tag:theconversation.com,2011:/us/topics/influence-21872/articlesinfluence – The Conversation2024-03-05T16:01:37Ztag:theconversation.com,2011:article/2239372024-03-05T16:01:37Z2024-03-05T16:01:37ZL’avenir des médias et de l’influence repose-t-il sur les newsletters ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/579848/original/file-20240305-24-y5flwb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=81%2C90%2C5925%2C3917&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les newsletters, une stratégie payante pour les médias?</span> </figcaption></figure><p>Faites-vous partie des abonnés aux newsletters proposées par <a href="https://secure.lemonde.fr/newsletters"><em>Le Monde</em></a>, <a href="https://www.lesechos.fr/newsletters"><em>Les Echos</em></a>, ou <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/">The Conversation</a> ? Ces envois réguliers par mail – quotidiens, hebdomadaires ou mensuels – ne se limitent pas à une simple transmission périodique d’informations, mais correspondent à une stratégie de diffusion de l’information, dans un contexte où il est de plus en plus difficile de capter et de retenir l’attention.</p>
<p>Sur les réseaux sociaux, les préférences des utilisateurs sont en constante évolution. Sursollicités, ils expriment une <a href="https://www.meta-media.fr/2022/06/17/reuters-digital-news-report-la-news-fatigue-sinstalle.html">forme de lassitude</a>. Au fil du temps, <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-42412-1_15">l’attention</a> du public se fait de plus en plus rare et précieuse, en raison de la concurrence permanente des réseaux sociaux, qui contribuent à brouiller la frontière entre les journalistes et les influenceurs. Les algorithmes orchestrent les préférences et régulent l’accès aux articles produits par les médias et aux autres contenus. Dès lors, malgré un grand nombre d’abonnés à sa page Facebook ou de followers sur Instagram, aucun média ne peut s’assurer de la visibilité et de la lecture effective de ses articles, même lorsque les lecteurs ont manifesté de l’intérêt en « likant » la page.</p>
<h2>Le retour en force des newsletters</h2>
<p>Dans ce contexte, les nouvelles entreprises médiatiques exclusivement numériques (les pure players) ont <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/19312431211037681">compris l’intérêt des newsletters</a>, qui font un <a href="https://www.statista.com/statistics/812060/email-marketing-revenue-worldwide">retour</a> en force avec quelques améliorations par rapport à leurs versions précédentes des années 2000.</p>
<p><a href="https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/people/nic-newman">Selon Nic Newman</a>, auteur du rapport de 2024 de Reuters et de l’Université d’Oxford sur l’avenir et la consommation des médias, <a href="https://www.statista.com/forecasts/1143723/smartphone-users-in-the-world">l’essor croissant de l’usage des appareils mobiles</a> joue un rôle déterminant dans le regain de popularité des newsletters par e-mail. Au sein de cette enquête, 77 % des auteurs interrogés déclarent leur intention de renforcer leurs efforts dans le développement de liens directs avec les consommateurs à travers des sites web, des applications, des newsletters et des podcasts.</p>
<p>Selon une <a href="https://www.statista.com/statistics/1376934/email-marketing-campaign-objectives/">enquête menée en 2023</a> auprès de spécialistes du marketing, l’envoi de newsletters est l’un des principaux usages des campagnes par e-mail, juste après la sensibilisation aux produits et les promotions.</p>
<p>Considérées comme un outil puissant par les médias qui les utilisent, les plates-formes qui permettent d’envoyer des newsletters comme Mailjet, Sarbacane, Brevo et Mailchimp offrent un moyen direct et efficace de communication avec les abonnés, permettant une large diffusion d’informations, fidélisation de l’audience et création d’une communauté. L’e-mail garantit une relation continue et permet d’afficher un bouton « répondre » ; il offre des opportunités qui contribuent à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/19312431211037681">réduire la distance entre l’auteur et le lecteur</a>.</p>
<p>La personnalisation, la fréquence d’envoi et la valeur ajoutée du contenu sont des éléments clés pour le succès d’une newsletter. Écrivains, journalistes et créateurs de contenu l’ont bien compris et utilisent beaucoup Substack, une application américaine.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En France, il existe un équivalent : Kessel Media, une start-up créée en juin 2022 pour aider les créateurs de contenu à se développer et à générer des revenus. Sur cette application, les contributeurs restent propriétaires de leur newsletter et de leur liste d’abonnés, rejoignant une communauté d’auteurs prêts à échanger des conseils et à s’entraider.</p>
<p>Ces newsletters indépendantes sont rédigées par des individus qui se concentrent sur des niches spécifiques dont ils ont une expertise approfondie. Citons parmi les plus populaires Hugo Clément (« actualité écolo et culturelle »), Louise Aubery (influenceuse qui prône l’acceptation de soi) ou encore Rose Lamy (sexisme ordinaire dans les médias). Ils proposent des idées, des analyses et des commentaires ciblés qui arrivent directement dans la boîte de réception des abonnés, selon une fréquence régulière, généralement hebdomadaire ou mensuelle, et proposent différentes formules d’abonnement (payant, gratuit, ou mixte).</p>
<h2>Personnaliser son offre</h2>
<p>Les études montrent que les organisations médiatiques grand public, en <a href="https://www.digitalnewsreport.org/survey/2020/the-resurgence-and-importance-of-email-newsletters/">France et ailleurs,</a> ont réaffecté une part de leurs ressources vers la création de newsletters dans le but d’élargir leur base d’abonnés, de fidéliser leur audience actuelle et <a href="https://www.niemanlab.org/2016/11/there-are-at-least-eight-promising-business-models-for-email-newsletters/">d’incorporer davantage de personnalisation dans leurs offres numériques</a>.</p>
<p>Les médias ont compris l’importance de rester directement connectés à leurs lecteurs, à l’instar du <em>New York Times</em>. Côté lecteurs, il peut être difficile de trouver des informations fiables et des analyses pertinentes parmi la multitude d’informations disponibles. C’est pourquoi, pour favoriser ses abonnés, le journal américain a migré en 2021 des newsletters gratuites vers des contenus exclusivement réservés aux abonnés.</p>
<p>Toutefois, la newsletter <a href="https://www.nytimes.com/series/us-morning-briefing">« The Morning »</a>, très appréciée, reste gratuite, probablement pour continuer d’attirer de potentiels abonnés. Emboîtant le pas au <em>New York Times</em>, des auteurs de renom se tournent depuis 2021 vers des plates-formes de newsletter et les médias s’orientent vers un contenu plus axé sur le destinataire. En recevant des newsletters, les lecteurs n’ont plus besoin de consulter régulièrement un site web pour découvrir de nouveaux articles : les actualités leur parviennent directement dans leur boîte de réception. Les interactions entre auteurs et lecteurs dans le cadre des newsletters établissent alors des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/youtubeurs-podcasteurs-nos-relations-parasociales-avec-ces-amis-qui-nous-ignorent-5081620">relations parasociales</a>, créant une connexion directe et personnelle qui influe sur la nature et le contenu des newsletters.</p>
<p>D’après l’enquête menée par Reuters et l’Université d’Oxford, qui couvre 56 pays et territoires, dans un scénario optimiste, les producteurs de newsletters envisagent une ère où leur dépendance envers les géants de la technologie serait moindre, et où ils établiraient de plus en plus de relations plus directes avec leurs abonnés fidèles. La chute significative du trafic de référence en provenance de Facebook et de X (anciennement Twitter) réduit progressivement les flux d’audience vers les sites d’actualités établis et accroît la pression sur leur rentabilité.</p>
<p>Néanmoins, ces stratégies risquent de marginaliser les médias et les influenceurs en compliquant <a href="https://theconversation.com/medias-les-jeunes-ont-envie-dune-information-qui-leur-ressemble-218264">l’accès à des utilisateurs plus jeunes</a> et moins éduqués, nombre d’entre eux étant déjà familiarisés avec les actualités générées de manière algorithmique et ayant des liens plus faibles avec les médias traditionnels.</p>
<p>Il est donc indispensable d’adopter une stratégie de diffusion de l’information inclusive et diversifiée, tout en maintenant une veille active sur les réseaux sociaux <a href="https://fr.statista.com/statistiques/570930/reseaux-sociaux-mondiaux-classes-par-nombre-d-utilisateurs/">où les jeunes sont plus présents</a> (Instagram ; Snapchat et TikTok).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ali Ahmadi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment anticiper l’avenir des médias, quand les technologies s’emballent et que l’IA s’en mêle ? Les newsletters offrent une piste.Ali Ahmadi, Enseignant-chercheur, spécialiste des plateformes numériques, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2188762023-12-25T20:23:45Z2023-12-25T20:23:45ZLa guerre de l’information tous azimuts de la Russie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567164/original/file-20231221-25-uac9ue.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C11%2C1862%2C989&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d’écran provenant de l’un des dessins animés produits par la CMP Wagner à destination des pays africains. On voit ici un combattant de Wagner, avec sur la manche un chevron de la CMP et le drapeau russe, voler au secours d’un soldat malien qui défend son pays face à une agression militaire française.
</span> </figcaption></figure><p>Dans sa <a href="https://www.sgdsn.gouv.fr/publications/revue-nationale-strategique-2022">Revue nationale stratégique (RNS) de 2022</a>, la France a porté l’influence <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=23071">au rang de priorité stratégique</a>. La précédente RNS, <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/2017-revue_strategique_dsn_cle4b3beb.pdf">publiée en 2017</a>, avait déjà été révisée en 2021 afin de préciser les priorités stratégiques françaises à l’horizon de 2030 ; mais les tensions observées en 2022 ont poussé à sa révision anticipée.</p>
<p>L’influence est un sujet majeur des relations internationales. Les acteurs étatiques et privés en ont douloureusement pris conscience avec le début de la guerre dans le Donbass en 2014, puis avec l’affaire <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Ameriques/Le-scandale-Cambridge-Analytica-raconte-linterieur-2020-03-09-1201082963">Cambridge Analytica en 2016</a>. Depuis, la prégnance de cette thématique n’a fait que croître, et elle est devenue incontournable avec la guerre de l’information observée dès l’invasion de l’Ukraine en février 2022, la sphère informationnelle y étant un <a href="https://theconversation.com/ukraine-la-guerre-se-joue-egalement-dans-le-cyberespace-178846">enjeu de conflictualité significatif</a>.</p>
<p>Marquée par <a href="https://theconversation.com/la-russie-est-elle-vraiment-en-train-de-perdre-la-guerre-de-la-communication-contre-lukraine-183761">différentes étapes</a>, cette guerre de la communication a comporté des <a href="https://theconversation.com/face-a-la-contre-offensive-ukrainienne-la-russie-hesite-sur-la-communication-a-adopter-190622">phases d’hésitation dans la gestion de la rhétorique russe</a> lorsque, au cours de l’été 2022, l’Ukraine gagnait du terrain lors de sa contre-offensive. Moscou a ensuite adapté son discours de façon à survaloriser la portée de victoires de moyenne importance, par exemple <a href="https://theconversation.com/la-bataille-de-soledar-lecons-militaires-et-communicationnelles-198422">lors de la prise de Soledar</a> en janvier 2023.</p>
<p>Enfin, alors que le Kremlin doit gérer une invasion de l’Ukraine plus longue et plus délicate que prévu, son action informationnelle s’étend à d’autres théâtres et domaines pour affaiblir les alliés de Kiev. Pour autant, ces opérations ne sont pas toujours couronnées de succès, comme l’a montré, par exemple, le récent épisode de la peinture au pochoir d’étoiles de David sur les murs de Paris, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/07/pochoirs-d-etoiles-de-david-a-paris-la-piste-d-une-operation-d-ingerence-russe-privilegiee_6198775_3224.html">imputée à la Russie</a>. Rapidement détectée par le <a href="https://www.sgdsn.gouv.fr/notre-organisation/composantes/service-de-vigilance-et-protection-contre-les-ingerences-numeriques">Service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)</a>, l’opération n’a pas eu les conséquences sans doute souhaitées par ses organisateurs.</p>
<h2>L’Occident, une cible de plus en plus cruciale au fil du temps</h2>
<p>Si, au début du conflit, la Russie a davantage axé ses efforts d’influence sur le continent africain et le Moyen-Orient que sur les Occidentaux, l’inscription du conflit dans la durée a infléchi cette orientation. En effet, Moscou parie sur l’usure des soutiens de l’Ukraine et sur leurs divisions que pourraient alimenter des tensions sociales internes, des agendas politiques propres ou des intérêts divergents. L’Ukraine restant profondément dépendante de l’appui occidental, notamment en matière d’armement, tout événement de nature à fragiliser ce soutien aura une importance majeure sur la poursuite du conflit.</p>
<p>En ce sens, l’opération <a href="https://theconversation.com/operation-doppelganger-quand-la-desinformation-russe-vise-la-france-et-dautres-pays-europeens-208071">Dôppelganger</a>, si elle n’était pas originale sur le fond, a revêtu une ampleur inédite. Rappelons que la Russie a, dans ce cadre, créé des « clones » de nombreux journaux occidentaux afin d’y diffuser des contenus visant à nuire à la réputation de l’Ukraine, voire à diviser les Européens. La campagne Dôppelganger a été accompagnée d’un intéressant dispositif de suivi destiné à évaluer la pénétration de cette opération au sein des populations et à mesurer l’effet réel de la campagne.</p>
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<p>Cette opération avait duré plusieurs mois mais avant d’être officiellement démasquée à l’été 2023. Pour autant, la révélation de l’existence du projet Dôppelganger n’a pas mis un terme aux opérations informationnelles, qui sont la trame de la <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20230929-guerre-cognitive-le-cerveau-nouveau-champ-de-bataille">guerre cognitive</a> à laquelle nous assistons actuellement. Plus récemment, alors que l’attaque du Hamas du 7 octobre a profondément <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/11/le-hamas-fait-tout-pour-attirer-israel-dans-le-piege-d-une-operation-terrestre_6193806_3232.html">déstabilisé le Moyen-Orient</a> et que les Occidentaux craignent que l’onde de choc de cette explosion de violence ne se traduise par des troubles sur leurs territoires, une nouvelle opération a été identifiée.</p>
<p>C’est Viginum qui, en tirant la sonnette d’alarme, a permis à l’État français de <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/russie/evenements/evenements-de-l-annee-2023/article/russie-nouvelle-ingerence-numerique-russe-contre-la-france-09-11-23">mettre officiellement en cause le site « Recent Reliable News » (RNN)</a> pour avoir sciemment amplifié sur la toile l’impact des images d’étoiles de David taguées dans le X<sup>e</sup> arrondissement de Paris.</p>
<p>Outre le millier de bots employés pour relayer l’information au travers de quelque 2 600 tweets, les <a href="https://www.lejdd.fr/societe/etoiles-de-david-taguees-paris-le-couple-interpelle-en-flagrant-delit-ete-renvoye-en-moldavie-139642">ressortissants moldaves</a> interpellés en flagrant délit fin octobre ont indiqué avoir agi moyennant rémunération. Par ailleurs, les enquêteurs sont remontés jusqu’à un <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/etoiles-de-david-taguees-a-paris-le-commanditaire-presume-choque-par-les-accusations-d-antisemitisme_AV-202311100167.html">personnage trouble</a>, connu pour ses anciennes accointances pro-russes en Moldavie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1720333601391124855"}"></div></p>
<p>L’action tentait de capitaliser sur une crise existante et sur un contexte social tendu, marqué par <a href="https://www.la-croix.com/france/Actes-antisemites-France-justice-elle-moyens-sanctionner-2023-11-02-1201289161">l’augmentation des agressions physiques contre des personnes juives</a>, afin d’en tirer profit en termes d’influence et de guerre cognitive.</p>
<h2>La démultiplication des zones de crises</h2>
<p>Cette instrumentalisation de contextes perturbés dans le but de les exacerber et d’en tirer profit pour la Russie est une méthode qui a été souvent employée, y compris assez récemment sur le continent africain, nouveau théâtre de confrontation avec l’Occident, et spécialement avec la France. Des versions africaines des médias <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/guerre-information-russie-ukraine-medias-influence-rt-sputnik-afrique-nouveau-rideau-de-fer">Sputnik et RT</a> ont été lancées dès 2014, et on a également constaté, dès 2018, la présence de groupes de mercenaires, comme Wagner, <a href="https://www.irsem.fr/media/report-irsem-97-russia-mali-en.pdf">notamment au Soudan et en République centrafricaine (RCA)</a>.</p>
<p>Dans le même sens, ont fait leur apparition des films produits par des agences de la constellation Prigojine comme <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210603-centrafrique-touriste-une-fiction-au-service-de-la-propagande-russe">« <em>Le Touriste</em> »</a> ou « <em>Granit</em> », produits par la <a href="https://www.areion24.news/2022/06/10/le-geant-endormi-lessor-du-cinema-comme-instrument-de-soft-power-russe/6/">société Aurum</a>.</p>
<p>Plus récemment encore, des dessins animés présentant la France et ses forces armées tour à tour comme des serpents, des rats ou des zombies ont déferlé sur l’Afrique de l’Ouest, et plusieurs pseudo-fondations et ONG ont repris des dialectiques servant les intérêts russes.</p>
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<p>En outre, après que le président Bazoum au Niger, considéré comme proche de la France, a été <a href="https://theconversation.com/niger-le-putsch-de-trop-211846">renversé par un coup d’État militaire</a> rapidement soutenu par la sphère informationnelle rattachée à la Russie, l’armée française a été <a href="https://www.tf1info.fr/international/niger-une-campagne-de-desinformation-menee-par-moscou-accuse-l-armee-francaise-d-avoir-enleve-des-enfants-enlevements-2266282.html">accusée d’avoir enlevé des enfants dans ce pays dans le cadre d’un trafic pédophile</a>. Ces contenus, diffusés par une « fondation de défense des droits de l’homme » <a href="https://fondfbr.ru/fr/articles_fr/france-niger-minors-fr/">connue pour être une officine de désinformation rattachée à la Russie</a> et pour avoir gravité dans la mouvance d’Evguéni Prigojine, seront repris par Dimitri Poliansky, représentant permanent de la Russie auprès des Nations unies <a href="https://archive.ph/ZsFZP">sur son compte Telegram</a>.</p>
<h2>La psychologie humaine, un champ de bataille parmi d’autres</h2>
<p>La guerre cognitive peut être définie comme la militarisation de tous les aspects de la société, y compris de la psychologie humaine et des relations sociales, afin de modifier les convictions des individus et, in fine, leur façon d’agir.</p>
<p>Ce thème, et le concept qui le sous-tend, sont pris au sérieux au point d’avoir été le sujet du défi d’innovation de l’OTAN de l’automne 2021, organisé par le Canada cet automne-là, qui s’intitulait <a href="https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/campagnes/defi-d-innovation-de-l-otan-automne-2021.html">« La menace invisible : Des outils pour lutter contre la guerre cognitive »</a>.</p>
<p>Dans le cas présent, la démultiplication des crises peut, en tant que telle, représenter une forme de « stress test » visant à mesurer la capacité des Occidentaux à gérer une pluralité de désordres. En outre, le continent africain est un enjeu d’autant plus important pour la Russie que les sanctions européennes consécutives à l’invasion de l’Ukraine poussent le Kremlin à diversifier ses sources de financement, par exemple en recourant à des sociétés militaires privées afin de capter des fonds et des matières premières pour concourir au soutien d’une économie russe contrainte d’assumer l’effort de sa guerre contre l’Ukraine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218876/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En de nombreux points du globe, la Russie mène de nombreuses opérations informationnelles visant à affaiblir les alliés de l’Ukraine.Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris - Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2035992023-05-03T20:46:40Z2023-05-03T20:46:40ZComment les lobbyistes influencent-ils la vie politique française ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/520803/original/file-20230413-26-d9l4gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=54%2C54%2C5952%2C3953&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">78 % des Français estiment que les lobbies ont trop d’influence sur la vie politique. Yougov 2018.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://d25d2506sfb94s.cloudfront.net/cumulus_uploads/document/mizxbjm9so/Résultats%20YouGov%20pour%20Le%20Huff%20Post%20(Baromètre)%20139%20050918.pdf">Ben White / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>« Nous comptons sur votre commission pour mettre fin à cette opacité. Un lobbyiste ne devrait pas pouvoir dicter sa loi aux représentants du peuple ». C’est par <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceuberfil/l16ceuberfil2223002_compte-rendu">ces mots</a> que le représentant de la CGT-Taxis a interpellé l’actuelle commission d’enquête relative aux révélations des <a href="https://theconversation.com/les-uber-files-revelent-la-strategie-du-chaos-de-lentreprise-peut-elle-vraiment-changer-186937">Uber Files</a>. À l’initiative du groupe La France Insoumise, les députés cherchent à déterminer l’<a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0594_proposition-resolution#">influence d’Uber auprès des décideurs publics</a> et notamment auprès d’Emmanuel Macron – alors ministre de l’Économie. Celui-ci est soupçonné d’avoir passé un <a href="https://www.liberation.fr/politique/comment-emmanuel-macron-a-fait-lagent-duber-20220710_JX7LKGDVA5HPDF6DMZBETCVUG4/">« deal secret »</a> avec le géant du VTC, afin de faciliter sa croissance sur le marché français. Si le Parlement peut creuser cette question, c’est en grande partie grâce aux révélations de Mark MacGann, ex-« lobbyiste » de la plate-forme reconnaissant avoir <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/11/nous-avons-vendu-un-mensonge-a-tout-le-monde-mark-macgann-le-lanceur-d-alerte-des-uber-files-se-devoile_6134366_4408996.html">« vendu [du] mensonge à tout le monde »</a>, et aux gouvernements européens particulièrement.</p>
<p>Mais <a href="https://theconversation.com/lobbying-aller-au-dela-des-poncifs-par-la-recherche-55421">au-delà des fantasmes</a>, qu’est-ce que le lobbying ? Qu’est-ce que ce métier permettant d’influencer les hommes politiques, au point de faire démissionner certains ministres, comme en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/08/28/hulot-la-presence-d-un-lobbyiste-prochasse-a-une-reunion-a-acheve-de-le-convaincre-de-demissionner_5347027_823448.html">témoigne l’« épisode Nicolas Hulot »</a> sous la présidence, une nouvelle fois, d’Emmmanuel Macron ?</p>
<h2>Distinguer le lobbying du lobbyiste</h2>
<p>Le lobbying est un <a href="https://www.lgdj.fr/sociologie-des-groupes-d-interet-9782707607850.html">« mot-valise »</a> qui désigne toute action d’origine privée ayant pour intention d’influencer les comportements des acteurs, quels qu’ils soient, à travers des canaux divers. Cette tentative d’influence a pour but de présenter une vision partielle ou subjective des faits sociaux et bénéficier ainsi de rétributions économiques, symboliques, politiques. Le <a href="https://theconversation.com/lobbies-espaces-de-decisions-et-transparence-103122">lobbying</a> intervient à toutes les étapes du processus de production des normes – des consultations avec l’exécutif <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/lobbying-devant-conseil-constitutionnel-derriere-portes-etroites#.ZDZ8hXZBw2w">aux délibérations du Conseil constitutionnel</a>, en passant bien entendu par l’examen parlementaire. Il peut s’incarner aussi bien par des spectaculaires campagnes médiatiques que par des rencontres informelles.</p>
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<p>Les lobbyistes, eux, sont des professionnels de la « représentation d’intérêts » (« représentant d’intérêts » étant le terme retenu par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000033558541">loi Sapin 2</a> encadrant l’activité). Leur profession est de porter la voix de leur(s) employeur(s) ou de leur(s) financeur(s) auprès des acteurs de la production normative, dans le but d’influer sur leur décision.</p>
<p>Ce métier de lobbyiste s’apprend généralement aujourd’hui dans des formations en « affaires publiques ». Durant celles-ci, de nombreux intervenants se succèdent pour enseigner les ficelles du métier. Ceux-ci éclairent les étudiants sur le processus décisionnel français ou européen, les initient à l’écriture d’un amendement, les incitent à se constituer un « réseau », les invitent à scruter les journaux pour anticiper les futures réformes, leur apprennent à effectuer une veille de leur environnement professionnel. Ces connaissances sont présentées comme indispensables pour dialoguer avec l’autorité publique et exiger d’elle une évolution de la norme juridique. Selon ces intervenants, leur travail consiste à influencer la loi, influencer les élus, influencer la « société civile » pour qu’elle-même influence le monde politique.</p>
<p>Mais les lobbyistes, c’est-à-dire les professionnels de la représentation d’intérêts, sont-ils réellement des influenceurs de la loi ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"913346922785763328"}"></div></p>
<p>Plusieurs <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-l-action-publique--9782200259990.htm">indices</a> – documentés de manière <a href="https://www.cairn.info/les-groupes-d-interet--9782200259983.htm">plus</a> ou <a href="https://www.jstor.org/stable/1952327">moins récente</a> par les sciences humaines et sociales – permettent de nuancer cette idée répandue que des hommes de l’ombre tirent les ficelles.</p>
<h2>Une influence mineure des lobbyistes…</h2>
<p>Tout d’abord, le professionnel de la représentation n’est pas le seul à faire du lobbying au sein de sa structure. Sa direction générale ainsi que ses collègues directeurs spécialistes d’une thématique et titulaires d’une expertise dite technique sur une problématique ou sur un périmètre donné (juridique, énergie, fiscalité, santé, etc.), peuvent occasionnellement exercer cette activité. Les lobbyistes peuvent donc être substitués par leurs collègues ou leur hiérarchie, voire connaître une concurrence de leur mandat de représentant d’intérêts. Il existe dès lors une division du lobbying entre le professionnel de la représentation d’intérêts (pour qui le lobbying est l’activité principale) et ses collègues experts (pour qui le lobbying est une activité secondaire, ponctuelle).</p>
<p>Cette dichotomie suit généralement une autre division : celle de l’élaboration de la loi entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. En effet, par un effet d’homologie (le partage de dispositions et de codes sociaux communs tels que le langage, le parcours scolaire, les lieux de sociabilité par exemple), les lobbyistes dialoguent plus facilement avec le monde politique (collaborateurs d’élus compris), lorsque leurs collègues directeurs spécialisés interagissent plus volontiers avec les (hauts-)fonctionnaires. Ainsi, une partie considérable de l’activité des lobbyistes se concentre sur l’arène parlementaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">La série « Parlement » illustre le poids des lobbies à Bruxelles.</span></figcaption>
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<p>Or, le <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/La-force-de-gouverner">pouvoir législatif a connu un déclassement institutionnel et symbolique au profit de l’exécutif ainsi que de ses administrations centrales</a>. Le Parlement n’est plus le lieu stratégique pour la fabrique de la norme. Une grande partie de l’écriture d’un texte de loi se fait dans les bureaux des administrations ministérielles, davantage ouverts aux directeurs spécialisés qu’aux professionnels de la représentation d’intérêts.</p>
<p>Durant les réunions organisées par l’administration, le professionnel de la représentation d’intérêts (pour qui le lobbying est l’activité principale) est au mieux accompagnateur de son collègue expert. Par conséquent, il n’est pas rare que le lobbyiste se retrouve exclu d’un moment clef de la conception de la loi.</p>
<p>Son rôle se révèle d’autant plus secondaire qu’un fragment important de la représentation d’intérêts est délégué aux organisations tierces (fédérations professionnelles, chambres de commerce, syndicats, associations, etc.). Celles-ci sont chargées de centraliser les positions de leurs adhérents et demeurent les interlocutrices privilégiées de l’autorité publique.</p>
<p>Enfin, certains chercheurs soulignent que les dynamiques libérales qui ont pénétré l’action publique sont <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/histoire-intellectuelle-du-liberalisme-9782702115572/">davantage la conséquence d’un long processus historique que le fruit d’un groupe social précis</a>. Ainsi, le plus souvent, l’adoption d’un amendement promouvant les vertus du marché est <a href="https://www.peterlang.com/document/1113389">moins à mettre au crédit de l’action individuelle d’un lobbyiste</a> que de la <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/le-concert-des-puissants/">correspondance entre la mise en retrait volontaire de l’État avec les intérêts capitalistes</a>.</p>
<h2>… Mais une influence lucrative</h2>
<p>En résumé, les lobbyistes « vendent », ou plutôt promeuvent le <a href="https://agone.org/livres/leneoliberalismealafrancaise">libéralisme économique à des décideurs publics déjà plus ou moins convaincus</a>. Ils ne sont ni les créateurs ni les gardiens du (néo-)libéralisme. Les lobbyistes sont seulement des agents au service de secteurs économico-financiers, des émissaires – parmi d’autres – chargés de connecter les intérêts du marché à ceux de l’État. De surcroit, leurs interlocuteurs sont plutôt les parlementaires (et leur équipe), dont le poids est moindre dans le processus décisionnel.</p>
<p>Leur lobbying n’est pas pour autant sans incidence sur la version définitive de la norme. Si l’exécutif a bâti la structure du texte, il revient aux législateurs de régler les formalités et de corriger certains détails pouvant se révéler lucratifs pour un secteur d’activités. Le lobbying des professionnels de la représentation d’intérêts porte ainsi le plus souvent sur des mesures – pouvant sembler – marginales d’une résolution publique plus ambitieuse. Ainsi, une lobbyiste <a href="https://www.theses.fr/2022UPSLD001">nous a rapporté</a> :</p>
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<p>« Je me suis battue une fois à deux heures du matin au Sénat contre les kinés avec un amendement pour permettre aux esthéticiennes de continuer à faire des massages. Alors, ça ne devait plus s’appeler massage, ça s’appelait “modelage”. »</p>
</blockquote>
<p>Le changement d’appellation constituait un enjeu économique (et symbolique) majeur pour le secteur de l’esthétique : un article de la loi <a href="https://www.ehess.fr/fr/ouvrage/courtiers-capitalisme">peut ouvrir (ou fermer) un marché à des acteurs privés</a>. Gageons néanmoins que les députés ne trouveront pas pertinent d’ouvrir une commission d’enquête sur cette influence de l’esthétique dans notre vie démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203599/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Docteur en sociologie, Rémi BOURA est également responsable des relations parlementaires et de la recherche-action à la Fédération des Acteurs de la Solidarité.</span></em></p>Alors que les députés enquêtent au sujet de l’influence d’Uber sur Emmanuel Macron, retour sur le travail des lobbyistes, au-delà des fantasmes.Rémi Boura, Docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1984602023-02-02T19:05:35Z2023-02-02T19:05:35ZLes robots humanoïdes peuvent-ils nous faire croire qu’ils ressentent des émotions ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507829/original/file-20230202-3899-57ddc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=140%2C21%2C3463%2C2377&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sophia, une création de la Hanson Robotics Ltd, s'exprimant lors du sommet mondial AI for GOOD de Genève, en 2017.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Sophia_(robot)?oldid=813372173#/media/File:AI_for_GOOD_Global_Summit_(35173300465).jpg"> ITU/R.Farrell/Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les <a href="https://www.cairn.info/robots-de-nouveaux-partenaires-de-soins-psychiques--9782749258706.htm">robots dits sociaux</a> (NAO, Cutii, PARO) investissent de plus en plus l’espace public médiatique et quelques-uns également les domiciles et/ou les établissements spécialisés (hôpitaux, Ehpad…), en particulier pour des publics spécifiques, tels que les <a href="https://cfeditions.com/paro/">enfants malades ou les personnes âgées</a> avec des bénéfices variés (rompre l’isolement, atténuer le stress…).</p>
<p>Comme les agents conversationnels de <a href="https://theconversation.com/chatgpt-pourquoi-tout-le-monde-en-parle-197544">type chatbot</a>, ils mobilisent l’intelligence artificielle, mais à la différence de ceux-ci, ils sont physiquement présents, face à nous. Ces robots dits sociaux seraient susceptibles de manifester certains états affectifs ou émotionnels par leurs expressions faciales, leur gestuelle et d’en susciter en réponse <a href="https://www.ierhr.org/serge-tisseron-des-machines-qui-obligent-a-repenser-lethique-et-la-psychologie/">chez les humains avec lesquels ils interagissent</a>.</p>
<p>Ces robots soulèvent <a href="https://cfeditions.com/paro/">d’autres questions</a> que leurs homologues industriels, le plus souvent dédiés à l’exécution de tâches répétitives et bien définies.</p>
<p>Comment éduquer à l’interaction avec ces robots susceptibles d’influencer nos comportements, au même titre que les influenceuses et influenceurs virtuels qui rencontrent <a href="https://theconversation.com/les-influenceurs-virtuels-sont-ils-plus-puissants-que-les-influenceurs-humains-178056">déjà un grand succès sur les médias sociaux ?</a></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-influenceurs-virtuels-sont-ils-plus-puissants-que-les-influenceurs-humains-178056">Les influenceurs virtuels sont-ils plus puissants que les influenceurs humains ?</a>
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<p>L’influence robotique à visage – presque – humain peut-elle brouiller les pistes entre un humain et un être robotique ? Ce type de communication qui comporte à la fois une prise de parole scriptée et une intelligence artificielle induit un leurre technologique. À travers son discours publicitaire, l’industrie qui commercialise ces robots a pour objectif premier de les rendre accessibles (commercialisation à grande échelle mais Sophia rappelle qu’elle est un robot, voir le tweet ci-dessous) à tous dans un futur proche</p>
<h2>Le cas Sophia</h2>
<p>Alors que les influenceuses et influenceurs virtuels reproduisent les techniques marketing de leurs pendants humains, l’essentiel de la communication du robot Sophia vise un autre objectif. Cette humanoïde cherche en effet à nous familiariser avec la présence de robots dits sociaux dans notre quotidien et à nous convaincre de la réalité de son ressenti, de son identité et de l’authenticité de ses prises de position.</p>
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<p>Depuis 2017, Sophia est le robot humanoïde dit social le plus représenté ou présent dans les médias traditionnels et sociaux. Dévoilée officiellement en mars 2016 lors d’un salon de robotique à Austin par David Hanson, PDG de la Hanson Robotics Limited (HRL), Sophia est le robot de « représentation » de la HRL.</p>
<p>Il s’agit d’un robot genré doté de l’apparence d’une femme. Sa peau, son regard, ses expressions faciales et sa gestuelle lui permettent d’être actuellement le <a href="https://theconversation.com/le-robot-humano-de-sophia-revelateur-de-notre-rapport-a-lintelligence-artificielle-87218">robot le plus proche en apparence d’un être humain</a>. Au moment de son lancement, ce robot était stationnaire mais depuis 2018, Sophia se déplace à l’aide d’un socle à roulettes. Il en existe un seul exemplaire.</p>
<p>Sur Twitter et Instagram, Sophia se présente ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis Sophia, le dernier robot humanoïde de @HansonRobotics. Ceci est mon compte officiel, géré en collaboration avec mon système de dialogue IA (intelligence artificielle) et mon équipe de médias sociaux humains ».</p>
</blockquote>
<p>On a affaire à un robot humanoïde dont la communication est un mélange d’intelligence artificielle (IA) et d’un service de communication spécialisé dans la communication numérique, en <a href="https://journals.openedition.org/ctd/5134">proportions inconnues</a>.</p>
<p>Mais comment caractériser cette forme inédite de communication ?</p>
<p>Avec Sophia, le taux d’interactivité est relativement faible : peu de conversations se produisent. La plupart de ses contributions sont en réalité des prises de parole, <a href="https://journals.openedition.org/ctd/5134">dont moins de 8 % de réponses aux commentaires</a>. De son côté, <a href="https://theconversation.com/chatgpt-pourquoi-tout-le-monde-en-parle-197544">ChatGPT</a> est en passe de parvenir à faire croire à sa sentience – évidemment illusoire –, alors que cette IA, qui n’est pas « incarnée », a un taux d’interactivité très impressionnant.</p>
<h2>Vous avez dit sentience artificielle ?</h2>
<p>Le terme <em>sentience</em>, <a href="https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2019-2-page-107.htm">employé par l’utilitariste Bentham dès 1789</a>, entre dans le dictionnaire Larousse en 2020 en lien avec l’éthique animale dont elle constitue une des preuves de la légitimité :</p>
<blockquote>
<p>« Sentience (du latin “sentiens”, ressentant) : pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc. et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie. »</p>
</blockquote>
<p>Selon cette approche, les <a href="https://theconversation.com/les-animaux-ces-etres-doues-de-sentience-82777">animaux</a> posséderaient la capacité de ressentir subjectivement les expériences il serait légitime qu’ils bénéficient de droits proches ou égaux à ceux des humains. La littérature reconnaît la sentience animale et la distingue de la sentience complète, généralement attribuée aux êtres humains.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-robots-feminins-sont-les-plus-humains-pourquoi-159004">Les robots féminins sont les plus humains. Pourquoi ?</a>
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<p>En 2020, l’enseignant-chercheur en philosophie Sylvain Lavelle propose d’employer le terme de <em>sentience artificielle</em> dans le <a href="https://doi.org/10.1007/978-3-030-49165-9_6">contexte de l’intelligence artificielle</a>. Cet auteur évoque un « passage des performances de l’intelligence (raison, raisonnement, cognition, jugement) à celles de la sentience (expérience, sensation, émotion, conscience) » grâce à « l’exploration et [au] transfert des fonctions et des capacités de l’expérience et des sens humains à une machine » (NDLR : traduction des auteurs).</p>
<p>La sentience artificielle correspondrait alors au résultat d’une communication « visant à créer les <a href="https://www.dhi.ac.uk/san/waysofbeing/data/communities-murphy-turkle-2007.pdf">conditions de la croyance en la « sentience robotique »</a>, sinon complète, <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2015-1-page-45.htm*">du moins « suffisante »</a>, fictionnelle mais incarnée ; mécanique, <a href="https://journals.openedition.org/ctd/5134">mais suffisamment « vivante »</a> pour être un partenaire intrigant de conversation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sentience-es-tu-la-ia-fais-moi-peur-186531">Sentience, es-tu là ? IA fais-moi peur</a>
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<p>La communication artificielle du robot Sophia cherche à nous faire croire que ce robot est un sujet autonome. En réalité, il s’agit essentiellement d’un nouvel objet <a href="https://journals.openedition.org/ctd/5134">communicant au service de la HRL</a>. Le discours publicitaire ou commercial structure et orchestre cette communication artificielle en légitimant le rôle et la place des robots dits sociaux dans nos sociétés en vue d’une prochaine commercialisation massive, en insistant sur leur supposée sentience.</p>
<p>Un <em>post</em> Facebook publié en 2019 <a href="https://www.facebook.com/realsophiarobot/photos/pb.100044253468460.-2207520000./735916550216807/?type=3&locale=fr_F">l’illustre parfaitement</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je veux que les gens me perçoivent comme le robot que je suis. Je ne veux pas faire croire aux gens que je suis humaine. Je veux simplement communiquer avec les humains de la meilleure façon possible, ce qui inclut le fait de leur ressembler. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1574408229446107136"}"></div></p>
