tag:theconversation.com,2011:/us/topics/militantisme-49636/articlesmilitantisme – The Conversation2023-11-21T14:39:11Ztag:theconversation.com,2011:article/2143172023-11-21T14:39:11Z2023-11-21T14:39:11ZFaire le mauvais buzz sur les réseaux sociaux, ça vous tente ? Voici comment !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559387/original/file-20231114-25-wra0k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C989%2C750&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Parce qu'elles prennent l'esprit au dépourvu, les ruptures de cadre sont des facteurs potentiels de dégradation des relations sociales.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://semji.com/fr/guide/quest-ce-qu-un-bad-buzz/">Faire l’objet d’une popularité négative et incontrôlable sur Internet</a>, c’est-à-dire « faire le mauvais buzz », ça peut arriver à n’importe qui, même aux gens les mieux intentionnés.</p>
<p>C’est manifestement ce qui est arrivé aux trois personnes dont je présente ici les cas embarrassants, avec le projet de décrypter les raisons de leur mauvaise fortune. Mon objectif n’est pas de mettre en cause la valeur de leurs idées ou de leurs combats (féminisme, LGBTisme ou antispécisme), mais plutôt d’examiner leurs stratégies de communication à partir de mon point de vue d’<a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/genest.sylvie/">artiste anthropologue</a>.</p>
<p>Plus spécifiquement, je souhaite mettre en lumière les <a href="https://ifftb.com/wiki/cadrage-effet-de/">effets de cadrage</a> qui les ont desservies et que je soupçonne être la principale cause de l’énorme dégât de commentaires désobligeants qui ont été formulés à leur endroit, avec atteinte à leur réputation sur les réseaux sociaux. </p>
<p>Construit sur les fondements de mon étude du <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/27428">changement d’état d’esprit</a>, cet article s’intéresse aux ruptures de cadre provoquées par des communicateurs malhabiles ainsi qu’aux répercussions psychiques de leurs prestations sur l’humeur d’internautes mal préparés à cette expérience. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-talk-shows-quon-aime-des-machines-a-broyer-la-dignite-198044">Les talk-shows qu’on aime : des machines à broyer la dignité ?</a>
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<h2>La « théorie des cadres » en communication</h2>
<p>Les techniques de <a href="https://books.openedition.org/editionsehess/10320?lang=fr">cadrage</a> et de <a href="https://www.cairn.info/revue-therapie-familiale-2006-4-page-377.htm">recadrage</a> soutenues par les principes fondamentaux de la communication sont utilisées en psychiatrie, en thérapie familiale, en publicité, en arts et en gestion médiatique des comportements sociaux ou privés, principalement. </p>
<p>La théorie générale qui sous-tend ces différentes applications est souvent attribuée au sociologue Erving Goffman, dont la pensée sur le sujet fait l’objet du livre intitulé <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Cadres_de_l%E2%80%99exp%C3%A9rience-2094-1-1-0-1.html">« Les cadres de l’expérience »</a>. Le principe central de cette théorie est que <a href="https://tactics.convertize.com/fr/definitions/framing-effect-effet-de-cadrage">« nous réagissons différemment aux messages ou aux choix que l’on nous soumet en fonction de la manière dont on nous les présente »</a>.</p>
<p>La théorie des cadres est toutefois antérieure aux travaux de Goffman. Elle prend racine dans l’œuvre de l’anthropologue Gregory Bateson et de ses partenaires de l’<a href="https://www.cairn.info/l-ecole-de-palo-alto--9782130606628.htm">École de Palo Alto</a>. Cette équipe de recherche a établi des rapports significatifs entre <a href="http://olivier.hammam.free.fr/imports/auteurs/bateson/eco-esprit/2-3-0-formes-pathologies-relations2.htm">pathologies de la communication et pathologies des relations sociales</a>. </p>
<p>C’est sous le nom de <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2001-1-page-229.htm">« syndrome trancontextuel »</a> que Bateson a regroupé les réactions émotives et psychiques observées chez des personnes confrontées à l’expérience brutale d’une rupture de cadre – ou d’une « transgression » des contextes de communication – lorsque celle-ci se produit dans le cours d’un échange significatif. C’est cette épreuve cognitive à la fois troublante et risquée que parodie avec humour la scène suivante construite sur le modèle de la « caméra cachée ».</p>
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<p>Si les ruptures de cadre peuvent provoquer le rire lorsqu’elles sont mises en scène, elles peuvent aussi entraîner la perplexité, la colère ou même la <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/430">souffrance psychique</a> lorsqu’elles se produisent dans la réalité.</p>
<h2>Trois buzz négatifs</h2>
<p>Les trois vidéos qui suivent présentent des cas d’espèce dont les conséquences sur les internautes sont facilement discernables grâce à la présence visible de commentaires, d’apartés et de réactions exprimées au moyen de <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/dis-moi-robert/raconte-moi-robert/mot-jour/meme.html">mèmes</a>, comme celui que constitue le <a href="https://www.rtl.fr/culture/cine-series/qui-etait-juan-joya-borja-alias-el-risitas-l-homme-derriere-le-rire-culte-d-internet-7900026236">rire culte de l’humoriste espagnol El Risitas</a>. </p>
<p>Le premier cas est celui d’une entrevue donnée par Typhaine D, une militante dont l’apostolat est de <a href="https://typhaine-d.com/index.php/actualites/234-manifeste-de-la-feminine-universelle">promouvoir une langue « féminine universelle »</a>.</p>
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<p>L’effet déjanté de ses prestations, que ce soit dans la vidéo ci-dessus ou dans une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=v4J3m7VnlS8">conférence TEDx Talks de 2022</a>, est une conséquence de sa manière d’enchevêtrer des cadres discursifs réciproquement incompatibles sans avoir l’air de s’en apercevoir : celui du débat d’idées et celui de la comédie burlesque. Pour les personnes qui en ressentent les effets, il en résulte un paradoxe qui les coince entre des émotions contradictoires, comme en témoignent les commentaires laissés sous ses vidéos :</p>
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<li><p>😂 Franchement, j’ai beaucoup ri ! Puis après je me suis souvenu que cette personne existe pour de vrai et qu’elle n’est pas internée en psychiatrie…</p></li>
<li><p>😵💫 Il n’y a pas de mot assez fort pour décrire le malaise que j’ai éprouvé durant cette vidéo… </p></li>
<li><p>🤔 Je n’ai pas su définir si c’était de l’humour ou un exposé féministe. Je ne sais pas s’il faut que je pleure ou que je rigole ?</p></li>
</ul>
<p>Le deuxième cas concerne Arnaud Gauthier-Fawas, responsable d’une association militante pour les <a href="https://www.inter-lgbt.org/">droits des personnes LGBT</a>.</p>
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<p>Le paradoxe avec lequel il faut composer ici est à la fois d’ordre <a href="https://journals.openedition.org/lcc/180">perceptif</a> (comme dans une illusion d’optique) et <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/paradoxe/2-paradoxes-scientifiques/">cognitif</a> (comme lorsque deux visions du monde s’opposent). L’échange auquel on assiste est déconcertant parce qu’il met en doute notre capacité d’évaluer la réalité sur la seule base de nos perceptions : bien qu’on puisse être d’avis que Gauthier-Fawas présente bien l’apparence d’un <em>homme blanc</em>, il faut réviser notre estimation en conséquence de l’arbitraire de son identité psychique : « <em>Je ne suis pas un homme, monsieur ! Je ne suis pas blanc</em> ! » L’effet surréaliste qui en résulte pour l’observateur est comparable à celui qu’entraîne la contemplation du célèbre tableau de Magritte, <a href="https://artshortlist.com/fr/journal/article/trahison-des-images-magritte">La trahison des images (1928)</a>.</p>
<p>Le troisième et dernier cas s’alimente à la source de plusieurs performances médiatiques de Solveig Halloin, activiste <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2022-2-page-58.htm">végétaliste</a> se portant, entre autres, à la <a href="https://www.femmeactuelle.fr/actu/news-actu/qui-est-solveig-halloin-la-militante-activiste-qui-a-fait-le-buzz-dans-touche-pas-a-mon-poste-2112721">défense des animaux d’abattage</a>.</p>
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<p>Le mode paradoxal sur lequel s’exprime cette militante – notamment lorsqu’elle affirme « <em>se battre</em> pour que la violence cesse » – garantit à lui seul l’apparition du syndrome de Bateson chez ses interlocuteurs. En sublimant la cause animale qu’elle défend, Solveig Halloin franchit le seuil critique qui relie le profane au sacré, forçant dès lors une promiscuité de sens choquante entre <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=343310679576397">élevage et holocauste</a>. Cela appelle des commentaires acides à lire sous plusieurs de ses <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rJIOez7-G_s">vidéos</a>.</p>
<h2>Trois cadres rompus</h2>
<p>Ces trois cadres rompus de la communication entraînent des réactions à classer dans des catégories distinctives du syndrome transcontextuel de Bateson. Le premier cas – qui fait sauter les frontières entre le sérieux du débat et le jeu du théâtre – exploite les effets déroutants d’un changement de règles qui survient en plein cours d’un événement social significatif. Les personnes qui s’aventurent sur un tel terrain doivent savoir qu’elles entreprennent un <a href="https://web.archive.org/web/20220718093758id_/https://journals.openedition.org/communication/7002">jeu sans fin</a>, c’est-à-dire un jeu « qui ne peut pas engendrer de l’intérieur les conditions de son propre changement ».</p>
<p>Le deuxième cas – qui abolit les <a href="http://www.lyber-eclat.net/lyber/korzybski/glossaire.html">différences entre la carte des perceptions et le territoire de l’expérience</a> – exploite les effets pervers d’un changement de niveau d’abstraction non maîtrisé. </p>
<p>Le troisième cas – qui culbute le sacré dans la cour du profane et vice-versa – exploite les effets catastrophiques d’un changement de paradigme, lequel commande une conversion irréversible de l’humanité tout entière. Ce dernier type de rupture peut causer des troubles psychiques d’une très grande gravité.</p>
<h2>Les réseaux sociaux comme « méta cadre » de communication</h2>
<p>Parce qu’elles prennent l’esprit au dépourvu, les ruptures de cadre sont des facteurs potentiels de dégradation des relations sociales. Lorsqu’on les envisage dans le « méta cadre » des réseaux sociaux, toutefois, leurs conséquences pathologiques se trouvent diminuées par les ripostes créatives de personnes (youtubeurs, tiktokeurs, instagrameurs et autres influenceurs) pratiquant l’art de la <a href="https://www.cairn.info/la-boite-a-outils-du-dialogue-en-entreprise--9782100798711-page-96.htm"><em>métacommunication</em></a>, c’est-à-dire l’art de « communiquer sur la communication ». </p>
<p>Grâce à la mise en abîme que leurs <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/region-zero-8/segments/chronique/195001/technologie-youtube-tendance-musique-reaction-video">« vidéos de réaction »</a> accomplissent dans nos esprits – c’est-à-dire grâce à des « vidéos de vidéos » dans lesquelles on peut observer des « réactions humaines à des réactions humaines » – notre sort collectif sur les réseaux sociaux s’en trouve amélioré par la présence de dispositifs nous indiquant comment nous conduire en cas de rupture de cadre : <em>Attention ! Indignez-vous ici ! Riez maintenant ! Soyez méfiant en tout temps !</em></p>
<p>Par leur capacité à recadrer les communications cabossées, ces méta vidéos confirment – au grave détriment de malheureux attiseurs de rumeurs – l’une des plus belles hypothèses de Bateson : « chaque fois qu’on introduit une confusion dans les règles qui donnent un sens aux relations importantes, on provoque une douleur et une inadaptation qui peuvent être graves. Or, si on peut éviter ces aspects pathologiques, l’expérience a des chances de déboucher sur la créativité ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214317/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Genest est membre de l'Institut de recherches et d'études féministes (IREF) de l'Université du Québec à Montréal ; de SAS-Femmes, Collectif de recherches et d'actions pour la sécurité, l'autonomie et la santé de toutes les femmes ; et du Laboratoire de recherche en relations interculturelles (LABRRI) de l'Université de Montréal.</span></em></p>Faire l’objet d’une popularité négative et incontrôlable sur Internet, ça peut arriver à n’importe qui, même aux gens les mieux intentionnés.Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2174812023-11-13T19:34:57Z2023-11-13T19:34:57Z« Provocation implicite » et salades arrachées : les raisons de la dissolution annulée des Soulèvements de la Terre<p>Le 27 octobre 2023 avait lieu une audience particulière au Conseil d’État : celle du recours sur le fond de la dissolution d’un collectif écologiste, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/soulevements-de-la-terre-slt-147784">Soulèvements de la Terre</a>. Le 9 novembre 2023, l’institution publique annulait finalement le décret de dissolution. Mais cette audience est-elle particulière au point de se distinguer de celles des autres collectifs politiques (contre l’islamophobie, antifasciste et identitaire) jugés au cours de la même séance ?</p>
<p>C’est d’abord sa durée, plus d’une heure et demie pour le collectif écologiste, contre à peine quelques minutes pour les autres collectifs politiques jugés au cours de la même séance, qui la distingue. Une différence de durée qui s’explique en partie par le nombre des plaidoyers et de parties co-requérantes pour les écologistes, mais qui est aussi révélatrice des difficultés, pour le pouvoir, à à appréhender la <a href="https://theconversation.com/la-desobeissance-civile-climatique-les-etats-face-a-un-nouveau-defi-democratique-214988">cause écologiste</a> au même titre que toutes les autres causes politiques.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Cette dissolution, quand bien même annulée, est en effet une mesure de police administrative historique envers un <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">mouvement écologiste</a>. Par cet acte, la question de l’écologie politique citoyenne fait son entrée en contentieux dans l’un des piliers de l’État de droit. Comme le faisait remarquer un militant à l’intérieur du Conseil d’État en désignant une imposante étagère sur un mur : « Regarde ! C’est les volumes des décisions depuis 1875… On va être dedans quoi qu’il arrive. » Mais cette portée historique est originale à plus d’un titre, et peut poser question.</p>
<h2>Aux origines des dissolutions administratives</h2>
<p>Rappelons d’abord que l’actuelle pratique des dissolutions administratives plonge ses racines historiques dans une crise politique douloureuse : celle des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-histoire/comment-les-fascistes-ont-ils-failli-abattre-la-republique-le-6-fevrier-1934-6939185">manifestations armées de droite et d’extrême droite du 6 février 1934</a>, qui ont causé de nombreux morts du côté des forces de l’ordre et des civils. Ce traumatisme républicain entraîna une série de mesures dont la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000325214">loi du 10 janvier 1936</a> permettant par décret du Président de la République rendu en conseil des ministres : « la dissolution d’associations et de groupements de faits provoquant des manifestations armées dans la rue. »</p>
<p>Récemment, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043964778">loi du 24 août 2021</a> a rajouté un élément important à l’article L-212-1 du code de la sécurité intérieure justifiant une dissolution : celui de provocation à des « violences envers des personnes ou des biens ». Or, c’est précisément autour de ces deux notions, de « provocation à » d’une part et de « violence contre les biens » d’autre part que semble s’agiter le débat législatif et politique.</p>
<h2>Police des mots et judiciarisation de l’intention</h2>
<p>Comme l’a rappelé le début de l’audience du recours sur le fond, la dissolution porte sur la « provocation à » et non pour « l’acte de violence ». Faire n’est pas inciter à faire. Ce qui est jugé est le fait que : « sous couvert de défendre des opinions, certaines associations soufflent sur un brasier à pleins poumons. » Mais cette quête du souffle de la violence au travers des « provocations à » pose le problème épineux de l’administration de la preuve. <a href="https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/dissolution-et-soulevements-retour-sur-l-audience-au-conseil-d-etat-declaration-commune-et-appel-a-la-vigilance">Certains plaidoyers du collectif écologiste</a> et des parties co-requérantes posent d’ailleurs la question : le juge doit-il faire la police des mots ? Et dans ce cas, le mot de « désarmement » n’est-il pas pacifiste ?</p>
<p>Pour palier ces difficultés, le rapporteur a proposé en séance une définition volontairement extensive de la notion de provocation. On se souvient que déjà le 13 juin 2023, <a href="https://videos.assemblee-nationale.fr/video.13573317_6488837a98697.organisation-des-groupuscules-violents-en-manifestations--representants-de-la-fnsea--mme-pascale-l-13-juin-2023">lors de son audition par la commission d’enquête sur les groupuscules violents</a>, la directrice des liberté publiques et des affaires juridiques avait tracé cette voie, parlant de provocation « implicite », « subliminale » même, et pourtant « bien comprise par celui qui la reçoit ». Elle y évoquait une tentative de faire évoluer la jurisprudence, avant de proposer tout simplement que si le conseil d’État « retoquait leur décision » il faudrait inscrire dans la loi « de manière directe ou indirecte », moins stricte que « qui provoque à ».</p>
<p>Or, ce couple de l’implicite et de la provocation, outre un risque possible de criminalisation de l’intention, mettrait en tension une question démocratique majeure. En effet, quel cadre interprétatif permettrait de juger l’implicite sans tomber dans des doubles standards qui pourraient se révéler arbitraires et délétères pour la liberté d’expression ?</p>
<p>Les éléments de preuve apportés pendant l’audience ? Il s’agissait par exemple de l’organisation d’une conférence avec <a href="https://theconversation.com/la-terre-a-lepoque-de-lanthropocene-comment-en-est-on-arrive-la-peut-on-en-limiter-les-degats-206523">Andreas Malm</a>, qualifiée de « provocation implicite à la violence ». Par contre, un tweet du mouvement identitaire clamant « avoir des armes et des cartouches et étant prêt à s’en servir » n’a pas été considéré comme tel… Heureusement, les appels à la haine en font bien partie. Enfin, une vidéo provenant des rangs du mouvement antifasciste, montrant le lynchage d’un militant d’extrême droite, a été considérée comme une provocation explicite à la violence. Un mystère demeure : où se place le curseur d’incitation à la violence en ce qui concerne les salades arrachées dans une <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/loire-atlantique-des-serres-de-salades-et-de-muguets-ont-ete-saccagees-par-des-activistes-ecologiques_5885981.html">action du collectif écologiste en Loire-Atlantique</a> ?</p>
<h2>L’atteinte aux biens, ou la souffrance de la salade arraché</h2>
<p>Les éléments jugés mettent aussi en exergue une différence typologique majeure des violences écologistes. Le rapporteur l’a d’ailleurs souligné : à ce jour, l’appel à la violence envers les personnes est étranger au mouvement écologiste, sauf peut-être dans le cas des <a href="https://theconversation.com/sainte-soline-un-tournant-pour-les-mouvements-ecologistes-203304">affrontements avec les forces de l’ordre lors des manifestations</a>. Il semblerait donc que les écologistes appellent essentiellement à la violence contre les biens. Or, cette notion de violence contre les biens cristallise le débat politique : l’atteinte aux biens doit-elle être jugée comme une violence ?</p>
<p>Du point de vue du code pénal, la réponse semble de prime abord évidente : la violence est en effet historiquement appréhendée comme une atteinte à l’intégrité physique des personnes. Cependant rappelons à toute fin utile que la loi du 9 juillet 2010 introduit un article, celui du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000022469908/2010-07-11">222-14-3</a> précisant que : « les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques », indiquant par là déjà une extension du périmètre pénal de ce qui relève ou non de la violence. Du point de vue politique, on peut également rappeler que la violence a été définie par le Conseil de l’Europe en 1987 comme suit : « la violence se caractérise par tout acte ou omission commis par une personne, s’il porte atteinte à la vie, à l’intégrité physique ou psychique ou à la liberté d’une autre personne ou compromet le développement de sa personne et/ou porte atteinte à sa sécurité financière ».</p>
<p>On le concède, il peut sembler douteux de mettre sur le même plan une vidéo de lynchage physique d’une personne et une vidéo indiquant comment donner un coup de cutter dans la bâche d’une réserve hydrique de substitution. Mais imaginer que l’atteinte aux biens puisse être un acte pacifique serait méconnaître la dynamique interactionnelle de la violence. L’atteinte aux biens est une violence dans sa potentialité, du fait que la destruction de l’objet est l’un des facteurs possibles de la montée aux extrêmes du conflit, <a href="https://www.grasset.fr/livre/de-la-violence-la-divinite-9782246721116/">comme l’écrivait René Girard dans De la violence à la divinité</a>. Dans cette perspective, l’atteinte à la propriété privée est une <a href="https://www.grasset.fr/livre/la-violence-et-le-sacre-9782246000518/">substitution sacrificielle de l’atteinte de l’acteur social</a>, l’objet étant considérée comme une partie de lui-même par son propriétaire. Ici se trouve la logique de la souffrance et de la violence contre la salade de Loire-Atlantique précédemment évoquée</p>
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<p>On pourrait d’ailleurs s’interroger sur les silences et l’aspect sélectif des enquêtes menées par l’autorité répressive dans sa prise en compte des violences intenses que subissent les écologistes. Il serait trop long de faire la liste et le récit des activistes que nous avons rencontrés et qui ont fait les frais d’insultes, de menaces de mort, d’intrusions ou saccages de leur propriétés privées, voire de passages à tabac par des milices cagoulées. Bien sûr, ces violences entraînent régulièrement des conséquences psychopathologiques importantes.</p>
<p>Mais on ne peut réduire l’origine de ces violences à la seule pratique de l’action directe offensive et de la « violence contre les biens ». La frontière est floue, et certaines actions catégorisées comme non-violentes (sitting, désignation, boycott…) peuvent entraîner elles aussi en retour des violences, à partir du moment où elles sont vécues par les agents sociaux comme étant des obstacles à leurs intérêts. À ce titre, le fait d’être assis pacifiquement et de manière non violente devant une assemblée d’actionnaires fut une expérience ethnographique désagréablement intéressante. Cette non-violence eut pour effet une série d’insultes, certains actionnaires ne se gênant pas pour piétiner allègrement notre malheureuse personne. Et nous le comprenons, car dans l’absolu, la violence peut s’entendre comme <a href="https://www.cairn.info/les-formes-de-la-violence--9782707153630-page-3.htm">« une mise à l’épreuve intentionnelle de la volonté de l’autre, génératrice de douleur »</a>. Dit autrement, c’est une attaque de la volonté de l’autre, ressentie comme obstacle.</p>
<p>Si le politique est avant tout une manière de <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-01719387/">réguler la violence endogène qui menace la collectivité humaine</a>, les évolutions juridiques et répressives pourraient donc apparaître comme des tentatives de contenir le cercle infini des réciprocités violentes. Mais que sont vraiment les actions directes offensives écologistes, jugées comme « violence contre les biens » et en quoi viendraient-elles troubler un certain ordre établi ? À l’heure de l’<a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070448104-les-guerres-du-climat-pourquoi-on-tue-au-XXIe-si%C3%A8cle-harald-welzer/">Anthropocène et de ses menaces existentielles</a>, il semble fondamental de se poser cette question sous un renversement de paradigme. C’est-à-dire, en n’appréhendant non pas « la crise écologique dans nos systèmes politiques » mais <a href="https://www.puf.com/content/Dix_th%C3%A8ses_sur_Tchernobyl">« nos systèmes politiques dans la crise écologique »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217481/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Porchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La décision de dissoudre les Soulèvements de la Terre, même annulée par le Conseil d’État, interroge la définition de l’incitation à la violence. Et rappelle pourquoi l’atteinte aux biens provoque des réactions épidermiques.David Porchon, Doctorant en sciences politiques, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171192023-11-06T17:02:49Z2023-11-06T17:02:49ZIsraël-Hamas : le mouvement pour la paix a-t-il été assassiné le 7 octobre ?<p>En Israël, le mouvement pacifiste et l’activisme anti-occupation, déjà <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/mar/14/the-fall-of-the-israeli-peace-movement-and-why-leftists-continue-to-fight">en recul</a> avant les attaques terroristes commises par le Hamas le 7 octobre, risque désormais de disparaître totalement.</p>
<p>Bon nombre des personnes assassinées le 7 octobre étaient des habitants de kibboutz, des collectifs résidentiels du sud d’Israël, dont les membres ont traditionnellement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10848770903516212">tendance à soutenir les initiatives de paix et les droits des Palestiniens</a>, et à s’opposer à la colonisation ; certaines d’entre elles étaient des <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/10/world/middleeast/peace-activists-killed-israel.html">activistes et travailleurs communautaires très connus</a>. L’une des personnes disparues est la militante israélo-canadienne <a href="https://fr.timesofisrael.com/vivian-silver-otage-presumee-est-membre-de-women-wage-peace/">Vivian Silver</a>, 74 ans, qui fut en 2014 l’une des fondatrices du mouvement pacifiste israélien <a href="https://www.womenwagepeace.org.il/en/vivian-silver-a-peace-activist-is-missing/">Women Wage Peace</a>.</p>
<p>Après le 7 octobre, Dorit Rabinyan, membre du conseil d’administration de plusieurs organisations de gauche opposées à l’occupation israélienne de la Cisjordanie, a <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/15/world/middleeast/hamas-israel-mood-distrust.html">déclaré au <em>New York Times</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je sais que ce n’est pas noble de ma part, je sais qu’il y a de la souffrance de l’autre côté, mais l’autre côté a pris des otages et a massacré si violemment, avec un tel entrain, que ma compassion est en quelque sorte paralysée. »</p>
</blockquote>
<p>Même la gauche israélienne réclame désormais des <a href="https://www.mekomit.co.il/%D7%A9%D7%9E%D7%90%D7%9C-%D7%99%D7%A7%D7%A8-%D7%9E%D7%95%D7%A1%D7%A8-%D7%96%D7%94-%D7%9C%D7%90-%D7%9E%D7%95%D7%AA%D7%A8%D7%95%D7%AA-%D7%92%D7%9D-%D7%95%D7%91%D7%9E%D7%99%D7%95%D7%97%D7%93-%D7%9C/">représailles militaires</a>. L’attaque du 7 octobre n’a pas seulement ébranlé le mouvement pacifiste ; elle a également suscité des <a href="https://theconversation.com/israel-hamas-war-a-political-scientist-explains-why-the-very-subject-of-peace-is-now-unthinkable-215317">interrogations sur son avenir</a>.</p>
<h2>Un espoir en berne</h2>
<p>Je viens de rentrer d’Israël et de Palestine, où j’ai <a href="https://blogs.prio.org/2023/08/in-the-israeli-democracy-protests-the-flag-has-become-the-contentious-topic-the-occupation-is-not/">effectué des recherches pendant dix ans</a> sur l’activisme pour la paix dans la région. En Israël, j’ai assisté à de nombreuses manifestations israélo-palestiniennes conjointes visant à dénoncer l’occupation de la Cisjordanie. J’ai également assisté à des <a href="https://afcfp.org/memorial/">événements israélo-palestiniens communs</a>, tels que la cérémonie commémorative annuelle en l’honneur des victimes aussi bien israéliennes que palestiniennes du conflit.</p>
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<p>Dans le cadre de mon récent travail de terrain, j’ai eu de longs échanges avec de nombreux militants palestiniens et israéliens pour la paix et contre l’occupation. Une chose m’a frappée : alors que ces gens espèrent la paix et y travaillent, ils ne prononcent que très rarement le mot « paix » lui-même.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1393908904447381504"}"></div></p>
<p>Comme le dit Yael (le prénom a été changé), une activiste israélienne :</p>
<blockquote>
<p>« Les Israéliens ne savent plus imaginer la paix parce que les gens ici ne savent plus imaginer une autre réalité que celle existante. »</p>
</blockquote>
<p>Noam (le prénom a été changé), un Israélien qui milite contre la colonisation, m’a dit la même chose lors d’une manifestation hebdomadaire contre l’expulsion de Palestiniens dans le quartier palestinien de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est :</p>
<blockquote>
<p>« Je crois que les gens parlent plus de la fin de l’occupation que de la paix. »</p>
</blockquote>
<p>Miriam (le prénom a été changé), une militante palestinienne d’une trentaine d’années, explique pourquoi il est devenu plus difficile pour les jeunes de parler de paix :</p>
<blockquote>
<p>« Le niveau de haine est si élevé parce que la jeune génération n’a pas vu ce que notre génération a vu. Nous avons vécu la première et la deuxième Intifadas, et même à cette époque, nous avions un espoir. Cette génération n’a pas un tel espoir, que ce soit côté palestinien ou côté israélien. »</p>
</blockquote>
<p>Des chercheurs ont montré qu’il n’y a <a href="https://www.academia.edu/24509323/The_Israeli_peace_movement_a_shattered_dream_by_Tamar_S_Hermann">plus eu de mouvement de paix aux contours clairs en Israël</a> depuis de nombreuses années, certains affirmant que ce mouvement avait quasiment disparu après la <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv16t6jdd">deuxième Intifada</a> (2000-2005).</p>
<p>Certains militants décrivent les années qui ont suivi cette période comme marquées par le <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429501371-4/rabin-malaise-israeli-zionist-left-mark-rosenblum">désespoir</a> et une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14678802.2015.1100018">profonde désillusion</a> à l’égard des propositions des accords d’Oslo (1993-1995), une <a href="https://history.state.gov/milestones/1993-2000/oslo">tentative de règlement négocié</a> entre le gouvernement israélien et l’Organisation de libération de la Palestine, qui devait aboutir à la reconnaissance d’Israël par les Palestiniens et à l’exercice d’un pouvoir autonome palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza).</p>
<p>Malgré tout, il existe encore des organisations qui œuvrent en faveur de la paix, comme le groupe palestino-israélien <a href="https://cfpeace.org">Combatants for Peace</a> et le collectif d’activistes israéliens <a href="https://www.facebook.com/freejerusalem/">Free Jerusalem</a>. Ils sont toutefois de petite taille et ne disposent que de maigres ressources.</p>
<h2>La colère contre les activistes</h2>
<p>Les actions des différents gouvernements israéliens qui se sont succédé au cours des quinze dernières années ont joué un rôle central dans le <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/israel-law-review/article/israeli-pretransitional-justice-and-the-nakba-law/38FDCE76C2764DED2B9A26A596737DEC">rétrécissement de l’espace</a> dévolu à la société civile, aux organisations de défense des droits de l’homme, aux militants anti-occupation et aux mouvements pour la paix. En 2016, la Knesset, le parlement israélien, a adopté une loi obligeant les ONG qui recevaient plus de <a href="https://www.ssoar.info/ssoar/bitstream/handle/document/54348/ssoar-2017-asseburg-Shrinking_spaces_in_Israel_contraction.pdf">50 % de leur financement</a> de la part d’organisations étrangères à rendre compte publiquement de l’origine de leurs subventions. Des campagnes massives ont également été menées <a href="https://www.ssoar.info/ssoar/bitstream/handle/document/54348/ssoar-2017-asseburg-Shrinking_spaces_in_Israel_contraction.pdf">pour détériorer l’image des militants</a> auprès de l’opinion publique israélienne.</p>
<p>La façon dont certaines organisations militant pour la paix ont été qualifiées de « traîtres », de « collaborateurs des terroristes » ou d’« agents étrangers » par des responsables politiques et des groupes de réflexion de droite en est un exemple. Par exemple, en 2015, le mouvement de droite israélien <em>Im Tirtzu</em> (« Si vous le voulez ») a accusé les ONG israéliennes de défense des droits de l’homme d’être des « agents étrangers » et de <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2015-12-16/ty-article/.premium/im-tirtzus-video-equates-human-rights-with-treason/0000017f-f6b6-d5bd-a17f-f6be755a0000">saboter activement les efforts israéliens en matière de lutte contre le terrorisme</a>. L’espace réservé aux défenseurs des droits des Palestiniens, et spécialement à ceux <a href="https://www.google.se/books/edition/The_Israeli_Radical_Left/9JplDwAAQBAJ">qui appellent à la fin de l’occupation</a> de la Cisjordanie, s’est donc progressivement réduit.</p>
<p>Aujourd’hui, malgré la douleur, le chagrin et l’incrédulité engendrées par les atrocités du 7 octobre, certaines organisations israéliennes, et certains citoyens à titre individuel, s’élèvent contre l’opération militaire en cours à Gaza, soulignant que tous les habitants de Gaza ne sont pas coupables ou ne soutiennent pas les attentats.</p>
<p>B’tselem, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme, a tweeté le 13 octobre : « Non : Un million de personnes dans le nord de Gaza ne sont pas coupables. Elles n’ont nulle part où aller. Ce n’est pas à cela que ressemble la lutte contre le Hamas. C’est de la vengeance. Et des innocents souffrent. »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1712727623976071362"}"></div></p>
<p>Noy Katsman, un militant israélien pour la paix et contre l’occupation, dont le frère Hayim, qui partageait ses convictions, a été tué par le Hamas le 7 octobre, a déclaré <a href="https://edition.cnn.com/videos/world/2023/10/10/tl-noy-katsman-jake-tapper-live.cnn">dans une interview à CNN</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La chose la plus importante pour moi et pour mon frère est que sa mort ne soit pas utilisée pour justifier le meurtre de personnes innocentes. »</p>
</blockquote>
<p>Noy lui-même, et beaucoup d’autres militants, sont désormais pris pour cible dans leur propre communauté parce qu’ils <a href="https://www.thenationalnews.com/mena/2023/10/14/not-in-my-brothers-name-israeli-peace-activist-calls-for-halt-to-gaza-bombings/">refusent de considérer l’autre camp comme l’ennemi</a>.</p>
<h2>Résister à l’attrait de la vengeance</h2>
<p>Lors d’un <a href="https://twitter.com/cfpeace/status/1715010351119405525">webinaire organisé le 20 octobre</a> par l’ONG israélo-palestinienne Combatants for Peace, des militants palestiniens et israéliens se sont réunis pour réaffirmer leur attachement commun à la paix, à la justice et à la non-violence dans un contexte de guerre. Comme l’a dit la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ldEIyjw9hhU">militante palestinienne Mai Shahin</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ce système violent ne cesse d’essayer de nous faire croire qu’il est la seule voie possible. S’il est si difficile aujourd’hui aux Palestiniens et aux Israéliens de continuer de discuter, c’est parce que, ce faisant, nous nous attaquons à ce système, qui finira par se briser si nous nous retrouvons, nous associons et agissons ensemble. »</p>
</blockquote>
<p>Même si le désespoir et les appels à la vengeance prédominent aujourd’hui, il existe toujours des personnes et des organisations engagées qui s’élèvent contre la politique sécuritaire conduite par Israël et contre les bombardements de civils à Gaza. Comme l’a récemment écrit l’activiste israélienne <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/oct/09/israel-war-hamas-benjamin-netanyahu-government">Orly Noy</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La vengeance est le contraire de la sécurité, le contraire de la paix et le contraire de la justice. Ce n’est rien d’autre que plus de violence. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/217119/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Lene Stein est financée par le Riksbankens Jubileumsfond.</span></em></p>De nombreux militants israéliens pour la paix ont été tués le 7 octobre. Aujourd’hui, c’est leur idéal même qui est à l’article de la mort.Anne Lene Stein, PhD candidate in political science, Lund UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2169182023-11-05T18:27:51Z2023-11-05T18:27:51Z« Plus haute ZAD d’Europe » : faut-il encore aménager les glaciers alpins ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/557244/original/file-20231102-30-tfg6ng.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C62%2C1561%2C943&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En s’installant à 3400 mètres d’altitude sur le glacier de la Girose dans le massif des Écrins, les Soulèvements de la Terre ont tenu la plus haute Zone à défendre (ZAD) d’Europe. </span> <span class="attribution"><span class="source">Les Soulèvements de la Terre</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Du 8 au 10 novembre, la France accueille le One Planet – Polar Summit, premier sommet international consacré aux glaciers et aux pôles, pour appeler à une mobilisation exceptionnelle et concertée de la communauté internationale. Dans les Alpes, les projets d’aménagements des glaciers à des fins touristiques ou sportives sont pourtant toujours en cours malgré <a href="https://theconversation.com/rechauffement-climatique-sur-le-mont-blanc-le-nombre-de-jours-de-gels-va-seffondrer-dici-2100-116858">leur disparition annoncée</a>. C’est le cas par exemple dans le massif des Écrins (Hautes-Alpes), sur le glacier de la Girose où il est <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/sata-nouveau-gestionnaire-du-telepherique-meije-grave-1245155.html">prévu d’implanter depuis 2017</a> le troisième tronçon du téléphérique de la Grave.</p>
<p>Du 7 au 13 octobre dernier, les <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">Soulèvements de la Terre</a> (SLT) ont occupé le chantier afin d’en bloquer les travaux préparatoires. Ce nouvel aménagement a pour objectif de prolonger les deux tronçons existant, qui permettent depuis 1978 d’accéder au col des Ruillans à 3 221 mètres et ainsi rallier à terme le Dôme de La Lauze à 3559 mètres. Porté par la Société d’aménagement touristique de la Grave (SATG) et la municipalité, ce projet est estimé à <a href="https://www.ledauphine.com/hautes-alpes/2019/07/25/en-route-vers-la-tres-haute-montagne">12 millions d’euros</a>, investissement dont le bien fondé <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/troisieme-troncon-du-telepherique-a-la-grave-des-habitants-craignent-une-jonction-avec-l-alpe-d-huez-et-les-deux-alpes-2616292.html">divise les habitants de La Grave depuis cinq ans</a>.</p>
<p>En jeu derrière ces désaccords, la direction à donner à la transition touristique face au changement climatique : renforcement ou bifurcation du modèle socio-économique existant en montagne ?</p>
<h2>Une occupation surprise du glacier</h2>
<p>Partis du village de La Grave à 1 400 mètres dans la nuit du 6 au 7 octobre, une quinzaine de militants des SLT ont gravi 2 000 mètres de dénivelé avec des sacs à dos de 15 à 20 kg. Au terme de 12 heures d’ascension, ils ont atteint le haut d’un rognon rocheux émergeant du glacier de la Girose où doit être implanté un pylône du nouveau téléphérique. Ils y ont installé leur camp de base dans l’après-midi, avant d’annoncer sur les réseaux sociaux la création de « la plus haute zone à défendre (ZAD) d’Europe ».</p>
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<p>Par cette mobilisation surprise, les SLT ont montré qu’ils pouvaient être présents sur des terrains où ils ne sont pas forcément attendus et que pour cela :</p>
<ul>
<li><p>ils disposent de ressources logistiques permettant d’envisager une mobilisation de type occupationnelle de plusieurs jours à 3 400 mètres d’altitude</p></li>
<li><p>ils maîtrisent les techniques d’alpinisme et l’engagement physique qu’implique la haute montagne.</p></li>
</ul>
<p>Sur le glacier de la Girose, les conditions de vie imposées par le milieu n’ont en effet rien à voir avec celles des autres ZAD en France, y compris celles de La Clusaz (en <a href="https://theconversation.com/extinction-rebellion-a-la-clusaz-quand-la-zad-gagne-la-montagne-174358">novembre 2021</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/10/20/a-la-clusaz-une-zad-contre-la-neige-artificielle_6146621_3244.html">octobre 2022</a>), premières du type en montagne, dans le bois de la Colombière à 1 400 mètres d’altitude. Au cours de la semaine d’occupation, les températures étaient toutefois clémentes, oscillant entre -7° à 10 °C, du fait d’un automne anormalement chaud.</p>
<h2>Une communication bien rodée</h2>
<p>Très rapidement, cette occupation du glacier a donné un coup de projecteur national sur ce <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/11/23/a-la-grave-le-telepherique-qui-divise-la-mecque-du-hors-piste_6103207_3234.html">projet controversé d’aménagement local</a>. Dès son annonce publique, les articles se sont succédés <a href="https://www.liberation.fr/environnement/dans-les-hautes-alpes-une-zad-en-pleine-lutte-des-glaces-20231009_O46222K5CFF77ASIGBEHEGNUQ4/">dans les médias nationaux</a> à partir des éléments de communication (photographies, vidéos, communiqués de presse, live sur les réseaux sociaux) fournis par les SLT depuis le glacier de la Girose. Les militants présents disposaient en effet des compétences et du matériel nécessaires pour produire des contenus professionnels à 3400 mètres. Ils ont ainsi accordé une attention particulière à la mise en scène médiatique et à sa dimension esthétique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/557249/original/file-20231102-23-a9ic6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557249/original/file-20231102-23-a9ic6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557249/original/file-20231102-23-a9ic6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557249/original/file-20231102-23-a9ic6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557249/original/file-20231102-23-a9ic6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557249/original/file-20231102-23-a9ic6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557249/original/file-20231102-23-a9ic6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une attention particulière a été accordée par Les soulèvements de la terre à la mise en scène médiatique, notamment dans sa dimension esthétique..</span>
<span class="attribution"><span class="source">Soulèvements de la terre</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Bien qu’inédite par sa forme ainsi que les lieux et les moyens mobilisés, cette mobilisation s’inscrit dans une <a href="https://books.openedition.org/editionsehess/10888">grammaire politique</a> partagée faisant référence au <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">bien commun ainsi qu’aux imaginaires et narratifs habituels des SLT</a>, qu’elle actualise à partir de cette expérience en haute montagne. Elle est visible dans les stratégies de communication mobilisées : les références à la ZAD, à la stratégie du désarmement, l’apparition masquée des militants, les <a href="https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/travaux-geles-sur-le-glacier-nous-reviendrons-au-printemps-s-il-le-faut">slogans tels que</a> la « lutte des glaces », « nous sommes les glaciers qui se défendent » et « ça presse mais la SATArde ». Une fois déployée, cette grammaire de la mobilisation est aisément reconnaissable par les publics, qu’ils y soient favorables ou non.</p>
<h2>Une plante protégée sur le chantier</h2>
<p>Cette occupation du glacier a été imaginée dans l’urgence en quelques jours par les SLT pour répondre au début des travaux préliminaires entrepris par la SATG quelques jours auparavant. Son objectif était de stopper ces derniers suite à la décision du tribunal administratif de Marseille de rejeter, le 5 octobre, un référé liberté <a href="https://www.placegrenet.fr/2023/10/06/troisieme-troncon-du-telepherique-de-la-grave-le-tribunal-administratif-rejette-le-recours-des-opposants-aux-travaux/615285">demandant leurs interruptions d’urgence</a>. Déposé le 20 septembre par les associations locales et environnementales, ce dernier visait notamment à protéger l’androsace du Dauphiné présente sur le rognon rocheux.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/557257/original/file-20231102-15-zmygku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557257/original/file-20231102-15-zmygku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557257/original/file-20231102-15-zmygku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557257/original/file-20231102-15-zmygku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557257/original/file-20231102-15-zmygku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557257/original/file-20231102-15-zmygku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557257/original/file-20231102-15-zmygku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Androsace du Dauphiné.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fabien Anthelme</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Cette plante protégée, dont la <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-021-90612-w">découverte formelle ne remonte qu’à 2021</a>, a été identifiée le 11 juillet sur les lieux par deux scientifiques du Laboratoire d’écologie alpine (CNRS, Université Grenoble Alpes et Université Savoie Mont Blanc) et certifiée par l’Office français de la biodiversité (OFB). Leur <a href="https://reporterre.net/IMG/pdf/rapport_expertise-ecologique_lagrave_leca_ofb.pdf">rapport d’expertise écologique</a> a été rendu public et remis aux autorités administratives le 18 juillet : il montre qu’il existe plusieurs spécimens de l’androsace du Dauphiné dans un rayon de moins de 50 mètres autour du projet d’implantation du pylône. Or, elle ne figure pas dans l’étude d’impact et le <a href="https://alpinemag.fr/droit-de-reponse-frederic-aubry-agrestis/">bureau d’étude qui l’a réalisée affirme l’avoir cherchée sans la trouver</a>.</p>
