tag:theconversation.com,2011:/us/topics/fukushima-25842/articlesFukushima – The Conversation2024-02-22T15:40:28Ztag:theconversation.com,2011:article/2239432024-02-22T15:40:28Z2024-02-22T15:40:28ZQuel récit derrière le retour en grâce du nucléaire ?<p><em>Il y a un peu plus de 10 ans, la catastrophe de Fukushima relançait les débats sur l’utilisation du nucléaire civil. Aujourd’hui, l’effroi a laissé place à un discours moderniste, valorisant un savoir-faire français et mettant en avant le nucléaire comme outil de lutte contre le changement climatique. Comment <a href="https://theconversation.com/imaginaires-du-nucleaire-le-mythe-dun-monde-affranchi-de-toutes-contraintes-naturelles-200472">cet imaginaire</a> s’est-il construit ? Quel <a href="https://theconversation.com/nucleaire-eolien-quelle-evolution-du-discours-mediatique-en-france-208259">récit</a> trouve-t-on derrière le retour en grâce du nucléaire ? C’est à ces questions que s’est attelé Ange Pottin, chercheur en philosophie des sciences et des techniques à l’université de Vienne. Dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_nucleaire_imagine-9782348081118">« Le Nucléaire imaginé. Le rêve du capitalisme sans la Terre »</a>, qui vient de paraître, il met en lumière les logiques sociales et politiques associées à ce grand récit. Ses recherches soulignent l’héritage d’un discours construit dans les années 1950, marqué par « l’idée trompeuse et enivrante d’une indépendance vis-à-vis de tout ancrage terrestre ». Nous vous proposons ici quelques extraits de l’introduction.</em></p>
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<p>L’imaginaire désigne des représentations qui se distinguent à la fois par leur rapport déformant à la réalité et par leur pouvoir de mobilisation collective. Les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-bibliotheque-ideale-de-l-eco/l-institution-imaginaire-de-la-societe-cornelius-castoriadis-2493850">représentations imaginaires</a> s’immiscent jusque dans les domaines réputés les plus froidement rationnels de l’activité humaine et viennent leur conférer un sens que ne sauraient fournir les seuls <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/D/bo20836025.html">tests et calculs</a>.</p>
<p>Que l’on pense aux expositions universelles des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles : les installations qui y étaient exposées fournissaient des symboles enthousiasmants du progrès technique, de la prospérité et de la puissance des empires occidentaux, à même de susciter l’adhésion des milliers de personnes qui les visitaient. Du même coup, elles fournissaient une représentation idéalisée de la technique qui reléguait dans l’ombre ses conditions de fonctionnement ainsi que les rapports de domination sur lesquelles s’appuyait la puissance célébrée s’appuyait.</p>
<p>Dans le cas du nucléaire, cet imaginaire est avant tout marqué par l’idée trompeuse et enivrante d’une indépendance vis-à-vis de tout ancrage terrestre. Mais ce concept seul n’est pas suffisant : l’imaginaire est indissociable de toute institution humaine et le nucléaire n’est certainement pas la seule industrie qui repose sur un imaginaire riche. C’est pourquoi il faut préciser un peu de quel imaginaire il s’agit ici et à quelles logiques sociales et politiques il est associé.</p>
<p>C’est ce que nous ferons avec le concept de capital fissile. Celui-ci désigne les substances matérielles, les machines et les personnes mobilisées dans la production nucléaire en tant qu’elles sont enrégimentées par le processus d’accumulation capitaliste.</p>
<h2>Le nucléaire imaginé</h2>
<p>Précisons un peu. Selon certains marxistes, le capital n’est pas d’abord un ensemble de choses qui seraient possédées par une classe au détriment d’une autre, mais une logique d’accumulation de la valeur économique ; cette valeur prend d’abord la forme d’argent, lequel, une fois investi, s’incarne dans un ensemble de moyens de production ; ceux-ci génèrent une valeur supplémentaire sous forme de profit ; ce profit est à son tour investi dans un agrandissement de l’appareil productif, etc. C’est ainsi que la poursuite d’une valeur immatérielle entraîne l’accroissement indéfini de l’exploitation matérielle des humains, des autres animaux et des milieux naturels. En effet, afin d’alimenter ce processus, l’accumulation du capital doit toujours se fournir en biens matériels de faible valeur – travail non salarié, matières premières, terres cultivables, et autres – qui doivent être, par des rapports de domination et des moyens techniques, appropriées à la logique d’accumulation (si cette théorie du capital comme processus d’accumulation est présente chez Marx, elle a été développée ultérieurement – <a href="https://agone.org/livres/laccumulationducapital">d’abord dans la théorie de l’impérialisme de Rosa Luxemburg</a> puis reprise et développée par <a href="https://www.versobooks.com/en-gb/products/1967-spaces-of-global-capitalism">David Harvey</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/surete-nucleaire-et-fusion-entre-asn-et-irsn-loriginalite-du-modele-a-la-francaise-222819">Sûreté nucléaire et fusion entre ASN et IRSN : l’originalité du modèle à la française</a>
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<p>Ainsi, on va le voir, le projet du capital fissile revient à approprier un ensemble de substances radioactives aux fins de l’accumulation de la valeur économique. Ce faisant, il cherche du même coup à garantir la continuation de l’accumulation économique par-delà les limites matérielles qu’impose la dépendance de l’économie aux combustibles fossiles.</p>
<p>Dans ce qui suit, je vais retracer les liens qui unissent, en France, l’imaginaire associé à l’énergie nucléaire et le capital fissile. On suivra notamment un fil directeur où se jouent de manière particulièrement parlante ces entrelacements du capital et de l’imaginaire : la stratégie dite du « cycle du combustible fermé ».</p>
<p>Cet ajout à la théorie marxiste est aujourd’hui associé à la théorie des <em>Cheap Natures</em> proposée par <a href="https://www.versobooks.com/en-gb/products/74-capitalism-in-the-web-of-life">Jason Moore</a>, mais trouve avant tout ses racines dans le marxisme écoféministe et notamment dans l’école de Bielefeld animée, entre autres, par Maria Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen) pour une édition récente en français, voir <a href="https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9791095432340-la-subsistance-une-perspective-ecofeministe-maria-mies-veronika-bennholdt/"><em>La Subsistance : une perspective écoféministe</em></a>.</p>
<h2>Le mythe du nucléaire écologique</h2>
<p>Depuis les années 1950, de nombreuses personnes au sein de l’industrie soutiennent la chose suivante : le combustible nucléaire irradié, sorti chaud, toxique et critique du réacteur, d’abord exploité pour les besoins de la bombe atomique, contient des biens énergétiques de valeur tant pour le marché actuel que pour la société d’abondance à venir.</p>
<p>Il doit donc être « retraité », « recyclé », « multi-recyclé ». Cette stratégie allie l’imaginaire d’un nucléaire indépendant de tout ancrage terrestre – jusqu’à être capable de trouver dans son propre système technique la ressource future – à l’idée d’un parachèvement de la stratégie du capital fissile, en mesure d’approprier ses propres déchets aux fins de l’accumulation économique.</p>
<p>Et, ainsi, elle légitime et justifie la mise en place d’une infrastructure dangereuse, polluante et controversée. Cette infrastructure se trouve aujourd’hui à une croisée des chemins.</p>
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<p>D’un côté, elle se mue en un vaste héritage encombrant qui commence à donner des signes de faiblesse, avec de nombreux déchets radioactifs pour lesquels l’industrie cherche des espaces de stockage, et dont les chantiers de démantèlement vont engager de nombreuses personnes et d’importants moyens matériels durant les décennies à venir.</p>
<p>De l’autre, elle continue à porter les rêves d’une économie nationale indépendante et décarbonée, rêves dans lesquels le thème de la « transition énergétique » retrouve les argumentaires et les imaginaires d’antan pour légitimer la continuation de la croissance économique sur une planète déréglée. L’usine de retraitement de La Hague, dans le Cotentin – lestée à la fois du projet d’un cycle nucléaire indépendant de la Terre et de décennies de traitement chimique de combustibles hautement irradiés –, est un symbole de cette contradiction nucléaire et, par-delà, de la contradiction du capitalisme contemporain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ange Pottin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les réticences face au nucléaire apparues après la catastrophe de Fukushima semblent disparues. Comment le nucléaire est-il (re)devenu une énergie chérie ? Focus sur un imaginaire construit avec soin.Ange Pottin, Chercheur en philosophie, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2228192024-02-06T14:43:10Z2024-02-06T14:43:10ZSûreté nucléaire et fusion entre ASN et IRSN : l’originalité du modèle à la française<p>Après un cavalier législatif manqué au printemps 2023, le gouvernement avait soumis au parlement un <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/292470-projet-de-loi-surete-nucleaire-fusion-asn-et-irsn">projet de loi</a> visant à réformer la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Son article premier proposait de passer d’une organisation duale entre une Autorité de sûreté nucléaire (l’ASN) et un organisme de recherche et d’expertise, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (l’IRSN), à une organisation dite « intégrée ».</p>
<p>La commission du développement durable de l'Assemblée nationale a rejeté cet article premier le 5 mars dernier, mais le texte sera de nouveau examiné en séance plénière le 11 mars, pour un vote solennel prévu le mardi 19 mars.</p>
<p>Un établissement unique, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), disposerait à la fois des fonctions de recherche, d’expertise et de décision en matière de sûreté nucléaire et radioprotection.</p>
<p>Ce projet a suscité de <a href="https://theconversation.com/surete-du-nucleaire-en-france-comprendre-la-brusque-reforme-voulue-par-le-gouvernement-201191">nombreuses critiques et interrogations</a> et questionne ce qui fait la spécificité historique du modèle français : le dialogue entre expert, contrôleur et exploitant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/surete-du-nucleaire-en-france-comprendre-la-brusque-reforme-voulue-par-le-gouvernement-201191">Sûreté du nucléaire en France : comprendre la brusque réforme voulue par le gouvernement</a>
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<h2>Aux origines du dialogue technique à la française</h2>
<p>Depuis les années 1960, l’expertise et le contrôle de la sûreté nucléaire sont assurés par un <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=163&q=dialogue+technique&o=0&a=highlight">« dialogue technique »</a> entre spécialistes qui se déroule <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2012-1-page-35.htm">dans des arènes fermées</a>.</p>
<p>D’abord internes au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), puis étendues à EDF et aux différents constructeurs impliqués dans les projets, les discussions tournent autour d’incidents et d’accidents considérés comme « crédibles » au vu de l’expérience acquise et des meilleures connaissances disponibles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/three-mile-island-tchernobyl-fukushima-le-role-des-accidents-dans-la-gouvernance-nucleaire-159375">Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima : le rôle des accidents dans la gouvernance nucléaire</a>
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<p>Le règlement des questions de sûreté est guidé par la recherche de consensus et le « jugement d’expert » constitue la base de toutes décisions. En pratique, ce dialogue n’est pas que technique et inclut ouvertement et librement tous les aspects liés aux décisions de sûreté (coût, retards, niveau de sûreté, développement des connaissances, compétitivité et comparaison internationale…).</p>
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<p>L’efficacité de ce dialogue dépend alors de deux valeurs cardinales :</p>
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<li><p>l’esprit des relations entre acteurs,</p></li>
<li><p>et la doctrine de la compétence.</p></li>
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<p>Il s’agit, pour chaque question technique, de respecter l’avis du plus compétent et cela indépendamment de son rattachement institutionnel. Ce fonctionnement requiert une certaine proximité, une bonne entente, un haut niveau de confiance mutuelle (permise par l’absence de cadre réglementaire formalisé) et enfin une totale autonomie vis-à-vis de la société et du pouvoir politique.</p>
<p>Autrement dit, la sûreté n’y est pas considérée comme un contrôle de conformité à des normes préétablies, mais comme un sujet devant être élucidé au cas par cas via le dialogue entre parties prenantes des projets.</p>
<p>En comparaison, les pays anglo-saxons développent dès les années 1950 des règles, des normes, des méthodes et un cadre légal spécifique pour la sûreté nucléaire qui demeurent sous contrôle des pouvoirs publics et de la justice.</p>
<p>Malgré le <a href="https://theconversation.com/un-nouveau-plan-nucleaire-pour-la-france-quand-lhistoire-eclaire-lactualite-181513">développement massif du nucléaire civil</a> en France, le modèle dialogique est maintenu dans les années 1970, avec <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2017-4-page-76.htm">l’instauration d’une réglementation « souple » qui respecte l’esprit des pionniers</a>.</p>
<p>Toutefois, en accompagnement du Plan Messmer, sont créées deux entités : un contrôleur au sein du ministère de l’Industrie (le Service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN)) et un institut de recherche et d’expertise au sein du CEA, l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dates clés du système de gouvernance français du nucléaire civil.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.sfen.org/rgn/la-riche-histoire-du-systeme-francais-de-controle-et-dexpertise-de-la-surete-nucleaire/">SFEN</a></span>
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</figure>
<p>Un dialogue « à trois » se met alors en place pour expertiser et contrôler l’essor d’un gigantesque parc nucléaire de 58 réacteurs exploités par EDF, ainsi que de nombreux autres types d’installations nucléaires.</p>
<p>Les responsables de la sûreté affirment à cette époque ce qui fait l’originalité et la valeur du système français, à savoir : « <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=179&a=TH.4.1.5.3">l’existence d’une expertise technique qui base sa compétence sur le contact avec les développeurs, et qui joue le rôle de soutien de l’administration qui détient, elle, le pouvoir</a> ».</p>
<p>Les débats dans ce « petit monde de la sûreté » peuvent être extrêmement durs et aboutir à des conflits ouverts devant les responsables politiques et parfois même le grand public lui-même. Après l’accident de Tchernobyl, par exemple, deux visions s’affrontent au plan médiatique :</p>
<ul>
<li><p>celle du nouveau directeur de l’autorité de sûreté, <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=342&q=lav%C3%A9rie&o=0&a=highlight">Michel Lavérie, qui prône une plus grande ouverture vis-à-vis du public</a></p></li>
<li><p>et celle de <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=346&q=lav%C3%A9rie&a=TH.6.4.4.3">Pierre Tanguy, inspecteur général de la sûreté nucléaire (IGSN) à EDF et cadre historique de l’IPSN, qui souhaite que la sûreté nucléaire reste cantonnée dans le monde des spécialistes et loin du monde politique et médiatique</a>.</p></li>
</ul>
<p>Malgré cette divergence, les deux protagonistes s’accordent sur une chose : le modèle dialogique, permanent et continu entre expert, autorité et exploitant doit rester la base du modèle français.</p>
<h2>« French cooking », ou la cuisine nucléaire française face au modèle américain</h2>
<p>Après le choc de Tchernobyl, la <a href="https://www.lavoisier.fr/livre/environnement/une-longue-marche-vers-l-independance-et-la-transparence/saint-raymond/descriptif_2691813">gouvernance des risques nucléaires évolue progressivement</a> pour aboutir à la création de l’IRSN en 2002 (totalement détaché du CEA) et de l’ASN en 2006 (sous la forme d’une Autorité administrative indépendante (AAI)).</p>
<p>Toutefois, le modèle dialogique n’est pas abandonné et constitue toujours le fondement des expertises et des prises de décision liées à la <a href="https://www.asn.fr/l-asn-controle/reacteur-epr-de-flamanville">construction et au démarrage de l’EPR</a>, à l’après-Fukushima, aux <a href="https://www.asn.fr/l-asn-controle/reexamens-periodiques/reexamens-periodiques-pour-les-centrales-nucleaires">réexamens périodiques de sûreté</a> des réacteurs ou aux défaillances qui ont impacté récemment les réacteurs nucléaires français.</p>
<p>Ces différents épisodes montrent une autre spécificité du modèle français qu’est l’idée de « progrès continu ». Ce précepte constitue, selon l’économiste <a href="https://minesparis-psl.hal.science/hal-00827432v1/file/I3WP_13-ME-05.pdf">François Lévêque</a>, un point de divergence philosophique important par rapport au modèle américain de la sûreté : « On a affaire à une approche de la régulation fondée sur deux principes majeurs différents : à Washington, caler le niveau d’une sûreté assez sûre ; à Paris, faire continûment progresser la sûreté ».</p>
<p>En effet, la United States Nuclear Regulatory Commission (NRC) adopte, depuis les années 1980, un système basé sur la recherche de performance et d’efficacité à l’aide d’approches quantitatives (objectifs quantifiés, analyse coût-bénéfice, études probabilistes, doses reçues par les travailleurs ou la population…). Ces approches prennent une place croissante dans le processus de décision autour de la question « How safe is safe enough ? »</p>
<p>Du fait de leur différence, le modèle dialogique français est surnommé ironiquement <a href="https://www.annales.org/gc/2010/gc101/Rolina.pdf">« french cooking »</a> par les Anglo-Saxons pour appuyer sur le fait que tous les aspects liés à la sûreté se règlent entre spécialistes. Le « French cooking », qui a été mis en avant comme un facteur de réussite de la réalisation du programme nucléaire, est aujourd’hui régulièrement critiqué pour son <a href="https://www.cerna.minesparis.psl.eu/Donnees/data08/818-NukeMinesAEE.pdf">absence de prise en considération explicite d’objectifs quantifiés (et des coûts</a> associés) et une tendance à « toujours plus de sûreté ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-letatisme-plombe-t-il-la-filiere-nucleaire-francaise-209874">Débat : L’Étatisme plombe-t-il la filière nucléaire française ?</a>
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<p>Si le modèle dialogique a perduré, c’est qu’il a aussi été un moteur de changements. C’est par ce mode de fonctionnement que la sûreté en France s’est adaptée. D’abord à l’évolution du parc nucléaire, mais aussi aux progrès des connaissances scientifiques et techniques, au retour d’expérience des incidents/accidents, à l’internationalisation des standards de sûreté ainsi qu’à la nécessité croissante de transparence et d’implication du public.</p>
<p>Sur ce dernier point, depuis plusieurs années, l’ASN et l’IRSN ont tenté d’exporter, <a href="https://hal.science/hal-02896863v1/file/0000162400_001.PDF">non sans difficulté</a>, un modèle de « <a href="https://www.irsn.fr/page/dialogues-techniques">dialogue technique » vers la société</a>. <a href="https://www.radioprotection.org/articles/radiopro/pdf/2018/02/radiopro170063.pdf">Des associations comme les commissions locales d’information (CLI) présentes autour des sites nucléaires, jouent un rôle important pour entretenir et alimenter ce processus</a>.</p>
<h2>Quelle place pour le modèle dialogique dans la future ASNR ?</h2>
<p>La possible naissance d’un nouvel organisme issu de la fusion de l’IRSN et de l’ASN met à l’épreuve le fonctionnement historique de la gouvernance des risques nucléaires. Néanmoins, le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ots/l16b1519_rapport-information.pdf">rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de juillet 2023</a>, consacré à la reforme de la gouvernance des risques nucléaires, préconise de ne pas abandonner le « dialogue technique » à la française, « garant de la fluidité et de la qualité des contrôles [et que] notre pays aurait tort de céder à la tentation de l’autodénigrement de ses propres méthodes de travail ».</p>
<p>Se pose alors la question de la possibilité de faire perdurer un modèle dialogique « à deux » entre les industriels et la future ASNR.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2021-4-page-123.htm?try_download=1">Certains travaux</a> ont en effet montré que le dialogue à trois est un puissant garde-fou face aux risques d’excès de zèle du binôme ASN/IRSN ou, à l’inverse, de sa <a href="https://www.theses.fr/2008PA090046">« capture »</a> par les intérêts de l’industriel : « La nette séparation en trois entités autonomes entretenant des rapports de confrontation et de coalitions instables, mais reliées par des objectifs communs (sûreté et préservation du cadre leur permettant d’exister), est apparue comme de nature à favoriser de nombreuses négociations, mais aussi d’en réguler les excès éventuels ou le risque de capture ».</p>
<p>Pour se prémunir de ce type de dérives, le projet de loi préconise de conserver une forme de séparation entre expertise et décision avec, d’un côté, le corps d’experts/chercheurs de l’IRSN et les chargés d’affaires de l’ASN et, de l’autre, un <a href="https://www.asn.fr/tout-sur-l-asn/presentation-de-l-asn/l-organisation-de-l-asn#le-college">collège décisionnaire</a>, qui existe déjà au sein de l’ASN.</p>
<p>Toutefois, cette garantie semble oublier que seules les décisions stratégiques sont prises par le collège à l’heure actuelle tandis que les décisions du « quotidien », qui constituent le plus grand nombre, <a href="https://hal.science/hal-03338579/document">se règlent par consensus ou compromis à différentes étapes d’un dialogue pas que technique</a>.</p>
<p>La spécificité du modèle dialogique français est donc un argument à double tranchant.</p>
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<li><p>D’un côté, il est mobilisé par certains promoteurs de la réforme en raison de la proximité entre acteurs et d’une forme de porosité entre expertise et décision : s’il n’existe pas de séparation nette, on est en droit de se demander l’intérêt de conserver deux organismes distincts.</p></li>
<li><p>De l’autre, le dialogue à trois a été jugé efficace pour développer le parc nucléaire dans les années 1970-1980 et est aujourd’hui reconnu, tant au plan national qu’international. Il permet notamment d’éviter certaines dérives : excès de zèle ou capture du pouvoir.</p></li>
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<p>Dans tous les cas, le projet de réforme touche au fondement du fonctionnement du modèle dialogique qui a fait la force et la stabilité du système de gouvernance des risques nucléaires français. Reste à voir si ce nouveau modèle sera aussi efficace que le précédent pour assurer tant la sûreté que la réussite industrielle dans le contexte de développement d’un nouveau parc nucléaire et de <a href="https://theconversation.com/prolongement-des-centrales-nucleaires-comment-se-calculent-les-couts-93885">prolongation de la durée de vie des centrales existantes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222819/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Mangeon effectue régulièrement des travaux pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathias Roger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La fusion de l'ASN et de l’IRSN proposée par le gouvernement est loin d'être anodine. Elle remet en cause ce qui fait la force du modèle français de gouvernance des risques nucléaires.Michaël Mangeon, Chercheur associé EVS-RIVES ENTPE, enseignant vacataire, consultant, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresMathias Roger, Chercheur en histoire et sociologie des sciences et des techniques, IMT Atlantique – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2182072023-11-21T16:55:04Z2023-11-21T16:55:04ZFukushima : 12 ans après l’accident, une décontamination des sols au bilan mitigé<p>En mars 2011, un puissant séisme puis un tsunami frappaient la côte orientale du Japon. La succession de ces deux événements a entraîné un <a href="https://theconversation.com/fukushima-affaire-classee-93160">accident d’ampleur dans la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi</a>, qui a provoqué la fusion du cœur de trois des réacteurs de la centrale. A la clé, un accident nucléaire classé au niveau 7 sur l’échelle internationale INES, <a href="https://theconversation.com/three-mile-island-tchernobyl-fukushima-le-role-des-accidents-dans-la-gouvernance-nucleaire-159375">comme l’accident de Tchernobyl</a>.</p>
<p>Il s’agissait donc d’un accident nucléaire dit « majeur », qui a entraîné des rejets radioactifs dans l’air dans les jours qui ont suivi, des rejets d’<a href="https://theconversation.com/fukushima-neuf-ans-apres-la-catastrophe-leau-contaminee-seme-toujours-la-discorde-133275">eau contaminée</a> (selon des travaux de l’IRSN, la contamination de l’océan provoquée par l’accident pourrait représenter la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0265931X1100289X">plus grande pollution radioactive marine de l’Histoire</a>) et des dépôts radioactifs significatifs sur les sols d’une partie du Nord-Est du Japon.</p>
<p>Dans une étude menée par le BRGM avec des chercheurs français et japonais, <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2301811120">publiée dans la revue scientifique PNAS</a>, nous avons adapté un outil de modélisation de l’érosion des sols pour prendre en compte leur contamination. Il s’agissait d’estimer la quantité d’éléments radioactifs encore présents dans les sols dans la région de Fukushima pour prévoir l’évolution de la contamination radioactive des paysages.</p>
<p>Ces travaux montrent que pour l’heure, le bilan est mitigé : les opérations de décontamination ont été efficaces là où elles ont pu être menées, mais il reste encore 67 % du césium 137 initial, principalement stocké dans les forêts, situés sur les pentes fortes de cette région montagneuse.</p>
<h2>De quelle radioactivité parle-t-on ?</h2>
<p>De très importants rejets radioactifs ont ainsi eu lieu dans l’environnement à la mi-mars 2011, entraînant l’évacuation des populations dans un rayon de 20 km autour de la centrale et une <a href="https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/crise/laccident-centrale-nucleaire-fukushima-daiichi-japon-mars-2011">contamination durable des territoires autour de celle-ci</a>.</p>
<p>La répartition géographique et l’ampleur de cette contamination dépendent à la fois de la trajectoire du panache radioactif formé par les rejets de la centrale qui ont eu lieu pendant plusieurs jours et de la survenue de pluie ou de neige dans les zones traversées par le panache.</p>
<p>Rabattues au sol par les précipitations, les substances radioactives ont entraîné deux conséquences principales : une élévation permanente du <a href="https://laradioactivite.com/questionsdoses/debitsdedose">débit de dose radioactive</a> ambiant dû au rayonnement gamma émis par les radionucléides contenus dans les dépôts, et une contamination des sols et de la végétation. On parle des retombées initiales, ou de l’inventaire initial, car il faut dresser un inventaire des radionucléides en présence.</p>
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<p>Pour quantifier cet inventaire initial, on utilise des becquerels par mètre-carré (Bq/m<sup>2</sup>), qui décrivent le nombre de désintégrations radioactives par seconde et par unité de surface. Le césium 137 est l’un des radionucléides les plus problématiques, car il a été émis en grandes quantités et il présente une demi-vie relativement longue de 30 ans. C’est pourquoi notre étude s’est concentrée sur ce dernier.</p>
<h2>Une décontamination par le décapage des sols</h2>
<p>Pour réduire le débit de dose dans l’air et permettre le retour des habitants dans les zones évacuées, les autorités japonaises ont mis en œuvre un <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/fukushima-les-lecons-dune-decontamination">programme de décontamination des sols sans précédent</a> à ce jour dans l’histoire. Ces opérations ont été réalisées entre 2013 et 2023 et se sont concentrées sur les zones cultivées et résidentielles.</p>
<p>Elles ont consisté à retirer la végétation et à décaper les cinq premiers centimètres du sol. Tous les matériaux retirés ont été stockés localement sur des parcelles agricoles, dans un premier temps, avant d’être entreposés pour 30 ans dans des sites dédiés à proximité du site de la centrale accidentée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La couche superficielle des terres agricoles a été retirée et a été stockée dans des sacs en attendant son évacuation vers des sites de stockage temporaires, en 2014.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Olivier Evrard</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces cinq premiers centimètres de sol ont été remplacés par du sol « sain » provenant généralement de matériaux extraits de carrières locales aménagées pour l’occasion (essentiellement du granite concassé) et mélangés avec la couche de sol résiduelle. Une approche efficace, <a href="https://soil.copernicus.org/articles/5/333/2019/">comme l’ont montré des travaux de 2019</a>, que nous avons par la suite <a href="https://soil.copernicus.org/articles/9/479/2023/">approfondis en 2023</a>.</p>
<p>Un tel décapage du sol a permis de réduire les concentration en césium 137 d’environ 80 %, et de ramener la radioactivité résiduelle à des niveaux proches de la radioactivité naturelle moyenne. Cette approche contraste avec la stratégie adoptée à Tchernobyl en 1986, où les zones les plus contaminées restent encore interdites d’accès aujourd’hui.</p>
<p>Ce programme n’a toutefois pas traité les forêts, qui couvrent pourtant la plus grande partie des surfaces contaminées – 80 % – qui se situent principalement sur des pentes abruptes dans cette région montagneuse.</p>
<h2>Quand l’érosion transporte le césium 137… et déplace le problème</h2>
<p>Une fois que le césium 137 atteint la surface du sol, il est rapidement fixé aux particules fines du sol et reste concentré dans les quelques centimètres supérieurs du sol, ce qui le rend susceptible d’être transféré vers l’aval par l’érosion hydrique lors des précipitations.</p>
<p>De quelles quantités parle-t-on ? Tout dépend de la concentration initiale des retombées de radiocésium, et de l’ampleur de la perte de sol, en fonction des processus d’érosion locaux.</p>
<p>Pour évaluer la dispersion du césium 137 par érosion hydrique, nous avons eu recours à un modèle de ruissellement et d’érosion, en y ajoutant un module prenant en compte la concentration en césium dans les premiers centimètres de sol. L’objectif de ce nouveau modèle était de simuler le ruissellement et les transferts de sédiments et de césium 137 associés à travers le paysage, selon différents scénarios. Autrement dit, estimer ce qu’auraient été les flux et le stock de césium 137 sans la mise en œuvre de la décontamination.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Localisation de la zone d’étude (carte A), reconstitution des retombées initiales de césium 137 (carte B), et utilisation des terres du bassin versant étudié (carte C).</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Vandromme et coll., PNAS</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Ce modèle a pu être calibré et utilisé grâce à des <a href="https://zenodo.org/records/7886524">mesures en rivière obtenues entre 2014 et fin 2019</a> par les <a href="https://www.nies.go.jp/index-e.html">équipes japonaises du National Institute for Environmental Studies</a> sur un petit bassin versant de 44 km<sup>2</sup> représentatif de la zone contaminée.</p>
<h2>Une décontamination partielle au bilan mitigé</h2>
<p>Pour évaluer le transfert et les sources de césium 137 associé aux sédiments, nous avons modélisé tous les événements pluvieux qui se sont produits de juin 2014 à décembre 2019, soit 296 événements. Les résultats ont permis de montrer l’importance des événements extrêmes dans la dynamique sédimentaire du bassin versant dans cette région : plus de la moitié des déplacements de sédiments et de césium se produisent pendant moins d’1 % du temps !</p>
<p>Lors de précédents travaux, des <a href="https://essd.copernicus.org/articles/13/2555/2021/essd-13-2555-2021.html">chercheurs du LSCE et leurs collègues</a> avaient déjà montré que les concentrations de césium 137 dans les sédiments transportés par les systèmes fluviaux drainant le principal panache de pollution radioactive avaient diminué d’environ 90 % entre 2011 et 2020.</p>
<p>Notre étude montre qu’après la décontamination de 16 % de la surface du bassin versant réalisée par les autorités japonaises, environ 67 % du césium radioactif initial subsiste encore dans les paysages, majoritairement dans les forêts. Le flux de césium 137 dans les rivières n’a été réduit que de 17 % par rapport aux simulations du cas fictif où aucune opération de décontamination n’aurait été menée.</p>
<p>Les opérations de décontamination ont donc été efficaces sur les surfaces traitées, mais comme elles n’ont pu être réalisées que sur une faible proportion de la surface du territoire, en raison de la présence majoritaire de forêts sur des pentes fortes et de la difficulté technique de décontaminer de telles zones, leur portée reste limitée.</p>
<p>Cette étude soulève des questions sur le rapport coût-bénéfice d’une entreprise de décontamination partielle, étant donné que, en 2019, seuls 30 % des habitants étaient retournés vivre dans la région. Cet outil de modélisation pourrait également servir à simuler des scénarios de gestion dans l’éventualité de futurs accidents nucléaires ou industriels.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rosalie Vandromme a reçu des financements du BRGM et de l'ANR (Agence Nationale de la Recherche)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Evrard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La décontamination des sols a-t-elle porté ses fruits à Fukushima ? Oui, là où elles ont pu être menées. Mais il reste encore 67 % du césium 137 initial dans le sol des forêts, répond une nouvelle étude.Rosalie Vandromme, Chercheur érosion des sols, BRGMOlivier Evrard, Directeur de recherche, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094672023-07-12T15:39:04Z2023-07-12T15:39:04ZFrance-Allemagne, frères ennemis de la transition énergétique<p>Si le couple franco-allemand est fréquemment décrit comme le « moteur de l’Europe », il y a un domaine dans lequel il peut être qualifié de dysfonctionnel : celui de l’énergie.</p>
<p>Une situation d’autant plus inquiétante que chacun des modèles énergétiques portés par l’un et l’autre pays sont aujourd’hui en difficulté ; un différend persistant qui déstabilise de manière récurrente <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2023-1-page-8.htm">l’ensemble de l’édifice du <em>Fit for 55</em></a>, le <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/fit-55-nouveau-cycle-politiques-europeennes-climat">« paquet climat » de l’Union européenne</a>.</p>
<p>À partir d’une note approfondie <a href="https://confrontations.org/geopolitique-de-lenergie-en-europe-comment-reconcilier-une-union-desunie/">publiée en juin 2023 dans <em>Confrontations Europe</em></a> – et qui s’appuie notamment sur les analyses en politique comparative de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2017-1-page-17.htm">Stefan Aykut et Aurélien Evrard</a> –, nous proposons ici de retracer une brève « histoire longue » des trajectoires énergétiques de la France et de l’Allemagne.</p>
<p>Il s’agit de mettre en lumière les fractures principales et d’identifier ce que pourraient être des principes d’action commune.</p>
<h2>Des années 1950 aux crises du charbon et du pétrole</h2>
<p>En Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale, alors que le pays est exclu du nucléaire militaire, le charbon et le lignite vont, du fait de ressources très importantes, jouer un rôle essentiel dans la reconstruction.</p>
<p>Le secteur énergétique est originellement au cœur du corporatisme à l’allemande, s’appuyant sur le rôle des syndicats et des <em>Stadtwerke</em>, régies locales pour la gestion des services industriels et de l’énergie. Les crises du charbon des années 1950 et 1960, puis la crise du pétrole des années 1970, vont marquer une plus forte intervention de l’État fédéral, avec un plan de soutien au charbon national et le lancement d’un programme nucléaire.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>À la fin des années 1970, la part du charbon dans l’énergie primaire est stabilisée à 30 % et celle du nucléaire à 40 % pour l’électricité. Mais les transformations engagées le sont dans une géopolitique régionale de l’énergie avec, au Nord-Ouest, des régions historiquement charbonnières et bastions du SPD (Parti social-démocrate) et, au Sud-Est, des Länder conservateurs (CDU et CSU) soutenant le développement du nucléaire sur leur territoire. Cette dichotomie dans la « communauté de politique publique » sera mise à profit par le mouvement antinucléaire.</p>
<p>En France, à l’inverse, la première caractéristique du système énergétique est sans doute sa centralisation extrême, consacrée par la loi de nationalisation de 1946, qui ne laisse qu’exceptionnellement une place aux régies et entreprises locales.</p>
<p>Dans cette perspective, les intérêts d’EDF et ceux de l’État, représenté notamment par la puissante Direction générale de l’énergie et des matières premières (DGEMP), sont considérés par la technocratie d’État comme ne faisant qu’un. C’est au sein de cette communauté de vues qu’est élaboré le programme nucléaire français.</p>
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<figcaption><span class="caption">1974, la France lance son programme nucléaire civil. (Ina Sciences).</span></figcaption>
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<p>Comme en Allemagne, le choc pétrolier de 1973 déclenchera des politiques publiques volontaristes pour l’indépendance énergétique. La mise en application de la vision « tout électrique, tout nucléaire » se traduira par un programme très ambitieux, le plan Messmer, calibré en fonction de prévisions de demande généreuses et des capacités de l’industrie à produire des centrales nucléaires en série. Cela au service de l’indépendance énergétique et de la « grandeur de la France ».</p>
<h2>Après les chocs pétroliers et avec la crise climatique, deux récits de la transition</h2>
<p>En Allemagne, le récit de la transition, <em>Energiewende</em>, se forge dans les années 1980, à partir des analyses d’intellectuels publics sur la crise écologique (Robert Jungk, Carl Friedrich von Weizsäcker), de la contestation anti-nucléaire, portée par le parti écologiste <em>Die Grünen</em>, et de travaux d’experts de l’énergie, comme ceux de <a href="https://www.oeko.de/en/up-to-date/final-storage-the-search-gathers-pace">l’Öko-Institut</a>.</p>
<p>Mais, progressivement, la remise en cause initiale du modèle de croissance laisse place à une vision plus consensuelle, défendant l’idée de « croissance et prospérité sans pétrole ni uranium ». Cette perspective diffuse progressivement au sein du SPD dans des alliances « rouge vert » au niveau local, puis fédéral dans les coalitions de 1998 et 2002.</p>
<p>Alors que les partis conservateurs sont sur la réserve, la coalition qui porte Angela Merkel au pouvoir en 2005 plaide pour un maintien du nucléaire comme « énergie de transition ». L’accident de Fukushima fera basculer la perspective et entraînera la décision pour une sortie en 2022.</p>
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<figcaption><span class="caption">Suite à la catastrophe de Fukushima, Angela Merkel annonce la sortie du nucléaire pour Allemagne à l’horizon 2022. (Euronews, 2011).</span></figcaption>
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<p>En France, la « communauté de politique publique » soutenant le nucléaire reste solide et stable. Ni la catastrophe de Tchernobyl en 1986 ni le retour au pouvoir de la « gauche plurielle » en 1997 ne changeront la donne. En revanche, après la signature la même année du Protocole de Kyoto, on assiste à un regain d’intérêt pour les questions énergétiques : <a href="https://negawatt.org/">l’association négaWatt</a> publie régulièrement depuis 2006 des scénarios de sobriété et forte proportion d’énergies renouvelables.</p>
<p>Après l’élection de François Hollande, le Débat national sur la transition énergétique constitue, en 2013, un temps fort de la construction des récits et conduit à identifier quatre trajectoires de transition, selon le niveau de réduction de la demande et la contribution respective du nucléaire et des énergies renouvelables.</p>
<p>Ces quatre trajectoires – allant de la très grande sobriété avec sortie du nucléaire, au maintien du modèle actuel fortement nucléarisé –, reflètent fidèlement les <a href="https://theconversation.com/quatre-scenarios-pour-comprendre-les-programmes-des-candidats-en-matiere-denergie-72308">positionnements des grands courants politiques</a> en France.</p>