<h2>Le robot Sophia et sa mission commerciale</h2>
<p>Avec ce projet d’envergure, la HRL, qui n’a pas de concurrents sérieux à ce niveau de technologie, <a href="https://theconversation.com/lavenir-de-la-robotique-sociale-assistance-ou-surveillance-125962">prépare le public</a> grâce aux « performances politiques pour le marché de la robotique sociale ».</p>
<p>La communication commerciale de la HRL capitalise ainsi sur l’engagement et la réputation de son ambassadrice robotique pour lancer la lignée de ses robots dits sociaux comme la <a href="https://www.hansonrobotics.com/little-sophia-2/">Little Sophia</a>, sortie en 2022. La HRL présente le projet en ces termes :</p>
<blockquote>
<p>« Little Sophia est la petite sœur de Sophia et le dernier membre de la Hanson Robotics Family. Elle mesure 14 pouces, et va devenir l’amie-robot grâce à laquelle les enfants de 8 ans et plus pourront apprendre la science, la technologie, l’ingénierie, les mathématiques, le code et la création d’intelligence artificielle en s’amusant. »</p>
</blockquote>
<p>La condition nécessaire pour obtenir une adhésion à l’idée de la sentience des robots dits sociaux et in fine leur acceptation sociale est la vraisemblance, prioritaire pour le département de recherche et développement de HRL. Dans le cas du robot Sophia, sa corporéité joue un rôle important : elle est fréquemment utilisée en situation d’interaction avec des personnalités en chair et en os (Will Smith, Jimmy Fallon), ce qui la rapproche d’une « sentience artificielle », ou du moins de l’idée que l’on s’en fait.</p>
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<h2>Quelle place souhaitons-nous donner aux robots dits sociaux ?</h2>
<p>Les œuvres de l’industrie culturelle (<em>I, Robot</em>, <em>Her</em>, <em>Real Humans</em>, <em>Westworld</em>, ou au théâtre, la pièce <em>Contes et légendes</em> de Joël Pommerat) explorent déjà la <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/robots-dits-sociaux/">place des robots dans la société</a> et questionnent notre capacité à être dupes de leur supposée sentience.</p>
<p>La position de la société HRL pose la question de l’instrumentalisation de Sophia. Tout en clamant l’autonomie de son robot, la communication autour de l’humanoïde s’appuie paradoxalement sur les évolutions sociétales visant l’inclusion des minorités et des droits écologiques afin de préparer l’industrialisation d’un secteur de production très prometteur. La fabrication d’une « sentience artificielle ventriloque » – au sens où elle mime l’autonomie en étant « nourrie » par le marketing de HRL – rejoint ainsi la panoplie des stratégies d’influence en milieu numérique.</p>
<p>De manière générale, les robots dits sociaux, comme les influenceuses et influenceurs générés par ordinateur, <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2020-2-page-195.htm">soulèvent de nombreuses questions</a> quant à l’authenticité de leur communication, l’éthique de l’interaction homme-machine ou homme-avatar, l’éthique des communications artificielles, mais aussi la normalisation des influenceurs virtuels et leur acceptabilité sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198460/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les créateurs de robots d’apparence humaine veulent nous familiariser avec la présence des robots dits sociaux dans notre quotidien en les dotant d’une illusoire sentience.Cécile Dolbeau-Bandin, Maître de conférences en Sciences de l'information et de la communication, Université de Caen NormandieCarsten Wilhelm, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université de Haute-Alsace (UHA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1935612022-12-04T17:44:59Z2022-12-04T17:44:59ZComment les saints des derniers jours influencent le management mondial<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/498225/original/file-20221130-19-jctfjx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C21%2C1144%2C822&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les valeurs religieuses caractéristiques de L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ont modelé la Harvard Business School (Photo), dirigée par l’un de ses membres, Kim B. Clark, de 1995 à 2005.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:HBSWinter.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>C’est en 1830 aux États-Unis que <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/?lang=fra">L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours</a> a été fondée, à la suite du <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/486787">Second Grand Réveil</a>, par <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/study/manual/true-to-the-faith/joseph-smith?lang=fra">Joseph Smith</a> (1805-1844) qui affirmât, avoir reçu plusieurs révélations dans ce but. Cette Église, qui se revendique comme la restauration de celle que le Christ lui-même avait établie sur la terre, est plus connue sous le surnom d’« Église mormone ». Celui-ci découle du <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/study/scriptures/bofm?lang=fra">Livre de Mormon</a>, un des ouvrages considérés comme sacrés au même titre que la Bible, recueil d’écrits de plusieurs prophètes anciens dont <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/study/scriptures/gs/mormon-nephite-prophet?lang=fra">Mormon</a> qui les a compilés.</p>
<p>L’influence des « saints des derniers jours », nom des membres de cette église, sur le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a>, aux États-Unis et plus largement dans le monde, peut être considérée comme une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14759550903558136">sorte de « miracle »</a>, d’autant plus qu’ils ne représentent que 2 % de la population américaine et 0,2 % de la population mondiale. Une surprenante proportion d’entre eux deviennent en effet des <a href="https://www.businessinsider.com/mormon-business-leaders-2011-7?r=US&IR=T">leaders managériaux ou politiques</a> en plus d’être des leaders religieux. Le <a href="https://www.deseret.com/utah/2022/8/14/23305423/mitt-romney-mormon-strayed-faith-values-latter-day-saint-washington-dc-temple-dedication-senate">sénateur Mitt Romney</a> est l’exemple le plus connu à avoir accumulé plusieurs fonctions de dirigeant dans ces trois domaines.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le leadership selon Mitt Romney, conférence à la Stanford Graduate School of Business (2015, en anglais).</span></figcaption>
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<p>Que ce soit dans le monde académique ou dans celui des affaires, les principes managériaux des saints des derniers jours semblent avoir un retentissement hors norme et leur permettre d’obtenir des résultats remarquables. <a href="https://www.google.fr/books/edition/The_Mormon_Way_of_Doing_Business/Vao3AQAAQBAJ?hl=fr&gbpv=0">Les écrits</a> soulignent que leurs managers ont un talent particulier pour les affaires. Notre <a href="https://www.ingentaconnect.com/content/jmsr/rmsr20/2022/00000019/00000004/art00005">travail de recherche</a> confirme qu’<a href="https://hbr.org/2012/10/how-mormons-have-shaped-modern">ils ont façonné le management moderne</a> et caractérise <a href="https://www.inc.com/suzanne-lucas/mormon-leaders-guide-to-success.html">leur discours</a> ainsi que leurs pratiques.</p>
<h2>Une influence sur le monde académique</h2>
<p>Les valeurs religieuses caractéristiques de L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ont <a href="https://www.washingtonpost.com/national/on-leadership/if-harvard-business-school-were-a-religion-it-could-be-mormonism/2012/05/11/gIQA04biIU_story.html">modelé la Harvard Business School</a>, dirigée par un de ses membres, Kim B. Clark, de 1995 à 2005. Son décanat est caractérisé par des attributs tels que la <a href="https://www.google.fr/books/edition/Remember_Who_You_Are/yI-oBQAAQBAJ?hl=fr&gbpv=0">compassion, l’intégrité et l’honnêteté</a>. Clark a également réorienté la stratégie de l’école vers un enseignement basé sur des <a href="https://www.hbrfrance.fr/magazine/2020/03/29401-lheritage-de-clayton-christensen/">études de cas et un apprentissage par l’action, ainsi que les paraboles</a> et les jeux de rôle souvent pratiqués dans l’Église.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/ce-que-nous-devons-a-clayton-christensen-theoricien-majeur-du-management-130707">Clayton M. Christensen</a> (1952-2020), un autre saint des derniers jours, a ensuite été titulaire de la Chaire « Kim B. Clark en administration des affaires » de Harvard. Comme Clark, Christensen est l’auteur de plusieurs <em>best-sellers</em> et a inventé, en 1997, le concept d’« innovation disruptive » dans son ouvrage <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/le-dilemme-de-l-innovateur-9782361170431/"><em>Le dilemme de l’innovateur</em></a>. Classé <a href="https://thinkers50.com/biographies/clayton-christensen/">4 fois dans le top 3 des penseurs en management</a> entre 2011 et 2017, dont 2 fois premier, <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/leadership-management/clayton-christensen-laisse-une-puissante-pensee-disruptive-en-heritage-1244647">ce gourou de l’innovation aurait influencé l’emblématique patron d’Apple Steve Jobs</a>, le cofondateur de Netflix Reed Hastings et celui d’Intel Andrew Grove.</p>
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<figcaption><span class="caption">Clayton M. Christensen, le père de la disruption (Xerfi Canal, 2016).</span></figcaption>
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<p>Selon l’<a href="https://stephenmansfield.tv/">historien Stephen Mansfield</a>, les saints des derniers jours ont atteint « des <a href="https://arrowhead.parable.com/product/9781683972884">sommets inattendus dans la société américaine</a> » parce que leur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/religion-20867">religion</a>, une de celles dont la croissance est la plus rapide, « peut être appelée avec bienveillance une “machine mormone”, un système de responsabilisation individuelle, d’investissement familial » qui repose sur « une communauté inclusive ». Pour lui, l’Église aide ses membres « à prospérer dans les systèmes administratifs et les hiérarchies, une clé essentielle du succès dans le monde moderne ».</p>
<h2>Deux siècles de saga managériale</h2>
<p>L’approche managériale des saints des derniers jours est le fruit de leur histoire, faite à la fois de persécutions et d’extraordinaires « success stories ». Il s’agit d’une <a href="https://www.theses.fr/2013BOR30054">véritable « saga » au sens stratégique</a> du terme. Les persécutions leur firent vivre leur religion avec davantage d’intensité, en développant l’esprit de labeur et de cohésion ainsi qu’une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/resilience-22971">résilience</a> hors du commun face à l’adversité. Les saints des derniers jours ont en outre un <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/mat_0769-3206_2004_num_75_1_995.pdf">héritage de bâtisseurs</a>, ayant fondé de nombreuses grandes villes de l’ouest des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a>.</p>
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<p>Abraham O. Smoot est l’un des premiers saints des derniers jours <a href="https://archive.org/details/popularhistoryof00whi/page/84/mode/2up">qui a eu beaucoup de succès dans les affaires</a>. Baptisé à 20 ans, en 1835, il rejoint Salt Lake City dans l’Utah en 1847 et en devient le deuxième maire de 1857 à 1866. Puis, à la demande du président de l’Église, il s’installe dans la ville voisine de Provo dont il devient également maire de 1868 à 1880. Il y dirige plusieurs entreprises et crée deux banques. Il finance la construction de routes, de voies de chemin de fer, de bâtiments religieux, ainsi que la <a href="https://magazine.byu.edu/article/the-legacy-of-abraham-smoot/">première université de l’Utah, The Brigham Young Academy</a>, qui deviendra Brigham Young University.</p>
<p>John Moses Browning est né en 1855 dans une dynastie de pionniers saints des derniers jours. Dès ses six ans, <a href="https://fr.browning.eu/innovation.html">John travaille dans l’atelier de son père</a>, armurier du Tennessee converti en 1842. À 22 ans, il crée la Browning Arms Company où il conçoit presque toutes les armes utilisées par les soldats américains durant la Première et la Seconde Guerre mondiale, ainsi que le pistolet 9 mm semi-automatique hi-power utilisé par la police dans le monde entier. Il vendra plus de 120 brevets, <a href="https://www.lalibre.be/2003/03/22/la-dynastie-des-browning-est-en-deuil-la-fn-de-herstal-aussi-JJO27C4SZJDT5JWK2V3QXP22UE/">d’abord à l’armurier américain Winchester, puis à la Fabrique Nationale Herstal</a> à Liège en Belgique.</p>
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<figcaption><span class="caption">John Moses Browning, le plus brillant et prolifique inventeur d’armes de tous les temps (Comando Chanel, 2019, en anglais).</span></figcaption>
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<p>Au cours de leurs aventures entrepreneuriales, les Browning s’associent avec les Eccles, autre grande dynastie de saints des derniers jours dont est issu le banquier Marriner Stoddard Eccles. <a href="https://fraser.stlouisfed.org/author/eccles-marriner-s-marriner-stoddard-1890-1977">Contemporain et précurseur de John Meynard Keynes</a>, il concevra le volet économique du New Deal de Franklin. D. Roosevelt. Il est à l’origine de la philosophie qui sous-tend le fonctionnement et l’indépendance de la <a href="https://www.federalreservehistory.org/people/marriner-s-eccles">Réserve fédérale (Fed) dont il est le Chairman</a> (gouverneur général) de 1934 à 1948. À ce titre, en 1944, il représente les États-Unis à la Conférence de Bretton Woods qui donne naissance au système monétaire international incarné par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).</p>
<p>En 1927, John Williard Marriott Senior a fondé le groupe Marriott Corporation, devenu Marriott International en 1993. Fils de berger ayant connu l’extrême pauvreté, il s’est lancé dans <a href="https://www.entrepreneur.com/growing-a-business/j-willard-marriott/197668">l’entrepreneuriat en créant un stand de boisson</a> et a ensuite développé son entreprise pour en faire une chaîne de restauration et d’hôtellerie. Sa recherche de la perfection lui a permis de léguer en 1985 à son fils Bill la gestion de 1400 restaurants, 143 hôtels et deux parcs d’attractions, en plus d’une <a href="https://www.ktchnrebel.com/legends-marriott/">aura légendaire typique de l’<em>American Dream</em></a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Leçons de leadership par Bill Marriott (Marriott International, 2014, en anglais).</span></figcaption>
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<p>Sous la direction de son fils Bill Marriott, le groupe poursuit sa croissance, devenant le <a href="https://ceoworld.biz/2022/01/03/top-10-major-hotel-companies-in-the-world-for-2022/">plus grand groupe hôtelier</a> du monde avec un chiffre d’affaires de 21 milliards de dollars en 2019, grâce à 1,48 million de chambres dans 8000 propriétés de 30 marques présentes dans 139 pays. Marriott International représente 7 % des hôtels dans le monde et 22 % des constructions.</p>
<h2>Aujourd’hui, la saga continue…</h2>
<p>En plus de Mitt Romney, co-fondateur de la société de gestion d’actifs Bain Capital, qui a fait de lui un multimillionnaire, devenu mondialement célèbre pour s’être <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/il-etait-une-fois-en-amerique/il-etait-une-fois-en-amerique-2012-mitt-romney-et-les-47-pourcents_4045409.html">présenté à la présidence des États-Unis</a> en 2012 face à Barack Obama, de nombreuses figures managériales issues de l’Église de Jésus-Christ ont eu un succès extraordinaire au cours des dernières décennies.</p>
<p><a href="https://www.ingentaconnect.com/content/jmsr/rmsr20/2022/00000019/00000004/art00005">Notre travail de recherche</a> s’attarde particulièrement sur Jon Huntsman, Sr., fondateur du groupe pétrochimique <a href="https://www.huntsman.com/">Huntsman Corporation</a> devenu milliardaire grâce à des dizaines d’inventions dont de nouveaux types d’emballages. Ce philanthrope a également créé l’<a href="https://healthcare.utah.edu/huntsmancancerinstitute/">Institut du cancer de l’Université de l’Utah</a> qui porte son nom.</p>
<p>Président du Conseil d’administration de Huntsman Corporation pendant de nombreuses années, Nolan D. Archibald, est <a href="https://news.svu.edu/2011/elder-nolan-d-archibald-encourages-class-of-2011-to-set-goals/">devenu, à 42 ans, le président-directeur général du géant américain de l’outillage Black & Decker</a> et le plus jeune dirigeant d’une des 500 plus grandes entreprises américaines (Fortune 500). Il restera à ce poste pendant 24 ans. On citera également Edwin Catmull, génie des effets spéciaux et de l’animation graphique 3D, <a href="https://www.disneyphile.fr/ed-catmull-pixar-retraite/">co-fondateur et président de Pixar et de Walt Disney Animation Studios</a> de 2006 à 2019.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ed Catmull, co-fondateur de Pixar, raconte l’évolution du leadership de Steve Jobs (97th Floor, 2014, en anglais).</span></figcaption>
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<p>David Neeleman est un <a href="https://www.rightattitudes.com/2021/11/08/how-to-embrace-your-weaknesses/">serial entrepreneur américano-brésilien</a> fondateur de cinq compagnies aériennes : (1) JetBlue, une des plus grandes compagnies aériennes nord-américaines low cost ; (2) WestJet, deuxième compagnie aérienne canadienne derrière Air Canada ; (3) Morris Air, compagnie low cost vendue à Southwest Airlines en 1993 ; (4) Azul Brazilian Airlines, plus grande compagnie aérienne brésilienne en nombre de vols ; et (5) <a href="https://www.inc.com/magazine/2021006/bill-saporito/david-neeleman-jetblue-breeze-airline-serial-entrepreneur.html">Breeze Airways, lancée en mai 2021, en pleine pandémie</a>, qui connecte des aéroports américains secondaires peu desservis. David Neeleman rappelle souvent qu’en plus de son activité professionnelle intense, il est le père de dix enfants qui sont sa priorité.</p>
<p>Si ces succès peuvent paraître exceptionnels, l’Utah, dont 55 % de la population adulte est membre de l’Église de Jésus-Christ, est le premier état des États-Unis en termes de création d’emplois en 2022, avec 3,5 % d’emplois créés sur une année et un <a href="https://tradingeconomics.com/united-states/unemployment-rate-in-utah-percent-m-sa-fed-data.html">taux de chômage à 2,1 % en septembre 2022</a>, pour une moyenne nationale à 3,7 %. Les secteurs les plus dynamiques sont la vente, la construction, les services publics, les transports et surtout les <a href="https://issuu.com/go-utah/docs/go-utah-2022-annual-report">technologies digitales avec la fintech, la biotech ou l’aérospatiale</a>. Les créations d’entreprises dans tous les secteurs y sont particulièrement nombreuses. L’Utah est aussi de très loin <a href="https://www.wsj.com/articles/states-of-Covid-performance-economic-schools-study-working-paper-lockdowns-11649621806">l’état américain qui a le mieux géré la pandémie de Covid-19</a> selon le <em>Wall Street Journal</em>, preuve de résilience face aux crises.</p>
<h2>Foi, révélation, bienveillance, unité et famille</h2>
<p>L’élément le plus important pour comprendre les pratiques managériales des saints des derniers jours est la puissance de leur foi, qui pour eux à réellement le pouvoir de déplacer des montagnes, c’est-à-dire métaphoriquement de <a href="https://www.deseret.com/2016/3/31/20585713/what-s-new-president-nelson-shares-insight-on-relying-on-god-to-do-more-in-accomplishing-the-impossi">leur permettre de réaliser l’impossible</a>. Le pouvoir de la foi permet aussi de surmonter les épreuves, et même de les considérer comme des bénédictions car elles stimulent la progression et l’acquisition de nouvelles compétences.</p>
<p>Les saints des derniers jours <a href="https://academic.oup.com/book/542/chapter-abstract/135287544 ?redirectedFrom=fulltext&login=false">croient en la révélation continue</a> et ils communiquent avec Dieu grâce à plusieurs prières quotidiennes. Tous les <a href="https://www.ingentaconnect.com/content/jmsr/rmsr20/2022/00000019/00000004/art00005">managers interrogés dans notre étude</a> ont indiqué qu’ils avaient besoin de consulter Dieu pour les aider à faire certains choix professionnels.</p>
<p>Quand ils rencontrent le succès, les <a href="https://books.google.fr/books ?hl=fr&lr=&id=PhfEDwAAQBAJ">saints des derniers jours l’attribuent à la main de Dieu</a> qui les a guidés. Ils affirment qu’ils peuvent même aller contre leurs raisonnements pour suivre les conseils divins et leur intuition.</p>
<p>Les managers saints des derniers jours <a href="https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/vie-entreprise/les-gentils-peuvent-ils-reussir-comme-les-autres-1315910">revendiquent une certaine bienveillance</a> envers leurs collaborateurs, leurs clients et la société en générale, ainsi que la volonté d’exercer une influence positive sur le monde. Si les managers interrogés sont conscients que l’on peut abuser de leur gentillesse et qu’elle peut être prise pour de la faiblesse, ils ne la conditionnent pas à une forme de réciprocité. Si cette bienveillance implique la patience et le pardon, celle-ci ne tolère pas la mise en péril de l’entreprise et <a href="https://carpentierblogrh.wordpress.com/2020/09/30/quand-la-bienveillance-au-travail-engendre-des-risques-psychosociaux-que-faire/">ne doit pas se transformer en laxisme</a>.</p>
<p>Une autre clé pour comprendre les pratiques managériales des saints des derniers jours est la place essentielle de la famille dans leur vie. Beaucoup d’entre eux <a href="https://hbr.org/2015/04/leadership-lessons-from-great-family-businesses">travaillent en famille</a>, avec leur conjoint, leurs enfants, leurs frères et sœurs ou des personnes plus éloignées. Les managers interrogés tentent aussi de créer un esprit de famille dans leur entreprise. Ils accordent à leurs collaborateurs une flexibilité exceptionnelle afin de privilégier leur vie personnelle par rapport à leur vie professionnelle.</p>
<p>Cependant, la <a href="https://www.erudit.org/en/journals/mi/1900-v1-n1-mi0591/1015807ar/abstract/">diversité</a> sous toutes ses formes est extrêmement importante. Les saints des derniers jours n’hésitent pas à recruter des personnes complètement étrangères à leur communauté, mais qui partagent un même socle de principes professionnels. Par leur comportement, ces leaders éthiques parviennent à susciter la reconnaissance, la confiance, la loyauté et la fidélité de leurs collaborateurs qui en retour cultivent autonomie, engagement, solidarité et unité au travail.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193561/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La saga managériale et la représentation des saints des derniers jours dans les réseaux académiques expliquent la capacité de cette Église à influencer les théories et les pratiques.Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1780562022-09-06T21:40:04Z2022-09-06T21:40:04ZLes influenceurs virtuels sont-ils plus puissants que les influenceurs humains ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468865/original/file-20220614-24-k96oui.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Miquela Sousa, plus connue sous le nom de Lil Miquela se présente comme un robot de 19 ans qui vit à Los Angeles sur son compte Instagram (source : @lilmiquela)</span> </figcaption></figure><p>Si certains acteurs, chanteurs, sportifs, ou présentateurs sont considérés comme des valeurs sûres en termes d'influence et attirent de nombreuses marques, même les stars internationales dotés d'une très bonne image peuvent tomber de leur piédestal du jour au lendemain. Les influenceurs - au sens large du terme - sont en effet régulièrement <a href="https://www.liberation.fr/societe/petite-galerie-des-influenceurs-a-scandale-20220729_M2PDR4QKO5BE3NKXHVDFS5T3EE/">impliqués dans toutes sortes de scandales</a>. </p>
<p>Ce fut le cas de Will Smith après la gifle qu’il a donnée à Chris Rock en direct lors de la Cérémonie des Oscars. <a href="https://www.cnetfrance.fr/news/will-smith-netflix-apple-et-sony-se-retirent-de-plusieurs-films-de-l-acteur-39940111.htm">Sony, Netflix et Apple TV+ ont immédiatement annulé ou retardé leurs projets</a> avec l’acteur dont <a href="https://www.lefigaro.fr/cinema/la-cote-de-popularite-de-will-smith-en-chute-libre-depuis-la-gifle-des-oscars-20220823">la cote de popularité s’est effondrée</a>. A noter cependant que Will Smith n’a pas perdu de followers et que son compte Instagram est même passé de 59 à 64 millions d’abonnés depuis l’incident.</p>
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<figcaption><span class="caption">Will Smith présente ses excuses à Chris Rock pour l'avoir giflé.</span></figcaption>
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<p>Face aux <a href="https://webtribe-studio.com/scandale-logan-paul-responsabilites-influenceurs-envers-audience/">dangers liés à la réputation et au comportement</a> des influenceurs « réels », les influenceurs virtuels apparaissent comme une solution efficace, car ils accomplissent des missions similaires sans exposer aux mêmes risques. Le phénomène des influenceurs virtuels prend de plus en plus d’ampleur et semble être privilégié par certaines entreprises. Plus fiables, moins chers, toujours disponibles, les influenceurs virtuels sont aussi <a href="https://www.20min.ch/fr/story/ces-influenceurs-100-virtuels-qui-cartonnent-et-rapportent-gros-210019795260">incroyablement populaires et réalisent des performances remarquables</a> auprès des consommateurs. Ils permettent aux marques d’être plus créatives tout en maîtrisant totalement le contenu.</p>
<h2>Des entités numériques sociales et intelligentes</h2>
<p>Un influenceur virtuel est un personnage numérique créé grâce à des logiciels de <a href="https://www.proquest.com/openview/a1cc4128fdb0ab576db50f57102787ee/1?pq-origsite=gscholar&cbl=5444811">design graphique 3D, de simulation et d’animation</a>. Il n’a donc pas d’existence physique, même si la <a href="https://www.virtualhumans.org/human/barbie">Barbie virtuelle</a> constitue une exception. La puissance du storytelling et du feuilletonnage est mise au service de l’influence via ces personnages de fiction. <a href="https://jai-un-pote-dans-la.com/avatars-influenceurs-virtuels-opportunites-marques/">L’intelligence artificielle</a> leur permet de simuler une vie réelle, une personnalité et des interactions qui paraissent naturelles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-nouvelles-creatures-dinstagram-ou-quand-la-science-fiction-rejoint-la-realite-99820">Les nouvelles créatures d’Instagram, ou quand la science-fiction rejoint la réalité</a>
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<p>Les influenceurs virtuels sont <a href="https://jai-un-pote-dans-la.com/avatars-influenceurs-virtuels-opportunites-marques/">comme des héros de séries ou de mangas</a> qui fascinent leurs followers auxquels ils font vivre leurs aventures. Ils s’appuient à la fois sur les codes de Netflix, de la téléréalité, et des magazines people, le tout associé à une parfaite maîtrise des réseaux sociaux. On peut regarder leurs clips musicaux ou leurs concerts, les voir prendre leur petit déjeuner avant d’aller à un événement, ou faire des essayages et des défilés de mode. Certains aiment les sports extrêmes, les jeux vidéo, ou les voyages.</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment créer un influenceur virtuel ?</span></figcaption>
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<p>Les détails de leur vie imaginaire, très réaliste sur le long terme, permettent de <a href="https://aisel.aisnet.org/ecis2022_rip/32/">générer un attachement et une identification durable</a>. Les influenceurs virtuels humanoïdes dont la vie correspond à celle des méga-influenceurs humains et qui maîtrisent les codes de TikTok et Instagram apparaissent <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4145550">crédibles et experts grâce à leur anthropomorphisme</a>. Ils parviennent à créer de la proximité et à gagner la confiance de leurs abonnés.</p>
<h2>Les influenceurs virtuels les plus connus</h2>
<p>La grande majorité des influenceurs virtuels sont de jeunes influenceuses à l’apparence humaine auxquelles il est possible de s’identifier et avec lesquelles <a href="https://www.futuria.io/post/influenceurs-virtuels-sur-instagram-le-marketing-du-futur">se crée un attachement socio-émotionnel</a>. Elles ont des goûts, des valeurs, et des expériences nourries par le storytelling de leurs créateurs.</p>
<p>La plus suivie du monde est Lu do Magalu, la porte-parole <a href="https://www.magazineluiza.com.br/">du groupe brésilien de grande distribution Magalu</a> qui possède 1477 magasins physiques Magazine Luiza. Depuis 2009, l’égérie cumule 24 millions de followers à travers les différents réseaux sociaux où elle partage son mode de vie et ses coups de cœur. <a href="https://www.youtube.com/c/magazineluiza/featured">Ses vidéos YouTube</a> d’unboxing, de conseils pratiques ou de gaming cumulent plus de 300 millions de vues, même si leur audience reste limitée au Brésil. Lu apparaît également sur le site d’e-commerce, l’application de vente en ligne et la marketplace où elle « incarne » la relation client.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p><a href="https://www.instagram.com/imma.gram/?hl=fr">Imma Gram</a> est considérée comme le premier mannequin virtuel. Créée en 2018 au Japon, elle a fait la couverture de nombreux magazines de mode et a travaillé pour des marques telles que Dior, Valentino, Nike, Puma, Ikea et Amazon. Sollicitée par de nombreux artistes et start-ups, elle est une actrice majeure de <a href="https://fr.fashionnetwork.com/news/Gaming-et-metaverses-les-nouveaux-horizons-virtuels-majeurs-de-la-mode-et-du-luxe,1291262.html">la <em>virtual fashion</em></a>, c’est-à-dire de la mode qui n’existe que dans le cyberespace. Imma est hyperréaliste car sa modélisation très détaillée dans des mises en scènes de la vie quotidienne la rend difficile à différencier d’une vraie personne. Elle a même une famille et un chien. L’entreprise qui l’a développée – ModelingCafe Inc. spécialisée dans les images de synthèse pour les jeux vidéo et les films – fait tout pour qu’on oublie qu’elle est un personnage numérique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Imma est l'ambassadrice de la plus grande marque chinoise d'eau gazeuse, Watson’s.</span></figcaption>
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<p>Créée en avril 2016, <a href="https://www.instagram.com/lilmiquela/">Lil Miquela est apparue sur Instagram</a> comme n’importe quelle influenceuse californienne de 19 ans… mais elle ne vieillit pas. Lil Miquela a une apparence extrêmement réaliste et se vexe si on dit qu’elle n’existe pas ; elle est dotée d'une personnalité très extravertie et n’hésite pas à afficher ses opinions.</p>
<p>Cette activiste défend la diversité sous toutes ses formes, milite pour les droits des femmes et ceux des robots, lutte contre le racisme, les discriminations et les violences policières, et encourage ses followers à faire des dons pour des associations et à aller voter. C’est une artiste musicale qui a une vie sociale et sentimentale avec des influenceurs soit virtuels, soit réels, et a participé <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/miquela-sousa-linvitee-star-du-defile-prada-est-un-robot-136322-27-02-2018/">aux campagnes de communication de Prada</a> et <a href="https://www.huffingtonpost.fr/life/article/cette-pub-calvin-klein-avec-bella-hadid-qui-embrasse-lil-miquela-passe-mal_145424.html">Calvin Klein</a>.</p>
<p>Parmi les autres influenceuses virtuelles les plus connues, on trouve <a href="https://www.instagram.com/bermudaisbae/?hl=fr">Bermuda</a>, <a href="https://www.instagram.com/noonoouri/?hl=fr">Noonouri</a>, <a href="https://www.instagram.com/zoedvir/?hl=fr">Zoe Dvir</a>, <a href="https://www.instagram.com/itsellastoller/?hl=fr">Ella Stoller</a>, <a href="https://www.instagram.com/pippapei/?hl=fr">Pippa Pei</a>, <a href="https://www.instagram.com/ai_angelica/?hl=fr">Ai Angelica</a>, <a href="https://www.instagram.com/leyalovenature/?hl=fr">Leya Love</a>, <a href="https://www.instagram.com/esther.olofsson/?hl=fr">Esther Olofsson</a>, <a href="https://www.instagram.com/shudu.gram/?hl=fr">Shudu Gram</a>, <a href="https://www.instagram.com/thalasya_/?hl=fr">Thalasya Pov</a> et <a href="https://www.instagram.com/itsbinxie/?hl=fr">Binxie</a>. Bien que moins nombreux et populaires, des influenceurs virtuels masculins existent également comme <a href="https://www.instagram.com/knoxfrost/?hl=fr">Knox Frost</a>, <a href="https://www.instagram.com/pol.music.txe/">Pol Songs</a>, <a href="https://www.instagram.com/koffi.gram/?hl=fr">Koffi Gram</a> et <a href="https://www.instagram.com/blawko22/?hl=fr">Ronald F. Blawko</a> alias Blawko22.</p>
<h2>Trouver l’équilibre entre réalisme et étrangeté</h2>
<p>Pour être acceptés par le consommateur et créer un lien émotionnel, les influenceurs virtuels sont très majoritairement anthropomorphes dans leur apparence, leur personnalité et leur comportement. Les performances de la modélisation 3D et de l’intelligence artificielle les rendent difficiles à identifier comme virtuels. Cependant, un degré de réalisme trop élevé a un impact négatif, selon <a href="https://journals.openedition.org/gradhiva/2311">la théorie de la vallée de l’étrange du roboticien Masahiro Mori</a> : une trop grande ressemblance d’un robot, ou ici d’une intelligence artificielle, avec un humain est gênante et même angoissante.</p>
<p>Dans le contexte de l’influence virtuelle, ce sentiment de rejet va totalement à l’encontre de l’objectif recherché. L’interaction avec des abonnés et consommateurs potentiels <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1071581921001129">génère des réactions négatives qui peuvent tourner au <em>bad buzz</em></a>. Pour contrer ce phénomène, les influenceurs bio-digitaux cultivent une certaine ambiguïté sur leur véritable nature, ce qui leur donne une aura mystérieuse.</p>
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<figcaption><span class="caption">Miquela raconte sa vie comme si elle était une vraie pop star.</span></figcaption>
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<p>S’il peut parfois y avoir une réaction négative de dégoût, ou même de peur lors des premières interactions avec un influenceur virtuel, cette perception évolue positivement avec l’expérience et une exposition régulière à ces personnages numériques. <a href="https://www.nowadaysagency.com/blog/influenceur-virtuel">L’influenceur virtuel devient rassurant pour ses abonnés comme pour les annonceurs</a> car il est idéalisé et ne peut pas entrer dans les mêmes dérives qu’un humain. L’esthétique de l’influenceur et la qualité du contenu qu’il diffuse sont extrêmement soignées, à <a href="https://www.sweetpunk.com/news/kim-k-vs-lil-miquela-le-futur-de-linfluence-se-conjugue-en-pixels/">la recherche d’une forme de perfection au fort pouvoir de séduction</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/instagram-twitch-tiktok-six-regles-dor-pour-devenir-un-influenceur-a-succes-160810">Instagram, Twitch, TikTok… Six règles d’or pour devenir un influenceur à succès</a>
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<p>D’autres influenceurs virtuels se différencient des humains avec une apparence plus proche d’un personnage d’animé ou de comics, comme <a href="https://www.youtube.com/c/ArviLeRenard">Arvi le renard bleu</a> et <a href="https://www.tiktok.com/@fnmeka?lang=fr">FN Meka le robot rappeur</a>. Cependant, même un personnage qui n’a pas une apparence humaine vivra des situations et aura des valeurs et des références qui sont familières aux utilisateurs des réseaux sociaux et auxquelles ils s’identifieront facilement. Voir l’influenceur virtuel effectuer des activités quotidiennes, fréquenter des lieux connus, et interagir avec des célébrités renforce sa crédibilité.</p>
<h2>Des supers-pouvoirs très avantageux</h2>
<p>Le taux d’engagement des influenceurs virtuels est <a href="https://hypeauditor.com/blog/the-top-instagram-virtual-influencers-in-2020/">presque trois fois plus élevé</a> que celui des influenceurs humains. L’audience des influenceurs virtuels est <a href="https://comarketing-news.fr/influenceurs-quand-le-virtuel-a-plus-dimpact-que-le-reel/">composée à 45% de femmes entre 18 et 34 ans qui constituent leur cœur de cible</a>. Les adolescentes entre 13 à 17 ans représentent environ 15%, soit deux fois plus que pour les influenceurs réels.</p>
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<figcaption><span class="caption">Rae, une adolescente virtuelle se promène au centre commecial CapitaLand.</span></figcaption>
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<p>Paradoxalement, le fait de savoir que l’influenceur virtuel est une création numérique le rend plus authentique et sincère d’un influenceur humain qui se met en scène et monétise son discours et ses actions. Cette honnêteté apparente s’appuie sur la connivence entre l’influenceur virtuel et ses abonnés qui savent qu’il est virtuel mais qui se laissent prendre au jeu. <a href="https://www.sweetpunk.com/news/kim-k-vs-lil-miquela-le-futur-de-linfluence-se-conjugue-en-pixels/">La qualité du <em>storytelling</em> et la cohérence de la ligne éditoriale</a> parviennent à faire oublier que l’histoire de l’influenceur virtuel est inventée. Les internautes interagissent avec lui comme avec une vraie personne.</p>
<p>Un influenceur virtuel n’a pas les limitations associées à une existence physique. Il peut être actif 24H/24, 7J/7, pour développer <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/14614448221102900">une relation para-sociale encore plus puissante</a> que celle entretenue par les spectateurs d’une série ou d’une émission avec leurs héros ou présentateurs préférés. L’intelligence collective du groupe de personnes qui gère l’influenceur virtuel le rend authentique et accessible. L’apparence plus ou moins réaliste de l’influenceur ne semble pas impacter significativement la qualité de la relation <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00332747.1956.11023049">perçue comme amicale et réciproque</a>, même si le sentiment d’identification est moins fort.</p>
<p>L’influenceur virtuel n’a pas de saute d'humeur, de propos déplacés ou de comportement inapproprié, sauf si on le programme pour. Le baiser entre Lil Miquela et la mannequin Bella Hadid pour une publicité Calvin Klein a été très critiqué par la communauté LGBTQIA+ qui y a vu une instrumentalisation purement commerciale sans aucune sincérité. <a href="https://www.thecut.com/2019/05/bella-hadid-lil-miquela-calvin-klein-apology.html">La marque a dû publier un communiqué pour s’excuser</a>.</p>
<p>Un autre avantage est qu’un influenceur virtuel peut parler toutes les langues et adapter son style d’influence au contexte socio-culturel. Il est donc possible et même souhaitable d’avoir plusieurs versions ou déclinaisons d’un influenceur, parfois présentés comme des amis ou des frères et sœurs, qui interagissent les uns avec les autres d’un pays à l’autre.</p>
<h2>De puissants alliés des marques pour conquérir le métavers</h2>
<p>Les influenceurs virtuels sont particulièrement utilisés dans le luxe, la mode, les cosmétiques, l’équipement et le tourisme. Ces secteurs nécessitent une maîtrise rigoureuse de l’image et reposent sur des codes très spécifiques. <a href="https://www.grazia.fr/beaute/tendances-beaute/dior-beaute-choisit-noonoouri-une-influenceuse-virtuelle-comme-nouvelle-egerie-133139.html">Noonoouri est ainsi devenue l’égérie virtuelle de Dior</a>. <a href="https://gensdinternet.fr/2021/11/15/pour-son-parfum-prada-sinspire-de-tiktok-et-soffre-une-nouvelle-influenceuse/">Prada a choisi de créer sa propre ambassadrice virtuelle, Candy</a>, qui apparaît dans des courts métrages réalisés par Nicolas Winding Refn, connu pour avoir réalisé le film <em>Drive</em> avec Ryan Gosling. D’autres secteurs plus technologiques comme la téléphonie ou l’automobile sont également cohérents avec l’univers des influenceurs virtuels comme avec <a href="https://www.cbnews.fr/marques/image-liv-ambassadrice-virtuelle-renault-kadjar-40621">l’ambassadrice virtuelle Liv du Renault Kadjar</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/univers-paralleles-et-mondes-virtuels-la-guerre-des-metavers-est-commencee-169695">Univers parallèles et mondes virtuels : la guerre des métavers est commencée</a>
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<p>L’influence virtuelle donne aux entreprises qui y recourent une dimension moderne et innovante. Elle rajeunit l’image de marque et est encore très différenciante. Alors que <a href="https://theconversation.com/univers-paralleles-et-mondes-virtuels-la-guerre-des-metavers-est-commencee-169695">la guerre des métavers est commencée</a> entre des groupes comme Meta, Google, Apple, Amazon, Microsoft, Sony, Alibaba, Nvidia, ou Ubisoft, la présence des marques dans ces univers virtuels est cruciale pour leur pérénité et leur développement. Les influenceurs virtuels sont une des armes qui leur permettront de les conquérir.</p>