<p>Deux jours après le début de l’occupation, la SATG a demandé à la préfecture des Hautes-Alpes l’évacuation du campement des SLT afin de pouvoir reprendre au plus vite les travaux. Le 10 octobre, la <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/une-zad-a-3500m-d-altitude-les-soulevements-de-la-terre-continuent-leur-lutte-des-glaces-contre-un-projet-de-telepherique-2854469.html">gendarmerie s’est rendue sur le glacier</a> pour notifier aux militants qu’un arrêté municipal interdisant le bivouac jusqu’au printemps avait été pris. Et que le campement était illégal, et donc passible de poursuites civiles et pénales.</p>
<p>En réponse, un nouveau recours « référé-suspension » en justice a été déposé le lendemain par les associations locales et environnementales pour stopper les travaux… à nouveau <a href="https://www.ledauphine.com/environnement/2023/10/30/telepherique-la-requete-des-associations-rejetee">rejeté le 30 octobre par le tribunal administratif de Marseille</a>. Cette décision s’appuie sur l’avis de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et du préfet des Hautes-Alpes qui estiment que le <a href="https://alpinemag.fr/telepherique-la-grave-associations-deboutees-requete-prefet-hautes-alpes/">risque d’atteinte à l’androsace du Dauphiné n’était pas suffisamment caractérisé</a>. MW et LGA envisagent désormais de former un recours en cassation devant le Conseil d’État.</p>
<p>Entre-temps, les SLT ont décidé de redescendre dans la vallée dès le 13 octobre, leur présence n’étant plus nécessaire pour empêcher le déroulement des travaux, puisque les conditions météorologiques rendent désormais leur reprise impossible avant le printemps 2024.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1712817279556084122"}"></div></p>
<p>Bien qu’illégale, cette occupation « à durée déterminée » du glacier pourrait permettre à la justice d’aboutir à un jugement de fond sur l’ensemble des points contestés par les associations locales et environnementales. En ce sens, cette occupation a permis de faire « gagner du temps » à Mountain Wilderness (MW) et à La Grave Autrement (LGA) engagées depuis cinq ans contre le projet. Leurs actions menées depuis le 3 avril dernier, date du <a href="https://ram05.fr/la-grave-le-permis-de-construire-pour-le-troisieme-troncon-est-delivre">permis de construire accordée par la mairie de la Grave à la SATG</a>, n’ont jusqu’alors <a href="https://www.montagnes-magazine.com/actus-telepherique-grave-troisieme-mobilisation-glacier-girose">pas été en mesure d’empêcher le début des travaux</a>… alors même que leurs recours juridiques sur le fond ne vont être étudiés par la justice que l’année prochaine et que les travaux auraient pu avoir lieu en amont.</p>
<p>Cette mobilisation des SLT a aussi contraint les promoteurs du projet à sortir du silence et à prendre position publiquement. Ils ont ainsi dénoncé <a href="https://www.ledauphine.com/environnement/2023/10/10/telepherique-de-la-meije-le-chantier-encore-bloque-par-les-soulevements-de-la-terre">« quatorze hurluberlus qui ne font rien de leur vie et entravent ceux qui travaillent »</a>, ce à quoi la presse montagne a répondu <a href="https://alpinemag.fr/les-glaciers-disent-merci-aux-hurluberlus/">« les glaciers disent merci aux hurluberlus »</a>.</p>
<h2>Sanctuarisation et manque de « cohérence »</h2>
<p>En Europe, cette mobilisation des SLT en haute montagne est inédite dans l’histoire des contestations socio-environnementales du tourisme, et plus largement dans celles des mouvements sociaux. Cela lui confère une forte dimension symbolique, en même temps que le <a href="https://www.geo.fr/environnement/la-mer-de-glace-le-symbole-des-effets-du-changement-climatique-en-france-206016">devenir des glaciers est lui-même devenu un symbole du changement climatique</a> et que leur artificialisation à des fins touristiques ou sportives suscite de plus en plus de critiques dans les Alpes. Dernier exemple en date, le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/reportage-suisse-polemique-autour-d-une-piste-de-ski-creusee-dans-un-glacier-pour-la-coupe-du-monde_6143841.html">creusement d’une piste de ski dans un glacier suisse à l’aide de pelles mécaniques</a> afin de permettre la tenue d’une épreuve de la coupe du monde de ski.</p>
<p>Une telle situation où un engin de travaux publics brise de la glace pour l’aplanir et rendre possible la pratique du ski alpin a déjà été <a href="https://alpinemag.fr/sauvons-la-girose-un-des-derniers-grands-glaciers-des-alpes/">observée à la Grave en septembre 2020</a>. L’objectif était alors de faire fonctionner le vieux téléski du glacier de la Girose, que le troisième tronçon du téléphérique entend remplacer à terme… sauf que l’objectif de ce dernier est d’accroître le nombre de skieurs alpins sur un <a href="https://www.actumontagne.com/people/glaciologue-dun-jour-sur-le-glacier-de-la-girose/">glacier qui subit de plein fouet le réchauffement climatique</a>, ce qui impliquera ensuite la <a href="https://alpinemag.fr/les-glaciers-disent-merci-aux-hurluberlus/">mise en place d’une sécurisation des crevasses à l’aide de pelleteuses</a>. Dans ce contexte, la question que pose la mobilisation des SLT peut donc se reformuler ainsi : ne faut-il pas désormais laisser le glacier de la Girose libre de tout moyen de transport pour en faire un avant-poste de la transition touristique pour expérimenter une nouvelle approche de la montagne ?</p>
<p>Cette question résonne avec la position du gouvernement français au One Planet Summit sur la <a href="https://www.tf1info.fr/environnement-ecologie/one-planet-polar-summit-glaciers-antarctique-arctique-a-quoi-va-servir-le-sommet-polaire-organise-par-la-france-a-paris-les-8-et-9-novembre-2023-2274784.html">nécessaire sanctuarisation des écosystèmes que représentent les glaciers</a>… dont le projet d’aménagement du glacier de la Girose représente « quelques accrocs à la cohérence », reconnaît Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, du fait d’un dossier complexe.</p>
<h2>Un dialogue à rouvrir pour avancer</h2>
<p>Au lendemain de la fin de l’occupation du glacier par les SLT, le 14 octobre, une manifestation a été organisée à l’initiative des Enseignes de La Meije (association des commerçants de la Grave) pour <a href="https://www.ledauphine.com/societe/2023/10/14/troisieme-troncon-du-telepherique-a-la-grave-les-pour-manifestent-aussi">défendre l’aménagement du troisième tronçon du téléphérique</a>. Pour eux, comme pour la SATG et la municipalité, l’existence de la station est en péril sans celui-ci, <a href="https://www.montagnes-magazine.com/actus-telepherique-grave-quel-modele-economique-projet-un-troisieme-troncon">ce que conteste LGA dans son analyse des retombées économiques sur le territoire</a>. Le bureau des guides de la Grave est <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/11/23/a-la-grave-le-telepherique-qui-divise-la-mecque-du-hors-piste_6103207_3234.html">lui aussi divisé</a> sur le sujet. Le débat ne se résume donc pas à une opposition entre les amoureux du glacier, là-haut, et ceux du business, en bas ; entre ceux qui vivent sur le territoire à l’année et les autres qui n’y sont que quelques jours par an ; entre des « hurluberlus qui ne font rien de leur vie » et ceux qui travaillent, etc.</p>
<p>Comme partout en montagne, le débat à la Grave est plus complexe qu’il n’y paraît et appelle à rouvrir le dialogue si l’on prend au sérieux l’inévitable bifurcation du modèle de développement montagnard face aux effets du changement climatique. Considérer qu’il n’y a pas aujourd’hui <a href="https://www.montagnes-magazine.com/actus-edito-deux-montagnes-irreconciliables">deux montagnes irréconciliables</a> n’implique pas d’être d’accord sur tout avec tout le monde en amont. Les <a href="https://theconversation.com/a-la-clusaz-des-pistes-existent-pour-dejouer-lartificialisation-de-la-montagne-183539">désaccords peuvent être féconds</a> pour imaginer le devenir du territoire sans que l’artificialisation du glacier soit l’unique solution pour vivre et habiter à La Grave.</p>
<p>Si les travaux du troisième tronçon du téléphérique étaient amenés à reprendre au printemps prochain, les SLT ont d’ores et déjà annoncé qu’ils reviendront occuper le glacier de la Girose.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mikaël Chambru est co-coordinateur scientifique du Laboratoire d’excellence Innovations et transitions territoriales en montagne (ITTEM).</span></em></p>Les militants des Soulèvements de la Terre ont quitté le glacier de la Girose dans les Hautes-Alpes. Mais la question de l’aménagement de la haute montagne – et de l’avenir de son modèle touristique – demeure.Mikaël Chambru, Maître de conférences en sciences sociales, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2149882023-10-05T08:23:10Z2023-10-05T08:23:10ZLa désobéissance civile climatique : les États face à un nouveau défi démocratique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552066/original/file-20231004-23-zkgz2e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=179%2C62%2C5811%2C3925&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« La désobéissance civile marche » assure sur cette pancarte cette militante australienne d'Extinction Rebellion. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/rebellion-day-brisbane-australia-july-2009-1487980760">Ramji Creations/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le 28 août 1963, Martin Luther King prononçait son célèbre discours à la suite d’une marche à Washington pour les droits civiques des Noirs américains, dont l’histoire a gardé la formule « I have a dream ». La mémoire collective a principalement conservé des images de marches, de boycotts de bus voire d’occupations illégales d’espaces d’exclusion des personnes dites de couleur de cette pratique de la désobéissance civile. Une expression forgée par le philosophe précurseur de l’écologie Henry David Thoreau qui renvoie à des registres de mobilisations variées allant du refus d’appliquer la loi à celle de la transgresser voire à l’interpeller pour montrer son caractère injuste.</p>
<p>Mais pour les acteurs de ces mouvements, pour ces personnes revendiquant leur citoyenneté pour pratiquer des illégalismes sans recourir à une remise en cause du récit démocratique, la désobéissance civile, avant de fournir de possibles symboles marquants, s’appuie d’abord sur un corpus de pensée et de théories qui les autorisent, aux yeux de l’opinion publique, d’enfreindre la loi en toute conscience, de s’opposer avec leur détermination voire de se mettre en danger tout en acceptant la répression.</p>
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<img alt="Photographie de Martin Luther King incarcéré en 1963 suite à sa participation à une manifestation pacifique pour les droits civiques des Noirs Américains" src="https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">photographie de Martin Luther King incarcéré en 1963 suite à sa participation à une manifestation pacifique pour les droits civiques des Noirs Américains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>La pratique de la désobéissance civile contemporaine des écologistes s’inscrit clairement dans cette lignée de « I have a dream ». Car il s’agit de faire advenir un monde nouveau, de pousser les lignes du récit démocratique en le renouvelant par de nouvelles générations, de nouveaux enjeux. Le caractère idéaliste voire révolutionnaire de transformation est au cœur de la pratique même si, en France, cet aspect-là a longtemps pu seulement renvoyer à des épisodes de « violence » ou de recours à des actions de confrontations, avec par exemple la vague d’attentats anarchistes à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle ou l’extrême gauche des années 1970.</p>
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<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Mais à l’heure où les effets du dérèglement climatiques sont de plus en plus tangibles, et où l’inaction des gouvernants est de plus en plus pointée du doigt, en quoi la désobéissance civile peut-elle ou non permettre de mobiliser en faveur du climat ? Sous fond de crise sociale et démocratique, avec une abstention croissante et des institutions malmenées, on voit les militants climatiques interpeller via divers biais les pouvoirs étatiques.</p>
<p>Le mouvement de désobéissance civile est un canal d’action et d’expression possible, qui demeure cependant au carrefour d’un risque de répression d’une part, et de banalisation d’autre part. Depuis son émergence, jusqu’aux rassemblements récents et l’organisation des Soulèvements de la Terre, la désobéissance civile climatique a, de surcroît, dû se réinventer face à un contexte paradoxal mêlant la reconnaissance de l’urgence, l’accroissement du climatoscepticisme et de la répression. Voyons comment nous en sommes arrivés là.</p>
<h2>De la « paix verte » à la génération Climat en colère</h2>
<p>La désobéissance civile en France a connu ses premières armes sur le plateau du Larzac dans les années 1970, même si les militants parlaient alors plutôt de résistance civile. Cette lutte locale, dont le soutien dépassera rapidement les frontières nationales, est née du refus de voir l’extension d’un camp militaire sur plateau du Larzac qui risquait notamment de provoquer l’expropriation d’un certain nombre de paysans et s’achèvera par l’abandon du projet d’extension avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, en 1981.</p>
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<img alt="Des gendarmes mobiles en action" src="https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La lutte du Larzac, un combat pas exempt de répression policière, ici avec la mobilisation de gendarmes mobiles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lutte_du_Larzac#/media/Fichier:Crs_larzac2.jpg">Community of the Ark of Lanza del Vasto/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Une des premières applications de la désobéissance civile de cette lutte fut l’abandon du service militaire, à une époque où l’objection de conscience, c’est-à-dire le refus de faire son service militaire ou de rejoindre des conflits n’était pas reconnue, et où la question de la désobéissance civile rejoignait celle de l’éthique humaniste face à des États qui réclamaient de leurs citoyens masculins le prix du sang.</p>
<p>Loin d’être anecdotique, cette réalité rappelle combien l’écologie française et nord-américaine, avec, outre-Atlantique, un pareil refus d’être enrôlé pour la guerre du Vietnam est né autant de la volonté de protéger la nature que de l’exigence morale de ne pas attenter à la vie humaine. Parmi les premiers militants de l’ONG Greenpeace, on retrouve ainsi des quakers (puritains fondateurs d’un mouvement pacifiste et non violent) et étudiants refusant de se battre pour des guerres lointaines à l’heure de la nucléarisation des moyens de destruction.</p>
<p>L’exigence morale d’une paix verte (<em>green peace</em> en anglais) surgit ainsi de ce lien fait entre le vivant et l’humain. Dans cette dynamique, il n’est pas étonnant de voir l’écologie choisir peu à peu des moyens de pression de la non-violence et se distancer ainsi des groupes plus révolutionnaires recourant à des actions plus violentes voire ou s’y opposant pas frontalement comme les maoïstes qui utilisaient l’opportunité du service militaire pour soit créer des comités de soldats, soit se socialiser aux maniements des armes.</p>
<p>La désobéissance civile a ensuite réémergé au moment des vagues d’altermondialisme de la fin des années 1990 pour contester contre les OGM puis contre l’exploitation des gaz de schiste en insistant, cette fois-ci, sur la protection de la biodiversité ou du vivant. Dans cette époque post-effondrement du bloc soviétique, les écologistes se sont attachés à rappeler les limites du récit néo-libéral et de la brevetabilité du vivant ou encore, se sont appliqués à mettre les paysans au cœur de l’activité agricole face aux grands groupes, à expliciter les effets néfastes pour l’environnement de l’exploitation du <a href="https://theconversation.com/la-guerre-du-gaz-de-schiste-naura-sans-doute-pas-lieu-181535">gaz de schiste</a>.</p>
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<img alt="Rassemblement anti-OGM en 2008" src="https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rassemblement anti-OGM en 2008.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ernest-morales/2493604466">Ernest Morales/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Comme pour le Larzac, l’émergence de ces luttes est souvent le fruit d’un engagement local, via par exemple une opposition à des projets futurs, en Ardèche par exemple avec des projets d’extraction de gaz de schiste, avant d’émerger comme une question de société. Les actions de certains militants (fauchage de champs d’OGM, « démontage » du McDonald’s de Millau) ont pu être <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/03/27/jose-bove-et-sept-autres-faucheurs-volontaires-definitivement-condamnes_3148824_3244.html">sanctionnées par la loi</a>, mais <a href="https://www.lepoint.fr/societe/gaz-de-schiste-la-porte-fermee-a-double-tour-selon-jose-bove-11-10-2013-1742630_23.php">l’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste</a> sur le territoire français, validée par le Conseil constitutionnel en 2014, et l’interdiction de la première génération d’OGM en France ont pu permettre aux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/bistroscopie/bistroscopie-du-samedi-30-septembre-2023-1040939">figures de ces luttes</a> de considérer leur combat et leurs moyens comme légitimes et utiles.</p>
<p>Ces dernières années, la génération des années 2020 et la figure de Greta Thunberg ont de nouveau convoqué la notion de désobéissance civile pour lutter contre le dérèglement climatique, en dérangeant au passage autant les États, les groupes multinationaux voire, depuis 2022, à force de coups médiatiques, de rassemblements ou de menace de sabotage.</p>
<p>Sommes-nous ainsi passés d’une écologie qui voulait éviter le pire à celle qui veut gérer la catastrophe annoncée et reconnue par les États en y employant tous les moyens ?</p>
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<p><em>L’article que vous parcourez vous est proposé en partenariat avec <a href="https://shows.acast.com/64c3b1758e16bd0011b77c44/episodes/64f885b7b20f810011c5577f?">« Sur la Terre »</a>, un podcast de l’AFP audio. Une création pour explorer des initiatives en faveur de la transition écologique, partout sur la planète. <a href="https://smartlink.ausha.co/sur-la-terre">Abonnez-vous !</a></em></p>
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<h2>La génération Climat, exigence écologiste et impatience démocratique</h2>
<p>Par commodité, nous appellerons la génération Climat celle qui a suivi les appels à la grève scolaire de Greta Thunberg de la fin des années 2010 et qui a été socialisée au développement durable et aux problèmes environnementaux dès leur enfance. Une génération qui a ensuite pu grandir et s’informer sur le dérèglement climatique au gré de la publication, de plus en plus médiatique, des rapports successifs du GIEC et de divers ONG. Sous ces influences, le cadre des luttes environnementales a pu sensiblement évoluer en se focalisant sur le dérèglement climatique comme un problème global qui rend par exemple vain de protéger telle ou telle espèce ou espace, si, en parallèle, le climat ou la planète se trouve dans un tel état que l’ensemble de l’écosystème serait irrémédiablement modifié ou en péril.</p>
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<p>Si cette mobilisation a débuté avant l’arrivée du Covid-19, ses militants ont cependant tâché, durant la pandémie, et les mois de mise à l’arrêt total de notre système social, de maintenir le cap de l’alerte maximale sur les questions de réchauffement climatique, et de réfléchir au « monde d’après » sans pourtant réussir à ce que le système redémarre en y incluant centralement cette préoccupation dite de « survie » de la planète et ses effets sur les populations les plus vulnérables.</p>
<p>Dans un contexte de plus en plus inquiétant, la désobéissance civile a pu d’abord être pratiquée dans le registre de l’alerte. On peut y rassembler les manifestations d’<a href="https://theconversation.com/extinction-rebellion-a-la-clusaz-quand-la-zad-gagne-la-montagne-174358">Extinction Rebellion</a>, les perturbations de Dernière Rénovation ou encore les actions directes médiatiques de Just Stop Oil. Au-delà de leurs actions symboliques, les écologistes ont également commencé à s’organiser en réseau, avec des interconnexions transnationales comme les Soulèvements de la Terre.</p>
<p>Leurs discours réclament, dès lors d’être entendus, écoutés au nom de victimes du Climat présentes voire futures et expriment une impatience à l’égard des élus, des institutions qui ne prendraient pas les mesures adaptées à l’enjeu mondial. Dans le temps comme dans l’espace, les enjeux de ces luttes s’éloignent de seules questions locales et revendiquent de façon explicite la nécessité d’un changement de paradigme global.</p>
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<img alt="Docteur membre d’Extinction Rebellion arrêté après le blocage d’un pont de Londres en avril 2022" src="https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Docteur membre d’Extinction Rebellion arrêté après le blocage d’un pont de Londres en avril 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/alisdare/51995882398/in/photolist-2ndGuk1-2ndJVaQ-2neoi2N-2ndHAvg-24ZFRrv-2fhcBAB-2ndK2xu-2neqR9g-2neo7Sz-2nei56Z-2neqXF1-2ndPvDy-2ndPuh7-2ne6D4m-2nepxWZ-2ndG4Re-2nepvyh-2nenVEV-24ECPez-2neodui-2nehJ49-2neov5h-2nenYve-2hseZbb-2nehPGt-2nehZBZ-2nehVYM-RvQJjK-2nehT36-2neocwK-2neoteD-2ng1GBZ-2nepvWm-2nei2W8-2kNspFM-2hseVkk-2hsepYo-2nehGVT-2fhc55R-2hsdZ1Y-2hsmwZA-2fhc3VB-2fcvLAq-2nci77E-2fhcqvF-RvQunB-2ebihEq-RvQwct-2fcw2af-2dTiZRM/">Alisdare Hickson/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Mus par une dynamique de colère, d’impatience, de demandes de politiques actives, ces militants commencent à mobiliser dans le registre de la désobéissance civile non seulement le répertoire pacifique avec arrestation ou procès, mais également celui dit du désarmement, c’est-à-dire le sabotage préventif avant que les atteintes à l’environnement soient majeures et irréparables. Or, les États, garant de l’ordre public et les groupes d’intérêts mis en cause réagissent en travaillant l’opinion publique, voire en créant des catégories pour stigmatiser la mobilisation qui ciblent autant l’espace public que les propriétés privées (golf, piscine, entreprises, banques…).</p>
<p>L’opinion publique peut s’en étonner, car elle a en mémoire les grandes marches de Gandhi ou Martin Luther King en oubliant que la désobéissance civile a visé des intérêts privés dès sa naissance avec l’appel à boycott d’entreprise. Ainsi, par le passé, la ségrégation passait également par des espaces privés comme les bus, les cafés, les toilettes ou les magasins ; hier, José Bové s’attaquait à des enseignes mondialisées comme McDonald ou Monsanto. C’est peut-être plus finalement le contexte qui a changé, avec des États et en particulier la France, depuis les attentats de 2015, qui ont adopté des législations de plus en plus restrictives dans un souci de prévention des radicalisations au point que des militants peuvent se sentir « criminalisés », et réajuster leur militantisme dans ce contexte avec une culture du secret.</p>
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<p>De plus, la répression de citoyens désarmés est un véritable défi des appareils d’État démocratique qui jouent sur la crête de l’autoritarisme et de l’illibéralisme. Dans ce cadre, le jeu de polarité entre contestataires désobéissants et appareil répressif se tend en faisant augmenter le coût de l’engagement du côté des manifestants et le coût de l’image et de la répression au nom de la violence légitime de l’autre. Comme un symbole de ce jeu d’équilibrisme inédit, on a ainsi pu voir en août 2023 le Conseil d’Etat désavouer une partie de l’analyse de l’État qui rangeait les Soulèvements de la Terre comme une organisation « terroriste » alors que les associations restaient confortées par la légitimité de leurs combats. Pour preuve, au nom de la sous-estimation des effets environnementaux et de l’enjeu du réchauffement climatique, le juge administratif annule des projets de retenues d’eau de substitution, dites les méga-bassines, et renforce ce paradoxe : celui d’un engagement réprimé et pourtant légitime.</p>
<p>Cette nouvelle désobéissance civile transnationale s’immisce ainsi au cœur d’un malentendu entre des États qui ont la volonté d’être les seuls maîtres de leur agenda concernant les mesures à prendre contre le réchauffement climatique et une génération Climat porteuse, avec des ONG et des associations, d’un sentiment d’urgence qui ne serait pas pris en compte. Une ignorance perçue également comme une injustice au vu de la non-considération de leur demande démocratique et de mesures d’intérêt général planétaire. L’Europe et les pays industrialisés se retrouvent de ce fait face à un double défi : celui d’un enjeu écologique majeur et d’un récit démocratique à réinventer dans un siècle traversé par le renouveau des pandémies et des crises environnementales mondialisées.</p>
<p><em>Why we can’t wait</em>, traduit en Français par <em>La Révolution non violente</em>, est le titre d’un ouvrage de référence que Martin Luther King a écrit en prison à Birmingham et qui fait étrangement écho aux justifications de ces nouvelles causes de la Désobéissance civile. Dans ce texte publié quatre ans avant son assassinat, le militant <em>in fine</em> récompensé du prix Nobel de la Paix explicite l’urgence de transformation de la société américaine, l’importance de la reconnaissance d’égalité réelle des droits des populations afro-américaines. Ce sentiment d’urgence au cœur de la désobéissance civile nous le retrouvons intact dans les justifications climatiques après près de 40 ans de lutte et d’alerte. Cette bascule marque l’impatience de groupes de citoyens qui sont prêts à entrer dans l’illégalité et à accepter la répression dans un cadre qui se veut celui des droits.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214988/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Ollitrault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des plateaux du Larzac jusqu’à Ste-Soline, la désobéissance civile climatique a dû se réinventer face à un contexte paradoxal mêlant la reconnaissance de l’urgence et l’accroissement de la répression.Sylvie Ollitrault, Directrice de recherche en sciences politiques, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2137872023-09-27T20:18:49Z2023-09-27T20:18:49ZThomas Brail et l’A69, ou les paradoxes de la désobéissance civile<p>En 1972, le <a href="https://theconversation.com/rapport-meadows-pourquoi-les-alertes-de-1972-ont-ete-ignorees-par-les-chercheurs-en-management-201644">rapport du club de Rome</a> établissait les limites de la croissance et les menaces que celle-ci faisait courir à l’avenir de la planète et de l’humanité. Depuis, la cause environnementale a alimenté un activisme politique dont les revendications se sont peu à peu étendues : du risque nucléaire à la destruction de la biodiversité, de la frénésie de consommation aux ravages du <a href="https://theconversation.com/le-debat-sur-la-valeur-travail-est-une-necessite-204875">productivisme</a> et de l’extractivisme, de l’urgence climatique au partage de l’eau, de la pollution atmosphérique à <a href="https://theconversation.com/limiter-lartificialisation-des-sols-pour-eviter-une-dette-ecologique-se-chiffrant-en-dizaines-de-milliards-deuros-166073">l’artificialisation des sols</a>. Ou au refus de l’abattage d’arbres centenaires pour permettre la construction d’une autoroute.</p>
<p>C’est le combat que mène Thomas Brail, cet « écureuil » – du nom que se donnent ces défenseurs des arbres qui se nichent dans leurs branches <a href="https://www.linkedin.com/posts/groupe-national-de-surveillance-des-arbres_a69-soutien%C3%A0thomasbrail-engr%C3%A8vedelafaim-activity-7106585916961382400-PZIX/?trk=public_profile_like_view&originalSubdomain=fr">pour empêcher leur destruction</a> – qui s’est installé dans un hamac au sommet d’un platane en face du ministère de la Transition écologique en entamant une grève de la faim pour s’opposer à la reprise des travaux de l’<a href="https://www.a69-atosca.fr/">A69 entre Tarbes et Toulouse</a>. Au sixième jour de cette occupation, il a été délogé et conduit à l’hôpital avant que Clément Beaune, ministre des Transports n’annonce la suspension de quelques projets autoroutiers, sauf celui de l’A69, dont il a toutefois promis de « réduire l’impact environnemental ».</p>
<p>Un <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/une-histoire-des-luttes-pour-lenvironnement">demi-siècle de mobilisations</a> a réussi à placer la question climatique au cœur de la vie politique mondiale, en forçant la création, sous l’égide de l’ONU, des COP dont la 28<sup>e</sup> session se tiendra à Dubaï à la fin de l’année. Mais cet affichage public et universel du souci écologique ne parvient pas à masquer le fait que, en dépit de leurs résolutions et de leurs efforts pour les réaliser, les pouvoirs en place s’attaquent très frileusement aux fléaux liés au réchauffement de la planète.</p>
<h2>L’action directe, levier face à l’inaction des puissants</h2>
<p>C’est à cette dissonance que les associations, organisations non gouvernementales et collectifs citoyens qui font vivre l’écologie ne cessent de se heurter. Avec le temps, ces activistes sont devenus experts dans l’art de mettre au service de leur combat un ensemble de méthodes appropriées à sa visée : travaux scientifiques, études d’impact indépendantes, manifestations de masse, pétitions, blocages, occupations, recours en justice, diffusion de vidéos sur les réseaux sociaux, boycott, allant jusqu’à des actions pouvant être considérées comme du terrorisme.</p>
<p>Le recours à la violence directe contre des équipements et des installations qui portent atteinte à l’environnement a été en vogue aux États-Unis dans les années 1980, comme le rappelle Benoît Gagnon dans <a href="https://isidore.science/document/10670/1.i23zjg">« L’écoterrorisme : vers une cinquième vague terroriste nord-américaine ? »</a>. Il est cependant devenu un moyen de protestation résiduel, en dépit de l’invitation à en faire usage proposée par Andreas Malm dans <a href="https://lafabrique.fr/comment-saboter-un-pipeline/"><em>Comment saboter un pipe-line</em></a>. L’invocation de l’« éco-terrorisme » permet surtout aux autorités de criminaliser l’action des mouvements environnementalistes, en témoigne par exemple le <a href="https://twitter.com/GDarmanin/status/1586786511684620290">discours du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin fin 2022</a>, après l’installation de la ZAD de Sainte-Soline.</p>
<p>La désobéissance civile n’est qu’une des formes d’action politique qui peut être utilisée en ce domaine, mais de façon détournée. En règle générale, un acte de désobéissance civile consiste à refuser publiquement de se soumettre à une loi ou un texte réglementaire qui fait obligation d’accomplir un acte jugé injuste ou indigne afin de provoquer un procès qui servira de tribune pour remettre en cause la légitimité de cette obligation et, éventuellement, obtenir son abrogation, comme nous le montrions en 2011 dans notre ouvrage Sandra Laugier, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/pourquoi_desobeir_en_democratie_-9782707169754"><em>Pourquoi désobéir en démocratie ?</em></a>.</p>
<p>En ce qui concerne la cause environnementale, aucune loi n’existe qui obligerait à polluer, à émettre du carbone, à investir dans les énergies fossiles ou à détruire des espèces protégées. Ce serait même plutôt le contraire. Dans ce cas, la désobéissance civile consiste à commettre ostensiblement une infraction ou un trouble à l’ordre public afin d’attirer l’attention sur l’inaction ou les agissements coupables des pouvoirs publics ou privés en la matière (arrachage de champs d’OGM, vol de sièges dans des agences bancaires par les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/desobeissance-civile-les-faucheurs-de-chaises-font-reparler-d-eux-3975651">« Faucheurs de chaises »</a>, décrochage de portraits du Président dans les mairies, etc.).</p>
<p>Plus qu’à de la désobéissance civile, ce à quoi on a affaire aujourd’hui relève de l’action directe non violente ou de la résistance civile : se coller les mains sur un tableau ou sur l’asphalte ; occuper un espace promis à l’artificialisation ; « désarmer » une industrie polluante ou des réserves d’eau ; recouvrir de peinture noire le siège d’une entreprise fossile ; traquer les pirates des mers qui harponnent les baleines ou les navires de pêche qui contreviennent aux réglementations ; ou empêcher l’ouverture de fermes usines.</p>
<h2>L’activisme face à son impuissance, ou le syndrome <em>Don’t look up</em></h2>
<p>En dépit du bruit que l’activisme environnemental fait pour imposer la réalité de l’urgence climatique, il bute toujours sur un obstacle : l’incapacité à lever les réticences et les peurs de ceux et celles qui rechignent à changer brutalement de logique économique, de comportements, d’habitudes et de croyances. C’est ce qu’on peut appeler le syndrome <em>Don’t look up</em> – du nom d’un film d’Adam McKay diffusé en 2021 et traitant du déni de la menace climatique – qui se résume en une question : pourquoi le péril existentiel que le dérèglement fait courir à l’humanité ne conduit-il pas les milieux dirigeants et les populations à en reconnaître la gravité et à agir en conséquence ?</p>
<p>Ils ont bien sûr de bonnes raisons pour ne pas le faire : l’emploi, la concurrence, le profit, l’aversion pour les mesures coercitives, le respect des libertés individuelles ou la hantise de la perte. Mais cette inertie renvoie sans cesse les activistes à leur impuissance à convaincre de la nécessité d’inventer un nouveau modèle de développement.</p>
<p>Les luttes pour le climat sont toutes prises dans une ambiguïté : la légitimité qui leur est volontiers reconnue est constamment remise en cause par l’accusation d’irréalisme portée contre les propositions qu’elles formulent ou par l’illégalité des actions qui leur donnent une visibilité dans l’espace public. Cette légitimité est également ignorée par des gouvernements élus qui brocardent le droit que s’octroient des citoyens ordinaires de s’opposer à des décisions prises en respectant les procédures légales.</p>
<h2>Des forces qui sont aussi des faiblesses</h2>
<p>L’activisme peine à répondre à ces attaques. Il se déploie en effet hors des institutions officielles de la représentation et se consacre à la défense d’une « cause », l’environnement, en s’interdisant de vouloir imposer un modèle de société inspiré par une théorie de transformation sociale clairement définie. Ces deux traits l’immunisent contre toute tentation dogmatique, d’autant qu’il se développe généralement sans chef, sans programme et sans stratégie.</p>
<p>C’est précisément ce qui le rend si attractif pour ceux et celles (en particulier, les jeunes générations) qui acceptent mal de devoir suivre docilement les directives émanant de sommets d’une organisation centralisée comme je le relate dans l’ouvrage <a href="https://www.puf.com/content/Politique_de_lactivisme"><em>Politique de l’activisme</em></a> (paru en 2021). Ce qui fait la force de l’activisme (l’absence de direction, le rejet de la représentation, le dégoût de la discipline, la détestation des certitudes idéologiques) est aussi ce qui le dessert. L’adhésion peut être passagère, circonstancielle, paradoxale, contradictoire ; les convictions sont plus passionnelles que réfléchies ; l’impatience ne permet pas de supporter l’adversité ; l’échec provoque la défection.</p>
<p>A quoi s’ajoute le caractère de plus en plus implacable de la répression dont il fait l’objet de la part des pouvoirs qui cherchent à dissuader, contenir ou éradiquer la critique en militarisant le maintien de l’ordre, en criminalisant la liberté d’opinion (loi sur le séparatisme, extension de la définition du terrorisme et des troubles à l’ordre public, surveillance des organisations agricoles dissidentes par la cellule DEMETER de la gendarmerie, intimidations, gardes à vue préventives…) ou en prononçant la dissolution de mouvements jugés dangereux (comme les <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">Soulèvements de la Terre</a>).</p>
<p>Ce mauvais réflexe sécuritaire reflète la peur des gouvernants face à des citoyens qui s’organisent de mieux en mieux pour contester la manière dont ils répondent aux urgences sociales et environnementales. Et tout porte à croire qu’ils ne parviendront pas à éteindre leur détermination de sitôt.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213787/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Albert Ogien ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le combat de l’activiste climatique Thomas Brail révèle les paradoxes de la désobéissance civile, dont la légitimité est trop souvent remise en question.Albert Ogien, Directeur de recherche émérite au CNRS, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103952023-08-10T21:17:05Z2023-08-10T21:17:05ZLa métaphore : une arme pour lutter contre la crise climatique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539769/original/file-20230727-19-d7bfil.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C16%2C3723%2C2134&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les métaphores peuvent simplifier le sujet à des fins pédagogiques, mais cette simplification, lorsqu’elle est produite à des fins politiques, peut aussi avoir des répercussions concrètes sur la société.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>« Les mots peuvent redéfinir le monde » affirmait l’activiste du climat Briana Fruean en novembre 2021 lors de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3HZ5xS5J9Go">COP26</a>. Et si c’était vrai ? Les questionnements scientifiques mais aussi l’éventail des actions requises afin de réduire les <a href="https://www.nature.com/articles/s41558-019-0440-x">émissions de CO₂</a> (reconnues comme étant la cause principale de ce phénomène) font de la crise climatique un sujet complexe. Pour favoriser une bonne compréhension des risques et des moyens dont nous disposons pour enrayer cette crise, les mots que nous utilisons pour parler du climat doivent être accessibles à toutes et tous.</p>
<p>Cependant, <a href="https://journals.openedition.org/asp/1793">certaines interventions politiques</a> montrent que cette communication peut aussi être biaisée et ne laisser percevoir qu’une représentation réductrice du phénomène. De tels biais peuvent alors générer un discours climatosceptique questionnant l’objectivité scientifique (argument qui peut se retrouver notamment dans les discours de <a href="https://www.nytimes.com/2016/11/19/world/asia/china-trump-climate-change.html">Donald Trump</a>, alors Président des États-Unis)</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yqgMECkW3Ak?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En juin 2017, le Président Donald Trump déclare que le changement climatique est un canular. MSNBC.</span></figcaption>
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<p>Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a établi plusieurs <a href="https://apps.ipcc.ch/eventmanager/documents/65/150320210305-INF.%2012%20-%20Review%20of%20communications%20strategy.pdf">« stratégies »</a> et <a href="https://climateoutreach.org/reports/ipcc-communications-handbook/">« principes »</a> de communication, tout comme les Nations unies qui ont publié <a href="https://unfccc.int/sites/default/files/resource/Communicating%20climate%20change_Insights%20from%20CDKNs%20experience.pdf">« un guide pratique de communication »</a>, et récemment, en France, l’Assemblée Nationale a formé <a href="https://reporterre.net/Climatoscepticisme-dans-les-medias-des-deputes-planchent-sur-une-loi">« un groupe de travail sur le traitement médiatique »</a> de l’urgence climatique.</p>
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<p>Communiquer à propos d’un phénomène aussi hétérogène que la crise climatique (sécheresse, inondations, mais aussi inégalités sociales face à la crise) peut s’avérer particulièrement difficile. A cette fin, les métaphores peuvent être un outil redoutable pour assurer une meilleure réception du discours climatique de la part du public.</p>
<p>Nous avons toutes et tous déjà entendu des expressions telles que « effet de serre » ou « empreinte carbone ». Un peu à la manière d’une comparaison, les métaphores permettent de représenter un sujet complexe (comme l’impact de la pollution carbone) en invoquant <a href="https://www.tatup.de/index.php/tatup/article/view/544">l’image d’un objet plus concret</a> (comme une empreinte de pas). Elles peuvent donc simplifier le sujet à des fins pédagogiques, mais cette simplification, lorsqu’elle est produite à des fins politiques, peut aussi avoir des répercussions concrètes sur la société.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-technologie-peut-stimuler-lagriculture-en-afrique-mais-elle-peut-aussi-menacer-la-biodiversite-comment-trouver-un-equilibre-entre-les-deux-210007">La technologie peut stimuler l'agriculture en Afrique, mais elle peut aussi menacer la biodiversité: comment trouver un équilibre entre les deux?</a>
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<h2>Ecoterrorisme et écocide : de simples métaphores ?</h2>
<p>En juin dernier, la <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">dissolution du mouvement Les Soulèvements de la Terre</a>, dans un contexte de <a href="https://theconversation.com/la-crise-democratique-peut-elle-etre-resolue-par-la-reforme-des-institutions-208248">crise démocratique</a>, a réveillé des débats concernant le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/03/gerald-darmanin-retropedale-sur-l-ecoterrorisme_6148313_3224.html">risque « d’écoterrorisme »</a>, terme fustigé par les <a href="https://www.lepoint.fr/societe/l-ecoterrorisme-est-une-insulte-autain-denonce-les-propos-de-darmanin-31-10-2022-2495855_23.php">personnalités politiques de gauche</a> qui soulignaient alors le contraste entre violences terroristes et violences observées lors des manifestations.</p>
<p>Ces débats et les décisions politiques qui en découlent ne sont que le résultat d’une surenchère d’arguments faisant intervenir de nombreuses métaphores promulguant ou contestant une représentation de la crise climatique en tant que crime climatique.</p>
<p>Tandis que la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09546553.2022.2069444">représentation du crime climatique</a> ne sous-tend en rien une interprétation métaphorique – il existe bel et bien un <a href="https://press.un.org/en/2021/sc14728.doc.htm">lien de causalité</a> %2C %20said,ground %20for %20radicalization %20and %20recruitment.) entre crise climatique et hausse de la criminalité –, les arguments qui y sont associés puisent dans l’imagerie du crime, en représentant ce « crime » climatique comme un crime plus facilement identifiable pour le public.</p>
<p>Cette imagerie peut notamment se retrouver dans les discours scientifiques décrivant des preuves <a href="https://www.nature.com/articles/382027a0">« incriminantes »</a> de la responsabilité humaine, les discours médiatiques attribuant une intention <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/infographies-intensite-duree-mortalite-on-a-compare-les-canicules-qui-ont-frappe-la-france-depuis-1947_5250382.html">« meurtrière »</a> à des évènements météorologiques, ou encore les discours des mouvements écologiques identifiant des <a href="https://fridaysforfuture.org/september25/">« prisonniers » de « l’injustice »</a> climatique.</p>
<p>L’un des exemples les plus frappants de cette représentation métaphorique du crime climatique est sans nul doute le <a href="https://extinctionrebellion.fr/actions/2019/05/12/notre-sang.html">bain de faux sang déversé</a> par les activistes d’Extinction Rebellion sur la place du Trocadéro à Paris en mai 2019, symbolisant « les morts humaines et animales, présentes et à venir, causées par la catastrophe climatique ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vMyYTlhLecY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le 12 mai 2019, des militants d’Extinction Rebellion ont déversé 300 litres de faux sang sur les marches du Trocadéro à Paris.</span></figcaption>
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<p>Le crime climatique est alors perçu sous la forme d’un bain de sang, ces activistes ayant choisi une représentation simplifiée, limitée, mais toutefois saisissante des divers impacts du réchauffement.</p>
<p><a href="https://ueaeprints.uea.ac.uk/id/eprint/84512/">Une étude linguistique</a> des métaphores argumentatives observées dans les communications publiées en anglais par l’association de protection des droits humains et de l’environnement Les Amis de La Terre a révélé une forte prévalence de l’imagerie criminelle afin de promouvoir la « justice » climatique. Cette imagerie a aussi été observée dans les <a href="https://www.routledge.com/Metaphor-and-Argumentation-in-Climate-Crisis-Discourse/Auge/p/book/9781032379791">discours produits par les mouvements écologiques</a> tels que FridaysForFuture ou les discours des activistes du climat, comme Greta Thunberg.</p>
<p>Cette argumentation métaphorique visant à définir la notion de crime climatique a fini par se matérialiser en plusieurs affaires politiques et judiciaires, notamment <a href="https://www.oxfamfrance.org/laffairedusiecle/">« l’Affaire du Siècle »</a>, à l’issue de laquelle la France a été condamnée à réparer les conséquences de son inaction climatique. On peut aussi noter la <a href="https://www.stop-ecocide.fr/les-jeunes-pour-la-loi-sur-lecocide">pétition</a> visant à faire reconnaître l’écocide. Cette notion reprend explicitement des images liées aux génocides-féminicides dans le contexte environnemental et l’accole à l’idée de « crime international ».</p>
<p>Ainsi, la mise en garde concernant un éventuel « écoterrorisme » reprend cette imagerie liée au crime climatique afin de promouvoir des contre-arguments : <a href="https://www.nationalgeographic.fr/environnement/laffaire-du-si%C3%A8cle-letat-francais-condamne-pour-inaction-climatique-ce-que-ca-change">« l’inaction climatique »</a> du gouvernement est perçue comme criminelle par les activistes tandis que la <a href="https://www.nouvelobs.com/idees/20221031.OBS65348/ecoterrorisme-un-mot-choisi-par-darmanin-pour-delegitimer-les-ecologistes-et-justifier-la-repression-a-venir.html">« radicalité écologiste »</a> des activistes est perçue comme criminelle par le gouvernement.</p>
<h2>Promouvoir un dialogue international</h2>
<p>Dans d’autres contextes, les arguments métaphoriques ne sont pas toujours associés aux controverses telles que celles présentées ci-dessus. Lors des sommets internationaux sur le climat, l’utilisation de métaphores est le plus souvent nécessaire pour soutenir les récits relatant les diverses expériences climatiques vécues par des communautés provenant des quatre coins du monde.</p>
<p>Afin de partager une représentation concrète des phénomènes climatiques (et de leurs conséquences sociales et culturelles) se déroulant parfois à plusieurs milliers de kilomètres, les locuteurs et locutrices recourent à des imageries plus parlantes pour les communautés internationales. L’activiste Ougandaise <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wgpYF9iV0tg">Hilda Flavia Nakabuye</a> s’adresse ainsi à la communauté internationale lors de la COP25 en 2020 :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis la voix des enfants mourants, des femmes déplacées, et des personnes souffrantes sous l’emprise de la crise climatique créée par les pays riches. »</p>
