tag:theconversation.com,2011:/us/topics/mythologie-21929/articlesmythologie – The Conversation2024-03-18T15:33:49Ztag:theconversation.com,2011:article/2238992024-03-18T15:33:49Z2024-03-18T15:33:49ZLe médiévalisme dans la haute couture, de Paco Rabanne à Alexander McQueen<p>Si la mode médiévale s’infiltre aujourd’hui <a href="https://theconversation.com/litterature-series-tele-architecture-cet-engouement-pour-le-moyen-age-qui-nous-vient-du-xix-si%C3%A8cle-218442">dans tous les domaines ou presque</a>, sa présence persistante dans le monde de la haute couture n’a pas encore fait l’objet de recherches approfondies.</p>
<p>Il existe certes, dans la mode, un Moyen Âge fantasmatique passé <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/le-preraphaelisme-en-2-minutes/">à la moulinette préraphaélite</a>, comme en témoigne la collection automne-hiver 2013-2014 de <a href="https://couturenotebook.com/best-haute-couture-blog/2013/07/15/franck-sorbier-fw-2013-revisiting-the-middle-ages">Franck Sorbier</a>, inspiré d’une imagerie du XIX<sup>e</sup> siècle, où les mannequins évoquent la dame d’Escalot <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_Shalott_(Waterhouse)">immortalisée par le peintre John William Waterhouse en 1888</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">John William Waterhouse, The Lady of Shalott.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_Shalott#/media/Fichier:John_William_Waterhouse_-_The_Lady_of_Shalott_-_Google_Art_Project.jpg">Google Art Project</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais il est un autre Moyen Âge, queer et rétrofuturiste celui-ci, qui brouille les frontières des genres et s’est développé bien avant l’engouement suscité par <em>Game of Thrones</em>, chez deux stylistes en particulier, Paco Rabanne et Alexander McQueen.</p>
<h2>D’une filiation l’autre : de Paco Rabanne à Alexander McQueen</h2>
<p>Paco Rabanne (1934-2023) est le premier styliste, <a href="https://www.harpersbazaar.fr/mode/paco-rabanne-chevalier-couture-dun-autre-temps_111">« ou métallurgiste de la couture »</a> pour reprendre la formule de Coco Chanel, qui s’inspire de cette période historique dès les années 1960-1970, <a href="https://www.vogue.fr/fashion/galerie/paco-rabanne-style-1960s-photos">avec sa célèbre robe cotte de mailles</a>.</p>
<p>En février 1966, sa première collection « Manifeste » présente « 12 robes importables en matériaux contemporains », agrémentées de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sequin_(mode)">sequins</a>, anneaux métalliques et plaques en Rhodoïd, mettant en scène une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mode_futuriste">mode futuriste</a> <a href="https://www.fabula.org/actualites/107802/colloque-temporalites-alternatives--uchronies-mondes-paralleles-et-retrofuturisme.html">voire rétrofuturiste</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Avec le rétrofuturisme, il s’agit d’envisager le passé tel qu’on le voit depuis le futur, en offrant une alternative au présent, et en réfléchissant au présent au prisme d’un passé réinventé.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/O_s07WuaX8o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Pour la collection hiver 2020-21, le directeur artistique de la maison Paco Rabanne, Julien Dossena, rend hommage aux créations métalliques, emblématiques des inspirations médiévales du créateur. <a href="https://arca.irht.cnrs.fr/ark:/63955/md439z90587z">Les silhouettes</a> sont vêtues de cottes de mailles revisitées et camail (protection métallique souple recouvrant le crâne, le cou et le haut du torse et des épaules durant le bas Moyen Âge), ceinture mixant celle des chevaliers et celle de Chanel, aumônière et chaussures montantes. La guerrière rétrofuturiste est en marche, entre transparence et opacité, inspirée de l’imagerie autour de Jeanne d’Arc.</p>
<p>Ainsi la cotte de mailles et le camail deviennent deux emblèmes féministes, comme en témoigne la <a href="https://www.vogue.com/article/zendaya-met-gala-red-carpet">tenue qu’arbore Zendaya</a> au Met Gala 2018, dans une tenue Versace qui évoque une Jeanne d’Arc des temps modernes.</p>
<p>La cotte de mailles s’est allongée et elle est fendue sur le devant ; des fragments de haubert, c’est-à-dire de la cotte de mailles, ainsi que le gorgerin qui assure la protection du cou ont été conservés tandis que la cuirasse a disparu ; la braconnière, c’est-à-dire les lames articulées qui recouvrent le ventre et le haut des cuisses et les tassettes protégeant l’aine ont été conservées et revisitées.</p>
<p>On songe encore à la rappeuse Cardi B <a href="https://www.radiofrance.fr/mouv/balenciaga-remet-le-moyen-age-au-gout-du-jour-avec-ses-bottes-version-medieval-5519935">qui porte des chaussures Balenciaga</a>, lors d’un défilé digital, pour la sortie du jeu vidéo <em>Afterworld : The Age of Tomorrow</em>. L’objet improbable et importable comporte jambière, cuissot, genouillère articulée, grève qui protège le tibia et soleret pour le pied, pièces directement héritées des chausses du chevalier médiéval, le talon aiguille en plus.</p>
<p>Mais c’est Alexander McQueen (1969-2010), styliste britannique, qui a notamment habillé David Bowie ou Lady Gaga, qui a su réinventer un Moyen Âge rétrofuturiste, féministe et queer, entre obscurité et flamboyance. Son travail <a href="https://toutelaculture.com/tendances/mode/alexander-mcqueen-le-testament-un-film-poignant-signe-loic-prigent/">s’articule avec une réflexion sur la société post-moderne</a>.</p>
<p>Dès 2009, son défilé « The Horn of Plenty » (« La corne d’abondance ») résonne avec la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_%C3%A9conomique_mondiale_des_ann%C3%A9es_2008_et_suivantes">crise économique</a> de l’époque : le créateur tend au monde de la mode le miroir de ses outrances et de ses névroses consuméristes. Le 6 octobre 2009, son défilé suivant « Plato’s Atlantis » évoque le thème de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Atlantide">Atlantide</a> ». Mais c’est sa vision du Moyen Âge qui retiendra notre attention ici.</p>
<h2>« L’odeur mêlée du sang et des roses »</h2>
<p>Le défilé de la collection pour hommes d’A. McQueen, <a href="https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/46918">« The Bone Collector »</a>, (« Le Fossoyeur »), en janvier 2010, est une sorte de memento mori, créé quelques mois avant son suicide par pendaison, la veille des obsèques de sa mère. Il renoue ici avec un Moyen Âge macabre, celui précisément du XV<sup>e</sup> siècle de la Peste noire.</p>
<p>Dans un décor d’ossuaire évoquant les catacombes, les mannequins arborent des vêtements représentant tibias, crânes ou cordes. Les costumes sont taillés dans des « body bags », sacs qui servent à emballer les cadavres à la morgue ; les costumes noirs sont couverts d’argile comme s’ils sortaient de sous la terre. Les hommes aux cheveux blonds vénitiens ont une coupe au bol ou un chignon tressé. Certains portent des cagoules qui ne laissent voir que les yeux et le nez, d’autres ont des masques, d’autres enfin ont le visage nu et pâle.</p>
<p>L’homme ressemble à un cadavre déterré dans un costume impeccable, entre proto-zombie et néo danse macabre. Le spectateur assiste à une danse macabre post-moderne exclusivement masculine, ce qu’elle était originellement au Moyen Âge. Dans l’imaginaire collectif, le Moyen Âge tardif est le temps de la peste, de la guerre de Cent Ans, de la famine et de la mort orchestrant une réflexion sur la caducité des choses terrestres.</p>
<p>Dans son célèbre ouvrage <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/huyzinga_johan/declin_moyen_age/declin_moyen_age.html"><em>L’Automne du Moyen Âge</em>, Johan Huizinga</a> définit l’esthétique de ce Moyen Âge tardif à travers cette image de « l’odeur du sang et des roses » qu’il emprunte à la plume du Bourgeois de Paris pour évoquer ce XV<sup>e</sup> siècle instable et ambivalent. Alors que les historiens de l’art envisageaient le Moyen Âge tardif comme un renouvellement préparant et préfigurant la Renaissance, Huizinga affirme qu’il est synonyme du déclin des formes : « la forme, dans sa luxuriance, envahit l’idée ; l’ornement se saisit de toutes les lignes et de toutes les surfaces. C’est un art où règne cette horreur du vide qui est peut-être une caractéristique des cultures à leur déclin ». Tout laisse à penser que le styliste a lu l’historien. En effet, à l’opposé de cette vision macabre imageant la fin du Moyen Âge, McQueen imagine aussi une collection posthume, « Angels and Demons » (hiver 2010) qui creuse encore le sillon du Moyen Âge tardif mais dans une version flamboyante de rouge, de doré, de broderies et d’orfèvreries.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/H6K_27N4Lko?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Après la déploration de la mort autour de la figure masculine vient la louange de la flamboyance des couleurs et des étoffes, autour de la collection femmes. Avec cette collection qu’il ne verra pas dans sa forme définitive, McQueen propose une vision lumineuse de ces « Dark Ages ». Mais au fond cette vision flamboyante, luxuriante du costume féminin, par sa surenchère, n’est que l’autre face de la pièce : derrière ces broderies chargées se donne à voir l’angoisse existentielle ; sous les draps de soie et les ornements ne reste que le corps appelé à devenir squelette. Les cheveux ont disparu sous une cagoule couleur chair faite de bandages, la peau est diaphane, les lèvres et les sourcils ont été estompés presque effacés. Certains mannequins ont une crête iroquoise, entre univers punk et transhumanisme.</p>
<p>Dans cet univers mi-médiéval, mi-post-apocalyptique, le futur est déjà passé. Les mannequins sont comme entravées dans leur marche, perchées sur des plates-formes à talons aiguilles de vingt centimètres qui peuvent évoquer les chaussures à patins que les élégantes des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles arboraient. <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/le-jardin-des-delices-de-jerome-bosch-fantasmagorie-a-tous-les-etages/">Les dessins de Jérôme Bosch</a> représentant des humains suppliciés qui ornent les tissus voisinent avec des broderies dorées, des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lion_rampant">blasons à Lion rampant</a> sur une cape noire…</p>
<h2>Un Moyen Âge féministe et queer</h2>
<p>L’importance donnée à la figure emblématique de Jeanne d’Arc s’articule autour d’une recréation d’un Moyen Âge queer qui vient se substituer au Moyen Âge obscur des romantiques.</p>
<p>On sait que Jeanne d’Arc est une <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/11/11/dictionnaire-du-moyen-age-imaginaire-le-medievalisme-hier-et-aujourd-hui-il-etait-une-fois-le-moyen-age_6149506_3260.html">véritable icône pop outre-Atlantique</a>. Elle prête ainsi son nom aux femmes qui, par leurs discours militants, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2019-4-page-3.htm">transgressent les prescriptions du genre</a>.</p>
<p>Il n’est pas étonnant que cet « enfant terrible de la mode », Alexander McQueen, ait consacré un défilé en 1998 à cette figure mythique, imaginant un être caractérisé par sa fluidité de genre. Le défilé de mannequins aux yeux rouges, aux vêtements tantôt en cuir, tantôt en métal avec camail, met en scène des variations de Jeanne d’Arc aux côtés de représentants de l’Eglise, <a href="https://archived.co/Alexander-McQueen-Autumn-Winter-1998">ou encore de son bourreau</a>. Le spectacle se clôt sur Jeanne d’Arc en cotte de mailles rouge au visage entièrement recouvert d’une cagoule assortie, entourée de flammes au centre d’une scène circulaire. Les spectateurs assistent médusés <a href="https://www.vogue.fr/mode/article/hommage-mode-culture-queer-lgbt">à sa mise au bûcher</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wjSL5vNrbjM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Chez Mc Queen, le Moyen Âge devient le symbole d’un double testament, celui d’une société en proie à la déraison et au déclin et celui, plus personnel, d’un homme en proie à ses démons.</p>
<p>Si Paco Rabanne et Alexander McQueen ont construit de toutes pièces une femme rétrofuturiste, on peut se demander s’ils avaient lu le Mallarmé chroniqueur de mode qui écrivait sous des pseudos comme Miss Satin ou Marguerite de Ponty, dans <em>La Dernière Mode</em> en 1874 et pour qui le vêtement féminin moderne devait se faire armure, « cotte de mailles et cuirasse » véritable « enveloppe d’une guerrière ou d’une déité marine » afin de transcender le corps ou les attributs classiques de la féminité pour en extraire la notion pure, l’idée ou « l’illusion ».</p>
<p>Au-delà du prisme romantique médiévalisant, illusion d’un Moyen Âge retrouvé, qu’ils ont refusé d’explorer, ces deux stylistes hors du commun ont su inventer un costume post-moderne, rétrofuturiste, féministe et queer, laissant notamment leur empreinte dans le travail de Balenciaga, maison dans laquelle la mère de Paco Rabanne avait débuté comme petite main, recréant ainsi des filiations symboliques.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été corédigé avec Mathilde Lucken, étudiante à Sciences Po Rennes, autrice de l’ouvrage « Mémoires de femmes », paru en 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patricia Victorin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il existe dans la mode un Moyen Âge queer et rétrofuturiste qui ne cesse de renaître de ses cendres.Patricia Victorin, professeure des universités en langue et littérature médiévales, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2229372024-02-29T16:25:15Z2024-02-29T16:25:15ZCinéma, littérature… est-ce la fin du mythe de Pygmalion ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578849/original/file-20240229-24-x4zlap.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=246%2C53%2C1644%2C1176&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans « Pauvres créatures », Bella inverse les rôles.</span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p>L’intervention de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=JFRAmKjRAB8">Judith Godrèche lors de la dernière cérémonie des Césars</a> nous a rappelé que la « femme enfant » que l’homme rêve de modeler est un sujet puissant de fantasmes masculins, qui a emmené beaucoup de « petits chaperons rouges », comme elle dit, vers la désolation.</p>
<p>La création d’une femme idéale par des hommes est aussi au cœur du film
<em>Pauvres créatures</em>, lion d’or à la Mostra de Venise, 11 fois nominé aux oscars. Il est adapté du roman de science-fiction de <a href="https://theconversation.com/pauvres-creatures-connaissez-vous-alasdair-gray-lauteur-du-roman-dont-le-film-est-tire-221639">l’écossais Alasdair Gray</a>. Le réalisateur Yorgos Lanthimos y évoque le fantasme de la création de la « femme idéale » en mêlant réalisme et onirisme, à l’instar de Buñuel, qu’il admire. L’héroïne Bella Baxter, interprétée magistralement par Emma Stone, éblouit avec ses <a href="https://www.vogue.fr/galerie/costumes-emma-stone-pauvres-creatures-interview">fabuleux costumes signés Holly Waddington</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RC6Fmy8XhQg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La jeune femme est ramenée à la vie par le Dr Godwin Baxter, dit « God » (Willem Dafoe), « dieu » aux allures de Frankenstein, qui a récupéré son corps après qu’elle se soit jetée d’un pont, enceinte, puis lui a greffé le cerveau de son propre bébé. Son « créateur » comme son disciple, le Dr Max McCandles (Ramy Youssef) suivent amoureusement ses progrès fulgurants jusqu’à ce qu’elle s’enfuie avec un séducteur, Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo).</p>
<p>Alors commence son odyssée européenne, un <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2007-5-page-58.htm">« grand tour » de formation</a>, une tradition chez les aristocrates anglais du XVI<sup>e</sup> au XVIII<sup>e</sup> siècles.</p>
<p>Ce film nous plonge dans une nouvelle version de Pygmalion, mythe qui n’en finit pas d’inspirer la littérature comme le <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/02/23/la-jeune-fille-au-cinema-ou-les-ravages-d-un-mythe_6218004_4500055.html">cinéma, avec une influence telle, qu’il sert même de justification dans les défenses des réalisateurs accusés d’emprise sur mineures</a>,</p>
<h2>« Et l’homme créa la femme »</h2>
<p>Pygmalion, dans <em>Les Métamorphoses</em> d’Ovide (243-297), est un sculpteur chypriote qui tombe amoureux de la statue qu’il a créée, Galatée,à laquelle Aphrodite donne vie. Pygmalion s’est désintéressé des femmes chypriotes, les Propétides, qu’il juge impudiques, trop libres. Elles sont associées <a href="https://theconversation.com/comment-les-sorcieres-sont-devenues-des-icones-feministes-216284">à des sorcières</a>, ou des prostituées, par opposition à la pureté et la fidélité de la création idéalisée de l’homme : Galatée.</p>
<blockquote>
<p>« Parce que Pygmalion avait vu ces femmes passer leur vie dans le crime, outré par ces vices dont la nature a doté en très grand nombre l’esprit féminin, célibataire, il vivait sans épouse, et depuis longtemps, il lui manquait une compagne pour partager sa couche.</p>
<p>Dans le même temps, il sculpta avec bonheur l’ivoire immaculé avec un art remarquable et donna corps à une beauté à nulle autre pareille ; il conçut de l’amour pour son œuvre. En effet, celle-ci a l’apparence d’une vraie jeune fille que l’on croirait vivante et si la pudeur ne s’y opposait, prête à bouger ; tant l’art s’efface à force d’art. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jean-Léon Gérôme, Pygmalion et Galatée, vers1890.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Jean-L%C3%A9on_G%C3%A9r%C3%B4me,_Pygmalion_and_Galatea,_ca._1890.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au fil de l’histoire, sculpteurs, peintres, auteurs, puis cinéastes se sont emparés du mythe.</p>
<p>L’amour narcissique de l’artiste pour sa création est au cœur de la fable de La Fontaine : <a href="https://www.lafontaine.net/les-fables/les-fables-du-livre-ix/le-statuaire-et-la-statue-de-jupiter/">« Le statuaire et la statue de Jupiter »</a> qui évoque Pygmalion et sa passion quasi incestueuse :</p>
<blockquote>
<p>« Pygmalion devint l’amant/De la Vénus dont il fut père ».</p>
</blockquote>
<p>Dans <em>Le Chef d’œuvre Inconnu</em>, Balzac décrit en 1831 Frenhofer, artiste désireux de produire un portrait parfait de femme, passionné par sa création, au point d’en devenir fou :</p>
<blockquote>
<p>« Ah ! Ah ! s’écria-t-il. Vous ne vous attendiez pas à tant de perfection ! Vous êtes devant une femme et vous cherchez un tableau. […] Voilà les formes mêmes d’une jeune fille. »</p>
</blockquote>
<p>Ces versions décrivent l’amour de l’art dans sa forme absolue, idéalisée.</p>
<p>Mais créer une femme parfaite, selon ses goûts, est aussi un rêve suprême de domination masculine. Au XVII<sup>e</sup>, dans <em>l’École des Femmes</em> de Molière (1662), Arnolphe, de peur d’être cocu, maintient la jeune Agnès sans éducation, afin d’épouser une femme innocente. Au XVIII<sup>e</sup>, Rousseau écrit une pièce intitulée <em>Pygmalion</em>(1762), et dans <em>Emile et Sophie</em> il décrit la compagne parfaite d’Emile comme celle dont l’esprit restera une terre vierge que son mari ensemencera à sa guise. Au XIX<sup>e</sup>, l’artiste de Daudet dans <em>Le Malentendu</em> choisit une femme sans culture pour l’instruire selon ses goûts…</p>
<p>La pièce de Georges Bernard Shaw <em>Pygmalion</em>(1914), adaptée au cinéma par Leslie Howard sous le même titre en 1938, a donné <em>My Fair Lady</em> de George Cukor avec Audrey Hedburn, récompensé par huit oscars en 1965. Dans ce film, deux lords entreprennent de transformer une vendeuse de fleurs en lady, en lui enseignant à parler de manière raffinée. Dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maudite_Aphrodite"><em>Maudite Aphrodite</em> de Woody Allen</a> (1995), le héros tente de faire de la mère génétique de son fils adoptif – une prostituée actrice de porno – une mère honorable.</p>
<p>Dans le droit fil du mythe de Pygmalion, bien des héros de cinéma cultivent ce rêve de <a href="https://cinephantasmagory.com/2020/03/08/le-mythe-de-pygmalion-au-cinema/">transformer une femme</a> selon leurs désirs, de créer une « pretty woman » soumise à leur bon vouloir.</p>
<p>Dans le film de Lanthimos, Bella Baxter est objectifiée par le regard de son créateur, de son fiancé, de son amant Duncan et de son ancien mari (le cadrage en œil de bœuf met en scène ces regards des hommes fixés sur elle, le fameux <a href="https://www.eveprogramme.com/52894/au-cinema-et-ailleurs-le-male-gaze-on-en-parle/">“male gaze”</a>). Chacun tente de retenir les élans de Bella vers la liberté : son père créateur l’enferme tout d’abord comme ses autres animaux greffés (tout droit sortis de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C3%8Ele_du_docteur_Moreau"><em>l’Ile du Docteur Moreau</em> de H.G. Wells </a>. Il se justifie : « c’est une expérience, et je dois contrôler les résultats ».</p>
<p>Le processus créatif autorise la domination, du scientifique comme de l’artiste, jusqu’à l’abus.</p>
<p>Cependant étant lui-même victime d'un père qui l'a asexué, il lui accorde finalement sa confiance et il accepte son départ. Ne lui a-t-il pas raconté que ses parents étaient des explorateurs ? A partir de là, elle part explorer le vaste monde et la vie en noir et blanc de Bella passe en couleurs ; la caméra suit désormais le regard de l’héroïne dans son périple éducatif. Bella mène la danse de façon endiablée, et s’affranchit de la domination masculine.</p>
<h2>Inversion des rôles</h2>
<p>Désormais la parole est à Galatée et non plus à Pygmalion. Déjà, l’artiste belge Paul Delvaux inversait les rôles, en peignant une femme amoureuse d’un buste d’homme en 1939, <a href="https://fine-arts-museum.be/fr/la-collection/paul-delvaux-pygmalion">dans une veine surréaliste</a>. Aujourd’hui, le mythe est revisité dans la fiction (romans, films) en se focalisant sur celle qui était jusqu’alors réduite au rôle de « femme objet » ; Galatée, à l’ère de #MeToo, prend enfin la parole.</p>
<p>Madeline Miller, autrice à succès du <em>Chant d’Achille</em>, lui redonne une voix dans sa nouvelle <em>Galatée</em> (2021) : l’héroïne éponyme fuit la maison où elle est enfermée avec sa fille et s’adresse à son créateur comme à un geôlier détesté. Dans <em>Pauvres créatures</em>, Bella, comme Agnès dans <em>l’École des femmes</em>, est consciente de ses lacunes et a soif de connaissances. Son éducation passe par le voyage, la lecture et la philosophie avec son amie Martha, l’éveil à la conscience politique avec sa compagne prostituée Toinette, mais surtout l’exploration de la sexualité.</p>
<p>Longtemps, on a relié la curiosité intellectuelle des femmes à l’immoralité et au libertinage. Au XVII<sup>e</sup>, dans sa fable <a href="http://17emesiecle.free.fr/Esprit_vient_aux_filles.php">« Comment l’esprit vient aux filles »</a>, La Fontaine associe la découverte de la sexualité à la formation de l’esprit féminin, dans une veine gaillarde. Au XVIII<sup>e</sup>, l’éveil philosophique et sexuel des femmes vont de pair dans les œuvres libertines de <em>Thérèse Philosophe</em> (Boyer d’Argens) à celles de Sade,en passant par Mme de Merteuil dans Les <em>liaisons dangereuses</em>, on s’instruit <a href="https://journals.openedition.org/narratologie/312">dans les boudoirs</a>.</p>
<h2>Liberté d’expression et liberté sexuelle</h2>
<p>Aujourd’hui, il s’agit de revendiquer une nouvelle façon d’être femme, libre dans sa sexualité, comme dans ses propos. À l’instar de Virginie Despentes,dans <a href="https://www.telerama.fr/idees/pourquoi-il-est-urgent-de-(re)lire-king-kong-theorie,-de-virginie-despentes,n5486772.php"><em>King Kong Theorie</em></a>, Bella parle crûment, elle analyse tout avec une logique sans filtre et refuse les termes convenus que tente de lui imposer Duncan lors d’un dîner mondain. Elle réfute <a href="https://queereducation.fr/monique-wittig-la-pensee-straight/">« la pensée straight »</a> avec ses conventions sociales et ses interdits, comme parler de sexe à table. Ovide semble avoir laissé place à Ovidie, l’autrice de <a href="https://www.senscritique.com/bd/Baiser_apres_metoo_Lettres_a_nos_amants_foireux/42814784"><em>Baiser après #MeToo. Lettres à nos amants foireux</em></a> lorsque Bella commente les prestations de ses amants.</p>
<p>Héritière de <em>Belle de jour</em>, l’héroïne du roman de Kessel (1928), adapté par [Luis Buñuel avec Catherine Deneuve,] Bella choisit également de <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7uy2pf">se prostituer</a>. Rappelons que Belle de jour, <a href="https://theconversation.com/existe-t-il-un-remede-au-bovarysme-du-xxi-si%C3%A8cle-170125">Mme Bovary du XXᵉ siècle</a>, ne trouvait un espace de liberté dans son mariage bourgeois qu’en se donnant l’après-midi à des hommes, selon des codes masochistes.</p>
<p>Pour Bella, qui n’est pas enfermée dans les contraintes du mariage, la prostitution est un moyen d’apprendre à mieux connaître le monde et les hommes, en étant autonome financièrement. Elle impose des règles à ses clients (se parfumer, lui raconter un souvenir d’enfance). Elle se décrit comme « son propre outil de production » dans un vocabulaire appris à ses réunions socialistes avec son amante, Toinette. Elle finit par choisir sa destinée : elle opte pour la chirurgie – comme son père – et épouse le gentil Dr Max McCandles.</p>
<p>Dans les dernières images du film, Bella se cultive dans son jardin, où jouent des dames heureuses. Et son père créateur, à qui elle demande : « Alors, je suis ta création ? » lui répond : « Non, tu as seule créé Bella Baxter ». Le mythe de Pygmalion se transforme : il s’agit toujours, comme l’indique le titre du dernier roman de Marie Darrieusseq de <a href="https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-5991-3"><em>Fabriquer une femme</em> (2024)</a>, mais la créature se développe de façon autonome.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-feminist-gaze-quand-les-femmes-ecrivent-en-feministes-212586">Le « feminist gaze » : quand les femmes écrivent en féministes</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p><em>Pauvres créatures</em> constitue une version baroque néogothique de <em>Barbie</em> (film également nominé 8 fois aux oscars) – notons que Bella est aussi le nom d’une poupée des années 1950. Histoire de l’éveil d’une conscience féministe, il propose une réécriture du mythe où désormais, libérée de Pygmalion, Galatée jouit de sa pleine autonomie sexuelle et intellectuelle. Si des <a href="https://theconversation.com/cinema-que-voit-on-quand-les-femmes-passent-derriere-la-camera-220936">réalisatrices</a>, telle Céline Sciamma avec <em>le Portrait de La jeune fille en feu</em>(2019), ont montré <a href="https://theconversation.com/cinema-la-vie-amoureuse-et-sexuelle-des-femmes-naurait-elle-plus-de-date-de-peremption-176317">qu’un autre regard</a> sur la femme source d’inspiration était possible, on peut saluer le fait que des hommes réalisateurs imaginent aussi aujourd’hui des versions du mythe mettant en valeur la capacité des femmes à s’émanciper. C’est grâce à ces nouvelles représentations, ainsi <a href="https://www.babelio.com/livres/Szac-LOdyssee-des-femmes/1569959">qu’à une relecture plus féministe des mythes</a>, que pourront évoluer les comportements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Aragon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans « Pauvres créatures », l’héroïne renouvelle le mythe de Pygmalion. À l’ère de #MeToo, la parole est à Galatée.Sandrine Aragon, Chercheuse en littérature française (Le genre, la lecture, les femmes et la culture), Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2219032024-01-30T16:11:22Z2024-01-30T16:11:22ZVivre sans : pourquoi le manque (existentiel) nous est indispensable<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/571947/original/file-20240129-15-gcc7q9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C9357%2C6485&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Edward Hopper, Soleil du matin (1952).</span> <span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques années, la préposition « sans » a fleuri sur les étiquettes et dans la grammaire du marketing : « sans huile de palme », « sans sucre », « sans sulfate », « sans sulfites » etc., à tel point qu’on a pu se demander si un produit pouvait se vendre sans mettre en avant ce qu’il ne contenait pas.</p>
<p>Certes, ce « sans » revendiqué était convertible en plus – le prix des produits « sans » étant plus élevé. Ce qui se justifie par les nouveaux modes de production plus éthiques, moins productivistes, mais également par la promesse de bonne santé. Une santé en négatif puisque c’est plutôt la garantie d’une absence de produits toxiques qui est vendue sous le « sans ».</p>
<p>Ainsi, après une société de la profusion et du trop-plein, dont les excès en tous genres ont donné lieu tout à la fois à des problèmes de santé publique et à l’accélération du réchauffement climatique, la publicité promeut une société où le manque se répand à une allure qui imite celle… de la profusion justement. Profusion de l’absence et du manque, vite reconvertis en plus et en plein : la société de marché a encore gagné. Le capitalisme, telle la société du spectacle de Guy Debord a réussi à récupérer le manque dans le flux du plein, à traduire le moins en plus, l’absence en valeur ajoutée, et, cerise sur le gâteau, vend de l’éthique à qui peut se le permettre – car tout le monde ne peut pas consommer « sans ». Ce qui n’empêche pas tout le monde de continuer de consommer.</p>
<p>Que l’on soit éthique, ou que l’on soit pauvre (l’opposition étant imposée par le marché), il faut continuer à consommer : mais ultime subtilité, si l’on consomme du sans alcool et du sans sucre, n’est-ce pas la garantie et l’expression d’une forme d’ascèse, autrement dit, d’une manière-de-ne-pas-consommer ? Le marketing a donc inventé la consommation de la non-consommation. Tour de passe-passe sublime qui risque d’écraser sur son passage tous les projets de décroissance.</p>
<h2>Du manque d’être au manque d’avoir</h2>
<p>Mais revenons un peu en arrière. Car la rhétorique du « sans » fait signe vers la question du manque. Or la logique capitaliste a eu la grande intelligence d’assigner au manque le rôle de moteur, en faisant glisser le manque d’être – qui renvoie à notre statut ontologique – vers le manque d’avoir. Comme le dit Hannah Arendt « travail et consommation ne sont que deux stades du cycle perpétuel de la vie biologique. Ce cycle a besoin d’être entretenu par la consommation, et l’activité qui fournit les moyens de consommation, c’est l’activité de travail », aucune raison de sortir du cycle qui se régénère de lui-même. Nos besoins créent du manque, la consommation les satisfait et exige le travail pour la renouveler, lequel creuse les besoins et ainsi de suite.</p>
<p>Pourtant, le nourrisson, lorsqu’il demande le sein parce qu’il a faim, fait entendre une tout autre demande que la seule satisfaction du besoin. Ne pas l’entendre c’est l’enfermer dans la prison biologique et lui refuser l’accès au monde symbolique.</p>
<p>Le mythe prométhéen lui-même tendait à définir l’homme par son émancipation du cycle biologique : étant nu et dépouillé au contraire de tous les autres animaux, l’homme vole le feu aux dieux, au risque d’une transgression que Prométhée paiera cher.</p>
<p>Déjà, la mythologie installait l’homme dans son rapport au manque : devant l’erreur de son frère Épiméthée qui a distribué tous les attributs naturels aux autres animaux, Prométhée doit créer les conditions de la survie, et ce faisant transforme la condition humaine. Tension première que celle de son geste : l’invention et l’entrée dans le monde symbolique se paye au prix d’un excès – l’homme se mesure aux dieux.</p>
<p>La culture va générer de nouveaux besoins, dont certains sont artificiels. C’est toute la problématique d’Épicure que de les classer pour apprendre à ne plus désirer ce qui occasionnerait le trouble et la souffrance. S’en tenir aux seuls besoins nécessaires, telle est la définition de l’ataraxie, sagesse antique qui consiste en une ascèse fondée sur la connaissance.</p>
<p>Mais dès l’Antiquité, les promoteurs de l’absence de souffrance sont concurrencés par une voix alternative, celle de Calliclès : adversaire redoutable de Socrate, il prétend que l’absence de désir, c’est la mort – seule une pierre ne désire pas. À ce titre, le désir doit être sans cesse régénéré et l’image des tonneaux percés qu’utilise Socrate pour la dénigrer semble au contraire figurer assez parfaitement la vision de la vie de Calliclès.</p>
<p>Il faut préciser que la philosophie grecque s’inscrit dans une certaine conception du monde qui rejaillit nécessairement sur elle. La vision du cosmos est en effet normative, c’est à son image que se déploient la physique, la pensée politique et l’anthropologie. Pour les penseurs de l’Antiquité, le cosmos est plein et fini : sens et orientation lui sont immanents, chaque chose a sa place. Dans la cosmologie aristotélicienne, le mouvement le plus parfait est celui du cercle qui revient au même point, de même que la temporalité s’y adosse : les régimes se succèdent, se corrompent, puis reviennent selon un ordonnancement strict. Le fini figure la perfection quand l’in-fini qualifie un défaut. Dès lors, on peut comprendre que la plénitude représente l’idéal à atteindre, au regard de l’image normative du cosmos.</p>
<h2>La fin du fini</h2>
<p>La modernité, en bouleversant cette vision du monde et en affirmant l’existence de l’infini, change la donne. L’homme va devoir s’y confronter, lui qui se sait fini. L’angoisse existentielle qui sera celle du XVI et du XVII<sup>e</sup> siècle et que décrit si bien <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251454658/pensees">Pascal</a> s’explique en partie parce que l’homme se trouve « comme égaré dans ce recoin de l’univers sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il est venu faire ». Ou encore « Que l’homme […] se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que, de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même à son juste prix. Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? » C’est un grain de poussière qui n’a peut-être d’autre solution que le divertissement pour oublier son statut : « … et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir les raisons, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. »</p>
<p>Or quoi de plus divertissant que la proposition capitaliste d’une consommation sans fin ? N’assistons-nous pas là à ce glissement dont on parlait entre l’être et l’avoir ? Ce manque ontologique qui constitue notre condition trouve dans le manque d’objets un viatique, une échappatoire. Et il ne s’agit plus seulement de combler le manque biologique, mais bien le manque symbolique <a href="https://www.fayard.fr/livre/la-vie-liquide-9782818503096/">dont l’expression est l’angoisse</a> : « La spiritualité constitue peut-être un don de naissance de l’enfant, mais elle a été confisquée par les marchés de la consommation puis redéployée afin d’huiler les rouages de l’économie de consommation. » écrit Zygmunt Bauman dans <em>La société liquide</em>. Le problème étant que cette vie liquide <a href="https://www.fayard.fr/livre/la-vie-liquide-9782818503096/">transforme la nature des choses</a> : « La vie liquide est une vie de consommation. Elle traite le monde et tous ses fragments animés et inanimés comme autant d’objets de consommation : c’est-à-dire des objets qui perdent leur utilité (et donc leur valeur) pendant qu’on les utilise. Elle façonne le jugement et l’évaluation de tous les fragments animés et inanimés du monde suivant le modèle des objets de consommation. »</p>
<h2>Penser l’incommensurable</h2>
<p>La question est alors la suivante : qu’est-ce qui peut échapper à « l’évaluation » ? Autrement dit, qu’est-ce qui peut échapper à un système où tout est en relation – où tout est relatif – comme le veut le marché, mais comme on le trouve également dans l’affirmation d’une immanence radicale (est immanent ce qui est situé dans les limites de l’expérience possible). Or ce qui n’est pas relatif, dans la langue française, est dit « absolu ». Pointent alors les différentes tentations de la croyance : croyance en un dogme et approche fondamentaliste de la religion, croyance dans la science et approche transhumaniste de la technique. Sauf que cet absolu n’en est pas un, puisqu’il est relatif au manque qui l’engendre mais qui préfère s’ignorer : il fait réponse à une question inaudible, à une question devenue insupportable : pouvons-nous accepter le manque d’être, et chercher une autre voie que la voix consumériste, la voie fondamentaliste ou encore celle du monde virtuel qui ne souffre pas la vulnérabilité ni la mort ? N’est-ce pas précisément dans ce manque originaire, cette faille, que s’originent la quête de sens, la création, la sublimation, le désir amoureux, voire le désir métaphysique ?</p>
<p>Car il existe, à côté du désir de posséder et de jouir, un désir inextinguible mais angoissant, qui ne peut être comblé mais qui comble, qui se nourrit de son impossible satisfaction car ce qu’il répète, c’est précisément ce rapport entre le fini et l’infini qu’avaient entrevu Pascal ou Descartes. Il n’est pas besoin d’adopter la réponse pascalienne – à savoir la grâce – pour entendre ce rapport.</p>
<p>C’est ce rapport du non rapport, cette relation de la non-relation si bien décrite par Levinas – nous savons que l’infini est, mais nous ne pouvons le penser, l’embrasser, il fait échec à notre toute-puissance, à la souveraineté de notre pensée – qui ouvre cette béance, cette faille dans l’être, et qui empêche que se referme sur nous la totalité (qu’elle soit celle du marché, du fondamentalisme, ou encore de la promesse virtuelle). Dans cette faille, il est alors possible de penser de l’« incommensurable » – et ce qui échappe à toute évaluation, à toute mesure. Des notions comme la dignité humaine en font partie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221903/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mazarine Pingeot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La logique capitaliste a assigné au manque le rôle de moteur, en faisant glisser le manque d’être vers le manque d’avoir.Mazarine Pingeot, Professeur agrégée de philosophie, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2144032023-10-01T15:40:16Z2023-10-01T15:40:16ZInondations en Libye : et après, le déluge ?<p>Rupture de barrages hydrauliques majeurs, zones entières submergées par les eaux, affaissements de terrain, dislocations spectaculaires, milliers de morts et de disparus dans tout l’Est du pays : le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/24/les-inondations-en-libye-ont-fait-plus-de-3-800-morts-selon-un-bilan-officiel-toujours-provisoire_6190738_3212.html">bilan, encore temporaire, des inondations qui ont ravagé la Libye en septembre</a> est loin de se limiter à ce bref et non moins terrifiant panorama de dévastation.</p>
<p>Face à l’ampleur des destructions et des scènes de détresse, certains commentateurs ont tôt fait de qualifier le cataclysme de « déluge », reprenant ainsi le <a href="https://www.cairn.info/les-grands-mythes--9782361064358-page-59.htm">célèbre mythe présent dans la Bible, mais aussi dans d’autres cultures</a>, et décrivant des inondations diluviennes et continues causées par Dieu (ou par les dieux) pour punir l’humanité. Cette inclination à une lecture mythique des événements est renforcée par le fait que le désastre a été provoqué par la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-billet-vert/tempete-daniel-les-inondations-en-grece-et-en-lybie-sont-bien-liees-au-rechauffement-climatique_6045182.html">tempête Daniel</a>, cyclone méditerranéen portant le nom du prophète de l’Ancien Testament qui interprétait les rêves et entrevoyait l’avenir.</p>
<p>Il est notable que le <a href="https://www.la-croix.com/Definitions/Priere/Petite-theologie-temps-depidemie-chatiment-divin-sinterroge-Mgr-Jean-Pierre-Batut-eveque-Blois-2020-04-03-1701087698">thème du châtiment divin</a> ressurgisse dans les croyances populaires alors qu’on le pensait disparu avec les Lumières et l’entrée dans la modernité.</p>
<p>L’invocation de la <a href="https://www.jstor.org/stable/43712745">théologie rétributive</a> en laquelle croyaient les Anciens, fondée sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-projet-2004-4-page-43.htm">vision d’un Dieu colérique et vengeur</a>, peut avoir pour effet d’occulter le poids des responsabilités humaines, morales comme politiques. Or cette théologie commode refait une nouvelle fois surface dans la discussion consacrée au drame libyen, comme pour pallier l’impuissance des populations et le sentiment de faute des élites.</p>
<h2>Punition surnaturelle, châtiment divin</h2>
