tag:theconversation.com,2011:/us/topics/institutions-63930/articlesinstitutions – The Conversation2024-01-28T16:09:03Ztag:theconversation.com,2011:article/2218892024-01-28T16:09:03Z2024-01-28T16:09:03ZLes mouvements de contestation des agriculteurs servent-ils à quelque chose ?<p>Depuis une dizaine de jours, le mouvement de blocage de routes et de défilés d’agriculteurs en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/24/agriculteurs-en-colere-gabriel-attal-tente-de-contenir-l-embrasement-sans-se-precipiter_6212641_823448.html">colère</a> connaît un écho retentissant. Après la Roumanie, les <a href="https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/en-europe-les-agriculteurs-sinvitent-sur-la-scene-politique-et-font-pression-sur-les-gouvernements/">Pays-Bas ou encore l’Allemagne</a>, la France a suivi sous l’impulsion du syndicat <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/qu-est-ce-que-la-fnsea-le-syndicat-qui-porte-la-colere-des-agriculteurs_6319698.html">FNSEA et des Jeunes Agriculteurs</a>.</p>
<p>Ces événements s’inscrivent dans un contexte inflammable : prochaines élections européennes, <a href="https://www.lexpress.fr/economie/agriculteurs-cette-taxe-du-gazole-non-routier-a-lorigine-de-la-colere-RFZSKQFDZBAOJAP4UUHLCNG2SI/">décisions politiques contestées</a>, <a href="https://agriculture.gouv.fr/concertation-sur-le-pacte-et-la-loi-dorientation-et-davenir-agricoles">projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles</a>…</p>
<p>Ajoutons à cela l’amplification et la récurrence de crises de tous bords, les conséquences des <a href="https://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf">changements climatiques</a>, les effets relatifs des <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/documents/60499">Lois Egalim</a> qui repensent la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/economie/remuneration-des-agriculteurs-comment-fonctionnent-les-lois-egalim">manière dont les prix sont fixés</a>, et nous obtenons un <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/colere-des-agriculteurs-anatomie-dune-crise-qui-couve-depuis-longtemps-54e61b72-b9c4-11ee-9ea4-b02fbeb9c343">« ras-le-bol général »</a> couplé à un sentiment de <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240123-d%C3%A9classement-endettement-normes-europ%C3%A9ennes-raisons-col%C3%A8re-agriculteurs-fran%C3%A7ais-agriculture-attal-france-mobilisation">déclassement</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peut-on-restaurer-la-nature-220297">Peut-on « restaurer » la nature ?</a>
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<p>Fin 2023 déjà, des agriculteurs avaient commencé à <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/11/30/on-marche-sur-la-tete-l-operation-retournement-des-agriculteurs-en-colere_6203095_4500055.html">retourner les panneaux d’entrées et de sorties des communes</a> pour protester contre <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/11/30/on-marche-sur-la-tete-l-operation-retournement-des-agriculteurs-en-colere_6203095_4500055.html">« l’excès de normes »</a> avec le slogan « On marche sur la tête ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Mouvement « On marche sur la tête ».</span></figcaption>
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<p>En 2021, des agriculteurs biologiques se photographiaient nus dans leurs champs avec un panneau <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ddM797AoXX0">« La Bio à Poil »</a> pour protester contre <a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">l’ambiguïté politique</a> autour des pratiques dites agroécologiques.</p>
<p>Si ces mouvements ne sont pas <a href="https://photo.capital.fr/la-colere-des-agriculteurs-en-10-dates-cles-15217#la-jacquerie-de-1961-barrages-sabotages-et-defiles-de-tracteurs-2">nouveaux</a>, leurs formes sont néanmoins de plus en plus <a href="https://www.liberation.fr/environnement/agriculture/colere-des-agriculteurs-la-mobilisation-actuelle-est-la-plus-musclee-de-ces-dernieres-annees-20240124_SB5TNAGGP5EW3PKIDTWA2LPC7E/">musclées</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pesticides-les-alternatives-existent-mais-les-acteurs-sont-ils-prets-a-se-remettre-en-cause-146648">Pesticides : les alternatives existent, mais les acteurs sont-ils prêts à se remettre en cause ?</a>
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<h2>Que comprendre de la colère des agriculteurs aujourd’hui ?</h2>
<p>D’une part, la <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2013-3-page-251.htm">cogestion</a> sur laquelle s’est construit notre modèle agricole contemporain s’est peu à peu affaiblie à mesure que le rôle de l’Union européenne et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’est renforcé.</p>
<p>D’autre part, alors que la France est la première bénéficiaire de la <a href="https://agriculture.ec.europa.eu/common-agricultural-policy/cap-overview/cap-glance_fr">Politique agricole commune</a> (PAC), les agriculteurs pointent un sentiment de <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/agriculteurs-en-colere-pourquoi-lunion-europeenne-est-pointee-du-doigt">« trop d’Europe »</a>, une agriculture bureaucratisée, un verdissement punitif de leurs <a href="https://www.terredetouraine.fr/manifestation-le-6-avril-oui-une-pac-incitative-et-non-punitive">pratiques</a> et une absence de stratégie nationale dans un contexte de crises <a href="https://books.openedition.org/pufc/5653">sanitaires et environnementales</a> croissantes.</p>
<p>Les attentes à l’égard des agriculteurs se sont multipliées en même temps que les responsabilités imputées à l’agriculture n’ont cessé de grossir.</p>
<p>En outre, si le mouvement de contestation actuel suggère une forme d’unité agricole et syndicale, la réalité témoigne de <a href="https://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2008-2-page-291.htm">pratiques agricoles hétérogènes</a>, faites de <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-mondes-agricoles--9782200354404.htm">mondes agricoles</a> divers et <a href="https://www.bienpublic.com/economie/2024/01/24/colere-des-agriculteurs-il-faut-changer-de-modele-pour-la-confederation-paysanne">fragmentés</a>.</p>
<p>Ces mouvements de contestation visent alors à demander des changements profonds, en lien notamment avec les défis climatiques, comme le rappelle le Haut conseil pour le climat dans son <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/01/25/politiques-agricoles-et-alimentaires-le-haut-conseil-pour-le-climat-appelle-a-un-changement-de-cap_6212873_3244.html">récent rapport</a>.</p>
<p>Certes, les mobilisations suscitent soutien et sympathie, attirent l’attention du politique et des médias, mais les exemples passés montrent qu’elles peuvent rapidement tomber dans un <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/colere-des-agriculteurs-anatomie-dune-crise-qui-couve-depuis-longtemps-54e61b72-b9c4-11ee-9ea4-b02fbeb9c343">certain oubli</a>. On peut alors s’interroger : ces mouvements de contestation servent-ils à quelque chose ?</p>
<h2>Ce que ces mouvements disent de la condition agricole aujourd’hui</h2>
<p>Quel que soit leur mode de production, les agriculteurs font face à des dépendances fortes et des déséquilibres importants, suscitant des tensions contradictoires. Ainsi, comment concilier <em>en même temps</em> des conditions propres à garantir respect et <a href="https://www.cairn.info/revue-travailler-2002-2-page-111.htm">bien-être animal</a> et favoriser l’accès à tous à une agriculture de <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/from-farm-to-fork/">proximité et de qualité</a> ?</p>
<p>Est-il possible de « nourrir la France » et « entretenir les paysages » en respectant un empilement de normes techniques et réglementaires <a href="https://www.tf1info.fr/societe/video-reportage-agriculteurs-en-colere-l-exemple-edifiant-du-millefeuille-des-normes-sur-les-haies-2283505.html">difficiles à suivre</a> ?</p>
<p>Comment faire face <em>en même temps</em> aux conséquences immédiates du gel, d’inondations, de sécheresse ou d’une <a href="https://agriculture.gouv.fr/mhe-la-maladie-hemorragique-epizootique">épizootie</a>, et s’adapter à long terme à leur inévitable récurrence ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/poulets-soldats-et-eleveurs-sentinelles-allies-dans-la-vaccination-contre-la-grippe-aviaire-207861">Poulets soldats et éleveurs sentinelles, alliés dans la vaccination contre la grippe aviaire</a>
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<p>Comment faire face à une attente sociétale de <a href="https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2023/09/Rapport-activite-2022_Agence-BIO.pdf">« plus de bio »</a> dans un contexte <a href="https://www.lafranceagricole.fr/agriculture-biologique/article/841135/le-marche-des-produits-bio-s-essouffle">d’inflation et de déconsommation</a>, alors que les processus de conversion prennent <a href="https://www.agencebio.org/questions/a-quoi-correspond-la-mention-en-conversion-vers-lagriculture-biologique/">plusieurs années</a> et engagent des moyens considérables ?</p>
<p>Comment permettre aux agriculteurs de s’engager dans la <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-na-94-agroecologie-ao%C3%BBt.pdf">transition agroécologique</a> tout en leur procurant un revenu propre à <a href="http://journals.openedition.org/economierurale/9560">vivre de leur métier</a> ?</p>
<p>Dans ce contexte, comment assurer la <a href="https://agriculture.gouv.fr/actifagri-transformations-des-emplois-et-des-activites-en-agriculture-analyse-ndeg145">pérennité</a>, le <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-04/20230412-Politique-installation-nouveaux-agriculteurs.pdf">développement</a> et la <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2022-3-page-40.htm">transmission de l’exploitation</a> dans des conditions tenables ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">Une vraie souveraineté alimentaire pour la France</a>
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<h2>Ce que les mouvements ont obtenu dans le passé</h2>
<p>Ces attentes disent combien l’agriculture est <a href="https://revues.cirad.fr/index.php/cahiers-agricultures/article/view/30369/30129">multifonctionnelle</a> et alors inévitablement, source de contradictions pour les agriculteurs. Il leur est difficile de répondre <em>en même temps</em> et de manière satisfaisante à toutes ces attentes et pratiquer une agriculture conforme à leurs valeurs et à leurs besoins.</p>
<p>Cette équation impossible les contraint à en faire « toujours plus ». Elle provoque une surcharge physique, psychologique et émotionnelle, et conduit à la <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/5-minutes-avec/les-agriculteurs-d-occitanie-sont-percutes-par-un-cumul-de-crises-pour-un-sociologue-toulousain-2780313">crise morale et de confiance</a> que nous connaissons aujourd’hui. Reste qu’un détour par les réponses apportées aux précédents mouvements de contestation montre que la colère des agriculteurs est généralement entendue, partiellement du moins.</p>
<p>Le mouvement « La Bio à Poil » de 2021 a contribué à la mise en œuvre par le gouvernement d’ajustements réglementaires visant à mieux reconnaître les spécificités de <a href="https://www.fnab.org/communiques-presse/le-ministre-annonce-la-creation-dun-3e-niveau-a-linterieur-de-leco-regime-avec-une-aide-a-112e-ha-an-pour-la-bio/">« la bio »</a>. Les agriculteurs biologiques se sont dit alors satisfaits des <a href="https://www.bio-provence.org/IMG/pdf/gains_syndicaux_fnab_2022.pdf">avancées réalisées</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mouvement « La Bio à poil » le 2 juin 2021, Invalides, Paris.</span></figcaption>
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<p>Le mouvement « On marche sur la tête » a conduit au recul du gouvernement sur des <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/06/taxes-sur-les-pesticides-et-l-irrigation-le-renoncement-du-gouvernement-a-les-augmenter-suscite-les-critiques_6204274_3244.html">hausses de taxes</a>, satisfaisant les agriculteurs <a href="https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/agriculture-la-fnsea-obtient-l-abandon-de-la-hausse-de-taxes-sur-les-pesticides-et-l-eau-4081485">engagés dans le mouvement</a>.</p>
<p>Pourtant, ces concessions n’ont pas permis d’éteindre le feu qui couve depuis <a href="https://www.letelegramme.fr/finistere/douarnenez-29100/selon-cet-eleveur-laitier-de-douarnenez-le-feu-couve-depuis-des-annees-et-des-annees-6512009.php">longtemps maintenant</a>.</p>
<p>S’agissant du mouvement de colère actuel, des mesures seront sans doute annoncées et des crédits débloqués. Permettront-ils de résoudre à eux seuls et à long terme l’équation impossible à laquelle l’agriculture paraît tenue ?</p>
<p>En outre, de nouvelles mesures peuvent accroître les contradictions et la surcharge perçues par encore plus de <a href="https://www.cairn.info/revue-gouvernement-et-action-publique-2017-1-page-33.htm">« paperasse »</a>, et renforcer davantage leur colère.</p>
<p>Alors ces mouvements ont-ils tout de même un intérêt ?</p>
<h2>L’importance des stratégies menées aujourd’hui</h2>
<p>Les recherches que nous menons depuis 2019 auprès d’agriculteurs suggèrent l’importance des <a href="https://hal.science/hal-04253918">stratégies</a> mises en œuvre pour faire face aux tensions perçues, et les différents niveaux d’intérêts qu’elles présentent.</p>
<p>D’une part, ces mouvements permettent aux agriculteurs d’exprimer la <a href="https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9C2894">colère</a> ressentie. Cette forme d’expression des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1269176308000254">émotions</a> permet ici de dire publiquement ce que d’autres finissent par taire. Car oui, l’anéantissement ultime que constitue le <a href="https://www.cairn.info/revue-sesame-2019-2-page-60.htm">suicide</a> touche aujourd’hui encore davantage les <a href="https://statistiques.msa.fr/wp-content/uploads/2022/10/Etude-mortalite-par-suicide_ok.pdf">agriculteurs</a> que la population générale.</p>
<p>Cela témoigne aussi d’une volonté des agriculteurs de s’unir et faire collectif pour parler d’une voix commune. Cette stratégie de <a href="https://iaap-journals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1464-0597.1993.tb00748.x">soutien social</a> leur rappelle qu’ils ne sont pas isolés dans leurs pratiques.</p>
<p>Justement, par-delà les désaccords syndicaux et professionnels, ces mouvements rappellent aussi que les agriculteurs forment une communauté de pratiques qui peut contribuer aussi de <a href="https://hal.science/hal-04150078">l’intérieur</a> à <a href="https://www.cairn.info/revue-le-travail-humain-2015-1-page-31.htm">construire, définir et redire</a> ce que peut être un modèle agricole soutenable pour chacun.</p>
<p>Pour les politiques, les citoyens et les consommateurs, c’est aussi une occasion de rappeler leur attachement au monde agricole et sans doute aussi <a href="https://www.cairn.info/revue-geographie-economie-societe-2013-1-page-67.htm">à une forme de ruralité</a>. Dans un contexte laissant craindre un <a href="https://reporterre.net/L-agribashing-une-fable-qui-freine-l-indispensable-evolution-de-l-agriculture"><em>agribashing</em> galopant</a>, c’est aussi redire aux agriculteurs <a href="https://hal.science/hal-03583047">qu’ils sont soutenus et essentiels</a>.</p>
<p>Ces mouvements rappellent enfin que l’agriculture n’est pas un secteur tout à fait <a href="https://agriculture.ec.europa.eu/common-agricultural-policy/cap-overview/cap-glance_fr">comme les autres</a>.</p>
<h2>Affronter nos propres contradictions</h2>
<p>Toutefois, ces mouvements ne constituent des stratégies efficaces qu’à la condition d’être complétés de mesures structurantes, globales et de long terme au bénéfice des agriculteurs. Autrement dit, ils ne sauraient exonérer les pouvoirs publics, les consommateurs et les citoyens de leurs propres contradictions. Comme le relève le <a href="https://www.ifop.com/publication/barometre-dimage-des-agriculteurs-3">baromètre IFOP</a> :</p>
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<p>« Les Français demandent plus de soutien financier des pouvoirs publics (56 %), mais notons tout de même une proportion élevée en faveur (25 %) du maintien en l’état actuel des aides aux agriculteurs. »</p>
</blockquote>
<p>Alors que faire ?</p>
<p>Il s’agit peut-être de <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240123-d%C3%A9classement-endettement-normes-europ%C3%A9ennes-raisons-col%C3%A8re-agriculteurs-fran%C3%A7ais-agriculture-attal-france-mobilisation">« réarmer »</a> les agriculteurs et leur permettre de faire réellement le poids <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/colere-des-agriculteurs-la-confederation-paysanne-demande-une-interdiction-du-prix-d-achat-des-produits-agricoles-en-dessous-du-prix-de-revient_6321894.html">face aux distributeurs</a>.</p>
<p>C’est peut-être consommer local et au juste prix, et accepter une campagne dans laquelle l’agriculture est un <a href="https://hal.science/hal-03262804">métier</a> et pas seulement des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Tmw5qxcTFpM">paysages</a>. C’est peut-être enfin renforcer l’investissement dans la recherche et l’innovation afin de rendre la transition agroécologique possible.</p>
<p>Le Salon international de l’Agriculture prévu le mois prochain constituera sans aucun doute une épreuve de force pour le gouvernement, les agriculteurs et leurs syndicats, une étape déterminante avec celle des élections européennes prévues au mois de juin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221889/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Benoist ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre la colère des mouvements agricoles et sur quelles stratégies reposent-ils ?Sandrine Benoist, Enseignante-chercheuse, Université d'Orléans, IAE OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212512024-01-23T16:36:18Z2024-01-23T16:36:18ZÉlections européennes : les stratégies complexes des partis italiens<p>Les élections européennes revêtent en Italie, comme dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne, une double signification. Elles représentent tout d’abord un jalon dans la vie politique interne, une échéance qui permet aux partis d’enregistrer leur niveau de popularité auprès des citoyens et d’en tirer les conclusions en termes de stratégie électorale ultérieure. Elles permettent ensuite la constitution des différents <a href="https://www.europarl.europa.eu/about-parliament/fr/organisation-and-rules/organisation/political-groups">groupes parlementaires européens</a> et débouchent sur la formation de la nouvelle législature de l’assemblée parlementaire strasbourgeoise, avec une influence directe sur la constitution de la future Commission européenne (celle-ci doit <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/leadership/elections-and-appointments_fr">obtenir le vote de confiance du Parlement européen</a> pour pouvoir entrer en fonction au début de son mandat).</p>
<p>En Italie, dans l’actuelle phase de pré-campagne électorale, ce sont les enjeux internes qui priment. Chaque formation est à la recherche de la tête de liste optimale afin de réaliser la meilleure performance électorale possible, gage d’une affirmation de son pouvoir à l’intérieur du pays. La coalition de droite, emmenée par la cheffe du gouvernement <a href="https://theconversation.com/fr/topics/giorgia-meloni-124819">Giorgia Meloni</a>, entend marquer la solidité de son assise alors qu’à gauche la secrétaire du Parti démocrate, <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/europ%C3%A9en-de-la-semaine/20230729-elly-schlein-l-anti-meloni-et-nouvelle-figure-de-la-gauche-italienne">Elly Schlein</a>, veut réaliser un bon score de façon à conserver sa légitimité à la tête du principal parti d’opposition pour garder la possibilité de fédérer le camp de la gauche lors des échéances futures.</p>
<h2>Calculs domestiques à droite…</h2>
<p>Le premier débat est celui relatif aux têtes de liste. Giorgia Meloni et Elly Schlein sont tentées de prendre la tête de leurs listes respectives pour les élections européennes. Si toutes deux sont convaincues de pouvoir être des locomotives efficaces pour les résultats électorats de leur formation, il s’agit également, pour l’une comme pour l’autre, de conserver le leadership au sein de leur camp.</p>
<p>Les <a href="https://www.politico.eu/europe-poll-of-polls/italy/">sondages sont actuellement très favorables à Giorgia Meloni</a> et à son parti « Fratelli d’Italia », qui récolte presque 30 % d’intentions de vote dans les enquêtes pré-électorales. Giorgia Meloni semble bénéficier d’un état de grâce après plus d’une année passée à la tête de l’exécutif italien. Cette popularité personnelle, mais aussi une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/italie/italie-apres-15-mois-au-pouvoir-giorgia-meloni-a-imprime-sa-marque_6281874.html">pratique plutôt individuelle du pouvoir</a>, la pousse à vouloir incarner l’offre politique de son parti dans le cadre des élections européennes, ce qui réaffirmerait également son statut de cheffe de parti. Il faut également relever qu’au sein de la droite italienne on a longtemps vu Silvio Berlusconi jouer la personnalisation de son camp politique en se présentant de façon systématique comme tête de liste lors des différentes élections.</p>
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<p>Mais déjà apparaissent des contre-feux face à ces désirs de primauté. À droite, une victoire trop écrasante du parti de Giorgia Meloni ferait de l’ombre aux deux autres formations qui composent la coalition actuellement au pouvoir : Forza Italia et la Lega.</p>
<p>Forza Italia a du mal à survivre à la <a href="https://theconversation.com/italie-silvio-berlusconi-ou-la-revolution-liberale-qui-na-jamais-eu-lieu-207848">disparition de Silvio Berlusconi</a>, qui a toujours représenté la figure tutélaire de ce parti. L’actuel secrétaire de ce mouvement politique, Antonio Tajani, qui est également le ministre des Affaires étrangères de l’actuel gouvernement, est un modéré qui n’a pas le charisme de Berlusconi.</p>
<p>Aussi peut-on déjà observer une érosion électorale qui pourrait même prendre un aspect de véritable débâcle si ce parti (qui avait obtenu 8,78 % des suffrages aux européennes de 2019) passait sous la barre des 6 %. Forza Italia a longtemps été le pivot des coalitions de droite en Italie, une fonction qui s’exprimait dans les résultats mais aussi dans l’ancrage de modération qu’offrait cette formation, membre, au Parlement européen, du Parti populaire européen, qui regroupe les partis de droite dits traditionnels.</p>
<p>De plus, Forza Italia a toujours exprimé les intérêts des milieux entrepreneuriaux italiens, ne serait-ce que par l’influence importante de la famille Berlusconi en son sein. La réduction de cette formation de centre droit à une portion congrue ne représente pas un objectif politique pour Giorgia Meloni et les siens, car cela risquerait de déséquilibrer la coalition au pouvoir, mais aussi de susciter l’inimitié avec des centres de pouvoirs externes (le groupe de médias Mediaset, qui possède notamment trois chaînes de télévision et appartient à la famille Berlusconi).</p>
<p>Une autre évolution majeure au sein de la droite italienne concerne la Lega, qui semble engagée dans un cycle particulièrement négatif. Alors qu’aux élections européennes de 2019 elle caracolait en tête avec plus de 33 % des suffrages exprimés, elle se situe aujourd’hui autour de 9 % dans les enquêtes d’opinion, ce qui correspond d’ailleurs au niveau obtenu lors des dernières législatives, en 2022. La pente descendante des votes pour la Lega et Forza Italia crée également les termes d’une compétition entre les deux formations qui semblent inexorablement tirées vers le bas dans l’actuel cycle électoral.</p>
<p>La Lega et son leader, Matteo Salvini, ne veulent pas céder du terrain, si bien que la Lega apparait comme le principal compétiteur de Fratelli d’Italia, en cherchant sans relâche à déborder le parti de Giorgia Meloni sur sa droite. Il pourrait donc être paradoxalement contre-productif pour Meloni de devancer très nettement, en juin prochain, ses deux partenaires de coalition : ceux-ci pourraient dès lors être tentés de remettre en cause la viabilité de la majorité parlementaire actuelle. On pourrait penser que Giorgia Meloni serait attirée par une prise de pouvoir hégémonique ; mais le régime parlementaire italien rend assez improbable la possibilité de gouverner avec un seul parti. Il convient donc d’être attentif aux équilibres de la coalition au pouvoir.</p>
<h2>… et à gauche</h2>
<p>Ce questionnement à droite n’est pas sans conséquences sur le camp de gauche. Elly Schlein voudrait elle aussi se présenter comme tête de liste pour affirmer sa primauté sur le Parti démocrate. Cependant, des voix internes comme celles de Romano Prodi ou Enrico Letta lui conseillent de faire un pas de côté pour éviter l’opération politicienne qui consisterait à s’imposer en tête de liste pour démissionner aussitôt élue, car il semble peu probable qu’Elly Schlein choisisse d’aller siéger à Strasbourg.</p>
<p>Cette volonté de transparence exprimée par certains leaders du parti peut représenter un piège politique visant à affaiblir Schlein : si la liste du Parti démocrate obtient un score relativement médiocre, en dessous des 20 %, alors son leadership sur le parti pourrait être remis en question au bénéfice d’autres figures qui peuvent apparaître comme d’éventuels recours à gauche, comme l’actuel Commissaire européen Paolo Gentiloni.</p>
<p>Enfin, il est probable qu’Elly Schlein ne prendra sa décision qu’une fois celle de Giorgia Meloni connue, car elle voudra éviter un mano à mano avec la cheffe du gouvernement face à laquelle, dans la conjoncture actuelle, elle ferait pâle figure.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1746055296609300679"}"></div></p>
<p>Ici encore, il s’agit pour Elly Schlein de conserver la possibilité de fédérer un camp de « gauche élargie » dans une coalition capable de remporter des élections locales et nationales, en stabilisant des accords avec le Mouvement 5 Etoiles (M5S) et des formations centristes, comme « Plus d’Europe ». Cette stratégie ne peut réussir que si le Parti démocrate apparaît comme capable d’exercer l’hégémonie sur la coalition, et donc de se situer nettement au-dessus d’un M5S qui pointe à 16 % dans les sondages.</p>
<p>Il faut également relever l’actuelle marginalisation des formations du centre. Alors qu’aux dernières élections législatives Carlo Calenda et Matteo Renzi s’étaient alliés dans un groupe « Azione-Italia Viva » pour arriver à un résultat de 7,8 %, cet accord a volé en éclats et ces deux personnalités politiques ont maintenant des destins séparés. Matteo Renzi a annoncé sa candidature comme tête de liste du parti Italia Viva aux élections européennes, en espérant dépasser le seuil minimal de 4 % des votes exprimés, nécessaires pour obtenir des élus dans la loi italienne.La mésentente entre Carlo Calenda et Matteo Renzi fait peser une hypothèque sur la participation italienne au groupe Renew, un point plutôt négatif pour la formation d’Emmanuel Macron, Renaissance.</p>
<p>Par ailleurs, à gauche, on ne constate dans la phase actuelle que très peu d’espace pour d’autres sensibilités : lors des dernières législatives la liste d’alliance gauche-verte n’a enregistré que 3,6 % des suffrages, ce qui illustre le caractère étriqué du « camp de gauche » qu’Elly Schlein appelle de ses vœux.</p>
<h2>Meloni et Salvini, deux positionnements différents au Parlement européen</h2>
<p>Au-delà de ces questions essentielles pour l’avenir du panorama politique interne, il convient également de poser des questionnements sur les conséquences européennes de ce cadre électoral italien.</p>
<p>Lors de la campagne pour les européennes de 2019, le leader de la Lega Matteo Salvini, à l’époque ministre de l’Intérieur, se distinguait par son positionnement populiste et souverainiste. Ce faisant il mettait l’accent sur la défense d’une « Europe des peuples » qu’il opposait à l’Europe technocratique incarnée en particulier par le président français Emmanuel Macron. Une posture efficace : la Lega dépassait les 30 % et obtenait 25 députés au Parlement européen. Toutefois, l’influence du parti à Strasbourg s’est révélée limitée puisque ses députés siègent au sein du groupe <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/les-groupes-du-parlement-europeen-identite-et-democratie-id/">Identité et Démocratie</a> (ID) (en compagnie notamment des 18 élus du RN français) : or ID est resté en dehors des coalitions et n’a donc que marginalement pesé sur les débats.</p>
<p>En 2024, le scénario est différent. La Lega <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/03/italie-matteo-salvini-recoit-ses-allies-europeens-a-florence-dont-jordan-bardella-mais-sans-marine-le-pen_6203697_3210.html">continue d’afficher son compagnonnage avec le RN</a>, ce qui lui procurera certainement une position ancillaire au sein du futur groupe européen ID, puisque cette fois, elle obtiendra sans doute moins de députés que le RN et que, en outre, ID devrait s’élargir à davantage de formations. Cela ne devrait pas changer le relatif isolement de ce groupe au sein du Parlement européen mais cela entraînera probablement la nécessité d’élargir la coalition majoritaire au Parlement européen, face à la croissance de ce vote « hors majorité ».</p>
<p>L’affirmation du parti Fratelli d’Italia représente une variable dans le jeu politique européen. À Strasbourg, Fratelli d’Italia appartient au groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), où elle siège aux côtés de formations comme le Pis (Pologne) ou Vox (Espagne). Au cours de sa première année à la tête du gouvernement italien, Giorgia Meloni a opté pour une posture constructive au niveau européen, loin des rodomontades de Matteo Salvini. Les rencontres avec la présidente de la Commission, <a href="https://www.europe1.fr/international/lampedusa-giorgia-meloni-et-ursula-von-der-leyen-appellent-a-la-solidarite-des-europeens-4204076">Ursula von der Leyen</a>, mais aussi avec celle du Parlement européen, <a href="https://www.governo.it/en/articolo/president-meloni-meets-president-european-parliament-metsola/24518">Roberta Metsola</a>, ont confirmé cette tendance.</p>
<p>Giorgia Meloni apparait donc comme œuvrant à une probable stratégie de convergence avec la prochaine majorité de soutien à la Commission européenne, qui devrait graviter autour du PPE. Même si le groupe ECR n’en fait pas partie de manière organique, des compromis pointent déjà, ce qui devrait aboutir à une forme de « soutien externe » de la part des députés européens de Fratelli d’Italia à la future Commission. De plus, Giorgia Meloni pourrait être conduite à exercer un rôle de médiation avec Viktor Orban dans le contexte délicat de la présidence hongroise de l’Union qui débutera en juillet 2024.</p>
<p>Au sein de la coalition de droite italienne passe donc une ligne de démarcation entre populaires (Forza Italia) et conservateurs (Fratelli d’Italia) d’un côté, et Lega de l’autre, ancrée dans le groupe Identité et Démocratie.</p>
<p>Le positionnement politique de Giorgia Meloni peut lui permettre de jouer un rôle plutôt actif d’appui à la future coalition qui dominera le Parlement européen, sans toutefois en être un membre officiel, tout au moins pour le moment. Il s’agit d’une situation fragile car elle dépend du maintien de la coalition au pouvoir en Italie, <a href="https://theconversation.com/la-politique-italienne-est-elle-vraiment-atteinte-dinstabilite-chronique-187812">jamais certain</a>. Et elle caractérise une Italie qui reste à la marge du jeu européen. Il faut cependant relever combien cette situation apparaît comme en évolution par rapport aux précédentes élections de 2019 : cette fois, l’Italie se rapproche du barycentre européen.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221251/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Darnis a reçu des financements de recherche d'organismes publics (Académie d'excellence Université Côte d'Azur) ainsi que différents financements de recherche dans le cadre de projects financés par la Commission Européen (Horizon)</span></em></p>La droite au pouvoir et l’opposition de gauche s’interrogent encore sur la stratégie à adopter en vue des élections de juin prochain.Jean-Pierre Darnis, Professeur des Universités, directeur du master en relations franco-italiennes, Université Côte d'Azur, Chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS, Paris), professeur invité à l'université LUISS de Rome, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157562024-01-16T14:07:19Z2024-01-16T14:07:19ZComment créer une nouvelle université, au XXIᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558123/original/file-20231107-21-ras0om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C991%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le lieu nommé « université » peut se définir comme un établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Si on créait une université aujourd’hui, comment s’y prendrait-on ?</p>
<p>Il arrive fréquemment que des gestionnaires ou des professeurs d’université peinent à mettre en place un projet au sein de leur institution. Ils expliquent alors cette difficulté par les contraintes imposées par l’administration, les conventions collectives, les règles en place, les traditions ou les usages. </p>
<p>Tel projet serait-il plus facile à réaliser si on repartait de zéro en créant une toute nouvelle université ? Peut-être, mais comment crée-t-on une université au XXI<sup>e</sup> siècle ? </p>
<p>Voici la grande question qui a hanté mes jours (et mes nuits) des quatre dernières années. J’ai récemment complété une <a href="https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/10732/1/eprint10732.pdf">thèse</a> sur les enjeux de communication et de gestion entourant la création d’une université à partir de zéro – un phénomène rare. Nous avons eu la chance d’assister à un tel événement avec la fondation en 2017 de <a href="https://uof.ca/">l’Université de l’Ontario français (UOF)</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/luniversite-de-lontario-francais-voici-ce-quelle-pourrait-devenir-110072">L'Université de l'Ontario français: voici ce qu'elle pourrait devenir</a>
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<p>J’ai ainsi pu décomposer les étapes de création de cette nouvelle institution, et réfléchir à la fois à la mise en place de composantes de l’université idéale, à l’influence des facteurs externes ainsi qu’à la façon dont les différentes communautés discutent d’un tel projet. </p>
<p>Dans un premier temps, j’ai analysé l’expérience vécue par les fondateurs de l’UOF et les publications médiatiques sur l’histoire de cette création. Dans un deuxième temps, j’ai rencontré des experts de l’enseignement supérieur (chercheurs et dirigeants d’universités) pour discuter de la question de la naissance d’une université. J’ai ainsi vite constaté que de me pencher sur ce moment important m’en apprenait beaucoup sur les tensions vécues par l’université au XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’une université ?</h2>
<p>Le lieu nommé « université » peut se définir comme un <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-et-gestion-de-l-enseignement-superieur-2005-2-page-9.htm">établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes</a>. </p>
<p>La notion d’université, quant à elle, peut être définie de plusieurs façons. En 1895, le philosophe Hastings Rashdall l’associe à la racine latine « universitas », qui sous-tend l’idée d’une organisation corporative, d’une communauté. </p>
<p>Cet espace d’entraide, de défense d’intérêt commun, réunit, dès son origine, l’ensemble des étudiants et des professeurs ayant la mission commune d’explorer, de partager, de questionner les connaissances humaines. J’ai trouvé instructif d’observer comment l’UOF, université nouvelle, a tenté d’actualiser une telle notion. Pour développer la <a href="https://theconversation.com/luniversite-de-lontario-francais-voici-ce-quelle-pourrait-devenir-110072">signature pédagogique</a> de cette institution, ses fondateurs ont pris en compte les compétences requises par le marché du travail et la société à notre époque, ainsi que les pratiques innovatrices en enseignement supérieur. Cette signature pédagogique s’appuie ainsi sur quatre approches : la transdisciplinarité, l’apprentissage inductif, l’apprentissage expérientiel et les compétences.</p>
<p>La création de l’UOF constitue également l’aboutissement d’une <a href="https://histoireengagee.ca/quelle-universite-pour-quelle-societe-petite-histoire-du-debat-intellectuel-entourant-la-question-universitaire-franco-ontarienne/">revendication de longue date</a> émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne. Une année après sa fondation en 2017, le gouvernement progressiste-conservateur stoppe le financement de l’UOF. Aussitôt, la communauté franco-ontarienne se mobilise pour contester cette décision. Ce mouvement populaire contribue à la volte-face du gouvernement ontarien. En 2020, ce dernier conclut une entente avec le gouvernement fédéral afin de financer les huit premières années d’existence de l’UOF. </p>
<h2>Une page avec peu d’espace de création</h2>
<p>Un constat a rapidement émergé de mes recherches : la création d’une nouvelle université ne se déroule pas sur une page complètement blanche. L’UOF a été créée selon des échéanciers serrés, en négociant avec les différents gouvernements en place et en luttant pour sa survie au sein d’un système d’enseignement supérieur parfois hostile, ainsi que dans un contexte social et historique mouvementé. À toutes les étapes de la création de l’institution, l’équipe fondatrice a dû composer avec la dynamique politique et avec les rapports de force entre les parties prenantes : représentants des collectivités francophones, des établissements d’enseignement supérieur, des ministères, des élus. </p>
<p>L’université rêvée est rapidement rattrapée par la réalité. </p>
<p>Pour les nombreux experts de l’enseignement supérieur rencontrés, la création d’une université passe nécessairement par la mise en place de composantes liées à sa mission soit : l’enseignement, la recherche et les services aux collectivités. </p>
<p>La nouvelle université, comme les universités établies, est soumise à un cadre normatif assez contraignant. L’institution s’inscrit également au sein d’une communauté qui lui soumet de nombreuses attentes (formation, développement économique). Elle évolue, de plus, dans un système d’enseignement supérieur qui lui impose une concurrence féroce. </p>
<p>Les rapports entre les différents groupes d’intérêt, à l’intérieur et à l’extérieur de l’université, façonnent alors ce qu’elle peut devenir. Quelle part de création demeure donc pour l’université ? </p>
<h2>Fortes pressions, faible cohésion</h2>
<p>Pour l’UOF, les attentes des différents acteurs concernés par le projet (communautés francophones de la province, associations franco-ontariennes, gouvernements, organisations issues des milieux politiques et économiques, administrateurs de l’UOF) étaient nombreuses et parfois contradictoires, tant au niveau du lieu de fondation (Toronto ou ailleurs en Ontario) que de l’offre de formation (programmation traditionnelle ou innovante). De plus, ces acteurs n’ont eu que très peu de temps pour discuter ensemble de ce projet. </p>
<p>Un deuxième constat émerge ainsi de l’analyse du discours des experts sur la question : la communauté universitaire à notre époque peine à se rassembler autour d’un projet commun. Ce projet tend à se réduire à un compromis, fragile et insatisfaisant pour la plupart des acteurs. </p>