<p>Depuis lors, dans la paralysie tenant aux enjeux électoraux, les documents de référence de la politique énergétique française (<a href="https://outil2amenagement.cerema.fr/la-programmation-pluriannuelle-de-l-energie-ppe-r1625.html">PPE</a>, <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc">SNBC</a>) ont laissé dans un brouillard épais la <a href="https://theconversation.com/50-de-nucleaire-dans-le-mix-electrique-pour-2035-et-apres-104521">question de la part du nucléaire à long terme</a>.</p>
<p>Cela jusqu’aux dernières décisions de <a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/nucleaire-macron-relance-EPR-39086.php4">redéveloppement de nouveaux réacteurs</a> prises par Emmanuel Macron, juste avant les présidentielles de 2022.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/536649/original/file-20230710-17-qjfszb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/536649/original/file-20230710-17-qjfszb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536649/original/file-20230710-17-qjfszb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536649/original/file-20230710-17-qjfszb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536649/original/file-20230710-17-qjfszb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536649/original/file-20230710-17-qjfszb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536649/original/file-20230710-17-qjfszb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536649/original/file-20230710-17-qjfszb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Conversion des énergies selon la convention 1 MWh d’électricité primaire (renouvelable ou nucléaire) = 0,21 tep (voir à ce propos l’article publié sur The Conversation, <em>Le nucléaire 40 ou 20 % de l’approvisionnement énergétique en France ?</em>).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs, données Enerdata</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Cinquante ans après le premier choc pétrolier et trente ans après la signature de la <a href="https://unfccc.int/fr/processus-et-reunions/qu-est-ce-que-la-ccnucc-la-convention-cadre-des-nations-unies-sur-les-changements-climatiques">Convention Cadre des Nations unies sur le changement climatique</a>, les résultats en termes de mix énergétique sont extrêmement contrastés. Force est de constater que la France a aujourd’hui un bouquet énergétique deux fois plus décarboné que celui de l’Allemagne (52 % contre 26 %), même si la part des énergies renouvelables y est légèrement plus faible (18 % contre 22 %). Mais les deux modèles sont en crise.</p>
<h2>Aujourd’hui, deux modèles en crise</h2>
<p>Dans les bouleversements consécutifs à la guerre en Ukraine, la crise du modèle énergétique français, fondé sur une forte contribution du nucléaire, est manifeste et a abouti à une réduction de 30 % de la production nucléaire en 2022 <a href="https://www.rte-france.com/actualites/bilan-electrique-2022">par rapport à la moyenne de ces vingt dernières années</a>, dans une période par ailleurs critique pour le système électrique européen.</p>
<p>Le rétablissement de niveaux de production stables à long terme dans le contexte du « grand carénage » des centrales existantes, comme le financement du redémarrage de la filière pour la construction de six unités supplémentaires au moins, sont possibles, mais ne sont pas garantis. À ces incertitudes s’ajoutent évidemment celles tenant à l’incontournable accélération du déploiement des renouvelables, <a href="https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques">dans toutes les hypothèses des scénarios RTE</a>.</p>
<p>Quant à l’Allemagne, l’<em>Energiewende</em> doit faire face aujourd’hui à de nouveaux défis, dans un contexte périlleux et incertain. Le schéma premier de l’<a href="https://theconversation.com/une-allemagne-sans-charbon-en-2040-cest-mal-parti-pour-linstant-66648"><em>Energiewende</em> était bien celui d’une « fusée à trois étages »</a>, comprenant le développement des renouvelables, la sortie du nucléaire puis celle du charbon.</p>
<p>On peut considérer qu’au début des années 2020, les deux premières phases ont été menées ; la sortie du charbon était, elle, encore loin d’être achevée en 2022, avec encore 31 % de la production d’électricité venant du charbon <a href="https://www.agora-energiewende.de/veroeffentlichungen/bilanz-des-energiejahres-2022-und-ausblick-auf-2023/">et une augmentation de cette production de 11 % par rapport à l’année 2021</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/140719/original/image-20161006-14719-pwlonq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/140719/original/image-20161006-14719-pwlonq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/140719/original/image-20161006-14719-pwlonq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/140719/original/image-20161006-14719-pwlonq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/140719/original/image-20161006-14719-pwlonq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/140719/original/image-20161006-14719-pwlonq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/140719/original/image-20161006-14719-pwlonq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La centrale thermique allemande de Jänschwalde, l’une des plus grandes d’Europe et aussi l’une des plus polluantes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/uncloned/5700491446/in/photolist-9FFwEr-9FJvvh-9FFyFn-63EQ6S-aj7sc9-9G7s3E-9G4xcT-9G4wPa-9G4wmv-8LsHPo-5mm2Vj-5mgGEP-5mkXYh-5mgHiR-5mkYrW-5mm27j-8Losf8-5mgGnH-5mm2cu-5mgJTv-5mm111-5mgHwa-5mgKSg-5mgHqV-5mgGgP-5mm2v1-5mkYKC-5mgGcM-5mm16o-8LrvDW-5mgGzz-5mm1ru-5mgFX4-5mgJr4-5mgJHD-5zRjc3-5mm2i3-5zRjc7-5mm2ou-8LrvpY-5mm1hb-5mm1H5-5mkY4y-5mgJYi-5mm1Zf-5mgHe2-5mm1x9-8LosVK-5mkZHu-5mkZ7f/">Tobias Scheck/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans une tradition politique, fortement ancrée en Allemagne, de construction des interdépendances économiques avec la Russie (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Wandel_durch_Handel"><em>Wandel durch Handel</em></a>, le changement par le commerce), c’était bien le gaz, russe, qui devait assurer une passerelle entre le charbon et l’hydrogène vert à venir. D’où l’importance des infrastructures gazières de type Nordstream. Cette stratégie est aujourd’hui mise à bas par l’invasion de l’Ukraine.</p>
<p>Mais ce qui est également problématique pour l’Allemagne, c’est que la révision de l’<em>Energiewende</em> impose une nouvelle accélération dans l’installation des renouvelables, à des rythmes encore jamais atteints par le passé. Cela, alors même que la faisabilité d’un système électrique reposant essentiellement sur des énergies renouvelables variables (solaire, éolien) n’est pas encore démontrée.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/536653/original/file-20230710-36093-bkplhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/536653/original/file-20230710-36093-bkplhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536653/original/file-20230710-36093-bkplhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536653/original/file-20230710-36093-bkplhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536653/original/file-20230710-36093-bkplhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536653/original/file-20230710-36093-bkplhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=655&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536653/original/file-20230710-36093-bkplhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=655&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536653/original/file-20230710-36093-bkplhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=655&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">Agora Energiewende</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Un impératif pour l’Europe : réconcilier les politiques énergétiques, en respectant les choix nationaux</h2>
<p>Alors même que les pays de l’UE sont capables d’initier des actions communes fortes, avec notamment le <em>Green Deal</em> ou encore le plan <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/24/l-economie-politique-quatre-scenarios-pour-la-transition-energetique_6166765_3232.html"><em>Repower EU</em></a>, une fracture s’opère aujourd’hui entre des États aux modèles énergétiques et aux stratégies de décarbonation très différents, voire antagonistes.</p>
<p>De fait, la montée de ces conflits est essentiellement structurée autour de la divergence entre la France – <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/transition-energetique-la-france-organise-un-club-nucleaire-en-europe-01-03-2023-2510447_1897.php">qui mène « l’alliance du nucléaire »</a> avec les Pays-Bas, la Finlande, la Pologne, la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie — et l’Allemagne, membre clé du <a href="https://www.euractiv.fr/section/energie/news/nucleaire-contre-renouvelables-deux-camps-saffrontent-a-bruxelles/">groupe des « amis des renouvelables »</a>, emmené par l’Autriche et suivi par l’Espagne, le Danemark, l’Irlande, le Luxembourg, le Portugal, la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron annonce six nouveaux réacteurs EPR en France. (Euronews, février 2022).</span></figcaption>
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<p>Ces deux coalitions se déchirent sur presque tous les grands chantiers de la transition énergétique, dont la taxonomie européenne, la réforme du marché de l’électricité, la définition de l’hydrogène vert…</p>
<p>Ces trois chantiers révèlent la profondeur des conflits qui trouvent leur origine dans la polémique autour du classement du nucléaire comme énergie verte, et qui ont abouti, après de longs mois de tensions, à des compromis entre les deux camps (le nucléaire sera par exemple inclus dans la taxonomie, à la condition que le gaz naturel soit également considéré <a href="https://theconversation.com/nucleaire-retour-sur-le-debat-autour-de-la-nouvelle-taxonomie-europeenne-176733">comme une énergie de transition</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nucleaire-retour-sur-le-debat-autour-de-la-nouvelle-taxonomie-europeenne-176733">Nucléaire : retour sur le débat autour de la nouvelle taxonomie européenne</a>
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<p>Il ne s’agit donc pas de débats techniques, mais d’oppositions de fond dont le déploiement reflète bien les rapports de force entre des pays défendant leurs intérêts nationaux et leur vision de la transition.</p>
<p>Les États membres semblent incapables de construire les compromis structurels qui permettraient de sortir de la paralysie actuelle sur plusieurs politiques communes de transition.</p>
<p>S’il est exclu de dégager un modèle unique de transition bas carbone « à l’européenne », on peut toutefois tenter d’identifier les conditions de principe pour que, dans le respect des stratégies nationales, le système énergétique européen évolue rapidement, et de manière coordonnée, vers une neutralité carbone collective à l’horizon 2050.</p>
<p>Dans cette perspective, trois principes devraient être structurants.</p>
<p>Tout d’abord, que le primat soit donné à la lutte contre le changement climatique, et donc à la décarbonation des systèmes énergétiques ; que soit reconnue ensuite et acceptée la diversité des options décarbonées susceptibles d’être mises en œuvre en Europe ; enfin, que les actions ou dispositifs portés par les États membres dans l’élaboration des actions communes ne conduisent pas à empêcher celles entreprises par d’autres États membres dans leur trajectoire de décarbonation.</p>
<p>Primat du climat, subsidiarité des politiques et principe de non-nuisance. La formulation est à ce stade trop générale, mais on peut souhaiter qu’un effort à la fois de compréhension réciproque des représentants des États membres et de définition juridico-administrative au niveau de la Commission puisse permettre des progrès rapides dans la mise en cohérence de la politique européenne de transition énergie-climat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209467/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les pays de l’UE sont capables d’initier des actions communes fortes, une fracture s’opère entre des États aux stratégies de décarbonation très différents, voire antagonistes.Patrick Criqui, Directeur de recherche émérite au CNRS, économiste de l’énergie, Université Grenoble Alpes (UGA)Carine Sebi, Professeure associée et coordinatrice de la chaire « Energy for Society », Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2011912023-03-08T19:06:33Z2023-03-08T19:06:33ZSûreté du nucléaire en France : comprendre la brusque réforme voulue par le gouvernement<p>Face à l’urgence climatique et aux problématiques de souveraineté et de sécurité d’approvisionnement électrique, le gouvernement d’Emmanuel Macron a fait le choix d’accélérer la relance et la modernisation du parc nucléaire national.</p>
<p>Depuis l’annonce, en février 2022, de la « renaissance du nucléaire français », avec la construction à partir de 2028 de six réacteurs « nouvelle génération » (type EPR 2), les décisions se multiplient. À l’image de ce projet de loi visant <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000046513775/">l’accélération des procédures</a> liées à la construction de nouvelles installations nucléaires et au fonctionnement des installations existantes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Depuis Belfort, Emmanuel Macron annonce la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires. (France 24, 2022).</span></figcaption>
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<p>Dans le cadre de ce projet, un nouvel amendement du gouvernement propose une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/amendements/0762/CION-ECO/CE602">réforme du système d’expertise et de contrôle de la sûreté nucléaire</a>. Pour en comprendre les enjeux, il faut revenir sur la manière dont ce système s’est développé en France.</p>
<h2>Un système d’expertise et de contrôle pour répondre aux défis du plan Messmer</h2>
<p>C’est au cours des années 1970, durant le développement du programme nucléaire français de centrales EDF, <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c">qu’un système d’expertise et de contrôle de la sûreté nucléaire a été mis en place</a> autour de trois acteurs : l’industriel ; un petit service du ministère de l’Industrie créé en 1973 pour contrôler la sûreté nucléaire ; l’IPSN (l’Institut de protection et de sûreté nucléaire), un institut émanant du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et chargé de l’expertise et de la recherche, créé en 1976.</p>
<p>Bien que les centrales soient de technologie américaine, le modèle d’expertise et de contrôle en vigueur outre-Atlantique est considéré comme trop dirigiste et réglementaire pour être transféré. On préfère alors conserver une approche historique, <a href="https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-01499002">plus souple et moins réglementaire</a> permettant la convergence des positions entre les spécialistes des différents organismes par l’échange direct, ce que les protagonistes nomment le « dialogue technique ». Les enjeux économiques et industriels s’entremêlent ici avec les aspects techniques et scientifiques.</p>
<p>Ce système se montre efficace pour suivre la cadence imposée par la construction à marche forcée du parc électronucléaire français ; il se trouve même conforté après l’accident nucléaire de Three Mile Island, survenu en 1979 aux États-Unis, dont le lien est établi avec <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c">l’approche trop réglementaire de l’autorité de sûreté américaine aux dépens d’une expertise plus technique</a>.</p>
<h2>Après Tchernobyl, restaurer la confiance</h2>
<p>Au contraire, l’accident de Tchernobyl (1986), et en particulier l’affaire très médiatisée du « nuage radioactif », écorne l’image du nucléaire et celle du système de contrôle et d’expertise français.</p>
<p>En réponse, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) <a href="https://www.senat.fr/rap/r87-179/r87-1791.pdf">propose la création d’une agence nationale de sécurité et d’information nucléaire</a>, indépendante des pouvoirs publics, pour surveiller et réglementer les installations et assurer la communication auprès du public. Cette idée n’est pas directement reprise, mais actionne néanmoins une mutation progressive du système.</p>
<p>En 1998, le député et membre de l’OPECST <a href="https://www.vie-publique.fr/11138-jean-yves-le-deaut">Jean-Yves le Déaut</a> rédige, à la demande du nouveau premier ministre Lionel Jospin, un rapport intitulé « Le système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité nucléaire : la longue marche vers l’indépendance et la transparence ». Il préconise alors la <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/24504-le-systeme-francais-de-radioprotection-de-controle-et-de-securite-nucle">création d’un expert public complètement indépendant du CEA et une autorité de sûreté forte et indépendante du gouvernement</a>. Ce rapport précise également que « construire un lien organique trop fort entre l’autorité de sûreté et le pôle d’expertise reviendrait à limiter la capacité d’expression du pôle d’expertise ».</p>
<p>La création en 2002 d’un établissement public d’expertise (l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, IRSN), comprenant 1 800 experts et chercheurs dans tous les domaines liés à la sûreté nucléaire et la radioprotection et, en 2006, d’une autorité administrative indépendante en charge de contrôle, forte de plus de 500 agents, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), parachève ce processus visant à restaurer la confiance du public dans le contrôle et l’expertise du nucléaire.</p>
<p>À la fin des années 2000, au moment où la France envisage une relance du nucléaire, le système d’expertise et de contrôle apparaît, pour certains, inadapté. Un <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/31268-avenir-de-la-filiere-francaise-du-nucleaire-civil-synthese-du-rapport">rapport sur l’avenir de la filière nucléaire</a> commandé par le président Nicolas Sarkozy à François Roussely, ancien dirigeant d’EDF, pointe les « excès de zèle » de l’ASN. De même, le rapport préconise que l’IRSN assure désormais la diffusion et la promotion des règles et normes de sûreté françaises pour favoriser les exploitants français à l’export.</p>
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<p>L’accident de Fukushima Daiichi, survenu en mars 2011, met provisoirement un terme à ces volontés de rapprocher un peu plus sûreté nucléaire et enjeux industriels. Le système français est alors régulièrement érigé en modèle par les instances internationales face aux risques de collusion entre contrôleur et contrôlé <a href="https://web.archive.org/web/20120710075620/http:/naiic.go.jp/wp-content/uploads/2012/07/NAIIC_report_lo_res.pdf">identifiée comme une cause profonde</a> de l’accident survenu au Japon.</p>
<h2>La nouvelle réforme, une rupture historique</h2>
<p>Aujourd’hui, alors que le spectre de Fukushima s’éloigne et que le gouvernement <a href="https://theconversation.com/un-nouveau-plan-nucleaire-pour-la-france-quand-lhistoire-eclaire-lactualite-181513">a annoncé vouloir relancer le programme nucléaire</a>, une <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/renforcement-lorganisation-du-controle-et-recherche-en-radioprotection-et-surete-nucleaire">proposition de réforme</a> du système d’expertise et de contrôle a été brusquement mise sur la table, par le biais d’un simple communiqué de presse du ministère de la Transition écologique. Celle-ci propose en particulier l’intégration de l’IRSN dans une « super ASN » qui disposerait ainsi du double rôle d’expert et de décideur en matière de sûreté.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/three-mile-island-tchernobyl-fukushima-le-role-des-accidents-dans-la-gouvernance-nucleaire-159375">Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima : le rôle des accidents dans la gouvernance nucléaire</a>
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<p>L’un des objectifs annoncés de la réforme est de <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/renforcement-lorganisation-du-controle-et-recherche-en-radioprotection-et-surete-nucleaire">« consacrer l’indépendance et la transparence du système de sûreté nucléaire français »</a>, en transférant l’IRSN vers l’ASN, une Autorité administrative indépendante, considérée comme objectivement plus indépendante, car non soumise à des tutelles ministérielles.</p>
<p>Le gouvernement présente ainsi son projet comme une évolution naturelle du système existant. Une analyse historique montre pourtant qu’il s’agit plutôt d’une rupture, à la fois sur la forme – le projet n’a jamais été discuté en amont par des organismes tels que l’OPECST – et sur le fond – le système actuel ayant été conçu en réponse à une crise de confiance dans le nucléaire qui s’est depuis notablement atténuée.</p>
<h2>Plus d’indépendance, mais quelle indépendance ?</h2>
<p>En outre, la réforme repose sur une définition restrictive de la notion d’indépendance, comme résultant d’un simple statut institutionnel. De nombreux travaux de l’<a href="https://www.iaea.org/publications/6565/regulatory-control-of-nuclear-power-plants">Agence internationale de l’énergie atomique</a>, de l’<a href="https://www.oecd-ilibrary.org/regulatory-management-practices-in-oecd-countries_5jm0qwm7825h.pdf">OCDE</a> ou des synthèses de <a href="https://www.foncsi.org/fr/publications/cahiers-securite-industrielle/relation-controleur-controle/CSI-controleur-controle.pdf">travaux de recherche</a> ont montré que la notion d’indépendance possède, au contraire, de multiples dimensions (fonctionnelle, organique, factuelle…).</p>
<p>Comme le rappelle un rapport de l’office parlementaire d’évaluation de la législation de 2004 sur les Autorités administratives indépendantes <a href="http://www.senat.fr/rap/r05-404-2/r05-404-2_mono.html">« l’indépendance est un état d’esprit, et un état d’esprit ne se décrète pas »</a>. En ce sens, l’indépendance n’est jamais définitivement acquise et il faut toujours composer avec le risque de capture de l’expertise et du contrôle par des enjeux politiques, industriels ou économiques. De ce point de vue, la proximité accrue de l’expertise et de la décision au sein d’une « super ASN », mettra à rude épreuve l’indépendance de l’expertise.</p>
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<figcaption><span class="caption">Audition de Claude Birraux, ancien président de l’Opecst sur la fusion ASN/IRSN (Public Sénat, 16 février 2023).</span></figcaption>
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<h2>Critiques et non-dits comme fondements de la réforme ?</h2>
<p>Un autre objectif annoncé de la réforme, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PMbQHiUYKn4">tirée de la comparaison avec d’autres systèmes de contrôle qui intègrent dans un même organisme expertise et décision</a>, vise à <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/renforcement-lorganisation-du-controle-et-recherche-en-radioprotection-et-surete-nucleaire">« fluidifier le processus de décision et de gagner en coordination »</a> pour « renforcer les compétences et la puissance d’action de l’ASN ».</p>
<p>Bien que le gouvernement explique que le système actuel fonctionne et n’est pas en cause, cette réforme fait écho à des critiques envers l’IRSN et l’ASN, sujets souvent tabous dans le domaine nucléaire, qui ont été exposées publiquement ces dernières années.</p>
<p>Le constat d’une relation de pouvoir compliquée entre les deux organismes, voire d’une compétition médiatique, a été mis en avant par <a href="https://www.cairn.info/revue-commentaire-2021-4-page-785.htm">Yves Bréchet, ancien Haut-commissaire à l’Énergie atomique du CEA et Claude Le Bris</a>, qui pointent également le fonctionnement trop « juridique » et peu adapté aux contraintes industrielles de l’ASN.</p>
<p>De manière beaucoup plus directe, l’association Patrimoine nucléaire et climat (PNC) parle ouvertement des <a href="https://www.contexte.com/actualite/energie/document-lintegration-a-lasn-de-lexpertise-surete-de-lirsn-permet-de-mettre-fin-a-des-derives-selon-pnc-france_164497.html">dérives de l’IRSN qui polluent le processus « instruction-expertise-décision », en rendant publics ses avis avant les décisions de l’ASN</a>. L’expertise de l’IRSN constituerait alors une sorte de prédécision contraignant fortement la marge de manœuvre de l’ASN.</p>
<h2>Prendre la mesure des risques posés par cette réforme</h2>
<p>En définitive, il nous paraît clair que cette réforme transcrit une volonté de mieux concilier l’organisation de l’expertise et du contrôle de la sûreté avec les nouveaux enjeux industriels (construction de nouveaux réacteurs nucléaires et prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs en service).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-nouveau-plan-nucleaire-pour-la-france-quand-lhistoire-eclaire-lactualite-181513">Un nouveau plan nucléaire pour la France ? Quand l’histoire éclaire l’actualité</a>
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<p>Cette volonté provenant des milieux politiques et industriels pour une sûreté nucléaire plus fluide et plus en adéquation avec les enjeux industriels devrait selon nous être mieux explicitée et, surtout, assumée.</p>
<p>Dans un contexte de forts enjeux industriels et dans un monde en crise, une telle réforme ne représente pas seulement une rupture organisationnelle : au sein d’un système aux composants interdépendants, les <a href="https://pastel.archives-ouvertes.fr/tel-02066034">évolutions organisationnelles ne vont pas sans modifier les règles, les pratiques, les relations entre les acteurs</a> de la sûreté nucléaire et même la philosophie globale de l’expertise et du contrôle. De plus, de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-l_accident_de_la_centrale_nucleaire_de_three_mile_island_michel_llory-9782738477088-13581.html">Three Mile Island</a> à <a href="https://www.iaea.org/publications/10962/the-fukushima-daiichi-accident">Fukushima</a>, en passant par <a href="https://www-pub.iaea.org/mtcd/publications/pdf/pub913e_web.pdf">Tchernobyl</a>, le fonctionnement du système de contrôle et d’expertise apparaît comme une des causes des grands accidents nucléaires.</p>
<p>Réaliser une évaluation complète des opportunités et risques potentiels paraît être une entreprise préalable indispensable au lancement d’une réforme impactant potentiellement la stabilité du système, la sûreté nucléaire et, au final, la crédibilité du nouveau programme nucléaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201191/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Mangeon effectue régulièrement des travaux pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathias Roger a reçu des financements de l'IRSN, notamment pour sa thèse de doctorat. </span></em></p>En pleine relance de la filière du nucléaire civil en France, le gouvernement d’Emmanuel Macron vient de lancer une réforme du système d’expertise et de contrôle de la sûreté nucléaire qui interroge.Michaël Mangeon, Chercheur associé EVS-RIVES ENTPE, enseignant vacataire Paris Nanterre, consultant, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresMathias Roger, Chercheur en histoire et sociologie des sciences et des techniques, IMT Atlantique – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1834792022-07-11T18:24:13Z2022-07-11T18:24:13ZGrands séismes : peut-on les détecter plus rapidement grâce à l’IA ?<p>Le bilan provisoire du violent séisme qui a frappé le Maroc dans la nuit de vendredi à samedi ne cesse d’augmenter. Il est désormais de plus de 2 000 morts, a précisé le ministère de l’Intérieur.</p>
<p>Selon le Centre national pour la recherche scientifique et technique, l’épicentre de la secousse se situait dans la province d’al-Haouz, au sud-ouest de Marrakech et le tremblement de terre a provoqué d’importants dégâts dans plusieurs villes</p>
<p>Au cours des trente dernières années, les tremblements de terre et les tsunamis qu’ils génèrent ont causé la mort de <a href="https://www.usgs.gov/programs/earthquake-hazards/lists-maps-and-statistics">près d’un million de personnes</a>. Si la prédiction en tant que telle de ces événements est <a href="https://theconversation.com/seismes-pourquoi-on-ne-peut-pas-les-prevoir-58754">impossible</a>, des systèmes d’alerte ont été mis en place pour <a href="https://theconversation.com/que-savons-nous-vraiment-des-seismes-que-faire-pour-nous-en-proteger-61452">limiter le coût humain et matériel</a> de ces catastrophes.</p>
<p>Ces systèmes ne prédisent pas le futur, mais essaient de détecter les séismes et d’estimer le plus rapidement possible leur magnitude. Actuellement, ils utilisent les ondes sismiques pour tenter de prévenir les populations quelques secondes avant les secousses, même si malheureusement le résultat n’est pas toujours au rendez-vous.</p>
<p>Les tsunamis se propagent plus lentement, laissant plus de temps pour agir ce qui est généralement (<a href="https://theconversation.com/alertes-aux-seismes-et-tsunamis-comment-gagner-de-precieuses-secondes-139913">quelques dizaines de minutes</a>). Cependant, les systèmes d’alerte éprouvent de grandes difficultés à évaluer rapidement la magnitude des très grands séismes. Par exemple, le système japonais a estimé une magnitude de 8 au lieu de 9 lors du séisme de 2011, et donc une vague de 3 mètres au lieu de 15, une erreur aux conséquences dramatiques à Fukushima.</p>
<p>Afin d’améliorer les systèmes d’alerte sismique et tsunami, nous travaillons actuellement sur un algorithme d’intelligence artificielle (IA), basé sur des ondes d’origine gravitationnelle, qui estime de manière plus fiable et plus rapide la magnitude des grands séismes.</p>
<h2>Les systèmes d’alerte sismique</h2>
<p>Les signaux sismiques enregistrés le plus tôt sur les sismomètres sont les ondes de compression (dites ondes P). Ces ondes se propagent à environ 6,5 km par seconde. Si vous êtes 65 km plus loin de l’épicentre que les capteurs les plus proches, vous allez donc ressentir les premières secousses 10 secondes après que ces capteurs aient enregistré les premières ondes P. En pratique, en prenant en compte le temps de transmission et de traitement de ces ondes, vos 10 secondes seront probablement réduites à 5 ou 6.</p>
<p>Mais les ondes les plus destructrices, les ondes de cisaillements (dites ondes S), se propageant légèrement plus lentement que les ondes P (à environ 3,5 km par seconde), il est possible d’anticiper de quelques secondes les plus fortes secousses. Sur ce principe, dans les pays pourvus de systèmes d’alerte sismique comme au Japon, lorsqu’un séisme est détecté proche de votre position, vous recevez un SMS d’alerte vous informant de l’imminence de secousses.</p>
<h2>Les systèmes d’alerte tsunami</h2>
<p>Malheureusement, pour des raisons à la fois instrumentales et fondamentales, les ondes P ne renseignent pas de manière fiable sur la magnitude des très grands séismes. Les systèmes d’alerte sismiques, basés sur ces ondes, s’avèrent ainsi incapables de faire la différence entre un séisme de magnitude 8 et un séisme de magnitude 9, posant un problème majeur pour l’estimation du tsunami, comme l’a illustré l’exemple de Fukushima en 2011. En effet, un séisme de magnitude 9 est 30 fois plus « grand » qu’un séisme de magnitude 8, le tsunami qu’il génère est donc considérablement plus important.</p>
<p>Pour estimer de manière plus fiable la magnitude des grands séismes, des systèmes d’alerte basés sur un autre type d’ondes, appelé phase W, <a href="https://theconversation.com/alertes-aux-seismes-et-tsunamis-comment-gagner-de-precieuses-secondes-139913">ont été développés</a>. La phase W a une bien meilleure sensibilité à la magnitude que les ondes P, mais se propage beaucoup plus lentement. On l’enregistre entre 10 et 30 minutes après l’origine du séisme, soit peu de temps avant l’arrivée du tsunami.</p>
<h2>La découverte des signaux gravitationnels</h2>
<p>En 2017, des signaux jusqu’alors <a href="https://www.science.org/doi/abs/10.1126/science.aao0746">inconnus ont été découverts</a>. Ces signaux, appelés PEGS pour « prompt elasto-gravity signals » (signaux élasto-gravitationnels soudains), ont laissé entrevoir une possibilité nouvelle d’estimer plus rapidement et de manière plus fiable la <a href="https://theconversation.com/quantifier-au-plus-vite-les-seismes-pour-ameliorer-lalerte-88673">magnitude des grands séismes</a>. Lorsqu’un séisme se produit, une immense masse de roche est mise en mouvement de manière soudaine. Cette masse de roche en mouvement engendre une perturbation du champ de gravité terrestre (la pesanteur). Cette perturbation est extrêmement faible, mais se propage à la manière d’une onde gravitationnelle, à la vitesse de la lumière. De manière instantanée à l’échelle de la Terre. La gravité étant une accélération et les sismomètres enregistrant l’accélération du sol, les PEGS sont enregistrés par nos instruments de mesure « classiques ». De plus, ces signaux sont très sensibles à la magnitude, beaucoup plus que les ondes P dans le cas des grands événements.</p>
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<img alt="Illustration de l’algorithme d’IA capable d’estimer la magnitude des grands séismes à partir de signaux gravitationnels (les PEGS) se propageant à la vitesse de la lumière, bien plus vite que les ondes sismiques (P et S)" src="https://images.theconversation.com/files/471575/original/file-20220629-13-fkri9x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471575/original/file-20220629-13-fkri9x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471575/original/file-20220629-13-fkri9x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471575/original/file-20220629-13-fkri9x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471575/original/file-20220629-13-fkri9x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471575/original/file-20220629-13-fkri9x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471575/original/file-20220629-13-fkri9x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Illustration de l’algorithme d’IA capable d’estimer la magnitude des grands séismes à partir de signaux gravitationnels (les PEGS) se propageant à la vitesse de la lumière, bien plus vite que les ondes sismiques (P et S).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Quentin Bletery</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les PEGS disposent donc des caractéristiques idéales pour alimenter un système d’alerte. Cependant, leur détection est rendue difficile par leur très faible amplitude. (environ un million de fois plus faibles que les ondes P). Comment exploiter des signaux si faibles pour alerter ?</p>
<h2>Une IA pour exploiter les signaux gravitationnels</h2>
<p>La technologie émergente de l’IA s’avère très performante pour extraire rapidement des signaux faibles dans de grands volumes de données bruitées. Nous avons développé un algorithme d’IA qui estime toutes les secondes la magnitude du séisme en cours à partir des PEGS]Il est donc nécessaire de mettre au point de nouveaux systèmes plus fiables et rapides, afin d’avoir une stratégie de mise à l’abri la plus efficace possible. Nous avons développé un algorithme d’intelligence artificielle (IA), se basant sur des ondes d’origine gravitationnelle se propageant à la vitesse de la lumière, pour estimer de manière plus rapide et plus fiable la magnitude des grands séismes., publié très récemment dans <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-022-04672-7"><em>Nature</em></a>. Comme les grands séismes sont rares, nous avons simulé des centaines de milliers de scénarios de séismes possibles le long des grandes failles japonaises.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Dans chaque scénario, nous avons calculé les PEGS attendus sur tous les sismomètres de la région et entraîné l’IA à « trouver » la magnitude et la localisation du séisme en lui donnant la réponse à chaque fois. Nous avons ensuite testé la performance de l’IA sur les données enregistrées lors du séisme de Fukushima. Les résultats indiquent que l’on aurait pu estimer la magnitude du séisme dès la fin de la rupture (soit 2 minutes après l’origine de l’événement), et donc obtenir très rapidement une bien meilleure estimation de la hauteur de la vague.</p>
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<img alt="Graphe comparant la performance de l’IA aux systèmes de détection classiques" src="https://images.theconversation.com/files/471574/original/file-20220629-14-18jeri.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471574/original/file-20220629-14-18jeri.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471574/original/file-20220629-14-18jeri.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471574/original/file-20220629-14-18jeri.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471574/original/file-20220629-14-18jeri.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471574/original/file-20220629-14-18jeri.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471574/original/file-20220629-14-18jeri.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Performance de l’IA par rapport au système en place en 2011 lors du séisme de Fukushima.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Quentin Bletery</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les résultats étant encourageants, nous passons désormais à la phase d’implémentation de l’algorithme dans un système d’alerte opérationnel, en commençant par le Pérou <a href="https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/2016JB013080">où l’on attend un très gros évènement</a> (qui pourrait intervenir demain comme dans 300 ou 600 ans). Nous travaillons également à améliorer les performances de l’algorithme pour les séismes de magnitude plus modérée. Il fonctionne dans sa version actuelle pour les séismes de magnitude supérieure à 8,3, ce qui le rend déjà très utile pour l’estimation des tsunamis (qui ne concernent que ces très grands séismes) mais limite grandement les possibilités pour alerter sur les secousses (car ces dernières sont ressenties dans la plupart des cas avant que le séisme n’atteigne une telle magnitude).</p>
<p>Enfin, nous ambitionnons de développer une version mondiale de cet algorithme qui utiliserait des sismomètres pour alerter sur des séismes se produisant partout sur Terre, offrant ainsi une « couverture » d’alerte mondiale particulièrement intéressante pour des régions peu équipées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183479/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Quentin Bletery a reçu des financements de l'European Research Council (ERC), de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), de l’Université Côte d’Azur et de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). </span></em></p>L’exploitation d’ondes gravitationnelles par une IA pourrait permettre d’améliorer les systèmes de détection des séismes et de leur magnitude.Quentin Bletery, Géophysicien, chargé de Recherche IRD au laboratoire Géoazur., Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1815132022-04-21T18:13:16Z2022-04-21T18:13:16ZUn nouveau plan nucléaire pour la France ? Quand l’histoire éclaire l’actualité<p>Le 10 février 2022, à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron annonçait le lancement d’un <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/electricite-emmanuel-macron-souhaite-relancer-la-filiere-nucleaire_4954434.html">ambitieux programme de construction de réacteurs nucléaires</a>. D’autres candidats et candidates (Marine Le Pen, Éric Zemmour, Valérie Pécresse ou encore Fabien Roussel) ont également placé le nucléaire au cœur de leur programme énergétique.</p>
<p>Si cette situation rappelle immanquablement le <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/1974-pierre-messmer-lance-le-premier-grand-plan-nucleaire-civil-francais">« plan Messmer »</a> – qui lança en 1974 la construction du parc électronucléaire français – ces deux situations sont-elles vraiment comparables ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Février 2022 : Emmanuel Macron annonce 6 nouveaux réacteurs EPR en France. (Euronews, 2022).</span></figcaption>
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<h2>Deux périodes, deux crises énergétiques… des contextes différents</h2>
<p>Aujourd’hui, comme au milieu des années 1970, la France connaît une crise énergétique majeure, dans un contexte géopolitique très tendu. En effet, la crise pétrolière de 1973, liée à la guerre du Kippour et à l’embargo pétrolier des pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), clôt la période des Trente Glorieuses durant laquelle le nucléaire civil ne représente qu’une très faible part du mix énergétique français.</p>
<p>Si nous connaissons également une crise énergétique aujourd’hui, amplifiée par la guerre en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ukraine-21219">Ukraine</a>, la situation semble bien différente. Avec une croissance économique en berne, la France, désormais pays le plus nucléarisé au monde, se questionne sur son avenir énergétique.</p>
<p>Enfin, les arguments en faveur de l’énergie nucléaire ont évolué. Si la lutte contre le changement climatique a progressivement pris le dessus sur celui de l’indépendance nationale, les tensions géopolitiques liées à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique ont tendance, aujourd’hui, à faire ressurgir brutalement ce second argument.</p>
<h2>Avant le plan Messmer, 20 ans de développement du tissu industriel</h2>
<p>D’un point de vue industriel, en 1974, EDF et le CEA ont une vingtaine d’années d’expérience de construction de réacteurs. Ces organismes conçoivent, réalisent et exploitent des <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/le-rayonnement-de-la-france/">réacteurs dits « uranium-naturel-graphite-gaz » (UNGG) à double emploi civil et militaire</a>. Les ingénieurs du CEA et d’EDF rencontrent alors de nombreuses difficultés pour mettre au point un réacteur qui soit compétitif sur le plan économique.</p>
