tag:theconversation.com,2011:/us/topics/orthographe-45833/articlesorthographe – The Conversation2023-06-13T18:00:50Ztag:theconversation.com,2011:article/2034842023-06-13T18:00:50Z2023-06-13T18:00:50ZLes jeunes se moquent-ils de l’orthographe ?<p>Avec l’avènement d’internet et des smartphones, la communication écrite s’est enrichie de tournures informelles. Écrire à quelqu’un, ce n’est plus nécessairement adopter les codes de la lettre. Ce qu’on appelle souvent le « langage SMS » connait un succès certain, même si son emploi est loin d’être généralisé, même dans les <a href="https://journals.openedition.org/discours/9020">écritures numériques…</a></p>
<p>On associe souvent ces usages alternatifs aux pratiques d’écriture des jeunes, même s’ils ne sont réservés à aucune génération. Parallèlement, le <a href="https://theconversation.com/orthographe-les-eleves-font-deux-fois-plus-de-fautes-que-leurs-parents-196311">recul du niveau en orthographe</a> des élèves scolarisés en France depuis quelques dizaines d’années est bien documenté. Il serait alors tentant de faire un lien entre les deux : les jeunes générations n’auraient-elles pas conscience de l’utilité sociale de l’orthographe ? Des pratiques d’écriture moins normées, liées aux usages numériques, influenceraient-elles leur rapport à l’écrit ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-pourquoi-le-niveau-baisse-t-il-185516">Orthographe : pourquoi le niveau baisse-t-il ?</a>
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<p>Une enquête menée, dans le cadre d’une thèse, <a href="https://journals.openedition.org/pratiques/9953">auprès de 178 étudiants préparant un BTS (brevet de technicien supérieur) tertiaire en 2017</a> permet d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions. Il s’agit d’un échantillon limité mais qui présente l’intérêt d’être varié en termes d’origine scolaire puisqu’il regroupe des bacheliers généraux, technologiques et professionnels.</p>
<p>Par ailleurs, il s’agit d’étudiants s’apprêtant à exercer un métier où l’écrit joue un rôle important puisqu’ils se forment pour devenir assistants de direction, travailler dans le tourisme ou le support informatique aux organisations. Il était donc particulièrement intéressant de recueillir leurs représentations concernant le rôle social de l’orthographe.</p>
<h2>Donner une bonne image de soi</h2>
<p>Les étudiants enquêtés ont été interrogés sur <a href="https://www.theses.fr/2019GREAL008">l’importance accordée à l’orthographe</a> en contextes scolaire, professionnel et privé. L’importance scolaire de l’orthographe est reconnue puisque 46 % d’entre eux la considèrent nécessaire et 47 % importante pour réussir aux examens. Mais l’importance professionnelle d’une bonne maitrise de l’orthographe semble encore plus marquée à leurs yeux, puisque 57 % la déclarent nécessaire et 38 % importante pour réussir dans la vie professionnelle.</p>
<p>Certains enquêtés se trouvaient d’ailleurs exposés dans leur formation à des cours d’orthographe répondant à ce besoin professionnel. Si certains en contestent les modalités, parfois perçues comme infantilisantes, aucun n’en remet en question l’utilité.</p>
<p>Les entretiens montrent que cette importance accordée à l’orthographe en contexte professionnel est liée à l’idée que l’orthographe influe sur l’image que le lecteur se fait de l’auteur du message. Un étudiant utilise une métaphore assez parlante à cet égard : « avoir une bonne orthographe, c’est comme être bien habillé dans la vraie vie ». Il s’agirait donc, dans les situations de communication médiées par l’écrit, de respecter la norme qui permettra d’être perçu comme un professionnel sérieux.</p>
<p>Les types d’écrits évoqués par ces étudiants en voie de professionnalisation sont parfois des écrits professionnels (lettres, rapports, etc.), mais surtout les écrits associés aux processus de recrutement qui les concernent au premier chef : le CV et la lettre de motivation. Leur regard sur l’orthographe au sein de ce processus s’avère d’ailleurs particulièrement pertinent puisqu’il a été montré que les <a href="https://theconversation.com/les-fautes-dorthographe-sur-le-cv-bien-plus-que-des-fautes-87696">erreurs orthographiques influent très négativement</a> sur la façon dont les recruteurs jugent ces documents.</p>
<h2>S’adapter au contexte de communication</h2>
<p>En contextes professionnel et scolaire, les enquêtés ont donc parfaitement conscience du rôle social de l’orthographe et ils sont extrêmement peu nombreux à le remettre en cause. Mais qu’en est-il dans le domaine privé ? Et en particulier dans les pratiques d’écritures numériques, telles que les réseaux sociaux ou les SMS ?</p>
<p>L’attachement à une orthographe normée s’illustre aussi dans cette partie de l’enquête. Ils sont environ 40 % à déclarer faire toujours attention à l’orthographe dans les SMS, quel que soit le contexte. Ils sont moins de 10 % à déclarer n’y faire attention que rarement, ou jamais. Les 50 % restant ont répondu y faire parfois attention.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-fautes-dorthographe-une-barriere-infranchissable-vers-lemploi-171129">Les fautes d’orthographe : une barrière infranchissable vers l’emploi ?</a>
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<p>Les entretiens ont permis de montrer qu’il s’agit majoritairement d’une adaptation au destinataire des modalités de la communication. Les échanges avec des personnes peu familières, des adultes et, a fortiori, des enseignants ou des professionnels se font ainsi le plus souvent dans une orthographe normée. Ces étudiants démontrent ainsi qu’ils sont conscients de la nécessité d’adapter la communication au destinataire.</p>
<p>Il est par ailleurs notable que ceux qui déclarent avoir recours à des procédés alternatifs tels que l’abréviation ne l’assimilent absolument pas à une négligence orthographique. Certains déclarent au contraire rester attentifs aux accords même s’ils s’autorisent des formes abrégées. Il s’agit d’adapter le code utilisé aux contraintes matérielles d’une communication qui se doit d’être rapide.</p>
<p>Plus globalement, les choix orthographiques apparaissent liés au réseau social, au sens large, dans lequel s’inscrit la communication. Comme on pouvait s’y attendre, certains disent être plus détendus avec leurs amis parce qu’ils savent que ceux-ci accordent peu d’importance à l’orthographe. Mais la situation inverse existe aussi et une étudiante dit même avoir progressé en orthographe au collège grâce aux échanges par SMS avec sa meilleure amie qui avait une excellente orthographe et dont l’influence lui a ainsi permis de progresser.</p>
<h2>Les défis d’un système orthographique très complexe</h2>
<p>Il en va de même des échanges en ligne qui peuvent prendre des formes diverses, dont certaines s’avèrent favorables au développement des compétences orthographiques. Dans notre corpus, c’est particulièrement vrai des quelques étudiants qui déclarent participer à des forums Role play game.</p>
<p>Cette pratique du jeu de rôle en ligne implique en effet de faire exister des personnages textuellement. Elle s’appuie donc sur une pratique d’écriture, et de lecture, qui souffre d’une orthographe non normée. Tous les étudiants concernés témoignent ainsi de la pression mise par les coordinateurs de ces forums sur les participants pour qu’ils se conforment à la norme orthographique.</p>
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<a href="https://theconversation.com/faut-il-modifier-les-regles-daccord-du-participe-passe-102599">Faut-il modifier les règles d’accord du participe passé ?</a>
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<p>À l’échelle de notre corpus, les pratiques d’écriture numériques n’apparaissent donc pas comme un obstacle au développement des compétences orthographiques. Le respect de la norme ne dépend pas du support mais du contexte social et, conformément à ce qu’on sait du <a href="https://www.persee.fr/doc/airdf_1260-3910_1990_num_6_1_919_t1_0023_0000_4">rapport des francophones à l’orthographe</a>, celui-ci est souvent favorable à une orthographe normée.</p>
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<p>Le paradoxe demeure cependant que notre enquête a aussi confirmé ce par quoi nous ouvrions notre article, c’est-à-dire la difficulté de ces étudiants scolarisés en France à produire des textes dénués d’erreurs orthographiques, notamment en ce qui concerne l’orthographe grammaticale.</p>
<p>Si celle-ci ne procède pas d’un désintérêt pour l’orthographe, s’ils ont une conscience aiguë du rôle que l’orthographe pourrait avoir dans leur vie professionnelle, d’où vient cette difficulté ? Nos résultats incitent à penser qu’il ne s’agit pas de négligence, mais de difficultés à mettre en œuvre le système orthographique du français, <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/05/17/michel-fayol-il-faut-tenir-compte-des-difficultes-specifiques-de-la-langue-francaise/?utm_campaign=Lexpresso_19-05-2023_1&utm_medium=email&utm_source=Expresso">reconnu comme extrêmement complexe</a>. On peut légitimement s’interroger sur les conséquences pratiques de ce décalage entre conscience forte d’une demande sociale et difficulté effective à y répondre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203484/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hélène Le Levier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le niveau des élèves en orthographe baisse. Faut-il y voir pourtant une négligence des jeunes face au respect des codes, à l’ère du « langage SMS » ?Hélène Le Levier, Maitresse de conférences en sciences du langage à l’INSPÉ de Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2020142023-04-04T17:39:30Z2023-04-04T17:39:30ZEn orthographe, le niveau baisse : faut-il vraiment s’en inquiéter ?<p>En orthographe, les élèves d’aujourd’hui seraient-ils moins performants que leurs aînés ? Oui, répondent les <a href="https://www.education.gouv.fr/les-performances-en-orthographe-des-eleves-en-fin-d-ecole-primaire-1987-2007-2015-1991">rapports</a> qui se succèdent sur la question. Selon une enquête de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (<a href="https://www.education.gouv.fr/les-performances-en-orthographe-des-eleves-de-cm2-toujours-en-baisse-mais-de-maniere-moins-marquee-343675">DEPP</a>), publiée fin 2022 par le ministère de l’Éducation, les élèves de CM2 feraient environ <a href="https://theconversation.com/orthographe-pourquoi-le-niveau-baisse-t-il-185516">neuf fautes d’orthographe</a> de plus que ceux de 1987, soit une hausse de 81,3 % sur un intervalle de 35 ans. Ce constat suscite souvent des cris d’orfraie sur l’état de l’école et le niveau scolaire des nouvelles générations.</p>
<p>Mais, quelle est la portée de ce diagnostic ? Que nous dit-il des apprentissages, des savoirs et des compétences des élèves de manière plus globale ? L’augmentation du nombre de fautes d’orthographe a-t-elle une réelle incidence sur les capacités de lecture et de compréhension des textes ?</p>
<p>Au-delà des enquêtes centrées sur la France permettant de mesurer les évolutions en orthographe, les évaluations internationales comme <a href="https://www.oecd.org/pisa-fr/">PISA</a> (Programme for International Student Assessment) nous aident à mieux situer ces enjeux dans un contexte où les programmes scolaires eux-mêmes se sont étoffés sur le long terme.</p>
<h2>Des programmes scolaires plus vastes aujourd’hui</h2>
<p>En effet, inscrites dans le temps, les inquiétudes concernant <a href="https://theconversation.com/fr/topics/orthographe-45833">l’orthographe</a> ne sont pas inédites. Dès 1996, une étude prémonitoire <a href="https://archives-statistiques-depp.education.gouv.fr/Default/doc/SYRACUSE/11356/connaissances-en-francais-et-en-calcul-des-eleves-des-annees-20-et-d-aujourd-hui-comparaison-a-parti">compare le niveau de français des élèves</a> sur le temps long. Elle mobilise une enquête réalisée dans les années 1920 auprès d’élèves ayant participé à l’examen du certificat d’études primaires (CEP) de 1923 à 1925.</p>
<p>En répliquant cette expérience historique, les auteurs du rapport ont mis en avant une baisse du niveau en orthographe au long du XX<sup>e</sup> siècle. Soumis aux mêmes <a href="https://theconversation.com/la-dictee-drole-de-passion-francaise-48254">dictées</a>, les élèves de collège de 1996 ont commis, en moyenne, environ 2,5 fois plus de fautes que ceux des années 1920. Alors que, dans les années 1920, près d’un quart des élèves faisaient 0 ou 1 faute d’orthographe, cela ne concerne plus que 5 % des élèves en 1996.</p>
<p>Ces résultats sont largement confirmés par les récents travaux de la <a href="https://www.education.gouv.fr/les-performances-en-orthographe-des-eleves-de-cm2-toujours-en-baisse-mais-de-maniere-moins-marquee-343675">DEPP</a>. Dans le tableau ci-dessous, l’on observe clairement une hausse des fautes d’orthographe de 81,3 % entre 1987 et 2021.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/518454/original/file-20230330-14-ofmyz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518454/original/file-20230330-14-ofmyz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518454/original/file-20230330-14-ofmyz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=321&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518454/original/file-20230330-14-ofmyz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=321&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518454/original/file-20230330-14-ofmyz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=321&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518454/original/file-20230330-14-ofmyz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518454/original/file-20230330-14-ofmyz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518454/original/file-20230330-14-ofmyz0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Une <a href="https://openlibrary.org/works/OL24086935W/Orthographe_%C3%A0_qui_la_faute?edition=key%3A/books/OL31783684M">autre analyse</a> de l’évolution du niveau en orthographe confirme ces données en comparant les fautes d’orthographe des jeunes élèves en 1873, 1987 et 2005. L’étude utilise une dictée basée sur un court texte de Fénelon et montre que le nombre de fautes des élèves de CM2 double sur la période 1873-2005 (voir encadré).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/516709/original/file-20230321-28-zq4kss.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/516709/original/file-20230321-28-zq4kss.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/516709/original/file-20230321-28-zq4kss.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=215&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/516709/original/file-20230321-28-zq4kss.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=215&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/516709/original/file-20230321-28-zq4kss.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=215&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/516709/original/file-20230321-28-zq4kss.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=270&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/516709/original/file-20230321-28-zq4kss.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=270&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/516709/original/file-20230321-28-zq4kss.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=270&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Pourtant, si le <a href="https://archives-statistiques-depp.education.gouv.fr/Default/doc/SYRACUSE/11356/connaissances-en-francais-et-en-calcul-des-eleves-des-annees-20-et-d-aujourd-hui-comparaison-a-parti">rapport Thélot</a> de 1996 cité plus haut étaye par des éléments concrets la baisse du niveau en orthographe, il invite aussi à nuancer cette tendance. En effet, si les élèves font davantage de fautes, leur niveau en vocabulaire et en compréhension de texte est équivalent à celui des élèves des années 1920, précise-t-il. Qui plus est, à tort ou à raison, les élèves d’aujourd’hui ne sont plus vraiment soumis avec intensité au rituel de la dictée.</p>
<p>Il apparaît également, en toute logique, que les élèves des années 1920 devaient intégrer moins de contenus d’enseignement que ceux d’aujourd’hui. En d’autres termes, l’étendue des connaissances transmises en français, mais aussi en mathématiques par exemple, nous invite à ne pas déconsidérer les compétences de la nouvelle génération, bien au contraire. Dès lors, il n’est sans doute pas déraisonnable de se demander si les formats actuels d’évaluation, en orthographe notamment, sont propres à les mesurer efficacement.</p>
<h2>En primaire, des scores sous la moyenne de l’OCDE</h2>
<p>Les évaluations internationales sur la lecture, <a href="https://www.oecd.org/pisa-fr/">PISA</a> (Programme for International Student Assessment) et <a href="https://timssandpirls.bc.edu/pirls2016/index.html">PIRLS</a> (Progress in International Reading Literacy Study) éclairent sous un autre angle la complexité de la situation. En effet, contrairement à une dictée classique, <a href="https://theconversation.com/comment-les-enquetes-pisa-sont-devenues-incontournables-70443">PISA</a> n’est pas un test de connaissances, mais une évaluation des compétences des jeunes de 15 ans, PIRLS se focalisant les jeunes de CM1. Leur objectif est d’estimer leur capacité à analyser un texte et à produire des <a href="http://senlis.dsden60.ac-amiens.fr/IMG/pdf/animpeda-comprehensionce-comment.pdf">inférences</a> (c’est-à-dire à combiner des informations pour comprendre ce qui n’est pas dit explicitement dans le texte), et non de juger s’ils maîtrisent les règles d’orthographe ou de grammaire.</p>
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<p>De ce point de vue, la France présente un retard vis-à-vis des autres pays riches. En primaire, le niveau en lecture des élèves français se situe dans le groupe des pays les moins performants en 2016. Le Danemark ou l’Italie affichent des scores qui avoisinent les 550 points, lorsque la France aboutit à une performance moindre avec 511 points. Transformé en équivalents d’années d’apprentissage, cet écart équivaut à un peu plus d’une année d’acquis scolaires. Au collège, les élèves français affichent également une performance au-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE avec 493 points, alors que des pays comme la Finlande ont un score de 520 points.</p>
<p>Ces résultats ne permettent toutefois pas d’apprécier les tendances de long terme. Aussi, forts de nos travaux précédents, nous effectuons des analyses complémentaires dans le but d’obtenir des données comparables sur la performance en lecture des élèves français entre 1970 et 2020.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-la-dictee-ne-suffit-pas-a-evaluer-le-niveau-des-eleves-177494">Orthographe : la dictée ne suffit pas à évaluer le niveau des élèves</a>
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<p>Nos résultats soulignent que, depuis 1970, le <a href="https://theconversation.com/maths-lecture-le-niveau-des-eleves-baisse-t-il-vraiment-198432">niveau des élèves français progresse en lecture et en mathématiques</a> malgré une tendance à la baisse sur les vingt dernières années. En comparant les évolutions respectives de la performance en orthographe et en lecture aux deux niveaux scolaires entre 1985 et 2021, les résultats montrent également l’absence d’une relation entre la chute du niveau en orthographe et le niveau général des élèves : alors que la part des élèves faisant moins de 10 fautes à la dictée passe de près de 60 % à moins de 25 % sur cette période, la performance des élèves en lecture augmente de 1 % en primaire et de 8 % au niveau secondaire.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/516980/original/file-20230322-26-ucge25.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/516980/original/file-20230322-26-ucge25.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/516980/original/file-20230322-26-ucge25.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=465&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/516980/original/file-20230322-26-ucge25.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=465&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/516980/original/file-20230322-26-ucge25.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=465&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/516980/original/file-20230322-26-ucge25.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=584&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/516980/original/file-20230322-26-ucge25.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=584&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/516980/original/file-20230322-26-ucge25.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=584&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>Plus de fautes de grammaire, moins de rigueur ?</h2>
<p>Mais pourquoi, finalement, évalue-t-on davantage l’orthographe que la capacité rédactionnelle ou la posture réflexive des élèves ? Comme le soulignaient en 2007 <a href="https://openlibrary.org/works/OL24086935W/Orthographe_%C3%A0_qui_la_faute?edition=key%3A/books/OL31783684M">Danièle Manesse et Danièle Cogis</a>, la maîtrise de l’orthographe est perçue comme un, si ce n’est « le » préalable à la réussite des élèves.</p>
<p>En extension, la baisse du niveau en orthographe se traduit-elle par une moindre performance de la France vis-à-vis d’autres pays ? Notre base de données montre que la position française en lecture et en mathématiques est en retrait des autres pays de l’OCDE. Alors que la plupart des pays ont une performance proche de 540 points en lecture, la France ne parvient à obtenir que 500 points. La situation n’est guère meilleure en mathématiques où le retard français apparaît même de manière plus aggravée.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/516936/original/file-20230322-28-qgp2go.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/516936/original/file-20230322-28-qgp2go.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/516936/original/file-20230322-28-qgp2go.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/516936/original/file-20230322-28-qgp2go.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/516936/original/file-20230322-28-qgp2go.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/516936/original/file-20230322-28-qgp2go.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/516936/original/file-20230322-28-qgp2go.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/516936/original/file-20230322-28-qgp2go.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Le niveau en orthographe des élèves français diminue depuis maintenant un siècle au moins. Par-delà l’orthographe, c’est <a href="https://openlibrary.org/works/OL24086935W/Orthographe_%C3%A0_qui_la_faute?edition=key%3A/books/OL31783684M">l’augmentation des fautes de grammaire</a> qui semble poser un problème majeur. En effet, ces erreurs laissent supposer un manque de rigueur, un défaut de logique et donc un moindre niveau de compétence en lecture et en mathématiques. La baisse observée en orthographe peut ainsi suggérer une baisse plus généralisée des compétences en primaire et dans le secondaire. Quoi qu’il en soit, elle ne devrait pas laisser de marbre, au seul titre que la langue française serait plus complexe que d’autres langues, comme l’anglais par exemple, et donc plus sujette aux fautes d’orthographe.</p>
<p>En définitive, ces résultats s’apparentent à des signaux d’alerte sur l’état de la transmission des connaissances, à l’heure où tous les pays tentent de renforcer les savoirs et savoir-faire de leur population, <a href="https://www.cae-eco.fr/cap-sur-le-capital-humain-pour-renouer-avec-la-croissance-de-la-productivite">décisifs pour leur avenir économique</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202014/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En dictée, les élèves d’aujourd’hui font plus d’erreurs que n’en faisaient leurs aînés. Dans quelle mesure s’en alarmer ? Que nous dit cette baisse en orthographe du niveau scolaire général ?Nadir Altinok, Maître de conférences, IUT de Metz, UMR BETA, Université de LorraineClaude Diebolt, Directeur de Recherche au CNRS, UMR BETA, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1980922023-01-19T17:50:25Z2023-01-19T17:50:25ZExamens : comment inciter les élèves à relire ce qu’ils écrivent<p>Malgré les <a href="http://dx.doi.org/10.1037/edu0000011">avantages évidents de la relecture</a>, les élèves sont en général réticents à <a href="https://www.bamradionetwork.com/track/why-do-students-resist-revising-their-writing-how-can-we-encourage-them/">reprendre les premières versions de leur travail</a>, rechignant face à <a href="https://doi.org/10.1177%2F0741088310387891">l’effort supplémentaire</a> que cela leur demande. Ou alors, s’ils le font, ils se contentent de <a href="https://doi.org/10.1177%2F0741088310387891">bâcler cette phase de révision</a>.</p>
<p>La maîtrise de l’écrit se manifeste par une orthographe et une grammaire correctes, une présentation logique des idées et une utilisation appropriée des détails et des preuves. Or, trop de lycéens ont un niveau insuffisant de ce point de vue.</p>
<p>Apprendre à se relire est une compétence qui servira aux élèves de diverses manières. Les recherches montrent que, si l’écriture est un moyen efficace d’aider les élèves à <a href="https://doi.org/10.3102%2F0034654320914744">retenir des informations dans différents domaines</a>, l’étape de la révision les aide à développer une <a href="https://books.google.com/books?hl=en&lr=&id=5xx9DwAAQBAJ">compréhension conceptuelle</a> plus profonde du sujet sur lequel ils écrivent.</p>
<h2>Différences de motivation</h2>
<p>La relecture est également un élément essentiel pour les épreuves d’admission dans l’enseignement supérieur, quand l’écrit comporte un essai ou une dissertation. Mais au-delà du champ scolaire et étudiant, l’écriture joue aussi un rôle important dans le domaine professionnel. Les formes de communication numérique sont utilisées dans <a href="https://archive.nwp.org/cs/public/print/resource/2389">80 % des emplois d’ouvriers et 93 % des postes d’employés</a>. <a href="https://hbr.org/2009/04/how-to-revise-an-email-so-that">Se relire</a> est essentiel pour être à l’aise avec les compétences requises dans un monde où le <a href="https://sopa.tulane.edu/blog/importance-writing-skills-workplace">travail virtuel</a> est de plus en plus courant.</p>
<p>Étant donné tous ces avantages, comment motiver les étudiants à investir le temps et les efforts nécessaires à une bonne relecture ? En tant que chercheuse spécialiste des <a href="https://scholar.google.com/citations?user=E5uI25cAAAAJ&hl=en">questions de motivation</a>, j’ai réalisé avec des collègues une <a href="https://doi.org/10.17239/jowr-2021.12.03.05">étude en 2021</a> qui montre que tout se rapporte aux raisons qu’a un élève de bien écrire ;</p>
<p>Certains élèves veulent améliorer leurs compétences rédactionnelles tandis que d’autres s’inquiètent surtout de leurs performances par rapport à celles de leurs camarades. En gardant en tête ces différences de motivation, voici quelques pistes pour créer les conditions incitant les élèves à se relire et se corriger.</p>
<h2>Donner confiance aux élèves</h2>
<p>Réduire l’anxiété est un premier paramètre sur lequel on peut jouer. Cette émotion s’accompagne de pensées négatives et d’un malaise physique, ce qui peut diminuer la capacité des élèves à se concentrer quand ils écrivent. Elle peut aussi rendre les élèves <a href="http://dx.doi.org/10.5206/cjsotl-rcacea.2015.1.4">réticents à relire ce qu’ils écrivent</a>. Il est important que les étudiants acceptent qu’écrire demande des efforts qui peuvent générer une <a href="https://doi.org/10.18552/joaw.v8i2.487">certaine anxiété</a>, que ressentir cela n’a rien d’anormal. Créer un environnement de classe encourageant les élèves à demander de l’aide peut <a href="https://doi.org/10.1016/S0361-476X(02)00012-7">rassurer les élèves</a> et les amener à <a href="http://dx.doi.org/10.17239/jowr-2011.03.01.1">améliorer leur écriture</a>.</p>
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<p>Si les élèves ne considèrent pas l’écriture comme une activité utile sur le plan personnel, ils risquent de ne pas se sentir motivés pour relire leur travail. On peut donc privilégier les <a href="https://ggie.berkeley.edu/practice/contemplative-writing/#tab__3">genres d’écriture</a> qui les amènent à explorer leurs intérêts si on veut les motiver à bien écrire. <a href="https://doi.org/10.2307/30047170">Les recherches</a> montrent que les <a href="https://www.nytimes.com/spotlight/learning-lessons-writing">expériences d’écriture agréables</a> en classe incitent plus les élèves à reprendre leurs textes.</p>
<p>Les croyances des élèves quant à leur capacité à bien écrire peuvent aussi <a href="https://doi.org/10.1111/bjep.12315">influencer leur tendance à se relire</a>. L’un des moyens les plus efficaces de <a href="https://www.jstor.org/stable/40171749">donner aux élèves confiance</a> dans leurs compétences en la matière est de leur donner des occasions de réussite. Les élèves peuvent ressentir ces succès quand ils atteignent leurs objectifs, surmontent leurs réticences personnelles et reçoivent des retours positifs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-pourquoi-le-niveau-baisse-t-il-185516">Orthographe : pourquoi le niveau baisse-t-il ?</a>
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<p>Les tâches d’écriture qui exigent plus de compétences que celles dont dispose actuellement un élève peuvent le faire douter de lui-même. Mais si <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/345082399.pdf">ces exercices difficiles</a> sont conçus pour s’appuyer sur des compétences déjà maîtrisées, ils peuvent au contraire lui donner plus d’assurance.</p>
<h2>Des évaluations précises</h2>
<p>Les recherches montrent que les étudiants qui se focalisent sur l’acquisition de connaissances et l’amélioration de leurs capacités d’écriture ont tendance à davantage <a href="http://dx.doi.org/10.1037/a0013200">se relire</a> que les étudiants qui se comparent aux autres. Le fait de se concentrer sur l’un ou l’autre objectif est influencé par les <a href="http://dx.doi.org/10.1037/edu0000419">messages directs ou indirects que les enseignants leur envoient</a>. Les efforts des enseignants pour favoriser l’apprentissage sont particulièrement importants dans un <a href="https://doi.org/10.1177%2F1932202X14532258">contexte scolaire compétitif</a> où les comparaisons sociales sont inévitables.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etudiants-sept-astuces-pour-mieux-prendre-des-notes-en-cours-129267">Étudiants : sept astuces pour mieux prendre des notes en cours</a>
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<p><a href="https://www.edutopia.org/article/how-help-students-focus-what-theyre-learning-not-grade">Les pratiques de correction</a> qui vont au-delà de la simple notation sont efficaces pour réduire l’anxiété et encourager la relecture. Quand les élèves reçoivent des <a href="http://dx.doi.org/10.1080/00098655.2017.1304067">commentaires d’évaluation ciblés</a>, cela peut les aider à comprendre dans quel sens se relire pour atteindre les objectifs scolaires.</p>
