régulièrement au sein des <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/questions-dislam/rouvrir-des-debats-que-les-docteurs-de-la-loi-avaient-clos-au-moyen-age">deux mouvements</a>. D’autres encore creusent leur propre sillon, plus ou moins critique à l’égard des discours de l’islam majoritaire, à l’instar du Dr al Ajamî, coraniste, auteur d’une thèse de doctorat sur l’exégèse coranique et dont le site Internet propose des articles thématiques originaux sur des questions souvent verrouillées par l’exégèse <em>mainstream</em>, par exemple, le <a href="https://www.alajami.fr/index.php/2018/01/23/le-salut-universel-selon-le-coran-et-en-islam/">salut des non-musulmans dans l’au-delà</a> ou l’épineuse question de <a href="https://www.alajami.fr/index.php/2018/11/27/lheritage-des-femmes-selon-le-coran-et-en-islam/">l’égalité hommes/femmes dans l’héritage</a>.</p>
<p>Citons également Mohamed Bajrafil, docteur en linguistique, désormais <a href="https://www.la-croix.com/Religion/En-desaccord-gestion-culte-musulman-Mohamed-Bajrafil-cesse-detre-imam-2020-11-26-1201126809">ex-imam</a>, qui se confronte de plus en plus frontalement au paradigme conservateur propagé dans les milieux pratiquants qu’il déconstruit en vue d’une relecture plus contemporaine, par exemple <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zI2IRnqtHGU&%3Bab_channel=LaCroix">ici</a> avec la question, notamment, de l’apostasie (ردّة <em>ridda</em>) et du rapport manichéen entre croyants/« mécréants ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Tareq Oubrou, imam de Bordeaux.</span></figcaption>
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<p>Enfin, l’imam de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, qui intervient régulièrement sur les débats qui agitent notre société avec une argumentation visant l’apaisement social, non sans égratigner de temps en temps certaines pratiques que le discours religieux dominant a tendance à surinvestir, lorsqu’il montre par exemple comment l’interdiction de l’imamat féminin n’a en fait rien à voir avec un quelconque ordre divin mais relève plutôt de l’histoire humaine (et masculine) du droit canon ou lorsqu’il relativise grandement l’obligation (وجوب <em>wuǧūb</em>) du port du voile.</p>
<p>Ces quelques exemples sont loin d’être exhaustifs, les acteur(rice)s du courant réformiste sont légion, leur production ayant été le plus souvent <a href="https://www.jeuneafrique.com/depeches/21176/politique/la-fille-dun-penseur-soudanais-execute-veut-faire-revivre-son-message-de-paix/">censurée</a> par des régimes autoritaires qui donnaient, ce faisant, des gages « d’authenticité » (أصالة <em>aṣāla</em>) à leur extrême droite religieuse.</p>
<p>Les réformistes sont tels des électrons libres pour le moment, éparpillés ci et là, ils ne constituent pour le moment pas encore un mouvement assez structuré pour donner le change aux courants dominants, certains même parmi eux ne s’apprécient guère, mais toujours est-il qu’ils concourent, bon gré mal gré, à ce qu’on appelle la « réforme de l’islam ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Colloque sur la réforme de l’islam, MSH Paris Nord.</span></figcaption>
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<p>Et qui sait, la minorité d’aujourd’hui pourrait devenir la majorité de demain, qui aurait par exemple prévu que le judaïsme réformé devienne aux USA le courant majoritaire ? N’oublions pas également qu’avant de devenir le courant dominant dans le monde sunnite, le salafisme n’était encore à l’aube du XX<sup>e</sup> siècle qu’une secte n’ayant pas très bonne presse dans le monde musulman (voir la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=eEWwS3X1NNg">série en 34 épisodes</a> de l’ex-salafiste Islam Ibn Ahmad ou, pour une approche plus académique, <a href="https://livre.fnac.com/a3324114/Nabil-Mouline-Les-clercs-de-l-islam">l’ouvrage riche</a> de notre collègue du CNRS Nabil Mouline.</p>
<h2>Réformer ou… pacifier ?</h2>
<p>Notre gouvernement également y semble sensible puisque ce projet avait déjà été annoncé dès <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/02/11/reforme-de-l-islam-macron-veut-en-finir-avec-les-influences-etrangeres_1628963/">l’année 2018</a> sous les auspices notamment du <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/laicite/emmanuel-macron-travaille-a-une-reforme-de-l-islam-de-france-pour-le-premier-semestre_2605428.html">politologue Gilles Kepel et du philosophe Youssef Seddik</a>.</p>
<p>Il est désormais replacé au cœur des débats avec la fameuse « Charte des principes » de <a href="https://www.france24.com/fr/france/20210118-emmanuel-macron-re%C3%A7oit-le-cfcm-apr%C3%A8s-l-adoption-d-une-charte-de-principes-de-l-islam">l’islam de France</a>, pendant que le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/ce-que-contient-le-projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-republique-20210131">est encore débattu</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1360340700064325632"}"></div></p>
<p>Comme souvent, le diable réside dans les détails, notamment dans les mots : pour certains, réformer l’islam signifie que cette religion et ses adeptes devraient être « pacifiés », partant de l’équation simpliste qu’islam = « islamisme » potentiel (les guillemets sont de rigueur) = terrorisme potentiel.</p>
<p>À l’autre extrémité du spectre, les musulmans conservateurs – militants ou non de l’islam politisé – considèrent que l’islam n’a aucunement besoin d’être réformé, voire même que cette religion serait intrinsèquement réformiste, car ils comprennent « réforme » au sens de l’arabe moderne إصلاح (<em>iṣlāḥ</em>) qui est à leurs yeux connoté positivement. Pour eux, cette notion signifie le retour aux sources dites authentiques de l’islam et aux trois premières générations de musulmans (سلف صالح <em>salaf ṣāliḥ</em>).</p>
<p>La même notion, on le voit bien ici, signifie des choses bien différentes, raison pour laquelle je tiens à distinguer <a href="https://univ-paris13.academia.edu/StevenDuarte">dans mes recherches</a> le « réformisme » du « revivalisme » : le premier intègre les acquis de l’esprit humain en réinterprétant de façon critique le patrimoine (<em>turāṯ</em>), pendant que le second nie toute historicité en se préservant, tant que faire se peut, de l’altérité.</p>
<h2>Confusion des objectifs</h2>
<p>En reposant sur la scène publique la sempiternelle question de la structuration de l’islam de France, quel objectif cherche-t-on à atteindre finalement ? S’agit-il d’une opération de communication, à l’échelle nationale, dans un contexte anxiogène et post-attentats, en vue de signifier à la communauté nationale que les représentants de l’islam adhèrent pleinement au pacte républicain ? Dont acte.</p>
<p>Toutefois, au vu du peu de représentativité du CFCM, il ne faut pas en attendre autre chose car s’il s’agissait par exemple de voir émerger par cela un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MetmCNPtBYU">« islam des Lumières »</a>, nul besoin d’être prophète pour savoir que ce genre de reconfiguration ne se décrète pas d’en haut. D’autant plus dans l’islam sunnite majoritaire, qui se démarque nettement de l’islam chiite sur ce point, l’autorité religieuse – même la plus légitime – ne détient aucunement le pouvoir symbolique d’imposer ses interprétations au plus grand nombre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1359944162339147778"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, les grandes transformations durables ayant eu lieu au sein des religions proviennent en fin de compte toujours de la libre adhésion des fidèles et de leur abnégation à construire une autre voie, que ce soient les <a href="https://livre.fnac.com/a9053392/Jean%E2%80%91Bauberot-Histoire-du-protestantisme#omnsearchpos=1">réformes protestantes</a> issues du catholicisme ou, plus proche de notre sujet, l’émergence des <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-juives1-2007-2-page-9.htm">communautés juives libérales</a> de France face à l’hégémonie du Consistoire.</p>
<h2>Une charte qui devrait être étendue ?</h2>
<p>La « charte des principes » signée au forceps par la plupart des fédérations du CFCM et comportant, entre autres, l’affirmation de l’absolue égalité hommes/femmes, le droit d’abjurer sa religion, la condamnation de l’expression de la haine de l’autre, des minorités sexuelles, etc., sont en soi des éléments positifs lorsque l’on défend des idées progressistes. Néanmoins, dans un pays où un polémiste d’extrême droite <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/25/eric-zemmour-condamne-a-10-000-euros-d-amende-pour-injure-et-provocation-a-la-haine_6053635_3224.html">multirécidiviste</a> peut assigner des millions de nos concitoyens musulmans à une identité religieuse fantasmée et anhistorique à des heures de grande écoute, tout en normalisant une <a href="https://www.fnac.com/livre-numerique/a8855673/Renaud-Camus-Le-Grand-Remplacement-troisieme-edition">théorie mortifère</a> dont s’est inspiré un terroriste norvégien pour assassiner lâchement 77 innocents, l’on peut à bon droit se demander s’il ne faudrait finalement pas étendre la signature de cette « charte des principes » à d’autres entités/personnalités que les seules fédérations musulmanes ?</p>
<p>Dans un contexte de crise multiforme, ce genre de « signaux faibles » de la radicalité ne trompent pas, il est à craindre que nous soyons déjà entrés dans l’ère des « identités meurtrières » que prophétisa <a href="https://www.grasset.fr/livres/les-identites-meurtrieres-9782246548812">l’éclaireur</a> (et l’éclairant) Amin Maalouf, ère dans laquelle le repli sur soi auprès de SA communauté est favorisé par la mise en exergue d’identités mythifiées et excluantes. Saura-t-on résister à ce danger ?</p>
<h2>Quelques pistes</h2>
<p>Pour esquisser quelques pistes préalables, tout d’abord, le choix des mots est important : la notion de séparatisme, contrairement au « terrorisme » et au « fondamentalisme », ne permet pas une distinction assez claire entre un repli du soi même radical que l’on retrouve dans toutes les religions et le passage à l’acte terroriste. La plasticité de cette notion est problématique, ce n’est pas la <a href="https://ifpo.hypotheses.org/6297">seule</a>, tant s’en faut. Et ne gaspillons pas trop d’espace ici avec celle « d’islamo-gauchisme », ce type d’anathème flasque illustre en soi le symptôme d’une défaite de la pensée qui ne nous élèvera aucunement en tant que société démocratique forte de ses principes.</p>
<p>Il est en effet très important sur ces épineuses questions de distinguer méthodiquement la question des fondamentalismes religieux de celle du terrorisme et ce sont notamment les psychologues <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/270027-extremisme-violent-et-desengagement-de-la-violence">du passage à l’acte</a> ayant travaillé concrètement sur les cas de condamné·e·s pour terrorisme qui nous l’expliquent le mieux. Même si la religiosité peut être en effet importante pour nombre d’entre eux au titre de la justification de leurs actes, ce n’est pas elle qui en est le moteur psychique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Séparatisme : faut-il une loi ? – 28 Minutes – Arte.</span></figcaption>
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<p>Les djihādistes sont en cela bien plus proches des terroristes de Christchurch, d’Oslo et d’Utøya, voire même du Ku Klux Klan, qu’ils ne le sont d’acteurs de l’islam politisé partageant pourtant l’identification à la même religion.</p>
<p>Par conséquent, l’antienne autour de la longueur des voiles (dont la France a le secret <a href="https://www.franceculture.fr/societe/30-ans-de-laffaire-du-foulard-de-creil-le-voile-de-la-discorde">depuis plus de trente ans</a>) et, demain peut-être, sur la solidité des perruques, peut à la rigueur être pertinent s’il s’agit par cela de traiter la question des fondamentalismes religieux. Ces derniers ont en effet une propension à sursacraliser et à établir un contrôle infantilisant du corps des femmes, toutefois, il n’y a aucun rapport entre cela et la question du terrorisme.</p>
<p>Pour ce dernier, je ne vois pas d’autres solutions que de renforcer les moyens des professionnels de l’antiterrorisme : renseignement, infiltrations, surveillance sur les réseaux sociaux et messageries cryptées ; chacun son métier, c’est eux qu’il faut impérativement consulter sur ces questions et non des tartuffes.</p>
<p>Enfin, pour conclure sur le sujet de départ, si réforme de l’islam il y a, elle ne pourra que très difficilement s’épanouir dans un contexte anxiogène où l’actualité demeure saturée par la référence quasi obsessionnelle à cette religion et, en cela, les terroristes ont pour le moment gagné sur un point : leurs attentats sont parvenus à hystériser les débats. Ne leur offrons donc pas cette victoire en sachant strictement séparer les choses afin que puisse émerger sereinement des musulmans eux-mêmes un courant de l’islam progressiste, et ce, dans notre intérêt à tous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155314/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Steven Duarte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’idée d’une réforme de l’islam a une véritable légitimité dans le champ islamique et fut même théorisée par nombre de penseurs, savants, hommes ou femmes, depuis au moins le début du XIXᵉ siècle.Steven Duarte, Maître de conférences arabe / islamologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1507082021-01-03T16:09:58Z2021-01-03T16:09:58ZPrésidentielle américaine : comment la religion des citoyens a pesé sur leur vote<p>Même s’il convient de toujours avoir à l’esprit le <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2020/11/04/henry-olsen-polling-industry-failure/?itid=lk_inline_manual_2">caractère faillible des sondages</a>, l’analyse des données récupérées <a href="https://www.cnn.com/election/2020/exit-polls/president/national-results">à la sortie des urnes</a> lors de la dernière élection présidentielle aux États-Unis fournit une photographie intéressante du vote des Américains <a href="https://apnews.com/article/votecast-trump-wins-white-evangelicals-d0cb249ea7eae29187a21a702dc84706">selon leur affiliation religieuse</a>.</p>
<p>Il en ressort que ce vote connaît actuellement une <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/elections/exit-polls-changes-2016-2020/?itid=sf_elections_election-analysis">recomposition significative</a>.</p>
<h2>Les évangéliques blancs, toujours républicains…</h2>
<p>Les chrétiens évangéliques blancs, qui représentent <a href="https://www.pewforum.org/religious-landscape-study/racial-and-ethnic-composition/">76 % de la population évangélique et 25 % de la population votante</a>, semblent fermement arrimés au camp républicain. Selon le <a href="https://www.npr.org/2020/11/03/929478378/understanding-the-2020-electorate-ap-votecast-survey">National Election Pool et les sondages de sortie de l’AP/VoteCast</a>, Donald Trump a récolté 81 % de leurs suffrages, soit à peu près la même proportion qu’en 2016.</p>
<p>Partout où leur poids démographique est le plus fort, les votes du collège électoral sont restés républicains. Les évangéliques semblent avoir continué à approuver le réalignement idéologique que la candidature et victoire de Donald Trump ont provoqué depuis 2016 au sein du parti républicain – un phénomène, rapidement qualifié de <em>trumpisme</em>, se voulant à la fois national-conservateur et chrétien. Son manichéisme populiste, accusant les élites libérales, les urbains progressistes, les immigrants, les médias, les féministes de détruire la « vraie » Amérique, par ailleurs morale et croyante, a pu encore une fois les convaincre qu’il était leur défenseur.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ULt6-VFjxkY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Robert P. Jones, directeur du <a href="https://www.prri.org/">Public Religion Research Institute</a> et auteur de l’essai <a href="https://www.theguardian.com/books/2020/jul/25/white-too-long-review-race-trump-american-christianity"><em>White Too Long : The Legacy of White Supremacy in American Christianity</em></a>, tout comme les sociologues et co-directeurs de l’<a href="https://www.thearda.com/">Association of Religion Data Archives</a>, Andrew L. Whitehead et Samuel L. Perry, dans leur recherche <a href="https://global.oup.com/academic/product/taking-america-back-for-god-9780190057886?cc=fr&lang=en&"><em>Taking America Back for God : Christian Nationalism in the US</em></a>, ont décrit la cristallisation raciale-nationaliste d’une partie importante du monde évangélique blanc sous le mandat de Donald Trump.</p>
<p>Par sa rhétorique, fondée pour une large part sur la dénonciation d’une supposée hégémonie du camp progressiste – lequel serait par définition hostile aux Blancs, aux chrétiens et aux « valeurs traditionnelles » –, Donald Trump a, tout au long de son mandat, conforté le sentiment des évangéliques que les chrétiens étaient discriminés et que leur liberté religieuse était en danger.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/evangelical-leaders-like-billy-graham-and-jerry-falwell-sr-have-long-talked-of-conspiracies-against-gods-chosen-those-ideas-are-finding-resonance-today-132241">Evangelical leaders like Billy Graham and Jerry Falwell Sr. have long talked of conspiracies against God's chosen – those ideas are finding resonance today</a>
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<p>Dans les États de la « Sun Belt », en transition démographique – la population s’y mélange de plus en plus –, leur soutien à Trump a été encore plus important qu’au niveau national : 82 % en Floride, 89 % en Géorgie, 86 % en Caroline du Nord et 82 % au Texas. Selon <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/this-is-a-massive-failure-of-character-among-republicans--with-evangelicals-out-in-front/2020/11/12/c7a05396-251e-11eb-8672-c281c7a2c96e_story.html">Robert P. Jones</a>, leur vote pour Trump a été une façon de résister à « la marée du changement démographique et culturel ».</p>
<h2>… mais tiraillés à leurs marges</h2>
<p>Cependant, des signes d’érosion de l’homogénéité de ce bloc <a href="https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02359703">se sont manifestés avant la campagne</a> et pendant celle-ci.</p>
