tag:theconversation.com,2011:/us/topics/justice-internationale-20702/articlesjustice internationale – The Conversation2024-01-11T14:27:15Ztag:theconversation.com,2011:article/2207272024-01-11T14:27:15Z2024-01-11T14:27:15ZIsraël devant la Cour internationale de justice : celle-ci est-elle devenue un substitut à un Conseil de sécurité dysfonctionnel ?<p>Le 29 décembre, l’Afrique du Sud a déposé devant la <a href="https://www.icj-cij.org/fr/accueil">Cour internationale de justice</a> (CIJ), une <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20231228-app-01-00-en.pdf">Requête introductive d’instance</a> contre l’État d’Israël. </p>
<p>La Requête stipule que ses actions dans la bande de Gaza, initiées au nom de son droit à la légitime défense, dans la foulée des attaques menées par le Hamas le 7 octobre 2023, revêtaient « un caractère génocidaire ».</p>
<p>La CIJ a tenu des audiences publiques sur la requête le 11 et 12 janvier à La Haye. </p>
<p>Le fait que <a href="https://theconversation.com/south-africas-genocide-case-against-israel-expert-sets-out-what-to-expect-from-the-international-court-of-justice-220692">l’Afrique du Sud ait choisi de déposer sa requête devant la CIJ</a> n’est pas anodin. En effet, non seulement le bureau du procureur de la <a href="https://www.icc-cpi.int/fr">Cour pénale internationale</a>, qui enquête sur la situation en Palestine depuis plusieurs années, <a href="https://theconversation.com/la-guerre-a-gaza-la-cour-penale-internationale-et-la-lutte-contre-limpunite-219523">n’aboutit pas à des résultats concrets</a>, mais le Conseil de sécurité, l’organe qui devrait être le principal garant du maintien de la paix et de la sécurité internationale, apparaît foncièrement <a href="https://theconversation.com/gaza-war-deadlock-in-the-security-council-shows-that-the-un-is-no-longer-fit-for-purpose-219772">dysfonctionnel</a>. </p>
<p>À l’inverse, la CIJ en est venue à jouer un rôle de plus en plus diligent. <a href="https://www.ejiltalk.org/provisional-but-not-always-pointless-compliance-with-icj-provisional-measures/">Au cours des 10 dernières années</a>, la Cour a ainsi prononcé plus d’ordonnances (11) que durant ses cinquante premières années d’existence (10).</p>
<p>Mes travaux sur la <a href="https://www.pulaval.com/livres/de-la-responsabilite-de-proteger-les-populations-menacees-l-emploi-de-la-force-et-la-possibilite-de-la-justice">responsabilité de protéger</a> et sur le <a href="https://www.cairn.info/annuaire-francais-de-relations--9782376510550-page-95.htm">droit de la guerre</a> m’ont conduit à porter une attention particulière aux modes alternatifs de règlement des différends, notamment par l’intermédiaire des tribunaux internationaux. Deux organes sont fréquemment mentionnés : la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale (CPI).</p>
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<img alt="Des personnes sont assises de chaque côté dans une vaste pièce" src="https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Cour internationale de justice lors d’une audience.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(UN Photo/CIJ-ICJ/Frank van Beek)</span></span>
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<h2>Des compétences différentes</h2>
<p>La CIJ est le principal organe judiciaire de l’Organisation des Nations unies (ONU). Elle dispose d’une compétence universelle sur les différends d’ordre juridique pouvant survenir entre États. </p>
<p>De son côté, la CPI tire sa compétence d’un traité entré en vigueur en 2002, et dont Israël n’est pas signataire. Ses responsabilités sont d’enquêter et de poursuivre des personnes physiques pour crimes graves de droit international (crimes contre l’humanité, crimes de guerre, génocides et crimes d’agression).</p>
<p>Alors que la CIJ doit être sollicitée par un État avant de pouvoir se saisir d’un contentieux, comme c’est le cas avec la démarche engagée par l’Afrique du Sud, la CPI dispose de l’autorité pour ouvrir une enquête et éventuellement déposer une accusation contre un individu.</p>
<h2>Avant Israël, la Russie</h2>
<p>Dans sa requête contre Israël, l’Afrique du Sud avance que les actions de l’État hébreu (et son défaut de prendre des mesures pour contrecarrer les incitations « directes et publiques » à commettre de telles actions) témoigneraient « de l’intention spécifique… d’entraîner la destruction d’une partie substantielle de la population palestinienne en tant que partie d’un groupe national, racial et ethnique plus large de Palestiniens dans la Bande de Gaza ». </p>
<p>De ce fait, avance l’Afrique du Sud, Israël contreviendrait aux « obligations » lui incombant en vertu de la <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-prevention-and-punishment-crime-genocide">Convention pour la prévention et la Répression du Crime de Génocide</a>, dont elle est signataire. </p>
<p>La question que la CIJ est appelée à trancher consiste uniquement, selon l’Afrique du Sud, à déterminer si les actions qui sont identifiées dans la Requête sont ou non « susceptibles de relever des dispositions » de la Convention. La Cour n’a pas à se prononcer sur le fond à ce stade. Le cas échéant, cela pourrait prendre des années. </p>
<p>On se rappellera qu’une <a href="https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20220227-APP-01-00-FR.pdf">Requête</a> similaire avait également été déposée par l’Ukraine contre la Russie dans la foulée de l’« opération militaire spéciale » initiée par cette dernière le 24 février 2022. </p>
<p>La Russie était alors accusée d’avoir mensongèrement allégué « que des actes de génocide avaient été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk » afin de lui permettre de justifier une intervention armée. L’Ukraine affirmait que cette intervention avait engendré « des violations graves et généralisées des droits de la personne de la population ukrainienne ». Dès le 16 mars 2022, la CIJ rendait son <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20220316-ord-01-00-fr.pdf">Ordonnance</a> et intimait à la Russie de « suspendre immédiatement les opérations militaires ».</p>
<h2>Les limites de la CIJ</h2>
<p>Dans le cas de la requête de l’Afrique du Sud, une ordonnance de la CIJ pourrait suivre au cours des prochaines semaines étant donné l’urgence de la situation.</p>
<p>Or, il ne faut pas faire preuve de trop d’optimisme. Car même dans le cas où la Cour indiquerait comme mesure conservatoire la suspension immédiate des opérations militaires, comme elle l’a fait dans le cas de l’Ukraine, et même si cette ordonnance avait bel et bien un « caractère obligatoire », comme l’a avancé la Cour en 2001 dans une autre <a href="https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/104/104-20010627-JUD-01-00-FR.pdf">affaire</a>, cela ne signifierait pas que la situation sur le terrain soit appelée à changer. </p>
<p>Malgré leur caractère obligatoire, les mesures d’exécution sont souvent difficiles à mettre en œuvre dans des situations hautement sensibles et controversées.</p>
<h2>Le nouveau rôle des pays tiers</h2>
<p>Ce qui est relativement nouveau, c’est que la Cour internationale de justice accepte désormais d’entendre des requêtes, telle celle parrainée par l’Afrique du Sud, présentées par un État partie à un traité ou une convention, qui allèguent un manquement à ses obligations <em>erga omnes partes</em>. De telles obligations reposent en effet sur les valeurs que les États partagent en commun et que tout État a donc un intérêt à faire respecter, sans égard au fait d’avoir ou non soi-même subi les conséquences d’un manquement.</p>
<p>Ainsi, en 2019, la Gambie a déposé une <a href="https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/178/178-20191111-APP-01-00-FR.pdf">Requête</a> contre le Myanmar, concernant ses actions envers les membres de la communauté rohingya. C’est aussi sur cette base d’obligations <em>erga omnes partes</em> que le Canada et les Pays-Bas ont déposé en juin 2023 une <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/188/188-20230608-req-01-00-fr.pdf">Requête</a> contre la Syrie l’accusant de contrevenir à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.</p>
<p>La reconnaissance par la CIJ de telles obligations <em>erga omnes partes</em> revendiquées par un État n’étant pas directement impliqué apparaît comme une innovation majeure. Elle permet, à défaut d’empêcher en amont qu’un État ne contrevienne à ses obligations, de lui rappeler en aval et publiquement ses obligations. </p>
<h2>Assumer un rôle émergent en maintien de la paix</h2>
<p>Au-delà de la question qu’aura à trancher la Cour, le plus important reste le rôle que les États semblent désormais vouloir lui faire jouer en lui soumettant de telles requêtes. La CIJ a compétence en matière de règlement pacifique des différends et, par extension, elle a un rôle à jouer dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Mais si ses ordonnances ne sont pas suivies d’effets, sont-elles seulement destinées à marquer les esprits, ce qui contribuerait à politiser la justice internationale ?</p>
<p>S’il est certes douteux qu’une ordonnance incite un État à mettre un terme à sa conduite et à ses activités sur le terrain, la procédure elle-même demeure toutefois importante. Elle peut permettre de documenter une situation et d’établir les faits d’une manière telle qu’il pourrait être plus difficile d’en faire abstraction par la suite. </p>
<p>Ainsi, dans le cas de la Syrie, l’<a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/188/188-20231116-ord-01-00-fr.pdf">Ordonnance</a> rendue par la Cour la sommait de prendre « toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir les actes de torture et autres… traitements cruels, inhumains ou dégradants », et lui intimait de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation de tous les éléments de preuve relatifs aux allégations ». Ces éléments pourraient ultérieurement être utilisés dans le cadre de procédures judiciaires ou afin de justifier des réparations.</p>
<p>À cet égard, la Cour pourrait également faciliter la création et l’accès au terrain d’une mission visant à établir les faits et à documenter les circonstances. Il s’agit là d’un aspect important du règlement des différends qui peut contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationale. </p>
<p>Le défi pour la Cour consistera à assumer ce rôle émergent en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale et à naviguer à travers ces questions d’interprétation qui demeurent éminemment politiques. Les décisions que les juges ont à prendre seront capitales pour le futur d’un ordre international qui apparaît pour le moment bien désordonné.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220727/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Thibault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Cour internationale de justice élargit de plus en plus son mandat, palliant au dysfonctionnement du Conseil de sécurité, qui devrait être le principal garant du maintien de la paix dans le monde.Jean-François Thibault, Professeur en relations internationales, École des hautes études publiques, Université de MonctonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2021622023-04-10T19:25:10Z2023-04-10T19:25:10ZL’avenir incertain de la Palestine à la Cour pénale internationale<p>Alors qu’une nouvelle vague de violence entre Israël et les Palestiniens a déjà causé la <a href="https://www.lejdd.fr/international/un-ministre-israelien-cree-la-polemique-apres-des-propos-niant-lexistence-du-peuple-palestinien-133865">mort de près de cent personnes depuis le début de l’année</a>, la Palestine continue de mobiliser la Cour pénale internationale, au regard d’événements qui se sont produits depuis 2014. Une tâche compliquée par <a href="https://theconversation.com/mandat-darret-de-la-cpi-contre-vladimir-poutine-une-victoire-pour-la-justice-internationale-202536">l’omniprésence de la question ukrainienne</a> dans les préoccupations actuelles de la communauté internationale.</p>
<p>En 2009, l’armée israélienne mène une offensive militaire, l’opération <a href="https://www.liberation.fr/planete/2009/09/09/offensive-israelienne-a-gaza-quel-est-le-vrai-bilan-humain_580435/">« Plomb durci »</a>, dans la bande de Gaza, affirmant répondre aux tirs de roquettes du Hamas qui contrôle cette partie du territoire palestinien. Près de 1 500 Palestiniens, dont 82 % de civils, et trois civils et neuf militaires israéliens sont tués. L’Autorité palestinienne (AP), dirigée par Mahmoud Abbas, prend conscience de l’impossibilité d’une relance du processus de paix, <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Quelle-solution-pour-le-conflit-israelo-palestinien.html">déjà mis à mal depuis l’arrivée au pouvoir de Benyamin Nétanyahou en 1996</a>, dès lors que la donne internationale n’aura pas significativement changé. L’AP entame alors une nouvelle stratégie internationale qui vise à investir les organisations internationales pour obtenir une reconnaissance de l’État de Palestine.</p>
<p>Cette stratégie a trois objectifs : démontrer la capacité de la Palestine à agir comme un État ; mettre fin à l’impunité des dirigeants israéliens dans le cadre de l’occupation militaire ; rééquilibrer les rapports de force entre les Israéliens et les Palestiniens pour contraindre Israël à revenir à la table des négociations.</p>
<p>La Cour pénale internationale (CPI) occupe une place centrale dans cette stratégie. Trois jours après la fin de la guerre à Gaza, le 21 janvier 2009, l’Autorité palestinienne fait une <a href="https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/74EEE201-0FED-4481-95D4-C8071087102C/279837/20090122PalestinianDeclaration2FRA.pdf">déclaration reconnaissant la compétence de la Cour</a> et demande au Procureur d’ouvrir une enquête concernant des allégations de crimes de guerre commis sur le territoire palestinien.</p>
<h2>La mobilisation de la CPI par la Palestine depuis 2009</h2>
<p>Organisation internationale basée à La Haye, la Cour pénale internationale (CPI) a pour but de lutter contre l’impunité des individus – et non des États – accusés de crimes internationaux (génocide, crime de guerre, crime contre l’humanité, crime d’agression), au regard du Statut de Rome, traité établissant la CPI adopté en 1998. Elle réunit aujourd’hui <a href="https://asp.icc-cpi.int/fr/states-parties">123 États signataires</a>, parmi lesquels l’intégralité des États de l’UE, mais pas les États-Unis, la Russie et la Chine.</p>
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<p><a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/letat-de-palestine-ratifie-le-statut-de-rome">La Palestine est le dernier membre à y avoir adhéré, en 2015</a>. Son adhésion a pris du temps en raison des débats juridiques et politiques autour de son statut étatique, le territoire palestinien étant occupé depuis 1967 par Israël. Si le morcellement de son territoire empêche l’Autorité palestinienne – en tant qu’entité gouvernementale – d’en administrer l’intégralité, <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-1-page-145.htm">cette situation n’empêche pas l’AP de mobiliser la Cour dès 2009</a> en reconnaissant sa compétence, ce qu’Israël n’a pas fait à ce jour. Dans la foulée, il appartient au Procureur de la CPI de l’époque, Luis Moreno-Ocampo, de mener un examen préliminaire afin de déterminer si les critères prévus par le Statut de Rome sont remplis pour l’ouverture d’une enquête.</p>
<p>En avril 2012, Moreno-Ocampo affirme qu’en raison de l’absence de clarification quant au statut étatique de la Palestine, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/752917/CPIPalestine_%253A_arret_de_lexamen_preliminaire_en_attendant_une_decision_sur_le_statut_a_lONU.html">il ne peut ouvrir d’enquête</a>. Cependant, il ne ferme pas définitivement la porte à un retour de la Palestine devant la Cour et lui conseille <em>a minima</em> d’obtenir le statut d’État non membre observateur à l’Assemblée générale de l’ONU, enceinte acquise à la cause palestinienne.</p>
<p>Ce statut, octroyé par un vote de l’Assemblée générale de l’ONU, est une alternative au statut d’État membre de l’ONU, car pour obtenir ce dernier il est nécessaire d’avoir l’aval du Conseil de sécurité, ce qui est impossible à ce stade en raison de la menace de recours au veto par les Américains. Le 29 novembre 2012, la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/11/30/la-palestine-obtient-le-statut-d-etat-observateur-a-l-onu_1798337_3218.html">Palestine obtient le statut d’État non membre</a>. Grâce à ce statut, l’Autorité palestinienne peut adhérer à tous les traités internationaux ayant pour dépositaire le secrétaire général de l’ONU, ce qui est le cas du Statut de Rome.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> avril 2015, la Palestine devient officiellement un État partie à la CPI et, dans le même temps, la nouvelle Procureure, Fatou Bensouda, ouvre un examen préliminaire de la situation.</p>
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<p>Le 20 décembre 2019, Bensouda affirme que <a href="https://news.un.org/fr/story/2019/12/1058711">tous les critères sont réunis pour ouvrir une enquête</a> et qu’il existe « une base raisonnable de croire que des crimes de guerre ont été commis ou sont en train d’être commis en Cisjordanie, incluant Jérusalem-Est, et la bande de Gaza ».</p>
<p>L’enquête de la Procureure vise les allégations de crimes commis durant les opérations militaires à Gaza depuis 2014, au cours de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/30/un-an-apres-le-bilan-sombre-de-la-marche-du-retour-a-gaza_5443461_3210.html">« marche du retour »</a> entre 2018 et 2019 et ceux liés à la politique coloniale israélienne. Elle précise que des crimes auraient été commis par des dirigeants israéliens et par des groupes armés palestiniens. Avant d’ouvrir son enquête et afin de répondre aux critiques, Bensouda demande aux juges de la Chambre préliminaire I de préciser le territoire palestinien sur lequel l’enquête peut se mener. Le 5 février 2021, la Chambre affirme que le <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/la-chambre-preliminaire-i-de-la-cpi-rend-sa-decision-sur-la-demande-du-procureur-relative-la">territoire palestinien comprend la bande de Gaza et la Cisjordanie, incluant Jérusalem-Est</a>, tel que reconnu par le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale de l’ONU et la Cour internationale de Justice.</p>
<p>L’adhésion de la Palestine et l’annonce de l’ouverture de l’enquête sont critiquées par Israël et ses alliés, qui dénoncent <a href="https://www.la-croix.com/Monde/%C3%89tats-Unis-sopposent-lenquete-CPI-Territoires-palestiniens-2021-03-05-1201144010">leur caractère « politique »</a>, arguant que le statut étatique de la Palestine est contesté. Ils soulignent que l’Autorité palestinienne n’a pas la pleine effectivité sur le territoire palestinien et qu’elle ne dispose pas de la compétence pénale à l’encontre des Israéliens, des colons et des soldats israéliens, comme stipulé par les Accords d’Oslo. Pour autant, les juges de la CPI ont affirmé en 2021 que cet argument n’était pas valable dans la détermination de la compétence territoriale de la CPI.</p>
<p>Malgré ces critiques, le 3 mars 2021, la <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-mme-fatou-bensouda-propos-dune-enquete-sur-la-situation-en">Procureure annonce l’ouverture de son enquête</a> au sujet de « la situation dans l’État de Palestine ».</p>
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<h2>Qu’attendre de l’enquête ?</h2>
<p>Depuis 2021, l’enquête n’a connu aucune avancée. Le nouveau Procureur, Karim Khan, en poste depuis juin 2021, ne s’est jamais rendu dans les territoires palestiniens et se contente, en décembre dernier, d’annoncer son intention de <a href="https://fr.timesofisrael.com/le-procureur-de-la-cpi-dit-avoir-lobjectif-de-visiter-la-palestine-en-2023/">« visiter »</a> la Palestine. Depuis, de nouvelles opérations et des raids militaires israéliens ont eu lieu <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230405-isra%C3%ABl-essuie-des-critiques-apr%C3%A8s-des-heurts-dans-la-mosqu%C3%A9e-al-aqsa-%C3%A0-j%C3%A9rusalem">dans la Vieille ville de Jérusalem, sur l’esplanade des Mosquées</a>, dans la bande de Gaza et dans de nombreuses villes de Cisjordanie, à <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/raid-a-naplouse-au-moins-trois-personnes-tuees-par-larmee-israelienne-20230222_X7OF67WKYRHC5GRWTL4K2VJAHA/">Jénine</a>, à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/23/naplouse-frappee-par-un-raid-israelien-meurtrier_6162983_3210.html">Naplouse</a>, etc. Plusieurs raisons expliquent la paralysie du dossier palestinien à la CPI.</p>
<p>Tout d’abord, les autorités israéliennes n’entendent pas coopérer avec le Procureur et devraient refuser aux membres de la Cour d’entrer dans les territoires israélien et palestinien pour récolter les preuves matérielles. Ensuite, le Procureur mène une politique pragmatique dans la gestion de ses enquêtes, liée en partie au manque de moyens dont il dispose. L’invasion russe de l’Ukraine en février 2022 renforce cette nécessité de <a href="https://theconversation.com/mandat-darret-de-la-cpi-contre-vladimir-poutine-une-victoire-pour-la-justice-internationale-202536">priorisation des dossiers</a>.</p>
<p>Pour mener son enquête en Ukraine, Khan peut compter sur un soutien financier, humain et politique sans précédent de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/crimes-de-guerre-en-ukraine-quel-role-joue-la-france-dans-l-enquete-de-la-cour-penale-internationale_5131897.html">la part des pays européens notamment</a>, ce qui n’est pas le cas dans le dossier palestinien. <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/guerre-en-ukraine-la-cour-penale-internationale-va-ouvrir-un-bureau-a-kiev-db12623b-404e-49e3-ab0d-17e8799d107f">Un bureau de la Cour va, par exemple, être ouvert à Kiev</a> pour faciliter la récolte des preuves et la collaboration avec les autorités ukrainiennes. Le 17 mars dernier, <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/situation-ukraine-icc-judges-issue-arrest-warrants-against-vladimir-vladimirovich-putin-and">deux mandats d’arrêt sont émis par la Cour</a>, dont un contre le président russe, Vladimir Poutine. Tout cela démontre la capacité de la justice pénale internationale à fonctionner, dès lors que la société internationale s’investit.</p>
<p>L’Autorité palestinienne reproche aux États occidentaux et à la Cour de ne pas en faire de même dans la situation en Palestine. L’idée d’un « deux poids, deux mesures » traverse l’appareil politique et la population palestiniens. L’AP s’inquiète de voir l’enquête abandonnée, ce qui mettrait à mal sa stratégie multilatérale. Pourtant, la simple mise en accusation de dirigeants israéliens lui suffirait pour affirmer son statut de victime et dénoncer l’injustice persistante que les Palestiniens disent subir. Comme réponse à cette injustice, l’AP pourrait alors rappeler l’importance de la mise en œuvre du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, qui passerait par l’établissement et la reconnaissance d’un État de Palestine.</p>
<p>Aussi, à ce jour, les attentes de l’AP semblent démesurées. Comment espérer qu’une juridiction internationale puisse établir la paix, alors que le conflit israélo-palestinien dure depuis plusieurs décennies et que les acteurs internationaux n’ont jamais été en mesure de mener à bien le processus de paix ? Enfin, sa stratégie de recours aux organisations internationales ne doit pas masquer la détérioration de la situation en Israël et en Palestine, liée à l’arrivée au pouvoir du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/netanyahou-forme-le-gouvernement-le-plus-a-droite-de-l-histoire-d-israel-29-12-2022-2503183_24.php">gouvernement le plus à droite qu’ait connu Israël</a>, à l’accélération de la colonisation et de l’annexion du territoire palestinien, à la dégradation des conditions de vie des Palestiniens, sans oublier <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/palestine/de-plus-en-plus-conteste-le-pouvoir-palestinien-cogne-durement-e960c27e-e326-11eb-894b-70382da6da6d">l’incapacité de l’Autorité palestinienne</a> à s’affirmer comme véritable représentant du peuple palestinien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202162/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>LA CPI a ouvert en 2021 une enquête sur les événements violents survenus en Palestine au cours des années précédentes. Deux ans plus tard, cette enquête n’a connu aucune avancée.Insaf Rezagui, Doctorante en droit international public, Université Paris CitéMohammed Qawasma, Doctorant en droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2013302023-03-30T19:33:15Z2023-03-30T19:33:15ZJustice internationale pénale : à la rencontre des accusés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/518198/original/file-20230329-16-agt06m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1024%2C682&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les anciens responsables croates de Bosnie Jadranko Prlic, Bruno Stojic, Slobodan Praljak, Milivoj Petkovic, Valentin Coric et Berislav Pusic pendant leur procès à La Haye en 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/icty/38043307874/sizes/l/">Zoran Lesic </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les multiples juridictions internationales pénales mises en place depuis le <a href="https://museums.nuernberg.de/memorium-nuremberg-trials/">procès de Nuremberg</a> (1945-1946), à l’image des tribunaux pénaux ad hoc comme ceux créés pour <a href="https://www.icty.org/">l’ex-Yougoslavie</a> et le <a href="https://unictr.irmct.org/">Rwanda</a> (respectivement TPIY et TPIR), ont pour but de juger les crimes les plus graves : les <a href="https://trialinternational.org/fr/topics-post/crimes-de-guerre/">crimes de guerre</a>, les <a href="https://trialinternational.org/fr/topics-post/crimes-contre-lhumanite/">crimes contre l’humanité</a> et les <a href="https://trialinternational.org/topics-post/genocide/">génocides</a>.</p>
<p>En 1998 a été instaurée une juridiction permanente à vocation universelle, la <a href="https://www.icc-cpi.int/">Cour pénale internationale de La Haye</a>, qui, en plus des crimes précités, a également connaissance des <a href="https://www.cairn.info/pas-de-paix-sans-justice--9782724612332-page-233.htm">crimes d’agression</a>. Néanmoins, sa compétence est limitée aux États ayant ratifié son statut, ce qui l’empêche, par exemple, de juger l’acte d’agression commis par la Russie à l’encontre de l’Ukraine et rend plus difficile le jugement des autres crimes commis au cours de cette guerre. La portée du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/17/vladimir-poutine-sous-le-coup-d-un-mandat-d-arret-de-la-cour-penale-internationale_6165924_3210.html">mandat d’arrêt qu’elle vient d’émettre contre Vladimir Poutine</a> restera donc sans doute avant tout symbolique.</p>
<p>Toutes ces juridictions ont fait et continuent de faire l’objet de nombreuses analyses juridiques, anthropologiques ou sociologiques. Ces dernières ont pour la plupart été menées soit via des observations soit via des entretiens auprès des victimes et des professionnels. <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/genocidaire-s-p.html">Nos recherches</a> adoptent un autre angle : celui de l’expérience pénale des accusés (qu’ils aient été acquittés ou condamnés). Elles doivent être lues en supplément des recherches menées auprès des autres protagonistes de cette justice. L’objectif n’est pas de comprendre le passage à l’acte criminel, mais le fonctionnement des institutions qui ont été mises en place pour y répondre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cour-penale-internationale-des-crimes-sans-victimes-156336">Cour pénale internationale : des crimes sans victimes ?</a>
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<h2>Épistémologie d’une recherche singulière</h2>
<p>Ainsi, nous avons conduit des entretiens semi-directifs avec une soixantaine de personnes jugées par le TPIY ou le TPIR pour connaître leur expérience pénale. Ces entretiens se sont déroulés pour la plupart dans les prisons où les personnes condamnées ou accusées sont détenues. Ils ont duré plusieurs heures et ont été enregistrés.</p>
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<p>De ces douze années d’une recherche qui repose sur un matériau unique – puisqu’aucun journaliste ou chercheur n’a pu avoir accès à toutes ces personnes – ressortent des résultats étonnants qui questionnent la raison d’être de cette forme de justice hors normes. Notons, avant d’entamer la présentation de notre recherche et de ces résultats, que pour des questions d’anonymat des personnes rencontrées – condition à leur participation à notre recherche – nous ne pouvons citer ni des noms ni des faits.</p>
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<p>L’idée de rencontrer des personnes communément appelées <em>génocidaires</em> ou <em>criminels de guerre</em> repose sur l’enseignement de Paul Ricœur. Dans un <a href="https://esprit.presse.fr/article/paul-ricoeur/l-acte-de-juger-11656">article paru dans la revue <em>Esprit</em> en 1992</a>, le philosophe explique :</p>
<blockquote>
<p>« L’acte de juger a atteint son but lorsque celui qui a, comme on dit, gagné son procès se sent encore capable de dire : mon adversaire, celui qui a perdu, demeure comme moi un sujet de droit ; sa cause méritait d’être entendue ; il avait des arguments plausibles et ceux-ci ont été entendus. Mais la reconnaissance ne serait complète que si la chose pouvait être dite par celui qui a perdu, celui à qui on a donné tort, le condamné ; il devrait pouvoir déclarer que la sentence qui lui donne tort n’était pas un acte de violence mais de reconnaissance. »</p>
</blockquote>
<p>L’analyse des finalités de la justice internationale pénale fonde aussi la nécessité d’une telle recherche. En effet, la justice internationale pénale vise plusieurs objectifs : la rétribution, la dissuasion et la réinsertion, mais aussi l’écriture de l’Histoire ou de la mémoire, la satisfaction des victimes ou encore un effet cathartique.</p>
<p>Toutes ces finalités nécessitent la participation et la responsabilisation de l’accusé (ou du condamné) afin d’être atteintes ou, à tout le moins, approchées. Or, comme nous allons le voir, les juridictions internationales pénales ne permettent pas aux auteurs de crimes d’adhérer à cette nécessité de consensus entre tous les protagonistes des drames qui se jouent en temps de guerre.</p>
<h2>Impact de la justice internationale pénale</h2>
<p>Si toutes les personnes que nous avons rencontrées disent adhérer à l’idée d’une justice internationale pénale « au-dessus de tout soupçon » ou qui « permet d’établir la vérité », leur expérience pénale les a confrontées à une violence institutionnelle et symbolique qui entraîne, à leurs yeux, une délégitimation de cette forme de justice.</p>
<p>C’est ainsi qu’elles décrivent un processus pénal semé d’embûches ; trop encadré par une terminologie juridique qui, à leurs yeux, ne retranscrit pas la réalité qu’elles ont vécue ; et qui leur donne trop rarement la parole. Lorsque cela a quand même été le cas, ce sont essentiellement leurs avocats (choisis par les accusés eux-mêmes et bien souvent rémunérés par la juridiction) qui ont pu s’exprimer, et pas les accusés eux-mêmes.</p>
<p>En outre, les accusés disent ne pas se reconnaître dans les actes d’accusation auxquels ils ont dû faire face. Devant le sien, l’un des répondants s’est d’ailleurs demandé « qui était ce monstre ? », exprimant ainsi un sentiment de décalage avec ce qui avait été vécu, ou face à des questions juridiques perçues comme étant déconnectées de toute réalité. S’il s’agit peut-être d’un déni face aux actes commis, cette réaction témoigne aussi, de notre point de vue de juriste, du fossé qui sépare le droit des faits.</p>
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<p>Un autre racontera que, quand le juge lui a demandé « Plaidez-vous coupable ou non coupable ? », il a tenté d’expliquer le contexte et les actes commis… mais le juge a simplement inscrit « l’accusé a plaidé non coupable ». Il aurait voulu parler plus, mais le juge ne lui a pas laissé l’opportunité.</p>
<p>S’y ajoute le fait qu’une grande majorité des personnes rencontrées estiment avoir été confrontées à une justice « hors sol », imposée par « l’Occident » et politiquement orientée, refusant d’entendre tout élément de contextualisation (qu’il s’agisse du contexte de guerre ou, plus largement, de celui entourant la commission des crimes, les deux étant inévitablement politiques).</p>
<p>Les répondants décrivent une « justice des vainqueurs » qui s’est abattue sur eux (les vaincus) sans pour autant que les premiers, eux aussi coupables de <a href="https://www.hrw.org/news/2008/12/12/rwanda-tribunal-should-pursue-justice-rpf-crimes">crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité (principalement au Rwanda)</a>, ne soient inquiétés. En outre, ils constatent une justice « à double vitesse » qui ne juge jamais les dirigeants des États puissants – notamment américains ou européens – et qui poursuit principalement des ressortissants des États « dominés ».</p>
<p>Enfin, et c’est là l’une des critiques les plus acerbes exprimées par les répondants sur la justice internationale pénale, les accusés comme les condamnés s’interrogent régulièrement en ces termes : « Pourquoi moi ? » Ils traduisent ici un constat indépassable en droit international pénal : l’idée de juger des culpabilités individuelles pour des crimes de masse, c’est-à-dire ayant entraîné un nombre dramatique et démesuré de victimes, mais aussi ayant été commis par un nombre conséquent d’auteurs. Ainsi, s’ils admettent souvent avoir commis des crimes, ils réfutent néanmoins la responsabilité (qu’on leur attribue symboliquement) du crime de masse dans son entièreté. Il en résulte un sentiment de servir de bouc émissaire (<a href="https://www.rene-girard.fr/57_p_44429/le-bouc-emissaire.html">au sens girardien</a>) et d’être victime d’injustice, d’où, dans l’immense majorité des cas, leur non-reconnaissance des crimes ou responsabilités individuelles attribuées par les juges internationaux.</p>
<h2>Plaidoyer pour le savoir expérientiel</h2>
<p>Une seule des personnes interrogées a tenu un discours négationniste durant nos entretiens et seules 3, sur 51 condamnés rencontrés, admettent pleinement la justesse de leur condamnation.</p>
<p>Cela signifie que la très grande majorité des personnes interviewées (parmi lesquelles certaines avaient plaidé coupable devant la juridiction internationale) ne reconnaissent pas soit les actes reprochés, soit leurs qualifications juridiques, soit leur illégalité, soit les responsabilités associées. S’il existe une multitude de <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2011-1-page-65.htm">paramètres psychologiques</a> pour expliquer cette non-reconnaissance, celle-ci n’en reste pas moins un échec du droit international pénal : pour reprendre la formule de Paul Ricœur, la sentence reste un acte de violence et ne devient pas, pour le condamné, un acte de reconnaissance.</p>
<p>Cet échec a des conséquences qui vont au-delà du seul cas des personnes condamnées, dans la mesure où il empêche de faire œuvre de mémoire commune (ou consensuelle) et influence l’ensemble du processus de reconstruction.</p>
<p>Il est en effet accepté que les crimes de masse sont généralement commis par une masse d’auteurs. Au Rwanda, par exemple, on a parlé de 100 000 à 150 000 participants au génocide contre les Tutsis. Or, il est impossible de reconstruire un pays sans prendre en compte cette large partie de la population. Le rejet de la justice internationale pénale par les accusés n’aide certainement pas à reconstruire ensemble. Ce rejet déteint bien évidemment sur les familles et communautés des accusés ; plus largement, il empêche une reconnaissance des actes commis. In fine, ce sont les populations et les victimes qui se retrouvent sans réelles réponses à leurs attentes ; celles de connaître la vérité ou celles d’être simplement reconnues.</p>
<p>Il importe dès lors de prendre en compte la parole des accusés (tout comme celle des autres protagonistes que sont les victimes, les juges, les populations touchées par la guerre, etc.) et de constater qu’elle conduit inévitablement vers d’autres voies de justice : des voies de justice réparatrice ou réconciliatrice, des voies de justice traditionnelle ou interpersonnelle, des voies judiciaires locales, ancrées culturellement et moins politisées, ou simplement des voies de justice plus symboliques. Si des pistes ont d’ores et déjà été mises en œuvre, à travers des juridictions plus locales et ancrées culturellement (à l’image des <a href="https://www.asf.be/wp-content/publications/Rwanda_MonitoringGacaca_RapportAnalytique3_FR.pdf">gacaca</a> ou des commissions <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2007-2-page-313.htm">Vérité et Réconciliation</a>) au Rwanda, le rôle des accusés reste à définir et à modeler, de façon à ce que leur expérience soit prise en compte.</p>
<p>Un progrès envisageable consiste à combiner ces divers types de justice, comme cela semble déjà être le cas en <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2013-1-page-117.htm">Colombie</a>. Ce type de processus, affichant des promesses réalistes, minimes peut-être, mais réalisables, comme la responsabilisation des auteurs de crimes ou l’acceptation des actes commis, pourrait peut-être contribuer à une mémoire partagée et assumée. Les procès ne doivent pas être une continuation de la guerre dans l’arène du tribunal. Il n’est ainsi plus question d’en finir avec l’ennemi par le droit, mais de se relever avec lui grâce au droit.</p>
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<p><em>Pour plus de détails sur cette recherche, voir <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/genocidaire-s-p.html">« Génocidaire(s). Au cœur de la justice internationale pénale »</a>, Dalloz, décembre 2022</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201330/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Scalia a reçu des financements du Fonds national suisse et du Fonds de la recherche scientifique belge.</span></em></p>Les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda (TPIR) et pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ont jugé des dizaines d'individus. Une enquête s'intéresse à la façon dont les accusés ont vécu ces procès.Damien Scalia, Professeur en droit international pénal, Études empiriques du droit, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2025362023-03-26T16:06:17Z2023-03-26T16:06:17ZMandat d’arrêt de la CPI contre Vladimir Poutine : une victoire pour la justice internationale ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/517401/original/file-20230324-14-iuklja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C1917%2C1264&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Malgré l’émission d’un mandat d’arrêt à son encontre, il est peu probable que l’on voie un jour Vladimir Poutine à La Haye.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/vladimir-putin-arrest-warrant-seen-press-2277093853">JRdes/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Pour la première fois de son histoire, qui a débuté il y a plus de vingt ans, la Cour pénale internationale (CPI) a émis le 17 mars dernier un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/18/la-cour-penale-internationale-delivre-un-mandat-d-arret-contre-vladimir-poutine_6166025_3210.html">mandat d’arrêt</a> contre le dirigeant d’une puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies : Vladimir Poutine. Maria Lvova-Belova, commissaire aux droits de l’enfant au cabinet du président russe, fait, elle aussi, l’objet d’un mandat d’arrêt. Ils sont suspectés de déportation et transfert illégaux d’enfants ukrainiens vers la Russie. Selon le gouvernement ukrainien, <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/accents-d-europe/20230321-l-impuissance-des-familles-ukrainiennes-pour-r%C3%A9cup%C3%A9rer-les-milliers-d-enfants-disparus">plus de 16 226 enfants auraient été déportés</a> depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022.</p>
<p>Alors que la CPI a longtemps été accusée de lenteur et de ne s’en prendre qu’<a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2015-1-page-111.htm">« aux plus faibles »</a>, venant souvent du continent africain, ces mandats d’arrêt marquent un tournant juridique, politique et stratégique sans précédent dans l’histoire de la justice pénale internationale. Juridique d’abord, car ils envoient un message fort aux dirigeants de ce monde : la lutte contre l’impunité ne doit épargner personne. Politique ensuite, car il s’agit d’isoler davantage la Russie et son président sur la scène internationale. Stratégique enfin, car ces mandats d’arrêt seront certainement mis sur la table de futures négociations entre l’Ukraine et la Russie.</p>
<p>Pour autant, l’enthousiasme qu’ils ont suscité ne doit pas occulter une réalité moins glorieuse pour la Cour et son Procureur. En effet, la priorité donnée au cas ukrainien par le Procureur interroge sur sa volonté politique, ainsi que sur celle de la communauté internationale, à faire avancer certaines autres des <a href="https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/Publications/TheCourtTodayFra.pdf">17 enquêtes actuellement en cours</a>, notamment celles en Afghanistan et en Palestine.</p>
