tag:theconversation.com,2011:/us/topics/mondialisation-22572/articlesmondialisation – The Conversation2024-02-13T15:41:04Ztag:theconversation.com,2011:article/2231262024-02-13T15:41:04Z2024-02-13T15:41:04ZLa globalisation à l’aube d’un nouveau cycle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574392/original/file-20240208-20-dqowjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C5%2C1943%2C1188&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis le début des annes 1990, la globalisation a connu plusieurs phases. Une nouvelle s'amorce aujourd'hui.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.needpix.com/photo/1618449/technology-globalisation-business-communication-connection-world-network-global-internet">TheDigitalArtist/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La globalisation ne doit pas être conçue comme un processus de convergence aboutissant à un espace mondial plat et lisse dans lequel les technologies, les organisations structurées en réseau et les chaînes de valeur permettent à de grandes firmes installées de combiner et de recombiner des blocs d’activité en mobilisant parfois de la recherche et développement (R&D), souvent des capacités de production et de commercialisation.</p>
<p>Au-delà de l’aspect géographique, la globalisation est aussi un déroulé sur la façon dont les économies nationales et les régions qui les englobent interagissent à un niveau supérieur qualifié de global. C’est ce que nous montrions dès 2012 dans l’essai <em>Les Paradoxes de l’économie du savoir</em> (éditions Hermès Lavoisier).</p>
<p>Sur la période 1990-2022, l’évolution de la globalisation présente ainsi une discontinuité temporelle des flux mondiaux d’exportations, d’importations et d’investissements directs à l’étranger (IDE) marquée par <a href="https://www.piie.com/publications/working-papers/trade-hyperglobalization-dead-long-live">trois phases</a> : d’hyperglobalisation (1990-2008), de crise financière et de stabilisation des trois variables (2008-2011) et de déglobalisation relative jusqu’en 2022.</p>
<p>Ce constat permet une lecture selon laquelle la globalisation s’inscrit dans un cycle et, comme telle, elle a vocation à se reproduire, non pas à l’identique, mais en réorganisant les interconnexions pour répondre aux multiples contraintes économiques, technologiques et géopolitiques.</p>
<h2>Une rupture en 2008</h2>
<p>Entre 1990 et 2008, la croissance annuelle des exportations mondiales (10 %) excède celle du PIB mondial (6 %). Dans de nombreux pays et régions, on observe une forte corrélation entre les flux commerciaux et la croissance qui se soutiennent mutuellement (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">Union européenne</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chine-20235">Chine</a>). Des transformations structurelles sont à l’œuvre, la part de l’industrie globale dans la valeur ajoutée mondiale décline de 21 % en 1990 à 16 % en 2011, la désindustrialisation des pays du Nord l’emportant sur l’industrialisation du Sud.</p>
<p>Le système d’échange global prend appui sur des créations institutionnelles (Union européenne, Accord de libre-échange nord-américain, Accord de partenariat transpacifique) et il est fondé sur une idéologie néolibérale centrée sur les entreprises et les marchés et sur des règles globales des flux commerciaux et d’investissements édictées par <a href="https://theconversation.com/fr/topics/organisation-mondiale-du-commerce-omc-50902">l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC).</p>
<p>La période post-crise financière a par la suite créé de fortes pressions en faveur de la déglobalisation : inégalités croissantes et concurrence accrue, complexité croissante des chaînes de valeur et importance grandissante des considérations géopolitiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une d’un journal américain titrant sur la crise de 2008" src="https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le crise financière de 2008 a déclenché des pressions propices à une déglobalisation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/myeye/3152750338">Myeyesees/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Le ralentissement du commerce mondial à partir de 2011 a accompagné le freinage de la croissance mondiale. L’analyse de cette période exige toutefois de dissocier les biens et les services : le commerce manufacturier s’est tassé de 15,6 % du PIB mondial en 2011 à 14,5 % en 2021 alors que le commerce des services s’est accru de 6 % du PIB mondial en 2011 à 8 % en 2021.</p>
<h2>La Chine de plus en plus influente</h2>
<p>En phase d’hyperglobalisation, les flux traduisent le pouvoir économique et géopolitique des États-Unis, alors que la phase de tassement est plutôt configurée par l’influence croissante de la Chine qui peut être repérée par deux indicateurs. Le ratio exports-imports/PIB décline de 71 % en 2008 à 35 % en 2022 pendant que la part de marché des exportations manufacturières de la Chine dans les exportations mondiales augmente de 12 % en 2008 à 22 % en 2022.</p>
<p>Le premier indicateur traduit le recentrage de la Chine sur son marché intérieur et le changement d’orientation de la politique économique privilégiant désormais les biens non échangeables, notamment l’immobilier et les infrastructures. Les dépenses publiques orchestrent cette modification de la composition de la production qui a pour effet d’atténuer la compétitivité du secteur échangeable en provoquant une hausse des salaires sur le marché du travail.</p>
<p>Le second indicateur indique que, malgré l’affaiblissement de la compétitivité, le différentiel de productivité en faveur de la Chine dans les biens échangeables est si élevé que les exportations continuent de croître. Dans le même temps, la Chine a élaboré <a href="https://theconversation.com/rcep-lintegration-commerciale-en-asie-met-les-etats-unis-au-defi-de-leurs-ambitions-150474">l’Accord de partenariat économique régional global</a> qui regroupe 15 pays représentant le tiers du PIB mondial et qui représente l’accord le plus vaste de libre-échange dans le monde.</p>
<h2>Les prémisses d’un nouveau cycle</h2>
<p>La volatilité accrue des variables économiques et les incertitudes liées aux conflits géopolitiques amorcent un nouveau cycle de globalisation. Les difficultés actuelles de la Chine (crise démographique, croissance économique ralentie et prévisions de croissance en baisse, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/09/30/la-chine-de-l-interieur-rattrapee-par-la-crise-de-l-immobilier_6191715_3234.html">effondrement du secteur de l’immobilier</a>) conduisent ce pays à redoubler d’efforts pour acquérir des positions dominantes sur des produits et des technologies critiques, tout en contrôlant les exportations de terres rares. D’où l’attitude « de-risk China » de l’Ouest global pour assurer ses approvisionnements et pour accéder à des produits et des technologies d’importance économique et géopolitique stratégique.</p>
<p></p>
<p>Le principe est qu’il n’y a pas d’opposition entre politiques industrielles et marchés. Les politiques industrielles non seulement corrigent les mécanismes de marché, mais encore elles éclairent les choix stratégiques des entreprises en orientant l’investissement vers des produits et des technologies essentielles pour la sécurité nationale et la neutralité carbone.</p>
<p>Dans ce contexte, des mesures défensives sont prises. L’imposition par les États-Unis et la Chine de multiples barrières sur leurs échanges bilatéraux poussent les entreprises à diversifier leurs sources d’approvisionnement et leurs localisations. En Chine, les IDE ont régressé sur la période 2014-2020, puis se sont effondrés entre 2020 et 2023, passant de 400 milliards à 15 milliards de dollars, pendant qu’ils augmentaient fortement vers d’autres régions : l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et l’Inde. Le déclin marqué des importations chinoises aux États-Unis s’est traduit par une relocalisation partielle de certaines activités et par des importations accrues en provenance de Mexico (15 % en 2023 contre 13,9 % pour la Chine), du Vietnam, etc.</p>
<h2>L’enjeu de sécurité économique s’impose</h2>
<p>Début 2024, la Commission européenne s’est rapprochée des États-Unis en proposant <a href="https://www.aefr.eu/fr/actualites/6474/la-commission-propose-de-nouvelles-initiatives-pour-renforcer-la-securite-economique">plusieurs mesures pour renforcer la sécurité économique</a>. En premier lieu, développer des mécanismes de criblage des IDE en évaluant leurs effets sur les infrastructures et les technologies critiques et identifier les secteurs sensibles (semi-conducteurs, intelligence artificielle, médicaments). En deuxième lieu, elle demande aux gouvernements d’évaluer les risques potentiels d’investir à l’étranger dans les technologies avancées.</p>
<p>Une troisième initiative propose de contrôler les exportations de biens à usage dual, civil et militaire dont les mécanismes de financement de la R&D devraient être sensiblement améliorés. La proposition finale vise à doter les organisations de recherche d’outils permettant d’exercer une « diligence raisonnable » lorsqu’elles s’engagent dans une coopération internationale, afin d’éviter la capture d’informations.</p>
<p>Au bilan, les politiques industrielles contiennent des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/protectionnisme-33187">mesures protectionnistes</a>. Le cycle de la globalisation se reproduit en renforçant les formes publiques de pilotage des économies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La volatilité accrue des variables économiques et les incertitudes liées aux conflits géopolitiques amorcent un nouveau cycle marqué par une multiplication des mesures protectionnistes.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2232102024-02-12T16:31:13Z2024-02-12T16:31:13ZLa rose rouge, objet de la mondialisation : des serres kenyanes aux plateformes de Hollande<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574937/original/file-20240212-30-qkfc89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C0%2C5590%2C3741&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La rose que vous offrirez ou recevrez le 14 février a toutes les chances de provenir de serres situées sous les tropiques voire sur l’équateur.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/natural-red-roses-background-127002347">PhotoHouse/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Une rose rouge peut symboliser bien des choses. Le jour de la Saint-Valentin, elle devient, pour beaucoup, une marque d’amour, une preuve de tendresse. C’est la fleur des amoureux par excellence. En Russie, elle est aussi offerte le 8 mars, aux mères de famille comme un gage de reconnaissance de leur travail domestique. Mais pour le géographe, la rose rouge est aussi un <a href="https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/afrique-dynamiques-regionales/articles-scientifiques/roses-afrique-mondialisation">marqueur de la mondialisation</a>. Car la rose que vous offrirez ou recevrez le 14 février a toutes les chances de provenir de serres situées sous les tropiques voire sur l’équateur, plus précisément au Kenya, en Éthiopie, ou peut-être en Équateur si sa tige est très longue et qu’elle coûte plus cher. </p>
<p>Dans les serres, les chefs de culture ont travaillé d’arrache-pied depuis 6 mois pour que leurs rosiers (6 par m<sup>2</sup> soit 60000 environ par hectare) fleurissent précisément la semaine qui précède le 14 février, ni trop tôt, ni surtout trop tard, jouant pour cela avec les capacités techniques des serres pour moduler la lumière, l’irrigation, les apports en CO<sup>2</sup> ou en oxygène, le taux d’humidité de façon à accélérer ou ralentir la floraison des rosiers.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574956/original/file-20240212-31-m3dvea.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574956/original/file-20240212-31-m3dvea.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574956/original/file-20240212-31-m3dvea.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574956/original/file-20240212-31-m3dvea.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574956/original/file-20240212-31-m3dvea.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574956/original/file-20240212-31-m3dvea.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574956/original/file-20240212-31-m3dvea.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ouvrier dans une serre kenyane.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Quand on sait que l’écart entre deux floraisons varie selon la lumière, la nébulosité, la température, l’humidité de l’air, les apports en eau, en engrais, etc., et qu’à cela on ajoute les toujours possibles attaques d’insectes ou de champignons, catastrophiques dans ces contextes de monoculture, on mesure l’incertitude et le stress qui règnent dans les fermes à mesure de s’approche le jour fatidique. </p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574958/original/file-20240212-30-4udtu7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574958/original/file-20240212-30-4udtu7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574958/original/file-20240212-30-4udtu7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574958/original/file-20240212-30-4udtu7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574958/original/file-20240212-30-4udtu7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574958/original/file-20240212-30-4udtu7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574958/original/file-20240212-30-4udtu7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cargo de la compagnie KLM qui entretient des liens privilégiés avec FloraHolland.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>De ces bassins de production intertropicaux, après un voyage de quelques heures dans les soutes fraîches d’un avion-cargo, par exemple un Boeing 747-Cargo qui peut transporter jusqu’à 120 tonnes de roses, votre fleur transitera par la coopérative Royal Flora Holland à Aalsmeer, à quelques encablures de l’aéroport Amsterdam-Schipol. Là, le jour même, elle sera chargée dans un de ces camions réfrigérés qui sillonnent l’Europe et sera livrée à votre fleuriste qui, en prévision du 14 février, a, avant Noël, multiplié ses commandes par quatre ou cinq et ses prix par deux ou trois, juste à cause de l’augmentation brutale de la demande. La fête des amoureux est aussi le jour où votre fleuriste réalise près de 15 % de son chiffre d’affaire annuel. </p>
<h2>Des facteurs climatiques et politiques favorables à une production kenyane</h2>
<p>Faire voyager des roses sur milliers de kilomètres n’est pas un phénomène nouveau. Alors que jusque-là l’Europe était autosuffisante en roses coupées, à la fin des années 1970, imitant leurs collègues américains qui avaient commencé quelques années plus tôt à installer des fermes en Équateur, autour de Quito, des Hollandais commencent à installer certaines unités de production au Kenya. Mais alors, Pourquoi en est-on venu à mondialiser ainsi la production de roses coupées ? </p>
<p>Des <a href="https://journals.openedition.org/belgeo/45011">facteurs répulsifs et des facteurs attractifs</a> ont en fait motivé ce mouvement vers l’Afrique. Il a d’abord s’agit de quitter l’Europe, ses coûts de main-d’œuvre et de chauffage et ses réglementations phytosanitaires émergentes. Les hautes terres kenyanes sont alors apparues comme particulièrement attrayantes du fait d’un certain nombre d’avantages climatiques : d’abord, l’écosystème équatorial d’altitude (entre 1600 et 2300 m. selon les bassins de production kenyans) offre, sans chauffage, des températures (entre 12 °C la nuit et 30 °C le jour), toute l’année idéales pour le rosier, sa croissance et sa productivité. Ensuite, ces régions garantissent une luminosité qui donne aux fleurs leurs couleurs éclatantes, et à la tige la solidité nécessaire pour voyager, ainsi qu’une taille (entre 40 cm-1 m.) idéale pour conquérir les marchés. </p>
<p>En outre, l’écosystème géoéconomique du Kenya postcolonial a permis de valoriser cette situation équatoriale. Ancienne colonie de peuplement britannique, le Kenya disposait d’une part de diasporas blanches et indiennes rompues à l’encadrement du travail en Afrique comme aux contraintes du capitalisme international, et, d’autre part d’une main-d’œuvre noire nombreuse, bon marché, éduquée, et peu revendicatrice. De plus, moteur économique de l’Afrique orientale, le Kenya possédait déjà des facilités logistiques, notamment l’aéroport de Nairobi rodé aux flux touristiques mettant l’Europe à 8 heures de vol. Enfin, le régime kenyan libéral, pragmatique et stable offrait aux investisseurs sécurité et liberté. </p>
<p>Ces entrepreneurs pionniers ont fait exemple et, au cours des années 1990, 2000 et 2010, ont été imités par des investisseurs kenyans d’origine indienne, blancs mais aussi des hommes politiques kenyans. Les superficies mises en serre se sont donc étendues et, progressivement, un véritable cluster rosicole s’est formé au Kenya puisque la production y a attiré un ensemble d’entreprises induites, à amont et à l’aval. Aujourd’hui, si les serres emploient directement 100000 personnes, 500 000 employés travaillent de près ou de loin autour de la fleur. Au total, 2 millions de personnes dépendent de la rose pour vivre. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574957/original/file-20240212-16-gez8v5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574957/original/file-20240212-16-gez8v5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574957/original/file-20240212-16-gez8v5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574957/original/file-20240212-16-gez8v5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574957/original/file-20240212-16-gez8v5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574957/original/file-20240212-16-gez8v5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574957/original/file-20240212-16-gez8v5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Serres de roses devant le lac Naivasha. À 1800 mètre, c'est la région de prédilection de la culture de la rose au Kenya.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>D’un point de vue macroéconomique, les exportations des roses contribuent de manière décisive à la balance commerciale du pays (700 millions de $, seconde derrière le thé 1400 millions de $). Dans les années 2000, après avoir conquis les hauts plateaux kenyans, la rose rouge a également été introduite en Éthiopie, pays limitrophe présentant des caractéristiques proches. 50 000 emplois y ont été créés par des rosiculteurs, parfois venus du Kenya à l’instigation des autorités éthiopiennes plus interventionnistes. Cependant, la chaîne de valeur n’y a pas atteint la même maturité et beaucoup moins d’emplois induits y sont associés, aussi le bassin de production éthiopien reste-t-il dans l’orbite de son voisin du Sud. Si l’on dézoome maintenant, on observe un boom rosicole africain qui a accompagné la croissance de la consommation mondiale et tué la production européenne.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/saint-valentin-pourquoi-quelques-mots-valent-mieux-quune-rose-rouge-199749">Saint-Valentin : pourquoi quelques mots valent mieux qu’une rose rouge</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>FloraHolland : le Wall Street des fleurs</h2>
<p>Mais l’Europe, beaucoup de fleurs y reviennent lorsqu’elles quittent les serres africaines. Elles sont pour cela conditionnées en bottes, et commercialisées selon trois modalités. </p>
<ul>
<li><p>soit dans le cadre des marchés au cadran (système d’enchères électroniques censées garantir une fixation des prix rapide et transparente)</p></li>
<li><p>soit dans le cadre d’un contrat, le plus souvent annuel, entre un producteur et une centrale d’achat ou un grossiste européens</p></li>
<li><p>soit, enfin, à l’occasion d’une vente spéciale, ponctuelle, entre un producteur et un acheteur. </p></li>
</ul>
<p>Quelle que soit la façon dont elles sont vendues, depuis Nairobi ou Addis, les roses, dans leur majorité, transitent par Aalsmeer – dans la banlieue d’Amsterdam – où se situe la plus grande plate-forme logistique de végétaux du monde : la très lucrative coopérative FloraHolland. Historiquement, celle-ci s’est imposée comme le Wall Street des fleurs, là où se fixe le cours des roses. Ces dernières années, soutenu par la croissance non démentie de la demande des classes moyennes des pays émergents et du renchérissement des prix de facteurs de production, le prix des roses a augmenté plus que l’inflation. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plateforme logistique de FloraHolland.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Aujourd’hui, même si la part des fleurs mises aux enchères a diminué (ce ne sont plus que 40 % des roses coupées qui sont vendues aux enchères) les marchés au cadran conservent ce rôle primordial de fixer les prix du produit. Ce recul relatif des enchères s’explique par la montée en puissance d’opérateurs européens – notamment les chaines de supermarchés britanniques et allemands – désireux et capables de négocier avec les producteurs des volumes d’achat importants, réguliers, tout au long de l’année. Ces volumes importants réguliers font l’objet de contrats qui, fixant quantités et prix sur une base annuelle, affranchissent vendeurs et acheteurs des enchères, plus aléatoires. </p>
<p>Mais FloraHolland, de par sa fluidité, ses performances logistiques, son lobbying actif, ses stratégies de promotion reste, malgré ces changements, le hub hégémonique par où passent la majeure partie des roses coupées destinées aux marchés européens. La coopérative rétribue ses membres et payent ses salariés grâce aux commissions qu’elle touche tant sur les volumes vendus aux enchères, que sur ceux qui ont fait l’objet de ventes contractuelles ou spéciales mais qui sont passés dans ses murs. </p>
<h2>Une mondialisation de la rose de plus en plus questionnée</h2>
<p>Ces roses qui traversent le monde ne sont cependant pas indemnes de critiques dont les médias, <a href="https://www.lexpress.fr/economie/la-rose-kenyane-deferle-en-europe_1433814.html">depuis le début des années 2000</a> se font régulièrement l’écho. </p>
<p>Dans les années 2000-2005, les questionnements ont d’abord porté sur les conditions de travail et de rétribution des salarié(e) s, puis, dans les années 2005-2010, sur la surconsommation d’eau nécessaire aux rosiers (entre 3 et 9 litres d’eau par jour et par m<sup>2</sup>) et la pollution de l’eau induite par les rejets de cette production. </p>
<p>Dans les années 2010-2015, c’est ensuite <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/bilan-carbone-pour-la-saint-valentin-noffrez-surtout-pas-de-roses-1361938">l’empreinte carbone</a> des fleurs, induite par le nécessaire recours à l’avion qui a été scruté. Plus récemment, enfin, dans les années 2015-2020 ce sont la charge chimique de ces fleurs et les stratégies d’évitement fiscal des entrepreneurs qui localisent leurs profits en Hollande où le taux d’imposition est de 12,5 % contre 35 % au Kenya, qui sont devenues des problématiques émergentes. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574961/original/file-20240212-26-mcoo5b.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574961/original/file-20240212-26-mcoo5b.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574961/original/file-20240212-26-mcoo5b.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574961/original/file-20240212-26-mcoo5b.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574961/original/file-20240212-26-mcoo5b.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574961/original/file-20240212-26-mcoo5b.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574961/original/file-20240212-26-mcoo5b.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ouvrières chargées du tri des fleur en fonction de la taille des tiges.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Conscients des risques que leur faisait courir cette menace médiatique, les entrepreneurs ont, dans une certaine mesure, répondu aux critiques, en augmentant les salaires et en proposant de meilleures conditions de travail aux ouvriers, en réduisant leur empreinte hydrique grâce au recyclage et au <em>rainharvesting</em>, en réduisant les épandages de pesticides grâce aux traitements ciblés et à la lutte biologique intégrée. </p>
<p>Autre phénomène inédit, en réaction à cette production mondialisée des fleurs et aux critiques sur les coûts environnementaux de la production tropicale, émerge, très lentement, l’idée de « re-saisonnaliser » la consommation de fleurs coupées et de relocaliser la production de fleurs coupées en France. Dans les pays anglo-saxons, le mouvement <em>slow flower</em> prône cette idée, et l’on voit timidement fleurir, autour des grandes métropoles, des micro-exploitations, souvent en reconversion, ou en temps partiel. En France en 2017, une fleuriste du nord et une journaliste ont créé le <a href="https://www.collectifdelafleurfrancaise.com/">Collectif de la fleur française</a> – une association d’environ 600 membres fleuristes écoresponsables ou floriculteurs – dont l’objectif est de promouvoir la production et la commercialisation de fleurs produites en France et ainsi de participer à une agriculture écoresponsable. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/slow-flowers-un-nouveau-concept-pour-relancer-la-production-de-fleurs-francaises-142548">Slow flowers : un nouveau concept pour relancer la production de fleurs françaises ?</a>
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<h2>La rose rouge : une épine dans le pied de nos sociétés mondialisées ?</h2>
<p>La rose rouge est ainsi devenue un objet de plus en plus ambigu : si elle fait l’objet de critiques de plus en plus nombreuses, sa production elle, ne cesse de s’étendre, soutenue par la demande croissante des classes moyennes des pays émergents. Les professionnels parlent d’une croissance d’environ 5/6 % par an depuis une dizaine d’années. </p>
<p>L’industrie a même relativement bien vécu la pandémie mondiale de Covid-19. Passée les premières semaines du confinement qui a stoppé net les vols aériens et les achats, forçant les horticulteurs à jeter leur production, la pandémie de Covid a été relativement bien négociée par le secteur pour la simple raison que les gens ont continué à acheter des fleurs, en ligne évidemment, et même avec plus de régularité, habitude qui s’est prolongée depuis ! La consommation futile, esthétique a en fait été accrue pendant la pandémie, à la grande surprise et au plus grand bonheur des acteurs de la filière.</p>
<p>Comme tout objet mondialisé, la rose cristallise de ce fait des tensions entre, d’un côté, l’évidente insoutenabilité environnementale d’une culture de contresaison, de ses procédés de production et surtout de commercialisation et, d’un autre côté, une réalité économique : la rose fait vivre plusieurs millions de personnes et participe – au-delà de l’enrichissement de quelques-uns – au développement de plusieurs régions. Cette fleur nous invite ainsi à se poser des questions délicates : dans quelle mesure l’indéniable développement induit au Kenya justifie-t-il le maintien de notre consommation insoutenable – moteur du secteur – en ces temps de changement climatique ? Doit-on céder au chantage à l’emploi mis en place par cette filière qui vit d’une consommation autant ostentatoire que superfétatoire ?</p>
<p>Au-delà des roses ce sont, en fait l’ensemble des consommations tropicales qui pourraient, ou même devraient être ainsi interrogées. Car si le fort sens symbolique que génère l’achat d’une rose est propice peut-être aux questionnements quant à son mode de production, les remises en question environnementales et économiques peuvent s’étendre à bien d’autres produits : café, chocolat, thé, avocat, mangues, bananes…</p>
<h2>Du côté kenyan, des remises en cause inexistantes</h2>
<p>Au Kenya, jusqu’à ce jour, au-delà des polémiques médiatiques sur les modalités de la production, aucun changement de paradigme ne semble envisagé ou envisageable : l’industrie n’a aucun problème de recrutement et ses travailleurs se disent heureux de profiter de la manne rosicole qui garantit un salaire fixe supérieur au revenu moyen, et la possibilité d’ouvrir un compte en banque même s’ils ne se font aucun doute sur l’asymétrie des profits et l’inégalité du partage de la valeur.</p>
<p>Le respect viscéral de la figure de l’entrepreneur, l’adhésion universel à l’ethos du capitalisme, plus prosaïquement les avantages matériels et symboliques à émarger pour une entreprise prospère et reconnue, tout cela participe à faire de la rosiculture un secteur très peu remis en question. Que les entreprises ouvertes dans les années 1990 aient à gérer les problèmes de santé de leurs employées cinquantenaires montre d’ailleurs le faible <em>turn over</em> d’une main-d’œuvre enviée et attachée à son emploi. En outre, dans un pays où la figure de l’homme politique est valorisée, le fait que certaines entreprises soient détenues par des femmes/hommes politiques contribue sans aucun doute à l’aura des serres et des fleurs. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bottes de roses kenyanes prêtes à être expédiées en Hollande. La couleur de l'autocollant correspond à un jour de la semaine. Ce code couleur permet de prioriser les fleurs à expédier en premier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Du côté européen, conscients des interrogations des consommateurs, les grossistes, les détaillants commencent à répondre par la transparence et la traçabilité. Démarche intéressante qui consiste à pointer du doigt l’origine géographique de chacune des variétés vendues et qui dévoile explicitement la valeur politique de la consommation. Quel sens le consommateur donne-t-il à son achat ? Écologique ou développemental ? Local ou tropical ? Ce réinvestissement de sens au cœur de la consommation participe sans aucun doute à la segmentation du marché. </p>
<p>Au final, donc, si la rose est un marqueur convenu d’amour, un objet passionnant d’étude de la mondialisation pour le géographe, elle condense les tensions comme les contradictions du capitalisme actuel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Calas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des mois avant le 14 février, dans des serres kenyanes, luminosité, taux d’humidité et engrais ont été modulé avec soin pour que les roses rouges arrivent à temps en Europe pour la Saint Valentin.Bernard Calas, Professeur en Économie et Géographie Politique, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2109952023-10-01T15:40:47Z2023-10-01T15:40:47ZForêts et parasites invasifs : et si on se trompait de suspect ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/549774/original/file-20230922-15-3qdnpv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'orme est un arbre particulièrement vulnérable à certains parasites invasifs venus d'ailleurs.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pexels/Tonia Kraakman</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’utilisation d’espèces d’arbres exotiques en forêt apparaît à certains <a href="https://www.onf.fr/+/5b2::les-ilots-davenir-des-plantations-pour-lutter-contre-le-changement-climatique.html">comme une solution incontournable</a> pour faire face à un <a href="https://theconversation.com/secheresses-incendies-et-maladies-les-risques-en-cascade-qui-menacent-les-forets-francaises-157448">changement climatique rapide</a>. Plus résistantes à des températures élevées, elles rendraient nos forêts moins fragiles, par exemple face aux <a href="https://theconversation.com/secheresse-lindispensable-adaptation-des-forets-francaises-128404">épisodes de sécheresse</a>.</p>
<p>Cette pratique est pourtant controversée à plusieurs titres. Non seulement parce que ces espèces se révèlent parfois invasives, se dispersant alors de façon incontrôlée. Mais aussi parce que les flores et faunes associées à ces espèces sont souvent pauvres, d’autant plus qu’elles sont généralement plantées en monoculture en France.</p>
<p>Au-delà de ces risques pour les écosystèmes, cette pratique serait aussi responsable de l’introduction de microorganismes pathogènes et d’insectes ravageurs. Le <a href="https://societebotaniquedefrance.fr/2021/12/14/la-societe-botanique-de-france-publie-un-livre-blanc-sur-lintroduction-dessences-exotiques-en-foret/#:%7E:text=Ce%20livre%20blanc%20de%20pr%C3%A8s,d%E2%80%99en%20accro%C3%AEtre%20la%20r%C3%A9silience">livre blanc de la Société botanique de France</a> sur l’introduction d’espèces d’arbres exotiques en forêt développe cette idée, l’illustrant en particulier avec le cas de la chalarose du frêne, une maladie qui a émergé ces dernières décennies.</p>
<p>Si cela était avéré, cette stratégie soulèverait une menace très sérieuse : les agents pathogènes invasifs représentent en effet environ 50 % des cas de maladies signalées par le <a href="https://annforsci.biomedcentral.com/articles/10.1007/s13595-015-0487-4">Département de la santé des forêts</a>, et cette proportion s’accroît.</p>
<p>Mais cette affirmation est-elle fondée ? Sait-on précisément comment les microorganismes attaquant les arbres s’introduisent dans les forêts ? Penchons-nous sur trois cas emblématiques.</p>
<h2>La graphiose de l’orme</h2>
<p>Parmi les épidémies les plus sévères ayant affecté la forêt européenne, la graphiose de l’orme arrive en tête. Deux épisodes successifs ont en fait été induits par deux espèces de champignon voisines (<em>Ophiostoma ulmi</em> et <em>O. novo-ulmi</em>).</p>
<p>La première épidémie est survenue au début du XX<sup>e</sup> siècle. Son mode d’introduction reste inconnu, même s’il a parfois été évoqué que l’empaquetage en bois du matériel militaire américain arrivant sur le front pendant la Première Guerre mondiale pourrait en avoir été responsable.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/152770/original/image-20170115-11822-1jn3eqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/152770/original/image-20170115-11822-1jn3eqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/152770/original/image-20170115-11822-1jn3eqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/152770/original/image-20170115-11822-1jn3eqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/152770/original/image-20170115-11822-1jn3eqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/152770/original/image-20170115-11822-1jn3eqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/152770/original/image-20170115-11822-1jn3eqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/152770/original/image-20170115-11822-1jn3eqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Flétrissement de branches d’ormes dû à la graphiose.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Inrae Grand-Est-Nancy</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La seconde, causée par <em>O. novo-ulmi</em>, a engendré beaucoup plus de dommages, puisqu’elle élimine largement l’orme des haies et forêts de France. En Europe de l’Ouest, son origine est mieux connue : le <a href="https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/1973Natur.242..607B/abstract">champignon est arrivé d’Amérique du Nord</a>, qui avait précédemment été envahie. On ne connaît pas précisément la source initiale de l’introduction du parasite. L’épidémie a démarré autour de quelques grands ports du sud de l’Angleterre : une inspection au port de Southampton en 1973 a démontré que le parasite était présent sur des grumes d’ormes nord-américains venues de l’Ontario.</p>
<p>D’après une étude rétrospective, des importations de ces dernières étaient déjà survenues dans les années 60, justement dans les zones où les premiers foyers de graphiose étaient apparus.</p>
<h2>La chalarose du frêne</h2>
<p>Intéressons-nous maintenant à la <a href="https://theconversation.com/chalarose-du-frene-et-autres-maladies-invasives-il-est-possible-de-mieux-proteger-les-forets-71203">chalarose du frêne</a>, qui affecte fortement les frênes communs à travers l’Europe. Signalée pour la première fois en Pologne dans les années 90, la maladie a pour responsable un champignon, <em>Hymenoscyphus fraxineus</em>, qui n’a été identifié qu’en 2006.</p>
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<img alt="Branche envahie de champignons" src="https://images.theconversation.com/files/542892/original/file-20230815-25-gdgafs.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C12%2C1408%2C1054&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/542892/original/file-20230815-25-gdgafs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/542892/original/file-20230815-25-gdgafs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/542892/original/file-20230815-25-gdgafs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/542892/original/file-20230815-25-gdgafs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/542892/original/file-20230815-25-gdgafs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/542892/original/file-20230815-25-gdgafs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La chalarose, champignon qui menace les frênes européens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quelques années plus tard, il est démontré que ce champignon invasif est originaire d’Extrême-Orient, où son hôte indigène est le frêne de Mandchourie. Son arrivée serait ici liée, <a href="https://www.researchgate.net/publication/271630133_Introduction_of_Mandshurian_ash_Fraxinus_mandshurica_Rupr_to_Estonia_Is_it_related_to_the_current_epidemic_on_European_ash_F_excelsior_L">selon des scientifiques estoniens</a>, aux introductions répétées de frênes de Mandchourie dans les pays baltes durant la période soviétique – en général dans des jardins botaniques, des arboretums ou des parcs.</p>
<p>Mais il s’agissait le plus souvent d’importations de graines de frênes. Or, le risque d’introduction de parasites à travers les graines est très faible : dans le cas de la chalarose, il est impossible que le pathogène ait été véhiculé de cette façon. En 1975, une introduction de plants venus de Mandchourie soviétique dans le Jardin botanique de Tallin pourrait en revanche en être responsable, l’agent pathogène ayant en outre été détecté là-bas sur un échantillon d’herbier de frêne asiatique en 1978. C’est la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35822887/">première présence connue</a> du parasite en Europe.</p>
