tag:theconversation.com,2011:/us/topics/pasdevague-61730/articles#PasDeVague – The Conversation2019-01-20T19:55:22Ztag:theconversation.com,2011:article/1094592019-01-20T19:55:22Z2019-01-20T19:55:22ZDe #PasDeVague aux « stylos rouges », le travail enseignant reprend la une<p>Lancé sur Twitter suite à la diffusion par un élève de la vidéo d’une scène de violence en classe, le mot-dièse <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/creteil-des-enseignants-temoignent-avec-le-hashtag-pasdevague-en-soutien-avec-leur-collegue-braquee-par-un-eleve_2997995.html">#PasDeVague</a> s’insurgeait contre l’absence de soutien de la hiérarchie lors des difficultés éprouvées par les enseignants face aux élèves. Quant aux <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/refondation-de-l-ecole/collectif-des-stylos-rouges-plusieurs-enseignants-entendent-profiter-de-la-rentree-scolaire-pour-se-faire-entendre_3132235.html">« stylos rouges »</a>, ce groupe Facebook né en réaction au silence d’Emmanuel Macron sur la condition enseignante dans sa réponse au mouvements des « gilets jaunes », ils en appellent plus largement à une reconnaissance financière mais aussi symbolique du métier.</p>
<p>Pourquoi les enseignants ont-ils le sentiment que leur travail quotidien est à ce point nié ? Pourquoi l’institution et les syndicats échouent-ils à le revaloriser ? Lorsqu’on les interroge par questionnaire sur les raisons de leur <a href="http://media.education.gouv.fr/file/50/4/2504.pdf">« malaise »</a>, comme l’a fait la Direction de l’évaluation et de la prospective en 2004 – une expression consacrée qui n’est pas d’un très grand secours et que je préfère <a href="https://www.armand-colin.com/au-coeur-des-malaises-enseignants-9782200617233">mettre au pluriel</a> – « l’absence de prise en compte des difficultés réelles du métier » est la première raison invoquée.</p>
<h2>Déni de réalité</h2>
<p>De ces difficultés, le huis clos de la classe est un lieu essentiel car il laisse le plus souvent l’enseignant dans la solitude, devant toutes les cyclothymies relationnelles et des incidents plus ou moins graves à gérer. Mais ce sont aussi, tels que le listent les « stylos rouges en colère », l’envahissement par les tâches administratives, voire les tâches d’évaluation, l’absence d’une médecine du travail, de perspectives de mobilité de carrière.</p>
<p>D’ailleurs, l’appellation choisie, permettant sans doute de mettre un zéro pointé aux politiques actuelles, renvoie bien à une des parts les plus invisibles du travail enseignant : la correction de copies.</p>
<p>L’absence de reconnaissance n’est pas une donne nouvelle et elle a été repérée déjà dans bien des enquêtes sur le métier. Elle se traduit par le manque d’attractivité dont le sociologue Pierre Périer a fait un <a href="https://www.cnesco.fr/fr/attractivite-du-metier-denseignant/">état des lieux</a> dans un rapport récent. On peut la lire aussi dans le sillage de ce « déni du réel du travail » que Christophe Dejours pointait en son temps comme une <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/souffrances-en-france-la-banalisation-de-l-injustice-sociale-christophe-dejours/9782020323468">cause de souffrance</a>.</p>
<p>Lorsque certains discours rabattent le métier sur le confort statutaire de l’emploi à vie et des vacances, c’est encore une fois cette réalité qui est niée, dans un temps où, de plus, l’augmentation du <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/06/19062018Article636649890787407027.aspx">nombre de précaires</a> dans l’Éducation nationale rend en partie caduque les images trop figées à cet égard. Mais c’est aussi le cas lorsque les enseignants mettent en cause l’encadrement ou plus largement les réformes : la revendication, faite par les « stylos rouges », d’un « délai minimum entre les réformes » en dit long à cet égard, dans sa modération elle-même.</p>
<h2>« Réformes sanctions »</h2>
<p>Ce qu’il faut interroger alors, c’est la disjonction entre les « solutions » que les réformes prétendent apporter et le travail quotidien. Dans la plupart des cas elles sont vécues comme des problèmes supplémentaires, lorsqu’elles ne le sont pas comme des réformes-sanctions, pour reprendre le mot de <a href="http://www.michel-crozier.org/portrait/bio/">Michel Crozier</a>, contre une profession souvent qualifiée d’individualiste, de « résistante à tout changement », au mépris de l’extraordinaire <a href="https://www.puf.com/content/R%C3%A9former_le_coll%C3%A8ge">diversité des enseignants</a> et des contextes.</p>
<p>Lorsque les directions d’établissement, les inspections ou les politiques ne s’en rendent pas suffisamment compte, elles participent alors à ce déni de reconnaissance, alors même que <a href="https://www.cairn.info/la-souffrance-des-enseignants--9782130567059.htm">des études</a> comme celles de Françoise Lantheaume et Christophe Hélou, montrent que des enseignants peuvent à la fois protester contre des changements conçus en dehors d’eux, et s’en approprier ce qu’ils jugent intéressants à l’échelle de leur expérience propre. Cela n’empêche d’ailleurs pas la reconnaissance de se jouer aussi dans des relations de proximité, avec les chefs d’établissement, les collègues et surtout les élèves.</p>
<p>Récurrente depuis de nombreuses années, la demande d’une baisse du nombre d’élèves par classe peut aussi se lire en lien avec la difficulté croissante à gérer des groupes d’enfants et d’adolescents, rendant caduque les controverses expertes sur la plus-value de cette baisse en termes de résultats.</p>
<p>Cette difficulté n’est pas surprenante dans une société où les relations entre les générations sont plus égalitaires, et donc parfois plus tendues, sans que ces problèmes soient toujours au cœur de réflexions partagées et constructives dans le cadre professionnel, renvoyant chacun à ses émotions et à ses remises en cause ou satisfactions individuelles. En la matière, l’aspect structurellement malingre de la formation des enseignants français ne peut qu’accentuer la situation. La pénibilité de ce métier venant largement des risques d’usure relationnelle, elle s’explique aussi complètement dans ce cadre.</p>
<h2>Nouvelles formes de mobilisation</h2>
<p>« Pas de vague » et « stylos rouges en colère » font donc réapparaître le travail enseignant, si vite recouvert en France par les débats constants sur l’école, la pédagogie, la laïcité, les réformes elles-mêmes. Bien sûr, ils n’en sont pas une photographie objective, et on peut avoir l’impression que disparaissent tous les enthousiasmes, dynamismes, et espoirs quotidiens d’une profession dont certains membres sont aussi exaspérés d’être décrits seulement au travers de leurs malaises.</p>
<p>Les voilà en tout cas au cœur d’une recherche de mobilisation inédite, sur Internet, qui, au-delà de la concomitance avec les « gilets jaunes » interroge aussi l’état des collectifs enseignants. « Pas de vague » faisait état d’un déficit de soutien par la hiérarchie, sans évocation de l’état parfois fragile de la solidarité enseignante, à l’heure où pourtant l’on ne cesse de parler de travail en équipe. Les « stylos rouges » reprennent beaucoup de revendications syndicales. Par leur existence même, ils sous-entendent toutefois que ces dernières sont insuffisantes.</p>
<p>Les collectifs Internet proposent un autre niveau d’action aussi que celui de l’établissement, qui dans certains cas est également très investi, parvenant à contenir ou prendre en charge les difficultés du métier. On peut remarquer aussi qu’ils s’essayent à construire une convergence entre les degrés, primaire et secondaire à l’heure où bien des réformes et dispositifs échouent à la rendre concrète, où la future réforme Blanquer de la formation pourrait bien la remettre en question, et où les syndicats continuent à s’identifier séparément pour chaque niveau.</p>
<p>Un travail et un métier plus conscients de leurs contours communs, tel pourrait être alors une des conséquences à moyen terme de ces prises de parole, au-delà du ras-le-bol et du désir de donner aux enseignants une vraie place dans l’effervescence sociale et politique actuelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109459/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Barrère ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre le travail réel des enseignants et sa reconnaissance par leur hiérarchie, il existe un fort décalage, source de malaises qu’ont remis en lumière les mouvements #Pasdevague et « stylos rouges ».Anne Barrère, Professeure des Universités en Sciences de l’éducation, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1085152019-01-16T21:07:48Z2019-01-16T21:07:48ZNon, les enseignants ne vont pas si mal<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/254092/original/file-20190116-163277-11fxh0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=24%2C0%2C5062%2C3342&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bien que des disparités existent, les enseignants sont globalement satisfaits de leur métier.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Deux mois et demi après la diffusion du hashtag <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/10/22/pasdevagues_1687138">#pasdevagues</a>, lancé en octobre par les enseignants pour dénoncer le manque de soutien de leur hiérarchie face aux violences scolaires, le mouvement des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/10/mouvement-des-stylos-rouges-pourquoi-les-profs-se-mobilisent-sur-le-point-d-indice_5407369_4355770.html">stylos rouges</a> monte en puissance. Ses sympathisants réclament entre autres choses un <a href="http://stylosrouges-officiel.fr/wp-content/uploads/2019/01/Stylos-Rouges-Manifeste-v3.1.pdf">dégel du point d’indice et la fin des suppressions de postes</a>.</p>