<p>Depuis des millénaires, les <a href="https://www.cambridge.org/core/books/disasters-and-history/past-and-present/E22790AA6E26EF63841ED6A5D88E489B">hommes cherchent à comprendre et à interpréter les catastrophes qui les atteignent</a>. Cette interrogation, qui dépasse souvent tout cadre rationnel, est aujourd’hui réitérée en Libye comme elle l’a été dernièrement après les tremblements de terre survenus au <a href="https://theconversation.com/pour-une-analyse-geographique-des-catastrophes-le-cas-du-seisme-du-8-septembre-au-maroc-213668">Maroc</a>, en <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350">Syrie et Turquie</a>, et ailleurs. Appréhendées sur le plan de l’éthique, ces catastrophes fournissent toujours une occasion idéale de convier à la table des débats <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-023-01558-0">l’idée selon laquelle la source de pareils désastres ne peut être que surnaturelle</a>, allant bien au-delà de la compréhension humaine, et qu’une vengeance – tantôt des dieux, tantôt de la nature elle-même – en est la cause la plus probable.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1216646357257277442"}"></div></p>
<p>Dans les pays de tradition musulmane, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17447140903197233">particulièrement dans les milieux les plus conservateurs</a>, la tendance à présenter ces calamités comme l’expression d’une colère divine, suivie du jugement et du châtiment des hommes, reste courante. Une telle intervention transcendantale viserait, selon les tenants de ces discours, à rappeler à l’humain qu’il n’est pas le maître du monde et qu’un « message » lui est envoyé en contrepartie de ses actes. Pourtant, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33354304/">cette attitude résignée ne repose en l’espèce sur aucun enseignement singulier de l’islam</a>. Aucun verset du Coran, ni aucun hadith n’enjoint en effet aux croyants de se complaire dans le fatalisme. L’islam prône au contraire la foi dans la bienveillance divine, au même titre que la science et la connaissance pour réduire les risques qui pèsent sur l’humanité.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Mais les légendes qui recensent, au niveau historique, ces ébranlements d’apparence extraordinaire, de même que les réponses humaines qui leur sont apportées, ne sont pas récentes ; elles remontent aux civilisations les plus anciennes, pré-monothéistes. Tous les récits existants soulèvent la problématique du pourquoi et y apportent pour réponse ce qui procéderait d’une volonté de rétribution contre l’humanité.</p>
<h2>Géomythologie de l’« homme diluvien »</h2>
<p>En tant que discipline historico-scientifique, la <a href="https://theconversation.com/geomythology-can-geologists-relate-ancient-stories-of-great-floods-to-real-events-63434">géomythologie</a> se penche sur ces narrations surnaturelles et tente de relier les grands mythes diluviens du passé aux réalités historiques qui les ont accompagnés, d’établir la part de réel et d’objectif entre ce type d’inondations torrentielles et dévastatrices et les discours qui en sont issus. Le mythe du déluge, bien connu dans la culture judéo-chrétienne à travers l’épisode de l’Arche de Noé, n’est d’ailleurs pas caractéristique des seules cultures monothéistes : beaucoup d’autres sociétés ont transmis des histoires analogues de bouleversements destructeurs.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tX6AIXyNR2I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Sorti en 2014, « Noé », de Darren Aronofsky, reprend, avec quelques approximations, le récit biblique de l’annihilation par Dieu de la quasi-totalité de l’humanité pour la punir de son égarement.</span></figcaption>
</figure>
<p>On retrouve ces récits parmi la plupart des peuples et dans de nombreuses traditions orales et folkloriques en lien avec divers phénomènes naturels – séismes, éruptions volcaniques, tsunamis, ouragans, pestes, épidémies… Indépendamment des croyances ou religions qui les sous-tendent, ceux-ci ont pour dénominateur commun de vouloir expliquer la survenue de désastres à travers une fenêtre historique menant à la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0002716205285589">reconstruction d’un monde chargé de sens à la suite d’événements mystérieux, de situations considérées comme incontrôlables</a>.</p>
<p>Depuis la nuit des temps, la vie humaine a coexisté avec son environnement naturel, <a href="https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2015-2-page-97.htm">dans une lutte perpétuelle pour le contrôle de ce dernier</a>. Dès lors, l’effort qui consiste à rechercher des significations à des événements accablants à l’échelle psychologique, car hautement traumatiques à l’instar de ce qui s’est produit en Libye, relève d’une agentivité en quête de causes, d’intentions, d’effets, <a href="https://www.cairn.info/revue-le-sujet-dans-la-cite-2012-1-page-162.htm">pour regagner la maîtrise d’une situation qui semble échapper à l’homme, autrement dit de son destin</a>. Nombre de systèmes de croyances affirment qu’une puissance surnaturelle ou divine ne se contente pas d’intervenir : elle châtierait en délivrant à l’humanité, prise en partie ou dans sa totalité, <a href="https://www.salon.com/2017/09/10/are-natural-disasters-part-of-gods-retribution_partner/">violences et souffrances pour mieux l’inviter à se réformer</a>.</p>
<h2>Repousser la responsabilité humaine ?</h2>
<p>Ne doit-on pas voir dans ces légendes et mythes une stratégie destinée à <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2021-1-page-39.htm">refouler la culpabilité directe des hommes dans ces désastres</a> ? Fables, créatures fantastiques et dieux vengeurs qui entourent les interprétations prémodernes des catastrophes s’abattant sur l’humanité ne sont-ils pas, en réalité, la preuve d’une <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20130313-1-pourquoi-humains-sont-responsables-degradation-environnement">faute foncière quant à la dégradation environnementale</a> aux répercussions délétères ? Le thème du châtiment divin ou celui de représailles de « mère Nature » ne sert-il pas de prime abord à échapper à cette cruelle réalité ?</p>
<p>De fait, la notion de punition surnaturelle a pour conséquence première de créer l’illusion de cataclysmes exceptionnels, inexplicables, alors que les <a href="https://pubs.usgs.gov/circ/2004/circ1254/pdf/circ1254.pdf">inondations qui ont frappé la Libye et d’autres nations traversent toute l’histoire</a>. Les populations ne s’y sont pas trompées : les habitants de Derna, sinistrée par les eaux, ont d’emblée manifesté leur colère contre les autorités en <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/18/libye-les-habitants-de-derna-demandent-des-comptes-aux-autorites-apres-les-inondations-meurtrieres_6189931_3212.html">réclamant des comptes, exprimant ainsi une exigence de réponses rationnelles</a>. Les initiatives de secours sont d’autant plus difficiles à mettre en œuvre que la Libye est rongée par une guerre civile meurtrière depuis plus d’une décennie et que la <a href="https://www.europe1.fr/international/inondations-en-libye-pourquoi-lacheminement-de-laide-humanitaire-est-elle-si-delicate-4203868">coordination de l’assistance humanitaire aux victimes</a> est gérée par deux pouvoirs antagonistes.</p>
<p>Contre toute lecture superstitieuse ou apocalyptique qui viderait ces développements de leur cause humaine, le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/25/inondations-en-libye-le-procureur-ordonne-la-detention-de-huit-responsables_6190914_3212.html">Procureur général de Libye a ordonné la mise en détention de huit responsables</a> en charge des ressources hydrauliques, accusés d’avoir fait montre de mauvaise gestion et de négligence après que des fissures sur les barrages concernés leur furent signalées, sans action spécifique pour y remédier. Cette réaction, comme d’autres, suggère-t-elle pour autant que l’équation sur le terrain évoluera fondamentalement dans la bonne direction ? <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20230925.OBS78626/libye-la-catastrophe-va-renforcer-le-statu-quo-et-maintenir-de-facto-les-elites-au-pouvoir.html">Rien n’est moins sûr</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214403/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Libye comme ailleurs, les catastrophes naturelles sont souvent présentées comme des manifestations d’un châtiment divin – ce qui permet d’exonérer les hommes de leurs responsabilités.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1994552023-09-03T14:18:49Z2023-09-03T14:18:49ZDésir et normes de genre dans l’Antiquité : le mythe d’Hermaphrodite<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532943/original/file-20230620-9063-5u3n7d.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C7%2C1571%2C713&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Statue d’Hermaphrodite, copie romaine d’un original grec du IIe siècle av. J.-C. Musée du Louvre, Paris.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Borghese_Hermaphroditus_Louvre_Ma231.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Dans la salle des Caryatides, au Musée du Louvre, le regard du visiteur est <a href="https://www.louvre.fr/decouvrir/le-palais/au-coeur-du-palais-de-la-renaissance">immanquablement attiré</a> par un corps de marbre, nu et parfaitement lisse, étendu sur un matelas capitonné, lui aussi de marbre.</p>
<p>Cette captivante statue antique, copie romaine d’un original grec remontant au II<sup>e</sup> siècle av. J.-C. et découverte à Rome en 1608, fut l’une des principales attractions de la collection du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Scipione_Caffarelli-Borghese">Cardinal Scipione Borghèse</a> qui, soucieux d’installer confortablement son bel objet, fit ajouter le matelas, réalisé par le Bernin. L’œuvre fut ensuite achetée par Napoléon qui l’exposa dans le musée parisien.</p>
<p>En s’approchant, on distingue de longs cheveux remontés en chignon au-dessus de la nuque, un visage délicat, une taille svelte et de larges hanches. La belle personne a les yeux fermés. Mais son sommeil ne paraît pas très profond, comme en témoigne son pied gauche relevé. Elle paraît s’être assoupie, peut-être en attendant l’arrivée d’un amant, ou d’une amante ? Le fort érotisme qui se dégage de l’œuvre nous plonge dans un monde de fantasmes où divers scénarios amoureux se bousculent.</p>
<p>Dans un second temps, quand nous faisons le tour du matelas et nous penchons vers les cuisses charnues, nous apercevons un petit pénis lui aussi au repos. C’est alors que nous comprenons que nous nous trouvons en présence d’une sorte d’œuvre théâtrale qui se découvre en deux actes. Le sculpteur a délibérément créé un effet de surprise.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Statue d’Hermaphrodite. Musée du Louvre, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hermaphrodite#/media/Fichier:Borghese_Hermaphroditus_Louvre_Ma231_n4.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Belles fesses et cheveux longs</h2>
<p>Nous avons sous les yeux l’enfant que la déesse Aphrodite eut du dieu Hermès : Hermaphrodite. Un nom double pour mieux souligner l’étonnante dualité du personnage. S’agit-il d’une fille ou d’un garçon ? Hermaphrodite est à la fois l’un et l’autre : un garçon pourvu de seins et de larges hanches, comme sa mère, autant qu’une jeune fille dotée d’un pénis, comme son père.</p>
<p>Mais c’est d’abord son postérieur que l’enfant d’Aphrodite et Hermès offre au spectateur par sa pose alanguie. De ce point de vue, beaucoup de Grecs et de Romains ne voyaient guère de différence entre des fesses féminines ou masculines. C’est ce qu’écrit très explicitement le <a href="http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/horace_epodes/texte.htm">poète latin Horace</a> (65-8 av. J.-C.) qui évoque son désir érotique, que ce soit « pour une jolie fille (<em>puella</em>) ou pour un jeune garçon (<em>puer</em>) bien fait, habile à nouer en arrière ses longs cheveux » (<em>Épodes</em> XI, 27-28).</p>
<p>L’abondante chevelure de l’amant ou de l’amante contribue elle aussi à cette indifférenciation. Celui ou celle qu’aime le poète se caractérise par sa jeunesse et se résume, physiquement, à une paire de fesses et à une forte implantation capillaire. L’historienne Eva Cantarella <a href="https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-4-page-3.htm">écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Pour Horace, le sexe de l’objet d’amour n’a absolument aucune importance, comme ce fut le cas pour des millions d’autres hommes ayant vécu à Rome ou dans le monde romain pendant de nombreux siècles. »</p>
</blockquote>
<p>Nul doute que le poète aurait beaucoup apprécié l’Hermaphrodite aujourd’hui au Louvre que, d’ailleurs, il connaissait peut-être. La sculpture manifeste très clairement cette dimension érotique qui permet à l’amant de réunir en une seule et même personne, et indistinctement, la jolie fille et le beau garçon évoqués par Horace.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hermaphrodite et Salmacis, tableau de François-Joseph Navez, 1829. Musée des Beaux-Arts, Gand.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:NAVEZ_Francois_Joseph_The_Nymph_Salmacis_And_Hermaphroditus.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La beauté nue qui enflamme le désir</h2>
<p>Ovide (43 av. J.-C. – 17 apr. J.-C.), autre poète latin, contemporain d’Horace, nous raconte <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Les_M%C3%A9tamorphoses_(Ovide,_Nisard)/Livre_4">l’histoire du fils d’Aphrodite et d’Hermès</a> (<em>Métamorphoses</em> IV, 285-388).</p>
<p>Sa mère ne s’occupant pas vraiment de lui, il est élevé par des nymphes, en Asie Mineure. A l’âge de quinze ans, il décide de partir à la découverte du monde. Un jour, il parvient au bord d’un lac où vit une nymphe nommée Salmacis.</p>
<p>Aussitôt séduite par le beau jeune homme, elle s’offre à lui, mais il la repousse. Il ignore ce qu’est l’amour et se met à rougir. Une rougeur sur ses joues blanchâtres qui le rend encore plus désirable, écrit le poète. On remarque au passage que, du point de vue des codes de la virilité gréco-romaine, Hermaphrodite n’est pas un homme accompli. Sa blancheur et sa gêne face aux avances de la nymphe sont censées souligner sa féminité. Ovide suggère que, dès le départ, son sexe est ambigu.</p>
<p>De son côté, Salmacis inverse les rôles. C’est elle qui prend l’initiative, comme un homme, suivant les normes du moment. S’il a déjà une fiancée, lui dit-elle, qu’il ne lui accorde qu’un plaisir furtif. Personne n’en saura rien. Elle insiste. Mais il refuse encore et encore. Alors, elle fait mine de s’éloigner et se cache dans un épais fourré d’où elle épie le beau garçon.</p>
<p>Hermaphrodite se croyant enfin seul et débarrassé de l’importune a bien envie de se rafraîchir. Il se déshabille pour se baigner dans le lac. Alors, écrit Ovide : « Sa beauté mise à nu enflamme Salmacis de désir. ».</p>
<p>Hermaphrodite pénètre dans l’eau fraîche. Aussitôt Salmacis se déshabille et plonge à son tour. Elle l’attrape de toutes ses forces. Il se débat. Mais « c’est en vain qu’il lutte et cherche à lui échapper ». Elle l’enlace <a href="https://theconversation.com/les-jeux-erotiques-de-salammbo-et-de-son-python-fetiche-157618">« comme fait un serpent »</a>, évident symbole phallique, traduisant à nouveau une inversion des rôles suivant l’imaginaire antique.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Mais que fait Salmacis au juste ? Elle maintient Hermaphrodite. Et après ? Le viol d’un garçon par une fille pose évidemment un problème purement technique : comment parvient-elle à s’unir à lui, s’il n’est pas excité ? Ovide nous dit seulement qu’elle le retient de toutes ses forces, afin que jamais il ne se sépare d’elle. Puis, elle implore les dieux que cette étreinte soit éternelle : « O dieux, exaucez-moi. Faites que jamais ne vienne le jour qui nous éloignerait, lui de moi ou moi de lui ».</p>
<p>Ainsi soit-il ! La nymphe et son amant fusionnent pour toujours en un être doté des deux sexes. Soudés pour l’éternité ! On le voit, l’histoire d’Hermaphrodite traduit beaucoup plus qu’un simple désir sexuel. C’est également le rêve d’une union sans fin.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hermaphrodite et Salmacis, tableau de Jan Gossaert dit Mabuse, vers 1520. Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Salmacis#/media/Fichier:Jan_Gossaert_013.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Présages funestes et infanticide</h2>
<p>Aux temps les plus anciens, les Grecs considéraient les enfants dotés à leur naissance de deux sexes comme des monstres abominables, car ils brouillaient par leur existence même la stricte différenciation sociale entre hommes et femmes. On voyait en eux des présages funestes envoyés par les dieux à la communauté civique. C’est pourquoi des lois demandaient aux parents de rejeter leurs enfants considérés comme anormaux. C’était une forme d’eugénisme impitoyable, connu à Sparte, mais aussi à Athènes. Ces enfants étaient <a href="https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1999_num_97_3_7173_t1_0657_0000_1">abandonnés dans la nature</a>.</p>
<p>Cela évitait de les tuer directement, car on croyait que les défunts prématurés pouvaient revenir tourmenter les vivants. L’abandon présentait l’avantage de pouvoir se débarrasser d’eux sans avoir à en assumer les conséquences. La responsabilité de leur décès en revenait finalement aux dieux qui ne les avaient pas secourus !</p>
<p>Cette conception était partagée par les Romains qui plaçaient les enfants intersexes dans des caisses qu’ils jetaient à la mer, car il fallait qu’ils meurent aussi loin que possible du territoire civique. Leur noyade était censée écarter tout risque de souillure pour la cité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Statue d’Hermaphrodite, marbre, Iᵉʳ siècle apr. J.-C. National Museums, Liverpool.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://de.wikipedia.org/wiki/Hermaphroditismus#/media/Datei:Hermaphroditus_lady_lever.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Retrouver l’unité originelle</h2>
<p>Cette vision très négative disparut en Grèce, sous l’effet des réflexions des philosophes. Ainsi, Platon composa, au IV<sup>e</sup> siècle av. J.-C., son célèbre traité sur l’amour intitulé <em>Le Banquet</em>. L’œuvre se présente sous la forme d’un dialogue entre les convives d’une soirée mondaine. Après le repas, comme il était de coutume, l’un des invités choisit le thème du banquet. Ce soir-là, ce sera : Eros et la passion amoureuse. Chacun des convives prendra successivement la parole pour <a href="https://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/banquet.htm">prononcer un petit discours sur le sujet retenu</a>.</p>
<p>Quand arrive son tour, le poète Aristophane explique que, lorsque les êtres humains ont été créés par les dieux, ils avaient quatre jambes, quatre bras et une tête unique dotée de deux visages. Ils possédaient aussi deux organes sexuels. Ces êtres doubles appartenaient à trois catégories : ceux pourvus de deux sexes masculins, ceux possédant deux sexes féminins et ceux disposant de l’un et de l’autre sexe.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hwW7MNV5GD0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ces humains originels étaient fort agiles. Ils essayèrent d’escalader l’Olympe pour y prendre la place des dieux. Folie ! Il fallait les punir sévèrement, se dirent les dieux, sans toutefois les anéantir, car ils avaient besoin des humains vivant sur terre pour leur adresser des offrandes et leur rendre un culte.</p>
<p>A l’issue d’une réunion de crise, Zeus, roi des dieux, décide donc de couper les humains en deux, afin de les affaiblir. Depuis, ils n’ont plus que deux jambes, deux bras, un seul visage et un sexe unique.</p>
<p>La théorie d’Aristophane explique les différents types d’amours et ce que nous appelons aujourd’hui les « orientations sexuelles ». Nous rêvons tous de retrouver l’unité primitive de notre être. C’est pourquoi nous cherchons inlassablement notre moitié perdue, qu’elle soit féminine ou masculine. La rencontre de notre bien-aimée ou aimé nous procure une immense sensation de bonheur, car l’amour nous permet de remédier à la déchirure dont nous sommes issus et de renouer avec notre perfection originelle.</p>
<hr>
<p><em>Chistian-Georges Schwentzel a écrit <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/le-nombril-daphrodite-9782228924795">« Le Nombril d’Aphrodite, une histoire érotique de l’Antiquité »</a>, aux éditions Payot, 2019.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199455/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que nous raconte cette statue antique, œuvre théâtrale qui se découvre en deux actes ?Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2065212023-06-04T16:08:17Z2023-06-04T16:08:17ZLes femmes rebelles de la mythologie grecque, féministes avant l’heure ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529920/original/file-20230604-25-rv952h.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C4%2C1457%2C1167&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La sculpture "Méduse avec la tête de Persée" de Luciano Garbati. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.lucianogarbati.com/">Luciano Garbati</a></span></figcaption></figure><p>Après quelques victoires obtenues de haute lutte, les droits des femmes sont à nouveau menacés dans de nombreuses régions du monde. Aux États-Unis, la Cour suprême a <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/la-cour-supreme-americaine-revoque-le-droit-a-l-avortement-une-catastrophe-pour">révoqué le droit à l’avortement</a> en juin 2022 ; beaucoup de femmes ont également <a href="https://www.courrierinternational.com/une/inegalites-des-millions-damericaines-hors-du-marche-de-lemploi-cause-de-la-crise-du-Covid-19">quitté le marché du travail</a> depuis la pandémie de Covid-19, souvent pour s’occuper de leurs enfants et de leurs parents âgés. Dans d’autres parties du monde, en particulier dans les pays en développement, les <a href="https://www.unwomen.org/fr/nouvelles/article-explicatif/2022/03/inegalites-entre-les-sexes-et-changements-climatiques-des-enjeux-etroitement-lies">femmes sont les premières impactées par le changement climatique</a>.</p>
<p><a href="https://as.tufts.edu/classicalstudies/people/faculty/marie-claire-beaulieu">En tant que spécialiste de la mythologie ancienne</a>, je connais de nombreux personnages féminins de la mythologie grecque qui nous offrent des modèles pour les défis d’aujourd’hui. Cela peut paraître surprenant, car la Grèce antique était soumise à des <a href="https://books.google.com/books/about/Women_in_Ancient_Greece.html?id=Xfx1VaSIOgQC">règles patriarcales strictes</a> : les femmes étaient considérées comme des mineures placées sous la tutelle de leur père ou de leur mari pendant toute leur vie et n’avaient pas le droit de voter. Pourtant, dans les récits mythologiques, les femmes confrontaient le pouvoir et résistaient farouchement à l’injustice et à l’oppression.</p>
<h2>Déesses rebelles</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une peinture montrant un personnage effrayant aux cheveux longs mangeant un enfant dont le torse est ensanglanté" src="https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1102&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1102&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1102&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le dieu Saturne dévorant son enfant. Peinture de Francisco José de Goya y Lucientes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.museodelprado.es/en/the-collection/art-work/saturn/18110a75-b0e7-430c-bc73-2a4d55893bd6">Museo Nacional del Prado, Madrid</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La rébellion féminine est au cœur de l’histoire grecque de la <a href="http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=urn:cts:greekLit:tlg0020.tlg001.perseus-eng1:104-138">création du monde</a>. Gaïa, la déesse de la Terre, se rebelle contre son mari Ouranos, le Ciel, qui l’étouffe et refuse de laisser ses enfants libres. Elle ordonne à son fils Kronos de castrer son père et de prendre son trône. Mais une fois au pouvoir, Kronos a peur d’être détrôné par ses enfants et <a href="http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=urn:cts:greekLit:tlg0059.tlg001.perseus-eng1:6a">il dévore tous les bébés que sa femme Rhéa a mis au monde</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Rhéa se rebelle contre cet acte horrible. Elle donne à Kronos une <a href="https://www.metmuseum.org/art/collection/search/247308?ft=06.1021.144&offset=0&rpp=40&pos=1">pierre enveloppée dans une couverture</a> pour lui faire croire qu’il s’agit d’un autre bébé. Rhéa cache son enfant, le dieu Zeus, qui grandit et précipite son père dans les profondeurs des Enfers. Mais l’histoire se répète et le nouveau chef des dieux craint à nouveau que sa femme ne complote pour le renverser. En tant que roi des dieux, Zeus a peur de sa femme Héra, <a href="https://www.college-de-france.fr/media/vinciane-pirenne-delforge/UPL9044676424375206401_hera_pirenne.pdf">qui se venge de toutes ses transgressions</a>, en particulier de ses innombrables liaisons.</p>
<p>De même, l’histoire de Déméter et de sa fille Perséphone montre une déesse puissante qui tient bon face aux divinités masculines. Lorsque Perséphone est enlevée par Hadès, le roi des Enfers, Déméter, la déesse de l’agriculture, <a href="https://odysseum.eduscol.education.fr/hymne-homerique-demeter-vers-1-32-lenlevement-de-persephone-etude">refuse de laisser pousser les récoltes tant que Perséphone ne lui aura pas été rendue</a>. Malgré les supplications de Zeus, Déméter ne cède pas. Le monde entier est dépourvu de nourriture et les humains meurent de faim.</p>
<p>Finalement, Zeus est contraint de négocier et Perséphone <a href="https://www.metmuseum.org/art/collection/search/252973">remonte des Enfers</a> pour rejoindre sa mère une partie de l’année. Pendant les mois où Perséphone est avec Hadès, Déméter retient la végétation et c’est l’hiver sur la Terre.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une peinture montrant un homme emportant une femme dans un char conduit par un cheval blanc" src="https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Peinture murale avec Hadès enlevant Perséphone dans un char.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hades_abducting_Persephone.jpg">Le Musée absolu, Phaidon, via Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Femmes meurtrières</h2>
<p>La culture grecque se méfiait toutefois des femmes au caractère bien trempé et les dépeignait comme des méchantes.</p>
<p>La spécialiste des lettres classiques <a href="https://www.classics.cam.ac.uk/directory/mary-beard">Mary Beard</a> explique que les écrivains masculins caractérisent ainsi les femmes pour justifier leur exclusion du pouvoir. Elle affirme que la définition occidentale du pouvoir s’applique intrinsèquement aux hommes. Par conséquent, <a href="https://wwnorton.com/books/9781631494758">selon elle</a>, « les [femmes] sont, pour la plupart, dépeintes comme des abuseuses plutôt que comme des utilisatrices du pouvoir. Elles le prennent illégitimement, d’une manière qui conduit à la fracture de l’État, à la mort et à la destruction. En fait, c’est le gâchis incontestable que les femmes font du pouvoir qui justifie qu’elles en soient exclues dans la vie réelle ».</p>
<p>Beard utilise les histoires de Clytemnestre et de Médée, entre autres, pour illustrer son propos. Clytemnestre punit son mari, Agamemnon, pour avoir <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Iphig%C3%A9nie_%C3%A0_Aulis-1642-1-1-0-1.html">sacrifié leur fille Iphigénie</a> au début de la guerre de Troie. Elle prend le pouvoir dans son royaume de Mycènes alors qu’Agamemnon est encore en guerre, et lorsqu’il revient, <a href="https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010277267">elle l’assassine de sang-froid</a>.</p>
<p>Médée fait payer à son mari, Jason, le <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251800240/medee">prix ultime</a> pour l’avoir abandonnée – <a href="https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010274318">elle tue leurs enfants</a>.</p>
<p>Médée, en tant que princesse étrangère dans la cité grecque de Corinthe, sorcière puissante et Noire, est marginalisée de multiples façons. Pourtant, elle refuse de céder. L’universitaire classique et intellectuelle féministe noire <a href="https://www.hamilton.edu/academics/our-faculty/directory/faculty-detail/shelley-haley">Shelley Haley</a> souligne que Médée est fière, une caractéristique considérée comme typiquement masculine dans la culture grecque.</p>
<p>Haley voit dans les actions de Médée un moyen d’affirmer son individualité face aux attentes de la société grecque. Médée n’est pas disposée à laisser à Jason la liberté d’entamer une relation avec une autre femme, et elle négocie l’asile selon ses propres termes avec le roi d’Athènes. <a href="https://books.google.com/books?id=kjup9bBv168C&lpg=PA177&pg=PA177#v=onepage&q&f=true">Selon Haley, Médée</a> « résiste aux normes culturelles qui font de la procréation la seule raison d’être de l’existence féminine. Médée aime ses enfants, mais comme un homme, sa fierté passe avant tout ».</p>
<h2>Comédie et tragédie</h2>
<p>De manière plus humoristique, dans <em>Lysistrata</em>, le dramaturge Aristophane imagine les femmes d’Athènes protestant contre la <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251450209/la-guerre-du-peloponnese">guerre du Péloponnèse</a> destructrice en faisant la grève du sexe. Sous une telle pression, leurs maris cèdent rapidement et la paix est négociée avec Sparte.</p>
<p>Lysistrata, la cheffe des femmes en grève, explique que les <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251799001/lysistrata">femmes souffrent doublement de la guerre</a>, même si elles n’ont pas leur mot à dire dans la décision d’entrer en guerre. Elles souffrent d’abord en mettant au monde des enfants, puis en les voyant partir comme soldats. Elles peuvent être veuves et réduites en esclavage en plus des conséquences de la guerre.</p>
<p>Enfin, dans une célèbre tragédie de Sophocle, <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251799162/antigone">Antigone se bat pour la décence humaine</a> face à l’autocratie. Lorsque les frères d’Antigone, Etéocle et Polynice, se disputent le trône de Thèbes et finissent par s’entretuer, le nouveau roi, Créon, ordonne que seul Etéocle, qu’il considère comme le roi légitime, soit enterré avec les honneurs. Antigone se révolte et déclare qu’elle doit faire respecter la loi divine <a href="https://www.youtube.com/watch?v=A9-W66xB-fM">plutôt que la loi humaine tyrannique de Créon</a>. Elle saupoudre le corps de Polynice d’un peu de poussière, geste symbolique qui permet au mort de passer dans l’au-delà.</p>
<p>Antigone agit en sachant pertinemment que Créon la tuera pour faire respecter son décret. Pourtant, elle est prête à offrir le sacrifice ultime pour ses convictions.</p>
<h2>Les femmes et la justice morale</h2>
<p>Tout au long de ces récits, les figures féminines représentent la justice morale et incarnent la résistance des personnes privées de pouvoir. C’est peut-être pour cette raison que la figure de Méduse, traditionnellement considérée comme un monstre féminin terrifiant <a href="https://www.mollat.com/livres/412278/la-bibliotheque-d-apollodore-un-manuel-antique-de-mythologie">vaincu par le héros masculin Persée</a>, a récemment été réinterprétée comme un symbole de force et de résilience.</p>
<p>Reconnaissant que la <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Musees/Les-musees-en-France/Les-collections-des-musees-de-France/Decouvrir-les-collections/Les-Metamorphoses-d-Ovide/Les-Metamorphoses-d-Ovide-Livre-4">Méduse mythologique a été transformée en monstre</a> à la suite de son viol par Poséidon, de nombreuses survivantes d’agressions sexuelles <a href="https://twitter.com/emberlilly_/status/1640423393806696469">ont adopté l’image de Méduse</a> comme symbole de résilience.</p>
<p>Le sculpteur <a href="https://www.lucianogarbati.com/">Luciano Garbati</a> a renversé le mythe. En revisitant l’image traditionnelle du victorieux <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Perseus_with_the_Head_of_Medusa#/media/File:Persee-florence.jpg">Persée avec la tête de Méduse</a>, Garbati a donné à Méduse une nouvelle position puissante avec sa statue <em>Méduse avec la tête de Persée</em>. L’attitude réfléchie et déterminée de Méduse est devenue un symbole du mouvement #MeToo <a href="https://www.nytimes.com/2020/10/13/arts/design/medusa-statue-manhattan.html">lorsque la statue a été installée à l’extérieur de la salle d’audience</a> où Harvey Weinstein et de nombreuses autres personnes accusées d’agression sexuelle ont été jugées.</p>
<h2>Une inspiration pour les femmes rebelles d’aujourd’hui ?</h2>
<p>Les échos de toutes ces histoires résonnent fortement <a href="https://www.boldtypebooks.com/titles/helen-morales/antigone-rising/9781568589343/">aujourd’hui dans les mots de jeunes militantes intrépides</a>.</p>
<p>Malala Yousafzai a défendu l’éducation des filles dans l’Afghanistan contrôlé par les talibans, tout en sachant que les répercussions potentielles pourraient être terribles. Lors d’une interview pour un podcast, <a href="https://podcasts.apple.com/gb/podcast/the-accomplishment-podcast-with-sir-michael-barber/id1605826027?i=1000601684803">elle a déclaré</a> : « Nous savions que rien ne changerait si nous restions silencieuses. Le changement survient lorsque quelqu’un est prêt à s’engager et à s’exprimer ».</p>
<p>Greta Thunberg, <a href="https://www.npr.org/2019/09/23/763452863/transcript-greta-thunbergs-speech-at-the-u-n-climate-action-summit">s’adressant aux dirigeants mondiaux lors du Sommet de l’action climatique des Nations unies en 2019</a>, n’a pas manqué de dire : « Vous nous décevez. Mais les jeunes commencent à comprendre votre trahison. Les yeux de toutes les générations futures sont braqués sur vous. Et si vous choisissez de nous décevoir, je vous le dis : nous ne vous pardonnerons jamais. Nous ne vous laisserons pas vous en tirer à si bon compte. C’est ici et maintenant que nous fixons les limites ».</p>
<p>Pour les femmes qui continuent à lutter contre l’oppression, savoir que d’autres le font depuis des millénaires peut être à la fois un réconfort et un catalyseur d’action.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206521/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Claire Beaulieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De nombreux personnages féminins de la mythologie grecque nous offrent des modèles pour les défis d’aujourd’hui.Marie-Claire Beaulieu, Associate Professor of Classical Studies, Tufts UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1902012022-09-08T19:20:23Z2022-09-08T19:20:23ZLe langage des fesses<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/483307/original/file-20220907-9663-z2zpwc.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C24%2C1061%2C611&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Marché romain aux esclaves, Jean-Léon Gérôme, 1886. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d0/G%C3%A9r%C3%B4me%2C_Vente_d%27esclaves_%C3%A0_Rome%2C_1886_%285614092862%29.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Que nous disent les fesses magnifiées dans l’art, depuis la sculpture antique jusqu’aux clips des stars d’aujourd’hui ?</p>
<p>Entre fascination érotique selon le regard masculin, féminité idéale, revendication anti-maigreur, promotion commerciale, ou même message théologique, les fesses, qu’elles soient féminines ou masculines, <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/cultes-10-fesses-a-face-obsedants/">ont servi de support à bien des messages</a> à travers les siècles.</p>
<h2>La femme préhistorique au postérieur imposant</h2>
<p>Parmi les plus anciennes sculptures de l’histoire de l’humanité, on compte des figures féminines, produites au Paléolithique supérieur, il y a plus de 20 000 ans. Un certain nombre d’entre elles présentent des formes arrondies et des fesses imposantes, à l’image de la statuette dite « Vénus » de Lespugue.</p>
<p>Ces œuvres correspondaient-elles à un idéal féminin de nos ancêtres préhistoriques ? Leurs auteurs étaient-ils des hommes ou des femmes, ou bien les deux ?</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1019&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1019&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1019&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1280&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1280&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1280&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La « Vénus » de Lespugue (Haute-Garonne). Musée de l’Homme, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:V%C3%A9nus_de_Lespugue_Gravettien_Mus%C3%A9e_de_l%27Homme_04022018_3.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il est malheureusement difficile de répondre à ces questions, car les artistes de la Préhistoire n’ont évidemment laissé <a href="https://www.athomic-wellness.com/fessologie-culte-de-la-fesse/">aucun texte ni commentaire</a> au sujet de leurs créations.</p>
<h2>De Néfertiti à Nicki Minaj</h2>
<p>En Égypte, au XIV<sup>e</sup> siècle av. J.-C., ce sont les représentations de la reine Néfertiti qui témoignent, à leur tour, de l’importance accordée dans l’art aux fessiers féminins imposants. Une statue, aujourd’hui au Louvre, nous montre la pulpeuse souveraine, dotée d’une taille très svelte qui contraste fortement avec la largeur de ses hanches. L’œuvre traduit le rôle érotique officiel de Néfertiti qui doit plaire à son époux, le pharaon Akhenaton, afin qu’il ait l’envie de faire l’amour avec elle et soit ainsi en mesure de jouer son rôle procréateur.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1112&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1112&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1112&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Néfertiti, vers 1350 av. J.-C. Musée du Louvre, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010011420">Musée du Louvre</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Selon les canons du moment, la reine est l’incarnation de la femme attirante, dont le ventre, bien installé sur un puissant fessier, va être capable de mener à terme de nombreuses grossesses.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=987&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=987&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=987&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1240&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1240&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1240&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Vase en forme de femme de Kaluraz (Iran), vers 800 av. J.-C., Musée du Louvre, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/64/Statue_antropomorphic_container-AO_32565-P5280873-white.jpg">Musée du Louvre</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On retrouve cet idéal féminin au nord de l’Iran, entre le IX<sup>e</sup> et le VII<sup>e</sup> av. J.-C., comme en témoignent les vases en forme de femmes aux hanches très marquées, découverts à Kaluraz, dont un bel exemplaire est exposé au Louvre.</p>
<p>Cette fascination millénaire pour les grosses fesses trouve toujours ses disciples aujourd’hui, comme en témoignent les clips de la rappeuse Nicki Minaj, <a href="https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2013/08/28/bottom-up-le-twerk-entre-dans-le-dictionnaire_6000881_4832693.html">adepte du twerk</a>, par exemple avec le clip de la chanson « Anaconda », réalisé en 2014.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Les photos de Kim Kardashian illustrent, elles aussi, cet idéal dont la recherche pousse certaines femmes à utiliser des <a href="https://www.slateafrique.com/669383/cote-divoire-mille-et-une-techniques-pour-se-grossir-les-fesses%5D">produits réputés « grossifesses »</a>, disponibles notamment sur les marchés en Afrique.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LDZX4ooRsWs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le postérieur imposant y est vu comme un <a href="https://www.slate.fr/story/171822/culture-mode-venus-callipyges-prehistoire-corps-feminin-kim-kardashian">signe d’opulence et de santé</a>, garant de désirabilité sexuelle et de maternités réussies.</p>
<p>Ailleurs dans le monde, les influenceuses poussent de plus en plus de jeunes filles et de jeunes femmes à recourir au « BBL » pour Brazilian Butt Lift, <a href="https://www.slate.fr/story/166874/bbl-fesses-chirurgie-esthetique-mortelle-risque">opération de chirurgie esthétique particulièrement dangereuse</a>, dans l'espoir d'obtenir une silhouette « instagrammable » en forme de sablier. </p>
<h2>Une guerre des fesses ?</h2>
