tag:theconversation.com,2011:/us/topics/pierre-bourdieu-48879/articlesPierre Bourdieu – The Conversation2022-10-09T15:06:53Ztag:theconversation.com,2011:article/1907782022-10-09T15:06:53Z2022-10-09T15:06:53ZHandicap psychique : une navigation encore difficile dans le monde du travail<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484854/original/file-20220915-19-o6eowh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C1280%2C850&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les personnes souffrant de troubles psychiques se sentent en décalage avec leur environnement professionnel, ajoutant de la souffrance à la souffrance.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Magnet.Me / Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La 33<sup>e</sup> édition des <a href="https://www.semaines-sante-mentale.fr/sism-2/edition-2022/">Semaines d’information sur la santé mentale</a> s’ouvre ce lundi 10 octobre pour quinze jours, avec cette année un focus particulier mis sur les conséquences de la crise environnementale. Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0887618520300773">recherches</a> l’ont montré, elle s’est ajoutée à la liste des facteurs à l’origine de troubles psychiques, en pleine expansion à une époque où les conséquences de la crise sanitaire se font toujours sentir.</p>
<p>Les troubles psychiques, au total, concerneraient aujourd’hui une <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/psycho-bien-etre/sante-mentale/sante-mentale-quatre-choses-a-retenir-du-rapport-de-l-oms-qui-alerte-sur-la-souffrance-de-millions-de-personnes-dans-le-monde_5203588.html">personne sur huit</a> (13 % de la population mondiale) d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et les personnes qui en souffrent, au-delà d’un problème de santé, rencontrent également toujours des difficultés sur le marché de l’emploi, objet de nos dernières <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/joms.12851">recherches</a>.</p>
<p>Notons d’ores et déjà que la chose semble particulièrement problématique, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/emploi-20395">l’emploi</a> étant particulièrement <a href="https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.2975%2F32.1.2008.59.62">bénéfique quant à la gestion de ces troubles</a>. Il structure l’environnement d’un individu, suscite en lui un sentiment d’appartenance, lui donne des objectifs, et contribue à son indépendance financière.</p>
<p>Nos travaux s’appuient sur la sociologie de Bourdieu, et montre comment les normes sociales, ainsi que les structures dont elles découlent et qui assurent leur perpétuation, contraignent la participation du marché du travail des personnes en situation de handicap psychique.</p>
<h2>Difficulté de socialisation, dévalorisation</h2>
<p>Dans ses ouvrages tels que <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html"><em>La distinction</em></a> ou <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Reproduction-1952-1-1-0-1.html"><em>La reproduction</em></a>, Pierre Bourdieu expliquait la position des individus dans l’espace social à partir du concept de « capital ». Il désigne par-là les ressources utilisées par les individus pour se positionner dans l’espace social. Il y a certes ses revenus, son « capital économique », mais aussi l’ensemble du réseau sur lequel il peut s’appuyer, le « capital social », et les connaissances, éléments de langage ou références intellectuelles qu’il maîtrise et qui sont socialement valorisables, soit le « capital culturel ».</p>
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<p>Ce que notre article démontre, à partir de 257 questionnaires envoyés en Europe, en Asie, en Océanie et en Amérique du Nord, c’est que les personnes ayant des troubles psychiques subissent une dévalorisation de ces différents capitaux au travail. Concernant leur capital social, par exemple, elles avancent faire face à des difficultés de socialisation et de construction des relations sociales dans l’environnement de travail. Un enquêté témoigne :</p>
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<p>« Il y a besoin d’être sociable, ici, je ne le suis pas, je devrais quitter ce travail. »</p>
</blockquote>
<p>Les règles sociales sont mal comprises et peuvent donner lieu à des comportements inappropriés des personnes. Une autre participante nous avoue trop s’attacher à ses collègues. Contrôler ses émotions devient de plus en plus compliqué, et la sensibilité au stress s’accroit :</p>
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<p>« Je ne peux pas contrôler mes émotions, je pleure, je me mets en colère, j’ai des crises de panique. »</p>
</blockquote>
<p>Les normes du champ de l’emploi semblent en fait en décalage avec le fonctionnement des personnes en situation de handicap psychique. C’est de là que provient la dévalorisation des capitaux.</p>
<h2>Intériorisation, dissimulation</h2>
<p>Ce que prouvent aussi ces réponses est que les personnes en situation de handicap psychique sont conscientes de leur incapacité à se conformer aux normes du groupe dominant (les personnes sans handicap psychique). Elles vont tenter de s’y adapter, plutôt que de demander au marché du travail d’intégrer leurs spécificités. Ce manque d’adaptation constitue, au sens de Bourdieu, une forme de « violence symbolique » envers ces personnes.</p>
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<p>« Je ne peux pas m’adapter au monde du travail et ils ne s’adapteront pas à moi, alors je suppose que je suis juste laissé de côté. »</p>
</blockquote>
<p>Les personnes intériorisent, légitiment et normalisent leur position défavorisée, se blâmant elles-mêmes sur leur incapacité à suivre ces normes, plutôt que de remettre en question les structures sociales à l’origine des difficultés qu’ils rencontrent.</p>
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<p>« Que voulez-vous que je te dise ? Que je risque de m’absenter assez souvent ? Que je peux avoir besoin de pauses pour ne pas avoir à rentrer plus tôt à la maison ? En quoi cela a-t-il une chance de correspondre au travailleur idéal ? Je n’aurai jamais de promotion. »</p>
</blockquote>
<p>Cette intériorisation renforce les difficultés de participations dans l’emploi, conduisant notamment les personnes à cacher leur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/handicap-29474">handicap</a> pour éviter toute dévaluation. Les efforts consacrés à la dissimulation des troubles ont des effets contreproductifs, ils créent notamment une mauvaise interprétation par les collègues des comportements professionnels affichés :</p>
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<p>« Mes collègues pensent que je suis paresseux, grossier et égoïste. »</p>
</blockquote>
<h2>Sensibilisation, solution</h2>