<p>Ces événements, tout comme les faits divers survenant régulièrement dans les établissements d’enseignement, renvoient une certaine image, parfois extrême, du métier d’enseignant. Mais celle-ci est-elle représentative de ce que vit la majorité d’entre eux ? Pour se faire une idée fiable de la réalité, il importe de pouvoir s’appuyer sur des données représentatives de l’ensemble des enseignants.</p>
<p>Ce fut l’objet de l’enquête nationale <a href="https://www.fondationmgen.fr/wp-content/uploads/2017/02/Rapport_descriptif_QVE_VF_newlogoFili-1.pdf">« Qualité de vie des enseignants »</a> réalisée en 2013 par la Fondation d’entreprise MGEN pour la santé publique, en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale. Après cinq ans d’investigation, sept articles scientifiques ont été publiés à partir de ces données, d’autres sont en cours.</p>
<p>La présente synthèse dresse un état des lieux tout en nuances de la qualité de vie des enseignants et déconstruit certains clichés associés à la profession. Au final, le tableau n’est pas forcément si noir qu’on pourrait le croire.</p>
<h2>L’enquête « Qualité de vie des enseignants »</h2>
<p>En 2013, 5 000 enseignants ont été sélectionnés par tirage au sort dans l’annuaire des personnels de l’Éducation nationale. Ils ont été destinataires d’un questionnaire détaillé s’intéressant à leur environnement de travail, leur bien-être professionnel et leur qualité de vie.</p>
<p>Comme en témoigne le taux de participation, de l’ordre de 55 %, l’enquête a été très bien accueillie. Les réponses obtenues ont ensuite été enrichies par des données administratives et pondérées, afin d’être extrapolables à l’ensemble des enseignants en France.</p>
<p>Si un biais résiduel lié à la santé peut persister même après redressement (d’une manière générale, les personnes qui rencontrent des problèmes de santé sont moins susceptibles de répondre aux enquêtes), il semble ici limité puisqu’il a été constaté dans les bases de données administratives que répondants et non-répondants avaient des recours et des durées des congés maladie très similaires.</p>
<p>En tant qu’étude transversale, cette enquête permet de dresser un état des lieux à un moment donné et d’établir des corrélations. En revanche, elle ne permet pas de statuer sur la causalité des liens entre facteurs professionnels et indicateurs de santé.</p>
<h2>Des enseignants plutôt satisfaits</h2>
<p>Selon les résultats de l’enquête, globalement, les enseignants font face : s’ils sont près de 60 % à reconnaître que l’exercice du métier est de plus en plus difficile, 82 % se déclarent satisfaits ou très satisfaits de leur expérience professionnelle.</p>
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<p>Les enseignants portent une appréciation globalement positive sur leur qualité de vie : 65 % la jugent bonne ou très bonne contre 8 % mauvaise ou très mauvaise (la part restante la jugeant « ni bonne ni mauvaise »). Ils estiment également satisfaisantes leur santé générale, leur mobilité physique, leur capacité de concentration et leur santé psychologique. Enfin, ils évaluent très positivement leurs relations interpersonnelles, que ce soit dans la sphère privée ou professionnelle, ainsi que leur cadre de vie : lieu de résidence, accès aux soins médicaux, transports.</p>
<p>La satisfaction apparaît toutefois plus mitigée vis-à-vis de l’équilibre financier par rapport aux besoins, des possibilités d’activité de loisirs, de la qualité du sommeil et du sentiment de sécurité dans la vie quotidienne.</p>
<p>Ces tendances générales doivent par ailleurs être nuancées en fonction de certains facteurs professionnels, en premier lieu le niveau d’enseignement, le type d’établissement et l’ancienneté. En effet, et c’est un enseignement important de l’étude, derrière l’apparente homogénéité de la profession, les conditions d’exercice et le vécu des enseignants sont très divers. Ainsi, le quotidien d’un instituteur d’une classe multiniveaux dans une petite école montagnarde sera assez différent de celui d’un professeur de sport d’un collège de banlieue ou d’un enseignant-chercheur à l’université.</p>
<h2>La voix, talon d’Achille des enseignants</h2>
<p>Si enseigner ne requiert pas une condition physique de marathonien, un organe est néanmoins particulièrement sollicité en classe : les cordes vocales. Pour les enseignants, la voix est un outil de travail incontournable et dès qu’elle dysfonctionne, toutes les sphères de la vie quotidienne, tant professionnelles que privées, sont touchées. C’est ce qu’a mis en lumière un <a href="https://www.em-consulte.com/article/1060593/troubles-de-la-voix-chez-les-enseignants-francais%c2%a0">volet spécifique de l’enquête</a> consacré aux troubles vocaux.</p>
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<p>Les troubles de la voix chez les enseignants sont loin d’être rares, et surtout, ils ne sont jamais anodins. Au moment de l’enquête, 13 % des enseignants se plaignaient d’un handicap vocal modéré à sévère, 16 % avaient été dans l’incapacité de faire cours au moins une fois dans l’année, et 23 % avaient déjà consulté un professionnel de santé pour un problème de voix.</p>
<p>Plus le contexte socio-environnemental était défavorable (environnement de vie jugé non sain, établissement d’enseignement implanté dans un quartier socialement défavorisé), plus la plainte vocale était fréquente. En outre, les troubles vocaux étaient quasi systématiquement associés à une moindre satisfaction du vécu professionnel et de la qualité de vie.</p>
<h2>Un métier moins solitaire qu’il n’y paraît</h2>
<p>Un enseignant seul, sur une estrade devant un tableau, face à sa classe. Voici souvent l’image qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque le métier d’enseignant.</p>
<p>Pourtant les liens sociaux noués par les enseignants dans le cadre professionnel, avec les élèves, les familles, les collègues, les personnels de direction, etc. sont nombreux et riches. Une large majorité des enseignants porte une appréciation positive sur ces interactions. Une étude révèle d’ailleurs que le soutien social au travail est important pour les enseignants, et notamment celui reçu de la hiérarchie, <a href="https://doi.org/10.1007/s00420-019-01431-6">afin de lutter contre la symptomatologie d’épuisement professionnel</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/254076/original/file-20190116-163271-1tylaqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/254076/original/file-20190116-163271-1tylaqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/254076/original/file-20190116-163271-1tylaqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/254076/original/file-20190116-163271-1tylaqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/254076/original/file-20190116-163271-1tylaqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/254076/original/file-20190116-163271-1tylaqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/254076/original/file-20190116-163271-1tylaqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le métier d'enseignant est moins solitaire qu'il n'y paraît.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/en/cellular-education-classroom-1352613/">giovannaco/Pixabay</a></span>
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<h2>Enseigner en fin de carrière n’est pas plus facile</h2>
<p>Dans le volet de l’étude consacré aux <a href="http://www.em-consulte.com/article/1169377/bien-etre-au-travail-et-qualite-de-vie-des-enseign">différences de ressenti des enseignants en fonction de leur ancienneté</a>, un affaiblissement du bien-être, en particulier professionnel, a été mis en évidence chez les enseignants en fin de carrière (ancienneté supérieure ou égale à 30 ans). Et ce, alors même que leurs conditions de travail sont a priori plus favorables, puisque ces enseignants interviennent plus souvent dans des niveaux d’enseignement élevés et face à un public favorisé.</p>
<p>Par exemple, 77 % des enseignants en fin de carrière considéraient l’exercice du métier de plus en plus difficile, contre 20 % en début de carrière (ancienneté inférieure ou égale à 5 ans). Les enseignants en fin de carrière, qui sont aussi les plus âgés étant donnée la grande linéarité de l’évolution professionnelle dans ce secteur, étaient aussi moins satisfaits de leur santé physique.</p>
<p>Plus préoccupant était le fait qu’ils soient aussi moins satisfaits de leur santé psychologique et de leurs liens sociaux. Par ailleurs, l’étude a relevé un point de vigilance pour les enseignants en début de carrière : alors qu’ils manquent d’expérience et ont besoin de plus de temps pour préparer leur cours, ils évoluent dans un environnement moins favorable tant au niveau professionnel que résidentiel.</p>
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<h2>La violence scolaire vue par les enseignants</h2>
<p>L’enquête a permis d’objectiver le phénomène de violence scolaire <a href="http://cache.media.education.gouv.fr/file/revue_92/07/6/depp-2016-EF-92-Violence-a-ecole-violence-au-travail-le-cas-des-enseignants_686076.pdf">du point de vue des enseignants</a>, en adoptant une approche inclusive de la violence. La violence physique et verbale, mais également celle d’ordre psychologique, ont été prises en compte.</p>