</blockquote>
<p>Cette allocution permet à l’activiste de se transformer, via la métaphore, en une simple « voix ». Cette métaphore insiste sur le caractère polyphonique de son récit : ce n’est pas son expérience personnelle de la crise climatique que nous devons écouter mais bien les diverses épreuves traversées par les diverses communautés directement touchées par la crise.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wgpYF9iV0tg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Discours de l’activiste Hilda Flavia Nakabuye lors de la COP25.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les populations indigènes se servent aussi des métaphores afin de partager leur propre perception de la nature et dispenser leurs savoirs afin d’aider les communautés internationales à vivre plus en harmonie avec l’écosystème :</p>
<blockquote>
<p>« Les peuples indigènes sont en première ligne de l’urgence climatique. Laissez-nous mettre fin à cette pollution de paroles creuses et laissez-nous nous battre pour notre futur et notre présent. »</p>
</blockquote>
<p>Cette déclaration est de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TP5Nbc5P0GM">Txai Suruí</a>, activiste du climat au Rondônia lors de la COP26 en 2021.</p>
<p>Ce dialogue international, enrichi par ces imageries métaphoriques, représente aussi une opportunité pour les communautés – et notamment les <a href="https://fridaysforfuture.org/newsletter/edition-no-1-what-is-mapa-and-why-should-we-pay-attention-to-it/">MAPA</a> (« Most Affected People and Areas » – « Personnes et régions les plus touchées ») – de promouvoir un partage de connaissances et de valoriser les solutions mises en place par les populations directement touchées par la crise climatique. Ces solutions incluent notamment la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=mT6HckyhPWI&t=2595s">valorisation des ressources naturelles</a> et l’accès à l’éducation pour toutes et tous.</p>
<p>En conclusion, bien que les métaphores puissent générer de fortes polarités au sein de la société, elles peuvent aussi permettre un dialogue visant à promouvoir la solidarité internationale afin de mieux maîtriser les effets de la crise climatique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210395/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anais Augé a reçu des financements du Fonds Spécial de Recherche (FSR postdoctoral fellowship)</span></em></p>Les métaphores peuvent être un outil redoutable pour assurer une meilleure réception du discours climatique par le public.Anais Augé, Docteure en linguistique, Chercheuse a l'Institut de Sciences Politiques Louvain-Europe & Institut Language et Communication, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094152023-07-23T15:13:05Z2023-07-23T15:13:05ZLes mouvements écologistes et l’État : itinéraire d’une rupture<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537002/original/file-20230712-15-qud6am.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C5419%2C3621&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants se protègent derrière des boucliers de fortune lors d'affrontements avec des gendarmes à Sainte-Soline, pendant une manifestation contre les méga-bassines, le 25 mars 2023. </span> <span class="attribution"><span class="source">Pascal Lachenaud / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Ils et elles avaient fondé leurs espoirs sur leur capacité à pousser les États à agir à la hauteur de leurs ambitions climatiques. Près de cinq ans après les marches massives pour le climat, leurs espoirs ont été balayés. Pour les militant·e·s écologistes, la <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">dissolution des Soulèvements de la Terre</a> en France et la promulgation de lois répressives en réaction aux <a href="https://www.amnesty.org.uk/blogs/campaigns-blog/public-order-bill-explained">actions de désobéissance civile au Royaume-Uni</a> marquent un tournant important.</p>
<p>De l’enthousiasme des débuts à l’expérience de leur criminalisation, comment les rapports à l’État des mouvements et des militant·e·s écologistes engagés dans la désobéissance civile ont-ils évolué ? L’observation des cas français et britannique montre des convergences.</p>
<h2>Un « retour » optimiste à l’État</h2>
<p>Les marches pour le climat et les actions de désobéissance civile <a href="https://www.theguardian.com/environment/2019/sep/21/across-the-globe-millions-join-biggest-climate-protest-ever">émergent en 2018/2019</a>, à mi-chemin entre le militantisme institutionnel transnational des ONG et la radicalité de certaines luttes locales. En déployant des actions médiatiques (<a href="https://www.bbc.com/news/uk-england-london-47935416">blocage de routes, occupation de ponts, enchaînement à des bâtiments</a>) dans les grandes capitales européennes, ces mouvements ont fait le choix de revenir explicitement à l’État.</p>
<p>Dans une tradition de désobéissance civile de <a href="https://hal.science/hal-01613874">type libérale</a>, l’objectif n’est pas de renverser le système politique mais d’inciter les gouvernements à agir pour respecter des objectifs de réduction d’émissions qu’ils se sont eux-mêmes fixés.</p>
<p>L’usage de modes d’action illégaux s’explique alors avant tout par l’incapacité de la démocratie représentative à répondre à ces demandes.</p>
<p>Elle s’inscrit également dans une critique de l’institutionnalisation des ONG. Contrairement à ces dernières <a href="https://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1999_num_17_98_2183">qui recourent à des activistes professionnels</a>, les mouvements tels <a href="https://theconversation.com/extinction-rebellion-pourquoi-je-mengage-dans-laction-non-violente-contre-le-changement-climatique-107337">Extinction Rebellion</a> optent pour une désobéissance civile de « masse » qui consiste à occuper l’espace public avec un grand nombre d’activistes, comme ce fut le cas lors des blocages de ponts organisés pendant plusieurs jours à Londres, en avril 2019. La pression sur le gouvernement est toutefois envisagée de manière essentiellement symbolique, mue par la volonté d’acquérir le soutien de l’opinion publique et de susciter une réaction policière mesurée.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Sn3XTVzSsZs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Blocage du pont de Waterloo par des militants d’Extinction Rebellion.</span></figcaption>
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<p>Cette stratégie semble avoir initialement répondu à l’enthousiasme des militant·e·s puisque le parlement britannique a voté, fin avril 2019, une <a href="https://www.bbc.com/news/uk-politics-48126677">motion déclarant « l’urgence climatique »</a>. De même, l’annonce de la <a href="https://theconversation.com/debat-la-convention-citoyenne-pour-le-climat-et-apres-141891">Convention Citoyenne pour le Climat</a> en France, si elle résulte avant tout de la crise des gilets jaunes, a été perçue comme un signe encourageant par <a href="https://theconversation.com/extinction-rebellion-a-la-clusaz-quand-la-zad-gagne-la-montagne-174358">Extinction Rebellion</a> qui achevait alors une phase d’actions à Paris et en avait fait une priorité.</p>
<h2>Les désillusions post-Covid</h2>
<p>La crise sanitaire et les mesures de confinement du printemps 2020 stoppent net la dynamique enclenchée comme le montrent les <a href="https://youtu.be/7cDCMn1a-VE?t=304">enquêtes de terrain</a> : les effectifs militants s’effondrent, de nombreux groupes locaux disparaissent faute de volontaires. Ils doivent aussi faire face au désintérêt des médias (l’effet de nouveauté s’est dissipé) ainsi qu’à l’adaptation des stratégies policières (le démantèlement des blocages est désormais facilité par la mobilisation d’équipes spécialisées). L’épisode du Covid conforte toutefois les militant·e·s dans leur conviction que les États demeurent un outil d’intervention puissant dans la société et l’économie.</p>
<p>L’enterrement des ambitions de la <a href="https://theconversation.com/comment-rendre-les-conventions-citoyennes-pour-le-climat-encore-plus-democratiques-201521">Convention Citoyenne pour le Climat</a> en France, l’absence d’avancées concrètes lors de la <a href="https://theconversation.com/que-retenir-de-la-cop26-171796">COP26 de Glasgow</a> et la succession de <a href="https://www.theguardian.com/environment/2022/oct/10/rspb-not-ruling-out-direct-action-to-defend-nature-from-government-policy">décisions néfastes à l’environnement</a> émanant des gouvernements conservateurs au Royaume-Uni douchent les espoirs d’un tournant écologiste post-Covid.</p>
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<p>Le diagnostic des militant·e·s évolue progressivement : initialement optimistes quant à leur capacité à rallier une opinion publique et des responsables politiques qu’ils jugent insuffisamment informés, ils focalisent désormais leur attention sur les intérêts économiques et les lobbys qui sous-tendent l’inaction climatique.</p>
<h2>Un changement de stratégie</h2>
<p>Dans ce contexte, les mouvements écologistes empruntent des trajectoires différentes des deux côtés de la Manche. Au Royaume-Uni, des militant·e·s d’Extinction Rebellion déçus par l’apathie de leur mouvement se fédèrent pour donner naissance à <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-58916326">Insulate Britain</a> puis à <a href="https://www.bbc.com/news/uk-63543307">Just Stop Oil</a>. Ces mouvements adoptent une même stratégie : se concentrer sur une cible (le gouvernement) et une demande (la rénovation thermique des bâtiments puis l’arrêt des licences accordées aux projets d’extraction pétroliers et gaziers). Les modes d’action employés cherchent à choquer sans se préoccuper d’avoir le soutien majoritaire de l’opinion publique : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Rewp2EXSL9k&pp=ygURanVzdCBzdG9wIG9pbCBtMjU%3D">blocage de routes</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0fKGIimgW1Q&pp=ygUaanVzdCBzdG9wIG9pbCBwb29sIHNub29rZXI%3D">interruption d’événements sportifs</a>, <a href="https://theconversation.com/scandale-s-au-musee-une-affaire-ancienne-192915">profanations symboliques</a> d’œuvres d’art…</p>
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<figcaption><span class="caption">Des militants d’Extinction Rebellion jettent de la soupe sur une toile de Van Gogh, interrogeant : l’atteinte à l’art nous scandaliserait plus que celle au vivant ?</span></figcaption>
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<p>En France, le renouveau vient surtout des <a href="https://theconversation.com/sainte-soline-un-tournant-pour-les-mouvements-ecologistes-203304">Soulèvements de la Terre</a>. Ces derniers opèrent une convergence entre le militantisme local et direct des <a href="https://theconversation.com/les-zad-et-leurs-mondes-89992">Zones à défendre</a> (ZAD) et le caractère national et épisodique des mouvements de désobéissance civile. Ces mobilisations se déploient sur des terrains différents : dans la capitale, Londres, pour Just Stop Oil ; sur le lieu des projets contestés pour les Soulèvements de la Terre. Elles ont pour dénominateur commun de cibler des points névralgiques de l’inaction climatique des États : la <a href="https://www.carbonbrief.org/renewable-energy-grows-but-uk-still-mostly-dependent-on-fossil-fuels/">dépendance aux énergies fossiles</a> dans le cas britannique, le soutien actif à des modèles d’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/24/les-megabassines-sont-le-symbole-d-un-modele-nefaste-aux-paysans-et-a-nos-territoires-l-agriculture-productiviste_6103372_3232.html">agriculture et d’aménagement productivistes</a> en France.</p>
<h2>Expérimenter la répression</h2>
<p>Depuis qu’ils ont affiné leurs cibles et leurs méthodes, les mouvements écologistes de désobéissance civile font l’objet d’une forte répression. Au Royaume-Uni, celle-ci se traduit par une restriction des libertés de manifester au travers de lois établissant des <a href="https://netpol.org/2023/05/18/explainer-the-public-order-act-2023/">seuils très stricts pour interdire un rassemblement</a> (un niveau sonore jugé trop important, par exemple, ou une perturbation, même minime, de la circulation). </p>
<p>Ce durcissement législatif <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/04/un-human-rights-chief-urges-uk-reverse-deeply-troubling-public-order-bill">pointé du doigt par les Nations unies</a> coïncide avec une multiplication des procès contre des militant·e·s. Ces derniers aboutissent à de lourdes condamnations pénales (des <a href="https://www.theguardian.com/environment/2023/apr/21/just-stop-oil-protesters-jailed-for-dartford-crossing-protest">mois voire des années de prison</a> dans les cas les plus graves) ainsi qu’à des procédures très onéreuses pour les militants (à la hauteur de plusieurs centaines, voire milliers d’euros) lorsqu’ils sont <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/jun/29/punishment-without-trial-britain-civil-injunctions-climate-activists">poursuivis par des entreprises</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1669372419885154304"}"></div></p>
<p>En France, ce tournant répressif s’est illustré récemment par des interventions policières brutales qui, depuis l’épisode de <a href="https://theconversation.com/sainte-soline-un-tournant-pour-les-mouvements-ecologistes-203304">Sainte-Soline</a> (également mentionné dans un <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2023/06/france-must-respect-and-promote-right-peaceful-protest-un-experts">avertissement des Nations unies</a>), ne se limitent plus aux ZAD. Quelques mois avant la dissolution des Soulèvements de la Terre pour « agissements violents à l’encontre des personnes et des biens », le préfet de la Vienne avait demandé de retirer les financements de la mairie de Poitiers à <a href="https://alternatiba.eu">Alternatiba</a>, une organisation de désobéissance civile. <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/vienne/poitiers/desobeissance-civile-suite-au-maintien-des-subventions-le-prefet-de-la-vienne-porte-l-affaire-devant-le-tribunal-administratif-2645188.html">En application du « contrat d’engagement républicain »</a>, la préfecture pointait le risque de trouble à l’ordre public. Ainsi, tout mouvement doit considérer qu’il est désormais dans le viseur des autorités.</p>
<p>Ce tournant répressif met à mal les <a href="https://hal.science/hal-01613874">stratégies libérales de désobéissance civile</a> fondées sur l’exercice d’une pression symbolique et le ralliement de l’opinion publique. Il encourage une approche plus offensive : agir directement pour mettre un terme aux atteintes à l’environnement, d’où la popularité du livre d’Andreas Malm, <a href="https://lafabrique.fr/comment-saboter-un-pipeline/"><em>Comment saboter un pipeline</em></a>. On ignore encore dans quelle mesure les mouvements écologistes emprunteront cette voie, mais il est clair que pour ses membres, l’action étatique représente de moins en moins un horizon de transformation réaliste et désirable. Tant que les gouvernements continueront à privilégier la répression à l’action climatique, il est fort probable que cette vision désenchantée gagne du terrain au-delà des seules militant·e·s.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209415/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucien Thabourey ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a quatre ans, Greta Thunberg était reçue à bras ouverts en Europe. Aujourd’hui, les militants écologistes sont qualifiés d’« éco-terroristes ». Comment en est-on arrivé là ?Lucien Thabourey, Sociologie du militantisme écologiste, Centre d'études européennes et de politique comparée, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096482023-07-17T19:20:27Z2023-07-17T19:20:27ZArtistas Unidos : crise de la démocratie et art contestataire au Pérou<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537106/original/file-20230712-27-2bc91m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C8%2C1192%2C824&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le groupe de théâtre Yuyachkani, Lima.</span> <span class="attribution"><span class="source">Diana Daf Collazos</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le 9 décembre 2022, le Pérou est plongé dans une profonde crise politique, sociale et économique. La violente répression policière et militaire s’est soldée, à ce jour, par 60 morts et plus de 1 600 blessés.</p>
<p>L’événement qui a déclenché les manifestations a été la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/16/perou-le-president-dechu-pedro-castillo-maintenu-en-detention-pour-dix-huit-mois_6154631_3210.html">mise en détention du président Pedro Castillo</a> – appartenant au parti de gauche « Perú Libre » – après sa tentative de « coup d’État » (il avait <a href="https://www.lalibre.be/international/amerique/2022/12/07/un-auto-coup-detat-au-perou-le-president-castillo-dissout-le-parlement-et-cree-un-gouvernement-dexception-SZTHULDOOVCEDLHK563PGA7K7M/">dissous le Parlement et mis en place un gouvernement d’exception</a>). Cet « auto-golpe » a été interprété de deux manières. Pour ses détracteurs, il s’agissait d’une mesure désespérée pour éviter la chute du gouvernement, accusé de corruption. Pour ses partisans, cette résolution était légitime, car un sabotage continu de la droite empêchait Castillo président de gouverner. </p>
<p>Ainsi, dans un premier temps, les revendications des manifestants se focalisaient sur la libération de Castillo, la destitution de l’actuelle présidente Dina Boluarte (jugée illégitime, surtout après son alliance avec la droite) et la tenue d’élections anticipées. Mais au fur et à mesure, ces réclamations se sont élargies vers un ensemble de questions d’ordre politique, économique et social, telles que la mise en place d’une Assemblée constituante et une redistribution plus équitable des richesses.</p>
<h2>Une révolte menée par des acteurs inattendus</h2>
<p>Les modalités de la mobilisation ont été multiples : marches, sit-in, blocages de routes, tentative de prise de contrôle d’endroits stratégiques comme les aéroports, attaques de monuments publics. Ces actions ont été caractérisées par une grande hétérogénéité de participants. Comme le souligne <a href="https://www.facebook.com/watch/live/?ref=watch_permalink&v=484404657099985">l’historienne Cecilia Méndez</a>, après des décennies de dépolitisation et de démobilisation, observées notamment sous la dictature d’Alberto Fujimori (1990-2000), on a assisté à la prise de parole dans l’espace public d’« acteurs inattendus ». </p>
<p>L’anthropologue Rodrigo Montoya avance qu’il s’agit de la <a href="https://theconversation.com/mine-par-les-inegalites-et-la-corruption-le-perou-enlise-dans-une-crise-profonde-204986">première révolte ouvertement politique des milieux populaires de la province</a>, qui se sentaient représentés par Castillo, militant syndicaliste et instituteur issu d’une famille modeste des Andes septentrionales. </p>
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<p>Néanmoins, les groupes qui ont participé aux manifestations, dont un moment décisif a été la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/20/au-perou-la-prise-de-lima-par-les-protestataires_6158630_3210.html">« prise de Lima » du 19 janvier 2023</a>, ne sont pas seulement composés de membres des communautés paysannes, mais également de commerçants, d’étudiants et de personnalités publiques.</p>
<h2>L’art comme vecteur d’engagement politique</h2>
<p>Dans ce cadre, et compte tenu de l’importance des réseaux sociaux dans la mobilisation, le rôle joué par les travailleurs de l’art et de la culture met en évidence de nouvelles façons d’investir le champ politique et d’articuler un dialogue intergénérationnel et interculturel à partir des régions de la province. </p>
<p>L’action des artistes lors des moments de crise n’est pas nouvelle. Pendant la dictature de Fujimori, elle avait pu canaliser un discours contestataire réprimé ailleurs. Pourtant, les mobilisations actuelles montrent une ampleur et des modalités d’expression inédites. </p>
<p>Face à un débat politique appauvri et à une crise profonde des partis politiques, ces dispositifs artistiques peuvent-ils favoriser et renforcer la construction d’un nouveau sujet national ? Sont-ils capables d’apporter un changement durable pour et avec une société civile extrêmement fragmentée, voire polarisée ? Car il existe aujourd’hui une diversité d’expérimentations artistiques qui dénoncent les pratiques autoritaires et le racisme structurel, tout en interrogeant la crise de représentation démocratique.</p>
<h2>Naissance du collectif Artistas Unidos</h2>
<p>C’est dans ce contexte de mobilisation et de répression qu’est né le collectif « Artistas Unidos contra la Dictadura ». De manière progressive, à partir de l’action coordonnée d’artistes installés surtout dans les régions de province, ce collectif s’est constitué avec le double objectif de sensibiliser la société civile et de se positionner en tant que corporation sur une scène nationale fragmentée.</p>
<p>Une trentaine d’artistes âgés de 20 à 50 ans en constitue le noyau central, à même de mobiliser une centaine de personnes dans chaque région impliquée (16 sur 25). Par diverses pratiques artistiques, de la performance au graphisme, ce collectif a mis en œuvre des formes créatives de détournement des usages ordinaires de l’espace public, imbriquant dimensions esthétique et militante.</p>
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<span class="caption">Manifestation du 13 janvier 2022 à Lima, groupe de théâtre Yuyachkani.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Miguel Rubio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Après une réponse immédiate à la crise déployée par le hashtag #ArtistasUnidosContraLaDictadura, l’action s’est structurée à travers la publication de plusieurs « convocatorias », c’est-à-dire des appels à la création dictés par une thématique commune. La première convocatoria, au mois de décembre 2023, dans le contexte des premières morts de la répression étatique, a donné lieu à l’œuvre « El anti-memorial », un recensement des données des personnes qui ont perdu la vie lors des manifestations. Compte tenu du silence des principaux médias et du <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/02/peru-lethal-state-repression-is-yet-another-example-of-contempt-for-the-indigenous-and-campesino-population/">racisme systémique</a> qui caractérise historiquement le pays, il s’agissait en priorité de visibiliser les victimes et de rappeler leurs noms, au-delà des chiffres. </p>
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<span class="caption">Code QR, imprimé sous forme d’autocollant, donnant accès à l’œuvre « El anti-memorial ».</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La deuxième convocatoria, réalisée pour la manifestation du 24 janvier 2023, s’est inspirée d’une œuvre de Carlos Sánchez Nina, nommée « Pérou cassé » (« Perú roto »). À l’aide de pochoirs et de bombes rouges, les artistes ont peint la carte du Pérou sur la voie publique. Les fractures présentes dans le béton ont été exploitées comme métaphore des blessures qui traversent la géographie du pays. </p>
<p>Cette action improvisée pendant la déambulation a eu le mérite de dynamiser les interactions entre manifestants. </p>
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<span class="caption">Affiche de Peru Roto, l’œuvre de Carlos Sanchez Nina.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>D’une part, ces derniers, interpellés par ces interventions, posaient des questions aux artistes et participaient ainsi, de manière active, à la coproduction de sens ; de l’autre, « cela permettait [aux artistes, dans une démarche réflexive] de s’écouter » (entretien avec Nereida Apaza Mamani, 2023).</p>
<h2>Le détournement de symboles traditionnels</h2>
<p>La plupart du temps, les œuvres ne portent pas de signature et sont facilement reproductibles ou transportables. C’est par exemple le cas de la <a href="https://www.tiktok.com/@elgalponespacio/video/7196347982067862789">convocatoria dédiée aux retables</a>. Ces petits autels triptyques en bois, représentant des événements religieux, historiques et quotidiens des habitants des Andes, sont originaires de la région d’Ayacucho, la plus touchée par le <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/40313">conflit armé</a> qui a opposé, par le passé, les forces gouvernementales à la guérilla du Sentier lumineux (1980-2000). L’emploi du <a href="https://www.tiktok.com/@elgalponespacio/video/7196347982067862789">retablo</a>, ici en carton et porté tout au long de la marche, vient réinscrire la violence vécue aujourd’hui dans une plus longue histoire meurtrière.</p>
<p>Ainsi, les artistes ont mis en œuvre un répertoire de symboles facilement reconnaissables mais reformulés dans un but à la fois émancipateur et thérapeutique. L’artiste Augusto Carrasco souligne la difficulté de travailler avec ces symboles délicats, notamment vis-à-vis des accusations de terrorisme de la part du gouvernement. Non seulement cela stigmatise et délégitime la protestation, mais cela sert aussi de justification à l’emploi de la violence dans la répression. Chargé de la ligne graphique du collectif, Carrasco a réalisé une représentation anthropomorphe de femmes aux visages d’oiseau portant une fleur de genêt dans les mains.</p>
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<span class="caption">Femme avec une fleur de genêt dans ses mains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Diana Daf Collazos</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Il a choisi des mamachas, femmes âgées de la sierra, des citoyennes qu’il décrit comme vulnérables, soit invisibilisées, soit méprisées. « Mais je ne voulais pas les montrer comme on a l’habitude de faire, c’est-à-dire en termes d’une hiérarchie inférieure de pouvoir, comme des victimes avec un visage triste et affligé. Alors, comment résoudre tout ça ? En les transformant, avec un collage, en y apposant une tête d’oiseau […] pour leur regard défiant et les yeux grands ouverts » (entretien avec Carrasco, 2023). La compagnie théâtrale Yuyachkani a ensuite donné vie à ces personnages à travers des performances dans les rues de la capitale, preuve de la densité des échanges et des emprunts entre les différentes scènes artistiques. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Poster d’une convocatoria réalisé par Augusto Carrasco.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Toutes les interventions artistiques ont été couplées avec un registre photographique, une véritable archive ouverte qui a pour ambition de nourrir la mémoire collective des événements. Dans un contexte où la presse accorde son soutien implicite au gouvernement de Dina Boluarte, les portables et les réseaux sociaux ont permis de diffuser la protestation, constituant – comme ailleurs – une arme puissante de politisation. L’artiste Nereida Apaza Mamani souligne le potentiel fédérateur de ces actions sur un tissu social et professionnel déconnecté et inégalitaire. Ces artistes manifestent le besoin de raviver le secteur de la culture, de plus en plus négligé depuis la crise sanitaire. Ils souhaitent également aller au-delà des espaces formels que sont les galeries, considérées comme trop élitistes et stériles.</p>
<p>L’action contestataire apparaît ainsi comme un travail de signification, auquel l’art est appelé à contribuer de manière décisive, en faisant émerger de nouveaux modèles de représentativité et s’inscrivant à l’encontre d’un sentiment de négation constante de l’agentivité des acteurs aux marges de la société. Dans le quatrième pays le plus inégalitaire au monde, sans espace de médiation sociale, ces réseaux de travailleurs et des travailleuses du secteur culturel et artistique peuvent impulser des mouvements de citoyenneté, à la fois nationaux et décentralisés, tout en contribuant au processus de réparation de la mémoire post-conflit.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mine-par-les-inegalites-et-la-corruption-le-perou-enlise-dans-une-crise-profonde-204986">Miné par les inégalités et la corruption, le Pérou enlisé dans une crise profonde</a>
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<p>Dans la <a href="https://www.facebook.com/100000512755184/videos/735203677814111/">performance de Miguel Matute</a>, une céramique précolombienne, incarnation de la péruanité, est appuyée sur la terre rocheuse des Andes de Cajamarca, dans une position qui paraît précaire et fragile. Un tir de fusil la fait soudain éclater en morceaux. Le résultat est touchant : effroi, désarroi et une sensation d’impuissance. L’artiste recolle les morceaux… Un travail de reconstruction, bien plus complexe encore, attend les politiciens et la société civile. </p>
<p>Si les protestations et les rassemblements ont fini par se tarir au début du printemps, ces groupes organisés ont néanmoins engendré des espaces singuliers de contestation et cherché à recoudre, par les marges, un tissu social fragmenté. Face à la crise démocratique et aux dérives autoritaires qui traversent actuellement plusieurs pays du monde, l’investissement artistique apparaît comme une modalité de participation politique alternative pour contourner plus discrètement la répression déployée contre les opposants politiques. </p>
<p>Les quelques performances que nous avons décrites transforment les rues en espaces représentatifs, et agissent comme de nouveaux rituels sécularisés œuvrant à la fondation d’un nouveau pacte social. Mais leur pouvoir réside moins dans la performance elle-même que dans leurs capacités d’articulation à d’autres stratégies de mobilisations et aux alliances qu’elle permettra avec d’autres collectifs de critique sociale. </p>
<hr>
<p><em>Cet article a été publié en collaboration avec <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/20649">le blog de la revue_ Terrain</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209648/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emanuela Canghiari ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au Pérou, le collectif Artistas Unidos dénonce les violentes répressions des mobilisations critiquant la présidente Dina Boluarte et la marginalisation des peuples des Andes.Emanuela Canghiari, Anthropologue, chargée de recherche au Fonds belge de la Recherche Scientifique, Chargée de cours à l'université de Strasbourg et de Neuchâtel, membre de l'institut français d'études andines (IFEA) et de l'institut de sciences politiques (ISPOLE), Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2075012023-06-14T16:40:48Z2023-06-14T16:40:48ZLyon-Turin : retour sur l’opposition française au projet de nouvelle ligne ferroviaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/531747/original/file-20230613-25-juejmq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C11%2C3843%2C2573&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le 9 juin 2012, une centaine de personnes défilaient, à l'initiative du collectif No TAV Savoie, dans les rues du centre-ville de Chambéry contre le projet de nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. En ce début juin 2023, plus d’un millier de militants écologistes sont attendus en Maurienne.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Leila Shahshahani / Labex ITTEM</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>En Savoie, des militants écologistes des Soulèvements de la Terre se sont introduits le 29 mai 2023 sur l’un des chantiers de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/savoie/lyon-turin-des-militants-ecologistes-s-infiltrent-sur-un-chantier-securise-une-operation-coup-de-poing-contre-la-ligne-ferroviaire-2784558.html">la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin</a>. Une banderole « La montagne se soulève » a été déployée pour appeler au week-end de mobilisation franco-italienne contre ce projet, organisé les 17 et 18 juin 2023 en Maurienne.</p>
<p>Imaginé dans les années 1980, le projet de nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin a connu depuis de nombreux atermoiements, notamment en ce qui concerne le tracé entre l’agglomération lyonnaise et Saint-Jean-de-Maurienne. Dix ans après la déclaration d’utilité publique (DUP) de 2013, les décisions concernant les 140 km de nouvelles voies d’accès français au tunnel transfrontalier de 57,5 km n’ont toujours pas été prises : <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/savoie/tunnel-lyon-turin-les-travaux-avancent-mais-les-voies-d-acces-se-font-toujours-attendre-cote-francais-2695886.html">ni programmation, ni financement, ni acquisition foncière</a>. </p>
<p>Les premiers travaux préparatoires du tunnel ont pourtant débuté dès 2002 et sa mise en service est prévue pour 2032. Ce dernier est pris en charge par un consortium d’entreprises franco-italiennes nommé Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT), un promoteur public appartenant à 50 % à l’État français et à 50 % aux chemins de fer italiens. D’une longueur totale de 271 km, le coût de cette nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin est désormais estimé à <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/lyon-turin-le-tunnel-qui-valait-26-milliards-6908313">26 milliards d’euros au lieu des 8,6 initialement prévus</a>.</p>
<h2>Projet clivant et avenir incertain</h2>
<p>Pour ses promoteurs, elle est présentée comme une infrastructure de transport utile à la transition écologique. Selon eux, elle permettrait à terme de désengorger les vallées alpines du trafic des poids lourds en favorisant le report modal de la route vers le rail. À l’inverse, ce projet est exposé par ses opposants comme pharaonique, inutile et destructeur de l’environnement. Ils argumentent que la ligne ferroviaire existante entre Lyon et Turin et actuellement sous-utilisée permettrait, une fois rénovée, de réduire le transport de fret par camion. </p>
<p>Ils défendent la nécessité de privilégier l’existant et ne pas attendre des années pour le report modal des marchandises vers le rail. Les défenseurs du nouveau projet jugent quant à eux la ligne existante comme obsolète et inadaptée. En toile de fond de ce débat, les prévisions de trafic autour des flux de marchandises transitant par la Savoie : <a href="https://www.montagnes-magazine.com/actus-nouvelle-liaison-lyon-turin-faut-il-effacer-les-alpes">sous-estimés pour les uns, sur-estimés pour les autres</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531429/original/file-20230612-91984-40bq5z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531429/original/file-20230612-91984-40bq5z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531429/original/file-20230612-91984-40bq5z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531429/original/file-20230612-91984-40bq5z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531429/original/file-20230612-91984-40bq5z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531429/original/file-20230612-91984-40bq5z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531429/original/file-20230612-91984-40bq5z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Saint-Julien-Montdenis, sur l’un des chantiers du tunnel transfrontalier, un responsable de la communication de TELT – Davide Fuschi – explique à des étudiants de l’Université Grenoble Alpes les enjeux du projet pour la Maurienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mikaël Chambru/Labex ITTEM</span></span>
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<p>Le 24 février dernier, le rapport du Comité d’orientation des infrastructures (COI) a rebattu les cartes. Il propose en effet de repousser la construction de nouvelles voies d’accès au tunnel transfrontalier à 2045 et <a href="https://www.lyoncapitale.fr/actualite/lyon-turin-elisabeth-borne-rebat-les-cartes-sur-les-voies-dacces-au-tunnel">donner la première place à la modernisation de la ligne existante</a>. </p>
<p>Le scénario choisi par la Première ministre prévoit alors le calendrier suivant : études pour de nouveaux accès au tunnel au quinquennat 2028-2032, début de réalisation à partir de 2038, et une livraison au plus tôt vers 2045… soit, en cas de respect du calendrier annoncé par TELT, 13 ans après la mise en service du tunnel. Se profile donc la perspective d’un nouveau tunnel sans nouvelles voies d’accès : un scénario qui ne satisfait ni les défenseurs ni les opposants au projet.</p>
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<p>Le 12 juin, <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/tunnel-lyon-turin-la-france-ajoute-3-milliards-deuros-sur-la-table-1951411">nouveau rebondissement</a>. Le ministre des Transports annonce 3 milliards d’euros de crédits pour les voies d’accès du tunnel transfrontalier dès les projets de loi de finances 2023 et 2024. Le gouvernement valide également le financement de l’avant-projet détaillé qui doit fixer le tracé, soit environ 150 millions d’euros. </p>
<h2>L’affirmation d’une opposition française</h2>
<p>C’est dans ce contexte que va se dérouler la mobilisation des Soulèvements de la Terre, les 17 et 18 juin 2023. Elle a pour objectif de donner un écho national aux revendications portées par les opposants : l’arrêt immédiat du chantier du tunnel transfrontalier et l’abandon du projet de nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. </p>
<p>Outre les collectifs d’habitants, cette opposition coalise désormais des syndicats agricoles (Confédération paysanne) et ferroviaires (Sud Rail), des associations locales (Vivre et agir en Maurienne, Grésivaudan nord environnement) et écologistes (Attac, Extinction Rébellion, Les Amis de la Terre, Alternatiba, Cipra), des organisations politiques (La France Insoumise – LFI, Europe Ecologie Les Verts – EELV, Nouveau parti anticaptialiste – NPA) et le collectif No TAV Savoie. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531460/original/file-20230612-23-cowokj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531460/original/file-20230612-23-cowokj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531460/original/file-20230612-23-cowokj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531460/original/file-20230612-23-cowokj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531460/original/file-20230612-23-cowokj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531460/original/file-20230612-23-cowokj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531460/original/file-20230612-23-cowokj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Barberaz, dans l’agglomération de Chambéry, plus de 200 personnes ont participé le 24 septembre 2022 à une réunion publique organisée par les opposants au projet.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mikaël Chambru/Labex ITTEM</span></span>
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<p>Cela n’a pas toujours été le cas : le projet est longtemps apparu consensuel en France, malgré une forte opposition en Italie depuis le début des années 1990 via le <a href="https://journals.openedition.org/vertigo/16469">mouvement No TAV</a>. </p>
<p>2012 marque une étape importante dans l’opposition française <a href="https://journals.openedition.org/rga/3213">alors disparate et peu médiatisée</a>. Une enquête publique organisée cette année-là dans le cadre de la procédure de DUP permet une résurgence des oppositions, leurs affirmations et leur coalition au sein d’un nouvel agencement organisationnel. Ce dernier gagne rapidement en efficacité, occupe le champ médiatique et se connecte avec d’autres contestations en France en rejoignant le réseau des <a href="https://theconversation.com/les-grands-projets-inutiles-et-imposes-nouveaux-champs-de-laction-politique-96142">Grands projets inutiles et imposés</a> (GP2I), <a href="https://theconversation.com/les-zad-et-leurs-mondes-89992">dans le sillage de Notre-Dame-des-Lande</a>s. </p>
<h2>Basculement des ex-promoteurs du projet</h2>
<p>Cette publicisation nouvelle participe à une reproblématisation et politisation autour de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. Des défenseurs du projet basculent alors dans le camp des opposants, provoquant un élargissement de la mobilisation. </p>
<p>EELV, pendant 20 ans favorable au projet, est un exemple saillant de cette évolution. Alors qu’il le <a href="https://www.lemoniteur.fr/article/les-verts-francais-sont-attaches-au-projet-lyon-turin.721204">jugeait incontournable et sans alternative</a>, quand bien même la contestation gagnait en intensité en Italie, la « Convention des écologistes sur les traversées alpines » en 2012 signe son changement de positionnement. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531422/original/file-20230612-216719-sfv6qg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531422/original/file-20230612-216719-sfv6qg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531422/original/file-20230612-216719-sfv6qg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531422/original/file-20230612-216719-sfv6qg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531422/original/file-20230612-216719-sfv6qg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531422/original/file-20230612-216719-sfv6qg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531422/original/file-20230612-216719-sfv6qg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Villarodin-Bourget, où le chantier du chantier du Lyon-Turin a commencé depuis 2002, le maire – Gilles Margueron – dénonce les nuisances d’un projet sans fin. C’est aujourd’hui la seule commune en Maurienne à afficher explicitement son opposition.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mikaël Chambru/Labex ITTEM</span></span>
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<p>Ce nouveau positionnement peut se résumer ainsi : la réduction du transport routier ne dépend pas de la création de nouvelles infrastructures ferroviaires mais de la transition vers un modèle de développement moins générateur de flux de marchandises, la rénovation et l’amélioration des infrastructures ferroviaires existantes étant prioritaires pour gérer les flux restants. </p>
<p>Une position aujourd’hui défendue par les <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/lyon-turin-nouveaux-maires-verts-grenoble-lyon-donnent-ailes-aux-opposants-italiens-ligne-tgv-1849322.html">maires de Grenoble et de Lyon</a>, mais aussi par des <a href="https://reporterre.net/Des-dizaines-d-elus-exigent-l-arret-du-projet-Lyon-Turin">députés européens et nationaux EEV et LFI</a>. Pour autant, la mobilisation française reste jusqu’à aujourd’hui éloignée des répertoires d’action <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/no-tav-la-zad-a-l-italienne-8209930">employés dans la vallée de Suse</a>.</p>
<h2>Effacement de la montagne</h2>
<p>Ce projet de nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin révèle aussi et avant tout <a href="https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=hda-001%3A2016%3A21%3A%3A293">une lecture ancienne du territoire européen à travers les enjeux de mobilité</a>. Au même titre que les percements des tunnels ferroviaires, routiers puis autoroutiers depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle à travers les Alpes, il contribue à une forme d’aplanissement de la montagne pour en rendre les passages plus aisés et ainsi permettre des flux massifs et rapides. </p>
<p>Cette norme de circulation des humains et des marchandises est révélatrice d’une vision du monde particulière. L’historienne <a href="https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=hda-001%3A2016%3A21%3A%3A293">Anne-Marie Granet-Abisset</a> la résume ainsi : </p>
<blockquote>
<p>« Elle correspond aux modèles édictés par les aménageurs (politiques et techniques) qui travaillent dans les capitales européennes, désirant imposer leur vision aux territoires qu’ils gèrent, en dépit des sommes considérables mobilisées pour ce faire. Toute opposition ne peut être entendue, présentée alors comme de la désinformation ou de la mauvaise foi .»</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531459/original/file-20230612-222292-nbbw3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531459/original/file-20230612-222292-nbbw3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531459/original/file-20230612-222292-nbbw3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531459/original/file-20230612-222292-nbbw3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531459/original/file-20230612-222292-nbbw3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531459/original/file-20230612-222292-nbbw3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531459/original/file-20230612-222292-nbbw3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Quarante-huit heures avant la mobilisation des Soulèvements de la Terre, une manifestation des promoteurs du projet aura eu lieu devant la gare de Saint-Jean-de-Maurienne pour indiquer aux militants écologistes qu’ils ne sont pas les bienvenus.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mikaël Chambru/Labex ITTEM</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces enjeux informationnels et communicationnels demeurent omniprésents dans le débat public entre promoteurs et opposants au projet. Ils donnent lieu à de nombreuses passes d’armes, chacun s’accusant mutuellement de désinformation ; sans oublier les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BV0Zt-Ip-0k">journalistes et leur travail d’enquête</a>.</p>
<h2>Ressource en eau</h2>
<p>Depuis l’été 2022, c’est la question de la ressource en eau et des impacts du chantier du tunnel transfrontalier sur celle-ci <a href="https://reporterre.net/Les-tunnels-du-Lyon-Turin-une-catastrophe-pour-les-sources-d-eau">qui cristallise les tensions</a>. Elle sera d’ailleurs au cœur de la mobilisation des 17 et 18 juin 2023 en Maurienne, permettant ainsi une articulation avec les autres mobilisations impulsées ces derniers mois par les Soulèvements de la Terre. Une controverse sur le tarissement des sources qui existe depuis vingt ans en Maurienne.</p>
<p>Plus largement, le débat sur l’utilité et la pertinence de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin révèle le paradoxe auquel sont soumises les hautes vallées alpines. Dans un contexte d’injonction à la transition écologique, ce paradoxe fait figure d’une contrainte double et opposée <a href="https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=hda-001%3A2016%3A21%3A%3A293">comme le résume l’historienne Anne-Marie Granet-Abisset</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Des territoires qui doivent être traversés aisément et rapidement en fonction des critères de l’économie des transports, un lobby puissant à l’échelle européenne ; des territoires qui puissent apparaître comme préservés, inscrits dans une autre conception du temps, celle de la lenteur des cols et des refuges, en même temps qu’ils doivent être facilement accessibles à partir des métropoles .»</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/207501/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mikaël Chambru est co-coordinateur scientifique du Laboratoire d’excellence Innovations et transitions territoriales en montagne (ITTEM).