<p>Le délai entre la première présence connue (1978) et le déclenchement de l’épidémie (années 1990) peut sembler très long, mais il correspond au temps mis par l’agent pathogène pour s’adapter à un hôte et à un environnement nouveau. Et si l’on peut pointer du doigt le Jardin botanique de Tallin, c’est grâce au travail consciencieux de traçabilité menée par son équipe – ce qui s’est passé là est sûrement survenu dans d’autres jardins ou arboretums. Soulignons néanmoins que le frêne de Mandchourie n’a jamais été utilisé en forêt en Europe.</p>
<h2>La mort subite du chêne</h2>
<p>La voie d’introduction de <em>Phytophthora ramorum</em> en Europe est nettement mieux connue. Dans les années 90, cette maladie désastreuse affectant des chênes américains est signalée en Californie, et baptisée la mort subite des chênes. À la même période, un nouveau <em>Phytophthora</em> affectant les rhododendrons est décrit en Allemagne. Les scientifiques montreront dans la foulée que les deux maladies sont causées par le même microorganisme, <em>P. ramorum</em>, rapidement <a href="https://www.anses.fr/fr/system/files/SANTVEG2017SA0259Ra.pdf">retrouvé sur des rhododendrons en Californie</a>.</p>
<p>En Europe grandit alors la crainte de voir se développer la maladie sur nos chênes locaux : on constate rapidement la large dissémination du parasite sur le rhododendron et le laurier-tin dans les jardineries et pépinières ornementales de toute l’Europe, mais aussi parfois dans les parcs, en particulier les jardins patrimoniaux britanniques.</p>
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<p>Ce ne sont finalement pas les chênes qui seront impactés en Europe : en 2010, les Britanniques rapportent que le parasite est la cause d’une épidémie sévère en forêt sur mélèze, avant de signaler quelques années plus tard qu’il peut aussi se développer sur châtaignier. En France, un premier foyer est signalé en 2017 sur des mélèzes dans le Finistère par le <a href="https://agriculture.gouv.fr/premiere-observation-de-phytophthora-ramorum-sur-meleze-en-france">Département de la santé des forêts</a> : une procédure d’éradication est menée dans les peuplements atteints et le foyer apparaît, pour l’instant, sous contrôle.</p>
<p>Les modalités d’introduction de <em>P. ramorum</em> sont aussi bien mieux connues grâce à la caractérisation moléculaire du parasite : deux variants du pathogène circulaient initialement sur la côte pacifique des États-Unis, tandis que deux autres différents circulaient en Europe. Après quelques années, le principal variant nord-américain est retrouvé dans des pépinières de rhododendrons de la côte est des États-Unis. Quant au principal variant européen, il fait son apparition en Oregon sur le rhododendron dans des pépinières, puis dans des zones urbaines et enfin sur des essences forestières natives en milieu naturel proche des zones urbaines.</p>
<p>Peu de doutes donc sur la dissémination de ce microorganisme, visiblement causée par le commerce international de rhododendrons. Selon des études génétiques, il serait originaire des montagnes du nord du Vietnam <a href="https://www.mdpi.com/1999-4907/11/1/93">où il a été trouvé récemment</a>, infectant des espèces de rhododendrons locales.</p>
<h2>Le rôle des plantes ornementales</h2>
<p>Pour chacun de ces trois exemples, la plantation d’espèces d’arbres exotiques dans les forêts n’est pas responsable de l’introduction de parasites, contrairement à ce que soutient la Société botanique de France. Ce qui est assez logique : les espèces exotiques sélectionnées pour un usage forestier ont généralement déjà fait longuement la preuve de leur adaptation au climat et de leur bonne croissance dans nos régions, par le biais de tests menés dans des jardins botaniques ou des arboretums. Si un parasite invasif devait être introduit par cette voie, le mal aurait déjà été fait…</p>
<p>Ne dégageons pour autant pas les forestiers de toute responsabilité. Une fois qu’un parasite exotique est introduit et s’est adapté à une essence locale, il sera plus aisément dispersé en forêt par plantation de celle-ci – comme dans le cas de la chalarose du frêne. Même si la maladie se disperse naturellement par le vent, il a été démontré que l’introduction du pathogène dans les îles britanniques s’est en partie faite par plantation du frêne commun européen.</p>
<p>Certaines maladies peuvent en outre être introduites par les forestiers, en particulier lorsqu’elles se disséminent par les graines. C’est le cas par exemple du chancre poisseux du pin, en Afrique du Sud. Absente dans les forêts françaises, elle a été détectée épisodiquement en pépinière et est présente en Espagne. D’autres cas sont connus, tels que les eucalyptus dans la zone de l’océan Indien.</p>
<p>Plus généralement, soulignons le rôle joué par le commerce de plantes ornementales dans la dispersion mondiale des parasites des arbres – c’est le cas de la pyrale du buis. Les villes européennes abritent en effet plusieurs milliers d’espèces ligneuses, dont de nombreuses espèces exotiques, ce qui représente une diversité sans commune mesure avec celle présente dans nos forêts.</p>
<p>Les microorganismes pathogènes exotiques trouvent là non seulement une possible voie d’introduction, mais aussi un riche choix d’hôtes potentiels pour pouvoir s’établir.</p>
<hr>
<p><em>Claude Husson, Département de la santé des forêts, ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire – DGAL, a contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210995/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benoit Marçais ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On entend souvent que l’utilisation d’espèces d’arbres exotiques en forêt y introduit des maladies. Mais les principaux exemples d’épidémies montrent que les parasites arrivent par d’autres voies.Benoit Marçais, Directeur de recherche, unité de recherche « Interactions arbres-microorganismes », INRAE - Grand Est - Nancy, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2140072023-09-21T16:29:30Z2023-09-21T16:29:30ZAssiste-t-on réellement au « retour » du protectionnisme ?<p>La mondialisation néolibérale semble aujourd’hui se transformer sous l’effet d’un renforcement des mesures protectionnistes, à l’image de <a href="https://theconversation.com/inflation-reduction-act-comment-lunion-europeenne-peut-elle-repondre-aux-incitations-fiscales-americaines-201425">l’Inflation Reduction Act</a> américain adopté en 2022 ou des <a href="https://theconversation.com/batteries-lue-cherche-lequilibre-entre-ouverture-aux-marches-et-souverainete-technologique-210005">velléités européennes de relocalisation</a>. Cependant, plus que de prophétiser un « retour » du protectionnisme, il s’agit de s’interroger sur la présence, ou non, d’un « moment » protectionniste, c’est-à-dire de l’existence d’un <a href="https://archive-ouverte.unige.ch/unige:161572">bloc social</a> favorable à la protection du marché intérieur face aux méfaits du libre-échange, pilier du commerce international depuis les années 1970.</p>
<p>Le cas de la France est dès lors éclairant. Depuis le début du XIX<sup>e</sup> siècle, le pays a en effet alterné des périodes que l’on qualifie de libre-échangistes, tout autant que des périodes plus protectionnistes. L’historique des compromis institutionnels et sociopolitiques qui ont installé le protectionnisme en France à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, que nous avons analysé dans nos <a href="https://ideas.repec.org/f/pch1140.html">recherches</a>, nous permettra d’éclairer la réalité contemporaine.</p>
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<img alt="Portrait de Jules Méline" src="https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jules Méline a mis en place une hausse des droits de douane en 1892 qui marqua un virage protectionniste de la France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:M%C3%A9line,_Jules,_1915,_agence_Meurisse,_BNF_Gallica.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<h2>Un virage protectionniste à la fin du XIXᵉ siècle</h2>
<p>Cette alternance est particulièrement visible à partir des années 1870, période à laquelle les droits de douane remontent peu à peu. Si la parenthèse libre-échangiste (1850-1878) couronnée par la signature du traité de commerce avec l’Angleterre (<a href="https://www.herodote.net/23_janvier_1860-evenement-18600123.php">traité Cobden-Chevallier</a>) abaisse le droit de douane moyen de 16 % en 1850 à 3,70 % en 1868, celui-ci remonte de façon régulière jusqu’à atteindre 12,27 % en 1894, après l’application du <a href="https://www.herodote.net/almanach-ID-2999.php">« tarif Méline »</a> instauré en 1892 par le président de la commission des douanes de la Chambre des députés du même nom.</p>
<p>Pour installer ce régime protectionniste, il a fallu que les défenseurs des tarifs trouvent une coalition sociopolitique suffisamment large pour convaincre le gouvernement d’abandonner les principes du commerce sans entraves. Or, sous la III<sup>e</sup> République, un mouvement s’est structuré avec la réunion de différentes associations protectionnistes sous une seule et même bannière, celle de <a href="https://recherche-anmt.culture.gouv.fr/ark:/60879/786195">l’Association de l’industrie et de l’agriculture française</a> (AIAF).</p>
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<p>Pensée comme un véritable groupe de pression, cette association qui regroupe les industriels des industries lourdes, mines, métallurgie et de la construction ainsi que certaines industries textiles, les agriculteurs (exportateurs ou non) va expérimenter différentes formes de lobbying : création de journaux, formation d’élites intellectuelles (dont des économistes), élection de députés favorables à la protection, etc.</p>
<p>Il est intéressant de noter que le mouvement protectionniste français va réussir à imposer un récit qui embrasse les intérêts du travail et ceux du capital. Face à la concurrence internationale qui s’intensifie, les industries déclinantes et en difficultés se tournent vers l’État pour survivre et sauvegarder leurs profits. Du point de vue du travail, l’accent est mis sur la nécessité de préserver l’emploi national et le savoir-faire français.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Image extraite du livre « Les merveilles de l’industrie ou, Description des principales industries modernes », par Louis Figuier (1877)" src="https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les industriels ont joué un rôle essentiel dans la structuration du bloc protectionniste à la fin du XIXᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fdctsevilla/4726596383/">« Les merveilles de l’industrie ou, Description des principales industries modernes », par Louis Figuier (1877)/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Les défenseurs du protectionnisme français ont ainsi réussi à faire émerger un bloc social suffisamment puissant pour déterminer la politique commerciale française au cours de la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle. Ce compromis protectionniste perdurera jusqu’à la fin de la IV<sup>e</sup> république, avant d’être progressivement remplacé par un compromis libre-échangiste au tournant des années 1970, la période des Trente Glorieuses se caractérisant par un régime mixte.</p>
<h2>Vers un nouveau « moment » protectionniste ?</h2>
<p>Il y a 50 ans, la France s’engageait en effet pleinement dans le régime libre-échangiste imposé par les grandes institutions internationales, soutenu par un bloc social majoritaire et rendu nécessaire par la construction d’une Union européenne d’inspiration libérale. Or, aujourd’hui, il semble que nous assistons à une recomposition d’un bloc sociopolitique favorable à davantage de protection, ce qui pourrait refermer la parenthèse ouverte dans les années 1970.</p>
<p>Ainsi, selon un sondage OpinionWay en 2020, 60 % des Français interrogés se déclarent favorables au protectionnisme. Certes, il existe sans doute un effet Covid, mais les délocalisations, les pertes d’emplois industriels ou encore le déclassement d’une partie de la main-d’œuvre française représentent désormais un coût trop lourd à payer.</p>
<p>La nouveauté de ce bloc favorable au protectionnisme est qu’il s’articule aux crises écologiques, qui concernent tout le monde. Ainsi, les intérêts – ou du moins les aspirations – des citoyens et citoyennes sont pris dans leur ensemble, c’est-à-dire en leur qualité de travailleurs tout autant que de citoyens ou consommateurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1315896929855905793"}"></div></p>
<p>Face à la crise écologique, ce sont donc les demandes de circuit-court ainsi que de normes de production française ou européenne qui émergent. Du moins, de la part de la classe moyenne et supérieure, les ménages les plus fragiles restant bloqués dans le cercle vicieux néolibéral des salaires bas ne permettant qu’une consommation à prix « cassés ».</p>
<p>Du côté des entreprises, leur rationalité économique les a rapidement fait surfer sur la vague du « made in France » et les possibilités offertes de (certes plus ou moins sincèrement) verdir leur image. Pour les plus grandes organisations, au-delà de l’opportunisme que peut représenter la conversion au protectionnisme ou, tout du moins à la relocalisation, en matière de part de marché et d’aides publiques, c’est surtout les blocages de la mondialisation néolibérale qui ont ralenti leurs élans libre-échangistes. Produire étant prévoir, l’un des moteurs d’une économie en bonne santé est donc la confiance.</p>
<h2>Une demande de protection face à l’incertitude</h2>
<p>Ainsi, le blocage des chaines de valeur mondiales, la hausse des prix de l’énergie ou des intrants, le renforcement du protectionnisme aux États-Unis ou en Chine constituent autant d’arguments en faveur d’une relocalisation des activités productives. La recherche d’une certaine forme de protection face aux aléas de la mondialisation répond à la volonté de sécuriser les investissements (productifs ou financiers), de se soustraire à l’interdépendance des systèmes de production. Donc, <em>in fine</em>, de protéger le profit.</p>
<p>Parmi les incertitudes figure également la crise climatique. Tout comme les grands patrons au XIX<sup>e</sup> siècle craignaient une révolte sociale de grande ampleur, il n’est en effet pas exclu que le capital craigne désormais une crise majeure qui en plus des menaces concrètes sur la vie humaine pourrait alimenter une nouvelle crise sociale dans laquelle les <a href="https://theconversation.com/reveil-ecologique-des-grandes-ecoles-ce-que-nous-ont-appris-les-discours-de-jeunes-diplomes-196263">« vocations » des travailleurs à alimenter le capitalisme s’effondrerait</a>.</p>
<p>Les derniers maillons de ce bloc social favorable (du moins en partie) au protectionnisme se composent des décideurs politiques. Les relocalisations et la réindustrialisation passent en effet nécessairement par du protectionnisme. Par conséquent, si le terme même de protectionnisme n’est jamais utilisé, le discours politique dominant s’infléchit et considère la possibilité de ne pas respecter béatement les dogmes libre-échangistes.</p>
<p>Il semble donc que nous assistons à l’émergence et la progression d’un moment favorable au protectionnisme, notamment en France. Les classes moyennes et intellectuelles supérieures rejoignent les classes ouvrières (dont l’emploi est délocalisable) dans la défense du « faire français ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214007/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Léo Charles ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comme à la fin du XIXᵉ siècle, un bloc sociopolitique opposé au libre-échange émerge en France.Léo Charles, Maître de conférences spécialiste d'histoire économique, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2122682023-08-29T16:31:36Z2023-08-29T16:31:36ZÉconomie mondiale : 2024, année de toutes les reconfigurations ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/544749/original/file-20230825-15-lhyfct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C46%2C1147%2C626&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le modèle de croissance nécessitant en permanence la hausse des prix de l’immobilier et de l’endettement privé apparaît à bout de souffle.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wallpaperflare.com/world-map-illustration-money-dollars-euros-studio-shot-black-background-wallpaper-qxddo">Wallpaperflare.com</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) livre son décryptage annuel des grandes tendances à venir dans son ouvrage collectif <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_economie_mondiale_2024-9782348080074">« L’économie mondiale 2024 »</a> publié aux Éditions La Découverte (collection Repères), à paraître le 7 septembre. Tour d’horizon des grandes questions de l’année à venir avec Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran, coordinatrices de l’ouvrage.</em></p>
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<p><strong>The Conversation France : L’économie mondiale est confrontée à des chocs de grande ampleur. Quelles en sont les conséquences ?</strong></p>
<p>Dans un contexte des plus difficiles, à la fois de crise énergétique et de guerre sur le sol européen, d’inflation généralisée, de resserrement des politiques monétaires, de turbulences financières, l’économie mondiale n’aura pas si mal résisté. La croissance a certes été divisée par presque deux, de <a href="https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2022/04/19/world-economic-outlook-april-2022">6,1 % en 2021 à 3,4 % en 2022</a>, mais, dans ces conditions, l’atterrissage aurait pu être bien plus brutal.</p>
<p>Sur le front de l’inflation, la hausse observée depuis fin 2021 dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’est repliée en octobre 2022, lorsque les tensions sur les marchés de l’énergie et de l’alimentation se sont atténuées.</p>
<p><iframe id="rkhp9" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rkhp9/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Toutefois les pressions inflationnistes restent fortes, notamment en zone euro. Si, entre début 2022 et début 2023, l’inflation importée a largement contribué, pour 40 %, à celle des prix à la consommation en zone euro (plus précisément du déflateur de la consommation), la contribution de l’augmentation des profits a été plus forte encore, à hauteur de 45 %, d’après le Fonds monétaire international (FMI).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1673287590865412096"}"></div></p>
<p>Pour faire face à la persistance de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">l’inflation</a>, les banques centrales ont <a href="https://theconversation.com/fed-et-bce-deux-rythmes-mais-une-meme-strategie-contre-linflation-185059">très fortement resserré leur politique monétaire</a> en 2022 et en 2023. Ces resserrements n’allaient pas de soi, notamment en zone euro, où l’inflation ne résultait pas d’une surchauffe de l’économie. Leurs conséquences ont commencé à se manifester avec notamment des tensions dans le secteur bancaire, se traduisant par des faillites de plusieurs <a href="https://theconversation.com/la-deregulation-bancaire-aux-etats-unis-a-t-elle-ressuscite-les-ruees-bancaires-202698">banques régionales aux États-Unis</a> et du <a href="https://theconversation.com/credit-suisse-les-lecons-dune-lente-descente-aux-enfers-202363">Credit Suisse</a> sur le continent européen.</p>
<p>Avec les fortes hausses de taux de la Réserve fédérale américaine (Fed), ce sont aussi les dettes publiques des pays en développement qui ont été affectées. Le niveau record de défauts souverains dans ces pays en atteste : <a href="https://www.fitchratings.com/research/sovereigns/sovereign-defaults-are-at-record-high-29-03-2023">9 entre début 2020 et début 2023</a>, contre 13 entre 2000 et 2019.</p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-chine-principal-creancier-mondial-une-fragilite-de-plus-pour-les-pays-emergents-et-en-developpement-209983">La Chine principal créancier mondial, une fragilité de plus pour les pays émergents et en développement</a>
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<p>Le durcissement des politiques monétaires a également conduit à un retournement du cycle immobilier dans les pays de l’OCDE et en Chine. C’est un moteur de la croissance qui se grippe, avec des conséquences d’autant plus fortes que la dépendance de l’économie au secteur de la construction l’est aussi.</p>
<p>Mais au-delà, c’est tout un modèle de croissance, fondé sur la demande et nécessitant en permanence la hausse des prix de l’immobilier et de l’endettement privé, qui apparaît à bout de souffle. La priorité est désormais donnée à la réindustrialisation pour regagner en autonomie et inverser les conséquences sociales de la désindustrialisation. Il n’est pas simple cependant de rétablir le tissu productif dans un modèle de croissance qui a déformé la structure de production en faveur des services et au détriment du secteur manufacturier. Ce redéploiement de l’industrie ne sera possible qu’en changeant de modèle et que s’il s’inscrit dans un plan de décarbonation indispensable face à la menace existentielle que constitue le dérèglement climatique.</p>
<p><strong>TCF : Des reconfigurations annonciatrices d’un changement plus ou moins profond sont-elles à l’œuvre ?</strong></p>
<p>Il nous semble que oui. C’est même le fil directeur de cette édition 2024 de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_economie_mondiale_2024-9782348080074">l’ouvrage annuel</a> du CEPII : l’économie mondiale est en phase de reconfigurations, au pluriel. D’abord celle de la mondialisation, pour laquelle un changement de paradigme s’observe. Et en la matière, Isabelle Bensidoun et Thomas Grjebine montrent dans leur contribution que ce sont les États-Unis qui ont donné le ton.</p>
<p>Certes les différents épisodes qui se sont succédé – l’après-crise financière, la crise sanitaire, les ruptures d’approvisionnement post-crise sanitaire et la guerre en Ukraine – ont tous conduit à faire de la sécurité une nouvelle priorité. Mais c’est bien la décision des États-Unis de changer de logiciel, pour faire de la réindustrialisation et de la lutte contre le changement climatique leurs priorités, et pour cela d’avoir recours à des subventions massives et des mesures protectionnistes, dans le cadre de <a href="https://theconversation.com/inflation-reduction-act-comment-lunion-europeenne-peut-elle-repondre-aux-incitations-fiscales-americaines-201425">l’<em>Inflation Reduction Act</em></a> notamment, qui ont mis un terme à la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/mondialisation-22572">mondialisation</a> telle qu’on l’a connue depuis quatre décennies.</p>
<p>C’est aussi en proposant un <a href="https://www.ft.com/content/42922712-cd33-4de0-8763-1cc271331a32">nouveau consensus de Washington</a> en avril 2023, dont la politique industrielle est le pilier, où le retour des États dans la gestion économique est consacré, et où la promotion du libre-échange n’est plus en vogue, mais remplacée par la recherche d’alliances <a href="https://theconversation.com/la-mondialisation-entre-amis-ou-la-grande-fragmentation-de-lespace-mondial-186766">avec ceux qui partagent les mêmes valeurs</a>, le <em>friendshoring</em>, que les Américains ont rompu avec l’ancien consensus qui reposait sur le retrait des États et la recherche d’une libéralisation toujours plus poussée des forces du marché.</p>
<p><strong>TCF : S’il est un domaine où les questions de sécurité et de recompositions ont dû s’observer cette année c’est bien celui de l’énergie ?</strong></p>
<p>Tout à fait. Et c’est un domaine où les recompositions ont dû se faire dans l’urgence, en faisant appel aux alliés ou « amis », comme on veut bien les appeler. Que ce soit les États-Unis pour le gaz liquéfié ou la Norvège et l’Algérie pour le gaz.</p>
<p>Pour Anna Creti et Patrice Geoffron, les conséquences de la guerre en Ukraine ont dépassé les frontières de l’Union européenne, en perturbant les routes mondiales d’acheminement des hydrocarbures, ainsi que le niveau et les mécanismes de prix (prix plafond, rabais forcés), avec pour conséquence un monde énergétique qui tend à se recomposer entre un « marché russe », regroupant les pays qui acceptent de commercer avec la Russie, et un « marché non russe », avec des passerelles comme l’Inde qui raffine du brut russe et le réachemine en partie en Europe.</p>
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<p>Toutefois la vulnérabilité des approvisionnements européens, que la guerre en Ukraine a mis au jour, a surtout eu pour conséquence de faire s’envoler les prix du gaz et par contagion ceux de l’électricité, les craintes de rupture ayant pu être limitées par les recompositions. Si début 2023 les prix n’étaient plus aussi délirants qu’à la mi-2022, l’approche de l’hiver pourrait les faire à nouveau augmenter, ce qui réclame que la <a href="https://theconversation.com/union-europeenne-et-marche-de-lelectricite-des-principes-a-revoir-pour-rester-competitive-210503">réforme du marché de l’électricité</a>, pour le rendre moins dépendant des fluctuations des prix du gaz, soit rapidement opérationnelle.</p>
<p><strong>TCF : Les politiques industrielles reviennent sur le devant de la scène, le nouveau consensus de Washington en fait son pilier, mais pourquoi un tel retournement ?</strong></p>
<p>Dans leur présentation du nouveau consensus de Washington, les Américains ont été très clairs : tous les modèles de croissance ne se valent pas et celui qui a conduit à atrophier la capacité industrielle dans des secteurs essentiels comme les semi-conducteurs, a fait, de leur point de vue, trop de dégâts pour être poursuivi : dégâts en matière d’indépendance, dégâts sociaux, dégâts politiques.</p>
<p>C’est un nouveau paradigme, où, selon Thomas Grjebine et Jérôme Héricourt, la primeur donnée aux baisses de prix, que la libéralisation commerciale a permis, pour favoriser le pouvoir d’achat du consommateur au prix d’une concurrence accrue pour la production manufacturière nationale, n’est plus de mise.</p>
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<p>La politique industrielle est aussi une condition nécessaire pour réussir la transition écologique. C’est une nouvelle révolution industrielle qui s’engage, dont l’enjeu pour les grandes puissances est de ne pas la rater. Et pour cela, l’histoire nous l’enseigne, l’État doit intervenir : protection des industries naissantes et révolutions industrielles sont allées de pair.</p>
<p>Si les raisons pour légitimer les politiques industrielles sont nombreuses, il n’en reste pas moins qu’elles posent de sacrés défis en économie ouverte. Car réindustrialiser est particulièrement difficile dans les pays où la consommation intérieure reste le moteur de la croissance économique et où la désindustrialisation est avancée.</p>
<p>Dans ce cadre, les politiques de relance pour soutenir la demande tendent à réduire la part du secteur manufacturier alors que ce qui est recherché par les politiques industrielles, c’est justement l’inverse. Se pose alors inévitablement la question des protections à mettre en place pour mener à bien la réindustrialisation.</p>
<p><strong>TCF : Dans ce contexte, quelle place pour les politiques commerciales, dont l’objet était avant tout de favoriser la libéralisation ?</strong></p>
<p>C’est effectivement le rôle qui leur a été dévolu au tournant des années 1970-1980 et que les années 1990-2000 ont semblé entériner. Les politiques commerciales recherchaient alors avant tout l’efficacité économique par l’exploitation des avantages comparatifs, la minimisation des coûts ou l’optimisation des chaînes de valeurs mondiales. Mais de nouveaux objectifs sont en train de supplanter ceux d’hier.</p>
<p>Pour Charlotte Emlinger, Houssein Guimbard et Kevin Lefebvre, la lutte contre le réchauffement climatique, la sécurité nationale ou encore la sécurisation des approvisionnements redessinent les contours des politiques commerciales. Ce faisant, ces politiques vont se trouver de plus en plus étroitement imbriquées avec les politiques industrielles nationales. À cela s’ajoutent l’augmentation des obstacles au commerce liés à la militarisation des politiques commerciales et la rivalité sino-américaine.</p>
<p>Tout cela laisse penser que les périodes de libéralisation du commerce international sont derrière nous. Le risque cependant dans ce monde qui se polarise est de voir les impératifs géoéconomiques de court terme l’emporter sur les défis environnementaux conditionnant le long terme de l’humanité. Pour éviter qu’il en soit ainsi, il va alors falloir trouver comment restaurer un minimum de multilatéralisme. Une entreprise dont le succès est loin d’être assuré !</p>
<p><strong>TCF : La mondialisation commerciale se recompose, les impératifs climatiques et la sécurité économique prennent le pas sur la libéralisation, mais qu’en est-il de la mondialisation financière ?</strong></p>
<p>Là encore, des mutations s’opèrent. L’encensement de la liberté des flux de capitaux et de la flexibilité des taux de changes a fait long feu. Certes, la mondialisation financière n’a pas disparu, mais la tournure qu’elle a prise au fil des crises et de la montée des tensions géopolitiques est très éloignée de l’illusion libérale qui en a été le berceau.</p>
<p>Les banques centrales prennent de plus en plus de mesures qui influencent les flux de capitaux, avec des implications géopolitiques. Elles interviennent sur les marchés des changes, s’accordent des prêts entre elles, échappant ce faisant au multilatéralisme hérité de la fin des années 1940, qui reposait sur de grandes institutions financières internationales telles que le FMI.</p>
<p>La question se pose de ce qui va advenir du dollar dans ce nouveau système monétaire international. Pour Éric Monnet, un monde plus multipolaire se dessine où, sans du tout faire disparaître le dollar, des monnaies différentes, et notamment le renminbi, seront utilisées et thésaurisées en fonction des liens commerciaux et géopolitiques.</p>
<p><strong>TCF : Ces reconfigurations qui émergent, avec un rôle plus résolu de la puissance publique, sauront-elles relever le défi de la transition écologique ?</strong></p>
<p>À l’heure où la plupart des limites planétaires, ces seuils que l’humanité n’aurait pas dû dépasser pour ne pas compromettre la viabilité de l’espèce, ont déjà été franchies, pour Michel Aglietta et Étienne Espagne, la planification écologique constitue le seul rempart face au capitalocène, cette ère dans laquelle non seulement l’activité humaine mais aussi le système d’accumulation dans lequel elle se déploie ont conduit à un tel désastre. Et qui dit planification, dit retour des États.</p>
<p>Donc oui ces reconfigurations, bien que très partielles encore, vont dans le bon sens, que ce soit le <em>Green New Deal</em> américain avec la loi IRA – <em>Inflation Reduction Act</em>, le_ <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20200618STO81513/le-pacte-vert-pour-une-ue-durable-et-climatiquement-neutre">Green Deal européen</a> et son <em>Net Zero Industry Act</em> ou la promotion d’une Civilisation écologique en Chine.</p>
<p>Deux écueils toutefois à ces avancées : primo, le cadre de conflictualité géopolitique dans lequel elles s’organisent et les limites que cela produit pour bâtir une planification écologique à l’échelle mondiale, la seule valable pour répondre à la crise écologique ; secundo, la difficulté pour les pays du Sud de trouver leur place dans ce nouveau contexte, sachant que leurs leviers économiques sont bien en deçà de ceux que la Chine, les États-Unis et l’Union européenne peuvent mobiliser.</p>
<p>Dès lors, les stratégies que ces pays peuvent développer sont forcément subordonnées à celles de ces trois blocs, avec plusieurs menaces liées à la concurrence accrue pour les ressources minérales ou à la mise en place de nouvelles chaînes de valeur des technologies vertes. Aussi pour éviter que la planification écologique ne soit réservée à un club restreint, la coopération internationale, moteur fondamental et aujourd’hui manquant, doit être vigoureusement réactivée.</p>
<p><strong>TCF : Une planification écologique se met en place, avec certes encore des limites, mais la plus importante d’entre elles n’est-elle pas l’insuffisance des investissements qui y sont consacrés ?</strong></p>
<p>Les évaluations sont désormais nombreuses des besoins d’investissement pour la transformation écologique. Aussi diverses soient-elles, car fondées sur des périmètres sectoriels et des scénarios de transition contrastés, toutes font effectivement état d’un manque d’investissement. Cela pose inévitablement la question de savoir s’il n’y a pas là un problème de financement.</p>
<p>C’est à première vue assez paradoxal puisqu’il existe une masse énorme d’actifs financiers. De quoi se demander s’il ne suffirait pas de mieux les orienter : vers le financement de la transition. Mais pour Jézabel Couppey-Soubeyran et Wojtek Kalinowski, le financement de la transition ne se réduit pas à un problème de réorientation des flux.</p>
<p>D’abord, il ne faut pas surestimer la fluidité́ de cette réorientation : les investissements verts ne remplacent pas nécessairement les investissements bruns, et pour un temps au moins ne font que s’y ajouter, ce qui élève les besoins financiers. Le secteur agricole ou celui des transports fournissent des illustrations utiles.</p>
<p>Ensuite, si tout doit bien sûr être mis en œuvre pour permettre la réorientation des financements privés, il ne faut pas sous-estimer le besoin de fonds publics car, même bien réorientés, les fonds privés n’iront que vers des investissements suffisamment rentables, or ceux nécessaires à une transformation écologique juste ne le sont pas tous.</p>
<p>La part non rentable réclame des financements publics adaptés, protégés de la pression du marché, gratuits voire même sans exigence de retour financier. De nouvelles formes sont en ce sens envisageables sous la forme de <a href="https://theconversation.com/faut-il-sinquieter-des-pertes-des-banques-centrales-193876">dons de monnaie centrale</a>, plus ou moins compatibles avec les cadres institutionnels actuels, selon qu’ils feraient intervenir directement la banque centrale ou des sociétés financières publiques. Nonobstant ces obstacles institutionnels que le débat démocratique pourrait lever, le chemin existe !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212268/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jézabel Couppey-Soubeyran est membre de l'Institut Veblen et de la chaire énergie et prospérité.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Isabelle Bensidoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La succession de crises a conduit au retour des politiques industrielles pour gagner en autonomie, inverser les conséquences sociales de la désindustrialisation et réussir la transition écologique.Isabelle Bensidoun, Adjointe au directeur du CEPII, CEPIIJézabel Couppey-Soubeyran, Maîtresse de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2067802023-06-11T16:15:35Z2023-06-11T16:15:35ZTransport maritime : 40 ans de course au gigantisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529334/original/file-20230531-17-92o21w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C103%2C1220%2C816&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La compagnie française CMA-CGM, l'un des principaux opérateurs du secteur.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:CMA_CGM_JACQUES_SAADE_porte-conteneurs_propuls%C3%A9_au_GNL_2020.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis les années 1970 et l’apparition du conteneur, les <a href="https://theconversation.com/topics/mondialisation-22572">économies mondialisées</a> sont devenues <a href="https://www.researchgate.net/publication/350514863_Les_ports_d%E2%80%99Europe_vus_du_Havre">fortement dépendantes du transport maritime</a> pour leurs <a href="https://theconversation.com/topics/commerce-international-29800">échanges commerciaux</a>. En 2021, les compagnies ont transporté <a href="https://unctad.org/system/files/official-document/rmt2022overview_fr.pdf">11 milliards de tonnes de marchandises</a> à travers les mers du globe, soit le double par rapport à 2002. Au total, on dénombre aujourd’hui plus de 500 compagnies maritimes qui arment <a href="https://unctadstat.unctad.org/wds/TableViewer/tableView.aspx">environ 5900 porte-conteneurs</a>, pour une capacité de transport totale de <a href="https://alphaliner.axsmarine.com/PublicTop100/">27 millions de conteneurs</a> dits EVP (équivalent vingt pieds – unité de mesure standardisée des conteneurs maritimes). En 1979, la capacité totale de transport des porte-conteneurs était de <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/52829358.pdf">264 000 EVP</a> contre plus de 22 millions aujourd’hui.</p>
<p><iframe id="ypUHm" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ypUHm/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En parallèle, le <a href="https://theconversation.com/topics/concurrence-22277">paysage concurrentiel</a> a également fortement évolué avec une forte concentration des acteurs. À la fin des années 1970, les 10 principales compagnies maritimes ne représentaient que 28 % de ces capacités, contre 84 % aujourd’hui.</p>
<p><iframe id="ZfBDU" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ZfBDU/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans les années 1980, les compagnies maritimes étaient encore des opérateurs régionalisés. Leurs navires ne naviguaient pas sur l’ensemble des mers du globe. Le conteneur a permis le développement du commerce international, initiant l’industrialisation de l’Asie orientale et de son moteur chinois. Les besoins de transport de marchandises manufacturés entre les continents se sont alors accentués et la concurrence entre les compagnies maritimes s’est, dans le même temps, exacerbée.</p>
<h2>Des acteurs marginaux hors du top 10</h2>
<p>Pour répondre à la demande croissante, les compagnies maritimes ont dû élargir leurs offres de services et venir s’implanter dans de nouveaux ports, venant concurrencer des opérateurs locaux. Dans ce contexte, les plus petites compagnies maritimes ont eu tendance à disparaitre.</p>
<p>Désormais la majorité des navires sont aux mains d’une poignée de compagnies. Dans le tableau qui informe sur le top 10 des compagnies maritimes en capacité de transport, nous pouvons observer que près de 60 % des capacités de transport sont aujourd’hui contrôlées par seulement 4 compagnies maritimes (Maersk, MSC, CMA-CGM et COSCO), le top 10 contrôlant 84 % des capacités. Au-delà de ce top 10, les parts de marché des compagnies maritimes sont relativement marginales.</p>