<h2>Les motifs justifiant la délivrance de ces deux mandats d’arrêt</h2>
<p>La CPI est une organisation internationale basée à La Haye qui a pour but de lutter contre l’impunité. Elle est chargée de juger les individus (responsables politiques, militaires ou simples exécutants) – et non les États – accusés de génocide, crime de guerre, crime contre l’humanité, crime d’agression au regard du <a href="https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">Statut de Rome</a>, traité établissant la Cour, entré en vigueur le 1<sup>er</sup> juillet 2002 après sa ratification par soixante États. Aujourd’hui, <a href="https://asp.icc-cpi.int/fr/states-parties">123 États</a> sont membres de la Cour.</p>
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<p>Ni l’Ukraine ni la Russie n’ont ratifié le Statut de Rome. Pour autant, une enquête a été ouverte le <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-karim-aa-khan-qc-sur-la-situation-en-ukraine-reception-de">2 mars 2022</a> par le Procureur de la Cour, Karim Khan, sur la base de deux déclarations <em>ad hoc</em> de reconnaissance de la compétence de la CPI émises en <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/lukraine-accepte-la-competence-de-la-cpi-sur-les-crimes-qui-auraient-ete-commis-entre-le-21">2014</a> et en <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/lukraine-accepte-la-competence-de-la-cpi-sur-les-crimes-qui-auraient-ete-commis-depuis-le-20">2015</a> par l’Ukraine dans le cadre du conflit dans le Donbass et de l’annexion de la Crimée par la Russie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-quel-role-pour-la-cour-penale-internationale-179635">Guerre en Ukraine : quel rôle pour la Cour pénale internationale ?</a>
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<p>Par la suite, le <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-karim-khan-kc-la-suite-de-la-delivrance-des-mandats-darret-emis">22 février dernier</a>, Khan a demandé aux juges de la Chambre préliminaire II de faire valoir sa demande de délivrance de mandats d’arrêt contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova.</p>
<p>Le Procureur n’a pas la possibilité de délivrer lui-même un mandat d’arrêt. Il appartient aux juges d’une chambre préliminaire de le faire, sur la base des preuves produites par le Procureur. C’est ce qu’a fait la Chambre préliminaire II le <a href="https://www.icc-cpi.int/news/situation-ukraine-icc-judges-issue-arrest-warrants-against-vladimir-vladimirovich-putin-and">17 mars dernier</a>, un an seulement après l’ouverture de l’enquête du Procureur, estimant « qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la responsabilité pénale du président Poutine et de Mme Lvova-Belova était engagée concernant la déportation illégale et le transfert d’enfants ukrainiens de zones occupées en Ukraine vers la Fédération de Russie ».</p>
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<p>Deux étapes sont à considérer dans le processus qui a abouti à l’émission de ces deux mandats. Tout d’abord, les faits incriminés portent uniquement sur la déportation illégale et le transfert d’enfants ukrainiens, en violation des articles 8-2-a-vii et 8-2-a-viii du Statut de Rome : Poutine n’est, à ce stade, pas inculpé pour les crimes de guerre commis par la Russie en Ukraine. Ensuite, les <a href="https://hub.conflictobservatory.org/portal/sharing/rest/content/items/97f919ccfe524d31a241b53ca44076b8/data">preuves fournies par le Procureur</a> semblent suffisamment solides pour engager la responsabilité pénale de Poutine et Lvova-Belova.</p>
<p>Au sujet des faits incriminés, les articles 8-2-a-vii et 8-2-a-viii du Statut qualifient de crimes de guerre « la déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale » et « la prise d’otages ». Il s’agit d’une incrimination initialement prévue à l’article 49 de la <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/icrc_001_0173.pdf">Convention de Genève de 1949</a> relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.</p>
<p>En Ukraine, d’après certaines ONG comme <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/10/un-rapport-d-amnesty-international-documente-la-deportation-et-l-adoption-forcee-en-russie-d-enfants-ukrainiens_6149355_3210.html">Amnesty international</a>, des milliers d’enfants auraient été victimes de déportation et transfert illégaux vers la Russie. De son côté, le <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-karim-khan-kc-la-suite-de-la-delivrance-des-mandats-darret-emis">Procureur affirme</a> qu’au moins « plusieurs centaines d’enfants » ont été « enlevés dans des orphelinats et des foyers pour enfants » afin d’être « confiés à l’adoption dans la Fédération de Russie ». De plus, durant la guerre, des <a href="https://www.pravda.com.ua/eng/news/2022/05/30/7349514/">décrets présidentiels ont été signés par Vladimir Poutine</a> pour accélérer l’octroi de la citoyenneté russe à ces enfants « facilitant ainsi [leur] adoption par des familles russes ». Ces faits prouveraient « l’intention d’éloigner définitivement ces enfants de leur propre pays ».</p>
<p>Concernant les responsabilités pénales individuelles, Vladimir Poutine est suspecté en tant qu’auteur de ces crimes (article 25-3-a du Statut) et comme supérieur hiérarchique (article 28-b). En tant que supérieur hiérarchique, Poutine peut être « pénalement responsable des crimes commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, lorsqu’il n’a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces subordonnés » (article 28-b). Quant à Maria Lvova-Belova, elle est suspectée d’être auteur de la déportation et du transfert d’enfants ukrainiens. Les dirigeants russes affirment, pour leur part, <a href="https://www.euronews.com/2023/03/21/russia-to-return-ukrainian-children-when-safe-claims-envoy">que ces opérations sont des actions humanitaires visant à protéger les enfants ukrainiens</a>.</p>
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<p>La priorisation du Procureur sur cette catégorie de crimes s’explique par leur <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-karim-khan-kc-la-suite-de-la-delivrance-des-mandats-darret-emis">« impact humain »</a>, des enfants – qui sont les personnes les plus vulnérables en temps de conflit armé – étant la cible des agissements de ces responsables russes. Enfin, l’ampleur de ces crimes a également été prise en compte dans la décision de Khan de se focaliser à ce stade sur ces seuls faits.</p>
<h2>La nécessité de coopération des États dans la bonne exécution des mandats d’arrêt</h2>
<p><a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-karim-khan-kc-la-suite-de-la-delivrance-des-mandats-darret-emis">Le Procureur a rappelé</a> qu’il appartient à la Cour de « veiller à ce que les responsables des crimes présumés répondent de leurs actes ». Pour ce faire, il faut que les deux suspects soient remis à la Cour.</p>
<p>Cependant, la CPI ne dispose pas de sa propre police pour exécuter les mandats d’arrêt. Elle doit s’en remettre à la coopération de ses 123 États parties, qui ont l’obligation d’exécuter ses décisions. Dès lors, si Poutine ou Lvova-Belova venaient à se rendre sur le territoire d’un de ces États, ils devraient être arrêtés et transférés à La Haye.</p>
<p>Cependant, il est déjà arrivé que des États parties ne remplissent pas cette obligation. Ce fut le cas lorsque deux mandats d’arrêt avaient été délivrés en 2009 et 2010 contre Omar Al-Bachir, alors président du Soudan. Il était accusé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, mais avait pu voyager dans de nombreux pays membres de la Cour, en Afrique du Sud, au Kenya, au Tchad notamment, sans être inquiété (car certains États se disent attachés au principe de l’immunité des chefs d’État en exercice, pourtant non invocables devant la CPI, ce qui était le cas d’Al-Bachir <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/07/arrestation-d-al-bachir-la-cpi-juge-que-l-afrique-du-sud-a-manque-a-son-devoir-mais-s-abstient-de-sanction_5157268_3212.html">lors de sa venue en Afrique du Sud par exemple</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/al-bachir-et-la-cpi-cela-vaut-il-la-peine-de-larreter-si-vous-compromettez-votre-mission-119564">Al-Bachir et la CPI : cela vaut-il la peine de l’arrêter, si vous compromettez votre mission ?</a>
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<p>Après sa destitution en 2019, il a été emprisonné dans son pays. Le Soudan s’est <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210811-le-soudan-va-remettre-%C3%A0-la-cpi-omar-el-b%C3%A9chir-et-d-anciens-dirigeants-recherch%C3%A9s">engagé à le remettre à la CPI</a> mais ne l’a toujours pas fait à ce jour, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220422-soudan-le-transfert-d-omar-el-b%C3%A9chir-de-la-prison-%C3%A0-l-h%C3%B4pital-fait-pol%C3%A9mique-et-inqui%C3%A8te">arguant de raisons médicales</a>.</p>
<p>Qu’en sera-t-il de Vladimir Poutine ? Un État prendrait-il le risque d’arrêter et de remettre à la CPI le président d’une puissance nucléaire ? Poutine est notamment <a href="https://www.timesnownews.com/world/south-africas-durban-to-host-15th-brics-summit-in-late-august-report-article-97388217">attendu en août en Afrique du Sud pour le Sommet des BRICS</a>. Il semble peu concevable que les autorités sud-africaines arrêtent le président russe pour le remettre à La Haye…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1638867567707303936"}"></div></p>
<p>Malgré tout, l’émission de ces mandats d’arrêt renforce la mise au ban par une partie de la société internationale de Poutine et souligne le statut d’agresseur de la Russie face aux victimes ukrainiennes. Cette décision démontre aussi que la justice pénale internationale fonctionne quand elle est soutenue politiquement et financièrement par les États. En effet, le Bureau du Procureur a reçu des soutiens financiers et humains importants de nombreux pays européens, <a href="https://www.gazette-du-palais.fr/actualites-professionnelles/crimes-commis-en-ukraine-la-france-apporte-une-aide-de-500-000-e-a-lenquete-de-la-cpi/">dont la France</a>. Enfin, l’Union européenne – <a href="https://www.20minutes.fr/justice/4028763-20230320-guerre-ukraine-pourquoi-mandat-arret-cpi-contre-vladimir-poutine-symbolique">qui a déjà octroyé plus de 10 millions d’euros à la Cour depuis le début de l’invasion russe en Ukraine</a> – et les <a href="https://www.lejdd.fr/international/guerre-en-ukraine-pour-joe-biden-le-mandat-darret-emis-par-la-cpi-contre-vladimir-poutine-est-justifie-133756">États-Unis</a>, qui ne sont pourtant pas partie à la Cour, se sont félicités de l’annonce de la délivrance des deux mandats d’arrêt.</p>
<p>Cependant, si ces deux mandats d’arrêt sont une étape nécessaire au bon développement de la justice internationale, ils ne doivent pas masquer les nombreux obstacles auxquels elle est confrontée. Comment expliquer le peu d’avancées dans les enquêtes en <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/03/1090822">Palestine</a>, ouverte il y a plus de deux ans déjà, ou en <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/afghanistan">Afghanistan</a>, qui a subi de <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2020/06/11/les-etats-unis-infligent-des-sanctions-la-cour-penale-internationale">nombreuses pressions et menaces des Américains</a>, alors que les ONG et <a href="https://www.ohchr.org/fr/2021/07/israeli-settlements-amount-war-crime-special-rapporteur-tells-human-rights-council">certains organes des Nations unies</a> ont fait état de nombreuses allégations de crimes relevant de la compétence de la Cour ? Comment convaincre les populations de ces pays de l’utilité de cette justice quand l’impunité perdure à l’encontre de certains dirigeants ? Il appartient à la CPI de répondre à ces interrogations légitimes afin de faire vivre l’universalité de son mandat de lutte contre l’impunité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202536/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Jamais encore le président d’une puissance nucléaire n’avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale.Insaf Rezagui, Doctorante en droit international public, Université Paris CitéMohammed Qawasma, Doctorant en droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1965272023-01-02T19:10:27Z2023-01-02T19:10:27ZÉthiopie : quelle paix pour le conflit le plus meurtrier au monde ?<p>Le 2 novembre dernier, à Pretoria, en Afrique du Sud, les représentants du gouvernement fédéral éthiopien et des dirigeants de la région du Tigré ont signé un <a href="https://information.tv5monde.com/info/ethiopie-gouvernement-et-rebelles-du-tigre-signent-un-accord-de-cessation-des-hostilites">accord négocié sous l’égide de l’Union africaine</a> qui a interrompu deux années d’une guerre dévastatrice. Ce conflit, qui aurait fait <a href="https://www.washingtonpost.com/business/the-worlds-deadliest-war-isnt-in-ukraine-but-in-ethiopia/2022/03/22/eaf4b83c-a9b6-11ec-8a8e-9c6e9fc7a0de_story.html">près d’un demi-million de morts</a>, est probablement le plus meurtrier dans le monde depuis le début du siècle.</p>
<p>Les armes vont-elles se taire pour de bon ? Si l’accord de Pretoria constitue indéniablement, en soi, une bonne nouvelle, de nombreuses interrogations pèsent encore sur son application.</p>
<h2>Deux ans de conflit sanglant</h2>
<p>Le conflit a éclaté fin 2020, alors que l’Éthiopie était confrontée à une transition politique complexe.</p>
<p>Le premier ministre, Abiy Ahmed, a <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/east-africa/2018-09-10/can-ethiopias-reforms-succeed">pris le pouvoir en 2018</a> suite à trois années de protestations de plus en plus virulentes contre le Front populaire de libération du Tigré (FPLT), un parti issu de la rébellion qui dirigeait le pays depuis 1991 et constitué pour l’essentiel de représentants du Tigré, une province d’environ 7 millions d’habitants (sur quelque 115 millions d’Éthiopiens) qui se trouve dans le nord du pays, à la frontière de l’Érythrée.</p>
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<p>Les leaders du FPLT ont d’abord soutenu l’accession d’Abiy au pouvoir, jusqu’à ce que ce dernier initie un ensemble de réformes politiques qui ont abouti à l’exclusion de leur parti de la coalition dirigeante. Ils ont alors organisé des <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200910-ethiopie-%C3%A9lection-contest%C3%A9e-%C3%A9tat-r%C3%A9gional-tigr%C3%A9-est-d%C3%A9roul%C3%A9e-sans-incident">élections régionales</a> au Tigré, au mépris des directives fixées par les autorités fédérales qui avaient reporté le scrutin, officiellement en raison de la pandémie de Covid-19. Dans un contexte de tensions croissantes, alors que les deux parties se qualifiaient mutuellement d’illégitimes, le FPLT a attaqué une des bases des forces fédérales, et le gouvernement a riposté en lançant une offensive sur le Tigré.</p>
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<p>Durant ces deux années de combats acharnés, l’Érythrée du président Afeworki qui, depuis le conflit <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-44004212">qui l’a opposée en 1998</a> au FPLT, considère ce dernier comme son principal ennemi, a apporté un appui important aux forces fédérales éthiopiennes. En 2018, le rapprochement entre le premier ministre éthiopien et le président érythréen avait permis une réouverture temporaire de la frontière entre les deux pays, et avait valu au premier de <a href="https://theconversation.com/abiy-ahmed-a-remporte-le-prix-nobel-de-la-paix-mais-de-grands-defis-attendent-encore-lethiopie-125174">recevoir le prix Nobel de la paix</a>. Peu après avoir lancé leur première offensive, les forces fédérales ont également reçu le concours de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20211215-%C3%A9thiopie-les-milices-amharas-l-alli%C3%A9-pr%C3%A9cieux-des-soldats-%C3%A9thiopiens">milices amharas</a> qui souhaitent annexer certaines zones de l’Ouest et du Sud du Tigré qui jouxtent leur propre région.</p>
<p>Cette coalition a dans un premier temps rapidement progressé, <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-55111061">prenant le contrôle de Mekele</a>, la capitale régionale. Le gouvernement a alors <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/horn-africa/ethiopia/ethiopian-troops-exit-tigray-time-focus-relief">bloqué toutes les routes menant à la région, la privant d’aide alimentaire, et coupé tout accès aux télécommunications, à l’électricité, et aux services bancaires</a>. Peu après, les forces fédérales ont cependant perdu leur avantage initial face à la <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/horn-africa/ethiopia/dangerous-expansion-ethiopias-tigray-war">mobilisation de centaines de milliers de Tigréens</a> qui ont rejoint la résistance organisée par les cadres du FPLT.</p>
<p>À partir de l’été 2022, le conflit a connu un nouveau renversement, et le gouvernement a repris le terrain perdu, notamment grâce aux <a href="https://korii.slate.fr/et-caetera/drones-turcs-font-tabac-en-afrique">drones fournis par la Turquie</a>.</p>
<h2>Un accord fragile</h2>
<p>C’est dans ces conditions que les négociations se sont déroulées à Pretoria. Les négociateurs tigréens ont dû faire des <a href="https://responsiblestatecraft.org/2022/11/16/facing-famine-tigray-concedes-to-ethiopian-government-and-abiy/">concessions importantes</a> pour obtenir du gouvernement un arrêt des combats. Cet accord a permis la cessation des hostilités, mais ne définit pas les conditions d’une paix durable. Surtout, sa mise en œuvre pourrait buter sur des obstacles importants.</p>
<p>La question du <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-11-30/ethiopia-peace-process-undermined-as-eritrea-forces-continue-attacking-civilians">retrait des troupes érythréennes</a> et des milices amharas est un premier point d’achoppement possible. Suite à l’accord signé à Pretoria, les belligérants ont poursuivi leurs pourparlers à Nairobi, et les représentants des forces tigréennes ont alors obtenu que l’application de certaines des dispositions de l’accord soit <a href="https://www.reuters.com/world/africa/ethiopia-truce-implementation-start-immediately-mediator-says-2022-11-12/">conditionnée au retrait des troupes « étrangères et non fédérales »</a>. Mais à ce stade, on ne sait pas si l’Érythrée désengagera ses forces, même si le gouvernement éthiopien le lui demande.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1580186306604568577"}"></div></p>
<p>De même, il est peu probable que les leaders amharas acceptent de retirer leurs forces des « zones contestées ». Le premier ministre Abiy Ahmed veillera probablement à éviter toute mesure qui pourrait nuire à son alliance avec ces leaders, sachant combien il a besoin de leur soutien pour préserver son propre statut politique.</p>
<p>L’accord de Pretoria prévoit également que les <a href="https://www.washingtonpost.com/world/ethiopia-says-new-talks-begin-inside-tigray-on-disarmament/2022/12/01/e6d96d42-717f-11ed-867c-8ec695e4afcd_story.html">forces tigréennes soient désarmées</a>. Les leaders tigréens ont accepté ce principe, du fait des revers militaires que leurs forces avaient subis au cours des derniers mois, et surtout pour mettre fin au <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/01/12/le-directeur-general-de-l-oms-denonce-le-blocus-par-l-ethiopie-de-la-region-du-tigre-epouvantable-et-inimaginable-a-notre-epoque_6109232_3212.html">blocus</a> imposé par le gouvernement. Il y a un an déjà, <a href="https://www.reuters.com/world/africa/nearly-40-people-ethiopias-tigray-lack-adequate-food-wfp-2022-01-28/">40 % de la population du Tigré faisait face à une pénurie extrême de nourriture</a>. La famine a probablement gagné du terrain depuis.</p>
<h2>Les difficiles conditions du désarmement et de la démobilisation</h2>
<p>La mise en œuvre du désarmement risque cependant de poser des difficultés. Si les forces tigréennes rendent les armes, elles ne pourront plus protéger leur région contre toute attaque ultérieure que pourrait lancer l’Érythrée, d’autant qu’elles ne bénéficieraient sans doute pas, dans un tel cas de figure, du soutien militaire des troupes gouvernementales éthiopiennes. Mais tant que ce désarmement ne sera pas effectif, il est probable que le président érythréen refusera de retirer ses troupes des zones qu’elles occupent.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/12/04/ethiopie-un-mois-apres-un-accord-de-paix-les-rebelles-disent-avoir-desengage-65-de-leurs-combattants-des-lignes-de-front-au-tigre_6152908_3212.html">Les rebelles tigréens assurent avoir désengagé 65 % de leurs combattants</a> de la ligne de front, mais cela ne signifie pas que ces combattants sont prêts à déposer les armes.</p>
<p>Les discussions entre responsables militaires à Nairobi ont permis d’introduire un peu de flexibilité dans ce processus, en divisant le désarmement en deux phases. Lors de la phase initiale, les forces tigréennes restitueront leurs « armes lourdes » (vraisemblablement les chars et l’artillerie), tandis que le retrait des armes légères est repoussé à une phase ultérieure.</p>
<p>Se pose aussi la question des conditions dans lesquelles la démobilisation des combattants se déroulerait. Les Tigréens privilégieront probablement une solution qui permettrait l’intégration de leurs 200 000 combattants dans l’armée fédérale. Mais le premier ministre ne sera pas nécessairement favorable à l’absorption par l’armée fédérale de troupes ayant combattu pour le renverser, et les Érythréens pourraient également s’opposer à cette solution.</p>
<p>Des progrès sur d’autres terrains pourraient contribuer à créer les conditions d’une réelle démobilisation, mais l’application d’autres aspects essentiels de l’accord traîne elle aussi. Le gouvernement fédéral s’est engagé à rétablir l’accès à l’électricité, aux télécommunications et aux autres services de base dans le Tigré, et surtout à cesser toute entrave aux livraisons d’aide humanitaire. Cependant, au mois de décembre, <a href="https://www.washingtonpost.com/world/ethiopia-offers-no-date-for-end-to-blackout-in-tigray-region/2022/11/29/15c58412-6fe9-11ed-867c-8ec695e4afcd_story.html">aucun calendrier n’avait encore été fixé</a> pour le rétablissement de ces accès. Seule Mekele a été <a href="https://www.france24.com/en/africa/20221206-capital-of-ethiopia-s-tigray-region-reconnected-to-electric-grid-after-a-year-of-war-related-cuts">partiellement reconnectée au réseau électrique</a>.</p>
<p>Les <a href="https://www.aljazeera.com/news/2022/12/3/un-still-awaiting-full-access-to-bring-aid-to-desperate-tigray">agences des Nations unies n’ont pas encore</a> accès à toutes les zones de la région. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’aide médicale <a href="https://www.africaradio.com/ethiopie-toujours-pas-d-acces-sans-entrave-au-tigre-selon-l-oms">n’atteint toujours pas tous les Tigréens qui en ont besoin</a>. De même, le Programme alimentaire mondial a déclaré que <a href="https://fr.wfp.org/communiques-de-presse/le-pam-accelere-ses-operations-humanitaires-dans-le-nord-de-lethiopie">son accès à certaines parties de la région demeure limité</a>. Tant que ces restrictions ne seront pas levées, le conflit continuera de faire des victimes au Tigré.</p>
<p>L’accord prévoit également que le Parlement éthiopien annule la <a href="https://ethiopianembassy.org/council-of-ministers-approves-resolution-designating-tplf-and-shene-as-terrorist-organizations-may-1-2021/">motion votée en 2021 qui désigne le FPLT comme une organisation terroriste</a>, pour que le FPLT et le gouvernement puissent <a href="https://www.thenewhumanitarian.org/news/2022/11/04/Ethiopia-Tigray-peace-Pretoria-Obasanjo-Africa-Union">travailler ensemble à la création d’une administration intérimaire « inclusive »</a> qui gouvernerait la région jusqu’aux élections.</p>
<p>Cette disposition représente une concession importante, car elle implique que les élections régionales de septembre 2020 au Tigré, remportées haut la main par le FPLT, manquaient de légitimité. À ce stade, les leaders du FPLT, qui gouvernent toujours le Tigré, ne semblent pas encore prêts à honorer cet élément de l’accord et à céder leur place.</p>
<h2>Mettre fin à l’impunité</h2>
<p>L’émergence de conditions permettant une stabilisation durable ne dépend pas seulement de l’évolution de la gouvernance du Tigré, mais de celle du pays tout entier. Elle nécessite une poursuite des négociations entre adversaires malgré leurs projets différents pour l’État éthiopien. Ces négociations ne pourront aboutir aussi longtemps que le régime continuera de privilégier des solutions militaires ou policières aux problèmes politiques auquel il est confronté.</p>
<p>Or, même si, depuis le début du conflit, il demeure difficile d’obtenir des informations fiables sur le comportement des belligérants et sur la façon dont ils ont traité les populations civiles, on sait que les Nations unies ont dénoncé de possibles crimes de guerre et contre l’humanité, <a href="https://www.dw.com/fr/violations-graves-des-droits-de-lhomme-en-ethiopie/a-59707326">commis « à des degrés divers » par toutes les parties impliquées</a>. Les exactions commises par les milices amharas ont été décrites par les organisations de défense des droits de l’homme comme <a href="https://www.hrw.org/report/2022/04/06/we-will-erase-you-land/crimes-against-humanity-and-ethnic-cleansing-ethiopias">relevant de pratiques de « nettoyage ethnique »</a>. Les forces fédérales et érythréennes ont massacré des <a href="https://www.hrw.org/news/2021/03/05/ethiopia-eritrean-forces-massacre-tigray-civilians">populations civiles à plusieurs reprises dans différentes villes du Tigré</a>. Des centaines de personnes ont été <a href="https://www.amnesty.org/en/documents/afr25/4569/2021/en/">victimes de viols et d’esclavage sexuel</a>, des pratiques utilisées par les forces du gouvernement et leurs alliés comme arme de guerre. Et, nous l’avons dit, la <a href="https://theconversation.com/comprendre-la-violence-du-conflit-ethiopien-171852">famine a été employée pour démoraliser les populations</a> soutenant la résistance tigréenne.</p>
<p>Les forces rebelles tigréennes ont elles aussi <a href="https://www.letemps.ch/monde/amnesty-accuse-rebelles-tigreens-viols-collectifs">commis des exactions</a> lorsqu’elles ont occupé des zones en dehors de leur propre région. Les victimes et survivants méritent que ces crimes soient documentés. Certains suggéreront peut-être qu’insister pour qu’un travail d’enquête soit mené et un processus de justice engagé pourrait nuire à une trêve qui reste fragile. Pour autant, on ne peut créer les conditions d’une paix durable en choisissant d’ignorer les crimes commis, et en opposant la stabilité à la mobilisation des mécanismes du droit humanitaire international. Si les auteurs présumés de ces crimes ne rendent pas compte de leurs actes, ils risquent de se répéter. Sans justice, on ne peut atteindre des communautés brutalisées qu’elles reconnaissent la légitimité d’un pouvoir qui occulte les violences qu’elles ont subies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196527/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marine Gassier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après une guerre civile d’une grande violence qui a duré deux ans, un accord a récemment été signé entre les acteurs du conflit éthiopien. La prudence demeure toutefois de mise…Marine Gassier, Chercheuse, spécialiste des conflits et de la Corne de l'Afrique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950362022-11-28T19:01:18Z2022-11-28T19:01:18ZRussie : pourquoi la Cour européenne des droits de l’homme examine encore les requêtes contre Moscou<p>Créé à la suite de la Seconde Guerre mondiale pour assurer la prééminence du droit et la consolidation de la paix, le <a href="https://www.coe.int/fr/">Conseil de l’Europe</a> ne pouvait que souligner la contradiction avec ses valeurs et principes qu’a représenté le recours à la force de l’un de ses membres à l’encontre d’un autre (l’Ukraine a rejoint l’organisation en 1995, la Russie en 1996). C’est ainsi sans surprise que l’<a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/-/the-russian-federation-is-excluded-from-the-council-of-europe">exclusion de la Russie</a> fut prononcée avec effet immédiat le 16 mars dernier.</p>
<p>Plus de huit mois plus tard, il est possible de tirer un premier bilan des effets que cette décision a eus sur les multiples requêtes déposées contre la Russie – mais aussi par elle – auprès de la figure la mieux connue de cette organisation régionale, à savoir la <a href="https://echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=home&c=fre">Cour européenne des droits de l’homme</a> (CEDH).</p>
<h2>La CEDH sollicitée par les deux parties</h2>
<p>Depuis 2014, la CEDH se trouve au cœur d’une bataille judiciaire entre les deux États. Elle a été saisie de huit requêtes interétatiques de l’Ukraine contre la Russie, mais aussi d’une requête initiée par la Russie contre l’Ukraine. Ce type de requête, marginal dans l’activité de la Cour, s’est considérablement développé depuis le début du XXI<sup>e</sup> siècle, mais c’est dans le contexte des relations russo-ukrainiennes que les développements, au moins quantitatifs, ont été les plus significatifs.</p>
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<p>Outre ces requêtes interétatiques, des milliers de requêtes individuelles ont été adressées à la Cour en relation avec les tensions et le conflit russo-ukrainiens. Ainsi, aujourd’hui, la Fédération de Russie (17 500 requêtes) et l’Ukraine (10 950 requêtes) sont les <a href="https://echr.coe.int/Documents/Speech_20221019_Spano_Exchange_views_Committee_Ministers_CoE_FRA.pdf">deuxième et troisième États les plus ciblés par des requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme</a>.</p>
<p>Le greffe de la CEDH <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre-press">indiquait en juin 2022</a> qu’environ 8500 requêtes individuelles introduites devant la Cour sont liées aux événements survenus en Crimée, dans l’est de l’Ukraine et dans la mer d’Azov. Une part importante de ces requêtes individuelles concerne le sort des prisonniers de guerre ukrainiens ou la destruction de biens immobiliers sur le territoire ukrainien par les forces russes ou leurs supplétifs. Les auteurs de ces requêtes visent à obtenir la cessation de la violation de leurs droits et/ou une réparation financière du préjudice subi.</p>
<h2>Pourquoi la CEDH ne se désintéresse pas de la Russie malgré son exclusion du Conseil de l’Europe</h2>
<p>Les droits de la Fédération de Russie avaient été suspendus par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 2000 (guerre en Tchétchénie) et 2014 (<a href="http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-en.asp?fileid=20882">annexion de la Crimée</a>) avant d’être, chaque fois, restaurés.</p>
<p>Le 16 mars 2022, à l’issue d’une procédure inédite, le Comité des ministres procédait à l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe suite au lancement de l’offensive en Ukraine de février 2022. Aussi rapide qu’inéluctable, l’aboutissement de la procédure d’exclusion marque un changement de paradigme et ferme un canal de discussion majeur. Avec la perte du statut d’État membre du Conseil de l’Europe, les droits et obligations découlant du Statut cessent de s’appliquer à cet État. La participation à la <a href="https://www.echr.coe.int/pages/home.aspx?p=basictexts&c=fre#:%7E:text=La%20Convention%20de%20sauvegarde%20des,vigueur%20le%203%20septembre%201953.">Convention européenne des droits de l’homme</a> étant réservée aux États membres du Conseil de l’Europe, la Russie cesse d’être liée par la Convention. Il ne sera donc plus possible d’invoquer le bénéfice de cette Convention devant les juridictions russes. Dans un tel contexte, on peut s’interroger sur le sort des milliers de requêtes déposées contre la Russie devant la CEDH.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-russie-exclue-du-conseil-de-leurope-seisme-dans-la-maison-commune-180767">La Russie exclue du Conseil de l’Europe : séisme dans la « maison commune »</a>
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<p>La Convention européenne des droits de l’homme est muette sur le caractère spécifique de l’hypothèse de la cessation de la participation d’un pays à la Convention du fait d’une exclusion du Conseil de l’Europe, mais les divers organes du Conseil de l’Europe estiment que l’on peut, par analogie, considérer que le régime applicable en cas de dénonciation volontaire de la Convention est pertinent.</p>
<p>L’État qui se retire n’est pas automatiquement libéré de ses obligations au titre de la Convention. Un délai de préavis permet d’éviter la rupture brutale. La Russie cesse d’être partie à la Convention européenne des droits de l’homme six mois après le prononcé de l’expulsion, soit le 16 septembre 2022, et même après cette date la CEDH reste compétente pour connaître des requêtes dirigées contre la Russie ou initiées par elle contre un État membre du Conseil de l’Europe <a href="https://echr.coe.int/Documents/Resolution_ECHR_cessation_membership_Russia_CoE_FRA.pdf">si les faits à l’origine des requêtes sont antérieurs au 16 septembre 2022</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1570660042319499265"}"></div></p>
<p>Les arrêts et décisions définitifs de la Cour continuent de lier la Russie, même après qu’elle a cessé d’être membre du Conseil de l’Europe. Ainsi, la Cour va devoir examiner des milliers de requêtes concernant la Russie et il est vraisemblable qu’elle sera encore saisie de très nombreuses requêtes concernant des faits antérieurs au 16 septembre 2022. Compte tenu de l’obligation d’épuisement des voies de recours internes, on peut raisonnablement imaginer que la Cour soit encore saisie de requêtes dirigées contre la Russie pendant des années.</p>
<h2>L’adaptation procédurale à une situation inédite</h2>
<p>La situation est évidemment inédite et nécessite que les organes du Conseil de l’Europe mettent en œuvre les procédures pertinentes respectant les droits des parties. Dans son <a href="https://pace.coe.int/fr/files/29885/html">avis adopté le 15 mars 2022</a>, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe encourageait « la Cour européenne des droits de l’homme à envisager d’accorder la priorité aux requêtes introduites par des citoyens ukrainiens contre la Fédération de Russie pour des actes commis dans des zones temporairement occupées de l’Ukraine, en tenant compte du fait que ces personnes n’ont aucun accès à des voies de recours effectives de tels actes au niveau national ».</p>
<p>La Cour a ainsi dû entamer un processus de réflexion interne afin de décider de la manière dont elle allait traiter les très nombreuses affaires dont elle est saisie concernant la Russie. À l’occasion d’<a href="https://echr.coe.int/Documents/Speech_20221019_Spano_Exchange_views_Committee_Ministers_CoE_FRA.pdf">échanges avec le Comité des ministres</a>, quelques jours avant le terme de son mandat, le président de la Cour, Robert Spano, a souligné les difficultés auxquelles la Cour était confrontée. Il a insisté sur le fait que décider de la voie à suivre nécessite du temps et de la réflexion, et que la Cour doit se fonder sur des bases juridiques solides, conformément à l’État de droit. Il est hautement probable, en pratique, que la plus haute priorité soit accordée à l’examen des requêtes interétatiques (<em>Ukraine c. Russie</em> et <em>Russie c. Ukraine</em>).</p>
<p>Que le président de la Cour affirme que ces affaires recevront un traitement prioritaire ne doit cependant pas générer des attentes démesurées. On peut rappeler que la CEDH avait décidé de réserver à l’affaire <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre"><em>Ukraine c. Russie</em></a> (Crimée) de 2014 un traitement prioritaire. Pourtant, la Cour ne s’est prononcée sur la recevabilité de cette affaire que sept ans plus tard et l’examen du fond de l’affaire n’est pas annoncé dans les prochains mois.</p>
<p>Au-delà, la Cour devrait sélectionner quelques affaires qui méritent d’être traitées par des chambres de sept juges (à défaut, elles sont examinées par un juge unique ou un comité de trois juges), en fonction de leur importance marquée pour la responsabilité de la Russie en droit international au titre de la Convention. On pense spécialement aux affaires liées à l’activité de la société civile russe et aux principes fondamentaux de la gouvernance démocratique, spécialement dans le contexte de <a href="https://esprit.presse.fr/article/catherine-iffly/les-societes-civiles-dans-l-etau-du-droit-russe-43937">répression de toute forme de contestation</a> de l’« opération spéciale » lancée en février 2022. Même en recourant aux outils permettant un traitement plus rapide des affaires (juge unique ou comité de trois juges), le volume du contentieux russe est tel que la Cour ne pourra le traiter intégralement avant de nombreuses années.</p>
<h2>Des décisions dont l’exécution est illusoire à moyen terme</h2>
<p>En cas de condamnation de la Russie par la CEDH, et même si elle est toujours tenue de respecter les décisions de la Cour, celles-ci se heurteront à de vives objections russes dans la mesure où la Douma a adopté, le 7 juin 2022, une loi autorisant la Russie à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Russie-decide-appliquer-arrets-Cour-europeenne-droits-lhomme-2022-06-07-1201218813">ne pas appliquer les décisions rendues par la Cour</a> de Strasbourg après le 15 mars 2022.</p>
<p>Viatcheslav Volodine, le président de la Douma, a affirmé à cette occasion que « la Cour européenne des droits de l’homme est devenue un instrument de lutte politique contre notre pays dans les mains d’hommes politiques occidentaux » et que « certaines de ses décisions sont en contradiction directe avec la Constitution russe, nos valeurs et nos traditions ». Ce n’est qu’au prix d’un changement politique majeur à Moscou que l’on pourrait entrevoir, pas avant des années, un retour de la Fédération de Russie au sein du Conseil de l’Europe… et l’exécution incertaine des décisions de la CEDH.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195036/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Cazala ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La CEDH dépend du Conseil de l’Europe, dont la Russie a été exclue en mars dernier. Elle continue pourtant d’examiner certaines requêtes visant le régime de Vladimir Poutine.Julien Cazala, Professor of International Law, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1917932022-10-05T15:15:58Z2022-10-05T15:15:58ZGuinée : un procès pour l’histoire<p>En Guinée, l’interminable attente du procès des responsables présumés du <a href="https://www.liberation.fr/international/afrique/proces-du-massacre-du-28-septembre-2009-un-test-historique-pour-la-justice-en-guinee-20220929_U4NLDFFN5REXZOR3VTIREFMK54/">massacre du 28 septembre 2009</a>, si souvent annoncé puis reporté, a <a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20220928-le-proc%C3%A8s-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-renvoy%C3%A9-au-4-octobre">pris fin le 28 septembre 2022</a>.</p>
<p>Précisément 13 années après les faits a commencé à Conakry le jugement d’anciens responsables militaires et gouvernementaux de la junte alors en place, le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD).</p>
<p>Au total, 13 personnes ont été mises en examen et <a href="http://www.revuedlf.com/droit-international/massacre-du-28-septembre-2009-la-guinee-a-lepreuve-du-principe-de-complementarite/">renvoyées devant la justice pénale guinéenne pour y être jugées</a>. Seules 12 comparaissent actuellement, le <a href="https://www.jeuneafrique.com/1222412/politique/guinee-deces-de-mamadouba-toto-camara-ancien-numero-deux-de-dadis-camara/">général Mamadouba Toto Camara, numéro 2 du CNDD, étant décédé en 2021</a>. Parmi elles, figurent notamment le capitaine Moussa Dadis Camara, chef du CNDD, ainsi que son aide de camp et chef de la garde présidentielle, le lieutenant Aboubakar Sidiki Diakité (dit Toumba).</p>
<h2>Treize années d’attente</h2>
<p>Rappelons que le 28 septembre 2009, un meeting de l’opposition avait <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/636125/societe/guinee-le-lundi-noir-du-28-septembre-2009/">tourné au drame</a> dans la capitale guinéenne. Alors qu’une foule d’opposants s’était réunie dans le stade de Conakry pour manifester contre la candidature à l’élection présidentielle du capitaine <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Moussa_Dadis_Camara">Moussa Dadis Camara</a>, les forces de sécurité avaient réprimé brutalement le rassemblement.</p>
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<p>Signe de la portée du procès, son ouverture s’est déroulée en <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-karim-aa-khan-kc-propos-de-louverture-du-proces-relatif-aux">présence du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan</a>, lequel a insisté sur l’importance de la crédibilité d’une procédure équitable qui soit à la hauteur de l’attente des victimes et ne se résume pas à un effet d’annonce.</p>