<p>Quelles solutions ? À notre sens, la stigmatisation persistante qui entoure les troubles psychiques exige que l’on sensibilise les gestionnaires et les collègues à ces questions. Il s’agit de réduire les croyances négatives et d’inciter les personnes à parler ouvertement de leurs difficultés.</p>
<p>Que les organisations reconnaissent ces troubles, offrent des aménagements sur le lieu de travail et s’assurent que tous les employés connaissent les politiques et les pratiques en place, telles sont des voies de progrès que nous identifions. Les personnes n’étant pas conscientes des normes qui guident leurs actions, cela peut aussi passer, par exemple, par s’efforcer de rendre leur lieu de travail plus inclusif en proposant des modalités de travail plus souples, en modifiant la conception du poste ou en donnant aux personnes le choix de la manière dont elles préfèrent communiquer. L’intégration des personnes atteintes de maladie psychique dans la création des politiques et pratiques à ce sujet est susceptible de garantir un changement durable.</p>
<p>Enfin, les personnes en situation de handicap psychique pourraient elles-mêmes être sensibilisées à l’existence de ces normes sociales et formées à les remettre en question par le biais d’ateliers visant à travailler leur « locus de contrôle », c’est-à-dire leurs croyances vis-à-vis de ce qui détermine les évènements de leur vie professionnelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190778/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Près d’une personne sur huit souffre aujourd’hui de troubles psychiques. Une étude montre que ce handicap, le plus souvent intériorisé, complique l'intégration sur le marché de l’emploi.Sarah Richard, Enseignant-chercheur en RH, directrice de bachelor à l'EM Strasbourg, Université de StrasbourgMustafa Ozbilgin, Professor of Organisational Behaviour, Brunel University LondonSophie Hennekam, Enseignant-Chercheur en gestion, Rennes School of BusinessLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1771852022-04-05T18:41:47Z2022-04-05T18:41:47Z« Les Héritiers » : ce que Bourdieu et Passeron nous ont appris de l’inégalité des chances<p>Vingt ans après la disparition de Pierre Bourdieu, voici l’occasion de se pencher à nouveau sur l’un de ses ouvrages les plus commentés, co-écrit avec Jean-Claude Passeron, <em>Les Héritiers, les étudiants et la culture</em>, paru aux Éditions de Minuit en 1964. Bien au-delà du cercle restreint des sociologues, ses analyses firent émerger des débats passionnés sur l’école et restent, près de soixante ans plus tard, <a href="https://silogora.org/les-heritiers-de-bourdieu-et-passeron/">d’une grande actualité</a>. Car l’inégalité sociale dans le cadre scolaire demeure un fait patent, aujourd’hui comme hier.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pierre Bourdieu, portrait par Bernard Lambert.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c0/Pierre_Bourdieu_%281%29.jpg">Bernard Lambert/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La thèse de Bourdieu et Passeron est simple et remet en question les théories à la mode à cette époque : les inégalités devant l’école ne se réduisent pas à l’insuffisance de ressources économiques mais elles sont aussi <a href="https://journals.openedition.org/lectures/728">redevables à des raisons d’ordre social</a>. À la description du fait inégalitaire, les deux sociologues associent la définition d’un concept d’une grande valeur heuristique : l’« héritage culturel ».</p>
<p>Les héritiers sont les « élus », ceux qui ont hérité par leur milieu familial de manières de dire et de faire, de savoirs et de savoir-faire, de goûts culturels, qui sont exigés et valorisés par le système scolaire, ce qui leur donne un privilège dans leur rapport à l’école.</p>
<p>Il faut ainsi comprendre que le capital culturel sert directement la réussite et les tâches scolaires. L’école se trouve donc prise dans les mécanismes de reproduction, puisqu’elle suppose acquise la culture qu’elle doit enseigner. Ainsi, la culture scolaire est frappée du sceau de l’arbitraire culturel : contenus et formes scolaires ne relèvent pas totalement du mérite scolaire mais de l’action du privilège culturel, c’est-à-dire cet héritage qui se transmet de manière discrète et indirecte, sans action manifeste du milieu familial.</p>
<h2>Implicites culturels</h2>
<p>L’exemple récent de l’impact des inégalités sociales au cours de la crise sanitaire du Covid-19 valide cet implicite de l’éducation révélé par les auteurs. Au-delà des contraintes matérielles et de la fracture numérique qui ont particulièrement touché les élèves de milieux défavorisés pendant le confinement (manque de matériels pour travailler, difficultés de connexion, manque de place à domicile), il convient de souligner que c’est surtout la moindre maîtrise des codes culturels qui <a href="https://theconversation.com/inegalites-scolaires-des-risques-du-confinement-sur-les-plus-vulnerables-135115">a accéléré les difficultés scolaires</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inegalites-scolaires-des-risques-du-confinement-sur-les-plus-vulnerables-135115">Inégalités scolaires : des risques du confinement sur les plus vulnérables</a>
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<p>17 % des élèves de second degré ont déclaré avoir eu des <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797670?sommaire=4928952">difficultés de compréhension</a> des cours contre 9 % de ceux d’origines très favorisées et 13 % d’origines favorisées. « Nul doute que la vraie fracture a été dans l’aide apportée à l’enfant en dehors des sessions scolaires » <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/covid-19-un-amplificateur-des-inegalites-scolaires">note Éric Charbonnier</a>, analyste éducation à l’OCDE.</p>
<p>Il n’y a donc pas de nouveauté pour les sociologues, <a href="https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/covid-19-la-parole-a-la-science/le-confinement-aggrave-t-il-les-inegalites-scolaires">nous rappelle</a> Anne Barrère : malgré la « bonne volonté » des enfants et des parents de milieux populaires conscients de la centralité de l’école, ceux-ci se heurtent à beaucoup de malentendus sur les consignes, les attentes des enseignants, sur ce que l’on appelle en sociologie, les implicites culturels, dévoilés par Bourdieu et Passeron depuis les années 1960.</p>
<p>La thèse des <em>Héritiers</em> est aussi fondée empiriquement sur un ensemble de données d’enquêtes statistiques et monographiques. Certes, des critiques méthodologiques sévères ont été portées à leur encontre, en raison d’un manque de rigueur dans le contrôle empirique de leurs hypothèses, de la constitution de leurs échantillons non aléatoires, limités parfois aux seuls étudiants de philosophie et de sociologie, de <a href="https://books.openedition.org/pumi/8028">l’analyse de certaines distributions statistiques</a>. Cependant, l’ouvrage reste une référence obligée sur le plan empirique, renouant avec la tradition durkheimienne, où il est démontré, notamment dans <em>Le Suicide</em>, que la spéculation théorique sur le social ne peut remplacer l’observation systématique des faits.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">Le mérite est-il encore un idéal démocratique ?</a>