<p>Dans le cas d’exercices complexes, diviser la tâche en mini-tâches permet aux enseignants de faire un retour aux élèves à chacune des étapes avant que les élèves ne soumettent le devoir pour l’évaluation finale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198092/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Narmada Paul ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Lors d’un examen, les élèves sont souvent réticents à se relire, alors que cette étape est décisive pour leur réussite. Quelques clés pour les encourager à faire cet effort.Narmada Paul, Clinical Assistant Professor in Educational Psychology, University of KentuckyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963112022-12-14T18:41:20Z2022-12-14T18:41:20ZOrthographe : les élèves font deux fois plus de fautes que leurs parents<p>Le 6 décembre 2022, la direction de l’évaluation du ministère français de l’Éducation nationale a publié une nouvelle <a href="https://www.education.gouv.fr/les-performances-en-orthographe-des-eleves-de-cm2-toujours-en-baisse-mais-de-maniere-moins-marquee-343675">étude</a> sur les performances en orthographe des élèves de primaire. Cette évaluation se fonde sur les résultats obtenus par des CM2 à une dictée réalisée en 1987, 2007, 2015 puis 2021. De prime abord, le texte proposé ne semble pas particulièrement difficile :</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500415/original/file-20221212-95362-95s4o3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500415/original/file-20221212-95362-95s4o3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=201&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500415/original/file-20221212-95362-95s4o3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=201&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500415/original/file-20221212-95362-95s4o3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=201&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500415/original/file-20221212-95362-95s4o3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=253&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500415/original/file-20221212-95362-95s4o3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=253&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500415/original/file-20221212-95362-95s4o3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=253&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>En 34 ans, le nombre d’erreurs a presque doublé, passant de 10,7 à 19,4 en moyenne (pour 67 mots). Et on peut conclure de cette étude que la baisse s’accélère : on est passé d’une chute de 4 points en 20 ans (entre 1987 et 2007) à une baisse de 4,7 points en seulement 14 ans (entre 2007 et 2021). Comme les années précédentes, c’est l’orthographe grammaticale qui est la plus touchée, c’est-à-dire les accords et la conjugaison. Cependant, derrière ce constat sans appel, un éclairage s’impose.</p>
<h2>Les difficultés de l’orthographe grammaticale française</h2>
<p>L’orthographe française est une des plus complexes au monde et nécessite un apprentissage long et fastidieux. Tout particulièrement l’orthographe grammaticale. Ainsi, il est plus difficile d’enseigner le français écrit à des locuteurs francophones natifs plutôt que le finnois, l’italien ou l’espagnol à des natifs respectifs de ces langues.</p>
<p>En français écrit, les marques grammaticales sont majoritairement muettes et de nombreuses finales se prononcent pareillement mais ne s’écrivent pas à l’identique. En linguistique, on parle de mots homophones hétérographes. Et dans la dictée ci-dessus, il y a une concentration importante de ces difficultés. Par exemple, les lettres finales des mots <em>tomb-<strong>ai-t</strong></em>, <em>inqui-<strong>et-s</strong></em>, <em>demand-<strong>ai-ent</strong></em> ne se prononcent pas et leur finale prononcée est homophone. Il en est de même pour les mots <em>rentr-<strong>é-s</strong></em>, <em>retrouv-<strong>é</strong></em>, <em>arriv-<strong>er</strong></em>, <em>fatigu-<strong>é-s</strong></em>, <em>téléphon-<strong>er</strong></em>, <em>aboy-<strong>er</strong></em>. Cela suppose un haut degré d’abstraction et de raisonnement pas évident à solliciter durant une activité de dictée. Détaillons un exemple.</p>
<p>Dans le cas de « nous les verrons arriver très <strong>fatigués</strong> », l’élève doit choisir si à la fin de <em>fatigués</em>, il faut mettre <em>er</em>, <em>é</em>, <em>és</em>, <em>ée</em>, <em>ées</em>… sans pouvoir s’aider de la prononciation. Pour ce faire, il lui est indispensable de retrouver le donneur d’accord, à savoir <em>les</em> (qui est le complément et non le sujet), ainsi que le groupe auquel renvoie ce pronom (« les gamins »). On imagine donc la complexité de la tâche pour des enfants d’une dizaine d’années. Cela se traduit par le constat que sur les neuf mots les moins bien réussis (moins d’un élève sur deux), huit comportent ces caractéristiques (<em>inquiets</em>, <em>demandaient</em>, <em>rentrés</em>, <em>perdus</em>, <em>retrouvé</em>, <em>verrons</em>, <em>fatigués</em>, <em>vus</em>). Une petite note d’espoir toutefois : entre 2015 et 2021, les performances des élèves en orthographe grammaticale ont légèrement progressé.</p>
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<p>Concernant le seul exemple d’<a href="https://theconversation.com/faut-il-modifier-les-regles-daccord-du-participe-passe-102599">accord du participe passé</a> avec le complément d’objet direct antéposé (« Elle les a peut-être vus ! »), moins d’un élève sur cinq l’écrit correctement. Dans ce cas, la question qu’il faut se poser, c’est celle de savoir où ils l’ont appris, sachant que cette règle est censée être enseignée au collège (la maitrise de l’accord d’un participe passé avec le verbe <em>être</em>, dans les cas les plus usuels, figure dans le <a href="https://eduscol.education.fr/87/j-enseigne-au-cycle-3">programme du cycle 3</a>, soit du CM1 à la sixième, mais celle de l’accord avec <em>avoir</em>, dans le cas d’un complément d’objet antéposé, figure dans le <a href="https://eduscol.education.fr/90/j-enseigne-au-cycle-4">programme du cycle 4</a>, soit de la cinquième à la troisième). On peut également s’interroger sur la pertinence d’évaluer une règle de grammaire qui n’a pas encore été vue.</p>
<h2>L’orthographe ne s’est jamais démocratisée</h2>
<p>La baisse des performances en orthographe est antérieure à 1987. Dans un rapport rédigé par la Commission ministérielle d’études orthographiques datant de 1965 et présidée par Aristide Beslais, il est écrit : </p>
<blockquote>
<p>« De toutes parts, dans les administrations comme dans l’enseignement, on se plaint de la dégradation rapide de l’orthographe. »</p>
</blockquote>
<p>En réalité, contrairement à une idée reçue, l’orthographe ne s’est jamais démocratisée en France. Autrement dit, aucune génération parmi celles qui nous ont précédés n’a maitrisé l’orthographe à grande échelle malgré un nombre d’heures consacré à son enseignement amplement supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. On peut dans les années 1950 des <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k377835m/f4.item">témoignages sur le niveau en orthographe</a> qui reprennent presque au mot près le constat actuel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-la-dictee-ne-suffit-pas-a-evaluer-le-niveau-des-eleves-177494">Orthographe : la dictée ne suffit pas à évaluer le niveau des élèves</a>
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<p>Et aujourd’hui comme hier, les difficultés orthographiques ne touchent pas avec la même intensité les élèves provenant de milieux sociaux différents. Pour le montrer, le département statistique du ministère a mis au point un indice basé sur le niveau social des écoles. Entre les écoles considérées comme les plus favorisées socialement et celles considérées comme les moins favorisées, on passe de 15,5 erreurs en moyenne à 21,9, avec plus du tiers des élèves qui font plus de 25 erreurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500416/original/file-20221212-108861-qh64s7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500416/original/file-20221212-108861-qh64s7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500416/original/file-20221212-108861-qh64s7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500416/original/file-20221212-108861-qh64s7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500416/original/file-20221212-108861-qh64s7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500416/original/file-20221212-108861-qh64s7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500416/original/file-20221212-108861-qh64s7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Eteve Y., Nghiem X. 2022, « Les performances en orthographe des élèves de CM2 toujours en baisse, mais de manière moins marquée en 2021 », Note d’Information, n° 22.37, DEPP.</span>
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<p>La question de l’orthographe représente un enjeu majeur de justice sociale et sa démocratisation un véritable choix de société. Depuis des décennies, on assiste à des <a href="https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2008-2-page-59.htm">batailles politiques et idéologiques</a> rendant difficiles toutes avancées sur le sujet. Pourtant, la situation est connue et documentée <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2007-1-page-81.htm">depuis longtemps</a> et il est temps d’apporter des réponses à la hauteur.</p>
<p>Pour ce faire, il existe deux leviers complémentaires. D’un côté, il est possible de <a href="http://erofa.free.fr/">rendre l’orthographe française plus régulière</a>, en corrigeant ses imperfections, comme cela a été fait tout au long de son histoire. D’un autre côté, il y a une nécessité d’utiliser et sans doute aussi de concevoir des <a href="https://www.editions-hatier.fr/livre/enseigner-lecole-primaire-comment-enseigner-lorthographe-aujourdhui-9782218944321">méthodes plus robustes</a> en rapprochant l’enseignement et la recherche. Refuser, par principe, de considérer ces deux conditions revient à graver dans le marbre la situation actuelle. Pour relever le défi auquel nous sommes confrontés, il va falloir parvenir à dépasser la sempiternelle querelle des anciens contre les modernes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Benzitoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Selon une étude du ministère, la baisse du niveau en orthographe s’accélère en fin de primaire. Les accords et la conjugaison posent particulièrement problème aux élèves.Christophe Benzitoun, Maitre de conférences en linguistique française, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1914362022-09-29T16:15:10Z2022-09-29T16:15:10ZÉducation nationale : de quoi le collège est-il malade ?<p>Depuis la création du <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2012-2-page-54.htm">« collège unique »</a> en 1975, le collège est régulièrement apparu comme le « chaînon manqué » du système éducatif. S’il est sorti des radars politico-médiatiques ces cinq dernières années, le nouveau ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye vient de le remettre au premier plan, déclarant <a href="https://www.midilibre.fr/2022/09/16/orientation-enseignements-education-sexuelle-pap-ndiaye-detaille-ses-grands-chantiers-face-aux-lecteurs-de-midi-libre-10548185.php">dans une interview au <em>Midi Libre</em></a> le 18 septembre que l’on « doit maintenant s’attaquer au collège car c’est l’homme malade du système éducatif ».</p>
<p>Comme symptômes maladifs, il a surtout évoqué les résultats des élèves en mathématiques et en langues. Ce qui ne manque pas de surprendre, car même si les résultats ne sont effectivement pas bons, ce n’est pas la première fois que l’on peut le constater, tant s’en faut. Mais, dans le passé, ces résultats au niveau du collège n’ont pas suscité beaucoup d’émotions ou de réactions, au contraire de ceux en lecture, <a href="https://www.lemonde.fr/education/article/2016/11/09/le-niveau-en-orthographe-des-ecoliers-francais-plonge_5028192_1473685.html">orthographe</a> ou histoire au niveau du primaire qui, eux, ont à plusieurs reprises défrayé la chronique.</p>
<p>Faudrait-il voir dans ce nouvel intérêt, pour les mathématiques, l’effet en retour des diatribes passionnées sur la nouvelle place des mathématiques lors de la réforme des lycées ? Et, pour les langues, y aurait-il un lien avec l’annonce, en juillet dernier, que l’évaluation des <a href="https://www.vousnousils.fr/2020/10/09/pisa-evaluera-bientot-les-competences-en-anglais-des-eleves-635571">compétences en langues étrangères</a> deviendrait dès 2025 une option de <a href="https://www.oecd.org/pisa/foreign-language/">l’étude internationale PISA</a> ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-place-pour-les-maths-en-france-175718">Quelle place pour les maths en France ?</a>
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<p>Toujours est-il que cette évocation du « collège, homme malade du système éducatif », a de nouveau agité ceux qui considèrent le « collège unique » sous le prisme d’une maladie « autoimmune », à condamner sans appel et par principe, et ceux – fort différents – qui pensent plutôt que le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/09/26/reforme-du-college-pap-ndiaye-rouvre-un-debat-vieux-de-cinquante-ans_6143284_3224.html">« collège unique »</a> n’a pas vraiment été institué de façon cohérente, et jusqu’au bout du projet. Pour les uns, cette création n’avait pas lieu d’être, et il faudrait la supprimer. Pour les autres, la création n’a pas été assez loin dans sa logique et il faudrait au contraire l’approfondir et la consolider, voire la refonder car souffrant d’une maladie congénitale.</p>
<h2>Des critiques qui datent</h2>
<p>C’est le président de la République Valéry Giscard d’Estaing qui a voulu ce collège envers et contre tout ; voire contre tous, à commencer par certains de ses proches. Dès le 25 juillet 1974, il déclarait publiquement :</p>
<blockquote>
<p>« Le premier objectif, c’est l’élévation du niveau de connaissance et de culture des Français […]. On peut se poser la question de savoir si, à côté de l’obligation de scolarité jusqu’à seize ans, il ne faudrait pas imaginer une autre obligation qui serait de donner à chaque Française et à chaque Français un savoir minimal ».</p>
</blockquote>
<p>Mais les expressions « savoir minimal » ou « savoir minimum » employées par Valéry Giscard d’Estaing sont vite comprises ou retournées par les oppositions politiques ou syndicales dans le sens de « minimiser les savoirs ». Même certains de ses proches se distinguent par leur opposition de principe au « collège unique », en des termes très virulents. Jean-Marie Benoist, pourtant candidat UDF (le parti de Giscard d’Estaing) aux législatives de 1978, a accusé dans un ouvrage intitulé <a href="https://bibliotheque.sciencespo-grenoble.fr/recherche/viewnotice/clef/LAGENERATIONSACRIFIEE--BENOISTJ--DENOEL-1980-1/id/138726/rech_matieres/%C3%89ducation+et+%C3%89tat+Histoire+France+?id_profil=1"><em>La génération sacrifiée</em></a> cette réforme d’« aller vers le règne de l’uniformité, digne des démocraties populaires […]. Cela se traduit par la culpabilisation de tout aristocratisme, de tout élitisme dans le savoir : raccourcir ce qui dépasse, ce qui excelle, voilà le mot d’ordre ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Le collège, un chantier perpétuel ? (Historique des réformes, INA Politique).</span></figcaption>
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<p>Paul Guth, le professeur de lettres de Giscard d’Estaing en classe de troisième s’est joint au concert de condamnations sans appel dans sa <a href="https://www.babelio.com/livres/Guth-Lettre-ouverte-aux-futurs-illetres/129588"><em>Lettre ouverte aux futurs illettrés</em></a>, parue elle aussi en 1980, allant jusqu’à accuser la réforme de « lavage de cerveau ». C’est François Bayrou, pourtant l’un des principaux lieutenants de Valéry Giscard d’Estaing à l’UDF et ministre de l’Éducation nationale d’Édouard Balladur, puis de Jacques Chirac, qui a lancé le slogan : <a href="https://www.cairn.info/urgence-ecole--9782738120106-page-135.htm">« collège unique, collège inique »</a> lors de la rentrée 1993, et le mot d’ordre « passer du « collège pour tous » au « collège pour chacun ».</p>
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<p>Bref, il y a tout un passé et un passif de diatribes qui présentent le collège unique comme intrinsèquement « malade », d’une « maladie auto-immune » en quelque sorte. Est-ce que ce sont ces références que Pap Ndiaye a en tête ? Ou la métaphore de la maladie renvoie-t-elle au sentiment que la création du « collège unique » a été manquée ? Le principal promoteur du « collège unique », Valéry Giscard d’Estaing, est lui-même clairement <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/04/26/m-giscard-d-estaing-plaide-pour-une-redefinition-des-savoirs-au-college_4168517_1819218.html">conscient de ce manquement originel</a>, selon ses mots dans une interview au <em>Monde</em> en 2001 :</p>
<blockquote>
<p>« Tout le monde devait aller au collège, et tous les collèges devaient être les mêmes.[…]. Le débat doit se concentrer sur cette question : quels savoirs donner à cet ensemble de jeunes, qui constituent un acquis culturel commun […]. Au lieu d’avoir rabattu tout l’enseignement des collèges vers l’enseignement général, les rapprochant des classes de la 6° à la 3° des lycées d’autrefois, en un peu dégradé, il aurait mieux valu en faire une nouvelle étape de la construction du cycle scolaire ».</p>
</blockquote>
<h2>Socle de compétences</h2>
<p>Une vingtaine d’années après, il y a eu une certaine avancée dans le sens du collège unique souhaité par VGE. Le <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/10/10102013Article635169795183035505.aspx">Conseil supérieur des programmes</a> mis en place par le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon en octobre 2013 a été la cheville ouvrière d’une définition du « socle commun de connaissances, compétences et culture », puis de la révision d’un seul tenant des programmes depuis le début du primaire <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/05/13/reforme-du-college-ce-qui-est-vrai-ce-qui-est-faux_4633220_4355770.html">jusqu’à la fin du collège</a>, sous le ministère dirigé par Najat Vallaud-Belkacem.</p>
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<figcaption><span class="caption">N. Mons : « Remettre des filières dans le collège unique ferait exploser les inégalités à l’école » (France Culture, 2017).</span></figcaption>
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<p>Mais cette avancée a eu des limites. D’une part, parce qu’il n’y a pas eu la plupart du temps une définition précise de la façon d’évaluer ce qui devait être en priorité acquis par les élèves. D’autre part, parce que la question du « chaînon collège » est restée de fait en déshérence tout au long des cinq années du ministère de Jean-Michel Blanquer qui ont suivi.</p>
<p>Par ailleurs, et bien des années avant, la question de qui devrait encadrer les élèves du « collège unique » a été de fait tranchée en faveur des seuls professeurs de lycée qui se sont imposés de haute lutte à la fin des années 1980, avec le corollaire afférent que le collège reste (sinon dans les faits, du moins selon un idéal implicite) dans la référence culturelle du premier cycle des anciens lycées – c’est-à-dire un « petit lycée », au lieu d’être le dernier cycle ad hoc d’une scolarité obligatoire allongée à 16 ans. Le corps des enseignants issus du primaire supérieur (les « maîtres de cours complémentaires » ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Professeur_d%27enseignement_g%C3%A9n%C3%A9ral_de_coll%C3%A8ge">« PEGC »</a>, qui existaient dans le « collège d’enseignement secondaire », créé en 1963) est mis en extinction à partir de 1988. Et on ne songe d’aucune façon de recourir au modèle des corps enseignants des lycées technologiques ou professionnels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sisyphe-a-lassaut-du-college-60393">Sisyphe à l’assaut du collège</a>
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<p>Il y a donc des problèmes de continuité : d’une part entre la fin du primaire et le début du collège, et d’autre part de la fin du collège à l’entrée effective dans la pluralité des lycées. Face à cet imbroglio relatif, on songe le plus souvent à des aménagements plus organisationnels que structurels. Et c’est encore le cas.</p>
<h2>D’expérimentations en concertations</h2>
<p>La principale organisation de parents d’élèves- la FCPE – souhaite que les élèves de sixième et cinquième n’aient <a href="https://www.lexpress.fr/education/la-fcpe-et-la-reforme-du-college-tout-doit-etre-repense_1545680.html">pas plus de quatre enseignants</a>. Le deuxième syndicat de professeurs du secondaire – le SNALC – propose un <a href="http://www.touteduc.fr/fr/archives/id-8081-le-snalc-propose-un-college-modulaire-sans-redoublement-interview-">collège « modulaire »</a> où les élèves seraient regroupés en fonction des difficultés dans certaines matières. Lors de la campagne des présidentielles, Emmanuel Macron a indiqué qu’il fallait faire de la classe de sixième <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/rentree-scolaire-lexecutif-engage-une-reforme-du-college-a-bas-bruit-1784968">« une liaison efficace avec le primaire »</a> dès la rentrée 2023.</p>
<p>Des expérimentations sont en cours, notamment dans six collèges de l’Académie d’Amiens sous la forme de <a href="https://www.courrier-picard.fr/id319018/article/2022-06-23/picardie-des-6e-tremplin-experimentees-la-rentree-pour-les-eleves-en-difficulte">« sixièmes tremplin »</a>. Les élèves en difficulté ont des séquences supplémentaires en mathématiques ou français. Les liens avec l’école primaire sont renforcés : des professeurs des écoles peuvent même intervenir au collège.</p>
<p>À partir de la cinquième, devrait commencer une expérimentation d’une « demi-journée » par semaine de <a href="https://www.20minutes.fr/elections/presidentielle/3265207-20220404-presidentielle-2022-non-emmanuel-macron-propose-instaurer-apprentissage-12-ans">« découverte des métiers »</a> (une mesure figurant dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron), sous forme notamment de visites d’entreprise et de lycées professionnels, de mini-stages.</p>
<p>Ces expérimentations pourraient se multiplier dans le cadre de la grande campagne de concertation qui doit être menée cet automne dans les établissements en liaison avec leurs partenaires locaux en vue de projets locaux innovants (un budget de 500 millions d’euros leur étant dédié au niveau national). À noter qu’au sein du ministère il n’est pas exclu d’évaluer les programmes existants et voir s’il faut les transformer. Mais dans quel sens ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191436/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis sa création, le collège unique a été l’objet de multiples critiques. S’il est sorti des radars politico-médiatiques le dernier quinquennat, une déclaration du ministre le remet au premier plan.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1855162022-06-26T19:48:46Z2022-06-26T19:48:46ZOrthographe : pourquoi le niveau baisse-t-il ?<p>Ces temps-ci, on entend parler du thème de la <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/le-niveau-de-francais-des-eleves-de-l-enseignement-superieur-a-t-il-reellement-baisse-20220612">baisse</a> alarmante du niveau en orthographe chez les étudiants et plus largement des difficultés que rencontrent les élèves en <a href="https://www.20minutes.fr/societe/3308883-20220615-bac-2022-face-mot-ludique-lyceens-detresse-vraiment-manque-vocabulaire">français</a>. Mais cela fait bien longtemps que l’on déplore en France l’absence de maitrise de l’orthographe. En guise d’illustration, dans un <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/1993-v29-n1-etudfr1072/035902ar/">article</a> rédigé en 1993 par le linguiste Jean-Marie Klinkenberg sur le thème récurrent de la <em>Crise du français</em>, l’auteur mentionne une citation de Nicolas Audry datant du XVII<sup>e</sup> siècle :</p>
<blockquote>
<p>« Il est ordinaire de trouver des rhétoriciens qui n’ont aucune connaissance des règles de la langue française, et qui en écrivant pèchent contre l’orthographe dans les points les plus essentiels. »</p>
</blockquote>
<p>Et il arrive souvent que ce constat prenne la forme d’une dénonciation de la baisse du niveau. La commission ministérielle d’études orthographiques, présidée par Aristide Beslais, a rédigé un rapport en 1965 en vue d’une réforme de l’orthographe commençant en ces termes :</p>
<blockquote>
<p>« De toutes parts, dans les administrations comme dans l’enseignement, on se plaint de la dégradation rapide de l’orthographe. Au cours de la période d’information qui a précédé la création de la Commission, aucune des personnalités consultées n’a contesté ce fait, que confirment les statisticiens. »</p>
</blockquote>
<p>On le voit, le thème de la baisse du niveau ne date pas d’hier, y compris de la part d’instances officielles. Mais est-ce vrai que le niveau en orthographe baisse ? Et si oui, depuis quand ?</p>
<h2>L’orthographe en baisse</h2>
<p>Un <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1990_num_90_1_2466_t1_0113_0000_1">premier ouvrage</a> paru en 1989 a montré que le niveau orthographique en contexte scolaire avait augmenté entre la fin du XIX<sup>e</sup> siècle et la fin du XX<sup>e</sup> siècle. Une autre étude, publiée en 1996, a quant à elle mis en évidence une baisse du niveau en orthographe entre les élèves des années 1920 et ceux de la fin du XX<sup>e</sup> siècle. On peut donc émettre l’hypothèse d’une forte augmentation du niveau pendant quelques décennies avant une régression progressive au cours du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Enfin deux études sont venues compléter ce tableau. Un <a href="https://journals.openedition.org/rfp/855">ouvrage</a> en 2007 et une note du service de statistiques du ministère de l’Éducation nationale en 2016. Le constat est sans appel : entre 1987 et 2005, les élèves ont perdu 2 années, c’est-à-dire que ceux de 5<sup>e</sup> de 2005 ont le même niveau que leurs camarades de CM2 de 1987. Et <a href="https://www.education.gouv.fr/les-performances-en-orthographe-des-eleves-en-fin-d-ecole-primaire-1987-2007-2015-1991">l’étude de 2016</a> est venue confirmer le caractère continu de cette baisse. On peut donc raisonnablement dire que le niveau baisse depuis au moins une cinquantaine d’années en contexte scolaire. La cause de cette situation est connue et dénoncée par des linguistes depuis plus d’un siècle : c’est l’orthographe elle-même.</p>
<h2>La « faute » de l’orthographe ?</h2>
<p>Depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, des linguistes alertent sur la nécessité de réformes régulières de l’orthographe afin de l’adapter à son temps. Historiquement, nous savons que le choix fait par l’Académie française est celui d’une orthographe élitiste réservée à une poignée de personnes. <a href="https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/francois-eudes-de-mezeray">Mézeray</a>, le secrétaire perpétuel de l’époque, l’a explicitement écrit :</p>
<blockquote>
<p>« L’Académie déclare qu’elle désire suivre l’ancienne orthographe qui distingue les gens de lettres d’avec les ignorans et les simples femmes. »</p>
</blockquote>
<p>À l’époque où ce choix a été fait, la langue française écrite s’apprenait à partir du latin. Toutefois, dès les premières tentatives de standardisation, il y a eu de fortes oppositions et certains grammairiens souhaitaient une plus grande régularité et une proximité plus importante avec la langue orale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-la-dictee-ne-suffit-pas-a-evaluer-le-niveau-des-eleves-177494">Orthographe : la dictée ne suffit pas à évaluer le niveau des élèves</a>
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<p>Avec les lois Ferry votées en 1881-1882 instituant l’école gratuite et l’instruction primaire obligatoire et laïque, il apparait clairement que l’orthographe française n’est pas adaptée à ce nouveau contexte. Les siècles précédents, l’Académie française a commencé à la <a href="https://www.academie-francaise.fr/le-dictionnaire-les-neufs-prefaces/preface-de-la-troisieme-edition-1740">régulariser</a> mais sans mener le projet à son terme, ce qui explique la persistance d’anomalies. Nous avons conservé peu ou prou une orthographe élaborée pour une élite dans un contexte où il s’agissait de l’enseigner à tous. Nous sommes donc passés d’une infime partie d’experts en orthographe à une myriade d’amateurs, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5YO7Vg1ByA8">sans avoir au préalable adapté l’orthographe</a>.</p>
<p>Conscients du désastre qui s’annonce, des linguistes engagent dès cette époque des campagnes pour faire adopter une réforme de l’orthographe, mais en vain. Ce procédé se répétera à plusieurs reprises, parfois à la demande d’associations d’enseignants, de sociétés savantes, de ministres ou de l’Académie des Sciences comme dans les années 1950, mais en vain. Dès lors, aucune réforme significative n’a été appliquée et l’orthographe française nécessite un temps d’apprentissage considérable.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-qui-connait-les-rectifications-de-1990-109517">Orthographe : qui connait les rectifications de 1990 ?</a>
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<p>Bon an mal an, une partie des élèves ont eu un niveau convenable durant quelques décennies, mais cela se faisait au prix d’un très grand nombre d’heures et au détriment d’autres compétences comme la rédaction. Ainsi, on faisait de quelques élèves des virtuoses de la dictée, sans pour autant leur apprendre à rédiger des textes personnels. Et seuls les <a href="https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2008-2-page-121.htm">meilleurs</a> en dictée étaient présentés au certificat d’études vers l’âge de 12-13 ans avec, par voie de conséquences, des résultats appréciables. Les autres élèves (la majorité) arrêtaient leurs études à cet âge.</p>
<p>Cependant, avec la réduction du temps scolaire (de 1338 heures par an au début du XX<sup>e</sup> siècle à 864 heures <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rythmes_scolaires_en_France#Historique">aujourd’hui</a> et la diversification des matières enseignées, le niveau <a href="https://www.education.gouv.fr/les-performances-en-orthographe-des-eleves-en-fin-d-ecole-primaire-1987-2007-2015-1991">a régulièrement baissé</a>. Il faut ajouter à cela, plus récemment, une nouvelle <a href="https://theconversation.com/crayons-ou-claviers-le-geste-decriture-change-t-il-notre-rapport-au-monde-153566">révolution de l’écriture</a> (comparable à l’imprimerie) avec l’arrivée d’internet et des dispositifs de conversations par écrit, qui a changé le statut de l’écrit. Il n’y a jamais eu autant de personnes capables d’écrire et de lire qu’aujourd’hui, ce qui montre que l’école remplit son rôle. Pour autant, une mauvaise orthographe représente un handicap social important dans la société contemporaine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-fautes-dorthographe-une-barriere-infranchissable-vers-lemploi-171129">Les fautes d’orthographe : une barrière infranchissable vers l’emploi ?</a>