</span></em></p>Une vaste mobilisation franco-italienne est prévue en Maurienne ce weekend du 17 et 18 juin 2023 contre le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin.Mikaël Chambru, Maître de conférences en sciences sociales, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2053602023-05-24T17:31:25Z2023-05-24T17:31:25ZRéforme des retraites : le recours au « distanciel » peut-il freiner les mobilisations étudiantes ?<p>Dès janvier 2023, le <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-la-jeunesse-point-de-bascule-de-la-mobilisation-198524">niveau de mobilisation des jeunes scolarisés contre la réforme des retraites soulevait des questions</a>, tandis que le débat autour de la grève des étudiants prenait une tournure inattendue.</p>
<p>Et si les dernières avancées technologiques avaient rendu caduque ce qui était, pourtant, au centre de leur <a href="http://www.germe-inform.fr/wp-content/uploads/2016/03/le-repertoire-daction-collective-%C3%A9tudiant-Morder-CDG-special-4-2003.pdf">répertoire d’action collective</a> depuis les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/68_une_histoire_collective_1962_1981-9782348036040">« années 68 »</a> ?</p>
<h2>Les « piquets », « centre de gravité » étudiant</h2>
<p>Historiquement, une minorité active étudiante, légitimée par un vote à main levée en <a href="https://www.cairn.info/revue-participations-2014-3-page-61.htm">Assemblée Générale (AG)</a>, dissuade les non-grévistes d’aller en cours par des « débrayages » d’amphis et salles de TD, puis par la tenue de « piquets » aux entrées des bâtiments éducatifs. Par le « blocage » de leur université, les étudiants s’inspirent des <a href="https://www.pur-editions.fr/product/2165/l-insubordination-ouvriere-dans-les-annees-68">luttes ouvrières avec occupation d’usine</a> en empêchant physiquement la « minorité enseignante » d’accomplir sa mission de service public.</p>
<p>Construits à l’aide de moyens de fortune (tables, chaises, poubelles), ces piquets matérialisent l’exception politique, spatiale et temporelle de la grève étudiante par rapport à l’organisation normale de l’Université. Si le blocage cristallise les tensions entre usagers, il convient de distinguer la majorité attentiste d’une autre minorité plus virulente, les « anti-bloqueurs », parfois organisés par les <a href="https://www.facebook.com/UNIladroitedansleducation/photos/a.10150809544009397/10156123883899397/?paipv=0eav=AfYp0pZB7Br6KDyQfJ8Q_rYkj6AXKcAFYGHC5u_m5IAEHj4OlZq5pgzo7C-E8fCSQCc&_rdr">droites libérales</a> ou <a href="https://lepoing.net/le-rassemblement-anti-blocage-de-la-faculte-des-sciences-rejoint-par-generation-identitaire-et-la-ligue-du-midi/">nationalistes</a>.</p>
<p>Les piquets de grève sont pensés comme des moyens de libérer les étudiants de leurs contraintes (assiduité obligatoire aux TD pour les étudiants boursiers, travail personnel…) afin de leur permettre de s’investir pleinement dans une lutte collective chronophage. Pour leurs partisans, si les enseignements sont maintenus, les étudiants continuent d’étudier, et il ne se passe rien, ou si peu.</p>
<p>En suspendant de façon unilatérale et coercitive la normalité universitaire pour les besoins d’une cause, les grévistes posent ainsi un acte d’émancipation en se soustrayant à la tutelle de ceux qui, en position d’autorité, délivrent habituellement les cours. Les enseignants ne peuvent que constater que l’université s’organise désormais autrement et sans eux : les étudiants « bloqueurs » s’instituent les nouveaux « maîtres des lieux ». En réaction, certains professeurs s’allient avec des « anti-bloqueurs », tout en s’échinant à faire <a href="https://editionscnt-rp.cnt-f.org/?loin-des-censier-battus,13">cours clandestinement à l’aire libre ou dans des cafés</a>.</p>
<p>Du moins, jusqu’à la mobilisation de cette année, où les blocages (dont certains inédits, comme dans bastions historiques des droites étudiantes, tels <a href="https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/greve-du-23-mars-blocage-historique-d-assas-la-fac-la-plus-conservatrice-de-france_58337617.html">Assas</a>, <a href="https://twitter.com/RevPermanente/status/1640249733829521408">Paris Dauphine</a>, <a href="https://twitter.com/UNEF/status/1640644487750844418/photo/1">Lyon 3</a>) ont été fréquemment contournés par un nouveau dispositif : l’enseignement en ligne (« distanciel ») susceptible d’assurer la continuité pédagogique, coûte que coûte, dans un contexte où l’accès aux locaux est entravé.</p>
<h2>Grèves, AG et blocages universitaires en 2023</h2>
<p>Si les nouvelles technologies ont constitué une <a href="https://www.cairn.info/revue-ecorev-2020-1-page-144.htm?contenu=plan">formidable opportunité pour les mouvements sociaux et leurs acteurs</a>, le digital pourrait devenir à très court terme le fossoyeur de la pièce maîtresse du répertoire d’action collective étudiant pendant des décennies.</p>
<p>Dans le cadre de cette mobilisation contre la réforme des retraites, des AG ont été organisées dans la quasi-totalité des universités, notamment en prévision des journées de grèves et de manifestations. Par rapport à des luttes étudiantes passées, elles se sont caractérisées par un nombre relativement réduit de personnes présentes : quelques centaines, parfois moins (y compris après le recours au 49.3).</p>
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<p>Seules de rares universités de sciences humaines et sociales, parmi lesquelles <a href="https://www.revolutionpermanente.fr/A-Tolbiac-1000-etudiants-reunis-en-AG-votent-pour-l-instauration-du-10-ameliorable-aux-partiels">Paris 1 Tolbiac</a> et <a href="https://www.revolutionpermanente.fr/Salaires-bourses-fin-de-la-selection-1000-etudiants-en-AG-a-Montpellier-adoptent-un-programme-de">Montpellier</a>, sont parvenues à atteindre un seuil critique, avec un millier de participants.</p>
<p>En dépit de cette faible représentativité, des propositions de blocage ont été régulièrement adoptées. Quelques dizaines de contestataires tout juste, sauf exception, se sont réunis à l’aube devant les principaux bâtiments des campus, soutenus par des syndicats et collectifs (l’UNEF, Union étudiante, Solidaires étudiant-e-s, Le Poing Levé…). Malgré des incidents isolés (telle <a href="https://academia.hypotheses.org/46761">l’agression, fin mars, perpétrée par un collectif néofasciste au nom évocateur de « Waffen Assas »</a>), ces piquets ont ressemblé en général davantage à des <a href="https://www.leprogres.fr/education/2023/02/22/comment-une-trentaine-d-etudiants-bloque-l-acces-a-l-universite-lyon-2">« bouclages » de sites à la suite d’un « raid » matinal</a>, qu’à des actions vivantes et prolongées, comme c’était le cas lors des grèves étudiantes antérieures.</p>
<p>À des degrés différents, la présence humaine était forte, favorisant les discussions (parfois musclées) au sein de la communauté universitaire et permettant le foisonnement d’activités vouées à se réapproprier les locaux, comme l’organisation de commissions et d’ateliers : un net contraste avec l’image des « facs mortes » de 2023…</p>
<h2>Le « meilleur des mondes » du distanciel</h2>
<p>C’est dans le prolongement de la période du Covid où, du fait de la « distanciation sociale », <a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2021-4-page-81.htm?contenu=plan">l’enseignement en ligne a été systématisé pendant plus d’une année</a>, que des instances universitaires (Paris 1, Lyon 2, Nantes, Sciences Po Lille…) ont décidé de recourir au distanciel pour mieux contourner les blocages et assurer ainsi le maintien des cours.</p>
<p>Les étudiants n’ont même pas eu à se déplacer. Alertés par mail, ils ont patienté devant leur écran, en attendant le « début de la réunion ». Les blocages des universités, quant à eux, aussi <a href="https://twitter.com/unionetudiante_/status/1635945275767267329">impressionnants visuellement</a> que médiatisés via les <a href="https://twitter.com/unionetudiante_/status/1638826708391305216/photo/1">réseaux sociaux</a>, sont apparus <em>de facto</em> purement symboliques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1635945275767267329"}"></div></p>
<p>Avec ce détour par le virtuel, les images du mouvement « anti-LRU » (Loi sur la Responsabilité des Universités) de 2007, des <a href="https://www.dailymotion.com/playlist/x7sbn">hourras « allez les bleus » chantés par des « anti-bloqueurs » aux CRS démantelant un piquet à l’entrée du bâtiment de Droit de Nanterre</a> à l’injonction faite par le <a href="https://www.dailymotion.com/video/x3ltij">Président de Rennes 2, Marc Gontard, de libérer les locaux par tout moyen</a> semblent appartenir à une époque définitivement révolue.</p>
<h2>Des enseignants indignés</h2>
<p>Outre la dénonciation par les syndicats étudiants de gauche, une réaction « anti-distanciel » par une partie du personnel enseignant a vu le jour. <a href="https://www.revolutionpermanente.fr/Tribune-Laissons-les-universites-se-mobiliser-contre-la-reforme-des-retraites">Des tribunes ont été publiées</a> et des motions présentées lors de sessions de Conseils d’Administration comme au Mans ou à <a href="https://www.aefinfo.fr/depeche/688889-retraites-le-ca-de-l-universite-clermont-auvergne-vote-l-interdiction-du-basculement-en-distanciel-les-jours-de-greve">Clermont Auvergne</a>.</p>
<p>Selon ces argumentaires, l’enseignement par écrans interposés serait délétère sur le plan pédagogique : il avait été perçu pendant la période Covid par de nombreux étudiants comme un <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-educatives-2022-1-page-175.htm?contenu=article">« enseignement dégradé »</a>. Du point de vue juridique, il devrait être réservé à des périodes exceptionnelles, comme une crise sanitaire mais pas un mouvement social, tandis que du point de vue sociologique il renforcerait les <a href="https://academic.oup.com/jeea/article/19/4/2322/6067382?login=false">inégalités entre enseignés</a>.</p>
<p>À Lyon 2, des professeures, principalement des contractuelles soutenues par quelques titulaires, ont ainsi refusé de dispenser les cours en distanciel. De son côté, l’ANCMSP (Association nationale des candidats aux métiers de la science politique) a invité au boycott du « distanciel anti-blocage » : un appel qui a été peu suivi, tant cette méthode s’est banalisée.</p>
<h2>Une rupture historique</h2>
<p>À l’heure de l’enseignement en ligne, le blocage peut-il toujours être présenté comme la condition <em>sine qua non</em> de la mobilisation du plus grand nombre parmi la majorité enseignée ? <a href="https://www.cairn.info/revue-historique-2021-1-page-93.htm">Des luttes étudiantes locales retentissantes</a> ou des mouvements étudiants de grande ampleur comme ceux contre le <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2017-2-page-115.htm">projet de loi Devaquet (1986)</a> ou le <a href="https://www.syllepse.net/2006-une-victoire-etudiante--_r_77_i_815.html">CPE (2006)</a> sont-ils encore possibles aujourd’hui ?</p>
<p>Si nombreux sont ceux qui, à l’Université, se réjouissent de cette rupture historique, puisque les blocages ont été considérablement dépossédés de leur « capacité de nuisance », pour d’autres la vigilance est de mise autour de l’usage opportuniste d’un outil devenu une modalité pédagogique comme une autre, le distanciel.</p>
<p>Confrontés au « meilleur des mondes » de l’Internet et de l’Université post-Covid, les syndicats et jeunes protestataires devront désormais tenir compte de ces nouvelles contraintes technologiques, inimaginables il y a quelques années. Qu’adviendra-t-il alors de cette modalité d’action, la grève avec blocage, qui avait fait ses preuves dans le monde d’avant, circulé à travers les générations étudiantes depuis mai-juin 1968, et qui semble aujourd’hui frappée d’obsolescence ?</p>
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<p><em>Cet article a été entièrement rédigé en collaboration avec <a href="https://theconversation.com/profiles/hugo-melchior-211943/articles">Hugo Melchior</a>, <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Hugo-Melchior--665367.htm">historien</a> des temps présents, spécialiste des extrêmes gauches, de la violence militante et des mouvements étudiants.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205360/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paolo Stuppia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les blocages ont été fréquemment contournés par un nouveau dispositif : l’enseignement en ligne.Paolo Stuppia, Sociologue, membre du CESSP (Centre Européen de Sociologie et de Science Politique), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2043552023-04-27T10:01:30Z2023-04-27T10:01:30ZComment les Soulèvements de la Terre fédèrent une nouvelle écologie radicale et sociale<p>Le Conseil d'Etat vient d'annuler la dissolution du collectif écologique des Soulèvements de la Terre qui avait été prononcée le 21 juin 2023 en conseil des ministres, alors que le gouvernement avait dénoncé le « recours à la violence » de certains des membres du groupe. </p>
<p>Même si la juridiction administrative a estimé que le mouvement s'était bien livré à des violences contre des biens, elle a assuré qu'« aucune provocation à la violence contre les personnes ne peut être imputée aux Soulèvements de la Terre ». Et de conclure qu'une dissolution ne peut intervenir que « pour éviter des troubles graves à l’ordre public ».</p>
<p>Malgré la <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/04/07/menace-de-dissolution-des-soulevements-de-la-terre-la-bataille-des-arguments-est-engagee_6168689_3244.html">première menace de dissolution annoncée en avril 2023</a> et les attaques récurrentes de la part de <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/sainte-soline-retour-sur-une-manipulation-20230331">ses détracteurs</a> après les manifestations contre les <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/a-sainte-soline-des-armes-de-guerre-employees-sans-retenue-20230326_5M4HFKHWCBD73BVQBS2UIQNFHM/?redirected=1">méga-bassines à Sainte-Soline</a> ou encore contre <a href="https://theconversation.com/lyon-turin-retour-sur-lopposition-francaise-au-projet-de-nouvelle-ligne-ferroviaire-207501">la ligne Lyon-Turin en Maurienne</a>, le mouvement est resté fédérateur et a continué à prendre de l'ampleur.</p>
<p>Dans le contexte de la multiplication des luttes écologiques en Europe et dans le monde, les SdlT incarnent une nouvelle mobilisation des luttes écologistes et anticapitalistes radicales. </p>
<p>De quoi est faite cette « terre qui se soulève » ?</p>
<h2>Une histoire en train de se faire</h2>
<p>La formation des SdlT en 2021 par des activistes issu·e·s de la Zone-à-Défendre (ZAD) de <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Eloge_des_mauvaises_herbes-9791020906427-1-1-0-1.html">Notre-Dame-des-Landes</a> n’est pas anodine. En effet, la ZAD marque un tournant dans l’histoire du mouvement écologiste français. Tout d’abord, parce qu’elle a été victorieuse à Notre-Dame-des-Landes et parce que <a href="https://www.bfmtv.com/societe/notre-dame-des-landes-cinq-ans-apres-l-abandon-du-projet-d-aeroport-qu-est-devenue-la-zad_AN-202301170014.html">son existence perdure</a>.</p>
<p>Comme <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/mes-voisins-zadistes-5006884">plusieurs personnes</a> en témoignent, la ZAD a été une alliance entre des jeunes militant·e·s écologistes anticapitalistes et des paysan·nes locaux·les pour la défense d’un territoire et pour des <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Eloge_des_mauvaises_herbes-9791020906427-1-1-0-1.html">formes de vie non marchandes et semi-marchandes</a>. Ces alliances défensives et cette manière particulière de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/230423/kristin-ross-les-soulevements-de-la-terre-ont-reussi-reorienter-le-regard-des-habitants-des-villes-vers?at_medium=custom3&at_campaign=67">façonner le réel résonnent au sein des SdlT</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-zad-et-leurs-mondes-89992">Les « ZAD » et leurs mondes</a>
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<h2>Un renouveau des luttes anticapitalistes et écologistes</h2>
<p>Les SdlT s’inscrivent dans un <a href="https://www.terrestres.org/2023/04/11/un-vent-de-fronde-ecologique-se-leve/">renouveau des luttes anticapitalistes et écologistes</a> qui a commencé avec Occupy (2009), Nuit debout (2016) ou encore les gilets jaunes (2019) et s’inspirant beaucoup des <a href="https://editions.flammarion.com/la-rebellion-zapatiste/9782081470279">positionnements idéologiques Zapatistes</a>. Ces luttes partagent trois points : <a href="https://theconversation.com/la-france-samericanise-t-elle-dans-ses-modes-de-desobeissance-civile-109826">ce sont des formes auto-organisées</a> sans leaders officiel·le·s, elles recourent à l’occupation pour se réapproprier des lieux publics (places, ronds-points, territoires naturels) et elles sont anticapitalistes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/522574/original/file-20230424-1193-en5ie0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Place de la République, Paris, Europe. Nuit debout, 14 mai 2016" src="https://images.theconversation.com/files/522574/original/file-20230424-1193-en5ie0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522574/original/file-20230424-1193-en5ie0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522574/original/file-20230424-1193-en5ie0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522574/original/file-20230424-1193-en5ie0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522574/original/file-20230424-1193-en5ie0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522574/original/file-20230424-1193-en5ie0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522574/original/file-20230424-1193-en5ie0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Place de la République, Paris, Europe. Nuit debout, 14 mai 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Nuit_Debout_-_Place_Commune,_2016.05.14_%282%29.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En ce sens, les SdlT incarnent un mouvement radical. Terme qu’il faut entendre ici dans son sens <a href="https://www.cnrtl.fr/etymologie/radical">étymologique</a>, c’est-à-dire qui <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/09/la-radicalite-de-l-analyse-des-racines-a-l-intransigeance-de-la-pensee_6112956_3232.html">a rapport au principe d’une chose et sa racine</a>. La lutte des SdlT est donc radicale puisque le mouvement se rapporte aux fondements de ce qui fait l’écologie c’est-à-dire, les relations que nous entretenons avec les différentes entités (les humains et l’ensemble du vivant) qui composent le monde social. Cette radicalité se structure autour de trois éléments principaux explorés ici : les dimensions fédératrices et décentralisées, la rhétorique des alliances vivantes et une pensée fine et réflexive des stratégies de luttes.</p>
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<h2>Un mouvement fédérateur et décentralisé</h2>
<p>Les SdlT ne se désignent ni comme une association, ni comme un groupe constitué, mais <a href="https://lessoulevementsdelaterre.org/">comme un réseau anticapitaliste de luttes locales</a> à la croisée de l’écologie et des questions sociales. En effet, bien que l’agro-industrie, l’accaparement des terres, l’artificialisation des sols et l’écologie sans transition soient visées, les SdlT considèrent que les questions écologiques et sociales ne font qu’une et sont interdépendantes. Ainsi, les luttes écologiques doivent s’arrimer à des solutions pour améliorer les conditions sociales des individus et inversement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/522561/original/file-20230424-14-9tlhly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les différents appels à se rassembler des Soulèvements de la Terre, page Instagram" src="https://images.theconversation.com/files/522561/original/file-20230424-14-9tlhly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522561/original/file-20230424-14-9tlhly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522561/original/file-20230424-14-9tlhly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522561/original/file-20230424-14-9tlhly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522561/original/file-20230424-14-9tlhly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522561/original/file-20230424-14-9tlhly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522561/original/file-20230424-14-9tlhly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les différents appels à se rassembler des Soulèvements de la Terre, page Instagram.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.instagram.com/soulevements.de.la.terre/">Instagram/Soulèvementsdelaterre</a></span>
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<p>Les SdlT agrègent plusieurs associations : la <a href="https://www.confederationpaysanne.fr/">Confédération Paysanne</a>, <a href="https://alternatiba.eu/">Alternatiba</a> et <a href="https://france.attac.org/">ATTAC</a> et ont été rejoints par des activistes <a href="https://extinctionrebellion.fr/">d’Extinction Rébellion</a> et de <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwi0zuy2rrr-AhVUNuwKHakSAwoQFnoECBAQAQ&url=https%3A%2F%2Fderniererenovation.fr%2F&usg=AOvVaw0Zv_yLkX-UHcXXKOg-Z4Xv">Dernière Rénovation</a>. À en croire le site officiel, plus de <a href="https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/liste-de-tou-tes-les-signataires">9 5882 personnes sont signataires de la Tribune</a>, chiffre dont le nombre a particulièrement augmenté suite à Sainte-Soline.</p>
<p>Parmi ces personnes, on trouve des figures politiques d’Europe Écologie Les Verts et de la LFI/Nupes. De plus, des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=yS7GKZaMKAk">personnalités connues</a> se sont mobilisées pour s’opposer à la dissolution et soutenir le mouvement. Enfin, force est de constater l’appui inconditionnel de <a href="https://reporterre.net/Descola-Damasio-Tondelier-20-personnalites-soutiennent-Les-Soulevements-de-la-Terre">plusieurs intellectuel·le·s reconnu·e·s</a> comme Naomi Klein, Alain Damasio, Andreas Malm ou Philippe Descola. Les SdlT apparaissent donc comme un réseau fédérateur, ce qui contribue à son unicité. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VjzUQDHUz1k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Soirée de soutien le 12 avril 2023 aux Soulèvements de la Terre, de nombreux intellectuels et figures issues du monde associatif et paysan y ont participé.</span></figcaption>
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<p>À cela s’ajoute une volonté de décentralisation puisque les SdlT agissent en réseau afin de visibiliser et relayer des luttes locales portées par des collectifs citoyens. Par exemple, <a href="https://bassinesnonmerci.fr/">Bassines Non Merci</a> groupe organisé contre les méga-bassines, la <a href="https://www.lvel.fr/">Voie est Libre</a> contre le projet d’autoroute A69 Toulouse-Castres ou le groupe <a href="https://www.notav.info/">No Tav</a> mobilisé contre le chantier ferroviaire Lyon-Turin.</p>
<p>Cette volonté décentralisatrice s’est concrétisée <a href="https://lundi.am/A-la-veille-de-leur-dissolution-les-Soulevements-de-la-Terre-annoncent-la">dernièrement</a> avec l’appel à la création de comités locaux partout en France afin de prouver au gouvernement l’impossible dissolution d’un mouvement aux multiples ramures. Cet appel a d’ailleurs dépassé les <a href="https://lanticapitaliste.org/opinions/ecologie/ce-qui-repousse-partout-ne-peut-etre-dissout">frontières françaises</a> et a été entendu en <a href="https://reporterre.net/Une-carte-recense-les-comites-de-soutien-aux-Soulevements-de-la-Terre">Belgique et en Suisse</a>.</p>
<h2>« Nous sommes le vivant qui se défend »</h2>
<p>La deuxième dimension structurante du mouvement est la rhétorique des alliances vivantes qui se déploie à travers la structuration de la lutte en « saisons » et des slogans tels que « Nous ne défendons pas la nature, c’est la nature qui se défend », « Nous sommes le vivant qui se défend », « Nous sommes les soulèvements de la terre », ses déclinaisons sur le thème de l’eau ainsi que « Ce qui repousse partout ne peut être dissout ».</p>
<p>Inédite dans les mouvements sociaux bien <a href="https://journals.openedition.org/lectures/13919">que fortement inspirée par le mouvement zapatiste</a>, cette rhétorique n’est pas sans lien avec une école de pensée théorique issue de plusieurs anthropologues. Des figures telles que <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Par-dela-nature-et-culture">Philippe Descola</a>, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_champignon_de_la_fin_du_monde-9782359251364">Anna Tsing</a> ou encore <a href="https://www.timingold.com/">Tim Ingold</a> ont montré comment la société capitaliste a imposé une séparation hiérarchique entre Nature et Culture, plaçant la Culture comme supérieure à la Nature qu’il faut domestiquer, maîtriser et s’approprier.</p>
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<figcaption><span class="caption">Philippe Descola, invité des matins de France Culture autour de « Figuration et défiguration du monde », 2022.</span></figcaption>
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<p>Pourtant, cette façon de concevoir le lien Nature/Culture <a href="https://journals.openedition.org/lectures/13919">n’est pas propre à l’ensemble des sociétés humaines</a> et est particulièrement destructrice pour les écosystèmes vivants. Si bien que la nécessité de revoir cette séparation est cruciale. En se revendiquant comme étant la Terre qui se soulève, les SdlT, matérialisent ce geste théorique. En effet, les humains incarnent l’ensemble de ce vivant qui se défend produisant alors des <a href="https://www.terrestres.org/2023/02/14/la-part-sauvage-des-communs-une-enquete-ecologique-au-marais-wiels/">alliances terrestres et vivantes</a> qui représentent des <a href="https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/230423/kristin-ross-les-soulevements-de-la-terre-ont-reussi-reorienter-le-regard-des-habitants-des-villes-vers?at_medium=custom3&at_campaign=67">manières inédites de se mobiliser</a>.</p>
<h2>Une partition de stratégies de luttes diverses</h2>
<p>Les SdlT élaborent aussi une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=YW4WdEfYQgw">panoplie de pratiques militantes</a> qui reposent sur un postulat de base : la <a href="https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/230423/kristin-ross-les-soulevements-de-la-terre-ont-reussi-reorienter-le-regard-des-habitants-des-villes-vers?at_medium=custom3&at_campaign=67">mobilisation doit modifier une situation</a>.</p>
<p>Il ne s’agit plus de s’en tenir à des manifestations classiques, c’est-à-dire la traditionnelle marche d’un point A à un point B, mais de déployer des « manifestations impactantes » (ou manif’actions). Ces dernières peuvent prendre plusieurs formes : occupations, blocages, démantèlements, jeux. Toutes ces stratégies s’inspirent du « be water » ayant eu cours lors des manifestations à Hong Kong et des gilets jaunes c’est-à-dire le <a href="https://journals.openedition.org/socio/12084">fait d’être imprévisibles, rapides et toujours en mouvement</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Hong Kong, la mobilisation ne faiblit pas, France 24, 2019.</span></figcaption>
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<p>Par ailleurs, les violences lors de la manifestation de Sainte-Soline amène le collectif <a href="https://lundi.am/A-celles-et-ceux-qui-ont-marche-a-Sainte-Soline">à réfléchir</a> à ces tactiques. En effet, le changement d’échelle dû à la grande participation et la militarisation de l’état implique une réadaptation et peut-être de nouvelles formes encore plus imperceptibles de luttes.</p>
<h2>Une ingéniosité nouvelle</h2>
<p>Étant donné ces trois dimensions structurantes, les SdlT semblent tendre vers un empouvoirement des luttes écologistes (cela étant d’ailleurs reconnu dans une <a href="https://reporterre.net/Quand-une-note-des-renseignements-fait-l-eloge-des-Soulevements-de-la-Terre">note récente des renseignements français</a>).</p>
<p>À la fois fédérateurs et décentralisés, donnant une place centrale aux territoires naturels et développant des stratégies de luttes diverses, les SdlT essaiment une <a href="https://lessoulevementsdelaterre.org/comites/des-dizainesdecomites-soulevements-de-la-terre-naissent-partout-en-france">multitude</a> de soulèvements terrestres dont il deviendra difficile de suivre toutes les occurrences.</p>
<p>Du fait de ce devenir multiple, furtif et diffusé dans plusieurs lieux, les SdlT ont sûrement trouvé une nouvelle voie pour s’organiser contre <a href="https://aoc.media/opinion/2023/04/20/lordre-republicain-demmanuel-macron/">« l’ordre républicain »</a> tel que le nomme le philosophe du politique Jacques Rancière qui souligne la dépolitisation des enjeux de partage des ressources, la militarisation du maintien de l’ordre et le recours au passage en force législatif avec le 49.3.</p>
<p>Le mouvement veut en outre se réapproprier les territoires menacés de destruction et pour inclure dans la lutte un ensemble composite de classes sociales (allant des classes populaires aux classes bourgeoises). Ce faisant, il essaime une écologie radicale et sociale dont il faudra évaluer l'ampleur dans le futur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204355/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Del Fa est membre d'Occupons le Terrain (un réseau de collectifs citoyens et d'associations pour la préservation des territoires et des ressources) et est signataire de la Tribune des Soulèvements de la Terre. </span></em></p>La décision de dissolution des Soulèvements de la Terre fait suite à plusieurs actions qui ont donné lieu à des confrontations avec les forces de l'ordre.Sophie Del Fa, Professeur information et communication, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2033042023-04-16T16:04:02Z2023-04-16T16:04:02ZSainte-Soline : un tournant pour les mouvements écologistes ?<p>Les images impressionnantes et les décomptes de blessés qui nous sont parvenus de Sainte-Soline dans le département des Deux-Sèvres fin mars 2023 ont participé à ancrer la lutte contre les mégabassines dans la contestation sociale en cours contre la réforme des retraites.</p>
<p>Si cette mobilisation est susceptible de représenter une évolution importante pour les mouvements écologistes français, cet épisode ne saurait cependant être réduit au contexte politique immédiat et à une irruption soudaine de violence. Sainte-Soline expose en effet au grand jour des tendances déjà à l’œuvre dans les mobilisations écologistes récentes et contribue à les renforcer.</p>
<p>Depuis l’abandon du projet de <a href="https://theconversation.com/notre-dame-des-landes-pourquoi-les-zadistes-ne-sont-pas-partis-90244">Notre-Dame-des-Landes</a> par le gouvernement d’Édouard Philippe en 2018, l’attention médiatique portée aux <a href="https://theconversation.com/greve-scolaire-pour-le-climat-les-lyceens-bousculent-lagenda-111009">mobilisations</a> écologistes s’est déplacée vers les marches, grèves et actions de désobéissance civile pour le climat menées par des milliers de personnes en Europe et à travers le monde.</p>
<p>À première vue, les événements de Sainte-Soline marquent une triple rupture par rapport aux dynamiques récentes du militantisme écologiste.</p>
<h2>Des marches pour le climat à l’atteinte aux biens</h2>
<p>La stratégie choisie témoigne d’abord d’une « relocalisation » : en déplaçant la contestation des pavés parisiens vers la terre solinoise, l’objectif n’est plus d’interpeller l’opinion publique sur l’inaction des dirigeants politiques, mais de dénoncer un projet local d’accaparement des ressources en eau dans un contexte de sécheresse historique, l’eau étant pompée dans les <a href="https://www.geo.fr/environnement/mega-bassines-agricoles-que-sont-ces-enormes-reservoirs-deau-et-pourquoi-sont-ils-controverses-212408&ust=1680807720000000&usg=AOvVaw3mlFvbDh0aUZq073BssV8n&hl=fr&source=gmail">nappes phréatiques en hiver</a> puis utilisée, en été, par un nombre restreint d’agriculteurs.</p>
<p>Ensuite, les efforts déployés par les opposants au projet renouent avec la stratégie du nombre : plusieurs milliers de personnes étaient présentes dans les Deux-Sèvres alors que les dernières actions d’Extinction Rebellion n’ont mobilisé, à titre de comparaison, que quelques dizaines d’activistes.</p>
<p>Enfin, la composition et la diversité tactique des cortèges (certains s’étaient préparés à <a href="https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/25-et-26-mars-poitou-pas-une-bassine-de-plus-mobilisation-internationale-pour-la-defense-de-leau">« impacter concrètement »</a> le projet tandis que d’autres souhaitaient s’en tenir à une procession symbolique) témoignent d’une ouverture de la part de mouvements qui, depuis plusieurs décennies, affichent leur attachement à une « non-violence » stricte.</p>
<p>Ces éléments semblent rapprocher la mobilisation de Sainte-Soline de la stratégie des zones à défendre (ZAD). Elle s’en distingue néanmoins par son caractère circonstancié (un week-end contre plusieurs années) et multisite (l’objectif étant de se déplacer de projet en projet).</p>
<h2>L’aboutissement de précédentes mobilisations</h2>
<p>Plutôt qu’un changement de cap radical, Sainte-Soline concrétise des tendances déjà présentes au sein des mobilisations écologistes récentes. Les éléments de continuité se retrouvent tout d’abord du point de vue des effectifs militants et des organisations ayant répondu à l’appel à manifester.</p>
<p>On a ainsi pu identifier, dans les Deux-Sèvres, des <a href="https://theconversation.com/ces-trois-jeunesses-qui-se-mobilisent-pour-le-climat-113297">militantes et militants</a> qui ont connu leur premier engagement à l’occasion des marches pour le climat et des actions de désobéissance civile organisées ou soutenues par des mouvements tels Greenpeace, Alternatiba ou Extinction Rebellion.</p>
<p>D’abord portées par l’espoir que leurs actions pourraient trouver un débouché politique, notamment à travers la Convention citoyenne pour le climat ou les élections de 2022 <a href="https://www.nouvelobs.com/tribunes/20220325.OBS56187/melenchon-devant-jadot-macron-et-hidalgo-decroches-des-sociologues-ont-enquete-sur-le-vote-du-mouvement-climat.html">lors desquelles Jean-Luc Mélenchon a concentré leur vote</a>, les jeunes générations mobilisées ont fait l’expérience de l’inertie climatique du gouvernement français.</p>
<h2>Une alternative aux petits gestes</h2>
<p>Par ailleurs, la dénonciation des intérêts économiques derrière les projets de mégabassines prolonge les efforts déployés jusqu’ici par les mouvements écologistes pour proposer une alternative à l’injonction aux « petits gestes » adressée aux individus en niant la dimension collective des problématiques environnementales, comme le décrit très bien la <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2022/08/17/sophie-dubuisson-quellier-sociologue-l-injonction-aux-petits-gestes-pour-le-climat-peut-etre-contre-productive_6138257_3451060.html">sociologue Sophie Dubuisson-Quellier</a>.</p>
<p>L’exemple d’Extinction Rebellion est parlant : tout en mettant dès le début l’accent sur un principe de « non-culpabilisation » des individus, le mouvement de désobéissance civile, connu pour ses blocages massifs à Londres et à Paris en 2019, a progressivement modifié son discours : d’une sensibilisation du public à l’urgence climatique, il est passé à la dénonciation de l’inaction climatique de l’État et des grandes entreprises.</p>
<h2>Convergence militante</h2>
<p>Du point de vue stratégique, la mobilisation de Sainte-Soline renoue efficacement avec les <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100434510">fondamentaux de la désobéissance civile</a>, laquelle consiste à prendre à témoin l’opinion publique au travers d’actions illégales (la manifestation était interdite) dont la répression permet de souligner l’écart entre la justesse de la cause défendue et l’inflexibilité des acteurs publics. Ce contraste a ainsi permis aux manifestants de dénoncer unanimement la présence de trois mille policiers et gendarmes pour « défendre un trou ».</p>
<p>L’un des accomplissements importants de Sainte-Soline réside dans la convergence d’acteurs aux histoires et stratégies militantes différentes : élus de gauche et écologistes, ONG et associations locales, syndicats paysans, mouvements de désobéissance civile et militants autonomes. Si plusieurs tentatives de convergence avaient été menées depuis 2018, aucune n’avait encore donné lieu à un rassemblement aussi large.</p>
<h2>Brutalité policière et solidarité de fait</h2>
<p>Le bilan humain, qui s’élève à des dizaines de blessés, dont deux personnes dans le coma, ne manquera pas de susciter des débats internes – plusieurs mouvements ont tenu à rappeler leur attachement à la non-violence à l’issue du week-end.</p>
<p>Pour autant, la <a href="https://www.ldh-france.org/violences-policieres-la-ldh-appelle-a-ne-rien-lacher/">brutalité indiscriminée des interventions policières</a> – qui s’est déployée bien au-delà du « bloc » restreint prêt à l’affrontement – a créé une solidarité de fait entre les participants qui se sont unis dans la dénonciation d’un gouvernement de plus en plus ouvertement hostile aux militantes et militants écologistes de tous bords.</p>
<p>Le discours volontariste d’une secrétaire d’État <a href="https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/je-suis-ici-pour-discuter-avec-vous-la-secretaire-d-etat-brune-poirson-s-adresse-aux-etudiants-assis-sous-les-fenetres-du-ministere-de-l-ecologie_3192115.html">(Brune Poirson en février 2019)</a> accueillant une délégation issue de la manifestation pour le climat et déclarant « derrière les portes de ce ministère de [la Transition écologique], vous n’avez que des alliés, pas des adversaires » semble désormais loin. La criminalisation des mouvements écologistes observée dans les discours de ces derniers mois – le ministre de l’Intérieur parlait, en octobre, d’<a href="https://twitter.com/GDarmanin/status/1586786511684620290">« écoterrorisme »</a> – a trouvé une expression concrète sur le terrain.</p>
<p>Elle confirme le constat d’Olivier Fillieule et de Fabien Jobard quant à la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/politiques-du-desordre-olivier-fillieule/9782021433968">« brutalisation du maintien de l’ordre français »</a> au-delà des groupes habituellement les plus exposés à ces violences, parmi lesquels figurent les habitants des quartiers populaires.</p>
<h2>Des approches complémentaires</h2>
<p>Ainsi, la mobilisation à Sainte-Soline dépasse-t-elle le contexte immédiat de la contestation de la réforme des retraites tout en la rejoignant dans la mise en évidence de l’incapacité des institutions politiques françaises à répondre aux aspirations sociales, démocratiques et écologiques d’une partie croissante de la population et de la jeunesse.</p>
