tag:theconversation.com,2011:/us/topics/organisation-mondiale-du-commerce-omc-50902/articlesOrganisation mondiale du commerce (OMC) – The Conversation2024-02-21T15:45:32Ztag:theconversation.com,2011:article/2238682024-02-21T15:45:32Z2024-02-21T15:45:32ZOMC : à Abou Dabi, un sommet ministériel aux multiples enjeux<p>La XIII<sup>e</sup> Conférence ministérielle de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/organisation-mondiale-du-commerce-omc-50902">l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC) se tiendra du 26 au 29 février 2024 à Abou Dabi (Émirats arabes unis). Entre 1996 et 2022, les 12 sommets ministériels ont donné au total peu de résultats. On peut compter trois succès en 26 ans : l’accord sur la facilitation du commerce à Bali en 2013, qui a permis une <a href="https://www.wto.org/english/res_e/booksp_e/world_trade_report15_e.pdf">amélioration des procédures douanières dans le monde</a> ; l’accord sur l’élimination des subventions à l’exportation dans l’agriculture à Nairobi en 2015 ; l’accord sur la pêche à Genève en 2022, qui interdit les subventions aux vaisseaux opérant une pêche illicite, non notifiée ou non règlementée et celles contribuant à la pêche de stocks « surexploités ».</p>
<p>À Abou Dabi, de nombreux sujets, qui divisent aujourd’hui les 164 pays membres, doivent être discutés. En premier lieu : la réforme de l’organe de règlement des différends (ORD), dont le mécanisme d’appel est <a href="https://theconversation.com/lomc-joue-t-elle-sa-survie-lors-de-sa-douzieme-conference-ministerielle-a-geneve-171859">bloqué depuis décembre 2019</a>.</p>
<h2>Le blocage du règlement des différends</h2>
<p>L’ORD a été créé en même temps que l’OMC, en 1995. Cet organe permet à n’importe quel pays membre de l’OMC de porter plainte contre un autre qui aurait enfreint les règles multilatérales du commerce. Une fois la plainte portée devant l’OMC, les parties au litige ont 60 jours pour négocier un accord entre eux.</p>
<p>Si cette phase de concertation n’aboutit pas, le plaignant peut demander à l’OMC de réunir un panel qui fournit des conclusions juridiques. Les parties au litige peuvent toutes les deux faire appel à la suite de ces premières recommandations. Si tel est le cas, l’organe d’appel peut confirmer, modifier ou aller à l’encontre des premières recommandations. S’il est donné raison au plaignant, le défendeur doit alors mettre en conformité la ou les mesures concernée(s). Si ce dernier refuse, le plaignant peut être autorisé à mettre en place des mesures de représailles contre le défendeur.</p>
<p>L’ORD a joué un rôle déterminant dans la résolution de litiges commerciaux. Depuis 1995, 621 demandes de consultation ont été émises et ont impliqué globalement 53 pays comme plaignants et 55 comme défendeurs. En éliminant les renouvellements de requête et en tenant compte des cas avec plusieurs plaignants, il y a eu, depuis 1995, 616 cas de plainte d’un pays contre un autre.</p>
<p>Le tableau 1 montre la répartition des pays suivant les groupes de revenu et les acteurs les plus fréquents. Pays développés et pays en développement ont eu recours à l’ORD pour résoudre leurs différends et des pays à revenu intermédiaire ont porté plainte contre des pays plus riches. Les litiges ont couvert une grande variété de sujets : mesures anti- dumping, subventions, accords sur l’agriculture, obstacles techniques au commerce, mesures sanitaires et phytosanitaires…</p>
<p><iframe id="zTMoq" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/zTMoq/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans un cas sur six environ (108 sur 616), les différends ont été résolus par voie de consultation, avant qu’un panel soit réuni ou ait produit un rapport. Parmi les procédures qui ont eu recours à un panel et qui ont fait l’objet de prises de décision (295 sur 616), les issues les plus fréquentes ont été une solution coopérative (solution mutuellement négociée ou mise en œuvre de la recommandation du panel) et on note seulement vingt cas d’autorisation d’application de mesures de représailles.</p>
<p>Depuis maintenant quatre ans, l’ORD, considéré longtemps comme le « joyau de la couronne » du système commercial multilatéral, est en crise avec le blocage de la nomination de membres de l’organe d’appel par les États-Unis. Ce dernier n’est plus en mesure de fonctionner alors que plus de 70 % des conclusions des panels ont fait l’objet d’appel.</p>
<p>La moyenne par an des différends portés à l’ORD est passée de 23,8 entre 1995 et 2018 à 6,5 entre 2020 et 2023. La plupart des rapports des panels font maintenant l’objet d’un appel « dans le vide » et le règlement de ces différends est en suspens. Il y a urgence à trouver une solution, mais il sera difficile pour l’administration américaine de faire des concessions sur ce dossier une année d’élection présidentielle.</p>
<h2>Un nouvel accord sur la pêche</h2>
<p>Les subventions aux activités halieutiques concernent à la fois des subventions que l’on peut qualifier de bénéfiques, car ayant vocation à conserver et gérer les ressources halieutiques, les subventions contribuant à une surcapacité ou une surpêche, et les subventions dont il est difficile d’estimer l’impact sur l’activité halieutique.</p>
<p>À l’OMC, les discussions portent sur la réduction des subventions contribuant à une surcapacité ou une surpêche, les plus importantes pour la plupart des membres, à l’exception des États-Unis et de la Corée du Sud (graphique 1). Ces subventions incluent des subventions de capital (achat, modernisation de vaisseaux, etc.), de consommation intermédiaire (fuel, glace, appâts), de coût du personnel, des soutiens aux revenus ou aux prix, ou couvrant des pertes, ou des subventions de pêche dans des zones en dehors de la juridiction du pays.</p>
<p><iframe id="38UmM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/38UmM/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les points d’achoppement dans ce dossier concernent le traitement spécial et différencié, c’est-à-dire la prise en compte des situations individuelles des pays membres de l’OMC (par exemple la distinction pays les moins avancés/pays en développement/pays développés, critère croisé dans cette discussion avec le cas des 20 pays pratiquant les subventions les plus importantes) pour définir une règle spécifique de réduction des subventions par groupe de pays.</p>
<p>D’un côté, les États-Unis veulent un accord ambitieux avec le moins d’exemptions possible. De l’autre, des pays en développement veulent autoriser des flexibilités importantes à leur bénéfice.</p>
<h2>Commerce de transmissions électroniques</h2>
<p>Le commerce de transmissions électroniques est un commerce en forte croissance. Il correspond à des livraisons internationales en ligne de musique, de e-books, de magazines, de quotidiens, de films, de jeux vidéo… En 2020 et 2022, il avait été décidé de <a href="https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=r:/WT/MIN22/32.pdf&Open=True">renouveler un moratoire</a>, temporaire, qui exempte de droits de douane ces transactions. À Abou Dabi, les participants devront décider soit d’un nouveau moratoire temporaire, soit d’un moratoire permanent, soit de l’arrêter.</p>
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<p>L’Inde, l’Indonésie et l’Afrique du Sud sont d’ores et déjà contre un moratoire permanent : ces pays se déclarent intéressés par la taxation des transmissions électroniques, car ce commerce est en pleine expansion. Une évaluation récente montre pourtant qu’au niveau mondial, les pertes potentielles de recettes publiques sont faibles et que pour ces pays, elles pourraient être <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/fr/trade/understanding-the-potential-scope-definition-and-impact-of-the-wto-e-commerce-moratorium_59ceace9-en">facilement compensées par une faible augmentation des taxes à la valeur ajoutée</a>.</p>
<h2>Propriété intellectuelle et Covid-19</h2>
<p>La conférence de Genève en 2022 avait autorisé un certain nombre de dérogations à l’accord sur les droits de la propriété intellectuelle liés au commerce pour faciliter la production et l’exportation de vaccins contre le Covid-19. Les discussions portent maintenant sur l’extension de ces dérogations aux tests de dépistage et thérapies.</p>
<p>L’Afrique du Sud, l’Inde et d’autres pays en développement, mais aussi des pays moins avancés, sont en faveur de cette extension. Une coalition réunissant l’Union européenne, le Royaume-Uni et la Suisse y est opposée, au motif qu’une telle tolérance compromettrait les dépenses d’innovation dans le secteur de la santé et n’est pas nécessaire pour des raisons de santé publique.</p>
<h2>Agriculture et sécurité alimentaire</h2>
<p>À Abou Dabi, sept sujets sur l’agriculture et la sécurité alimentaire seront discutés :</p>
<p>1/Le <strong>soutien domestique ou soutien national aux agriculteurs</strong> : le groupe de Cairns (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Brésil, Canada) veut une réduction significative du soutien domestique. L’Union européenne et les pays du G10 (Suisse, Japon, Corée du Sud, Norvège, Islande…) s’y opposent.</p>
<p>2/<strong>L’accès au marché</strong> : les États-Unis veulent une diminution significative des droits de douane dans l’agriculture ; l’Union européenne, les pays du G10 et l’Inde sont contre.</p>
<p>3/La <strong>clause de sauvegarde spéciale</strong> est un instrument de protection réservé aux pays en développement pour augmenter temporairement leurs droits de douane dans l’agriculture lors d’une forte croissance des importations ou d’une chute des prix. L’Inde veut faciliter l’accès à cet instrument pour les pays en développement ; les États-Unis sont contre.</p>
<p>4/Les <strong>restrictions à l’exportation sur des produits agricoles</strong>, mises en place régulièrement par des pays comme l’Argentine, l’Inde ou le Vietnam, jouent un rôle certain dans la volatilité des prix agricoles, volatilité qui peut nuire aux intérêts des pays importateurs nets et notamment parmi eux les pays pauvres (Bangladesh, Pakistan, beaucoup de pays africains). Les discussions portent sur des disciplines plus sévères sur ces restrictions.</p>
<p>5/Les <strong>subventions et aides à l’exportation</strong> : le Canada, le Chili et la Suisse veulent renforcer les disciplines sur les crédits à l’exportation, l’aide alimentaire internationale et les opérations des entreprises exportatrices d’État.</p>
<p>6/Les <strong>subventions pour les producteurs de coton</strong> : c’est un sujet traditionnel de discussion à l’OMC, opposant notamment des pays producteurs et exportateurs comme le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad à l’Union européenne et aux États-Unis, les premiers voulant la fin des programmes de soutien aux filières locales des seconds.</p>
<p>7/Les <strong>stocks publics constitués pour la sécurité alimentaire</strong> sont des programmes d’achat, de stockage et de distribution de denrées alimentaires en cas d’insécurité croissante. Un certain nombre de pays en développement, dont l’Inde, veulent une clause de paix permanente sur les stocks constitués à des prix administrés ou minimum (une clause de paix temporaire avait été adoptée à Nairobi en 2015). Les pays exportateurs de ces denrées sont contre.</p>
<p>Sur tous ces sujets, les positions des pays membres semblent difficilement conciliables. La seule décision à faire aujourd’hui l’objet d’un consensus est <a href="https://www.hinrichfoundation.com/research/article/wto/a-moment-of-truth-for-the-wto/">l’accès à l’OMC des Comores et du Timor-Leste</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223868/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Règlement des différends, agriculture, propriété intellectuelle… les antagonismes entre les 164 pays membres restent profonds à l’ouverture de la XIIIᵉ Conférence ministérielle, prévue le 26 février.Antoine Bouët, Directeur, CEPIIJeanne Métivier, Professeure assistante en comptabilité, finance et économie, Kedge Business SchoolLeysa Maty Sall, Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2231262024-02-13T15:41:04Z2024-02-13T15:41:04ZLa globalisation à l’aube d’un nouveau cycle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574392/original/file-20240208-20-dqowjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C5%2C1943%2C1188&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis le début des annes 1990, la globalisation a connu plusieurs phases. Une nouvelle s'amorce aujourd'hui.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.needpix.com/photo/1618449/technology-globalisation-business-communication-connection-world-network-global-internet">TheDigitalArtist/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La globalisation ne doit pas être conçue comme un processus de convergence aboutissant à un espace mondial plat et lisse dans lequel les technologies, les organisations structurées en réseau et les chaînes de valeur permettent à de grandes firmes installées de combiner et de recombiner des blocs d’activité en mobilisant parfois de la recherche et développement (R&D), souvent des capacités de production et de commercialisation.</p>
<p>Au-delà de l’aspect géographique, la globalisation est aussi un déroulé sur la façon dont les économies nationales et les régions qui les englobent interagissent à un niveau supérieur qualifié de global. C’est ce que nous montrions dès 2012 dans l’essai <em>Les Paradoxes de l’économie du savoir</em> (éditions Hermès Lavoisier).</p>
<p>Sur la période 1990-2022, l’évolution de la globalisation présente ainsi une discontinuité temporelle des flux mondiaux d’exportations, d’importations et d’investissements directs à l’étranger (IDE) marquée par <a href="https://www.piie.com/publications/working-papers/trade-hyperglobalization-dead-long-live">trois phases</a> : d’hyperglobalisation (1990-2008), de crise financière et de stabilisation des trois variables (2008-2011) et de déglobalisation relative jusqu’en 2022.</p>
<p>Ce constat permet une lecture selon laquelle la globalisation s’inscrit dans un cycle et, comme telle, elle a vocation à se reproduire, non pas à l’identique, mais en réorganisant les interconnexions pour répondre aux multiples contraintes économiques, technologiques et géopolitiques.</p>
<h2>Une rupture en 2008</h2>
<p>Entre 1990 et 2008, la croissance annuelle des exportations mondiales (10 %) excède celle du PIB mondial (6 %). Dans de nombreux pays et régions, on observe une forte corrélation entre les flux commerciaux et la croissance qui se soutiennent mutuellement (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">Union européenne</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chine-20235">Chine</a>). Des transformations structurelles sont à l’œuvre, la part de l’industrie globale dans la valeur ajoutée mondiale décline de 21 % en 1990 à 16 % en 2011, la désindustrialisation des pays du Nord l’emportant sur l’industrialisation du Sud.</p>
<p>Le système d’échange global prend appui sur des créations institutionnelles (Union européenne, Accord de libre-échange nord-américain, Accord de partenariat transpacifique) et il est fondé sur une idéologie néolibérale centrée sur les entreprises et les marchés et sur des règles globales des flux commerciaux et d’investissements édictées par <a href="https://theconversation.com/fr/topics/organisation-mondiale-du-commerce-omc-50902">l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC).</p>
<p>La période post-crise financière a par la suite créé de fortes pressions en faveur de la déglobalisation : inégalités croissantes et concurrence accrue, complexité croissante des chaînes de valeur et importance grandissante des considérations géopolitiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une d’un journal américain titrant sur la crise de 2008" src="https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le crise financière de 2008 a déclenché des pressions propices à une déglobalisation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/myeye/3152750338">Myeyesees/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le ralentissement du commerce mondial à partir de 2011 a accompagné le freinage de la croissance mondiale. L’analyse de cette période exige toutefois de dissocier les biens et les services : le commerce manufacturier s’est tassé de 15,6 % du PIB mondial en 2011 à 14,5 % en 2021 alors que le commerce des services s’est accru de 6 % du PIB mondial en 2011 à 8 % en 2021.</p>
<h2>La Chine de plus en plus influente</h2>
<p>En phase d’hyperglobalisation, les flux traduisent le pouvoir économique et géopolitique des États-Unis, alors que la phase de tassement est plutôt configurée par l’influence croissante de la Chine qui peut être repérée par deux indicateurs. Le ratio exports-imports/PIB décline de 71 % en 2008 à 35 % en 2022 pendant que la part de marché des exportations manufacturières de la Chine dans les exportations mondiales augmente de 12 % en 2008 à 22 % en 2022.</p>
<p>Le premier indicateur traduit le recentrage de la Chine sur son marché intérieur et le changement d’orientation de la politique économique privilégiant désormais les biens non échangeables, notamment l’immobilier et les infrastructures. Les dépenses publiques orchestrent cette modification de la composition de la production qui a pour effet d’atténuer la compétitivité du secteur échangeable en provoquant une hausse des salaires sur le marché du travail.</p>
<p>Le second indicateur indique que, malgré l’affaiblissement de la compétitivité, le différentiel de productivité en faveur de la Chine dans les biens échangeables est si élevé que les exportations continuent de croître. Dans le même temps, la Chine a élaboré <a href="https://theconversation.com/rcep-lintegration-commerciale-en-asie-met-les-etats-unis-au-defi-de-leurs-ambitions-150474">l’Accord de partenariat économique régional global</a> qui regroupe 15 pays représentant le tiers du PIB mondial et qui représente l’accord le plus vaste de libre-échange dans le monde.</p>
<h2>Les prémisses d’un nouveau cycle</h2>
<p>La volatilité accrue des variables économiques et les incertitudes liées aux conflits géopolitiques amorcent un nouveau cycle de globalisation. Les difficultés actuelles de la Chine (crise démographique, croissance économique ralentie et prévisions de croissance en baisse, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/09/30/la-chine-de-l-interieur-rattrapee-par-la-crise-de-l-immobilier_6191715_3234.html">effondrement du secteur de l’immobilier</a>) conduisent ce pays à redoubler d’efforts pour acquérir des positions dominantes sur des produits et des technologies critiques, tout en contrôlant les exportations de terres rares. D’où l’attitude « de-risk China » de l’Ouest global pour assurer ses approvisionnements et pour accéder à des produits et des technologies d’importance économique et géopolitique stratégique.</p>
<p></p>
<p>Le principe est qu’il n’y a pas d’opposition entre politiques industrielles et marchés. Les politiques industrielles non seulement corrigent les mécanismes de marché, mais encore elles éclairent les choix stratégiques des entreprises en orientant l’investissement vers des produits et des technologies essentielles pour la sécurité nationale et la neutralité carbone.</p>
<p>Dans ce contexte, des mesures défensives sont prises. L’imposition par les États-Unis et la Chine de multiples barrières sur leurs échanges bilatéraux poussent les entreprises à diversifier leurs sources d’approvisionnement et leurs localisations. En Chine, les IDE ont régressé sur la période 2014-2020, puis se sont effondrés entre 2020 et 2023, passant de 400 milliards à 15 milliards de dollars, pendant qu’ils augmentaient fortement vers d’autres régions : l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et l’Inde. Le déclin marqué des importations chinoises aux États-Unis s’est traduit par une relocalisation partielle de certaines activités et par des importations accrues en provenance de Mexico (15 % en 2023 contre 13,9 % pour la Chine), du Vietnam, etc.</p>
<h2>L’enjeu de sécurité économique s’impose</h2>
<p>Début 2024, la Commission européenne s’est rapprochée des États-Unis en proposant <a href="https://www.aefr.eu/fr/actualites/6474/la-commission-propose-de-nouvelles-initiatives-pour-renforcer-la-securite-economique">plusieurs mesures pour renforcer la sécurité économique</a>. En premier lieu, développer des mécanismes de criblage des IDE en évaluant leurs effets sur les infrastructures et les technologies critiques et identifier les secteurs sensibles (semi-conducteurs, intelligence artificielle, médicaments). En deuxième lieu, elle demande aux gouvernements d’évaluer les risques potentiels d’investir à l’étranger dans les technologies avancées.</p>
<p>Une troisième initiative propose de contrôler les exportations de biens à usage dual, civil et militaire dont les mécanismes de financement de la R&D devraient être sensiblement améliorés. La proposition finale vise à doter les organisations de recherche d’outils permettant d’exercer une « diligence raisonnable » lorsqu’elles s’engagent dans une coopération internationale, afin d’éviter la capture d’informations.</p>
<p>Au bilan, les politiques industrielles contiennent des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/protectionnisme-33187">mesures protectionnistes</a>. Le cycle de la globalisation se reproduit en renforçant les formes publiques de pilotage des économies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La volatilité accrue des variables économiques et les incertitudes liées aux conflits géopolitiques amorcent un nouveau cycle marqué par une multiplication des mesures protectionnistes.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2194462023-12-19T19:20:42Z2023-12-19T19:20:42ZUn commerce agricole plus équitable, mais à quel prix ?<p>En dépit d’une inflation forte sur les produits alimentaires, le <a href="https://theconversation.com/le-commerce-equitable-ne-connait-pas-la-crise-205691">commerce équitable a résisté en France</a>. De nombreux consommateurs restent attachés à rendre leur acte d’achat responsable mais ils ne réalisent guère qu’en réalité, les primes accordées pour mieux rémunérer les producteurs sont loin de pouvoir combler les différences de revenus qui existent entre les agriculteurs dans le monde. Pour un même travail, un producteur d’un pays pauvre gagne <a href="https://ourworldindata.org/grapher/agriculture-value-added-per-worker-vs-gdp-per-capita">70 fois moins</a> qu’un producteur d’un pays riche.</p>
<p>Ces différences résident fondamentalement dans des différences de productivités considérables. Comment, dans ces conditions, assurer une juste rémunération du travail aux agriculteurs si leurs produits sont payés au même prix ? Certes, reconquérir un pouvoir de marché face aux géants du commerce de céréales ou des grands négociants du café et du cacao est une option utile que promeut le commerce équitable, mais l’enjeu est de modifier la façon de calculer le prix, pour qu’il soit juste – c’est-à-dire qu’il intègre le droit à une rémunération équitable, à un environnement préservé et à un niveau de vie décent. Il est notamment au cœur de <a href="https://ecomatin.net/reforme-lafrique-veut-un-accord-sur-lagriculture-au-plus-tard-en-fevrier-2024/">demandes de pays africains</a>, qui espèrent d’ici février 2024, date où se tiendra la 13<sup>e</sup> conférence ministérielle de cette instance, des évolutions des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en ce qui concerne l’agriculture.</p>
<h2>Deux réponses partielles</h2>
<p>Les écarts de revenus et les conditions de misère de nombreux agriculteurs, notamment au Sud, interrogent sur les fondements de rémunérations du travail agricole si inégales. Le commerce équitable ainsi que d’autres formes de soutien au revenu des agriculteurs se veulent être des réponses, mais celles-ci restent limitées.</p>
<p>Les promoteurs du <a href="https://www.commercequitable.org/actualites/observatoire-du-commerce-equitable-2022/">commerce équitable</a> s’engagent sur des normes de partenariat avec aujourd’hui plus de 3,5 millions de producteurs à travers 84 pays dans le monde. Ils jouent sur le fait que dans certaines filières, le café par exemple, il est possible de multiplier par 3 ou 4 le prix payé au producteur avec une hausse de seulement 15 à 20 % du prix au détail. Cet effet de levier peut paraître séduisant pour des consommateurs éthiques prêts à faire un effort financier. Cependant, ces produits labellisés plus chers prennent les <a href="https://theconversation.com/quel-est-le-bilan-de-30-ans-de-commerce-equitable-77608">caractéristiques d’un bien de luxe</a> : ils restent des produits de niche dont la vente dépend de consommateurs jouissant d’une position sociale élevée. Tout élargissement à d’autres acheteurs aurait pour contrepartie une <a href="https://theconversation.com/quel-est-le-bilan-de-30-ans-de-commerce-equitable-77608">baisse des prix</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"866989666704216065"}"></div></p>
<p>Les politiques publiques d’aide aux revenus agricoles, quant à elles, ont été les voies traditionnelles empruntées par les États pour soutenir les agriculteurs, qu’il s’agisse d’aides directes ou de systèmes de régulation des prix. Elles sont souvent couplées à des politiques de gestion des marchés et à des protections douanières. Elles inspirent les tenants du néoprotectionnisme, notamment en Afrique, qui y voient le moyen de soutenir les revenus agricoles en se protégeant des fluctuations et du niveau bas des prix mondiaux. Aujourd’hui, la tarification douanière en Afrique reste faible, <a href="https://unctad.org/system/files/official-document/ditctab2023d2_en.pdf">inférieure à 15 %</a>. Des mesures de protection peuvent-elles en outre suffire à combler l’écart de revenus considérable qui existe entre agriculteurs du monde et qui réside dans les énormes différences de productivité entre agriculteurs ?</p>
<h2>Les poids des pays les plus productifs</h2>
<p>Selon les données de la Banque mondiale, les 10 % des pays les plus riches produisent une valeur ajoutée agricole par travailleur <a href="https://www.fao.org/3/cc0471fr/cc0471fr.pdf#page=52">70,4 fois plus élevée</a> que celle des 10 % des pays les plus pauvres. Cette mesure inclut les différences d’aides au revenu mais elles restent <a href="https://fondation-farm.org/vers-une-convergence-du-soutien-des-prix-du-marche-entre-pays-riches-et-emergents/">mineures</a> ; la valeur ajoutée reflète donc bien la productivité. Cela signifie que parce qu’un paysan aura mis 70 fois plus de temps à produire le même produit faute de conditions favorables, il recevra une rémunération de son travail 70 fois inférieure à un agriculteur très productif dès lors que le produit est payé au même prix.</p>
<p><iframe id="p2kEm" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/p2kEm/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Or les marchés agricoles internationaux sont <a href="https://www.fao.org/3/cc0471fr/cc0471fr.pdf">dominés par les pays à revenu élevé</a> : ce sont eux qui ont la plus forte productivité du travail agricole et qui peuvent plus facilement exporter leurs surplus. Ils entrent aisément en concurrence avec des produits substituables des pays à revenu faible.</p>
<p>Les prix internationaux sont ainsi fixés par les agriculteurs ayant la plus forte productivité et incorporent parfois des aides de leurs États (au stockage, à l’export ou à la production) qui accroissent l’offre et facilitent l’écoulement. Les autres producteurs doivent s’aligner pour soit vendre à l’international, soit rester compétitifs face aux importations concurrentes : blé de Russie, d’Ukraine, d’Argentine ou de l’UE vis-à-vis de céréales locales africaines, banane d’Équateur versus celles d’Afrique de l’Ouest par exemple.</p>
<p>Cela s’éloigne de l’idée que l’on se fait communément de l’équité. La question de la juste rémunération du travail agricole doit donc être abordée à travers une réflexion plus générale sur les prix et donc les règles du commerce.</p>
<h2>Le prix unique, un dogme à revoir</h2>
<p>Pour l’Organisation mondiale du commerce (OMC), une transaction est équitable si elle respecte une procédure non-discriminatoire que l’on peut réduire à <a href="https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=Q:/WT/WGTI/W118.pdf&Open=True">deux principes</a> : égalité des possibilités d’accès au marché pour tous les acteurs et, une fois le marché pénétré, égalité des opportunités de répondre aux demandes. Or, en réalité, les agriculteurs les moins performants se trouvent recevoir une rémunération inférieure pour un effort égal à ceux des plus performants. Par ailleurs, les accès aux terres et aux financements des paysans du Sud et des agriculteurs du Nord sont différents. Une procédure jugée équitable par l’OMC crée en fait une situation qui crée de l’inégalité de revenu dès lors que les produits sont payés à un prix unique.</p>
<p>La prise en compte les externalités négatives liées à la production agricole pourrait déjà renouveler la discussion du prix équitable. On dispose par exemple d’études sur les <a href="https://maxhavelaarfrance.org/le-commerce-equitable/impacts-et-changements">coûts sociétaux et environnementaux cachés</a> de quelques filières agricoles – comme le <a href="https://maxhavelaarfrance.org/actualites/a-la-une/etude-de-la-filiere-du-cafe-la-crise-derriere-la-success-story/">café</a> ou le <a href="https://lebasic.com/nouvelle-etude-la-face-cachee-du-chocolat/">cacao</a>. Elles montrent comment le prix sous-évalue considérablement la valeur réelle de la production : pas de prise en compte du coût des émissions de CO<sub>2</sub> ou de la consommation d’eau, de conditions sociales et de revenus décents… Des pratiques durables diviseraient par 2 à 6 les coûts sociétaux cachés. Quantifier les externalités négatives de la production agricole invite à interroger le prix de la justice économique, qui garantit les droits à un environnement préservé, à un niveau de vie décent et qui n’hypothèque pas la qualité de vie des générations futures.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1613501638727147521"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/un-ajustement-carbone-aux-frontieres-de-lue-nest-pas-sans-risque-pour-les-pays-les-plus-pauvres-197218">discussions autour du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières</a> de l’Union européenne avaient mis en lumière le <a href="https://www.europeanpapers.eu/fr/system/files/pdf_version/EP_EF_2022_I_008_JSabrina_Robert_00556.pdf">caractère obsolète des accords de l’OMC</a>, qui défendent les lois d’un marché indifférent au coût social et environnemental des activités commerciales. Reste à modifier la notion de dumping portée par l’OMC. Un <a href="https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=r:/WT/GC/W814.pdf&Open=True">projet de décision</a> porté par les États-Unis en décembre 2020 proposait :</p>
<blockquote>
<p>« Le fait que des pouvoirs publics n’adoptent ni n’appliquent des lois et des réglementations assurant la protection de l’environnement à un niveau égal ou supérieur aux normes fondamentales constituera une subvention pouvant donner lieu à une action. »</p>
</blockquote>
<p>La proposition vise le dumping social et environnemental qui pourrait donner lieu à une taxe à l’importation de ce produit. En définitive, c’est la notion de prix unique de concurrence, soi-disant garant de l’équité (commerciale), qui est remise en question jusqu’au sein de l’OMC. Elle s’oppose à celle d’un prix qui assurerait une juste rémunération du travail et serait donc garant d’une équité conforme à la dignité humaine telle que l’exprime la Déclaration universelle des droits de l’homme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219446/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benoit Faivre-Dupaigre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La notion de prix unique sur les marchés agricoles, traditionnellement associée à l’idée d’un équilibre optimal et au cœur des règles de l’OMC, entre en conflit avec les valeurs d’équité.Benoit Faivre-Dupaigre, Chargé de recherche, département Diagnostics économiques et politiques publiques, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2142762023-09-25T16:50:07Z2023-09-25T16:50:07ZLes produits de santé : une filière de poids dans les échanges internationaux<p>Les échanges internationaux de produits de santé ont pris leur essor à partir des années 2000, dans une vague d’ouverture globale amorcée par la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à la fin du cycle d’Uruguay en 1994. C’est dans ce cadre que l’Accord pharmaceutique plurilatéral a été négocié entre pays avancés pour supprimer les droits de douane sur un certain nombre de produits dont la liste a ensuite été élargie au fil des renégociations.</p>
<p>Sur les médicaments par exemple, les droits de douane appliqués sont aujourd’hui très faibles, voire nuls dans les pays avancés, et ont été <a href="https://www.wto.org/french/res_f/publications_f/who-wipo-wto_2020_f.htm">ramenés de 6,7 % à 2,5 % en moyenne depuis 1994</a> dans les pays en développement. L’ouverture des pays émergents et l’application de normes environnementales, plus ou moins contraignantes selon les zones géographiques, ont aussi eu un impact décisif sur la fabrication des produits de santé qui s’est de plus en plus internationalisée le long des chaînes de valeur. La traçabilité de ces biens essentiels à la vie est dans le même temps devenue plus opaque.</p>
<p>Leur classement insuffisamment détaillé et épars dans les nomenclatures internationales de commerce et de production contribue à cette opacité. On trouve ainsi des produits de santé parmi les produits chimiques, électriques, électroniques ou encore textiles. <a href="https://www.wto.org/english/res_e/reser_e/ersd201217_e.pdf">Mathias Helble</a>, aujourd'hui économiste à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est le premier à avoir regroupé ces produits dans une liste pour apprécier l’importance et l’évolution des importations répondant aux besoins des systèmes de santé nationaux.</p>
<p>Réalisée après la Grande récession de 2008 marquant la fin de l’hypermondialisation, son <a href="https://www.wto.org/english/res_e/reser_e/ersd201217_e.pdf">étude</a> publiée en 2012 s’interrogeait déjà sur les bienfaits du dynamisme des échanges internationaux dans un domaine aussi crucial. En 2020, le choc du Covid-19 a clairement confirmé l’importance de la sécurité sanitaire pour les États et mis en lumière les questions de souveraineté industrielle posées par l’organisation internationale de la production.</p>
<h2>Une production fragmentée</h2>
<p>Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (<a href="https://theconversation.com/institutions/cepii-2912">CEPII</a>) a élaboré une <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/panorama/abstract.asp?NoDoc=13898">liste</a> des produits de santé dans la lignée du travail de Helble, et de ceux entrepris par des organisations internationales et nationales pour faire face à la pandémie de Covid-19. Celle-ci tend vers l’exhaustivité et inclut tout produit échangé contribuant au fonctionnement du système de soins. Identifiée pour la première fois dans un périmètre aussi large, cette filière de santé comprend 368 produits de la nomenclature du système harmonisé à six chiffres (version 1996) sur la période 2000-2021.</p>
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<p>Les produits sont répertoriés dans cinq branches regroupant les médicaments et l’ensemble de leurs composants, ainsi que les équipements de technologie médicale et le petit matériel de santé. Ainsi configurée, cette filière pèse lourd dans les échanges : en 2021, elle représente presque 13 % du commerce mondial de biens manufacturés (hors énergie) et se situe au deuxième rang parmi dix filières, après celle des produits électroniques (graphique 1).</p>
<p><iframe id="v50Dg" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/v50Dg/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Elle est aussi celle dont la progression a été la plus forte depuis 2000 (graphique 2). Ce dynamisme doit beaucoup à l’essor des échanges de préparations pharmaceutiques, dans lesquels les traitements issus de biotechnologies prennent une part croissante.</p>