<p>La taille des fesses féminines serait même au cœur d’un conflit idéologique opposant les pays du Sud aux pays du Nord, selon le sociologue Jean-Claude Kaufmann, auteur d’un essai intitulé : <a href="https://www.babelio.com/livres/Kaufmann-La-guerre-des-fesses/528862"><em>La guerre des fesses : minceur, rondeurs et beauté</em></a>.</p>
<p>On assisterait, selon lui, à un « choc des civilisations par fesses interposées ». L’Occident a, de manière générale, voulu imposer un idéal de minceur comme norme de la beauté féminine dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle. En témoignent les premières poupées Barbie au physique longiligne, commercialisées à partir de 1959.</p>
<p>Les pays du Sud protesteraient à leur manière contre cette domination du Nord et les grosses fesses seraient un emblème de cette contestation. D’où aussi la reprise, cette fois dans les pays du Nord, de cette même tendance <a href="https://www.liberation.fr/sexe/2013/10/06/la-fesse-est-politique_937425/">par un nombre croissant de stars</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-femme-prehistorique-artiste-muse-et-modele-119358">La femme préhistorique : artiste, muse et modèle</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Mais cette revendication est ambiguë, car elle paraît aller à l’encontre de l’idéal d’émancipation des femmes. Le corps sexualisé à l’extrême de Nicki Minaj en fait un objet du désir masculin hétérosexuel, d’ailleurs <a href="https://paroles2chansons.lemonde.fr/paroles-nicki-minaj/paroles-anaconda.html">explicitement évoqué dans « Anaconda »</a>.</p>
<p>La chanteuse satisfait le regard masculin, répondant ainsi à un fantasme classique, voire banal, que partagent un grand nombre d’hommes, souvent depuis leur enfance. La vue de grosses fesses féminines serait même rassurante pour bien des garçons, <a href="https://www.doctissimo.fr/sexualite/desir-plaisir/fesses-sexy/fantasme-grosses-fesses">selon le psychologue Gérard Bonnet</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Nicki Minaj est une des femmes qui n'hésitent pas à exploiter ses fesses à des fins promotionnelles.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>De même que Néfertiti affichait ses formes pulpeuses dans un but propagandiste, Nicki Minaj, Kim Kardashian, Jennifer Lopez, Iggy Azalea, Doja Cat, et d’autres encore, <a href="https://antiquipop.hypotheses.org/6740">exploitent leurs fesses à des fins promotionnelles et commerciales</a>. Usant de cet appât vieux comme le monde, elles remportent un <a href="https://www.grazia.fr/people/13-paires-de-fesses-de-stars-for-your-eyes-only-714522">succès prévisible</a> et évident.</p>
<h2>La callipyge et le regard masculin</h2>
<p>C’est le regard masculin qui tient généralement lieu de référence dans la définition des « belles fesses » féminines, comme le montre une <a href="http://remacle.org/bloodwolf/erudits/athenee/livre12fr4.htm">ancienne fable grecque</a>, rapportée par Athénée de Naucratis (<em>Deipnosophistes</em> XII, 80).</p>
<p>Plus tard, Jean de La Fontaine en <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Page:La_Fontaine_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_-_Tome_2.djvu/46">tira un conte</a>, publié en 1665.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=516&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=516&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=516&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=649&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=649&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=649&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y avait à la campagne, non loin de Syracuse, cité grecque de Sicile, deux jeunes sœurs qui possédaient des postérieurs d’une exceptionnelle perfection. Un jour, elles se mettent à les comparer et chacune proclame qu’elle en possède un plus beau que sa sœur. Le débat s’envenime. Elles se rendent alors en ville, y croisent un jeune citoyen et lui demandent de les départager en évaluant leurs fessiers. Puis elles relèvent leurs tuniques sous les yeux du juge improvisé qui, après les avoir bien observées, finit par rendre son verdict : les deux sœurs possèdent un extraordinaire postérieur, mais celui de l’aînée l’emporte à ses yeux.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Aphrodite Callipyge, Musée archéologique, Naples.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les filles acceptent ce jugement et s’en retournent dans leur ferme. De son côté, le jeune homme, profondément bouleversé, ne parvient plus à oublier la grande sœur et en tombe malade. Son père envoie alors son second fils à la campagne pour chercher la callipyge, seul remède aux souffrances de l’aîné. Il y est séduit par la petite sœur et ce seront finalement deux mariages qui seront célébrés.</p>
<p>C’est ainsi, nous dit cette édifiante histoire, que les deux modestes fermières devinrent les épouses de riches citoyens. Une promotion due à leurs fesses ! Devenues célèbres, elles n’oublièrent pas de remercier Aphrodite, déesse de l’amour, en <a href="https://www.babelio.com/livres/Schwentzel-Le-nombril-dAphrodite/1255490">faisant construire un temple en son honneur</a>, où elles placèrent une représentation de la déesse dite callipyge, c’est-à-dire « aux belles fesses ».</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nefertiti-passions-et-polemiques-autour-dune-icone-pharaonique-94042">Néfertiti : passions et polémiques autour d’une icône pharaonique</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>De « belles » fesses arrondies, comme le montre la statue d’Aphrodite, aujourd’hui au musée archéologique de Naples. Inspirée de la fable, à moins que ce soit la fable qui ait été inspirée par une statue de ce type, l’œuvre a été conçue comme l’image de la femme la plus excitante qui soit, c’est-à-dire la plus capable par son physique <a href="https://theconversation.com/sexe-et-erotisme-dans-lantiquite-greco-romaine-12616">d’éveiller le désir sexuel</a> chez le plus grand nombre de Grecs de l’Antiquité.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hercule Farnèse. Gravure de Hendrik Golzius, 1591.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hercule_Farn%C3%A8se#/media/Fichier:GoltziusFarneseHerc.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Cul viril et bronzé</h2>
<p>Les Grecs de l’Antiquité ont aussi imaginé un modèle masculin de <a href="https://www.franceinter.fr/culture/bestmuseumbum-voici-notre-selection-des-10-plus-beaux-popotins-de-l-histoire-de-l-art">fesses idéales</a> : Héraclès, ou Hercule pour les Romains. Fils de Zeus, il est par excellence le héros viril de la mythologie.</p>
<p>La statue dite « Hercule Farnèse », découverte à Rome, aujourd’hui exposée au Musée archéologique de Naples, le montre totalement nu. Lorsqu’on fait le tour de l’œuvre, on découvre les fesses du héros que le sculpteur a voulu mettre en valeur. Elles sautent aux yeux du spectateur. Et ce n’est pas un hasard, car Héraclès était surnommé Mélampygos : « Cul noir ». La peau sombre était une caractéristique des athlètes qui passaient leur temps à s’entraîner nus au soleil, les fesses toujours à l’air. Héraclès « Cul noir » est le modèle même de cette virilité qui s’expose.</p>
<p>On racontait que son cul avait été noirci par l’haleine brûlante des monstres contre lesquels il avait combattu. Des fesses tannées par l’endurance, devenues dures comme du cuir, incarnant une force à laquelle nul sur terre ne peut résister. Le postérieur du héros nous délivre un message de virilité suprême. Héraclès a vraiment « du cul » !</p>
<h2>Les fesses de Dieu</h2>
<p>Au début du XVI<sup>e</sup> siècle, sur la voûte de la chapelle Sixtine, à Rome, Michel-Ange a peint <a href="https://www.lemonde.fr/blog/sexologie/2018/02/11/les-fesses-de-dieu/">Dieu, volant dans le Ciel</a>, lors de la création du monde. Une fresque inspirée de la Genèse.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Wikimedia" src="https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dieu vu de dos lors de la Création, selon Michel-Ange. Fresque de la Chapelle Sixtine, Rome.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le spectateur, posté quelque 20 mètres plus bas, distingue clairement le <a href="https://www.lemonde.fr/blog/sexologie/2022/03/12/fesses-et-selfesses">postérieur divin</a> dans sa version chrétienne. Les fesses de Dieu symbolisent ici la puissance, comme pour Héraclès. Elles délivrent aussi un message théologique : elles rappellent que Dieu a créé l’homme à son image, c’est-à-dire doté de fesses.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel intervient dans le documentaire « L’Art du derrière, une folle histoire des fesses », de Valentin Mollette et Élise Baudouin, <a href="https://www.francetvpro.fr/contenu-de-presse/37566163">diffusé sur France 5, le 12 septembre 2022, à 21h</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190201/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Symboles d'une féminité exacerbée ou d'une virilité musclée, les fesses font l'objet d'une certaine fascination depuis des siècles.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1871522022-07-21T16:32:33Z2022-07-21T16:32:33ZComment comprendre que des cadres heureux dans leur travail souhaitent en changer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/474443/original/file-20220717-24-m4yifv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5760%2C3837&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des cadres qui se disaient heureux au travail déposent parfois des lettres de démission surprise.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femme-d-affaires-positive-faisant-de-la-paperasse-au-bureau-3756678/">Andrea Piacquadio / Pexels</a></span></figcaption></figure><p>Commençons par une histoire que l’on retrouve dans les <em>Métamorphoses</em> d’Ovide, celle du sculpteur Pygmalion qui, écœuré par l’attitude des femmes de l’île de Chypre s’était voué au célibat. Jusqu’à ce qu’un jour il s’éprît de la statue de marbre sur laquelle il travaillait et qu’il nomma Galatée. Grâce à l’intervention de Vénus, Galatée prit peu à peu vie avec toutes les caractéristiques humaines, dont la beauté tant espérée par Pygmalion. Elle entrait en résonnance parfaite avec le sculpteur, jusqu’à répondre à ses pensées et ses attentes.</p>
<p>Ce mythe grec a inspiré de nombreux concepts dans le champ des sciences sociales, en particulier celui d’« effet Pygamlion ». Apparu à l’origine chez les <a href="https://doi.org/10.1007/BF02322211">sociologues de l’éducation</a>, la notion englobe ces situations où un élève voit ses résultats s’améliorer parce que l’enseignant croit en lui, et par symétrie, un élève qui se perçoit tel un cancre par son professeur et qui voit ses résultats à la hauteur de ce statut peu louable.</p>
<p>Le concept a également suscité l’intérêt des chercheurs en <a href="https://www.jstor.org/stable/3100361">gestion</a> pour décrire la relation entre employeur et salarié. On retrouve l’effet Pygmalion en entreprise lorsqu’un individu modifie son comportement sur la base du jugement explicite que son environnement porte sur lui, et notamment son manager car c’est lui qui l’évalue. Dans les organisations actuelles, Pygmalion est incarné par le manager et Galatée par son subordonné. Si le manager mise sur un collaborateur parce qu’il croit en ses capacités, le maintien de la boucle vertueuse Pygmalion-Galatée garantit une relation parfaitement synchronisée entre le manager et son subordonné.</p>
<p>Il arrive cependant que cette boucle s’enraye contre toute attente et que l’on assiste à des départs inattendus de bons salariés d’un service, d’une entreprise. Pourquoi quittent-ils le navire quand tout laisse à penser qu’ils se plaisent là où ils sont : métier, salaire, statut, conditions de travail, avantages en nature ? Tout l’enjeu de notre dernier <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1-2017-2-page-37.htm">article de recherche</a> est de comprendre comment est apparu ce dysfonctionnement et comment on peut y remédier.</p>
<h2>Carburer au stress ?</h2>
<p>Empiriquement, le plus dur, lorsque l’on étudie un effet Pygmalion, est de comprendre ce que perçoivent les individus. Comment le salarié se sent-il perçu par son manager ? Et qu’en fait-il ? Il faut savoir se mettre dans la peau de la statue grecque et se demander comment elle perçoit les désirs de son créateur avant de s’y conformer, ce que Dov Eden, professeur émérite à l’Université de Tel-Aviv, a suggéré de nommer <a href="https://www.jstor.org/stable/258233">« l’effet Galatée »</a>.</p>
<p>Pour mesurer cette perception du jugement d’un individu sur soi-même, en partant des <a href="https://books.google.fr/books?hl=en&lr=&id=PdY9o3l5vpYC">travaux</a> sur le sentiment d’efficacité personnelle d’Albert Bandura, psychologue canadien, nous avons imaginé un concept : la <em>rétroaction perçue d’efficacité personnelle</em>.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>232 cadres, femmes et hommes issus du secteur privé, ont été étudiés. Ils ont été sélectionnés parmi un échantillon d’individus-cadres pour leur bon score-test d’efficacité perçue à la tâche. Tous ont au moins un enfant. Chaque répondant a été soumis à six questions au sujet de son comportement. Toutes les questions sont élaborées sous forme d’échelles allant de zéro à cinq. Il s’agissait de mesurer le niveau de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/stress-20136">stress</a> dans la gestion de l’équilibre travail/famille ; le sentiment d’efficacité personnelle au travail ; le niveau d’efficacité personnelle qu’ils pensent que leur hiérarchie leur attribue ; l’implication au travail ; la satisfaction au travail ; l’intention de départ.</p>
<p>Les résultats nous permettent de tirer plusieurs enseignements intéressants. On observe tout d’abord, et cela semble assez intuitif, que moins l’individu est impliqué dans son <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a>, moins il est satisfait et plus il compte quitter l’entreprise. Il apparaît également que plus le cadre est en situation de stress avec un bon niveau de sentiment d’efficacité personnelle au travail, plus son niveau de satisfaction au travail augmente. Cela voudrait dire que le cadre se réalise dans le stress, c’est son carburant. Cependant, plus le cadre est stressé et plus aussi son niveau de rétroaction perçue d’efficacité personnelle diminue au point qu’il ait envie de quitter l’entreprise.</p>
<h2>Qui est concerné ?</h2>
<p>Nous touchons au but. Le stress chez le cadre est générateur à la fois d’une satisfaction au travail parce qu’il s’y sent efficace et d’insatisfaction au travail parce qu’il pense que son chef ne le juge pas efficace. Et, au-delà du sentiment d’efficacité personnelle, c’est ce sentiment rétroactif, la rétroaction perçue d’efficacité personnelle, qui médiatise les comportements futurs du cadre, à savoir son implication, sa satisfaction et ses envies de départ.</p>
<p>Nous avons « contrôlé » nos résultats en tenant compte de variables telles que le sexe, l’ancienneté en entreprise et le niveau d’encadrement. La rétroaction perçue d’efficacité personnelle semble ainsi plus faible chez le cadre ayant moins de 5 ans d’expérience en entreprise que celui dont l’ancienneté dépasse les 15 années. Cela voudrait dire que lorsque le cadre a peu d’expérience en entreprise, il attend beaucoup du jugement de sa hiérarchie car il veut lui plaire, savoir s’il fait du bon travail. Pour un cadre senior, c’est moins le cas, ce dernier étant probablement plus connaisseur des leviers d’évaluation en interne et des profils des managers.</p>
<p>Si l’on regarde du côté de l’âge, il apparaît que l’écart de perception entre le propre jugement d’efficacité des jeunes cadres et la manière dont ils pensent que leur hiérarchie les juge est si important qu’il est impossible de prédire les réactions qu’ils vont avoir. Cette génération semble plus méfiante, moins naïve et plus alertée que les générations précédentes sur les pratiques de management. Elle a aussi besoin de feedbacks basés sur des faits, des éléments concrets. Elle veut du challenge sur mesure et surtout être valorisée.</p>
<p>Il y a là des ressources importantes pour les entreprises. Quand on connaît les <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amr.1984.4277675">coûts abyssaux</a> liés aux dysfonctionnements qu’engendre le départ d’un cadre performant, on peut se dire que l’entreprise devrait sérieusement songer à intégrer des capteurs de bien-être en formant les managers à l’accompagnement et au suivi du parcours individuel pour augmenter les chances de prédire avec justesse les intentions de leurs collaborateurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187152/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Garner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une recherche montre qu’un même facteur génère de la satisfaction au travail et une impression de déplaire à son supérieur qui pousse au départ : le stress.Pierre Garner, Enseignant-chercheur en comportement organisationnel, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1852372022-06-16T20:41:46Z2022-06-16T20:41:46ZJudith, figure biblique de la « veuve noire »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/469291/original/file-20220616-12-41b3u9.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C1515%2C1203&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Judith décapitant Holopherne. Tableau du Caravage, vers 1598-1602. Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome. Détail. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7e/Judit_y_Holofernes%2C_por_Caravaggio.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le livre de Judith fait partie des écrits deutérocanoniques admis dans le canon biblique par les Églises catholique et orthodoxe. Il s’agit d’un récit édifiant qui doit montrer au lecteur comment il est possible, en des circonstances dramatiques, de <a href="https://bible.catholique.org/livre-de-judith/4147-chapitre-1">rester fidèle à Dieu</a>.</p>
<p>Malgré les divergences entre les commentateurs de cette œuvre, on s’accorde généralement à reconnaître qu’elle a été écrite entre 160 et 60 av. J.-C., c’est-à-dire <a href="https://www.academieoutremer.fr/images/files/Juifs-Nabateens-%2859_088%29.pdf">à l’époque des Hasmonéens</a>, dynastie de souverains juifs qui régna sur la Judée, entre la fin de la domination séleucide et la conquête romaine.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Judith, par Jean-Joseph Benjamin Constant, vers 1886. National Gallery of Art, Washington.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le livre se réfère, de manière allusive, à la <a href="https://www.babelio.com/livres/Hadas-Lebel-La-revolte-des-Maccabees--167-142-av-J-C/938279">guerre de libération</a> menée contre le roi séleucide Antiochos IV Épiphane par Judas Maccabée, héros fondateur de la dynastie hasmonéenne.</p>
<p>L’auteur a dissimulé son dessein édifiant sous le voile du passé : il situe l’action <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Book_of_Judith.html?id=5NgUAAAAIAAJ&redir_esc=y">au temps de Nabuchodonosor</a>, souverain babylonien du VI<sup>e</sup> siècle av. J.-C. Mais, toute ressemblance avec des personnages et des faits du II<sup>e</sup> siècle av. J.-C. n’est nullement fortuite.</p>
<h2>Deux époques superposées</h2>
<p>L’auteur superpose deux époques, suivant un procédé qui sera encore exploité, bien plus tard, par Sergueï Eisenstein dans <em>Alexandre Nevski</em> (1938). Le film, bien que se situant au Moyen Âge, n’en fait pas moins implicitement référence au contexte contemporain de sa réalisation : la menace de l’expansionnisme nazi. Dans un but propagandiste, le passé est mis au service du présent.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1159&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1159&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1159&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Judith et Holopherne. Tableau de Franz von Stuck, 1927. Gemäldegalerie, Schwerin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Franz_von_Stuck_-_Judith.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le roi Nabuchodonosor, ennemi des Juifs, n’est autre que la transposition littéraire d’Antiochos IV Épiphane. Le livre de Judith évoque aussi le principal haut fait de Judas Maccabée : la purification du Temple de Jérusalem et de son autel, après leur profanation par le roi séleucide qui avait consacré le sanctuaire des Juifs à Zeus Olympien.</p>
<p>« Depuis peu tout le peuple de Judée avait été rassemblé et les ustensiles, l’autel et la maison de Dieu avaient été consacrés après leur profanation (<em>Judith 4, 3</em>) ».</p>
<p>Il s’agit d’une référence au 25 kislew (mois du calendrier hébraïque) 165 ou 164 av. J.-C. et à l’instauration de la <a href="https://bmcr.brynmawr.edu/2015/2015.02.48/">fête de Hanoucca</a> qui fut ensuite célébrée chaque année.</p>
<h2>Conquérir « toute la terre d’Occident »</h2>
<p>Le livre de Judith s’ouvre sur une évocation de Nabuchodonosor. L’orgueilleux roi, avide de guerres et de pillages, lance le général en chef de son armée, Holopherne, à la conquête de « toute la terre d’Occident » (<em>Judith 2, 6</em>), c’est-à-dire du Proche-Orient méditerranéen. Les Juifs, effrayés par la menace qui pèse sur eux, n’en décident pas moins de résister à l’envahisseur.</p>
<p>Holopherne, qui souhaite en savoir davantage sur l’identité de ces Juifs qui osent lui tenir tête, interroge à ce sujet un officier ammonite nommé Akhior, commandant de troupes auxiliaires recrutées en Transjordanie.</p>
<p>Akhior déconseille formellement à Holopherne de s’attaquer aux Juifs « de peur que leur Seigneur et Dieu ne les protège » (<em>Judith 5, 21</em>). Mais le général méprise cet avertissement : selon lui, Nabuchodonosor est un dieu bien plus puissant que le dieu d’Israël (<em>Judith 6, 2</em>).</p>
<p>Pour punir Akhior de l’insolence de ses propos, Holopherne ordonne à ses hommes de ligoter l’officier et d’aller l’abandonner au pied de la colline où s’élève la ville de Béthulie. Une localité juive, inconnue par ailleurs, sans doute inventée par l’auteur.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-messie-etait-il-un-leader-nationaliste-157262">Le Messie était-il un leader nationaliste ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Akhior est recueilli et bien traité par les habitants, tandis qu’Holopherne commence le siège de la ville. Bientôt la population n’a plus de quoi se nourrir et envisage de se rendre à l’ennemi.</p>
<h2>Et Dieu créa Judith</h2>
<p>C’est alors qu’intervient une belle veuve nommée Judith. Pourquoi une veuve ? L’auteur veut souligner le fait qu’elle échappe à toute tutelle masculine dans un cadre matrimonial. C’est une femme libérée de la domination des hommes, mais non de Dieu. Judith possède aussi une expérience qui va lui permettre de mener à bien sa mission. De plus, comme les filles juives étaient alors mariées dès l’adolescence, il n’est pas difficile pour le lecteur d’imaginer une jeune et pimpante veuve.</p>
<p>Judith prend la parole : elle prédit aux habitants de Béthulie leur prochain salut, car, dit-elle, « le Seigneur visitera Israël par mon entremise (<em>Judith 8, 33</em>) ». Après une prière, accompagnée de sa servante, la veuve quitte Béthulie pour se rendre dans le camp ennemi. Elle est vêtue comme pour un jour de fête. Elle s’est enduit le corps d’un baume parfumé, a entouré sa chevelure d’un bandeau, a chaussé des sandales, mis « ses colliers, ses bracelets, ses bagues, ses boucles d’oreilles et toutes ses parures » (<em>Judith 10, 4</em>).</p>
<p>Parfum, coiffure et bijoux contribuent à façonner une figure prête à séduire, de la tête aux pieds, « les yeux des hommes qui la verraient ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Judith et Holopherne. Tableau de Lucas Cranach l’Ancien, vers 1530. Jagdschloss Grunewald.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Judith_mit_dem_Haupt_des_Holofernes.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’appât féminin</h2>
<p>Quand elle se présente à l’entrée du camp ennemi dans cet irrésistible accoutrement, la jeune femme attire aussitôt tous les regards. Subjugué par l’appât, Holopherne l’invite à entrer dans sa tente, comme un cheval de Troie féminin. Assurée de son succès, la sublime veuve se permet une touche d’ironie : « Dieu m’a envoyée réaliser avec toi des affaires dont toute la terre sera stupéfaite », lance-t-elle à sa proie (<em>Judith 11, 16</em>).</p>
<p>Après un banquet bien arrosé, Holopherne, ivre, s’assoupit. L’assistance se retire, laissant le chef seul avec Judith. La belle soulève la lourde épée que le général a déposée près de son lit. Elle saisit Holopherne par les cheveux et, frappant de toutes ses forces, lui tranche le cou. Puis elle sort de la tente et confie la tête à sa suivante qui la met dans son sac.</p>
<p>Toutes deux s’en retournent alors à Béthulie avec leur trophée. Ravis de cet exploit, les assiégés accrochent la tête d’Holopherne à la muraille de la ville. Lorsqu’ils découvrent l’assassinat de leur chef, les ennemis, frappés de stupeur, se hâtent d’abandonner leur camp.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=656&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=656&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=656&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=825&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=825&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=825&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Judith. Tableau de Gustav Klimt, 1901. Musée du Belvédère, Vienne. Détail.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Judith_et_Holopherne_(Klimt)#/media/Fichier:Gustav_Klimt_039.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La belle tueuse</h2>
<p>Bien après l’Antiquité, le livre de Judith fascina nombre de lecteurs et d’artistes. Son attrait repose notamment sur le renversement de situation qu’il opère entre le dominant et le prétendu faible, qui sort finalement vainqueur de la confrontation.</p>
<p>Ce schéma asymétrique est comparable au duel entre le jeune David et le géant Goliath, thème biblique qui connut un engouement similaire.</p>
<p>La figure de Judith rencontra aussi un grand succès en raison des deux thèmes, en apparence contradictoires, qui fusionnent en elle : la séduction et la mort. Elle incarne la femme dangereuse, mais dans un sens positif, car elle agit pour la bonne cause. C’est une sorte de Salomé inversée.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/salome-itineraire-dune-jeune-fille-impudique-155245">Salomé : itinéraire d’une jeune fille impudique</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>À partir du XV<sup>e</sup> siècle, la veuve de Béthulie devint un sujet d’inspiration pour nombre de peintres, comme le Caravage (vers 1598-1602) qui la représente en train de décapiter sa proie.</p>
<p>Sandro Botticelli préfère montrer les conséquences de l’acte : l’effroi des officiers d’Holopherne découvrant le corps amputé de leur maître, ou encore Judith rentrant à Béthulie, suivie de sa servante qui porte la tête d’Holopherne sur sa propre tête, comme une femme revenant du marché.</p>
<p>On ne compte pas les nombreuses Judith posant en compagnie de leur macabre trophée, de Lucas Cranach l’Ancien (vers 1530) à Gustav Klimt (1901). Quant à Franz von Stuck (1927), il choisit d’illustrer l’instant fatidique où la lame tranchante va s’abattre sur le cou du chef ennemi.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le retour de Judith à Béthulie. Tableau de Sandro Botticelli, vers 1470. Galerie des Offices, Florence.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/84/Sandro_Botticelli_-_Retour_de_Judith_1.JPG">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’odalisque armée</h2>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, Benjamin Constant, suivant la mode orientaliste du moment, imagine une odalisque aux longs cheveux noirs, sertie de bijoux, et armée d’un puissant cimeterre.</p>
<p>Le livre de Judith inspira aussi Flaubert. Comme l’héroïne de Béthulie, <a href="https://books.openedition.org/pufc/1584">Salammbô pénètre dans la tente de l’ennemi, dans le chapitre 11</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Au chevet du lit, un poignard s’étalait sur une table de cyprès ; la vue de cette lame luisante l’enflamma d’une envie sanguinaire ».</p>
</blockquote>
<p>La Carthaginoise songe un instant à tuer Mâtho endormi, avant de se raviser.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jeux-erotiques-de-salammbo-et-de-son-python-fetiche-157618">Les jeux érotiques de Salammbô et de son python fétiche</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans l’imaginaire occidental de l’époque, toutes ces figures de femmes fatales, de Judith à Salammbô, en passant par Salomé, se rejoignent et se confondent en un même rêve d’Orient érotique et cruel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185237/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La figure de Judith rencontra aussi un grand succès en raison des deux thèmes, en apparence contradictoires, qui fusionnent en elle : la séduction et la mort.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1841212022-05-31T18:58:03Z2022-05-31T18:58:03ZQuand l’art devient une prise de guerre : le cas des objets scythes d’Ukraine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/466315/original/file-20220531-16-oozv7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C22%2C780%2C729&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Collier-pectoral en or du Kourgane royal d'Ordjonikidze (Ukraine). Art gréco-scythe, seconde moitié du ive siècle av. J.-C., musée des trésors historiques de l'Ukraine, Kiev.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Scythes#/media/Fichier:Pektoral111.JPG">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Il n’est pas rare que les conflits armés emportent dans la spirale de la violence des objets d’art et de culture : le cas de l’attaque de l’Ukraine par la Russie en donne un exemple très frappant. Dès le début de la guerre, le 24 février 2022, l’armée russe prend la ville de Melitopol, située dans le Sud du pays, près de la mer d’Azov, dans le couloir stratégique qui, s’il était conquis, permettrait de relier au territoire russe la Crimée annexée en 2014. Mais l’objectif n’est pas que militaire : en s’emparant de la ville, les <a href="https://www.nytimes.com/2022/04/30/world/europe/ukraine-scythia-gold-museum-russia.html">soldats s’empressent de piller le musée local où se trouvent des artefacts d’art scythe, aujourd’hui introuvables</a>.</p>
<p><a href="https://twitter.com/RFERL/status/1520653578712481793">« Les orques se sont emparées de notre or scythe »</a>, déclare alors le maire de la ville, Ivan Fedorov, popularisant une expression qui devient rapidement virale pour désigner les envahisseurs russes. L’attaque était de toute évidence ciblée : la directrice du musée d’histoire locale de Melitopol, <a href="https://www.rferl.org/a/russia-ukraine-looting-scythian-gold/31829109.html">Leila Ibrahimova, a rapporté à Radio Free Europe</a> que les soldats avaient demandé spécifiquement où se trouvaient ces objets précieux, cachés lors de l’approche des troupes ennemies. Elle a ajouté qu’ils étaient accompagnés d’un homme en combinaison blanche capable de manipuler ces objets et de les escamoter sans les abîmer.</p>
<p>Aux dernières nouvelles, la gardienne du musée qui a dévoilé l’emplacement des objets sous la menace des armes n’a plus donné signe de vie.</p>
<p>En tout, à Melitopol, ce sont 198 objets d’art qui auraient été escamotés, parmi lesquels des armes anciennes, des monnaies rares et surtout des artefacts en or qui constituaient la plus importante collection d’art scythe en Ukraine. Eux aussi ont disparu sans laisser de trace et il semble qu’ils n’aient pas alimenté le marché noir mondial des œuvres d’art volées.</p>
<p>Pourquoi ce vol a-t-il eu lieu ? Parce qu’autour de ces objets d’art se joue une querelle muséale, culturelle et mémorielle qui ouvre une nouvelle ligne de front dans le sanglant conflit russo-ukrainien.</p>
<h2>Les Scythes, de l’intérêt archéologique au mythe russe et slave</h2>
<p>Qui prononce le mot « scythe » convoque tout un imaginaire de la steppe primitive et sauvage, peuplée de cavaliers parés d’or qui sont autant de redoutables adversaires au combat. La fascination pour cet ensemble de cultures de l’Âge du fer, présentes en Europe et en Asie du VIII<sup>e</sup> au II<sup>e</sup> siècle avant Jésus-Christ, est ancienne en Occident. Dans ses <em>Histoires</em>, le Grec Hérodote (vers – 480 avant JC-vers – 425 avant JC) consacre tout un livre à cette peuplade réputée pour sa férocité, et on peut soupçonner les auteurs de la saga <em>Star Wars</em> d’être encore sous l’emprise de cette aura lorsqu’ils inventent des seigneurs siths à l’origine des luttes qui émaillent la galaxie.</p>
<p>Mais en contexte slave, les Scythes ont le statut d’ancêtres rêvés des peuples de l’Est de l’Europe. Cette culture orale, lointaine et à ce double titre ayant laissé peu de traces a néanmoins essaimé dans la steppe des <a href="https://archeorient.hypotheses.org/8427#:%7E:text=Le%20kourgane%2C%20mot%20d%E2%80%99origine,1">« kourganes »</a>.), ou monticules funéraires où étaient ensevelies les élites scythes. Dès le XVIII<sup>e</sup> siècle, on commence à ouvrir les tombes présentes sur le territoire russe de l’époque et on y découvre des artefacts témoignant de la richesse de cette civilisation : parmi eux, de splendides objets en or, montrant souvent des scènes de chasse ou de combat, dont la valeur artistique est évidente.</p>
<p>C’est en Ukraine, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Koul-Oba">dans la carrière de Koul-Oba</a> (« la Colline de cendre »), située dans l’actuelle Crimée, que l’on découvre en 1830 une tombe où reposent, accompagnés d’un serviteur, un homme et une femme entièrement recouverts d’or : cette première découverte d’ampleur, dans une expédition commanditée à l’origine par le tsar russe Alexandre I<sup>er</sup>, le vainqueur de Napoléon, mort en 1825, lance une opération de mythification générale des Scythes. Ils deviennent des aïeux glorieux, dont la maîtrise des armes n’a d’égale que celle des arts, et qui témoignent de l’existence précoce d’une grande civilisation extraeuropéenne dont les peuples slaves seraient les descendants.</p>
<p>Cette généalogie rêvée se heurte à certains obstacles historiques (au premier chef la définition exacte de ce qui est « scythe » : le sens étroit restreint l’usage à des peuples ayant vécu en Ukraine et au Caucase, un sens plus large englobe toute la steppe eurasiatique), mais elle sert à résorber le complexe culturel qu’a la Russie vis-à-vis de l’Europe. En se plaçant sous l’égide des Scythes, celle-ci n’est plus contrainte d’imiter servilement les grandes puissances européennes, mais peut se réclamer d’un modèle propre, d’une origine culturelle singulière et d’une puissance guerrière que la victoire contre Napoléon en 1815 vient justement de réactiver.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466319/original/file-20220531-12-hwai9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466319/original/file-20220531-12-hwai9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466319/original/file-20220531-12-hwai9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466319/original/file-20220531-12-hwai9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466319/original/file-20220531-12-hwai9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466319/original/file-20220531-12-hwai9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466319/original/file-20220531-12-hwai9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le nationalisme romantique : Bataille entre Scythes et Slaves (Viktor Vasnetsov, 1881).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Scythes#/media/Fichier:%D0%91%D0%BE%D0%B9_%D1%81%D0%BA%D0%B8%D1%84%D0%BE%D0%B2_%D1%81%D0%BE_%D1%81%D0%BB%D0%B0%D0%B2%D1%8F%D0%BD%D0%B0%D0%BC%D0%B8.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce mythe scythe court ainsi durant tout le XIX<sup>e</sup> siècle et connaît un nouveau moment de gloire au début du XX<sup>e</sup> siècle où, dans le cadre du modernisme russe, philosophes et poètes n’hésitent pas à se déclarer « scythes » : le <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_2001_num_70_1_1343">mouvement « eurasiste »</a> déplace le centre de gravité de l’identité russe vers l’Est, tandis que le <a href="https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Blok%20-%20Les%20Scythes.htm">long poème d’Alexandre Blok « Les Scythes » (1918)</a> assimile le flot menaçant des cavaliers nomades à la tempête révolutionnaire venue de l’Est et toute prête à se déverser sur l’Europe. Les Scythes sont ainsi compatibles avec la Révolution, ils en sont même les précurseurs : on ne s’étonnera pas que les expositions sur l’or scythe, prélevées notamment dans les collections du musée de l’Ermitage, ponctuent la diplomatie culturelle de l’URSS, dans laquelle elles font figure de manifestation de puissance et, peut-être, de menace voilée.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/466363/original/file-20220531-26-t0h7ly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466363/original/file-20220531-26-t0h7ly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466363/original/file-20220531-26-t0h7ly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466363/original/file-20220531-26-t0h7ly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466363/original/file-20220531-26-t0h7ly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466363/original/file-20220531-26-t0h7ly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=904&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466363/original/file-20220531-26-t0h7ly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=904&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466363/original/file-20220531-26-t0h7ly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=904&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Catalogue de l’exposition soviétique de 1975 à Paris.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>À qui sont les Scythes ?</h2>
<p>La Russie de Vladimir Poutine, lequel est un fervent défenseur de la doctrine eurasienne, a donc tout intérêt à récupérer pour elle ces grands ancêtres, quitte à piller un musée. Le sac du musée de Melitopol solde en effet une querelle muséale ouverte depuis 2014 entre la Russie et l’Ukraine. <a href="https://www.lejournaldesarts.fr/actualites/lukraine-recupere-lor-des-scythes-reclame-par-moscou-131131">En 2014, les Scythes ont refait surface dans l’actualité</a> : un musée d’Amsterdam avait consacré une exposition à l’or scythe d’Ukraine – et plus précisément de Crimée. Or, durant l’exposition, la Russie a annexé cette partie du territoire ukrainien. S’en est suivie une longue bataille judiciaire pour savoir à qui ces objets devaient être restitués : à l’Ukraine qui les avait prêtés ou à la Russie qui les réclamait ? En octobre 2021, un <a href="https://www.theartnewspaper.com/2021/10/27/crimean-gold-trove-must-return-to-ukraine-not-russia-dutch-court-rules">tribunal néerlandais tranchait en faveur de l’Ukraine</a> et les objets ont été envoyés au Musée de Melitopol. Pour les autorités ukrainiennes, c’était non seulement le signe que le droit était respecté, mais aussi le rappel que l’histoire scythe s’était jouée en grande partie sur les terres d’Ukraine.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/466351/original/file-20220531-14-o8jiis.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466351/original/file-20220531-14-o8jiis.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466351/original/file-20220531-14-o8jiis.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466351/original/file-20220531-14-o8jiis.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466351/original/file-20220531-14-o8jiis.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466351/original/file-20220531-14-o8jiis.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466351/original/file-20220531-14-o8jiis.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466351/original/file-20220531-14-o8jiis.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Sophia Schliemann arborant les bijoux du « Trésor de Priam ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Sophia_schliemann_treasure.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Or, ce sont en grande partie ces mêmes objets qui ont été pillés lors de l’occupation de Melitopol. La méthode n’est pas nouvelle, et les Russes ont souvent utilisé l’art comme prise de guerre : depuis 1994, le musée Pouchkine de Moscou expose le « trésor de Priam », à savoir la collection constituée par l’archéologue allemand Heinrich Schliemann en 1874 à partir des restes présumés de la ville de Troie et exposée à Berlin jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Disparue pendant des décennies, elle a finalement réapparu en Russie et le pays en a toujours refusé la restitution au titre du rôle joué par l’Armée rouge dans la libération de l’Europe.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/heinrich-schliemann-la-naissance-dun-archeologue-dans-la-france-du-second-empire-182246">Heinrich Schliemann : la naissance d’un archéologue dans la France du Second Empire</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Mais dans le contexte du conflit qui sévit depuis le 24 février 2022, c’est aussi une bataille mémorielle qui se joue autour des Scythes. Priver les Ukrainiens de leurs objets d’art scythe, les couper de ce peuple légendaire à l’aura culturelle et littéraire majeure, c’est consolider le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/22/l-ukraine-a-ete-creee-par-la-russie-bolchevique_6114747_3210.html">contre-récit poutinien qui consiste à nier l’existence historique de l’Ukraine, laquelle aurait en réalité été créée de toutes pièces par Lénine</a>.</p>