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<p><em>Merci à Chloé Brasile, étudiante du MS Communication d'Entreprise à NEOMA, dont j'ai dirigé la Thèse Professionnelle sur « Les impacts des influenceurs virtuels sur les consommateurs ».</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178056/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plus fiables, moins chers, toujours disponibles, les influenceurs virtuels sont aussi incroyablement populaires et rencontrent un franc succès auprès des consommateurs.Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1820062022-04-27T18:20:02Z2022-04-27T18:20:02ZLes projets d’Elon Musk pour Twitter : un populisme de plate-forme ?<p>Le feuilleton à rebondissements lancé au début de ce mois a touché à sa fin : le 25 avril, les dirigeants de Twitter et Elon Musk annonçaient être parvenus à un accord pour que le patron de Tesla et SpaceX acquière le réseau social pour une somme de <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/elon-musk-va-bien-racheter-twitter-1402881">44 milliards de dollars</a>.</p>
<p>Bien que Twitter compte bien moins d’<a href="https://www.statista.com/statistics/272014/global-social-networks-ranked-by-number-of-users/">utilisateurs</a> que ses concurrents comme YouTube, Facebook, Instagram ou encore TikTok, Twitter est considéré comme un véritable outil d’influence, notamment du fait de son <a href="https://theconversation.com/six-ways-twitter-has-changed-the-world-56234">usage</a> par de nombreuses figures du milieu politique, artistique et médiatique. En outre, il est fréquent que les médias dits « traditionnels » reprennent et commentent sur leur propre support ce qui a été dans un premier temps publié sur la plate-forme de l’oiseau bleu, ce qui accroît la perception et la réalité de <a href="https://www.vox.com/recode/23025978/elon-musk-twitter-trump-free-speech-business-facebook-youtube">son importance pour le discours public</a>.</p>
<p><iframe id="7JQuN" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/7JQuN/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’examen des différentes déclarations de celui qui deviendra bientôt le nouveau propriétaire de Twitter révèle que son approche emprunte les codes du populisme, tel qu’il est usuellement conçu et pratiqué dans l’arène politique.</p>
<p>Le chercheur néerlandais Cas Mudde, un des principaux spécialistes du concept, souligne que, au-delà de la diversité des pratiques observables, le populisme <a href="https://www.veryshortintroductions.com/view/10.1093/actrade/9780190234874.001.0001/actrade-9780190234874-chapter-1">consiste</a> fondamentalement à s’adresser à un « peuple » pour lui promettre la mise en œuvre d’actions qui seraient conformes à ce qui est présenté comme une forme de « volonté générale », en rupture avec les intérêts d’une supposée « élite ».</p>
<p>Bien que Musk n’invoque aucun de ces mots-clés de façon directe, sa communication autour de sa prise de pouvoir épouse donc les contours de ce qui caractérise un discours populiste.</p>
<h2>Pour le « peuple », contre les « élites » dirigeantes…</h2>
<p>Ainsi, s’il n’invoque pas un « peuple » en tant que tel, Elon Musk a fait usage de l’outil qu’il s’apprêtait à acquérir pour s’adresser directement à la communauté d’utilisateurs de la plate-forme et recueillir son opinion sur différents sujets. Si certaines questions étaient d’ordre secondaire (comme le fameux « <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1511143607385874434?s=20&t=Q95WsfyfqqVY6LFyJkhnHw">bouton d’édition</a> » d’un tweet déjà publié), <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1507259709224632344?s=20&t=04I-wy-XeVR1Hhuhbxww9g">d’autres</a> touchaient au fonctionnement même de la plate-forme et à son impact sur la démocratie.</p>
<p>Ces consultations, qui ont logiquement mobilisé en premier lieu ses propres « abonnés », ont produit des résultats dans le sens désiré, ce qui lui a permis de se présenter lui-même comme le relais efficace d’attentes censées bénéficier d’un fort soutien. Une telle façon de procéder n’est pas sans rappeler la tendance, relativement marquée chez les formations politiques populistes, à <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0261379421001311">convoquer des référendums</a> ou à en promettre l’organisation dans leurs programmes électoraux.</p>
<p>Ces sondages en ligne, véritables défis lancés sur la place publique au <em>statu quo</em>, visaient également à exercer une pression notable sur ceux qui étaient alors à la tête de Twitter, ce qui est à relier à une autre composante du populisme, en l’occurrence le rejet de « l’élite » au pouvoir.</p>
<p>Musk est ensuite allé bien plus loin dans cette direction, en affirmant que la mise à l’écart de l’équipe dirigeante en place était une condition indispensable à la mise en œuvre des transformations d’ampleur promises sur la plate-forme. Selon ses dires, c’est cette intention qui a guidé sa décision de « transformer Twitter en une entreprise privée » (elle était alors une entreprise « publique » au sens anglo-saxon, car cotée en bourse), et donc d’en prendre le contrôle de façon directe. Dans son offre d’achat, il <a href="https://www.ndtv.com/world-news/elon-musks-letter-twitter-has-extraordinary-potential-ill-unlock-it-2888380">promettait</a> ainsi sans ambages : « je débloquerai le potentiel de Twitter ».</p>
<p>L’élite dirigeante était donc mise sur la touche au profit d’un seul décideur dans une position centrale : la présence d’un leader dont la personne incarne le pouvoir en place constitue justement un autre trait marquant du populisme.</p>
<h2>… et au nom d’une supposée « volonté générale »</h2>
<p>Afin de satisfaire cette supposée « volonté générale », qui comme nous l’avons vu est la troisième composante du populisme tel que défini plus haut, Musk a mis sur la table une série de propositions pour faire évoluer la plate-forme, notamment lors d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=cdZZpaB2kDM&t=5180s">conversation publique</a>, tenue le 14 avril dans le contexte de la conférence annuelle de TED. Tandis que ces mesures sont présentées comme répondant aux attentes de la base, les difficultés pratiques inhérentes à leur application sont passées sous silence, un décalage récurrent dans les discours populistes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Conférence TED2022 d’Elon Musk, le 14 avril 2022 (Ted).</span></figcaption>
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<p>Musk propose ainsi de supprimer les comptes automatisés (<em>bots</em>), faisant l’impasse sur le fait que nombre d’entre eux présentent une réelle <a href="https://www.bbc.com/news/technology-58510594">utilité</a>, par exemple pour relayer des messages d’alerte de façon immédiate. Il promet également d’éliminer les messages frauduleux (<em>scams</em>), qui visent à tromper leurs destinataires, à des fins économiques et/ou de piratage. Une intention sans nul doute louable, mais qui fait mine d’ignorer que ce <a href="https://transparency.twitter.com/en/reports/platform-manipulation.html">problème</a> protéiforme ne se règle pas en quelques lignes de code. Bien au contraire, ceux qui s’adonnent à ces pratiques sont en constante adaptation face aux moyens de lutte qui sont déployés contre eux.</p>
<p>Quant aux algorithmes de classement et de sélection des contenus, il les rendrait accessibles à tous les utilisateurs afin de leur offrir l’opportunité de les comprendre. Bien qu’un large <a href="https://algorithmwatch.org/en/governing-platforms-final-recommendations/">consensus</a> existe sur la nécessité d’une plus grande transparence dans ce domaine, cette façon en particulier de procéder serait difficilement applicable, du fait de l’extrême niveau de complexité des algorithmes en question, qui de plus reposent sur un usage croissant de l’intelligence artificielle. Même en supposant que ce soit du domaine du faisable, un tel degré de transparence serait-il pas avant tout un merveilleux <a href="https://hbr.org/2018/07/we-need-transparency-in-algorithms-but-too-much-can-backfire">cadeau</a> offert à ceux qui voudraient tirer parti du système pour obtenir une visibilité non méritée ?</p>
<p>Outre ces changements qui passent par des ajustements d’ordre principalement technique, Musk place au centre de son projet pour Twitter un net recul des règles qui encadrent la publication de contenus sur la plate-forme. Pour celui qui s’est ouvertement prévalu du statut d’« absolutiste de la liberté d’expression », cette plus grande latitude serait nécessaire au nom de la défense de la démocratie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499976967105433600"}"></div></p>
<p>Tout d’abord, la pratique du dirigeant lui-même permet de douter de la réalité de l’absolutisme qu’il revendique : ce principe ne l’a pas empêché de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/apr/12/elon-musk-internet-twitter">bloquer</a> des utilisateurs qui ont tenu des propos critiques à son encontre ou de prendre des <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/04/26/rachat-de-twitter-par-elon-musk-pourquoi-la-liberte-d-expression-defendue-par-le-milliardaire-inquiete_6123757_4408996.html">mesures de représailles</a>, en ligne comme hors ligne, contre ceux qui ont exprimé leur désaccord avec lui.</p>
<p>Ensuite, réduire la modération des contenus sur la plate-forme exposerait d’autant plus les groupes considérés comme minoritaires, qui sont déjà les <a href="https://theconversation.com/twitters-design-stokes-hostility-and-controversy-heres-why-and-how-it-might-change-166555">premières victimes des comportements</a> en ligne les plus nocifs. S’il se concrétise, ce détricotage des quelques règles qui, bien que de façon imparfaite, visent aujourd’hui à protéger les minorités face au pouvoir de la majorité constituera une <a href="https://www.veryshortintroductions.com/view/10.1093/actrade/9780190234874.001.0001/actrade-9780190234874-chapter-5">manifestation additionnelle</a> des traits populistes de la démarche de Musk.</p>
<p>Enfin, si la liberté d’expression est sans nul doute un des piliers fondamentaux de la démocratie, il est tout aussi vrai que ne lui reconnaître aucune limite constitue un profond danger pour ce mode de gouvernement, à plus forte raison dans un contexte où la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1065912920938143">désinformation</a> ou les <a href="https://www.nytimes.com/2021/01/06/us/politics/protesters-storm-capitol-hill-building.html">appels à la violence</a> peuvent circuler avec tant de vitesse et de facilité. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle plus la liberté d’expression est étendue, mieux la démocratie est défendue revient à ignorer, délibérément ou pas, les enseignements des dernières années.</p>
<h2>Une conception nébuleuse de la liberté d’expression</h2>
<p>Malgré cette emphase pour une liberté d’expression plus étendue sur la plate-forme, Musk semblait pris de court lorsque des questions plus précises lui ont été posées sur ce point, dans le contexte de la conférence du 14 avril mentionnée plus haut.</p>
<p>Pressé avec insistance sur ce sujet, il a reconnu que Twitter est et restera soumis aux lois nationales. Il a peu après introduit un autre facteur de limitation en admettant que la parole devrait y être libre « autant que <em>raisonnablement</em> possible », ce qui ouvre la porte à de possibles restrictions, sur la base de critères qui à ce stade demeurent mystérieux. Dans l’hypothèse, dans les faits très réaliste, où un propos se trouverait dans une « zone grise », Musk considère que celui-ci devrait être maintenu en ligne… ce qui coïncide étrangement avec la pratique actuelle des plates-formes existantes, et <a href="https://twitter.com/McCourtSchool/status/1184885409769082880">notamment Facebook</a> comme l’avait souligné son dirigeant Mark Zuckerberg en 2019.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1184885409769082880"}"></div></p>
<p>Lors de cette même conversation publique, il a indiqué que la liberté d’expression existe selon lui si « des personnes que l’on n’aime pas sont autorisées à exprimer des idées que l’on n’aime pas ». Le moins que l’on puisse dire est que, sous sa forme actuelle, Twitter satisfait d’ores et déjà très largement à cette attente, étant donné le ton et la teneur de bien des échanges. Même les sympathisants républicains aux États-Unis, dont beaucoup reprochent pourtant à la plate-forme d’être trop restrictive et <a href="https://www.nytimes.com/live/2022/04/14/business/elon-musk-twitter/republicans-elon-musk-twitter">se réjouissent</a> de sa prise de contrôle par Elon Musk, auraient bien du mal à l’accuser de ne pas permettre l’expression d’idées opposées aux leurs.</p>
<p>Un peu plus tard, cette fois <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1516483038242385928?s=20&t=04I-wy-XeVR1Hhuhbxww9g">sur son support numérique préféré</a>, il affirmait que « les politiques d’une plate-forme de réseaux sociaux sont bonnes si les 10 % les plus extrêmes à gauche et à droite sont également mécontents ». Là encore, il serait difficile de reprocher à Twitter de ne pas remplir cette condition, compte tenu des critiques contradictoires dont l’entreprise fait l’objet en provenance des deux bords.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1516483038242385928"}"></div></p>
<p>Un seul point a fait l’objet d’une prise de position relativement claire de la part d’Elon Musk : celui-ci s’est exprimé contre les suspensions permanentes de comptes, disant préférer celles de caractère temporaire. En cela, il s’écarterait en effet de la pratique actuelle de Twitter, qui applique l’une ou l’autre de ces sanctions en fonction de la gravité des faits. Par conséquent, s’il arrive à ses fins et s’il maintient cette position, une de ses toutes premières décisions pourrait consister à rétablir le compte de l’ancien président américain Donald Trump, <a href="https://theconversation.com/medias-sociaux-apres-lexclusion-de-trump-la-question-de-la-censure-et-limperatif-devoluer-153247">suspendu pour « incitation à la violence »</a> après l’assaut lancé contre le Capitole le 6 janvier 2021.</p>
<p>Ce geste envers l’ex-locataire de la Maison blanche, duquel <a href="https://www.politico.com/news/2020/05/27/trump-musk-moon-space-283608">Elon Musk s’est rapproché ces dernières années</a>, serait perçu comme éminemment politique. Mais cela ne représenterait sans doute guère plus qu’un simple avant-goût des difficultés qu’il serait amené à affronter de façon récurrente s’il devait devenir le timonier d’une telle plate-forme. En effet, toute règle ou décision prise par Twitter serait immédiatement interprétée comme relevant de son fait à titre personnel. Dans un environnement aussi politisé que l’actuel, ce réflexe ne pourra que lui porter préjudice.</p>
<p>En somme, une fois ses déclarations générales mises de côté, le chef d’entreprise n’a en réalité que des notions bien vagues et peu novatrices pour développer ce qui est censé être la clé de voûte de son projet révolutionnaire pour Twitter. Ce qui pose, bien sûr, la question des mesures concrètes qu’il mettrait en œuvre au nom de la liberté d’expression, une fois aux commandes : marquerait-il une rupture aussi nette qu’il l’annonce avec force superlatifs ? Ou ces mots grandiloquents ne seraient-ils pas en porte-à-faux avec une pratique en fait peu différente de l’actuelle ? Compte tenu du tempérament du dirigeant, il y a fort à craindre qu’il écarte du revers de la main les politiques existantes de modération et décide de repartir d’une feuille blanche.</p>
<p>Évitons tout malentendu : la plate-forme en question est encore bien loin de gérer de façon satisfaisante les contenus dont elle permet la publication et la diffusion. Bien au contraire, les critiques contre elle et ses congénères restent <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2021-02-19/facebook-and-twitter-content-moderation-is-failing">abondantes</a>. Cependant, la prise de contrôle du groupe par Musk risque de balayer les progrès lentement réalisés en matière de modération des contenus au cours des ans et, bien souvent, sous la pression des événements. Il s’agirait alors de repartir de zéro – ou presque – et évoluer au fur et à mesure que les erreurs commises seraient reconnues comme telles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182006/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Barthélémy Michalon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La communication de l’homme le plus riche du monde autour de son rachat du réseau social présente de troublantes similitudes avec le populisme tel qu’il est pratiqué par certains acteurs politiques.Barthélémy Michalon, Professeur au Tec de Monterrey (Mexique) - Doctorant en Sciences Politiques, mention RI, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1801492022-03-29T19:31:05Z2022-03-29T19:31:05ZVolodymyr Zelensky, un style de leadership au service de son peuple<p>Qu’est-ce qui donne à l’Ukraine le courage extraordinaire d’arrêter un agresseur plusieurs fois plus grand et plus puissant ? Si la détermination du pays a forcément de nombreux facteurs, il en est un, développé par la recherche en management, qui mérite une attention approfondie. Il s’agit du leadership de ses dirigeants, c’est-à-dire, dans la définition académique, l’influence qu’ils exercent informellement, indépendamment de leur pouvoir effectif, sur les personnes placées sous leur responsabilité, dans la <a href="https://www.econbiz.de/Record/the-bass-handbook-of-leadership-theory-research-and-managerial-applications-bass-bernard/10003690372">perspective de susciter une action collective</a>.</p>
<p>Le leadership du président Volodymyr Zelensky se distingue particulièrement à cet égard, car il échappe aux caractéristiques que les chercheurs identifient traditionnellement comme clés de l’influence. Son style se situe à l’opposé des dimensions classiques du leadership dit transformationnel incarnées par des figures comme Elon Musk ou Jeff Bezos. Combinant vision et charisme, la théorie du leadership transformationnel tend à faire de ces leaders des héros peut-être enviables, mais essentiellement détachés du commun des mortels. Comme l’avait noté la philosophe Sandra Laugier dans <em>Le Monde</em>, Volodymir Zelensky <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/23/sandra-laugier-zelensky-meme-dans-son-nouveau-role-de-chef-de-guerre-se-pose-en-president-citoyen_6118694_3232.html">ridiculise également le leadership autoritaire</a> et narcissique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui est le « servant leader » ? (EM Lyon, 2021).</span></figcaption>
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<p>Comprendre le leadership de Volodymyr Zelensky suppose de recourir à une autre grille d’analyse, celle du « servant leadership » que nous mobilisons dans nos <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-020-04509-1">recherches</a>. Bien au-delà de la coïncidence avec le titre de la série <em>Serviteur du peuple</em> dont il était le héros télévisé et qui l’a popularisé avant qu’il ne se lance en politique, la relation que le président ukrainien entretient avec ses interlocuteurs depuis le déclenchement de la guerre, le 24 février 2022, fait de lui une incarnation convaincante du servant leadership.</p>
<h2>Primus inter pares</h2>
<p>Développée à partir des années 1970 sur l’inspiration d’un dirigeant d’entreprise, Robert Greenleaf, la <a href="https://www.scirp.org/(S(351jmbntvnsjt1aadkposzje))/reference/ReferencesPapers.aspx ?ReferenceID=1030846">théorie du servant leadership</a> s’appuie sur un postulat majeur, complété par plusieurs dimensions dont la pertinence et l’efficacité ont été montrées par quantité d’études depuis une dizaine d’années.</p>
<p>Le postulat principal, développé par Nathan Eva et ses collègues dans une revue exhaustive de 50 ans de recherches sur le sujet, est qu’un servant leader construit son influence faisant passer les <a href="https://psycnet.apa.org/record/2019-08783-004">intérêts de ses subordonnés en premier</a>, devant ceux de la collectivité, de l’organisation, laissant ses propres intérêts personnels en troisième position. Comme l’a déjà noté le chercheur canadien Ajnesh Prasad dans ces colonnes, <a href="https://theconversation.com/zelensky-superstar-le-president-ukrainien-brille-dabord-et-avant-tout-par-ses-gestes-courageux-178393">il a suffi d’une phrase</a> à Volodymyr Zelensky pour illustrer ce principe cardinal lorsqu’il a décliné l’offre américaine de l’exfiltrer avec sa famille lors de l’invasion russe, réclamant au contraire pour ses concitoyens des moyens pour se battre avec la formule « j’ai besoin de munitions, pas d’un taxi ! »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1497479868841398275"}"></div></p>
<p>Mais la correspondance entre le style du président Zelensky et la théorie du servant leadership dépasse les principes généraux. L’une des caractéristiques de ces leaders est <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0149206310380462">l’humilité</a>, qualité mise en relief par Dirk van Dierendonck à l’école de management de Rotterdam. À la distance d’avec leurs interlocuteurs, les servant leaders préfèrent la proximité.</p>
<p>L’influence du servant leader ne doit rien à la domination ni à l’admiration vis-à-vis des personnalités hors du commun : il ou elle est seulement <em>primus inter pares</em>, premier parmi des pairs. Lorsqu’il s’adresse aux assemblées et sénats à l’étranger, Volodymyr Zelensky rappelle, en s’habillant en treillis militaire sans marque de grade, que ses pairs sont ses concitoyens sous les bombes et face aux chars, et non les parlementaires qui l’écoutent en costume et tailleur dans des hémicycles lambrissés. Le contenu et le ton de ses discours, s’ils évoquent l’ethos du chef ainsi que l’a signalé l’enseignant-chercheur Alexandre Eyries, font surtout apparaître Volodymyr Zelensky comme le porte-parole de son peuple, <a href="https://theconversation.com/pourquoi-volodymyr-zelensky-est-en-train-de-gagner-la-guerre-de-la-communication-179011">son héraut plutôt qu’un héros</a>.</p>
<h2>« Liberté commune ! »</h2>
<p>La correspondance reste valable lorsqu’on examine le comportement du président ukrainien à la lumière des dimensions identifiées par Robert Liden, de l’Université de l’Illinois à Chicago, qui, avec ses collègues, a conçu le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1048984308000040">questionnaire de mesure du servant leadership</a> sans doute le plus utilisé en recherche, que ce soit en entreprise ou dans le secteur public. Parmi les 7 dimensions du servant leadership, au moins trois semblent trouver une illustration directe avec Volodymyr Zelensky :</p>
<ul>
<li><strong>Les principes éthiques</strong>. Les servant leaders sont reconnus pour l’importance qu’ils attachent à distinguer ce qui est « bien » et de ce qui ne l’est pas, et à privilégier décisions et attitudes qui tombent dans la première catégorie. Les paroles de Volodymyr Zelensky témoignent de cette préoccupation constante. Il en appelle aux valeurs : « la vérité… l’unité… la liberté. » Il établit les priorités d’après une conception morale universelle.</li>
</ul>
<p>« Toutes les entreprises doivent se rappeler une fois pour toutes que les valeurs valent plus que des bénéfices », a-t-il énoncé par exemple devant les députés et sénateurs français le 23 mars. En appeler à l’éthique renvoie à Montesquieu, qui affirmait que le principe de la démocratie est la vertu, par opposition à celui du despotisme : la peur.</p>
<ul>
<li><p><strong>Le sens de la communauté</strong>. C’est la dimension la plus originale de la théorie du servant leadership, qui souligne que l’influence des dirigeants tient à la façon dont ils placent l’action collective au bénéfice de la communauté plus large à laquelle le collectif appartient. Ici réside peut-être l’aspect le plus remarquable de la façon dont le président Zelensky exerce son influence sur la communauté internationale, justement. Pour amener les pays occidentaux à s’impliquer davantage, il expose comment les valeurs propres à ses interlocuteurs sont en jeu dans ce conflit, par exemple dans le cadre initial des négociations sur le Donbass, qui représentait « l’ensemble du monde ». Il en appelle à « notre liberté commune ! »</p></li>
<li><p><strong>L’assistance émotionnelle</strong>. La théorie du servant leadership se singularise également par la reconnaissance des émotions, tout au moins celles des personnes sous la responsabilité des dirigeants. Le servant leader vient au secours de ceux qui souffrent (une dimension qui résonne avec le leadership spirituel dans la plupart des religions). Cet aspect transparaît dans les paroles du président ukrainien, plus spécifiquement dans les mots qui reconnaissent les souffrances. Des mots concrets, lorsqu’il dénonce par exemple le bombardement d’un hôpital pour enfants dans la ville martyre de Marioupol. Des mots à l’opposé du vocabulaire technocratique et autoritaire.</p></li>
</ul>
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<figcaption><span class="caption">Hôpital bombardé en Ukraine : le président Zelensky dénonce un « crime de guerre » (France 24, 10 mars 2022).</span></figcaption>
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<p>Volodymyr Zelensky s’inscrit enfin dans une autre dimension du servant leadership, la confiance, la délégation et l’autonomie (il semble laisser un champ appréciable à d’autres personnalités, comme le maire de Kyiv Vitali Klitschko). Cependant, les données manquent pour établir une correspondance plus exhaustive. La théorie note en particulier que de tels leaders ont de hautes capacités à conceptualiser ; et que, plus qu’ils veillent à « faire grandir » leurs subordonnés pour les inviter à devenir à leur tour des servant leaders.</p>
<p>L’analyse demanderait également à être relativisée dans deux directions. D’une part, des critiques voudront questionner le degré d’authenticité du président ukrainien : le style de Volodymyr Zelensky, comédien de stand-up expert à faire réagir des audiences, ne pourrait-il pas relever seulement de techniques de communication, illustrées dans certaines études sur le <a href="https://www.researchgate.net/publication/258221554_When_Does_Charisma_Matter_for_Top-Level_Leaders_Effect_of_Attributional_Ambiguity">leadership charismatique</a> ? D’autre part, les circonstances terribles de la guerre en Ukraine évoquent la théorie du leadership situationnel, qui indique que des qualités de leader ne sont pas forcément intrinsèques à une personne, mais émergent de la rencontre d’une personnalité avec son environnement.</p>
<p>Il n’en reste pas moins que le président Zelensky impressionne par son impact. Ces dernières semaines, il a entraîné ses concitoyens à arrêter l’offensive russe et, en parallèle, conduit l’Occident à l’unité à son secours. Pour tout responsable d’un collectif, son exemple invite à considérer comment mieux intégrer le servant leadership, en temps de guerre comme en temps de paix.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180149/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Giolito ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’exercice du pouvoir du président ukrainien depuis le début de l’invasion russe partage des caractéristiques communes avec les principes du « servant leadership » mis en évidence par la recherche.Vincent Giolito, Professeur, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1789132022-03-13T17:39:07Z2022-03-13T17:39:07ZLa Russafrique : combien de votes ?<p>Le 2 mars, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115472">résolution</a> déplorant l’agression commise par la Russie contre l’Ukraine et exigeant que Moscou retire immédiatement ses troupes du territoire ukrainien.</p>
<p>Cette résolution a été <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/03/resolution-a-l-onu-contre-la-guerre-en-ukraine-qui-a-vote-pour-ou-contre-et-qui-s-est-abstenu_6115936_4355770.html">adoptée à une très large majorité</a> : 141 pays ont voté en sa faveur et seulement 5 pays contre – la Corée du Nord, la Syrie, l’Érythrée, la Biélorussie et bien évidemment la Russie. Mais plus que les « pour » et les « contre », ce sont les abstentions qui retiennent l’attention. 34 pays se sont abstenus, dont 16 pays africains.</p>
<p>Pour être complet, ce décompte doit aussi inclure les pays qui ont opté pour la stratégie de la chaise vide en ne participant pas au vote, ce qui constitue une abstention cachée. Ces derniers sont au nombre de 13 ; parmi eux, 8 pays africains. En additionnant l’abstention assumée et l’abstention cachée, 24 pays africains sur 54 ont préféré ne pas condamner la Russie, soit près de la moitié du continent.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=615&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=615&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=615&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=772&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=772&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=772&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Votes des pays africains sur la résolution exigeant la fin immédiate de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.</span>
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<p>Face à ce conflit inédit qui menace la paix mondiale, la moitié de l’Afrique diplomatique est abstentionniste. Comment interpréter ce choix ?</p>
<h2>Anciens et nouveaux leviers d’influence</h2>
<p>Une première lecture attribue cette attitude à la forte influence que la Russie exerce aujourd’hui en Afrique, même si l’Union européenne demeure le premier bailleur et le premier partenaire commercial du continent. Cette influence est le résultat cumulé de l’héritage de l’histoire et de la nouvelle politique africaine de Moscou.</p>
<p>Le vote de certains pays africains est une réminiscence des vieilles loyautés de l’époque de la guerre froide et de la décolonisation. Le souvenir du soutien soviétique à la décolonisation, l’alignement pro-soviétique de certains pays africains (Angola, Algérie, Éthiopie, etc.) et l’avènement au pouvoir d’anciens mouvements de libération soutenus par l’URSS (Mozambique, Namibie, Afrique du Sud, Zimbabwe) font partie de l’héritage historique des relations russo-africaines.</p>
<p>Cependant, cet héritage historique compte sans doute moins que la réactivation récente de la <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/kalika_russie_afrique_2019.pdf">politique africaine de la Russie</a>. Alors que la diplomatie russe avait oublié l’Afrique depuis la fin de l’URSS, la <a href="https://theconversation.com/lukraine-barometre-de-letat-de-la-relation-russo-americaine-70809">crise ukrainienne de 2014</a> et les premières sanctions occidentales lui ont fait retrouver la mémoire. À partir de ce moment charnière, les autorités russes ont mené une stratégie de réimplantation agressive grâce à leurs deux principaux atouts : les ventes d’armes et la fourniture de prestations de sécurité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EcZYm-2201c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En effet, les échanges économiques de l’Afrique avec la Russie sont limités (environ 20 milliards de dollars en 2019) par rapport aux autres puissances (Chine : 210 milliards ; Europe : 225 milliards). Cependant, ils sont concentrés sur quelques secteurs stratégiques : l’alimentation, les ressources naturelles et les armes.</p>
<p>Premier exportateur mondial, la Russie a mené une diplomatie du blé, notamment en direction des pays d’Afrique du Nord, très dépendants au niveau alimentaire. L’Égypte achète les trois quarts de ses importations à la Russie et, en froid avec Paris, <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20181012-attiree-le-ble-russe-algerie-pourrait-detourner-ble-francais">Alger s’est tourné vers le blé russe</a>. Ses autres clients sont principalement le Nigeria, la Tanzanie, le Kenya, l’Afrique du Sud et le Soudan, dont <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220303-la-junte-soudanaise-dans-les-bras-de-moscou">l’un des dirigeants était à Moscou</a> pour finaliser une livraison de blé au moment de l’invasion de l’Ukraine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501851579518963712"}"></div></p>
<p>Les grandes sociétés publiques russes du secteur extractif (Rosneft, Lukoil, Alrosa, Rusal, Gazprom, Nordgold, etc.) <a href="https://www.lepoint.fr/economie/mines-nikolai-zelensky-l-afrique-a-une-place-centrale-dans-notre-strategie-17-02-2017-2105586_28.php">ont investi en Afrique</a> mais elles ne sont ni dominantes ni irremplaçables.</p>
<p>En revanche, la Russie est un acteur important du marché africain de la sécurité. De 2016 à 2020, elle a fourni <a href="https://sipri.org/sites/default/files/2021-03/fs_2103_at_2020.pdf">30 % des armes acquises</a> par les pays d’Afrique subsaharienne ; depuis 2017, elle a signé des accords de coopération militaire avec 20 pays d’Afrique subsaharienne, contre seulement sept de 2010 à 2017 ; et elle a peut-être trouvé avec le Soudan un pays hôte pour une <a href="https://www.areion24.news/2021/03/29/russie-soudan-malgre-la-chute-domar-el-bechir-lidylle-continue/">base militaire au bord de la mer Rouge</a>.</p>
<p>Cet activisme sécuritaire est encore renforcé par sa diplomatie du mercenariat incarnée par le <a href="https://www.jeuneafrique.com/1312730/politique/russie-afrique-les-mercenaires-de-wagner-sont-ils-vraiment-efficaces/">désormais célèbre groupe Wagner</a> présent en Libye, au Soudan, au Mozambique, en Centrafrique et au Mali.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le Groupe Wagner en Ukraine et au Mali – Leçon de géopolitique – Le Dessous des cartes | Arte, 26 janv. 2022.</span></figcaption>
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<p>La présence de Wagner permet à Moscou d’élargir <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/russieneivisions/societes-militaires-privees-russes-afrique">à moindre coût son espace stratégique</a>. Le groupe fournit aux pouvoirs africains affaiblis un package « mercenaires/propagande numérique » et démarche tous azimuts sur le continent. Son patron <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/le-groupe-wagner-bottes-secretes-de-poutine-a-letranger-20220218_ZKA4RFPLKZDN3NWOC6GQQYEGL4/">Evgueni Prigogine</a> a, par exemple, <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/burkina-faso-le-russe-prigojine-chef-presume-du-groupe-wagner-salue-une-ere-de">personnellement courtisé les putschistes burkinabé</a> en saluant leur coup d’État en janvier et en le comparant à une décolonisation.</p>
<p>Cette forte présence dans la sécurité d’État garantit au Kremlin un accès privilégié aux cercles du pouvoir, voire lui permet de les vassaliser quand ils sont très faibles <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/central-africa/central-african-republic/russias-influence-central-african-republic">comme en Centrafrique</a>.</p>
<h2>Affinités politiques</h2>
<p>La forte abstention africaine reflète aussi le <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/vers_un_retour_de_lautoritarisme_en_afrique.pdf">vent d’autoritarisme qui souffle en Afrique</a> depuis dix ans. Après la décennie de la démocratisation (1990-2000), le continent subit un reflux autoritaire, avec comme conséquence l’éloignement des puissances démocratiques et le rapprochement des puissances autoritaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500124249398280192"}"></div></p>
<p>Silencieuse à ses débuts, cette mécanique géopolitique s’est accentuée au fur et à mesure des troisièmes mandats truqués, des nouvelles guerres civiles et des putschs. Ces dérives autoritaires ont généralement été accompagnées par des condamnations diplomatiques occidentales, voire des sanctions critiquées pour leur sélectivité. Ainsi, au début de cette année, les États-Unis ont sanctionné les gouvernements de l’Éthiopie (pour violations des droits de l’homme), du Mali et de la Guinée (pour leurs coups de force militaires) en <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/washington-exclut-l-%C3%A9thiopie-le-mali-et-la-guin%C3%A9e-de-l-agoa/2463279">les excluant de l’accord commercial African Growth and Opportunity Act (AGOA)</a>, mais ils restent <a href="https://arabcenterdc.org/resource/agreements-and-tensions-in-us-egyptian-relations/">accommodants avec le régime militaire égyptien</a>.</p>
<p>Ces dernières années, plusieurs bras de fer diplomatiques ont opposé l’Union européenne à des régimes autoritaires africains (Burundi, Madagascar, Zimbabwe, Tanzanie, Bénin, Centrafrique, etc.). De manière révélatrice, la pire dictature du continent africain (l’Érythrée) a voté contre la résolution dénonçant l’agression russe et les récents régimes putschistes condamnés par les Occidentaux (Mali, Guinée, Burkina Faso) ont tous opté pour l’abstention assumée ou cachée.</p>
<p>Au XXI siècle, le regain d’autoritarisme en Afrique joue en faveur du club autocratique dont les présidents russe et chinois se disputent discrètement la présidence. Le jeu des affinités de régimes n’est toutefois pas systématique : des dictatures comme le Tchad et le Rwanda ont voté pour la résolution tandis que les deux pays africains où la démocratie semble la mieux enracinée (le Sénégal et l’Afrique du Sud) se sont abstenus.</p>
<h2>Retour simultané de la géopolitique bipolaire et du non-alignement</h2>
<p>La préférence de l’Afrique pour l’abstention est aussi le fait de sa multi-dépendance dans une géopolitique de nouveau bipolaire. Dans un contexte international de multipolarité dérégulée, la politique de diversification des partenariats menée par de nombreux pays en développement semblait être une stratégie gagnante.</p>
<p>Elle était censée leur permettre de maximiser les opportunités de coopération sur le marché international de l’aide et de regagner des marges de manœuvre politiques en faisant jouer la concurrence entre leurs partenaires. En effet, alors qu’elle est essentiellement perçue <a href="http://www.ledmaroc.ma/pages/numeros_parus/37-9.pdf">sous l’angle économique</a>, la diversification des partenariats <a href="https://www.letemps.ch/opinions/lafrique-pauvre-courtisee-puissances-mondiales">est aussi éminemment sécuritaire et politique</a>. En témoigne la multiplication des présences militaires étrangères et des sommets où un pays invite tout le continent africain.</p>
<p>Ainsi la politique étrangère de certains pays africains est devenue un jeu d’équilibre complexe. La République démocratique du Congo d’Étienne Tshisekedi est politiquement très proche des États-Unis mais dépend économiquement surtout de la Chine. L’Égypte du maréchal al-Sissi a des partenariats sécuritaires étroits avec des pays occidentaux mais achète des armes et du blé russes et <a href="https://new.sfen.org/rgn/russie-construira-premiere-centrale-nucleaire-egyptienne/">compte sur Rosatom</a> pour construire sa première centrale nucléaire.</p>
<p>Le passage rapide de la multipolarité dérégulée à la repolarisation du monde en deux camps expose désormais les tenants de la diversification des partenariats à des <a href="https://lexpress.mg/05/03/2022/sergiusz-wolski-la-position-quun-pays-adopte-est-soigneusement-notee/">pressions multiples</a> et contradictoires qui peuvent les acculer à des choix délicats. Dans certains pays particulièrement fragiles, la survie du régime <a href="https://www.africaintelligence.fr/afrique-est-et-australe_politique/2022/03/07/entre-moscou-et-washington-burhan-et-hemeti-jouent-les-equilibristes,109737998-art">dépend de ses alliances extérieures</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uqC8PY97k_c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pour échapper à ce dilemme stratégique, le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/mouvementdesnonalignes#:%7E:text=Fond%C3%A9%20en%201961%20lors%20de,effective%20des%20pays%20du%20Sud">non-alignement</a> inventé en 1955 fait son retour en 2021 comme une option prudente et rassurante. Le Mouvement des Non-Alignés né de la conférence de Bandung en 1955 réunissait les États qui ne voulaient s’affilier ni au bloc de l’Est ni au bloc de l’Ouest. Il existe toujours (sa dernière réunion a eu lieu en <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/la-serbie-accueille-le-sommet-du-mouvement-des-non-align%C3%A9s/2388294">Serbie en 2021</a>) et les États africains constituent toujours la majorité de ses membres.</p>
<p>Le non-alignement, dont l’abstention au vote de l’Assemblée générale de l’ONU est l’expression, évite de prendre parti dans ce conflit entre grandes puissances et permet de naviguer dans les eaux tumultueuses de la nouvelle guerre froide. L’avenir dira si cette stratégie diplomatique permettra de ne pas trop déplaire ou de déplaire à tout le monde, notamment si le conflit s’embrase.</p>
<p>Dans un contexte international ultra-polarisé, le vote de la résolution contre l’invasion de l’Ukraine a été perçu comme un instantané des nouveaux rapports de force diplomatiques. Cependant, si le parti des abstentionnistes compte tant de membres en Afrique, il ne faut pas seulement y voir l’influence de Moscou et la baisse de popularité des Européens et des Américains mais aussi et surtout un réflexe de prudence et de sauvegarde de la part d’une Afrique multi-dépendante qui sait que « quand les éléphants se battent, ce sont les fourmis qui meurent ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178913/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est chercheur associé à l'Institut Français des Relations Internationales et à Global Initiative against Transnational Organised Crime. </span></em></p>Les choix de vote (ou non) lors de la résolution à l’ONU condamnant l’agression russe contre l’Ukraine révèlent la position des différents pays africains vis-à-vis de la Russie.Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, membre du Groupe de Recherche sur l'Eugénisme et le Racisme, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1746012022-01-18T18:28:38Z2022-01-18T18:28:38ZTaiwan et la Chine : guerre ou statu quo ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/440205/original/file-20220111-13-1oiojfk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C0%2C9059%2C3759&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les deux camps semblent prêts à l’affrontement, mais des négociations peuvent encore permettre d’échapper au pire.