<p>Malgré de gros efforts de rationalisation et d’optimisation, le projet franco-allemand d’une centrale UNGG à Fessenheim, devant être construite en 1965, est <a href="https://u-paris.fr/theses/detail-dune-these/?id_these=2706">repoussé à de nombreuses reprises puis abandonné en 1969</a>. Les autres réacteurs de la même technologie connaissent, au même moment, de nombreux incidents et même un <a href="https://theconversation.com/17-octobre-1969-saint-laurent-des-eaux-retour-sur-un-accident-nucleaire-francais-125322">accident nucléaire à Saint-Laurent-des-Eaux en 1969</a>.</p>
<p>Cette même année, la technologie française est abandonnée au profit des réacteurs à eau pressurisée (REP) américains dont un <a href="https://twitter.com/Mangeon4/status/1314145874088525824?s=20&t=zUSRDfFx4CA-mH-JmQbrZQ">seul exemplaire fonctionne depuis 1967 dans les Ardennes</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">1974, la France lance son programme nucléaire civil. (Ina Sciences).</span></figcaption>
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<p>Le plan Messmer impose un rythme de construction correspondant <a href="https://www.decitre.fr/livres/un-si%C3%A8cle-d-energie-nucleaire-9782304030587.html">au maximum des capacités de l’industrie française</a>, héritage de l’expérience du programme UNGG et du lancement de deux REP à Fessenheim et Bugey. EDF forme alors massivement le personnel d’exploitation de ses centrales nucléaires, souvent issu des centrales thermiques ou d’anciens exploitants des centrales UNGG. Le nucléaire, qui a alors le vent en poupe, accueille également beaucoup de jeunes ingénieurs pour accompagner la conception et la réalisation de dizaines de réacteurs.</p>
<h2>Aujourd’hui, une filière nucléaire en difficulté qui cherche à se relancer</h2>
<p>Vingt ans après la mise en service de la dernière centrale (Civaux en 2002), le tissu industriel s’est progressivement délité. <a href="https://www.economie.gouv.fr/rapport-epr-flamanville">Des travaux</a> sur les déboires de l’EPR de Flamanville pointent des pertes de compétences industrielles dans la soudure, l’ingénierie et la gouvernance du projet.</p>
<p><a href="https://www.theses.fr/2014ENMP0090">D’autres travaux</a> mettent en évidence des mécanismes de désapprentissage liés à une longue période d’absence de projets et un profond renouvellement générationnel des équipes d’ingénieurs. La reprise en main de Framatome par EDF en 2018, et plus récemment le rachat de la <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/edf-n-achete-qu-une-partie-des-activites-nucleaires-a-ge.N1783472">partie nucléaire de General Electric, également par EDF</a>, dénotent d’une volonté de maîtrise centralisée des outils de production de l’industrie pour renouer avec le succès.</p>
<p>Depuis l’annonce d’Emmanuel Macron en février 2022, de <a href="https://www.leparisien.fr/economie/business/le-nucleaire-civil-un-gisement-demplois-23-03-2022-JRKEJXMXXJD3JPVOVNKDQZLHTA.php">nombreux articles</a> pointent le besoin en personnel d’EDF qui lance une campagne de recrutement et de communication dans l’optique de faire resurgir l’intérêt pour la filière nucléaire.</p>
<h2>Dans les années 1970, une contestation articulée autour des sites d’implantation</h2>
<p>Développer le plan Messmer ne fut pas un long fleuve tranquille et le programme nucléaire fut très contesté.</p>
<p>Lors de la présidentielle de 1974, l’opposition au nucléaire civil est minoritaire. Pour autant, la société française semble partagée et une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-france-nucleaire-l-art-de-gouverner-une-technologie-contestee-sezin-topcu/9782021052701">opposition très forte se structure autour des sites d’implantation</a>.</p>
<p>Les opposants organisent de grandes manifestations rassemblant des dizaines de milliers de personnes. Certaines se terminent dans la violence, <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caa7701118901/creys-malville-manifestation">comme à Creys-Malville (un manifestant meurt en 1977)</a> et des attentats sont même perpétrés sur les chantiers, comme à Fessenheim ou au domicile du PDG d’EDF.</p>
<p>Avant l’accident nucléaire de Tchernobyl (1986), la question du risque nucléaire est présente dans les oppositions, mais est loin d’être le seul critère de contestation. On insiste notamment sur la lutte contre un État qui impose ses choix aux citoyens et aux territoires.</p>
<p>Cette contestation n’empêchera finalement pas le déploiement du plan Messmer, hormis l’abandon de quelques sites (<a href="https://twitter.com/mangeon4/status/1311551958600355843">comme Plogoff ou le Pellerin</a>).</p>
<p>Le choix des sites est stratégique : on construit de nouvelles centrales très vite, parfois là où il y avait déjà du nucléaire, souvent sur des sites ruraux souffrant de dépopulation et où les communes <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2014-4-page-153.htm">entendent profiter des retombées financières</a>.</p>
<p>On peut supposer qu’aujourd’hui l’opposition autour des sites en construction serait sans doute très différente, les futurs réacteurs étant prévus sur des sites déjà nucléarisés.</p>
<h2>Des « maladies de jeunesse » moins acceptées aujourd’hui</h2>
<p>L’expertise et le contrôle de la sûreté nucléaire ont <a href="https://pastel.archives-ouvertes.fr/tel-02066034">fortement évolué depuis les années 1970</a>, avec la création d’une Autorité de Sûreté (ASN) en 2006 et d’un expert public (IRSN) en 2002.</p>
<p>À l’époque du plan Messmer, les services de l’État, fortement liés au monde industriel, acceptaient les « maladies de jeunesse » qui touchaient les réacteurs (<a href="https://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c">par exemple, des problèmes de corrosion sur les couvercles de cuve</a>), mais qui ne sont plus tolérées aujourd’hui comme en témoigne le chantier de l’EPR.</p>
<p>Néanmoins, en cas de relance du nucléaire, on peut aussi faire l’hypothèse d’une forte pression politique pour ne pas trop freiner le programme et pousser à un <a href="https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-01499002">retour d’une forme de souplesse du point de vue réglementaire</a>. À l’inverse, la question du risque nucléaire est vive dans l’opinion publique depuis l’accident de Tchernobyl et de Fukushima, ce qui pourrait fortement impacter le déroulement d’un nouveau programme de construction de réacteurs.</p>
<p>Si la mise en perspective historique s’avère pertinente, il n’y aura pas de plan « Messmer 2 », mais une nouvelle histoire du nucléaire civil en France à l’issue encore bien incertaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181513/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Avec les promesses d’un nouveau plan nucléaire pour la France, l’histoire du programme nucléaire des années 1970 et du « plan Messmer » est-elle en train de se répéter ?Michaël Mangeon, Chercheur associé EVS-RIVES ENTPE, enseignant vacataire Paris Nanterre, consultant., Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresMathias Roger, Chercheur en histoire et sociologie des sciences et des techniques, IMT Atlantique – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1793472022-03-22T19:37:51Z2022-03-22T19:37:51ZQu’appelle-t-on un déchet radioactif ?<p>L’<a href="https://www.iaea.org/fr">Agence internationale de l’énergie atomique</a> (AIEA) définit un déchet radioactif comme :</p>
<blockquote>
<p>« tout matériau qui contient ou est contaminé par des radionucléides à des concentrations ou niveaux d’activités supérieurs aux valeurs définies par les autorités compétentes de réglementation et pour lequel aucune utilisation n’est prévue ».</p>
</blockquote>
<p>Un radionucléide désigne un noyau d’atome dont la durée de vie (soit sa <a href="https://www.laradioactivite.com/site/pages/activitedunradioelement.htm">période radioactive</a>, mesurée en seconde) est finie. On dit alors qu’il est « instable ». Il tendra spontanément à se transformer en un noyau stable (on dit alors qu’il « se désintègre ») en émettant un <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Nucleaire_et_societe/education-radioprotection/bases_radioactivite/Pages/8-rayonnement-ionisant.aspx">rayonnement ionisant</a>, dont le potentiel danger pour l’homme est quantifié par sa <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Nucleaire_et_societe/education-radioprotection/bases_radioactivite/Pages/9-concepts-de-dose.aspx">dose</a>.</p>
<p>Un ensemble de radionucléides, ou source radioactive, est caractérisé par son activité, soit le nombre de désintégrations qu’elle produit pendant une seconde. Son unité, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Becquerel">Becquerel</a>, décrit son niveau de radioactivité.</p>
<h2>La différence entre « déchets » et « matières » radioactifs</h2>
<p>La <a href="https://www.doctrine.fr/l/texts/codes/LEGITEXT000006074220/articles/LEGIARTI000006834544">loi française</a> différencie un « déchet » radioactif (substance radioactive n’ayant aucune utilisation ultérieure) d’une « matière » radioactive (substance radioactive ayant une possible utilisation ultérieure).</p>
<p>Par exemple, des gants utilisés par une personne travaillant dans un environnement radioactif constituent un déchet. L’uranium issu du retraitement du combustible usé (URT) est une matière.</p>
<p>Dans les faits, un déchet sera très faiblement, faiblement, moyennement ou hautement radioactif ; et il le sera pendant très peu de temps, peu de temps ou très longtemps. Il faut retenir que le niveau de radioactivité d’un déchet est inversement proportionnel à sa durée de vie. On estime qu’au bout de 10 fois cette durée de vie, le niveau de radioactivité devient négligeable.</p>
<p>Macroscopiquement, l’effet de l’activité d’une source radioactive correspond à une production de chaleur ; microscopiquement, à une production de rayonnement.</p>
<p>Un <a href="https://inventaire.andra.fr/linventaire-national/quest-ce-que-linventaire-national">inventaire national</a> est réalisé chaque année par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Il permet une vision transparente des stocks de matières et déchets radioactifs sur le territoire français. Il nous apprend qu’environ 1 200 industriels, provenant de secteurs économiques différents, produisent des déchets radioactifs aujourd’hui, dont 60 % sont produits par l’industrie électronucléaire.</p>
<p>À titre de comparaison, le <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/bilan-environnemental/16-production-de-dechets-et-recyclage">ministère de la Transition écologique</a> établit annuellement un inventaire de l’ensemble des déchets produits en France : environ 5 tonnes de déchets sont produites par habitant et par an, dont 2 kg de déchets radioactifs.</p>
<h2>Gérer et réduire les déchets</h2>
<p>Le but fondamental de la gestion des matières et des déchets radioactifs, tel qu’organisé en France, vise la protection des populations actuelles et futures ainsi que de l’environnement.</p>
<p>Ce souci est partagé par un grand nombre de pays, à travers une <a href="https://www.iaea.org/topics/nuclear-safety-conventions/joint-convention-safety-spent-fuel-management-and-safety-radioactive-waste">convention internationale</a> fixant les principes de sûreté.</p>
<p>Leur application conduit à mettre en place des règles pratiques optimisées dans la gestion industrielle des matières et déchets radioactifs. Elles sont très contraignantes, parfois même beaucoup plus que dans d’autres domaines de gestion des déchets. Par exemple, le <a href="https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l-energie-de-a-a-z/tout-sur-l-energie/produire-de-l-electricite/les-dechets-radioactifs">plan de gestion choisi par EDF</a> est basé sur quatre règles :</p>
<ul>
<li><p>Réduire la production de déchets ;</p></li>
<li><p>Trier soigneusement sur le site de production ;</p></li>
<li><p>Traiter par différents procédés (fusion, incinération, compactage, vitrification) avant leur conditionnement final, pour une réduction du volume et/ou de la radioactivité ;</p></li>
<li><p>Isoler les déchets.</p></li>
</ul>
<p>Cela aura permis à EDF de réduire depuis 1985 d’un <a href="https://www.edf.fr/groupe-edf/produire-une-energie-respectueuse-du-climat/l-energie-nucleaire/edf-une-expertise-nucleaire-unique/la-gestion-des-dechets-radioactifs">facteur trois</a> le volume total des déchets produits pendant l’exploitation des réacteurs. Les déchets technologiques et de filtration sont ainsi incinérés sur le site de <a href="https://www.cyclife-edf.com/sites/default/files/Cyclife/pdfs/brochures-fiches-techniques/cyclife-incineration-processus-fr.pdf">Centraco</a> pour permettre cette réduction sensible du volume à traiter.</p>
<h2>Le cadre législatif français</h2>
<p>En France, trois lois ont historiquement encadré la gestion des matières et déchets radioactifs. La première, dite <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000356548/">loi Bataille</a> et émanant du rapport du député Christian Bataille sur la stratégie de gestion des déchets radioactifs, date du 30 décembre 1991. Elle a fixé un cadre pour la recherche scientifique sur les déchets radioactifs pendant une durée de quinze ans.</p>
<p>Elle a été suivie par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000240700">loi sur les déchets radioactifs</a>, du 28 juin 2006, relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, qui instaure le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (<a href="https://www.asn.fr/espace-professionnels/installations-nucleaires/le-plan-national-de-gestion-des-matieres-et-dechets-radioactifs">PNGMDR</a>). Ce dernier élabore, en concertation avec de nombreux acteurs, des recommandations pour une gestion optimisée, transparente, complète et durable des matières et déchets radioactifs.</p>
<p>Enfin, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000032932790/">loi du 25 juillet 2016</a> précise les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde pour les déchets les plus radioactifs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reacteurs-nucleaires-smr-de-quoi-sagit-il-sont-ils-moins-risques-172089">Réacteurs nucléaires « SMR » : de quoi s’agit-il ? Sont-ils moins risqués ?</a>
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<p>On peut résumer le cadre législatif national et le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs par une stratégie en trois étapes qui sont :</p>
<ul>
<li><p>Utiliser le maximum de matières radioactives dans les réacteurs ;</p></li>
<li><p>Concentrer et confiner les radionucléides issus de la fission ;</p></li>
<li><p>Stocker les déchets radioactifs ultimes.</p></li>
</ul>
<p>L’organisation en est la suivante : les déchets sont gérés par un établissement public national, l’<a href="https://www.andra.fr/">Andra</a>. Elle est placée sous la tutelle de trois ministres (Énergie, Recherche et Environnement). Elle est contrôlée par l’<a href="https://www.asn.fr/">ASN</a> et évaluée par la <a href="https://www.cne2.fr/">Commission nationale d’évaluation</a> (CNE2), <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/les-delegations-comite-et-office-parlementaire/office-parlementaire-d-evaluation-des-choix-scientifiques-et-technologiques/(block)/32013">l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques</a> (OPECST) et <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/lautorite-environnementale">l’Autorité environnementale</a> (AE).</p>
<h2>Tri, entreposage et stockage, trois actions distinctes</h2>
<p>Pour les déchets radioactifs, la loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074220/LEGISCTA000006159291/">différencie l’entreposage (caractère temporaire) du stockage (définitif)</a>.</p>
<p>L’ensemble des activités de la filière nucléaire repose sur le concept de défense en profondeur, répondant à la règle d’imposer trois barrières. Dans les activités de stockage des déchets radioactifs, par exemple, ces trois barrières sont : le colis, l’ouvrage de stockage et le site de stockage.</p>
<p>La loi décrit le classement en six catégories des déchets radioactifs, en fonction de leur niveau de radioactivité et de leur durée de vie. Ces deux critères caractérisent leur traitement (compactés, solidifiés…), leur conditionnement (isolation efficace en colis spécifiques) et la solution de gestion adaptée (surface, couche géologique…).</p>
<p>Fin 2019, le volume global de déchets radioactifs s’élève à 1 670 000 m<sup>3</sup>. Cela représente un cube d’un peu moins de 120 m de côté équivalent à la longueur d’un terrain de foot.</p>
<p>La première catégorie contient les déchets à vie très courte (VTC) : ils proviennent essentiellement du secteur médical, où sont utilisés des produits radioactifs à des fins de diagnostic ou thérapeutiques. Ils sont entreposés sur place afin que leur radioactivité disparaisse, puis évacués dans les filières de gestion de déchets conventionnels. Selon l’Andra, fin 2019, 2077 m<sup>3</sup> de déchets VTC ont été inventoriés.</p>
<p>La seconde catégorie concerne les déchets de très faible activité (TFA, de 1 à 100 Bq/g). Ils représentent 31,3 % en volume des déchets et 0,0001 % de la radioactivité totale. Seule la France les considère comme des déchets radioactifs. Leur radioactivité est proche de la radioactivité naturelle. À titre de comparaison, 1 g d’engrais phosphaté produit une <a href="https://www.sfmn.org/images/pdf/GroupesDeTravail/GT_Radioprotection/Irradiation_naturelle_en_10_episodes.pdf">radioactivité de 50 Bq</a>.</p>
<p>Ce sont essentiellement des gravats et des ferrailles, provenant du fonctionnement et démantèlement des installations nucléaires, mais également de l’industrie utilisant des matériaux naturellement radioactifs. Ils sont stockés, depuis 2003, dans le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (<a href="https://aube.andra.fr/activites/stockage-des-dechets-de-tres-faible-activite/le-centre-industriel">Cires</a>, dans l’Aube). Il s’agit du premier centre de stockage au monde pour ce type de déchets. Selon l’Andra, fin 2019 le stock de TFA représente 570 000 m<sup>3</sup>.</p>
<p>La troisième catégorie contient les déchets de faible et moyenne activité (FMA-VC, de 100 à 100 000 Bq/g et une durée de vie inférieure à 31 ans). Ils représentent 59,6 % en volume des déchets et 0,03 % de la radioactivité totale. Ils sont issus des activités liées à l’exploitation d’installations nucléaires ou à leur déconstruction (par exemple des vêtements, des outils ou des filtres ou le résidu du traitement d’effluents liquides ou gazeux).</p>
<p>Du fait de leur durée de vie courte et de leur faible ou moyen niveau de radioactivité, le risque devient négligeable au bout de 10 fois leur durée de vie, soit au maximum 310 ans. Ils sont stockés depuis 1992 en surface au <a href="https://aube.andra.fr/">CSA</a> sur le centre de Soulaines (Aube). Ils sont en général placés dans un conteneur en métal ou en béton puis enrobés avec du béton. Un colis de déchets FMA-VC est composé de 15 à 20 % de déchets radioactifs seulement. Selon l’Andra, fin 2019 le stock de FMA-VC est de 961 000 m<sup>3</sup>.</p>
<p>La quatrième catégorie contient des déchets de faible activité à vie longue (FA-VL, de 100 à 100 000 Bq/g et une durée de vie supérieure à 31 ans). Ils représentent 5,9 % en volume des déchets et 0,14 % de la radioactivité totale.</p>
<p>Ils sont issus essentiellement de la déconstruction des anciennes centrales de type <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Uranium_naturel_graphite_gaz">UNGG</a> et des anciennes industries du radium. Les solutions de gestion sont actuellement à l’étude ; ils sont pour l’instant entreposés sur les sites de production. Selon l’Andra, fin 2019 le stock de FA-VL est de 93 600 m<sup>3</sup>.</p>
<p>La cinquième catégorie contient des déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL, de 100 000 à 100 millions de Bq/g et une durée de vie supérieure à 31 ans). Ils représentent 2,9 % en volume des déchets et 4,9 % de la radioactivité totale. Ils proviennent en grande majorité des gaines métalliques entourant le combustible. Ils sont entreposés sur leur lieu de conditionnement (en particulier sur le site de la Hague). Selon l’Andra, fin 2019 le stock de MA-VL est de 42 700 m<sup>3</sup>.</p>
<p>Enfin, la sixième catégorie contient les déchets de haute activité (HA, au-delà de 10 milliards de Bq/g et une durée de vie supérieure à 31 ans). Ils représentent 0,2 % du volume des déchets, mais contribuent à 94,9 % de la radioactivité totale. Ce sont les produits issus du processus de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9action_en_cha%C3%AEne_(nucl%C3%A9aire)">réaction en chaîne de fission</a> : produits de fission (noyaux produits lors de la cassure en deux de l’uranium) et actinides mineurs (radionucléides plus gros que l’uranium créés par absorption de neutrons et désintégration radioactive). Selon l’Andra, fin 2019 le stock de HA est de 4090 m<sup>3</sup>.</p>
<h2>Enfouir dans l’argile</h2>
<p>Les deux catégories de déchets les plus radioactifs, mais les moins volumineuses (HA et MA-VL), sont destinées à être enfouies dans une couche d’argile à 500 m de profondeur. C’est le projet Cigéo, un centre de stockage en couches géologiques profondes. Il sera implanté en Meuse/Haute-Marne. Il a pour objectif de protéger les déchets des agressions externes et de les isoler à long terme de l’environnement. Lorsque la capacité de stockage prévue du site sera atteinte, vers 2150, le site sera alors fermé et mis sous surveillance.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1438842675386634248"}"></div></p>
<p>Selon la <a href="https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20140527_rapport_cout_production_electricite_nucleaire.pdf">Cour des comptes</a>, sur l’ensemble des exploitants de la filière électronucléaire (EDF, CEA, Framatome et Orano) et la totalité de leur production de déchets radioactifs, 90 % de déchets sont à vie courte (filtres, tissus, gravats) et seulement 10 % sont à vie longue. Les produits de fission et les actinides mineurs qui concentrent la quasi-totalité de la radioactivité représentent environ 7 cm<sup>3</sup>/an/habitant.</p>
<p>En février 2022, la Commission européenne a <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/da/SPEECH_22_743">adopté une taxonomie</a> répertoriant les « activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement ». La production d’électricité d’origine nucléaire y est désormais incluse, à condition que des garanties soient apportées pour le traitement des déchets. L’occasion d’engager une réflexion concertée au niveau européen sur la gestion de ces déchets ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179347/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Galichet va recevoir des financements de l’ANR dans le cadre du projet JENII « Jumeaux d’Enseignement Numériques Immersifs et Interactifs ». Emmanuelle Galichet est membre de la Société Française de Physique (SFP), de la Société Française de l'Energie Nucléaire (SFEN) et de Women in Nuclear (WIN).</span></em></p>En France, 1 200 industriels provenant de secteurs économiques différents génèrent des déchets radioactifs. 60 % de ces déchets relèvent de l’industrie électronucléaire.Emmanuelle Galichet, Enseignante chercheure en physique nucléaire, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1789792022-03-10T20:30:20Z2022-03-10T20:30:20ZBombe atomique et accident nucléaire : voici leurs effets biologiques respectifs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/451177/original/file-20220310-18-19qeq2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1769%2C883&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La catastrophe de Tchernobyl (ici, visuel de la série de 2019) a montré les conséquences multiples d'un accident nucléaire.</span> <span class="attribution"><span class="source">Série Chernobyl, créée par Craig Mazin</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques jours, de nombreuses personnes sollicitent les pharmacies pour obtenir des comprimés d’iode afin de se prémunir d’un risque nucléaire. Ces réactions de masse révèlent une légitime inquiétude face à l’actualité géopolitique en Ukraine mais surtout une méconnaissance des phénomènes nucléaires et de leur impact sur la santé.</p>
<p>Les effets biologiques et cliniques d’une irradiation sont complexes : ils <a href="https://theconversation.com/irradiation-quelles-sont-les-consequences-sur-notre-corps-178754">dépendent très fortement de la dose et de la nature des radiations</a>. Cet article est l’occasion de faire des rappels importants sur la radioactivité et sur les différentes formes d’irradiation accidentelles possibles – ainsi que leurs <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0007455115001423">conséquences variables sur l’être humain</a>.</p>
<h2>D’où vient la radioactivité</h2>
<p>La radioactivité est un phénomène qui alarme souvent car on l’assimile à des catastrophes. Elle est pourtant partout présente à l’état naturel, mais à des quantités faibles. L’uranium 235 et 238 contenus dans la terre, le carbone 14 dans les végétaux et les animaux ou encore le potassium 40 dans notre alimentation sont autant d’éléments radioactifs naturels présents dans notre environnement quotidien : c’est ce qui explique que nous soyons, nous-mêmes, radioactifs.</p>
<p>L’unité de mesure de la radioactivité, le Becquerel (Bq), correspond à l’émission par seconde d’une particule physique (proton, neutron, électron…) ou d’un rayonnement (X, gamma), quelle que soit sa nature. Un homme de 75 kg émet ainsi 6000 Becquerels (Bq), tout comme un 1 kg de trottoir en granit. Un kg de bananes n’émet, lui, qu’une centaine de Bq. Pour un kg de nourriture, il est admis que sous les 1000 Bq, la radioactivité est considérée comme sans danger.</p>
<p>Pour comprendre l’origine de cette radioactivité, il faut plonger brièvement au cœur de la matière et des atomes qui la constitue. On représente souvent ces derniers par leur noyau autour duquel tournent de petites particules : les électrons. Le noyau des atomes est lui-même constitué d’autres particules, les protons et les neutrons, qui lorsqu’elles sont trop nombreuses rendent instables l’équilibre atomique.</p>
<p>La radioactivité reflète la tendance des atomes « trop lourds » à retrouver spontanément une plus grande stabilité en perdant une partie des composants de leur noyau, c’est-à-dire en se cassant en deux parties souvent inégales (fission nucléaire), ou en émettant un rayonnement alpha (noyaux d’hélium), bêta (électrons) ou gamma (photons).</p>
<p>Ces émissions ou désintégrations radioactives s’atténuent avec le temps à un rythme régulier et immuable. On appelle « période de désintégration radioactive » (ou demi-vie) le temps au bout duquel la quantité des désintégrations (la radioactivité) est réduite de moitié. Chaque noyau radioactif a une période qui lui est propre.</p>
<p>Lors d’une fission, les conséquences ne sont pas les mêmes. L’uranium 235 a la propriété de pouvoir se partager en deux atomes moins lourds sous l’action de neutrons, ce qui dégage alors une énergie considérable… qui libère à son tour d’autres neutrons susceptibles de créer la fission d’autres noyaux : c’est une réaction en chaîne.</p>
<p>Une telle réaction en chaîne peut être utilisée pour produire une explosion dévastatrice dans le cas d’une bombe atomique, ou être maîtrisée dans un réacteur pour produire de l’électricité.</p>
<h2>Comment sont confinés les éléments radioactifs dans un réacteur nucléaire</h2>
<p>Un réacteur contient une centaine de tonnes de combustible nucléaire, enrichi à quelques % en uranium 235. Ce combustible reste au sein d’un réacteur deux à trois ans.</p>
<p>Outre l’énergie libérée lors de la réaction initiale de fission de l’uranium, les émissions radioactives produisent beaucoup de chaleur, aussi un réacteur doit-il être refroidi durablement de façon continue, même après son arrêt, ce qui paradoxalement nécessite un apport indépendant en électricité. D’où l’<a href="https://theconversation.com/quels-sont-les-dangers-sanitaires-et-ecologiques-dune-activite-militaire-a-tchernobyl-178859">attention portée à ce qui se passe sur le site de Tchernobyl</a>, qui connaissait, <a href="https://www.lemonde.fr/energies/article/2022/03/09/tchernobyl-le-site-de-la-centrale-nucleaire-deconnecte-du-reseau-electrique-pas-d-impact-majeur-a-ce-stade-selon-l-aiea_6116811_1653054.html">mercredi 9 mars au soir, une coupure de courant</a>.</p>
<p>Le combustible nucléaire est confiné derrière trois barrières : la gaine des « crayons » de combustible (l’uranium est mis sous forme de pastilles, empilées en un « crayon » placé dans une gaine ; un assemblage est constitué d’un lot de crayons gainés), la paroi de la cuve du réacteur et l’enceinte en béton de confinement.</p>
<p>Il peut se produire des atteintes graves de ces barrières : à Tchernobyl, ce fut <a href="https://inis.iaea.org/collection/NCLCollectionStore/_Public/39/001/39001698.pdf">l’explosion physique liée à des erreurs de gestion du réacteur, avec ouverture de la cuve</a> ; à Fukushima, une fusion du cœur après le défaut de refroidissement du réacteur à l’arrêt après le tremblement de terre et l’inondation par le tsunami. Les produits de fission sont alors libérés dans l’environnement et impactent donc la santé.</p>
<p>La guerre en Ukraine serait susceptible de porter atteinte à un réacteur ou aux zones de stockages de matériaux radioactifs voire au dispositif d’apport d’électricité pour le refroidissement. Toutefois, en défaveur de ce type de scénario, la contamination toucherait aussi les soldats et la Russie toute proche. N’oublions pas non plus l’effet de mémoire collective des centaines de milliers de soldats, pompiers et liquidateurs qui ont éteint avec courage l’incendie du réacteur accidenté de Tchernobyl.</p>
<h2>Quels effets biologiques en cas d’accident nucléaire</h2>
<p>Le risque et les effets biologiques et cliniques dépendent de plusieurs facteurs : la dispersion des produits de fission relâchés dans l’atmosphère au gré des vents et qui retombent au gré des pluies ; la contamination des personnes, essentiellement par voie alimentaire ; la nature des émissions, des périodes de désintégration de chacun des produits de fission et de la chimie de leur assimilation dans l’organisme après contamination.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte montrant les taches de léopard sur les territoires de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Russie" src="https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=633&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=633&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=633&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Après l’accident à Tchernobyl, selon le sens du vent et les précipitations, les particules radioactives sont retombées de façon irrégulière au sol, formant des « taches de léopard » fortement contaminées (rouge) au milieu de zones qui l’étaient moins (orange).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sting, d’après CIA Handbook of International Economic Statistics (1996) -- University of Texas</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sans qu’il y ait forcément explosion comme pour une bombe atomique, un accident de centrale nucléaire entraîne plusieurs types d’effets selon les particules et rayonnements émis et ses principaux produits de fission présents (iode 131, césium 134 et 127 et strontium 90) – tous radioactifs.</p>
<p><strong>L’émission de rayonnements alpha, gamma et de neutrons</strong> représente une contribution importante à la dose de radiations induite par la réaction de fission qui serait reçue par des personnes à proximité – comme les premiers intervenants sur le réacteur de Tchernobyl en 1986. Ces personnes peuvent présenter un syndrome aigu d’irradiation (parfois surnommé « mal des rayons ») qui est plus ou moins rapide selon la dose reçue mais suit généralement le processus suivant :</p>
<ul>
<li><p>Dès les premières minutes, nausées, vomissements, diarrhées peuvent être observés. Ces symptômes non spécifiques seront suivis d’une période de rémission trompeuse.</p></li>
<li><p>Des brûlures cutanées (les érythèmes) peuvent survenir avant la fin du premier jour.</p></li>
<li><p>Un changement dans la composition sanguine s’opère ensuite au bout de quelques semaines (syndrome hématopoïétique), avec des risques hémorragiques et/ou d’infections qui peuvent persister pendant le premier mois.</p></li>
<li><p>Suivant la dose, on peut également observer un syndrome gastro-intestinal pendant lequel l’ulcération ou la perforation des muqueuses de l’estomac et de l’intestin peuvent provoquer des hémorragies ou des septicémies fatales.</p></li>
<li><p>Enfin, pour des doses encore plus importantes, un syndrome neuro-vasculaire peut conduire à un œdème cérébral fatal en quelques jours.</p></li>
<li><p>Pour des doses encore plus élevées, ces étapes ont lieu dans les premières heures. Sur les 600 pompiers (super-liquidateurs) de Tchernobyl, environ 150 souffrirent d’un syndrome aigu d’irradiation avec une soixantaine de morts rapides.</p></li>
</ul>
<p>À côté de la dose de radiation reçue, comme nous l’avons indiqué, la nature des <strong>produits de fission radioactifs</strong> expulsés lors de l’accident joue également un rôle. Voici les principaux :</p>
<p>● <strong>Iode 131</strong>. Comme l’iode naturel, l’iode 131 (émetteur bêta et gamma) a la particularité de se fixer exclusivement sur la thyroïde, qui l’utilise pour produire des hormones spécifiques. La contamination par l’iode 131 est essentiellement due à l’ingestion des produits qui le fixe (eau, lait et végétaux).</p>
<p>Cet élément pose un problème de santé tant que sa radioactivité n’est pas devenue négligeable. Du fait de sa période (demi-vie) de huit jours, on considère que cela prend trois mois – son activité résiduelle n’est plus que de 1/1000<sup>e</sup> au bout de 80 jours.</p>
<p>La fixation de l’iode 131 sur la thyroïde peut entraîner des cancers de cet organe. Cependant, la thyroïde ayant un développement très lent chez l’adulte, ce risque n’est véritablement significatif que chez les enfants.</p>
<p>À <a href="https://www.unscear.org/unscear/fr/chernobyl.html">Tchernobyl</a>, on a enregistré environ <a href="https://www.iaea.org/newscenter/pressreleases/chernobyl-true-scale-accident">6500 cas de cancers de la thyroïde</a> chez des enfants contaminés essentiellement par le lait. Environ 15 ont succombé à leur cancer de la thyroïde. À Fukushima, la quantité d’iode libéré a été beaucoup plus faible. De plus, la consommation de lait, culturellement moins importante, a été rapidement interdite après l’accident. Moins de 300 cas de cancers de thyroïde de l’enfant ont été répertoriés à Fukushima et on ne sait toujours pas si cela constitue un excès par rapport à la normale du pays.</p>
<p>La thyroïde de l’adulte est peu susceptible de se radio-cancériser et, à part quelques rares exceptions, le cancer de la thyroïde de l’adulte reste aujourd’hui peu létal.</p>
<p>En conséquence, la protection de la thyroïde par la saturation en iode stable avec un <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Sante/accident-radioprotection-sante/situation-urgence/Pages/idees-recues-iode-stable.aspx#.Yikh_hDMJKM">comprimé d’iodure de potassium n’a d’intérêt que pour les enfants et les adultes jeunes au moment du passage du nuage radioactif</a> (prise entre 1 à 2 h avant l’émission radioactive et jusqu’à quelques d’heures après). En revanche, saturer la thyroïde d’iode quand on est un adulte de plus de 40 ans peut avoir des conséquences néfastes, et notamment déclencher une dérégulation de cet organe. Donc la vigilance vis-à-vis de l’ingestion d’iode 131 doit être limitée aux enfants et aux adultes jeunes, dans un laps de temps bien défini.</p>
<p>● <strong>Césium</strong>. Les césium 137 et 134 sont des émetteurs bêta et gamma de période respective d’environ 30 et 29 ans. Comme le césium se substitue facilement au potassium, présent au sein de toutes nos cellules, il ne cible aucun organe spécifiquement. Il peut aussi se fixer dans les végétaux (champignons, baies…) et ainsi contaminer toute la chaîne alimentaire. Pour l’homme, la longue période du césium radioactif et sa rétention biologique conduisent à une exposition prolongée des organismes à des doses faibles.</p>
<p>Avec un recul de plus de 30 ans après l’accident de Tchernobyl, aucune pathologie spécifique à une contamination au césium radioactif n’a émergé. Cette conclusion peut s’expliquer par la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10654-017-0303-6">difficulté à mener des études épidémiologiques rigoureuses</a> (manquement dans l’enregistrement systématique des effets cliniques après l’accident, difficultés de rattachement au césium) mais aussi par la grande dispersion du césium dans l’atmosphère, ce qui en a ainsi réduit l’impact à distance du site.</p>
<p>● <strong>Strontium 90</strong>. Chimiquement, cet élément émetteur bêta peut se substituer facilement au calcium. Du fait d’une présence prolongée et de sa période de 29 ans, il pourrait entraîner des cancers de l’os (ostéosarcomes) mais aussi des leucémies si la moelle osseuse est atteinte. Il est à noter que le nombre de cancers de l’os potentiellement liés au strontium n’a pas été significatif après l’accident de Tchernobyl.</p>
<p>Produit moins abondant que le césium pendant la fission et moins volatil que l’iode, le strontium 90 ne représente un danger significatif que pour les régions les plus contaminées.</p>
<p>● <strong>Uranium</strong>. Quand la fission n’est pas complète ou quand un combustible neuf est endommagé, le problème des contaminations à l’uranium peut se poser. L’uranium naturel comprend trois composants, tous radioactifs : les uranium 238, 235 et 234, dont les périodes de désintégration sont respectivement de 4500, 700 et 0,25 millions d’années.</p>
<p>L’uranium est à la fois toxique chimiquement et radiologiquement. Très lourd et peu assimilable biologiquement, il peut se fixer dans les reins, les os, le foie et le poumon à long terme et contribuer à la mortalité cellulaire et aux dysfonctionnements graves des organes. En tant qu’atomes instables, ils sont émetteurs de rayons alpha qui déposent d’importantes quantités d’énergie là où ils se sont fixés et entraînent une mortalité cellulaire importante.</p>
<p>En conclusion, les <a href="https://www.unscear.org/docs/reports/2008/11-80076_Report_2008_Annex_D.pdf">conséquences sur la santé d’un accident de centrale nucléaire basée sur la fission</a> ne sont jamais négligeables.</p>
<p>Elles dépendent fortement de l’abondance de produits de fission émis et donc de l’endroit où l’on se trouve pendant l’accident : à Tchernobyl, une grande partie du cœur s’est volatilisée dans l’atmosphère sur près de 20000 km<sup>2</sup> du fait de 10 jours d’incendie en plus de l’explosion du réacteur ; à Fukushima, c’est une série de fuites, sans que le cœur soit à l’air libre, qui a contaminé une surface 10 à 30 fois plus réduite.</p>
<h2>Différences entre bombe atomique et accident de centrale : un problème de souffle et de masse</h2>
<p>Il existe trois différences fondamentales entre les explosions de bombes atomiques et les accidents de centrales nucléaires :</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Vue du centre d’Hiroshima, rasé par l’explosion" src="https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lors de l’explosion d’une bombe nucléaire, l’effet blast est par définition dévastateur (ici, Hiroshima en 1945).</span>
<span class="attribution"><span class="source">US government</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>1) Le souffle (effet blast) est dévastateur dans un vaste périmètre dans le cas de l’explosion d’une bombe atomique et est la cause de la plupart des morts. Un réacteur nucléaire ne peut pas exploser comme une bombe atomique, mais peut exploser localement comme à Tchernobyl du fait d’un excès de puissance non maîtrisée.</p>
<p>2) Dans le cas d’une bombe, l’émission de rayonnements gamma et de neutrons est instantanée (effet flash) et produit des effets à plus grande distance que les effets de souffle ; en cas d’accident de centrale, les émissions de produits de fission peuvent continuer tant que le cœur du réacteur n’est pas reconfiné (ex : Tchernobyl) ou que la fusion du cœur n’est pas maîtrisée (Fukushima). Dans les deux cas, surfaces au sol et air sont contaminés.</p>
<p>3) Le cœur d’un réacteur moyen de centrale nucléaire à fission contient une centaine de tonnes de combustible alors que la masse de produits fissiles d’une bombe atomique est de l’ordre de la dizaine de Kg. Ainsi, bien que non négligeables, les émissions radioactives et la contamination de l’environnement pour une bombe atomique sont bien inférieures et durent moins longtemps que celles d’un accident grave de centrale.</p>
<p>C’est la raison essentielle de la sécurisation du combustible des réacteurs nucléaires par les trois barrières indispensable pour minimiser l’impact d’un potentiel accident. Et c’est aussi pourquoi les comprimés d’iode stable présentent un intérêt dans le cadre d’un accident de centrale nucléaire, à proximité du réacteur accidenté, et peu d’intérêt en cas d’explosion d’une bombe atomique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178979/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Foray a été fondateur et conseiller scientifique de 2014 à 2020 (mais jamais dirigeant actif) de la Société Neolys Diagnostics, qui développe des tests de radiosensibilité. Il a reçu 2000 Euros en totalité pour cette fonction.