<p>Une rigidité qui, traduite par des violences policières, a eu pour effet de souder plutôt que de diviser les acteurs présents. Il est fort à parier que ces derniers continueront à expérimenter la complémentarité de leurs approches et à chercher les moyens de contourner la répression disproportionnée dont ils ont fait l’objet à Sainte-Soline, tout en maintenant la pression sur un gouvernement qui s’est lui-même placé en première ligne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203304/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucien Thabourey ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la mobilisation contre les mégabassines semble marquer une rupture dans le militantisme écologiste en France, elle s’ancre en réalité dans des tendances déjà à l’œuvre.Lucien Thabourey, Sociologie du militantisme écologiste, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1992072023-03-07T18:22:35Z2023-03-07T18:22:35ZCollages féministes : lutter contre la violence, ça s’organise !<p><a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-limportance-du-soutien-dit-informel-161255">« Je te crois »</a>, « Tu n’es pas seul·e »… Écrits en lettres noires sur feuilles blanches, des slogans de soutien aux victimes de violence recouvrent les murs de nos villes depuis trois ans. Ils sont l’œuvre du mouvement des collages féministes.</p>
<p>Né en 2019 à Paris, à la suite du 100<sup>e</sup> <a href="https://theconversation.com/feminicide-a-lorigine-dun-mot-pour-mieux-prevenir-les-drames-162024">féminicide</a> de l’année, ce mouvement s’étend rapidement à d’autres villes où se montent des groupes de collages. Il s’inscrit dans la continuité du soulèvement des <a href="https://theconversation.com/raptivisme-en-amerique-latine-le-rap-vecteur-des-combats-feministes-137668">Sud-Américaines</a> contre les féminicides <a href="https://youtu.be/VLLyzqkH6cs">« Ni una menos »</a> (« Pas une de plus ») et a mené une des campagnes les plus médiatiques contre les féminicides que la France ait connues, à la fois dans la rue et sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Depuis <a href="https://theconversation.com/mobiliser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">#MeToo</a> en 2017, la lutte contre les violences est au cœur du mouvement féministe au sein duquel émergent de nouvelles organisations. Ce renouveau du féminisme interroge : comment s’organiser pour tendre vers une société sans violence ? Ces organisations sont des laboratoires d’expérimentation de cet idéal de société.</p>
<p>Au travers d’une ethnographie de 5 mois menée en 2020 au sein du collectif parisien, Collages Féminicides Paris (CFP) nous avons interrogé leurs pratiques organisationnelles : comment s’organise un collectif d’activistes dont le projet est la lutte contre les violences ? Comment se coordonner, prendre des décisions, se répartir la charge de travail, intégrer de nouveaux membres sans reproduire la violence que l’on combat ? Les activistes parviennent-ils véritablement à s’organiser sans violence ?</p>
<h2>S’inspirer des organisations « alternatives »</h2>
<p>Perçus comme « inorganisés » ou « anarchiques » par le grand public, les collectifs militants sont rarement conçus comme des organisations à la pointe. En sciences de gestion et du management, traditionnellement centrées sur les grandes entreprises, il reste inhabituel de les considérer comme objet sérieux de recherche. Pourtant, ils sont le lieu privilégié de la production de pratiques gestionnaires, interrogeant les manières traditionnelles de s’organiser (la hiérarchie par exemple).</p>
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<figcaption><span class="caption">Riposte féministe, documentaire de Marie Perennès et Simon Depardon dédié au mouvement des collages féministes.</span></figcaption>
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<p>Comme l’expliquent les chercheurs Martin Parker et Valérie Fournier, explorer ces organisations qualifiées d’<a href="https://books.google.fr/books?id=UwFjDgAAQBAJ">« alternatives »</a> ouvre nos imaginaires à différentes manières de s’organiser et de travailler ensemble, pour des futurs désirables.</p>
<p>Dans le cas de CFP, les activistes s’engagent dans un projet collectif de lutte contre des violences qu’elles et ils refusent de vivre, et donc de reproduire au sein de l’organisation qui a compté jusqu’à 1 500 membres. Son combat s’étend progressivement à la lutte contre toutes les violences, en particulier racistes et transphobes. Il s’agit d’organiser l’alternative d’une société identifiée comme violente en tentant de faire de leur collectif un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/anti.12089">« safe space »</a> (lieu exempt de violence et de harcèlement, qui encourage la parole et la création de stratégies de résistance).</p>
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<p>L’anthropologue Marianne Maeckelbergh explique que les activistes <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14742837.2011.545223">« préfigurent »</a> leur projet politique : au lieu de remettre à un futur lointain l’avènement d’une société sans violence, elles et ils travaillent déjà à le faire advenir chaque jour dans l’espace du collectif.</p>
<h2>Les espaces de collage : des « espaces safe »</h2>
<p>À quoi une organisation sans violence peut-elle alors ressembler en pratique ? Il nous faut d’abord comprendre ce que les activistes entendent par violence. Le collectif considère la violence comme un instrument de maintien des oppressions de sexe, de race et de classe, c’est-à-dire un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01419870.2017.1317827?journalCode=rers20">« ciment »</a> (<em>glue</em>), pour reprendre le terme de la penseuse afroféministe Patricia Hill Collins. Du dénigrement à l’agression physique en passant par la dépendance économique, la violence est un <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-1-349-18592-4_4">« continuum »</a>. Elle est protéiforme et permet aux groupes dominants de se maintenir en opprimant et exploitant les groupes dominés.</p>
<p>Depuis cette compréhension de la violence, les activistes de Collages Féminicides Paris déclinent leur projet politique en <a href="http://www.denoel.fr/Catalogue/DENOEL/Document/Notre-colere-sur-vos-murs">trois principes clés</a> : horizontalité, inclusion et attention mutuelle.</p>
<h2>S’organiser contre la violence : la pratique</h2>
<p>S’organiser de manière horizontale, soit non hiérarchique, se traduit au sein du collectif par une organisation sans <em>leader</em>, favorisant la prise d’initiative et s’assurant du consentement de chaque membre. Les activistes prennent les décisions par vote au consensus et veillent à la bonne transmission de l’information, notamment sur la dimension illégale du collage comme action de désobéissance civile. Chaque individu garde ainsi la liberté de décider pour lui-même.</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment les organisations de collage fonctionnent-elles ?</span></figcaption>
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<p>CFP pratique l’inclusivité, soit la prise en compte de toutes les oppressions – de genre, de race, fondées sur le handicap – et lutte contre leur reproduction au sein de l’organisation. Cela passe par la création de sous-espaces d’auto-organisation par et pour les personnes minorisées au sein du collectif, sous la forme de pôles dits en « mixité choisie » pour les personnes LGBTQIA+, <a href="https://theconversation.com/quest-ce-quune-personne-racisee-trois-definitions-pour-eclairer-le-debat-189996">racisées</a>, transgenres, handicapées et <a href="https://theconversation.com/what-exactly-is-neurodiversity-using-accurate-language-about-disability-matters-in-schools-193195">neuro-atypiques</a>. Ces sous-groupes sont par exemple sollicités dans la validation des slogans les concernant. L’inclusivité s’incarne également dans le respect strict de la présence de personnes transgenres au sein du collectif. Par exemple, l’usage du langage inclusif et l’invention de formulations épicènes telles que « colleureuses » – contraction de colleurs et colleuses, se veut systématique.</p>
<p>Enfin, le collectif pratique l’attention mutuelle en organisant une solidarité économique entre les membres. Dès la création du collectif, des cagnottes sont mises en place pour rembourser le matériel et rendre accessible le mode d’action au plus grand monde. Une autre cagnotte est ouverte durant la crise sanitaire pour les personnes précaires du collectif. Le coût économique de fonctionnement du collectif est mutualisé. Toute personne ayant des problèmes financiers pourra ainsi être aidée.</p>
<p>En bref, le collectif « préfigure » son projet politique : il substitue aux modes de coordination qu’il identifie comme violent (modes de coordination hiérarchique, discriminatoire et favorisant l’exploitation économique) par l’horizontalité, l’inclusion et l’attention mutuelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mobiliser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">Mobiliser dans un contexte post #MeToo : la stratégie du collectif #NousToutes</a>
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<h2>Une pratique clé, la gestion de conflit</h2>
<p>Malgré cet important travail de mise en pratique d’une organisation sans violence, des conflits éclatent régulièrement. Ils portent notamment sur la faible prise en compte des vécus des <a href="https://theconversation.com/il-faut-faciliter-et-non-compliquer-le-changement-de-la-mention-de-sexe-pour-les-personnes-trans-170607">personnes transgenres</a> et racisées dans les slogans, sur l’épuisement de militants faisant du « 40h semaine » et se disant proches du « burn-out militant », ou encore sur les prises de décisions en petits groupes en rupture avec l’horizontalité. Les activistes qualifient ces épisodes de violents. Au lieu de les nier comme tendent à le faire une majorité d’organisations, le collectif s’attèle à la prise en charge collective de la violence.</p>
<p>Par exemple, à l’été 2020, l’inclusivité se voit questionnée au sein du collectif. La majorité des collages relayés sur les réseaux sociaux sont des collages qualifiés de « classiques » portant sur les violences sexuelles et conjugales qui ne prennent pas explicitement en compte les violences raciales et transphobes. Des conflits éclatent, les activistes concernés par le racisme et la transphobie pointent la violence de voir leur vécu invisibilisé de nouveau au sein d’un collectif qui se veut <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-i-comme-intersectionnalite-146721">intersectionnel</a> (supposé lutter contre toutes les oppressions).</p>
<p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">Cette violence</a> fait alors l’objet d’une reconnaissance par le reste des membres qui proposent de nouvelles pratiques. Désormais, les activistes font en sorte que les slogans créés suivent l’actualité des violences transphobes et raciales, qu’ils soient validés par les personnes concernées par ces violences ainsi que collés systématiquement lors des sessions de formation des nouveaux membres (sessions qui représentent la majorité des collages effectués) et fassent l’objet de publications prioritaires sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Un tel réajustement dans les pratiques montre que « préfigurer » son projet politique – comme défini plus haut par Marianne Maeckelbergh – ne se fait pas sans difficulté et reste un travail « en cours ». Même une organisation luttant contre la violence n’en est jamais protégée. Elle doit travailler chaque jour à la gérer. Cela demande une capacité du collectif à placer le conflit au cœur de son organisation, à savoir <a href="https://editions-b42.com/produit/le-conflit-nest-pas-une-agression/">différencier le conflit de la violence</a>, et à le gérer. Ce savoir-faire développé par les activistes constitue, selon notre analyse, la clef du maintien de Collage Féminicide Paris depuis 3 ans.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est basé sur un projet de recherche de Juliette Cermeno et Justine Loizeau ayant obtenu le prix de la meilleure contribution et le prix de la meilleure contribution théorique à la conférence de l’AIMS (Association Internationale de Management Stratégique) en 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment s’organiser pour tendre vers une société sans violence ? Les collectifs féministes sont de véritables laboratoires d’expérimentations. Une analyse du mouvement des colleuses et des colleurs.Juliette Cermeno, Doctorante en sciences de gestion - théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSLJustine Loizeau, Doctorante en sciences de gestion - théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1976652023-01-15T12:53:23Z2023-01-15T12:53:23ZÉtats-Unis, Royaume-Uni, Espagne… Quelles perspectives pour l’action syndicale dans le monde en 2023 ?<p><em>Mardi 10 janvier, la Première ministre Élisabeth Borne a présenté les contours de la future réforme des retraites, qui prévoit notamment l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Aussitôt, huit syndicats, <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-les-syndicats-peuvent-ils-reprendre-la-main-197468">vent debout contre le projet</a>, ont annoncé une <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/reforme-des-retraites-les-syndicats-annoncent-une-premiere-journee-de-greve-le-19-janvier-947440.html">première journée de mobilisation le jeudi 19 janvier</a>.</em></p>
<p><em>Pour les syndicats, l’enjeu dépasse la contestation de la réforme : il s’agit également de retrouver de l’influence. Fin 2022, les grèves des contrôleurs de train ou encore des médecins généralistes ont été initiées par des mouvements nés sur Internet qui les ont court-circuités. En outre, le taux de syndicalisation stagne autour de 10 % en France, l’un des niveaux les plus bas en Europe, depuis près de 30 ans.</em></p>
<p><em>Qu’en est-il de l’action syndicale ailleurs dans le monde ? Cet essoufflement se retrouve-t-il ? Les difficultés économiques donnent-elles, au contraire, un élan nouveau aux syndicats ? En ce début d’année, les experts américains, britanniques, indonésiens ou encore espagnols de The Conversation vous proposent un tour d’horizon mondial.</em></p>
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<h2>Canada : les syndicats qui s’affirment obtiennent des résultats</h2>
<p><em>Jim Stanford, économiste et directeur du Centre for Future Work, Australia Institute</em></p>
<p>Le mouvement syndical canadien compte parmi les plus <a href="https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=TUD">solides</a> de l’OCDE, le club des pays développés, une solidité liée aux lois qui protègent contre les phénomènes de « passager clandestin » : les travailleurs ne peuvent pas bénéficier des conventions collectives sans être syndiqués.</p>
<p>Le taux de syndicalisation au Canada se situe autour de 30 % des travailleurs depuis le début du siècle, même s’il est moitié moindre dans le secteur privé et qu’il y diminue lentement. L’indicateur reste en revanche élevé dans les services publics (plus de 75 %) et en progression.</p>
<p>Cette relative stabilité a permis aux travailleurs canadiens d’être mieux préparés à affronter l’impact de l’inflation sur leurs paies. Les syndicats ont formulé des revendications salariales plus élevées qu’au cours des dernières décennies, et ont plus fréquemment fait grève (poursuivant une tendance amorcée en 2021).</p>
<p>De janvier à novembre 2022, <a href="https://www.canada.ca/en/employment-social-development/services/collective-bargaining-data/work-stoppages/work-stoppages-year-sector.html">156 mouvements de grèves</a> ont eu lieu (un mouvement est comptabilisé dès qu’il implique au moins dix personnes sur une journée) tout secteur confondu. Au total, 1,9 million journées de travail ont été perdues, le chiffre le plus élevé depuis 15 ans.</p>
<p>Une vague printanière de grèves dans le secteur de la <a href="https://globalnews.ca/video/8804136/thousands-of-residential-construction-workers-go-on-strike">construction</a> en Ontario, la province la plus peuplée du Canada, a bien symbolisé la montée du militantisme. Au plus fort de la vague, plus de 40 000 travailleurs, dont des charpentiers, des poseurs de placoplâtre et des ingénieurs, ont déposé leurs outils pour obtenir des salaires plus élevés. Des tentatives d’accords lancées par les autorités ont parfois été rejetés par les grévistes, prolongeant le mouvement.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=838&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=838&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=838&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1053&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1053&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1053&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Doug Ford, Premier ministre de l’Ontario s’est attiré les foudres des syndicats.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Andrew Scheer/FlickR</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un autre fait historique est survenu plus tard dans l’année. Le gouvernement de droite de l’Ontario avait voulu faire usage d’une clause constitutionnelle rarement utilisée pour annuler le droit de grève de 55 000 travailleurs, personnel de soutien dans l’éducation. La menace des syndicats, des secteurs public comme privé, de déclencher une grève générale dans la province, a poussé le gouvernement à <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/nov/07/ontario-repeal-law-right-to-strike">faire machine arrière</a>.</p>
<p>Pendant ce temps, les blocages opérés par les employeurs (ou <em>lock-out</em>) ont pratiquement disparu. Cette tactique, par laquelle ces derniers suspendent l’activité jusqu’à ce que les travailleurs acceptent les conditions proposées, n’a été utilisée que <a href="https://www.canada.ca/en/employment-social-development/services/collective-bargaining-data/work-stoppages/work-stoppages-year-sector.html">huit fois</a> de janvier à novembre dernier, alors qu’on en observait une soixantaine par an il y a dix ans.</p>
<p>La <a href="https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/en/tv.action?pid=1410006401">croissance annuelle des salaires</a> a légèrement augmenté pour atteindre une moyenne de 5 % à la fin de l’année. Ce taux reste inférieur à celui de l’<a href="https://www.cbc.ca/news/business/inflation-canada-1.6693441">inflation</a> (6,8 %), mais l’écart créé en 2021 se réduit.</p>
<p>Reste à voir si cette pression syndicale pourra être maintenue et faire face à la hausse rapide des taux d’intérêt, à une <a href="https://www6.royalbank.com/en/di/hubs/now-and-noteworthy/article/canada-could-be-in-a-recession-as-soon-as-early-2023/l41dzp8q">récession probable en 2023</a> et à la <a href="https://www.freightwaves.com/news/canadas-largest-union-fights-proposal-to-curb-strikes">suppression continue</a> par les gouvernements des droits syndicaux dans certaines provinces.</p>
<h2>Royaume-Uni : un rameau d’olivier pour le service de santé ?</h2>
<p><em>Phil Tomlinson, professeur de stratégie industrielle, Université de Bath</em></p>
<p>L’<a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2022/dec/12/uk-strike-days-calendar-the-public-service-stoppages-planned-for-december">hiver de la colère</a> se prolonge au Royaume-Uni : le pays subit sa <a href="https://qz.com/the-uk-is-expecting-its-largest-wave-of-strikes-in-over-1849865611">plus grande vague de grèves</a> depuis plus de <a href="https://www.theguardian.com/politics/2022/dec/02/strikes-lead-women-frances-ogrady-tuc-unions">30 ans</a>. La plupart ont lieu dans le secteur public, où l’évolution des salaires reste bien inférieure à l’inflation et accuse un <a href="https://www.bbc.co.uk/news/55089900">retard considérable</a> par rapport aux entreprises privées.</p>
<p>Le sentiment d’amertume est prononcé après une vague d’austérité et la <a href="https://www-cdn.oxfam.org/s3fs-public/file_attachments/cs-true-cost-austerity-inequality-uk-120913-en_0.pdf">baisse des salaires réels</a> des années 2010. Les grèves – dont on estime qu’elles ont <a href="https://cebr.com/reports/eight-months-of-strike-action-to-have-cost-the-uk-economy-at-least-1-7bn-adding-to-existing-recessionary-pressures/#:%7E:text=Assuming%20a%20working%20day%20of%20eight%20hours%2C%20our,is%20expected%20to%20have%20stood%20at%20%C2%A3393.0%20million">coûté 1,7 milliard de livres sterling</a> (1,92 milliard d’euros) à l’économie britannique en 2022 – sont <a href="https://uk.news.yahoo.com/unions-discuss-co-ordinating-hundreds-185532640.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAMffASnLXnES4huvR6bYrO0Ncj1Z-sZmFlBDChWxD6up578J-wViP93sUD8HiNHKdT7kcyakp_0QMC0EEzVwIeQ4nxcwuC497Ek1YX3xicVxXlKo3f72l1qrsDiuvzahZGrgX5HqTJp5_zQbdQiS6_AapnlAHbDQeqLGzN3wMY3u">coordonnées</a> par différents syndicats, ajoutant des désagréments publics supplémentaires.</p>
<p>Néanmoins, le gouvernement britannique refuse catégoriquement de céder. Il se retranche derrière les recommandations indépendantes des organes de révision des salaires du secteur public, même s’il ne les a <a href="https://www.ft.com/content/0953587e-6a20-40d4-8459-d4d7a2aa4d27">pas toujours suivies</a>. Il a également affirmé que des augmentations salariales du secteur public correspondant à l’inflation coûteraient à chaque ménage britannique 1 000 livres sterling (1 130 euros) de plus par an, bien que ce chiffre ait été <a href="https://fullfact.org/economy/28-billion-public-sector-pay-increase/">démenti</a>.</p>
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<p>Le Trésor de Sa Majesté, le département gouvernemental en charge de la mise en place des politiques économiques, se fait également l’écho des préoccupations de la Banque d’Angleterre concernant le déclenchement d’une <a href="https://www.theguardian.com/business/2022/jun/20/would-a-wageprice-spiral-cause-inflation-to-get-out-of-control?ref=biztoc.com&curator=biztoc.com">spirale salaires-prix</a>. Elle semble pourtant peu probable : l’inflation actuelle est largement due à des <a href="https://www.themintmagazine.com/inflation-is-a-supply-side-problem">chocs d’offre</a> consécutivement à la crise sanitaire et que déclenchement de la guerre en Ukraine, et la croissance moyenne des salaires reste <a href="https://www.bbc.co.uk/news/55089900">bien inférieure</a> à l’inflation.</p>
<p>Il existe des arguments économiques en faveur d’un accord généreux, notamment dans le National Health Service (NHS) (le système de santé publique) : avec plus de <a href="https://lordslibrary.parliament.uk/staff-shortages-in-the-nhs-and-social-care-sectors/&sa=D&source=docs&ust=1672830357836576&usg=AOvVaw3FX0e-g52Wr5BEl0HY83VT">133 000 postes vacants</a> non pourvus, de meilleurs salaires pourraient contribuer à améliorer la rétention et le recrutement du personnel.</p>
<p>Bien sûr, financer ces mesures en période de <a href="https://uk.finance.yahoo.com/news/uk-recession-until-end-2023-cbi-warns-093737274.html">récession</a> implique des <a href="https://www.newstatesman.com/quickfire/2022/12/run-out-money-pay-strikers-inflation-cost-of-living">choix difficiles</a>. Une augmentation des impôts s’avèrerait politiquement coûteuse, la charge fiscale n’ayant jamais été aussi élevée <a href="https://www.independent.co.uk/money/uk-s-tax-burden-what-do-the-figures-show-b2097564.html&sa=D&source=docs&ust=1672830357839216&usg=AOvVaw3T7sPgwHNZ0_ZEPYz3-F3W">depuis 70 ans</a>. Le recours à des emprunts publics pourrait, lui, aggraver l’inflation si la Banque d’Angleterre <a href="https://www.atb.com/wealth/good-advice/markets/impact-of-government-debt-and-inflation/">augmente la masse monétaire</a> par le biais d’un assouplissement quantitatif.</p>
<p>L’opinion publique semble largement soutenir les grévistes, en <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2022/dec/17/public-support-nurses-strike-pressure-sunak-tories">particulier ceux du NHS</a>. Toutefois, si le gouvernement cède dans un secteur, il crée un précédent pour les autres, avec des conséquences économiques potentiellement plus importantes.</p>
<p>Concernant le NHS, il pourrait plutôt avancer à 2023 les négociations de l’organe de révision des salaires du secteur public, afin de permettre une amélioration de l’accord, éventuellement accompagnée d’une <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2023/jan/08/rishi-sunak-consider-one-off-payment-end-nurses-strikes">prime</a> pour difficultés. Ailleurs, il tiendra probablement bon en espérant que les syndicats perdront leur détermination.</p>
<h2>Australie et Nouvelle-Zélande : les grèves restent rares malgré l’inflation</h2>
<p><em>Jim Stanford, économiste et directeur du Centre for Future Work, Australia Institute</em></p>
<p>Les grèves en Australie sont devenues très rares au cours des dernières décennies en raison des lois restrictives adoptées depuis les années 1990. Malgré un <a href="https://www.abs.gov.au/statistics/labour/employment-and-unemployment/labour-force-australia/latest-release#:%7E:text=25th%20March%202023-,Unemployment,unemployment%20rate%20remained%20at%203.5%25.">taux de chômage historiquement bas</a> et des salaires très en [retard sur l’inflation](https://www.abs.gov.au/statistics/economy/price-indexes-and-inflation/wage-price-index-australia/latest-release#:%7E:text=Seasonally%20adjusted%20private%20sector%20wages,rate%20since%20December%20quarter%202012. Ces lois permettent encore de court-circuiter la plupart des actions syndicales.</p>
<p>En 2022, le taux de syndicalisation est tombé à <a href="https://www.abs.gov.au/statistics/labour/earnings-and-working-conditions/trade-union-membership/latest-release">12,5 % des employés</a>, un niveau historiquement bas. En 1990 encore, il était supérieur à 50 % des travailleurs. Les membres d’un syndicat ne peuvent légalement faire grève qu’après que les négociations, les scrutins et les plans d’action spécifiques ont été rendus publics, révélant ainsi pleinement la stratégie du syndicat à l’employeur. Même lorsqu’il y a des grèves, elles ont tendance à être courtes.</p>
<p>Au total, <a href="https://www.abs.gov.au/statistics/labour/earnings-and-working-conditions/industrial-disputes-australia/latest-release#:%7E:text=Data%20downloads-,Key%20statistics,in%208%20states%20and%20territories.">182 conflits du travail</a> ont eu lieu au cours de l’année qui s’est terminée en septembre. (Les statistiques ne font pas de distinction entre les grèves et les lock-out des employeurs, qui sont devenus courants en Australie). Ce chiffre est similaire à celui des années précédant la pandémie et ne représente qu’une fraction des actions industrielles des années 1970 et 1980.</p>
<p>La seule poussée visible des actions de grève en 2022 reste une série de protestations d’un jour organisées par les enseignants et les personnels de santé en Nouvelle-Galles du Sud, l’État le plus peuplé du pays. Après avoir supporté une décennie de plafonnement austère des salaires par le gouvernement conservateur de l’État, c’en était trop lorsque l’inflation s’est fait sentir.</p>
<p>La plupart des autres travailleurs sont restés passifs, alors même que l’Australie a connu une <a href="https://tradingeconomics.com/country-list/wage-growth">croissance des salaires parmi les plus lentes</a> de tous les grands pays industrialisés. Les <a href="https://tradingeconomics.com/australia/wage-growth">salaires nominaux</a> n’ont augmenté en moyenne que de 2 % par an en 10 ans jusqu’en 2021. Ce taux est passé à 3,1 % à la fin de 2022, mais cela reste moitié moins que le <a href="https://www.rba.gov.au/inflation/measures-cpi.html">taux d’inflation</a> de 7,3 %.</p>
<p>Le gouvernement travailliste nouvellement élu en Australie a adopté une <a href="https://www.dewr.gov.au/newsroom/articles/major-workplace-relations-reform-bill-now-act#:%7E:text=The%20legislation%20received%20Royal%20Assent,and%20better%20support%20vulnerable%20workers">série de réformes importantes</a> du droit du travail à la fin de 2022, visant à renforcer les négociations collectives et la croissance des salaires. Cela pourrait annoncer une amélioration progressive du pouvoir de négociation des travailleurs dans les années à venir.</p>
<p>Les perspectives des relations industrielles en Nouvelle-Zélande sont, de leur côté, un peu plus hospitalières pour les travailleurs et leurs syndicats. Le <a href="https://figure.nz/chart/nvVfvd43iJUbwFXz">taux de syndicalisation</a> a augmenté en 2021, pour atteindre 17 % des salariés (contre 14 % en 2020). Le salaire horaire moyen ordinaire a connu une <a href="https://www.stats.govt.nz/information-releases/labour-market-statistics-income-june-2022-quarter/">croissance impressionnante de 7,4 %</a> au cours de la dernière période de 12 mois, grâce à une augmentation de 6 % du salaire minimum décidée par le gouvernement travailliste.</p>
<p>Les actions industrielles restent rares – peut-être en partie parce que les travailleurs réussissent à augmenter les salaires par d’autres moyens. Aucune donnée officielle sur les grèves n’est disponible pour 2022, mais en 2021, seuls 20 mouvements ont eu lieu, ce qui représente une forte baisse par rapport à une moyenne de 140 par an au cours des trois années précédentes.</p>
<h2>Indonésie : colère contre les réformes du droit du travail</h2>
<p><em>Nabiyla Risfa Izzati, maître de conférences en droit du travail, Universitas Gadjah Mada</em></p>
<p>Il y a quelques semaines, le gouvernement a remplacé sa <a href="http://www.ilo.org/dyn/natlex/natlex4.detail?p_lang=en&p_isn=110587&p_count=1&p_classification=08">« loi Omnibus »</a> controversée par une nouvelle réglementation d’urgence, ce en réponse à la décision de la Cour constitutionnelle indonésienne qui l’avait <a href="https://www.mkri.id/index.php?page=web.Berita&id=17816">jugée inconstitutionnelle</a> en 2021.</p>
<p>Adoptée fin 2020, la loi omnibus incarnait l’ambition du président Joko Widodo d’<a href="https://thediplomat.com/2020/10/protests-strikes-greet-indonesias-controversial-omnibus-bill/">attirer les investisseurs étrangers</a> en réduisant les formalités administratives, mais au détriment des droits des salariés. Elle rendu plus facile les licenciements sans préavis.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=906&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=906&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=906&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le président indonésien Joko Widodo a dû abandonner sa loi Omnibus, du moins officiellement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/joko-widodo-2019-official-portrait-faa9d9">Picryl</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Ont aussi été abaissées les indemnités de licenciement légales et la durée maximale des contrats temporaires a, elle, été allongée, tout en ignorant la protection des travailleurs. En 2022, la nouvelle formule de calcul du salaire minimum a également entraîné la <a href="https://bisnis.tempo.co/read/1529672/pakar-ugm-sebut-rata-rata-kenaikan-ump-109-persen-terendah-sepanjang-sejarah">plus faible augmentation annuelle</a> jamais enregistrée. La loi a suscité de <a href="https://theconversation.com/dua-tahun-uu-cipta-kerja-phk-kian-mudah-kenaikan-upah-jadi-paling-rendah-193090">nombreuses critiques</a> de la part des travailleurs, des militants et des organisations de la société civile.</p>
<p>Le nouveau règlement d’urgence est sans doute encore plus problématique. La majorité de ses dispositions ne font que copier la loi omnibus. Plusieurs changements et dispositions supplémentaires prêtent en fait à confusion et font double emploi avec les règlements précédents, tout en laissant de nombreuses failles qui pourraient être exploitées à l’avenir.</p>
<p>Pourtant, malgré les plaintes des travailleurs et des syndicats, arguant que les nouvelles règles ont été adoptées soudainement et sans consultation, il n’est <a href="https://www.hukumonline.com/klinik/a/aturan-mogok-kerja-dan-penutupan-perusahaan-lt62f9fb6c2de77">pas question de faire grève</a>. Le mode d’action reste peu populaire car elles ne peuvent être organisées qu’avec l’autorisation de l’entreprise concernée. Si les travailleurs organisent des grèves officieuses, les employeurs ont le droit de s’en débarrasser.</p>
<p>Les manifestations publiques constituent une alternative évidente, bien que les règles de la pandémie limitant la mobilité et les rassemblements de masse les aient rendues difficiles. Malgré tout, des milliers, voire des millions de travailleurs ont <a href="https://en.antaranews.com/news/248345/four-thousand-officers-deployed-for-handling-fuel-price-hike-protests">organisé des mouvements</a> dans leurs villes respectives au cours du second semestre 2022.</p>
<p>Les travailleurs demandaient à ce que la loi Omnibus soit révoquée et que le gouvernement <a href="https://www.merdeka.com/uang/buruh-protes-upah-tidak-naik-tapi-harga-komoditas-melonjak.html">n’utilise pas les formules de calcul du salaire minimum</a> stipulées dans la loi. Les protestations se sont intensifiées lorsque le gouvernement a augmenté les prix du carburant en septembre, ce qui a fait grimper l’inflation déjà élevée en raison de la hausse du cours des denrées alimentaires.</p>
<p>Les autorités politiques ont depuis publié un règlement distinct pour déterminer le salaire minimum de 2023. Les revendications ont donc abouti d’une certaine façon, mais les <a href="https://www.hukumonline.com/berita/a/substansi-tak-sesuai-harapan--serikat-buruh-tolak-perppu-cipta-kerja-lt63b25fa54f54c/">travailleurs</a> comme les <a href="https://www.metrotvnews.com/play/kqYCE01y-apindo-soroti-2-pasal-kontroversial-di-perppu-cipta-kerja">employeurs</a> restent furieux que les règles relatives au salaire minimum aient à nouveau changé dans le cadre du règlement d’urgence.</p>
<p>Il est clair que les manifestants n’ont pas obtenu la suppression des autres règles issues de la loi omnibus. Certains travailleurs ont protesté sur les médias sociaux. Cela n’incitera peut-être pas le gouvernement à modifier la loi, mais quelques tweets viraux ont poussé plusieurs entreprises à <a href="https://yogyakarta.kompas.com/read/2022/10/29/214612078/viral-surat-edaran-waroeng-ss-potong-gaji-karyawan-rp-300000-bagi-yang?page=all">changer leurs pratiques abusives</a>.</p>
<p>La controverse devrait se poursuivre en 2023 et au cours de l’année électorale de 2024, notamment dans le contexte de possibles licenciements massifs en pleine récession mondiale.</p>
<h2>États-Unis : la protestation des travailleurs montre des signes de vie</h2>
<p><em>Marick Masters, professeur de commerce et professeur auxiliaire de sciences politiques, Wayne State University</em></p>
<p>Les travailleurs américains ont été de plus en plus nombreux à s’organiser et à rejoindre les piquets de grève en 2022 pour réclamer de meilleurs salaires et une amélioration des conditions de travail. Cela a suscité un <a href="https://www.virginiamercury.com/2022/09/05/america-is-in-the-middle-of-a-labor-mobilization-moment/">optimisme</a> certain chez les <a href="https://www.afscme.org/blog/cause-for-optimism-on-labor-day">dirigeants syndicaux</a> et les <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2022-06-30/labor-strikes-in-uk-us-workers-unite-against-inflation-cost-of-living-crisis">défenseurs des droits des travailleurs</a>, pensant assister à un <a href="https://theconversation.com/amazon-starbucks-and-the-sparking-of-a-new-american-union-movement-180293">tournant</a> des rapports de force dans le monde du travail.</p>
<p>Les <a href="https://gothamist.com/news/new-school-teachers-strike-ends-as-nyc-university-agrees-to-first-pay-raises-in-4-years">enseignants</a>, les <a href="https://www.nytimes.com/2022/12/07/business/media/new-york-times-union-walkout.html">journalistes</a> et les <a href="https://www.arlnow.com/2022/11/17/newly-unionized-starbucks-baristas-are-on-strike-in-courthouse/">baristas</a> font partie des dizaines de milliers de travailleurs qui se sont mis en grève. Il a fallu un <a href="https://www.npr.org/2022/12/01/1140123647/rail-strike-bill-senate">vote du Congrès</a> pour empêcher 115 000 employés des chemins de fer de débrayer eux aussi. Au total, il y a eu au moins <a href="https://www.bls.gov/wsp/publications/monthly-details/XLSX/work-stoppages-2022.xlsx">20 arrêts du travail majeurs</a> impliquant chacun plus de 1 000 travailleurs en 2022, contre <a href="https://www.bls.gov/opub/ted/2022/16-major-work-stoppages-in-2021.htm">16 en 2021</a>, en plus de <a href="https://striketracker.ilr.cornell.edu/">centaines</a> d’autres plus petits.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1598442185493549056"}"></div></p>
<p>Les travailleurs de Starbucks, Amazon, Apple et des dizaines d’autres entreprises ont également déposé <a href="https://www.nlrb.gov/reports/nlrb-case-activity-reports/representation-cases/intake/representation-petitions-rc/">plus de 2 000 demandes</a> pour former des syndicats au cours de l’année – un record depuis 2015. Les travailleurs ont remporté 76 % des 1 363 élections qui ont eu lieu.</p>
<p>Historiquement, cependant, ces chiffres restent tièdes. Le nombre d’arrêts de travail majeurs est en chute libre <a href="https://www.bls.gov/opub/ted/2022/16-major-work-stoppages-in-2021.htm">depuis des décennies</a> : il s’élevait à près de 200 en 1980. En 2021, le taux de syndicalisation, <a href="https://www.bls.gov/news.release/union2.nr0.htm">10,3 %</a>, n’était pas loin du plus bas jamais enregistré. Dans les années 1950, plus d’un travailleur sur trois était membre d’un syndicat.</p>
<p>L’environnement reste encore très défavorable aux syndicats, avec un <a href="https://prospect.org/labor/labors-john-l-lewis-moment">droit du travail timide</a> et très <a href="https://www.eventbrite.com/e/what-can-labor-do-to-build-on-this-unusually-promising-moment-tickets-380700223617">peu d’employeurs</a> montrant une réelle réceptivité à l’idée d’avoir une main-d’œuvre syndiquée. Les syndicats se trouvent <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674725119">limités</a> dans leur capacité à modifier les politiques publiques. La réforme du droit du travail par le biais de la législation reste vague, et les résultats des élections de mi-mandat de 2022 ne devraient pas faciliter les choses.</p>
<p>Néanmoins, le soutien de l’opinion publique aux syndicats est <a href="https://news.gallup.com/poll/354455/approval-labor-unions-highest-point-1965.aspx">à son plus haut niveau</a> depuis 1965, puisque 71 % des citoyens disent approuver l’action syndicale, d’après un sondage Gallup du mois d’août. Et les travailleurs eux-mêmes montrent de plus en plus d’intérêt à les rejoindre. En 2017, <a href="https://www.epi.org/publication/working-people-want-a-voice/">48 % des travailleurs interrogés</a> ont déclaré qu’ils voteraient aux élections syndicales, contre 32 % en 1995, la dernière fois que la question a été posée.</p>
<p>Les succès futurs pourraient dépendre de la capacité des syndicats à tirer parti de leur popularité croissante et à surfer sur la vague des récentes victoires dans l’établissement d’une représentation syndicale chez Starbucks et Amazon, ainsi que sur le succès de la campagne <a href="https://theconversation.com/fight-for-15-le-nouveau-visage-de-laction-syndicale-aux-etats-unis-126123">« Fight for $15 »</a>, qui depuis 2012 a contribué à l’adoption de <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2022/nov/23/fight-for-15-movement-10-years-old">lois portant sur un salaire minimum de 15 dollars</a> dans une douzaine d’États et à Washington DC. Les chances d’y parvenir sont peut-être grandes : il y a en tout cas des opportunités à faire germer.</p>