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<p>Dans un premier temps, les compagnies maritimes se sont organisées en alliance pour leur permettre d’atteindre une taille critique. Ces différents liens entre acteurs se sont remodelés au fil des années mais depuis 2019, il en existe 3 principales : 2M, Ocean Alliance et The Alliance (cf figure 1) qui regroupent les 9 premiers armements mondiaux.</p>
<p>Aujourd’hui, 84 % du marché mondial du transport maritime de conteneurs est donc contrôlé par 9 opérateurs associés au sein de 3 alliances.</p>
<p><iframe id="LLswY" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/LLswY/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En parallèle, on a assisté à un mouvement de rachats et de fusions entre les compagnies maritimes. La première opération d’envergure est à mettre à l’actif de la CMA qui a racheté son compatriote français, la CGM en 1996 pour devenir la CMA-CGM. Les achats et fusions furent nombreux et la tendance s’est tout particulièrement accélérée en 2014 (rachat de CSAV par Hapag-Lloyd, NOL par CMA-CGM en 2015, Hamburg-Süd par Maersk en 2017, etc.).</p>
<p>Il existe également des opérations de fusions entre compagnies d’un même pays pour maintenir une taille critique et de peur de se faire absorber par une compagnie étrangère (<a href="https://www.actu-transport-logistique.fr/lantenne/actualite/transport-maritime/les-armateurs-chinois-cosco-et-china-shipping-vont-fusionner-736328.php">fusion des chinois COSCO et China Shipping en 2016</a> ou encore des <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/fret-maritime-les-trois-plus-grandes-compagnies-japonaises-fusionnent-612333.html">japonais NYK, K-Line et MOL en 2017 devenant ONE</a>).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/530929/original/file-20230608-15-dc88co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530929/original/file-20230608-15-dc88co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530929/original/file-20230608-15-dc88co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=232&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530929/original/file-20230608-15-dc88co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=232&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530929/original/file-20230608-15-dc88co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=232&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530929/original/file-20230608-15-dc88co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=291&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530929/original/file-20230608-15-dc88co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=291&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530929/original/file-20230608-15-dc88co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=291&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Historique des achats et fusions des opérateurs maritimes de porte-conteneurs.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On peut parler donc parler d’un oligopole dans le transport maritime, qui a été validé par les autorités de la concurrence chinoises, américaines et européennes. À l’image des « big-pharma », on peut les qualifier de « big opérateurs ». En conséquence, la dépendance à ces quelques opérateurs pour les chargeurs est très forte.</p>
<p>Passée la pandémie du Covid-19, le transport maritime a rebondi et les taux de fret ont été historiquement élevés. Ces prix élevés ont été portés par la reprise, voire l’explosion, de la demande et la congestion des ports. Les principales compagnies maritimes de porte-conteneurs ont ainsi réalisé des bénéfices records. Par exemple, CMA-CGM a été en 2022, l’entreprise française la plus rentable <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/cma-cgm-affiche-les-plus-gros-benefices-de-lhistoire-francaise-1912013">avec un bénéfice de 23 milliards d’Euros</a>. Ces grands armateurs ont profité de l’augmentation des taux de fret moyens mais également de la concentration des capacités de transport et de leurs alliances partenariales.</p>
<p>Aujourd’hui, les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/05/26/le-transport-maritime-s-attend-a-des-mois-plus-difficiles-apres-deux-ans-d-envolee-historique_6175035_3234.html">taux de fret semblent revenir à des niveaux plus proches de la normale</a> en raison du ralentissement des échanges mondiaux de biens manufacturés.</p>
<h2>Des porte-conteneurs de plus en plus gigantesques</h2>
<p>Pour répondre à la demande croissante, les compagnies se sont également lancées dans l’acquisition de nouveaux navires et la construction de porte-conteneurs de plus en plus grands. La taille des porte-conteneurs a ainsi doublé depuis 2014, passant d’une capacité maximale de transport de 12 000 EVP à 24 000 EVP pour les derniers navires en circulation. Ces géants des mers, mesurant jusqu’à 400 mètres de long, ont permis aux compagnies maritimes de réaliser des économies d’échelles et, sur le temps long, de diminuer les coûts du transport maritime.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/530930/original/file-20230608-2966-bs7gle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530930/original/file-20230608-2966-bs7gle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530930/original/file-20230608-2966-bs7gle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=625&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530930/original/file-20230608-2966-bs7gle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=625&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530930/original/file-20230608-2966-bs7gle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=625&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530930/original/file-20230608-2966-bs7gle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=786&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530930/original/file-20230608-2966-bs7gle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=786&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530930/original/file-20230608-2966-bs7gle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=786&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des navires de plus en plus capacitaires.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Avec les progrès en ingénierie navale, il semble que les limites peuvent encore être repoussées. La croissance des navires va plus vite que la capacité d’aménagement des ports. Au final, la limite sera fixée par celles des ports à les accueillir.</p>
<p>Certains ports majeurs, qui font l’objet de nos récentes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0966692323000376">recherches</a>, rencontrent des difficultés pour l’accueil de ces géants des mers (tirant d’eau insuffisant, portiques trop petits, etc.). <a href="https://media.licdn.com/dms/document/D4E1FAQGZRCxSzB9pqA/feedshare-document-pdf-analyzed/0/1681295394962?e=1683158400&v=beta&t=yX3HGLdw0b7fM6hzrhZ-J0mZsaCjH2GX8PididcdWKg">Pour rester dans la course dans l’accueil de ces navires</a>, ce qui signifie être connecté aux grandes routes commerciales internationales et donc aux principaux marchés de consommation et de production mondiaux, plusieurs doivent aujourd’hui entreprendre d’importants travaux. Mais ces travaux peuvent s’avérer déjà obsolètes ou insuffisants au moment de leur livraison, comme l’approfondissement de l’Elbe à Hambourg qui ne permettra finalement pas d’accueillir les plus gros navires à pleine charge.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis la fin des années 1970, la croissance des compagnies maritimes a installé une situation d’oligopole dans le secteur du transport de marchandises.Ronan Kerbiriou, Ingénieur d'études, Université Le Havre NormandieArnaud Serry, Maitre de conférences en géographie, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2056172023-05-16T18:40:41Z2023-05-16T18:40:41ZCroissance chinoise : les chaînes de valeur dynamisent les voisins asiatiques<p>Avec sa réouverture post-Covid, la <a href="https://theconversation.com/topics/chine-20235">Chine</a> connaît une période de reprise économique soutenue. Les dernières projections de croissance de l’Asian Development Bank Institute (ADBI) sont de 5 % pour 2023, 4,5 % pour 2024, après 3 % en 2022, 8,4 % en 2021 et 2,3 % en 2020. Dans son dernier <a href="https://www.adb.org/outlook">rapport <em>Asian Development Outlook</em></a> publié en avril, le think tank asiatique indique que l’économie de l’empire du Milieu devrait entraîner avec elle la <a href="https://theconversation.com/topics/croissance-economique-21197">croissance</a> régionale à travers la demande de biens et de services, autant qu’à travers les <a href="https://theconversation.com/topics/chaines-dapprovisionnement-85385">chaînes d’approvisionnement</a> mondiales ou <em>global value chains</em> (GVCs). En <a href="https://theconversation.com/topics/asie-22182">Asie</a>, 40 % des exportations (chiffre de 2015) sont liés à ces circuits. Cela fait de la région l’aire géographique la plus intégrée après l’Europe.</p>
<p>La mondialisation du commerce s’est traduite, depuis des décennies, par la fragmentation de la production des biens en différentes tâches, réalisées dans divers pays. Un pays va produire des biens intermédiaires qui seront ensuite utilisés par d’autres pays où ils seront améliorés ou assemblés pour aboutir au bien final. À chaque étape de la production, un pays apporte de la valeur au bien, jusqu’à ce qu’il soit mis à disposition des consommateurs.</p>
<p>Plusieurs données sont habituellement produites, notamment par l’<a href="https://www.oecd.org/fr/industrie/ind/mesurerlecommerceenvaleurajoutee.htm">Organisation de coopération et de développement économiques</a> (OCDE), pour mesurer l’implication d’un pays dans la chaîne de valeur mondiale d’un bien. La participation amont (<em>backward</em>) d’un pays aux GVCs mesure la part de la valeur ajoutée étrangère, soit des produits intermédiaires étrangers importés, dans les exportations du pays. Elle peut se décomposer selon l’origine géographique de la valeur ajoutée. La participation aval (<em>forward</em>), quant à elle, mesure la part de la valeur ajoutée locale dans les exportations d’un pays tiers.</p>
<p>Ce processus de production a beaucoup bénéficié aux pays émergents, notamment en Asie. Ils se sont spécialisés dans des tâches à forte intensité de main-d’œuvre depuis les années 1990, en parallèle de la signature d’accords de libre-échange dans la région. Ce que l’on observe est que tous les pays de notre échantillon voient leur participation amont avec la Chine augmenter depuis les années 2000, ce qui n’est pas sans conséquences pour l’avenir.</p>
<h2>Chaînes de valeur, chaînes de transmission</h2>
<p>Les pays asiatiques affichent la plus forte participation amont avec la Chine, aux côtés d’autres grands pays émergents comme l’Afrique du Sud ou le Mexique : la teneur en produits intermédiaires provenant de Chine est particulièrement élevée dans leurs exportations. Les pays asiatiques ont aussi une participation aval importante, tout comme l’Afrique du Sud et certains pays d’Amérique latine. La teneur en intrants de ces pays dans les exportations de la Chine est la plus forte parmi les pays de notre échantillon.</p>
<p><iframe id="GNnxX" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/GNnxX/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="UtNX2" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/UtNX2/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La plupart des pays émergents sont ainsi très intégrés aux chaînes de valeur avec la Chine. Pour les pays émergents d’Asie, cela s’apparente à des chaînes de valeur régionales. Cela implique une forme de dépendance.</p>
<p>Une <a href="https://www.adb.org/sites/default/files/publication/871976/asean-global-value-chains-resilience-sustainability.pdf#page=91">étude récente</a> des économistes Adrian Mendoza et James Villafuerta, toujours pour l’<em>Asian Development Bank Institute</em>, décrit leurs calculs des effets de report (<em>spillovers</em> en anglais) sur les dix pays membres de l’<a href="https://asean.org/">Association des nations de l’Asie du Sud-Est</a> (Asean) de chocs provenant de leurs principaux partenaires dans les GVCs. Ils observent que la sensibilité aux chocs américains a baissé durant la décennie 2000 quand celle touchant aux événements sur le marché chinois s’est accentuée. Un choc positif de 1 % sur la production chinoise avait un impact de 1,7 % sur celle de l’Asean en 2000, de 4,9 % en 2010 et de 6,3 % en 2020.</p>
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<p>Une <a href="https://www.adb.org/sites/default/files/publication/871976/asean-global-value-chains-resilience-sustainability.pdf#page=94">autre de leur analyse</a> montre que le commerce de l’Asean lié aux GVCs a augmenté de 27,8 % en 2021. Cette forte hausse incombe pour les auteurs à la reprise de la croissance chinoise. La Chine est ainsi devenue la source de chocs positifs la plus importante pour ces pays, mettant alors en valeur le rôle des chaînes de valeur régionales plutôt que mondiales.</p>
<p>À l’inverse, sans pouvoir encore le quantifier sur les pays de l’Asean, les auteurs indiquent que la transmission du choc de la pandémie liée au coronavirus a été amplifiée pour les pays participants aux GVCs.</p>
<p><iframe id="6ps8g" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/6ps8g/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les confinements sont intervenus dans les trois grandes zones au centre du système : l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie avec une très forte intensité en Chine. Dans les pays durement touchés par le Covid-19, la baisse de la demande en bien final ou en intrants intermédiaires a affecté les producteurs locaux ainsi que leurs fournisseurs nationaux et étrangers. Cela a aussi augmenté le chômage et baissé les revenus et la croissance, générant en retour de nouvelles tensions sur les activités impliquées dans les GVCs. Les perturbations sur les transports, notamment maritimes, et leurs coûts, en ont exacerbé les premiers effets néfastes.</p>
<h2>Comment la reprise peut-elle être durable ?</h2>
<p>Dans un <a href="https://www.adb.org/sites/default/files/publication/871976/asean-global-value-chains-resilience-sustainability.pdf#page=23">article</a> paru au sein du même rapport, Mia Mikic, économiste spécialiste de la zone, propose un état des lieux des différents enjeux relatifs à la participation des pays émergents d’Asie dans le processus des chaînes de valeur pour garantir une implication durable, porteuse de croissance et de résilience.</p>
<p>Dans un contexte d’incertitude et de tensions commerciales, présent avant même la pandémie, elle considère que les pays doivent intensifier l’intégration régionale en Asie continentale, et plus largement encourager un régionalisme ouvert vers le Japon et les pays du Pacifique. Cela se ferait à travers des accords à l’image du Partenariat régional économique global (<a href="https://theconversation.com/la-chine-au-coeur-de-la-plus-grande-zone-de-libre-echange-de-la-planete-150313">RCEP</a>) qui unit quinze pays de la zone Asie-Pacifique.</p>
<p>Comme les découvertes techniques et scientifiques sont régulières et provoquent la montée en gamme des productions, par exemple dans l’électronique et l’automobile, secteurs dépendant des GVCs, l’avantage comparatif des pays émergents d’Asie sur des tâches à forte intensité de main-d’œuvre non qualifiée risque de diminuer. Les États et les entreprises doivent donc travailler à renouveler les compétences des travailleurs, à créer des emplois : dans l’Asean, <a href="https://www.adb.org/sites/default/files/publication/871976/asean-global-value-chains-resilience-sustainability.pdf#page=37">plus d’un emploi sur quatre</a> est lié aux GVCs. Cela passe aussi par la promotion de l’innovation.</p>
<p>Les investisseurs de long terme privilégiant de plus en plus les pays à croissance durable et verte, il sera aussi important que les entreprises des pays d’Asie « verdissent » ou « décarbonent » les chaînes de valeur pour répondre à ces attentes : par exemple, par la promotion du commerce de biens et de services respectueux de l’environnement, la numérisation des procédures de commerce et de transport ainsi que par l’augmentation des investissements dans les énergies renouvelables. Enfin, l’étude considère que les chaînes de valeur doivent être simplifiées et raccourcies, c’est-à-dire repensées pour intégrer moins de pays et des pays « environment-friendly ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Lahet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les liens entre la Chine et les pays d’Asie se sont renforcés ces dernières années et, avec eux, la dépendance de ces derniers aux chocs qui affectent l’empire du Milieu.Delphine Lahet, Professeur en sciences économiques, BSE, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2024562023-03-26T15:59:20Z2023-03-26T15:59:20ZLa maximisation du profit sous contrainte énergétique, la nouvelle équation des multinationales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/517171/original/file-20230323-14-u13f1d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1266%2C866&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2022, les principales compagnies pétrolières ont doublé leurs bénéfices.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/97423979@N00/14155111927">Neal Wellons/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La décennie 1980 marque l’irruption des grands groupes dans l’espace mondial de la production et des échanges et le transfert des droits de décision à des fournisseurs localisés à l’étranger. Grâce aux technologies d’information et à la numérisation, le mouvement de découpage, d’externalisation et de délocalisation des tâches, appelé globalisation, a permis la mise en place de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chaine-de-valeur-48789">chaînes de valeur</a> mondiales caractérisées par une forte intensité des relations et une baisse des coûts de transaction.</p>
<p>La fluidification de l’espace mondial a accru la mobilité de la production des biens et services permise par un arbitrage entre la propriété (investissements directs à l’étranger) et la coordination (relations contractuelles avec les fournisseurs). Le décentrement de l’analyse <a href="https://e.lavoisier.fr/produit/45668/9782746289024/les-paradoxes-de-l-economie-du-savoir">vers les tâches productives et de services</a> plutôt que vers les biens fournit le cadre théorique de cette démarche : les chaînes de valeur renforcent l’avantage concurrentiel en abaissant le coût du travail pour des compétences de même niveau.</p>
<p>Cette organisation est en grande partie remise en cause aujourd’hui.</p>
<h2>L’importance des actifs primaires</h2>
<p>Une vague néo-protectionniste submerge le monde. Le recentrage de la Chine sur son marché intérieur, la guerre en Ukraine, la segmentation poussée des chaînes de valeur avec pour conséquence la difficulté de contrôler l’ensemble du processus de production et l’influence grandissante du risque géopolitique, ont à la fois ralenti le processus de globalisation et l’ont réordonné géographiquement, ce qui conduit à un périmètre plus réduit de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_occidentalisation_du_monde-9782707145918">l’occidentalisation</a>.</p>
<p>La dislocation de l’espace mondial ne signifie pas la fin de la globalisation, mais une nouvelle conception de l’intégration économique privilégiant l’accès aux actifs primaires. C’est le cas de la Chine qui se globalise par les infrastructures et construit les « <a href="https://theconversation.com/fr/topics/nouvelles-routes-de-la-soie-36140">routes de la soie</a> » en élaborant des accords portant sur des actifs bruts (licences d’exploitation des matières premières, achat de terres cultivables).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-guerre-en-ukraine-transforme-la-carte-des-routes-commerciales-chine-europe-189350">La guerre en Ukraine transforme la carte des routes commerciales Chine-Europe</a>
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<p>Le <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_21_6433">projet de portail mondial de la Commission européenne</a>, d’un montant de 300 milliards d’euros d’investissements public et privé entre 2021 et 2027 (Global Gateway) vise à financer des projets d’infrastructure hors de l’UE dans le but de contrer les routes de la soie chinoises et à accéder à des matières premières sensibles (terres rares, lithium), que l’UE importe aujourd’hui de Chine.</p>
<p>En fait, de nombreuses entreprises européennes sont soumises à une double contrainte : l’accès à l’énergie (actif primaire) et la <a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/bifurcations/">décarbonation de l’activité</a>. Les effets économiques sont considérables, y compris chez les fournisseurs. La compétitivité de l’ensemble de la chaîne de valeur est menacée.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/517161/original/file-20230323-14-ajxdsp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517161/original/file-20230323-14-ajxdsp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517161/original/file-20230323-14-ajxdsp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517161/original/file-20230323-14-ajxdsp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517161/original/file-20230323-14-ajxdsp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517161/original/file-20230323-14-ajxdsp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517161/original/file-20230323-14-ajxdsp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517161/original/file-20230323-14-ajxdsp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.oecd.org/fr/presse/prix-a-la-consommation-de-locde-mise-a-jour-7-mars-2023.htm">OCDE (2023)</a></span>
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<p>On peut citer le cas de l’équipementier aéronautique français Safran, qui a ajourné fin 2022 son projet d’usine de freins carbone à Feyzin (Rhône) et accroît la production des usines déjà localisées aux États-Unis et en Malaisie, puis effectue en un second temps un investissement direct aux États-Unis, pays dans lequel le <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/prix-a-la-consommation-de-locde-mise-a-jour-7-mars-2023.htm">prix de l’énergie est resté stable</a> ces deux dernières années (l’énergie représente 40 % du coût de fabrication des freins carbone).</p>
<h2>La primauté de la demande</h2>
<p>L’accès aux actifs primaires n’offre qu’une explication partielle de la recomposition des objectifs et des modalités d’organisation des firmes globales. La numérisation et la gestion des écosystèmes ont modifié les relations entre les coûts du travail et les prix, en particulier dans les secteurs dans lesquels l’inflation progresse sous l’influence de la demande.</p>
<p>La stratégie des entreprises est d’accroître les parts de marché et de maximiser leurs chiffres d’affaires de façon à atteindre des positions quasi monopolistiques (électronique, aéronautique, chimie, pharmacie, etc.) La profitabilité réside avant tout dans la capacité d’exploiter les opportunités de croissance et d’anticiper les modifications de la demande, notamment lorsqu’elle exige l’usage de « technologies propres ».</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La recherche de l’avantage concurrentiel privilégiait les coûts du travail et la productivité que la démultiplication des tâches dans les chaînes de valeur favorisait. Les chaînes de valeur, recomposées sur le plan régional et plus morcelées, exigent aujourd’hui une normalisation technologique poussée : Safran précise qu’il n’y a pas d’action de décarbonation sans transformation du capital productif de tous les fournisseurs, pour être en mesure de respecter les <a href="https://www.icao.int/Newsroom/Pages/FR/ICAO-Council-adopts-new-CO2-emissions-standard-for-aircraft.aspx">normes internationales</a> de certification des émissions de CO<sub>2</sub> pour les avions.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1585942686409887745"}"></div></p>
<p>Le salaire n’est pas la variable fondamentale dans la réorganisation des grandes entreprises. Ce qui devient crucial, ce sont les coûts de formation et de mobilité de la main-d’œuvre. En revanche, le coût du capital dans la transition écologique exige la maximisation du chiffre d’affaires pour permettre le déclassement des équipements, le financement de lourds investissements en nouvelles technologies, la fermeture de certaines unités.</p>
<p>La demande d’avions commerciaux reste très forte aux États-Unis (avions neufs et rénovation), ce qui justifie l’investissement de Safran qui possède 55 % de parts de marché sur le segment des avions commerciaux de plus de 100 places, devant l’américain Collins Aerospace (Raytheon Technologies). En 2021, ce sont les industries les plus concentrées qui ont connu les plus fortes hausses de prix, ce qui facilite la croissance du chiffre d’affaires et le maintien de marges de profit élevées (11,2 % pour les grandes entreprises du S&P 500).</p>
<p>Par ailleurs, la décarbonation est un moyen d’attirer de nouvelles compétences, principalement celles des nouvelles générations, sensibles à ces nouveaux enjeux.</p>
<h2>Qu’en est-il des Big Oil ?</h2>
<p>Ces entreprises (ExxonMobil, Chevron, BP, Shell et TotalEnergies) doublent leurs bénéfices en 2022 (<a href="https://www.zonebourse.com/cours/action/BP-PLC-9590188/actualite/Big-Oil-double-ses-benefices-lors-de-la-superproduction-de-2022-42930073/">219 milliards de dollars</a>) en surproduisant pour répondre à une demande qui explose du fait des risques géopolitiques. Le cas de TotalEnergies est significatif d’un comportement oligopolistique qui vise à maximiser le chiffre d’affaires (augmentation de 60 % entre 2021 et 2022) et le résultat net (19,47 milliards d’euros en 2022).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1623219722517991424"}"></div></p>
<p>Le développement de l’entreprise passe d’abord par le renforcement de la part de marché permis par une politique à long terme d’acquisitions (2011-2018) : de 60 % de la société US SunPower, de Saft Groupe, de Lampiris, de Direct Energie, etc. Cette stratégie de « glocalisation » (déploiement mondial sur 130 pays conjugué à un ancrage local) permet le développement d’une diversification multiénergies sous la contrainte que les produits amont (pétrole et gaz) doivent régresser progressivement à mesure que les investissements sont orientés vers les énergies renouvelables et à faible émission de carbone.</p>
<p>Le coût du capital se renchérit à la fois pour mener à leur terme les projets d’exploration et de production en cours et pour favoriser le réinvestissement dans d’autres secteurs, le risque étant de déclasser trop rapidement certains capitaux qui exigent d’être comblés par un surcroît d’investissements. L’entreprise a pour objectif d’être un acteur majeur de la transition énergétique et de devenir, en engageant notamment ses fournisseurs, un des <a href="https://totalenergies.com/info/totalenergies-publishes-its-sustainability-climate-2022-progress-report">cinq premiers producteurs mondiaux</a> d’électricité solaire et éolienne en 2030.</p>
<p>D’autant qu’aux États-Unis, <a href="https://theconversation.com/inflation-reduction-act-comment-lunion-europeenne-peut-elle-repondre-aux-incitations-fiscales-americaines-201425">l’Inflation Reduction Act</a>, adoptée en août 2022, permet aux entreprises d’un grand nombre de domaines d’activité (du nucléaire à l’hydrogène en passant par les voitures électriques et l’isolation des maisons individuelles), quelle que soit leur nationalité, de bénéficier de 369 milliards de dollars de subventions pour verdir leur production, sous forme d’aides à l’investissement ou de crédit à la production.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La décarbonation, qui nécessite beaucoup de capital, conduit les grandes entreprises à délaisser progressivement la recherche de l’avantage concurrentiel par la baisse du coût du travail.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950542022-11-29T18:57:10Z2022-11-29T18:57:10ZLe temps de la mondialisation est-il fini ?<p>Le temps de la mondialisation est-il fini ? Sur cette question difficile, deux grandes visions s’opposent. Pour beaucoup d’économistes, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/libre-echange-33121">libre-échange</a> est un état naturel du système économique mondial. Toute perturbation – <a href="https://theconversation.com/fr/Covid-19">Covid-19</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/guerre-en-ukraine-127040">guerre en Ukraine</a>, regain de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/protectionnisme-33187">protectionnisme</a> – ne peut résulter que de disruptions temporaires qui ont tôt ou tard vocation à être corrigées : bouffées d’irrationalité, surgissement momentané de forces politiques bousculant des équilibres économiques autrement harmonieux, etc.</p>
<p>Bien entendu, les économistes qui adhèrent à une telle vision des choses ne nient pas que le libre-échange puisse parfois avoir des effets pervers (pollution, creusement de certaines <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inegalites-20617">inégalités</a>). Mais, à l’image du prix « Nobel » américain Paul Krugman, ils considèrent qu’il est presque toujours optimal de <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2009-4-page-513.htm">préserver le libre-échange <em>ex ante</em></a>, quitte à utiliser les richesses ainsi créées pour corriger ces effets pervers <em>ex post</em>.</p>
<p>Si l’on s’en tient à cette perspective, la démondialisation apparaît comme un spectre effrayant, qui occulterait deux siècles et demi d’acquis en matière de théorie économique, pour nous replonger dans des époques beaucoup plus sombres. Seul problème : si les conséquences de la mondialisation étaient aussi unanimement positives, comment expliquer qu’elle suscite des oppositions aussi fortes, aussi récurrentes, aussi durables ?</p>
<p>Pour éclairer cela, il faut repenser en profondeur le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/libre-echange-33121">libre-échange</a>, et comprendre que celui-ci a des coûts qui ont été systématiquement sous-estimés par les économistes. C’est ce changement de paradigme que j’esquisse dans <a href="https://www.librairie-sciencespo.fr/livre/9782021486292-le-temps-de-la-demondialisation-proteger-les-biens-communs-contre-le-libre-echange-guillaume-vuillemey/"><em>Le temps de la démondialisation</em></a> (Seuil, 2022). Cette vision alternative permet de comprendre pourquoi, au-delà d’un certain point, le libre-échange peut avoir des coûts beaucoup plus élevés que ses bénéfices. Par là même, de nouvelles formes de protectionnisme peuvent se trouver justifiées.</p>
<h2>Qu’est-ce que la mondialisation ?</h2>
<p>À nos yeux, le grand malentendu vient de la définition que l’on donne de la mondialisation. Beaucoup d’économistes ont une vision très abstraite de l’échange, que l’on peut résumer ainsi : si A et B sont mutuellement d’accord pour échanger, c’est qu’il y a des « gains à l’échange » entre eux. Dès lors que tel est le cas, les laisser échanger est créateur de valeur.</p>
<p>Ainsi formulé, cet argument vaut aussi bien pour le commerce avec un boulanger de quartier que pour des importations avec un pays du bout du monde. Si l’on raisonne ainsi, il n’y aurait pas de différence de <em>nature</em> entre l’échange proche et l’échange lointain. Il n’y aurait, précisément, qu’une différence de <em>distance</em>, ce qui a conduit nombre d’économistes à voir dans la mondialisation rien de plus qu’un processus d’<em>allongement des distances</em> dans les échanges.</p>
<p>Un recours à l’histoire permet de voir les choses sous un jour bien différent. Certes, l’échange lointain a toujours existé. Mais, pendant longtemps, il restait soumis à des ordres juridiques et politiques territorialisés. Voyager, pour un bien ou un marchand, c’était traverser une série de territoires qui, tous, imposaient leurs règles, leurs taxes, leur vision propre du bien commun. L’échange lointain n’était pas inexistant, mais il devait se soumettre localement à certains objectifs politiques.</p>
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<p>Le droit commercial – d’essence plus individualiste et utilitariste – restait toujours marginal par rapport au droit civil, lequel visait davantage des fins communes, politiques. Le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/transport-maritime-58258">transport maritime</a> lui-même restait profondément territorialisé, puisqu’il s’est longtemps réduit à la pratique du cabotage. Dans une large mesure, la politique économique consistait alors à concilier les intérêts privés des marchands avec une vision du bien commun. Tant que les échanges restaient territorialisés, limiter le libre-échange pour faire primer le bien commun ne posait pas de difficultés majeures.</p>
<p>Le plus grand changement fut la déterritorialisation progressive des échanges, depuis les « grandes découvertes » des XV<sup>e</sup>-XVI<sup>e</sup> siècles jusqu’à aujourd’hui. Avec l’ouverture des mers notamment, les marchands ont pu peu à peu s’abstraire du monde territorialisé des États, du politique et du droit civil. Le transport maritime a pu mettre en concurrence tous les pays, et contourner ceux dont le droit n’était pas suffisamment favorable aux intérêts privés des marchands.</p>
<p>Sur le temps long, le <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">droit</a> commercial et ses principes (individualisme, utilitarisme) ont pris le dessus sur l’ancien droit civil. Les fins privées ont pu s’affirmer bien davantage au détriment des fins communes. Ce processus s’est considérablement accéléré au XX<sup>e</sup> siècle avec l’abaissement des coûts de transport, lié notamment à l’invention du conteneur.</p>
<p>Sous cet angle, la mondialisation apparaît désormais comme un changement profond dans la nature des échanges. Là où l’échange lointain restait traditionnellement soumis au droit commun, la mondialisation doit être vue comme un processus d’affranchissement par rapport au monde des intérêts communs, politiques, territorialisés. Le trait premier de la mondialisation est la <em>déterritorialisation</em> des échanges : leur capacité à s’abstraire des fins collectives locales.</p>
<p>Mais il y a encore autre chose : là où les économistes arguent souvent que les effets pervers du libre échange peuvent être corrigés <em>ex post</em> par la redistribution, la déterritorialisation des échanges signifie que cela sera souvent impossible. Cela, parce que les acteurs les plus mobiles peuvent se relocaliser dans des juridictions moins complaisantes, par exemple des paradis réglementaires ou fiscaux.</p>
<p>Non seulement les fins collectives sont donc peu à peu abandonnées <em>ex ante</em>, mais il devient de plus en plus difficile d’offrir une compensation aux perdants de la mondialisation <em>ex post</em> !</p>
<h2>Les coûts de la déterritorialisation</h2>
<p>Les dommages collectifs causés par cette déterritorialisation des échanges peuvent être illustrés par un exemple, celui des <a href="https://www.champscommuns.fr/pavillons-de-complaisance">pavillons de complaisance</a>. Aujourd’hui, 80 à 90 % des biens échangés internationalement le sont par voie maritime (porte-conteneurs, tankers, etc.). Jusque dans les années 1980, la majorité des navires commerciaux étaient immatriculés dans de « grands pays », et donc soumis aux réglementations techniques, sociales, environnementales et fiscales de pays tels que la France, l’Allemagne, le Grèce, les États-Unis ou le Japon.</p>
<p>Depuis, une véritable déterritorialisation du transport maritime s’est opérée : la vaste majorité des navires commerciaux dans le monde sont immatriculés dans des pavillons de complaisance, tels que le Panama, le Liberia ou les îles Marshall. Ces pays autorisent des armateurs à arborer leur pavillon, quand bien même les navires ne viendront jamais chez eux et n’ont aucun lien direct avec eux. Les pavillons de complaisance fonctionnent comme un pur « marché de nationalité » pour les navires – qui se double évidemment d’une concurrence réglementaire et fiscale pour attirer les armateurs.</p>
<p><em>In fine</em>, les navires qui forment la « colonne vertébrale » de la mondialisation sont moins régulés, moins sûrs, plus polluants, et moins taxés, qu’ils n’auraient pu l’être si les échanges avaient gardé une plus grande connexion avec les terres.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=878&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=878&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=878&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1103&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1103&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1103&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Le temps de la démondialisation : protéger les biens communs contre le libre-échange</em>, par Guillaume Vuillemey.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairie-sciencespo.fr/livre/9782021486292-le-temps-de-la-demondialisation-proteger-les-biens-communs-contre-le-libre-echange-guillaume-vuillemey/">Éditions Seuil (parution octobre 2022)</a></span>
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</figure>
<p>Dans ces conditions, il est possible d’affirmer qu’une certaine mobilité est incivique, en ce qu’elle a pour objectif premier de contourner l’environnement réglementaire ou fiscal mis en œuvre par les pays participant aux échanges. Ces pays perdent une partie de leur capacité à mettre en œuvre des politiques au service de l’intérêt commun.</p>
<p>C’est pourquoi certaines oppositions au libre-échange ne doivent pas être prises à la légère : elles traduisent le fait, bien réel, selon lequel certains biens communs ont effectivement été sacrifiés au cours du processus de mondialisation. Plus spécifiquement, ce processus a contribué à segmenter le monde social en deux mondes : d’une part des acteurs les plus mobiles, qui bénéficient grandement de la capacité à se déterritorialiser (par exemple par l’évasion fiscale) ; de l’autre, les plus immobiles, qui voient les biens communs locaux se dégrader.</p>