<p>La Guinée, qui a <a href="https://www.coalitionfortheicc.org/fr/country/la-guinee">ratifié le Statut de Rome en 2003</a>, fait depuis octobre 2009 l’objet d’un examen préliminaire de la CPI sur les crimes commis le 28 septembre 2009, mais aussi sur l’existence et l’authenticité de procédures nationales relatives à ces crimes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Massacre du 28-Septembre en Guinée : l’ex-dictateur Camara incarcéré avant le procès (France24, 28 septembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Au cours des 13 dernières années, le Bureau du Procureur de la CPI s’est efforcé de dialoguer avec les autorités guinéennes pour qu’elles honorent leur promesse de rendre justice dans cette affaire dans le cadre d’une « complémentarité positive » avec la CPI, cette dernière n’ayant vocation à agir que si les tribunaux nationaux n’ont pas la capacité ou la volonté de juger. Autrement dit, même lorsqu’il y a capacité, encore faut-il que la volonté soit réelle. À cet égard, Karim Khan a annoncé que l’ouverture du procès, sous réserve qu’il aboutisse, marquerait la fin de l’examen préliminaire engagé.</p>
<h2>Une avancée et une surprise</h2>
<p>Le début du procès du massacre du 28 septembre 2009 constitue à la fois une avancée majeure et une surprise.</p>
<p>Il s’agit d’une avancée majeure, parce que c’est la première fois en Guinée, depuis l’indépendance en 1958, que de hauts responsables politiques et militaires sont jugés par un tribunal pour des faits qualifiés d’assassinats, meurtres, viols et violences sexuelles, actes de torture et violences, séquestration et pillage commis sur la population civile.</p>
<p>La qualification de crime contre l’humanité n’a pas été retenue. Cependant, les infractions de droit commun figurant dans l’ordonnance de renvoi des juges d’instruction couvrent bien les événements survenus au stade de Conakry, au cours desquels au moins 156 personnes ont été tuées, 109 femmes ont été victimes de viols et d’autres violences sexuelles, y compris de mutilations sexuelles, tandis que des centaines de personnes ont subi des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants.</p>
<p>L’avancée est incontestable, compte tenu de <a href="https://www.memoire-collective-guinee.org/">l’impunité dont ont toujours bénéficié dans ce pays les auteurs de violations des droits humains</a>. Le dossier de la procédure a été transmis par la Cour suprême à un tribunal criminel constitué pour l’occasion ; des magistrats disponibles ont été désignés ; des avocats sont présents pour assister les victimes et défendre les prévenus ; les 12 prévenus comparaissent en personne ; une salle neuve et spacieuse a été spécialement dédiée à la tenue du procès ; le jugement est public et la presse y assiste. Les conditions semblent donc réunies, du moins en apparence, pour la <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/massacre-du-28-septembre-en-guinee-vers-un-proces-pour-l-histoire-27-09-2022-2491568_3826.php">tenue d’un véritable procès « historique »</a>.</p>
<p>Le début du procès constitue également une surprise. Depuis 2017, date de la fin de l’information judiciaire sur le massacre, il se dégageait l’impression qu’aucun gouvernement en Guinée ne souhaitait réellement la tenue d’un tel procès, aux possibles répercussions politiques. Les proches du président Alpha Condé (en poste de 2010 jusqu’au <a href="https://theconversation.com/guinee-un-coup-detat-previsible-167937">coup d’État qui a provoqué sa chute en 2021)</a> justifiaient souvent la non-organisation du procès par le fait qu’il risquerait de déstabiliser l’institution militaire (dont sont issus tous les accusés) et provoquer une crise dans la région de la Guinée forestière dont est originaire le capitaine Moussa Dadis Camara (et où il conserve influence et réseaux). En outre, certains des accusés (les colonels Claude Pivi et Moussa Tiégboro Camara) avaient <a href="https://theconversation.com/guinee-linterminable-attente-du-proces-des-auteurs-du-massacre-du-28-septembre-2009-168860">conservé leur poste dans l’appareil d’État guinéen</a>, que ce soit au sein de l’équipe de la garde présidentielle ou dans celle en charge de la lutte contre le grand banditisme.</p>
<p>Le calendrier de l’organisation du procès s’est cependant subitement accéléré en juillet 2022, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220718-prochain-proc%C3%A8s-du-massacre-de-septembre-2009-en-guin%C3%A9e-l-ogdh-circonspecte">après le feu vert donné par le colonel Mamady Doumbouya</a>, à la tête du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) depuis le coup d’État qui l’a porté au pouvoir en septembre 2021.</p>
<h2>La justice guinéenne au révélateur</h2>
<p>Quant au procès lui-même, il constitue un défi à relever pour la justice guinéenne, moins connue pour ses forces que pour ses faiblesses : désorganisation, corruption, lenteur, faible niveau de formation des magistrats, manque de moyens, interférences politiques.</p>
<p>À cet égard, la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/massacre-du-28-septembre-en-guinee-l-ex-dictateur-camara-au-tribunal-27-09-2022-2491566_24.php">décision d’emprisonnement des cinq accusés encore libres</a> – dont le capitaine Moussa Dadis Camara, les colonels Claude Pivi et Moussa Tiégboro Camara et l’ex-ministre de la Santé Abdoulaye Cherif Diaby – semble démontrer que le tribunal entend ne pas se laisser impressionner.</p>
<p>Toutefois, la conduite d’un tel procès inédit en Guinée – et guère préparé au vu de l’accélération subite du calendrier depuis juillet 2022 – risque d’être difficile à mener à bien tant au regard de la personnalité des accusés que du nombre de victimes (plus de 500), de la gravité des faits examinés et du manque d’expérience de la justice guinéenne en la matière.</p>
<p>Comment les témoins et les victimes seront-ils protégés par les autorités nationales durant et après le procès ? Comment les victimes seront-elles indemnisées ? Le procès ne va-t-il pas s’étirer en longueur, à la faveur des multiples renvois et compléments d’information qui seront immanquablement sollicités ? Comment les magistrats, peu formés, pourront-ils prendre la mesure de ces faits et rédiger une décision qui réponde aux standards internationaux ? Vont-ils réunir à incarner ce tribunal indépendant, impartial et compétent qui est requis pour ce type d’affaires ? Le colonel Mamady Doumbouya, déjà <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220809-guin%C3%A9e-le-gouvernement-annonce-la-dissolution-du-fndc-un-collectif-contestataire">critiqué</a> pour l’emprisonnement de membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un mouvement issu de la société civile réclamant le respect des règles démocratiques, ainsi que pour la répression des manifestations de ses partisans à Conakry, va-t-il maintenir dans le temps son engagement en faveur de la tenue du procès ? Autant de questions qui inquiètent la communauté internationale et les ONG qui soutiennent la tenue de ce procès.</p>
<h2>Un procès incomplet ?</h2>
<p>Un dernier point, et non des moindres, suscite des inquiétudes. L’information judiciaire n’a pas permis la <a href="http://www.revuedlf.com/droit-international/massacre-du-28-septembre-2009-la-guinee-a-lepreuve-du-principe-de-complementarite/">constitution d’un dossier complet et détaillé</a> sur les faits qui ont eu lieu au stade de Conakry le 28 septembre 2009 et dans les jours qui ont suivi. Les trois juges d’instruction guinéens – qui ont enquêté entre 2012 et 2017 – ont collecté des auditions de victimes, de témoins et des accusés, mais aucune preuve scientifique ou matérielle de l’implication des accusés dans les faits du massacre du stade. Ils n’ont pas dressé non plus une chronologie précise des faits, ni établi la chaîne de commandement alors en place – ce qui a d’ailleurs, et de manière inexpliquée, abouti à ce que nombre des acteurs du massacre ne soient jamais inquiétés et renvoyés devant le tribunal.</p>
<p>Une telle situation trouve son origine dans la carence des moyens des juges d’instruction et de la police judiciaire qui les a assistés, mais aussi dans le défaut de professionnalisme des juges d’instruction, qui n’ont pas exploité les informations dont ils disposaient, notamment à la suite des rapports de la <a href="https://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf">Commission d’enquête des Nations unies</a> et des rapports des ONG <a href="https://www.hrw.org/fr/report/2009/12/17/un-lundi-sanglant/le-massacre-et-les-viols-commis-par-les-forces-de-securite-en">Human Rights Watch</a> et <a href="https://www.fidh.org/IMG/pdf/Guineedcona546fconjOGDH.pdf">Fédération internationale des droits de l’homme</a>. La tenue de l’actuel procès permettra-t-elle d’y voir plus clair et d’établir les responsabilités des uns et des autres ? Si nul ne le sait aujourd’hui, la tâche s’annonce indubitablement ardue.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191793/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 28 septembre 2009, un massacre effroyable endeuillait la Guinée. Treize ans plus tard jour pour jour, un procès vient enfin de s’ouvrir à Conakry.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797402022-03-29T19:29:57Z2022-03-29T19:29:57ZGuerre en Ukraine : la Cour internationale de Justice peut-elle contribuer à désarmer la Russie ?<p>On pourra regretter que la <a href="https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/182/182-20220316-ORD-01-00-FR.pdf">décision</a> de la Cour internationale de Justice (CIJ) du 16 mars 2022 n’ait pas été adoptée à l’unanimité, les juges russe et chinoise ayant voté contre la partie du dispositif qui ordonne à la Russie de « suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine » et de « veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa direction, ne commette d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires ».</p>
<p>On pourra également regretter que la Cour se soit crue obligée d’ajouter que « les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile ». Comme l’a parfaitement expliqué dans sa déclaration le <a href="https://www.icj-cij.org/fr/juges-ad-hoc">juge <em>ad hoc</em></a> Yves Daudet, il n’y a aucune raison d’adresser cette injonction à l’Ukraine, dont on voit mal comment elle pourrait aggraver la situation en exerçant son droit à la légitime défense. L’explication se trouve probablement dans le fait que cette formulation permettait au moins d’obtenir l’unanimité des juges sur un point, tout en contrebalançant un peu le ton particulièrement grave du reste de l’ordonnance.</p>
<p>Non, le droit international n’a pas permis d’éviter l’attaque brutale d’un État souverain en ce début de XXI<sup>e</sup> siècle. Non, l’ordonnance de la Cour n’arrêtera pas les chars russes à court terme, comme l’a démontré la <a href="https://information.tv5monde.com/info/guerre-en-ukraine-que-peut-attendre-de-la-justice-internationale-449053">réaction</a> immédiate de la Russie, qui a considéré qu’elle ne peut pas l’appliquer. Il n’en reste pas moins que cette décision n’est pas dénuée d’intérêt face à un chef d’État qui utilise largement le droit international comme élément de son arsenal au soutien de la seule façon qu’il connaisse de se confronter aux autres, le rapport de force.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504171772047941634"}"></div></p>
<h2>L’argumentation juridique de la Russie</h2>
<p>Contrairement à ce qui est parfois affirmé, le président russe n’ignore pas purement et simplement le droit international. Au contraire, il le convoque expressément pour tenter de légitimer son entreprise belliqueuse. Depuis le début de l’agression de l’Ukraine, Vladimir Poutine prend soin de <a href="https://information.tv5monde.com/info/comment-poutine-justifie-l-invasion-de-l-ukraine-446209">s’efforcer de justifier</a> ce qu’il dénomme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=uEbDp44LA1o">« opération militaire spéciale »</a> par deux arguments juridiques.</p>
<p>Il affirme, en premier lieu, que la Russie protège la population des deux régions séparatistes du Donbass contre un « génocide » prétendument commis à son encontre par les autorités ukrainiennes. Non seulement le président russe a invoqué cet argument dans son <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/ukraine-vladimir-poutine-annonce-une-operation-militaire-dans-le-pays-joe-biden-fustige-une-attaque-injustifiee_4978860.html">discours officiel</a> précédant le début de l’invasion de l’Ukraine, mais Moscou l’emploie régulièrement depuis 2014. Le représentant permanent russe aux Nations unies l’a encore fait <a href="https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/182/182-20220307-OTH-01-00-FR.pdf">tout récemment</a>.</p>
<p>En second lieu, après avoir <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/vu-dukraine-la-russie-reconnait-lindependance-des-separatistes-ukrainiens-un-casus">reconnu l’indépendance</a> des oblasts de Lougansk et Donetsk le 21 février 2022, la Russie a prétendu intervenir en Ukraine pour défendre ces nouveaux États conformément à un accord passé avec eux.</p>
<p>À ces deux arguments se superpose celui de la légitime défense qui serait exercée par la Russie à l’égard de l’Ukraine. Cet argument est défendu dans la <a href="https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/182/182-20220307-OTH-01-00-FR.pdf">lettre</a> envoyée par la Russie – qui a en revanche refusé de comparaître à l’audience – à la CIJ, sans que l’on sache en quoi consiste l’agression armée à laquelle cet État est censé répondre.</p>
<p>Quel que soit leur niveau d’invraisemblance, ces arguments mûrement réfléchis visent à tenter de légitimer la guerre menée par la Russie sur le terrain du droit, quitte à modifier radicalement l’interprétation des principales règles du droit international.</p>
<p>Par ailleurs, Vladimir Poutine n’hésite pas à mettre en exergue les violations du droit international effectivement commises par d’autres États, en dénonçant régulièrement l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003, en dehors de tout fondement légal, ou encore l’intervention militaire au sol des États membres de l’OTAN en Libye en 2011, qui a outrepassé le mandat du Conseil de sécurité. Dans une guerre où la communication est largement mise à contribution, y compris sur le droit, ce type d’argumentation n’est pas anodin.</p>
<h2>Les dits et non-dits de l’ordonnance de la Cour internationale de Justice</h2>
<p>À ce stade, la CIJ s’est prononcée uniquement sur une demande de <a href="https://eurasiabusinessnews.com/2020/08/18/les-mesures-conservatoires-et-la-cour-internationale-de-justice/">mesures conservatoires</a> (d’urgence) de la part de l’Ukraine, qui fonde sa compétence sur <a href="https://treaties.un.org/doc/Treaties/1951/01/19510112%2008-12%20PM/Ch_IV_1p.pdf">l’article IX</a> de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Bien que le véritable différend porte évidemment sur la question du recours à la force par la Russie, cet État n’a pas reconnu de manière générale la compétence de la CIJ, ce qui oblige à rechercher une clause compromissoire dans un traité qu’il a ratifié. Or c’est précisément le cas de la <a href="https://www.un.org/fr/genocideprevention/genocide-convention.shtml">Convention sur le génocide</a> à laquelle sont parties les deux États en cause.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GOHKgauuoHc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’argumentation du président Poutine a en effet fourni un bon élément d’ancrage à l’Ukraine, selon laquelle il existe un différend relatif à l’interprétation de cette Convention entre ces deux États. Ce différend concerne un éventuel abus de la Convention par la Russie, en raison de l’invocation d’un génocide qui serait inexistant. Il concerne aussi la possibilité de prévenir ou de punir un éventuel génocide au moyen d’une agression armée.</p>
<p>La Cour a suivi cette argumentation en reconnaissant sa compétence <a href="https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/prima-facie.php"><em>prima facie</em></a>, avant de considérer que les conditions d’indication des mesures conservatoires étaient réunies :</p>
<ul>
<li><p>la reconnaissance d’un droit plausible de l’Ukraine de ne pas faire l’objet d’opérations militaires par la Russie visant à prévenir et punir un génocide allégué sur son territoire ;</p></li>
<li><p>le caractère nécessairement irréparable du préjudice qui pourrait lui être causé – ainsi que des préjudices actuels ;</p></li>
<li><p>l’urgence.</p></li>
</ul>
<p>Cela conduit la CIJ à indiquer les mesures conservatoires – obligatoires – mentionnées <em>supra</em>.</p>
<p>La CIJ fait toujours preuve d’une grande prudence dans ce type de procédure d’urgence afin de ne pas préjuger de ses éventuelles réponses aux arguments des parties qu’elle pourrait examiner au fond et afin de rester dans les limites de sa compétence. Il est donc remarquable qu’en l’espèce elle semble dépasser cette attitude de retenue, à plusieurs égards.</p>
<p>C’est tout d’abord à la Russie que la présidente de la CIJ a <a href="https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/182/182-20220301-PRE-02-00-FR.pdf">demandé</a> dès le 1<sup>er</sup> mars 2022 d’agir de manière à ne pas priver son ordonnance d’effets. De plus, bien qu’elle n’ait pas à se prononcer sur le fond du différend, la Cour a néanmoins affirmé dans son ordonnance :</p>
<blockquote>
<p>« Il est douteux que la Convention, au vu de son objet et de son but, autorise l’emploi unilatéral de la force par une partie contractante sur le territoire d’un autre État, aux fins de prévenir ou de punir un génocide allégué. »</p>
</blockquote>
<p>Dès l’introduction, elle se dit :</p>
<blockquote>
<p>« profondément préoccupée par l’emploi de la force par la Fédération de Russie en Ukraine, qui soulève des problèmes très graves de droit international. La Cour garde présents à l’esprit les buts et les principes de la Charte des Nations unies, de même que les responsabilités qui lui incombent, en vertu de ladite Charte et du Statut de la Cour, en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationales, ainsi que le règlement pacifique des différends. Elle estime nécessaire de souligner que tous les États doivent agir conformément à leurs obligations en vertu de la Charte des Nations unies et des autres règles du droit international, y compris du droit international humanitaire ».</p>
</blockquote>
<p>Elle prend ensuite soin d’énumérer précisément les dommages déjà causés à la population ukrainienne (§§ 74-75), avant de se référer expressément à la résolution <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/N22/272/28/PDF/N2227228.pdf">A/RES/ES-11/1</a> du 2 mars 2022 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies à une écrasante majorité de 141 États et intitulée « agression contre l’Ukraine ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SLLRe5BlhOg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Si la CIJ cite expressément les passages déplorant les attaques contre les populations civiles – qui, si elles étaient confirmées, seraient constitutives de crimes de guerre –, elle mentionne aussi le terme de « guerre » utilisé par l’Assemblée générale. Or, sur le fondement de sa <a href="https://legal.un.org/avl/pdf/ha/ufp/ufp_f.pdf">résolution 377 A (V) du 3 novembre 1950</a>, et considérant que l’absence d’unanimité des membres permanents du Conseil de sécurité empêche celui-ci d’exercer sa responsabilité principale en matière de paix et de sécurité internationales – le Conseil a été empêché par le veto russe d’adopter un <a href="https://www.un.org/press/en/2022/sc14808.doc.htm">projet de résolution</a> le 25 février condamnant la reconnaissance de l’indépendance des régions séparatistes ukrainiennes –, l’Assemblée générale y « déplore dans les termes les plus énergiques l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte ».</p>
<p>Bien sûr, l’Assemblée générale est un organe politique. On peut néanmoins considérer que dans cette qualification juridique elle exprime l’opinion de la majorité des États. Si la CIJ ne confirme en aucun cas l’existence d’une agression, elle renvoie malgré tout à un texte qu’elle n’était pas obligée de mentionner dans sa motivation.</p>
<h2>Les conséquences immédiates et les conséquences indirectes</h2>
<p>Les conséquences de l’ordonnance de la CIJ pour la Russie sont claires dans la mesure où ce type de décision est obligatoire. Il faut rappeler à cet égard que la CIJ est l’organe judiciaire principal des Nations unies. Elle bénéficie d’une autorité remarquable pour dire l’état du droit international et ses décisions sont exécutées par les États dans la très grande majorité des cas.</p>
<p>Bien qu’elle ne se soit pas prononcée sur les arguments de fond des parties, son ordonnance prive temporairement d’efficacité l’argumentation juridique de la Russie. En attendant un éventuel arrêt au fond, aucune allégation de légitime défense ou de prévention du génocide ne permet à la Russie de poursuivre légalement sa guerre. Cet État est ainsi privé de son argumentation par l’organe international qui a qualité pour dire le droit international.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1506333534541299712"}"></div></p>
<p>La deuxième conséquence immédiate concerne indirectement les autres États. Si la Russie a l’obligation de mettre fin au recours à la force en Ukraine, nul ne saurait de façon licite l’aider à poursuivre cette entreprise, par exemple par la fourniture d’armes ou d’un soutien financier. Il faut d’ailleurs rappeler à cet égard que, conformément à la qualification d’agression armée retenue par l’Assemblée générale, la Russie commet actuellement une violation grave d’une règle impérative de droit international.</p>
<p>La Russie engage automatiquement sa responsabilité internationale ; nul besoin en théorie qu’une juridiction se prononce en ce sens. Pour les autres États, cela entraîne une double obligation : ne pas reconnaître la situation ainsi créée et coopérer pour y mettre fin. Par ailleurs, la résolution implique aussi que l’Ukraine exerce son droit à la légitime défense conformément à l’article 51 de la Charte et que les autres États peuvent lui apporter leur soutien, notamment par la livraison d’armes.</p>
<p>À plus long terme, il importe aussi d’avoir à l’esprit le précédent qui pourrait être généré par l’éventuel succès de l’argumentation d’un État, fût-elle en apparence déraisonnable. Dans son <a href="https://www.lepoint.fr/debats/poutine-croit-a-un-choc-des-civilisations-entre-l-occident-et-la-russie-24-02-2022-2466100_2.php">opposition frontale</a> à la civilisation occidentale, Vladimir Poutine peut avoir la prétention de proposer une nouvelle lecture du droit international qui remet en cause l’architecture héritée de 1945 et que pourraient être tentés de défendre d’autres États envisageant de commettre des actions similaires.</p>
<p>Si les organes principaux des Nations unies ayant l’un compétence – bien que subsidiaire – en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales et l’autre en matière de droit international donnent leur interprétation de ce droit et indiquent les obligations qu’il convient de suivre, toute autre prétention juridique devient illégitime. En privant au moins temporairement Vladimir Poutine de son arsenal juridique, la CIJ aura démontré qu’il est un seul point sur lequel le président russe n’a peut-être pas entièrement tort : le droit peut aussi être une arme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179740/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Cassella ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En ordonnant à la Russie de mettre fin à sa guerre en Ukraine, la Cour Internationale de Justice prive Vladimir Poutine de la possibilité d’affirmer que l’opération militaire russe serait légale.Sarah Cassella, Professeur de droit public, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1796352022-03-20T17:53:40Z2022-03-20T17:53:40ZGuerre en Ukraine : quel rôle pour la Cour pénale internationale ?<p>« Le mal doit être puni ». C’est ce qu’<a href="https://www.nytimes.com/2022/03/16/us/politics/transcript-zelensky-speech.html">affirmait</a> le 16 mars dernier devant le Congrès américain le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, faisant référence à l’invasion de son pays par la Russie.</p>
<p>Pour punir ce mal, le gouvernement ukrainien a très rapidement agi sur le front judiciaire en mobilisant différentes juridictions internationales dont la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/03/la-cpi-ouvre-une-enquete-sur-la-situation-en-ukraine_6115910_3210.html">Cour pénale internationale</a> (CPI).</p>
<p>L’objectif de l’Ukraine est clair : judiciariser la guerre afin d’affirmer son statut de victime face à l’agresseur russe. Mais face à un Vladimir Poutine qui n’a que faire des injonctions internationales, que peut accomplir la justice internationale ? La CPI peut-elle jouer le rôle de moralisateur des relations internationales ? Alors que des milliers de civils ukrainiens ont déjà péri durant le conflit et que des millions d’autres ont trouvé refuge partout en Europe, la paix en Ukraine peut-elle s’établir grâce au droit ?</p>
<h2>L’ouverture d’une enquête par le procureur de la CPI : une première victoire pour l’Ukraine</h2>
<p>La <a href="https://www.icc-cpi.int/">Cour pénale internationale</a> est une organisation internationale chargée de juger les individus accusés de crimes internationaux (génocide, crime de guerre, crime contre l’humanité, crime d’agression) au regard du <a href="https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/add16852-aee9-4757-abe7-9cdc7cf02886/283948/romestatutefra1.pdf">Statut de Rome</a> (traité international signé en 1998 établissant la CPI).</p>
<p>À ce titre, elle ne juge pas directement des États, mais a pour rôle d’établir des responsabilités pénales individuelles. Son objectif est de lutter contre l’impunité afin de prévenir et de dissuader la commission de ces crimes qui touchent toute l’humanité en raison de leur gravité. Pour y parvenir, la Cour s’appuie sur ses plus de 900 membres du personnel et un budget annuel d’environ 148 millions d’euros. 123 États sont actuellement membres de la Cour.</p>
<p>Bien que ni l’<a href="https://www.coalitionfortheicc.org/country/ukraine#:%7E:text=Ukraine%20signed%20the%20Rome%20Statute%20on%2020%20January%202000%2C%20but,the%20ICC%20for%20many%20years.">Ukraine</a> ni la Russie ne soient partie au Statut de Rome (la <a href="https://www.letemps.ch/russie-se-retire-cour-penale-internationale">Russie s’est retirée du Statut en 2016, reprochant à la Cour son manque d’indépendance</a>), le procureur de la CPI, Karim Khan, a <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=20220228-prosecutor-statement-ukraine&ln=fr">annoncé</a> le 28 février l’ouverture d’une enquête au regard d’allégations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Ukraine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kHuYhdHQGZM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ukraine : pour le procureur de la CPI, « si les civils sont pris pour cible, c’est un crime », France 24, 3 mars 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le procureur fonde sa compétence au regard de deux déclarations <em>ad hoc</em> produites par l’Ukraine en <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr997&ln=fr">2014</a> et <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1146&ln=fr">2015</a> sur la base de l’article 12-3 du Statut. Celles-ci reconnaissent la compétence de la Cour pour des faits commis sur le sol ukrainien depuis le 21 novembre 2013. Si ces déclarations ont été émises dans le cadre de la guerre dans le Donbass et de l’annexion de la Crimée par la Russie, elles permettent aujourd’hui d’élargir le cadre géographique afin de mener une enquête sur l’intégralité du sol ukrainien.</p>
<p>Avant le début de l’invasion russe, le Bureau du Procureur de la CPI fut très critiqué par la société civile ukrainienne. Celle-ci lui reprochait sa lenteur dans la mise en évidence des responsabilités pénales, alors que la guerre dans le Donbass aurait coûté la vie à <a href="https://www.unian.info/war/10416549-donbas-war-death-toll-rises-up-to-nearly-13-000-un.html">13 000 personnes</a>, dont 3 350 civils entre 2014 et 2020 d’après les Nations unies. Le déclenchement de la guerre par la Russie le 24 février dernier a contraint le procureur à prendre en main ce dossier.</p>
<p>Dans sa <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2022-02-28/guerre-en-ukraine/le-procureur-de-la-cpi-va-enqueter.php">déclaration</a> du 28 février, Karim Khan se dit convaincu qu’« il existe une base raisonnable de croire que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité allégués ont bel et bien été commis ». Pour confirmer l’ouverture d’une enquête, le Procureur devait alors obtenir soit l’autorisation des juges de la Chambre préliminaire de la Cour, soit le renvoi de l’affaire à son Bureau par un ou plusieurs États membres de la CPI.</p>
<p>La seconde option a finalement été retenue. Début mars, <a href="https://www.icc-cpi.int/ukraine">41 États</a> – incluant tous les pays membres de l’Union européenne – ont soumis un renvoi de la situation au procureur. Cette mobilisation sans précédent d’un si grand nombre d’États démontre la volonté d’une partie de la société internationale de mobiliser le droit international pour rétablir la paix en Ukraine. De manière inédite, la philosophie kantienne de la <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/18624?lang=fr">paix par le droit</a> semble enfin trouver un large écho en Europe et ailleurs…</p>
<h2>Les allégations de crimes de guerre au cœur de l’enquête de la CPI</h2>
<p>Désormais, Karim Khan entend faire de cette enquête une priorité. Ce 16 mars, il <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=20220316-prosecutor-statement-visit-ukraine-poland">s’est rendu en Ukraine</a> et a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-procureur-de-la-cpi-s-est-rendu-en-ukraine-et-s-est-entretenu-en-visioconference-avec-zelensky-20220316">échangé virtuellement</a> avec le président Zelensky.</p>
<p>Cependant, le procureur fait preuve de pragmatisme. La collecte des preuves ne peut se faire sans le soutien des États. C’est pourquoi lors de l’annonce de l’ouverture de son enquête, il s’est directement adressé à la société internationale pour demander des moyens financiers et humains supplémentaires. Le manque de ressources est au cœur des difficultés rencontrées par la Cour depuis son entrée en fonction en 2002, contraignant le procureur à faire parfois des choix politiques dans la sélection de ses dossiers. Au-delà des moyens, il est aussi question d’obtenir une pleine coopération des parties au conflit, des ONG, de la société civile et des États afin de recueillir les preuves et les témoignages nécessaires à l’établissement des responsabilités pénales.</p>
<p>S’il semble logique que les dirigeants russes refuseront toute coopération avec la Cour, l’organisation internationale peut s’appuyer sur une société civile ukrainienne déjà très mobilisée depuis 2014. L’expérience de la guerre dans le Donbass a favorisé cette bonne structuration. De nombreuses preuves avaient déjà pu être récoltées.</p>
<p>Parmi les crimes invoqués par la Cour, les allégations de commissions de crimes de guerre sont celles qui reviennent le plus fréquemment et pour lesquelles il semble plus simple d’établir des preuves. Un <a href="https://www.un.org/fr/genocideprevention/war-crimes.shtml">crime de guerre</a> est une violation grave du droit international humanitaire. Trois éléments – légal, matériel et psychologique – doivent être remplis pour qualifier un agissement de crime de guerre. L’acte doit être prohibé par l’<a href="https://blogs.parisnanterre.fr/content/article-8-du-statut-de-rome-et-titre-18-du-united-states-code-une-d%C3%A9finition-limit%C3%A9e-des-cri">article 8 du Statut de Rome</a> (élément légal). Sont notamment interdits l’homicide intentionnel, la torture et les traitements inhumains, les attaques intentionnelles contre la population et des biens civils, les attaques et bombardements contre des lieux non défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires, etc. (élément matériel). L’acte doit avoir été commis dans le cadre d’un conflit armé – ce qui est le cas en Ukraine – et la personne mise en cause doit avoir commis le crime avec intention et connaissance (élément psychologique).</p>
<p>Dans les faits, de nombreux agissements sont visés. Il s’agit notamment des frappes indiscriminées et aveugles de l’armée russe contre des zones abritant des infrastructures civiles et médicales à Kiev, Kharkiv, Marioupol et ailleurs. Ces attaques auraient déjà causé la mort de centaines de civils. Par exemple, le jeudi 3 mars, l’armée russe aurait largué huit bombes à Tchernihiv, ville située à 130 kilomètres de Kiev, dans une zone où étaient rassemblés des civils venus acheter de la nourriture. Aucune cible militaire ne semblait présente à proximité. <a href="https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/ukraine-frappe-aerienne-russe-menee-bombes-guidees-civils">D’après Amnesty international</a>, ces attaques auraient coûté la vie à 47 civils. Cette opération s’apparente à un crime de guerre. Par ailleurs, l’armée russe semble faire preuve d’un recours disproportionné à la force, au regard du nombre important de destructions de biens et d’équipements civils (habitations civiles, maternités, hôpitaux, etc.) et des grandes souffrances infligées à la population civile ukrainienne.</p>
<p>Si à ce stade, Karim Khan n’a pas fait état de la nature précise de ces crimes, le <a href="https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-poutine-est-un-criminel-de-guerre-dit-biden-20220316">président Joe Biden</a> et le premier ministre britannique <a href="https://www.bbc.com/news/uk-60588031">Boris Johnson</a> n’ont pas hésité à qualifier le président Poutine de criminel de guerre.</p>
<p>Désormais, il appartient au procureur d’établir les responsabilités pénales individuelles. Au-delà de Vladimir Poutine, des responsables militaires et politiques russes – mais aussi ukrainiens – pourraient être mis en cause. Des mandats d’arrêt pourraient ensuite être émis. Cependant, il est difficilement envisageable à ce stade de voir la Russie coopérer et transférer à La Haye – où se trouve le siège de la CPI – certains de ses dirigeants. Le gouvernement ukrainien le sait. Mais l’objectif n’est pas là. Il s’agit de poursuivre son action pour isoler la Russie et accroître la pression à son encontre.</p>
<h2>Une judiciarisation du conflit dans un objectif de moralisation des relations internationales</h2>
<p>Par ailleurs, la mobilisation de la CPI par l’Ukraine s’inscrit dans une stratégie plus globale de judiciarisation du conflit afin d’affirmer son statut de victime face à l’agresseur russe. Au-delà de la CPI, la Cour internationale de Justice – qui établit des responsabilités étatiques – a rendu ce 16 mars une <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1116482">ordonnance</a> exigeant de la Russie qu’elle cesse ses opérations militaires en Ukraine.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Russia must immediately suspend military operations in Ukraine » – International Court of Justice, Nations unies, 17 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Le gouvernement ukrainien entend mettre à profit ses différents recours juridictionnels pour obtenir un avantage diplomatique. L’Ukraine n’est pas le premier pays à judiciariser sa cause pour bénéficier de gains politiques. Avant elle, la Palestine fit le même calcul quand elle décida d’<a href="https://orientxxi.info/magazine/ce-que-change-l-adhesion-de-la-palestine-a-la-cour-penale-internationale,0790">adhérer à la CPI en 2015</a>. Finalement, nombre d’États perçoivent la CPI comme un acteur politique capable de contribuer à moraliser les relations internationales et à participer au rétablissement de la paix, faisant vivre l’idée que la paix ne peut advenir sans le triomphe de la justice.</p>
<p>Si le dossier ukrainien devrait permettre à la Cour pénale internationale de renforcer sa stature sur la scène internationale, il faut cependant relativiser la capacité de la juridiction pénale à contribuer à la restauration de la paix dans le pays. Le temps long de la justice semble éloigné des objectifs à court terme visant à mettre fin au conflit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179635/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Insaf Rezagui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Cour pénale internationale a lancé une enquête qui s’annonce longue et difficile pour établir si des crimes de guerre ont été commis dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.Insaf Rezagui, Doctorante en droit international public, Le Mans Université - Chercheuse au Centre Thucydide Paris Panthéon-Assas, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1755582022-02-22T18:39:18Z2022-02-22T18:39:18ZDes crimes contre l’humanité ont-ils été commis au Venezuela ces dernières années ? La Cour pénale internationale va (peut-être) trancher<p>Le 3 novembre 2021, le bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (ci-après « CPI » ou « Cour ») a décidé d’<a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1625&ln=fr">ouvrir une enquête</a> sur les crimes contre l’humanité qui auraient été commis depuis 2017 sur le territoire de la République bolivarienne du Venezuela. Aucune enquête de ce type n’avait encore été ouverte concernant un État américain depuis la <a href="https://www.amnesty.fr/focus/cour-penale-internationale">création de la Cour</a>.</p>
<p>Le lancement de cette procédure ne signifie pas que des individus seront nécessairement jugés, mais seulement que le bureau du Procureur est en capacité d’enquêter sur les faits commis et, éventuellement, d’identifier de suspects, si les éléments de preuves le permettent.</p>
<h2>Que s’est-il passé au Venezuela ?</h2>
<p>En 2012, une <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/28/venezuela-la-crise-expliquee-en-3-graphiques_5415726_4355770.html">crise économique</a> sans précédent a touché le Venezuela, provoquant une forte inflation et une pénurie des produits de première nécessité, notamment le carburant.</p>
<p>La crise a été déclenchée par une forte diminution de la production de pétrole au Venezuela. Cette production étant la principale source de revenu national, le PIB n’a cessé de chuter depuis.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/02/18/au-venezuela-le-mouvement-etudiant-cristallise-la-grogne-sociale_4368489_3222.html">manifestations populaires</a> contre la politique du président Nicolás Maduro (<a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/2013/04/19/venezuela-portrait-nicolas-maduro-le-chauffeur-de-bus-devenu-president-28899.html">devenu président en 2013</a> après le décès d’Hugo Chavez) ont commencé en 2014. La violence s’est accrue en 2015 lorsque le Tribunal suprême de justice, la plus haute instance judiciaire vénézuelienne, a <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/200817/venezuela-le-parlement-se-reunit-malgre-sa-dissolution-de-fait?onglet=full">dissous le Parlement</a> car l’opposition y était devenue majoritaire, et s’est arrogé ses pouvoirs, avec le soutien du président.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-nicolas-maduro-se-maintient-au-pouvoir-au-venezuela-60751">Comment Nicolás Maduro se maintient au pouvoir au Venezuela</a>
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<p>Des affrontements entre les manifestants et les forces armées envoyées par le gouvernement ont eu lieu, faisant des centaines de blessés et <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/venezuela-67-personnes-sont-mortes-lors-de-manifestations-en-2019-20200124">au moins 68 morts entre 2014 et 2019</a>. De nombreuses <a href="https://www.coalitionfortheicc.org/sites/default/files/cicc_documents/venezuela-coi-august-19-final.pdf">exactions</a>, commises en majorité par la police contre les manifestants et, dans une moindre mesure, par les manifestants contre les forces de l’ordre ont été rapportées : arrestations arbitraires, torture et violences sexuelles en détention, assassinats politiques, disparitions forcées…</p>
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<p>Ces faits ne doivent pas être assimilés à ceux de la situation <a href="https://www.icc-cpi.int/venezuelaII?ln=fr">Venezuela II</a>, une deuxième situation ouverte par la CPI, qui concernent de possibles crimes contre l’humanité commis par les États-Unis sur le territoire du Venezuela depuis 2014 dans le cadre de mesures coercitives, notamment de fortes <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/le-v%C3%A9n%C3%A9zuela-appelle-la-cour-p%C3%A9nale-internationale-%C3%A0-enqu%C3%AAter-sur-des-responsables-am%C3%A9ricains/1733839">sanctions économiques</a>. L’enquête sur cette question est toujours au stade de l’examen préliminaire.</p>
<h2>Pourquoi la Cour pénale internationale enquête-t-elle ?</h2>
<p>Selon le <a href="https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/add16852-aee9-4757-abe7-9cdc7cf02886/283948/romestatutefra1.pdf">Statut de Rome</a>, la Cour est compétente pour juger les hauts responsables de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de génocides et de crimes d’agression commis par des ressortissants d’un État partie ou sur le territoire de celui-ci. Cependant, celle-ci n’a compétence que lorsque tous les États pouvant juger eux-mêmes ces hauts responsables refusent ou sont en incapacité de le faire : il s’agit du <a href="https://www.un.org/press/fr/2014/ag11577.doc.htm">principe de complémentarité</a>.</p>