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<p>Nous avons donc devant nous un défi historique : faire, enfin, de la démocratisation de l’orthographe une réalité. Or, sans intervenir sur l’orthographe elle-même, cet objectif restera une chimère. Le travail colossal d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Chervel">André Chervel</a>, linguiste et historien de l’enseignement, couronné par le prix Guizot de l’Académie française en 2007, l’a très bien montré. Il faut choisir entre, d’un côté, une orthographe réservée à une élite de plus en plus réduite, une discipline de luxe, jouant le rôle sélectif autrefois dévolu au latin, ou une orthographe pour tous. L’amélioration des méthodes d’enseignement, même si celles-ci sont prometteuses, ne suffira pas à elle seule à venir à bout de ce problème séculaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185516/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Benzitoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’amélioration des méthodes d’enseignement, même si celles-ci sont prometteuses, ne suffira pas à elle seule à venir à bout du problème séculaire de la baisse de niveau en orthographe.Christophe Benzitoun, Maitre de conférences en linguistique française, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1774942022-06-06T19:42:05Z2022-06-06T19:42:05ZOrthographe : la dictée ne suffit pas à évaluer le niveau des élèves<p>« C’est une hécatombe », « c’est innommable », « je m’insurge », « ça m’attriste », « c’est épouvantable », « c’est une désolation », « c’est abominable ». Mais de quel « fléau » les personnes interrogées par Agnès Millet, Vincent Lucci et Jacqueline Billiez dans les années 1990 se plaignaient-elles donc par ces mots ? L’orthographe. Dans <a href="https://www.persee.fr/doc/airdf_1260-3910_1990_num_6_1_919_t1_0023_0000_4">leur enquête</a>, les trois chercheurs ont prêté l’oreille aux discours tenus à ce sujet par des utilisateurs ordinaires, enseignants, secrétaires, professionnels du livre, et des élèves du CM2 à la terminale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-qui-connait-les-rectifications-de-1990-109517">Orthographe : qui connait les rectifications de 1990 ?</a>
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<p>Les fautes, la baisse du niveau, les réformes, autant de sujets sensibles en France et, selon les conclusions de l’enquête, de débats passionnels. La presse les affectionne, et chacun se situe dans une relation complexe, faite d’attachement et d’agacement, de certitudes et d’insécurité. Internet fourmille de trucs, astuces, conseils, outils et techniques pour améliorer son niveau et les applis se multiplient. Apprendre des listes de mots ? Faire des dictées sans relâche ? Connaître les règles ? Les solutions exigent d’abord de cerner le problème.</p>
<p><a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00132494">L’étude de Danièle Manesse et Danièle Cogis</a>, publiée dans les années 2000, a conforté l’idée que le niveau baisse : menée auprès de quelques 3000 élèves de CM2, elle relève que</p>
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<p>« l’écart entre les résultats des élèves de 1987 et ceux de 2005 est en moyenne de deux niveaux scolaires. Les élèves de cinquième de 2005 font le même nombre de fautes que les élèves de CM2 il y a vingt ans. Les élèves de troisième de 2005, le même nombre d’erreurs que les élèves de cinquième de 1987 ».</p>
</blockquote>
<p>En 1987, 50 % des élèves faisaient moins de six fautes. Ils ne sont plus que 22 % en 2005. Le même texte d’une dizaine de lignes a de nouveau été dicté à des élèves de CM2 en 2015. Les élèves ont fait en moyenne 17,8 erreurs en 2015, contre 14,3 en 2007 et 10,6 en 1987. La baisse du niveau se répartit de manière large et ne concerne pas seulement certains élèves ; l’écart entre les plus forts et les plus faibles s’est creusé lui aussi. C’est l’orthographe grammaticale qui est principalement en jeu : entre sujet et verbe, par exemple pour le <em>-nt</em>, à la 3<sup>e</sup> personne du pluriel, les marques de nombre sur le nom et l’adjectif, le participe passé.</p>
<h2>Complexité grammaticale</h2>
<p>Les difficultés orthographiques perdurent jusqu’à un niveau avancé et deux types de facteurs explicatifs se dégagent : la complexité intrinsèque du système orthographique du français et l’enseignement de ce système. L’orthographe du français est une des moins transparentes. Notre écriture est alphabétique, c’est-à-dire qu’elle code du son, mais elle est loin de fonctionner sur le principe d’une lettre pour un son et d’un son pour une lettre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C22%2C7360%2C4880&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’écriture manuscrite n’est pas une simple habitude culturelle, c’est aussi un outil clé d’apprentissage de la lecture.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/in-extenso-pourquoi-apprend-on-encore-a-ecrire-a-la-main-154995">« In extenso » : Pourquoi apprend-on encore à écrire à la main ?</a>
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<p>À cet égard, l’orthographe de l’anglais est plus complexe encore (par exemple, le son [i] peut s’écrire de plusieurs manières et les lettres <em>ough</em> se prononcent différemment selon les mots). Elle est plus simple sur les marques grammaticales (genre, nombre, personne verbale…), peu fréquentes en anglais et souvent audibles. En français, les difficultés se concentrent sur les lettres muettes, notamment les finales : <em>il chante</em> et <em>ils chantent</em> se prononcent de manière identique, mais à l’écrit on a un double marquage du pluriel, sur le pronom personnel <em>il</em> et sur la finale verbale. <em>Mangez</em> pourrait s’écrire <em>mengez, manjez, mangé, manger</em>, etc., ce serait correct au niveau phonétique, mais pas au niveau orthographique.</p>
<p>L’orthographe du français demande des compétences grammaticales pointues, ces règles qu’on sait parfois réciter sans pour autant y avoir recours : « le participe passé conjugué avec l’auxiliaire avoir s’accorde avec le complément d’objet direct (COD) quand il est placé avant le verbe ». Même à l’oral, dans les contextes où cet accord serait audible, <a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1992_num_61_1_2573">il est fréquent qu’il ne soit pas réalisé</a>. Exemple : « La tête qu’il a fait ! » et non « La tête qu’il a faite ». Et c’est le cas y compris chez des locuteurs qui contrôlent leur parole, à la radio ou en conférence.</p>
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<p>La dictée est une manière d’évaluer où en sont les élèves, mais le problème suivant se pose : les compétences testées dans la dictée correspondent-elles aux compétences orthographiques réellement mobilisées lorsqu’on produit un texte ? Savoir orthographier est un savoir procédural, c’est-à-dire que les savoirs déclaratifs (ou théoriques) jouent un rôle, mais ne suffisent pas. D’autant que les élèves <a href="https://doi.org/10.3406/dsedu.2003.989">intériorisent des pseudo-règles</a> à la source d’erreurs : il faut un e au féminin donc j’ai jouée « ée », car je suis une fille.</p>
<h2>Productions d’élèves</h2>
<p>Pour étudier les compétences orthographiques dans des situations réelles de production écrite, il importe donc de partir de textes rédigés par les élèves plutôt que de dictées. C’est dans cet esprit qu’a été constitué le corpus qui sert de base au projet ANR <a href="http://e-calm.huma-num.fr/">E-Calm</a>. En comparant plusieurs versions des textes des élèves, on peut voir aussi ce qu’ils sont amenés à corriger, ou ce sur quoi de nouvelles erreurs interviennent.</p>
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<a href="https://theconversation.com/crayons-ou-claviers-le-geste-decriture-change-t-il-notre-rapport-au-monde-153566">Crayons ou claviers : le geste d’écriture change-t-il notre rapport au monde ?</a>
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<p>Enfin, ce corpus s’assortit d’entretiens avec les scripteurs autour de leurs textes afin de mieux cerner comment ils procèdent, une question décisive étant celle du contrôle exercé en cours de production : soit le scripteur fait face à une gestion difficile du processus d’écriture mais pourrait réussir à identifier et corriger une erreur, soit il ne parvient pas à en faire l’analyse.</p>
<p>Une autre question importante est de savoir quelles zones de l’orthographe le texte de la dictée permet de tester. En général, le niveau de difficulté reste largement intuitif (longueur du texte, mots jugés difficiles, etc.). Les concours de dictée cumulent les subtilités (un lexique rare, des temps verbaux peu usités). À l’école, on comptabilise les points en moins, mais sur quoi, au juste ? On rassemble, pêle-mêle, des problèmes de doubles lettres, d’accords, de conjugaisons, etc.</p>
<p>Une dictée finit souvent par tester l’orthographe en général et non des problèmes bien ciblés, sélectionnés par rapport au niveau des élèves et par rapport aux caractéristiques de la langue écrite. Les chercheurs en didactique de l’orthographe montrent l’importance d’<a href="https://www.education.gouv.fr/media/14594/download">identifier des compétences exigibles</a>, c’est-à-dire les besoins effectifs des scripteurs et ce qu’il faut attendre d’eux dans le cadre d’un apprentissage progressif, étape par étape.</p>
<h2>Objectifs ciblés</h2>
<p>Pour enseigner l’orthographe de manière efficace, l’idée défendue aujourd’hui est donc de cibler les objectifs, de travailler les procédures et l’explicitation du raisonnement qui permet de mener à bien ces procédures. Plutôt que « il faut accorder en genre et en nombre », on travaille de manière distincte le marquage du nombre dans le groupe nominal (déterminant, nom, adjectif) et on aborde à part le marquage du genre (beaucoup d’adjectifs ne varient pas en genre).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252216/original/file-20190102-32151-1cz9y7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C2%2C986%2C660&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252216/original/file-20190102-32151-1cz9y7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252216/original/file-20190102-32151-1cz9y7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252216/original/file-20190102-32151-1cz9y7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252216/original/file-20190102-32151-1cz9y7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252216/original/file-20190102-32151-1cz9y7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252216/original/file-20190102-32151-1cz9y7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les élèves ayant un faible niveau en orthographe, mais déjà un certain nombre de bases, profitent des dictées guidées pour les consolider.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dictee-guidee-un-nouveau-moyen-de-progresser-en-orthographe-107035">Dictée guidée : un nouveau moyen de progresser en orthographe ?</a>
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<p>On observe des énoncés pour inférer comment ça fonctionne, on écrit au quotidien en discutant des choix effectués pour mettre en évidence comment on s’y prend. C’est le cas du dispositif <a href="https://twictee.org/">Twictée</a>, qui permet de travailler selon ces principes : les élèves coopèrent et négocient leurs choix orthographiques à travers des messages à rédiger, tout en se familiarisant aux codes des réseaux sociaux.</p>
<p>L’apprentissage de l’orthographe est long et le reconnaître est important pour permettre aux élèves de s’approprier cette compétence plutôt que de cultiver le sentiment que leur propre langue leur échappera toujours. Actuellement, les universités mettent en place des formations à l’écriture, sous l’impulsion notamment du projet ANR UOH <a href="https://ecriplus.fr/">Ecri+</a>. D’abord, il faut rappeler que l’orthographe ne suffit pas et que produire des textes maîtrisés, c’est savoir gérer leur cohérence, écrire à partir de sources, argumenter.</p>
<p>Concernant l’orthographe, il faut s’interroger sur les dispositifs en usage : est-il pertinent de reproduire ce qui a été fait auparavant sous prétexte que – mais aussi alors que – ça n’a pas fonctionné ? La réflexion doit se porter sur ce dont on a réellement et prioritairement besoin pour écrire correctement, et sur la manière dont les scripteurs s’y prennent quand ils sont en situation d’écrire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177494/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fanny Rinck ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De nombreuses publications ont au fil des années lancé l’alerte sur la baisse du niveau en orthographe. Mais comment évaluer ce qu’il en est réellement et aider les élèves à progresser vraiment ?Fanny Rinck, Maîtresse de conférences en Sciences du langage, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1723382021-11-25T20:43:52Z2021-11-25T20:43:52Z« Iel » : itinéraire d’une polémique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/433429/original/file-20211123-23-z76ywb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C20%2C1920%2C1258&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le dictionnaire n'impose pas l'usage de mots mais accompagne les évolutions d'une langue vivante.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/dictionnaire-livre-apprendre-613910/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La langue française nous fait-elle perdre la tête ? Comme régulièrement dans l’actualité, les jugements de valeur et les attachements affectifs nourrissent les débats dès que quelque chose bouge dans la langue – une passion très française qui montre les <a href="https://www.revuepolitique.fr/une-relation-ambigue-a-propos-du-rapport-des-francais-a-leur-langue">différences de perception</a> sociohistorique et politique des langues en fonction des pays. Ainsi la langue espagnole <a href="https://lactualite.com/societe/evolution-de-la-langue-lexemple-espagnol/">a déjà connu plusieurs réformes</a> tandis que la <a href="https://www.bbc.com/news/newsbeat-49754930">langue anglaise</a> voyait le « they » <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2609167-20190921-langue-anglaise-they-desormais-pronom-non-genre-dictionnaire-americain-webster">singulier élu mot de la décennie</a>, sans que cela ne déclenche d’excessives passions.</p>
<p>Et bien évidemment, la polémique n’a pas manqué d’enfler lorsque le très sérieux dictionnaire Le Robert, dans son édition en ligne, a choisi d’y faire figurer le pronom <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/definition/iel">« iel »</a> qui consiste en une proposition de contraction des pronoms français « il » et « elle ». Comme « they » en anglais, ce pronom a pour objectif d’aider les personnes ne s’identifiant pas à un genre biologique à se définir.</p>
<p>Contrairement à ce que l’on a pu entendre de la part des <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/l-ideologie-woke-a-l-assaut-du-dictionnaire-le-robert-20211115">commentateurs les plus émus</a>, les éditions Le Robert ne constituent pas une « armada militante » déterminée à malmener la langue française, mais simplement une équipe de lexicographes qui, avec patience et méthode, observent les <a href="https://books.openedition.org/pum/139?lang=fr">évolutions lexicales</a> et décident ensuite de faire entrer ou sortir les mots de leurs éditions – comme le souligne <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/dis-moi-robert/raconte-moi-robert/mot-jour/pourquoi-le-robert-a-t-il-integre-le-mot-iel-dans-son-dictionnaire-en-ligne.html">leur impeccable mise au point</a></p>
<p>Mais en France, lorsque quelque chose se passe au niveau de la langue, même certain·e·s linguistes y perdent leur latin, confondant attention aux évolutions de la langue et tentations prescriptivistes.</p>
<h2>Pas UNE mais bien DES langues françaises</h2>
<p>La langue est une chose complexe, quel que soit le pays, et les sciences du langage s’attellent à le montrer dans nombre d’initiatives. On peut citer (sans ordre de préférence ni désir d’exhaustivité) le remarquable ouvrage <a href="https://www.lerobert.com/autour-des-mots/francais/parler-comme-jamais-9782321016687.html"><em>Parler comme jamais</em></a> coordonné par Maria Candea et Laélia Véron (issu du populaire podcast du même nom), le passionnant <a href="https://www.grasset.fr/auteurs/julie-neveux"><em>Je parle comme je suis</em></a> de Julie Neveux qui décortique les liens entre mots et représentations sociales, ou encore les chroniques sociolinguistiques de Médéric Gasquet-Cyrus sur France Bleu, <a href="https://www.francebleu.fr/les-equipes/mederic-gasquet-cyrus">« Dites-le en marseillais »</a>, qui nous rappelle à juste titre qu’il n’y a pas UNE mais bien DES langues françaises.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Bk6eNirfGWU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation de l’ouvrage <em>Parler comme jamais</em>.</span></figcaption>
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<p>Ces initiatives de popularisation linguistique ne suffisent pas toujours à calmer les velléités de réaction passionnelle lorsqu’un simple pronom fait une entrée dans un dictionnaire.</p>
<p>S’ensuit alors une cascade de commentaires : Brigitte Macron <a href="https://www.leparisien.fr/societe/ajout-de-iel-dans-le-robert-pour-brigitte-macron-il-y-a-deux-pronoms-il-et-elle-18-11-2021-TQS3W5QBFZAL3INCXPCUVF4LJA.php?ts=1637582349967">rappelle</a> (à tort) qu’il n’y aurait que deux pronoms dans la langue française. Pourtant <em>La Grande Grammaire du Français</em> en <a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/la-grande-grammaire-du-francais">indique bien plus</a> – sans compter « on » ou la neutralisation par le « je ». Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ne rate évidemment pas l’occasion de rapprocher cette entrée lexicographique du « wokisme » qui chercherait à renverser la République française.</p>
<p>La réalité est cependant plus simple et moins idéologique : d’abord, si les occurrences de « iel » restent rares, elles sont suffisamment régulières pour motiver cette entrée – comme une multitude d’autres termes techniques ou régionaux par exemple, que l’on emploie dans des contextes précis, sans que cela crée de remous particulier. On pourra par exemple penser au gourmand et <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/klouker_/188420">breton « klouker »</a> (se goinfrer) ou au plus toxique <a href="https://www.lerobert.com/mots-nouveaux-petit-robert.html">« perfluoré »</a> (en référence à des composants organisés dont la chaîne carbonée est totalement fluorée).</p>
<p>Pour « iel » en particulier, le limpide fil de Laélia Véron sur Twitter donne les indications qui permettent de comprendre posément le phénomène.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1462449336265195524"}"></div></p>
<h2>Un problème plus complexe</h2>
<p>Au-delà de « iel », le problème est plus vaste – et aussi plus complexe. Les débats autour de la langue française reprennent les vieilles querelles entre évolution de la société et normativisme – en d’autres termes, un affrontement qui oppose anciens et modernes, ou bien encore conservateurs et progressistes, dès qu’un changement socioculturel tend à poindre. Ainsi, dans l’histoire récente, des entrées de mots comme « kiffer » ou « start-up », en raison des origines populaires ou anglo-saxonnes des termes, avaient également provoqué quelques <a href="https://www.humanite.fr/vous-aimez-ou-vous-kiffez-586835">polémiques</a>, bien que plus réduites.</p>
<p>Ainsi, se pose la question du langage comme fait social : en d’autres termes, pour un linguiste spécialisé comme moi en analyse du discours (qui constitue l’un des nombreux courants scientifiques des sciences du langage), ce n’est pas tant « iel » en tant que tel qui m’intéresse, mais les discours qui se construisent autour de ce pronom, notamment du côté de celles et ceux qui s’en émeuvent.</p>
<p>En effet, dans l’usage, les mots peuvent être réutilisés pour satisfaire des intentions diverses – et notamment politique, pour ce qui concerne le cas présent. Ces usages provoquent la transformation de mots en ce que Marc Angenot appelait des <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/1977-v13-n1-2-etudfr1685/036642ar">idéologèmes</a>, une notion historique qui explique que certains mots peuvent être chargés de représentations idéologiques et ne peuvent donc être considérés comme neutres. Cette idée a depuis permis de générer des travaux complémentaires en sciences du langage.</p>
<p>Ainsi, si « iel » devient un idéologème, ce n’est pas tant en tant que pronom – il a été conçu et proposé pour répondre à des manques grammaticaux patents qui n’existent d’ailleurs pas dans d’autres langues – mais en tant que pratique langagière commentée du point de vue des présupposés sociaux et politiques qu’on lui prête.</p>
<p>En d’autres termes, c’est la manière dont les opposants au « iel » en parlent et le dénigrent qui le transforme en objet de controverse idéologique, alors que la création de « iel » (comme de « celleux », du reste) constitue une création de contraction lexicale qui propose de combler un manque grammatical, afin de permettre une visibilité sociale de communautés qui ne se sentent pas représentées, y compris du point de vue linguistique.</p>
<p>Du reste, c’est finalement la polémique qui fait monter la fréquence d’occurrences du pronom « iel », lui assurant probablement un avenir certain dans plusieurs dictionnaires.</p>
<h2>Le dictionnaire n’impose rien</h2>
<p>L’affaire peut paraître étrange, puisque le fait qu’« iel » entre dans le dictionnaire ne signifie pas pour autant qu’on en impose l’usage : de nombreux mots sont dans le dictionnaire sans qu’on les utilise tous. Le but du dictionnaire n’est d’ailleurs pas d’obliger à utiliser les mots, mais simplement de proposer un inventaire des pratiques linguistiques communes, répandues et en émergence.</p>
<p>En résumé, personne n’oblige la population à utiliser « iel » avec un pistolet sur la tempe. Mais paradoxalement, les contempteurs du pronom, en le mettant au centre de l’attention, contribuent à le rendre inévitablement populaire.</p>
<p>Bien sûr, on a parfaitement le droit de ne pas apprécier ce pronom, de le trouver inutile ou inesthétique – le jugement des locutrices et des locuteurs sur leur propre langue est un fait sociolinguistique inévitable et parfaitement normal. Simplement, ce jugement ne doit pas empêcher d’autres locutrices et locuteurs de créer de nouveaux mots – comme c’est le cas depuis que les langues existent, tout simplement. Tous les mots sont créés, tous les mots sont littéralement inventés ; ils résultent de processus plus ou moins longs, de créations plus ou moins immédiates, mais toujours situé·e·s socialement.</p>
<p>« Iel » n’est pas un parangon du wokisme – mot qui, d’ailleurs, n’est pas dans le dictionnaire et, est-il besoin de le souligner, procède d’un import direct de la langue anglaise (« woke », par ailleurs différent de « wokisme » dans son acception sémantique), assorti d’un suffixe permettant de le franciser (le fameux « -isme »).</p>
<p>Il est par ailleurs plutôt intéressant de noter que les adversaires les plus farouches de ce malheureux pronom l’accusent de dévoyer la langue française en utilisant un anglicisme. La preuve, s’il en fallait une, que les langues évoluent en s’influençant entre elles, s’enrichissant mutuellement pour le plus grand bonheur des locutrices et des locuteurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172338/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Albin Wagener ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Paradoxalement, les contempteurs du pronom « iel », en le mettant au centre de l’attention, contribuent à le rendre inévitablement populaire.Albin Wagener, Chercheur associé l'INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS,, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1711292021-11-03T19:23:10Z2021-11-03T19:23:10ZLes fautes d’orthographe : une barrière infranchissable vers l’emploi ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/429929/original/file-20211103-23-5snyux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C1905%2C1069&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Avec l’augmentation exponentielle des échanges électroniques (SMS, courriels, réseaux sociaux), la maitrise de l’écrit est devenue une compétence incontournable.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/jeu-de-societe-de-scrabble-sur-lentille-peu-profonde-1153929/">Pexels/ Suzy Hazelwood</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le 25 octobre dernier, une entreprise de remise à niveau en orthographe a publié un <a href="https://www.projet-voltaire.fr/enquetes/ipsos-certificat-voltaire/">sondage Ipsos</a> portant sur les attentes des employeurs vis-à-vis des compétences des salariés. Les questions étaient orientées vers l’importance accordée à la maitrise de la langue française dans un contexte professionnel. Et <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1-2015-1-page-73.htm">sans surprise</a>, les employeurs se disent très sensibles à la question de l’orthographe tant au moment du recrutement que pour ce qui concerne l’activité professionnelle des salariés. <a href="https://journals.openedition.org/osp/8478">D’autres études</a> l’avaient déjà montré, cela ne vient donc que confirmer ce que l’on savait déjà.</p>
<p>Cependant, quand on y regarde de plus près, le contenu des questions interroge. Outre le fait que l’étude surestime la demande de certification émanant des employeurs (qui, dans 4 cas sur 5, n’en connaissaient aucune avant de répondre au sondage), elle comporte des formulations mélangeant la qualité de l’expression (orale ou écrite) et l’orthographe. Dans le détail, avoir une bonne orthographe arrive 10 % au-dessous d’une bonne qualité d’expression orale et écrite dans le cadre d’un recrutement (69 % contre 59 %). Mais les fautes d’orthographe, de grammaire ou de conjugaison dans un CV ou une lettre de motivation montent à 83 % en tant que critères rédhibitoires pour la poursuite d’un recrutement.</p>
<p>En résumé, à la lecture des résultats, on peut tirer deux enseignements :</p>
<ul>
<li><p>l’orthographe n’est pas clairement distincte des autres compétences associées à la maitrise de la langue française ;</p></li>
<li><p>son importance fluctue en fonction de la formulation de la question (entre 59 % et 83 %).</p></li>
</ul>
<h2>D’où viennent les difficultés en orthographe ?</h2>
<p>L’impact de l’orthographe sur la vie sociale et professionnelle (voire <a href="https://www.lci.fr/vie-de-couple/video-les-fautes-d-orthographe-un-tue-l-amour-sur-les-sites-de-rencontres-selon-une-etude-de-l-appli-adopteunmec-2105175.html">amoureuse</a>) est connu. Avec l’augmentation exponentielle des échanges électroniques (SMS, courriels, réseaux sociaux), nous vivons désormais dans une société de l’écrit. Il n’y a jamais eu de période dans l’histoire de l’humanité où autant d’êtres humains lisent et écrivent, ce dont on ne peut que se réjouir.</p>
<p>La maitrise des règles d’orthographe et de grammaire est donc un enjeu majeur, mais ces évolutions soulèvent aussi la question du bien-fondé de ces règles. Cela fait plus d’un siècle que des linguistes alertent sur les difficultés d’apprentissage qu’engendre l’absence de réformes de l’orthographe. Il est nécessaire de faire la chasse aux exceptions afin que le système soit plus régulier et accessible au plus grand nombre. D’ailleurs, Maurice Druon, Secrétaire perpétuel de l’Académie française, écrivait dans sa présentation des <a href="https://www.academie-francaise.fr/sites/academie-francaise.fr/files/rectifications_1990.pdf">rectifications de 1990</a> :</p>
<blockquote>
<p>« [Les rectifications] en éliminent les principales difficultés qui sont sans justification, et normalisent la plupart des anomalies. »</p>
</blockquote>
<p>Puis il ajoutait :</p>
<blockquote>
<p>« la langue étant chose vivante, il faudra recommencer le travail, dans trente ans, sinon même avant. »</p>
</blockquote>
<p>Un retard important a donc été pris et c’est ce qui peut expliquer, au moins en partie, les <a href="https://www.lerobert.com/autour-des-mots/francais/qui-veut-la-peau-du-francais-9782321016885.html">difficultés actuelles</a>. Pour mémoire, entre 1694 et 1798, il y a eu 5 éditions du Dictionnaire de l’Académie française avec des évolutions régulières de l’orthographe. Mais depuis 1798 (soit une période de plus de deux siècles), il n’y en a eu que 3 et la quatrième est en cours de rédaction.</p>
<p>De plus, dans l’édition de 1740, un mot sur quatre a vu son orthographe rectifiée. Et on ignore souvent que le mot « poésie » s’est écrit « poësie » jusqu’en 1798 mais qu’il a fallu attendre 1878 pour que poëme s’écrive poème. Quant à « noces », il s’est écrit « nopces » car ce mot vient du latin « nuptiae ».Cela permet de relativiser le mouvement de défense de l’<a href="https://www.20minutes.fr/insolite/1779819-20160204-jesuiscirconflexe-internautes-indignent-suppression-accent-circonflexe">accent circonflexe</a> ou de l’étymologie.</p>
<p>L’orthographe représente une convention que l’on doit faire évoluer vers plus de régularité. Pour le français, cela fait deux siècles environ que notre orthographe stagne et que, parallèlement, on déplore une maitrise insuffisante, sans jamais faire de lien entre les deux.</p>
<h2>La faute de l’orthographe</h2>
<p>Quand on dit que 83 % des recruteurs considèrent comme rédhibitoires les fautes d’orthographe, de grammaire et de conjugaison, il faut mesurer le drame que cela représente. Le niveau ne va pas miraculeusement augmenter dans les années à venir. Et cela pour une raison très simple : plus nous allons nous éloigner de l’époque où les formes orthographiques ont été figées, plus les élèves auront du mal à se les approprier, la langue continuant à évoluer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1087947676207992834"}"></div></p>
<p>Pour améliorer la situation, il faut commencer par rectifier les anomalies qui se sont accumulées au cours du temps afin de rendre enseignables l’orthographe, la grammaire et la conjugaison. <a href="https://www.academie-francaise.fr/sites/academie-francaise.fr/files/rectifications_1990.pdf">Maurice Druon</a> le disait lui-même.</p>
<p>Les programmes de certification d’orthographe constituent une réponse aux besoins des entreprises, mais il est peu probable qu’ils représentent une <a href="https://theconversation.com/remise-a-niveau-en-orthographe-la-faute-a-voltaire-86176">solution robuste</a>. D’autant qu’à notre connaissance, les rares études scientifiques sur le sujet montrent seulement un léger effet positif sur le niveau des apprenants.</p>
<p><a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01681791/document">L’une d’entre elles</a> montre que dans une classe de CM2, les élèves ayant utilisé le Projet Voltaire passent de 16,4 erreurs en moyenne à 13,05 dans le cadre d’une dictée comprenant 62 mots. Dans la classe n’utilisant pas le Projet Voltaire, les élèves passent de 17,1 erreurs à 14,65. L’amélioration constatée n’est donc pas spectaculaire.</p>
<p>En refusant de considérer que le problème puisse venir de l’orthographe elle-même, le tri va continuer à s’opérer entre celles et ceux qui auront les moyens de se former (avec des résultats qui <a href="https://www.education.gouv.fr/les-performances-en-orthographe-des-eleves-en-fin-d-ecole-primaire-1987-2007-2015-1991">déclinent</a> malgré tout) et le plus grand nombre qui sera condamné à l’exclusion. D’autant plus si l’orthographe continue à avoir une telle importance dans la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171129/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Benzitoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les employeurs sont sensibles à la maitrise de l’écrit, faut-il intensifier les formations en orthographe pour aider les candidats ? Ne faut-il pas aussi s’interroger sur les règles en vigueur ?Christophe Benzitoun, Maître de conférences en linguistique française, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1584502021-04-11T16:44:50Z2021-04-11T16:44:50ZLa défense de la langue française, un mythe à revisiter<p>S’il y a bien un sujet qui transcende les clivages politiques et idéologiques, c’est la langue française. Il existe un large consensus concernant l’importance d’en connaître les formes correctes. C’est un instrument incontournable de la vie démocratique qui permet l’émancipation. Elle est considérée comme la pierre angulaire de la méritocratie républicaine, cette croyance qui veut que tout citoyen serait capable de la maîtriser au prix d’efforts consentis au sein de l’école de la République.</p>