<p><iframe id="0rbsW" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/0rbsW/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La fragmentation internationale des processus de production est très marquée dans cette filière : en 2021, plus de la moitié des échanges concerne des biens intermédiaires et les échanges croisés de produits similaires atteignent un niveau record, le plus élevé de toutes les filières (51 % des flux, graphique 3). Celui-ci témoigne de la complexité de la division internationale du travail dans les produits de santé.</p>
<p><iframe id="T4G4y" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/T4G4y/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Contrairement aux flux univoques qui portent sur des échanges de produits clairement différents, ce type de commerce consiste en achats et ventes mutuels entre deux pays de produits aux caractéristiques techniques identiques. Autre particularité : c’est dans cette filière que la part des échanges de gamme moyenne de qualité/prix est la plus faible. Une part qui connaît un net recul depuis deux décennies, si bien qu’en 2021, 83 % des flux d’échanges se répartissent équitablement entre le haut et le bas de gamme.</p>
<h2>Le Covid-19, un révélateur de vulnérabilité</h2>
<p>Les pays avancés (selon la <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/April/groups-and-aggregates">classification du FMI</a>) sont les principaux acteurs sur le marché international des produits de santé : ils y réalisent près des trois quarts des exportations mondiales, alors que leur part dans l’ensemble des produits manufacturés s’élève à moins de 60 % (graphique 4).</p>
<p><iframe id="yhC3n" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/yhC3n/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Leurs échanges mutuels représentent à eux seuls 54 % des exportations mondiales en 2021 (graphique 5). Mais ce commerce intra-zone est marqué par un déclin relatif depuis les années 2000 (-16 points de pourcentage) tandis qu’augmentent les exportations des pays avancés vers les pays émergents et en développement. Ces derniers montent en puissance, essentiellement pour les produits bas de gamme, à la fois dans leurs exportations vers les pays avancés et leurs échanges mutuels.</p>
<p><iframe id="PqZGW" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/PqZGW/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2022/let423.pdf">vulnérabilités créées par ces interdépendances</a> ont été révélées par des pénuries massives lors de la crise du Covid-19. Les autorités publiques de nombreux pays envisagent désormais la survenue d’autres pandémies, notamment celles que le réchauffement climatique pourrait favoriser. Parallèlement, la sécurisation des approvisionnements dans le domaine de la santé, comme dans tant d’autres, relève de plus en plus de la géostratégie à l’instar de la place accordée aux biotechnologies dans la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_184303.htm">politique d’innovation de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN</a>). Enfin, transition écologique oblige, la « décarbonation » est devenue un <a href="https://www.leem.org/presse/transition-ecologique-le-secteur-pharmaceutique-s-engage-sur-une-trajectoire-de">objectif primordial</a> dans la fabrication et les échanges des produits de santé. Tous ces éléments devraient conduire à un repositionnement géographique des entreprises des pays avancés au sein des chaînes de valeur internationales.</p>
<hr>
<p><em>Ce billet reprend des extraits du <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/panorama/abstract.asp?NoDoc=13898">Panorama du CEPII 2023-03</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214276/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le secteur s’est fortement internationalisé depuis le début des années 2000, à la fois en termes de production et de vente. Ces interdépendances ont cependant fragilisé la filière.Deniz Unal, Économiste, rédactrice en chef du Panorama et coordinatrice des Profils du CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale, CEPIIAude Sztulman, Chercheur associé au CEPII, Maître de conférences, Université Paris Dauphine – PSLGuillaume Gaulier, Chercheur associé, CEPIIPierre Cotterlaz, Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014252023-03-15T19:57:42Z2023-03-15T19:57:42ZInflation Reduction Act : comment l’Union européenne peut-elle répondre aux incitations fiscales américaines ?<p>L’<a href="https://www.congress.gov/bill/117th-congress/house-bill/5376">Inflation Reduction Act</a> (IRA), adopté en août 2022 par le Congrès des États-Unis, a mis en place des incitations fiscales à la production et à l’utilisation d’énergies propres en programmant des financements fédéraux sur dix ans. Ces avantages fiscaux sont donnés aux entreprises ou aux ménages en contrepartie d’une obligation de production locale et/ou de contenu local de biens utilisés dans leur production.</p>
<p>Ce texte a rapidement suscité <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/12/06/la-difficile-quete-d-une-reponse-europeenne-commune-au-protectionnisme-americain_6153093_3234.html">l’inquiétude des Européens</a>. Les subventions et crédits d’impôts que cette loi offre les a fait craindre que cela conduise à une augmentation des investissements directs étrangers (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/ide-64175">IDE</a>) dans les filières vertes aux <a href="https://theconversation.com/fr/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a> au détriment de l’Europe. Ces craintes sont-elles justifiées ?</p>
<p>Les nombreux travaux sur les déterminants des IDE permettent d’y voir plus clair. Les subventions et les crédits d’impôt sont évidemment des facteurs attractifs, mais les clauses qui définissent le contenu local de l’IRA compliquent la tâche des investisseurs. Une clause de contenu local ne peut jouer que dans le sens d’une hausse des coûts de production, sans quoi l’investisseur aurait déjà eu recours à ces contenus locaux. En outre, les critères inclus dans l’IRA sont contraignants. Surtout, les clauses de contenu local et les avantages fiscaux ne sont pas les seuls déterminants de l’IDE.</p>
<h2>L’UE a aussi des atouts</h2>
<p>Il faut en effet aussi considérer les déterminants qui ont un effet positif sur les IDE (tailles économiques des pays d’origine et de destination, croissance économique, capital humain, développement financier, qualité des infrastructures de communication et de transport ou respect des droits de propriété du pays de destination), ainsi que ceux qui ont un effet négatif (distance entre les deux pays, coûts unitaires du travail, taux d’imposition des sociétés).</p>
<p>Quant aux droits de douane, ils peuvent, lorsqu’ils sont appliqués à un produit transformé comme une voiture électrique, inciter les investisseurs à se localiser dans le pays plutôt qu’exporter (<em>tariff-jumping</em>). Au contraire, lorsqu’ils portent sur les importations de biens intermédiaires (la batterie d’une voiture électrique ou ses composants), les dissuader.</p>
<p>Le tableau ci-dessous, qui compare des mesures de ces déterminants dans les trois plus grandes puissances économiques mondiales, illustre les atouts dont dispose <a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">l’Union européenne</a> (UE) pour attirer les IDE. C’est un marché de taille importante, avec des infrastructures logistiques de haute qualité, des règles de droit respectées et des subventions publiques en proportion du PIB qui dépassent largement celles offertes par les États-Unis. Quant au droit de douane de 10 % sur les véhicules électriques, il peut inciter les entreprises étrangères à faire du <em>tariff-jumping</em>.</p>
<p><iframe id="oa8Od" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oa8Od/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ce tableau permet également d’identifier les directions qui permettraient d’améliorer l’attractivité de l’UE en jouant sur les facteurs structurels de compétitivité.</p>
<p>Une politique-clé est la diminution du prix de l’énergie en accélérant le déploiement des énergies renouvelables : les délais d’obtention des permis peuvent être raccourcis et les <em>feed-in tariffs</em> (prix garanti au-dessus du prix du marché à un producteur d’électricité pendant une période donnée) sont pour les entreprises du secteur une formule attractive.</p>
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<p>Les subventions publiques pourraient être augmentées, mais surtout, leur efficacité peut être améliorée : en autorisant les subventions pendant dix ans dans les filières vertes sous une forme moins fragmentée qu’elles ne le sont actuellement ; en raccourcissant et en simplifiant les délais d’obtention ; en procédant à une évaluation continue de leur performance et en privilégiant non seulement les subventions à l’innovation, mais aussi celles accélérant le déploiement des technologies existantes.</p>
<p>La formation d’une main-d’œuvre ayant les compétences nécessaires au développement des filières vertes, tout comme un meilleur accès au crédit et à des sources privées de financement, favoriseraient également les IDE dans l’UE.</p>
<h2>L’OMC une nouvelle fois déstabilisée</h2>
<p>Enfin, la négociation en cours d’accords commerciaux régionaux pourrait faciliter l’accès aux minerais critiques : accords de l’UE avec l’Australie, le Chili, le Mercosur (dont les membres permanents sont le Brésil, Argentine, Paraguay et l’Uruguay)… En outre, il serait possible de simplifier l’obtention de permis pour l’extraction et la transformation des minerais critiques en Europe, tout en respectant une charte pour limiter les effets néfastes sur l’environnement.</p>
<p>Quant à la solution protectionniste, doit-elle être envisagée ? Elle pourrait consister en des clauses de contenu local, dont les avantages et les inconvénients sont connus, ou la réservation des marchés européens, par exemple les marchés publics, aux entreprises européennes. Ce serait un pari sur le fait que cela va accroître leur compétitivité dans les filières vertes par le jeu des économies d’échelle et que cela va les inciter à davantage investir dans la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/randd-34548">R&D</a>.</p>
<p>Ce choix aurait un coût budgétaire et impliquerait en outre une déstabilisation supplémentaire de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/organisation-mondiale-du-commerce-omc-50902">l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC). Or, la disparition potentielle de cette institution aurait un coût à long terme. Dans ces conditions, pour l’UE, et compte tenu des positions très différentes en son sein entre pays du Nord et pays du Sud, la réponse proposée par la Commission le 1<sup>er</sup> février 2023 va dans la bonne direction : les subventions sont rendues plus accessibles, tout en restant dans le respect des engagements pris à l’OMC.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201425/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Bouët ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les Vingt-Sept disposent de marges de manœuvre pour renforcer leur attractivité aux yeux des investisseurs et riposter ainsi aux mesures d’incitations fiscales adoptées mi-2022 aux États-Unis.Antoine Bouët, Directeur, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1872312022-07-26T21:19:57Z2022-07-26T21:19:57ZLes réglementations commerciales, un levier de croissance durable dans le Sud<p>Ces dernières décennies, l’essor du commerce international a apporté la diversité alimentaire dans nos cuisines mais aussi un risque accru de transport d’agents pathogènes. Le commerce illégal d’animaux vivants, <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/frontpage/2014/May/wildlife-crime-worth-8-10-billion-annually.html">qui représenterait entre 8 à 10 milliards de dollars par an</a>, <a href="https://cadmus.eui.eu/handle/1814/72953">exacerbe encore plus cette menace</a>.</p>
<p>En parallèle, le changement climatique, à l’origine de vagues de chaleur, d’inondations ou d’ouragans, met les cultures à l’épreuve. La hausse des températures offre en effet des conditions idéales pour la <a href="https://www.nature.com/articles/nclimate1990">reproduction des parasites</a> qui s’attaquent aux plantes et au bétail. Par exemple, les <a href="https://theconversation.com/explainer-whats-behind-the-locust-swarms-damaging-crops-in-southern-africa-147129">invasions de criquets pèlerins</a> qui ont notamment touché l’est de l’Afrique en 2020 et 2021 trouvent leur origine dans des précipitations inhabituellement élevées et des inondations dans des zones précédemment épargnées par le parasite.</p>
<h2>40 % de la production agricole perdue</h2>
<p>L’an dernier aux États-Unis, les propriétaires et les agriculteurs du Nord-est, du Midwest, du Sud et du Sud-ouest ont également assisté avec horreur à une <a href="https://theconversation.com/the-fall-armyworm-invasion-is-fierce-this-year-and-scientists-are-researching-how-to-stop-its-destruction-of-lawns-football-fields-and-crops-167098">invasion sans précédent de <em>Spodoptera frugiperda</em>, ou légionnaires d’automne</a>. Ces chenilles ont dévasté les champs de riz, de soja, de luzerne et d’autres cultures.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des criquets pèlerins se nourrissent de maïs dans un champ à Meru, dans le centre du Kenya. » source=" src="https://images.theconversation.com/files/473627/original/file-20220712-32189-srk4pw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473627/original/file-20220712-32189-srk4pw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473627/original/file-20220712-32189-srk4pw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473627/original/file-20220712-32189-srk4pw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473627/original/file-20220712-32189-srk4pw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473627/original/file-20220712-32189-srk4pw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473627/original/file-20220712-32189-srk4pw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des criquets pèlerins se nourrissent de maïs dans un champ à Meru, dans le centre du Kenya.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Yasuyoshi Chiba/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les Nations unies estiment qu’environ <a href="https://news.un.org/en/story/2021/06/1093202">40 % de la production agricole mondiale est actuellement perdue à cause des parasites</a>, tandis que les maladies des plantes coûtent à l’économie mondiale plus de 220 milliards de dollars par an.</p>
<p>Or, nous ne sommes pas égaux face à ce problème. Les pays riches comme les États-Unis, le Canada, le Japon et une grande partie de l’Europe occidentale, qui portent une grande responsabilité dans le changement climatique car ils ont émis <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2021/11/12/climate/cop26-emissions-compensation.html">50 % de tous les gaz à effet de serre</a> depuis la révolution industrielle, ont développé de <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jel.20201539">meilleures stratégies</a> pour limiter la propagation d’agents pathogènes. Par exemple, en améliorant la production, avec la sélection génétique de variétés résistantes, ou en contrôlant le transport transfrontalier à l’aide de réglementations commerciales, de normes et d’accords internationaux.</p>
<h2>Plus de qualité et de croissance</h2>
<p>Parmi ceux-ci, l’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/sps_f/spsund_f.htm">mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS)</a>, négocié lors du cycle d’Uruguay de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et entré en vigueur en 1995, réglemente aujourd’hui le commerce des produits vulnérables aux parasites et aux agents pathogènes.</p>
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<p>Leur objectif est de protéger la vie ou la santé humaine, animale ou végétale grâce à des normes de sécurité. Le texte définit les règles de base que les gouvernements sont tenus de suivre pour fournir des aliments sûrs aux consommateurs tout en évitant toute forme de protectionnisme des producteurs nationaux.</p>
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<img alt="L’ambassadeur américain Michael Froman, assis devant un panneau aux côtés de représentants de la Communauté d’Afrique de l’Est" src="https://images.theconversation.com/files/473632/original/file-20220712-15-popz5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473632/original/file-20220712-15-popz5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473632/original/file-20220712-15-popz5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473632/original/file-20220712-15-popz5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473632/original/file-20220712-15-popz5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473632/original/file-20220712-15-popz5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473632/original/file-20220712-15-popz5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’ambassadeur américain Michael Froman signe l’accord de coopération entre la Communauté d’Afrique de l’Est et les États-Unis sur la facilitation des échanges, les mesures sanitaires et phytosanitaires et les obstacles techniques au commerce, aux côtés de représentants de la Communauté d’Afrique de l’Est à Washington, en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Saul Loeb/AFP</span></span>
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<p>Les pays du Sud représentant la majeure partie de la production agricole brute (par exemple, la valeur ajoutée de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/agriculture-20572">agriculture</a> représentait <a href="https://data.worldbank.org/indicator/NV.AGR.TOTL.ZS?view=chart">17,2 % du produit intérieur brut de l’Afrique subsaharienne en 2021</a>), nous avons cherché à mesurer l’impact de ces réglementations sur les économies nationales et le commerce mondial. Notre <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/twec.13256">recherche</a> apporte des nouvelles largement positives : les pays qui avaient les moyens de se conformer à ces nouvelles normes de sécurité ont bénéficié d’une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/croissance-economique-21197">croissance économique</a> accrue et d’aliments plus sûrs.</p>
<p>Le renforcement des normes de sécurité a en effet permis d’améliorer les technologies et les pratiques de production, notamment en remplaçant les engrais chimiques par des engrais organiques, avec des effets positifs en termes de qualité des aliments. Les normes de sécurité ont également contribué à la création et à l’expansion des routes commerciales <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1093/aepp/ppx063">bénéfiques aux pays du Sud</a>. Le commerce agricole entre le Nord et le Sud tend ainsi à augmenter de 30 % lorsque ces normes s’appliquent.</p>
<h2>Renforcer la coopération</h2>
<p>Nous avons observé que ces effets positifs se renforcent <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/aepp.13276">si les acteurs économiques coopèrent</a> non seulement de manière formelle (par exemple, en employant un groupe d’experts traitant des questions de sécurité) mais aussi de manière substantielle (par exemple, en fixant des règles techniques pour coopérer sur les questions de sécurité).</p>
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<img alt="Retombées positives des mesures SPS et de la cooptation" src="https://images.theconversation.com/files/474251/original/file-20220715-495-ypz4lj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474251/original/file-20220715-495-ypz4lj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474251/original/file-20220715-495-ypz4lj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474251/original/file-20220715-495-ypz4lj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474251/original/file-20220715-495-ypz4lj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474251/original/file-20220715-495-ypz4lj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474251/original/file-20220715-495-ypz4lj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Retombées positives des mesures SPS et de la cooptation – Effets sur le commerce agricole entre le Nord et le Sud.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Authors’ elaboration</span></span>
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<p>Contrairement à ce que prétend le <a href="https://www.jasonhickel.org/less-is-more">mouvement de la décroissance</a>, nos recherches montrent donc que les réglementations peuvent rendre possible une croissance durable. Des évaluations minutieuses de l’impact environnemental des accords commerciaux démontrent d’ailleurs que les accords entravent les plus gros pollueurs et <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.2202/1538-0637.1330/html">contribuent au contraire à une croissance durable</a>.</p>
<p>L’harmonisation des normes apparaît également essentielle pour instaurer un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/aepp.13276">environnement coopératif</a> car les accords commerciaux réduisent les frictions dans le commerce et le temps nécessaire pour résoudre les différends. En bref, ils favorisent à la fois la coopération et la croissance.</p>
<h2>Une croissance durable est-elle possible ?</h2>
<p>Aujourd’hui, plusieurs institutions internationales, comme <a href="https://theconversation.com/fr/topics/organisation-mondiale-du-commerce-omc-50902">l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC), soulignent la <a href="https://www.wto.org/english/tratop_e/envir_e/climate_measures_e.htm">nécessité d’agir</a> et encouragent les politiques commerciales <a href="https://www.science.org/doi/full/10.1126/science.abo4207">plus favorables au climat</a>. L’OMC s’accorde également avec le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Banque mondiale (BM) sur la nécessité de renforcer la coopération internationale en tant que stratégie principale pour <a href="https://thedocs.worldbank.org/en/doc/0534eca53121c137d3766a02320d0310-0430012022/original/Subsidies-Trade-and-International-Cooperation-April-19-ci.pdf">faire face aux problèmes du changement climatique</a>. Néanmoins, les relations internationales tendent à évoluer à l’inverse vers une <a href="https://theconversation.com/la-mondialisation-entre-amis-ou-la-grande-fragmentation-de-lespace-mondial-186766">fragmentation de l’espace mondial</a>…</p>
<p>Si l’impact conjoint du changement climatique et du commerce international favorise l’émergence et la propagation d’agents pathogènes, les efforts visant à les surveiller et à contrôler leur transport transfrontalier deviendront essentiels pour relever les défis de la sécurité alimentaire mondiale.</p>
<p>Les politiques commerciales pourraient alors constituer une stratégie efficace mais <a href="https://academic.oup.com/qje/article-abstract/136/2/831/6039348">leur harmonisation reste à ce jour essentielle</a>, en particulier avec des économies caractérisées par une réactivité hétérogène aux impacts du changement climatique et par des capacités différentes à modifier les termes de l’échange.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds AXA pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site AXA Research Fund ou suivez-nous sur Twitter @AXAResearchFund.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187231/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude souligne les effets positifs des accords internationaux à la fois en termes de protection du consommateur et d’ouverture commerciale.Emilia Lamonaca, AXA Research Fellow, Università di FoggiaFabio Gaetano Santeramo, Associate Professor, Università di FoggiaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1820912022-05-01T16:44:20Z2022-05-01T16:44:20ZL’OMC face au défi du plurilatéralisme<p>L’<a href="https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=q:/WT/L/1129.pdf&Open=True">accord</a> signé en décembre dernier par 67 des 164 pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a fait la joie de João Aguiar Machado, représentant permanent de l’Union européenne auprès de l’organisme. La conclusion des négociations est venue comme une respiration pour un organisme qui n’était pas parvenu à un résultat significatif depuis 2013. Le texte vise à <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/omc-un-accord-pour-faire-decoller-le-commerce-des-services-1369512">simplifier les procédures administratives et réglementaires relatives aux échanges de services</a>, qui représentent aujourd’hui plus de 20 % du commerce mondial.</p>
<p>Une respiration, car l’OMC traverse aujourd’hui une <a href="https://www.cairn.info/revue-paysan-et-societe-2021-3-page-17.htm">crise profonde</a>, incapable de conclure le <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/dda_f/dda_f.htm">cycle de Doha</a>, ouvert en 2001, et de réguler le commerce mondial. Celle qui a pris le relais du <em>General agreement on tariffs and trade</em> (Gatt) au 1<sup>er</sup> janvier 1995 ne semble également plus en mesure de remplir sa fonction de règlement des conflits commerciaux. Les États-Unis, en particulier, se sont <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/10/l-organisation-mondiale-du-commerce-depose-les-armes_6022296_3234.html">opposés au renouvellement des juges</a> d’appel de son Organe de règlement des différends.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1466419495690453000"}"></div></p>
<p>De nombreux observateurs voient l’avenir de l’OMC dans le <a href="https://www.g20-insights.org/policy_briefs/boosting-g20-cooperation-for-wto-reform-leveraging-the-full-potential-of-plurilateral-initiatives/">développement du plurilatéralisme</a>. Par accord plurilatéral, on désigne un traité signé entre un nombre limité de pays en vue de libéraliser les échanges dans un secteur en particulier. Cette libéralisation peut se faire « à géométrie variable », étant donné que disparaît le besoin d’un <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/10thi_f/10thi07_f.htm">consensus</a> entre un panel très large de pays comme c’est le cas à l’OMC. La généralisation de ces accords mettrait également fin au principe de l’engagement unique, en vertu duquel aucun thème de négociation ne peut faire l’objet d’un accord séparé. C’est l’adage « rien n’est conclu tant que tout n’est pas conclu ».</p>
<p>Les accords plurilatéraux en vigueur reconnus par l’OMC sont à ce jour au nombre de quatre. Les <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/agrm10_f.htm">deux premiers</a> sont entrés en vigueur au début des années 1980, à la suite du Tokyo round. Ils concernent le commerce des aéronefs civils et l’octroi de marché publics et unissent respectivement 33 et 48 parties. Le <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/inftec_f/inftec_f.htm">troisième</a>, signé à l’origine par 29 participants de la Conférence ministérielle de l’OMC qui s’est tenue à Singapour en décembre 1996, porte sur les technologies de l’information. Outre la signature de l’accord de décembre dernier, des négociations plurilatérales sont en cours sur le <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/ecom_f/joint_statement_f.htm">commerce électronique</a> (86 pays participants), les <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/envir_f/ega_f.htm">biens environnementaux</a> (46 pays participants), les <a href="https://www.lesechos.fr/2016/06/tisa-cet-accord-commercial-dont-on-ne-parle-pas-1111467">services</a> (50 pays participants) et la participation des <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/msmes_f/msmes_f.htm">Micro, petites et moyennes entreprises (MPME)</a> au commerce international (91 pays participants).</p>
<p>Avec la multiplication des accords plurilatéraux, l’OMC deviendrait alors un <a href="https://academic.oup.com/jiel/article/9/4/823/852466?login=true">« club de clubs »</a>, selon l’expression de Robert Z. Lawrence, professeur à Harvard et ancien conseiller économique du président Clinton. Cette dynamique de « petits pas » semble cependant conduire à une libéralisation globale des échanges autant qu’elle risque, au contraire, de déboucher sur une nouvelle fragmentation du multilatéralisme. Plusieurs arguments plaident en fait pour chacune des deux thèses.</p>
<h2>Préparer le terrain au multilatéralisme</h2>
<p>La première thèse est celle du <a href="https://www.wto.org/french/news_f/news18_f/trdev_17jul18_f.htm">« plurilatéralisme ouvert »</a> ou « plurilatéralisme inclusif ». Les accords plurilatéraux conclus dans le cadre de l’OMC ont, par définition, une vocation multilatérale : tout membre de l’OMC non-signataire d’un accord plurilatéral existant pourra y adhérer par la suite.</p>
<p>Par effet domino, un nombre croissant de pays ont donc adhéré aux différents accords plurilatéraux existants. Ainsi, l’Accord sur les Marchés Publics et surtout l’Accord sur les Technologies de l’Information ont exercé un effet d’attraction sur les pays tiers. Le second, signé au départ par 29 pays, comprend aujourd’hui 82 pays réalisant 97 % du commerce des produits des technologies de l’information.</p>
<p><iframe id="29D0q" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/29D0q/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Pareil accord peut, à titre expérimental, préparer le terrain au multilatéralisme. Il permet en effet de mesurer l’intérêt des pays membres de l’OMC pour un sujet que l’on envisage de mettre à l’ordre du jour de l’agenda. La « multilatéralisation » des accords plurilatéraux se trouve d’ailleurs facilitée lorsque la clause de la nation la plus favorisée est incorporée. Dans ce cas, les pays tiers ou non membres bénéficient en effet des avantages qui sont accordés aux pays membres.</p>
<h2>Logique d’exclusion</h2>
<p>Il y a cependant un revers à la médaille. La multiplication des accords plurilatéraux présente également des risques pour le multilatéralisme. Comme nous le soulignions dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2016-2-page-143.htm">recherche</a> récente, le danger principal est celui d’une fragmentation du système commercial mondial.</p>
<p>Coexisteraient en effet deux types de pays, les « insiders », c’est-à-dire les pays membres des accords plurilatéraux, et les « outsiders », ceux qui en seraient exclus. Parmi ces derniers, devraient figurer la plupart des pays les moins développés. Dans les premières expériences d’accords, il apparaît déjà que les sujets des négociations sont choisis par les pays ayant un poids important dans le commerce mondial. Les services, le commerce des produits des technologies de l’information, ou les marchés publics sont des sujets d’un grand intérêt pour ces pays mais qui restent peu pertinents pour la très grande majorité des pays les moins développés.</p>
<p>Les pays en développement les plus pauvres ne souhaitent d’ailleurs pas adhérer à l’accord sur les technologies de l’information, de crainte que leurs entreprises du secteur ne soient rapidement éliminées par la concurrence d’entreprises étrangères plus compétitives.</p>
<p><iframe id="oebEw" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oebEw/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autre symbole de cette logique d’exclusion, aucune proposition de négociation commerciale plurilatérale ne porte, à ce jour, sur les produits agricoles. Il s’agit pourtant là d’un secteur dans lequel bon nombre de pays en développement sont très compétitifs.</p>
<p>On pourrait objecter à l’argument selon lequel les accords plurilatéraux visent à marginaliser les pays les moins développés que ces derniers pays auront tout loisir d’y adhérer quand leurs économies se seront développées. Soulignons cependant qu’il est difficile de rejoindre après coup un accord commercial déjà négocié, car il devient alors difficile de faire prévaloir ses intérêts.</p>
<h2>Éviter le « bol de spaghettis »</h2>
<p>Une règle émergente tend également à dire qu’un accord plurilatéral ne peut être « multilatéralisé » que si une « masse critique » de pays en est partie prenante. Cette masse critique permet de se prémunir du risque de comportement de passager clandestin de la part des principaux acteurs.</p>
<p>Cela favorise la marginalisation et l’exclusion des pays les moins développés. En effet, en raison de leur faible poids dans les échanges mondiaux, ces pays ne sont pas en mesure de constituer de masse critique et sont donc exclus a priori des négociations en vue de conclure des accords plurilatéraux à vocation multilatérale.</p>
<p>En résumé, face à la crise de l’OMC et au risque de démantèlement du système multilatéral actuel, le cadre de négociation plurilatéral constitue une étape intermédiaire pouvant conduire à terme à un multilatéralisme consolidé et renforcé. Ce but ne peut cependant être atteint que si les pays en viennent à s’accorder sur un <a href="https://www.g20-insights.org/policy_briefs/boosting-g20-cooperation-for-wto-reform-leveraging-the-full-potential-of-plurilateral-initiatives/">certains nombres de principes</a>.</p>
<p>Les accords plurilatéraux semblent devoir être ouverts à tous les membres, y compris, et surtout, aux pays les moins développés. Ceux-ci doivent faire l’objet d’une attention particulière, participer aux négociations et pouvoir adhérer aux accords existants lorsqu’ils le souhaitent.</p>
<p>Par ailleurs, une coordination doit être établie entre les différents accords plurilatéraux afin d’éviter tout chevauchement pouvant déboucher sur l’adoption de règles divergentes sur des questions proches, voire identiques. On parle de « bol de spaghetti de règles ». Une place doit, pour cela, être réservée pour des études d’impacts <em>ex ante</em> et des évaluations <em>ex post</em> des accords plurilatéraux.</p>
<p>Il paraît, enfin, important que les négociations soient menées de manière transparente. Le succès de la dynamique plurilatérale en cours semble dépendre dans une large mesure de l’adoption et du respect de ces principes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182091/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Dupuy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des accords construits par un nombre limité de pays avec la vocation de s’élargir à tous ? Telle semble être la voie actuellement empruntée à l’OMC. Avec les risques d’exclusion qui lui sont liés.Michel Dupuy, Professeur d'économie internationale, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1775952022-03-01T20:12:23Z2022-03-01T20:12:23ZChine et États-Unis : comment en est-on arrivé là ?<p>Il y a vingt ans, la Chine entrait dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC). De nombreux stratèges et décideurs occidentaux, dont <a href="https://www.iatp.org/sites/default/files/Full_Text_of_Clintons_Speech_on_China_Trade_Bi.htm">Bill Clinton</a>, alors président des États-Unis, espéraient que cette officialisation de la position du géant asiatique au sein de la mondialisation pousserait Pékin vers la voie de la réforme et de la libéralisation, tant sur le plan économique que politique.</p>
<p>Sur le second, elle n’a pas eu lieu. Sur l’aspect économique, intégration et interdépendance ont pu assez largement caractériser la relation sino-américaine jusqu’en 2008. Les deux géants mondiaux semblent cependant vouloir désormais sciemment organiser leur divorce, en dissociant leurs chaînes de production et en faisant le choix de technologies et de normes de plus en plus différentes.</p>
<p>En témoigne notamment la stratégie chinoise de <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3110184/what-chinas-dual-circulation-economic-strategy-and-why-it">« double circulation »</a>, aspiration de Pékin à développer son marché intérieur afin de réduire sa dépendance sur le reste du monde. En témoigne également la réticence, voire l’opposition, dans un certain nombre de pays occidentaux d’accepter les équipements 5G de Huawei.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-enjeux-geopolitiques-de-la-5g-146494">Les enjeux géopolitiques de la 5G</a>