<p>Dans un premier temps, un <a href="https://www.sqdi.org/fr/examens-preliminaires-a-la-cour-penale-internationale-fondements-juridiques-pratique-du-bureau-de-la-procureure-et-developpements-judiciaires/">examen préliminaire relatif</a> est ouvert à la demande d’un État partie, du Conseil de sécurité des Nations unies ou par le Procureur de la CPI. Au cours de cet examen, le bureau du Procureur examine les éléments à sa disposition afin de déterminer s’il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête sur la situation. Il analyse également la compétence de la Cour, la recevabilité et les intérêts de la justice.</p>
<p>C’est seulement après l’étude de tous ces éléments que le bureau du Procureur peut décider d’ouvrir une <a href="https://www.icc-cpi.int/pages/situation.aspx?ln=fr">enquête</a> au cours de laquelle il pourra examiner des preuves, interroger des victimes et des témoins, etc. Enfin, au cours de cette période, le Procureur pourra identifier des suspects et demander l’émission de mandats d’arrêt dans le but d’ouvrir une <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/cases.aspx?ln=fr">affaire</a> sur un ou plusieurs individus suspectés d’avoir commis des crimes relevant de la compétence de la Cour.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1457679297955647495"}"></div></p>
<p>Dans le cas du Venezuela, État partie au Statut de Rome depuis juin 2002, un <a href="https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/4e2bc725-6a63-40b8-8cdc-adba7bcaa91f/143684/otp_letter_to_senders_re_venezuela_9_february_2006.pdf">premier examen</a> avait été ouvert en 2006 pour des violences du gouvernement à l’encontre de la population et d’opposants politiques, puis clos pour défaut de compétence temporelle de la Cour.</p>
<p>Un <a href="https://news.un.org/fr/story/2018/02/1005131">second examen préliminaire</a> a été ouvert le 8 février 2018 par l’ancienne Procureure Fatou Bensouda pour de potentiels crimes contre l’humanité commis depuis 2017 au cours des manifestations. Le 27 septembre 2018, six États américains ont demandé <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/180925-otp-referral-venezuela_ENG.pdf">l’ouverture d’une enquête</a> au bureau du Procureur ainsi qu’un élargissement de l’examen préliminaire aux faits remontant au 12 février 2014, date d’une des plus grosses manifestations à Caracas, au cours de laquelle <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2014/02/12/1817495-venezuela-trois-morts-dans-des-manifestations-contre-le-gouvernement.html">trois manifestants ont été tués</a>. Le lendemain, la situation au Venezuela a été attribuée à la Chambre préliminaire I, instance chargée des décisions préalables à l’ouverture d’un procès telles que les mandats d’arrêt.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/illiberalisme-comment-lindulgence-des-voisins-du-venezuela-a-precipite-le-pays-dans-la-crise-111209">Illibéralisme : comment l’indulgence des voisins du Venezuela a précipité le pays dans la crise</a>
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<p>Au cours de cet examen préliminaire, le bureau du Procureur a dû déterminer si la CPI pouvait avoir compétence pour ouvrir une enquête sur la situation au Venezuela. La question principale était de savoir si le principe de complémentarité était respecté. En l’occurrence, il s’agissait d’établir si les juridictions nationales étaient en capacité de juger de manière effective les responsables des violences commises pendant et après les manifestations. <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/2020-PE/2020-pe-report-fra.pdf#page=55">L’examen préliminaire</a> a montré que les juridictions vénézuéliennes n’avaient pas l’indépendance nécessaire pour cela. C’est pourquoi, comme mentionné précédemment, le bureau du Procureur a décidé d’ouvrir une enquête sur la situation au Venezuela.</p>
<h2>Quel avenir pour cette enquête ?</h2>
<p>Il est difficile de se prononcer sur un possible aboutissement de cette enquête. Certains éléments laisser entrevoir de possibles suites. Le président Maduro a fait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/04/la-cpi-ouvre-une-enquete-sur-les-allegations-de-crimes-commis-par-le-regime-au-venezuela_6100974_3210.html">preuve de bonne foi</a> au cours du voyage au Venezuela du Procureur actuel de la CPI, Karim Khan, entre le 31 octobre et le 3 novembre 2021. Les rencontres entre le Procureur, Nicolás Maduro et des membres du gouvernement vénézuélien ont abouti à la rédaction d’un <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/otp/acuerdo/acuerdo-eng.pdf"><em>mémorandum</em></a> de coopération entre le Venezuela et le bureau du Procureur : les autorités de Caracas s’engagent à coopérer pleinement avec la Cour et à faciliter le travail du Procureur sur le territoire.</p>
<p>Cet accord est à saluer dans la mesure où la coopération des États parties avec la Cour est fondamentale pour le travail du bureau du Procureur. En effet, la CPI ne dispose pas de forces propres : elle est totalement dépendante du bon vouloir des États en ce qui concerne l’arrestation des suspects ou l’accès aux preuves par exemple. En outre, il existe aussi un certain nombre de preuves à disposition de la Cour grâce <a href="http://www.oas.org/documents/eng/press/Informe-Panel-Independiente-Venezuela-EN.pdf">au travail des experts internationaux</a> nommés par le secrétaire général des Nations unies en mai 2018.</p>
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<p>En septembre 2020, la <a href="https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/FFMV/A_HRC_45_33_AUV.pdf">mission internationale indépendante d’établissement des faits</a> des Nations unies sur le Venezuela a déterminé que des exécutions illégales, des disparitions forcées, des détentions arbitraires et des actes de torture ont été commis. Ce rapport a ensuite été <a href="https://www.oas.org/en/media_center/press_release.asp?sCodigo=E-122/20">étoffé</a> par <a href="https://archive.crin.org/fr/guides-pratiques/lonu-et-le-systeme-international/mecanismes-regionaux/organisation-des-etats.html">l’organisation des États américains</a> en décembre 2020.</p>
<p>Même si ces éléments laissent penser que le bureau du Procureur pourrait effectuer son travail d’enquête dans de bonnes conditions, un conflit d’intérêts demeure. Nicolás Maduro était au pouvoir au moment de la période de violence : les membres de son gouvernement et lui-même pourraient ainsi voir leur responsabilité engagée. Cette situation rappelle les problèmes rencontrés dans <a href="https://www.icc-cpi.int/kenya/kenyatta?ln=fr">l’affaire <em>Kenyatta</em></a>. Dans cette affaire, ouverte en 2011, l’accusé est devenu président du Kenya en 2013 et a stoppé toute coopération avec la CPI. Le Procureur a donc rencontré de fortes difficultés à présenter des éléments de preuves, ce qui a abouti au retrait des charges, faute de preuves suffisantes pour débuter un procès.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"540862197253931008"}"></div></p>
<p>Dans le cas où Nicolás Maduro, ou certains de ses proches, seraient inquiétés, il est possible que cette situation se présente à nouveau. En outre, Nicolás Maduro pourrait choisir de coopérer uniquement pour les enquêtes contre ses opposants politiques, et par là même instrumentaliser la Cour. À l’inverse, les opposants politiques et en particulier Juan Guaidó, toujours considéré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/04/venezuela-l-opposition-confirme-juan-guaido-au-poste-de-president-par-interim_6108114_3210.html">par l’opposition</a> comme le président par intérim du pays, sont favorables à cette enquête de la Cour car elle permettrait de mettre en lumière des exactions commises à leur égard.</p>
<p>Enfin, l’enquête pourrait être close dans le cas où le principe de complémentarité ne s’appliquerait plus. Nous l’avons dit, l’enquête a été ouverte en raison de l’incapacité des juridictions vénézuéliennes à juger impartialement les auteurs de violences commises depuis 2017. Si les juridictions nationales venaient à acquérir une impartialité totale et à juger les auteurs, la CPI ne serait plus compétente. L’ouverture de cette enquête est un moyen d’inciter les autorités vénézuéliennes à développer cette impartialité, dans la continuité de l’évolution de la politique chaviste.</p>
<p>La clôture de l’enquête pour cette raison constituerait une avancée, car cela refléterait l’impartialité des juridictions. Pour autant, là encore, cette hypothèse semble illusoire tant que Nicolás Maduro sera au pouvoir (son mandat actuel s’achève en 2023), d’autant plus qu’il pourra à nouveau se présenter aux futures élections. Ce dernier n’a pas intérêt à ce que certains de ses proches soient inquiétés. En définitive, il semble difficilement imaginable que ce travail d’enquête puisse être accompli dans les meilleures conditions tant que le président Maduro restera au pouvoir, malgré l’apparente bonne foi des autorités vénézuéliennes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175558/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Augustine Atry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ouverture d’une enquête de la Cour pénale internationale sur les crimes commis lors des manifestations de ces dernières années n’aboutira pas nécessairement à un procès. Voici pourquoi.Augustine Atry, Doctorante en droit public, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1688602021-10-07T18:14:44Z2021-10-07T18:14:44ZGuinée : l’interminable attente du procès des auteurs du massacre du 28 septembre 2009<p>Le 5 septembre 2021, le <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20211001-guin%C3%A9e-le-lieutenant-colonel-mamady-doumbouya-investi-pr%C3%A9sident">colonel</a> Mamady Doumbouya <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/09/05/guinee-tentative-de-coup-d-etat-les-putschistes-disent-avoir-pris-le-president-et-dissoudre-les-institutions_6093490_3212.html">prenait le pouvoir par les armes</a> en Guinée, renversant en quelques heures le régime du président <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20210905.OBS48268/qui-est-alpha-conde-le-president-guineen-que-des-militaires-putschistes-affirment-avoir-capture.html">Alpha Condé</a>, devenu la cible de virulentes critiques après sa réélection contestée à un troisième mandat.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guinee-un-coup-detat-previsible-167937">Guinée : un coup d’État prévisible</a>
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<p>Depuis lors, un vent nouveau souffle à Conakry. Dans l’objectif de mettre en place une transition inclusive et apaisée, l’officier supérieur à la tête du <a href="https://www.voaafrique.com/a/le-pr%C3%A9sident-alpha-cond%C3%A9-a-%C3%A9t%C3%A9-renvers%C3%A9-par-les-forces-sp%C3%A9ciales-de-guin%C3%A9e/6213035.html">Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD)</a> a engagé une vaste concertation nationale avec les forces vives de la nation. Les principaux leaders politiques, chefs religieux et acteurs de la société civile défilent au Palais du peuple pour lui présenter suggestions et doléances. Un processus dont on ignore encore l’issue.</p>
<p>Beaucoup de ces protagonistes en conviennent – et c’est aussi l’avis d’une bonne partie de la communauté internationale –, la Guinée souffre depuis son indépendance en 1958 d’une maladie chronique : l’impunité des responsables de violations des droits humains. En effet, quel que soit le régime, le pays s’est révélé incapable de faire juger les auteurs des plus graves exactions.</p>
<p>En 2010, l’élection d’Alpha Condé, opposant historique autrefois emprisonné, laissait espérer l’ouverture d’une nouvelle ère. Le temps de l’impunité était révolu, avait-il annoncé. Les crimes de masse allaient désormais être jugés, à commencer par ceux commis le 28 septembre 2009, dont les auteurs étaient parfaitement identifiés.</p>
<h2>Le terrible massacre du 28 septembre 2009</h2>
<p>Rappelons que, le 28 septembre 2009, un meeting de l’opposition avait <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/636125/societe/guinee-le-lundi-noir-du-28-septembre-2009/">tourné au drame</a> dans la capitale guinéenne. Alors qu’une foule d’opposants s’était réunie dans le stade de Conakry pour manifester contre la candidature à l’élection présidentielle du capitaine <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Moussa_Dadis_Camara">Moussa Dadis Camara</a>, chef de la junte au pouvoir – le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) –, les forces de sécurité avaient réprimé brutalement le rassemblement.</p>
<p>Au cours de ces évènements, connus comme le <a href="https://www.hrw.org/fr/report/2009/12/17/un-lundi-sanglant/le-massacre-et-les-viols-commis-par-les-forces-de-securite-en">« massacre du 28 septembre »</a>, au moins 156 personnes ont été tuées, 109 femmes ont été victimes de viols et d’autres violences sexuelles, y compris de mutilations sexuelles, tandis que des centaines de personnes ont subi des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Pendant plusieurs jours, des arrestations et des détentions arbitraires ainsi que des actes de pillage ont également été pratiqués.</p>
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<figcaption><span class="caption">Massacre du stade de Conakry : HRW accable Camara et Toumba, France 24, 17 décembre 2009.</span></figcaption>
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<p>La Commission d’enquête internationale aussitôt créée par le secrétaire général des Nations unies d’alors, Ban Ki-moon, en vue d’établir les faits et les circonstances des évènements en cause, a considéré dans son <a href="https://undocs.org/pdf?symbol=fr/S/2009/693">rapport de décembre 2009</a> que le nombre des victimes de ces atrocités, pouvant être qualifiées de crimes contre l’humanité, est très probablement plus élevé que ne l’indique le bilan officiel.</p>
<h2>L’interminable attente d’un procès</h2>
<p>Qui sont les auteurs de ces violations ? <a href="https://www.jeuneafrique.com/794588/societe/guinee-la-cour-supreme-clot-lenquete-sur-le-massacre-du-28-septembre-2009-une-etape-de-plus-vers-louverture-du-proces/">Une enquête pénale</a> a été ouverte et conduite par des juges d’instruction entre 2012 et 2017. Au total, 13 personnes ont été mises en examen et renvoyées devant la justice pénale guinéenne pour y être jugées.</p>
<p>Parmi les 13 prévenus, dont la plupart ont été identifiés par les victimes comme étant présents au stade le 28 septembre 2009, se trouvent Moussa Dadis Camara, plusieurs de ses ministres, ainsi que des membres de son entourage et de la garde présidentielle.</p>
<p>En revanche, d’autres responsables en poste à l’époque des faits et mentionnés dans le rapport de la Commission d’enquête internationale sont passés à travers les mailles du filet des juges d’instruction, notamment le ministre de la Jeunesse et des sports, le ministre de la Défense, le directeur du stade du 28 Septembre, la directrice de l’hôpital Donka (où de nombreux blessés ont été maltraités), le commandant du camp Alpha Yaya Diallo (où des manifestants ont été détenus et torturés), de même que plusieurs membres des services de sécurité.</p>
<p>Le choix des juges d’instruction consistant à retenir la responsabilité des uns et à écarter celle des autres est demeuré inexpliqué dans l’ordonnance de renvoi rendue le 29 décembre 2017. Au moins y avait-il une base juridique et procédurale solide pour <a href="https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/guinee-conakry/guinee-massacre-du-28-septembre-2009-la-fin-de-l-information">juger certains d’entre eux</a>. Un <a href="http://www.revuedlf.com/droit-international/massacre-du-28-septembre-2009-la-guinee-a-lepreuve-du-principe-de-complementarite/">procès historique</a> a donc été annoncé et promis à la procureure de la Cour pénale internationale d’alors, Fatou Bensouda.</p>
<p>Toutefois, Alpha Condé, à l’instar de ses prédécesseurs à la tête de l’État, a été gagné par la fièvre de l’impunité. S’il a entretenu les apparences de préparatifs du procès, c’était pour satisfaire la société civile et la communauté internationale, et surtout pour s’assurer que celui-ci ne se tiendrait jamais.</p>
<p>Pas moins d’une dizaine de réunions d’un <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/37675-guinee-massacre-du-28-septembre-2009-un-comite-de-pilotage-prepare-le-proces.html">comité de pilotage <em>ad hoc</em></a> ont eu lieu entre 2018 et 2021, sans aucun résultat concret.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guinée : massacre du 28 septembre 2009, à quand un procès ? RFI, 29 septembre 2020.</span></figcaption>
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<p>Clairement, Alpha Condé ne voulait pas d’un procès. Il est vrai que, depuis 2010, près de 300 opposants ou manifestants avaient <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2021/03/guinee-des-morts-invisibles-symptomes-d-une-culture-d-impunite/">péri sous les balles de la police ou de l’armée</a>, sans qu’aucune enquête ou condamnation n’ait eu lieu. <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/01/08/en-guinee-des-centaines-de-personnes-toujours-emprisonnees-apres-la-reelection-d-alpha-conde_6065615_3212.html">D’autres avaient été emprisonnés</a> sur la base de procédures montées de toutes pièces par une police et une justice aux ordres.</p>
<p>Comment la population pouvait-elle accepter qu’un régime ayant orchestré l’impunité au sein de son appareil répressif puisse organiser le procès de l’équipe de l’un de ses prédécesseurs à la tête du pays ? Pour éviter toutes critiques ou nouvelles contestations, le pouvoir en place estimait préférable de ne rien faire, cela d’autant plus que certaines des personnes mises en cause étaient devenues entre-temps des piliers du régime d’Alpha Condé.</p>
<h2>Le colonel Mamady Doumbouya, un tournant ?</h2>
<p>À la faveur du coup d’État opéré le 5 septembre 2021, est-il permis d’avoir encore de l’espoir ? Installé à la tête du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), le colonel Mamady Doumbouya offre-t-il des perspectives de lutte contre l’impunité ? On peut sérieusement en douter, et ce, pour trois raisons principales.</p>
<p>La première raison tient à la faiblesse chronique de la police et de l’appareil judiciaire dans un pays ayant connu une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/chronologie-de-la-guinee-1952-2010_836207.html">succession ininterrompue de régimes autoritaires ou répressifs</a> depuis 1958. Les acteurs de la police et de la justice en Guinée sont dans l’incapacité de réaliser des enquêtes sur des faits de violations massives des droits humains et de les juger.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guinée : Des femmes témoignent de viols commis par les militaires, France 24, 6 octobre 2009.</span></figcaption>
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<p>Leurs moyens (humains, techniques, matériels) et leurs capacités (formation, expérience) sont <a href="https://landinfo.no/wp-content/uploads/2018/05/Guin%C3%A9e-La-police-et-le-syst%C3%A8me-judiciaire.pdf">insuffisants</a>. Ils sont, en outre, bien trop sensibles aux influences politiques et à la corruption.</p>
<p>Sans l’intervention de policiers internationaux et celle de magistrats internationaux au sein d’une juridiction pénale internationalisée ou de la Cour pénale internationale, les affaires de ce type ont, dans un tel contexte, des chances minimes d’aboutir à des enquêtes crédibles et des jugements.</p>
<p>La deuxième raison tient au fait que les régimes successifs procèdent non au renouvellement mais à un « recyclage » des élites dirigeantes. Après quelques déclarations d’intention, les nouveaux maîtres du pouvoir <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210906-guin%C3%A9e-le-chef-des-putschistes-mamady-doumbouya-promet-un-nouveau-gouvernement">finissent par replacer les membres des équipes des régimes antérieurs qu’ils ont combattus</a>. Ainsi, non seulement nombre des ministres, militaires, hauts fonctionnaires, policiers, gendarmes et magistrats demeurent les mêmes, mais ceux-ci renouent invariablement avec leurs pratiques précédentes.</p>
<p>Ces pratiques, tenaces, des élites guinéennes forment un mélange de népotisme, de corruption et de répression, qui assure leur domination sur une <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/GN/situation-economique-et-financiere">population pauvre</a> et abandonnée à elle-même, comme le démontre l’état général de délabrement des services publics du pays (éducation, santé, eau et électricité).</p>
<p>Alpha Condé n’avait pas dérogé à la règle et avait repris dans ses équipes certains des auteurs du massacre du 28 septembre 2009 (Claude Pivi, Moussa Tiégboro Camara, Ansoumane Camara dit Baffoé, Ibrahima Baldé).</p>
<p>La troisième raison faisant douter de la fin de l’impunité tient à l’histoire de la Guinée, laquelle enseigne que les militaires qui se sont emparés du pouvoir par la force des armes ne sont pas devenus, sous l’effet de la magie, ceux qui ont instauré les principes fondamentaux d’un État de droit.</p>
<p>Déjà, le 3 avril 1984, à la suite de la mort de <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/S%C3%A9kou_Tour%C3%A9/147202">Sékou Touré</a> – père de l’indépendance de la Guinée et féroce dictateur –, l’armée s’était emparée du pouvoir <a href="https://www.universalis.fr/evenement/3-11-avril-1984-prise-du-pouvoir-par-les-militaires/">par un coup d’État</a> dirigé par les colonels Diarra Traoré et Lansana Conté. Porté au pouvoir par la junte militaire dénommée Comité militaire de redressement national (CMRN), Lansana Conté avait <a href="https://www.guineenews.org/wp-content/uploads/2020/07/COUP-DETAT-MANQUE-DU-COLONEL-DIARRA-TRAORE.pdf.pdf.pdf">fait éliminer le colonel Traoré</a>.</p>
<p><a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1263">Élu officiellement président de la République en 1993</a>, il allait être largement reconduit en <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1756">1998</a> puis en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2003/12/26/lansana-conte-reelu-en-guinee_456546/">2003</a>, grâce à une modification constitutionnelle contestée, au terme de scrutins manipulés et au prix de répressions brutales et de l’emprisonnement de ses opposants, dont Alpha Condé. Auteur de multiples violations des droits humains, il allait conserver le pouvoir jusqu’à <a href="https://www.jeuneafrique.com/163006/politique/le-pr-sident-lansana-cont-est-mort/">sa mort en 2008</a>.</p>
<p>C’est d’ailleurs un autre coup d’État survenu au lendemain de sa mort, le 23 décembre 2008, qui porta le capitaine Dadis Camara à la tête du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD). Moussa Dadis Camara allait, à son tour, suscité une vague d’espérance, alimentée par sa franchise déroutante.</p>
<p>Il promettait de lutter contre la corruption et de mettre fin aux abus. Or, il allait devenir l’un des principaux responsables du massacre du stade du 28 Septembre, massacre qui généra de vives dissensions au sein du CNDD, l’obligeant à quitter le pouvoir après une <a href="https://www.parismatch.com/Actu/International/Guinee-Toumba-avoue-sa-tentative-de-meurtre-146292">tentative d’assassinat perpétrée par son adjoint</a>, le lieutenant Toumba.</p>
<p>Pour le colonel Mamady Doumbouya, désigné par la junte miliaire comme le nouveau président de la République le 17 septembre 2021, s’engager à ce que le procès des auteurs du massacre du 28 septembre 2009 ait lieu serait assurément une manière de montrer qu’il entend réellement rompre avec le passé en portant un coup salutaire à la culture de l’impunité en Guinée. Mieux vaut tard que jamais !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors qu’un nouveau cycle politique commence en Guinée, les espoirs de voir les responsables du massacre du 28 septembre 2009 être enfin jugés sont grands mais ils risquent d’être encore déçus.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona de Porto (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1692902021-10-05T19:18:01Z2021-10-05T19:18:01ZHissène Habré est mort mais ses victimes n’ont toujours pas reçu la moindre indemnisation<p>Que se passe-t-il lorsque des survivants d’atrocités se voient accorder une importante somme en réparations, mais que le tribunal qui a ordonné ce versement a fermé et la personne chargée de payer les réparations est décédée ?</p>
<p>C’est la question à laquelle sont confrontées les victimes du régime de l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré.</p>
<p>Habré, qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, est <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/mort-d-hissene-habre-ex-president-tchadien-detenu-pour-crimes-contre-l-humanite_2157122.html">décédé</a> à la fin du mois d’août dernier à la suite de complications liées à Covid-19 alors qu’il purgeait une <a href="https://www.jeuneafrique.com/1156557/politique/senegal-la-justice-refuse-de-liberer-hissene-habre-selon-ses-avocats/">peine de prison à vie au Sénégal</a> pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Sa peine de prison avait été <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2016/05/30/condamnation-historique-de-hissene-habre-pour-atrocites">prononcée en 2016</a> par les Chambres africaines extraordinaires, une juridiction pénale spécialisée, créée à Dakar par un accord entre le gouvernement sénégalais et l’Union africaine (UA). Les Chambres africaines extraordinaires ont cessé leurs activités après avoir conclu la procédure d’appel, un an plus tard.</p>
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<figcaption><span class="caption">Décès de Hissène Habré : la réaction des victimes (TV5 Monde Info, 24 août 2021).</span></figcaption>
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<p>Ce procès avait été le fruit de <a href="https://information.tv5monde.com/hissene-habre-le-proces-d-un-dictateur">plus de 25 ans d’efforts tenaces</a> de la part de groupes de victimes tchadiens et de leurs partenaires non gouvernementaux pour traduire l’ex-dictateur en justice. Et les Chambres africaines extraordinaires ont également condamné Habré à verser plus de <a href="https://www.icj.org/fr/tchad-la-condamnation-de-hissene-habre-confirmee/">82 milliards de francs CFA</a> (plus de 140 millions de dollars US) à 7 396 victimes qui avaient participé au procès en tant que parties civiles. Cela reste le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13642987.2017.1360018">plus grand montant de compensation</a> accordé par un tribunal pénal international(-isé).</p>
<p>Pourtant, plus de quatre ans après cette décision, aucune des victimes n’a reçu la moindre indemnisation.</p>
<h2>Un Fonds spécial qui n’existe que sur le papier</h2>
<p>Les juges d’appel des Chambres africaines extraordinaires ont ordonné que les réparations soient mises en œuvre par le biais d’un <a href="https://brill.com/view/journals/lape/18/1/article-p33_2.xml?language=en">« Fonds d’indemnisation des victimes »</a> similaire au modèle du <a href="https://www.trustfundforvictims.org/">fonds au profit des victimes</a> existant à la Cour pénale internationale. Mais aujourd’hui, Habré est mort, et le Fonds n’existe toujours que sur le papier.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mort d’Hissène Habré : les victimes tchadiennes du régime demandent encore réparation (France24, 25 août 2021).</span></figcaption>
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<p>Les victimes au Tchad sont frustrées par la lenteur des progrès et ont fréquemment <a href="https://www.africanews.com/2019/08/08/victims-of-hissein-habre-s-dictatorship-in-chad-demand-justice//">organisé</a> des marches et des manifestations. Le Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies a <a href="https://new.in-24.com/News/amp/182314">souligné</a> que la mort de Habré ne constitue en aucun cas un obstacle à la mise en œuvre du Fonds et du jugement en réparations rendu par les Chambres africaines extraordinaires.</p>
<p>L’attention s’est donc portée sur l’UA et sur le gouvernement tchadien qui doivent parvenir à un accord pour mettre en place le fonds et commencer à indemniser les victimes. Il faut agir si l’on veut éviter que l’ordonnance de la Cour ne devienne une récompense fictive.</p>
<p>Les juges d’appel des Chambres africaines extraordinaires ont accordé au Fonds une grande discrétion dans l’exécution de l’ordonnance en réparations. Cela inclut la possibilité d’approcher d’autres victimes, au-delà des parties civiles, et de collaborer avec le Tchad et les associations de victimes pour concevoir des réparations collectives non ordonnées par la Cour. En outre, le Fonds est devenu le dépositaire du produit des biens saisis à Habré. Il a également été chargé de surveiller la situation financière de Habré en vue d’identifier et de saisir des actifs supplémentaires.</p>
<p>Le jugement en appel des Chambres africaines extraordinaires a fait du Fonds un élément central de la mise en œuvre des réparations. Cette stratégie était risquée. Elle plaçait tous les espoirs dans une nouvelle institution qui n’était pas encore opérationnelle.</p>
<p>Le Fonds a finalement été créé sous les auspices de l’UA, suite à une résolution en juillet 2016 et à l’adoption des <a href="https://www.hrw.org/sites/default/files/supporting_resources/statute_trust_fund_victims_english.pdf">statuts du Fonds</a> début 2018. Il a toutefois fallu attendre juin 2019 pour la conclusion d’un accord avec le Tchad sur l’établissement du siège du Fonds à N’Djamena. Puis la pandémie de Covid-19 a frappé, et le processus a été interrompu.</p>
<h2>Trouver l’argent</h2>
<p>Les prochains défis sont de rendre le Fonds opérationnel et de mobiliser des ressources. À la suite d’une mission de l’UA au Tchad, mi-septembre 2021, on espère qu’un conseil d’administration composé de membres de l’UA, du gouvernement tchadien et de trois associations de victimes prendra bientôt ses fonctions. Le statut prévoit également un secrétariat pour aider le conseil d’administration dans son mandat.</p>
<p>Plus difficile sera de <a href="https://academic.oup.com/jicj/article-abstract/16/1/141/4930645?redirectedFrom=fulltext">mobiliser réellement les fonds</a> pour l’indemnisation. Les Chambres africaines extraordinaires avaient saisi des biens appartenant à Habré. Il s’agit d’une propriété avec villa à Dakar (d’une valeur estimée à près de 800 000 dollars) et de deux comptes bancaires. Mais une action est nécessaire pour convertir cette saisie conservatoire en bénéfice monétaire pour les victimes. Les avocats des victimes n’ont jusqu’à présent <a href="https://www.justiceinfo.net/en/81192-habre-death-final-blow-or-wake-up-call-reparations.html">introduit aucune action</a> devant le tribunal de grande instance de Dakar, qui a été désigné par les Chambres africaines extraordinaires pour connaître de toute affaire après sa fermeture. Sans doute parce qu’ils attendaient la création du Fonds, qui doit recevoir le fruit de ces biens.</p>
<p>L’accès aux biens présumés de Habré au-delà des frontières du Sénégal sera encore plus délicat, surtout après sa mort. En 1992, une commission d’enquête tchadienne <a href="https://justicehub.org/article/victims-lawyers-start-battle-to-seize-habres-millions/">avait affirmé</a> que Habré avait volé 3,32 milliards de francs CFA (5,7 millions de dollars) au trésor national.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le procès habré, chambres africaines extraordinaires du Sénégal (12 janvier 2018).</span></figcaption>
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<p>Mais une chose est sûre : les avoirs de Habré sont loin de suffire à satisfaire l’importante demande de réparations des Chambres africaines extraordinaires. L’UA a alloué 5 millions de dollars au Fonds, vraisemblablement pour ses coûts de fonctionnement initiaux. En outre, il a été <a href="https://www.justiceinfo.net/en/41572-can-the-victims-of-the-habre-regime-still-get-reparations.html">signalé</a> que les Chambres africaines extraordinaires avaient transféré près de 500 000 euros (585 000 dollars) au fonds, qui restaient sur leurs comptes au moment de sa dissolution. L’UA a également <a href="https://au.int/sites/default/files/speeches/38037-sp-speech_ex_council_6_feb_20docx.pdf">annoncé</a> son intention de convoquer une conférence de mobilisation des ressources, à laquelle participeront les États membres et partenaires, les organisations internationales et d’autres organes, afin de solliciter des contributions volontaires au fonds.</p>
<h2>L’heure tourne</h2>
<p>Un rôle clé incombera au gouvernement tchadien. Si le Tchad a soutenu les Chambres africaines extraordinaires, il a jusqu’à présent peu fait pour remplir ses propres obligations en matière d’indemnisation des victimes du régime Habré.</p>
<p>En 2015, un tribunal tchadien a <a href="https://books.google.com.ng/books?id=EKDgDwAAQBAJ&pg=PA348&lpg=PA348&dq=In+2015,+a+Chadian+court+convicted+a+number+of+former+security+agents+of+the+regime+and+ordered+CFA+75+billion+to+around+7,000+civil+parties,">condamné</a> un certain nombre d’anciens agents de la sécurité du régime Habré et a ordonné le versement de 75 milliards de francs CFA (135 millions de dollars) à quelque 7 000 parties civiles, en stipulant que 50 % seraient pris en charge par l’État tchadien. Le tribunal a également ordonné la création d’un mémorial pour les personnes tuées et la transformation des anciens locaux de la sécurité en musée.</p>
<p>Les autorités tchadiennes n’ont mis en œuvre aucune de ces mesures.</p>
<p>En 2017, les victimes ont <a href="https://redress.org/casework/clementabaifoutaand6999othersvtherepublicofchadhissene-habre-case/">déposé une plainte</a> contre le gouvernement tchadien devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples pour non-respect du jugement. Elles ont demandé à la Commission de porter l’affaire devant la <a href="https://www.african-court.org/wpafc/">Cour africaine des droits de l’homme et des peuples</a>. Les rapporteurs spéciaux des Nations unies ont également exprimé leur inquiétude face à ce manquement.</p>
<p>Le rôle du Tchad n’est pas seulement de faciliter les réparations des Chambres africaines extraordinaires de concert avec l’UA, mais aussi de reconnaître et d’assumer sa propre responsabilité pour les violations commises par ses agents de l’État.</p>
<p>Les récents <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210427-tchad-l-opposition-appelle-%C3%A0-manifester-des-incidents-signal%C3%A9s-%C3%A0-ndjamena">troubles au Tchad</a> et la <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210720-tchad-trois-mois-plus-tard-ce-que-l-on-sait-de-la-mort-du-pr%C3%A9sident-idriss-d%C3%A9by-itno">mort du président Idris Déby Itno</a>, en avril, ont détourné l’attention de la question des réparations.</p>
<p>Il est à craindre que le processus de réparations ne se transforme en un autre interminable processus effort qui pourrait rivaliser avec l’odyssée de dix ans qui a été nécessaire pour que des poursuites soient engagées contre Habré. Pour les victimes, l’heure tourne – des centaines de parties civiles, pour la plupart âgées, sont <a href="https://www.justiceinfo.net/en/81192-habre-death-final-blow-or-wake-up-call-reparations.html">déjà décédées</a> et ne verront jamais l’indemnisation qui leur était due.</p>
<hr>
<p><em>La traduction vers la version française a été assurée par le site <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/">Justice Info</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169290/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christoph Sperfeldt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ex-dictateur tchadien Hissène Habré (au pouvoir de 1982 à 1990) avait été condamné à verser d’importants dédommagements à ses milliers de victimes. Sa mort risque de les priver de leur dû.Christoph Sperfeldt, Honorary Fellow, Melbourne Law School, The University of MelbourneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1563362021-03-15T18:01:23Z2021-03-15T18:01:23ZCour pénale internationale : des crimes sans victimes ?<p>La Cour pénale est la première et la seule juridiction permanente compétente pour juger les hauts responsables pour crime de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crime d’agression : un réel aboutissement de la part de la communauté internationale.</p>
<p>Pourtant, après presque vingt ans d’existence, la Cour fait l’objet de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2019-4-page-83.htm">critiques persistantes</a> et les griefs ne manquent pas. Sa « partialité » envers l’Afrique est mise en cause, notamment au prétexte des acquittements retentissants de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/06/14/l-acquittement-de-bemba-revele-les-echecs-de-la-cour-penale-internationale_5314784_3212.html">Jean‑Pierre Bemba</a>, ancien vice-président de la RDC, en 2018, et de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/gbagbo-acquitte-et-apres_2057467.html">Laurent Gbagbo</a>, ancien président de Côte d’Ivoire, en 2019, accusés des crimes les plus graves. S’ajoutent les sanctions économiques américaines contre la procureur, la Gambienne Fatou Bensouda, en raison de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/05/la-cour-penale-internationale-valide-l-ouverture-d-une-enquete-pour-crimes-de-guerre-et-crimes-contre-l-humanite-en-afghanistan_6031942_3210.html">l’ouverture d’une enquête</a> en Afghanistan pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par les diverses forces en présence, ou encore les retraits d’États à l’égard de la compétence de la Cour (Burundi, Philippines) ou leur refus d’y souscrire (Chine, États-Unis, Russie, Inde, Israël…).</p>
<p>Autant d’éléments qui attestent, plus encore que sa réputation disputée, de sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/04/une-justice-internationale-a-la-peine_5471125_3210.html">fragilité</a>. L’universalité de la compétence de la Cour n’est pas acquise et de nombreux crimes peuvent rester impunis.</p>
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<figcaption><span class="caption">CPI : dénoncer le statut de Rome nuit à la justice internationale pour tous, affirme l’ONU.</span></figcaption>
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<p>Comment améliorer son fonctionnement ? L’élection d’un nouveau procureur, le Britannique <a href="https://asp.icc-cpi.int/FR_Menus/asp/press%20releases/pages/pr1567.aspx">Karim Kahn</a>, spécialiste des procès pénaux internationaux, qui prendra ses fonctions en juin prochain, peut-elle vraiment bouleverser la donne ? Une piste de réflexion vise à prendre en compte les victimes.</p>
<h2>Des victimes absentes des procès internationaux</h2>
<p>Il est un point de droit de procédure méconnu et pourtant fondamental : la place des victimes dans le procès pénal international.</p>
<p>Jusqu’à l’adoption du <a href="https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">statut de Rome</a> en 1998, le droit pénal international les avait écartées des procès en faisant le choix d’un face-à-face exclusif entre le suspect et l’accusation, qu’il s’agisse des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (1945) ou de Tokyo (1946) ou des tribunaux pénaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda (1993 et 1994). Les criminels n’étaient, ainsi, pas judiciairement confrontés aux victimes mais aux preuves de culpabilité, dans une logique de charge et décharge de celles-ci.</p>
<p>Ainsi les victimes étaient-elles paradoxalement absentes des procès des crimes de masse et ne pouvaient être entendues qu’en tant que témoins relativement aux preuves. Les souffrances, les traumatismes, les vies brisées n’étaient pas étalées devant le prétoire international, faisant ainsi l’économie d’un temps précieux.</p>
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<figcaption><span class="caption">Kharim Khan, nouveau procureur général de la CPI.</span></figcaption>
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<p>Aucune possibilité de réparer les crimes de masse n’était possible laissant les victimes sans réponse. À partir la décennie 1990, une évolution est perceptible. Les victimes apparaissent devant les commissions de justice et de vérité et/ou les accusés comparaissent devant les juges. Une telle division ne peut que poser problème : ne pas rendre justice aux victimes, c’est doubler leur préjudice initial.</p>
<h2>Une place pour les victimes devant la CPI ?</h2>
<p>Rien de tel, a priori, devant la Cour, dont le statut reconnaît les victimes à deux endroits, soit pour les faire « participer » au jugement (article 68), soit dans le cadre d’une phase finale visant à réparer leurs préjudices (article 75). Comment réparer réellement les crimes de masse ? Quelles réparations individuelles, collectives, symboliques et indemnitaires ? La pratique de la Cour n’est guère fournie.</p>
<p>Depuis vingt ans, seules quatre affaires – trois en RDC et une au Mali – ont donné lieu à réparation, ce qui n’atteste pas, encore une fois, ni vraiment de l’efficacité de la Cour, ni de la prise en compte des victimes. La dernière ordonnance de réparation est récente (8 mars 2021, <a href="https://www.icc-cpi.int/drc/ntaganda?ln=fr">affaire Bosco Ntaganda</a>). La Cour n’accordant pas de réparation d’urgence et à titre provisoire, les victimes doivent attendre la fin de la phase de jugement pour que, le cas échéant, s’ouvre la phase de réparation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1369652622639198209"}"></div></p>