<p>Dès sa création, et tout au long de son existence, il apparaît donc que la communauté universitaire est fragilisée par les tensions qui l’assaillent. L’institution doit composer avec des tensions inhérentes à la réalité universitaire multiséculaire (son mode de gouvernance par les pairs, l’équilibre à trouver entre recherche et enseignement ou entre recherche fondamentale et appliquée, notamment). Ces tensions s’additionnent à celles, plus nombreuses, que subit l’université à notre époque (mentionnons seulement les attentes du gouvernement en place et celles des milieux socio-économiques sur les types de formation ou de développement de la recherche, notamment). </p>
<p>Ces tensions sont intégrées dans les structures internes et sont alimentées par les universitaires eux-mêmes. Le gouvernement, les partenaires de la communauté externe, les différents types d’étudiants, de professeurs, de cadres et d’employés, les syndicats et les associations : tous ont et expriment des attentes multiples, complexes et souvent contradictoires. Les lieux de rencontre pour discuter d’éventuelles voies de passage ou d’un projet commun, autant aux niveaux institutionnel, communautaire ou public, ne semblent pas toujours efficaces. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C2389%2C1253&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="façade de l’UOF" src="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C2389%2C1253&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La création de l’Université de l’Ontario français constitue l’aboutissement d’une revendication de longue date émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(https://uontario.ca)</span></span>
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<h2>L’utopie de la corporation universitaire</h2>
<p>J’ai pu observer, en rencontrant les fondateurs de l’UOF ainsi que les experts de l’enseignement supérieur, que la corporation universitaire est encore aujourd’hui considérée comme une utopie. <em>Corporari</em>, en latin, signifie « se former en corps ». Cela évoque l’idée d’une organisation idéale constituée de plusieurs acteurs partageant un but commun. </p>
<p>L’université est donc représentée comme un corps, où professeurs, étudiants et artisans, issus de la communauté interne et externe à l’université, partagent une même compréhension de la raison d’être de l’institution. Les turbulences rapides vécues par les universités dans les dernières décennies, couplées aux tensions qu’elles vivent déjà, ont toutefois réduit la capacité de la communauté universitaire à « faire corps ». </p>
<p>À l’évidence, l’université ne se crée ni ne se développe en vase clos. Comme nous l’avons vu dans le cas de l’UOF, l’université est à la fois influencée par la société qui l’accueille (actuellement marquée par la montée de l’individualisme, par la fragmentation des communautés et par la fragilisation du lien social) et contributive au développement de cette dernière. </p>
<p>Elle reste une de ces institutions qui peuvent, selon moi, être précurseures d’une façon nouvelle de concevoir le vivre-ensemble. </p>
<p>Mais cela passe nécessairement par l’apaisement de certaines tensions. Et par une communauté universitaire qui prend le temps nécessaire pour se rassembler en une corporation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215756/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François-René Lord ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment crée-t-on une université au XXIᵉ siècle ? Comment cette expérience se déroule-t-elle ? Et que nous apprend l’analyse de ce phénomène ?François-René Lord, Professeur subsitut en communication , Université TÉLUQ Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211342024-01-15T16:43:25Z2024-01-15T16:43:25ZEmmanuel Macron rebat ses cartes : nouveau gouvernement, nouvelle stratégie<p>Avant de s’adresser aux Français, Emmanuel Macron a donc décidé de changer de gouvernement : c’était, avec la dissolution, l’une des deux seules solutions dont il disposait pour tenter de sortir de la nasse où l’enfermaient ses adversaires. En effet, l’exécutif, pris dans les déboires procéduraux de l’examen de la loi sur l’immigration se trouvait <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-loi-immigration-dit-de-limpasse-dans-laquelle-se-trouve-emmanuel-macron-219920">dans une impasse</a>.</p>
<p>Emmanuel Macron devait dissiper l’atmosphère délétère de fin de partie entretenue par l’opposition, ainsi que les doutes apparus dans sa propre majorité, notamment sur la gauche, avec la loi Immigration. Resserrer les rangs de ses troupes, resserrer le gouvernement autour de quelques grands ministères incarnant les projets, restaurer la confiance dans l’action, s’entourer étroitement de proches totalement dévoués. En deux mots : rajeunir pour réagir, tel est le message qu’on tente d’impulser depuis l’Élysée.</p>
<p>Sur les dossiers névralgiques, il se voyait systématiquement entravé à l’Assemblée nationale, du fait d’un refus total du compromis par la tacite coalition des minorités d’opposition. Au mépris du <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">vote de juin 2022</a> par lequel les Français avait constitué une assemblée de type proportionnel ouvrant nécessairement la voie à des compromis politiques, la minorité plurielle s’est affirmée avant tout comme une majorité d’empêchements en refusant toute les mains tendues. La gauche emmenée par la Nupes, bloquant la majorité des propositions ; la droite tentant d’amener Renaissance à résipiscence en imposant son seul programme politique.</p>
<h2>Le changement, c’est maintenant</h2>
<p>2023, an VII de la Présidence Macron, marque un double échec. C’est la fin de sa stratégie du « en même temps » de droite et de gauche, et plus profondément, celui de la réforme du fonctionnement politique et institutionnel. Or, c’est pourtant bien cette dernière qui aurait permis d’avancer sur le terrain des compromis politiques et qui aurait dû être entamée préalablement.</p>
<p>Emmanuel Macron a visiblement renoncé à toute ambition réformatrice de ce côté. Au moins pour l’instant, gardant peut-être cette idée pour un bouquet final de son quinquennat.</p>
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<p>Pour l’heure, à moins de la moitié du second mandat, il y avait, à peine de torpeur, urgence à tourner la page de ce redémarrage difficile et à tirer les conséquences de l’obstination de ses opposants. À la dissolution, Emmanuel Macron a cru préférable de sacrifier le gouvernement Borne, dans la plus pure logique de la V<sup>e</sup> République, <a href="https://theconversation.com/le-choix-attal-lhyperpresidentialisme-macronien-au-defi-de-labsence-de-majorite-parlementaire-220671">comme le rappelle très justement Arnaud Mercier</a>.</p>
<h2>Serrer les rangs</h2>
<p>Il s’agit donc d’un changement de gouvernement et non d’un remaniement ministériel. Étrange (et peut-être délibérée) confusion entre ces deux opérations que le droit constitutionnel ne confond pas car les incidences politiques et les conséquences juridiques ne sont pas les mêmes. L’article 8 de la Constitution ne connaît que la démission du Premier ministre qui entraîne celle du gouvernement, donc son remplacement.</p>
<p>Or, quasi tous les commentateurs s’en tiennent, à tort, au terme de remaniement, c’est-à-dire à une procédure de départ et de remplacement de quelques ministres au sein d’un même gouvernement (comme ce fut le cas en juillet 2023 par exemple). Ce qui, on le voit, aboutit à réduire la perception de la dimension de l’évènement. Il y a changement de gouvernement lorsqu’il y a démission (volontaire ou imposée) du premier ministre, lequel peut, éventuellement, être renommé. Cette démission implique qu’il y ait un nouveau décret de nomination du premier ministre et de l’ensemble d’un nouveau gouvernement par le président de la République. Puis d’une présentation au Parlement du programme de celui-ci, éventuellement sous la forme d’une déclaration de politique générale. Cette dernière, dans la logique de présidentialisme qui prédomine toujours, sera précédée ou accompagnée d’une prise de parole présidentielle. Il s’agit donc d’abord d’une rupture ouvrant une nouvelle période de la vie politique, alors qu’un remaniement s’inscrit dans la continuité.</p>
<p>Surtout, lorsque l’ancien titulaire du poste est remercié, la dimension symbolique et politique s’affiche fortement. Tel est bien le cas ici avec le départ d’Elisabeth Borne qui a poussé jusqu’au bout deux réformes emblématiques et qui, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/08/remaniement-le-supplice-d-elisabeth-borne-premiere-ministre-sur-un-siege-ejectable_6209608_823448.html">toute à surmonter les obstacles</a>, les traquenards voire les quolibets qu’on lui opposait, avait érodé son image de combattante.</p>
<h2>Le grand contournement</h2>
<p>Pour échapper à l’engourdissement politique et à moins de six mois des élections européennes, où les nuages populistes s’amoncellent au dessus de Strasbourg, Emmanuel Macron a désigné son ennemi principal : le Rassemblement national. Le parti est pronostiqué à 30 % au scrutin européen.</p>
<p>Pour le combattre, il en a signalé l’allié essentiel : l’immobilisme. Il a désigné son chef d’état-major : Gabriel Attal.</p>
<p>Le choix s’imposait presque naturellement : l’extrême jeunesse, synonyme d’audace qui n’attend pas le nombre des années, le sens de l’action et de la communication, le brio et l’énergie, tous éléments qui en quelques mois l’ont propulsé en tête des responsables politiques préférés des Français. Si l’on y ajoute son total dévouement à la personne du Chef de l’État, on aura le portrait idéal d’un Premier ministre pour Président voulant prendre les choses directement en main.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jiuNEm2XwoM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Alexi Kohler annonce le gouvernement Attal, jeudi 10 janvier 2023.</span></figcaption>
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<p>Nous voilà dans le style devenu classique de la V<sup>e</sup> République présidentialisée. Rien ne manque : la formation dans l’éxécutif d’une garde rapprochée en sus de Gabriel Attal, avec Prisca Thevenot au renouveau démocratique et au porte-parolat, Stéphane Séjourné à l’Europe et aux Affaires étrangères, Marie Lebec aux relations avec le Parlement. Voilà la génération Macron en marche gouvernementale. Classique également, le congédiement des ministres ayant franchi la ligne jaune de l’espace présidentiel ou s’étant montré critiques, comme la ministre de la Culture, ou celle des Affaires étrangères.</p>
<p>Le cas de Stéphane Séjourné relève de la lecture hypertexte : promu en tant qu’européaniste et fidèle d’Emmanuel Macron, sa nomination s’interprète aussi comme une exfiltration du Parlement européen. Le voici dispensé d’être le leader naturel de la liste de la majorité présidentielle, son départ libérant la place pour une personnalité plus marquante et plus rassembleuse pour combattre le RN.</p>
<p>La priorité n’est plus aux mains tendues et aux négociations, dont l’Exécutif a pu mesurer la vanité. Par sa composition, ce gouvernement indique un changement profond de stratégie. L’heure est désormais à rendre l’action et le travail de terrain plus visibles. Emmenés par Gabriel Attal, les ministres doivent multiplier les lieux d’intervention, prendre à rebours voire devancer les partis d’opposition. Et par cette tactique de contournement, saper leurs arrières en les plaçant en contradiction avec l’opinion publique.</p>
<h2>Glanage et labourage</h2>
<p>Cette stratégie tout terrain de l’offensive s’accompagne d’un efficace travail d’approche individuelle des membres de l’opposition. Particulièrement à droite car du côté de la gauche, tant que rôdera la tentation de la Nupes et la nostalgie des anciens responsables, il y a peu à glaner.</p>
<p>On observe naturellement que sur les 15 ministres déjà désignés, huit viennent de la droite : c’est que celle-ci, déchirée et inquiétée par les prélèvements du RN dans son électorat, a un urgent besoin de retrouver son centre de gravité.</p>
<p>L’interconnexion avec les réseaux sarkozistes a permis l’enrôlement d’une Rachida Dati, « nouvelle Madone » de la rue de Valois qui trouble profondément des Républicains en pleine incertitude.</p>
<p>Si le changement de gouvernement peut offrir un moment de ciel bleu au président, le fossé est encore profond qui sépare les Français de leurs gouvernants. Si l’on voit clairement l’écueil que le président Macron veut contourner, on mesure aussi la fragilité des moyens d’y parvenir, avec une majorité de plus en plus relative. Dans ce climat de doute profond quant à l’efficience des dirigeants, il est effectivement essentiel de fixer un cap pour la Nation. Cap sans lequel on s’exposerait au risque dévastateur d’un orage à sec.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221134/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>2023, an VII de la Présidence Macron, marque un double échec : la fin de sa stratégie du « en même temps » et plus profondément, celui de la réforme du fonctionnement politique et institutionnel.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2206712024-01-09T17:58:31Z2024-01-09T17:58:31ZLe choix Attal : l’hyperprésidentialisme macronien au défi de l’absence de majorité parlementaire<p>Le président Macron profite pleinement depuis six années des mécanismes institutionnels pour imposer son style hyperprésidentiel dans la façon de conduire l’exécutif. Mais l’absence de majorité absolue au parlement vient gripper la mécanique managériale qu’il a mise en place.</p>
<p>Le quatrième changement de premier ministre en six ans en offre l’illustration. Et le choix de Gabriel Attal ne garantit pas la sortie de ce qui ressemble à une impasse politique. Mais au moins il incarnera un style politique similaire à celui de son mentor.</p>
<h2>Le fait majoritaire, pilier du présidentialisme</h2>
<p>La V<sup>e</sup> République repose depuis 1962 sur un socle solide : le « fait majoritaire ». Le chef de l’exécutif, élu au suffrage universel direct, dispose dans ce cas d’une majorité solide au Parlement pour faire voter les lois correspondant à <a href="https://theses.hal.science/tel-03709759/file/LECOMTE.pdf">l’application de son programme</a>. Et si la majorité parlementaire renâcle sur certains sujets, les mécanismes du parlementarisme rationalisé (dont le plus connu est le fameux <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">article 49.3</a> permettant l’adoption d’une loi sans vote) obligeront les éventuels frondeurs de la majorité présidentielle <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1998_num_48_1_395258">à se soumettre</a>.</p>
<p>On a pensé que les institutions de la V<sup>e</sup> République seraient affaiblies le jour où la majorité présidentielle et parlementaire discorderaient. Pourtant, les trois cohabitations (1986-88 ; 1993-95 ; 1997-2002) sont venues prouver que la France pouvait être dirigée, chaque tête de l’exécutif assumant toute l’étendue de ses fonctions.</p>
<h2>Affaiblissement du rôle du premier ministre</h2>
<p>Néanmoins, la classe politique a souhaité en 2000 mettre fin à cette situation en raccourcissant le mandat présidentiel à cinq ans, et en inversant le calendrier électoral. Le but était de faire des élections législatives qui suivent l’élection d’un nouveau président une sorte de ratification par le peuple de la présidentielle, profitant, notamment, d’un découragement des électeurs d’opposition qui laissent <a href="https://www.cairn.info/institutions-elections-opinion--9782724616101-page-119.htm">se (sur) mobiliser</a> l’électorat du président élu. Cela lui laisse une majorité absolue pour gouverner et appliquer son programme.</p>
<p>Le fait majoritaire en sort renforcé, puisque le programme du président devient de facto le programme législatif, le premier ministre est réduit au rang de « collaborateur » du président, chargé d’appliquer fidèlement la ligne fixée à l’Élysée. Cela a pu déjà être le cas avant la réforme du quinquennat, mais c’est encore plus flagrant depuis, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron incarnant cette inclination présidentialiste – que certains qualifieront de dérive – même si ce dernier <a href="https://theconversation.com/acte-ii-un-nouveau-macron-entre-en-scene-128030">affirmait avoir changé</a> pour l’acte II de sa mandature.</p>
<h2>Le management politique selon Emmanuel Macron</h2>
<p>Dès lors, Emmanuel Macron peut gérer le pays comme un PDG. Il s’entoure d’une garde rapprochée qui lui sert de conseil d’administration, opaque aux Français, et peut changer de directeur général (qu’on appellera ici premier ministre) très librement (déjà le quatrième en 6 ans et demi alors qu’en moyenne sous la V<sup>e</sup>, les premiers ministres restent en poste <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/07/03/edouard-philippe-est-reste-a-matignon-plus-longtemps-que-la-moyenne-des-premiers-ministres_6045094_4355770.html">2 ans et 10 mois</a>) pour redynamiser l’équipe – le gouvernement chargé de remplir les objectifs que le PDG lui assigne. Le Parlement ressemble alors furieusement à une assemblée générale des actionnaires ne servant que de chambre d’enregistrement, du moins si on maîtrise les droits de vote de plus de 50 % des actionnaires.</p>
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<h2>Impasses d’un hyperprésidentialisme sans majorité</h2>
<p>Toute cette belle mécanique se grippe dès qu’il n’y a plus de majorité absolue. Depuis un an, l’exécutif peine à dégager des majorités pour voter les textes essentiels. Il use et abuse des <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">votes par 49.3</a> et s’est livré à des concessions idéologiques à l’extrême droite afin de faire voter la loi sur l’immigration. Ce passage en force s’est fait en tordant les abatis à ce qu’il est convenu d’appeler « l’aile gauche » des macroniens, et en tournant le dos au positionnement de campagne du candidat Macron. Celui-ci doit son élection à un appel à faire barrage à Marine Le Pen et avait déclaré aux électeurs de gauche qui s’étaient ralliés à lui (par défaut) que ce vote « l’obligeait ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1736491348868370744"}"></div></p>
<p>Et voilà le président Macron pouvant se vanter d’une loi votée qui a tout d’une victoire à la Pyrrhus. L’accouchement aux forceps de cette loi, loin de prouver l’aptitude à agir d’un Emmanuel Macron sans majorité parlementaire stable, est plutôt venu <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-loi-immigration-dit-de-limpasse-dans-laquelle-se-trouve-emmanuel-macron-219920">étaler ses faiblesses</a>. S’il concède aux droites pour voter une loi, il perd sur sa gauche ce qu’il gagne là-bas, et des contestations se font alors entendre dans son propre camp.</p>
<p>Or, il est un épisode qu’Emmanuel Macron a vécu de l’intérieur, et qu’il ne souhaite pas voir se réitérer, c’est l’émergence du camp des « frondeurs » durant le quinquennat de François Hollande. Il veut éviter qu’une dynamique contestataire, pouvant devenir sécessionniste, apparaisse au sein des forces parlementaires soutenant le président.</p>
<h2>La disgrâce d’une Élisabeth Borne pourtant méritante</h2>
<p>Ainsi, loin de récompenser une première ministre loyale qui a réussi à faire voter des lois dans des procédures parlementaires très mal embarquées, le président Macron semble lui faire payer les divergences qu’elle a exprimées dans le tumulte de la loi sur l’immigration (et de ne pas avoir su faire taire celles de certains ministres et parlementaires macroniens).</p>
<p>C’est à cette même aune qu’on peut comprendre la saillie inattendue du président célébrant les talents de Gérard Depardieu, affirmant – contre toute vraisemblance – que la Légion d’honneur n’a rien à voir avec la morale, là où le dictionnaire de l’Académie française fait de l’honneur un « sentiment d’une dignité morale ». Le président s’est fait aussi le <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/12/22/affaire-depardieu-emmanuel-macron-partage-une-fake-news-les-journalistes-de-complement-denquete-se-defendent-de-tout-bidonnage-11659017.php">relais d’une fake news</a> laissant entendre que les journalistes de France 2 auraient truqué les propos au montage. Cette faute de communication politique, qui a provoqué un lourd malaise chez les féministes, peut être interprétée comme une façon de rappeler à l’ordre la ministre de la Culture qui avait dénoncé les propos de Gérard Depardieu et les reniements de la loi sur l’immigration.</p>
<h2>Des défis identiques avec un nouveau premier ministre</h2>
<p>L’arrivée d’une nouvelle figure pour incarner la suite du quinquennat ne changera pas la situation politique. La quête d’une nouvelle voie/voix ressemble à un choix contraint : dans quelle impasse entrer ?</p>
<p>Car qui qu’il ait choisi, Emmanuel Macron restera le seul décisionnaire, l’hyperprésident qui décide de tout et qui est jugé redevable devant les électeurs. Car il continuera à être confronté au lourd défi de l’invention d’un récit, crédible, à offrir aux Français pour justifier son second quinquennat. Car se pose toujours la question, pour laisser une trace dans l’histoire, de ce qu’il incarne, et de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique/l-edito-politique-du-vendredi-22-avril-2022-9462267">l’existence ou pas d’un « macronisme »</a>, au sens d’ossature idéologique. Car la bonne idée qui le fit élire en 2017 du « dépassement » du clivage gauche-droite s’est largement transformée en un pragmatisme opportuniste qui brouille son positionnement, au point de faire percevoir son action comme « de droite », <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements-2022-1-page-117.htm">à la façon d’un Valéry Giscard d’Estaing</a>, avec une politique économique très pro-business.</p>
<p>Il existe bien un guide qui sert de colonne vertébrale à Emmanuel Macron, même s’il ne clame jamais haut et fort, et que cela ne constitue pas un outillage idéologique : le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/084000041.pdf">rapport « Attali » de la Commission pour la libération de la croissance française</a>. Commandé par Nicolas Sarkozy – alors président, son rapporteur était un jeune énarque ambitieux, un certain… Emmanuel Macron.</p>
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<p>Relire aujourd’hui ce rapport de 2008, c’est y retrouver tous les mantras du discours macronien :</p>
<ul>
<li><p>« Favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs clés » (c’est la fameuse start-up nation)</p></li>
<li><p>« Faciliter la concurrence, la création et la croissance des entreprises, par la mise en place de moyens modernes de financement, la réduction du coût du travail et la simplification des règles de l’emploi »</p></li>
<li><p>« Créer les conditions d’une mobilité sociale, géographique et concurrentielle. De permettre à chacun de travailler mieux et plus, de changer plus facilement d’emploi » (les réformes successives de l’assurance chômage par exemple)</p></li>
<li><p>« L’État et les autres collectivités publiques doivent être très largement réformés. Il faudra réduire leur part dans la richesse commune (..) faire place à la différenciation et à l’expérimentation » (abolition de certains statuts dans la fonction publique, multiplication des dérogations et expérimentations à l’embauche des fonctionnaires…)</p></li>
<li><p>« Encourager la mobilité internationale (notamment par une procédure souple de délivrance de visas aux étudiants, aux chercheurs, aux artistes et aux travailleurs étrangers, en particulier dans les secteurs en tension) ».</p></li>
</ul>
<p>La mise en œuvre de ce catalogue de mesures rédigées en 2008 commence à s’épuiser, soit qu’elles aient été réalisées, soit qu’elles se heurtent à des freins politiques faute de majorité (comme pour la loi immigration), soient qu’elles ne soient plus d’actualité face aux nouvelles réalités du monde.</p>
<h2>Attal, le style macronien à Matignon</h2>
<p>Un dernier extrait de ce rapport vieux de 16 ans annonce aussi le style macronien :</p>
<blockquote>
<p>« Avant de se lancer dans l’action, il ne faut pas que la main tremble. Le pouvoir politique sait que les Français veulent la réforme, qu’ils croient en la réforme si elle est socialement juste et économiquement efficace, et qu’ils attendent qu’elle soit conduite tambour battant ».</p>
</blockquote>
<p>Emmanuel Macron ne cesse de répéter qu’il ne faut pas céder sur les réformes et face aux <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798%5D">immenses protestations</a>, comme on l’a vu pour la réforme des retraites. Et c’est là que le choix de Gabriel Attal fait sens, par rapport au <a href="https://www.midilibre.fr/2022/05/16/elisabeth-borne-nouvelle-premiere-ministre-le-profil-de-celle-que-macron-a-choisie-pour-succeder-a-castex-10298653.php">style Élisabeth Borne</a>, tout en retenu, en femme de dossier, fuyant les effets de manche au profit d’une posture technicienne un peu rugueuse.</p>
<p>Du peu qu’on a pu observer de son action en tant que ministre de l’Éducation, Gabriel Attal dessine le profil d’un excellent communicant, sachant se mettre en avant comme celui qui sait trancher, prenant des décisions fortes et symboliques rapidement, parlant haut et clair, pratiquant la triangulation en allant puiser des idéaux nostalgiques dans les discours des droites (pour prôner un retour à l’école d’antan largement mythifiée). Ces aptitudes au faire-savoir expliquent en grande partie sa nomination.</p>
<p>Gabriel Attal aura pour double mission de conduire la campagne électorale des élections européennes – qui s’annoncent périlleuses, et de faire ruisseler des éléments de langage prouvant que l’ambition réformiste macronienne reste intacte et sa concrétisation possible. Fidèle de la première heure, il doit toute sa carrière politique à Emmanuel Macron et incarne la jeunesse comme naguère son mentor. Gabriel Attal sera le directeur général mais aussi le directeur de la communication de l’entreprise et de la <a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/la-marque-macron/">« marque Macron »</a>. Mais pour combien de temps ? Quand l’hyperprésidentialisme se conjugue avec une logique managériale, où chaque ministre semble avoir un contrat d’objectifs, dans un contexte d’absence de majorité parlementaire et de gronde sociale, le turn-over s’accélère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce quatrième changement de premier ministre en six ans est un phénomène inhabituel sous la Vᵉ République. Mécanique managériale, absence de majorité et hyperprésidence : focus sur la nomination de Gabriel Attal.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202252023-12-20T19:57:59Z2023-12-20T19:57:59ZGérald Darmanin, symbole des illusions perdues du macronisme ?<p>Le projet de loi sur l’immigration était annoncé comme un moment décisif pour les différents acteurs de la vie politique française et en particulier pour Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Il constitue sans doute un tournant important pour l’homme politique et illustre a plusieurs égards les difficultés auxquelles font face Emmanuel Macron, le macronisme et le système politique français dans son ensemble.</p>
<p>Les derniers événements ont été particulièrement difficiles pour le ministre même si celui qui a remis <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/info-franceinfo-vote-de-rejet-de-la-loi-immigration-gerald-darmanin-a-propose-sa-demission-refusee-par-le-president-lors-d-un-entretien-lundi-soir-a-l-elysee_6237198.html">sa lettre de démission, refusée par l’Élysée</a> (suite au vote de la motion de rejet de la loi sur l’immigration) <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/en-direct-loi-immigration-nous-sommes-plus-pres-d-un-accord-que-d-un-desaccord-affirme-darmanin-20231218">se félicite</a> aujourd’hui de la séquence politique qui a vu l’adoption de cette même loi.</p>
<p>L’homme politique est-il pour autant renforcé de cet épisode et que nous dit-il de l’état du macronisme ?</p>
<h2>Une image d’homme de droite</h2>
<p>Si Gérald Darmanin a pu publiquement <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/presidentielle-2027-gerald-darmanin-estime-qu-edouard-philippe-est-le-mieux-place-mais-s-interroge-sur-son-envie_6109053.html">interroger sa volonté</a> de se positionner dans la course pour le poste de président de la République, il fait très clairement parti des personnes qui pourraient prétendre à la succession d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Darmanin s’est construit une image d’homme de droite attaché au respect de l’ordre et son rôle de ministre de l’Intérieur a donné corps à ce positionnement. Mais plusieurs ratés (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/16/gerald-darmanin-doit-tirer-les-lecons-du-chaos-au-stade-de-france_6162045_3232.html">incidents du Stade de France</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/societe/terrorisme-islamiste-darmanin-plaide-pour-une-injonction-de-soins-FJ5FEWIDYZCEVKUAN3CSTXHOG4/">attaques terroristes</a>…) et polémiques (<a href="https://www.lepoint.fr/societe/gerald-darmanin-maintient-ses-propos-sur-karim-benzema-25-10-2023-2540792_23.php#11">affaire Karim Benzema</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/accusations-de-viol-a-l-encontre-de-gerald-darmanin-le-non-lieu-en-faveur-du-ministre-de-l-interieur-est-confirme-en-appel_5620133.html">accusation de viol</a>…) ont écorné sa réputation d’efficacité et de rigueur. Le rejet de « son » projet de loi sur l’immigration porte un coup certain à ses ambitions personnelles qui s’appuyaient en grande partie sur sa légitimité en matière de sécurité.</p>
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<p>Difficile pourtant de prévoir ce qu’il adviendra des ambitions présidentielles de Darmanin tant la période qui s’ouvre est inédite sous la V<sup>e</sup> République. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/la-ve-republique/les-grandes-etapes-de-la-ve-republique">Pour la première fois</a>, un président encore jeune quittera la présidence sans avoir été battu… alors que la possibilité qu’<a href="https://fr.news.yahoo.com/emmanuel-macron-pourrait-il-se-representer-en-2032-151353458.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAEKnCJD-4Puu94CtwDzyqMxOwQpDP1vGFHerRERgF4B1jyXWISobCd63hHgltqw3Oh95r1Db3-hkKua6TWiKp0H1yAoVvvxfn1Yr3jSxxiXfgw8aSkHR0_DL6ujHfEb48njeoWtcR5S6knPk_DbXa0vZG6669MwJO4f0YDYY0TT3">il puisse se représenter de manière non consécutive</a> n’est pas écartée.</p>
<p>Jamais, une telle situation n’était arrivée et la succession d’Emmanuel Macron risque donc de réserver des stratégies et des montages politiques nouveaux.</p>
<p>Pour la première fois, la <a href="https://www.lejdd.fr/politique/presidentielle-2027-marine-le-pen-caracole-en-tete-edouard-philippe-favori-du-camp-macroniste-dapres-un-sondage-139319">favorite des sondages</a> et de l’élection présidentielle pourrait être Marine Le Pen, la candidate du parti représentant l’extrême droite française. Dans ce contexte, le positionnement d’homme de droite de Darmanin et sa connaissance des dossiers régaliens, légitimés par son passage place Beauvau, seront sans doute recherchés par ceux qui décideront de se lancer dans la bataille face à Marine Le Pen.</p>
<h2>Pas de vrai virage politique, sauf vers la droite</h2>
<p>Lors de sa première élection présidentielle, Emmanuel Macron s’était fait élire en promettant de <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">dépasser le clivage droite/gauche</a>.</p>
<p>Les sujets mis en avant, à l’image de l’immigration, et les mesures prises, comme dans le cadre de la réforme des retraites, semblent entériner l’idée que le parti présidentiel penche désormais fortement <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-lheritier-cache-de-nicolas-sarkozy-178669">à droite</a>.</p>
<p>Le départ d’anciens alliés issus de la gauche, à l’instar tout récemment de <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/daniel-cohn-bendit/europeennes-daniel-cohn-bendit-rompt-avec-macron-et-appelle-les-ecologistes-a-rejoindre-glucksmann-1f927344-9804-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">Daniel Cohn Bendit</a>, parait d’ailleurs confirmer ce virage.</p>
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<figcaption><span class="caption">Immigration : le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2023, HuffPost.</span></figcaption>
</figure>
<p>Lors de la seconde élection, il avait déclaré que le résultat morcelé du premier tour l’obligeait à faire de la politique autrement et qu’il avait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SMHd9uYD5H8">compris le message</a>. L’épisode des échanges et négociations entre Darmanin et Les Républicains (LR) lors de la loi sur l’immigration donne pourtant l’image de manœuvres politiciennes peu en accord avec l’idée de nouvelles pratiques politiques et de la recherche d’un consensus autour d’un projet commun. Alors que certains en appellent à une <a href="https://books.openedition.org/putc/157?lang=fr">VIᵉ république</a>, la façon dont les jeux de pouvoir s’organisent sous et autour d’Emmanuel Macron rappelle en tous points celles des époques précédentes.</p>
<p>La loi sur l’immigration symbolise à plusieurs égards la « politique à l’ancienne » que l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron devait faire disparaître. En ce sens, elle illustre l’échec de la tentative de faire de la politique autrement. La <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-parlement-en-toc-l-amertume-d-une-deputee-macroniste-decidee-a-ne-pas-se-representer-a-l-assemblee-5879426">décision de certains élus macronistes</a> de ne pas rempiler suite au premier quinquennat, avaient déjà en partie mis en exergue ce phénomène. Force est constater que l’utilisation répétée du 49.3 semble témoigner des <a href="https://www.lopinion.fr/politique/les-deputes-macronistes-doivent-encore-apprendre-a-perdre">difficultés du camp présidentiel</a> à <a href="https://theconversation.com/macron-incarnation-de-la-theorie-des-paradoxes-et-de-ses-limites-195300">co-construire, à négocier, à convaincre</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/changer-de-constitution-pour-changer-de-regime-180160">Changer de constitution pour changer de régime ?</a>
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<h2>Un décalage profond avec les électeurs</h2>
<p>L’incapacité de parvenir à mettre en place de nouvelles pratiques politiques illustre un phénomène plus profond pour la V<sup>e</sup> République et le système démocratique : celui du décalage entre la façon dont les décideurs politiques comprennent les messages des urnes et des élections et la réalité des aspirations des électeurs et de la population. L’affaire de la loi sur l’immigration vient rappeler que le macronisme n’est pas parvenu à combler ce décalage… qui s’est sans doute amplifié au cours des dernières années suite à des scandales comme <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/dossier/affaire-benalla-macron-garde-du-corps-video-manifestant">l’affaire Benalla</a> ou la crise des <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/qui-sont-les-gilets-jaunes-et-leurs-soutiens.html">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Mais l’épisode de la loi sur l’immigration est aussi un tournant politique car la motion de rejet de la loi sur l’immigration a donné lieu à un vote uni de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/loi-immigration-et-integration-ce-quil-faut-savoir-1902727">LR, du Rassemblement national (RN) et de la gauche</a>. Cette alliance, bien que de circonstance, montre à quel point le Rassemblement national est devenu un <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">parti comme les autres</a> au sein de la vie politique française.</p>
<h2>Un parfum de fatalité ?</h2>
<p>Le Front Républicain contre l’extrême droite s’est transformé en un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/13/l-arc-republicain-un-concept-destine-a-exclure-certains-du-champ-de-la-legitimite-politique_6205527_3232.html">Arc Républicain</a> visant tous les extrêmes. Et les partis « traditionnels » s’allient désormais de plus en plus avec le RN au hasard des circonstances. La <a href="https://www.lopinion.fr/politique/la-strategie-de-la-cravate-du-rn-fonctionne-t-elle">stratégie de Marine Le Pen</a> visant à cultiver une image sérieuse et modérée à l’Assemblée Nationale semble donc porter ses fruits, d’autant plus qu’elle positionne son groupe parlementaire en complète opposition avec la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/la-on-va-dans-le-mur-au-sein-de-lfi-la-strategie-de-la-bordelisation-fait-debat-16-12-2023-SOHC2BQIXBDGXHV45XZP6OGKZE.php">stratégie volontiers provocatrice</a> et belliqueuse de LFI et de certaines personnalités de gauche.</p>
<p>Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron, qui avait affirmé qu’il parviendrait à faire baisser l’extrême droite en France, ne parvient pas à empêcher l’expansion du RN. Les figures comme Gérald Darmanin semblaient pourtant <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1182443/article/2022-05-20/gerald-darmanin-l-atout-droite-pop-de-macron-rempile-l-interieur">destinées à élargir le spectre du parti présidentiel</a> et devaient faire barrage au parti d’extrême droite en se positionnant sur ses thématiques et ses idées. Les déboires du ministre de l’Intérieur illustrent au contraire les limites des stratégies de lutte contre l’extrême droite visant à s’appuyer sur des personnalités censées reprendre et représenter leurs idées pour attirer les électeurs.</p>
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<a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">Le RN, « trou noir » du paysage politique français</a>
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<p>Mais l’expansion du RN est à mettre en perspective avec les succès des partis d’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/22/giorgia-meloni-un-an-a-la-tete-de-litalie">Italie</a> ou au <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/24/extreme-droite-aux-pays-bas-l-original-triomphe-toujours-de-la-copie_6202071_3232.html">Pays Bas</a> ou par exemple en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/en-argentine-le-choc-et-les-interrogations-apres-l-election-triomphale-de-javier-milei-a-la-presidence_6201228_3210.html">Argentine</a>. L’exemple français n’est pas exceptionnel et ces succès donnent un parfum de fatalité à l’incapacité d’Emmanuel Macron et du camp présidentiel à contrer l’expansion du parti présidé par Jordan Bardella.</p>
<p>La période de turbulences économiques, sociales, géopolitiques et environnementales actuelle est aussi un terrain particulièrement fertile pour la montée des extrêmes et des populismes. Dans le cas de la France, cette montée ne pourra être un tant soit peu contenue que si des personnes comme Gérald Darmanin et Emmanuel Macron parviennent à éviter des séquences comme celle de la loi sur l’immigration tant elles mettent en lumière les illusions perdues de leur aventure politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Gérald Darmanin incarne l’échec d’une « nouvelle façon » de faire de la politique.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2138172023-10-19T13:21:38Z2023-10-19T13:21:38ZChangements climatiques, pandémie : les scientifiques devraient pouvoir informer le public librement<p><a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/09/06/l-ete-2023-le-plus-chaud-jamais-mesure-marque-par-une-litanie-impressionnante-d-evenements-climatiques-extremes_6188157_3244.html">Les évènements climatiques récents</a> et la pandémie ont mis en lumière le besoin de mettre en œuvre des politiques préventives et d’adaptation. Comment s’y prendre ? Notamment, en s’appuyant sur les preuves scientifiques disponibles. L’annonce par Québec le 11 septembre dernier de la création d’un comité d’experts sur l’adaptation aux changements climatiques <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2009380/adaptation-changements-climatiques-comite-experts?depuisRecherche=true">s’inscrit dans un tel objectif</a>.</p>