<p>Des dizaines de milliers de professeurs œuvrent au quotidien pour aider l’ensemble des élèves, et plus particulièrement ceux issus de milieux défavorisés, à y parvenir. On ne compte plus les dictées, parfois <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/seine-saint-denis/plus-grande-dictee-du-monde-retour-au-stade-france-1651392.html">« géantes »</a> organisées aux quatre coins de France. Il existe même des plates-formes de remise à niveau en orthographe et la grammaire s’invite désormais au lycée.</p>
<p>Pourtant, malgré toute cette attention et ces milliers d’heures qui y sont consacrées, le niveau en langue est loin de l’excellence visée.</p>
<h2>Des difficultés bien identifiées</h2>
<p>7 % de la population adulte scolarisée en France est en situation d’illettrisme. Moins d’un élève sur deux en début de sixième est capable d’accorder correctement le verbe à son sujet dans la phrase « Des roses jaunes parfument le salon ». Seulement un élève de CM2 sur quatre parvient à orthographier correctement « inquiets » dans « Papa et maman, inquiets ». Même le Président de la République, Emmanuel Macron, a été épinglé pour avoir <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2020/11/11/les-fautes-d-orthographe-d-emmanuel-macron-dans-le-livre-d-or-du-general-de-gaulle-sont-elles-authen_1805240/">écrit</a> : « les traces qui nous permettronS ». Jean‑Michel Blanquer, l’actuel Ministre de l’Education, n’est pas en reste, ayant été distingué pour sa maîtrise approximative du <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/jean-michel-blanquer/quand-le-ministre-de-l-education-nationale-fait-deux-grosses-fautes-de-conjugaison-en-direct-6080411">passé simple</a>. </p>
<p>En réalité, tout le monde est en butte à des difficultés plus ou moins importantes et rares sont les personnes pouvant se prévaloir d’une connaissance fine de la langue française. L’importance qui y est accordée, d’une part, et les erreurs généralisées, d’autre part, ont pour conséquence une pratique largement répandue : s’offusquer ou se moquer des fautes des autres et en profiter, au passage, pour dévaloriser le <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2158635-20171026-tenez-mescusez-jul-victime-plus-discrimination-orthographe">fautif</a>.</p>
<h2>Non, ce n’était pas mieux avant</h2>
<p>Pour expliquer l’écart qu’il existe entre les discours et la réalité, il est nécessaire de décortiquer le problème. On entend souvent l’argument d’un supposé laxisme entraînant le déclin du français. On retrouve ici un motif bien connu : le syndrome du « c’était mieux avant ». Mais pour la langue française, ce supposé âge d’or n’a jamais existé. C’est la focalisation exclusive sur les textes littéraires qui entretient cette illusion. Et il ne faut pas perdre de vue que, jusqu’à une période récente, très peu de personnes étaient capables d’écrire en français. La large diffusion de l’écrit remonte à 1945. </p>
<p>Quant à la comparaison à un siècle d’intervalle, elle est loin d’être <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1990_num_90_1_2466_t1_0113_0000_1">aisée</a>. En effet, quand on dispose d’un échantillon représentatif d’un côté et des meilleurs élèves de l’autre, il est difficile d’en tirer des conclusions. Toujours est-il que l’on peut affirmer qu’il n’y a jamais eu autant de personnes écrivant quotidiennement français qu’aujourd’hui. Ainsi, le niveau moyen de la population est forcément meilleur qu’il y a un siècle.</p>
<p>Pour autant, ce niveau est-il suffisant pour une insertion réussie sur le marché du travail à une époque où savoir écrire est une compétence incontournable ? La réponse est sans doute <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/entreprises/entreprises-la-chasse-aux-fautes-d-orthographe_3486831.html">négative</a>. Et, contrairement à une idée reçue, ce n’est pas un problème purement français. Que ce soit au Canada, en Suisse ou en Belgique, les constats sont exactement les mêmes : une vision catastrophiste quant aux difficultés rencontrées par les élèves. Il faut donc chercher un autre coupable que le système scolaire français.</p>
<h2>Plusieurs explications</h2>
<p>Il y a en réalité deux paramètres principaux permettant d’expliquer ce phénomène. Le premier, c’est le nombre insuffisant d’heures d’enseignement. La majorité des élèves ne pourra pas dominer la langue française à partir du seul temps passé sur les bancs de l’école. Cela va donc créer des inégalités entre les enfants ayant de l’aide à la maison et les autres. Les études scientifiques montrent clairement le lien existant entre difficultés en français et <a href="https://www.researchgate.net/profile/Johannes-Ziegler-4/publication/24365381_Deficits_in_reading_acquisition_in_primary_school_cognitive_social_and_behavioral_factors_studied_in_a_sample_of_1062_children/links/5a9e5dd9a6fdccff6d1a6fa9/Deficits-in-reading-acquisition-in-primary-school-cognitive-social-and-behavioral-factors-studied-in-a-sample-of-1062-children.pdf">milieux défavorisés</a>.</p>
<p>Le second paramètre explicatif repose sur le caractère linguistiquement inadapté de l’orthographe française.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5YO7Vg1ByA8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Elle souffre en effet de deux défauts majeurs : la déconnexion de l’oral et l’absence de régularité. Concrètement, la place de l’orthographe grammaticale s’est fortement réduite à l’oral et à partir de ressemblances formelles il est difficile de savoir comment s’écrit un mot.</p>
<blockquote>
<p>« On écrit <em>je prends</em> mais <em>je peins</em>, <em>tu couds</em> mais <em>tu résous</em>, <em>il vend</em> et… <em>ça craint</em> ! » (<a href="https://www.lerobert.com/dis-moi-robert/robert-et-vous/dejouez-pieges/enfreindre-ou-absoudre.html"><em>Enfreindre ou absoudre</em>, Hoedt & Piron</a>)</p>
</blockquote>
<p>Il a donc fallu rédiger des centaines de règles spécifiques et dresser des listes pour permettre aux élèves d’apprendre les conjugaisons, les pluriels irréguliers, les accords, etc. Or, la conjonction entre l’indépendance de l’écrit et le grand nombre d’informations à mémoriser ne fait pas bon ménage. Cela a une conséquence pratique : il faut plus de temps pour apprendre à écrire en français que dans la plupart des autres langues alphabétiques. Plus l’écrit est proche de l’oral, plus il est facile d’apprendre à écrire. Dans les évaluations internationales des systèmes éducatifs, cela revient donc à comparer deux épreuves distinctes : une course de 100m à une course de 110m haies. Il n’est donc pas étonnant que les petits Français soient à la traîne.</p>
<p>De plus, l’attachement viscéral à une forme pure immuable, en s’opposant systématiquement à toute évolution, fait courir un risque au français. Les langues naturelles cessent d’évoluer uniquement quand elles sont mortes. Les puristes, sincères dans leur combat pour la défense du français, risquent finalement d’aboutir au résultat inverse de celui escompté. Et les premières victimes sont les élèves et plus particulièrement ceux de milieux défavorisés. C’est donc le figement de la forme de référence, du bon usage, ainsi que son contenu qui expliquent au moins en partie les problèmes actuels. Pour ne pas que la situation empire, il faut agir vite.</p>
<h2>Ni pure ni soumise</h2>
<p>La langue française est une œuvre collective abritée en chacun de nous. Elle se modèle au gré des usages que nous en faisons. Elle n’est <em>ni pure ni soumise</em> (j’emprunte l’expression à Alain Rey). Dans un <a href="https://www.lerobert.com/autour-des-mots/francais/qui-veut-la-peau-du-francais-9782321016885.html">ouvrage</a> paraissant le 6 mai 2021, j’aborde les problèmes que pose la distorsion qu’il existe entre la langue réellement en usage et le « bon usage ». La définition d’un bon usage mieux adapté à notre situation contemporaine est un enjeu démocratique majeur. </p>
<p>Pour défendre la langue française, encore faut-il laisser les locutrices et les locuteurs s’exprimer avec tolérance et <a href="https://www.laconvivialite.com/">convivialité</a> ! Et plutôt que se moquer des personnes qui font des « fautes de français », il paraît plus fécond d’évaluer avec objectivité les problèmes que pose la norme à acquérir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158450/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Benzitoun publie un ouvrage aux éditions Le Robert. </span></em></p>Le purisme en langue est une attitude valorisée. Pourtant, il a des effets problématiques importants. De quoi le purisme est-il le nom ?Christophe Benzitoun, Maître de conférences en linguistique française, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1427832020-09-02T19:25:55Z2020-09-02T19:25:55ZDu Lavisse au Bescherelle, ces manuels qui ont marqué des générations d’élèves<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/355572/original/file-20200831-19-11rujn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C51%2C1920%2C1241&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Certains manuels sont devenus des incontournables dans leur discipline et résument l'esprit d'une époque.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/illustrations/luggage-school-benches-board-4349237/">DarkWorkX/Pixabay </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.retronews.fr/education/echo-de-presse/2019/08/13/le-petit-lavisse">Lavisse</a>, Bled, Bescherelle, Lagarde et Michard, autant de noms qui restent irrémédiablement liés aux manuels d’histoire, de conjugaison, d’orthographe ou de littérature dont ces professeurs sont les auteurs. Leurs ouvrages ont marqué l’histoire scolaire des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, faisant partie de la panoplie de référence des élèves.</p>
<p>Comment expliquer cette longévité ? Comment ces manuels sont-ils devenus les symboles d’une certaine culture scolaire ? Que nous révèlent-ils sur l’organisation de l’Éducation nationale et la façon d’enseigner jusqu’à aujourd’hui ?</p>
<p>Témoins de leur temps et <a href="https://www.peterlang.com/view/title/71025">objets de recherche</a>, les manuels scolaires doivent être appréhendés de <a href="https://www.persee.fr/doc/hedu_0221-6280_1980_num_9_1_1017">manière globale</a>. Pionnier dans leur étude, Alain Choppin a bien montré que le manuel était une <a href="https://journals.openedition.org/histoire-education/565">fausse évidence</a> historique, recouvrant une diversité de formats et d’usages. Outils de mise en œuvre des programmes, traits d’union entre l’institution, les enseignants, les élèves, et les parents, les manuels sont des piliers de l’élaboration d’une <a href="https://journals.openedition.org/histoire-education/1013">culture scolaire</a>, pour reprendre le terme d’André Chervel, issue d’un savoir universitaire encyclopédique</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1143302207711993857"}"></div></p>
<p>Leurs contenus sont parfois contestés pour leurs partis pris. Par <a href="https://www.marianne.net/societe/l-impossible-neutralite-des-manuels-scolaires">leur impossible neutralité</a> ils ont véhiculé, hier comme aujourd’hui, des stéréotypes de genre et de classe. Même si l’on pronostique souvent leur mort face à l’extension des ressources en ligne, ils sont toujours là, sous forme papier ou numérique. La récente période de confinement n’a fait que confirmer cet état de fait avec une <a href="https://www.lesediteursdeducation.com/actu/covid-19-les-editeurs-deducation-mettent-gratuitement-leurs-manuels-numeriques-a-la-disposition-de-tous-les-eleves/">mise à disposition gratuite</a> des manuels numériques, au nom de la continuité pédagogique.</p>
<h2>Romans scolaires</h2>
<p>Ernest Lavisse (1842-1922) fut l’un des auteurs les plus prolifiques et les plus publiés des éditions Armand Colin, avec plus de 20 millions d’exemplaires vendus, pour tous les niveaux d’enseignement. Historien reconnu, il élabore un « roman national » autour d’une <a href="https://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20131014.OBS1062/histoire-de-france-le-vice-du-lavisse.html">histoire scolaire</a> centrée sur la France, sa puissance et ses personnages masculins mythifiés.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/355554/original/file-20200831-21-1a0kal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/355554/original/file-20200831-21-1a0kal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/355554/original/file-20200831-21-1a0kal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/355554/original/file-20200831-21-1a0kal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/355554/original/file-20200831-21-1a0kal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/355554/original/file-20200831-21-1a0kal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/355554/original/file-20200831-21-1a0kal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Tour de France par deux enfants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Tour_de_France_par_deux_enfants.jpg">Jean Poussin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans le même esprit, <em>Le tour de France par deux enfants</em> d’Augustine Fouillée, qui signe sous le pseudonyme de G. Bruno, dont la première édition date de 1877, reflète cette même conception du manuel et de la <a href="https://journals.openedition.org/histoire-education/1247">leçon-modèle</a> : un récit encyclopédique qui permet à l’enseignant d’être le pivot de la transmission du savoir, et de développer un discours patriotique dans la France de l’après-guerre de 1870 et de la construction républicaine.</p>
<p>Ce que l’on appelle communément <a href="https://www.retronews.fr/education/echo-de-presse/2019/08/13/le-petit-lavisse">« les petit Lavisse »</a> resteront jusqu’à la Seconde Guerre mondiale les manuels d’histoire de références. Aujourd’hui, bien évidemment, l’évolution de la discipline, celle de l’enseignement vers une réflexion fondée sur l’étude de documents, font du Lavisse un vestige d’une histoire ancienne. Néanmoins, ces ouvrages sont constamment réédités jusqu’à aujourd’hui comme références d’une histoire ancienne et nostalgique.</p>
<h2>Langue et littérature françaises</h2>
<p>Alors qu’Ernest Lavisse, universitaire, écrit pour les enseignants et les élèves à partir de sa conception de l’histoire, Odette et Édouard Bled, instituteurs, conçoivent leur manuel d’orthographe et de grammaire à partir de leurs observations de « terrain ». Incontournable pour toutes les générations d’écoliers depuis sa première édition en 1946, le Bled est souvent associé au « Bescherelle », <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2058410">manuel de conjugaison des verbes</a>.</p>
<p>Soutenus par l’institution scolaire, ces deux ouvrages sont encore perçus comme des ouvrages « officiels », indispensables de la scolarité. Ils n’en reflètent pas moins une certaine vision de l’enseignement. Édouard Bled sera un farouche opposant à toute réforme orthographique et le Bescherelle, en se fondant exclusivement sur un apprentissage par cœur, ne prend pas en compte l’évolution de l’enseignement vers la prise en compte du contexte ou <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/toute-la-grammaire-9782226143921">l’analyse d’un texte</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/355552/original/file-20200831-24-178vqud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/355552/original/file-20200831-24-178vqud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/355552/original/file-20200831-24-178vqud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/355552/original/file-20200831-24-178vqud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/355552/original/file-20200831-24-178vqud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/355552/original/file-20200831-24-178vqud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/355552/original/file-20200831-24-178vqud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Lagarde et Michard, réédition 1993.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bordas éditions</span></span>
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<p>Enseignants du secondaire, puis inspecteurs généraux, André Lagarde et Laurent Michard publient à partir de 1948 une série de manuels scolaires composés d’extraits de textes littéraires de références, d’illustrations et de biographies. Leur première publication marque une <a href="https://www.vousnousils.fr/2005/07/13/lagarde-et-michard-celebres-et-meconnus-243162">révolution éditoriale</a>. Sur six volumes au total, ils proposent, chronologiquement, une anthologie de la littérature française.</p>
<p>Aujourd’hui, les Lagarde et Michard apparaissent plus comme des symboles d’un enseignement secondaire fondé sur l’encyclopédisme. D’autre part, dans le contenu, les choix de certains extraits de textes et de commentaires sont sujets à critiques. Il n’en reste pas moins que ces ouvrages, qui ont eux aussi dépassé les 20 millions d’exemplaires vendus, restent des références pour certains enseignants et surtout la mémoire de plusieurs générations de lycéens.</p>
<h2>Outil d’échanges</h2>
<p>On peut donc légitimement s’interroger sur la longévité de ces ouvrages. S’agit-il d’une capacité hors norme de leur part à se renouveler ou le symptôme d’une certaine inertie pédagogique ? Les pédagogues d’éducation nouvelle comme Célestin Freinet au début du XX<sup>e</sup> siècle ont critiqué ce magister des manuels, supports qui empêcheraient une réflexion autonome des élèves.</p>
<p>Depuis les années 1960, les manuels ne sont plus seulement des livres d’auteurs mais d’équipes. Plus aucun manuel n’a un tel monopole et les multiples maisons d’édition rivalisent d’ingéniosité pour proposer des manuels possédant des illustrations et des documents de haute qualité, et qui prennent en compte l’évolution des méthodes pédagogiques. Il faut préciser que les livres scolaires représentent entre 12 et 18 % du chiffre d’affaires de l’édition française.</p>
<p>Ensuite, l’usage des manuels dans les classes est un sujet complexe. Ils sont une référence, un appui pour la transmission des savoirs pour les enseignants mais aussi un intermédiaire de communication sur les programmes vis-à-vis des parents, et la période du confinement l’a bien montré.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pedagogie-a-distance-les-enseignements-du-e-confinement-137327">Pédagogie à distance : les enseignements du e‑confinement</a>
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<p>Jusqu’à aujourd’hui, les usages du manuel scolaire induisent également une culture et une forme scolaire spécifique, où l’enseignant et son savoir transmis sont au centre de l’institution. Pour l’instant, la révolution du numérique ne semble transformer que peu les choses. Perçus comme des outils privilégiés des <a href="https://www.cairn.info/des-manuels-scolaires-pour-apprendre--9782804130534-page-83.htm">apprentissages</a>, les manuels se doivent aussi d’être des outils pour comprendre les mutations de nos sociétés, et des vecteurs pour transformer nos façons de voir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142783/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Wagnon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment expliquer la longévité de certains manuels comme les Bled ou les Lagarde et Michard ? Comment sont-ils devenus les symboles d’une certaine culture scolaire ?Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l'éducation, Faculté d'éducation, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1386332020-05-17T18:09:11Z2020-05-17T18:09:11ZLe/la Covid ? Réouvrir ou rouvrir ? Les leçons de grammaire du coronavirus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/335067/original/file-20200514-77230-1m29q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C76%2C2433%2C1553&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lorsqu’un mot entre dans la langue, il arrive que les règles régissant son usage ne soient pas fixées du premier coup.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le Covid-19 a apporté son lot de <a href="https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/04/27/lundimanche-aperue-coronabdos-les-nouveaux-mots-du-confinement_6037915_4497916.html">nouveaux mots</a> (<em>lundimanche</em>, <em>apérue</em>, <em>coronabdos</em>, <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/chloroquine-quatorzaine-coronapero-les-mots-qui-nous-ont-accompagnes-pendant-la-crise-20200503">voire encore</a> <em>corona</em>-<em>boomeurs</em>, <em>whatsappéros</em> ou <em>coronapéro</em>), mais aussi de nouveaux débats linguistiques. Exit le <a href="https://theconversation.com/pain-au-chocolat-vs-chocolatine-fight-85923">match</a> « pain au chocolat vs chocolatine », et place à des questionnements davantage en rapport avec les nouvelles réalités auxquelles sont désormais confrontés les francophones.</p>
<p><a href="https://www.franceculture.fr/sciences-du-langage/doit-dire-le-ou-la-covid-19">Doit-on dire</a> « le » ou « la » Covid-19 ? « Rouvrir » ou « réouvrir » : <a href="https://www.rtl.fr/culture/arts-spectacles/rouvrir-ou-reouvrir-que-faut-il-dire-et-ecrire-7800466522">que faut-il</a> dire et écrire ? <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/coronavirus-faut-il-dire-quatorzaine-quarantaine-1799024.html">Et sinon</a>, faut-il dire « quatorzaine » ou « quarantaine » ? Sur les réseaux sociaux, les internautes échangent des arguments en faveur de l’une ou de l’autre réponse à ces questions, sans jamais réussir à se mettre d’accord.</p>
<h2>Le ou la Covid-19 ?</h2>
<p>Dans le cas du mot <strong>covid-19</strong>, le débat porte sur le genre du mot. Doit-on dire <em>la</em> Covid-19, puisqu’il s’agit d’une maladie ; ou <em>le</em> Covid-19, puisque c’est un virus ? Quand l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé ce terme le 11 février dernier, elle n’a pas précisé son genre (car en anglais la question ne se pose pas).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1227248333871173632"}"></div></p>
<p>Aussi, à partir de la mi-mars, et malgré l’utilisation du féminin sur le <a href="https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/technical-guidance/naming-the-coronavirus-disease-(covid-2019)-and-the-virus-that-causes-it">site français</a> de l’OMS, les journalistes de France ont spontanément pris l’habitude de l’employer avec des articles masculins (<em>le</em>, <em>un</em>, <em>ce</em>, etc.). La règle voulant qu’en français, le genre de l’acronyme soit déterminé par le genre du premier mot (<em>co-</em> vient de « corona », <em>vi-</em> de « virus » et <em>d-</em> de l’anglais <em>disease</em> qui veut dire « maladie » ; <em>19</em> indique l’année de l’apparition du virus), et que le genre du mot <em>corona</em> soit masculin en français.</p>
<p>Puis les internautes leur ont emboîté le pas. C’est ainsi que l’usage du masculin s’est installé dans les pratiques des Français, comme le montre ce graphique réalisé à partir des requêtes sur Google au cours des 90 derniers jours en France. La séquence « la covid » est quasiment inexistante en face de la séquence « le covid » :</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Outre-Atlantique en revanche, très tôt, une note a circulé encourageant <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1657532/covid-linguistique-virus-epidemie-wuhan-usage">l’usage du féminin</a> (« la covid »), laquelle a été suivie quasi immédiatement d’une <a href="http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26557671">notice</a> de l’Office québécois de la langue française (OQLF), le grand organisme qui régule la langue au Québec. Si bien qu’aujourd’hui les deux variantes sont en concurrence dans la Belle Province.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Les Québécois garderont-ils les deux genres, ou basculeront-ils du côté du féminin ? Difficile de répondre à cette question pour le moment, il faudra encore être patient pour voir si l’une des deux formes prend le dessus sur l’autre.</p>
<p>Dans l’Hexagone, <a href="http://www.culture.fr/franceterme">France Terme</a>, qui publie les résultats de la Commission d’enrichissement de la langue française chargée de nommer en français les réalités nouvelles et les innovations scientifiques et techniques, n’a pas encore proposé de recommandations (alors qu’elle a établi une liste de termes alternatifs aux anglicismes liés au Covid-19 qui commençaient à <a href="https://www.culture.gouv.fr/Actualites/coronavirus-les-mots-pour-le-dire">gagner du terrain</a>).</p>
<p>Quant à l’Académie française, elle vient de rendre <a href="https://www.bfmtv.com/societe/le-covid-ou-la-covid-l-academie-francaise-tranche-pour-le-feminin-1912676.html">son verdict</a>, en optant pour l’usage du féminin, suivant en cela l’OMS et l’OQLF. Mais c’est sans doute déjà trop tard…</p>
<h2>Des écoles qui rouvrent ou réouvrent ?</h2>
<p>Le couple <strong>rouvrir/réouvrir</strong> a également fait l’objet de pas mal de débats sur les réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1251764187296075778"}"></div></p>
<p>L’argument invoqué par les opposants à la variante <em>réouvrir</em> est que cette forme est peu plaisante à l’oreille (les linguistes diraient qu’elle n’est pas euphonique), en raison du fait qu’elle comporte deux voyelles contiguës (ce qu’on appelle techniquement un hiatus).</p>
<p>Pourtant la plupart des dictionnaires commerciaux et libres la mentionnent dans leurs nomenclatures, comme le rappelle le linguiste belge <a href="https://plus.lesoir.be/297992/article/2020-05-01/rouvrir-ou-reouvrir-inutile-de-sortir-de-vos-gonds">Michel Francard</a>. On trouve <em>réouverture</em> dans les pages du <em>Larousse</em> (mais il est absent du <em>Robert</em>), dans le <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/r%C3%A9ouverture">TFLi</a> (mais pas dans le <em>Littré</em>).</p>
<p>Quand on y pense bien, ce n’est pas étonnant, sachant qu’existent dans la langue de nombreux verbes commençant par le préfixe <em>ré-</em> (et non <em>r-</em>) suivi d’une voyelle : <em>réapprovisionner</em>, <em>réentendre</em>, <em>réécouter</em>, etc.</p>
<p>En jetant un coup d’œil aux pratiques des twittos en France (Twitter permet de ne chercher que dans les tweets envoyés pendant les neuf derniers jours), on peut voir que même si l’utilisation de <em>rouvrir</em> est majoritaire, celle de <em>réouvrir</em> est loin d’être nulle :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>La variante <em>réouvrir</em> reste toutefois fort stigmatisée, ce qui explique sans doute pourquoi elle est moins employée (trois fois moins, proportionnellement) que sa concurrente <em>rouvrir</em>. Les internautes ont en effet tendance à l’associer à une mauvaise maîtrise de la langue française, qui serait le propre « des jeunes qui ne savent plus parler ».</p>
<p>Que diraient pourtant ces censeurs s’ils savaient qu’on trouve cette forme déjà au début XVII<sup>e</sup> siècle, puis régulièrement sous la plume d’écrivains aussi célèbres que Céline ou Stendhal, et tout récemment <a href="https://twitter.com/20Minutes/status/1255130147377709062?s=20">dans le discours</a> de notre premier ministre Édouard Philippe ou dans les tweets du ministre de l’Éducation, Jean‑Michel Blanquer ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1260144498425937921"}"></div></p>
<h2>Quarantaine ou quatorzaine ?</h2>
<p>Un autre néologisme qui irrite pas mal d’internautes, le terme <strong>quatorzaine</strong>, qui tend à remplacer depuis quelques semaines le classique <strong>quarantaine</strong>. Sémantiquement, le mot <em>quarantaine</em> est une sorte de terme générique pouvant évoquer une durée variable, alors que <em>quatorzaine</em> est beaucoup plus précis, ce qui explique son succès dans le contexte que l’on vit actuellement, comme l’explique notre collègue <a href="https://information.tv5monde.com/video/quatorzaine-le-neologisme-de-la-crise-du-covid-19-l-humeur-de-linda">Myriam Bergeron Maguire</a>. Beaucoup ont argumenté que le mot n’est pas légitime car il ne figure pas dans les dictionnaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1238146779226439687"}"></div></p>
<p>Mais quand on y pense bien, est-ce là un motif valable pour le rejeter, sachant que tous les néologismes ont d’abord commencé par ne pas être dans « le » dictionnaire, par la force des choses ? En sont témoin les mots <em>déconfinement</em> et <em>reconfinement</em>, qui ont connu une notoriété soudaine plus ou moins au même moment dans les médias, mais qui ne figurent ni dans le <em>Robert</em>, ni dans le <em>Larousse</em> (le premier vient tout juste d’apparaître dans le <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/d%C3%A9confinement">Wiktionnaire</a>.</p>
<h2>Comment les mots entrent dans la langue ?</h2>
<p>Lorsqu’un mot nouveau entre dans la langue, il arrive que les règles régissant son usage (masculin ou féminin, formes de pluriel, dérivations, etc.) ne soient pas fixées du premier coup, et que des variantes concurrentes circulent. C’est ensuite l’usage – des internautes, des journalistes, des écrivains mais aussi des simples locuteurs – qui permet de faire pencher la balance en faveur de l’une ou de l’autre variante. En bout de chaîne, ce sont les dictionnaires qui entérinent l’issue de ces débats.</p>
<p>Si l’une des deux variantes prend clairement le dessus, l’autre est soit abandonnée (elle sort alors de l’usage, et n’est pas reprise par les dictionnaires), soit considérée comme « marquée » (régionale, archaïque, technique ou autre). Ce sera sans doute le cas du genre féminin de covid, qui devrait être accompagné de l’étiquette « régional » dans les dictionnaires fabriqués en France.</p>
<p>Signalons toutefois que ce genre de question n’est jamais réglé rapidement : le processus peut prendre du temps, et les usages coexister pendant des siècles (voir notamment le couple <em>rouvrir/réouvrir</em>).</p>
<p>Enfin, les chances de voir apparaître de nouveaux mots dans la nomenclature des dictionnaires dépendent de leur vitalité, sur le long terme. Les processus de <em>déconfinement</em> et de <em>reconfinement</em> seront-ils des réalités avec lesquelles il faudra apprendre à vivre dans les années à venir ? Pendant combien de temps mettra-t-on encore les gens en <em>quatorzaine</em> ? Les réponses à ces questions seront cruciales pour les lexicologues en charge des prochaines éditions de dictionnaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138633/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Avanzi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’épidémie de coronavirus a apporté son lot de nouveaux mots (« apérue », « coronabdos ») mais aussi de débats sur l’orthographe et la grammaire. De quoi éclairer la manière dont évolue une langue.Mathieu Avanzi, Maître de conférences en linguistique francaise, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1290312019-12-18T18:18:37Z2019-12-18T18:18:37ZDébat : Le plaisir de lire, au programme du bac de français ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/307522/original/file-20191217-58344-k6gng4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C8%2C994%2C657&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Poésie, théâtre, roman et littérature d'idées sont les grandes catégories autour desquelles s'organisent les programmes de français au lycée.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/education-learning-concept-opening-book-textbook-1491910001">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Du choix d’ouvrages aux formats originaux en passant par le partage d’histoires ou d’ateliers ludiques autour de l’écrit, parents et éducateurs rivalisent d’énergie pour aider les jeunes générations à tisser de solides liens avec les livres. Promouvoir la lecture comme plaisir, tel est le leitmotiv qui anime bibliothèques, <a href="https://slpjplus.fr/">salons du livre</a> et <a href="https://www.partir-en-livre.fr/">campagnes</a> du ministère de la Culture.</p>