<p>Le vol de ces objets, effectué de manière calculée et dans une grande violence, a donc un but politique : pas d’objets d’art, pas d’histoire ; pas d’histoire, pas de Nation ; pas de Nation, pas de guerre mais une « opération spéciale » de maintien de l’ordre sur un territoire qui s’inscrirait naturellement dans la continuité du territoire russe.</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que la Russie et l’Ukraine s’affrontent autour d’objets culturels qui engagent aussi l’affirmation d’une identité et d’une histoire : en 2009, à l’occasion du <a href="https://www.theguardian.com/world/2009/mar/31/nikolai-gogol-russia-ukraine">bicentenaire de la naissance de l’écrivain Nicolaï Gogol</a>, les historiens de la littérature des deux pays s’étaient enflammés pour savoir si le grand auteur natif de « Petite-Russie » était russe ou ukrainien. Ce ne sont pas non plus les seuls objets à subir les désastres de la guerre : la <a href="https://t.me/mariupolrada/9419">mairie de Marioupol a quant à elle fait état de 2000 vols</a>, incluant une Bible incunable de 1811, des tableaux des peintres <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Arkhip_Kou%C3%AFndji">Arkhip Kuindji</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivan_A%C3%AFvazovski">Ivan Aïvazovski</a>, des icônes rares et de nombreuses médailles anciennes. Mais nul doute que dans le butin de guerre, l’or des Scythes brille d’un éclat particulier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184121/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Victoire Feuillebois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Autour de ces objets d’art se joue une querelle muséale, culturelle et mémorielle qui ouvre une nouvelle ligne de front dans le sanglant conflit russo-ukrainien.Victoire Feuillebois, Assistant Professor in Russian Literature, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1815512022-04-19T16:34:48Z2022-04-19T16:34:48ZJames : « Est-ce que les zombies existent pour de vrai ? »<p>Il y a beaucoup de séries et de films sur les zombies. La plupart d’entre eux sont destinées aux adultes et sont plutôt effrayants. <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/136346158502200304?journalCode=tpsd">Certaines personnes</a> croient que les zombies sont bien réels, mais ils ne ressembleraient pas vraiment aux zombies que l’on voit dans les films ou à la télévision.</p>
<p>Le mot <em>zombie</em> est lié aux contes populaires d’Haïti. Haïti est un pays situé sur une île appelée Hispaniola, dans les Caraïbes.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Haïti est indiqué par un point rouge sur cette carte.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.com.au/maps/place/Haiti/@26.9619976,-88.9735058,5z/data=!4m5!3m4!1s0x8eb6c6f37fcbbb11:0xb51438b24c54f6d3!8m2!3d18.971187!4d-72.285215!10m1!1e2">Google Maps</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les contes populaires sont racontés dans le monde entier depuis des milliers d’années. Ce sont généralement des histoires inventées, qui ressemblent à des contes de fées. Mais certaines personnes pensent qu’il y a du vrai dans ces histoires.</p>
<p>Il y a des centaines d’années, des esclaves d’Afrique étaient emmenés en Haïti et forcés de travailler très dur dans des fermes. Ils étaient très mal traités, n’étaient pas payés et n’avaient pas le droit de rentrer chez eux. Ces esclaves se racontaient un conte sur ce qui leur arriverait après leur mort. Dans ce conte, ils disaient qu’un dieu vaudou les sortiraient de leur tombe et les ramèneraient en Afrique. Mais s’ils avaient fait de mauvaises choses dans leur vie, ils croyaient qu’ils seraient transformés en zombies à la place.</p>
<p>Le vaudou est une religion pratiquée dans certaines régions du monde, notamment en Haïti. On pense que les esclaves emmenés en Haïti ont apporté avec eux leurs croyances dans cette religion. Les personnes qui croient au vaudou pensent qu’il y a beaucoup d’esprits dans le monde, de nombreux dieux, et un dieu principal.</p>
<p>Un de ces esprits vaudou s’appelle le Baron Samedi. Si les gens le contrariaient de leur vivant, ils risquaient d’être transformés en zombies. Le Baron Samedi a une allure assez effrayante, il porte un chapeau haut de forme, un grand manteau noir et a parfois un crâne à la place du visage.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">On dit que le Baron Samedi porte un chapeau haut de forme, tout comme ce petit zombie en Lego.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/clement127/11671449945/in/photolist-iMnerB-9ScHuK-5s4cmH-5s4erX-bksA8A-5s4eMe-5s8zxf-jQXqgh-8GzcdA-rAg2pz-5ieHRH-oqasq-74WFmA-8aTX5G-dKv5dB-h3aBfA-GRcTB7-ynRap4-GesPJh-q1bNxy-74Djdm-eMiv4R-bEQyfx-9C83au-5s46Hp-74WF6Q-5HMTxE-qxEiX3-n5znuk-qyzSGP-hf5kqB-5HMTyU-5b4gdL-73CcmW-8Pvkhx-qys5vN-d2FfKf-rpchRK-hf5kYF-73BEtY-8QgYuU-8akZTE-dGeMxo-puGAj-bPuQqz-bPnrce-9DB6jL-bAtmY5-JLGLC3-5rEXsU">Clement127/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans d’autres légendes haïtiennes, les zombies sont créés par des sorciers. Ils étaient censés pouvoir créer des zombies en fabriquant des poisons. Une fois bu, ils donneraient à la personne l’apparence et le comportement d’un mort. Le sorcier utilise alors le zombie comme esclave.</p>
<p>Il y a un peu plus de 100 ans, ces contes haïtiens ont commencé à atteindre les États-Unis. On racontait des histoires de zombies aux gens et elles étaient également imprimées dans des recueils d’histoires sur Haïti. Il y avait également des rapports sur les zombies vivant en Haïti, et il n’a pas fallu longtemps pour que les universitaires et les journalistes américains commencent à visiter Haïti à la recherche de vrais zombies.</p>
<p>Ces contes et reportages sur les zombies ont été transformés en bandes dessinées et en histoires d’horreur. Certaines personnes aiment être effrayées par ces monstres.</p>
<p>Voici donc l’histoire des zombies. Qu’il s’agisse de croyances religieuses, de contes populaires, de rapports sur des zombies réels, de bandes dessinées, de films d’horreur ou de télévision, les zombies sont désormais partout sur nos écrans.</p>
<p>Dans les émissions télévisées d’aujourd’hui, il y a beaucoup de raisons différentes qui expliquent comment les zombies sont créés. Parfois, on explique que les gens sont transformés en zombies en respirant des produits chimiques dangereux ou en attrapant des maladies mystérieuses. Pour rendre ces zombies télévisés encore plus effrayants, ils sont souvent violents et mangent même de la chair humaine.</p>
<p>Mais n’oublie pas que dans ces contes modernes, conçus pour nous effrayer, il y a aussi un héros ou une héroïne pour sauver le monde.</p>
<hr>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marguerite Johnson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le terme de « zombie » vient de la culture haïtienne et plus particulièrement de la religion vaudou.Marguerite Johnson, Professor of Classics, University of NewcastleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1784942022-04-18T15:50:14Z2022-04-18T15:50:14ZComment les philosophes de l’antiquité pensaient la guerre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/458308/original/file-20220415-24-hc4k4k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=306%2C8%2C2418%2C1414&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Zeus s'interpose entre Athéna et Arès, cratère à volutes de Nicosthénès, v. 540-510 av. J.-C. British Museum.</span> <span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span></figcaption></figure><p>La guerre est un domaine fondamental de l’investigation philosophique, en ce qu’elle permet d’interroger la nature de l’homme, la dynamique de l’histoire, et les relations entre les êtres humains.</p>
<p>Le champ lexical lié à la guerre, on s’en souvient, est réapparu dans l’espace public avec l’émergence du Covid-19 et le « Nous sommes en guerre », d’Emmanuel Macron. Depuis quelques semaines, le scénario de guerre est devenu une réalité concrète avec <a href="https://theconversation.com/ukraine-la-guerre-ne-fait-que-commencer-178198">conflit au cœur de l’Ukraine</a> dont les origines et la dynamique <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/02/28/analyse-guerre-en-ukraine-pourquoi-vladimir-poutine-ne-reculera-pas-10140088.php">ont été largement sondées</a>.</p>
<p>La <a href="https://information.tv5monde.com/info/guerre-en-ukraine-l-ue-va-livrer-des-armes-kiev-une-decision-historique-446696">rhétorique de la guerre des armes</a> semble à présent prévaloir sur celle de la négociation, avec la perspective d’un conflit aux proportions mondiales loin d’être rassurante.</p>
<p>Habitués que nous sommes à commémorer les tragédies du 20e siècle, et après une longue période de paix, nous, Européens, n’avions jamais imaginé qu’après la pandémie, une sorte de troisième guerre mondiale se profilait à l’horizon. Pourtant, la guerre n’a jamais disparu de l’existence humaine : il y a eu <a href="https://journals.openedition.org/tp/603">plus de morts en raison de la guerre dans le monde entre 1945 et 2000</a> que pendant la Seconde Guerre mondiale.</p>
<h2>Pour Homère, un « mal nécessaire »</h2>
<p>Dans la culture antique, Homère définit la guerre dans l’Iliade. Il l’appelle <em>Pòlemos kakòs</em>, autrement dit « la guerre est un mal », mais ajoute immédiatement après, « un mal nécessaire ». La guerre joue un rôle fondamental dans la vie des héros représentés dans ses poèmes. Il suffit de penser que les protagonistes de l’Iliade et de l’Odyssée sont deux rois guerriers : Achille et Ulysse.</p>
<p>L’Iliade nous présente d’autres figures de héros guerriers, parmi lesquelles se distinguent Ajax et Hector. Chacun de ces binômes a une connotation différente dans son approche de la guerre : Hector et Ajax représentent la guerre menée de manière éthique, c’est-à-dire menée sur la base de règles et ouvertement avec l’adversaire. Achille, quant à lui, représente la guerre violente, qui frappe traîtreusement et ne se soucie pas des règles. Ulysse représente la guerre rusée, qui se déplace avec intelligence pour surprendre l’adversaire. C’est une guerre imprévisible et créative, qui s’adapte à toutes les situations.</p>
<p>Ainsi qu’Ulysse le rappelle à Agamemnon : « depuis sa jeunesse jusqu’à sa vieillesse, il a soutenu des guerres terribles, jusqu’à ce que tout le monde meure » (Il. XIV, 84-87). Ulysse est le seul survivant de la guerre de Troie. Habile marin et scrutateur attentif des situations qui l’entourent, le plus grand vainqueur de la plus grande guerre de l’antiquité est un marin, qui a gagné parce qu’il a joué la ruse plutôt que la violence.</p>
<h2>La guerre révélatrice</h2>
<p>Pour Héraclite, la guerre représente le grand moteur des vicissitudes humaines : « Pòlemos est le père de toutes choses, de tous les rois, et il révèle les uns comme des dieux et les autres comme des hommes, les uns comme des esclaves et les autres comme des libres », écrit-il. Elle détermine la destinée humaine, pour le bien et le mal, et pas seulement cela : la guerre, selon lui, régirait toute la cosmologie grecque.</p>
<p>Le conflit, l’affrontement, se produisent aussi bien dans la nature que dans le monde humain et dans les deux cas prévaut la logique de la conquête, de la défaite de l’adversaire pour l’emporter. Elle influence la physique et la métaphysique, l’épistémologie et l’éthique. La vie humaine elle-même est une guerre permanente, mais elle ne doit pas être fondée sur une violence inutile. C’est l’ingrédient qui doit nous donner la force de comprendre clairement les choses du monde et ceci, selon le philosophe, est un exercice difficile, car la plupart des hommes sont de nature lâche et passive.</p>
<h2>L’influence d’Héraclite sur Hegel</h2>
<p>Il est bien connu des spécialistes de la philosophie que la vision héraclitéenne a grandement influencé la réflexion monumentale de Hegel, le philosophe de l’époque romantique pour qui toute réalité est informée par un processus dialectique dans lequel thèse et synthèse se réconcilient en un <a href="https://la-philosophie.com/dialectique-hegel?msclkid=f2613ec9af7a11ec9beab10098307943">moment suprême appelé « synthèse »</a>.</p>
<p>Hegel attribuait à la guerre la tâche de sauvegarder la santé éthique des peuples, tout comme le mouvement des vents préserve la mer de la pourriture. Il affirme : « La guerre a cette signification supérieure que par elle la santé éthique des peuples est maintenue dans son indifférence face au renforcement des déterminations finies, de même que le mouvement des vents préserve la mer de la pourriture dans laquelle elle serait réduite par une immobilité durable, et de même que les peuples sont préservés d’une paix durable ou même perpétuelle » (<em>Principes de la philosophie du droit</em>, 1821). La distance sidérale avec Kant, qui prône au contraire la paix perpétuelle, est évidente. Pour Hegel, la guerre est une condition naturelle et inévitable, et c’est pourquoi il considère l’idée pacifiste de Kant comme <a href="https://www.ilsuperuovo.it/guerra-in-afghanistan-e-possibile-la-pace-le-risposte-di-kant-ed-hegel/">utopique et abstraite</a>. Pour Hegel, où il y a de la vie, il y a conflit. La guerre est donc, sous certains aspects, également bénéfique, car elle permet le progrès civil et moral des peuples.</p>
<h2>Guerre et politique</h2>
<p>Le philosophe athénien Platon examine la relation entre la guerre et la politique dans au moins trois œuvres : le <em>Protagoras</em>, la <em>République</em>, les <em>Lois</em>.</p>
<p>Le <em>Protagoras</em> expose le célèbre mythe de Prométhée, qui vole aux dieux le feu et la technique pour en faire don aux hommes. Mais les deux dons ne servent qu’à créer quelques habitations, pas encore une <em>pòlis</em>, c’est-à-dire la ville fondée sur le respect et la justice réciproque. Sans <em>pòlis</em>, il n’y a pas de <em>politiké</em>, et donc il n’y a pas <em>pòlemos</em> (guerre). Et sans guerre, les hommes ne peuvent vaincre l’assaut des bêtes féroces et sont donc condamnés à succomber.</p>
<p>Pour Platon, la guerre découle de la politique et est donc l’instrument par lequel les hommes peuvent rester sains et saufs. Raison pour laquelle : 1) ce n’est pas la technologie, mais la politique qui sauve ; 2) la guerre fait partie de la politique, et la politique est la sauveuse de la condition humaine. Dans les <em>Lois</em>, le dernier de ses écrits qui est une sorte de testament spirituel, Platon distingue deux types de guerre : le <em>pòlemos</em> et la <em>stàsis</em>.</p>
<p><em>Pòlemos</em> est la guerre extérieure, comme la guerre contre les bêtes sauvages, elle n’est pas destructrice et sert à l’évolution de l’État. La <em>stàsis</em> est une guerre civile, interne, entre frères (<em>adelfòi</em>), et elle est toujours néfaste, car elle brise l’État. Mais comment puis-je reconnaître mon frère ? Est-ce celui qui vient du même <em>delfùs</em> (ventre) ? Ou plutôt du fait qu’il parle la même langue et partage la même culture que moi ? Ces deux perspectives doivent être dépassées afin d’éviter la <em>stàsis</em> (la guerre interne).</p>
<p>Si le <em>pòlemos</em>, la guerre extérieure, est de toute façon inévitable, la <em>stàsis</em>, la guerre civile, est absolument déplorable. La première est impossible à éviter, la seconde doit être évitée à tout prix.</p>
<p>Au fil des siècles de réflexion, enfin, le concept de « guerre juste » a souvent été évoqué. Il convient de rappeler que le premier philosophe à avoir parlé de « guerre juste » fut Aristote dans sa <em>Politique</em> (livre VII, chapitre 14). Pour lui, la guerre doit toujours avoir la paix pour objectif et ne peut jamais être destinée à humilier ou asservir d’autres peuples.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178494/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucia Gangale ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Homère, Aristote et Platon se sont penchés sur la question de la guerre : est-elle nécessaire ? Inévitable ? Peut-on parler de « guerre juste » ?Lucia Gangale, Doctorant, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1734582022-01-06T20:33:00Z2022-01-06T20:33:00ZLa vulve de Baubo : humour féminin et obscénité positive<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438497/original/file-20211220-49721-mzqmkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1200%2C941&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Statuette dite Baubo, terre cuite, Iᵉʳ-IIᵉ siècles apr. J.-C. MKG, Hambourg. Femme nue écartant les jambes et montrant sa vulve de la main droite.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://sammlungonline.mkg-hamburg.de/de/object/Baubo/1989.584/dc00126937">MKG Sammlung </a></span></figcaption></figure><p>Un tiers environ des humoristes aujourd’hui sont des femmes, à l’image de Nora Hamzawi, Florence Foresti, Blanche Gardin, et bien d’autres encore. Pourtant, le <a href="https://madame.lefigaro.fr/societe/humour-les-femmes-rient-entre-elles-depuis-toujours-mais-faire-rire-est-une-prerogative-masculine-060421-196021">rire a longtemps été une prérogative des hommes</a>, comme le rappelle l’historienne Sabine Melchior-Bonnet dans son essai, <em>Le rire des femmes, une histoire de pouvoir</em> (PUF, 2021).</p>
<p>Depuis l’Antiquité, le rire a le plus souvent été considéré comme <a href="https://www.retronews.fr/societe/interview/2021/11/23/le-rire-des-femmes-sabine-melchior-bonnet">« contraire à l’image de la femme modeste et pudique », écrit l’historienne</a>. Celle qui pouffait en public était volontiers assimilée à une prostituée ou encore, plus récemment, à une folle hystérique, tandis que l’homme qui plaisantait, même de manière très osée, ne faisait pas l’objet d’une semblable réprobation.</p>
<p>Les sources antiques confirment cette discrimination par le rire, tout en nous offrant néanmoins quelques rares figures de femmes humoristes. Il ne s’agit pas de personnages historiques, mais de figures mythologiques. Elles montrent néanmoins que rire et faire rire n’étaient pas ressentis comme des prérogatives exclusivement masculines par les Grecs ou les Égyptiens de l’Antiquité.</p>
<h2>Le rire de Déméter</h2>
<p>L’une des plus anciennes de ces humoristes se nomme Iambé. Elle est mentionnée dans l’<em>Hymne homérique à Déméter</em>, une <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Hymnes_hom%C3%A9riques/%C3%80_D%C3%A8m%C3%A8t%C3%A8r_2">œuvre poétique grecque composée au VIᵉ siècle av. J.-C</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438646/original/file-20211221-25-1nhw2ba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438646/original/file-20211221-25-1nhw2ba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=789&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438646/original/file-20211221-25-1nhw2ba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=789&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438646/original/file-20211221-25-1nhw2ba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=789&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438646/original/file-20211221-25-1nhw2ba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438646/original/file-20211221-25-1nhw2ba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438646/original/file-20211221-25-1nhw2ba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Statuette dite Baubo, terre cuite, Iᵉʳ-IIᵉ siècles apr. J.-C. Musée Rodin, Meudon.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans cette œuvre, nous apprenons que la déesse Déméter est désespérée parce qu’elle a perdu sa fille Coré, enlevée par Hadès, le dieu des Enfers. Déméter a pris l’aspect d’une vieille femme en deuil. Elle erre sur la Terre pendant plusieurs jours, avant d’arriver à Eleusis, non loin d’Athènes. Là, elle est accueillie par Métanire, épouse du roi local, mais, immobilisée par la douleur, elle refuse de boire et de se nourrir. C’est alors qu’intervient une servante nommée Iambé : elle lance à la déesse « mille paroles joyeuses », dit le texte. La nature de ces bouffonneries n’est pas précisée, mais on devine que Iambé (dont le nom évoque la poésie iambique, c’est-à-dire satirique), profère des plaisanteries obscènes. Une obscénité efficace, puisque la déesse sort enfin de son mutisme et accepte la boisson qui lui est proposée.</p>
<p>Un autre hymne à Déméter, composé par un certain Philikos, connu grâce à un papyrus du III<sup>e</sup> siècle av. J.-C., malheureusement fragmentaire, présente Iambé comme une vieille paysanne inculte et bavarde dont la <a href="https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1985_num_202_1_2785">drôlerie renversante interpelle la déesse</a>.</p>
<h2>La danse de la vulve</h2>
<p>Dans une autre version de ce mythe, racontée par les auteurs chrétiens Clément d’Alexandrie (vers 150-215), Arnobe (vers 240-304) et Eusèbe de Césarée (vers 265-339), l’humoriste d’Eleusis se nomme Baubo. Elle allie cette fois le geste à la parole : elle retrousse sa tunique pour montrer sa vulve à la déesse. Surprise par ce spectacle inattendu, Déméter y trouve une soudaine consolation et sort aussitôt de sa torpeur.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438647/original/file-20211221-21-r6elch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438647/original/file-20211221-21-r6elch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438647/original/file-20211221-21-r6elch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1815&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438647/original/file-20211221-21-r6elch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1815&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438647/original/file-20211221-21-r6elch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1815&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438647/original/file-20211221-21-r6elch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=2281&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438647/original/file-20211221-21-r6elch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=2281&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438647/original/file-20211221-21-r6elch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=2281&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Isis Baubo, terre cuite, Iᵉʳ-IIᵉ siècles apr. J.-C.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ägyptisches Museum Leipzig</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans son récit, Arnobe (<em>Adversus Nationes</em> V, 26) nous donne quelques précisions sur la gestuelle de Baubo : par une sorte de tour de magie et de danse du ventre, ou plutôt du bas-ventre, elle fait prendre à sa vulve épilée la forme d’un visage d’enfant. Comment s’y prend-elle ? Peut-être a-t-elle dessiné, à l’aide de maquillage, un visage de bébé sur sa vulve, ou bien juste au-dessus. Puis, comme une ventriloque, elle produit des sons en donnant l’illusion que c’est le bébé sur sa vulve qui parle ou qui chante.</p>
<p>Quoiqu’il en soit, c’est à nouveau l’efficacité du geste de l’humoriste qui est soulignée, mais aussi, pour les trois auteurs qui sont chrétiens, une occasion de ridiculiser la religion polythéiste des Grecs. Ainsi Clément d’Alexandrie ironise-t-il : « Beaux spectacles et qui conviennent à une déesse ! » (<em>Protreptique</em> II, 20). Les auteurs chrétiens reprochent à la mythologie grecque d’avoir accordé une place, certes très limitée, mais une place tout de même au rire féminin.</p>
<h2>L’obscénité positive</h2>
<p>Si les polémistes chrétiens n’y ont vu qu’indécence, le mythe de l’humoriste d’Eleusis traduit l’idée d’une obscénité apotropaïque et cathartique, capable de dérider un être en proie au plus profond des chagrins. C’est une forme de grossièreté positive qui délivre un message tout à fait sérieux : Baubo rappelle à la déesse la puissance féminine que représente la vulve, promesse de maternités futures. On peut donc aussi voir dans ce spectacle un geste de solidarité entre femmes.</p>
<p>En raison de son succès, la servante qui parvint à dérider Déméter fut parfois considérée comme une véritable divinité par les Grecs. Ainsi, une inscription cultuelle retrouvée dans l’île de Naxos, datant du IV<sup>e</sup> siècle av. J.-C., mentionne le nom de Baubo, en quatrième position, après Déméter, sa fille Coré et Zeus. Une sorte de déité patronne du rire bénéfique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438649/original/file-20211221-27-cbs8fx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438649/original/file-20211221-27-cbs8fx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=965&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438649/original/file-20211221-27-cbs8fx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=965&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438649/original/file-20211221-27-cbs8fx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=965&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438649/original/file-20211221-27-cbs8fx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438649/original/file-20211221-27-cbs8fx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438649/original/file-20211221-27-cbs8fx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Perrette et le démon de Papefiguière », illustration de Charles Eisen.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/5/56/La_Fontaine_-_Contes_-_Le_Diable_de_Papefigui%C3%A8re_2.jpg/637px-La_Fontaine_-_Contes_-_Le_Diable_de_Papefigui%C3%A8re_2.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un mythe universel</h2>
<p>L’interprétation du mythe de Baubo a fait couler beaucoup d’encre. Des historiens et archéologues ont mis le dévoilement de la vulve en relation avec certaines pratiques du culte de Déméter qui pouvaient inclure la manipulation d’objets sexuels, ou encore avec des insultes <a href="https://www.academia.edu/40316636/L%C3%A9pisode_de_Baub%C3%B4_dans_les_myst%C3%A8res_dEleusis">qui auraient pu être proférées rituellement</a>.</p>
<p>L’humoriste d’Eleusis a aussi attiré l’attention d’écrivains. Rabelais se souvient probablement d’elle lorsqu’il imagine l’épisode de la femme de Papefiguière <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Quart_Livre/47">qui fait fuir le diable en soulevant sa robe</a> (<em>Pantagruel</em>, Le Quart Livre, XLVII).</p>
<p>Cette histoire inspira également Jean de La Fontaine : dans son conte, « Le Diable de Papefiguière », une paysanne nommée Perrette affole un démon en exhibant la <a href="http://17emesiecle.free.fr/Diable_de_Papefiguiere.php">« balafre » qui parcourt le creux de ses cuisses</a>.</p>
<p>Plus tard, Goethe redonne à Baubo son nom antique, <a href="https://cheminstraverse-philo.fr/philosophes/pourquoi-baubo-a-t-elle-fait-rire-demeter-2/#_ftn3">avant que Nietzsche et Freud, à leur tour, s’intéressent à cette troublante figure</a>.</p>
<p>Le psychanalyste Georges Devereux lui a même consacré un livre. Selon lui, l’exhibition de la vulve est un pur « produit fantasmatique de l’inconscient » humain. C’est pourquoi des figures comparables à Baubo <a href="https://www.babelio.com/livres/Devereux-Baubo-la-vulve-mythique/346685">se retrouvent dans d’autres cultures, hors du monde grec</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438650/original/file-20211221-167342-1ptmt26.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438650/original/file-20211221-167342-1ptmt26.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438650/original/file-20211221-167342-1ptmt26.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438650/original/file-20211221-167342-1ptmt26.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438650/original/file-20211221-167342-1ptmt26.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438650/original/file-20211221-167342-1ptmt26.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438650/original/file-20211221-167342-1ptmt26.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Elodie Yung dans le rôle de la déesse Hathor (<em>Gods of Egypt</em>, 2016).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438652/original/file-20211221-21-1gc9m0m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438652/original/file-20211221-21-1gc9m0m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438652/original/file-20211221-21-1gc9m0m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=666&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438652/original/file-20211221-21-1gc9m0m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=666&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438652/original/file-20211221-21-1gc9m0m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=666&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438652/original/file-20211221-21-1gc9m0m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=836&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438652/original/file-20211221-21-1gc9m0m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=836&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438652/original/file-20211221-21-1gc9m0m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=836&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ame-no-Uzume, en version manga.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En Égypte, la déesse Hathor, incarnation de la joie et de l’érotisme, montre sa vulve au dieu du Soleil Rê <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_aventures_d_Horus_et_Seth_dans_le_Pa.html?id=uOylmAEACAAJ&redir_esc=y">qui donne parfois quelques signes de faiblesse</a> (<em>Papyrus Chester Beatty</em> I).</p>
<p>Face au strip-tease de la divinité, le dieu éclate d’un rire puissant et fécond qui lui permet de retrouver tout son rayonnement. Une vulve et un rire bénéfiques, comme dans le mythe grec, sauf que le geste de Baubo, destiné à une divinité féminine, ne revêtait pas la dimension érotique de la légende égyptienne.</p>
<p>Au Japon, c’est la déesse Ame-no-Uzume qui dévoile son corps, provoquant l’hilarité de son public divin et permettant par la même occasion, <a href="https://www.academia.edu/4808793/Osceno_risibile_sacro_Iambe_Baub%C3%B2_Hathor_Ame_no_Uzume_e_le_altre?auto=download">comme Hathor, aux rayons solaires d’éclairer à nouveau le monde</a>.</p>
<p>« Et quand ils virent son corps robuste et replet comme celui d’une petite fille, l’aise entra dans le cœur de tous et ils se mirent à rire. », écrit Paul Claudel dans un poème en prose inspiré du mythe japonais (« La délivrance d’Amaterasu », <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Connaissance_de_l%E2%80%99Est/La_d%C3%A9livrance_d%E2%80%99Amaterasu"><em>Connaissance de l’Est</em></a>, 1920).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438704/original/file-20211221-18663-1q1ey17.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438704/original/file-20211221-18663-1q1ey17.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438704/original/file-20211221-18663-1q1ey17.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1311&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438704/original/file-20211221-18663-1q1ey17.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1311&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438704/original/file-20211221-18663-1q1ey17.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1311&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438704/original/file-20211221-18663-1q1ey17.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1647&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438704/original/file-20211221-18663-1q1ey17.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1647&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438704/original/file-20211221-18663-1q1ey17.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1647&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Statuette de « femme-vulve » dite Baubo, terre cuite, provenant du sanctuaire de Déméter à Priène, Asie Mineure, entre le IVᵉ et le IIᵉ siècle av. J.-C. Berlin, Antikensammlung.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des statuettes de Baubo ?</h2>
<p>En 1898, les archéologues allemands fouillant les restes du temple de Déméter à Priène, en Asie Mineure (actuelle Turquie), réalisèrent une découverte qui les laissa perplexes. Une série d’étonnantes statuettes de « femmes-vulves » furent mises au jour. Elles se trouvent aujourd’hui à Berlin (<em>Antikensammlung</em>).</p>
<p>Elles n’ont pas de têtes à proprement parler : leur visage est inscrit sur leur ventre et leur vulve se trouve au niveau de leur menton. S’agissait-il de figurer le tour de magie de Baubo qui fit apparaître un enfant au-dessus de sa vulve ?</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438654/original/file-20211221-21-1u7uyhh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438654/original/file-20211221-21-1u7uyhh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=698&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438654/original/file-20211221-21-1u7uyhh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=698&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438654/original/file-20211221-21-1u7uyhh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=698&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438654/original/file-20211221-21-1u7uyhh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=878&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438654/original/file-20211221-21-1u7uyhh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=878&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438654/original/file-20211221-21-1u7uyhh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=878&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Baubo, époque romaine, statuette conservée au musée Rodin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.musee-rodin.fr/fr/museum/rodin/baubo/Co.02714?epoqueDeCreation%5B0%5D=Epoque+romaine&amp;position=4">Musée Rodin</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438655/original/file-20211221-50268-yx388n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438655/original/file-20211221-50268-yx388n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=724&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438655/original/file-20211221-50268-yx388n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=724&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438655/original/file-20211221-50268-yx388n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=724&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438655/original/file-20211221-50268-yx388n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=910&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438655/original/file-20211221-50268-yx388n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=910&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438655/original/file-20211221-50268-yx388n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=910&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Auguste Rodin, « Iris messagère des dieux ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.musee-rodin.fr/musee/collections/oeuvres/iris-messagere-dieux#group_1439-5">National Gallery, Oslo</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’autres statuettes, provenant d’Égypte, où elles furent réalisées entre le III<sup>e</sup> siècle av. J.-C. et le III<sup>e</sup> siècle apr. J.-C., représentent des femmes enceintes accroupies touchant leur vulve de la main droite. C’est pourquoi elles furent elles aussi associées au mythe de Baubo. Ces figurines étaient sans doute utilisées comme des amulettes pour protéger les femmes enceintes, à une époque <a href="https://sammlungonline.mkg-hamburg.de/de/object/Baubo/1989.584/dc00126937">où beaucoup de femmes mouraient en couches ou lors de leur accouchement</a>.</p>
<p>Le musée Rodin à Meudon possède quelques-unes de ces étonnantes figurines dont le sculpteur avait fait l’acquisition.</p>
<p>Il n’est pas impossible que <a href="https://www.musee-rodin.fr/musee/collections/oeuvres/iris-messagere-dieux">Rodin se soit inspiré ou souvenu</a> de ces statuettes quand il réalisa son « Iris, messagère des dieux », à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>En effet, par sa pose, la déesse de Rodin focalise l’attention sur sa vulve, comme Baubo dans le mythe antique. Iris paraît figée au moment où elle réalise une sorte de danse de la vulve. Encore une vulve bénéfique qui attire notre regard et nous détourne, au moins pour quelques instants, de notre tristesse, de nos angoisses et des malheurs auxquels nous pouvons être confrontés.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel a participé à l’émission « Le doc stupéfiant : Le sexe du rire », réalisée par Julie Peyrard et Lise Thomas-Richard, diffusée sur France 5, le 10 décembre 2021, <a href="https://www.france.tv/france-5/le-doc-stupefiant/">et disponible en streaming</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173458/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rire a longtemps été une prérogative des hommes. Pourtant, dans l’Antiquité, certains mythes mentionnent des déesses qui usaient de l’obscénité pour amuser la galerie.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1568882021-09-13T17:55:03Z2021-09-13T17:55:03ZUn roman du métissage dans la Grèce antique : « Théagène et Chariclée »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/417791/original/file-20210825-27-28wrls.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C1148%2C800&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Détail du Tableau du temple des muses, M. de Marolles (1655).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Tableaux_du_temple_des_muses_-_tirez_du_cabinet_de_feu_Mr._Fauereau,_conseiller_du_roy_en_sa_Cour_des_aydes,_and_grauez_en_tailles-douces_par_les_meilleurs_maistres_de_son_temps,_pour_representer_les_%2814586798939%29.jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>On croit en général que le genre romanesque date du Moyen-âge – c’est ce que le mot français roman semble impliquer – et la typologie des genres littéraires qui remonte à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Po%C3%A9tique_(Aristote)"><em>Poétique</em> d’Aristote</a> l’ignore totalement. Pourtant, la littérature grecque connaît quelques récits en prose, des « aventures d’amour », qui paraissent avoir connu un grand succès à la période hellénistique et sous l’empire romain. Les « Big Five » semblent s’être diffusés comme suit, avec des « noms d’auteurs » tous plus ou moins pseudonymes et une datation incertaine, contenant l’essentiel des <a href="https://brill.com/view/title/520"><em>topoi</em> romanesques</a> que l’on connaîtra plus tard dans la littérature européenne :</p>
<ul>
<li><p>Chariton, <em>Chéréas et Callirhoé</em></p></li>
<li><p>Achille Tatius, <em>Histoire de Leucippé et Clitophon</em></p></li>
<li><p>Xénophon d’Éphèse, <em>Les Éphésiaques</em></p></li>
<li><p>Longus, <em>Daphnis et Chloé</em></p></li>
<li><p>Héliodore, <em>Les Éthiopiques</em> ou <em>Théagène et Chariclée</em>.</p></li>
</ul>
<p>Le plus récent de ces textes, le plus réussi, je crois, (<em>Théagène et Chariclée</em>), doit peut-être sa célébrité <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k686959/f15.image">à Jacques Amyot</a> qui l’a traduit en français pour la première fois – sans signature – en 1547, rencontrant un immense succès dans toute l’Europe. Il est très complexe par sa composition <em>in medias res</em> (le lecteur est placé directement au milieu d’une action, les évènements qui précèdent n’étant relatés qu’après coup). </p>