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<p>Grâce à un calcul innovant qui présente les chances scolaires objectives d’accéder à l’université selon la profession du père, les auteurs montrent en particulier que les catégories sociales les plus représentées dans l’enseignement supérieur sont les moins représentées dans la population active. Ils en concluent que le système scolaire opère objectivement une élimination d’autant plus totale que l’on va vers les classes les plus défavorisées. Un fils de cadre supérieur a alors 40 fois plus de chances d’entrer à l’Université qu’un fils d’ouvrier.</p>
<h2>Inflation scolaire</h2>
<p>« <em>Les Héritiers</em> construisent la sociologie de l’enseignement supérieur sur la base du fait soigneusement mesuré de l’inégalité devant l’école. Fait incontournable aujourd’hui comme hier, lorsque l’on se donne la peine de recommencer les mesures », <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1999_num_128_1_3055_t1_0144_0000_4">écrivait Roger Establet</a> en 1998 dans la préface de l’ouvrage <em>Les nouveaux étudiants</em>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-culture-de-masse-et-societe-de-classes-le-gout-de-lalterite-172438">Bonnes feuilles : « Culture de masse et société de classes. Le goût de l’altérité »</a>
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<p>En 2020, 34 % des étudiants sont enfants de cadres supérieurs alors que leurs parents forment seulement 18 % des actifs. 12 % des étudiants ont des parents ouvriers, ceux-ci <a href="https://www.inegalites.fr/Les-milieux-populaires-largement-sous-representes-dans-l-enseignement-superieur?id_theme=17">représentant 21 % de la population active</a>. Malgré les réformes engagées et la réduction des écarts, l’accès aux diverses orientations de l’enseignement supérieur, en particulier aux formations supérieures prestigieuses, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03367672/document">demeure inégalitaire</a>. D’après les données du Ministère, en 2020, 52 % des étudiants en Classes préparatoires aux Grandes Écoles et 51 % des étudiants en Médecine ont des parents cadres contre respectivement 7 % et 5 % d’étudiants d’origine ouvrière.</p>
<p>En 1990, ces proportions étaient <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1999_num_128_1_3055_t1_0144_0000_4">sensiblement les mêmes</a>. Cette sociologie rigoureuse et perspicace interpelle donc d’hier à aujourd’hui la société universitaire tout entière. Des années 1960 à nos jours, le fond de carte de l’inégalité des chances et des capitaux culturels demeure, alors que l’enseignement supérieur <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2010-2-page-71.htm">s’est transformé</a> ces dernières années.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/choix-detudes-orientation-professionnelle-donnons-aux-jeunes-le-droit-de-se-tromper-174930">Choix d’études, orientation professionnelle : « Donnons aux jeunes le droit de se tromper »</a>
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<p>On ne peut en effet que constater la hausse du nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur français due en partie à l’augmentation de la <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2017/07/05072017Article636348537981187767.aspx">proportion de bacheliers</a> dans une génération (de 65 à 79 % entre 2010 et 2017). Qui dit généralisation, dit également hétérogénéité et diversification des publics étudiants. Et la figure de « l’héritier » – représenté à l’époque par l’étudiant en lettres, archétype du rapport à la culture analysé par les auteurs – semble dépassée.</p>
<p>En effet, <a href="http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/106-decembre-2015.pdf">« les nouveaux étudiants »</a> présentent aujourd’hui des profils composites, des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/11/14/precarite-pres-de-20-des-etudiants-vivent-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete_6019163_4355770.html">conditions de vie</a> et d’étude jugées difficiles, comme en témoignent les manifestations récentes en France, suite à l’immolation par le feu d’un étudiant de 22 ans pour dénoncer ses difficultés financières. L’inflation des titres scolaires s’est poursuivie également : le master devient le cap à atteindre pour une majorité d’étudiants français (60 % des diplômés de licence poursuivent en master).</p>
<h2>Sélectivité croissante</h2>
<p>Face à cet afflux, l’Université française a entériné la voie de la professionnalisation, mais aussi celle de la sélectivité. La sélection à l’entrée en Master 1 est adoptée depuis 2016 et depuis 2017, près d’un millier d’étudiants attendent d’avoir une place en master, faute d’avoir réussi à faire valoir leur droit à la poursuite d’études. Plus encore, depuis 2018, la <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/loi-relative-l-orientation-et-la-reussite-des-etudiants-49850">Loi ORE</a> (Orientation et Réussite des Étudiants) entérine une sélection par les choix d’orientation, en fixant des attendus pour chaque licence, visant à orienter les candidats futurs bacheliers, qui doivent désormais formuler leurs vœux sur la plate-forme Parcoursup.</p>
<p>Le bilan de la Loi ORE qui cherchait notamment à réduire le <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2017/11/21/41-6-des-bacheliers-reussissent-leur-premiere-annee-de-licence_5218170_4401467.html">taux d’échec en première année</a> universitaire questionne : moins d’un tiers des étudiants français obtiennent en 2016 leur licence en trois ans et seulement 42 % de ceux inscrits en L1 passent en L2 à la fin de l’année.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage sur le décrochage universitaire et un dispositif pour y remédier (France-3 Bourgogne Franche-Comté, 2018).</span></figcaption>
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<p>Ces statistiques, stables depuis plus de dix ans, s’expliquent en partie par l’échec des bacheliers technologiques et professionnels, le plus souvent issus de milieux défavorisés socialement et culturellement, déjà assimilés aux « nouveaux » acteurs de la sélection universitaire <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_2000_num_41_4_5318">au début des années 2000</a>. Désorientés et vulnérables, mal préparés à l’apprentissage du métier d’étudiant et au caractère faiblement intégrateur de l’institution universitaire, ils connaissent de fortes désillusions auxquelles leur milieu familial ne les a pas préparés.</p>