<p>Comment l’école soutient-elle ce rapport au livre ? Comme nous l’avons rappelé <a href="https://theconversation.com/quelles-definitions-pour-la-lecture-a-lecole-113333">dans un précédent article</a>, plusieurs usages et <a href="https://www.armand-colin.com/sociologie-de-la-lecture-9782200621513">définitions de la lecture</a> s’y côtoient : la lecture en tant que compétence, dont les bases sont posées lors des premières années de maternelle et primaire, la lecture comme outil de connaissances, et donc moyen d’accéder à d’autres disciplines, ou encore la lecture patrimoniale, courroie de transmission d’un bagage culturel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelles-definitions-pour-la-lecture-a-lecole-113333">Quelles définitions pour la lecture à l’école ?</a>
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<p>De ce dernier point de vue, le lycée constitue une étape clé, et la réforme du bac qui se met en place change la donne. Alors que les nouveaux programmes de lettres ont soulevé de <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2019/10/14102019Article637066346438378060.aspx">multiples réactions</a> dans le corps enseignant quant à leur lourdeur, penchons-nous sur la vision de la lecture qu’ils portent.</p>
<h2>« Connaissances linguistiques »</h2>
<p>La moitié du <a href="https://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/92/8/spe575_annexe1_1062928.pdf"><em>Bulletin officiel</em></a> consacrée à la présentation du programme de français de seconde générale et technologique est consacrée à « l’étude de la langue au lycée ». Cette attention au « travail sur la langue » est donc fortement affirmée alors que les horaires dédiés à la discipline n’ont pas augmenté.</p>
<p>Les enseignants qui sont entrés dans le métier par goût pour la littérature doivent désormais améliorer la compréhension et l’expression écrite et orale des élèves ainsi que leur transmettre des « connaissances linguistiques ». Il s’agit de prolonger l’esprit du socle commun de culture et de connaissances du collège de façon à ce que, y compris les élèves qui ne suivront pas une voie « littéraire », s’expriment du mieux possible.</p>
<p>Que vont penser les élèves de cet accent mis sur la langue ? Ils ont quitté le collège et s’y trouvent maintenus en quelque sorte, alors qu’ils entrent dans un âge de questionnement personnel. Et ces programmes ne sont pas seulement théoriques. La présentation de <a href="https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Bac2021/67/9/NDS_Epreuve_anticipee_francais_2020_1103679.pdf">l’épreuve de français</a> place en premier « la maîtrise de la langue et de l’expression » pour l’écrit et rappelle que, pour l’oral, les enseignants doivent « apprécier la qualité de l’expression orale du candidat ».</p>
<h2>Un corpus structuré verticalement</h2>
<p>Les programmes de français du lycée n’oublient toutefois pas la « culture littéraire » et il s’agit de fournir des « connaissances solides » qui recouvrent notamment l’analyse et l’histoire littéraire. Dans cet objectif, ils ont été conçus en partant d’une vision de la production littéraire étalée du Moyen-âge au XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Quatre « objets d’étude » ont été retenus et placés au même rang : la poésie, le théâtre, la « littérature d’idées et la presse » ainsi que « le roman et le récit ». Entre la seconde et la première, les élèves doivent balayer ces vastes domaines.</p>
<p>Le plaisir peut naître si les élèves décident de penser avec les catégories du programme. Certains y parviendront sans doute mais beaucoup regarderont ce « plaisir » leur échapper ne parvenant pas à s’inscrire à titre personnel dans un univers construit pour eux et non par eux.</p>
<p>Il suffit de se tourner vers la dernière enquête du <a href="https://fr.calameo.com/read/001828715153b5e343538">CNL sur les jeunes et la lecture</a>. En 2018, les adolescents entre 15 et 19 ans citent d’abord les romans (67 %) puis les mangas (38 %) et les BD (36 %) comme genres de livres lus dans l’année. Le théâtre, la poésie, la « littérature d’idées » sont absentes de l’univers de leurs pratiques. Et parmi les romans, ils citent presque autant la science-fiction (31 %) et le fantastique (30 %) que les « grands classiques » (34 %).</p>
<p>Sans partir nécessairement des pratiques des élèves, il serait concevable de choisir des thèmes (l’amour, l’altérité, le fantastique, etc.) à partir desquels se tisseraient des liens entre la « culture littéraire » et leur propre univers du livre.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-Eitco_s13A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Oui, les jeunes lisent », par Vincent Monadé, président du Centre national du livre (CNL).</span></figcaption>
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<h2>Un élève idéal</h2>
<p>Ce choix vertical repose sur une conception de l’élève comme réceptacle de programmes dont ils sont les destinataires. Et, en l’espèce, son portrait idéal revient à dessiner celui des concepteurs des programmes à la fois cultivés et forts d’une grande qualité d’expression.</p>
<p>Les instructions témoignent de cet écart non seulement par le type de livre à lire mais aussi à travers le nombre de livres à lire. En seconde, les élèves doivent lire 4 livres (un par « objet d’étude ») et 3 œuvres en « lecture cursive » et huit en première (4+4).</p>
<p>D’après l’enquête du CNL de 2018, les collégiens et lycéens déclarent lire 5,3 livres par an dans le cadre de leurs études (contre 8,9 pour leur loisir). On peut donc dès à présent prédire que nombre d’élèves ne liront pas deux à trois des livres au programme.</p>
<p>Plutôt que de prendre acte du rapport des jeunes à la lecture scolaire, les textes officiels maintiennent l’illusion d’une forte intensité de cette pratique, ce qui permet de concevoir des programmes « ambitieux ».</p>
<h2>Changement de cap ?</h2>
<p>Depuis les années 1970 et l’émergence du problème social de l’illettrisme, l’institution scolaire envisage la lecture comme une pratique qu’il s’agit de susciter. Se développe l’idée que la prescription de lectures peut avoir un avoir un effet repoussoir sur l’ensemble de la pratique.</p>
<p><a href="http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2004-01-0005-001">Max Butlen</a> a montré comment cette vision soutenue par les bibliothèques s’est imposée dans le cadre scolaire. Et encore dans les <a href="http://media.education.gouv.fr/file/special_6/21/8/programme_francais_general_33218.pdf">programmes du collège de 2008</a>, figurait cette demande : « le professeur cherche à susciter le goût et le plaisir de lire ».</p>
<p>Les textes officiels des <a href="https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=94717">programmes du collège de 2015</a> voient déjà la disparition de cette demande. Le plaisir ne trouve plus sa place que dans l’éducation physique et sportive, les arts plastiques ou l’éducation musicale. Il subsiste toutefois l’idée que les élèves doivent prendre « goût à la lecture » pour acquérir une « culture littéraire ». Dans les derniers programmes de lycée, le plaisir de lire a cédé la place au « plaisir de la littérature ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-trop-peu-de-place-pour-la-litterature-de-jeunesse-au-college-106830">Débat : Trop peu de place pour la littérature de jeunesse au collège ?</a>
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<p>Autrement dit, le plaisir de la lecture se retrouve réduit à celui du corpus prescrit. Et il n’est pas certain que les enseignants puissent leur insuffler ce plaisir tant ils sont eux-mêmes soumis. Ils n’ont pas le choix des œuvres et doivent piocher parmi une <a href="https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=140520">liste de trois titres imposés</a> pour chacun des objets d’étude et renouvelés (par moitié tous les ans) du <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2019/03/04032019Article636872816571103078.aspx">patrimoine scolaire</a>. Difficile de s’investir personnellement dans des textes qui changent si souvent. Le rythme de renouvellement des œuvres au programme fait actuellement l’objet de <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2019/12/09122019Article637114732033464787.aspx">discussions</a>.</p>
<p>Ainsi, le nouveau programme du bac de français marque une distance avec le discours dominant du « plaisir de lire » et les élèves vont devoir apprendre à composer avec cet état des lieux, et à conjuguer les classiques des programmes avec les BD, mangas, et écrans de leurs loisirs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129031/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Poissenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La prescription d’un corpus de textes peut-elle aller de pair avec l’ambition de transmettre le goût de la lecture aux jeunes ? La réforme des programmes de lettres pose la question.Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l'IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1163092019-05-21T07:08:11Z2019-05-21T07:08:11ZComment la lecture enrichit l’éducation des enfants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/274982/original/file-20190516-69209-1bw9a24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C4%2C997%2C658&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En prenant le temps de tourner les pages d'un livre avec leur enfant, les adultes les aident à considérer la lecture comme un plaisir et non une corvée.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Pour les amoureux des livres, il peut sembler évident de partager des histoires avec leurs enfants. Pourquoi ne leur transmettraient-ils pas leur amour des lettres ? Cependant, les chercheurs ont montré qu’il y a les bénéfices de cette activité ne se résument pas à la création d’un lien mais vont bien au-delà, tant du point de vue de l’adulte que de celui de l’enfant.</p>
<p>De nombreuses études ont été menées concernant l’intérêt pour les enfants de participer chez eux à des activités autour de la lecture. Une grande partie d’entre elles se focalise sur la petite enfance et la manière dont ce bain littéraire contribue à développer les compétences de base de compréhension et d’expression. Le partage de lectures dès le plus jeune âge <a href="https://kundoc.com/pdf-picture-book-reading-with-young-children-a-conceptual-framework-.html">stimule le développement</a> du langage et l’apprentissage de la lecture, par exemple.</p>
<p>Mais cet environnement familial ne perd pas d’importance une fois que les enfants ont appris à lire. Tout comme les croyances des parents et leurs comportements, les occasions données à un enfant de lire chez lui continuent à influencer son intérêt pour les livres au fil de sa scolarité. Voici donc cinq façons dont les lectures communes peuvent contribuer à l’éducation générale de votre enfant.</p>
<h2>Ouvrir de nouveaux horizons</h2>
<p>Lire en famille aide à inculquer l’amour des livres dès le plus jeune âge. En prenant le temps de tourner les pages d’un livre avec leur enfant, les adultes les aident à considérer la lecture comme un plaisir et non une corvée. Certains enfants lisent parce qu’ils aiment le faire, d’autres parce qu’ils en tirent des récompenses – comme des autocollants dans un journal de lecture scolaire, notamment. </p>
<p>Les enfants qui lisent par plaisir lisent plus de livres, dans des styles plus variés. Donner à son enfant le goût des livres l’aide donc à élargir ses horizons.</p>
<h2>Renforcer la confiance en soi</h2>
<p>Les enfants évaluent leurs propres compétences en lecture en observant leurs camarades de classe et en discutant avec leurs parents et professeurs. En partageant une histoire et en encourageant leurs enfants au fil de la lecture, les parents peuvent aider leurs enfants à développer ce qu’on appelle le sentiment d’auto-efficacité – la manière dont on se représente sa capacité à accomplir une activité.</p>
<p>Il a été prouvé que <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2016.02056/full">cette auto-efficacité</a> joue sur l’aptitude à reconnaître les mots. Les enfants qui pensent qu’ils ne savent pas lire seront moins susceptibles de se lancer, mais par des compliments bien ciblés au fil de la lecture, les parents peuvent les aider à croire en leurs propres compétences.</p>
<h2>Développer des attitudes positives</h2>
<p>Des travaux de recherches ont établi que, plus les enfants ont l’occasion de s’investir chez eux dans des activités en lien avec l’écrit, plus leur attitude vis-à-vis de la lecture est positive. Les enfants sont plus susceptibles de lire pendant leur temps libre si un autre membre de leur famille lit régulièrement, <a href="https://ila.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1598/JAAL.48.3.1">ce qui crée une communauté</a> à laquelle ils ont le sentiment d’appartenir.</p>
<p>Les croyances et les actions des parents jouent sur les motivations personnelles de leurs enfants pour la lecture, ce lien étant certainement à double sens – les parents ont plus tendance à <a href="https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2F0708-5591.49.2.89">proposer des activités</a> autour de la lecture à leurs enfants s’ils savent que ceux-ci les ont appréciées par le passé.</p>
<h2>Étendre leur vocabulaire</h2>
<p>Au fil de ces lectures partagées, les enfants sont exposés à des registres de langue variés. C’est un aspect très important dans ces premières étapes de la sensibilisation à l’écrit. Après tout, le développement du langage est la base des compétences en compréhension écrite et en expression, et ce bain linguistique est l’un des bénéfices essentiels.</p>
<p>Ces lectures précoces peuvent avoir des avantages à long terme en étoffant le vocabulaire des plus jeunes. S’ils rencontrent un mot qu’ils ne comprennent pas, ils ont auprès d’eux un adulte qui peut le leur expliquer de manière accessible. Quand on raconte des histoires à des enfants qui sont en train d’apprendre à lire, cela peut améliorer leur connaissance de l’alphabet, leurs compétences de déchiffrage et d’orthographe et les familiariser globalement avec l’usage des livres. Le simple fait de prononcer les lettres d’un mot qu’ils ne connaissent pas peut beaucoup les aider à progresser.</p>
<h2>Gagner en aisance avec l’écrit</h2>
<p>En lisant une histoire à un enfant, on va moduler les intonations, le rythme du récit et ménager des pauses – et donc respecter ce qu’on appelle la prosodie. Ce n’est pas une compétence qui s’enseigne explicitement, mais en faisant si besoin un arrêt dans le récit ou en changeant de ton, vous pouvez aider votre enfant à gagner en aisance dans la lecture à voix haute. C’est bien pour cela que ce n’est pas une activité réservée aux élèves de maternelle. Au contraire, montrer la complexité de ce travail d’interprétation est utile à des enfants de tout âge.</p>
<p>Il n’y a pas besoin de beaucoup d’argent ni même de temps libre pour lire avec ses enfants. Même de petits efforts peuvent avoir des effets importants. Et il n’est pas impératif de réserver cette activité à l’heure du coucher. Partager un livre, un magazine ou une bande dessinée peut se faire à tout moment de la journée.</p>
<p>Le plus important à garder en tête, c’est qu’il faut s’amuser. L’intérêt pour les livres émerge au fil des bons moments passés avec ensemble. Manifester votre intérêt et vous investir dans cette activité peut avoir un impact énorme sur la manière dont vos enfants se l’approprieront.</p>
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<p><em>Texte traduit de l’anglais par Aurélie Djavadi.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116309/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emma Vardy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce n’est pas parce qu’un enfant sait désormais lire qu’il faut arrêter de lui raconter des histoires. Le point sur cinq effets positifs de ces moments partagés en famille.Emma Vardy, Research Associate, Psychology of Education, Coventry UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1137932019-03-19T21:17:52Z2019-03-19T21:17:52Z« Serai » ou « serais » ? C’est un peu trop facile de se moquer…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/264681/original/file-20190319-60969-b8twlj.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1133%2C829&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une photo d'une petite fille lors d'une manifestation « gilets jaunes » a créé la polémique sur le bon usage du français.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/RaquelGarridoFr/status/1106663026931978243">Raquel Garrido/Twitter</a></span></figcaption></figure><p>Le 16 mars dernier, l’ancienne porte-parole du parti la France Insoumise Raquel Garrido tweete la photo d’une petite fille arborant un gilet jaune sur lequel il est écrit « je suis en CM2 mais l’année prochaine je serais en 6<sup>e</sup> République ».</p>
<p>Le tweet est repris quelque temps plus tard par la maire adjointe du XIV<sup>e</sup> arrondissement de Paris, <a href="https://www.aufeminin.com/news-societe/gilets-jaunes-une-elue-se-moque-d-une-petite-fille-sur-twitter-s3054323.html">qui se moque explicitement</a> de l’ignorance supposée de la fillette entre conditionnel et futur :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1106908039725092865"}"></div></p>
<p>Le tweet générera un grand nombre de réactions, notamment suite à son partage par la chercheuse en langue française Laélia Véron (@LaeliaV<sup>e</sup>), co-autrice de ce texte, qui souligne la banalité de cette erreur, très courante en français.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1107049318580699136"}"></div></p>
<h2>Le conditionnel et le futur, des formes et des valeurs proches</h2>
<p>D’une part, il n’est pas toujours facile de faire la différence entre le futur (<em>je serai</em>) et le conditionnel (<em>je serais</em>) du point de vue du sens, notamment dans ce contexte. En effet, selon le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/gustave-guillaume/">linguiste Gustave Guillaume</a>, futur et conditionnel appartiennent tous deux à l’époque du futur, mais le conditionnel serait un « futur hypothétique ». Le conditionnel peut donc permettre d’évoquer un procès possible dans le futur.</p>
<p>Comme l’écrivent les spécialistes Martin Riegel, Jean‑Christophe Pellat et René Rioul dans leur <a href="https://www.puf.com/content/Grammaire_m%C3%A9thodique_du_fran%C3%A7ais"><em>Grammaire méthodique du français</em></a>, il est « apte à exprimer l’imaginaire. Il met en scène un monde possible, en suspendant le contradiction que lui oppose le monde réel ».</p>
<p>La petite fille au gilet jaune a-t-elle réellement commis une erreur ? Tout dépend de la manière dont on envisage le procès évoqué.</p>
<p>« Je suis en CM2 mais l’année prochaine je serais en 6<sup>e</sup> République » : futur à valeur quasi prédictive ? Conditionnel qui indique une éventualité possible ?</p>
<p>D’autre part, de nombreux locuteurs et locutrices ne font pas la distinction, à l’oral, entre la terminaison du futur (<em>je serai</em>) et celle du conditionnel (<em>je serais</em>), les uns utilisant une voyelle mi-fermée dans les deux cas (/e/, comme dans <em>piqué</em> ou <em>prenez</em>), les autres une voyelle mi-ouverte (/ɛ/), comme dans <em>bête</em> ou <em>bel</em>) dans les deux cas.</p>
<p>Bon nombre de twittos et twittas ont contesté ce second argument, en précisant que dans leur usage, la forme au futur, <em>je serai</em>, ne se prononce pas de la même façon que la forme au conditionnel, <em>je serais</em>.</p>
<p>Qui a raison ? Prononce-t-on de la même façon <em>je serai</em> et <em>je serais</em>, ou les deux versions riment-elles strictement à l’oral en français ? Avant de proposer une réponse sous forme de carte, il est nécessaire de jeter un œil à ce qu’en disaient naguère les manuels de référence du français.</p>
<h2>Un peu d’histoire</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/264664/original/file-20190319-60975-em5s0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/264664/original/file-20190319-60975-em5s0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/264664/original/file-20190319-60975-em5s0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/264664/original/file-20190319-60975-em5s0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/264664/original/file-20190319-60975-em5s0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/264664/original/file-20190319-60975-em5s0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/264664/original/file-20190319-60975-em5s0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Maurice Grammont était un linguiste et comparatiste français, parmi ses ouvrages connus figure notamment son <em>Petit traité de versification française</em> publié en 1922.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairiedialogues.fr/livre/8822008-petit-traite-de-versification-francaise-maurice-grammont-armand-colin">Librairie dialogue</a></span>
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</figure>
<p>Depuis le XVI<sup>e</sup> siècle, et jusqu’à une <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k145548g.texteImage">époque plus ou moins récente</a>, beaucoup de grammairiens et auteurs de traités de prononciation considéraient que pour un nombre très limité de substantifs (notamment <em>geai</em>, <em>quai</em>, <em>gai</em>), la finale <em>-ai</em> se prononçait avec une voyelle fermée, alors que les autres (<em>balai</em>, <em>essai</em>, <em>vrai</em>, etc.) se prononçaient avec une voyelle ouverte, comme c’est le cas des autres mots contenant le digramme -<em>ai</em>- dans leur terminaison (<em>paix</em>, <em>parfait</em>, <em>dais</em>, etc.).</p>
<p>Sur le plan grammatical, cette différence de prononciation permettait ainsi de faire la part entre les verbes dont la finale s’écrit <em>-ai</em> (toutes les formes conjuguées de première personne du futur – <em>je serai, je prendrai, je jouerai</em> ; comme celles de passé simple : <em>je mangeai, je tournai, je coupai</em> ; le présent du verbe <em>avoir</em> : <em>j’ai</em>) aux verbes dont la terminaison est de type -<em>ais</em> (conditionnel présent : <em>je serais, je prendrais, je jouerais</em> ; imparfait : <em>je mangeais, je tournais, je coupais</em>, etc.), les finales <em>-ai</em> étant prononcées/e/, les formes finissant en <em>-ais</em> étant prononcées/ɛ/.</p>
<h2>Que reste-t-il de cette règle aujourd’hui ?</h2>
<p>Les dictionnaires commerciaux signalent encore cette distinction pour les verbes dans leurs tableaux de conjugaison, et on sait qu’elle est encore connue des champions de l’orthographe et autres amateurs de dictée. Dans une enquête sociolinguistique (administrée en ligne entre 2017 et 2018 par les linguistes animant le blog <a href="https://francaisdenosregions.com/">Français de nos régions</a>, visant à obtenir des données en vue d’évaluer la vitalité et l’aire d’extension d’un certain nombre de particularités potentiellement régionales du français, figurait la question suivante :</p>
<blockquote>
<p>« À l’oral, faites-vous une différence entre les phrases : “je mangerai’ (futur) et ”<em>je mangerais</em>“ (conditionnel) ? »</p>
</blockquote>
<p>Deux possibilités de réponses suivaient :</p>
<blockquote>
<p>« Oui, je prononce "je mangerai” différemment de “je mangerais”. »</p>
<p>« Non, je prononce “je mangerai” de la même façon que “je mangerais”. »</p>
</blockquote>
<p>Un panel de 8 524 internautes volontaires, ayant déclaré avoir passé la plus grande partie de leur jeunesse en France (5 645), en Belgique (1 233) ou en Suisse (1 589), ont répondu à cette question. Sur la base du code postal de la localité dans laquelle les participants ont déclaré avoir passé la plus grande partie de leur jeunesse, nous avons pu comptabiliser, pour chaque arrondissement de Belgique et de France ainsi que chaque district de Suisse, le pourcentage de personnes ayant déclaré faire la différence, à l’oral, entre <em>je mangerai</em> et <em>je mangerais</em>.</p>
<p>Nous avons ensuite reporté ces points sur un fond de carte, fait varier la couleur en fonction du pourcentage obtenu (plus la couleur est froide, plus le pourcentage et bas, et inversement) et utilisé une technique d’interpolation en vue d’obtenir une surface lisse et continue du territoire :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/264668/original/file-20190319-60959-l5nlgv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/264668/original/file-20190319-60959-l5nlgv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/264668/original/file-20190319-60959-l5nlgv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/264668/original/file-20190319-60959-l5nlgv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/264668/original/file-20190319-60959-l5nlgv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/264668/original/file-20190319-60959-l5nlgv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/264668/original/file-20190319-60959-l5nlgv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/264668/original/file-20190319-60959-l5nlgv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte issue du travail des auteurs, Pourcentage (de 0 à 100 %) de participants ayant indiqué faire la différence, à l’oral, entre « je mangerai » (futur) et « je mangerais » (conditionnel), d’après les enquêtes Français de nos régions (Europe, 5ᵉ édition). Les points indiquent des arrondissements en France et en Belgique, des districts en Suisse.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un système phonologique plus riche en Belgique, Franche‑Comté</h2>
<p>Les résultats qui figurent sur la carte ci-dessus nous ont ainsi permis d’observer qu’en Europe, les francophones qui font la différence entre le futur <em>je mangerai</em> prononcé avec/e/et le conditionnel <em>je mangerais</em>/ɛ/à l’oral, pour la première personne du singulier, sont principalement localisés en Belgique, en Franche-Comté et dans la moitié septentrionale de la Suisse romande.</p>
<p>C’est en effet dans ces zones que les locuteurs du français ont gardé un système phonologique plus riche qu’ailleurs. Ainsi, c’est dans l’<a href="http://www.armand-colin.com/atlas-du-francais-de-nos-regions-9782200620103">est de la francophonie d’Europe</a> que l’on oppose encore majoritairement, à l’oral, des paires de mots comme <em>pâte</em> et <em>patte</em> ; <em>ami</em> et <em>amie</em> ; <em>faite</em> et <em>fête</em> ou encore <em>sur</em> et <em>sûre</em>.</p>
<p>Par ailleurs, l’existence de nombreuses taches de couleur intermédiaire dans l’hexagone laisse penser que les résultats sont parfois mitigés, donc que la variation dans ces zones n’est pas régionale.</p>
<h2>Prendre des critères autres que géographiques</h2>
<p>Compte tenu du fait que tous les participants de notre enquête présentent des profils socio-éducatifs relativement comparables (tout le monde ou presque a effectué des études supérieures), nous avons concentré notre attention sur l’axe « diagénérationnel », c’est-à-dire en observant l’âge des participantes et des participants.</p>
<p>Pour vérifier que la variation observée pouvait s’expliquer par les différences d’âge des internautes, nous avons conduit une analyse de régression logistique avec la réponse oui/non (« oui, je fais la différence » | « non, je ne fais pas la différence »), l’interaction entre l’âge des participants et leur pays d’origine. Nous avons également ajouté dans le tableau des données les réponses de participants canadiens (3 617 originaires des provinces francophones de l’est du pays) à une <a href="https://francaisdenosregions.com/2015/05/18/quel-francais-regional-parlez-vous/">enquête du même genre</a>, où une question comparable avait été posée à la même époque :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/264675/original/file-20190319-60964-ezl713.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/264675/original/file-20190319-60964-ezl713.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/264675/original/file-20190319-60964-ezl713.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/264675/original/file-20190319-60964-ezl713.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/264675/original/file-20190319-60964-ezl713.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/264675/original/file-20190319-60964-ezl713.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/264675/original/file-20190319-60964-ezl713.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/264675/original/file-20190319-60964-ezl713.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Probabilité de réponse positive à la question « Faites-vous la différence, à l’oral, entre « je mangerai » (futur) et « je mangerais » (conditionnel) », d’après les enquêtes Français de nos régions (Europe, 5ᵉ édition) et Canada (3ᵉ édition) en fonction de l’âge des participants (en abscisse) et le pays dans lequel ils ont passé la plus grande partie de leur jeunesse.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les résultats présentés sur le graphe ci-dessus montrent que dans les provinces de l’est du Canada, le pourcentage de francophones faisant la distinction entre les formes de futur simple et de conditionnel est significativement supérieur au pourcentage de francophones faisant la différence en Europe, et que cette différence se retrouve entre la Belgique, la Suisse et la France, du moins en ce qui concerne les participants les plus jeunes du panel.</p>
<h2>Plus on est âgé, plus on déclare faire la différence</h2>
<p>De façon plus intéressante, le graphe montre que partout dans ces quatre régions de la francophonie, le fait de faire la différence est un phénomène clairement archaïsant : plus on est âgé, plus on déclare faire la différence, et inversement.</p>
<p>Il y a fort à parier que dans quelques décennies cette distinction disparaîtra, la Franche-Comté sera sans doute la première région touchée, et les autres territoires, tout au moins en Europe, emboîteront le pas.</p>
<p>L’amoindrissement de la distinction, à l’oral, de certaines formes écrites est loin de ne concerner que cet exemple. Ainsi, la différenciation des mots en <em>ot</em> (comme <em>pot</em>, <em>sot</em>, <em>mot</em>) des mots en <em>eau</em> (comme <em>peau</em>, <em>seau</em>, <em>maux</em>) est encore marquée à l’oral en Suisse, en Belgique, et dans certaines régions de l’Est de la France (les mots en -<em>ot</em> étant prononcés avec une voyelle ouverte/ɔ/comme dans <em>porte</em> ; les mots en -<em>eau</em> et -<em>au</em> avec une voyelle fermée/o/, comme dans <em>beau</em>), mais elle tend également à disparaître elle aussi. Cet écart grandissant entre l’oral et l’écrit pose la question du statut de l’orthographe, entre code phonographique (qui retranscrit des sons) et idéographique (qui représente des signifiés).</p>
<h2>Une stigmatisation surtout sociale</h2>