L'unité Inserm 1296 que dirige Nicolas Foray reçoit régulièrement des financements et subventions d'agences soutien à la recherche : ANR, projets d'Investissement d'avenir, INCa, Ligue, ARC, FRM, CNES, Commission Européenne, EDF. Toutes dans le cadre réglementé d'appels à projets publics.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michel Bourguignon est membre de la Société Française de Radioprotection et rédacteur en chef de Radioprotection, journal scientifique de cette association.</span></em></p>Alors que la situation est compliquée à Tchernobyl et que la menace nucléaire a été évoquée par le président russe, voici les conséquences de ces deux types de risques. Qui n’ont que peu en commun.Nicolas Foray, Directeur de Recherche à l'Inserm, Unité U1296 « Radiations : Défense, Santé, Environnement », InsermMichel Bourguignon, Professeur émérite de Biophysique et Médecine Nucléaire, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1767332022-02-13T19:59:29Z2022-02-13T19:59:29ZNucléaire : retour sur le débat autour de la nouvelle taxonomie européenne<p>Dans le cadre de l’objectif de neutralité carbone fixé aux États membres à l’horizon 2050, Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a tenu sa promesse et fourni fin 2021 de <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_1804">nouvelles décisions</a> concernant le volet climatique de la « taxonomie » européenne ; cette taxonomie sert à classifier des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement.</p>
<p>Contrairement à un premier texte publié en juin 2021, le nucléaire – au même titre que le gaz naturel – figure désormais dans ce classement.</p>
<p>Le 2 février 2022, le <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_711">communiqué de presse de la Commission</a> faisait ainsi savoir que « le collège des commissaires est finalement parvenu à un accord politique sur ce texte » qui « vise à orienter les investissements privés vers les activités nécessaires pour parvenir à la neutralité climatique », et qui « couvre (désormais) certaines activités des secteurs du gaz et du nucléaire ».</p>
<p>Cette décision était très attendue par la filière nucléaire et aussi par le gouvernement français qui vient d’annoncer sa volonté de <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/direct-nucleaire-suivez-le-discours-d-emmanuel-macron-a-belfort-sur-la-relance-de-la-filiere_4953483.html">reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil</a> avec la prolongation de « tous les réacteurs qui peuvent l’être » au-delà de 50 ans et la construction d’au moins six nouveaux EPR. </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/m4-r0y6t83w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron annonce 6 nouveaux réacteurs EPR en France. (Euronews/Youtube, 10 février 2022)</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais cette décision <a href="https://www.sudouest.fr/environnement/nucleaire/un-label-vert-europeen-pour-les-centrales-nucleaires-l-autriche-va-porter-plainte-8222832.php">est aussi très controversée</a> et largement critiquée par certains partis politiques (Europe Écologie–Les Verts ou La France insoumise) et gouvernements européens, Autriche et Luxembourg en tête.</p>
<p>Quels sont les principes de cette nouvelle nomenclature et du débat, à la fois technique et politique, provoqué par cette décision ?</p>
<h2>Un label « investissement vert » pour le nucléaire</h2>
<p>Associer la couleur <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/12/28/la-commission-europeenne-s-apprete-a-classer-le-nucleaire-comme-energie-verte_6107466_3234.html">« verte » à l’énergie nucléaire</a> est une manière de l’assimiler à une production renouvelable, comparaison qui, on peut le comprendre, fait grincer des dents chez les écologistes antinucléaires. Il s’agit en réalité d’un raccourci, le « vert » n’étant pas mentionné dans les textes officiels, <a href="https://www.greenpeace.fr/espace-presse/taxonomie-linclusion-du-nucleaire-et-du-gaz-est-un-hold-up-sur-la-transition-energetique-europeenne/">comme l’a d’ailleurs souligné Greenpeace</a>.</p>
<p><a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_2">Selon la Commission</a>, cette taxonomie permettra « de guider et de mobiliser les investissements privés en faveur des activités nécessaires pour parvenir à la neutralité climatique dans les 30 prochaines années » ; dans cette optique, « le gaz naturel et le nucléaire ont un rôle à jouer pour faciliter le passage vers un avenir s’appuyant majoritairement sur les énergies renouvelables ».</p>
<p>En d’autres termes, la labélisation du nucléaire permettra à la filière de bénéficier de meilleures conditions de financement et d’attirer les investisseurs privés désireux de montrer qu’ils répondent aux critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG).</p>
<h2>« Sans causer de préjudice important »</h2>
<p>Tout cela devra néanmoins répondre à certaines conditions. Selon la taxonomie, une activité peut en effet être inclue si elle correspond à au moins l’un des six objectifs durables portant principalement sur ses émissions de gaz à effet de serre et son impact environnemental.</p>
<p>Rappelons ces six objectifs : atténuation du changement climatique ; adaptation au changement climatique ; utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines ; transition vers une économie circulaire ; contrôle de la pollution ; protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.</p>
<p>Ladite activité devant également contribuer significativement à un ou plusieurs des six objectifs, « sans causer de préjudice important aux autres objectifs » – soit le principe DNSH en anglais, pour <em>Do Not Significant Harm</em>.</p>
<p>Et c’est bien cette dernière condition qui divise au sujet du nucléaire : car s’il permet de produire de l’électricité décarbonée, l’impact environnemental de ses déchets radioactifs et les risques d’accident, eux, continuent d’alerter.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1291226466630479872"}"></div></p>
<h2>Pour les pro, la condition de la neutralité carbone</h2>
<p>L’argument principal des partisans du nucléaire comme « énergie verte » repose, notamment en France, sur le fait indéniable que le nucléaire n’émet que très peu de CO<sub>2</sub>, ne contribuant ainsi pas au changement climatique et permettant à la France d’atteindre ses objectifs dans le domaine.</p>
<p><a href="https://www.lemondedelenergie.com/neutralite-carbone-nucleaire-taxonomie-europeenne/2021/10/12/">Selon Xavier Moreno</a>, à la tête du Think Tank Cérémé, il s’agit bien de « la seule énergie décarbonée à même de répondre aux besoins, l’intermittence des énergies renouvelables ne pouvant pas être compensée par du stockage à l’échelle des quantités en jeu ni au vu des technologies actuelles. »</p>
<p>Quid de son impact environnemental ? Suite à l’exclusion préliminaire du nucléaire de la taxonomie européenne et à la pression qui s’en est suivie de la part de certains États membres, <a href="http://www.senat.fr/rap/r21-213/r21-213_mono.html">dont la France</a>, la Commission a chargé son centre de recherche (le Joint Research Center, JRC) d’examiner la question.</p>
<p>Remises à l’été 2021, les <a href="https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC125953">analyses du JRC</a> n’ont révélé aucune preuve scientifique indiquant que l’énergie nucléaire serait plus dommageable pour la santé humaine ou l’environnement que d’autres technologies de production d’électricité déjà incluses dans la taxonomie – comme le solaire ou l’éolien.</p>
<p>Au sujet plus précis de la gestion des déchets radioactifs, le JRC conclut à « un vaste consensus dans la communauté scientifique […] selon lequel le stockage géologique en profondeur est la solution la plus efficace et sûre pour assurer le respect du principe DNSH ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1219023182453268482"}"></div></p>
<p>De cette manière, le rapport conclut que l’énergie nucléaire remplit les critères pour être incluse dans la liste des activités contribuant à la transition écologique de l’UE.</p>
<h2>Pour les anti, un frein au développement des ENR</h2>
<p>Les opposants <a href="https://paperjam.lu/article/labelliser-nucleaire-vert-prov">dénoncent eux une « provocation »</a> et un frein au développement des énergies renouvelables ; ils estiment d’autre part le nucléaire dangereux : ses déchets ne peuvent pas ne pas provoquer « de dommages significatifs »…</p>
<p>Ils dénoncent également la captation de futurs capitaux vers le nucléaire au détriment des énergies renouvelables : les prochains EPR ne seront mis en service que d’ici 10 ou 20 ans alors que les énergies renouvelables <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/100627-137-A/ue-le-nucleaire-une-energie-verte/">sont compétitives et disponibles dès aujourd’hui</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/energies-renouvelables-la-necessite-dun-reseau-electrique-plus-intelligent-174062">Énergies renouvelables : la nécessité d’un réseau électrique plus intelligent</a>
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<p>Dès l’annonce de la décision de la Commission européenne concernant la nouvelle taxonomie, début février 2022, les gouvernements luxembourgeois et autrichien ont annoncé leur intention d’engager une action en justice afin de lutter <a href="https://www.sudouest.fr/environnement/nucleaire/un-label-vert-europeen-pour-les-centrales-nucleaires-l-autriche-va-porter-plainte-8222832.php">contre cette création d’un label « vert » pour les centrales nucléaires</a>.</p>
<p>La ministre du Climat et de l’Environnement, Leonore Gewessler, a ainsi qualifié la démarche d’« opération de cape et d’épée », rappelant que, pour l’Autriche, ni l’énergie nucléaire ni le gaz ne devraient être inclus dans la taxonomie ; ceux-ci sont <a href="https://www.euractiv.fr/section/energie/news/lautriche-menace-de-poursuivre-la-commission-au-sujet-des-regles-de-taxonomie-de-lue/">« nuisibles à l’environnement et détruisent l’avenir de nos enfants »</a>.</p>
<p>Et l’Autriche semble faire des émules : bien que divisé sur la question, le gouvernement allemand envisagerait également de <a href="https://www.euractiv.fr/section/developpement-durable/news/lallemagne-envisage-de-deposer-une-plainte-contre-la-taxonomie-verte-de-lue/">déposer une plainte contre la taxonomie verte de l’UE</a>, entraînant potentiellement Madrid dans son sillage…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1488918993062838272"}"></div></p>
<h2>Et si la taxonomie ne prenait pas effet ?</h2>
<p>Avant de répondre à cette question, il importe de questionner, pour la France, la faisabilité d’un mix électrique sans nucléaire d’ici 2050.</p>
<p>Les scénarios <a href="https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-10/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats_0.pdf">développés par RTE</a> indiquent qu’un mix 100 % renouvelable est imaginable à la condition que nous investissions massivement, à la fois dans les renouvelables et dans la réduction de la consommation finale (via <a href="https://theconversation.com/efficacite-energetique-est-il-vraiment-possible-de-faire-mieux-avec-moins-113796">l’efficacité énergétique</a> et la sobriété énergétique).</p>
<p>De la même manière, les <a href="https://negawatt.org/index.php">scénarios Negawatt</a> indiquent qu’un mix sans nucléaire est réalisable, en mettant encore plus l’accent sur la réduction de nos consommations via l’adoption d’un <a href="https://negawatt.org/IMG/pdf/sobriete-scenario-negawatt_brochure-12pages_web.pdf">mode de vie plus sobre</a>… et donc plus contraignant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-france-zero-carbone-en-2050-pourquoi-le-debat-sur-la-sobriete-est-incontournable-172185">Une France zéro carbone en 2050 : pourquoi le débat sur la sobriété est incontournable</a>
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<p>Si le nucléaire était finalement rejeté de la taxonomie – au cas où l’Autriche et le Luxembourg lanceraient une procédure devant la Cour de justice de l’UE et obtiendrait gain de cause – les conséquences seraient lourdes pour la France ; Paris envisage en effet de construire 14 nouveaux EPR d’ici 2050 et de rénover autant que possible les réacteurs existants pour les prolonger au-delà de 50 ans.</p>
<p>Cette décision aurait un <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/100627-137-A/ue-le-nucleaire-une-energie-verte/">impact négatif significatif sur l’ensemble de l’industrie nucléaire civile</a> qui n’obtiendrait ainsi pas la certitude d’être reconnue institutionnellement et réglementairement comme une partie de la solution, avec donc moins de financements pour le nucléaire.</p>
<p>Cela l’empêcherait à la fois d’avoir accès à de <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/pourquoi-la-taxonomie-europeenne-est-primordiale-pour-le-nucleaire-francais-1375958">meilleurs taux, de faire baisser le coût du capital et d’avoir une électricité plus compétitive</a>. EDF ne serait alors plus aussi compétitive à l’export, et rendrait compliqué la vente à l’étranger de ses réacteurs de nouvelle génération, ou de ses futurs petits réacteurs modulaires (SMR).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1491837442453876748"}"></div></p>
<p>Ce scénario semble toutefois très peu probable : à la fois au vu de la coalition de pays européens pro-nucléaires qui s’est formée (France, Pays-Bas, Finlande, Pologne, Finlande et nombreux pays de l’Est de l’UE), et du compromis géopolitique qui a été trouvé dans le même temps au sujet du gaz naturel pour satisfaire les intérêts d’autres pays européens.</p>
<p>L’Allemagne, par exemple, qui s’oppose à la France sur le nucléaire, aurait finalement accepté de soutenir Paris dans les négociations de l’été 2021, à condition que le gaz naturel (nécessaire à sa transition énergétique sans nucléaire) soit également inclus.</p>
<p>C’est au prix de tels aménagements que le texte sur la nouvelle taxonomie a pu être adopté, début février 2022, chaque pays venant avec son lot de contraintes et de contradictions, liées aux particularités de son mix énergétique…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176733/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carine Sebi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La décision d’inclure le nucléaire et le gaz naturel dans la liste des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement divise au sein de l’Union européenne.Carine Sebi, Professeure associée et coordinatrice de la chaire « Energy for Society », Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1728822021-12-22T20:26:19Z2021-12-22T20:26:19ZRéalité virtuelle : comment l’industrie nucléaire se modernise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436753/original/file-20211209-21-g4nic1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2048%2C1229&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La réalité virtuelle permet de visiter des lieux inaccessibles, comme des réacteurs nucléaires.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d2/Researchers_Developing_New_Designs.jpg">Idaho National Laboratory/Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La transition numérique en cours dans la plupart des secteurs révolutionne les pratiques du monde industriel. Celui-ci deviendra <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Industrie_4.0">l’industrie 4.0</a>, ultraconnectée, bardée de capteurs, capable de s’adapter seule à un grand nombre de modifications ou de perturbations, et permettant ainsi plus d’agilité et de fiabilité. C’est d’autant plus le cas pour l’industrie nucléaire, industrie de haute technologie et dont les exigences de sûreté sont incomparables. L’utilisation de la réalité virtuelle et l’apparition de maquettes numériques des bâtiments et des processus deviendront ainsi des alliés indispensables pour la formation des personnels, permettant une maîtrise des risques associés à toute activité nucléaire.</p>
<h2>Sûreté et compétitivité : la formation au cœur de la filière nucléaire</h2>
<p>La filière nucléaire est la 3<sup>e</sup> filière industrielle française. Elle représente environ <a href="https://www.gifen.fr/le-gifen/filiere-nucleaire">220 000 emplois directs non délocalisables</a>. La part de la formation dans le chiffre d’affaires est 3 fois plus élevée que la moyenne nationale de l’industrie, ce qui correspond en moyenne à <a href="https://www.franceindustrie.org/wp-franceindustrie/wp-content/uploads/2020/04/Recto-verso-Enqu%C3%AAte-2019.pdf">9 jours/an</a> pour les employés, qu’il s’agisse de formations initiales ou de remises à niveau de leurs habilitations. En effet, la filière doit maintenir les connaissances clés nécessaires à l’utilisation contrôlée et sûre de la production d’énergie nucléaire, et assurer le renouvellement des compétences vers les jeunes générations.</p>
<p>L’État, conscient de ces enjeux, a lancé un appel à projets en 2021 sur le <a href="https://www.bpifrance.fr/nos-appels-a-projets-concours/appel-a-projets-renforcement-des-competences-de-la-filiere-nucleaire">« Renforcement des compétences de la filière nucléaire »</a>. Il s’agit d’une part d’adresser les enjeux de la sûreté nucléaire, qui nécessite une main-d’œuvre qualifiée et spécialisée devant intégrer très tôt les gestes et les comportements liés à la sûreté. Cela repose sur la conscience des risques et suppose des réactions appropriées, efficaces et intelligentes en toutes circonstances. D’autre part, dans une industrie mondialisée où la transition numérique est en marche, la formation se doit de soutenir les enjeux de compétitivité et de maîtrise des coûts. L’ingénierie nucléaire doit ainsi affronter de vrais défis avec de nouvelles méthodes de travail plus collaboratives et la mise en œuvre de technologies complexes et innovantes, dans des chantiers d’envergure.</p>
<h2>La réalité virtuelle, vers plus d’efficacité</h2>
<p>La réalité virtuelle est une réponse à ces enjeux. En privilégiant la pratique dans un contexte « pseudo-réel », elle permet un transfert direct des situations industrielles réelles et des savoir-faire technologiques, et in fine des <a href="https://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/technologies-de-l-information-th9/realite-virtuelle-42299210/realite-virtuelle-et-formation-te5975/">gains de temps, de productivité et d’efficacité</a>.</p>
<p>Les avantages principaux de la réalité virtuelle pour la formation professionnelle sont la possibilité de réaliser des tâches en toute sécurité, de permettre de refaire les gestes industriels, de créer des scénarios pédagogiques dans des conditions rares, comme des accidents. Pour l’industrie nucléaire, il s’agit par exemple d’accéder au <a href="https://oreka-group.fr/nos-offres/le-pole-numerique-3d/">cœur d’un réacteur nucléaire</a> ou de former les travailleurs à des interventions impossibles à reproduire dans la réalité, par exemple un changement de joint défectueux en zone hautement radioactive.</p>
<p>Au CNAM par exemple, la réalité virtuelle est utilisée en parallèle des cours magistraux de physique des réacteurs en permettant aux élèves de se déplacer <a href="https://www.youtube.com/watch?v=OEgJdT2Ix-Q">dans les parties inaccessibles du cœur</a>. Les travaux pratiques de mesures nucléaires ont quant à eux été totalement virtualisés, pour permettre aux élèves de s’entraîner à leur guise en suivant des scénarios pédagogiques. Leur déroulement s’effectue de manière individuelle et collective, soit en présentiel (<a href="https://ecole-ingenieur.cnam.fr/presentation/actualites/mesurer-une-source-radioactive-a-travers-un-tp-virtuel-une-belle-avancee-pedagogique--1222801.kjsp?RH=vaeFR">avec un casque de réalité virtuelle)</a>, soit à distance (avec un ordinateur). Enfin, grâce aux dernières évolutions des technologies de réalité virtuelle, une salle virtuelle multi-activités a été créée, donnant la possibilité totalement innovante aux apprentis et enseignants <a href="https://www.aptero.co">d’interagir en partageant du contenu</a>, tel que des devoirs, des échanges oraux ou des cours.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/437992/original/file-20211216-13-y9v8za.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Environnement virtuel, montrant une machine et des capteurs associés ; une fenêtre interactive montre un agrandissant des capteurs et des données correspondantes" src="https://images.theconversation.com/files/437992/original/file-20211216-13-y9v8za.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/437992/original/file-20211216-13-y9v8za.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/437992/original/file-20211216-13-y9v8za.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/437992/original/file-20211216-13-y9v8za.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/437992/original/file-20211216-13-y9v8za.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/437992/original/file-20211216-13-y9v8za.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/437992/original/file-20211216-13-y9v8za.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La réalité virtuelle est utilisé par les étudiants du CNAM pour se former à l’instrumentation nucléaire. Ici une chaîne de mesure entièrement virtualisée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Emmanuelle Galichet</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En réalité virtuelle, tous les sens sont atteints, permettant ainsi une compréhension plus aisée des phénomènes et une meilleure intégration des gestes techniques. Cette technologie est encore nouvelle et peu d’études sont encore menées. Néanmoins les <a href="https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/agence_des_usages/%C3%89tat_Art.pdf">premiers résultats sont encourageants</a>.</p>
<p>L’évaluation précise et scientifique des bénéfices de la réalité virtuelle pour la formation est encore à trouver. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0166361514002073">De nombreuses méthodes sont proposées</a> et il sera important de trouver les bons critères d’évaluation. Les traces numériques laissées par les élèves (temps d’hésitation, nombres d’essais ou d’erreurs…) pourront aider à trouver des critères objectifs pour évaluer l’apport de la réalité virtuelle en formation.</p>
<h2>Le jumeau numérique dans la filière nucléaire</h2>
<p>La filière nucléaire va encore plus loin dans sa volonté d’évolution numérique de ses projets. L’idée est désormais de concevoir, exploiter, maintenir et déconstruire à l’aide des jumeaux numériques, c’est-à-dire un ensemble de programmes informatiques interconnectés modélisant une infrastructure – une centrale nucléaire par exemple – et son comportement sur l’ensemble de son cycle de vie.</p>
<p>Le concept de jumeau numérique dans l’industrie ressemble à ce qui se fait en construction et architecture avec le BIM, appelé aussi <a href="https://buildingsmartfrance-mediaconstruct.fr/memos-pratiques-BIM/">« maquette numérique du bâtiment »</a>. Dans ce domaine, la maquette numérique est en fait le prototype du bâtiment et donne des informations sur sa géométrie, ses matériaux et ses installations techniques (l’emplacement exact des conduites d’eau, par exemple).</p>
<p>Une installation nucléaire est complexe. D’une part, les procédés industriels (production de chaleur par la radioactivité, transport de la chaleur, comportement des fluides et matériaux, chimie du recyclage…) sont nombreux. D’autre part, une installation nucléaire représente plus de 50 bâtiments, plus de 150 systèmes élémentaires comme une ventilation ou une pompe, plus de 500 trémies ou plus de 2000 kilomètres de câbles. Le tout doit être géré sur une durée d’environ 100 ans, de la conception à la déconstruction. Il est donc fondamental de conserver la mémoire de l’ensemble des données de l’installation à tout instant (référentiels sûreté, matériaux, données sur le comportement des systèmes ou issues des capteurs sur site, essais…). Pour mémoriser, organiser et prioriser ces flux de données, le jumeau numérique (donc un clone de l’installation à un instant t) doit donc être associé à une <a href="https://www.assystem.com/fr/offres/plm-product-lifecyle-management-2/">plate-forme de gestion des données</a> (en anglais Product Lifecycle Management ou PLM).</p>
<p>Mais le suivi des infrastructures et des procédés n’est pas le seul intérêt des jumeaux numériques. En intégrant la réalité virtuelle, ces clones participent également à la formation de l’ensemble des corps de métiers ayant besoin d’intervenir sur les installations nucléaires. Toutes les interventions pourront ainsi être jouées autant de fois que cela sera nécessaire, afin de supprimer toute hésitation le jour où elles seront réalisées en conditions réelles.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/437995/original/file-20211216-19-1jhc6qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Jeune homme coiffé d’un casque de réalité virtuelles, deux manettes à la main. Derrière lui, un écran montre une installation technique. Un capteur indique la dose de radiation qu’il recevrait en réalité : 44mSv/h" src="https://images.theconversation.com/files/437995/original/file-20211216-19-1jhc6qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/437995/original/file-20211216-19-1jhc6qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/437995/original/file-20211216-19-1jhc6qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/437995/original/file-20211216-19-1jhc6qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/437995/original/file-20211216-19-1jhc6qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/437995/original/file-20211216-19-1jhc6qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/437995/original/file-20211216-19-1jhc6qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le CNAM utilise également la réalité virtuelle pour permettre des visites virtuelles des installations nucléaires inaccessibles en conditions réelles, ici à cause des doses élevées de rayonnement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Emmanuelle Galichet, Oreka Ingénierie</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Un des projets de jumeau numérique de la filière nucléaire est celui du <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03225080/document">« Réacteur numérique »</a>. Le but affiché est de créer « un réacteur nucléaire couvrant les phases de conception, d’exploitation et de déconstruction, en fonctionnement normal, incidentel ou accidentel ». Ce projet bénéficie d’un budget de 30 millions d’euros et environ 200 personnes travailleront dessus pendant 4 ans. D’autres installations nucléaires, telles qu’une <a href="https://www.assystem.com/fr/projets/jumeau-numerique-usine-traitement-dechets-nucleaires/">usine de retraitement</a>, le projet d’enfouissement des déchets nucléaires <a href="https://www.andra.fr/transversalite-et-tracabilite-le-jumeau-numerique-un-atout-essentiel-pour-cigeo">CIGEO</a>, ou le projet <a href="https://www.egis-group.com/perspectives/digital-transition/iter-fusion-digital-models">ITER</a> pour la fusion nucléaire sont eux aussi en train de construire leur propre jumeau numérique.</p>
<p>La filière française espère ainsi gagner sur deux aspects : la sûreté et la compétitivité. C’est la formation de tous les métiers grâce à la réalité virtuelle et le jumeau numérique qui permettra d’optimiser le fonctionnement des réacteurs dans la durée, d’améliorer la qualité des interventions et de gagner en performance industrielle.</p>
<p>Deux défis attendent les acteurs de la digitalisation des installations nucléaires. Le premier est l’interopérabilité des simulations numériques (appelées aussi codes de calcul), de la physique au niveau microscopique (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Neutronique">simulation neutronique</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thermohydraulique">thermohydraulique</a>… du cœur du réacteur où se développe la réaction en chaine de fission) jusqu’au niveau macroscopique géométrique des bâtiments. Les échelles prises en compte dans les codes de calculs sont différentes, tout comme les langages informatiques et les formats de données. Il faudra donc créer une plate-forme de couplage informatique, où tous les codes de calculs pourront communiquer et opérer ensemble. Le second défi est la gestion optimisée des données issues de l’installation sur tout le cycle de vie de l’installation. Le choix d’une plate-forme PLM adaptée et sécurisée sera primordial. Pour la déconstruction des installations nucléaires, un <a href="https://pleiades-platform.eu">projet européen</a> a même été mis en place pour harmoniser ces aspects.</p>
<p>Si la filière nucléaire réussit ces challenges, le fonctionnement des installations nucléaires en temps réel sera accessible sur un simple ordinateur de bureau, via évidemment des <a href="https://www-pub.iaea.org/MTCD/Publications/PDF/Pub1527f_web.pdf">protocoles et des liaisons hautement sécurisées</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172882/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Galichet va recevoir des financements de l’ANR dans le cadre du projet JENII « Jumeaux d’Enseignement Numériques Immersifs et Interactifs ».
Emmanuelle Galichet est membre de la Société Française de Physique (SFP), de la Société Française de l'Energie Nucléaire (SFEN) et de Women in Nuclear (WIN).</span></em></p>Entre formations en réalité virtuelle et développement de jumeaux numériques, l’industrie nucléaire est en pleine transition numérique.Emmanuelle Galichet, Enseignante chercheure en physique nucléaire, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1720892021-12-02T19:17:07Z2021-12-02T19:17:07ZRéacteurs nucléaires « SMR » : de quoi s’agit-il ? Sont-ils moins risqués ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435143/original/file-20211201-27-4cnynx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C3%2C2481%2C1399&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Visuel du projet de réacteur SMR porté par la France, appelé Nuward.</span> <span class="attribution"><span class="source">EDF</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Il y a quelques semaines, le président Macron a présenté le plan de relance <a href="https://youtu.be/v9mQlu-EQ-I">France 2030</a> et mis en avant un nouveau type de réacteur nucléaire, les « SMR ».</p>
<p>Ces « small modular reactors » sont des petits réacteurs modulaires, dont la puissance est comprise entre 50 et 300 <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Watt">mégawatts électriques</a>. Certains projets de SMR reprennent des filières de réacteurs nucléaires existantes et miniaturisées, tandis que d’autres explorent de nouveaux concepts de réacteurs pour un déploiement sur le plus long terme.</p>
<h2>Les SMR, c’est pour quand ?</h2>
<p>Environ <a href="https://www.oecd-nea.org/jcms/pl_57979/small-modular-reactors-challenges-and-opportunities?details=true">70 projets de SMR sont identifiés</a> dans le monde à des stades plus ou moins avancés, dont un <a href="https://www.oecd-nea.org/jcms/pl_57979/small-modular-reactors-challenges-and-opportunities?details=true">quart</a> utilisent des filières « matures », de génération 3 (Gen-III), comme celle du parc français.</p>
<p>Ainsi, certains modèles pourraient être disponibles sur le marché mondial autour de 2030 et couvrir, selon l’agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE, <a href="https://www.oecd-nea.org/upload/docs/application/pdf/2021-03/7560_smr_report.pdf">jusqu’à 10 % de la production nucléaire</a> dans le monde d’ici 2040.</p>
<p>L’investissement initial d’environ <a href="https://new.sfen.org/rgn/1-7-smr-paradis-ingenieurs/">1 milliard d’euros pour un réacteur SMR</a> devrait être bien moins élevé que pour un réacteur de grande puissance – en comparaison, l’EPR de Flamanville devrait coûter environ 12 milliards d’euros pour une puissance installée de <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-07/20200709-synthese-filiere-EPR.pdf">1 600 mégawatts électriques</a>. Les SMR pourront ainsi répondre aux besoins de régions isolées, de pays dont le réseau électrique est peu développé ou dont les capacités financières ne permettent pas d’accéder au marché des gros réacteurs.</p>
<p>Actuellement, la stratégie de la France est donc de proposer un SMR pour le marché international. Avec <a href="https://www.conseil-national-industrie.gouv.fr/comites-strategiques-de-filiere/la-filiere-nucleaire">2 100 « années-réacteurs » d’expérience dans l’industrie nucléaire</a>, la France est reconnue mondialement dans la construction et l’exploitation des grands réacteurs pour la production d’électricité et des petits réacteurs pour la propulsion navale – une expertise nécessaire pour proposer un projet industriel de SMR, appelé <a href="https://www.cea.fr/presse/Pages/actualites-communiques/energies/nuward-smr.aspx">« Nuward »</a>, porté par le consortium EDF, CEA, Naval Group et Technicatome.</p>
<p>D’après la <a href="https://www.sfen.org/">Société française d’énergie nucléaire</a> un module de Nuward de 170 MWe de puissance pourrait être <a href="https://new.sfen.org/rgn/projet-smr-francais/">construit en trois ans</a>, après avoir consolidé l’ensemble des phases du projet (<em>basic design</em>, <em>detailed design</em> et <em>licensing</em>). Cela nous mènera en 2030 pour le premier béton en France et une commercialisation pour l’export.</p>
<h2>Comment fonctionnent les SMR ?</h2>
<p>L’appellation « SMR » rassemble en fait différents concepts, ou « filières », de réacteurs nucléaires. Il s’agit pour les SMR de miniaturiser les filières déjà industrielles, ou de rendre « petites » et « modulaires » les réacteurs dès leur conception, dans le cas de filières de nouvelle génération.</p>
<p>Aujourd’hui, la filière la plus mature pour les réacteurs haute puissance est la filière des réacteurs « à eau pressurisée », avec <a href="https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l-energie-de-a-a-z/tout-sur-l-energie/produire-de-l-electricite/les-differents-types-de-reacteurs-nucleaires">environ 55 % des réacteurs installés dans le monde</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=645&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=645&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=645&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans le cœur d’un réacteur nucléaire : le triptyque combustible-modérateur-caloporteur définit le type de réacteur. Par exemple, pour les réacteurs à eau pressurisée utilisés en France pour la production d’électricité, le combustible est l’uranium enrichi, le modérateur et le caloporteur sont de l’eau.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Magnox_reactor_schematic.svg">Elsa Couderc, modifié à partir d’Emoscopes</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Une filière de réacteur est définie par un <a href="https://www.cea.fr/comprendre/Pages/energies/nucleaire/fonctionnement-reacteur-nucleaire.aspx?Type=Chapitre&numero=2">triptyque combustible-modérateur-caloporteur</a>, caractérisant un choix scientifique et technique de production de chaleur. Par exemple, dans la filière des réacteurs « à eau pressurisée », le combustible est un oxyde d’uranium enrichi autour de 5 % en uranium-235 tandis que le modérateur et le caloporteur sont de l’eau ordinaire.</p>
<p>La chaleur issue des réactions nucléaires au sein du réacteur peut être utilisée pour produire de l’électricité mais aussi par exemple pour le <a href="https://www.iaea.org/sites/default/files/39205082125_fr.pdf">chauffage urbain, la chaleur industrielle</a>, la <a href="https://www.iaea.org/sites/default/files/37204782124_fr_0.pdf">désalinisation de l’eau de mer</a>) ou la <a href="https://www.iaea.org/fr/bulletin/lelectronucleaire-et-la-transition-vers-une-energie-propre/bien-plus-quune-source-delectricite">production d’hydrogène</a>.</p>
<h2>Déchets, sûreté, ressources : les réacteurs du futur</h2>
<p>Pour répondre à l’exigence d’une exploitation durable des ressources naturelles et d’une optimisation de la gestion des déchets, deux autres filières de réacteurs haute puissance sont étudiées en France : la « filière des réacteurs à neutrons rapides » et la « filière des réacteurs à sels fondus ». Ces réacteurs devraient être matures dans plusieurs décennies, à la fois à l’échelle haute puissance et à l’échelle miniaturisée des SMR.</p>
<p>Ces nouveaux concepts, basés sur des critères de préservation des ressources naturelles, de gestion durable des déchets et de sûreté accrue, sont étudiés dans le cadre de GenIV, un <a href="https://www.gen-4.org/gif/jcms/c_9260/public">forum mondial qui réfléchit aux concepts de réacteurs du futur</a>. Une des idées serait de passer d’un « mono-recyclage » actuellement fait dans les réacteurs du parc français <a href="https://lenergeek.com/2019/06/20/dechets-radioactifs-difference-monorecyclage-multirecyclage/">à un « multi-recyclage »</a>, c’est-à-dire que l’on retraite plusieurs fois le combustible passé en réacteur.</p>
<h2>Miniaturiser les concepts de réacteurs nucléaires grande puissance</h2>
<p>Miniaturiser un réacteur pourrait avoir un intérêt économique pour plusieurs raisons. D’une part, la simplification du design permet une architecture intégrée et la suppression de certains systèmes.</p>
<p>D’autre part, une architecture modulaire permet une qualité de fabrication supérieure, une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0149197021000433">réduction des coûts</a> et une optimisation des plannings des chantiers de construction. Elle a été développée pour les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liberty_ship">chantiers navals</a> et est aujourd’hui utilisée dans les secteurs de la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20construction%20hors-site_VF_Janvier%202021.pdf">construction</a> et de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2009-3-page-135.htm">aéronautique</a>.</p>
<p>La complexité d’une centrale nucléaire est due au nombre d’équipements et systèmes, mais aussi à leurs interactions. L’idée de la modularité est de diviser la centrale en un ensemble de modules (par exemple les murs, ou un système de pompe), correspondant à une fonction bien identifiée et des interfaces bien définies. Bien entendu, cette fabrication modulaire suppose une chaîne d’approvisionnement adaptée, qualifiée pour la filière nucléaire et elle ne pourra se créer que si les SMR sont produits en grande quantité.</p>
<p>Enfin, la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0301421515001214">standardisation de la fabrication</a> devrait permettre des économies d’échelles, une productivité plus importante et in fine une meilleure sûreté des réacteurs grâce à une fabrication plus normée.</p>
<h2>Les SMR sont-ils plus sûrs ?</h2>
<p>Comme tous les réacteurs nucléaires, les SMR devront respecter les standards les plus récents en matière de sûreté nucléaire. Celle-ci évolue de manière continue avec les retours d’expérience de l’exploitation des parcs de réacteurs nucléaires, les avancées des programmes de recherche et développement, et les incidents ou accidents.</p>
<p>Par exemple, aujourd’hui en France, le cadre réglementaire intègre ainsi le retour d’expérience de Tchernobyl et de Fukushima.</p>
<p>Les dispositions de sûreté y sont renforcées. Il oblige les installations à mettre en place des équipements dits « ultimes », pouvant résister à des événements exceptionnels (ce que l’on appelle le <a href="https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/noyau-dur-situations-d-urgence-prescriptions-de-l-asn">« noyau dur »</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-gouvernance-des-risques-nucleaires-en-france-92081">Quelle gouvernance des risques nucléaires en France ?</a>
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<p>De manière générale, la simplification du design et la modularité devraient être favorables pour la sûreté, car ils permettent des contrôles plus aisés en exploitation pour l’un et une fabrication plus normée pour l’autre.</p>
<p>La diminution de la taille d’un réacteur et donc de sa puissance vont également dans le sens d’une meilleure sûreté, car il y aura moins de puissance résiduelle à évacuer en cas d’accident.</p>
<h2>Et l’innovation dans tout cela ?</h2>
<p>En attendant les réacteurs nucléaires de génération 4 (GenIV), d’autres innovations sont en cours et en particulier l’utilisation de « maquettes numériques » pour concevoir les nouveaux réacteurs, y compris les SMR et notamment le projet Nuward.</p>
<p>Ces « maquettes numériques », ou « BIM » (pour <em>building information modeling</em>), viennent du secteur de l’<a href="https://buildingsmartfrance-mediaconstruct.fr/definition-notions-bim/">architecture et de la construction</a> et représentent une opportunité majeure pour le nucléaire, car elles permettent d’optimiser le cycle de vie des installations nucléaires en <a href="https://www.andra.fr/emilie-bernard-bim-manager">proposant un objet numérique commun et partagé par l’ensemble des acteurs</a>, qui pourra être considéré comme le prototype du réacteur.</p>
<p>Enfin, les maquettes numériques devraient permettre de développer de nouveaux modes organisationnels et donc une plus grande efficacité opérationnelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172089/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Galichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le plan de relance France 2030 fait la part belle au nucléaire avec les « SMR ». Comment fonctionnent ces réacteurs innovants ? Quand seront-ils déployés ?Emmanuelle Galichet, Enseignante chercheure en physique nucléaire, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1593992021-04-28T18:13:02Z2021-04-28T18:13:02ZOù en est l’économie mondiale du nucléaire ? Conversation avec Jan Horst Keppler<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/396254/original/file-20210421-17-fhae7z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5750%2C3830&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Actuellement dans le monde, 50&nbsp;centrales nucléaires sont en construction.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/view-pipes-nuclear-power-plant-near-1380499868">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Jan Horst Keppler est professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine PSL où il est directeur scientifique de la Chaire European Electricity Markets (CEEM) et co-directeur du Master Énergie, Finance, Carbone (EFC). Il est également conseiller économique senior à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Pour The Conversation France, il dresse un panorama de l’économie mondiale de l’énergie nucléaire, 10 ans après la catastrophe de Fukushima et 35 après celle de Tchernobyl.</em></p>