<p>Ces coûts du libre-échange peuvent permettre de justifier de nouvelles formes de protectionnisme, et une démondialisation raisonnée. Le protectionnisme ainsi repensé n’a pas pour vocation première de se couper des autres pays par une politique réactive, mais d’affirmer des biens communs propres – des milieux naturels ou marins à protéger, des savoir-faire ou des intérêts stratégiques à préserver –, dans une action positive. Il vise à créer des liens entre les activités économiques et leur traitement juridique, dont faire en sorte que leur conduite soit à nouveau subordonnée à des valeurs communes. C’est le sens de la reterritorialisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Vuillemey ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Protectionnisme, reterritorialisations… Les remises en cause des acquis en matière de théorie semblent liées à une sous-estimation des coûts de la mondialisation par les économistes.Guillaume Vuillemey, Professeur associé en finance, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1908712022-09-20T18:27:57Z2022-09-20T18:27:57ZLe couronnement d’Élisabeth II, un moment fondateur pour la télévision européenne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485576/original/file-20220920-3608-362gpb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=55%2C5%2C3183%2C2420&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le couronnement d'Elisabeth II, un événement inédit pour la télévision franco-britannique. </span> <span class="attribution"><span class="source">Fonds Jean d'Arcy</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>La reine Elizabeth II, décédée le 8 septembre 2022 à l’âge de 96 ans, aura régné 70 ans. Le 2 juin 1953, elle est couronnée reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord en l’abbaye de Westminster, moment historique pour la télévision qui magnifie cette solennelle cérémonie religieuse. Paradoxale et inédite rencontre entre un rituel immuable depuis des siècles et une nouveauté technique qui allait bouleverser la communication et la culture à travers le monde. Cette cérémonie télévisuelle sera l’aboutissement d’un processus initié en 1950.</p>
<h2>L’émergence d’échanges de programmes franco-britanniques</h2>
<p>Considérés comme des événements fondateurs de l’histoire de la télévision européenne et en particulier française, les émissions franco-britanniques « l’expérience de Calais » en août 1950 et <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1952/07/03/la-semaine-franco-britannique-de-television_1990074_1819218.html">« la semaine de Paris »</a> du 8 au 14 juillet 1952, attestent de l’ambition et des immenses défis techniques du nouveau média qu’est la télévision véritable « fenêtre ouverte sur le monde », tant en Grande-Bretagne qu’en France.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485573/original/file-20220920-3592-cf9dvv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485573/original/file-20220920-3592-cf9dvv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485573/original/file-20220920-3592-cf9dvv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485573/original/file-20220920-3592-cf9dvv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485573/original/file-20220920-3592-cf9dvv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485573/original/file-20220920-3592-cf9dvv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485573/original/file-20220920-3592-cf9dvv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le programme est retransmis de l’Hotel de Ville de Calais.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives audiovisuelles de la BBC, Bretford</span></span>
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<p>« L’expérience de Calais » est la première retransmission transnationale en direct d’images télévisées jamais réalisée, cent ans après la pose du premier câble sous-marin du télégraphe. Un communiqué technique de la BBC souligne alors que la diffusion est « le fruit de recherches et d’expériences rigoureuses des ingénieurs et des fabricants de radio britanniques », car cette retransmission nécessite de lever les obstacles relatifs à la traversée des 65 kilomètres de la Manche entre les deux côtes, car les signaux reçus à Douvres peuvent fluctuer selon le temps et les marées, mais aussi <a href="http://news.bbc.co.uk/onthisday/hi/dates/stories/august/27/newsid_3032000/3032714.stm">par les navires empruntant le détroit</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485572/original/file-20220920-3487-ermdgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485572/original/file-20220920-3487-ermdgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485572/original/file-20220920-3487-ermdgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485572/original/file-20220920-3487-ermdgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485572/original/file-20220920-3487-ermdgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485572/original/file-20220920-3487-ermdgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485572/original/file-20220920-3487-ermdgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Légende : la télévision traverse la Manche : le présentateur de la BBC Richard Dimbleby avec une famille de Calais en costumes traditionnels et un vétéran français (à droite).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives audiovisuelles de la BBC, Bretford</span></span>
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</figure>
<p>Si l’expérience de Calais atteste de la faisabilité d’une retransmission télévisée entre les deux pays, la mise en œuvre du point de vue technique est exclusivement britannique et seuls les téléspectateurs britanniques peuvent voir l’émission. Les obstacles techniques et financiers de l’époque freinent le projet du <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2013-2-page-205.htm">Comité de liaison de télévision franco-britannique</a>, créé fin 1949, constitué d’experts britanniques (BBC) et français (RTF), d’échanger des programmes d’informations, de courts documentaires voire de coproduire des films pour la télévision. D’un point de vue technique, les différences de normes de télédiffusion (standard de 819 lignes en France et 405 en Grande-Bretagne) par exemple obligent les ingénieurs à concevoir des systèmes de conversion.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La semaine franco-britannique, qui nécessite de nombreuses concertations entre la BBC et la RTF sur les aspects esthétiques, pratiques et techniques des programmes, constitue la seconde étape de la réalisation d’une émission transnationale qui relie Paris et Londres dans les deux sens.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Le conducteur de la semaine franco-britannique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fonds Jean d’Arcy</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Jean d’Arcy, l’homme de la situation</h2>
<p><a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/arcy-jean.">Jean d’Arcy</a>, nommé responsable de l’organisation de l’événement par Wladimir Porché le 19 novembre 1951, entend créer des contacts cordiaux entre les équipes britannique et française et surtout développer la télévision dont il pressent les enjeux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485654/original/file-20220920-3857-kucz25.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485654/original/file-20220920-3857-kucz25.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485654/original/file-20220920-3857-kucz25.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485654/original/file-20220920-3857-kucz25.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485654/original/file-20220920-3857-kucz25.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485654/original/file-20220920-3857-kucz25.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485654/original/file-20220920-3857-kucz25.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean d'Arcy.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fonds Jean d'Arcy.</span></span>
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<p>Pour la première fois dans l’histoire de la télévision deux chaînes de stations étrangères (BBC et RTF) vont durant sept jours travailler en complète coopération. Grâce à un système de relais mobiles unissant Paris à Londres (le plus étendu de ce genre ayant jamais été réalisé) les programmes de la Télévision française sont vus sur tous les écrans récepteurs britanniques. Les émissions, réalisées pour la plupart sous forme de reportages, sont destinées à présenter Paris, dans sa vie quotidienne de travail et de loisirs, au public d’outre-Manche.</p>
<p>L’expérience est d’un grand intérêt pour les rares téléspectateurs français, qui selon Jean d’Arcy sont « ainsi appelés à participer à une première expérience de contacts humains par delà les frontières grâce à ce moyen d’expression nouveau qu’est la télévision » <a href="https://doi.org/10.3917/etan.573.0310">dans l’esprit de l’entente cordiale</a>.</p>
<p>En Une du magazine de la BBC Radio Times, 4 juillet 1952, la semaine de Paris est représentée par les deux emblèmes nationaux : Britannia et Marianne se saluent et tiennent un récepteur de télévision montrant les logos de la BBC et de la RTF.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/485703/original/file-20220920-11238-9xaymk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485703/original/file-20220920-11238-9xaymk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485703/original/file-20220920-11238-9xaymk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485703/original/file-20220920-11238-9xaymk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485703/original/file-20220920-11238-9xaymk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485703/original/file-20220920-11238-9xaymk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485703/original/file-20220920-11238-9xaymk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485703/original/file-20220920-11238-9xaymk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L'iconographie de « l'entente cordiale » télévisuelle.</span>
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<p>Ainsi, l’expérience de Calais et « la semaine de Paris » démontrent la faisabilité de programmes communs de télévision et s’inscrivent dans l’ambition de créer un réseau européen. Car <a href="http://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=000936537">Jean d’Arcy mentionne</a> le fait que, « pour faire une bonne télévision, il faut au moins un continent, les États-Unis ou l’Europe, par exemple » ce qui nécessite le partage de ressources (programmes, matériels), la communication entre professionnels (coproduction, échanges de pratiques), la communication entre systèmes techniques avec la volonté de les standardiser. Après cette expérience réussie, Jean d’Arcy nommé directeur des programmes de la RTF, incarnera la figure historique du développement de la télévision française avec l’ambition forte d’en faire un média aux missions culturelles, sociales et civiques.</p>
<h2>Le couronnement de la reine Elizabeth II (2 juin 1953) : un rituel magnifié</h2>
<p>D’Arcy défend le « projet du couronnement » (Coronation Project) et tente même de convaincre l’UER d’y prendre part. Ancien militaire, il n’est pas ingénieur, mais grâce à ses appuis politiques, notamment celui du ministre de l’Information, il ouvre la voie à une solution, quand la conversion des lignes de transmission s’avère être un obstacle majeur pour le « projet du couronnement ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485577/original/file-20220920-1112-105710.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485577/original/file-20220920-1112-105710.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485577/original/file-20220920-1112-105710.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485577/original/file-20220920-1112-105710.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485577/original/file-20220920-1112-105710.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485577/original/file-20220920-1112-105710.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485577/original/file-20220920-1112-105710.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le dispositif technique de la retransmission du courronnement d’Élisabeth II, en 1953.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fonds Jean d’Arcy</span></span>
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<p>Ainsi, la collaboration d’hommes tels que Jean d’Arcy, Cecil McGivern, directeur de la BBC et le Hollandais Jan Willem Renge permet en février 1953 au « projet du couronnement » de voir le jour.</p>
<p>Pour la première fois dans l’histoire de la télévision, un événement est diffusé en direct dans cinq pays : l’Angleterre, la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne ; il inaugure une nouvelle période et marque l’essor de la télévision. « La télévision grâce au couronnement a fait la conquête du grand public » souligne le <em>Figaro</em> du 3 juin.</p>
<p>Les gestes qui marquent le couronnement constituent un rite de consécration au cours duquel la jeune princesse est formellement reconnue comme Reine, la 6e femme à ceindre la couronne d’Angleterre et le 40e monarque depuis Guillaume le Conquérant. C’est cette consécration qui est mise en scène et formalisée par la cérémonie, acte performatif et instituant. Pour la première fois dans l’histoire, les spectateurs sont conviés à l’éclat et au faste d’un sacre monarchique, assistant ainsi au rituel jusqu’alors confidentiel, transformé par leur présence et par la prouesse que représente le direct à cette époque.</p>
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<p>La télévision doit ainsi faire face à de nombreux problèmes dont la non-concordance du temps cérémoniel et du temps télévisuel. Le couronnement s’accomplit dans la lenteur, car il est héritier d’une tradition et d’un rituel qui suppose la présence réelle, voire la ferveur et la communion. Un rituel dans lequel l’attente participe de la solennité et suscite l’émotion de l’assistance. À l’inverse, le temps télévisuel appelle l’action et ne supporte guère de temps mort. Pendant six heures, la télévision diffuse les différentes manifestations liées au sacre d’Élisabeth II, suscitant une forte audience grâce à la mobilisation de l’opinion publique par des émissions en direct de Londres durant les quatre jours qui précédent.</p>
<p>En France, alors que le développement de la télévision en est encore à ses balbutiements, la vente de récepteurs est sans précédent et les téléspectateurs qui ne disposent pas du petit écran, se rassemblent dans les rues, devant les vitrines de magasins, dans les cafés, en famille, chez des amis ; la cérémonie est retransmise sur des écrans géants dans plusieurs salles de cinéma parisiennes et des téléviseurs sont installés à l’ONU, à l’OTAN et dans les ambassades d’Angleterre et du Canada…</p>
<p>Léon Zitrone, est choisi pour commenter la cérémonie dans le style qui fera de lui une des figures emblématiques du petit écran. Les images cérémonielles sont aussi commentées par Étienne Lalou, Roger Debouzy, Jacques Sallebert et Pierre Tchernia.</p>
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<span class="caption">Léon Zitrone, présentateur de la R.T.F, s'illustra lors de la retransmission télévisée du sacre d’Elizabeth II.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fonds Jean d'Arcy</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En Angleterre, la BBC a disposé des caméras à Londres. 56 % de la population britannique – soit 20 millions d’Anglais – suivent la retransmission qui renforce le sentiment d’unité du peuple à l’égard d’une monarchie désormais accessible à tous. Pour la première fois, à l’occasion du couronnement d’Elizabeth II, l’audience de la télévision dépasse au Royaume-Uni celle de la radio, le nouveau média conquiert ses publics nationaux et s’internationalise.</p>
<p>Ce jour-là, l’audience télévisuelle mondiale du couronnement est estimée à 277 millions de téléspectateurs. L’enregistrement du film est aussi envoyé dans les heures qui suivent le direct par avion dans d’autres pays, notamment au Canada et aux États-Unis.</p>
<p>L’événement est un triomphe, car la télévision montre son aptitude à saisir en direct un grand moment susceptible de passionner un large public. Comme le soulignent <a href="https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1998_num_38_145_370446">Daniel Dayan et Elihu Katz</a>, la télévision cérémonielle que constitue un événement comme le couronnement d’une Reine, « interrompt le cours habituel des programmes, exerce un quasi-monopole sur l’attention publique, suscite la constitution d’immenses communautés de téléspectateurs qui assistent et « participent » à cet événement solennel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485581/original/file-20220920-23-nw6xy2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485581/original/file-20220920-23-nw6xy2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=676&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485581/original/file-20220920-23-nw6xy2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=676&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485581/original/file-20220920-23-nw6xy2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=676&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485581/original/file-20220920-23-nw6xy2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=849&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485581/original/file-20220920-23-nw6xy2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=849&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485581/original/file-20220920-23-nw6xy2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=849&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des deux côtés de la Manche, le dispositif technique est impressionnant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fonds Jean d’Arcy</span></span>
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<h2>L’Eurovision : vers une communication européenne</h2>
<p>Après ce rendez-vous historique, l’Eurovision <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00012313/acte-de-naissance-de-l-eurovision-a-cannes">voulue par Jean d’Arcy</a> naît dès 1954, avec la ferme volonté d’abolir les frontières et de mobiliser des publics nationaux <a href="https://theconversation.com/leurovision-song-contest-un-laboratoire-politique-continental-182245">sur des programmes fédérateurs</a>. Selon lui, la télévision peut être « une école de tolérance et d’intelligence d’autrui, contribuant à faire disparaître chez les nations leurs préjugés séculaires vis-à-vis d’autres nations ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485647/original/file-20220920-16-lfcr0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485647/original/file-20220920-16-lfcr0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485647/original/file-20220920-16-lfcr0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485647/original/file-20220920-16-lfcr0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485647/original/file-20220920-16-lfcr0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485647/original/file-20220920-16-lfcr0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485647/original/file-20220920-16-lfcr0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les vertus de la télévision selon Jean d’Arcy.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fonds Jean d’Arcy</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le ralliement massif des audiences à ce nouveau média sur le modèle américain (15 millions de récepteurs en 1952 et 35 millions en 1961) s’opère dans les années 1950. Et ce parce que la télévision a su utiliser les grands événements pour porter son essor et comprendre, avec la retransmission internationale du couronnement d’Elizabeth II, que sa force réside non pas dans la « mise en boîte » d’émissions diffusées en différé, comme le croyaient ses pionniers, mais dans l’exceptionnelle charge émotionnelle de l’image en direct.</p>
<p>Événement en direct, la retransmission des funérailles officielles de la reine Élisabeth II, <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-62867412">minutieusement préparées</a>, a célébré le destin unique de cette souveraine, devenue une icône planétaire. Grâce aux satellites de communication rendant possible la mondiovision, la télévision a cette capacité de rassembler des millions, voir des milliards de téléspectateurs à travers le monde. Devant leur petit écran, tous sont liés par l’expérience commune d’assister pour un temps à une part de l’histoire du monde, par-delà les clivages politiques ou culturels.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190871/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Pierre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre 1950 et 2022, la télévision a accompagné toutes les étapes du règne d’Élisabeth II, et permis de grands moments de communion entre Européens, de son couronnement à ses funérailles.Sylvie Pierre, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication/Centre de recherche sur les médiations, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1877852022-07-28T19:54:42Z2022-07-28T19:54:42ZL’opération Vivendi-Hachette : une illustration de la globalisation de l’édition<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/476295/original/file-20220727-21-7rwdkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C18%2C4200%2C2766&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">386 millions d'euros de livres sont vendus par Amazon chaque année.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/new-york-usa-may-20-2018-1135022744">ymgerman /Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Finalement, la fusion annoncée entre le groupe d'édition Editis, propriété de Vivendi, et Hachette, filiale de Lagardère, ne devrait pas avoir lieu.</p>
<p>Après des mois de bruits divers, Vincent Bolloré, le patron du géant des médias Vivendi, a décidé de céder le très franco-français Editis à un repreneur étranger pour ne pas avoir à faire face à des problèmes de concentration que lui promettaient déjà les régulateurs européens. </p>
<p>Une façon pour lui et Vivendi de mieux garder le contrôle d'Hachette et de réaliser ses ambitions d'envergure mondiale. </p>
<h2>La plus grande librairie du monde</h2>
<p>Cet échange croisé illustre l’internationalisation de l’industrie de l’édition et témoigne de la foi du secteur en son avenir.</p>
<p>Amazon offre, par exemple, un parfait cas d’école pour analyser la mondialisation du secteur du livre.</p>
<p>L’entreprise de Jeff Bezos n’est-elle pas devenue la <a href="https://www.radiofrance.fr/mouv/podcasts/debattle/faut-il-s-inquieter-de-la-puissance-d-amazon-1986049">première librairie globale</a> ? Première à offrir une plate-forme de revente de livres dans de nombreux pays ; première par l’étendue du choix de langue écrite ; première par sa domination dans la commercialisation des livres imprimés, qu’ils soient neufs ou d’occasion. Première naturellement dans la vente de livres numériques. Première aussi, c’est moins attendu, dans le livre audio.</p>
<p>En un clic, des centaines de millions de lecteurs un peu partout sur la planète bénéficient désormais d’un accès immédiat ou après une attente de quelques jours au livre de leur choix parmi des millions de références disponibles.</p>
<p>Faut-il encore savoir quel livre choisir ! À l’image d’un Umberto Eco se dirigeant d’un pas tranquille, mais décidé, dans sa bibliothèque labyrinthique pour trouver celui qu’il cherche.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Czc_KjWji8E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La librairie personnelle d’Umberto Ecco.</span></figcaption>
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<p>Amazon est aussi la première plate-forme d’auto-édition. Elle propose plus d’un million de nouveaux titres chaque année dans plusieurs langues. Si vous faites partie des <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Livre-et-lecture/Actualites/Etude-sur-la-situation-economique-et-sociale-des-auteurs-du-livre-resultats">quelques 100 000 écrivains français du dimanche</a>, vous avez sans doute déjà regardé, sinon utilisé, les nombreux outils offerts par Kindle Direct Publishing, pour <a href="https://kdp.amazon.com/fr_FR?ref_=kdpgp_p_fr_psg_gt_hv_ad1">créer et publier un livre électronique, broché ou relié</a>. Vous avez sans doute aussi été déçu par les ventes de votre œuvre. <a href="https://www.nytimes.com/2010/05/27/opinion/27iht-%20edkeillor.html?scp=2&sq=garrison%20keillor&st=cse">À en croire un écrivain humoriste américain</a>, comptez en moyenne 14 exemplaires vendus dont plus de la moitié acquis par les membres de la famille.</p>
<p>Cette puissance de feu tous azimuts d’Amazon n’est pas sans inquiéter les entreprises de l’édition, d’autant qu’elle est progressivement devenue leur premier client. Leur besoin de mieux négocier leurs conditions de vente avec <a href="https://theconversation.com/logre-amazon-98896">l’ogre de Seattle</a> est d’ailleurs une motivation, affirmée avec force, de leurs projets de fusion et acquisition.</p>
<h2>Des fusions transfrontalières</h2>
<p>Une bonne illustration de ce phénomène est le rapprochement entre Penguin Random House (Bertelsman) et Simon & Schuster (Paramount Global). Cette opération, non encore finalisée, car en cours de jugement antitrust, fait suite à une vague de 30 ans de fusions et acquisitions internationales.</p>
<p>Trop nombreuses à lister ici, citons-en seulement quelques-unes : l’absorption de Collins (Royaume-Uni) – rappelez-vous de votre premier dictionnaire d’anglais ! – par Harper (États-Unis) ; celle d’Harlequin (Canada), connu pour ses romans sentimentaux publiés dans le monde entier, par Harper Collins ; le rachat de Random House (États-Unis) aux choix chanceux de publication, à l’instar de l’<em>Ulysse</em> de Joyce, par Bertelsmann (Allemagne) ; celui de Penguin House (Royaume-Uni) <a href="https://www.penguin.co.uk/articles/2020/september/penguin-books-logo-history-edward-young-allen-lane.html">au célèbre et inoxydable logo</a> par Bertelsman toujours.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Et donc aujourd’hui aussi le projet d’acquisition de Simon & Schuster, la maison d’édition de Stephen King, et John Grisham, entre autres ; sans oublier le projet de rapprochement désormais caduc entre Editis (Vivendi) et Hachette Livre (Largardère).</p>
<p>La constitution de géants de l’édition est la conséquence immédiate des fusions et acquisitions, en particulier transfrontalières. Six groupes occupent aujourd’hui le quart du marché mondial. L’industrie de l’édition n’a pas échappé au mouvement planétaire de <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/entreprises-hyperpuissantes_9782738154989.php">l’ascension commerciale d’entreprises multinationales devenant des géants</a>.</p>
<h2>Innovations technologiques et des modèles d’affaires</h2>
<p>Comme dans les autres industries, l’innovation joue un rôle clef dans l’évolution du secteur. À commencer par l’innovation technologique. Le numérique a inondé la planète du livre, que ce soit à travers l’édition électronique, la logistique de la distribution, le marketing des succès, la vente de livres audio et de bandes dessinées ou encore le segment du livre professionnel. Or le numérique se caractérise par des coûts unitaires plus faibles, mais aussi par des coûts fixes plus élevés qui doivent donc être amortis sur de plus vastes marchés. Ce sont aussi des économies de réseaux qui favorisent quelques-uns par un effet boule de neige. Un seul ou une poignée de gagnants sont sélectionnés.</p>
<p>L’innovation concerne également les formats, utilisons ici les termes anglais consacrés, et finalement plus parlants, à l’instar de <em>webtoon</em>, <em>webnovel</em>, <em>graphic novel</em>, <em>serial fiction</em>, etc. Elle concerne aussi les modèles d’affaires comme les formules par abonnements – sortes de club du livre du monde d’aujourd’hui – ou la déclinaison tous médias et tous azimuts des titres à succès : séries, films, podcasts, jeux, colifichets et autres babioles. Bref, une sorte d’universalisation des récits et de leurs héros.</p>
<p><em>Le Petit Prince</em> lui-même, livre le plus traduit au monde après la Bible, n’a pas échappé à cette commercialisation effrénée. Il a bien sûr été adapté en film et en série et sa célèbre silhouette élancée a été reproduite sur <a href="https://www.lepetitprincecollection.com/fr/">tout et n’importe quoi</a>, porte-clefs, médailles, casquettes, et même coquetiers, étuis à lunettes et gourdes. Il y a du bon, du moins bon et du très mauvais, mais ne levez pas les yeux au ciel en regrettant ce commerce hors du livre. Le personnage de Saint-Exupéry a ainsi connu de nombreuses vies nouvelles, prolongeant pour certains le bonheur de la lecture ou engageant d’autres à s’y plonger.</p>
<h2>Les livres à succès</h2>
<p>Joue également une certaine uniformisation des goûts et des modes dont témoignent de nombreux livres et genres à succès internationaux. L’anatomie des best-sellers a été étudiée en comparant les données des caractéristiques textuelles des ouvrages qui figurent dans les <a href="https://livre.fnac.com/mp35551172/Bestseller-Code">listes des meilleures ventes</a> et ceux qui n’y figurent pas. Leur dissection fait apparaître, entre autres, que le succès réclame plutôt un langage simple, proche du parler, un nombre de thèmes principaux restreint à deux ou trois, et des montées et descentes d’émotion qui se succèdent. Trop d’adjectifs et de verbes sont à éviter. Idem pour les scènes de sexe ou la description des corps, sauf s’ils sont refroidis (les romans policiers sont légion parmi les livres à succès…).</p>
<p>Bien entendu, la connaissance complète des ingrédients à incorporer ou à éviter ne fournit pas pour autant la recette du succès. De la même façon que la liste des produits dans le garde-manger des cuisiniers de Top Chef ne suffit pas pour désigner à l’avance le vainqueur. Notez qu’il n’y a pas non plus de recette miracle pour deviner les genres et sous-genres à succès à l’instar du polar scandinave ou du manga d’action. C’est ici comme l’engouement mondial pour la pizza et le hamburger, ou plus récemment pour le poke bowl.</p>
<p>Terminons de filer la métaphore culinaire en rappelant que pour le livre comme pour la cuisine, les goûts et les préférences restent encore marqués par la culture locale. Ils diffèrent d’un endroit, d’un pays, d’un continent à l’autre. Les livres traduits ne représentent par exemple en France qu’un cinquième des ventes.</p>
<p>Même s’il fait rêver nombre d’auteurs, le livre à succès et ses déclinaisons restent une exception. En proportion du nombre d’exemplaires vendus et donc du chiffre d’affaires des éditeurs, c’est une autre affaire. Prenons l’exemple des États-Unis où le nombre moyen d’exemplaires par titre s’élève à quelques centaines : les 10 livres écoulés à plus d’un million d’exemplaires font autant de recettes que le <a href="https://www.publishersweekly.com/pw/by-topic/columns-and-blogs/soapbox/article/6153-a-bookselling-tail.html">million d’autres placés à moins de 100 exemplaires</a>.</p>
<h2>Un marché mondial qui perd du poids</h2>
<p>Par ailleurs, le nombre de tirages par nouveau titre diminuant mécaniquement à mesure que le nombre de nouveaux titres gonfle – une tendance depuis de longues années – les livres à succès deviennent plus importants pour l’équilibre des comptes. En effet, à la différence notable d’autres secteurs qui se sont internationalisés, <a href="https://masterenedicion.com/wp-content/uploads/2017/11/BookMap_How-big-is-global-publishing_prel-edition_final01.pdf">l’édition ne bénéficie pas d’un marché mondial qui explose</a>. Celui-ci ne croît même pas plus vite que la population ou la richesse mesurée par le PIB. Dans les pays développés, le marché se rétrécit en euros ou en dollar constants et les pays d’économie émergente n’ont pas pris le relais, et ce malgré les progrès de l’éducation et le développement universitaire qu’ils connaissent. En tout cas pas encore.</p>
<p>Dans les années 1960, la planète comptait 1,6 livre vendu par habitant, le <a href="https://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780198794202.001.0001/oxfordhb-9780198794202-e-9">chiffre est tombé</a> à moins d’un dans les années 2000. En attendant, un retournement de tendance éventuel, on comprend pourquoi les géants de l’édition s’empressent de chercher de la croissance en dehors de leur marché géographique traditionnel et de rechercher des débouchés autres que la publication pour leurs titres imprimés ou électroniques à succès.</p>
<p>Le livre hors de ses frontières linguistiques grâce aux traductions, et textuelles grâce à ses adaptations en images, ne perd pas son âme. De même pour l’édition hors de ses bastions nationaux. Elle aide le livre à voyager. Le rapprochement entre Editis et Hachette faisait craindre à beaucoup la constitution d’un mastodonte français de l’édition écrasant tout le monde hexagonal sur son passage. Avec l’acquisition d’Hachette par Vivendi et celle future d’Editis vraisemblablement par un groupe étranger de l’édition, cette tentative va pousser finalement l’industrie française du livre à s’ouvrir encore un peu plus au monde.</p>
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<p><em>François Lévêque a publié chez Odile Jacob <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lere-des-entreprises-hyperpuissantes-touche-t-elle-a-sa-fin-157831">« Les entreprises hyperpuissantes. Géants et Titans, la fin du modèle global »</a>. Son ouvrage a reçu <a href="https://www.melchior.fr/note-de-lecture/les-entreprises-hyperpuissantes-prix-lyceen-lire-l-economie-2021">le prix lycéen du livre d’économie 2021</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187785/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque a conseillé Vivendi à plusieurs reprises par le passé et à été consulté récemment comme économiste académique dans le cadre du rapprochement entre Vivendi et Largardère, plus particulièrement entre Editis et Hachette.</span></em></p>La globalisation du secteur de l’édition via l’émergence d’acteurs tels qu’Amazon est aussi précipitée par les rapprochements entre groupes d’édition.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1867662022-07-18T17:57:01Z2022-07-18T17:57:01ZLa « mondialisation entre amis », ou la grande fragmentation de l’espace mondial<p>Les années 1980 marquent une rupture. Jusque-là, les économies nationales importaient et exportaient des matières premières, des biens de consommation et des biens d’investissement. La globalisation a accru les échanges de produits intermédiaires qui permettent à de grands groupes de déléguer à des fournisseurs localisés à l’étranger des tâches de conception et de production.</p>
<p>Grâce aux technologies d’information et la numérisation, le double mouvement d’externalisation et de délocalisation des tâches a permis la mise en place de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chaine-de-valeur-48789">chaînes de valeur</a> mondiales (CVM) caractérisées par une forte intensité de coordination et une baisse des coûts de transaction. La fluidification de l’espace mondial a accru la mobilité de la production des biens et services tandis que la libéralisation des marchés financiers a accéléré celle des capitaux.</p>
<h2>Désindustrialisation</h2>
<p>Les arbitrages entre investir à l’étranger et/ou établir des relations contractuelles avec les fournisseurs dépendent depuis de décisions élaborées par la structure de pilotage du groupe, chargée de réaliser l’intégration des tâches et la coordination <a href="https://theconversation.com/fr/topics/logistique-27386">logistique</a> de façon à dépasser la gestion additive, site par site, pour valoriser les interdépendances dans la gestion des ressources.</p>
<p>Pour de nombreux produits, la valeur ajoutée étant localisée dans les composants produits par les fournisseurs, l’implantation de CVM (l’automobile, le textile, les médicaments, etc.) a participé puissamment à la désindustrialisation française. Face à cette tendance, le <a href="https://e.lavoisier.fr/produit/45668/9782746289024/les-paradoxes-de-l-economie-du-savoir">tissu économique n’a pas opéré de montée en gamme</a> pour capter de valeur ajoutée nouvelle sur le territoire, et la production française est restée positionnée sur des segments bas-moyen de gamme à bas coûts, comme nous l’avions montré dans <em>Les Paradoxes de l’Économie du Savoir</em> (éditions Hermès Lavoisier, 2012).</p>
<p>La sanction se lit dans la dégradation profonde et continue des soldes commerciaux, encore passés de moins 84,7 milliards d’euros en 2021 à <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/la-france-affiche-un-deficit-commercial-record-en-mai-creuse-par-les-prix-de-l-energie-924980.html">moins 113,9 milliards d’euros en mai 2022</a> sur 12 mois glissants.</p>
<h2>Vents contraires</h2>
<p>La dé-globalisation productive est liée à plusieurs facteurs. L’hyper-mondialisation recule <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807320529-la-mondialisation-sur-la-sellette">après la crise financière de 2008</a>. La Chine opère un recentrage sur la demande interne et le repli commercial des États-Unis s’est accru entre 2015 et 2020. Les investissements étrangers ont stagné entre 2008 et 2014 puis ont <a href="https://www.piie.com/commentary/testimonies/interconnected-economy-effects-globalization-us-economic-disparity">fortement régressé jusqu’en 2020</a>. La globalisation change de nature, elle est influencée par des considérations géopolitiques autant que par des motifs strictement économiques.</p>
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<p>De plus, lorsqu’une CVM se démultiplie, les rendements de la coordination diminuent parce qu’il devient plus difficile pour les groupes de contrôler l’ensemble du processus de production. À cela s’ajoute la pandémie dont le choc produit une recomposition des CVM sur de nouvelles bases territoriales (le tiers d’entre elles selon un institut allemand) et les effets du confinement immobilisant les conteneurs dans les ports chinois.</p>
<p>La hausse vertigineuse des coûts de transport aggrave les blocages productifs affectant les composants de très nombreux produits. Sans oublier les impératifs écologiques visant à réduire les pollutions importées que les délocalisations précédentes avaient amplifiées sous le prétexte de verdir les productions nationales.</p>
<h2>Mondialisation « entre amis »</h2>