<p>Il nous montre d’emblée, par les yeux d’une bande de pirates, le spectacle intrigant d’une fête qui a mal tourné sur un rivage d’Égypte, et au milieu de ce désastre une <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Abraham_Bloemaert_-_Charikleia_and_Theagenes_-_WGA02275.jpg">très belle jeune fille</a> que les pirates prennent pour une déesse. Cette jeune fille, c’est Chariclée, qui porte les attributs de la déesse Artémis et essaie de ranimer un jeune homme blessé, <a href="https://utpictura18.univ-amu.fr/GenerateurNotice.php?numnotice=B6834">Théagène</a>. Le roman qui commence ainsi va raconter leur histoire d’amour grâce à des retours en arrière dans les récits que font plusieurs des personnages, et en particulier ceux du prêtre égyptien Calasiris qui les a aidés à quitter en secret Delphes et le prêtre d’Apollon Chariclès, père adoptif de Chariclée.</p>
<h2>Une lettre mystérieuse</h2>
<p>Fille adoptive d’un prêtre grec, Chariclée ne sait rien de sa naissance, mais des oracles divins la poussent à remonter le Nil vers l’Éthiopie. Elle est tombée amoureuse de Théagène <a href="https://www.decitre.fr/livres/leurs-yeux-se-rencontrerent-9782714303066.html">d’un « coup de foudre »</a> quand elle l’a vu participer aux <a href="https://arts.mythologica.fr/artist-b/pic/bloemaert_theagene-chariclee-delphes.jpg">Jeux pythiques en l’honneur d’Apollon</a> dont elle est la prêtresse – Calasiris le raconte à la fin du livre III et au début du livre IV à un jeune Athénien, Cnémon, qu’ils ont rencontré dans leur voyage. Théagène a été frappé du mal d’amour lui aussi en recevant le <a href="https://utpictura18.univ-amu.fr/GenerateurNotice.php?numnotice=B6829">prix de la course</a> des mains de la belle prêtresse.</p>
<p>Tous les deux ont été victimes des symptômes analogues que provoque l’amour dans la poésie grecque en passant par les yeux, <a href="https://eduscol.education.fr/odysseum/sappho-poetesse-grecque-de-lesbos">depuis Sappho</a> au moins : sensations de brûlure et de froid, démangeaisons, perte du sommeil, etc. Chariclès, la croyant malade, a cherché un médecin et consulté Calasiris, lequel a favorisé secrètement la fuite des jeunes gens.</p>
<p>Au cours du voyage, Chariclée lui a montré les <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/%CF%83%CF%8D%CE%BC%CE%B2%CE%BF%CE%BB%CE%BF%CE%BD"><em>symbola</em></a>, objets de reconnaissance qu’elle porte précieusement avec elle, et parmi eux une bande de tissu brodée avec une inscription en hiéroglyphes qu’elle n’a jamais pu lire, mais qu’il déchiffre pour elle ; c’est une lettre écrite par sa mère, la reine d’Éthiopie Persinna, qui explique la raison pour laquelle elle a dû abandonner sa fille à la naissance : son mari, le roi Hydaspe et elle, s’unirent pendant une chaude après-midi, et pendant la conception de l’enfant, elle avait sous les yeux une peinture de la chambre royale représentant la délivrance d’Andromède par Persée, à l’origine de leur lignée. Hydaspe et Persinna étaient noirs, mais Andromède, sur la peinture, était blanche, et au moment de la naissance, la petite fille était blanche à l’image d’Andromède. </p>
<p>Persinna, craignant d’être accusée d’adultère, avait alors confié l’enfant à un prêtre éthiopien, Sisimithrès, avec les objets de reconnaissance qui permettraient plus tard de la retrouver ou de lui servir de linceul si elle venait à mourir. Ce décryptage, au livre IV, permet à Chariclée de savoir qui elle doit rechercher en <a href="http://www.cosmovisions.com/ChronoEthiopie.htm">allant vers Méroé</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=520&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=520&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=520&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=653&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=653&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=653&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Détail du tableau de Kassel représentant Persinna et Hydaspe devant le tableau d’Andromède.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un bracelet d’ébène sur son bras d’ivoire</h2>
<p>Au livre X, nos héros arrivés en Éthiopie après diverses péripéties, sont prisonniers du roi Hydaspe qui veut les sacrifier aux dieux des Éthiopiens, le soleil et la lune. Ils sont déjà sur le bûcher quand Chariclée tente de se faire reconnaître de son père, en vain, jusqu’à ce qu’un prêtre âgé, qui s’avère être Sisimithrès qui l’avait recueillie des mains de sa mère à la naissance, demande de faire venir du palais royal le tableau de la délivrance d’Andromède. </p>
<p>Une fois le tableau apporté sur la scène de sacrifice et proposé aux yeux de la foule, la ressemblance frappante entre Chariclée et Andromède est constatée par tout le monde, mais Hydaspe reste incrédule. Chariclée découvre alors son bras blanc, et l’on constate qu’elle a une tache noire, formant « un bracelet d’ébène sur son bras d’ivoire ». Persinna d’abord, puis Hydaspe, reconnaissent leur fille, qui va pouvoir enfin épouser Théagène, et tous deux succèderont à Hydaspe, en interdisant le sacrifice humain pratiqué jusqu’alors…</p>
<h2>L’explication : le regard et la conception</h2>
<p>L’ébène, matériau noir, incrusté sur le blanc de l’ivoire, telle est l’image que le narrateur de la scène trouve pour décrire la tache noire sur le bras blanc de Chariclée, marque qu’elle avait à la naissance et que sa mère reconnaît comme un signe de son identité. Il pense alors aux techniques d’<a href="https://meublepeint.com/materiaux_incrustation_marqueterie.htm">incrustation de matériaux</a>, connues dès l’Antiquité. À époque récente, on connaît <a href="https://www.pinterest.fr/pin/325033298098301215/">peut-être davantage l’incrustation d’ivoire sur l’ébène</a> que l’inverse, mais l’association de ces deux matériaux, tous deux d’origine africaine, est connue. Leur valeur symbolique est ancienne. </p>
<p>En Grèce ancienne, on connaissait bien l’incrustation d’ivoire, en particulier associé à l’or dans les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sculpture_grecque_antique">statues chryséléphantines</a>, mais l’incrustation d’ivoire sur du bois se pratiquait aussi dès l’époque archaïque, comme sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cyps%C3%A9los">fameux coffre de Cypsélos</a>, tyran de Corinthe de la fin du VII<sup>e</sup> s. av. J.-C., objet disparu mais que nous décrit la <em>Périégèse</em> (ou <em>Description de la Grèce</em>) de Pausanias (V, 17,5). Je n’ai trouvé aucune autre mention d’association entre l’ébène et l’ivoire dans l’Antiquité mais les Grecs connaissaient le bois d’ébène depuis longtemps : son nom est attesté sous la forme ἔβενος ou ἐβένη à partir d’Hérodote suivant Pierre Chantraine, qui précise que l’ébène d’Éthiopie était réputé d’un « bois noir luisant et sans nœud » par opposition avec celui provenant de l’Inde.</p>
<p>Le texte d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9liodore_d%27%C3%89m%C3%A8se">Héliodore</a> attribue la couleur blanche de la peau de Chariclée au regard de sa mère sur un tableau, comme si la ressemblance s’expliquait par un spectacle vu au moment de la conception, en vertu d’une représentation qui semble remonter à la médecine hippocratique et Aristote, avec des anecdotes illustratives colportées par divers auteurs, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Galien">tel Galien</a> :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai lu dans une vieille histoire qu’un homme laid, mais riche, voulant avoir un bel enfant, en fit peindre un très beau, et qu’il recommanda à sa femme de fixer, à l’instant des caresses amoureuses, les yeux sur ce tableau : elle le fit, et dirigeant, pour ainsi dire, son esprit et toute son attention vers cet objet, elle mit au monde un enfant qui ne ressemblait point à son père mais parfaitement au modèle qui l’avait frappée. »</p>
</blockquote>
<p>Ou sous une forme moins positive le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Boaistuau">polygraphe français</a> du XVI<sup>e</sup> s. Boaistuau :</p>
<blockquote>
<p>« Hippocrate sauva une Princesse accusée d’adultère, par ce qu’elle avoit enfanté un enfant noir comme Ethiopien, son mary ayant la couleur blanche, laquelle à la suasion d’Hippocrate fut absoulte, pour le pourtraict d’un More semblable à l’enfant, lequel coustumierement estoit attaché à son lict. »</p>
</blockquote>
<p>Ces anecdotes sont rapportées avec d’autres <a href="http://www.revue-textimage.com/conferencier/01_image_repetee/berriot.pdf">par Evelyne Berriot-Salvadore</a> dans une conférence sur le pouvoir de l’imagination, montrant que l’on cherchait à expliquer ainsi, par le regard sur des images, des naissances hors du commun, voire « monstrueuses », comme « une fille entièrement velue » ou un « veau-moine » <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ambroise_Par%C3%A9">chez Ambroise Paré</a> et d’autres. Le cas de Chariclée est très proche de celui d’Hippocrate selon Boaistuau, avec inversion de la couleur de peau, mais la princesse accusée d’adultère semble proche de Persinna.</p>
<h2>Pouvoir des images</h2>
<p>La relation entre Chariclée et Andromède, de copie à modèle, est un peu plus complexe si l’on se réfère à l’histoire des images et de leur pouvoir. La description par Persinna de la manière dont son enfant a été conçue montre en effet qu’elle avait les yeux fixés sur la représentation d’Andromède, blanche de peau certes, mais aussi nue. <em>Le pouvoir des images</em> de <a href="https://www.pinterest.fr/pin/create/extension/?url=https%3A%2F%2Fwww.amazon.fr%2Fpouvoir-images-David-Freedberg%2Fdp%2F2852265125&media=https%3A%2F%2Fimages-na.ssl-images-amazon.com%2Fimages%2FI%2F41PVD23V2EL._SX342_BO1%2C204%2C203%2C200_.jpg&xm=g">David Freedberg</a> montre que dans l’histoire de l’art, la représentation de belles femmes nues produit sur les spectateurs une forme d’excitation, avec une composante sexuelle, le plus souvent masquée sous le jugement esthétique. Le premier exemple qu’il donne (p. 23 du livre) du pouvoir des images, qualifié d’invraisemblable, est justement celui de l’<em>effet Andromède</em>, sans l’approfondir. Il cite ensuite l’exemple du tyran Denys évoqué par Saint Augustin :</p>
<blockquote>
<p>« Étant difforme, il ne voulait pas engendrer d’enfants à sa ressemblance. Lorsqu’il couchait avec sa femme, il plaçait devant elle une très belle image, afin que par le désir devant cette beauté, par l’imprégnation, pour ainsi dire, elle pût effectivement la transmettre à sa progéniture. »</p>
</blockquote>
<p>Freedberg commente ensuite en disant avec un érudit du XVI<sup>e</sup> s. qu’il faut « réserver les objets lascifs aux pièces intimes […] car leur vue est propre à susciter l’excitation et l’engendrement de beaux enfants… ».</p>
<p>La lettre de Persinna évoque très indirectement le désir d’enfant du roi et d’elle-même, mais très explicitement qu’elle sentit avoir conçu, et très clairement que l’Andromède de l’image était nue. Il me semble que la page de Freedberg, en face de la <a href="https://www.visituffizi.org/artworks/venus-of-urbino-by-titian">Vénus d’Urbin</a> de Titien et de la <a href="https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1301082026.html">Vénus de Giorgione</a> (p.22), suggère que cette image a entraîné le désir des époux. De fait, le goût des peintres et de leur public pour la représentation du beau corps nu enchaîné à son rocher paraît <a href="https://archivesdunord.com/4404-mignard-pierre-andromede-dossier-louvre.html">relever d’une excitation comparable</a>. Si la lettre de Persinna exprime de manière implicite cette forme de plaisir – que l’on appelle <em>esthétique</em> sous le couvert des bienséances –, son originalité consiste dans le fait qu’il s’agit du plaisir féminin. En somme, Chariclée, fille du regard sur un tableau, est le produit du désir amoureux de ses parents, en particulier de sa mère, désir provoqué par la vue d’Andromède nue sur un tableau.</p>
<p>Le savant helléniste britannique M. D. Reeve qui a inventé l’« Andromeda effect » dans le cadre d’une recherche sur les représentations antiques de la conception, avec le titre <em>Conception</em>, et de nombreuses références antiques et modernes, cite le parallèle de <em>Elephant Man</em>, dans la réalité <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Merrick">Joseph Merrick</a>, exhibé dans une baraque de foire, suivi en 1884 par le médecin londonien Frederick Treves, qui a publié, après sa mort en 1890,<em>The Elephant Man and other reminiscences</em> (1923). Sa malheureuse histoire a abouti à plusieurs livres et un <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=180.html">beau film de David Lynch</a>. Sa maladie est maintenant connue comme la neurofibromatose, mais en son temps, Merrick lui-même pensait que sa mère avait été piétinée par un éléphant pendant sa grossesse.</p>
<p>Chariclée, dans la fiction d’Héliodore, est donc née en quelque sorte d’une peinture. Mais on peut dire qu’après la parution de la traduction d’Amyot, elle est retournée à la peinture : le peintre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ambroise_Dubois">Ambroise Dubois</a> a peint au début du XVII<sup>e</sup> s. une <a href="https://utpictura18.univ-amu.fr/RechercheRapide.php?q=Charicl%C3%A9e">série de fresques</a> sur Théagène et Chariclée au château de Fontainebleau suivant la chronologie de leurs amours à partir du <a href="https://www.chateaudefontainebleau.fr/collection-et-ressources/les-collections/peintures/le-cortege-des-thessaliens-et-de-chariclee-lors-du-triomphe-de-diane/"><em>Cortège des Thessaliens</em></a> et je crois que la peinture appelée <em>Allégorie de la peinture et de la sculpture</em> peut s’inspirer de Chariclée devant le tableau de la Délivrance d’Andromède. Le modèle, la <em>Délivrance d’Andromède</em>, a eu dans l’histoire de l’art un succès bien supérieur (47 notices dans le site Utpictura <a href="https://utpictura18.univ-amu.fr/GenerateurNotice.php?numnotice=A7552">avec Titien, Véronèse, Rubens, Rembrandt etc</a>).</p>
<p>Dans le <a href="http://www.stephanecompoint.com/41,,44502,fr_FR.html">château de Cheverny</a>, la Chambre du Roy est décorée par des caissons sur Persée et Andromède au plafond, par des scènes représentant Théagène et Chariclée sur les lambris, mais c’est bien difficile de préciser d’après les images trouvées en ligne si la relation est établie entre le plafond et les murs mais il y a des chances pour que le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Mosnier">peintre Jean Mosnier</a> ait consacré l’un des trente lambris à la scène qui nous importe.</p>
<p>Nicolas Mignard a lui aussi consacré une série de peintures à Théagène et Chariclée, pour l’hôtel de Fortia à Avignon, mais le thème s’est ensuite transporté aux Pays-Bas, sous influence française, avec <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_Bloemaert">Abraham Bloemaert</a> pour le prince Frederik Hendrik d’Orange (voir ci-dessus), <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gerrit_van_Honthorst">puis Gerard Honthorst</a>.</p>
<p>Selon l’historique dû à l’historien d’art Wolfgang Stechow, la dernière série d’œuvres sur ce thème se trouve au Landgrafenmuseum de Kassel (repr. p. 150, 19), attribuée sans certitude à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_Bol">Ferdinand Bol</a>, un élève de Rembrandt, selon d’autres à Ehrenstral ou Karel Van Mander. L’une de ces images représente Persinna et Hydaspe devant le tableau d’Andromède, attachée au rocher dans une pose inconfortable, donc avant sa délivrance. On ne voit pas Chariclée mais on ne peut qu’être frappée par le contraste voulu par le peintre entre la peau claire d’Andromède et la peau noire du couple, le détail reproduit dans Hägg le montre bien, ce qui me semble faire remonter la question à l’ancêtre mythique de la famille royale : si Chariclée a pris la couleur blanche de l’Andromède du tableau, comment se fait-il que Persinna et Hydaspe, tous deux noirs soient réputés descendre d’ancêtres, Persée et Andromède, tous deux blancs ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vase corinthien représentant Persée, Andromède et le monstre marin Cétos. Altes Museum, Berlin.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y a au moins une exception en histoire de l’art, une estampe d’après <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_van_Diepenbeeck">Abraham van Diepenbeeck</a> illustrant un commentaire des <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File :Tableaux_du_temple_des_muses_-_tirez_du_cabinet_de_feu_Mr._Fauereau,_conseiller_du_roy_en_sa_Cour_des_aydes,_and_grauez_en_tailles-douces_par_les_meilleurs_maistres_de_son_temps,_pour_representer_les_(14586798939).jpg"><em>Tableaux du temple des Muses</em> par M. de Marolles (1655)</a>. Tout l’édifice romanesque d’Héliodore n’est-il pas compromis alors ? Pourtant, dans l’une des plus anciennes représentations antiques, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier :Corinthian_Vase_depicting_Perseus,_Andromeda_and_Ketos.jpg">peinture de vase</a> montre une Andromède à la peau plus blanche encore que celle de Persée…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156888/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Françoise Létoublon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aventure d’amour écrite en Grèce entre le 3ᵉ et le IVᵉ siècle, « Théagène et Chariclée » pourrait bien préfigurer le roman moderne.Françoise Létoublon, professeur (émérite) de langue et littérature grecques, spécialiste d'Homère et de la Grèce archaïque, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1581112021-04-08T18:08:41Z2021-04-08T18:08:41ZRobin des Bois, un héros instrumentalisé par les puissants ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/394037/original/file-20210408-13-8py9h5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C3%2C1162%2C670&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Robin Hood, Wolfgang Reitherman, Walt Disney Productions.</span> </figcaption></figure><p>L’une des plus importantes figures de contestation sociale de l’histoire de la littérature anglaise, et tout simplement de notre imaginaire collectif, est indéniablement Robin des Bois. Ses multiples et complexes origines mythologiques (<a href="https://www.encyclopedia.com/science/encyclopedias-almanacs-transcripts-and-maps/green-man"><em>Green Man</em></a>, homme sauvage, <em>trickster</em>) tendent d’ailleurs à s’effacer en faveur de la nature politique du personnage, qui illustre à merveille la notion développée par <a href="https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000a.htm">Karl Marx et Friedrich Engels</a> selon laquelle l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes. Or, c’est précisément de l’alignement politique de Robin des Bois dont il sera ici question et plus précisément de sa récupération politique au fil des siècles.</p>
<h2>Robin le Yeoman</h2>
<p>Bien avant d’être promu au rang de Prince des voleurs, Robin était surtout le héros/héraut d’une population soumise aux abus du régime féodal. Il a toujours volé aux riches pour donner aux pauvres, mais le programme politique des Joyeux Compagnons a progressivement été détourné de manière à embourgeoiser progressivement Robin et le couper du peuple.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Illustration de A Geste of Robyn Hode.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Oubliez donc tout ce que vous pensez savoir sur Robert de Loxley, comte de Huntington, laissez de côté ce que le cinéma vous a appris du personnage ! Dans les premières versions de la légende, orales d’abord, puis écrites ensuite, Robin ne fait aucunement partie de la haute société. Bien au contraire, c’est un yeoman : il appartient à une classe paysanne intermédiaire cultivant ses propres terres, une classe qui va même se militariser durant le XIV<sup>e</sup> siècle et qui va être connue pour son maniement de l’arc long. Il existe ainsi, vous en conviendrez, un lien très fort entre la classe sociale originelle de Robin et ses talents d’archer. Robin est donc un yeoman et il en va de même pour le genre littéraire mettant en scène ses premières aventures qui appartenaient à une tradition poétique elle-même yeoman, composée par des artistes et ménestrels itinérants.</p>
<p>Le narrateur de <a href="https://www.uga-editions.com/menu-principal/collections-et-revues/toutes-nos-collections/moyen-age-europeen/les-faits-et-gestes-de-robin-des-bois-252949.kjsp"><em>Robin des Bois et le potier</em></a> encadre d’ailleurs son récit par des références directes à son public (« Écoutez-moi, mes bons yeomen » ; « Puisse Dieu avoir pitié de l’âme de Robin et sauver tous les bons yeomen ! ») De même, <a href="https://www.uga-editions.com/menu-principal/collections-et-revues/toutes-nos-collections/moyen-age-europeen/les-faits-et-gestes-de-robin-des-bois-252949.kjsp"><em>La Geste de Robin des Bois</em></a>, premier récit écrit de la légende, affiche fièrement aux yeux de tous cet alignement politique de Robin et son appartenance à une classe de paysans libres, non sujets au servage : « Écoutez-moi bien, gentilshommes, vous qui avez du sang d’hommes libres. Je vais vous parler d’un bon yeoman, son nom était Robin des Bois. »</p>
<p>Robin et ses compagnons disposent donc d’une liberté accentuée par leur statut de hors-la-loi dans la mesure où ils s’opposent au régime féodal et choisissent de vivre en dehors des normes de la société. Violence, meurtres et vols ponctuent leurs actions mais toujours afin d’en faire profiter les plus démunis, qu’ils soient paysans ou chevaliers. Réfugiés dans la forêt (de Barnesdale d’abord puis de Sherwood dans les versions ultérieures de la légende), ils fuient les normes et développent un ordre social utopique nourrissant d’espoir les opprimés en incarnant une justice sociale potentielle.</p>
<h2>Médiatisation et récupération politique</h2>
<p>Les agitateurs ne sont que rarement bien vus par les classes dirigeantes, à moins qu’ils puissent servir leur propre agenda politique. Or, manipuler de cette façon une figure d’opposition populaire est délicat et ne se fait que rarement sans l’adroite assistance des médias.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Illustration du roman de Henry Gilbert, Robin Hood and the Men of the Greenwood (1912)" src="https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1090&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1090&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1090&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le Roi unit Robin des Bois et Belle Marianne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Walter Crane</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les aventures de Robin le Yeoman ont ainsi longtemps été transmises à l’oral, se développant et évoluant de bouche à oreille et échappant à toute forme de contrôle documentaire et de cristallisation littéraire. Le passage à l’écrit des aventures de Robin des Bois va cependant enclencher la longue récupération médiatique de Robin, puisqu’une fois couché sur papier, il va commencer à gagner en popularité au sein de classes à même de lire ses aventures, ce qui n’était pas toujours le cas des classes populaires.</p>
<p>On voit ainsi, dès le XV<sup>e</sup> siècle, des chroniqueurs entamer un travail de sape systématique qui va préparer son instrumentalisation. Durant les années 1440, Walter Bower précise par exemple que Robin est de loin <a href="http://portail-video.univ-lr.fr/Robin-des-Bois-noble-voleur-ou">« le plus célèbre meurtrier » et qu’il est célébré par « le peuple stupide »</a>. Pour Bower, c’est clairement la stupidité des classes populaires qui explique leur attachement à Robin des Bois.</p>
<p>Cette médiatisation par l’écrit permet plus tard une transformation radicale du mythe, puisque sous l’ère Tudor, Robin est tout bonnement anobli, perdant son statut de Yeoman pour devenir le célèbre Robert de Loxley dans les pièces de Anthony Munday de 1598 et 1599 (<em>La Chute</em> et <em>La mort de Robert, Comte de Huntington</em>). C’est à cette époque que Robin devient le héros avec lequel nous avons tous grandi, à savoir un noble en exil injustement traité par le Prince Jean durant l’absence de Richard Cœur de Lion. </p>
<p>Qu’importe le médium adaptant la légende de Robin des Bois (série télévisée, bande dessinée, roman, film…), c’est bien cette variante de l’histoire qui sera systématiquement mise en scène, soit une version dans laquelle Robin lutte non pas contre les classes dirigeantes mais bien pour elle. Il défend le pouvoir régalien, et se fait protecteur de l’ordre établi, s’éloignant au passage de son rôle archétypal de violeur d’interdits ; redistribuer des richesses aux pauvres perd d’ailleurs très vite de son importance si cela ne permet pas de nuire au Prince Jean…</p>
<p>Mais cela ne s’est pas arrêté en si bon chemin, puisque le hors-la-loi offrant un semblant de justice à petite échelle avait été suffisamment anobli aux XIX<sup>e</sup> siècle pour se faire, dans le roman <em>Ivanhoé</em> de Sir Walter Scott (publié en 1819), défenseur d’une forme ô combien polémique aujourd’hui d’<a href="https://www.thedailybeast.com/academics-are-at-war-over-racist-roots-of-anglo-saxon-studies">anglo-saxonisme</a>. Robin devient bien malgré lui un héros national(iste), dédié à la préservation de la nation britannique traditionnelle anglo-normande.</p>
<h2>Robin, noble voleur ou voleur des nobles</h2>
<p>Robin a subi une évolution progressive ayant fortement réaligné la nature politique du mythe afin de l’écarter de ses origines populaires. S’il continue bien de voler aux riches pour donner aux pauvres dans l’imaginaire collectif, le Robin du XXI<sup>e</sup> n’en reste pas moins problématique dans la mesure où l’on ne peut être sûr de savoir, <a href="https://www.lrb.co.uk/the-paper/v38/n04/james-meek/robin-hood-in-a-time-of-austerity">comme le remarque James Meek</a>, si « mes » riches et pauvres correspondent à « vos » riches et pauvres. Dans un monde globalisé et industrialisé ayant subordonné la nature, les campagnes et les forêts, les milieux financiers et industriels ont centralisé les populations et leurs récits fondateurs : caché dans la jungle urbaine, Robin est à présent récupéré sans rougir par les élites les plus conservatrices. </p>
<p>Steven Knight signale notamment que Donald Trump, alors candidat « hors système », a été un temps perçu par ses électeurs comme une figure de Robin des Bois, alors que Sean Penn nous vendait le narcotrafiquant Joaquín « El Chapo » Guzmán comme un « type de Robin des Bois » au service des populations du Sinaloa au Mexique.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Donald Trump et Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse au G7 (2019)</span>
<span class="attribution"><span class="source">Office of U.S. Ambassador to France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le personnage de Robin des Bois semble avoir été réduit à un simple et unique mythème, celui de la redistribution des richesses, un mythème qu’il est facile de manipuler. La longue et lente médiatisation de Robin permet donc aujourd’hui aux politiques conservatrices d’inverser les rôles : les populations les plus démunies (sans emploi, réfugiés…) occupent à présent la place des nobles d’autrefois, vivant oisivement grâce aux impôts. Les classes populaires sont alors régulièrement accusées de vivre du travail des autres, soutenant par leurs contributions salariales une classe d’assistés. Dans cette version instrumentalisée du mythe, Robin des Bois se rapproche de <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/53470_1">Nigel Farage, Margaret Thatcher, Ronald Reagan ou Emmanuel Macron</a>. Le mythe médiéval qui consistait à redistribuer les richesses injustement captées par une classe dirigeante oisive a été récupéré par un imaginaire économique libéral.</p>
<p>Doit-on cependant en conclure que l’imaginaire des classes populaires a été corrompu par cette instrumentalisation ? Que la figure de contestation sociale qu’était Robin des Bois n’est plus ? Oui et non. L’ombre mythique du Robin des origines continue de planer, tant et si bien qu’il est toujours invoqué par les <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/pour-ruffin-macron-est-un-robin-des-bois-a-lenvers-1296918">partis de gauche et les mouvements antimondialisation</a> comme illustration du principe de redistribution des richesses.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"903904867235844097"}"></div></p>
<p>Mais le plus important n’est pas là, puisque c’est en d’autres mains que repose l’avenir de Robin. Qu’on le veuille ou non, Robin des Bois continue de parler aux enfants sous sa forme la plus pure, débarrassée de ses oripeaux politiques, grâce à ses diverses adaptations. Il entretient dans les esprits des enfants sages les notions de justice sociale et de possibilité de révolte. Et à en croire Jean‑Paul Sartre, ce sont justement les enfants sages qui font les révolutionnaires les plus terribles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158111/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Fruoco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Bien avant d’être promu au rang de Prince des voleurs, Robin était surtout le héros/héraut d’une population soumise aux abus du régime féodal.Jonathan Fruoco, Chercheur associé, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1562292021-03-04T19:14:27Z2021-03-04T19:14:27ZCassandre, la prophétesse qui disait toujours la vérité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/387090/original/file-20210301-18-owfbzw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C677%2C554&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Pythie de Delphes d’après John William Godward (_The Delphic Oracle_, 1899).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5f/Godward%2C_L%27Oracle_de_Delphes%2C_1899_%285613762473%29.jpg">Wikimédia</a></span></figcaption></figure><p>Qu’il s’agisse de l’épée de Damoclès, du tonneau des Danaïdes ou de la cuisse de Jupiter, les poncifs mythologiques abreuvent régulièrement les médias. Avec la crise sanitaire est apparue une nouvelle épidémie, celle des experts qui « jouent les Cassandre ».</p>
<p>Mais que sait-on de la célèbre princesse troyenne, douée du don de prophétie et cruellement jugée pour sa lucidité ?</p>
<p>Cassandre n’est pas un personnage historique, mais une figure de la mythologie grecque. Elle était la fille du roi de Troie Priam. Une beauté, dès son plus jeune âge, d’après la légende. Un jour, alors qu’elle s’était assoupie dans un temple, le dieu Apollon, excité à sa vue, la réveille et lui signifie qu’il apprécierait de faire l’amour avec elle. En échange de ses charmes et de sa virginité, il lui offre le pouvoir de deviner l’avenir. Cassandre accepte le marché. Elle reçoit le cadeau divin mais refuse ensuite de payer son dû.</p>
<p>Fâché, Apollon, demande alors à la jeune fille de ne lui accorder qu’un seul baiser. Mais au moment de l’embrasser, il lui crache dans la bouche. Ainsi, Cassandre sera une prophétesse inutile. Elle pourra conserver le don de prophétie, mais ne pourra jamais en faire aucun usage efficace, car nul humain ne croira en ses prédictions. Terrible malédiction ! Cassandre incarne l’être doué d’une extrême lucidité mais dans l’incapacité de la partager. Elle ne peut empêcher les malheurs qu’elle prédit, ni sauver ses proches dont elle prévoit la perte. Sa perspicacité est incommunicable.</p>
<p>Cassandre annonce aux Troyens que le cheval en bois, laissé par les Grecs sur le rivage de Troie, est un stratagème pour prendre la ville. Elle tente d’empêcher ses concitoyens d’introduire l’instrument de leur perte au sein de la cité. En vain. On la prend pour une folle.</p>
<p>Dans <em>Agamemnon</em>, tragédie d’Eschyle, la jeune fille, devenue la captive du vainqueur, le roi Agamemnon, s’exclame (vers 1171-1172) :</p>
<blockquote>
<p>« Rien n’a pu sauver Troie de sa ruine présente, et moi, toute enflammée du souffle divin, je serai bientôt étendue contre terre ! »</p>
</blockquote>
<p>La malheureuse ne peut s’empêcher d’entrevoir sa propre mort. Son don prophétique n’a pour seul effet que de la faire souffrir jusqu’à sa fin tragique qu’elle connaît d’avance. C’est une véritable torture quotidienne que lui a infligée Apollon.</p>
<h2>La sympathique hirondelle de La Fontaine</h2>
<p>Jean de La Fontaine a transposé Cassandre sous la forme d’une hirondelle dans sa fable <a href="http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/hiroiso.htm">« L’Hirondelle et les petits oiseaux »</a>.</p>
<p>Par pure sympathie, l’hirondelle met en garde des oisillons sur le danger qui les menace, alors qu’un paysan sème du chanvre non loin de leur nid. Sans effet :</p>
<blockquote>
<p>Les Oisillons, las de l’entendre,<br>
Se mirent à jaser aussi confusément<br>
Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre<br>
Ouvrait la bouche seulement.</p>
</blockquote>
<p>L’hirondelle, avatar de Cassandre, est pour le fabuliste une figure éminemment positive, à la fois douée d’une intelligence supérieure et d’une grande générosité. Ses conseils ne sont motivés que par son désir d’assurer le bonheur d’autrui.</p>
<h2>Prophétesse de malheur</h2>
<p>Aujourd’hui, par contre, et par un étonnant retournement, Cassandre est devenue synonyme de prophétesse de malheur, comme en témoignent de nombreux articles publiés récemment dans la presse.</p>
<p>L’expression « jouer les Cassandre » est utilisée pour désigner une personne qui profère des annonces exagérément dramatiques. Bien sûr, elle ne condamne pas Cassandre elle-même, mais plutôt ses imitateurs non qualifiés. La princesse troyenne de la mythologie ne s’en trouve pas moins associée à vision très pessimiste de l’avenir.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1268&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1268&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1268&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1594&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1594&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1594&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La Pythie de Delphes d’après John Collier (1891).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est dans ce sens totalement négatif que le <a href="https://www.theguardian.com/world/2015/jan/26/alexis-tsiprass-victory-speech-cassandra-myth-greek-elections">premier ministre grec Alexis Tsipras</a> fait référence à la prophétesse lors d’un discours tenu après sa victoire en 2015 : « Le nouveau gouvernement grec, affirme-t-il, va prouver que toutes les Cassandre du monde ont tort. »</p>
<p>Tsipras entendait ainsi dénoncer les politiciens et banquiers qui prévoyaient l’effondrement économique de la Grèce. Sauf que les qualifier de « Cassandre » revenait en fait à leur donner raison. Car Cassandre ne peut se tromper. C’est même sa principale caractéristique. Comme l’écrit Eschyle, elle est par excellence la figure de la « prophétesse de vérité » ou <em>alèthomantis</em>. Elle est sans cesse « très » (<em>agan</em>), voire presque « trop », véridique (Eschyle, <em>Agamemnon</em>, vers 1241).</p>
<h2>Le métier de prophétesse en Grèce antique</h2>
<p>Si Cassandre est une figure légendaire, des femmes bien réelles ont exercé le métier de prophétesse <a href="https://theconversation.com/hidden-women-of-history-the-priestess-pythia-at-the-delphic-oracle-who-spoke-truth-to-power-108401">dans plusieurs sanctuaires du monde grec antique</a>.</p>
<p>Ainsi, à Delphes, dans le sanctuaire d’Apollon, la <a href="https://didierlaroche.wixsite.com/delphes/pythies-modernes?lightbox=image_14am">prêtresse nommée Pythie rendait ses oracles, assise sur un trépied</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le roi d’Athènes Egée consulte l’oracle de Delphes. Céramique attique, 440-430 av. J.-C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a3/Oracle_of_Delphi%2C_red-figure_kylix%2C_440-430_BC%2C_Kodros_Painter%2C_Berlin_F_2538%2C_141668.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est d’ailleurs cette prophétesse d’Apollon qu’Eschyle prit pour modèle lorsqu’il conçut le <a href="https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1945_num_2_1_2755_t1_0091_0000_3">personnage de Cassandre pour sa tragédie, <em>Agamemnon</em></a>.</p>
<h2>La Pythie de Delphes délirait-elle ?</h2>
<p>Le fonctionnement de l’oracle demeure assez mystérieux. Selon l’auteur antique Plutarque, une fois installée sur son trépied, la Pythie s’agitait, comme si elle avait été hors d’elle-même, dans un état d’émotion et d’instabilité. Plutarque évoque même un accident qui survint lors d’une consultation : une Pythie « complètement bouleversée, s’élança vers la sortie avec un cri étrange et s’écroula sur le sol » (Plutarque, <em>Sur la disparition des oracles</em> 51). Elle mourut peu après.</p>
<p>De son côté, le poète latin Lucain (<em>Pharsale</em> V) évoque l’état de transe qui s’empare de la prêtresse dans son antre, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/lucain/livre5.htm">aménagé sous le temple d’Apollon</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Tantôt son visage est glacé, tantôt menaçant et terrible ; il n’est pas deux instants le même, tour à tour couvert d’une pâleur livide et d’une brûlante rougeur. Mais sa pâleur n’est pas celle que cause l’effroi ; elle est effrayante elle-même. Son sein soulevé par de violents soupirs, ressemble aux vagues qui se balancent avec bruit […] »</p>
</blockquote>
<p>Dans les années 1950, l’helléniste Pierre Amandry critiqua ces descriptions outrancières. À l’opposé, écrit-il, les consultations de la Pythie <a href="https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1951_num_140_2_5837">étaient généralement empreintes d’une « dignité tranquille »</a>.</p>
<p>S’il ne faut pas prendre à la lettre la description de Lucain, une certaine agitation physique de la part de la Pythie paraît néanmoins probable. La prophétesse se devait sans doute de manifester son enthousiasme, c’est-à-dire, dans le sens étymologique, l’inspiration divine <a href="https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1950_num_52_3_3436">qu’elle était censée recevoir en elle comme une forme de possession</a>.</p>
<p>Mais jouait-elle la comédie ou bien provoquait-elle son propre délire en inhalant des substances toxiques ou des vapeurs hallucinogènes émanant de la terre sous le sanctuaire, comme on l’a parfois suggéré ?</p>
<p>Fermement rejetée au XX<sup>e</sup> siècle, en l’absence de traces archéologiques susceptibles de la confirmer, cette thèse a cependant à nouveau été avancée par une équipe de chercheurs américains en 2001. Lors de leur exploration du temple de Delphes, ils ont identifié une faille géologique et découvert la <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/les-vapeurs-de-la-pythie_20543">présence d’oxyde d’éthylène, un gaz potentiellement euphorisant</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=843&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=843&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=843&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1060&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1060&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1060&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La Pythie, sculpture de Marcello (pseudonyme d’Adèle d’Affry), 1870.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a7/Pythia.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Rien ne prouve cependant que la Pythie en faisait usage. Et les débats sur le fonctionnement de l’oracle delphique, si vifs au siècle dernier, ne paraissent pas clos pour autant.</p>
<h2>Une prophétesse sous influence</h2>
<p>La Pythie était consultée pour des raisons autant privées que politiques. L’historien antique Hérodote raconte que ses oracles pouvaient faire l’objet de véritables manipulations. Elle fut notamment instrumentalisée à plusieurs reprises par des rois de Sparte. La révélation d’une affaire de subornation, évoquée par Hérodote (<em>Histoires</em> VI, 66), <a href="https://www.cairn.info/revue-dialogues-d-histoire-ancienne-2014-Supplement11-page-129.html">provoqua un tel scandale que la Pythie incriminée fut même destituée</a>.</p>
<p>Une prophétesse sous influence : c’est ainsi que <a href="https://www.spiked-online.com/2019/05/07/greta-thunberg-autistic-prophet/">certains médias présentent aujourd’hui Greta Thunberg</a> : la jeune militante écologiste <a href="https://www.infochretienne.com/greta-thunberg-est-elle-une-prophetesse-comme-certains-lannoncent/">divise l’opinion</a>.</p>
<p>Est-elle une nouvelle Pythie manipulée ou bien une prophétesse de vérité, à l’instar de la mythique princesse de Troie ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156229/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que sait-on de la célèbre princesse troyenne, douée du don de prophétie et cruellement jugée pour sa lucidité ?Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514312020-12-20T21:52:47Z2020-12-20T21:52:47ZJésus a-t-il échappé à une tentative de meurtre alors qu’il était bébé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376013/original/file-20201220-15-jjvdii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=64%2C7%2C4740%2C4085&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nicolas Poussin, « Le massacre des Innocents », vers 1630. Musée Condé, Chantilly.