<p>La libéralisation progressive des accès n’a donc que peu modifié l’existence des chances inégales associées à l’origine sociale. Ainsi que l’écrivaient Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans leur ouvrage, « l’autorité légitimatrice de l’École peut redoubler les inégalités sociales parce que les classes les plus défavorisées, trop conscientes de leur destin et trop inconscientes des voies par lesquelles ils se réalisent, contribuent par là à sa réalisation ».</p>
<p>En 1989, dans un entretien, Bourdieu dira à propos des <em>Héritiers</em> : « le livre a eu beaucoup de succès. Il a été lu par toute une génération et il a fait l’effet d’une révélation alors qu’il ne disait rien de très extraordinaire : les faits étaient assez bien connus de la communauté scientifique. On disposait depuis longtemps d’enquêtes sur l’élimination différentielle des enfants selon leur milieu d’origine ».</p>
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<span class="attribution"><span class="source">Éditions de Minuit</span></span>
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<p>Pourtant, <em>Les Héritiers</em> ont fait voler en éclats le mythe de l’égalité des chances scolaires et si l’école reste encore aujourd’hui la voie royale de la démocratisation de la culture, « la seule à pouvoir créer ou développer selon les cas, l’aspiration à la culture, même la moins scolaire » <a href="https://books.openedition.org/pumi/8028?lang=fr">dira Pierre Bourdieu</a> à l’occasion d’un colloque en 1965, elle consacre toujours, en les ignorant, les inégalités initiales devant la culture. Elle continue de le faire même si la transmission culturelle ne fonctionne pas mécaniquement, que des rapports de forces internes à la cellule familiale, que des processus d’identification peuvent fausser la <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2013-2-page-225.htm">reproduction sociale</a> des héritiers ou au contraire permettre des réussites non prévues d’enfants dont les parents <a href="https://blogacabdx.ac-bordeaux.fr/0240068u/wp-content/uploads/sites/63/2017/05/La-r%c3%a9ussite-scolaire-en-milieux-populaires-B.Lahire.pdf">cumulent les handicaps</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177185/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Erlich ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vingt ans après la disparition du sociologue et malgré la massification de l’enseignement supérieur, les analyses de Pierre Bourdieu sur les inégalités d’accès aux études restent très actuelles.Valérie Erlich, Maîtresse de conférences en Sociologie, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1694702021-10-13T11:56:05Z2021-10-13T11:56:05ZLoin de « l’éternel paysan », la figure très paradoxale de l’agriculteur français<p>Au carrefour d’injonctions et de projets sociaux contradictoires, la figure de l’agriculteur ne peut-être que paradoxale. Les agriculteurs sont autant parlés qu’ils ne parlent. L’imaginaire fleurit au gré du pouvoir et des intérêts des groupes sociaux et des politiques qui énoncent ce que sont ou doivent être les agriculteurs. </p>
<p>Certains stéréotypes ont la vie dure, parce que les <a href="https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=5532667">images sociales</a> qui y sont associées ont des fonctions renouvelées. Alors même que l’agriculture a été tant de fois révolutionnée depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, la littérature, la <a href="https://histoire-image.org/fr/etudes/paysan-entre-histoire">peinture</a>, les émissions télé, la <a href="http://www.theses.fr/2018TOU20067">fiction</a> et aujourd’hui le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/agriculture-et-economie-des-champs-34-portraits-dagriculteurs">documentaire</a> ne cessent de reprendre la figure de l’éternel paysan, de Zola à Depardon. Mais il convient de la différencier chronologiquement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Raymond Depardon évoque son ouvrage « Rural » paru en 2020 (Fondation Cartier, 2020).</span></figcaption>
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<h2>Inclassables agriculteurs</h2>
<p>Les paysans ont longtemps été compris comme séparés, inclassables sur l’axe séparant capital et travail. Ni bourgeois, ni prolétaire, détenteur de ses moyens de production mais n’exploitant finalement que lui-même et/ou sa famille, l’agriculteur résiste à la polarisation sociale du capitalisme. En conséquence, la sociologie échoue depuis longtemps <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1975_num_1_4_3422">à classer les agriculteurs</a>.</p>
<p>On peut étendre la difficulté au-delà de la position dans les rapports de production puisque les agriculteurs seraient aussi, comme <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html">l’écrivait Pierre Bourdieu</a>, une </p>
<blockquote>
<p>« population totalement étrangère à la culture légitime et même, pour l’essentiel, à la culture moyenne ».</p>
</blockquote>
<p>Population dépossédée d’elle-même dans la production de son image sociale, les agriculteurs se plient dans cette perspective à une image définie par les dominants sur eux-mêmes. Le mot même de paysan peut alors fonctionner comme une insulte, signifiant à la fois la maladresse, l’inculture, le corps lourd et finalement l’inadaptation à la société urbaine. C’est tout le propos de la <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1977_num_17_1_2572">« classe objet »</a> de Pierre Bourdieu, pour qui</p>
<blockquote>
<p>« la folklorisation, qui met la paysannerie au musée et qui convertit les derniers paysans en gardiens d’une nature transformée en paysage pour citadins, est l’accompagnement nécessaire de la dépossession et de l’expulsion ».</p>
</blockquote>
<p>En ce sens, l’ethnologie muséographique n’est que l’instrument pour la construction d’une image paysanne au goût de la bourgeoisie entérinant la position de dominés des agriculteurs.</p>
<h2>« Paysan », un mot requalifié</h2>
<p>Avec la disparition même de la condition paysanne, cet état de fait des années 1960 et 1970 a été réinventé à l’aune d’intérêts économiques et politiques, renversant la signification du mot paysan.</p>
<p>L’univers paysan ou vigneron est aujourd’hui abondamment utilisé dans l’industrie du luxe alimentaire, du fromage au lait cru jusqu’aux <a href="https://www.belin-editeur.com/la-bourgogne-et-ses-vins">vins fins</a>, mettant en scène le régional, l’authentique, le simple, comme garant du bon dans un système d’opposition construit depuis le régionalisme culturel et la <a href="https://www.abebooks.fr/9782746712188/Voyages-gastronomies-Linvention-capitales-r%C3%A9gions-2746712180/plp">gastronomie régionale</a> contre les produits sophistiqués et artificiels.</p>