<p>Au sein du bloc évangélique blanc, la position jusqu’au boutiste en faveur de Trump, considéré littéralement comme l’élu de Dieu par un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0TLAN8hKw4A">réseau croissant d’Églises pentecôtistes néo-charismatiques</a>, aspirant par ailleurs au <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/im-a-pro-life-evangelical-in-supporting-trump-my-movement-sold-its-soul/2020/10/07/04d90712-0733-11eb-859b-f9c27abe638d_story.html">leadership sur le monde évangélique</a> a aussi contribué aux remous d’une partie des <a href="https://www.washingtonpost.com/religion/2020/10/02/new-evangelical-leaders-support-biden/">responsables</a> et des <a href="https://www.christianitytoday.com/ct/2019/december-web-only/trump-should-be-removed-from-office.html">médias évangéliques</a> qui ont <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/im-a-pro-life-evangelical-in-supporting-trump-my-movement-sold-its-soul/2020/10/07/04d90712-0733-11eb-859b-f9c27abe638d_story.html">pris leurs distances avec Trump</a>. Certains ont tout récemment manifesté <a href="https://abcnews.go.com/Politics/pastor-robert-jeffress-staunch-trump-evangelical-supporter-calls/story?id=74151603">leur confiance</a> dans le système électoral américain lors de la crise de transition. On a également davantage entendu les <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Religion-et-spiritualite/%C3%89tats-Unis-generation-devangeliques-coeur-gauche-2017-10-27-1200887742">évangéliques sociaux</a>, attachés aux valeurs de justice sociale et raciale, si <a href="https://theconversation.com/evangelical-christians-are-on-the-left-too-66253">intimement liées à l’histoire de l’évangélisme américain</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/C7UcBmdxu3E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les sondages avancent que <a href="https://www.nytimes.com/2020/11/11/opinion/biden-evangelical-voters.html">Joe Biden a obtenu plus de votes parmi les évangéliques blancs dans les États clés</a> qu’au niveau national. De même, les minorités ethniques évangéliques, noires, latinos et asiatiques, traditionnellement démocrates, sont en <a href="https://www.washingtonpost.com/news/post-nation/wp/2018/06/22/will-the-growing-numbers-of-evangelicals-of-color-mean-less-influence-for-white-christian-conservatives/">croissance numérique</a>.</p>
<p>Cependant, les Démocrates auraient tort de compter sur leur soutien complet : les évangéliques latinos ont plus tendance à voter républicain que démocrate, à l’instar de leurs homologues blancs, ce qui conduit à nuancer l’idée de l’émergence d’un front évangélique progressiste propice aux fortunes électorales du parti de l’âne.</p>
<h2>Des catholiques diversifiés qui convergent au centre</h2>
<p>Pris globalement, le vote catholique est revenu à quasi-parité entre Républicains et Démocrates, soit 50 % pour Trump et 49 % pour Biden ou inversement selon les sondages. Dans le détail, la répartition raciale et sociale de cette population, la plus diversifiée de toutes les dénominations américaines et la plus importante démographiquement derrière les évangéliques (22 % de l’électorat, composé pour deux tiers de catholiques blancs et pour un quart de catholiques latinos), se combine avec <a href="https://www.ncronline.org/news/politics/signs-times/2020-nonexistent-catholic-vote-will-be-crucial-again">leur nombre élevé dans certains États</a> (Rust Belt, Nouvelle-Angleterre et Sun Belt). Ces États ont été et resteront des États clés. La palette des références catholiques proches des positions démocrates (sur l’immigration, l’accueil des réfugiés, la justice sociale, le juste salaire, le droit à la santé, l’éducation, le bien commun, y compris sanitaire et environnemental) a permis – malgré une <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2020/10/catholics-joe-biden-pope-francis-devil/616732/">forte mobilisation des catholiques conservateurs</a> en faveur de Trump – des « désengagements partisans » qui ont réduit leur propre polarisation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1321925626912215041"}"></div></p>
<ol>
<li><p>Une part plus importante encore que chez les évangéliques de blancs catholiques, à la fois conservateurs et plus pratiquants, a rompu l’amarre qui la rattachait au camp républicain. C’est la surprise attendue de ce dernier scrutin. Selon les deux sondages de sortie des urnes, Joe Biden a réduit l’écart qui le séparait de Trump chez les catholiques blancs de 12 ou 13 points. La raison en est double : Trump ayant rempli leur objectif judiciaire (3 juges conservateurs nommés à la Cour suprême), les catholiques ne sont pas passés, cette fois-ci, par-dessus sa personnalité rebutante. Ensuite, Biden aura manifesté une foi suffisamment sincère et un projet politique suffisamment modéré pour qu’ils se souviennent de son appartenance catholique. Ainsi, alors <a href="https://text.npr.org/926659149">qu’ils avaient voté à 64 % pour Donald Trump en 2016</a> et qu’ils sont restés concernés par le même rejet de l’avortement et du mariage pour les homosexuels, les <a href="https://apnews.com/article/votecast-trump-wins-white-evangelicals-d0cb249ea7eae29187a21a702dc84706">catholiques blancs ne sont « plus » que 57 % à avoir voté</a> pour le président sortant en 2020.</p></li>
<li><p>Dans les <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/elections/exit-polls-changes-2016-2020/?itid=lk_inline_manual_9">États clés</a> du Wisconsin, du Michigan et de <a href="https://www.post-gazette.com/news/faith-religion/2020/11/09/Pennsylvania-religious-vote-presidential-race-Biden-Trump-evangelical-Christian-Protestant-Catholic-Jewish-Muslim/stories/202011080093">Pennsylvanie</a>, ces mêmes catholiques blancs ont encore un peu moins voté pour Trump que leur moyenne générale (54 %). Leurs points de différence ont contribué à faire basculer lesdits États pour Biden, lequel y a également récolté une large majorité des électeurs religieux non blancs.</p></li>
<li><p>Enfin, si les Hispaniques catholiques ont voté à 67 % pour Joe Biden, les électeurs latinos d’origine cubaine, vénézuélienne et nicaraguayenne de Floride <a href="https://edition.cnn.com/2020/11/03/politics/exit-polls-2020/index.html">ont majoritairement voté républicain</a>, notamment par opposition au tournant « socialiste » ou « laxiste » supposé du Parti démocrate, démentant la loyauté inébranlable des Latinos envers le parti de l’âne. Les Républicains ont aussi enregistré des gains très significatifs chez les catholiques mexicains du Texas, ce qui s’explique en partie par leur conservatisme sur les questions sociétales.</p></li>
</ol>
<p>Les questions de justice raciale ont particulièrement contribué à fissurer le mur des catholiques pratiquants et d’une part des évangéliques. Tandis que 7 évangéliques blancs sur 10 considéraient avant les élections que les meurtres d’Afro-Américains par la police étaient des incidents isolés plutôt qu’un problème de racisme (73 % en 2015 et 70 % en 2020), la proportion de catholiques blancs partageant cette perception a chuté de 13 points (71 % en 2015 à 58 % en 2020). De même, quoique conservateurs, patriotes et sensibles à la rhétorique du remplacement démographique, les catholiques blancs sont moins inquiets de l’altérité ethnique et plus sensibles à l’éradication de la pauvreté comme cause politique. Ils sont également susceptibles d’accepter plus de compromis sur les questions relatives aux droits des minorités sexuelles et <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/10/20/8-key-findings-about-catholics-and-abortion/">acceptent majoritairement</a> – sans l’approuver pour autant – la légalité de l’avortement.</p>
<h2>La nouvelle religiosité du Parti démocrate : un bon calcul ?</h2>
<p>Durant sa campagne, Joe Biden a largement <a href="https://news.gallup.com/opinion/polling-matters/318308/religion-takes-larger-role-democrats-year.aspx">insisté sur sa foi</a> et multiplié les mains tendues vers l’électorat croyant, même si les <a href="https://catholicvote.org/wp-content/uploads/2020/09/CV-Biden-Report-5.1.pdf">catholiques conservateurs ont dénoncé</a> la « superficialité » de ses positions, mettant en avant ses revirements sur des questions telles que l’avortement ou les droits des personnes LGBTQ.</p>
<p>Ce positionnement de Joe Biden lui a permis d’obtenir le soutien de nouveaux groupes comme les <a href="https://www.ncronline.org/news/opinion/4-ways-progressive-pro-lifers-can-reengage-democratic-leaders">« progressive pro-lifers »</a> ou les <a href="https://theconversation.com/understanding-christians-climate-views-can-lead-to-better-conversations-about-the-environment-115693">« pro-climate Christians »</a>. Dans le même temps, la<a href="https://www.ncronline.org/news/coronavirus/bishops-add-covid-19-anti-racism-elements-four-year-strategic-plan">Conférence épiscopale des États-Unis</a> a pris des positions très fermes sur les questions de migration, de pauvreté, de racisme et de santé.</p>
<p>Pendant la campagne démocrate, la traditionnelle défense des minorités sexuelles – qui est absolument acquise au sein de ce parti – a été moins valorisée que la <a href="https://time.com/5903399/gender-gap-politics/">promotion des femmes</a>, sans parler de <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=4xbSGsBFmnQ">l’appel constant de Biden à la « décence »</a>. Cela a abouti, dans le discours de victoire de Joe Biden, non seulement au retour de la rhétorique biblique de bénédiction qu’emploient régulièrement les présidents des États-Unis comme <a href="http://www.robertbellah.com/articles_5.htm">grands prêtres d’une religion civile toujours vibrante</a> mais également à la <a href="https://edition.cnn.com/politics/live-news/trump-biden-election-results-11-07-20/h_94fe1f58baf52fe233d3bfd5d9ba0c10">récitation d’un hymne catholique</a> qu’aimait son fils décédé, Beau, paroles dédiées à tous les Américains en souffrance.</p>
<p>L’inflexion religieuse du Parti démocrate va-t-elle contrarier le dernier groupe d’électeurs désormais le plus important, à savoir les Américains sans religion, <a href="https://www.au.org/blogs/2020-religious-vote">qui ont voté pour Biden à plus de 70 %</a> ? Ce groupe, qui vote davantage pour l’aile socialiste du Parti démocrate, n’a cessé de croître et avoisinerait désormais les 25 % de la population. Il comprend la jeune génération des millennials, beaucoup plus sécularisés que les générations précédentes. Il semblerait que, pour l’instant, cette masse grandissante, si elle est particulièrement « ouverte » en matière de mœurs, est également ouverte au pluralisme religieux et racial, cherchant à protéger la minorité musulmane, également <a href="https://www.npr.org/2020/12/04/942262760/majority-of-muslims-voted-for-biden-but-trump-got-more-not-less-support">très démocrate</a>. Le parti doit donc, plus que jamais, s’il veut à la fois ménager sa tradition laïque et <a href="https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02359703">récupérer l’électorat croyant</a>, se présenter comme la formation du compromis et de l’inclusion.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150708/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Aux États-Unis, l’appartenance religieuse demeure un facteur explicatif important du vote. L’élection présidentielle de cette année a mis en évidence plusieurs évolutions notables du vote religieux.Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Marie Gayte, Chercheuse au laboratoire Babel de l'Université de Toulon, spécialiste de la politique américaine contemporaine, Université de ToulonRobin D. Presthus, Enseignant au Moravian College de Pennsylvanie, doctorant au Laboratoire Interdisciplinaire De Droit et Mutations Sociales, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1511452020-12-09T19:02:50Z2020-12-09T19:02:50ZPluralisme culturel et cultuel : regards du Royaume-Uni sur la France<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/373964/original/file-20201209-19-3fgqp2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C12%2C997%2C645&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Première ministre britannique Theresa May au côté du Guru Nanak Sikh Gurdwara, à Walsall, dans le centre de l'Angleterre, le 11 avril 2018, lors de la fête du Vaisakhi, date essentielle du calendrier sikh.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Joe Giddens, AFP</span></span></figcaption></figure><p>Il n’est pas rare que la presse britannique porte un regard sévère sur la France et en égratigne au passage les représentants politiques. Néanmoins c’est bien la première fois qu’un journal comme le <a href="https://www.ft.com/content/8e459097-4b9a-4e04-a344-4262488e7754*"><em>Financial Times</em></a> retire un article critiquant la politique française et plus particulièrement la loi sur le séparatisme en offrant de surcroît un <a href="https://www.lepoint.fr/politique/macron-repond-au-financial-times-et-refute-une-stigmatisation-des-musulmans-05-11-2020-2399498_20.php">droit de réponse à Emmanuel Macron</a>.</p>
<p>Il est vrai que les incompréhensions franco-britanniques concernant la gestion de la pluralité culturelle et cultuelle existent. Il est difficile d’appréhender le point de vue du Royaume-Uni sur ce qui se passe en France si on n’essaye pas de comprendre comment s’articule dans cet État la relation au religieux et par conséquent la gestion du pluralisme religieux.</p>
<p>En premier lieu il faut souligner le rôle évident de la langue et de la simple traduction. Ainsi, traduire un concept dans un autre contexte sans exposer les différences contextuelles mène à des analyses et à des conclusions erronées. Sans compter que le simple passage de la langue française à la langue anglaise ou réciproquement induit parfois un changement de sens.</p>
<p>Ainsi, le mot <em>communauté</em> ou <em>communautarisme</em> <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-2-page-177.htm">est connoté négativement en français et en France</a>. Alors que dans la langue anglaise et dans le contexte britannique plus particulièrement, le mot <em>community</em> a une connotation positive comme dans « community cohesion » qui est le modèle mis en avant pour <a href="https://www.gov.uk/government/publications/community-cohesion">gérer la pluralité culturelle dans la société britannique</a>.</p>
<p>Mais plus fondamentales encore, les spécificités des histoires politiques, institutionnelles et constitutionnelles de chaque pays doivent être passées en revue afin d’éclairer les divergences structurelles qui mènent aux incompréhensions.</p>
<h2>Pluralités de nations et de cultures au sein du Parlement</h2>
<p>Le Royaume-Uni et la France s’appuient sur des traditions juridiques et politiques bien distinctes. La France est une République une et indivisible alors que le Royaume-Uni est une monarchie parlementaire. Et cette monarchie parlementaire a progressivement intégré le pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande en englobant au sein de l’unité parlementaire britannique des nations différentes, <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300178524/four-nations">« les nations constitutives »</a> à qui il a été permis dès le début de leur incorporation de maintenir des particularismes linguistiques religieux et juridiques.</p>
<p>La <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ps/2002-v21-n1-ps2479/040298ar/">dévolution</a>, c’est-à-dire le transfert de pouvoir vers les différentes « nations constitutives », en 1999 a mis fin à l’unité parlementaire du Royaume-Uni qui abrite aujourd’hui en son sein <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/770300/IntroductionToDevolution.pdf">quatre assemblées nationales</a>.</p>
<p>On a ainsi, au sein de l’entité politique britannique, une pluralité nationale et parlementaire réelle. La France, quant à elle, s’est construite en gommant les diversités régionales autour d’un mouvement centralisateur et unificateur.</p>
<h2>État et religion</h2>
<p>De même, en termes de séparation de pouvoir entre le religieux et l’État, la situation est tout autre au Royaume-Uni où il y a deux églises établies : l’église d’Angleterre et l’église d’Écosse.</p>
<p>Ces deux églises ont graduellement perdu toute main mise sur le pouvoir politique, la « révolution glorieuse » de 1688-1707, constitue, en ce sens un <a href="https://www.parliament.uk/about/living-heritage/transformingsociety/private-lives/religion/overview/church-and-religion/">évènement fondateur</a>.</p>
<p>Comme l’écrit Edouart Tillet, <a href="https://books.openedition.org/puam/1467?lang=f">« la glorieuse révolution consacre une monarchie sécularisée, soumise à un ordre légal »</a>. C’est à ce titre qu’il est possible de parler de sécularisme au Royaume-Uni. Néanmoins aujourd’hui la reine reste à la fois à la tête de l’Église anglicane et à la tête de l’État. C’est certes un symbole, mais ce symbole est puissant car la personne du souverain est à la fois politique et théologique et <a href="https://www.royal.uk/queens-relationship-churches-england-and-scotland-and-other-faiths">incarne la coexistence harmonieuse de ces deux ordres</a>.</p>
<p>Au-delà du symbole, il y a une présence ecclésiastique dans la sphère du pouvoir politique et réciproquement. Sur les conseils du premier ministre, la reine nomme ainsi les deux archevêques et les 24 évêques de l’Église anglicane <a href="https://churchinparliament.org/about-the-lords-spiritual/https://www.britannica.com/topic/House-of-Lord">au sein de la Chambre des Lords</a> (une des deux chambres du Parlement britannique).</p>
<p>La relation entre l’État et la religion n’est pas le fruit d’un fort antagonisme comme en France, où la loi de séparation des Églises et de l’État a été votée en 1905 <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/laicite-1905-2005-entre-passion-et-raison-jean-bauberot/9782020637411">dans un climat de guerre civile</a>. Elle était destinée à poser les bases d’une pacification entre l’État et l’Église catholique.</p>
<p>Néanmoins, à l’instar de la France, l’État britannique ne finance directement aucun culte, pas même celui de l’Église anglicane. Les religions qui le souhaitent peuvent obtenir le statut d’institutions charitables, les « charities » et bénéficient à ce titre d’aide indirecte de l’État au travers d’un régime fiscal avantageux, comme l’allègement d’impôt, etc.</p>
<h2>Spécificités constitutionnelles</h2>
<p>D’un point de vue constitutionnel, la différence entre la France et le Royaume-Uni apporte un autre éclairage sur la différence de gestion des croyances et des faits religieux.</p>