<p>Durant l’année scolaire, 17 % des enseignants avaient été victimes de comportements hostiles et 40 % avaient été témoins de tels agissements sur leur lieu de travail. Une analyse fine, y compris textuelle, des faits de violence décrits par les enseignants victimes a mis en lumière que la seule violence « scolaire » (typiquement, de la part d’un élève dans le second degré ou de la part d’un parent en maternelle) n’est pas la seule à peser sur le bien-être des enseignants. La violence « interne », inhérente au monde professionnel, est également problématique. C’est notamment le cas des relations conflictuelles avec les collègues ou des tensions avec la hiérarchie.</p>
<p>Avoir été victime de violence était étroitement associé à des indicateurs de santé défavorables : symptômes d’épuisement professionnel, moindre qualité de vie, troubles de la voix et absence au travail.</p>
<h2>Des arrêts de travail qui concernent plus d’un enseignant sur trois</h2>
<p>À partir de la description des épisodes d’arrêt de travail vécus par les enseignants au cours de l’année scolaire, un <a href="http://www.em-consulte.com/article/1198986/alerte">module de l’enquête</a> a permis d’étudier les congés maladie des enseignants en tant qu’indicateur de santé.</p>
<p>Plus d’un enseignant sur trois (36 %) rapportait avoir eu au moins un jour de congés maladie depuis le début de l’année scolaire. Les maladies des voies respiratoires et troubles ORL (bronchite, asthme, grippe…) représentaient le principal motif médical du recours aux congés maladie (37 %). Cependant, lorsqu’on raisonnait en nombre de jours d’absence et non d’épisodes, c’étaient les affections de l’appareil locomoteur (affection des os et des articulations, lésion traumatique) et les affections neurologiques et psychiques (migraine, maux de tête, fatigue, surmenage) qui pesaient le plus, avec respectivement 27 % et 25 % des jours d’absence. Les maladies des voies respiratoires et troubles ORL, donnant lieu à des congés plus courts, ne représentaient plus que 14 % des jours.</p>
<p>L’étude des facteurs associés aux congés maladie a mis en évidence des contextes catalyseurs d’absence : demande psychologique au travail élevée, insécurité, contexte socio-environnemental défavorable.</p>
<p>Le taux de recours aux congés maladie des enseignants apparaît supérieur de plusieurs points à celui des salariés du privé, alors même que, du fait des vacances scolaires, leur nombre de semaines travaillées est moindre et que certains bénéficient d’emploi du temps concentré sur quatre jours ou moins. Il est toutefois difficile de comparer les chiffres relatifs aux absences au travail d’une étude à l’autre, car les périmètres diffèrent (les « raisons de santé » pouvant inclure ou non, la maternité, la maladie d’un enfant, etc.), tout comme les périodes d’observation (l’année, le trimestre, la semaine passée…).</p>
<p>Il est intéressant de souligner que les durées moyennes annuelles des arrêts pour raisons de santé rapportée à l’ensemble de la profession enseignante ou des salariés du privé sont comparables (environ 15 à 18 jours par actif). Ce constat illustre l’hypothèse – qui reste à approfondir – que les salariés bien couverts vis-à-vis des congés maladie (comme les enseignants) hésiteraient moins à prendre des arrêts courts et que, selon une problématique analogue à`celle du renoncement aux soins, ce recours les protégerait dans une certaine mesure vis-à-vis des congés plus longs.</p>
<h2>Les inégalités hommes/femmes existent aussi dans l’enseignement</h2>
<p>L’enseignement est un secteur fortement féminisé. Toutefois, il existe un net gradient selon lequel plus le niveau d’enseignement augmente, plus les hommes sont représentés. Dans l’enquête, ce gradient était fidèlement reproduit, tout comme les <a href="http://cache.media.education.gouv.fr/file/revue_96/68/8/DEPP-EF96-2018-article-11-bien-etre-travail-enseignants-differences-hommes-femmes_905688.pdf">différences de conditions d’exercice entre hommes et femmes</a> dans le premier degré, second degré et supérieur. Par exemple, les enseignantes exerçaient plus souvent à temps partiel et étaient moins souvent déchargées d’heures d’enseignement que leurs homologues masculins ; ceux-ci enseignaient plus fréquemment des disciplines scientifiques ou techniques dans le secondaire et le supérieur, etc.</p>
<p>Concernant le bien-être professionnel, les différences sexuées étaient moins marquées, sauf dans le secondaire où les enseignantes apparaissaient globalement un peu plus satisfaites de leur expérience professionnelle que les hommes.</p>
<p>Finalement, si les enseignantes et les enseignants pouvaient exercer selon des modalités sensiblement différentes d’un point de vue statistique, leur bien-être professionnel apparaissait, à quelques exceptions près, comparable.</p>
<h2>Quelques comparatifs supplémentaires</h2>
<p>D’autres travaux plus spécifiques se sont focalisés tour à tour sur les différences de vécu professionnel des enseignants du public et du privé ; de lycée professionnel et de lycée général et technologique ; en éducation prioritaire ou non. Il en est ressorti des résultats nuancés.</p>
<p>Pour ce qui est de la comparaison public/privé, le <a href="http://cache.media.education.gouv.fr/file/revue_88-89/57/7/depp-2015-EF-88-89-satisfaction-professionnelle-enseignants-secondaire_510577.pdf">ressenti professionnel des enseignants du secondaire privé sous contrat</a>, évalué au moyen de cinq indicateurs, apparaissait plus positif que dans le public, et cet écart subsistait même à condition de travail comparable (en termes d’origine sociale des élèves par exemple). En particulier, il était observé dans le privé un taux de satisfaction professionnelle plus élevé et de meilleurs indicateurs de santé émotionnelle et de climat relationnel.</p>
<p>Dans l’étude comparant les ressentis des enseignants de lycée professionnel et de lycée général et technologique, les premiers rapportaient une satisfaction professionnelle un peu moins bonne que leurs homologues de lycée général et technologique, les <a href="http://cache.media.education.gouv.fr/file/revue_93/38/6/EF-93-article-04_763386.pdf">différences restant toutefois globalement ténues</a>.</p>
<p>Enfin, une analyse en cours de publication sur l’éducation prioritaire a montré que le bien-être des enseignants qui y exercent ne différait pas foncièrement des autres. Par contre, l’étude a confirmé des différences de profils et de conditions d’exercice, en particulier, les enseignants en éducation prioritaire étaient sensiblement plus jeunes et donc moins expérimentés que les autres enseignants.</p>
<h2>Des enseignants globalement en bonne santé et satisfaits</h2>
<p>En conclusion, la synthèse des résultats de l’enquête « Qualité de vie des enseignants » révèle que ceux-ci sont globalement en bonne santé et satisfaits de leur vécu professionnel, quelques nuances étant toutefois à apporter quant à leur inquiétude largement partagée vis-à-vis du futur. Par ailleurs, derrière son apparente homogénéité, la profession cache une grande diversité de contenu et de conditions d’exercice, qui peut expliquer une variabilité dans le bien-être des enseignants.</p>
<p>L’ensemble des résultats ouvrent des pistes de promotion de la qualité de vie des enseignants, notamment via le renforcement du soutien social au niveau de l’équipe éducative ou l’amélioration du cadre psychosocial et environnemental. Afin d’approfondir ces pistes, des projets de recherche de long terme, dans la continuité de cette enquête, sont d’ores et déjà initiés, en partenariat avec l’Inserm ou le ministère de l’Éducation nationale.</p>
<hr>
<p><em>Marie-Noël Vercambre-Jacquot tient à remercier Nathalie Billaudeau, Fabien Gilbert, Pascale Lapie-Legouis et Sofia Temam qui ont activement participé au dépouillement de l’enquête « Qualité de vie des enseignants ».</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108515/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Noël Vercambre-Jacquot travaille pour la Fondation d'entreprise MGEN pour la Santé Publique</span></em></p>En France, près d’un million d’enseignants — soit 4 % de la population active — œuvrent au quotidien auprès des élèves et des étudiants, dans le secteur public ou privé. Comment se sentent-ils ?Marie-Noël Vercambre-Jacquot, Chercheur épidémiologiste, Fondation MGEN pour la santé publiqueLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1060182018-10-31T13:26:26Z2018-10-31T13:26:26ZDébat : #PasDeVague, l’écume des nouvelles politiques de gestion publique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/243031/original/file-20181030-76408-l84k07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C10%2C979%2C645&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La mise en place d'objectifs chiffrés fait peser de nouvelles pressions sur les épaules des enseignants et chefs d'établissement. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’agression filmée d’une enseignante a déclenché une vive émotion sur les réseaux sociaux. Avec le mot dièse <a href="https://twitter.com/search?f=tweets&q=%23PasDeVague&src=typd">#PasDeVague</a>, de nombreux enseignants se sont mis à raconter la réaction de leur hiérarchie en de telles circonstances. Certains n’ont pas hésité à parler d’un « sentiment d’abandon », voir de « complicité » avec les agresseurs.</p>
<p>Il est très difficile, sinon impossible, d’analyser objectivement la totalité des questions soulevées par cet événement. Mais les politiques de gestion des services publics, dont la réforme est d’actualité, représentent une clé d’explication du comportement de la hiérarchie de l’Éducation nationale.</p>