</span> </figcaption></figure><p>L’évangile selon Matthieu nous raconte un fameux épisode de la vie de Jésus, juste après sa naissance : le massacre des Innocents. Le roi de Judée de l’époque, Hérode le Grand (vers 72-4 av. J.-C.), apprend, par des mages arrivés à Jérusalem, qu’un « roi des Juifs » vient de naître. Il fait aussitôt rechercher l’enfant car il voit en lui un concurrent susceptible de lui ravir son trône. Il « entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem, tous les enfants jusqu’à deux ans », écrit Matthieu (Mt 2, 16). Mais Joseph, père de Jésus, prévenu par un ange, parvient à prendre la fuite en Égypte, en compagnie de Marie et du bébé. Ils <a href="https://www.info-bible.org/lsg/40.Matthieu.html">ne reviennent en Judée qu’après la mort d’Hérode, quelques mois plus tard</a>.</p>
<p>On peut remarquer que l’histoire du massacre cadre bien avec ce que l’on sait, par ailleurs, de la cruauté prêtée à Hérode. Le roi, peut-être atteint d’une forme de délire paranoïaque dans les dernières années de son règne, était allé jusqu’à faire exécuter trois de ses propres enfants : Aristobule et Alexandre en 7 av. J.-C., puis Antipater en 4 av. J.-C., comme le raconte <a href="https://www.lhistoire.fr/livres/un-nouvel-h%C3%A9rode">l’historien antique Flavius Josèphe</a>.</p>
<p>L’Hérode historique était donc bien un massacreur de jeunes princes innocents et le récit de la tuerie de Bethléem se fonde sur un contexte qui le rend vraisemblable, mais non véridique. Pourquoi donc avoir inventé cette histoire ?</p>
<h2>Œdipe, le bébé pendu par les pieds</h2>
<p>D’anciens mythes grecs, bien connus à l’époque de Jésus, racontaient comment un enfant condamné à mort finissait tout de même par s’en sortir après avoir déjoué les tentatives de meurtre de ses ennemis. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Oedipe abandonné, enluminure de la Fleur des Histoires de jean mansel, seconde moitié du XVe siècle.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La légende d’Œdipe constituait le prototype de ces récits, sorte de roman d’apprentissage du futur chef, <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1319766-dipe-ou-la-legende-du-conquerant-marie-delcourt-les-belles-lettres">comme l’a montré Marie Delcourt (<em>Œdipe ou la légende du conquérant</em>, Liège, Paris, Les Belles Lettres, 1981)</a>.</p>
<p>Laïos, roi de Thèbes, apprend par un oracle qu’il sera tué par son propre fils. Il tente d’empêcher que la prophétie ne se réalise, en cessant toute relation sexuelle avec Jocaste, sa femme. Mais celle-ci, vexée, le fait boire et s’unit à lui alors qu’il est ivre. Neuf mois plus tard, lorsqu’elle accouche, Laïos arrache l’enfant des bras de sa mère. Il escalade une montagne, voisine de Thèbes, et y abandonne le bébé, après l’avoir pendu par les pieds à un arbre. Laïos a cloué les talons de l’enfant avant de lui passer une corde autour des mollets. A priori aucune chance que le petit survive. Il doit rapidement mourir de soif ou dévoré par des bêtes sauvages.</p>
<p>Sauf que c’est évidemment le contraire qui se produit, sans quoi, il n’y aurait pas de légende. Le mythe raconte une histoire qui échappe à la logique des hommes. Il s’agit de montrer que le bébé n’est pas n’importe qui : il est le protégé d’un grand dieu.</p>
<p>Un berger, passant sur la montagne, découvre l’enfant, le libère et l’emmène dans sa ville : Corinthe. Le roi local se désespérait justement de ne pas avoir de fils. Il adopte le petit et le nomme Œdipe, c’est-à-dire « Pieds-enflés », en raison des blessures infligées par les clous de Laïos. L’enfant est sain et sauf. Il a survécu, contre toute attente. Le bébé aux pieds cloués est maintenant qualifié pour un brillant avenir de chef.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Frederick Goodal, « La découverte de Moïse », 1862.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7a/The_Finding_of_Moses.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Romulus et Moïse, les bébés sauvés des eaux</h2>
<p>De la même manière, dans la légende romaine, le petit Romulus et son frère Rémus sont abandonnés sur le Tibre avant d’être sauvés par une louve, animal envoyé par le dieu Mars, qui vient les allaiter. Le divin père de Romulus, futur fondateur et roi de Rome, n’a pas l’intention de voir périr son enfant. Romulus a une mission terrestre à accomplir : il est prédestiné par les Cieux, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Tite/index.htm">comme le suggère l’historien latin Tite-Live</a>.</p>
<p>Ce schéma légendaire se trouve également dans la Bible, jetant un pont entre la mythologie gréco-romaine et le judaïsme. Le petit Moïse échappe de justesse à ses assassins égyptiens, envoyés par le pharaon, tyran cruel, qui veut faire tuer tous les fils des Hébreux (Exode 1). Sa mère l’abandonne sur le Nil dans une caisse en papyrus. Heureusement, le bébé est sauvé des eaux par la fille du pharaon qui le découvre et l’adopte comme son fils. Étonnant retournement ! Moïse accède au statut de prince d’Égypte, de même qu’Œdipe est recueilli par le roi de Corinthe dont il devient le fils adoptif. Le schéma narratif de l’enfant persécuté qui s’en sort finalement est un modèle universel.</p>
<h2>Le storytelling de l’enfant persécuté</h2>
<p>Dans les années 50 av. J.-C., ce même storytelling est exploité par Jules César qui raconte qu’il a échappé, dans sa jeunesse, aux persécutions du dictateur romain Sylla, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/cesar.htm">comme le rapporte l’historien latin Suétone (<em>Vie de César</em>, 1)</a>.</p>
<p>Plus proche encore chronologiquement de Jésus, l’empereur Auguste, reprend à son tour le même schéma légitimateur. « Quelques mois avant la naissance d’Auguste, il se produisit à Rome, dans un lieu public, un prodige annonçant que la nature allait enfanter un roi pour le peuple romain : le Sénat épouvanté décréta que l’on n’élèverait aucun des enfants mâles nés cette année-là », <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/auguste.htm">écrit Suétone (<em>Vie d’Auguste</em>, 94)</a>.</p>
<p>Mais la décision du Sénat n’est pas appliquée, car les femmes de plusieurs sénateurs sont alors enceintes. C’est ainsi que le futur Auguste aurait finalement été sauvé.</p>
<p>Il est intéressant de remarquer que Suétone nous donne le nom de l’inventeur de cette fable : Julius Marathus, affranchi et conseiller d’Auguste, rédacteur du Journal officiel de l’Empire. Il s’agit donc bien d’un mythe officiel dont la signification est politico-religieuse. Le storytelling de l’enfant qui échappe au meurtre est un stéréotype servant à légitimer le leader destiné à fonder de nouvelles règles, normes sociales et institutions : Moïse avec les Tables de la Loi, Auguste avec l’instauration du régime impérial.</p>
<p>Il pouvait donc être intéressant pour Matthieu d’offrir à ses lecteurs une nouvelle version de ce schéma narratif, dès lors qu’il cherchait à présenter Jésus comme un législateur et un réformateur, venu refonder la société juive. Jésus annonce l’émergence d’un monde nouveau, et il possède toute légitimité pour le faire. C’est ce que signifie l’histoire du massacre des Innocents, calquée sur les récits légitimateurs du passé. Jésus est le nouveau Moïse, ou encore l’Auguste des Juifs, fondateur d’une ère nouvelle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Friedrich Herlin de Nördlingen, Circoncision de Jésus. Retable de Rothenburg, 1466.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/76/CirconcisionRothenburg.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Jésus exfiltré en Égypte ou circoncis à Jérusalem ?</h2>
<p>Mais le récit du massacre est en contradiction avec l’épisode de la circoncision de Jésus au Temple, « huit jours » après sa naissance, relatée par l’évangile selon Luc (Lc 2, 21). Comment peut-on imaginer que Jésus puisse aller se faire circoncire à Jérusalem, capitale du méchant roi Hérode, une semaine à peine après avoir échappé à sa tentative de meurtre ? Pourquoi la menace aurait-elle disparu tout d’un coup ?</p>
<p>Luc ignore le massacre des Innocents, tandis que l’incohérence entre les évangiles de Matthieu et Luc nous prouve que <a href="https://www.lhistoire.fr/livres/j%C3%A9sus-aux-quatre-visages">divers récits concurrents sur la naissance du Christ ont circulé parallèlement</a>.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel a écrit <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/christian-georges-schwentzel/les-quatre-saisons-du-christ-christian-georges-schwentzel/">« Les Quatre saisons du Christ, un parcours politique dans la Judée romaine »</a>, éditions Vendémiaire, 2018</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’on en croit l’évangile selon Matthieu, Jésus aurait échappé à une tentative d’assassinat, juste après sa naissance, à Bethléem. Ce fameux épisode est-il historique?Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514302020-12-13T21:33:41Z2020-12-13T21:33:41ZWonder Woman peut-elle être à la fois sexy et féministe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/374269/original/file-20201210-15-10t2tve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C976%2C598&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Wonder Woman interprétée par Gal Gadot.</span> </figcaption></figure><p>Alors que <em>Wonder Woman 1984</em> sort en salles aux États-Unis et sur HBO Max, le 25 décembre 2020, l’icône de la guerrière sexy peut-elle servir de support à un message féministe ?</p>
<p>Les deux volets de <em>Wonder Woman</em> (2017 et 2020), réalisés par une femme, Patty Jenkins, mettent en scène une puissante guerrière, dans laquelle on peut voir une incarnation du « girl power », <a href="https://www.rtl.fr/culture/super/wonder-woman-1984-date-intrigue-personnages-le-point-sur-les-infos-7800082899">ce phénomène culturel d’inspiration féministe</a>.</p>
<p>Mais Wonder Woman porte aussi une tenue très provocante. Peut-elle être à la fois une <a href="https://theconversation.com/wonder-woman-feminist-icon-or-symbol-of-oppression-79674">icône féministe et susciter le désir érotique</a> ?</p>
<p>La polémique a commencé dès l’automne 2016, lorsque le personnage de fiction fut choisi par l’ONU dans le cadre d’une campagne en faveur de l’émancipation des femmes. Wonder Woman venait d’être nommée « ambassadrice » des Nations unies, suscitant une vague de protestations <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/2016/12/13/03004-20161213ARTFIG00236-wonder-woman-et-l-onu-c-est-fini.php">qui contraignit finalement l’ONU à annuler son choix</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1118&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1118&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1118&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’affiche de <em>Wonder Woman 1984</em>.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les Amazones : entre fantasmes et réalité</h2>
<p>Au regard de l’histoire de l’érotisme, Wonder Woman est l’un des derniers avatars d’un fantasme sexuel dont les origines remontent à l’Antiquité. Prenez une belle fille, selon les canons du moment, et habillez-la en guerrière, l’effet érotique est garanti.</p>
<p>Le psychologue William Moulton Marston, créateur de la figure de Wonder Woman, icône des comics, en 1941, en était évidemment parfaitement conscient. Il <a href="https://www.eveprogramme.com/15521/un-pionnier-de-legalite-william-m-marston-createur-de-wonder-woman/">s’inscrit volontairement dans la continuité des anciens mythes grecs</a>.</p>
<p>Des guerrières ont réellement existé dans l’histoire, notamment chez les Scythes, peuple en grande partie nomade qui vécut, il y a 2 500 ans, dans les steppes d’Eurasie centrale. Dans ces régions, les femmes accompagnaient leurs époux à la guerre ou à la chasse.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sexe-et-erotisme-dans-lantiquite-greco-romaine-126161">Sexe et érotisme dans l’Antiquité gréco-romaine</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Fascinés par ces cavalières si différentes de leurs propres épouses, les Grecs antiques les transformèrent en figures de légende. Ils cristallisèrent sur elles leurs désirs, leurs peurs et leurs fantasmes. C’est <a href="https://www.femina.ch/societe/actu-societe/les-fieres-amazones-bien-plus-quun-fantasme">ainsi que naquirent les Amazones</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/374270/original/file-20201210-23-1fuvt3f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/374270/original/file-20201210-23-1fuvt3f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374270/original/file-20201210-23-1fuvt3f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374270/original/file-20201210-23-1fuvt3f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374270/original/file-20201210-23-1fuvt3f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374270/original/file-20201210-23-1fuvt3f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374270/original/file-20201210-23-1fuvt3f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374270/original/file-20201210-23-1fuvt3f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Amazone à cheval armée d’un lasso. Pyxis attique, Vᵉ siècle av. J.-C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.archaeology.wiki/blog/2015/06/10/amazon-spotted-attic-pyxis/">Mississippi University Museum</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Combat et séduction</h2>
<p>Dans la mythologie grecque, les Amazones vivent au sein d’une société matriarcale gouvernée par des reines. Lysippé, fondatrice du royaume féminin, avait édifié sa capitale à Thémiscyra, au nord-est de la Turquie actuelle. Thémiscyra est aussi le lieu de naissance de Wonder Woman dont William Moulton Marston a voulu ainsi inscrire l’histoire dans le prolongement des mythes antiques.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/wonder-woman-et-le-fantasme-sexuel-de-la-femme-guerriere-78007">Wonder Woman et le fantasme sexuel de la femme guerrière</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les Amazones montent à cheval. Elles manient des haches, lancent des javelots et tirent à l’arc. Sur une céramique grecque du V<sup>e</sup> siècle av. J.-C., aujourd’hui au Musée de l’Université du Mississippi, on peut voir une guerrière sur sa monture faisant tournoyer un lasso, comme plus tard Wonder Woman, tandis qu’un soldat grec, à droite, s’abrite derrière un grand bouclier. La scène représente un duel, mais c’est aussi une métaphore de la séduction, comme le laisse entendre le support : une <em>pyxis</em>, c’est-à-dire un récipient destiné aux onguents dont les femmes étaient censées s’enduire pour prendre des hommes dans leurs filets. La <a href="https://www.seeker.com/2500-year-old-wonder-woman-found-on-vase-1769923996.html">relation de séduction est ici vue comme une lutte entre les sexes</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=678&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=678&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=678&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=852&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=852&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=852&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’empereur romain Claude massacrant une allégorie de la Bretagne figurée comme une Amazone. Relief provenant d’Aphrodisias (Turquie). Iᵉʳ siècle apr. J.-C.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La jument domptée par le mâle</h2>
<p>La plupart des mythes mettant en scène des Amazones sont construits sur un même schéma narratif montrant comment la fille farouche finit par être soumise par un héros viril. Le modèle en est l’histoire d’Héraclès, parti à la recherche de la ceinture de la reine Hippolyté. Séduite par la magnifique musculature du héros, la reine dénoue d’elle-même sa ceinture pour l’offrir à Héraclès qui devient son amant. La ceinture est une métaphore de la virginité que perd la reine dans les bras de son séducteur. Celle dont le nom signifie « Jument libérée » se laisse ainsi dompter. Mais l’affaire se termine mal : croyant qu’elle l’a trahi, Héraclès tue Hippolyté. Une manière <a href="https://journals.openedition.org/lectures/23866">d’achever un processus de domination phallocratique</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/combattantes-de-meres-en-filles-les-femmes-guerrieres-ont-elles-reellement-existe-138271">Combattantes de mères en filles : les femmes guerrières ont-elles réellement existé ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Telle est aussi la conclusion du mythe racontant comment le beau héros athénien Thésée séduit la reine amazone Antiopé. Quittant son royaume, celle-ci le suit jusqu’en Grèce, où il la met finalement à l’écart pour épouser un meilleur parti. Selon l’une des versions de cette légende, lors de la cérémonie de noces de son ancien amant, Antiopé surgit tout armée pour s’opposer au mariage. Thésée est alors bien obligé de la tuer. Tout est bien qui finit bien <a href="https://www.babelio.com/livres/Schwentzel-Le-nombril-dAphrodite/1184758">pour la virilité dominante</a>.</p>
<p>Ces mythes grecs ont ensuite inspiré les Romains. Ainsi, lors de son triomphe à Rome, en 61 av. J.-C., Pompée, chef militaire victorieux, fit défiler des captives habillées en Amazones qu’il prétendait avoir capturées lors de ses conquêtes en Orient. Un siècle plus tard, après avoir envahi la Grande-Bretagne, l’empereur Claude (41-54 apr. J.-C.) se fit représenter dans l’art officiel comme un héros viril en train de terrasser une allégorie féminine de la province conquise. Britannia, à terre, est vêtue, <a href="http://aphrodisias.classics.ox.ac.uk/sebasteionreliefs.html">telle une Amazone, d’une courte tunique qui lui dénude un sein</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Nancy Callahan incarnée par Jessica Alba dans <em>Sin City</em> de Frank Miller (2005).</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Guerrières en cage et poupées sexy</h2>
<p>De nos jours, la guerrière est un personnage de fiction relativement banal. Mais toutes les Amazones du XXI<sup>e</sup> siècle ne sont pas conçues sur le même modèle. Dans <em>Sin City</em>, film tiré du comics de Frank Miller, Nancy Callahan, vêtue en <em>cow girl</em>, joue avec deux revolvers et fait tournoyer un lasso en se déhanchant sur le comptoir d’une taverne. C’est une Amazone en cage, dont la seule fonction est d’émoustiller une clientèle exclusivement masculine. Une fille dominée, comme dans les mythes grecs ou le défilé de Pompée. De plus, si elle parvient à échapper à son agresseur, Roark Junior, c’est <a href="https://oblikon.net/analyses/dossier-sin-city-explications-et-analyses-pour-mieux-comprendre-les-adaptations-cines/4/">toujours grâce à John Hartigan, un officier de police au grand cœur, héros viril contemporain</a>.</p>
<p>Wonder Woman, elle, n’est ni en cage, ni dominée par un homme. Mais elle a été conçue par William Moulton Marston comme une femme aguichante : sa tunique courte dévoile ses cuisses et sa cuirasse épouse la forme de sa poitrine. Diadème, bracelets et hautes bottines à talons font également partie de cet attirail de la séduction. Le résultat est une sorte de poupée ultra-sexy.</p>
<p>Comme Wonder Woman, la figure de Lara Croft incarne une guerrière indomptable, bien différente en cela des Amazones de la mythologie grecque.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’évolution de Lara Croft depuis son apparition en 1996.</span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://geeko.lesoir.be/2018/03/15/tomb-raider-lincroyable-evolution-de-lara-croft-en-22-annees/">L’examen des avatars successifs du personnage</a> depuis 1996 nous montre que ses vêtements sont devenus plus amples et couvrants, à partir de 2013, gommant quelque peu le fort potentiel érotique du début.</p>
<p>Mais son physique demeure toujours conforme aux canons de la beauté féminine du moment.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/70NUW9KSVKM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les femmes guerrières sont aujourd’hui très présentes au cinéma, qu’il s’inspire de la réalité ou relève de la pure fiction. Des combattantes kurdes, mises à l’honneur par Caroline Fourest (<em>Sœurs d’armes</em>, 2019) à <em>Wonder Woman</em>, en passant par Rey dans <em>Star Wars IX</em> (Jeffrey J. Abrams, 2019) ou encore <em>Mulan</em> (Niki Caro, 2020), elles n’ont jamais été aussi présentes sur les écrans.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lascension-des-hero-nes-dans-star-wars-une-victoire-feministe-130222">L’ascension des héroïnes dans « Star Wars », une victoire féministe ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Si elles ne sont pas toutes « féministes », dans le sens où elles véhiculent encore de vieux clichés phallocratiques, elles s’inscrivent néanmoins dans un phénomène général de féminisation des héros de fiction, de surcroît dans des œuvres souvent réalisées par des femmes. Elles nous parlent de notre époque et de nos tentatives pour renouveler notre conception de la féminité, tout en recyclant parfois des stéréotypes qui remontent à l’Antiquité gréco-romaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151430/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les deux volets de Wonder Woman (2017 et 2020) mettent en scène une puissante guerrière, dans laquelle on peut voir une incarnation du « girl power », ce phénomène culturel d’inspiration féministe.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1348502020-09-16T18:16:08Z2020-09-16T18:16:08Z« Le siècle vert » : un nouveau paradigme pour la culture ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/355597/original/file-20200831-18-chhxag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=30%2C20%2C6639%2C4406&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">légende</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/5LxaPqywLwQ">Unsplash / tengyart</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Ces soixante dernières années, les différentes conceptions de l’action culturelle de l’État et, par la suite des collectivités territoriales, ont été déterminées selon un même paradigme : celui de la coupure nature/culture. Le dernier livre de <a href="http://www.gallimard.fr/Contributeurs/Regis-Debray">Régis Debray</a> se livre à une critique brillante, narquoise et désabusée de cette question (<em>Le siècle vert. Un changement de civilisation</em>, Tracts Gallimard, 2020).</p>
<p>La nature serait ce qui ne dépend pas de nous, alors que l’acception la plus générale de la culture, celle de l’anthropologie, fait de cette dernière une totalité où entrent les usages des biens de consommation, les chartes des groupements sociaux, les idées et les arts, les croyances et les coutumes, etc.</p>
<p>Pour l’anthropologie fonctionnaliste, l’Institution, définie par Bronislav Malinowski, comme « unité élémentaire d’organisation » de l’activité humaine dans <em>Une théorie scientifique de la culture</em> comporte des éléments qui la structurent. Outre les systèmes de valeurs au nom desquels les hommes s’organisent, les personnels, les activités et les fonctions, un ensemble de règles et de normes, les chartes, orientent et déterminent les desseins de leurs activités</p>
<p>Mais cette opposition nature/culture est trop large pour être opératoire. Aujourd’hui, la prise de conscience du processus de dérèglement climatique, largement produit par l’action de l’homme sur son environnement, conduit à réévaluer les relations entre la nature et la culture. « Chaque génération doit prendre parti » affirme George Steiner dans l’article, « Vers une culture plus humaine », premier chapitre de son livre <em>Langage et silence</em>.</p>
<p>Le texte de Régis Debray, mince en volume, profond en analyse, et d’un optimisme raisonné, s’acquitte allègrement de cette injonction. Son propos le rend proche de la génération qui alerte les responsables politiques sur les dangers que le dérèglement climatique fait peser sur l’avenir de la condition humaine. Sa réflexion permet d’ouvrir un débat sur la place que pourrait occuper le phénomène culturel dans le changement de civilisation qu’il appelle de ses vœux. Je souhaite, dans un premier temps, formuler quelques remarques relatives à l’insuffisance de l’opposition nature/culture.</p>
<h2>Suturer la coupure</h2>
<p>Le premier point concerne le positionnement de notre modernité par rapport à cette question. Bruno Latour dans son essai d’anthropologie symétrique, <em>Nous n’avons jamais été modernes</em>, voit dans la qualité de « moderne », la capacité à séparer deux types de pratiques : d’une part, celles qui visent la connaissance du monde de la nature, et qui se construisent à partir de disciplines scientifiques distinctes ; d’autre part, celles qui s’intéressent aux relations interpersonnelles dans un cadre social déterminé.</p>
<p>L’hypothèse de Latour est que notre société dite « moderne » n’a jamais fonctionné conformément à la coupure qui fonde sa représentation du monde. Sont modernes, ceux qui continuent de croire aux promesses des sciences ou à celles de l’émancipation. Ou encore aux deux. Et ce serait là le comble de la modernité. En réalité, selon Latour, la modernité s’est imposée par des pratiques de naturalisation des faits, de leur socialisation et, enfin, de déconstruction : « Pas un élément du monde qui ne soit à la fois réel, social et narré ». </p>
<p>Pour tout événement significatif, qu’il soit historique ou collectif, il y a toujours un plan qui est de l’ordre du réel, c’est-à-dire qui relève de l’objectivité, le fait, dans sa description ; du social, c’est-à-dire de son inscription dans un tissu de relations entre les hommes et du « narré » c’est-à-dire du (des) récit(s) au(x)quel(s) il a donné lieu et qui lui donne(nt) son sens. Il en va aussi bien, par exemple de La Révolution française que de la victoire électorale de Macron ou encore de la victoire de la France dans la coupe du monde de football.</p>
<p>Alors que la séparation entre nature et culture s’efface progressivement, le second point s’interroge sur la nécessité de rompre avec les politiques culturelles qui se sont succédé ces soixante dernières années, en France, et qui ont partagé ce même paradigme. Ces politiques n’ont jamais envisagé que l’action culturelle publique était susceptible de jouer une fonction de chaînon articulant des domaines d’activités segmentés.</p>
<p><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Les-Antigones">George Steiner</a> rappelait que Jean‑Jacques Rousseau avait considéré « qu’un mécanisme de rupture, tragique, mais nécessaire et porteur de progrès, est inscrit dans les origines du corps politique : c’est la scission de l’homme et de la nature ».</p>
<p>Aujourd’hui, Debray en appelle à un changement de civilisation, lequel suppose de prendre en compte la continuité du tissu qui englobe notre présence dans le monde humain de la finitude.</p>
<p>Debray, en philosophe qu’il n’a cessé d’être, est attentif à son temps. Il ne se contente pas de donner un écho à la protestation d’une jeunesse qui s’inquiète de son avenir ; il inscrit sa pensée dans un temps long. Son propos ne ressort pas du catastrophisme, serait-il éclairé. Au contraire. Il relève d’un optimisme raisonné, du moins d’une confiance dans les forces de la vie. Il résonne aussi avec les vers d’Hölderlin qui concluaient une conférence de Martin Heidegger <a href="http://palimpsestes.fr/textes_philo/heidegger/question-technique.html">sur la question de la technique</a> :</p>
<blockquote>
<p>Mais, là où il y a danger, là aussi<br>
Croît ce qui sauve.</p>
</blockquote>
<h2>La faute à Faust</h2>
<p>Debray plante la poutre maîtresse de son texte dès la première partie intitulée « La faute à Faust ». Il énonce le manquement à l’éthique du personnage de Faust, dans la pièce éponyme de Goethe, qui passe un pacte avec le diable. Le mythe faustien se caractérise par la volonté de prendre possession de la nature ; il témoigne de la négation du rôle de l’homme et occulte la permanence de son Être qui réside dans un rapport juste avec la nature. « Ce que Faust, en somme, avait oublié, et nous avec lui, c’est que l’homme est partie intégrante, et non surplombante de la nature. » La faute est celle d’une raison oublieuse de la raison sensible ; elle s’est perpétuée durant les siècles et c’est elle qui a constitué notre modernité.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/faust-et-le-maharal-de-prague--9782130397779.htm">Dans un ouvrage qui date de 1987</a>, André Neher montre comment le mythe de Faust, tout comme celui du Golem, qui apparaît à la même époque, à l’apogée de la renaissance, vers 1580, sont des mythes jeunes.</p>
<p>Le Golem dont la création est attribuée à Rabbi Juda Lœb, dit le Maharal, est un automate doué d’un pouvoir actif qui protège la communauté juive de Prague. Sur son front sont gravées les trois lettres hébraïques : <em>aleph</em> (A), <em>mem</em> (M), <em>taw</em> (T) qui forment le mot <em>emet</em> (vérité). Son créateur utilise le pouvoir du Golem durant les six jours de la semaine ; le septième, il efface la lettre <em>aleph</em>. Ne restent alors que les deux lettres T et W qui forment le mot <em>TaW</em> (mort). Et le Golem redevient poussière.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/355601/original/file-20200831-20-11masyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/355601/original/file-20200831-20-11masyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/355601/original/file-20200831-20-11masyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/355601/original/file-20200831-20-11masyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/355601/original/file-20200831-20-11masyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/355601/original/file-20200831-20-11masyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/355601/original/file-20200831-20-11masyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Golem.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Musees/Actualites/Exposition-d-interet-national-Golem-!-Avatars-d-une-legende-d-argile">Site du ministère de la Culture</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Norbert Wiener dans son livre <em>Cybernetics</em> établit une relation <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/God_%26_Golem,_Inc.">entre le Golem et la discipline qu’il invente</a>, la <a href="http://agora.qc.ca/dossiers/Cybernetique">cybernétique</a> ; celle-ci a entraîné notre époque postmoderne dans le tourbillon des inventions scientifiques et techniques : la fission de l’atome, le radar, l’automation, l’ordinateur…</p>
<p>Debray ne cherche pas à réparer la faute par un prêche moralisateur. Il l’éclaire par un discours philosophique et un point de vue politique. Ce qui peut engager la nouvelle civilisation qu’il appelle de ses vœux réside dans la reconsidération des rapports entre l’Esprit de l’homme et la nature. Le dépassement de l’opposition duelle implique de redonner un sens à la culture – aux multiples concrétisations de l’esprit humain. L’avènement d’une nouvelle civilisation doit être éclairé, dans son cheminement, par les multiples lumières, les lucioles, qui avaient le pouvoir d’éclairer notre vie quotidienne. Dans un article célèbre, « La disparition des lucioles » qui date de 1975, Pasolini, attribue la responsabilité de ce phénomène à la pollution de l’eau et de l’air :</p>
<blockquote>
<p>« Au début des années soixante, à cause de la pollution atmosphérique et, surtout, à la campagne, à cause de la pollution de l’eau (fleuves d’azur et canaux limpides), les lucioles ont commencé à disparaître. Cela a été un phénomène foudroyant et fulgurant. Après quelques années, il n’y avait plus de lucioles. »</p>
</blockquote>
<p>Pour citer encore une fois Hölderlin, comme le fait Heidegger à la fin de son texte sur la question de la technique, il faudrait que « l’homme habite en poète sur cette terre ». Si comme le pensait Henry James : « C’est l’art qui fait la vie. Je ne connais aucun substitut d’aucune sorte à la force et à la beauté de son processus », alors il appartient à l’art de donner un sens et une forme à cette civilisation nouvelle.</p>
<p>À deux conditions. Permettre que les pratiques artistiques soient ouvertes à tous. Admettre, comme l’affirmait Jean Dubuffet, que </p>
<blockquote>
<p>« L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/134850/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Caune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans son dernier ouvrage, Régis Debray ouvre un débat sur la place que pourrait occuper le phénomène culturel dans le changement de civilisation qu’il appelle de ses vœux.Jean Caune, Professeur émérite en sciences de la communication, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1386892020-05-27T18:16:03Z2020-05-27T18:16:03ZLe syndrome du héros combattant : attention à la chute !<p>Le Covid-19 est arrivé en France dans un contexte hospitalier fortement dégradé où les conditions de travail sont extrêmement difficiles et où le sentiment de non-reconnaissance de la part des citoyens et plus encore des pouvoirs publics est de plus en plus prégnant. Tout ceci <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2017-1-page-155.htm">contribue à un malaise grandissant du personnel soignant</a>. Et pourtant, face à cette crise sanitaire sans précédent, les personnels hospitaliers font front et se mobilisent sur le terrain, jour après jour, au service de toute la nation.</p>
<p>On redécouvre ces femmes et ces hommes qui bataillent à leurs risques et périls pour les autres : les oubliés d’hier deviennent les héros d’aujourd’hui. Ils font l’objet de nombreux hommages, de la part de Français anonymes, mais aussi au plus haut sommet de l’état. Le discours très martial du Président de la République, le 16 mars dernier (« Nous sommes en guerre »), annonçant le début du confinement généralisé de la population, a fait basculer les soignants dans le rôle de héros combattants. Au plus dur de la crise sanitaire, chaque soir, les Français les ont applaudis de leur fenêtre à 20 heures, marque d’une reconnaissance pour ces travailleurs de l’ombre qui forcent l’admiration. Et chaque jour, les médias ont également relayé les messages de soutien de toute la population.</p>
<h2>Perte de ressources psychologiques</h2>
<p>Pourtant, endosser le costume du héros combattant peut s’avérer dangereux à court et à long terme pour ces soignants. Ils vivent au quotidien une situation extrêmement stressante et sont déjà fragilisés par les combats passés. Leur colère face au manque de moyens n’a pas été entendue par les pouvoirs publics comme en témoignent les <a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2019/12/16/les-personnels-hospitaliers-maintiennent-la-pression-sur-le-gouvernement_6023082_1651302.html">mouvements de protestation</a> du personnel hospitalier en fin d’année 2019.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/337974/original/file-20200527-20241-l9ql09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337974/original/file-20200527-20241-l9ql09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337974/original/file-20200527-20241-l9ql09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337974/original/file-20200527-20241-l9ql09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337974/original/file-20200527-20241-l9ql09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337974/original/file-20200527-20241-l9ql09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337974/original/file-20200527-20241-l9ql09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337974/original/file-20200527-20241-l9ql09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Un graffiti de l’artiste Fake à Amsterdam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://streetartnews.net/2020/03/fakes-new-mural-super-nurse-available-for-free-download.html">Street Art News</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le héros combattant dans la mythologie est un surhomme, un demi-dieu qui se distingue par ses exploits, par son courage extraordinaire, sa grande abnégation et son sens du sacrifice ; il part au combat et souffre en silence sans demander aucune aide.</p>
<p>Bien que le corps médical fasse preuve d’abnégation et de courage, leur quotidien se traduit aussi par : la peur éprouvée pour soi et sa famille, le stress induit par les pénuries de matériel de protection, la brutalité de cette maladie qui engendre un afflux exponentiel de malades et des réorganisations au jour le jour, la crainte d’avoir à pratiquer des choix non conformes à leurs valeurs, les incivilités et les violences d’une partie de la population, la fatigue qui s’accumule dans un quotidien devenu anxiogène à l’extrême. Tout cela contribue à épuiser leurs ressources psychologiques.</p>
<p>Cette approche du héros combattant peut sembler valorisante et encourageante à court terme mais risque, sans des conditions de soutien fort et de moyens supplémentaires, de ne pas compenser la perte de ressources personnelles que ces circonstances extrêmes provoquent, avec des conséquences à court et à long terme sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-de-gestion-et-d-economie-de-la-sante-2019-2-page-135.htm">santé psychologique des soignants</a>.</p>
<p>La théorie de la Conservation des Ressources (COR) d’<a href="https://psycnet.apa.org/buy/1989-29399-001">Hobfoll (1989)</a> nous permet une lecture éclairée de cette situation. Elle indique que les individus s’efforcent continuellement d’obtenir, de conserver, de protéger et d’encourager les ressources auxquelles ils tiennent (par exemple la santé, la famille, etc.). Le stress advient quand ces dernières sont menacées ou réellement perdues ou que les événements ne permettent pas de gagner de nouvelles ressources malgré un effort individuel important.</p>
<p>La disponibilité et l’accès à ces ressources permettent à l’individu d’atteindre ou de maintenir ses objectifs. Les situations qui mettent à mal l’accès à ces ressources génèrent du stress et peuvent avoir des conséquences à plus long terme sur la santé psychologique des individus. Il est donc important de <a href="https://guilfordjournals.com/doi/abs/10.1521/psyc.2012.75.3.227">mettre en place des conditions qui permettent au corps médical de protéger et d’alimenter leur réservoir de ressources</a>, conditions qu’Hobfoll appelle des <em>resource caravan passageways</em>.</p>
<p>Lorsque les individus vivent dans des contextes enrichis et stables, ils possèdent un terrain fertile pour développer de plus riches réseaux de ressources et pour entretenir leurs « caravanes de ressources » (autrement dit leur réservoir de ressources) ; alors que dans des circonstances délétères, les individus peuvent peiner ou échouer à les développer ou à les entretenir.</p>
<h2>La reconnaissance ne suffit pas</h2>
<p>À l’aune de cette théorie, il y a donc un risque fort chez ces soignants, qui vivent une situation inédite où leurs ressources centrales sont continuellement menacées (santé, famille, sens de la vie), de générer chez eux un sentiment de stress chronique pouvant avoir des conséquences sur leur santé. Ici, la ressource « reconnaissance » ne constitue pas à elle seule une arme de résistance contre le stress. Elle va permettre à court terme de tenir mais elle ne suffira pas si elle n’est pas accompagnée d’autres ressources matérielles, financières et humaines qui permettraient de compenser la perte de ressources vécue par nos soignants.</p>