<p>Nous assistons à une remise en question de la globalisation qui donne la priorité à un ordre global néolibéral sur les intérêts nationaux. Les excès qui en découlent expliquent sur le plan politique la montée des populismes et, sur le plan économique, le retour de l’État, qu’il s’agisse de consolidation des tissus industriels (réindustrialisation, relocalisations), de souveraineté nationale et/ou européenne (politiques industrielles dans les semi-conducteurs, les batteries, les médicaments…), de <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/grands-defis-economiques-commission-internationale-blanchard-tirole">questions sociales</a> et de politiques énergétiques et environnementales.</p>
<p>La volonté de reconfigurer la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/mondialisation-22572">mondialisation</a> est manifeste. On en veut pour preuve le discours récent de Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain, qui précise que « dorénavant, la mondialisation se fera <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/demondialisation-non-mondialisation-entre-amis-1406675">entre amis qui partagent les mêmes valeurs</a> ». La fragmentation accrue de l’espace mondial fait apparaître de multiples zones d’influence favorisant le raccourcissement et la régionalisation des chaînes d’approvisionnement et nécessitant la recomposition des écosystèmes et la redéfinition des compétences des entreprises.</p>
<p>Par ailleurs, les tensions commerciales entre la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chine-20235">Chine</a> et les États-Unis et la guerre en Ukraine accentuent la désoccidentalisation qui ne concerne pas seulement la sphère productive et la finance, elle porte également sur les mentalités, les normes et les valeurs qui les sous-tendent. Par exemple, la diplomatie occidentale est souvent perçue comme une forme d’ingérence, sa puissance intensifie les relations commerciales notamment avec les pays en développement en les assujettissant davantage aux marchés et à la finance des États-Unis et, à un moindre degré, de l’Europe.</p>
<h2>Le retour des « spreads » européens</h2>
<p>De leur côté, les démocraties occidentales érigent des barrières concernant la culture (concerts annulés, <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/guerre-en-ukraine-milan-censure-l-etude-de-dostoievski-et-a-florence-on-veut-deboulonner-sa-statue-20220309">Dostoïevski censuré</a> par l’Université de Milan-Bicocca), l’information (Sputnik et RT interdits dans l’UE), l’espace numérique (les équipementiers Huawei et ZTE exclus des États-Unis et du Canada), le sport (exclusion des joueurs russes et biélorusses du tournoi de Wimbledon), etc.</p>
<p>La fragmentation peut s’observer à un niveau plus fin à l’intérieur d’une grande région. La montée des taux d’intérêt dans l’UE accroît l’écart entre les pays fortement endettés et ceux qui le sont moins. En 2021, l’écart entre les taux d’intérêt payés par l’Allemagne et l’Italie était de 0,9 point. Il est aujourd’hui de 2,5 points, ce qui traduit un risque accru sur la dette italienne.</p>
<p><iframe id="SUTMC" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/SUTMC/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/fed-et-bce-deux-rythmes-mais-une-meme-strategie-contre-linflation-185059">durcissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne</a> manifestée par l’arrêt des achats d’actifs va accroître la fissuration de l’UE en augmentant les primes de risque exigées par les investisseurs pour certains pays. Plus généralement, le désendettement des États et des entreprises devient une contrainte incontournable en période de remontée des taux d’intérêt nominaux et réels.</p>
<p>L’adaptation à cette nouvelle donne risque d’accroître les écarts entre les pays membres de l’UE. <a href="https://www.letemps.ch/economie/patrick-artus-bce-eviter-une-crise-zone-euro">Le coût peut-être élevé</a>, avertissent certains économistes : nécessité d’épargner, perte de richesse pour les détenteurs de patrimoine (baisse de la valeur des actifs réels et financiers), ou encore perte de pouvoir d’achat des salariés tant qu’une véritable indexation des salaires sur l’inflation n’est pas possible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186766/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les crises de ces deux dernières années ont accéléré au recentrage des échanges par grandes zones d’influence. Une tendance désormais actée par les grandes puissances.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1851152022-06-20T19:16:49Z2022-06-20T19:16:49ZLes choix financiers des grandes entreprises sont aussi une question de culture<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468869/original/file-20220614-22-75uv2d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1738%2C1187&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La culture dans laquelle baigne une entreprise influence ses décisions en matière d’endettement.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/etats-unis-voyager-passeport-argent-5319479/">Joshua Woroniecki / Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Que se passerait-il si toutes les entreprises d’un même secteur prenaient des décisions identiques ? Sans doute que leurs ratios de profitabilité seraient <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1540-6261.1984.tb03646.x">identiques</a>. Et pourtant, bien que soumises à des contraintes semblables, on reste bien loin de l’observer.</p>
<p>Une <a href="https://www.marketwatch.com/">comparaison</a> entre des géants français et étatsuniens dans les secteurs du pneumatique, des semiconducteurs et de l’hôtellerie en est un exemple criant. On peut, en effet, apercevoir des différences notables.</p>
<p><iframe id="7hYQi" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/7hYQi/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La variable serait-elle ainsi nationale ? On constate d’ailleurs que les ordres de grandeur des différences bougent peu entre 2017 et 2021, sauf pour l’industrie hôtelière particulièrement affectée par la pandémie liée au coronavirus.</p>
<p><iframe id="flkm4" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/flkm4/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En quoi différeraient, par conséquent, les choix financiers des entreprises en France, États-Unis, Chine, Inde, Japon, Corée du Sud ou au Brésil ? Nos <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S105752192030257X">travaux</a> mettent en évidence de multiples liens entre culture nationale et choix financiers d’une entreprise.</p>
<h2>Culture et finance</h2>
<p>Nombre d’économistes, à l’instar du « Nobel » de 2009, Oliver Williamson, ont mis en évidence un lien fort unissant traditions, normes et valeurs d’une société avec le <a href="https://doi.org/10.1257/jel.38.3.595">développement d’un type d’institutions formelles</a>, du système légal ou encore de l’architecture financière d’un pays. Ces institutions contraignent indirectement la vie des entreprises : leur création, leur mode de financement ou encore les relations entre employeurs et employés.</p>
<p>Logiquement, certaines des <a href="https://news.hofstede-insights.com/news/national-culture-and-organisational-culture-how-are-they-different">valeurs de la culture nationale</a> se retrouvent dans le fonctionnement de l’entreprise et dans ce que l’on nomme parfois la « culture d’entreprise ». Et lors du <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-322-90995-4_4">développement à l’international</a>, la culture d’entreprise va se répandre en emmenant ces éléments avec elle.</p>
<p>Reste à savoir cependant ce que l’on entend par « culture ». Dans le champ des sciences sociales, le terme ne reçoit pas moins de <a href="https://www.routledge.com/Redefining-Culture-Perspectives-Across-the-Disciplines/Baldwin-Faulkner-Hecht-Lindsley/p/book/9780805842364">300 définitions</a>. Toutes ont néanmoins en commun la notion de valeurs et croyances partagées par un groupe : « c’est un système de sens collectif partagé par le groupe à travers lequel les valeurs, les croyances, les coutumes et les pensées collectives du groupe sont comprises ».</p>
<p>En finance, beaucoup de travaux s’inspirent de la <a href="https://digitalcommons.usu.edu/unf_research/53/">matrice des dimensions culturelles</a>, imaginée par le psychologue social néerlandais Geert Hofstede à partir de cette définition. À l’échelle d’une nation souveraine, elle est constituée de six curseurs variant entre 0 et 100 : invidualisme-collectivisme, masculinité-féminité, l’aversion à l’incertitude, distance au pouvoir, orientation long terme-court terme et indulgence-retenue.</p>
<h2>Qui s’endette sur le long terme ?</h2>
<p>En appliquant cette matrice à notre base de données financières de près de 6 000 entreprises provenant de 33 pays, nous avons trouvé des corrélations fortes avec leur structure financière.</p>
<p>Les entreprises issues de pays plus individualistes, moins masculins, moins averses à l’incertitude et plus d’orientation à long terme ont ainsi un ratio dette à long-terme sur capitaux propres plus élevé que la moyenne. C’est le cas des entreprises américaines, anglaises, canadiennes ou australiennes.</p>
<p>Symétriquement, le ratio de dette court-terme sur capitaux propres est, lui, plus élevé pour les entreprises baignant dans une culture moins individualiste, plus averse à l’incertitude et plus orienté court-terme. C’est le cas des entreprises japonaises, sud-coréennes, taiwanaises ou des pays nordiques européens.</p>
<p>Malgré la mondialisation croissante du commerce, les valeurs de la culture nationale se trouvent ainsi transposées dans la gestion financière des entreprises. Le choix d’une structure financière, qui s’avère fondamental pour évaluer la santé financière d’une entreprise car il a des effets sur son coût de financement externe, reste fortement influencé par les valeurs de la culture nationale du pays d’origine de l’entreprise.</p>
<p>C’est là un message qui s’adresse aux analystes, aux investisseurs et aux créanciers : il semble essentiel pour mieux comprendre les choix financiers des firmes, de mieux comparer leurs ratios financiers en tenant compte des valeurs de la culture nationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185115/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vipin Mogha ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Choisir de s’endetter sur le court ou le long terme est un choix reposant sur de nombreux éléments de la culture nationale, tels que l’individualisme ou le rapport au pouvoir.Vipin Mogha, Enseignant-Chercheur en Finance et Entrepreneuriat, ESCE International Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821882022-05-04T18:42:19Z2022-05-04T18:42:19ZDerrière la « guerre économique totale à la Russie », l’avenir du projet de paix par le commerce<p>« Un nouveau monde naît sous nos yeux » : si c’est ce qu’annonçait le 26 février dernier une dépêche prématurément publiée par l’agence russe RIA Novosti suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, force est de constater que la prophétie pourrait malgré tout bien être en train de se réaliser sous la conjonction des évènements et des réponses qui y sont apportées.</p>
<p>Alors que l’Union européenne vient de présenter un sixième paquet de sanctions contre la Russie, avec notamment l’arrêt d’ici six mois des importations européennes de pétrole russe et l’exclusion de la banque russe Sberbank du système financier international Swift, la question des liens entre commerce et paix se pose en effet avec force.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1521791755024097281"}"></div></p>
<p>Pour le comprendre, il faut savoir que la mondialisation n’est que la traduction juridico-économique d’un projet politique vieux de cinq siècles : celui de paix par le commerce, le « <em>Wandel durch Handel</em> » au cœur de la politique étrangère d’Angela Merkel vis-à-vis de la Russie.</p>
<h2>À l’origine de la mondialisation, le projet de paix par le commerce</h2>
<p>Ce projet est fondé sur un certain souvenir de la pax <a href="https://www.unige.ch/campus/numeros/120/dossier5/">romana</a>, la paix romaine de l’Antiquité. Esquissé en 1623 par Emeric de la Croix dans <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6496h.texteImage"><em>Le nouveau Cynée</em></a>, il tend depuis lors à faire de l’interdépendance économique des Nations le moyen de prévenir les guerres entre États.</p>
<p>C’est ce projet qui conduisait Montesquieu à vanter en 1748 les vertus du doux commerce dans <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9737646k?rk=21459;2"><em>L’Esprit des lois</em></a> ; et Victor Hugo à se réjouir, en 1849, devant le Congrès des amis de la paix universelle, qu’« un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62737z.image">commerce</a> » ; avant que le 14 août 1941, la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_16912.htm">Charte de l’Atlantique</a>, cosignée par Franklin Roosevelt et Winston Churchill, ne propose de le mettre en œuvre à l’issue du conflit de 1939-1945, pour éviter une troisième guerre mondiale.</p>
<p>Il a ainsi par la suite <a href="https://books.openedition.org/putc/176?lang=en">inspiré</a> le lancement de la <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/histoire-de-l-union-europeenne/">construction européenne dans les années 1950</a> et la création de <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/history_f/history_f.htm">l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT)</a> en 1947.</p>
<p>En 1979-1980 les <a href="https://www.cairn.info/une-histoire-du-royaume-uni--9782262044275-page-403.htm">révolutions thatchérienne</a> en Angleterre et <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/1795">reaganienne</a> aux États-Unis peuvent également y être rattachées, puisqu’elles reposent sur cette conviction que « l’État n’est pas la solution » mais « le problème » ; et que seule la libéralisation des échanges entre les pays pourrait à l’avenir assurer la prospérité de tous et, à travers elle, le progrès social.</p>
<h2>La dépendance volontaire au gaz russe</h2>
<p>Au lendemain de la chute du mur de Berlin en 1989, le politologue américain Francis Fukuyama s’est de ce fait interrogé sur <a href="https://www.lemonde.fr/festival/article/2017/08/16/la-democratie-liberale-une-histoire-sans-fin_5173064_4415198.html">« La fin de l’histoire ? »</a>. Dix ans plus tard, Alain Minc vantait les mérites de « La mondialisation heureuse ». Car l’économie de marché et la démocratie libérale apparaissaient alors comme deux horizons indépassables après l’échec du socialisme soviétique et du parti unique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/F_RAYnNLGqg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« La mondialisation heureuse relève chez nous de la schizophrénie » Alain Minc – Les Échos.</span></figcaption>
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<p>Ce n’est ainsi pas un hasard si la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/11/quel-est-le-niveau-de-dependance-des-pays-europeens-au-gaz-et-au-petrole-russe_6117070_4355770.html">dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe</a> a commencé à la même époque, puisque cette dépendance était alors pensée comme un moyen d’enchâsser le pays dans le grand marché mondial, en le plaçant dans une situation d’interdépendance économique dont il n’aurait, pensait-on, aucun intérêt à sortir.</p>
<p>Il est vrai que les guerres « asymétriques » (telles que celles en ex-Yougoslavie ou en Afghanistan) et les crises sécuritaires (« 11 septembre, » « 13 novembre »), sociales (« bonnets rouges », « gilets jaunes »), financières (crise asiatique, de la bulle Internet, puis des subprimes), sanitaires (« H1N1 », « Covid-19 ») et économiques ont depuis mis ce projet à rude épreuve.</p>
<p>Mais c’est justement dans leur contexte que la rhétorique du monde nouveau a commencé à émerger. Bien avant que la dépêche de l’agence russe RIA Novosti ne soit publiée et que le Président Biden n’évoque le 21 mars dernier un « new world order », le Président Emmanuel Macron avait déjà fait part, le 16 mars 2020 au cœur de la crise sanitaire, de sa volonté de « projeter la France dans “le monde d’après” ».</p>
<h2>Les sanctions économiques contre la Russie, un test pour le projet de paix par le commerce</h2>
<p>Une décennie auparavant, le 25 septembre 2008, le président <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/09/25/le-discours-de-nicolas-sarkozy-a-toulon_1099795_823448.html">Nicolas Sarkozy</a> avait également estimé qu’avec la crise économique liée aux subprimes, « une certaine idée de la mondialisation s’achève ». Loin de marquer une rupture avec le projet de paix par le commerce, ces deux dernières déclarations visaient toutefois en réalité à l’approfondir : en comblant les zones de non-droit qui compromettaient le bon fonctionnement du marché mondial pour lui permettre d’atteindre son optimum. De crise en crise, le projet avançait.</p>
<p>C’est toute la différence avec la guerre de haute intensité menée en Ukraine aujourd’hui. Car celle-ci traduit le rejet, aussi brutal que soudain, par la Russie – un État continental, onzième puissance économique de la planète – des règles du jeu international… avec le risque que la deuxième puissance mondiale, la Chine, lui emboîte le pas.</p>
<p>On comprend dès lors mieux les enjeux de cette <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/ukraine-bruno-le-maire-declare-une-guerre-economique-et-financiere-totale-a-la-russie-1390357">« guerre économique totale »</a> que l’Union européenne et les États-Unis mènent contre la Russie et le durcissement continu des sanctions économiques qui en découlent à mesure que le conflit s’éternise : les 8,5 % de PIB qu’elles devraient, <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/le-pib-de-la-russie-devrait-se-contracter-de-8-5-en-2022-celui-de-l-ukraine-de-35_AD-202204190390.html">à en croire le FMI</a>, coûter au pays en 2022, constituent un test grandeur nature de l’efficacité du projet de paix par le commerce.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1516604817413615618"}"></div></p>
<p>De leur succès ou de leur échec dépendra une nouvelle avancée de la mondialisation dans un sens plus conforme au projet originel des promoteurs de la paix par le commerce ou non.</p>
<h2>Apprendre des échecs de la paix par le commerce</h2>
<p>Pour Larry Fink, le dirigeant du plus grand fonds d’investissement au monde, BlackRock, le constat s’impose toutefois : <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/la-fin-de-la-mondialisation-1398362">« Nous sommes à la fin de la globalisation économique telle que nous l’avons vécue depuis trente ans »</a>.</p>
<p>Le politologue américain <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/02/guerre-en-ukraine-nous-avons-quitte-l-ancien-monde-dans-lequel-l-economie-a-pendant-trente-ans-domine-le-politique_6124404_3232.html">Fareed Zakaria</a> opine : la guerre en Ukraine marque la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2008-4-page-141.htm">fin de la pax americana</a> telle qu’elle s’est progressivement imposée depuis la fin de la seconde guerre mondiale et le tournant des années 1980. Car la redirection actuellement en cours des flux commerciaux semble annoncer un monde coupé en deux ou trois blocs régionaux ayant leurs intérêts propres, seul celui formé des États-Unis et de l’UE restant attaché aux vertus de l’interdépendance économique des Nations sur la durée avec leurs alliés.</p>
<p>Que ces prédictions se réalisent ou non, il conviendra dans tous les cas de revoir les modalités de cette paix par le commerce qui, à un siècle d’intervalle, aura échoué à deux reprises : lors de la crise économique de 1929, précédant la seconde guerre mondiale ; et lors de la crise économique de 2008, débouchant sur la guerre en Ukraine dont chacun espère qu’elle ne dégénérera pas en un nouveau conflit planétaire. Car l’histoire semble se répéter, les mêmes causes – les crises économiques – produisant les mêmes effets : des conflits fratricides entre États.</p>
<p>L’insuffisance – sinon l’absence – de régulation efficace du marché mondial, en n’empêchant pas la prédation de certains pays sur d’autres, a sans doute favorisé un accroissement des <a href="http://archives.strategie.gouv.fr/cas/system/files/mondialisation_et_inegalites.pdf">inégalités entre nations</a>.</p>
<p>Si ces dernières ont été source de tensions au niveau mondial, celles-ci se sont trouvées aggravées au sein même des États par le phénomène de concentration des richesses entre les mains des « premiers de cordée » au détriment des « premiers de <a href="https://www.melchior.fr/note-de-lecture/la-mondialisation-de-l-inegalite">corvées</a> », ce phénomène ayant lui-même nourri le populisme à l’intérieur de différents <a href="https://nouvelles.umontreal.ca/article/2019/05/01/les-inegalites-alimentent-le-populisme-et-les-crises-sociales-joseph-e.-stiglitz">pays</a>.</p>
<p>Alors que le concept de marché était destiné à substituer la logique d’un jeu à somme positive (le commerce) à la logique d’un jeu à somme nulle (la puissance), la façon dont il a été organisé depuis le tournant des années 1980 a conduit à lui faire produire le contraire : elle en a fait un jeu à somme nulle. En effet, pour des États comme la Russie, seule la puissance paraît un jeu à somme <a href="https://www.lgdj.fr/essai-sur-la-construction-juridique-de-la-categorie-de-marche-9782275021836.html">positive</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tsJFVeIhPQA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Débat : Quels sont les gains et les risques du commerce international ? – Cité de l’Économie.</span></figcaption>
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<h2>Refaire du commerce entre États un jeu à somme positive et non à somme nulle</h2>
<p>Briser la spirale de la violence entre États et remédier aux nouvelles inégalités induites par le défi climatique suppose de revenir au <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/colloque-lippmann-aux-origines-neoliberalisme/00037138">projet du colloque Lippmann de 1938</a>, à l’origine de la naissance du néolibéralisme, dès lors que, loin des caricatures qui en sont souvent faites, ses auteurs insistaient sur l’importance de permettre à l’État d’assurer ses « tâches sociales ».</p>
<p>Walter Lippmann le disait en ouvrant le colloque :</p>
<blockquote>
<p>« Ce que nous recherchons, ce n’est pas à ressusciter une théorie [celle du libéralisme classique], mais à découvrir les idées qui permettent à l’élan vers la liberté et la civilisation de triompher de tous les obstacles dus à la nature humaine, aux circonstances historiques, aux conditions de la vie sur cette terre ».</p>
</blockquote>
<p>Le philosophe Louis Rougier, à l’origine de ce colloque, insistait pour sa part sur <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/le-colloque-lippmann-aux-origines-du-neo-liberalisme/">cette erreur historique</a> :</p>
<blockquote>
<p>« C’est plus tard et par un véritable contresens [que la doctrine du laissez-faire] est devenue une théorie du conformisme social et de l’abstention de l’État ».</p>
</blockquote>
<p>Il convient donc de renouer avec l’ambition de refonder le projet de paix par le commerce en identifiant les choix politiques qui l’ont fait dérailler depuis 1938, en évitant les erreurs du passé, et en intégrant les nouveaux défis de notre siècle – à commencer par le défi climatique. Vaste programme s’il en est.</p>
<hr>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/366083/original/file-20201028-23-1264rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/366083/original/file-20201028-23-1264rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/366083/original/file-20201028-23-1264rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/366083/original/file-20201028-23-1264rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/366083/original/file-20201028-23-1264rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/366083/original/file-20201028-23-1264rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/366083/original/file-20201028-23-1264rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/366083/original/file-20201028-23-1264rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cette contribution s’appuie sur les travaux du livre « <a href="https://www.legitech.lu/shop/product/l-action-economique-des-collectivites-publiques-153#attr=150,282,12786">L’action économique des collectivités publiques</a> : ses enjeux, son droit, ses acteurs » co-édité par les éditions IFDJ-Legitech et publié en juin 2020</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182188/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabien Bottini est chargé de mission pour la Fondafip, le think-thank des Finances publiques, membre de l'Observatoire de l'éthique publique (OEP), du Themis-UM et de la MSH Ange Guépin. Il a perçu ou perçoit des subventions de la part du LexFEIM, laboratoire de recherche en droit, et de la Mission de recherche Droit & Justice.
Il est par ailleurs titulaire de la chaire "Innovation" de l'Institut Universitaire de France et de la chaire "Neutralité Carbone 2040" de Le Mans Université qui financent également en partie ses travaux.</span></em></p>À l’ère de la mondialisation, les sanctions économiques décidées contre la Russie par les États-Unis, l’Union européenne et ses alliés sont un test pour le projet de paix par le commerce.Fabien Bottini, Professeur des Universités en droit public, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1812072022-05-04T18:42:05Z2022-05-04T18:42:05ZAvec la mondialisation, les sanctions économiques sont devenues plus courantes que les interventions militaires<p>Au moins <a href="https://www.opensanctions.org/datasets/sanctions/">1 275 sanctions nouvelles</a>, avec en particulier <a href="https://theconversation.com/sanctions-contre-la-russie-lexclusion-de-la-plate-forme-swift-est-elle-une-arme-nucleaire-financiere-178217">l’exclusion de la Russie du système financier international</a>. Telle est la riposte de nombre de pays du globe à la reconnaissance par Vladimir Poutine des républiques séparatistes ukrainiennes, puis à l’invasion armée.</p>
<p>La crise actuelle s’avère un exemple frappant d’usage de ce que l’on appelle la « géoéconomie ». Elle peut être définie, dans le cadre de la politique étrangère, comme l’utilisation d’instruments économiques pour influencer les objectifs politiques d’un autre pays.</p>
<p><iframe id="WSp29" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/WSp29/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Déjà en 1989, dans un <a href="https://www.jstor.org/stable/42894676">article prophétique</a>, le spécialiste de la stratégie militaire américaine Edward Luttwak prophétisait sa généralisation. Selon lui, dans le double contexte de mondialisation et de fin de la guerre froide, les rapports de force allaient davantage reposer sur l’économie que sur les moyens militaires.</p>
<p>L’avènement de la <a href="https://edisciplinas.usp.br/pluginfile.php/4180851/mod_resource/content/1/Levitt%20Globalization%20Markets.pdf">« globalisation »</a> avait, lui, été annoncé dès 1983 par Theodore Levitt, économiste à la Harvard Business School dont il fut rédacteur en chef de la revue 4 ans durant. Il pointait le fait que les marchés entraient dans une dynamique croissante d’interconnexion à l’échelle du monde. Le phénomène n’a pas faibli depuis : à en croire <a href="https://kof.ethz.ch/en/forecasts-and-indicators/indicators/kof-globalisation-index.html">l’indice KOF</a> créé par un institut économique suisse, l’intensité de la mondialisation des échanges commerciaux et financiers a doublé au cours des 50 dernières années.</p>
<p>Dans le même temps et dans le contexte de la fin de la guerre froide, nous avons assisté à une évolution spectaculaire des formes de la guerre. Tandis que les conflits entre plusieurs États se sont faits plus rares, les tensions et conflits au sein d’un seul ont plus que doublé.</p>
<p><iframe id="hBgbu" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/hBgbu/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En 2020, on ne relevait ainsi que trois conflits interétatiques dans le monde contre une cinquantaine de guerres civiles. Parmi elles, la Syrie, l’Éthiopie, la Birmanie ou encore le Mali. Dans tous ces pays, l’État est aux prises avec des composantes de la société civile qui s’opposent entre elles et/ou à lui. Il s’agit de l’un des marqueurs de notre époque : la guerre, longtemps expression de la (sur)puissance des États, est aujourd’hui le plus souvent le <a href="https://books.openedition.org/irmc/457?lang=fr">signe de son effondrement</a>.</p>
<h2>Intérêt double</h2>
<p>Cette diminution du nombre de conflits interétatiques ne signifie pas pour autant que les États, notamment les plus riches et les plus puissants, aient renoncé à défendre ou à imposer leurs intérêts. Ils ont simplement tendance à recourir à <a href="https://www.cfr.org/book/war-other-means">d’autres outils de puissance</a>, plus économiques que militaires.</p>
<p>Ce glissement de la géopolitique militaire à la géoéconomie découle en grande partie de l’interdépendance engendrée par la mondialisation économique. Certes, la <a href="https://www.jstor.org/stable/40644879">géopolitique traditionnelle n’a pas disparu</a>, mais son exercice repose sur les armes de notre temps : moins d’acier et plus de capitaux, moins d’obus et plus de sanctions. Comme l’affirme Joseph Nye, grand théoricien américain de la puissance souvent considéré comme l’homologue libéral du plus conservateur Samuel Huntington, avec la mondialisation, les acteurs politiques ont tendance à substituer à la menace de sanctions militaires celle de sanctions économiques.</p>
<p>La raison en est double : les rapports de force géoéconomiques ciblent les fondements mêmes de la mondialisation, c’est-à-dire la création de la valeur, sans détruire durablement le capital, les infrastructures, les villes, ou tuer directement des personnes, comme le fait la guerre classique.</p>
<p>Sous le coup de sanctions, le jeu à somme positive de la mondialisation libérale devient un jeu à somme nulle : tout le monde n’est pas gagnant lorsque la géoéconomie entre en jeu !</p>
<h2>Un nouvel âge des sanctions</h2>
<p>L’examen quantitatif et structurel de la nature des sanctions imposées par des États à d’autres montre à quel point la grammaire de la conflictualité a évolué. Non seulement le nombre de sanctions a plus que doublé depuis 1990, mais, surtout, leur nature s’est modifiée.</p>
<p>Les sanctions classiques, comme les embargos sur les armes ou sur le commerce, subsistent aujourd’hui. Celles qui ont toutefois connu le plus grand essor sont directement liées à l’essor de la mondialisation financière et de la mobilité des personnes. L’intégration financière, un meilleur traçage des paiements, l’extraterritorialité du droit américain associé à la prévalence de l’usage du dollar américain, et une volonté d’utiliser des sanctions ciblées ont contribué à cette <a href="https://ideas.repec.org/p/ris/drxlwp/2020_002.html">diversification des instruments de la géoéconomie</a>.</p>
<p><iframe id="whm69" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/whm69/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le nouvel âge des sanctions concerne aussi leurs objectifs. Aujourd’hui, la majorité est l’initiative des États-Unis et de l’Union européenne, soit des pays qui disposent d’un fort pouvoir de marchandage économique. Ils ont souvent pour but de faire respecter leurs principes fondateurs à l’étranger tels que les droits de l’homme et la garantie de l’État de droit. En témoignent les données agrégées au sein de la <a href="https://ideas.repec.org/p/ris/drxlwp/2021_010.html">Global Sanctions database</a>.</p>
<p><iframe id="Lf59o" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Lf59o/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les sanctions n’atteignent cependant pas toujours leurs objectifs. En moyenne, on peut considérer qu’elles ne rencontrent un succès total que dans à peine plus d’un tiers des cas. Pour l’Ukraine, on peut alors craindre que la géoéconomie laisse la place à une géopolitique classique, notamment si la Russie parvient à renforcer ses échanges avec des <a href="https://foreignpolicy.com/2022/02/04/china-russia-sanctions-ukraine/">partenaires économiques restés neutres</a>, comme la Chine. Les alliés de Kiev s’orientent d’ailleurs déjà vers un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220429-guerre-en-ukraine-les-occidentaux-veulent-inscrire-leur-soutien-militaire-dans-le-temps-long">soutien militaire à long terme</a>, avec l’envoi d’armes lourdes.</p>
<p><iframe id="wc4Nd" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/wc4Nd/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Il semble important, enfin, de ne pas oublier que les sanctions économiques peuvent ne pas générer les objectifs escomptés tout en entraînant des conséquences terribles pour les populations les subissant. Les <a href="https://yalebooks.co.uk/display.asp?k=9780300259360">travaux</a> de l’historien Nicholas Mulder sur la Première Guerre mondiale et les empires coloniaux, par exemple, sont là pour le rappeler.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La logique suivie par les Occidentaux face au conflit russo-ukrainien ne garantit cependant pas tout : dans l’histoire, seul un tiers des sanctions décidées ont connu un succès total. Décryptage.Rodolphe Desbordes, Professeur d'Economie, SKEMA Business SchoolFrédéric Munier, Professeur de géopolitique, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821992022-05-02T14:58:21Z2022-05-02T14:58:21ZLa théorie critique de la race (critical race theory) et le féminisme ne prennent pas le contrôle de nos universités<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/460809/original/file-20220502-14-in1z5w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C8%2C5964%2C3979&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le représentant américain Robert Johnson, D-Natchez, au centre, et d'autres membres de la Chambre expriment leurs objections à l'interdiction de l'enseignement de la théorie critique de la race (Critical Race Theory) au Mississippi en mars.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Rogelio V. Solis)</span></span></figcaption></figure><p>Les commentateurs de la droite se plaignent d’un <a href="https://www.foxnews.com/us/critical-race-theory-database-colleges-universities">prétendu essor</a> des théories critiques de la race (<em>critical race theory</em>) et féministes dans les collèges et les universités.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le 3 mai, l’auteure Maïka Sondarjee discutera, dans le cadre d’un événement en direct organisé conjointement par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines, de ses recherches sur comment intégrer les études sur le genre et la race en classe.</span>
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<p>En Hongrie, le gouvernement est allé jusqu’à <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/09/19/en-hongrie-les-etudes-de-genre-dans-le-collimateur-de-viktor-orban_5357227_3214.html">interdire les maîtrises en études de genre</a>. Leur raisonnement : il faut éviter la propagation d’idées sur la construction sociale du genre.</p>
<p>Aux États-Unis, des législateurs républicains se sont lancés <a href="https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/638307/etats-unis-ressac-autour-de-la-theorie-critique-de-la-race-aux-etats-unis">dans une guerre</a> contre l’enseignement de la théorie critique de la race dans les écoles primaires et secondaires, craignant un endoctrinement des enfants avant même qu’ils n’entrent dans les établissements d’enseignement supérieur.</p>
<p>Nombreux sont ceux qui pensent que les universités dépensent trop d’argent pour <a href="https://www.foxnews.com/us/critical-race-theory-database-colleges-universities">« insuffler »</a> des approches critiques de la race ou féministes dans les programmes, ce qui risque de perturber ces derniers et d’engendrer des divisions. Est-ce vraiment le cas ? Les études critiques de la race et féministes sont-elles en train de prendre d’assaut nos salles de classe et nos universités ?</p>
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<img alt="Des manifestants tiennent des pancartes" src="https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4006%2C2446&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des personnes protestent contre l’enseignement de la théorie critique de la race devant le département de l’éducation publique du Nouveau-Mexique, à Albuquerque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Cedar Attanasio)</span></span>
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<p>Mon expérience personnelle, ainsi que mes recherches, suggèrent le contraire. Lorsque j’étais étudiante aux cycles supérieurs en relations internationales (RI) de 2011 à 2020, les approches de genre étaient à peine abordées, ou étaient réservées à une seule semaine de l’année. Depuis, j’ai suivi ou donné 10 cours de relations internationales dans trois universités canadiennes, en français et en anglais. Dans tous ces cours, j’ai observé une tendance à la marginalisation des visions non occidentales et non masculines de la politique mondiale.</p>
<p>Pour évaluer et explorer le décalage entre l’appréhension du public de voir ces théories envahir nos salles de classe et mon expérience personnelle, j’ai analysé le contenu de 50 plans de cours de relations internationales en Amérique du Nord et en Europe.</p>
<p>Ce que <a href="https://doi.org/10.1093/isp/ekab009">j’y ai trouvé a confirmé mon expérience :</a> les études sur la race et le genre sont réduites au silence ou marginalisées dans les cours d’introduction aux relations internationales offerts en Occident.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1491728695677145092"}"></div></p>
<h2>Une semaine rose</h2>
<p>Plus de la moitié des professeurs de relations internationales des pays occidentaux n’abordent tout simplement pas la question du genre, du féminisme ou des femmes. Seuls trois pour cent des lectures obligatoires et facultatives traitent d’enjeux de genre ou féministes dans le monde.</p>
<p>À titre d’exemple, un cours consacrait quatre semaines à la mondialisation, sans aborder le <a href="https://www.ilo.org/global/topics/care-economy/lang--en/index.htm">travail dans le domaine des soins</a> ou la <a href="https://pmpress.org/index.php?l=product_detail&p=1086">division du travail selon les sexes à l’échelle mondiale</a>. Un autre consacrait sept semaines à diverses guerres régionales et mondiales, sans mentionner les <a href="https://doi.org/10.1177/03058298880170030801">définitions féministes de la sécurité</a>, les <a href="https://books.google.com.co/books/about/Gender_War_and_Militarism.html?id=om3yy1JoS34C&redir_esc=y">impacts sexospécifiques de la militarisation</a>, l’influence de la <a href="https://www.routledge.com/Masculinity-and-New-War-The-gendered-dynamics-of-contemporary-armed-conflict/Duriesmith/p/book/9780367221492">masculinité sur la guerre</a>, la <a href="https://wappp.hks.harvard.edu/publications/mothers-monsters-whores-womens-violence-global-politics">violence genrée</a> ou l’incidence du <a href="https://doi.org/10.1080/21647259.2016.1192242">genre sur la consolidation de la paix</a>.</p>