<p>Il n’y a pas au Royaume-Uni une seule source de la constitution, mais un ensemble de textes à valeur constitutionnelle, dont la plus ancienne et la plus connue est la Grande Charte <a href="https://www.archives.gov/exhibits/featured-documents/magna-carta"><em>Magna Carta</em></a>, de 1214.</p>
<p>Ainsi, du fait de n’être pas le fruit d’UN évènement historique, comme c’est le cas en France avec la révolution et la constitution qui en découle, la constitution britannique (ou ce qu’on peut désigner comme telle) est évolutive et adaptative.</p>
<p>Elle s’écrit au gré de l’histoire du pays et des défis auxquels il est confronté. Ainsi, à titre d’exemple, le Royaume-Uni, qui ne disposait pas de législation contre le racisme, s’est doté progressivement à partir de 1965 d’un important dispositif de lutte contre les discriminations raciales, le <a href="https://www.bbc.co.uk/bitesize/guides/z8sdbk7/revision/5">« Race Relations Acts »</a>, avec l’installation sur le sol britannique des premiers ressortissants du Commonwealth.</p>
<p>De même, il n’y avait pas de texte juridique protégeant les croyances religieuses minoritaires (sauf en Irlande du Nord).</p>
<p>L’incorporation de la Convention des droits de l’Homme en 1998 dans la législation nationale va changer la donne. Particulièrement l’article 9, qui protège la liberté de conscience et de culte. Or, il est important de garder à l’esprit qu’il n’y a pas dans la législation britannique une définition uniforme de ce que constitue une religion ou plus particulièrement « une croyance religieuse ».</p>
<p>L’explication réside partiellement dans le fait que, historiquement, il n’y avait qu’une religion et les <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/ecclesiastical-law-journal/article/clarifying-the-definition-of-religion-under-english-law-the-need-for-a-universal-definition/BCD3B0A35753EACC5DCFFF7E6AAE8F90">autres étaient considérées comme hérétiques</a>.</p>
<p>Ainsi on trouve au gré des textes juridiques des définitions parfois contradictoires de ce qui constitue « une croyance religieuse ».</p>
<p>Quant à l’incitation à la haine raciale interdite dans la « Public Order Act » de 1986, elle a été élargie en 2006 pour inclure l’incitation à la haine religieuse, « Racial and Religious Hatred Act » avec toujours cette définition très large des croyances religieuses allant jusqu’à inclure un groupe de personnes qui ne « croit pas obligatoirement en un dieu ».</p>
<p>Cette loi de 2006 a été votée après de nombreux débats au Parlement. Elle pose un équilibre entre la liberté d’expression et l’expression du pluralisme religieux apaisé dans une société appréhendée comme religieusement plurielle.</p>
<p>Il est également utile de rappeler que la loi sur le blasphème introduite au XIV<sup>e</sup> siècle, qui s’appliquait en Angleterre et au Pays de Galle, a été abolie en 2008 <a href="https://publications.parliament.uk/pa/ld200203/ldselect/ldrelof/95/9506.htm">au nom de la désormais pluralité religieuse du pays</a>. En effet, cette dernière ne s’appliquait qu’au <a href="https://www.politicsandreligionjournal.com/index.php/prj/article/download/131/133">blasphème envers la foi chrétienne</a>.</p>
<p>Durant ce qui a été qualifié d’« affaire Rushdie » (1988-1989) avec la publication des <em>Versets sataniques</em>, les lois sur les relations raciales de 1976 et celle de 1986 sur l’ordre public n’ont pu être invoquées par les communautés musulmanes afin d’interdire la publication du livre de l’écrivain.</p>
<h2>Caractéristiques protégées</h2>
<p>La loi sur l’égalité, la « Equality Act » de 2010, va renforcer la protection des croyances religieuses car elle fait de la religion une « caractéristique protégée », parmi une liste de 8 autres caractéristiques qui sont : l’âge, le handicap, la conversion sexuelle ou la réassignation de genre, le mariage ou l’équivalent du pacs, la race, le sexe et l’orientation sexuelle.</p>
<p>Cette loi intègre dans une approche centrée sur l’égalité toutes les lois antidiscriminatoires votées tout au long de la seconde moitié du XX<sup>e</sup> et du début du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Une question portant sur l’appartenance ethnique est introduite pour la première fois en 1991 dans le recensement national. Elle sera maintenue dans ceux de 2001, 2011, et dans celui à venir en 2021. Une nouvelle question sur les croyances religieuses est introduite en 2001. Cette collecte nationale de données permet aux autorités publiques de <a href="https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/culturalidentity/ethnicity/articles/2011censusanalysisethnicityandreligionofthenonukbornpopulationinenglandandwales/2015-06-18">saisir les contours des groupes définis comme minorité</a>, « religious minorities » ou encore « ethnic minorities ».</p>
<p>Ainsi, rien ne s’oppose à ce que le législateur prenne en compte la dimension religieuse dans ses actions. Les exemples ne manquent pas : comme les régulations spécifiques des abattoirs pour les viandes halal et cacher. Ou sur le plan financier, l’aménagement spécifique dans la loi de finances de 2007 qui autorise la création de « fonds d’investissement alternatif » compatible avec les règles de prêt d’argent telles qu’elles sont préconisées par la Charia afin de faire de Londres un « hub » pour la finance islamique, au nom de « l’inclusion financière ».</p>
<p>Les sikhs ont bénéficié à titre dérogatoire d’une autorisation à ne pas porter de casque car il a été considéré que c’était incompatible avec le port du turban qui est une obligation religieuse sikhe.</p>
<p>Sur le plan funéraire et afin d’assurer une égalité d’accès au cimetière municipaux, la législation a été adaptée à certaines spécificités religieuses. Il est ainsi possible de procéder à des inhumations sans cercueils, en conformité avec les rites funéraires musulmans par exemple.</p>
<h2>Constante redéfinition</h2>
<p>La France et le Royaume-Uni comptent parmi les pays les plus sécularisés en Europe. Pourtant face au pluralisme religieux, issu essentiellement de leur passé colonial, leurs réactions sont très différentes, à la fois en termes de politique publique et d’opinion publique.</p>
<p>Mais il est vrai que nous assistons dans les deux pays à une définition et souvent une redéfinition des expressions de la visibilité religieuse considérées comme acceptables. Il ne faut pas perdre de vue que cette constante redéfinition se fait dans un contexte où la lutte contre le terrorisme et la radicalisation cible les mêmes populations musulmanes.</p>
<p>Il n’en reste pas moins que vu de l’autre côté de la Manche, l’approche française de la gestion du pluralisme culturel et cultuel semble difficilement lisible notamment en ce qui concerne les questions de discriminations et d’égalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151145/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nada Afiouni ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vue de l’autre côté de la Manche, l’approche française de la gestion du pluralisme culturel et cultuel semble difficilement lisible.Nada Afiouni, Maîtresse de conférence civilisation britannique, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1517122020-12-08T19:15:18Z2020-12-08T19:15:18ZQuatre situations qui illustrent la complexité du fait religieux au travail<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/373624/original/file-20201208-23-ug7qcn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C4%2C994%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Même si une majorité d'entreprises se retrouve aujourd'hui confrontée au fait religieux, le nombre de dysfonctionnements reste peu élevé.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Y.Gq_photo / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La question de la religion au travail revient dans les débats à l’occasion de la présentation du projet de « loi confortant les principes républicains », présenté ce mercredi 9 décembre en conseil des ministres. Le texte aborde notamment le cas des entreprises publiques ou bénéficiant de délégation de services publics tandis que, dans le secteur privé, une large majorité d’entreprises <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-un-phenomene-devenu-objet-de-management-105896">y sont désormais confrontées</a>.</p>
<p>Actuellement, les notions de liberté religieuse, de neutralité ou de laïcité forment un cadre conceptuel qui se révèle <a href="https://theconversation.com/separatisme-un-projet-de-loi-et-beaucoup-de-questions-pour-les-services-publics-147465">peu efficace</a> pour aborder la question de la religion au travail, tant ces notions sont définies et mobilisées de manières différentes d’une personne à l’autre. Bien qu’il existe un cadre juridique formé notamment par la <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/archives/archives-courantes/loi-travail-2016/les-principales-mesures-de-la-loi-travail/">loi Travail de 2016</a> et par la jurisprudence, encore peu d’entreprises se sont dotées d’outils efficaces sur cette question. En outre, la plupart des salariés pratiquants et leurs managers connaissent mal ce qu’il est possible ou non de faire et la manière dont les faits sont appréhendés dans les entreprises <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-la-main-invisible-du-manager-intermediaire-148749">varie d’une situation à l’autre et d’un manager à l’autre</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1314063002837098498"}"></div></p>
<p>À cela s’ajoute la diversité des faits religieux qui sont aussi bien des demandes d’absence pour assister à des cérémonies, des prières pendant des pauses, parfois pendant le travail, le port de signes (souvent des vêtements ou des bijoux) ou encore le refus de réaliser des tâches, de travailler avec des femmes, etc.</p>
<p>Ainsi, les situations de travail dans lesquelles la religiosité d’un salarié transparait dans son comportement et doit être prise en compte par le management demeurent complexes et singulières. Pour bien les comprendre, nous avons mené un <a href="https://www.researchgate.net/publication/346579651_La_religion_au_travail_quelles_situations_d%27interaction_entre_salaries_pratiquants_et_managers">travail de recherche</a> qui vise à dépasser l’approche factuelle de la religion au travail et de prendre en compte l’articulation entre les pratiques professionnelle et religieuse.</p>
<p>Nous repérons alors quatre situations différentes.</p>
<h2>Priorité au travail : L’invisibilité et l’ajustement</h2>
<p>La première situation est celle dans laquelle la personne pratiquante n’exprime pas sa religiosité au travail. Il s’agit en premier lieu de croyants et pratiquants pour qui les deux sphères, professionnelle et religieuse, doivent être séparées. Ainsi, lors d’un entretien de recherche, un salarié précise :</p>
<blockquote>
<p>« Quand je suis au travail, je suis au travail c’est tout. Dès que je passe la porte de la boite, je suis logisticien, point barre. Je ne suis plus musulman ».</p>
</blockquote>
<p>Il s’agit également de personnes qui renoncent à toute expression de leur religiosité parce qu’elles anticipent un impact négatif sur les relations avec leurs collègues ou avec le management. Elles craignent qu’un comportement directement ou indirectement rattaché à la religion les rendent discriminables. Cela peut être, comme l’illustre cet extrait d’entretien, au prix d’un sentiment de frustration :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis pratiquant. La prière pour moi c’est important. C’est un peu frustrant. J’aimerais bien faire autrement, pouvoir prier comme je veux, enfin je veux dire pas pendant le travail mais le midi par exemple. Mais c’est important pour moi, comment dire cela ? C’est important que ça reste caché pour que mes collègues et mon chef ne me voient que comme un collègue ».</p>
</blockquote>
<p>La deuxième situation est celle dans laquelle le salarié rend visible sa religiosité et celle-ci est connue de ses collègues et de l’encadrement. Elle s’exprime en marge de l’activité professionnelle, par exemple en priant seul dans un bureau fermé pendant une pause ou à travers la justification d’une demande d’absence ou de modification de planning, éventuellement en portant un signe.</p>
<p>Comme l’illustre l’extrait d’entretien suivant, elle est acceptée, notamment par le management, tant qu’elle ne remet pas en cause la bonne réalisation du travail et reste marginale :</p>
<blockquote>
<p>« Tant que ça reste discret et que le travail est fait, il n’y a rien à dire ».</p>
</blockquote>
<p>Par expérience, au fil des interactions, le salarié apprend ce qui peut ou ne peut pas être admis et quelles sont les limites de la tolérance :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne parle pas de religion sans arrêt. Je suis sérieux dans mon travail, quand je bosse, je bosse, les gens savent bien ça. Quand je prie dans mon bureau, ça ne gêne personne, ils le savent mais ça ne les gêne pas ».</p>
</blockquote>
<p>Il perçoit ici aussi les risques d’altération de ses relations avec ses collègues et de discrimination et prend de la distance avec sa pratique, l’adapte, pour les gérer.</p>
<p>Dans ces deux premières situations, les salariés pratiquants adoptent une posture d’articulation de leur professionnalité et de leur religiosité. Ils donnent la priorité à leur travail et soit tiennent à l’écart leur religiosité, soit la réserve pour les interstices du fonctionnement organisationnel. Ils savent prendre de la distance avec des prescriptions et des traditions religieuses qu’ils se sont appropriées et qu’ils ont adaptées à leur vie.</p>
<h2>« Et ma religion dans tout ça » ? Du tiraillement à la revendication</h2>
<p>Dans la troisième situation, les pratiquants se sentent tiraillés entre des obligations professionnelles et religieuses qu’ils ressentent comme fortes et avec lesquelles ils ne perçoivent pas de possibilités de prise de distance. Ils n’ont pas, par eux-mêmes, les ressources nécessaires pour trouver un arrangement qui convienne. Ils craignent d’un côté d’être sanctionnés au travail et de l’autre d’être considérés comme de mauvais pratiquants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1194713975763673088"}"></div></p>
<p>Deux éléments jouent dans cette situation un rôle déterminant. En premier lieu, la capacité du management à justifier les contraintes qu’il fait peser sur la pratique religieuse par rapport au travail et à sa bonne réalisation. En deuxième lieu, la communauté religieuse (formelle ou non) dans laquelle est impliqué le salarié peut lui donner des ressources pour adapter sa pratique ou inversement bloquer toutes possibilités de prise de distance. Ainsi un salarié témoigne :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai parlé du travail, mon imam a été très clair et pour moi ça a été un soulagement. Il m’a dit au travail tu travailles, si tu peux prier sans problème tu pries mais sinon tu attends d’être chez toi le soir ».</p>
</blockquote>
<p>Une situation loin d’être vécue par tout, comme l’indique un autre témoignage :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a un groupe ici, on est plusieurs. Si tu ne viens pas prier, c’est un problème pour les autres. À la limite, ils vont venir me chercher dans l’atelier. Je n’ai pas vraiment le choix ».</p>
</blockquote>
<p>Dans la quatrième situation, la posture des salariés n’est plus de rechercher à articuler travail et pratique religieuse. Ils donnent la priorité aux règles religieuses. Ils ne font plus référence à leur pratique et à leur religiosité mais à l’autorité de Dieu et à la religion qui s’imposent à eux et qui doit s’imposer à l’entreprise. Un salarié précise :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis croyant, je suis pratiquant. Certains ne le sont pas, c’est leur choix, mais moi je le suis. J’accepte de travailler sous les ordres de mon chef mais il y a une limite et cette limite ce sont les ordres de Dieu. Ce n’est ni mon chef ni l’ingénieur et sa cravate qui peuvent me dire s’il faut que je prie ou non, c’est Dieu, même ici, même au travail ».</p>
</blockquote>
<h2>Peu de dysfonctionnements en général, des points de tension en particulier…</h2>
<p>Dans la très grande majorité des cas, les situations marquées par le fait religieux génèrent <a href="https://theconversation.com/religion-au-travail-deux-realites-de-plus-en-plus-distinctes-lune-de-lautre-126705">peu de dysfonctionnements et de tensions</a>. Elles impliquent des personnes et nécessitent de trouver des arrangements locaux et ponctuels pour permettre la bonne réalisation du travail et permettre aux pratiquants d’articuler leur professionnalité et leur religiosité.</p>
<p>Le rôle du management consiste donc avant tout de construire des solutions qui conviennent en situation, en faisant travailler ensemble des personnes aux profils divers et en gérant des contraintes multiples. Il est a priori outillé pour cela puisqu’il dispose de méthodes et de savoirs pour guider sa gestion du travail, des personnes, de la diversité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1321676142357729280"}"></div></p>
<p>Cela devient en revanche plus compliqué lorsque la pratique religieuse est opposée par les salariés au fonctionnement de l’entreprise et lorsqu’ils veulent imposer la religion au travail.</p>
<p>Le management n’a plus alors d’espace pour ouvrir la discussion et construire des arrangements. Dans ce type de situations, l’encadrement de proximité est désarmé et il a besoin d’un soutien fort de la part de son entreprise qui fait, malheureusement, souvent défaut.</p>
<hr>