<p>De même, le sociologue Jean-Claude Chamboredon avait tôt signalé, notamment dans le <a href="https://www.presses.ens.fr/462-actes-de-la-recherche-a-l-ens_territoires.html">cas de la Provence</a>, le lien entre désindustrialisation, empaysannement des populations, ensauvagement des paysages et développement de l’industrie touristique.</p>
<p>Ou encore, le syndicalisme agricole alternatif requalifie aujourd’hui le mot de paysan, renversant le stigmate, pour justement en faire le garant d’une production à taille humaine, <a href="http://www.theses.fr/2015EHES0124">contre la mondialisation et la dépendance au capitalisme alimentaire</a>.</p>
<p>Ainsi, une grande partie de l’univers paysan est aujourd’hui l’objet d’un marketing positif, autant commercial que politique, et qui du <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2003-3-page-435.htm">vin de vigneron</a> au <a href="https://journals.openedition.org/labyrinthe/212">retour du bon pain</a> jusqu’au <a href="https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2012-1-page-207.htm?contenu=resume">producteur bio en AMAP</a> se plaît à mettre en avant l’opposition à l’industrie, à l’exploitation et au capitalisme, faisant du paysan un nouvel acteur moderne de la réinvention productive, une esthétique presque naturelle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Saint-Nazaire et le maraîchage bio (Saint-Nazaire et Agglomération/Youtube, 2019).</span></figcaption>
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<h2>La critique sociale du productivisme</h2>
<p>Ce stéréotype paysan pluriel est pourtant loin d’épuiser les représentations communes des mondes agricoles, marquées par des institutions aux enjeux divers. Cela est particulièrement vrai du côté des politiques publiques qui ont tout changé de leurs injonctions en quelques décennies.</p>
<p>Alors même qu’il s’agissait, des années 1960 au début des années 2000, de précipiter l’abandon des petites exploitations pour la concentration foncière et le développement productiviste armé par la science et les techniques – transformant les paysans en agriculteurs modernes au prix d’une réduction drastique de leur nombre, en 1962 la part des agriculteurs exploitants dans l’emploi <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1283207">était de 16 %</a> , en <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806717">2019, elle n’est plus que de 1,5 %</a> –, il convient désormais d’emprunter un tout autre chemin, pour transformer les agriculteurs en autant de gardiens de la planète par <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-a-comme-agroecologie-165114">l’agroécologie</a>.</p>
<p>Une somme de représentations est donc venue se greffer sur ces enjeux, allant de la critique sociale du modèle productiviste et de <a href="https://www.decitre.fr/livres/reprendre-la-terre-agriculture-et-critique-sociale-9791092726442.html">l’agriculture capitaliste la plus concentrée</a> – une agriculture industrielle de la démesure et polluante, générant maladie pour les êtres humains et destruction de la biodiversité –, jusqu’à la critique de l’assistanat pour ces entrepreneurs aux marchés insuffisants pour soutenir leur activité sans l’aide de la puissance publique.</p>
<p>Cette <a href="https://journals.openedition.org/etudesrurales/11195#xd_co_f=MWNiYmFjODAtZTkwOS00ZTRkLWFlNjAtMDY1MmM0NjVhNDhl%7E">image médiatique contemporaine</a> d’entrepreneurs pollueurs et assistés a remplacé celle des paysans modernisés des années 1970 et fonctionne comme une blessure d’orgueil pour ces capitalistes inachevés, ces champions déchus du productivisme, toujours dépendants des politiques publiques, contraints à la <a href="http://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/lembourgeoisement-une-enquete-chez-les-cerealiers/">diversification entrepreneuriale</a>.</p>
<h2>Misérabilisme syndical</h2>
<p>Cette diffraction de l’image sociale des agriculteurs est aussi le produit de stratégies syndicales. On peut même parler d’un « misérabilisme syndical » comme stratégie de communication tant le discours sur la pauvreté, l’<em>agribashing</em>, la faiblesse des revenus ou encore le sur-suicide des agriculteurs est reproduit <a href="https://www2.dijon.inrae.fr/cesaer/membres/nicolas-deffontaines/">sciemment</a> pour soutenir des revendications.</p>
<p>Ainsi, paradoxalement, les discours les plus positifs sur l’agriculture et les agriculteurs sont <a href="https://theconversation.com/vers-un-tournant-rural-en-france-151490">construits par de nouveaux entrants</a> qui essayent de réinventer le monde dans les campagnes. Accueillir le peuple des doux rêveurs n’est pas neuf pour l’agriculture. Les néoruraux ont tenté, dès les années 1970, une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1984_num_25_2_3807">réinvention alternative</a> de la vie sociale dont la fonction nourricière de l’agriculture était un des pivots à cette autonomie anti-institutionnelle.</p>
<h2>Le projet agricole comme un renversement de l’ordre social</h2>
<p>Aujourd’hui, le développement de projets alternatifs en agriculture ne cesse de gagner du terrain : pour s’installer, comme le font des enfants de la bourgeoisie urbaine au sein des AMAP, et maintenir ainsi leurs dispositions sociales en se faisant les <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2014-4-page-51.htm">producteurs agricoles</a> de cette même bourgeoisie.</p>
<p>Ou encore pour se faire salariés agricoles, comme ces bergers très diplômés qui voient dans un métier <a href="http://www.theses.fr/s226755">au cœur des alpages</a> un renversement de l’ordre social, un <em>great job</em> à l’opposé des métiers parasitaires que sont les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bullshit_jobs"><em>bullshit jobs</em></a> de la finance.</p>
<p>Aussi surprenant que cela puisse paraître pour le sociologue particulièrement affûté des hiérarchies sociales, certains docteurs en sciences sociales préféreront aujourd’hui s’installer agriculteur que devenir chercheur.</p>
<p>L’agriculture, par sa matérialité, par le mythe de l’indépendance, par la relation à la nature, continue de donner un sens concret à l’activité, et en cela, garde un fort pouvoir d’attraction et d’espoir social.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169470/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Laferté ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ni bourgeois, ni prolétaire, détenteur de ses moyens de production mais n’exploitant finalement que lui-même et/ou sa famille, l’agriculteur résiste à la polarisation sociale du capitalisme.Gilles Laferté, Directeur de recherche en sociologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1171322019-06-23T20:20:11Z2019-06-23T20:20:11ZDébat : Ce que dit la sociologie sur les origines des inégalités scolaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/280083/original/file-20190618-118526-uk1kf9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C4%2C995%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'école échoue à faire entrer dans la culture écrite une part importante des jeunes, tout particulièrement ceux issus des classes populaires.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Pour désigner l’école française dans son organisation actuelle, l’expression usuelle d’« école unique » paraît tout à fait pertinente : il s’agit d’une institution ouverte à tous, proposant à chaque élève les mêmes programmes, les mêmes possibilités de parcours, et des maîtres formés à l’identique.</p>