<p><em>Extrait d’un <a href="https://theconversation.com/worker-strikes-and-union-elections-surged-in-2022-could-it-mark-a-turning-point-for-organized-labor-195995">article</a> publié le 5 janvier 2023</em></p>
<h2>Espagne : les mesures d’aide inégales pourraient causer des problèmes</h2>
<p><em>Rubén Garrido-Yserte, directeur de l’Instituto Universitario de Análisis Económico y Social, Universidad de Alcalá</em></p>
<p>L’inflation mondiale provoque un ralentissement de l’économie mondiale et une hausse des taux d’intérêt à des niveaux <a href="https://www.oecd.org/economic-outlook/november-2022/">jamais vus depuis avant 2008</a>. Les taux d’intérêt continueront d’augmenter en 2023, affectant particulièrement des économies aussi endettées que l’Espagne.</p>
<p>Elle sapera à la fois le revenu disponible des familles et la rentabilité des entreprises (surtout les petites), tout en rendant plus coûteux le remboursement de la dette publique. Parallèlement, on devrait assister à une augmentation durable du coût du panier de la ménagère à moyen terme.</p>
<p>Jusqu’à présent, les actions gouvernementales ont partiellement atténué cette perte de pouvoir d’achat. L’Espagne a <a href="https://theconversation.com/la-excepcion-iberica-sobre-decisiones-de-gobierno-y-declaraciones-de-las-grandes-empresas-183064">plafonné les prix de l’électricité</a>, <a href="https://www.libremercado.com/2022-12-21/bono-se-acaba-la-chequera-de-sanchez-hacienda-recauda-en-el-ano-por-la-gasolina-mas-del-doble-del-coste-de-la-subvencion-6969423/">subventionné le carburant</a> et rendu les transports publics gratuits pour les citadins et les navetteurs.</p>
<p>Des <a href="https://www.lamoncloa.gob.es/consejodeministros/resumenes/Paginas/2022/221122-rp-cministros.aspx">accords</a> ont été passés avec les banques pour refinancer les prêts hypothécaires des familles les plus vulnérables. En outre, les retraites et les salaires du secteur public ont été <a href="https://www.rtve.es/noticias/20221214/subida-pensiones-2023/2410229.shtml">augmentés</a> et il est prévu de <a href="https://www.rtve.es/noticias/20221221/negociacion-subida-salario-minimo-2023-gobierno-sindicatos/2412514.shtml">relever le salaire minimum</a>.</p>
<p>Toutefois, nombre de ces mesures doivent nécessairement être temporaires. Le danger est qu’elles finissent par être considérées comme des droits auxquels il ne faut pas renoncer. Elles faussent également l’économie et créent des problèmes d’équité en excluant ou en soutenant insuffisamment certains groupes. Les salaires privés <a href="https://home.kpmg/es/es/home/tendencias/2022/12/estudio-de-tendencias-retributivas-2023.html">n’augmenteront pas suffisamment</a> pour couvrir l’inflation, par exemple.</p>
<p>L’action a été telle qu’il y a eu très peu d’actions syndicales en réponse à la crise du coût de la vie. Le danger est qu’elles créent un scénario où le calme d’aujourd’hui peut être le signe avant-coureur d’une tempête sociale demain.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article, dont la version originale a été publiée en anglais, fait partie de la série <a href="https://theconversation.com/topics/global-economy-2023-132115">Global Economy 2023</a> sur les défis économiques auxquels le monde sera confronté dans l’année à venir. Vous aimerez peut-être aussi notre bulletin d’information sur l’économie mondiale (en anglais), auquel vous pouvez vous abonner <a href="https://theconversation.com/uk/newsletters/global-economy-and-business-115">ici</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197665/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Phil Tomlinson currently receives funding from the Engineering and Physical Sciences Research Council (EPSRC) for Made Smarter Innovation: Centre for People-Led Digitalisation, and the Economic and Social Research Council (ESRC) for an Interact project on UK co-working spaces and manufacturing.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jim Stanford, Marick Masters, Nabiyla Risfa Izzati et Rubén Garrido-Yserte ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>À quelques jours du mouvement des syndicats français contre la réforme des retraites, les experts de The Conversation vous proposent un panorama mondial de la mobilisation sociale.Jim Stanford, Economist and Director, Centre for Future Work, Australia Institute; Honorary Professor of Political Economy, University of SydneyMarick Masters, Professor of Business and Adjunct Professor of Political Science, Wayne State UniversityNabiyla Risfa Izzati, Lecturer of Labour Law, Universitas Gadjah Mada Phil Tomlinson, Professor of Industrial Strategy, Deputy Director Centre for Governance, Regulation and Industrial Strategy (CGR&IS), University of BathRubén Garrido-Yserte, Director del Instituto Universitario de Análisis Económico y Social, Universidad de AlcaláLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1975622023-01-12T18:44:39Z2023-01-12T18:44:39ZPourquoi l’État français entretient-il un rapport ambivalent avec les militants kurdes ?<p>Le nouvel <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/231222/attaque-paris-trois-kurdes-tues-par-balles-un-francais-de-69-ans-arrete">attentat</a> qui a frappé la communauté kurde parisienne du X<sup>e</sup> arrondissement de Paris le 23 décembre 2022 marque une nouvelle meurtrissure dans l’histoire du militantisme kurde en France ; près de dix ans jour pour jour après le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/01/09/dix-ans-apres-la-communaute-kurde-demande-la-verite-et-la-justice-pour-le-triple-assassinat-de-la-rue-la-fayette_6157132_3224.html">triple assassinat du Centre d’Information du Kurdistan</a> dans la nuit du 9 au 10 janvier 2013. </p>
<p>Il suffit de seulement quelques minutes de marche pour se rendre d’une scène de crime à l’autre, du 147 rue La Fayette au Centre Culturel Ahmet Kaya du 16 rue d’Enghien. Sur le chemin, on peut également passer devant la porte de l’Institut kurde de Paris, au 106 rue La Fayette. Un petit Kurdistan au centre de la France où l’on retrouve des nombreux commerces anatoliens à chaque coin de rue jusqu’au Faubourg Saint- Denis, comme le restaurant et le salon de coiffure où s’est également rendu le tueur du 23 décembre. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-kurdes-victimes-indirectes-de-la-guerre-en-ukraine-196372">Les Kurdes, victimes indirectes de la guerre en Ukraine</a>
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<p>Mais le quartier est loin d’être seulement marqué par l’identité kurde, le X<sup>e</sup> arrondissement et les artères adjacentes de la rue d’Enghien ont en effet une longue histoire d’accueil de différentes populations issues de l’immigration, turque autant que kurde par exemple. Les alentours de la porte Saint-Denis et de la Gare de l’Est représentent ainsi un carrefour multiethnique qui amène les proches des victimes de cette nouvelle tuerie <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/25/la-communaute-kurde-refuse-de-croire-a-la-these-de-l-attaque-raciste-au-lendemain-de-la-tuerie-de-la-rue-d-enghien_6155633_3224.html">à douter des motivations uniquement racistes</a> du meurtrier.</p>
<h2>D’une attaque à l’autre</h2>
<p>Alors que le <a href="https://www.20minutes.fr/justice/4016309-20221226-attaque-raciste-contre-kurdes-pourquoi-caractere-terroriste-encore-retenu">parquet national antiterroriste</a> n’a pas, pour l’instant, été saisi de l’affaire, la possibilité d’une organisation de l’attaque par le <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/pour-les-kurdes-de-france-lombre-de-la-turquie-derriere-le-crime-raciste-20221225_QZBHE5RUC5FHLJ4SCUY6QPIU5Y/">gouvernement turc</a> ne cesse de hanter les militants kurdes de France qui voient de nouveau dans cette affaire une volonté de les intimider dans leur combat, mené en exil comme au Moyen-Orient. </p>
<p>Le refus continu du gouvernement français de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/militantes-kurdes-tuees-en-2013-le-poids-du-secret-defense-pese-sur-l-enquete_6080850_3224.html">lever le secret-défense</a> sur les notes des services de renseignement confirmant potentiellement l’implication de leurs collègues turcs dans l’attaque de 2013 – dont la <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/070123/d-un-triple-meurtre-l-autre-des-milliers-de-kurdes-reclament-une-reaction-de-la-france">manifestation de commémoration des dix ans</a> était organisée au moment de l’attentat de 2022 –, est la raison principale de ce doute constant et illustre également toute l’ambiguïté de la France vis-à-vis du militantisme kurde.</p>
<h2>Soutien à géométrie variable</h2>
<p>Le lendemain de cette nouvelle attaque, les responsables du Centre Démocratique Kurde en France (CDK-F) – dont le siège est situé au 16 rue d’Enghien – ont ainsi été reçus par le <a href="https://twitter.com/Le_CDKF/status/1606695019037048833">ministre de la Justice</a>, alors qu’un an plus tôt, l’une des antennes de cette organisation faisait l’objet d’une descente de police menée par la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) et conduisant à une série d’arrestations. </p>
<p>Accusées de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/le-pkk-a-nouveau-dans-le-viseur-de-la-justice-antiterroriste_6080851_3224.html">« financement terroriste »</a>, les personnes incriminées se voient reprochés leurs liens présumés avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan, PKK). Cette organisation est considérée comme terroriste par les États-Unis et l’Union européenne, du fait de son engagement dans la lutte armée en Turquie, l’un des principaux piliers de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Or, depuis l’été 2014, les États-Unis comme plusieurs pays européens membres de l’OTAN, dont la France, participent à une coalition militaire visant à combattre l’État islamique en Irak et en Syrie, notamment à travers l’appui aérien et logistique apporté à l’antenne syrienne du PKK, le Parti de l’Union Démocratique (Partiya Yekîtiya Demokrat, PYD).</p>
<p>Frappée de plein fouet par les attentats fomentés par l’autoproclamé État islamique depuis 2015, la France a été particulièrement engagée dans ce soutien aux milices kurdes du PYD : que ce soit à travers la mobilisation du <a href="https://www.opex360.com/2015/11/18/depart-de-toulon-du-porte-avions-charles-de-gaulle-de-son-escorte-pour-la-mediterranee-orientale/">porte-avions Charles de Gaulle</a>, la réception de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/offensive-jihadiste-en-irak/emmanuel-macron-recoit-des-kurdes-syriens-et-les-assure-du-soutien-de-la-france-contre-le-groupe-etat-islamique_3405889.html">plusieurs délégations des Kurdes de Syrie à l’Élysée</a> ou encore la <a href="https://www.revuedesdeuxmondes.fr/cause-kurde-devenue-populaire-france/">médiatisation sans précédent</a> autour des Kurdes et de leurs revendications. </p>
<p>Ce fort soutien dont a bénéficié la cause kurde à cette époque a dès lors permis aux associations porteuses de ce militantisme sur le territoire français de jouir d’un nouveau souffle de reconnaissance et d’adhésion, autant que du témoignage de soutiens transpartisans – de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/03/21/97001-20180321FILWWW00139-retailleau-accuse-macron-d-abandonner-les-kurdes.php">Bruno Retailleau</a> à <a href="https://www.lepoint.fr/politique/kurdes-tues-a-paris-melenchon-veut-une-saisine-du-parquet-antiterroriste-26-12-2022-2502885_20.php">Jean-Luc Mélenchon</a>, en passant par <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/bernard-henri-levy/bhl-ukraine-kurdistan-meme-combat-08-09-2022-2489140_69.php">Bernard Henri-Lévy</a> – parfois inespérés au vu des fondements idéologiques de ces organisations historiquement proches de la gauche plus ou moins radicale en France. </p>
<h2>Un militantisme kurde qui a évolué en France</h2>
<p>Si les prémisses de l’insertion des revendications kurdes dans l’espace des mouvements sociaux français remontent au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, je décris dans une recherche à paraître que c’est dans le contexte des luttes décoloniales, anti-impérialistes et tiers-mondistes que se sont véritablement développés des réseaux de soutien à la cause kurde en France. À cette époque les grandes revendications s’inscrivaient dans un discours reprenant les grandes lignes de la pensée marxiste et de ses dérivées, avec la mise en avant de l’héritage des combats menés par les révolutionnaires cubains et les indépendantistes algériens. Les combats des Kurdes s’inscrivent en effet dans une dynamique de lutte contre l’autoritarisme des régimes irakiens, turcs, iraniens ou syriens qui cherchent à marginaliser les revendications des minorités au sein de leurs populations respectives en menant des politiques de colonisation des régions concernées sur leurs propres territoires.</p>
<p>Et si les premiers porteurs du militantisme kurde en France vont réussir à faire connaître leurs mouvements à travers la légitimation de ce type de discours après mai 68, ainsi que grâce à leur proximité avec <a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/2896?lang=en">Danielle Mitterrand</a> (qui s’est distinguée par son fort soutien aux Kurdes, notamment en Irak) ; les années 1980 vont justement être marquées par l’émergence et l’imposition du PKK comme nouvel acteur non négligeable, mais dérangeant, de la lutte des Kurdes pour la reconnaissance de leur droit à l’auto- détermination, que ce soit en Turquie ou à l’international.</p>
<h2>Internationalisation de la lutte et de sa répression</h2>
<p>Fondé par Abdullah Öcalan et ses camarades étudiants en 1978, le PKK va se démarquer des autres organisations partisanes kurdes actives à l’étranger en choisissant de transposer auprès de la diaspora son répertoire d’action politique révolutionnaire. Or, les Kurdes sont particulièrement nombreux à avoir émigré en Europe, et notamment en France, suite à la <a href="http://editionsdudetour.com/index.php/les-livres/histoire-des-turcs-en-france/">signature d’accord d’envoi de main-d’œuvre</a> entre la Turquie et les pays d’Europe de l’Ouest tout au long des années 1960. Puis à travers l’arrivée régulière de réfugiés politiques kurdes en provenance de Turquie, mais aussi d’Irak, de Syrie et d’Iran, selon les différentes périodes de répression plus ou moins violentes dont sont victimes les populations kurdes locales. Il existe donc en France, comme ailleurs en Europe, une importante population kurde sur laquelle le PKK va s’appuyer pour soutenir son combat au Moyen-Orient, à travers un réseau d’associations créées au contact des différents foyers d’installation de la diaspora à l’étranger. Ce maillage prend alors la forme d’une fédération d’associations kurdes étalées sur l’ensemble du continent européen, et qui finira par prendre le nom, pour la France, du Centre Démocratique du Kurdistan.</p>
<p>Forte de cette présence au plus près des populations kurdes expatriées, cette organisation va donc jouer dans ces différentes associations le double-rôle d’institution de sociabilité centrale pour ces populations migrantes qui cherchent à recréer du lien à l’étranger et de lieu de (re)politisation, autant pour les exilés que pour les populations locales intéressées par la cause kurde. Car bien que considéré comme terroriste, le PKK séduit certains militants internationaux pour sa position de fer de lance dans la lutte contre un État turc qui s’attire les foudres d’activiste des droits de l’homme, pour la répression qu’il mène contre ses propres compatriotes kurdes.</p>
<p>Au début des années 2000, le parti va présenter une mue idéologique qui va amener ses revendications à évoluer de l’indépendance vers l’autonomie, et son discours du marxisme-léninisme vers la nouvelle théorie du <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-2-page-27.htm">« confédéralisme démocratique »</a>. Un principe libertaire de communautés d’auto-administrations démocratiques, féministes et écologiques qui va séduire un activisme transnational se revendiquant notamment de l’altermondialisme. La tentative de mise en place de ce nouvel objectif politique dans le nord-est de la Syrie à partir de 2012 poussera ainsi de <a href="https://lundi.am/Rojava-y-partir-combattre-revenir">nombreux militants occidentaux</a> à faire le voyage dans la région pour y soutenir cette <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_revolution_kurde-9782707188472">« utopie »</a> en construction, et même certains à prendre les armes dans la guerre qui fait rage dans le pays, principalement contre l’État islamique (EI).</p>
<p>À leur retour dans leurs pays respectifs, dont la France, ces militants seront traités de la même manière que les volontaires partis combattre dans les rangs de l’EI. Fichés et surveillés du fait de la formation militaire et idéologique reçue en Syrie, certains seront même <a href="https://hal.science/hal-03879950/">arrêtés pour terrorisme</a>, du fait de leur engagement dans les rangs d’une organisation filiale du PKK, aux côtés de laquelle l’armée française a néanmoins elle-même combattu. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197562/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rémi Carcélès bénéficie d'une bourse doctorale financée par l'Université d'Aix-Marseille, dans le cadre de son travail de recherche - portant sur "la transposition des conflits nationaux en contexte migratoire par l'étude des militantismes turcs, kurdes et arméniens en France" - il est notamment amené à côtoyer régulièrement des associations militantes kurdes pouvant être en lien avec les réseaux mentionnés dans cet article. </span></em></p>Le nouvel attentat qui a frappé la communauté kurde marque une nouvelle meurtrissure dans l’histoire du militantisme kurde en France, près de dix ans jour pour jour après le triple-assassinat de 2013.Rémi Carcélès, Doctorant en science politique, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1960962022-12-11T16:57:11Z2022-12-11T16:57:11ZMarine Tondelier : une cheffe pragmatique pour un parti écologiste en crise ?<p>Marine Tondelier a été largement élue à la tête d’Europe Écologie–Les Verts (EELV), au second tour du congrès fédéral du parti, samedi 10 décembre. <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/eelv/europe-ecologie-les-verts-cinq-choses-a-savoir-sur-marine-tondelier-la-nouvelle-patronne-du-parti_5513205.html">Avec 90,8 % des voix</a>, elle s’est imposée face à Mélissa Camara, élue lilloise soutenue par Sandrine Rousseau et incarnant une ligne plus « radicale », ainsi que devant Sophie Bussière, la candidate de Yannick Jadot. Cette élection et ce congrès livrent plusieurs informations clefs quant au tournant que connaît le parti actuellement.</p>
<p>La séquence électorale du printemps dernier, puis la préparation du congrès d’EELV, ont été marquées par la présence d’un duo coloré opposant un Yannick Jadot tenant d’une écologie pragmatique et une Sandrine Rousseau <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/10/05/sandrine-rousseau-quoi-qu-il-en-coute_6144423_4500055.html">avocate d’une nouvelle radicalité écologiste</a>.</p>
<p>Le premier épisode, en septembre 2021, a vu la victoire très courte de Yannick Jadot sur Sandrine Rousseau lors de la primaire des Verts. Puis on a vu le candidat Yannick Jadot, lors du premier tour de la présidentielle d’avril 2022 échouer à atteindre l’objectif symbolique et pratique de 5 % des suffrages exprimés. Dans les mois suivants, sa concurrente en écologie, Sandrine Rousseau, a clairement dominé la scène médiatique en multipliant les interventions toujours teintées de plus de radicalité <a href="https://theconversation.com/ecofeminisme-effet-de-mode-changement-de-paradigme-171851">écoféministe</a>.</p>
<p>Est-ce à dire que ce match a trouvé sa finale lors du congrès d’EELV (novembre, décembre) donnant une nouvelle teinture, pragmatique ou radicale à l’écologie politique ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/connaissez-vous-francoise-deaubonne-la-pionniere-de-lecofeminisme-167647">Connaissez-vous Françoise d’Eaubonne, la pionnière de l’écoféminisme ?</a>
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<h2>Deux personnalités opposées</h2>
<p>La réalité a été plus complexe. C’est bien le congrès, chez les Verts comme dans la <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2005-1-page-287.htm">tradition socialiste</a> qui indique les rapports de force idéologiques à travers des « motions » assurant à ceux (celles) qui les présentent la majorité au sein de l’exécutif du parti (chez EELV, le bureau exécutif).</p>
<p>Mais le congrès n’a pas clairement mis en scène un combat entre les deux personnalités qui ont incarné l’écologie politique ces derniers mois, Sandrine Rousseau et Yannick Jadot. D’abord parce que le public de la primaire constitué de sympathisants (106 622 votants) ne se confond pas avec celui du congrès (5625 encartés). Ensuite parce que les statuts d’élus au Parlement européen (Yannick Jadot) et à l’Assemblée nationale (Sandrine Rousseau) leur interdisent de briguer un poste au sein de l’exécutif des Verts.</p>
<p>Il est vrai qu’à défaut d’être présents en personne, les deux leaders de l’écologie politique ont indiqué vers quelle liste allait leur préférence : Sophie Bussière pour Yannick Jadot, Mélissa Camara pour Sandrine Rousseau. Mais précisément, Yannick Jadot a (volontairement ?) évité la répétition d’une confrontation directe avec Sandrine Rousseau en n’apparaissant pas officiellement comme soutien de la liste que l’on savait très probablement majoritaire, celle de Marine Tondelier.</p>
<p>Les résultats du premier tour effacent l’idée d’un nouveau duel Yannick Jadot/Sandrine Rousseau : Marine Tondelier, héritière de la ligne qui a dominé le parti ces dernières années avec David Cormand, puis Julien Bayou, arrive largement en tête avec 46,8 % des suffrages au premier tour le 26 novembre. Celle de Sophie Bussière vient en second avec 18,1 %, des suffrages. Et la candidate proche de Sandrine Rousseau, Mélissa Camara, n’occupe que la troisième place avec 13,5 %.</p>
<h2>Radicalité contre pragmatisme ?</h2>
<p>Ce combat électoral peut-il être lu en termes de radicalité contre pragmatisme, les mots qui, de fait, avaient opposé Yannick Jadot et Sandrine Rousseau ?</p>
<p>La lecture des motions proposées par les six têtes de liste ne le confirme pas vraiment : le terme de « radicalité » apparaît, en général une seule fois, dans tous les textes. Il est vrai que chez Sophie Bussière, préférée de Yannick Jadot, on parle d’un mouvement « radical et pragmatique », quand chez Tondelier on invoque « la radicalité intrinsèque » du projet écologiste.</p>
<p>Pas de quoi, au total, classer les motions en termes de « gauche contre droite ». Bien qu’en réalité, au-delà des mots qui restent prudents, il y a bien chez les Verts une gauche. Elle est représentée aujourd’hui par Mélissa Camara, ou encore Hélène Hardy et Géraldine Boyer, soit au total 24,5 % des voix de l’élection. Cette gauche s’exprime en soulignant le refus absolu de toute alliance avec l’écologie centriste ou dite de droite, incarnée par des personnalités comme Corinne Lepage ou Jean-Marc Governatori.</p>
<p>Et symboliquement on reconnaît que le soutien par Yannick Jadot de la candidature de Bussière lui vaut un classement plus « à droite ». Parce qu’il se réclame d’une écologie consensuelle et pragmatique, Yannick Jadot est soupçonné par certains adhérents de vouloir une alliance avec la majorité actuelle.</p>
<p>Mais Marine Tondelier conserve l’avantage insigne d’occuper ce qu’il faut bien appeler « un centre », peut-être au sens de « centre de gravité » du parti.</p>
<h2>La radicalité évaporée</h2>
<p>Il reste que la radicalité appelée de ses vœux par Sandrine Rousseau s’est quelque peu évaporée dans les arcanes des courtois échanges partisans de ce congrès. Sandrine Rousseau le déplore publiquement en prenant argument de la faiblesse du nombre des adhérents qui ont voté, comparée au nombre impressionnant des sympathisants qui l’avaient, presque, préférée face à Jadot lors de la primaire. Une façon d’insinuer que le vote du congrès n’est pas aussi légitime ou pertinent qu’il paraît ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1597131230843224064"}"></div></p>
<p>En réalité la question posée par Sandrine Rousseau soulève un vrai problème pour les Verts, celui de la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_ecologie_politique_en_france-9782348035616">faiblesse chronique</a> de leur base militante.</p>
<p>Certes, comparés au congrès de 2019, les effectifs officiels ont augmenté, passant de 7 700 à cette date à 12 638 aujourd’hui. Mais comme en 2019, moins de la moitié des adhérents (44,2 % en 2022) prennent part activement au congrès en votant pour <a href="https://www.eelv.fr/resultats-congres-decentralises-2022/">l’une des motions</a>.</p>
<p>Et surtout, ces chiffres ne semblent pas à la mesure de ce que l’on tient aujourd’hui pour une conscientisation massive de la question climatique dans le public.</p>
<h2>La « vraie » écologie est-elle dans la rue ?</h2>
<p>Le spectacle des mobilisations activistes menées par « Extinction Rebellion » ou « Just Stop Oil » convainc que la « vraie écologie » est <a href="https://theconversation.com/face-au-rechauffement-climatique-passer-de-leco-anxiete-a-leco-colere-184670">dans la rue</a> plus que dans les partis, fussent-ils écologistes.</p>
<p>Les Verts sont conscients de cette situation et cherchent depuis longtemps à y remédier, les textes des motions du congrès en témoignent. Le déficit de clientèle électorale <a href="https://www.pug.fr/produit/2011/9782706152979/le-vote-clive">au sein des classes populaires</a> a toujours préoccupé les Verts. Chez eux, l’idée d’une écologie autant sociale qu’environnementale domine depuis longtemps.</p>
<p>Plus largement, la notion de « territoire(s) », est invoquée par toutes les motions (18 occurrences) généralement pour déplorer le manque d’implantation locale de l’écologie politique au sein des différents « territoires », régions, départements, communes, quartiers populaires, outre-mer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/zones-rurales-contre-zones-urbaines-deux-france-sopposent-elles-vraiment-dans-les-urnes-189609">Zones rurales contre zones urbaines : deux France s’opposent-elles vraiment dans les urnes ?</a>
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<p>Le mot n’est pas vraiment nouveau, on le trouve avec à peu près la même fréquence dans les textes du précédent congrès (2019).</p>
<p>Il marque une préoccupation constante des Verts qui exprime une réalité douloureuse : en 38 années d’existence (1984-2022) ce parti n’a pas vraiment réussi, au contraire des mouvements historiques de la gauche à s’implanter régulièrement dans un ensemble stable de territoires.</p>
<p>Pour remédier à la faiblesse permanente de sa base militante, on cherche depuis longtemps à attirer au sein du mouvement des sympathisants en organisant périodiquement des « États généraux de l’écologie », ou à rendre le parti plus désirable en refondant ses structures, ou encore en améliorant la formation de ses nouveaux adhérents, et cette fois, peut-être en toilettant son apparence en choisissant un nouveau nom « Les écologistes ».</p>
<p>Il n’est pas sûr que ces vieilles recettes suffisent à atteindre <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/marine-tondelier-candidate-au-congres-deelv-notre-objectif-un-million-de-sympathisants-dici-2027-4149503">l’objectif</a> que s’est fixé la nouvelle secrétaire nationale des Verts : un million de sympathisants d’ici 2027.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196096/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Boy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 38 années d’existence le parti écologiste français n’a pas vraiment réussi à s’implanter régulièrement dans un ensemble stable de territoires.Daniel Boy, Directeur de recherches émérite, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1937712022-11-24T22:31:50Z2022-11-24T22:31:50ZMobiliser dans un contexte post #MeToo : la stratégie du collectif #NousToutes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/496445/original/file-20221121-26-gfq5yp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C34%2C4608%2C3028&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le collectif #Noustoutes a permis l'émergence d'un renouveau de l'action féministe au tournant des années 2010. Marche contre les violences sexistes et sexuelles le 23 novembre 2019.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/albums/72157691229705502">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>En un peu moins de cinq années, <a href="https://www.noustoutes.org/">#NousToutes</a> est devenu l’un des acteurs hégémoniques sur la question des « violences sexistes et sexuelles » en France. Si cette position a été acquise notamment par ses usages communicationnels, son fonctionnement est-il novateur ? Dès son lancement au cours de l’été 2018, quelques mois après la <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/les-violences-sexistes-apres-metoo/">diffusion massive et transnationale du <em>hashtag</em> #MeToo</a>, le collectif français ambitionne de rassembler au sein du mouvement féministe. Ses revendications sont donc claires : défendre « toutes » les femmes, contre « toutes » les violences, sans se positionner sur les sujets clivants tels que le port du voile ou le travail du sexe/prostitution.</p>
<p>L’objectif initial du collectif consiste à « élever le niveau de conscience dans la société » sur la question des violences faites aux femmes. Dans ce cadre, il organise une première grande action à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre. La manifestation rassemble en 2018 près de 50 000 personnes sur toute la France et 150 000 l’année suivante. À côté de cet événement emblématique, #NousToutes propose des <a href="https://www.noustoutes.org/formations-lives/">formations</a> sur les mécanismes des violences et développe d’autres actions plus ponctuelles, à l’image de la diffusion de sac à pain dans les boulangeries sur lesquels sont imprimés des <a href="https://www.centre-hubertine-auclert.fr/article/outil-de-prevention-des-violences-le-violentometre">violentomètres</a>, un outil permettant de détecter les violences.</p>
<h2>Les réseaux sociaux, clé de voûte du collectif</h2>
<p>Si #NousToutes s’organise autour d’une structure nationale, le collectif fonctionne aussi via des <a href="https://www.noustoutes.org/comites-locaux/">comités locaux</a> partout en France et des pôles thématiques internes (pôles jeunesse, réseaux sociaux, etc.). L’ensemble de ces groupes communique en ligne sur des boucles WhatsApp ou des serveurs Discord. </p>
<p>Grâce aux outils numériques réduisant le coût d’entrée, #NousToutes propose un engagement facilité : il suffirait de quelques clics par semaines pour devenir « activiste » ou « bénévole ». Ce discours a pour objectif de convaincre des personnes n’ayant jamais eu de socialisation associative ou militante préalable de rejoindre l’organisation. Il permet de recruter largement. Dans la pratique, l’implication des militantes qui ont permis à #NousToutes de prendre une telle ampleur est loin de se limiter à un travail superficiel.</p>
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<p>S’inscrivant dans les pratiques de « <a href="https://fabiengranjon.eu/wp-content/uploads/2018/12/Fabien-Granjon_book_2001.rtf.pdf">l’internet militant</a> » et des <a href="https://doi.org/10.3917/res.201.0019">mobilisations féministes contemporaines</a>, #NousToutes investit fortement ses réseaux sociaux numériques. Que ce soit sur Instagram, Twitter et plus récemment sur TikTok, le collectif produit un discours accessible sur la question des violences. Ses réseaux sociaux lui permettent également d’organiser et promouvoir ses actions, ainsi que d’interpeller les pouvoirs publics et instances médiatiques. </p>
<p>Par rapport à d’autres mobilisations en ligne, la particularité des discours numériques de #NousToutes ou d’autres <a href="https://doi.org/10.4000/terminal.5764">associations féministes</a> consiste dans la place accordée au soutien des victimes : #NousToutes utilise les réseaux sociaux dans la continuité du <a href="https://doi.org/10.1080/09589236.2016.1211511">« féminisme de <em>hashtag</em> »</a>, c’est-à-dire, comme un espace de solidarité féministe entre internautes à l’image du mot dièse #JeSuisFéministe ou #BalanceTonBar.</p>
<p>Si #NousToutes travaille à sa visibilité en ligne, l’ensemble de ces actions s’inscrit plus largement dans un impératif de médiatisation : l’un de ses objectifs reste sa couverture par les médias dits traditionnels. L’objectif de « faire la Une » et le « <em>buzz</em> » a été amené par ses fondatrices dès son lancement. Selon elles, c’est par ce biais qu’il est possible de toucher une large audience et « créer un électrochoc dans la société ». Les militantes de #NousToutes sont donc formées à la rédaction d’un « bon » communiqué de presse ou encore à la prise de parole auprès de journalistes lors de <em>media trainings</em>.</p>
<p>La stratégie médiatique de #NousToutes consiste également à travailler sur le temps long à l’émergence de sujets précis sur les violences et au cadrage féministe de ceux-ci dans l’espace public. Par exemple, la publication et la circulation du décompte des féminicides lui permettent à la fois d’interpeller l’opinion publique et le gouvernement, tout en se positionnant comme source de référence auprès des journalistes.</p>
<p>La lutte pour la médiatisation de #NousToutes s’opère également par le biais de <a href="https://www.change.org/p/nous-marcherons-le-24-novembre-contre-les-violences-sexistes-et-sexuelles">pétitions</a> et <a href="https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/181118/250-personnalites-disent-jemarchele24-avec-noustoutes">tribunes</a> où des artistes, militantes et universitaires appellent à rejoindre les événements du collectif. Ces actions, couplées à la présence de « <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=2416637218554171&ref=sharing">cortèges de célébrités</a> » dans les manifestations de novembre lui permettent même d’obtenir une médiatisation auprès de magazines <em>people</em>.</p>
<h2>#NousToutes : un renouveau militant ?</h2>
<p>Si la communication est le pilier central sur lequel repose #NousToutes, que ce soit en interne ou à destination d’une audience souhaitée, les actions du collectif prennent également place en dehors des réseaux sociaux, à l’image des diffusions de tracts devant les stations de métro, des quiz de rue ou des manifestations de novembre.</p>
<p>L’articulation de ces deux espaces en ligne et hors ligne est fondamentale. Elle inscrit #NousToutes dans la continuité des stratégies du mouvement féministe depuis le milieu des années 2000. Les collectifs les <a href="https://effrontees.wordpress.com/">EffrontéEs</a>, la <a href="https://labarbelabarbe.org/">Barbe</a> ou encore <a href="https://osezlefeminisme.fr/">Osez le Féminisme !</a> avaient déjà pour objectif de <a href="https://doi.org/10.3917/parti.017.0179">faire émerger médiatiquement des questions féministes au moyen de communication en ligne</a>. On se souvient par exemple de la campagne « <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y1RiE2hsmTs">Osons le clito !</a> » en 2011. </p>
<p>Il n’y a pas de rupture stratégique, mais les pratiques ne sont pas identiques dans la mise en œuvre, où l’on observe une forte professionnalisation du militantisme. L’articulation des espaces en ligne et hors ligne s’observe également dans le cadre d’autres mobilisations féministes contemporaines. Les collectifs de collages contre les féminicides, par exemple, diffusent dans les rues des messages et slogans éphémères. Ceux-ci n’ont pas vocation à durer du fait de réactions hostiles ou d’intempéries. Mais ces discours sont aussi partagés de manière pérenne en ligne, sur leurs réseaux sociaux numériques, où ils peuvent être commentés, voire détournés.</p>
<p>Si #NousToutes peut être considéré comme ayant une position hégémonique sur la question des violences sexistes et sexuelles, ses actions s’inscrivent dans l’ensemble de celles du mouvement féministe et dans la poursuite d’une mise en mouvement déjà initiée. <a href="https://www.theses.fr/s197679">Mes recherches</a> laissent penser que plutôt qu’un renouveau du militantisme, #NousToutes témoigne d’une accélération ou d’une massification du militantisme féministe en ligne.</p>
<p>La mise en visibilité du décompte des féminicides par #NousToutes renseigne par ailleurs sur les forces d’éclatement du mouvement féministe cinq ans après #MeToo. Le décompte des féminicides qu’il relaye était au départ issu d’un travail de revue de presse par un autre collectif <a href="https://www.feminicides.fr/">« Féminicides par compagnons ou ex »</a>. Au début de l’année 2022, le collectif #NousToutes a annoncé produire son propre <a href="https://www.noustoutes.org/comprendre-les-chiffres/">décompte</a>. Cette rupture fait suite aux prises de <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/des-transactivistes-violents-tentent-de-simposer-par-la-terreur-dans-les-organisations-feministes">positions publiques</a> sur la transidentité du collectif « Féminicides par compagnons ou ex ». Elle met en évidence les tensions et conflits qui traversent encore le mouvement féministe en France. Celles-ci n’ont pas disparu avec #NousToutes – ni à sa création, ni aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193771/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Irène Despontin Lefèvre a obtenu un contrat doctoral pour réaliser sa thèse en sciences de l'information et de la communication au sein de l'Université Paris-Panthéon-Assas. Dans le cadre de ses recherches, elle a réalisé une enquête (n)ethnographique et a été amenée notamment à rencontrer des membres du collectif #NousToutes et des militantes féministes.</span></em></p>Par rapport à d’autres mobilisations en ligne, la particularité des discours numériques de #NousToutes ou d’autres associations féministes consiste dans la place accordée au soutien des victimes.Irène Despontin Lefèvre, Doctorante en sciences de l'information et de la communication, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1942682022-11-15T16:52:42Z2022-11-15T16:52:42ZLe pouvoir des mots : « écoterrorisme » ou « résistance écologiste » ?<p>Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a qualifié les récentes manifestations anti-bassines à Sainte-Soline en France <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/deux-sevres-la-mobilisation-se-poursuit-contre-les-bassines-a-sainte-soline-20221030">« d’écoterrorisme »</a>, terme repris, voire assumé par <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/manifestation-anti-bassines-le-mot-ecoterrorisme-ne-me-gene-pas-assure-le-ministre-de-l-agriculture_5461276.html">d’autres figures du gouvernement depuis</a>. Néanmoins, l’expression interroge : les dégradations de biens et les confrontations entre les activistes et les forces de l’ordre relèvent-elles bien d’« écoterrorisme » ?</p>