<p>Philippe Kirsch, principal négociateur du Statut de Rome et premier président de la Cour, avait qualifié la place des victimes d’« ambiguïté constructive », soit un statut bancal et périphérique les situant à la marge du procès pénal.</p>
<p>L’essentiel du jeu devant la Cour reste centré sur la relation accusation-accusé. Deux affaires en cours concernant des crimes commis en République centrafricaine et au Darfour montrent les difficultés à ancrer la place des victimes dans le procès pénal international.</p>
<p>En 1993, suite à la prise de pouvoir par la force conduisant à la fuite du président François Bozizé, un conflit éclate entre les forces de la Sélaka et les anti-balaka, précipitant la mort de milliers de personnes et un exode massif, intérieur et dans les pays voisins (notamment Tchad et RDC) selon les <a href="https://undocs.org/fr/S/2014/928">Nations unies</a>. Maîtres Yare Fall et Elisabeth Rabesandratana ont <a href="https://www.fichier-pdf.fr/2021/03/09/note-7-bis---me-yare-fall/?">défendu</a> les intérêts des victimes et la nécessité de leur accorder la parole durant le <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210216-centrafrique-le-proc%C3%A8s-yekatom-nga%C3%AFssonna-%C3%A0-la-cpi-suivi-depuis-bangui">procès</a> Yekatom et Ngaïssona le 17 février 2021, dans le cadre de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GQP-f6n6wRo">l’audience d’ouverture</a>. Preuve de l’importance de leur parole : le procès est suivi avec attention à Bangui par les <a href="https://www.dw.com/fr/le-proc%C3%A8s-nga%C3%AFssona-et-y%C3%A9katom-%C3%A0-la-cpi-suivi-en-rca/a-56592980">victimes</a>.</p>
<p>Asmal Clooney, avocate de victimes du conflit du Darfour qui remonte à <a href="https://undocs.org/fr/S/2005/60">2003</a>, a demandé à la Cour, le 8 janvier 2021, dans <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1556&ln=fr">l’affaire</a> Abd-Al-Rahman, la « permission » de représenter 102 victimes d’un conflit ayant jeté sur les routes quelque 340 000 réfugiés originaires du Darfour, avalisant le point de vue qui hiérarchise les <a href="https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2021_00085.PDF">victimes</a>.</p>
<p>Certes, la détermination de la qualité de victimes pour les crimes de masse n’est pas chose aisée et un « intérêt personnel » pour accéder au prétoire leur est demandé (art. 68 du statut). Certes, la Cour adopte une démarche A, B, C, selon que les victimes sont reconnues (A), ne le sont pas (B) ou peuvent l’être (C). Certes, la Cour a adopté la possibilité du double <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/appForms-yn/ynAppFormInd_FRA.pdf">formulaire</a> (participation/réparation). Cela permet de considérer leur identification dès le début de la procédure et pour l’ensemble de celle-ci.</p>
<p>En l’état actuel des choses, le crime continue à fonder la qualité de victime participante, favorisant une approche « crimino-centrée », c’est-à-dire centrée sur la relation Accusation-Défense. En effet, le champ matériel, géographique, temporel retenu pour les poursuites, même s’il est mobile dans les étapes de l’instruction, inclut et exclut les victimes.</p>
<h2>Les victimes exposées à des tactiques judiciaires complexes</h2>
<p>Ces réflexions ne sont pas neutres. Elles posent des questions de justice : quel procès équitable dans ces conditions ? Quel droit réel à réparation des crimes ? Quelle justice internationale ?</p>
<blockquote>
<p>« La question fondamentale qui reste à résoudre après bien entendu la déclaration de culpabilité, c’est la gestion équitable des conséquences inqualifiables et souvent incalculables, que ces atrocités ont causées et continuent encore de causer au quotidien, à ceux qui en ont été victimes. » (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=GQP-f6n6wRo">Maître Fall</a>)</p>
</blockquote>
<p>Ces réflexions se posent aussi en termes de tactique judiciaire. Dans l’affaire darfourie, l’avocat de la Défense, Maître Cyril Laucci, a fait état, le 13 janvier 2021, d’une préoccupation marquée pour <a href="https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2021_00161.PDF">l’intérêt des victimes</a>, ce qui est bien évidemment une position rare car celles-ci sont plus spontanément favorables aux preuves à charge :</p>
<blockquote>
<p>« Présumer que l’intérêt des victimes diverge de celui du suspect implique nécessairement que ce dernier est présumé coupable. La Défense s’est appliquée à démontrer que les intérêts respectifs des victimes et de M. Abd-Al-Rahman, bien que clairement distincts, pouvaient présenter certains aspects convergents… la condamnation d’une personne sans avoir établi sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable au terme d’une procédure équitable est contraire à l’intérêt des victimes en ce qu’elle ajoute la double injustice de la condamnation potentielle d’un innocent et de l’impunité des réels coupables à celle qu’elles ont déjà endurée ? »</p>
</blockquote>
<p>Ce positionnement, tout évidement tactique, vise à embarrasser le procureur frileux de faire apparaître sur le devant de la scène judiciaire les victimes car tout est, dans cette procédure d’origine anglo-saxonne, subordonné à un examen contradictoire approfondi, entre l’Accusation et la Défense qui chercheront les avantages et les inconvénients de leur participation. Que les victimes ne soient pas présentes au procès, la Défense reprochera qu’elles menacent la présomption d’innocence. Que les victimes le soient, elles seront suspectées de porter atteinte à la célérité de la justice et à l’équilibre des armes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Exclusif : au Darfour, sur la route des massacres.</span></figcaption>
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<p>En réalité, l’accession des victimes à la procédure est un processus laborieux et qui est, pour chaque affaire et à chaque étape, l’objet de discussion pour savoir si leur qualité d’appartenance au groupe A, B, C est vérifiée. Il arrive que la qualité de victime soit retirée. Une fois admise, cette participation est très contrainte, en vertu des <a href="https://www.fichier-pdf.fr/2021/03/09/note-6---2020-08-26-resume-initial-directions-on-the-conduct-of-/">règles de conduite</a> précises, et placée sous le contrôle du juge :</p>
<ul>
<li><p>Soucieuse du déroulement équitable et rapide de la procédure, la Chambre évaluera la nécessité ou l’opportunité des questions des représentants légaux des victimes (RLV) au cas par cas.</p></li>
<li><p>Le rôle du RLV est différent de celui de l’accusation, ce qui doit se refléter dans le type de questions posées. C’est à l’Accusation qu’incombe exclusivement la charge de la preuve pour établir les crimes allégués.</p></li>
</ul>
<p>La Cour s’enlise dans la pratique et l’ambiguïté n’est pas constructive. Comme l’a dit <a href="https://www.fichier-pdf.fr/2021/03/09/note-7---declaration-douverture-/">Me Rabesandratana</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La Cour se doit d’être un exemple pour l’ensemble des juridictions et du droit international. À ce titre, elle doit formuler des principes généraux de droits communs aux différents ordres juridiques ; construire ainsi l’unité du droit ; favoriser la primauté du droit sur la force, la corruption et la lutte contre l’impunité ; permettre à un pays de se reconstruire. La justice pénale internationale ne peut pas/ne doit pas contribuer à fragmenter le droit. L’unité du droit consiste à octroyer une place adéquate aux victimes et ainsi passer d’une relation duale/binaire “accusation v. défense” à une relation ternaire “accusation-victimes-défense”. »</p>
</blockquote>
<h2>Repenser la place des victimes</h2>
<p>L’ajout des victimes à la procédure peut être illustré par la figure géométrique du losange :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le losange procédural.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ce losange s’interprète au regard de trois niveaux. Le plus élevé concerne le juge et sa fonction d’arbitrage. Le niveau intermédiaire, le plus médiatisé, oppose dans une relation d’intenses compétitions entre l’accusation et la défense pour faire admettre les preuves à charge et à décharge.</p>
<p>Les victimes appartiennent au troisième niveau du procès pénal international, périphérique, qui les place dans une « normalisation bureaucratique » qui pourrait être parfaitement revue en récusant cette position secondaire, en leur donnant la possibilité de participer pleinement à la relation contradictoire entre l’accusation et la défense.</p>
<p>En effet, l’interprétation conduite par la Cour survalorise le statut au détriment des autres sources de droit international, notamment du droit international des droits de l’homme qui pourrait servir de source d’inspiration par exemple la <a href="https://www.un.org/victimsofterrorism/fr/node/30">Déclaration</a> des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir. Il ne s’agirait là que d’appliquer les canons de l’interprétation en international. Et relever le défi de la résilience pour <a href="https://corbeaunews-centrafrique.com/centrafrique-la-situation-globale-des-musulmans-centrafricains-est-plus-importante-que-la-vie-dans-le-km5-dixit-imam-tidiani-moussa-naibi/">« aller résolument vers la paix, la cohésion sociale et le vivre-ensemble »</a> (selon les mots de Tidiani Moussa Naibi, imam de la Mosquée centrale de Bangui).</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156336/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Sermet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quelle place la Cour pénale internationale réserve-t-elle aux victimes de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ?Laurent Sermet, Professeur d'université, agrégé de droit public, compétences en Droit international, anthropologie du droit, Sciences Po Aix. UMR ADES 7268, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1466182020-09-27T16:12:29Z2020-09-27T16:12:29ZLe Conseil des droits de l’homme de l’ONU : instance utile ou coquille vide ?<p>La 45e session du <a href="https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/HRC/Pages/Home.aspx">Conseil des droits de l’homme</a> a débuté le 14 septembre 2020 et se tiendra jusqu’au 6 octobre. Le programme de cette session comporte <a href="https://undocs.org/fr/A/HRC/45/1">dix dossiers</a>.</p>
<p>Rappelons que le Conseil a une double mission : renforcer la promotion et la protection des droits humains dans le monde ; et examiner des situations de violation de ces droits afin de formuler des recommandations visant à y remédier.</p>
<p>Si nul ne peut remettre en cause la noblesse de ces objectifs, l’instance n’en fait pas moins l’objet de nombreuses critiques et controverses, et cela depuis maintenant de nombreuses années.</p>
<h2>Un fonctionnement complexe</h2>
<p>Le Conseil des droits de l’homme est un organe intergouvernemental des Nations unies composé de 47 États. Ces États membres sont élus pour trois ans par l’Assemblée générale de l’ONU selon une répartition géographique équitable, en fonction du nombre d’États par zone : 13 sièges pour l’Afrique, 13 pour l’Asie-Pacifique, 8 pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 6 pour l’Europe de l’Est, et 7 pour l’Europe occidentale et autres, dont les États d’Amérique du Nord). Le Conseil siège à Genève et se réunit, ordinairement, au moins 10 semaines par an ; il peut également se réunir pour des sessions d’urgence afin de répondre à des situations critiques. Sa présidence est actuellement occupée par l’Autrichienne Élisabeth Tichy-Fisslberger, élue pour un an à la tête du bureau du Conseil en charge de questions d’ordre procédurales et d’organisation.</p>
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<p>Le Conseil des droits de l’homme a un mandat plus large et dispose de plus d’outils que la Commission des droits de l’homme, <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2006_num_52_1_3946">créée en 1946</a> et qu’il a remplacée en 2006. Le Conseil effectue, par exemple, un <a href="https://www.ohchr.org/fr/hrbodies/upr/pages/uprmain.aspx">examen périodique universel</a>. Chaque année, ce sont 42 États qui sont soumis à l’examen périodique universel. Dès lors que les 193 États ont été examinés, le cycle recommence (tous les cinq ans environ).</p>
<p>Chacun des 193 États membres de l’ONU est, en effet, contraint de respecter les conventions des Nations unies auxquelles il est partie, y compris celles relatives aux droits humains. Lorsque les États ne se conforment pas aux obligations auxquelles ils sont soumis, le Conseil se doit de leur rappeler leurs engagements internationaux. Par conséquent, quand un État fait l’objet d’un examen périodique universel, le Conseil dresse des recommandations qu’il devra mettre en œuvre avant l’examen suivant, cinq ans plus tard.</p>
<p>Par ailleurs, le Conseil reçoit des rapports de la part d’experts indépendants, (choisis par les États et élus par le Conseil), ainsi que du Haut Commissaire aux droits de l’homme, sur des situations particulières. Ces rapports peuvent être consacrés à des États ou encore à des situations d’urgence.</p>
<h2>Les enjeux de la session actuelle</h2>
<p>Les dix dossiers à l’ordre du jour de la session qui vient de s’ouvrir concernent aussi bien des pays démocratiques que des États autoritaires.</p>
<p>Le Conseil va ainsi se pencher sur les violences policières et les discriminations raciales à l’œuvre aux États-Unis, dans le contexte de l’affaire George Floyd et d’autres cas similaires.</p>
<p>Le Conseil devra également poursuivre les examens périodiques universels de 12 États (Kirghizistan, Guinée, Laos, Lesotho, Kenya, Arménie, Guinée-Bissau, Suède, Grenade, Turquie, Kiribati et Guyana).</p>
<p>Par ailleurs, une attention particulière sera accordée à certaines situations nationales particulièrement préoccupantes (Venezuela, Myanmar, Sud-Soudan, Syrie et Burundi) et les incidences de la pandémie de Covid-19 sur le respect des droits humains seront scrutées. Par exemple, le Conseil a décidé en 2019 de créer une mission internationale indépendante d’établissement des faits pour enquêter sur les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les tortures et autres violations commises depuis 2014 dans la République bolivarienne du Venezuela. Celle-ci vient de rendre son <a href="https://news.un.org/fr/story/2020/09/1077352">rapport</a>, très sévère pour le pouvoir contesté de Nicolas Maduro.</p>
<p>Enfin, la situation <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/20/game-over-des-dizaines-de-milliers-de-manifestants-protestent-une-fois-de-plus-a-minsk_6052946_3210.html">biélorusse</a> est évoquée au cours de la session en cours et des personnes compétentes, comme des ONG ou des opposants politiques impliqués dans les affrontements, <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/09/belarus-un-human-rights-council-must-take-strong-action-on-escalating-human-rights-crisis-in-the-country/">sont entendues</a>.</p>
<h2>Le Conseil face aux critiques</h2>
<p>Depuis son instauration, le Conseil des droits de l’homme a fait l’objet de nombreuses critiques. La plus importante a trait au caractère non contraignant des mesures qu’il adopte.</p>
<p>En effet, le Conseil n’adresse que des recommandations, qui peuvent être suivies par les États ou non. Toutefois, le Conseil se défend en indiquant que le simple fait de dénoncer un État pour ses pratiques contraires aux droits humains a un impact international : ce procédé de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0022343313510014">« Naming and Shaming »</a> pousserait les États à se conformer aux règles internationales afin de ne pas entacher leur réputation. Lors de l’audition finale de l’examen, l’État répond aux recommandations en indiquant celles qu’il compte appliquer et celles qu’il refuse. Il dispose donc du dernier mot en cette matière.</p>
<p>Par ailleurs, le Conseil est régulièrement critiqué pour sa composition : comme il est composé en permanence de 47 États membres, il arrive fréquemment que certains des États qui y siègent n’appliquent pas, chez eux, ses recommandations et principes, ou tentent de profiter de leur statut de membre du Conseil pour ne pas recevoir de recommandations, ou bien des recommandations plus légères que s’ils n’étaient pas élus. Par exemple, le Conseil milite et dresse des rapports contre la peine de mort, ce qui n’a pas empêché des États ayant régulièrement recours à cette pratique, comme la Chine et l’Arabie saoudite, d’y siéger. De plus, <a href="https://unwatch.org/les-violateurs-des-droits-de-lhomme-se-servent-du-cdh-pour-masquer-leurs-abus/">selon les détracteurs</a>, les États coupables de violations des droits de l’homme utiliseraient leur siège au Conseil afin d’atténuer leurs méfaits. C’est par exemple le cas avec le Venezuela, qui est régulièrement montré du doigt sur ses exécutions extrajudiciaires ou encore sur des disparitions forcées mais qui a récemment réussi à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/18/le-venezuela-entre-au-conseil-des-droits-de-l-homme-de-l-onu_6016003_3210.html">obtenir un siège au Conseil</a>.</p>
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<p>L’administration Trump a décidé de <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/06/19/les-etats-unis-quittent-le-conseil-des-droits-de-l-homme-de-l-onu_5317855_3222.html">se retirer</a> du Conseil des droits de l’homme en 2018, dénonçant l’hypocrisie de l’institution qui aurait « protégé les auteurs de violations des droits de l’homme ». En réalité, les très nombreuses <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/conseil-des-droits-de-l-homme-israel-se-felicite-du-retrait-americain-5835772">résolutions adoptées à l’encontre d’Israël</a> ont eu un rôle à jouer dans cette décision.</p>
<p>Le principal impact de ce retrait est financier. En effet, le Conseil est financé à 40 % par l’ONU et le reste relève de contributions volontaires des États. Et les États-Unis étaient les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/06/20/01003-20180620ARTFIG00324-retrait-des-etats-unis-quel-impact-pour-le-conseil-des-droits-de-l-homme-de-l-onu.php">plus grands donateurs du Conseil</a>.</p>
<h2>Un Conseil imparfait, mais qui a le mérite d’exister</h2>
<p>Malgré les critiques dont il fait l’objet, le Conseil peut se prévaloir de <a href="https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/HRC10Anniversary.aspx">certains succès</a> Certes, il ne dispose pas de police internationale pour faire cesser les violations, mais il n’est pas le seul acteur en la matière : le Conseil attire l’attention, les États ou l’ONU agissent. Par ailleurs, les recommandations adressées aux États sont généralement mises en œuvre (même si elles ne le sont pas toujours parfaitement), car ils ne souhaitent pas apparaître comme des adversaires des droits humains. Le rôle du Conseil dans la crise burundaise a par exemple été <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2020/08/21/la-commission-denquete-sur-le-burundi-joue-un-role-vital-dans-loptique-de-progres">salué</a> par l’ONG Human Rights Watch.</p>
<p>Certains États, <a href="https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/president-donald-j-trump-standing-human-rights-u-n/">à commencer par les États-Unis</a>, militent pour une réforme du Conseil qui exclurait les États coupables de violations flagrantes des droits humains. Toutefois, une telle réforme n’est pas à l’ordre du jour. En effet, quelle serait la légitimité d’une institution qui adopterait des recommandations contre des États qui ne pourraient jamais y siéger ? Et sur quels critères un État serait-il désigné comme « respectant les droits de l’homme » et donc digne d’être membre du Conseil ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146618/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Cressent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ouverture de la 45e session du Conseil des droits de l’homme nous donne l’occasion d’exposer son mécanisme complexe et de mettre en exergue les différentes controverses qu’il suscite.Camille Cressent, Doctorante en droit international public - ATER, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1449872020-08-30T15:57:20Z2020-08-30T15:57:20ZRwanda : les enjeux du procès de Félicien Kabuga<p>Le 16 mai 2020, Félicien Kabuga, l’un des derniers grands génocidaires présumés, recherché depuis plus de vingt ans par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) puis, après sa fermeture, par le Mécanisme chargé de clore les derniers dossiers des tribunaux pénaux internationaux (MICT), est <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/18/fin-de-cavale-pour-felicien-kabuga-grand-argentier-du-genocide-rwandais_6040015_3212.html">arrêté en France</a>, en région parisienne, où il vivait depuis plus d’une dizaine années sous une fausse identité.</p>
<p>Les <a href="https://unictr.irmct.org/fr/cases/ictr-98-44b">actes d’accusation</a> émis contre lui par le TPIR retiennent les plus lourds crimes de génocide commis en sa qualité de président du Comité d’initiative de la Radiotélévision Libre des Mille collines (RTLM) depuis avril 1993 et de président du Comité du Fonds de défense nationale depuis sa création en avril 1994.</p>
<p>Cette arrestation marque le début d’une longue procédure judiciaire. Malgré le grand âge de l’accusé (85 ans), sa première comparution devant un tribunal n’aura pas lieu avant plusieurs semaines – voir plus bas – et le verdict n’est pas escompté avant au moins trois ans. Hormis la grande probabilité d’une condamnation, bien des doutes subsistent cependant sur l’émergence d’éléments de vérité dans une affaire déjà marquée par de nombreuses interférences d’acteurs politico-judiciaires voire économiques, nationaux et étrangers.</p>
<h2>Les défis de l’accusation</h2>
<p>Le premier des défis de cette affaire concerne les vingt-six années d’une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/23/retour-sur-la-cavale-de-felicien-kabuga-financier-presume-du-genocide-des-tutsi_6043831_3212.html">cavale</a> dont bien des aspects restent opaques.</p>
<p>Pour les Rwandais poursuivis ou susceptibles d’être inquiétés, le choix des pays d’accueil dépend des garanties de sécurité qu’ils peuvent offrir ou monnayer, et aux soutiens locaux dont ils bénéficient.</p>
<p>On retrouve là nombre de pays et/ou de personnalités des cinq continents qui avaient désavoué <a href="https://www.jambonews.net/actualites/20151002-rwanda-du-reve-a-la-desillusion-le-1er-octobre-1990-le-fpr-lancait-sa-guerre-de-liberation/#:%7E:text=Le%201er%20octobre%201990,premi%C3%A8res%20attaques%20tourn%C3%A8rent%20au%20fiasco.">l’attaque du 1ᵉʳ octobre 1990 menée par l’Armée patriotique rwandaise (APR)</a>, laquelle avait plongé le pays dans la guerre. Ce sont les mêmes pays qui, le 6 avril 1994, lorsque l’attentat contre l’avion présidentiel a décapité l’État et l’armée, attendaient l’annonce de la signature de l’accord permettant la mise en place des institutions de transition qui venait d’être signé à Dar es-Salaam. Les mêmes qui, après la victoire militaire des insurgés et <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/portrait-de-paul-kagame-president-de-la-republique-du-rwanda">l’installation d’un pouvoir autocratique</a>, ont aidé des dizaines de milliers de Rwandais contraints à l’exil. Des exilés qui ont bénéficié de la compréhension de pouvoirs d’État et de personnalités attachés au « Rwanda d’avant ».</p>
<p>L’instabilité politique générale a rendu incertain l’exil dans les pays du Sud, notamment africains. De même, le travail du TPIR et des justices nationales a progressivement démantelé ou affaibli les groupes d’activistes.</p>
<p>Ainsi, le choix de s’installer en Europe et <em>a fortiori</em> en France non loin de ses proches pouvait paradoxalement présenter le moins de risques vitaux et restait compatible avec des ressources amoindries. Enfin, la dernière étape de la cavale de Félicien Kabuga n’a été possible que parce que ses contacts ont été limités au strict noyau familial.</p>
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<p>Au-delà, il sera difficile de reconstruire les trajectoires et les réseaux, comme <a href="http://rwandadelaguerreaugenocide.univ-paris1.fr/wp-content/uploads/2010/01/Annexe_84.pdf">d’identifier les interlocuteurs</a> qui ont accordé leur protection et qui ne participeront pas spontanément au travail de vérité et de justice.</p>
<h2>Des allégations aux preuves</h2>
<p>L’arrestation de Félicien Kabuga a suscité les <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/rwanda/qui-est-felicien-kabuga-le-genocidaire-rwandais-arrete-en-france-6837743">mêmes commentaires</a> que ceux avancés en 1999 lors de la publication de l’acte d’accusation. Mêmes descriptions de l’importateur des machettes armant les génocidaires, de l’« homme le plus riche du pays », de ses liens de parenté avec le couple présidentiel, de ses fonctions à la RTLM, du financement et de la structuration des milices et de l’autodéfense civile. Sur ces deux derniers points, plusieurs procès se sont conclus par des jugements étayés, mais un vaste travail reste à faire notamment sur le « financement du génocide ».</p>
<p>Dès 1995, le procureur du TPIR a engagé diverses investigations financières afin d’établir les responsabilités des ministres des Finances (E. Ndindabahizi) et du Plan (A. Ngirabatware), de Félicien Kabuga, beau-père de ce dernier, et de quelques autres. Pour le Bureau du procureur, le « complot génocidaire » devait se traduire par des décisions économiques démontrables. Parmi les preuves possibles comptait le <a href="https://archives.globalresearch.ca/articles/CHO403F.html">rapport Galand-Chossudovsky</a>, invoquant la « planification du génocide » via l’importation par F. Kabuga de quantités exceptionnelles de machettes.</p>
<p>Mais, très vite, les recherches du TPIR ont buté sur l’absence de preuves tangibles. Les archives issues des ministères, y compris les dépenses militaires, ne permettaient pas d’établir les liens avec le génocide. La « thèse des machettes » s’avérait fort aléatoire. Il était presque impossible d’établir la responsabilité directe et personnelle de l’accusé et de <a href="https://theconversation.com/rwanda-y-a-t-il-eu-importation-de-machettes-en-vue-de-preparer-le-genocide-contre-les-tutsis-145216">prouver que les machettes étaient importées dans l’intention de tuer</a>.</p>
<p>En 1999, le procureur réorientait ses enquêtes financières sur l’analyse des archives comptables et de gestion des personnels des entreprises publiques et privées. Elles permettaient d’établir les mécanismes de financement et les réseaux qui ont accompagné la structuration et la formation des jeunesses du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), les <em>Interahamwe</em> et d’autres partis. Les mouvements de jeunesse, créés lors de l’instauration du multipartisme en 1991, ont décuplé le rayonnement et les moyens d’action des partis et renforcé leur implantation militante. Avec la guerre, ils se transformèrent en jeunesses miliciennes au service des politiciens qui les finançaient et/ou les hébergeaient (comme Félicien Kabuga à Kigali), voire les armaient. Les enquêtes démontraient aussi le rôle des entreprises publiques dans la guerre civile, même si l’essentiel des transactions s’effectuait en liquide, donc sans preuves matérielles.</p>
<p>En 2001, les investigations progressaient notablement, grâce à l’accès aux comptes bancaires des personnes et structures soupçonnées d’avoir organisé le pillage des sociétés parastatales et des budgets des grands ministères techniques. Analysés, les documents ont permis de reconstituer des filières de détournements massifs des financements des projets de développement, des établissements parastataux et des ministères, à des fins d’enrichissement personnel et de consolidation de réseaux clientélistes ou partisans, ainsi que la création de sociétés-écrans recyclant les fonds, ou encore des transferts vers l’étranger lorsque l’issue de la défaite est devenue certaine.</p>
<p>Des éléments de preuves décisifs dans des affaires clés ont été déposés devant le TPIR et d’autres juridictions étrangères. L’impunité était telle que la plupart des transferts s’effectuaient directement sur les comptes personnels des dignitaires. L’inquiétude était donc grande, dans divers milieux, de voir des enquêtes liées au génocide mettre à jour les formes anciennes mais aussi récentes de détournement des fonds publics ou privés à des fins personnelles ou politiques.</p>
<p>En mai 2001, le Bureau du procureur a tenté d’élargir ses recherches jusqu’au plus haut niveau du pouvoir. Un programme de travail a été transmis au ministre de la Justice avec une liste de noms et d’établissements. Les demandes incluaient des opérations effectuées après la guerre sur des comptes et des biens de personnalités de l’ancien régime décédées, poursuivies ou « recyclées » par les nouvelles autorités.</p>
<p>Mais le jour même de la demande, un vent de panique a soufflé au sein des banques, notamment en Belgique, qui ont fait connaître <a href="http://rwandadelaguerreaugenocide.univ-paris1.fr/wp-content/uploads/2010/01/Annexe_126.pdf">leur totale opposition au plus haut niveau de l’État rwandais</a>. Les enquêtes furent refusées au motif qu’elles pouvaient nuire à la « réconciliation nationale » et à la « reconstruction du pays » car elles susciteraient l’inquiétude de groupes économiques désormais à l’abri d’investigations.</p>
<p>Qu’en sera-t-il à l’avenir, lorsque les enquêteurs du Bureau du procureur solliciteront de telles preuves au Rwanda, mais aussi en Belgique, en Suisse, en France et ailleurs ? Est-il possible d’espérer qu’elles ont été sauvegardées ?</p>
<h2>La crédibilité des témoins</h2>
<p>Une troisième interrogation concerne la crédibilité des témoins.</p>
<p>Dans ce domaine, il faut saluer le savoir-faire des instructeurs rwandais, capables d’organiser des séances intensives avec des témoins sélectionnés, pour façonner des preuves difficiles à récuser car seules les autorités maîtrisent l’accès total au terrain et aux individus.</p>
<p>Le Rwanda n’a jamais renoncé au recours à de faux témoins, voire à l’invention de preuves invraisemblables. On peut se demander si la <em>National Public Prosecution Authority</em> osera faire témoigner l’animatrice de la RTLM, Valérie Bemeriki. Condamnée à perpétuité au Rwanda, elle est devenue le <a href="https://www.liberation.fr/societe/2014/02/25/proces-simbikangwa-le-baiser-de-la-mort-d-une-ancienne-alliee_982910">témoin obligé des autorités dans de nombreuses procédures</a>, malgré le rejet de l’intégralité de son témoignage, qualifié de <a href="https://francegenocidetutsi.org/SimbikangwaAppelComptesRendus2016.pdf">« déplorable »</a> par les juges du TPIR dans le procès des médias.</p>
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<p>Cela n’a pas dissuadé le procureur Théogène Rwabahizi, de la <em>Genocide Fugitive Tracking Unit</em>, de rédiger avec elle, le 6 août 2016, une longue déposition, jointe à une demande d’arrestation visant Enoch Ruhigira, ex-directeur de cabinet de Juvénal Habyarimana. Valérie Bemeriki y raconte que le « 9 ou le 10 avril », en sortant du bureau du directeur de la RTLM, M. Ruhigira aurait demandé à deux militaires d’abattre sur-le-champ deux jeunes passants qu’il avait désignés comme étant tutsis. Or Enoch Ruhigira était réfugié à la résidence de l’ambassadeur de Belgique depuis le 7 avril avant d’être exfiltré le 12 vers l’Europe. Le même dossier du parquet rwandais comprenait aussi divers procès-verbaux de témoins déclarant avoir vu l’accusé pendant les trois mois du génocide !</p>
<p>Si l’on ajoute à ces réserves la disparition, avec le temps, de nombreux témoins et la destruction probable d’archives décisives, l’un des enjeux majeurs du procès Kabuga est bien celui de la crédibilité des témoins et de la valeur des preuves soumises aux juges.</p>
<p>Pour consolider les enquêtes, le <a href="https://genevaconference-tpir.univ-paris1.fr/article88,88-lang=en.html">juge belge Damien Vandermeersch préconisait en 1999 « un contrôle accru du procureur »</a>, et l’introduction du contradictoire, ce qui permettrait à la défense de connaître du dossier dès ce stade des enquêtes. Toutes les parties y auraient intérêt, afin que cet ultime procès serve l’expression de la vérité sur des questions essentielles en suspens concernant les acteurs et l’enchaînement des événements qu’ils ont déclenchés ou accompagnés. Le Mécanisme en est assurément comptable.</p>
<p>Mais un tel objectif, avec les tâches qu’il suppose et les lenteurs d’un tribunal international, est-il compatible avec les attentes rwandaises ?</p>
<h2>Vérité versus réécriture de l’histoire</h2>
<p>Alors que les relations entre le TPIR et Kigali sont marquées par une succession de crises et que la crédibilité de la justice internationale sur le continent est souvent mise en cause, le défi est de taille pour le MICT.</p>
<p>Pour ceux qui veulent savoir ce qu’il s’est passé au Rwanda, il serait incompréhensible que des pans entiers du système de décision, de l’organisation et de la conduite de la guerre et du génocide restent sans réponse.</p>
<p>Pour le Rwanda, l’objectif serait la reconnaissance formelle de « la planification du génocide des Tutsis plusieurs années à l’avance », ce qu’aucune Chambre du TPIR n’a jamais pu établir. La théorie du « complot génocidaire » (qui aurait été l’œuvre d’Agathe Kanziga, veuve du président Habyarimana, de son frère Protais Zigiranyirazo, de Félicien Kabuga, apparenté à la famille, du colonel Bagosora, etc.), soutenue par les premiers procureurs du TPIR, a très tôt été abandonnée faute de preuves estimées suffisantes malgré les accusations du Rwanda. L’échec fut confirmé par les juges dans le <a href="https://unictr.irmct.org/fr/cases/ictr-98-41">procès Bagosora</a>, puis lors de <a href="https://www.universalis.fr/evenement/16-novembre-2009-acquittement-de-protais-zigiranyirazo-par-le-t-p-i-r/">l’acquittement de Zigiranyirazo</a> en appel. Quant à Agathe Kanziga, elle n’a jamais été poursuivie par le TPIR et c’est ainsi qu’en 2001, Kabuga est devenu la cible n°1 du procureur.</p>
<p>Mais si la probabilité d’obtenir une condamnation au titre de l’« entente » pour son rôle dans la RTLM demeure incertaine vu la jurisprudence issue du procès des médias, engager le procès du noyau présidentiel à travers l’affaire Kabuga pourrait être envisagé, ce qui offrirait un prolongement à la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/genocide-rwandais-peine-confirmee-pour-l-ancien-ministre-ngirabatware-20190927">condamnation de son gendre, A. Ngirabatware</a>, l’intellectuel et conseiller du clan présidentiel.</p>
<p>En effet, après le départ d’Agathe Kanziga vers la France le 9 avril 1994, les membres de la famille présidentielle non évacués se replièrent sur Gisenyi le 11 avril, et furent rejoints par d’autres comme Félicien Kabuga. Selon nos sources, de son exil parisien, en liaison avec le QG du <em>Méridien Izuba</em> à Gisenyi, Agathe Kanziga entretint des activités de médiation avec plusieurs chefs d’État africains qui confortèrent la position diplomatique du Gouvernement intérimaire (GI).</p>
<p>Le 3 juillet 2020, un <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Verdict-attendu-laffaire-lattentat-6-avril-1994-Rwanda-2020-07-03-1201103211">non-lieu était prononcé</a> par la Cour d’appel de Paris dans le dossier visant des personnalités du FPR pour l’attentat du 6 avril 1994. Pour les autorités rwandaises, ce non-lieu impliquerait donc que l’avion a été abattu par les extrémistes hutus, dont Agathe Kanziga aurait été le fer de lance. Elle aurait aussi été, au cours de la nuit du 6 au 7 avril, l’ordonnatrice des <a href="https://www.cairn.info/rwanda-de-la-guerre-au-genocide--9782707153708-page-409.htm">tueries commises par la Garde présidentielle</a> ainsi que des massacres commis à Kigali par les <em>Interahamwe</em>, avant d’installer le colonel Bagosora en formateur du GI.</p>
<p>Quelle qu’en soit l’issue, le procès Kabuga permettrait à Kigali de relancer la campagne visant à obtenir le jugement au Rwanda d’Agathe Kanziga, qui se trouve toujours en France aujourd’hui. Ce serait un procès-phare qui parachèverait la victoire des autorités rwandaises sur tous les processus judiciaires et politiques qui aujourd’hui encore leur échappent.</p>
<p>Via ces ultimes procès, la priorité du pouvoir en place à Kigali reste d’affermir sa réécriture de la tragédie, devenue l’histoire officielle de la guerre et du génocide, protégée par des lois sur le négationnisme et le révisionnisme.</p>
<p>Toutefois, un procès d’Agathe Kanziga au Rwanda bute sur des obstacles qui ressortent dans plusieurs interviews du président Paul Kagamé. Le 1<sup>er</sup> avril 2019, il <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/755886/politique/rwanda-paul-kagame-nous-sommes-alles-au-dela-de-limaginable/">répondait ainsi</a> à <em>Jeune Afrique</em>, qui lui demandait s’il pensait obtenir un jour son extradition :</p>
<blockquote>
<p>« Je l’ignore. Mais même si notre demande n’est pas, pour une raison ou pour une autre, considérée, pourquoi cette femme n’a-t-elle jamais été inquiétée par le TPIR ou par la justice française ? Pourquoi n’a-t-elle jamais fait l’objet d’une enquête dans le pays où elle s’est réfugiée ? Les faits parlent d’eux-mêmes. »</p>
</blockquote>
<p>Il est vrai qu’Agathe Kanziga n’a jamais été poursuivie par le TPIR. Mais comment les procureurs auraient-ils pu poursuivre la veuve de Juvénal Habyarimana après avoir refusé de se saisir de l’attentat et avoir accordé au FPR une totale impunité en stoppant les enquêtes relatives à ses crimes ?</p>
<p>Dans une <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/1007082/politique/paul-kagame-au-jugement-dernier-jobtiendrai-de-bien-meilleures-notes-que-ceux-qui-osent-nous-condamner/">autre déclaration à <em>Jeune Afrique</em> le 2 juillet 2020</a>, Paul Kagame s’oppose à toute réouverture du dossier de l’attentat dans le cadre de l’ultime recours déposé devant la Cour de cassation. Connaître les auteurs de l’attentat ne serait donc pas une nécessité. Une histoire officielle ne s’écrit pas sur la base de preuves, mais d’un rapport de force.</p>
<p>Une chose est d’organiser la diabolisation morale et politique de la famille présidentielle, une autre est de réclamer haut et fort un vrai procès. Or un tel procès ouvrirait des débats contradictoires sur l’attentat du 6 avril, les cautions internationales, et les <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2015/06/26/point-de-vue-mettre-fin-au-genocide-au-rwanda-nexcuse-pas-dautres-meurtres">crimes de guerre et contre l’humanité qui ont accompagné la conquête du FPR par les armes</a>.</p>
<h2>L’incertitude Arusha</h2>
<p>Alors qu’il semble improbable d’obtenir des informations précises sur la cavale de Kabuga et que les témoins sur les crimes imputés à l’accusé sont légion au Rwanda, on ne peut exclure l’éventualité que les autorités de Kigali demandent au MICT de se dessaisir du dossier en leur faveur après la confirmation définitive par la justice française du transfèrement de l’accusé au Mécanisme.</p>
<p>Le 28 mai, le <a href="https://www.irmct.org/fr/le-mecanisme-en-bref/les-juges/le-juge-william-h-sekule">juge Sekule</a>, du MICT, préconisait d’attendre la levée des restrictions dues à la pandémie avant d’organiser le voyage vers <a href="https://www.irmct.org/fr/actualites/le-m%C3%A9canisme-pour-les-tribunaux-p%C3%A9naux-internationaux-ouvre-les-nouveaux-locaux-de-sa">Arusha</a> (Tanzanie), mais ajoutait qu’« une alternative appropriée pourra être recherchée ».</p>
<p>En effet, des incertitudes sur un transfèrement à Arusha demeurent : conditions médicales de l’accusé, structures pour traiter la Covid, recrutement de personnels…</p>
<p>Le Rwanda pourrait alors être considéré comme une « alternative appropriée », sachant qu’une Haute Cour a été installée à cette fin au Rwanda, qu’est reconnue internationalement <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/07/31/comment-le-rwanda-a-reussi-a-contenir-la-propagation-du-coronavirus_6047840_3212.html">sa gestion rigoureuse de la Covid</a>, et que l’Union européenne a rétabli des vols directs avec Kigali.</p>
<p>Cela ferait écho aux <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200603-genocide-rwanda-kabuga-transfert-mecanisme-reactions">arguments avancés par l’association des rescapés <em>Ibuka</em></a> : « S’il est remis au Rwanda, la question des réparations pourra être évoquée », estimait son président, rappelant que « le système judiciaire international n’a pas prévu que la question des réparations soit posée ».</p>
<p>Arusha, La Haye, Kigali ? La question reste posée et, quelle que soit la réponse, elle ne mettra pas fin à la compétition MICT/Rwanda. Néanmoins, une autre issue pourrait encore bouleverser les hypothèses : celle d’un plaider-coupable. Une procédure qui ne serait validée par les juges qu’après une audition complète et détaillée de l’accusé, l’engageant à dire le vrai sur la base des faits prouvés. Si cette option était acceptée par le <a href="https://www.irmct.org/fr/actualites/19-07-30-allocution-du-procureur-serge-brammertz-devant-le-conseil-de-s%C3%A9curit%C3%A9-de-l%E2%80%99onu">procureur Serge Brammertz</a>, elle déboucherait sur une procédure profondément allégée.</p>