<p>Toutefois, plusieurs obstacles empêchent une meilleure contribution des scientifiques à la formulation de ces politiques. S’il va de soi que la science se doit d’informer l’assentiment populaire sans toutefois le remplacer, celle-ci devrait toutefois disposer d’une place de choix dans le débat politique. Pourtant, la science est souvent subordonnée à la parole politique, voire instrumentalisée. <a href="https://theconversation.com/decrochage-de-la-population-aux-mesures-sanitaires-une-sante-publique-plus-autonome-est-necessaire-176629">La pandémie</a>, les <a href="https://theconversation.com/climat-comment-lindustrie-petroliere-veut-nous-faire-porter-le-chapeau-213142">changements climatiques</a>, ou les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2009928/environnement-doug-ford-rapport-chaleur-feux?depuisRecherche=true">récents déboires du gouvernement Ford en Ontario le démontrent</a>.</p>
<p>L’absence d’institutions scientifiques publiques autonomes en est l’une des raisons principales. En effet, le modèle démocratique de contrôle de l’administration implique dans la pratique que les organisations scientifiques publiques agissent sous le contrôle des représentants élus. Concrètement, cela signifie que des institutions comme l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) ne peuvent pas librement communiquer leurs recommandations au public, et donc participer pleinement au débat politique.</p>
<p>Doctorants en science politique, nos recherches portent sur l’utilisation de la science dans les politiques publiques. Dans cet article, nous apportons un éclairage sur les conséquences découlant de l’absence d’autonomie de la part des institutions scientifiques publiques, tant au Québec qu’aux États-Unis. Nous argumentons en conséquence pour la mise en place de procédures simples qui pourraient y remédier.</p>
<h2>L’influence de l’organisation du conseil scientifique sur les choix politiques</h2>
<p>Dans un premier temps, nos recherches sur la pandémie démontrent que l’organisation du conseil scientifique – c’est-à-dire la sélection des experts, leurs disciplines, et leur niveau de transparence et d’autonomie – a des implications concrètes sur la formulation des politiques publiques. En effet, une discipline scientifique dispose d’une vision encadrée par les méthodes, et les valeurs, de cette discipline. Et il en va de même pour les scientifiques. </p>
<p>Par exemple, durant la pandémie, le conseil scientifique suédois a été organisé autour de l’agence de santé publique, laquelle disposait d’une forte autonomie dans la formulation des politiques sanitaires. Or, le chef épidémiologiste de l’agence, A. Tegnell, avait lui-même participé à des publications, plusieurs années auparavant, dans lesquelles il <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19628172/">reconnaissait les incertitudes entourant des mesures sévères comme la fermeture des écoles dans un contexte de pandémie</a>.</p>
<p>L’approche d’A. Tegnell consistait à trouver un équilibre, en termes de santé publique, entre les effets délétères de politiques extrêmes, et ceux du virus sur la population ; ce qui a impliqué des mesures moins sévères qu’ailleurs dans le monde. <a href="https://www.cirst.uqam.ca/nouvelles/2021/ecouter-la-science-dans-la-conception-des-politiques-publiques-de-lutte-contre-la-Covid-19-le-cas-de-la-fermeture-des-ecoles-au-quebec-et-en-suede/">Pour Tegnell, davantage de preuves scientifiques étaient nécessaires pour justifier une telle sévérité</a>. On voit ici que l’organisation du conseil scientifique autour de Tegnell, et l’autonomie dont jouissait son agence, n’a pas été sans conséquence sur le choix politique. </p>
<p>Or, la création d’un groupe d’experts au Québec sur les changements climatiques pourrait avoir des implications similaires. D’une part, qui seront ces scientifiques ? On parle des « meilleurs experts reconnus en la matière », alors que <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2009380/adaptation-changements-climatiques-comite-experts?depuisRecherche=true">l’identité de ces derniers n’est pas encore connue</a>. Et d’autre part, quel niveau d’autonomie caractérisera ce groupe ? Pourra-t-il communiquer librement au grand public ? Ces points méritent d’être éclaircis.</p>
<p>Dans les faits, le secret politique pèse lourd. L’Ontario a par exemple été récemment accusé d’avoir passé sous silence un rapport scientifique sur les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2009928/environnement-doug-ford-rapport-chaleur-feux?depuisRecherche=true">conséquences des changements climatiques</a>. Durant la pandémie, les recommandations de la Santé publique du Québec ont manqué de transparence, et ont <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1851196/msss-revue-editeur-predateur-publication-scientifique">parfois difficilement justifié certaines mesures comme le couvre-feu</a>. Ceci implique de repenser nos institutions. </p>
<h2>L’utilisation de la science au service des intérêts privés</h2>
<p>Du côté des États-Unis, nos recherches soulignent l’impact des intérêts économiques sur les politiques d’adaptation. En Louisiane, un état républicain et conservateur, les dirigeants politiques au Sénat et à la Chambre des représentants se gardent de reconnaître l’existence des changements climatiques et leur impact sur l’immense perte de territoire et l’intensification des phénomènes climatiques extrêmes (inondations, sécheresses, incendies de forêt). </p>
<p>Les politiques actuelles visent plutôt à rétablir les processus naturels de sédimentation pour ralentir l’érosion des côtes de <a href="https://climatoscope.ca/article/reconstruire-ou-partir-les-defis-de-ladaptation-en-louisiane/">manière à préserver leur capacité à soutenir la production de pétrole et de gaz</a>. La légitimation de cette stratégie d’adaptation – la <a href="https://revuelespritlibre.org/le-controle-de-leau-en-louisiane-entre-repere-identitaire-et-menace-existentielle">restauration</a> – se fait par l’utilisation d’un discours scientifique et technique axé exclusivement sur les processus naturels du delta. Par ce biais, on ignore la science climatique et ses causes, en particulier le rôle des énergies fossiles dans l’accélération des dérèglements environnementaux et climatiques. </p>
<p>Cette sélectivité scientifique empêche l’évocation <a href="https://www.wwno.org/coastal-desk/2022-03-03/climate-change-could-prove-more-deadly-in-louisiana-without-immediate-action-report-says">d’autres options</a> d’adaptation, comme la relocalisation des populations côtières ou l’atténuation des changements climatiques. La compréhension du public quant aux effets à long terme des changements climatiques se voit ainsi brimée. </p>
<h2>Un déni partisan</h2>
<p>En argumentant que « la science » est de leur côté, même si elle ignore celle des changements climatiques, les décideurs empêchent le questionnement de leurs politiques. « La science montre que c’est la seule manière de nous sauver », proclame régulièrement le président de l’agence environnementale louisianaise. </p>
<p>Cette agence utilise un discours scientifique biaisé de manière à obtenir le soutien des républicains climatosceptiques au Sénat et à la Chambre des représentants. En évitant de contester l’influence des énergies fossiles dans le problème climatique, l’objectif est de dépolitiser l’adaptation et de la soustraire du débat public en brandissant le caractère rationnel de leurs politiques. </p>
<p>La recherche montre que le déni du changement climatique aux États-Unis <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1111/j.1533-8525.2011.01198.x">est fortement partisan</a> et qu’il s’appuie sur une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09644016.2016.1189233">« chambre d’écho » antiréflexive</a> d’outils politico-culturels conservateurs et néolibéraux. L’anti-réflexivité est <a href="https://doi.org/10.1177/0263276409356001">définie par les chercheurs Aaron McCright et Riley Dunlap</a> comme un contre-mouvement des républicains et conservateurs américains visant à préserver le système capitaliste productiviste de sa remise en question par la science climatique et les mouvements environnementaux.</p>
<p>Ces discours scientifiques antiréflexifs entretiennent l’ambiguïté sur la science climatique et sur l’impact de la production des énergies fossiles. Pire encore, ils encouragent l’ignorance et l’inaction et provoquent une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03623319.2020.1848294">« adaptation agnostique »</a>, à savoir une adaptation dénuée de toute croyance dans les changements climatiques. </p>
<h2>Pour la création d’institutions scientifiques publiques autonomes</h2>
<p>Le public devrait pouvoir être librement informé par les scientifiques.</p>
<p>Or, l’inexistence dans le paysage politique d’institutions scientifiques publiques autonomes l’en empêche, et non sans conséquences. Durant la pandémie, elle a eu un <a href="https://theconversation.com/decrochage-de-la-population-aux-mesures-sanitaires-une-sante-publique-plus-autonome-est-necessaire-176629">effet négatif sur l’adhésion de la population, qui a commencé à questionner la légitimité des experts</a>. Dans le cas des changements climatiques, l’instrumentalisation du discours scientifique restreint le débat public, et dépolitise les enjeux climatiques au profit de la satisfaction d’intérêts privés. </p>
<p>Nous proposons donc d’étendre l’autonomie d’institutions scientifiques publiques comme l’INSPQ. D’une part, en instaurant la possibilité de communiquer librement leurs recommandations au public, en dehors de toute tutelle. Et d’autre part, en permettant la formulation de demandes citoyennes de rapports ou de recommandations scientifiques de la part du public sous la forme de pétitions. </p>
<p>Ceci permettrait d’ajouter une « troisième voix » au débat politique, qui informerait le débat en permettant au public de faire un choix libre et éclairé. Mais cela permettrait également d’apporter un discours alternatif au discours partisan et à la polarisation, sans pour autant le remplacer. </p>
<p>Des auteurs comme Zynep Pamuk proposent également la création de <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691218939/politics-and-expertise">« tribunaux scientifiques » composés d’experts et de citoyens</a>. Ces tribunaux saisis par initiative citoyenne statueraient sur des problèmes publics mobilisant des connaissances scientifiques, comme la pandémie ou les changements climatiques. Suivant le modèle judiciaire, un jury composé de citoyens voterait sur une proposition de politiques publiques – par exemple, devrions-nous interdire la voiture à essence en ville ? – au terme d’une procédure contradictoire impliquant des vues opposées d’experts dans le domaine. </p>
<p>Si ces solutions ne sont pas à écarter, bâtir sur des institutions préexistantes et leurs solides expertises en leur offrant une place plus importante dans le débat apparaît une solution réalisable à court terme, et qui étendrait à la science le principe démocratique. </p>
<p>Une solution qui tirerait les leçons des crises récentes, dont la pandémie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213817/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Lemor a reçu un financement du Fond de recherche du Québec société et culture (FRQSC) dans le cadre de sa thèse de doctorat.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sarah Munoz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il n’existe pas d’institution scientifique publique autonome dans le débat politique. Quelles en sont les conséquences, en contexte de pandémie et de changements climatiques ?Antoine Lemor, Candidat au doctorat en science politique et chargé de cours / Political science PhD candidate and lecturer, Université de MontréalSarah M. Munoz, Doctoral researcher in political science / Doctorante en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141682023-09-27T20:14:45Z2023-09-27T20:14:45ZQuel développement pour les territoires exposés aux risques côtiers ?<p>Dans la deuxième moitié du XX<sup>e</sup> siècle, le <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/development/the-world-economy_9789264022621-en">PIB mondial a été multipliée par six</a>. Le <a href="https://theconversation.com/topics/croissance-economique-21197">tourisme</a> qui s’est développé en parallèle, ainsi que la <a href="https://theconversation.com/topics/peche-21609">pêche</a>, l’énergie, l’exploitation minière et l’agriculture ont eu un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11625-012-0168-2">impact particulièrement important</a> sur les <a href="https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2021-06/20210607_Rapport_The-Climate-Change-Effect-In-The-Mediterranean-Six-stories-from-an-overheating-sea_WWF-min.pdf">écosystèmes côtiers</a>. Le tourisme a été l’une des industries qui a connu la croissance la plus rapide au monde, avec une multiplication par <a href="https://photo.capital.fr/les-chiffres-fous-du-tourisme-mondial-30549#le-nombre-de-touristes-en-augmentation-ininterrompue-depuis-7-ans-527215">27 du nombre de touristes</a>.</p>
<p>Or, la dégradation de ces <a href="https://theconversation.com/topics/ecosystemes-35522">écosystèmes</a> n’est pas sans <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/15e0af5e-fr/index.html?itemId=/content/component/15e0af5e-fr">aggraver les risques</a> pour les populations proches des mers et océans. L’aménagement des littoraux a, par exemple, souvent conduit à faire disparaître des zones humides qui étaient autant de zones d’atténuation des perturbations. Sans ces dernières, les ondes de tempête peuvent déferler à plus grande vitesse vers les terres et atteindre des hauteurs plus importantes.</p>
<p>En 2015, plus de <a href="https://www.senat.fr/rap/r15-014/r15-0143.html">20 % de la population mondiale</a> vivait déjà à moins de 30 km des côtes et, si l’on en croit les projections démographiques, ces résidents seront toujours plus nombreux. Une question majeure qui se pose alors est de comprendre comment ces aires géographiques peuvent trouver un équilibre entre développement humain et conservation des écosystèmes. Comment articuler développement humain et pression anthropique croissante, qu’il importe de limiter sur des écosystèmes qui subissent déjà les effets du réchauffement climatique ?</p>
<p>Pour y répondre, encore faut-il avoir bien identifié les déterminants du développement humain – estimé par la croissance économique – des pays exposés aux risques côtiers. Tel a été l’enjeu d’un travail de recherche qui a analysé le modèle économique de <a href="https://www.conservationgateway.org/ConservationPractices/Marine/crr/library/Pages/coastsatrisk.aspx">54 de ces territoires</a> sur la période 1960-2009, mis en regard de 83 autres.</p>
<h2>Prisonniers d’un cercle vicieux ?</h2>
<p>Plusieurs modèles théoriques de croissance ont été mobilisés afin d’identifier celui correspondant au mieux à l’économie des pays concernés. Le premier constat que nous en avons tiré semble plutôt inquiétant. Parce que leur croissance dépend fortement des ressources naturelles et d’un taux de fécondité élevé, ces pays pourraient être tentés de rechercher des gains économiques à court terme au détriment du moyen terme et de la viabilité de leurs écosystèmes.</p>
<p>Le fort poids des <a href="https://theconversation.com/topics/ressources-naturelles-45642">ressources naturelles</a> dans l’économie et la dépendance aux exportations pénalise pourtant la croissance de ces pays, ce que des <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1766385">travaux antérieurs</a> avaient déjà bien identifié. En effet, la liste des pays qui n’ont pas réussi à utiliser leurs abondantes ressources naturelles pour favoriser le progrès économique et social est longue.</p>
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<p>C’est un phénomène connu sous le nom de « malédiction des ressources naturelles ». Au moins <a href="https://www.hks.harvard.edu/centers/cid/publications/faculty-working-papers/natural-resource-curse">quatre facteurs</a> contribuent à l’expliquer : la volatilité des prix internationaux de ces ressources, l’éviction permanente du secteur manufacturier (ou <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-economie-et-social/qu-est-ce-que-le-syndrome-hollandais-7349314">syndrome hollandais</a>), les institutions autocratiques ou oligarchiques et les institutions anarchiques ».</p>
<p>Ces facteurs ne sont pas circonscrits au pays en voie de développement. Le « syndrome néerlandais » était une <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41294-021-00177-w">explication populaire</a> du processus de désindustrialisation vécu par plusieurs pays développés riches en ressources dans les années 1970 et 1980. Ce syndrome se produit lorsqu’un boom des ressources réduit les incitations à produire localement d’autres biens échangeables non liés aux ressources. Or, dépendre des exportations d’une telle ressource conduit à une appréciation de la monnaie qui pénalise les autres branches de l’économie.</p>
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<p><em>In fine</em>, lorsque l’exploitation des ressources naturelles n’est pas bien gérée, en faveur du bien commun, les revenus élevés, en provenance des devises liées aux exportations, ne se transforment pas en sources de richesse durable pour les pays. Les incitations sont néanmoins fortes à court terme.</p>
<p>Alors que les bénéfices économiques ne se répercutent pas sur la population, les ressources sont souvent surexploitées ou tout simplement épuisées. Cela met en évidence les pressions anthropiques supplémentaires potentielles auxquelles pourraient être confrontées ces zones côtières : conversion des terres à l’agriculture ou à l’aquaculture, construction, travaux publics requis par les exportations de ressources naturelles…</p>
<p>Nous montrons également l’importance particulière dans ces pays du <a href="https://theconversation.com/topics/fecondite-20850">taux de fécondité</a> élevé, qui stimule la croissance. Ce résultat est tout aussi inquiétant car il suggère que la dégradation des écosystèmes côtiers risque de s’accélérer : une population plus nombreuse, c’est davantage de pression à l’exploitation des ressources naturelles et d’urbanisation des littoraux. Il y a par exemple un risque de surpêche : pêcher trop de poissons et surtout trop de poissons qui n’ont pas atteint l’âge de reproduction, menaçant la pérennité de cette population de poissons.</p>
<h2>Des atouts néanmoins</h2>
<p>Il apparaît cependant que ces pays peuvent avoir des caractéristiques propices à une gestion plus durable de ces écosystèmes.</p>
<p>Beaucoup de pays confrontés à des risques côtiers sont par exemple d’anciennes colonies britanniques, caractérisées par un <a href="https://theconversation.com/topics/institutions-63930">cadre juridique</a> de <em>common law</em>, un système politique parlementaire, un degré élevé d’ouverture au commerce international, un faible fractionnement linguistique et ethnique et un faible niveau de corruption dans le secteur public. Ces anciennes colonies britanniques sont généralement considérées comme ayant de <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257%2Faer.91.5.1369&ref=marionomics-economia-y-ciencia-de-datos">meilleures institutions politiques et économiques</a> que les anciennes colonies françaises, portugaises et espagnoles, essentiellement parce que la Grande-Bretagne a colonisé des régions où se sont installés plus de colons, ce qui a poussé à mettre en place un système plus respectueux des droits des individus.</p>
<p>Si en termes des choix politiques, les gains à court terme sont souvent préférés à une bonne gestion locale des écosystèmes, cette préférence est plus faible lorsque les institutions sont de bonne qualité. Certaines <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.0908012107">études</a> montrent que des institutions stables et légitimes permettent aux pays d’améliorer l’état des écosystèmes coralliens, notamment grâce à des réglementations de pêche et à des zones marines protégées mieux respectées.</p>
<p>Les pays fortement exposés aux risques côtiers se caractérisent également par une moindre <a href="https://theconversation.com/topics/ethnicite-86483">fragmentation linguistique et ethnique</a>, ce qui peut <a href="https://ourarchive.otago.ac.nz/handle/10523/3676">favoriser la qualité des écosystèmes côtiers</a>. Un fractionnement ethnique moindre peut se traduire par de meilleures performances environnementales, car il conduit en moyenne à une plus grande cohésion et à une meilleure communication. Une diversité des intérêts des communautés locales, de leurs structures sociales, culturelles, a souvent conduit à l’échec des projets de conservation de l’environnement marin.</p>
<p>Si la forte dépendance du développement humain à l’exportation des ressources naturelles et à un taux de fécondité élevé peut exacerber la dégradation de ces écosystèmes côtiers, l’amélioration de la qualité de leurs institutions serait ainsi propice à une gestion plus durable de ces écosystèmes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214168/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Farid Gasmi a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche: Programme "Investissements d'Avenir".</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Denis Couvet et Laura Recuero Virto ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les pays côtiers font face à la double contrainte d’une dépendance aux ressources naturelles et de la nécessaire protection de leurs écosystèmes.Laura Recuero Virto, Pôle Léonard de VinciDenis Couvet, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Farid Gasmi, Toulouse School of Economics – École d'Économie de ToulouseLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2133192023-09-26T19:09:15Z2023-09-26T19:09:15ZAvec les députés novices, le rôle déterminant des collaborateurs parlementaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550054/original/file-20230925-15-hyoef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C15%2C2048%2C1345&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue de l'hémicyle où siègent les députés du Parti socialiste, 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/partisocialiste/10437350944">Mathieu Delmestre/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les deux dernières élections législatives françaises eurent des dénouements inédits sous la V<sup>e</sup> République. Celle de 2017 fut marquée par la victoire d’un parti émergent et l’arrivée massive au Palais Bourbon de députés <a href="https://www.puf.com/content/Les_candidats">sans engagement préalable en politique</a>, tandis que la suivante vit la majorité parlementaire sortante être réduite à une majorité relative. De ce fait, l’attention s’est surtout portée sur <a href="https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/21/legislatives-2022-une-assemblee-jeune-avec-un-renouvellement-au-dessus-de-la-moyenne-de-la-ve-republique-porte-par-les-oppositions_6131383_6104324.html">l’ampleur des renouvellements législatifs</a> (72 % de nouveaux députés en 2017, 52 % en 2022), ainsi que sur les espoirs de transformation du fonctionnement du champ politique, tant ceux d’un « nouveau monde » macronien que ceux d’un fonctionnement proprement parlementaire du régime dans la situation de majorité relative.</p>
<p>Au point d’éclipser le rôle de ceux qui contribuent quotidiennement au travail politique et <a href="https://theconversation.com/turnover-des-assistants-parlementaires-a-lassemblee-nationale-comme-dans-une-entreprise-de-services-104913">parlementaire</a> : les collaborateurs parlementaires, salariés dont le travail consiste à épauler le député dans ses différentes activités, tant dans les coulisses du Palais Bourbon qu’en circonscription.</p>
<p>L’étude des entourages des primo-députés permet pourtant de contribuer aux réflexions sur le noviciat en politique, en complexifiant la compréhension de l’action de ces élus et de ses conditions de réussite, et de saisir comment la collaboration parlementaire fut transformée – ou non – par l’irruption de ces nouveaux entrants.</p>
<p>Le questionnement de cette enquête est donc le suivant : les députés novices s’entourent-ils différemment par rapport à leurs collègues plus expérimentés ? La réalisation de biographies collectives, réalisées à partir de LinkedIn, comparant le profil des collaborateurs des XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> législatures (2017-2022) et (2022-2027), et la conduite d’entretiens avec des députés élus pour la première fois en juin 2022 permettent d’apporter des éléments de réponses, présentés lors d’un <a href="https://ceraps.univ-lille.fr/detail-event/journee-detude-noviciat-en-politique">colloque sur le noviciat en politique</a>.</p>
<h2>Qui sont les collaborateurs des députés novices ?</h2>
<p>Malgré les forts taux de renouvellement lors des élections, les recrutements effectués par les députés en 2017 et 2022 sont conformes à <a href="https://hal.science/hal-01870895/document">certaines tendances de longs termes</a>. Leurs collaborateurs sont ainsi une population jeune (c’est souvent un premier emploi), diplômée – souvent en droit ou en science politique –, et largement féminisée (autour de 50 %). La taille des équipes est proche de ce qui fut mesuré par le passé, puisque les nouveaux députés avaient en moyenne environ 3,7 collaborateurs, pour un nombre total de collaborateurs approchant rapidement les 2000 individus.</p>
<p>Toutefois, les collaborateurs des députés Rassemblement national élus ou réélus en 2022 se distinguent des autres collaborateurs. En effet, ceux-ci cumulent plus que les autres un mandat électif, notamment de conseiller municipal ou régional, avec leur position de collaborateur : le panel de 95 collaborateurs RN possédait ainsi 54 mandats, contre seulement 24 mandats pour le panel de 142 collaborateurs Renaissance. Cela souligne l’étroitesse du vivier de candidats et de militants du parti, puisqu’un nombre restreint d’individus cumulent les mandats, les candidatures et les positions de collaborateurs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Mandats possédés par les collaborateurs LREM, LFI et RN en octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le capital culturel possédé par les collaborateurs RN est par ailleurs moindre par rapport à leurs homologues des deux groupes principaux REN et La France Insoumise : environ 85 % des collaborateurs LFI et REN ont un diplôme de niveau au moins bac +5, contre seulement 60 % des collaborateurs RN. L’origine sociale plus populaire des collaborateurs RN montre ainsi que le parti joue un rôle de promotion sociale de ses militants par la collaboration.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Niveau de diplôme des collaborateurs LREM, LFI et RN en septembre 2022 (%). Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Ghemires, 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Comment les députés novices choisissent-ils leurs collaborateurs ?</h2>
<p>Les entretiens réalisés avec des primo-députés montrent la centralité de certains critères de recrutement : l’obtention d’un diplôme juridique ou en science politique, une expérience dans le travail politique ou parlementaire, la <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2004-5-page-4.htm">possession d’une expérience militante</a> ou d’une implantation dans la circonscription sont ainsi particulièrement valorisés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uH_uHahHzSo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les collaborateurs parlementaires dans l’ombre des députés, LCI, 2021.</span></figcaption>
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<p>Ces propriétés sont souvent réunies chez les militants ayant pris part à la campagne législative, ce qui explique la fréquence de leur recrutement par les nouveaux députés. Cela permet à l’élu de récompenser les militants l’ayant aidé, tout en ayant pu s’assurer de leurs compétences et de leur loyauté pendant la campagne. La proximité qui en résulte souvent explique que les nouveaux élus tiennent à transposer à leur cabinet parlementaire le fonctionnement souvent consensuel et collectif de l’équipe de campagne, comme un élu insoumis qui décrit son équipe – non sans contradiction – comme une « [coopérative] avec un chef ».</p>
<h2>Un rapport différencié au militantisme politique</h2>
<p>Selon l’appartenance partisane des élus, on constate un rapport différencié au militantisme politique lors du recrutement des collaborateurs. Les élus de la majorité (Renaissance-MoDem-Horizons) affichent un rapport plus distancié au militantisme politique, alors que les élus d’opposition valorisent davantage l’expérience militante.</p>
<p>Ainsi, les quatre députés LFI interrogés ont recruté exclusivement des militants Insoumis, alors qu’une élue Horizon a recruté une sympathisante Nupes, qui avait cependant participé à sa campagne. Deux conceptions de la collaboration parlementaire s’opposent ici : une conception technocratique et apolitique, <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635.htm">largement diffusée à l’intérieur de la majorité</a>, et une conception militante et politique, valorisant davantage les savoirs partisans, plus présente chez les partis à l’identité militante plus forte, notamment à gauche.</p>
<p>Enfin, les primo-députés font des choix différents selon leur expérience en politique. Alors que les élus les plus novices font des choix improvisés et dans l’urgence lors de la constitution de leurs équipes, les élus les plus expérimentés anticipent davantage le recrutement de leur équipe, souvent avant même leur élection, et leurs choix sont plus stratégiques et adaptés aux objectifs poursuivis.</p>
<p>Les nouveaux élus les plus néophytes sont ainsi pénalisés au début de leur mandat par leur méconnaissance de la collaboration parlementaire, contrairement aux néo-députés plus chevronnés qui connaissent mieux le fonctionnement de la collaboration parlementaire.</p>
<h2>Le noviciat des collaborateurs</h2>
<p>Cependant, le noviciat à l’Assemblée ne concerne pas seulement les députés puisque, parce qu’elle est faiblement formalisée, la position de collaborateur s’apprend largement sur le tas. La découverte des spécificités de cette fonction, comme le rythme soutenu ou la dépendance envers l’élu, peut entraîner des désillusions. Celles-ci sont d’autant plus vives lorsque le collaborateur n’a pas eu d’engagement militant préalable lui ayant permis de se familiariser avec ces aspects du champ politique. C’est le cas de nombre de collaborateurs recrutés après un premier engagement politique lors de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017.</p>
<p>Un récit fréquemment entendu dans les couloirs de l’Assemblée raconte le départ massif et rapide de ces collaborateurs novices lors de la première année de la XV<sup>e</sup> législature. Même si les <a href="https://theconversation.com/turnover-des-assistants-parlementaires-a-lassemblee-nationale-comme-dans-une-entreprise-de-services-104913">études disponibles à ce sujet</a> relativisent ce phénomène, les données recueillies confirment en partie ce narratif. Les biographies collectives réalisées montrent que les collaborateurs LREM partis pendant la première année de la XV<sup>e</sup> législature étaient, par rapport aux collaborateurs restés, plus diplômés, davantage issus du secteur privé (36 % contre 13 %), et qu’ils ont effectué davantage de reconversions dans ce secteur.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Expérience professionnelle des collaborateurs LREM partis ou restés en septembre 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les raisons de ces départs sont nombreuses, mais la distance avec le monde politique semble avoir favorisé le départ rapide des collaborateurs. <a href="https://laviedesidees.fr/Etienne-Ollion-Les-candidats">L’échec des députés novices</a>, qui ne sont pas parvenus à jouer les premiers rôles lors de la précédente législature (2017-2022), peut donc également être imputé au recrutement de collaborateurs inexpérimentés, moins susceptibles de les seconder efficacement. L’organisation de leurs entourages apparaît ainsi plus que jamais déterminante pour la réussite des élus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213319/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annis Ghemires a été collaborateur parlementaire d'un député de novembre 2018 à septembre 2020. </span></em></p>L’étude des entourages des primo-députés permet de contribuer aux réflexions sur le noviciat en politique.Annis Ghemires, Doctorant en science politique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2123882023-09-24T15:36:18Z2023-09-24T15:36:18ZRetour sur une année disciplinaire à l’Assemblée nationale : les députés ont-ils perdu la raison ?<p>Le 16 mars 2023, dans le contexte tendu de la réforme des retraites, de nombreux députés brandissent dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale une pancarte « 64 ans, c’est non » à l’occasion de l’une des applications du célèbre article 49 alinéa 3 de la Constitution. Tous ces députés feront <a href="https://lcp.fr/actualites/tenue-des-debats-a-l-assemblee-des-deputes-sanctionnes-de-nouvelles-regles-a-l-etude">l’objet d’une sanction disciplinaire</a>.</p>
<p>Depuis les élections législatives intervenues après la réélection d’Emmanuel Macron en mai 2022, le <a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">parlement</a> est devenu un Janus à deux visages : le Sénat semble participer paisiblement à l’élaboration de la loi alors que l’Assemblée nationale ressemble à un lieu de tumultes donnant parfois à l’hémicycle du Palais Bourbon les airs d’une <a href="https://www.sudouest.fr/politique/assemblee-nationale-cour-de-recreation-ou-camp-disciplinaire-14095582.php">cour de récréation</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">Comment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien</a>
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<p>Comme à l’école, les <a href="https://theconversation.com/comment-pour-la-deuxieme-fois-de-son-histoire-lassemblee-nationale-exclut-un-depute-193986">sanctions disciplinaires</a> doivent alors parfois être prises afin de maintenir l’ordre dans le chahut.</p>
<p>S’il n’est pas nouveau qu’une sanction soit prise par l’Assemblée nationale contre l’un de ses députés, il faut toutefois insister sur la particularité de la situation actuelle découlant à la fois de la fréquence et de la nature des sanctions prononcées depuis les élections législatives de 2022.</p>
<h2>Des sanctions de plus en plus fréquentes</h2>
<p>Leur fréquence d’abord : la Présidence et le Bureau de l’Assemblée nationale ont été amenés à prononcer un nombre inédit de sanctions disciplinaires à l’encontre d’un ou plusieurs députés en l’espace d’un peu plus <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/07/21/a-l-assemblee-nationale-un-nombre-record-de-sanctions-depuis-la-reelection-d-emmanuel-macron_6182897_4355770.html">d’une année</a>.</p>
<p>Du point de vue de leur nature ensuite : ces mesures disciplinaires sont diverses mais ont abouti à deux sanctions d’une particulière gravité consistant à des exclusions temporaires prononcées respectivement pour des paroles et la diffusion d’un tweet ayant tous les deux provoqué une scène tumultueuse <a href="https://lcp.fr/actualites/assemblee-nationale-deja-dix-sanctions-a-l-encontre-de-deputes-depuis-le-debut-de-la">dans l’hémicycle</a>.</p>
<p>Au-delà de ces deux exemples, toutes les sanctions visent le comportement d’un ou plusieurs députés. On retrouve pêle-mêle et sans exhaustivité un député insultant un de ses collègues ; un autre député procédant à un enregistrement streaming de la séance sur la plate-forme Twitch ou encore un député ne respectant pas les règles de communication fixées par l’Assemblée à l’occasion de la diffusion d’un reportage télévisé.</p>
<p>Ces situations de tension, parfois insolites, parfois graves, renvoient à des enjeux profonds qu’il apparaît important de mettre en <a href="https://bdr.parisnanterre.fr/theses/internet/2019/2019PA100120/2019PA100120.pdf">exergue</a>. Derrière le fait d’actualité, relayé par les médias, se jouent l’autorité et la légitimité de l’Assemblée nationale.</p>
<h2>Une discipline nécessaire des députés</h2>
<p>Dans toute institution, la bonne tenue des débats exige une discipline : le débat n’est pas l’invective. L’Assemblée nationale n’échappe pas à la règle, et ce pour deux raisons.</p>
<p>En premier lieu, à l’Assemblée, la discipline est d’autant plus nécessaire que les députés, au regard de leur statut, jouissent d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527491">irresponsabilité</a> dans l’exercice de leurs fonctions. Cette protection statutaire, prévue par la Constitution <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp#:%7E:text=Article%2026&text=Aucun%20membre%20du%20Parlement%20ne,assembl%C3%A9e%20dont%20il%20fait%20partie">(article 26)</a>, est une conséquence du principe de la séparation des pouvoirs. Ce dernier implique que le parlementaire « ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».</p>
<p>Si dans le cadre de ses fonctions, le député échappe à tout contrôle (en particulier d’un juge), les débats ne peuvent se tenir sans cadre : des règles collectives pour débattre sont nécessaires. L’instauration de règles disciplinaires ménage alors la chèvre de la séparation des pouvoirs et le chou de la bonne tenue des débats : ce n’est ni le pouvoir exécutif (le Gouvernement) ni l’autorité judiciaire qui vont assurer la discipline des députés, mais l’Assemblée nationale elle-même dans son règlement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-crise-democratique-peut-elle-etre-resolue-par-la-reforme-des-institutions-208248">La crise démocratique peut-elle être résolue par la réforme des institutions ?</a>
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<p>Le chapitre XIV de ce règlement intitulé « Discipline, immunité et déontologie » met en place un système disciplinaire autonome. Son article 70 énumère exhaustivement les motifs justifiant l’adoption d’une mesure disciplinaire. L’article 72 indique les autorités compétentes pour adopter ces sanctions. Selon sa gravité, la sanction sera prononcée soit par la Présidence de l’Assemblée, par le Bureau de l’Assemblée ou par <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale">l’ensemble des députés</a>.</p>
<p>En second lieu, le contexte politique de majorité relative favorise le recours à des sanctions disciplinaires. En effet, en ne disposant pas de plus de la moitié des 577 sièges de l’Assemblée nationale, le groupe de la majorité – le groupe « Renaissance » – n’est pas en situation de majorité absolue. Les oppositions sont dès lors en position de force pour exprimer leurs revendications. Ce contexte politique est ainsi propice à la survenance de tensions particulièrement fortes dans l’hémicycle pouvant aboutir à la tenue de propos qu’il convient de limiter pour garantir la sérénité des débats.</p>
<h2>Une discipline complexe des députés</h2>
<p>Nécessaire, l’instauration de règles disciplinaires à l’Assemblée nationale n’en est pas pour autant aisée.</p>