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<p>Ce scénario de divorce ou de découplage économique peut être un non-sens sur le plan économique, mais correspondre à une véritable volonté politique de la part de Washington et de Pékin. C’est ce scénario que nous avons exploré dans le cadre d’un <a href="https://amchamfrance.org/wp-content/uploads/2021/12/Economic-Decoupling-Our-New-Reality.pdf">Livre blanc</a> proposé par la Chambre américaine de commerce à Paris et par HEC Paris. Nous en résumons ici les principaux enjeux.</p>
<h2>Rationaliser des décisions politiques</h2>
<p>Les raisons avancées pour expliquer l’exacerbation de la rivalité entre la Chine et les États-Unis diffèrent évidemment de part et d’autre du Pacifique. L’argument souvent entendu sur la rive asiatique met l’accent sur la guerre commerciale lancée dès son élection par Donald Trump. À cet argument s’oppose l’analyse occidentale du <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.103.6.2121">choc qu’a représenté l’entrée de la Chine dans l’OMC</a>. D’après <a href="https://www.cnbc.com/2020/01/30/china-trade-deficit-has-cost-us-3point7-million-jobs-this-century-epi-says.html">certaines estimations</a>, l’effet de la concurrence des biens chinois a eu des conséquences sévères sur les salaires et l’emploi manufacturier en Europe et aux États-Unis. Près de quatre millions d’emplois auraient ainsi été détruits aux États-Unis entre 2001 et 2020.</p>
<p>Cela a sans doute nourri la défiance des opinions publiques et a pu conduire à un sentiment d’<a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.103.6.2121">ambivalence</a> vis-à-vis de la mondialisation et du libre-échange, notamment en Occident et notamment vis-à-vis de la Chine. Elle explique aussi cette volonté d’indépendance, exprimée par la Chine avec sa stratégie de <a href="http://www.xinhuanet.com/english/2021-01/11/c_139659492.htm">double circulation</a>, et par les États-Unis avec une volonté de plus en plus affirmée du pouvoir politique américain de <a href="https://www.voanews.com/a/us-congress-considers-bills-to-boost-competition-with-china/6416247.html">s’affranchir de sa relation avec son rival asiatique</a>.</p>
<p>Les pressions nationales et d’opinions exprimées dans le débat public viendraient alors rationaliser ces décisions politiques.</p>
<p>Loin de les entraver, les nouveaux outils numériques de digitalisation et de localisation de la production participent de ce mouvement en le rendant plus indolore, du moins à court terme. Communément rangés sous l’étiquette de <a href="https://www.weforum.org/about/the-fourth-industrial-revolution-by-klaus-schwab">« quatrième révolution industrielle »</a>, ils permettent de simplifier et de réduire les coûts des processus de production – grâce par exemple, à l’impression en trois dimensions qui contribuera à localiser davantage la production.</p>
<p>À terme, les appels à davantage d’indépendance – ou de « souveraineté » pour reprendre le terme préféré des pouvoirs publics – pourraient induire des transformations sur lesquelles il sera difficile de revenir à court terme. La recherche d’efficacité et de synergies laisserait ainsi place à la nouvelle logique de résilience, d’autonomie et d’indépendance. Avec un coût économique énorme pour les entreprises et les ménages.</p>
<h2>Une logique, deux limites</h2>
<p>Malgré des espoirs légitimes d’un éventuel retour à la normale post-pandémie, il est difficile d’ignorer ces mutations amorcées avant même la pandémie qui pourraient s’avérer irréversibles. L’exemple de la transformation des chaînes de production est saisissant.</p>
<p>Elles ont longtemps cherché à exploiter les avantages comparatifs de chaque point du globe. La logique économique sous-jacente était (et reste pour un certain nombre d’observateurs) imparable puisqu’il s’agissait de réduire les coûts le plus possible et de diversifier les risques auxquels les producteurs doivent faire face.</p>
<p>Cette logique fait face à deux limites désormais. La première est de nature écologique : un nombre grandissant d’économistes s’accordent sur le fait qu’imposer un <a href="https://www.ubscenter.uzh.ch/en/news_events/events/2021-11-09_sustainability_and_climate_change.html">prix aux émissions de carbone</a> constituera un pilier fondamental dans toute stratégie de lutte contre le changement climatique. Or, une fois ce prix du carbone intégré dans les coûts de production, rien ne permet de dire que les chaînes de valeurs internationalisées permettent de les réduire.</p>
<p>S’y ajoute la question de la diversification du risque et à l’efficacité économique : ces chaînes de valeur internationalisées dépendent d’une multitude de points critiques qui peuvent représenter autant de vulnérabilités pour un producteur qui en dépend. C’est ce qui mène un certain nombre d’entreprises à adopter une <a href="https://hbr.org/2021/05/the-strategic-challenges-of-decoupling">stratégie dite « China + 1 »</a> qui vise à ne plus dépendre que d’un fournisseur et d’un théâtre de production critique comme la Chine et de diversifier ses sources d’approvisionnement.</p>
<h2>Stratégies et soupçons</h2>
<p>La bataille des normes constitue un autre moteur de transformation dans la mesure où elle pourrait réduire l’interdépendance des économies. L’exemple du secteur des télécommunications et de la 5G, est parlant.</p>
<p>L’avance technologique et économique dont disposait le géant du secteur Huawei, qui a quasiment quadruplé son chiffre d’affaires mondial entre 2013 et 2020, aurait pu et dû suffire à consacrer l’entreprise chinoise comme le fournisseur mondial évident et incontestable. Mais la persistance de doutes quant aux liens qu’entretient Huawei avec Pékin et le rôle central que l’entreprise jouerait dans les réseaux de télécommunications des pays qu’elle équipe a nettement pesé dans la balance et a empêché l’instauration de cette norme unique.</p>
<p>En cause notamment la loi sur le renseignement national de la Chine en 2017 qui déclare que les citoyens du pays ont le devoir de contribuer à l’effort de renseignement de la Chine, brouillant ainsi la frontière entre les acteurs privés chinois et le gouvernement. À cela s’ajoute aussi le fait que les pouvoirs publics occidentaux ont souvent soupçonné Huawei d’inclure dans ses équipements des logiciels espions susceptibles de collecter des informations sensibles. Ces préoccupations d’ordre stratégique et sécuritaire sont d’autant plus significatives que des soupçons pèsent sur le rôle que pourrait jouer une entreprise étrangère comme Huawei dans une cyberattaque d’envergure si elle avait accès au cœur d’un réseau de télécommunication.</p>
<p>Ce scénario de découplage n’est qu’hypothétique mais les preuves de l’élan dont il dispose ne manquent pas. La possibilité de ce divorce sino-américain pèserait ainsi sur la manière dont le reste du monde, Europe en tête, réinvente son rapport aux deux géants et sur la définition d’une autonomie qui ne serait plus que militaire et politique, mais aussi économique et stratégique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177595/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeremy Ghez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La logique économique des avantages comparatifs semblait indiscutable au moment où la Chine entrait à l’OMC. Un livre blanc récemment publié tente d’expliquer sa remise en cause.Jeremy Ghez, Professor of Economics and International Affairs, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1762942022-02-09T20:42:41Z2022-02-09T20:42:41ZQuel avenir pour le libre-échange en Afrique ?<p>La <a href="https://au.int/fr/treaties/accord-etablissant-la-zone-de-libre-echange-continentale-africaine">Zone de libre-échange continentale africaine</a> (ZLECAf) a été officiellement lancée le 1<sup>er</sup> janvier 2021. Cet instrument stratégique vise à soutenir les économies africaines, à favoriser leur développement et à faciliter leur intégration.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/afrique-les-conditions-de-reussite-de-la-zone-de-libre-echange-continentale-118564">Afrique : les conditions de réussite de la zone de libre‑échange continentale</a>
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<p>S’il est trop tôt pour dresser un bilan de son action, cet article entend examiner les bénéfices potentiels et les défis relatifs à la mise en place de cet accord.</p>
<h2>Pourquoi l’agenda « intégration régionale » a été relancé en 2018</h2>
<p>Entre 2000 et 2015, l’Afrique a bénéficié d’une croissance soutenue, portée par une forte vague d’investissements directs étrangers, et marquée par un <a href="https://www.cairn.info/l-economie-africaine-2020%E2%80%939782348057465-page-7.htm">net recul de la pauvreté</a>.</p>
<p>Cependant, il restait à intensifier une transformation structurelle permettant à la fois d’absorber le surplus de main-d’œuvre agricole, de réduire la dépendance du continent aux ressources naturelles et ainsi de lui garantir une <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-du-developpement-2016-2-page-19.htm">croissance moins vulnérable</a>. La chute des cours des matières premières depuis 2015 et son effet négatif sur la croissance du continent ont <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/08/30/la-chute-des-matieres-premieres-un-avertissement-pour-l-afrique_5348118_3212.html">réaffirmé cette nécessité</a>.</p>
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<p>Plusieurs facteurs sont susceptibles d’accélérer le changement structurel (urbanisation, infrastructures, etc.), dont l’intégration commerciale. En particulier, la nouvelle organisation du commerce international avec la segmentation des processus de production offre, on le pensait, des opportunités intéressantes pour développer un modèle basé sur l’intégration dans les <a href="https://www.atlantis-press.com/journals/jat/125951740">chaînes de valeur</a>.</p>
<p>En effet, les chaînes de valeur mondiales confèrent aux pays la possibilité de s’intégrer dans l’économie globale à un moindre coût en ne produisant que certains composants ou en n’accomplissant que certaines tâches. Cela leur permet de profiter de leurs <a href="https://ses.webclass.fr/notions/avantages-comparatifs/">avantages comparatifs</a>, tout en diversifiant et en sophistiquant leurs paniers d’exportations.</p>
<p>Cependant, en Afrique, le commerce avec le reste du monde reste très orienté sur les ressources naturelles, quand le commerce intra-Afrique repose davantage sur les biens transformés.</p>
<h2>À quoi ressemble l’intégration commerciale aujourd’hui en Afrique</h2>
<p>Il est primordial de distinguer le commerce intra-africain de celui avec le reste du monde. Les exportations infrarégionales sont en effet plus diversifiées et ont un contenu technologique plus important que les exportations vers le reste du monde. Les ressources naturelles représentent à elles seules 65 % des exportations africaines vers l’extérieur du continent (graphique 1).</p>
<p>D’après le rapport sur <a href="https://unctad.org/system/files/official-document/wir2020_overview_fr.pdf">l’investissement mondial</a>, 40 % des investissements directs étrangers en Afrique se font en direction des industries liées aux ressources naturelles, principalement dans le secteur minier. Ce dernier est doté d’une faible valeur ajoutée et est intensif en capital, ce qui a empêché le développement des chaînes de valeur mondiales dans le secteur manufacturier. Cela contraste fortement avec le commerce intra-Afrique qui repose davantage sur les biens manufacturiers (pour plus de la moitié), mais aussi agricoles (pour près de 20 %).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444068/original/file-20220202-13-m0wd62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<a href="https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445629/original/file-20220210-27-1ay7aq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 1. Composition du commerce sur 1995-2018 (intra-africain et avec le reste du monde).</span>
<span class="attribution"><span class="source">calcul des auteurs à partir de la base World Integrated Trade Solution 2021 (Banque mondiale)</span></span>
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<h2>Renforcer l’intégration régionale permettrait de développer des chaînes de valeur régionales, puis mondiales</h2>
<p>Le commerce infrarégional ne représente <a href="https://unctad.org/system/files/official-document/wir2019_overview_fr.pdf">que 15 % du commerce total en Afrique</a>, contre plus de 60 % sur autres continents. Les communautés économiques régionales existantes présentent un degré d’intégration encore trop faible (Graphique 2), car elles se concentrent principalement sur la baisse des tarifs douaniers sans proposer de réduire les autres obstacles au commerce et sans lier la politique commerciale des pays à leur politique industrielle.</p>
<p>Or il existe donc à présent cette communauté économique continentale (déjà évoquée dans les annexes du <a href="http://cdi.lyon3.free.fr/doc/CEATraite%20abuja%201991.pdf">traité d’Abuja de 1991</a> sur l’intégration régionale et relancée par <a href="https://au.int/sites/default/files/documents/36204-doc-agenda2063_popular_version_fr.pdf">l’Agenda UA 2063</a>) qui pourrait faciliter le commerce intra-africain en permettant une meilleure intégration des économies du continent dans les chaînes de valeur.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444069/original/file-20220202-27-ntoz7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Graphique 2. Commerce intra-Afrique en 2019 (en pourcentage du commerce total).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Calcul des auteurs avec les données d’UnctadStat2019 (CNUCED)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Regardons d’abord le contenu car s’il est trop tôt pour dresser un bilan, on peut tout de même s’interroger sur la <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/zlecaf-lafrique-a-t-elle-les-moyens-de-ses-ambitions/2492956">capacité de ce dispositif</a> à soutenir les performances économiques des pays du continent.</p>
<p>On constate que la ZLECAf entend prendre en charge les sujets déterminants pour l’intégration dans les chaînes de valeur, ceux qui n’ont jamais ou rarement été abordés dans les précédents accords régionaux du continent. L’accord propose des protocoles afin que les 54 pays s’entendent sur différentes règles de commerce liées aux normes des produits, des services, de l’e-commerce, des droits de propriété intellectuelle, de la concurrence et de l’investissement. L’objectif étant de ne pas être un simple accord commercial, mais un instrument stratégique pour le développement et l’intégration de l’Afrique.</p>
<p>Les secteurs fréquemment cités comme potentiels bénéficiaires de ce nouveau cadre se situent principalement dans l’industrie, puis dans les services et enfin dans l’agriculture. L’agro-industrie pourrait se développer au niveau régional, en particulier si les pays parviennent à s’accorder sur les normes sanitaires et phytosanitaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-bd-pour-se-familiariser-a-lagroecologie-174050">Une BD pour se familiariser à l’agroécologie</a>
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<p><a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200604-l-industrie-pharmaceutique-africaine-en-qu%C3%AAte-souffle">L’émergence du secteur pharmaceutique</a>, apparue nécessaire avec la pandémie Covid-19, dépendra également du progrès sur le chapitre des normes phytosanitaires, mais aussi des accords sur le protocole des droits de propriété intellectuelle. Le secteur du textile pourrait voir se réaliser sur le continent l’entièreté du cycle de production des vêtements, si les pays s’entendent sur les règles d’origine des biens et sur le protocole régissant les investissements.</p>
<p>Les attentes sont également importantes dans les cinq secteurs des services inclus dans l’accord et plus particulièrement pour les services aux entreprises, le tourisme, mais aussi les transports. Les résultats dans ces secteurs seront aussi dépendants des progrès sur les annexes de l’accord liées à la libre circulation des personnes et des protocoles d’accord sur l’investissement et le commerce électronique.</p>
<p>L’étude de la <a href="https://www.worldbank.org/en/topic/trade/publication/the-african-continental-free-trade-area">Banque mondiale</a> indique que la demande de services à des fins d’exportation de biens devrait également progresser et bénéficier de l’instauration de la zone de libre-échange.</p>
<h2>Les défis de l’intégration régionale et de la ZLECAf</h2>
<p>Néanmoins, il faudra relever certains défis afin que la ZLECAf tienne ses promesses de développement économique et parachève cet objectif d’intégration avec des politiques d’accompagnement pour aboutir à une <a href="https://www.collectionreperes.com/l_economie_africaine_2022-9782348073601">transformation structurelle</a> au bénéfice du plus grand nombre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1472099363023376390"}"></div></p>
<ul>
<li><em>Trouver des terrains d’entente entre les 54 États membres</em></li>
</ul>
<p><a href="https://accounts.google.com/b/0/AddMailService">L’agenda UA 2063</a> porte en lui trois objectifs difficilement compatibles pour la mise en place de la ZLECAf. Ces trois objectifs sont une intégration profonde, une large adhésion de pays et une solidarité panafricaine. Cela forme ce que de <a href="https://www.afdb.org/ar/documents/working-paper-342-market-integration-across-africaprogress-and-challenges-ahead"><em>Melo et al</em></a>. appelle le « trilemme » de l’intégration régionale en Afrique. Trouver un équilibre entre un accord avec le maximum de membres hétérogènes et avancer en profondeur sur des questions sensibles tout en offrant un traitement plus favorable aux pays le moins avancés sera déterminant.</p>
<p><em>Gérer l’harmonisation avec les accords régionaux existants sur le continent</em></p>
<p>L’agenda d’intégration régionale ayant été lancé il y a presque trente ans, les pays de l’Union africaine adhèrent à des communautés économiques régionales (CER), qui ont déjà leurs propres règles, et parfois à des organisations (type unions douanières) qui comprennent un niveau d’intégration supérieur à celui de la zone de libre-échange. Il faudra que les CER harmonisent leurs règles de fonctionnement pour être au maximum en cohérence avec celles de la ZLECAf.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-dilemme-des-etats-africains-entre-besoin-dinvestir-et-risque-de-surendettement-131720">Le dilemme des États africains : entre besoin d’investir et risque de surendettement</a>
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<p>La mise en place de la ZLECAf créera des gagnants et des perdants au sein de chaque pays et entre les différents États membres. Un mécanisme de compensation est prévu, mais rien n’est encore élaboré. Nul doute que de la mise en place effective de cet accord dépendra la satisfaction des États membres vis-à-vis de ce mécanisme. Le secrétariat de la ZLECAf anticipe déjà de proposer de l’assistance auprès de chaque État membre pour établir des politiques d’accompagnement, afin d’offrir des compensations à ceux qui bénéficieront le moins économiquement de cet accord. Cela sera nécessaire afin d’éviter des blocages des pays signataires.</p>
<p>Surtout, les ambitions suscitées et les aspirations énoncées par la ZLECAf ne peuvent se concrétiser sans une vraie transformation structurelle – inclusive – des économies africaines. Il faudra d’autres réformes et des politiques d’accompagnement en lien avec les Objectifs de développement durable au niveau national et continental (infrastructures, transformation numérique, énergies renouvelables, genre, éducation) afin que la ZLECAf serve effectivement à la transformation structurelle en faveur d’une plus grande productivité, d’une meilleure croissance et de création d’emplois décents, entre autres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176294/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Gourdon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un an après la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine, quels bénéfices a-t-elle déjà apportés et à quels défis est-elle confrontée ?Julien Gourdon, Economiste, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718592021-11-18T21:33:25Z2021-11-18T21:33:25ZL’OMC joue-t-elle sa survie lors de sa douzième conférence ministérielle à Genève ?<p>Du 30 novembre au 3 décembre 2021 se tiendra, à Genève en Suisse, la douzième conférence ministérielle (CM-XII) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la neuvième du Programme de Doha pour le développement (PDD), lancé en 2001 et initialement censé se conclure en 2005.</p>
<p>Cette conférence ministérielle se tient dans un contexte particulier marqué par l’accentuation de la crise d’efficacité et de légitimité du multilatéralisme commercial. D’une part, l’OMC se révèle incapable de délivrer des accords opérationnels, le dernier (l’Accord sur la facilitation du commerce) date de 2017 et le « joyau de la couronne » multilatérale, à savoir le mécanisme de règlement des différends, reste bloqué depuis décembre 2019 suite aux critiques adressées à son organe d’appel (OA).</p>
<p>D’autre part, l’OMC est contestée et contournée par les initiatives bilatérales et régionales et un retour des pratiques discriminatoires et restrictives avec la crise pandémique. La Conférence ministérielle de Genève sera-t-elle une énième étape dans cette crise ou marquera-t-elle une réelle relance du processus de négociation ?</p>
<h2>Le Covid long… de l’économie mondiale</h2>
<p>Cette douzième conférence ministérielle se déroule alors que le système commercial international subit les <a href="https://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2015/wp1506.pdf">effets récessifs</a> liés à la crise de Covid-19 qui s’agrègent au grand ralentissement consécutif de la crise financière globale de 2007-2009.</p>
<p>Plusieurs facteurs expliquent cette <em>slowbalisation</em>. Outre les crises successives, le rythme de développement des chaînes de valeur globales s’est ralenti et celles-ci se sont réorganisées sur des bases plus régionalisées. Déjà à l’œuvre depuis 2011 suite à la triple catastrophe survenue au Japon et aux inondations en Thaïlande, le phénomène pourrait prendre de l’ampleur, la crise sanitaire ayant entraîné une rupture dans les chaînes d’approvisionnement dommageable pour les firmes, et révélé les vulnérabilités des économies nationales face à ce mode d’organisation de la production.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1250116377924567042"}"></div></p>
<p>Enfin, le retour des logiques de puissance, de souveraineté comme paramètre clé des relations économiques internationales. On assiste à une arsenalisation des interdépendances économiques avec l’affirmation de politiques mercantilistes (productives et technologiques), la sécurisation des enjeux économiques internationaux (sécurité énergétique, alimentaire, sanitaire, climatique, technologique) sur fond de rivalités de puissance et de reconfiguration des alliances stratégiques (nouvelle alliance Indo-Pacifique, rénovation de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, projet chinois de Route de la soie, etc.).</p>
<h2>Multilatéralisme conflictuel</h2>
<p>Comme nous le relevions dans un récent <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02897845">article</a> de recherche, les nouveaux équilibres de puissance ont progressivement érodé la grammaire du système commercial multilatéral fondé sur la non-discrimination (égalité de traitement), la réciprocité et le leadership. Les nouvelles puissances émergentes ne s’inscrivent pas dans une logique d’égalité de traitement – au contraire, elles revendiquent un traitement spécial plus favorable, auquel elles ont d’ailleurs droit – et elles rompent avec le principe du « traitement national » en favorisant, par tout un ensemble de distorsions internes, leurs firmes nationales.</p>
<p>La « réciprocité », elle aussi, est mise à mal, car elle repose sur l’échange de concessions tarifaires alors que, désormais, ce sont les obstacles normatifs et réglementaires qui prévalent, qu’il s’agisse d’investissement, de concurrence, de marchés publics ou de normes sanitaires.</p>
<p>Depuis la crise financière globale de 2008, la puissance installée (États-Unis) est désormais moins disposée au compromis face à la puissance ascendante (Chine). Il semble loin le temps où Washington établissait des relations commerciales « normales et permanentes » (mai 2000) avec la Pékin, condition de son accession l’année suivante à l’OMC (décembre 2001). Qualifiée, depuis 2008, de « rival stratégique », le G7 de Carbis Bay (2021) officialise son statut de « rival systémique, [de] partenaire sur les enjeux globaux et [de] concurrent » économique.</p>
<h2>« Dernière chance »</h2>
<p>C’est dans ce contexte que les États membres préparent la douzième conférence ministérielle, qui aurait qualifiée par la nouvelle directrice générale, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, de <a href="https://www.twn.my/title2/wto.info/2021/ti211023.htm">conférence de la dernière chance</a> où se joue la survie de l’OMC. Cette dramaturgie, traditionnelle dans ce genre de situation, n’en est pas moins révélatrice d’une série d’enjeux sur lesquels les États membres devront trouver des compromis.</p>
<p>Tout d’abord, des enjeux institutionnels. C’est ici la possibilité de résoudre le d’<a href="https://boris.unibe.ch/12178/7/CottierElsig_Governing.pdf">impossibilité décisionnelle</a> qui se pose et, en filigrane, la capacité de relancer le multilatéralisme commercial. Selon ce triangle, il serait impossible d’aboutir à un accord commercial à 164 États membres sur la base du consensus tout en respectant la règle de l’engagement unique (« l’on n’est d’accord sur rien tant que l’on n’est pas d’accord sur tout »).</p>
<p>Même s’il convient d’en relativiser l’importance dans la compréhension des blocages des négociations, ce trilemme a le mérite de préciser les paramètres de la rénovation de l’OMC en tant que système de négociations. À ce titre, l’option plurilatérale semble la plus probable depuis l’adoption des <a href="https://unctad.org/news/developing-countries-and-trade-negotiations-e-commerce#:%7E:text=Over%2080%20members%20of%20the%20World%20Trade%20Organization,conference%20to%20be%20held%20when%20conditions%20so%20permit.">Joint Statement Initiatives</a> (JSI) en 2017 par des groupes restreints de pays (le Groupe d’Ottawa, en particulier) comme moyen d’avancer certaines négociations. Ainsi, en parallèle aux « accords de consensus », une place plus conséquente serait faite aux « accords de masse critique » ouvrant la voie à une OMC à géométrie variable, centrée sur des négociations sectorielles.</p>
<p>Ce multilatéralisme comme emboîtement d’accords plurilatéraux permettrait de prendre compte l’hétérogénéité structurelle et le pluralisme institutionnel qui caractérisent, désormais, le système des échanges internationaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1036839773548232706"}"></div></p>
<p>Le second enjeu institutionnel est celui de la réforme de la procédure de règlement des différends. Les États membres devront trouver un compromis faute de quoi l’efficacité et la légitimité de l’OMC seront mises à rude épreuve. La Conférence ministérielle actera-t-elle un projet de réforme de la procédure d’appel ou celui du renforcement des disciplines ? C’est cette seconde option qui semble rencontrer le soutien des principales économies, Chine exceptée. Toutefois, un consensus semble inatteignable d’ici fin novembre sur le dossier de la réforme de la procédure de règlement des différends.</p>
<p>Ensuite, les enjeux de négociations, c’est-à-dire l’avenir du PDD. Soit y mettre un terme au risque de décrédibiliser le système, particulièrement aux yeux des pays en développement (PED) et des pays les moins avancés (PMA). Soit les États membres se contentent, à l’instar de ce qui a cours depuis 2009, de formules incantatoires sans lendemain sur la nécessité de conclure ce cycle. Scénario tout aussi préjudiciable.</p>
<p>La CM-XII pourrait acter la mutation du PDD en une série de négociations, plus ou moins en rapport avec le programme original, reflétant les intérêts des puissances majeures, à savoir les 7 pays conviés aux réunions salon vert ces dernières semaines : États-Unis, Union européenne, Chine, Inde, Australie, Brésil, Afrique du Sud.</p>
<h2>Transformations structurelles</h2>
<p>En raison de la conjoncture, une déclaration sur la garantie d’un accès rapide et équitable aux vaccins et aux produits essentiels pour la lutte contre le Covid-19 sera adoptée. En revanche, celle concernant une dérogation de trois années à certaines dispositions de l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle concernant les vaccins et traitements anti-Covid-19 sera difficile à obtenir.</p>
<p>Il est, également, attendu une décision sur l’agriculture, étalon de mesure du succès ou non des ministérielles. Sur les huit dossiers de la négociation (accès aux marchés, supports internes, concurrence à l’exportation, restrictions aux exportations, coton, stock public pour sécurité alimentaire, mécanisme de sauvegarde spécial pour les PED et transparence), les trois derniers pourraient donner lieu à un texte, peu d’avancées sont attendues pour les autres.</p>
<p>De même, une configuration favorable à une ministérielle « ambitieuse » en matière d’environnement semble se dessiner. Une décision sur les subventions à la pêche préjudiciable et une initiative sur le commerce écologiquement durable des plastiques sont attendues. Des déclarations relatives au rôle des politiques commerciales dans la lutte contre les changements climatiques, la sécurité alimentaire, les systèmes alimentaires durables et la restauration de la biodiversité ainsi que sur la libéralisation des biens et services environnementaux pourraient figurer dans la déclaration finale.</p>
<p>Enfin, les enjeux systémiques qui portent sur la finalité de la gouvernance multilatérale des échanges. Quel modèle de globalisation devrait promouvoir l’OMC à l’aune de la triple crise économique, écologique et sanitaire qui se déploie actuellement et dans les années à venir ?</p>
<p>Le modèle historique d’ouverture des marchés et de démantèlement des protections au-delà des frontières selon le principe de réciprocité en vue d’accroître les exportations n’est plus opérationnel au regard des transformations structurelles et géopolitiques produites par la globalisation. La CM-XII pourrait être l’occasion d’ouvrir une réflexion, pas uniquement, sur des réformes de procédures, mais également sur la finalité de la gouvernance commerciale multilatérale.</p>
<p>La lutte contre les changements climatiques et leurs effets devrait-elle être au centre des nouvelles négociations ? La réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) devrait-elle en constituer l’objectif premier de l’OMC ? De fait, savoir si le régime commercial de l’OMC est un levier ou un obstacle à une globalisation praticable socialement et écologiquement et à quelles conditions il pourrait l’être semble un préalable à tout réinvestissement dans le cadre multilatéral.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171859/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehdi Abbas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Organisation mondiale du commerce se réunira fin novembre pour tenter de lever des points de blocage qui subsistent depuis des années.Mehdi Abbas, Maître de conférence, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1706712021-10-28T19:00:19Z2021-10-28T19:00:19ZLa « sortie des traités » est-elle vraiment possible ?<p>Des candidats à l’élection présidentielle invoquent, pour certains, « la révision des traités » et, pour d’autres, la <a href="https://www.20minutes.fr/politique/3151051-20211019-presidentielle-2022-asselineau-zemmour-passant-lr-elan-eurosceptique">« sortie des traités »</a>. Pour les uns comme pour les autres, sans que la chose soit mentionnée, il s’agit du « traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (TFUE) qui impose notamment des objectifs de déficit public à ne pas dépasser. Il y a 10 ans, François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, avait retenu <a href="https://www.luipresident.fr/francois-hollande/engagement/renegocier-traite-europeen-en-privilegiant-croissance-et-lemploi-et-en">l’idée d’une révision</a> qu’il n’a été à aucun moment capable d’imposer.</p>
<p>Penser que les marges de manœuvre du gouvernement sont limitées par le seul traité européen serait pourtant une idée réductrice et partiellement inexacte. Nous sommes en effet engagés par d’autres textes que nous avons signés, mais aussi par la <em>soft law</em> d’organisations internationales, que nous intégrons dans notre droit interne.</p>
<h2>Lutte contre le protectionnisme</h2>
<p>L’<a href="https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/marrakesh_decl_f.htm">accord de Marrakech</a>, du 15 avril 1994, fait de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) une institution qui gouverne les relations commerciales internationales. Ses objectifs sont de libéraliser ces relations et de lutter contre le protectionnisme. Il s’agit en outre de multilatériser ces relations.</p>
<p>L’accord met en place un abaissement général et progressif des droits de douane. Il interdit les restrictions quantitatives et s’inscrit de plain-pied dans une économie libérale. L’OMC est ainsi l’outil de régulation du commerce mondial dans une économie qui pratique le libre-échange. L’agriculture comme le commerce des textiles, les investissements liés au commerce comme le domaine intellectuel sont concernés.</p>
<p>On peut penser, par exemple, qu’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne pourrait entraîner une distorsion de concurrence, dans la mesure où les pays les plus démunis n’ont pas obligatoirement accès aux technologies leur permettant de réduire l’intensité carbone dans leur production. Ce serait, en outre, une forme de protectionnisme. L’OMC pourrait avoir à en connaître. La solution n’est pas régionale, mais mondiale avec un prix mondial du carbone.</p>
<p>La France signataire de l’accord se doit de le respecter, sauf à le dénoncer. Actuellement, les membres de l’OMC ont des points de vue qui peuvent être rapprochés, quand ils ne sont pas franchement antagonistes, concernant le commerce électronique, l’investissement ainsi que la promotion du développement des petites entreprises. Si l’on ne prend pas le parti de sortir de l’OMC, alors il faudra donc que les candidats à l’élection présidentielle formulent des propositions ambitieuses.</p>
<h2>Co-production de standards</h2>
<p>De même, l’organisation administrative mondiale, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et l’instance politique, le G20, forment un couple qui fait que nous sommes dans une co-production de standards internationaux. Les pays observateurs (Chine, Brésil…) sont très largement associés à la réflexion comme à l’élaboration de standards internationaux. La <em>soft law</em> a largement fait preuve de son efficacité car les ensembles régionaux, dont l’Union européenne, et les États finissent sans contrainte par intégrer dans leur droit interne les préconisations de l’organisation internationale.</p>
<p>Le droit fiscal international fait l’objet, depuis la crise de 2008, d’une profonde réécriture. La France, comme d’autres, s’approprie le plan Base Erosion and Profit Shifting (<a href="https://lnkd.in/dQG6He7J">BEPS</a>) qui impacte toute la fiscalité internationale. Avec la signature puis la ratification de la Convention multilatérale, même si nous avons posé quelques réserves, c’est tout notre réseau de conventions fiscales internationales qui se trouve actualisé. L’OCDE a élaboré toute une série de standards internationaux, en matière de transparence comme en matière d’<a href="https://lnkd.in/dQG6He7J">échange d’informations à des fins fiscales</a>, que nous avons intégré dans notre droit comme dans nos pratiques.</p>
<p>Il semble donc pour le moins difficile de remettre en cause l’ensemble de ce processus qui est planétaire – même si une élection présidentielle peut profondément modifier le paysage politique.</p>
<h2>Politique d’accompagnement</h2>