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<p><strong>The Conversation France : Comment le secteur du nucléaire a-t-il évolué ces dernières années ?</strong></p>
<p><strong>Jan Horst Keppler</strong> : Du point de vue de la construction de nouvelles centrales, il y a une dichotomie entre les pays de l’OCDE et de pays hors OCDE, où l’intérêt pour des nouvelles centrales reste entier. Les projets de réacteurs de génération III dans les pays de l’OCDE (Olkiluoto en Finlande, Flamanville en France, Vogtle aux États-Unis) ont pris des retards importants et leurs coûts sont nettement plus élevés que prévu. D’autres (comme en 2017, le site de <a href="https://www.europe1.fr/international/etats-unis-abandon-de-la-construction-de-deux-reacteurs-nucleaires-3401453">Summer</a>, aux États-Unis également) ont été abandonnés.</p>
<p>Il y a cependant aussi en Europe plusieurs projets sous étude dans les pays de l’Europe de l’Est (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Bulgarie et Roumanie) et évidemment le projet Hinkley Point C d’EDF au Royaume-Uni, déjà en cours (<a href="https://www.usinenouvelle.com/article/edf-reporte-le-demarrage-de-l-epr-hinkley-point-c-a-2026-au-royaume-uni.N1053939">mais qui prend du retard</a>), avec un autre <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/le-plan-d-edf-energy-pour-financer-la-centrale-nucleaire-sizewell-c-au-royaume-uni.N1040619">projet similaire à Sizewell</a> en discussion avancée.</p>
<p>Il y a aussi dans plusieurs pays (notamment États-Unis, Royaume-Uni, Canada) une dynamique en faveur des small modular reactors (SMR), dont le développement est souvent financé par des investisseurs privés (par exemple, <a href="https://korii.slate.fr/tech/bill-gates-nucleaire-incontournable-climat-emissions-co2-mini-centrales-terrapower-securite">Terrapower de Bill Gates</a>). Ce sont des réacteurs de taille petite ou moyenne de 30 MW à 300 MW environ, dont certains sont de 4<sup>e</sup> génération, donc des technologies autres que les réacteurs à eau pressurisée ou bouillante qui constituent les générations II et III.</p>
<p><strong>TCF : Qui sont aujourd’hui les principaux acteurs ?</strong></p>
<p><strong>J.H.K.</strong> : Partout dans le monde, l’énergie nucléaire est portée par une coopération entre acteurs privés ou quasi privés et publics. Les spécificités de l’énergie nucléaire font que, nulle part, les nouveaux projets ne peuvent aboutir sans un soutien public et politique au moins implicite. Les Canadiens emploient d’ailleurs dans ce sens une jolie expression : le nucléaire nécessite une « licence sociale ».</p>
<p>Dans les pays hors OCDE, la Chine et la Russie discutent avec plusieurs pays qui seraient de nouveaux entrants dans le nucléaire. Ils offrent des conditions de financement avantageuses et bénéficient du retour d’expérience de la continuité de leurs programmes domestiques de construction de nouveaux réacteurs.</p>
<p><strong>TCF : Sur les quelque <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_r%8Eacteurs_nucl%8Eaires_en_construction#cite_note-3">50 centrales en construction actuellement dans le monde</a>, seuls cinq projets sont aujourd’hui portés par des entreprises françaises (3 pour Areva et deux pour Framatome, filiale d’EDF). Peut-on parler de recul de la filière française, qui fut pourtant pionnière en matière d’énergie nucléaire ?</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/396246/original/file-20210421-15-13rl54y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396246/original/file-20210421-15-13rl54y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396246/original/file-20210421-15-13rl54y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396246/original/file-20210421-15-13rl54y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396246/original/file-20210421-15-13rl54y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396246/original/file-20210421-15-13rl54y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396246/original/file-20210421-15-13rl54y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396246/original/file-20210421-15-13rl54y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique : Nombre de réacteurs en construction par pays.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pris.iaea.org/PRIS/WorldStatistics/UnderConstructionReactorsByCountry.aspx">IAEA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong>J.H.K.</strong> : Le mot recul n’est pas adapté. Certes, la génération d’ingénieurs français qui a porté la construction de centrales dans les années 1980-90 est aujourd’hui à la retraite et il n’existe pas aujourd’hui de programmes pour former les ingénieurs aux compétences qui leur permettraient de prendre la relève. La filière française n’est pas condamnée pour autant.</p>
<p>En 2018, Yannick d’Escatha, ex-administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique, et Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement jusqu’en juin 2017, avait appelé dans un <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/08/30/nucleaire-un-rapport-preconise-la-construction-de-six-epr_5348004_3244.html">rapport</a> à lancer la construction de six nouveaux EPR (réacteur nucléaire de troisième génération). Un tel programme pourrait contribuer à relancer la filière en France en déclenchant la formation nécessaire et changer ainsi la donne de manière durable en Europe, tant les effets de seuil et les économies d’échelle sont essentiels dans ce secteur.</p>
<p>Actuellement, la France prépare une décision sur ces questions pour 2023 au plus tard. Une décision de lancer la construction de six nouveaux EPR pourrait relancer la filière française de manière décisive.</p>
<p><strong>TCF : Quelles perspectives peut-on dresser à moyen et long terme ?</strong></p>
<p><strong>J.H.K.</strong> : Le nucléaire est en concurrence avec d’autres sources d’électricité. Il possède cet avantage énorme d’être capable de produire de larges quantités d’électricité décarbonée de manière prévisible et pilotable. Sa performance, en termes de sécurité et d’impacts sur la santé et l’environnement, depuis 70 ans reste excellente comparée à d’autres filières, même en tenant compte des accidents majeurs qu’elle a connus.</p>
<p>Des solutions efficaces existent pour les déchets radioactifs. Il n’y a pas eu de problème ces 50 dernières années malgré un stockage à ciel ouvert, souvent de manière décentralisée près des centrales. Les sites permanents prévus aujourd’hui, centralisés et fermés, tel le projet Cigéo en France, devraient en outre être plus sûrs.</p>
<p>Les perspectives du nucléaire en France, en Europe et dans le monde dépendent de deux facteurs décisifs : (a) le sérieux avec lequel les décideurs s’engagent dans la lutte contre le changement climatique ; l’éolien et le solaire PV ont fait des progrès importants en termes de coûts, mais on ne peut pas aujourd’hui décarboner des systèmes électriques (net zéro) avec les seules technologies intermittentes (ceci est sans parler d’autres contraintes telles l’utilisation des sols, etc.) et (b) la maîtrise des coûts de nouveaux projets nucléaires. Il y a donc un premier facteur externe, ou politique, et un second facteur interne au secteur nucléaire. La prochaine décennie sera décisive pour voir si ces deux facteurs déterminants s’aligneront.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159399/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jan Horst Keppler ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le secteur, tiré aujourd’hui pas la demande asiatique, pourrait se retrouver bouleverser par l’arrivée sur le marché de nouveaux réacteurs de taille réduite.Jan Horst Keppler, Professeur d'économie, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1593752021-04-23T20:33:58Z2021-04-23T20:33:58ZThree Mile Island, Tchernobyl, Fukushima : le rôle des accidents dans la gouvernance nucléaire<p>Jusque dans les années 1970, les centrales nucléaires étaient jugées intrinsèquement sûres, par conception. L’accident était appréhendé comme hautement improbable, pour ne pas dire impossible <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_0P9S4F4KpQ">par les concepteurs et exploitants</a> ; cela en dépit d’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14682745.2020.1806239">incidents récurrents</a> qui ne faisaient l’objet d’aucune publicité.</p>
<p>Tout bascule en 1979 avec l’accident Three Mile Island (TMI) aux États-Unis. Largement médiatisé malgré l’absence de victimes, il apporte la preuve qu’un accident dit « majeur », ici avec fusion du cœur, est possible.</p>
<p>Dans les décennies suivantes, deux autres accidents majeurs, classés 7 sur l’échelle INES, surviennent : Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011.</p>
<h2>Le tournant des années 1980</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les niveaux de classements des événements sur l’échelle INES.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Mediatheque/pages/Detail_Mediatheque_v2.aspx?GuidWeb=a1de7c68-6d78-4537-9e6a-e2faebed3900&GuidList=7cf45785-558c-4f48-9bd2-552aeae2c1a4&GuidItem=3&imgId=0965fc7f-a48d-4c73-b225-7dbd5fa2cd22|1&Cible=1">IRSN</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous ne reviendrons ici, ni sur cette catégorisation, ni sur l’invention, après l’accident de Tchernobyl, de l’échelle INES permettant de classer les événements anti-sécuritaires sur une échelle graduée, allant d’un simple écart à la norme jusqu’à l’accident majeur.</p>
<p>Nous partirons de la conversion, à partir de 1979, de l’accident comme événement inenvisageable en événement possible, appréhendé et présenté par les experts nucléaires comme une opportunité d’apprentissage et d’amélioration.</p>
<p>Dès lors, l’accident offre l’occasion de « tirer les leçons » afin de renforcer la sûreté nucléaire, dans une démarche d’amélioration continue.</p>
<p>Mais quelles leçons exactement ? Le dernier accident en date, Fukushima, a-t-il conduit à des évolutions profondes dans la gouvernance des risques nucléaires, à l’instar de Tchernobyl ?</p>
<h2>La fin de la logique de la faute</h2>
<p>Three Mile Island est souvent présenté comme le premier accident nucléaire : en dépit des barrières techniques et procédurales alors en place, l’accident a lieu, il est donc possible.</p>
<p>Certains, comme le sociologue Charles Perrow, le qualifient même de « normal », au sens d’inévitable, du fait de la complexité des installations nucléaires et du couplage fort – c’est-à-dire des interdépendances très fortes entre les éléments composant le système –, susceptibles d’entraîner des « effets boule de neige » difficilement maîtrisables.</p>
<p>Du côté des experts institutionnels, industriels et académiques, l’analyse de l’accident modifie la vision de la place de l’homme dans ces systèmes et de l’erreur humaine : de problème moral, imputable aux « mauvais comportements » humains, il devient un problème systémique, imputable à une mauvaise conception du système.</p>
<p>Rompant avec la logique de la faute, ces leçons ont ouvert la voie à la systématisation du retour d’expérience, prônant une logique de transparence et d’apprentissage.</p>
<h2>Tchernobyl et la gouvernance des risques</h2>
<p>C’est avec Tchernobyl que l’accident devient « organisationnel », conduisant les organisations nucléaires comme les pouvoirs publics à lancer des réformes structurantes des doctrines de sûreté, fondées sur la reconnaissance du caractère essentiel des « problèmes d’organisation et de culture […] à la sûreté des opérations » (<a href="https://www-pub.iaea.org/MTCD/Publications/PDF/P083_scr.pdf">AIEA, 1999</a>).</p>
<p>C’est aussi Tchernobyl qui initie des évolutions majeures des modalités de gouvernance des risques, aux échelles internationale, européenne et française. Un ensemble d’organisations et de dispositions législatives et réglementaires font alors leur apparition, dans le double souci de tirer les leçons de l’accident survenu dans la centrale ukrainienne et d’éviter qu’un tel accident se produise ailleurs.</p>
<p>La loi du 13 juin 2006 relative à la « transparence et à la sécurité en matière nucléaire » (dite TSN) qui promulgue, entre autres, le statut de l’ASN comme Autorité administrative indépendante du gouvernement, en est une manifestation emblématique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"724999024999194625"}"></div></p>
<h2>Une possibilité pour chaque pays</h2>
<p>25 ans après Tchernobyl, c’est le Japon qui fait l’expérience d’un accident au sein de la centrale de Fukushima-Daïchi.</p>
<p>Tandis que l’accident survenu en 1986 pouvait être imputé, pour partie, <a href="https://theconversation.com/la-serie-chernobyl-reecrit-elle-lhistoire-122242">au régime soviétique et à sa technologie RBMK</a>, la catastrophe de 2011 concerne une technologie de conception américaine et un pays que beaucoup considèrent à la pointe de la modernité.</p>
<p>Avec Fukushima, l’accident grave redevient une possibilité qu’aucun pays ne saurait écarter. Il ne donne pourtant pas lieu aux mêmes mobilisations que celui de 1986.</p>
<h2>Fukushima, point de rupture ?</h2>
<p>Dix ans après la catastrophe japonaise, on peut en effet faire le constat que celle-ci n’a pas initié de rupture profonde : ni dans la manière de concevoir, maîtriser et contrôler la sûreté des installations ; ni dans les plans et dispositifs conçus pour gérer une crise similaire en France (ou en Europe).</p>
<p>C’est ce que montrent notamment les travaux réalisés dans le cadre du <a href="https://web.imt-atlantique.fr/x-ssg/projetagoras/index.php">projet de recherche Agoras</a>.</p>
<p>S’agissant de la préparation à la gestion de crise, Fukushima a conduit à réinterroger les frontières temporelles entre phase d’urgence et phase post-accidentelle, et à investir davantage cette dernière.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1244897086358851585"}"></div></p>
<p>Cette catastrophe a également conduit les autorités françaises à publier, en 2014, un plan de préparation à la gestion d’un accident nucléaire, faisant entrer ce dernier dans le régime commun de la gestion de crise.</p>
<p>Ces deux éléments se sont traduits par un renforcement du volet sécurité civile dans les exercices nationaux de gestion de crise conduits annuellement en France.</p>
<p>Mais comme le souligne de <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2019-4-page-43.htm">récents travaux</a>, l’observation de ces exercices nationaux n’a pas révélé d’évolution significative, ni dans leur organisation et leur déroulement ; ni dans le contenu des plans et dispositifs, ni plus généralement dans la manière d’appréhender une crise résultant d’un accident majeur. À l’exception toutefois de la création de groupes nationaux capables d’intervenir rapidement sur site (la FARN).</p>
<h2>Des changements limités</h2>
<p>On peut certes considérer qu’à l’image des effets induits par les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl, les transformations structurelles prennent du temps et qu’il est peut-être encore trop tôt pour constater une absence de changements significatifs.</p>
<p>Mais les travaux menés dans le cadre d’Agoras nous <a href="https://agoras2019.sciencesconf.org/">amènent à formuler l’hypothèse</a> que les changements demeureront limités ; cela pour deux raisons.</p>
<p>Une première raison tient au fait que des changements structurels ont été entrepris dans les 20 ans qui ont suivi l’accident de Tchernobyl ; on a vu la mise en place d’organisations dédiées à la prévention des accidents et à la préparation à la gestion de crise – comme l’ASN en France, ou encore des organismes de coopération européens (WENRA, ENSREG) et internationaux.</p>
<p>Ceux-ci ont entamé un travail continu sur les accidents nucléaires, développant progressivement des outils de compréhension et de réponse, ainsi que des mécanismes de coordination entre responsables publics et industriels, nationaux et internationaux.</p>
<p>Ces outils ont été « activés » à la suite de l’accident de Fukushima et ont permis de proposer rapidement une explication de cet accident, d’engager des procédures communes comme les évaluations complémentaires de sûreté (les fameux « stress tests »), et de proposer collectivement des révisions limitées des normes existantes de la sûreté nucléaire.</p>
<p>Ce travail a <a href="https://journals.openedition.org/sdt/14611">permis de normaliser l’accident</a>, en le faisant entrer dans les organisations et cadres de pensée existants de la sûreté nucléaire.</p>
<p>Cela a contribué à établir la conviction, parmi les professionnels du secteur et les pouvoirs publics français, que le régime de gouvernance en place était en mesure de prévenir et de faire face à un événement de grande ampleur, sans qu’il soit nécessaire de le réformer profondément.</p>
<h2>L’inertie du système français</h2>
<p>Une deuxième raison tient aux relations étroites qu’entretiennent en France les acteurs majeurs de la filière nucléaire civile (exploitants – EDF en premier lieu – et régulateurs – l’ASN et son appui technique l’IRSN), notamment autour de la définition et de l’évaluation des mesures de sûreté dans les centrales.</p>
<p>Ces relations sont constitutives d’un système d’action organisé exceptionnellement stable. L’accident de Fukushima a offert, un bref instant, une fenêtre d’opportunité pour imposer des mesures supplémentaires aux exploitants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lheure-des-comptes-a-sonne-pour-le-nucleaire-francais-58174">L’heure des comptes a sonné pour le nucléaire français</a>
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<p>Mais cette fenêtre s’est rapidement refermée, et le système d’action a retrouvé sa stabilité. On observe l’inertie de ce système dans la production de nouveaux instruments de régulation, dont la conception et la mise à jour prennent plusieurs années.</p>
<p>On la retrouve également dans l’organisation des exercices de gestion de crise, qui <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/7581">continuent de perpétuer les distinctions</a> sûreté-sécurité, accident-crise, intérieur de l’installation-environnement, et plus largement technique-politique – autant de distinctions qui préservent la forme et le contenu des relations qu’entretiennent régulateurs et exploitants.</p>
<h2>Apprendre des accidents</h2>
<p>À l’instar de Tchernobyl, Fukushima a d’abord été appréhendé comme un événement exceptionnel : en insistant sur la rencontre entre un tsunami de taille inédite et la centrale nucléaire, en mettant en avant l’absence d’agence de régulation indépendante au Japon, en insistant sur le respect excessif des Japonais pour la hiérarchie, il s’est agi de construire un événement singulier, pour postuler qu’il ne pouvait se reproduire à l’identique dans d’autres régions du monde.</p>
<p>Mais dans le même temps s’est opéré, notamment en France, un processus de normalisation, ne portant pas tant sur l’événement lui-même, que sur les risques qu’il représente pour l’organisation de la filière nucléaire, soit des acteurs et de formes de savoirs légitimes et autorisés.</p>
<p>Le processus de normalisation a ainsi abouti à faire entrer l’accident dans des catégories, institutions et dispositifs existants, afin de démontrer leur capacité à en prévenir l’occurrence et, si un accident survenait, à en limiter l’impact.</p>
<p>Il résulte d’un travail de délimitation de frontières, certaines parties cherchant à les maintenir, d’autres les contestant et travaillant à les déplacer.</p>
<p>On observe finalement le maintien de frontières auxquelles les acteurs de la filière (opérateurs et régulateurs) tiennent fortement : entre technique et politique, et entre experts et profanes.</p>
<h2>Questionner sans relâche la gouvernance nucléaire</h2>
<p>Si l’accident de Fukushima a pu être saisi par des acteurs politiques ou de la société civile pour contester la gouvernance de la filière nucléaire et son caractère « fermé », très vite aux échelles européenne et française, opérateurs et régulateurs ont entrepris de démontrer leur capacité, autant à prévenir un tel accident qu’à en gérer les conséquences ; cela afin de suggérer que l’on pouvait continuer à leur confier la régulation de ce secteur.</p>
<p>Quant au mouvement d’ouverture vers les acteurs de la société civile, celui-ci a été amorcé bien avant l’accident Fukushima (notamment avec la loi TSN de 2006), et ce dernier a, au mieux, prolongé une tendance préexistante.</p>
<p>Mais d’autres frontières semblent ces dernières années émerger ou se renforcer, notamment entre facteur technique et facteurs humain et organisationnel ou entre l’exigence de sûreté et les autres exigences des organisations nucléaires (performance économique et industrielle en particulier), sans que l’on sache précisément si cela est lié ou non aux accidents.</p>
<p>Ces mouvements, qui vont de pair avec une <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2017-4-page-76.htm">bureaucratisation des relations</a> entre le régulateur et son expert technique et entre ceux-ci et les opérateurs, appellent de nouvelles recherches à même de questionner leurs effets sur les fondements de la gouvernance des risques nucléaires.</p>
<h2>Se parler et s’entendre</h2>
<p>Les mêmes causes produisant les mêmes conséquences, c’est bien dans la fermeture de la filière nucléaire à toute forme de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03085147.2011.637335">« savoir inconfortable »</a>, selon le concept de Steve Rayner, que le bât blesse.</p>
<p><a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.2307/41165243">La recherche en sciences sociales</a> a depuis longtemps démontré la nécessité dans l’étude des problèmes complexes d’associer une pluralité d’acteurs de profil et de formation différents, pour un travail qui dépasse les frontières disciplinaires et institutionnelles.</p>
<p>Chercheurs en sciences sociales, ingénieurs et pouvoirs publics doivent se parler et, surtout, s’entendre. Cela signifie être prêts, pour les ingénieurs ou décideurs, à prendre en compte des faits ou savoirs susceptibles de remettre en cause des doctrines et arrangements établis et leur légitimité.</p>
<p>Les chercheurs en sciences sociales, eux, doivent être prêts à franchir les portes des organisations nucléaires, pour s’approcher au plus près de leur fonctionnement ordinaire, écouter ses acteurs, observer les situations de travail.</p>
<p>Mais notre expérience, notamment dans le cadre d’Agoras, nous montre que ce travail est non seulement long et coûteux, mais également semé d’embûches. Car même lorsqu’un acteur finit par être convaincu du bien-fondé de tel ou tel savoir, les relations étroites d’interdépendance qu’il entretient avec les autres acteurs de la filière, constitutives du système de gouvernance, compliquent pratiquement son opérationnalisation et, par suite, préviennent des évolutions majeures des modalités de gouvernance.</p>
<p>Finalement, le couplage fort caractérisant le système de gouvernance de la filière nucléaire en constitue sans doute l’une des vulnérabilités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159375/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Tillement a reçu des financements du programme Investissements d’avenir et de l'ANR, dans le cadre du projet Agoras. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Borraz a reçu des financements du programme Investissements d’avenir et de l’ANR dans le cadre du projet Agoras.</span></em></p>Depuis les années 1980, les accidents nucléaires sont envisagés comme une opportunité d’apprentissage et d’amélioration de la sûreté.Stéphanie Tillement, Sociologue, IMT Atlantique – Institut Mines-TélécomOlivier Borraz, Directeur de recherche CNRS - Centre de Sociologie des Organisations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1594102021-04-23T20:33:52Z2021-04-23T20:33:52ZRisques nucléaires : à quand la fin du monopole des experts internationaux ?<p>En décembre 2020, vingt ans après la fermeture définitive de la centrale, le ministère de la Culture de l’Ukraine a annoncé son intention de préparer la demande d’inscription de certains objets dans la zone d’exclusion autour de Tchernobyl sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.</p>
<p>Le ministère prévoyait de soumettre sa demande au printemps 2021, une façon de marquer le 35<sup>e</sup> anniversaire de l’accident, le 26 avril.</p>
<p>Ce projet permettrait de mettre en place un dispositif de préservation du site, mais surtout de mettre en valeur son importance historique universelle.</p>
<h2>Sur la liste de l’Unesco</h2>
<p>Deux sites liés au passé sombre du nucléaire figurent déjà sur la liste de l’Unesco : le <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/775/">Mémorial de la paix d’Hiroshima</a> et le <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/1339/">Site d’essais nucléaires de l’atoll de Bikini</a>.</p>
<p>Le site de Tchernobyl symboliserait, lui, la longue histoire des accidents qui ont marqué l’âge de l’atome, de <a href="http://www.environmentandsociety.org/arcadia/nuclear-disaster-kyshtym-1957-and-politics-cold-war">Kyshtym</a> à <a href="https://www.laradioactivite.com/site/pages/Windscale.htm">Windscale</a> (1957) et de <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/three-mile-island-1979/Pages/L-accident-de-Three-Mile-Island.aspx#.YIAaMj86-Uk">Three Mile Island</a> (1979) à Fukushima (2011), dont on a marqué le dixième anniversaire cette année.</p>
<p>Qui plus est, l’accident de Tchernobyl marque un moment particulier de cette histoire, à savoir le début de l’institutionnalisation de la gestion internationale des conséquences des accidents nucléaires, dont on a pu pleinement mesurer l’emprise au moment de l’accident de Fukushima.</p>
<h2>Un ensemble restreint d’organisations</h2>
<p>Si les origines des accidents sont le plus souvent expliquées par des facteurs liés au développement de l’industrie nucléaire et de ses instances régulatrices à l’échelle nationale, la « gestion » de leurs conséquences dépasse progressivement les frontières nationales.</p>
<p>À ce titre, l’accident de Tchernobyl va consacrer la monopolisation de l’autorité du savoir sur les radiations ionisantes par un ensemble restreint d’organisations – l’<a href="https://www.iaea.org/fr">Agence internationale de l’énergie atomique</a> (AIEA), la <a href="https://www.asn.fr/L-ASN/Relations-internationales/Les-relations-multilaterales/Les-cadres-institutionnels/La-Commission-internationale-de-protection-radiologique-CIPR">Commission internationale de radioprotection (CIPR)</a> et le <a href="http://www.unscear.org/unscear/fr/">Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants</a> (UNSCEAR).</p>
<p>Par un jeu d’alliances et de cooptations, ces organisations se constituent en un ensemble monolithique sur le risque radiologique.</p>
<h2>Renvoi à une marginalité militante</h2>
<p>À partir de ce moment, les points de vue différents, qu’ils soient portés par des individus, scientifiques « dissidents », comme <a href="https://www.kbaverstock.org/">Keith Baverstock</a> qui a dirigé le programme de radioprotection au Bureau régional de l’<a href="https://www.who.int/fr">Organisation mondiale de la Santé</a> pour l’Europe, ou appartenant à des organisations telles que l’<a href="https://www.ippnw.org/about">International association of Physicians for the Prevention of Nuclear War (IPPNW)</a>, seront délégitimés, et renvoyés à une forme de marginalité militante.</p>
<p>Ce monopole se traduit par une internationalisation de la gestion de l’accident qui repose sur une série d’outils que nous nous proposons d’examiner ici. Ces outils visent à une « normalisation » de la situation post-accidentelle en dépolitisant la gestion des risques liés aux retombées radioactives.</p>
<p>Ils consacrent le pouvoir des experts proches des organisations nucléaires internationales de déterminer ce que sont les sacrifices acceptables en matière de santé et d’environnement.</p>
<p>Comme le soulignent les physiciens <a href="http://chernobyl-day.org/article/tchernobyl-une-catastrophe-de/">Bella et Roger Belbéoch</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Loin de mettre en cause le pouvoir qu’ils se sont assuré dans la société, la catastrophe nucléaire leur permet de se constituer en un corps unifié international aux pouvoirs encore renforcés. C’est au moment où les experts scientifiques ne peuvent plus rien promettre d’autre que la gestion des catastrophes que leur pouvoir s’installe de façon inéluctable. »</p>
</blockquote>
<h2>À Fukushima</h2>
<p>Ce monopole sur le savoir et la gestion de l’accident est bien présent au Japon en 2011, lors de la mise en place des mesures par les autorités japonaises, qui en se référant largement aux normes internationales, ont repoussé les contestations : l’accident était traité par les experts.</p>
<p>Cependant, un basculement s’opère lorsque le rapporteur de l’ONU <a href="https://fukushima.eu.org/selon-le-rapporteur-special-de-lonu-le-japon-doit-stopper-le-retour-des-enfants-et-jeunes-femmes-dans-les-territoires-contamines/">critique sévèrement</a> la gestion de la catastrophe par Tokyo.</p>
<p>Sur un tout autre plan, de nouveaux outils d’analyse proposés par les sciences sociales, comme la « production de l’ignorance », offrent un cadre d’analyse permettant d’extraire les critiques du seul registre du débat d’experts, ouvrant la voie à une repolitisation de l’accident et de ses conséquences.</p>
<h2>Rendre gérable l’accident nucléaire</h2>
<p>Mais, en premier lieu : comment rend-on gérable un accident nucléaire qui, comme cela a été le cas à Tchernobyl et à Fukushima, provoque de très importants rejets de particules radioactives, se propageant autour du globe et contaminant de façon durable des dizaines de milliers de kilomètres carrés ?</p>
<p>Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été évacuées ou relogées de ces territoires, des centaines de milliers d’autres continuent encore aujourd’hui à y vivre dans un environnement affecté par la radioactivité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8KYpYrYKXdA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le « zonage », c’est-à-dire la répartition de ces territoires en plusieurs « zones » en fonction de la densité de la contamination et des mesures de protection nécessaires, a été le premier instrument qui a permis, au Japon et dans l’ex-Union soviétique, de rendre l’accident maîtrisable.</p>
<p>Ainsi, par exemple, la politique gouvernementale mise en place par différents acteurs au Japon a reposé sur l’établissement de zones successives au cours des jours qui ont suivi la catastrophe : zones évacuées et décontaminées avec ensuite « levée d’ordre d’évacuation », zones « difficiles pour le retour » dans lesquelles la contamination radiologique reste élevée, et zones restant interdites.</p>
<p>Ce dispositif de zonage mis en place par le gouvernement japonais s’inscrit dans un cadre réglementaire établi par les deux grandes institutions nucléaires internationales que sont l’AIEA et la CIPR.</p>
<h2>Le seuil radiologique</h2>
<p>Le dispositif repose en particulier sur le choix d’un seuil radiologique à partir duquel seront évacuées les populations.</p>
<p>La CIPR fixe la dose limite pour le public en temps ordinaire à 1 millisievert (mSv)/an. Depuis 2007, la CIPR autorise les autorités gouvernementales à relever ce seuil (de 1 à 20m Sv/an) en cas d’accident nucléaire.</p>
<p>Lorsque les autorités japonaises, tout comme les autorités soviétiques en 1986, choisissent de relever le seuil suite à l’accident, elles le justifient en termes de quasi-absence de risques sanitaires.</p>
<p>Au Japon, les représentants du gouvernement considèrent que le risque de développer un cancer suite à une exposition à une dose inférieure ou égale à 100mSv est si faible selon « le consensus (scientifique) international, (qu’)il est invisibilisé par les effets cancérogènes d’autres facteurs ».</p>
<h2>Limiter les évacuations et les compensations</h2>
<p>La sociologue et historienne des sciences <a href="http://www.fondationecolo.org/activites/publications/Les-Notes-de-la-FEP-8-Catastrophes-nucleaires-et-normalisation-des-zones-contaminees">Sezin Topçu</a> montre comment ce dispositif de zonage, qui s’est imposé comme une modalité essentielle de gestion de l’accident nucléaire, est avant tout un outil permettant de limiter les évacuations et les compensations des dommages causés par l’accident, puisque leurs coûts (économiques, politiques ou sociaux) seraient prohibitifs pour l’industrie nucléaire et pour l’État.</p>
<p>Cette approche par l’optimisation est par ailleurs consacrée au niveau international dans les recommandations émises par l’AIEA et la CIPR.</p>
<p>Ainsi, dans le cas japonais, le seuil de 20 mSv/an aurait été <a href="https://www.radioprotection.org/fr/articles/radiopro/full_html/2020/01/radiopro200005/radiopro200005.html">choisi</a> en partie pour éviter d’évacuer la région de Naka Dori et ses grandes villes : le tracé permettait de limiter les zones d’évacuation, en évitant d’évacuer les grandes villes du centre de la préfecture, dont Fukushima.</p>
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<p>Le relèvement du seuil à 20 mSv, à peine annoncé par les autorités japonaises a été l’objet d’une large contestation, institutionnelle et associative, rouvrant ainsi la question de la dangerosité des faibles doses de radiations ionisantes.</p>
<p>La dénonciation de ce seuil vient en premier lieu de l’intérieur : le conseiller spécial en radioprotection du Cabinet du premier ministre, le professeur Toshiso Kosako, <a href="http://japanfocus.org/events/view/83">démissionne</a> en larmes le 30 avril 2011 :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne peux pas accepter un tel seuil, appliqué aux bébés, enfants, et élèves des écoles primaires, pas seulement d’un point de vue universitaire, mais aussi en raison de mes valeurs humanistes. »</p>
</blockquote>
<h2>De nombreuses critiques</h2>
<p>Au niveau international, la décision de relever le seuil est aussi critiquée par les deux Rapporteurs spéciaux successifs des Nations unies, Anand Grover et Baskut Tuncak. Qui plus est, les deux experts remettent en question les fondements mêmes de la radioprotection, qui reposent sur le principe ALARA : As Low as Reasonably Achievable (« aussi bas qu’il est raisonnablement possible »).</p>
<p>Ce « raisonnablement » indique que des critères autres que sanitaires sont pris en compte, ce que <a href="https://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/23/41/Add.5/Rev.1">Grover critique</a>, en se référant au « droit à la santé ». Le rapporteur précise en effet que « les recommandations de la CIPR sont basées sur le principe d’optimisation et de justification, selon lesquelles toutes les actions du gouvernement doivent maximiser les bénéfices sur le détriment. Une telle analyse risque-bénéfice n’est pas en accord avec le cadre du droit à la santé, parce qu’elle donne la priorité aux intérêts collectifs sur les droits individuels ».</p>
<p>Baskut Tuncak reprend les critiques de Grover dans son <a href="https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=23772&LangID=E">rapport</a> publié en octobre 2018, en y précisant que « la décision du gouvernement japonais de multiplier par 20 ce qui est considéré comme le niveau acceptable d’exposition à la radiation est profondément troublante ».</p>
<h2>Mieux protéger les individus</h2>
<p>Les arguments similaires ont également été utilisés par des scientifiques biélorusses et ukrainiens qui se sont opposés, à la fin des années 1980, à la limite de dose de 35 rem (350msv) pour 70 ans de vie – une limite que les experts soviétiques de Moscou, avec le soutien des représentants de la CIPR, dont le chef du Service central de protection contre les rayonnements ionisants français Pierre Pellerin, essayaient d’imposer comme fondement de toutes les mesures d’intervention post-accidentelles.</p>
<p>Les chercheurs biélorusses et ukrainiens considèrent le critère de 35 rem comme inacceptable non seulement du point de vue scientifique mais également et surtout éthique.</p>
<p>Ils mettent en avant que dans les conditions d’incertitude de la science quant aux effets des rayonnements ionisants, il est dangereux de sous-évaluer les risques que la radioactivité représente pour les habitants des territoires affectés et considèrent que les autorités du pays ont une obligation morale de consacrer tous les moyens nécessaires à une plus grande protection des habitants des régions affectées, et en particulier <a href="https://www.editionspetra.fr/livres/les-politiques-de-la-radioactivite-tchernobyl-et-la-memoire-nationale-en-bielorussie">aux individus les plus vulnérables</a>.</p>
<h2>La dangerosité des faibles doses</h2>
<p>Les protagonistes de l’optimisation de la radioprotection dans le contexte post-accidentel insistent sur l’absence d’études prouvant des effets sanitaires importants en dessous de ces seuils.</p>
<p>Pendant longtemps, les arguments pour et contre ces seuils ont été abordés dans l’espace public ainsi que par les chercheurs en sciences sociales en termes de <a href="https://www.jstor.org/stable/41822210?seq=1">« controverses »</a> scientifiques et médicales – opposant les scientifiques liés à la sphère nucléaire qui ont longtemps nié la dangerosité des faibles doses, à des scientifiques hors de cette sphère, considérant que ces effets étaient sous-evalués.</p>
<p>La question de la dangerosité des <a href="https://theconversation.com/explainer-how-much-radiation-is-harmful-to-health-17906">faibles doses</a> de radioactivité est un des exemples les plus connus de telles controverses qui resurgissent régulièrement en dépit du développement des connaissances scientifiques sur ces risques.</p>
<p>Loin de survenir au moment de l’accident de Fukushima, elle s’inscrit dans un temps long et fait partie de « motifs » qui sont également présents dans les débats sur Tchernobyl ainsi que sur d’autres accidents nucléaires comme celui de <a href="https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2017-4-page-61.htm">Kyshtym</a>, en Russie en 1957.</p>
<h2>Des mécanismes de production d’ignorance</h2>
<p>Plus récemment cependant, différents chercheurs en sciences sociales ont <a href="https://www.berghahnjournals.com/view/journals/ame/14/2/ame140202.xml">proposé</a> d’appréhender le maintien d’une position rassurante sur ces dangers comme <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_science_asservie-9782707173690">relevant des mécanismes de production d’ignorance</a>.</p>
<p>La production d’ignorance, qui peut être aussi bien involontaire qu’intentionnelle, a été analysée initialement pour de nombreux risques, comme le <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-golden-holocaust-la-conspiration-des-industriels-du-tabac-de-robert-proctor">tabac</a>.</p>
<hr>
<p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-lagnotologie-production-de-lignorance-88500">De l’agnotologie, production de l’ignorance</a>
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</p>
<hr>
<p>Aborder les risques radiologiques en termes de production d’ignorance permet de rompre avec l’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/uranium-africain-une-histoire-globale-gabrielle-hecht/9782021166002">« exceptionnalisme »</a> dont a longtemps bénéficié la question nucléaire, et d’inscrire les dangers des radiations ionisantes dans le champ plus large des risques sanitaires et de ses banals enjeux de pouvoir.</p>
<h2>Minimiser la gravité</h2>
<p>La gestion internationalisée des catastrophes nucléaires repose en fait sur différents mécanismes de production d’ignorance. Ainsi, la spécialiste en sociologie des sciences Olga Kuchinskaya décrit la <a href="https://mitpress.mit.edu/books/politics-invisibility">« politique d’invisibilisation »</a>, qui a été menée après la catastrophe de Tchernobyl.</p>
<p>Elle souligne que la mise en évidence des effets des radiations ionisantes dépend de l’existence d’infrastructures matérielles – telles que des appareils de mesure, systèmes d’information et équipements –, mais aussi institutionnelles (par exemple, suivre une cohorte de personnes pour rendre visibles des effets sanitaires dépend de cette articulation entre éléments matériels et institutionnels).</p>
<p>Cette infrastructure est fort coûteuse et, dans le cas de Tchernobyl, n’a pas été maintenue sur la durée. Qui plus est, le bilan sur les effets des radiations a été essentiellement pris en charge par des institutions internationales alors même que les médecins et chercheurs locaux, de leur côté, mettaient en évidence un tableau complètement différent et beaucoup plus alarmant de la situation sanitaire.</p>
<p><a href="https://www.actes-ud.fr/catalogue/tchernobyl-par-la-preuve">Kate Brown</a> décrit de son côté comment différentes instances internationales, et en premier lieu l’AIEA et l’OMS, se sont employées à redéfinir les effets sanitaires de Tchernobyl, à minimiser leur gravité, et ainsi à produire activement de « l’ignorance » à propos de l’impact de la catastrophe.</p>
<p>Cette non-connaissance a été en fait un instrument crucial qui a rendu la catastrophe « gérable » et a permis, comme le souligne <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691151663/life-exposed">Adriana Petryna</a>, « le déploiement d’une connaissance faisant autorité, spécialement quand elle s’applique à la gestion de la population exposée ».</p>
<h2>Le monopole des experts internationaux, jusqu’à quand ?</h2>
<p>En remettant en cause le caractère « exceptionnel » du nucléaire et des rayonnements ionisants, ces critiques, qu’elles soient émises au sein des instances onusiennes ou par des chercheurs en sciences sociales, ouvrent la voie à un questionnement du monopole des institutions internationales nucléaires pour apprécier le risque radiologique et cadrer les politiques dites « post-accidentelles ».</p>
<p>Une repolitisation de la gestion des conséquences d’un accident qui fait entrer la « gestion » d’un accident nucléaire dans le cadre plus large des droits humains devient alors possible.</p>
<p>Lors du prochain accident nucléaire, il n’est pas certain que les citoyens acceptent que le pouvoir de ces experts internationaux « s’installe de façon inéluctable » en décidant à leur place quel est le risque acceptable.</p>