<p>Le principe de la séparation des pouvoirs implique l’impossible contrôle de l’organe chargé de prendre la sanction disciplinaire. Dans la plupart des ordres professionnels dans lesquels des sanctions disciplinaires peuvent être prononcées, à l’instar de l’ordre des médecins ou des avocats, la sanction infligée à un de ses membres pourra être contrôlée par un juge, en <a href="https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/dossiers-thematiques/le-juge-administratif-et-les-sanctions-administratives">particulier administratif</a>.</p>
<p>Concernant l’Assemblée nationale, ces sanctions ne peuvent être contrôlées (comme le relève une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047881653">décision</a> du Conseil d’État en ce sens). Cette absence de contrôle fragilise l’acceptation des sanctions par les députés qui peuvent, avec plus ou moins de mauvaise foi, contester la partialité politique des sanctions prononcées par des organes politiques. Ainsi, à propos d’une sanction aboutissant à l’exclusion temporaire d’un député pour avoir provoqué une scène tumultueuse après avoir prononcé les mots « qu’il retourne en Afrique », certains membres du groupe politique du député sanctionné affirmaient qu’il s’agissait d’une « procédure où on est jugé par <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sanction-contre-le-depute-rn-intenses-debats-et-atmosphere-pesante-au-bureau-de-lassemblee-1876068">nos adversaires politiques</a> ».</p>
<h2>Une juridicisation de la procédure disciplinaire ?</h2>
<p>Ce soupçon omniprésent de partialité est la principale difficulté à laquelle est confrontée la fonction disciplinaire à l’Assemblée (le fameux « c’est une décision politique »). Afin d’écarter ce soupçon, certains députés ont proposé d’encadrer davantage la procédure disciplinaire en vue de renforcer son impartialité. À l’instar de ce qui existe pour tout ordre professionnel, l’instauration d’une procédure contradictoire respectée par un organe collégial permettrait à coup sûr de renforcer l’impartialité de la sanction. L’objectif serait ainsi de juridiciser la discipline de l’Assemblée.</p>
<p>Néanmoins, dans le contexte particulier d’une assemblée parlementaire, cette solution prend la forme d’un pis-aller. Les députés sont des acteurs politiques qui disposent d’une protection statutaire nécessaire pour garantir leur pleine liberté d’expression et de vote au sein de l’hémicycle. L’instauration d’une procédure juridique lourde et contraignante aboutirait à limiter cette liberté et appesantir les débats autour de considérations futiles : la sanction appliquée à un député s’adressant à un de ses collègues en employant le mot « ta gueule » doit-elle être plus faible que la sanction infligée à un autre député qualifiant un ministre de « lâche » ?</p>
<p>En se concentrant sur ces comptes d’apothicaires, la juridicisation de la procédure disciplinaire ne ferait pas taire les critiques sur l’existence d’un possible « deux poids deux mesures », mais conduirait, au contraire, à davantage les exprimer et fragiliserait encore plus l’institution parlementaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/linsulte-arme-incontournable-du-politique-149290">L’insulte, arme incontournable du politique</a>
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<h2>Le primat de la responsabilité collective des députés</h2>
<p>Alors comment assurer la discipline à l’Assemblée sans se voir opposer l’existence d’un « deux poids deux mesures » ?</p>
<p>In fine, en l’absence de possibles recours à un juge pour contrôler la sanction, la dimension politique de la sanction disciplinaire est inévitable. Seulement, cette dimension politique n’implique pas nécessairement la partialité de la sanction.</p>
<p>D’un point de vue statistique, si les sanctions semblent avoir été majoritairement infligées à des députés de l’opposition (Nupes et Rassemblement National), il n’en demeure pas moins que la majorité a pu être également concernée.</p>
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<p>Les vice-présidents, dont certains représentent les groupes d’opposition Nupes et RN, ont d’ailleurs aussi prononcé des sanctions disciplinaires (V. par ex. respectivement pour les groupes Nupes et RN, la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2022-2023/troisieme-seance-du-jeudi-16-mars-2023.pdf">3ᵉ séance du 16 mars 2023</a> et la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2022-2023/premiere-seance-du-lundi-13-fevrier-2023.pdf">1ère séance du 13 février 2023</a>). L’adoption d’une sanction disciplinaire ne relève pas d’une logique partisane, mais institutionnelle. Il ne s’agit pas de protéger un parti politique (celui de la majorité) mais l’autorité de l’institution (l’Assemblée nationale) dont la seule raison d’être est celle de débattre sereinement.</p>
<p>Au fond, la solution pour l’Assemblée nationale est la même que pour toute institution : son bon fonctionnement exige que les personnes qui la composent, malgré leurs divergences politiques profondes, jouent le jeu de la délibération.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212388/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeremy Martinez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La fréquence et de la nature des sanctions prononcées depuis les élections législatives de 2022 interrogent l’image et la légitimité de l’Assemblée nationale.Jeremy Martinez, Maître de conférences, droit public, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2082482023-06-26T17:22:22Z2023-06-26T17:22:22ZLa crise démocratique peut-elle être résolue par la réforme des institutions ?<p>La séquence politique ouverte par la réforme des retraites a remis au premier rang la question de la crise démocratique en France. Le gouvernement a utilisé systématiquement toutes les dispositions constitutionnelles pour encadrer la procédure parlementaire, à un moment où il ne disposait que d’une majorité relative, afin de concentrer la décision au sommet du pouvoir exécutif en justifiant ces procédés comme découlant naturellement du programme qu’Emmanuel Macron avait présenté en 2022 et pour lequel il avait été élu.</p>
<p>Le débat s’est donc tout de suite orienté vers une nécessaire réforme de la Constitution afin de donner plus de place au Parlement et réduire les pouvoirs de la présidence jugés excessifs notamment par la Nupes mais aussi par <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/reforme-des-retraites-il-y-a-un-deni-de-democratie-parlementaire-estime-le-constitutionnaliste-dominique-rousseau_5716706.html">certains constitutionnalistes</a>.</p>
<h2>Revenir au régime parlementaire</h2>
<p>Le retour au régime parlementaire a été évoqué depuis longtemps par La France Insoumise dans le cadre de son projet de <a href="https://theconversation.com/changer-de-constitution-pour-changer-de-regime-180160">VIᵉ République</a> qui propose également, tout comme le Rassemblement national, de passer au scrutin proportionnel et de pratiquer des <a href="https://theconversation.com/reviser-la-constitution-par-referendum-la-pratique-peut-elle-contredire-le-texte-181425">référendums d’initiative citoyenne</a>.</p>
<p>Mais des propositions ont été également faites par le gouvernement dans le cadre du <a href="https://theconversation.com/le-grand-debat-national-des-demandes-contradictoires-sur-un-arriere-fond-populiste-et-moralisateur-114241">Grand débat national de 2019</a> afin de modifier le mode de scrutin pour introduire une dose de proportionnelle, réduire la durée des mandats électifs dans le temps ou élargir le <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/20801-projet-lois-2018-democratie-plus-representative-reforme-institutions">champ du référendum</a>. Ces projets sont restés lettre morte mais l’idée générale, développée depuis longtemps <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/book/?gcoi=27246100188930">dans la littérature internationale de science politique</a>, est d’améliorer le fonctionnement démocratique par la réforme des institutions, notamment en développant la <a href="https://theconversation.com/rip-un-nouveau-rejet-du-conseil-constitutionnel-interroge-les-limites-du-pouvoir-du-peuple-205045">participation des citoyens</a>.</p>
<p>Ces réformes auraient pour but de sauver la démocratie représentative face aux dérives autoritaires, aux manipulations de l’opinion et au simplisme démagogique que la démocratie directe peut produire. Le problème est de savoir si la démocratie représentative elle-même est encore « sauvable », surtout lorsque l’Assemblée nationale donne une piteuse image du débat démocratique en passant <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/21/olivier-rozenberg-politiste-a-terme-le-blocage-legislatif-est-suicidaire-pour-le-parlement-mais-aussi-pour-le-systeme-politique-tout-entier_6178520_823448.html">aux insultes et aux provocations</a>.</p>
<p>On peut donc poser deux questions de recherche : est-ce que la critique de la démocratie représentative est moins intense dans des régimes parlementaires ? Est-ce que la confiance dans les institutions politiques est plus forte dans ces régimes ? On s’appuiera ici sur les données de la vague 14 du Baromètre de la confiance politique du Cevipof <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Barometre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague%2014%20-%20Fevrier%202023%20-%20vFR.pdf%20(1).%20pdf">réalisée en février 2023</a> qui permettent de comparer la France à l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, trois pays à régimes parlementaires aux modes de scrutins variés. L’ensemble des éléments d’analyse et des variables est présenté <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/NoteBaroV14_LR_crisedemoetfauxsemblants_mai2023_VF.pdf">dans une note de recherche récemment publiée</a>.</p>
<h2>La critique de la représentation ne dépend pas du régime institutionnel</h2>
<p>La première observation tient à ce que le rejet des élus et donc du principe même de la représentation est très général mais ne varie pas en fonction du régime institutionnel ou du mode de scrutin adopté par chaque pays. On a construit un indice de critique de la démocratie représentative à partir des réponses positives (tout à fait d’accord ou plutôt d’accord) aux propositions suivantes : « c’est le peuple, et pas les responsables politiques, qui devrait prendre les décisions politiques les plus importantes » ; « je préfèrerais être représenté·e par un citoyen ordinaire plutôt que par un politicien professionnel » ; « les responsables politiques sont déconnectés de la réalité et ne servent que leurs propres intérêts ».</p>
<p>Ces trois variables sont fortement corrélées entre elles et constituent une échelle statistique fiable que l’on a dichotomisée entre un niveau bas de critique (aucune ou une réponse positive) et un niveau élevé (deux ou trois réponses positives). Si l’on examine la distribution du niveau élevé, on voit que l’écart entre les catégories populaires et les catégories supérieures est le plus important en France (12 points) avant celui que l’on observe au Royaume-Uni (7 points). Bien plus, la corrélation s’inverse en Allemagne et Italie où ce sont les catégories supérieures qui s’avèrent être plus critiques à l’égard de la représentation que les catégories populaires ou moyennes. De tels résultats montrent que l’analyse en termes de « populisme » se révèle spécieuse car les catégories supérieures critiquent partout en majorité la représentation politique.</p>
<p><iframe id="mrXjf" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/mrXjf/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Le régime parlementaire ne crée pas davantage de confiance dans les institutions politiques</h2>
<p>La seconde question est tout aussi centrale dans le débat actuel. L’effondrement du niveau de confiance dans les institutions politique pose la question de savoir si cette confiance est plus haute dans des pays où l’on pratique une démocratie parlementaire pacifiée. La réforme des retraites n’a pas fait que nuire au pouvoir exécutif, <a href="https://theconversation.com/comment-une-crise-parlementaire-inedite-est-nee-avec-la-reforme-des-retraites-204596">elle a également touché le Parlement</a>.</p>
<p>La proportion d’enquêtés ayant confiance dans l’institution présidentielle est passée de 38 % en janvier 2022 à 30 % en février 2023 mais la proportion de ceux qui ont confiance dans l’Assemblée nationale est passée dans le même temps de 38 % à 28 %. Et la proportion de ceux qui ont confiance dans leur député n’est que de 36 %, soit le niveau le plus bas atteint depuis la création du Baromètre en 2009.</p>
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<p>Mais les régimes parlementaires que nous avons étudiés ne font guère mieux. En Italie et au Royaume-Uni, le niveau de confiance dans la chambre basse est de 27 % alors que les modes de scrutin y sont radicalement différents. Ce n’est qu’en Allemagne que cette proportion s’élève à 47 %. Si l’on crée un indice de confiance dans les institutions politiques qui intègre la confiance dans le gouvernement, dans la chambre haute et la chambre basse, et qu’on le dichotomise en deux niveaux, on voit que les résultats sont similaires en France, en Italie et au Royaume-Uni.</p>
<p>Mais c’est toujours en France que le contraste est le plus fort entre les catégories populaires et les catégories supérieures dans la confiance qu’elles portent aux institutions politiques. Une fois de plus, ce ne sont pas les institutions qui font la différence mais les catégories sociales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">Comment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien</a>
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<p>L’analyse montre au total qu’il n’y a pas de corrélation entre le système institutionnel et la crise démocratique. Des régimes parlementaires ayant des structures fortement décentralisées et fonctionnant avec des modes de scrutin très différents n’obtiennent pas des résultats bien meilleurs que ceux obtenus en France. La crise démocratique prend moins sa source dans le fonctionnement même de la V<sup>e</sup> République que dans les <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100861310">dynamiques sociales</a> qui génèrent la confiance ou la défiance dans les institutions. C’est pourquoi la réforme institutionnelle ne servira à rien tant que des questions comme la mobilité sociale ou l’accès aux élites n’auront pas été résolues.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208248/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise démocratique doit être reliée aux inégalités sociales et de classe autant qu’à la confiance portée aux institutions.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2076432023-06-15T16:43:27Z2023-06-15T16:43:27ZCe que le néolibéralisme provoque dans notre démocratie<p>La députée socialiste Valérie Rabault s'est insurgée <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2022-2023/premiere-seance-du-lundi-12-juin-2023#3149216">en défendant la 17ème motion de censure du gouvernement le 12 juin dernier</a>:</p>
<blockquote>
<p>« Votre gouvernement et vous-même avez tenté de jeter le discrédit sur l’Assemblée nationale en matière de recevabilité financière des propositions de loi et des amendements. Madame la Première ministre, comment un membre de votre gouvernement peut-il se permettre de porter un jugement sur un président de commission de l’Assemblée nationale dans l’exercice de ses fonctions ? C’est une ingérence dangereuse !»</p>
</blockquote>
<p>Si la motion n'a pas abouti à la démission d'Élisabeth Borne, cette séquence devrait achever - pour le moment - <a href="https://theconversation.com/comment-une-crise-parlementaire-inedite-est-nee-avec-la-reforme-des-retraites-204596">le débat parlementaire</a> sur <a href="https://theconversation.com/mobilisations-et-maintenant-204943">la réforme des retraites</a>, que la proposition de loi du groupe LIOT a rouverte. À travers cette initiative, le rapporteur Charles de Courson souhaitait donner l'opportunité au gouvernement de sortir de la <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/gouvernement/le-gouvernement-craint-un-vote-sanction-1947350">« crise politique et sociale »</a> cristallisée par ce que beaucoup ont nommé un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1165_proposition-loi">« détournement de procédure »</a> (le recours aux 47‑1 et 49-3 de la Constitution) pour faire passer « par la force » leur projet de loi. </p>
<p>Au contraire, le texte défendu par ce groupe centriste a ouvert <a href="https://www.actu-juridique.fr/constitutionnel/en-votant-une-proposition-de-loi-ramenant-lage-legal-de-la-retraite-a-62-ans-lassemblee-ouvrirait-une-crise-institutionnelle-majeure/">les débats sur la recevabilité financière et ses conséquences</a> sur les initiatives parlementaires. </p>
<p>L'usage traditionnel de l'Assemblée nationale est de <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/institutions/abrogation-de-la-reforme-des-retraites-tout-comprendre-a-la-bataille-autour-de-larticle-40-de-la-constitution">tolérer</a>, dans une certaine mesure, l'outre-passement de la règle constitutionnelle interdisant aux élus la création ou l'aggravation d'une charge publique pour les propositions de loi (dont l'origine revient aux parlementaires alors que les projets de loi sont à l'initiative du gouvernement). Ces controverses semblent objectiver une crise de l’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-art-de-ne-pas-etre-trop-gouverne-jean-claude-monod/9782021428049">art néolibéral de gouverner</a>. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">Un an après l’élection d’Emmanuel Macron, que reste-t-il de la « Macronie » ?</a>
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<h2>Le néolibéralisme fixe des limites à la démocratie</h2>
<p>Ainsi, si les oppositions dénoncent les pressions de l'exécutif - <a href="https://www.liberation.fr/politique/reforme-des-retraites-accusee-de-setre-couchee-devant-lelysee-yael-braun-pivet-assure-navoir-recu-aucune-pression-20230613_3MYB7S5CVJEH3MDF67KQGZPCXE/?redirected=1">notamment sur Yaël Braun-Pivet, Présidente de l'Assemblée nationale</a> - le groupe Renaissance et ses alliés dénoncent une <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/abrogation-de-la-loi-retraites-la-proposition-liot-est-une-arnaque-estime-le-depute-renaissance-sylvain-maillard-20230520">« arnarque », « une dérive absolue », une position « populiste »</a> mettant en danger le système des retraites (<a href="https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2023-01/Synth%C3%A8se.pdf">malgré les sévères réserves apportées par le Conseil d'Orientation des Retraites</a>) mais surtout le respect de la Constitution, garante du bon fonctionnement de notre démocratie. </p>
<p>Or, ces arguments sont révélateurs d'une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-art-de-ne-pas-etre-trop-gouverne-jean-claude-monod/9782021428049">crise de gouvernementalité</a>. Soit, pour <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-naissance-de-la-biopolitique-cours-au-college-de-france-1978-1979-michel-foucault/9782020324014">Michel Foucault</a>:</p>
<blockquote>
<p>une inflation des mécanismes compensatoires de la liberté, c'est-à-dire que pour l'exercice de certaines libertés, comme par exemple la liberté du marché et de la législation antimonopolistique, vous pouvez avoir la formation d'un carcan législatif, qui sera éprouvé par les partenaires du marché comme étant un excès d'interventionnisme et un excès de contraintes et de coercition.</p>
</blockquote>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les accusations de « populisme » pour délégitimer les oppositions sont en réalité un mode opératoire classique des néolibéraux, selon <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/lillusion-du-bloc-bourgeois-2/">l'économiste Bruno Amable</a>. </p>
<p>Les « <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/12/retraites-la-reforme-est-courageuse-et-va-etre-difficile_6157584_3232.html">solutions courageuses</a> » des gouvernements néolibéraux reposent sur un alliage de règles constitutionnelles et d'élites éclairées, ce qui suppose de fixer quelques <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_resistible_ascension_du_neoliberalisme-9782348068904">limites à la démocraties</a>.</p>
<p>Si l'impossibilité constitutionnelle pour le parlement d'accroître les dépenses publiques peut être considérée comme l'une des restrictions à la démocratie, celle-ci est justifiée par l'obligation de <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/avant-une-possible-degradation-de-la-note-de-la-france-bruno-le-maire-promet-d-etre-intraitable-sur-la-dette-964121.html">« maîtriser la dette publique »</a>.</p>
<h2>La dette comme unique boussole politique ?</h2>
<p>En effet, le capitalisme requiert des libertés économiques qui exigent des libertés politiques et un mode de gouvernement particulier. Ici, le gouvernement et ses alliés considèrent qu'il est impératif de réformer notre système de retraite, en dépit de l'impopularité de la réforme, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/19h20-politique/reforme-des-retraites-les-francais-ont-compris-qu-il-fallait-sauver-notre-systeme-par-repartition-assure-le-depute-renaissance-jean-rene-cazeneuve_5644298.html">afin de le sauver</a> par un meilleur contrôle les dépenses publiques. </p>
<p>Il s'agit d'un signal <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/retraites-les-vrais-enjeux-derriere-le-risque-financier-invoque-par-emmanuel-macron-1917566">envoyé aux marchés financiers </a>, symptomatique d'un fonctionnement néolibéral, résumé <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-naissance-de-la-biopolitique-cours-au-college-de-france-1978-1979-michel-foucault/9782020324014">par la maxime de Michel Foucault</a> comme suit:</p>
<blockquote>
<p>« un État sous surveillance de marché plutôt qu’un marché sous surveillance de l’État ».</p>
</blockquote>
<p>La problématique des dépenses publiques soulève celle <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_ordre_de_la_dette-9782707185501">du poids de la dette</a>, dont <a href="https://www.mareetmartin.com/livre/les-administrations-publiques-a-lepreuve-de-leur-dette">le remboursement est devenu une boussole de l’action publique</a>, notamment depuis son ouverture aux marchés financiers <a href="https://www.liberation.fr/debats/2016/04/01/benjamin-lemoine-en-voulant-plaire-aux-marches-financiers-l-etat-fait-de-leurs-priorites-les-siennes_1443423/?redirected=1">sous la Présidence de François Mitterrand</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jx71igcMtNQ?wmode=transparent&start=2" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">“C'est soit la réduction de la dette maintenant, soit les impôts demain”, déclarait Bruno Le Maire le 19 avril 2023, Public Sénat.</span></figcaption>
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<p>La maîtrise de la dette préfigure une conception nouvelle d’envisager le rôle de l’État. <a href="https://www.fayard.fr/histoire/le-temps-de-letat-9782213633824">Celui-ci se souhaite stratège et garant de l'ordre concurrentiel du marché</a>, tout en limitant la capacité d'action du pouvoir législatif, notamment sa propension à créer des charges supplémentaires (ce qu'aurait généré la proposition de loi du groupe LIOT).</p>
<h2>La fragilité du parlement comme symptôme d'une crise</h2>
<p>Dès lors, la redéfinition du rôle de l'État va de pair avec un <a href="https://www.decitre.fr/ebooks/il-faut-s-adapter-9782072757525_9782072757525_1.html">nouvel impératif politique : l'adaptation</a> à l'ordre néolibéral.</p>
<p>Cette injonction a des conséquences sur la manière de fabriquer la loi, et notamment sur le <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/La-force-de-gouverner#">déclassement institutionnel du Parlement au profit de l'exécutif</a>. Les révisions de la Constitution n'ont pas placé le parlement dans les meilleures conditions pour qu’il puisse accomplir son mandat.</p>
<p>Placés dans une situation d’urgence législative - en témoigne l'usage croissant de la procédure accélérée lors <a href="https://acteurspublics.fr/articles/fabrique-de-la-loi-recours-massif-a-la-procedure-acceleree-ces-dernieres-annees">des examens parlementaires</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/files/autour-de-la-loi/legislatif-et-reglementaire/statistiques-de-la-norme/indicateurs_2023.pdf">du recours aux ordonnances</a> rédigées au sein des administrations centrales, arcanes assez confidentielles - députés et sénateurs disposent d’un temps réduit pour s’organiser en contre-pouvoir de l’exécutif. Mais surtout pour disposer de l’intégralité des paramètres, des études, des opinions pour façonner la leur. </p>
<p>Il n'est d'ailleurs pas rare que les parlementaires se plaignent des mauvaises conditions dans lesquelles ils doivent légiférer ou sur les modalités d'examen d'un texte, comme le suggère la sénatrice Dominique Estrosi Sassone qui cite une <a href="https://www.senat.fr/salle-de-presse/communiques-de-presse/presse/06-06-2023/ppl-sur-le-plafonnement-des-indices-locatifs-les-conditions-dune-prolongation-ne-sont-pas-reunies.html">« législation à la sauvette »</a> .</p>
<p>Cette manière d’accélérer le dénouement législatif accroît le risque de générer une norme approximative et atténue la capacité de régulation de la puissance publique. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/531657/original/file-20230613-25-tc94cl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une banalisation du recours à la procédure accélérer pour l'examen parlementaire" src="https://images.theconversation.com/files/531657/original/file-20230613-25-tc94cl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531657/original/file-20230613-25-tc94cl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531657/original/file-20230613-25-tc94cl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531657/original/file-20230613-25-tc94cl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531657/original/file-20230613-25-tc94cl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=381&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531657/original/file-20230613-25-tc94cl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=381&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531657/original/file-20230613-25-tc94cl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=381&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pourcentage de lois votées selon la procédure accélérée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R.Boura- Rapport d'information n° 542 sur le bilan annuel de l’application des lois au 31 mars 2019 du Sénat</span></span>
</figcaption>
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<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/531652/original/file-20230613-23-lmdf0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un recours croissant aux ordonnances" src="https://images.theconversation.com/files/531652/original/file-20230613-23-lmdf0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531652/original/file-20230613-23-lmdf0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531652/original/file-20230613-23-lmdf0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531652/original/file-20230613-23-lmdf0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531652/original/file-20230613-23-lmdf0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531652/original/file-20230613-23-lmdf0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531652/original/file-20230613-23-lmdf0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Indicateur de suivi des ordonnances.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R.Boura- Indicateurs de suivi de l’activité normative - Édition 2022</span></span>
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<h2>Temps délibératif réduit et opacité du processus décisionnel</h2>
<p>Pour quelles raisons les gouvernements ont-ils cherché alors à accélérer les débats, alors que la discussion et ses conditions sont <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2008-1-page-39.htm">centrales dans un régime démocratique</a> ? La délibération facilite l’adhésion volontaire à une norme commune après que chacun ait eu l’opportunité d’exposer <a href="https://editions.flammarion.com/morale-et-communication/9782080814203">ses aspirations pour la communauté</a>.</p>
<p>Or, cette délibération politique s’avère être perçue comme un poids dans une économie mondialisée et en concurrence <a href="https://www.decitre.fr/livres/les-liberaux-9782070763412.html">selon les doctrines libérales</a>.</p>
<p>Consciente de la désynchronisation du monde politique avec le monde économique, l'autorité publique tente donc de réduire ce décalage en accélérant le temps législatif. Ce temps long est pourtant crucial, comme le précise le philosophe Hartmut Rosa qui rappelle que sinon, il peut se produire un déplacement du processus décisionnel vers des arènes <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/acceleration-9782707154828">plus confidentielles et moins démocratiques</a>, <a href="https://theconversation.com/comment-les-lobbyistes-influencent-ils-la-vie-politique-francaise-203599">renforçant la conviction de lobbies tirant les ficelles dans l'ombre</a>. </p>
<h2>La crise contemporaine de gouvernementalité</h2>
<p>Ainsi, la réduction du temps délibératif et l'accroissement de l'opacité du processus décisionnel participent à la crise contemporaine de gouvernementalité. <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-crises-politiques--9782724611250.htm">Imputer la genèse de cette crise à la présidence d'Emmanuel Macron paraîtrait excessif</a>.</p>
<p>En revanche, le chef de l'État ne peut pas s'en absoudre, tant son action puis celle de ses gouvernements ont accentué la multiplication des expressions violentes (<a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/11/la-demission-du-maire-de-saint-brevin-est-l-exemple-malheureux-de-la-montee-de-la-violence-envers-les-elus-en-france_6172996_823448.html">parfois sinistres</a>) <a href="https://www.cairn.info/revue-constructif-2022-1-page-25.htm">du rejet de l'offre politique et du système les désignant</a>. </p>
<p>En réaction aux contestations sociales, <a href="https://journals.openedition.org/civilisations/2249">l'État a produit des normes sécuritaires, disciplinaires et répressives</a> <a href="https://journals.openedition.org/leportique/625">pour préserver l'ordre ainsi que le mode de gouvernement néolibéral </a>. Dernier exemple en date : la proposition - débattue en ce moment - d'activer à distance (dans certains cas précis) des appareils connectés <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/le-vrai-du-faux-une-loi-va-t-elle-autoriser-l-activation-a-distance-des-telephones-pour-enregistrer-les-conversations-comme-l-annoncent-des-messages-sur-les-reseaux-sociaux_5824385.html">aux fins de géolocalisation</a>. La répression des mouvements sociaux révèle aussi un tournant <a href="https://www.cairn.info/violences-politiques--9782200616878-page-193.htm">conflictuel et violent</a> tout comme <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2019/02/14/01003-20190214ARTFIG00278-l-europe-condamne-l-usage-disproportionne-de-la-force-par-la-police.php">« l'usage disproportionné de la force par la police »</a> - pour reprendre les mots du Parlement européen - durant les manifestations des gilets jaunes.</p>
<p>Si la proposition de loi des députés LIOT n'a pas permis au gouvernement et ses alliés de sortir de la crise de gouvernementalité elle a eu l'avantage de souligner les tensions liées à notre fonctionnement politique, social et économique et leurs conséquences peuvent être <a href="https://www.decitre.fr/livres/vers-l-extreme-9782367510064.html">inquiétantes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207643/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Docteur en sociologie, Rémi BOURA est également responsable des relations parlementaires et de la recherche-action à la Fédération des Acteurs de la Solidarité.</span></em></p>Les institutions semblent s'enfoncer dans une « crise de gouvernementalité » qui pourrait trouver son origine dans le néolibéralisme.Rémi Boura, Docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2050452023-05-04T20:16:22Z2023-05-04T20:16:22ZRéférendum d’initiative partagée : la réforme souhaitée par Emmanuel Macron fera-t-elle bouger les lignes ?<p>Le discours d'Emmanuel Macron quant à un possible assouplissement <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/04/emmanuel-macron-propose-de-reviser-la-constitution-sur-le-champ-du-referendum-et-sur-le-referendum-d-initiative-partage_6192402_823448.html">des conditions de mise en œuvre du référendum d’initiative partagée</a> pourra-t-il vraiment faire évoluer cette disposition et la portée politique de cet outil ? </p>
<p>Récemment, deux propositions de référendum d’initiative partagée (RIP) prévoyant de limiter l’âge de départ à la retraite à 62 ans (proposition n°959 du 20 mars 2023 et proposition n°530 du 13 avril 2023) avaient été rejetées par le Conseil constitutionnel (CC), une première fois le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20234RIP.htm">14 avril</a> et une seconde fois le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20235RIP.htm">3 mai 2023</a>.</p>
<p>Cela porte à cinq <a href="https://theconversation.com/le-referendum-dinitiative-partagee-un-instrument-democratique-neutralise-193869">les tentatives d’utilisation du RIP</a>, après la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/273802-cloture-du-referendum-dinitiative-partagee-sur-la-privatisation-dadp">l’exploitation des aérodromes de Paris</a> (2019), celle de programmation pour garantir un <a href="https://www.la-croix.com/France/Hopital-public-Conseil-constitutionnel-rejette-referendum-dinitiative-partagee-2021-08-06-1201169727">accès universel à un service public hospitalier de qualité</a> (2021) et celle sur la création <a href="https://www.liberation.fr/politique/taxation-des-superprofits-le-projet-de-referendum-de-la-nupes-retoque-20221025_EYLVVAMQZFBPFHQKXSAE4MVAPY/?redirected=1">d’une taxe sur les superprofits</a> (2022).</p>
<p>Le CC doit en effet assurer le contrôle préalable de la proposition référendaire prévue à l’article 11 de la constitution. À ce titre, le juge a vérifié que les deux propositions étaient soutenues respectivement par 252 et 253 parlementaires sachant que le minimum exigé est d’un cinquième des parlementaires (soit 185). De plus une proposition de référendum ne peut pas avoir pour objet d’abroger une loi promulguée il y a moins d’un an. Le CC s’est prononcé sur ce point en prenant en compte la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/20191RIP.htm">date d’enregistrement de la proposition</a>, soit le 23 mars et le 13 avril. Or à cette date, la loi portant l’âge de départ à la retraite à 64 ans n’était pas promulguée : la condition était donc remplie.</p>
<p>Par les décisions du 14 avril et du 3 mai le CC a cependant fermé la possibilité d’organiser un RIP portant sur le maintien de l’âge de départ de la retraite, en confirmant l’interprétation restrictive de l’objet du référendum, tout en précisant que le pouvoir du peuple est encadré par la constitution et en contribuant à confiner le RIP dans un rôle d’instrument de l’opposition parlementaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-conseil-constitutionnel-a-deja-pris-des-decisions-plus-politiques-que-juridiques-lexemple-des-langues-dites-regionales-203771">Le Conseil Constitutionnel a déjà pris des décisions plus politiques que juridiques : l’exemple des langues dites régionales</a>
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<h2>Une interprétation restrictive de l’objet d’un référendum</h2>
<p>L’article 11 de la constitution prévoit que la question posée par la proposition doit porter « sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Or, si le plafonnement de l’âge de la retraite à 62 ans concernait évidemment le domaine de la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/20212RIP.htm">politique sociale</a>, encore fallait-il que cette proposition constitue une « réforme ». Ce point précis n’avait pas été retenu dans la décision n°2022-3 RIP du 25 octobre 2022 justement en raison du défaut d’ampleur et de pérennité de la mesure objet de la proposition (taxe sur les superprofits).</p>
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<p>Il s’agissait donc de savoir si la règle en vigueur (âge de départ à la retraite fixé à 62 ans) était identique à celle proposée (l’âge de la retraite ne peut être supérieur à 62 ans). Sur ce point, le CC précise dans la décision du 14 avril :</p>
<blockquote>
<p>« la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans n’emporte pas de changement de l’état du droit. »</p>
</blockquote>
<p>Cette affirmation nous paraît être un amalgame. En effet, il y a évidemment une différence entre fixer un âge et fixer un plafonnement à cet âge. En réalité le CC fait une confusion entre d’une part l’existence ou non d’une nouvelle règle (donc celle d’une « réforme ») et d’autre part la possibilité qu’une telle norme soit adoptée par référendum. Certes, le juge est habilité dans le cadre du contrôle qu’il opère à se prononcer sur ces deux questions. Mais leur objet est distinct.</p>
<p>Les deux propositions de référendum prévoyaient ainsi de fixer un plafond c’est-à-dire un âge maximum de départ à la retraite qui se serait imposé au législateur. Or, on sait que le législateur n’est pas compétent pour s’auto-limiter et que <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1982/82142DC.htm">seule une norme constitutionnelle peut le faire</a>.</p>
<p>Donc, fixer un plafond revient à produire une interdiction contraire aux normes constitutionnelles. Le CC étant compétent pour <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000028278925/">contrôler le respect de l’ensemble des normes constitutionnelles</a>, pouvait estimer que la proposition était non conforme parce qu’elle violait une norme constitutionnelle. Cependant ce n’est pas le parlement qui est amené in fine à se prononcer sur cette proposition, mais bien le peuple.</p>
<h2>Un pouvoir du peuple encadré par la constitution</h2>
<p>À ce stade la question devient beaucoup plus délicate. Il s’agit de se prononcer non plus sur le pouvoir du parlement de s’autolimiter mais sur celle du peuple de limiter le pouvoir du législateur.</p>
<p>Le CC devait donc se prononcer sur la nature du pouvoir dont dispose le peuple lorsqu’il adopte une proposition par référendum. Le CC a retenu ici une approche fonctionnelle du peuple en considérant que ce dernier, sollicité sur la base du RIP, remplace le parlement et a les mêmes pouvoirs et limites.</p>
<p>D’une part :</p>
<blockquote>
<p>« le législateur peut toujours modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieures, qu’elles résultent d’une loi votée par le Parlement ou d’une loi adoptée par voie de référendum » (donc en admettant que la proposition soit adoptée par référendum elle pourra être modifiée par le parlement, auquel elle ne s’impose nullement)</p>
</blockquote>
<p>D’autre part :</p>
<blockquote>
<p>« ni la circonstance que ses dispositions seraient adoptées par voie de référendum ni le fait qu’elles fixeraient un plafond contraignant pour le législateur ne permettent davantage de considérer que cette proposition de loi apporte un changement de l’état du droit » (nouvelle confusion entre le pouvoir du peuple et le caractère novateur de la proposition).</p>
</blockquote>
<p>C’est une évolution notable de la position antérieure du CC selon laquelle « les lois adoptées par le peuple à la suite d’un référendum, constituent l’expression directe de la souveraineté nationale » justifiant qu’elles ne soient pas contrôlées contrairement à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/cons/id/CONSTEXT000017665198">celles produites émises par le parlement</a>.</p>