<p>Ceci est d’autant plus prégnant que suite à des circonstances de stress chronique, les personnes ont tendance à voir <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-orgpsych-032117-104640">leur pool de ressources de plus en plus épuisé et seront plus vulnérables pour combattre les futures pertes</a>. Hobfoll met l’accent sur la primauté de la perte : les individus sur-pondèrent la perte de ressources et sous-pondèrent le gain. En d’autres termes, chaque individu possède une sensibilité à la perte, à savoir que les réponses émotionnelles sont plus marquées lors d’expériences négatives que d’expériences positives. Il est donc important de mettre en place des conditions pérennes pour maintenir un niveau de ressources disponibles, au risque de voir émerger un mal-être au travail plus accru, quand la lumière des projecteurs s’éteindra sur ces métiers.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MWriHdIcC4Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le plan massif d’investissement pour l’hôpital et de revalorisation des carrières annoncé au cœur de la crise, le 25 mars dernier, par le président de la République, doit donc mettre en place des conditions durables qui fournissent, enrichissent et protègent les ressources des soignants. Ceci pourrait constituer un début de réponse à l’interpellation devenue virale du neurologue François Salachas en février dernier « Vous pouvez compter sur moi, l’inverse reste à prouver… ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138689/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au cœur de la crise sanitaire, les soignants sont confrontés à la maladie mais également à des risques importants pour leur santé psychologique.Florence Nande, Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherche (ATER) - Laboratoire MRM et IUT de Nîmes, Université de MontpellierMarie-Laure Weber, Doctorante en Sciences de Gestion, laboratoire MRM, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1303192020-02-11T19:36:59Z2020-02-11T19:36:59ZL’image de Jésus dans le Coran<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/314543/original/file-20200210-109916-1ru772i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1071%2C671&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manuscrit persan du Moyen Âge représentant le prophète Mahomet conduisant Jésus, Moïse et Abraham à la prière.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Religion_abrahamique#/media/Fichier:Medieval_Persian_manuscript_Muhammad_leads_Abraham_Moses_Jesus.jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Le Coran parle abondamment de <a href="https://www.cairn.info/revue-pardes-2011-2-page-131.htm">personnages bibliques</a>, d’Abraham, d’Isaac, de Moïse par exemple ; il évoque aussi, et à plusieurs reprises, <a href="https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1983_num_200_3_4481">Jésus et Marie</a>. Rien d’étonnant à cela, surtout que le Coran est né dans un espace politique, culturel et religieux où vivaient depuis des siècles des juifs mais également des chrétiens. Ces derniers, syro-araméens, coptes et aussi romano-byzantins, formaient des Églises structurées avec leur hiérarchie et leurs théologiens.</p>
<p>Les <a href="https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1925_num_5_2_3854">querelles christologiques</a>, c’est-à-dire la façon croyante de considérer la personne de Jésus, ont eu un long retentissement dans cet univers et ont créé des dissensions, des divisions et des conflits. On peut d’ailleurs en déceler plus d’un écho dans le texte coranique. En fait, le Coran ne parle nulle part de chrétiens mais des <em>Naṣarā</em>, nom ambigu qui fait allusion aux deux termes grecs : <em>Nazaréniens</em> et <em>Nazôréens</em> qui figurent dans plusieurs passages du Nouveau Testament. Cependant, malgré cette ambiguïté terminologique, le Coran sait distinguer entre <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/chretiens-dorient/le-contexte-culturel-chretien-du-coran-avec-ali-amir-moezzi">chrétiens et juifs, et entre zoroastriens et manichéens</a>.</p>
<h2>Vies exemplaires de Jésus et Marie</h2>
<p>En ce qui concerne Jésus, le Coran ne connaît pas le « Yasû’ » des chrétiens orientaux, ni le « Yeshua » des juifs. En revanche, il parle beaucoup de <a href="https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1968_num_5_1_983">« ‘Isâ » fils de Myriam</a>. Aussi, deux remarques s’imposent-elles d’emblée. D’une part, Marie apparaît comme indissociable de Jésus dans le texte coranique ; d’autre part, les éléments d’information sur l’un et l’autre proviennent majoritairement d’apocryphes.</p>
<p>Les textes qui évoquent Jésus et Marie sont d’une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/04/dans-l-islam-jesus-n-est-pas-un-personnage-peripherique_4824951_3232.html">grande importance dans la foi populaire</a>. On les trouve pour l’essentiel dans les sourates (chapitres) 3, 4, 5, 19, 23, 43 et 61 du Coran qui les évoquent avec respect et qui prennent soin de les présenter comme modèles à suivre, tant leurs vies sont exemplaires. Dès sa naissance, le Jésus coranique fait objet d’un miracle voulu par la puissance divine puisqu’il s’agit d’une naissance virginale. Il est un puissant thaumaturge qui accomplit miracles et guérisons.</p>
<p>La formule coranique d’« Al-Masîh Isâ ibn Maryam » sert souvent à <a href="https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Islam/Jesus-dans-le-Coran-et-dans-la-tradition-musulmane">désigner Jésus-Christ</a>. Si l’on excepte les tentatives (désespérées) de faire dériver la forme <em>’Isâ</em> d’une racine arabe, tout le monde reconnaît ici un nom emprunté. Le problème est bien sûr de déterminer de quel emprunt il s’agit exactement. L’une des explications les plus anciennes de l’origine du nom <em>’Isâ</em> est de considérer qu’il ne s’agit pas du nom de Jésus, mais de la déformation du nom araméen <em>Ésaü</em> qui semble en effet le nom biblique le plus proche de la forme coranique de <em>’Isâ</em>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AFn7PzGsZaM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Signes et messagers</h2>
<p>La notion de « âya » (signe), souvent employée par le Coran s’agissant de l’action de Dieu dans la nature ou dans l’histoire, <a href="https://www.persee.fr/doc/horma_0984-2616_2004_num_50_1_2221">concerne également Jésus</a> et <a href="https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1997_num_214_1_1188">aussi sa mère Marie</a> (Myriam). Sans doute faut-il penser à sa naissance miraculeuse. S’agit-il d’une réminiscence de l’Évangile selon Matthieu (Mt 11, 5) où, répondant à la question que lui fait poser depuis sa prison Jean le Baptiste, Jésus répond par un résumé de ses miracles ?</p>
<p>Les données coraniques relatives au Christ sont nombreuses : les unes concernent son entourage proche ; les autres, qui nous intéressent plus particulièrement, se rapportent à sa personne même. Dans plusieurs passages, il est présenté comme annonciateur de <em>bayan</em> (vérité). Ses disciples sont considérés comme des messagers (<em>al-Hawâriyyoûn</em>). Jésus s’adresse à eux, dans le Coran, par deux fois, comme en une sorte de refrain, dans une situation critique où il est confronté à l’incrédulité du Sanhédrin. En tant que croyants, ils se révèlent ses auxiliaires (<em>Ansar allah</em>). On a émis l’opinion que le terme arabe <em>Ansar</em> (auxiliaire) aurait été choisi par assonance avec <em>Naṣarā</em> (chrétiens). Dans ce cas, le choix du vocabulaire évoquerait une vision positive des chrétiens.</p>
<p>D’autres passages coraniques se rapportent à des faits évangélisques : l’un parle d’une table servie venant du ciel, alors que l’autre évoque le destin de Jésus. À la fin de la sourate 5, qui est intitulée « La Table servie » (<em>al-Maidah</em>), on raconte l’histoire qui correspond à ce titre comme une histoire des disciples. En ce sens, elle n’a pas de parallèle dans les Évangiles canoniques, mais le lien est fort clair avec les Évangiles apocryphes. Les disciples (ou les Apôtres) demandent à Jésus de faire venir du ciel une table servie, pour ainsi dire comme signe divin. Le miracle est accordé mais il n’est pas raconté. Toutefois, la réponse positive est accompagnée de la menace du châtiment le plus sévère auquel devrait s’attendre quiconque refuserait ensuite de croire. Ici certains grands Orientalistes ont donné à croire qu’il s’agit d’une reproduction coranique de l’eucharistie. On pourrait penser, plutôt, à un lien avec la multiplication miraculeuse des pains et des poissons relatée dans l’Évangile selon saint Matthieu (Mt 14, 13-21 ; 15, 32-38).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311255/original/file-20200121-117958-db9vtm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311255/original/file-20200121-117958-db9vtm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311255/original/file-20200121-117958-db9vtm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311255/original/file-20200121-117958-db9vtm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311255/original/file-20200121-117958-db9vtm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311255/original/file-20200121-117958-db9vtm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311255/original/file-20200121-117958-db9vtm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Mahomet accompagné de Jésus (manuscrit persan du XIVᵉ siècle).</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une polémique au sujet de la crucifixion de Jésus</h2>
<p>La sourate 4 (versets 157-158) se rapporte au destin de Jésus. Le texte présuppose la connaissance du <a href="https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Foi/Kerygme">kérygme</a> chrétien. C’est un texte polémique. Toutefois cette polémique ne vise pas le kérygme chrétien ; elle s’adresse aux juifs qui soutiendraient avoir tué et crucifié Jésus. On se demande comment cette polémique a pu naître. Si elle devait avoir un arrière-plan historique, des juifs se seraient vantés de cette mort. On peut imaginer qu’on ait opposé une affirmation de ce genre aux Judéo-chrétiens, lors d’une querelle intra-juive, dans le but de les provoquer. Dans ce cas, le Coran, qui rejette cette affirmation, prendrait parti pour les Judéo-chrétiens.</p>
<p>Une telle affirmation dérange l’historien, la crucifixion de Jésus passant pour une <a href="https://theconversation.com/les-multiples-visages-de-jesus-de-nazareth-109471">donnée des plus sûres</a>, attestée aussi par des auteurs romains païens. Le Coran voudrait-il dire que ce sont d’autres qui ont crucifié Jésus ? Certainement pas ; la pointe de l’énoncé est dirigée contre les juifs. Le texte dirait donc qu’ils avaient bien l’intention de tuer Jésus. Mais ils n’ont pas réussi.</p>
<p>Chose importante pour notre propos, pour le Coran la croix et la résurrection de Jésus n’ont pas de signification liée au salut. Sans doute la crucifixion de Jésus n’a-t-elle pas eu lieu pour ce qui le concerne. D’après la sourate 19 (verset 33), il meurt de mort naturelle, et selon la sourate 5 (verset 117), il a été rappelé. S’il doit revenir à la vie, cela se fera lors du jugement dernier, lorsque tous les morts seront ressuscités (Coran 19, 33). Devient-il ainsi le rôle d’un Imam caché qui peut <a href="https://journals.openedition.org/mideo/1944">réapparaître à n’importe quel moment</a> ?</p>
<p>Dans ce contexte, on peut rappeler que pour le Judéo-christianisme aussi, la signification de la crucifixion de Jésus passe à l’arrière-plan. Les controverses judéo-chrétiennes n’abordent pas la thématique <a href="https://cnrtl.fr/definition/sot%C3%A9riologique">sotériologique</a>. Néanmoins, ce qui marque le plus nettement la christologie du Coran est qu’il refuse la dignité de fils de Dieu. Mais avant d’en discuter, il nous faut réunir les énoncés positifs du Coran à son sujet. En effet, le Jésus coranique est considéré comme <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-46650220">prophète au même titre que Mahomet et les autres prophètes bibliques</a>. Et ici prophète est à entendre dans le sens spécifique d’envoyé de Dieu.</p>
<p>La désignation de Jésus comme fils de Marie est <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/questions-dislam/defense-de-la-nation-et-entreprise-djihadiste">également fréquente</a>. Elle connote la naissance sans père, à laquelle le Coran se tient. Mais elle n’a pas de portée ecclésiologique dans le Coran qui connaît aussi le nom de Christ (<em>Masîh</em>).</p>
<p>Cependant les assertions négatives sur Jésus prennent aussi de la place. Elles concernent concrètement la foi trinitaire. Les assertions du Coran peuvent se diviser en <a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2016-12-page-80.htm">trois groupes</a>. Le plus fréquent des reproches faits aux chrétiens concerne l’affirmation que Dieu s’est donné un fils.</p>
<h2>Les mystères mis à mal</h2>
<p>À un deuxième niveau, le Coran rejette l’appellation de « fils de Dieu » donnée à Jésus mais <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/jesus-prophete-coranise_1969477.html">accepte de le considérer comme l’Esprit de Dieu</a> (<em>Rouh al-Allah</em>). Enfin, et à un troisième niveau, le Coran rejette l’affirmation selon laquelle Jésus serait Dieu. La christologie coranique consiste donc essentiellement en trois valeurs, présentées sous forme de négations absolues de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Christianisme_nic%C3%A9en">foi nicéenne</a>.</p>
<p>Le Coran s’en prend donc à trois mystères constitutifs du christianisme en lien direct avec Jésus : la Trinité, au nom de l’absolue unicité divine ; l’Incarnation, au nom de la transcendance exclusive de Dieu ; et enfin la Rédemption, puisqu’il n’y a pas eu de sacrifice.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130319/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed Arbi Nsiri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il est bel et bien question de Jésus dans le Coran, mais les récits qui le mettent en scène mettent à mal les principaux mystères du christianisme.Mohamed Arbi Nsiri, Doctorant en histoire ancienne, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1298522020-01-14T21:08:20Z2020-01-14T21:08:20ZDe Zeus à Gabriel Matzneff : comment la morale sexuelle a évolué<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/309765/original/file-20200113-103994-fk71zs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C113%2C1120%2C771&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Félix Valloton, _L’enlèvement d’Europe_, 1908. Musée des Beaux-Arts de Berne.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Enl%C3%A8vement_d%27Europe_(Vallotton)#/media/Fichier:Felix_Vallotton_The_Rape_of_Europa.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>L’affaire Matzneff traduit un changement radical de notre morale sexuelle. « C’était une autre époque », explique ainsi Bernard Pivot qui avait interviewé avec une certaine complaisance <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2684023-20191229-affaire-gabriel-matzneff-autre-epoque-argument-passe-mal">l’écrivain aujourd’hui accusé de pédocriminalité</a>.</p>
<p>La morale sexuelle qui prévalait en France à la fin du XX<sup>e</sup> siècle, et même encore au début de notre XXI<sup>e</sup> siècle, n’était peut-être pas très éloignée de <a href="https://masterccs.hypotheses.org/11496">celle des Grecs</a> et des Romains de l’Antiquité.</p>
<h2>Zeus, le dieu violeur</h2>
<p>Dans la mythologie grecque, Zeus, maître des dieux, est un véritable prédateur sexuel. Métamorphosé en un charmant taureau blanc, il s’approche de la toute jeune princesse Europe, alors qu’elle se promène le long du rivage de Tyr, au Liban actuel. La bête incarne une puissance virile menaçante, mais Europe ne se doute pas de ses intentions. Elle trouve l’animal bien agréable à regarder. Lentement, il s’approche d’elle. La jeune vierge, qui n’est encore qu’une enfant naïve et confiante, se met à le caresser. Elle joue avec le taureau en lui mettant des fleurs dans la bouche et autour des cornes. Des fleurs à l’image de sa virginité qu’elle ne songe nullement à protéger. Quand la jeune fille finit par lui grimper sur le dos, Zeus se jette avec elle dans la mer et l’entraîne de force jusqu’en Crète <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/le-mythe-deurope-ou-lhistoire-dun-enlevement">où il la viole</a>, dans un bois, sous la forme d’un aigle.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/309931/original/file-20200114-151834-ae9kj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/309931/original/file-20200114-151834-ae9kj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/309931/original/file-20200114-151834-ae9kj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/309931/original/file-20200114-151834-ae9kj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/309931/original/file-20200114-151834-ae9kj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/309931/original/file-20200114-151834-ae9kj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/309931/original/file-20200114-151834-ae9kj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Christian Griepenkerl, Zeus et Ganymède, 1878, fresque de l’Augusteum d’Oldenburg, détail.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Griepenkerl-_Theft_of_Fire.jpg">Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est métamorphosé en ce même rapace que Zeus enlève aussi Ganymède, un bel adolescent qui vivait en Asie Mineure. Zeus apprécie autant les jeunes filles que les garçons. Il <a href="https://sententiaeantiquae.com/2019/12/10/tawdry-tuesday-zeus-ganymede-and-a-cock-3/">traite Ganymède de la même manière</a> que ses autres « conquêtes » humaines : il le viole. Puis, pour le garder à ses côtés, il l’installe sur l’Olympe et en fait son serviteur.</p>
<h2>Des agressions sexuelles vues comme des exploits virils</h2>
<p>Les Grecs n’ont pas condamné Zeus pour ces abus sexuels à répétition. Pas plus que les Romains n’ont mis en examen Jupiter, équivalent latin du grand dieu vivant au sommet de son Olympe. Au contraire, ils admiraient ces agressions comme autant d’exploits d’un dieu viril et manipulateur. Selon eux, Zeus, mâle tout puissant, avait bien raison de se faire plaisir, <a href="https://www.babelio.com/livres/Puccini-Delbey-La-vie-sexuelle-a-Rome/277748">suivant les codes de la phallocratie du moment</a>. Le comportement du dieu correspondait parfaitement à son statut social, les relations sexuelles impliquant alors des relations de pouvoir entre dominants et dominés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/309932/original/file-20200114-151880-g4yfv3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/309932/original/file-20200114-151880-g4yfv3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/309932/original/file-20200114-151880-g4yfv3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/309932/original/file-20200114-151880-g4yfv3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/309932/original/file-20200114-151880-g4yfv3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/309932/original/file-20200114-151880-g4yfv3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/309932/original/file-20200114-151880-g4yfv3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Zeus poursuivant Ganymède, vase athénien, Vᵉ siècle av. J.-C., détail.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.mfa.org/objects/153640">Museum of fine arts, Boston</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Hadrien, empereur pédophile</h2>
<p>Né en 76 apr. J.-C., lettré, passionné par la culture grecque, Hadrien se hisse au sommet de l’Empire romain en 117 apr. J.-C. Celui qui fait figure de bon gestionnaire et de souverain philosophe se consacre alors à sa lourde tâche avec beaucoup de sang-froid. Son bon sens et son sérieux administratif tranchaient avec les pratiques délirantes de certains de ses prédécesseurs. C’est pourquoi, dès l’Antiquité, on lui colla l’étiquette de bon empereur que la tradition ultérieure, notamment le célèbre roman de Marguerite Yourcenar, <em>Les Mémoires d’Hadrien</em>, grava dans le marbre.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-la-valise-des-chercheurs-sexe-matrones-et-prostituees-de-la-rome-antique-99562">Dans la valise des chercheurs : sexe, matrones et prostituées de la Rome antique</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>C’est lors d’une de ses tournées d’inspection en Asie Mineure, au début de l’année 124, qu’il vit pour la première fois le petit Antinoüs. Il était de passage à Claudiopolis, en Bithynie, région du nord-ouest de l’actuelle Turquie. Des notables locaux, connaissant ses goûts, avait peut-être repéré le bel enfant et en avaient fait l’acquisition sur un marché aux esclaves de luxe. Ils avaient dû payer très cher ce cadeau exceptionnel. Constituèrent-ils une cagnotte ? En tout cas, la dépense en valait la peine, car rien n’était alors plus valorisant pour l’élite des cités de l’Empire que d’obtenir la reconnaissance impériale.</p>
<p>En 124, le très sérieux Hadrien est âgé de 48 ans. Il porte la barbe des philosophes, suivant la mode qu’il lança lui-même. Face au premier empereur barbu, imaginez le visage encore poupon du petit esclave de 12 ou 13 ans à peine. L’empereur serait aujourd’hui immédiatement arrêté pour pédocriminalité.</p>
<h2>Maître et esclave</h2>
<p>L’esclavage fournissait alors au maître un vivier sexuel exploitable selon ses désirs, sans s’exposer à la réprobation sociale. Antinoüs devint ainsi le mignon d’Hadrien, son <em>puer delicatus</em>, comme on disait en latin. Un « garçon délicieux », du moins du point de vue de l’empereur qui l’exploitait sexuellement sans lui demander son avis. Antinoüs est vu comme un délice, tel un vin ou un plat raffiné qu’Hadrien « consomme » avec une modération toute calculée, juste pour pouvoir en reprendre à nouveau et sans jamais en être rassasié. Un véritable art de vivre, une sorte de régime, mais pour le maître uniquement, car les états d’âme de l’esclave sexuel ne comptent pas plus que ceux d’un animal de compagnie.</p>
<p>Selon les codes du virilisme romain, un homme libre peut très bien entretenir des relations sexuelles avec un jeune garçon, pourvu qu’il le domine et pourvu que le dominé soit d’un statut inférieur : esclave, affranchi, étranger. Posséder un beau mignon est alors très valorisant. Hadrien, respecté, ne cache pas son Antinoüs. Tout le monde connaît ses pratiques sexuelles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/309948/original/file-20200114-151829-164wuq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/309948/original/file-20200114-151829-164wuq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/309948/original/file-20200114-151829-164wuq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/309948/original/file-20200114-151829-164wuq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/309948/original/file-20200114-151829-164wuq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/309948/original/file-20200114-151829-164wuq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/309948/original/file-20200114-151829-164wuq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"><em>Hyacinthe</em> par François Joseph Bosio, 1817, Louvre. Hyacinthe fut le jeune amant d’Apollon, selon la mythologie grecque.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hyacinthe#/media/Fichier:Hyacinth_Bosio_Louvre_LL52.jpg">Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des pratiques sexuelles codifiées</h2>
<p>Hadrien jouissait dans la bouche de son mignon. Il pouvait aussi le sodomiser, prenant pour modèle les scènes très réalistes représentées sur une coupe romaine, dite coupe Warren, aujourd’hui au British Museum. On y voit notamment un homme barbu, qui ressemble à Hadrien jeune, étendu sur le dos, sodomisant un garçon qui se tient au-dessus de lui. Le <em>puer</em> s’est assis sur le sexe de son maître. De la main gauche, il tient une corde accrochée au plafond de la chambre à coucher. Cette installation lui permet de bouger les fesses pendant que l’homme le pénètre. Une oscillation qui lui donne plus de souplesse et accroît, par la même occasion, le plaisir du maître. Le <em>puer</em> est ici, étymologiquement, un <em>cinaedus</em>, terme latin formé sur le grec <em>kinaidos</em> qui désigne une personne qui « bouge » comme un danseur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/309933/original/file-20200114-151876-yho7s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/309933/original/file-20200114-151876-yho7s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/309933/original/file-20200114-151876-yho7s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/309933/original/file-20200114-151876-yho7s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/309933/original/file-20200114-151876-yho7s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/309933/original/file-20200114-151876-yho7s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/309933/original/file-20200114-151876-yho7s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Scène de sodomie, coupe Warren, Iᵉʳ siècle apr. J.-C., British Museum, Londres.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/ee/Warren_Cup_BM_GR_1999.4-26.1_n1.jpg">Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce vocabulaire technique très précis nous montre que, contrairement à certaines idées reçues, les esclaves sexuels n’étaient pas forcément passifs. Le maître n’est vraiment actif que lorsqu’il impose ses propres mouvements à son esclave. Mais la fellation s’adresse au maître au repos, de même que la sodomie du <em>puer</em> qui balance son fessier en s’aidant d’une corde. En fait, l’idéologie viriliste des Romains distinguait le « pénétrant », vu comme supérieur, du « pénétré », réputé inférieur.</p>
<p>Hadrien tirait donc une certaine gloire de l’exploitation sexuelle d’Antinoüs. Il pouvait se comparer à Zeus. Comme le maître des dieux, l’empereur possédait son Ganymède en son palais. Et comme d’autres Romains puissants, il pouvait se prendre pour un petit Jupiter.</p>
<p>Tout cela contraste un peu avec la vision sentimentale de la relation entre l’empereur et son amant, telle que la décrira Marguerite Yourcenar dans <em>Les Mémoires d’Hadrien</em>. Mais, rassurez-vous, cela n’enlève rien à la beauté du roman.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/309939/original/file-20200114-151834-b5fdxf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/309939/original/file-20200114-151834-b5fdxf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/309939/original/file-20200114-151834-b5fdxf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=863&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/309939/original/file-20200114-151834-b5fdxf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=863&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/309939/original/file-20200114-151834-b5fdxf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=863&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/309939/original/file-20200114-151834-b5fdxf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1084&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/309939/original/file-20200114-151834-b5fdxf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1084&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/309939/original/file-20200114-151834-b5fdxf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1084&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">On peut dater cette œuvre immédiatement après la mort d’Antinoüs qui périt noyé dans les eaux du Nil en 130 apr. J.-C et que l’empereur Hadrien fit ensuite diviniser.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musées du Vatican</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un changement radical</h2>
<p>Gabriel Matzneff pensait lui aussi pouvoir tirer une gloire personnelle de ses « exploits » sexuels. Comme Hadrien, il a pu incarner la figure de l’homme dominant. A la fin du XX<sup>e</sup> siècle, en France, il entrait dans la catégorie des êtres réputés supérieurs, ou du moins dotés d’une influence qui semblait leur garantir une forme d’impunité : romanciers, philosophes…</p>
<p>La morale sexuelle de l’époque ne s’intéressait guère aux « inférieurs », vus comme une source de jouissance légitime pour une élite bénéficiant d’une aura intellectuelle. L’Antiquité justifiait cette domination sexuelle par l’esclavage, tandis que le siècle dernier divinisait à sa manière les penseurs et les artistes, ce qui leur assurait un droit à la domination sexuelle sur les êtres réputés faibles.</p>
<p>Nous vivons actuellement un changement radical de société. Désormais, ceux qui furent un temps considérés comme « inférieurs », et à ce titre, abusés physiquement ou moralement, sont considérés <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2003-1-page-43.htm">avant tout comme des victimes</a>, quel que soit leur statut social – même si, pour dénoncer et se faire entendre, la position sociale reste déterminante. Une nouvelle morale sexuelle voit le jour, fondée sur le consentement réciproque entre des individus parfaitement conscients de leurs pratiques et de leurs désirs, en dehors de toute pression physique ou psychologique.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel a publié <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/le-nombril-daphrodite-9782228924795">« Le Nombril d’Aphrodite, une histoire érotique de l’Antiquité »</a>, aux éditions Payot.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129852/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La morale sexuelle qui prévalait en France à la fin du XXᵉ siècle, et même encore au début de notre XXIᵉ siècle, n’était peut-être pas très éloignée de celle des Grecs et des Romains de l’Antiquité.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1285902019-12-17T17:42:23Z2019-12-17T17:42:23Z« Star Wars », une saga hors norme<p><em>Star Wars</em>, dont l’épisode IX, <em>L’Ascension de Skywalker</em>, sort dans les salles ce mercredi 18 décembre, est la saga cinématographique la plus iconique et la <a href="https://www.workandmoney.com/s/highest-grossing-movie-franchises-9cb63a9fd593473e">plus rentable de tous les temps</a> avec un cumul de plus de 9 milliards de dollars de revenus, devant <em>Harry Potter</em> et <em>James Bond</em>. Seul le MCU (<em>Marvel Cinematic Universe</em>), dont on peut considérer qu’il regroupe plusieurs sagas, dépasse <em>Star Wars</em> avec ses 23 films qui ont rapporté près de <a href="https://www.the-numbers.com/movies/franchise/Marvel-Cinematic-Universe#tab=summary">23 milliards de dollars de recettes</a>.</p>
<p>Au-delà de l’aspect commercial et de la rentabilité des productions cinématographiques, la <a href="https://edition.cnn.com/2015/05/04/opinions/allan-star-wars/index.html">dimension mythologique</a> de <em>Star Wars</em> avait déjà été <a href="https://search.proquest.com/openview/5f5fe66403758b4b09c08267ea5b87ff/1?pq-origsite=gscholar&cbl=5938">démontrée dès le premier film</a>. 40 ans plus tard, <em>Star Wars</em> est devenu la saga la plus culte et la plus fascinante, faisant de <a href="https://brandfinance.com/press-releases/global-500-2016-star-wars-sends-disneys-brand-into-hyperdrive/">Disney la marque la plus puissante du monde</a> à la suite du rachat de Lucasfilm pour 4 milliards de dollars en 2012.</p>
<p>Rien qu’avec les quatre films sortis entre 2015 et 2018, Disney a déjà largement rentabilisé son investissement. La nouvelle série <em>Star Wars</em>, <em>The Mandalorian</em>, <a href="https://theconversation.com/lentree-de-disney-dans-la-guerre-du-streaming-fragilise-lhegemonie-de-netflix-126396">lancée le 12 novembre en même temps que Disney+</a>, est devenue la <a href="https://metro.co.uk/2019/11/26/mandalorian-smashes-stranger-things-demand-streaming-series-ever-11223719/">plus regardée de tous les temps lors de sa semaine de lancement</a> et contribue au succès de la plate-forme de streaming. Celle-ci devrait <a href="https://www.cnbc.com/2019/12/09/disney-subscriber-estimate-raised-to-20-million-by-credit-suisse.html">atteindre 20 millions d’abonnés avant la fin de l’année</a>.</p>
<p>Alors que l’épisode IX de <em>Star Wars</em> a déjà <a href="https://www.hollywoodreporter.com/heat-vision/star-wars-rise-skywalker-smashes-presale-records-1249487">battu tous les records de préventes</a>, de nouveaux projets seront probablement <a href="https://www.gq.com.au/entertainment/film-tv/the-future-of-the-star-wars-franchise-will-apparently-be-unveiled-in-january/news-story/8c6f6096c5e84c1eea6534a62c02e01b">annoncés dès janvier 2020</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8Qn_spdM5Zg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du film <em>Star Wars : L’Ascension de Skywalker</em> (The Rise of Skywalker).</span></figcaption>
</figure>
<h2>La transmission d’un patrimoine sacré</h2>
<p>Si <em>Star Wars</em> est avant tout un spectacle, son succès vient entre autres de ses <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=JWEwDwAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT8&dq=%22star+wars%22&ots=eCsN4goCc1&sig=LhokYTK6fUEDQLXrQxr3ujOD4Rk#v=onepage&q=%22star%20wars%22&f=false">multiples références à des classiques</a> de la littérature et du cinéma, de sa <a href="https://www.youtube.com/watch?v=48xdSG3Rhdg">dimension politique et sociale</a> et de son scénario qui <a href="https://digitalcommons.unomaha.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1822&context=jrf">évoque les récits de textes sacrés comme la <em>Bible</em></a>. En effet, il s’agit de l’affrontement entre le bien (la Force) et le mal (le Côté obscur), sur fond de menace apocalyptique (l’Étoile de la Mort, puis la base Starkiller), avec une figure messianique (<a href="https://medium.com/@matthewkadish/is-luke-skywalker-a-christ-figure-debunking-the-cult-of-the-last-jedi-c81adb0d3fce">Luke Skywalker souvent comparé au Christ</a>, puis Rey) qui se bat pour faire triompher la justice.</p>
<p>Les fans de <em>Star Wars</em> sont particulièrement <a href="https://books.google.co.uk/books?hl=fr&lr=&id=80kB6JG1PVsC&oi=fnd&pg=PR11&dq=star+wars+fans&ots=i51dFGCxT2&sig=-tUYiUP5QzXYhFjlTapke3WYrkE&redir_esc=y#v=onepage&q=star%20wars%20fans&f=false">actifs, loyaux et attachés à la saga</a>, ce qui les rend susceptibles et critiques. Ils sont <a href="https://www.starwars.com/community">organisés en communautés</a> qui participent à de multiples événements à travers le monde comme des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sEneq8fKpQw">concerts symphoniques</a>, des <a href="https://disneyworld.disney.go.com/en-eu/entertainment/hollywood-studios/star-wars-galactic-spectacular/">spectacles son et lumière</a>, des <a href="https://maas.museum/event/star-wars-identities-the-exhibition/">expositions</a> et des <a href="https://www.starwarscelebration.com/">conventions</a>.</p>
<p>Le « jediisme » est la <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-56502-6_5">religion la plus populaire online</a> avec plusieurs mouvements dont l’<a href="https://www.becometheforce.com/">« Église du Jediisme »</a> et le <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=0BiHDQAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT187&dq=jediism&ots=7h4U0pTxjs&sig=VKDzKy69Mp_P55Yb9EHgoQLoMws#v=onepage&q=jediism&f=false">« Temple de l’Ordre Jedi »</a>. Au-delà des fans, le langage courant a largement intégré le <a href="https://www.myenglishteacher.eu/blog/star-wars-for-dummies-star-wars-terms-star-wars-characters-star-wars-ships/">vocabulaire de <em>Star Wars</em></a> avec des termes comme « jedi », « sabre laser », « droïde » et « wookie », ainsi que des expressions comme « que la force soit avec toi ».</p>
<p>Quand Disney rachète Lucasfilm et prend le contrôle d’une saga idolâtrée, la <a href="https://www.indiewire.com/2012/11/star-wars-fans-reacts-to-the-disney-lucasfilm-news-with-typical-restraint-128909/">réaction des fans est très mitigée</a>, certains allant même jusqu’à <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-2225470/Star-Wars-fans-arms-Disney-announce-theyll-making-Episode-7--buying-Lucasfilm-4-05-billion.html">parler de désastre</a>. Très vite, la saga <em>Star Wars</em> s’avère être un <a href="https://www.wsj.com/articles/the-dark-side-of-disneys-star-wars-bet-11575663914">héritage lourd à porter</a> pour Disney. <a href="https://www.imdb.com/name/nm0005086/">Kathleen Kennedy</a>, présidente de Lucasfilm <a href="https://www.wsj.com/articles/star-wars-producer-to-remain-at-lucasfilm-through-2021-1538168255?mod=article_inline">désignée par Georges Lucas</a> lui-même, rencontre des difficultés à assurer la continuité de <em>Star Wars</em>. Comme productrice des films, des séries et des dessins animés, elle est la gardienne du temple. Georges Lucas reste consultant créatif de l’entreprise qui porte d’ailleurs toujours son nom, et bien qu’il affirme avoir tourné la page, les <a href="https://www.dailymail.co.uk/tvshowbiz/article-7689973/Star-Wars-Rise-Skywalker-director-JJ-Abrams-admits-met-George-Lucas.html">réalisateurs et scénaristes lui demandent systématiquement son avis</a>, comme si obtenir les conseils ou la caution artistique du maître était indispensable avant de pouvoir étendre son univers.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YyqlTi7lkhY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Georges Lucas et Kathleen Kennedy discutent de l’avenir de <em>Star Wars</em> après l’achat de Lucasfilm par Disney.</span></figcaption>
</figure>
<p>Plusieurs réalisateurs ont fait les frais des contraintes imposées par Disney et <a href="https://www.ign.com/articles/2019/10/31/star-wars-director-fired-game-of-thrones">n’ont pas pu aller jusqu’au bout de leur projet</a> en raison de désaccords avec la firme aux grandes oreilles. <a href="https://www.imdb.com/name/nm2503633/ ?ref_=nv_sr_srsg_0">Josh Trank</a> devait réaliser un spin-off sur Boba Fett qui <a href="https://www.wired.com/story/cantina-talk-72/">deviendra 4 ans plus tard la série <em>The Mandalorian</em> de Jon Favreau</a>.</p>
<p><a href="https://www.imdb.com/name/nm0520488/ ?ref_=nv_sr_srsg_0">Phil Lord</a> et <a href="https://www.imdb.com/name/nm0588087/ ?ref_=nv_sr_srsg_0">Chris Miller</a> ont été <a href="https://www.indiewire.com/2018/03/solo-actor-phil-lord-chris-miller-werent-prepared-star-wars-alden-ehrenreich-not-good-1201943599/">écartés du film <em>Solo</em></a> finalement réalisé par <a href="https://www.imdb.com/name/nm0000165/ ?ref_=fn_al_nm_1">Ron Howard</a>. <a href="https://www.imdb.com/name/nm1119880/ ?ref_=nv_sr_srsg_0">Colin Trevorrow</a> a été <a href="https://collider.com/star-wars-9-why-colin-trevorrow-was-fired/">remplacé au dernier moment par JJ Abrams</a> pour écrire et réaliser <em>L’Ascension de Skywalker</em>. <a href="https://www.imdb.com/name/nm1125275/ ?ref_=nv_sr_srsg_0">David Benioff</a> et <a href="https://www.imdb.com/name/nm1888967/ ?ref_=nv_sr_srsg_0">D. B. Weiss</a> <a href="https://www.cnbc.com/2019/10/29/game-of-thrones-david-benioff-db-weiss-exit-star-wars-trilogy.html">ne seront pas les artisans de la future trilogie</a> prévue entre 2022 et 2026.</p>
<p>Si certains fans inconditionnels ont été très critiques des nouveaux films, en <a href="https://www.cinemablend.com/news/1745540/the-8-complaints-angry-fans-seem-to-have-about-star-wars-the-last-jedi">particulier de l’épisode VIII, <em>Le Dernier Jedi</em></a>, Disney a globalement réussi son pari. L’épisode VII, <em>L’Eveil de la Force</em> a rapporté à lui seul <a href="https://www.boxofficemojo.com/release/rl2691925505/ ?ref_=bo_shs_sd">plus de 2 milliards de dollars</a>. Les fans de la trilogie originelle sont allés voir les aventures de l’héroïne Rey avec leurs enfants ou leurs petits-enfants, ce qui a permis un <a href="https://books.google.fr/books ?id=0tpwDwAAQBAJ&pg=PA261&lpg=PA261&dq=star+wars+younger+audience&source=bl&ots=OOdqQ141e3&sig=ACfU3U0e80zSYbMv_akJOt5zsVbN78RyLw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjW9ISB8bjmAhUVnVwKHVu9CDsQ6AEwDnoECAgQAQ#v=onepage&q=star %20wars %20younger %20audience&f=false">rajeunissement, une féminisation et une diversification du public</a> de <em>Star Wars</em>.</p>