<p>La fin du monopole de ces experts permettrait un véritable débat sur les risques du nucléaire. Au moment où de nombreuses voix se prononcent en faveur du développement de l’énergie atomique en tant que moindre mal face au changement climatique, un tel débat devient urgent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159410/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tatiana Kasperski a reçu des financements de Riksbankens Jubileumsfond, Suède et de National Science Foundation, États-Unis. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christine Fassert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La gestion internationale des accidents nucléaires, prétendument dépolitisée, ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes.Christine Fassert, Socio-anthropologue, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneTatiana Kasperski, Chercheure associée - Departement des Humanités, Universitat Pompeu FabraLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1562612021-03-10T18:18:52Z2021-03-10T18:18:52ZÀ Fukushima, un travail de mémoire tout en contrastes<p>De <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Les-Lieux-de-memoire">nombreux travaux</a> ont montré <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-memoire-l-histoire-l-oubli-paul-ric-ur/9782020563321">toute l’importance</a> du <a href="https://lafabrique.fr/le-passe-modes-demploi/">travail de mémoire</a> sur des événements traumatiques – accidents, bombardements, attentats… Les cérémonies commémoratives ont une fonction cathartique pour les victimes ou leurs proches. À l’échelle d’un pays, elles structurent la communauté nationale en instituant un passé partagé.</p>
<p>L’inauguration du mémorial d’Hiroshima en août 1955, dix ans après l’explosion d’une bombe atomique sur cette ville, illustre bien ces fonctions de la mémoire que l’on était en droit d’espérer qu’un travail de mémoire similaire serait entrepris pour les dix ans de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Mais d’une catastrophe à l’autre, les « bonnes recettes » de la mémoire ne sont pas toujours applicables.</p>
<p>La ville de Fukushima n’inaugure pas un monument semblable au mémorial d’Hiroshima le 11 mars 2021 et le gouvernement n’a prévu qu’une modeste cérémonie nationale en l’honneur des victimes du tremblement de terre et du tsunami. Elle rassemble quelques personnalités au théâtre national de Tokyo en présence du Premier ministre, de l’Empereur Naruhito et de l’Impératrice, et une minute de silence sera observée à 2h46. Certes, les mesures sanitaires liées à la pandémie interdisent les rassemblements, mais cette donnée conjoncturelle cache des difficultés plus profondes pour une mise en mémoire de la troisième catastrophe nucléaire qui frappe le Japon (après Hiroshima et Nagasaki).</p>
<h2>A Hiroshima, un travail de mémoire exemplaire</h2>
<p>Voyons d’abord en quoi et pourquoi le <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520085879/hiroshima-traces#:%7E:text=Hiroshima%20Traces%20Time%2C%20Space%2C%20and%20the%20Dialectics%20of%20Memory&text=In%20the%20way%20battles%20over,pastness%2C%20nostalgia%2C%20and%20modernity.">travail de mémoire</a> effectué <a href="https://reviews.history.ac.uk/review/1818">à Hiroshima</a> en 1955 fut une réussite exemplaire.</p>
<p>Le parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima, construit sur les lieux mêmes du bombardement, s’organise autour d’un sobre cénotaphe où la flamme éternelle est surmontée d’une plaque portant l’inscription : « Qu’ils reposent en paix. Jamais plus la même erreur ». En plus d’un musée, le parc comprend le dôme en ruine d’un bâtiment ainsi qu’une horloge symboliquement arrêtée à 8h45 le 6 août 1945.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le mémorial de la paix d’Hiroshima en 1955.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pinterest.fr/pin/446419381791755556/">Pinterest</a></span>
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<p>Le musée expose les dégâts de la bombe : d’abord les effets de la chaleur sur la pierre, le métal, les choses et les gens ; puis le choc de l’explosion et enfin l’impact des radiations sur la peau des victimes. Il donne à entendre « le cri de l’âme » des enfants disparus à travers leurs objets familiers : cartables et vêtements. Toutes ces horreurs exhibées ont produit une sorte de libération après des années de silence dues à la censure exercée par les forces d’occupation. De plus, elles étaient accompagnées par un flot de <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-l-ere-du-temoin-de-annette-wieviorka">témoignages de victimes invitées à susciter la compassion</a>. Le témoignage des enfants fut particulièrement cultivé si bien que la petite cigogne en origami façonnée par Sadoko, l’une des jeunes victimes décédée à l’âge de 12 ans, est devenue le symbole d’Hiroshima.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mémorial des enfants à Hiroshima.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Children%27s_Peace_Monument">Wikimedia</a></span>
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<p>Tout le mémorial fait appel à l’émotion sans chercher à recréer le contexte historique ou à désigner des responsables. Les cartels disent pudiquement : « Une bombe est tombée d’un avion le 6 août 1945 à 8h45 » comme si personne n’avait ordonné de la larguer. Tout est fait pour créer du consensus, de l’empathie. En estompant adroitement les conflits nationaux, le mémorial est devenu un sanctuaire universel de la paix, un lieu de rassemblement de tous les mouvements pacifistes et un haut lieu du tourisme scolaire pour les enfants de tous pays. Il a, comme Auschwitz, <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2007-2-page-3.htm">favorisé la globalisation du rapport au passé</a>.</p>
<p>En produisant ainsi une catharsis, l’inauguration du Peace Museum à Hiroshima en 1955 a permis la renaissance d’Hiroshima. La ville est reconstruite alentour et s’ouvre au confort de la vie moderne. La société de consommation pousse des tentacules tout autour du mémorial. Il a réussi à graver la bombe dans le passé pour ouvrir l’avenir en scandant le message « jamais plus ». La mémoire du passé est confinée dans l’espace du Memorial Park délimité par les bras de la rivière, de sorte qu’elle ne trouble pas le présent hédoniste des habitants.</p>
<h2>A Fukushima, les traces d’une lente catastrophe</h2>
<p><a href="http://www.editions-msh.fr/livre/?GCOI=27351100129890">Dix ans après l’accident de Fukushima</a>, il reste impossible de séparer le passé du présent.</p>
<p>En un seul lieu, le passé semble figé, immobilisé par le choc violent qui arrêta les pendules, comme au mémorial d’Hiroshima. À l’épicentre du tsunami, un bâtiment expose des objets personnels – cartables, peluches, téléphones portables – extraits de la boue, soigneusement nettoyés, enveloppés, étiquetés.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Objets trouvés dans les décombres du tsunami.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernadette Bensaude-Vincent</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Mais cette exposition formée dans l’espoir que les victimes ou leurs proches pourraient récupérer ce qui leur appartint ressemble moins à un musée qu’à un centre Emmaüs déserté. Objets témoins d’un non-retour.</p>
<p>L’autre semblant de musée est le Decommissioning Archive Center ouvert fin 2018 par Tepco (la compagnie en charge de Fukushima Daiichi) à la place du Musée de l’énergie. Ce centre, fortement recommandé par Tripadvisor, assure certes la mise en mémoire de l’événement grâce à un déroulé fidèle de la séquence d’événements qui a conduit à la catastrophe.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Exposition du centre d’archives de Tepco dédié à « enregistrer le passé et communiquer sur le présent ». Pas d’ouverture sur le futur…</span>
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<p>Contrairement au mémorial d’Hiroshima, ce centre aborde ouvertement la question des responsabilités puisqu’à l’entrée on voit le PDG de TEPCO prononcer des excuses publiques. Mais l’évocation de l’événement reste très factuelle. Et ce style compte-rendu tourne vite à la propagande d’entreprise dans la description des exploits techniques pour endiguer les effets de la catastrophe et surveiller le corium à l’aide de robots. Les seuls témoignages suscitant une pointe d’émotion sont les récits d’employés de la centrale exprimant leur dévouement et leur fidélité à Tepco.</p>
<p>Le seul véritable mémorial est la centrale elle-même. Certes tout a été fait pour l’isoler : retenir les eaux contaminées à l’aide d’un mur imperméable en front de mer, prévenir les infiltrations d’eau radioactive dans la nappe souterraine à l’aide d’un mur de glace, stocker les eaux radioactives dans des piscines et la terre contaminée sur place. Ces mesures de confinement dans une zone d’exclusion ont été accompagnées d’une vigoureuse campagne de « revitalisation » de la région alentour. Depuis des années, les deux zones d’évacuation autour de la centrale bourdonnent de camions, grues et pelleteuses qui nettoient la campagne dans l’espoir de faire revenir les habitants et d’accueillir les Jeux olympiques à l’été 2020.</p>
<p>Mais le passé du tsunami ne passe pas plus que le présent de la pandémie. Les jeux ont été annulés et peu d’habitants retournent dans leurs villages malgré la suppression des indemnités pour déplacement. Les épisodes climatiques et sanitaires qui s’enchaînent trament <a href="https://slowdisaster.com/podcast/">« une lente catastrophe »</a>, selon l’expression de Scott Gabriel Knowles, une catastrophe qui dure, s’étale dans le présent et pèse sur l’avenir.</p>
<p>Malgré les efforts de Tepco et du gouvernement japonais restaurer la confiance en l’avenir et pour démontrer que la situation est sous contrôle, il semble impossible de convoquer la mémoire pour dire « jamais plus ». Dans un climat d’incertitude où le futur est colonisé par des tonnes de déchets radioactifs difficiles à contenir, le message livré par ces lieux de mémoire serait plutôt un « pour toujours », du moins à l’échelle humaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156261/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernadette Bensaude-Vincent est membre de l'Académie des technologies</span></em></p>Dix ans après l’accident de Fukushima, il reste impossible de séparer le passé du présent.Bernadette Bensaude-Vincent, Philosophe, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1434272020-08-05T18:09:59Z2020-08-05T18:09:59ZLe monde d’après Hiroshima : comment le nucléaire est entré dans notre quotidien<p>Le 8 août 1945, soit deux jours après qu’un avion B-29 américain Enola Gay ait largué la première bombe atomique sur Hiroshima, Albert Camus <a href="https://www.humanite.fr/albert-camus-sur-hiroshima-leditorial-de-combat-du-8-aout-1945-580990">écrivait</a> dans l’éditorial du journal <em>Combat</em> :</p>
<blockquote>
<p>« la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. »</p>
</blockquote>
<p>Il n’était pas le seul à être terrifié par le pouvoir d’anéantissement de cette arme nouvelle. Bien d’autres intellectuels français ou étrangers – François Mauriac, Bernard Charbonneau, Lewis Mumford, Gunther Anders ou Michel Serres – ont pensé Hiroshima comme un événement qui marque non seulement la fin de la Seconde Guerre mondiale <a href="https://www.abebooks.fr/rechercher-livre/auteur/g%FCnther-anders/">mais aussi comme un tournant historique</a> tel que le monde d’après ne pourrait plus ressembler au monde d’avant.</p>
<p>Et pourtant le nucléaire militaire et civil s’est installé durablement dans nos sociétés, dans les pays vaincus comme chez les vainqueurs. Le Japon qui a éprouvé la violence soudaine de l’explosion atomique et la violence rampante, sourde et insidieuse, des effets des radiations sur des centaines de milliers de victimes, n’a pas hésité à s’équiper de centrales nucléaires dès les années 1950, résolu à jouir du confort moderne en consommant biens et produits. Et le programme nucléaire national a été soutenu par une grande partie de la population japonaise, y compris parmi les victimes d’Hiroshima et Nagasaki.</p>
<p>Comment comprendre un tel choix technologique quand on a été témoin et victime du potentiel destructeur de l’atome, quand l’électricité abondante et gratuite n’était qu’une promesse alors que les souffrances des victimes des deux bombes étaient une réalité quotidienne ?</p>
<p>En 2011, l’accident de Fukushima venait rappeler la violence des réactions atomiques. Mais cette catastrophe, comme les précédents accidents de Three Mile Island (1979) ou de Tchernobyl (1986), semble à peine avoir ébranlé l’optimisme de l’âge du nucléaire. 75 ans après on peut s’interroger.</p>
<p>Comment l’atome a-t-il pu être pacifié, domestiqué au point de s’inscrire dans les paysages quotidiens et familiers de la France profonde et de pourvoir à la vie ordinaire de nombreux citoyens ?</p>
<h2>Le poids des mots, des images et des catégories</h2>
<p>« Atoms for Peace », ce slogan lancé par le président Eisenhower en 1954, alors même que les États-Unis multipliaient les tests de bombe H dans le Pacifique, a fonctionné comme un mot d’ordre ralliant politiques, scientifiques et ingénieurs pour construire des centrales nucléaires. Il instaure un <a href="https://mitpress.mit.edu/books/american-hegemony-and-postwar-reconstruction-science-europe">clivage</a> entre usages guerriers et pacifiques de l’atome.</p>
<p>Comme nombre de ses collègues Frédéric Joliot-Curie a voulu pacifier l’atome, nucléariser la France tout en militant contre les armes nucléaires. L’atome devint ainsi l’archétype des « technologies duales » susceptibles de servir à des fins de guerre comme au mieux-être.</p>
<p>Ce concept suppose que les technologies nucléaires sont intrinsèquement neutres, et que seul l’usage que l’on en fait conduit au bien ou au mal. Durant la Guerre froide, on a pu ainsi justifier la course aux armements, au nom d’un impératif de survie car les méchants sont toujours les <a href="https://www.jstor.org/stable/656531">« autres »</a>.</p>
<p>Cette externalisation permet encore aujourd’hui de dénoncer et contrôler les programmes nucléaires des « États voyous », <a href="https://www.jstor.org/stable/656531">jugés irresponsables</a> en raison d’intérêts géopolitiques ou de préjugés racistes ou religieux.</p>
<p>Le Peace Memorial Park, inauguré à Hiroshima en août 1955, illustre le pouvoir de clivage du dispositif « technologie duale ». Hiroshima est devenu le sanctuaire mondial du pacifisme, point de ralliement des militants pour le désarmement nucléaire. Mais le musée fait silence sur le nucléaire civil. Même après sa rénovation en 2019, il ne dit rien sur Fukushima.</p>
<p>Les images renforcent la dualité inscrite dès l’émergence du nucléaire. Le célèbre champignon atomique est issu de photos Kodak prises lors des tests américains des années 1950 à des fins scientifiques pour étudier l’impact des explosions. Mais cette vision d’apocalypse a été contrebalancée dans l’imaginaire populaire par une image plus sereine et positive, celle de l’Atomium – en fait, un modèle de cristal de fer – à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958. Le message était clair et presque annonciateur des nanotechnologies : l’atome est une brique pour construire un monde meilleur.</p>
<p>Pour domestiquer la violence propre au nucléaire dans le quotidien il faut encore des trouvailles de gestion administrative. <em>Hibakusha</em> est le terme officiel forgé au Japon pour désigner les personnes victimes des bombardements ou exposées aux radiations consécutives. Depuis 1957, c’est une catégorie juridique dont la <a href="https://www.academia.edu/38305271/Hibakusha._Nommer_les_victimes_de_lexplosion_lors_des_deux_bombardements_atomiques_au_Japon">définition est sans cesse révisée</a>, pour déterminer qui a droit aux soins médicaux gratuits.</p>
<p>D’autres catégories bureaucratiques délimitent les zones géographiques d’exclusion, en fonction de l’intensité des radiations, pour établir qui a droit à un relogement, à des indemnités ou à un retour.</p>
<p>La banalisation du nucléaire repose donc, en premier lieu, sur des stratégies de démarcation faisant le partage entre bons et méchants, instaurant des seuils de dangerosité et des limites entre zones de sécurité et d’exclusion.</p>
<h2>Normaliser et confiner</h2>
<p>La banalisation du nucléaire repose également sur un important travail d’experts pour pacifier et contrôler les usages de l’atome. Dans les années 1950, après la concentration sans précédent d’experts au sein du <a href="http://cup.columbia.edu/book/the-manhattan-project/9780231131537">projet Manhattan</a> qui a conduit aux premières bombes, physiciens, chimistes, biologistes et ingénieurs jouissent encore <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9781137438720">d’investissements massifs</a> pour maîtriser les réactions, choisir les matériaux, mesurer les impacts de la radioactivité sur la faune, la flore, le climat, comme sur la santé humaine.</p>
<p>Ces savoirs experts sont déployés dans un ensemble d’institutions de régulation et de contrôle, la plus célèbre étant l’Agence internationale pour l’Energie Atomique (AIEA). Fondée en 1957 pour promouvoir les usages pacifiques de l’atome tout en freinant les applications militaires, l’AIEA assume une double mission. Elle accompagne le développement du nucléaire civil, offre une aide technique, édicte des règles et des normes. En même temps, elle exerce une surveillance sur la prolifération des armes nucléaires à l’échelle internationale, souvent prise dans des jeux géopolitiques mouvants.</p>
<p>L’étroite surveillance des activités nucléaires s’étend à la production de <a href="https://www.iaea.org/sites/default/files/55405810809_fr.pdf">radio-isotopes</a> pour la recherche biomédicale ou pour le diagnostic et la thérapie. Ces sous-produits bénéfiques des infrastructures nucléaires militaires, <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/L/bo16382130.html">« symboles de la promesse humanitaire de l’atome »</a> sont largement médiatisés pour légitimer le nucléaire. En contribuant à sauvegarder des vies, les usages médicaux des radio-isotopes ont signé une forme de rédemption après les effets dévastateurs des bombes.</p>
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<figcaption><span class="caption">La médecine nucléaire, c’est quoi ? Une introduction illustrée.</span></figcaption>
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<p>L’âge du nucléaire inauguré le 6 août 1945 dans une vision d’apocalypse a ainsi en quelque sorte été « civilisé » par les réseaux d’experts, la terreur sacrée faisant place au contrôle de la raison scientifique. Les systèmes nationaux et internationaux de régulation, avec leur production de normes techniques, leur contrôle des installations, leurs réseaux de surveillance de la radioactivité dans l’environnement sont les compagnons indispensables de la nucléarisation du monde.</p>
<p>La maîtrise du nucléaire exige aussi plus directement des mesures techniques de confinement pour empêcher la diffusion de matières radioactives dangereuses. Là encore, les experts sont maîtres à bord. A eux il revient de prévenir les accidents, de déterminer la probabilité d’un risque de fusion des réacteurs.</p>
<p>Quant à la gestion des déchets radioactifs, elle a d’abord été considérée par les experts comme un problème secondaire, facile à résoudre en se débarrassant de ces indésirables résidus de nos prouesses techniques dans la mer ou dans quelque contrée lointaine.</p>
<p>75 ans après l’entrée dans l’ère du nucléaire, aucune solution n’a été trouvée. C’est un problème techno-politique pris en charge par les gouvernements des pays engagés dans l’aventure nucléaire.Depuis sa création en 1979 l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) a établi une typologie des déchets en fonction de leur durée de vie et exploré plusieurs scénarios : l’enfouissement irréversible ou réversible, ou l’entreposage en surface. Mais ces déchets continuent à défier les stratégies de normalisation et de confinement qui ont présidé à la gestion des risques nucléaires.</p>
<p>Ce <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691637525/nuclear-politics">régime technocratique</a>, souvent autoréférentiel, a néanmoins suscité des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-france-nucleaire-l-art-de-gouverner-une-technologie-contestee-sezin-topcu/9782021052701">protestations dans les années 1970</a> surtout après l’<a href="http://editions.ehess.fr/ouvrages/ouvrage/sombres-precurseurs/">accident de Tchernobyl</a>.</p>
<p>Si la mise en place de réseaux de contre-expertise a pu altérer l’autorité des experts, elle n’ébranle que très partiellement les institutions garantes de la sûreté et de la sécurité nucléaire. Leur travail se poursuit, se renouvelle, se re-légitimise que ce soit pour prévenir les accidents, gérer leurs conséquences, organiser les activités de démantèlement ou proposer des solutions pour les déchets.</p>
<h2>Déni et culture du secret</h2>
<p>Le confinement de la radioactivité, des produits de réacteurs ou des déchets, s’accompagne d’un confinement des informations. La mise au secret ou l’invisibilisation d’une partie des activités nucléaires et de leurs effets sont caractéristiques de l’âge du nucléaire. <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/9781315087115">Le silence a été imposé</a> aux victimes d’Hiroshima et Nagasaki pendant l’occupation américaine du Japon : les données sur les victimes des bombes n’ont été partiellement <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/S/bo3634560.html">rendues publiques</a> qu’après 1955, face à une contestation internationale des essais atomiques.</p>
<p>Depuis 75 ans, les pratiques de rétention, de dissimulation et de déni des effets délétères du nucléaire se multiplient. Elles concernent les victimes des essais atomiques, les habitants des Iles Bikini et Marshall ou les vétérans, les travailleurs du nucléaire : ceux des « villages nucléaires » de Hanford aux États-Unis ou de Maiak en Union Soviétique, les mineurs africains, kazakh ou américains ou encore les « nomades du nucléaire », ces ouvriers temporaires du nucléaire en France, au Japon et ailleurs.</p>
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<figcaption><span class="caption">Nomades Nucléaires : Les sous-traitants de la centrale de Fukushima en mal de Nomades nucléaires se tournent aujourd’hui vers les plus vulnérables pour renouveler leurs besoins en main d’œuvre.</span></figcaption>
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<p>Ces pratiques s’accompagnent d’une disqualification du vécu et des paroles des victimes, ajoutant à la violence physique, la violence symbolique du déni des souffrances. Les habitants de la région de <a href="https://sts-program.mit.edu/book/manual-for-survival-a-chernobyl-guide-to-the-future/">Tchernobyl</a> l’ont éprouvée, et 34 ans après, les <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/l-industrie-nucleaire-sous-traitance-et-servitude">controverses</a> sur les victimes et les effets de cet accident industriel majeur <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/uranium-africain-une-histoire-globale-gabrielle-hecht/9782021166002">continuent</a>.</p>
<p>Surveillance, réglementations, culture du secret, de la sûreté et de la sécurité, tel est le prix à payer pour vivre dans un monde nucléaire. Le physicien américain Alvin Weinberg estimait en 1972 que l’on trouverait toujours des solutions techniques aux trois problèmes majeurs que pose l’énergie nucléaire, à savoir la sécurité des réacteurs, le transport des matières radioactives et le traitement des déchets radioactifs. Mais il ajoutait que « ce pacte faustien » avec l’atome a un coût social : accepter de vivre sous la tutelle du <a href="https://science.sciencemag.org/content/77/4043/27">« clergé militaire »</a> mis en place pour le contrôle des armes nucléaires et dont dépend notre survie.</p>
<p>En faisant d’Hiroshima un lieu de mémoire, un sanctuaire du pacifisme mondial, on n’a pas changé le cours de l’histoire. La peur d’une apocalypse nucléaire n’a pas suffi à entamer l’optimisme technologique d’un futur radieux. En 2020 l’aiguille du jugement inventée en 1947 par les savants atomistes pour alerter sur le danger d’un anéantissement de l’humanité est repositionnée sur deux minutes avant minuit comme au temps de la Guerre froide. Mais le nucléaire est si bien implanté dans le décor qu’on oublie sa présence, même si elle retient pour un temps l’attention des médias quand survient un accident ou une catastrophe. Face aux effets anesthésiants de ce curieux mélange de mémoire et d’oubli, il importe de s’interroger ce que le nucléaire a fait à nos sociétés comme à notre rapport au monde.</p>
<hr>
<p><em>A paraître,Living in a Nuclear World : From Fukushima to Hiroshima, Pittsburgh, Bernadette Bensaude-Vincent, Soraya Boudia and Kyoko Sato (Eds), Pittsburgh University Press</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143427/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernadette Bensaude-Vincent et Soraya Boudia ont reçu des financements du France-Stanford Center for Interdisciplinary Studies et du Partner University Fund . </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bernadette Bensaude-Vincent et Soraya Boudia ont reçu des financements du France-Stanford Center for Interdisciplinary Studies et du Partner University Fund.</span></em></p>Comment comprendre le choix de la technologie nucléaire quand on a été témoin et victime de son potentiel destructeur ? Retour sur le processus de banalisation de la technologie de guerre.Bernadette Bensaude-Vincent, Philosophe, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneSoraya Boudia, Professeure Université Paris Cité, co-directrice du PEPR Irima - CNRS, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1399132020-06-08T18:11:17Z2020-06-08T18:11:17ZAlertes aux séismes et tsunamis : comment gagner de précieuses secondes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/339828/original/file-20200604-67377-1f6gqkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C82%2C1280%2C783&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Arrivée du tsunami de 2004 à Ao Nang an Thaïlande.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/2d/2004-tsunami.jpg/800px-2004-tsunami.jpg">David Rydevik/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Lors du mégaséisme à Sumatra en 2004, la faille a rompu sur une longueur supérieure à 1 300 km pendant une dizaine de minutes. Ce séisme a généré un tsunami atteignant localement les 30 mètres de hauteur, qui a considérablement étendu la région affectée par le séisme et causé plus de 220 000 victimes dans 14 pays sur le pourtour de l’océan Indien. Bien que le tsunami ait pris plusieurs heures pour atteindre certaines régions comme en Inde ou au Sri Lanka, la plupart des victimes n’ont pas été prévenues du danger. Quinze ans après le séisme de Sumatra, les systèmes d’alerte permettent aujourd’hui de limiter l’impact des tremblements de terre.</p>
<p>Comment développons-nous les nouveaux systèmes d’alerte sismiques et tsunamis, permettant de se mettre à l’abri rapidement ? Une des clés est d’avoir accès à des données sismologiques en temps réel.</p>
<h2>Alerter de l’arrivée d’un tsunami grâce aux ondes sismiques</h2>
<p>Le séisme de Sumatra en 2004 a donné un coup d’accélérateur au développement de méthodes d’alerte tsunami : c’était la première fois qu’un tremblement de terre d’une telle ampleur était mesuré par un réseau de sismomètres modernes, avec des données ouvertes et disponibles en temps réel. La rupture sismique était d’une dimension tellement importante qu’il a fallu plusieurs heures pour déterminer sa <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Magnitude_(sismologie)">magnitude</a> (sa taille).</p>
<p>Lorsqu’un séisme a lieu sous l’océan, le plancher océanique se déplace, ce qui peut engendrer un tsunami. Mais les ondes sismiques se propagent beaucoup plus rapidement dans la Terre solide qu’un tsunami ne se déplace en pleine mer – au moins 40 fois plus vite, si on considère les ondes les plus rapides. On peut donc détecter ces ondes <em>avant</em> que le tsunami n’atteigne la côte, et obtenir rapidement une information sur le caractère « tsunamigénique » du séisme. L’occurrence d’un tsunami peut ensuite être vérifiée par des bouées en pleine mer mesurant la hauteur des vagues.</p>
<p>Au premier ordre, l’ampleur d’un tsunami est contrôlée par la localisation, la taille et la géométrie de la rupture sismique. Parmi les différentes approches employées pour l’alerte au tsunami, un signal sismique appelé <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/alerte-sismique-et-tsunamis">phase W</a> permet d’évaluer rapidement ces paramètres. Ce signal, de très grandes longueurs d’onde, est particulièrement sensible à la magnitude du séisme et nous donne une information robuste sur la source sismique en 20 ou 30 min, même si la rupture est très grande ou très complexe. Si le réseau sismologique est suffisamment dense localement, il est possible d’obtenir des estimations plus rapidement en utilisant des données régionales, en moins de 10 min.</p>
<p>Les systèmes d’alerte au tsunami ont véritablement été testés pour la première fois lors du mégaséisme de Tohoku au Japon en mars 2011. Cet événement d’une magnitude comparable au séisme de Sumatra en 2004 a généré un tsunami majeur. Une première alerte au tsunami a été déclenchée rapidement par l’agence météorologique du Japon, laissant au moins cinq minutes pour évacuer les côtes les plus proches. Une estimation plus robuste de la taille du séisme a été obtenue en 20 minutes, permettant <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2011/03/11/alerte-au-tsunami-apres-un-seisme-d-une-magnitude-de-7-9-au-japon_1491449_3244.html#ens_id=1491461">d’évacuer les côtes</a> sur plusieurs pays autour de l’Océan Pacifique. L’alerte a permis de réduire l’impact du tsunami. Le nombre de victimes lié au séisme japonais est ainsi 10 fois inférieur au bilan humain lors du séisme de Sumatra en 2004.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/339532/original/file-20200603-130955-e2qqic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/339532/original/file-20200603-130955-e2qqic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/339532/original/file-20200603-130955-e2qqic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/339532/original/file-20200603-130955-e2qqic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/339532/original/file-20200603-130955-e2qqic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/339532/original/file-20200603-130955-e2qqic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/339532/original/file-20200603-130955-e2qqic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue aérienne d’Ishinomaki, au Japon, dévastée par le séisme de Tohoku et le tsunami qui s’ensuivit.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3f/US_Navy_110318-M-HU778-007_An_aerial_view_of_Ishinomaki%2C_Japan%2C_a_week_after_a_9.0_magnitude_earthquake_and_subsequent_tsunami_devastated_the_area.jpg/1280px-US_Navy_110318-M-HU778-007_An_aerial_view_of_Ishinomaki%2C_Japan%2C_a_week_after_a_9.0_magnitude_earthquake_and_subsequent_tsunami_devastated_the_area.jpg">Lance Cpl. Ethan Johnson/US Marine Corps</a></span>
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<h2>Alerter en quelques secondes de l’arrivée de secousses sismiques</h2>
<p>La disponibilité en temps réel des données permet le développement de systèmes d’alerte encore plus rapides pour prévenir de l’arrivée de secousses sismiques. Ces systèmes reposent sur le fait que les ondes les plus destructrices (les ondes de cisaillement) se propagent plus lentement que les ondes compressives qui sont de plus faible amplitude et donc généralement moins destructrices. Lorsqu’un séisme se produit, les vibrations compressives peuvent être détectées rapidement à proximité de la source. Cette information peut être transmise et traitée presque instantanément pour émettre une alerte en quelques secondes, avant l’arrivée des vibrations cisaillantes plus destructrices.</p>
<figure> <img src="https://prd-wret.s3.us-west-2.amazonaws.com/assets/palladium/production/s3fs-public/styles/full_width/public/thumbnails/image/eew_motion_graphic%20%281%29.gif"><figcaption>Comment fonctionnent les alertes précoces pour les séismes ? Les ondes P correspondent aux ondes compressives de faible amplitude. Elles se propagent rapidement et arrivent avant les ondes S cisaillantes, qui sont plus destructrices. USGS, public domain </figcaption></figure>
<p>Ces techniques d’alertes précoces sont opérationnelles, notamment au Japon, au Mexique, en Californie. L’alerte est diffusée via des sirènes et des messages sur téléphone, à la radio et à la télévision. Quelques secondes suffisent pour prendre des mesures basiques de protection : s’éloigner des fenêtres, se mettre sous une table, arrêter les trains automatiquement pour prévenir le risque de déraillement, stopper les opérations chirurgicales, etc.</p>
<p>Avec une telle rapidité, les estimations de la magnitude du séisme peuvent parfois être imprécises. Pour les plus gros séismes, la faille peut rompre pendant plusieurs minutes et il faut alors déclencher l’alerte avant même que la rupture soit terminée. Cette limite est associée à un <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-019-02613-5">débat d’actualité</a> en sismologie : est-il possible de déterminer la taille d’un séisme avant même que la rupture soit terminée ? Tous les grands séismes commencent par une petite rupture, quasiment ponctuelle, qui grandit pour se propager sur de grandes distances. <a href="https://science.sciencemag.org/content/357/6357/1277">Plusieurs études récentes</a> suggèrent que la croissance des ruptures est identique pour les grands et les petits séismes. Certaines différences semblent apparaître après cette phase initiale de croissance car la rupture met un certain temps à s’arrêter. Ces observations suggèrent qu’il est possible d’estimer rapidement la magnitude d’un séisme avant que la rupture soit totalement terminée.</p>
<h2>Une culture historique des données ouvertes en sismologie</h2>
<p>Encore faut-il avoir accès aux données en temps réel, pour faciliter les applications opérationnelles sur le terrain, comme les alertes sismiques ou le dimensionnement rapide des opérations de secours suite à un fort séisme.</p>
<p>Le déploiement du réseau sismologique mondial s’est fait dans les années 1960, à la suite des discussions sur l’arrêt des tests nucléaires à la fin des années 1950 : il a été financé pour permettre la détection d’essais souterrains. Bien au-delà de la surveillance nucléaire, ce réseau a permis l’acquisition de données nécessaires à la recherche fondamentale en sismologie. Il comportait notamment un système de distribution ouvert garantissant un accès aux données sur demande. Le réseau sismologique mondial permet aujourd’hui de caractériser plusieurs milliers de séismes tous les ans.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/339753/original/file-20200604-67355-c1kioc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/339753/original/file-20200604-67355-c1kioc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/339753/original/file-20200604-67355-c1kioc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/339753/original/file-20200604-67355-c1kioc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/339753/original/file-20200604-67355-c1kioc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/339753/original/file-20200604-67355-c1kioc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/339753/original/file-20200604-67355-c1kioc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte de la sismicité globale depuis 1964. Chaque point correspond à un séisme. La couleur représente la profondeur du séisme.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.isc.ac.uk/">International Seismological Center</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>L’accès libre aux observations favorise la standardisation des moyens de mesure, de traitement et de partage des données. Au Japon par exemple, les données sismologiques ont pendant longtemps été acquises et traitées indépendamment par différentes organisations. Suite au séisme de Kobe en 1995, qui a causé des dégâts importants, un <a href="https://link.springer.com/article/10.1186/BF03353076">projet d’ampleur</a> a été mis en place pour améliorer les moyens d’observation. Aujourd’hui, le Japon possède l’un des réseaux sismologiques les plus denses au monde, avec plusieurs centaines de capteurs sismologiques fournissant des données de qualité et publiquement accessibles. Ces observations sont utilisées par l’agence météorologique japonaise pour la surveillance de l’activité sismique et l’alerte sismique.</p>
<h2>Des capteurs à bas coût permettent de multiplier les mesures et d’impliquer les citoyens</h2>
<p>Le développement de sismomètres à bas coût permet aujourd’hui une véritable démocratisation de la sismologie, qui devient une science participative. Ces capteurs sont généralement des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Acc%C3%A9l%C3%A9rom%C3%A8tre">accéléromètres</a> basés sur des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Microsyst%C3%A8me_%C3%A9lectrom%C3%A9canique">systèmes micro-électro-mécaniques</a> de taille extrêmement réduite, et permettent le <a href="https://meetingorganizer.copernicus.org/EGU2019/EGU2019-15478.pdf">déploiement de réseaux citoyens</a>, déployés chez les particuliers. Ces accéléromètres sont également présents dans beaucoup d’ordinateurs et de smartphones et peuvent être <a href="https://myshake.berkeley.edu">utilisés</a> pour détecter des secousses sismiques. Bien qu’ils soient beaucoup moins sensibles que des sismomètres conventionnels, les capteurs à bas coût ont une véritable utilité pour caractériser les mouvements associés aux séismes proches : les données produites directement par les particuliers peuvent être utilisés pour le suivi de sismicité et pour l’alerte sismique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/339742/original/file-20200604-67355-1ljfo69.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/339742/original/file-20200604-67355-1ljfo69.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/339742/original/file-20200604-67355-1ljfo69.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/339742/original/file-20200604-67355-1ljfo69.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/339742/original/file-20200604-67355-1ljfo69.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/339742/original/file-20200604-67355-1ljfo69.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/339742/original/file-20200604-67355-1ljfo69.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sismomètre bas-coût &ldquo ;Raspberry Shake&rdquo ;.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Marc Grunberg/École et Observatoire des Sciences de la Terre</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’amélioration des moyens observationnels a révolutionné notre compréhension des failles et des séismes. La combinaison de données sismologiques avec les méthodes de géodésie spatiale (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_de_positionnement_par_satellites">systèmes de positionnement</a> comme les GPS, <a href="https://planet-terre.ens-lyon.fr/article/interferometrie-radar.xml">interférométrie radar</a>) a mis à jour de nouveaux processus de déformation tectonique. Si les tremblements de terre sont les manifestations les plus visibles de l’activité des failles, on sait aujourd’hui qu’il existe des <a href="https://theconversation.com/seismes-lents-et-petites-cuilleres-112190">séismes lents</a>, pendant lesquels la faille glisse pendant plusieurs jours voire plusieurs mois sans générer d’ondes sismiques. Ces déformations transitoires sont souvent associés à une superposition de petits craquements enregistrés par les sismomètres. Dans certains cas, ces évènements semblent précéder l’occurrence de grands séismes ou des effondrements majeurs de caldeira volcaniques. </p>
<p>Bien qu’on soit très loin de parler de prévision des séismes, ces observations suggèrent qu’il est possible de détecter de faibles changements lors de la préparation des grands tremblements de terre. L’amélioration des réseaux sismologiques et géodésiques est fondamentale pour comprendre ces phénomènes et limiter l’impact des séismes sur nos sociétés.</p>
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<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte » publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, visitez le site <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139913/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Zacharie Duputel a reçu des financements publics de l'European Research Council et de l'Agence Nationale de la Recherche.</span></em></p>Prévenir à l’avance de l’arrivée d’un séisme ou d’un tsunami peut permettre de se mettre à l’abri et d’organiser les secours. Comment détecte-t-on rapidement ces évènements si imprévisibles ?Zacharie Duputel, Sismologue, Chargé de recherche au CNRS, Institut de Physique du Globe de Strasbourg, Ecole et Observatoire des Sciences de la Terre, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1375552020-05-03T17:45:25Z2020-05-03T17:45:25ZLe mystère des chevaux sauvages de Tchernobyl<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/331720/original/file-20200430-42946-b8gsld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=74%2C60%2C1784%2C1158&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Troupeau de chevaux de Przewalski dans la zone d’exclusion de Tchernobyl. Septembre 2016.</span> <span class="attribution"><span class="source">Luke Massey (www.lmasseyimages.com)</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Du fait de la contamination radioactive, on prédisait au tout début que la zone resterait inhabitable pendant plus de 20 000 ans. Tchernobyl se transformerait en un désert sans vie, croyait-on alors.</p>
<p>Trois décennies plus tard, de nombreuses études révèlent pourtant qu'une <a href="https://theconversation.com/visitamos-la-fauna-de-chernobil-33-anos-despues-del-accidente-nuclear-112893">communauté animale diverse et abondante</a> s'est développée sur les lieux de la catastrophe. De nombreuses espèces menacées aux niveaux national et européen trouvent aujourd’hui refuge dans la zone d’exclusion de Tchernobyl.</p>
<p>Le cas des chevaux de Przewalski en est un exemple frappant.</p>
<h2>Le dernier cheval sauvage ?</h2>