<p>Il est vrai que cette jurisprudence avait été émise avant la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/268318-la-reforme-de-2008-sur-la-modernisation-des-institutions">révision de la constitution de 2008</a> introduisant le RIP et son contrôle.</p>
<h2>Un RIP confiné au rôle d’instrument de l’opposition parlementaire</h2>
<p>Par ailleurs, les décisions du 14 avril et du 3 mai 2023 participent à la tendance qui réduit le RIP <a href="https://theconversation.com/le-referendum-dinitiative-partagee-un-instrument-democratique-neutralise-193869">à une manœuvre parlementaire</a> dans le droit fil de la décision du CC du 25 octobre 2022.</p>
<p>La procédure de dépôt d’une proposition de référendum apparaît ainsi moins comme une tentative de mettre en œuvre un mécanisme de démocratie directe qu’un moyen supplémentaire pour l’opposition de faire entendre sa voix et de peser dans son rapport de force politique avec l’exécutif.</p>
<p>Ainsi, la proposition déposée pour empêcher la privatisation d’Aéroports de Paris n’avait recueilli qu’un million de soutiens populaires mais avait tout de même convaincu le gouvernement de renoncer à cette privatisation.</p>
<p>À la différence de la saisine du CC par la minorité parlementaire pour contrôler la constitutionnalité des lois (article 61 de la constitution), cette arme de guérilla parlementaire risque de mettre le Conseil constitutionnel à rude épreuve car il pourrait apparaître comme celui qui empêche la consultation populaire, alors que ce contrôle préalable est nécessaire puisque le CC refuse de contrôler une loi adoptée par référendum (décision n°62-20 DC du 6 novembre 1962 et n°92-313 DC du 23 septembre 1992).</p>
<h2>Prudence institutionnelle</h2>
<p>De son côté l’opposition parlementaire a perfectionné sa stratégie d’usage du RIP. On a ainsi pu constater l’intensification du recours à la proposition référendaire : après une première proposition enregistrée le 23 mars, une nouvelle demande a été déposée le 13 avril 2023 donnant lieu aux deux décisions du CC.</p>
<p>Or, la seconde proposition constituait sans nul doute une amélioration de la première (au moins sur le plan formel) et cette activité de perfectionnement de la demande se serait certainement poursuivie par le dépôt d’une troisième demande à la suite de la décision du CC si le président de la République n’avait pas promulgué dans la nuit du 14 au 15 avril la loi sur la réforme de l’âge de départ à la retraite validée partiellement par le CC.</p>
<p>Cette pratique partisane du RIP incite le juge constitutionnel à adopter une fonction d’arbitre institutionnel entre opposition et majorité, d’autant plus délicate que les membres du Conseil sont nommés par des autorités politiques et que le contexte de majorité relative peut pousser le juge à favoriser la stabilité institutionnelle par prudence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205045/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Fougerouse ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les récentes tentatives d’utilisation du RIP pour s’opposer à des projets gouvernementaux ont toutes été rejetées, une tendance qui interroge le rôle politique de cet outil.Jean Fougerouse, Maitre de conférences en droit public, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2046262023-05-02T20:24:02Z2023-05-02T20:24:02ZManifestations : la police peut-elle sortir de la confrontation permanente ?<p>Depuis janvier 2023 et les premières mobilisations contre la réforme des retraites, au 1<sup>er</sup> mai 2023, l’actualité s’est fait régulièrement l’écho d’actions musclées et des confrontations qui ont <a href="https://theconversation.com/la-militarisation-du-maintien-de-lordre-en-france-vers-une-derive-autoritaire-203432">caractérisé</a> le rapport entre forces du maintien de l’ordre et manifestants. Une situation déjà observée dans les années 2010, notamment à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes.</p>
<p>Construits à partir d’entretiens réalisés avec des policiers, des gendarmes ou des membres du corps préfectoral, du recueil de documentation interne à la police et à la gendarmerie et de mises en perspective internationales, différents travaux de spécialistes ont montré ce <a href="https://theconversation.com/violence-et-police-un-probleme-dencadrement-juridique-185097">tournant</a>. Ainsi, la « gestion patrimonialiste des conflits sociaux », fondée sur la négociation avec les organisations syndicales et une <a href="https://www.cairn.info/strategies-de-la-rue--9782724607074.htm">certaine tolérance</a> vis-à-vis des troubles causés par les manifestants, a laissé la place à un modèle de maintien de l’ordre beaucoup plus dur, dont l’objectif semble être d’empêcher les manifestations, plutôt que de faciliter leur déroulement.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/maintien-de-lordre-qui-decide-de-quoi-119128">Ces opérations de maintien de l’ordre</a> sont en effet caractérisées depuis quelques années, par une certaine <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/politiques-du-desordre-olivier-fillieule/9782021433968">« brutalisation »</a> et un <a href="https://www.cairn.info/police-et-societe-en-france--9782724640007-page-325.htm">durcissement</a> dont témoigne aussi l’usage croissant d’outils judiciaires et administratifs contre les manifestants.</p>
<h2>Un changement de doctrine qui a fait long feu</h2>
<p>Pourtant, lorsque la mobilisation contre la réforme des retraites a débuté, en janvier, les difficultés relatives aux opérations de maintien de l’ordre semblaient être de l’histoire ancienne. Depuis le <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/laurent-nunez-devrait-remplacer-didier-lallement-a-la-tete-de-la-prefecture-de-police-de-paris-4124120">remplacement</a> de Didier Lallement par Laurent Nunez au poste de préfet de police, une approche différente de l’encadrement des cortèges parisiens prévalait. Les policiers et les gendarmes n’encadraient plus les manifestants au plus près, mais se situaient au contraire à bonne distance de ceux-ci, dans des rues adjacentes. Et les syndicats et leur service d’ordre avaient repris la main sur l’organisation des manifestations, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/manifestation-contre-la-reforme-des-retraites-comment-le-maintien-de-l-ordre-est-il-assure-dans-les-corteges_5605253.html">bonne intelligence</a> avec les préfets et les forces de l’ordre.</p>
<p>Mais ce récit de l’« adoucissement » ne résiste guère à l’analyse et occulte certains excès policiers à l’encontre de manifestants. Un journaliste indépendant a ainsi dû être <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/manifestation-un-homme-emascule-apres-un-coup-de-matraque-d-un-policier-20230122">amputé d’un testicule</a> suite au coup de matraque porté par un policier lors de la manifestation du 19 janvier, à Paris. De plus, l’apparent changement de doctrine consécutif à la nomination de Laurent Nunez n’a pas empêché plusieurs dizaines de personnes visiblement pacifiques de subir des <a href="https://actu.fr/societe/coups-injustifies-usage-d-armes-les-violences-policieres-c-est-quoi-exactement_58340413.html">matraquages injustifiés</a> lors de charges policières (le 19 janvier, le 31 janvier et le 11 février).</p>
<p>Surtout, à partir du 16 mars et du recours par le gouvernement à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, les journalistes et les observateurs ont largement documenté les violences physiques exercées par les forces de l’ordre à l’encontre des manifestants, ainsi que les arrestations arbitraires, voire les <a href="https://www.bfmtv.com/paris/violences-de-policiers-de-la-brav-m-deux-manifestants-vont-porter-plainte_AN-202303260314.html">humiliations</a> subies par ces derniers lors des manifestations nocturnes (non-déclarées par les syndicats) consécutives à l’annonce du recours au 49.3.</p>
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<h2>Des unités policières et des dispositifs judiciaires qui interrogent</h2>
<p>Les critiques se sont notamment focalisées sur les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/24/je-peux-te-dire-qu-on-en-a-casse-des-coudes-et-des-gueules-quand-la-brav-m-derape-au-cours-d-une-interpellation_6166857_3224.html">agissements de la BRAV-M</a>, une unité créée en 2019 pour réprimer les cortèges mobiles et sauvages des Gilets jaunes. Mais d’autres images attestent également de violences commises par des policiers membres de CRS ou de Compagnies d’Intervention (CI).</p>
<p>Au total, depuis le début de la mobilisation, l’IGPN a été saisie de <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/reforme-des-retraites-53-enquetes-judiciaires-confiees-a-l-igpn-depuis-le-debut-du-mouvement_AN-202304140038.html">53 enquêtes judiciaires</a>, principalement pour Paris (chiffres au 1<sup>er</sup> mai), tandis que la Défenseure des droits a été saisie <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/retraites-115-saisines-de-la-defenseure-des-droits-depuis-le-debut-de-la-mobilisation-20230417">115 fois</a> (chiffres du 17 avril) pour des violences policières supposées.</p>
<p>Concernant les arrestations arbitraires, si elles peuvent être décrites comme telles, c’est en raison du faible nombre d’interpellations qui aboutissent, en bout de chaîne, à des déferrements. Ainsi, au cours de la soirée du 16 mars, 292 personnes ont été placées en garde-à-vue mais seulement neuf d’entre elles ont été déférées avec des <a href="https://www.bfmtv.com/paris/neuf-personnes-deferees-sur-les-292-interpellations-lors-de-la-manifestation-place-de-la-concorde-j">sanctions très faibles</a>.</p>
<p>Le lendemain, 64 personnes ont été placées en garde-à-vue et six d’entre elles <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/200323/violences-interpellations-abusives-le-retour-d-un-maintien-de-l-ordre-qui-seme-l">ont été déférées</a>. Cela renforce l’idée d’un détournement de la garde-à-vue, qui n’est plus utilisée pour mettre un suspect à disposition d’un officier de police judiciaire (OPJ), mais simplement pour punir un individu d’avoir participé à une manifestation ou « pour vider les rues ».</p>
<h2>Un basculement répressif</h2>
<p>Comment peut-on expliquer ce basculement répressif à partir de la mi-mars ? Les forces de l’ordre, soutenues par le gouvernement et les syndicats policiers, avancent trois types d’arguments, déjà utilisés au plus fort du mouvement des Gilets jaunes, en décembre 2018.</p>
<p>Le premier a trait au <a href="https://theconversation.com/le-vertige-de-lemeute-108449">caractère émeutier</a> des manifestations les plus récentes, rendant les moyens habituellement employés pour encadrer les manifestations intersyndicales insuffisants pour rétablir l’ordre. Le deuxième argument pointe la fatigue et la lassitude des forces de l’ordre à cause de la répétition des manifestations et de la surcharge de travail, ce qui expliquerait les dérives et les bavures.</p>
<p>Le troisième est la violence exercée contre les forces de l’ordre, dont ont témoigné de nombreuses images comme ce policer qui s’écroule après avoir reçu un pavé dans la tête lors de la <a href="https://www.bfmtv.com/paris/greve-du-23-mars-a-paris-laurent-nunez-annonce-saisir-la-justice-apres-la-blessure-d-un-policier-a-la-tete_AN-202303240410.html">manifestation parisienne du 23 mars</a>. Les chiffres rapportés par le ministère de l’Intérieur font état de 441 policiers blessés pour cette seule journée à Paris.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1638924339482443778"}"></div></p>
<p>La violence exercée par les forces de l’ordre est alors présentée comme une réponse, par l’État, à ce déferlement. Ces arguments ne peuvent pas être balayés notamment avec la <a href="https://www.cairn.info/violences-politiques-en-france--9782724627305.htm">recomposition du répertoire manifestant</a>, avec des violences de certains groupes minoritaires (facilitées à Paris par le contexte urbain, et notamment l’amas de poubelles dans les rues).</p>
<p>La lecture des journaux de marche des compagnies de CRS, comme a pu le faire Le Monde, est à cet égard <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/25/retraites-les-crs-eprouves-apres-une-journee-noire-a-nantes-rennes-bordeaux-ou-toulouse_6166955_3224.html">instructive</a> : celles-ci ont dû faire en différents endroits à des guets-apens, des jets de projectiles, incendies de poubelles ou de palettes, tirs de mortiers d’artifice, voire de cocktails Molotov. Cependant, ces éléments forment le contexte de l’intervention, sans pour autant déterminer la stratégie adoptée par les forces de l’ordre.</p>
<h2>Un manque d’intérêt pour les stratégies de désescalade</h2>
<p>Face à ces nouvelles conditions, nous observons un manque d’intérêt persistant des différentes autorités (ministère de l’Intérieur, préfecture de police de Paris, police nationale et gendarmerie nationale) pour la notion de désescalade.</p>
<p>Cette approche vise à retarder, voire éviter le recours à la force, en privilégiant d’autres moyens (temporisation, dialogue, recul des forces de l’ordre) tant que cela est possible. S’en passer conduit les forces de l’ordre à se montrer brutales dès qu’une difficulté apparaît et <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=41982">contribue à distinguer nettement la France</a> d’un grand nombre de pays européens.</p>
<p>Plusieurs conséquences en découlent : une incapacité à opérer des distinctions entre les profils de manifestants – et donc l’usage de la force contre des manifestants apparemment non violents ; une sous-utilisation des mécanismes de communication en continu par l’emploi de moyens humains (équipes dédiées chargées de communiquer en continu avec les manifestants) et technologiques (l’utilisation de panneaux lumineux permettant de rendre plus visibles les ordres de dispersion et sommations) ; une tendance à réduire la contestation sociale à l’action de groupes minoritaires (d’« ultragauche » notamment), et donc à déployer la force.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’unité dite de la BRAV-M a été particulièrement cible de critiques. Émission de C à Vous, YouTube, 7 avril 2023.</span></figcaption>
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<p>Sans entrer dans le détail de faits individuels pour lesquels les procédures judiciaires sont en cours, le non-respect de <a href="https://www.interieur.gouv.fr/deontologie">règles déontologiques</a> tel que le port du RIO (numéro d’identification), le fait d’avoir le visage masqué, l’emploi d’un ton agressif ou du tutoiement, l’usage de gaz lacrymogène non légitime, etc., apparaît de façon récurrente.</p>
<p>L’utilisation d’unités proactives à l’instar des Brav-M – binômes motorisés mandatés pour interpeller des individus suspectés d’infractions – est l’expression paroxystique de cet ensemble de décisions et pratiques reposant sur un style d’action musclé : interpellations violentes, relations individuelles agressives avec des manifestants, etc.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/24/je-peux-te-dire-qu-on-en-a-casse-des-coudes-et-des-gueules-quand-la-brav-m-derape-au-cours-d-une-interpellation_6166857_3224.html">L’enregistrement diffusé par <em>Le Monde</em></a> le soir du 20 mars, révèle ces dérives : <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/violences-policieres/police-un-enregistrement-audio-accablant-pour-les-policiers-de-la-brav-m_5732423.html">propos insultants et humiliants</a> et attitudes menaçantes se succèdent auprès de plusieurs jeunes interpellés pendant de longues minutes ; « je peux te dire qu’on en a cassé des coudes et des gueules ».</p>
<h2>Deux effets pervers majeurs</h2>
<p>Outre qu’elle contribue à porter atteinte à la réputation de la France sur le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/14/le-maintien-de-l-ordre-a-la-francaise-une-agressivite-a-rebours-des-voisins-europeens_6169477_3232.html">plan international</a>, cette stratégie confrontationnelle comporte deux effets pervers majeurs.</p>
<p>D’abord, elle a des conséquences humaines sur les individus qui en sont les victimes en termes, a minima, d’atteintes à la liberté de manifester, et a maxima, d’atteintes physiques graves. Ensuite, elle tend à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2011-6-page-1047.htm">accroître</a> l’hostilité de la part des manifestants, y compris ceux qui sont au départ pacifiques. L’utilisation perçue comme illégitime et excessive de la force finit par devenir un élément de mobilisation. Les interventions viriles d’unités comme les Brav-M sont elles-mêmes facteurs de dégradations des situations.</p>
<p>Une telle stratégie accroît plus généralement les antagonismes entre manifestants et forces de l’ordre, défenseurs des libertés publiques et organisations professionnelles de défense des policiers. C’est ici le risque du « hard power trap », quand la dégradation des relations aboutit à ce que l’obéissance ne résulte plus que de la contrainte, bien mis en évidence dans les <a href="https://policy.bristoluniversitypress.co.uk/good-policing">travaux internationaux sur la police</a> depuis de nombreuses années.</p>
<p>Au contraire, dans le cas de la manifestation dans le Tarn du 21 avril <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/albi/manifestations-contre-l-autoroute-a69-premiere-en-france-d-une-surveillance-en-drones-par-les-forces-de-l-ordre-2758690.html">contre un projet autoroutier</a>, la police était présente mais peu visible et éloignée des cortèges, résultant en peu de heurts. D’autres choix sont donc possibles.</p>
<h2>Ce que nous apprend l’histoire des polices</h2>
<p>L’histoire des polices montre que certaines périodes sont plus favorables à une réflexion collective sur les conditions de la légitimité des polices. En France, entre les années 1970 et 1990 s’est construit un ensemble de pratiques de maintien de l’ordre reposant sur le tryptique <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100688560">« prévision, négociation, contrôle »</a>, logique associée à une acceptation tendancielle de la pacification des conflits par les mouvements protestataires.</p>
<p>Devant une transformation des répertoires (plus imprévisibles, moins déclarés, moins organisés, etc.) et l’incapacité à neutraliser les protestataires plus violents, les gouvernements français ont privilégié, depuis maintenant une dizaine d’années, une réponse consistant à frapper plus durement l’ensemble des manifestants pour préserver l’ordre public.</p>
<p><a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100546260">Dans un ouvrage récent</a>, nous montrons que le modèle policier français, dont la légitimité a d’abord été pensée par rapport à la préservation de l’ordre politique, doit désormais s’adapter aux demandes de tranquillité émanant des territoires et asseoir l’autorité de ses agents aux yeux des publics divers d’une société française inégalitaire et plurielle.</p>
<p>Cette question se pose particulièrement pour le maintien de l’ordre. A un moment où le fonctionnement de la démocratie représentative <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">est structurellement remis en cause</a>, et où donc de nouvelles formes de protestation ne manqueront pas d’émerger, il semble essentiel de prendre le temps de repenser le maintien de l’ordre, en combinant usage légitime et proportionné de la force et respect des libertés individuelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204626/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les opérations de maintien de l’ordre sont caractérisées depuis quelques années, par une certaine « brutalisation » qui distingue la France de ses voisins européens.Jacques de Maillard, Professeur des Universités, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Aurélien Restelli, Doctorant, sociologie, CESDIP, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2035132023-04-20T15:59:41Z2023-04-20T15:59:41ZLes mots choisis du ministre de l’Intérieur pour une stratégie très politique<p>Les propos du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur la création de cellules <a href="https://reporterre.net/Cellule-antizad-Darmanin-accroit-la-criminalisation-des-ecologistes">« antizad »</a> pour début septembre 2023 ou sur l’appel à <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/04/07/menace-de-dissolution-des-soulevements-de-la-terre-la-bataille-des-arguments-est-engagee_6168689_3244.html">dissoudre</a> le mouvement Les Soulèvements de la Terre illustrent une stratégie classique pour ceux qui occupent la place Beauvau.</p>
<p>Depuis Nicolas Sarkozy – pour ne parler que du XXI<sup>e</sup> siècle –, le ministère de l’Intérieur est considéré comme un tremplin menant aux plus hautes fonctions de la République. L’image de maintien de l’ordre et de protection attachée à ce poste répond aux désirs des citoyens en manque de sécurité.</p>
<p>Grande est alors la tentation de faire monter en puissance <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/203285-discours-de-m-jacques-chirac-president-de-la-republique-sur-la-democr">ce thème de l’insécurité</a>, surtout lorsque l’on se sent en faiblesse sur d’autres thèmes, à l’image de la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/1852356001044/jacques-chirac">stratégie élaborée par Jacques Chirac</a> face à Lionel Jospin en 2001-2002, avec les résultats que l’on connaît. Or, les présentations fondées sur des travaux de long terme sur le sujet sont souvent balayées par des discours démagogiques et parfois simplistes <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/03/31/manifestations-et-violences-les-erreurs-et-approximations-de-gerald-darmanin_6167693_4355770.html">qui tordent les faits</a> pour mieux mettre en scène les qualités supposées du ministre et de ses troupes.</p>
<h2>Une rhétorique sécuritaire peu fondée mais politiquement efficace</h2>
<p>Faut-il pour autant se désintéresser de ces paroles ? Les exemples étrangers de leaders a priori fantaisistes ou ridicules mais néanmoins <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/donald-trump-quand-le-monde-ny-croyait-pas-20220414_6VQEYELMQ5HJHJWEOUEP2HVME4">élus par la suite</a> montrent que, même si on les considère comme <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/19/technology/whatsapp-brazil-presidential-election.html">irrationnels</a>, les arguments ou les constructions liées à la sécurité peuvent toucher des électeurs.</p>
<p>Lorsque de surcroît ces discours s’ancrent dans des figures redondantes du passé, cela leur confère une légitimité accrue, quel que soit leur degré de cohérence et de réalisme. Il est alors intéressant de regarder comment des dirigeants politiques s’enferment dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2007-3-page-68.htm">rhétorique passéiste sur la sécurité et les violences</a> censée rassurer les électeurs mais qui les <a href="https://www.cairn.info/la-police-contre-les-citoyens--9782353711055.htm">piègent eux-mêmes.</a></p>
<p>À force d’élaborer des déclarations martiales et n’acceptant aucune contestation ni aucun bémol, ces dirigeants deviennent incapables de produire une réflexion critique sur leur action ou sur le fonctionnement de leurs troupes. Plusieurs concepts sont utilisés de manière plus ou moins adroite pour construire l’image d’un ministre omnipotent servi par une police absolument irréprochable. Or, ces excès d’autosatisfaction conduisent au refus de débattre, et à la négation de tout travail d’analyse n’entrant pas dans le crédo ministériel.</p>
<h2>Un discours prisonnier du manichéisme</h2>
<p>À travers de telles questions, il s’agit moins d’écouter ou de comprendre des arguments que de classer rapidement les personnes en deux camps : ceux qui aiment la police et ceux qui la détestent, les seconds devenant les ennemis de la société dans son ensemble.</p>
<p>Dans ce cadre de pensée, toute tentative d’explication devient suspecte de complicité, cela nous renvoyant au fameux discours de Manuel Valls qui, à propos du terrorisme, lançait : <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/03/03/terrorisme-la-cinglante-reponse-des-sciences-sociales-a-manuel-valls_4875959_3224.html%22%22">« comprendre, c’est déjà un peu excuser »</a>.</p>
<p>Ou encore <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/197172-declaration-de-m-manuel-valls-premier-ministre-en-reponse-diverses">d’affirmer devant le Sénat</a> :</p>
<blockquote>
<p>« j’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques aux événements qui se sont produits ! »</p>
</blockquote>
<p>La confusion entre la démarche de condamnation et celle de compréhension <a href="https://www.cairn.info/condamner--9782749246796.htm">n’est pas nouvelle</a>. Elle interdit par avance tout travail de réflexion prenant en compte la complexité des situations et conduit au simplisme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo du Parisien, des violences de la police sur les manifestants sont dénoncées par les opposants à la réforme.</span></figcaption>
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<p>On peut être pour la police dans son principe et condamner ses débordements, voire même chercher à les comprendre. On peut aussi avoir une conception de la police différente de celle du ministre en lui rappelant que selon <a href="https://www.education.gouv.fr/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-du-26-ao%C3%BBt-1789-10544">l’article 12</a> de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la force publique est « instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».</p>
<h2>Une violence croissante ?</h2>
<p>Associée au manichéisme, et le nourrissant, l’idée selon laquelle notre société serait victime d’une violence croissante <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/une-histoire-de-la-violence-robert-muchembled/9782757850091">s’est depuis longtemps installée</a> dans le paysage politique français. Auparavant utilisé pour caractériser – et caricaturer – l’évolution des banlieues, cet argument sert désormais pour discréditer aussi bien les débats à l’Assemblée que les manifestants.</p>
<p>Il est évident qu’existe aujourd’hui une violence dans notre société, mais celle-ci n’est pas un phénomène nouveau. La loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038358582">« anticasseurs » du 10 avril 2019</a> fait écho aux précédentes lois <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/loi-anti-casseurs-un-air-de-1970-souffle-sur-la-france_3135749.html">« anticasseurs » de 1970</a> ou de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000516044">1981</a> élaborées pour lutter <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/autonomes-manifestations-anarchistes-annees-1970">contre les « autonomes »</a>, sans parler des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/09/01/apres-les-incidents-au-parc-des-princes-m-pasqua-se-dit-oppose-a-l-adoption-d-une-loi-specifique-pour-lutter-contre-la-violence-dans-les-stades_3938708_1819218.html">propositions « Pasqua » en 1993</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Interview de Charles Pasqua autour de la loi sur la sécurité intérieure, 1993, Antenne 2, INA.</span></figcaption>
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<p>Le romantisme associé à mai 1968 cache souvent la violence de ce moment, avec des barricades fermant des rues en plein centre de Paris et des policiers blessés par les petits pavés parisiens, excellente arme de jet. Le fameux discours du préfet Grimaud incitant les policiers à la modération dans la répression, en mai 1968, insiste aussi sur la « sauvagerie des agressions contre la police », évoquant comme aujourd’hui les « jets de produits chimiques destinés <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/05/16/la-lettre-de-maurice-grimaud-aux-policiers_1046120_1004868.html">à aveugler ou à brûler gravement</a> ».</p>
<p>Comme on le voit, la violence n’est donc pas nouvelle ni croissante, et c’est bien pour cela qu’ont été créées les <a href="https://www.decitre.fr/livres/histoire-et-dictionnaire-de-la-police-9782221085738.html">unités spéciales de maintien de l’ordre CRS en 1944 et gendarmes mobiles en 1921</a> : pour éviter que ne dérivent des situations potentiellement violentes tout en protégeant davantage l’État. Insister sur cette prétendue nouveauté, c’est montrer ses limites dans la gestion d’un phénomène pourtant courant.</p>
<h2>Des mobilisations policières récurrentes</h2>
<p>La nouveauté, pourtant non prouvée, de cette violence obligerait à des dispositifs <a href="https://www.leparisien.fr/economie/retraites/retraites-un-dispositif-de-securite-inedit-pour-ce-mardi-avec-13-000-policiers-et-gendarmes-mobilises-27-03-2023-BNM7TRQ7JBBA3J274OAJBXWOTQ.php">« exceptionnels » ou « inédits »</a>. Mais cet argument de « l’exceptionnel » ne cesse d’être répété par les différents titulaires du poste. Par exemple, le nombre des policiers mobilisés lors des manifestations anti-CPE de 2006 était plus important que celui annoncé <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite/2006/04/04/01001-20060404ARTFIG90236-_policiers_et_gendarmes_mobilises.php">lors des dernières mobilisations</a>. En 2018, les blindés de la Gendarmerie devaient apporter la réponse aux violences des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lk87fWhupcY">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Là aussi, ce rapide retour en arrière nous montre que <a href="https://journals.openedition.org/ejts/4720?lang=tr">« le spectacle de la police des foules »</a> exige des déclarations montrant combien le ministre est capable de mettre en place des troupes pour protéger les citoyens.</p>
<p>Et, parmi les discours récurrents dénonçant la violence croissante de « l’ultra gauche », on voit aussi ressortir <a href="https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/manifestations-du-28-mars-darmanin-annonce-un-dispositif-inedit-de-13-000-forces-de-l-ordre-dont-5500-a-paris_AN-202303270640.html">l’argument de l’étranger</a> qui serait responsable à lui seul d’une radicalisation des mouvements sociaux, sans que soit d’ailleurs précisé quel serait cet étranger.</p>
<p>Ce discours a été entendu dans le cas de Sainte-Soline, mais il s’inscrit dans le prolongement d’un discours anti-écologiste <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/vital-michalon-creys-malville-manifestation">né à Creys-Malville en 1977</a>. À cette époque, il était largement alimenté par la <a href="https://fresques.ina.fr/rhone-alpes/fiche-media/Rhonal00258/les-manifestations-de-creys-malville.html">xénophobie anti-allemande</a> où le souvenir de l’occupation était encore très fort et le désordre associé aux combats écologistes d’outre-Rhin.</p>
<h2>Discréditer les droits de l’Homme</h2>
<p>À une autre échelle, cette vision dénonçant « l’étranger » permet du même coup de <a href="https://journals.openedition.org/revdh/3598?lang=es">discréditer</a> toutes les instances internationales <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/06/21/violences-policieres-la-france-condamnee-par-la-cedh-pour-negligence-dans-la-mort-d-ali-ziri_1660971">condamnant</a> les violences commises par la police française, et qui feraient <a href="https://www.lepoint.fr/faits-divers/violences-policieres-la-condamnation-qui-embarrasse-la-france-27-05-2019-2315369_2627.php">partie du complot contre la France</a>. Le ministère de l’Intérieur qui disposerait selon lui de la meilleure police, impossible à critiquer, rejette ainsi toute comparaison internationale qui <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/14/le-maintien-de-l-ordre-a-la-francaise-une-agressivite-a-rebours-des-voisins-europeens_6169477_3232.html">pourrait lui nuire</a>.</p>
<p>Dans le même ordre d’idée, on pourrait évoquer les arguments sur la <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/perimetres-dinterdiction-de-manifestation-ladministration-prefectorale-organisait-sciemment-lincontestabilite-de-ses-arretes-par-serge-slama/">légalité de l’action gouvernementale</a> justifiant l’usage de la police à employer la force, ou l’utilisation <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2021-1-page-33.htm">détournée du sociologue Max Weber par G. Darmanin dans ce but</a>.</p>
<p>La reprise négative du discours contre les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/droit-de-l-hommisme-histoire-d-un-neologisme-pejoratif-8107313">« droits-de-l’hommisme »</a>, singeant Jean-Pierre Chevènement en 1999 ou N. Sarkozy en 2002 va dans le même sens.</p>
<h2>Artifices rhétoriques</h2>
<p>Tous ces artifices rhétoriques sont destinés à dissimuler les vraies questions qui se posent à l’occasion des manifestations et de leur répression : la qualité du débat démocratique et, pour ce qui concerne la police, la <a href="https://theconversation.com/la-militarisation-du-maintien-de-lordre-en-france-vers-une-derive-autoritaire-203432">qualité des armes et stratégies utilisées</a>. </p>
<p>Il ne s’agit pas d’être pro ou anti-police, mais de réfléchir collectivement sur ce qu’est une bonne police, démocratique, acceptable, et qui ne justifie pas à tout prix les écarts de quelques-uns de ses éléments.</p>
<p>Une réflexion doit aussi être lancée sur l’instrumentalisation de plus en plus visible de l’outil policier pour éviter les débats qui ne conviennent pas à ceux qui tiennent le pouvoir exécutif, et les dérives de candidats à la magistrature suprême qui pense que les seules qualités pour y arriver sont l’autoritarisme, l’obstination et le manque d’ouverture sur l’extérieur.</p>
<p>Ce discours serait risible s’il ne causait pas des blessures de plus en plus graves tant du côté des manifestants que des forces de l’ordre. Car le mépris vis-à-vis des contestataires n’a d’égal que celui pour ses policiers, soignés certes à travers des <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4031564-20230406-reforme-retraites-darmanin-defend-gestion-maintient-ordre-manifestation-devant-alliance">mesures catégorielles</a> mais pourtant envoyés jusqu’à l’usure combattre des idées que beaucoup d’entre eux partagent pourtant, notamment sur les retraites.</p>
<p>Finalement, malgré les discours, le ministre soucieux d’imposer une image d’autorité se soucie assez peu que des policiers ou des gendarmes soient blessés pour défendre son image et celle de l’exécutif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203513/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Mouhanna a reçu des financements du Ministère de la Justice, de l'ANR et de l'ADEME pour les recherches qu'il mène actuellement </span></em></p>La rhétorique sur l’insécurité et les violences émanant du ministère de l’Intérieur permettent d’éviter un débat de fond sur la réforme de l’institution policière.Christian Mouhanna, Chercheur au CNRS, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031972023-04-13T17:50:56Z2023-04-13T17:50:56ZPourquoi certains pays ont-ils plus rapidement que d’autres atteint un haut niveau de développement ?<p>Une large part des inégalités de revenus entre les individus resteraient liées à <a href="https://stonecenter.gc.cuny.edu/files/2015/05/milanovic-global-inequality-of-opportunity-how-much-of-our-income-is-determined-by-where-we-live-2015.pdf">l’endroit où l’on nait</a>. Certes, les inégalités à l’intérieur des pays prennent une importance nouvelle, mais il demeure que les pays pauvres <a href="https://pubs.aeaweb.org/doi/pdfplus/10.1257/jel.20181207">ne rattrapent pas de façon inconditionnelle</a> les pays riches. Il semble toujours exister une forme de prime à la citoyenneté.</p>
<p>Un <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2022-3-page-289.htm">article</a> que nous avons récemment publié dans un numéro spécial de la revue <a href="https://www-cairn-info.fr/revue-mondes-en-developpement.htm"><em>Mondes en Développement</em></a>, qui fête son demi-siècle, revient ainsi sur les causes profondes du <a href="https://theconversation.com/topics/developpement-20143">décollage économique</a>. Celles-ci ne doivent pas être confondues avec les causes immédiates que sont les accumulations de capitaux matériels et humains.</p>
<p>Pour analyser « la nature et les causes de la richesse des nations », projet initial d’Adam Smith, pionnier de la science économique, les chercheurs d’aujourd’hui mobilisent quatre paradigmes : les <a href="https://theconversation.com/topics/institutions-63930">institutions</a>, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/culture-21935">culture</a>, l’<a href="https://theconversation.com/topics/histoire-20518">histoire</a> et la <a href="https://theconversation.com/topics/geographie-21809">géographie</a>.</p>
<h2>Nourrir la confiance entre anonymes</h2>
<p>Depuis les travaux de <a href="https://theconversation.com/in-memoriam-douglass-cecil-north-un-prix-nobel-a-linsatiable-curiosite-52736">Douglass North</a> (« Nobel » d’Économie en 1993), expliquer le niveau de développement par la qualité des <strong>institutions</strong> a pris une importance nouvelle. Elles signalent la qualité du jeu social : leur rôle, et en particulier celui des droits de propriété, est de faciliter les échanges économiques en réduisant l’incertitude qui les entoure. Peut-on par exemple développer une affaire sans crainte de s’en voir confisquer les fruits ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/519057/original/file-20230403-26-v3xvhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/519057/original/file-20230403-26-v3xvhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519057/original/file-20230403-26-v3xvhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519057/original/file-20230403-26-v3xvhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519057/original/file-20230403-26-v3xvhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519057/original/file-20230403-26-v3xvhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519057/original/file-20230403-26-v3xvhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519057/original/file-20230403-26-v3xvhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Douglass North (1920-2015) a reçu le Nobel d’Économie en 1993 pour ses travaux liants niveau de développement et qualité des institutions.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UNU-WIDER/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Les institutions présentent une grande variabilité, difficilement compatible avec l’hypothèse naïve selon laquelle elles seraient partout efficaces et différeraient selon les circonstances. Des auteurs, comme <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w9377/w9377.pdf">Daron Acemoglu</a>, professeur au MIT, ont ainsi expliqué comment de mauvaises institutions pouvaient perdurer. Supposons une réforme sociétale globalement profitable : les gagnants à la réforme peuvent compenser les perdants et, malgré ce transfert, continuer à en tirer un bénéfice. S’il s’avère néanmoins que les perdants constituent l’entourage d’un dictateur, le groupe gagnant ne peut pas de façon crédible s’engager à compenser les pertes subies par le dictateur une fois que celui-ci aurait quitté le pouvoir. Il s’agit d’un problème connu en économie sous le nom d’incohérence temporelle.</p>
<p>À la question des institutions est liée celle de la <strong>confiance</strong> dont la composante la plus importante est celle qui caractérise les relations entre des inconnus. Son absence s’avère une entrave au développement d’une économie fondée sur l’échange. La confiance est un phénomène <a href="https://pubs.aeaweb.org/doi/pdfplus/10.1257/jel.53.4.898">culturel</a>, transmis entre les générations. Elle est aussi invoquée pour expliquer les différences de trajectoires entre les pays.</p>