<h2>Une culture de la performance</h2>
<p>Né dans les années 1970, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvelle_gestion_publique">nouveau management public</a> (NMP) est une méthode de gestion des services publics qui met l’accent sur la culture de la performance. Elle se traduit par la mise en place d’objectifs chiffrés, à tous les niveaux hiérarchiques, de l’État jusqu’à l’agent. En France, le NMP a été mis en œuvre par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005631294">Loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances (LOLF)</a>.</p>
<p>En voici la description <a href="http://www.education.gouv.fr/cid31/la-lolf-qu-est-ce-que-c-est.html">sur le site de l’Éducation nationale</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Pour une politique donnée, l’État se fixe des objectifs précis à atteindre, avec des moyens alloués pour atteindre ces objectifs. La “performance” des services est ainsi mesurée de façon plus concrète : une politique publique est d’autant plus performante que les objectifs sont atteints ou approchés grâce aux moyens alloués. »</p>
<p>« Des responsables de programme doivent définir, chacun à leur niveau, les objectifs, les stratégies et les indicateurs de performances des politiques publiques dont ils sont chargés. Ils disposent d’une plus grande liberté dans la gestion des moyens alloués en contrepartie d’un engagement sur des objectifs de performance. »</p>
</blockquote>
<h2>Des dilemmes permanents</h2>
<p>Depuis plus de 15 ans, cette politique, indissociable de la réduction des dépenses de l’État, conduit à une double pression continue sur la fonction publique. Il s’agit de toujours faire plus avec moins, non pas dans le cadre d’une restructuration ponctuelle, mais comme un objectif permanent.</p>
<p>À l’évidence, cette politique ne peut être pérenne. Même s’il existe une marge d’amélioration initiale, elle finit par être consommée. Le système se met alors en tension, et il devient nécessaire d’arbitrer entre la baisse des moyens et l’augmentation des performances : un dilemme permanent.</p>
<p>Supposons l’application de cette politique aux repas d’une famille : chaque jour, manger mieux et pour moins cher que la veille. Au début, il sera possible d’optimiser les courses et la cuisine… Mais au bout d’un moment, cela ne sera plus possible. Il faudra alors choisir entre ré-augmenter les dépenses ou diminuer la qualité des repas.</p>
<p>Dans l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur, le nouveau management public se traduit par des documents touffus, réunissant de très nombreux indicateurs : projets annuels de performances (PAPé), projets d’établissement, contrats d’objectifs et de moyens (COM), contrats de site…</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243046/original/file-20181030-76396-i9ovrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243046/original/file-20181030-76396-i9ovrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243046/original/file-20181030-76396-i9ovrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243046/original/file-20181030-76396-i9ovrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243046/original/file-20181030-76396-i9ovrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243046/original/file-20181030-76396-i9ovrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243046/original/file-20181030-76396-i9ovrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">RAPé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Exemple d’un rapport annuel de performance (RAPé) universitaire.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On comprendra aisément le dilemme face auquel se trouvent les enseignants évalués sur les notes qu’ils donnent eux-mêmes. Certains documents fixant des objectifs peuvent même s’adresser non pas à l’établissement, mais directement au cadre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1056560695649751041"}"></div></p>
<h2>Le cercle vicieux des économies</h2>
<p>Mais en réalité, quelles sont les marges de manœuvre des cadres de l’Éducation nationale confrontés au dilemme ? Malheureusement, ils ne décident pas de leurs moyens. De plus, l’instauration d’un rapport de force auprès de la hiérarchie, donc du rectorat, peut les mettre dans des situations délicates, les désavantageant par exemple lors des arbitrages dans la répartition des postes, ou plus personnellement lors de l’attribution des primes et promotions.</p>
<p>Si les cadres ne peuvent pas compter sur un support de la population, et notamment des parents, ces tensions deviennent aussi épuisantes que risquées. En ce sens, l’opinion publique sur les enseignants, mais plus largement les fonctionnaires, est porteuse de véritables enjeux politiques.</p>
<p>Dans un contexte de réduction des dépenses publiques, l’augmentation des moyens est hors d’atteinte. La seule option serait donc de baisser les performances, c’est-à-dire les exigences pédagogiques ainsi que les conditions d’études. Cependant, si une telle évolution tire les indicateurs à la baisse, certains objectifs ne seront pas atteints, avec des conséquences variables : pression du rectorat et des parents, suppression de prime, baisse des moyens collectifs, fuite des meilleurs élèves… L’établissement risque alors de tomber dans une spirale infernale, ces conséquences pesant encore davantage sur le niveau des élèves.</p>
<p>C’est entre autres ainsi <a href="https://www.lemonde.fr/education/article/2018/10/24/en-ile-de-france-une-ecole-pauvre-pour-les-quartiers-pauvres_5373799_1473685.html">que s’aggravent la ségrégation et les inégalités scolaires</a>. La publication régulière de <a href="http://classement-lycees.etudiant.lefigaro.fr/">classements</a> assure aussi une pression sur l’ensemble du système, mettant en concurrence les établissements et accentuant les conséquences d’une baisse des indicateurs. Ces classements ont d’ailleurs récemment été améliorés, et le seront encore prochainement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"976566763411464197"}"></div></p>
<h2>La loi de Goodhart</h2>
<p>Les cadres se retrouvent donc dans la double obligation de baisser les performances mais de maintenir les indicateurs. Dans ce contexte, nous avons une explication rationnelle à #PasDeVague. Si le nombre de conseils de discipline est utilisé comme un indicateur des conditions d’études, et que les cadres ont pour objectif de les améliorer, en l’absence de moyens réels, ils sont poussés à nier certains problèmes de terrain : « Pas de vague ».</p>
<p>De la même manière, l’usage des taux de réussite et des mentions comme indicateurs peut influer sur les attentes pédagogiques, incitant à revoir à la baisse les exigences pour augmenter au moins les notes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1055017107048595456"}"></div></p>
<p>Cette mécanique, objet de la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Goodhart%27s_law">loi de Goodhart</a>, a conduit à <a href="http://www.laviemoderne.net/mirabilia/165-perles-et-anti-perles">invisibiliser l’évolution des performances réelles</a> de notre système éducatif, et donc les conséquences notamment de la réduction des moyens.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243052/original/file-20181030-76387-183dwd5.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243052/original/file-20181030-76387-183dwd5.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=556&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243052/original/file-20181030-76387-183dwd5.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=556&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243052/original/file-20181030-76387-183dwd5.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=556&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243052/original/file-20181030-76387-183dwd5.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=699&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243052/original/file-20181030-76387-183dwd5.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=699&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243052/original/file-20181030-76387-183dwd5.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=699&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En 1995, la France occupait la première place mondiale selon l’enquête TIMSS Advanced, avec 64 % des élèves en Terminale S ayant au moins le niveau avancé, alors que moins de 30 % des bacheliers obtenaient une mention au Bac. En 2015, seulement 11 % des Terminales S témoignent d’au niveau avancé au TIMMS Advanced, mais plus de 60 % des bacheliers obtiennent une mention au Bac.</span>
<span class="attribution"><span class="source">laviemoderne.net</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une double pression</h2>