<p>Sur les 23 programmes d’études qui mentionnent le genre, 78 % (18 sur 23) adoptent le principe de la semaine unique. Ce cloisonnement condense la recherche sur le genre à une maigre semaine, la sacro-sainte « semaine de la femme ». Dans l’esprit des étudiants, cela réduit le genre à un cadre sectoriel facile à écarter. En bref, soit vous vous intéressez à la guerre, soit vous vous intéressez au genre – les deux ne peuvent pas cohabiter.</p>
<h2>Il n’est question ni de race ni de colonialisme</h2>
<p>Les relations internationales ont également été critiquées pour leur <a href="https://foreignpolicy.com/2020/07/03/why-is-mainstream-international-relations-ir-blind-to-racism-colonialism/">« aveuglement face au racisme »</a>. L’ethnocentrisme du domaine des relations internationales <a href="https://doi.org/10.1111/isqu.12171">a été dénoncé</a>, <a href="https://www.routledge.com/International-Relations-from-the-Global-South-Worlds-of-Difference/Tickner-Smith/p/book/9781138799103">encore</a>, <a href="https://doi.org/10.1080/01436597.2016.1153416">encore</a> et <a href="https://edisciplinas.usp.br/pluginfile.php/364801/mod_resource/content/1/waever_1998.pdf">encore</a>.</p>
<p>Mes recherches confirment qu’on mentionne rarement les études sur la race – seulement dans sept plans de cours (14 %). Quant au postcolonialisme, il n’en est question que dans 17 plans de cours (34 %). À titre de comparaison, le libéralisme apparaît dans 38 plans de cours (76 %).</p>
<p>Les listes des événements historiques qu’on présente sont également dominées par le monde occidental. Ainsi, la guerre froide est citée comme événement important dans 25 plans de cours, mais les processus de colonisation ne le sont que dans trois et l’esclavage dans un seul.</p>
<p>Siphamandla Zondi, professeur de relations internationales à l’université de Johannesburg, note que le fait de décrire un domaine comme « international » est une <a href="https://doi.org/10.1080/02589346.2018.1418202">« mascarade »</a>. On prétend que les cours de relations internationales traitent de tout le monde, mais en fait, on y parle principalement des pays occidentaux et de leurs citoyens blancs (ignorant les populations racisées ou autochtones).</p>
<p>En effet, les universitaires des pays du Sud sont marginalisés dans les <a href="https://doi.org/10.1093/isp/ekz006">listes de lecture</a>, les <a href="https://doi.org/10.1093/isr/viz062">manuels</a> et la <a href="https://doi.org/10.1177/0305829819872817">recherche</a>, et même dans les <a href="https://doi.org/10.1332/251510818X15272520831157">revues féministes</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="22 drapeaux représentant principalement des pays occidentaux flottent devant un ciel bleu" src="https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En général, les cours de relations internationales se concentrent uniquement sur les pays occidentaux et leurs citoyens blancs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Une histoire plus complexe, moins masculine et moins occidentale</h2>
<p>Le <a href="https://twitter.com/asherblackdeer/status/1438549432044302336">manque d’inclusion</a> des femmes et des auteurs du Sud dans les listes de référence n’est pas seulement un problème de représentation, mais cela fait en sorte que ce sont toujours les points de vue masculins et occidentaux qui sont perpétués dans notre enseignement.</p>
<p>Ainsi, l’<a href="https://www.britannica.com/event/World-War-II/Forces-and-resources-of-the-European-combatants-1939">histoire de la Seconde Guerre mondiale</a> aborde généralement l’Axe et les Alliés, l’évolution des armements, l’impérialisme allemand en Europe et le soutien militaire des États-Unis et du Canada.</p>
<p>Pour une histoire plus complexe – moins masculine et occidentale –, on devrait ajouter que cette <a href="https://www.nationalww2museum.org/war/articles/gender-home-front">guerre a changé le visage des sociétés occidentales</a>, car les femmes ont remplacé sur le marché du travail les hommes partis à la guerre et n’ont pas voulu le quitter à leur retour. On mentionnerait également les guerres par procuration ainsi que les hommes et les femmes du Sud qui ont combattu aux côtés des Européens dans des batailles à l’étranger.</p>
<p>Un récit occidental du développement international commence typiquement en 1947, avec le président américain <a href="https://www.trumanlibrary.gov/education/lesson-plans/conflicting-views-point-iv">Harry Truman, qui mentionne pour la première fois</a> les pays « sous-développés ». On y parle de la création d’organisations d’aide occidentales comme la Banque mondiale.</p>
<p>Une approche plus <a href="https://ecosociete.org/livres/perdre-le-sud">internationale</a> élargirait le champ d’investigation et pourrait commencer par l’appropriation des richesses et des connaissances du Sud par les colonisateurs européens, la destruction des modes de vie des peuples autochtones et le traitement violent des populations africaines qui a contribué à l’enrichissement continu des capitalistes de Grande-Bretagne et des États-Unis. Cela permettrait de lier le concept de développement aux inégalités Nord/Sud, et pas seulement à l’aide occidentale aux pays du Sud.</p>
<h2>Un changement qui s’opère lentement</h2>
<p>On peut observer un signe encourageant de changement dans les conférences et les publications universitaires. De 2000 à 2010, les présentations sur le genre dans le cadre de la conférence annuelle de l’International Studies Association (ISA) ont connu une hausse de <a href="https://www.routledge.com/Feminism-and-International-Relations-Conversations-about-the-Past-Present/Tickner-Sjoberg/p/book/9780415584609">400 %</a>.</p>
<p>Il semble toutefois que les organisateurs de conférences tombent dans le même piège que les professeurs de relations internationales en enfermant les présentateurs dans la catégorie du féminisme. Sur plus de 320 communications qui traitent d’enjeux féministes, queer et de genre présentées à la conférence de l’ISA en 2021, seules 71 ont fait partie de panels qui n’étaient pas dédiés au genre.</p>
<p>On peut inviter des chercheurs qui s’intéressent au genre à participer à un groupe de discussion sur la sécurité en lien avec le genre, mais pas à un groupe plus général sur la sécurité.</p>
<p>Enseigner (ou ne pas enseigner) les questions liées à la race ou au genre influence la manière dont on décrit le monde aux universitaires et aux dirigeants de demain. En retour, cela aura une incidence sur les politiques et les recherches auxquelles on donnera la priorité.</p>
<p>Malheureusement, une chose est sûre : ces concepts ne sont pas encore intégrés dans les salles de classe des pays occidentaux. Et ils ne sont assurément pas en train de prendre d’assaut les universités.</p>
<hr>
<p><em>Note de la rédaction : Ce reportage fait partie d’une série qui comprend également des entretiens en direct avec certains des meilleurs universitaires canadiens en sciences sociales et humaines. <a href="https://www.meetview.ca/sshrc20220503/?language_set_set_id=15">Cliquez ici pour vous inscrire à cet événement gratuit</a> coparrainé par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182199/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maïka Sondarjee a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines.</span></em></p>Une analyse des programmes d’études en relations internationales montre que les études sur la race et le genre sont à peine mentionnées.Maïka Sondarjee, Professeure adjointe, International Development and Global Studies, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1819062022-04-28T21:11:35Z2022-04-28T21:11:35ZLa mondialisation est-elle bonne pour la santé ?<p>Souvent décriée pour ses effets sur les inégalités, la mondialisation a également joué un rôle central dans la pandémie de Covid-19. En effet, cette dernière a fait émerger aux yeux de chacun comment la mondialisation pouvait également être un vecteur de diffusion des maladies.</p>
<p>Néanmoins, les conséquences de la mondialisation sur la santé des populations ne se résument pas à cet unique effet. Les économistes se sont penchés depuis plusieurs décennies sur la question du lien entre ouverture au commerce et aux capitaux étrangers et santé des populations, notamment des travailleurs. Dans une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277953622001848">étude</a> récemment publiée dans la revue <em>Social Science and Medicine</em>, nous montrons que cette relation est loin d’être linéaire et monotone.</p>
<p>Ainsi, il semble que l’ouverture internationale soit bénéfique pour les pays émergents et en développement. L’argument principal derrière cet effet positif réside dans le lien sous-jacent entre ouverture internationale et croissance des revenus. En effet, l’ouverture au commerce international et aux capitaux étrangers permet d’améliorer le niveau technologique et de capital humain des pays en raison des transferts de technologie ; deux moteurs de l’amélioration des services de santé.</p>
<h2>Pollution et obésité</h2>
<p>De plus, l’accès à de nouvelles technologies <em>via</em> le processus de mondialisation permet un accès plus facile aux services de santé, alors que l’ouverture au commerce international, elle, permet d’avoir un accès privilégié aux équipements médicaux et aux médicaments. Ainsi, les transferts de connaissances en matière de santé, de meilleures infrastructures, un accès aux soins facilité ou permis par l’augmentation des revenus plaident à première vue en faveur d’un lien positif entre mondialisation et santé.</p>
<p>En outre, au niveau politique, l’ouverture internationale permet d’améliorer la qualité des institutions et donc des mesures effectives de santé publique. Un pays comme la Corée du Sud illustre très bien ce processus. L’espérance de vie du pays qui était seulement de 55 ans en 1960 a connu une progression fulgurante et a atteint 83 ans en 2020. Dans le même temps, la Corée du Sud s’est progressivement ouverte au commerce et aux capitaux étrangers.</p>
<p>Néanmoins, sur ces différents points, les travaux de Samuel H. Preston datant de 1975 apportent une première nuance : le démographe américain montrait que l’augmentation du produit intérieur brut (PIB) par tête est, certes, associée à une meilleure espérance de vie, mais <a href="https://www.jstor.org/stable/2173509?origin=crossref">uniquement jusqu’à un certain niveau de développement</a> à partir duquel l’effet est neutre.</p>
<p>D’autres études plus récentes exposent, en outre, les externalités négatives du processus de mondialisation : outre la pandémie récente de Covid-19, la santé des populations se détériore du fait de la diffusion de maladies comme le VIH et l’obésité.</p>
<p>Les conséquences environnementales sont aussi à prendre en considération. L’intégration commerciale et financière a favorisé la pollution de l’eau dans les pays en voie de développement et plusieurs études montrent les effets désastreux de certaines formes de production sur la mortalité infantile. Par exemple, la délocalisation des productions de textile et de papier fut une source importante de pollution des écosystèmes. Malgré ces externalités négatives, la plupart des études concluent en faveur d’un effet net positif dans les pays à bas et moyens revenus.</p>
<h2>Hausse du stress</h2>
<p>Pour les pays à plus haut revenu, la mondialisation semble avoir des effets plus néfastes sur la santé des populations. Deux mécanismes sont intéressants à analyser concernant cette singularité. Le premier s’appuie sur le phénomène d’inégalités accrues, qui en plus d’entraîner un accès aux soins différencié, génère des difficultés d’ordre psychosocial qui affectent la santé. Le second est l’insécurité économique qui est associée à un plus grand risque de stress psychosocial dont les effets sur la santé physique et mentale ne sont plus à démontrer.</p>
<p>Les travailleurs du secteur manufacturier des pays développés sont en première ligne, car subissant les effets de la concurrence internationale à la fois <em>via</em> l’accroissement des inégalités salariales et de l’insécurité en matière d’emploi. Au Royaume-Uni par exemple, l’accroissement de la concurrence des importations a entraîné une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0022199619300418">hausse du stress des travailleurs</a>, notamment en raison d’un accroissement de la probabilité de délocalisation de leur emploi, d’une croissance plus faible des salaires, d’une réduction de leur satisfaction au travail et d’une vision du futur plus pessimiste en termes d’évolution de carrière ou de salaire.</p>
<p>Ces résultats ont également été <a href="https://academic.oup.com/ej/article/130/630/1501/5835713?login=true">démontrés sur les États-Unis</a>. En effet, la concurrence des importations a engendré une détérioration significative de la santé dans les zones géographiques où les emplois sont routiniers (facilement délocalisables). La concurrence des importations à engendré non seulement une hausse des suicides et de la toxicomanie dans ces zones, mais aussi une hausse des problèmes cardiovasculaires et des maladies endocriniennes qui peuvent être liés au stress et à de mauvaises habitudes de santé.</p>
<p>En clair, ces études mettent en évidence les conséquences de l’intégration commerciale accrue des économies sur la santé et le bien-être de la population par le biais des effets sur le marché du travail.</p>
<h2>L’arme de la protection de l’emploi</h2>
<p>Il semble donc que la mondialisation ait toujours un impact positif sur les pays à bas et moyens revenus, même si celui-ci est nuancé par les effets sur certaines populations, comme les enfants et par l’existence d’un seuil au-delà duquel le principal argument, le niveau de revenu permis par la croissance économique, n’est plus efficace. En conséquence, pour ces pays il convient de continuer à attirer les capitaux étrangers tout en mettant en place des mesures pour favoriser le transfert de technologie.</p>
<p>En revanche, dans les pays plus riches, les développements économiques passés ont permis d’atteindre des niveaux de santé publique relativement élevés, notamment en termes de mortalité infantile qui n’est plus un problème majeur de santé publique. Au contraire, la mondialisation semble être dorénavant néfaste pour les travailleurs de ces pays.</p>
<p>Cependant, certaines mesures de politique économique peuvent venir atténuer cet effet négatif. En effet, dans notre étude, nous montrons que la protection de l’emploi permet de réduire les effets négatifs de la mondialisation sur la santé des populations, en diminuant le stress lié à la perte d’emploi. D’autres mesures d’accompagnement doivent également être mises en place pour soutenir les travailleurs au niveau de leur santé mentale.</p>
<p>Si la mondialisation n’est plus une aubaine pour la santé des travailleurs dans les pays développés, un repli sur soi ne peut pas être une réponse adaptée. Les échanges internationaux de produits médicaux et les transferts de technologie sont nécessaires pour favoriser l’accès à la santé. En effet, la pandémie de Covid-19 a non seulement mis en avant les effets de contagion des maladies, mais aussi et surtout comment la coopération internationale permettait de lutter contre les effets de la propagation de la maladie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181906/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un travail de recherche confirme que l’ouverture internationale génère des effets positifs sur la santé des populations jusqu’à un certain degré à partir duquel la tendance s’inverse.Raphaël Chiappini, Maître de conférences en économie, Université de BordeauxFrançois Viaud, Professeur assistant d'économie, ESSCA School of ManagementMarine Coupaud, Professeure associée en économie, ESSCA School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1801542022-04-21T18:04:05Z2022-04-21T18:04:05ZPalladio, un héritage architectural riche de questionnements<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459088/original/file-20220421-22-ue5zja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C14%2C874%2C583&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La villa Rotonda, en Vénétie, a été construite entre 1566 et 1571, en partie selon les plans de l'architecte Andrea Palladio.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Villa_Rotonda">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Andrea Palladio est né à Padoue en 1508, au plus fort de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_la_Ligue_de_Cambrai">guerre de Cambrai</a>. Il appartenait à une famille modeste : fils du meunier Pietro della Gondola et de Marta, surnommée Zota, « qui boite » en italien de Vénétie.</p>
<p>Il y a cinq siècles, en 1521, âgé de 13 ans, il entre comme apprenti dans l’atelier du tailleur de pierre Bartolomeo Casazza. Cette même année, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Luther">Martin Luther</a> était excommunié par le pape <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_X">Léon X</a> ; par la <a href="https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1946_num_32_120_3011">Sorbonne</a> et par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Di%C3%A8te_de_Worms">Charles V</a>, élu empereur un an plus tôt.</p>
<p>Le tremblement de terre luthérien précipita les événements des sixièmes <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerres_d%27Italie">guerres d’Italie</a>, avec une guerre de quatre ans qui opposa la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_de_Venise">République de Venise</a>, les Royaumes de France et de Navarre à la papauté, aux monarchies ibériques et anglaise et au Saint-Empire. Tous tentant d’envahir ou augmenter leur influence sur la péninsule la plus riche et urbanisée d’Europe, mais aussi la plus désunie politiquement.</p>
<h2>L’avènement de la modernité architecturale</h2>
<p>Après dix-huit mois comme apprenti chez Casazza, en 1523 la famille de Palladio déménage à Vicence. C’est de cette richissime ville de commerçants qu’était parti, avec l’expédition de Magellan, le navigateur, géographe et écrivain <a href="https://www.antoniopigafetta500.it/">Antonio Pigafetta</a> qui, en 1522, retournait, parmi les seuls survivants, de l’expédition démarrée en 1519. Il publia, en 1524, la célèbre <a href="https://archive.org/details/IlPrimoViaggioIntornoAlGloboDiAnt"><em>Relazione del primo viaggio intorno al mondo</em></a>, grâce à laquelle on connaît l’expédition.</p>
<p>Dans ce contexte de globalisation croissante, d’ascension des armées des grands territoires unifiés et de crise italienne, Palladio développe, dès ses premiers projets, une langue dite palladienne, qui pose les sédiments de la première Modernité architecturale. Il tourne ainsi la page de la Renaissance en Italie.</p>
<p>Son architecture se veut pédagogique, comme ses textes, diffusés grâce aux nombreuses imprimeries vénitiennes, capitale mondiale de l’imprimerie. Ses constructions sont presque une forme de « propagande » pour sa cause architecturale. Une cause nouvelle : celle d’un langage républicain, romain (donc laïque et italien) et reproductible.</p>
<p>La république de Venise vivait à l’époque de profonds bouleversements systémiques, économiques et alimentaires : c’est la <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_2000_num_55_2_279855_t1_0471_0000_1">Révolution agricole vénitienne</a>, avec ses assèchements, ses projets hydrauliques, la rationalisation du paysage et de l’économie agricole et l’introduction de produits venus des Amériques (patate, maïs).</p>
<p>Palladio répond à cette transformation avec l’invention d’une nouvelle « machine » architecturale : la villa agricole productive, lieu de représentation pour le bourgeois venu de la ville.</p>
<h2>Le père de l’architecture américaine</h2>
<p>De nombreux aspects de l’œuvre de Palladio seront admirés pour leurs innovations : décrits, dans les siècles successifs, au travers d’innombrables textes, et devenant sources d’inspiration pour des milliers d’architectes.</p>
<p>Le travail de Palladio, et en particulier ses <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k85654d.image"><em>Quatre livres de l’architecture</em></a> a connu un succès sans précédent. Peu d’architectes ont constitué un « canon » ayant eu un aussi grand retentissement.</p>
<p>Palladio a influencé des architectes de la <a href="https://journals.openedition.org/framespa/128">France révolutionnaire</a> à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Palladianisme">Scandinavie monarchique</a>, en passant par le <a href="https://visitesfabienne.org/palladio-a-londres/">Royaume-Uni</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/459117/original/file-20220421-12-kou5ah.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459117/original/file-20220421-12-kou5ah.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459117/original/file-20220421-12-kou5ah.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459117/original/file-20220421-12-kou5ah.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459117/original/file-20220421-12-kou5ah.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=863&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459117/original/file-20220421-12-kou5ah.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=863&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459117/original/file-20220421-12-kou5ah.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=863&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les deux façades de la Maison Blanche, d’inspiration néo-palladienne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maison-Blanche#/media/Fichier:White_House_north_and_south_sides.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans les <a href="https://www.nbm.org/palladio-legacy-transatlantic-journey/">colonies</a>, Palladio devient un modèle pour les États-Unis d’Amérique fraîchement indépendants. <a href="https://www.cca.qc.ca/fr/evenements/3454/found-in-translation-palladio-jefferson">Jefferson était un grand admirateur et imitateur de Palladio</a>, frôlant l’obsession pour l’architecte italien, et estimant, comme d’autres, que seule l’architecture palladienne, provenant de la plus durable et moderne république européenne, Venise, pouvait représenter les idéaux étatsuniens…</p>
<p>Le style palladien a véhiculé les idéaux de l’état, avec sa capitale neopalladienne, Washington, mais aussi les <a href="https://scholarscompass.vcu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1090&context=etd">villas dominant les plantations des esclavagistes</a>, représentations du pouvoir en place.</p>
<p>Ensuite, pour de nombreux esclaves libérés, les <a href="https://www.palladiomuseum.org/exhibitions/genealogies2012/schede/1?lang=it">tournures palladiennes sont reprises</a> pour la construction de leurs premières maisons. L’influence de l’architecte de Padoue est telle, qu’il fut déclaré <a href="https://www.congress.gov/bill/111th-congress/house-concurrent-resolution/259/text">« père de l’architecture américaine »</a> par le Congrès des États-Unis d’Amérique.</p>
<h2>Une influence sans frontières</h2>
<p>Il est aussi réinterprété pour la grandeur de la Russie tsariste, notamment à Saint-Pétersbourg, au travers des nombreux architectes italiens qui la dessinent, tels <a href="http://www.saint-petersburg.com/famous-people/antonio-rinaldi/">Antonio Rinaldi</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Domenico_Trezzini">Domenico Trezzini</a>, <a href="http://www.saint-petersburg.com/famous-people/carlo-rossi/">Carlo Rossi</a>, etc.</p>
<p>Dans la Russie socialiste, Palladio revient <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivan_Joltovski">sous une forme stalinienne</a>.</p>
<p>Le Corbusier, avec son architecture, qui, comme celle de Palladio, est blanche d’abstraction et pédagogiquement fonctionnelle, peut être considéré comme un <a href="https://www.architectural-review.com/archive/the-mathematics-of-the-ideal-villa-palladio-and-le-corbusier-compared">cas d’influence récente</a>. Son <a href="https://www.mondotheque.be/wiki/images/d/d4/Corbusier_vers_une_architecture.pdf"><em>Vers une Architecture</em></a>, s’inscrit comme <em>I Quattro Libri dell’Architettura</em> dans une dualité manifeste-œuvre.</p>
<p>Pourquoi Palladio exerce-t-il encore aujourd’hui, après cinq siècles, une telle fascination auprès des architectes, comme en témoignent les textes et travaux d’archi-stars du XX<sup>e</sup> tel <a href="http://www.chiaraocchipinti.net/immagini/publications/booklets/2013%20vitale/02%20-%20educazione%20palladiana.pdf">Aldo Rossi</a>, <a href="https://eisenmanarchitects.com/Palladio-Virtuel">Peter Eisenman</a> ou <a href="http://www.dogma.name/">DOGMA</a> ?</p>
<p>Comment interpréter, aujourd’hui, les évolutions séculaires du palladianisme, à la lumière des contestations <a href="https://wp.unil.ch/bases/2013/08/post-colonialisme/#:%7E:text=Le%20post%2Dcolonialisme%20d%C3%A9signe%20un,de%20production%20de%20la%20connaissance.">postcoloniales</a> grandissantes, de la <a href="https://theconversation.com/fr/search?q=%22cancel+culture%22"><em>cancel culture</em></a> ou d’appels au boycott contre les formes culturelles accusées d’être patriarcales, ou de critiques contre le Classicisme, <a href="https://www.cairn.info/revue-de-litterature-comparee-2012-4-page-387.htm">vu comme une sublimation de la culture eurocentrique</a> ?</p>
<h2>Un canon occidental idéalisé ?</h2>
<p>Il est donc légitime de se demander s’il y a encore besoin d’introduire Palladio ou l’histoire du Néo-classicisme, l’histoire des maîtres italiens, <a href="https://www.artnews.com/art-news/news/art-history-survey-courses-yale-university-1202695484/">dans le cursus des facultés d’architecture ou d’art</a>. Et, si oui, comment ? Pourquoi ?</p>
<p><a href="https://yaledailynews.com/blog/2020/01/24/art-history-department-to-scrap-survey-course/">L’Université de Yale a récemment cessé d’enseigner le cours d’introduction à l’histoire de l’art</a>, invoquant « l’incapacité à couvrir de manière adéquate l’ensemble du domaine – et ses diverses origines culturelles ». Tenu par des professeurs de renom, tels Vincent Scully, « Introduction à l’histoire de l’art : de la Renaissance à nos jours » était considéré comme l’un des cours les plus représentatifs du programme de Yale.</p>
<p>Ce changement est une réponse au malaise de nombreux étudiants à propos d’un « canon occidental idéalisé – un produit d’une foule d’artistes majoritairement blancs, hétéros, européens et masculins ». Le département d’histoire de l’art de cette université « souhaitait […] démontrer qu’un cours d’histoire de l’art, ce n’est pas seulement l’art occidental. Au contraire, alors qu’il existe tant d’autres régions, genres et traditions – tous également dignes d’être étudiés – mettre l’art européen sur un piédestal est “problématique”. »</p>
<h2>Un film pour explorer l’actualité de Palladio</h2>
<p>Si le travail de James S. Ackerman autour de la figure d’Andrea Palladio a apporté une contribution décisive à l’ouverture d’une phase fondamentale pour l’architecture des années 1970, je pense que Palladio peut, encore aujourd’hui, être une figure qui ouvre, plus encore que d’autres, des questions sur lesquelles nous devons travailler. Mon intérêt pour Palladio est né il y a quelques années, alors qu’il était au centre des ateliers de projets d’architecture, en première année, à la Faculté d’Architecture de l’ULB (Bruxelles).</p>
<p>À la même période, un producteur cinématographique m’a demandé de développer scientifiquement un projet de film sur Palladio, l’un des premiers du genre : un long métrage documentaire, réalisé avec les moyens d’une production cinématographique traditionnelle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4p_jiI1PqYc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le projet est conçu comme un voyage à travers l’Europe et les États-Unis, passant des chefs-d’œuvre palladiens de Venise aux édifices inspirés par l’architecte padouan. Le film suit des groupes de différentes universités : une privée, d’élite, Yale ; l’autre publique, de masse, l’Université Libre de Bruxelles.</p>
<p>Je m’y mets en scène et m’interroge sur le rôle de l’architecture palladienne, et en général de la Renaissance, dans leur rapport à la contemporanéité, à l’enseignement de l’architecture. En toile de fond, le film pose la question de la nécessité d’étudier le passé.</p>
<p>Au cours du voyage, j’ai rencontré des érudits comme Kenneth Frampton et Peter Eismann. En tant que commissaire scientifique du film, j’ai préféré éviter une narration biographique « à la BBC », décidant plutôt de rester dans le domaine de la théorie palladienne et de ses aspects les plus vivants.</p>
<p>Ce documentaire d’architecture de deux heures, sans recours à la médiation traite de questions complexes habituellement réservées aux seuls « experts », mais il s’agit ici de faire une confiance absolue au public, même non spécialiste, pour apprécier cette plongée dans le monde de Palladio.</p>
<p>Le pari, coûteux, de faire l’un des premiers films documentaires – long-métrage – d’histoire de l’architecture, était risqué. Mais le risque a porté ses fruits, puisquil a été diffusé dans presque 500 cinémas, se classant dans le top 5 du box-office pendant les jours de projection, en 2019.</p>
<h2>Interroger l’architecture à partir de l’influence de Palladio</h2>
<p>Le thème cryptique que j’ai essayé d’introduire dans cette production était le suivant : un architecte de la fin de la Renaissance peut-il encore influencer la vie des étudiants d’aujourd’hui, ou représenter un matériel valable pour construire l’avenir de l’architecture ? Il était impossible d’aborder tous ces thèmes en deux heures.</p>
<p>Les questions, en revanche, demeurent : de quelles significations éthiques, symboliques, idéologiques sont « chargées » les colonnes néo-palladiennes – à évocation romaine – à travers le monde ? Au-delà, de quelles significations éthiques, symboliques, idéologiques sont chargées les architectures, aujourd’hui ?</p>
<p>L’époque de Palladio n’était pas seulement une phase critique pour l’ensemble du système européen – à savoir une phase de fléaux sanitaires, une crise de l’autonomie stratégique des la péninsule italienne, une crise religieuse, un développement des États-nations, une crise culturelle, l’apparition de nouveaux paradigmes – mais aussi une époque qui apporta des réponses formelles à ces crises. Que nous apprend ce contexte ? Qu’enseigne la réponse palladienne ? Que nous apprend la manière dont cet appareil formel, typologique et sémantique a été assimilé, exporté, interprété dans les siècles suivants ? Quelle place l’œuvre de Palladio occupe-t-elle encore dans les formes contemporaines ? Et dans l’environnement d’apprentissage de l’enseignement de l’architecture ?</p>
<p>Dans une phase de crise sanitaire et politique, économique et sociale d’une telle ampleur, que nous apprennent quatre siècles d’architecture palladienne et néo-palladienne ? Mesurer le poids de cet héritage peut nous apporter de nouveaux questionnements, précieux pour l’époque que nous traversons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180154/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gregorio Carboni Maestri est le commissaire scientifique du film documentaire "Palladio", sorti en mai 2019. </span></em></p>Le travail de Palladio a connu un retentissement sans précédent. Mais que signifie cette influence aujourd’hui ?Gregorio Carboni Maestri, Ph.D., dott. arch., Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1791712022-04-04T18:25:14Z2022-04-04T18:25:14ZAu chevet du monde : pour une clinique de la mondialité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/455492/original/file-20220331-13-4mtjfc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C8%2C786%2C602&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Groupe VI, évolution n°14, 1908, Hilma Af Klint.</span> <span class="attribution"><span class="source">Stpckholm, fondation Hilma Af Klint. </span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« J’ai appris à résister, me soustraire et me relier en cherchant le libre royaume de la vie intérieure, la fascination de l’universel, la nostalgie de la totalité, abandonnés aux poètes, aux artistes, aux mystiques. Car le jour viendra où une société nouvelle fera sa place au paysan, au travailleur, à l’artiste et au penseur. » (Théodore Monod, « Le chercheur d’absolu », Gallimard, 1997)</p>
</blockquote>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, sur son lit de mort, <a href="https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/et-si-pasteur-s-etait-trompe-15911">Louis Pasteur aurait soupiré</a> : « Claude Bernard avait raison, le microbe n’est rien, le terrain est tout ». Pendant que le père de la microbiologie s’acharne à trouver un vaccin pour éradiquer le microbe dans l’organisme – cet intrus représenté aujourd’hui par le Covid-19 – le physiologiste se préoccupe davantage de <em>l’état du terrain</em>, le corps humain attaqué par le virus, de la capacité de ce terrain à mobiliser ses ressources internes pour se défendre.</p>
<p>Avec la crise sanitaire actuelle, la réactivation de ce débat mettant en tension deux visions différentes au service de la santé physique amène à en interroger les dimensions psychologiques et sociétales. On peut ainsi considérer le virus de la peur suscitée par cette crise comme une des menaces majeures pour l’équilibre des psychés collectives et individuelles, intimement liées au terrain physiologique.</p>
<h2>Une métaphore pour penser l’état du monde</h2>
<p>Au regard de différents symptômes mondiaux réactivés ou renforcés par la pandémie, je propose d’utiliser métaphoriquement le microbe et le terrain pour penser notre rapport à certains fléaux qui gangrènent notre monde. Ainsi, le microbe, ce sont aussi bien les attaques terroristes, le retour des idéologies raciales, la xénophobie, les replis et pathologies identitaires, les séquelles des guerres mondiales, des génocides, de la traite des êtres humains que l’infodémie, l’utilisation de la peur, les politiques de restriction des libertés individuelles, la police de la pensée dans l’espace public ou encore la <a href="https://luxediteur.com/catalogue/la-mediocratie/">médiocratie</a> à l’université.</p>
<p>Par-delà le corps et la psyché, le terrain relève de l’état de notre monde, de ses vulnérabilités mais aussi de sa capacité à faire face aux héritages identitaires des siècles passés (esclavage, racisme, colonisation, <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/universite-paris-8/nell-irvin-painter-histoire-des-blancs">traite des Blancs</a>, traite arabo-musulmane, traite négrière, la Shoah…). Il relève du maintien de notre liberté de penser et d’agir, de notre esprit critique, de notre créativité et de notre capacité de résilience face aux agressions extérieures ainsi qu’au <em>retour du refoulé</em> de notre Corps-Monde.</p>
<p>Si le microbe poursuit sa trajectoire dans le processus de déshumanisation produite par les effets délétères de la mondialisation financière et capitaliste, le terrain à soigner est notre <em>humanité commune</em> représentée par la <em>mondialité</em>, <a href="https://www.editions-baconniere.ch/livres/ecrire-la-mondialite">« ce côté lumineux de la mondialisation »</a>, « cette aventure sans précédent qu’il nous est donné à tous de vivre, dans un espace-temps qui pour la première fois, réellement et de manière foudroyante, se conçoit à la fois unique et multiple, et inextricable. C’est la nécessité pour chacun d’avoir à changer ses manières de concevoir, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-Cohee-du-Lamentin">d’exister et de réagir, dans ce monde-là »</a>. Si la mondialisation économique et financière est « histoire », la mondialité est « culture », « devenir », <a href="http://www.cafelitteraire.fr/2008/01/la-mondialite-entre-histoire-et-avenir-de-charles-zacharie-bowao-et-souleymane-bachir-diagne/">« advenir de la civilisation humaine »</a>, un socle commun de partage et de transformations. « Le commun est ce à quoi on a part ou à quoi on prend part, qui est en partage et à quoi on participe. C’est pourquoi c’est un concept originellement « politique » : <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/de-luniversel-de-luniforme-du-commun-et-du-dialogue-entre-les-cultures-9782213635293">ce qui se partage est ce qui nous fait appartenir à la même cité, polis »</a>.</p>
<h2>Quel moment vivons-nous ?</h2>
<p>Face à l’écrasement des altérités et l’effraction des métacadres (famille, société, culture, institution, environnement), la mondialité offre un espace des possibles, source de créativité. Cependant, s’aventurer sur le terrain de la mondialité confronte à l’imprévisible et à l’inconnu. Le virus à l’origine de la Covid-19 n’était pas prévu et il faut être créatif pour tenir ensemble, dans la durée, face à la situation. Si, à travers ses effets, la mondialisation peut être vécue comme intrusive et explosive, la <a href="https://www.editions-baconniere.ch/livres/svetlana-alexievitch-la-litterature-au-dela-de-la-litterature">mondialité est fondamentalement inclusive</a></p>
<blockquote>
<p>« Elle admet que la curiosité de l’homme le conduit à vouloir découvrir l’ensemble de ses semblables, explorer de fond en comble son environnement. »</p>
</blockquote>
<p>Dans sa <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/penser_la_longue_duree-9782707199669"><em>Contribution à une histoire de la mondialisation</em></a>, François Fourquet avait identifié les « moments » africain, oriental, islamique, européen, anglais et américain qui ont ponctué notre monde phénoménal. Aujourd’hui, <a href="https://www.editions-stock.fr/livres/essais-documents/loccident-decroche-9782234060425">faire face à nos symptômes globaux dans un Occident décroché</a> et un « non Occident » émergent, humilié ou plein d’espoir, nécessite d’aller au-delà de ces cloisonnements pour entrer <a href="https://www.chroniquesociale.com/seismes-identitaires--trajectoire-de-resilience__index--1011992%E2%80%933009480%E2%80%931012241--cata------3008211--catalogue.htm">dans le <em>moment mondialité</em></a>, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Idees/Entrer-dans-une-pensee-ou-Des-possibles-de-l-esprit">c’est-à-dire dans une pensée mutuelle</a> à la recherche de ressources communes nous permettant de prendre soin les uns des autres.</p>