<p>Avner Grief et Guido Tabellini, respectivement chercheurs à Stanford et à l’Université Bocconi de Milan, avancent par exemple l’idée que la divergence entre l’Europe et la Chine durant le dernier millénaire pourrait s’expliquer par des faits culturels liés à <a href="https://web.stanford.edu/%7Eavner/Greif_Papers/2010%20Cultural%20and%20Institutional%20Bifurcation:%20China%20and%20Europe%20Compared.%20(With%20G.%20Tabellini.)%20AER.pdf">l’organisation des familles</a>. En Chine prédomineraient les structures familiales élargies et hiérarchiques avec un poids important donné à la morale et à la réputation. La coopération se ferait alors de façon préférentielle à l’intérieur du groupe. Au contraire en Europe, le cadre historique de la coopération serait la Cité. Il existerait ainsi un effet de substitution entre d’une part la confiance entre des anonymes, source de développement des marchés et d’autre part la force des structures familiales.</p>
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<p>D’autres auteurs, dans le cas <a href="https://scholar.harvard.edu/files/moscona/files/moscona_et_al._-_2017_-_keeping_it_in_the_family_lineage_organization_and.pdf">africain</a>, montrent que des individus appartenant à des sociétés organisées sous la forme de ce que les anthropologues nomment « lignages segmentaires » expriment un degré de confiance faible envers les individus n’appartenant pas à leur groupe. Si les relations entre les groupes sont conflictuelles, le développement des marchés en sera freiné. La confiance peut aussi avoir été affectée par des chocs historiques. Les <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w14783/w14783.pdf">descendants des groupes victimes de l’esclavage</a> semblent par exemple parmi ceux accordant un niveau de confiance médiocre envers autrui ou les autorités politiques.</p>
<h2>Passer les montagnes</h2>
<p>L’<strong>histoire</strong> est ainsi un autre élément mis en exergue. Une lecture du développement insiste par exemple sur l’importance du <a href="https://scholar.harvard.edu/files/shleifer/files/consequences_jel_final.pdf">hasard</a> des expéditions coloniales dans l’adoption des traditions légales. Elles auraient des conséquences directes sur les destinées du pays. Dans la tradition du philosophe libéral Friedrich Hayek, des économistes défendent en effet la thèse d’une supériorité intrinsèque de la tradition légale britannique (« Common law ») sur le droit européen continental (« Statute law »). La première permettrait une meilleure protection des droits de propriété et donc favoriserait l’émergence de systèmes financiers favorables à l’accumulation productive.</p>
<p>De la colonisation ont aussi été héritées des frontières politiques. Le partage de l’Afrique a été décidé à la conférence de Berlin en 1884 et a perduré dans les frontières des pays accédant à l’indépendance. Le caractère « artificiel » des frontières interétatiques, ayant entrainé en particulier le partitionnement des territoires ancestraux des groupes ethnolinguistiques, a pu favoriser certains conflits de la période contemporaine.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/519082/original/file-20230403-166-d8do1r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/519082/original/file-20230403-166-d8do1r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519082/original/file-20230403-166-d8do1r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=911&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519082/original/file-20230403-166-d8do1r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=911&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519082/original/file-20230403-166-d8do1r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=911&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519082/original/file-20230403-166-d8do1r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1145&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519082/original/file-20230403-166-d8do1r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1145&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519082/original/file-20230403-166-d8do1r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1145&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Le retard de développement de l’Afrique pourrait enfin s’expliquer par ses <strong>caractéristiques géoclimatiques</strong>. En économie, ce facteur a en particulier été proposé par le géographe et biologiste américain <a href="https://www.letemps.ch/culture/selon-naturaliste-jared-diamond-cest-terre-lhomme">Jared Diamond</a>. Si l’Eurasie a décollé en avance sur les autres coins du globe, c’est selon lui en partie parce que son orientation se fait selon l’axe est-ouest et sans barrières montagneuses importantes orientées nord-sud. Cela permet aux territoires de partager des climats proches et favorise le développement des échanges.</p>
<p>D’autres ont pu arguer que l’Amérique latine contrairement à l’Amérique du Nord serait une région naturellement <a href="https://pubs.aeaweb.org/doi/pdfplus/10.1257/jep.14.3.217">favorable à des activités caractérisées par de fortes économies d’échelle</a> comme la culture de la canne à sucre ou du tabac ou les activités minières. Il en résulterait d’importantes inégalités sociales à l’origine d’institutions peu inclusives et peu efficaces.</p>
<p>Une autre illustration de l’influence de la géographie est relative aux origines de la fragmentation ethnolinguistique qui peut augmenter les coûts de transaction et dans les situations extrêmes, générer des guerres civiles. Elle peut trouver son origine dans les variations de l’altitude et de la qualité des sols ou dans la présence d’obstacles naturels comme les fleuves ou les chaînes de montagnes.</p>
<p>Les <a href="https://academic.oup.com/ej/article/131/637/1947/6105215">climats tempérés</a> favoriseraient en outre la coopération sociale avec les variations imposées chaque année par les saisons. Ils seraient ainsi générateurs d’institutions inclusives. La variabilité interannuelle se manifestant par l’occurrence de sécheresses pourrait, au contraire, alimenter les <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w28243/w28243.pdf">conflits d’usage des terres</a>.</p>
<h2>Revers de fortune et accidents</h2>
<p>Cette littérature pourrait laisser penser qu’il existe une forme de déterminisme. Une telle vision semble néanmoins erronée. Le cas chinois le montre bien. De plus, le caractère accidenté de la topographie qui représente aujourd’hui un obstacle aux échanges a, par exemple, pu constituer dans le passé une <a href="https://scholar.harvard.edu/files/nunn/files/ruggedness.pdf">protection des populations</a> contre des agressions extérieures.</p>
<p>Les pays peuvent également subir un revers de fortune qui amoindrit le rôle de la géographie. Les Européens ont introduit des institutions performantes de préférence dans des pays pauvres (Amérique du Nord, Australie par exemple). Il en résulte que les pays colonisés qui étaient relativement riches au début du XVI<sup>e</sup> siècle (Amérique du Sud, Inde, Asie du Sud-Est) sont aujourd’hui relativement pauvres. Le caractère <a href="https://economics.mit.edu/sites/default/files/publications/reversal-of-fortune.pdf">extractif</a> de la colonisation a été avancé comme explication. Avoir été colonie de peuplement ou colonie tournée vers une exploitation économique influe encore sur les destinées actuelles.</p>
<p>Les divergences peuvent, enfin être accidentelles. Les deux Corée partagent la même géographie, la même culture, possèdent une longue histoire commune. Les hasards de l’histoire les ont fait diverger de façon radicale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203197/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Parmi les facteurs avancés pour expliquer les inégalités par les économistes du développement, on retrouve notamment les institutions, la confiance, l’histoire et la géographie.Jean-Louis Combes, Professeur d'économie, Université Clermont Auvergne (UCA)Pascale Combes Motel, Professeur des Universités, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1953772023-01-16T18:16:47Z2023-01-16T18:16:47ZAu Conseil constitutionnel, les anciens présidents de la République pourraient-ils être les remparts des droits et libertés ?<p>L’actuel président du Conseil constitutionnel <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/les-anciens-presidents-de-la-republique-nont-pas-leur-place-au-conseil-constitutionnel-affirme-laurent-fabius_5394814.html">Laurent Fabius</a> s’est récemment prononcé sur le statut des anciens présidents de la République en déclarant qu’ils ne devraient plus avoir le droit de siéger au Conseil aux côtés des <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres">membres nommés</a>. Il est vrai que l’institution a été plusieurs fois réformée depuis 1958. Elle exerce désormais les fonctions d’une véritable juridiction constitutionnelle, consistant pour l’essentiel à contrôler la constitutionnalité des lois.</p>
<p>Attribuer le rôle de juge constitutionnel aux anciens chefs de l’État toute leur vie durant constitue une <a href="https://www.actu-juridique.fr/constitutionnel/les-anciens-presidents-de-la-republique-membres-de-droit-du-conseil-constitutionnel-un-anachronisme-bien-vivant/">bizarrerie française</a> qui fait contre elle l’unanimité des constitutionnalistes.</p>
<p>Pour autant, la protection qu’elle pourrait un jour incarner n’est jamais évoquée, comme si on refusait d’imaginer un courant hostile à l’État de droit remporter les élections pour mener ensuite une politique attentatoire aux droits et libertés.</p>
<p>Une victoire à la présidentielle et aux législatives est pourtant susceptible de permettre à une famille politique aux convictions liberticides de composer la majorité au Conseil, et de créer à travers elle les conditions d’un bouleversement de l’État de droit.</p>
<h2>La composition politique du Conseil constitutionnel</h2>
<p>Lors d’un quinquennat, le chef de l’État et les présidents des assemblées parlementaires nomment chacun jusqu’à deux des membres du Conseil, par des choix souvent <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/editorial/nominations-au-conseil-constitutionnel-une-republique-dobliges-20220215_WOXKI6ERMBDCXIIHW7YFE3SPYA/">très politiques</a>. Actuellement, le Conseil <a href="https://blog.juspoliticum.com/2022/02/23/le-cru-2022-des-nominations-au-conseil-constitutionnel-en-dessous-du-mediocre-par-patrick-wachsmann/">accueille</a> par exemple en son sein Laurent Fabius et Alain Juppé, anciens premiers ministres ; Laurent Piller, ex-sénateur ; et Jacqueline Gourault, ancienne ministre.</p>
<p>Comprenant neuf membres nommés, le renouvellement de l’institution se fait par tiers tous les trois ans. Le <a href="https://www.lepoint.fr/politique/mort-de-jean-louis-pezant-membre-du-conseil-constitutionnel-26-07-2010-1218895_20.php">décès d’un de ses membres</a> ou la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/remaniement-nicole-belloubet-nommee-ministre-de-la-justice-21-06-2017-7073538.php">démission</a> peut offrir aux autorités de nomination des possibilités supplémentaires dans la composition du Conseil.</p>
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<p>Les mandats des présidents Sarkozy, Hollande et Macron n’ont pas remis en cause les fondements ni la structure de l’État de droit. Faute d’une réforme profonde de l’institution, les voir tous les trois siéger au Conseil constitutionnel pourrait constituer un rempart pour les droits et libertés fondamentaux si une majorité hostile aux principes de l’État de droit se dessinait parmi les membres nommés.</p>
<h2>Un droit de siéger à vie au Conseil constitutionnel</h2>
<p>Cette étrangeté française prend origine à la fin de la IV<sup>e</sup> République, écourtée en 1958 pour repenser l’organisation des pouvoirs. Le constituant fit alors une <a href="https://www.actu-juridique.fr/constitutionnel/les-anciens-presidents-de-la-republique-membres-de-droit-du-conseil-constitutionnel-un-anachronisme-bien-vivant/">place institutionnelle</a> aux anciens présidents de la IV<sup>e</sup>. Dès 1962, René Coty mourut cependant, et Vincent Auriol se retira du Conseil. </p>
<p>À l’époque, l’institution servait surtout à vérifier que le Parlement <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/le-conseil-constitutionnel-est-il-toujours-le-bras-arme-du-gouvernement-dans-le-parlementarisme">n’empiète pas</a> dans le champ de compétence du Gouvernement. C’est à partir des années 1970, que le Conseil est devenu gardien du texte constitutionnel face aux lois contraires aux libertés. Par exemple, en <a href="https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/b/1/article/inconstitutionnalite-de-la-garde-a-vue-de-droit-commun-et-avant-projet-de-loi-de-reforme/h/680607d90b.html">2010</a> le Conseil a pu exiger du Parlement qu’il prévoie dans la loi l’intervention effective d’un avocat pour veiller au respect des droits des personnes placées en garde à vue.</p>
<p>Ce n’est qu’en 2004, lorsque Giscard abandonna la vie politique, et trois ans plus tard quand Chirac quitta l’Élysée, que <a href="https://www.lejdd.fr/Chroniques/Chirac-doit-il-sieger-au-Conseil-constitutionnel-Une-question-de-sagesse-100344">l’incongruité française prit corps</a>. Avant eux, de Gaulle et Mitterrand avaient refusé d’y siéger et moururent très vite après le terme de leur dernier mandat. Pompidou décéda, lui, avant d’achever le sien.</p>
<h2>L’« exception française de trop »</h2>
<p>La présence des anciens présidents au Conseil a posé des difficultés. Leur participation à l’examen d’un texte adopté sous leur présidence a été évitée par le jeu des règles de déport, permettant aux membres du Conseil de ne pas siéger lorsqu’ils estiment que les circonstances l’exigent notamment au regard de l’indépendance qu’ils doivent avoir pour contrôler les textes soumis au Conseil. Nicolas Sarkozy s’était par exemple <a href="https://www.leparisien.fr/archives/sarkozy-ne-peut-pas-se-prononcer-sur-la-regle-d-or-16-07-2012-2091493.php">déporté en 2012</a> lors de l’examen d’un traité qu’il avait négocié en tant que chef de l’État.</p>
<p>À l’occasion du <a href="https://www.challenges.fr/economie/chronologie-sur-l-affaire-des-emplois-fictifs-a-la-mairie-de-paris_321279">procès des emplois fictifs</a> de la ville de Paris pour lequel Jacques Chirac était jugé, en 2011, la Cour de cassation n’a pas transmis au Conseil la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decisions/la-qpc">question prioritaire de constitutionnalité</a> qui aurait pu enrayer le système, faute du nombre suffisant de juges constitutionnels pour siéger. Une transmission aurait pu conduire en effet au <a href="https://www.lemonde.fr/justice/article/2011/03/10/le-conseil-constitutionnel-embarrasse-par-le-cas-chirac_5984393_1653604.html">déport de la plupart des membres du Conseil</a> à cause de leurs liens politiques avec Jacques Chirac.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trois membres du Conseil constitutionnel prêtent serment en 2010.</span></figcaption>
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<p>En 2013, Nicolas Sarkozy a <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/07/04/le-conseil-constitutionnel-rejette-les-comptes-de-campagne-de-sarkozy-en-2012_3442620_823448.html">claqué la porte du Conseil</a> suite au rejet de ses comptes de campagne, revendiquant un droit à la démission que la Constitution lui déniait.</p>
<p>Après une <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2013/01/07/01002-20130107ARTFIG00619-francois-hollande-lance-sa-revision-constitutionnelle.php">tentative avortée</a> de son prédécesseur en 2013, la <a href="https://www.actu-juridique.fr/constitutionnel/la-fin-des-anciens-presidents-de-la-republique-au-conseil-constitutionnel-larbre-qui-cache-la-foret/">réforme amorcée cinq ans plus tard par le président Macron</a> n’est pas non plus allée à son terme. Toutes deux visaient à rayer d’un trait de plume ce que Robert Badinter nomme l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/05/19/l-exception-francaise-de-trop_1704190_3232.html">« exception française de trop »</a>. Depuis le décès de VGE en 2020, François Hollande ne s’y étant jamais aventuré, plus aucun ancien président n’a revêtu le costume de juge constitutionnel. La pratique a semblé pouvoir se consumer d’elle-même.</p>
<h2>Un bousculement suscité par le revirement américain sur le droit à l’avortement</h2>
<p>Et soudain, dans la chaleur de l’été 2022, les vents ont poussé jusqu’en France l’écho d’une Cour suprême américaine brusquement hostile à certains droits et libertés. Un changement dans la composition de la Cour a conduit à un revirement retentissant. L’interprétation de la Constitution américaine a été bousculée sous l’influence d’une nouvelle majorité conservatrice au sein de la Cour, imposant aux Américaines <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/24/droit-a-l-avortement-la-cour-supreme-des-etats-unis-revient-sur-l-arret-roe-vs-wade-et-laisse-les-etats-americains-libres-d-interdire-l-ivg_6131955_3210.html">sa vision restrictive du droit à l’avortement</a>. L’avertissement est de taille et rappelle que les droits et libertés ne sont pas un acquis éternel.</p>
<p>Une brèche s’est alors ouverte dans le marbre de nos certitudes. Et si la France connaissait un jour un destin similaire ? Le coup de semonce conservateur porté outre-Atlantique rappelle la fragilité du droit à l’avortement, déclaré conforme à la Constitution française par le Conseil, sur le fondement de la liberté des femmes, déduite de l’article 2 de la DDHC.</p>
<p>Le débat se focalise sur son <a href="https://journals.openedition.org/revdh/14979">inscription dans la Constitution</a> pour empêcher une loi de l’abroger. Et si le risque venait aussi du pouvoir d’interprétation du juge constitutionnel ?</p>
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<a href="https://theconversation.com/pourquoi-inscrire-le-droit-a-lavortement-dans-la-constitution-est-aussi-une-protection-symbolique-195945">Pourquoi inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution est aussi une protection symbolique</a>
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<p>La crainte se propage à tous les droits et libertés, en premier lieu celui de mener une vie familiale normale dont la valeur constitutionnelle a été reconnue par le Conseil en 1993, ou le mariage pour tous, qu’il a déclaré conforme à la Constitution en 2013. Les <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/eric-zemmour-a-travers-l-etat-de-droit-les-juges-qui-sont-diriges-par-des">conditions du référendum</a> pourraient aussi être malmenées pour faciliter son détournement plébiscitaire. Comme rien n’est prévu pour éviter à la juridiction constitutionnelle une mue liberticide, certains revirements pourraient rompre la continuité constitutionnelle de la France.</p>
<h2>Prévoir le risque d’une majorité liberticide au Conseil constitutionnel</h2>
<p>Ainsi, la présence au Conseil d’anciens présidents fidèles aux fondements de l’État de droit pourrait les conduire à faire le contrepoids d’une majorité de membres nommés hostiles aux libertés. Aux États-Unis cet été, c’est bien une majorité de membres nommés <a href="https://www.actu-juridique.fr/administratif/libertes-publiques-ddh/la-fin-de-roe-v-wade/">qui a décidé</a> de revenir sur l’arrêt <em>Roe v Wade</em>.</p>
<p>Même constitutionnels, les droits et libertés peuvent faire l’objet d’une interprétation restrictive. La proposition de loi constitutionnelle adoptée à l’Assemblée prévoit d’introduire dans la Constitution un nouvel <a href="https://lcp.fr/actualites/ivg-dans-la-constitution-l-assemblee-nationale-a-vote-le-texte-153065">article 66-2</a>, qui disposerait : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ».</p>
<p>Proscrire la privation d’un droit n’élude pas le risque de sa limitation. Un Conseil composé de membres hostiles à l’avortement pourrait valider une loi qui en compliquerait l’exercice, en restreignant à l’excès les délais ou en compliquant les modalités de l’avortement, par exemple en obligeant les femmes à écouter battre le cœur du fœtus à l’instar de la <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/hongrie-les-femmes-contraintes-d-ecouter-le-coeur-de-leur-foetus-avant-l-avortement-7900185771">loi hongroise</a>.</p>
<p>Aucune condition matérielle n’encadre le choix des personnalités appelées à siéger au Conseil. Les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/18/les-parlementaires-tiennent-leur-role-dans-la-nomination-des-candidats-au-conseil-constitutionnel-de-facon-superficielle_6114204_3232.html">procédures parlementaires minimalistes</a> encadrant ces nominations n’entravent pas les choix occasionnés. Jusqu’à présent, le risque liberticide s’est tenu éloigné du Conseil, mais jusqu’à quand ?</p>
<p>L’inscription des droits et libertés dans la Constitution reste insuffisante pour en garantir une effectivité pérenne. Réformer le Conseil est nécessaire ; cela implique d’en <a href="https://blog.juspoliticum.com/2018/06/19/conseil-constitutionnel-la-suppression-de-la-categorie-des-membres-de-droit-une-reforme-indispensable-mais-insuffisante-par-elina-lemaire/">changer la composition en profondeur</a>. La demi-mesure qui ne viserait que les membres de droit pourrait, elle, s’avérer préjudiciable.</p>
<p>Si une vague liberticide submergeait nos institutions, la présence des anciens présidents au Conseil laisserait au peuple un répit de quelques années, le temps de recouvrer la raison constitutionnelle, ou de confirmer aux élections suivantes sa volonté de renier l’État de droit, en retournant contre lui les institutions censées le protéger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195377/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Pauthe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La présence d’anciens chefs de l’État au Conseil Constitutionnel pourrait un jour conduire à compenser des nominations de personnalités aux convictions liberticides.Nicolas Pauthe, Docteur en droit public, enseignant-chercheur post-doctorant, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950392022-11-30T17:54:33Z2022-11-30T17:54:33ZLutte contre l’inflation : les petits pays de la zone euro laissés pour compte ?<p>En 2023, la Croatie fera partie intégrante de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/zone-euro-54680">zone euro</a>, achevant son parcours au sein du mécanisme de taux de change (<a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Glossary:Exchange_rate_mechanism_(ERM)/fr">MCE-II</a>). La Bulgarie s’y trouve également depuis l’été 2020. Le MCE-II, c’est la dernière étape pour un pays avant de faire son entrée dans la zone euro. Les pays y sont engagés, pendant au moins deux ans, dans un processus de <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1348">convergence</a> monétaire pour assurer leur résilience à leurs partenaires futurs de la zone euro.</p>
<p>Car partager sa monnaie avec d’autres pays, c’est en effet renoncer à ce que sa banque centrale puisse répondre à des chocs concernant son économie, en jouant, entre autres, sur le taux de change. La Bulgarie, en régime de change fixe, pouvait par exemple choisir de dévaluer sa monnaie, autrement dit, de diminuer sa valeur par rapport aux autres afin d’encourager les exportations et freiner les importations dans un objectif de relance de la production nationale. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’on fait face à un marché du travail européen relativement <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2012-1-page-31.htm">rigide</a>, tant au niveau des salaires que de la mobilité.</p>
<p>Durant deux ans, le pays est en quelque sorte en phase de test. Il s’agit de voir s’il est suffisamment stable pour renoncer à cet outil. À la suite de l’entrée dans la zone euro, c’est la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-centrale-europeenne-bce-24704">Banque centrale européenne (BCE)</a> qui prendra les commandes de la politique monétaire. Il faudra s’y accommoder, gageant que sa politique correspondra à celle qu’aurait adoptée le pays individuellement.</p>
<p>Or, nos derniers <a href="https://doi.org/10.1016/j.inteco.2022.09.004">travaux</a> en viennent à la conclusion que ce sont surtout les économies relativement plus fortes qui influencent la politique monétaire de Francfort. De leur côté, les plus petites économies subissent. En cas de désynchronisation de leur cycle économique, elles doivent alors s’appuyer sur d’autres instruments, tels que des politiques budgétaires, ou sur des institutions fortes, à l’instar de celles régulant le marché du travail.</p>
<p>Ce résultat ne semble pas anodin à l’heure où les <a href="https://www.ecb.europa.eu/stats/policy_and_exchange_rates/key_ecb_interest_rates/html/index.fr.html">taux d’intérêt clés</a> se voient régulièrement rehaussés pour lutter contre l’inflation : les 27 juillet, 14 septembre et 2 novembre, ils ont respectivement été remontés à 0,00 %, 0,75 % et 1,50 %. Des mesures et des hétérogénéités qui interrogent lorsque l’on connaît également le lien entre <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">inflation</a> et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chomage-20137">chômage</a>.</p>
<h2>Un exercice périlleux</h2>
<p>La découverte de ce lien remonte a minima aux <a href="https://doi.org/10.2307/2550759">travaux</a> statistiques de 1958 de l’économiste néo-zélandais Alban Phillips. L’auteur donne son nom à une courbe qui montre une relation stable et inversée entre le niveau de chômage et l’évolution des prix.</p>
<p><iframe id="iNzkX" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/iNzkX/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Une inflation élevée, c’est le prix d’un taux de chômage faible, en est-on venu à considérer. De ce qui n’était à l’origine qu’une relation empirique premièrement observée au Royaume-Uni entre 1861 et 1957, certains courants de pensées économiques en ont en effet déduit un lien de causalité et un arbitrage à faire entre ces deux variables.</p>
<p>Ainsi une politique de relance budgétaire devrait-elle stimuler la demande globale : les entreprises peuvent alors produire plus et demandent des travailleurs supplémentaires, faisant baisser le chômage. Face à cette baisse du chômage, les entreprises sont donc également amenées à augmenter les salaires afin d’attirer les chômeurs de moins en moins nombreux. Les firmes répercuteraient alors ces coûts supplémentaires sur les prix, le tout nourrissant l’inflation.</p>
<p>Pour un décideur politique, comprendre cette relation et être capable de savoir à quel point il peut s’appuyer sur les autorités monétaires représente donc un atout, surtout quand ces dernières interviennent pour juguler l’inflation au sein d’une union monétaire.</p>
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<p>En effet, la politique monétaire au sein d’une union monétaire est toujours un exercice périlleux. Elle se calque sur ce qui se passe en moyenne pour l’ensemble des membres. Plus un membre est loin de cette moyenne et plus il y a de chances qu’il se voit conduit par des mesures mal calibrées pour sa situation particulière. Autrement dit, cela nécessite pour les différentes économies d’avoir, dans une certaine mesure, des cycles économiques relativement synchrones afin d’éviter que la politique monétaire ne vienne à contre-courant de leurs besoins particuliers.</p>
<p>Pour toutes ces raisons, il devient alors intéressant de dessiner la courbe de Phillips pour la zone euro, ainsi que pour chacun des 19 États membres.</p>
<h2>Effets contre-productifs</h2>
<p>Nous nous sommes focalisés dans un premier temps, sur les sept économies, relativement petites, qui au cours de ces dernières années ont connu tous les stades de l’adhésion, allant de l’entrée dans <a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">l’Union européenne (UE)</a> à l’accession à la zone euro : Chypre, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Slovénie et la Slovaquie.</p>
<p><iframe id="4VnBu" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/4VnBu/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En utilisant des données trimestrielles, nos premiers résultats montrent que l’accession progressive à la zone euro s’accompagne d’une relation inflation-chômage qui tend à s’édulcorer. C’est-à-dire que l’arbitrage entre les deux a quelque chose de plus significatif chez les douze autres membres de la zone euro. Entrer dans la zone euro semble conduire à perdre de la relation empirique observée via la courbe de Phillips, dans les plus petites économies.</p>
<p><iframe id="LkkCE" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/LkkCE/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les politiques monétaires pourraient donc avoir des effets hétérogènes selon la taille de l’économie concernée. Ce constat suggère que les plus petites économies doivent s’assurer par d’autres canaux, notamment via les institutions du marché du travail, du maintien de l’équilibre entre les variations des prix et l’emploi, au risque de subir une politique monétaire inefficace pour elles.</p>
<p>Sous l’hypothèse que des économies relativement plus fortes peuvent faire pencher la balance (par exemple si l’on observe un ralentissement économique simultané en France et en Allemagne), l’impact de la politique monétaire peut s’avérer avoir un effet contre-productif pour de plus petites économies toujours sur une trajectoire de croissance ascendante. Elle pourrait même tendre à renforcer le déséquilibre entre l’évolution des prix et celle du marché du travail.</p>
<h2>Pourquoi un salaire minimum européen ?</h2>
<p>Cette relation empirique, la courbe de Phillips, représente en tout cas bien un enjeu pour l’évolution de la zone euro. Elle justifie l’intérêt contemporain de la Commission européenne sur les institutions domestiques du marché du travail et l’on comprend mieux l’intérêt de la proposition de directive pour un <a href="http://ermees.fr/fr/pourquoi-un-salaire-minimum-au-niveau-europeen/">salaire minimum européen</a>. L’idée : une union monétaire évolue également conjointement avec, et ne peut être dissociée de la sphère réelle.</p>
<p>Ces questionnements laissent entrevoir, par ailleurs, de nombreux travaux de recherche nécessaires pour comprendre et étayer le débat sur les politiques à mener au sein de l’union monétaire et de l’UE dans son ensemble.</p>
<p>Il est à noter que nous avons traité l’exemple de petites économies ouvertes. Il sera intéressant d’analyser l’évolution dans l’équilibre des forces lorsque des économies relativement plus fortes telles que la Pologne, la Hongrie ou la République tchèque viendront à entrer dans la zone euro. L’accession à la monnaie unique est en effet devenue obligatoire pour tout pays entrant dans l’UE. Seuls la Suède et le Danemark, arrivés précédemment, pourront faire exception.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195039/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La Slovénie, la Bulgarie, les états baltes ou encore bientôt la Croatie pourraient subir les effets de politiques monétaires davantage adaptées à la situation de grands États membres plus influents.Pierre Lesuisse, Docteur en économie - Chercheur au BETA (Strasbourg) - Enseignant à Sciences po (Strasbourg), Université de StrasbourgJean-Louis Combes, Professeur d'économie, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1858792022-06-29T22:51:14Z2022-06-29T22:51:14ZRéforme des retraites : de l’impossible compromis au 49.3<p>Après des semaines de débats à l'Assemblée nationale, au Sénat et une mobilisation massive des syndicats, la première ministre Elisabeth Borne a finalement engagé la responsabilité du gouvernement et eu recours à l'article 49.3 pour faire passer la tant décriée réforme des retraites. </p>
<p>Ce nouvel usage du désormais célèbre article de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527529/1999-07-09">la Constitution</a> a entraîné de nombreuses réactions des syndicats qui ont assuré qu'ils allaient poursuivre le mouvement de contestation, dénonçant pour certains un «déni de démocratie ». </p>
<p>Cet épilogue est aussi symptomatique de la difficile entente entre l'exécutif et le parlement depuis l'issue des élections législatives des 12 et 19 juin 2022. Au moment des comptes, les députés soutenant l’action du président de la République ne sont alors que 248 à l’Assemblée nationale, élus sous les étiquettes LREM, Modem et Horizons. Ils n’ont donc pas la majorité absolue, celle-ci étant de 289 sièges. Cette Assemblée élue au scrutin majoritaire à deux tours a des allures d’assemblée élue à la proportionnelle.</p>
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<p>La situation politique est donc assez exceptionnelle : jusque-là, dans l’histoire de la V<sup>e</sup> République, une majorité nette se dégageait toujours à l’issue des élections législatives, soit qu’elle était favorable au président de la République, soit qu’elle ouvrait la voie à une cohabitation (1986, 1993, 1997), marginalisant certes temporairement le président, mais n’empêchant pas l’adoption des textes à l’Assemblée.</p>
<p>Le débat sur la réforme des retraites a de surcroît démontré les divisions à droite sur le texte, qui a forcé le recours au 49.3. </p>
<h2>Deux précédents ?</h2>
<p>Deux précédents sont souvent invoqués comme étant proches de la situation actuelle : celui de 1958 et celui de 1988. En 1958, à l’issue des élections législatives qui précèdent l’élection de Charles de Gaulle à la présidence de la République par le collège des grands électeurs, la nouvelle formation gaulliste, l’Union pour la nouvelle République (UNR), n’a pas la majorité absolue, avec un peu moins de 200 députés sur 465 (en métropole).</p>
<p>En 1988, après la <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/139367-declaration-televisee-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republi">dissolution prononcée par François Mitterrand</a>, qui avait déclaré lors de sa traditionnelle ascension de la roche de Solutré : « Il n’est pas sain qu’un seul parti gouverne… Il faut que d’autres familles d’esprit prennent part au gouvernement de la France », le groupe socialiste n’atteint pas le seuil des 289 élus. Mais ces deux situations sont en fait très différentes.</p>
<p>Alors qu’en 2022 les députés d’opposition manifestent, quelle que soit leur étiquette, un anti-macronisme exacerbé, les élections législatives de 1958 avaient été, au contraire, marquées par le « gaullisme universel ». Des députés se disaient gaullistes, même élus <a href="https://books.google.fr/books/about/Histoire_du_gaullisme.html?id=kA6HQgAACAAJ&redir_esc=y">sous une autre étiquette</a>.</p>
<p>Le premier président de la V<sup>e</sup> République n’eut donc pas de mal à trouver une majorité, d’abord grâce au soutien de la droite indépendante puis, alors qu’évolue sa <a href="https://www.cairn.info/la-politique-etrangere-du-general-de-gaulle--9782130389200-page-148.htm">politique algérienne</a>, grâce à des voix venues de la gauche. Le 2 février 1960, après la semaine des barricades, les députés de gauche (sauf les communistes) s’associent à l’UNR, au Mouvement républicain populaire (centriste, démocrate-chrétien) et à une partie des indépendants pour voter au gouvernement les pouvoirs spéciaux qu’il demande, tandis que 75 élus de droite et d’extrême droite votent contre.</p>
<p>En 1988, il ne manque que 14 voix <a href="https://www.cairn.info/michel-rocard-premier-ministre--9782724625608-page-71.htm">au gouvernement de Michel Rocard</a> pour faire voter ses textes, et non 40. Avec les 25 députés communistes, la gauche est majoritaire à l’Assemblée, même si Michel Rocard est loin d’être assuré de leur soutien. L’opposition RPR (Rassemblement pour la République)-UDF (Union pour la démocratie française)-UDC (Union du Centre) compte 262 députés, dont 40 centristes parmi lesquels le Premier ministre peut espérer trouver des appuis selon les textes présentés.</p>
<p>Quant aux 15 non-inscrits, dont 6 élus d’outre-mer, leurs votes sont imprévisibles. Guy Carcassonne, agrégé de droit public et membre du cabinet du Premier ministre, joue un rôle essentiel dans la négociation permanente entre le gouvernement et le Parlement, sans qu’un contrat de gouvernement explicite ne soit conclu. Son travail consiste à s’assurer, texte après texte, que le gouvernement disposera d’une majorité, tantôt grâce au vote ou à l’abstention communiste, tantôt grâce aux voix ou au refus d’obstruction de centristes ou non-inscrits. Guy Carcassonne invente le vocable de « majorité stéréo ».</p>
<h2>L’article 49.3</h2>
<p>Ces deux gouvernements avaient la possibilité d’utiliser sans limitation l’article 49.3 de la Constitution, ainsi initialement rédigé :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée. »</p>
</blockquote>
<p>Les anciens présidents du conseil Pierre Pflimlin et Guy Mollet, bons connaisseurs de l’instabilité ministérielle de la IV<sup>e</sup> République, avaient poussé en ce sens. Charles de Gaulle et Michel Debré en firent usage en novembre 1959 puis durant l’hiver 1960 à propos de la loi instituant la <a href="https://archives.assemblee-nationale.fr/1/cri/1960-1961-ordinaire1/006.pdf">force de dissuasion nucléaire</a>. Michel Rocard l’utilisa à vingt-huit reprises.</p>
<p>Mais, désormais, la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2016-3-page-e1.htms">révision constitutionnelle de juillet 2008</a> en limite l’usage à <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/jean-jacques-urvoas-la-ve-republique-n-est-pas-morte-20220624">cinq fois</a> par an :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »</p>
</blockquote>
<h2>L’appel au « compromis » : des précédents historiques ?</h2>
<p>L’obtention d’une majorité permettant de voter les textes proposés par le gouvernement semble donc délicate. Pour sortir de cette situation, depuis le 19 juin 2022, se multiplient les appels au « compromis ». Ce « compromis » exclurait les extrêmes, comme l’a montré une déclaration du président de la République le 25 juin <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/remaniement/emmanuel-macron-conforte-elisabeth-borne-et-la-charge-de-former-un-nouveau-gouvernement_5221861.html">envisageant un gouvernement allant des communistes aux « Républicains » de LR</a>, sans les élus de LFI et du Rassemblement national.</p>
<p>Les références historiques existent. <a href="https://books.google.fr/books/about/La_troisi%C3%A8me_R%C3%A9publique.html?id=1DKgAAAAMAAJ&redir_esc=y">Sous la IIIᵉ République</a>, après « l’Union sacrée » en 1914 (où les socialistes, suivis des catholiques étaient entrés au gouvernement Painlevé), les gouvernements Poincaré, en 1926, et Doumergue, en 1934, apparaissent comme des gouvernements de compromis, plus que d’Union nationale, puisque les marxistes (socialistes et communistes) en sont exclus.</p>
<p>Le Gouvernement provisoire de la République (1944-1946) réunit communistes, socialistes, radicaux, MRP, excluant les formations de droite trop marquées par Vichy. Le dernier gouvernement de la IV<sup>e</sup> République, présidé par Charles de Gaulle, rassemble des ministres issus des différents partis politiques, à l’exclusion des extrêmes, poujadistes et communistes.</p>
<p>Mais ces gouvernements de compromis n’ont pu être fondés que dans des circonstances exceptionnelles : l’entrée dans la Première Guerre mondiale ; la panique financière de 1926 après <a href="https://www.lhistoire.fr/cartel-des-gauches-les-le%C3%A7ons-dun-%C3%A9chec">l’échec du Cartel des gauches</a> ; les <a href="https://www.parislibrairies.fr/livre/9782070293193-le-6-fevrier-1934-serge-berstein/">manifestations du 6 février 1934</a> perçues comme une tentative de coup de force contre le régime ; la fin de la Seconde Guerre mondiale, la chute du régime de Vichy et la nécessaire reconstruction de la France ; la crise algérienne et l’impuissance de la IV<sup>e</sup> République à la résoudre.</p>