<p>Si les indicateurs nationaux ne sont plus fiables, il est toujours possible de se tourner vers les indicateurs internationaux. Ces derniers indiquent aujourd’hui que nous sommes face à un point de rupture : <a href="https://read.oecd-ilibrary.org/education/equity-in-education_9789264073234-en#page130">selon l’OCDE</a>, le système scolaire français est devenu le plus inégalitaire après le Japon, <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/10/23102018Article636758789966251828.aspx">conduisant à un écart de niveau équivalent à quatre ans de scolarité</a> entre les plus favorisés et les plus défavorisés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243054/original/file-20181030-76411-wfeq5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243054/original/file-20181030-76411-wfeq5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=748&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243054/original/file-20181030-76411-wfeq5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=748&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243054/original/file-20181030-76411-wfeq5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=748&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243054/original/file-20181030-76411-wfeq5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=940&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243054/original/file-20181030-76411-wfeq5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=940&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243054/original/file-20181030-76411-wfeq5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=940&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Différence des scores PISA en fonction des statuts sociaux-économiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">OCDE</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est dans ce contexte que s’inscrit la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/10/29/edouard-philippe-leve-le-voile-sur-sa-reforme-de-l-etat_5376150_823448.html">réforme de l’État</a> qui fait l’actualité. Cette dernière s’appuie très largement sur le <a href="https://solidairesfinancespubliques.org/component/edocman/938-le-rapport-cap22/download.html">rapport fuité du Comité Action Publique 2022</a> (CAP22). On y trouve une vingtaine de fois le terme « manager », dans un rôle conçu spécialement pour l’environnement que nous venons de voir. L’idée principale est de donner au cadre le dernier levier de pression sur son équipe qui lui manque encore : la gestion du recrutement et des revenus des agents. Il est ainsi prévue de</p>
<blockquote>
<p>« donner la possibilité au management de négocier des accords dérogatoires au cadre de la fonction publique, sur l’ensemble des points du statut […] de recruter, faire évoluer et promouvoir les talents sans autres contraintes préalables que celles de droit commun, de sa responsabilité et des moyens alloués ».</p>
</blockquote>
<p>Mais cette réforme prévoit également d’augmenter la pression sur les épaules des cadres eux-mêmes, directement par leurs revenus et les carrières, tout en les éloignant du terrain :</p>
<blockquote>
<p>« Il faut renforcer la professionnalisation des personnels de direction et des gestionnaires d’établissement et leur assurer un déroulement de carrière plus attractif afin qu’ils jouent pleinement leur rôle de manager et d’accompagnement de leur équipe pédagogique. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, dans un contexte de rupture des performances, et face au dilemme entre l’augmentation des budgets ou la baisse des performances, CAP22 préconise de renforcer le double système de pression qui s’applique aux cadres : moyens de pression sur ses équipes, mais aussi moyens de pression sur ses propres épaules.</p>
<h2>Une « gouvernance par les nombres »</h2>
<p>La réforme de l’État actuellement en discussion utilise le « manager », cadre de la fonction publique, comme levier principal d’action. Quelles que soient les intentions individuelles de ces derniers, ils seront contraints d’accentuer les effets qui se font déjà sentir, parfois au détriment de leurs équipes pédagogiques et des élèves dont ils ont la charge.</p>
<p>Tout ceci renvoie à ce qu’Alain Supiot désigne par la <a href="https://www.college-de-france.fr/site/alain-supiot/La-gouvernance-par-les-nombres-film.htm">gouvernance par les nombres</a> : « Prospère sur ces bases un nouvel idéal normatif, qui vise la réalisation efficace d’objectifs mesurables plutôt que l’obéissance à des lois justes ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xeG-azZ41f8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La gouvernance par les nombres – Introduction.</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/106018/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Gossa a reçu des financements de l'Etat. Il est membre du Conseil d'Administration de l'Université de Strasbourg, et du SNESUP.</span></em></p>Faire toujours mieux avec moins de moyens : avec ses objectifs chiffrés, le nouveau management public est l’une des toiles de fond du malaise enseignant. Analyse à l’heure de la réforme de l’État.Julien Gossa, Professeur associé en informatique, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1055432018-10-24T12:38:57Z2018-10-24T12:38:57ZViolences scolaires : en 1883 déjà, au lycée Louis‑le‑Grand<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/241997/original/file-20181024-48718-1kk5dpv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C27%2C958%2C738&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Réputé pour son élitisme, le lycée parisien Louis-le-Grand a aussi une longue histoire, parfois mouvementée.</span> <span class="attribution"><span class="source">Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Établissements huppés et punitions élevées ne sont pas des garanties contre la violence des élèves. Il existe de nombreux exemples historiques de cet état de fait, depuis le XVII<sup>e</sup> siècle jusqu’à la période contemporaine, et j’en ai fait amplement mention dans <em>Histoires vraies des violences à l’Ecole</em>, publié en 2007 aux éditions Fayard. Retour sur quelques-uns de ces épisodes.</p>
<h2>Une période historique pour l’exemple</h2>
<p>On se contentera ici du moment « ferryste » de l’institution républicaine et laïque, précédée de la période que l’on a appelée « l’Ordre moral » (lorsque la Troisième République proclamée n’était pas encore aux mains des républicains)</p>
<p>On peut suivre l’une des « révoltes » les plus célèbres de ce temps-là dans le « saint des saints » des lycées de France, le lycée Louis-le Grand, à partir des rapports de son proviseur. Cela commence dans la soirée du 17 janvier 1883 par un chahut qui prend de l’ampleur suite à une injustice ressentie par les élèves. Le proviseur appelle sept agents de police et procède à l’expulsion des plus turbulents ; cinq élèves sont mis aux arrêts – au « cachot »-, ce qui a pour effet d’accentuer le désordre.</p>
<p>Trois cents élèves « insurgés » se rendent dans les dortoirs : les vitres, les vases de nuit, les lavabos sont cassés et jetés, les matelas sont éventrés à coups de couteau. Les agents de police, renforcés par des troupes nouvelles (ils sont alors soixante) bloquent les « émeutiers » dans un dortoir. Armés de tessons de vase et de barres de fer arrachés aux lits, les élèves se battent contre eux. Les dégâts matériels sont évalués à 20 000 francs or, soit le revenu annuel moyen de 10 enseignants. Les sanctions suivent rapidement : 89 élèves sont exclus définitivement de Louis-le-Grand et 13 autres de tous les lycées de Paris. Des mesures qui n’empêcheront toutefois pas une autre révolte, cinq ans plus tard.</p>
<h2>Un air du temps républicain laxiste et délétère ?</h2>
<p>Les conservateurs de l’époque mettent en cause l’air du temps délétère, voire laxiste, depuis que les républicains ont pris le pouvoir. Le journal <em>Le Gaulois</em> du 15 mars 1883 accuse :</p>
<blockquote>
<p>« Les collégiens de Louis-le-Grand se battent contre les agents de ville. On enseigne à l’écolier qu’il a des droits, et il fait des barricades dans son dortoir pour chasser ses maîtres ; on lui défend de croire en Dieu, et il ne respecte plus personne. »</p>
</blockquote>
<p>Le journal royaliste « Le Clairon » du 14 mars est encore plus direct :</p>
<blockquote>
<p>« Les auteurs responsables de cette révolte sont Jules Ferry et Paul Bert qui ont eu un écho funeste dans le cerveau si facilement irritable de ces adolescents en fringale d’émancipation prématurée. »</p>
</blockquote>
<p>Le 1<sup>er</sup> décembre 1882, le journal conservateur <em>L’Abbevillois</em> avait déjà pris prétexte d’une manifestation quelque peu débridée dans un lycée de jeunes filles de Montpellier pour s’en prendre au nouveau pouvoir républicain :</p>
<blockquote>
<p>« Une directrice d’externat déplacée harangue les externes qui démolissent les barrières, brisent les vitres et vomissent des obscénités à la face de la directrice de l’internat. Elles ont beuglé la Marseillaise. Ces infantes, élevées sur les genoux de la République dans le culte des idées nouvelles que résume la formule “Ni Dieu ni Maître”, promettent de fières épouses aux infortunés crétins qui voudraient bien les honorer de leur confiance. Que de promesses, sapristi, dans les incartades de ces Louise Michel en herbe pour qui l’insurrection est déjà le plus sacré des devoirs ! »</p>
</blockquote>
<h2>Révoltes contre l’Ordre moral ?</h2>
<p>En réalité, et quoi qu’en disent les conservateurs de l’époque, la plupart des révoltes lycéennes ont eu lieu soit sous la Monarchie de Juillet et l’Empire, soit surtout pendant la période de l’Ordre moral, au début des années 1870, avant même que les républicains ne triomphent dans la République. Plus d’une centaine de révoltes ont eu lieu dans les lycées de 1870 à 1888 (sur guère plus d’une centaine de lycées en France !..), ce qui atteste de l’ampleur du phénomène.</p>
<p>Or de 1870 à 1879 (année de la fin de l’Ordre moral et de l’avènement de la Troisième République triomphante) on comptabilise 80 révoltes lycéennes sur la centaine recensées durant la période concernée (de 1870 à 1888). Les révoltes au moment de la Troisième République triomphante sont donc en réalité très minoritaires : pour la plupart, elles ont eu lieu avant, bien avant.</p>