<p><em>Cette contribution s’appuie sur l’<a href="https://www.researchgate.net/publication/346579651_La_religion_au_travail_quelles_situations_d%27interaction_entre_salaries_pratiquants_et_managers">article</a> de recherche « La religion au travail : quelles situations d’interaction entre salariés pratiquants et managers ? » publié en décembre 2020 dans la revue « Annales des Mines – Gérer et comprendre ».</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151712/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lionel Honoré collabore avec l'Institut Montaigne sur l'étude des questions de fait religieux au travail. </span></em></p>Les clarifications attendues dans la « loi confortant les principes républicains » ne devraient pas avoir de grande influence sur la réalité du terrain, où la question se règle au cas par cas.Lionel Honoré, Professeur des Universités, Université de la Polynésie française, Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1487492020-10-28T22:04:42Z2020-10-28T22:04:42ZFait religieux en entreprise : « la main invisible » du manager intermédiaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/366086/original/file-20201028-17-1x2vwey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=552%2C951%2C4112%2C2440&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour les managers, une organisation flexible facilite la gestion de l'expression religieuse.</span> <span class="attribution"><span class="source">Edneil Jocusol / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Ces dernières années, l’expression religieuse au travail est devenue plus fréquente dans les entreprises européennes et nord-américaines. En France, selon l’Observatoire du fait religieux en entreprise, en 2019, 70 % des managers interrogés étaient confrontés à ce phénomène, et <a href="https://theconversation.com/religion-au-travail-deux-realites-de-plus-en-plus-distinctes-lune-de-lautre-126705">dans 51 % des cas, elle nécessitait une régulation managériale</a>.</p>
<p>La laïcité française présente une caractéristique ambiguë qui amplifie la controverse autour de l’expression religieuse au travail : elle garantit la liberté de croire ou de ne pas croire tout en protégeant ceux qui croient.</p>
<p>Dans la loi, la laïcité comme neutralité s’applique pour les agents des services publics, son éventuelle extension aux entreprises « délégataires de service public » (ADP, RATP, crèches, piscines…) est suggérée dans le projet de loi présenté par le président de la République Emmanuel Macron, le 2 octobre dernier.</p>
<h2>Concilier expression religieuse et inclusion</h2>
<p>Ce cadre juridique ambivalent (en témoigne notamment le feuilleton judiciaire emblématique de la <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-apres-baby-loup-le-grand-flou-103113">crèche Baby-Loup</a>), laisse les dirigeants d’entreprises parfois démunis face à ce problème complexe.</p>
<p>Dans ce contexte flou, le climat social, le souci d’équilibre entre les demandes de nature confessionnelle, la nature même de la demande (collective versus individuelle, acceptable ou transgressive par rapport à d’autres libertés fondamentales) peuvent constituer les éléments déterminants dans la décision du manager d’être plus ou moins accommodant, l’accommodement étant ici défini comme l’aménagement proposé par le manager par rapport à la règle générale d’organisation.</p>
<p>Cet accommodement des situations de travail trouve ses fondements dans le management de la diversité qui vise à lutter contre les discriminations au travail. Cette notion incite à une politique d’inclusion, c’est-à-dire à une adaptation des dispositifs existants pour un public aussi diversifié que possible pour rétablir l’égalité. Ce raisonnement s’étend à toute différence, conviction et confession discriminée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1194713975763673088"}"></div></p>
<p>Pour aider les managers à concilier expression religieuse et inclusion dans le cadre de la laïcité, certaines grandes entreprises ont lancé des guides sur le fait religieux (par exemple : EDF, Orange, Total, etc.) qui sont présentés comme des outils d’aide à la décision. Si différentes valeurs implicites s’expriment dans ces guides, entre <a href="https://www.researchgate.net/publication/263245594_Religious_identity_a_new_dimension_of_HRM_A_French_view">pragmatisme défensif et management inclusif</a>, ils évoquent néanmoins la nécessité d’« aménagement en fonction des circonstances » (EDF) et l’idée de mise en place d’« accommodement raisonnable, compromis » (Orange).</p>
<p>Ces initiatives indiquent que la diversité religieuse induit des questionnements pour les managers. Les études constatent bien souvent que face aux demandes, « si les managers français n’ont pas l’obligation d’adapter les situations de travail au fait religieux, de nombreux managers le font en réalité », comme le soulignait un <a href="https://econpapers.repec.org/paper/haljournl/hal-01838233.htm">article de recherche</a> publié en 2018. Dans les faits, c’est donc bien la subjectivité du manager qui détermine la décision d’accommoder ou pas. Autrement dit, l’intention d’accommodement a été déléguée aux managers de proximité.</p>
<h2>La flexibilité permet de contourner la question</h2>
<p>Nous avons mené une <a href="https://www.researchgate.net/publication/344352620_Religious_accommodation_in_France_decoding_managers%27_behaviour">étude</a> par questionnaire en collaboration avec le CJD Normand auprès de 150 managers intermédiaires français qui confirme cette réalité. Elle nous a permis d’identifier les deux principaux facteurs qui influencent l’intention d’aménager les situations de travail face au fait religieux : la flexibilité organisationnelle (horaires flexibles, autonomie) et les conséquences perçues (avantages, inconvénients).</p>
<p>Pour ce qui est de la flexibilité organisationnelle, les résultats statistiques montrent que, dans un environnement bureaucratique soumis au respect des règles, le manager est moins enclin à être accommodant. En revanche, une organisation basée sur l’innovation et le travail d’équipe offre généralement une plus grande flexibilité et, dans ce cas, la direction considérera les aménagements de manière plus favorable.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365501/original/file-20201026-23-mvdr6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365501/original/file-20201026-23-mvdr6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365501/original/file-20201026-23-mvdr6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365501/original/file-20201026-23-mvdr6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365501/original/file-20201026-23-mvdr6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365501/original/file-20201026-23-mvdr6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365501/original/file-20201026-23-mvdr6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les managers issus d’environnements de travail faisant preuve d’une forte flexibilité organisationnelle, seront plus accommodants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/world-religions-concept-hands-hugs-christianity-1689419113">Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, lorsqu’un employé peut facilement s’absenter du travail et organiser son propre agenda, le manager est plus enclin à favoriser l’expression religieuse. La question est finalement contournée puisque l’employé pratique sa religion, de ce fait, en dehors de son lieu de travail.</p>
<p>La flexibilité organisationnelle est mesurée par les items suivants (pas du tout d’accord à tout à fait d’accord) :</p>
<ul>
<li><p>Les employés assurent leurs responsabilités professionnelles avec l’agenda qui leur convient.</p></li>
<li><p>Les employés pour la plupart n’ont pas d’horaires fixes.</p></li>
<li><p>Les employés ont une grande liberté pour poser leurs jours de congé.</p></li>
<li><p>Les employés peuvent de temps en temps se pencher sur des projets personnels.</p></li>
</ul>
<p>Le manager de proximité va aussi prendre en compte les conséquences anticipées de sa décision avant de se prononcer sur un éventuel accommodement. Il va étudier les inconvénients concernant les problèmes d’organisation du travail (risque de litige, marginalisation, surenchère des réclamations) et les avantages (liés à l’ambiance de travail, à la satisfaction des employés et à une image de tolérance).</p>
<p>En outre, notre étude relève que plus le manager fait preuve de religiosité, plus il est susceptible de penser que l’expression religieuse a des conséquences positives pour l’organisation et inversement.</p>
<h2>Invisibiliser les aménagements</h2>
<p>Il semblerait donc qu’il soit plus facile pour les managers de gérer l’expression religieuse (par exemple, les pratiques alimentaires, la prière, etc.) en rendant les aménagements invisibles grâce à la flexibilité organisationnelle et aux pratiques englobantes (par exemple, un menu élaboré pour toutes les sensibilités).</p>
<p>Un dirigeant d’une étude complémentaire en témoigne :</p>
<blockquote>
<p>« La première demande de certains salariés de confession musulmane a été de réclamer de la nourriture confessionnelle (halal en l’occurrence). Nous avons pris la décision de consulter les responsables cuisine. Puis nous avons réorganisé et proposé, en ce qui concerne le plat principal et le dessert, une diversité (pluralité de choix) qui pourrait convenir au plus grand nombre. Ce réaménagement s’est fait dans une réorganisation plus large des repas qui a permis également de réduire le gâchis alimentaire. En ciblant mieux les besoins, nous avons éliminé nombre de quantités jetées auparavant au rebut et satisfait majoritairement l’ensemble des personnes. »</p>
</blockquote>
<p>L’expression religieuse au travail présente en effet des risques perçus en rendant parfois visible un critère de distinction initialement invisible. Dans un contexte de laïcité française, où la religion se voit la plupart du temps reléguée à la sphère privée, voire intime, les réactions aux manifestations de l’expression religieuse au travail peuvent se traduire par des tensions sociales (marginalisation des salariés, plus d’exigences, tensions interpersonnelles entre collègues).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1189292580464451584"}"></div></p>
<p>L’instauration d’une culture qui intègre toutes les dimensions de l’homme au travail pourrait être recherchée. Par exemple, une organisation peut mettre en place des accords de télétravail qui donnent aux employés l’autonomie nécessaire pour prier quand ils le souhaitent et se rendre aux lieux de culte.</p>
<p>L’entreprise, en accordant plus de flexibilité et de liberté, externalise la question de l’expression religieuse du lieu de travail. Cela permet pour les employés de pratiquer leur religion au quotidien sans que cette pratique soit visible.</p>
<p>L’émergence de tiers lieux comme nouvelle forme d’organisation du travail intégrant les différents domaines de vie (privée/professionnelle) semble d’ailleurs favoriser cette flexibilité organisationnelle. En France, l’évolution vers des organisations plus inclusives pourrait donc être en partie liée à ces aménagements « invisibles » des situations de travail face à l’expression religieuse.</p>
<p>« La main invisible » des managers intermédiaires permet de réguler ce type de demande pour préserver le fonctionnement économique et social de l’organisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148749/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Cintas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré la présence de règles, les demandes d’accommodements au travail pour des raisons religieuses restent généralement tranchées par le superviseur direct du salarié.Caroline Cintas, enseignant-chercheur en Sciences de gestion-Laboratoire NIMEC-IAE de Rouen-Management-Organisation-Violences-Diversité, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1474652020-10-07T17:16:08Z2020-10-07T17:16:08ZSéparatisme : un projet de loi et beaucoup de questions pour les services publics<p>Lors de la <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes">présentation du projet de loi sur « les séparatismes »</a>, le vendredi 2 octobre dernier, le président de la République Emmanuel Macron a dressé les contours d’un texte qui sera présenté le 9 décembre en Conseil des ministres.</p>
<p>Si le mot de « séparatisme » a depuis été <a href="https://www.leparisien.fr/politique/le-mot-separatisme-supprime-dans-l-intitule-du-projet-de-loi-06-10-2020-8397591.php">abandonné</a> dans l’intitulé, le texte vise notamment étendre l’obligation de neutralité, qui existe déjà pour les agents publics, aux salariés des entreprises délégataires d’un service public.</p>
<p>Selon la <a href="http://www.marche-public.fr/Marches-publics/Textes/Lois/loi-2001-1168-MURCEF.htm">loi</a>, ces entreprises sont tenues par un contrat « par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé ». Des grandes entreprises comme ADP (anciennement Aéroports de Paris) ou la RATP sont ainsi concernées, mais aussi des petites structures comme des gestionnaires de crèches ou de piscines municipales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1311983592516587522"}"></div></p>
<p>Au sujet de cette extension, certains avancent qu’elle est <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/lutte-contre-les-separatismes-une-loi-est-elle-necessaire-3995469">inutile</a>. Effectivement, quelques règles permettent déjà de se repérer en matière d’application de la neutralité pour les structures qui portent une mission de service public.</p>
<p>Or, plusieurs situations ont fait ressortir l’imprécision de ces critères et leur difficile mobilisation au niveau managérial : <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-apres-baby-loup-le-grand-flou-103113">l’affaire Baby loup reste à ce jour la plus signifiante</a>. En 2008, l’une des salariés avait été licenciée pour « faute grave » car le port du voile était contraire au règlement intérieur de cette entreprise, une structure privée. Une décision confirmée par la Cour de cassation après plus de cinq ans de feuilleton judiciaire qui estimait que le règlement intérieur était « <a href="https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/612_25_29566.html">suffisamment précis</a> au regard du contexte et de l’objectif ».</p>
<h2>Zones d’incertitudes</h2>
<p>Pourtant, selon la loi, dans les entreprises privées, un principe domine : la liberté de chaque individu de croire, de ne pas croire, mais aussi de manifester sa croyance, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000006177834?tab_selection=all&searchField=ALL&query=Article+L1121-1+-+Code+du+travail&page=1&init=true&anchor=LEGIARTI000006900785#LEGIARTI000006900785">y compris dans le contexte de son travail</a>. Ainsi, tout salarié peut en principe se vêtir et agir librement en accord avec ses croyances dans le contexte de son travail, en respectant toutefois les principes d’hygiène et de sécurité, et de bon fonctionnement de l’entreprise.</p>
<p>Dans le service public, le principe de laïcité domine. Depuis 1905, cela signifie une obligation de neutralité des agents à l’égard des usagers d’une part, pour garantir à ces derniers une égalité de traitement, et une obligation de neutralité à l’égard de leur institution d’autre part, pour ne pas perturber le service et sa cohésion. Ce principe de laïcité est donc synonyme de neutralité dans ces services publics (enseignement, justice, police par exemple) mais aussi dans toutes les organisations publiques (transports, énergie par exemple).</p>
<p>Or, dans les deux cas, des zones d’incertitudes persistent, que cherchent à réduire le législateur et/ou les managers.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/361620/original/file-20201005-14-x6b3r2.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/361620/original/file-20201005-14-x6b3r2.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/361620/original/file-20201005-14-x6b3r2.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/361620/original/file-20201005-14-x6b3r2.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/361620/original/file-20201005-14-x6b3r2.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=234&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/361620/original/file-20201005-14-x6b3r2.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=234&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/361620/original/file-20201005-14-x6b3r2.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=234&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Loi de 1905.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans les organisations publiques, la neutralité pourrait apparaître comme une solution idéale et facile à mettre œuvre. Pourtant, <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes">dans son discours récent</a>, le président a évoqué des « dérives ».</p>
<p>Certains travaux évoquent en effet l’existence d’une gestion du fait religieux qui recouvre <a href="https://theconversation.com/religion-au-travail-deux-realites-de-plus-en-plus-distinctes-lune-de-lautre-126705">deux réalités bien distinctes</a> : si les cas sont en majorité mieux gérés par les entreprises, certaines demandes se muent aujourd’hui en revendications.</p>
<p>Le cas des <a href="https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/temps_de_travail_et_conges/1810.pdf">autorisations spéciales d’absences pour fêtes religieuses</a>, qui ne sont autre chose que des jours de congés supplémentaires aux fêtes religieuses chômées pour les agents qui n’appartiennent pas au culte catholique, font notamment l’objet d’un débat en ce qu’il peut créer un sentiment au moins de confusion, sinon d’injustice.</p>
<p>Comment en est-on arrivé à cette situation ? Nous avions déjà mis en évidence <a href="https://theconversation.com/la-la-cite-un-principe-de-plus-en-plus-complexe-a-manier-pour-les-entreprises-125949">dans un précédent article</a> que l’application du principe de laïcité est soumis à trois hypothèses fortes : sa stabilité, son universalité et l’imperméabilité entre les sphères. Or, dans la réalité, les acceptions de ce principe ont évolué et il n’y a pas d’étanchéité totale entre les organisations publiques et privées : certaines appartenant à la deuxième catégorie peuvent exercer une mission de service public.</p>
<h2>Cascade d’attentes</h2>
<p>L’enjeu du projet de loi est donc de définir à qui s’appliquera(it) le principe de neutralité dans le cadre d’une délégation de service public. Or, cet enjeu amène une cascade d’attentes. Cela nécessitera en effet de définir encore plus précisément ce que l’on entend par « délégation de service public », d’en définir les contours, mais aussi de distinguer les personnes concernées par ces missions.</p>
<p>Par exemple, un·e salarié·e exerçant une partie de son temps une mission de service public, ne sera-t-il.elle soumis·e que partiellement à ce principe de neutralité ? Et au-delà, cela impliquera de donner une définition et des limites au principe de neutralité, dont la mise en application est souvent moins aisée que prévu.</p>
<p>Cette perspective d’évolution juridique pourrait se concrétiser par trois scénarios en fonction du contenu du texte, mais aussi de son adoption et de ses mises en actions par les organisations concernées et leurs managers :</p>