<p>Mais ce sont surtout les traités concernant l’Union européenne qui cristallisent les passions. Bien souvent c’est un moyen commode pour les responsables politiques de s’exonérer et de faire porter la responsabilité aux instances communautaires. C’est de la faute de Bruxelles !</p>
<p>Quand on a pour ambition de créer un espace sans frontières, on songe à la liberté des hommes, des capitaux et des marchandises de pouvoir circuler librement. Dès lors, la politique fiscale est conçue comme une politique d’<a href="https://lnkd.in/dQG6He7J">accompagnement</a> à la création d’un marché commun puis du marché intérieur, comme nous l’avions souligné dans nos recherches. L’idéologie dominante au sein de l’Union européenne reste d’affirmer que le bon fonctionnement du marché intérieur implique une concurrence, qui doit être libre et non faussée, par des pratiques d’origine publique ou privée en favorisant ou désavantageant certaines entreprises.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428525/original/file-20211026-25-1lcz7ga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428525/original/file-20211026-25-1lcz7ga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428525/original/file-20211026-25-1lcz7ga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428525/original/file-20211026-25-1lcz7ga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428525/original/file-20211026-25-1lcz7ga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428525/original/file-20211026-25-1lcz7ga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428525/original/file-20211026-25-1lcz7ga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le château de La Muette, à Paris, héberge aujourd’hui le siège de l’OCDE.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/marsupilami92/7999475319">Patrick Janicek/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Les États membres, quand ils proposent un dispositif fiscal visant un secteur d’activités ou une activité particulière, doivent donc admettre l’obligation qui leur est faite de respecter le droit de l’Union, mais aussi de ne pas fausser la concurrence. Pour cela, la Cour de justice joue son rôle et s’assure que les États membres respectent les traités, n’hésitant pas à censurer des dispositifs nationaux votés par des assemblées nationales et parfois validés par les conseils ou cours constitutionnels.</p>
<h2>Engagements dans une économie mondialisée</h2>
<p>La France, comme le reste du monde, s’inscrit dans le cadre du marché mondial régulé, avec plus ou moins de bonheur, par l’OMC. Elle met dans son droit positif les standards internationaux de l’OCDE. Elle intègre le droit de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme.</p>
<p>Évidement, on peut toujours décider qu’il serait préférable d’avoir, concernant <a href="https://lnkd.in/dQG6He7J">l’impôt sur le revenu</a>, une imposition individuelle et non plus une imposition dans le cadre du foyer fiscal. On peut aussi décider aussi d’une réforme de la fiscalité locale ou d’avoir, ou non, des droits de succession et un impôt sur la fortune – encore que l’OCDE a formulé récemment des <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/les-impots-sur-les-successions-et-les-donations-pourraient-jouer-un-role-plus-important-pour-reduire-les-inegalites-et-ameliorer-les-finances-publiques.htm">recommandations</a> afin d’améliorer le rendement budgétaire des droits de succession et de donation. Mais les politiques fiscales sont, pour l’essentiel, définies dans des instances de <em>soft law</em> (OCDE) ou dans un cadre régional (Union européenne).</p>
<p>Les procédures sont parfaitement respectées. Les lois de finances sont présentées dans les formes requises. Le Conseil constitutionnel fait son œuvre. Il y a bien longtemps que le parlement ne fait plus la loi fiscale, ce qui ne lui interdit pas de voter le budget dans les délais et les formes requises.</p>
<p>Par conséquent, la question de savoir s’il faut réviser, ou sortir des traités, n’est qu’un aspect réducteur d’une problématique plus générale qui est d’apprécier les conséquences, à plus ou moins long terme, des engagements de la France dans une économie mondialisée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Lambert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>OMC, OCDE… Au-delà des textes européens, la France est engagée dans un certain nombre de cadres juridiques internationaux dont elle a co-produit les standards.Thierry Lambert, Professeur de droit fiscal, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1633822021-07-04T17:18:51Z2021-07-04T17:18:51ZLes nouvelles relations économiques entre l’UE et la Chine<p>L’Union européenne a récemment adopté son nouveau programme-cadre de recherche et d’innovation, intitulé <a href="https://www.horizon-europe.gouv.fr/">« Horizon Europe »</a>. Celui-ci prévoit de financer une action stratégique originale : « Upgrading independant knowledge on contemporary China in Europe ». L’objectif est de soutenir des travaux de chercheurs en sciences sociales qui permettront de décrypter la Chine pour permettre des échanges et collaborations sécurisés en matière commerciale entre acteurs du monde socio-économique ; c’est-à-dire des échanges qui ne seront pas victimes de stratégies, traditions ou politiques chinoises méconnues et gênantes en matière commerciale.</p>
<p>La Chine a changé et n’est plus le « pays en développement » parfois décrit dans le passé. En dehors de son importance dans les échanges commerciaux avec l’Europe, elle constitue un acteur avec lequel les relations se sont intensifiées dans les domaines de la recherche et développement ou dans celui des technologies. Pour l’UE, la Chine est à la fois un partenaire et un concurrent économiques, et un rival ou une alternative en <a href="https://ecfr.eu/paris/publication/definir_la_rivalite_systemique_leurope_et_la_chine_au_dela_de_la_pandemie/">matière de système et de gouvernance</a>.</p>
<h2>Les objectifs du partenariat</h2>
<p>L’objectif premier de l’UE est d’être unie face au géant chinois. En mars 2019, la Commission européenne a publié un <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/communication-eu-china-a-strategic-outlook.pdf">plan stratégique vis-à-vis de la Chine</a> comprenant des actions concrètes comme, par exemple :</p>
<ul>
<li><p>Défendre les objectifs des Nations unies en matière de droits de l’homme, de paix et de sécurité ;</p></li>
<li><p>S’engager dans la baisse des émissions de CO<sub>2</sub> pour le climat (la Chine étant à la fois le premier émetteur, un constructeur de centrales de charbon dans d’autres pays, mais aussi le pays qui investit le plus dans les énergies renouvelables) ;</p></li>
<li><p>S’entendre avec la Chine pour assurer la paix et la sécurité dans des zones ou pays où Pékin a une influence comme l’Iran, la Corne de l’Afrique, la Corée du Nord ou encore le golfe d’Aden. Les conflits potentiels sont nombreux, y compris en mer de Chine ;</p></li>
<li><p>Trouver une réciprocité dans les échanges commerciaux en évitant le protectionnisme ou les soutiens excessifs aux industries locales (en passant par le biais de l’OMC), tout comme les difficultés liées à la propriété de l’État sur certaines entreprises ;</p></li>
<li><p>Tenir compte dans les marchés publics non pas du seul critère du prix, mais aussi de l’environnement de travail ;</p></li>
<li><p>Renforcer la sécurité liée aux nouvelles technologies (comme la 5G) pour éviter le piratage et l’espionnage.</p></li>
</ul>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1301854195709095936"}"></div></p>
<p>Le but de ce plan est d’adopter à l’égard de la RPC une approche moins « naïve », plus pragmatique et plus réaliste, sans pour autant céder à la surenchère, l’escalade ou la guerre commerciale. L’équilibre est donc difficile à trouver. Mais il est vrai que sur chacun des points ci-dessus, les exemples abondent d’échecs européens. Globalement, la Chine a capté de nombreux marchés en adoptant des règles de fonctionnement qui lui ont permis d’exercer une <a href="https://www.challenges.fr/economie/la-concurrence-deloyale-chinoise-dans-le-viseur-de-l-ue_763381">« concurrence déloyale »</a>. Pour maintenir ses échanges avec Pékin, l’Union européenne doit donc adopter une stratégie plus offensive.</p>
<h2>Les leçons du passé</h2>
<p>Historiquement, les premières relations diplomatiques se sont établies en 1975. Un premier plan de partenariat stratégique a été adopté en 2003. D’autres ont suivi, jusqu’au récent plan <a href="https://eeas.europa.eu/archives/docs/china/docs/eu-china_2020_strategic_agenda_en.pdf">« EU-China 2020 Strategic Agenda for Cooperation »</a>, adopté en 2013.</p>
<p>Celui-ci, aujourd’hui remplacé par de nouveaux objectifs, restait très politique et peu économique. Les domaines traités portaient sur la paix, sécurité, l’information, l’urbanisation, le climat, le progrès social, la culture, l’éducation… Certes, les grands secteurs comme le transport, l’aéronautique, l’énergie, l’agriculture et plus généralement la science et l’innovation étaient aussi abordés, mais souvent de façon succincte pour indiquer que les deux entités coopéreront et développeront des « initiatives conjointes » (laboratoires conjoints, échanges de données, etc.).</p>
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<p>Finalement, il semble au bout de quelques années que cela se soit fait au profit de la Chine. L’exemple du développement de l’aéronautique ou des biotechnologies en Chine montre que les pays occidentaux ont plus perdu que gagné, aussi bien en termes de parts de marché que de transfert technologique.</p>
<p>Au début des années 2000, la France a par exemple vendu des centaines d’Airbus A320 lors de contrats signés pendant des visites officielles, avec comme contrepartie la production et l’assemblage en Chine avec transfert de connaissances. Aujourd’hui, la China Commercial Aircraft Corporation est capable de <a href="https://www.deplacementspros.com/transport/lavion-de-ligne-chinois-c919-certifie-en-2021">produire un nouvel avion C919</a>, qui sera directement concurrent de l’Airbus A320. Le certificat de navigabilité pourrait arriver cette année et près d’un millier de commandes ont déjà été passées.</p>
<h2>Les relations et instruments d’aujourd’hui</h2>
<p>Par ailleurs, malgré ces plans stratégiques, les relations économiques restent tributaires des événements liés à l’actualité.</p>
<p>Même si le dernier plan évoque la situation du Xinjiang (région autonome ouïghoure), quelques paroles en conférence de presse peuvent détériorer les relations. Récemment, les <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/ue/l-union-europeenne-s-entend-sur-des-sanctions-contre-la-chine-pour-le-traitement-des-ouighours-7190079">sanctions européennes liées au sort des Ouïghours</a> ont provoqué la colère de la Chine, laquelle a réagi par des <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210322-ou%C3%AFghours-en-r%C3%A9ponse-%C3%A0-l-ue-la-chine-sanctionne-dix-europ%C3%A9ens">contre-sanctions</a> qui peuvent aller au-delà de la sphère diplomatique et se solder par la remise en cause d’accords commerciaux et notamment de l’<a href="https://trade.ec.europa.eu/doclib/press/index.cfm?id=2237">« Accord global sur les investissements »</a>. Or, ces avancées sont cruciales sur le plan économique. Par exemple, les entreprises allemandes (Volkswagen, Siemens, BMW) ou françaises (banques notamment) en attendent beaucoup.</p>
<p>Par ailleurs, la Chine reste très ferme sur sa volonté de mettre en œuvre sa fameuse « Belt and Road Initiative », et les pays d’Europe de l’Est se trouvent sur le chemin. D’ailleurs, les relations avec l’Union européenne sont souvent dénommées « 17+1 » (ou 16+1) en comptant les pays de l’Est comme un seul, ce qui permet à la Chine de négocier directement avec eux.</p>
<p>D’autres différends sur la 5G et Huawei ou sur l’origine du Covid viennent également perturber ces relations. Les Européens Nokia et Ericsson pourraient fournir à l’UE les infrastructures de la 5G, mais Huawei est mieux placé sur le plan qualité/prix. Aussi, au-delà de ces questions économiques, les choix politiques entrent en compte, notamment en ce qui concerne les <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_1378">conditions de sécurité</a>, comme celles liées à la protection des données ou au risque d’espionnage. Avec le langage diplomatique, on indique que l’UE ne s’oppose à aucune entreprise mais doit éviter la dépendance vis-à-vis de fournisseurs à risques… La Chine, elle, y voit un protectionnisme déguisé.</p>
<p>Malgré tout, les échanges commerciaux sont importants : l’UE est la deuxième puissance commerciale et le plus grand exportateur de produits et services. À eux trois, la Chine, l’Europe et les États-Unis représentent 46 % du commerce international de marchandises en 2019. Les échanges de biens (exportations et importations) de l’UE avec le reste du monde représentent environ 15 % du commerce mondial. Pour les biens, les premiers partenaires de l’Europe en matière d’exportation sont les États-Unis (406 milliards) puis la Chine (210 milliards), et en matière d’importation la Chine (394 milliards) puis les États-Unis (267 milliards) d’après Eurostat :</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=863&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=863&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=863&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Chine UE.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En matière commerciale, la Commission européenne négocie les accords de libre-échange avec le reste du monde, mais les États membres ont leur mot à dire, à travers le Conseil de l’UE (consulté) et le Parlement (qui dispose d’un droit de veto). L’objectif officiel de l’UE est fixé dans le <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A12016E206">Traité de Fonctionnement de l’Union européenne</a> qui précise dans son article 206 :</p>
<blockquote>
<p>« L’Union contribue, dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres. »</p>
</blockquote>
<p>De ce fait, la politique économique avec la Chine est tournée, comme pour d’autres zones géographiques (Canada, Japon…) vers des négociations visant le développement des échanges et non le protectionnisme. Néanmoins, l’UE s’est dotée d’outils de défense contre les pratiques déloyales avec un droit de la concurrence très poussé. Les exemples de sanctions contre des firmes américaines (géants du numérique) sont emblématiques de ce pouvoir.</p>
<p>En outre, l’UE a intégré à sa nouvelle <a href="https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2021/february/tradoc_159438.pdf">stratégie commerciale</a> adoptée en février 2021 appelée « Trade policy review : An open, sustainable and assertive trade policy » le respect des accords de Paris sur le climat et le respect des normes européennes (environnementales par exemple). Sans viser explicitement la Chine, ces règles sont un moyen d’orienter la politique économique. </p>
<p>Elles s’accompagnent d’instruments de défense commerciale cités précédemment. L’antidumping en est l’exemple type. Un produit est considéré comme bénéficiant de dumping lorsque son prix de vente en Europe est inférieur au prix dans le pays exportateur. Cette pratique qui vise à capter des marchés afin de se retrouver en position dominante est souvent reprochée à la Chine. La législation européenne vise donc aujourd’hui à accélérer la prise de décision avant qu’il ne soit trop tard car les marchés et prises de parts évoluent très vite.</p>
<p>Un exemple récent peut être cité avec les <a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/defense-commerciale-les-instruments-europeens/">chaussures en cuir importées de Chine</a>. En 2006, pour contrer ce dumping, l’UE a pris des mesures radicales en appliquant des droits de douane de 19,4 % aux exportateurs chinois au motif qu’ils bénéficiaient de subventions étatiques contraires aux règles de l’OMC.</p>
<p>Pour conclure, l’UE entend montrer sa force dans ses relations économiques avec la Chine. Pour cela, en plus des discussions bilatérales, elle s’efforce de jouer un rôle moteur au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en donnant un rôle de négociateur à la Commission pour l’ensemble des États membres et s’exprimer d’une seule voix lors de la négociation de traités commerciaux, au lieu de se ranger derrière les États-Unis ou de partir en ordre dispersé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163382/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Aymard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à la montée en puissance de la Chine, l’Union européenne cherche à la fois à ménager ce partenaire majeur et à ne pas le laisser agir totalement à sa guise. Un équilibre difficile.Stéphane Aymard, Ingénieur de Recherche, La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1591492021-04-19T17:18:44Z2021-04-19T17:18:44ZUE : les trois limites du projet de taxe carbone aux frontières<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/395441/original/file-20210416-17-117w7si.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3792%2C2393&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ce projet s’intègre dans le cadre, à la fois, de sa nouvelle stratégie commerciale et du «&nbsp;Green Deal&nbsp;» («&nbsp;pacte vert&nbsp;»), visant à faire de l’Europe, d’ici à 2050, le «&nbsp;premier continent neutre en carbone&nbsp;».
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/strasbourg-france-march-20-exterior-european-169958063">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En mars dernier, le Parlement européen a voté le principe d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Ce projet de taxe carbone aux frontières s’intègre dans le cadre, à la fois, de sa <a href="https://ec.europa.eu/france/news/20210218/politique_commerciale_ouverte_durable_ferme_pour_l_union_europeenne_fr">nouvelle stratégie commerciale</a>, intitulée <em>Une politique commerciale ouverte, durable et volontaire</em>, et du « Green Deal » (« pacte vert »), visant à faire de l’Europe, d’ici à 2050, le <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0071_FR.html">« premier continent neutre en carbone »</a>.</p>
<p>Le texte indique que le MACF devra être non discriminant, c’est-à-dire respecter les articles I (clause de la nation la plus favorisée) et III (traitement national) des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et être compatible avec les dispositions de l’Article XX (les exceptions générales), particulièrement ne pas générer de distorsions aux échanges.</p>
<p>Afin d’éviter d’être associé à une restriction quantitative aux échanges (prohibée par l’OMC), le dispositif n’impose ni l’achat de quotas, ni la participation à un marché parallèle réservé aux importateurs. De fait, le mécanisme s’apparenterait à une taxe à l’importation calculée en fonction du contenu carbone des importations et dont le taux serait fixé en fonction du prix de la tonne de CO<sub>2</sub> dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission (SEQE).</p>
<p>Trois réserves peuvent toutefois être émises sur ce projet. Il n’est en effet pas certain que les précautions citées précédemment suffisent à ce que le MACF soit adopté, soit compatible avec le régime OMC, et soit effectif.</p>
<h2>La décarbonation sacrifiée ?</h2>
<p>La première concerne l’effectivité de la mesure. En indiquant que le MACF doit inciter à la fois à décarboner, à améliorer la compétitivité des produits européens tout en ne nuisant pas aux opportunités commerciales de l’Union européenne (UE), nous sommes au cœur du trilemme globalisation-compétitivité-commerce.</p>
<p>Selon la recherche, il n’est <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w10090/w10090.pdf">pas possible</a> d’obtenir simultanément une économie globalisée, s’appuyant sur des stratégies d’ouverture compétitive tout en étant sur une trajectoire ambitieuse de décarbonation. Du Sommet de la Terre de Rio de 1992 à l’Accord de Paris de 2015, la gouvernance climatique internationale s’interprète comme un arbitrage, constamment réaffirmé, en faveur d’une globalisation, dont l’un des moteurs est les politiques de compétitivité, au dépens de l’angle décarbonation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1239395118173618176"}"></div></p>
<p>La nouvelle stratégie ne tranche pas ce dilemme : elle affirme que l’accès au marché intérieur de l’UE sera un levier pour amener les partenaires à accroître leurs efforts en matière climatique et environnementale. En parallèle, elle réaffirme la doctrine libre-échangiste et le fait que la politique commerciale est un soutien à la politique de concurrence. La décarbonation sera-t-elle dès lors sacrifiée une nouvelle fois sur l’autel de la <em>realpolitik</em> commerciale ?</p>
<p>La deuxième réserve renvoie à la compatibilité avec le régime OMC. Ce dernier n’a pas de doctrine fixe concernant les mesures d’ajustement aux frontières.</p>
<p>Trois points méritent d’être rappelés. Primo : une mesure d’ajustement aux frontières ne peut s’appliquer que vis-à-vis de pays présentant une « situation similaire » ou des « conditions comparables ». Cela exclurait les pays les moins avancés (PMA) mais également les pays en développement (PED) tels les émergents, cette catégorie n’existant pas à l’OMC.</p>
<p>Deuxio : le MACF risque de buter sur le test de nécessité selon lequel, pour qu’une mesure soit tolérée, il faut démontrer qu’elle est nécessaire à défaut de tout autre dispositif à la réalisation des objectifs énoncés par le régulateur.</p>
<p>Ne perdons pas de vue que l’article 3.5 de la <a href="https://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf">Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques</a> (CCNUCC) empêche le recours aux mesures commerciales pour atteindre les objectifs de politique climatique. Aussi, le MACF ne peut être la seule option de l’UE pour décarboner les échanges, comme nous l’avions souligné dans un <a href="https://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/mehdi_abbas_decarbonizing_trade_policy.pdf">article de recherche</a> récent.</p>
<p>Tertio : l’OMC étant une organisation conduite par ses membres, la compatibilité d’un MACF dépendra, en dernier ressort, du consensus des États membres.</p>
<p>C’est pourquoi l’UE devra engager une diplomatie du consensus building et engager une procédure au titre de l’article IX.3 de l’accord instituant l’OMC. La prochaine conférence ministérielle qui se tiendra à Genève en novembre 2021 pourrait être l’occasion d’avancer dans ce sens.</p>
<h2>Une piste prometteuse mais problématique</h2>
<p>La troisième réserve porte sur l’articulation avec le SEQE. Deux éléments doivent être gardés à l’esprit pour la comprendre.</p>
<p>Le premier est que la mise en place d’un MACF implique la fin de la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/systeme-dechange-quotas-demission">gratuité des quotas d’émission</a> aujourd’hui en vigueur. Celle-ci devrait intervenir en 2030, mais si la mesure entre en vigueur en 2022, le SEQE devra être réformé au risque que l’UE soit attaquée pour double protection de ses producteurs : ils ne paient pas pour leurs émissions et ils sont protégés par le MACF.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La mise en place d’un MACF devra s’accompagner d’une réforme du SEQE, afin d’empêcher la double protection des producteurs européens.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/factory-pipe-polluting-air-smoke-chimneys-534462514">Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Ce dernier pourrait même inciter les firmes les plus émettrices à localiser leurs sites en Europe. Paradoxe climatiquement intenable.</p>
<p>Le second élément renvoie à la comptabilité carbone des importations : comment calculer, en l’absence de toute méthodologie consensuelle internationale, l’empreinte carbone des biens importés/produits hors de l’UE. Le projet laisse entendre que les importateurs devraient avoir la possibilité de prouver que la teneur en carbone de leurs produits est inférieure à celle de leurs équivalents européens.</p>
<p>Certes, mais quelle institution certifiera cette information et selon quelles modalités de calcul ? Faut-il se limiter au produit en tant que tel ou inclure les procédés et méthodes de production, et le bilan carbone des entrants et le prix local du carbone ? Le chantier est immense et d’une redoutable complexité.</p>
<p>L’option d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE représente une piste à la fois prometteuse et problématique. Elle est prometteuse car le projet entend compléter la stratégie de décarbonation de l’UE, accompagner la révision du système européen des quotas d’émissions (acter la fin de leur gratuité) et contribuer à la réindustrialisation décarbonée de l’économie européenne.</p>
<p>Elle est cependant problématique car la géoéconomie du carbone et les nouveaux rapports de puissance dans l’économie globale la rendent hautement conflictuelle. Le mécanisme implique en effet une action au niveau multilatéral (OMC), susceptible d’en retarder l’adoption et/ou de grandement en neutraliser les effets.</p>
<p>Le projet de taxe carbone aux frontières dépendra donc, dans une large mesure, de la capacité de l’Europe à construire un consensus international, c’est-à-dire à convaincre et à peser sur les rapports de force, talon d’Achille de l’UE.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159149/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehdi Abbas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Effectivité, compatibilité avec les textes de l’OMC, calcul de l’empreinte carbone… Le dispositif voté par les eurodéputés en mars dernier laisse plusieurs questions essentielles en suspens.Mehdi Abbas, Maître de conférence, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1502172020-11-19T23:29:08Z2020-11-19T23:29:08ZL’UE a-t-elle de bonnes raisons de se réjouir de l’élection de Joe Biden ?<p>À l’annonce de l’élection de Joe Biden comme 46e président des États-Unis, le soulagement était palpable dans les capitales européennes. Il est vrai que sous le tandem Obama-Biden (2008-2016), les États-Unis considéraient toujours les Européens comme des alliés, ce qui n’était plus le cas lors de la présidence Trump (2016-2020).</p>
<p>Pour autant, le retour de Joe Biden au pouvoir est-il si favorable aux Européens ?</p>
<h2>De l’URSS comme ennemi commun aux divergences sur le climat</h2>
<p>Commençons par un dossier fondamental : la lutte contre le changement climatique. Les Européens se réjouissent du <a href="https://www.facebook.com/joebiden/photos/on-day-one-ill-rejoin-the-paris-agreement-and-then-rally-the-world-to-push-our-p/10157381578471104/">retour annoncé des États-Unis dans les Accords de Paris</a>. Il ne faudrait pas oublier, pour autant, que ces Accords de Paris, signés en 2016 et souvent présentés comme une grande victoire pour l’humanité entière, ont surtout consisté à tenter de réparer les conséquences du désastreux <a href="https://www.lemonde.fr/le-rechauffement-climatique/article/2009/12/19/la-bilan-decevant-du-sommet-de-copenhague_1283070_1270066.html">sommet de Copenhague de 2009</a> sur le climat. À Copenhague, Barack Obama et le premier ministre chinois Wen Jiabao avaient <a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/conclusion_conference_compenhague_9232.php4">enterré le protocole de Kyoto</a> qui faisait, depuis 1997, la fierté des Européens. Lors du sommet climatique de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Protocole_de_Kyoto">Kyoto</a>, un grand nombre de pays industrialisés s’étaient engagés sur la voie d’un mécanisme mutuellement contraignant de réduction des gaz à effet de serre. Les accords de Paris ont pérennisé cet abandon. </p>
<p>Copenhague – un sommet tenu, soulignons-le, alors que Joe Biden était le vice-président des États-Unis –, marque le début d’une dissonance entre les alliés américains et européens sur la manière de voir et d’orienter la mondialisation, ces derniers promouvant une régulation par des normes juridiques multilatérales si possible contraignantes et à vocation mondiale. C’est de ce moment que date la focalisation américaine sur sa relation de compétition et d’interdépendance avec la Chine et l’apparition de l’idée d’une sorte de G2 de fait. L’accord sino-américain sur le dos des Européens à Copenhague témoigne aussi du recul de la recherche d’un intérêt global dans les motivations des puissances mondiales, et de la montée du <a href="https://www.cairn.info/le-reflux-de-l-europe--9782724614619-page-49.htm">souverainisme</a>, c’est-à-dire, selon Zaki Laïdi, d’une absence de vision globale du monde et d’une action surtout motivée par l’intérêt particulier (national). La fin des années 2000 révèle une divergence entre une Union européenne universaliste et des États-Unis travaillés par un souverainisme déjà au pouvoir en Chine, en Russie, en Turquie et sur le point d’y parvenir en Inde et au Brésil.</p>
<p>Les années 2008-2016 doivent ainsi nous alerter sur la future administration Biden : bien qu’attaché au multilatéralisme, aux alliances et à l’idée d’une responsabilité mondiale des États-Unis, le duo Obama-Biden a dans les faits souvent négligé cette dernière pour se centrer sur les intérêts de la société et de l’économie américaines : dollar sous-évalué, <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/sanctions-contre-liran-le-cauchemar-des-entreprises-francaises-144617">procès</a> intentés à des dirigeants d’entreprises européens dans le cadre de l’embargo visant l’Iran, <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Entreprises/Airbus-coup-dune-enquete-corruption-%C3%89tats-Unis-2018-12-20-1200990935">mise en accusation d’Airbus</a>…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ghC1yGEbpJ0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Rien de neuf, cela dit. Dans les crises des années 1970, l’administration du président Nixon et de son secrétaire d’État Kissinger prit une <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/truman-nixon-obama-les-rapports-tortures-entre-les-etats-unis-et-leurope">série de décisions unilatérales peu soucieuses des intérêts des Européens</a> (notamment dans les secteurs monétaire et commercial). Toutefois, durant la guerre froide (1947-1991), face à l’impérialisme soviétique, Américains et Européens étaient toujours, <em>in fine</em>, d’accord sur l’essentiel. La convergence des intérêts américains et européens était alors très forte : ils avaient un ennemi commun, l’URSS.</p>
<p>Aujourd’hui, et c’est heureux, ni les Européens ni les Américains n’ont plus d’ennemis – au sens classique d’un État représentant pour eux un danger existentiel. La Chine est un adversaire commun ; c’est tout de même différent. Et les acteurs qui se déclarent plus ou moins ouvertement ennemis des Occidentaux utilisent les « armes des faibles » : le terrorisme (Daech, Al-Qaïda), ou le conflit asymétrique ou gelé dans le voisinage de l’Europe (des conflits entretenus par la Russie en Ukraine et en Transcaucasie ; par la Turquie à Chypre, en Libye et au Karabakh ; par l’Iran en Palestine et au Liban). Avec le retour d’une administration démocrate, le pouvoir de nuisance de ces acteurs est de nature à renforcer le lien transatlantique car il s’en prend aux valeurs qu’Américains et Européens ont en commun.</p>
<p>Trump, depuis 2016, avait <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1237247/entre-trump-et-les-europeens-quatre-ans-de-desamour.html">détourné</a> les États-Unis de cette communauté de valeurs avec les Européens : c’est sans précédent depuis 1941. Peut-être cela se reproduira-t-il au XXIe siècle, l’avenir le dira. Mais pas durant le mandat de Joe Biden. Avec lui, les États-Unis vont <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20201107-joe-biden-pr%C3%A9sident-le-retour-multilat%C3%A9ralisme-made-in-usa">réinvestir les institutions multilatérales</a> et l’OTAN <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20201115-joe-biden-et-l-otan">ne sera plus « en état de mort cérébrale »</a>. Rappelons que le « pivot vers l’Asie » qu’avait enclenché l’administration Obama ne l’avait pas empêchée de <a href="https://www.voaafrique.com/a/obama-annonce-le-deploiement-de-1000-soldats-amercains-en-pologne-dans-le-cadre-de-l-otan/3409190.html">renforcer le flanc oriental de l’OTAN face aux nuisances russes</a>, ni de déployer <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20170110-afrique-barack-obama-heritage-etats-unis-diplomatie">Africom</a>, le commandement militaire de l’armée américaine en Afrique décidé en 2007, gage d’une coopération étroite avec les Européens dans le renseignement et la logistique militaires en particulier. Barkhane, l’opération militaire française au Sahel, en témoigne.</p>
<h2>Pour une Conférence eurasiatique sur la sécurité commerciale</h2>
<p>Il n’en demeure pas moins que les Européens devront, avec Biden, affirmer leurs intérêts et leur vision du monde avec fermeté, habileté et ténacité, dans la mesure où le président américain nouvellement élu défendra ceux de son pays – d’autant plus âprement s’il n’a <a href="https://www.lefigaro.fr/elections-americaines/un-programme-impossible-a-appliquer-sans-un-senat-allie-pour-biden-20201105">pas de majorité au Sénat</a>. Pour rester un pôle mondial et autonome, les Européens ne peuvent plus compter sur une convergence avec les États-Unis dans plusieurs domaines cruciaux : <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/etats-unis-europe-chine-japon-le-match-des-energies-843391.html">l’énergie</a>, le <a href="https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2017-1-page-111.htm">changement climatique</a>, le <a href="https://www.connaissancedesenergies.org/afp/les-etats-unis-moins-dependants-du-petrole-etranger-200108">Moyen-Orient</a>… Ils étaient déjà engagés avec eux dans un <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/273926-etats-unis-union-europeenne-de-la-competition-la-defiance">bras de fer structurel dans les secteurs agricole, aéronautique, spatial et de l’économie numérique</a>.</p>
<p>Avec Biden, les Européens seront à nouveau en capacité d’impliquer les Américains à leurs côtés face à la volonté de nuisance de la Russie de Poutine. Mais ils devront en échange continuer à se <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/armement-la-pologne-ce-pays-europeen-qui-achete-made-in-usa-a-tour-de-bras-841555.html">fournir</a> grandement auprès de l’<a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/12/11/l-industrie-de-l-armement-plus-prospere-que-jamais_5227888_3234.html">industrie de défense américaine</a> et à prendre à leur charge un <a href="http://www.senat.fr/rap/r18-626/r18-6263.html">financement croissant de l’OTAN</a> – c’est le prix à payer pour cet héritage au long cours devenu très lourd de la fragmentation de l’industrie de défense en Europe.</p>
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<p>Trump a mené une guerre commerciale en même temps contre les <a href="https://www.lopinion.fr/edition/wsj/guerre-commerciale-face-a-chine-trump-mene-coalition-refractaires-187859">Chinois</a> et contre les <a href="https://www.lavoixdunord.fr/698842/article/2020-01-22/donald-trump-menace-l-europe-d-une-guerre-commerciale">Européens</a>, par souverainisme et par nationalisme. Face à l’objectif chinois défini dès Deng Xiaoping de faire de la Chine le plus grand marché du monde en même temps qu’une puissance exportatrice, les intérêts européens et américains sont pourtant bien plus convergents que divergents. D’autant que chacune des deux entités est le principal partenaire commercial de l’autre. Sous Biden, les Européens pourront conforter leur nouvelle approche à l’égard de la Chine (qualifiée de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/20/la-commission-europeenne-appelle-enfin-un-chat-un-chat-et-la-chine-un-rival-systemique_5438531_3232.html">« rival systémique »</a> depuis mars 2019) en négociant à leur profit avec les Américains cette convergence stratégique. Ce faisant, les Européens pourraient harmoniser, bien plus qu’ils ne le font aujourd’hui, leurs différentes visions des relations avec la Chine, en cédant beaucoup moins qu’auparavant aux sirènes des « nouvelles routes de la soie », des sommets et des voyages bilatéraux à Pékin et des <a href="https://www.fdbda.org/2020/01/le-format-171-un-outil-au-service-de-la-politique-europeenne-de-pekin-defiant-lue/">sommets « 17+1 »</a> qui divisent les Européens entre eux.</p>