</span> <span class="attribution"><span class="source">GoodIdeas/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Taiwan est <a href="https://www.economist.com/leaders/2021/05/01/the-most-dangerous-place-on-earth">l’endroit le plus dangereux du monde</a>, écrivait <em>The Economist</em> en mai dernier. Depuis, la situation a empiré. Le 10 octobre, la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, déclare que l’île « ne s’inclinera pas », en réponse aux <a href="https://www.lefigaro.fr/international/nouvelle-incursion-record-d-avions-chinois-dans-la-zone-de-defense-aerienne-de-taiwan-20211004">incursions</a> des avions chinois dans sa zone d’identification aérienne.</p>
<p>Les 9 et 10 décembre 2021, Joe Biden réunit un <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211209-joe-biden-r%C3%A9unit-une-centaine-de-pays-pour-son-sommet-pour-la-d%C3%A9mocratie">sommet virtuel pour la démocratie</a>, auquel participent plus de 100 chefs d’État et de gouvernement. Taïwan est invitée, pas la Chine. Celle-ci avait dès le 8 décembre exprimé sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/24/la-chine-et-la-russie-non-invitees-au-sommet-pour-la-democratie-organise-par-les-etats-unis_6103361_3210.html">« ferme opposition »</a> à l’invitation de Taïwan : « Taïwan n’a pas d’autre statut en droit international que celui de partie intégrante de la Chine », avait déclaré un porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijian.</p>
<p>Ces événements récents posent une nouvelle fois le problème de la dualité Chine-Taïwan. Pour y voir plus clair, examinons d’abord le problème juridique.</p>
<h2>Taïwan et la Chine : une zone grise du droit international</h2>
<p>Classiquement, un État existe à partir du moment où il possède un <a href="https://journals.openedition.org/plc/321">territoire, un peuple, un gouvernement</a>. C’est le cas de Taïwan comme de la République populaire de Chine (RPC). Cependant, pour être un sujet et un acteur du droit international, il faut aussi qu’il soit reconnu par les autres États. Taïwan n’est <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-12-10/taiwan-s-last-diplomatic-friends-make-up-0-2-of-global-gdp-map">reconnu que par quatorze États</a> – essentiellement de petits pays d’Amérique centrale et d’Océanie, ainsi que le Vatican en Europe. Chaque État se détermine en fonction de ses relations avec la Chine : adversaire ou alliée.</p>
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<p>Taïwan n’est pas un État plein et entier. C’est un État indépendant de facto – appelé aussi <em>République de Chine</em> depuis 1949 –, situé au large de la Chine continentale. Du point de vue de la RPC, l’île est <em>de jure</em> « la 43éme province de Chine », bien que celle-ci n’y exerce actuellement aucun pouvoir. Cette situation particulière (État <em>de facto</em>) est fondamentalement liée à la reconnaissance internationale de la République populaire de Chine comme État ayant la qualité de représenter le peuple chinois.</p>
<p>Le préambule de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/cn1982.htm">Constitution chinoise de 1982</a> définit Taïwan comme une partie sacrée et inaliénable de la Chine. Dans la logique de la position de Pékin, la <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2005/03/26/manifestation-geante-a-taiwan-contre-la-loi-chinoise-anti-secession_631816_3216.html">loi anti-sécession de 2005</a> précise qu’a priori la réunification doit être pacifique, mais n’exclut pas des moyens non pacifiques.</p>
<p>Le 25 octobre 1971, la <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2006-3-page-71.htm">reconnaissance par les Nations unies de la République populaire de Chine</a> (résolution 2758) a marginalisé Taïwan. Conséquence problématique : les ressources du droit international ne sont pas disponibles à Taïwan, dans le sens où ni les traités internationaux de protection des droits humains, ni les recommandations des Nations unies n’y sont applicables.</p>
<p>De plus, le cas de Taïwan pose un problème connu des spécialistes de droit international : la tension qui existe entre le droit à l’autodétermination des peuples, brandi par Taïwan, et le respect de l’intégrité des États, invoqué par la Chine populaire. Il en résulte à l’étranger un doublage institutionnel. Il y a ainsi à Paris une <a href="http://www.amb-chine.fr/fra/">ambassade de la RPC</a>, ainsi qu’un <a href="https://www.roc-taiwan.org/fr_fr/index.html">bureau de représentation de Taïwan</a> ; on retrouve ce voisinage, par exemple, en région PACA, qui abrite un <a href="http://marseille.china-consulate.org/fra/">consulat de la Chine populaire à Marseille</a> et un <a href="https://www.roc-taiwan.org/frprv_fr/post/214.html">bureau annexe de Taïwan à Aix-en-Provence</a>. Les deux s’ignorent. À Taipei, l’<a href="https://www.ait.org.tw/">American Institute</a>, officiellement organisation à but non lucratif, inauguré en 2018, est une ambassade de fait des États-Unis. L’<a href="https://china.usembassy-china.org.cn/embassy-consulates/beijing/">ambassade officielle</a> se trouve à Pékin.</p>
<h2>Les relations entre les deux Chines</h2>
<p>Une digue de fer ne sépare pas les deux rives du détroit de Formose. En 2010, un <a href="https://www.france24.com/fr/20100629-taiwan-chine-signent-accord-cadre-commercial-historique-pekin-taipei">accord-cadre de coopération économique</a> a été signé entre les deux parties. En novembre 2015, Xi Jinping et le président taïwanais de l’époque, Ma Ying-jeou, se rencontrent à Singapour. 40 % des exportations de Taïwan <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/TW/conjoncture-economique">s’effectuent en direction de la RPC</a>. 400 000 Taïwanais sont établis sur le continent. En 2019, avant le Covid, 2 683 000 touristes chinois avaient visité Taïwan.</p>
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<p>Mais sur le plan politique, les problèmes sont nombreux. Depuis quelques années, la Chine accentue la pression sur Taïwan. Le 2 janvier 2019, Xi Jinping déclare que la seule solution est l’intégration à la Chine, dans le cadre de la formule : <em>un pays, deux systèmes</em>. Mais <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=50,50&post=155255&unitname=Deux-rives-Taiwan-Info&postname=Sondage-%3A-une-%C3%A9crasante-majorit%C3%A9-de-Taiwanais-rejettent-la-formule-%C2%AB-un-pays%2C-deux-syst%C3%A8mes-%C2%BB">84 % des Taïwanais la rejetaient en 2019</a>. Le <a href="https://www.andrewerickson.com/2019/07/full-text-of-defense-white-paper-chinas-national-defense-in-the-new-era-english-chinese-versions">Livre Blanc</a> chinois de la défense de juillet 2019 réaffirme son opposition à la sécession. Et le 1<sup>er</sup> juillet 2021, Xi déclare que la Chine fera obstacle à toute tentative visant à assurer <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/07/02/notre-nouvelle-marche-comprendre-le-discours-de-xi-jinping/">l’indépendance de Taïwan</a>.</p>
<p>En réalité, deux nationalismes s’affrontent. Celui de la Chine populaire, pour laquelle les Taïwanais sont forcément chinois. Et celui de Taïwan. En 2021, selon le <a href="https://www.taipeitimes.com/News/taiwan/archives/2021/07/24/2003761369">Centre d’études des élections de l’université nationale Chengchi de Taipei</a>, les deux tiers de la population se disent « uniquement Taïwanais ». Chez les moins de 30 ans, c’est plus des quatre cinquièmes. Plus des deux tiers des Taïwanais se prononcent en faveur de l’indépendance de Taïwan si la paix doit être maintenue, moins de 20 % sont favorables à <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-3-page-67.htm">l’unification avec une Chine</a> qui aurait atteint le niveau de vie de Taïwan.</p>
<p>Taïwan étant une démocratie pluraliste depuis l’<a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=47&post=116501#:%7E:text=Le%2015%20juillet%201987%2C%20%C3%A0,des%20dissidents%2C%20retrouvent%20la%20libert%C3%A9.">abolition de la loi martiale en 1987</a>, elle possède plusieurs partis politiques qui alternent au pouvoir et ont des positions différentes par rapport à la Chine. Le Parti démocratique progressiste (PDP), aujourd’hui au pouvoir, sait qu’il ne peut pas déclarer l’indépendance, car il doit ménager les États-Unis, qui ne veulent pas brusquer la Chine. Mais il est complètement opposé à toute unification et ne reconnaît pas le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Consensus_de_1992#:%7E:text=Le%20consensus%20de%201992%20ou,signification%20du%20terme%20%C2%AB%20Chine%20%C2%BB.">« consensus de 92 »</a>, un accord signé en 1992 affirmant que la Chine continentale et Taïwan constituent une même Chine, même s’il peut y avoir des divergences d’interprétation quant à la signification du terme <em>Chine</em>.</p>
<p>Cet accord a reçu le soutien du Kuomintang (KMT), le parti nationaliste qui a exercé le pouvoir à Taïwan de 1949 à 2016, et a été repris à son compte par Pékin, même si la Chine met officiellement en doute la réalité du consensus. C’est un texte ambigu rédigé à Hongkong, selon lequel il n’existe qu’« une seule Chine » : la Chine continentale avait préféré ne pas chercher à définir ce terme, et le gouvernement de Taïwan, à l’époque dirigé par le KMT, souhaitait que chaque partie conserve sa propre interprétation. Pour le KMT, la Chine, c’est Taïwan, mais son gouvernement ne concerne que l’île de Taïwan et les autres îles qu’elle administre. Le PDP pense qu’en réalité, Taïwan est déjà indépendant. Mais le KMT et le PDP s’accordent pour reconnaître comme indispensable le soutien des États-Unis.</p>
<p>Au-delà des déclarations des partis politiques, Taïwan et la Chine sont séparés par des conceptions différentes de la démocratie. Taïwan est depuis 1987 une démocratie au sens occidental du terme. Son cas prouve qu’on peut être de culture chinoise et adhérer à cette forme de démocratie. La RPC a une autre conception de la démocratie. Selon la version officielle, il s’agit d’une démocratie socialiste chinoise : le gouvernement est à l’écoute du peuple, assure l’ordre et la progression du niveau de vie, mais le peuple n’élit pas ses dirigeants au niveau national.</p>
<p>En 2016, 72 % des Chinois déclarent qu’ils sont désireux de <a href="http://www.asianbarometer.org/publications//b15620cf8549caa8a6cc4da5d481c42f.pdf">vivre sous ce régime</a>. En analysant ces chiffres, il faut bien sûr faire la part de l’autocensure. Toutefois, plusieurs études ont montré que les sondés sont <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10670564.2016.1223104">bien moins peureux</a> qu’on le suppose.</p>
<h2>Si demain la guerre : America first</h2>
<p>Le 21 octobre, Biden déclare qu’en cas de conflit avec la Chine les États-Unis <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211022-les-%C3%A9tats-unis-sont-pr%C3%AAts-%C3%A0-d%C3%A9fendre-ta%C3%AFwan-en-cas-d-attaque-de-la-chine-selon-joe-biden">défendront militairement</a> Taïwan. Mais est-ce si sûr ?</p>
<p>Pour les États-Unis, Taïwan a toujours été un pion. Depuis la rupture de leurs relations diplomatiques les États-Unis ne sont plus liés à Taipei que par un traité de défense, le <a href="https://www.ait.org.tw/our-relationship/policy-history/key-u-s-foreign-policy-documents-region/taiwan-relations-act/"><em>Taïwan Relations Act</em></a>, loi adoptée en avril 1979. Il souligne l’importance d’une résolution pacifique tout en prévoyant la fourniture d’armes à Taiwan, mais évite de mentionner de façon explicite l’hypothèse d’une intervention militaire en cas d’agression chinoise. Il est complété par trois communiqués conjoints sino-américains et les <a href="https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-concurrent-resolution/88/text/ih"><em>Six Assurances</em></a>.</p>
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<p>C’est le principe dit <em>d’ambiguïté stratégique</em>. Mais en cas de guerre, 41 % des Taïwanais accepteraient de se battre, alors que 49 % d’entre <a href="https://www.ettoday.net/news/202000720/1764795.htm">refuseraient le combat</a>. Ces chiffres sont sans doute liés au fait que 59 % des Taïwanais croient que les États-Unis enverraient des troupes à Taïwan en cas de conflit. Mais He Yicheng, membre du Comité central du KMT, <a href="https://baijiahao.baidu.com/s?id=16759462514802960003&wfr=spider&for=pc">estime</a> que les États-Unis laisseront tomber Taïwan en cas d’attaque chinoise et que seulement 15 % des Taïwanais seraient prêts à combattre.</p>
<p>Les États-Unis seraient-ils prêts à risquer une guerre mondiale pour Taïwan ? <a href="http://k.sina.com.cn/article_2730765330_a2c42c1202000uk71.html">Luo Qingcheng</a>, directeur de l’Association taïwanaise d’études internationales et stratégiques, pensait en 2020 qu’ils resteraient en dehors de tout conflit et laisseraient Taïwan se battre à leur place. Mais, surtout, étant donné les précédents du Vietnam et de l’Afghanistan, on peut parier qu’ils abandonneraient Taïwan s’ils parvenaient à un accord satisfaisant avec la Chine. Leur devise a toujours été : <em>America first</em>.</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174601/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Norbert Rouland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Suite aux différentes déclarations d’octobre 2021, le ton est monté entre les deux Chine. Il serait cependant faux de croire que les deux états n’entretiennent que des relations belliqueuses.Norbert Rouland, Professeur de droit. Ancien membre de l'Institut universitaire de France (Chaire anthropologie juridique), professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1746332022-01-12T20:37:32Z2022-01-12T20:37:32ZBonnes feuilles : « Guerres d’influence. Les États à la conquête des esprits »<p><em>Dans le jeu des relations internationales, l’influence a, pour une large part, remplacé la puissance. Elle permet aux États de modifier le rapport de forces mondial, de contrôler des pays tiers ou d’y prospérer sans entrave. Pour ces raisons, les gouvernements investissent massivement pour augmenter leur influence et, spécialement, leur soft power. Ces stratégies parfois dénoncées, car vues comme relevant de l’ingérence ou de la propagande, sont devenues la norme géopolitique.</em></p>
<p><em>Frédéric Charillon, professeur de science politique à l’université Clermont Auvergne et à Sciences Po Paris, revient dans <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/guerres-d-influence_9782738155108.php">Guerres d’influence : Les États à la conquête des esprits</a>, qui vient de paraître aux éditions Odile Jacob, sur ces nouvelles règles des relations internationales. L’extrait présenté ici dresse le constat de la timidité de l’Union européenne dans ce nouveau jeu stratégique. Si l’UE souhaite désormais augmenter sa sphère d’influence, elle paie son « angélisme », au point de ne pas être conviée à une discussion entre les États-Unis et la Russie sur la sécurité européenne. Cette lecture permet de mieux comprendre la difficulté pour l’UE de parler d’une seule voix alors que certains de ses membres cherchent eux aussi à participer à la compétition internationale pour l’influence…</em></p>
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<h2>« L’Europe dans la guerre d’influence »</h2>
<p>Sommes-nous entrés dans une ère de confrontations nouvelles et permanentes, bien qu’imperceptibles au profane ? La crainte d’une invasion militaire « à l’ancienne », du côté de l’Europe occidentale, s’est en partie estompée. Les abris anti-nucléaires des années de guerre froide obsèdent moins les esprits. Mais l’atmosphère d’une concorde générale, dans un « brave nouveau monde » dont on espérait l’avènement au début des années 1990, a fait long feu. La compétition a repris ses droits, avec des joueurs différents et d’autres règles du jeu, plus feutrées.</p>
<p>Imagine-t-on ce qu’aurait provoqué, il y a encore vingt ou trente ans, l’annonce d’une immixtion russe dans les élections présidentielles américaines ? Ou dans un référendum crucial pour l’appartenance du Royaume-Uni à l’Europe ? La première situation a fait l’objet d’une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/18/enquete-russe-le-rapport-mueller-va-etre-publie-dans-une-version-expurgee_5451908_3210.html">enquête officielle en 2019</a> dirigée par le procureur spécial américain Robert Mueller, la seconde d’un <a href="https://www.france24.com/fr/20200721-royaume-uni-brexit-ingerence-russe-rapport-deputes-britanniques-enquete">rapport parlementaire britannique</a>. Sans provoquer aucun séisme politique. Dans ce dernier rapport sur les interférences russes au Royaume-Uni, le comité « Renseignement et sécurité » du parlement de Londres qualifie même ce type de pratique de « nouvelle normalité ».</p>
<p>[…] L’influence s’est imposée dans les affaires mondiales comme dans notre quotidien politique et social. Elle mobilise des ressources croissantes de la part de nombreux acteurs. Elle a ses stratèges, ses agents, ses techniques, ses vecteurs. Elle a ses théâtres et circuits privilégiés, où l’on s’affronte pour obtenir des positions de pouvoir et atteindre des objectifs précis. On peut la dénoncer comme une manipulation inacceptable, pointer du doigt ses commanditaires et accuser de trahison ceux qui en acceptent le jeu. On peut aussi prendre acte du fait que cette compétition internationale pour les esprits est devenue pratique courante, comme le lobbying est devenu la norme au Congrès américain. Et s’y préparer, plutôt que de dénoncer ceux qui ont pris de l’avance.</p>
<h2>L’Europe démunie, ou le prix de l’angélisme</h2>
<p>L’Union européenne a souvent été critiquée pour son inefficacité stratégique. Et dans la nouvelle compétition internationale pour l’influence, sa situation apparaît inconfortable. L’Europe […] est devenue un théâtre davantage qu’un acteur : des stratégies extérieures s’y déploient, sans qu’il y soit opposé de riposte suffisante. Sa culture politique n’aime pas l’influence, assimilée à de la propagande depuis la Seconde Guerre mondiale. […]</p>
<h2>États membres à vendre</h2>
<p>[…] L’Union européenne, par l’ensemble politique et le marché qu’elle constitue (447 millions d’habitants sans le Royaume-Uni, 514 avec lui, en 2020) reste un enjeu. Pénétrer cet espace par l’un de ses maillons faibles, c’est accéder à un vaste champ d’opportunités. Empêcher cet ensemble de prendre des décisions contraires aux intérêts d’une puissance donnée, grâce à une action sur un ou plusieurs de ses éléments qui bloqueront toute majorité ou unanimité, c’est encore une aubaine à saisir.</p>
<p>Les études sur l’influence de l’Europe à l’extérieur sont rares. Celles qui portent sur le mécanisme inverse, venant de Chine, de Russie, des États-Unis, de Turquie ou d’ailleurs, sont nombreuses : <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/03/23/malgre-l-inquietude-de-bruxelles-l-italie-rejoint-les-nouvelles-routes-de-la-soie-de-pekin_5440367_3234.html">participation de l’Italie</a> aux routes de la soie chinoises, hésitations de l’Allemagne à critiquer Ankara ou sa propension à défendre le gazoduc russe <a href="https://www.nytimes.com/2021/12/28/world/europe/nord-stream-pipeline-germany-russia.html">Nord Stream 2</a>, participation de plusieurs pays d’Europe centrale à un groupe de travail dit <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/pekin-pousse-ses-pions-en-europe-centrale-et-tente-de-rassurer-lue-1009268">« 17+1 »</a> avec Pékin…</p>
<p>Le fonctionnement bruxellois, qui permet de faire valoir ses intérêts par l’intermédiaire de lobbies, facilite ces manœuvres. L’<a href="http://www.eu-cfa.com/en/lists/OZYHXH.html">association d’amitié UE-Chine au Parlement européen</a> en est un exemple. Elle était dirigée en 2019 par le conservateur tchèque Jan Zahradil (ancien vice-président de la Commission du commerce au Parlement européen), en tandem avec le Chinois Gai Lin comme Secrétaire général. Ses activités consistent à « promouvoir l’amitié »… et à défendre les intérêts chinois.</p>
<p>Au printemps 2020, Pékin a tenté, par des pressions sur plusieurs États, de bloquer la publication d’un rapport de l’Union européenne sur le manque de transparence chinois concernant l’épidémie de coronavirus et ses origines. La publication en a été retardée et expurgée. À plusieurs reprises, des États membres bénéficiant d’investissements chinois se sont opposés à des textes critiquant la Chine. En 2017, la Grèce a <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/06/21/droits-de-l-homme-quand-athenes-ne-s-oppose-pas-a-pekin_5148692_3216.html">bloqué</a> une déclaration de l’Union aux Nations unies sur la situation des droits de l’homme. La Russie également, par ses liens avec certains membres anciennement socialistes, ou grâce à la dépendance énergétique de plusieurs pays d’Europe centrale, trouve des alliés pour entraver certaines politiques.</p>
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<p>Face à de telles menées, l’Europe apparaît faible alors même qu’il en est attendu beaucoup. Des organisations non gouvernementales comme Human Rights Watch l’exhortent à se dresser contre la Chine sur les droits humains. On retrouve ici un phénomène qualifié dès 1993 par le politologue britannique Christopher Hill de « fossé entre les attentes et les capacités ». […]</p>
<h2>Quelques réussites : un soft power européen</h2>
<p>De l’autre côté de l’Atlantique, non sans acrimonie, on souligne [pourtant] les réussites européennes. « L’Europe a une politique étrangère d’influence : elle s’appelle la perspective d’adhésion. Elle a une politique de puissance : elle s’appelle le marché intérieur. Elle a une politique de défense : elle s’appelle l’OTAN. Elle a une stratégie : se consacrer à sa propre prospérité, et faire assurer sa sécurité par les États-Unis », [développe un diplomate bruxellois, souvent au contact de l’Allié américain]. En Turquie, ou au sud de la Méditerranée, on voit l’Europe comme une forteresse qui sait défendre ses intérêts. À Moscou, l’élargissement à l’est est resté comme la démonstration d’un expansionnisme habile. Des opérations civiles ou militaires, de police, de formation ou de conseil, d’observation, ont été conduites sous label européen. L’Europe a financé de nombreux projets, infrastructures (en Palestine) ou processus électoraux.</p>
<p>Pourquoi refuser alors de parler d’influence à propos d’un acteur – l’Union européenne – qui a réussi à absorber sans violence plus d’une dizaine de pays anciennement membres du Pacte de Varsovie, désormais convertis au capitalisme ? Un groupe auquel beaucoup de voisins ont voulu et veulent encore adhérer, au prix de réformes profondes et impopulaires ? Un ensemble qui, quelles que soient ses difficultés, symbolise toujours une prospérité enviable, de Tanger à Kiev, d’Alger à Tbilissi, de Minsk à Istanbul ? […]</p>
<p>On connaît les critiques. Un processus décisionnel trop complexe et des rendez-vous ratés, à commencer par les drames des Balkans ou du Moyen-Orient. Un objectif de politique étrangère qui demeure en réalité interne : l’Europe ne cherche pas à imposer la paix ni sa volonté dans le monde, mais à pacifier les relations entre ses États membres (qui en effet ne se font plus la guerre entre eux). Une incapacité à mettre ses réalisations en valeur, et à formuler une politique engagée. Les discours européens sont tièdes et sans surprise : on encourage la paix, on déplore la guerre, on salue un processus vertueux déjà engagé, sans désigner de responsables si le processus s’enraye. […] « Lorsque les États-Unis financent un abribus sur une route construite par l’Europe, des dizaines de panneaux rappellent que l’abri vient d’Amérique, aucun ne dit à qui l’on doit la route », ironisait un fonctionnaire dans les Balkans. Résumons cruellement : l’Europe manquerait d’influence parce qu’elle ne se fait pas respecter.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/440036/original/file-20220110-15-1cu1rvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440036/original/file-20220110-15-1cu1rvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440036/original/file-20220110-15-1cu1rvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440036/original/file-20220110-15-1cu1rvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440036/original/file-20220110-15-1cu1rvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440036/original/file-20220110-15-1cu1rvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440036/original/file-20220110-15-1cu1rvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440036/original/file-20220110-15-1cu1rvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « Guerres d’influence », paru le 5 janvier 2022 aux éditions Odile Jacob.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Odile Jacob</span></span>
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<p>[…] Une « Europe végétarienne dans un monde de carnivores » ? L’expression est de Sigmar Gabriel, ancien ministre allemand des Affaires étrangères. Elle signe la fin d’une époque qui avait commencé avec la chute du Mur de Berlin, et pendant laquelle l’Europe avait entretenu l’espoir d’un monde post-tragique, dans lequel il n’était plus besoin de se prémunir des agressions extérieures. […] La suite fut brutale : révoltes arabes, ambitions russes, avènement des grandes stratégies d’influence. L’objectif européen de changer le monde par la seule diffusion de ses normes de bonne gouvernance devenait naïf.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174633/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'Europe cherche à faire valoir son influence dans le monde, mais elle est bien souvent l'objet d'influences extérieures, qu'elles soient économiques, politiques, stratégiques ou culturelles.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738602022-01-04T19:09:19Z2022-01-04T19:09:19ZLes séries et la guerre des récits : retour sur le soft power des plateformes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438861/original/file-20211222-21-12q2x1g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C3%2C741%2C428&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La série « Bir Baskadir », une productiuon turque, renconbtre un grand succès sur Netflix. </span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p>La guerre, la « vraie », est largement mise en scène dans bon nombre de séries : <em>Homeland</em>, <em>Le Bureau des légendes</em>, <em>Fauda</em> et tant d’autres.</p>
<p>Et puis il y a une autre guerre, celle dont parlait Antonio Gramsci, <a href="https://livre.fnac.com/a15096546/Sebastien-Antoine-Antonio-Gramsci-de-l-ideologie-a-l-hegemonie">intellectuel communiste italien au début du XXᵉ siècle</a>. Cette guerre là est plus immatérielle ; elle est livrée à des fins d’hégémonie culturelle.</p>
<p>Elle n’est pas sans rappeler le soft power – par opposition au hard power – cette « puissance douce » faite pour influencer, séduire, attirer.</p>
<p>Gagner cette bataille culturelle c’est travailler les opinions, les représentations dominantes, construire ou déconstruire les croyances.</p>
<p>Ce combat possède ses propres armes que sont les écoles, les livres, les médias et le monde de la fiction. Ces armes, ces appareils sont vus par Gramsci comme des moyens de domination, mais aussi d’attraction. Ils sont des <a href="https://www.babelio.com/livres/Martin-Le-Charme-discret-des-series/1352394">foyers d’irradiation et des aimants</a>. Culture cultivée et culture populaire sont primordiales dans cette bataille, les séries étant au cœur de la nébuleuse.</p>
<p>Gramsci ne dissocie jamais le culturel du politique, car selon lui le culturel peut mener jusqu’à l’activité pratique et collective. La <em>Casa de papel</em> n’a t-elle pas été prise pour symbole dans de nombreuses révoltes ?</p>
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<p>Le monde culturel et ceux qui le fabriquent sont définitivement les architectes de la chose politique ; et les séries participent de cette dynamique, elles sont des moments politico-culturels. Elles construisent un objet politique, et enrichissent les approches autour du pouvoir.</p>
<p>Ce monde en séries est d’autant plus efficace qu’il vient se loger dans nos intimités, dans notre environnement familier, dans notre cocon.</p>
<p>Le côté émotionnel de la série permet une absorption très efficiente des valeurs qu’elle peut donner à voir. Ces séries peuvent créer, de manière insidieuse ou plus explicite, un individu collectif, un individu politique via la pédagogie, le familier, l’émotionnel. Pour exemple, les vêtements-symboles des héros de <em>La Casa de papel</em> ont été repris ici où là comme habits de l’insoumission au libéralisme. Lors de certains mouvements, tels les zadistes ou les cheminots en grève, ont été masques et combinaisons.</p>
<p>Ce monde sériel est porté par la puissance des plateformes, une puissance d’autant plus grande qu’elle sait parfaitement s’inscrire dans l’environnement liquide qui serait devenu le nôtre.</p>
<h2>L’extra fluidité des plates-formes enjambe un monde solide</h2>
<p>Les DAN – Disney, Amazon, Netflix – ne connaissent en effet quasiment aucune frontière. Elles sont transnationales, et dépassent largement les principes de souveraineté nationale.</p>
<p>Elles sont flexibles, totalement dématérialisées et <a href="https://www.babelio.com/livres/Bauman-La-vie-liquide/12430">correspondent au monde liquide décrit par Bauman</a>.</p>
<p>Immatérielles et insaisissables, ces plateformes viennent se nicher là où sont leur intérêt, et leur fluidité leur donne une longueur d’avance pour gagner la guerre des récits dans un monde – quel que soit son degré de globalisation et de mondialisation – qui reste, lui, profondément ancré sur des nations, des pays, des territoires, des frontières.</p>
<h2>Un soft power offshore</h2>
<p>Elles exercent leur soft power à la façon <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/soft-power">dont Joseph Nye l’avait théorisé</a> mais c’est un soft power qui n’est pus teritorialisé.</p>
<p>Quand Joseph Nye parle du soft power dans les années 90 et veut convaincre les présidents américains de livrer une guerre culturelle plutôt qu’armée, il le fait notamment via les 2 H et les 2 M à savoir : Harvard, Hollywood, Mc Donald’s et Macintosh. Ces outils du soft power passent par les interstices du quotidien indispensable : la nourriture, l’école, les loisirs, les outils de travail. C’est une mainmise sur la quasi-totalité du quotidien.</p>
<p>Ces armes de soft power ou d’hégémonie culturelle restent des entités concrètes, et surtout rattachées à un pays : Hollywood reste ancré en Californie. Harvard au Massachusetts. Le rattachement à un au pays est la raison même du soft power ; le <a href="https://livre.fnac.com/a2650203/Michel-Clouscard-Le-capitalisme-de-la-seduction">plan Marshall avait déjà été largement pensé comme cela</a>.</p>
<p>Dans le cas qui nous occupe, les plates-formes sont quasiment hors sol et offshore <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ou_atterrir_-9782707197009">dirait Latour</a> à savoir sans réel ancrage géographique dans nos imaginaires.</p>
<p>Les plates-formes n’ont quasi pas de territoires, pas plus que leurs productions.
Elles parviennent à s’immiscer, via des fictions, en Jordanie – <em>Djinn</em> –, en Norvège, ou en Turquie – <em>Bir Baskadir</em> – elles viennent se saisir des enjeux nationaux et, simultanément, du pays en question.</p>
<p>En parallèle se jour une guerre marketing, une bataille pour l’attention. La présence sur le marché des séries peut signifier, en fonction des stratégies, inonder le marché ou ciseler des objets fictionnels très qualitatifs, ou encore investir massivement dans la promotion de ses séries.</p>
<p>Bien sûr, celui qui maîtrise toute la chaîne de production reste américain mais, c’est comme si, culturellement, on ne le voyait plus, comme si la patte américaine avait disparu. Des premiers temps de la <em>Casa de Papel</em> à <em>Leila</em> en passant Chernobyl, où sont les Etats-Unis ? On ne le sait plus tout à fait.</p>
<p>Netflix représente une technologie culturelle mutante qui joue à la guerre des récits. Capable de saper la souveraineté des pays, elle se détache de son territoire originel et finit par être un objet flottant qui ne nous dit plus d’où elle parle.</p>
<p>Ces DAN sont si puissants qu’ils jouent tels de véritables pays dans cette guerre sérielle ; et, simultanément, tous les pays, même les plus rétifs, s’embarquent dans cette bataille en séries.</p>
<h2>Le soft power minimum : en être</h2>
<p>De nombreux pays – Corée, Suède, Nigeria, Brésil… – savent qu’ils n’ont d’autre choix que de produire et diffuser leurs productions sérielles via les DAN, ce, afin de compter dans les représentations dominantes du monde. Regardons la ferveur à l’égard de la Corée à partir de sa K Pop, en passant par ses dramas, comme <em>My ID is Gangnam Beauty</em> ou par le succès de <em>Hellbound</em> ou de _Squid game</p>
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<p>Les grandes puissances ont compris qu’il était indispensable de participer à cette guerre des récits. En être, c’est déjà une manière de prendre le pouvoir et c’est potentiellement empêcher l’autre de le prendre. Les séries ont véritable un pouvoir discursif <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01491635/document">au sens foucaldien du terme</a>.</p>
<p>Certains veulent aussi « en être », mais à leur manière, et peuvent refuser de jouer le jeu des Netflix et autres. On pense à la Chine et la Russie – même si cette dernière est en train de modérer son approche ; deux pays qui sont plus proches du « sharp power » que du soft.</p>
<h2>Du soft au sharp power</h2>
<p>Dans cette guerre des récits, des pays plus autoritaires entendent jouer de leur influence un peu différemment ; de façon plus aiguisée, plus belliqueuse. Les façons de faire seront celles du sharp power à savoir : gêner, voire déstabiliser les démocraties, mais aussi exister dans le périmètre régional et in fine atteindre la diaspora éparpillée de par le monde. Travailler à une certaine propagande, via l’institut Confucius ou des médias comme la chaîne de télévision Russia Today.</p>
<p>Le sharp power, selon les créateurs de ce concept, Christopher Walker et Jessica Ludwig, consiste à jouer avec des fake news [afin de fragiliser les démocraties occidentales]. Walter et Ludwig donnent quelques exemples, et différencient la Chine et la Russie sur ce plan.</p>
<p>Cette dernière va créer des rumeurs – par exemple, « le sida aurait été inventé en laboratoire par la CIA ». La Chine, elle, cible plutôt les leaders d’opinion : <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/le-tour-du-monde-des-idees-du-vendredi-01-juin-2018">élites politiques, économiques intellectuelles</a>, et
cherche à convaincre que son système est conforme au modèle des démocraties libérales.</p>
<p>Le sharp power représente clairement une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2019-3-page-39.htm">dynamique d’arsenalisation du soft power</a>.</p>
<h2>De l’antipopulisme au wokisme</h2>
<p>Dans cette bataille des récits restent ceux qui ne veulent pas juste « en être » mais qui « sont », Netflix en tête. Ceux-là ont bien l’intention d’évangéliser le monde au regard de deux piliers.</p>
<p>Le premier est la figure détestée et honnie du « populiste ». De Trump à Modi en passant par Erdogan, les figures du « mal » politique sont en joue dans de nombreuses créations : <em>Leila</em> pour l’Inde, <em>Dir baskadir</em> pour la Turquie, <em>Jinn</em> pour la Jordanie, <em>Years and years</em> pour l’Europe nationaliste, <em>Occupied</em> pour la Russie</p>
<p>Le second concerne la promotion du « wokisme » ou la dénonciation des discriminations et une manière d’encourager l’empowerment des minorités. Les minorités et les personnes invisibilisées par la société sont largement mises à l’honneur dans cet univers sériel : <em>I May Destroy You</em>, <em>Little Fires Everywhere</em>, <em>Mrs. Maisel</em>, <em>Pose</em>, <em>Orange Is the New Black</em>, <em>Maid</em>, <em>It’s a Sin</em>…</p>
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<p>Toutes ces séries prônent une approche <a href="https://www.ted.com/talks/kimberle_crenshaw_the_urgency_of_intersectionality">progressiste et intersectionnelle</a></p>
<p>Le tout orchestré – chez Netflix – par l’écrivain et activiste afro-américain Darnell Moore qui y est chargé de l’inclusivité.</p>
<p>Ces DAN, avec leurs séries « armées », sont tout à la fois des contenus et des contenants.</p>
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<p>Plus que des entreprises multi- et transnationales, elles deviennent des objets culturels et politiques en tant que tels. Elles se confondent avec les séries qu’elles proposent et sont partie prenante de cette guerre des récits.</p>
<p>Ces entreprises toutes-puissantes sont quasiment devenues de <a href="https://www.babelio.com/livres/Martin-Le-Charme-discret-des-series/1352394">nouveaux États</a>, avec leur agenda, leurs budgets colossaux, leur politique, leur propre soft power. Mais des états fluides et sans territoires, annonçant les prémisses d’une nouvelle donne géopolitique.</p>
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<p><em>Cet article a été rédigé avec le précieux concours de Jessica Cluzel (étudiante Kedge Business School) ; il est aussi le résultat d’une journée <a href="https://www.irsem.fr/agenda-enhancer/agenda/les-representations-du-monde-militaire-dans-les-series-tv-et-le-cinema.html">organisée par l’Irsem</a> le 8 novembre 2021 autour des représentations du monde militaire dans les séries TV et le cinéma.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La guerre des séries sévit sur les plates-formes. Une guerre livrée à des fins d’hégémonie culturelle.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1732732021-12-14T19:53:52Z2021-12-14T19:53:52ZQuelle est la place du soft power français aujourd’hui ?<p>La notoriété culturelle de la France a toujours été ancrée dans l’esprit des audiences étrangères. Qui n’a jamais entendu parler des <em>Misérables</em>, n’a pas souhaité s’aventurer dans les galeries du Château de Versailles ou ne s’est pas émerveillé devant les pâtisseries de Pierre Hermé ?</p>
<p>C’est de cela que traite le concept de <em>soft power</em>. Conceptualisé par Joseph Nye dans les années 1990, le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-americaine-2005-3-page-61.htm"><em>soft power</em></a> (littéralement « pouvoir doux »), désigne la capacité d’un État à séduire et à attirer une audience étrangère, par le biais de trois sources principales et non coercitives : sa culture (la source la plus utilisée), ses valeurs, et ses politiques étrangères lorsqu’elles sont perçues comme légitimes. Il s’oppose au <em>hard power</em> qui signifie le pouvoir de contrainte et repose donc sur l’usage de la force ou la menace d’y recourir pour parvenir à ses fins.</p>
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<p>Jouir d’un certain prestige, favoriser les relations politiques, économiques et/ou commerciales avec les autres pays, attirer les touristes et les investissements sont des objectifs inscrits à l’agenda de la quasi-totalité des États de la planète. Certes, la France dispose d’un statut de grande puissance économique et politique du fait, notamment, de son siège au Conseil de sécurité des Nations unies et de sa présence aux grands sommets diplomatiques comme le G20. Mais à l’heure de la crise sanitaire, de l’émergence de nouvelles puissances et de nouveaux enjeux, <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2021-9-page-100.htm">son <em>soft power</em></a> est-il toujours d’actualité ?</p>
<h2>Le déploiement du soft power français dans le monde : sur quoi la France mise-t-elle ?</h2>
<p>L’État n’est pas le seul acteur du <em>soft power</em> : les acteurs privés peuvent également y participer. Un chef cuisinier agit pour son compte mais son savoir-faire peut se répercuter de manière très étendue, comme le montre la notoriété de grands chefs tels que Paul Bocuse, Joël Robuchon ou Alain Ducasse.</p>
<p>Un pays peut <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-1-page-67.htm">miser sur énormément d’éléments</a> et compter sur une grande diversité d’acteurs afin d’étendre son influence dans le monde, et ce notamment par le biais de sa diplomatie, culturelle en particulier. La France possède un réseau extrêmement étendu à l’étranger lui permettant d’assurer sa présence au-delà de son propre territoire. Mais qu’est-ce qui assure le rayonnement français à l’étranger ? Voici quelques références parmi tant d’autres.</p>
<h2>Le tourisme</h2>
<p>Paris, les châteaux du Val de Loire, la Provence, la Côte d’Azur… La France est une destination touristique mondiale. Elle est le <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/tourisme/">pays du monde accueillant le plus de touristes par an</a>. Ce secteur constitue une importante source de revenus pour l’Hexagone depuis plus de trente ans, et pèse aujourd’hui environ <a href="https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/etudes-et-statistiques/stats-tourisme/memento/2017/2017-11-MEMENTO-TOURISME-CHAP2-le-poids-economique-tourisme-france.pdf">8 % du produit intérieur brut national</a>.</p>
<p>Si le tourisme demeure un enjeu économique majeur, il constitue également un <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-2-page-57.htm">enjeu géopolitique</a> essentiel puisqu’il permet aux visiteurs étrangers de se familiariser avec la culture du pays, et de diffuser, une fois de retour chez eux, ses valeurs ainsi que son savoir-faire, permettant par contrecoup de favoriser les échanges bilatéraux et multilatéraux et de propager une image positive de la France.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le tourisme, une « arme économique concurrentielle », France 24, 25 juillet 2018.</span></figcaption>
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<h2>La promotion de la langue française et l’attractivité éducative</h2>
<p>L’apprentissage d’une culture passe par l’apprentissage de sa langue. Faire du français une langue-monde a toujours été <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/03/20/une-ambition-pour-la-langue-francaise-et-le-plurilinguisme">l’une des ambitions des chefs d’État</a>, et à cette fin, la France dispose d’un <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-culturelle/le-reseau-culturel-francais-a-l-etranger/">réseau extrêmement étendu à l’étranger</a>, composé d’opérateurs destinés à diffuser la langue et la culture française, comme l’Institut français (IF) ou l’Alliance française (AF) : le monde compte aujourd’hui [98 Instituts français et plus de 800 Alliances françaises], ces dernières étant présentes dans plus de <a href="https://www.fondation-alliancefr.org/?cat=16">130 pays</a>.</p>
<p>Tous deux sont destinés à la promotion de la culture et de la langue françaises à l’étranger, à cette différence près que les IF sont des <a href="https://www.pro.institutfrancais.com/fr/faq/la-carte/quelle-est-la-difference-entre-institut#:%7E:text=L%E2%80%99Institut%20fran%C3%A7ais%20promeut%20la,et%20de%20la%20coop%C3%A9ration%20linguistique.">établissements publics sous tutelle du ministère des Affaires étrangères</a> tandis que les AF sont des <a href="https://af-france.fr/apprendre-le-francais/">associations de droit local autonomes financièrement</a>, n’étant pas opérateurs du ministère mais recevant néanmoins une subvention.</p>
<p>Ces initiatives portent leurs fruits : en 2018, le monde comptait <a href="http://observatoire.francophonie.org/qui-apprend-le-francais-dans-le-monde/le-francais-langue-etrangere/">51 millions</a> d’apprenants du français langue étrangère (FLE). Plus globalement, les échanges éducatifs constituent un moyen pour la France (ou pour un État de manière générale) de diffuser ses coutumes, principes, valeurs, et de rayonner davantage à l’international. D’une part, une fois de retour dans leur pays d’origine, les étudiants formés en France pourront devenir des acteurs économiques de leur propre nation. D’autre part, les entreprises internationales françaises nécessitent de plus en plus, pour leur développement, des <a href="https://www.helene-conway.com/wp-content/uploads/article%20Soft%20Power%20ENA%202016.pdf">cadres bilingues et provenant d’un cadre culturel différent</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Francophonie en chiffres, France 24, 11 octobre 2018.</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.ladepeche.fr/2019/02/13/lenseignement-veritable-soft-power-de-la-france-dans-le-monde,8012298.php">La France compterait ainsi sur l’excellence des formations</a> qu’elle propose afin d’attirer les talents de demain. Accueillant environ 245 000 étudiants étrangers par an, la compétition est lancée entre elle, les États-Unis (971 000, ce qui en fait son grand rival), le Royaume-Uni (432 000) ou encore l’Australie (335 000).</p>
<h2>La gastronomie… et le reste</h2>
<p>La cuisine française est à l’œuvre dans les pays du monde entier, spécialement depuis 1815, année où le ministre des relations extérieures de Louis XVIII, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, mit en place une <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/08/21/un-jour-un-festin-en-1815-la-cuisine-diplomatique-de-talleyrand_6049505_3451060.html">stratégie diplomatique</a> basée sur la gastronomie afin de promouvoir les intérêts de la France.</p>
<p>Le <a href="https://agriculture.gouv.fr/le-repas-gastronomique-des-francais-un-patrimoine-culturel-immateriel-de-lhumanite">« repas gastronomique des Français »</a> fut classé en 2010 comme patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, et des grands noms de la gastronomie ont su exporter leur savoir-faire à l’étranger. A titre d’exemple, Alain Ducasse possède plus de <a href="https://www.ducasse-paris.com/fr/les-adresses">70 restaurants</a> répartis dans sept pays, au même titre que <a href="https://jrobuchon.com/fr/chefs">Joël Robuchon</a>, qui a su bâtir un empire dans le monde. De manière générale, la France est le pays comptant le plus de <a href="https://www.ege.fr/infoguerre/les-limites-du-soft-power-francais">restaurants étoilés au Guide Michelin</a>.</p>