<ul>
<li><p>une loi de recadrage utile pour fixer des limites à certaines pratiques et éviter que certaines entreprises n’appliquent ou n’appliquent pas la neutralité à tort.</p></li>
<li><p>une loi qui brouille encore les repères déjà flous proposés par la jurisprudence ;</p></li>
<li><p>une loi inutile et qui ne ferait pas référence, sur laquelle les administrations publiques ne pourrait donc pas s’appuyer lors des processus de délégation.</p></li>
</ul>
<p>Des outils d’accompagnements des entreprises concernées pourraient également s’avérer nécessaires (formations, conseils juridiques, guides pratiques d’études des situations de délégation), et l’incitation à les organiser pourrait venir de la loi. Dans tous les cas, les zones de flou restent trop importantes à l’heure actuelle et seule la présentation du texte rédigé, puis amendé, permettra de laisser envisager l’un ou l’autre des scénarios avec plus de certitudes, selon le degré de précision qu’il fera gagner au corpus juridique préexistant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147465/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Géraldine Galindo est membre de l'AGRH. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Telle que présentée par le président Emmanuel Macron le 2 octobre, l'extension du principe de neutralité aux entreprises délégataires d’un service public entretient le flou sur les règles.Géraldine Galindo, Professeur, ESCP Business SchoolHugo Gaillard, Docteur en Sciences de Gestion et enseignant en GRH, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1468582020-10-04T18:06:50Z2020-10-04T18:06:50ZLe vote catholique, aspect sous-estimé mais crucial de la présidentielle américaine<p>Alors que les analystes politiques se sont beaucoup concentrés sur le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/trump-entretient-le-soutien-extraordinaire-des-chretiens-evangeliques-04-01-2020-2356078_24.php">soutien écrasant des évangéliques blancs</a> à Donald Trump en 2016, la plupart ont négligé de souligner le <a href="https://www.thecatholicthing.org/2016/11/12/rustbelt-catholics-put-trump-over-the-top/">rôle crucial des catholiques dans les trois États des Grands Lacs</a>, qui ont fait pencher la balance du Collège électoral en sa faveur – la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin.</p>
<p>Trump a gagné chacun de ces États par des marges étroites, mais avec un fort soutien des catholiques blancs. Cette année, le vote catholique pourrait-il à nouveau jouer un rôle clé dans le résultat final ? Comme l’écrit le professeur Ryan P. Burge dans le numéro du 20 septembre du magazine <a href="https://www.christianitytoday.com/news/2020/september/trump-biden-white-catholic-swing-vote-evangelical-poll.html"><em>Christianity Today</em></a>, pour être réélu, le président Trump peut se permettre de perdre des votes évangéliques ; mais il ne peut certainement pas se permettre de perdre des votes catholiques.</p>
<h2>Contexte du soutien catholique à Trump en 2016</h2>
<p>Il y a environ 51 millions de catholiques adultes aux États-Unis, ce qui représente près d’un quart de l’électorat national. Bien que, depuis les années 1980, vote national et vote catholique se suivent de très près à chaque cycle électoral, 2016 a été une exception notable : Hillary Clinton a remporté le vote populaire national, mais <a href="https://www.ncregister.com/news/election-2016-breakdown-of-the-catholic-vote">Trump a attiré sur son nom la majorité des électeurs catholiques</a>.</p>
<p>Deux facteurs ont aidé Donald Trump à obtenir cette majorité catholique : d’une part, ses appels populistes aux électeurs blancs de la classe ouvrière des États clés de Pennsylvanie, du Michigan et du Wisconsin ; et, d’autre part, <a href="https://www.npr.org/2016/12/22/506347254/latinos-will-never-vote-for-a-republican-and-other-myths-about-hispanics-from-20?t=1601369441281">l’absence de la très attendue « vague latino »</a>. Le vote latino a au contraire diminué de 3 % par rapport à 2012 et Trump a obtenu 10 % de voix latino de plus que Mitt Romney en 2012.</p>
<p>Trump a également bénéficié <a href="https://www.americamagazine.org/politics-society/2020/02/20/democrats-lost-white-christians-can-they-win-them-back">d’une longue tendance dans le vote chrétien blanc à soutenir le Parti républicain</a>. En 2012, le candidat du GOP Mitt Romney a remporté 78 % des suffrages des évangéliques blancs, et en 2008 John McCain en avait attiré 73 %. Trump s’est encore mieux tiré d’affaire en 2016, avec 81 % du vote évangélique blanc. En 2008 et 2012, 56 % des catholiques blancs avaient voté pour le candidat à la présidence du GOP ; ce pourcentage est passé à 60 en 2016.</p>
<h2>Y a-t-il encore un vote catholique ?</h2>
<p>Il est difficile de considérer le « vote catholique » comme une force monolithique compte tenu de la variation de ses choix dans le temps et de son hétérogénéité socioethnique. Tout candidat est confronté à la diversité de ce groupe et c’est un défi de trouver des slogans qui feront mouche pour tous.</p>
<p>Pendant de nombreuses années, les catholiques ont largement appartenu à la <a href="https://www.tutor2u.net/politics/reference/new-deal-coalition">coalition du New Deal</a> qui a porté le Parti démocrate 30 ans durant. Mais depuis les années 1980, leur vote s’est scindé, en raison de deux facteurs : l’amélioration de leur niveau de vie et la question de l’avortement.</p>
<p>Autrefois composés de la sous-classe immigrée qui s’est installée dans les centres-villes, qui a massivement adhéré aux syndicats et a voté pour le Parti démocrate, les catholiques ont progressivement changé de milieu, se sont trouvés mieux éduqués, économiquement prospères, et se sont souvent installés dans les banlieues, devenant plus conservateurs. Avec l’adoption du droit à l’avortement par les démocrates (à commencer par le candidat à la présidence de 1972, George McGovern) puis avec la fameuse <a href="https://www.france24.com/fr/20180711-kavanaugh-menaces-roe-vs-wade-arret-historique-droit-avortement-etats-unis">décision de la Cour suprême dans l’affaire Roe vs. Wade</a>, de nombreux catholiques ont considéré que le Parti démocrate ne les représentait plus.</p>
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<p>Les stratèges républicains ont alors ciblé les catholiques du Nord-Est et du Midwest, ainsi que les évangéliques blancs du Sud, en insistant sur le thème des « valeurs morales ». Le GOP a réussi à séduire les électeurs « pro-vie » et de nombreux catholiques ont rejoint le parti dans les années 1980 ou sont devenus indépendants. Entre 1980 et 2000, un seul candidat démocrate à la présidence a remporté une forte majorité des suffrages catholiques : <a href="https://ropercenter.cornell.edu/sites/default/files/2018-07/84045.pdf">Bill Clinton, en 1996</a>.</p>
<h2>Les catholiques votent-ils nécessairement pour les candidats catholiques ?</h2>
<p>L’identité catholique commune, si importante dans le passé, n’est plus un facteur déterminant de leur vote. En 1960, le soutien catholique a été sans faille pour le démocrate et catholique John F. Kennedy. Mais, avec le temps, <a href="https://www.americanprogress.org/issues/religion/news/2012/08/24/33873/the-state-of-the-catholic-vote-in-2012-it-aint-what-it-used-to-be/">cette identité a compté de moins en moins</a>. En 2004, la fois suivante où le candidat démocrate à la présidence, John Kerry, était un catholique, il a perdu le vote catholique au profit du républicain méthodiste George W. Bush.</p>
<p>Ainsi, les croyances religieuses communes ne seront pas un critère suffisant pour justifier un vote en faveur du catholique Joe Biden. D’autant qu’il n’existe pas d’organisation politique unique qui mobiliserait les catholiques en tant que bloc électoral. L’épiscopat américain se montre généralement réticent à donner des consignes de vote, bien que certains évêques essaient ouvertement de le faire. Et quand ils le font, il n’est pas sûr ni prouvé que les catholiques les écoutent. Quant à l’influence éventuelle du pape François, <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/04/03/three-quarters-of-u-s-catholics-view-pope-francis-favorably-though-partisan-differences-persist/">malgré sa grande popularité auprès des catholiques aux États-Unis</a>, rien ne prouve que sa voix aura un quelconque impact sur la façon dont ils voteront. En 2016, le pape avait critiqué ouvertement la position de Trump sur un mur à la frontière avec le Mexique, sans empêcher ce dernier de remporter le vote général des catholiques.</p>
<h2>Le vote catholique s’éloigne-t-il de Trump ?</h2>
<p>L’exode catholique hors du Parti démocrate n’a pas signifié un déplacement à grande échelle vers le Parti républicain. Depuis l’éclatement du vote catholique, les démocrates ont substantiellement perdu leur identification catholique, mais les républicains n’ont connu que des gains modérés. Comme le reste de l’électorat, les catholiques sont devenus de plus en plus indépendants vis-à-vis des partis politiques. La tendance générale est à une « républicanisation » accrue des catholiques blancs et à un soutien accru aux démocrates de la part des nouveaux immigrants et des catholiques non blancs.</p>
<p>Certes, comme bon nombre de catholiques se sont détournés du Parti démocrate, les scores obtenus par le GOP dans leurs rangs ont augmenté. Mais les sondages montrent que les catholiques s’éloignent désormais de Donald Trump, ce qui pourrait causer sa perte.</p>
<p>Des données récentes du <a href="https://www.prri.org/research/trump-favorability-white-catholic-and-non-college-americans-national-unrest-protests/">Public Religion Research Institute</a> témoignent d’une baisse significative de la cote de popularité du président parmi les catholiques blancs. Le débat sur l’immigration, en particulier, a ouvert une fissure. Si, comme nous l’avons dit, bon nombre de catholiques blancs ayant atteint un certain succès économique et abandonné les centres-villes ne pensent pas politiquement comme leurs parents et grands-parents, ils se souviennent encore comment les générations précédentes sont arrivées en Amérique et peuvent éprouver de la sympathie pour les immigrants d’aujourd’hui, en particulier les Latinos. En outre, la rhétorique anti-immigration de la campagne de 2016 s’est traduite en une politique migratoire si profondément offensante pour beaucoup d’électeurs latinos que ces derniers ont une claire et forte motivation à s’opposer au locataire actuel de la Maison Blanche.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1309068392457003010"}"></div></p>
<p>Certains instituts de sondage de premier plan, <a href="https://twitter.com/PewReligion/status/1294271829784363014">comme le Pew Research Center</a> ne pronostiquent pas un brusque changement dans le vote des groupes religieux en 2020 par rapport à 2016. Par exemple, les données de l’enquête hebdomadaire <a href="https://dataverse.harvard.edu/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.7910/DVN/XJLZIN">Data for Progress</a>, menée depuis avril, suggèrent que les intentions de vote des protestants blancs (non évangéliques) seront très probablement comparables aux données de 2016. La démocrate Hillary Clinton a obtenu 41 % dans ce bloc, et Joe Biden devrait atteindre le même score. Trump est actuellement crédité de 47 % dans ce groupe, avec environ 10 % de restants indécis. Il est possible que le vote protestant <em>mainline</em> ne s’écarte pas beaucoup de celui 2016.</p>
<p>Cependant, pour que Trump répète sa victoire de 2016, il doit retrouver la cohésion et la forte participation du vote chrétien conservateur blanc qui l’a envoyé à la Maison Blanche. Peu doutent de sa capacité à mobiliser les évangéliques blancs, bien que le seuil prévisionnel de sa majorité parmi eux ait baissé. L’analyse des <a href="https://dataverse.harvard.edu/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.7910/DVN/XJLZIN">Data for Progress</a> déjà citée montre que la baisse du vote catholique blanc pour Trump est encore plus forte que celle des évangéliques. Une estimation similaire se retrouve dans l’enquête du <a href="https://www.prri.org/research/trump-favorability-white-catholic-and-non-college-americans-national-unrest-protests/">Public Religion Research Institute</a>. Il est peu probable que la nomination à la Cour suprême d’une catholique fervente, Amy Coney Barrett, ait un impact sur les électeurs catholiques, étant donné que la Cour est déjà majoritairement catholique.</p>
<p>Pour Biden, l’une des clés de ses chances électorales va consister à contenir ses pertes parmi les chrétiens conservateurs blancs, en continuant à <a href="https://www.christianitytoday.com/news/2020/august/joe-biden-catholic-evangelical-faith-vote-2020-convention.html">manifester sa piété</a>. Il pourrait bien sûr gagner une large partie du vote catholique, mais pour cela il faudrait qu’il obtienne en prime une <a href="https://www.pewresearch.org/2020/09/23/the-changing-racial-and-ethnic-composition-of-the-u-s-electorate/">forte majorité des catholiques latinos</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1308167387791921158"}"></div></p>
<p>Malgré son rôle crucial dans les élections américaines, le vote catholique reste dans l’ombre des nombreuses analyses consacrées aux électeurs évangéliques. C’est une erreur, car les électeurs catholiques sont une clé des résultats des élections nationales, compte tenu de leur concentration dans les États les plus compétitifs du Collège électoral. À mesure que nous nous rapprochons du jour même des élections, les médias et les autres observateurs de la campagne feraient bien de se pencher de plus près sur l’important vote catholique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146858/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En 2016, Donald Trump avait remporté 60 % des suffrages des catholiques américains. Cette année, il lui sera difficile d’obtenir à nouveau un tel score, ce qui pourrait lui coûter très cher…Blandine Chelini-Pont, histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Mark J. Rozell, Founding Dean of the Schar School of Policy and Government, George Mason UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1439182020-08-24T19:10:43Z2020-08-24T19:10:43ZCroyant ou non croyant ? Pas si simple…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/354335/original/file-20200824-22-1p7p98r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C51%2C1220%2C795&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Être croyant ne signifie pas forcément être religieux ou soumis à une institution en particulier... D'autres formes de spiritualités co-existent.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/tarot-cartes-voyance-divination-4840798/">Jean-Didier/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Très récemment, dans un <a href="https://twitter.com/vpecresse/status/1294577271207071744">tweet remarqué</a>, la présidente de la région île de France, Valérie Pécresse, avait souhaité à ses lecteurs une « joyeuse fête de l’Assomption ».</p>
<p>Son message se voulait un hommage à la Vierge Marie, une figure biblique qui inspirerait aussi bien croyants que non-croyants, expliquait-elle. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1294577271207071744"}"></div></p>
<p>Si la phrase a pu fâcher certains, elle ne paraît pas anodine : qui sont exactement ces « non-croyants » que la politique cherche ici à fédérer ?</p>
<p>Et surtout, qu’est-ce qu’être « non-croyant » ? Il est relativement complexe de brosser un panorama de la religiosité et donc de l’irréligion en France et en Europe de l’Ouest : en effet les deux sont de plus en plus mêlées.</p>
<p>Il existe bien sûr des minorités de personnes très convaincues, soit religieusement engagées, soit clairement athées, refusant toute idée religieuse (étymologiquement, être athée, c’est être « sans dieu »).</p>
<p>Mais beaucoup d’individus sont en fait souvent hésitants, mixant un peu de croyances avec beaucoup d’indifférence religieuse et de perplexité sur l’existence d’un ordre supra-humain.</p>
<h2>En France, une forte progression d’« incroyants » depuis les années 1960</h2>
<p>Jusqu’à la Révolution française, se revendiquer comme athée était presque impossible. C’est avec la III<sup>e</sup> République et la loi de 1905 sur la laïcité que la liberté de ne pas croire est vraiment complètement reconnue. Mais, jusque dans les années 1960, la religion catholique exerce un pouvoir important sur la société.</p>
<p>Les enquêtes et sondages convergent pour affirmer une progression démographique de l’athéisme. Au début des années 1950, très peu de Français ne se disaient pas affiliés à une religion ; mais selon l’<a href="https://europeanvaluesstudy.eu/">enquête européenne sur les valeurs</a> (EVS), réalisée tous les 9 ou 10 ans depuis 1981, ils étaient, en 2018, <a href="http://www.eurel.info/spip.php?article3654">58 % dans cette situation</a> contre seulement 27 % en 1981.</p>
<p>Et quand on demande aux enquêtés de se définir, 41 % seulement se disent religieux (contre 55 % en 1981), 36 % non religieux (contre 34 % en 1981) et 23 % « athées convaincus » (contre 11 % en 1981). On le voit, les athées « purs et durs » ne sont pas les seuls irréligieux. Mais ce sont ceux qui adoptent la posture la plus critique vis-à-vis des religions, parfois de façon militante.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="L’universitaire américain Phil Zuckerman" src="https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=510&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=510&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=510&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=641&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=641&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=641&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’universitaire américain Phil Zuckerman, penseur du nouvel athéisme, lors d’une conférence à l’Orange County Freethought Alliance.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Phil_Zuckerman">Ashley F. Miller/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>On repère ainsi ce que l’on appelle le nouvel athéisme, qui se caractérise par l’ardeur de sa critique, particulièrement chez des universitaires anglo-saxons tels que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Dawkins">Richard Dawkins</a> ou <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Phil_Zuckerman">Phil Zuckerman</a>. Ce courant juge toute religion très irrationnelle et nocive, seul l’athéisme serait selon eux un humanisme respectueux des individus.</p>