<p>De tous ces points de vue, l’école unique se présente comme celle de l’égalité des chances. Son dispositif a été mis en place entre 1959, quand le <a href="https://www.vie-publique.fr/documents-vp/decret_berthoin.shtml">décret Berthoin</a> porte l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/histoires-d-info-l-ecole-obligatoire-jusqu-a-16ans-pour-augmenter-le-niveau-intellectuel-1967_1834879.html">obligation scolaire</a> à seize ans, invitant ainsi tous les élèves à prolonger leur parcours au-delà de l’enseignement élémentaire, et 1975, lorsque la réforme Haby institue le collège unique.</p>
<p>Mais plus d’un demi-siècle après sa naissance, l’école unique n’est en rien devenue celle de l’égalité des chances. Pire, elle échoue à faire entrer dans la culture écrite une part importante des élèves, tout particulièrement ceux issus des classes populaires.</p>
<h2>Capital linguistique</h2>
<p>La persistance des échecs populaires au fil des décennies, malgré toutes les mesures censées y mettre un terme, pourrait inviter à y voir quelque phénomène naturel et inévitable. On évoquera alors le caractère peu surmontable des handicaps socioculturels qui affectent les publics en échec.</p>
<p>Outre l’expérience quotidienne et sans cesse réitérée des difficultés d’apprentissage des élèves concernés, cette conviction peut se nourrir chez les enseignants de la description savante des inégalités culturelles et linguistiques.</p>
<p>Dès le début des années 1960 en effet, le sociolinguiste <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Langage_et_classes_sociales-1940-1-1-0-1.html">Basil Bernstein</a> insistait sur le lien entre compétences langagières et inégalités scolaires, en tirant notamment argument d’une infériorité lexicale des classes populaires constatées depuis les années 1920. <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Reproduction-1952-1-1-0-1.html">Pierre Bourdieu et Jean‑Claude Passeron</a> évoquaient à sa suite « l’inégale distribution entre les différentes classes sociales du capital linguistique scolairement rentable ».</p>
<p>Voilà qui ne fournit cependant pas la preuve d’une incapacité cognitive insurmontable des élèves d’origine populaire. Les inégalités socioculturelles pourraient donner à comprendre des inégalités de réussite scolaire – tous les jeunes par exemple décrochant <a href="https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_2013_num_459_1_10011">leur bac</a>, seuls les « héritiers » obtenant une mention. Mais ce à quoi on a affaire aujourd’hui est autre chose, une véritable opposition entre échec et réussite, le premier pouvant être assez radical dans un nombre très conséquent de cas.</p>
<p>La question posée n’est donc pas celle des inégalités entre les publics accueillis par l’école. Il s’agit de savoir si ceux qui arrivent avec le moins de ressources en ont néanmoins suffisamment, ou pas, pour entrer normalement dans la culture écrite.</p>
<h2>Dispositifs pédagogiques</h2>
<p>Sur ce point, la <a href="https://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article273">convergence des conclusions</a> des approches linguistiques, sociologiques ou cognitives est frappante : le langage oral, quel que soit les variations de son usage, fournit par lui-même les outils essentiels de la pensée humaine que sont la capacité d’abstraction, d’analyse réflexive, et le raisonnement logique.</p>
<p>Tous les enfants entrent au CP munis de cet outillage mental, qui comprend tout ce que l’école a besoin de trouver, chez ses bénéficiaires, en matière de potentiel de pensée rationnelle, pour conduire de façon satisfaisante leur appropriation de la culture écrite.</p>
<p>Si elle n’y parvient pas, ce n’est pas le fait de l’incapacité des intéressés, mais de modèles pédagogiques qui ne parviennent pas à mobiliser les ressources intellectuelles des publics en difficulté.</p>
<p>Élucider le mystère de l’origine des inégalités scolaires implique donc de tourner franchement le regard vers l’institution scolaire, et d’ouvrir la boîte noire du processus de <a href="https://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article266">transmission et d’appropriation des savoirs</a>. Une sociologie véritablement critique se doit donc d’aborder de front la question des dispositifs pédagogiques qui se mettent en place sous le régime de l’école unique à la française, et des pratiques d’enseignement qui en découlent.</p>
<h2>Le cap du primaire</h2>
<p>Les destinées scolaires se jouent pour beaucoup dès le <a href="http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/39/7/DEPP_EF_85_2014_362397.pdf">primaire</a>. Elles dépendent plus particulièrement encore de l’entrée initiale dans la culture écrite au cours de l’année de CP. L’observation précise des pratiques d’enseignement de la lecture et de leurs effets sur les apprentissages différenciés des élèves permettent d’isoler celles qui sont le <a href="https://laviedesidees.fr/Le-B-A-BA-de-la-lecture.html">plus efficaces</a> envers les élèves des milieux populaires.</p>
<p>Or, ces pratiques efficaces sont aujourd’hui statistiquement minoritaires dans le système éducatif français. Il y a là une marge de progression très importante pour l’amélioration de l’entrée dans la culture écrite des élèves aujourd’hui les plus en difficultés.</p>
<p>Qu’en est-il pour l’enseignement secondaire ? Si les acquis cognitifs à l’entrée en sixième sont déterminants pour la suite du parcours scolaire, les <a href="https://journals.openedition.org/lectures/21601">inégalités scolaires</a> continuent néanmoins à se creuser au fil du collège et du lycée. Comment expliquer ce constat ? Certainement, là encore, par un examen précis du fonctionnement courant de l’école française.</p>
<p>S’adapter aux difficultés d’apprentissage des élèves vulnérables passe souvent par une modération des <a href="https://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article306">exigences intellectuelles</a>. Cela conduit inévitablement, sur le registre des contenus d’enseignement, à donner moins à ceux qui ont moins, et ainsi à creuser plus encore dans l’enseignement secondaire les inégalités scolaires déjà très visibles à l’issue du primaire.</p>