<p><a href="https://www.puf.com/content/Le_moment_du_soin_0#:%7E:text=y%20est%20consacr%C3%A9e.-,%C3%80%20quoi%20tenons%2Dnous%20%3F,ne%20pourraient%20vivre%20ni%20survivre.">Dans <em>Le moment du soin</em></a>, F. Worms insiste sur la nécessité de deux instants : « l’instant de l’urgence vitale, ou mortelle » qui incite à appeler « Au secours ! » mais aussi « le moment présent dans son ensemble, l’instant des catastrophes, les temps qui les précèdent ou les suivent », une sorte « d’extension de la vulnérabilité ». Ce soin est alors à considérer dans au moins deux conceptions qui mettent respectivement l’accent sur le fait de « soigner quelque chose, un besoin ou une souffrance » et sur le fait de « soigner quelqu’un » ce qui souligne la « dimension intentionnelle et relationnelle du soin ».</p>
<p>A ce sujet, <a href="https://www.researchgate.net/profile/Antoine-Perier-2/publication/264045767_Psychotherapies_psychanalytiques_a_l%E2%80%99adolescence_Pratiques_et_modeles/links/0deec53cb803d2b3dd000000/Psychotherapies-psychanalytiques-a-ladolescence-Pratiques-et-modeles.pdf">Marcelli</a> rappelle la différence entre traitement et soin. Traiter vient de tractare, tractum, trahere qui signifie « traîner violemment, mener difficilement ». Soigner vient du latin sun(n)i et sunnja qui signifie « s’occuper de, se préoccuper de ». Si le traitement vise l’éradication des symptômes, le soin vise la globalité du sujet considéré. Le soin vise le sujet dans la façon dont il vit ce qui le fait souffrir. Un sourire, un regard bienveillant apportent de la consolation et du réconfort permettant au traitement d’être plus efficace.</p>
<p>A travers les nouvelles générations du XXI<sup>e</sup> siècle, notre monde crie « Au secours » face à la mutation des nombreux virus qui le menacent et plus globalement face aux héritages <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Espoir/Feuillets-d-Hypnos">« sans testament »</a>, sans pédagogie de la transmission de l’histoire des siècles identitaires passés. Il importe certes de traiter les virus de la « crise migratoire », des relents racistes, des radicalisations, de la xénophobie, des nationalismes étroits, mais il est nécessaire et avant tout de considérer et de <a href="https://esprit.presse.fr/article/daniel-derivois/soigner-la-societe-d-accueil-42493">soigner les sociétés d’accueil</a>, de départ et de transit ainsi que le monde dans son ensemble, dans sa diversité naturelle, culturelle et spirituelle. Dans son ancienneté comme dans sa jeunesse.</p>
<p>Les conséquences traumatiques, migratoires, identitaires de la guerre en Ukraine viennent, une fois de plus, soulever la question de la perception et du <a href="https://theconversation.com/voyons-nous-les-migrants-comme-etrangers-a-lhumanite-176176">traitement du « migrant » selon son origine, sa proximité géographique ou sa couleur de peau</a>. Malgré les dispositifs d’accueil en urgence de la population sinistrée, cette crise ne se traitera pas sans une réflexion profonde sur le terrain idéologique, géopolitique qui a permis son émergence. Elle ne se traitera pas sans une politique de soin global pour « agresseurs » et « agressés » de tous les côtés, tous héritiers des restes de <a href="https://www.chroniquesociale.com/seismes-identitaires--trajectoire-de-resilience__index--1011992%E2%80%933009480%E2%80%931012241--cata------3008211--catalogue.htm">« traumatismes identitaires mutuels de longue durée »</a> non élaborés dans un même monde en mutation.</p>
<h2>Instaurer une clinique de la mondialité</h2>
<p>Si des symptômes majeurs de notre temps nous avaient déjà alertés sur la nécessité de changer de paradigme pour notre santé mentale globale, l’imprévisible des mutations et variants de la Covid-19 nous montre qu’aucune stratégie nationaliste ou ethnocentrée n’aura été efficace et qu’une issue est possible dans un effort mutuel de repérage des forces complémentaires selon les modèles de sociétés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-resilience-pour-quels-modeles-de-societe-137666">Quelle résilience pour quels modèles de société ?</a>
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<p>Il est nécessaire d’entrer dans la mondialité et de mettre en perspective une <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807307872-clinique-de-la-mondialite#:%7E:text=Description,au%20sein%20de%20cet%20individu.">clinique de la mondialité</a>, qui accueille à la fois les problématiques familiales, sociétales mais aussi les souffrances mondiales, mondialisées, au-delà des clivages idéologiques, géographiques ou culturels qui ont longtemps rythmé nos relations humaines.</p>
<p>Dans « clinique de la mondialité », clinique est à entendre à la fois dans le sens d’étude clinique du fonctionnement biologique, psychique et identitaire du monde, de lieu de soin – sans frontières géographiques – et de posture épistémologique et politique. Politique dans le sens grec de la « polis », la Cité.</p>
<p>Clinique regroupe alors le sens médical (au chevet du malade), le <a href="https://www.puf.com/content/%C3%80_quel_soin_se_fier_Conversations_avec_Winnicott">sens psychanalytique du <em>Care</em></a> et le sens politique qui confère à la clinique de la mondialité sa posture d’être <a href="https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9C2610">non seulement au pied du lit du malade</a> mais aussi au pied du monde, en nous, autour de nous, au service du vivre ensemble avec soi-même et avec les autres dans la Cité.</p>
<p>La clinique de la mondialité est une disposition d’esprit qui consiste, à l’instar de Glissant, à agir dans son Lieu en <a href="https://www.humanite.fr/edouard-glissant-agis-dans-ton-lieu-pense-avec-le-monde-457163">pensant avec le monde</a>, à prendre conscience de la manière dont nous sommes traversés par les problématiques mondiales tout en nous pensant dans ce monde-là. Une clinique de la généalogie de l’Homme aux prises avec ses héritages historiques, culturels, identitaires. <em>Qui suis-je pour l’autre ? Qui est l’autre pour moi ? Où suis-je ? Quand suis-je ? Où en suis-je</em> de ma prise de conscience des traces de l’autre en moi et des miennes en lui ? Telles sont les grandes questions de cette prise de conscience généalogique dans la clinique de la mondialité.</p>
<p>Devant la nécessité de prendre soin de notre Terrain-Monde, la clinique de la mondialité offre un terrain d’accueil, d’élaboration et de transformation des héritages traumatiques corporels, psychiques, identitaires en vue de passer des générations racialisées basées sur la couleur de peau, la langue, la religion, les origines géographiques aux générations mondialisées dont le vecteur est notre humanité commune. Là où le débat se polarise, dans une binarité mortifère, sur des référentiels erronés ou désuets, la clinique de la mondialité invite à prendre notre humanité commune comme seul référentiel qui vaille en matière d’identité.</p>
<p>En somme, à l’instar de Pasteur et de Claude Bernard, la clinique de la mondialité vise à réinjecter de l’espoir dans <a href="https://www.fredericlenoir.com/contes-philosophiques/lame-du-monde/"><em>l’Âme du monde</em></a> et à renforcer nos défenses physiologiques, psychologiques, intellectuelles et spirituelles sur le terrain de l’Humanité. L’immunité collective tant recherchée est probablement au prix d’une clinique de la résilience collective, entendue comme la capacité à préserver son humanité et celle de l’autre, malgré l’adversité et les turbulences événementielles et environnementales.</p>
<p>Désormais, c’est <em>au chevet du monde</em>, voire au bord d’un monde qui s’effondre et qui espère aussi, que le soignant attend le patient, le politique ou le citoyen lambda dans la Cité des Hommes. Attendre au sens d’espérer un moment de répit face aux différents virus qui affectent et interrogent notre Corps-Monde dans sa capacité à puiser dans ses ressources cachées, à se réguler et à briser les murs idéologiques pour entrer dans la mondialité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179171/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Derivois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment penser l’état du monde que nous partageons ? Et comment cultiver une forme de résilience collective en des temps aussi troublés ?Daniel Derivois, Professeur de psychologie clinique et psychopathologie. Laboratoire Psy-DREPI (EA 7458), Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1798792022-03-28T18:30:42Z2022-03-28T18:30:42ZLe phénomène des réfugiés contraint les entreprises à étendre leurs responsabilités<p>Depuis plus de trois semaines, nous assistons au plus grand mouvement de population depuis la Seconde Guerre mondiale. En effet, le conflit russo-ukrainien se solde déjà, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, par environ <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/update_on_idp_figures_in_ukraine_18_march_eng.pdf">6,5 millions d’Ukrainiens</a> « déplacés internes », et <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/ukraine">3,8 millions ayant dû fuir leur pays</a>. Un chiffre vertigineux auquel il faut ajouter un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-des-milliers-de-russes-fuient-vers-la-finlande_4997001.html">nombre indéterminé de Russes</a> ayant d’ores et déjà fui le régime autoritaire de Moscou.</p>
<p>Il nous semble que ce bouleversement de l’ordre international doit nous amener à repenser à la fois la politique d’accueil et d’intégration mais aussi, comme nous le mettions en évidence dans un <a href="https://scholar.google.com/citations?view_op=view_citation&hl=en&user=Rl8a2IQAAAAJ&citation_for_view=Rl8a2IQAAAAJ:UebtZRa9Y70C">article</a> publié en 2017 dans le <em>European Management Review</em>, le rôle de l’entreprise face au phénomène de <em>migration forcée</em> qui ne fera que prendre plus d’ampleur dans les prochaines décennies.</p>
<p>Déjà massives, ces migrations forcées vont encore s’amplifier et mettre nos sociétés à l’épreuve. Les études scientifiques, telles que celles recensées dans le <a href="https://ambafrance.org/IMG/pdf/resume_pour_decideurs_du_volume_2_du_6e_rapport_d_evaluation_du_giec.pdf">rapport du GIEC en date du 28 février 2022</a>, permettent effectivement d’esquisser un schéma implacable qui prend ses racines dans le dérèglement climatique, l’artificialisation et la pollution des sols en lien avec l’urbanisation et les monocultures intensives, et la <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-la-biodiversite-participe-aussi-a-notre-autonomie-strategique-1357203">perte de biodiversité associée</a>. Plus encore que les conflits armés pour le contrôle des ressources, ce sera d’abord la montée des eaux et l’effondrement de la productivité agricole qui alimenteront de façon structurelle les déplacements de population dans les années à venir.</p>
<p><iframe id="QnvGL" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/QnvGL/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Songeons d’ailleurs que l’indice FAO (l’Organisation mondiale pour l’agriculture et l’alimentation) des prix alimentaires à son plus haut niveau historique (et qui a depuis été dépassé) <a href="https://necsi.edu/s/food_crises.pdf">a certainement joué comme un déclencheur des printemps arabes</a>. Tout sauf le fruit du hasard, tant agriculture (et prix des biens agricoles) et phénomènes migratoires sont intimement liés. Or, dès lors que l’hypothèse d’accélération des phénomènes de migrations forcées dans les prochaines décennies est acceptée, alors ne pas mettre en œuvre une politique adaptée visant la gestion efficiente de ces flux massifs aurait tous les atours d’une impréparation coupable.</p>
<h2>Tentations opportunistes</h2>
<p>Bien naturellement, la politique migratoire restera une décision régalienne qui, dans nos régimes démocratiques, ne pourra se faire sans acceptation sociale, que ce soit au niveau de l’Union européenne ou de ses États membres. Elle se révèle d’autant plus nécessaire qu’elle permet de se prémunir de certaines hésitations et tractations, comme nous en avions été témoins <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/migrants-apres-le-refus-de-l-italie-la-corse-propose-d-accueillir-les-600-refugies-de-l-aquarius-781494.html">dans le cas de l’Aquarius</a>, susceptibles d’aggraver des situations humanitaires dramatiques. Son autre vertu est de couper court à certaines tentations aussi malvenues qu’opportunistes en provenance, cette fois, des entreprises. Rappelons-nous, par exemple, des propos de Thomas Enders, l’ancien PDG d’Airbus, <a href="https://www.reuters.com/article/uk-europe-migrants-germany-employment-idUKKCN0SJ0PN20151025">lors de la crise des réfugiés de 2015</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons avoir le courage d’une dérégulation comme celle que nous connaissons jusqu’à présent aux États-Unis […] Si le seuil d’entrée sur le marché du travail est trop élevé, l’intégration des immigrés dans la société échouera […] Il vaut mieux entrer sur le marché du travail avec des mini-jobs ou des emplois mal payés que rien et être condamné à la sécurité sociale, à ne rien faire et à la frustration. »</p>
</blockquote>
<p>Si, à première vue, la position de Thomas Enders est louable en cela qu’elle pense l’intégration des migrants par le travail, elle semble néanmoins frappée du sceau d’un certain opportunisme financier. En effet, la proposition de Thomas Enders reviendrait à œuvrer à la constitution d’une <a href="https://www.revue-ballast.fr/marx-et-limmigration-mise-au-point/">« armée de réserve industrielle » au sens de Marx</a>, c’est-à-dire à favoriser un surnuméraire de travailleurs potentiels, notamment au niveau des emplois peu qualifiés. Un tel déséquilibre se traduirait par une pression accrue sur les salaires et les salariés, dans un contexte où les syndicats allemands venaient tout juste d’obtenir un accord historique sur le <a href="https://www.captaineconomics.fr/-salaire-minimum-allemagne-merkel">salaire minimum</a>.</p>
<p>Dans le cas de l’Allemagne, cette pression salariale a depuis été <a href="https://www.bundesbank.de/resource/blob/885576/f7a2d4dbe302d666b50e0c452d0290cd/mL/2022-02-21-dkp-02-data.pdf">démontrée empiriquement</a>. En effet, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/comment-lallemagne-a-integre-ses-refugies-1347849">cinq ans après la vague migratoire de 2015</a>) et le <a href="https://www.lecho.be/economie-politique/europe/general/wir-schaffen-das-trois-mots-qui-ont-bouleverse-l-allemagne/10248443.html">« wir schaffen das »</a> (« nous y parviendrons ») de la chancelière Angela Merkel pour exprimer le volontarisme allemand en termes d’intégration, la moitié des nouveaux arrivants avait trouvé un travail, mais la plupart du temps dans des services à faible qualification (hôtellerie, livraison, restauration…), et pour un salaire moyen inférieur de 45 % à la moyenne allemande. Difficile de ne pas y voir l’expression concrète de la position exprimée par Thomas Enders.</p>
<p>Or, si l’opportunisme des entrepreneurs peut se concevoir sur le plan de l’efficacité productive de court terme, notamment dans un contexte concurrentiel, il n’est pas garanti que ce soit le mode d’intégration le plus efficient sur le long terme. L’économiste allemand Herbert Brücker et ses coauteurs, par exemple, ont récemment mis en exergue de nombreux <a href="https://fis.uni-bamberg.de/handle/uniba/51202">leviers d’amélioration</a> qui auraient permis de mieux gérer l’intégration des migrants. Certains de ces leviers impliquent d’ailleurs directement les entreprises : développement de programmes linguistiques, renforcement de l’apprentissage, et création d’emplois non pas de subsistance, mais proposant au contraire de réelles perspectives d’existence à long terme.</p>
<p>Au-delà du cas allemand, une réflexion plus générale quant au rôle et les responsabilités nouvelles des entreprises nous est imposée par un début de XXI<sup>e</sup> siècle qui semble consacrer la fin de la <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/aujourd-hui-l-%C3%A9conomie/20220317-la-guerre-en-ukraine-pr%C3%A9cipite-la-fin-de-la-mondialisation-heureuse">« mondialisation heureuse »</a> et l’émergence d’un monde « en silos ».</p>
<h2>La démographie, une préoccupation stratégique</h2>
<p>Le <a href="https://www.dni.gov/index.php/gt2040-home/gt2040-media-and-downloads">dernier rapport</a> du National Intelligence Council, le renseignement national américain, souligne la possibilité de voir le monde se constituer « en silos », autour de blocs régionaux mus par des intérêts économiques partagés, mais aussi des gouvernances et valeurs sociétales communes, ou du moins, compatibles. Les ambitions chinoises (sur le plan économique comme systémique), le bellicisme russe, et même les velléités souverainistes occidentales, sont autant de signaux qui accréditent cette thèse.</p>
<p>Dans un tel monde, les États seront nécessairement amenés à réduire leurs interactions économiques. Et donc, à revoir le périmètre de leur indépendance stratégique, sans pour autant perdre de vue les objectifs impérieux en matière de transition écologique et énergétique. Il faut donc s’attendre à une redéfinition des chaînes d’approvisionnement, une dynamique de <a href="https://theconversation.com/relocalisations-en-europe-les-peco-seront-ils-les-grands-gagnants-155919">relocalisation</a> et de <a href="https://theconversation.com/reindustrialiser-mais-pour-quoi-faire-176810">réindustrialisation</a>, de même que la montée en puissance d’une agriculture raisonnée et de modes de production moins intensifs en hydrocarbures, et davantage en main-d’œuvre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reindustrialiser-mais-pour-quoi-faire-176810">Réindustrialiser, mais pour quoi faire ?</a>
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<p>À cet égard, l’émergence d’un monde « en silos » repositionne naturellement la question de la démographie au rang des préoccupations stratégiques majeures. Le <a href="https://ecfr.eu/wp-content/uploads/power-atlas.pdf">dernier rapport</a> du European Council on Foreign Relations ne dit d’ailleurs pas autre chose :</p>
<blockquote>
<p>« Une population importante ne fait pas, en soi, d’un État une grande puissance – en fait, la surpopulation peut être une profonde vulnérabilité –, mais il est probablement impossible dans le monde moderne d’atteindre et de maintenir le statut de grande puissance sans cela. »</p>
</blockquote>
<p>Par extension, l’émergence d’un monde « en silos » doit nous amener à repenser nos modes de développement hérités d’une époque de mondialisation et de financiarisation accélérées. Une époque où, comme le souligne la sociologue néerlando-américaine Saskia Sassen dans son livre de 2014 <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Expulsions"><em>Expulsions</em></a>, les facteurs de production – notamment le facteur humain – étaient disponibles en abondance, mais pouvaient surtout faire l’objet d’une exploitation rentable à l’autre bout du monde par le jeu de la sous-traitance en cascade et d’un dumping social érigé au rang de facteur de compétitivité.</p>
<p>À l’inverse de cette grande tectonique des plaques, mais aussi des comportements opportunistes dépeints en amont, la migration forcée, mais aussi la réelle intégration économique de l’ensemble des populations européennes, permettra de se doter des compétences et de la solidarité nécessaires à notre croissance tout en permettant de poser les premiers jalons d’une autonomie stratégique.</p>
<p>Il s’agit là non seulement d’un impératif de stabilité sociale mais aussi, de façon peut-être encore plus pragmatique, de créer une demande intérieure solvable. Ce changement d’attitude ne relève pas simplement d’une attitude désintéressée, altruiste ou d’une supposée responsabilité sociale, mais plutôt d’une forme de responsabilité politique nouvelle à laquelle les entreprises doivent s’astreindre… dans leur propre intérêt et celui de toutes les nations européennes.</p>
<p>D’aucuns pourraient y voir un lien avec les travaux de l’économiste britannique John Hobson, ou plus proche de nous des Américains <a href="https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/guerres-commerciales-sont-guerres-classes-comment-montee-inegalites-fausse">Matthew Klein et Michael Pettis</a>, qui soulignent que les marchés nationaux – en l’espèce européen – « sont capables d’une extension indéfinie pour autant que le revenu ou pouvoir de s’approprier des marchandises est réparti de manière équitable ».</p>
<h2>Retour au libéralisme intégré</h2>
<p>Nous l’avons vu, le contexte géopolitique et environnemental, source de chocs migratoires, devrait se traduire par un « retour au libéralisme intégré » tel que décrit par le géographe et économiste britannique <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/oso/9780199283262.001.0001/isbn-9780199283262">David Harvey</a>. Ainsi, adopter une perspective plus planificatrice et « social-démocrate » apparaît probablement comme la voie la moins risquée si la priorité politique est donnée au maintien d’une certaine stabilité économique et industrielle, ainsi qu’à la préservation de la cohésion sociale.</p>
<p>Dès lors, le travail ne doit pas être vu que sous l’angle de son coût rapporté à son utilité, ou comme une consommation différée. Il doit, au contraire, s’envisager comme un facteur d’intégration qui, dans toute sa complémentarité, participe à l’autonomie stratégique autant que militaire ou économique.</p>
<p>À cette aune, les entreprises ne sont plus uniquement des lieux de transformation et des centres de profits, mais des maillons essentiels de construction de l’indépendance stratégique. Dans ces entreprises repensées, il s’agit autant d’investir dans une production responsable et durable que dans la formation professionnelle et citoyenne, notamment des nouveaux arrivants. Ainsi, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises s’enrichira d’une responsabilité politique sans laquelle, dans un monde dont les référents hérités de la fin de la Seconde Guerre mondiale vacillent déjà, nulle cohésion sociale ni autonomie stratégique ne sera possible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179879/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’expérience de l’Allemagne après 2015 montre que de nombreux décideurs voient dans les migrants une « armée de réserve industrielle » qui permet de compresser les salaires.Philippe Naccache, Professeur Associé, INSEEC Grande ÉcoleJulien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1784902022-03-21T20:03:52Z2022-03-21T20:03:52ZTourisme et métavers : vers une généralisation du voyage virtuel ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/453345/original/file-20220321-25-jdpr5g.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C8%2C936%2C538&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Voyager sans bouger grâce au métavers.</span> <span class="attribution"><span class="source">Unsplash</span></span></figcaption></figure><p>Le métavers occupe une place de plus en plus importante dans le paysage médiatique. Si certains se positionnent de manière prudente ou réfractaire, d’autres considèrent cette évolution technologique comme une opportunité pour développer de nouvelles offres. Le tourisme est un secteur qui évolue largement au gré des technologies de l’information et de la communication, il est alors tout à fait pertinent de questionner la manière dont il pourrait intégrer cet univers virtuel. Et c’est depuis l’annonce de la création du groupe Meta par Mark Zuckerberg que ce terme s’est massivement propagé dans le monde. Le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9tavers">métavers</a> peut être défini comme un ensemble d’espaces virtuels, persistants, partagés, indexés dans le monde réel et accessibles via interaction 3D.</p>
<p>Alors, comment le métavers pourrait-il s’emparer du tourisme, une pratique qui nécessite un déplacement physique ?</p>
<h2>Tourisme et technologie font-ils bon ménage ?</h2>
<p>On observe une corrélation évidente entre l’évolution du tourisme et celle des technologies, qui vont toujours de pair. En effet, des centrales de réservations informatisées dans les années 1970 à la domestication d’Internet vers la fin des années 1990, la technologie s’est toujours insérée dans le tourisme pour <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0261517708000162">faire émerger de nouvelles pratiques</a>. Le métavers s’inscrit dans cette évolution d’Internet qui utilise des technologies de plus en plus immersives pour proposer des expériences phygitales, c’est-à-dire où les frontières entre le réel et le virtuel sont de plus en plus perméables.</p>
<p>Qu'il s'agisse des musées, des parcs nationaux ou des sites patrimoniaux, la crise sanitaire a aussi permis à de nombreux acteurs d’amplifier et de faire perdurer l’usage d’outils technologiques pour proposer des visites en réalité virtuelle. L’application <a href="https://www.flyoverzone.com/">Fly Over Zone</a>, en plus de proposer une exploration des sites culturels du patrimoine mondial, permet de restaurer numériquement des sites endommagés. Le géant du Web Amazon a lancé « <a href="https://www.amazon.com/b?node=19419898011&ref_=ae_nav_lgo">Amazon Explore </a>» pour littéralement « voyager virtuellement autour du monde ». Ce volet commercial est un service de flux interactif diffusé en direct, qui selon eux, permet de découvrir de nouveaux endroits depuis son ordinateur. Si cette offre n’en est qu’à ses balbutiements, avec une version béta, il y a fort à parier que ce service de visites virtuelles sera amené à évoluer pour proposer des formats encore plus immersifs.</p>
<p>En matière de tourisme, l’Asie fait figure de précurseur avec des propositions déjà très avancées comme le projet « <a href="https://fr.euronews.com/next/2021/11/17/metavers-seoul-ouvre-la-porte-de-ce-nouvel-univers-numerique">Seoul Metaverse</a> » qui ambitionne de devenir la première grande ville du monde à entrer dans le métavers, avec un parcours touristique qui reproduira les principaux sites de visite de la ville. Mais c’est en France, que l’on trouve l’un des projets les plus aboutis avec <a href="https://www.moyapatrick.com/sltourisme.htm">MoyaLand</a> : un univers virtuel touristique, construit comme une reproduction artistique virtuel et immersive qui possède un office de tourisme, des musées, un aéroport, un centre historique où habitants et touristes peuvent évoluer virtuellement par le biais de leurs avatars.</p>
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<p>D’autres acteurs du tourisme pourraient leur emboîter le pas car selon l’entreprise américaine <a href="https://www.gartner.com/en/newsroom/press-releases/2022-02-07-gartner-predicts-25-percent-of-people-will-spend-at-least-one-hour-per-day-in-the-metaverse-by-2026">Gartner</a>, en 2026, 25 % des gens passeront au moins une heure par jour dans le métavers. Alors comment ces personnes expérimenteront-elles le tourisme dans cet environnement virtuel ?</p>
<h2>Le métavers pour susciter le voyage</h2>
<p>Il existe deux grandes tendances pour définir <a href="https://journals.openedition.org/viatourism/1347">l’expérience touristique</a> : la première tient de l’ordre du processuel avec une transformation du monde en connaissances, la seconde tient du moment vécu avec une place centrale accordée à l’hédonisme et au sentiment de réussite. Si par définition, le tourisme nécessite un déplacement physique, il existe de fait une contradiction avec les expériences touristiques offertes par le métavers qui peuvent néanmoins le remplacer mais surtout susciter l’envie de voyager.</p>
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<p>Rappelons que la réalité virtuelle est un environnement immersif créé à l’aide d’un dispositif technologique qui procure à l’utilisateur des sensations numériquement créées telles que la vue, l’ouïe, le toucher et même l’odorat. Pour éveiller leur sens dans les zones touristiques virtuelles du métavers, les utilisateurs devront donc être équipées de dispositifs visuels, sonores, haptiques, tactiles et olfactifs. En dehors du coût d’acquisition de ces derniers, l’usage de ces nouveaux dispositifs remet en question la perception des sens qu’entretient l’homme avec son environnement.</p>
<p>En reproduisant un décor touristique, le métavers forme un ensemble entre le dispositif, l’utilisateur qui se met dans la peau d’un touriste et les autres spectateurs. Bien que l’expérience soit virtuelle, les sens sont bien mis à contribution en stimulant certaines situations désirées mais non accessibles sur le moment. En permettant une pratique immersive, le casque de réalité virtuelle ou les capteurs haptiques permettraient de <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2016-1-page-188.htm#s1n4">vivre des choses jusque là intangibles</a> et de renouer avec la sensorialité. Par le biais de son avatar, l’utilisateur du métavers peut incarner un touriste en construisant virtuellement un parcours de visites, interagir avec d’autres avatars et par conséquent imaginer ce qu’ils ressentent, en stimulant ce que Giacomo Rizzolatti appelle les <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neurosciences/neurones-miroirs_9782738119247.php">neurones miroirs</a>.</p>
<h2>Des contraintes sociétales et environnementales</h2>
<p>Imités, reproduits ou simulés, il n’en reste que les voyages et les vacances représentent des pratiques touristiques qui représentent une coupure par rapport au quotidien. Ces moments sont aussi l’occasion pour certains de retrouver leurs proches ou de pratiquer des activités difficilement réalisables dans le cours habituel de la vie. Observer des animaux lors d’un safari, découvrir des sites archéologiques ou pratiquer une langue étrangère sont des activités qui produisent des sensations corporelles et spirituelles uniques, essentielles et différentes de celles produites virtuellement par les dispositifs du métavers.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/univers-paralleles-et-mondes-virtuels-la-guerre-des-metavers-est-commencee-169695">Univers parallèles et mondes virtuels : la guerre des métavers est commencée</a>
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<p>Par ailleurs, le métavers qui est en soi une évolution technologique d’Internet n’est pas encore aboutie. Il nécessite des investissements financiers et la construction d’un cadre réglementaire pour réguler les comportements des usagers. Car lorsque Mark Zuckerberg fait le souhait de créer un monde virtuel et alternatif dans lequel les utilisateurs pourront aussi voyager, il ne faut pas perdre de vue que ce sont également les données des utilisateurs qui seront mises à contribution. Et si certains observent le métavers comme une solution pour éviter de prendre l’avion et tendre vers un tourisme durable, la <a href="https://www.greenpeace.fr/la-pollution-numerique/#:%7E:text=La%20pollution%20num%C3%A9rique%20d%C3%A9signe%20toutes,biodiversit%C3%A9%2C%20production%20de%20d%C3%A9chets%20%C3%A9lectroniques.">pollution numérique</a> induite par celui-ci pourrait bien aller dans le sens contraire d’un tourisme vertueux.</p>
<p>Même si le tourisme dans le métavers ne pourra pas remplacer une expérience touristique vécue hors de chez soi, certains professionnels du tourisme pourraient en tirer profit afin de faire connaître des sites peu accessibles ou ignorés des touristes, qui les découvriront virtuellement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178490/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Naïma Aïdi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment le métavers pourrait-il s’emparer du tourisme, une pratique qui nécessitait jusqu’ici un déplacement physique ?Naïma Aïdi, Doctorante en sciences de l'information et de la communication, rattachée au laboratoire Dicen-IdF. Tourisme et Smart Tourisme, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1762942022-02-09T20:42:41Z2022-02-09T20:42:41ZQuel avenir pour le libre-échange en Afrique ?<p>La <a href="https://au.int/fr/treaties/accord-etablissant-la-zone-de-libre-echange-continentale-africaine">Zone de libre-échange continentale africaine</a> (ZLECAf) a été officiellement lancée le 1<sup>er</sup> janvier 2021. Cet instrument stratégique vise à soutenir les économies africaines, à favoriser leur développement et à faciliter leur intégration.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/afrique-les-conditions-de-reussite-de-la-zone-de-libre-echange-continentale-118564">Afrique : les conditions de réussite de la zone de libre‑échange continentale</a>
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<p>S’il est trop tôt pour dresser un bilan de son action, cet article entend examiner les bénéfices potentiels et les défis relatifs à la mise en place de cet accord.</p>
<h2>Pourquoi l’agenda « intégration régionale » a été relancé en 2018</h2>
<p>Entre 2000 et 2015, l’Afrique a bénéficié d’une croissance soutenue, portée par une forte vague d’investissements directs étrangers, et marquée par un <a href="https://www.cairn.info/l-economie-africaine-2020%E2%80%939782348057465-page-7.htm">net recul de la pauvreté</a>.</p>
<p>Cependant, il restait à intensifier une transformation structurelle permettant à la fois d’absorber le surplus de main-d’œuvre agricole, de réduire la dépendance du continent aux ressources naturelles et ainsi de lui garantir une <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-du-developpement-2016-2-page-19.htm">croissance moins vulnérable</a>. La chute des cours des matières premières depuis 2015 et son effet négatif sur la croissance du continent ont <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/08/30/la-chute-des-matieres-premieres-un-avertissement-pour-l-afrique_5348118_3212.html">réaffirmé cette nécessité</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AbYkj_5MvJE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Plusieurs facteurs sont susceptibles d’accélérer le changement structurel (urbanisation, infrastructures, etc.), dont l’intégration commerciale. En particulier, la nouvelle organisation du commerce international avec la segmentation des processus de production offre, on le pensait, des opportunités intéressantes pour développer un modèle basé sur l’intégration dans les <a href="https://www.atlantis-press.com/journals/jat/125951740">chaînes de valeur</a>.</p>
<p>En effet, les chaînes de valeur mondiales confèrent aux pays la possibilité de s’intégrer dans l’économie globale à un moindre coût en ne produisant que certains composants ou en n’accomplissant que certaines tâches. Cela leur permet de profiter de leurs <a href="https://ses.webclass.fr/notions/avantages-comparatifs/">avantages comparatifs</a>, tout en diversifiant et en sophistiquant leurs paniers d’exportations.</p>
<p>Cependant, en Afrique, le commerce avec le reste du monde reste très orienté sur les ressources naturelles, quand le commerce intra-Afrique repose davantage sur les biens transformés.</p>
<h2>À quoi ressemble l’intégration commerciale aujourd’hui en Afrique</h2>
<p>Il est primordial de distinguer le commerce intra-africain de celui avec le reste du monde. Les exportations infrarégionales sont en effet plus diversifiées et ont un contenu technologique plus important que les exportations vers le reste du monde. Les ressources naturelles représentent à elles seules 65 % des exportations africaines vers l’extérieur du continent (graphique 1).</p>
<p>D’après le rapport sur <a href="https://unctad.org/system/files/official-document/wir2020_overview_fr.pdf">l’investissement mondial</a>, 40 % des investissements directs étrangers en Afrique se font en direction des industries liées aux ressources naturelles, principalement dans le secteur minier. Ce dernier est doté d’une faible valeur ajoutée et est intensif en capital, ce qui a empêché le développement des chaînes de valeur mondiales dans le secteur manufacturier. Cela contraste fortement avec le commerce intra-Afrique qui repose davantage sur les biens manufacturiers (pour plus de la moitié), mais aussi agricoles (pour près de 20 %).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<a href="https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 1. Composition du commerce sur 1995-2018 (intra-africain et avec le reste du monde).</span>
<span class="attribution"><span class="source">calcul des auteurs à partir de la base World Integrated Trade Solution 2021 (Banque mondiale)</span></span>
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<h2>Renforcer l’intégration régionale permettrait de développer des chaînes de valeur régionales, puis mondiales</h2>
<p>Le commerce infrarégional ne représente <a href="https://unctad.org/system/files/official-document/wir2019_overview_fr.pdf">que 15 % du commerce total en Afrique</a>, contre plus de 60 % sur autres continents. Les communautés économiques régionales existantes présentent un degré d’intégration encore trop faible (Graphique 2), car elles se concentrent principalement sur la baisse des tarifs douaniers sans proposer de réduire les autres obstacles au commerce et sans lier la politique commerciale des pays à leur politique industrielle.</p>
<p>Or il existe donc à présent cette communauté économique continentale (déjà évoquée dans les annexes du <a href="http://cdi.lyon3.free.fr/doc/CEATraite%20abuja%201991.pdf">traité d’Abuja de 1991</a> sur l’intégration régionale et relancée par <a href="https://au.int/sites/default/files/documents/36204-doc-agenda2063_popular_version_fr.pdf">l’Agenda UA 2063</a>) qui pourrait faciliter le commerce intra-africain en permettant une meilleure intégration des économies du continent dans les chaînes de valeur.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Graphique 2. Commerce intra-Afrique en 2019 (en pourcentage du commerce total).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Calcul des auteurs avec les données d’UnctadStat2019 (CNUCED)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Regardons d’abord le contenu car s’il est trop tôt pour dresser un bilan, on peut tout de même s’interroger sur la <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/zlecaf-lafrique-a-t-elle-les-moyens-de-ses-ambitions/2492956">capacité de ce dispositif</a> à soutenir les performances économiques des pays du continent.</p>