<p>À propos de cohésion diplomatique, les Européens devraient se souvenir avec quel talent ils ont piloté l’improbable processus d’Helsinki (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, 1973-1975) au moyen duquel ils ont habilement <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2013-3-page-55.htm">imposé leur agenda</a> tant à l’URSS de Brejnev qu’à l’Amérique de Nixon. Les 35 pays signataires s’engageaient en effet à respecter les frontières et la souveraineté de tous les autres, à proscrire l’ingérence, à promouvoir la coopération et les échanges culturels, scientifiques et universitaires entre eux et à garantir les droits de l’homme.</p>
<p>C’est pourquoi l’Union européenne devrait prendre l’initiative d’une Conférence eurasiatique sur la sécurité commerciale qui se déroulerait sur plusieurs années. Il s’agirait de promouvoir des relations économiques équitables et régulées dans tous leurs aspects entre tous les pays du continent eurasiatique (y compris l'Océanie) plus les États-Unis et le Canada. Les Européens seraient dans leur zone d’excellence : la négociation multilatérale, le droit, la concertation, la capacité à lier ensemble plusieurs points de vue et une pluralité d’intérêts et de dossiers, de pays de toutes tailles et de toutes cultures, la promotion des échanges et de l’ouverture équitables, du progrès et du développement. Une telle initiative contraindrait les 27 et leurs partenaires de l’Espace économique européen à définir entre eux des positions communes sur tous les sujets de discussion.</p>
<p>L’administration Biden, qui se voudra l’héritière de celles de Wilson et de Roosevelt, et qui se donnera pour ambition d’ordonner la mondialisation, ne pourra refuser. Le gouvernement de Xi Jinping, qui ne cesse de plaider pour le dialogue et les forums de tous types pendant qu’il poursuit ses objectifs unilatéraux avec détermination, non plus.</p>
<p>Ce serait sortir par le haut de la <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Monde/LOrganisation-mondiale-commerce-menacee-paralysie-2019-12-09-1201065275">paralysie de l’OMC</a>, et une manière de reconnecter la diplomatie climatique avec le monde réel de l’économie et de la compétition entre États. Et d’amener la Russie, la Turquie et l’Iran dans le jeu multilatéral global à travers leur point faible : l’économie.</p>
<p>L’élection de Biden est une opportunité pour les Européens… à la condition qu’ils attirent les Américains sur le terrain de jeu où ils sont talentueux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150217/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La victoire de Biden ouvre pour les Européens une fenêtre d’opportunité : ils pourraient lancer une Conférence eurasiatique sur la sécurité commerciale, qui rassemblerait l’UE, Washington et Pékin.Sylvain Kahn, Professeur agrégé, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1367062020-04-21T16:34:23Z2020-04-21T16:34:23ZOrganisations internationales : le spectre d’une hégémonie chinoise se concrétise<p>La République populaire de Chine (RPC) semble en position de force pour imposer ses vues au sein des principales organisations internationales. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) – deux instances dont l’absence de neutralité a accéléré la plus gigantesque pandémie du XXI<sup>e</sup> siècle – se trouvent déjà <a href="https://theconversation.com/faire-du-bruit-a-lest-et-frapper-a-louest-ta-wan-aux-avant-postes-des-strategies-chinoises-135380">sous son influence</a>. <a href="https://www.un.org/fr/essential-un/UN_System_Chart_FR.pdf">L’OACI, et trois autres agences de l’ONU</a> sur quinze au total – l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), et l’Union internationale des télécommunications (UIT) – ont à leur tête des ressortissants chinois, soit trois de plus que n’importe quel autre pays, et sept Chinois y occupent des postes de directeurs généraux adjoints, un chiffre également record. Enfin, début avril, la RPC a <a href="https://unwatch.org/la-chine-rejoint-un-groupe-des-droits-de-lhomme-de-lonu-suscitant-des-protestations/">intégré un important groupe consultatif du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU</a> constitué de seulement cinq pays.</p>
<p>La Chine – dont il convient de rappeler qu’elle se trouve également à l’initiative de nombreuses organisations multilatérales géographiques ou sectorielles où elle pèse de tout son poids (<a href="https://www.fdbda.org/2020/01/le-format-171-un-outil-au-service-de-la-politique-europeenne-de-pekin-defiant-lue/">format 17+ 1</a>, <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/organisation-de-cooperation-de-shanghai-ocs">Organisation de coopération de Shanghai (OCS)</a>, <a href="https://www.investopedia.com/terms/a/asian-infrastructure-investment-bank-aiib.asp">Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII)</a>, etc.) pour dupliquer le système international – se montre particulièrement offensive à l’ONU, se concentrant en priorité sur les domaines qui possèdent à ses yeux une importance stratégique.</p>
<h2>Chine/États-Unis : le match du siècle</h2>
<p>Ironie de l’histoire, la RPC et ses pères fondateurs, Mao Zedong en tête, n’ont adhéré aux vertus du multilatéralisme et du droit international que sur le tard en évinçant d’abord leur rivale, la République de Chine (Taïwan), du Conseil de sécurité de l’ONU comme membre permanent. C’était en 1971, et avec le soutien – pour des raisons souvent divergentes – de la diplomatie française (un <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/reconnaissance-de-la-chine-en-1964-le-poids-de-l-evidence-et-de-la-raison-de-gaulle_1770817.html">héritage gaullien</a>), de <a href="https://www.fmprc.gov.cn/ce/ceza/eng/zghfz/zfgx/t165322.htm">pays africains fraîchement décolonisés</a>, et des États-Unis de Richard Nixon qui souhaitaient <a href="http://www3.nccu.edu.tw/%7Elorenzo/Goh%20Soviet%20Card%20Opening%20to%20China.pdf">se rapprocher de la Chine communiste</a> pour faire contrepoids à l’Union soviétique. Cet équilibre n’est plus, et l’histoire la plus récente montre deux tendances rivales à l’œuvre opposant la Chine et les États-Unis.</p>
<p>D’un côté, Washington, qui dénonce l’incapacité de l’ONU tout en abondant son budget à raison de 27,9 %, s’exonère assez souvent de la caution de l’Organisation pour agir en solitaire. De l’autre, la Chine, dont la contribution aux finances onusiennes est de 15,22 %, se réclame de sa légitimité de membre permanent du Conseil de sécurité, et en même temps de celle du « plus grand pays en développement » pour rassembler autour d’elle des pays (majoritairement du tiers monde, mais pas seulement) contestant la prévalence des États-Unis et de l’Occident.</p>
<p>Pékin a par ailleurs mis en place un Fonds d’affectation spéciale pour la paix et le développement (<a href="https://www.un.org/en/unpdf/index.shtml">Peace and Development Fund</a>), dont l’allocation est décidée conjointement par des diplomates chinois et par le Secrétaire général des Nations unies. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/31/la-chine-a-l-assaut-des-nations-unies_5469897_3210.html">La RPC a ainsi acquis dans les procédures onusiennes une force qui va bien au-delà de son simple usage du droit de veto</a>, et également au-delà de son traditionnel pouvoir d’influence à l’Assemblée générale de l’ONU, où elle était parvenue, depuis une décennie, à former plus de coalitions de vote que n’importe quel autre État membre.</p>
<h2>Vers une sinisation des normes internationales ?</h2>
<p>À l’ONU, la Chine utilise lobbys, menaces et sanctions, y compris au moyen de leviers budgétaires qui lui permettent par exemple de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/pekin-et-moscou-bloquent-une-initiative-du-conseil-de-securite-de-l-onu-sur-le-soudan-20190605">bloquer les opérations de maintien de la paix comportant des aspects de défense des droits de l’homme</a>.</p>
<p>Récemment, le langage des nouvelles routes de la soie (l’initiative <em>Belt & Road</em>, en abrégé BRI), est entré dans de nombreuses déclarations et organisations de l’ONU, devenant un thème phare. Le chercheur François Godement souligne ainsi, dans un <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/la-chine-aux-nations-unies-le-cas-de-lorganisation-mondiale-de-la-propriete-intellectuelle">rapport récent de l’Institut Montaigne</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Même le Haut-Commissaire des Nations unies pour les Réfugiés, dont les missions semblent pour le moins éloignées des enjeux des nouvelles routes de la soie, a ressenti le besoin de signer avec Pékin un Mémorandum d’action sur la BRI. »</p>
</blockquote>
<p>Par ailleurs, l’attitude de la Chine à l’égard des procédures de règlement des différends et, particulièrement, vis-à-vis de l’arbitrage international a évolué à mesure que son économie s’ouvrait au commerce et aux investissements internationaux. Il semble que le courant favorable à une forme de « normalisation » progressive des pratiques chinoises par rapport à celles des partenaires étrangers monte en puissance à mesure que se renforce la position de négociation de la RPC dans ses projets ayant trait à la BRI mais aussi dans sa volonté concomitante de faire valoir des normes et des modèles originaux.</p>
<p>Le risque est que, à terme, seuls quelques <a href="http://french.china.org.cn/china/txt/2019-05/30/content_74838538.htm">centres constitués en Chine</a> (par exemple, Shenzhen et Xian) auraient vocation à régler les <a href="https://www.letemps.ch/monde/nouvelle-route-soie-prend-leau">différends sur les investissements</a> réalisés dans le cadre du projet BRI. Dans ce processus, l’intervention de professionnels étrangers pourrait se trouver limitée à une phase amiable, la phase décisionnelle étant réservée à des arbitres chinois.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1187244333436669955"}"></div></p>
<p>Ce qui est observable en matière de droit commercial l’est aussi dans la capacité de Pékin à imposer ses vues auprès de la communauté internationale sur les questions thématiques liées aux droits de l’homme dans le monde entier, telles que la liberté d’expression et de religion depuis que la Chine a rejoint le panel du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU. Elle peut dorénavant exercer son pouvoir d’arbitraire et de censure sur la répression des Ouïghours – dont un <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-china-45147972">million croupissent dans des camps d’internement</a> – et des dissidents nationaux comme <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/14/world/asia/china-ren-zhiqiang.html">Ren Zhiqiang</a>… en toute légalité. Impunément, elle pourra soutenir les positions des quatre autres régimes autoritaires et non moins alliés, déjà membres du Conseil, que sont le Venezuela, le Pakistan, l’Érythrée et le Qatar. Cette stratégie globale pourrait à très court terme offrir un cadre légal à certaines opérations extérieures envisagées par Pékin. On pense à Taïwan, bien sûr, mais aussi à des pays situés en plus lointaine périphérie, africains notamment, à l’instar de l’<a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/03/05/97001-20110305FILWWW00355-les-chinois-ont-ete-evacues-de-libye.php">évacuation partielle de ressortissants chinois depuis la Libye en 2011</a>.</p>
<h2>Préempter les institutions internationales onusiennes</h2>
<p>La Chine, on l’a dit, est engagée dans une logique de <a href="https://www.letemps.ch/opinions/chine-saffirme-organisations-internationales">préemption des institutions</a> internationales, y compris les <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/comment-la-chine-investit-les-instances-de-regulation-mondiales-1151059">agences de l’ONU</a>.</p>
<p><a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2019/07/03/qu-dongyu-nouveau-patron-de-la-fao-quand-la-chine-agricole-sinstalle-a-lonu/">Qu Dongyu, ancien vice-ministre de l’Agriculture, dirige la FAO depuis juin 2019</a> après une bataille d’influence avec l’Europe et les États-Unis. Sa candidature a bénéficié du vote massif des États africains. La FAO produit des normes et des réglementations dans le secteur très stratégique de l’agriculture et de l’alimentation. Rappelons ici que la Chine est le premier pêcheur, le premier éleveur et le premier aquaculteur mondial, dont les besoins alimentaires ont structuré depuis 30 ans une conquête internationale dans le domaine de la pêche et de l’agriculture.</p>
<p><a href="https://www.icao.int/secretariat/DrLiu/Pages/default.aspx">Fang Liu, ancienne dirigeante de l’aviation civile chinoise, a rejoint l’OACI en 2007</a>. Elle en est la directrice depuis 2015 (effectuant un second mandat). L’OACI a pour rôle la standardisation du transport aéronautique international. Cette organisation produit des normes qui s’appliquent à la planète entière et supervise l’ensemble des vols quotidiens mondiaux.</p>
<p><a href="https://www.unido.org/news/li-yong-nomme-directeur-general-de-lonudi">Li Yong, ancien vice-ministre des Finances en Chine, dirige l’ONUDI depuis 2013</a> (second mandat également). Cette organisation promeut le développement industriel dans les pays en développement. C’est un relais non négligeable pour la <a href="http://www.mcinet.gov.ma/fr/content/rencontre-de-m-moulay-hafid-elalamy-avec-m-li-yong-directeur-g%C3%A9n%C3%A9ral-de-lonudi-0">promotion du « modèle » de développement</a> chinois.</p>
<p>Enfin, <a href="https://www.reuters.com/article/us-usa-china-huawei-tech-un/huawei-allegations-driven-by-politics-not-evidence-u-n-telecoms-chief-idUSKCN1RH1KN">Zhao Houlin, à la tête du bureau de normalisation des télécoms chinois, a intégré l’IUT en 2015</a>. Il dirige depuis 2018 cette organisation qui est en charge de la réglementation des télécommunications dans le monde (normes, attributions de fréquences radioélectriques hertziennes, assignation d’orbites aux satellites, Internet haut-débit, navigation maritime et aéronautique, accès à Internet, etc.).</p>
<p>Récemment (début mars dernier), Wang Binying, l’une des candidates à la direction générale de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) (elle y est déjà vice-directrice d’un des départements), a été <a href="https://www.wipo.int/pressroom/fr/articles/2020/article_0003.html">battue par 28 voix contre 55</a> par le Singapourien Daren Tang. Alors que la Chine a fait des <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/la-chine-aux-nations-unies-le-cas-de-lorganisation-mondiale-de-la-propriete-intellectuelle">transferts de technologies et du contournement de la propriété intellectuelle</a> des paramètres essentiels de son ascension économique et géopolitique, la candidature d’une fonctionnaire chinoise de l’ONU à l’OMPI a impulsé une bataille diplomatique avec l’Occident, États-Unis en tête.</p>
<p>Enfin, un Chinois briguerait la direction du Département des opérations de maintien de la paix (DOMP). Alors que la Chine n’est pas engagée militairement dans les grands dossiers de sécurité internationale, <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2009/04/29/la-chine-s-affirme-dans-les-operations-de-maintien-de-la-paix-de-l-onu_1186901_3216.html">son implication dans les opérations de maintien de la paix</a> lui permet de se renseigner, de conforter des savoir-faire, et d’augmenter son influence dans des zones sensibles du monde couvertes par les Casques bleus.</p>
<p>Enfin, d’autres institutions sont à suivre de très près. L’influence que la Chine peut y exercer et les enjeux stratégiques qu’elles représentent pour Pékin leur font d’elles de futurs enjeux de luttes de pouvoir : Organisation maritime internationale (OMI), Tribunaux internationaux, Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), etc.</p>
<h2>La bataille est engagée</h2>
<p>Si le vide laissé par les États-Unis, la fragmentation au sein de l’Occident et le travail patient et très offensif de la Chine ont contribué à façonner le paysage onusien d’aujourd’hui, l’exemple de la défaite cuisante subie par Pékin pour le contrôle de l’OMPI pourrait constituer un précédent, en particulier avec la mise au jour progressive de l’influence de la Chine dans les organisations et de la dissimulation d’ampleur de la crise du Covid-19. Le rapport de forces entre la RPC et les États-Unis et dans une certaine mesure, bon nombre d’acteurs étatiques, pour le contrôle des institutions internationales va sans doute se durcir dans le temps.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136706/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du Fonds de dotation Brousse dell'Aquila.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine avance ses pions sur l’échiquier international en occupant de plus en plus de postes de direction dans les agences onusiennes. Une ascension pourtant résistible.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1175362020-04-07T19:18:55Z2020-04-07T19:18:55ZMatériel médical : les effets secondaires de la guerre commerciale sino-américaine<p>La nouvelle est tombée le 2 avril dernier. Des masques commandés par des collectivités locales françaises à des entreprises chinoises ont été <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-des-masques-commandes-par-la-france-rachetes-sur-le-tarmac-par-les-americains_3895897.html">« rachetés sur le tarmac »</a> par des importateurs américains avant leur livraison en France, en cash et à des prix parfois deux fois supérieurs.</p>
<p>De telles pratiques soulignent toutes les difficultés à garantir des approvisionnements internationaux en matériel médical d’urgence en période de pandémie, en particulier quand le pays le plus riche et le <a href="https://experience.arcgis.com/experience/685d0ace521648f8a5beeeee1b9125cd">plus affecté</a> par celle-ci en manque cruellement. « À la guerre comme à la guerre ! » pourrait-on dire.</p>
<p>Sauf que derrière ces comportements opportunistes se cache bien plus que le <a href="https://www.estrepublicain.fr/sante/2020/04/01/coronavirus-volte-face-des-etats-unis-sur-l-utilite-des-masques">changement de doctrine</a> des autorités américaines en matière de fourniture de masques ou de gestion de la <a href="https://www.ft.com/coronavirus-latest">hausse exponentielle</a> du nombre de cas et de décès aux États-Unis.</p>
<p>Il est en effet une autre guerre, commerciale celle-là, qui a profondément exacerbé les tensions actuelles sur les approvisionnements en matériel médical d’urgence. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, la <a href="https://www.lepoint.fr/economie/vers-la-fin-de-la-guerre-commerciale-entre-la-chine-et-les-etats-unis-13-12-2019-2353078_28.php">trêve</a> annoncée en décembre dernier entre la Chine et les États-Unis n’y changera rien.</p>
<h2>La Chine, un fournisseur incontournable</h2>
<p>Au déclenchement de la guerre commerciale, les États-Unis étaient déjà relativement dépendants de leurs importations en matériel médical, notamment, en provenance de Chine (le montant total tous pays confondus était de <a href="https://www.piie.com/blogs/trade-and-investment-policy-watch/trumps-trade-policy-hampering-us-fight-against-covid-19#_ftnref9">22 milliards</a> de dollars en 2019).</p>
<p>La structure des importations américaines de matériel médical laissait apparaître en effet une situation déjà préoccupante pour la sécurité sanitaire en cas de rupture d’approvisionnement. Par exemple, la part des importations américaines en provenance de Chine en équipement de protection individuelle était de 72 %, celle des importations de lunettes de protection était de 55 % et celle de couvre-chefs médicaux jetables de 52 %.</p>
<p>De plus, même au niveau du matériel médical de haute technologie, cette part était relativement élevée : 25 % des importations de systèmes d’échographie, 23 % des dispositifs d’imagerie médicale (tomographie assistée par ordinateur) et 12 % des concentrateurs d’oxygène provenaient de Chine.</p>
<p>Inévitablement, le volume des importations en jeu était non négligeable et laissait apparaître des déficits potentiellement importants dans la balance commerciale américaine. Ces déficits ont été combattus tous azimuts et sans distinction par des <a href="https://www.piie.com/blogs/trade-investment-policy-watch/trump-trade-war-china-date-guide">hausses de tarifs douaniers</a> visant à limiter les importations américaines, comme pour tous les autres types de déficits commerciaux.</p>
<h2>Une désorganisation des approvisionnements</h2>
<p>Selon le président des États-Unis, Donald Trump, la <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/etats-unis-chine-la-longue-marche-vers-un-yalta-commercial-809038.html">guerre commerciale sino-américaine</a> déclenchée en 2018 était censée améliorer la situation économique américaine en réduisant le déficit commercial bilatéral abyssal. Sur la question des approvisionnements américains en matériel médical comme sur d’autres, elle a pourtant eu l’effet inverse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etats-unis-chine-la-longue-marche-vers-un-yalta-commercial-111670">États-Unis–Chine, la longue marche vers un Yalta commercial ?</a>
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<p>Les hausses de tarif successives, via l’activation de la <a href="https://legacy.trade.gov/mas/ian/tradedisputes-enforcement/tg_ian_002100.asp">section 301</a> de la loi commerciale américaine de 1974, ont ainsi produit une situation relativement contrastée selon le type de matériel médical.</p>
<p>Pour certains d’entre eux, le tarif est toujours nul aujourd’hui : les masques respiratoires, sondes et autres respirateurs artificiels rentrent toujours aux États-Unis sans aucun droit de douane.</p>
<p>Mais pour de nombreux autres cas, le <a href="https://www.piie.com/blogs/trade-and-investment-policy-watch/trumps-trade-policy-hampering-us-fight-against-covid-19#_ftnref9">tarif douanier</a> a fortement augmenté : 15 % pour les équipements de protection personnelle, les lunettes de protection, et le matériel de protection médicale (gants, etc.).</p>
<p>Une hausse jusqu’à 25 % a été appliquée pour le matériel plus technologique comme les thermomètres, le gel hydroalcoolique, les couvre-chefs médicaux jetables et surtout pour le matériel de haute technologie comme les systèmes d’échographie, les concentrateurs d’oxygène, les équipements à rayons X ou encore les équipements d’imagerie médicale de tomographie assistée par ordinateur.</p>
<p>Dans sa course au leadership technologique contre la Chine, l’administration américaine n’a pas fait dans le détail.</p>
<p>Le résultat ne s’est pas fait attendre. Au niveau global, les importations américaines de matériel médical en provenance de Chine ont chuté de 16 %, quand, dans le même temps, celles en provenance d’autres régions du monde ont augmenté de 23 %.</p>
<p>En cause, la hausse des besoins en matériel du fait du vieillissement de la population américaine, entre autres. On a donc assisté à des détournements de flux sans réelle chute des importations. Une hausse des importations en provenance de Chine n’a d’ailleurs pas pu être empêchée en ce qui concerne les concentrateurs d’oxygène (+53 %) et les équipements à rayons X (+45 %) par exemple.</p>
<p>Les importateurs américains ont donc usé de toute leur intelligence et de tout leur pouvoir pour réorganiser leurs approvisionnements, ce qui a déjà fragilisé les chaînes en question et augmenté le degré de concurrence avec les autres importateurs du même type de matériel.</p>
<p>Des voix se sont bien sûr élevées, y compris au sein même de l’administration américaine, <a href="https://ustr.gov/sites/default/files/enforcement/301Investigations/Section_301_Hearing_Transcript_on_Proposed_Tariffs_Day_4.pdf">pour critiquer cette politique</a> pour le moins dangereuse pour la sécurité sanitaire aux États-Unis. On estime en effet qu’il aurait fallu au moins deux années pour réorganiser complètement les filières d’approvisionnement. Nous y sommes…</p>
<h2>Peut-on vraiment parler de trêve commerciale ?</h2>
<p>La trêve commerciale annoncée en décembre dernier n’y changera pas grand-chose. La phase 1 de l’accord entre la Chine et les États-Unis, signée le 15 janvier 2020, maintient en effet de nombreux tarifs sur les 360 milliards de dollars d’importations américaines concernées. Elle permet toutefois la baisse des tarifs sur 26 % de leurs importations totales de matériel médical tous pays confondus (y compris du matériel non critique pour la lutte contre la pandémie).</p>
<p>Mais, au total 1,1 milliard de dollars d’importations subissent encore un tarif à 25 %, et seulement 3,3 milliards de dollars d’importations américaines en matériel médical ont vu leur tarif baisser de 15 % à 7,5 %, notamment dans les équipements de protection personnelle.</p>
<p>La crise du coronavirus est actuellement à l’origine d’une explosion de la demande mondiale pour du matériel médical. En parallèle, certains pays producteurs de matériel, en particulier au sein de l’Union européenne, <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/07/business/eu-exports-medical-equipment.html">restreignent à leur tour leurs exportations</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1239221732218744833"}"></div></p>
<p>Des pénuries et des hausses drastiques de prix sont à prévoir, car les volumes demandés par les États-Unis sont sans commune mesure avec ceux demandés par les autres pays. Cela explique d’ailleurs au premier chef le comportement des acheteurs américains face à leurs concurrents étrangers : leurs paiements cash sécurisent la trésorerie des exportateurs chinois, eux-mêmes fortement désorganisés et fragilisés par le confinement.</p>
<p>Les autorités américaines ont même relâché certaines limites aux importations en provenance de Chine, très discrètement il est vrai, le <a href="https://www.federalregister.gov/documents/2020/03/10/2020-05000/notice-of-product-exclusions-chinas-acts-policies-and-practices-related-to-technology-transfer">10 mars</a> et le <a href="https://ustr.gov/sites/default/files/enforcement/301Investigations/%24300_Billion_Exclusions_Granted_March_2020.pdf">12 mars</a> derniers. Mais les <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/concurrence-masques-et-respirateurs-la-foire-dempoigne-entre-etats-americains">États fédérés se vivent eux-mêmes en concurrence</a> pour l’achat de ces matériels, et les tensions sont encore plus exacerbées à mesure que la pandémie se développe aux États-Unis et que le président refuse d’impliquer davantage le gouvernement fédéral, par idéologie.</p>
<p>Le libre-échange et surtout sa sortie brutale se paient aussi à coup de ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, de concurrence entre les clients les plus riches pour l’accès aux produits, et de restrictions aux exportations.</p>
<p>Que se passera-t-il dans l’après-confinement ? Faut-il craindre une rupture des approvisionnements des médicaments courants, due à une potentielle augmentation des stocks des pays riches et à une très probable relocalisation de l’industrie pharmaceutique ?</p>
<p>Un véritable changement de paradigme ne pourra faire l’économie d’un changement profond des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il ne pourra pas se faire non plus sans une coordination internationale encore plus étroite entre les États. Mais la guerre commerciale et la dislocation de l’Union européenne n’arrangent rien sur ce point non plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117536/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Grégory Vanel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré la trêve négociée avec la Chine, les États-Unis souffrent de difficultés d’approvisionnement en matériel médical. Cette situation risque d’accentuer les tensions.Grégory Vanel, Professeur Assistant, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1334532020-03-15T18:31:08Z2020-03-15T18:31:08ZLa décarbonation de l’économie ne se fera pas avec les accords internationaux actuels<p>Lors de son discours aux eurodéputés à Strasbourg, la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a affirmé une <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/SPEECH_19_4230">très forte ambition européenne</a> en matière de protection de l’environnement et de lutte contre les changements climatique. Le « green deal » qu’elle propose vise à faire de l’Europe le « premier contient neutre en carbone » d’ici à 2050 conformément aux objectifs de l’accord de Paris sur le climat.</p>
<p>Ce volontarisme climatique risque de buter sur les écueils de la concurrence globalisée et du « compétitivisme » érigés en finalité, moteur et doctrine des politiques économiques, européennes en particulier, depuis plus de quatre décennies.</p>
<p>Consciente de cela, la présidente de la Commission a indiqué penser introduire un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour s’assurer que les entreprises puissent se faire concurrence à armes égales, « sans qu’elles aient à déménager dans d’autres pays européens pour échapper aux prix du carbone ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1220028573014200321"}"></div></p>
<h2>Une économie mondiale sous contrainte carbone</h2>
<p>En effet, l’intégration compétitive des nations, sa matrice institutionnelle (le régime commercial de l’Organisation mondiale du commerce, les accords commerciaux régionaux et les traités internationaux d’investissement) et ses fondements théoriques (le libre-échange des biens et des facteurs, la réduction des coûts de l’échange, la mise en concurrence sectorielle et normative) conduisent à considérablement <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2013-2-page-33.htm">restreindre les capacités</a> de mener des politiques ambitieuses de décarbonation.</p>
<p>Le <a href="https://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.195.3566&rep=rep1&type=pdf">trilemme de politique environnementale</a> en économie ouverte, identifié par Jeffrey Frankel, professeur à Harvard, est amplifié dans le cas des politiques climatiques pour trois raisons :</p>
<ul>
<li><p>Le coût des politiques de décarbonation est sans commune mesure avec les coûts des politiques environnementales.</p></li>
<li><p>L’absence de dispositifs internationaux de coordination autour d’un signal-prix du carbone.</p></li>
<li><p>L’absence de toute référence aux conséquences économiques dans les dispositifs du régime climatique international, comme l’accord de Paris ou la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.</p></li>
</ul>
<p>Or, deux phénomènes restent, en dynamique, potentiellement problématiques : les pertes de compétitivité et les fuites carbones, de fait des fuites de technologies et d’emplois, donc de croissance.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rg_fP2CZYq4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment la tarification du carbone peut sauver le monde avec Johan Eyckmans (TEDx Talks, juillet 2019).</span></figcaption>
</figure>
<p>L’option d’une mesure d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne représente une piste extrêmement problématique à élaborer. La géoéconomie du carbone, ainsi que les nouveaux rapports de puissance dans l’économie globale rendent même la situation hautement conflictuelle.</p>
<p>De plus, elle implique une action au niveau multilatéral, par exemple au niveau de l’OMC, susceptible d’en retarder l’adoption et/ou de grandement en neutraliser les effets tant les clauses et dispositions à respecter sont restrictives.</p>
<p>Disons-le clairement : la fiscalité écologique internationale n’est pas, à court ou moyen terme, à l’ordre du jour. Il n’en demeure pas moins que des leviers d’action existent.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319892/original/file-20200311-116245-pjeyoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319892/original/file-20200311-116245-pjeyoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319892/original/file-20200311-116245-pjeyoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319892/original/file-20200311-116245-pjeyoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319892/original/file-20200311-116245-pjeyoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319892/original/file-20200311-116245-pjeyoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319892/original/file-20200311-116245-pjeyoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Siège de l’organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève, en Suisse, où se négocient les accords commerciaux internationaux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/geneva-switzerland-december-13-2019-world-1588254382">Bernsten/Shutterstock</a></span>
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</figure>
<h2>Nouvelle diplomatie économique</h2>
<p>Trois propositions réalistes, établies à partir de <a href="https://www.researchgate.net/publication/339739062_Decarbonizing_Trade_Policy_Policy_Options_to_Build_a_European_Decarbonized_Trade_Policy">nos travaux de recherche</a>, pourraient notamment être envisagées. Elles seraient les marqueurs d’une nouvelle diplomatie économique et une première étape dans la reconfiguration de l’architecture internationale de commerce et d’investissement.</p>
<p>Tout d’abord, affirmer que la neutralité carbone est l’objectif vers lequel doivent tendre les accords de commerce et d’investissement. La concurrence libre et non faussée, le démantèlement des barrières aux échanges et l’accroissement de l’accès aux marchés ne doivent plus constituer les seuls objectifs de la politique commerciale.</p>
<p>Dans un premier temps, il convient d’exclure la libéralisation des biens et services énergétiques des négociations.</p>
<p>Cette libéralisation vise principalement à accroître l’accès aux marchés pour les hydrocarbures. Les récentes initiatives américaines dans le cadre de la rénovation de l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA), de l’accord commercial avec la Chine et de la négociation de l’accord de libre-échange avec l’UE visent à assurer un débouché au gaz naturel liquéfié (GNL) américain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1057561988631429121"}"></div></p>
<p>Dans un deuxième temps, un bilan carbone des accords négociés et en cours doit être entrepris. Cela est d’autant plus nécessaire que l’accord de Paris sur le climat est d’un silence assourdissant en matière de commerce et d’investissement internationaux. Les accords commerciaux de l’UE doivent combler cette lacune et permettre d’avancer sur les liens substantiels et opérationnels entre politique commerciale et décarbonation, particulièrement en matière de procédés et méthodes de production.</p>
<p>Ensuite, sortir de la course au moins-disant dans laquelle nous a fourvoyés le « compétitivisme ». La diplomatie économique du « green deal » doit viser le mieux-disant social, environnemental et climatique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1164411969333596160"}"></div></p>
<p>A cet effet, la coopération réglementaire, volet central des accords de nouvelle génération, doit inscrire à son ordre du jour la question des normes et standards environnementaux et en termes d’émissions de CO<sub>2</sub>. Nous disposons, désormais, de techniques et de données pour élaborer des mesures de politique commerciale en relation directe avec le contenu et l’empreinte carbone des biens échangés, voire des procédés et méthodes de production. L’UE doit prendre le leadership sur le dossier des normes, standards et labels internationaux en matière de décarbonation.</p>
<p>Par ailleurs, dans un contexte de retour aux rapports de forces et aux logiques de défenses des intérêts économiques, l’UE doit utiliser l’accès à son marché intérieur comme levier à l’adoption par ses partenaires de mesures climatiques et de développement durable.</p>
<h2>Des accords internationaux trop peu ambitieux</h2>
<p>C’est pourquoi il serait envisageable de penser une réforme des politiques extérieures de l’UE dans le sens d’une fusion ou, dans une moindre mesure, une convergence entre la politique commerciale communautaire et la politique de développement, comme cela est par exemple prévu dans le cadre des accords partenariats économiques (APE) avec les pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP).</p>