<p>Comment sortir de cette situation ? La sociologie n’a pas de modèles pédagogiques ou didactiques à proposer. Mais elle dispose d’une arme efficace : sa capacité d’investigation fouillée du réel, d’identification des contradictions et des points de blocage. De fait, il reste beaucoup à découvrir de ce qui se passe dans le secret de la classe, dans l’enseignement primaire comme dans le secondaire.</p>
<h2>Pratiques enseignantes</h2>
<p>L’éventail réel des pratiques enseignantes est un champ largement ouvert à l’investigation sociologique, s’agissant particulièrement de la diversité des modes de « bricolage » adoptés par ceux des maîtres attachés à la réussite effective des élèves les plus faibles. Une telle investigation gagnerait à interroger les effets de ces pratiques d’enseignement s’attachant à maintenir avec les publics populaires un fort niveau d’ambition cognitive.</p>
<p>Ce type d’enquêtes est plutôt rare en sociologie, notamment en France. Il y a là un enjeu crucial pour l’avenir du système éducatif, et un objet privilégié pour des recherches qui s’attacheraient à identifier des lieux où sont expérimentées des pratiques s’efforçant de rompre avec le paradigme pédagogique commun, à évaluer et interpréter leur efficace.</p>
<p>Cette perspective serait à même de mettre en évidence, par effet de miroir, l’intensité du caractère reproducteur des dispositifs et pratiques pédagogiques actuellement dominants dans le système scolaire. Et ainsi de décrire et soumettre à l’épreuve empirique les potentialités démocratiques de cette fameuse « pédagogie rationnelle » que P. Bourdieu et J.-C. Passeron appelaient de leurs vœux il y a maintenant plus d’un demi-siècle.</p>
<hr>
<p><em>Cet article, co-écrit avec le sociologue <a href="https://www.franceculture.fr/personne-jean-pierre-terrail.html">Jean‑Pierre Terrail</a>, a été publié suite à la Nuit Sciences et Lettres : « Les Origines », organisée le 7 juin 2019 à l’ENS, et dont The Conversation France était partenaire. Retrouvez ici quelques informations <a href="http://www.nuit.ens.fr/">sur l’événement</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117132/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Deauvieau est membre du Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire (<a href="https://www.democratisation-scolaire.fr/">https://www.democratisation-scolaire.fr/</a>). Il est membre de plusieurs conseils et comités scientifiques, dont le conseil scientifique de l'éducation nationale et celui de l'institut de recherche de la FSU. Il est co-directeur de la collection l'Enjeu scolaire à La Dispute Editeurs. </span></em></p>Loin de nous inciter au fatalisme en pointant les origines familiales des disparités entre les élèves, les sociologues invitent au contraire à penser des modèles pédagogiques s’adaptant à tous.Jérôme Deauvieau, Professeur de sociologie, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1120362019-02-20T23:41:47Z2019-02-20T23:41:47ZDébat : Accomplir un acte de recherche, qu’est-ce que ça veut dire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/259601/original/file-20190218-56215-a22mxt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2044%2C1364&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Pierre Bourdieu.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/home_of_chaos/10838566435">Flickr / La demeure du Chaos</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Selon la <a href="https://publications.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/d7d917da-c13b-11e8-9893-01aa75ed71a1/language-en">novlangue actuellement en usage</a> dans le monde académique, une recherche doit être socialement utile, réalisée à la demande de décideurs publics ou d’investisseurs privés pour résoudre des problèmes concrets. Elle est contractualisée, financée, programmée, évaluée, conduite conformément à des règles de déontologie et doit déboucher au plus tôt sur des savoirs ou des savoir-faire valorisables économiquement et sur lesquels peuvent s’exercer des droits de propriété.</p>
<p>Ce genre de travail ne vise plus à accomplir un acte de recherche, acte indéterminé au départ et conçu, en toute liberté, à partir du travail des chercheurs. Le but visé est prédéfini par d’autres et la recherche consiste à trouver les moyens appropriés pour atteindre ce but.</p>
<p>J’ai cherché dans ma bibliothèque quelques auteurs pouvant nous proposer une vision alternative de la recherche en sciences humaines et sociales et je voudrais vous faire partager mes lectures, en commençait par Pierre Bourdieu, un chercheur du siècle passé, dont le style de recherche est, me semble-t-il, en voie de raréfaction.</p>
<p>On cite encore beaucoup Bourdieu, mais on oublie ce qui était sans doute le cœur de sa dynamique de recherche et sur quoi il insistait dans ses séminaires : une indépendance farouche, inscrite dans une longue tradition académique, et déjà formulée avant lui par nombre de penseurs de renom.</p>
<h2>Autonomie académique</h2>
<p>La posture de Bourdieu est une exacerbation de l’idéal d’autonomie académique. Elle peut se résumer à quelques prescriptions simples et radicales, extrêmement difficiles à mettre en œuvre dans le contexte actuel de la recherche scientifique française, européenne ou états-unienne.</p>
<p>Accomplir un acte de recherche consistait, pour Bourdieu, à rompre avec les évidences véhiculées par les médias, avec les responsables politiques et technocratiques, l’appareil statistique d’état, ou encore par les professions établies. Il s’agissait aussi de s’affranchir de la doxa académique (livres et théories à la mode, grands auteurs, programme officiel des concours, hiérarchie des thématiques et des disciplines…), et d’échapper aux évidences véhiculées par des praticiens qui affrontent uniquement les <a href="https://books.google.fr/books/about/Le_m%C3%A9tier_de_sociologue.htm">problèmes inhérents à leur fonction</a>.</p>
<p>Ces transgressions méthodiques avaient pour but la production d’un résultat inédit. Non pas l’accomplissement immédiat d’une action socialement utile, mais la production d’une nouvelle représentation du monde, opérant un changement de perception qui, sur le long terme, pouvait déboucher sur de nouvelles possibilités d’action.</p>
<p>Bourdieu recommandait de faire preuve de réflexivité, autrement dit, de savoir qui l’on est et d’où l’on parle afin de mettre en suspens ses intérêts particuliers et de ne pas prendre ses opinions et celles de son groupe social d’appartenance pour des vérités établies. Pour lui, il était essentiel de remettre systématiquement en cause les choix de recherche que l’on fait, soit pour les justifier soit pour en marquer les limites. De tels efforts de réflexivité devaient permettre d’inscrire toute recherche dans un contexte historique, géographique et social précis <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1978_num_23_1_2609">afin d’éviter les généralisations abusives</a>.</p>