<h2>Un taux de punitions très élevé</h2>
<p>Il convient sans doute de rapprocher cette comptabilité des révoltes d’une autre comptabilité, celle des punitions, qui sont extrêmement nombreuses, massives, omniprésentes. L’exemple approfondi offert par Louis Secondy dans son <em>Histoire du lycée de Montpellier</em> – un lycée tout à fait ordinaire, et réservé là comme ailleurs aux « fils de famille » – est éloquent.</p>
<p>Pour le seul premier semestre de l’année 1877-1878, les peines infligées au lycée se détaillent ainsi : « division supérieure : 962 retenues simples, 305 privations de promenade, 54 privations de sortie, 4 exclusions (moyenne : 3,5 punitions par élèves en cinq mois). Division de grammaire : 1 102 retenues, 400 privations de promenade, 23 de sortie, 6 exclusions (moyenne : 5,3 punitions par élève). Division élémentaire : 1 400 retenues, 261 privations de promenade, 15 de sortie (moyenne : 7,3 punitions par élève).</p>
<h2>Les révoltes sont parfois très violentes</h2>
<p>Les révoltes sous l’Ordre moral, qui ont lieu dans des établissements secondaires n’accueillant pourtant guère alors que des « fils de famille », peuvent être très violentes. Dans un lycée marseillais, rapporte ainsi le recteur d’académie à son ministre, </p>
<blockquote>
<p>« Les internes se sont rendus au cabinet où dormait le maître répétiteur, qu’ils ont frappé violemment. Profitant ensuite de ce qu’il était étourdi par les coups, ils l’ont ligoté, traîné sur le parquet et lui ont coupé à moitié la barbe. Enfin le censeur, le surveillant général, et d’autres maîtres, réveillés par le tapage sont accourus et ont réussi, non sans peine, après avoir enfoncé la porte, à rétablir l’ordre. Il était temps : les élèves avaient passé la corde au cou du maître et délibéraient s’ils le jetteraient par la fenêtre !</p>
<p>À Bastia, dans la nuit du 15 au 16 novembre 1874, la première division cherche à étrangler son maître et l’assaille à coups de chaise ! Le recteur reste persuadé que les élèves ont voulu le tuer. En février 1880, il suppose le même projet chez les élèves du même établissement. »</p>
</blockquote>
<p>À Auch, le 14 février 1870, les lycéens de la première division se ruent sur un maître en salle d’étude et lui portent des coups violents avec des morceaux de bois. « Cette exécution terminée, sans que les efforts des maîtres présents aient pu l’empêcher ou en modérer la violence, les élèves du premier quartier sont rentrés dans leur étude et l’ordre n’a plus été troublé ».</p>
<p>Mais la période de l’Ordre moral – on le sait – n’a pas eu le monopole de ces révoltes violentes. On peut citer – entre autres – celle qui a bouleversé le collège d’Amiens en 1835, aux proportions assez inquiétantes. Elle commence dans une salle d’étude par des cris « À bas les maîtres ! » « Un élève armé d’un canon de fusil fait sortir le maître d’étude. Des barricades se dressent faites de bancs et de tables. Le proviseur fait enfoncer la porte. Les collégiens brûlent du papier dans les tables renversées et assaillent le proviseur de dictionnaires et morceaux de bois. Le proviseur les conjure d’éteindre le feu. En vain : il est de nouveau assailli, et, finalement, blessé. Il alors recours à la force armée – douze militaires – et aux parents qui finissent par persuader leurs enfants de se rendre</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105543/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La violence scolaire épargne-t-elle les établissements les plus cotés ? Un arsenal sévère de sanctions décourage-t-il les débordements adolescents ? Non, comme le montre ce détour historique.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1045102018-10-09T16:18:56Z2018-10-09T16:18:56ZCyberviolence verbale : comment lutter contre ses différentes facettes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239759/original/file-20181008-72103-2cyo9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C25%2C5725%2C3802&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les rumeurs qui circulent en ligne ciblent deux fois plus les filles que les garçons.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/editor/image/image-negative-impact-cyber-violence-on-308220608?ref=download&task=filter">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La cyberviolence verbale est la forme de violence la plus répandue au sein du web et des réseaux sociaux. Elle prend différentes formes : des insultes qui sont parfois envoyées par salves et qui relèvent du <em>flaming</em>, du <em>roasting</em> (voir ci-dessous) et de l’automutilation digitale, notamment chez les plus jeunes.</p>
<p>Ces violences peuvent être combattues de différentes manières : par voie juridique, par la modération et par le signalement des contenus discriminants et illicites, par l’éducation des plus jeunes à l’esprit critique, aux médias et à l’information ou encore à l’empathie.</p>
<h2>Les insultes</h2>
<p>L’insulte peut être définie comme un terme impliquant un jugement de valeur négatif, un terme métaphorique, métonymique, ou encore hyperbolique, qui associe une personne à des animaux ou à des objets connotés négativement ou perçus comme dégoûtants. C’est un acte social porteur de conséquences, un acte intentionnel, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00941836/document">réalisé en vue de blesser</a>.</p>
<p>L’insulte revêt souvent une <a href="https://journals.openedition.org/mots/1084">dimension stéréotypée</a> et peut être classée en quatre catégories :</p>
<ul>
<li><p>l’« ethnotype » qui renvoie à l’appartenance géographique de la personne insultée ;</p></li>
<li><p>le « sociotype », lié à sa fonction sociale ou à sa profession ;</p></li>
<li><p>le « sexotype », renvoyant à son genre ou à son orientation sexuelle ;</p></li>
<li><p>l’« ontotype », lié à son être ou à son essence même.</p></li>
</ul>
<p>Les ethnotypes, sexotypes et ontotypes occupent une place importante dans la cyberviolence, notamment dans la cyberviolence entre adolescents.</p>
<p><a href="http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/60/3/DEPP_NI_2014_39_un_collegien_sur_cinq_concerne_par_la_cyberviolence_370603.pdf">Une enquête nationale de victimation en milieu scolaire</a> – réalisée par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) en 2013 – chiffrait à 7,4 % le nombre d’élèves ayant fait l’objet de surnoms méchants et à 9,7 % ceux ayant fait l’objet d’insultes envoyées par SMS ou sur les réseaux sociaux. Cette étude précisait que ces insultes pouvaient être en lien avec l’origine, la religion, la tenue vestimentaire ou encore l’apparence physique, et que la cyberviolence semblait davantage toucher les filles que les garçons.</p>
<p>Les mêmes conclusions émanent des travaux de <a href="https://www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/fichiers/etude-cybersexisme-web.pdf">Sigolène Couchot-Schiex et Benjamin Moignard (2016)</a> : 1 fille sur 5 (20 %) a fait l’objet d’insulte sur son apparence physique (poids, taille ou toute autre particularité physique) contre 1 garçon sur 8 (13 %). Les rumeurs qui circulent en ligne ciblent deux fois plus les filles (13,3 %) que les garçons (6,3 %). Les insultes sexistes et les rumeurs ciblant les filles participent souvent d’un phénomène nommé le <em>slut shaming</em> et peuvent être la conséquence d’un acte de <a href="https://theconversation.com/sexting-revenge-porn-une-cyberviolence-sexiste-et-sexuelle-92207"><em>revenge porn</em></a>. On blâme alors celle qui a osé poser nue devant un appareil photo ou une caméra.</p>
<h2>Le flaming</h2>
<p>Le <em>flaming</em> est une pratique qui consiste à envoyer, au sein d’un forum de discussion ou de la zone de commentaires d’un blog ou d’un site, une série de messages insultants, voire haineux, dans le seul but de provoquer un conflit ouvert.</p>
<p>Cela n’est pas sans rappeler le trolling, à la seule différence près que ce dernier a plutôt pour objectif de créer une controverse interminable jusqu’à rendre impossible la discussion et que les propos peuvent être provocateurs sans être nécessairement insultants ou haineux. Mais, dans le langage courant, les flamers sont souvent qualifiés de trolls.</p>
<p>Le flaming peut cibler un groupe ou une catégorie de personnes ou s’abattre sur une seule et même personne. <a href="http://www.madmoizelle.com/marion-seclin-cyber-harcelement-658755">La déferlante de commentaires insultants, misogynes et haineux</a> provoquée par la publication d’une vidéo intitulée « #TasÉtéHarceléeMais… t’as vu comment t’étais habillée ? » postée par la YouTubeuse Marion Seclin sur le webzine <em>Madmoizelle</em> en juillet 2016 illustre assez bien le phénomène. Tout comme les centaines de messages d’insulte et de menaces de viol et de mort reçues par la journaliste Nadia Daam à l’automne 2017, suite à sa chronique acide contre les membres du forum <em>Jeuxvideo.com</em>. Deux de ses cyberharceleurs <a href="http://www.leparisien.fr/faits-divers/violences-en-ligne-les-cyberharceleurs-de-nadia-daam-condamnes-03-07-2018-7805916.php">ont d’ailleurs été condamnés</a> à six mois de prison avec sursis et 2 000 euros de dommages et intérêts par le tribunal de grande instance de Paris.</p>