<hr>
<p><em>Une version longue de l’article en français et une version en kinyarwanda peuvent aussi être téléchargées <a href="https://umr-developpement-societes.univ-paris1.fr/menu-haut/recherche/projets-de-recherche/afrique-des-grands-lacs-publications/">ici</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144987/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Professeur, IEDES, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Témoin-expert auprès du Bureau du Procureur du TPIR (1996-2010) et autres juridictions nationales</span></em></p>Quelles seront les conséquences de l’arrestation en mai dernier, en France, de Félicien Kabuga, considéré comme l’un des grands responsables du génocide rwandais de 1994 ?André Guichaoua, Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1452162020-08-30T15:57:16Z2020-08-30T15:57:16ZY a-t-il eu importation de machettes en vue de préparer le génocide des Tutsis au Rwanda ?<p>La récente interpellation de Félicien Kabuga a remis en avant l’un des arguments forts qui démontre la planification du génocide contre les Tutsis du Rwanda : celui de l’achat massif de machettes dans les mois précédant 1994, en particulier par le prévenu. Un <a href="https://theconversation.com/rwanda-les-enjeux-du-proces-de-felicien-kabuga-144987">article séparé</a> expose les enjeux juridiques, judiciaires et diplomatiques de la procédure Kabuga. Le présent article revient sur le principal élément à charge relatif aux importations de machettes.</p>
<p>L’une des lectures courantes du génocide contre les Tutsis du Rwanda est <a href="https://www.liberation.fr/planete/2012/01/11/rwanda-la-preuve-d-un-genocide-planifie_787468">l’existence d’une planification préalable par le régime Habyarimana</a>. L’importation de 581 tonnes de machettes est l’un des arguments fréquemment avancés à l’appui de cette lecture. Ce nombre, devenu « canonique », est issu du <a href="https://www.cadtm.org/L-usage-de-la-dette-exterieure-du">rapport Galand-Chossudovsky</a>.</p>
<p>Or les données que ce rapport exploite présentent des incohérences et erreurs internes qui, rapportées à d’autres éléments, affaiblissent considérablement ses conclusions.</p>
<h2>Les lacunes du rapport Galand-Chossudovsky</h2>
<p>Selon le rapport, la documentation utilisée est celle des ministères du Plan et des Finances, de la Banque nationale du Rwanda (BNR) et de la Banque mondiale. Sur cette base, les rapporteurs ont reconstitué les flux d’importations par type de produits et années. Le rapport, remis aux autorités rwandaises en 1996, n’a été publié sur Internet qu’en 2004. Les rapporteurs ont néanmoins publicisé leurs conclusions dès 1996, retenant que « des quantités énormes de machettes furent importées à partir de 1992 en provenance de Chine » et qu’« entre 1992 et 1994, 581 000 kg de machettes furent importés » (§ 3.10 et 3.11).</p>
<p>Le rapport propose des <a href="http://www.francegenocidetutsi.org/UsageDetteExtGalandChossudovskyAnnexes.pdf">annexes</a> constituées pour l’essentiel de tableaux de synthèse produits par les rapporteurs.</p>
<p>Parmi eux, le « Tableau synthétique 1991/1994–Importateurs » (appelé ensuite IMPORTATEURS) répertorie 18 importateurs et des dizaines d’opérations commerciales. Chacune porte un code BNR, un numéro de licence d’importation, le type de produit, le poids net des marchandises, le coût en francs rwandais (FRW) et une distribution par année, de 1991 à 1994.</p>
<p>Curieusement, aucune opération n’est enregistrée dans les colonnes 1991 et 1992, et très peu pour 1994. Les onze opérations relatives aux importations de « serpes et machettes », ordonnées par dix importateurs, totalisent bien 581 tonnes. Le plus important des importateurs est « La Trouvaille » (288 tonnes, soit 50 %), suivi de Félicien Kabuga (96 tonnes, soit 16 %), puis de huit autres importateurs.</p>
<p>Sur cette base, les rapporteurs estiment que « les importations massives ont été réalisées en 1993 » et que « l’année 1993 a été d’importance capitale dans la préparation intensive du génocide » (annexes, page 25). C’est ce tableau qui a produit le « nombre canonique » de 581 tonnes de machettes, et qui a conduit à l’établissement du lien entre leur importation et l’intention génocidaire.</p>
<p>Mais les données dont découle l’analyse ne sont pas fiables. Ne citons qu’un seul exemple : ce tableau IMPORTATEURS recense 17 opérations d’importation de « bêches et pelles », au prix de 2 à 2,5 millions de FRW pour 10 tonnes. Néanmoins, l’une des importations de 1993, de 108 tonnes, est facturée 2,45 millions de FRW, soit dix fois moins cher que les autres. Ce même commerçant achète, l’année suivante, 10,8 tonnes de « bêches et pelles », au prix « normal » cette fois-ci. Il est donc fort probable que le tableau comporte ici une erreur de saisie (108 tonnes au lieu de 10,8 tonnes). Ce type d’erreurs fausse les totaux et les conclusions qui en découlent.</p>
<p>Par ailleurs, la distribution temporelle des importations est peu vraisemblable. Les colonnes 1991 et 1992 sont vides. Les rapporteurs écrivent que sur ces deux années, « il n’y a pas eu d’importations de machettes et autres matériels agricoles ». Il est très peu crédible que, pendant 18 mois, aucun matériel agricole n’ait donc été importé au Rwanda. D’ailleurs, les auteurs évoquent des importations au second semestre 1992, absentes du tableau de synthèse. Pourquoi ? Et quid de 1994 ? L’absence de reconstitution de flux d’importations sur plusieurs années ne permet pas de détecter d’éventuelles importations inhabituelles à partir desquelles conjecturer une préparation génocidaire.</p>
<p>Le tableau IMPORTATEURS est, de plus, contredit par le tableau intitulé « <em>Importations définitives par rubriques tarifaires 1991/1994. Tableau synthétique »</em> (appelé ensuite DÉFINITIF). Celui-ci présente, sur quatre années, les importations réparties dans 68 rubriques, avec indication de la masse nette (kg) et de la valeur (FRW). Ce tableau DÉFINITIF propose un total de 366 tonnes de machettes importées sur 4 ans, soit 215 tonnes de moins que le nombre « canonique ». Comment expliquer cette différence ? Nous proposons deux hypothèses :</p>
<ul>
<li><p>Le tableau IMPORTATEURS présente les entreprises disposant d’une licence d’importation, ce qui ne signifie pas que l’opération a été réalisée, ou réalisée intégralement. Si tel n’est pas le cas, alors les 581 tonnes de machettes devraient être minorées de la valeur qui sépare l’intention commerciale de sa réalisation. Le tableau DÉFINITIF semble, lui, reporter les opérations commerciales finalisées, rendant mieux compte des importations effectives. Pour les machettes comme pour les autres produits, il montre un marché des importations relativement régulier entre 1991 et 1994.</p></li>
<li><p>Le rapport précise qu’« une part importante des importations civiles […] sont des importations militaires déguisées » (§ 2.9). Il détaille les techniques comptables ayant permis à l’ancien régime de « maquiller » des importations militaires interdites en « opérations éligibles ». L’achat de machettes en tant que matériel agricole pourrait bien être une de ces « opérations éligibles » masquant l’importation de matériel militaire léger (armes de poing, etc.). On notera d’ailleurs que la Chine, fournisseur exclusif des machettes selon le tableau IMPORTATEURS, est aussi présentée comme un pourvoyeur important d’armes légères. Dans cette hypothèse, il faut donc choisir : la même opération commerciale réalisée ne peut être à la fois un achat <em>caché</em> d’équipements militaires déclaré comme machettes et un achat <em>effectif</em> de machettes, qu’il soit ou non destiné à préparer le génocide.</p></li>
</ul>
<p>À côté du rapport Galand-Chossudovsky, d’autres documents relatifs aux importations de machettes sont disponibles. Ils permettent de tester la fiabilité du tableau IMPORTATEURS.</p>
<h2>Les enseignements des autres documents connus</h2>
<p>L’un des documents, publié dans un <a href="https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/rwanda/Aucun-Temoin-ne-doit-survivre-Le">rapport d’Alison Desforges pour la FIDH</a>, est une fiche d’un transporteur kenyan qui a livré 25,662 tonnes de machettes à Félicien Kabuga. Cette opération ne figure pas dans le tableau IMPORTATEURS, qui présente pourtant deux licences d’importation de 48 tonnes au nom de Kabuga.</p>
<p>Un autre document décrit un envoi « Tianjin (6 août 1992)-Mombassa-transit pour Kigali ». Les 19 200 machettes sont commandées par le commerçant Tatien Kayijuka. À raison de 600 g la <a href="https://www.knivesandtools.fr/fr/ct/machettes-et-coupe-coupe.htm">masse moyenne d’une machette</a>, ces 19 200 machettes pèsent environ 11,520 tonnes. Deux cas de figure sont alors possibles : ou bien cette opération correspond aux 11,245 tonnes importées par Kayijuka en 1993, figurant dans le Tableau IMPORTATEURS. Cela signifierait alors que ce tableau agrégerait sur 1993 les importations de 1992. Ou bien il s’agit de deux opérations distinctes, ce qui signifie que Kayijuka importe chaque année des machettes dans le cadre d’une activité commerciale routinière. Dans ce cas, le tableau IMPORTATEURS est incomplet puisqu’il n’indique aucune importation en 1992.</p>
<p>Ces importations documentées affaiblissent le crédit du tableau IMPORTATEURS, utilisé par les Rapporteurs. Elles renforcent au contraire les données du tableau DÉFINITIF, rendant compte d’importations régulières et presque équivalentes entre 1992 et 1993. Les données sur les machettes exploitées dans le rapport Galand-Chossudovsky apparaissent donc incomplètes, imprécises et peu fiables.</p>
<p>De plus, en concluant que « l’année 1993 a été d’importance capitale dans la préparation intensive du génocide » et que « presque tous les opérateurs économiques du Rwanda ont importé des machettes en 1993 », les Rapporteurs induisent une finalité qu’ils n’ont pas établie. Puisque l’augmentation annoncée des importations de machettes n’est pas démontrée et que rien ne permet d’en déduire la finalité génocidaire, alors la conclusion de ce rapport est un abus démonstratif.</p>
<p>Ce rapport, ou pour le moins le nombre « canonique » de 581 tonnes de machettes importées pour préparer le génocide, est pourtant régulièrement <a href="https://www.chronicles.rw/2020/02/28/how-581-tons-of-machetes-were-purchased-for-genocide/">cité en référence</a> dans la presse et les publications d’ONG ou d’activistes. Dans un article à paraître prochainement, Roland Tissot développera d’autres problèmes posés par le rapport Galand-Chossudovsky et proposera une reconstitution de la circulation du « chiffre canonique » dans l’espace public depuis 25 ans.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été rédigé en collaboration avec Roland Tissot, membre de la <a href="http://www.fmsh.fr/fr/recherche/24279">Plateforme Violence et Sortie de la Violence de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145216/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>André Guichaoua ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De 1992 à 1994, le régime en place au Rwanda aurait importé 581 tonnes de machettes, ce qui démontrerait l’intentionnalité du génocide. Ce chiffre est toutefois discutable.André Guichaoua, Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1415452020-06-26T10:41:55Z2020-06-26T10:41:55ZLe président du Kosovo accusé de crimes contre l’humanité : et maintenant ?<p>Alors qu’il était dans l’avion pour une rencontre au sommet à la Maison-Blanche avec son homologue serbe, le président du Kosovo Hashim Thaçi a été contraint de faire demi-tour suite à la publication d’un <a href="https://www.scp-ks.org/en/press-statement">communiqué</a> en provenance des Chambres spéciales de La Haye chargées de juger les potentiels crimes commis par l’Armée de libération du Kosovo (Uçk) entre 1998 et 2000. Le procureur Jack Smith y indique, en trois petits paragraphes, que Thaçi, ainsi que d’autres responsables comme l’ancien président du Parlement Kadri Veseli sont accusés de <a href="https://balkaninsight.com/2020/06/25/two-decades-on-kosovos-guerrilla-boss-thaci-may-finally-face-trial">crimes de guerre et crimes contre l’humanité et seraient impliqués dans le meurtre d’une centaine de personnes</a>. Un juge des Chambres doit encore décider de valider ou non cet acte d’accusation afin d’inculper ou de disculper les deux hommes.</p>
<p>Trois jours après des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/en-serbie-les-elections-renforcent-la-derive-autoritaire-du-president-vucic_4000093.html">élections aux allures de farce en Serbie</a> et quelques semaines seulement après que Hashim Thaçi a manœuvré pour <a href="https://theconversation.com/au-kosovo-deflagration-politique-sur-fond-de-covid-19-137356">renverser le gouvernement du Kosovo dirigé par le très populaire Albin Kurti</a>, cette péripétie marque un tournant majeur à la fois pour le Kosovo mais aussi pour l’avenir du dialogue Belgrade-Pristina.</p>
<p>Bien que beaucoup d’incertitudes demeurent face à ce coup de tonnerre, la réflexion peut d’ores et déjà s’orienter dans trois directions.</p>
<h2>Pourquoi maintenant ?</h2>
<p>D’abord, le timing du communiqué du procureur, dont l’acte était prêt dès le 24 avril dernier, ne manque pas d’interroger, puisqu’il intervient très précisément au moment où Thaçi allait se rendre à un sommet très attendu à la Maison-Blanche pour espérer des avancées décisives dans le dialogue avec Belgrade.</p>
<p>Nous avons déjà expliqué <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/serbie-kosovo-options-scenarios-2018">par ailleurs</a> pourquoi Thaçi avait personnellement intérêt à aller très vite sur cette question, précisément en vue de désamorcer de potentielles inculpations. Dans son communiqué, le procureur explique que Thaçi et Veseli n’ont cessé d’œuvrer <a href="https://balkaninsight.com/2018/01/22/kosovo-politicians-advance-bid-to-scrap-special-court-01-22-2018/">dans le but de se soustraire à l’action des Chambres spéciales</a>. Une hypothèse serait donc que le procureur a craint que tout accord passé sous l’égide de la Maison-Blanche inclue une forme d’amnistie, voire un soutien américain à l’élimination des chambres elles-mêmes. D’autres spéculeront sur une action téléguidée par l’Union européenne, principal sponsor de ces chambres, en réponse à sa mise à l’écart par l’administration Trump et les deux présidents Thaçi et Vucic.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/b94N7wo843Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>C’est oublier que les nuages judiciaires planaient au-dessus de la tête de Thaçi depuis fort longtemps et que l’émission d’un acte d’accusation contre lui était, même si c’était implicite, la principale raison d’être de ces chambres dès lors qu’elles faisaient sérieusement leur travail. Par conséquent, si le timing pourra prêter à discussion auprès de ceux qui ont des informations et ceux qui croient en avoir, le fond du sujet, lui, est nettement moins discutable.</p>
<h2>Quel impact sur les relations entre la Serbie et le Kosovo ?</h2>
<p>Ensuite, cette mise en accusation change tout en ce qui concerne le dialogue Belgrade-Pristina, sur lequel l’envoyé spécial de Donald Trump, Richard Grenell, avait pris la main de façon quasi exclusive en laissant de côté l’UE.</p>
<p>Plusieurs questions sont ouvertes. D’abord, Hashim Thaçi va-t-il démissionner ? Ce n’est pas du tout une certitude au regard de la Constitution. S’il ne le faisait pas, pourrait-il pour autant continuer de conduire le dialogue lui-même ? Dans le cas contraire, quelle organisation trouver ? On peut s’attendre à ce qu’Albin Kurti, renversé il y a deux mois, redouble d’intensité dans son appel à des élections anticipées.</p>
<p>Du côté du dialogue, la fenêtre semble se fermer pour les États-Unis, qui souhaitaient un accord rapide avec les deux présidents. À l’inverse, il s’agit peut-être là d’une opportunité inespérée pour les Européens de reprendre la main, en attendant une éventuelle victoire de Joe Biden en novembre qui pourrait favoriser la reconstitution d’un tandem Washington-Bruxelles. D’ailleurs, si le sommet de Washington est annulé, la présidente de la Commission européenne <a href="https://euronews.al/en/kosovo/2020/06/25/von-der-leyen-and-charles-michel-react-on-hoti-s-visit">Ursula von der Layen a reçu ce mercredi le premier ministre du Kosovo Hoti</a>, et ce vendredi le président serbe Vucic, avant un sommet France-Allemagne-Serbie-Kosovo-UE programmé à Paris courant juillet.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1276419067105226753"}"></div></p>
<p>La question demeure de savoir ce que les Européens ont à offrir aux deux parties. À la Serbie, pas grand-chose puisque l’intégration n’est pas d’actualité et que le régime s’autocratise toujours davantage. Au Kosovo, la levée des visas, bloquée par quelques États dont la France alors que le Kosovo remplit tous les critères techniques et que les instances communautaires (Commission, Parlement) se sont prononcées en faveur de cette levée. Mais aussi, éventuellement, des efforts pour convaincre les cinq États membres qui ne reconnaissent pas le Kosovo (Espagne, Slovaquie, Grèce, Chypre, Roumanie) d’avancer sur ce point. En tout état de cause, le contraste ne saurait être plus grand entre d’un côté une Serbie à quasi parti unique, et de l’autre un Kosovo au président quasi empêché, et où le gouvernement a pris le pouvoir de façon légale mais illégitime.</p>
<h2>La perception héroïque de l’UçK au Kosovo et en Albanie</h2>
<p>Enfin, cette mise en accusation est peut-être l’occasion d’une réflexion sur l’Armée de libération du Kosovo. La plupart des déclarations politiques, et la première réaction de Thaçi lui-même, ont consisté à dresser une équivalence entre lui et l’UçK, signifiant ainsi que c’était cette dernière qui était en réalité visée. On touche là à une triple difficulté. La première est la distinction entre responsabilité individuelle et responsabilité collective. Dire qu’attaquer Thaçi signifie attaquer l’UçK rend de fait l’attaque inacceptable dans la mesure où l’UçK est célébrée par tous les Albanais comme l’organisation qui a mené la lutte contre l’oppression serbe du régime de Slobodan Milosevic. Or, c’est tout le principe de la justice internationale, et notamment du TPIY, d’individualiser les responsabilités et les peines en établissant les faits et les chaînes de commandement. L’argument n’est donc pas recevable.</p>
<p>La deuxième difficulté repose sur le caractère juste de la cause pour laquelle l’UçK s’est battue. On dit alors que dans la mesure où la cause était juste, rien d’injuste ne peut en émaner car la justesse de la cause l’emporterait sur toute autre considération. Néanmoins, cette acception ternit en elle-même le principe et la légitimité l’action menée. Dans la théorie de la guerre juste, la justesse de la cause ne saurait autoriser ceux qui l’embrassent à se soustraire aux obligations du droit que leurs adversaires ne respectent pas. Ce n’est pas parce qu’on combat pour une cause juste que l’on a le droit de tuer, de violer, de massacrer etc. Aucun ancien membre de l’UçK, quel que soit son rang, ne peut donc par principe se déclarer au-dessus de toute accusation en vertu de la cause juste qu’il aurait défendue. Il serait au contraire redevable de tout crime de guerre commis et démontré au cours d’un procès juste et équitable, au même titre que n’importe quel autre combattant. Ce n’est qu’ainsi que la justesse de la cause demeurerait sauvegardée des crimes non pas commis en son nom, mais dont on espérait qu’elle les couvre.</p>
<p>La troisième difficulté touche au narratif lié à l’UçK, héroïsée partout au Kosovo au sein de la population albanaise. Comme dans d’autres pays, les Albanais du Kosovo <a href="https://www.recom.link/good-thing-dont-know-interview-bekim-blakaj-travails-transitional-justice-kosovo">doivent faire face aux crimes commis</a>, y compris (et surtout) les crimes politiques commis par des Albanais contre d’autres Albanais après l’entrée de l’OTAN sur son territoire en juin 1999. <a href="https://balkaninsight.com/2017/10/31/war-crimes-denial-is-a-psychological-defence-mechanism-10-30-2017/">Ce travail de mémoire prend toujours du temps dans toutes les sociétés</a> ; il n’est donc pas étonnant que les premières réactions soient négatives comme elles l’étaient au moment de la création de ces Chambres spéciales, votées sous forte pression occidentale. Si l’on peut comprendre la frustration devant le constat que la Serbie n’a jamais demandé pardon et que ses hauts gradés militaires n’ont jamais vraiment répondu des crimes commis en 1998-1999, cela ne signifie pas, à plus forte raison si l’on pense avoir la morale avec soi, qu’il faut s’absoudre de ses propres crimes car les crimes des uns ne justifient ni n’amoindrissent jamais les crimes des autres, ni sur le plan du droit, ni sur celui de l’éthique.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>Il reste donc à attendre de savoir si le juge va confirmer l’inculpation du président Thaçi, si celui-ci quittera ses fonctions en conséquence, et si cela débouchera sur une redistribution totale des cartes politiques au Kosovo.</p>
<p>De son côté, le président serbe, qui n’avait pas spécialement intérêt à résoudre la question du Kosovo rapidement, se retrouve non seulement sans opposition chez lui, mais aussi sans interlocuteur défini dans ce dialogue. La relance de, ce dialogue ne sera pas le moindre des défis pour les leaders européens dans la région et pour leur envoyé spécial Miroslav Lajcak. </p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141545/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le président du Kosovo Hashim Thaçi vient d’être accusé par le Tribunal spécial pour le Kosovo de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Quelles conséquences pour le pays et pour la région ?Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1388642020-05-19T20:53:41Z2020-05-19T20:53:41ZJustice internationale : l’enjeu Guillaume Soro<p>Un tremblement de terre politique secoue la Côte d’Ivoire. Le 28 avril, un tribunal ivoirien a déclaré Guillaume Soro, candidat à l’élection présidentielle d’octobre prochain, <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-52457131">coupable de détournement et de blanchiment d’argent</a>. L’ancien commandant en chef des rebelles, âgé de 48 ans, a été condamné à 20 ans de prison.</p>
<p>La dimension politique de la condamnation de Soro n’a pas échappé aux Ivoiriens, qui ont été les témoins de son ascension vers le pouvoir au cours des deux dernières décennies. Mais ce sont ses ambitions présidentielles qui expliquent en grande partie sa chute judiciaire. Sa condamnation peut être vue comme le dernier chapitre en date d’une lutte de pouvoir qui a commencé à se nouer depuis la <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-34655049">réélection</a> du président Alassane Ouattara, en octobre 2015.</p>
<p>Plusieurs éléments semblent corroborer le soupçon que les poursuites engagées contre Soro sont motivées par des raisons politiques. Son mandat d’arrêt a été rendu public alors que tout le monde savait qu’il se trouvait en Europe, ce qui lui a donné une raison impérieuse de ne pas retourner dans son pays. La décision de le poursuivre par contumace, ainsi que d’autres questions relatives à la légalité de la procédure, laissent penser que l’intention principale du gouvernement était de le tenir à distance, et non de le mettre sous les verrous.</p>
<p>Dans l’ensemble, de nombreux Ivoiriens voient dans la condamnation de Soro une tentative de l’exclure de l’élection présidentielle prévue fin octobre. Cela ouvrirait la voie à l’élection du candidat de M. Ouattara, l’actuel premier ministre Amadou Gon Coulibaly.</p>
<p>Mais ces développements ont des implications beaucoup plus larges pour la justice pénale internationale. Deux questions, liées entre elles, se posent. Pourquoi Soro est-il tombé en disgrâce ? Et sa chute donne-t-elle à la Cour pénale internationale une seconde chance – sans doute imméritée – de rendre justice pour les atrocités perpétrées pendant près d’une décennie de guerre civile dans ce pays d’Afrique de l’Ouest ?</p>
<h2>L’ascension de Soro au pouvoir</h2>
<p>Il n’y a sans doute personne en Côte d’Ivoire qui ait plus contribué à l’ascension de Ouattara à la présidence que Soro. Soro était le commandant en chef des forces rebelles qui ont mis fin au régime illibéral de l’ancien président Laurent Gbagbo. La lutte militaire et politique de Soro pour renverser Gbagbo a commencé avec le <a href="http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/2268718.stm">coup d’État manqué</a> de septembre 2002. Elle a duré jusqu’à la <a href="https://www.theguardian.com/world/2011/apr/11/ivory-coast-former-leader-arrested">défaite et l’arrestation</a> de Gbagbo, en avril 2011.</p>
<p>Naturellement, Ouattara s’est senti redevable à Soro et il l’a généreusement récompensé. C’est pourquoi il a fermé les yeux sur les <a href="https://www.hrw.org/news/2011/04/09/cote-divoire-ouattara-forces-kill-rape-civilians-during-offensive">atrocités</a> perpétrées par les rebelles de Soro alors qu’ils marchaient sur Abidjan.</p>
<p>Au fil du temps et de l’effritement des loyautés nées de la guerre, le passé de Soro est cependant devenu un handicap politique pour Ouattara et une menace imminente pour la fragile démocratie ivoirienne. Mais par deux fois, Ouattara est venu au secours de son ancien allié, en refusant de se conformer à deux mandats d’arrêt contre Soro : le premier avait été <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-35051481">délivré par un juge français</a>), en décembre 2015 ; l’autre sollicité par le gouvernement du <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-35325326">Burkina Faso</a> voisin, en janvier 2016.</p>
<h2>La brouille</h2>
<p>L’attitude envers Soro a commencé à changer fin 2016, lorsque Ouattara a initié des mesures institutionnelles, politiques et judiciaires pour prendre ses distances avec son ancien allié. L’adoption de la <a href="https://www.loc.gov/law/foreign-news/article/cte-divoire-new-constitution-adopted/">nouvelle Constitution</a>, établissant un poste de vice-président et ajoutant une Chambre haute à l’Assemblée nationale jusqu’alors monocamérale, a fourni une occasion d’affaiblir la mainmise de Soro sur le pouvoir.</p>
<p>Mais c’est l’implication présumée de Soro dans les <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-39920149">mutineries de janvier et mai 2017</a> qui a marqué le point de non-retour. Soro était désormais perçu comme une menace pour l’État ivoirien. Ses finances et ses liens avec de riches bienfaiteurs ont soudainement été soumis à un examen minutieux par la justice nationale.</p>
<p>Peu disposé à accepter le rameau d’olivier proposé par Ouattara et à soutenir son successeur désigné, Soro a coupé tous ses liens restants avec le président. En février 2019, il a <a href="https://www.france24.com/en/20190208-ivory-coast-parliament-speaker-guillaume-soro-resigns-dispute-president-alassane-outtara">démissionné</a> de la présidence de l’Assemblée nationale et de son parti. Et c’est ainsi que Soro, n’étant plus sous la protection de Ouattara, est devenu une cible possible pour les poursuites internationales.</p>
<h2>Un test pour la crédibilité de la CPI</h2>
<p>Le gouvernement Ouattara verrait sans doute d’un bon œil un procès de Soro à La Haye. Un procès national serait politiquement coûteux et, étant donné la popularité de Soro et son influence sur l’armée, susceptible de provoquer des troubles publics.</p>
<p>Cependant, le recours à la justice internationale n’est pas non plus à l’abri d’un échec. La gestion calamiteuse du procès intenté contre l’ancien président Gbagbo et contre Charles Blé Goudé est encore fraîche dans la mémoire de nombreux Ivoiriens. Cet épisode judiciaire, qui s’est soldé par <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1427">l’acquittement</a> des deux hommes en janvier 2019, a contribué à <a href="https://theconversation.com/gbagbos-acquittal-suggests-confusion-and-dysfunction-at-the-icc-110200">saper la crédibilité</a> de la Cour de La Haye.</p>
<p>Dès lors, la récente condamnation de Soro offre à la Cour une occasion de se rattraper et de se racheter qu’elle ne peut se permettre de manquer. Outre le fait que la justice puisse être rendue, engager une procédure contre Soro contribuerait à dissiper l’image de partialité – ou de manque d’impartialité – dont souffre la Cour. Il s’agirait de la première poursuite internationale visant un membre de haut rang du côté « des vainqueurs » de la guerre civile. Il est utile de rappeler à ce sujet qu’universitaires et observateurs de la politique ivoirienne ont <a href="https://www.cairn-int.info/article-E_AFCO_263_0268--the-gbagbo-ble-goude-trial-for-crimes.htm">déploré</a> le silence du procureur concernant les crimes présumés commis par les forces pro-Ouattara.</p>
<p>À supposer que le bureau de la procureure de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, se saisisse de cette opportunité, comment les autorités ivoiriennes réagiraient-elles ? Plusieurs indices suggèrent que le gouvernement ivoirien souhaite que la Cour ouvre un procès contre Soro, et que le plus tôt sera le mieux. Les interactions passées entre les autorités ivoiriennes et le tribunal de La Haye semblent indiquer que les récentes décisions prises au plan national sont un appel à la CPI pour qu’elle se penche sur le cas Soro.</p>
<h2>Une double victoire ?</h2>
<p>N’oublions pas que le gouvernement Ouattara a remis Gbagbo et Blé Goudé à la Cour internationale, respectivement en 2011 et 2013. Lorsqu’il a <a href="https://edition.cnn.com/2013/09/21/world/africa/ivory-coast-first-lady-icc/index.html">refusé de livrer</a> l’épouse de Gbagbo, Simone, la justice ivoirienne a accusé celle-ci de crimes de guerre, suspendant la compétence de la CPI pour <a href="https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/20BB4494-70F9-4698-8E30-907F631453ED/281984/complementarity.pdf">raison de complémentarité</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/why-gbagbo-acquittal-is-a-bigger-blow-for-the-icc-than-the-bemba-decision-109913">Why Gbagbo acquittal is a bigger blow for the ICC than the Bemba decision</a>
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<p>Soro a lui aussi été condamné pour des crimes qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour pénale internationale. Il n’y a pourtant pas pire pays où se trouver que la France pour ceux qui cherchent à échapper à la justice internationale. Depuis 25 ans, les autorités françaises ont pris l’initiative d’enquêter, d’arrêter et de remettre aux tribunaux pénaux internationaux des suspects provenant de nombreux pays – des Balkans occidentaux au Rwanda en passant par la République démocratique du Congo, le Tchad, la République centrafricaine, la Libye et la Syrie.</p>
<p>Enfin, les poursuites engagées par la CPI ont, pour les accusés, des conséquences politiques et personnelles considérables, qui peuvent durer au-delà de leur acquittement. La preuve en est que, dans l’attente de leur <a href="https://www.ijmonitor.org/2019/11/gbagbo-ble-goude-trial-the-latest-decisions-of-the-appeals-chamber/">jugement en appel</a>, Gbagbo et Blé Goudé n’ont pas pu rentrer chez eux et reprendre leur carrière politique.</p>
<p>Un procès contre Soro serait une victoire tant pour le tribunal de La Haye, qui a grand besoin de redorer sa crédibilité, que pour l’administration ivoirienne sortante, qui cherche à transférer en douceur le pouvoir à quelqu’un qui poursuivra dans la même voie que Ouattara.</p>
<p>Il reste à voir si Soro acceptera la sombre situation qui est la sienne ou s’il se battra, par tous les moyens nécessaires, pour réaliser son rêve de s’emparer de la présidence de la Côte d’Ivoire.</p>
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<p><em>La traduction vers la version française a été assurée par le site <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/">Justice Info</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138864/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marco Bocchese ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ancien chef rebelle ivoirien Guillaume Soro vient d’être condamné par un tribunal de son pays à vingt ans de prison pour corruption. La CPI pourrait également se saisir de son cas.Marco Bocchese, Visiting Assistant Professor, Department of Political Science, University of Illinois ChicagoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1305882020-02-06T18:19:20Z2020-02-06T18:19:20ZUn tribunal international pour juger les djihadistes de Daech ?<p>La fin de l’État islamique (EI) approche et laisse place à de nouvelles interrogations concernant le sort de ses combattants, dont il faut rappeler qu’ils sont issus de plus de 50 pays différents. Au niveau européen, d’après le <a href="https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2725/files/2020/01/CAT_conf7nov2019.pdf">Centre d’analyse du terrorisme</a>, pas moins de 5 000 personnes ont rejoint la zone irako-syrienne, dont 1 300 Français. Au total, d’après le <a href="https://undocs.org/fr/S/2019/570">dernier rapport rendu à l’ONU</a>, il y aurait actuellement sur les territoires syrien et irakien 30 000 combattants étrangers encore en vie.</p>
<p>Selon certaines informations, 12 000 combattants de l’EI, dont 2 500 à 3 000 étrangers, seraient <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/17/irak-le-drian-a-bagdad-pour-discuter-du-sort-des-combattants-etrangers-de-l-etat-islamique_6015847_3210.html">détenus dans des prisons contrôlées par les Kurdes en Syrie</a>. D’autres, dont le nombre n’est pas connu, sont détenus dans des prisons irakiennes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image du documentaire <em>Daech, naissance d’un État islamique</em>, de Jérôme Fritel (2015).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Troisième Œil Productions/Arte</span></span>
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<h2>Quel tribunal existant serait compétent pour les juger ?</h2>
<p>La première hypothèse serait de faire juger ces personnes par leurs États respectifs, c’est-à-dire les États dont ils possèdent la nationalité (sachant que les lois d’extradition varient d’un État à l’autre). Cette solution présenterait l’avantage que chaque individu soit effectivement jugé. Toutefois, elle aurait aussi le net désavatange de soumettre ces individus à des droits différents, des peines différentes, mais surtout des garanties en matière de droit au procès équitable différentes. Il n’en reste pas moins que c’est ce que souhaitent les autorités sur place. Le ministre des Affaires étrangères irakien, Mohamed Ali Al-Hakim, a estimé en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/25/le-jugement-en-irak-des-combattants-etrangers-de-l-ei-est-de-plus-en-plus-compromis_6016826_3210.html">octobre 2019</a> au sujet des combattants étrangers que « les pays concernés doivent prendre des mesures nécessaires et appropriées pour les juger ».</p>
<p>La seconde hypothèse à l’échelon national serait de laisser les États où les crimes ont été commis juger les djihadistes de Daech. Toutefois, certains avocats français et observateurs d’ONG estiment que les <a href="https://www.lci.fr/terrorisme/djihadistes-francais-condamnes-a-mort-en-irak-la-france-est-elle-dans-l-illegalite-2129548.html">prévenus ne bénéficient pas d’un procès équitable en Irak et en Syrie</a>. Des associations de familles de djihadistes ont dernièrement dénoncé les humiliations et les tortures qu’ont pu subir les condamnés. C’est notamment le cas du <a href="http://www.famillesunies.fr/">collectif « Familles unies »</a>. De <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041515060&categorieLien=id">nombreuses condamnations à mort ont déjà été prononcées</a> (dont au moins <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/un-jour-dans-le-monde-29-janvier-2020**">11</a> à l’encontre de Français). Cette solution ne semble donc pas la plus appropriée.</p>
<p>Les États de l’UE, entre autres, sont globalement favorables à cette solution qui aurait l’avantage de ne pas rapatrier les djihadistes sur le territoire européen, où ils pourraient, même depuis la prison, propager leur idéologie. La position française a toutefois légèrement changé ces derniers mois. En effet, début janvier, la ministre de la Justice a estimé qu’il faudrait peut-être songer à <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/12/nicole-belloubet-emet-l-hypothese-d-un-rapatriement-des-djihadistes-francais_6025572_3224.html">juger nos nationaux en France</a>.</p>
<h2>Qu’en est-il de la Cour pénale internationale ?</h2>
<p>La CPI a compétence pour juger les actes constitutifs de crime contre l’humanité, de génocide, de crime de guerre ou d’agression dès lors qu’ils sont commis sur le territoire d’un État membre ou par un ressortissant d’un État membre.</p>
<p>Concrètement, la Cour pourrait juger certains de ces individus non pas pour « terrorisme » (la Cour n’a pas compétence pour ce crime spécifique) mais pour crime contre l’humanité, de guerre, d’agression ou génocide. Pour cela, deux hypothèses sont à étudier.</p>
<p>Selon la première, il faudrait que les faits aient été commis sur le territoire d’un État membre. Or le territoire de Daech communément admis correspondait à une zone à cheval sur l’Irak et la Syrie, deux États qui ne sont pas parties à la Cour. La CPI ne peut donc pas juger les faits qui y ont été commis. Bagdad et Damas pourraient, en théorie, « consentir à ce que la Cour exerce sa compétence » pour une période précise (Article 12-3 du <a href="https://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf">Statut de la Cour</a>). Une solution qui semble peu réalisable.</p>
<p>Mais Daech a également agi (par le biais d’attentats par exemple) sur le territoire de certains États parties à la CPI (Afghanistan, Mali, France…).</p>
<p>Pour la seconde, il faudrait que les djihadistes soient ressortissants d’un État partie à la CPI. Ce serait par exemple le cas des djihadistes français, belges, allemands… Actuellement, 122 États ont ratifié le Statut de la Cour ; potentiellement, tous les djihadistes ressortissants d’un de ces États pourraient être poursuivis devant la Cour.</p>
<p>Là encore, l’issue risque d’être compliquée car, pour mener ses enquêtes, la Cour aurait besoin de se rendre sur place, et cela ne se fera pas sans la coopération des États où les actes ont été commis… Ce qui semble très peu probable pour une bonne partie des États concernés, à commencer par l’Irak et la Syrie.</p>
<p>Concrètement, cela signifie que la Cour pénale internationale n’aurait qu’une compétence très limitée concernant les faits commis par des djihadistes, et aucune compétence pour les faits commis par des djihadistes n’ayant pas la nationalité d’un État partie sur le territoire syrien et irakien.</p>
<p>Il ne serait pas dans l’intérêt de ces deux États de coopérer avec la Cour pénale internationale car les enquêteurs se doivent d’être indépendants et neutres. Ce qui signifie qu’ils devraient enquêter sur la situation globale : sur les actes commis par les membres de Daech, mais aussi sur ceux commis par des représentants des régimes officiels irakien et syrien. Et l’on comprend aisément que les dirigeants de ces États ne voudront pas qu’une Cour se mèle de leurs affaires internes.</p>
<h2>Pourquoi pas un tribunal international ?</h2>
<p>La dernière solution serait de créer un tribunal international pour juger de cette situation précise, un tribunal <em>ad hoc</em>. Il existe deux types de tribunaux internationaux. D’une part, ceux établis par des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU : le <a href="https://www.icty.org/fr/le-tribunal-en-bref">Tribunal international pour la Yougoslavie</a> (1993) et le <a href="https://unictr.irmct.org/fr/accueil">Tribunal international pour le Rwanda</a> (1994). D’autre part, ceux créés à travers des accords passés entre les Nations unies et les États concernés : <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/0/1adf75435d6055ebc1256c21003d544c">Tribunal spécial pour la Sierra Leone</a> (2002), <a href="https://www.eccc.gov.kh/fr/node/39457">Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens</a> (2003), <a href="https://www.stl-tsl.org/fr">Tribunal international pour le Liban</a> en (2006). Le droit y est mixte, et la procédure aussi.</p>
<p>L’idée de la mise en place d’un tribunal international chargé de juger les crimes commis par Daech est notamment défendue par Karim Khan, Conseiller spécial de l’ONU et chef de l’équipe d’enquêteurs sur Daech créée en 2017 par la <a href="https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/sres2379-2017">résolution 2379</a>. Il estime, en effet, qu’il faudrait <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/le-chef-des-enqueteurs-de-l-onu-plaide-pour-un-nuremberg-de-Daech_2092171.html">« juger Daech avec un tribunal à l’image de Nuremberg »</a>.</p>