<p>Peut-on reprocher à une petite fille de CM2 de se tromper entre le conditionnel et le futur ? L’erreur, comme nous l’avons dit, est d’une part contestable (sur le plan sémantique) et peut s’expliquer d’un point de vue générationnel et géographique. Mais cette stigmatisation de la part d’une élue envers une petite fille représente sans doute bien autre chose qu’un attachement à l’orthographe (il suffit d’ailleurs de regarder les tweets de Valérie Maupas pour voir qu’elle n’est pas Bernard Pivot). Elle témoigne d’une tendance, qui a plusieurs fois été soulignée dans <a href="https://www.arretsurimages.net/articles/a-la-tele-les-gilets-jaunes-entre-deux-injonctions-contradictoires">cette chronique d’Arrêt sur Images</a> ou encore <a href="https://www.20minutes.fr/paris/2475575-20190318-gilets-jaunes-paris-elue-moque-petite-fille-twitter-suscite-indignation">cette réaction du journal <em>20 minutes</em></a>, de stigmatisation sociale à tout prix de la parole de ces « jojos avec un gilet jaunes » comme le disait un certain Emmanuel Macron.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113793/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Avanzi a reçu des financements du Fonds National de la Recherche Scientifique (subside n° 24901170) pendant la période à laquelle les enquêtes ont été conduites. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laelia Véron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Prononce-t-on de la même façon « je serai » et « je serais », ou les deux versions riment-elles strictement à l’oral en français ?Mathieu Avanzi, Maître de conférences en linguistique francaise, Sorbonne UniversitéLaelia Véron, Maîtresse de conférence en stylistique, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1112992019-02-26T20:58:19Z2019-02-26T20:58:19ZPartager des histoires avec ses enfants pour les préparer à la lecture<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/261004/original/file-20190226-150705-st28jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C10%2C968%2C604&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Par le jeu des intonations, le parent aide l'enfant à se repérer dans l'histoire qu'il lui raconte.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Quand un parent décide de partager un album ou un recueil de contes avec un très jeune enfant, il ne se contente pas de lui lire un texte à voix haute. Au fil du récit, il va souligner par le jeu des intonations les moments importants de l’histoire ou expliquer le sens de certains mots nouveaux. Et, même si le livre présente des illustrations éclairant l’histoire, on voit bien que ce rituel place la langue écrite au centre de l’attention de l’enfant en âge pré-scolaire.</p>
<p>Cette pratique qui, au premier abord, peut paraître exclusivement « ludique » a en fait une forte incidence sur le <a href="https://www.annualreviews.org/doi/pdf/10.1146/annurev.publhealth.21.1.455">développement du langage</a> et sur l’apprentissage de la lecture qui se mettra en place au CP.</p>
<p>Tout d’abord, la fréquence de <a href="https://psycnet.apa.org/record/1992-34517-001">ces lectures partagées</a> à la maison influence le développement de certaines compétences liées à la langue écrite. À partir des renseignements réguliers glissés lors de cette activité, les enfants peuvent renforcer les <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=Lyxgk3cF6B4C&oi=fnd&pg=PA135&dq=The+Influence+of+Parenting+on+Literacy+Skills.&ots=7TyGMuakmx&sig=B0t9R62n4BUrKpD3FXkcFABAtbc#v=onepage&q=The%20Influence%20of%20Parenting%20on%20Literacy%20Skills.&f=false">bases</a> essentielles aux pratiques de lecture et d’écriture mises en place à l’école.</p>
<p>Une des compétences est celle qu’on appelle <a href="https://www.researchgate.net/publication/242573475_Understanding_Literacy_Development_A_Global_View">« sensibilité à l’orthographe »</a>. Il s’agit d’une aptitude précoce permettant à l’enfant de comprendre les caractéristiques et l’organisation de la langue écrite. Cela anticipe ce qui sera ensuite explicité pendant la scolarisation. Pour donner des exemples, c’est ce qui permet de reconnaître que la langue écrite française est <a href="https://psycnet.apa.org/record/1977-27212-001">« linéaire »</a>, qu’elle se développe de gauche à droite, et, qu’entre deux mots écrits, il y a un espace blanc.</p>
<h2>Associer des signes au sens</h2>
<p>Ces caractéristiques peuvent apparaître évidentes. Mais elles doivent être maîtrisées avant de pouvoir pour aborder une nouvelle modalité de communication complètement différente de l’oral, et à laquelle un enfant n’est pas du tout familier.</p>
<p>La sensibilité à l’orthographe ne comprend pas seulement des jugements sur les régularités orthographiques de la langue, mais aussi des compétences comme la capacité d’associer une suite de lettres à un sens. Pendant l’acquisition de la langue orale, un enfant d’environ 20 mois peut déjà associer un objet présent dans la situation de communication à la séquence de sons qui le désigne – par exemple appeler « chat » un chat qu’il est en train de voir à un moment donné).</p>
<p>Associer un sens à une séquence de signes sur le papier est une tâche bien plus complexe, pour plusieurs raisons. D’abord parce que cette séquence évoque un élément absent de l’environnement immédiat de l’enfant. De plus, cette suite de lettres manque d’<a href="https://www.researchgate.net/publication/287243195_The_cradle_of_culture_and_what_children_know_about_writing_and_numbers_before_being_taught">iconicité</a> : cela veut dire que, contrairement à un dessin, elle ne reflète pas forcément les caractéristiques de l’objet qu’elle désigne.</p>
<p>Dans les activités de lecture partagée, l’adulte aide l’enfant à établir et à consolider le lien entre une séquence écrite et un sens, mais également à faire la différence entre un dessin et une production écrite. Cette pratique anticipe une compétence nécessaire pour apprendre à lire et à écrire en primaire : comprendre qu’un mot écrit est <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/152574010102200302">porteur d’une signification</a> et que le rapport avec cette signification n’a pas la même nature que ce qui a lieu avec un dessin.</p>
<h2>Enrichir son vocabulaire</h2>
<p>De plus, au fil de ces lectures, l’enfant va fréquemment rentrer en contact avec des mots qu’il n’a jamais entendus précédemment, et qui correspondent à des réalités parfois bien éloignées de son quotidien – comme le mot « requin », dans un livre sur les animaux de la mer). L’adulte, en explicitant le sens de ce mot inconnu, aide l’enfant à élargir son vocabulaire. La lecture partagée devient donc aussi un support pour le développement du lexique et ce développement a des conséquences sur les activités de lecture à l’école primaire.</p>
<p>En effet, <a href="https://www.researchgate.net/publication/265578948_C5_Reading_Comprehension_Difficulties">Cain et collaborateurs (2004)</a> ont montré que les enfants ayant des difficultés à comprendre un texte écrit à l’école primaire sont ceux dont le vocabulaire est très réduit. La lecture partagée devient donc un outil qui permet de façon indirecte aux futurs élèves de mieux réussir dans les tâches de compréhension d’un texte écrit.</p>
<p>Il ne faut pas oublier que, dans ces moments de partage autour d’un livre, l’enfant n’est pas autonome face aux pages écrites. L’enfant doit donc d’abord comprendre les productions orales de l’adulte pour comprendre l’histoire. <a href="https://psycnet.apa.org/record/2005-03803-003">Plusieurs recherches</a> ont montré que le lien entre compréhension orale et écrite est très fort chez l’enfant, avant et pendant l’école primaire. Ces études ont montré que la capacité de comprendre une histoire racontée à l’oral prédit le niveau de compréhension d’un texte écrit.</p>
<p>Plus un enfant est capable de saisir une histoire racontée à l’oral, mieux il se repérera dans une production écrite quand il se retrouvera seul face à un livre. Ces résultats, <a href="https://theconversation.com/apres-5-ans-quand-la-langue-ecrite-sinstalle-aux-cotes-de-la-langue-orale-92073">comme beaucoup d’autres</a>, rappellent que l’éducation à la lecture commence bien avant le CP, à travers des interactions de la vie quotidienne et des efforts réguliers autour de la compréhension orale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111299/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samantha Ruvoletto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’activité de lecture guidée par l’adulte qui peut être mise en place en maternelle joue un rôle fondamental dans le processus d’apprentissage de l’écrit qui va s’enclencher en primaire.Samantha Ruvoletto, Maître de Conférences, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1114352019-02-10T23:22:28Z2019-02-10T23:22:28ZPourquoi l’acquisition de l’écrit est si complexe pour les enfants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/398325/original/file-20210503-23-y3rs3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C8%2C1911%2C1258&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La lecture et l'écriture sont relativement plus lentes et laborieuses que les activités correspondantes à l'oral. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/crop-kids-doing-homework-together-5905841/">Photo by Katerina Holmes from Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Si les enfants apprennent à parler par simple immersion dans leur langue, il n’en va pas de même pour la maîtrise de l’écrit : lire, écrire, comprendre ou encore rédiger un texte sont autant d’activités qui ne s’acquièrent que par un long apprentissage.</em></p>
<p><em>Car l’expression à l’écrit demande des savoirs spécifiques : savoir former rapidement et efficacement des signes graphiques complexes à reproduire ; disposer du vocabulaire nécessaire à l’exposition de son message, contrôler son orthographe, formaliser son discours en l’absence de retour immédiat d’un interlocuteur, prévoir l’enchaînement linéaire des idées, etc.</em></p>
<p><em>Des étapes que Michel Fayol détaille dans « L’Acquisition de l’écrit », réédité en 2019 par « Que sais-je » dans <a href="https://www.puf.com/content/Apprendre_%C3%A0_apprendre">« Apprendre à apprendre »</a>. En voici quelques extraits.</em></p>
<hr>
<p>Depuis environ 150 ans, l’enseignement de l’écrit s’est répandu dans nos sociétés, permettant à la quasi-totalité des citoyens d’accéder aux informations disponibles dans la presse et dans les livres. L’analphabétisme a pratiquement disparu. En revanche, en l’état actuel de nos connaissances et de nos modalités d’intervention, l’<a href="http://eduscol.education.fr/cid50655/agir-contre-illettrisme.html">illettrisme</a> subsiste. Il concerne la population des jeunes de 17 ans et plus encore les personnes plus âgées.</p>
<p>La France n’est pas seule concernée, comme l’attestent les évaluations internationales. Il convient donc de s’interroger sur les raisons qui, malgré un enseignement précoce prolongé et un environnement où abonde l’écrit, font qu’autant d’individus ne parviennent pas à apprendre la lecture et, plus encore, l’écriture. Certes, des déterminants sociaux existent : pauvreté, faible niveau culturel des familles, conditions familiales difficiles. Toutefois, ils ne suffisent pas à rendre compte de tous les échecs.</p>
<p>On peut donc s’interroger sur ce qui rend si spécifique l’apprentissage de l’écrit, en compréhension comme en production, et sur les changements qu’il induit tant dans les comportements que dans le fonctionnement cognitif et cérébral. Tel est l’objectif principal du présent propos.</p>
<h2>Un code et de nouvelles conditions d’utilisation</h2>
<p>Les enfants, et plus généralement tous ceux qui apprennent l’écrit, sont confrontés à un triple problème. Premièrement, ils doivent apprendre un nouveau code qui entretient, dans le cas des systèmes alphabétiques (le seul envisagé ici), des relations systématiques mais plus ou moins régulières avec le code oral. Ce dernier est acquis facilement, au gré des interactions de la vie quotidienne, sans qu’il soit besoin d’une intention d’apprendre ou d’une volonté d’enseigner de la part des parents. Il existe en effet une prédisposition biologique, héritée des milliers d’années de l’évolution, qui permet aux êtres humains de s’approprier sans difficulté les caractéristiques et les usages de l’oral.</p>
<p>La situation est bien différente avec l’écrit. Cette invention culturelle humaine est trop récente pour que notre cerveau ait pu subir les modifications rendant son apprentissage aussi facile que celui de l’oral. L’écrit « s’installe » donc en <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25783611">recyclant</a> des dispositifs cérébraux initialement dévolus à <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16671005">d’autres fonctions</a>. Comme le note Stanislas Dehaene, il suffit que « quelques grains de sable » se glissent dans les combinaisons de connexions issues de contraintes biologiques et de conditions d’apprentissage pour que des difficultés surgissent et que, parfois, elles atteignent un tel niveau qu’on parle de trouble.</p>
<p>Ces « grains de sable » peuvent tenir à des prédispositions génétiques (il existe des familles de dyslexiques) mais aussi aux difficultés propres aux systèmes orthographiques. Par exemple, en français, le passage de l’écrit à la forme sonore (lecture) se révèle plus simple que le passage réciproque (écriture). Les relations entre le code oral et le code écrit sont très asymétriques. Or, pour devenir des lecteurs ou des rédacteurs experts, les individus doivent parvenir à traiter le code écrit de manière automatique, en perception comme en production, faute de quoi leur attention et leur mémoire se trouvent fortement saturées par les opérations à effectuer. L’apprentissage pose donc plus de problèmes qu’avec des systèmes plus réguliers, comme le finnois ou l’espagnol.</p>
<p>De plus, les questions relatives au code ne se réduisent pas à l’apprentissage de l’identification ou de la production des mots sous format visuel, même s’il s’agit de la dimension principale. Elles concernent aussi les caractéristiques lexicales et syntaxiques de l’écrit (niveaux de langue), qui s’écartent de celles de l’oral, et cela plus particulièrement pour ceux qui sont issus de milieux défavorisés.</p>
<p>Deuxièmement, les enfants doivent – bien que cela soit moins perceptible ou moins souvent évoqué – découvrir de nouvelles modalités d’utilisation du langage. À l’oral, les interactions de la vie courante permettent rapidement de déterminer si l’interlocuteur a compris, s’il apprécie le propos et comment il y réagit. À défaut de saisir comment il procède pour comprendre ou pour préparer ce qu’il énonce, l’émetteur perçoit que le destinataire a (ou non) compris et qu’il s’apprête à écouter un message.</p>
<p>Rien de tel n’existe avec l’écrit. La compréhension se révèle une activité privée, inaccessible à la perception directe. Quant à la préparation du message à émettre, sa planification, elle se réduit généralement à une réaction immédiate, d’autant plus rapide que l’énoncé est court. En d’autres termes, les enfants doivent découvrir la nature et le fonctionnement d’activités mobilisant un nouveau code et pour lesquelles ils disposent de peu d’informations directement accessibles. Ni ce qu’ils voient ni ce qu’ils entendent ne leur permet d’accéder aux opérations mentales requises pour comprendre ou produire les textes. De fait, les narrations ou descriptions orales sont généralement brèves et leur caractère monologique est vite épuisé, sauf incitations des partenaires à poursuivre.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/257926/original/file-20190208-174883-1k7gdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/257926/original/file-20190208-174883-1k7gdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/257926/original/file-20190208-174883-1k7gdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/257926/original/file-20190208-174883-1k7gdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/257926/original/file-20190208-174883-1k7gdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/257926/original/file-20190208-174883-1k7gdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/257926/original/file-20190208-174883-1k7gdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Apprendre à apprendre.</span>
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<p>Troisièmement, les enfants sont confrontés à des conditions matérielles de traitement de l’écrit qui diffèrent fortement de celles de l’oral. La lecture et l’écriture sont relativement plus lentes et laborieuses que les activités correspondantes à l’oral. La reconnaissance des lettres et des configurations de lettres, le fait de devoir lire en suivant un ordre spatial, l’apprentissage des tracés et de leurs enchaînements nécessitent de traiter des informations visuelles et de mobiliser une dimension motrice difficile et longue à maîtriser. Le traitement en lecture et en écriture de mots bien délimités (ce qui n’est pas le cas à l’oral) dont les relations à l’oral ne vont pas toujours de soi en raison des liaisons et de signes jusqu’alors inconnus – les marques de ponctuation notamment – oblige à apprendre de nouvelles marques et leur fonctionnement.</p>
<p>La lenteur et la solitude des activités n’ont toutefois pas que des aspects négatifs, même si ceux-ci dominent au début. Elles permettent d’exploiter stratégiquement deux propriétés. D’une part, la vitesse est susceptible d’être modulée. Contrairement à ce qui vaut pour l’oral, il est possible de ralentir sa lecture et son écriture pour mieux contrôler ce que l’on comprend ou rédige. Cette situation est difficilement réalisable à l’oral où le traitement dépend du rythme imposé par le débit d’autrui et par la nécessité de reprendre ou de laisser la parole. D’autre part, le retour sur ce qui a déjà été lu ou produit est envisageable, ouvrant la voie à une meilleure intégration des informations ou à une reprise de ce qui a déjà été formulé. Là encore, les conditions de l’oral réduisent ces possibilités.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VCM9biCD5zY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">intervention de Michel Fayol lors de la Journée de l’innovation de 2014.</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/111435/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Fayol est membre du Conseil scientifique de l’Éducation nationale. </span></em></p>Si les enfants apprennent à parler par simple immersion dans leur langue, lire, écrire, comprendre ou encore rédiger un texte sont autant d’activités qui ne s’acquièrent que par un long apprentissage.Michel Fayol, Professeur de Psychologie Cognitive et du Développement, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1095172019-01-22T23:41:27Z2019-01-22T23:41:27ZOrthographe : qui connait les rectifications de 1990 ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/254805/original/file-20190121-100267-o41lzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=41%2C5%2C931%2C592&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis 1990, l'accent circonflexe n'est plus obligatoire sur les lettres « i » et « u ».</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Peut-on écrire le verbe « entraîner » sans accent circonflexe ? Non, pense encore une bonne partie de nos concitoyens. Pourtant, depuis 1990, ce signe n’est plus obligatoire sur les lettres « i » et « u », sauf dans les terminaisons verbales (exemple : qu’il dût, qu’il fût) et les cas où cela induirait une confusion de sens (exemple : mûr/mur).</p>
<p>Cette évolution fait partie d’un ensemble de <a href="http://www.academie-francaise.fr/sites/academie-francaise.fr/files/rectifications_1990.pdf">modifications</a> de l’orthographe publiées au Journal officiel en 1990, dont voici une synthèse :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/253844/original/file-20190115-152992-15ws8x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/253844/original/file-20190115-152992-15ws8x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=244&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/253844/original/file-20190115-152992-15ws8x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=244&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/253844/original/file-20190115-152992-15ws8x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=244&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/253844/original/file-20190115-152992-15ws8x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=306&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/253844/original/file-20190115-152992-15ws8x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=306&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/253844/original/file-20190115-152992-15ws8x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=306&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Résumé des rectifications orthographiques de 1990.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Journal Officiel de la République française</span></span>
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<h2>Des modifications limitées</h2>
<p>Les rectifications touchent quatre points précis : le trait d’union, le pluriel des noms composés, l’accent circonflexe et le participe passé des verbes pronominaux. Dans le détail, on peut signaler aussi :</p>
<ul>
<li><p>la généralisation du trait d’union à tous les numéraux formant un nombre complexe ;</p></li>
<li><p>l’emploi du È pour transcrire le son « e ouvert » pour tous les verbes se terminant en <em>-eler</em> ou <em>-eter</em> (à l’exception de <em>appeler</em> et <em>jeter</em>) ;</p></li>
<li><p>la graphie <em>nénufar</em>, qui a fait couler beaucoup d’encre, alors que ce mot s’est écrit ainsi jusqu’en 1932.</p></li>
</ul>
<p>Bref, des modifications raisonnables et très limitées, visant à rendre l’orthographe plus régulière et donc la langue écrite accessible à tous. Mais comme le souligne une <a href="http://glottopol.univ-rouen.fr/telecharger/numero_19/gpl19_08_ROh.pdf">enquête</a> menée en 2010, les étudiants et enseignants français sont assez peu nombreux à les connaitre, en tout cas nettement moins nombreux que les Belges, Suisses et Canadiens. Et ils sont peu nombreux à les appliquer.</p>
<p>Cela provient du fait qu’une fois ces modifications actées, le pouvoir politique français n’a pas fait beaucoup d’effort pour les promouvoir auprès des enseignants. Or, si les professeurs ne les transmettent pas en classe, comment cette nouvelle orthographe pourrait-elle se retrouver dans l’usage ? On peut aussi signaler que les dictionnaires usuels ont mis un certain temps à les faire apparaitre et qu’aucun journal de référence français ne les applique. Et la virulente campagne de dénigrement relayée par les journaux, chaines de télévision et radio a eu un fort impact négatif.</p>
<h2>Une demande de linguistes et de professeurs</h2>
<p>Deux événements importants ont été à l’origine des rectifications de 1990. Tout d’abord, une prise de position de la part de professeurs d’écoles et de collèges réclamant une simplification de l’orthographe. Ensuite, un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/02/07/un-appel-de-linguistes-sur-l-orthographe-moderniser-l-ecriture-du-francais_4112476_1819218.html">appel</a> en faveur d’une modernisation de l’orthographe est signé par dix linguistes et paru dans le journal <em>Le Monde</em> en 1989. Le pouvoir politique s’empare alors de la question par l’entremise du premier ministre de l’époque, Michel Rocard.</p>
<p>Pour arbitrer, il fait appel à trois instances, à savoir l’Académie française, le Conseil supérieur de la langue française et un comité d’experts. Michel Rocard prend une position active et volontariste dans l’entreprise. Le comité d’experts se met au travail le 12 décembre 1989 et rend un rapport quatre mois plus tard. Ce rapport contient les propositions de rectifications que les membres du comité d’experts jugent pertinentes. L’Académie française l’approuve à l’unanimité des présents. Le premier ministre les soutient également.</p>
<p>Il est alors prévu que ces rectifications soient enseignées dès la rentrée 1991. Sans toutefois les imposer aux adultes qui pourront conserver l’ancienne orthographe en attendant que la nouvelle se généralise. Le texte est publié au Journal officiel le 6 décembre 1990. Les réactions médiatiques hostiles furent presque immédiates. Allant jusqu’à un retournement spectaculaire de la position des membres de l’Académie française.</p>
<p>Pour finir, la circulaire ne fut pas publiée, contrairement à ce qui était prévu. Il faudra attendre 18 ans pour que les rectifications apparaissent timidement dans les programmes scolaires. Et 8 ans de plus pour que les manuels scolaires les adoptent, ce qui a eu pour conséquence de relancer les hostilités.</p>
<h2>Des actualisations périodiques</h2>
<p>Ces écueils ne représentent pas des exceptions. Depuis plus d’un siècle, toutes les propositions de modification de l’orthographe se sont heurtées à des <a href="https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1994_num_28_114_1678">campagnes de dénigrement</a>. Or il faut bien voir que des strates de rectifications ont été empilées au cours des siècles sans vue d’ensemble.</p>
<p>Cela a abouti à de multiples sous-systèmes pas toujours cohérents entre eux. D’où l’importance d’actualiser périodiquement notre orthographe afin de la rendre plus régulière. Sans parler du fait que si on ne le fait pas, on s’éloigne lentement mais sûrement de la prononciation.</p>
<p>Pour des raisons historiques, le français avait une orthographe très proche du latin, dont il est issu. C’est la raison pour laquelle il possède un certain nombre de lettres étymologiques muettes. Certaines de ces lettres étymologiques ont d’ailleurs été réintroduites alors qu’elles avaient disparu ou bien ont été supprimées. C’est le cas dans <em>tiLtre</em> et <em>aDvocat</em>. De plus, l’alphabet du français est directement hérité de celui du latin. Or, le français comporte plus de sons que le latin. Pour compenser cela, on y a ajouté quelques lettres ainsi que des accents et la cédille.</p>
<p>Ces ajouts ont été décidés par des grammairiens et imprimeurs codifiant la transcription de notre idiome. Il faut en plus ajouter, aux divers procédés orthographiques utilisés, le recours à la combinaison des lettres pour transcrire un son : CH, EAU, OU, ON, etc. Et aussi l’importance accordée à la différenciation des homographes, c’est-à-dire au fait de distinguer, par la forme graphique, des mots se prononçant de la même façon comme <em>vert</em>, <em>verre</em>, <em>vers</em>, <em>ver</em>. La liste des mots possédant un pluriel irrégulier est également touchée par ces choix, ainsi qu’un ensemble de règles d’orthographe grammaticale : conjugaisons des verbes, absence d’accord quand on a affaire à un substantif épithète (<em>des rideaux orangE</em>)…</p>
<p>Ce très rapide tour d’horizon montre bien que l’orthographe française est le résultat de choix, et non d’une évolution naturelle. Bien sûr, on peut critiquer, à raison, tel ou tel cas modifié en 1990. Par exemple, on peut se demander pourquoi le comité d’experts a décidé de conserver certaines exceptions plutôt que d’élaborer des règles systématiques. Mais il ne faut jamais perdre de vue que l’on a besoin de rendre notre orthographe plus régulière et donc plus accessible. C’est un enjeu démocratique majeur à une époque où l’écrit est indispensable et où l’on souhaite agrandir la famille de la francophonie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109517/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Benzitoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 1990, une réforme publiée au Journal Officiel est revenue sur le pluriel des noms composés, l’usage des traits d’union et des accents circonflexes. Des changements encore peu connus.Christophe Benzitoun, Maître de conférences en linguistique française, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1070352019-01-08T19:13:02Z2019-01-08T19:13:02ZDictée guidée : un nouveau moyen de progresser en orthographe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/252216/original/file-20190102-32151-1cz9y7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C2%2C986%2C660&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les élèves ayant un faible niveau en orthographe, mais déjà un certain nombre de bases, profitent des dictées guidées pour les consolider.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Aujourd’hui, la question des problèmes d’orthographe rayonne largement hors de la sphère scolaire. Avec l’essor du numérique dans le monde professionnel, chacun est amené à communiquer par écrit. D’un point de vue personnel, les réseaux sociaux nous engagent de plus en plus à manier le clavier. Et les faiblesses dans la langue de Molière deviennent donc d’autant plus visibles que l’orthographe française est complexe. La baisse du niveau en la matière est d’ailleurs régulièrement mise en lumière par la comparaison des <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/depp-ortho2016.pdf">scores obtenus à une même dictée selon les époques</a>.</p>
<p>« On a fait faire <a href="https://theconversation.com/orthographe-les-eleves-font-deux-fois-plus-de-fautes-que-leurs-parents-196311">la même dictée à des élèves de CM2</a> en 1987 et aujourd'hui, dans les mêmes conditions. En 1987, les élèves faisaient dix fautes dans la dictée, aujourd'hui ils en font 20 », rappelait d'ailleurs ce mercredi 4 janvier 2023 <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/l-interview/ndiaye-sur-une-meme-dictee-les-eleves-font-deux-fois-plus-de-fautes-qu-en-1987_VN-202301040176.html">Pap Ndiaye dans une interview sur BFM TV</a>, citant un panel de méthodes classiques comme la dictée pour faire face aux « difficultés majeures en ce qui concerne les savoirs fondamentaux ». </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-la-dictee-ne-suffit-pas-a-evaluer-le-niveau-des-eleves-177494">Orthographe : la dictée ne suffit pas à évaluer le niveau des élèves</a>
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<p>Alors, qu'en penser ? On pourrait imaginer recourir à une réforme simplifiant radicalement l’orthographe. Un recours pourtant fort improbable : la société peine encore à admettre, et encore plus à appliquer, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rectifications_orthographiques_du_fran%C3%A7ais_en_1990#Les_modifications_apport%C3%A9es">rectifications publiées au <em>Journal officiel</em> en 1990</a> et qui ne font que corriger certaines exceptions et simplifier quelques complexités comme l’usage du trait d’union, ou l’accord des noms composés.</p>
<p>Si l’on ne peut pas agir sur l’orthographe elle-même, reste à en améliorer l’apprentissage. Aujourd’hui, on voit se développer un véritable business de ces remises à niveau, avec des organismes privés promettant de renforcer votre orthographe, celle de vos salariés ou même de vos étudiants de façon ludique et efficace. Cette tendance à externaliser le problème ne doit pas laisser croire qu’il n’y aurait rien à faire au sein de l’école pour aider les élèves à progresser.</p>
<h2>Des dictées pour apprendre</h2>
<p>Alors sait-on vraiment comment enseigner l’orthographe de façon plus efficace ? En fait, cette question renvoie à un problème plus vaste, celui de la validation, par des données probantes, de l’efficacité d’une pratique d’enseignement. Faire le choix d’une méthode à partir de l’évaluation scientifique de son efficacité est sans nul doute une excellente idée, même s’il reste du <a href="https://theconversation.com/et-si-les-reformes-de-leducation-sappuyaient-sur-les-donnees-de-la-science-79713">chemin à parcourir avant que cela n’entre dans les habitudes</a>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>C’est donc avec la volonté de fournir des données valides pour éclairer les choix des pratiques pédagogiques que nous avons testé l’efficacité d’une autre forme de dictée sur les <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ncre/2016-v19-n3-ncre03625/1045177ar.pdf">progrès en orthographe des élèves</a>. Avec une place toujours prédominante dans le panel des exercices proposés pour travailler l’orthographe, la dictée soulève encore les passions aussitôt qu’on l’évoque, <a href="https://theconversation.com/la-dictee-drole-de-passion-francaise-48254">même au détour d’un discours</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-pourquoi-le-niveau-baisse-t-il-185516">Orthographe : pourquoi le niveau baisse-t-il ?</a>