<p>On constate que la ZLECAf entend prendre en charge les sujets déterminants pour l’intégration dans les chaînes de valeur, ceux qui n’ont jamais ou rarement été abordés dans les précédents accords régionaux du continent. L’accord propose des protocoles afin que les 54 pays s’entendent sur différentes règles de commerce liées aux normes des produits, des services, de l’e-commerce, des droits de propriété intellectuelle, de la concurrence et de l’investissement. L’objectif étant de ne pas être un simple accord commercial, mais un instrument stratégique pour le développement et l’intégration de l’Afrique.</p>
<p>Les secteurs fréquemment cités comme potentiels bénéficiaires de ce nouveau cadre se situent principalement dans l’industrie, puis dans les services et enfin dans l’agriculture. L’agro-industrie pourrait se développer au niveau régional, en particulier si les pays parviennent à s’accorder sur les normes sanitaires et phytosanitaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-bd-pour-se-familiariser-a-lagroecologie-174050">Une BD pour se familiariser à l’agroécologie</a>
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<p><a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200604-l-industrie-pharmaceutique-africaine-en-qu%C3%AAte-souffle">L’émergence du secteur pharmaceutique</a>, apparue nécessaire avec la pandémie Covid-19, dépendra également du progrès sur le chapitre des normes phytosanitaires, mais aussi des accords sur le protocole des droits de propriété intellectuelle. Le secteur du textile pourrait voir se réaliser sur le continent l’entièreté du cycle de production des vêtements, si les pays s’entendent sur les règles d’origine des biens et sur le protocole régissant les investissements.</p>
<p>Les attentes sont également importantes dans les cinq secteurs des services inclus dans l’accord et plus particulièrement pour les services aux entreprises, le tourisme, mais aussi les transports. Les résultats dans ces secteurs seront aussi dépendants des progrès sur les annexes de l’accord liées à la libre circulation des personnes et des protocoles d’accord sur l’investissement et le commerce électronique.</p>
<p>L’étude de la <a href="https://www.worldbank.org/en/topic/trade/publication/the-african-continental-free-trade-area">Banque mondiale</a> indique que la demande de services à des fins d’exportation de biens devrait également progresser et bénéficier de l’instauration de la zone de libre-échange.</p>
<h2>Les défis de l’intégration régionale et de la ZLECAf</h2>
<p>Néanmoins, il faudra relever certains défis afin que la ZLECAf tienne ses promesses de développement économique et parachève cet objectif d’intégration avec des politiques d’accompagnement pour aboutir à une <a href="https://www.collectionreperes.com/l_economie_africaine_2022-9782348073601">transformation structurelle</a> au bénéfice du plus grand nombre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1472099363023376390"}"></div></p>
<ul>
<li><em>Trouver des terrains d’entente entre les 54 États membres</em></li>
</ul>
<p><a href="https://accounts.google.com/b/0/AddMailService">L’agenda UA 2063</a> porte en lui trois objectifs difficilement compatibles pour la mise en place de la ZLECAf. Ces trois objectifs sont une intégration profonde, une large adhésion de pays et une solidarité panafricaine. Cela forme ce que de <a href="https://www.afdb.org/ar/documents/working-paper-342-market-integration-across-africaprogress-and-challenges-ahead"><em>Melo et al</em></a>. appelle le « trilemme » de l’intégration régionale en Afrique. Trouver un équilibre entre un accord avec le maximum de membres hétérogènes et avancer en profondeur sur des questions sensibles tout en offrant un traitement plus favorable aux pays le moins avancés sera déterminant.</p>
<p><em>Gérer l’harmonisation avec les accords régionaux existants sur le continent</em></p>
<p>L’agenda d’intégration régionale ayant été lancé il y a presque trente ans, les pays de l’Union africaine adhèrent à des communautés économiques régionales (CER), qui ont déjà leurs propres règles, et parfois à des organisations (type unions douanières) qui comprennent un niveau d’intégration supérieur à celui de la zone de libre-échange. Il faudra que les CER harmonisent leurs règles de fonctionnement pour être au maximum en cohérence avec celles de la ZLECAf.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-dilemme-des-etats-africains-entre-besoin-dinvestir-et-risque-de-surendettement-131720">Le dilemme des États africains : entre besoin d’investir et risque de surendettement</a>
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<p>La mise en place de la ZLECAf créera des gagnants et des perdants au sein de chaque pays et entre les différents États membres. Un mécanisme de compensation est prévu, mais rien n’est encore élaboré. Nul doute que de la mise en place effective de cet accord dépendra la satisfaction des États membres vis-à-vis de ce mécanisme. Le secrétariat de la ZLECAf anticipe déjà de proposer de l’assistance auprès de chaque État membre pour établir des politiques d’accompagnement, afin d’offrir des compensations à ceux qui bénéficieront le moins économiquement de cet accord. Cela sera nécessaire afin d’éviter des blocages des pays signataires.</p>
<p>Surtout, les ambitions suscitées et les aspirations énoncées par la ZLECAf ne peuvent se concrétiser sans une vraie transformation structurelle – inclusive – des économies africaines. Il faudra d’autres réformes et des politiques d’accompagnement en lien avec les Objectifs de développement durable au niveau national et continental (infrastructures, transformation numérique, énergies renouvelables, genre, éducation) afin que la ZLECAf serve effectivement à la transformation structurelle en faveur d’une plus grande productivité, d’une meilleure croissance et de création d’emplois décents, entre autres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176294/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Gourdon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un an après la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine, quels bénéfices a-t-elle déjà apportés et à quels défis est-elle confrontée ?Julien Gourdon, Economiste, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1742932022-01-03T20:06:38Z2022-01-03T20:06:38ZLa crise du Covid-19 ouvre-t-elle la voie à une mondialisation moins débridée ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/439165/original/file-20220103-19-99cuyx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=346%2C208%2C1698%2C1152&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La part des Français qui estiment que la mondialisation constitue une menace pour la France est passée de 49&nbsp;% en 2017 à 60&nbsp;% en septembre 2020.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/91261194@N06/49753752766">Jernej Furman / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Isabelle Bensidoun, co-auteure de <a href="https://www.arenes.fr/livre/la-folle-histoire-de-la-mondialisation/">« La folle histoire de la mondialisation »</a> (Éditions Les Arènes) et adjointe au directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), détaille l’impact du choc sanitaire sur la dynamique de la mondialisation après quasiment deux ans de crise. Elle répond aux questions de Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences en économie (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).</em></p>
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<p><strong>La crise sanitaire a fait prendre conscience des vulnérabilités que nos interdépendances occasionnent. Cela va-t-il changer le cours de la mondialisation ?</strong></p>
<p>Lorsque la crise du Covid est venue braquer le projecteur sur notre dépendance pour des produits essentiels comme les médicaments ou les masques, que nos libertés et notre santé ont été percutées lorsque ces produits ont commencé à manquer, les interdépendances qui étaient autrefois louées sont effectivement apparues comme des sources de vulnérabilités à corriger.</p>
<p>D’ailleurs, la <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/les-fractures-francaises-2020.html">défiance à l’égard de la mondialisation s’est fortement accrue</a> : la part des Français qui estiment que la mondialisation constitue une menace pour la France est passée de 49 % en 2017 à 60 % en septembre 2020, et 65 % considèrent désormais que la France devrait se protéger davantage, contre 53 % en 2017.</p>
<p>Mais le cours de la mondialisation avait déjà changé avant la crise sanitaire.</p>
<p>À l’hypermondialisation, qui régnait dans les années 1990 et 2000, avait succédé depuis la crise financière de 2007-2009 une période que l’on qualifie de « moudialisation » : une période où la dynamique des flux commerciaux et surtout financiers a marqué le pas, comme le montre l’indicateur du taux d’ouverture dans le graphique ci-dessous. Les certitudes quant aux bienfaits de la mondialisation avaient aussi été déjà bousculées.</p>
<p><iframe id="hsgLN" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/hsgLN/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ainsi en est-il de l’idée que les pertes d’emploi dans l’industrie étaient avant tout causées par le <a href="http://gc.cuny.edu/CUNY_GC/media/LISCenter/pkrugman/PK_globalization.pdf">progrès technique plutôt que par le commerce</a>. À cet égard, en montrant que les importations en provenance de Chine étaient responsables d’une part non négligeable des emplois détruits dans l’industrie américaine et que ces effets étaient <a href="https://www.brookings.edu/bpea-articles/on-the-persistence-of-the-china-shock/">durables</a>, les travaux de l’économiste américain David Autor et ses co-auteurs ont sérieusement changé la donne.</p>
<p>Ensuite, les inégalités, qui pendant longtemps étaient considérées comme <a href="https://www.academia.edu/15127821/Why_We_All_Do_Care_About_Inequality_But_Are_Loath_to_Admit_It_">secondaires par rapport à la pauvreté</a>, sont devenues un sujet de préoccupation pour les organisations internationales. Une évolution bienvenue, car si la mondialisation s’est traduite par une chute de la pauvreté dans le monde, elle s’est aussi accompagnée d’un <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/panorama/abstract.asp?NoDoc=12184">accroissement des inégalités</a> dans de nombreux pays.</p>
<p>Quant à la présidence de Donald Trump aux États-Unis, elle a sérieusement secoué l’approche libre-échangiste en n’y allant pas de main morte <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/em/abstract.asp?NoDoc=12311">avec le protectionnisme</a>. Le Brexit, tout comme la montée des votes populistes, a également souligné que la libéralisation commerciale était désormais perçue comme mettant en péril la souveraineté nationale et que la mondialisation n’avait pas été heureuse pour tout le monde.</p>
<p><strong>Si les années 2010 ont vu l’hypermondialisation s’interrompre et que la crise actuelle accentue la perception des fragilités que la mondialisation produit, est-ce à dire que l’on entre dans une nouvelle ère de la mondialisation, moins débridée, plus encadrée ?</strong></p>
<p>Assurément. Car la mondialisation est avant tout la résultante de choix politiques qui vont soit la stimuler, comme à partir du début des années 1980 lorsque s’est imposée l’idée qu’il n’y avait pas d’alternative à une libéralisation toujours plus poussée des flux commerciaux et financiers, soit, au contraire, l’encadrer.</p>
<p>Or, il me semble que le choix politique penche aujourd’hui vers plus d’encadrement ou, pour le dire autrement, que l’ordre des priorités est en train de changer. L’ouverture n’est plus considérée comme une fin en soi et plusieurs changements sont perceptibles.</p>
<p>D’abord, la refonte au niveau international de la fiscalité des entreprises multinationales, sur laquelle l’OCDE travaillait depuis qu’elle avait été mandatée par le G20 en 2013, a finalement aboutie.</p>
<p>Avec <a href="https://theconversation.com/pour-vraiment-taxer-les-entreprises-multinationales-une-reforme-suffit-elle-172417">l’accord sur la taxation des multinationales</a> signé en octobre 2021, les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales, qui occasionnent des pertes annuelles de recettes budgétaires estimées à au moins <a href="https://taxjustice.net/reports/the-state-of-tax-justice-2020/">245 milliards de dollars</a> au niveau mondial, pourraient bien prendre du plomb dans l’aile. <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/wp/abstract.asp?NoDoc=12643">L’un des moteurs de la mondialisation financière</a> pourrait ainsi se trouver sérieusement grippé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-vraiment-taxer-les-entreprises-multinationales-une-reforme-suffit-elle-172417">Pour vraiment taxer les entreprises multinationales, une réforme suffit-elle ?</a>
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<p>Ensuite, les politiques industrielles, largement décriées jusqu’il y a peu, reviennent sur le devant de la scène pour assurer <a href="http://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=902">souveraineté économique</a>, autonomie stratégique et transition écologique.</p>
<p>Enfin, la pandémie a pu agir comme un accélérateur de changement face à l’urgence climatique. Parce qu’elle est venue souligner le dérèglement de nos rapports à la nature et nous rappeler notre vulnérabilité, elle a provoqué un tournant dans la prise de conscience qu’il fallait sauver le climat. Aussi, pour pouvoir mettre en œuvre des politiques climatiques ambitieuses, un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_21_3661">mécanisme d’ajustement carbone aux frontières</a> a été proposé par l’Union européenne en juillet 2021, et le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni pourraient lui emboîter le pas.</p>
<p><strong>Sur quoi tout cela pourrait-il déboucher ?</strong></p>
<p>Il est encore trop tôt pour le savoir, mais on est clairement dans un nouveau moment de la mondialisation : celui où le consensus de Washington, qui privilégiait privatisations, libéralisation, moins d’État en quelque sorte, vacille.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.arenes.fr/livre/la-folle-histoire-de-la-mondialisation/">Éditions Les Arènes</a></span>
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<p>En juin 2021, le groupe d’experts du G7 a recommandé de le remplacer par le <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/cornwall-consensus-rebuilding-global-governance-by-mariana-mazzucato-2021-10">consensus de Cornwell</a>, <a href="https://www.g7uk.org/economic-resilience-panel/">fondé au contraire sur un renforcement du rôle des États</a> pour atteindre des objectifs sociétaux, renforcer la solidarité internationale et réformer la gouvernance mondiale dans l’intérêt du bien commun. Une approche bien différente de celle qui prévalait jusque-là, mais qui ne pourra vraiment se concrétiser que si la volonté politique est au rendez-vous.</p>
<p>Pour le moment, pas de déclarations fracassantes en ce sens ! La campagne présidentielle mériterait pourtant de placer ces sujets au cœur des débats. Car ce sont bien les engagements qui seront pris en la matière qui dessineront les contours de la mondialisation de demain et la place que la France y occupera.</p>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne » un partenariat CEPII – The Conversation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jézabel Couppey-Soubeyran est membre de l'Institut Veblen. Elle a reçu des financements de la Chaire énergie et prospérité. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Isabelle Bensidoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fiscalité, politique industrielle, climat… Les choix politiques actuels diffèrent de plus en plus de ceux qui favorisent les échanges internationaux depuis les années 1980.Isabelle Bensidoun, Adjointe au directeur, CEPIIJézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718502021-11-16T18:50:35Z2021-11-16T18:50:35ZFaut-il redouter une aggravation des déséquilibres de l’économie mondiale post-Covid ?<p>L’intensification de la <a href="https://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique-2002-1-page-115.htm">globalisation des économies</a> et de l’intégration des marchés financiers au niveau international ont favorisé l’émergence, l’accroissement et la persistance des déséquilibres de l’économie mondiale. Lorsqu’ils sont durablement <a href="https://www.imf.org/external/french/np/blog/2018/072418f.htm">excessifs</a>, c’est-à-dire déconnectés des fondamentaux économiques censés guider leur évolution, ces déséquilibres deviennent une menace pour l’économie mondiale et sa stabilité, notamment au niveau financier.</p>
<p>Pour nombre d’économistes, tels l’Italien <a href="https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2008/html/sp081209.en.html">Lorenzo Bini Smaghi</a> ou les Américains <a href="https://eml.berkeley.edu/%7Eobstfeld/santabarbara.pdf">Maurice Obstfeld et Kenneth Rogoff</a>, ces déséquilibres étaient ainsi à l’origine de la crise économique et financière de 2007-2008. Le suivi de l’évolution de ces déséquilibres mondiaux et de leur niveau, resté élevé malgré les efforts visant à les réduire, fait donc l’objet de toutes les attentions de la part de la communauté internationale.</p>
<p>À l’heure actuelle, la question est d’autant plus préoccupante que la crise du Covid-19 s’est accompagnée de <a href="https://theconversation.com/plan-biden-relance-americaine-consequences-mondiales-161370">déficits budgétaires monstres</a> dans de nombreux pays développés. Si le spectre de déséquilibres mondiaux massifs surgit à nouveau aujourd’hui, faut-il vraiment les craindre ?</p>
<h2>La communauté internationale mobilisée</h2>
<p>Sous l’impulsion de la globalisation des économies à partir des années 1990, certains pays comme les États-Unis ont accumulé des déficits de transactions courantes explosifs tandis que d’autres – Japon, pays émergents d’Asie de l’Est et certains pays exportateurs de pétrole – enregistraient des excédents courants presque insolents.</p>
<p>Ces déséquilibres des comptes de transactions courantes, qualifiés de déséquilibres globaux ou mondiaux, sont mesurés par la somme, en valeur absolue, des excédents et déficits du solde des transactions courantes à l’échelle mondiale. Alors qu’ils représentaient, selon les données du Fonds monétaire international (FMI), seulement 2 % du produit intérieur brut (PIB) mondial au début des années 1990, ils ont augmenté continuellement pour atteindre <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO">5,5 % du PIB mondial en 2006</a>.</p>
<p>Le solde des transactions courantes pouvant également être exprimé comme la différence entre l’épargne et l’investissement, les déséquilibres globaux sont aussi le reflet des besoins et des capacités de financement des économies à travers le monde. L’épargne des pays excédentaires ayant fortement alimenté la bulle immobilière américaine des années 2000, les déséquilibres mondiaux sont ainsi accusés d’avoir fortement contribué à la crise économique et financière de 2007-2008.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1397639006700048384"}"></div></p>
<p>Si cette crise financière a mis un coup d’arrêt à la progression des déséquilibres mondiaux, la communauté internationale s’est aussi mobilisée depuis cette date, notamment à travers les sommets du G20, pour tenter de contenir leur niveau.</p>
<p>Les déséquilibres globaux sont le fait de pays débiteurs (respectivement créditeurs), acteurs de l’amplification des déficits (respectivement des excédents) mondiaux des transactions courantes. Les premiers absorbent l’essentiel de l’épargne mondiale, tandis que les seconds l’alimentent.</p>
<p>Les États-Unis sont de loin le <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO">principal acteur des déficits mondiaux</a> (voir graphique 1). À eux seuls, ils représentaient les deux tiers des déficits des transactions mondiales avant la crise financière, entre 2000 et 2006. Cette part a néanmoins baissé depuis 2007, se situant autour de 38 % en moyenne sur la période 2007-2019. Le Royaume-Uni se place au deuxième rang des principaux débiteurs depuis 2000, avec une contribution moyenne de 8 % aux déficits mondiaux des transactions courantes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/431923/original/file-20211115-15-nmcjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431923/original/file-20211115-15-nmcjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431923/original/file-20211115-15-nmcjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431923/original/file-20211115-15-nmcjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431923/original/file-20211115-15-nmcjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431923/original/file-20211115-15-nmcjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431923/original/file-20211115-15-nmcjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431923/original/file-20211115-15-nmcjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 1 : Contributions aux déséquilibres globaux (solde des transactions courantes, en milliards de dollars américains). Notes : PEP = Pays exportateurs de pétrole, USA = États-Unis, UK = Royaume-Uni, BIT = Brésil-Inde-Turquie, Déficits = Déficits mondiaux, Excédents = Excédents mondiaux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Calculs des auteurs à partir des données issues du FMI</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’inverse, les excédents des transactions courantes sont principalement le fait du trio Allemagne-Chine-Japon dont les contributions, au cours des deux dernières décennies, ont été respectivement de 15,2 %, 12,7 % et 12,3 % (voir graphique 1). Depuis 2011, l’Allemagne se situe en tête de peloton et compte pour 20 % des excédents courants mondiaux depuis 2015. Les grands pays pétroliers comme la Russie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, sont aussi des acteurs significatifs de ces excédents mondiaux.</p>
<h2>Rupture européenne</h2>
<p>Avant la crise financière de 2007-2008, l’Union européenne dans son ensemble (Europe des Vingt-Sept) ne jouait qu’un rôle marginal dans les déséquilibres globaux, et ce, malgré la dynamique excédentaire de l’économie allemande dès 2002. La <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-sophie-piton-la-zone-euro-a-t-elle-perdu-lequilibre-74815">rupture</a> intervient en 2008, alors que le déficit des transactions courantes des 27 États membres s’élevait à 120 milliards de dollars américains (334 milliards hors Allemagne).</p>
<p>Depuis, le solde des transactions courantes de l’UE n’a cessé de grimper pour atteindre, après un léger fléchissement, un excédent de 450 milliards de dollars américains (160 milliards, hors Allemagne) en 2019, avant la crise du Covid-19 (voir graphique 2). Ainsi, avec sa locomotive allemande, l’UE a financé 30 % des besoins de financement à l’échelle mondiale entre 2012 et 2020.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/431925/original/file-20211115-27-c3j9zn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431925/original/file-20211115-27-c3j9zn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431925/original/file-20211115-27-c3j9zn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431925/original/file-20211115-27-c3j9zn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431925/original/file-20211115-27-c3j9zn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431925/original/file-20211115-27-c3j9zn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431925/original/file-20211115-27-c3j9zn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431925/original/file-20211115-27-c3j9zn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 2 : Dynamique du solde des transactions courantes de l’Europe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Calculs des auteurs à partir des données issues du FMI</span></span>
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</figure>
<p>Outre l’Allemagne, cette nouvelle dynamique est portée par les Pays-Bas, l’Italie et, dans une moindre mesure, le Danemark, l’Espagne et la Suède. Cette tendance <a href="https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2021/10/12/world-economic-outlook-october-2021">devrait se poursuivre</a> pour l’Union européenne, selon les données du FMI sur les perspectives de l’économie mondiale.</p>
<h2>Effet Covid</h2>
<p>En 2019, les déséquilibres de l’économie mondiale représentaient 2,8 % du PIB mondial, soit le plus bas niveau observé depuis les 20 dernières années. La correction entamée depuis la crise financière de 2007-2008 y a fortement contribué.</p>
<p>Cependant, ces déséquilibres pourraient à nouveau s’emballer sous l’impulsion de plusieurs facteurs : les déficits budgétaires considérables occasionnés par les dépenses publiques en réponse à la crise du Covid-19 et ses conséquences, la reprise du commerce international et le rebond de l’activité économique mondiale.</p>
<p>Pourtant, selon les données du FMI, les déséquilibres globaux <a href="https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2021/10/12/world-economic-outlook-october-2021">devraient rester contenus</a> malgré une dynamique haussière depuis 2019. Ils devraient ainsi représenter, en 2020, 3,15 % et, en 2021, 3,26 % du PIB mondial, avant qu’une nouvelle baisse ne s’installe à partir de l’année 2022.</p>
<p>Si l’ampleur actuelle des déséquilibres globaux reste sans commune mesure avec celle qui prévalait avant la crise financière de 2007-2008, les tendances des déficits budgétaires, y compris celles observées avant la crise du Covid-19, peuvent être source d’inquiétude. En effet, alors que le solde des transactions courantes est globalement équilibré au niveau international sur les deux dernières décennies, les déficits budgétaires mondiaux, portés par le déficit américain, ont explosé.</p>
<p>Passés de moins de 1 % du PIB mondial en 2000 à 3,6 % en 2019, ils ont, sous l’effet de la crise, dépassé la barre des 10 % en 2020. Bien qu’une correction soit attendue à partir de l’année 2021, les déséquilibres budgétaires devraient rester largement supérieurs à 3 % du PIB mondial en raison du rôle sans cesse accru des marchés financiers et des acteurs privés dans le financement des déficits publics. Dans un contexte d’incertitude exacerbée sur les marchés financiers mondiaux, une telle situation, si elle perdure, pourrait être préjudiciable pour les pays débiteurs.</p>
<h2>Comment contenir ces déséquilibres ?</h2>
<p>Si la crise financière de 2007-2008 avait réduit l’ampleur du déficit courant américain, la crise liée à la pandémie de Covid-19 l’a accentuée depuis 2020. L’inversion de cette tendance pourrait impliquer une baisse du dollar ; une dépréciation de la devise américaine permettant en effet aux États-Unis de dégager des excédents et de rembourser leur dette extérieure.</p>
<p>Au niveau européen, un accroissement des dépenses d’investissement dans les pays excédentaires comme l’Allemagne permettrait de relancer la demande interne. Un tel scénario pourrait également s’appliquer dans le cas du Japon en vue de limiter ses excédents de transactions courantes.</p>
<p>L’évolution du cours de la devise chinoise mérite aussi d’être suivie avec attention. L’appréciation du yuan depuis 2011 a en effet contribué à la résorption des déséquilibres globaux au cours des dernières années. En laissant les marchés déterminer le cours de sa monnaie, la Chine pourrait ainsi jouer un rôle clé dans la maîtrise des déséquilibres mondiaux à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171850/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Mignon est conseiller scientifique au CEPII, membre du Cercle des économistes et présidente de la section 05 (sciences économiques) du CNU.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Blaise Gnimassoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les dépenses publiques pour faire face à la crise pourraient infléchir la trajectoire de correction des écarts entre les pays excédentaires et les pays déficitaires.Valérie Mignon, Professeure en économie, Chercheure à EconomiX-CNRS, Conseiller scientifique au CEPII, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresBlaise Gnimassoun, Maître de conférences en sciences économiques, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1641022021-07-08T17:46:29Z2021-07-08T17:46:29ZRenommer un stade : opportunité économique, défi linguistique<p>Le 19 avril 2021, le football européen a été frappé par un séisme comme il n’en avait jamais connu auparavant, avec l’annonce de <a href="https://www.economist.com/britain/2021/04/22/boris-gives-the-european-super-league-the-boot">douze grands clubs européens</a> de leur sécession de la compétition reine du football en Europe, la Ligue des champions. Ceux-ci proposaient comme alternative une Super League européenne.</p>
<p>Les défenseurs du projet, en particulier Florentino Pérez et Andrea Agnelli, respectivement présidents du Real Madrid et de la Juventus de Turin, mettaient notamment en avant les profits que pouvait générer cette nouvelle compétition. Elle aurait été financée pour un montant de 3,25 milliards d’euros par la banque d’investissement américaine JP Morgan Chase, avec un retour sur investissement pour les clubs participants estimés <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/super-league-la-banque-americaine-jp-morgan-prete-a-financer-le-foot-business-1308115">entre 200 et 300 millions d’euros</a>.</p>
<p>Le projet a toutefois été abandonné moins de deux jours plus tard, en raison de la réaction de deux acteurs majeurs : les <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2021/05/02/football-des-supporteurs-envahissent-la-pelouse-du-stade-de-manchester-united-avant-le-match-contre-liverpool_6078851_3242.html">supporters</a> et les <a href="https://www.economist.com/britain/2021/04/22/boris-gives-the-european-super-league-the-boot">hommes politiques</a>. Des médias en venaient même à parler de « guerre », à l’instar d’<a href="https://elpais.com/deportes/2021-04-18/la-uefa-amenaza-con-sanciones-a-los-clubes-que-apoyen-la-superliga.html"><em>El Pais</em></a> en Espagne.</p>
<p>Reste que le football européen poursuit ainsi depuis 1995 et <a href="https://www.rtbf.be/info/regions/liege/detail_il-y-a-20-ans-l-arret-bosman-revolutionnait-le-football-professionnel-et-le-marche-des-transferts?id=9165082">l’arrêt Bosman</a>, source de l’emballement du marché des transferts, la voie de la <a href="https://doi.org/10.30950/jcer.v16i3.1089">mondialisation économique et financière</a>. L’écosystème et le modèle économique du football professionnel impliquent de générer de nouveaux revenus pour <a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-94-6265-120-3">faire face aux dépenses massives</a> des clubs en termes de masse salariale et de transfert.</p>
<p>Dans ce contexte, la pratique du <em>naming</em>, changer le nom des stades de foot pour y associer un sponsor, s’avère particulièrement intéressante. Outre un choix économique, nos <a href="http://www.theses.fr/2021UBFCH002">réflexions</a> invitent aussi à les considérer comme une décision linguistique aux implications sociales non négligeables. Elle mérite ainsi une réflexion particulière pour les entreprises désireuses de sponsoriser des enceintes.</p>
<h2>Acceptabilité des changements</h2>
<p>En Allemagne, douze stades ont été reconstruits, ou bien entièrement rénovés, pour la Coupe du monde 2006. Seuls trois d’entre eux n’avaient pas vendu à l’avance leurs <a href="https://www.sponsors.de/news/themen/arena-namensrechte">droits de dénomination</a> à des sponsors. Ce fut la même chose en France lorsqu’elle a accueilli le championnat d’Europe en 2016 : <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/sport/football/stades-euro-2016_1770347.html">quatre stades parmi les dix</a> construits ou rénovés ont vendu leurs droits de dénomination à des sponsors, à l’image de l’emblématique stade de Marseille devenu Orange Vélodrome. Tous les stades sélectionnés pour les <a href="https://www.kicker.de/in_diesen_stadien_wird_bei_der_em_2024_gespielt-701381/slideshow">championnats d’Europe de 2024</a>, qui se dérouleront en Allemagne, sont, eux, concernés.</p>
<iframe title="Principales enceintes sportives portant le nom d’un sponsor en France" aria-label="Carte" id="datawrapper-chart-FvQxY" src="https://datawrapper.dwcdn.net/FvQxY/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="655" width="100%"></iframe>
<p>Si la pratique résulte avant tout d’une décision économique, les noms retenus et leur utilisation dans la vie quotidienne disent quelque chose de la <a href="https://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780199656431.001.0001/oxfordhb-9780199656431-e-48">nature d’une société</a>. Les noms générés à partir d’une structure « internationale » telle que X + Arena, comme l’Allianz Arena de Munich en Allemagne, vise à toucher un public cosmopolite et consommateur.</p>
<p>Ils se distinguent de la structure française Stade + X comme « Stade de la Beaujoire » à Nantes, avec des noms renvoyant à un patrimoine historique. Ceux-ci renvoient davantage à un <a href="https://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780199656431.001.0001/oxfordhb-9780199656431-e-16">communautarisme traditionnel</a>.</p>
<p>Après changement, ces nouveaux noms finissent par se « fossiliser » et par se « figer ». Cela devient même le <a href="https://www.frank-timme.de/verlag/verlagsprogramm/buch/page/10/verlagsprogramm/bd-105-laurent-gautier-ed-figement-et-discours-specialises/backPID/forum-fuer-fachsprachen-forschung.html">principe premier de ces dénominations</a> qu’il faut envisager comme des « <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02966463">constructions</a> ».</p>
<p>En français, la forme [SPONSOR]+[STADE] ne semble pas poser de problème sur le plan du sens. Elle reste davantage questionnable au regard de l’acceptabilité de ces changements de nom par les locuteurs.</p>
<h2><em>Cosmopolitans</em> et <em>communitarians</em></h2>
<p>Celle-ci dépend largement des usagers, c’est-à-dire des supporters de foot eux-mêmes. Un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0193723502261003?journalCode=jssa">papier de recherche</a> propose une typologie qui articule deux dimensions. Le premier axe, qui oppose tenant de la tradition et consommateur mesure l’investissement personnel de l’individu vis-à-vis de son club. Le deuxième met l’accent sur l’intensité de l’identification et de la solidarité avec son club.</p>
<p>Les traditionalistes locaux acharnés, que Richard Giulianotti, auteur de la typologie, appelle « supporters », développent une <a href="https://www.jstor.org/stable/10.3366/j.ctvxcrx4v">relation étroite avec leur stade</a> comme localité emblématique. Ils interprètent un re-naming comme une menace directe pour leur identité collective.</p>
<p>Nous avons pu <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/10126902211028147">affiner cette typologie</a> au moyen d’une enquête en ligne auprès de près de 3000 fans de toute l’Europe. Ceux-ci peuvent désormais être divisés en deux catégories principales : ceux qui sont favorables à la mondialisation, et que nous appelons « cosmopolitans », et ceux qui s’identifient plutôt à la communauté locale, que nous les appelons « communitarians ».</p>
<h2>Concilier tradition et nécessité financière</h2>
<p>Apparaît ainsi, au moins de façon latente, une tension au sein des supporters d’une même équipe. Les clubs et leurs sponsors utilisent alors une variété de stratégies pour résoudre ce conflit.</p>
<p><a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/02723638.2018.1446585">Des discours critiques</a> des supporters sur une possible dénomination de leur stade ont notamment été analysés par des confrères dans l’espace métropolitain du Grand Manchester (Manchester et neuf communes environnantes). Ils montrent que les conflits s’atténuent lorsque les membres de la communauté locale se trouvent inclus dans le processus de dénomination.</p>
<p>Les enquêtes directes auprès des groupes de supporters ont souvent produit leurs effets. C’est ainsi que les <a href="https://www.stadiumguide.com/vallecas">supporters du Rayo Vallecano</a>, club madrilène, ont redonné à leur stade son nom original « Estadio de Vallecas », alors qu’il avait pris le nom « Estadio Teresa Rivero » entre 2004 et 2011, en référence à la présidente du club.</p>
<p>Un autre cas très intéressant est celui du <a href="https://www.welt.de/regionales/hamburg/article192411315/Kuehne-kauft-Namensrechte-Der-HSV-spielt-auch-weiter-im-Volksparkstadion.html">stade de Hambourg</a>. Après avoir été rebaptisé plusieurs fois – « AOL Arena » (2001-2007), « HSH Nordbank Arena » (2007-2010), « Imtech Arena » (2010-2015) – le supporter et mécène Michael Kühne a acheté les droits de dénomination et a redonné au stade son nom d’origine – « Volksparkstadion ».</p>
<p>En France, le nouveau nom Orange Vélodrome montre que la tradition et la nécessité financière <a href="https://www.lefigaro.fr/le-scan-sport/buzz/2016/10/04/27002-20161004ARTFIG00072-naming-pourquoi-orange-a-choisi-le-velodrome.php">peuvent être combinées</a>, tant sur le plan linguistique qu’économique.</p>
<p>Le projet de recherche que nous menons actuellement vise ainsi à analyser les nouveaux noms de stades sur un plan linguistique pour identifier convergences et divergences selon les pays, le contexte économique et discursif des clubs, le tout en prenant en compte la réaction des supporters de chaque équipe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164102/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Matthieu Bach est membre de la SATT SAYENS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Florian Koch, Javier Fernández-Cruz, Laurent Gautier et Matthieu Llorca ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Source de revenus pour les clubs, associer un sponsor au nom d’un stade ne reçoit pas toujours la bénédiction des supporters, partagés entre tenant de la tradition et défenseurs de la mondialisation.Laurent Gautier, Professeur des Universités en linguistique allemande et appliquée, Université de Bourgogne – UBFCFlorian Koch, Maitre de conférences, UFR Langues et communication, Université de Bourgogne – UBFCJavier Fernández-Cruz, Doctor en Lingüística, Departamento de Filología Inglesa Francesa y Alemana, Universidad de MálagaMatthieu Bach, Docteur en Etudes Germaniques, Université de Bourgogne – UBFCMatthieu Llorca, Maitre de conférences en économie, spécialiste des politiques économiques, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.