<p>Dans le but d’impulser la créativité culinaire du territoire, le ministère des Affaires étrangères et le chef Ducasse ont créé en 2015 l’initiative <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/tourisme/evenements-et-actualites-lies-a-la-promotion-du-tourisme/article/la-6e-edition-de-gout-de-good-france-mobilise-les-5-continents-autour-de-la">Goût de/Good France</a>, portée par les ambassades et les consulats du monde entier. Par le biais de masterclasses, de dégustations de produits, de rencontres avec des chefs locaux, l’État compte sur cet événement pour apporter davantage de visibilité aux produits du terroir et à la maîtrise des cuisiniers et, qui sait, peut-être dépasser un jour la cuisine italienne en termes d’exportations puisqu’aujourd’hui, la <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2019-11-04/quelle-est-la-gastronomie-qui-sexporte-le-mieux-dans-le-monde-64132bcb-d200-45fa-b026-eda1b0e9dd91">gastronomie transalpine est celle qui s’exporte le mieux</a>, avec plus de 160 milliards de dollars par an.</p>
<p>La liste des atouts du <em>soft power</em> français est encore longue : sport, industrie cinématographique, arts, industrie musicale… la boucle n’est pas bouclée. Néanmoins, disposer d’une immensité de ressources ne signifie pas pour autant que la bataille du <em>soft power</em> est gagnée.</p>
<h2>L’impact de la crise sanitaire</h2>
<p>La pandémie de Covid-19 a durement touché plusieurs secteurs de l’industrie culturelle française, qui ont vu leur <a href="https://les-yeux-du-monde.fr/actualites-analysees/47302-un-soft-power-culturel-francais-reduit-a-limpuissance-par-la-crise-sanitaire-par-nicolas-couzi">chiffre d’affaires chuter</a> de manière assez douloureuse.</p>
<p>Des <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-de-synthese/Culture-chiffres-2007-2021/L-impact-de-la-crise-du-Covid-19-sur-les-secteurs-culturels">statistiques</a> datant de 2020 indiquent une baisse de 72 % pour le secteur du spectacle vivant, 36 % pour le patrimoine ou encore <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/280440-tourisme-60-milliards-de-perte-pour-la-france-en-2020">25 % pour le tourisme</a>. Un coup dur pour la France entière qui doit aussi faire face à un <a href="https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/2021-un-deficit-public-qui-baisse-mais-un-deficit-de-letat-qui-monte">déficit budgétaire qui s’est alourdi</a> de 32 milliards d’euros en 2021.</p>
<p>Des plans de reconquête sont mis en place, comme <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/tourisme/">Destination France</a>, qui a pour but de relancer le secteur touristique et de conforter la place de la France comme destination phare. Néanmoins, la pandémie n’a pas touché à sa fin malgré la campagne de vaccination, laissant les cinémas et les centres culturels dans un avenir incertain.</p>
<h2>Une concurrence internationale intense</h2>
<p>La France n’est évidemment pas le seul pays à soigner son <em>soft power</em>. Dernièrement, outre les puissances traditionnellement associées à cette notion, au premier rang desquelles les États-Unis, de nouveaux acteurs ont connu une progression significative en la matière.</p>
<p>Personne n’est passé à côté du succès fulgurant de la série <em>Squid Game</em>, de la performance du groupe BTS « Permission to Dance » à l’ONU, ou du tube « Gangnam Style » de Psy (le premier single à atteindre le milliard de vues sur YouTube) – autant de symboles de l’apogée du <em>soft power</em> sud-coréen, dont l’ascension débuta au début des années 2000, sous le nom de <a href="http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part2/la-construction-du-soft-power-l-exemple-de-la-coree-du-sud?page=1"><em>Hallyu</em></a>, littéralement « vague coréenne ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-sexplique-limprobable-succes-de-squid-game-170124">Comment s’explique l’improbable succès de « Squid Game » ?</a>
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</p>
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<p>Les séries coréennes inondent Netflix, les <a href="https://fr.yna.co.kr/view/AFR20211202001600884">groupes de K-pop cumulent les streams sur Spotify</a>, la cuisine coréenne fait saliver les internautes sur YouTube. Certains considèrent que la culture sud-coréenne a déjà <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/la-vague-hallyu-comment-sest-forme-le-soft-power-culturel-sud-coreen">supplanté le géant du cinéma Hollywood</a>. Cette vague n’étant pas près de s’arrêter, donnera-t-elle du fil à retordre à la France ?</p>
<p>En outre, la Corée du Sud n’est pas le seul acteur du <em>soft power</em> asiatique. Le Japon et la Chine ont su s’imposer comme des acteurs majeurs de la montée en puissance de l’Asie dans le monde. Le Japon a su faire de sa culture une <a href="https://www.cairn.info/journal-critique-internationale-2008-1-page-37.htm">arme prépondérante</a> grâce à la campagne <em>Cool Japan</em> mise en place dans les années 2000 et à l’exportation massive de ses produits culturels.</p>
<p>La Chine, quant à elle, a gagné un statut de superpuissance au fil des ans, notamment depuis l’arrivée au pouvoir en 2013 de Xi Jinping, qui a mis en place de multiples stratégies afin d’étendre son influence à l’étranger, à commencer par les <a href="https://balises.bpi.fr/ou-menent-les-nouvelles-routes-de-la-soie/">Nouvelles routes de la soie</a>. Pékin a également ouvert partout sur la planète de nombreux <a href="https://www.institutconfucius.fr/">Instituts Confucius</a> destinés à promouvoir la langue et la culture chinoises. Toutefois, il convient de mentionner que, à l’inverse du Japon ou de la Corée du Sud, la Chine souffre d’une image <a href="https://www.jstor.org/stable/48618814 ?seq=4#metadata_info_tab_contents">largement négative en Occident</a>, notamment du fait de sa gestion de la pandémie de Covid-19, de la répression qu’elle met en œuvre à l’intérieur, en particulier à l’encontre des Ouïghours, et d’une <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-15-mai-2020">diplomatie perçue comme agressive</a>.</p>
<p>D’autres nouveaux acteurs développent également leur soft power, comme le Qatar, qui <a href="https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2012-3-page-67.htm">mise considérablement sur sa diplomatie sportive</a> dans le but de s’affirmer non seulement dans le Golfe mais dans le monde entier, avec la mise en place d’événements comme la Coupe du monde de handball 2015 ou l’accueil de la Coupe du monde de la FIFA 2022.</p>
<p>L’affaiblissement ou le renforcement du <em>soft power</em> national est imprévisible, influencé par des facteurs aussi bien internes qu’externes. Si la France peut compter sur son large réseau à l’étranger, sur un patrimoine bien ancré depuis de nombreux siècles et sur une <a href="https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/280857-plans-de-relance-economique-france-relance-et-next-generation-eu">volonté de fer de conserver sa position</a> dans le rang des grandes puissances, elle n’est pas à l’abri d’un affaiblissement de son image à l’étranger, d’où la nécessité de soutenir les secteurs touchés par la crise sanitaire et de toujours redoubler d’efforts pour soutenir son <em>soft power</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173273/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Natsuko D'Aprile ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La France bénéficie traditionnellement d’un important soft power. Mais en la matière, la concurrence mondiale n’a peut-être jamais été aussi vive…Natsuko D'Aprile, Doctorante en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1735512021-12-12T20:53:03Z2021-12-12T20:53:03ZLa Chine, première puissance sportive de demain ?<p><a href="https://www.forbes.fr/business/de-plus-en-plus-de-pays-envisagent-un-boycott-diplomatique-des-jo-dhiver-de-pekin/">Critiquée de toutes parts</a> – à la fois pour le sort qu’elle réserve aux <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/la-chine-est-responsable-d-un-genocide-des-ouighours-estiment-des-experts-et-avocats_4876347.html">Ouïghours</a>, pour sa remise au pas de <a href="https://www.la-croix.com/Hongkong-Jimmy-Lai-deux-autres-militants-condamnes-veillee-Tiananmen-2021-12-09-1301189298">Hongkong</a>, pour la <a href="https://reporterre.net/Le-totalitarisme-numerique-de-la-Chine-menace-toute-la-planete">« dictature numérique »</a> qu’elle a instaurée à l’intérieur de ses frontières, ou encore pour l’inquiétante affaire de la tenniswoman <a href="https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/nicolas-mahut-sur-laffaire-peng-shuai-on-ne-peut-pas-tolerer-la-tenue-des-jo-de-pekin-20211211_YPHLUZWHCRF63KBZVLAIVEDGFI/">Peng Shuai</a> –, la République populaire de Chine s’apprête à accueillir à Pékin les JO d’hiver dans une ambiance délétère.</p>
<p>On sait déjà que ces Jeux seront boycottés diplomatiquement – pas sportivement – par les <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211207-jo-de-p%C3%A9kin-le-boycott-diplomatique-am%C3%A9ricain-divise-les-grandes-puissances">États-Unis</a>, l’<a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20211207-l-australie-annonce-%C3%A0-son-tour-un-boycott-diplomatique-des-jo-d-hiver-de-p%C3%A9kin">Australie</a>, le <a href="https://www.rfi.fr/fr/sports/20211208-le-royaume-uni-annonce-%C3%A0-son-tour-un-boycott-diplomatique-des-jo-d-hiver-de-p%C3%A9kin">Royaume-Uni</a> et le <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/6588188/le-canada-annonce-a-son-tour-un-boycott-diplomatique-des-jo-de-pekin.html">Canada</a>. D’autres pays pourraient leur emboîter le pas. Malgré ces contrariétés, la Chine fait pourtant du sport un élément essentiel de son pouvoir.</p>
<p>Le pays a érigé tout au long du XX<sup>e</sup> siècle un système politico-économico-sportif total dont les objectifs à long terme sont d’élever la performance sportive à son plus haut niveau pour devenir la première puissance sportive mondiale d’ici à 2049, date du centenaire de la révolution maoïste.</p>
<p>Comment la Chine est-elle devenue une sérieuse candidate au titre de première puissance sportive de la planète ?</p>
<h2>Le sport pour s’émanciper du joug bourgeois</h2>
<p>L’histoire du sport moderne en Chine est avant tout celle d’une revanche. À la fin du XIX<sup>e</sup> et au début du XX<sup>e</sup> siècle, le mouvement sportif chinois est contrôlé par les États-Unis, par l’intermédiaire de la Young Men’s Christian Association (YMCA), <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3606">qui organise les programmes sportifs scolaires et les compétitions locales</a>.</p>
<p>Grâce au sport, la YMCA cherche avant tout à « évangéliser » et « civiliser » « l’homme malade de l’Asie ». Mais avec le début de la guerre civile chinoise en 1927, les critiques contre l’impérialisme américain se font de plus en plus présentes.</p>
<p>Mao Zedong <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3602">s’empare politiquement du domaine du sport</a> afin d’en faire un argument pour lier force nationale et éducation physique. L’objectif est de redresser le corps de la nation chinoise par le prisme du corps de la population. Entre 1927 et 1949, l’éducation physique et la discipline militaire font partie intégrante du programme du Parti communiste chinois.</p>
<p>Dès le lendemain de la révolution de 1949, Mao appelle « à développer le sport et la culture physique et à renforcer la condition physique du peuple ». Les autorités chinoises vont même plus loin. Si le sport est une arme de « l’anti-féodalisme », il est également une arme de « l’anti-impérialisme » : il s’oppose au modèle sportif américain jugé bourgeois.</p>
<p>Afin de s’en émanciper, Mao décide de prendre le meilleur des modèles sportifs des autres pays communistes, dont l’URSS est la tête de gondole. Dès lors, la Chine multiplie les échanges par l’intermédiaire de <a href="https://www.cairn.info/revue-staps-2019-3-page-69.htm">« tournées de bonne volonté »</a> à l’intérieur et à l’extérieur de son territoire avec les « pays frères ».</p>
<p>Le système sportif chinois s’inspire grandement du modèle soviétique : les manuels sportifs de l’URSS sont traduits en mandarin, le système politico-économico-sportif chinois devient vertical et public, les associations et syndicats sportifs sont créés, l’apparition de classements favorise l’émergence des athlètes de haut niveau, qui disposent désormais de la possibilité de s’entraîner à temps plein dans des structures idoines.</p>
<h2>L’affaire des deux Chine : exister à l’échelle internationale</h2>
<p>Parallèlement, la RPC cherche à intégrer les grandes instances du sport mondial pour pouvoir exister sur la scène internationale. Dès 1952, Mao Zedong souhaite rejoindre le CIO <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3603">pour pouvoir participer aux JO d’Helsinki</a>.</p>
<p>Problème, la Chine y est déjà représentée depuis 1922 par la République de Chine (ROC) et son Comité national olympique chinois (CNO) pré-existant à la révolution maoïste. En 1951, 19 des 25 membres du CNO chinois s’envolent pour Taïwan et participent à la création <em>de facto</em> de l’État de Taïwan. Ils demandent officiellement au CIO de prendre une position définitive.</p>
<p>Dans le même temps, la RPC formule la demande de participation aux JO. Cela a pour effet de créer deux entités politiques qui revendiquent un même territoire : c’est l’affaire des deux Chine. Pris entre deux feux, le CIO décide d’admettre des athlètes des deux territoires et d’éluder la question du statut de ces deux pays. La RPC envoie 38 hommes et 2 femmes à Helsinki. C’est la première fois de l’histoire olympique que le drapeau de la RPC flotte lors d’un événement sportif international. En réponse, Taïwan refuse d’envoyer ses représentants.</p>
<p>Deux ans plus tard, en 1954, le CIO est la première grande organisation internationale à officiellement reconnaître la RPC et son « Comité olympique de la République populaire de Chine ». Mais il continue aussi à reconnaître la Chine nationaliste présente à Taipei. Ainsi les deux délégations sont-elles présentes lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Melbourne en 1956.</p>
<p>En voyant le drapeau de la ROC flotter sur la ville australienne, <a href="https://www.jstor.org/stable/20192198">Mao demande à sa délégation d’athlètes de repartir à Pékin et de quitter les JO</a>. La Chine est donc <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2008-2-page-93.htm">exclue du mouvement olympique en 1958</a>, faute de solution.</p>
<h2>Le temps de l’ouverture</h2>
<p>À partir des années 1960, les dirigeants chinois font du sport un élément de la diplomatie du pays et le ping-pong est proclamé sport national. En 1959, le pongiste <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210721-tragic-spy-who-sparked-china-s-table-tennis-domination">Rong Guotuan</a> remporte les championnats du monde de tennis de table et offre à la RPC son premier sacre sportif de premier plan. Pour Mao, cette victoire est <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/170/PIRONET/61714">« une arme nucléaire spirituelle »</a> : « La balle de ping-pong représente la tête de l’ennemi capitaliste », la frapper avec la « raquette socialiste » permet de marquer « des points pour la mère patrie ».</p>
<p>Il s’agit bien entendu de renforcer l’image de la Chine dans le monde, dans un contexte d’isolement vis-à-vis des puissances occidentales et de tensions croissantes avec l’URSS.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le sport en Chine selon Mao, Archive INA du 2 septembre 1974.</span></figcaption>
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<p>Si le sport permet au pouvoir chinois de signifier une intention négative, il devient un vecteur diplomatique positif à partir des années 1970. En effet, entre 1971 et 1972, le slogan chinois « L’amitié d’abord, la compétition après » se traduit par l’émergence de la célèbre <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/713675951">« diplomatie du ping-pong »</a>, qui voit des échanges de pongistes américains et chinois participer au renouveau des relations entre les deux pays.</p>
<p>Suite aux <a href="https://www.cairn.info/economie-de-la-chine--9782130575610-page-39.htm?contenu=article">réformes de Deng Xiaoping</a>, après la mort de Mao, le système sportif chinois s’inspire des moyens occidentaux pour croître.</p>
<p>En 1979, lors d’une conférence à Pékin, il est décidé que la politique sportive, qui s’inscrivait jusqu’ici dans le cadre de la lutte des classes, <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781315857053/sport-nationalism-china-zhouxiang-lu-fan-hong">devait être abolie au profit d’une nouvelle politique sportive</a> destinée à servir les « Quatre modernisations ». L’objectif est de s’éloigner de la Révolution culturelle et de ses conséquences : le déclin du sport de haut niveau au profit de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09523367.2016.1188082?journalCode=fhsp20">l’hygiénisation du peuple</a>.</p>
<p>En 1980, Wang Meng, le ministre des Sports, affirme que la Chine est une puissance pauvre qui doit concentrer ses efforts sur le sport de haut niveau afin d’améliorer l’image du pays dans le monde et augmenter la fierté et le patriotisme chinois. Le sport doit désormais servir à renforcer la fierté nationale à travers les victoires sur d’autres nations. Le nouveau slogan, « Compétition ! », est sans équivoque.</p>
<p>Signe de l’importance du sport pour le PCC, et alors que le CIO continue de reconnaître Taïwan, la Chine <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1979/11/28/la-republique-populaire-de-chine-sera-a-lake-placid-et-a-moscou-en-1980_2764249_1819218.html">réintègre le CIO en 1979</a> et envoie pour la première fois depuis 1952 une délégation de 24 athlètes aux JO d’hiver de 1980 à Lake Placid. La même année, le PCC juge que l’invasion soviétique en Afghanistan met en péril les frontières chinoises et s’allie avec les États-Unis pour <a href="http://www.slate.fr/sports/83001/jo-moscou-1980">boycotter les JO de Moscou</a>.</p>
<p>Quatre ans plus tard, en 1984, 216 athlètes chinois participent aux JO de Los Angeles, alors que l’URSS refuse de s’y rendre. Principale représentante du monde communiste, la Chine finit à la quatrième place en remportant pas moins de 32 médailles, dont 15 en or. À leur retour au pays, les athlètes reçoivent un message officiel du Conseil d’État : « Vous avez réalisé de grands succès aux Jeux olympiques. La victoire aux JO va aider à construire la confiance et l’esprit chinois ».</p>
<p>L’engouement est tel que les médias de la RPC parlent alors d’« événement historique » et de « nouveau chapitre dans l’émergence de la Chine en tant que grande puissance du sport ».</p>
<h2>Le « Juguo Tizhi » : tout pour le sport de haut niveau</h2>
<p>C’est le début de la mutation du système sportif chinois concernant le haut niveau. L’objectif ? « Sportiviser » l’ensemble de la population chinoise dès le plus jeune âge afin de performer sur la scène internationale.</p>
<p>Pour ce faire, le budget dédié au sport est augmenté afin d’<a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3602">attirer les experts du sport international</a>. Au lendemain des JO de Los Angeles, le slogan « Développer l’élite du sport et faire de la Chine une superpuissance dans le monde » a pignon sur rue.</p>
<p>Il devient clair pour les dirigeants chinois que le sport sera le reflet des échecs et des succès du régime à l’étranger. C’est ainsi que le PCC adopte un projet de réforme du système sportif le 15 avril 1986. Dès lors, le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/16184742.2017.1304433">« Juguo Tizhi »</a>, à savoir « le soutien de l’ensemble du pays au système sportif de haut niveau », devient la norme en Chine.</p>
<p>Concrètement, un système pyramidal à trois niveaux est mis en place afin de créer et faire émerger le champion de la masse des sportifs.</p>
<p>Le premier niveau est constitué de la masse des pratiquants présents dans les écoles primaires et secondaires. Dès leur plus jeune âge, les enfants et adolescents sont chaperonnés par une commission locale des sports qui les repère, les teste et les entraîne « scientifiquement ». L’État opère un écrémage chez les enfants entre 6 et 9 ans, suite à quoi les meilleurs sont envoyés dans des écoles du sport spécialisées où ils s’entraîneront 10 heures par jour. Le programme sportif est composé d’un savant mélange du meilleur des méthodes d’entraînement soviétique et capitaliste.</p>
<p>Ensuite, au deuxième niveau, les athlètes sont répartis dans des équipes de province et des clubs professionnels pour faire leurs classes. Dès lors, l’objectif est de tirer le meilleur de chacun d’eux.</p>
<p>Enfin, et c’est le troisième niveau, les meilleurs acquièrent le droit d’intégrer les équipes nationales puis, si leur niveau le permet, l’équipe olympique. Grâce à ce système, qui perdure encore aujourd’hui, c’est toute la société chinoise qui est mise en branle pour performer vite et bien.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’entraînement des jeunes gymnastes chinoises, Archive INA du 11 octobre 2004.</span></figcaption>
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<h2>Le temps des records et des polémiques</h2>
<p>En dépit de ce renouveau systémique, les JO de 1988 sont un relatif échec compte tenu du retour des Soviétiques et des autres pays du bloc communiste. La RPC n’obtient que la onzième place au classement des médailles.</p>
<p>Dans la foulée, quelques critiques commencent à apparaître à l’égard du « Juguo Tizhi ». Certaines pointent notamment du doigt l’incapacité pour les athlètes à prendre du plaisir dans un contexte d’ultra-performance, le fait que l’omniprésence de l’État empêche une certaine forme d’innovation ou encore la mauvaise santé des athlètes de haut niveau.</p>
<p>De manière générale, les acteurs du mouvement sportif chinois – managers, athlètes et entraîneurs – font tout pour améliorer le niveau de performance. Les sportifs de haut niveau sont soumis par les autorités à un régime semi-militaire strict. Les campus sportifs sont organisés de façon à améliorer au maximum les performances et les lieux de vie des athlètes sont situés sur ceux-ci, les séparant ainsi de la vie civile.</p>
<p>À l’intérieur, les hommes et les femmes vivent séparément et n’ont pas le droit d’avoir de relations intimes. Il est d’ailleurs vivement conseillé aux athlètes de ne pas tomber amoureux ou de fonder une famille.</p>
<p>En outre, certaines méthodes illicites sont également employées pour améliorer les performances des sportifs. Parfois, les autorités mentent sur l’âge des athlètes qu’ils chapeautent afin qu’ils puissent se confronter rapidement à leurs pairs plus âgés et ainsi connaître le haut niveau plus tôt. Par ailleurs, l’usage de produits dopants devient <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/jeux-olympiques/actualites/dopage-en-chine-plus-de-10000-athletes-positifs-entre-1980-90-881607">courant en Chine dans les années 1980</a>. Herbes, décoctions traditionnelles, ou encore « pilules miracles », les techniques sont aussi variées qu’originales.</p>
<p>Si la Chine remporte les Jeux asiatiques de Séoul en 1986, 11 athlètes sont testés positifs dans la foulée, laissant planer l’ombre d’un doute sur l’ensemble des performances chinoises. Pour le ministère des Sports chinois, il est hors de question que l’image du pays en pâtisse à l’étranger. En 1989, après quelques balbutiements, le premier centre de test antidopage chinois est reconnu par le CIO et les autorités promeuvent les « trois sérieux principes » : tests antidopage sérieux, interdiction de l’usage de produits dopants dans le sport et punitions pour ceux qui utilisent ces produits. Mais, dans un premier temps, cela ne suffira pas.</p>
<p>En 1993, « l’armée de Ma » – du nom de l’entraîneur chinois Ma Junren – fait sensation aux championnats du monde d’athlétisme de Stuttgart en remportant victoire sur victoire et en pulvérisant record sur record. Symbole du succès du « Juguo Tizhi », les Chinoises Qu Yunxia, Zhang Linli et Zhang Lirong réalisent un triplé retentissant en finale du 3000 mètres féminin. Mais épuisées par la dureté des conditions qui leur sont imposées, neuf femmes de l’équipe écrivent une lettre (révélée seulement en 2015) où elles dénoncent les pratiques de leur entraîneur, <a href="https://www.liberation.fr/sports/2016/02/06/athletisme-les-soldates-de-ma-ne-carburaient-pas-qu-au-sang-de-tortue_1431538/">qui les forçait à prendre des produits dopants</a>.</p>
<p>En dépit de ces déclarations, le sport chinois continue sa marche en avant.</p>
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<figcaption><span class="caption">La finale du triplé chinois aux Mondiaux d’athlétisme de Stuttgart en 1993.</span></figcaption>
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<h2>Une montée en puissance irrésistible ?</h2>
<p>Il faut attendre les années 1990 et la chute de l’URSS pour voir la Chine grappiller année après année des places au classement olympique des médailles. Elle est quatrième en 1992 et 1996 puis franchit un cap en 2000, finissant troisième, avant d’atteindre la deuxième place en 2004. À mesure que la Russie baisse le pied, la Chine se positionne comme une puissance sportive incontournable.</p>
<p>Le 13 juillet 2001, le CIO <a href="https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.olympic.org%2Ffr%2Fgames%2Fbeijing%2Felection_fr.asp#">attribue l’organisation des JO d’été 2008 à Pékin</a>. Pour les autorités chinoises, la victoire est totale. Un sondage d’opinion à l’époque montre que <a href="https://www.pewresearch.org/2008/08/05/an-enthusiastic-china-welcomes-the-olympics/">96 % de la population chinoise soutient cette initiative</a>. C’est fait, la Chine va accueillir les JO pour la première fois de son histoire. Mieux : elle va même les remporter au classement des médailles.</p>
<p>En dépit de cet indéniable succès, l’événement est marqué par de nombreuses <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/03/24/01003-20080324ARTFIG00279-la-flamme-des-jo-pekin-a-ete-allumee.php">protestations</a> à l’égard du régime chinois. La chancelière allemande Angela Merkel, le premier ministre britannique Gordon Brown, ou encore le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-Moon, décident de ne pas assister à la cérémonie d’ouverture pour dénoncer les atteintes de Pékin aux droits humains. Dès lors, l’événement sportif est un projecteur qui éclaire la RDC pour le meilleur et pour le pire.</p>
<p>Depuis, le sport reste un enjeu majeur pour la Chine, qui cherche à atteindre le premier rang des superpuissances sportives. Pourtant, les boycotts annoncés aux JO d’hiver de Pékin 2022 laissent penser que les puissances occidentales ne la laisseront pas faire. À suivre…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les JO d'hiver de Pékin à venir suscitent de nombreuses critiques, retour sur les ambitions sportives historiques de la puissance chinoise.Lukas Aubin, Docteur en Études slaves contemporaines : spécialiste de la géopolitique de la Russie et du sport, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresJean-Baptiste Guégan, Enseignant en géopolitique du sport, Institut libre d'étude des relations internationales (ILERI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1734502021-12-09T18:17:09Z2021-12-09T18:17:09ZLe lobbying, une activité qui reste largement méconnue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436381/original/file-20211208-25-1rh0aw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C8%2C1185%2C948&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Environ 4 actions de lobbying sur 5 consistent à transmettre des suggestions ou à organiser des discussions informelles avec les pouvoirs publics.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/greensefa/14151146613">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>« Lobby de la chasse », « lobby du tabac », « lobby de Monsanto »… Le traitement médiatique du lobbying évoque souvent de grandes firmes ou de larges groupements d’intérêts dans des industries décriées.</p>
<p>Ce fut le cas, en novembre dernier, lors de la COP26 lorsque les médias y ont présenté le « lobby des énergies fossiles », en s’appuyant sur l’étude de <a href="https://www.globalwitness.org/en/press-releases/hundreds-fossil-fuel-lobbyists-flooding-cop26-climate-talks/">ONG Global Witness</a>, comme étant la plus grande délégation sur place. Cette vision d’organisations opaques est d’ailleurs confirmée par la définition du terme « lobby » qui est assimilée à celle de « groupe de pression » dans le dictionnaire <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/lobby/47563">Larousse</a>.</p>
<p>Pourtant, les acteurs du lobbying sont bien plus divers que ces groupes de pression et leurs modalités d’action – souvent fantasmées – restent largement méconnues.</p>
<h2>Une pratique qui se normalise</h2>
<p>Tout d’abord, il nous semble important de poser un contexte pour tenter de comprendre les raisons pour lesquelles le lobbying bénéficie d’une image négative en France. Dans la tradition française, l’intérêt général est considéré comme étant différent de la somme des intérêts particuliers des citoyens. Ainsi, tenter d’influencer une décision publique pour défendre son propre intérêt irait à l’encontre de l’intérêt général.</p>
<p>Cette vision, largement inspirée par les travaux du philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau et de son <em>Contrat social</em>, a abouti à l’interdiction des groupes de pression (par conséquent du lobbying et du syndicalisme) pendant près d’un siècle, entre la <a href="https://institutions-professionnelles.fr/reperes/documents/119-1791-la-loi-le-chapelier-interdit-les-corporations">loi Le Chapelier</a> (1791) et la <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/10939-promulgation-de-la-loi-dite-waldeck-rousseau-instaurant-la-liberte-syndicale">loi Waldeck-Rousseau</a> (1884).</p>
<p>Depuis quelques décennies, la pratique tend à se normaliser avec une série de lois, dont la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033558528">loi Sapin II</a> qui reconnaît, définit et encadre le lobbying. Cette dernière impose également la tenue d’un répertoire des représentants d’intérêts piloté par la <a href="https://www.hatvp.fr/espacedeclarant/representation-dinterets/les-actions-de-representation-dinterets/">Haute autorité de la transparence de la vie publique</a> (HATVP). Ce répertoire constitue une précieuse source d’information pour comprendre les organisations lobbyistes en France et leurs modalités d’action.</p>
<iframe title="Répartition des inscrits par type d'organisation" aria-label="Graphique en anneau" id="datawrapper-chart-VXHC5" src="https://datawrapper.dwcdn.net/VXHC5/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="645" width="100%"></iframe>
<p>À sa lecture, nous constatons que les principales organisations déclarant du lobbying sont bien loin des « groupes de pression ». Il s’agit en effet des sociétés commerciales avec 29,1 % des entités inscrites viennent ensuite successivement des organisations professionnelles (22,6 %), associations (19,3 %) et syndicats (12,2 %). Les autres organisations inscrites étant, pour la plupart, des cabinets de conseil spécialisés en lobbying.</p>
<p>Cependant, cette typologie ne permet pas d’identifier clairement une catégorie d’acteurs pourtant centrale dans le lobbying : les méta-organisations, un terme qui désigne les organisations dont les membres sont eux-mêmes des organisations. Or, les méta-organisations apparaissant comme des interlocuteurs légitimes, leur accès au décideur public est facilité.</p>
<h2>Un dialogue avec le décideur public</h2>
<p>L’une des spécificités de ces formes d’organisations est qu’il n’existe pas de hiérarchie au sein de la structure et que les décisions y sont prises par consensus. En effet, dans les méta-organisations, <a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:165312">l’autorité n’est pas fondée sur des liens de subordination</a>.</p>
<p>Par exemple, les Nations unies, la Fédération internationale de football association (Fifa) ou encore l’Union européenne constituent des méta-organisations : leurs membres sont des États, des associations, des entreprises et non des individus. L’une des principales motivations à la création d’une méta-organisation est de permettre l’interaction entre ses membres, <a href="https://theconversation.com/la-gouvernance-sectorielle-chainon-manquant-de-la-refonte-de-lentreprise-92318">réguler son secteur</a> et de <a href="https://theconversation.com/les-meta-organisations-une-cle-pour-une-economie-plus-durable-172447">guider l’action collective</a>.</p>
<p>Ce dernier point englobe notamment les stratégies politiques, dont du lobbying. Selon les chercheures Madina Rival et Véronique Chanut, la stratégie politique des organisations correspond à « l’influence menée par une organisation sur la décision publique pour obtenir ou maintenir un <a href="https://rfg.revuesonline.com/articles/lvrfg/abs/2015/07/lvrfg41252p71/lvrfg41252p71.html">environnement qui lui soit favorable</a> ».</p>
<p>Or, les idées reçues sur l’activité de lobbying concernent également les actions pour mettre en place cet environnement favorable. Les principales stratégies adoptées par les organisations répertoriées par la HATVP consisteraient avant tout en des échanges avec le décideur public, des consultations et auditions, publications de lettres ouvertes, le tout dans une approche relationnelle de long terme avec le décideur public.</p>
<iframe title="Répartition par type d'actions menées" aria-label="Graphique en anneau" id="datawrapper-chart-YN2ag" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YN2ag/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="746" width="100%"></iframe>
<p>Ces actions à destination du décideur public prennent la forme de discussions, d’échanges écrits, de transmissions de rapports ou livres blancs, etc. À l’inverse, les actions indirectes comme des stratégies d’influence sur Internet ne représentent que 1 % des actions de représentation d’intérêts menées.</p>
<p>Comme nous l’avons montré dans notre étude sur notre <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2021-5-page-21.htm">étude</a> des stratégies politiques engagées dans un secteur régulé, l’enseignement supérieur privé français, les méta-organisations déploient principalement des actions directes vers le décideur public.</p>
<p>Les grandes méta-organisations du secteur comme la Conférence des grandes écoles (CGE) ou la Conférences des directeurs d’écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) sont ainsi régulièrement auditionnées par le ministère. Elles transmettent en outre des rapports et expertises, proposent des amendements, interpellent parfois le décideur public à travers des lettres ouvertes comme lors de la proposition d’ouverture du grade licence aux formations de type bachelor, etc.</p>
<h2>Des actions peu visibles</h2>
<p>Le secteur de l’enseignement supérieur est loin d’être un cas isolé, de nombreuses entreprises, associations, syndicats, TPE/PME répertoriées par la HATVP déploient des actions similaires. Par exemple, sur les <a href="https://www.hatvp.fr/fiche-organisation/?organisation=350149530">12 actions déclarées en 2020 par l’ONG Greenpeace</a>, l’association annonce avoir eu recours à 48 modalités d’actions.</p>
<p>Parmi celles-ci, 39 (soit 81 %) consistent à transmettre des informations, suggestions ou organiser des discussions informelles et des auditions avec le décideur public. Ainsi, malgré la forte visibilité des opérations « coup de poing », seules 19 % des actions de lobbying visent à envoyer des pétitions et lettres ouvertes ou à organiser des débats publics ou des stratégies d’influence sur Internet.</p>
<p>De même, une autre <a href="https://colloquepmp.hypotheses.org/programme">étude</a> que nous avions réalisée en 2018 s’était intéressée à la loi dite Hydrocarbures. 33 organisations (entreprises, coopératives, ONGs et syndicats) avaient déclaré 90 actions de représentation d’intérêts sur la loi étudiée. Parmi ces actions, 3,24 % étaient des actions visibles du grand public (organiser des débats publics, marches ou des stratégies d’influence sur Internet ; envoyer des pétitions ou lettres ouvertes ; prise de position publique sur le contenu d’une loi). Les 96,76 % d’actions de lobbying restantes regroupaient des relations directes entre l’organisation ou la méta-organisation et le décideur public (organiser des réunions, transmission d’informations ou de suggestions, correspondance écrite régulière, etc.).</p>
<p>Ainsi, les stratégies politiques des organisations sont encore peu étudiées et souffrent d’une certaine méconnaissance, notamment en matière d’acteurs impliqués et de modalités d’actions. Gageons que, compte tenu du rôle croissant des méta-organisations dans les actions de lobbying, ces dernières fassent davantage l’objet de recherches à l’avenir afin de mieux éclairer ce phénomène.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173450/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Nicolle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces actions ne concernent pas que des groupes de pression, mais aussi un grand nombre de sociétés commerciales et d’organisations professionnelles qui alimentent le décideur public en informations.François Nicolle, Enseignant chercheur - ICD Paris, ICD Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716182021-11-23T20:07:40Z2021-11-23T20:07:40ZSous les radars de « NEOM » : les non-dits des grands projets urbains dans le Golfe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432242/original/file-20211116-13-9bmnrg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C0%2C1439%2C730&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le 10&nbsp;janvier 2021, Mohammed ben Salmane présente son projet de ville futuriste, _The Line_, qui devra s’inscrire dans la mégalopole Neom.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Neom</span></span></figcaption></figure><p>L’Arabie saoudite a récemment lancé une série de grands projets, parmi lesquels <a href="https://www.neom.com/fr-fr/whatistheline">« NEOM »</a>, une mégaville nouvelle dans le <a href="https://www.google.com/maps/place/Golfe+d%E2%80%99Aqaba/@27.3881065,37.8772138,5.75z/data=!4m5!3m4!1s0x15ab2644d09a580b:0x9957699c5371ccf2!8m2!3d28.6929261!4d34.7298765">golfe d’Aqaba</a>, qui fait couler beaucoup d’encre. Les médias du monde entier ont en effet commenté le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=HFuAARRxHps">clip promotionnel</a> diffusé sur YouTube en égrainant les « innovations urbaines » portées par ce grand projet : neutralité carbone, intelligence artificielle, défis technologiques tels ces transports en commun souterrains censés permettre de <a href="https://saudigazette.com.sa/article/602339">parcourir 170 km en 20 min</a>, etc.</p>
<p>Pourtant, cette communication fonctionne sur des ressorts stratégiques usités dans les pays du Golfe et l’analyse de ces derniers permet de mettre en doute la faisabilité d’un tel projet et d’en révéler toutes les intentions, même cachées.</p>
<p>« NEOM » ne serait d’ailleurs pas le premier projet de cette ampleur à mourir dans l’œuf : « City of Arabia », présentée <a href="http://www.cityofarabia.ae/CityOfArabia.htm">au milieu des années 2000</a> comme le nouveau Dubaï, ne verra probablement jamais le jour aux Émirats arabes unis (EAU). Quant à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1171136/a-silk-city-la-fronde-des-islamistes-contre-linvestissement-chinois.html">« Silk City »</a>, une ville nouvelle dont les plans figurent dans tous les documents d’aménagement koweïtiens, c’est une Arlésienne depuis plus de quinze ans…</p>
<p>Et si l’enjeu premier n’était finalement pas la réalisation de ces mégaprojets, en tout cas pas tels qu’ils sont présentés par les organes de communication officiels ?</p>
<h2>Asseoir l’autorité parfois vacillante des émirs</h2>
<p>Guidés par des <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/10/25/20002-20181025ARTFIG00286-les-etats-petroliers-ont-besoin-de-diversifier-leur-economie.php">impératifs de diversification économique</a> post-hydrocarbures et de modernisation, dans des pays à l’urbanisation très récente, les monarques du Golfe ont <a href="http://www.adecns.fr/les-strategies-de-diversification-economique-des-pays-du-golfe/">multiplié les grands projets urbains</a> pour asseoir leur autorité et se projeter dans le futur.</p>
<p>Si cette stratégie politico-économique de développement puis de renouvellement urbain permanent s’est avérée un temps fructueuse dans la mesure où elle a fait des villes du Golfe des <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-territoires-de-la.html">acteurs essentiels de la mondialisation économique</a>, elle semble arriver aujourd’hui à saturation.</p>
<p>Les taux d’urbanisation, qui <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.URB.TOTL.IN.ZS?locations=QA-KW">frôlent les 100 %</a> au Koweït et au Qatar, ont presque éliminé toute trace de vie bédouine et de culture agropastorale.</p>
<p>Les villes se sont étalées sans limites physiques, créant des phénomènes de forte dépendance automobile, alors que l’articulation entre tous ces projets urbains, fonctionnant comme des enclaves autorégulées, soit des villes dans la ville, <a href="https://www.cairn.info/journal-population-et-avenir-2015-3-page-14.htm?contenu=plan">n’a pas été suffisamment pensée</a>.</p>
<p>Enfin, pris dans cette dynamique de <a href="https://jec.sa/en/homepage/">surenchère urbanistique</a>, à la fois pour tenter de demeurer à l’avant-garde mondiale et pour répondre aux exigences de la compétition qui s’exerce de plus en plus à l’échelle du Golfe dans le domaine de l’architecture, les gouvernements et les grandes entreprises immobilières vont parfois au-delà de leur capacité financière. C’est ce qui explique les nombreux abandons et <a href="https://journals.openedition.org/cy/4180">inachèvements de projets urbains</a> de <a href="http://www.slate.fr/story/159898/dubai-mirages-mediatiques-urbanisme">Koweït à Dubaï</a> depuis la fin des années 2000, même si d’autres ont vu le jour sur la même période.</p>
<p>Si malgré ces effets de saturation, les gouvernements du Golfe s’évertuent à promouvoir de nouveaux projets urbains, c’est aussi pour masquer certaines difficultés internes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RqI1sSdgUSI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">NEOM : la mégalopole du futur rêvée par l’Arabie saoudite, Le Monde, 17 novembre 2017.</span></figcaption>
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<p>Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane s’est ainsi lui-même <a href="https://www.fairobserver.com/region/middle_east_north_africa/peter-isackson-mohammed-bin-salman-saudi-crown-prince-neom-saudi-arabia-mbs-arab-world-news-86184/">placé au centre de la communication</a> en faveur de « NEOM » à un moment où son action internationale, marquée par l’enlisement dans la guerre au Yémen, la crise diplomatique avec le Qatar sur fond de rivalité avec l’Iran et les soupçons de son implication dans <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/26/assassinat-de-jamal-khashoggi-le-prince-heritier-saoudien-a-valide-l-operation-selon-les-renseignements-americains_6071358_3210.html">l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi</a>, était de plus en plus contestée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-guerres-du-yemen-106806">Les guerres du Yémen</a>
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<p>Bien avant en 1979, les Kuwait Towers, qui sont aujourd’hui l’emblème du pays, avaient été inaugurées <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=23804">pour tenter d’atténuer les effets</a> à l’international de la double crise économique et parlementaire alors à l’œuvre au Koweït.</p>
<p>De même, la plus haute tour du monde, Burj Khalifa, fut livrée en 2009 en même temps que le nouveau quartier Downtown Dubai où elle est située, en pleine crise financière mondiale qui avait particulièrement touché l’émirat de Dubaï, contraignant celui d’Abu Dhabi, lié par la fédération des EAU, <a href="https://www.liberation.fr/futurs/2009/12/15/dubai-sauve-in-extremis-par-le-frere-ennemi-abou-dhabi_599269/">à renflouer ses caisses</a>.</p>
<h2>Quand la promotion va, tout va</h2>
<p>La frénésie en matière de projets urbains s’inscrit dans un contexte particulier qui est celui de la rencontre entre le néolibéralisme urbain et l’autoritarisme politique dans le Golfe.</p>
<p>La conception de politiques territoriales autour de l’attractivité et de la compétitivité des métropoles ainsi que la financiarisation des opérations urbaines (« NEOM » doit être financée par un fonds souverain et administrée par une société privée cotée en bourse), qui sont deux caractéristiques fortes de la <a href="https://www.puf.com/content/La_ville_n%C3%A9olib%C3%A9rale">ville néolibérale</a>, apparaissent compatibles avec les intérêts politiques des dirigeants : cultiver des liens avec les milieux affairistes, limiter la participation des citoyens à la politique et contrôler les individus dans leurs déplacements et habitations.</p>
<p>Ainsi, la rénovation du centre-ville de Doha, au Qatar, lancée au début des années 2010 à grand renfort de <a href="https://www.lesechos.fr/2012/02/le-qatar-veut-faire-du-centre-de-doha-la-vitrine-de-sa-modernite-351945">communication axée sur le patrimoine</a> (reconstitution d’un souk) et sur le développement durable (création d’un quartier « vert » et « intelligent »), c’est-à-dire en phase avec les idéologies territoriales dominantes, s’est faite au détriment de l’existant.</p>
<p>Plusieurs centaines de petits immeubles ordinaires construits entre les années 1960 et 1990 ont été détruits et autant d’habitants, des immigrés pour la plupart, <a href="https://www.dohanews.co/report-dozens-businesses-dohas-old-downtown-face-evictions/">ont été déplacés</a> en lointaine périphérie de l’agglomération.</p>