<p>Toutefois, on imagine mal les États membres du Conseil de sécurité se mettre d’accord pour imposer la création d’un tel tribunal. En effet, les situations irakienne et syrienne ne font pas l’unanimité au sein du Conseil de Sécurité. Les États-Unis et la Russie ne partagent pas du tout les mêmes positions, n’ont pas les mêmes alliés dans la région. Il semble très peu concevable qu’ils se mettent d’accord sur la façon dont cela devrait être géré, d’autant qu’ils craindraient sans doute que leurs propres agissements soient jugés…</p>
<p>Et on imagine encore moins que l’Irak ou la Syrie demandent la création, en collaboration avec les Nations unies, d’un tribunal destiné à juger les actes commis sur leur territoire (ne serait-ce que parce que, comme dans le cas de la CPI évoqué plus haut, un tel tribunal devrait pouvoir juger les membres des différents « camps »).</p>
<p>Toutes ces solutions ont des avantages et des défauts. La plus souhaitable serait probablement la création d’un tribunal international où le droit serait uniforme et le droit au procès équitable garanti, mais une telle option semble quasiment impossible. La solution la plus plausible et à moindre mal serait que les États de nationalité des djihadistes se chargent des procès (plutôt que laisser cette charge aux tribunaux irakiens et syriens). Cette solution serait probablement, de toutes les options possibles, la moins attentatoire aux droits de l’homme.</p>
<p>Toutefois, là encore, les États ne sont pas tous d’accord sur le sort à accorder à leurs nationaux. Certains, on l’a dit, souhaitent que les États où les faits ont été commis jugent leurs nationaux (le but étant de ne pas avoir à récupérer des djihadistes dans leurs prisons afin qu’ils convertissent d’autres prisonniers). D’autres, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, ou encore les Pays-Bas, préconisent la création d’un tribunal sous l’égide des Nations unies. Enfin, quelques États commencent, à l’instar de la France, à vouloir juger eux-mêmes leurs ressortissants. Le débat reste ouvert…</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Cressent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment juger les combattants de Daech ? Tour d’horizon des diverses options envisageables, des tribunaux locaux à des juridictions internationales qui seraient créées ad hoc.Camille Cressent, Doctorante en droit international public - ATER, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1177612019-06-10T20:04:12Z2019-06-10T20:04:12ZPourquoi les États-Unis rejettent la justice pénale internationale : le précédent de Nuremberg<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/278719/original/file-20190610-52780-1azglap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C0%2C1452%2C741&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fatou Bensouda, procureure de la CPI et Robert H. Jackson, deux figures clefs de la justice pénale internationale, de Nuremberg à La Haye.</span> <span class="attribution"><span class="source">AFP/Wikimedia</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« C’est mon deuxième plus beau jour au gouvernement. »</p>
</blockquote>
<p>C'est par ces mots que John R. Bolton, conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, salue la décision de la Cour pénale internationale (CPI) <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/190415-afg-qa-fra.pdf">d’abandonner ses investigations</a> sur de possibles violations du droit international humanitaire en Afghanistan, écrit le <em>New York Times</em> le <a href="https://www.nytimes.com/2019/04/12/world/asia/icc-afghanistan-.html">12 avril 2019</a>. </p>
<p>Si les juges en charge de l'affaire ont estimé qu'une telle enquête serait impossible sans la coopération des États-Unis, la procureure de la CPI, la Gambienne Fatou Bensouda, tient bon et souhaite maintenir sa requête en faisant appel, a rapporté ce vendredi le journal <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/08/la-procureure-de-la-cpi-maintient-sa-demande-d-enquete-en-afghanistan_5473571_3210.html"><em>Le Monde</em></a>. Sa demande inclut non seulement une investigation en Afghanistan mais concerne également des tortures perpétrées dans les prisons secrètes de l’Agence centrale de renseignement (CIA) américaine en Pologne, en Roumanie et en Lituanie.</p>
<p>Elle doit cependant affronter la ténacité d'hommes comme John Bolton. Il y a plus de 15 ans, ce dernier, alors au service de George W. Bush, s'était déjà distingué lorsque son gouvernement <a href="https://www.hrw.org/news/2002/05/06/united-states-unsigning-treaty-war-crimes-court">avait retiré sa signature du Traité de Rome</a>, acte qui instituait la <a href="https://www.icc-cpi.int/">cour internationale</a>. Il a coutume de décrire ce jour comme « le plus beau » de sa carrière.</p>
<p>Face au rejet brutal et sans nuance de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/04/une-justice-internationale-a-la-peine_5471125_3210.html">justice pénale internationale</a> par les néo-conservateurs états-uniens, qui fragilise un peu plus une institution contestée de toutes parts, les partisans de la CPI invoquent volontiers le précédent de Nuremberg. Ils soulignent le rôle actif de la puissance américaine dans la création du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A8s_de_Nuremberg">Tribunal militaire international</a> (TMI), qui, de novembre 1945 à octobre 1946, jugea 21 leaders de premier plan du régime nazi. Cet appel à revenir aux sources états-uniennes de la justice pénale internationale est sous-tendu par un récit historique problématique qui ne résiste guère à un examen critique.</p>
<h2>Le président de la CPI et « l’esprit de Nuremberg »</h2>
<p>Ainsi, deux semaines avant la décision de la CPI évoquée plus haut, le juge nigérian Chile Eboe-Osuji, président de la CPI, assiste à Washington, D.C. à la remise du prix Anne Frank décerné par le gouvernement hollandais à Benjamin Ferencz (né en 1920), un des derniers procureurs de Nuremberg encore en vie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Benjamin Ferencz, procureur de Nuremberg.</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=20190327-pres-stat">Il salue en Ferencz</a> l’infatigable militant <em>états-unien</em> de la cause de la justice pénale internationale. Deux jours plus tard, c’est à Robert H. Jackson (1892-1954), chef du parquet américain à Nuremberg, qu’il rend un vibrant « hommage », rappelant « la contribution de l’Amérique à la justice pénale internationale ».</p>
<p>Dans un discours prononcé au <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=190329-stat-pres">Congrès de la prestigieuse American Society of International Law</a> (ASIL), à l’invitation de son président Sean D. Murphy, Eboe-Osuji se place résolument dans les pas de Jackson, qu’il stylise en pionnier et héros d’une justice universelle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Discours de Robert H. Jackson, le 21 novembre 1945.</span></figcaption>
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<p>Visiblement, Bolton et le secrétaire d’État Mike Pompeo ne sont guère sensibles à de tels <a href="https://www.asil.org/resources/video/2019-annual-meeting">arguments historiques</a>.</p>
<p>Ainsi le 5 avril 2019, ces derniers annoncent que le visa d’entrée de Fatou Bensouda, <a href="https://www.theglobeandmail.com/world/article-icc-prosecutor-fatou-bensouda-says-her-us-visa-has-been-revoked/">a été révoqué</a>. Ils mettent ainsi à exécution une menace brandie depuis que le bureau de la procureure <a href="http://www.rfi.fr/moyen-orient/20171103-afghanistan-cpi-va-demander-une-enquete-crimes-guerre">a annoncé en 2017</a> l’ouverture d’une enquête préliminaire sur les crimes de guerre commis en Afghanistan depuis 2002 par toutes les parties en présence, y compris l’armée américaine.</p>
<p>Comment comprendre ce bras de fer ?</p>
<h2>Les juristes néoconservateurs ont le vent en poupe</h2>
<p>La rupture paraît consommée entre le champ de la justice pénale internationale et la sphère gouvernementale états-unienne : d’un côté, des professionnels de la justice internationale, défendant la cause de la CPI, de l’autre des juristes néo-conservateurs arc-boutés sur le primat de la souveraineté états-unienne, percevant le droit international comme une entrave à la liberté d’action de leur gouvernement sur <a href="https://uwpress.wisc.edu/books/4999.htm">le plan intérieur comme extérieur</a>.</p>
<p>Au sein du champ de la justice pénale internationale (une constellation d’organisations et d’acteurs variés au carrefour du droit, du plaidoyer humanitaire et de la diplomatie) et, au-delà, dans les milieux juridiques internationalisés et libéraux, le coup d’arrêt récent porté par les juges de la CPI aux enquêtes du Bureau de la procureure en Afghanistan est interprété comme un renoncement. La Cour est accusée d’avoir cédé aux intimidations de la puissance américaine. Sa crédibilité paraît sérieusement entamée.</p>
<p>Le conflit oppose en somme l’<a href="https://www.asil.org/">ASIL</a>, créé par James Brown Scott et Elihu Root en 1906, aux tenants du Tea Party. Les juristes internationaux comme Murphy (aux ressources académiques, diplomatiques, internationales) à l’élite des praticiens nationaux comme <a href="https://www.whitehouse.gov/people/john-r-bolton/">Bolton, un avocat formé à Yale</a> qui embrasse une carrière politique dans les années 1980. Symboliquement, ce conflit est redoublé par l’apparent fossé entre des juristes africains internationalisés, paradoxalement bien représentés au sein de la CPI (<a href="https://www.icc-cpi.int/about/judicial-divisions/biographies/Pages/current-judges.aspx">5 magistrats sur 19</a>), d’un côté, et des juristes et diplomates blancs anglo-saxons de l’autre.</p>
<p>Désormais, les juristes d’État néo-conservateurs et unilatéralistes dominent ; la voix des juristes internationalisés et libéraux ne porte plus.</p>
<p>Les partisans de la justice pénale internationale – interventionnistes humanitaires ou tenants de la justice transitionnelle – multipositionnés dans les espaces des ONG, des think tanks, de la diplomatie et du monde académique semblent mis à l’écart.</p>
<h2>Nuremberg : une brève parenthèse multilatérale</h2>
<p>Aux yeux de ces juristes libéraux, « l’esprit de Nuremberg », suivant la formule de Benjamin Ferencz, aurait déserté Washington. « Tirerons-nous enfin les leçons de Nuremberg ? », <a href="http://www.derechos.org/nizkor/aggression/doc/bferencz14.html">écrivait-il en 2010</a>.</p>
<p>Pourtant, le tournant unilatéraliste et isolationniste remonte en réalité au début des années 1950. Il succède à un moment d’innovation qui reste bref, cinq ans tout au plus, et dont la portée doit être relativisée.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2Znbr23RQ7o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le président Harry Truman annonçant la fin de la guerre, 1945.</span></figcaption>
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<p>Les administrations Roosevelt et surtout <a href="https://www.trumanlibrary.org/whistlestop/study_collections/nuremberg/">Truman</a> ont certes activement contribué, de 1944 à 1948, à la création des tribunaux internationaux ad hoc chargés de juger les leaders nazis et japonais. Mais la rupture qui intervient dans les années suivantes n’est certainement pas aussi nette qu’il n’y paraît.</p>
<p>Comme je le soutiens dans <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100484670"><em>Le moment Nuremberg</em></a>, la généalogie construite a posteriori est à bien des égards trompeuse.</p>
<p>De fait, Nuremberg apparaît comme une brève parenthèse multilatérale, vite refermée, dans l’histoire longue du rejet états-unien des normes et organisations internationales. En outre, cette parenthèse est ambiguë : il s’agit d’un moment d’innovation sous contrôle.</p>
<h2>Une définition corsetée des crimes racistes en droit international</h2>
<p>De 1944 à 1945, ce sont en effet des avocats ou <em>lawyers</em> au service du gouvernement états-unien qui ont jeté les bases juridiques du procès international de Nuremberg : la charte du TMI porte la trace de leur inventivité si particulière, consistant à innover tout en neutralisant ce qu’ils percevaient comme des menaces pour la souveraineté des États-Unis.</p>
<p>À cet égard, le cas des persécutions et crimes commis « au motif de la race » (<a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/52d68d14de6160e0c12563da005fdb1b/ef25b8f448034148c1256417004b1ce6?OpenDocument">art. 6 (c) de la Charte du TMI, 8/8/1945</a>), c’est-à-dire au nom d’une idéologie raciste, est exemplaire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/278636/original/file-20190610-52767-1302ysu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/278636/original/file-20190610-52767-1302ysu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/278636/original/file-20190610-52767-1302ysu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/278636/original/file-20190610-52767-1302ysu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/278636/original/file-20190610-52767-1302ysu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/278636/original/file-20190610-52767-1302ysu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/278636/original/file-20190610-52767-1302ysu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Procès de Nuremberg. Premier rang (de gauche à droite) : Göring, Hess, Ribbentrop, Keitel. Second rang : Dönitz, Raeder, Schirach, Sauckel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A8s_de_Nuremberg#/media/Fichier:Defendants_in_the_dock_at_the_Nuremberg_Trials.jpg">US Government/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les crimes de masse commis par les nazis contre les juifs européens échappaient en grande partie au <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/5fzjb2.htm">droit de la guerre tel qu’il avait été codifié depuis la fin du XIXᵉ siècle</a>. Pour cette raison, les experts juridiques du gouvernement américain ont élaboré une nouvelle catégorie pénale, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crime_contre_l%27humanit%C3%A9">crime contre l’humanité</a>. Dans le même mouvement, ils en restreignent significativement la portée, subordonnant cette catégorie à des crimes de rang supérieur comme le déclenchement de guerres d’agression ou <a href="http://memoiresdeguerre.com/article-crime-contre-la-paix-117818776.html">« crime contre la paix »</a>.</p>
<p>Les échanges internes qui accompagnent la longue gestation des statuts du TMI en attestent : ces experts souhaitent à tout prix éviter de créer un instrument juridique universel, instituant, en matière de persécutions et de crimes racistes, un droit de regard sur les affaires intérieures des États.</p>
<p>Les <a href="http://www.lefigaro.fr/histoire/2015/02/20/26001-20150220ARTFIG00324-segregation-et-discriminations-aux-etats-unis-dans-les-annees-60.php">lois Jim Crow</a>, bases de la ségrégation raciale aux États-Unis, et les violences endémiques contre les Afro-Américains sont dans tous les esprits. Cette préoccupation tourne presque à l’obsession. Robert Jackson lui-même déclare sans ambages à ses interlocuteurs alliés, <a href="https://avalon.law.yale.edu/imt/jack44.asp">lors de la conférence de Londres en juillet 1945</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La manière dont l’Allemagne traite ses habitants ou dont tout autre pays traite ses habitants n’est pas plus notre affaire que ce n’est celle d’un autre gouvernement de s’interposer dans nos problèmes. »</p>
</blockquote>
<p>Pour bien se faire comprendre, il fait même allusion en usant de forts euphémismes, aux discriminations raciales et aux lynchages « at home » :</p>
<blockquote>
<p>« Des circonstances regrettables font que des minorités sont parfois injustement traitées dans notre propre pays […] »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/278645/original/file-20190610-52771-1nk19cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/278645/original/file-20190610-52771-1nk19cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/278645/original/file-20190610-52771-1nk19cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/278645/original/file-20190610-52771-1nk19cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/278645/original/file-20190610-52771-1nk19cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/278645/original/file-20190610-52771-1nk19cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/278645/original/file-20190610-52771-1nk19cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un homme boit à un distributeur d’eau réservé aux « gens de couleur » à un terminal de tramway en 1939, à Oklahoma City.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9gr%C3%A9gation_raciale_aux_%C3%89tats-Unis#/media/Fichier:%22Colored%22_drinking_fountain_from_mid-20th_century_with_african-american_drinking.jpg">Russell Lee/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La neutralisation des principes de Nuremberg</h2>
<p>Cette production sous contrôle du droit (pénal) international, combinant innovation et neutralisation de celle-ci, actualise trois séries de dispositions propres aux experts américains : l’intériorisation de la rigide « color line », les habitus professionnels des avocats d’élite et une « pensée d’État » découlant de la proximité de ces juristes avec la sphère gouvernementale.</p>
<p>Ce bref moment d’innovation, stimulé par un cercle restreint d’avocats d’élite, cède rapidement la place à une logique de rejet pur et simple.</p>
<p>Une filiation peut ainsi être établie de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Manley_Ottmer_Hudson">Manley Hudson</a>, qui, dès 1950, s’oppose, au sein de la Commission du droit international des Nations unies, à la codification des « principes de Nuremberg » et à la création d’une cour permanente jusqu’à John Bolton qui, depuis 2002, mène une croisade ininterrompue contre la CPI.</p>
<p>L’hypothèse de poursuites contre des ressortissants américains – pour crimes racistes dans les années 1940 et 1950 ou crimes de guerre depuis les années 1960 – tourne donc à l’obsession. Elle implique une croyance profonde dans l’idée que le droit international peut représenter une menace pour les intérêts et l’image des États-Unis. On retrouve là l’idéologie « légaliste » des élites américaines, séparant politique et morale, analysée dans les années 1960 par la <a href="http://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674523517&content=reviews">philosophe Judith Shklar</a>.</p>
<p>En définitive, « l’esprit de Nuremberg » dont se réclament juristes libéraux et militants de la justice pénale internationale comme Ferencz renvoie à une image déformée et quelque peu enchantée du procès international de 1945-1946. La formule elle-même participe de la construction rétrospective d’une histoire linéaire et héroïque conduisant de Nuremberg à La Haye.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur vient de publier l’ouvrage <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100484670">« Le moment Nuremberg, Le procès international, les lawyers et la question raciale »</a> (Presses de Sciences Po).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117761/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Mouralis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aujourd’hui, les partisans de la justice pénale internationale, aux États-Unis comme à la CPI se réclament volontiers de « l’esprit de Nuremberg ». Ce geste rituel mérite cependant un examen critique.Guillaume Mouralis, Historien et sociologue, chercheur au CNRS, Centre Marc Bloch (Berlin), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1137012019-03-17T20:13:46Z2019-03-17T20:13:46ZDébat : En Syrie, le silence ne doit pas recouvrir les crimes commis à Idlib<blockquote>
<p>« Pourquoi le monde a-t-il abandonné ?<br>
Pourquoi son terrible silence ?<br>
Pourquoi nul ne se préoccupe-t-il de nous ?<br>
Pourquoi personne n’est-il solidaire de notre destin ?<br>
Sommes-nous sans valeur ?<br>
Sommes-nous seulement des numéros ?<br>
Qu’arrive-t-il au monde ? »</p>
</blockquote>
<p>Tel était, il y a quelques jours, le <a href="https://twitter.com/FARED60350386/status/1103769085211537433">message de Fared</a>, <a href="https://twitter.com/FARED60350386/status/1103769088952856579">citoyen journaliste et photographe syrien</a>, de la province d’Idlib. Et ce message, il avait été répété maintes fois depuis le début de la guerre d’Assad contre son peuple, et plus encore depuis les massacres de Homs, de la Ghouta, de Deraa et le <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">siège puis la chute d’Alep</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1103769085211537433"}"></div></p>
<p>Il n’arrête pas d’énoncer que notre inaction parachève l’effondrement de nos représentations politiques et morales de ce que sont le bien et le mal, le juste et l’injuste, le vrai et le faux. Il trace à nouveau cette ligne rouge invisible, mais première, entre – d’un côté – ceux qui se soucient, dénoncent, protestent, nomment avec des mots clairs nos ennemis, et – de l’autre – ceux pour qui les <a href="https://theconversation.com/syrie-penser-apres-homs-alep-idlib-la-ghouta-93995">crimes contre l’humanité peuvent tomber dans l’indifférence du monde</a> et être étouffés par le bruit du quotidien.</p>
<h2>La tragédie, encore et encore</h2>
<p>Alors que, en ce qui concerne la Syrie, les yeux sont concentrés sur la chute prochaine du dernier bastion de Daech à Baghouz et le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/09/retour-des-djihadistes-francais-de-l-etat-islamique-le-scenario-se-precise_5421443_3210.html">« retour » des djihadistes étrangers</a>, ils se détournent de la tragédie annoncée dans la province d’Idlib et des massacres sans fin dans la Syrie sous l’emprise de Bachar Al-Assad.</p>
<p>Une sorte de nuit les enveloppe, comme si le récit porté par son pouvoir d’une victoire acquise nous avait délestés du fardeau de l’outrage. Ce n’est certes pas nouveau. <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1159739/etrange-fin-de-partie-a-baghouz.html">Comme le constatait récemment Michel Duclos</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La bataille contre la centrale terroriste de M. Baghdadi a été depuis cinq ans la priorité des priorités pour les gouvernements occidentaux – au détriment sans doute d’un véritable investissement sur la question syrienne dans son ensemble. »</p>
</blockquote>
<p>Ce qui se joue là mérite pourtant autre chose que le silence et, sur le plan politique, ne saurait tolérer l’inaction qui a, <a href="http://sn4hr.org/blog/2019/03/11/53423/">depuis mars 2011</a> – début de la révolution pacifique contre le régime de Damas – marqué d’une tâche indélébile les nations dites libres. Depuis quatre semaines désormais, les <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1158853/le-regime-assad-accentue-la-pression-sur-idleb.html">bombardements du régime, appuyés par la Russie, sont continuels sur les civils de la région d’Idlib</a>, notamment sur les villes de Maarat al-Noumane, Hama, et Khan Cheikhoun et d’Idlib même, et le nombre des victimes, dont de nombreux enfants, doit dépasser la centaine.</p>
<p>À nouveau, les sauveteurs civils des Casques blancs sont aussi pris pour cible. À nouveau, les <a href="https://www.abc.net.au/news/2018-12-03/syrian-war-crimes-evidence-strongest-since-nuremberg-trials/10577206">crimes de guerre</a> qui ont marqué le conflit syrien sont perpétués – et les puissances occidentales sont silencieuses, comme si ceux-ci étaient devenus une nouvelle « normalité ».</p>
<h2>La Russie et la Turquie à la manœuvre</h2>
<p>Cette <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/mar/14/russian-and-syrian-airstrikes-intensify-on-rebel-held-idlib?CMP=Share_iOSApp_Other">recrudescence du conflit</a> était parfaitement prévisible comme l’est, depuis l’accord de Sotchi signé en septembre 2018 entre la Russie et la Turquie, le fait que la Russie va <a href="https://www.atlantico.fr/decryptage/3508193/idlib--poutine-et-erdogan-tentent-de-gagner-du-temps-et-poutine-du-terrain-nicolas-tenzer">appuyer le régime syrien dans sa reconquête de l’intégralité du territoire syrien</a>, ou quasiment.</p>
<p>Le ministre russe des Affaires étrangères, <a href="https://www.apnews.com/56aaa841ebff42e8b8a6b767e24b0fa1">Sergueï Lavrov, n’en a pas fait mystère</a>. Les seules questions concernent le quand et le comment. Sans doute en effet, la nature des <a href="https://www.ft.com/content/60d234fa-3e6a-11e9-9bee-efab61506f44">conversations entre la Turquie et la Russie</a> va-t-elle, à court terme, peser sur le destin immédiat de la province d’Idlib et il ne saurait être exclu qu’<em>in fine</em> la Turquie conserve une petite enclave au nord du pays, mais il est douteux qu’Ankara ait la volonté de s’opposer à une mainmise quasi-totale d’Assad sur le pays et s’érige en protecteur de la province d’Idlib.</p>
<p>Et la question, <a href="https://www.change.org/p/emmanuel-macron-doctorsindanger-stop-au-ciblage-des-h%C3%B4pitaux-et-du-personnel-m%C3%A9dical-en-syrie/u/24232454?cs_tk=Ar6kY07hhvcQA-MMfFwAAXicyyvNyQEABF8BvCLNcuZ47E-Qth1aSq564f8%3D&utm_campaign=fa5b9c5eaff340fa9be435aec34afa7d&u">posée récemment par le docteur Raphaël Pitti</a>, est la même :</p>
<blockquote>
<p>« Laisserons-nous les trois millions d’habitants et réfugiés de la région revivre l’enfer de la Ghouta, d’Alep ou Deraa ? »</p>
</blockquote>
<h2>Une crainte double</h2>
<p>On savait que la région d’Idlib, où ont afflué environ 2 millions de réfugiés des autres parties de la Syrie, notamment des régions d’Alep et de la Ghouta, après les massacres du régime, <a href="https://theconversation.com/syrie-penser-apres-homs-alep-idlib-la-ghouta-93995">serait un havre précaire</a>. Ses habitants y ont aussi subi les exactions des islamistes de Hay’at Tahrir al-Cham (HTS) qui <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/15/en-syrie-idlib-sous-la-coupe-des-djihadistes_5409277_3210.html">contrôle une large partie de la région</a>, donnant un nouveau prétexte au régime et à la Russie pour intervenir au nom de cette prétendue « guerre contre le terrorisme » qui a toujours été l’habillage rhétorique des crimes du régime.</p>
<p>À l’automne les manifestations dans la province se déroulaient sous le <a href="https://www.france24.com/en/20181031-syrias-idlib-protester-still-going-strong">double slogan du refus d’Assad comme de HTS</a>. Ce dernier groupe est, d’ailleurs, <a href="https://alshahidwitness.com/hts-killing-activists/">souvent soupçonné d’être l’auteur du meurtre</a> de l’activiste de Kafranbel et fondateur de radio Fresh, <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/nov/23/influential-syrian-activist-raed-fares-gunned-down-in-idlib">Raed al-Fares</a>, surnommé la « conscience de la révolution syrienne », <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/12/02/raed-fares-ou-l-assassinat-de-la-voix-des-democrates-syriens_1695570">et de son camarade Hamoud Junaid</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, la crainte est double. D’une part, on imagine parfaitement le résultat de bombardements massifs par le régime et par la Russie d’une <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/nov/03/idlib-jeremy-hunt-syria-russia-turkey">zone comprenant plus de 3 millions d’habitants</a>, dont environ 1 million d’enfants, qui n’auraient plus aucun lieu où les fuir. Cela pourrait être pire encore que ce que la population syrienne a connu en huit années de guerre.</p>
<p>D’autre part, 80 % des habitants de la région figurent sur la <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20180802-syria-regime-prepares-list-of-3m-wanted-persons/">liste des personnes recherchées par Damas</a>, et là aussi on ne connaît que trop le sort auquel la machine de torture et de mort du régime les vouerait.</p>
<p>Quel sera, par ailleurs, le destin des civils qui auront été libérés de Daech <a href="https://theconversation.com/face-a-Daech-letrange-victoire-113511">après la chute de Baghouz</a> ? Auront-ils échappé à l’enfer du Califat pour tomber dans celui du régime ?</p>
<h2>Du sauvetage d’Idlib dépendra l’avenir de la Syrie</h2>
<p>Il faut sauver les habitants d’Idlib du régime. Il faut aussi sauver l’ensemble des habitants de Syrie du régime. Stopper Assad et la Russie de Poutine à Idlib apparaît comme l’opération de la dernière chance. Cela pourrait aussi être, pour le monde dit libre, l’<a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/vladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle_a_21630935/">ultime faillite stratégique</a>.</p>
<p>Depuis huit ans, nous n’avons pas <em>voulu</em> protéger et mettre un terme à l’assassinat délibéré de plus d’un demi-million de personnes et laissé se perpétuer crimes contre l’humanité et crimes de guerre sans fin, mais nous avons abrité notre veulerie sous les mots commodes de l’impuissance ou, plus obscène encore, du réalisme et de la complexité.</p>
<p>Donnerons-nous, cette fois encore, carte blanche à Bachar Al-Assad ? Lui laisserons-nous toute latitude pour, toujours et encore, perpétrer les massacres qu’il a à nouveau annoncés à l’avance ? Renforcerons-nous encore l’<a href="https://wszystkoconajwazniejsze.pl/nicolas-tenzer-russie-pour-sortir-de-la-debacle-strategique-de-louest/">ennemi, oui l’ennemi, de toute loi internationale</a>, d’un ordre soumis à la justice et de la liberté : la Russie de Poutine ? Continuerons-nous, enfin, à déguiser notre lâcheté des habits de la diplomatie, refusant de percevoir que, depuis le début, elle était vouée à la répétition verbeuse de résolutions vides, et donnerons-nous à nouveau crédit à la tromperie et au mensonge ?</p>
<p>Si cela devait être, quel crédit pourrions-nous encore attribuer à l’invocation des valeurs de droit, de liberté et de dignité que porte l’Europe ? Comment n’y verrions-nous pas des mots vains et misérables ?</p>
<p>Sans doute, une action est-elle plus difficile aujourd’hui qu’elle ne l’eût été en 2013, 2016, voire au début de 2017. Le retrait des États-Unis de Syrie, <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jan/11/syria-troop-withdrawal-under-way-says-us-led-coalition">même s’il n’est finalement pas total</a>, n’aide certainement pas et il signifie aussi le peu d’appétence des Américains à peser sur le processus de transition politique. La <a href="https://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2019/03/290371.htm">condamnation par le Département d’État américain</a> des attaques du régime et de la Russie contre les civils d’Idlib, aussi nécessaire soit-elle, ne signifie pas une volonté d’action.</p>
<p><a href="https://foreignpolicy.com/2019/03/08/europe-doesnt-even-agree-on-assad-anymore/">La division de l’Europe sur la Syrie</a> est un autre facteur aggravant auquel s’ajoute le retrait du Royaume-Uni, englué dans le Brexit, de la scène mondiale. L’imprévisibilité de la Turquie, membre de l’OTAN, et la <a href="https://edition.cnn.com/2018/12/27/middleeast/uae-embassy-damascus-intl/index.html">propension de certains pays</a> <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-kuwait/kuwait-expects-more-arab-countries-to-reopen-embassies-in-damascus-kuna-idUSKCN1OU0VP">du Golfe</a> à laver les crimes d’Assad en rouvrant leur ambassade à Damas – qui devrait aussi (<a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-arabs/no-consensus-yet-for-syria-return-arab-league-chief-idUSKCN1Q014R">encore que la décision ne soit pas confirmée</a>), <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/dec/26/arab-league-set-to-readmit-syria-eight-years-after-expulsion">être réadmis au sein de la Ligue arabe</a>, dont le <a href="https://www.jns.org/after-eight-years-of-civil-war-the-return-of-syria-to-the-arab-world/">prochain sommet se tient le 31 mars</a>, ont aussi eu pour effet d’affaiblir nos possibles alliances dans la région.</p>
<h2>Oui, nous pouvons agir</h2>
<p>Mais la France <a href="http://theconversation.com/la-france-et-la-syrie-onze-questions-pour-laction-82108">n’est pas dénuée de toute capacité d’initiative</a> et elle est en mesure de <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2019/01/11/01003-20190111ARTFIG00238-nicolas-tenzer-en-syrie-la-france-pourrait-remobiliser-les-pays-europeens.php">convaincre certains alliés de l’Union européenne</a>. Notre politique en Syrie est inséparable de trois considérations globales.</p>
<p>D’abord, elle prend place dans le cadre de notre combat pour le respect du droit international, notamment humanitaire, et de notre responsabilité de protéger (R2P) : l’ampleur des <a href="https://www.amnestyusa.org/amnesty-report-reveals-crimes-against-humanity-in-syria/">crimes contre l’humanité</a> et des crimes de guerre commis par le régime et ses soutiens – ainsi que des autres parties, quoiqu’impliquées dans une moindre mesure – ne peut faire l’objet seulement d’une condamnation verbale.</p>
<p>Ensuite, pour l’Europe et les Alliés, il est impensable de disjoindre leur position sur la Syrie et le combat contre la déstabilisation, aux multiples composantes, opérée par le régime russe : la Syrie et l’Ukraine sont, pour Moscou, les deux biais principaux par lesquels <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Poutine-menace-valeurs-notre-securite-2017-01-05-1200814910">elle entend détruire l’ordre international</a>.</p>
<p>Enfin, en ce qui concerne la Syrie, on ne peut séparer la réponse à apporter aux événements de la région d’Idlib de la demande de justice internationale, de notre pression sur le régime Assad et ses parrains sur la transition politique et l’accès humanitaire et – c’est un impératif catégorique – de la libération inconditionnelle des prisonniers politiques.</p>
<p>En premier lieu, la France et l’Europe doivent peser sur la composition du comité constitutionnel chargé d’assurer la transition politique en Syrie, qui ne saurait être aux mains du groupe dit d’Astana. <a href="https://lemonde-arabe.fr/13/03/2019/syrie-des-divergences-croissantes-au-sein-du-groupe-dastana/">Celui-ci commence d’ailleurs, semble-t-il, à se fissurer</a>. Cela impose une vigilance de détail, notamment sur le tiers des membres du comité réputés indépendants. Une autre formule que ce comité pourrait d’ailleurs être trouvée si elle apparaît ne pas pouvoir fonctionner.</p>
<p>Le moment venu – on en est certes encore loin – des élections libres en Syrie, sous contrôle international, devront assurer la participation de tous, y compris les réfugiés. Après la <a href="https://thearabweekly.com/failure-de-misturas-syria-mission">faillite du précédent envoyé spécial des Nations unies</a>, Steffan de Mistura, quelles qu’en soient les raisons, la posture qui semble tout aussi <a href="https://syrianobserver.com/EN/features/49171/pedersen-considers-adopting-russian-favored-political-solution.html">peu avertie des ruses de la Russie du nouveau</a>, Geir Pedersen (lequel n’évoque même pas la question de la libération des prisonniers politiques), pourrait se révéler problématique. Ce risque impose aussi un engagement plus fort de la France et de l’Europe, même si l’on sait que la diplomatie ne suffira pas.</p>
<p>Ensuite, elles doivent être claires sur le fait qu’Assad ne saurait faire partie de la transition politique. Tant que son clan restera au pouvoir, les <a href="https://www.washingtonpost.com/world/syrian-forces-use-widespread-sexual-violence-to-humiliate-and-silence-male-prisoners-new-report-says/2019/03/11/2e1f5b12-43e4-11e9-9726-50f151ab44b9_story.html?utm_term=.b37d41a29769">massacres et les tortures dans les prisons</a> du régime continueront. Toute aide à la reconstruction, tant que le régime Assad est en place, <a href="https://www.atlanticcouncil.org/?view=article&id=35805:syria-reconstruction-and-the-illusion-of-leverage">ne peut naturellement qu’être exclue</a>.</p>
<p>Il est aussi exclu que les plus de <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/syria">5,6 millions de réfugiés</a> puissent rentrer et que les <a href="https://www.unhcr.org/sy/internally-displaced-people">6,2 millions de déplacés internes</a> puissent rejoindre leurs provinces – ce que, au demeurant, la <a href="https://www.hrw.org/news/2018/05/29/qa-syrias-new-property-law">loi numéro 10 (promulguée par Damas) qui organise la spoliation</a> de leurs biens exclurait pour nombre d’entre eux. Ce <a href="https://orientxxi.info/magazine/unlocking-europe-s-syrian-straitjacket,2960">constat sans ambiguïté</a> doit également guider la France et l’Europe – et bien sûr les pays de la région – dans leurs politiques d’asile.</p>
<p>Enfin, comme elles ont commencé à le faire, elles doivent poursuivre leur action en faveur de la justice en Syrie, contribuer à <a href="https://www.theguardian.com/law/2019/mar/07/syrian-refugees-launch-legal-bid-to-try-assad-for-crimes-against-humanity">trouver tous les moyens de droit pour poursuivre les criminels</a> et faire de la libération des prisonniers politiques, <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2018/world/syria-bodies/?utm_term=.d58dfc00157f&tid=a_inl_manual&tidloc=24">qui meurent quotidiennement dans les prisons d’Assad</a>, la condition de tout processus de transition politique.</p>
<h2>Assad n’a pas gagné la guerre</h2>
<p>Cette position doit être aussi relayée par des récits clairs de la part des gouvernements européens afin de ne pas accréditer la propagande du régime et de ses thuriféraires.</p>
<p>Premièrement, il est faux de déclarer qu’Assad a gagné la guerre. Il existe toujours environ 30 % du pays qui ne sont pas tombés sous son joug. Et même dans les régions sous la domination du régime, des Syriens, bravant tous les risques, <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-statue/new-assad-statue-triggers-protest-in-cradle-of-syrian-revolt-idUSKBN1QR0SB">continuent de manifester</a>. Cela suppose également de tordre le cou – et la Syrie n’est pas le seul pays concerné – à tous les discours sur les vertus des prétendus régimes stables. Au Moyen-Orient comme ailleurs, les dictatures ne le sont pas et annoncent les révolutions de demain.</p>
<p>Ensuite, non seulement nous devons tenir bon sur le refus de reconnaissance du régime, mais nous devons utiliser tous les moyens disponibles pour que les pays du Golfe et pays arabes en général ne s’engouffrent pas dans cette brèche. En France même, l’<a href="https://www.change.org/p/clio-voyages-culturels-https-www-clio-fr-non-aux-s%C3%A9jours-touristiques-de-clio-en-syrie-sous-la-botte-de-bachar-al-assad">organisation de voyages touristiques en Syrie</a>, qui conduirait <em>de facto</em> à une forme de réhabilitation du régime, ne saurait être acceptée.</p>
<p>En troisième lieu, il nous faut être conséquents dans notre analyse des alliances d’Assad : le régime, la Russie et l’Iran constituent un bloc, et il est absurde stratégiquement d’estimer que nous pouvons les diviser et tenter de jouer, <a href="https://www.rferl.org/a/netanyahu-israel-russia-to-cooperate-on-pullout-of-foreign-forces-from-syria/29801050.html">comme le fait le premier ministre israélien</a>, les uns contre les autres. Le régime ne tient qu’en raison de la présence des forces russes et iraniennes et celles-ci ne le lâcheront pas.</p>
<p>En quatrième lieu, au-delà de nos critiques par ailleurs de ces régimes, nous devons œuvrer à reconstituer des alliances sur la question syrienne. C’est assurément le sujet le plus difficile et risqué, mais c’est aujourd’hui indispensable.</p>
<p>Enfin, et ceci est lié, nous devons mettre tout en œuvre pour remettre sur la table tous les schémas possibles pour la création d’une zone de sécurité dans la région d’Idlib. Si nous renonçons d’avance, cela signifiera que nous accordons au régime et à la Russie une victoire non seulement stratégique, mais aussi intellectuelle dont les conséquences seront incalculables en termes de sécurité mondiale. Si nous nous y montrons incapables, comment d’ailleurs espérer qu’on puisse un jour organiser des élections libres en Syrie sous contrôle international ?</p>
<h2>Un enclos soutiré de l’actualité internationale</h2>
<p>Beaucoup dépend aussi de la capacité de l’opposition syrienne démocratique à s’organiser et à s’unir et à faire émerger une nouvelle génération de dirigeants, celle qui a le plus donné dans les protestations contre le régime. Les pays occidentaux ne sauraient le faire en leurs lieux et places, mais ils peuvent inciter et aider à monter des équipes qui joueront un rôle premier dans la transition politique. Celle-ci doit se préparer beaucoup plus sérieusement qu’aujourd’hui.</p>
<p>Un voile semble être retombé sur la Syrie. À l’abri des regards, même si de courageux journalistes citoyens parviennent encore à nous alerter, Assad arrête, massacre, assassine. Il a <a href="https://www.haaretz.com/middle-east-news/syria/MAGAZINE-iran-russia-and-isis-how-assad-won-in-syria-1.6462751">libéré aussi</a> les <a href="https://www.thedailybeast.com/assad-henchman-heres-how-we-built-isis">terroristes de Daech</a> qui finalement servent sa propre politique de répression et on sait qu’il ne l’a guère combattu.</p>