<p>Cela passerait par des clauses innovantes en matière de transferts technologiques, d’incitation au développement d’industries vertes et/ou des dispositifs d’assistance technique en matière de normes et standards écologiques.</p>
<p>Enfin, l’ambition et la substance du volet qui concerne le commerce et développement durable doivent être rehaussés dans les accords internationaux. D’une part, ce chapitre ne doit pas être relégué en fin d’accord, qui plus est sans aucune obligation ou contrainte légale et juridique. D’autre part, les dispositions relatives à l’investissement et aux transferts de technologies vertes devraient être incluses dans ce chapitre et non dans des chapitres dédiés à la libéralisation.</p>
<p>Au moment où, conséquence du Brexit, l’aide publique au développement européenne régresse, il convient d’en repenser le volume et l’affectation. Certes, le récent échec sur la définition du budget de l’UE est inquiétant. Néanmoins, il serait envisageable d’introduire un critère d’aide favorisant les pays ACP concevant un agenda de transformation structurelle dédié à la décarbonation et au développement durable.</p>
<p>L’inclusion de ces dispositions dans les accords commerciaux de l’UE est faisable, mais exige une volonté politique et un consensus intraeuropéen. N’est-ce pas là que réside le principal enjeu de la décarbonation ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehdi Abbas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les textes comme celui de l’accord de Paris ou de l’ONU restreignent les capacités à mener des politiques ambitieuses. Des pistes peuvent inciter les pays à se mettre d’accord pour aller plus loin.Mehdi Abbas, Maître de conférence, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323242020-03-10T18:44:48Z2020-03-10T18:44:48ZComment la crise sanitaire remet en cause la puissance chinoise<p>La Chine n’a jamais été aussi puissante qu’aujourd’hui. Même sous les Tang (618-907), le rayonnement de l’Empire et son influence n’avaient pas l’aura actuelle. Pourtant, l’émergence de la RPC induit une succession de crises et de tensions dans ses périphéries et à son centre. La crise du coronavirus (ci-après Covid-19) a provoqué une perturbation très importante et durable de l’économie en Chine puis, du fait de la forte dépendance économique et industrielle du reste de la planète envers Pékin, une possible récession mondiale. Cet article propose de dégager quelques réalités politiques et stratégiques de la Chine aujourd’hui.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/coronavirus-le-point-sur-la-couverture-internationale-de-the-conversation-133375">Coronavirus : le point sur la couverture internationale de The Conversation</a>
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<h2>Une crise qui s’ajoute à d’autres</h2>
<p>Partie de Wuhan fin décembre 2019, l’épidémie du Covid-19 a rapidement gagné l’ensemble du pays, de l’Asie et du monde, sans pour autant être qualifiée à ce jour de pandémie par l’OMS. Cette crise vient s’ajouter à une série de <a href="https://www.fdbda.org/2020/02/pekin-face-aux-crises-peripheriques-et-du-centre-le-tournant-conjoncturel-et-structurel-de-la-decennie-2020/">difficultés au pourtour du pouvoir central, qui ont revigoré le sentiment d’être assiégé que ressent la RPC</a> : Hongkong, Taïwan, Xinjiang, Tibet et frontière avec l’Inde, mer de Chine méridionale… sans oublier, bien sûr, la guerre commerciale et technologique avec les États-Unis. Alors que Pékin promeut les « Nouvelles routes de la soie » (ou « Belt and Road Initiative »), moteur d’une meilleure connectivité et d’une stimulation accrue du commerce international, ces différentes zones sont au contraire structurées par leur militarisation accrue. En ce sens, les formules mises en avant par le régime de « guerre contre le virus », « guerre du peuple contre le diable » ou « Wuhan, ville des héros » procèdent de la même politique de soft power interne, destinée à galvaniser le « peuple » en promouvant une rhétorique martiale pour protéger la Chine d’une possible désunion.</p>
<p>Conséquence des mesures drastiques de confinement et de quarantaine : les flux humains et de marchandises sont encore très réduits, affectant durablement les chaînes de production et d’approvisionnement. La reprise n’est encore que très limitée. Avec environ 20 % du PIB mondial et un quart des échanges mondiaux de conteneurs, l’intégration de la Chine dans la mondialisation s’est accélérée depuis son adhésion à l’OMC en 2001. Dans le même temps, la dépendance des économies internationales à la Chine a changé la donne. En 2018, la Chine représentait <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/l-economie-mondiale-sous-le-choc-du-coronavirus-20200227">2 632 milliards de dollars d’exportation pour 2 134 milliards d’importations</a> avec dans les deux sens une empreinte internationale hétérogène mais globale. Le commerce avec Pékin représente une part non négligeable de la plupart des économies nationales. C’est en <a href="https://www.lopinion.fr/edition/wsj/l-economie-mondiale-tremble-alors-que-coronavirus-menace-chaines-d-212525">Asie que cette part pèse le plus (plus de 40 %)</a>. L’interdépendance économique et commerciale forge comme jamais la géopolitique et les rapports de force stratégiques. Alors que le <a href="https://www.imf.org/fr/News/Articles/2020/02/20/blog-finding-solid-footing-for-the-global-economy">FMI suit méticuleusement</a> les effets de la crise du Covid-19, une récession majeure pourrait paradoxalement venir du moteur de la croissance mondiale.</p>
<p>En interne, la situation économique chinoise reste assez opaque. <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/coronavirus-l-activite-secteur-manufacturier-chinois-a-plus-bas-niveau-213051">L’activité manufacturière est à son plus bas niveau</a> malgré la reprise partielle du travail. Le coup porté par cette crise va encore ralentir une croissance déjà en situation de tassement, affecter plusieurs secteurs de la consommation intérieure (le secteur des services est particulièrement impacté) et <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/en-chine-le-coronavirus-plus-brutal-que-la-crise-financiere-de-2008-1180999">conforter la place de l’État dans l’économie nationale</a> (grands plans de relance à l’instar de la crise de 2008). Les <a href="http://french.china.org.cn/business/txt/2019-12/13/content_75510065.htm">objectifs 2020</a> fixés par le pouvoir autour de Xi Jinping peineront à être atteints (petite et moyenne prospérité, environnement, réforme et assainissement des finances, éradication de l’extrême pauvreté). Le Parti-État devra faire face pour contenter son immense population une fois la crise sanitaire disparue.</p>
<h2>Diplomatie chinoise et isolement</h2>
<p>Puissance économique et diplomatique, la Chine est mise à l’épreuve par la crise. Plutôt critiqué pour son manque de réactivité, de transparence et d’acceptation du soutien et de l’aide de pays étrangers, le régime a rapidement renforcé le contrôle d’Internet et des réseaux sociaux chinois ; élaboré un discours calibré, diffusé dans les chancelleries à travers le monde ; et consolidé son influence à l’OMS. Paradoxalement, ces réactions du Parti-État attestent de <a href="https://thediplomat.com/2020/03/friends-and-enemies-china-is-grading-the-worlds-coronavirus-reactions/">l’isolement diplomatique de la Chine</a>. Rappelons, à cet égard, que ses plus proches « alliés » ou partenaires stratégiques ont rapidement fermé leurs frontières (Russie, Corée du Nord, Népal, etc.).</p>
<p>La crise, désormais mondiale, relance le débat politique sur l’efficacité comparée des réponses apportées par les <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/coronavirus-la-democratie-plus-efficace-que-les-regimes-autoritaires-20200302">régimes autoritaires et des régimes démocratiques</a>. Les fréquentes <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/coronavirus-provoque-incident-diplomatique-entre-chine-l-italie-211275">joutes verbales</a> dans lesquelles s’engage la diplomatie chinoise visent à convaincre une opinion mondiale qui s’interroge davantage sur la durabilité de la crise sanitaire (partie de Chine) et sur ses effets économiques et humains que sur la supposée efficacité d’un régime autoritaire.</p>
<p>Au contraire, la gestion par Pékin de la crise provoque une série de questionnements d’ordre éthique. L’amplification de l’utilisation des <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/coronavirus-les-chinois-ont-massivement-migre-sur-les-plateformes-numeriques-1181126">outils numériques pour tracer et identifier</a> les malades, ainsi que le développement de l’e-commerce, du télétravail et de l’enseignement à distance ont certes permis, en quelques semaines, une ascension de l’économie numérique ; mais tout cela a également favorisé l’expansion des moyens de contrôle cybernétiques du régime sur la société, succédant immédiatement à un contrôle strict de l’espace numérique (après les revendications d’internautes pour plus de transparence et rendre des comptes à propos de la mort du médecin Li).</p>
<p>La responsabilité internationale d’une grande puissance comme la Chine interroge. Le régime présente des <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/02/28/la-diplomatie-chinoise-lutte-contre-l-isolement_6031156_3244.html">difficultés à répondre aux demandes et aux critiques</a> de son voisinage proche et du reste du monde. Pour autant, sur le plan intérieur, le pouvoir central n’est pas ébranlé. À l’opposé, l’image générale du pays ne s’améliore pas, malgré un fort volontarisme diplomatique et médiatique (prise en charge et guérison de malades, construction d’hôpitaux en un temps record, messages rassurants…). </p>
<p>Le contraste avec la gestion de crise à Taïwan ou en Corée du Sud est <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Taiwan-gere-coronavirus-facon-exemplaire-2020-03-06-1201082441">très éloquente</a> (contrôle préventif, transparence de l’information, etc.). Dans le même temps, les autorités chinoises ont initié une <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Chine-reecrit-deja-lhistoire-coronavirus-Wuhan-2020-03-09-1201082887">réécriture de l’histoire</a> et mettent en doute l’origine chinoise du Covid-19 par la voix officielle du porte-parole du Ministère des Affaires étrangères de Pékin. Le régime tentera de démontrer la supériorité de son modèle de gouvernance en spéculant sur la durée de la crise, en particulier dans les pays démocratiques. Une sortie de crise utile pour le Parti-État craignant la perte de confiance du peuple et la perte de légitimité pour gérer le pays.</p>
<h2>Du ralentissement à la relocalisation ?</h2>
<p>Il est encore difficile d’évaluer l’impact de la crise du coronavirus sur l’économie mondiale. <a href="https://theconversation.com/the-impact-of-coronavirus-on-the-financial-markets-133183">Les marchés boursiers accusent le coup</a> et les effets sur l’économie réelle ont commencé à se faire sentir. Si quatre grands secteurs sont touchés en bourse (transports aérien et maritime, tourisme, luxe et textile et la tech), l’ensemble du commerce mondial est affecté. Les grands groupes, et plus encore les PME, attendent la fin du mois de mars pour dresser le bilan à l’issue du premier trimestre. La dispersion planétaire du coronavirus se superpose parfaitement avec la mondialisation chinoise tant du point de vue industriel que sanitaire (pas un pays, pas un secteur économique n’est potentiellement à l’abri). La très grande concentration de la production manufacturière (environ 30 %) mondiale se situe en Chine.</p>
<p>Progressivement, l’ensemble des pays du globe réalisent leur <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/sante-et-pharmacie/coronavirus-l-europe-depend-de-la-chine-pour-les-medicaments-vitaux_701452">grande dépendance à la Chine</a> (industrie pharmaceutique : 90 % de l’insuline et 80 à 85 % des principes actifs pour les médicaments ; chaussures : 60 % ; téléphonie mobile : 70 % ; transport maritime…). Le modèle qui a prévalu depuis l’entrée de Pékin à l’OMC est remis en cause, conduisant potentiellement vers une récession. Si l’économie digitale va connaître un essor certain en Chine avec la crise du Covid-19, il n’en demeure pas moins que les chaînes de transport international sont désorganisées en profondeur.</p>
<p>Les deux décennies passées ont donné à la Chine les clés géo-économiques d’une stratégie mondiale marquée par une interdépendance généralisée. Aujourd’hui, au début d’une crise dont on ne connaît encore ni l’issue ni l’ampleur, une logique de réduction de la dépendance envers la Chine serait nécessaire à l’Europe. <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/economie/le-coronavirus-opportunite-pour-corriger-la-dependance-des-occidentaux-a-la-chine-20200227">Relocaliser une partie des productions manufacturières</a> au sein de l’UE ou dans son environnement régional lui permettrait de répondre économiquement, politiquement et sociologiquement à plusieurs de ses problématiques par une stratégie de moyen et long terme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132324/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du Fonds de dotation Brousse dell'Aquila.</span></em></p>L’épidémie de coronavirus affecte profondément la Chine, du point de vue social, politique et économique. Le reste de la planète va-t-il réduire son degré de dépendance envers la RPC ?Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1265482019-11-12T20:20:55Z2019-11-12T20:20:55ZEmmanuel Macron, l’Europe et la Chine<p>Le président Macron vient d’effectuer sa <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/visite-detat-en-republique-populaire-de-chine">seconde visite en Chine</a> dans un contexte international tendu, marqué par la contraction de l’économie mondiale, la guerre commerciale entre les deux grands pôles de puissance (États-Unis et Chine), l’instabilité au Moyen-Orient et la fragilité de l’Europe. Inscrit dans le cadre de la célébration du 55<sup>e</sup> anniversaire de l’établissement des <a href="https://cn.ambafrance.org/Celebration-du-55eme-anniversaire-des-relations-franco">relations diplomatiques entre Paris et Pékin</a>, ce déplacement de trois jours devait être l’occasion pour la France d’afficher son savoir-faire en matière de politique internationale et de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/emmanuel-macron-joue-les-maitres-queux-pour-xi-jinping-20191105">faire passer des messages, directs ou non</a>. Une gageure, sachant que peu avant le départ du chef de l’État français, les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-chine-accueille-l-ami-macron-mais-met-en-garde-sur-hong-kong-04-11-2019-2345021_24.php">autorités chinoises avaient prévenu</a> qu’il serait inutile d’aborder des sujets relevant selon elles de leurs affaires intérieures, comme la situation à Hong Kong…</p>
<h2>Le président français et la « carte européenne » en Chine</h2>
<p>La Chine connaît des <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2019/10/09/tassement-de-la-croissance-incertitudes-fortes-du-secteur-bancaire-et-financier-quelles-marges-de-manoeuvre-pour-pekin/">difficultés économiques, bancaires</a> (la justice française a notamment mis en examen la Bank of China pour des faits de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/04/pressions-sur-le-sort-judiciaire-de-la-bank-of-china_6017948_3210.html">« blanchiment »</a>) et financières dues à la fois à la guerre commerciale entretenue par l’<a href="https://www.20minutes.fr/monde/2647335-20191108-guerre-commerciale-chine-usa-trump-pourrait-reporter-nouveaux-tarifs-prevus-15-decembre">imprévisibilité du président Trump</a> et à des raisons structurelles (au premier rang desquelles le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/18/la-croissance-chinoise-au-plus-bas-depuis-presque-trente-ans_6016018_3234.html">tassement de sa croissance</a>). Pour pallier ces difficultés, Xi Jinping se fait (en apparence) le <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/naivete-europeenne-1145288">chantre du multilatéralisme et du libre-échange</a>. </p>
<p>À cette fin, la RPC a lancé en 2018 la <a href="https://www.ciie.org/zbh/en/">China International Import Expo</a> (CIIE), une foire annuelle organisée à Shanghai destinée à mettre en évidence son « ouverture » au commerce mondial. <a href="https://www.entreprendre.fr/la-france-invitee-dhonneur-de-la-china-international-import-expo/">Invités d’honneur de l’édition 2019</a>, la France et son président devaient, aux yeux de Pékin, illustrer le succès de cette stratégie qui consiste à attirer des clients et des partenaires (voire des soutiens), en cette période de tensions croissantes avec la puissance américaine. L’Europe volerait-elle ainsi au secours de la Chine ?</p>
<p>Ce qui est sûr, c’est qu’Emmanuel Macron plaide en faveur d’une <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Monde/En-Chine-Emmanuel-Macron-veut-porter-voix-europeenne-2019-11-03-1201058259">approche européenne</a> et rappelle que, dans la rivalité sino-étatsunienne, il convient de trouver un accord qui <a href="https://www.lefigaro.fr/international/chine-etats-unis-macron-plaide-pour-un-accord-qui-preserve-les-interets-des-pays-tiers-20191105">« préserve les intérêts des autres partenaires commerciaux, à commencer par ceux de l’UE »</a>. Il a d’ailleurs emmené avec lui une délégation composite où l’on retrouvait notamment, aux côtés de plusieurs dizaines de patrons d’entreprises françaises du CAC 40, de PME et d’ETI, des personnalités comme le commissaire européen à l’Agriculture Phil Hogan et la ministre allemande de l’Éducation et de la Recherche Anja Karliczek. Rappelons à cet égard que lors de la visite d’État de Xi Jinping à Paris en mars dernier, le président français avait déjà donné à son entrevue avec son homologue chinois une coloration très européenne en invitant également la <a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3002935/frances-macron-asks-merkel-and-juncker-join-meeting-xi-jinping">chancelière Angela Merkel et le président de la Commission européenne Jean‑Claude Juncker</a>.</p>
<p>Le message d’Emmanuel Macron est plutôt clair, mais sera-t-il efficace dans la durée face à une <a href="https://www.atlantico.fr/decryptage/3454182/20e-sommet-chine-ue--comment-pekin-joue-depuis-des-annees-sur-les-divisions-de-l-union--qui-rale-mais-se-laisse-faire-emmanuel-dupuy">Chine qui a appris depuis longtemps à jouer des divisions intra-européennes</a> ? Alors que l’UE voit désormais dans la Chine non plus seulement un partenaire commercial de premier plan mais aussi un <a href="https://europa.eu/rapid/press-release_IP-19-1605_fr.htm?locale=FR">« rival systémique »</a>, le grand écart entre, d’une part, l’accent mis sur la dimension économique de la relation UE-Pékin et, d’autre part, le <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/le-en-meme-temps-lepreuve-de-la-chine">silence gêné</a> sur les questions politiques (Hong Kong bien sûr, mais aussi Taiwan, le Tibet, le Xinjiang, etc.), sécuritaires (militarisation de la mer de Chine du Sud, cyberguerre, propriété intellectuelle, etc.) et les droits de l’homme semble difficilement tenable.</p>
<h2>Relation bilatérale déséquilibrée et climat des affaires compliqué</h2>
<p>La <a href="https://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2019/03/22/29006-20190322ARTFIG00003--quel-point-sommes-nous-dependants-de-l-economie-chinoise.php">relation franco-chinoise est profondément asymétrique</a> et penser que la France bénéficie d’un traitement spécial favorable serait trompeur. La Chine commerce avec le monde et cherche à façonner une Europe docile et sous contrôle dont le <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ekman_china_belt_road_world_2019.pdf">projet <em>Belt and Road Initiative</em> serait l’outil</a>.</p>
<p>Le déficit commercial avec la Chine est majeur : il s’élève à <a href="https://www.lci.fr/politique/30-milliards-d-euros-d-ou-vient-le-deficit-commercial-abyssal-entre-la-france-et-la-chine-macron-xi-jinping-2075411.html">environ 30 milliards d’euros par an</a>. Les visites officielles françaises ont depuis les années 1970 toujours été articulées autour de l’espoir d’obtenir un accès privilégié au marché chinois et de relancer l’emploi dans l’Hexagone. Mais malgré les dires de X Jinping, le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-chine-est-le-pays-le-plus-protectionniste-vis-a-vis-de-leurope-1029884">marché chinois reste largement fermé aux groupes étrangers</a> ; pis encore, le <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/chine-les-societes-europeennes-denoncent-un-climat-des-affaires-hostile-1293921">climat des affaires est sérieusement dégradé depuis plusieurs années</a>, pour diverses raisons principalement liées à la mutation stratégique de la géo-économie chinoise depuis la crise de 2008 et au renforcement de l’autoritarisme depuis 2012. Ainsi, si certains secteurs « marchent », d’autres non ! Les exportations françaises sont essentiellement tirées par la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/la-france-vend-majoritairement-des-airbus-et-du-luxe-aux-chinois-1145218">vente d’avions et par le luxe</a>. Les commandes (promises) d’Airbus A350, formidable appareil, ont boosté le commerce extérieur français depuis 2018. Quant au luxe, les groupes LVMH et L’Oréal en particulier ont d’<a href="https://www.la-croix.com/Economie/France/Kering-Hermes-LOreal-LVMH-Gafa-francais-2019-02-12-1201002035">excellentes perspectives en Asie, y compris en Chine</a>.</p>
<p>En revanche, les autres secteurs sont à la peine. <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/macron-en-chine-les-principaux-enjeux-economiques-de-la-visite-1145084">Le nucléaire civil (groupe Orano) est en difficulté</a> face à la résistance chinoise dans les négociations consacrées à la mise en place d’une usine de traitement des déchets nucléaires (un contrat qui porterait sur plus de 10 milliards d’euros), notamment du fait de l’<a href="https://www.latribune.fr/economie/international/la-chine-cree-un-geant-du-nucleaire-en-fusionnant-deux-entreprises-766904.html">émergence d’un consortium chinois (CNNC)</a> presque totalement concurrent du savoir-faire français. En outre, le régime de Pékin s’immisce toujours plus dans les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/comment-pekin-reduit-les-multinationales-au-silence-1145343">affaires internes des sociétés étrangères</a>, ce qui nuit à leurs performances économiques. Les transferts de technologie comme condition sine qua non pour la <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2018/pbrief31.pdf">mise en place de joint-ventures</a>, le <a href="https://startupbrics.com/protection-propriete-intellectuelle-chine-entretien-stephane-grand/">non-respect de la propriété intellectuelle</a>, l’<a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/10/22/01016-20181022ARTFIG00246-les-revelations-du-figaro-sur-le-programme-d-espionnage-chinois-qui-vise-la-france.php">espionnage massif</a> et le <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2019/11/04/enquete-annuelle-de-la-chambre-de-commerce-de-l-union-europeenne-en-chine-sur-la-confiance-des-entreprises">jeu inégal avec les entreprises d’État de Pékin</a> sont autant d’éléments qui pèsent sur les relations économiques franco-chinoises et euro-chinoises.</p>
<p>Dans ce cadre, la diplomatie française cherche à pousser le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/a-shanghai-macron-demande-a-la-chine-de-renforcer-louverture-de-son-marche-1145340">système chinois à évoluer et à mieux ouvrir son marché à l’international</a>. En pleine <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/09/24/en-chine-la-flambee-du-prix-du-porc-une-crise-majeure-pour-les-autorites_6012806_3234.html">crise porcine</a> (désastre sanitaire, fragilisation de l’économie rurale et interrogations majeures sur la sécurité alimentaire), la présence au sein de la délégation emmenée par Emmanuel Macron d’acteurs de l’agroalimentaire français et européens ne suffira pas, mais la signature d’un accord entre l’UE et la Chine (le tout premier) sur la <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/accord-avec-la-chine-qu-est-ce-qu-une-indication-geographique-protegee-20191104">protection de 100 produits « indications géographiques protégées »</a> et 100 produits chinois (en réciprocité) permettra ponctuellement à des produits gastronomiques d’être mieux identifiés et protégés.</p>
<h2>Vers une européanisation des relations industrielles, sécuritaires et diplomatiques avec la Chine ?</h2>
<p>L’échelle européenne est pertinente pour construire une politique solide face à la Chine. L’initiative d’une feuille de route coordonnée en matière industrielle entre partenaires européens doit être approfondie et sanctuarisée. Si l’<a href="https://www.france24.com/fr/20191105-direct-emmanuel-macron-inaugure-centre-pompidou-shanghai">ouverture du Centre Pompidou</a> à Shanghai (projet lancé sous la présidence de feu Jacques Chirac) revêt une importance symbolique, tout comme les échanges sur la biodiversité, le climat et l’environnement entre Xi Jinping et Emmanuel Macron, le cadre européen se doit d’aller bien au-delà.</p>
<p>Après une <a href="https://theconversation.com/la-france-en-marche-sur-les-nouvelles-routes-de-la-soie-89727">première visite en Chine et l’important discours de Xi’an en janvier 2018</a> et ce second opus diplomatique, le temps est désormais venu d’engager une réflexion en profondeur sur la sécurité économique (protection des entreprises en Chine, contre-espionnage économique et militaire), sur la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/asie-oceanie/la-zone-indopacifique-une-priorite-pour-la-france/">diplomatie dans le cadre du concept « indopacifique »</a> (qui regroupe des partenaires importants et rivaux stratégiques durables de Pékin comme le Japon ou l’Inde, mais aussi l’Australie ou la Nouvelle-Zélande) et sur une véritable coordination industrielle et technologique – autant d’aspects qui seront primordiaux pour l’Europe si les <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/hubert-vedrine-et-gerard-araud-la-fin-de-l-empire-americain-20191024">Européens ne veulent pas sortir de l’Histoire</a>. </p>
<p>En somme, l’Europe doit se doter d’une véritable réflexion stratégique et cohérente dans l’environnement régional de Pékin – des questions sécuritaires à la protection de l’environnement et des ressources halieutiques – tout en construisant une analyse claire du niveau de puissance et des réalités bancaires, financières et humaines de l’actuel système chinois et de ses aspirations internationales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126548/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La visite d’Emmanuel Macron en Chine a mis en lumière toute la complexité de la relation entre Paris et Pékin. C’est peut-être à l’échelon européen que cette relation devrait s’inscrire à l’avenir.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1221522019-08-22T20:11:33Z2019-08-22T20:11:33ZDu multilatéralisme aux coalitions hétéroclites<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/288758/original/file-20190820-170956-x6isb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=248%2C58%2C750%2C517&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La coopération entre acteurs divers, nouvelle réponse aux défis contemporains&nbsp;?</span> <span class="attribution"><span class="source">REDPIXEL.PL / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les échanges internationaux connaissent actuellement un ralentissement très important qui amène à remettre en cause le phénomène de mondialisation. Bien que les chaînes de valeur de la plupart des produits n’aient jamais été aussi <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oLtZCH-RdVI">imbriquées et éclatées</a> à l’échelle mondiale, la période qui s’ouvre se caractérise, et ce sera sans doute le cas pour plusieurs années, par un véritable repli national. Perçue comme étant à l’origine de nos problèmes les plus divers (hausse des inégalités, réchauffement climatique…), la mondialisation est également porteuse de réelles vertus, notamment en constituant l’une des briques essentielles de la paix lorsqu’elle prend la forme du <a href="http://www.maphilosophie.fr/voir_un_texte.php?%24cle=Le%20doux%20commerce">« doux commerce »</a> cher à Montesquieu.</p>
<h2>Une véritable crise du multilatéralisme</h2>
<p>Visant clairement à pacifier des relations internationales trop souvent conflictuelles et débouchant sur la guerre, le multilatéralisme est un mode d’organisation des relations interétatiques qui repose sur la coopération et l’instauration de règles communes. Aujourd’hui clairement remis en cause dans des pays émergents comme le Brésil, mais aussi et surtout par l’administration Trump, le <a href="https://theconversation.com/commerce-international-le-multilateralisme-etait-mort-vivant-trump-lacheve-97893">multilatéralisme est en péril</a>. Il avait pourtant permis, et c’est de loin sa contribution la plus importante, de maintenir la paix, notamment en Europe, région du monde où elle était loin d’être habituelle. C’est ce que rappelait récemment le philosophe Michel Serres en évoquant les <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2016/09/18/2421145-michel-serres-c-est-l-epoque-des-soixante-dix-paisibles.html">« soixante-dix paisibles »</a> pour qualifier la dernière période de paix (relative) vécue en Europe.</p>
<p>Il est, de ce point de vue, révélateur de constater que les avancées les plus significatives du dernier G20 d’Osaka en juin aient concerné les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-du-japon-au-g20-les-rencontres-bilaterales-preferees-aux-negociations-de-groupe">dossiers bilatéraux</a> alors qu’aucune solution n’a été trouvée pour permettre de pérenniser le fonctionnement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont le <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/dispu_f.htm">tribunal</a> est toujours <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/l-omc-un-gendarme-mondial-du-commerce-paralyse_2087384.html">bloqué par les États-Unis</a> qui empêchent la nomination de nouveaux juges.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1009158250971979776"}"></div></p>
<p>La réduction des échanges mondiaux ne constitue pas forcément une mauvaise nouvelle. En faisant reculer le commerce de concurrence (celui qui consiste à importer et à exporter des produits de même nature) plus que le commerce de complémentarité (celui qui vise des produits n’étant pas fabriqués par les importateurs), elle diminue l’impact environnemental des transports sans forcément priver les consommateurs des produits non fabriqués sur leur territoire national.</p>
<p>Certains entrevoient même un possible renouveau des politiques industrielles. Les effets des possibles mouvements de réindustrialisation auraient ainsi des <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/politique-industrielle-mode-demploi-pour-le-xxie-siecle-1034548">effets bénéfiques</a> sur les plans économiques, sociaux et environnementaux.</p>
<h2>De nouvelles formes de coopération</h2>
<p>Toutefois, la crise du multilatéralisme risque de compliquer la résolution de ces problèmes liés au climat ou à la biodiversité. C’est en effet à l’heure où nous aurions le plus besoin d’engagements et d’actions mis en œuvre collectivement, et le plus globalement possible, que la coordination internationale fait le plus défaut. Fort heureusement, c’est précisément sur ce dernier terrain que de nouvelles initiatives voient le jour.</p>
<p>Celles-ci impliquent des pouvoirs publics, des organisations internationales, des ONG, des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs. Elles prennent donc la forme de coalitions hétéroclites d’acteurs qui prennent leurs responsabilités en trouvant dans le collectif la possibilité de renforcer leurs contributions individuelles. Citons par exemple le cas du géant de l’agroalimentaire Danone et du réseau BSR (Business for Social Responsibility) qui ont lancé fin 2018 la plate-forme <a href="http://www.oecd.org/fr/economie/l-ocde-bsr-et-danone-lancent-une-initiative-sur-3-ans-pour-renforcer-la-croissance-inclusive-par-le-biais-d-une-collaboration-public-prive.htm">« Business for Inclusive Growth »</a> (B4IG) « dans le but d’accélérer le processus d’action contre les inégalités et en faveur de l’inclusion ». À plus petite échelle, l’initiative <a href="https://www.lesbonsclics.fr/">« Les bons clics »</a> réunit une entreprise de l’Économie sociale et solidaire (ESS), une start-up, trois associations qui œuvrent pour l’insertion sociale, et un réseau d’associations locales pour lutter contre l’exclusion numérique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les Bons Clics, une plate-forme pédagogique pour aider les personnes en difficulté sur le numérique.</span></figcaption>
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<p>À l’heure où elles s’interrogent sur le sens et où elles <a href="https://www.lepoint.fr/economie/loi-pacte-la-maif-veut-devenir-la-premiere-grande-entreprise-a-mission-03-06-2019-2316564_28.php">redéfinissent leurs missions</a>, de nombreuses entreprises ont l’occasion de dépasser, dans l’intérêt de tous, leur stricte vocation économique. Une telle évolution plaiderait en faveur de la vision proposée par l’économiste Éloi Laurent dans <a href="http://editionslesliensquiliberent-blog.fr/impasse-collaborative-eloi-laurent/">son dernier ouvrage</a> « L’impasse collaborative », mettant la coopération entre acteurs divers au cœur des évolutions souhaitables et en cours de la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122152/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugues Poissonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’heure où les systèmes de coopération interétatiques s’enfoncent dans la crise, de nouvelles formes de coopération voient le jour pour répondre aux grands défis actuels.Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1116702019-02-27T20:48:23Z2019-02-27T20:48:23ZÉtats-Unis–Chine, la longue marche vers un Yalta commercial ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/261213/original/file-20190227-150712-6ingck.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C20%2C986%2C640&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bientôt l’ère du protectionnisme négocié et du G2.0 ?</span> <span class="attribution"><span class="source">NothingIsEverything / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La guerre commerciale entre Washington et Pékin ne reprendra pas tout de suite. Le président des États-Unis, Donald Trump, a annoncé le 25 février qu’il <a href="https://www.bfmtv.com/economie/guerre-commerciale-donald-trump-reporte-la-fin-de-la-treve-avec-pekin-1639806.html">reportait sine die la hausse des tarifs douaniers américains</a> portant sur 200 milliards de dollars d’importations en provenance de Chine. Cette décision intervient à quelques jours de la fin de la trêve conclue en marge du dernier sommet du G20 à Buenos Aires en Argentine, en novembre 2018. Les présidents chinois Xi Jinping et américain s’étaient alors donnés 90 jours pour remettre à plat leurs différends commerciaux et parvenir à un accord satisfaisant de part et d’autre. Les deux parties saluent aujourd’hui des « progrès » réalisés par les négociateurs qui permettent de prolonger le cessez-le-feu. Ils envisagent par ailleurs d’organiser un sommet bilatéral prochainement.</p>