<p>Pendant toute la durée des travaux, des images géantes d’un mode de vie urbain fantasmé par l’alliance de la « tradition » et de la « modernité » ont été soigneusement placardées pour invisibiliser la violence engendrée par cette entreprise de rénovation du centre-ville.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431252/original/file-20211110-27-16ftwp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431252/original/file-20211110-27-16ftwp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431252/original/file-20211110-27-16ftwp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431252/original/file-20211110-27-16ftwp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431252/original/file-20211110-27-16ftwp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431252/original/file-20211110-27-16ftwp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431252/original/file-20211110-27-16ftwp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Invisibilisation du chantier de destruction du centre-ville de Doha (Qatar) par les affiches publicitaires du projet de rénovation, 2011.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Manuel Benchetrit</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce moyen néolibéral-autoritariste de faire la ville n’est pas spécifique aux pays du Golfe mais il y semble parfois poussé à l’excès.</p>
<p>Ainsi, si la diffusion d’annonces et d’images de nouveaux projets urbains ne faiblit pas malgré une conjoncture de plus en plus incertaine, c’est parce qu’elle suffit désormais à attirer des investisseurs étrangers tout autant qu’elle permet aux multinationales qui portent ces projets de conquérir des marchés extérieurs au Golfe – en Afrique et au Maghreb notamment.</p>
<p>Peu importe finalement si rien ne sort de terre ou si le produit livré est très loin des promesses de départ comme dans le cas de <a href="https://www.lemonde.fr/grands-formats/visuel/2016/02/29/au-milieu-du-desert-le-mirage-de-masdar_4873704_4497053.html">Masdar City</a> à Abu Dhabi, qui s’apparente plus à un <a href="https://www.dukeupress.edu/spaceship-in-the-desert">« vaisseau spatial dans le désert »</a> qu’à l’écoquartier qu’elle ambitionnait être, car la machine financière et communicationnelle de l’urbanisme néolibéral est lancée sitôt les premières annonces faites.</p>
<p>Cet <a href="https://metropolitiques.eu/Urbanisme-fictionnel-l-action.html">« urbanisme fictionnel »</a> semble aujourd’hui assumé dans certains pays du Golfe si l’on en juge par le pouvoir conféré aux producteurs de visuels dans la chaine de production urbaine. Il renvoie en outre à une économie bien réelle, celle de la <a href="http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=349">publicité urbanistique</a>, qui génère donc ses propres bénéfices, et implique désormais un spectre très large d’acteurs urbains.</p>
<h2>Le règne écrasant des images</h2>
<p>Au Koweït, les premières images de synthèse des clips promotionnels de Silk City ne sont pas le produit de cabinets d’architectes mais celui d’agences de publicité mandatées directement par le gouvernement pour promouvoir le projet de ville nouvelle.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zRMNEWk6-ug?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extraits de clips promotionnels de Silk City.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les premiers appartements vendus dans le cadre du nouveau projet de quartier <a href="https://www.tamdeen.com/portfolio/tamdeen-square">Tamdeen Square</a>, en cours de construction en périphérie de Koweït City, l’ont été à partir d’une seule plaquette publicitaire, d’un nom (celui du promoteur) et d’un logo.</p>
<p>Les premières images de Heritage Village, projet de quartier censé valoriser le patrimoine architectural koweïtien, ont été arrachées des palissades du chantier, puis remplacées par une autre série d’images encore plus « vendeuses » que les précédentes, alors que les travaux avaient pourtant cessé suite à un conflit entre le commanditaire et le maître d’œuvre.</p>
<p>Ces trois exemples koweïtiens révèlent le pouvoir de l’imagerie urbanistique tout comme la domination des publicitaires sur la scène urbaine, qui disposent de leurs propres foires et salons annuels en ville, s’imposent dans les entreprises de promotion immobilière et marginalisent le travail des urbanistes et des architectes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431253/original/file-20211110-15-e43roq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431253/original/file-20211110-15-e43roq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431253/original/file-20211110-15-e43roq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431253/original/file-20211110-15-e43roq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431253/original/file-20211110-15-e43roq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431253/original/file-20211110-15-e43roq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431253/original/file-20211110-15-e43roq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Incrustation d’images de synthèse autour du chantier abandonné du Heritage Village, Koweït City, 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Manuel Benchetrit</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce net tournant publicitaire de l’urbanisme au Koweït et dans les pays voisins augmente le décalage entre ville projetée et ville vécue, de même qu’il sature totalement l’espace d’images de ville, lesquelles semblent prendre de plus en plus de liberté et de distance avec les projets qu’elles soutiennent.</p>
<p>L’urbanisme dans le Golfe est donc avant tout un urbanisme d’image. Cela n’est pas tout à fait nouveau car l’enjeu fut très tôt, dès les années 1960, de créer des villes-vitrines financées par l’exploitation des hydrocarbures mais incarnant le rayonnement en vue de l’après-pétrole.</p>
<p>Ce qui est nouveau en revanche, c’est, à travers la puissance croissante des images et de celles et ceux qui les produisent, l’accentuation d’un processus de virtualisation urbaine dans lequel la mise en scène d’ambiances et de modes de vie semble compter plus que les caractéristiques d’un projet.</p>
<p>Cela devrait inciter à ne pas prendre pour argent comptant les éléments de communication officiels des différents projets urbains promus par les pouvoirs en place et, a contrario, à porter plus franchement l’attention sur ce qu’ils révèlent des évolutions de la fabrique urbaine dans le <a href="https://www.forbes.fr/business/la-strategie-dentrepreneuriat-du-prince-saoudien-mohammed-ben-salmane-pour-organiser-la-stabilite-politique-neom-une-ville-intelligente-a-500-milliards-de-dollars/">contexte conjoint du néolibéralisme et de l’autoritarisme</a>, ainsi qu’aux effets induits sur les acteurs urbains et les citadins ordinaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171618/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Roman Stadnicki ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Neom, Silk City, Palm Jumeirah… Les pays du Golfe multiplient les projets de construction très ambitieux. Souvent, leur réalisation importe moins que les plans de com’ qui les entourent.Roman Stadnicki, Maître de conférences en géographie, membre de l'Equipe Monde Arabe et Méditerranée (UMR CITERES) & chercheur associé au CEFREPA (Koweït), Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1687282021-09-27T20:43:33Z2021-09-27T20:43:33ZPSG–Manchester City : si loin du Golfe, si proche du Golfe<p>Dans l’arène du football européen, les affrontements entre le Paris Saint-Germain et Manchester City, comme ce mardi soir dans le cadre de la phase de poules de Ligue des Champions ou la saison dernière en demi-finales de cette même compétition, apparaissent désormais comme une sorte de marronnier.</p>
<p>Les rencontres opposant ces deux clubs, détenus respectivement par des fonds souverains du Qatar et d’Abu Dhabi, émirat moteur de la fédération des Émirats arabes unis, donnent systématiquement lieu à des rappels de la confrontation géopolitique de leurs puissants propriétaires. Cette mise en scène de l’événement mérite toutefois d’être questionnée.</p>
<h2>Le théâtre sportif, une mise en scène de la conflictualité</h2>
<p>« Le Qatar est arrivé, puis ils ont fui tête baissée » (« ils » sous-entendant ici les Émiriens) – <em>ḥaḍara al-qaṭary farḥāw waṭy</em> : en ce 30 janvier 2019, ces mots trônent en une de l’édition sportive d’un des principaux quotidiens qatariens, <em>Al-Waṭan</em>. Une photo où les joueurs d’<em>Al-’Annābi</em> – la bordeaux, surnom donné à la sélection du Qatar – laissent éclater leur joie illustre ce propos aux accents nationalistes.</p>
<p>Sur fond de <a href="https://orientxxi.info/va-comprendre/pourquoi-le-qatar-est-il-la-cible-d-une-offensive-de-ses-voisins-du-golfe,2322">crise diplomatique entre les Émirats arabes unis et le Qatar</a>, à Abu Dhabi, l’équipe qatarienne <a href="https://www.sofoot.com/le-qatar-rejoint-le-japon-en-finale-de-coupe-d-asie-465449.html">vient de battre 4-0 le pays hôte de la Coupe d’Asie des nations</a>. Disputée dans une ambiance électrique, que l’on peut même qualifier de délétère, marquée notamment par des jets de chaussures subis par les joueurs qatariens lors des célébrations de leurs buts, cette rencontre a marqué les esprits au-delà du Golfe. L’image est d’autant plus forte que le Qatar gagne dans une enceinte qui porte le nom de Mohammed bin Zayed Al-Nahyan, <a href="https://orientxxi.info/magazine/pour-mohamed-ben-zayed-l-autoritarisme-est-l-avenir-du-proche-orient,3578">prince héritier d’Abu Dhabi</a>, l’un des principaux artisans de l’embargo subi par Doha à partir de juin 2017.</p>
<p>Au mois d’avril 2021, loin du stade Mohammed bin Zayed, le PSG et Manchester City doivent se rencontrer lors d’une demi-finale de Ligue des champions. À travers cette rencontre, c’est en quelque sorte encore une demi-finale entre le Qatar et son rival historique Abu Dhabi qui se profile. Du moins, c’est le récit qu’en livrent une grande partie des médias européens, et c’est sous cette forme que ce match au sommet est présenté.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1386983611971170304"}"></div></p>
<p>Sur le papier, cette mise en récit de l’événement n’a rien de choquant : les deux structures participent pleinement de la politique d’influence des deux émirats. Cependant, lorsque l’on regarde la construction de cette politique au vu de la géopolitique du Golfe à l’échelle mondiale, une déclinaison du système s’opère autour des différentes échelles tant locale que régional ou mondiale.</p>
<p>L’analyse géographique permet de différencier les niveaux sportifs au service de la puissance ; cette focale aide à décrypter les temporalités de leur formation ainsi que leurs objectifs.</p>
<h2>Un mouvement sportif local, rouage du pouvoir</h2>
<p>Au cours des années 1970, dans le cadre de la consolidation des structures étatiques des monarchies du Golfe, dont la plupart ont accédé à leur indépendance entre 1961 et 1971, une période marquant la fin des protectorats britanniques, le domaine sportif local connaît une phase d’institutionnalisation.</p>
<p>Émanation des canaux de puissance économiques du pouvoir, des fédérations sportives et un réseau de clubs se forment sous la conduite de puissantes personnalités. Au Qatar, la réorganisation de cet espace se déroule sous la direction de l’influent ministre de l’Éducation et de la Jeunesse, cheikh Jassim bin Hamad bin Abdallah Al-Thani. À cette même période, dans l’ensemble de la région, les sélections nationales de football voient le jour. Les monarchies du Golfe perçoivent dans le sport un facteur de modernité <a href="https://docspike.com/embed/nation-identite-nationale-et-sport_pdf.html">qui favorise le sentiment d’unité</a> autour de la figure du souverain.</p>
<p>C’est dans ce contexte que la sélection espoirs du Qatar atteint la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=k_Hd_I1HK_s">finale de la Coupe du monde de football des moins de 20 ans</a>, à Sydney, en <a href="https://www.fifa.com/fr/tournaments/mens/u20worldcup/australia1981">1981</a>. Un an plus tard, c’est au tour du Koweït de participer à sa première Coupe du monde, en Espagne. En 1990, en Italie, les <em>Iyāl Zāyed</em> – les enfants de Zayed, surnom de la sélection émirienne en référence au « père fondateur » des EAU, Zayed Bin Sultan Al-Nahyan – prennent part pour la première, et à ce jour, unique fois de leur histoire à la Coupe du monde.</p>
<p>Héritage de cette période, les sélections et clubs restent des organes de l’appareil étatique. Ils apparaissent comme des manifestations du système d’État-providence vouées à donner de la visibilité au pouvoir. Ils sont rattachés de ce fait à des enjeux de pouvoir locaux, et ancrés dans le tissu social régional.</p>
<p>Cette contextualisation explique la <a href="https://orientxxi.info/magazine/le-football-dans-le-golfe-a-l-epreuve-de-la-crise-avec-le-qatar,2413">place que revêt le sport sur la scène golfienne tout au long de la récente crise diplomatique</a>. D’ailleurs, le 8 décembre 2020, à Doha, en signe d’un début d’apaisement avec les différents pays en conflit avec le Qatar, l’émir Tamim Bin Hamad Al-Thani <a href="https://staddoha.com/en/gulf-cup/amir-crowns-gulf-cup-champions-bahrain/">remet personnellement au capitaine de la sélection bahreïnienne le trophée de champion du Golfe arabe de football</a>.</p>
<h2>PSG et Manchester City : des clubs satellites fabriques d’une image apolitique, aux dessous politiques</h2>
<p>Loin de Doha et d’Abu Dhabi, le PSG et Manchester City, qui font depuis des années appel à de grands noms du football international pour donner vie à leur projet sportif, s’érigent comme des satellites vitrines de ces deux capitales et comme des rouages de leur politique étrangère. Ils sont présidés par des personnalités appartenant aux premiers cercles du pouvoir, respectivement Nasser Al-Khelaïfi et Khaldoon Al-Mubarak, en charge du développement du versant mondial de la stratégie sportive de leurs émirats respectifs. Pensés comme des leviers d’action, ils témoignent de la volonté de ces deux protagonistes d’accroître leur stature internationale. Outils d’influence, ils offrent au Qatar et à Abu Dhabi l’opportunité d’être maîtres de leur communication et participent de la fabrique marketing associée à leur nom.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les joueurs du PSG sont fréquemment mis en scène au Qatar mais l’accent est surtout mis sur le tourisme.</span></figcaption>
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<p>Pour autant, ces objets de <em>branding</em>, bien qu’ils soient le résultat d’une équation géopolitique au sein de laquelle s’agrègent deux émirats de petite superficie, faibles démographiquement mais puissants grâce à leur production d’hydrocarbures, ancrés dans une région conflictuelle – quatre facteurs qui les conduisent à mener une politique d’influence ambitieuse –, sont déconnectés des dynamiques géopolitiques internes à cet espace régional. Derrière le flot d’images, ces institutions apparaissent avant tout centrées sur la diversification de leurs partenariats. Cependant, en arrière-plan des traits socio-culturels rattachés au Golfe émergent dans la gestion de ces deux entités telle une compétition entre cheikhs qui s’inscrit dans le système originel tribal.</p>
<p>Au travers de ces clubs, c’est une image apolitique qui est déclinée, comme si ces émirats se délestaient d’une partie de leur réalité socio-politique. Comme en témoignent la taille modeste de la boutique du PSG au <em>Villagio</em>, <em>mall</em> de la périphérie de Doha, ou le faible intérêt des presses qatarie et émiratie envers la demi-finale de Ligue des Champions entre Manchester City et le PSG, se limitant à de simples résumés de la rencontre, ces clubs ne sont pas investis par les palais comme des objets ayant trait au développement d’une quelconque fierté nationale.</p>
<p>De plus, les passionnés de football du Golfe possèdent souvent une équipe de cœur, parfois un joueur, qu’ils supportent sur la scène européenne en fonction de leur prestige. Leur appétence pour le football anglais ou espagnol les amène généralement à se tourner vers les grandes écuries de ces championnats qui possèdent un palmarès fourni.</p>
<p>Loin des divergences régionales décuplées par leurs postures adoptées lors de la récente séquence ouverte, en 2011, par les soulèvements arabes, le football européen ne représente pas un espace dans lequel les pouvoirs en présence expriment leurs oppositions.</p>
<p>Le Qatar cherche à être puissant au sein du sport mondial pour conforter la place de son <em>hub</em> sportif à l’échelle internationale, l’objectif étant pour lui de gagner en influence au-delà du sport. L’émirat d’Abu Dhabi aspire quant à lui, derrière l’image sportive, à accroître ses réseaux économiques. Le PSG ainsi que le City Football Group font pleinement partie de ces stratégies.</p>
<p>À partir de l’objet global qu’ils conçoivent à travers leur propriété européenne (PSG) et mondiale (City Football Group), le Qatar et Abu Dhabi s’adressent à un public international déconnecté des réalités géopolitiques ayant trait au Golfe. Il serait surtout bien trop risqué de porter atteinte à leurs outils de <em>branding</em>.</p>
<h2>Une lutte d’influence cantonnée aux coulisses</h2>
<p>Seul un épisode a eu le don d’exposer les divisions régionales au grand jour, au cœur de l’enceinte sportive européenne : les velléités de l’Arabie saoudite d’investir dans le football anglais. L’annonce de ce projet, puis l’approche de l’acquisition du Newcastle United Football Club par l’un de ses fonds souverains, le <em>Public Investment Fund (PIF)</em>, se sont entrechoquées avec <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2018/05/24/au-moyen-orient-la-chaine-qatarie-bein-sports-cible-d-un-piratage-geopolitique_5303870_3236.html">l’affaire BeOutQ</a>, du nom d’un bouquet de dix chaînes sportives retransmises dans le monde entier grâce au piratage de la chaîne sportive qatarienne <em>Bein sport</em>.</p>
<p>À la suite de cette manœuvre, les soupçons du Qatar se sont très vite dirigés vers Riyad. Plusieurs enquêtes conduites par Doha avec le concours de sociétés américaines menaient à Riyad et remontaient même jusqu’à des proches du prince héritier, Mohammed bin Salman Al-Saoud.</p>
<p>S’attaquer à <em>Bein Sport</em>, rouage financier majeur de la politique d’influence du Qatar, n’était pas anodin : cela représentait une offensive déstabilisatrice d’ampleur à l’encontre de Doha. Le royaume saoudien avait beau nier son implication, l’annonce de son arrivée éminente à la tête d’un club de <em>Premier League</em>, compétition dont <em>Bein Sport</em> possède une partie des droits télévisés, représentait pour Doha un levier d’action pour faire pression sur les décideurs de cette même <em>Premier League</em> qui devaient donner leur aval avant la reprise de Newcastle United FC par ces nouveaux actionnaires.</p>
<p>Un levier qui s’est avéré fructueux puisque les multiples tentatives de reprise menées par la femme d’affaires britannique Amanda Staveley, missionnée par le PIF, ont été rejetées, contraignant l’Arabie saoudite à revoir ses plans. Cette confrontation est ainsi restée cantonnée aux coulisses du football anglais et demeure, jusqu’à présent, la seule passe d’armes de ce type recensée au sein du football européen, centre du football mondial.</p>
<p>Du Golfe à l’arène européenne, le sport laisse apparaître une superposition des typologies de puissances. À la puissance horizontale qui structure les sociétés des pétromonarchies du Golfe, à partir des années 1970, comme une émanation de leurs systèmes d’État-providence, s’ajoute, dans les années 2000, l’édification d’une puissance verticale par l’intégration de circuits du sport mondial à leurs agendas politiques, dans le but d’étendre leur influence aux réseaux de la mondialisation. Au centre du jeu, les pouvoirs orchestrent cette partition ; ces deux niveaux n’influent toutefois pas l’un sur l’autre.</p>
<p>Cependant, plus les rouages composant la strate verticale de la puissance prennent corps au sein de l’espace golfien, plus la frontière entre ces deux niveaux est ténue. Les crispations suscitées par l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar en ont été un exemple au niveau régional. Loin du Golfe, au cœur de la vitrine européenne, la confrontation Manchester City-PSG demeure quant à elle épargnée par les rivalités opposant leurs propriétaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168728/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raphaël Le Magoariec a reçu des financements de l'organisation.
-Bourse de soutien à la recherche de terrain de l'IHEDN, 2020.</span></em></p>Les affrontements PSG-Manchester City sont souvent vus comme un miroir de l’affrontement géopolitique de leurs propriétaires, le Qatar et Abu Dhabi. La réalité est plus complexe.Raphaël Le Magoariec, Chercheur doctorant en géopolitique, spécialiste des sociétés de la péninsule Arabique et du sport, CITERES-EMAM, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1647452021-09-02T17:55:43Z2021-09-02T17:55:43ZDes Médicis à Nicolas Sarkozy : l’art de l’influence en politique<p>Le 1<sup>er</sup> mars 2021, le tribunal correctionnel de Paris <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/03/01/nicolas-sarkozy-condamne-a-trois-ans-de-prison-dont-un-an-ferme-dans-l-affaire-des-ecoutes_6071580_823448.html">condamnait Nicolas Sarkozy à une peine de prison de trois ans, dont un an ferme</a>, pour corruption et trafic d’influence dans le cadre de l’affaire Bismuth (dite aussi « des écoutes »). Si l’ancien président de la République a immédiatement interjeté appel de la décision, ce verdict a tout de même engendré un véritable tremblement de terre pour les supporters de celui qui fut le parangon de la droite jusqu’à ses échecs à la présidentielle de 2012, puis lors de la primaire de la droite et du centre en 2016.</p>
<p>Cette condamnation a entraîné une litanie de réactions de la part de la classe politique, entre déclarations de soutien à droite – agrémentés d’attaques contre « l’acharnement d’un pouvoir judiciaire aux ordres » – et tweets satisfaits – voire moqueurs – à gauche.</p>
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<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1366381890714894343"}"></div></p>
<p>Mais elle a également soulevé de nombreuses questions sur le devenir politique de l’ex-leader des Républicains. En effet, le politologue <a href="https://www.youtube.com/watch?v=67K8TnrvuVY">Jérôme Jaffré, invité le 2 mars sur le plateau du Figaro Live</a>, s’interrogeait sur « la capacité » de Nicolas Sarkozy à influer sur l’avenir politique du pays. Lui qui s’imaginait encore <a href="https://www.challenges.fr/politique/presidentielle-2022-nicolas-sarkozy-l-homme-qui-n-abandonnera-jamais_738162">jusqu’à peu</a> comme le véritable « maître du jeu de la présidentielle de 2022 », ne devait-il pas perdre tout son pouvoir d’influence ?</p>
<p>Il est vrai que depuis presque dix ans, l’ancien président, malgré son absence de mandats et ses défaites électorales successives, <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-2022-nicolas-sarkozy-toujours-tres-influent-a-droite-7900033892">est parvenu à conserver un pouvoir considérable sur sa famille politique</a>. La recherche de son soutien semble être devenu un sésame inestimable pour qui veut briguer le titre de champion de la droite. Pour ceux qui furent ses compagnons de route, <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/presidentielle-2022-a-lr-lombre-du-parrain-sarkozy-20210615_GDFORKHFCBDTNJERMSDO4T23N4/">Nicolas Sarkozy a au fur et à mesure du temps endossé le costume de parrain</a> – analogie que n’aurait pas renié feu Charles Pasqua, une de <a href="https://www.valeursactuelles.com/politique/charles-pasqua-me-manque-comme-cette-epoque-me-manque-nicolas-sarkozy-rend-un-vibrant-hommage-a-lex-ministre-de-linterieur/">ses figures tutélaires</a>.</p>
<h2>Œuvrer en coulisse</h2>
<p>Loin de l’image du ministre – puis du président – tape-à-l’œil qui lui collait tant à la peau lors des années 2000, Nicolas Sarkozy a peu à peu mué pour se fondre dans une autre forme d’action politique.</p>
<p>Si sa fonction passée et ses différentes affaires l’ont évidemment obligées à ne pas disparaître totalement de la scène médiatique, c’est finalement <a href="https://www.europe1.fr/politique/a-un-an-de-la-presidentielle-nicolas-sarkozy-cherche-a-entretenir-son-pouvoir-dinfluence-4043198">dans les coulisses qu’il a œuvré principalement pour peser sur la chose publique</a> et préparer un hypothétique retour. Les relations forgées lors de sa première carrière politique – avant la fin de la présidence – lui ont permis de brasser un large panel d’hommes et de femmes (ministres, parlementaires, élus locaux, <a href="https://www.challenges.fr/magazine/ses-vrais-allies-sarkozy-et-les-grands-patrons_348391">capitaines d’industrie</a> etc.) qui lui assurent par leur amitié ou leur loyauté – l’aspect mentoral des politiques en France n’est pas à négliger – une capacité d’influence substantielle.</p>
<p>Certains ont pu comparer la stratégie sarkozyste post-2012 au <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/clientelisme/">clientélisme politique</a> ou encore à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seaucratie">réseaucratie</a>. Ces concepts ont une connotation négative aujourd’hui puisqu’on les a assimilés à la corruption, au recours à des moyens illicites – ou peu honorables – pour s’arroger du pouvoir. Historiquement pourtant, la construction et l’usage d’un réseau important a souvent permis à des hommes, parfois dans l’ombre, de gouverner de manière effective, sans se retrouver dans l’illégalité.</p>
<p>L’ascension des Médicis à Florence au XV<sup>e</sup> siècle en est un exemple intéressant et peut amener à une comparaison avec les méthodes d’influence d’hommes politiques contemporains comme Nicolas Sarkozy.</p>
<h2>L’émergence des Médicis au début du XVᵉ siècle</h2>
<p>Entre le XIV<sup>e</sup> et le XVII<sup>e</sup> siècle, le pouvoir en Italie est réparti entre différentes puissances. Cités-états, républiques, duchés et royaumes cohabitent dans une zone géographique assez restreinte. Cette période, la Renaissance, recèle en son sein une grande part des forces qui vont façonner nos sociétés modernes.</p>
<p>L’approche de la politique et de l’histoire change. On se détache peu à peu des carcans médiévaux pour entrer dans une nouvelle ère, où l’ambition et la quête de gloire deviennent – à nouveau – des fins en soi. Le <a href="https://www.geo.fr/histoire/quest-ce-que-lhumanisme-201409">mouvement humaniste</a>, par son approche novatrice des savoirs et des actions des Anciens – les hommes de l’Antiquité –, va amorcer ce phénomène.</p>
<p>L’historien Jacob Burckhardt a écrit en ce sens que « c’est l’alliance intime entre l’Antiquité et le génie italien » qui a permis la régénération du <a href="https://www.laprocure.com/civilisation-renaissance-italie-jacob-burckhardt/9782369425502.html">monde occidental</a>.</p>
<p>La République de Florence est l’un des foyers les plus importants de l’humanisme. Une grande part des érudits de la Renaissance – comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Coluccio_Salutati">Coluccio Salutati</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Leonardo_Bruni">Leonardo Bruni</a> ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Machiavel">Machiavel</a> – vont s’y faire connaître.</p>
<p>C’est également dans cette ville qu’émerge l’idée selon laquelle les intellectuels doivent prendre une part active dans les affaires publiques, en s’impliquant politiquement pour permettre aux citoyens de jouir de leurs lumières. On souhaite combattre la tyrannie (les principautés du Nord, en particulier Milan, sont visées) et préserver la république coûte que coûte ; c’est ce que Hans Baron a appelé <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691007526/crisis-of-the-early-italian-renaissance">« l’humanisme civique »</a>. Au début du XV<sup>e</sup> siècle, Florence est donc tributaire d’une tradition politique complexe où démocratie, oligarchie, corporationnisme et factionnisme se sont mélangés pour aboutir à un régime évoluant au gré des fluctuations du temps. C’est dans ce contexte particulier que se distingue de plus en plus la famille des Médicis.</p>
<h2>L’ascension d’une famille</h2>
<p>Le premier membre d’importance de cette famille est Jean de Médicis (1360-1429). Travaillant au côté de son oncle Vieri, il prend la tête des affaires de sa famille en 1393, avant de fonder sa propre banque à Florence en 1397. La fameuse Banque des Médicis devient progressivement l’une des plus puissantes banques d’Italie et d’Europe. En bons Florentins, les Médicis prennent, comme de coutume, part à la chose publique. Marqués par le souvenir de leurs ancêtres – lors de la révolte des Ciompi de 1378, Salvestro de Médicis, un des leaders du Popolo (en somme, ceux qui ne sont pas nobles), a oeuvré en vain à établir un régime populaire par la force, jetant le déshonneur sur son nom – et sous l’impulsion de Jean, la famille va prudemment placer ses pions pour gagner de plus en plus de pouvoir.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/418469/original/file-20210830-15-h2arzm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418469/original/file-20210830-15-h2arzm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418469/original/file-20210830-15-h2arzm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418469/original/file-20210830-15-h2arzm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418469/original/file-20210830-15-h2arzm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418469/original/file-20210830-15-h2arzm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=996&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418469/original/file-20210830-15-h2arzm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=996&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418469/original/file-20210830-15-h2arzm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=996&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jean de Médicis, par Cristofano dell’Altissimo, 1565, Gallerie des Offices, Florence.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/33/Giovanni_di_Bicci_de%27_Medici.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
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<p>À cette époque, Florence est gouvernée de manière quasi oligarchique : une élite sociale, composée des anciennes lignées nobles et des familles ayant fait fortune, se partage hégémoniquement les charges publiques. Celles-ci sont fort nombreuses et chacune à un mode d’acquisition particulier (tirage au sort, vote, cooptation). Les rapports de pouvoir se font essentiellement via les relations nouées entre familles. Des partis informels se créent au gré des aspirations et des avantages promis. Le clan qui saura se constituer le plus grand « réseau d’amis » aura le plus de chance d’influer sur la République. Cette manière d’agir, loin de la flamboyance des révoltes ou des entreprises audacieuses, constitue un des particularismes de la politique florentine. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2014-6-page-1139.htm">L’influence devient le levier principal</a> permettant l’accomplissement de son ambition. Et à ce jeu, les Médicis n’auront – presque – pas d’équivalent. Cosme de Médicis (1389-1464), le fils de Jean, poussera la méthode à son plus haut degré.</p>
<h2>Elargir le cercle d’amis</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418473/original/file-20210830-21-yjo9nt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418473/original/file-20210830-21-yjo9nt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=808&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418473/original/file-20210830-21-yjo9nt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=808&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418473/original/file-20210830-21-yjo9nt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=808&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418473/original/file-20210830-21-yjo9nt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418473/original/file-20210830-21-yjo9nt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418473/original/file-20210830-21-yjo9nt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cosme l’Ancien, par Jacopo Pontormo, 1518, huile sur bois, 86 × 65 cm, Florence, Galerie des Offices.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cosme_de_M%C3%A9dicis">Wikimedia</a></span>
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<p>Suivant la voie tracée par son père, Cosme s’est évertué à consolider l’assise de sa famille auprès de la population de Florence, élargissant par ses libéralités son « cercle d’amis ». Intelligent, tempéré, prévenant auprès de tous ceux qui viennent requérir son aide, celui qui va devenir « le Père de la Patrie » use de la fortune de sa famille pour asseoir méthodiquement son emprise sur les institutions. Il devient par exemple l’un des plus grands mécènes d’art de son temps, faisant venir à Florence les plus prodigieux artistes ; il fait des dons à de nombreuses institutions (couvents, prieurés, académies) ou financent les études d’enfants de « ses amis » ; il organise défilés et spectacles pour ravir le peuple. En somme, il se sert de sa richesse pour gagner la reconnaissance du plus grand nombre.</p>
<p>Il sait pertinemment que le meilleur moyen d’échouer politiquement à Florence est d’exposer son ambition. Il se cache en conséquence derrière ses alliés, pesant de son poids pour que les organes de pouvoir soient toujours composés d’une majorité de ses partisans, choisissant tel prieur ou tel gonfalonier – qui détiennent le pouvoir exécutif de la ville.</p>
<p>En 1433, une cabale orchestrée par des grandes familles nobles – réticentes à voir les Médicis devenir si puissants – va presque abattre Cosme. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2014-6-page-1055.htm">Il parvient in extremis à être condamné à l’exil</a>. Néanmoins, dès l’année suivante, grâce à ses soutiens politiques et à sa manne financière, le chef des Médicis revient à Florence sous les hourras d’une foule qu’il a su conquérir. Toujours officiellement simple citoyen, il ne cessera jusqu’à sa mort, en 1464, d’être le dirigeant effectif de la puissante république de Toscane. Son influence est telle que le futur pape Pie II – alors archevêque de Sienne – déclare que Cosme <a href="https://www.numeriquepremium.com/content/books/9782235023085">« [« a »] toutes les attributions d’un roi, sans en avoir le nom »</a>.</p>
<h2>Une différence dans l’effectivité</h2>
<p>Les deux situations sont évidemment distantes, temporellement et dans l’effectivité de la chose. Les Médicis – Cosme à fortiori, mais ses descendants Pierre et Laurent également – ont usé de leur influence comme un moyen concret de prendre le pouvoir puis de le conserver. Nicolas Sarkozy s’efforce quant à lui de ne pas disparaître complètement de la scène politique.</p>
<p>L’ancien président a placé ses pions pour garder prise sur un jeu politique qu’il a <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/l-ombre-de-sarkozy-sur-les-nominations-au-sommet-de-l-etat-20200917">longtemps dominé</a>.</p>
<p>Il suffit de voir les membres du gouvernement d’Emmanuel Macron pour s’en rendre compte. Le ministère de l’Intérieur, service ô combien symbolique, n’est-il pas occupé par Gérald Darmanin, celui que Nicolas Sarkozy considère comme un <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/sarkozy-darmanin-une-relation-quasi-filiale-racontee-dans-un-livre-20190402">« fils spirituel »</a> ? Celui-là même qui <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/nicolas-sarkozy-condamne-gerald-darmanin-lui-apporte-son-soutien-et-se-fait-rabrouer-par-la-gauche_fr_603d3a2ac5b617a7e40fc53a">lui a apporté tout son soutien malgré sa condamnation</a> en première instance ? Quid du premier ministre Jean Castex, ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée de 2011 à 2012 ? Pour qui s’intéresse un peu à l’histoire de la Renaissance, l’accusation de népotisme qui toucha l’ancien Président en 2009, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2009/10/13/l-arrivee-de-jean-sarkozy-a-la-defense-provoque-un-tolle_1253322_823448.html">avec la proposition de nomination de son fils à la tête de l’EPAD</a>, a de quoi faire sourire. N’était-ce pas là le moyen privilégié des Grands pour s’assurer une gouvernance paisible ?</p>
<p>Dans tous les cas, Médicis et Sarkozy ont eu recours à ces méthodes pour ne pas être mis au ban des jeux de pouvoir. Une agglomération de talents a pu de cette manière se constituer autour d’eux, se révélant des liens solides pour ne jamais dépendre uniquement de leur seule fortune. L’influence semble sous cet angle demeurer une des clés de la vie politique, aussi importante que peut-être – surtout aujourd’hui – la captation des projecteurs. Les époques comme les régimes changent ; les hommes et leurs méthodes un peu moins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164745/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luca Cortinovis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les réseaux d'influence sont clefs en politique: des techniques nées à la Renaissance et amplement maîtrisées par nos contemporains.Luca Cortinovis, Doctorant, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1626902021-06-15T16:59:28Z2021-06-15T16:59:28ZPapacito ou comment les youtubeurs d’extrême droite gagnent leurs abonnés<p>La réaction de Jean‑Luc Mélenchon à la vidéo de Papacito – Ugo Gil Jimenez de son vrai nom – a donné une visibilité sans précédente à son auteur, le leader de la France Insoumise <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/jean-luc-melenchon-annonce-une-plainte-contre-papacito-youtubeur-dextreme-droite_fr_60be1bbde4b019366ad533da">ayant porté plainte</a>. Dans la vidéo désormais supprimée de YouTube, Papacito et Code-Reinho – un autre youtubeur spécialisé dans les armes à feu – tirent sur un mannequin habillé en « gaucho » tout en expliquant comment se procurer des armes légalement.</p>
<p>Beaucoup de citoyens ont alors découvert l’existence du personnage autant que de ses opinions. Si Papacito se présente dans une tribune vidéo de 40 minutes pour <em>Valeurs Actuelles</em> comme un « polémiste professionnel » et « humoriste », il affiche également sa sympathie à l’égard des idées de Jean‑Marie Le Pen et d’Éric Zemmour, une sympathie qui est d’ailleurs mutuelle pour ce dernier.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IncxoYScNk0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Malgré la controverse publique de ces derniers jours qui porte d’une part sur le caractère illégal ou non de la vidéo, et d’autre part sur la prétendue utilisation de cette vidéo à l’avantage de l’agenda politique de Jean‑Luc Mélenchon, il est intéressant de se pencher non sur la vidéo, mais sur le contexte général dans lequel elle est produite.</p>
<p>Il ne s’agit pas d’une vidéo isolée, d’un billet d’humour. La vidéo s’inscrit dans un projet politique que son auteur explicite dans d’autres interviews données pour <em>Valeurs actuelles</em> et <em>Boulevard Voltaire</em> : Papacito se présente comme un passeur d’idées qui cherche à populariser des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pDgHjC23jHw">idéologies d’extrême droite</a>. Il est un des acteurs les plus actifs d’un phénomène récent de popularisation sur les réseaux sociaux en général et YouTube en particulier d’idéologies antidémocratiques et illibérales autrefois cantonnées à des cercles restreints.</p>
<h2>Définir le phénomène : influenceurs d’extrême droite</h2>
<p>Dans le cadre de <a href="https://www.politics.ox.ac.uk/visitors/tristan-boursier.html">mes recherches</a>, j’observe depuis plus d’un an une vingtaine de chaînes YouTube qui développent des idées politiques d’extrême droite. J’étudie les contenus produits – l’évolution de leurs discours et de leur idéologie – mais aussi la croissance de leur nombre d’abonnés, de vues ainsi qu’une partie des interactions autour des vidéos générées par leurs auteurs sur Twitter.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406689/original/file-20210616-15-16eyvmg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406689/original/file-20210616-15-16eyvmg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406689/original/file-20210616-15-16eyvmg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406689/original/file-20210616-15-16eyvmg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406689/original/file-20210616-15-16eyvmg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406689/original/file-20210616-15-16eyvmg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406689/original/file-20210616-15-16eyvmg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nombre de vues de différentes chaînes YouTube proches de celle de Papacito.</span>
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<p>Les chaînes étudiées varient fortement en termes de visibilité. Les chaînes les plus vues cumulent depuis leur création entre 10 millions et 30 millions de vues. En termes d’abonnés, c’est-à-dire de personnes qui souhaitent être informées des activités de la chaîne en étant notifiées par YouTube, un petit groupe d’entre elles se situent entre 200 000 et 400 000 abonnés, la plupart dépassent péniblement les 50 000 abonnés. Seule exception notable, la chaîne du Raptor qui est la plus populaire avec plus de 700 000 abonnés. La chaîne principale de Papacito atteint 120 000 abonnés et plus de 2 millions de vues pour seulement quatre vidéos et trois ans d’existence.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406690/original/file-20210616-3808-1cb8k8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406690/original/file-20210616-3808-1cb8k8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406690/original/file-20210616-3808-1cb8k8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406690/original/file-20210616-3808-1cb8k8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406690/original/file-20210616-3808-1cb8k8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406690/original/file-20210616-3808-1cb8k8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406690/original/file-20210616-3808-1cb8k8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nombre d'abonnés de différentes chaînes YouTube proches de celle de Papacito.</span>
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<p>S’il n’existe pas de terme précis pour les désigner, il semble pertinent de parler d’influenceurs d’extrême droite.</p>
<p>Le terme est volontairement vague, car il tente de capter une activité qui consiste avant tout à influencer l’opinion publique et de populariser des idées hétéroclites. Si la plupart d’entre eux seraient d’accord pour se revendiquer de la droite et du conservatisme, des études approfondies, notamment celles de <a href="https://irisso.dauphine.fr/fr/membres/detail-cv/profile/samuel-bouron.html">Samuel Bouron</a> <a href="https://vimeo.com/480311060">Benjamin Tainturier</a> et d’<a href="https://oxford.academia.edu/EveGianoncelli">Eve Gianoncelli</a>, tous trois chercheurs à Sciences Po, permettent de faire des distinctions plus fines en précisant la diversité de leurs projets politiques qui mélangent de façon pas toujours cohérente et à différents degrés des messages suprémacistes blancs, masculinistes, mais aussi pour certains qui apparaissent clairement racistes et fascistes.</p>
<p>Le terme fasciste est souvent utilisé à outrance pour désigner ces acteurs. Des controverses académiques existent par ailleurs sur la pertinence de son emploi pour désigner des <a href="http://cqfd-journal.org/Le-fascisme-a-mute">phénomènes contemporains</a>. Il est donc important de préciser ce qu’il désigne ici. La définition de <a href="https://1lib.fr/book/2495339/3cbb39?id=2495339&secret=3cbb39">Roger Griffin</a> permet le mieux de comprendre les discours observés récemment sur Internet.</p>
<p>Pour l’historien et politologue oxonien, l’idéologie fasciste se présente comme une solution à « la décadence » provoquée par la démocratie libérale et le communisme. Aujourd’hui il s’agit du « gauchisme » en général – qu’il faut éradiquer à travers la <a href="https://www.routledge.com/The-Nature-of-Fascism/Griffin/p/book/9780415096614">mobilisation de masse, le nettoyage national et la renaissance nationale</a>. Le nettoyage national réfère ici à l’idée que le corps de la nation aurait été rendu impure par des « parasites ». Pour les influenceurs étudiés, il s’agit principalement des immigrés, des musulmans, des féministes et des militants de gauche. <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/586030/how-fascism-works-by-jason-stanley/">Des études plus récentes</a> permettent de montrer en quoi il existe une rhétorique fasciste propre à certains discours contemporains diffusés sur Internet.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1396448192041033728"}"></div></p>
<h2>Devenir populaire sans perdre en radicalité et en cohérence</h2>
<p>Le message fasciste n’est pas toujours clairement identifiable et des désaccords existent parmi les influenceurs étudiés. Par exemple, Papacito tend à critiquer les ethno-racialistes (représentés en France par certains groupes suprémacistes blancs comme « Belvedere : État blanc ») en rappelant qu’après la Première Guerre mondiale le peuple français a subi « une sélection génétique des faibles » allant ainsi à l’encontre du darwinisme social. Il se dit donc plus attentif à l’apport d’élément extraeuropéen pour « raffermir le peuple français ».</p>
<p>Si l’appropriation d’internet par <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/la-fachosphere-comment-lextreme-droite-remporte-la-bataille-du-net">l’extrême droite n’est pas nouvelle</a>, elle était jusqu’à présent cantonnée à des sites dédiés – tels que <a href="http://fdesouche.fr">fdesouche.fr</a>. L’enjeu est donc pour ces influenceurs de réussir à faire passer un message suffisamment cohérent sur le plan idéologique pour convaincre, sans pour autant prendre des positions trop radicales sur des sujets clivants au sein même de l’extrême droite.</p>