<p>En dépit des difficultés que connaît la France actuellement, la situation est-elle comparable à ces crises ?</p>
<h2>Une culture politique de l’affrontement</h2>
<p>Rappelons que les compromis d’alors ont été de courte durée. En 1917, le parti socialiste abandonne l’Union sacrée. En 1928, le parti radical, après avoir exclu de ses rangs <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/3134">Franklin-Bouillon</a> et ses partisans qui souhaitaient faire de « l’unionisme » une formule permanente, rompt « l’Union nationale » au congrès d’Angers.</p>
<p>De nouveau, en janvier 1936, les radicaux mettent fin à l’expérience initiée en 1934 pour se reclasser à gauche avec le « Front populaire ». De Gaulle démissionne de la présidence du GPRF en 1946 et les socialistes quittent le gouvernement fin 1958 après la mise en place de la V<sup>e</sup> République ; après la résolution de la crise algérienne, ils se retrouveront même dans le « Cartel des non » hostile à de Gaulle.</p>
<p>C’est que le compromis semble étranger à une certaine culture politique française. Celle-ci valorise la confrontation, l’affrontement. Pour être élu au scrutin majoritaire à deux tours, le plus usité sous les III<sup>e</sup> et V<sup>e</sup> Républiques, il faut « battre » ses adversaires. Le débat parlementaire porte par définition en <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2010-2-page-18.htm.">lui-même une part de violence</a></p>
<p>Et il n’est pas si éloigné le temps où, dans la rue, « gaullistes d’ordre » ou membres d’Occident se confrontaient aux « gauchistes ». Un compromis politique durable, découlant d’une situation ne s’apparentant pas à une crise aiguë, marquerait incontestablement une nouveauté dans l’histoire politique française contemporaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185879/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Nivet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le compromis n'aura pas eu lieu et le gouvernement a finalement choisi de recourir à l'article 49.3 pour faire éviter un vote sur la réforme des retraites.Philippe Nivet, Historien, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821772022-05-23T19:59:02Z2022-05-23T19:59:02ZL’élite « de l’anti-élitisme », un paradoxe français<p>Les résultats de l’élection présidentielle ont amené de <a href="https://theconversation.com/la-reelection-demmanuel-macron-une-victoire-en-trompe-loeil-181841">nombreux observateurs</a> à penser que la France serait divisée en trois pôles : un centre de gouvernement, une droite regroupant ses courants conservateurs et extrémistes et une gauche majoritairement ralliée à son pôle radical.</p>
<p>Les variables de la sociologie électorale, l’abstentionnisme, le clivage entre générations ou <a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-campagnes-en-tension-170041">modes de vie</a> expliquent qu’il ne s’agit pas d’une simple répétition du scénario de 2017. En effet, la crise des « gilets jaunes » et celle du Covid-19 ont accentué le <a href="https://www.cairn.info/pourquoi-detestons-nous-autant-nos-politiques--9782724620108.htm">sentiment de « détestation »</a> des hommes et des femmes politiques représentant les partis de gouvernement. <a href="https://theconversation.com/pourquoi-certains-adorent-detester-emmanuel-macron-178665">Emmanuel Macron</a> incarne particulièrement bien cette détestation.</p>
<h2>Vers un alignement des discours contre les « élites » ?</h2>
<p>Peu parmi ces analystes ont cependant souligné la victoire sans précédent des <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-presidentielle-le-triomphe-des-elites-anti-elite-1402397">candidatures se revendiquant comme anti-élitiste</a>.</p>
<p>Le terme « élite » vient du verbe <em>eligere</em> (« choisir »), terme latin en usage en France dès le XII<sup>e</sup> siècle. À l’époque contemporaine, « élite » et « élitisme » désignent dans la communauté des hommes un certain nombre de personnes « élues » destinées à diriger les non-« élues » en y associant la notion de mérite. Par opposition à l’aristocratisme, l’élitisme a une <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-des-elites--9782200268534.htm">connotation sociale et politique positive</a>. L’anti-élitisme est une critique radicale de cette conception. Aujourd’hui appliqué à la vie politique, il se traduit par une remise en question du caractère « méritocratique » de la compétence donc la légitimité des <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-85.htm">élites de la démocratie représentative</a>.</p>
<p>Nous qualifions ainsi les candidats ayant mobilisé durant la campagne la rhétorique de l’anti-élitisme. L’extrême droite, <a href="https://twitter.com/ZemmourEric/status/1483899993530552322">Éric Zemmour</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9HZylDRkqsc">Marine Le Pen</a>, la droite souverainiste, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TgR2vV2-PrA">Nicolas Dupont-Aignan</a>, <a href="https://www.franceinter.fr/politique/vaccin-cia-ombres-au-pouvoir-la-facette-conspirationniste-du-candidat-jean-lassalle">Jean Lassalle</a> mais aussi les candidats de la gauche radicale, <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">Jean-Luc Mélenchon</a>, <a href="https://www.cultura.com/p-un-ouvrier-c-est-la-pour-fermer-sa-gueule-interdit-d-election-presidentielle-9782845974418.html">Philippe Poutou</a> ou encore <a href="https://www.bienpublic.com/elections/2022/04/10/nathalie-arthaud-votera-blanc-au-second-tour-fustigeant-deux-ennemis-mortels-pour-les-travailleurs">Nathalie Artaud</a> ont vilipendé le pouvoir de « l’oligarchie », des « puissants », de la « finance », de la « caste », de « ceux d’en haut », etc.</p>
<p>Les candidats ayant mobilisée cette rhétorique au premier tour des élections présidentielles entre 2012 et 2022 ont obtenu un nombre de voix en constante progression : <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-presidentielle-le-triomphe-des-elites-anti-elite-1402397">33 % en 2012 ; 49,8 % : 2017 ; 61,1 % en 2022</a>. Si on ne peut pas vraiment faire de lien de causalité entre cette rhétorique et ces scores, on peut supposer que cette rhétorique n’a pas choqué les électeurs au point de les dissuader de porter leur voix sur ces candidats.</p>
<h2>Une rhétorique contre la démocratie représentative</h2>
<p>Cette <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">rhétorique anti-élitiste</a> – relayée par les leaders populistes depuis plus d’une décennie – transcende le clivage droite-gauche.</p>
<p>Comme souligne <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070749690-la-faute-aux-elites-jacques-julliard/">Jacques Julliard</a> le mouvement social de 1995 a été le moment historique qui a fait de la rhétorique anti-élitiste « l’un des topos obligatoires du discours politique ». Il n’a cessé depuis de devenir central pour les styles discursifs les plus radicaux de droite mais aussi de plus en plus de gauche, en particulier de <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm"><em>La France insoumise</em></a>. <a href="https://www.puf.com/content/Cabinet_de_curiosit%C3%A9s_sociales_0">Gérald Bronner</a> rappelle que même des professionnels de la politique pourtant plus modérés ne rechignent pas à faire usage de cette figure de la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/gerald-bronner/demagogie-cognitive-information_b_6089800.html">« démagogie cognitive »</a>. Chacun se souviendra du « mon adversaire c’est le monde de la finance ! » <a href="https://www.lemonde.fr/blog/luipresident/2017/05/13/mon-adversaire-cest-le-monde-de-la-finance-quel-bilan-pour-francois-hollande/">lancé</a> par François Hollande lors de la campagne électorale de 2012. Dans ce contexte, les arguments rationnels perdent droit de cité puisque même ceux qui doivent les porter s’en débarrassent au nom de la rentabilité électorale.</p>
<p>Dans cette perspective, l’oligarchie <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">« des riches, la caste des politiciens »</a> et les technocrates de <a href="https://frontpopulaire.fr/p/revue%20N%C2%B02">« l’État profond (français ou bruxellois) »</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-110.htm">doivent partir</a>. Cet appel à se débarrasser de l’élite est consubstantiel à la division du monde entre le (bon) peuple et la (méchante) élite. Le bien ne doit-il pas naturellement chasser le mal. Relevant habituellement du bagage conceptuel de l’extrême droite, cette réduction du combat politique à des catégories religieuses a aussi été théorisée par la gauche dite « radicale ».</p>
<p>La philosophe Chantal Mouffe appelle, ainsi, à la répudiation de la raison, fondement de la démocratie libérale, au profit de l’<a href="https://www.albin-michel.fr/pour-un-populisme-de-gauche-9782226435293">« énergie libidinale »</a>. Elle propose de « mobiliser » cette énergie « malléable » contre l’oligarchie afin de « construire » le « peuple ». Dans cette perspective, les émotions et les affects devront se traduire par le rejet, comme le suggère le député François Ruffin, <a href="https://www.courrier-picard.fr/art/167978/article/2019-02-24/ruffin-lanti-macron-ce-rejet-physique-visceral-nous-sommes-des-millions">« physique et viscéral »</a> de l’élite.</p>
<p>De surcroît, l’anti-élitisme est présenté comme discours politique permettant de <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-85.htm">« sauver » la démocratie</a>. Pour ses promoteurs, l’élitisme contemporain contrarierait l’imaginaire égalitaire et occulterait les grands projets d’émancipation au profit de la mondialisation néolibérale.</p>
<h2>La mobilisation du déclin des « grands récits »</h2>
<p>Cet anti-élitisme puise sa force dans un contexte de <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-faute-aux-elites-9782070407569.html">déclin des « grands récits »</a> (libéralisme, socialisme, etc.) et est aujourd’hui aisément récupéré par les tenants d’une critique de la démocratie représentative. Ce carburant idéologique des mouvements sociaux étêtés, tels que celui des « gilets jaunes », permet de mobiliser un électorat toujours plus large autour d’un prétendu clivage entre <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18867/bloc-contre-bloc">« bloc élitaire » et « bloc populaire »</a>.</p>
<p>Le raisonnement de ces pourfendeurs de « l’oligarchie » repose sur une « terrible simplification » : le mythe de l’existence d’une élite « Consciente, Cohérente et Conspirante » (<a href="https://www.goodreads.com/book/show/3917666-the-myth-of-the-ruling-class">modèle de « 3 C</a> ») critiqué par James Meisel en raison de la déformation de la théorie de <a href="http://davidmhart.com/liberty/ClassAnalysis/Books/Mosca_RulingClass1939.pdf"><em>la classe dirigeante</em></a> de Gaetano Mosca. En effet, ce raccourci facilite l’association de tout type de médiation élitaire avec les théories complotistes.</p>
<p>Dans la stratégie discursive populiste, l’idée d’une élite unifiée maximisant ses intérêts concurrence fortement celle – plus en cohérence avec le pluralisme démocratique – d’une multiplicité de groupes élitaires en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0010414013512600">compétition pour le pouvoir politique, religieux social et économique</a>.</p>
<p>Aux États-Unis, depuis l’administration de Georges Bush jr., des travaux ont évoqué le rôle d’une <a href="https://www.basicbooks.com/titles/janine-r-wedel/shadow-elite/9780465020843/">« élite de l’ombre »</a> (<em>shadow elite</em>) qui aurait favorisé la deuxième guerre du Golfe. Toutefois, la démonstration de l’interpénétration des réseaux néoconservateurs et l’administration des affaires étrangères, repose sur un travail dont la <a href="https://www.jstor.org/stable/41275203 ?seq=1">scientificité est discutable</a>. Une recherche, plus solide empiriquement, a ainsi démontré que, dans le cas de la <a href="https://www.cairn.info/gouverner-a-l-abri-des-regards%20--%209782724626254.htm">réforme de l’assurance maladie</a>, les groupes d’intérêts (<em>big pharma</em>, compagnies d’assurance, etc.) n’ont pas joué un tel rôle auprès de l’administration Obama. Pourtant, malgré le déficit de preuve, le mythe d’une élite omnipotente influençant l’ensemble des décisions démocratiques persiste. Dans un contexte de crise de confiance <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf">à l’égard des gouvernants</a>, il renforce la croyance dans l’antiélitisme.</p>
<h2>L’élite de l’anti-élitisme : une autre oligarchie ?</h2>
<p>En poussant ce raisonnement sociologique, on pourrait établir que certains leaders mobilisant la rhétorique antiélitiste forment aussi une élite. Le diplomate britannique et ancien ministre conservateur, Georges Walden, la naissance d’une « caste supérieure de l’élite anti-élite » <a href="https://www.newstatesman.com/uncategorized/2020/09/boris-johnson-dominic-cummings-anti-elite-populists-power">(upper-caste elite of anti-elitists</a>) composée d’individus issus de milieux sociaux très privilégiés à l’image des premiers ministres David Cameron et de Boris Johnson. Tous deux issus sont les produits du cursus élitiste <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/international/etudier-a-l-etranger/detail/article/a-eton-sont-forgees-les-elites-britanniques0-3814/">Eton</a>-Oxford.</p>
<p>En France, l’élite anti-élite se caractérise par son profil de <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_professionnels_de_la_politique.html ?id=27YgAQAAMAAJ&redir_esc=y"><em>professionnel de la politique</em></a>. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon en constituent des exemples emblématiques comme le montrent leur carrière et leur leadership partisan. La première est une « héritière politique » entrée dans la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marine_Le_Pen">carrière</a> dès l’âge de 18 ans, avant de gravir tous les échelons du <em>Front national</em> avant de se présenter aux élections présidentielles depuis 2012. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Luc_M %C3 %A9lenchon">Le second</a> est un « produit de la méritocratie » à la française, obtenant son CAPES en lettres modernes et intégrant en même temps le Parti socialiste en 1976.</p>
<p>Il a cumulé au cours de sa longue carrière politique les fonctions électives entre autres de député, de sénateur, de député européen et la fonction exécutive de ministre délégué à l’enseignement professionnel (2000-2002). Depuis la création de son propre parti (Le Parti de Gauche en 2008 devenu en 2016 la France insoumise), il s’est lui aussi présenté à trois reprises aux élections présidentielles. Par ailleurs, tous deux ont imposé un leadership incontesté sur leur parti politique comme en témoignent leur réélection continue à la direction. Cette main de fer sur l’organisation illustre la <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2015/07/02/politique-la-loi-d-airain-de-l-oligarchie_4667090_3260.html">loi d’airain de l’oligarchie</a> chère à Roberto Michels.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/qui-sont-les-deputes-francais%20--%209782724610307.htm">Les critères de la sociologie des élites</a>, à savoir l’origine sociale, la formation, la trajectoire professionnelle, la durée de la carrière politique, cumul et le type des mandats, montrent, sans surprise, le peu de distance les séparant de celles et ceux qu’ils dénoncent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182177/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohammad-Saïd Darviche est membre de l'Association française de science politique. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>William Genieys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre la victoire sans précédent des candidatures se revendiquant comme anti-élitiste ?William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE, Sciences Po Mohammad-Saïd Darviche, Maître de conférences, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1813112022-04-18T15:52:23Z2022-04-18T15:52:23ZÉlection présidentielle : la défiance de la population catalyse un vote de sécession<p>Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle peut être lu de deux manières. Si l’on suit une <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">grille de lecture politique</a>, on peut comptabiliser trois blocs idéologiquement cohérents et de force comparable. La droite néolibérale rassemble 32,63 % des voix autour des candidatures d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse ; l’extrême droite identitaire (Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan) constitue un deuxième bloc qui pèse 32,28 % des suffrages ; enfin, le total des voix de gauche et d’extrême gauche représente un dernier bloc rassemblant 31,94 % de l’électorat. Reste les 3,13 % des électeurs de Jean Lassalle, inclassable politiquement.</p>
<p>Une telle analyse du scrutin conduit à minimiser les risques d’une accession de Marine Le Pen à la présidence. Non seulement Emmanuel Macron parviendrait facilement à rassembler son bloc (légèrement plus important numériquement que celui de l’extrême droite) mais de plus il bénéficierait de l’appui d’une partie importante de la gauche dont les responsables sont unanimes dans leurs appels à faire « barrage » à l’extrême droite. Ainsi, sans trop prendre de risque, on pourrait pronostiquer une facile réélection du Président.</p>
<p>Mais si c’est ainsi qu’il faut interpréter le scrutin, pourquoi sent-on une <a href="https://www.challenges.fr/france/pour-emmanuel-macron-rien-n-est-joue-et-il-a-raison_808730">telle fébrilité</a> dans le camp macroniste ? Pourquoi les sondages annoncent-ils un score serré entre les deux finalistes ? C’est qu’il existe une autre manière d’interpréter le vote de dimanche.</p>
<h2>Une autre grille de lecture</h2>
<p>Si l’on adopte une grille de lecture sociologique, il n’y a pas trois blocs mais deux camps. Le premier, le camp conservateur, représente les gagnants de la mondialisation. Il rassemble ceux qui défendent plus ou moins l’ordre établi et qui s’accommodent, sans toujours l’approuver, de la politique actuelle. Ses électeurs sont des personnes âgées qui n’ont pas connu la précarité au travail. Ils ont confiance dans les institutions, dans la presse et sont bien insérés socialement. Ils sont de droite et de gauche, d’un niveau socio-éducatif élevé et vivent majoritairement dans les banlieues aisées, en centre-ville et dans les <a href="https://theconversation.com/le-vote-metropolitain-et-ses-fractures-lexemple-de-montpellier-181188">métropoles</a>.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/13/presidentielle-2022-ralliements-programme-emmanuel-macron-contraint-au-grand-ecart-en-vue-du-second-tour_6121903_6059010.html">Ce camp agrège</a> aux néolibéraux les partis pro-européens de gauche (Hidalgo et Jadot) ainsi qu’une bonne moitié de l’électorat d’Éric Zemmour et une partie de l’électorat de Mélenchon ou de Fabien Roussel.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1514338863145226250"}"></div></p>
<p>En face de ce camp se trouve la France des ronds points, des « gilets jaunes », celle qui manifestait contre le passe sanitaire et la vaccination. Cette France, peu sensible à la politique institutionnelle, rassemble les précaires et les classes populaires. Politiquement, <a href="https://metropolitiques.eu/Loin-des-urnes-L-exclusion-politique-des-classes-populaires.html">elle est le plus souvent abstentionniste</a>, même si elle s’exprime davantage à l’occasion des élections présidentielles.</p>
<p>C’est à cette France que Marine Le Pen doit pratiquement <a href="https://theconversation.com/et-si-le-second-tour-se-jouait-sur-le-social-181271">tous ses suffrages</a>, mais cet électorat s’est aussi porté électoralement sur Mélenchon, notamment dans les banlieues et les Antilles, et sur Dupont-Aignan, Lassalle et Zemmour. Cette France déclassée tient les clés du second tour. Selon la dynamique de campagne, elle pourrait soit retourner à son abstention habituelle, soit voter Marine Le Pen. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est potentiellement majoritaire.</p>
<h2>La force des mouvements antisystèmes</h2>
<p>D’une manière plus triviale, ce qui frappe dans cette élection c’est la force des partis antisystèmes. Pour la première fois depuis le début de la V<sup>e</sup> République, les électeurs ont voté à une très large majorité pour des candidats porteurs d’un discours de rupture.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-origines-du-populisme-yann-algan/9782021428582">ouvrage</a> paru en 2019, les chercheurs Yann Algan, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen et Martial Foucault proposent une explication quant à l’émergence des mouvements antisystèmes. Selon eux, le populisme émerge lorsque la défiance s’accroît au sein de la société.</p>
<p>Ils distinguent deux sortes de défiance et donc deux sortes de populisme : d’abord, une défiance purement institutionnelle qui fait le lit d’un populisme de gauche qu’incarnerait par exemple <a href="https://theconversation.com/france-insoumise-un-cesar-a-la-tete-dun-mouvement-anarchique-169482">Jean-Luc Mélenchon</a> ou le mouvement des « gilets jaunes ». Ce populisme croit en l’action collective mais ne croit plus aux institutions actuelles qu’il souhaite transformer en profondeur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/conversation-avec-marc-lazar-le-populisme-est-une-menace-pour-la-democratie-mais-aussi-une-opportunite-170136">Conversation avec Marc Lazar : « Le populisme est une menace pour la démocratie mais aussi une opportunité »</a>
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<p>À l’inverse, pour les auteurs, les populistes de droite seraient le produit d’une défiance généralisée qui s’adresse autant aux personnes qu’aux institutions sociales. On retrouve cette forme de populisme dans l’électorat de Marine Le Pen, chez les abstentionnistes et au sein des mouvements « antivax ».</p>
<p>Il est la conséquence d’une société <a href="https://www.nouvelobs.com/chroniques/20210621.OBS45568/l-anomie-sociale-ce-sentiment-grandissant-qui-explique-l-abstention-massive.html">marquée par l’individualisme et une forme d’anomie</a>. Il se nourrit parfois d’une paranoïa qui rend sensible les personnes concernées aux thèses du grand remplacement et au complotisme. C’est une population qui a tendance à se replier sur sa sphère privée ou familiale.</p>
<p><a href="https://agone.org/livres/pourquoilespauvresvotentadroite">Les ouvrages du journaliste américain Thomas Frank</a> décrivent assez justement les sociétés « anomiques » (« sans loi ») au sein desquelles prospère le populisme de droite. Dans ces quartiers résidentiels américains, souvent marqués par la désindustrialisation et la dégradation des services publics, la haine contre le « progressisme » tient lieu de ciment social.</p>
<p>Si les causes des populismes sont assez claires, les raisons pour lesquelles la défiance s’accroît au sein d’une société le sont moins. Dans <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807328846-populisme-et-neoliberalisme-il-est-urgent-de-tout-repenser"><em>Populisme et néolibéralisme</em></a>, j’ai avancé une explication.</p>
<p>La population perd confiance envers ses institutions lorsque ces dernières ne jouent plus leur rôle qui consiste à tisser des liens et à construire la vie sociale. Ainsi, la première des institutions est l’État, et le premier rôle de l’État est de protéger ses propres citoyens. Or, en choisissant d’insérer la France dans la mondialisation, les gouvernements, depuis quarante ans, ont réduit le champ de l’action politique à des logiques d’attractivité et de compétitivité.</p>
<p>La règle de la « bonne gestion » est devenue d’arbitrer systématiquement en faveur des capitaux et des classes supérieures, qui sont mobiles et s’installent là où la fiscalité est la plus douce, contre le travail et les classes populaires et moyennes qui elles sont immobiles et doivent supporter l’essentiel de la charge fiscale.</p>
<h2>Une clarification néolibérale</h2>
<p>Vu sous cet angle, le quinquennat qui s’achève fut celui d’une clarification néolibérale, c’est-à-dire qu’il a pris un parti pris clair : celui de mettre l’État au service d’une adaptation de la société aux marchés.</p>
<p>Ce parti pris se retrouve dans la politique fiscale : suppression de l’impôt sur la fortune, baisse de la taxation du capital et de l’impôt sur les sociétés, hausse les taxes sur la consommation. Il se retrouve aussi dans une conception des services publics marquée par la réduction des coûts (fermeture des lits dans les hôpitaux, gel des salaires dans la fonction publique, réduction des dotations aux collectivités territoriales).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pression fiscale des ménages et des entreprises 1980-2019.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, la gestion du Covid a donné l’impression que <a href="https://atlantico.fr/article/video/-il-n-y-a-pas-d-argent-magique-repond-le-president-a-une-salariee-qui-deplore-le-manque-de-moyens-des-hopitaux">« l’argent magique »</a> qui n’existait pas pour répondre aux besoins des soignants de l’hôpital de Rouen pouvait soudainement affluer pour compenser les pertes des entreprises liées à la crise sanitaire.</p>
<p>Cette politique publique orientée vers le soutien prioritaire au secteur privé, au détriment des besoins sociaux a nourri et entretenu une défiance au sein de l’électorat. Les politiques gouvernementales sont-elles au service de l’intérêt général et du plus grand nombre, ou répondent-elles aux pressions des lobbies et des grandes entreprises ? Cette défiance qui s’est révélée lors du mouvement des « gilets jaunes » s’est ensuite cristallisée au moment de la crise sanitaire durant laquelle les théories les plus folles ont circulé sur l’innocuité des vaccins ou sur la pertinence des confinements.</p>
<p>Plus généralement, ce qui est apparu aux yeux d’une partie de l’opinion, c’est que l’État n’était pas là pour protéger la population, mais <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/barbara-stiegler">pour la punir ou la manipuler</a>. C’est cette thèse teintée de paranoïa que défend la philosophe Barbara Stiegler. Les conséquences de cette défiance ont pu être mesurées par le taux de vaccination, beaucoup plus faible dans les territoires populaires et les départements d’outre-mer que dans les quartiers favorisés.</p>
<p>Le résultat du 10 avril semble exprimer la même défiance. Si les institutions ne sont pas remises à l’endroit, si les politiques menées continuent de donner l’impression de servir des intérêts qui ne sont pas ceux de la majorité, il est clair qu’une partie grandissante de la population sera tentée par le vote de sécession.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Cayla est membre du collectif des Économistes atterrés.</span></em></p>Pourquoi sent-on une certaine fébrilité dans le camp macroniste ? Pourquoi les sondages annoncent-ils un score serré entre les deux finalistes ? Un autre manière d’interpréter le vote de dimanche.David Cayla, Enseignant-chercheur en économie, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1807672022-04-07T18:56:00Z2022-04-07T18:56:00ZLa Russie exclue du Conseil de l’Europe : séisme dans la « maison commune »<p>L’attaque de l’Ukraine par la Russie dans la nuit du 24 février 2022 a provoqué un séisme géopolitique mondial. Le Conseil de l’Europe n’en sort pas indemne : il a, pour la première fois, expulsé l’un de ses États parties, la Russie, parce que la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1644">maison commune européenne</a> ne peut pas comprendre en son sein un État attaquant sans raison l’intégrité territoriale de son voisin, qui plus est dans des conditions dramatiquement incompatibles avec la protection des droits humains. Retour sur l’histoire tumultueuse des relations de l’institution installée à Strasbourg avec Moscou.</p>
<h2>La vision de Gorbatchev</h2>
<p>L’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe fut un processus long et difficile. Pourtant, à la fin des années 1980, les relations avec l’organisation européenne avaient bien commencé, car Mikhaïl Gorbatchev choisit le Conseil de l’Europe comme plate-forme d’expression pour son projet d’une « maison commune européenne ». Les conditions pour un rapprochement entre le Conseil de l’Europe et l’URSS étaient alors favorables, et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe créa un nouveau <a href="https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=16328">statut d’invité spécial</a> qu’elle accorda en juin 1989 au Soviet suprême de l’URSS, premier parlement communiste à en bénéficier.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les 47 États membres du Conseil de l’Europe, avant l’exclusion de la Russie le 16 mars 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/Hanasoph/status/1333847872434008064">Conseil de l’Europe</a></span>
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<p>Ainsi, le 6 juillet 1989 – dès avant la chute du mur de Berlin – le premier secrétaire général de l’URSS <a href="https://www.cvce.eu/content/publication/2002/9/20/4c021687-98f9-4727-9e8b-836e0bc1f6fb/publishable_fr.pdf">vint s’exprimer devant l’Assemblée parlementaire</a> du Conseil pour annoncer l’ouverture d’un consulat général à Strasbourg et pour laisser ainsi entendre que le Conseil de l’Europe pourrait devenir la structure d’accueil pour une maison commune européenne, où plusieurs systèmes politiques pourraient coexister au sein d’une organisation paneuropéenne.</p>
<h2>L’adhésion compliquée de la Russie</h2>
<p>La levée du rideau de fer fin 1989 changea la donne. Après la mise en place de nouvelles démocraties en Europe centrale et orientale, ce sont d’abord les pays de l’ancien glacis protecteur de l’URSS – la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie et la Slovénie – qui, entre 1990 et 1993, intégrèrent la maison commune européenne à Strasbourg, sans pouvoir négocier de dérogation au système politique exigé par les statuts pour devenir membre, tenant au respect des valeurs fondamentales de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains.</p>
<p>Même lorsque l’URSS éclata en 1991, la Russie ne fut pas la première ancienne république soviétique à adhérer. Après leur indépendance, ce sont d’abord les <a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/46-members-states">pays baltes qui entrèrent</a> entre 1993 et 1995 –, puis la Moldavie et l’Ukraine en 1995.</p>
<p>Pour la Russie, l’adhésion au Conseil de l’Europe s’avéra plus compliquée. Pourtant, le 7 mai 1992, lorsque Moscou déposa sa candidature, le Comité des ministres salua cette décision comme « une date majeure dans l’histoire du continent » et transmit cette demande d’adhésion pour examen à l’Assemblée parlementaire avec leur avis positif.</p>
<h2>Les divisions sur l’opportunité d’intégrer la Russie au Conseil de l’Europe</h2>
<p>C’était la première fois que les ministres s’exprimaient à l’avance sur une demande d’adhésion, ce qui montre à quel point l’adhésion de la Russie revêtait une importance géopolitique. Mais deux facteurs pesèrent sur la procédure d’adhésion. Premièrement, en 1992, au sein de l’Assemblée parlementaire, une commission se pencha sur l’examen de la condition d’européanité des nouveaux candidats. Un véritable débat fut mené jusqu’en 1994 pour savoir qui, parmi les anciens membres de l’URSS, pouvait être qualifié d’européen sur des critères géographiques, culturels et politiques. De nombreuses voix s’élevèrent contre la Russie qui ne serait pas prête à rejoindre « les clubs de la démocratie », en arguant que le Conseil de l’Europe ne pouvait pas être une simple « école de démocratie ».</p>
<p>Le deuxième facteur semble confirmer les hésitations des parlementaires : fin 1994, pendant les négociations d’adhésion, la guerre de Tchétchénie éclata, ce qui conduisit l’Assemblée parlementaire à suspendre la procédure d’adhésion en février 1995 pour quelques mois. Après l’accord sur un cessez-le-feu, les négociations reprirent et se soldèrent par un feu vert pour l’adhésion le 26 janvier 1996. Les avis des commissions parlementaires restaient largement divisés : la commission des questions juridiques et celle des droits de l’homme se montraient sceptiques, alors que la commission politique et celle des relations avec les pays non membres se prononçaient en faveur de l’adhésion.</p>
<p>Finalement, les réflexions géopolitiques l’emportent et l’Assemblée parlementaire se prononce pour l’adhésion russe alors que la Russie ne respecte pas (encore) les standards des valeurs européennes. Le concept de l’école de la démocratie a gagné et, le 28 février 1996, la Russie rejoint le Conseil de l’Europe, alors que la guerre en Tchétchénie n’est pas terminée.</p>
<h2>Tensions récurrentes</h2>
<p>La Russie devient vite l’un des cinq plus grands <a href="https://www.coe.int/fr/web/about-us/budget">contributeurs financiers</a> du Conseil de l’Europe. Toutefois, sa participation à l’organisation européenne de Strasbourg reste problématique dès le départ. Le pays représente, avec la Turquie, l’un des plus grands pourvoyeurs d’affaires examinées par la Cour européenne des droits de l’homme. De nombreuses requêtes individuelles sont adressées tous les ans contre la Russie par ses citoyens et, plus délicat du point de vue diplomatique, les conflits territoriaux avec des ex-républiques soviétiques aboutissent à des affaires interétatiques.</p>
<p>La CEDH doit par exemple intervenir dans les disputes régionales entre la Russie et la Moldavie ou la Russie et la Géorgie. En 2004, elle condamne la Russie pour emprisonnement irrégulier en Transnistrie ; la guerre entre la Géorgie et la Russie à propos de l’Ossétie du Sud aboutit en 2008 à plus de 2 500 requêtes individuelles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-transnistrie-prochaine-etape-de-la-guerre-en-ukraine-179679">La Transnistrie, prochaine étape de la guerre en Ukraine ?</a>
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<p>C’est sans doute aussi pour cette raison que la Russie s’oppose avec véhémence aux réformes de la Cour visant à améliorer l’efficacité de son fonctionnement. C’est le cas du protocole additionnel n°14 qui fut ouvert à la signature en mai 2004, mais bloqué par la Russie jusqu’à la négociation d’un protocole 14 bis qui permettait aux États membres d’appliquer les éléments du protocole 14 après trois ratifications seulement. Il fallut attendre 2010 pour que la Russie cède et <a href="https://www.gazette-du-palais.fr/actualites-juridiques/6449/">ratifie le protocole</a>, rejoignant enfin les autres États.</p>
<p>Le problème le plus ardu reste son comportement géopolitique avec son voisinage « proche ». Ainsi, lors de la deuxième guerre de Tchétchénie qui démarre en 1999, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil se rendit sur place pour évaluer la situation et écrivit un rapport très défavorable à la Russie, notamment à cause du siège de la ville de Grozny. La brutalité de l’armée russe et le nombre important de victimes civiles lors de ce siège amenèrent l’Assemblée parlementaire à <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/04/08/le-conseil-de-l-europe-sanctionne-la-russie-pour-la-guerre-en-tchetchenie_3680822_1819218.html">voter</a>, le 6 avril 2000, en faveur de la suspension des droits de vote de la délégation russe par 78 contre 69 voix. Cette motion fut accompagnée d’une recommandation adressée au Comité des ministres lui demandant d’engager une procédure d’exclusion contre la Russie.</p>
<p>Toutefois, le Comité des ministres ne donna pas suite et, au contraire, rassura la Russie sur le fait qu’aucun texte sur la Tchétchénie ne serait adopté sans son aval. Le Conseil de l’Europe se montra donc extrêmement indulgent envers Moscou. En janvier 2001, même l’Assemblée parlementaire décida, malgré l’absence d’amélioration significative de la situation en Tchétchénie, de <a href="https://www.liberation.fr/planete/2001/01/26/le-conseil-de-l-europe-capitule-devant-la-russie_352390/">restaurer le droit de vote de la délégation russe</a> par une majorité écrasante (88 voix contre 20). La même attitude d’« apaisement » peut être observée après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Certes, cette fois-ci, la délégation russe fut <a href="https://www.liberties.eu/fr/stories/le-droit-de-vote-de-la-russie-suspendu-au-conseil-de-l-europe-sn-3032/21985">privée de son droit de vote</a> pour plus longtemps (de 2014 à 2019).</p>
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<figcaption><span class="caption">Conseil de l’Europe : réintégrer la Russie ou non, un choix cornélien (France 24, 8 juillet 2019).</span></figcaption>
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<p>La Russie répliqua en 2016 par un boycott des sessions de l’Assemblée et surtout par le <a href="https://www.europe1.fr/international/la-russie-suspend-sa-participation-au-budget-du-conseil-de-leurope-3376559">refus de verser ses contributions</a> au budget du Conseil de l’Europe. Elle alla jusqu’à menacer d’aller plus loin et de quitter l’organisation. Cette situation amena le Conseil de l’Europe fin juin 2019 à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/25/la-russie-autorisee-a-revenir-a-l-assemblee-du-conseil-de-l-europe-apres-cinq-annees-d-absence_5480958_3210.html">lever les sanctions</a> : 118 sur 190 parlementaires votèrent en faveur de la réintégration de la délégation russe à l’Assemblée parlementaire.</p>
<h2>La CEDH, dernière chance pour garantir le respect des valeurs du Conseil de l’Europe par la Russie</h2>
<p>Cette décision fut très controversée, surtout parce qu’elle fut prise sous le chantage financier et politique de la Russie et que la situation de l’annexion de la Crimée au mépris du droit international restait inchangée. La Cour européenne des droits de l’homme resta le « dernier rempart » contre les violations par la Russie des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe.</p>
<p>Le 21 janvier 2021, la Cour condamna la Russie pour violation des droits de l’homme en Crimée, tout comme elle ordonna le 17 février 2021 avec effet immédiat la libération de l’opposant Alexeï Navalny. Le 26 février 2021, le Comité des ministres <a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/-/seventh-anniversary-of-annexion-of-crimea-by-russia-">rappelait que</a> la Russie avait violé le droit international en annexant illégalement la Crimée.</p>
<p>Lorsque Moscou commence son opération de guerre contre l’Ukraine le 24 février 2022, c’est bien la possibilité pour la CEDH de continuer à protéger les droits humains en Russie qui motive la <a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/-/council-of-europe-suspends-russia-s-rights-of-representation">première réaction</a> du Conseil de l’Europe : ne pas d’exclure la Russie, mais seulement suspendre ses droits à l’Assemblée parlementaire et au Comité des ministres. Cette mesure permettait en outre de garder la porte ouverte pour un possible retour de la Russie au Conseil de l’Europe sans renégociation.</p>
<h2>Après l’invasion de l’Ukraine, la Russie exclue de la maison commune</h2>
<p>Mais la procédure d’exclusion de la Russie fut finalement privilégiée, et ce de manière très rapide.</p>
<p>Les institutions du Conseil de l’Europe se sont saisies de cette situation en commençant par enclencher l’article 8 de ses Statuts, permettant de suspendre « le droit de représentation » de la Russie <a href="https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a5a361">dès le 25 février</a>. Cette première phase supposait le constat d’une violation grave de l’<a href="https://rm.coe.int/1680935bd1">article 3 des Statuts</a>. L’article 8 prévoit ensuite que le Comité des ministres du Conseil de l’Europe peut inviter l’État à se retirer en notifiant sa décision à la Secrétaire générale au titre de l’article 7. Cette étape n’a pas même eu lieu ; le Comité des ministres a pris le 10 mars une <a href="https://search.coe.int/directorate_of_communications/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a5ca51">décision</a> non formellement prévue par les Statuts, celle de consulter l’Assemblée parlementaire pour activer directement l’exclusion prévue au titre de l’article 8.</p>