<p>Pour dénoncer cette violence verbale dont sont victimes en ligne de nombreuses femmes, et plus particulièrement de nombreuses féministes, la journaliste Éloïse Bouton a ouvert un <em>Tumblr</em> intitulé <a href="https://payetontroll.tumblr.com/"><em>Paye ton troll</em></a> en 2017. Elle expliquait à la rédaction de <a href="https://www.numerama.com/politique/233866-paye-ton-troll-ce-tumblr-lutte-contre-le-cyberharcelement-des-feministes.html">Numerama</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ça fait des années que je suis trollée sur Internet parce que je suis féministe, j’ai même porté plainte pour menace de mort, des plaintes qui n’ont pas eu de suites […] Le simple fait de mettre un hashtag #féminisme sur Twitter lorsque je publie un article déclenche la plupart du temps des trolls. Ce sont souvent des commentaires qui viennent de la fachosphère ou des sympathisants de la Manif pour tous »</p>
</blockquote>
<p>Le flaming relève du discours de haine sur Internet. Des forums, des blogs, des espaces de commentaires de sites web, des comptes ouverts sur réseaux sociaux numériques regorgent en effet de propos racistes, antisémites, sexistes, homophobes, transphobes qui échappent parfois à la modération et dont la visibilité est accentuée par la magie des algorithmes (plus un contenu est liké ou commenté, plus il sera visible).</p>
<p>Cependant, comme le souligne l’universitaire <a href="http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2015/02/lutter-contre-la-haine-sur-Internet.html">Olivier Ertzscheid</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a bien un discours de haine présent sur Internet. Comme d’ailleurs dans le PMU du coin. »</p>
</blockquote>
<p>Mais ce serait une erreur de leur accorder trop d’importance et de réduire l’expression des internautes à ce seul type de discours, ces « phénomènes relevant de l’infinitésimal » à l’échelle du web. Il ne faut donc pas confondre l’importance quantitative avec l’importance qualitative.</p>
<h2>Le roasting</h2>
<p>De l’anglais <em>roast</em> (« se moquer », « ridiculiser »), le terme <em>roasting</em> est aujourd’hui utilisé pour qualifier une nouvelle pratique apparue il y a quelque temps au sein des réseaux sociaux et consistant à demander à être ridiculisé publiquement.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239761/original/file-20181008-72121-1re7zjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239761/original/file-20181008-72121-1re7zjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239761/original/file-20181008-72121-1re7zjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239761/original/file-20181008-72121-1re7zjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239761/original/file-20181008-72121-1re7zjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239761/original/file-20181008-72121-1re7zjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239761/original/file-20181008-72121-1re7zjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des jeunes souvent pris à leur propre jeu, et dépassés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Concrètement, il s’agit de poster une photo de soi-même sur laquelle on n’est pas à son avantage, de la hashtagger <em>#roastme</em> et, donc, d’inviter ses contacts à la commenter négativement. Sur Twitter, le hashtag est parfois suivi de mention comme <em>« show no mercy »</em> (« ne montrez aucune pitié »), <em>« feel free to roast me mercilessly »</em> (« sentez-vous libre de me ridiculiser sans aucune pitié »), <em>« trash talk me »</em> (dites-moi des saloperies ») ou encore <em>« put me on blast »</em> (démolissez-moi »).</p>
<p>Cette pratique semble avant tout viser à faire rire. Pour certains, il s’agit d’imiter les <em>roasts</em> télévisés américains dans lesquels un humoriste se moque ouvertement d’une célébrité présente sur le plateau, laquelle doit se soumettre au jeu et encaisser les « coups » sans rien dire.</p>
<p>Pour d’autres, il s’agit de s’engager dans une « joute verbale » inspirée des <em>battles</em> entre rappeurs : « Who up for a epic roast battle ? » (« Qui est partant pour un combat d’insultes épique ? »), demande par exemple un twittos à ses followers.</p>
<p>Il n’est cependant pas impossible que les choses s’enveniment, que les commentaires, obéissant à une logique de surenchère, deviennent insultants, voire humiliants et aboutissent au phénomène de <em>flaming</em> que nous venons de décrire. Cela peut heurter la sensibilité des plus jeunes participants et les blesser. Le jeu qu’ils ont initié peut alors <a href="https://abcnews.go.com/Lifestyle/parents-roasting-cyberbullying-trend/story?id=49407671">se retourner contre eux</a>.</p>
<h2>L’automutilation digitale</h2>
<p>L’automutilation digitale a été révélée en 2013 suite au suicide de la jeune Hannah Smith, initialement imputé à un cyberharcèlement dont elle aurait été victime. Mais l’enquête a révélé que les insultes et incitations au suicide qu’elle recevait en ligne <a href="https://www.7sur7.be/7s7/fr/1522/Societe/article/detail/1801815/2014/02/27/L-ado-qui-s-est-suicidee-s-auto-harcelait-sur-Ask-fm.dhtml">émanaient principalement d’elle-même</a>. La jeune fille postait des questions sur le réseau social <em>Ask.fm</em> (<em>ex : « Que pensez-vous de moi ? »</em>) et y répondait elle-même via un compte anonyme qu’elle avait ouvert : « Va mourir », « attrape un cancer », « bois de l’eau de Javel »…</p>
<p>Une étude réalisée en 2017 auprès de 6 000 élèves américains âgés de 12 à 17 ans a révélé que 6 % d’entre eux avaient déjà publié anonymement en ligne des propos blessants à leur propre encontre. Parmi ces 360 élèves à s’être adonnés à cette pratique, 51 % ont déclaré ne l’avoir fait qu’une seule fois, 36 % ont déclaré l’avoir fait à plusieurs reprises et 13 % ont reconnu le faire régulièrement (<a href="https://www.jahonline.org/article/S1054-139X(17)30313-0/fulltext">Patchin, Hinduja, 2017</a>).</p>
<h2>De nouveaux outils contre la cyberviolence verbale</h2>
<p>Les discours de haine sont des délits punis par la loi, mais les modalités de publication de l’information au sein du web <a href="http://www.renaissancenumerique.org/ckeditor_assets/attachments/187/note_seriously_juillet2017.pdf">compliquent bien souvent la mécanique régulatrice</a> des propos haineux par l’ordre juridique : anonymat, flux continu, dimension internationale des plates-formes de réseautage social.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239764/original/file-20181008-72127-2k3a13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239764/original/file-20181008-72127-2k3a13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239764/original/file-20181008-72127-2k3a13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239764/original/file-20181008-72127-2k3a13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239764/original/file-20181008-72127-2k3a13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239764/original/file-20181008-72127-2k3a13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239764/original/file-20181008-72127-2k3a13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De nouveaux outils se mettent en place pour combattre la cyberviolence verbale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Ces dernières ont de toute évidence un rôle clé dans la lutte contre les cyberviolences qui se déroulent la plupart du temps en leur sein. On peut citer les <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/10/03/facebook-deploie-de-nouveaux-outils-contre-le-harcelement_5363889_4408996.html">dernières mesures prises par Facebook</a> contre l’intimidation et le harcèlement : possibilité de masquer ou de supprimer plusieurs commentaires à la fois sous un post, ou encore possibilité de signaler un contenu jugé injurieux publié sur le compte d’un ami.</p>
<p>Rappelons également la possibilité pour tout internaute de signaler tout contenu suspect ou illicite par le biais de la plate-forme <a href="https://www.interieur.gouv.fr/A-votre-service/Ma-securite/Conseils-pratiques/Sur-Internet/Signaler-un-contenu-suspect-ou-illicite-avec-PHAROS">PHAROS</a> mise à disposition par l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC).</p>
<h2>L’éducation à l’esprit critique… et à l’empathie</h2>
<p>La lutte contre la cyberviolence passe aussi par l’éducation des plus jeunes, et notamment par l’<a href="http://eduscol.education.fr/cid107295/former-l-esprit-critique-des-eleves.html">éducation à l’esprit critique</a>. L’enjeu est de leur permettre de prendre de la distance par rapport aux contenus qu’ils consultent, mais aussi qu’ils relayent, likent et publient eux-mêmes.</p>
<p>Certains établissements scolaires, partenaires de l’association <a href="https://www.respectzone.org/en/etablissements-scolaire-labellises/">Respect Zone</a>, forment dans cette perspective leurs élèves à l’automodération et à l’autodéfense en ligne afin qu’ils prennent le réflexe de réfléchir avant de « cliquer » et sachent que faire lorsqu’ils se retrouvent victimes de violence en ligne. <a href="http://eduscol.education.fr/cid72525/education-aux-medias-information.html">L’éducation aux médias et à l’information</a> (EMI) qui vise, entre autres, à apprendre aux élèves à publier de l’information de manière citoyenne et responsable, dans le respect de la vie privée, du droit à l’image et de la dignité de chacun, est aussi une arme efficace.</p>
<p>Autre levier d’action : l’éducation à l’empathie. Il s’agit d’apprendre à se mettre à la place des autres dont le visage n’est pas visible et dont les émotions sont inaccessibles en contexte numérique ; être capable d’imaginer l’impact que la publication de tel ou tel contenu aura sur eux.</p>