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<p>Mais l’exercice d’aujourd’hui n’est plus celui d’autrefois, uniquement utilisé comme évaluation, au pire comme moyen de sanction et de sélection. Non, aujourd’hui la dictée se doit d’être formative et les propositions sont nombreuses pour qu’elle <a href="https://theconversation.com/niveau-dorthographe-la-dictee-autrement-69160">devienne un véritable dispositif d’apprentissage</a>.</p>
<p>Le dispositif d’apprentissage que nous avons testé est très simple : il s’agit de pratiquer régulièrement un exercice de dictée sur un support guidant l’écriture. Chaque mot du texte est à écrire dans un « squelette », composé de cases indiquant son nombre de lettres, leur forme (avec des lettres montantes ou descendantes) et la présence de « graphèmes », plusieurs lettres associées en un seul son ou « phonème » (comme « ou », prononcé « /u/ »).</p>
<p>Ainsi, les élèves sont aidés dans leur production et obligés, à chaque fois que leur premier choix orthographique ne correspond pas au squelette fourni, de réfléchir activement (par exemple en se remémorant une règle d’accord qu’ils allaient oublier d’appliquer) et de modifier leur production en conséquence.</p>
<h2>Une efficacité relative au niveau des élèves</h2>
<p>L’hypothèse testée était que la pratique régulière d’une telle dictée engendrerait une progression en orthographe plus importante que la pratique, aussi régulière et sur une période identique, d’une dictée simple, sans « squelette ». 121 élèves issus de 6 classes de sixième ont participé à l’expérimentation. Ils ont été répartis en deux groupes équivalents sur un ensemble de critères comme la proportion d’élèves issus de chaque établissement et la proportion de forts et faibles en orthographe.</p>
<p>Pendant huit semaines, l’un des groupes a fait une dictée guidée par semaine, l’autre groupe une dictée simple. Les huit textes ont été choisis par chaque enseignant des classes participant à l’étude, parmi un panel de dix-sept dictées de même longueur (58 à 61 mots), toutes issues d’ouvrages scolaires de sixième. Les enseignants dictaient chaque semaine un texte différent, en suivant un protocole précis afin de garantir au mieux des conditions de travail équivalentes dans toutes les classes.</p>
<p>À la fin de la période d’entrainement, les résultats montrent que, conformément à notre hypothèse, la pratique des dictées guidées engendre une progression en orthographe plus importante que la pratique des dictées simples, mais uniquement pour les élèves ayant un niveau « faible mais pas trop » en orthographe (ayant entre 70 et 85 % de mots corrects à la dictée de prétest).</p>
<p>Les élèves vraiment très faibles en orthographe (moins de 70 % de mots corrects au prétest) ont significativement progressé en huit semaines, mais de façon équivalente dans les deux groupes.</p>
<h2>Aider à mobiliser les règles</h2>
<p>On peut supposer que, grâce aux « squelettes » fournis lors des dictées guidées, les élèves « faibles mais pas trop » ont pu mobiliser des règles orthographiques qu’ils avaient du mal à solliciter spontanément, même s’ils les connaissaient « en théorie ». Pour ces élèves, le guidage proposé faciliterait donc la réflexion explicite sur leurs productions écrites et, de là, la consolidation et l’application plus systématique de connaissances qu’ils possèdent déjà au moins partiellement.</p>
<p>Les élèves très faibles en orthographe ont bien progressé mais, pour eux, les dictées guidées n’ont pas montré une efficacité supérieure aux dictées simples. Ce résultat suggère que le dispositif, pour être plus efficace même pour des élèves très faibles, doit sans doute être amélioré. On pourrait par exemple facilement l’associer à un travail de réflexion collective pendant la dictée, comme proposé dans la <a href="https://journals.openedition.org/reperes/742">« phrase dictée du jour » ou la « dictée 0 faute »</a>. Mais il conviendrait ensuite d’évaluer l’efficacité spécifique de ce nouveau dispositif d’apprentissage…</p>
<p>Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que l’étude décrite ici, bien que présentant certaines faiblesses (comme le petit nombre d’élèves testés) et exposant des résultats somme toute assez modestes, a cependant le mérite d’illustrer un exemple de protocole expérimental (prétest–entrainement–post-test, avec un groupe cible comparé à un groupe témoin) qu’il serait judicieux de développer en terrain scolaire pour éclairer les choix des pratiques d’enseignement et améliorer l’apprentissage de tous. L’école d’aujourd’hui en a besoin !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107035/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Line Bosse a reçu des financements de recherche de l'Université Grenoble Alpes. </span></em></p>Alors que le ministre de l'Education appelle au retour de méthodes classiques comme la dictée, regard sur la forme particulière de la dictée guidée, dispositif d'apprentissage plus que d'évaluation.Marie-Line Bosse, Professeur de psychologie, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1054612018-11-13T00:59:40Z2018-11-13T00:59:40ZApprendre une langue étrangère : plaidoyer pour l’étude de la grammaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/244355/original/file-20181107-74778-1h8a54t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C7%2C986%2C649&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La grammaire offre des ressources dans lesquelles les locuteurs puisent pour organiser leurs échanges sociaux.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>On peut disposer d’une quantité d’informations précieuses sur une langue sans être au courant des savoirs élaborés depuis des siècles par les grammairiens et légitimés par les chercheurs de son époque. Pensons par exemple au réceptionniste d’hôtel, capable de saluer tous les clients dans leur langue respective, en ayant chaque fois recours à des formules bien bâties. Dans le cas présent, on a envie de dire que la connaissance de la grammaire n’est pas indispensable pour un minimum de communication.</p>
<p>D’ailleurs, dans une certaine mesure, et à tout âge, certaines structures grammaticales d’une deuxième langue peuvent être acquises en dehors de toute institution scolaire par le biais d’interactions avec des locuteurs natifs et experts, par la lecture ou par la fréquentation assidue des médias. Mais, de là à déduire qu’il serait plus judicieux d’« aller à l’essentiel », et donc de laisser tomber les activités de structuration de la langue, pour se centrer uniquement sur l’expression et la motivation, il y a un pas.</p>
<h2>Un traitement systématique nécessaire</h2>
<p>Certes, pour motiver au maximum les élèves, et stimuler leur participation en classe, l’enseignant peut faire l’illusion de « renverser » l’itinéraire traditionnel d’apprentissage des langues en partant de séquences immédiatement utilisables dans les échanges quotidiens.</p>
<p>Toutefois, l’apprentissage purement communicatif « dans une globalité fonctionnelle » n’existe pas. Les méthodes de langue, y compris les plus modernes et les plus contextualisées, se substituent péniblement au traitement plus systématique des formes. Il faut bien admettre qu’il n’existe pas d’enseignement de langue étrangère efficace purgé de toute réflexion grammaticale.</p>
<p>À un moment donné, si l’on veut que l’apprenant comprenne l’utilité de produire les formes de façon correcte, nous devrons attirer son attention sur les composantes et sur les modalités d’assemblage de ces composantes au sein de la langue qu’il étudie.</p>
<h2>Créer des situations de communication</h2>
<p>Une langue sans structures grammaticales n’est pas une langue vivante et dans tout cours apparaît rapidement le besoin d’ordonner les éléments à acquérir. Dans le même temps, il faut admettre que cet examen linguistique n’est pas une fin en soi. Si l’activité de l’enseignant apparaît trop ouvertement commandée par une progression pédagogique stricte, les étudiants risquent de focaliser leur attention sur le code linguistique, autrement dit, le support de la communication, au lieu de la communication elle-même.</p>
<p>De toute évidence, l’outil linguistique se confond avec l’objet linguistique à s’approprier : on apprend à communiquer par la communication. Le processus d’apprentissage de la grammaire nécessite la mise en place de situations de communication ne serait-ce qu’embryonnaires. Celles-ci permettent de présenter les points grammaticaux à traiter, de les contextualiser et aussi de les réinvestir dans des productions guidées.</p>
<p>La pédagogie du « savoir » (lexique, grammaire, prononciation, orthographe…) ne doit pas s’opposer à la pédagogie du « savoir-faire » (lire, écouter), écrire, parler, traduire, etc.). La langue en tant que système et en tant qu’outil, autrement dit le « savoir sur la langue » et le « savoir parler la langue » sont inter-reliés</p>
<p>La langue n’est pas un simple matériau à démonter et à monter mécaniquement. La grammaire offre des ressources dans lesquelles les locuteurs puisent pour organiser leurs échanges sociaux, et les choix linguistiques ne doivent pas être vus comme un recueil de normes. Il s’agit plutôt d’un espace d’observation et de réflexion, d’où la nécessité de varier les cadres interprétatifs dans l’enseignement.</p>
<h2>Des jeux de comparaison</h2>
<p>Tout cours de grammaire illustre à sa manière que les éléments de la langue, qu’on ajuste dans un certain ordre, forment entre eux des microsystèmes qui font sens. L’apprenant ne cesse de comparer sa langue et la langue à acquérir. La conscientisation du langage passe par une mise en parallèle des systèmes grammaticaux des langues en présence : un cours de grammaire idéal offre des outils diversifiés pour des allers et retours judicieux entre le fonctionnement de la première et de la deuxième langue.</p>
<p>La grammaire doit aider les apprenants à comprendre que la maîtrise des règles n’est pas contradictoire avec la liberté d’expression. Les bains socioculturel et grammatical s’avèrent complémentaires. L’apprentissage systématique des règles de fonctionnement reste un élément de transmission présent à toutes les étapes de l’apprentissage des langues étrangères.</p>
<p>De plus, lorsqu’on enseigne une langue, on lui confère une légitimité politique et culturelle, et aussi, ne l’oublions pas : une légitimité fonctionnelle et structurelle. L’existence d’un outil d’apprentissage comme celle d’un manuel de grammaire peut sortir une langue de la confidentialité. Les éléments qui y sont retenus accèdent à une sorte de dignité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105461/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Szende ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce sont les situations concrètes et les perspectives d’échanges qui dynamisent l’apprentissage des langues. Mais cela n’annihile en aucun cas les besoins de connaissances grammaticales. Explication.Thomas Szende, professeur des universités, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1025992018-09-06T18:33:05Z2018-09-06T18:33:05ZFaut-il modifier les règles d’accord du participe passé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/234999/original/file-20180905-45178-905p03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1022%2C680&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les règles autour du participe passé seraient source de confusion, parasitant l'apprentissage d'autres règles. (Dictée d'ELA, 2014)</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/educationfrance/15340418538/in/album-72157648318480129/">Flickr/Education France</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>En commençant la lecture de cet article, vous vous demandez sans doute comment un simple mortel ose poser une question comme celle formulée en guise de titre. Car vous pensez que l’évolution des règles encadrant l’usage du français est du seul ressort des immortels abrités sous la coupole de l’Académie française. Mais, comme le rappelle à juste titre l’Académie dans la préface de la première édition de son <a href="http://www.academie-francaise.fr/le-dictionnaire-les-neuf-prefaces/preface-de-la-premiere-edition-1694">dictionnaire</a>, en 1694 :</p>
<blockquote>
<p>« il faut reconnoistre l’usage pour le Maistre de l’Orthographe aussi bien que du choix des mots. C’est l’usage qui nous mène insensiblement d’une manière d’escrire à l’autre, & qui seul a le pouvoir de le faire ».</p>
</blockquote>
<p>De plus, depuis sa création, l’Académie met un point d’honneur à rappeler régulièrement qu’elle ne crée pas l’usage. C’était le cas, par exemple, en 2016 quand elle a pris une position vigoureuse contre les <a href="http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-la-reforme-de-lorthographe">rectifications orthographiques</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’Académie a réaffirmé qu’il n’appartient ni au pouvoir politique ni à l’administration de légiférer ou de réglementer en matière de langage, l’usage, législateur suprême, rendant seul compte des évolutions naturelles de la langue, qui attestent sa vitalité propre ».</p>
</blockquote>
<p>D’ailleurs, un rapide coup d’œil sur ces deux citations provenant de la même illustre institution montre bien une nette évolution des normes graphiques entre 1694 et 2016. On remarque, par exemple, l’ajout d’accents et la disparition de la lettre <em>s</em> modifiant la prononciation de <em>e</em> comme dans <em><strong>es</strong>crire</em> (à prononcer <em>écrire</em>). Ces évolutions sont notamment dues aux habitudes de lecture, les <em>s</em> de ce type ayant commencé à se prononcer. C’est ce qui explique pourquoi aujourd’hui nous avons des doublets tels que <em>fenêtre</em>/<em>défenestrer</em> et <em>hôpital</em>/<em>hospitalier</em>. De même pour <em>oi</em> se prononçant <em>è</em> et ayant évolué vers la graphie <em>ai</em>.</p>
<h2>L’enjeu de la prononciation</h2>
<p>On le voit bien ici, la prononciation est l’un des moteurs du changement graphique. Et ça tombe bien car les résultats de la recherche montrent que la correspondance graphie-prononciation facilite l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. <a href="http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.532.8271&rep=rep1&type=pdf">G. Thorstad</a> montrait en 1991 qu’il faut un an à un enfant italien pour s’approprier la lecture et l’orthographe, là où il faut entre trois et cinq ans pour un enfant anglais. En italien, la correspondance entre graphie et prononciation est justement plus régulière qu’en anglais ou en français.</p>
<p>Les deux moteurs principaux de l’évolution seraient donc d’une part l’usage des locuteurs et d’autre part la prononciation. Qu’en est-il de l’accord du participe passé à la lumière de ces deux paramètres ?</p>
<p>Si l’accord du participe passé avec l’auxiliaire <em>être</em> est encore bien vivant, il n’en va pas de même avec l’auxiliaire <em>avoir</em>. Il existe de très nombreuses études en français contemporain qui l’attestent, tant à l’oral qu’à l’écrit. Tout d’abord, remarquons qu’il existe peu de contextes où celui-ci est susceptible d’être audible. <a href="http://www.academia.edu/3355324/L_accord_du_participe_pass%C3%A9_%C3%A0_l_oral_comme_variable_sociolinguistique">D. Gaucher</a>, dans un article de 2013, n’en a trouvé que 330 exemples dans près de 6 millions de mots à l’oral (soit 536 heures d’enregistrements). Et sur ces 330 exemples, un peu plus de la moitié ne sont pas accordés.</p>
<h2>Des règles sources de confusion</h2>
<p>Du côté de l’écrit, les contextes où une marque d’accord est attendue sont plus fréquents. Pour autant, les études montrent qu’elle est souvent absente ou incorrecte. Dans une étude parue en 2008, <a href="https://www.linguistiquefrancaise.org/articles/cmlf/abs/2008/01/cmlf08105/cmlf08105.html">C. Brissaud et D. Cogis</a> proposent le graphique suivant :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234768/original/file-20180904-45166-1kfwl6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234768/original/file-20180904-45166-1kfwl6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234768/original/file-20180904-45166-1kfwl6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234768/original/file-20180904-45166-1kfwl6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234768/original/file-20180904-45166-1kfwl6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234768/original/file-20180904-45166-1kfwl6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234768/original/file-20180904-45166-1kfwl6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Différentes formes finales réalisées pour <em>réunie</em> dans la phrase dictée : <em>Les branches distribuent en divers canaux la sève que les racines avaient réunie dans le tronc.</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Source : Catherine Brissaud et Danièle Cogis</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On voit bien ici que l’accord correct est systématiquement minoritaire du CM2 à la classe de troisième. Mais pire : les règles entourant le participe passé seraient source de confusion, parasitant l’apprentissage d’autres règles. Et il ne faut pas sous-estimer le nombre de règles à connaître pour le seul participe passé : une trentaine de pages dans le <em>Bon Usage</em> de M. Grevisse lui sont consacrées !</p>
<p>En français, l’accord sujet-verbe est déjà difficile à maîtriser. Mais en plus, les locuteurs doivent se demander s’il n’y a pas un COD quelque part, celui-ci contrôlant alors l’accord du verbe. Et comme l’illustre parfaitement le graphique ci-dessus, il est hypocrite de considérer que cet accord est maîtrisé à la fin du collège.</p>
<p>De plus, ces règles sont contraires à la manière dont on apprend une langue, à savoir en automatisant des opérations. Or, ces règles sont quasiment impossibles à automatiser. Cela explique pourquoi un grand nombre de locuteurs ne les maîtrisent pas (ou de manière superficielle) et pourquoi nous créons spontanément à l’oral d’<a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1992_num_61_1_2573">autres règles</a> ressemblant fortement à celles que l’on trouvait dans des grammaires anciennes.</p>
<h2>Un débat ancien</h2>
<p>À ce moment-là de l’article, vous devez vous demander pourquoi on n’a pas essayé de changer ces règles plus tôt. En fait, ce débat existe depuis que l’accord du participe passé est utilisé en français. Pour ne parler que de tentatives plus ou moins récentes, en 1900 un arrêté prônant l’absence d’accord quand il y a l’auxiliaire <em>avoir</em> est publié. Il sera supprimé et remplacé en 1901.</p>
<p>En 1976, un <a href="https://www.weblettres.net/guidetice/complements/arrete_1976.pdf">texte</a>, toujours en vigueur, demande de ne pas compter comme erreurs une partie des accords s’ils ne sont pas faits. Mais sans en réformer son enseignement et sans que cette circulaire soit réellement appliquée ou juste connue. Et les <a href="https://savoirs.rfi.fr/fr/communaute/langue-francaise/bon-a-savoir-rectifications-de-lorthographe-de-1990">rectifications orthographiques de 1990</a> introduisent une modification mineure. La conscience que l’accord du participe passé pose problème est donc ancienne, mais comme toute évolution de la norme à enseigner, elle se heurte à l’hostilité d’une partie de la population.</p>
<p>Deux anciens professeurs de français en Belgique ont décidé de <a href="http://www.liberation.fr/debats/2018/09/02/les-crepes-que-j-ai-mange-un-nouvel-accord-pour-le-participe-passe_1676135">relancer ce débat</a>. Espérons que les <a href="http://participepasse.info/">propositions</a> qu’ils défendent pourront enfin être débattues sereinement, en tenant compte des connaissances scientifiques sur la question. Ces propositions sont soutenues par le conseil de la langue française et de la politique linguistique de la fédération Wallonie Bruxelles, le conseil international de la langue française et la fédération internationale des professeurs de français.</p>
<p>La langue évolue. La norme et son enseignement doivent en faire de <a href="http://vidberg.blog.lemonde.fr/files/2009/06/droledecole1.1243857209.gif">même</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102599/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Benzitoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Belgique remet au goût du jour le débat autour de l’accord du participe passé. Pourquoi est-ce une question importante ?Christophe Benzitoun, Maître de conférences en linguistique française, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/997122018-07-15T21:26:11Z2018-07-15T21:26:11ZDans la valise des chercheurs : jamais sans ma langue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/227642/original/file-20180714-27033-1yheqnx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C8%2C1899%2C1264&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les conseils de lecture estivales de chercheurs.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/?q=livre+ouvert&hp=&image_type=all&order=popular&cat=&min_width=&min_height=">Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>Cet été, je partirai en vacances avec ces deux livres qui me suivent un peu partout, physiquement ou par la pensée :</p>
<ul>
<li><p>Alain Borer, <em>De quel amour blessée : Réflexions sur la langue française</em>, Gallimard, nrf, 2014.</p></li>
<li><p>Michael Edwards, <em>Dialogues singuliers sur la langue française</em>, Puf, 2016.</p></li>
</ul>
<p>Leurs auteurs, Alain Borer et Michael Edwards, s’y livrent à de stimulantes considérations sur la langue française, son état actuel, son histoire, son avenir, sa relation en miroir à la langue anglaise. Sans craindre le paradoxe, je dirais que les deux spécialistes rapatrient l’angliciste que je suis, spécialiste de poésie des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles britanniques, traducteur aussi, de l’anglais de Conrad, Stevenson ou Byron vers le français. Le premier, rimbaldien notoire, me rapatrie en terre française. Le second, poète et essayiste britannique, me reconduit dans les eaux qui bordent ladite France. Le premier se fend d’un rappel à l’ordre, dicté par un mouvement d’humeur, comprenons de méchante humeur ; le second spécule à bâtons rompus, avec cet humour <em>british</em> qui caractérise nos voisins d’outre-Manche. Boer fulmine et fustige quand Edwards rumine et transige. Bref, on ne saurait imaginer textes plus différents, bien que profondément complémentaires, ne serait-ce parce qu’ils ont Racine en commun.</p>
<h2>Néologismes en rafale</h2>
<p>Son titre racinien (emprunté à Phèdre) donne d’emblée le ton : blessé à mort dans son amour pour la langue française, Borer dénonce la capitulation de cette dernière devant l’ennemi, anglais et <em>globish</em> : « nous préférons la langue du maître », persifle-t-il. La charge est rude, mais comment la récuser, tant les exemples du « reculisme » (sic) abondent. Ils viennent d’en haut, de surcroît. C’est en effet depuis le sommet de l’Etat que la « langue du Grand Blanc imaginaire » se répand, de sorte que, pour le coup, elle ruisselle plutôt deux fois qu’une. Il y aurait ainsi un « devenir shiak » (sabir anglo-français, forgé sur le nom de l’île de Shediac, dans le Nouveau-Brunswick) de la langue française, menacé de disparition devant la marée montante d’un « englosbish » « anglobant ». Un glossaire n’est pas de trop pour comprendre les néologismes, ingénieux et expressifs, que Borer livre en rafale. Du reste, en fin d’ouvrage, il reprend l’ensemble des trouvailles langagières qui émaillent son discours, de l’« anapsie » (capacité qu’a l’anglais de saisir la chose en un mot : <em>zip</em>) à la « synapsie » (disposition française inverse, qui fait se succéder plusieurs morphèmes lexicaux pour former une unité sémantique : « tirer la fermeture <em>Eclair</em> »).</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/227643/original/file-20180714-27039-1oswfux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/227643/original/file-20180714-27039-1oswfux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/227643/original/file-20180714-27039-1oswfux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/227643/original/file-20180714-27039-1oswfux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/227643/original/file-20180714-27039-1oswfux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1114&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/227643/original/file-20180714-27039-1oswfux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1114&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/227643/original/file-20180714-27039-1oswfux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1114&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le livre d’Alain Borer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallimard</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Reste qu’on peut aimer l’anglais sans être un affreux « collabo ». Et cultiver le français, sans rien renier de sa vocation d’angliciste. Ce que je goûte chez le « Résistant » Borer tient plutôt au « beau souci » de la langue française qui est le sien. Il fait l’éloge de son orthographe, de sa grammaire, apte à distinguer le sexe et le genre : « il s’entend que la femme parle en langue française », contrairement à la neutralité de l’anglais sur ce point. Le français, affirme Borer, est « une langue écrite qui se parle », animée de part en part par le sens du « vertuel » (sic), soit le mouvement du « Je vers le Tu ». De fait, il y a de l’<em>anima</em> chez Borer, laquelle englobe l’animosité, mais comprend surtout le sentiment. Sentiment de la langue, de lui manquer, de manquer au « devoir de langue », au regard du « projet » civilisationnel qui est le sien depuis le fameux serment de Strasbourg de l’an 842. L’universalité du français procède de ce qu’il n’est pas né d’un terreau, d’un sol, mais d’une construction raisonnée de l’esprit.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uoc7I-qQYyY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Embrasser deux visions du monde</h2>
<p>Tout en s’y prenant bien autrement, Michael Edwards rejoint Borer quant à la prééminence de l’esprit. Déjà, avec son <em>Racine et Shakespeare</em> (2004), lointainement inspiré de Stendhal, Edwards avait posé les jalons d’une réflexion, de type universitaire et plutôt savante, sur les différences entre classicisme français et baroquisme anglais. Son objectif a toujours été, en effet, d’embrasser, sans les confondre, les deux visions du monde qui se font face. Cette fois, le ton est détendu, presque <em>cool</em> (Borer n’aimerait pas que je dise ça), sans que la densité du propos en souffre, bien au contraire. L’Académicien n’oublie pas qu’il doit son élection à « l’étrangèreté » (autre néologisme) qui est la sienne. Et de généraliser : c’est toute langue qui est à la fois étrangère et mystérieusement trouble, voire inquiétante. </p>
<p>Ce faisant, les biais qui caractérisent la démarche de Borer (qu’il cite), quant à la supériorité de telle langue sur telle autre, n’ont plus lieu d’être. Homme de théâtre – tous les Anglais le sont –, Edwards met en scène un dialogue entre les deux consciences qui constituent l’étoffe, la trame existentielle et poétique dont il est tissé. Le dialogue se conduit entre « Moi » (le versant francophile d’Edwards) et « Me » (celui demeuré sur la rive anglaise). À la faveur du dédoublement, les différences fondatrices entre le français et l’anglais apparaissent au grand jour, à commencer par l’attitude, détachée, presque distanciée, des Français par rapport au réel, alors que les Anglais embrassent la réalité de plain-pied, surprises et hasards compris.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/227644/original/file-20180714-27015-1d1cl1f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/227644/original/file-20180714-27015-1d1cl1f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/227644/original/file-20180714-27015-1d1cl1f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/227644/original/file-20180714-27015-1d1cl1f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/227644/original/file-20180714-27015-1d1cl1f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/227644/original/file-20180714-27015-1d1cl1f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/227644/original/file-20180714-27015-1d1cl1f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’ouvrage de Michael Edwards.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Puf</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Et puis l’ouvrage de Michael Edwards se parle (autant qu’il s’écrit) en communion avec l’élément liquide, aux prises qu’il est avec « l’imagination matérielle » de l’eau, aurait dit Gaston Bachelard. Liquide dans son écoulement, il prend sa source sur les bords de la rivière Cam, à Cambridge ; au milieu – au milieu de nos deux pays, coule la Manche–, il franchit à l’air libre un bras de mer pour rentrer en France ; avant de remonter à bord d’un bateau, amarré à demeure cette fois à un quai de la Seine. </p>
<p>Se revendiquant tout à la fois de Shakespeare, le dramaturge du rêve, mais aussi du philosophe du passage qu’est Héraclite, Edwards médite sur la parenté qu’il y a entre l’eau, sa multiplicité, sa variabilité, et le langage, tout aussi divers et ondoyant. À la manière amphibie qui est la sienne, il nage entre deux eaux, navigue d’une rive à l’autre. De sorte que faire suivre avec soi les ouvrages d’Edwards et de Borer, voyager avec eux – « le langage est voyage », écrit Edwards –, c’est se retrouver sur la plage, au bord d’un lac ou d’une rivière, au figuré comme au propre. Leur compagnie, finalement, parce qu’elle me plonge dans le grand bain de la langue, me garde dans mon élément, tout en me dépaysant. J’y suis comme un poisson dans l’eau. En « immersion totale ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Csr5Vtd0cMo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Cet été, donc, je relirai, pour la énième fois, Edwards et Borer. Et je me surprendrai à rêver. Rêver que je mets en chantier le livre que j’aurais envie de lire, parce qu’il manquerait. Celui qu’un Français consacrerait, sans parti pris, à décrire l’anglais depuis l’intérieur : « Réflexions singulières sur la langue anglaise »… Et si, de surcroît, les réflexions croisées en question s’écrivaient toutes seules ? On peut toujours rêver… Les vacances sont faites pour ça, <em>n’est-il pas</em> ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99712/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cet été, Marc Porée partira en vacances avec ces deux livres qui le suivent un peu partout, physiquement ou par la pensée.Marc Porée, Professeur de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/965212018-06-26T20:11:17Z2018-06-26T20:11:17ZFautes d’orthographe sur les sites de vente en ligne : quels effets sur les consommateurs?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/224724/original/file-20180625-19382-8dhida.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C155%2C1927%2C1286&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Recommandé ? Pas vraiment.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/2748183257/8e4d1a286d/">Leenient/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Si les études commencent à se multiplier concernant l’impact des fautes d’orthographe en milieu professionnel, aucune d’entre elles n’avait pour l’instant questionné leur impact sur les attitudes des consommateurs en ligne. Une récente étude portant sur 2 000 internautes vient d’être menée. Ses résultats sont surprenants.</p>