<iframe allowfullscreen="" width="100%" height="140px" src="https://rcf.fr/actualite/place-de-leurope//embed?episodeId=225622"></iframe>
<p>On a alors assisté, dans une scénographie digne des chaînes d’information en continu, à un feuilleton sur la concurrence entre ces deux procédures, la Russie comme le Conseil de l’Europe cherchant à rester maître des horloges. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a d’abord décidé à l’unanimité que la Russie ne pouvait plus faire partie du Conseil de l’Europe le 15 mars 2022. Cet avis permit de donner une dimension plus démocratique au constat des violations des conditions d’appartenance au Conseil de l’Europe. Moscou a riposté par agence de presse en annonçant son départ de l’organisation.</p>
<p>Réuni en urgence, le Comité des ministres a constaté que la <a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/-/the-russian-federation-is-excluded-from-the-council-of-europe">Russie cesse d’être membre du Conseil</a> à compter du 16 mars 2022. Le drapeau tombé dans le ciel gris de Strasbourg, il reste encore beaucoup de questions.</p>
<h2>La fermeté du Conseil de l’Europe</h2>
<p>Ces péripéties juridiques ont une importance politique majeure. La procédure de l’article 8 est engagée pour la première fois, d’où l’importance pour le Conseil d’aboutir au constat du 16 mars, même si la Russie finit par notifier dès la veille <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20220315-guerre-en-ukraine-menac%C3%A9e-d-exclusion-la-russie-quitte-le-conseil-de-l-europe">sa décision de départ</a>.</p>
<p>Le Comité souligne dans sa résolution que cette décision résulte de la violation grave de l’article 3 des statuts de l’institution. L’Assemblée parlementaire avait, dans son rapport, utilisé une formule rare dans le langage de la diplomatie, estimant que « dans la maison européenne commune, il n’y a pas de place pour un agresseur » après avoir constaté les violations du droit international, des droits humains et du droit international humanitaire.</p>
<p>Difficile en effet de faire plus grave ; l’<a href="https://pace.coe.int/fr/news/8638/the-russian-federation-can-no-longer-be-a-member-state-of-the-council-of-europe-pace-says">Assemblée parlementaire estime</a> même que les États parties au Conseil de l’Europe devraient « se tenir aux côtés du peuple ukrainien et défendre son droit à vivre dans un État indépendant et souverain, dont l’intégrité territoriale est respectée ». Une nouvelle géopolitique européenne est à l’œuvre et l’idée même d’un retour de la Russie semble définitivement écartée.</p>
<p>Ensuite, la date du départ de la Russie est effective au 16 mars, ce qui veut dire qu’elle ne siège plus ni à l’Assemblée parlementaire ni au Comité des ministres, ni dans aucun des groupes du Conseil rassemblant les États parties au statut. Il a été acté le 23 mars que la Convention européenne des droits de l’homme <a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/-/russia-ceases-to-be-a-party-to-the-european-convention-of-human-rights-on-16-september-2022">ne s’applique plus à la Russie</a> et ne protège donc plus ses ressortissants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1506607961816408070"}"></div></p>
<p>Cette décision est totalement inédite tant le jugement de la Cour des droits de l’Homme est <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/chronique-cedh-suspension-de-federation-de-russie">« une arme dont il ne faut surtout priver le justiciable quand l’État se laisse entraîner dans des dérives autoritaires »</a>. Cette arme a disparu même si les affaires contre la Russie, au nombre de 18 000, seront traitées jusqu’au 16 septembre prochain, date à laquelle le juge russe quittera la Cour. Le retrait de la Russie posera toute une série de défis juridiques et budgétaires pour le Conseil de l’Europe.</p>
<p>Le séisme produira encore de bien nombreuses répliques dans les mois à venir…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédérique Berrod a reçu des financements de l'Union européenne dans le cadre de sa chaire Jean Monnet ou de programmes de recherche</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Birte Wassenberg ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis son entrée dans le Conseil de l’Europe en 1996, la Russie a entretenu des relations tumultueuses avec l’institution. Elle vient d’en être exclue à cause de l’invasion de l’Ukraine.Frédérique Berrod, Professeure de droit public, Sciences Po Strasbourg – Université de StrasbourgBirte Wassenberg, Professeure en histoire contemporaine à Sciences Po Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1801602022-04-05T18:46:04Z2022-04-05T18:46:04ZChanger de constitution pour changer de régime ?<p>Contrairement à ce que pourrait laisser penser une observation rapide du débat public à l’occasion de la prochaine élection présidentielle, la question du passage à une nouvelle République <a href="https://theconversation.com/debat-sortir-de-la-v-republique-une-fausse-bonne-idee-175162">n’est ni récente</a>, ni l’apanage de certains candidats à la fonction suprême.</p>
<p>Dès les premières années de la V<sup>e</sup> République, le « coup d’État permanent » que permettait le nouveau régime fut dénoncé par un certain… <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Coup_d%27%C3%89tat_permanent">François Mitterrand</a>. Et si ce dernier s’est finalement coulé à merveille dans des institutions autrefois honnies, nombreux sont aujourd’hui les <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-la-6e-republique-pourquoi-comment-de-bastien-francois">chercheurs</a>, mais aussi les <a href="https://www.pouruneconstituante.fr/">mouvements citoyens</a>, qui en appellent à un changement de constitution, sans parler des candidatures qui font cette proposition à chaque élection présidentielle.</p>
<p>Dans une société démocratique, les textes constitutionnels visent à encadrer l’action du pouvoir de sorte à garantir qu’il s’exerce conformément à la volonté du peuple souverain. Cela passe en France, en particulier, par le respect par les gouvernants des droits fondamentaux et par l’interdiction de concentrer le pouvoir dans les mains d’un seul, comme le rappelle la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000697056/2022-03-23/">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789</a> :</p>
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<p>« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » </p>
</blockquote>
<p>C’est donc moins à sa capacité à assurer la stabilité du régime, qu’à la façon dont elle garantit – ou non – la représentativité des institutions qu’il faut juger une Constitution.</p>
<p>Et, de ce point de vue, le texte actuel ne remplit pas véritablement sa fonction. Quand, scrutin après scrutin, le <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1255">taux de participation électorale</a> ne cesse de <a href="https://theconversation.com/la-cause-cachee-de-la-montee-de-labstention-180152">s’effriter</a>, quand la composition sociale de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais également, de plus en plus, de leurs électeurs, ne reflète qu’une <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/origines-elections">minorité de la société française</a> – l’Assemblée nationale ne compte que 4,6 % d’employés et aucun ouvrier alors que ces catégories socio-professionnelles sont majoritaires) – quand la révolte des classes populaires « en gilets jaunes » de l’hiver 2018 tourne aussi rapidement à la confrontation violente, que reste-t-il de la représentativité des gouvernants ?</p>
<p>Certes, la constitution actuelle ne saurait être la seule explication à cette crise institutionnelle. Mais en raison de sa fonction d’organisation de l’exercice du pouvoir d’État, elle en est nécessairement l’une des plus déterminantes.</p>
<h2>Une centralisation du pouvoir toujours plus forte</h2>
<p>Depuis 1958, la constitution organise invariablement une centralisation du pouvoir largement fondée sur l’hégémonie du pouvoir exécutif au sein de l’appareil d’État. Il n’est qu’à rapprocher la liste des pouvoirs que le Président peut actionner sans autorisation prévue à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527482">l’article 19</a> de la constitution et l’irresponsabilité qui caractérise son statut à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527561">l’article 67</a> de la même constitution.</p>
<p>Pourtant, la volonté de maintenir un régime dans lequel le gouvernement devait avoir les moyens de sa politique aurait dû en principe réserver au parlement une place de choix pour partager la fonction législative avec un gouvernement responsable devant lui. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/statistiques-de-l-activite-parlementaire">Moins de la moitié des lois adoptées sont d’origine parlementaire</a> alors que les propositions de loi sont beaucoup plus nombreuses que les projets de loi d’origine gouvernementale.</p>
<p>Mais toute une série de dispositifs constitutionnels accumulés au cours de la longue existence du régime ont donné à ce dernier une légitimité passant désormais exclusivement par le président de la République, quitte à enjamber le pouvoir législatif. On pense ainsi à l’abandon de l’investiture obligatoire des gouvernements, le pouvoir de révocation du gouvernement par le président, le fait majoritaire renforcé par le quinquennat et l’inversion du calendrier rendant fictive la responsabilité gouvernementale et improbable une nouvelle cohabitation.</p>
<p>Le gouvernement, c’est-à-dire le pouvoir exécutif, étant à l’initiative de l’écrasante majorité des projets de lois et maître de l’ordre du jour des assemblées, il dispose de tous les moyens de contrôler le travail parlementaire et de faire voter les textes qu’il souhaite, y compris en brusquant les débats en séance publique. On rappellera la tentative de coup de force du gouvernement Édouard Philippe à la veille de la crise sanitaire pour faire passer la réforme des retraites par <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/273878-edouard-philippe-29022020-recours-article-49-3-reforme-des-retraites">l’article 49-3 forçant l’adoption sans débat du projet gouvernemental</a>.</p>
<p>Le gouvernement a aussi la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/l-exercice-du-droit-d-amendement-et-annexe">possibilité de limiter</a> voire d’interdire le dépôt d’amendements, de demander une seconde délibération, jusqu’à l’engagement de sa responsabilité sur le vote d’une loi, les moyens de pressions sur les députés et sénateurs sont nombreux et variés.</p>
<p>S’y ajoutent un mode de scrutin très majoritaire et une opportune <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000404920/">« inversion du calendrier »</a> qui a consolidé la subordination de la majorité parlementaire au pouvoir exécutif. Ainsi dépossédé de l’essentiel de sa fonction, le parlement ne peut plus être le lieu privilégié du débat public sur les grandes orientations politiques de la Nation, un lieu où s’exprimerait une réelle diversité de points de vue.</p>
<h2>Le pouvoir judiciaire, « simple autorité »</h2>
<p>La situation du pouvoir judiciaire n’est guère plus enviable. Ravalé au rang de simple « autorité » <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527555">dans les termes de la constitution elle-même</a>, il n’est pas suffisamment à l’abri de l’influence du gouvernement, qui conserve la main sur les nominations des magistrats – ses propositions ne sont soumises à l’avis conforme du conseil supérieur de la magistrature que pour les juges et non les procureurs, qui ne peuvent dès lors prétendre à la qualification d’autorité indépendante au sens <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/essentiel/affaire-moulin-contre-france-parquet-dans-tourmente">du droit européen</a> – et, surtout, les moyens des juridictions. Or le degré d’indépendance de la Justice conditionne directement l’effectivité des droits et libertés des citoyens.</p>
<p>Mais cette subordination des pouvoirs législatif et judiciaire serait impossible sans la domination exclusive du pouvoir présidentiel que permet le texte constitutionnel. Une domination garantie par une panoplie de mesures visant à définir un privilège présidentiel que la personnalisation du pouvoir n’a cessé d’amplifier.</p>
<h2>Un chef de l’État « irresponsable en tout »</h2>
<p>D’abord, le président de la République concentre en sa personne un nombre de prérogatives sans commune mesure avec ce qui se pratique dans les autres États européens dont la plupart relèvent d’une tradition parlementaire, mais, également, outre-Atlantique, où le régime présidentiel oblige toujours le chef de l’exécutif à composer avec les autres pouvoirs. Le locataire de l’Élysée, lui, est non seulement le chef de l’État, supposé garant des institutions, mais aussi le chef du gouvernement, dont il nomme et révoque discrétionnairement les membres.</p>
<p>Irresponsable en tout, en ce sens <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527561">qu’il n’a de comptes à rendre à aucun autre pouvoir</a> et notamment devant le Parlement, puisqu’il a le pouvoir de le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527474">dissoudre</a> à sa guise.</p>
<p>L’article 16 de la Constitution lui donne en outre la possibilité de s’arroger les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241008">pleins pouvoirs</a> s’il estime – seul – que sont menacées « les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ». D’autres prérogatives pour lesquelles le chef de l’État n’a aucune autorisation à demander sont <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527482">énumérées</a> dans la constitution qui toutes tendent à un exercice vertical et autoritaire du pouvoir, ce d’autant plus que depuis l’inscription dans la constitution de la désignation du président au suffrage universel direct en 1962, sa légitimité est réputée incontestable.</p>
<h2>Un pouvoir littéralement illimité</h2>
<p>Rien ne s’oppose donc plus à ce qu’il puisse faire un usage effectif de ces prérogatives, qui lui confèrent un pouvoir littéralement illimité puisqu’il s’exerce sans que puissent s’y opposer ni les autres pouvoirs ou autorités constitués. Ainsi la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19425-la-procedure-de-destitution-du-president-de-la-republique">destitution</a> serait la seule option, mais elle demeure d’usage assez improbable.</p>
<p>Ni le pouvoir législatif ou judiciaire, ni le peuple lui-même, à l’occasion d’une élection intermédiaire défavorable ou d’un référendum négatif, exceptée l’unique occurrence de 1969, quand le peuple s’est opposé à la révision constitutionnelle proposée par le Général de Gaulle. Le référendum auquel cette révision du Sénat et des régions a donné lieu ayant été négatif, le Général de Gaulle en tiré les conséquences et a démissionné de ses fonctions.</p>
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<figcaption><span class="caption">Démission du général de Gaulle, YouTube/INA.</span></figcaption>
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<p>C’est le lot d’un chef juridiquement irresponsable, mais doté des pouvoirs les plus puissants. Tout dans le texte de la constitution concourt donc à en faire un dirigeant sans partage, contrairement à l’idée que l’on peut se faire d’un régime démocratique où le peuple demeure souverain même entre deux élections présidentielles et où les autres pouvoirs jouent, parce qu’ils sont distincts du pouvoir exécutif, leur rôle de contrepoids.</p>
<h2>L’hégémonie de l’État central</h2>
<p>Enfin, le texte constitutionnel organise aujourd’hui une très large centralisation du pouvoir qui, en tant que telle, rend difficile l’expression des opinions divergeant de celles des classes dirigeantes. Cette centralisation se fonde d’abord sur l’hégémonie de l’État central sur toutes les autres institutions publiques.</p>
<p>En dépit des réformes intervenues depuis 1982, et de la consécration formelle du principe de leur « libre administration », les collectivités locales n’ont qu’un pouvoir d’influence très limité dès lors que leurs dotations restent presqu’entièrement décidées par Bercy.</p>
<p>Sur fond d’austérité budgétaire persistante, la décentralisation s’est ainsi régulièrement traduite par le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2009/12/BONELLI/18585">recul des services publics qui leur étaient confiés</a>, ce qui n’est certes pas de nature à rapprocher les citoyens des autorités… Il en est de même pour d’autres organismes publics censément indépendants et officiellement investis d’une fonction de contre-pouvoir, mais qui, à l’image de l’Université ou de la Justice, ne sont pas dotés des moyens à la hauteur de leurs missions.</p>
<p>C’est dire si, d’un point de vue démocratique, les raisons pour modifier profondément la constitution et changer de régime ne manquent pas, que l’on en appelle ou non à une « VIᵉ République ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Girard est membre du Think tank "Intérêt général. La fabrique de l'alternative" </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La constitution actuelle ne saurait être la seule explication à la crise institutionnelle que traverse la France, mais elle en est l’une des plus déterminantes.Charlotte Girard, Maîtresse de conférences en droit public, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresVincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1751622022-03-20T17:52:25Z2022-03-20T17:52:25ZDébat : Sortir de la Vᵉ République, une fausse bonne idée ?<p>Le candidat Jean‑Luc Mélenchon et son parti, La France Insoumise, ont appelé dimanche 20 mars à une marche parisienne en soutien à un changement de république. En effet, la VI<sup>e</sup> république est programme du candidat Insoumis depuis plusieurs années déjà. Est-ce une idée envisageable ? Et si oui, en quoi consisterait-elle ?</p>
<p>Comme le disait Charles de Gaulle, le fondateur de la V<sup>e</sup> République, dans sa <a href="https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?irId=FRAN_IR_054957&udId=d_2_1_5_2_3&details=true">conférence de presse</a> du 31 janvier 1964 : « Une constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique ». Ce n’est donc pas seulement un texte juridique pétrifié.</p>
<p>La Constitution de la V<sup>e</sup> République, née à l’automne de 1958, va bientôt devenir la plus durable de notre histoire puisqu’en 2023 elle égalera les 65 ans d’exercice des lois constitutionnelles de la III<sup>e</sup> République, <a href="https://www.lgdj.fr/l-ecriture-des-lois-constitutionnelles-de-1875-9782275092980.html">adoptées en février-juillet 1875</a>.</p>
<p>Il s’agit là sans doute du signe que, de toutes nos constitutions (une quinzaine depuis 1791), elle n’est sans doute pas la moins inadaptée à son temps. Néanmoins, la question d’en sortir éventuellement revient régulièrement et, en l’occurrence, chez certains candidats à l’élection présidentielle de 2022 (par exemple Arnaud Montebourg, Christiane Taubira ou Jean‑Luc Mélenchon).</p>
<p>Habitude bien française, du reste, d’imaginer que la résolution des difficultés qui touchent le pays pourrait advenir quasi miraculeusement de la <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2018-3-page-139.htm">modification</a>, voire d’un changement, de notre texte constitutionnel.</p>
<p>Au contraire de bien des démocraties de référence, chez lesquelles la loi constitutionnelle s’avère presque intouchable, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/pouvoir-executif-et-pouvoir-legislatif-au-royaume-uni">par exemple au Royaume-Uni</a> ou aux États-Unis d’Amérique, la République française n’a jamais craint de la modifier. Cela s’est fait certes, très rarement, <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe85009681/de-gaulle-et-le-referendum-la-crise">mais de manière décisive</a>, sous le général de Gaulle avec, en novembre 1962, le choix de l’élection du président de la République au suffrage universel.</p>
<p>De même sous Valéry Giscard d’Estaing et avec l’importante loi constitutionnelle du 29 octobre 1974 permettant la saisine du Conseil constitutionnel par 60 parlementaires.</p>
<p>Ensuite, notre pays a été touché d’une étrange habitude, la <a href="https://www.vie-publique.fr/dossier/267859-les-revisions-de-la-constitution-sous-la-ve-republique">« révisionnite aiguë »</a>, puisque depuis les années 1980, c’est à plus d’une vingtaine de modifications que l’on a assistée, la plus considérable étant celle produite par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 visant à moderniser les institutions et initiée par <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/268318-la-reforme-de-2008-sur-la-modernisation-des-institutions">Nicolas Sarkozy</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les grandes réformes de Valéry Giscard d’Estaing ont aussi touché à la Constitution (INA).</span></figcaption>
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<p>Bon nombre de projets ont également échoué. Ce fut le cas de la tentative de Georges Pompidou, en 1973, de passer au quinquennat, mais qu’il abandonna considérant que la majorité des 3/5 ne serait jamais atteinte au Congrés.</p>
<p>L’actuel chef de l’État <a href="https://www.vie-publique.fr/reforme-constitutionnelle">lui-même dut abandonner</a>, en raison de l’opposition des sénateurs, son projet de révision lancé en mai 2018 pour réduire le nombre des parlementaires, instiller une dose de proportionnelle, et statuer sur la limite de certains mandats dans le temps.</p>
<h2>Modifier, voire changer la Constitution ?</h2>
<p>De quoi parle-t-on quand on évoque une modification de la Constitution ? De son esprit ? Qui vise à permettre à un exécutif volontariste d’agir et de réformer ? C’était bien l’objectif du Général en 1958, ainsi que des hommes qui, à ses côtés, tel Michel Debré, en furent à l’origine.</p>
<p>Depuis la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle, bon nombre d’esprits lucides – entre autres, le président de la République Alexandre Millerand, le socialiste Joseph Paul-Boncour, le président du Conseil André Tardieu ou encore le député René Coty – avaient compris et appelé à une réforme de l’État afin de doter l’exécutif de « la <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2016-2-page-233.htm">force de gouverner</a> ».</p>
<p>Le premier bénéficiaire en fut, au milieu des années 1930, le président du Conseil avec l’émergence de ce que l’historien Nicolas Roussellier appelle le <a href="https://www.sciencespo.fr/actualites/actualit%C3%A9s/force-de-gouverner/1718">« modèle Matignon »</a>, c’est-à-dire d’une administration organisée autour du chef du gouverner lui permettant de diriger véritablement l’action du cabinet.</p>
<p>1958 consista en une innovation considérable en ce sens que le renforcement de l’exécutif fut produit au profit du président de la République. Cet esprit fut salué par les Françaises et les Français qui, même lorsque tous les partis politiques – à l’exception des gaullistes et des giscardiens – s’y opposèrent, en 1962, à l’occasion du référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel, suivirent de Gaulle et <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2004-3-page-45.htm">adoptèrent sa proposition</a>.</p>
<p>Fondamentalement, cet esprit gaullien n’a pas disparu, en dépit des événements comme les cohabitations ou l’établissement du quinquennat. Les enquêtes montrent combien nos concitoyens restent farouchement <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2021-12-page-41.htm?contenu=article">attachés à cet esprit d’efficacité</a>.</p>
<h2>Une interrogation sur un nouveau texte</h2>
<p>Modifier le texte ou même l’éliminer pour le remplacer par un autre ? L’exercice est périlleux. L’écriture puis l’adoption d’une nouvelle Constitution soulèveraient tellement de questions que cela ouvrirait une période très incertaine.</p>
<p>À écouter et lire les projets des « réformistes » et autres adeptes d’une putative VI<sup>e</sup> République, on ne peut s’empêcher d’être pris d’une légitime interrogation. Tous revendiquent une réhabilitation notable des pouvoirs du Parlement et certains, par le recours à un système électoral puissamment proportionnel, un éclatement définitif du système majoritaire.</p>
<p>S’engager sur cette voie du retour à la délibération parlementaire induirait accepter que comme, sous la III<sup>e</sup> République, la loi fût le fruit du compromis.</p>
<p>Or, ces mêmes qui revendiquent cette « re-parlementarisation » de la République (oubliant que notre V<sup>e</sup> République est un <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38013-comment-caracteriser-le-regime-politique-de-la-ve-republique">régime parlementaire</a> souhaitent appliquer, dans d’autres domaines, un programme souvent radical dont ils ne sont pas près du tout à accepter que sous l’effet de la discussion et du compromis, celui-ci soit édulcoré. On le voit, par exemple, dans la déclaration récente de Jean‑Luc Mélenchon annonçant qu’en cas de victoire, il ferait sortir la France du nucléaire par sa seule décision, sans débat ni référendum.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504071401908625410"}"></div></p>
<p>Souhaiter que le Parlement redevienne le lieu principal de la création législative, dans un cadre non majoritaire, c’est aussi se soumettre à la discussion et à un travail d’écriture en prenant suffisamment en considération l’opinion des autres groupes, pour aboutir à une adoption. Rien ne montre que cette attitude soit celle des pourfendeurs de notre Constitution.</p>
<h2>Changer de pratique</h2>
<p>Enfin, qu’en serait-il d’une modification de la pratique ? C’est ce qui parait le plus faisable et sans trop de risques. À cet égard, le texte de 1958 a démontré, depuis longtemps, sa grande souplesse et son adaptabilité à toutes sortes de situations politiques : décolonisation, guerres, troubles civils, démission (souvenons-nous de Gaulle de en 1958) ou disparition de chefs d’État, cohabitations, majorité parlementaire large ou étroite voire relative, référendums gagnés ou perdus, dissolutions heureuses ou malheureuses, harmonie des deux chambres ou au contraire conflit entre elles, etc.</p>
<p>Du reste, depuis les années 1960, cette pratique a-t-elle connu autre chose qu’une évolution ? Qu’une adaptation aux époques et à leurs contraintes ? Dans le quotidien des relations entre l’Exécutif et le Parlement, des modifications sont envisageables (ne pas brusquer le temps législatif, accepter les amendements y compris ceux de l’opposition lorsqu’ils améliorent le texte, etc.) afin que le premier permette au second d’agir avec un peu plus d’espace dans la fabrication de la loi, son évaluation et le contrôle de l’action gouvernementale.</p>
<p>Encore faudrait-il que la majorité se trouve face à une opposition qui accepte de prendre sa part à ces nouveautés et ne s’enkyste pas au contraire, pour des raisons électoralistes, dans un refus radical de prendre part à un certain partage des responsabilités.</p>
<p>Certains, il y a un siècle, devant les difficultés, s’écriaient « L’Allemagne paiera ! », brandissant cette sorte de pensée magique pour éviter toute réflexion complexe sur la situation. On a parfois l’impression que ceux qui aujourd’hui, pour reprendre le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zufecNrhhLs">mot de Gaulle</a>, « sautent sur leur chaise comme des cabris » en disant « La VI<sup>e</sup> République ! La VI<sup>e</sup> République ! » ne font guère plus avancer le débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175162/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Bellamy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La question de sortir de la constitution de 1958 revient régulièrement : pour quel résultat ?David Bellamy, Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Picardie-Jules Verne, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1749802022-01-16T17:15:58Z2022-01-16T17:15:58ZDisruption ou irruption ? La République dans l’impasse présidentielle<p>Il est tard, bien tard pour réparer ce qui, selon nous, restera l’erreur fondamentale du quinquennat d’Emmanuel Macron : n’avoir pas entrepris dès son élection une réforme des institutions afin de les mettre au diapason d’une France qui doute d’elle-même et de ses élus.</p>
<p>Il avait certes réussi un fameux « coup du roi » en faisant, d’un seul et premier tir, tomber dans ses bras la magistrature présidentielle. Son irruption surprise a fait voler en éclat le vieux système des partis dominants : exclus du jeu de l’alternance qui les rendait épisodiquement maîtres du jeu, privés du commode saute-mouton sur le dos de l’extrême droite, brouillés dans leurs repères par un Président qui s’affirmait et de droite et de gauche, subissant mécaniquement un lourd revers lors des législatives, ceux-ci n’étaient pas seulement défaits, ils risquaient <a href="https://theconversation.com/macron-la-french-deconnexion-89058">l’effondrement</a>.</p>
<p>La vague de « dégagisme » qu’avait habilement épousée le vainqueur les rendait gravement vulnérables. Restait au nouveau Président à profiter de cet affaiblissement pour réaliser son programme de campagne : élu sur une promesse de disruption, il lui fallait au moins mettre en route les moyens de la provoquer et tracer la voie d’une reconstruction de la légitimité des gouvernants. « Tout l’art de la politique, <a href="http://evene.lefigaro.fr/citation/tout-art-politique-servir-conjectures-29756.php">disait Louis XIV</a>, est de se servir des conjonctures. »</p>
<p>Mais la vague intention fut vite oubliée. Dès septembre 2017, on laissa dans l’indifférence les partis se refaire un début de santé en s’appuyant sur leurs bastions lors des <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/senatoriales/">sénatoriales</a>. On se garda bien de transformer en <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-sociologie-politique-de-la-france--9782200628727-page-97.htm">véritable parti</a> le mouvement original qui avait appuyé l’élection présidentielle. Et l’on succomba à la tentation d’un <a href="https://theconversation.com/traverses-presidentielles-le-caillou-dans-la-chaussure-du-president-macron-93871">président démiurge</a> concentrant la plénitude de l’espace et de la décision politiques.</p>
<h2>Désalignement des élus et des citoyens</h2>
<p>Ignorer le caractère illusoire de cette vision n’était pas la meilleure manière de restaurer la confiance entre élus et citoyens. Après une année tranquille, le pays entra dans une phase de turbulences dont il ne sortira plus, de gilets jaunes en réforme des retraites, d’antivax en antipasse… Entre violences sociales et violences verbales, s’enracine dans le pays une croyance à l’impuissance du politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-2022-comment-les-candidats-a-lelection-presidentielle-se-sont-saisis-de-la-colere-des-francais-174171">En 2022, comment les candidats à l’élection présidentielle se sont saisis de la colère des Français</a>
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<p>À une brève euphorie succède un climat profondément dysphorique, installant un véritable mur de méfiance et entraînant une montée constante des abstentions qui frisent les <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/taux-de-participation-definitifs-au-second-tour-elections-des-20-et-27-juin">deux tiers</a> du corps électoral lors des régionales !</p>
<p>Cette désaffection croissante traduit en creux <a href="https://theconversation.com/les-partis-politiques-peuvent-ils-se-relever-des-crises-150763">l’effondrement des vieux partis dominants</a>.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-gauche-francaise-vit-elle-son-tournant-americain-174065">Particulièrement à gauche</a>, où tous les candidats à la présidentielle réunis atteignent péniblement 25 % des intentions de vote dans les sondages. La soustraction est particulièrement lourde pour les socialistes auxquels l’extinction de voix interdit même de trouver une candidature crédible pouvant prétendre au rassemblement.</p>
<p>La droite de gouvernement, moins fracturée en apparence, paraît mieux résister. Malgré cette impression relative de <a href="https://esprit.presse.fr/article/vincent-tiberj/a-force-d-y-croire-la-france-s-est-elle-droitisee-43763?s=09&utm_source=pocket_mylist">droitisation</a>, la situation des Républicains reste fragile et instable, tiraillés qu’ils sont entre un centre qui regarde vers Macron et une extrême droite qui, réunie, est estimée à 30 % et exerce un fort tropisme sur son autre flanc.</p>
<h2>Vers un nouveau choix par défaut ?</h2>
<p>L’image d’Emmanuel Macron reflète cette situation fracturée et incertaine de désalignement vis-à-vis des partis. D’un côté, il tire le juste bénéfice de sa fermeté internationale et de sa gestion de la crise sanitaire, avec ce « quoiqu’il en coûte » qui atténue son étiquette libérale. Cela lui permet de se maintenir à un niveau de satisfaction envié : le tableau de bord de <a href="https://www.ifop.com/publication/le-tableau-de-bord-des-personnalites-paris-match-sud-radio-ifop-fiducial-janvier-2022/">janvier</a> des personnalités Paris Match/Sud Radio-IFOP/Fiducial le crédite de 43 % d’approbation de son action.</p>
<p>Mais dans la même enquête, 70 % des Français estiment qu’il n’est pas proche de leurs préoccupations. <a href="https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-les-opposants-a-emmanuel-macron-dans-le-cadre-de-lelection-presidentielle-de-2022/">Un sondage concomitant</a> IFOP pour le JDD indique qu’aucun de ses opposants déclarés ou potentiels ne ferait mieux que lui : Valérie Pécresse, par exemple, ne se voit reconnaître cette qualité que par 17 % des sondés, 53 % considérant qu’elle ne ferait ni mieux ni moins bien !</p>
<p>Absence de réelle concurrence donc, qui relativise lourdement la primauté du Président en exercice, et qui risque de déboucher sur un nouveau choix par défaut. D’autant que dans tous les baromètres, Emmanuel Macron reste fixé <a href="https://elabe.fr/presidentielle-2022-7/">entre 23 et 26 %</a> d’intentions de vote, soit un score reproduisant celui de 2017. Un quart des exprimés, une abstention en hausse, moins de 17 % des inscrits, voilà qui n’augure pas d’un renforcement de sa légitimité en cas de réélection.</p>
<h2>La perte du sens de l’élection</h2>
<p>Tout le quinquennat a été marqué par un procès en illégitimité contre le Président, perçu comme élu dans une logique de rejet plus que d’adhésion. Et rien n’indique donc qu’on en ait tiré les conséquences. Pourtant, voici déjà vingt ans qu’une sirène d’alarme avait violemment retenti. Souvenons-nous du <a href="https://theconversation.com/discordance-des-temps-le-resistible-declin-du-regime-de-la-v-republique-125148">21 avril 2002</a> : un président sortant rassemblant moins de 20 % des exprimés, un chef du gouvernement peu contesté pendant cinq ans éjecté dès le premier tour, près de 30 % d’abstention…</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean‑Marie Le Pen arrive au second tour des élections le 21 avril 2002, archives INA, France 2.</span></figcaption>
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<p>Il n’était pas difficile de voir que le régime était à un tournant. La V<sup>e</sup> République avait alors montré sa capacité à exprimer autre chose qu’un présidentialisme exacerbé, en autorisant une gestion plurielle de la politique, un jeu institutionnel plus équilibré que la monarchie républicaine qu’on avait voulu en faire. Au lieu d’intégrer l’évolution, on s’est livré à ce que j’avais appelé, dans un article tragiquement anticipateur, la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/02/05/gymnopolis_4210466_1819218.html">« gymnopolitique »</a> : cette inversion du calendrier électoral qui enchaînait mécaniquement les élections législatives au résultat de la présidentielle et qui, interdisant aux Français de s’exprimer sur le bilan de la législature, dévitalisait le scrutin.</p>
<p>Et comment ne pas avoir anticipé que les différentes sensibilités composant la majorité parlementaire sortante prétendraient défendre leurs couleurs pour peser sur le débat ? L’écrasante logique majoritaire binaire aura raison de ce que seule une <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/video-les-motse-la-campagne-presidentielle-de-2022-proportionnelle_4780031.html">proportionnelle</a> aux élections législatives permettrait de respecter.</p>
<h2>Couper le cordon</h2>
<p>Pourtant, la vie politique française s’est poursuivie en exacerbant son hyperprésidentialisation qui pourrait se résumer ainsi : « le Président de la République concentre l’essentiel du pouvoir, or le Président ne résout pas nos problèmes, donc nous n’avons pas confiance dans le Président. »</p>
<p>Néanmoins, cette triple assertion n’est ni fondée juridiquement, ni inéluctable politiquement. <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quelle-place-la-constitution-fait-elle-au-president-de-la-republique">La constitution de 1958</a> donne les bases d’un régime parlementaire rationalisé, aucunement présidentiel.</p>
<p>Paradoxalement, ce sont ceux contre qui le régime s’est mis en place, les partis politiques, qui ont imposé et entretenu cette lecture et transformé les partis en machines électorales sans projet ni vision. Ils en sont morts cérébralement, tant il est devenu évident qu’un individu seul, ne paraît plus aujourd’hui en situation de représenter la pluralité citoyenne.</p>
<h2>Sauver la démocratie</h2>
<p>Il y a donc un préalable à toute régénération des institutions, sans qu’il soit besoin de recourir à une amphigourique VI<sup>e</sup> République : redonner souplesse, liberté de mouvement, représentativité, aux différents rouages de l’État. Seul un acte symbolique fort, accompagné d’un programme de réformes, pourra marquer cette intention.</p>
<p>Il faut couper la corde qui étrangle le Parlement, et dissocier les élections législatives de la présidentielle (les élections législatives sont actuellement prévues pour les 12 et 19 juin 2022).</p>
<p>L’opportunité s’en offre aujourd’hui : le Président pourrait dissoudre l’Assemblée nationale à la fin de février, et organiser le premier tour des législatives en même temps que celui de la présidentielle. De la sorte, le second tour de la désignation de députés aurait lieu avant que l’on connaisse le nouveau président.</p>
<p>Il y aurait là un signe fort de la volonté de combler sans tarder le fossé entre le pays citoyen et le pays électif. L’affaire est urgente : dans une enquête d’Harris Interactive publiée par Challenges en décembre 2021, <a href="https://www.challenges.fr/politique/pourquoi-il-faut-sauver-la-democratie_792492">61 % des sondés</a> estiment que la démocratie est en danger. Si le sentiment de frustration des Français continue de croître, on court le risque d’une rupture totale de la confiance entre les gouvernés et les gouvernants. Puisque l’image monarchique reste prégnante, laissons le mot de la fin à Louis XIV, qui écrivait dans ses mémoires : « Pour venir à bout des choses, le premier pas est de le croire possible. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De 2002 à 2022, le système politique n’a pas cherché à sortir d’un schéma où le président concentre les pouvoirs au détriment d’une volonté de rupture clairement affichée par l’électorat.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.