<h2>Une grande diversité de formes d’irréligion</h2>
<p>La France est l’un des pays européens les plus sécularisés et où il y a la plus forte proportion d’« athées convaincus », tout comme en Suède (20 %), en République tchèque et en ex-Allemagne de l’Est.</p>
<p><a href="http://www.valeurs-france.fr/">64 % des Français</a> n’assistent jamais à un office religieux (contre 57 % en 1981) et 56 % ne prient jamais (54 % en 1999). Mais, de même que la relation à la religion s’observe en prenant en compte divers éléments, comme l’affiliation, les pratiques ou les croyances, l’irréligion comprend une variété d’attitudes.</p>
<p>Les irréligieux comprennent aussi bien ceux qui affirment ne pas croire en Dieu (44 % en 2018 contre 29 % en 1981, selon EVS 2018) que des agnostiques, individus qui disent ne pas savoir qu’en penser (environ un quart de la population, de façon stable) et des sceptiques qui doutent de son existence.</p>
<h2>Différents rapports à la croyance</h2>
<p>Parmi ceux qui disent croire en Dieu (aussi bien personnel que simple « force vitale »), presque la moitié y accordent peu d’importance dans leur vie. C’est dire combien la religion laisse beaucoup de personnes indifférentes, même si elles ont quelques croyances.</p>
<p>Cela dit, être sans appartenance religieuse ou ne pas croire en Dieu ne signifie pas abandonner toute considération du surnaturel : d’après l’<a href="http://www.issp-france.fr/wp-content/uploads/2019/10/ResultatsISSPFrance_2018_DEF.pdf">enquête ISSP de 2018</a>, si 36 % des Français se disent ni religieux ni spirituels, 18 % se disent non religieux mais spirituels, ouverts au sacré et au surnaturel.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Cochon porte-bonheur" src="https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Environ un quart de ceux qui ne croient pas en Dieu croient plus ou moins aux porte-bonheur et aux horoscopes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/cochon-porte-bonheur-chiffres-mignon-2402894/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>On peut aussi ne pas croire en Dieu mais être séduit par des croyances alternatives à celles des grands systèmes religieux, comme l’efficacité des porte-bonheur, des voyantes, des guérisseurs ou du signe astral. Environ un quart de ceux qui ne croient pas en Dieu croient plus ou moins aux porte-bonheur et aux horoscopes.</p>
<h2>Une attitude distanciée à l’égard des institutions religieuses</h2>
<p>L’irréligion signifie également des variations dans le rapport aux institutions religieuses : ainsi, il existe ce qu’on peut appeler des <a href="https://etudier.com/sujets/jacqueline-lalouette/O">déistes</a>, croyants qui estiment que l’existence de Dieu est raisonnable mais ne souhaitent pas appartenir à une religion et des libres penseurs, qui s’opposent aux dogmes et institutions religieuses.</p>
<p>Et les catégories peuvent se croiser : les anticléricaux cherchent à ce que la société s’organise séparément des institutions religieuses, mais on peut être croyant, voire membre d’une religion, et anticlérical !</p>
<p>Inversement, une part non négligeable de personnes peuvent se dire membres d’une religion sans adhérer complètement à ses dogmes. C’est très fréquent parmi les affiliés aux religions majoritaires ; on sait ainsi qu’en France, seulement 68 % des catholiques pratiquants déclarent croire en la résurrection de Jésus (sondage <a href="http://www.lavie.fr/complements/2012/08/08/29883_1344428540_2012-07-philippe-chriqui-pour-la-vie-le-rationnel-et-l-irrationnel.pdf">Les Français et l’irrationnel</a>, 2012). 35 % de l’ensemble des catholiques ne croient pas à une vie après la mort, 49 % ne croient pas au paradis, 64 % ne croient pas à l’enfer, 37 % ne croient pas aux miracles (<a href="http://www.issp-france.fr/wp-content/uploads/2019/10/ResultatsISSPFrance_2018_DEF.pdf">ISSP France 2018</a>).</p>
<p>Mais ce que l’<a href="https://europeanvaluesstudy.eu/">enquête EVS</a> permet surtout de repérer, c’est une montée de l’indifférence religieuse, soit une perte d’intérêt et de préoccupation pour les questions religieuses.</p>
<p>Il ne s’agit ni d’un mouvement d’opposition frontale avec les religions, ni d’oubli, mais d’un désintérêt tranquille, sans inquiétude métaphysique.</p>
<h2>Mais qui sont ces irréligieux ?</h2>
<p>Toutes les enquêtes montrent que les sans religions et les non-croyants sont plutôt des hommes, jeunes et un peu plus diplômés que les personnes à forte religiosité.</p>
<p>Les irréligieux sont plus souvent à gauche, moins nationalistes et moins adeptes de valeurs autoritaires. Enfin ils sont beaucoup plus libéraux en matière familiale et de mœurs. En France comme dans l’Union européenne, l’Union des athées, l’Union rationaliste, le Grand-Orient ou la Libre pensée sont très engagés en faveur de l’extension des droits concernant la sexualité et la reproduction.</p>
<p>Cette sociologie est amplifiée chez les universitaires et scientifiques français d’après l’<a href="https://www.pug.fr/produit/1250/9782706124273Je">enquête menée par Abel François et Raul Magni Berton</a> : 50 % d’entre eux se déclaraient athées convaincus en 2015.</p>
<p>Leur conclusion est qu’il y a deux facteurs prédictifs très puissants de l’athéisme des académiques : la volonté de rationalité scientifique et l’orientation politique.</p>
<h2>L’irréligion en Europe et dans le monde</h2>
<p>L’irréligion est fortement croissante en Europe de l’Ouest, beaucoup moins dans l’Europe de l’Est et du Sud. La religion se maintient dans les pays à majorité musulmane et orthodoxe, elle est fortement érodée dans les pays majoritairement protestants (notamment dans les pays scandinaves et en Angleterre) et multiconfessionnels (Allemagne et Pays-Bas).</p>
<p>Dans les pays marqués par le catholicisme, la religion demeure très importante en Pologne, en Irlande et en Italie, mais a chuté fortement en Espagne comme en France. Ajoutons que si la religion reste bien présente aux États-Unis, les « nones », ceux qui se disent athées, agnostiques ou « rien en particulier » étaient 26 % en 2019, contre 17 % en 2009 selon le <a href="https://www.usnews.com/news/us/articles/2019-10-17/larger-portion-of-americans-has-no-religious-affiliation">Pew Research Center</a>.</p>
<p>Si la liberté de ne pas croire est assurée à peu près partout dans l’Union européenne, ce n’est pas le cas dans d’autres parties du monde. Selon l’enquête <a href="https://www.futuribles.com/fr/revue/425/les-opinions-publiques-arabes-entre-attachement-a-/">Arabbarometer</a> menée dans une dizaine de pays arabes, si une forte majorité accepte de reconnaître aux minorités le libre exercice de leur religion, 32 % de la population estime en 2010 que se convertir à une autre religion mérite une condamnation à mort.</p>
<p>Et selon le <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2019/08/12/religiously-unaffiliated-people-face-harassment-in-a-growing-number-of-countries/">Pew Research Center</a>, les discriminations à l’égard des personnes non religieuses sont croissantes dans le monde ces dernières années.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est publié simultanément dans la collection « Le virus de la recherche », une initiative de l’éditeur PUG en partenariat avec The Conversation et l’Université Grenoble Alpes et fait écho à la sortie de l’ouvrage récemment publié par les auteurs, <a href="https://www.pug.fr/produit/1859/9782706147661/indifference-religieuse-ou-atheisme-militant">« Indifférence religieuse ou athéisme militant ? Penser l’irréligion aujourd’hui »</a>, Presses universitaires de Grenoble.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En termes de religion, en France, beaucoup d’individus sont hésitants, mixant un peu de croyances avec beaucoup d’indifférence religieuse et de perplexité sur l’existence d’un ordre supra-humain.Anne-Laure Zwilling, Anthropologue des religions, CNRS, Université de StrasbourgPierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1411832020-06-30T18:56:05Z2020-06-30T18:56:05ZL’Éthiopie survivra-t-elle en 2025 ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/343752/original/file-20200624-132955-57tprq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=62%2C41%2C6926%2C3447&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'unité de l'Éthiopie pourrait être mise à mal à court terme si les deux principales forces politiques du pays ne trouvent pas un moyen de s'entendre. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/ethiopia-flag-painted-on-grungy-cracked-1750192934">Druvo/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Dans l’esprit du grand public, l’Éthiopie demeure associée aux images des <a href="https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2005-4-page-837.htm">dramatiques famines du milieu des années 1980</a>, qui avaient suscité une grande émotion et une large mobilisation des organisations caritatives internationales. Ces funestes années sont maintenant bien lointaines. Si l’Éthiopie reste <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.PCAP.CD">classée par la Banque mondiale</a> parmi les pays les moins avancés (PMA), avec un revenu <em>per capita</em> de 2 300 dollars par an (au 174<sup>e</sup> rang mondial sur 190), elle symbolise néanmoins le dynamisme économique de l’Afrique, comme le résume le slogan de la compagnie aérienne nationale Ethiopian Airlines, « The new spirit of Africa ».</p>
<p>Depuis quinze ans, le taux de croissance annuel n’a jamais été en deçà de 7 %, et le revenu par habitant a été multiplié par trois. Mais cette réussite incontestable – et <a href="https://afrique.latribune.fr/entreprises/les-nouveaux-champions-du-sud/2017-09-28/le-fmi-felicite-l-ethiopie-pour-sa-resilience-face-a-la-secheresse-et-aux-marches-752155.html">saluée par les institutions financières internationales</a> – demeure extrêmement fragile, et le prochain scrutin législatif, prévu initialement cet été mais ajourné <em>sine die</em> à cause de l’épidémie de coronavirus, risque d’exacerber les tensions ethniques et économiques déjà perceptibles dans le pays. Pour paraphraser <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/05/04/andrei-amalrik-l-union-sovietique-survivra-t-elle-en-1984_2667852_1819218.html">Andreï Amalrik</a>, <em>l’Éthiopie survivra-t-elle en 2025 ?</em></p>
<h2>Une transition institutionnelle imparfaite</h2>
<p>Si l’Éthiopie cultive fièrement son image de <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses-2012-4-page-11.htm">premier pays d’Afrique converti au christianisme</a> (dès le IV<sup>e</sup> siècle) et de plus ancienne civilisation du continent, ses frontières sont récentes puisque les terres méridionales (qui correspondent principalement aux provinces actuelles de l’Oromya et de la Somalie) n’ont été conquises qu’à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle sous le règne de Ménélik II. Les populations, en majorité de confession musulmane, furent réduites au servage. Leur ressentiment fut à l’origine de la fondation de mouvements insurrectionnels, violemment réprimés tant sous l’empereur Hailé Sélassié (1941-1974) que lors de la dictature militaire, la sinistre période de la « Terreur rouge » sous la férule d’Hailé Mengistu (1977-1991).</p>
<p>En mai 1991, Mengistu fut contraint de quitter le pouvoir, après <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=7523&razSqlClone=1">plusieurs revers militaires</a> subis face à deux guérillas séparatistes, le Front populaire de libération du Tigré (FPLT) et le Front populaire de libération de l’<a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1993_num_39_1_3133?q=erythr%C3%A9e">Érythrée</a> (FPLE).</p>
<p>Le FPLT, dirigé par Meles Zenawi, prit le pouvoir à Addis-Abeba. Dans un souci de rassemblement national, il s’élargit à toutes les nations du pays pour former le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE). Mais au sein de cette coalition électorale, le FPLT restait le <em>primus inter pares</em>. Après le décès de Meles Zenawi (2012), la minorité tigréenne (qui représente 6 % de la population), très présente dans l’appareil de sécurité, a vu son rôle s’amoindrir, alors que les mouvements de contestation s’amplifiaient contre un régime de plus en plus autoritaire. Le FDRPE n’a pu se maintenir au pouvoir que grâce à des fraudes massives lors des différents scrutins législatifs (il détient la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/05/27/ethiopie-ecrasante-victoire-de-la-coalition-au-pouvoir-aux-legislatives_4641743_3212.html">totalité des sièges dans l’actuel Parlement</a>).</p>
<h2>Vers l’implosion ?</h2>
<p>Le prochain scrutin législatif, le 6<sup>e</sup>, depuis l’adoption de la nouvelle Constitution en 1994, est celui dont le résultat reste le plus incertain. En novembre 2019, l’actuel premier ministre Abiy Ahmed, conscient du discrédit du FDRPE, a décidé de le dissoudre pour fonder une nouvelle formation, le Parti de la prospérité, qui se veut plus représentatif de toutes les minorités du pays (en associant huit formations électorales) et surtout plus démocratique. Mais le Front populaire de libération du Tigré a refusé de rejoindre cette alliance, qui consacrait l’effacement de la minorité tigréenne sur la scène politique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343711/original/file-20200624-132982-1ro7nd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343711/original/file-20200624-132982-1ro7nd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343711/original/file-20200624-132982-1ro7nd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343711/original/file-20200624-132982-1ro7nd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343711/original/file-20200624-132982-1ro7nd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343711/original/file-20200624-132982-1ro7nd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343711/original/file-20200624-132982-1ro7nd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les régions de l’Éthiopie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.geocurrents.info/gc-maps/geocurrents-maps-by-country/geocurrents-maps-of-ethiopia">geocurrents.info</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces élections risquent de raviver les tensions ethniques latentes. Des revendications identitaires dont l’expression fut mise sous le boisseau pendant plusieurs décennies resurgissent aujourd’hui. La population de l’Éthiopie est constituée de près d’une centaine de peuples dont les principaux sont les Oromos (près de 40 %, en majorité musulmane), les Amharas (27 %, chrétiens) et les Tigréens (6 %, chrétiens également). Les Tigréens se perçoivent comme les fondateurs de l’Éthiopie, mais ils furent marginalisés à partir du XIX<sup>e</sup> siècle à cause de l’annexion d’une partie du Tigré par l’Italie (en 1889) et de l’influence exercée par la noblesse amhara auprès de l’empereur Ménélik II (1889-1913).</p>
<p>Abiy Ahmed est de père oromo et de mère amhara ; mais étant de religion chrétienne, il reste assimilé à l’élite du nord qui dirige le pays depuis 1991, d’autant qu’il a précédemment été à la tête une agence de renseignement militaire. Il a face à lui un redoutable adversaire en la personne du journaliste <a href="https://www.nytimes.com/2019/11/18/world/africa/ethiopia-jawar-mohammed-abiy-ahmed.html">Jawar Mohammed</a>, d’origine oromo, qui prétend canaliser la contestation populaire en se présentant comme le premier opposant au régime en place.</p>
<p>Né en Éthiopie en 1986, Jawar Mohammed s’est installé aux États-Unis après ses études pour fonder le groupe de presse <a href="https://oromiamedia.com/">Oromia Media Network</a>. Il n’a cessé pendant une dizaine d’années de dénoncer les violations des libertés publiques commises par le gouvernement éthiopien et fut l’un des organisateurs des manifestations qui provoquèrent la <a href="https://www.jeuneafrique.com/531208/politique/ethiopie-le-premier-ministre-hailemariam-desalegn-demissionne/">démission du premier ministre Hailé Mariam Desalegn</a> (2012-2018). Ses détracteurs <a href="https://vaaju.com/ethiopia/jawar-mohammed-and-the-act-of-terror-by-tibebe-samuel-ferenji/">dénoncent</a> ses discours séditieux (puisqu’il menace de soutenir la sécession de l’Oromiya) comme ses appels à la violence en s’appuyant sur un mouvement de jeunesse, les <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/10/ethiopia-youth-gather-jawar-mohammed-house-show-support-191023135139619.html"><em>Qeerros</em></a>.</p>
<p>En outre, à la ligne de fracture traditionnelle entre les populations amharas et tigréennes de confession chrétienne du nord et celles islamisées du sud (vivant dans les provinces de l’Oromya, l’Harar et la Somalie) s’ajoute désormais un troisième clivage, économique.</p>
<h2>Les clivages économiques</h2>
<p>Si l’Éthiopie se classe toujours parmi les pays les plus corrompus au monde, et dont l’indice de développement humain demeure <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=ETH&codeStat=SP.POP.IDH.IN&codeTheme=1#:%7E:text=%C3%89thiopie%20%2D%20Indice%20de%20d%C3%A9veloppement%20humain">très faible</a> (173<sup>e</sup> rang mondial), il convient néanmoins de relever les progrès manifestes obtenus depuis 20 ans.</p>
<p>L’Éthiopie est désormais le 5<sup>e</sup> producteur mondial de café, le 4<sup>e</sup> exportateur de fleurs et développe une base industrielle, avec la présence d’entreprises étrangères comme les constructeurs automobiles <em>Lifan</em> ou <em>Peugeot</em> (qui vient d’ouvrir une usine d’assemblage à Wukro, dans la région du Tigré).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343713/original/file-20200624-132955-jcl8uj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343713/original/file-20200624-132955-jcl8uj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343713/original/file-20200624-132955-jcl8uj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343713/original/file-20200624-132955-jcl8uj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343713/original/file-20200624-132955-jcl8uj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343713/original/file-20200624-132955-jcl8uj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343713/original/file-20200624-132955-jcl8uj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Addis-Abeba, capitale d’un pays en profonde transformation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">François Lafargue</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En quinze ans, une dynamique industrie de la confection et de l’habillement s’est bâti une solide réputation grâce aux coûts de main-d’œuvre très faibles qu’offre le pays (à titre d’exemple, le coût mensuel d’un ouvrier s’établit autour de 40 dollars) et à la disponibilité d’un vaste cheptel, qui permet de disposer de matières premières comme les peaux d’animaux. Mais ce développement économique a surtout profité aux régions du sud, où les musulmans sont majoritaires (comme dans les provinces de l’Oromya, de Somalie et de l’Harar). Ces régions bénéficient de la proximité avec les ports de Djibouti et de Berbera au Somaliland et sont desservies par la ligne ferroviaire reliant Djibouti à Addis-Abeba.</p>