<h2>Une marque extraordinairement rentable</h2>
<p><em>Star Wars</em> est une <a href="https://books.google.fr/books ?hl=fr&lr=&id=pok5DgAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT8&dq= %22star+wars %22&ots=0FKe8gS1TF&sig=Dng20Hh6mQdGTG_0_oUdbxcsuGY#v=onepage&q= %22star %20wars %22&f=false">franchise transmédias qui a conquis le monde</a> dès sa création à la fin des années 1970. Elle a <a href="https://www.looper.com/166435/the-most-successful-movie-franchises-in-box-office-history/">rapporté 30 milliards de dollars en produits dérivés</a>, soit 3 fois plus que les films. Beaucoup de gens qui n’ont jamais vu <em>Star Wars</em> en connaissent certains personnages et dialogues. Impossible d’y échapper car ils apparaissent sur d’innombrables t-shirts, mugs ou coques de smartphones.</p>
<p>Le business <em>Star Wars</em> est <a href="https://books.google.fr/books ?hl=fr&lr=&id=JWEwDwAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT8&dq= %22star+wars %22&ots=eCsN4goCc1&sig=LhokYTK6fUEDQLXrQxr3ujOD4Rk#v=onepage&q= %22star %20wars %22&f=false">unique en son genre</a>, basé sur des centaines de licences par an. <a href="https://www.syfy.com/syfywire/21-most-bizarre-pieces-star-wars-movie-merch-known-galaxy">D’innombrables produits parfois</a> envahissent les supermarchés, les boutiques spécialisées et les sites d’e-commerce, pour être collectionnés par les fans ou offerts en cadeaux aux enfants comme aux adultes.</p>
<p>Des marques ou chaînes de magasins comme <a href="https://www.adidas.fr/star_wars">Adidas</a>, <a href="https://www.zara.com/fr/fr/search ?searchTerm=star %20wars">Zara</a>, <a href="https://www2.hm.com/fr_fr/search-results.html ?q=star+wars">H&M</a>, <a href="https://www.uniqlo.com/fr/fr/homme/collections-speciales/ut-collection-graphique/star-wars">Uniqlo</a>, <a href="https://www.c-and-a.com/fr/fr/shop/search ?q=star+wars">C&A</a>, <a href="https://www.gap.com/products/gap-star-wars-clothing-collection.jsp">Gap</a>, <a href="https://www.primark.com/en/the-edit/men/star-wars-the-rise-of-skywalker/a/a5344049-ba40-4caf-b4ec-dff9c939ee40">Primark</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=h0j8rZddnOs">Celio</a>, <a href="https://www.columbia.com/starwars/">Columbia</a> ou <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=-KCIIiYnP-8">Levi’s</a> ont toutes eu des collections <em>Star Wars</em>. Celles-ci sont limitées en quantité et dans le temps, avec des prix souvent très élevés. Depuis le 21 novembre, les chaussures de cross training <a href="https://www.adidas.fr/chaussure-alphaedge-4d---star-wars/FV4685.html">AlphaEdge 4D <em>Star Wars</em> d’Adidas</a> sont vendues 300 euros.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Q_DgC1K7oDE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La nouvelle collection Uniqlo <em>Star Wars</em> sortie en novembre 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>D’autres marques ont également souhaité bénéficier de la popularité de <em>Star Wars</em> pour améliorer leur image. Ainsi la fameuse publicité de Volkswagen prévue en 2011 pour le Superbowl, la finale du championnat de football américain, est la <a href="https://www.adweek.com/creativity/7-years-later-vws-the-force-is-still-the-dark-lord-of-super-bowl-ads/">première à être partagée sur YouTube</a> avant l’événement, les marques ayant pour habitude de garder ces publicités secrètes jusqu’au jour J.</p>
<p>Le spot intitulé <em>The Force</em> a été vu plus de 17 millions de fois avant même le début du match. Cette publicité du Superbowl est encore aujourd’hui la plus vue (plus de 60 millions de fois) et la <a href="https://time.com/4177155/super-bowl-ads-most-shared/">plus partagée</a> (plus de 5 millions de fois). Cette démarche audacieuse pour l’époque a <a href="https://time.com/3685708/super-bowl-ads-vw-the-force/">révolutionné ce type de campagnes publicitaires</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6HugFW8rLZ8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Publicité pour la Volkswagen Passat diffusée lors du Superbowl de 2011, avant le rachat par Disney.</span></figcaption>
</figure>
<p>Depuis quelques semaines, Samsung a aussi réussi à rendre virale sa nouvelle campagne de communication inspirée de <em>Star Wars</em>, très partagée et commentée sur les réseaux sociaux. <a href="https://www.phonearena.com/news/Samsung-Galaxy-and-Star-Wars-galaxy-combine-for-the-holidays_id120426">Samsung joue avec le terme Galaxy</a> qui évoque à la fois sa gamme de smartphones, tablettes et montres connectées, et <em>Star Wars</em> qui se déroule dans « une galaxie lointaine, très lointaine ».</p>
<p>À l’occasion de la sortie du dernier film, la firme coréenne <a href="https://www.samsung.com/global/galaxy/campaigns/star-wars-ix-collaboration/">lance une édition spéciale</a> du Samsung Galaxy Note 10+ aux couleurs du côté obscur de la force. Le communiqué de presse indique que ce n’est que le <a href="https://news.samsung.com/global/samsung-joins-forces-with-star-wars-for-holiday-collaboration">début d’une collaboration durable</a> entre les deux marques et que d’autres événements sont à venir.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZAbox-KKXDQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Publicité Samsung Galaxy inspirée de l’univers <em>Star Wars</em>.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les sites d’<a href="https://www.amazon.com/s ?k=star+wars&i=stripbooks-intl-ship&ref=nb_sb_noss_2">Amazon</a> et de <a href="https://www.barnesandnoble.com/s/star+wars/_/N-8q8 ?_requestid=10009500">Barnes & Noble</a> référencent plusieurs milliers d’ouvrages consacrés à <em>Star Wars</em> : romans, bandes dessinées, guides, encyclopédies, et livres activités. Depuis les années 1980, près de 200 jeux vidéo <em>Star Wars</em> sont sortis sur ordinateur, console, smartphone, et arcade. Le 15 novembre 2019, Electronic Arts a lancé <a href="https://www.ea.com/fr-fr/games/starwars/jedi-fallen-order"><em>Star Wars Jedi : Fallen Order</em></a>, un jeu <a href="https://www.businessinsider.my/star-wars-jedi-fallen-order-impressions-review-must-buy-2019-11/">acclamé pour ses qualités</a> qui <a href="https://www.forbes.com/sites/erikkain/2019/11/27/make-sense-of-these-star-wars-jedi-fallen-order-sales-records-and-what-they-mean/#3715b5524379">bat des records de vente</a>.</p>
<p>JJ Abrams a annoncé lui-même lors des Game Awards 2019 (cérémonie de récompense de jeux vidéo) qu’une scène du film <em>L’Ascension de Skywalker</em> serait diffusée en exclusivité le samedi 14 décembre dans <a href="https://theconversation.com/fortnite-un-phenomene-economique-social-sportif-et-culturel-124543"><em>Fortnite</em>, le jeu vidéo le plus populaire et le plus rentable de tous les temps</a>. Le partenariat de cross marketing avec Epic Games implique également des tenues, armes et accessoires issus de <em>Star Wars</em>, comme les skins de Rey, Finn et d’un Stormtrooper impérial.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/n8k4QcEACZA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">JJ Abrams annonce un événement <em>Star Wars</em> exclusif dans <em>Fortnite</em>.</span></figcaption>
</figure>
<p>En plus des jeux vidéo et des salles de réalité virtuelle comme <a href="https://www.thevoid.com/dimensions/star-wars-vr/"><em>The Void</em></a>, il est maintenant possible de <a href="https://us.cnn.com/2019/11/27/cnn-underscored/star-wars-galaxys-edge-disney-favorite-things/index.html">s’immerger réellement dans l’univers de la saga</a>. En effet, deux villages <a href="https://disneyparks.disney.go.com/star-wars-galaxys-edge/"><em>Star Wars Galaxy Edge</em></a> de 60 000 mètres carrés ont ouvert en mai à Disneyland en Californie et en août à Disney World en Floride, en attendant un <a href="https://www.fanthatracks.com/news/conventions-events/new-details-on-disneyland-paris-star-wars-expansion/">troisième à Walt Disney Studios</a> au plus tard en 2025 en France.</p>
<p>Ces nouvelles zones des parcs d’attractions dédiées à <em>Star Wars</em> sont tellement populaires qu’il est <a href="https://www.cnbc.com/2019/09/01/how-to-make-the-most-of-your-trip-to-star-wars-galaxys-edge.html">nécessaire de réserver en ligne</a> pour avoir une chance de boire un verre de lait bleu à 8 dollars dans le restaurant <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=7uFdjWFOTvk"><em>Oga’s Cantina</em></a>, de créer <a href="https://www.polygon.com/2019/5/30/18646445/disneyland-star-wars-land-build-custom-lightsaber-price-review-savis-galaxys-edge">son sabre laser personnalisé à 200 dollars</a> dans l’atelier <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=V1y2vo0bkiY"><em>Savi’s Workshop</em></a>, ou son droïde à 100 dollars au <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=Ox21Qhi3XCQ"><em>Mubo’s Droid Depot</em></a>. Le clou du spectacle est la <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=3IZDfFDbGnU">visite du vaisseau <em>Millenium Falcon</em></a> « grandeur nature » que les visiteurs peuvent même « piloter ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UKI9G6S-glA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Visite du nouveau parc d’attraction Star Wars Galaxy’s Edge.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un univers toujours en expansion</h2>
<p>L’attente est grande en ce qui concerne l’épisode IX, <a href="https://www.cbr.com/star-wars-the-rise-of-skywalker-director-endings/">JJ Abrams avouant lui-même qu’il n’est pas doué pour terminer les histoires</a>. Cependant, les fans sont déjà préoccupés par la direction que Disney va prendre avec <em>Star Wars</em> dans les prochaines années. Après avoir rendu hommage aux anciens personnages de la saga centrée sur la dynastie Skywalker, Lucasfilm va pouvoir s’en libérer et en exploiter de nouveau. Un meilleur planning, une production moins précipitée et une direction créative mieux maîtrisée pourraient <a href="http://www.bbc.com/culture/story/20191212-can-the-star-wars-universe-survive">permettre d’intensifier le rythme des sorties sur le modèle des films Marvel</a>.</p>
<p>Si une pause est prévue, on sait qu’un <a href="https://time.com/5045736/upcoming-star-wars-movies/">prochain film sortira dans les salles en décembre 2022</a>. Celui-ci <a href="https://www.gamesradar.com/the-star-wars-movie-due-out-in-2022-has-its-director-its-not-rian-johnson/">aurait déjà un réalisateur potentiel</a> et pourrait être le premier volet d’une nouvelle trilogie qui se poursuivrait en 2024 et 2026. Bien que des rumeurs aient annoncé son départ, <a href="https://screenrant.com/rian-johnson-star-wars-movie-trilogy-happening/">Rian Johnson a confirmé qu’il travaille toujours sur une autre trilogie</a> <em>Star Wars</em>. <a href="https://www.hollywoodreporter.com/heat-vision/marvel-s-kevin-feige-developing-star-wars-movie-disney-1243481">Un film <em>Stand Alone</em> piloté par Kevin Feige</a>, le directeur créatif de Marvel et grand artisan du MCU, serait également en développement.</p>
<p>Du côté des séries, la <a href="https://www.digitalspy.com/tv/ustv/a30082688/mandalorian-season-2-air-date-cast-plot-trailer/">saison 2 de <em>The Mandalorian</em></a> était signée et en écriture avant le lancement de la première. Une autre série prévue sur Disney+ sera le préquel du film <em>Rogue One</em> et racontera les aventures de l’espion Cassian Andor. L’annonce faite par <a href="https://www.imdb.com/name/nm0000191/ ?ref_=nv_sr_srsg_0">Ewan McGregor</a> lui-même de <a href="https://www.looper.com/163616/obi-wan-kenobi-disney-release-date-cast-and-plot/">son retour dans le rôle du personnage d’Obi-Wan Kenobi</a> a enthousiasmé les fans, bien qu’aucune date ne soit encore confirmée pour le début du tournage des huit épisodes de cet autre show prévu pour Disney+.</p>
<p>Le dessin animé <em>The Clone Wars</em> dont les 6 saisons ont été diffusées entre 2008 et 2014 en <a href="https://www.denofgeek.com/uk/movies/star-wars/61664/the-future-of-star-wars-after-episode-ix">aura bientôt une septième</a>. D’autres surprises sont possibles : une rumeur persistante évoque une <a href="https://comicbook.com/starwars/2019/12/11/lucasfilm-exec-teases-future-star-wars-after-the-rise-of-skywalker/">série top secrète consacrée au personnage de comic Doctor Alpha</a> qui serait déjà en tournage. Disney n’est donc encore qu’au début de son aventure avec <em>Star Wars</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128590/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’occasion de la sortie du film « Star Wars : l’Ascension de Skywalker », décryptage du succès de la saga la plus iconique et la plus rentable de tous les temps.Oihab Allal-Chérif, Professor, Information Systems, Purchasing and Supply Chain Management, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1268552019-12-03T17:21:50Z2019-12-03T17:21:50ZL’exposition Tolkien à la BnF, voyage dans un univers parallèle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/304736/original/file-20191202-67017-vuf17q.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C0%2C1724%2C955&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Maquette de la jaquette pour Le Hobbit,, 1937 </span> <span class="attribution"><span class="source">Bodleian Library/ The Tolkien Estate Limited</span></span></figcaption></figure><p>Pour cette exposition, la première du genre en France, la BnF a fait les choses en (vraiment) grand, avec un espace de 1 000 mètres carrés, au sein duquel on évolue, comme dans un univers parallèle et initiatique.</p>
<p>D’emblée, on rencontre l’œuvre, manuscrite et iconographique, car, non content d’écrire, Tolkien peignait et dessinait. C’est seulement plus tard que la biographie est convoquée, inversant ainsi les codes en usage. De grandes et superbes photos en noir et blanc le montrent, en Afrique du Sud où il naît, à Birmingham, puis à Oxford, au 20 Northmoor Road. L’une d’elles le surprend endormi sur une chaise longue aux côtés du jeune Christopher, devenu par la suite son éditeur ; on ne sait d’ailleurs trop qui, de l’adulte ou de l’enfant, du père et du fils, veille sur l’autre, tant la complicité dans le songe l’emporte.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304735/original/file-20191202-66986-1j2f3la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304735/original/file-20191202-66986-1j2f3la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304735/original/file-20191202-66986-1j2f3la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304735/original/file-20191202-66986-1j2f3la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304735/original/file-20191202-66986-1j2f3la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304735/original/file-20191202-66986-1j2f3la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304735/original/file-20191202-66986-1j2f3la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tolkien et son fils Christopher.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BnF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’exposition se veut « totale », au sens où elle est bien sûr visuelle, mais également sonore ; spatiale mais encore temporelle ; textuelle en même temps que plastique ; matérielle autant que mentale ; littéraire en plus d’être cosmogonique.</p>
<h2>Créateur de mondes</h2>
<p>De la carte, première dans l’ordre d’apparition, procède un monde secondaire, dont Tolkien s’est voulu le démiurge, le « subcréateur » resté modeste, bien qu’ambitionnant d’en dédier la transposition écrite à une Angleterre en manque de mythologie propre. Nous sommes dans l’entre-deux-guerres. C’est l’époque où les blancs, sur les cartes, sont entrés en récession. Plus de terre inconnue à l’horizon des atlas impériaux. Le moment semble bien choisi pour aller voir ailleurs.</p>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="270" src="https://www.dailymotion.com/embed/video/x7nc1iu" allowfullscreen="" allow="autoplay"></iframe>
<p>L’été 1936, Tolkien le passe à corriger des travaux d’étudiants. Il s’ennuie à périr. Mais voilà que, providentiellement, la copie d’un candidat présente une feuille restée vierge de toute rédaction. La tentation est trop forte : sur le blanc de la page, la plume du professeur oxonien fait jaillir une phrase, d’apparence banale, mais grosse de développements à venir :</p>
<blockquote>
<p>« In a hole in the ground there lived a hobbit. »</p>
</blockquote>
<p>À sa suite, de fil en aiguille, c’est tout l’univers d’Arda, de la Terre du Milieu, qui va en sortir, comme un génie de sa lampe. On jurerait l’anecdote inspirée de la chute d’Alice dans le terrier du lapin, en prélude à sa découverte du Pays des Merveilles. De fait, chez le très savant J.R.R. Tolkien, l’enfant n’est jamais bien loin. À ceci près que l’<em>heroic fantasy</em>, dont il est l’un des représentants les plus éminents, avec son collègue et ami C.S. Lewis, si elle procède d’un imaginaire débridé, ne va pas sans rigueur. Ni sans emprunts. Et c’est même tout le sens de cette exposition que d’éclairer un matériau déjà substantiel à la lumière d’une pléiade de documents de toute nature, contemporains ou pas : illustrations d’Arthur Rackham, d’Audrey Beardsley et d’Edmund Dulac, sans oublier Piranèse, tableaux de David Teniers le Jeune, enluminures de la saga de la Table ronde, armes, pierres précieuses, tapisseries, etc.</p>
<p>Du reste, jamais le beau mot de « curateur » d’exposition (préféré ici à celui de « commissaire ») n’aura aussi bien porté son nom. Décidément aux petits soins pour les visiteurs, ainsi qu’envers les pièces rares prêtées par le Tolkien Estate, Vincent Ferré et Frédéric Manfrin ont structuré leur affaire autour d’une modalité double. Géométrie plane, d’un côté, qui totalise les notations à même la surface horizontalement déployée d’une carte, d’un planisphère, mais aussi d’un dessin ou d’une aquarelle, et de l’autre, profondeur, creusement des distances, enfouissement dans la matière, nordique ou autre, épaisseur d’une œuvre qui n’aura cessé de gagner en volume et en complexité.</p>
<p>Tantôt, le regard se fixe, s’immobilisant sur tel ou tel détail, tantôt il est mis en branle, comme aimanté par l’itinéraire à poursuivre, les épreuves à affronter, les montagnes embrumées à gravir. Un itinéraire qui recoupe celui de la fiction, du récit. Et dont les étapes, forcément périlleuses, se trouvent reportées à même les courbes de niveau sur la carte d’état-major.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304737/original/file-20191202-66994-3lk9sh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304737/original/file-20191202-66994-3lk9sh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=546&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304737/original/file-20191202-66994-3lk9sh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=546&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304737/original/file-20191202-66994-3lk9sh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=546&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304737/original/file-20191202-66994-3lk9sh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=686&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304737/original/file-20191202-66994-3lk9sh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=686&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304737/original/file-20191202-66994-3lk9sh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=686&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Carte imprimée de la Terre du Milieu, annotée par J. R. R.Tolkien et Pauline Baynes, 1969.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bodleian Library/The Tolkien Estate Ltd & Williams College Oxford Programme</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Et c’est ainsi, comme le formulerait Christian Jacob, que le cartographe « mène son lecteur par le monde, en le guidant comme un enfant ». La carte se fait adjuvant, tout à la fois tremplin et guide à la création. Prudent, Tolkien lui confie son destin d’écrivain en devenir. En cartographiant en écrivant : l’un ne va pas sans l’autre. De telles précautions ne sauraient cependant masquer la violence du détour par lequel l’écrivain-cartographe se démarque du réel pour mieux en triompher. Ou pour lui substituer un monde alternatif, pleinement à sa (dé)mesure. « Le monde ressemble désormais à sa carte. »</p>
<p>Autre fait troublant, né de l’observation prolongée de ces documents, une « hésitation », une « incertitude », semblables à celles éprouvées, si l’on en croit Tzvetan Todorov, à la lecture des œuvres fantastiques. « Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel. » Ces cartes, tout indique qu’elles sont « vraies », qu’elles permettent de se repérer dans d’authentiques territoires, dans lesquels on croit reconnaître le continent euro-asiatique.</p>
<p>La précision des échelles, la netteté maniaque des tracés, tout plaide pour le réalisme. Et pourtant, on le sait, ces cartes sont toutes utopiques, c’est-à-dire de nulle part. On s’interroge alors : serait-ce qu’elles sont faites, non pour se trouver, mais pour se perdre ? Mais pourquoi, alors, les fans sont-ils si nombreux à en en avoir fait leur bréviaire, leur chemin de vie ? Énigmatiques, elles campent en lisière de mers et d’océans, en marge du vide, semblables aux illustrations voulues par Tolkien pour les couvertures des volumes de la trilogie du Seigneur des Anneaux, à la beauté d’ellipse ou d’épure. Une cartographie très peu buissonnière, poursuivra-t-on, eu égard au projet épistémologique qui la sous-tend.</p>
<h2>L’amour des arbres</h2>
<p>Pourtant, de l’œuvre graphique, le visiteur retiendra une forte composante végétale, germinative, certainement proto-écologique dans ses implications. Toute sa vie, Tolkien aura étreint des troncs, de préférence noueux, se sera couché, mentalement, à l’ombre majestueuse de sylves millénaires et n’aura eu de cesse de se rêver en arbre. Plongeant loin ses racines dans le sol, ce dernier est puissance chtonienne autant qu’aérienne. En bon génie des bois et des forêts, il verdit ses cartes, tout comme, pâte à papier oblige, il sécrète les « papiers » de l’écrivain-cartographe, sur lesquels il figure en bonne place, emblème d’une création entièrement autonome.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304740/original/file-20191202-66982-1ed78z2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304740/original/file-20191202-66982-1ed78z2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304740/original/file-20191202-66982-1ed78z2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304740/original/file-20191202-66982-1ed78z2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304740/original/file-20191202-66982-1ed78z2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304740/original/file-20191202-66982-1ed78z2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304740/original/file-20191202-66982-1ed78z2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Beleg découvre Flinding à Taur-na-Fúin (« Forêt de Fangorn ») [1928] Oxford, Bodleian Library, MS. Tolkien Drawings 89, fol. 14.</span>
<span class="attribution"><span class="source">The Tolkien Trust 1973</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Anthropomorphisé, le vieil « Homme-Saule » est figure de proue, ou tête de pont, c’est selon, d’une mythologie collective autant que personnelle. À l’image du sinueux Arbre d’Amalion (1940), tout en délicates arabesques, dont chaque branche porte une fleur richement stylisée, l’arbre crée à lui seul le rythme. D’où les saisissants effets de vibration que Tolkien tire de la représentation des troncs de toutes les couleurs qui peuplent La Forêt de Fangorn (1928). Et puis, presque trop classiquement, l’arbre préside aux racines des langues et des mots, aux diverses flexions, nominales et autres. Très tôt, en effet, le jeune « Ronald » a forgé des langues dont il se plaira, plus tard, une fois devenu professeur de littérature médiévale et de philologie, à inventer les embranchements, à tracer les subtiles ramifications : langue des Valar, des Elfes, des Nains, des Orques, des Ents, eux-mêmes gardiens des arbres… </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XR-4vMEiQ_U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ainsi, de proche en proche, c’est tout l’univers de la « Terre du Milieu » qui croît à l’image de son « Arbre intérieur ». Et ce, aux antipodes de « l’esprit de rouages » qui préside aux destinées d’Isengard, jadis vallée verte et riante, mais dont le mage Saruman a fait arracher tous les arbres, pour y installer forges et ateliers sataniques. À l’anneau (ring) qui corrompt et asservit, Tolkien opposait les cernes (rings, aussi) qui permettent de donner aux arbres leur âge canonique.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304920/original/file-20191203-67017-1szmecb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304920/original/file-20191203-67017-1szmecb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304920/original/file-20191203-67017-1szmecb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304920/original/file-20191203-67017-1szmecb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304920/original/file-20191203-67017-1szmecb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304920/original/file-20191203-67017-1szmecb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304920/original/file-20191203-67017-1szmecb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ultime pied de nez à la pompe du cinéma, grand absent de l’exposition, le parcours monumental prend fin avec l’infiniment petit d’une histoire sans paroles, dont la symbolique pourrait échapper aux non-initiés, tant l’illustration en est discrète. De taille modeste, l’œuvre donne à voir le combat entre le dragon Glaurung, père de tous les dragons, et le guerrier Turin, protagoniste des œuvres posthumes (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Silmarillion"><em>Le Silmarillion</em></a> [1977], les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Contes_et_l%C3%A9gendes_inachev%C3%A9s"><em>Contes et légendes inachevés</em></a> [1980] et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Enfants_de_H%C3%BArin"><em>Les Enfants de Húrin</em></a> [2007], ainsi que dans la plupart des ouvrages de la série de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_History_of_Middle-earth"><em>The History of Middle-earth</em></a> traitant du Premier Âge. Une bataille de plus, songe-t-on un instant, presque las, avant de se raviser. Si le second terrasse le premier – conformément à la morale non écrite du genre de l’épopée qui veut que le Bien triomphe des forces du Mal –, le vainqueur n’en perd pas moins aussi la vie. Preuve, si besoin était, que, pour foisonnant et tentaculaire qu’il soit, le « Légendaire » est sous-tendu par un seul et même objet, la mort, auquel tout ramène et dont rien ne sauve.</p>
<p>Ainsi va selon Tolkien la littérature qui, en permettant de « retrouver une vue claire sur le monde » vise à « affronter la peur de la mort. » Fermant la marche, donc, la mort et son injustice, quand bien même elle serait dans l’ordre des choses. Exposée en son royaume, en somme.</p>
<hr>
<p><em>Retrouvez l’exposition <a href="https://www.bnf.fr/fr/agenda/tolkien-voyage-en-terre-du-milieu">« Tolkien, voyage en Terre du Milieu »</a> à la BnF, jusqu’au 16 février 2020.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126855/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour cette exposition, la première du genre en France, la BnF a fait les choses en (vraiment) grand.Marc Porée, Professeur de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1250082019-10-30T19:03:32Z2019-10-30T19:03:32ZLe logo des monuments historiques, un labyrinthe d’histoires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/299278/original/file-20191029-183107-utc9t9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C1020%2C764&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'hôtel Dumay, à Toulouse.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.hautegaronnetourisme.com/preparer/voir-faire/culture-et-patrimoine/hotel-dumay-957101">Haute-Garonne tourisme</a></span></figcaption></figure><p>L’Antiquité gréco-romaine n’a pas seulement été redécouverte par les artistes et les penseurs humanistes de ce que nous nommons « la Renaissance » italienne. Durant l’Antiquité tardive et le Moyen Age, des mythes, comme celui de Thésée, du Minotaure et du labyrinthe, ont continué d’être moralisés : ainsi ont-ils été transmis par les textes et les images, dans les manuscrits et les édifices chrétiens médiévaux.</p>
<h2>L’élaboration d’un logotype au sein d’une longue histoire d’images</h2>
<p>Cette transmission ne s’est pas arrêtée au Moyen Âge. Le ministère de la Culture en France, à la fin du XX<sup>e</sup> siècle (en 1985), a ainsi trouvé la meilleure expression en logotype indiquant la présence d’un monument historique. Le labyrinthe de la cathédrale de Reims – disparu depuis le XVII<sup>e</sup> siècle mais connu par des dessins – a <a href="https://www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Centre-Val-de-Loire/Nos-secteurs-d-activite/Monuments-historiques/Histoire-du-logo-monument-historique">inspiré les graphistes contemporains</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=685&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=685&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=685&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jacques Cellier (1550-1620), Recherches de plusieurs singularités par François Merlin… portraits et escrites par Jacques Cellier demourant à Reims (1583-1587).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour obtenir un parfait logotype, les graphistes ont éliminé tout élément rappelant l’histoire propre au labyrinthe de la cathédrale de Reims, créé en 1286 et détruit en 1778. Ainsi les personnages qui en occupaient les points stratégiques – des portraits des maîtres d’œuvre de la cathédrale – ont-ils disparu, et – l’image n’étant plus stabilisée par ces silhouettes – le labyrinthe a subi une rotation de 45°. Ce qui lui procure une dynamique et le rattache au monde des symboles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le logotype des monuments historiques.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les auteurs évoquent souvent le carré comme une forme géométrique, symbole du monde terrestre au Moyen Âge (par opposition au cercle divin), le losange, un carré sur la pointe, étant signe de vie et de passage. Peut-on envisager que, dans le choix de cette rotation, les auteurs de ce logo auraient été jusqu’à envisager le carré rouge de Kandinski, ou encore les nombreux <a href="http://images.math.cnrs.fr/Carrement-moderne.html">« carrés sur la pointe »</a> (ou compositions losangiques) de Mondrian ?</p>
<p>Mais on n’échappe pas si facilement au monde des symboles chrétiens ou christianisés. Car le carré sur la pointe est l’une des formes que prend la mandorle dans les images de la Majestas Domini des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Christ_en_gloire">temps carolingiens</a>. La gloire du Christ étant alors signifiée par une double mandorle formée de deux figures géométriques, un cercle inscrit dans un carré sur la pointe.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=769&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=769&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=769&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=966&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=966&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=966&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Bible de Moutier-Grandval.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx?ref=add_ms_10546_f001r">Londres-British Museum, Ms. Add. 10546, f 352 v</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au Moyen Âge à Reims, on nommait ce labyrinthe le « chemin de Jérusalem ». C’était la trace pérenne, car tracée à demeure dans le marbre, d’un chemin spirituel à parcourir. Ce labyrinthe carré, de marbre noir, flanqué aux quatre angles de quatre bastions octogonaux, traçait les contours d’une cité fortifiée. Déjà les mosaïques romaines et juives de l’Antiquité portaient des images de labyrinthe cités fortifiées, imageant Troyes ou Jéricho (porte d’entrée de la Terre promise).</p>
<p>À Reims, le labyrinthe-plan d’un édifice fortifié, était une lointaine évocation de ses deux sources : à la fois le mythe antique avec la ville fortifiée qu’est le palais du roi Minos, et, dans la pensée médiévale, la cité fortifiée de l’Apocalypse, la Jérusalem céleste décrite au chapitre 21 de ce livre.</p>
<h2>Retour aux sources : le mythe antique</h2>
<p>L’histoire du Minotaure se trouve dans le Chant VI de l’Enéide, de Virgile, le Livre VIII des métamorphoses, d’Ovide et l’avant-dernier chant de la Thébaïde de Stace. Elle est placée sous le signe du taureau. Zeus, pour tromper son épouse, se métamorphose en un magnifique taureau blanc. Il enlève ainsi Europe jusqu’en Crète où il reprend forme humaine pour lui donner trois enfants, Minos, Sarpédon et Rhadamanthe. Minos ayant demandé, contre ses prétendants au pouvoir, la protection de Poséidon ; celui-ci fait paraître un signe, un taureau de la mer que Minos promet de lui sacrifier. Mais, une fois le pouvoir absolu obtenu, Minos garde l’animal. Minos a trompé par le taureau, il sera trompé par lui. Car Vénus-Aphrodite s’est vengée d’Apollon-Hélios qui a dévoilé ses amours adultères avec Mars-Arès, en inspirant à Pasiphaé – femme de Minos et fille du dieu soleil – une violente passion pour ce taureau. Ainsi engendra-t-elle le Minotaure, monstre mi-homme mi-taureau, tellement effrayant, tellement redoutable et carnivore qu’à la demande du roi Minos il fut enfermé dans le labyrinthe construit par l’architecte et artiste athénien Dédale.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299035/original/file-20191028-113962-7s4uir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299035/original/file-20191028-113962-7s4uir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299035/original/file-20191028-113962-7s4uir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299035/original/file-20191028-113962-7s4uir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299035/original/file-20191028-113962-7s4uir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299035/original/file-20191028-113962-7s4uir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299035/original/file-20191028-113962-7s4uir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tablette du palais mycénien de Nestor, Pylos (1200 av. J-C.).</span>
<span class="attribution"><span class="source">source</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un jour, l’un des fils de Minos, Androgée, s’étant rendu à Athènes pour participer à la fête des Panathénées, et ayant remporté toutes les épreuves, fut tué à la demande du roi Égée, jaloux. Pour faire cesser le siège d’Athènes, Égée dut envoyer tous les neuf ans un tribut de sept jeunes hommes et sept jeunes femmes destinés à être dévorés au fond du labyrinthe par le Minotaure. Thésée se porta volontaire pour faire partie de ces jeunes gens que Minos vint lui-même chercher à Athènes. Devant le labyrinthe se trouvait la belle Ariane, fille de Minos, qui, éprise sur-le-champ, donna à Thésée une pelote de fil rouge procurée par l’architecte Dédale.</p>
<p>Sur cette mosaïque romaine (v. 275-300), découverte à Loigesfelder en Autriche au XIX<sup>e</sup> siècle, il suffit de suivre le fil rouge pour parvenir au centre du labyrinthe, mais et c’est là l’essentiel, le même fil permet de trouver le chemin pour s’en sortir, en rembobinant “le fil d’Ariane”. Après avoir mis à mort le Minotaure, Thésée n’épousera pas Ariane, mais deviendra un grand roi, rendant justice aux plus faibles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Mosaïque romaine, Loigesfelder Vienne, Kunsthistorisches Museum v. 275-300.</span>
<span class="attribution"><span class="source">source</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Survivances médiévales</h2>
<p>Christianisé, ce mythe n’a cessé d’être revisité en particulier par Isidore de Séville, Raban Maur, et leurs continuateurs, entre le X<sup>e</sup> et le XI<sup>e</sup> siècle, alors que se multiplient les images de labyrinthes.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Thésée combat le minotaure, XIe-XIIᵉ siècles, centre du labyrinthe de Saint-Géréon, détruit en 1840.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Diözesanmuseum Cologne</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À la fin du XII<sup>e</sup> siècle des hybrides hommes-bêtes envahissent les images, sans que leurs contemporains en interrogent la possibilité ou l’impossibilité physiologique, car il s’agit d’une moralisation de la pensée des mythographes antiques. Il existe aux confins du monde des êtres dont l’animalité permet de comprendre la bête sauvage qui est tapie en l’homme pécheur. L’antique minotaure, symbole d’animalité sauvage et de péché, trouve sa place parmi elles, et c’est le Christ triomphant du mal qui se profile derrière la figure de Thésée le héros antique. Cependant l’image du combat mythique de Thésée contre le monstre ne figure pas systématiquement au centre du labyrinthe, même si le chemin, que l’on peut parcourir du doigt sur un petit relief ou un manuscrit, ou avec tout son corps dans un édifice, est celui de la Rédemption.</p>
<h2>Des chemins de vie</h2>
<p>D’après l’inscription à San Savino de Piacenza ou celui de la porte du narthex de Lucca, les labyrinthes christianisés portent au Moyen Âge plusieurs significations, dont la plus ancienne au XI<sup>e</sup> siècle, est celle du monde captif du péché. Dans le même ordre d’idées de nombreuses images de labyrinthes accompagnent les computs (ces manuscrits aidant à calculer la date mobile de Pâques, chemin de résurrection pour le chrétien). Aux XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, dans les cathédrales de Sens et d’Auxerre, (comme à Reims et à Amiens), le dimanche de Pâques, l’évêque et les membres de son chapitre, effectuaient des « danses de Pâques » sur le tracé du labyrinthe (<em>circa dedalum</em>). L’évêque tenait une balle pouvant représenter le soleil dans sa course, c’est-à-dire le Christ, soleil de Pâques, vainqueur du mal, ressuscitant au Printemps et avec lui toute la nature en fête. La Contre-Réforme mettra un terme à ces lointaines résurgences de danses païennes.</p>
<p>Lieu de mémoire, le logotype des monuments historiques est un condensé de symboles, permettant de trouver dans les villes et sur les routes de France, les chemins d’un patrimoine multiple. Il a été modernisé en même temps qu’était créé le logotype <a href="https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Monuments-historiques-Sites-patrimoniaux-remarquables/Presentation/Logotypes-MH-SPR">« site patrimonial remarquable », par l’agence Rudi Baur en 2017</a>.</p>
<hr>
<p><em>Pour aller plus loin à la découverte des images du labyrinthe : Hemann Kern, « Through the Labyrinth, Desings and Meanings over 5,000 Years », éd. Prestel, 2000.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125008/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Bethmont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour obtenir un parfait logotype, les graphistes ont éliminé tout élément rappelant l’histoire propre au labyrinthe de la cathédrale de Reims, créé en 1286 et détruit en 1778.Sylvie Bethmont, Enseignante en iconographie biblique, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.