<p>L’existence des chevaux sauvages dans les steppes asiatiques est connue de l’Occident depuis le XV<sup>e</sup> siècle. Mais ce n’est qu’en 1881 que la science décrivit formellement cette espèce, à partir d’un crâne et d’une peau rapportés par le colonel russe Nikolái Przewalski. C’est ainsi que les chevaux jusqu’ici connus sous le nom de <em>takhi</em> (sacrés) en Mongolie devinrent les chevaux de Przewalski (<em>Equus ferus przewalski</em>).</p>
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<span class="caption">Cheval de Przewalski, zone d’exclusion de Tchernobyl (Ukraine). Septembre 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nick Beresford</span></span>
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<p>Pendant très longtemps, ils ont été considérés comme les seuls chevaux sauvages du monde. <a href="https://science.sciencemag.org/content/360/6384/111">Des études récentes</a> indiquent toutefois qu’ils sont en réalité une forme sauvage descendant des premiers chevaux domestiqués par le peuple Botai dans le nord du Kazakhstan il y a 5 500 ans.</p>
<p>À l’époque du colonel Przewalski, ces chevaux sauvages étaient déjà rares dans les steppes de Chine et de Mongolie. Le surpâturage et la chasse pour la consommation humaine ont provoqué leur déclin final. Le dernier spécimen sauvage fut observé dans le désert de Gobi en 1969.</p>
<p>La population en captivité ne connaissait pas non plus une évolution très positive. Dans les années 1950, seuls 12 de ces animaux étaient encore en vie dans des zoos européens. À partir de ces quelques individus, un programme de reproduction en captivité fut toutefois lancé et réussit à sauver l’espèce de l’extinction.</p>
<p>Aujourd’hui, on recense 2 000 chevaux de Przewalski. Plusieurs centaines vivent en liberté dans les steppes d’Asie et dans différentes régions d’Europe. Et notamment, à la surprise générale, à Tchernobyl.</p>
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<span class="caption">Goupe de chevaux de Przewalski dans la zone d’exclusion de Tchernobyl (Ukraine), septembre 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luke Massey (lmasseyimages.com)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Les chevaux de Tchernobyl</h2>
<p>À l’époque de l’accident dans la centrale nucléaire, aucun cheval de Pzrewalski ne vivait à Tchernobyl. Ce n’est qu’en 1998 que les 31 premiers individus arrivèrent dans la zone d’exclusion. Parmi eux, 10 mâles et 18 femelles étaient issus de la réserve naturelle d’Askania Nova, dans le sud de l’Ukraine, et 3 mâles provenaient d’un zoo local.</p>
<p>Après une importante mortalité liée à leur réinstallation et à la liberté, le taux de natalité élevé a porté la population à 65 individus en seulement cinq ans. Le braconnage intense entre 2004 et 2006 a décimé la population. Seuls 50 individus survivaient en 2007.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318635/original/file-20200304-66052-ighsol.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318635/original/file-20200304-66052-ighsol.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318635/original/file-20200304-66052-ighsol.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318635/original/file-20200304-66052-ighsol.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318635/original/file-20200304-66052-ighsol.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318635/original/file-20200304-66052-ighsol.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318635/original/file-20200304-66052-ighsol.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cheval de Przewalski mâle photographié par des appareils à capture d’images dans la forêt rouge, zona d’exclusion de Tchernobyl (Ukraine). Avril 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UK Centre for Ecology and Hydrology</span></span>
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<p>Du fait d’importantes mesures de protection, leur nombre a été multiplié par cinq seulement 20 ans après leur arrivée dans la zone. Le dernier recensement, effectué par des scientifiques locaux en 2018, a révélé que dans la partie ukrainienne de la zone d’exclusion vivent 150 chevaux. Ils se réunissent par troupeaux de 10 à 12, auxquels s’ajoutent des groupes de mâles et quelques chevaux solitaires. En 2018, au moins 22 poulains sont nés dans la zone d’exclusion. Certains ont migré vers le nord et se sont installés en Biélorussie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">UK Centre for Ecology and Hydrology </span></span>
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<p>Les appareils photo installés dans toute la zone d’exclusion ont montré que cette espèce, associée aux steppes, utilise pourtant beaucoup la forêt à Tchernobyl. Y compris la célèbre « forêt rouge », une des zones les plus radioactives de la planète.</p>
<p>Les <a href="http://www.esa.int/Space_in_Member_States/Spain/El_incendio_de_Chernobil_desde_el_espacio">récents incendies à Tchernobyl</a> ont sévèrement affecté certains lieux fréquentés par les chevaux de la zone. Une évaluation sera nécessaire pour mesurer les effets de ces feux sur la conservation de l’espèce dans la région.</p>
<h2>Les leçons à tirer des chevaux de Tchernobyl</h2>
<p>L’introduction des chevaux de Przewalski à Tchernobyl a été un succès, dont on peut tirer plusieurs leçons. Leur cas révèle une nouvelle fois qu’en l’absence d’humains, la zone s’est convertie en un refuge pour la faune sauvage. Cela doit nous faire réfléchir sur l’impact de la présence humaine sur les écosystèmes naturels. Sans activité humaine aux alentours et malgré une contamination radioactive, la mégafaune prospère.</p>
<p>D’autres zones affectées par la contamination radioactive comme celle résultant de l’accident de la <a href="https://esajournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/fee.2149">centrale de Fukushima</a> et des essais de la bombe atomique dans les <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/jul/15/quite-odd-coral-and-fish-thrive-on-bikini-atoll-70-years-after-nuclear-tests">atolls du Pacifique</a>, conservent également une grande diversité de faune. </p>
<p>Peut-être devrions-nous reconsidérer notre vision de l’impact à moyen et long terme de la radioactivité sur l’environnement.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, nous avons besoin de comprendre mieux les mécanismes qui permettent à la faune de vivre dans des zones de contamination radioactive. </p>
<p>Beaucoup de questions se posent. Les organismes vivant à Tchernobyl sont-ils exposés à une radiation moins forte que prévue ? Cette exposition est-elle moins nocive ? Leurs organismes disposent-ils des mécanismes de réparation plus efficaces qu’attendu face aux dommages cellulaires causés par la radiation ?</p>
<p>Pour répondre à ces questions, nous devons continuer à faire appel à la science et à recueillir plus d'informations. </p>
<p>En septembre 2020, nous espérons commencer un travail avec les chevaux de Przewalski présents à Tchernobyl, pour tenter de dévoiler les mystères qui expliquent que cette espèce et beaucoup d’autres prospèrent dans la zone d’exclusion.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été traduit de l'espagnol par <a href="https://theconversation.com/profiles/nolwenn-jaumouille-578077">Nolwenn Jaumouillé</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137555/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Germán Orizaola a reçu des financements du Ministère de la science et de l’innovation espagnol à travers le programme "Ramón y Cajal" (RyC-2016-20656), de la principauté des Asturies à travers le Programme Grupos de Investigación (IDI/2018/000151) et de l’autorité suédoise de sécurité nucléaire.</span></em></p>Dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, des chevaux sauvages originaires des steppes d’Asie prospèrent, avec une population en expansion alors que l’accident nucléaire fait tout juste ses 34 ans.Germán Orizaola, Investigador Programa Ramón y Cajal, Universidad de OviedoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1342752020-03-30T19:02:34Z2020-03-30T19:02:34ZBarrières, confinement, distanciation : les leçons des accidents nucléaires<p>Depuis plusieurs semaines, nous vivons une situation exceptionnelle liée à la propagation du Covid-19, mais plus encore aux diverses mesures contraignantes mises en place pour limiter la pandémie : « confinement », « distanciation » sociale ou encore mise en place de « gestes barrières ».</p>
<p>Ces mesures – dont certaines ont une histoire qui remonte <a href="https://wwwnc.cdc.gov/eid/article/19/2/12-0312_article">au Moyen âge</a> – font partie d’une panoplie de méthodes de gestion des risques <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_gouvernement_des_technosciences-9782707175045.html">dont l’industrie nucléaire est le principal incubateur</a> depuis la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>L’étude de leur genèse et de leurs évolutions au fil des accidents constitue ainsi une source d’inspiration pour la gestion de la pandémie en cours et de ses suites.</p>
<h2>Mettre à distance les installations nucléaires</h2>
<p>En tant que vecteur du virus, l’humain est à la fois victime et bourreau de ses semblables. Un des premiers principes mis en place pour faire face au Covid-19 concerne la distanciation sociale, matérialisée par l’interdiction de rassemblements ou le respect d’une distance de sécurité entre chaque individu.</p>
<p>La protection par l’éloignement du danger – qui fut à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, la <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2011-3-page-34.htm">première forme de gestion des risques industriels</a> – a trouvé l’une de ses formes la plus aboutie dans l’industrie nucléaire.</p>
<p>Lors de la Seconde Guerre mondiale, pour des raisons de secret militaire et de protection contre les radiations, les sites du « projet Manhattan » de fabrication des bombes atomiques américaines sont choisis loin des villes. Le site de Hanford, par exemple, destiné à la production de plutonium, est sélectionné en 1942 dans une zone désertique, à plus de 30 km des premières zones urbaines.</p>
<p>Ce <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=0&a=top">principe d’éloignement des populations</a> a largement accompagné le développement des premiers réacteurs nucléaires à travers le monde.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le réacteur B d’Hanford (au centre) en 1944.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span></span>
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<p>Mais cette méthode de gestion des risques n’a pas résisté à la survenue des premiers accidents et de leurs conséquences sanitaires qui, à l’instar du coronavirus, ne se sont pas arrêtés aux frontières.</p>
<p><a href="https://www.laradioactivite.com/site/pages/Windscale.htm">En 1957, l’accident de Winscale</a> provoque un nuage radioactif qui traverse toute l’Angleterre et une partie de l’Europe de l’Ouest. De même, en avril 1986 l’accident nucléaire de Tchernobyl entraîne une contamination massive de l’environnement dans plusieurs pays européens. En France, l’accident entraîne une crise de confiance durable à l’égard des experts et politiques, c’est l’affaire du <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-france-nucleaire-l-art-de-gouverner-une-technologie-contestee-sezin-topcu/9782021052701">« nuage de Tchernobyl »</a>.</p>
<h2>Confiner les atomes radioactifs</h2>
<p>Après avoir préconisé des mesures peu contraignantes pour tenir dans la durée, Emmanuel Macron <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/17/nous-sommes-en-guerre-face-au-coronavirus-emmanuel-macron-sonne-la-mobilisation-generale_6033338_823448.html">déclare finalement « la guerre » à l’épidémie le 16 mars</a> dernier.</p>
<p>En effet, la distance sociale est rapidement considérée comme insuffisamment efficace et des mesures de confinement sont mises en place.</p>
<p>À travers le respect du mot d’ordre « restez chez vous », on vise la limitation de la propagation du Covid-19 par le confinement d’une grande partie de la population, combinée à la mise en œuvre de gestes barrières – tousser dans son coude, ne pas se serrer la main, etc.</p>
<p>Dans le cas du nucléaire, c’est à partir des années 1950 que sont développées aux États-Unis les premières méthodes de « confinement » des matières radioactives au sein des installations nucléaires.</p>
<p>Il s’agit de mettre en place des barrières successives et indépendantes entre ces matières et l’environnement pour éviter leur dissémination en cas d’accident. La plupart des réacteurs aujourd’hui en exploitation dans le monde disposent de <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/La_surete_Nucleaire/risque-nucleaire/demarche-prevention/Pages/2-barrieres-de-confinement.aspx#.Xnye3HLjI2w">trois barrières de confinement successives</a> : une gaine métallique qui enveloppe le combustible radioactif ; le circuit primaire du réacteur ; enfin, un bâtiment étanche et résistant (appelé enceinte de confinement).</p>
<p>À la fin des années 1960, les Américains parachèvent cette méthode avec le concept de <a href="https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-00720761">« défense en profondeur »</a> basé sur une série de lignes de défenses physiques et organisationnelles.</p>
<p>En 1979, l’accident de Three Mile Island (Pennsylvanie) constitue un choc important pour l’opinion publique nord-américaine, mais confirme dans le même temps que l’enceinte de confinement du réacteur remplit parfaitement son rôle d’ultime barrière.</p>
<p>Critiquant l’absence d’un tel dispositif dans le cas de Tchernobyl et confiants dans la sûreté de leurs réacteurs, certains experts occidentaux n’ont pas hésité à qualifier la catastrophe russe d’« accident soviétique »… Ce n’est pas sans rappeler l’emploi du terme « virus chinois » par <a href="https://www.liberation.fr/direct/element/quand-trump-corrige-son-discours-a-la-main-pour-dire-virus-chinois-plutot-que-coronavirus_110962/">Donald Trump</a>.</p>
<p>En France, la mise en place des premières mesures de confinement des <a href="http://www.leparisien.fr/societe/coronavirus-les-derniers-rapatries-de-wuhan-quittent-carry-le-rouet-ce-dimanche-16-02-2020-8260617.php">rapatriés Français de Wuhan</a> dans des centres de vacances ou la gestion de malades dans la station alpines des Contamines ont également donné le sentiment d’une possible maîtrise de l’épidémie par le confinement des <em>clusters</em>. Alors que la vague épidémique commence à déferler sur l’Italie au début du mois de mars, certains experts et politiques français <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/12/en-italie-la-durete-des-mesures-restrictives-tient-a-la-fragilite-du-systeme-de-sante_6032715_3232.html">critiquent les mesures de confinement drastiques prises par nos voisins</a>.</p>
<h2>Quand survient la vague</h2>
<p>Le 11 mars 2011, un tsunami s’abat sur la centrale de Fukushima et détruit l’ensemble des dispositifs de confinement entraînant la fusion de trois réacteurs. Le réflexe politique est alors de le considérer lui aussi <a href="https://www.lesechos.fr/2016/05/nucleaire-sarkozy-ironise-sur-un-tsunami-a-fessenheim-207203">comme un accident typiquement japonais</a>, même si pour le président de l’Autorité de sûreté nucléaire française, c’est la preuve indéniable qu’un <a href="https://www.liberation.fr/futurs/2016/03/03/il-faut-imaginer-qu-un-accident-de-type-fukushima-puisse-survenir-en-europe_1437315">accident nucléaire est possible en France</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=771&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=771&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=771&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=969&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=969&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=969&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’édition du <em>Parisien</em> du 26 mars 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Le Parisien</span></span>
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<p>Pour faire face à l’échec du confinement révélé à Fukushima, l’idée retenue en France est de mettre en place une barrière de confinement supplémentaire : le noyau dur.</p>
<p>Ce dispositif propose de « sanctuariser » un nombre limité d’équipements vitaux pour l’installation en cas d’aléas naturels extrêmes. De plus, en cas d’accident, une Force d’action rapide nucléaire (FARN), composée de ressources humaines et de matériels d’urgence, doit permettre de sauver la situation. Si les acteurs du nucléaire se préparent à gérer le pire, ils n’ont pas abandonné pour autant l’idée de pouvoir le maîtriser ou d’en limiter les conséquences.</p>
<p>Malgré la mise en place de principes de confinement, si indispensables soient-ils, un accident nucléaire reste possible. Dans le cas du Covid-19, devant la <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/video-coronavirus-philippe-met-en-garde-contre-la-vague-extremement-elevee-qui-deferle-sur-la-france_3887263.html">« vague » qui arrive</a>, la tentative de maîtrise des milliers d’accidents journalier de perte de confinement individuels est un projet d’urgence complexe à mettre en œuvre mais qui paraît nécessaire.</p>
<p>À l’instar d’une crise nucléaire, la gestion de l’urgence sanitaire nécessite une préparation et un entraînement poussé, ce qui ne fut manifestement pas le cas comme en témoigne la <a href="https://theconversation.com/la-france-en-penurie-de-masques-aux-origines-des-decisions-detat-134371">gestion du stock de masques</a> dans notre pays.</p>
<p>En outre, la gestion d’une pandémie, comme celle d’un accident nucléaire, s’étale dans le temps et il est toujours périlleux d’en décréter la fin : <a href="https://mobile.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-pourquoi-deux-semaines-supplementaires-de-confinement-pourraient-ne-pas-suffire-a-endiguer-l-epidemie_3888985.html">nouvelles vagues épidémiques, déconfinement progressif</a> ou encore gestion des conséquences sociales et économiques à long terme.</p>
<p>Par exemple, à la catastrophe nucléaire de Fukushima s’est ajouté une catastrophe humaine, sociale et économique pour le Japon. On pense notamment à la <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/fukushima-2019/Documents/IRSN-Report-2019-00178_Shinrai-Research-Project_032019.pdf">gestion socio-politique complexe</a> des quelques 300 000 déplacés, qui ont été <a href="https://www.lepoint.fr/monde/insultes-et-stigmatisation-pour-les-deplaces-de-fukushima-10-03-2017-2110791_24.php">ostracisés</a>, tout comme le sont aujourd’hui les habitants de Wuhan.</p>
<p>L’exemple de la gestion du risque nucléaire invite avant tout à l’humilité dans nos capacités à maîtriser les risques par la distanciation et le confinement. L’épisode en cours encourage à se doter pour l’avenir de capacités de projection, de créativité et <a href="http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/Lagadec-LeTempsdelInvention.pdf">d’invention</a> qui seront nécessaires à la préparation des crises futures.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134275/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Mangeon effectue des travaux pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sans rapport avec l’objet de l’article. Il a reçu des financements de l’IRSN.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathias Roger effectue des travaux pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sans rapport avec l’objet de l’article. Il a reçu des financements de l’IRSN.</span></em></p>Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’industrie nucléaire est le principal incubateur des mesures de distanciation et de confinement mises en place pour prévenir les accidents et les crises.Michaël Mangeon, Enseignant vacataire risques environnementaux, chercheur et consultant indépendant, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresMathias Roger, Doctorant en histoire et sociologie des sciences et des techniques, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1332752020-03-10T18:44:22Z2020-03-10T18:44:22ZFukushima : neuf ans après la catastrophe, l’eau contaminée sème toujours la discorde<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/319404/original/file-20200309-118897-1m1f2vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Inspecteurs de l’AIEA devant une aire de stockage d’eau contaminée. </span> </figcaption></figure><p>Le 11 mars 2011, le Japon est frappé par un séisme et un tsunami dévastateurs. La centrale de Fukushima Daiichi, où sont exploités six réacteurs nucléaires, est confrontée à une situation d'urgence absolue. Sur place, les équipes dirigées par <a href="https://theconversation.com/hommage-a-masao-yoshida-le-directeur-de-la-centrale-de-fukushima-mort-le-9-juillet-2013-99396">Masao Yoshida</a> mènent une lutte acharnée. Au fil des jours, les opérateurs parviennent à reprendre la main sur les installations en injectant de l'eau dans les cuves des réacteurs.</p>
<p>Or pour maintenir les réacteurs à basse température, cette injection d'eau doit être assurée en continu. Masao Yoshida prend vite conscience que le liquide, devenu radioactif, va finir par déborder, ou s'écouler par certaines fissures. Ses craintes deviennent très rapidement réalité : le 24 mars 2011, de l'eau fortement contaminée est détectée dans le bâtiment du réacteur 1.</p>
<p>Le 27 mars 2011, lors d’une réunion organisée au siège de l'exploitant Tepco, Yoshida expose sans détour la situation : le traitement des eaux est primordial pour stabiliser l'état des réacteurs. Il propose de rejeter à la mer l'eau faiblement contaminée stockée dans le centre de traitement des déchets afin d’y recevoir de l'eau fortement contaminée. </p>
<p>Il y a aussi le problème de l'inondation des sous-sols des bâtiments hébergeant les réacteurs 5 et 6. Pour Yoshida, la solution passe également par l’évacuation de l'eau et son rejet dans la mer. Il demande alors aux représentants de Tepco, du gouvernement et de l'Agence de sûreté industrielle et nucléaire (NISA) de se prononcer au plus vite sur ces rejets.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En mars 2011, préparation de l’injection d’eau dans le bâtiment du réacteur 4.</span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des réservoirs d’eau contaminée situés dans la zone G de Fukushima Daiichi (septembre 2013).</span>
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<h2>1500 tonnes rejetées</h2>
<p>Du côté des officiels, tout rejet en mer est inenvisageable, la radioactivité de l'eau dépassant le niveau autorisé pour une telle opération. Yoshida se plie à l'injonction, condamné à laisser les eaux souterraines monter, les infiltrations dans les bâtiments s'intensifier et les eaux stagnantes augmenter. Une telle situation menace les réseaux électriques et les moyens de refroidissement, pouvant entraîner, dans le pire des scénarios, la fusion du cœur des réacteurs. Le directeur de la centrale se projette : en cas d'extrême urgence, si rien n'est décidé, il se tient prêt à désobéir et rejeter ces eaux dans l'océan.</p>
<p>Le 2 avril 2011, une fuite d'eau hautement contaminée est découverte dans le réacteur 2. Une cellule de crise se réunit au matin du 4 avril. Les membres ordonnent à Yoshida de colmater la fuite coûte que coûte, sans proposer la moindre solution pour traiter et stocker l'eau. Yoshida explose, comme en témoigne son récit des événements rapporté dans <em><a href="https://amzn.to/2vJx4X8">L'accident de Fukushima Daiichi</a></em> :</p>
<blockquote>
<p>« Je crois que j'ai réagi assez violemment, je crois même que je leur ai crié dessus qu'il leur appartenait aussi de réfléchir au problème. Je pense que c'est à partir de ce moment qu'ils ont commencé à y réfléchir sérieusement. » </p>
</blockquote>
<p>Dans la journée du 4 avril 2011, il obtient finalement l'autorisation de rejeter 1500 tonnes d'eau contaminée retenues dans le centre de traitement et les tunnels de service des unités 5 et 6. Pourquoi 1500 tonnes ? </p>
<blockquote>
<p>« Quand j'ai posé la question au siège, ils m'ont répondu que cela avait été calculé en fonction de l'impact environnemental, qu'ils avaient déjà communiqué ce chiffre à la NISA et qu'il était trop tard pour revenir dessus. » </p>
</blockquote>
<p>Yoshida aurait voulu qu'on l'autorise à évacuer l'eau des tunnels de manière continue. La décision, qui l'étonne par sa rapidité, apporte malgré tout un grand soulagement. Elle va lui permettre de continuer l'injection d'eau dans les installations, en attendant l'arrivée des premiers réservoirs de stockage.</p>
<h2>Trop-plein à l'horizon</h2>
<p>Dans les années qui suivent la catastrophe, les travaux s'enchaînent et les réservoirs d'eau contaminée s'accumulent sur le site. En réponse au manque d'espace, plusieurs options sont envisagées : le stockage durable, l'évaporation, le rejet en mer de l'eau après traitement. </p>
<p>Dès 2014, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) préconise cette dernière solution. En 2016, une commission d'experts mandatée par le ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie japonais (METI) s'aligne sur cet avis. Mais le projet suscite trop d'inquiétude au sein de l'opinion publique et le gouvernement décide de ne pas l'autoriser.</p>
<p>La situation évolue sensiblement le 9 août 2019 : Tepco déclare que la limite de stockage de l'eau contaminée sera <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/08/13/fukushima-par-manque-d-espace-de-stockage-de-l-eau-radioactive-pourrait-etre-deversee-dans-l-ocean_5499092_3244.html">atteinte à l'été 2022</a>. Une nouvelle commission est alors chargée d'examiner la possibilité du rejet en mer. Si l'Autorité de régulation nucléaire japonaise <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/japon/fukushima/le-japon-va-t-il-vraiment-deverser-l-eau-radioactive-de-la-centrale-nucleaire-de-fukushima-dans-l-ocean_3621433.html">y est favorable</a>, à l'instar du directeur général adjoint de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Greenpeace se prononce en faveur du <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/comment-16-grammes-de-tritium-dans-un-million-de-litres-deau-paralysent-fukushima-1166730">stockage à long terme</a>. </p>
<p>Au vu des enjeux, des polémiques et des incertitudes – en particulier en termes de pollution marine –, le gouvernement décide une nouvelle fois d’attendre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Octobre 2019, le ministre de l’Environnement, Shinjiro Koizumi, en visite à Fukushima Daiichi.</span>
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<h2>Un dérapage et un ministre plus tard</h2>
<p>Nouveau rebondissement le 10 septembre 2019 : Yoshiaki Harada, ministre de l'Environnement, annonce aux journalistes que la seule solution au problème de l'eau contaminée consiste à la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/japon/fukushima/le-japon-envisage-d-evacuer-l-eau-radioactive-de-fukushima-dans-le-pacifique_3610663.html">déverser en mer</a>. </p>
<p>Cette prise de position provoque un tollé, tout particulièrement chez les pêcheurs de la préfecture de Fukushima qui craignent pour leur activité. Le porte-parole du gouvernement tente de limiter les dégâts, réprimandant le ministre pour des propos qualifiés de « personnels ». Désavoué, Harada quitte ses fonctions dès le lendemain. Il est remplacé par le très populaire <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/japon-le-nouveau-ministre-de-l-environnement-veut-se-debarrasser-du-nucleaire-20190912">Shinjiro Koizumi</a> qui se rend à Fukushima le <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/12/l-eau-contaminee-poison-durable-de-fukushima_5509489_3244.html">12 septembre 2019</a>. </p>
<p>Le nouveau ministre condamne l'irresponsabilité de son prédécesseur et déclare vouloir faire sortir le Japon du nucléaire. Il cherche à rassurer l’opinion publique mais aussi les pays voisins de l'archipel, comme la Corée du Sud, inquiète pour l'avenir de ses pêcheurs et la santé de ses athlètes, qui doivent rejoindre en juillet 2020 le Japon pour les Jeux olympiques d’été.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Stock d’équipements en Tyvek, J-Village ; en haut, une sculpture de footballeurs (7 octobre 2011).</span>
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<h2>En attendant les JO</h2>
<p>Le 19 décembre 2019, les organisateurs des JO ont dévoilé que le relais de la flamme olympique débutera le <a href="https://tokyo2020.org/fr/news/notice/20190312-02.html">26 mars prochain au J-Village</a>, un complexe d'entraînement de footballeurs situé dans la préfecture de Fukushima et utilisé comme base opérationnelle durant la crise nucléaire. </p>
<p>Une mise en scène soigneusement étudiée pour exposer au monde la renaissance de la région après la double catastrophe, naturelle et technologique, de 2011. Mais l'eau contaminée de Fukushima vient jouer les trouble-fêtes et le dossier est à nouveau évoqué dans les médias le 24 décembre. Selon un fonctionnaire d'État, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/fukushima-rejeter-l-eau-contaminee-seule-solution-20191224">« l'option d'un simple stockage à long terme n'est plus envisagée »</a>. Les jeux sont-ils faits ? Pas encore, le gouvernement ayant tout intérêt à attendre la fin des JO pour se prononcer.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À gauche, Masao Yoshida, directeur de Fukushima Daiichi (mai 2011) ; à droite, Goshi Hosono, conseiller spécial du Premier ministre (avril 2011).</span>
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<h2>Le temps de la décision</h2>
<p>Aujourd'hui, la capacité de stockage de l'eau est sur le point d'atteindre sa limite et l'urgence se fait à nouveau sentir ; le gestionnaire se retrouve confronté à l'indécision du décideur. Est-ce un retour à la case départ ? Pas tout à fait, car la situation a évolué. </p>
<p>Premièrement, il ne s'agit plus de 1500 tonnes, mais bien d'un million de tonnes d'eau à déverser dans l'océan. Or, pour certains experts, cette eau est trop contaminée et son rejet inacceptable. </p>
<p>Au Japon, le projet divise et reste très discuté. Selon un sondage réalisé fin février 2020 par le quotidien <em>Asahi Shimbun</em>, il est approuvé seulement par <a href="https://www.upi.com/Top_News/World-News/2020/02/28/Report-Japan-requested-IAEA-valuation-of-Fukushima-plan/4961582912710/">31% des Japonais</a> (57% s'y opposent). </p>
<p>À l'échelle de la préfecture de Fukushima, l'ancien gouverneur Yuhei Sato considère que le rejet en mer serait une grave erreur et <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2020/02/25/national/social-issues/fukushima-radioactive-water-damage/#.XljQmkdCcUE">qu'il ruinerait tous les efforts</a> effectués pour dissiper l'image négative du public sur les produits agricoles locaux, la pêche et le tourisme. </p>
<p>D'autres voix se font toutefois entendre. Goshi Hosono, conseiller spécial du Premier ministre à l'époque de la catastrophe et actuellement député à la chambre des représentants, se déclare <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2020/02/25/national/social-issues/fukushima-radioactive-water-release/#.Xli8LkdCcUE">favorable au rejet en mer</a>. S'appuyant sur l'avis du groupe d'experts du METI, il estime que ce plan aurait une faible incidence environnementale et sanitaire. </p>
<p>Hosono a été un interlocuteur privilégié de Yoshida en mars 2011. Au plus fort de la crise, il a témoigné son empathie envers des équipes de la centrale dénigrées par les autres acteurs institutionnels. Figure respectée, sa récente intervention est un coup dur pour les opposants au rejet en mer.</p>
<p>De son côté, l'AIEA a enfoncé un peu plus le clou. Son directeur a rappelé, au cours d'une visite du site le 26 février, que l'option répond aux normes internationales et qu'elle relève d'un <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2020/02/27/national/iaea-chief-fukushima-water/#.Xli8J0dCcUE">moyen courant de libérer l'eau</a> dans les centrales du monde entier.</p>
<p>Le système d'acteurs a également changé depuis 2011. À l'époque, il se composait de l'exploitant, du gouvernement, de l'autorité de sûreté et, dans une certaine mesure, de l'opinion publique japonaise. Entre temps, un nouvel acteur est apparu : la communauté internationale, qui considère avec inquiétude la possibilité d'un rejet en mer et son impact délétère sur le vivant. Le débat désormais est planétaire. En plus de questionner le droit de contaminer le milieu marin, le projet met en jeu l'image du Japon, complexifiant d'autant la prise de décision.</p>
<p>Aucune solution n'est actuellement satisfaisante. Même si l'exploitant parvient à augmenter sa capacité de stockage, il n'est pas à l'abri d'une fissure et d'une fuite de cuve. Sans parler du combustible fondu des réacteurs 1, 2 et 3, matière hautement radioactive dont l'extraction soulève un immense défi technique. </p>
<p>Neuf ans plus tard, <a href="http://latelelibre.fr/reportages/fukushima-voyage-au-coeur-de-la-centrale/">l'accident de Fukushima</a> n'est toujours pas terminé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133275/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Que faire de l’eau contaminée qui s’accumule sur le site de Fukushima ? Entre stockage et rejets en mer, la polémique fait toujours rage au Japon.Aurélien Portelli, Chargé de recherche en histoire des risques industriels, Centre de recherche sur les Risques et les Crises, Mines Paris - PSLFranck Guarnieri, Directeur du Centre de recherche sur les risques et les crises, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1297222020-01-20T20:42:16Z2020-01-20T20:42:16ZAu Bélarus, la centrale nucléaire de la discorde<p>Un peu plus de trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, le Bélarus, dont le territoire a pourtant été le <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/world/2016/04/17/belarus-border-town-chernobyl-30th-anniversary/82888796/">plus touché par les retombées de l’accident</a>, s’apprête pour la première fois de son histoire à mettre en service une centrale nucléaire.</p>
<p>Dotée de deux réacteurs, la centrale d’Astravets (Ostrovets en <a href="http://regard-est.com/pourquoi-parler-de-belarus-pourquoi-ne-pas-parler-de-bielorussie">bélarussien</a>) a été construite par la compagnie Atomstroyexport, filiale du monopole public russe Rosatom, grâce à un « prêt » de 10 milliards de dollars consenti par Moscou qui couvre près de 90 % de son financement. L’un des deux réacteurs VVER-1 200 sera a priori destiné à la consommation intérieure, tandis que l’autre permettra au Bélarus d’exporter de l’électricité dans la région. Minsk s’est par ailleurs engagé à acheter auprès de la Russie l’ensemble du combustible nucléaire pour la durée de vie des réacteurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1164066908406255618"}"></div></p>
<h2>Une angoisse lituanienne</h2>
<p>Depuis que le projet a été annoncé en 2011, les autorités lituaniennes n’ont pas ménagé leurs efforts pour alerter leurs partenaires sur les risques que pourrait présenter cette installation en matière de sûreté. Elles ne manquent pas d’arguments :</p>
<ul>
<li><p>le Bélarus n’a aucune expérience en matière de nucléaire civil ;</p></li>
<li><p>la Russie, fournisseur de la centrale, a déjà connu des accidents nucléaires gravissimes ;</p></li>
<li><p>le site est reconnu comme zone sismique ;</p></li>
<li><p>la centrale est située à la toute proximité de la capitale lituanienne (50 km environ), foyer de peuplement important (500 000 habitants). Or l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) recommande depuis 2013 de ne pas installer de centrale nucléaire à moins de 100 km des zones de fort peuplement ;</p></li>
<li><p>les eaux de refroidissement utilisées seront celles de la rivière Néris, qui arrose Vilnius avant de se jeter dans le Nemunas (qui lui-même fournit la majeure partie de l’eau potable en Lituanie) ;</p></li>
<li><p>la construction de la centrale a été émaillée d’incidents sur lesquels ni les autorités bélarusses ni Atomstroyexport n’ont manifesté une forte appétence à la transparence.</p></li>
</ul>
<p>Le Bélarus, de son côté, rappelle qu’il a procédé en 2018 à des <a href="http://www.ensreg.eu/sites/default/files/attachments/hlg_p2018-36_155_belarus_stress_test_peer_review_report_0.pdf">stress-tests</a> exigeants et qu’il s’apprête à suivre les recommandations formulées par l’AIEA en matière de sûreté nucléaire. Il précise aussi qu’il ne compte pas renoncer à cette centrale qui va lui permettre de diversifier son mix énergétique.</p>
<h2>Un irritant bilatéral porté hors des frontières</h2>
<p>Vilnius a d’abord cherché des appuis auprès des capitales de l’Union européenne pour entraver la construction de la centrale. Mais le Bélarus n’étant pas membre de l’UE, la marge de manœuvre de Bruxelles et des États membres est minime.</p>
<p>La Lituanie a donc tenté de porter le différend devant d’autres instances. En 2011, elle a en particulier déposé une plainte devant la Convention d’Espoo (<a href="http://www.unece.org/fileadmin/DAM/env/eia/documents/legaltexts/conventiontextfrench.pdf">Convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière</a>, ONU, 1991) pour violation des évaluations d’impact environnemental. En effet, le Bélarus n’a pas effectué d’étude préalable d’impact sur l’environnement ni organisé de débat public dans le pays voisin ou de consultations bilatérales avec lui, comme le prévoit la Convention d’Espoo. En 2013, cette dernière a émis des recommandations à fin de rectification puis, en février 2019, une large majorité des pays parties ont statué sur le <a href="http://regard-est.com/lituanie-premiere-victoire-a-lencontre-de-la-centrale-nucleaire-belarusse-dastravets">caractère inapproprié du site de construction</a>. Notification qui n’a valeur que de recommandation.</p>
<p>Les autorités lituaniennes ont également poussé à la mention, dans le <a href="https://www.lrt.lt/naujienos/news-in-english/19/1124940/eu-s-green-deal-to-stifle-belarus-nuclear-energy-exports">« Green Deal »</a> proposé par la Commission européenne en décembre 2019, d’une clause selon laquelle les installations nucléaires dans les pays tiers doivent respecter les normes internationales les plus élevées en matière environnementale et de sécurité.</p>
<h2>Quand le temps presse</h2>
<p>En 2017, la Lituanie a adopté une loi l’engageant à ne pas acheter d’électricité provenant de sources produites au mépris des règles de sécurité. Le Parlement lituanien a alors déclaré la centrale d’Astravets « menace à la sécurité nationale, à l’environnement et à la santé publique ». Vilnius interdit également l’utilisation des infrastructures lituaniennes pour transporter l’électricité d’Astravets. En décembre 2019, le Parlement a adopté un amendement prévoyant des retraits de licence d’importation pour les agents économiques qui achèteraient de l’électricité provenant de cette centrale.</p>
<p>Mais pour que ces mesures aient du sens et que la Lituanie ne se trouve pas pénalisée dans son isolement, Vilnius a dû tenter de convaincre les pays voisins potentiellement clients de l’électricité bélarusse – Pologne, Lettonie, Estonie et Finlande – de s’engager dans le même sens. Avec un succès mitigé, puisque seule la Pologne a suivi le mouvement ébauché par Vilnius.</p>
<p>Alors que la centrale a procédé à ses premiers tests en décembre 2019, pour une mise en service du premier réacteur au cours du premier trimestre 2020, Vilnius change de nouveau de stratégie : pour le ministre des Affaires étrangères Linas Linkevičius, demander à Minsk de stopper le processus de mise en route de la centrale à ce stade serait tout aussi <a href="https://www.lrt.lt/en/news-in-english/19/1128472/demanding-belarus-to-stop-nuclear-plant-too-radical-says-lithuanian-foreign-minister">« irréaliste et trop radical »</a> que d’exiger son déplacement. Ayant échoué à disqualifier la centrale en hypothéquant sa rentabilité, Vilnius privilégie aujourd’hui le dialogue, afin de rester informé de l’avancée des travaux, de la mise en service et d’éventuels problèmes, au nom du pragmatisme.</p>
<h2>Une centrale au service des intérêts de la Russie ?</h2>
<p>Les caractéristiques de la centrale sont souvent mises en avant par ceux qui veulent y voir une preuve de la stratégie russe de mise sous tutelle du Bélarus. Par exemple, <a href="https://www.cepa.org/astravets-nuclear-power-plant">Minsk doit rembourser le prêt de la Russie d’ici à 2036</a>. Compte tenu de ses fragilités budgétaires, en cas de difficulté de remboursement, la propriété de la centrale pourrait passer dans les mains de la Russie, accroissant encore la <a href="https://www.atlanticcouncil.org/wp-content/uploads/2017/07/Nuclear_Geopolitics_in_the_Baltic_Sea_Region_web_0731.pdf">dépendance bélarusse</a>.</p>
<p>On soupçonne également Astravets de viser à maintenir la Russie dans son rôle d’acteur énergétique notable dans la région de la mer Baltique, en retardant la déconnexion des Baltes du système électrique BRELL (Bélarus, Russie, Estonie, Lettonie, Lituanie). Cette désynchronisation est en effet contraire aux intérêts de Moscou qui souhaite continuer d’exporter de l’électricité vers les pays de la région pour des raisons économiques, voire géopolitiques, mais aussi par souci de connexion entre la « Russie continentale » et l’enclave de Kaliningrad. La localisation de la centrale semble attester cette préoccupation : alors que les industries consommatrices d’électricité se trouvent plus au sud du pays, Astravets pèche étrangement par son éloignement des centres névralgiques bélarusses. Dès 1993, l’Académie des sciences de Minsk, évaluant une trentaine de sites possibles, avait d’ailleurs décrété que <a href="https://naviny.by/new/20170131/1485873043-uchenyy-na-ploshchadke-belaes-nichego-bolee-otvetstvennogo-chem">celui d’Astravets était le pire</a>.</p>
<p>Certains vont jusqu’à soupçonner la Russie de vouloir créer des dissensions dans la région : l’opposition frontale de la Lituanie n’a en effet pas fait l’unanimité auprès de ses partenaires, au point que Vilnius s’est un moment trouvé isolé sur le sujet d’Astravets, voire a suscité une fatigue au sein de l’UE, de l’AIEA, auprès de la Convention d’Espoo…</p>
<p>Par ailleurs, la localisation d’une centrale nucléaire aux portes de l’OTAN peut justifier une présence militaire russe pour protéger ce site sensible. Fin 2016, le Bélarus a installé une base militaire à proximité de la centrale afin d’assurer sa sécurité. Rien ne dit que cette base sera jugé suffisante par Moscou, qui pourrait souhaiter la renforcer.</p>