<p>Plutôt que proposer une réponse juridique à cette question, cet article vise à questionner le sens politique de la dénomination « écoterrorisme ». Les lecteurs et lectrices sont invité·e·s à faire un pas de côté et réfléchir à l’importance des mots employés en contexte, dont le pouvoir est amplifié selon la position sociale du locuteur. Il ne s’agit pas de nier la terreur à laquelle mène le terrorisme ni de se positionner sur la nature violente de l’évènement, mais d’interroger sa lecture politique à travers le procédé de dénomination. Comme le souligne le sociologue <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/langage-et-pouvoir-symbolique-pierre-bourdieu/9782757842034">Pierre Bourdieu</a>, le langage est porteur d’un pouvoir symbolique.</p>
<h2>Le choix du « mot-symptôme » : l’acte politique de dénomination</h2>
<p>Le choix du terme « écoterrorisme » pour nommer l’action portée par les militant·e·s écologistes n’est pas anodin. Il est un <a href="https://journals.openedition.org/mots/22403">« mot symptôme »</a> d’après la terminologie de Patrick Charaudeau, c’est-à-dire « un mot qui est chargé sémantiquement par le contexte discursif dans lequel il est employé et par la situation dans laquelle il surgit ».</p>
<p>Les mots sont des contenants d’idées, de symboles, et d’images qui modèlent et déterminent la forme de ce que nous pensons. Nommer un phénomène n’est pas neutre, chaque mot renvoyant à une interprétation de la réalité, à un imaginaire particulier, à un point de vue <em>situé</em>. Autrement dit, le répertoire sémantique choisi pour désigner le phénomène en question est déjà chargé de sens, parce que bien souvent, il lui préexiste. Ainsi, les mots participent à la construction du sens apposé sur le phénomène. En tant que contenants, ils proposent une lecture spécifique de l’évènement. En France, le « terrorisme », au-delà d’une catégorie juridique, renvoie à un imaginaire bien spécifique (figure de l’<a href="https://www.researchgate.net/publication/339752790_Radicalisation_de_l%27adversaire_a_l%27ennemi">ennemi intérieur</a> qui commet des attentats). Son champ sémantique est ici élargi et mis en rapport avec l’activisme écologiste, façonnant en conséquence les représentations sociales.</p>
<p>Comme l’indique <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/ce-que-parler-veut-dire-9782213012162">Pierre Bourdieu</a>, le statut de l’énonciateur joue également un rôle déterminant : le terme « écoterrorisme » est employé par une figure d’autorité étatique, le ministre de l’Intérieur, dont le rôle est notamment l’encadrement de la violence physique légitime (forces de police entre autres). La dénomination opérée légitime l’action répressive menée à l’encontre des manifestant·e·s, en même temps qu’elle décrédibilise et invisibilise le discours écologiste.</p>
<h2>Terrorisme ou résistance : frontière symbolique</h2>
<p>Qu’en serait-il si l’action menée par les écologistes à Sainte-Soline avait été qualifiée de « résistance écologiste » ?</p>
<p>Le sociologue et philosophe <a href="https://journals.openedition.org/lectures/14656">Gérard Rabinovitch</a> rappelle que les notions de « résistance » et de « terrorisme », en principe antagonistes et dont la frontière ne devrait pas être floue, appartiennent pourtant, aujourd’hui, à la même catégorie sémantique politique. Sans glisser dans un relativisme qui consisterait à envisager les deux notions de façon absolument symétrique, on peut noter que les « résistant.es » comme les « terroristes » déploient une violence politique, et que l’étiquetage dont ils font l’objet est <em>radicalement</em> différent selon que leurs revendications et les moyens déployés sont considérés comme justes (moraux) ou injustes (immoraux) à un moment <em>t</em>.</p>
<p>Comme l’ont souligné <a href="https://journals.openedition.org/lectures/3784">Annie Collovald et Brigitte Gaiti</a>, le sens attribué à des actions et la narration dont elles font l’objet ne sont pas figés dans le temps. Ainsi, certaines actions collectives violentes peuvent être a posteriori célébrées, légitimées, voire romantisées (Révolution française, mai 68), quand d’autres sont requalifiées et délégitimées (relecture de la collaboration sous le régime de Vichy, colonialisme).</p>
<p>En parallèle, si on cherche à saisir le sens que les acteurs donnent à l’étiquette qui leur est apposée, on assiste à un flagrant contraste. Par exemple, ce qui est dénommé « terrorisme indépendantiste » correspond aussi à ce qui est vécu et revendiqué comme une juste <em>résistance</em> contre une autorité étatique jugée illégitime. On peut penser, dans les années 1960, au Front de Libération du Québec qui a déployé une violence politique au nom de la <a href="https://popups.uliege.be/1374-3864/index.php?id=1196">liberté territoriale</a>, politique et économique du Québec, contre l’hégémonie canadienne britannique. À l’époque, Charles de Gaulle avait d’ailleurs soutenu la cause indépendantiste en <a href="https://www.charles-de-gaulle.org/wp-content/uploads/2017/03/Discours-de-Montreal.pdf">proclamant</a> « Vive le Québec libre ! »</p>
<p>Dans une approche <a href="https://www.cairn.info/la-construction-sociale-de-la-realite--9782200621902.htm">constructiviste</a>, on suggère alors qu’un acte politique n’est pas éthique en soi, mais est désigné comme tel au sein d’un contexte sociohistorique, c’est-à-dire selon un ensemble d’indicateurs géographiquement et historiquement situés. La diversité des qualificatifs en fonction des points de vue témoigne de leur caractère politique : terroriste ici et aujourd’hui, résistant là-bas et demain, militant ou combattant ; l’imaginaire convoqué dans le discours est différent selon là où on se place.</p>
<h2>Le langage et les représentations</h2>
<p>On a vu que dans le discours, ce que représente la radicalité, le terrorisme ou la violence politique est <em>relatif</em>, dépendant des normes en vigueur dans une société donnée à une époque précise. Ainsi, comme le précisent <a href="https://www.cairn.info/violences-politiques--9782200616878.htm">Xavier Crettiez et Nathalie Duclos</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il semble indispensable de penser la violence dans son contexte et de parvenir à la resituer dans ses espaces géographiques comme sociaux et politiques. La violence est toujours relationnelle et ne prendra sens qu’à travers le rapport de force qu’elle institue ou qu’elle traduit. » (p. 20)</p>
</blockquote>
<p>Pour analyser la construction sémantique d’un problème public, il importe de replacer les termes dans leur contexte. Ici, on peut parler d’une <a href="https://theconversation.com/debat-qui-a-peur-des-etudes-feministes-et-antiracistes-a-luniversite-190940">panique morale</a> autour de ce qui est nommé <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/02/un-ensauvagement-de-la-societe-les-etudes-montrent-elles-une-relative-stabilite-de-la-delinquance-depuis-quinze-ans_6050650_3224.html">« l’ensauvagement de la société »</a> selon l’expression employée en 2020 par Gérald Darmanin, justifiant la mise en place de politiques sécuritaires.</p>
<p>Cette rhétorique légitime à tout prix la prévention des risques et la gestion policière des problèmes sociaux en s’appuyant sur l’élaboration de figures dangereuses menant, <em>in fine</em>, à la stigmatisation de certaines franges de la population.</p>
<p>En <a href="https://www.cairn.info/outsiders--9782864249184.htm">sociologie de la déviance</a>, on considère que l’entreprise de labellisation (tracer la frontière entre l’activiste <em>modéré·e</em> et l’activiste <em>radical·e</em>) est un enjeu de pouvoir, en ce qu’elle détermine la frontière entre les idéologies et pratiques politiques légitimes, et celles qui ne le sont pas.</p>
<p>Dans le discours politique, on observe également une tendance à l’homogénéisation des individus présents aux manifestations anti-bassines à Sainte-Soline, tous désignés comme ultraviolents, ainsi qu’une apparente absence de réflexion autour de leurs revendications. En effet, les discours politiques et médiatiques n’ont pas, ou très peu, évoqué l’incidence écologique des bassins de rétention sabotés par les militant·e·s (monopolisation de l’eau par l’agro-industrie, conséquences sur la biodiversité, évaporation de l’eau stagnante). Le message porté par les catégorisé·e·s « déviant·e·s » est rendu hors de propos.</p>
<p>S’interroger sur le pouvoir des mots donne également l’occasion de poser la question de la légitimité éventuelle de la cause défendue, toujours considérée comme étant juste aux yeux de ceux et celles qui la commettent, et injuste ou insuffisamment juste par ses détracteurs.</p>
<hr>
<p><em>Lucile Dartois effectue son doctorat en cotutelle en psychologie sous la direction de Martine Batt et Romain Lebreuilly à l’Université de Lorraine (laboratoire Interpsy, axe GRC), et en sociologie sous la direction de Pr Marcelo Otero à l’Université du Québec à Montréal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194268/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucile Dartois est conseillère en recherche au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence à Montréal.</span></em></p>Le choix du terme « écoterrorisme » pour nommer l’action portée par les militant·e·s écologistes n’est pas anodin et questionne notre rapport à l’action politique et sa nomination.Lucile Dartois, Doctorante en cotutelle à l'Université de Lorraine (en psychologie, laboratoire Interpsy, axe GRC) et à l'Université du Québec à Montréal (département de sociologie), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1901092022-11-15T14:41:44Z2022-11-15T14:41:44ZLe Printemps érable a été un événement générationnel majeur : dix ans plus tard, les ex-grévistes continuent de s’engager politiquement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/483046/original/file-20220906-16-sevhw1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1973%2C1320&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation du 22 mai 2012 à Montréal.</span> <span class="attribution"><span class="source">Mario Jean/MADOC</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Il y a dix ans prenait fin la <a href="https://luxediteur.com/catalogue/printemps-de-force/">plus grande grève étudiante de l’histoire du Québec</a>. Elle a été déclenchée en février 2012 afin de protester contre la hausse des droits de scolarité universitaires décrétée par le gouvernement libéral de Jean Charest. <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/la-greve-etudiante-quebecoise-de-2012-et-la-loi-78">Ces droits devaient augmenter de 75 % en 5 ans, ce qui les aurait fait passer annuellement de 2168$ à 3793$</a>.</p>
<p><a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/la-greve-etudiante-quebecoise-de-2012-et-la-loi-78">Cette grève, qui a rejoint, à son sommet, quelque 310 000 étudiant·e·s</a>, a donné lieu à des manifestations et des actions de perturbation quotidiennes durant les près de huit mois qu’elle a duré. Mais elle a été aussi le théâtre d’une forte répression policière, qui a fait des dizaines de blessé·e·s et a mené à plus de 3 500 arrestations, en plus d’être marquée par l’adoption d’une loi spéciale le 18 mai 2012.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489218/original/file-20221011-22-w994mu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489218/original/file-20221011-22-w994mu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=613&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489218/original/file-20221011-22-w994mu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=613&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489218/original/file-20221011-22-w994mu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=613&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489218/original/file-20221011-22-w994mu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=770&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489218/original/file-20221011-22-w994mu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=770&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489218/original/file-20221011-22-w994mu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=770&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une altercation entre un manifestant et des policiers lors d’une manifestation étudiante, en août 2012. La violence a éclaté entre les forces de l’ordre et les étudiant·e·s à maintes reprises durant le Printemps érable.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Graham Hughes</span></span>
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</figure>
<p>Cette loi, échouant à casser la grève, viendra au contraire intensifier la mobilisation avec le <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2020-2-page-209.htm">« mouvement citoyen des casseroles »</a>, qui mènera au déclenchement hâtif des élections, 15 mois avant la fin théorique du mandat de Jean Charest.</p>
<p>Le gouvernement péquiste nouvellement élu décrétera rapidement l’annulation de la hausse des frais de scolarité, pour finalement annoncer quelques mois plus tard leur indexation au coût de la vie. Ce dénouement divisera les grévistes, plusieurs s’avérant déçu·e·s, voire trahi·e·s, vu l’ampleur de la mobilisation et les espoirs de transformation sociale profonde suscités par la grève.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489216/original/file-20221011-20-74zic5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489216/original/file-20221011-20-74zic5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489216/original/file-20221011-20-74zic5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489216/original/file-20221011-20-74zic5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489216/original/file-20221011-20-74zic5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489216/original/file-20221011-20-74zic5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489216/original/file-20221011-20-74zic5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Gabriel Nadeau-Dubois, alors jeune leader du mouvement étudiant, s’adresse aux médias le 2 novembre 2012, après une apparition en Cour. Dix ans plus tard, il est aujourd’hui chef parlementaire de Québec Solidaire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Graham Hughes</span></span>
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</figure>
<p>Malgré tout, un élément de bilan plus consensuel est la <a href="https://doi.org/10.1017/S0008423914000870">politisation de cette génération d’étudiant·e·s</a>, dont plusieurs ont vu leur vie transformée par ce mouvement. Alors que la trajectoire des ex-leaders étudiants a été <a href="https://www.lesoleil.com/2022/01/24/il-y-a-10-ans-le-printemps-erable-de-leo-martine-et-gabriel-video-a3eefc9c5c465f3bc6026e032f67dd03">grandement médiatisée ce printemps</a>, cet article se penchera plutôt sur celle de près de 500 ex-grévistes qui ont répondu à un questionnaire en ligne dans le cadre d’une recherche de maîtrise.</p>
<p>Ces personnes ont été recrutées en partie par un effet « boule de neige » grâce au partage du questionnaire sur Facebook en avril dernier, ce qui présente le risque d’une surreprésentation des personnes gravitant encore dans des réseaux militants. Toutefois, ce biais est atténué par une deuxième méthode de recrutement, qui a consisté à contacter directement par Messenger plus de 350 ex-grévistes dont les noms ont été retrouvés grâce à des archives et des articles de journaux.</p>
<p>Cette méthode a notamment permis d’obtenir une bonne représentativité régionale, mais elle présente le biais de cibler surtout des étudiant·e·s fortement engagé·e·s durant la grève. L’échantillonnage est donc non probabiliste, ce qui signifie que les résultats de l’échantillon ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble des grévistes de 2012.</p>
<h2>Un fort engagement dans la dernière décennie</h2>
<p>Un premier fait saillant des données collectées, comme l’illustre le tableau suivant, est que cette cohorte s’est fortement engagée dans la dernière décennie. C’est dans le mouvement étudiant, les luttes contre l’austérité, les luttes écologistes et le mouvement féministe que cet engagement a été le plus fort.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/483398/original/file-20220908-9232-zbc488.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483398/original/file-20220908-9232-zbc488.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483398/original/file-20220908-9232-zbc488.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483398/original/file-20220908-9232-zbc488.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483398/original/file-20220908-9232-zbc488.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483398/original/file-20220908-9232-zbc488.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=337&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483398/original/file-20220908-9232-zbc488.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=337&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483398/original/file-20220908-9232-zbc488.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=337&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p>Un tel phénomène n’a rien d’inédit, comme en témoigne l’ouvrage <a href="https://agone.org/livres/freedomsummer"><em>Freedom Summer</em></a>. L’auteur Doug McAdam y relate les conséquences de l’expérience militante extrême de lutte pour les droits civiques qui a eu lieu à l’été 1964, au Mississippi, sur les centaines de jeunes volontaires qui y ont pris part. Il en ressort que cette cohorte de militant·e·s, fortement politisée et radicalisée par ces trois mois d’activisme à « haut risque », s’est retrouvée aux premières loges des autres mouvements majeurs des années 1960 aux États-Unis, soit le mouvement étudiant, la mobilisation contre la guerre du Vietnam et le mouvement féministe.</p>
<h2>Vie de famille et travail à temps plein</h2>
<p>L’engagement actuel des grévistes de 2012 est lui aussi élevé, malgré un portrait plus contrasté.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483405/original/file-20220908-20-kpvmvj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483405/original/file-20220908-20-kpvmvj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483405/original/file-20220908-20-kpvmvj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483405/original/file-20220908-20-kpvmvj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483405/original/file-20220908-20-kpvmvj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483405/original/file-20220908-20-kpvmvj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483405/original/file-20220908-20-kpvmvj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Environ le quart des répondant·e·s (122 sur 457) ont complètement cessé de militer. Cette proportion est significativement plus grande que celle de 11 % observée dans une vaste enquête se penchant sur les militant·e·s de <a href="https://www.actes-sud.fr/node/63026">Mai 68, en France</a>, 50 ans plus tard.</p>
<p>Une piste d’explication est que l’intensité de l’engagement durant la grève était très variable d’une personne à l’autre. Certaines s’y sont dévouées corps et âme, tandis que d’autres s’y sont engagées plus à la marge, ce qui a pu rendre l’expérience moins transformatrice. En effet, parmi les 125 répondant·e·s peu engagé·e·s durant la grève, 55 (44 %) ont cessé de militer après la grève.</p>
<p>Également, plus de la moitié des répondant·e·s ont invoqué le manque de temps comme frein à leur engagement. Maintenant âgé·e·s pour la plupart entre 27 et 35 ans, 72 % ont un emploi à temps plein, et le tiers sont parents. Cela est cohérent avec la <a href="https://doi.org/10.3917/scpo.filli.2017.01.0167">littérature</a>, qui souligne que les engagements sociaux (notamment familiaux, amicaux et professionnels) s’avèrent souvent parallèles et concurrents aux engagements militants.</p>
<p>Malgré tout, 295 répondant·e·s (64 %) militent encore présentement. Leur engagement, généralement bénévole, se fait majoritairement dans un parti politique (89 personnes, dont 71 à Québec Solidaire), dans un organisme local (79 personnes) ou dans un syndicat (70 personnes).</p>
<p>Bien qu’une prudence soit de mise pour ce genre de comparaison vu l’échantillon non aléatoire, un tel niveau d’engagement est de loin supérieur aux résultats d’une <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/11-008-x/2005003/article/8965-fra.pdf">étude de Statistique Canada</a> qui rapporte qu’en 2003, 2,5 % des adultes de 22 à 44 ans ont fait du bénévolat pour un parti politique, 7 % ont participé à une manifestation ou à une marche et 21 %, à une assemblée publique.</p>
<p>Au niveau de l’emploi, 81 % des répondant·e·s disent accorder plus d’importance à son sens politique et à sa cohérence avec leurs valeurs plutôt qu’à son salaire. Une grande proportion travaille d’ailleurs dans le secteur public (42 %) ou dans un organisme communautaire (17 %).</p>
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<img alt="Des jeunes filles en train de manifester" src="https://images.theconversation.com/files/489217/original/file-20221011-14-fokhkl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489217/original/file-20221011-14-fokhkl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489217/original/file-20221011-14-fokhkl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489217/original/file-20221011-14-fokhkl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489217/original/file-20221011-14-fokhkl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489217/original/file-20221011-14-fokhkl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489217/original/file-20221011-14-fokhkl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des jeunes manifestent à Montréal, le 22 août 2012.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Graham Hughes</span></span>
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<h2>Des convictions et un engagement politique encore bien vivants</h2>
<p>Malgré des degrés d’engagement variables, il est frappant de constater que peu ont renoncé à leur idéal de justice sociale. En effet, 94 % considèrent être « resté·e fidèle à la vision politique et aux principes défendus en 2012 ». Également, 64 % des répondant·e·s se positionnent aujourd’hui fortement à gauche (degrés 0-1-2 d’une échelle de 0 à 10), alors qu’ils n’étaient que 28 % à se positionner ainsi avant la grève.</p>
<p>En conclusion, malgré la prudence requise vu l’échantillon non aléatoire, les données collectées présentent de nombreuses similitudes avec les recherches sur les militant·e·s de Mai 68 et du <em>Freedom Summer</em>. Cela tend à confirmer que la grève de 2012 a été un événement générationnel majeur qui, loin d’avoir un impact seulement sur ses leaders, a eu un impact durable sur la trajectoire d’engagement d’un grand nombre de grévistes.</p>
<p>Il est d’ailleurs frappant que 84 % des répondant·e·s considèrent aujourd’hui que la grève de 2012 a été un « tournant dans leur vie », et que plusieurs la qualifient « d’éveil politique », de « moment charnière », ou encore, « de la plus belle période de leur vie ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190109/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mireille Allard a reçu des financements du Conseil des recherches en sciences humaines du Canada. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascale Dufour est professeure titulaire de science politique à l'Université de Montréal et Directrice de recherche du Collectif de recherche Action Politique et Démocratie (CAPED) (<a href="http://www.capedmontreal.ca">www.capedmontreal.ca</a>)</span></em></p>Dix ans après la grève étudiante de 2012, une enquête auprès d’ex-grévistes démontre que leurs convictions et leur engagement politique sont encore bien vivants.Mireille Allard, Candidate à la maîtrise en science politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Pascale Dufour, Professeure titulaire - spécialiste des mouvements sociaux et de l'action collective, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1929152022-10-27T17:45:53Z2022-10-27T17:45:53ZScandale(s) au musée : une affaire ancienne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/491942/original/file-20221026-19-s270xq.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C6%2C1519%2C945&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'action spectaculaire des militantes de Just Stop Oil, le 14 octobre dernier, a provoqué un buzz sans précédent sur les réseaux sociaux. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=fP0FX36OSEc">Youtube / capture d'écran</a></span></figcaption></figure><p>Vendredi 14 octobre, deux militantes de Just Stop Oil (un mouvement qui milite en vue de l’arrêt des projets pétroliers et gaziers britanniques) se sont introduites dans la National Gallery de Londres et ont projeté de la soupe à la tomate Heinz sur les <em>Tournesols</em> (1888) de Van Gogh, avant de coller leurs mains à la cimaise murale de la salle d’exposition. Scandale instantané et stratosphérique. </p>
<p>Qu’il s’agisse de soupe ou de <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/de-la-puree-jetee-sur-un-tableau-de-claude-monet-une-nouvelle-attaque-ecologiste-20221023">purée</a>, l’écho médiatique que rencontrent ces incidents remplit à la perfection leur mission de médiatisation de la cause écologiste. Elles comportent en outre, par leur effet scandaleux, leur propre autojustification, en démontrant que l’atteinte à l’art nous scandaliserait désormais plus que celle au vivant… Les <em>Tournesols</em> étant protégés par une vitre, elle-même métaphore de cette protection de l’art, l’agressivité simulée de cette action lui confère d’abord une portée symbolique. Pour discuter de sa pertinence et de ses limites, il n’est pas inutile de se replonger dans l’histoire de l’activisme artistique et des interventions dans les musées.</p>
<h2>Art ou activisme ?</h2>
<p>Levons d’abord tout malentendu : les militantes de JSO, même si leur action utilise un répertoire artistique, ne revendiquent que la dimension politique de leur mise en scène, et la vidéo de la séquence dénote en effet un contournement délibéré de toute tentative d’esthétisation, et même une certaine maladresse. Mais l’on peut s’amuser à regarder les choses par l’autre bout de la lorgnette : si elles avaient revendiqué le caractère « artistique » de leur « event », il est fort à parier que le scandale eut été bien moindre, voire nul. La transgression est mieux supportée quand elle est signée par un artiste que par un activiste. Ce qui du reste confirme un peu la portée de leur message : l’art est devenu un signifiant rassurant, domestiqué et en partie inoffensif, un miroir de nos névroses qui ne conduit qu’à de la reproduction.</p>
<p>Petite comparaison : leur action était bien moins violente (et sordide) que celle de l’artiste-performeur Piotr Pavlenski, <a href="https://theconversation.com/piotr-pavlenski-entre-avant-garde-reactionnaire-et-snuffisation-de-la-politique-131872">auteur d’un happening dirigé <em>ad hominem</em> (et <em>ad penem</em>) contre Benjamin Griveaux</a>, qui excédait quant à lui la frontière de la simulation. Mais l’exaction de Pavlenski ne suscita pas, il s’en faut de beaucoup, la même levée de boucliers moralisatrice. Car son auteur était un artiste. Sans doute aussi parce que l’opinion aime plus Van Gogh que ses actuels dirigeants, mais il s’agit là d’une autre histoire… La comparaison montre en tout cas, si cela était encore nécessaire, la ténuité infime de ce qu’il reste de frontière entre art et non-art : les définitions ne sont plus qu’affaire de contexte, de réception et de paramètres extérieurs à l’œuvre elle-même, ce que <a href="https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1988_num_86_70_6498">Nelson Goodman avait appelé l’« allographisation » de l’art</a>.</p>
<h2>Échos à l’histoire de l’art performance</h2>
<p>Il n’empêche que l’action des militantes JSO s’inscrit aussi dans cette histoire artistique de la performance et des interventions d’artistes. Les critiques horripilés qui n’ont vu que les cheveux roses et les inscriptions sur les T-shirts sont passés à côté de nombreux hypertextes (volontaires ou non, ce n’est pas la question : un réseau de signes apparaît) qu’il serait fastidieux de relever exhaustivement : le <a href="https://www.lemonde.fr/festival/article/2019/08/08/arts-le-grand-verre-de-duchamp-une-insolite-mariee_5497731_4415198.html"><em>Grand Verre</em> de Duchamp</a>, <a href="https://techniquejacksonpollock.wordpress.com/action-painting-et-expressionnisme-abstrait/">l’action painting</a>, la <a href="https://www.kazoart.com/blog/loeuvre-a-la-loupe-campbells-soup-cans-d-andy-warhol/">soupe Campbell de Warhol</a>, <a href="https://fahrenheitmagazine.com/fr/art/Wolf-Vostell-et-sa-technique-de-d%C3%A9collage-dans-le-courant-fluxus#.Y1EEZG5By5c">« les décollages »</a> de l’artiste Fluxus Volf Vostell, et même la <a href="https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/art-contemporain/la-banane-de-maurizio-cattelan-f-ready-made-11130018/">banane collée</a> sur un mur de Maurizio Cattelan… La liste à la Prévert serait sans intérêt, mais le jeu d’échos est assourdissant, précisément parce que l’histoire récente de l’art contemporain consiste en cette confusion progressive, et dérangeante, entre l’esthétique et le politique.</p>
<p>Quant à l’<a href="https://www.ehess.fr/fr/journ%C3%A9es-d%C3%A9tude/quest-que-lartification">artification</a> du geste de vandalisme, c’est aussi une vieille histoire qui remonte aux avant-gardes historiques : empreint d’ironie nihiliste, les tracts et manifestes dadaïstes sont truffés d’appels (métaphoriques) à la casse, tandis que Tristan Tzara comparait l’art à « un poète aux côtes cassées comme Picabia qui casse tous les os et les roses de verre ». <a href="https://www.youtube.com/watch?v=nbQSTEVGGpE">Ce même Francis Picabia qui proclamait dans son <em>Manifeste cannibale</em> (1920)</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Vous êtes les maîtres de tout ce que vous casserez. On a fait des lois, des morales, des esthétiques, pour vous donner le respect des choses fragiles. Ce qui est fragile est à casser. Éprouvez votre force une fois ; après cela je vous défie bien de ne pas continuer. »</p>
</blockquote>
<p>Et Picabia de conclure en un retournement éloquent : « Ce que vous ne pourrez casser vous cassera, sera votre maître. »</p>
<p>Et bien avant <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2006/01/06/m-pinoncelli-et-duchamp-frappante-charite_728163_3246.html">Pinoncelli</a>, qui se rendit célèbre en urinant et en endommageant l’urinoir (<em>Fontaine</em>) de Duchamp, bien avant <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/loeuvre-auto-detruite-de-banksy-vendue-a-185-millions-de-livres-un-record-pour-lartiste-14-10-2021-M46L6ULHPFBOND5IS35QX34ROY.php">l’œuvre autodétruite de Banksy</a>, il y eut <a href="https://www.paris-art.com/supportive/">l’autrichien Gustav Metzger</a>, inventeur de « l’autodestructive art », l’art qui s’autodétruisait : les toiles, installations était offertes à la nature, à ses forces de corrosion qui, en agissant sur les œuvres, les déformaient et prenaient la place de l’artiste et du pinceau. Dans un tout autre registre, le retrait de l’artiste au profit de l’œuvre de la nature ou du cosmos se retrouve dans « l’Arte povera », dans le « Land art », dans les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bLDJk2pZQaI">performances telluriques d’Ana Mendieta</a>… C’est infini.</p>
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<p>Bref. La lutte entre l’art et la vie, la dramatisation de la tension entre l’objet et le geste sont des topos récurrents de l’art contemporain, dont une partie s’est employée depuis longtemps à dénoncer la réification de l’art bourgeois, la dévitalisation des œuvres dans les musées, leur marchandisation, leur institutionnalisation et leur financiarisation. Cette part vitaliste de l’art contemporain, qui occupe une bonne part de l’art performance, est déjà depuis longtemps (au moins Beuys et Abramovitz) <a href="https://www.moma.org/learn/moma_learning/marina-abramovic-marina-abramovic-the-artist-is-present-2010/">entrée dans les musées</a>, paradoxe souvent mis en relief par les commentateurs divers et variés.</p>
<h2>Musées et activisme</h2>
<p>L’histoire de l’activisme dans les musées est tout aussi fournie : on peut songer à <a href="http://www.mirandawhall.space/?page_id=4671"><em>Bed Piece</em> (1972)</a> de Chris Burden, mais surtout aux actions contestatrices du groupe <a href="https://www.fondationdudoute.fr/1604-les-artistes.htm">Fluxus</a>, entreprises dans les années 1962 pour dénoncer la dévitalisation de l’art au profit d’un art bourgeois, marchand et inoffensif, déconnecté du monde et prédigéré pour un public amorphe et apathique. Les premiers festivals Fluxus sont des séries de sketches ou l’on bousille quelques pianos, où l’on transforme sa tête en pinceau ou son corps en violon. Contrairement à l’affaire des <em>Tournesols</em> qui obéit à une idéologie, le public de ces happenings était interloqué, traversé en même temps par le rire et le scandale devant ces bouffons post-dadaïstes. Parmi les plus célèbres manifestations et piquets de grève de Fluxus, <a href="http://artperformance.over-blog.fr/article-21958655.html">il y eu la manifestation avec Henry Flint devant le MoMA de 1963</a>, et les <a href="http://erik.avert.free.fr/05_07_2014_controvese.pdf">piquets de grève contre les concerts de Stockhausen</a>, compositeur dont ils avaient fait le symbole de l’art officiel européen et réactionnaire.</p>
<p>Enfin, il y eut Joseph Beuys qui ouvrit la voie aux performances véritablement activistes, autrement dit animées par une cause, ce qui n’était pas le cas de l’agitation Dada ou Fluxus, bien moins dirigée et intentionnelle. Beuys est l’inventeur de l’agit-prop artistique et écologiste comme en témoignent plusieurs actions : <em>Bog action</em> (1971), une des premières performances d’activisme écologiste pour contester contre l’assèchement d’une mer intérieure aux Pays-Bas ; <em>I like America and America like me</em> (la performance avec le coyote) ; <em>7000 Chênes</em> présenté à la Documenta de Kassel en 1982 – <a href="https://sites.ac-nancy-metz.fr/arts-plastiques/wp-content/uploads/Champ-des-questionnements-artistiques-transversaux-3.pdf">pour ne citer que quelques exemples</a>.</p>
<h2>« Floutage entre l’art et la vie »</h2>
<p>L’action de la National Gallery mérite d’être mise en perspective avec cette tradition de « floutage entre l’art et la vie » (« blurring of art and life », selon l’expression d’<a href="https://www.fondationdudoute.fr/artiste/14/1585-les-artistes.htm">Allan Kaprow</a>), qui a mis partiellement l’art au service du politique. Les Femen, les <a href="https://awarewomenartists.com/artiste/guerrilla-girls/">Guerilla Girls</a> ou les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pJ0cR-WB-ws">Pussy Riot</a> nous ont habitué à ce mélange entre art et militantisme, et cela depuis fort longtemps.</p>
<p>L’aspersion de soupe à la tomate constitue un geste de désartification et de désacralisation d’une œuvre d’art à la célébrité planétaire, et fétichisée par son prix – une des premières réactions des scandalisés fut en effet de rappeler la valeur marchande des <em>Tournesols</em>, quand bien même cette œuvre appartient à une collection publique. Une telle mise en perspective ne revient donc nullement à « artifier » (transformer en œuvre d’art) l’action des militantes JSO, et donc encore moins à les légitimer « parce que ce serait de l’art » : l’art est tout aussi redevable de critique que le militantisme. Les résonances avec l’histoire de l’art ne sont ni en sa faveur ni en sa défaveur, mais elles nous offrent d’autres outils critiques pour s’évader un peu de la polémique et changer d’angle. La filiation avec Beuys, par exemple, vaut dans toute son ambivalence : l’artiste allemand dérange encore par sa <a href="https://www.aether.news/joseph-beuys-fut-a-mes-yeux-lun-des-anthroposophes-les-plus-marquants-du-si%C3%A8cle-dernier/">proximité avec l’anthroposophie</a>, son personnage mégalomane de « guérisseur », son recyclage de la symbolique nazie à des fins de « réparation »…</p>
<p>L’irritation absolue, mais médiatiquement bénéfique, suscitée par cette intervention (finalement bénigne) à la National Gallery sert de révélateur au contexte de réception – et la révélation du contexte est souvent la visée ultime de l’art performance, <a href="https://www.editionstheatrales.fr/livres/performance-371.html">souvent qualifié d’« environnemental » par les artistes eux-mêmes</a> : notre époque est saturée de transgression, de buzz, de disruption, mais aussi d’attaques bien réelles contre l’art et contre la liberté d’expression. Il n’est pas étonnant que ce genre d’irruption soit mal reçue. Par ailleurs, le dualisme idéologique qui sert de cadre à l’intervention la dessert : outre qu’opposer nature et culture relève d’un antihumanisme potentiellement dangereux, prétendre que la culture serait plus protégée que la nature est, dans le meilleur des cas, d’une naïveté et d’une ignorance déconcertantes. Cela n’ôte rien à l’intérêt de rappeler que, malgré l’artificialisation extrême de notre environnement, l’art continue d’avoir besoin de la vie pour exister. Qu’un art sans vie n’est qu’un art pour zombie. C’était (peut-être) cette méditation à laquelle nous conviait Pascal Rambert <a href="https://www.liberation.fr/culture/2000/07/17/gilgamesh-un-champ-d-amour_330318/">mettant en scène l’épopée de Gilgamesh dans le champ de tournesols de l’île de la Barthelasse, à Avignon…</a>.</p>
<p>Gardons-nous en tout cas d’opposer nature et culture en conservant à l’esprit l’aphorisme d’Oscar Wilde (« La nature imite ce que l’œuvre d’art lui propose ») et celui de Robert Filliou (« L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art »).</p>
<hr>
<p><em>Merci à la metteuse en scène Yaël Bacry qui a, par ses réflexions et nos échanges, contribué à nourrir cet article.</em></p>
<p>A noter : Isabelle Barbéris sera en direct dans l’émission <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/signes-des-temps">Signe des Temps</a>, sur France Culture, dimanche 30 octobre entre 12h45 et 13h30._</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Barbéris ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’action militante de « Just Stop Oil » à la National Gallery résonne avec l’histoire artistique de la performance, qui a mis en avant la tension entre l’art et le vivant.Isabelle Barbéris, Maître de conférences HDR en Lettres et Arts, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1874012022-07-28T19:54:38Z2022-07-28T19:54:38ZLe difficile combat des artistes russes qui s’opposent à Poutine et à sa guerre en Ukraine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/476339/original/file-20220727-1257-5mxdqn.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C3%2C1268%2C741&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En mars, la star du hip-hop russe Oxxxymiron a organisé à Istanbul, Berlin et Londres une série de concerts de charité dont les recettes ont été consacrées à l’aide aux réfugiés ukrainiens.