<p>La Syrie menace de devenir cet enclos soutiré de l’actualité internationale parce que n’en parviendront plus les cris. Notre conscience sera peut-être lâchement soulagée, la gêne de notre lâcheté apaisée, mais l’insécurité du monde se sera amplifiée et cela sera notre héritage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113701/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts.</span></em></p>Renoncer signifie que nous accordons au régime d’Assad et à la Russie une victoire stratégique, mais aussi intellectuelle dont les conséquences seront incalculables en termes de sécurité mondiale.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1083162018-12-09T20:07:37Z2018-12-09T20:07:37ZLa Déclaration universelle a 70 ans : quels défis pour les Nations unies ?<p>70 années après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH), nous n’avons pas que des raisons de nous lamenter, loin de là. Il faut prendre la mesure du chemin parcouru. Avant 1945 et la Charte des Nations unies, les droits de l’Homme n’existaient tout simplement pas en droit international. L’individu n’était qu’un « objet » du droit international et les États n’avaient pas, sauf dans quelques cas particuliers, à se justifier du traitement qu’ils réservaient à leurs nationaux : leur souveraineté équivalait à un droit de vie et de mort sur leurs citoyens.</p>
<p>Depuis, s’est développé sur le socle de la Déclaration un système complet et cohérent de normes, <a href="http://indicators.ohchr.org">largement acceptées par les États</a>, ce que l’on appelle souvent le « droit international des droits de l’Homme » : <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CoreInstruments.aspx">neuf conventions fondamentales à l’ONU</a>, dont les deux « pactes » sur les droits civils et politiques et les droits économiques sociaux et culturels, et sept autres traités qui déclinent les obligations des États s’agissant de certaines violations (torture, disparitions forcées, discriminations raciales et à l’égard des femmes…) ou pour certaines catégories de personnes (enfants, handicapés, travailleurs migrants) ; des conventions régionales comme la Convention européenne des droits de l’Homme ; et une multitude d’autres textes, conventionnels ou non. </p>
<h2>Une base juridique pour agir</h2>
<p>Ce qui est frappant, lorsqu’on regarde cet ensemble, c’est sa cohérence : tous ces textes se fondent sur les mêmes principes, ceux qui sont affirmés dans la DUDH. Dire aujourd’hui que les droits humains ne seraient pas universellement acceptés en droit international n’a pas de sens : le processus d’universalisation juridique a eu lieu ces 70 dernières années et plus aucun Etat ne le conteste sérieusement.</p>
<p>Certes, les normes ne suffisent pas à mettre un terme à toutes les violations des droits de l’Homme, mais elles donnent à chacun une base juridique pour agir et s’y opposer. Et il n’y a pas que les normes, il y a aussi les mécanismes d’application. Depuis 1948 s’est mis en place progressivement un dispositif foisonnant de procédures et d’organes qui opèrent une surveillance continue de la situation des droits de l’Homme dans tous les pays. <a href="https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/Pages/Overview.aspx">Dix comités des Nations unies</a> sont ainsi les « gardiens » des conventions fondamentales, tandis qu’un ensemble de « <a href="https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/SP/Pages/Welcomepage.aspx">procédures spéciales</a> » – rapporteurs spéciaux, experts indépendants et groupes de travail – réagissent au quotidien aux violations des droits de l’Homme et effectuent des visites dans les pays à l’issue desquelles ils rendent des rapports publics. </p>
<p>Une série de <a href="https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/HRC/Pages/COIs.aspx">commissions d’enquête internationales</a> ont également été créées de manière plus ponctuelle ces dernières années, pour documenter les violations et les crimes commis en Syrie, au Burundi, au Yémen, au Myanmar ou dans les territoires occupés par Israël… Sur le plan régional, des juridictions ont été mises en place : la <a href="https://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=home&c=fre">Cour européenne</a>, bien sûr, mais aussi la <a href="http://www.corteidh.or.cr">Cour interaméricaine</a> et la <a href="http://fr.african-court.org">Cour africaine</a> des droits de l’Homme. On en arrive à atteindre en pratique ce que Kant formulait, en 1795, comme un idéal : que toute violation commise en un seul lieu soit ressentie partout ailleurs.</p>
<p>Là encore, ce qui frappe dans cette architecture, c’est sa cohérence : tous ces experts et ces juges appliquent les mêmes normes et, si l’on met à part quelques cas isolés, en adoptent la même interprétation. Par cette application patiente aux cas d’espèce, aux situations spécifiques à chaque pays, à chaque contexte, ils contribuent à faire que les droits de l’Homme, universels dans leurs principes et sur le plan juridique, deviennent un universel concret pour tous les citoyens du monde.</p>
<p>Mais si le chemin parcouru depuis 70 ans est impressionnant, les défis ne manquent pas pour autant.</p>
<h2>Le défi intellectuel</h2>
<p>Le premier défi est intellectuel : on assiste à une résurgence des courants d’idées hostiles aux droits de l’Homme et, plus largement, à ce qui les fonde, à savoir les principes issus de la philosophie des Lumières. Les droits de l’Homme sont accusés par certains d’être complices du néolibéralisme économique, ou encore d’être le masque de l’impérialisme de certaines grandes puissances. </p>
<p>Pour d’autres, les droits de l’Homme seraient « contre le peuple », parce qu’ils défendraient uniquement les minorités contre la majorité ou donneraient le pouvoir à des « experts » dépourvus de toute légitimité démocratique. D’autres cercles encore reprochent aux droits de l’Homme de déformer la « nature » supposée de l’être humain, en portant atteinte à certaines structures anthropologiques telles que la famille. </p>
<p>Dans toutes ces attaques, on distingue souvent l’ignorance ou la déformation consciente de ce que sont les droits de l’Homme en tant que normes juridiques : ceux qui formulent ces critiques ont rarement lu un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme. </p>
<p>Or si ces <a href="https://www.lemonde.fr/long-format/article/2018/11/15/mais-qui-eteindre-des-lumieres_5384074_5345421.html?xtmc=&xtcr=4">courants de pensée anti-Lumières</a> étaient devenus minoritaires après la Seconde Guerre mondiale, ils trouvent aujourd’hui un écho nouveau au sein des opinions publiques : des politiciens sans scrupule les utilisent pour donner une réponse à un sentiment d’injustice légitime au sein des sociétés. Désormais, les défenseurs de la démocratie et des droits de l’Homme ne peuvent plus se contenter d’ignorer ces critiques mais doivent les affronter et <a href="http://www.frouville.org/Publications_files/OdeFrouville-Decaux.pdf">déconstruire ces discours</a> pour montrer qu’ils donnent de mauvaises réponses à ce qui sont souvent de vraies questions.</p>
<h2>Le défi institutionnel</h2>
<p>Un autre défi est institutionnel et concerne plus particulièrement le système des Nations unies : on l’a dit, les mécanismes de protection des droits de l’Homme sont aujourd’hui nombreux et jouent un rôle indispensable. Mais leur multiplication a rendu le système peu lisible et a compliqué son utilisation par les simples citoyens, tandis que le manque de moyens freine son efficacité pratique. </p>
<p>Plusieurs réflexions sont actuellement en cours afin de le perfectionner. <a href="https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRTD/Pages/TBStrengthening.aspx">En 2020</a>, l’Assemblée générale est ainsi appelée à favoriser la rénovation de la procédure essentielle de présentation de rapports périodiques par les États devant les comités des Nations unies, par la mise en place d’un calendrier global et coordonné. </p>
<p>Mais au-delà, c’est surtout la fonction d’examen des plaintes individuelles qui doit être améliorée, par la création, au-dessus des comités compétents, d’<a href="http://tv.coe.int/ECHR/video.php?v=ECHR_20180309_Conference_IAC_04">une Cour des droits de l’Homme des Nations unies</a>, qui assurerait l’unité d’interprétation des normes et raffermirait l’autorité de cette jurisprudence, en coordination avec les autres cours régionales et avec la Cour internationale de Justice.</p>
<h2>Le défi normatif</h2>
<p>Enfin, le dernier défi est normatif car si le droit international des droits de l’Homme est particulièrement concret et cohérent, il doit faire face à des questions inédites. Les nouvelles technologies, en particulier, bouleversent notre rapport à la liberté et à la dignité. </p>
<p>La surveillance de masse, par exemple, engendre une nouvelle échelle dans les atteintes à la vie privée et <a href="https://www.nextinpact.com/news/107035-surveillance-masse-et-cedh-interview-theodore-christakis.htm">il n’est pas certain que les normes existantes permettent d’y faire face</a>. La capacité prédictive de la science, de même, met en jeu le principe d’autonomie : <a href="https://theconversation.com/et-sil-etait-possible-de-predire-les-attentats-51428">si la science peut toujours prévoir ce que nous serons</a>, quelle place nous reste-t-il pour exister ? </p>
<p>Un autre enjeu majeur se situe dans la dégradation de notre environnement et dans le changement climatique : alors même que les droits de l’Homme sont construits sur la base d’une philosophie anthropocentrique, ne devons-nous pas aujourd’hui repenser notre rapport à la Nature (et non plus seulement à l’environnement humain) ? Le défi est de <a href="http://www.frouville.org/Publications_files/Droit%20naturel%20en%20DI-OdeF.pdf">réaffirmer les principes de la modernité politique, tout en faisant droit à la Nature</a>, voire en reconnaissant ses droits propres.</p>
<p>Ces défis sont importants : n’attendons pas le 80ème anniversaire de la Déclaration pour les relever !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108316/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier de Frouville est membre du Comité des droits de l'homme des Nations unies. L'auteur s'exprime à titre personnel et son opinion ne représente ni celle du Comité des droits de l'homme, ni celle des Nations unies.</span></em></p>Avant 1945 et la Charte des Nations unies les droits de l’Homme n’existaient tout simplement pas en droit international.Olivier de Frouville, Professeur de droit public (Paris-Assas), Institut Universitaire de France (IUF)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1061202018-12-06T20:52:03Z2018-12-06T20:52:03ZLe Canada doit engager des poursuites judiciaires contre les combattants de l’EI qui rentrent au pays<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/249354/original/file-20181206-128205-17bsnj1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nadia Murad, co-récipiendaire du Prix Nobel de la Paix 2018, lors de la conférence de presse du National Press Club de Washington, D.C., le 8 octobre 2018. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photos)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.nationalgeographic.fr/actualites/nadia-murad-ancienne-esclave-sexuelle-de-daesh-se-livre-dans-un-entretien-exclusif">La championne des droits de la personne Nadia Murad</a> s’est récemment vu nommer colauréate du prix Nobel de la paix. </p>
<p>En août 2014, le village de Mme Murad, dans le nord de l’Irak, a été attaqué par l’État islamique en Irak et en Syrie (EIIS, ou EI), et elle a été vendue comme esclave sexuelle.</p>
<p>Elle a réussi à s’échapper, a demandé l’asile en Allemagne en 2015, et se bat depuis pour les droits de la minorité yézidi. Au moment de recevoir son prix Nobel, <a href="https://www.reuters.com/article/us-nobel-prize-peace-murad-statement/yazidi-activist-nadia-murad-on-receiving-the-nobel-peace-prize-idUSKCN1MF1XE">elle déclarait :</a> </p>
<blockquote>
<p>« Nous devons travailler ensemble avec détermination – non seulement pour que les campagnes de génocide échouent, mais pour que les responsables soient reconnus coupables de leurs actions. Les survivants méritent que justice soit faite. Et un chemin sûr pour rentrer chez eux. »</p>
</blockquote>
<p>L’imputabilité est devenue un enjeu clé. Si la coalition internationale dirigée par les États-Unis a délogé l’EI des villes qu’il avait occupées et contrôlées, <a href="https://www.nytimes.com/2017/10/17/world/middleeast/isis-syria-raqqa.html">à savoir Mossoul et Raqqa</a>, le groupe est affaibli, mais il n’est pas mort. </p>
<h2>L’EI demeure une force au Moyen-Orient</h2>
<p>Le Département américain de la défense et les Nations Unies estiment <a href="https://www.france24.com/en/20180823-counting-islamic-state-members-impossible-task">qu’il reste environ 30 000 combattants de l’EI</a> dans ces pays.</p>
<p>Pendant ce temps, un nombre important de combattants étrangers originaires de pays comme le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie ont fui l’Irak et la Syrie. De nombreux pays ont du mal <a href="https://www.nytimes.com/2017/02/13/world/australia/citizenship-isis-khaled-sharrouf.html">à trouver des solutions politiques</a> sur la manière de gérer le retour de leurs ressortissants qui ont rejoint le groupe. </p>
<p>Le gouvernement canadien a déclaré publiquement <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/hamilton-trudeau-town-hall-1.4481025">qu’il était favorable à une approche globale</a> de la réintégration des rapatriés dans la société. Or, très peu de combattants étrangers revenus au Canada ont été poursuivis.</p>
<p>Les choses sont sur le point de devenir beaucoup plus compliquées pour les fonctionnaires à Ottawa. Le journaliste Stewart Bell, de Global News, était récemment en reportage dans le nord de la Syrie. <a href="https://globalnews.ca/news/4526514/canadian-isis-caught-in-turkey/">Il a interviewé </a> Muhammad Ali, membre canadien de l’EI détenu par les forces kurdes dans une prison improvisée.</p>
<p>Ali admet avoir rejoint l'EI, servi de tireur d’élite et joué au foot avec des têtes coupées. Il a également utilisé les réseaux sociaux pour inciter d’autres personnes à commettre des attaques violentes contre des civils ainsi que pour recruter de nouveaux membres.</p>
<p>Un autre membre présumé de l’EI, <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/oct/06/suspected-british-isis-fighter-could-face-repatriation-to-canada">Jack Letts</a>, détenant la double nationalité canado-britannique, est également enfermé dans le nord de la Syrie. Les mêmes forces kurdes insistent pour que le gouvernement du Canada rapatrie tous les citoyens canadiens capturés au champ de bataille.</p>
<h2>Tolérance à l’égard de la terreur ou islamophobie?</h2>
<p>La question de savoir comment gérer le retour des combattants étrangers a donné lieu à des débats hautement politiques à Ottawa, faisant ressortir de <a href="https://www.ctvnews.ca/politics/plan-to-deal-with-returning-isis-fighters-sparks-fiery-exchange-between-scheer-pm-1.3698183">fortes différences partisanes</a> quant aux choix politiques et aux stratégies visant à assurer la sécurité des Canadiens. </p>
<p>Le gouvernement libéral a été accusé de faire preuve de mollesse à l’égard du terrorisme et de la sécurité nationale, tandis que l’opposition conservatrice a été accusée de « semer la peur » et de « nourrir l’islamophobie » pour avoir réclamé une approche plus sévère consistant à poursuivre les rapatriés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/241122/original/file-20181017-41140-4wn6sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/241122/original/file-20181017-41140-4wn6sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/241122/original/file-20181017-41140-4wn6sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/241122/original/file-20181017-41140-4wn6sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/241122/original/file-20181017-41140-4wn6sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/241122/original/file-20181017-41140-4wn6sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/241122/original/file-20181017-41140-4wn6sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un membre des Assayech, forces de sécurité kurdes, montrant à un journaliste l’intérieur d’une maison de combattants de l’EI en février 2017, à Bashiqa, en Irak. La ville du district de Mossoul a été libérée en novembre 2016, après avoir passé deux ans sous le contrôle de l’EI.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Presse Canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
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</figure>
<p>Mais le point le plus important est que le Canada a l’obligation morale et légale de demander justice et de défendre les droits de la personne les plus fondamentaux des populations vulnérables.</p>
<p>L’EI et d’autres groupes djihadistes se sont livrés à des atrocités de masse systématiques contre les minorités en Irak et en Syrie, y compris les chrétiens et les chiites. L’EI a manifesté un mépris particulier pour <a href="https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/CoISyria/A_HRC_32_CRP.2_en.pdf">la minorité yézidi en Irak</a>. Le gouvernement canadien <a href="http://natoassociation.ca/canadian-government-acknowledges-isis-genocide-against-the-yazidis-now-what/">a reconnu les crimes du groupe contre les yézidis </a> comme un génocide. </p>
<p>En tant qu’État signataire du <a href="https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/ea9aeff7-5752-4f84-be94-0a655eb30e16/0/rome_statute_english.pdf">Statut de Rome</a> de la Cour pénale internationale et de <a href="https://www.ohchr.org/en/professionalinterest/pages/crimeofgenocide.aspx">la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,</a> le Canada a la responsabilité de faire respecter ces conventions juridiques internationales lorsqu’il élabore des réponses politiques relatives au retour des combattants étrangers.</p>
<h2>Les poursuites peuvent avoir un effet dissuasif</h2>
<p>Le Canada a la possibilité de poursuivre ses ressortissants devant les tribunaux nationaux au moyen de la <a href="https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/C-45.9/">Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre</a>.</p>
<p>Les procès publics peuvent servir à mettre à nu le mythe de l'EI et à aider à lutter contre l’extrémisme violent et les atrocités futures.</p>
<p>Ils peuvent également avoir un effet dissuasif et avertir les Canadiens qui pourraient essayer de se joindre à l’EI au cours de sa mutation et de son déplacement dans d’autres pays du monde comme la Libye, l’Afghanistan, l’Égypte, les Philippines, le Pakistan ou le Mali, où les Casques bleus canadiens viennent d’être déployés.</p>
<p>Si le Canada défend véritablement le multiculturalisme, le pluralisme, la primauté du droit, la justice dans le monde, les droits de la personne et l’ordre international libéral, nous devons faire preuve de fermeté et adopter une position de principe pour poursuivre ceux qui se sont battus avec l’EI. Cela inclut nos propres citoyens. Nadia Murad serait sans doute d’accord.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106120/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kyle Matthews est membre de l'Institut canadien des affaires mondiales.</span></em></p>Si le Canada prend vraiment au sérieux les règles de justice internationale, les droits de la personne et l'ordre international, il doit poursuivre en justice ses citoyens qui ont combattu pour l'EI.Kyle Matthews, Executive Director, The Montréal Institute for Genocide and Human Rights Studies, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1018482018-08-21T20:56:05Z2018-08-21T20:56:05ZKofi Annan, une vie au service de l’ONU<p>Kofi Annan est le premier Secrétaire général de l’ONU à sortir des rangs du personnel de l’organisation : lorsqu’il est élu, il a déjà travaillé 35 ans comme fonctionnaire international à l’ONU, dont il a gravi tous les échelons. Il connaît donc bien l’organisation de l’intérieur.</p>
<h2>Une formation internationale et une carrière précoce aux Nations unies</h2>
<p>Né en 1938 au Ghana, il apprend très tôt plusieurs langues : l’anglais, le français et de nombreuses langues africaines. Durant son enfance, son père travaille pour une filiale d’Unilever et la famille déménage souvent à travers le pays, ce qui lui permet de découvrir différents groupes de population du Ghana. Le jeune Kofi grandit à l’époque de N’Krumah, période enthousiasmante des indépendances.</p>
<p>Il étudie à l’Université de science et de technologie de Kumasi au Ghana, puis au Macalester College, une université américaine, en 1961. Il entre ensuite à l’<a href="http://www.ihei.fr/">Institut de hautes études internationales</a> de Genève (1961-1962), puis au Massachusetts Institute of Technology (1971-1972) où il fait des études de troisième cycle en économie.</p>
<p>Parallèlement à ses études, Kofi Annan commence à travailler pour l’OMS dès 1962 comme fonctionnaire de l’administration et du budget. C’est le début d’une série de fonctions qu’il va occuper aux Nations unies : il est successivement en poste à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique à Addis-Abeba, à la Force d’urgence des Nations unies en Égypte, au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Genève, puis au siège des Nations unies à New York.</p>
<p>En 1990, après l’invasion du Koweït par l’Irak, Kofi Annan reçoit du Secrétaire général pour mission spéciale d’organiser le rapatriement de l’Irak de plus de 900 fonctionnaires internationaux et ressortissants de pays occidentaux. En 1993, il est promu sous-secrétaire général de Boutros Boutros-Ghali, chargé du département des opérations de maintien de la paix qu’il dirige lorsque le génocide rwandais (1994) a lieu.</p>
<p>Selon l’<a href="http://www.liberation.fr/planete/1998/02/26/rwanda-un-temoignage-accablant-pour-l-onu-selon-le-general-dallaire-le-genocide-aurait-pu-etre-evite_228300">ancien général canadien Roméo Dallaire</a>, qui commandait la mission des Nations unies d’assistance au Rwanda, Annan serait resté excessivement passif à l’approche du génocide. Dans un livre publié en 2003, Dallaire affirme qu’Annan aurait bloqué l’intervention des troupes onusiennes et la fourniture d’un soutien logistique et matériel. Dallaire estime qu’Annan n’a pas répondu à ses fax répétés demandant accès à une réserve d’armes, ce qui selon lui aurait pu aider les troupes onusiennes à défendres les Tutsis menacés. En 2004, Annan a reconnu qu’il aurait pu et dû faire plus pour sonner l’alarme et obtenir des soutiens.</p>
<h2>Deux mandats riches en actions importantes et en innovations</h2>
<p>Kofi Annan commence son premier mandat de secrétaire général de l’ONU en 1997. Il a alors le plein soutien des États membres. Il tente dès le début de son mandat d’agir pour un renouveau de l’ONU.</p>
<p>Kofi Annan soutient l’établissement de la Cour pénale internationale (CPI), juridiction universelle permanente chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité, de crime d’agression et de crime de guerre. La CPI est créée en 1998 et entre en vigueur en 2002, malgré la réticence des États-Unis.</p>
<p>En 1998, alors que les États-Unis veulent bombarder l’Irak qui refuse de laisser les inspecteurs de l’AIEA visiter certains sites, Kofi Annan se rend lui-même à Bagdad, et amène, grâce à sa médiation, Saddam Hussein à accepter la reprise des inspections.</p>
<p>En avril 2000, il publie un rapport sur le millénaire intitulé <em>Nous les peuples : le rôle des Nations unies au XXI<sup>e</sup> siècle</em>, dont s’inspireront la Déclaration du millénaire et les <a href="http://www.un.org/fr/millenniumgoals/">Objectifs du Millénaire pour le développement</a> (OMD). Ce rapport amènera les chefs d’État et de gouvernement à faire de la lutte contre la pauvreté et contre les inégalités la priorité du début du nouveau millénaire.</p>
<p>Réélu par acclamation par l’Assemblée générale pour un second mandat en juin 2001, il reçoit quelques mois plus tard, en décembre 2001, le Prix Nobel de la Paix.</p>
<p>En 2003, Kofi Annan cherche par tous les moyens à éviter la guerre en Irak, exhortant les États-Unis et le Royaume-Uni à ne pas envahir l’Irak sans l’aval de l’ONU. Dans une <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/057/article_30522.asp">interview en septembre 2004 à la BBC</a>, il a le courage de qualifier la guerre des États-Unis en Irak d’« illégale ». Ses prises de position lui valent l’estime de nombreux pays.</p>
<h2>Le promoteur de la responsabilité de protéger</h2>
<p>Lors du Sommet mondial organisé par l’ONU en 2005, Kofi Annan fait reconnaître le principe de la <a href="https://www.idrc.ca/fr/book/la-responsabilite-de-proteger-rapport-de-la-commission-internationale-de-lintervention-et-de-la">« responsabilité de protéger »</a> aux chefs d’État et de gouvernement : si un État manque à assurer la protection de ses citoyens, il revient à la communauté internationale de le faire, donc à l’ONU. C’est l’idée d’un élargissement des mandats de l’ONU, une sorte de « droit d’ingérence humanitaire » de l’organisation.</p>
<p>Kofi Annan suscite aussi la création de la <a href="https://www.un.org/press/en/2006/pbc1.doc.htm">Commission de consolidation de la paix</a> (<em>Peacebuilding commission</em>) en 2005. Cette création part du constat qu’environ la moitié des pays qui sortent d’une guerre sombrent à nouveau dans la violence dans les cinq ans qui suivent. Il apparaît nécessaire d’accompagner les opérations de maintien de la paix par un suivi sur le long terme.</p>
<p>Il contribue aussi en 2006 à la création du <a href="https://news.un.org/fr/story/2006/03/89082">Conseil des droits de l’Homme</a>. Ce dernier remplace l’ancienne Commission sur les droits de l’Homme, discréditée pour la politisation de ses sessions et la partialité de son travail. Divers États, peu scrupuleux des droits fondamentaux, cherchaient à s’y faire élire pour se soustraire aux critiques sur leur non-respect des droits de l’Homme.</p>
<p>Plus largement, durant ses deux mandats, Kofi Annan s’est efforcé de « rapprocher les Nations unies des peuples » et a tenté d’œuvrer pour une mondialisation plus juste, affirmant : « Un des grands défis que la communauté internationale doit relever est de faire en sorte que tout le monde puisse partager les gains potentiels de la mondialisation. »</p>
<h2>Des efforts pour réformer l’ONU</h2>
<p>La préoccupation de réformer l’ONU est ancienne chez Kofi Annan. Dès 1977, il avait soumis aux gouvernements un plan de réforme des Nations unies intitulé <em>Rénover les Nations unies</em>, qui mettait l’accent sur l’amélioration de la cohérence et de la coordination de l’action de l’institution.</p>
<p>Surtout, en 2000 est publié le rapport que Kofi Annan a commandé au diplomate algérien Lakhdar Brahimi, <a href="https://www.un.org/fr/peacekeeping/sites/peace_operations/docs/full_report.htm"><em>Rapport du groupe d’étude sur les opérations de paix des Nations unies</em></a>. Ce rapport préconise la création d’unités d’intervention permanentes, premier pas vers la mise en place d’une force militaire onusienne permanente. Il met en évidence le besoin d’une procédure de déploiement rapide des Casques bleus.</p>
<p>Au fil de son mandat, Kofi Annan commande ou publie lui-même d’autres rapports précurseurs : en septembre 2002, le rapport intitulé <em>Renforcer l’ONU : un programme pour aller plus loin dans le changement</em>. Puis, en 2004, il charge un groupe de personnalités de haut niveau de dresser un inventaire des menaces, défis et changements liés à la mondialisation. Intitulé <em>Un monde plus sûr : notre affaire à tous</em>, ce rapport préconise des changements au niveau de chacun des organes principaux de l’ONU, à commencer par le Conseil de sécurité.</p>
<p>Sur cette base, Kofi Annan présente en mars 2005 devant l’Assemblée générale son rapport <em>Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous</em>. Ce texte promeut notamment l’idée de l’élargissement du Conseil de sécurité, et du doublement de l’aide publique pour le développement.</p>
<h2>Rapprocher l’ONU des peuples</h2>
<p>Kofi Annan a également à cœur d’associer plus étroitement la société civile à l’action de l’ONU. En 2003, il établit ainsi un panel de personnes éminentes sur les relations entre les Nations unies et la société civile, présidé par l’ex-président du Brésil, Fernando Henrique Cardoso. En 2004 le panel publie son rapport : <em>Nous les peuples : la société civile, les Nations unies et la gouvernance mondiale</em>. Le rapport se concentre sur l’élargissement de la démocratie, la capacité croissante d’influence des acteurs non-étatiques, le pouvoir croissant de l’opinion publique mondiale.</p>
<p>Il offre 30 propositions concrètes pour l’évolution du rôle de l’ONU dans le monde. Il suggère notamment que les pays qui contribuent le plus sur les plans financier, militaire et diplomatique soient associés davantage à la prise de décision à l’ONU. Il suggère aussi, pour la première fois, que « la société civile et le secteur privé » soient associés à l’action de l’ONU » – ce qu’il va mettre en œuvre en proposant un partenariat aux multinationales.</p>
<p>Sous le mandat de Kofi Annan, l’ONU prend ainsi de plus en plus en compte le caractère transnational de nombreux problèmes, ce qu’il appelle les « problèmes sans passeport » : les enjeux transnationaux comme les pluies acides, le paludisme, terrorisme. Kofi Annan prend aussi en compte dans sa réflexion les acteurs non étatiques, comme les firmes transnationales ou les ONG.</p>
<h2>Le « Pacte mondial », un projet critiqué</h2>
<p>Par ailleurs, Kofi Annan lance, au Forum économique mondial de Davos en 2000, un projet appelé <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-economique-et-commerce-exterieur/peser-sur-le-cadre-de-regulation-europeen-et-international-dans-le-sens-de-nos/l-engagement-de-la-france-pour-la-responsabilite-sociale-des-entreprises/les-referentiels-internationaux-et-la-participation-de-la-france-a-leur/article/le-pacte-mondial-des-nations-unies-global-compact-initiation-au-reporting-extra">« Pacte mondial »</a> (<em>Global Compact</em> en anglais), qui entend rapprocher les entreprises et les Nations unies. L’idée est d’encourager les firmes multinationales à adhérer de manière volontaire et de mettre en pratique dix principes fondamentaux liés aux droits de l’Homme, aux normes du travail, à la protection de l’environnement et à la lutte contre la corruption. Plus de 7 000 entreprises de 135 pays ont alors adhéré au Pacte mondial.</p>
<p>Ce « Pacte mondial » a toutefois été sévèrement critiqué, car, comme l’ont fait remarquer plusieurs ONG ainsi que des groupes de citoyens et notamment des altermondialistes, il bénéficie bien plus au monde des affaires qu’à l’ONU et à ses valeurs. Il favorise ainsi le « blanchiment d’image » pour les firmes transnationales (FTN). Et son existence même est un obstacle au développement de normes efficaces sur la responsabilité sociale des entreprises, c’est-à-dire de mise en place de réglementations pour contrôler et encadrer la politique sociale des FTN.</p>
<p>Rappelons, toutefois, que le mot « entreprise » ne figure pas dans la charte de l’ONU ni dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’ONU n’a pas vocation, à l’origine, à faire participer les entreprises à son action et à sa prise de décision.</p>
<p><a href="https://france.attac.org/nos-publications/livres/livres/une-autre-onu-pour-un-autre-monde">L’association ATTAC</a> déplore ainsi qu’avec le Pacte Mondial, Kofi Annan aurait favorisé le recours aux financements du secteur privé et encouragé le rôle des multinationales, de leurs fondations et de leurs lobbies, au sein des Nations unies : une « privatisation » de l’ONU serait ainsi en train de s’effectuer, en accord avec les pays dominants…</p>
<p>Pour répondre à ces critiques et renforcer la crédibilité du Pacte mondial, une procédure de suivi a été établie en 2003, en vertu de laquelle les firmes participantes au Pacte sont appelées par l’ONU à faire état, dans leurs rapports périodiques, des progrès réalisés dans l’application des engagements qui ont été pris. Mais en réalité, il n’y a aucun contrôle sur le respect, par ces entreprises partenaires, de ces engagements.</p>
<p>Par ailleurs, Kofi Annan a été <a href="https://www.recherches-internationales.fr/RI88_pdf/RI88_NL_LeDauphin_pdf.pdf">critiqué pour ses projets de réforme de l’administration des Nations unies</a>, inspirées par le « new public management ».</p>
<h2>Le scandale « Pétrole contre nourriture »</h2>
<p>Son parcours au sein des Nations unies n’est pas sans accroc. Ainsi, en décembre 2004, des rapports établissent que le fils de Kofi Annan, Kojo Annan, a reçu des paiements d’une compagnie suisse ayant obtenu un contrat lucratif avec le programme « pétrole contre nourriture ».</p>
<p>Kofi Annan nomme alors un comité d’enquête indépendant. Celui-ci ne trouve pas de preuves contre Kofi Annan, mais critique fortement la gestion par l’ONU de ce programme, qui a occasionné des dizaines de millions de dollars de pertes pour l’Organisation. Ce scandale éclabousse la réputation de l’ONU, et en partie celle de Kofi Annan.</p>
<h2>Kofi Annan après l’ONU</h2>
<p>Dans son discours d’adieu en 2006, Kofi Annan critique la politique des États-Unis et exhorte ce pays à suivre la voie du multilatéralisme en acceptant notamment l’élargissement du Conseil de sécurité, et à mieux respecter les droits de l’Homme, notamment dans la lutte contre le terrorisme.</p>
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<p>Il est nommé en 2007 à la tête de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA). La même année, il prend la tête de la Fondation de soutien à l’Organisation mondiale contre la torture. Il préside également, depuis sa création en 2007, l’<em>African Progress Panel</em>.</p>
<p>En février 2012, Kofi Annan est nommé émissaire conjoint de l’ONU et de la Ligue arabe sur la crise en Syrie et propose un plan de paix pour la Syrie, avant d’abandonner quelques mois plus tard devant les multiples difficultés.</p>
<p>Ainsi, Kofi Annan a, au cours de sa carrière, tenté d’accomplir beaucoup pour la paix dans le monde et la lutte contre la pauvreté. Il reste le Secrétaire général de l’ONU le plus charismatique et apprécié à ce jour, par son engagement, et par sa conscience morale au service du multilatéralisme. Il a eu le mérite de faire revenir l’ONU sur le devant de la scène, organisation souvent trop marginalisée ou court-circuitée, alors qu’elle est l’instance internationale la plus universelle et démocratique de la planète.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/101848/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur le parcours hors du commun de celui qui a dirigé l’ONU de 1997 à 2006 et qui a obtenu le Prix Nobel de la Paix en 2001.Chloé Maurel, Chercheuse associée à l'Institut d'histoire moderne et contemporaine (CNRS/Ecole Normale Supérieure/Université Paris 1) et à l'IRIS, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/982692018-06-24T21:36:39Z2018-06-24T21:36:39ZUn « second génocide » au Rwanda : retour sur un débat complexe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/224474/original/file-20180622-26564-82q1sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C3%2C1270%2C850&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près de Butare, au Rwanda, en 2007.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://tr.wikipedia.org/wiki/Dosya:Butare_-_Flickr_-_Dave_Proffer_(1).jpg">Dave Proffer/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Il faut être reconnaissant à la spécialiste du génocide au Rwanda Claudine Vidal pour avoir proposé un <a href="https://theconversation.com/rwanda-judi-rever-et-la-recherche-a-tout-prix-dun-deuxieme-genocide-97508">échange serein</a> sur un thème aussi grave que le <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/600284/in-praise-of-blood-by-judi-rever/9780345812117/">génocide qu’aurait commis le Front patriotique rwandais (FPR) contre les Hutus</a>.</p>
<p>En réalité, Claudine Vidal ne s’exprime pas tant sur le contenu du livre de Judi Rever, mais sur ses objectifs, sa finalité. Elle trouve que l’articulation entre enquêtes et preuves à finalité judiciaire, dans ce livre comme dans d’autres publications, pose problème : il s’agit, dit-elle, d’un « réquisitoire au sens juridique du terme : la description des massacres est conduite de façon à établir la qualification de génocide. »</p>
<p>Avant de revenir sur cette question méthodologique, voyons comment Claudine Vidal aborde le contenu du livre. Elle n’exprime nulle part son désaccord sur les faits. Elle dit même que ceux-ci étaient connus dans leurs grandes lignes et que le livre n’apporte donc pas de révélations, mais recueille de nouveaux éléments. Elle ne dit pas non plus que le livre ne montre pas que le FPR aurait commis un génocide contre les Hutus, même si elle utilise le terme « massacres » lorsqu’il s’agit des crimes dont les Hutus ont été victimes. Enfin, elle ne conteste pas que les crimes du FPR sont restés impunis.</p>
<h2>Des nouvelles données fondamentales</h2>
<p>Je pense, cependant, que Claudine Vidal sous-estime l’importance des nouvelles données fournies par Judi Rever. Basées sur de nombreux entretiens avec des anciens – y compris des repentis – du FPR, de deux rapports jusqu’ici restés secrets du bureau « Enquêtes spéciales » du Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR) et d’un nombre important de témoignages assermentés recueillis par le bureau du procureur du TPIR, ces nouvelles données constituent un saut qualitatif et quantitatif de notre connaissance des crimes commis par le FPR.</p>
<p>Surtout, ces données permettent d’avancer la qualification de génocide, alors que la plupart des spécialistes du Rwanda, y compris moi-même, avaient jusqu’à présent rejeté la thèse du double génocide. Or des dizaines de récits très concrets de massacres montrent l’intention de détruire les Hutu, comme tels, ce qui correspond à la définition de la <a href="https://www.admin.ch/opc/fr/official-compilation/2002/2606.pdf">Convention sur le génocide</a>. Un indicateur très fort de cette intention est la séparation de Hutus et de Tutsis, souvent avec l’aide de civils tutsis, après quoi les Hutus sont tués et les Tutsis épargnés.</p>
<h2>Vérité juridique et vérité historique</h2>
<p>Claudine Vidal estime, toutefois, qu’il n’est « pas nécessaire d’affirmer l’existence d’un génocide pour justifier des enquêtes sur des massacres (de Hutus). » Il lui suffit « de considérer que les leaders du FPR ont effectivement mené une politique de terreur fondée sur des massacres de Rwandais hutus. »</p>
<p>Cela est sans doute vrai, et les responsables du FPR auraient pu être poursuivis pour crimes de guerre ou pour crimes contre l’humanité, deux qualifications que le TPIR avait dans son mandat. Le problème est que ces poursuites n’ont pas eu lieu pour <a href="https://calmann-levy.fr/livre/le-tribunal-des-vaincus-9782702136706">des raisons bien connues</a>, et que le FPR a donc bénéficié de l’impunité la plus totale.</p>
<p>Que ceux frustrés par cette injustice veuillent « susciter le scandale », comme le dit Claudine Vidal, n’est donc pas étonnant. De toute façon, aucune juridiction n’est aujourd’hui compétente pour juger les suspects du FPR, dont les crimes resteront très probablement impunis malgré leur caractère imprescriptible. Dès lors, si la vérité judiciaire ne sera pas établie, la vérité historique peut et doit être recherchée, et le livre de Rever contribue à cette quête.</p>
<h2>Le droit et le devoir des chercheurs</h2>
<p>Claudine Vidal a également raison de dire, en conclusion, que les sciences sociales ne sont pas limitées par les contraintes d’enquêtes judiciaires qui visent la poursuite et la condamnation dans le contexte bien déterminé du droit et de la justice. Cependant, les sciences sociales, elles aussi, sont tenues d’utiliser les termes exacts pour décrire les phénomènes qu’elles observent (un meurtre prémédité est un assassinat ; un homicide peut être involontaire).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un camp de réfugiés rwandais à l’est du Zaïre (Congo), en 1994.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://tr.wikipedia.org/wiki/Dosya:Butare_-_Flickr_-_Dave_Proffer_(1).jpg">Dave Proffer/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>En 1994, tant Claudine Vidal que moi-même, ainsi que de nombreux autres, avons qualifié de génocide les crimes dont les Tutsis venaient d’être victimes, et cela avant la première enquête judiciaire, et a fortiori des poursuites et des condamnations judiciaires. C’était notre droit et notre devoir. Pourquoi Judi Rever n’aurait-t-elle pas aujourd’hui ce même droit et ce même devoir ?</p>
<p>Je termine sur la question posée par Claudine Vidal dans le titre de sa contribution. Je ne vois pas d’indication que Rever aurait voulu « à tout prix » rechercher un deuxième génocide. Voyant sa démarche, qui s’étale sur une vingtaine d’années, j’ai plutôt l’impression que la possibilité que le FPR ait commis un génocide est venue se préciser, pour enfin être confirmée. Des éléments contingents, et surtout l’accès à de nombreux documents confidentiels du TPIR, ont contribué à autoriser ce constat. Mais rien n’indique que Rever est partie de l’hypothèse d’un génocide et que toute sa recherche ait été orientée dans le sens de prouver cette hypothèse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98269/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Filip Reyntjens ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'ouvrage de Judi Rever permet d’avancer la qualification de génocide, alors que la plupart des spécialistes du Rwanda, y compris moi-même, avaient jusqu’à présent rejeté la thèse du double génocide.Filip Reyntjens, Emeritus Professor of Law and Politics Institute of Development Policy (IOB), University of AntwerpLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.