<p>Enfin, favoriser le développement de l’<a href="https://eviolence.hypotheses.org/626">estime de soi</a> chez les plus jeunes est également pertinent, pour lutter, par exemple, contre l’automutilation digitale : parce qu’une bonne « estime de soi » – c’est-à-dire une évaluation positive de soi-même, de son mérite et de sa valeur – va directement influer sur la « confiance en soi » (sentiment que l’on est capable d’agir) et sur l’« affirmation de soi » (capacité à exprimer ses besoins et désirs aux autres tout en respectant les leurs).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104510/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bérengère Stassin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La cyberviolence verbale, qui est la forme de violence la plus répandue au sein du web et des réseaux sociaux, peut être combattue de différentes manières.Bérengère Stassin, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, membre du CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/953092018-05-02T19:38:54Z2018-05-02T19:38:54ZL’autorité en salle de classe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/216715/original/file-20180428-135810-14606gu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=45%2C10%2C2287%2C1545&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'autorité, vue par Rémi Malingrëy.</span> <span class="attribution"><span class="source">Rémi Malingrëy.</span>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span></figcaption></figure><p>Avoir de l’autorité en salle de classe est une belle chose pour un enseignant et ses élèves. Cette influence qu’il exerce sur eux lui permet de les mettre dans les meilleures conditions pour qu’ils puissent <a href="https://www.puf.com/content/La_philosophie_de_l%C3%A9ducation">bien apprendre tous ensemble, avec lui</a>.</p>
<p>Afin de mettre en œuvre au mieux cette importante compétence pédagogique qui concerne sa pratique scolaire de tous les jours, il lui revient de travailler sur quatre registres de son intervention. Pour avoir de l’autorité dans sa classe, le « prof » doit <a href="http://www.anne-carriere.fr/ouvrage_net_oublions-pas-les-bons-profs-nicolas-mascret-161.html">avoir des autorités</a>.</p>
<h2>Le savant</h2>
<p>Il n’y pas d’enseignant qui ait autorité sur ses élèves s’il ne fait autorité sur la matière qu’il enseigne. C’est d’abord son savoir qui fonde son autorité. Son intérêt et sa culture personnelle, le parcours universitaire qu’il a suivi, les diplômes qu’il possède et les concours qu’il a passés attestent de son haut niveau de compétences dans la <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/pourquoi_des_professeurs/pourquoi_intro.html">discipline qu’il enseigne</a>. Et c’est tant mieux.</p>
<p>Car l’élève est toujours attentif, reconnaissant ou admiratif devant son professeur quand il en sait beaucoup et qu’il est parfois comme un savant dans sa discipline ; que ce soit en mathématiques, en philosophie ou en éducation physique et sportive. La puissance de sa connaissance fait la reconnaissance de l’élève.</p>
<h2>Le didacticien</h2>
<p>Mais tout peut se défaire si ce savant du savoir est un ignorant de sa transmission. Il n’y pas de rapport d’évidence dans ce domaine. La force du « bon prof » vient de sa capacité à transformer <a href="http://rdm.penseesauvage.com/La-transposition-didactique.html">son savoir savant en savoirs scolaires</a>. Qu’il sache construire des tâches d’apprentissage et mettre en œuvre des pratiques pédagogiques stimulantes qui soient au service des connaissances de ses <a href="https://www.decitre.fr/livres/apprendre-9782710124283.html">élèves</a>.</p>
<p>Les outils peuvent être divers : le tableau noir ou le TBI, la craie ou la souris, le cahier ou la tablette, le stylo ou le clavier, la page du livre ou la page Internet, le dictionnaire de la classe ou le <a href="http://eduscol.education.fr/pid28931/apprendre-avec-des-tablettes-tactiles-des-tni.html">moteur de recherche Google</a>. C’est la bonne utilisation de l’outil qui valide sa pertinence pédagogique.</p>
<p>Les stratégies peuvent être nombreuses : de la transmission orale à la recherche en groupes, en passant par l’investigation personnelle. Les mises en situation peuvent être multiples : le magistral, le conflit cognitif, l’obstacle, le contrat, la coopération, le soutien, l’émulation, la compétition, etc.</p>
<p>Avec, en souci surplombant, la différenciation qui permet à l’enseignant d’être au plus près du rapport personnel que chacun de ses élèves entretient avec ses <a href="https://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/OUVRAGES/Perrenoud_1997_A.html">propres apprentissages</a>. Côté enseignant, ce qui doit être toujours au rendez-vous c’est l’intelligence et la multiplicité des outils qu’il utilise. Côté élève, ce qui doit être toujours au rendez-vous, c’est la volonté, le goût, la joie, la passion qu’il a d’apprendre et de réussir le plus possible.</p>
<h2>Le légiste</h2>
<p>Une salle de classe est une petite société éducative. Et parce qu’il y a société, il y a <a href="https://www.lalibrairie.com/livres/les-jeunes-et-l-autorite--aspects-culturels_0-1055588_9782240721747.html?ctx=05f89e37d2e59cb6a1fc0aa764cda757">lois</a>. Tout enseignant ne peut faire autrement qu’être un légiste. Quelqu’un qui construit du législatif de classe pour pouvoir bien y enseigner : de la maternelle à l’université. Qu’il le sache ou non, qu’il le veuille ou pas, qu’il le fasse implicitement ou explicitement, il n’y a pas d’enseignant qui ne crée des lois dans l’espace où il intervient. Une <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Sanctions_et_discipline__l__cole-9782707158499.html">classe sans règles</a> est impossible car sans elles maîtres et élèves ne peuvent ni apprendre seul, ni apprendre ensemble, ni apprendre avec lui.</p>
<p>Ce climat législatif peut s’exprimer de plusieurs manières. Un simple froncement réprobateur de sourcils peut parfois suffire pour rappeler ce que l’on ne peut pas faire. Des règles de vie clairement affichées au mur des classes élémentaires peuvent aider à y inscrire concrètement le permis et l’interdit. La loi générale qui prévaut est que nul ne peut faire ce qu’il veut comme il le veut.</p>
<p>Un élève peut-il arriver ou partir à l’heure qu’il décide ? Parler en cours comme il veut ? Venir sans ses affaires de travail ? Refuser des enseignements ? Téléphoner avec son portable ? Manger en classe ? Crier à sa guise ? Casser du matériel ? Insulter ses congénères ? Frapper ses semblables ? Non. Car s’il le fait, il altère les règles qui lui permettent d’entretenir un <a href="https://edu.academy/regles-de-base-dun-comportement-classe/">rapport cognitif et collectif au savoir</a>.</p>
<p>Quant à l’enseignant, s’il est celui qui établit des lois de classe, il est aussi celui qui s’y soumet. Législativement, il est l’égal de ses élèves.</p>
<h2>L’arbitre</h2>
<p>Parce qu’il y a loi, il y a <a href="http://www.cahiers-pedagogiques.com/L-autorite-educative-declin-erosion-ou-metamorphose">arbitrage</a>. L’enseignant est l’arbitre des lois de classe qui ont été établies. Par sa fonction, il est toujours placé en situation de celui qui estime, approuve ou désapprouve ce qui se passe. Que ce soit lorsqu’il évalue un travail, régule des comportements, gère des conflits ou des violences. Il est régulièrement sollicité sur les registres de l’exact et de l’inexact, du permis et de l’interdit, du vrai et du faux, <a href="https://www.amazon.fr/Autorit%C3%A9-conduite-classe-Franck-L%C3%A9onard/dp/2091217700/ref=sr_1_fkmr0_1?s=books&ie=UTF8&qid=1524730382&sr=1-1-fkmr0&keywords=l%C3%A9onar+autorit%C3%A9+et+conduite+de+classe">du juste et de l’injuste</a>.</p>
<p>Avec, en trame de fond <strong>la lucidité, la neutralité et le courage</strong> comme garants du bon fonctionnement de cette régulation. La lucidité, pour la clairvoyance dans les appréciations qu’il porte. La neutralité, pour l’impartialité des décisions qu’il a à prendre. Le courage, pour le passage à l’acte de la sanction quand elle est nécessaire.</p>
<p>Dans ce contrat arbitral, la sanction est souvent la mal <a href="https://www.puf.com/content/La_sanction_en_%C3%A9ducation">aimée</a>. Autant par celui qui la donne que par celui qui la reçoit. Elle entame le rapport de bonnes dispositions que le maître entretient avec l’élève et entame le rapport de liberté que l’élève entretient avec lui-même. Mais quand l’acte est important ou grave, la sanction est aussi incontournable que nécessaire.</p>
<p>Trop souvent perçue comme essentiellement punitive, la sanction a pourtant d’importantes fonctions éducatives. Elle répare le lien éthique, politique et social rompu par un élève entre le maître, le savoir, les autres élèves et la classe en général.</p>
<p>Avoir de l’autorité dans une salle de classe est le contraire même de l’autoritarisme pédagogique. C’est une belle chose qui ressort de la démocratie scolaire où l’enseignant enseigne et les élèves apprennent sereinement dans un climat de classe cultivé, pertinent, régulé, conséquent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95309/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Barreau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Tout enseignant doit travailler sur plusieurs registres de son intervention : pour avoir de l’autorité dans sa classe, il doit avoir des autorités.Jean-Michel Barreau, Professeur en Sciences de l'éducation, spécialiste des normes et valeurs scolaires., Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.