<h2>Trois scénarios envisageables</h2>
<p>Trois hypothèses se dessinent aujourd’hui :</p>
<ul>
<li><p>La victoire du Parti de la prospérité risque d’accentuer le ressentiment de la minorité oromo et de provoquer de graves troubles politiques comme ceux qui déchirèrent le pays à la fin de l’année 2019. L’instauration de l’état d’urgence (comme <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/09/ethiopie-le-gouvernement-declare-l-etat-d-urgence_5010680_3212.html">ce fut le cas</a> après les manifestations qui suivirent le scrutin contesté de 2015) entraînera un funeste engrenage de manifestations/répressions qui peut <em>in fine</em> aboutir à une guerre civile.</p></li>
<li><p>Abiy Ahmed forme un gouvernement d’union nationale pour tenter de satisfaire toutes les minorités du pays, mais cet équilibre entre les différentes communautés sera très complexe à tenir.</p></li>
<li><p>La victoire de l’opposition sera interprétée comme celle de la minorité oromo, une forme de « revanche de l’Histoire », et risque de ne pas être acceptée, par des peuples comme les Tigréens, qui préfèreront peut-être l’indépendance plutôt que la soumission à leurs anciens vassaux.</p></li>
</ul>
<p>En attribuant le prix Nobel de la paix à Abiy Ahmed à l’automne 2019, le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MF6yXA3_SZ0">Comité Nobel</a> norvégien récompensait les efforts menés par ce pays, notamment afin d’apaiser les tensions avec l’Érythrée. Cette distinction a surpris les observateurs de la région, qui dénoncent régulièrement les abus de ce régime autoritaire et les faibles efforts engagés pour une concorde nationale. Car <a href="https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=6585644">comme le soulignait Alain Gascon</a> voici déjà trente ans, l’Éthiopie risque de devenir les Balkans de l’Afrique…</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141183/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lafargue ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Éthiopie se prépare à des élections législatives à l’issue incertaine dans un contexte de forte tension politique susceptible, dans le pire des scénarios, de plonger le pays dans la guerre civile…François Lafargue, Professeur de géopolitique et d'économie asiatique, PSB Paris School of BusinessLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1402982020-06-09T18:02:37Z2020-06-09T18:02:37ZTintamarre et Bulalakaw : parer au Covid par le rituel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/341592/original/file-20200613-153827-ra8393.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur l'ile de Luzon, aux Philippines, les peuples locaux, comme les Kalinga, ont inventé des rituels pour lutter contre l'épidémie. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/10783495@N00/28033022279">Andy Maluche</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>L’africaniste Luc de Heusch, l’un des plus grands anthropologues belges du XX<sup>e</sup> siècle, définissait les rites comme « un projet d’ordre pour défendre ou restaurer l’être dégradé, accroître son potentiel vital ou, inversement, détruire l’être-de-l’autre ».</p>
<p>Il <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Pourquoi-l-epouser-et-autres-essais">proposait</a> de distinguer trois types d’action : des rites cycliques de l’ordre de la structure (les fêtes de Noël, par exemple) ; des rites de passage ou transitifs liés à un temps irréversible (comme l’initiation des jeunes ou les anniversaires) ; et des rites occasionnels qui offrent une parade aux dérèglements historiques de l’ordre collectif et cyclique.</p>
<p>Avec la crise du Covid-19, ces derniers ont le vent en poupe. Ils s’observent dans plusieurs régions de la planète.</p>
<h2>La protection des esprits</h2>
<p>Aux Philippines, certaines populations autochtones ont réagi à la crise sanitaire en mettant en œuvre ce type de rites. À Mindanao, des communautés ont invoqué les esprits pour leur demander de les protéger contre l’épidémie. Pour plusieurs de ces communautés, comme les Bukinon, <a href="https://www.esquiremag.ph/long-reads/features/indigenous-peoples-mindanao-covid-19-a00202-20200401-lfrm">« les désastres se produisent du fait que les humains violent les lois de la nature »</a>. D’autres ont exprimé la nécessité de rétablir des relations harmonieuses avec les esprits de la Terre et le reste du vivant.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1247315817873711104"}"></div></p>
<p>Selon le <a href="https://www.mindanaodailynews.com/public/news/business/corporate/ip-rituals-invoke-protection-vs-covid-19"><em>Mindanao Daily</em></a>, de multiples rituels ont été orchestrés : le Panagpeng, qui consiste à demander protection contre les maladies et les calamités, et implique le sacrifice d’un poulet ; le Panalawahig, qui s’adresse directement à Bulalakaw, le gardien de l’eau susceptible de la purifier lorsqu’elle est souillée par les humains ; ou encore le Pamugsa, une pratique destinée à bloquer les catastrophes qui affectent les montagnes, les forêts ou les communautés.</p>
<p>Sur l’île de Luzon, les peuples de la cordillère centrale, comme les Kalinga, les Ifugao et les Isneg ont réagi de façon analogue, fermant les accès à leurs villages et mettant en œuvre des rites communautaires sous la houlette des aînés. Ces performances portent plusieurs noms selon les langues : tengaw/tengao chez les Kalinga, te-er, to-or, far-e, ubaya ou tungro ailleurs, la région comportant plus d’une quinzaine de groupes distincts.</p>
<p>La presse locale rapporte que des paquets d’herbe attachés légèrement par un nœud ont été placés sur les chemins afin d’interdire aux gens de franchir ces passages. Dans la région de Bontoc, d’autres ont pratiqué le sedey, un rituel qui consiste à invoquer l’aide de Lumawig, l’être suprême, pour protéger leur communauté. Dans bien des cas, ce sont les entrailles des poulets et des cochons qui <a href="https://news.mongabay.com/2020/04/in-a-philippine-indigenous-stronghold-traditions-keep-covid-19-at-bay/">indiquent que la requête a été entendue</a>.</p>
<h2>Fermer les portes</h2>
<p>En Indonésie, plusieurs populations autochtones ont adopté des comportements similaires. Dans le Nusa Tengarra (les Petites îles de la Sonde), les leaders des groupes Kengge, Seso et Rongga se sont réunis sur la plage de Mbolata, à l’est de Manggarai, pour pratiquer des rituels de type podo destinés à chasser la maladie. Un coq noir et un œuf ont été offerts en sacrifice et le rituel du Pele Le Tadu Lau ou Pele Le Galu Lalu, qui signifie littéralement « fermer les accès », a été effectué.</p>
<p>Un journaliste local <a href="https://www.thejakartapost.com/news/2020/03/31/indonesias-indigenous-tribes-use-rituals-customs-to-ward-off-coronavirus.html">cite</a> les explications d’un des chefs du groupe :</p>
<blockquote>
<p>« Nous demandons à nos ancêtres de fermer les portes afin de prévenir l’arrivée du virus parmi nous. »</p>
</blockquote>
<p>Dans la province du parc national Bukit Duabelas (TNBD), des ethnies ont mis en place un système comparable à la distanciation sociale connu sous le nom du besasandingon, lequel implique des actes d’isolement pour les malades et de l’aide supplémentaire de la part des plus vaillants.</p>
<p>D’autres rites occasionnels auraient été observés en Thaïlande chez les Karen, ou encore en Malaisie chez des Orang-Asli qui, eux, auraient décidé de s’isoler en forêt.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1247509195835854852"}"></div></p>
<p>La logique des rites occasionnels est bien connue en anthropologie, et Luc de Heusch et Victor Turner, qui en ont étudié plusieurs chez les Tetela du Kasaï et les Ndembu d’Afrique du Sud respectivement, rappellent comment ces pratiques sont destinées à parer l’imprévisible, à faire face à l’irruption d’une maladie ou d’une menace inédite, comme la guerre.</p>
<h2>Et en Europe ?</h2>
<p>D’aucuns trouveront ces réactions locales peu efficaces et pour le moins singulières pour faire face à la catastrophe. C’est oublier que la gestion de la crise sanitaire du Covid-19 en Europe peut elle aussi se lire comme un vaste rite occasionnel dont les séquences se télescopent.</p>
<p>Certes, la crise a fait naître le besoin d’inventer de nouveaux rituels, sur le plan des pratiques funéraires, par exemple, mais son orchestration globale s’inscrit dans une structure ternaire, jadis bien documentée par <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/gennep_arnold_van/rites_de_passage/rites_de_passage.html">Van Gennep</a> et reprise par <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1980_num_50_2_2215_t1_0347_0000_5">Turner</a>. S’y repère, d’abord, une phase de <em>séparation</em> qu’a opérée le confinement décrété par de nombreux États, les conduisant à fermer les frontières et à s’isoler du reste du monde. La période du déconfinement est assurément celle de la <em>transition</em>, une phase de l’entre-deux dite liminaire, avec son inconfort et ses dangers. Et cette période en précède une d’<em>agrégation</em> qui s’ouvre avec la réouverture des cafés, des restaurants et des hôtels.</p>
<p>Pour voir la mise en œuvre d’un rite occasionnel en Europe, il faut remonter au début de la crise, lorsque le confinement total est prononcé. Cette décision de privilégier « la vie » à l’économie, d’arrêter le flux habituel pour le salut des humains, et en particulier les plus fragiles que sont les plus âgés, ouvre le rituel.</p>
<h2>Les épidémiologistes en maîtres cérémoniels</h2>
<p>Par le biais de leurs gouvernements, les États européens ont alors explicitement pris la responsabilité de gérer une catastrophe annoncée, quitte à « déclarer la guerre au virus », comme <a href="https://theconversation.com/sommes-nous-vraiment-en-guerre-contre-un-virus-133981">cela s’est vu en France</a>, lui reconnaissant du coup une capacité d’agir, une agentivité propre. Les ingrédients classiques de nombreux rites se lisent ensuite de façon évidente, à commencer par les masques et les vêtements <em>ad hoc</em> pour s’isoler des agents pathogènes.</p>
<p>Le rituel a aussi révélé ses « devins », plus ou moins visibles : les membres des « conseils scientifiques » et autres épidémiologistes largement mis en scène par les médias. Bien que souvent construits sur des chiffres incomplets voire erronés, leurs calculs, leurs projections et leurs équations sont <a href="https://theconversation.com/debat-le-savant-et-le-politique-en-2020-un-attelage-de-fortune-137529">à la base des décisions prises par les politiques</a>.</p>
<p>Le mal, lui, est resté invisible, méconnu. Dans le doute, même les plus sceptiques ont emboîté le pas. Car ce sont bien ces épidémiologistes les chefs d’orchestre, les « grands sorciers », les maîtres cérémoniels en charge du déroulement des opérations. Le contraste entre d’une part la précision de leurs courbes et de leurs modèles rigoureux, leur assurance et leur foi dans les prévisions à venir, qui les incite à dicter ici et là les injonctions de circonstance, et d’autre part le flou d’une maladie insaisissable, dont on découvre encore chaque jour des caractéristiques nouvelles, est flagrant.</p>
<p>Les victimes sacrificielles, elles, n’ont pas manqué à l’appel solennel : des professions dites « à risque » et socialement défavorisées mais sommées de travailler au cœur de la crise (avec ou sans protection), des personnes âgées abandonnées à leur sort dans leurs maisons de repos, des secteurs entiers de l’économie et des investissements détruits instantanément, des pertes financières colossales, des années d’endettement et de vaches maigres pour les générations futures, etc.</p>
<h2>Les sirènes et le tintamarre de 20 heures</h2>
<p>Et tout comme les rites renvoient à un ordre des choses et à un ordre du monde, le traitement du Covid-19 s’est imposé à la fois individuellement et collectivement par le décret de strictes règles à suivre qui, à bien des égards, évoquent les tabous : distanciation sociale, limite des 100 kilomètres pour tout déplacement, etc.</p>
<p>Gare à ceux et celles qui voudraient y déroger ! Ils prennent alors des risques personnels et mettent en danger l’ensemble du groupe ainsi que toute l’opération « médico-religieuse » en cours, pour reprendre encore les termes de De Heusch.</p>
<p>Excepté quelques fondamentalistes, les religions se sont tues, s’inclinant à leur tour face à la décision des devins. Et sur le plan sonore, entre les sirènes et le <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-manifestations-publiques-revelent-de-notre-rapport-au-monde-en-confinement-135090">tintamarre quotidien de 20 heures</a>, l’orchestre a joué sans cesse, jusqu’au déconfinement.</p>
<p>Ce sont encore les États qui ont décrété le moment du déconfinement venu. Pour cela, ils n’ont pas hésité à nier la courbe en cloche du virus, une forme récurrente et pourtant largement mystérieuse, selon l’avis des spécialistes des maladies infectieuses. Les gouvernements et leurs maîtres cérémoniels ont préféré, au contraire, y voir les effets manifestes des mesures de confinement et de distanciation sociale prises quelques semaines plus tôt, encaissant ainsi le crédit de ce « succès » et faisant valoir l’efficacité de leurs dispositifs. Qu’importe que les masques et les tests aient manqué ou qu’on ignore les mécanismes de l’immunité collective. La courbe du virus, dit-on, a été infléchie par la prophylaxie. D’ailleurs, si des signes inquiétants d’une reprise de l’épidémie apparaissaient, les mesures de confinement s’imposeraient de nouveau.</p>
<h2>L’incapacité à anticiper</h2>
<p>De Heusch, à propos des Lunda, souligne que la maladie est à la fois signe et épiphanie, qu’elle contient la promesse d’une vie meilleure. Comment ne pas relier à cet espoir les discours des uns et des autres qui fleurissent aujourd’hui, tout un chacun appelant à un monde meilleur, caressant le rêve d’une vie plus équilibrée et plus respectueuse de la nature ?</p>
<p>Avec ces rites occasionnels, les peuples de l’Asie du Sud-Est et les Occidentaux aboutissent à des conclusions qui ne sont pas si éloignées les unes des autres, en dépit des chemins différents qu’elles empruntent. La catastrophe du Covid-19 est lue par tous comme le signe tangible d’un dérèglement des relations entre les humains et leur environnement.</p>
<p>Ici, le salut ne dépend cependant plus des divinités ou des esprits maîtres. Il a été confié aux experts et à la technique. Et pourtant, ce virus rappelle la place que nous, humains, occupons au sein – et non au-dessus – du vivant ; en somme, notre profonde vulnérabilité et notre incapacité à anticiper.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est publié simultanément dans la collection <a href="https://www.pug.fr/store/page/278/le-virus-de-la-recherche">« Le virus de la recherche »</a>, une initiative de l’éditeur PUG en partenariat avec The Conversation et l’Université Grenoble Alpes.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140298/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Laugrand receives funding from FNRS (Belgium) for a research project entitled L’animal au cœur des pratiques divinatoires dans les régions circumpolaires et en Austronésie.</span></em></p>En Europe comme en Asie du Sud-Est, les sociétés humaines ont réagi à la pandémie de Covid-19 en effectuant de nombreux rituels dont une analyse anthropologique permet de mieux comprendre la fonction.Frédéric Laugrand, Anthropologue, directeur du Laboratoire d'anthopologie prospective, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1381742020-05-14T18:40:24Z2020-05-14T18:40:24ZDéconfinement : le jeu délicat de la France avec les libertés de culte<p>Le 28 avril, le Premier ministre Edouard Philippe présentait devant l’Assemblée nationale son plan de déconfinement, annonçant que de nombreuses activités de vie collective pourraient reprendre à partir du 11 mai. Cependant, au cours de son allocution, le Premier ministre précisa que l’interdiction des cérémonies religieuses, à l’exception des obsèques, serait maintenue <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/11518-discours-de-m-edouard-philippe-premier-ministre-presentation-de-la-strategie-nationale-de">jusqu’au 2 juin</a>.</p>
<p>Cette prolongation des restrictions imposées sur le libre exercice des cultes suscita alors une vive réaction de la part des élus de droite et de l’Église catholique. La Conférence des évêques de France (CEF) exprimait son <a href="https://eglise.catholique.fr/espace-presse/communiques-de-presse/498364-suite-aux-annonces-premier-ministre-concernant-deconfinement/">« regret »</a> que la célébration des cultes en public ne puisse reprendre à partir du 11 mai, et 67 parlementaires signèrent une tribune dans <em>Le Figaro</em>, interpellant le gouvernement <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/societe/la-liberte-de-culte-serait-elle-moins-importante-que-la-liberte-de-consommer-20200501">et l'invitant à revenir sur sa décision</a>.</p>
<p>Face à l’ampleur de cette fronde, le gouvernement révisa sa position : le 4 mai Edouard Philippe <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/11536-covid-19-discours-d-edouard-philippe-au-senat">s’est déclaré devant le Sénat</a> « prêt à étudier la possibilité que les offices religieux puissent reprendre à partir du 29 mai ».</p>
<p>Cependant, si cette date permettait aux églises d’accueillir des fidèles pour la messe de Pentcôte, elle n’a pas réussi à éteindre la controverse. En effet, elle fait l’impasse sur l’Aïd al-Fitr, fête de clôture du Ramadan, prévue le 24 mai, provoquant <a href="https://www.mosqueedeparis.net/fin-de-linterdiction-des-ceremonies-religieuses-avancee-pour-la-pentecote-lincomprehension-de-la-grande-mosquee-de-paris/">l’indignation</a> du Recteur de la Grande Mosquée de Paris.</p>