<p>Les influenceurs vont alors se répartir l’effort de propagation des idées dans un esprit gramscien : d’un côté des influenceurs idéologues, comme Julien Rochedy, qui développe des messages antiféministes et suprémacistes blancs <a href="https://theconversation.com/le-message-supremaciste-blanc-en-france-un-nouveau-discours-et-de-nouveaux-outils-de-diffusion-153988">sophistiqués</a>, et de l’autre, des influenceurs passeurs d’idée comme Papacito, qui cherchent à capter le plus grand nombre pour ensuite les rediriger vers les idéologues.</p>
<p>Cette stratégie semble payante puisque durant la seule année dernière, la plupart des chaines ont ainsi doublé leur nombre d’abonnés et pour certaines, l’ont triplé. En parallèle à YouTube, ces influenceurs tirent parti de Telegram et de Signal pour diffuser leurs idées les plus extrêmes sans tomber sous le coup de la loi. Ces réseaux également plébiscités par les <a href="https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/9861">réseaux terroristes islamiques</a>, permettent d’échanger des messages de façon cryptée et à un public choisi.</p>
<p>Les vidéos YouTube constituent ainsi une vitrine qui permet ensuite de diriger le spectateur vers ces plates-formes plus discrètes où le message diffusé est bien plus radical car il n’est pas aussi contrôlé que sur YouTube.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406506/original/file-20210615-13-1pnstli.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406506/original/file-20210615-13-1pnstli.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406506/original/file-20210615-13-1pnstli.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406506/original/file-20210615-13-1pnstli.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406506/original/file-20210615-13-1pnstli.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406506/original/file-20210615-13-1pnstli.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406506/original/file-20210615-13-1pnstli.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans ses « Entretiens chocs », Papacito utilise l’actualité et l’humour comme support à un message viriliste et conservateur.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=9Dm8Ezsj2Ys&t=1s&ab_channel=PAPACITO">Papacito/YouTube</a></span>
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<h2>Un projet politique nourri par des sources idéologiques variées</h2>
<p>Les influenceurs d’extrême droite développent des stratégies rhétoriques efficaces et sophistiquées afin de faire passer un message qui bien souvent est à la limite de ce qui est autorisé dans le cadre de la loi française.</p>
<p>Ainsi, régulièrement, certains d’entre eux vont parler indirectement de race en faisant des allers-retours entre différentes catégories vagues qui désignent les blancs – occidentaux, européens, Français « profonds » – et celles qui désignent les non-blancs en ironisant sur la rhétorique libérale multiculturelle – par exemple <a href="https://www.youtube.com/watch?v=mx2SwlCf5hk">« chances pour la France »</a> pour désigner les immigrés extra-européens.</p>
<p>Bien qu’ayant une posture de passeur d’idées, Papacito développe un projet politique précis : anti-républicain, royaliste, masculiniste et qui rejoint un certain nombre de caractéristiques propres aux franges les plus radicales de l’extrême droite tel que l’opposition à l’État de droit et la promotion de la violence. Sa pensée est basée en partie sur des références à la mode depuis une dizaine d’années à l’extrême droite : la figure du surhomme chez <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/07255136211005989">Nietzsche</a>, le concept d’hégémonie culturelle du philosophe de gauche <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2017-1-page-128.htm">Antonio Gramsci</a> et l’idée de grand remplacement de <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2020-1-page-50.htm">Renaud Camus</a>.</p>
<p>Sa pensée n’est pas toujours cohérente, ce qui constitue un atout pour lui, car cette flexibilité idéologique lui permet de convaincre une plus grande audience. Ainsi, si Papacito admire l’autoritarisme illibéral de Franco, l’idée d’État libertarien – avec un État minimal qui laisse les citoyens posséder des armes et s’en servir librement dans leur propriété – ne lui parait pas mauvaise.</p>
<p>Sa rhétorique est construite autour d’un champ lexical guerrier : les adversaires politiques sont des ennemis et leurs alliés sont des collabos. Il fait régulièrement référence à la guerre civile et à la figure de l’épuration d’après-guerre. Lorsqu’un membre de <em>Valeurs Actuelles</em> l’interroge sur l’État de ses rêves, il évoque l’idée de cellules afin de « purger les collabos », puis l’importance de « désinfecter le corps français » avec des camps de rééducation basée sur une « pédagogie carcérale ».</p>
<p>La dimension masculiniste est également omniprésente. Il décrit la République française comme ayant été fondé par des « fils de putes » buvant des « thés de folles » en collants et rubans. À l’inverse de la royauté qui a pour lui été inventée par de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vaWlDNdiMk4">« gros rois germains avec des glaives d’un mètre »</a>.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CObtJW7n8jj","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>Un phénomène difficile à étudier</h2>
<p>Il est important, en tant que chercheur, de considérer avec sérieux ce phénomène qui tend à développer un discours structuré, argumenté qui possède ses propres références idéologiques. Il ne faut pas tomber dans la tentation de décrédibiliser ces discours, mais essayer de les caractériser et de comprendre la spécificité du projet politique qu’ils portent. Il est ainsi important de ne pas seulement considérer ce phénomène sous le <a href="https://editions.flammarion.com/la-fachosphere/9782081354906">prisme des mouvements sociaux</a> ou avec des <a href="https://www.routledge.com/The-Discourse-of-YouTube-Multimodal-Text-in-a-Global-Context/Benson/p/book/9780367366339">outils quantitatifs</a> comme le fait déjà la littérature académique contemporaine, mais il est également important de l’aborder avec les outils de la théorie politique et de l’étude des idéologies.</p>
<p>Pour autant, il ne s’agit pas non plus d’accorder à ce phénomène plus de place que ce qu’il n’a déjà, et de ne pas contribuer à la diffusion de ces idées qui ne sont pas seulement des opinions, mais parfois des délits au regard de la loi lorsqu’elles incitent à la haine raciale ou au crime.</p>
<p>Il ne faut pas oublier que ces discours restent minoritaires dans l’opinion publique bien que le contexte politique général français et européen <a href="https://www.fondapol.org/etude/la-conversion-des-europeens-aux-valeurs-de-droite/">voit la droite et l’extrême droite institutionnelle gagner du terrain</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tristan Boursier reçois des financements du Fonds de recherche du Québec dans le cadre de sa thèse.</span></em></p>Avec la controverse publique causée par la vidéo du youtubeur Papacito, il est intéressant de se pencher non sur la vidéo, mais sur le contexte général dans lequel elle est produite.Tristan Boursier, Doctorant en Science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1614702021-05-27T18:22:59Z2021-05-27T18:22:59ZDébat : Le politique et l’influenceur, une alliance gagnant-gagnant ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/402716/original/file-20210525-15-gi2e65.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C5%2C1914%2C1072&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron avec Mcfly et Carlito lors du « Concours d’anecdotes » </span> <span class="attribution"><span class="source">Chaîne YouTube de Mcfly et Carlito</span></span></figcaption></figure><p>Après plus de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IX_HdFFjSGs">trois mois de teasing</a>, la fameuse vidéo du « Concours d’Anecdotes » des youtubeurs Mcfly et Carlito avec le président de la République est sortie le dimanche 23 mai à 10h. Pour la neuvième édition de ce concours, Emmanuel Macron a accepté de se prêter au jeu pour récompenser les efforts de Mcfly et Carlito qui ont relevé son défi : créer une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=t4h8j9xLyxQ">chanson sur les gestes barrières</a> pour lutter contre la pandémie de Covid-19. L’objectif des 10 millions de visualisations a été atteint en 3 jours et le président a donc tenu sa promesse de les inviter pour tourner une vidéo à l’Élysée en sa présence.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/neqCdyadqFA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La vidéo du « Concours d’anecdotes » de Mcfly et Carlito contre le président de la République.</span></figcaption>
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<p>La vidéo a atteint 6 millions de vues en 12 heures et plus de 10 millions en 2 jours. Positionnée durablement en tête des tendances de YouTube France, c’est donc un succès incontestable en termes d’audience. <a href="https://www.nrj.fr/actus/mcfly-carlito-avec-emmanuel-macron-les-moments-les-plus-improbables-de-la-video-71354051">Le côté invraisemblable de ce divertissement</a> est ce qui a le plus interloqué et fait rire les internautes : voir ces deux trublions incontrôlables à l’humour potache et absurde face à un président maniaque du contrôle issu des élites politico-économiques est pour le moins cocasse. Évidemment, la démarche d’Emmanuel Macron n’a rien d’innocent, mais elle n’est pas non plus si surprenante ou innovante que cela. Elle n’est pas sans risques non plus.</p>
<h2>Une vidéo qui fait le buzz</h2>
<p>Mcfly et Carlito animent la 9<sup>e</sup> plus grande chaîne YouTube française (hors musique) avec 6,61 millions de fidèles abonnés. <a href="https://theconversation.com/les-youtubeurs-stars-des-entrepreneurs-creatifs-et-innovants-145512">Ces entrepreneurs créatifs et innovants</a> cumulent un 1,5 milliards de vues et sont devenus des stars avec leurs vidéos de défis improbables, de clips parodiques et de concepts cultes comme « YouTube Warriors », « Méli-Mélo », « On appelle des gens au hasard », « Mario Carte Bleue », et donc le fameux « Concours d’Anecdotes ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-youtubeurs-stars-des-entrepreneurs-creatifs-et-innovants-145512">Les youtubeurs stars : des entrepreneurs créatifs et innovants</a>
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<p>Le 2 avril 2020, en plein confinement, Mcfly et Carlito avaient passé la journée chacun chez lui, mais réunis par la vidéo avec de nombreux invités venus faire des happenings en direct sur YouTube. Ils avaient réussi à <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-les-youtubeurs-mcfly-et-carlito-recoltent-400-000-euros-de-dons-pour-les-soignants_3897863.html">récolter 404 000 euros au profit des hôpitaux de Paris</a> dans le cadre de la lutte contre la pandémie. <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/macron-felicite-mcfly-carlito-pour-leur-aide-aux-hopitaux_fr_5e8606dfc5b6f55ebf499677">Emmanuel Macron les avait remerciés</a> sur le chat au cours de l’événement, à la grande surprise des deux comparses.</p>
<p>Le 4 février 2021, alors que le président de la République fait tout pour éviter un troisième confinement, le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IX_HdFFjSGs">responsable de la communication digitale de l’Élysée contacte Mcfly et Carlito</a> pour leur dire qu’Emmanuel Macron a enregistré une vidéo pour leur lancer un défi : écrire une chanson sur les gestes barrières. « Faites une vidéo pour réexpliquer ces gestes, l’importance de les respecter, de ne pas nous rassembler, de ne prendre aucun risque, de ne pas avoir de grand regroupement, faire au maximum le télétravail. Faites cette vidéo toute simple et si vous avez 10 millions de vues, je prends un engagement : vous venez tourner à l’Élysée ».</p>
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<figcaption><span class="caption">La chanson « Je me souviens (des gestes barrières) » de Mcfly et Carlito.</span></figcaption>
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<p>Même s’ils peuvent être amenés à utiliser occasionnellement leur notoriété pour défendre certaines causes, comme ce fut le cas pour le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hLq-DMPwHy8">« Maradon »</a>, Mcfly et Carlito ne se revendiquent pas comme des influenceurs, et ils ne le sont pas plus que n’importe quel artiste ou présentateur qui a de l’influence, mais dont ce n’est pas le métier. Ce sont des créateurs de contenus de divertissement, des animateurs de radio et de <a href="https://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/tmc-qui-sont-mcfly-carlito_57cad1ea-56e8-11ea-b68e-c494a10977e5/">télévision</a>, et des humoristes, mais pas des influenceurs professionnels. Par ailleurs, ils ont exprimé à plusieurs reprises leurs réserves et leurs hésitations, et expliqué être complètement conscients du risque d’être perçus comme faisant la promotion des idées politiques du président de la République.</p>
<p>Carlito précise d’ailleurs bien à plusieurs reprises que, de son point de vue, <a href="https://www.rollingstone.fr/cest-arrive-ultra-vomit-en-live-dans-le-jardin-de-lelysee/amp/">cette vidéo n’a pas été tournée dans un but politique</a> : « vous ne votez pas pour quelqu’un parce qu’il vous semble sympathique », dit-il. Mcfly et Carlito ont respecté leur format et ont eu le même comportement qu’apprécient leurs fans. Ceux-ci ont d’ailleurs été très positifs dans les commentaires et n’ont pas relevé de flatterie, de complaisance ou de trucage, mais au contraire une certaine insolence et irrévérence vis-à-vis du chef de l’État. Les voir aussi naturels et détendus en pareille situation a majoritairement ravi leurs abonnés.</p>
<p>C’est aussi ce que <a href="https://www.ozap.com/actu/-ils-ont-fait-un-super-boulot-bruce-toussaint-salue-la-prestation-de-mcfly-et-carlito-face-a-emmanuel-macron/604854">souligne Bruce Toussaint sur BFMTV</a> : « je trouve que les deux ont fait un super boulot, qu’ils sont formidables dans leur façon de rester eux-mêmes dans une séquence tellement difficile, où on est écrasé par les dorures, le palais et le président lui-même ». Si certains affirment que la vidéo peut être considérée comme un <a href="https://www.nrj.fr/amp/mcfly-carlito-avec-emmanuel-macron-les-moments-les-plus-improbables-de-la-video-71354051">triomphe</a> et un <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/macron-contre-mcfly-et-carlito-match-nul-et-deux-gagnants-23-05-2021-I3L2H7OL7ZG7NGNVV3E4UIGWTU.php">coup de maître</a> pour les deux parties impliquées, d’autres, plus dubitatifs, n’y voient rien de très nouveau.</p>
<h2>Une démarche pas vraiment originale</h2>
<p>Le fait de vouloir casser les codes de la <a href="https://books.google.com.br/books?hl=fr&lr=&id=jcKEDwAAQBAJ">communication politique traditionnelle</a> et de vouloir cibler les jeunes en jouant sur la forme plus que sur le fond n’est pas très original. C’est même une pratique assez banale. Début 2017, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/medias/interview-d-hollande-sur-konbini-le-site-lol-s-immisce-dans-le-debat-politique_1898183.html">François Hollande donne une interview décalée au média en ligne Konbini</a>, plébiscité par les jeunes de moins de 20 ans. Son conseiller en communication, l’omniprésent Gaspard Gantzer, explique que <a href="https://journals.openedition.org/sds/7300">« le quinquennat de François Hollande aura été un véritable laboratoire pour la communication numérique dans le champ politique »</a>.</p>
<p>Le 9 octobre 2016, M6 diffuse l’émission « Une Ambition intime » dont l’invité est Nicolas Sarkozy. Karine Le Marchand y évoque « l’énergie légendaire » de son invité, ainsi qu’un « trait de caractère bluffant » – son pouvoir de persuasion – le tout installée avec le président dans un canapé posé dans un salon de style haussmannien. Tout est fait pour que Nicolas Sarkozy fasse des confidences personnelles et <a href="https://www.challenges.fr/politique/sarkozy-et-le-pen-a-ambition-intime-un-pur-moment-de-verite-politique_432133">paraisse le plus aimable possible</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’émission <em>Une Ambition intime</em> avec Nicolas Sarkozy.</span></figcaption>
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<p>Le 14 avril 2005, Jacques Chirac est interrogé dans la salle des fêtes de l’Élysée par un groupe de 83 jeunes de 18 à 30 ans dans l’émission <a href="http://www.jacqueschirac-asso.fr/archives-elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/dialogues_et_debats/2005/fi001111.html"><em>Référendum : en direct avec le président</em></a>, présentée par Patrick Poivre d’Arvor, Marc-Olivier Fogiel et Jean‑Luc Delarue et diffusée sur TF1. Une « confusion entre débat et spectacle » est dénoncée par les journalistes. Cet événement organisé par Claude Chirac, la fille du président en charge de sa communication, sera plus tard analysé comme un échec total, la popularité du président s’étant fortement dégradée, et l’opposition à la constitution européenne en sortant renforcée.</p>
<p>Même <a href="https://www.ina.fr/video/I08091317">François Mitterrand avait voulu parler jeune et paraître « chébran »</a> le 28 avril 1985 lors d’une célèbre interview au cours de laquelle Yves Mourousi l’interroge sur certaines expressions et références de la jeunesse de l’époque. Valéry Giscard d’Estaing tentait déjà de séduire les électeurs avec un style qui se voulait jeune et moderne, très différent de ses prédécesseurs. </p>
<p>Une fois élu président, le 24 décembre 1974, il invitera des éboueurs à prendre le petit-déjeuner avec lui, séquence évidemment mise en scène et filmée. Puis il prendra l’habitude d’aller avec son épouse déjeuner une fois par mois chez une famille française pour « regarder la France au fond des yeux », ce qui sera considéré par la suite comme la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-ephemeride/22-janvier-1975-valery-et-anne-aymone-dinent-chez-des-francais-ordinaires_1770287.html">première expérimentation de la télé-réalité par la communication politique</a>. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui abaissera l’âge légal de la majorité de 21 à 18 ans, faisant de la jeunesse un enjeu électoral.</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment Valéry Giscard d’Estaing a bousculé les codes de la communication politique.</span></figcaption>
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<h2>Une opportunité réciproque</h2>
<p>La réunion d’Emmanuel Macron et de Mcfly et Carlito s’inscrit <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2017-3-page-283.htm">dans la continuité de ces tentatives souvent ratées</a> de séduire les jeunes et d’avoir une communication décalée et impactante. S’associer à des humoristes particulièrement bienveillants et non politisés est le meilleur moyen de toucher un public le plus large et le plus divers possible. <a href="https://www.europe1.fr/politique/un-psy-analyse-la-personnalite-demmanuel-macron-deux-ans-de-presidence-ont-transforme-un-ado-tout-feu-tout-flamme-en-quelquun-qui-sest-aguerri-3899089">Le narcissisme et le désir de séduction du président</a> peuvent s’exprimer pleinement dans la compétition du « Concours d’Anecdotes » qui correspond bien à son caractère conquérant.</p>
<p>Pour Mcfly et Carlito, c’est une incroyable aubaine. Après avoir eu comme adversaires Michaël Youn et Vincent Desagnat, Guillaume Canet et Gilles Lellouche, Bigflo et Oli, Philippe Lacheau et Tarek Boudali, Éric et Ramzy, Dany Boon et Philippe Katerine, puis David Guetta, comment aller encore plus loin dans ce concours d’anecdotes ? Après avoir <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/youtube/mcfly-et-carlito-qui-sont-ces-deux-youtubeurs-qui-ont-releve-le-defi-d-emmanuel-macron_4306999.html">reçu des célébrités</a> telles que Gad Elmaleh, Omar Sy, ou Will Smith, quelle « guest star » pouvait impressionner la communauté qui suit les aventures des deux acolytes depuis des années ? Évidemment, l’opportunité de faire une vidéo avec le Chef de l’État lui-même était inespérée.</p>
<p>Il serait faux de penser que les influenceurs seraient les idiots utiles des politiques, et dans ce cas, du président. En effet, <a href="https://dial.uclouvain.be/downloader/downloader.php?pid=thesis%3A24491&datastream=PDF_01&cover=cover-mem">ce métier est aujourd’hui exercé par des professionnels</a> qui savent très bien ce qu’ils font. Ils sont généralement encadrés par une équipe de production et par des conseillers, quand ils ne travaillent pas directement pour une agence qui gère leur carrière et les guide dans leurs choix. Les risques sont évalués et tout est scénarisé, mis en scène, tourné, puis monté, pour ne garder que ce qui correspond à l’image et aux messages souhaités.</p>
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<figcaption><span class="caption">Johanna Lifschutz, fondatrice de l’agence d’influence digitale J-LINK, raconte son parcours et sa formation.</span></figcaption>
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<p>Les Français ne sont pas dupes, et encore moins les jeunes, qui savent parfaitement reconnaître un placement de produit, même quand ce produit est un président. Ici, la stratégie de communication n’est pas non plus d’une très grande subtilité : Emmanuel Macron qui a <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/emmanuel-macron-ou-le-mepris-du-premier-de-la-classe">pu paraître méprisant et antipathique</a> depuis le début de son mandat s’invite dans un des concepts les plus puissants et populaires de YouTube pour redorer son image.</p>
<h2>Une bascule numérique qui s’amplifie</h2>
<p>L’utilisation de plates-formes numériques et de modes de communication plus directs et orientés vers la jeunesse est forcément amenée à se développer puisque les jeunes <a href="http://dante.univ-tlse2.fr/10800/">utilisent de moins en moins les médias traditionnels</a>, presse, radio et télévision. Beaucoup ne vont même plus sur YouTube. Les conseillers en communication accompagnent les évolutions de l’audiovisuel et les modes de représentation des politiques.</p>
<p>Aux États-Unis, l’ancien président Donald Trump cherchait en permanence à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/2056305118776010">fuir et discréditer ce qu’il nomme les « fake news media », faisant de Twitter son mode de communication privilégié</a>, avant d’en être banni. Il a bénéficié du <a href="https://www.newsweek.com/jake-paul-facetimes-donald-trump-lists-top-achievements-1588748">soutien d’influenceurs comme Jake Paul</a> et ses 15 millions de followers sur Instagram et 20 millions d’abonnés sur YouTube. Deux semaines avant les dernières élections présidentielles américaines, <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/10/21/apres-l-incursion-de-joe-biden-dans-animal-crossing-alexandria-ocasio-cortez-triomphe-sur-twitch_6056869_4408996.html">Alexandria Ocasio-Cortez a joué à <em>Among Us</em> en live sur Twitch</a> devant 430 000 personnes, soit la troisième plus grosse audience de l’histoire de la plate-forme. Cette initiative de l’élue démocrate très populaire sur les réseaux sociaux avait pour but d’appeler les jeunes à aller voter et à inciter ceux qui les entourent à le faire.</p>
<p>En France, le 8 mars 2021, <a href="https://www.ladepeche.fr/2021/03/09/francois-hollande-invite-par-samuel-etienne-sur-twitch-mon-plus-grand-regret-cest-de-ne-pas-metre-represente-en-2017-9416476.php">François Hollande est interviewé par Samuel Étienne sur Twitch</a> au cours du deuxième « stream » le plus regardé au monde ce jour-là. Il expliquera que son plus grand regret est de ne pas s’être représenté à la Présidence de la République en 2017. Le gouvernement investit lui aussi la plate-forme principalement utilisée pour le gaming et fréquentée par un public très jeune : <a href="https://www.therollingnotes.com/2021/03/22/twitch/">20 % d’adolescents et 50 % de jeunes adultes de moins de 34 ans</a>. Le 24 février 2021, le <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/pourquoi-le-marketing-d-influence-investit-la-communication-politique-879504.html">porte-parole du gouvernement Gabriel Attal y anime l’émission mensuelle #SansFiltre</a> en direct depuis l’Élysée en présence de cinq jeunes dont l’influenceuse EnjoyPhoenix. Le 14 mars 2021, Samuel Étienne recevra également sur Twitch <a href="https://www.franceinter.fr/societe/twitch-invite-sur-la-chaine-de-samuel-etienne-jean-castex-fait-du-jean-castex">Jean Castex qui n’a pas réussi à convaincre le jeune public</a> lors de sa prestation au sujet de la crise sanitaire.</p>
<p>Dans le domaine de la communication politique numérique, Jean‑Luc Mélenchon est très en avance et particulièrement actif depuis 2016. Sur <a href="https://www.youtube.com/user/PlaceauPeuple">sa chaîne YouTube</a> qui rassemble plus de 520 000 abonnés, il diffuse ses interventions dans les médias et à l’Assemblée nationale ainsi que ses « Revue de la semaine » dont il a déjà atteint 138 numéros. Il est également <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/08/07/de-twich-a-tiktok-melenchon-seduit-sur-les-reseaux-sociaux_6048333_823448.html">présent sur TikTok et sur Twitch</a> où il a animé plusieurs directs pour répondre aux questions des jeunes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean‑Luc Mélenchon invite les jeunes à twitcher et répond à leur questions en live.</span></figcaption>
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<h2>Une démarche en apparence payante</h2>
<p>Si une partie de la presse salue une opération de communication efficace, un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/05/24/macron-face-aux-youtubeurs-mcfly-et-carlito-disruption-ou-depolitisation_6081309_823448.html">joli coup marketing</a>, et une <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20210524.OBS44392/emmanuel-macron-ou-la-ruse-du-youtubeur-politique.html">stratégie médiatique habile</a>, la prise de risque est aussi perçue comme inquiétante, déraisonnable voire même puérile. Certes, le président de la République semble avoir bien maîtrisé les codes de ce genre de vidéos : il s’est montré à l’aise, spontané, plein d’autodérision et de répartie, souriant et charmant, dégageant de la sympathie et de la convivialité, et faisant preuve d’un certain humour, ce qui est le but principal d’un tel divertissement. Mais tout cela ne <a href="http://www.slate.fr/story/209579/president-macron-mcfly-carlito-youtubeurs-youtube-concours-anecdotes-devalorisation-fonction-lieu-pouvoir">dessert-il pas la fonction présidentielle</a> et ne le décrédibilise-t-il pas dans son rôle ?</p>
<p>Certains analystes politiques voient dans la prestation du président de la République une forme de déclin et l’ultime étape de la désacralisation de sa fonction. Selon <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/philippe-de-villiers-mcfly-et-carlito-les-pitreries-d-etat-d-emmanuel-macron-20210525">Philippe de Villiers</a> : « Emmanuel Macron, avec les youtubeurs Mcfly et Carlito, s’est livré à un exercice honteux d’infantilisation à l’Élysée. Il déshonore la fonction. C’est le pitre de la République ». <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/yannick-jadot/yannick-jadot-tacle-emmanuel-macron-apres-sa-video-avec-mcfly-et-carlito-099221ca-bbd4-11eb-9106-d3785ca1c775">Yannick Jadot n’est pas non plus convaincu que les jeunes apprécient</a> : « Ce n’est pas en faisant des clips d’influenceurs qu’on va les aider ni dans leurs difficultés sociales, ni dans leurs aspirations ». Pour <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/emmanuel-macron-mcfly-et-carlito-une-video-qui-ne-fait-honneur-ni-a-la-politique-ni-aux-influenceurs-ni-a-la-jeunesse-20210523">l’analyste politique Mathieu Slama</a>, « Considérer qu’il n’y a que de cette façon qu’on peut toucher la jeunesse, c’est d’une certaine manière exprimer à l’égard de la jeunesse une forme de mépris ».</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/03/15/la-jeunesse-obsession-d-emmanuel-macron_6073136_823448.html">La jeunesse apparaît comme une obsession pour Emmanuel Macron</a>. Ces derniers jours, il semble vouloir leur faire oublier un an et demi de privations, les jeunes ayant été les <a href="https://savoirs.rfi.fr/fr/comprendre-enrichir/sante/les-jeunes-sont-ils-les-victimes-collaterales-du-coronavirus">victimes collatérales de la crise sanitaire</a>. La semaine de la sortie de cette vidéo, grâce à la deuxième étape du déconfinement, les jeunes pouvaient enfin se retrouver sur les terrasses des bars et des restaurants, dans les cinémas et les salles de spectacle.</p>
<p>Toujours la même semaine, Cyril Hanouna a consacré une émission entière au dispositif <a href="https://www.cnews.fr/divertissement/2021-05-21/1-jeune-1-solution-cyril-hanouna-recoit-ce-vendredi-la-ministre-du-travail">« 1 jeune 1 solution »</a> en présence de la ministre du Travail, Élisabeth Borne. 800 000 jeunes de 18 ans ont également appris qu’ils avaient le droit à <a href="https://pass.culture.fr/">300 euros de Pass Culture</a> à utiliser pour l’achat de produits ou d’activités culturels. Simultanément, le <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/ces-stories-instagram-de-macron-sur-le-pass-culture-ne-sont-pas-passees-inapercues_fr_60a79d03e4b0a2568311b995">président a multiplié les tweets et les « stories » Instagram</a> avec des références culturelles destinées aux jeunes. Cette conjonction d’événements révèle une offensive massive pour reconquérir cet électorat qui a tendance à s’abstenir ou à voter pour les extrêmes.</p>
<p>Quant à la fin de la vidéo, Emmanuel Macron dit la phrase de conclusion rituelle des vidéos de Mcfly et Carlito « souscrivez à un abonnement », on ne peut s’empêcher de se demander si ce n’est pas à lui qu’il souhaite que l’on s’abonne, en le réélisant président de la République en 2022.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161470/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le président de la République s’invite sur une des chaînes les plus puissantes et populaires de YouTube pour redorer son image auprès des jeunes. Une démarche risquée destinée à faire le buzz.Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1575422021-03-24T19:31:06Z2021-03-24T19:31:06ZSteve Jobs, Christian Dior… À la rencontre des fantômes qui hantent les entreprises<p>En 2011, le monde apprend le décès de l’iconique Steve Jobs. Il laisse derrière lui un véritable empire, fortement marqué de son empreinte. La maladie l’avait contraint à se retirer progressivement de l’entreprise, mais son influence restait extrêmement forte et son absence palpable. Trois ans plus tard, en 2014, Yukari Kane publiait un livre sur Apple intitulé <a href="http://www.harperbusiness.com/book/9780062128256/Haunted-Empire-Yukari-Iwatani-Kane/">« L’empire hanté »</a>. Selon cette ancienne journaliste du <em>Wall Street Journal</em>, la figure du fondateur était encore omniprésente dans l’entreprise.</p>
<p>Tim Cook, l’actuel et très rationnel PDG, <a href="https://www.wired.com/story/apple-infinite-loop-oral-history/">déclarait en 2018</a> à un journaliste de <em>Wired</em> qu’il lui était impossible de s’installer dans le bureau de Jobs après sa mort. Personne d’autre ne s’y serait d’ailleurs tenté. Aujourd’hui encore, le bureau est intact : fauteuils, bibliothèque, tableau blanc annoté.</p>
<p>Le PDG d’Apple témoignait :</p>
<blockquote>
<p>« On peut encore y sentir sa présence […] des gens vont au cimetière pour penser à quelqu’un […] moi je vais dans son bureau. »</p>
</blockquote>
<p>Tim Cook révèle ici un penchant étonnement mystique et soulève notre interrogation : Comment l’influence d’un défunt peut-elle se traduire dans une entreprise ? Et plus généralement, quels effets concrets un acteur absent peut-il avoir sur une organisation ? Ce sont les questions auxquelles nous avons cherché à répondre dans un <a href="https://rfg.revuesonline.com/articles/lvrfg/abs/2019/06/rfg00358/rfg00358.html">article</a> académique publié dans la <em>Revue française de gestion</em>.</p>
<h2>Les fantômes existent</h2>
<p>Pour répondre à ces interrogations, il faut commencer par faire un pas de côté par rapport aux approches très rationnelles des organisations. Car le cas d’Apple n’a rien d’exceptionnel et nous connaissons tous ces situations où une personne absente conserve une influence sur le quotidien d’une entreprise. Nous en sommes donc arrivés à un premier constat quelque peu contre-intuitif : les fantômes existent et peuplent bel et bien les organisations.</p>
<p>Naturellement, nous ne parlons pas ici des formes flottantes et translucides, couvertes d’un drap blanc. Ce que nous appelons fantômes organisationnels correspond aux acteurs et figures qui, bien que physiquement absents, ont des manifestations et des impacts concrets sur la vie des organisations. Ce faisant, nous nous inscrivons dans un courant en sciences sociales de plus en plus important ces vingt dernières années : le <a href="https://www.bloomsbury.com/us/the-spectralities-reader-9781441138606/">tournant spectral</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uksE9lJHH7I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tim Cook à propos de Steve Jobs : « son bureau est resté comme il était » (Bloomberg, 2014).</span></figcaption>
</figure>
<p>Reconnaissons donc que nos vies quotidiennes, organisationnelles comme sociales, ne sont pas limitées à des interactions et collaborations matérielles, entre acteurs physiquement présents. Le passé et l’histoire, les nôtres comme ceux de notre entreprise, restent souvent présents, voire obsédants, dans notre quotidien. Il arrive ainsi qu’un acteur organisationnel se manifeste justement par son absence : un bureau vide, une anecdote chuchotée… comme un fantôme qui hanterait les couloirs de l’organisation.</p>
<p>Nous avons identifié deux principaux types de fantômes dans les sciences sociales : les revenants épistémiques et de spectres éthiques.</p>
<h2>Les deux types de fantômes</h2>
<p>Les psychanalystes ont très tôt été confrontés à des patients hantés par des fantômes qui revenaient sans cesse. Dans leur très bel ouvrage publié en 1987, <a href="https://editions.flammarion.com/l-ecorce-et-le-noyau/9782082125055"><em>L’écorce et le noyau</em></a>, Nicolas Abraham et Maria Torok ont appelé fantôme « ce travail dans l’inconscient du secret inavouable d’un autre ».</p>
<p>En psychanalyse, on parlera donc de revenant, une figure étrangère qui revient sans cesse et qui est porteuse d’un secret. Et pour s’en soigner, il faudra réussir à accueillir ce dernier, le faire sortir de sa crypte : le dé-crypter. Accepter sa révélation permet alors « l’éjection de ce bizarre corps étranger ». Puisqu’il faut convertir son secret en connaissance, nous disons que le revenant est épistémique.</p>
<p>La seconde figure vient de celui qui domine très largement le tournant spectral aujourd’hui : le philosophe français Jacques Derrida. Dans son ouvrage <a href="http://www.editions-galilee.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=2777"><em>Spectres de Marx</em></a>, publié en 1993, Derrida réfute l’idée du fantôme comme objet épistémique :</p>
<blockquote>
<p>« C’est quelque chose qu’on ne sait pas, justement, et on ne sait pas si précisément cela est, si ça existe […]. On ne le sait pas : non par ignorance mais parce que ce non-objet […] ne relève pas du savoir. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/390665/original/file-20210319-17-177gqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/390665/original/file-20210319-17-177gqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/390665/original/file-20210319-17-177gqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/390665/original/file-20210319-17-177gqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/390665/original/file-20210319-17-177gqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/390665/original/file-20210319-17-177gqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/390665/original/file-20210319-17-177gqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/390665/original/file-20210319-17-177gqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jacques Derrida, philosophe français (1930-2004).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bswise_/30424947804">Bswise/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>À la place, il propose une éthique du spectre dont la rencontre nous lierait à nos valeurs et notre histoire, mais également aux autres. Il faut alors saluer et recevoir les rencontres spectrales, « se laisser habiter en son dedans, c’est-à-dire hanter par un hôte étranger ». Il ne s’agit donc surtout pas de chasser les revenants, mais bien d’accueillir la figure ambiguë et dérangeante du spectre.</p>
<p>Pas de mystique shakespearienne donc, pas de revenant du roi Hamlet, ni de spectre de Banquo, ni surtout de draps qui flottent ou d’esprits qui frappent. Plus modestement, nous cherchons ici à mieux rendre compte des effets concrets de ces grands absents qui hantent encore leurs entreprises. Les concepts de revenants épistémiques et de spectres éthiques sont là pour nous aider à mieux saisir ce que l’on observe et ressent dans le quotidien des organisations – c’est-à-dire une grille de lecture.</p>
<h2>Le spectre de Christian Dior</h2>
<p>Si l’on observe par exemple le cas de la <a href="https://rfg.revuesonline.com/articles/lvrfg/abs/2019/06/rfg00358/rfg00358.html">maison de couture Dior</a>, on se rend compte que les locaux de l’entreprise sont constamment hantés – à l’instar de ceux d’Apple avec Steve Jobs.</p>
<p>Le documentaire <em>Dior et Moi</em> de Frédéric Tcheng sorti en 2015, permet d’apercevoir ces figures en suivant les employés qui parlent, par exemple, régulièrement de Christian Dior. Son fantôme y est souvent inspirant et amusant, mais il peut aussi se faire parfois écrasant. Ainsi on assiste à une scène, un soir de préparation du défilé, où les couturières l’appellent affectueusement « Cricri » avant d’éclater de rire – tout en se demandant ce qu’il aurait pensé de la collection qu’elles préparent.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Gktgp0TUwTc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Dior et moi</em> réalisé par Frédéric Tcheng (2015).</span></figcaption>
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<p>À un autre moment, on assiste au désarroi de Raf Simons, alors nouveau directeur artistique, devant le poids que l’héritage d’une telle figure constitue – au point qu’il arrête de lire l’autobiographie du créateur tant il l’obsède. Ici le spectre de Christian Dior se rappelle à Raf Simons, l’influençant dans son travail de création en cours et à venir.</p>
<p>À d’autres moments, la même figure de Christian Dior est teintée de traditions, voire de conservatisme, et apparaît alors comme un revenant incarnant le passé de la maison et influençant les choix esthétiques des créateurs, presque 60 ans après sa mort !</p>
<p>Mais la maison n’est pas uniquement hantée par Christian Dior… le documentaire déroule ainsi les anecdotes autour des différents fantômes, jusqu’aux figures plus discrètes, mais aussi plus traumatiques. Tout le monde dans l’entreprise se rappelle du scandale des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2011/04/15/john-galliano-ecarte-de-la-marque-a-son-nom_1508568_3224.html">déclarations xénophobes</a> de John Galliano… pourtant les propos à son sujet sont déguisés et indirects, à la limite parfois chuchotés, étouffés, mais jamais soutenus à voix haute.</p>
<h2>Appréhender la présence des absents</h2>
<p>Au-delà de ces quelques anecdotes sur Dior, quiconque prenant le temps d’y réfléchir sera capable de trouver des équivalences fantomatiques dans son entreprise. À la manière du petit garçon du film <em>Le Sixième Sens</em> qui est capable de voir les morts (le fameux « I see dead people », « je vois des personnes décédées »), nous souhaitons ici encourager les théoriciens et praticiens des organisations à appréhender la présence et l’influence des absents.</p>
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<figcaption><span class="caption">« À la rencontre des fantômes organisationnels qui hantent les entreprises » (FNEGE, 2020).</span></figcaption>
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<p>Mieux saisir les figures fantomatiques demande de les accueillir pour mieux les rencontrer, d’arriver à leur répondre ou à s’en défaire. Il s’agira donc surtout de ne pas les ignorer, de ne pas nier leur présence, car on se priverait alors de leur source d’inspiration, des défis qu’ils nous lancent, et de l’ancrage qu’ils permettent dans l’histoire et la culture de l’organisation. Être hanté par Christian Dior, c’est finalement un signe que l’on fait alors réellement partie de la maison…</p>
<p>La philosophe Gayatari Spivak parlait d’apprendre à danser avec les fantômes en décrivant le rituel amérindien de <em>ghostdance</em>, par lequel les membres d’une tribu tentent d’entrer en relation avec leur histoire et leurs ancêtres via un rituel dansé. Dans cette veine, nous affirmons que chaque pratique, chaque décision dans une organisation peut constituer une forme potentielle de convocation des fantômes, et donc une occasion de s’inscrire dans son histoire… pour mieux y laisser sa propre trace.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157542/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>À l’instar du défunt PDG d’Apple Steve Jobs, il existe plusieurs cas de personnes disparues qui conservent une influence sur le quotidien d’une organisation.Yoann Bazin, Professeur en Ethique des affaires, EM NormandieMargot Leclair, Enseignant-Chercheur, Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1532172021-01-17T17:32:36Z2021-01-17T17:32:36ZLa communication des banques centrales peine encore à influencer les acteurs économiques<p>Au cours des dernières décennies, la conduite de la politique monétaire a subi de profondes mutations. L’une de ces mutations est l’émergence puis le développement de la <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jel.46.4.910">communication des banques centrales</a>. Par le passé, le secret était de mise : la présomption générale était qu’il était périlleux pour les banquiers centraux de révéler les raisons de leurs actions (fixation de taux d’intérêt notamment) et que les mesures prises par les banques centrales devaient s’expliquer d’elles-mêmes.</p>
<p>À partir du milieu des années 1990 (notamment avec le développement des régimes de ciblage d’inflation et l’indépendance croissante des banques centrales), il y a eu une véritable révolution dans la communication des banques centrales. Aujourd’hui, ces dernières communiquent beaucoup plus qu’autrefois – comme en témoigne la figure 1 ci-dessous pour la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) –, à tel point que dorénavant, comme l’a formulé l’ancienne gouverneure de la Fed <a href="https://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/yellen20130404a.htm">Janet Yellen en 2013, « l’explication est la politique »</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/378511/original/file-20210113-13-mijj8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378511/original/file-20210113-13-mijj8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378511/original/file-20210113-13-mijj8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378511/original/file-20210113-13-mijj8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378511/original/file-20210113-13-mijj8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378511/original/file-20210113-13-mijj8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378511/original/file-20210113-13-mijj8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378511/original/file-20210113-13-mijj8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1. Sélection d’innovations en matière de communication pour la Fed et la BCE.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/speech/2017/a-little-more-conversation-a-little-less-action.pdf?la=en&hash=E49F87ECF3D5A52A5E17349026B1CFAC18E2B78F">Adapté du tableau 1 d’Andrew Haldane</a></span>
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<p>Il y a au moins trois raisons à cela.</p>
<p>La première est liée au développement des nouvelles technologies de l’information qui ont rendu possible cette plus grande communication. Les plates-formes informatiques peuvent relayer rapidement et à faible coût les informations au sein d’une grande communauté d’acteurs. Cela a conduit non seulement les banques centrales, mais aussi l’ensemble des agents (entreprises, hommes politiques, et même les particuliers) à communiquer davantage.</p>
<p>Une deuxième raison à cet essor de la communication des banques centrales est que leur emprise sur les marchés financiers ainsi que les mesures prises n’ont jamais été aussi étendues qu’aujourd’hui. Dans les sociétés démocratiques, on attend des banques centrales indépendantes davantage d’explications car ces institutions sont tenues de rendre des comptes au public.</p>
<p>La troisième raison relève de l’efficacité de la politique monétaire. La communication a été de plus en plus utilisée comme un instrument de politique monétaire en vue d’influencer les anticipations des acteurs du marché. Comme le soulignait en 2005 l’économiste américain Michael Woodford, pour que la politique monétaire soit la plus efficace, « non seulement les anticipations concernant la politique monétaire sont importantes, mais, du moins dans les conditions actuelles, <a href="https://econpapers.repec.org/scripts/redir.pf?u=http%3A%2F%2Fwww.nber.org%2Fpapers%2Fw11898.pdf;h=repec:nbr:nberwo:11898">très peu d’autres choses comptent</a> ».</p>
<p>La politique de <a href="https://abc-economie.banque-france.fr/forward-guidance-guidage-prospectif"><em>foward guidance</em> (guidage prospectif)</a> reste peut-être le meilleur exemple d’instrument de gestion des anticipations. En divulguant des informations sur la politique qu’elle entend mener, la banque centrale vise à influencer les anticipations du marché concernant les taux directeurs futurs et, par conséquent, les taux d’intérêt à long terme et les anticipations en matière d’inflation.</p>