</span> <span class="attribution"><span class="source">@JonnyTickle/Twitter</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un certain nombre de représentations d’artistes russes dans les pays occidentaux ont été annulées par les organisateurs au nom de la solidarité avec Kiev. C’est ainsi que, entre autres exemples, le ballet du Bolchoï <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/guerre-en-ukraine-le-ballet-du-bolchoi-est-banni-du-royal-opera-house-de-londres-77a7cc22-9677-11ec-8a8c-4c622ba3ed85">n’a pas pu se produire à l’opéra de Londres</a> ; l’orchestre du théâtre Marinski de Saint-Pétersbourg, dirigé par Valéri Guerguiev, connu pour sa proximité avec le Kremlin, a été <a href="https://www.radioclassique.fr/magazine/articles/guerre-en-ukraine-des-artistes-russes-retires-du-programme-de-la-saison-22-23-de-la-philharmonie-de-paris/">retiré du programme de la Philarmonie de Paris</a> ; et la Russie a été <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/eurovision/invasion-de-l-ukraine-la-russie-bannie-du-concours-de-l-eurovision_4981467.html">bannie du concours de l’Eurovision</a>. Il est également arrivé que des œuvres du répertoire russe soient <a href="https://www.radioclassique.fr/magazine/articles/guerre-en-ukraine-le-compositeur-russe-tchaikovski-deprogramme-par-lorchestre-philharmonique-de-cardiff/">déprogrammées</a>.</p>
<p>Chaque épisode de ce type constitue une aubaine pour la propagande du Kremlin, qui les relaie largement auprès de son opinion publique afin de la convaincre que l’Occident tout entier est en proie à une scandaleuse flambée de « russophobie » et que la culture russe dans son ensemble fait l’objet d’un boycott intégral – les médias du pouvoir, et <a href="https://www.usnews.com/news/world/articles/2022-03-25/putin-says-west-trying-to-cancel-russian-culture-including-tchaikovsky">Poutine en personne</a>, parlant à cet égard d’un déchaînement de <a href="https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/russian-official-blames-sanctions-cancel-culture-1316045/">« cancel culture »</a> visant spécifiquement la Russie.</p>
<p>En réalité, si « cancellation » de la culture russe il y a aujourd’hui, c’est plutôt en Russie même qu’elle se déroule. Depuis des années, le régime se livre à une persécution politique constante visant réalisateurs, chanteurs, écrivains et autres artistes russes. Un phénomène qui s’est encore intensifié à partir de février 2022.</p>
<h2>Avant la guerre : dix ans de répression</h2>
<p>Après le début de l’attaque contre l’Ukraine, Moscou a mis en place une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/guerre-en-ukraine-cinq-questions-sur-la-loi-de-censure-votee-en-russie-qui-condamne-toute-information-mensongere-sur-l-armee_4992688.html">censure quasi militaire</a> qui <a href="https://www.telegraph.co.uk/art/what-to-see/worse-ussr-censors-returned-russian-art/">rappelle</a> à bien des égards la <a href="https://www.jstor.org/stable/777221">pratique soviétique</a>. Il s’agit d’un nouveau tour de vis dans la guerre culturelle qui se déroule en Russie depuis une bonne décennie : elle met aux prises, d’un côté, de nombreux artistes russes qui réclament la liberté d’opinion et d’expression, et de l’autre côté, les fonctionnaires du monde de la culture et les idéologues du Kremlin déterminés à sanctionner durement la moindre manifestation d’opposition à la ligne du pouvoir.</p>
<p>Avant le début de la guerre, seule une minorité du monde artistique et culturel russe osait faire part publiquement de son désaccord avec le régime de Vladimir Poutine, devenu de plus en plus autoritaire au cours des années. La majorité avait opté pour une posture – <a href="https://www.themoscowtimes.com/2016/12/05/putins-command-to-the-arts-self-censor-a56414">très commode pour le pouvoir</a> – consistant à se placer « hors de la politique », à « rester neutre » et à « se concentrer sur son art ».</p>
<p>Les rares artistes à critiquer ouvertement Poutine et son système se voyaient largement empêchés de travailler normalement et de rencontrer leur public. Par exemple, en 2012, Iouri Chevtchouk, l’une des plus grandes stars russes du rock depuis les années 1980, leader du groupe culte DDT, s’est vu interdire de partir comme prévu en tournée à travers le pays après participé à des manifestations à Moscou contre les fraudes survenues pendant l’élection présidentielle organisée en mai de cette année-là, qui s’est soldée par le retour au Kremlin de Vladimir Poutine après l’interlude Medvedev. C’est surtout à partir de ce moment-là que le pouvoir s’est mis à s’en prendre systématiquement aux personnalités du monde de la culture qui se permettaient de prendre publiquement position contre lui.</p>
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<p>L’annexion de la Crimée en 2014 a tracé une nouvelle ligne de séparation entre le gouvernement russe et les artistes, spécialement les plus jeunes d’entre eux. Des <a href="https://eurosorbonne.eu/2019/03/22/rap-against-the-regime-hip-hop-catalyseur-politique/">rappeurs</a> populaires comme <a href="https://fr.rbth.com/art/culture/2017/04/08/oxxxymiron-leminem-russe-le-rap-made-in-russia-a-la-conquete-du-monde_737232">Oxxxymiron</a>, <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-rue89-culture/20121005.RUE2948/noize-mc-le-rappeur-qui-secoue-la-russie.html">Noize MC</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/rap/le-rappeur-russe-husky-critique-envers-les-autorites-libere-apres-arrestation_3351449.html">Husky</a>, ou encore <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Qqsu5Ili7ho">Face</a> ont participé à des manifestations politiques, s’en sont pris en paroles au régime et ont donc eu, eux aussi, des difficultés à poursuivre leur activité professionnelle en Russie, certains ayant même connu des démêlés avec la justice du fait de leurs prises de position.</p>
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<figcaption><span class="caption">Oxxxymiron, Face, IC3PEAK : les artistes russes s’opposent à Poutine, Arte, 5 avril 2022.</span></figcaption>
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<p>Au pays de Vladimir Poutine, la justice est en effet régulièrement mise à contribution pour ramener à la raison les personnalités de la société civile jugées suspectes. En 2017, une procédure pénale, officiellement pour motifs économiques, est lancée contre l’éminent réalisateur et metteur en scène Kirill Serebrennikov, fondateur du théâtre « Gogol Center » à Moscou, devenu l’un des lieux culturels centraux de la Russie contemporaine. En 2018, son film <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/leto-le-film-evenement-du-russe-kirill-serebrennikov-a-t-il-convaincu-les-critiques-du-masque-la-plume-7420423">« Leto »</a> (L’Été) a reçu plusieurs prix internationaux y compris au Festival de Cannes. En 2019, il a été fait par la France <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/culture/le-realisateur-serebrennikov-poursuivi-par-la-justice-russe-recoit-sa-decoration-francaise_2103375.html">commandeur des Arts et des Lettres</a>. Serebrennikov était connu pour sa position critique envers le régime de Poutine. Pour la majorité de l’intelligentsia russe, les poursuites déclenchées à son encontre par le Kremlin n’ont rien à voir avec le motif officiellement invoqué et relèvent d’une nouvelle manifestation de la persécution de toute dissidence. Le metteur en scène a été placé en résidence surveillée pour presque deux ans. Lors de son procès, finalement tenu en 2020, il a été jugé coupable et condamné à une peine de prison avec sursis. Il a quitté le pays peu après l’invasion de l’Ukraine.</p>
<h2>Le point de non-retour entre le régime de Poutine et la culture russe</h2>
<p>Après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, les autorités russes ont nettement accru leur contrôle sur l’espace public. L’objectif, désormais, n’est plus simplement de taper sur les doigts des contestataires, mais de purger le pays de tous les éléments insuffisamment « patriotes » : dans son fameux <a href="https://theconversation.com/linquietante-rhetorique-bestialisante-de-vladimir-poutine-180153">discours du 16 mars</a>, Vladimir Poutine n’a-t-il pas appelé à une « purification naturelle » de la société contre « les racailles et les traîtres » ?</p>
<p>Depuis l’adoption d’une <a href="https://www.lesoir.be/428198/article/2022-03-05/russie-jusqua-15-ans-de-prison-en-cas-de-propagation-dinformations-visant">loi ad hoc</a>, la moindre expression d’une opinion indépendante sur la guerre en cours est susceptible d’être qualifiée de « tentative de jeter le discrédit sur l’armée russe » et de « diffusion de fausses nouvelles » – des infractions passibles d’une peine de prison ferme <a href="https://www.interfax.ru/russia/826310">pouvant aller jusqu’à 15 ans</a>. Cette législation, similaire à celle de la loi martiale, a permis aux siloviki (les responsables des structures de sécurité et de justice de l’État) de placer sous une pression maximale ceux des artistes russes qui ont pris la décision de ne pas garder le silence. Et pourtant, certains, y compris une proportion non négligeable des représentants de la culture dite populaire, qui étaient jusqu’ici considérés comme plutôt loyaux envers le régime, n’ont pas craint de défier le pouvoir.</p>
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<img alt="La chanteuse russe Monetotchka en concert" src="https://images.theconversation.com/files/476342/original/file-20220727-15-77y45b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/476342/original/file-20220727-15-77y45b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/476342/original/file-20220727-15-77y45b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/476342/original/file-20220727-15-77y45b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/476342/original/file-20220727-15-77y45b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/476342/original/file-20220727-15-77y45b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/476342/original/file-20220727-15-77y45b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La très populaire chanteuse russe Monetotchka, qui s’est exilée après le début de la guerre, participe à Varsovie (Pologne) à un concert de charité visant à lever des fonds pour les réfugiés ukrainiens, le 25 avril 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Janek Skarzynski/AFP</span></span>
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<p>Les artistes de la culture pop étaient restés largement apolitiques pendant les 22 ans du régime de Poutine. Mais la guerre déclenchée par le Kremlin a révélé qu’une partie d’entre eux, y compris parmi les plus célèbres, étaient aptes à défendre une position éthique dans des circonstances périlleuses. Des <a href="https://www.dw.com/en/russian-artists-speak-out-against-the-war-in-ukraine/a-60946690">idoles de la variété et de la pop</a>, dont les Russes connaissaient les chansons par cœur (parfois depuis l’enfance) – tels que la superstar <a href="https://www.youtube.com/watch?v=2MB7xXWE8Qo">Alla Pougatcheva</a>, mais aussi <a href="https://www.instagram.com/p/CaWj5NCl-9k/">Valéry Meladze</a>, <a href="https://wiwibloggs.com/2022/02/24/we-dont-want-war-eurovision-singers-from-ukraine-and-russia-respond-to-russian-invasion/270262/">Sergueï Lazarev</a>, <a href="https://fr.timesofisrael.com/un-animateur-tv-russe-aurait-fui-en-israel-apres-avoir-critique-la-guerre-en-ukraine/">Ivan Ourgant</a>, etc – ont osé de déclarer au grand public leur désaccord avec les bombardements du pays voisin.</p>
<p>Même si d’autres artistes – comme le « rappeur de cour » et businessman <a href="https://vk.com/wall-24581636_379900">Timati</a>, en passe de <a href="https://news.yahoo.com/putin-supporter-rapper-timati-co-115200296.html">reprendre les cafés abandonnés par la chaîne Starbucks</a>, ou l’acteur <a href="https://www.indy100.com/news/russian-actor-father-called-traitor">Vladimir Machkov</a> – ont accepté de diffuser la propagande officielle, l’effet qu’a sur la société le courage des artistes anti-guerre (qui, en dénonçant la guerre ou en quittant la Russie, ont mis leur carrière professionnelle, voire leur liberté, en péril) ne doit pas être sous-estimé.</p>
<p>Les représentants des générations les plus jeunes, comme les rappeurs évoqués plus haut, <a href="https://jordanrussiacenter.org/news/what-russian-rap-can-teach-us-about-anti-war-discourse-in-russia/">n’ont pas été en reste</a>, à commencer par le plus célèbre, Oxxxymiron, qui est parti pour l’étranger et y a organisé de nombreux concerts réunissant ses compatriotes sous le slogan sans équivoque <a href="https://www.r-a-w.live/">« Russians against war »</a>, et dont les recettes sont reversées à des organisations d’aide aux réfugiés ukrainiens.</p>
<p>Une position partagée par les emblématiques punkettes de <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/l-horreur-et-le-degout-les-pussy-riot-s-expriment-sur-les-viols-de-guerre-russes-en-ukraine_VN-202205220276.html">Pussy Riot</a> – l’une d’entre elles, menacée de prison, a d’ailleurs <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/11/une-membre-des-pussy-riot-parvient-a-quitter-la-russie-deguisee-en-livreuse-de-repas_6125679_3210.html">fui la Russie dans circonstances particulièrement rocambolesques</a> – et par les membres de l’un des rares groupes russes connus à l’international, Little Big, qui se sont exilés et ont publié un <a href="https://www.courrierinternational.com/article/musique-le-groupe-little-big-publie-generation-cancellation-un-clip-antiguerre-et-quitte-la-russie">clip</a> établissant implicitement un lien entre la destruction de l’Ukraine et la « cancellation » de la culture en Russie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Little Big, Generation Cancellation, 24 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Enfin, la majeure partie de l’intelligentsia culturelle russe est également hostile à la guerre. Si, là encore, certains – par conviction (comme <a href="https://www.kyivpost.com/article/opinion/op-ed/russian-ultranationalists-becoming-more-influential.html">l’écrivain Zakhar Prilépine</a>) et le cinéaste <a href="https://esprit.presse.fr/actualites/antoine-arjakovsky/nikita-mikhalkov-le-cineaste-devenu-propagandiste-44033">Nikita Mikhalkov</a>, ou par calcul – chantent les louanges du régime et saluent son « opération spéciale », une large majorité des écrivains, poètes, réalisateurs et musiciens connus internationalement se sont opposés à l’invasion du pays voisin. Quelques-uns sont même passés des paroles aux l’action et ont fondé une association baptisée <a href="https://truerussia.org/">« La vraie Russie »</a>.</p>
<p>Parmi les plus actifs, citons les célèbres écrivains <a href="https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20220406.OBS56702/ludmila-oulitskaia-la-guerre-avec-l-ukraine-est-une-folie-absolue.html">Lioudmila Oulitskaïa</a>, <a href="https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/140322/un-entretien-avec-boris-akounine">Boris Akounine</a> et <a href="https://fr.euronews.com/2022/06/09/non-a-la-guerre-en-ukraine-l-ecrivain-russe-dmitri-gloukhovski-sous-mandat-d-arret">Dmitri Gloukhovski</a> ; le metteur en scène <a href="https://www.ouest-france.fr/culture/cinema/festival-cannes/non-a-la-guerre-lance-le-realisateur-russe-serebrennikov-au-festival-de-cannes-d6c8557a-d6cb-11ec-9b2d-786031940fdf">Kirill Serebriannikov</a>, déjà cité ; le réalisateur <a href="https://www.courrierinternational.com/article/cinema-andrei-zviaguintsev-se-confie-sur-la-guerre-en-ukraine-et-sur-sa-convalescence-du-Covid-19">Andreï Zviaguintsev</a> ; la chanteuse lyrique <a href="https://www.radiofrance.fr/francemusique/anna-netrebko-condamne-la-guerre-en-ukraine-et-annonce-son-retour-sur-scene-8496202">Anna Netrebko</a> ; la poétesse <a href="https://globalhappenings.com/entertainment/118930.html">Vera Polozkova</a> ; les vétérans du rock <a href="https://www.dw.com/en/russian-rock-musicians-speak-out-against-the-war/a-61971990">Boris Grebenchtchikov, Iouri Chevtchouk et Andreï Makarevitch</a> ; les acteurs <a href="https://globalhappenings.com/entertainment/111795.html">Lia Akhedkajova</a>, l’acteur <a href="https://newsfounded.com/ukraineeng/artur-smolyaninov-russian-actor-smolyaninov-doubts-the-kremlins-justification-for-the-attack-on-ukraine-30-04-22-1117-abroad/">Artur Smolyaninov</a>… liste non exhaustive).</p>
<p>Certains d’entre eux ont déjà été désignés par le gouvernement russe comme <a href="https://www.fidh.org/fr/regions/europe-asie-centrale/russie/russie-la-nouvelle-legislation-sur-les-agents-de-l-etranger-va-encore">« agents de l’étranger »</a> et ont dû quitter le pays. Ajoutons que <a href="https://www.artforum.com/news/leaders-of-major-russian-art-institutions-resign-as-ukraine-action-grinds-on-88055">plusieurs responsables d’institutions culturelles de premier plan ont démissionné</a> pour protester contre la guerre en Ukraine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1515295794835902465"}"></div></p>
<p>Persécuter l’intelligentsia artistique contemporaine sera une tâche plus facile pour le Kremlin que démanteler les fondements éthiques de la culture russe classique, qui s’est toujours opposée aux horreurs de la guerre, mettant au centre de la réflexion l’individu (le problème du « petit homme » chez Pouchkine, Gogol, Tchekhov) et considérait l’âme russe comme ouverte, paisible et tournée vers le monde (l’idée de « vsemirnaïa doucha » de Fedor Dostoïevski).</p>
<p>Les auteurs classiques sont encore étudiés à l’école en Russie… pour le moment. Mais au rythme où vont les choses, il est permis de se demander si le plus célèbre roman de la littérature russe, <em>Guerre et Paix</em>, ne sera pas jugé contraire à l’esprit de l’époque, puisque le mot « guerre » lui-même a disparu de l’espace public, si bien qu’un meme populaire présente la couverture de l’ouvrage portant ironiquement pour titre « L’opération militaire spéciale et la paix »…</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187401/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vera Grantseva ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré l’intense pression exercée par le pouvoir, de nombreux représentants du monde russe de la culture disent leur opposition à la guerre. Un comportement inacceptable pour le Kremlin.Vera Grantseva, Professeur associée de la Haute école des études économiques (Russie), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1846702022-06-15T18:28:19Z2022-06-15T18:28:19ZFace au réchauffement climatique, passer de l’éco-anxiété à l’éco-colère<p>En 2021, un article du <em>Lancet</em> révélait que, sur 10 000 jeunes de 16 à 25 ans interrogés dans dix pays, la moitié déclarait que le changement climatique les rendait <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3918955">tristes, anxieux, en colère, impuissants et coupables</a>.</p>
<p>Presque la moitié considérait que leurs sentiments à propos du changement climatique affectaient négativement leur vie quotidienne, et beaucoup ont fait état de pensées négatives en relation directe avec l’état de la planète. Ces émotions, et notamment la colère, sont fortement corrélées à l’idée selon laquelle les gouvernements ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux environnementaux actuels ; ce qui s’accompagne alors d’un sentiment de trahison et d’abandon.</p>
<p>Ce sentiment est lui-même générateur de colère, comme en témoigne l’exemple bien connu de Greta Thunberg.</p>
<p>La jeune activiste suédoise est souvent présentée comme l’égérie de la lutte contre le réchauffement climatique. Parallèlement, <a href="https://theconversation.com/greta-thunberg-des-perceptions-bien-differentes-en-france-aux-etats-unis-et-en-allemagne-128732">elle cristallise les critiques</a>, notamment parce qu’elle ferait trop étalage de ses émotions. On lui reproche par ailleurs de chercher à susciter les émotions de son auditoire par le biais de formules choc.</p>
<p>Parmi les émotions qu’elle semble ressentir avec force, et qu’elle tente de communiquer, on trouve immanquablement la colère, émotion qu’elle partage avec les jeunes de l’étude précédemment citée.</p>
<h2>« Effet Greta Thunberg »</h2>
<p>Les médias l’ont même parfois présentée comme le symbole de la colère de toute une génération. Quand elle dit par exemple « Comment osez-vous encore regarder ailleurs ? » lors d’une intervention aux Nations unies en septembre 2019, c’est une colère froide et argumentée qui s’exprime.</p>
<p>C’est toute sa colère également que nous ressentons dans ces propos :</p>
<blockquote>
<p>« Vous nous laissez tomber. […] Et si vous décidez de nous laisser tomber, je vous le dis : nous ne vous pardonnerons jamais ! »</p>
</blockquote>
<p>Greta Thunberg illustre ce potentiel qu’a la colère d’être transformée en action. Elle parvient, à son échelle, à mettre les émotions au service de l’action pour le climat. Une étude récente montre même un réel <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdfdirect/10.1111/jasp.12737">« effet Greta Thunberg »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Discours de Greta Thunberg à l’ONU (Le Monde, septembre 2019).</span></figcaption>
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<p>Au-delà de cet exemple emblématique, on voit que les émotions peuvent jouer un rôle positif dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’émotion est, comme <a href="https://academic.oup.com/cje/article-abstract/45/4/655/6306982">nos travaux précédents</a> l’ont montré, un moteur fondamental du changement de nos habitudes et de nos comportements. Aujourd’hui, il semble que nous disposions de toutes les informations nécessaires sur le changement climatique, sans qu’il n’y ait pour autant de relation entre les connaissances dont disposent les individus et la modification de leurs comportements.</p>
<p>La question qui se pose légitimement est donc de <a href="https://theconversation.com/radicalite-et-emotions-comment-se-mobilisent-les-militants-pour-le-climat-181502">savoir si les émotions</a>, et notamment la colère, pourraient davantage favoriser l’action face au changement climatique. Les relations entre émotions et réchauffement climatique apparaissent de plus en plus évidentes et sont de plus en plus étudiées.</p>
<p>Les scientifiques eux-mêmes sont de plus en plus <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/face-a-lurgence-climatique-les-scientifiques-doivent-exprimer-leurs-emotions-20210716_YCWROVHFGBGQVLNXB4C2D6IIJI/">incités à laisser parler leurs émotions</a>.</p>
<h2>Dépasser la peur</h2>
<p>Nous avons d’ailleurs mis en évidence récemment dans la revue <em>Science et émotion</em> le <a href="https://www.quae.com/produit/1740/9782759235476/science-et-emotion">rôle fondamental et sous-estimé des émotions</a> dans la pratique quotidienne de la recherche.</p>
<p>Si les effets du réchauffement climatique sur l’anxiété sont bien documentés, c’est moins le cas d’émotions telles que la colère, qui peut pourtant être mise au service de la lutte contre le réchauffement climatique. De nombreuses études montrent en effet que la colère peut mener à des changements concrets et durables de comportements, dans un sens davantage favorable au climat et à l’environnement.</p>
<p>Les <em>Conversations carbone</em>, créées en 2006, constituent un exemple concret de conversion des émotions, dont la colère, en actions concrètes et efficaces. La méthode a été inventée et développée par la psychothérapeute Rosemary Randall et l’ingénieur Andy Brown.</p>
<p>Dans ces <em>Conversations</em>, en petits groupes de six à huit personnes, les participants sont invités à laisser libre court à leurs émotions vis-à-vis du changement climatique et à réfléchir ensemble aux solutions applicables dans leur vie quotidienne. L’objectif vise une diminution de moitié de l’empreinte carbone des participants sur une période de 4 à 5 ans, sachant que l’on observe une <a href="https://carboneetsens.fr/conversations-carbone-en-france/">réduction de près d’une tonne d’émission de CO₂ dès la première année</a>.</p>
<p>En 2009, le journal <em>The Guardian</em> avait même présenté les « Conversations carbone » dans sa sélection de <a href="https://www.theguardian.com/environment/2009/jul/13/manchester-report-climate-change1">« vingt solutions pour lutter contre le changement climatique »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Présentation des « Conversations carbone » (juillet 2020).</span></figcaption>
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<p>On peut également penser aux actions menées par les jeunes activistes du climat, très concernés par le sentiment de colère. Dans leur étude, les sociologues Jochen Kleres et Åsa Wettergren montrent bien que la colère constitue l’opérateur par lequel la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14742837.2017.1344546">peur et la culpabilité initiales se transforment en espoir</a> : le potentiel paralysant de la peur va être dépassé par la colère.</p>
<p>Leurs collègues Maria Bright et Chris Eames ont analysé en 2022 les grèves climatiques de 2019, et aboutissent à des <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/australian-journal-of-environmental-education/article/abs/from-apathy-through-anxiety-to-action-emotions-as-motivators-for-youth-climate-strike-leaders/6F244320344A582C64150CFFF0A8464F">résultats proches</a>. Pour les jeunes grévistes du climat, la colère reste une étape importante dans le cheminement émotionnel vers l’action.</p>
<h2>L’éco-colère pour (enfin) s’engager</h2>
<p>On voit également dans cette étude qu’émotions et informations ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, et que le fait d’être de plus en plus informé a tendance à accroître le sentiment d’injustice ainsi que la colère des grévistes.</p>
<p>Une enquête australienne récente met également en évidence le fait que « l’expérience de l’éco-colère » prédit un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2667278221000018">plus grand engagement dans l’action</a> et les comportements pro-climat que l’éco-anxiété. L’étude fait apparaître le potentiel de la colère en tant que « moteur émotionnel clé de l’engagement face à la crise climatique » : une forte corrélation existe bien entre colère et action collective.</p>
<p>L’étude conclut ainsi qu’« encourager l’éco-colère peut favoriser un changement de comportement favorable au climat, tout en préservant la santé mentale ». Il faut d’ailleurs noter que selon la plupart des études citées ici, le sentiment d’injustice renforce la colère et donc favorise le passage à l’action.</p>
<p>Ainsi, comme le souligne Gauthier Simon, doctorant en sciences politiques, dans un article publié sur The Conversation :</p>
<blockquote>
<p>« Les émotions seraient des prédictions plus fiables de “conversion écologique” que les variables sociologiques classiques. »</p>
</blockquote>
<p>Nous relevons dans notre ouvrage <em>Science et émotion</em> que cela est d’autant plus vrai dans un contexte où la disqualification des émotions et l’opposition entre objectivité et subjectivité sont de moins en moins de mise.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/radicalite-et-emotions-comment-se-mobilisent-les-militants-pour-le-climat-181502">Radicalité et émotions: comment se mobilisent les militants pour le climat</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans l’article de Gauthier Simon, l’auteur s’interroge sur le fait que des questions à l’origine politiques prennent une tournure psychique. Inversement, les exemples des <em>Conversations carbone</em> et des activistes pour le climat montrent que les émotions, dont la colère, peuvent prendre une réelle tournure politique.</p>
<p>Finalement, la position de Greta Thunberg, tout comme celle du journaliste Éric la Blanche, font apparaître tout le potentiel d’une <a href="https://www.delachauxetniestle.com/livre/colere">« juste colère »</a>, à la manière dont Aristote le mettait déjà en évidence.</p>
<p>Dans <em>Ethique à Nicomaque</em>, le philosophe expliquait que l’insuffisance comme l’excès de colère sont blâmables, mais qu’une colère proportionnée, s’exerçant de manière mesurée et justifiée, peut mener à des comportements vertueux. Dans certains contextes, tels que le réchauffement climatique, on peut considérer avec Aristote que « ceux qui ne s’irritent pas » font preuve d’une « niaiserie » excessive.</p>
<p>Ainsi, dans le domaine environnemental, l’apathie s’apparente bien à un vice, dont nous mesurons chaque jour les conséquences néfastes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184670/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La recherche identifie de plus en plus le moteur émotionnel comme une clé de l’engagement face à la crise climatique.Delphine Pouchain, Maîtresse de conférences en sciences économiques, Sciences Po LilleEmmanuel Petit, Professeur de sciences économiques, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1840442022-06-07T18:18:20Z2022-06-07T18:18:20ZLutte contre l’homophobie et la transphobie : le rôle méconnu des réseaux internes aux grandes entreprises et institutions<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/467160/original/file-20220606-16-fk8xfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’association Flag&nbsp;! est créée en 2001. Devenue FLAG&nbsp;! elle grandit progressivement pour représenter les agents LGBT+ des ministères de l’Intérieur et de la Justice.
Pompiers, Policiers municipaux et leurs alliés
</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>On compte aujourd’hui de plus en plus de chars aux insignes des entreprises dans les différentes « marches des fiertés LGBTQI+ » (anciennement dénommées « gay pride ») organisées actuellement en France. Nous sommes dans ce que certains médias décrivent comme la <a href="https://www.liberation.fr/lifestyle/la-saison-du-pinkwashing-est-ouverte-20210517_RHSJUASVCBDSTMKPPZG3IOKWXM/">« saison du <em>pink washing</em> »</a> : autrement dit, comme la promotion de la diversité est devenue un enjeu de <a href="https://doi.org/10.3917/rai.035.0087">réputation</a> pour les entreprises, se montrer LGBT-friendly constituerait une variation, souvent superficielle, de cette stratégie de <a href="https://www.challenges.fr/femmes/la-verite-sur-le-pink-washing-cette-pratique-marketing-qui-exploite-les-personnes-lgbti_770591">communication</a>.</p>
<p>Cependant, ces enjeux de communication peuvent également pousser les organisations à mener des actions plus concrètes pour <a href="https://doi.org/10.4000/sociologies.10690">lutter contre les discriminations</a>. En particulier, les employés défilant au côté d’un char de leur employeur dans leur tenue de travail (ou dans un polo reprenant les codes de leur uniforme, comme c’est le cas de <a href="https://www.flagasso.com/l-association.html">FLAG !</a>, qui n’a pas eu l’autorisation de défiler en uniforme officiel de police ou de gendarmerie), contribuent à donner de la visibilité aux minorités LGBTQI+ au sein de leur institution.</p>
<p>Comme nous le montrons dans un travail de <a href="https://doi.org/10.1177/0001839220963633">recherche</a> récent, les militants qui ont cherché à mobiliser leur employeur depuis le début des années 2000 en créant des associations LGBT sur leur lieu de travail ont en effet permis de promouvoir une meilleure lutte contre l’homophobie et la transphobie.</p>
<h2>Prise en compte tardive</h2>
<p>Les premiers développements d’associations LGBT dans des grandes entreprises et administrations ne se sont pas faits sans heurt en France. Entre 2000 et 2010, ces associations commencent à se structurer dans une période marquée par deux faits majeurs.</p>
<p>D’une part, le <a href="https://www.cairn.info/au-dela-du-pacs--9782130519904.htm">Pacte civil de solidarité</a>, instauré en 1999, est à la fois une première reconnaissance des droits des couples LGBT, mais c’est aussi un moment qui souligne l’ampleur des inégalités qui restent entre les couples homosexuels et hétérosexuels, en termes de mariage, d’accès à la filiation, et de reconnaissance des droits des couples dans la vie sociale et professionnelle (<a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/a-la-une/2016/04/pension-de-reversion-les-personnes-homosexuelles-desormais-traitees-a-egalite">pension de réversion</a>, <a href="https://www.researchgate.net/publication/336721062_Companies_Can_Do_Better_than_the_Law_Securing_Rights_for_Minorities_as_an_Insider_Activist_in_French_Corporations">congé de parentalité</a>, etc.).</p>
<p>D’autre part, le début des années 2000 est marqué par une montée des enjeux de <a href="https://doi.org/10.3917/sopr.023.0009">promotion de la diversité</a>. Les organisations publiques et privées mettent en œuvre des politiques diversités, valorisées par un <a href="https://journals.openedition.org/revdh/4182">label et une charte</a>, mais qui ne se cristallisent dans les faits <a href="https://doi.org/10.3917/rai.035.0107">que sur quelques actions concrètes</a> en faveur de l’égalité professionnelle femme-homme, l’inclusion des personnes en situation de handicap et des seniors. La lutte contre l’homophobie et la transphobie n’était alors pas prise en compte sérieusement par les entreprises, quand bien même les risques d’agressions homophobes et transphobes demeuraient <a href="https://www.autrecercle.org/page/etude-etre-lgbt-au-travail-en-2011">importants</a> (et restent toujours significatifs dans le <a href="https://www.sos-homophobie.org/informer/rapport-annuel-lgbtiphobies">monde professionnel</a>).</p>
<p>Les réseaux LGBT se développent dans ce contexte, où de nombreux employeurs communiquent copieusement sur leur implication pour promouvoir la diversité, mais où <a href="https://doi.org/10.3917/vuib.bende.2018.01.0171">presque aucune action concrète</a> n’était mise en œuvre pour lutter contre l’homophobie et la transphobie, dans un contexte d’importantes <a href="https://doi.org/10.3917/jdj.325.0026">tensions LGBT-phobes</a> dans la société.</p>
<p>La « promotion de la diversité » reste un terme plastique et très <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/W/bo24550454.html">large</a>, qui peut concerner beaucoup de minorités (genre, origine, religion, handicap, etc.). L’enjeu des réseaux LGBT que nous avons étudiés était de « sortir des points de suspension de la diversité » : c’est-à-dire d’acquérir une véritable reconnaissance, d’assurer que l’entreprise réagisse en cas d’actes homophobes ou transphobes, et mette en place de vraies campagnes de sensibilisation et de formation pour lutter contre l’homophobie et la transphobie.</p>
<h2>Tracts, campagnes et quizz</h2>
<p>Se mobiliser au sein de sa propre entreprise peut être difficile, voire <a href="https://www.researchgate.net/publication/294723383_Social_Activism_In_and_Around_Organizations">risqué pour sa carrière</a>.</p>
<p>En analysant les archives de ces réseaux LGBT, nous avons pu constater que leur première stratégie n’était pas contestataire, mais a consisté à produire eux-mêmes une panoplie d’outils de sensibilisation, de formation, et de gestion des cas d’homophobie et de transphobie.</p>
<p>Dans les premières années après leur création, ces réseaux ont mis en place des tracts pédagogiques pour expliquer certains concepts (outing, coming out, description des identités sous l’acronyme LGBTQIA+) et ont conçu des campagnes d’affichage, des formations, des quizz, afin de sensibiliser le plus de collègues possible.</p>
<p>Ils ont également mis en œuvre des lignes d’écoute ou des sites de recueil de témoignages pour faire remonter les cas d’agressions LGBT-phobes dans leur organisation. Ils ont donc, gratuitement, produit une quantité importante de contenus et de services que leur employeur pouvait simplement réutiliser pour mettre en œuvre des actions concrètes pour lutter contre l’homophobie et la transphobie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’association FLAG ! a réutilisé pour un tract les codes d’un procès-verbal pour sensibiliser les agents des ministères de l’Intérieur et de la Justice aux infractions homophobes et transphobes.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le but de ces associations était que leur employeur prenne acte de toutes ces productions pour les diffuser plus largement dans l’organisation. Ici, les réseaux LGBT pouvaient s’appuyer sur les enjeux de réputations de leur employeur, qui se déclarait engagé pour la diversité, voire candidatait au label. Si l’entreprise ne soutenait pas les actions de sa propre association LGBT interne, celle-ci le dénonçait via des communiqués de presse qui pouvaient nuire à sa réputation et démontrer la superficialité de son engagement.</p>
<p>Ainsi, ces réseaux pouvaient proposer d’organiser des stands de sensibilisation le <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/journee-mondiale-contre-lhomophobie-la-transphobie-et-la-biphobie">17 mai</a>, des formations pour lutter contre les LGBT-phobies, etc. Refuser de telles actions démontrerait clairement le manque d’implication de la direction pour mener des actions concrètes contre ces formes de discriminations. D’autres réseaux cherchaient à impliquer différents acteurs de l’entreprise (syndicats, direction) dans leur projet de campagne de sensibilisation. Ainsi, le premier but de ces associations était d’inciter progressivement leur employeur à accepter, puis prendre part, dans des actions de lutte contre les LGBT-phobies.</p>
<p>Si l’engagement pour la diversité ne semblait pas susciter d’opposition dans les organisations, les actions pour rendre visibles les communautés LGBT et lutter contre les LGBT-phobies ont elles été victimes d’actes homophobes et transphobes. Certaines actions de sensibilisations ont par exemple été malmenées (tracts déchirés, insultes, outing, refus de la participation d’employé⋅e⋅s à la marche des fiertés). Les actions de ces réseaux ont donc rendu visibles des formes d’homophobie et de transphobie auparavant latente dans l’organisation, afin de mettre leur employeur face à leurs responsabilités et les inciter à agir, plutôt que d’étouffer les cas de discriminations.</p>
<p>En analysant les actions de ces réseaux sur une vingtaine d’années, on voit comment ils ont progressivement obtenu une plus grande implication de la part de leurs employeurs. Ces réseaux ont aussi amplifié leur champ d’action à mesure qu’ils étaient reconnus par leurs organisations, passant d’une revendication d’être inclus dans les politiques diversité, à l’égalité concrète des droits pour les couples et parents homosexuels, à l’inclusion concrète des personnes trans dans l’entreprise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184044/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lisa Buchter ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des critiques de « pink washing » adressées aux entreprises, des actions concrètes sur les lieux de travail ont contribué à faire avancer la cause des LGBTQI+.Lisa Buchter, Professeure assistante en sociologie, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1837642022-06-03T15:32:58Z2022-06-03T15:32:58ZAgroParisTech : quand de futurs ingénieurs racontent leur « conversion écologique »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/465951/original/file-20220530-24-vorq0k.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C8%2C1256%2C652&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Discours des huit étudiants 'déserteurs' d'AgroParisTech lors de leur remise des diplômes, 10 mai 2022, capture d'écran.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=SUOVOC2Kd50">Youtube</a></span></figcaption></figure><p>Moins d’un mois après sa mise en ligne le 10 mai, la vidéo de « l’appel à déserter » de jeunes diplômés d’AgroParisTech compte <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SUOVOC2Kd50">près d’un million de vues</a>. Malgré une entrée sur la scène de la très chic salle Gaveau au rythme entraînant de « Wati by Night » de Sexion d’Assaut, très vite « ça [ne] se tape [plus] de barres », dans un discours entrant en résonance avec les <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/284713-nouveau-rapport-du-giec-des-solutions-face-au-rechauffement-climatique">conclusions du dernier rapport du GIEC</a>.</p>
<p>Le ton est grave dans leurs récits croisés de « conversion écologique », que nous analysons ici comme l’adoption de convictions et de pratiques écologistes dans un but éthique de <a href="http://www.theses.fr/s296755">transformation de soi et du monde</a>. Il est intéressant de revenir sur la manière dont ils articulent l’échelle individuelle et collective dans leur conversion écologique.</p>
<p>Cette conversion écologique semble témoigner de ce qu’ils perçoivent comme une incohérence entre leurs convictions écologistes et les cours reçus à l’école, avec l’envie de se mettre en accord avec de nouveaux modes de vie, qui seraient les signes d’une <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100851860">« vertitude »</a>, provenant « de l’intérieur, de la quantité de sacrifices et d’épreuves que le militant peut endurer », comme l’explique la politologue Florence Faucher.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les étudiants d’AgroParisTech appellent à “déserter”.</span></figcaption>
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<h2>Une « conversion écologique » de mise en cohérence prophétique</h2>
<p>Au-delà de leurs accents prophétiques, on retrouve ici la symbolique religieuse de la pratique écologiste, avec l’utilisation du terme de « conversion écologique ».</p>
<p>La sociologue Carole Waldvogel notamment présente différentes éthiques écologistes, telle que <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/ecologie-profonde">l’« écologie profonde »_ d’Arno Naes</a>, comme une forme sécularisation de <a href="http://pus.unistra.fr/livre/?GCOI=28682100041680">valeurs religieuses</a>. De son côté, la politiste Sylvie Ollitrault voit dans le <a href="https://books.openedition.org/pur/10099?lang=fr">militantisme écologiste</a> « une nette dimension missionnaire de conversion à une cause ».</p>
<p>Ce qui est le plus marquant chez ces étudiants est leur mise en avant d’une certaine exigence dans leur « quête de pureté », reposant sur une « éthique de conviction » (très) affirmée. Dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Savant_et_le_Politique"><em>Le Savant et le Politique</em></a> (1919), Max Weber la présente comme celle des scientifiques (cela tombe bien, ils sont ingénieurs), consistant à ce que toutes les actions soient menées en cohérence avec les convictions.</p>
<p>Outre la mise en cohérence de l’identité écologiste, dans <a href="https://books.openedition.org/pur/10099?lang=fr"><em>Militer pour la planète</em></a> (2015), Sylvie Ollitrault observe la manière dont « les militants les plus soucieux de “révolutionner” les autres s’astreignent à montrer leur propre “révolution” ». Dans ce cas là, ces tout jeunes diplômés ont veillé à présenter leurs alternatives écologiques, en développant une démarche argumentative dans le but de convertir « ceux qui doutent », comme ils disent.</p>
<p>Ils ont ainsi avancé les preuves matérielles de la sincérité de leur <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/quotidien_politique-9782348069666">« quotidienneté écologique »</a> (l’une est par exemple engagée dans la ZAD, l’un se lance dans l’apiculture, d’autres comptent s’installer dans une ferme collective dans le Tarn…) pour tenter de se prévenir de critiques visant à les délégitimés en raison d’un discours qui ne serait qu’abstrait, désincarné.**</p>
<h2>Un discours écologiste détonant pour des ingénieurs</h2>
<p>Arrêtons-nous un instant sur le contenu de leur discours écologiste, qui détonne pour des ingénieurs qu’on présente souvent comme <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03280481">dépolitisés, « habitués à résoudre les problèmes sans en questionner les énoncés »</a>. Leurs enseignements s’inscrivent dans une vision positiviste de la science, considérée comme pragmatique et neutre. Mais, à l’instar de scientifiques français dans une tribune en juillet 2021 <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/face-a-lurgence-climatique-les-scientifiques-doivent-exprimer-leurs-emotions-20210716_YCWROVHFGBGQVLNXB4C2D6IIJI/">dans <em>Libération</em></a>, ces étudiants d’AgroParisTech remettent en cause la science dans sa « neutralité » et son « apolitisme », telle qu’elle est comprise dans leur formation académique qui, d’après eux, « participe aux ravages sociaux et écologiques en cours ».</p>
<p>En illustrant leurs convictions radicales par le terme de « jobs destructeurs » à l’intention de larges secteurs (agroalimentaire, énergies « vertes », RSE d’entreprises) plutôt qu’en ciblant des métiers précis, ne vont-ils toutefois pas trop loin dans leur révolution annoncée ? Comment interpréter leur discours non pas en philosophie des sciences mais en science politique ?</p>
<h2>Donner un caractère politique à ses pratiques…</h2>
<p>Si le verbe « déserter », qui a rarement une connotation positive dans le langage courant, invite à aborder la dimension politique de leur prise de parole, c’est d’abord le degré de « pureté » affiché de leur « conversion écologique » qui interroge l’aspect politique de leur démarche originelle.</p>
<p>Un questionnement que rejoint le philosophe Frédéric Manzini, quand il se demande si leur entreprise relève davantage du <a href="https://www.philomag.com/articles/appel-bifurquer-dagroparistech-un-discours-politique-ou-un-choix-existentiel">« discours politique » ou du « choix existentiel »</a>. Dans leurs pratiques écologistes, à la ferme, à la ZAD ou la montagne, eux disent abolir la division traditionnelle entre travail intellectuel et travail manuel, en donnant un sens politique à un geste quotidien qui en était auparavant dépourvu. Ils se positionnent donc plutôt du côté du « choix existentiel » que du « discours politique ».</p>
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<a href="https://theconversation.com/utopies-concretes-que-revele-lutilisation-politique-de-cette-expression-138270">« Utopies concrètes » : que révèle l’utilisation politique de cette expression ?</a>
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<p>Ainsi, même s’ils proposent des alternatives écologiques (paysan-boulanger, woofing, chantier dans la ZAD, atelier vélo autogéré…), leur conversion écologique interroge dans sa transposition politique pour le plus grand nombre, en raison de son caractère intransigeant qui implique de ne faire aucun compromis avec le système en place. Et pour les autres ? « À vous de trouver vos manières de bifurquer », concluent-ils.</p>
<p>Ce qui interroge : s’ils ne se sauvent qu’eux-mêmes, où est la dimension politique collective de leur discours en tant qu’ingénieurs agronomes ? Max Weber nous rappelle que dans le cadre de l’éthique de conviction, l’individu moral n’a pas à se soucier des conséquences, ici politiques, de son action. Il suffit que cette dernière soit pure dans son intention et qu’elle respecte les valeurs (politiques) de l’individu.</p>
<p>Mais donc, si ces ingénieurs « désertent », qui s’occupera de la « transition écologique », qu’ils vouent aux gémonies, alors que ce terme vient justement remplacer le « développement durable », effectivement plus techno-optimiste ? La question est posée et reste de fait sans réponse.</p>
<h2>… tout en se détournant de la politique institutionnelle</h2>
<p>Bien que ces jeunes adultes vivent, ou veulent vivre, des « utopies concrètes », ils définissent plus ce qu’ils ne veulent pas que ce qu’ils veulent. <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/apres-le-coup-declat-a-agroparistech-le-reseau-ecologiste-lierre-appelle-les-deserteurs-a-sengager-4112813">Dans une tribune argumentée</a> le <a href="https://le-lierre.fr/">Lierre</a> (le réseau écologiste des professionnels de l’action publique rassemblant des fonctionnaires et des experts en politiques publiques) leur a répondu en se disant « convaincus que la transformation profonde de l’action publique est indispensable pour répondre aux urgences écologiques et sociales ».</p>
<p>En se positionnant comme plus intransigeants, les jeunes diplômés d’AgroParisTech rejettent donc toute possibilité de changer le système de l’intérieur, refusant de se considérer « comme les talents d’une planète soutenable ». « Nous ne voyons pas les ravages sociaux et écologiques comme des « enjeux » et des « défis » auxquels nous devrions trouver des « solutions » en tant qu’ingénieurs », justifient-ils.</p>
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<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Yann Raison du Cleuziou.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183764/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gauthier Simon a reçu des financements de l'Université de Bordeaux. </span></em></p>L’action des étudiants de l’école AgroParisTech témoigne de leur conversion écologique, issue de l’incohérence entre leurs convictions écologistes et les cours de l’école.Gauthier Simon, Doctorant contractuel en science politique, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.