<p>Cette controverse est d’autant plus notable que, jusqu’ici, les restrictions en matière de libertés religieuses qu’impose l’État français n’avaient pas rencontré de forte opposition, ni de la part de la société civile ni de la part des élus.</p>
<p>Comment faut-il alors comprendre ce retournement de situation ?</p>
<p>L’annonce du plan de déconfinement annonce la sortie progressive d’une politique d’urgence, définie par une relative union nationale. Ce faisant, cette annonce marque aussi la reprise de la politique « normale », dans laquelle le conflit se trouve structuré autour des institutions et des pôles idéologiques. La contestation en matière de libertés religieuses s’inscrit dans ce mouvement plus large.</p>
<h2>Une application inédite des lois</h2>
<p>Le 15 mars, le gouvernement interdisait par arrêté tout rassemblement ou réunion de plus de 20 personnes au sein des établissements de culte, à l’exception des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2020/3/15/SSAS2007753A/jo/texte">cérémonies funéraires</a>.</p>
<p>Le 23 mars, le gouvernement renforça cette mesure, interdisant tout rassemblement ou réunion au sein des établissements de culte sans critère de capacité maximale ; les cérémonies funéraires étaient à ce moment-là restreintes <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746694&categorieLien=id">à un maximum de 20 participants</a>.</p>
<p>Ces restrictions furent promulguées dans le cadre du droit. En effet, tout comme de nombreux droits fondamentaux, la <a href="https://www.echr.coe.int/Documents/Guide_Art_9_ENG.pdf">liberté religieuse n’est pas absolue</a>. Ainsi, l’article 9.2 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut faire l’objet de restrictions sous certaines conditions, notamment en application de mesures nécessaires à la santé. En France, l’article 1 de la loi de séparation des églises et de l’État de 1905 conditionne la garantie du libre exercice des cultes à l’intérêt de l’ordre public.</p>
<p>Si les restrictions promulguées en mars n’entravaient pas au droit, leur application était inédite. Malgré cela, elles reçurent un large aval de la part des autorités religieuses – alors même que ces mesures tombaient à la veille des grandes fêtes monothéistes de Pessa’h, de Pâques, et du Ramadan.</p>
<h2>Une large adhésion des institutions religieuses</h2>
<p>Le Conseil national des évangéliques de France <a href="https://www.lecnef.org/articles/54203-les-evangeliques-et-la-question-du-deconfinement">estimait</a> ces restrictions « conformes à la loi, puisque justifiées, nécessaires et proportionnées pour des motifs de santé publique ».</p>
<p>De nombreux diocèses catholiques y adhérèrent aussi, dispensant leurs fidèles de l’obligation de participer à la <a href="https://www.vannes.catholique.fr/questions-a-mgr-centene-a-propos-des-mesures-liees-au-coronavirus/">messe dominicale</a>. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) appela les imams à remplacer la prière collective du vendredi par la diffusion <a href="https://www.cfcm-officiel.fr/2020/03/20/dispositifs-de-substitution-aux-prieres-collectives">d’enregistrements audio-visuels</a>.</p>
<p>Si certaines voix dissidentes se sont manifestées par le biais de la presse <a href="https://www.valeursactuelles.com/societe/tribune-religion-et-confinement-le-gouvernement-ne-doit-pas-empecher-les-croyants-de-celebrer-leurs-grandes-fetes-117642">conservatrice</a> ou en organisant des <a href="https://www.la-croix.com/France/Covid-19-messe-pascale-clandestine-eglise-Saint-Nicolas-Chardonnet-2020-04-12-1301089130">réunions</a> en dépit de leur interdiction, comme à Saint-Nicolas du Chardonnet, la majorité s’est ralliée à la logique restrictiviste du gouvernement.</p>
<p>Pourtant, comme nous l’avons vu, ce ralliement s’est précipitamment estompé après le 28 avril.</p>
<h2>Comment expliquer ce renversement de situation ?</h2>
<p>Cette contestation advient dans un contexte de défiance croissante envers la politique gouvernementale. Alors que le gouvernement avait réussi à mener une politique unilatérale en début de crise, son autorité vacille depuis fin avril.</p>
<p>Selon un sondage IFOP, le 20 mars le gouvernement bénéficiait de la confiance de 55 % de Français quant à sa capacité à <a href="https://www.ifop.com/publication/coronavirus-la-confiance-dans-le-gouvernement-pour-faire-face-a-la-crise-2/">gérer efficacement</a> la crise du coronavirus ; le 6 mai, ce taux avait chuté de 20 points pour <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/05/117000-Rapport-CN-SR-N95.pdf">atteindre 35 %</a>.</p>
<p>Le 28 avril, le gouvernement s’est vu contraint de reporter <em>sine die</em> un débat à l’Assemblée nationale sur l’application de traçage numérique <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/tracking-edouard-philippe-reporte-le-vote-sur-l-application-controversee-stopcovid-846376.html">StopCovid</a> (ce qui n’a pas empêché la <a href="https://www.franceinter.fr/economie/application-stopcovid-chronologie-d-un-tres-laborieux-developpement">poursuite de son développement</a>). Le 4 mai, le <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/deconfinement-le-senat-rejette-le-plan-du-gouvernement-182307">Sénat a rejeté le plan de déconfinement du gouvernement</a>. Et le 11 mai, le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020800DC.htm">Conseil constitutionnel a censuré des éléments du projet de loi</a> liés à l’isolement, et aux données médicales liées au traçage des malades infectés par le coronavirus.</p>
<p>De fait, ces indicateurs traduisent le pendant politique du déconfinement : le retour progressif de la politique « normale », dans laquelle les contre-pouvoirs institutionnels (le Parlement, le Conseil constitutionnel, les acteurs de la société civile) se réaffirment et les confrontations idéologiques reprennent le dessus sur les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/04/15/coronavirus-emmanuel-macron-cherche-son-union-nationale_6036620_823448.html">appels à l’unité nationale</a>.</p>
<p>Les religions, évoluant en interaction et en tension avec leur <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2003-2-page-248.htm">environnement socioculturel</a>, s’inscrivent aussi dans ce basculement hors de la trêve (relative) des hostilités politiques observé durant le pic de la crise.</p>
<h2>Des prises de position diverses</h2>
<p>Ce constat se confirme d’ailleurs si nous regardons de plus près les prises de position des différentes autorités religieuses. Comme nous l’avons déjà signalé, la CEF et la Grande Mosquée de Paris se sont opposées à la décision gouvernementale d’étendre les restrictions imposées aux libertés religieuses au-delà du 11 mai. Cependant, l’Église protestante unie de France et le Conseil national des évangéliques de France se sont abstenus de critiquer ouvertement le gouvernement par rapport à cette extension. Haïm Korsia, le grand rabbin de France, s’est montré <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/religions/coronavirus-l-hypothese-d-un-deconfinement-juste-apres-la-fin-du-ramadan-cree-des-remous-6826995">compréhensif</a> envers le gouvernement, jugeant qu’il fallait avant tout « s’assurer de la sécurité sanitaire ».</p>
<p>D’autres instances musulmanes, telle que l’Union des mosquées de France, ont aussi choisi <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/deconfinement-des-lieux-de-culte-divergences-de-vue-entre-instances-musulmanes_2125419.html">d’adhérer</a> au calendrier émis par le gouvernement.</p>
<h2>Diversité de réactions et de traditions</h2>
<p>Cette diversité de réactions traduit plusieurs éléments. D’une part, l’importance accordée aux rites, à la sacralité des lieux et des objets, et aux réunions physiques varient selon les traditions religieuses.</p>
<p>Ainsi, la centralité de l’eucharistie dans le catholicisme implique l’obligation de participer à la messe dominicale, alors que le christianisme évangélique donne la priorité à l’étude du texte biblique et à la proclamation par le verbe, des pratiques qui s’accommodent plus aisément des contraintes imposées par le confinement.</p>
<p>À cela s’ajoute la diversité des positionnements politiques et institutionnels des différentes autorités religieuses. L’Église catholique bénéficie d’une assise institutionnelle forte en France, en raison de son ascendance historique et de ses ressources internes. Elle s’inscrit aussi dans une relation historique de conflit avec les institutions républicaines.</p>
<p>A contrario, le protestantisme et le judaïsme sont issus d’une <a href="https://www.fayard.fr/juifs-et-protestants-en-france-les-affinites-electives-9782213619248">historiquement minoritaires en France</a>, se sont ralliés à la République.</p>
<p>Quant aux musulmans, leur absence de front commun <a href="https://journals.openedition.org/assr/1040?&id=1040&file=1">reflète des dissensions endiguées dans l’Islam français</a>. Celles-ci découlent de l’histoire migratoire et du projet controversé de rassembler les courants islamiques français sous l’égide d’une unique autorité représentative en dialogue avec l’État.</p>
<p>En sus des divergences internes aux traditions religieuses, ces divergences de positionnement dans la société française contribuent à expliquer les multiples réactions des autorités religieuses face à la politique gouvernementale. Si la polyphonie des réactions religieuses après l’annonce du plan de déconfinement reflète dans une certaine mesure les spécificités internes à ces religions, elle annonce aussi un retour à la politique « normale ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138174/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Artaud de La Ferrière is affiliated with the International Religious Liberty Association. </span></em></p>La controverse sur la date de réouverture possible des lieux de cultes est révélatrice des tensions habituelles qui agitent la gestion du fait religieux en France.Alexis Artaud de La Ferrière, Senior Lecturer in Sociology, University of PortsmouthLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1327042020-03-09T18:16:52Z2020-03-09T18:16:52ZDe quoi « communautarisme » est-il le nom ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/319132/original/file-20200306-118956-vm51bf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C0%2C2535%2C1702&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le problème, pour la communauté française, n'est pas l'existence de diverses communautés en son sein mais la tendance au séparatisme observée parmi certaines d'entre elles.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/french-flag-waving-over-one-hotel-136476002">connel/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>S’il est une évolution terminologique bienvenue, et sans aucun doute nécessaire depuis longtemps, c’est la remise en cause de la notion de « communautarisme » et l’avènement de celle de « séparatisme ». Utilisée pour désigner un ennemi supposé, la notion de communautarisme a pour effet de stigmatiser le plus souvent l’islam (mais parfois tout autre groupe visé au travers de ce terme, tels les LGBT, les juifs, les handicapés, les corses, les bretons) et la notion de communauté à laquelle elle emprunte sa racine. Elle n’a aucun fondement scientifique. Le terme de « séparation » (ou son cousin « séparatisme ») pointe bien mieux ce qui pose problème que celui de « communautarisme », et a l’avantage de ne pas stigmatiser la notion plus ancienne et positive de communauté.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7suuABDDf4o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>La fabrication de la notion de « communautarisme »</h2>
<p>Selon les tenants de l’utilisation de la notion de communautarisme, être français impliquerait de n’être membre que d’une seule communauté : la communauté nationale. Toute autre communauté est réputée ne pas exister. Cette idée est battue en brèche par plus d’un siècle de sciences sociales, notamment la sociologie et l’histoire. Nous développons des liens tant avec notre « communauté » ou environnement relationnel et culturel proche (Durkheim, dès 1893, parle de <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Durkheim_-_De_la_division_du_travail_social.djvu">solidarité mécanique</a>) qu’avec la société plus englobante dans laquelle s’inscrit cet environnement relationnel (Durkheim parle de solidarité organique).</p>
<p>S’il est indispensable de construire une société française (que d’aucuns appellent communauté nationale) pour que notre espace national ne soit pas la juxtaposition de différentes communautés coupées les unes des autres, cette « communauté nationale » ne peut se faire en niant complètement les communautés qui la composent. Ainsi, contrairement à une idée reçue, les instituteurs sous la Troisième République <a href="https://www.jstor.org/stable/40989055?seq=1">respectaient les parlers et les traditions locaux</a>, traditions dont ils étaient souvent eux-mêmes issus. Un terme traduisait même la reconnaissance de ces communautés : celui de « petite patrie ».</p>
<p>Au contraire des termes de « communauté » et de « communautaire » qui désignent des ensembles géographiques, administratifs ou culturels, et renvoient à la notion de partage, le <a href="https://journals-openedition-org.hub.tbs-education.fr/socio/2524">terme de communautarisme, qui se développe à partir du milieu des années 1990, vise à proscrire, à fabriquer un ennemi menaçant</a>, davantage qu’il ne revêt un sens précis.</p>
<p>La deuxième idée sous-jacente à l’emploi du terme de communautarisme, c’est donc la stigmatisation, le plus souvent de l’islam, et parfois d’autres groupes perçus comme menaçants dès lors qu’ils affirment leur existence de manière visible. Les musulmans (ou tel autre groupe visé par le terme de communautarisme, tels les juifs, les handicapés, les Bretons, les corses, les LGBT) formeraient une « communauté » dans la communauté et, ce faisant, se soustrairaient à la communauté nationale, supposé la seule légitime.</p>
<p>Or, le paragraphe qui précède rappelle ce principe de réalité : nous sommes tous simultanément membres d’une petite patrie et d’une grande patrie ; d’une communauté et de la nation qui englobe ces communautés. Plutôt que d’une communauté musulmane, on serait d’ailleurs davantage fondé à parler de communautés de musulmans au pluriel, tant celles-ci peuvent varier en <a href="https://tinyurl.com/w9svx28">fonction de leur origine géographique et de leur implantation territoriale</a>.</p>
<h2>La menace séparatiste</h2>
<p>Le terme de « communautarisme » souffre par ailleurs d’un inconvénient majeur : il n’a pas de validité scientifique. Aucune discipline scientifique n’en a fait un concept opératoire. Personne ne peut le définir. Il n’existe pas en anglais, langue partagée par les scientifiques du monde entier. Il ne bénéficie même pas d’un article Wikipédia en anglais. Il sert surtout (en France) à stigmatiser un groupe minoritaire dès lors que celui-ci affirme son existence.</p>
<p>Il n’en va pas de même à l’étranger, où nombre de pays arrivent à conjuguer allégeance forte à un socle de valeurs partagées et respect de communautés affirmant explicitement leur droit d’exister, dès lors qu’une telle affirmation ne porte pas atteinte à ce socle. Ces politiques, parfois qualifiées de <a href="https://www.universityresearch.ca/projects/multiculturalism-policy-index/">multiculturalistes</a>, se retrouvent dans des pays qui atteignent les niveaux les plus élevés de développement économique et humain : Australie, Canada, Finlande, Norvège, Nouvelle-Zélande, Suède.</p>
<p>Or, comme le souligne l’utilisation du terme plus rigoureux de séparation, employé depuis plusieurs décennies dans les <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/CCSM-03-2016-0085/full/html">recherches scientifiques sur les processus d’acculturation</a>, le problème n’est pas dans l’existence de différentes communautés au sein de la nation française, mais dans l’existence de stratégies identitaires visant à mettre à l’écart et à se mettre à l’écart, à se séparer d’un autre groupe (réel ou fantasmé) perçu comme l’incarnation du mal.</p>
<p>Ainsi, il y a bien une stratégie identitaire nationaliste visant à constituer un bloc « français de (supposée) souche », séparé d’un bloc supposément homogène, les « musulmans visibles », bloc censé être « inassimilable ». Et, comme son miroir inversé, il y a bien une stratégie identitaire chez les mouvements fondamentalistes islamistes visant à constituer un bloc de (supposés) « vrais musulmans », séparé d’un bloc supposé « mécréant », par définition « infidèle », incluant tant les non-musulmans que les <a href="https://www.editions-hermann.fr/livre/9782705696443">très nombreux musulmans ne se reconnaissant pas dans cette construction</a>.</p>
<p>Mais ni la notion de « français de souche », ni celle de « vrai musulman » ne correspondent à des communautés réelles au sens sociologique du terme. <a href="https://www.editions-hermann.fr/livre/9782705696443">Il s’agit en revanche de constructions séparatistes visant à stigmatiser une identité supposée ennemie</a>.</p>
<p>De telles stratégies ont été observées non seulement en France, mais aussi au Canada et <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/CCSM-03-2016-0085/full/html">dans la plupart des pays dans lesquels vivent des personnes issues de plusieurs cultures</a>, c’est-à-dire dans la plupart des nations actuelles. Aucun système politique ne met complètement à l’abri de stratégies de séparation. Ces stratégies séparatistes qui menacent la cohésion de la société doivent être prévenues par des politiques inclusives. Elles doivent également être sanctionnées là où les politiques inclusives s’avèrent inopérantes. Mais pas les communautés qui existent de fait dans l’espace de notre nation, et qui en font la richesse, pour autant qu’on leur laisse le droit d’exister à l’air libre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132704/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Klarsfeld ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La notion de « communautarisme » est aujourd’hui extrêmement répandue. Son emploi pose pourtant divers problèmes.Alain Klarsfeld, Professeur de gestion des ressources humaines, TBS EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.