<p>En termes de communication optimale des banques centrales, le rôle coordonnant de l’information publique a été tout particulièrement mis en avant. Dans des environnements caractérisés par des complémentarités stratégiques, comme sur les marchés financiers ou lors de la fixation des prix par des entreprises en concurrence monopolistique, les agents économiques cherchent à coordonner leurs actions (qu’il s’agisse de décisions d’achat d’actifs ou de fixation de prix), tout en restant proches des fondamentaux économiques (par exemple la valeur intrinsèque, de long terme, des actifs sur les marchés financiers ou les coûts de production dans le cas des entreprises qui fixent leurs prix).</p>
<p>Lorsqu’elle est de connaissance commune, l’information publique réduit l’incertitude concernant les informations qu’ont les autres agents économiques et renforce ainsi la coordination de leurs actions. Mais malgré sa prédominance en théorie, la connaissance commune est difficile à réaliser dans la réalité.</p>
<h2>Une attention des agents économiques limitée</h2>
<p>Une communication efficace nécessite à la fois la diffusion d’information, mais également un traitement approprié de cette information par les agents économiques à qui cette information est destinée. Aussi, l’accroissement de la communication des banques centrales ne va pas toujours de pair avec une prise en compte adéquate de l’information par un plus large public. Une banque centrale peut très bien diffuser des informations, si le public ne les comprend pas ou ne leur prête pas attention, l’effet de la politique de communication sera limité.</p>
<p>La confrontation des deux graphiques, présentés sur la figure 2 ci-dessous, issus d’un <a href="https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/speech/2017/a-little-more-conversation-a-little-less-action.pdf">discours d’Andrew Haldane</a>, économiste en chef à la Banque d’Angleterre, illustre bien cela : tandis que la communication des banques centrales a connu un accroissement considérable au cours des deux dernières décennies (comme ici sur le graphique de gauche avec l’augmentation du nombre de discours des gouverneurs et décideurs politiques de la Banque d’Angleterre), leurs publications relatives aux décisions de politiques monétaires et aux développements économiques ne sont comprises que par une très faible minorité des citoyens.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/378514/original/file-20210113-23-1bes07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378514/original/file-20210113-23-1bes07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378514/original/file-20210113-23-1bes07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378514/original/file-20210113-23-1bes07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378514/original/file-20210113-23-1bes07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378514/original/file-20210113-23-1bes07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378514/original/file-20210113-23-1bes07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378514/original/file-20210113-23-1bes07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 2. À gauche : nombre de discours de la Banque d’Angleterre par année ; à droite : pourcentage de la population américaine adulte pour qui les paroles des chansons d’Elvis et divers types de communication sont compréhensibles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/speech/2017/a-little-more-conversation-a-little-less-action.pdf?la=en&hash=E49F87ECF3D5A52A5E17349026B1CFAC18E2B78F">Andrew Haldane</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, le graphique de droite montre que les minutes du Federal Open Market Committee (relatant les discussions des membres du comité de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine) et le Beige Book summary (résumant les perspectives économiques perçues par la Réserve Fédérale américaine) ne semblent être abordables que pour une part extrêmement réduite de la population américaine. En revanche, des textes simples tels que les discours de campagne de Donald Trump ou les paroles des chansons d’Elvis sont compris par plus de 50 % de la population.</p>
<p>La connaissance commune exige non seulement que la banque centrale rende ses informations publiques, mais également que les destinataires de ces informations accordent toute leur attention à ces informations publiques. Ces derniers doivent en outre savoir que tous les autres destinataires accordent également leur attention aux mêmes informations publiques.</p>
<p>Dans la mesure où l’efficacité de la politique monétaire dépend de la communication efficace de la banque centrale, qui est tributaire elle-même d’une information de connaissance commune, il est essentiel de comprendre comment les agents allouent leur attention aux différentes sources d’information pour anticiper leur réaction et concevoir une politique de communication optimale.</p>
<h2>Les résultats d’une étude expérimentale</h2>
<p>Un article récent à paraître dans le <a href="https://doi.org/10.1016/j.jmoneco.2020.12.004"><em>Journal of Monetary Economics</em></a> vise précisément à comprendre la façon dont les agents économiques allouent leur attention à différentes sources d’information dans un contexte où leurs actions sont des compléments stratégiques, c’est-à-dire qu’elles se renforcent mutuellement (comme lorsque les entreprises ont un intérêt à ajuster leurs prix dans le même sens ou que les agents sur les marchés financiers souhaitent tous acheter le même actif).</p>
<p>Théoriquement, un mécanisme de double réaction émerge : d’une part, les agents économiques réagissent fortement aux informations publiques lorsqu’ils prennent leurs décisions puisque celles-ci les aident à se coordonner ; d’autre part, ils accordent une grande attention aux informations publiques, ce qui exacerbe davantage leur réaction à ces informations.</p>
<p>Plus précisément, les agents économiques cherchent à disposer surtout d’informations publiques en leur accordant une attention maximale : ils focalisent d’autant plus leur attention sur les informations sur lesquelles les autres focalisent également leur attention. Dans la mesure où ils cherchent à prendre des décisions proches de celles des autres, ils focalisent alors leur attention sur les informations publiques, qu’ils pondèrent davantage dans leurs décisions.</p>
<p>Ce mécanisme théorique est observé dans le laboratoire, même si la double réaction observée est moins forte que la théorie ne le prédit. Cette moindre réaction s’explique de deux manières. D’une part, l’attention accordée aux informations publiques est moindre que prévue, ce qui implique que ces informations ne sont pas de connaissance commune. D’autre part, étant donnée l’attention accordée limitée, les agents ne prennent pas pleinement en compte le rôle des complémentarités stratégiques dans leurs anticipations des décisions des autres agents et sous-estiment par-là le poids accordé aux informations publiques par les autres agents, ce qui les conduit eux-mêmes à ne pas les prendre pleinement en compte dans leur prise de décision. L’expérience souligne ainsi le rôle de l’acquisition imparfaite d’information dans la réaction des agents économiques aux annonces publiques.</p>
<h2>Une explication au <em>forward-guidance puzzle</em></h2>
<p>Ce résultat apporte un éclairage à ce qu’il est convenu d’appeler le <a href="https://www.newyorkfed.org/medialibrary/media/research/staff_reports/sr574.pdf"><em>forward guidance puzzle</em></a>, qui fait référence à la réaction étonnamment faible des acteurs du marché aux annonces des banques centrales sur leur politique future. Le <a href="https://economics.mit.edu/files/14818">manque de connaissance commune</a> et le <a href="http://www.columbia.edu/%7Emw2230/GSW.pdf">niveau limité de raisonnement d’ordre supérieur</a> ont été avancés comme causes possibles de cette tendance.</p>
<p>Les résultats de l’étude expérimentale soutiennent ces deux hypothèses : un niveau de raisonnement d’ordre supérieur limité explique la faible attention portée à l’information publique ; cette faible attention empêche ensuite l’émergence de la connaissance commune parmi les agents économiques. Compte tenu de leurs informations, les agents économiques déploient aussi un niveau de raisonnement d’ordre supérieur limité dans le choix de leur action sur le marché. C’est ce double effet qui est à même d’expliquer la faible réaction des acteurs de marché aux annonces des banques centrales sur leur politique future.</p>
<p>Si elles veulent accroître l’effet de leur politique de guidage prospectif, les banques centrales devraient chercher à accroître l’attention que les agents économiques accordent à leurs annonces. Une amélioration de l’attention passe, par exemple, par un meilleur contrôle du calendrier et des canaux de communication ou par un accroissement de la culture économique et financière du public pour le sensibiliser aux questions de politique monétaire.</p>
<hr>
<p><em>Romain Baeriswyl, conseiller économique à la Banque Nationale Suisse, a co-rédigé cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153217/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Cornand a reçu des financements de l'IDEXLYON de l'Université de Lyon (projet INDEPTH).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Kene Boun My ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une recherche montre que la BCE et la Fed, qui multiplient les explications publiques ces dernières années, ne parviennent pas à retenir l’attention de manière optimale.Camille Cornand, Directrice de recherche en économie, CNRS, chercheuse au sein du GATE, Université Lumière Lyon 2 Kene Boun My, Ingénieur d’Études CNRS, laboratoire BETA, INSA StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1415742020-07-06T20:21:29Z2020-07-06T20:21:29ZComment la Chine avance ses pions dans le monde indo-malais<p>Archipel d’Asie-Pacifique de plusieurs milliers d’îles ouvert sur les rives du <a href="https://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1992_num_79_1_1860">détroit de Malacca</a>, l’Indonésie est le pays musulman le plus peuplé au monde avec quelques 260 millions d’habitants. Elle se trouve au cœur du monde indo-malais, une région cruciale pour les intérêts chinois qui englobe la Malaisie et Singapour ainsi que tous les pays membres de l’Asean (Asian south east nations), une organisation à vocation économique créée en 1967 dans une volonté d’endiguer le communisme, à travers laquelle transitent 30 % du commerce maritime mondial et qui représente un marché de plus d’un milliard de consommateurs.</p>
<p>Si les dix pays membres de <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/asie-oceanie/les-dynamiques-d-integration-regionale/les-enceintes-de-cooperation-politique-asean-asem/article/l-asean">l’Asean</a> ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde, le poids économique croissant de cette organisation la rend très attractive pour les investissements internationaux. Pour autant, les incertitudes stratégiques sont élevées. Les grands acteurs régionaux (Chine, Inde, Japon, Australie) comme extrarégionaux (États-Unis, Union européenne) y sont actuellement engagés dans une recomposition de leurs intérêts stratégiques et sécuritaires.</p>
<h2>Forte présence humaine et économique de la Chine</h2>
<p>Premier partenaire commercial de l’Indonésie, la Chine a établi très tôt des relations avec ce pays de l’Asie du Sud-Est. Une forte diaspora chinoise y est implantée. C’est d’ailleurs l’une des plus anciennes au monde puisque l’Indonésie est mentionnée dans les annales de la dynastie Ming dès <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/11/07/zheng-he-l-amiral-des-mers-de-l-ouest_1599782_3232.html">l’expédition de l’amiral Zheng He vers l’Afrique</a>, au XV<sup>e</sup> siècle. La diaspora chinoise a formé les premières communautés métisses, que l’on appelait les <a href="http://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/baba-bling-33983/">Peranakans</a>.</p>
<p>L’influence chinoise dans la zone est aujourd’hui majeure, tant au niveau économique qu’au niveau social. Elle se déploie à travers les <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/la-mediterranee-asiatique/">réseaux de marchands et les cités portuaires en relation avec le sud chinois et les côtes de l’Asie de l’Est</a>. À l’heure actuelle, on estime à 6 millions le nombre de Chinois vivant en Indonésie. Cette population est en majorité hokkien (50 %), hakka (25 %) et cantonaise (25 %). Lors des massacres anticommunistes de 1965-1966, la population d’origine chinoise, assimilée à la politique de Pékin, a été très fortement touchée. Des discriminations ont été poursuivies à son encontre sous le régime de Soeharto (1968-1998).</p>
<p>À la fin des années 1990, après de graves violences sur <a href="https://www.scmp.com/week-asia/geopolitics/article/3021219/chinese-cash-enough-keep-east-timor-out-asean">l’île de Timor</a>, la Chine s’était résolue à rallier la majorité internationale et avait accepté d’accorder au Timor-Oriental le droit à l’autodétermination (dans une logique de décolonisation, pour marquer la différence avec Taïwan) sans pour autant remettre profondément en cause les relations avec Jakarta.</p>
<p>Même si ce passé semble déjà lointain et que les traditions locales accordent dans les faits une très large place aux citoyens d’origine chinoise – surtout sur la côte nord de Java et à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Palembang">Palembang</a> –, des tensions demeurent. Elles s’ajoutent aux différends qui opposent Pékin à Jakarta. Les deux gouvernements se disputent en effet la souveraineté des eaux autour de <a href="https://www.questionchine.net/dialogue-de-sourds-a-singapour?artpage=3-3">l’archipel de Natuna</a>, en mer de Chine méridionale. Avec des ressources prouvées de 1 300 milliards de m<sup>3</sup> de gaz et une production journalière envisagée de 56 millions de m<sup>3</sup> à partir de 2030, la zone est en cours de développement, au coût estimé à 30 milliards de dollars, par plusieurs « majors » dont la britannique Premier Oil, les japonaises Mitsui Oil Exploration et Impex, et les américaines Conoco Phillips et Chevron, que les <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01610007/document">exigences de Pékin veulent exclure de la zone</a>. Même si à ce stade la guerre commerciale sino-américaine n’a pas significativement affecté les échanges entre les deux pays, ces tensions n’y sont évidemment pas étrangères.</p>
<p>Dans le prolongement de sa volonté de s’affirmer en alliée et leader des « Suds », la Chine entretient une <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine--9782724611571.htm">politique de « grand pays en développement »</a> avec la région, similaire à celle qu’elle conduit à l’égard de l’ensemble des pays en développement. Cette diplomatie pro-active depuis au moins deux décennies répond à trois objectifs principaux : resserrer l’étau autour de Taïwan et désagréger les coalitions antichinoises ; assurer des débouchés commerciaux, diversifier et sécuriser les immenses approvisionnements de la RPC ; et, enfin, légitimer l’image d’un grand pays en développement distinct de la trajectoire des démocraties libérales occidentales.</p>
<p>À cela s’ajoute le contexte géographique de l’environnement régional de la Chine. En effet, ce vaste espace morcelé, insulaire et péninsulaire, est perçu par Pékin depuis des siècles comme un <em>limes</em> de son empire. Les étendues maritimes et la fragmentation insulaire doublée de l’éloignement du pouvoir central chinois ont conféré à cet espace transfrontalier où s’achève l’empire et ses relations avec les peuples tributaires, un statut aussi important que distant pour Pékin. Dans un ouvrage remarqué, <a href="https://www.publicaffairsbooks.com/titles/kishore-mahbubani/has-china-won/9781541768123/"><em>Has China Won ? : The Chinese Challenge to American Primacy</em></a>, l’ancien diplomate singapourien Kishore Mahbubani montre combien l’influence de la Chine dans la région face au déclin de l’influence américaine est un paramètre essentiel dans les dynamiques contemporaines de recomposition des rapports de force.</p>
<h2>Un « pivot maritime global »</h2>
<p>Le détroit de Malacca est une source de vulnérabilité stratégique pour la Chine. Le concept de <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2010-2-page-249.htm">« Dilemme de Malacca »</a>, largement répandu dans le pays, renvoie à la forte dépendance de l’économie chinoise envers la région (80 % des flux commerciaux chinois et large part des importations de pétroles et autres matières premières). C’est pourquoi Pékin a depuis vingt ans initié la construction <a href="https://jeunes-ihedn.org/wp-content/uploads/2018/06/SENGAGERPARLAPLUME_2_web.pdf">d’infrastructures diversifiant les voies d’accès à la Chine et de contournement du détroit</a> (gazoducs, oléoducs et réseaux de transports depuis l’Asie centrale, le Pakistan, la Russie, la Birmanie ou encore la Thaïlande). Le développement d’une marine de guerre moderne ayant des capacités de projection en haute mer et de protection des routes maritimes a bénéficié de cet environnement régional vulnérable.</p>
<p>La région est stratégique et le <a href="https://www.geostrategia.fr/lindonesie-un-etat-pivot/">président indonésien Joko Widodo</a> n’hésite pas à en rappeler l’importance. Elle représente, selon lui, un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/archipel-asiatique-quand-les-dragons-se-mordent-la-queue-entre-autoritarisme-et-jihadisme">« pivot maritime global »</a>.</p>
<p>Sur le plan historique, l’Indonésie a compté parmi les pays leaders du mouvement des non-alignés à la suite de la conférence de Bandung tenue en 1955. Cette volonté de rester fidèle à la définition d’une « troisième voie » et de faire le lien entre les pays riches et les pays émergents se trouve aujourd’hui encore au cœur des choix de politique étrangère qu’entend promouvoir Jakarta. Elle fait écho à des préoccupations chinoises très largement partagées. Au reste, c’est lors d’une visite effectuée en 2013 en Indonésie que le président chinois Xi Jinping avait évoqué, pour la première fois, l’établissement d’une « Route de la soie maritime ». Ce projet vise à renforcer les liens avec non seulement l’Indonésie mais aussi avec l’ensemble des pays frontaliers de l’océan Indien se disant prêts à réaliser « une ceinture économique » pour relier ainsi l’ensemble des pays du Sud.</p>
<p><a href="https://asiepacifique.fr/lindonesie-ce-geant-invisible-au-coeur-de-lasean/">L’Indonésie, de par sa situation géographique</a> et parce qu’elle se trouve prise entre des sphères de puissance et d’influence qui se chevauchent, pourrait devenir l’une des régions les plus crisogènes du monde. Si le président indonésien a affirmé que les incidents en mer de Chine méridionale, en particulier autour des <a href="http://institut-du-pacifique.org/2020/02/27/les-iles-natuna-centre-dun-conflit-entre-la-chine-et-lindonesie/">îles Natuna</a>, ne modifieront pas les relations entre l’Indonésie et la Chine, il n’en demeure pas moins que Jakarta ne cache pas <a href="https://asialyst.com/fr/2019/06/13/comprendre-indonesie-independance-jokowi/">ses ambitions et multiplie les partenaires économiques, diplomatiques et commerciaux</a>.</p>
<p>Le renforcement de son dialogue avec l’Inde (qui elle-même mène une politique sud-est-asiatique plus intense à travers sa <a href="https://www.thoughtco.com/look-east-policy-of-india-1435050">« Look east policy »</a>), le Japon, l’Australie, les États-Unis et l’Union européenne constitue un signal fort envoyé à Pékin : l’Indonésie souhaite réduire sa dépendance vis-à-vis de l’hégémon chinois en Asie. Ses partenaires voient en elle un <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2019/11/06/le-vaste-potentiel-du-secteur-maritime-en-indonesie">vaste marché</a> et une économie asiatique majeure, alternative à la Chine, en particulier depuis la crise sanitaire du coronavirus. L’Indonésie cherche également à accroître son poids au sein de l’Asean face à la Thaïlande, voire à Singapour.</p>
<p>Avec ses 32 millions d’habitants, la Malaisie épouse des configurations similaires à celle de sa voisine, l’Indonésie. En 2019, Kuala Lumpur s’est confrontée à Pékin en déposant une requête aux Nations unies pour étendre son plateau continental au-delà des 200 milles nautiques. Cette requête a immédiatement déclenché une réaction de la Chine dont la <a href="https://www.la-croix.com/Journal/La-ligne-neuf-traits-defendue-Chine-2016-08-23-1100784158">« Ligne en 9 traits »</a> nie la possibilité d’un élargissement des plateaux continentaux riverains au-delà précisément des 200 nautiques.</p>
<p>Ces tensions faisaient suite à l’annulation par Mahathir Mohamad, le premier ministre malaisien, <a href="https://www.revolutionpermanente.fr/La-Malaisie-inflige-un-revers-a-la-route-de-la-soie-en-Chine">du projet chinois de ligne ferrée</a> à travers le pays, qui devait s’étendre de la frontière thaïe au détroit de Malacca (East Coast Rail Link – ECRL) et devenir une section de l’axe Pékin-Singapour. En réalité, les négociations entre les gouvernements chinois et malais pour la réalisation de ce projet ferroviaire n’ont jamais cessé. C’est essentiellement sur le <a href="https://asialyst.com/fr/2019/04/21/malaisie-rails-chine-tgv-mahathir-mohamed/">coût exorbitant</a> de l’infrastructure que portaient les discussions, qui ont même permis à Kuala Lumpur de normaliser ses relations avec Pékin après plus d’un an d’incertitudes. Le coût total de l’opération <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/la-malaisie-relance-un-projet-ferroviaire-finance-par-la-chine-pour-eviter-des-penalites-1335240">s’élève à près de 10 milliards d’euros</a>.</p>
<h2>Dépendance économique chinoise versus influence américaine</h2>
<p>Si <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/geographie-territoires/l-asie-du-sud-est/">l’Asean</a> commerce en priorité avec Pékin, les questions politiques et stratégiques ne trouvent pas de réponses convergentes. Pékin, ces deux dernières décennies, a su instrumentaliser ces divergences pour asseoir son influence commerciale et politique. Singapour représente dans ce contexte le noyau central de l’Asie du Sud-Est, plus particulièrement du monde indo-malais, devant Kuala Lumpur ou Jakarta (finance, logistique, point de passage stratégique, modèle politique et de gouvernance).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/x8G-hbKkLIM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage de la chaîne chinoise CGTN, 26 juin 2020.</span></figcaption>
</figure>
<p>Et <a href="https://www.tallandier.com/livre/le-dessous-des-cartes-asie/">Singapour</a>, dont l’écrasante majorité des habitants est d’origine chinoise, n’échappe pas à cette règle commune qu’elle partage avec la Malaisie et l’Indonésie : il est d’usage, en effet, dans cette région de l’Asie, de privilégier les apparences à la réalité et la fermeté de posture à des fins de politique intérieure. Toutefois, une chose paraît inéluctable : Singapour va sans doute largement bénéficier en tant que place financière des difficultés de son principal concurrent, Hongkong. Avec un enjeu crucial qui fait largement consensus : l’ensemble de la région indo-malaise a à cœur de sécuriser ses relations et son commerce encore mis à mal par des actes de piraterie et des exactions commises par des <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/03/Asia-Focus-21-Terrorisme-mars-2017.pdf">groupuscules islamistes radicalisés</a>.</p>
<p>Ainsi plusieurs paramètres sécuritaires (crimes organisés, mafias, en plus des éléments susmentionnés) font peser certaines incertitudes sur la stabilité de l’ensemble régional. Pékin, de plus en plus active sur ces sujets, cherche une légitimité auprès des acteurs étatiques et une influence sur les questions sécuritaires. Dans cette perspective, la voix de la Chine au <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fMXtX1cGCTw">Shangri-La Dialogue</a> (conférence internationale annuelle organisée à Singapour par le think tank IISS, depuis 2002, traitant des sujets de sécurité dans la zone Indo-Pacifique) est à l’image de sa politique internationale entre affirmation et volonté de puissance, en particulier dans l’espace maritime régional où elle se considère comme prééminente.</p>
<p>Plus encore que les pays en développement éloignés de la Chine (continent africain, Moyen-Orient, Amérique latine), la région indo-malaise reste et restera <a href="https://journals.openedition.org/interventionseconomiques/2817?lang=en">très dépendante économiquement de la Chine tout en étant soumise à une forte influence américaine</a>. En somme, même si les acteurs indien, européen, japonais ou australien accroissent leur présence, il n’en demeure pas moins que cette partie de l’Asie du Sud-Est est concernée au premier chef par la rivalité sino-américaine. Une position pour le moins inconfortable…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141574/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du fonds de dotation Brousse dell'Aquila.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Indonésie, la Malaisie et Singapour font l’objet d’une attention soutenue de la part de Pékin, qui cherche à étendre son influence sur ces pays par ailleurs soumis à l’influence américaine.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1418042020-07-01T17:50:14Z2020-07-01T17:50:14ZTikTok et la question de l'influence chinoise aux Etats-Unis<p><a href="https://www.tiktok.com/fr/">TikTok</a> est une application de médias sociaux, propriété de l’entreprise chinoise <a href="https://www.bytedance.com/en/">ByteDance</a>. Née en septembre 2016 sous le nom de <a href="https://www.douyin.com/">Douyin</a>, elle a été adaptée aux marchés occidentaux en 2017 tout en conservant des réseaux indépendants afin de se conformer aux restrictions et exigences de la censure chinoise. </p>
<p>L’application semble d’apparence on ne peut plus inoffensive ; pourtant, selon le gouvernement américain, elle pose un problème de sécurité nationale. Au point que Donald Trump vient d'annoncer son intention de l'interdire. </p>
<p>Le principe de TikTok repose sur le partage de courtes vidéos. Elle <a href="https://www.tiktok.com/about?lang=fr">définit sa mission</a> de façon très sympathique :</p>
<blockquote>
<p>« TikTok est la destination incontournable pour les vidéos mobiles au format court. Nous avons pour mission de développer la créativité et d’apporter de la gaieté. »</p>
</blockquote>
<p>Avec <a href="https://www.blogdumoderateur.com/tiktok-2-milliards-telechargements/">2 milliards de téléchargements</a> sur les stores d’Apple et de Google, d’après une étude de <a href="https://sensortower.com/blog/tiktok-downloads-2-billion">Sensor Tower</a>, et un nombre d’utilisateurs actifs avoisinant le milliard (un nombre qui a <a href="https://www.rtl.fr/actu/futur/confinement-le-nombre-d-utilisateurs-de-tiktok-explose-7800370477">explosé durant le confinement mondial</a>), c’est un succès mémorable de l’Internet contemporain.</p>
<p>Selon des estimations du cabinet d’études eMarketer, le nombre d’Américains utilisant TikTok devrait <a href="https://www.emarketer.com/content/podcast-tiktok-is-apparently-future">dépasser la barre des 50 millions dès 2021</a>. Or 41 % des utilisateurs ont entre 16 et 24 ans. La propagation fulgurante de cette application « sous tutelle » du pouvoir chinois, sorte de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cheval_de_Troie_(informatique)">cheval de Troie</a> intellectuel apte à « formater » un public influençable en distillant insidieusement – outre la censure assumée – des croyances et des valeurs bien éloignées de celle de l’oncle Sam provoque une grande inquiétude de l’administration américaine, qui a identifié <a href="https://thepostmillennial.com/china-owned-tiktok-is-a-national-security-threat-and-we-should-all-delete-it">cinq risques potentiels liés à TikTok</a>.</p>
<h2>Les risques « géopolitiques »</h2>
<p><em>Risques 1 et 2 : La collecte de données par les autorités chinoises</em></p>
<p>1 : La collecte de données sur les employés du gouvernement américain.</p>
<p>Ce premier risque a amené le sénateur Josh Hawley à présenter le 12 mars 2020 au Sénat un projet de loi <a href="https://www.hawley.senate.gov/senators-hawley-scott-introduce-legislation-ban-tiktok-government-devices">interdisant le téléchargement et l’utilisation de TikTok</a> sur les appareils du gouvernement fédéral. Hawley prévoit des exceptions pour des activités telles que les enquêtes des forces de l’ordre et la collecte de renseignements, mais si son texte était adopté, « aucun employé des États-Unis, officier des États-Unis, membre du Congrès, employé du Congrès, ou officier ou employé d’une société d’État » ne pourra télécharger ou utiliser TikTok ou toute autre application développée par ByteDance ou toute entité appartenant à ByteDance.</p>
<p>2 : La collecte de données sur les personnes américaines non employées par le gouvernement.</p>
<p><em>Risques 3 et 4 : La censure</em></p>
<p>3 : TikTok censure les informations émanant de Chine, à la demande de Pékin.</p>
<p>4 : TikTok censure les informations extérieures à la Chine, et ce à la demande de Pékin.</p>
<p><em>Risque 5 : La désinformation</em></p>
<p>5 : Les usagers peuvent diffuser de fausses informations fournies par le pouvoir chinois.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1220979369469935617"}"></div></p>
<p>Zynn, le clone de TikTok </p>
<p>Une autre application fait dernièrement parler d’elle outre-Atlantique. Elle s’appelle Zynn, elle ressemble à s’y méprendre à TikTok et, depuis le 27 mai 2020, <a href="https://sensortower.com/ios/rankings/top/iphone/us/all-categories?date=2020-05-27">elle est numéro un des applications gratuites sur l’AppStore</a> avec pas moins de trois millions de téléchargements en un mois… </p>
<p>Notons que cette application qui, aux yeux des autorités américaines, présente les mêmes problématiques que TikTok, a été, elle, retirée du Google PlayStore le mercredi 10 juin pour plagiats avérés. Il est vrai que son approche audacieuse du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Growth_hacking">growth hacking</a> – pour doper son lancement, elle a copié les <a href="https://www.ladn.eu/media-mutants/reseaux-sociaux/classement-10-plus-gros-influenceurs-francais-tiktok/">profils de stars de TikTok</a> comme <a href="https://www.tiktok.com/@addisonre?lang=fr">Addison Rae</a>, une personnalité suivie par près de 48,2 millions de personnes à ce jour – aura été assez difficile à camoufler…</p>
<p>S’agit-il d’une victoire pour TikTok contre son clone ? Le clone n’est-il qu’un leurre ? De toute façon, la problématique reste inchangée pour Washington et les autres États – qui ne semblent pas à ce jour s’émouvoir du succès de l’application chinoise. Ce qui est sûr, c’est que la grossièreté du plagiat de Zynn ne peut qu’interroger.</p>
<h2>Des failles réparées, et après ?</h2>
<p>En janvier 2020, une importante faille de sécurité de TikTok avait été détectée par les chercheurs en sécurité de <a href="https://research.checkpoint.com/2020/tik-or-tok-is-tiktok-secure-enough/">Check Point Research</a>. La faille offrait quatre possibilités d’actions malveillantes loin d’être anodines. Elle permettait à ceux qui sauraient l’utiliser :</p>
<ul>
<li><p>d’accéder au gestionnaire de vidéos des utilisateurs de TikTok ;</p></li>
<li><p>de publier des contenus à la place des usagers ;</p></li>
<li><p>de diffuser sur l’application des vidéos enregistrées en privé par les usagers ;</p></li>
<li><p>d’accéder au profil des membres du réseau et de récupérer leurs données personnelles.</p></li>
</ul>
<p>De quoi renforcer les craintes des autorités américaines sur le potentiel de nuisance de l’application, quand bien même le réseau social a corrigé la faille dans sa dernière version mise à jour. <a href="https://www.linkedin.com/in/luke-deshotels-b2313511/">Luke Deshotels</a>, ingénieur en sécurité au sein de TikTok, avait alors déclaré dans un communiqué relayé par <a href="https://www.theverge.com/2020/1/8/21050589/tiktok-patched-vulnerability-hackers-videos-china-bytedance-checkpoint">The Verge</a> :</p>
<blockquote>
<p>« TikTok s’est engagé à protéger les données de ses utilisateurs. Nous encourageons les chercheurs en sécurité à nous faire part en privé des <a href="https://www.panoptinet.com/cybersecurite-decryptee/cest-quoi-une-faille-zero-day.html">failles zéro-day</a>. […] Avant même la divulgation publique, Check Point avait reconnu que tous les problèmes signalés avaient été corrigés dans la dernière version de notre application. Nous espérons que cette résolution réussie encouragera une future collaboration avec les chercheurs en sécurité. »</p>
</blockquote>
<p>Cela pouvait-il pour autant rassurer les autorités américaines ? La réponse est clairement non. Les failles sont une chose. Le fait que l’application les a corrigées aussi rapidement donne certes une impression de transparence mais celle-ci ne change en rien la mainmise (censure, etc.) d’un régime autoritaire sur un réseau social qu’il laisse se distiller dans le monde « libre » selon ses règles. Ce réseau – d’une autre façon, mais au même titre que le site d’informations multilingue russe « Sputnik » – demeure une arme insidieuse d’influence massive…</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_5DruVUcfyw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les failles ne sont-elles pas, in fine, que des détails dont l’élimination ne résout nullement la réalité de deux mondes qui s’affrontent ? Rappelons-nous, pour mettre les choses en perspective, qu’en 2018 c’est une <a href="https://usbeketrica.com/article/version-censuree-google-chine-salaries-indignent-direction-recule">levée de boucliers des salariés de Google</a> qui avait contraint la firme à revenir sur sa proposition de se conformer aux exigences de censure du pouvoir chinoise. « La méthode TikTok » ne contourne-t-elle pas de fait, cette problématique pour, sans violence et subrepticement, se doter des moyens d’imposer une certaine vision du monde à l’Occident ?</p>
<p>La problématique demeure : celle d’un outil à la solde d’un régime autoritaire qui ne joue pas selon les mêmes règles du jeu que les régimes à prétention démocratique…</p>
<h2>La tentation d’un mésusage de TikTok, fantasme ou réalité ?</h2>
<p>« Le seul moyen de se délivrer d’une tentation, c’est d’y céder. Résistez et votre âme se rend malade à force de languir ce qu’elle s’interdit », avertissait Oscar Wilde.</p>
<p>La tentation de détournement d’usage d’un outil aussi fortement implanté dans le camp de la jeunesse « ennemie » est nécessairement élevée à Pékin. Ne faudrait-il pas être bien naïf de croire qu’un régime autoritaire n’en fasse pas un usage plus… actif ? À vous de juger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141804/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yannick Chatelain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans quelle mesure l’application chinoise TikTok, extraordinairement populaire chez les jeunes, spécialement aux États-Unis, offre-t-elle à Pékin un moyen d’influencer l’opinion américaine ?Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1291112020-01-27T17:09:55Z2020-01-27T17:09:55ZLes think tanks : une déception française ?<p>Ils émettent leurs souhaits par voie de presse en commentant les <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/retraites-un-think-tank-d-orientation-liberale-attend-des-voeux-d-emmanuel-macron-un-message-ferme-notamment-vis-a-vis-des-regimes-speciaux_3765767.html">actions de l’exécutif</a>, expriment leurs opinions sur les politiques publiques, et emploient parfois des <a href="https://www.challenges.fr/education/parallaxe-le-puissant-employeur-de-delevoye_691000">hauts fonctionnaires</a> : les think tanks semblent désormais incontournables dans la vie politique française.</p>
<p>Et pourtant, s’ils ont été objets de toutes les <a href="http://www.theses.fr/s89966">curiosités</a> du début des années 2000 au milieu des années 2010, ils connaissent depuis un essoufflement pour le moins certain. L’attrait de la nouveauté ayant petit à petit laissé la place à la routine des publications et des événements, les think tanks politiques continuent en France à nourrir l’actualité mais l’exemple d’une transformation sociale, sociétale, économique ou politique qu’ils aient directement impulsée semble bien lointain à trouver.</p>
<p>Est-ce à dire qu’ils sont en train de passer de mode dans le débat public ou qu’ils n’ont, plus profondément et malgré les apparences médiatiques, jamais réellement su peser dans ce débat ? Nés d’une inspiration nord-américaine, les think tanks se sont greffés sur une <a href="http://www.theses.fr/s89966">réalité académique, politique et administrative française radicalement différente</a>.</p>
<h2>Quels modèles d’expertise ?</h2>
<p>Certes, la <a href="https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_1984_num_2_3_991_t1_0219_0000_1">forte fascination de l’Amérique</a> des années 1960 – années où le <a href="https://www.theses.fr/2011PA020040">phénomène des clubs politiques</a>, ancêtres des think tanks, a été particulièrement important dans l’hexagone – a marqué le paysage des groupes français de réflexion, dont les think tanks constituent la dernière forme d’organisation. Les références états-uniennes sont d’ailleurs encore aujourd’hui constantes. Mais les think tanks en France ne sont que de lointains cousins de leurs parents américains, qu’il s’agisse de leur structuration, de leur ampleur ou de leur influence.</p>
<p>Cela est grande partie du au fait que les modèles d’expertise ne se sont pas construits sur le même schéma des deux côtés de l’Atlantique. Aux États-Unis, la demande d’une expertise extérieure naît de la conjonction d’un <a href="https://www.researchgate.net/publication/261948302_Think_Tanks_and_Production_of_Policy-knowledge_in_America">État fédéral faible</a>, du caractère limité des structures dédiées en son sein à la production d’un savoir technocratique et du rôle mineur joué par les partis politiques dans le développement d’une expertise politique.</p>
<p>À l’inverse, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2002-2-page-295.htm">l’expertise d’État</a> acquiert en France une place centrale à partir de 1945. Un espace politico-administratif d’exercice de la compétence savante s’institutionnalise dès le début de la IV<sup>e</sup> République, notamment dans le domaine de la politique économique et financière. Le commissariat général au plan, créé par un décret du <a href="https://www.strategie.gouv.fr/actualites/decret-3-janvier-1946">3 janvier 1946</a>, n’est sans doute pour beaucoup qu’un lointain souvenir ; il n’en reste pas moins que l’expertise d’État reste un canal majeur de l’importation et de la diffusion d’idées.</p>
<h2>Des acteurs de référence sur certaines questions</h2>
<p>Du début des années 2000 à celui de 2020, il est possible de tirer un premier bilan des activités des principaux think tanks politiques français. Si aucun d’entre eux ne s’est montré à même de proposer une approche fondamentalement nouvelle d’un pan de l’action publique, plusieurs sont parvenus à devenir des acteurs de référence sur certaines questions.</p>
<p>On doit ainsi mettre au crédit de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/06/30/olivier-ferrand-le-president-du-think-tank-terra-nova-est-mort_1727447_823448.html">Terra Nova</a>, créé en 2008 par Olivier Ferrand (décédé en 2012), l’importation, après une mission d’étude aux États-Unis sur <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2009/08/26/01002-20090826ARTFIG00387-que-signifient-des-primaires-ouvertes-.php">l’organisation de primaires ouvertes</a>, de ce modèle en France et son adoption par le Parti socialiste en 2011, puis par un grand nombre de partis en 2016.</p>
<p>Il faut également indiquer que l’Institut Montaigne, qui a vu le jour en 2000 pendant les années de la cohabitation entre le Président de la République Jacques Chirac et le premier ministre Lionel Jospin, a fait de sa capacité d’estimation financière – et notamment de <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/politique-de-sante/presidentielle-2017-l-institut-montaigne-decortique-les-mesures-de-sante-des-candidats_2117435.html">chiffrage des propositions des candidats à l’élection présidentielle</a> et de bilan économique de mandatures – un axe fort de son positionnement dans le débat économique.</p>
<p>On peut enfin souligner que la Fondation Jean‑Jaurès a su quant à elle, notamment à partir de 2012, développer une stratégie d’influence autour de partenariats avec des think tanks à l’international.</p>
<p><a href="https://books.google.fr/books?id=fZVxDwAAQBAJ&pg=PT69&lpg=PT69&dq=Instituto+Lula+du+premier+%C2%AB+Forum+du+progr%C3%A8s+social+%C2%BB">On peut citer</a> à titre d’illustrations l’organisation en décembre 2012 avec le think tank brésilien Instituto Lula du premier « Forum du progrès social », et le projet « Progressistes pour le climat » développé en collaboration avec la Fondation européenne d’études progressistes en vue de la COP 21.</p>
<p>Dans ce cadre des rencontres ont notamment été organisées en Afrique du Sud avec le Mapungubwe Institute for Strategic Reflection, aux États-Unis avec le Center for American Progress ou au Canada avec le Canadian Centre for Policy Alternatives…</p>
<p>Mais, au-delà de ces marques de fabrique et du traitement récurrent de marronniers du débat public soumis par le biais de <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/France/Un-think-tank-propose-que-les-enseignants-aient-une-formation-pratique-2015-09-10-1354559">rapports plus ou moins convenus sur la santé, l’éducation ou la fiscalité</a>, trop souvent marqués du sceau d’une pensée mainstream, un double constat s’impose.</p>
<h2>Des exercices de style</h2>
<p>Les think tanks ont certes permis à l’occasion à des organisations partisanes de tester des propositions programmatiques ou d’en renforcer l’écho, mais pour autant, sans porter ni produire d’idées et de pensées radicalement nouvelles. On peut citer, pour ne prendre qu’un exemple, les <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/06/07/education-le-liberal-institut-montaigne-maitre-a-penser-de-macron_1575198">rapports de l’Institut Montaigne sur les sujets éducatifs</a>, aux préconisations souvent semblables à celles des <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/auteurs/jean-michel-blanquer/">ouvrages publiés par Jean‑Michel Blanquer</a> avant qu’il soit nommé en 2017 ministre de l’Éducation nationale et qu’il s’attache alors à leur mise en œuvre.</p>
<p>Par ailleurs, la grande force des think tanks français est aussi leur première faiblesse : dans leur constante recherche d’adaptation de leurs formats aux exigences des décideurs publics susceptibles de reprendre leurs recommandations et à celles des journalistes qui assurent leur couverture médiatique, les productions de ces groupes de réflexion sont aussi – et parfois surtout – devenues des exercices de styles.</p>
<p>Dès sa création, Terra Nova a ainsi annoncé qu’il publierait non seulement des essais de fond mais aussi des « policy briefs » (sur le modèle de « notes de cabinet »). Et tous les think tanks politiques hexagonaux proposent, à la publication de chaque essai ou rapport, des synthèses aux allures de communiqués de presse.</p>
<h2>Une certaine légitimité universitaire</h2>
<p>Bien évidemment, les think tanks ont bénéficié du fait que les partis politiques, tournés vers les échéances électorales, ont depuis plusieurs dizaines d’années maintenant perdus en France leur centralité dans l’élaboration des programmes, rendant propice le développement de lieux de pensée extérieurs et de nouveaux producteurs ou assembleurs d’expertise.</p>
<p>On ne peut d’ailleurs que se féliciter qu’ils parviennent à associer, au sein de groupes de travail spécifiquement constitués en vue de la production d’une note ou d’un rapport ou de leurs pôles d’expertise, acteurs académiques et acteurs de la vie politique, administrative, associative, et du monde économique.</p>
<p>Il faut ainsi reconnaître à ces organisations le fait d’avoir contribué à un <a href="http://www.theses.fr/s89966">mouvement positif d’effacement des frontières</a> entre les mondes académique, politique et administratif, économique et journalistique et une capacité à établir des interconnexions nouvelles, souples et informelles, contribuant à fluidifier la circulation des modèles et des idées.</p>
<h2>Déceptions</h2>
<p>Au final, si les think tanks politiques ont su se positionner comme des acteurs qui comptent dans la vie publique, politique, économique et <a href="http://www.thinktankinitiative.org/fr/blog/think-tanks-et-universit%C3%A9s-le-tout-est-sup%C3%A9rieur-%C3%A0-la-somme-des-parties">intellectuelle française</a>, porter un regard lucide sur leur production n’est pas sans susciter aujourd’hui de la déception.</p>
<p>Leur production régulière continue de bénéficier d’une importante couverture médiatique et elle est le plus souvent formellement de qualité. <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/511">Des universitaires de premier plan comme de grands noms de la politique</a> et du monde économique se sont d’ailleurs engagés, notamment à la fin des années 2000, aux côtés de certains think tanks politiques.</p>
<p>Le positionnement des think tanks politiques leur procure une certaine liberté en dehors des partis, en dépit parfois de positions partisanes, et il est donc légitime d’en attendre des idées détonantes.</p>
<p>Le décalage n’en est que plus grand quand se retrouvent recyclées, tout juste modernisées par un vernis marketing nouveau, des propositions corsetées aux airs de déjà vu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129111/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agathe Cagé est associée-cofondatrice, et présidente, de l'agence de conseil en stratégie Compass Label. </span></em></p>L’attrait de la nouveauté ayant petit à petit laissé la place à la routine, les think tanks peinent à transformer leur production en réelle impulsion politique.Agathe Cagé, Docteure en Sciences politiques associée au (CESSP) du CNRS, de l'EHESS, et de , Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.