<p>Pourtant, du point de vue américain, les dernières statistiques montrent une dégradation sans précédent de la situation que la guerre commerciale était censée régler : les <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/2186084/chinas-exports-shot-dramatically-january-despite-us-china">exportations chinoises ont encore augmenté</a> de 9,1 % en janvier, et le déficit commercial bilatéral a été le plus important jamais enregistré (413 milliards de dollars en 2018). Même le secteur de l’acier chinois semble peu impacté par les mesures tarifaires américaines. En effet, la <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/2186142/us-china-trade-war-having-no-effect-china-steel-amid-surging">Chine produit désormais la moitié de l’acier</a> dans le monde, avec 928 millions de tonnes en 2018 (contre 831 millions en 2017), en dépit d’une chute de 8,1 % de ses exportations.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261198/original/file-20190227-150724-11rk49k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261198/original/file-20190227-150724-11rk49k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261198/original/file-20190227-150724-11rk49k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261198/original/file-20190227-150724-11rk49k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261198/original/file-20190227-150724-11rk49k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261198/original/file-20190227-150724-11rk49k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261198/original/file-20190227-150724-11rk49k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La moitié de l’acier mondial est produit en Chine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Junrong/Shutterstock</span></span>
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<p>Comme l’acier chinois ne représente désormais que 2 % des importations américaines d’acier, de nombreux analystes en viennent à se demander si, derrière la rhétorique des déficits bilatéraux ne se cachent pas en réalité des enjeux beaucoup plus importants. Et si derrière la trêve commerciale se profilait une négociation à deux, et seulement à deux, des nouvelles règles du jeu économique dans la post-mondialisation ? Car au-delà des menaces américaines et des promesses chinoises actuelles se cachent des conflits antérieurs majeurs entre les deux pays, qui révèlent une stratégie antichinoise de longue haleine de la part des États-Unis. Si ces deux grandes puissances parvenaient à un accord, l’issue des négociations pourrait à la fois signifier la disparition pure et simple du multilatéralisme commercial d’après-guerre, mais surtout l’entrée officielle dans l’ère du G2.0.</p>
<h2>Menaces américaines et promesses chinoises</h2>
<p>Si l’on s’en tient uniquement à la situation depuis l’élection de Donald Trump, les États-Unis mènent une guerre commerciale indifférenciée, et cherchent à tout prix à réduire leur abyssal déficit commercial, conformément à la vision mercantiliste de Donald Trump et de son équipe, et <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/trump-le-mercantilisme-et-le-dollar-un-cocktail-hautement-explosif-781030.html">sans le résultat escompté pour le moment</a>. En particulier, au centre des différends se trouvent les industries du panneau solaire et des machines à laver, de l’acier et de l’aluminium, les pratiques déloyales en matière de transferts de technologies et de propriété intellectuelle (comme l’illustre le cas du géant Huawei), et enfin l’industrie automobile.</p>
<p>Sauf qu’à y regarder de plus près, la Chine est bien souvent explicitement visée, ce qui explique aussi sa réactivité. Par exemple, dans le conflit lié aux panneaux solaires et aux machines à laver, les mesures de rétorsion chinoises sur les exportations américaines de sorgho et la surenchère américaine consécutive ont mené le gouvernement chinois à <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/chine/taxes-americaines-la-chine-saisit-l-omc-et-menace-les-etats-unis-de-represailles-5875128">porter le différend devant l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC) en juillet 2018. De même, en ce qui concerne les transferts de technologie et la protection des droits de propriété intellectuelle, la nouvelle loi américaine sur le commerce et la sécurité nationale d’août 2018 introduit deux mesures de contrôle sur les investissements étrangers et sur les transferts de technologie qui visent directement la Chine. Ces dispositions facilitent l’escalade américaine et la menace d’augmenter encore les droits de douane. Or, compte tenu des différentes réactions des partenaires commerciaux des États-Unis, ce sont désormais environ 12 % des importations américaines qui subissent un tarif, alors que 8 % de leurs exportations sont concernées par des <a href="https://piie.com/system/files/documents/bown2019-01-23ppt.pdf">mesures de rétorsion</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1085669224318713856"}"></div></p>
<p>Pourtant, depuis l’annonce de la trêve, la Chine a fait quelques promesses intéressantes a priori pour les États-Unis. Elle a notamment accepté d’augmenter dès décembre ses importations de <a href="http://www.cepii.fr/blog/bi/post.asp?IDcommunique=619">soja</a>, ce qui se voit déjà dans les statistiques commerciales (<a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/2186186/us-exports-china-plunged-january-trade-war-chill-took-effect">hausse de 29 % des importations chinoises depuis décembre</a>). Elle a ensuite promis dès janvier d’assouplir ses règles sur les investissements étrangers (même si personne n’est dupe sur les délais de mise en place) et a même tout récemment envisagé d’augmenter ses importations en produits agricoles, en gaz naturel liquéfié et même en semi-conducteurs produits par des firmes américaines, dont les achats pourraient être multipliés par cinq sur les six prochaines années. Un montant potentiel de <a href="https://www.anti-k.org/2019/02/16/washington-et-pekin-echouent-a-enterrer-la-hache-de-guerre-commerciale/">200 milliards de dollars</a>.</p>
<h2>Le dernier étage de la fusée</h2>
<p>Sauf que s’en tenir aux seules dispositions prises par Donald Trump depuis son élection réduit considérablement la compréhension du conflit qui oppose la Chine et les États-Unis. On pourrait même considérer que l’arrivée de Donald Trump n’est que le dernier étage d’une fusée qui a décollé il y a bien longtemps.</p>
<p>En effet, ce conflit remonte au début des années 1980, lorsque les États-Unis ont refusé le statut d’économie de marché à la Chine. Ce dispositif permet alors au département américain au commerce de prendre des mesures visant à réduire les distorsions de concurrence qu’il juge inacceptables. Et il ne s’est pas gêné pour l’utiliser. Pas moins de <a href="http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/cca_2018-12_ver_1.2.pdf">119 mesures</a> anti-dumping contre des entreprises chinoises ont été prises par les États-Unis, soit 34 % du total !</p>
<p>À ce premier étage s’en est ajouté un deuxième avec l’accession de la Chine à l’OMC en 2001. Les États-Unis y contestent le statut d’économie en développement de la Chine, qui lui permet d’échapper à un certain nombre de dispositifs contraignants, et ce même s’il n’y a <a href="https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/propositions/pourquoi-le-developpement-piege-lomc">aucune définition du concept</a> de développement dans les statuts de l’OMC… Ainsi, les différends entre la Chine et les États-Unis sont parmi les plus nombreux à l’OMC. Les États-Unis ont porté plainte contre la Chine à 23 reprises, alors que la Chine en a fait de même contre les États-Unis 15 fois seulement, même si en termes relatifs, les plaintes contre la Chine représentent seulement 19 % des plaintes américaines, alors qu’à l’inverse les <a href="https://piie.com/system/files/documents/schott2019-01-23ppt.pdf">plaintes chinoises envers les États-Unis représentent 75 % de leurs plaintes</a>. Cette question du statut d’économie en développement est même particulièrement sensible en matière de commerce agricole, car la Chine est désormais de très loin le pays qui subventionne le plus sa production, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09692290.2018.1560352">transformant les États-Unis de bourreau en victime</a>.</p>
<p>Mais depuis l’élection de Donald Trump, on assiste à une réduction des plaintes américaines envers la Chine (3 seulement contre 13 durant les mandats du président Obama), alors que dans le même temps les États-Unis bloquent le renouvellement des nominations à l’organe d’appel de l’OMC. Cela empêche de facto le règlement des différends commerciaux entre ces deux pays. Le président américain considère que l’OMC <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/04/09/trump-accuse-l-organisation-mondiale-du-commerce-de-faire-le-jeu-de-la-chine_5282912_3234.html">a failli dans sa mission</a>, et se tourne désormais vers les traités de commerce bilatéraux pour y introduire des dispositifs clairement antichinois. Par exemple, le nouvel <a href="https://www.lepoint.fr/automobile/ce-que-l-on-sait-du-nouvel-accord-commercial-nord-americain-30-11-2018-2275593_646.php">Accord États-Unis-Mexique-Canada</a> (USMCA) introduit plusieurs clauses qui vont clairement à l’encontre de la Chine, même si elle n’est pas directement citée. C’est en particulier le cas de l’<a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/539452/aeumc-la-clause-chine-n-est-pas-un-veto">article 32.10</a> qui empêche la conclusion d’un accord bilatéral entre le Canada ou le Mexique et un pays qui n’est pas considéré comme une économie de marché.</p>
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<figcaption><span class="caption">« President Donald Trump signs USMCA trade deal with Mexico, Canada », vidéo NBC News (en anglais).</span></figcaption>
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<h2>Une stratégie antichinoise multicanale</h2>
<p>Mais au-delà de la méthode multilatérale qu’il considère comme inefficace, Donald Trump et son administration sont désormais extrêmement sensibles au déploiement des deux stratégies chinoises qu’ils jugent allant à l’encontre des intérêts à long terme des États-Unis : les <a href="https://theconversation.com/la-nouvelle-route-de-la-soie-une-strategie-dinfluence-mondiale-de-la-chine-75084">« nouvelles routes de la soie »</a> et <a href="https://portail-ie.fr/analysis/1273/made-in-china-2025-lambition-chinoise"><em>Made in China 2025</em></a>. Quatre dimensions sont au cœur de la stratégie anti-chinoise des États-Unis depuis des années : la sécurité, la finance, la production et la connaissance. Bien plus que la question commerciale, ces dimensions sont en fait les facteurs déterminants de l’ordre économique mondial.</p>
<p>Au niveau de la sécurité, on se rappelle que les droits de douane supplémentaires sur l’acier sont invoqués sur la base de la section 232 de la loi commerciale américaine de 1962, relative à la sécurité nationale. De même, la récente interdiction de l’usage des technologies de l’équipementier Huawei va dans ce sens, tout comme l’introduction de l’article 19.15 dans l’USMCA, qui engagent les parties au partage d’informations en matière de cybersécurité. Sur ces questions de sécurité des États-Unis face au déploiement de la puissance chinoise, le département de la défense vient d’ailleurs de publier récemment un <a href="https://media.defense.gov/2019/Jan/14/2002079292/-1/-1/1/EXPANDING-GLOBAL-ACCESS-REPORT-FINAL.PDF">rapport</a> pour le moins offensif. Ce rapport pointe les efforts considérables que fait la Chine <em>via</em> ses entreprises d’État dans la 5G, les câbles sous-marins ou d’autres technologies du numérique capables de remettre en cause la suprématie technologique des États-Unis, mais surtout la volonté chinoise de forcer le retrait américain de la région indo-pacifique. Il insiste ainsi sur les moyens militaires et civils à mettre en œuvre pour contrer cette expansion.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1047133130971328512"}"></div></p>
<p>Au niveau de la structure financière, il est à noter que la stratégie des États-Unis est depuis une décennie au moins tournée vers la Chine. D’abord à propos du rôle des réserves de change chinoises détenues en dollars, qui pour certains sont à considérer comme des armes de guerre au fondement d’un nouvel équilibre <a href="https://www.cfr.org/sites/default/files/pdf/2008/09/Debt_and_Power_CSR37.pdf">« la terreur financière »</a>. Ensuite, et plus récemment, à propos du déploiement tous azimuts des trois agences de crédit à l’exportation chinoises (Sinosure, Exim Bank et China Dev Bank) dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Ces agences auraient accordé des crédits à l’exportation d’un volume de 34 milliards de dollars (contre 3 officiellement), loin devant les crédits accordés par les agences américaines (20 milliards de dollars). Et dans certains cas, ces crédits auraient permis à la Chine de <a href="https://media.defense.gov/2019/Jan/14/2002079292/-1/-1/1/EXPANDING-GLOBAL-ACCESS-REPORT-FINAL.PDF">racheter à bon prix des infrastructures stratégiques</a>.</p>
<p>Au niveau de la structure des connaissances, les États-Unis, à travers les questions liées à la protection des droits de propriété intellectuelle ou des transferts de technologie, cherchent à lutter contre la montée en puissance chinoise dans les industries du numérique. Par exemple, la Chine est désormais la première puissance mondiale dans l’intelligence artificielle, avec des investissements publics estimés entre 20 et 60 milliards de dollars, contre 11 milliards pour les États-Unis. Les programmes <em>Made in China 2025</em>, le 13<sup>e</sup> plan quinquennal qui prévoit des investissements à 59 milliards de dollars dans l’IA en 2025, les plans des grandes villes chinoises comme Pékin dans ce domaine (2 milliards de dollars), ou la Conférence nationale sur le développement de l’économie numérique, sont des dispositifs jugés très dangereux <a href="https://media.defense.gov/2019/Jan/14/2002079292/-1/-1/1/EXPANDING-GLOBAL-ACCESS-REPORT-FINAL.PDF">pour l’avenir même de l’industrie numérique américaine</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261201/original/file-20190227-150708-4u9iwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261201/original/file-20190227-150708-4u9iwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261201/original/file-20190227-150708-4u9iwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261201/original/file-20190227-150708-4u9iwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261201/original/file-20190227-150708-4u9iwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261201/original/file-20190227-150708-4u9iwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261201/original/file-20190227-150708-4u9iwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Seules trois plaintes américaines contre la Chine ont été déposées depuis l’élection de Donald Trump, contre 13 durant les mandats du président Obama.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Evan El-Amin/Shutterstock</span></span>
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<p>Enfin, au niveau de la production, Donald Trump est très attentif au traitement des investissements directs en Chine, car ceux en provenance des États-Unis augmentent actuellement, notamment dans les TIC (+125 % en 2018). Les États-Unis demandent par exemple que la Chine supprime les subventions accordées à des entreprises d’État ou à celles fabricant de robots industriels.</p>
<h2>Vers un G2.0</h2>
<p>La trêve commerciale sino-américaine s’apparente donc bien plus à la tentative de Donald Trump de parvenir à un accord global gagnant-gagnant qu’à une seule réaction épidermique face à la dégradation des déficits. L’alternative à la mise en compatibilité des politiques commerciales chinoise et américaine s’apparenterait en effet bien plus au retour d’une nouvelle forme de guerre froide. Cela serait fortement préjudiciable aux deux économies, dont les liens sont bien plus forts qu’on ne le croit. Comme les États-Unis n’accepteront pas le <em>statu quo</em>, favorable à un déploiement de la puissance économique chinoise en Asie et en Afrique, et comme la Chine ne renoncera pas à son modèle de développement, la solution coopérative, fondée sur une négociation bilatérale englobant tous ces aspects, semble la seule issue logique mutuellement avantageuse.</p>
<p>Elle nécessite toutefois une période plus ou moins longue de négociation, comme au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Un G2.0 pourrait s’apparenter à une sortie du mercantilisme, à savoir un système commercial mondial fondé sur la lutte de tous contre tous, en permettant l’avènement d’un protectionnisme négocié. L’ironie, dans cette histoire, serait alors que l’Europe, seule encore à même de promouvoir le libre-échange, soit marginalisée définitivement dans le processus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111670/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Grégory Vanel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le conflit commercial qui oppose Washington et Pékin pourrait finalement déboucher sur une négociation à deux des nouvelles règles du jeu économique mondial.Grégory Vanel, Professeur Assistant, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1101212019-01-20T19:57:00Z2019-01-20T19:57:00ZBrexit, le coût exorbitant du scénario de la sortie sans accord<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/254519/original/file-20190118-100282-13ppp9p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C13%2C994%2C652&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le projet d'accord négocié par la première ministre Theresa May et Bruxelles a été rejeté massivement par les députés britanniques le 16 janvier dernier.</span> <span class="attribution"><span class="source">Alexandros Michailidis / Shutterstock </span></span></figcaption></figure><p>L’incertitude est totale après le <a href="https://www.lci.fr/international/brexit-rejet-massif-de-l-accord-de-sortie-de-l-ue-au-parlement-britannique-theresa-may-2110240.html">rejet par les députés britanniques</a> de l’accord de sortie de l’Union européenne négocié entre le gouvernement britannique et la Commission européenne. Personne ne sait exactement ce qu’il va se passer dans les 10 semaines qui nous séparent maintenant de l’échéance prévue du Brexit. Une chose est cependant sûre : l’issue du processus aura son importance tant à court qu’à long terme, parce qu’un Brexit sans accord n’est pas du tout la même chose qu’un Brexit avec accord.</p>
<p>D’un point de vue économique, un Brexit sans accord signifie que les relations commerciales entre l’UE et le Royaume-Uni seront régulées par les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais ce n’est pas tout : à court terme, l’impréparation du processus de sortie et l’absence d’accord sur un certain nombre de questions cruciales devraient générer des désordres et des coûts supplémentaires. Prenons chacune de ces dimensions dans l’ordre.</p>
<h2>Quelle différence pour l’économie britannique ? Et européenne ?</h2>
<p>Le retour au cadre de l’OMC signifie que le Royaume-Uni sera traité comme tout autre partenaire commercial avec lequel l’UE n’a pas d’accord (et inversement), c’est-à-dire comme les États-Unis par exemple. Cela implique l’instauration de droits de douane sur les importations en provenance du Royaume-Uni ; en moyenne faibles (de l’ordre de 3 % en moyenne), ces taxes à l’importation peuvent être très élevées dans certains secteurs (13 % en moyenne dans l’agriculture par exemple, et près de 40 % pour les produits laitiers).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/254515/original/file-20190118-100279-sqv24l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/254515/original/file-20190118-100279-sqv24l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/254515/original/file-20190118-100279-sqv24l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/254515/original/file-20190118-100279-sqv24l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/254515/original/file-20190118-100279-sqv24l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/254515/original/file-20190118-100279-sqv24l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=389&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/254515/original/file-20190118-100279-sqv24l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=389&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/254515/original/file-20190118-100279-sqv24l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=389&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://visualdata.cepii.fr/panorama/fr/"> CEPII, base de données CHELEM.</a></span>
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<p>Plus importante, la sortie de l’UE sans accord signifie la fin de la reconnaissance mutuelle des normes et des standards, qui permet à tout producteur britannique vendant sur son marché domestique de vendre librement aux autres consommateurs européens. Cela implique ce que l’on appelle des barrières non tarifaires au commerce, qui sont aujourd’hui les principales barrières au commerce international : ces barrières comprennent aussi bien les règles sanitaires et phytosanitaires dans l’agriculture visant à protéger les consommateurs que les normes techniques (de la taille des jouets des jeunes enfants à la largeur des pneus des voitures) ou environnementales (les normes fixant les rejets de CO<sub>2</sub> ou de particules fines dans l’automobile par exemple).</p>
<p>Concrètement, cela signifie que demain, pour vendre aux consommateurs européens, les exportateurs britanniques devront prouver qu’ils respectent les règles européennes. Ces règles ont beau être similaires aujourd’hui, il faudra demain le prouver, ce qui est coûteux. Elles peuvent aussi diverger dans le futur (c’est d’ailleurs bien là l’un des enjeux du Brexit, pouvoir s’affranchir de certaines règles européennes). Ces barrières non tarifaires sont importantes en moyenne, <a href="http://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=579">particulièrement dans certains secteurs</a> – elles atteignent par exemple l’équivalent d’un droit de douane de 74 % pour les produits laitiers, 36 % pour certaines machines et appareils, 20 % pour les produits chimiques et 11 % pour le secteur automobile –, renchérissant d’autant le prix pour le consommateur.</p>
<p>Peut-on estimer l’impact de ces nouvelles barrières au commerce sur les PIB du Royaume-Uni et de l’UE ? C’est ce que nous faisons avec deux collègues, Thierry Mayer et Soledad Zignago, dans un <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/wp/2018/wp2018-06.pdf">article de recherche</a> récent.</p>
<p>Trois conclusions importantes ressortent de cette étude :</p>
<ul>
<li><p>D’abord, le coût d’un retour aux règles de l’OMC est substantiel pour le Royaume-Uni : le niveau du PIB baisserait de manière permanente de 2,8 % du PIB, soit annuellement près de 2 000 livres en moyenne par ménage.</p></li>
<li><p>Ensuite, le coût est beaucoup plus faible côté européen (-0,8 % du PIB en moyenne pondérée, -0,3 % pour la France), à l’exception de l’Irlande pour lequel le coût serait du même ordre de grandeur que celui supporté par le Royaume-Uni.</p></li>
<li><p>Enfin, et surtout, le coût d’un Brexit sans accord, et donc d’un retour aux règles de l’OMC, est beaucoup plus important que dans le cas d’un Brexit négocié qui déboucherait sur un nouvel accord commercial : les coûts seraient ainsi plus de deux fois moindre dans le cas d’un accord type Norvège (qui implique de conserver la plupart des dimensions du marché unique), inférieurs de près de 40 % dans le cas d’un accord sur le modèle de celui avec la Suisse et de 15 % dans le cas d’une zone de libre échange moins ambitieuse.</p></li>
</ul>
<p>La forme du Brexit aura donc bien des conséquences à long terme sur le niveau de richesse des Britanniques, et des Européens dans une moindre mesure. Ces différentes options restent sur la table en cas d’accord sur le retrait ; l’absence d’accord implique de renoncer à ces options de relations commerciales futures dans un avenir proche.</p>
<h2>Que se passera-t-il le 30 mars ?</h2>
<p>Un Brexit sans accord implique qu’il n’y aura pas de période de transition, qui aurait permis de négocier un nouvel accord et de se préparer au changement de cadre juridique (l’accord de sortie prévoit une période de transition jusqu’au 31 décembre 2020, qui pourrait être étendue, pendant laquelle les règles du marché unique continueraient à s’appliquer). Concrètement, cette sortie brutale du marché unique engendrera non seulement une incertitude juridique sur un grand nombre de sujets mais également des coûts liés à l’impréparation côté européen comme britannique. Il suffit pour cela de regarder les domaines couverts par l’<a href="http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-18-6422_en.htm">accord de sortie</a>. Les trois principaux concernent le règlement de la « facture » du Brexit, liée aux engagements britanniques dans les programmes européens, le traitement des Européens résidant et/ou travaillant au Royaume-Uni et des Britanniques dans l’UE, qui concerne des millions de citoyens dont le statut juridique dépendra alors des décisions des gouvernements nationaux, et la frontière irlandaise et la préservation de l’accord de paix du Vendredi Saint.</p>
<p>Mais l’accord de retrait couvre également une multitude de domaines, allant de la coopération policière et judiciaire aux questions nucléaires ou au statut de Gibraltar. L’absence d’accord créera dans l’ensemble de ces domaines une forte incertitude juridique puisque leur traitement dépendra des décisions de chaque gouvernement impliqué. Ces questions fondamentales ne disparaîtront pas d’elles même en cas de Brexit sans accord, et devront être négociées d’une manière ou d’une autre dans le futur.</p>
<p>Par ailleurs, les délais sont aujourd’hui tels qu’une sortie sans accord implique un degré d’impréparation des deux côtés. La réinstauration de contrôles aux frontières pour les échanges de biens (inexistants au sein du marché unique) pose des problèmes d’infrastructures dans les ports concernés (notamment Douvres côté britannique et Calais côté français) et de recrutement d’agents des douanes notamment. Des chercheurs de l’Imperial College de Londres ont ainsi calculé que deux minutes supplémentaires de transit pour les (milliers de) camions passant par Douvres entraîneraient des embouteillages de 47 km sur l’autoroute M20 y menant.</p>
<p>Ces délais posent également des questions logistiques pour les productions dépendant de pièces importées, pour lesquelles les capacités de stockage sont limitées aujourd’hui au Royaume-Uni. Plusieurs usines automobiles ont ainsi d’ores et déjà prévu de fermer ou réduire leurs opérations au début du mois d’avril. S’ajoute des problèmes spécifiques à certains secteurs : le secteur aérien par exemple, les autorisations de vol de certaines compagnies pouvant être <a href="https://www.economist.com/briefing/2018/11/24/what-to-expect-from-a-no-deal-brexit">remises en cause</a>, ou le secteur bancaire pour lequel un certain nombre de questions de supervision se posent (les autorités européennes ont déjà prévu d’autoriser de manière temporaire certaines activités de compensation en <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0600059368101-compensation-bruxelles-veut-eviter-le-chaos-en-cas-de-brexit-sans-accord-2217878.php">euro de Londres</a> mais d’autres questions restent entières). Les conséquences à court terme de ces contingences sont d’autant plus difficiles à prédire que leur impact réel dépendra des mesures prises par les différents gouvernements pour en atténuer le coût.</p>
<h2><em>So what</em> ?</h2>
<p>Les gouvernements britannique comme européens ont clairement affiché leur volonté d’éviter de tels désordres inhérents à un Brexit sans accord. Du côté du parlement britannique également, l’option d’une sortie sans accord ne semble pas emporter la majorité. Cela suffira-t-il à l’éviter pour autant ? La date butoir du 29 mars approchant, les entreprises, qui ont fait preuve d’une étonnante résilience à l’incertitude politique jusqu’à maintenant, vont devoir faire des choix qui pourraient s’avérer irréversibles, mettant ainsi encore plus sous pression le processus politique.</p>
<p>Il est possible de repousser la date effective du Brexit, mais seulement de manière limitée étant donné qu’aller au-delà de fin mai obligerait à tenir des élections européennes au Royaume-Uni, ce que personne ne veut. Par ailleurs, une telle prolongation pose la question de sa finalité : étant donné le blocage au parlement britannique, quelle serait la perspective d’un tel allongement ? La préparation d’un second référendum nécessite d’aller au-delà des <a href="http://ukandeu.ac.uk/how-and-when-might-a-second-referendum-on-brexit-come-about/#.XARDv0Y9-Tg.twitter">élections européennes</a> alors que la perspective de la renégociation de l’accord de retrait apparaît limitée côté européen (reste la possibilité d’un retrait unilatéral de la procédure de sortie par le Royaume-Uni, dont la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé la possibilité). L’Union européenne a été claire sur le fait qu’elle ne négociera pas un accord sur les relations futures avant que celui sur le retrait britannique soit ratifié, et que cet accord inclura une clause de « backstop » sur la frontière irlandaise. De telle sorte que l’accord sur la table ne changera pas fondamentalement.</p>
<p>C’est sûrement du côté de la déclaration politique accompagnant l’accord de retrait que des évolutions peuvent se faire jour, mais celle-ci n’a pas la valeur légale de l’accord de retrait. Le refus du parlement britannique n’a donc pas changé fondamentalement l’éventail des choix britanniques. Il ne faut cependant pas oublier que si une sortie sans accord était particulièrement coûteuse pour le Royaume-Uni, la perspective d’avoir un grand pays voisin non coopératif serait désastreuse à terme pour les pays européens. L’Union européenne et ses pays membres ont souvent fait preuve de créativité dans les derniers instants de négociations cruciales tendues ; il faut compter sur une telle créativité aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110121/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Vicard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des économistes du CEPII estiment qu’en cas de non-accord, les PIB du Royaume-Uni et de l’Union européenne pourraient respectivement reculer de 2,8 % et 0,8 %.Vincent Vicard, Economiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1024402018-09-03T20:52:29Z2018-09-03T20:52:29ZRéformer l’OMC pour sortir de la crise du multilatéralisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/234410/original/file-20180831-195322-1t3o6z8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C1%2C985%2C544&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le prochain sommet du G20, qui se tiendra fin 2018 en Argentine, entend s'atteler à la relance des négociations multilatérales et à la réforme de l'OMC. </span> <span class="attribution"><span class="source">Alexey Struyskiy</span></span></figcaption></figure><p>On assiste, depuis quelque temps, à un regain d’intérêt pour l’<a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/whatis_f.htm">OMC</a>, l’Organisation mondiale du commerce. En atteste la publication récente de deux rapports : le <a href="http://www.cae-eco.fr/Avis-de-tempete-sur-le-commerce-international-quelle-strategie-pour-l-Europe">premier</a> du Conseil d’analyse économique en France, et le <a href="https://www.bertelsmann-stiftung.de/en/publications/publication/did/review-wto-organizational-performance/">second</a> de la fondation allemande Bertelsmann Stiftung. Ils portent, selon une approche et des visées différentes, sur les enjeux de politique et de gouvernance du système commercial international.</p>
<p>Parmi les raisons de ce regain d’intérêt : l’enlisement des négociations du <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01399235">cycle de Doha</a> pour le développement, les attaques de l’administration Trump à l’encontre de l’institution allant jusqu’à menacer d’en sortir – et plus globalement contre le multilatéralisme –, les propositions de réformes portées par cette même administration, ainsi que les mesures de politique commerciale engagées, selon des motifs différents, à l’encontre de la Chine, de l’UE et de la Turquie. Les dynamiques post-crise financière de 2008 ne sont pas non plus étrangères à la situation. Elles ont en effet conduit à une exacerbation des concurrences et des rivalités interétatiques. Exacerbation amplifiée par la multiplication des accords commerciaux bilatéraux et régionaux.</p>
<h2>Triple mise en échec</h2>
<p>Depuis 2012, le <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0421-le-ralentissement-du-commerce-mondial-une-rupture-structurelle-porteuse-d-incertitudes">ralentissement du commerce mondial</a> a aussi remis en cause l’un des postulats centraux de la globalisation : la libéralisation des échanges est source de croissance, de création de richesse, d’emploi et de bien-être ; elle améliore la productivité globale des facteurs et, en retour, assure le développement du plus grand nombre.</p>
<p>Les nouveaux équilibres de puissance, issus de la crise, complètent le tableau d’une triple mise en échec économique, écologique et sociale de la globalisation produite par l’institutionnalisme libéral durant ces quatre dernières décennies. De surcroît, le travail de crise a amené à la prise de conscience que la globalisation et le paradigme libre-échangiste, qui lui sert de matrice, s’avèrent incapables de répondre aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux qui se posent (réduction de l’inégalité globale, perte de biodiversité, décarbonisation, etc.).</p>
<h2>Quelle nouvelle architecture du commerce et de l’investissement internationaux ?</h2>
<p>C’est pourquoi une réforme de l’OMC paraît aujourd’hui indispensable. Le président Emmanuel Macron a d’ailleurs appelé à établir une <a href="https://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKCN1IV1VG-OFRTP">première feuille de route</a> à l’occasion du sommet du <a href="https://www.g20.org/en">G20 de Buenos Aires</a>, en Argentine, qui se déroulera les 30 novembre et 1<sup>er</sup> décembre 2018.</p>
<p>Il semble en effet nécessaire de réfléchir à une nouvelle architecture du commerce et de l’investissement internationaux (NACII) : aujourd’hui, les liens structurels, réglementaires et de politique économique entre commerce international et investissement direct étranger, comme entre les avantages comparatifs des nations et les avantages compétitifs des firmes, n’ont jamais été aussi profonds. Il convient en conséquence de penser les deux simultanément, et de sortir d’une gouvernance en silo qui maintient l’investissement, la concurrence et la finance en dehors de l’OMC.</p>
<p>De plus, les <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/">objectifs de développement durable des Nations unies</a> (ODD) retiennent une approche intégrée des enjeux économiques, sociaux et environnementaux tout en posant les bases de la finalité d’une NACII : le développement durable. Cela implique des politiques commerciales favorables à l’inclusion sociale, à la protection de l’environnement, à la décarbonisation de l’économie mondiale ou, dans une moindre mesure, des politiques qui n’aggravent pas les problèmes sociaux et environnementaux.</p>
<h2>Une nouvelle OMC nécessairement <em>bottom-up</em></h2>
<p>Cette NACII prendrait appui sur une rénovation du système commercial multilatéral et de son institution de régulation, en l’occurrence l’OMC. Mais, l’OMC étant une organisation conduite par ses membres, toute proposition imposée <em>par le haut</em> ou qui leur échapperait serait vouée à l’échec. Aussi, la NACII ne peut être que <em>bottom-up</em>. De même, la règle du consensus empêche toute réforme remettant en cause les acquis institutionnels du système commercial, particulièrement le statut de pays en développement. Enfin, la NACII ne devra pas se limiter à une réforme de la gouvernance de l’institution, mais ouvrir le débat sur les modalités et, surtout, les finalités des négociations commerciales internationales en cours.</p>
<p>Dans les chantiers à ouvrir, il conviendrait d’abord de consolider la fonction « forum de discussion » de l’OMC afin que cette dernière ne se réduise pas à uniquement à une enceinte de négociation pour la libéralisation des échanges. L’OMC se doit d’être un lieu de discussion et d’expertise – y compris contradictoires – sur toutes les questions liées au triptyque libéralisation-réglementation-résolution des différends. C’est ce qui constitue son cœur de métier.</p>