<h2>L’effet des fautes sur les sites d’e-commerce</h2>
<p>En 2017, les internautes ont réalisé en moyenne en France 33 transactions en ligne pour un montant global de 81,7 milliards d’euros sur l’un des quelques <a href="https://www.journaldunet.com/ebusiness/commerce/1009571-nombre-de-transactions-en-ligne-par-acheteur-par-an/">200 000 sites marchands français</a>. De très nombreuses recherches en marketing ont déjà étudié l’influence de l’atmosphère d’un site, de la musique ou encore de ses couleurs sur l’image perçue de la marque par les consommateurs.</p>
<p>Quelques rares études ont été publiées sur l’effet des fautes sur les sites de vente en ligne. Depuis les années 90, elles ont montré que les fautes d’orthographe constituent un réel obstacle à la confiance des visiteurs de sites Internet. Les fautes diminuent le score de crédibilité accordé aux sites, la qualité perçue de ces derniers mais également l’image perçue de l’auteur des fautes. Même lorsque les fautes incombent à d’autres internautes (par exemple via les avis déposés par les clients), les effets pour l’entreprise sont lourds de conséquences : les commentaires comportant des fautes de grammaire et d’orthographe réduisent les intentions de réserver des visiteurs sur les sites d’hôtels et déprécient l’image de l’établissement. Plusieurs expériences ont également confirmé que la présence de fautes entraînait une diminution des montants que les internautes étaient disposés à dépenser <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15332861.2012.650988">sur des sites contenant des fautes</a>.</p>
<h2>De quelles fautes les études parlent-elles ?</h2>
<p>Dans ces différentes recherches, il apparaît clairement que la définition même du terme « faute d’orthographe » ne fait pas l’unanimité. Dans certaines d’entre elles, les fautes typographiques (ou fautes de clavier ou encore fautes de frappe) sont considérées comme des fautes d’orthographe à part entière.</p>
<p>Pourtant, il ne s’agit que de fautes mécaniques (omission ou inversion de lettres) très différentes des fautes d’orthographe à proprement parler, c’est-à-dire des fautes lexicales ou d’usage (<em>vert</em>, <em>vers</em>, <em>verre</em>) ou grammaticales (accords, conjugaisons, homophones grammaticaux). Dans d’autres, seules les fautes grammaticales sont envisagées. Cette question de la définition du terme a pourtant toute son importance.</p>
<p>En effet, certaines études ont démontré un effet différencié des types de fautes sur les lecteurs. Par exemple, sur un CV, les fautes d’orthographe ont un effet négatif significativement supérieur aux fautes typographiques ou fautes de clavier sur le rejet d’une candidature.</p>
<p>Curieusement, alors que la question des effets délétères des fautes pendant le processus de recrutement a fait l’objet d’un nombre de recherches croissant, aucune ne s’est intéressée en France aux effets des fautes d’orthographe sur la perception de la marque et/ou de l’entreprise. Une récente étude vient de le faire.</p>
<h2>Une expérimentation française à grande échelle…</h2>
<p>Elle a été menée en France auprès de près de 2 000 internautes représentatifs de la population. Deux types de fautes (d’orthographe et typographiques) ont été distillés sur des sites d’e-commerce pour évaluer leur effet <a href="https://bit.ly/2tCGMVY">en termes d’image et d’intentions d’achat notamment</a>. Pour ce faire, deux sites Internet de vente en ligne ont été créés (l’un commercialisant des sacs et l’autre des ustensiles de cuisine) en 3 versions : une version sans fautes, une version avec des fautes typographiques, une autre avec des fautes d’orthographe (lexicales et grammaticales). Chacun des participants a été exposé aléatoirement à l’une des 3 versions d’un des deux sites. Il lui a été demandé de visiter les différentes pages avant de répondre à des questions d’évaluation concernant notamment son attitude vis-à-vis de la marque, sa confiance envers le site Internet, ses intentions d’achat ou encore le montant qu’il serait prêt à dépenser. Il devait ensuite laisser un commentaire global sur le site visité.</p>
<h2>… Aux résultats très surprenants</h2>
<p>Le résultat le plus surprenant de cette étude concerne le repérage des fautes par les internautes. En effet, les participants à l’étude ont uniquement repéré les fautes typographiques sur les sites. L’analyse des commentaires et des scores attribués démontre qu’ils n’ont pas détecté les fautes de grammaire ou d’usage, et ce même lorsqu’ils se déclarent par ailleurs bons en orthographe.</p>
<p>Si les internautes se déclarant bons en orthographe ont davantage utilisé le mot « fautes » dans leurs commentaires, c’est uniquement lorsqu’ils ont visité un site contenant des fautes de clavier. Ils n’ont pas utilisé ce mot en présence de fautes de grammaire ou d’usage pourtant basiques (ex : pluriel, accord, et/est).</p>
<p>Seules les fautes typographiques ont eu un effet significativement négatif sur l’attitude des répondants vis-à-vis de la marque et la confiance envers le site Internet. Les intentions d’achat des participants n’ont été quant à elles impactées négativement uniquement en cas de fautes typographiques… Les sites contenant des fautes d’orthographe ont obtenu des intentions d’achat semblables aux sites exempts de fautes.</p>
<p>En d’autres termes, les internautes n’ont pas repéré donc pas pénalisé les fautes d’orthographe (dépendant de leur niveau en compétence orthographique). En revanche ils ont repéré et pénalisé les fautes de frappe (qui sont quant à elles repérables quel que soit le niveau en orthographe des participants).</p>
<h2>Quelques pistes d’explications</h2>
<p>Ces résultats contredisent ceux d’études antérieures qui avaient démontré les effets négatifs des fautes d’orthographe sur le comportement des <a href="https://theconversation.com/les-fautes-dorthographe-sur-le-cv-bien-plus-que-des-fautes-87696">recruteurs étudiant des CV</a>. Ils sont également en contradiction avec celles concluant aux conséquences négatives supérieures des fautes d’orthographe à celles des fautes de clavier.</p>
<p>Comment expliquer ces résultats ? D’abord, il se peut que les internautes ne se soient pas concentrés sur les erreurs d’orthographe en particulier, mais davantage sur l’évaluation globale du site marchand et qu’ils aient donc négligé cet aspect. Une étude très connue a mis en évidence la <a href="http://www.dansimons.com/">cécité d’inattention des individus</a>. Durant une expérience portant sur une séquence vidéo, ces chercheurs ont démontré que lorsque l’attention d’un individu était entièrement mobilisée par l’exécution d’une tâche difficile (ex : compter des passes de ballon entre plusieurs personnes), ils pouvaient ne pas remarquer un évènement sortant de l’ordinaire durant cette même séquence (l’apparition d’un gorille). Un participant sur deux n’a en effet pas remarqué ce gorille. Les chercheurs ont attribué ce résultat à la mobilisation entière de l’attention des sujets à exécuter une tâche difficile. Évaluer un site Internet pourrait dans ce cas être assimilé à une tâche difficile et du coup occulter la présence de fautes.</p>
<p>On peut aussi tout simplement invoquer le manque de compétences suffisantes des participants pour identifier les fautes d’orthographe.</p>
<p>Ainsi, cette étude pourrait apporter une preuve supplémentaire de la baisse du niveau des Français en orthographe et elle questionne en même temps la relation épidermique avec ce qu’ils pensent être de l’orthographe. En effet, les internautes exposés aux fautes de frappe ont eu des commentaires extrêmement durs à l’égard de ce qu’ils pensent être des fautes d’orthographe (ex : « Le site est plein de fautes d’orthographe c’est complètement rédhibitoire pour moi. Ça ne fait pas professionnel et ça ne met pas en confiance » ; « Beaucoup trop de fautes d’orthographe qui décrédibilisent totalement le site » ; « C’est inadmissible, cela donne vraiment une mauvaise image et cela ne me donne vraiment pas envie de consulter plus le site »). Cette étude propose une nouvelle illustration de la complexité du rapport des Français à l’orthographe : dans une récente enquête, les <a href="https://bit.ly/2yIDUwE">Français se déclarent choqués par les fautes</a> (en particulier dans la presse écrite, où elles dérangent 57 % d’entre eux)… et pourtant, ils sont conscients de leurs lacunes puisque près d’un Français sur deux avoue commettre des fautes récurrentes (en particulier en conjugaison et en grammaire).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96521/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christelle Martin-Lacroux a reçu des financements du laboratoire GRM (depuis devenu CERGAM), université de Toulon, dans le cadre de ce projet de recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Brigitte Müller a reçu des financements du laboratoire GRM (depuis devenu CERGAM) et de l'Université de Toulon dans le cadre de ce projet de recherche</span></em></p>Analyse d’une étude titrée « Quel dommage qu’il y ait autant de fautes » qui évalue la prise en compte des fautes par les consommateurs.Christelle Martin-Lacroux, Maître de conférences en sciences de gestion- Laboratoire CERAG- IUT2, membre de l'AGRH, Université Grenoble Alpes (UGA)Brigitte Müller, Maître de conférences en Sciences de gestion, Laboratoire Cergam, Université de ToulonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/973352018-06-05T19:22:19Z2018-06-05T19:22:19ZQuand le bac était un « grand oral »…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/221700/original/file-20180605-175418-1ezcsdt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C10%2C968%2C639&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dès sa création, le bac est conçu comme un diplôme d'accès à l'université (ici, la Sorbonne).</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock/Victor Kiev</span></span></figcaption></figure><p>C’est Napoléon I<sup>er</sup> qui, en 1808, institue le baccalauréat tel que nous le connaissons. Avec une différence de taille par rapport à son organisation actuelle : à l’époque, l’<a href="http://www.ina.fr/video/CAB91024381">évaluation des candidats repose sur une seule épreuve</a>, un grand oral.</p>
<p>Pendant une demi-heure au moins, trois quarts d’heure au plus, les candidats sont interrogés sur « tout ce que l’on enseigne dans les hautes classes des lycées » (soit les deux dernières années du secondaire). Mais le baccalauréat est d’emblée conçu comme le <a href="https://www.senat.fr/rap/r07-370/r07-3701.html#toc5">premier palier de l’enseignement supérieur</a>. « Les grades dans chaque faculté sont au nombre de trois : le baccalauréat, la licence, le doctorat », stipule en effet le <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/10047-napoleon-cree-le-baccalaureat-premier-grade-universitaire">décret impérial du 17 mars 1808</a>. D’ailleurs, l’université intervient dans l’évaluation des candidats : le statut du 16 février 1810 précise qu’il doit y avoir au moins un professeur de faculté parmi les trois examinateurs requis – les autres pouvant être choisis au sein du corps des proviseurs et de leurs adjoints, les « censeurs ».</p>
<p>Le jury apprécie la qualité des réponses à l’aide de boules de différentes couleurs : le rouge signifie que l’examinateur se prononce pour l’admission, le blanc marque l’abstention et le noir un avis défavorable. Le nombre de candidats augmente assez vite. Si l’on compte 33 lauréats en 1809 – première session effective du baccalauréat, ce nombre passe à 666 l’année suivante puis à 1 026 en 1811. On atteint les 2 000 en 1816, les 3 000 en 1843, les 4 000 en 1850, les 5 000 en 1861 (date à laquelle la première bachelière, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Julie-Victoire_Daubi%C3%A9">Julie-Victoire Daubié</a>, est reçue).</p>
<h2>Tirage au sort des sujets</h2>
<p>Durant les <a href="http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/bb2008_Lelievre.aspx">treize premières années de ce baccalauréat</a> purement oral, les examinateurs se contentaient le plus souvent d’une explication de texte, à laquelle ils ajoutaient quelques questions ad hoc.</p>
<p>Ensuite, à partir de l’arrêté du 13 mars 1821, le déroulé de l’épreuve se formalise :</p>
<blockquote>
<p>« Les objets de l’examen seront tirés au sort. On rédigera à cet effet un tableau, en trois séries, des questions principales qui pourraient être posées sur les matières énoncées. La première série embrassera la connaissance des auteurs grecs et latins, et la rhétorique ; la seconde l’histoire et la géographie ; la troisième la philosophie. On déposera donc dans trois urnes des boules portant des numéros correspondant à ces questions ; et chaque boule qui sera extraite des urnes indiquera la question à laquelle le candidat devra répondre. »</p>
</blockquote>
<p>Pourquoi opter pour le tirage au sort ? D’abord, le pouvoir central ne faisait pas vraiment confiance aux jurys locaux. Puis il s’agissait d’accorder une valeur nationale au baccalauréat. Comme l’a dit dans sa circulaire du 28 septembre 1820 le comte Siméon (président de la Commission de l’Instruction publique), « le grade de bachelier va ouvrir à toutes les professions civiles, et devenir, par conséquent, pour la société, une garantie essentielle de la capacité de ceux qu’elle admettra à la servir ».</p>
<p>Mais cela ne va pas sans une « nouvelle industrie », celle d’un entraînement intensif à ce type d’épreuves : « préparateurs », « fours à bachot », et surtout « aide-mémoires » entrent dans le paysage, permettant d’apprendre par cœur les réponses appelées par chacune des questions recensées. Sans compter les tentations et les <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/06/22/01016-20120622ARTFIG00658-fraude-au-baccalaureat-un-marche-lucratif-au-xixe.php">tentatives d’une « industrie de la fraude »</a>, incarnée par les « passeurs ». En effet, il arrivait parfois que des candidats se fassent remplacer (clandestinement) au moment de l’examen. Un arrêté pris par le ministre de l’Instruction publique François Guizot en 1837 en dit long à ce sujet, puisqu’il renforce les procédures de vérification de l’identité des postulants.</p>
<h2>Un nouvel enjeu : l’orthographe</h2>
<p>En 1830, l’arrêté du 9 février prescrit que, « indépendamment des épreuves usitées jusqu’alors, tout candidat au baccalauréat sera tenu d’écrire instantanément un morceau de français, soit de sa composition, soit en traduisant un passage d’un auteur classique ». L’examen reste foncièrement une longue séquence orale, avec un petit moment dévolu à la vérification de la capacité orthographique des postulants. Il ne s’agit pas alors (pas encore) de l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/expliquez-nous/expliquez-nous-l-histoire-mouvementee-des-reformes-du-baccalaureat_2443190.html">introduction d’une vraie épreuve écrite</a> dans l’examen. Cela n’aura lieu que dix ans plus tard, en 1840.</p>
<p>Ce moment d’écrit fugitif (et il est remarquable que cela commence par l’orthographe) est censé répondre à une préoccupation énoncée quelques années plus tôt dans une circulaire ministérielle :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons avouer que nous recevons parfois des lettres ou des réclamations d’individus pourvus du grade du baccalauréat, et dont le style et l’orthographe offrent la preuve d’une honteuse ignorance. »</p>
</blockquote>
<p>Le problème est-il pour autant en passe d’être résolu ? Rien n’est moins sûr si l’on en juge par les déclarations récurrentes, bien des années après, comme celle du doyen de la faculté de lettres de Clermont, en 1881 :</p>
<blockquote>
<p>« Nous voudrions simplement rappeler aux candidats que la faculté désirerait ne plus avoir à corriger des fautes d’orthographe aussi nombreuses que stupéfiantes. »</p>
</blockquote>
<p>Ou encore celle d’Albert Dury, dans <em>L’Instruction publique et la démocratie</em>, en 1886 :</p>
<blockquote>
<p>« L’orthographe des étudiants en lettres est si défectueuse que la Sorbonne s’est vue réduite à demander la création d’une nouvelle maîtrise de conférences, dont le titulaire aurait pour principale occupation de corriger les devoirs de français des étudiants de la faculté de lettres. »</p>
</blockquote>
<h2>Un examen qui s’étoffe</h2>
<p>En 1840, une véritable épreuve écrite à caractère éliminatoire et préalable à l’épreuve orale est substituée au « morceau de français » introduit en 1830 en plein cours de l’épreuve orale. Le règlement du 14 juillet 1840 en définit le principe :</p>
<blockquote>
<p>« Quand on n’a pas pu, en deux heures et avec un dictionnaire, traduire convenablement en français une page de latin, il est superflu d’être interrogé sur des textes de Cicéron, d’Horace, de Tacite ou de Virgile. Il n’y aura qu’une seule épreuve écrite, mais cette épreuve sera décisive. »</p>
</blockquote>
<p>L’épreuve orale (que l’on passe ensuite si l’on a réussi l’épreuve écrite initiale de version latine) est gardée avec son système de tirage au sort : une liste de 150 sujets pour l’explication de textes (d’auteurs grecs, latins ou français), et une liste récapitulant les 350 questions qui peuvent être posées par le jury.</p>
<p>L’écrit va s’alourdir peu à peu. En 1852 on ajoute une composition latine de trois heures à la version latine de deux heures. En 1864, le ministre de l’Instruction publique <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Duruy">Victor Duruy</a> rajoute en sus une composition française sur un sujet de philosophie de quatre heures. Surtout, il supprime « l’appareil formidable de programmes, de questionnaires et de tirage au sort » qu’il juge blessant pour les examinateurs et nocif pour la qualité des études.</p>
<p>Au cours des années, les épreuves écrites et orales prennent de plus en plus d’ampleur et se diversifient, tant et si bien que l <a href="http://www.persee.fr/doc/baip_1254-0714_1875_num_18_361_45919">es décrets du 9 avril et du 25 juillet 1874</a> scindent en deux le baccalauréat <em>es</em> lettres :</p>
<ul>
<li><p>À l’écrit de la première partie (passé en rhétorique, l’équivalent de notre classe de première) une version latine et une composition latine ; à l’oral, des explications d’auteurs grecs, latins, français et des interrogations sur la rhétorique et la littérature classique, l’histoire, la géographie.</p></li>
<li><p>À l’écrit de la deuxième partie (passée en classe de philosophie), une composition de philosophie et la traduction d’un texte de langue étrangère ; à l’oral, des interrogations sur la philosophie, les sciences mathématiques, les sciences physiques et naturelles, une langue vivante, l’histoire et la géographie.</p></li>
</ul>
<p>On tient là l’architecture foncière du baccalauréat tel qu’il va être jusqu’au début des années 1960 (les autres baccalauréats s’alignant pour l’essentiel sur cette architecture, la division en deux parties n’étant instituée qu’en 1890 pour le baccalauréat <em>es</em> sciences).
La prochaine réforme du bac prévoit un oral obligatoire de 20 minutes. Un retour aux sources pour cet examen qui, à sa création, se jouait sur l’audition de chaque candidat par un jury ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97335/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La prochaine réforme du bac prévoit un oral obligatoire de 20 minutes. Un retour aux sources pour cet examen qui, à sa création, se jouait sur l'audition de chaque candidat par un jury ?Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/876962018-04-25T21:39:39Z2018-04-25T21:39:39ZLes fautes d’orthographe sur le CV… bien plus que des fautes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/215893/original/file-20180423-133884-1htmc59.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C125%2C3609%2C2413&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qui a écrit ? Qui a relu ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fdecomite/6206841512/in/photolist-7HY7kX-5wU8s8-91C9Nn-a4u99v-B6aYxY-iw47ku-B7gsfG-UXexC7-R3YR8X-9e9aW1-dERvab-2iVnTh-85WhTr-8f8ymQ-9MuxkD-nqemw4-dDpHYz-6rhmoh-9e9aj3-5FaaMt-531nKs-9388Qt-aEz6Ge-RZJyXE-BwkcrT-CrpVXm-B9tCUk-txFR8H-AbqYRj-Auw6pp-B8u8Q6-AbrWeo-B6aGCb-V9SEcL-UCeQho-25rGmY9-PjJZmv-CL64vV-CmqsUB-BVcS8V-N62RFh-N62SLy-F3i2TG-V1NrYP-K6U8Hb-MK6vnW-aDEYye-astFJQ-8qDNiN-cMnzv">fdecomite / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><h2>L’orthographe, un problème circonscrit à la sphère scolaire ?</h2>
<p>La question de la maîtrise de l’orthographe est demeurée longtemps exclusivement une question relevant du seul système éducatif, le ministère fixant des objectifs à atteindre par cycle et évaluant périodiquement le niveau des élèves.</p>
<p>Plusieurs études s’accordent sur la baisse régulière et conséquente du niveau des élèves en orthographe depuis le milieu des années 80 : en 2015, les élèves font en moyenne 17,8 erreurs contre 10,6 en 1987 <a href="http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/07/5/depp-ni-2016-28-performances-orthographe-eleves-fin-ecole-primaire_658075.pdf">à une même dictée</a>.</p>
<p>Dans un contexte d’intensification de l’écrit au travail, l’intégration dans les organisations de jeunes diplômés au niveau plus faible en orthographe que leurs aînés devient aujourd’hui également un enjeu de gestion pour les organisations.</p>
<p>Pour preuve, ces dernières évaluent aujourd’hui les compétences rédactionnelles comme les plus importantes à maîtriser : une étude américaine portant sur plus de 14 millions d’offres d’emploi a conclu que les compétences rédactionnelles figuraient parmi les compétences les plus recherchées par les employeurs.</p>
<p>Et pourtant, en dépit de ce plébiscite, les organisations se déclarent très insatisfaites du niveau réel des jeunes diplômés en matière de compétences de communication écrite.</p>
<h2>L’orthographe, un coût pour les organisations</h2>
<p>Les déficiences rédactionnelles et en particulier orthographiques sont sources de coûts, en termes d’image, de qualité perçue et d’intentions d’achat des clients notamment. À ce propos, la <a href="https://bit.ly/2aZIEOq">National Commission on Writing</a> (2004) a évalué à plus de 3 milliards de dollars annuels les sommes dépensées par les entreprises pour remédier aux déficiences écrites des salariés américains.</p>
<p>En France, l’équipe de l’ISEOR (<a href="https://bit.ly/2HH0yIR">Institut de socio-economie des entreprises et des organisations</a>) a conclu que l’absence de gestion dans les organisations des déficiences en langage écrit (spécifiquement de la prise en charge de l’illettrisme) était source de coûts cachés au premier rang desquels on trouve les surcoûts liés à des défauts de qualité, des surcoûts liés au glissement de fonction de l’encadrement prenant en charge la révision d’un document rédigé par un subordonné, ou encore la non-création de potentiel liée à l’impossibilité de développer de nouvelles activités.</p>
<p>D’autres études ont également démontré les conséquences des fautes sur les sites Internet en termes de détérioration de la qualité perçue par les internautes, voire même en termes de diminution des intentions d’achat.</p>
<p>S’il est démontré que les déficiences rédactionnelles et en particulier orthographiques représentent un problème de gestion, et en dépit d’une importante médiatisation de cette question, aucune étude scientifique n’avait mesuré en France les perceptions et le comportement des recruteurs à l’égard des candidats à l’embauche déficients en orthographe.</p>
<p>C’est pourtant au cours de la phase d’étude des dossiers de candidature que les employeurs sont en mesure de procéder à une première évaluation du niveau de maîtrise de l’orthographe. Si plusieurs enquêtes menées par l’APEC ou des cabinets de recrutement ont indiqué que les employeurs déclaraient pénaliser les fautes, ces dernières présentent des limites méthodologiques, rendant indispensable la réalisation d’une étude apportant des garanties en termes de validité.</p>
<h2>L’orthographe, un coût pour les candidats à l’embauche ?</h2>
<p>Une étude expérimentale en sciences de gestion a été menée récemment afin de comprendre les effets des fautes d’orthographe au sens large (fautes lexicales, grammaticales et fautes typographiques, appelées fautes de frappe ou encore fautes de clavier) sur les perceptions des recruteurs mais également sur leur <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01236486">comportement de présélection</a>.</p>
<p>536 recruteurs ont été mis en situation de présélection de candidats : plusieurs candidatures à un poste de nature commerciale, se différenciant sur le niveau d’expérience des candidats, le nombre et le type de fautes contenues, leur ont été proposées. Il leur a été demandé de noter chacune d’entre elles puis de prendre une décision de présélection (rejet ou entretien). En outre, la méthode des protocoles verbaux a été mobilisée pour analyser le discours des recruteurs pendant leur tâche d’étude des dossiers. Cette technique a exigé des répondants qu’ils expriment à voix haute leurs pensées, simultanément à l’exécution d’une tâche expérimentale. Ces verbalisations ont ensuite été retranscrites pour une analyse de contenu. Cette méthode est particulièrement adaptée à la compréhension du processus de prise de décision des recruteurs. Les conclusions de cette étude sont sans appel.</p>
<h2>Les fautes d’orthographe comptent…</h2>
<p>L’analyse des restitutions verbales indique que les fautes génèrent de fortes attributions de la part des recruteurs en termes d’intelligence du candidat, de compétences professionnelles mais également en termes de savoir-être…</p>
<p>Ainsi, les recruteurs infèrent aux rédacteurs de CV contenant des fautes un manque d’intelligence (uniquement d’ailleurs lorsqu’ils lisent des CV contenant des fautes d’orthographe) et également un manque de professionnalisme. Mais ce sont surtout les attributions en matière de savoir-être (manque de politesse et de correction) qui dominent dans le discours des recruteurs amenés à étudier ces dossiers de candidature. Le manque de rigueur, le laxisme, la légèreté et la négligence sont des perceptions largement partagées par une proportion importante d’entre eux.</p>
<p>Émerge également de cette analyse du discours des recruteurs la dimension culturelle de la compétence orthographique : pour les recruteurs, savoir écrire sans fautes ne relève pas forcément de l’école, mais plutôt du contexte socio-économique inféré au candidat (notamment la famille, le milieu social).</p>
<p>L’analyse statistique des décisions des recruteurs permet également de dresser plusieurs constats : la présence de fautes (quelle que soit leur nature) a un impact sur le taux de rejet, et ce à expérience égale. Les chances qu’un dossier comportant des fautes d’orthographe et une expérience professionnelle importante soit rejeté sont 3,1 supérieures aux chances de rejet d’un dossier sans fautes, avec la même expérience professionnelle. Une candidature expérimentée avec des fautes d’orthographe présente un taux de rejet comparable à celui d’une candidature peu expérimentée mais exempte de fautes, annihilant ainsi les atouts d’une candidature expérimentée.</p>
<h2>… mais toutes les fautes ne se valent pas</h2>
<p>Les résultats de l’étude mettent également en évidence un jugement différencié des recruteurs selon le type de fautes : les fautes de frappe (oubli ou inversion de lettre) sont jugées moins sévèrement que les fautes d’orthographe en termes de rejet. C’est plutôt leur accumulation qui entraîne le rejet.</p>
<p>En revanche, concernant les fautes d’orthographe (lexicales et grammaticales), le nombre de fautes (5 ou 10) n’affecte pas le comportement de rejet des recruteurs. Cela signifie que ce n’est pas tant le nombre de fautes que la présence et le type de fautes qui expliquent le rejet du dossier : il n’existerait pas de « seuil de tolérance » pour les fautes d’orthographe lexicale et grammaticale lorsqu’elles sont repérées.</p>
<p>L’analyse statistique et de discours révèlent donc en creux la gravité de la faute d’orthographe grammaticale considérée comme « une faute contre la pensée », corroborant l’analyse du discours des recruteurs associant davantage la faute de frappe à un manque de relecture mais jamais à un manque d’intelligence. Un sondage réalisé en février 2015 confirme d’ailleurs que ce sont les fautes de grammaire qui choquent le plus les Français (ils seraient par exemple 47 % à l’être face à un mauvais choix d’auxiliaire avec le participe passé). Pour expliquer la plus grande sévérité des recruteurs face aux fautes d’orthographe lexicales et grammaticales, on peut avancer l’explication selon laquelle les fautes de frappe, les coquilles ou fautes de frappe seraient considérées comme de « petites fautes », tandis que la faute suprême, grave, impardonnable est la faute de grammaire.</p>
<p>En d’autres termes, les toutes premières fautes de conjugaison, d’accord ou de lexique peuvent entraîner le rejet… tandis qu’en matière de fautes de frappe c’est davantage leur accumulation qui générerait l’élimination d’un candidat.</p>
<h2>La compétence orthographique, bien plus qu’une compétence technique</h2>
<p>Au-delà de l’aspect trivial de ces résultats, cette étude apporte une preuve que les fautes constituent bien une « barrière à l’entrée » pour les candidats à l’embauche, plus encore en ce qui concerne les fautes d’orthographe que pour les fautes typographiques.</p>
<p>La faute d’orthographe est donc bien porteuse de sens pour un recruteur : elle constitue le terreau d’attributions fortes, principalement en termes de savoir-être. La faute ne relève pas d’une simple compétence technique, savoir de base, mais d’une aptitude à se conformer à une norme.</p>
<p>Ainsi, les candidats rédigeant leur CV avec des fautes violeraient une norme sociale implicite de l’orthographe : un salarié qui commettrait des fautes ne saurait donc pas se situer face à son destinataire, serait incapable d’adapter la qualité linguistique à l’interaction. La faute traduirait donc au final un comportement préjudiciable à l’organisation plus qu’une insuffisante maîtrise de compétence linguistique ou technique.</p>
<p>En conclusion, on peut se demander si l’intégration progressive de diplômés aux compétences orthographiques diminuées sonne le glas de l’époque des écrits professionnels impeccables sur le plan orthographique. Dans un contexte de forte médiatisation de ce problème et d’intensification de l’usage de l’écrit professionnel, la résistance s’est-elle mise en route, comme en témoigne la multiplication des <a href="https://bit.ly/2HJxzEE">initiatives dans les entreprises</a>, au sein des <a href="https://bit.ly/1Eui6kq">organismes de formation</a> ainsi que le développement de certifications aux compétences purement orthographiques ou rédactionnelles (Certificat Voltaire, Certificat aux Compétences Rédactionnelles) ?</p>
<p>Finalement, la compétence orthographique, autrefois assimilée à un prérequis scolaire parmi tant d’autres, finira-t-elle par devenir une compétence hautement distinctive dans les prochaines années, tant elle deviendra rare parmi les candidats ?</p>
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<span class="caption">Ça l’affiche mal !</span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/87696/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christelle Martin-Lacroux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans un contexte de mise à l'écrit généralisée et de débat sur la baisse du niveau en orthographe, une étude pointe les dangers que représentent les fautes pour les organisations… et les candidats.Christelle Martin-Lacroux, Maître de conférences en sciences de gestion- Laboratoire CERAG- IUT2, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.