<p>Enfin, Vilnius estime que la centrale peut être utilisée comme instrument de guerre hybride : l’annonce, même erronée, d’un incident intervenu sur la centrale entraînerait l’évacuation de la capitale lituanienne, avec toutes les conséquences sociales, économiques et politiques que l’on peut imaginer…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129722/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Bayou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sa centrale nucléaire permettra au Bélarus de produire assez d’électricité pour assurer sa consommation intérieure et même pour en exporter. Mais cette perspective ne réjouit pas tous ses voisins…Céline Bayou, Chercheuse associée au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1222422019-08-29T19:07:12Z2019-08-29T19:07:12ZLa série « Chernobyl » réécrit-elle l’histoire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/289075/original/file-20190822-170951-1c8jtaa.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=114%2C0%2C1350%2C739&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La mini-série de dix épisodes retrace la catastrophe nucléaire survenue en 1986 à Tchernobyl, en URSS.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/series/ficheserie-22429/photos/detail/?cmediafile=21626447">Site Allociné</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La série <em>Chernobyl</em>, diffusée en mai par la chaîne américaine HBO, a suscité un intérêt exceptionnel, qui lui a valu de nombreuses réactions. Outre les <a href="http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18682103.html">critiques dithyrambiques</a> de la presse et du public, il y en a une à première vue plus curieuse : le 10 juin, la chaîne publique russe NTV annonçait qu’elle produirait une <a href="http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/series/chernobyl-remontee-contre-la-serie-la-russie-va-produire-sa-propre-version-10-06-2019-8090373.php">contre-série avec une narration alternative</a>.</p>
<p>Selon elle, tout comme d’autres voix critiques russes, le réalisateur de <em>Chernobyl</em> Craig Mazin, qui propose une vision « réaliste » de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, aurait exagéré le rôle funeste des autorités soviétiques dans l’accident. La version russe, prenant un peu « plus de liberté » avec l’histoire de la catastrophe, <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jun/07/chernobyl-hbo-russian-tv-remake">selon <em>The Guardian</em></a>, met un agent de la CIA et un agent du contre-espionnage soviétique au centre de l’intrigue.</p>
<p>Cette initiative nous révèle au moins deux choses : d’une part, que les débats politiques autour de l’accident de Tchernobyl et de ses causes sont loin d’être clos et affectent à la fois la production de la série et sa réception. D’autre part que le contexte historique de la Guerre froide a toujours un impact central sur la vision contemporaine de la catastrophe nucléaire.</p>
<h2>La thèse de l’accident soviétique</h2>
<p><em>Chernobyl</em> insiste en effet beaucoup sur l’idée que la catastrophe nucléaire est avant tout un accident soviétique. Cette thèse est portée dès les premières minutes du premier épisode par le protagoniste Andrei Legassov et devient centrale (attention, spoiler !) lors du dernier épisode consacré au procès des accusés et à la recherche des responsables de la catastrophe.</p>
<p>Plus que les opérateurs individuels mis en cause par le tribunal comme boucs émissaires, le protagoniste convoque – avec héroïsme car au péril de sa propre vie – l’Union soviétique tout entière sur le banc des accusés : la course technologique l’aurait conduite à devenir « la seule nation » utilisant des réacteurs avec du graphite dans les barres de contrôle et « sans confinement autour de la cuve, comme ça se fait à l’Ouest ».</p>
<p>De plus, la prééminence du secret dans tous les domaines de la vie publique aurait empêché les responsables de la centrale nucléaire de prendre connaissance de ses faiblesses technologiques – des informations indispensables pour empêcher la catastrophe. « Voilà ce qui a fait exploser le cœur d’un réacteur RBMK : nos mensonges ! », s’exclame Legassov lors de l’épisode final à propos du type de réacteur soviétique en cause.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Anatoli Stepanovitch Diatlov était l’ingénieur en chef adjoint de la centrale nucléaire de Tchernobyl la nuit de la catastrophe.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/series/ficheserie-22429/photos/detail/?cmediafile=21626446">Allociné</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le cœur du réacteur en feu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/series/ficheserie-22429/photos/detail/?cmediafile=21626445">Allociné</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Le réalisme revendiqué de la série, une ambition qui explique sans doute une partie de son succès, a été discuté à plusieurs reprises depuis sa sortie. Le débat concerne les <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/decouvrir/tele-cinema/ces-questions-que-l-on-se-pose-encore-apres-avoir-vu-la-serie-chernobyl_134402">effets sanitaires des radiations</a> ou encore l’exactitude des images historiques <a href="https://www.telerama.fr/series-tv/chernobyl-pour-les-sovietiques,-le-regime-communiste-etait-plus-fort-que-latome,n6310189.php">des personnages et décors de l’Union soviétique des années 1980</a>, mais la représentation de Tchernobyl comme un accident intrinsèquement soviétique soulève peu de questions.</p>
<p>Après tout, elle peut paraître évidente aujourd’hui, notamment pour les spectateurs plus jeunes, pour qui l’Union soviétique ainsi que la catastrophe de Tchernobyl constituent une réalité lointaine, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/tchernobyl/pourquoi-la-serie-chernobyl-nous-fascine-et-nous-effraie-autant_3489739.html">comme l’a souligné la sociologue Christine Fassert dans un entretien récent</a>.</p>
<p>Pourtant, l’explication de la série (présentée comme « la vérité » éclatant au grand jour malgré les dissimulations et dénégations des responsables soviétiques) est le produit d’un travail de mémoire autour de l’accident, marqué par de nombreuses controverses autour des causes de la catastrophe et des responsabilités associées. Peut-on réellement dire que cet accident n’aurait pu se produire ailleurs qu’en URSS ? Les travaux en sciences sociales sur Tchernobyl, mais aussi sur d’autres accidents nucléaires, nous invitent à mettre la singularité soviétique de la catastrophe en doute.</p>
<h2>Une technologie exceptionnellement vulnérable ?</h2>
<p>La série renvoie d’abord aux défauts de conception de la technologie RBMK. Le choix de ce type de réacteurs était-il particulièrement risqué, voire soumis à une course scientifique et technologique délaissant les questions de sécurité ?</p>
<p>Certains travaux d’historiens, <a href="https://mitpress.mit.edu/books/producing-power">comme ceux de Sonja Schmid</a>, qui retracent les décisions ayant conduit à adopter la technologie RBMK en URSS, répondent par la négative. Le choix de cette technologie fait suite à des arbitrages très similaires à ceux de l’Ouest, prenant en compte des aspects politiques et économiques.</p>
<p>Rien ne permettait d’affirmer, avant la catastrophe de Tchernobyl, que cette technologie serait intrinsèquement plus dangereuse qu’une autre. Après l’accident, l’industrie nucléaire soviétique a tenté de réduire les vulnérabilités identifiées… tout comme dans le cas des accidents dans les réacteurs occidentaux – l’accident de Three Mile Island en 1979 aux États-Unis par exemple. Les accidents nucléaires ont toujours été appréhendés comme des « expériences » pour améliorer la technologie et la formation du personnel.</p>
<p>Dans quelle mesure les défauts de conception ont-ils joué un rôle dans la catastrophe de Tchernobyl ? Pointés par Andrei Legassov dans la série, ce sont en réalité d’abord les accusés du procès, comme Anatoli Diatlov, qui mettent en avant le rôle de la technologie RBMK. L’une de leurs stratégies de défense consistent à réduire la critique des « erreurs humaines », en insistant sur le fait que « toutes les procédures ont été respectées » sans pour autant empêcher la catastrophe. Si cette explication a le mérite d’éviter d’individualiser l’accident, on ne peut pas penser la conception d’un réacteur comme distincte de son opération. Les procédures sont loin d’être inéluctables et intangibles.</p>
<p><a href="https://www.puf.com/content/Le_nucl%C3%A9aire_%C3%A0_l%C3%A9preuve_de_lorganisation">Les travaux de sociologie du travail</a> sur les centrales nucléaires montrent que les opérateurs font bien plus que de suivre des procédures. Ils doivent les réinterpréter et les discuter avec leurs collègues en fonction de nombreuses situations imprévues, inédites, non-anticipées lors de la conception des réacteurs. Ces « parades » comblent ainsi partiellement une conception nécessairement imparfaite, incapable de prévoir tout ce qui pourrait arriver, que ce soit dans les réacteurs soviétiques ou occidentaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"724999024999194625"}"></div></p>
<h2>Le secret nucléaire en URSS… et en Europe</h2>
<p>En outre, cette histoire télévisuelle de l’accident soviétique renvoie au rôle du « système » politique et social dans son ensemble, presque défini par son recours systématique au secret. Si le rôle du secret dans les institutions nucléaires est indéniable, cela ne constitue là encore nullement une spécificité soviétique.</p>
<p>En Europe, la période post-Tchernobyl est marquée par <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-france-nucleaire-l-art-de-gouverner-une-technologie-contestee-sezin-topcu/9782021052701">des mobilisations à large échelle</a> contre « le gouvernement par le secret » et les discours rassurants des gouvernements, français avant tout. La protection des filières nucléaires nationales contre des critiques et mobilisations anti-nucléaires repose à cette période très largement sur la rétention d’informations jugées sensibles, comme les scénarios d’accidents étudiés en interne.</p>
<p>Comment comprendre alors que la thèse d’un « accident soviétique » soit aussi centrale dans la série ? Un premier élément de réponse renvoie au fait que la série reprend l’explication dominante de Tchernobyl, issue d’une longue construction historique, prise dans les enjeux politiques et économiques de la filière nucléaire. Ainsi, la critique de la conception des réacteurs RBMK est au départ portée par des « dissidents » soviétiques. Elle est ensuite reprise et formalisée dans les espaces de coopération internationaux sur l’accident, en particulier dans le cadre du travail de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Elle est alors légitimée comme l’une des explications centrales de Tchernobyl.</p>
<p>Ultérieurement, elle est mobilisée lors des négociations d’adhésion européenne des pays ex-soviétiques (dont la Lituanie, où la série a été tournée en large partie) pour exiger la fermeture des anciens réacteurs de « type Tchernobyl » attestant officiellement la supériorité de la technologie occidentale.</p>
<h2>Un positivisme exacerbé</h2>
<p>Un deuxième élément de réponse à la prédominance de la lecture soviétique de l’accident de Tchernobyl renvoie davantage au rôle de la science et des scientifiques dans la série. Dans la conclusion du dernier épisode, le personnage d’Andrei Legassov soutient qu’« être scientifique » c’est chercher « la vérité », même si « bien peu de gens veulent réellement que nous la trouvions. Pourtant elle est toujours là quelque part, que nous le voyions ou pas, que nous choisissions de la dire ou non. […] Elle reste là à attendre pour l’éternité. »</p>
<p>Cette vision de la Science (avec une majuscule), qui doit être comprise dans le contexte <a href="http://www.slate.fr/story/178467/chernobyl-serie-interview-createur-craig-mazin-nucleaire-urss">du débat autour du climatoscepticisme aux États-Unis</a>, laisse bien peu de place au doute, à la controverse et aux désaccords sur ce qui s’est passé à Tchernobyl. À l’inverse, cette explication est très rassurante : il aurait suffi de connaître l’effet du « bouton d’urgence AZ5 » – pouvant conduire à l’explosion du réacteur dans certaines situations (une information classée secrète) pour éviter la catastrophe. La singularisation de Tchernobyl comme un « accident soviétique » produit une explication univoque et bien connue. Surtout, elle suggère qu’il serait très facile d’éviter qu’une telle catastrophe se reproduise. Comme si faire la vérité sur un problème suffisait pour y remédier.</p>
<p>Ce cadrage n’est pas dénué <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/BALDASSARRA/60137">d’un message plus large sur l’énergie nucléaire</a>, assumé par le réalisateur Craig Mazin : « Le sujet de <em>Chernobyl</em> n’est pas “l’énergie nucléaire est dangereuse”, car ce n’est pas le cas en Occident, où elle est très sûre. » Comment, dès lors, comprendre les autres catastrophes nucléaires, comme celle de <a href="https://theconversation.com/fukushima-seven-years-later-case-closed-93448">Fukushima Dai-ichi en mars 2011 au Japon</a> ? Singulariser les explications pourrait être bien une tendance générale de l’<a href="https://journals.openedition.org/sdt/14611">approche contemporaine des accidents nucléaires</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1104936223414587392"}"></div></p>
<h2>Des comportements « typiquement japonais »</h2>
<p>Dans le cas de Fukushima, bien loin de ces circonstances soviétiques, dans des réacteurs de technologie américaine et suivant les normes opérationnelles internationales, l’un des fils argumentaires (rassurant) consiste à exposer le caractère « typiquement japonais » du comportement des opérateurs. Cette fois-ci, ils auraient suivi les procédures de façon trop rigide et n’auraient pas osé signaler des problèmes potentiels, en raison d’un respect de la hiérarchie typiquement japonais !</p>
<p>Cet argument culturaliste est par exemple présent dans le <a href="https://www.cpepesc.org/IMG/pdf/version_francaise_du_rapport_independant_sur_Fukushima_1_.pdf">rapport officiel de la Commission d’enquête indépendante</a> sur l’accident nucléaire de Fukushima. Cependant, cette histoire, contestée à son tour, est peut-être trop simpliste pour constituer une trame crédible d’une prochaine œuvre cinématographique grand public. Après la contre-série russe de Tchernobyl, à quand la série-événement révélant « la vérité » sur Fukushima ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valerie Arnhold a reçu des financements de l'Agence nationale de recherche.</span></em></p>La série défend l’idée selon laquelle la catastrophe nucléaire de Tchernobyl n’aurait pas pu se produire ailleurs. Une thèse qui s’appuie sur des fondements historiques très contestables.Valérie Arnhold, Doctorante en sociologie des risques et des organisations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1126552019-03-10T20:02:27Z2019-03-10T20:02:27ZLes cerisiers de Fukushima<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/262919/original/file-20190308-155510-1flt9m4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le « Miharu Takizakura », cerisier pleureur de plus de mille ans. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/night-scenery-illuminated-miharu-takizakura-thousandyearold-1066840772">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En ce mois de mars 2019, l’accident de Fukushima paraît intégré à notre imaginaire comme un souvenir traumatisant, une date de commémoration nous rappelant notre fragilité face à la démesure des forces naturelles. Huit ans déjà qu’un séisme sans précédent a secoué le Tohôku et que des vagues de près de vingt mètres ont balayé le site de Daiichi.</p>
<p>En Occident, au-delà de l’immédiateté de l’événement, on a vu dans ses conséquences démentielles une <a href="https://theconversation.com/sept-ans-apres-fukushima-affaire-classee-93160">rupture dans l’histoire</a> : contamination de vastes territoires autour de la centrale, déplacement de dizaines de milliers de personnes, destruction d’activités économiques, faillite technologique d’une grande puissance, renforcement du discrédit jeté sur les institutions japonaises, mise à l’arrêt du parc nucléaire nippon pour inspection et recours massif aux énergies fossiles ; et aussi, audits à l’échelle internationale de la mise en œuvre des normes de sûreté, remise en cause de la filière dans certains pays…</p>
<p>Fukushima a également été interprété comme un <a href="https://theconversation.com/tchernobyl-epidemiologie-dune-catastrophe-58315">« jumeau » de Tchernobyl</a>, réitération du « mal » radioactif produit par la démesure industrielle qui avait creusé le tombeau de l’incurie soviétique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"972435842256994304"}"></div></p>
<h2>Une autre vision de la catastrophe</h2>
<p>Dans l’imaginaire japonais cependant, la rupture catastrophique ne renvoie ni à une brisure irréparable, ni à un refoulement dans une éternelle répétition du même. L’apocalypse <em>made in Japan</em> « porte en germe un avenir qu’il revient aux hommes de faire lever », souligne l’historien <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2011/04/BOUISSOU/20356">Jean‑Marie Bouissou</a> dès avril 2011.</p>
<p>Au Japon, la catastrophe s’ouvre sur une renaissance, dans un rapport spécifique au temps. La nécessité de réexaminer l’événement sous cet angle nous est apparue de manière spectaculaire lors de notre visite de la centrale accidentée en mars 2017.</p>
<p>Sur le terrain, le chantier de démantèlement et de décontamination, programmé sur plusieurs décennies, confronte les équipes à des défis technologiques inouïs. Il faut continuer de refroidir les réacteurs et les piscines, retirer les combustibles dégradés, contenir les rejets en traitant les eaux radioactives, créer de nouveaux moyens de stockage des boues contaminées et des déchets à une échelle inédite, identifier les éléments des combustibles fondus à l’aide de petits robots.</p>
<p>L’une des réalisations les plus ambitieuses est la construction d’un mur de glace autour des réacteurs pour isoler les eaux contaminées. Les mesures de radioactivité, affichant parfois des valeurs importantes, sont à la vue de tous et omniprésentes sur le site, où plus de six mille personnes œuvrent quotidiennement pour maîtriser les installations, toujours soumises au risque de séisme et de tsunami.</p>
<p>En circulant au plus près des réacteurs détruits, nous découvrons un site en pleine effervescence, lieu d’une reconfiguration des rapports entre l’homme, la nature et la technologie. Autour de nous s’étend un milieu artificialisé à l’extrême. La végétation a disparu et le béton a entièrement recouvert les collines, dans l’espoir de réduire la radioactivité des sols.</p>
<p>Pourtant, au cœur de ce paysage d’un autre monde, nous apercevons des arbres que les décontamineurs n’ont pas coupés : ce sont les cerisiers de Fukushima, alors en pleine fleuraison. Leur présence nous surprend et nous le faisons remarquer à l’ingénieur qui nous accompagne. Celui-ci nous précise que ces arbres ne seront pas retirés du site, alors même qu’ils obstruent le chantier et la circulation des équipements de décontamination. C’est que les travaux d’ingénierie menés à Daiichi ne se résument pas seulement à une « réparation » de la catastrophe ni à une restitution des lieux à leur état original.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1016245649648619520"}"></div></p>
<h2>La symbolique des cerisiers au Japon</h2>
<p>Pour les Japonais, les fleurs de cerisier constituent un polysème. D’abord reliées à la force de vie dans le Japon ancien, de nouvelles symboliques ont émergé.</p>
<p>À partir de la période Heian (794-1185), la chute des fleurs de cerisier renvoie au pathos de l’éphémère. Entre les VIII<sup>e</sup> et IX<sup>e</sup> siècles, l’esthétique de ce végétal devient également pour les Japonais le symbole de leur identité et de leur sentiment d’appartenance collective. Sous l’ère Meiji (1868-1912), la fleur de cerisier est associée à l’idéologie nationaliste promouvant la mort pour le roi, l’empereur, incarnation de la patrie. Cette symbolique atteint <a href="http://www.editions-hermann.fr/4136-kamikazes-fleurs-de-cerisiers-et-nationalisme.html">son paroxysme durant la guerre du Pacifique</a>, où les fleurs de cerisier sont utilisées pour nommer des corps d’armée et décorer les avions pilotés par les kamikazes.</p>
<p>Aujourd’hui encore, le cerisier occupe une place importante dans la culture nippone, malgré la signification funeste qu’il a eue durant la Seconde Guerre mondiale. <a href="https://apjjf.org/2011/9/29/Murakami-Haruki/3571/article.html">L’écrivain Haruki Murakami</a> explique à quel point les Japonais apprécient le spectacle fugace de la floraison des cerisiers, et se demande si les catastrophes n’influencent pas en quelque sorte cette manière de penser :</p>
<blockquote>
<p>« Tout au long de l’histoire, les Japonais ont survécu à tous les désastres qui nous sont tombés dessus. Nous les avons acceptés comme des événements dans un certain sens inévitables, qui se combinent pour surmonter les dommages qu’ils ont infligés. Ainsi, il est possible que ces expériences aient en quelque sorte influencé notre sensibilité esthétique. »</p>
</blockquote>
<p>Le cerisier reflète donc en partie l’âme des Japonais ; il participe à un imaginaire temporel que nous associons à la « logique d’actualisation ». Pour expliciter cette notion, remarquons qu’en Occident, les objets exposés dans des musées sont définitivement extraits du quotidien pour être donné à voir à travers leur valeur historique. Rien de tel au Japon. Ainsi, les trésors de Shôsôin sont uniquement montrés lors d’une exposition annuelle et restent invisibles le reste du temps. Ces objets sont exhibés non pas pour représenter le passé, mais pour montrer qu’ils sont toujours dans le présent.</p>
<p>De même, les palais et certains temples de Kyôto ne s’ouvrent que périodiquement, pour signifier que ces bâtiments sont encore utilisés ou habités. Autre illustration de cette logique avec le Meiji-mura : ce musée en plein air rassemble plus de soixante constructions de l’ère Meiji, transportées sur place et reconstruite à l’identique. Ces bâtiments représentent une modernité qui est à l’origine étrangère au Japon : « la matérialisation du passé dans un espace isolé fait sentir que le passé n’est pas antérieur au présent, mais qu’il est ailleurs », souligne à ce propos Masahiro Ogino dans son article <a href="https://www.jstor.org/stable/40989704?seq=1#page_scan_tab_contents">« La logique d’actualisation. Le patrimoine et le Japon »</a>.</p>
<p>La logique d’actualisation est ici assurée par la présence de certaines constructions, qui occupent les mêmes fonctions qu’autrefois : le visiteur peut envoyer une carte postale depuis un ancien bureau de poste ou utiliser certaines locomotives à vapeur pour se déplacer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1065409606065754112"}"></div></p>
<h2>Fabriquer du sens pour réparer le monde</h2>
<p>Afin de saisir le rapport entre cet imaginaire du temps et l’activité sur le site de Daiichi, revenons au début de l’électronucléaire au Japon, dont le développement a été assuré par l’introduction de technologies étrangères.</p>
<p>Le premier réacteur de l’archipel est de type Magnox, de conception britannique. Construit dans la centrale de Tokai, il est raccordé au réseau électrique en juillet 1966. La construction du premier réacteur à eau bouillante (REB) de Fukushima Daiichi est quant à elle supervisée par la firme américaine General Electric. Il est mis en service en mars 1971.</p>
<p>La technologie nucléaire au Japon provient par conséquent d’un « ailleurs », comme la modernisation du pays sous l’ère Meiji était d’origine occidentale. Pour autant, la technologie à Daiichi n’a pas à être déplacée dans un lieu muséifié comme au Meiji-mura. Elle a été détruite et il faut en produire une nouvelle pour démanteler le site. Mais là encore, passé et présent s’articulent dans une logique d’actualisation symbolisée par les cerisiers : leur maintien à tout prix sur le site montre que le démantèlement s’inscrit dans une temporalité spécifiquement japonaise.</p>
<p>L’âme du Japon, puissance technologique reconnue qui a stupéfait le monde par sa faillite, doit s’actualiser non pas dans la reproduction ou la restauration d’un objet défaillant apporté par une puissance étrangère, mais dans la création de nouvelles technologies lucratives <em>made in Japan</em>, celles du démantèlement. Cette symbolique ne renvoie pas uniquement aux travaux de réparation menés par TEPCO et s’exprime également au sein de la société civile japonaise.</p>
<h2>Photos et arbre miraculé</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une des photos retenues dans le cadre du concours de la NHK sur les cerisiers de Fukushima.</span>
<span class="attribution"><span class="source">NHK/MCJP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Depuis 2012, la NHK (le groupe des stations publiques de radio et de télévision au Japon) organise ainsi un concours photographique intitulé « Les cerisiers de Fukushima », qui se veut le symbole de la reconstruction nationale. Une exposition, organisée à la Maison de la culture du Japon <a href="https://www.mcjp.fr/fr/agenda/les-cerisiers-de-fukushima">à Paris du 19 au 28 mars 2019</a>, présentera d’ailleurs trente photographies parmi les trois cent cinquante sélectionnées ou primées à ce concours.</p>
<p>Le projet porté par Yumiko Nishimoto s’inscrit dans ce même imaginaire. Avant l’accident de Fukushima, cette Japonaise habitait à Naraha, une ville située près de Fukushima. Évacuée, elle n’a pu revenir dans sa maison qu’en 2013. Elle lance alors un appel national au don pour planter <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/20000-cerisiers-fleuriront-la-cote-de-Fukushima-_NG_-2013-03-19-922533">vingt mille cerisiers « Sakura »</a> sur les deux cents kilomètres de côte de la préfecture de Fukushima. Son objectif est de faire renaître l’espoir parmi la population. Le projet s’étale sur dix ans. Il suscite l’enthousiasme des Japonais et un millier de volontaires se mobilise pour planter les premiers arbres.</p>
<blockquote>
<p>« Je veux créer la plus belle allée de cerisiers du Japon, comme un symbole de la reconstruction après la catastrophe. […] Avec ses arbres et leurs fleurs qui fleurissent chaque année, je souhaite que les Japonais gardent en mémoire cette catastrophe tout en créant un environnement dont nos enfants pourront être fiers. »</p>
</blockquote>
<p>Plus récemment, le Miharu Takizakura, cerisier pleureur de plus de mille ans, a fait parler de lui dans les médias étrangers. Cet arbre, situé sur un territoire contaminé par l’accident, est considéré comme un miraculé et attire jour et nuit des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/japon/la-photo-fukushima-un-cerisier-millenaire-devenu-symbole-de-reconstruction_3058193.html">dizaines de milliers de visiteurs</a>.</p>
<p>Acmé de cette construction de sens, le <a href="https://tokyo2020.org/fr/games/torch/olympic/">relais de la flamme olympique</a>, qui partira de Fukushima le 26 mars 2020 pour un voyage de 121 jours dans les préfectures nippones, au moment de la floraison des cerisiers.</p>
<h2>Fukushima, négatif de Tchernobyl ?</h2>
<p>Cette inscription de Fukushima dans une temporalité proprement japonaise contraste avec l’interprétation de l’événement par l’Occident et les instances internationales. Elle nous conduit en particulier à relire les rapprochements qui ont pu être faits entre Fukushima et Tchernobyl.</p>
<p>Le sarcophage de Tchernobyl, construit dans l’urgence pour confiner la carcasse de l’installation endommagée, frappe l’imaginaire contemporain. Avec le temps, le sarcophage s’est dégradé et une arche monumentale a été réalisée pour le recouvrir et assurer la sécurité du site pour les cent ans à venir. Autour, la zone sinistrée de Tchernobyl, interdite, est maintenue hors du temps et hors du monde. Avec son sarcophage et ses environs désertés, Tchernobyl suscite une terreur sacrée, associée à la commémoration régulière d’une nouvelle ère pour la sécurité.</p>
<p>Au plan institutionnel, la communauté nucléaire, sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a en effet transcendé l’accident soviétique avec l’avènement du concept de <a href="https://www.iaea.org/publications/3753/safety-culture">« culture de sûreté »</a>, censé résoudre la question de la sécurité des centrales nucléaires.</p>
<p>L’AIEA a résorbé Fukushima dans ce système de significations, sans bouleverser ses fondements. Des dommages se sont produits, les enseignements tirés ont permis d’internaliser les causes dans les référentiels de sûreté existants, les résolutions prises <a href="https://www-pub.iaea.org/MTCD/Publications/PDF/SupplementaryMaterials/P1710/Languages/French.pdf">clôturent les représentations</a> de l’événement. La catastrophe n’était qu’un écart à l’exploitation normale des centrales nucléaires, idéalisée depuis Tchernobyl.</p>
<p>Pour l’AIEA, Fukushima représente donc une expérience et un événement terminés renvoyant à une conception linéaire du temps – celui de la répétition du même qui autorise la mesure – dans laquelle il est pris ; cela au même titre que l’activité nucléaire qui se poursuit dans une relative continuité à l’échelle mondiale.</p>
<p>La réaction du Japon à la catastrophe s’inscrit en partie dans cette temporalité : le pays a montré sa volonté de mieux se conformer aux règles internationales et a renforcé sa participation aux travaux de l’AIEA sur la prise en compte des séismes, dont il était déjà le leader. Mais cette conception occidentale d’un temps linéaire <a href="https://www.puf.com/content/Un_r%C3%A9cit_de_Fukushima_Le_directeur_parle">n’épuise pas l’imaginaire temporel</a> dans lequel est saisie la catastrophe. Pour certains, au Japon, l’accident reste un défi industriel et un événement en devenir.</p>
<p>Les travaux menés à Daiichi actualisent une renaissance technologique du Japon, dont TEPCO entend faire étalage, là où Tchernobyl a accéléré la déliquescence de l’URSS. Cette temporalité d’actualisation s’étend d’ailleurs à toute la région à travers la politique de retour des populations. Celle-ci, si elle n’est pas sans <a href="https://www.liberation.fr/planete/2017/03/31/fukushima-un-retour-force-en-terre-irradiee_1559867">soulever de vives polémiques</a>, témoigne néanmoins d’une logique opposée à celle qui opère à Tchernobyl, toujours fortement investi du fait même de sa mise à l’écart du monde.</p>
<p>À ces deux imaginaires du temps correspondent en outre deux imaginaires de causalité. Tandis que l’AIEA a conclu que l’accident de Fukushima était la conséquence d’une culture de sécurité insuffisante – soit d’une négligence organisationnelle qui aurait déterminé une série d’effets inéluctables et prévisibles au regard des connaissances scientifiques –, les scientifiques et intellectuels japonais ont volontiers raisonné par analogie pour expliquer cet événement. En le rapprochant notamment d’autres épisodes relatifs à la Seconde Guerre mondiale, ou en l’imputant à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NlCbjZRtH00">des traits du peuple japonais</a> dans son ensemble.</p>
<p>Loin de rejeter ces conclusions dans le camp de l’irrationalité, nous invitons à porter au contraire un regard réflexif sur toutes ces significations attribuées à Fukushima.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112655/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Huit ans après la catastrophe qui frappa le Japon, une réflexion sur les multiples significations attribuées à Fukushima.Franck Guarnieri, Directeur du Centre de recherche sur les risques et les crises, Mines Paris - PSLAurélien Portelli, Chargé d’enseignement recherche en histoire des risques industriels, Mines Paris - PSLSébastien Travadel, Chargé de recherche en ingénierie et sécurité industrielle, Centre de recherche sur les risques et les crises, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1132522019-03-10T20:02:25Z2019-03-10T20:02:25ZEn souvenir des « liquidateurs » de Tchernobyl<p>Il y a huit ans, le 11 mars 2011, un accident <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/La_surete_Nucleaire/echelle-ines/Pages/1-criteres-classement.aspx?dId=8a15297f-e5f9-42cd-9765-ed2049203773&dwId=a1de7c68-6d78-4537-9e6a-e2faebed3900">classé 7</a> – soit le plus haut niveau sur l’échelle internationale des événements nucléaires dite <a href="https://www.iaea.org/topics/emergency-preparedness-and-response-epr/international-nuclear-radiological-event-scale-ines">INES</a> – a lieu à la centrale de Fukushima-Daiichi. Il survient dans la foulée du tremblement de terre d’une magnitude de 9,1 et du tsunami qui se sont produits peu avant sur la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/04/PATAUD_CELERIER/58553">côte pacifique du Japon</a>.</p>
<p>L’intensité du drame de Fukushima n’a sûrement de comparable que celle qui frappa, le 26 avril 1986, la centrale russe de Tchernobyl (Ukraine). Mais si du Japon arrivèrent rapidement les terribles nouvelles, dans le cas de Tchernobyl, les autorités soviétiques mirent tout en œuvre pour dissimuler la gravité de la situation.</p>
<h2>En 1957, un premier désastre dissimulé</h2>
<p>Cette situation n’a rien d’inédit : 30 ans avant Tchernobyl, le 29 septembre 1957, un désastre se produit sur le complexe nucléaire de Maïak, à Kyshtym, dans l’Oural. Rien n’a filtré et ne filtrera avant le milieu des années 1990 – et encore, au compte-gouttes – à propos de cet accident. À Kyshtym, on fabrique du plutonium et c’est là aussi que la première bombe atomique est <a href="http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=983">mise au point en 1949</a>.</p>
<p>L’accident de 1957, classé 6 sur l’échelle INES, est dû à un système de refroidissement défectueux ; ses conséquences demeurent encore aujourd’hui largement sous-estimées, en dépit des 11 000 personnes évacuées et des 20 villages abandonnés.</p>
<p>Orziok, la ville construite à proximité du complexe de Kyshtym et donc hautement contaminée, sera baptisée « City 40 » par les autorités pour davantage de discrétion. Le lac Irtyash situé dans ses environs est surnommé le <a href="https://www.theguardian.com/cities/2016/jul/20/graveyard-earth-inside-city-40-ozersk-russia-deadly-secret-nuclear">« lac de la mort »</a>.</p>
<p>D’autres villes de Russie resteront <a href="https://www.courrierinternational.com/breve/2004/03/11/villes-fantomes-de-la-guerre-froide">longtemps secrètes</a>, coupées du monde, à cause de leurs liens avec le nucléaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande-annonce d’un documentaire consacré à « City 40 ». (Antenna Festival/YouTube, 2016).</span></figcaption>
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<h2>Les gueules noires au secours de Tchernobyl</h2>
<p>Mais qu’a-t-on su et que sait-on aujourd’hui vraiment de ces « liquidateurs » de Tchernobyl, anonymement sacrifiés sur l’autel de la patrie ? Parmi eux, plusieurs centaines, des milliers peut-être, d’ouvriers-mineurs dont personne n’a jamais entendu parler. Héros malgré eux, ces <a href="http://www.cnrtl.fr/definition/stakhanoviste">« stakhanovistes »</a> envoyés pour un sauvetage impossible sont pour beaucoup morts depuis des conséquences de leur intervention sur un site irradié au plus haut degré.</p>
<p>Il faut avoir lu l’ouvrage de la Biélorusse Svetlana Alexievitch, <a href="https://www.actes-sud.fr/actualites/svetlana-alexievitch-prix-nobel-de-litterature-2015">prix Nobel de littérature 2015</a>, <em>La Supplication. Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse</em> (1997), pour apprendre au détour d’une page l’implication de ces « gueules noires » dans les <a href="https://www.liberation.fr/planete/2011/03/19/la-lecon-de-tchernobyl-n-a-pas-ete-apprise_722751">travaux désespérés</a>, et finalement inutiles, entrepris en hâte pour tenter de parer au pire.</p>
<p>À la mi-mai 1986, soit quelques semaines après la catastrophe : alors que le réacteur brûle toujours, l’une des solutions envisagées pour tenter de l’éteindre – et éviter une seconde explosion gigantesque – consiste à creuser un tunnel de quelque 170 mètres de long sous le réacteur. Dans ce long couloir, l’installation d’un système permettant de refroidir l’ensemble, grâce à de l’azote liquide, est prévue. Dans le même temps, le renforcement du socle en béton du réacteur devait empêcher la formation de fissures par lesquelles l’eau contaminée pouvait gagner la nappe phréatique du Dniepr.</p>
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<h2>Jetés en enfer</h2>
<p>Pour ces travaux titanesques, les autorités font appel, en urgence et dans le plus grand secret, à des centaines, voire à des milliers de mineurs expérimentés. Les chiffres varient beaucoup selon les sources, qui elles-mêmes ne sont pas nombreuses.</p>
<p>Ces hommes, qui ne savaient ni où ils allaient ni pour quoi y faire, venaient des mines du <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/donetz-donbass/">Donbass</a>, de Toula, de Kiev, de Dniepropetrovsk mais aussi semble-t-il de Moscou, où certains travaillant pour le métro de la ville.</p>
<p>De la mine de Nikouline, près de Toula, arrivent ainsi 450 hommes. Le 14 mai, ce ne sont que les « meilleurs » d’entre eux qui partent, tant les volontaires ont été nombreux ! Ils sont enthousiastes, emportent leurs plus beaux vêtements et pensent qu’ils vont faire la fête. Mais dans l’enfer de Tchernobyl, ils vont travailler dans des conditions terribles : nus dans une chaleur torride, contraints à un rythme effréné – ils doivent pousser des wagonnets d’une tonne et demie toutes les deux minutes – et exposés à des niveaux de radiation très élevé, sans doute aux environs de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%B6ntgen">200 R/h</a>. Le tunnel est finalement abandonné ; le projet de refroidissement se solde par un échec.</p>
<p>On ne connaîtra sans doute jamais avec exactitude les bilans humains des accidents nucléaires de Tchernobyl et de City 40, qu’il faut évaluer sur le très long terme.</p>
<p>Beaucoup de ces liquidateurs, parmi lesquels de très nombreux mineurs ukrainiens développeront des cancers et mourront, âgés de 30 à 40 ans, dans les années qui suivent les évènements. À Tchernobyl, même les robots qui sont mis à contribution sur les lieux du drame afin de soulager les hommes, tombent en panne sous l’effet d’une irradiation trop forte… Le suivi médical de ces hommes laisse presque partout à désirer, même si les situations varient selon les pays, devenus depuis 1989 indépendants de l’URSS.</p>
<p>En 2000, près de 15 ans après la catastrophe de Tchernobyl, une centaine d’anciennes gueules noires de la mine de Nikouline, fermée en 1997, qui avaient pris part aux travaux de creusement du tunnel sous le réacteur, ont fait à pied les 200 km qui séparent leur ville de Moscou. Sur la place Rouge, devant le Kremlin, ils ont <a href="https://www.ina.fr/video/CAB00061652">jeté leurs médailles</a> de héros.</p>
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<h2>Sujet ultra-sensible</h2>
<p>Ces ouvriers auront travaillé des semaines durant avec une totale abnégation, sans aucune protection. Ils ont été sacrifiés à une cause supérieure : empêcher à tout prix une seconde explosion. En guise de compensation, ou « d’incitations matérielles », selon l’expression de l’époque, de très généreuses rations d’alcool leur étaient fournies sur place et des primes de toutes sortes promises : décorations, rente à vie, logement… Des promesses très loin d’avoir toutes été tenues.</p>
<p>En 2000, au moment de leur mouvement de protestation,un tiers des mineurs venus de Toula étaient morts. Ceux encore en vie souffrent, au mieux, de maux de tête ; au pire, ils sont invalides, sans parler de leurs enfants dont certains sont très gravement atteints, notamment de malformations. Il y a aussi les innombrables traumatismes psychologiques. Si les médecins reconnaissent tout cela oralement, ils refusent presque toujours de le certifier par écrit.</p>
<p>Ce que reçoivent les liquidateurs comme compensation paraît dérisoire et ne leur permet ni de se soigner, ni d’acheter les médicaments dont ils ont besoin ; encore moins de vivre décemment. Nombre se plaignent de l’<a href="http://www.journaldelenvironnement.net/article/les-liquidateurs-ces-heros-oublies,69720">indifférence des pouvoirs</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Tchernobyl : les liquidateurs en colère », reportage télé réalisé en 2000. (Ina/YouTube, 2012).</span></figcaption>
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<p>Afin de faire valoir leurs droits, certains ont fondé des associations de au sein desquelles ils se retrouvent, commémorent ce qu’ils ont accompli ensemble et tentent de vaincre l’oubli dont ils font l’objet. Ils s’efforcent aussi de rendre hommage à tous ceux sont morts des conséquences de cette course contre la montre qu’a été le travail des liquidateurs. Enfin, ils tentent de faire en sorte que leurs familles ne soient pas laissées pour compte après leur décès.</p>
<p>N’oublions pas que bon nombre d’entre eux ont été ostracisés après leur retour de Tchernobyl. Considérés comme contaminés, voire pestiférés, certains d’entre eux n’auront jamais pu se marier ni avoir d’enfants. Autant de vies gâchées !</p>
<p>Il y a quelques jours en France, à Cosne-sur-Loire dans la Nièvre, une ville proche de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire, la projection du film <em>Fukushima, le couvercle du soleil</em>, a été censuré et la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/japon/fukushima/nievre-un-film-sur-la-catastrophe-de-fukushima-censure-dans-une-commune-qui-heberge-une-centrale-nucleaire_3220981.html">projection annulée</a>.</p>
<p>Le sujet demeure ultra-sensible et l’on se demande si les leçons des catastrophes nucléaires de City 40, Tchernobyl et Fukushima ont été tirées… Mais chacun sait, au plus profond de lui-même que, comme le souligne Svetlana Alexievitch, « le prix à payer pour le progrès, pour une civilisation bâtie sur le confort et l’aisance de l’homme » est très élevé et qu’il peut engager à terme les sociétés sur la voie de leur propre destruction.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diana Cooper-Richet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’occasion de l’anniversaire de la catastrophe de Fukushima, retour sur le sort des premiers hommes envoyés à Tchernobyl.Diana Cooper-Richet, Chercheur au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.