<p>Le second chantier d’une gouvernance repensée renvoie à la différenciation entre les États membres. La distinction « pays développés » d’un côté, « pays en développement » et « pays les moins avancés » de l’autre, date du siècle dernier. L’économie mondiale est désormais plus hétérogène, hétérogénéité structurelle et institutionnelle qui doit être retranscrite dans la NACII. Cela implique d’ouvrir un débat sur les critères de différenciation entre les pays membres, garantie d’une meilleure efficacité.</p>
<h2>Repenser la distinction entre les États membres</h2>
<p>La question de la différenciation cristallise les positions à l’OMC. La majorité des États membres l’associe en effet à une réduction des droits pouvant aboutir à une remise en cause du traitement spécial et différencié. Pour que cela ne soit pas le cas, il conviendrait de penser la différenciation non pas en termes géopolitiques ou stato-centrés, mais en fonction de propriétés structurelles, commerciales et sectorielles propres à la substance de l’accord négocié. Le compromis sur les critères de différenciation spécifique à l’accord serait établi avant le lancement de la négociation.</p>
<p>L’<a href="https://www.wto.org/french/news_f/news17_f/fac_31jan17_f.htm">Accord sur la facilitation du commerce</a>, entré en vigueur en février 2017, offre l’exemple d’un traitement spécial et différencié pensé en des termes non stato-centrés. Avantage de cette évolution : elle serait à même de garantir les flexibilités sectorielles et géopolitiques revendiquées par les membres de l’OMC. De plus, si le dossier de la différenciation s’accompagne d’une réflexion sur des critères de compensation et de nouveaux principes de solidarité, c’est-à-dire un traitement spécial et différencié repensé entre les membres, ce sera la garantie d’une meilleure équité dans la gouvernance.</p>
<h2>Revoir les dispositions des accords</h2>
<p>Plus généralement, la réforme de certaines dispositions des accords de l’OMC s’impose. Les règles de l’OMC datent de 1995. Or, durant ce quart de siècle, la globalisation a radicalement transformé l’économie politique mondiale. Pour mener à bien cette réforme, trois chantiers sont envisageables :</p>
<ul>
<li><p>Tout d’abord, une réforme des règles dérogatoires et d’exemption. Les articles <a href="https://www.wto.org/english/res_e/booksp_e/gatt_ai_e/art20_e.pdf">XX du GATT</a> et <a href="https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/26-gats.pdf">XXI de l’AGCS</a>, qui portent respectivement sur les tarifs douaniers et le commerce des services, devraient s’ouvrir aux nouveaux enjeux qui mettent le libre-échange en défaut. Il en va de la soutenabilité du système. C’est pourquoi une référence explicite au travail décent, aux changements climatiques, et à la perte de biodiversité devrait figurer dans tous les accords de l’OMC. On pourrait envisager l’adoption d’une dérogation expérimentale, en vue de permettre aux membres qui le souhaitent d’expérimenter des politiques commerciales compatibles avec les impératifs climatiques. Ce que le langage de l’OMC traduit par adopter un <em>waiver</em> climatique, avec une clause d’extinction progressive pour éviter que ne se mette en place un protectionnisme climatique.</p></li>
<li><p>Ensuite, réformer l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires. Objectif : rendre les subventions sur les énergies renouvelables, celles relatives à la décarbonisation, ou celles liées au traitement des externalités environnementales non actionnables. La <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/rulesneg_f/fish_f/fish_f.htm">négociation sur les subventions à la pêche</a> pourrait par exemple servir de modèle.</p></li>
<li><p>Enfin, investir les négociations sur les biens et services environnementaux, celles probables sur la concurrence, et sur la facilitation de l’investissement. Là encore, ces négociations doivent viser clairement la réalisation du développement durable. On peut regretter que l’OMC demeure aujourd’hui en retrait par rapport aux Objectifs de développement durable des Nations unies. Le commerce ne doit pas être conçu uniquement comme un facilitateur des ODD, mais aussi comme un accélérateur. Pour se faire, une dérogation ODD allant jusqu’à 2030 pourrait être introduite dans les accords les plus significatifs : l’agriculture durable, l’<a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/trips_f/trips_f.htm">Adpic</a> et le transfert de technologies vertes, les mesures concernant les investissements et liées au commerce, ou encore l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires. Nous n’avons pas tant besoin d’un accord sur la facilitation de l’investissement que d’un accord sur la facilitation de l’investissement durable. Celui-ci pourrait comporter, à titre d’exemple, des clauses incitatives au transfert et à l’adoption de technologies sobres en carbone, ou des clauses de soutien à l’adaptation aux changements climatiques.</p></li>
</ul>
<h2>Rénover le multilatéralisme économique</h2>
<p>Le contexte actuel démontre toute l’importance d’un système commercial multilatéral fondé sur des règles. Tout comme l’enlisement du cycle de Doha et le blocage institutionnel, voulu par certains membres, illustrent les risques de conflictualité, de fragmentation et de défaillance systémique que fait peser sur l’économie mondiale un multilatéralisme dysfonctionnel. Par conséquent, une rénovation du multilatéralisme est nécessaire en vue de le consolider et de remettre les politiques commerciales multilatérales au centre de la régulation de l’économie globale.</p>
<p>Cette rénovation devrait s’atteler à traiter les déséquilibres commerciaux globaux tels que l’ultra-mercantilisme et l’expansionnisme commercial. Ces déséquilibres sont en effet à l’origine, en partie, d’une concurrence destructrice, d’une pression sociale et écosystémique préjudiciable à l’ensemble des acteurs. Le système gagnerait à mettre en place des disciplines relatives aux stratégies de sur-promotion des exportations et aux excédents commerciaux excessifs. Dans un contexte de surcapacités structurelles, le risque protectionniste n’est finalement ni le plus urgent à traiter, ni le plus dangereux.</p>
<p>Dans le sillage de cette rénovation figure la réflexion sur le compromis globalisation-développement. La seule stratégie de la croissance tirée par les exportations ne peut plus être le fondement de ce compromis. Il s’agirait plutôt de viser l’amélioration des capacités productives en vue du développement durable. Si la question de la différenciation est correctement traitée, celle de la rénovation du traitement spécial ne devrait pas poser trop de problèmes du point de vue opérationnel et technique.</p>
<p>Autre rénovation à engager : le recours à des accords de « masse critique » en parallèle des accords multilatéraux par consensus, et des accords plurilatéraux. Dans une économie globale hétérogène et différenciée, il n’y a aucune raison que l’OMC se limite à un modèle unique de coopération commerciale. Un multilatéralisme à géométrie variable, tant du point de vue géopolitique que sectoriel, est tout à fait envisageable.</p>
<p>Cette option doit d’autant plus être envisagée que les négociations concernent de moins en moins l’accès réciproque aux marchés, et de plus en plus les conditions de fonctionnement et de régulation des marchés. Ce type de négociation a plus de chance d’aboutir lorsque les discussions regroupent un nombre limité de pays aux préférences convergentes et, mais cela n’est pas une condition, au niveau de développement comparable. L’intérêt d’accords de « masse critique » (ou minilatéraux), c’est leur inscription dans la norme multilatérale mais aussi leur dimension évolutive puisqu’ils demeurent ouverts à de nouveaux membres. L’institutionnalisation d’un minilatéralisme pourrait donc constituer une réponse à la prolifération des accords commerciaux régionaux et bilatéraux ainsi qu’un moyen d’avancer sur les questions dites OMC+ et OMC-extra. Évidemment, si cette option venait à se concrétiser, des procédures de compensation en cas de marginalisation de certains pays seraient à prévoir.</p>
<h2>La voie régionale de la NACII</h2>
<p>Il existe 459 <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/region_f/region_f.htm">accords commerciaux régionaux</a> (ACR) et préférentiels notifiés à l’OMC, auxquels s’ajoutent quelques 2 600 traités bilatéraux d’investissement. Par conséquent, la voie régionale ne peut être négligée. D’autant plus que l’on assistera, à terme, à une multilatéralisation du régionalisme. Certains pays investissent en effet actuellement dans les ACR avec l’objectif de créer une convergence d’intérêts et de préférences en vue, justement, de futures négociations multilatérales. À cela s’ajoute la vague actuelle d’ACR dits de <a href="https://www.lesechos.fr/20/10/2015/lesechos.fr/021418267703_pascal-lamy-----le-traite-transatlantique-est-un-accord-de-troisieme-generation--.htm">3ᵉ génération</a> qui, dans une large mesure, est consacrée à la coopération réglementaire internationale.</p>
<p>Il s’agirait de faire des accords commerciaux régionaux et bilatéraux un laboratoire institutionnel pour de nouveaux principes organisant la coopération économique internationale : les communs, la soutenabilité, ou des principes innovants de compensation internationale.</p>
<p>Toutefois, la négociation d’accords commerciaux multipliant les volets ou thématiques non-commerciales ne semble pas être la voie à privilégier. Cela reviendrait à soumettre les objectifs non-commerciaux (promotion du travail décent, inclusion sociale et genrée, protection de l’environnement, défense de la biodiversité, décarbonisation de l’économie, etc.) à la logique commerciale et libre-échangiste. L’option d’inclure dans l’accord commercial des références juridiquement contraignantes aux traités internationaux existant et régulant les enjeux clés de la globalisation semble plus prometteuse, surtout si elle s’accompagne de clauses conditionnelles « pré-ratification ». L’accord de libre-échange visera ainsi le « mieux-disant » social et environnemental.</p>
<p>Le contexte actuel est propice à une réflexion renouvelée sur la gouvernance commerciale internationale. Ce texte se veut une modeste contribution en vue d’une nouvelle architecture du commerce et de l’investissement internationaux qui interroge, non seulement la gouvernance de l’OMC, mais également la finalité du libre-échange multilatéral et régional.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102440/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehdi Abbas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’enlisement du cycle de Doha et les dynamiques économiques post-crise 2008 ont considérablement affaibli l’OMC. Comment l’institution peut-elle se réformer ? Voici quelques pistes.Mehdi Abbas, Maître de conférence, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1002752018-07-24T19:53:12Z2018-07-24T19:53:12ZMultilatéralisme : lever le « masque des fictions profitables »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/228464/original/file-20180719-142414-qka1wx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C21%2C1790%2C745&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Port de commerce.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/9894908203/6f04a914f3/">Magic Life Gallery/Visualhunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les dernières décisions de politique commerciale prises par l’administration Trump de taxer les importations européennes et <a href="https://bit.ly/2Lmga6I">chinoises</a> vers les États-Unis suscitent inquiétudes et réprobations. Elles s’agrègent aux attaques contre le multilatéralisme à l’ONU, sur le climat, en matière de sécurité collective et, bien entendu, commercial.</p>
<p>À ce niveau, les États-Unis ne sont pas les seuls à avoir érodé le système commercial multilatéral. L’UE est en effet la championne en matière d’accords commerciaux bilatéraux, préférentiels et régionaux, ces « termites » (<a href="https://bit.ly/2uwKHFi">J. Bhagwati</a>) qui n’ont eu de cesse de saper l’édifice multilatéral.</p>
<p>Face à la montée des tensions et au retour des logiques agressives de défense des intérêts nationaux beaucoup d’observateurs en appellent aux <a href="https://bit.ly/2NtVSW7">vertus du multilatéralisme</a>, bien entendu rénové pour tenir compte des réalités nouvelles de l’économie internationale, et de proposer des solutions <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/07/05/pour-la-creation-d-un-systeme-bi-monetaire-mondial_5326411_3232.html">plus ou moins infaisables</a>.</p>
<p>Au-delà de l’aspect formel d’une coopération à trois et plus, qu’en est-il réellement du multilatéralisme économique et de l’idéal de coopération à laquelle ils renverait ?</p>
<h2>Le multilatéralisme commercial et ses arrières-pensées</h2>
<p>Le multilatéralisme commercial prend forme dans la réforme de la politique commerciale américaine de 1934 entreprise par l’administration Roosevelt. Le <a href="https://bit.ly/2wil7q6"><em>Reciprocal Trade Agreement Act</em></a> constitue, avant toute chose, une tentative d’élargissement des exportations américaines fondée sur une norme de réciprocité dans l’échange.</p>
<p>Ainsi, c’est en utilisant le bilatéralisme que les États-Unis entendent contrecarrer la tendance au repli des nations sur leurs Empires à l’époque. Cette démarche sera au cœur de la mort-née <a href="https://bit.ly/2zOLgPL">Organisation internationale du commerce</a>, puis du GATT. Ils auront, pour se faire, le souci de construire un édifice fondé sur le droit, certes du plus fort, mais sur le droit tout de même !</p>
<p>Ce que l’on présente comme le parangon de la coopération internationale est avant toute chose un projet américain de reconstruire les relations économiques internationales conformément à leurs intérêts et permettant la sortie, sans risques majeurs pour les États-Unis, d’une économie de guerre en état de surproduction. Un projet dont la finalité était d’articuler besoin de reconstruction en Europe et en Asie à la nécessité de redéploiement de l’appareil industriel américain.</p>
<p>Ce projet trouve son origine dans les premières discussions, entamées dès 1941, américano-britanniques (l’économie qui « se sait et se veut dominante » et celle qui « ne peut se déshabituer de l’être » pour reprendre les mots de F. Perroux). Ces discussions portaient sur les conditions d’octroi d’une aide américaine à l’effort de guerre britannique. Après la <a href="https://bit.ly/2A06nOW">Charte de l’Atlantique</a> proclamée par Roosevelt (1941) et la Déclaration des Alliés (1942), les discussions portent sur l’ordre économique d’après-guerre.</p>
<p>Elles aboutissent à l’Accord d’aide economique mutuelle (<em>Mutual Aid Agreement</em>) signé le 23 février 1942 dans lequel figure l’Article VII. L’originalité de cet article – qui contient l’ADN de l’ensemble de l’architecture de Bretton Woods – est de poser que les contreparties des contributions américaines ne consisteront pas en des remboursements ou à l’imposition de conditions contraignantes (le précédent catastrophique du Traité de Versailles est dans toutes les mémoires). Les contreparties sont définies en termes d’engagements normatifs en matière de politique commerciale.</p>
<p>Pour la première fois dans l’histoire du capitalisme, les conditions des échanges internationaux sont régies par des textes, proposés par l’économie dominante et ratifiés par les autres États. Il en sera de même concernant le système des paiements, le système de financement et de reconstruction, autant de dispositifs de financement des débouchés.</p>
<h2>L’économie dominante est toujours favorable au libre‑échange</h2>
<p>Le multilatéralisme est, en fait, l’internationalisation des intérêts et préférences états-uniennes dans un contexte de reconstruction d’un monde en ruine où une économie concentre la quasi-totalité des ressources nécessaires à cette reconstruction.</p>
<p>Les théories de la stabilité hégémonique ou du leadership stratégique ou bienveillant offrent une explication, voire une justification ou légitimation, à la domination américaine. Elles nous rappellent cette vieille réalité qui traverse toute l’œuvre de F. Braudel, I. Wallerstein ou P. Bairoch, l’économie dominante est toujours favorable au libre-échange et au multilatéralisme, ce qu’avaient, en des termes plus économiques, très bien analysés A. Smith, K. Marx et F. List.</p>
<p>À cela s’ajoute le pragmatisme de la diplomatie économique, désormais multilatérale, des États-Unis. L’échec de l’OIC en offre un exemple en matière d’organisation des échanges internationaux. C’est ce même pragmatisme qui fera que, confronté à la pénurie de dollars, les États-Unis vont, par une simple lettre en 1947, s’engager à acheter et à vendre de l’or au taux de 35$ de l’once, officialisant le fait que le système monétaire international est concrètement un « système dont l’étalon était le dollar » (Denizet), et surtout qu’il fonctionne plus grâce à cette lettre qu’aux statuts du FMI.</p>
<p>De même, la <a href="http://www.banquemondiale.org/fr/who-we-are/ibrd">Banque internationale pour la reconstruction et le développement</a> (BIRD) va très vite changer de nature face à l’ampleur de la reconstruction européenne qui sera, par ailleurs, à l’origine du lancement du Plan Marshall (1948).</p>
<p>Il faudrait également mentionner le rôle tenu par la guerre de Corée dans la relance de l’économie américaine (qui connaissait un sérieux ralentissement économique en 1949) et, bien plus que le Plan Dodge, ses effets sur le développement du Japon qui comprend rapidement l’intérêt pour sa croissance et sa participation à la globalisation.</p>
<p>Schéma qui se reproduira plus tard durant la guerre du Vietnam dont on oublie qu’elle est à l’origine du développement du conteneur, vecteur déterminant de la mondialisation bien plus que les développements successifs de la théorie du libre-échange et autres formalisations des économistes. Avec la guerre du Vietnam la conteneurisation s’étend à l’Asie-Pacifique (Japon, Taiwan, Hong Kong, Singapour et Australie).</p>
<h2>Paradoxe : pour la première fois, l’économie mondiale est multilatérale</h2>
<p>Ces dernières années sont marquées par une évolution des rapports de richesse et de puissance dans l’économie mondiale. Cette dernière est désormais moins asymétrique qu’en 1944 (Bretton Woods) ou 1995 (création de l’OMC). Simultanément, les États-Unis prennent conscience des contradictions sociales et économiques de plus de cinq décennies d’une globalisation, qu’ils ont eux-mêmes initiée.</p>
<p>La capacité des États-Unis – et du G7 – à multilatéraliser leurs préférences s’est amoindrie. Outre ce nouvel équilibre en gestation, il manque une vision ou un projet tel que celui porté par l’administration Roosevelt et son Secrétaire d’État <a href="http://cordellhull.com/biography_fr/">Cordell Hull</a> ; un projet, qui chaque fois que cela était nécessaire, s’est adapté de façon <em>ad hoc</em> aux contraintes tant internes que systémiques.</p>
<p>Paradoxalement, il est possible de considérer que pour la première fois, l’économie mondiale est multilatérale. C’est-à-dire que les pays sont, collectivement, mis face à la responsabilité, voire la nécessité, d’élaborer des règles communes, partagées et acceptées, régissant les relations économiques internationales.</p>
<p>Il s’agit, par conséquent, d’innover en matière de construction de règles, de faire place à l’hétérogénéité des préférences et des intérêts ; au pluralisme juridiques ; de re-hiérarchiser les valeurs autour desquelles se construisent les régimes internationaux et de rénover les principes d’ordre des rapports économiques et politiques internationaux.</p>
<p>Il s’agit d’élaborer des actions concertées, de trouver de nouveaux principes de solidarité internationale, d’élaborer des mécanismes de compensation internationale, bref construire une économie mondiale praticable (<em>workable global economy</em>). Ni le marché, ni la concurrence ne sont en mesure de le faire, la tâche est gigantesque d’autant que « la tragédie est aujourd’hui collective » (A. Camus).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/100275/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehdi Abbas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les décisions de Donald Trump remettent en cause de nombreuses règles du commerce international, retour historique sur la fabrication du concept de multilatéralisme des échanges.Mehdi Abbas, Maître de conférence, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/978932018-06-19T19:00:24Z2018-06-19T19:00:24ZCommerce international : le multilatéralisme était mort-vivant, Trump l'achève<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/223786/original/file-20180619-126534-1b0o2ag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C2986%2C1540&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les échanges bilatéraux, futur du commerce international ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/gas-tanker-transporting-liquid-natural-by-322905989">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le dernier sommet du G7, ou plutôt du G8-1, puisque la Russie en est exclue depuis quelques années, suite à son implication dans le conflit ukrainien, s’est réuni tout récemment au Québec. Donald Trump y a tenu toutes ses promesses en matière de coups d’éclats. On avait déjà eu droit à ses hésitations savamment orchestrées à la veille de l’événement, puis à la désormais célèbre « photo souvenir » le montrant fermement en opposition avec la Chancelière allemande. Sa volte-face sur la signature du communiqué final a achevé de torpiller un « accord » de façade qui de toute façon n’aurait guère tenu dans le temps. Seul point d’accord entre les membres de ce G« 6+1 » : le multilatéralisme commercial est en profonde crise. Mais est-ce une nouveauté ?</p>
<h2>Un multilatéralisme mal en point</h2>
<p>Du côté des six, les regards se sont naturellement portés sur la nouvelle politique commerciale américaine. Ils y voient l’origine des difficultés actuelles, et pas uniquement au niveau commercial. Côté « plus un », en revanche, il s’est agi de dénoncer l’instrumentalisation des institutions multilatérales comme l’OMC. Selon les États-Unis, certains États membres ne chercheraient plus à négocier des accords durables, mais uniquement à obtenir par le biais du mécanisme de règlement des différends ce qu’ils n’ont pu obtenir auparavant par la négociation. Les <a href="https://theconversation.com/refonder-lomc-pour-sortir-de-la-crise-vers-un-multilateralisme-a-geometrie-variable-97648">propositions américaines</a> visent d’ailleurs à éviter cette situation, déjà clairement identifiée <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11558-014-9188-2">par les spécialistes du multilatéralisme</a>. Ce qui ne les empêche pas de faire exactement la même chose actuellement avec la mise en place des tarifs sur l’acier et l’aluminium…</p>
<p>Tout ceci donne l’impression qu’avant la victoire de Donald Trump, la coopération internationale multilatérale était non seulement encore bien vivante, mais qu’elle demeurait également efficace pour réguler la mondialisation et la hausse inévitable des interdépendances qu’elle a engendrée. Or, rien n’est moins sûr. Un rapide retour sur la notion même de multilatéralisme montre que ce dernier était déjà bien mal en point depuis au moins une décennie.</p>
<p>Cela ne signifie pas pour autant que la responsabilité des États-Unis dans la situation actuelle est à minorer : en effet, ce nouveau bilatéralisme américain pourrait porter le coup de grâce au multilatéralisme.</p>
<h2>Une initiative américaine reposant sur cinq piliers</h2>
<p>En matière commerciale, on fait remonter l’avènement de la logique multilatérale au changement de nature de la <a href="https://www.jstor.org/stable/2706771?casa_token=F3fU6r3hg7oAAAAA:gulWeyVKJWw_ByoNqgDIeyA5CZzoyV6lWCCktnfNJf_zaGpeI00JQevwgk3NdK8XOpfCxpJSwpBOMlQ8a8lZ9nFtQS527lhKIqH3SQISR5K5MUwXxv0&seq=1#page_scan_tab_contents">politique commerciale des États-Unis, qui a débuté dans les années 1930</a>. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’ordre commercial mondial a été très fortement influencé par la volonté américaine d’appuyer la libéralisation commerciale sur le droit international et sur des institutions le garantissant.</p>
<p>Bien plus que sur le fait de <a href="https://www.cairn.info/feuilleter.php?ID_ARTICLE=DEC_GRAZ_2010_01_0027">« coordonner les politiques nationales dans des groupes de trois États ou plus »</a>, le multilatéralisme s’appuie sur des principes universels, formant cinq piliers qui soutiennent l’OMC encore aujourd’hui :</p>
<ul>
<li><p>principe de non-discrimination : cette non-discrimination est non seulement externe (clause dite de la <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact2_f.htm">« nation la plus favorisée »</a> : une faveur accordée à un pays doit l’être à tous les autres membres de l’OMC), mais aussi interne (clause dite du <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact2_f.htm">« traitement national »</a> : dans un pays, le traitement des produits étrangers et nationaux doit être identique). Cette non-discrimination implique l’égalité de traitement entre tous les partenaires commerciaux et ne supporte que quelques exceptions dans le cadre de l’OMC, comme la possibilité de signer des accords de commerce régionaux ;</p></li>
<li><p>règle de la transparence : celle-ci impose à chaque État de rendre publiques toutes les mesures relatives à sa politique commerciale, afin d’aider ses partenaires commerciaux à mieux évaluer leur impact.</p></li>
<li><p>principe de réciprocité tarifaire : sa mise en place avait pour but d’approfondir la libéralisation commerciale de deux façons. Par le jeu des concessions tarifaires réciproques tout d’abord, et par de possibles mesures de rétorsion ensuite, dans le cas d’une éventuelle hausse unilatérale de tarifs douaniers. Ce principe inscrit dans le droit international la possibilité d’augmenter les tarifs en contrepartie d’une politique commerciale non coopérative ;</p></li>
<li><p>principe de flexibilité : les fondateurs de l’ordre commercial d’après-guerre ont considéré que des exceptions aux trois principes précédents pouvaient se justifier temporairement, pour peu qu’elles soient légitimes. Toute une série d’exceptions, comme les clauses de sauvegarde, existent d’ailleurs en matière commerciale.</p></li>
<li><p>principe du consensus en matière de décisions : bien qu’à l’OMC les États membres sont censés prendre leurs décisions sur la base d’un vote où chacun d’eux dispose d’une voix et d’une seule, dans les faits la voie consensuelle a toujours été privilégiée.</p></li>
</ul>
<p>Ces principes, malgré les difficultés de mise en œuvre et notamment malgré la hausse de mesures non tarifaires comme les quotas ou les subventions à l’exportation, ont été assez efficaces pour faire baisser de manière importante les tarifs douaniers, avant la création de l’OMC, et même après. Mais ils semblent néanmoins de plus en plus difficilement applicables, notamment depuis la crise de 2008. C’est pourquoi l’hypothèse d’une mort clinique du multilatéralisme bien antérieure aux tensions actuelles a émergé.</p>
<h2>Le multilatéralisme est un mort-vivant : quelques indices</h2>
<p>Plusieurs indices étayent l’idée que le multilatéralisme commercial est, depuis longtemps, une sorte de zombie institutionnel, un corps mort possédant l’apparence de la vie. Le premier est que le nombre d’accords de commerce régionaux (ACR) a littéralement explosé, et ce au moment même où les nombreux accords donnant naissance à l’OMC sont entrés en vigueur, en 1995. Aujourd’hui, <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/region_f/region_f.htm">284 ACR sont notifiés</a> à l’OMC. Cette explosion a été accompagnée de l’explosion toute aussi spectaculaire du nombre d’accords bilatéraux d’investissement (plus de 3300 en vigueur aujourd’hui !).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hvhpDlfD08Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Retour sur vingt ans de multilatéralisme selon l’OMC.</span></figcaption>
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<p>Au-delà de la seule question de leur nombre, la nature de ces accords s’est profondément modifiée avec le temps. Ceux-ci sont désormais en lien avec des dimensions non commerciales de l’activité économique. Ils traitent des questions relatives à la sécurité, aux normes… Ils visent par ailleurs de plus en plus l’interconnexion des économies nationales, <em>via</em> notamment les chaînes de valeur globales, en particulier grâce à la fin des obstacles à l’intérieur des frontières qui visent soit l’harmonisation des règles internes d’un pays à l’autre, soit leur mise en compatibilité (comme les règles sanitaires, les règles d’origine ou voire même les règles sociales). Par exemple, l’accord entre le Canada et l’Union européenne (<a href="http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/eurd88_deblock.pdf">Accord économique et commercial global</a>) introduit des dispositions permettant la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, ce qui est une innovation notable. Le principe de la réciprocité devient dès lors de plus en plus difficile à respecter, tant les négociations se doivent de rentrer dans des détails réglementaires et techniques de plus en plus pointus.</p>
<p>Second indice : l’OMC a de plus en plus de difficultés à faire négocier ses membres en son sein, voire à faire respecter ses principes de base en cas de différend commercial. Cette institution n’est pas supranationale. Elle est pilotée par ses membres <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/org1_f.htm">(members-driven)</a>, et s’ils ne souhaitent pas négocier, il lui est très difficile de les inciter à le faire. Or, depuis 2003, le cycle actuel de négociation (dit cycle de Doha pour le développement) traîne en longueur. Cela est essentiellement lié au fait que les pays du Sud refusent de libéraliser davantage leurs marchés publics si ceux du nord ne jouent pas le jeu en matière agricole.</p>
<p>Plus grave encore, lorsqu’un différend entre deux membres conduit l’un d’eux à obtenir le droit à des représailles tarifaires, il n’est pas rare dans les faits que celles-ci ne soient pas mises en place effectivement, ou tout bonnement qu’il soit quasiment impossible de le faire. Par exemple, les représailles qu’envisage le Canada avant même le résultat du différend qui l’oppose aux États-Unis concernant les <a href="https://theconversation.com/pour-comprendre-la-crise-des-importations-americaines-dacier-et-daluminium-93184">sur-tarifs sur l’acier et l’aluminium</a> concernent bien sûr ce secteur, mais aussi des produits comme le papier toilette, le ketchup, ou la moutarde. Les supporters canadiens du mondial de foot russe n’ont qu’à bien se tenir : ils devront payer plus cher pour manger leurs mets préférés devant les matchs à partir du 1<sup>er</sup> juillet…</p>
<p>Troisième indice : les mutations profondes de l’économie mondiale. Celles-ci expliquent les difficultés rencontrées par l’approche multilatérale. Un énorme rééquilibrage du poids économique et commercial a eu lieu au sein des grandes économies, dû notamment à la montée en puissance de la Chine. Le pays, qui fait de plus en plus peur aux pays riches, pèse désormais 17 % du commerce mondial. Le déploiement de sa nouvelle stratégie (<a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/04/05/le-plan-made-in-china-2025-vise-par-les-taxes-americaines_5280977_3234.html">« Made in China 2025 »</a>) s’accompagne d’une volonté de montée en gamme technologique et de renouvellement des routes commerciales, les Nouvelles routes de la soie.</p>
<p>Ces mutations s’expliquent aussi par l’augmentation grandissante des services et du numérique dans les échanges mondiaux, notamment au sein des chaînes de valeur globales que pilotent les grandes firmes transnationales : 60 % des échanges commerciaux sont générées en leur sein. Il ne s’agit pas vraiment de commerce inter-national, et le cadre interétatique devient dès lors moins pertinent pour rendre compatibles toutes les stratégies desdites firmes. On voit ainsi fleurir à la fois le concept de gouvernance globale et des initiatives mêlant autorités publiques et acteurs privés, qui traduisent cette mutation.</p>
<p>Dernier indice suggérant que le multilatéralisme est mort-vivant depuis longtemps : la mondialisation commerciale marque le pas depuis quelques années. S’il devient de moins en moins coûteux d’exporter, <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/radiographie-dun-monde-ouvert/00084846">il devient de plus en plus coûteux d’exporter loin</a>.</p>
<h2>Vers le retour d’un bilatéralisme prédateur ?</h2>
<p>La frustration des grandes puissances commerciales peut alors expliquer pourquoi elles ont cherché à passer par la voie bilatérale ou régionale, en négociant puis signant des accords de commerce dont la portée universelle était inexistante <em>a priori</em>. Certains revendiquent d’ailleurs cette méthode pour <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jep.30.1.95">accélérer le processus de libéralisation commerciale</a>, et ce même si le libre-échange est un échec sur de nombreux points (il protège souvent uniquement les grands pays de la concurrence internationale ; il fragilise les petites économies en cas de crise du fait de la spécialisation qu’il implique ; il fait disparaître dans bien des cas des pans entiers de l’industrie nationale sans permettre à leurs travailleurs de retrouver un emploi aussi rémunérateur).</p>
<p>Cette voie avait ainsi mené à la négociation de méga-accords régionaux comme le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/03/07/le-partenariat-transpacifique-relance-sans-washington_5266925_3234.html">Partenariat TransPacifique</a> ou à des accords sectoriels comme <a href="https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/Rapport_numerique_dans_accords_commerciaux_internationaux.pdf">celui sur les services</a>. Sur ce point, depuis le début des années 2000, les États-Unis étaient même devenus les leaders incontestés en la matière, en développant des nouvelles générations d’accords commerciaux. Puis est survenue l’élection de Donald Trump, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/01/ZAJEC/58242">qui a profondément changé la donne</a>.</p>
<h2>Vers un commerce international prédateur ?</h2>
<p>Il semble de plus en plus clair que Donald Trump cherche à modifier la nature même du <a href="https://theconversation.com/trump-le-mercantilisme-et-le-dollar-un-cocktail-hautement-explosif-97638">bilatéralisme américain</a>. Ce qui, à terme, pourrait définitivement remettre en cause toute coopération internationale commerciale fondée sur l’universalité et le droit (sans présager du sens de cette coopération, que ce soit la poursuite de la libéralisation ou son reflux), deux piliers pourtant fondateurs de la puissance américaine d’après-guerre.</p>
<p>Cette situation n’est pas sans rappeler, hélas, une politique commerciale oubliée par la plupart des analystes de l’économie : celle de l’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/international-organization/article/multilateralism-the-anatomy-of-an-institution/AB34548F299B16FDF0263E621905E3B5#">Allemagne hitlérienne</a>. Ce régime invoquait lui aussi la « réciprocité » avec ses « partenaires » commerciaux, mais dans une logique clairement prédatrice, visant à augmenter sa puissance économique et politique. La coopération internationale passait aussi par des accords monétaires ou d’investissement clairement à l’avantage de l’Allemagne.</p>
<p>Reste à espérer que la Chine, dans sa volonté d’<a href="https://www.humanite.fr/chine-loffensive-internationale-du-yuan-656081">internationalisation du Renmibi</a>, n’ait pas les mêmes intentions que les États-Unis de Trump. On aurait alors une véritable coalition d’intérêts entre les deux premières puissances mondiales, dont l’objet serait de reconstruire un ordre commercial international prédateur, à leur seul avantage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97893/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Grégory Vanel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le dernier sommet du G7 n’a pas sonné le glas du multilatéralisme : celui-ci était déjà mort-vivant. Il révèle en revanche la tentation du retour vers un bilatéralisme prédateur d’une autre époque…Grégory Vanel, Professeur Assistant, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.