<p>Quant à la confusion des rôles, Bourdieu disait qu’on ne peut être en même temps chercheur et militant, chercheur et expert, ou encore, chercheur et consultant. Le militant défend des convictions. Il ne cherche pas, il sait. On demande à l’expert de dire le vrai sur la base d’une expertise. Le consultant est tenu de répondre rapidement aux questions de son client sans déborder du cadre contractuel. Nulle place dans ces trois cas pour des résultats incertains et controversés liés à une recherche en cours.</p>
<p>L’application à la lettre et en permanence de ces quelques prescriptions est quasi impossible, et Bourdieu lui-même s’est parfois laissé aller à <a href="https://blogs.mediapart.fr/michelrotfus/blog/280218/12-decembre-1995-discours-de-pierre-bourdieu-aux-cheminots-grevistes-paris">jouer les militants lors des grèves SNCF de 1995</a>, les <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1990_num_81_1_2925">consultants</a> lorsqu’il a enquêté <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1990_num_81_1_2923">sur Maisons Bouygues</a>, et les experts au savoir universel vers la fin de sa carrière lorsqu’il a prétendu couvrir, à lui seul, <a href="https://www.amazon.co.uk/Bourdieu-Critical-Perspectives-Edward-Lipuma/dp/0745611303">tout le champ des sciences sociales</a>.</p>
<p>Il n’en demeure pas moins que l’effort d’émancipation du chercheur qu’il appelait de ses vœux est la condition pour qu’une recherche puisse devenir un acte, au plein sens du terme.</p>
<p>La recherche sur commande est soumise à des normes qui forment un carcan autour d’elle : respect de la législation, des délais, des budgets, d’une déontologie ; contrôles de conformité, limitation à des préoccupations socialement légitimes, <a href="http://ec.europa.eu/research/participants/data/ref/h2020/other/guides_for_applicants/h2020-guide-appl16-msca-rise_en.pdf">impératif de conclusions utiles</a>.</p>
<p>La recherche n’est plus en avance sur son temps mais, dans l’air du temps. Le chercheur devient l’agent d’un donneur d’ordre, représentant d’une administration, d’une entreprise, d’un parti politique ou d’un syndicat. Dans ce rôle d’agent, il vise à résoudre des problèmes déjà identifiés, selon des voies et moyens programmables. Ce n’est pas inutile, c’est du service, du conseil et parfois de l’innovation, mais est-ce encore de la recherche ?</p>
<p>Selon Bourdieu, un chercheur pouvait accepter un financement sur projet, mais à la condition expresse de réemployer ensuite les informations recueillies à cette occasion dans le cadre d’un programme de recherche construit en dehors et à côté des prescriptions contractuelles. Ainsi, l’étude sur les maisons Bouygues est devenu un livre sur l’imparfaite <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/les-structures-sociales-de-l-economie-pierre-bourdieu/9782020412957">explication des faits sociaux par l’économie orthodoxe</a>.</p>
<p>Pierre Bourdieu et ses collègues ont pratiqué ce type de détournement transgressif à une époque ou les commanditaires laissaient souvent faire. Aujourd’hui, les clauses de confidentialité sont surveillées par des juristes. L’acharnement à contrôler tend à réduire la recherche à une prestation conforme au contrat qui l’encadre. La quête de savoir est hypothéquée par une bureaucratie qui semble déjà savoir ce qu’il faut chercher. Elle tend à éliminer tout ce qui n’est pas inscrit dans les axes prioritaires de la politique de recherche.</p>
<h2>Penseurs résistants</h2>
<p>Pour résister, il faut évoquer la figure de penseurs qui, tout autant que Pierre Bourdieu, ont défendu l’autonomie de la recherche. On pourrait citer Socrate, Abélard, Copernic et bien d’autres, mais j’ai choisi quelques auteurs plus inattendus dans le champ des sciences sociales et des humanités.</p>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Norbert_Elias">Norbert Elias</a> dans <em>La société de cour</em>, (page 100-107 de la traduction française) lance une invitation pressante à ne pas instrumentaliser le savoir lorsqu’il écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Produire l’analyse sociologique d’une situation, c’est mettre provisoirement en suspens toutes les connaissances socialement utiles en cette situation. Pour vendre, le commercial est obligé de se persuader de la valeur de ce qu’il vend et de développer de l’empathie pour ses clients ; pour bien fabriquer, l’artisan est obligé de se sacrifier à son art et de satisfaire à toutes ses exigences ; pour triompher, le soldat doit ne songer qu’à la bataille et le courtisan doit analyser chaque situation, afin d’éviter toute occasion de se dévaloriser face à autrui. Les connaissances instrumentales utilisées en vue d’atteindre des buts pratiques sont aussi des croyances typiques d’une position sociale. Elles ont un effet en retour d’enfermement du sujet connaissant dans les limites de sa condition ; elles renforcent l’ajustement du champ de conscience à une position dans le monde. C’est pourquoi toute investigation sociologique sérieuse sur le milieu social où l’on vit, commence par l’examen et l’explicitation des savoirs localement utiles. Cette explicitation n’est complète qu’au prix du renoncement aux avantages qu’on en pourrait tirer si l’on s’en servait, au lieu d’en montrer les déterminants. »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-00752275">James G. March</a>, alors Doyen de l’Université d’Irvine en Californie écrit en 1967 :</p>
<blockquote>
<p>« Une université n’appartient à personne, c’est une association d’hommes libres au sein d’une société destinée à encourager les traditions vénérables de l’étude. Une université n’est pas une agence du gouvernement. Les professeurs et le personnel ne sont pas des serviteurs de l’État, ils ne sont les serviteurs de personne. Ils servent un idéal et des traditions d’apprentissage qui ne sont subordonnés ni à un employeur, ni au titulaire d’une charge publique, ni à un parti quelconque. Un étudiant n’est pas un adolescent attardé, c’est un adulte intelligent et productif. Sa motivation est de permettre un futur meilleur, si possible avec l’aide de ses aînés, de ses enseignants, de ses parents et des gouvernants, mais sans eux si nécessaire. Une université ne peut être l’objet d’une négociation. C’est aux responsables politiques de décider s’ils sont prêts à en payer le prix. Quant à sa nature, il n’appartient à personne d’en décider. C’est une tradition dont nous avons hérité et dont nous assumons d’être les dépositaires. »</p>
</blockquote>
<p>Ce qui se passe dans la recherche française aujourd’hui est la simple et triste reproduction de ce qu’ont vécu les universitaires américains. L’appel à l’autonomie de James March doit être réactivé chaque jour, comme dans cette saisissante déclaration de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lewis_A._Coser">Lewis A. Coser</a> lors du congrès de l’American Sociological Association en 1990 :</p>
<blockquote>
<p>« Nous vivons une crise sans doute au moins aussi profonde que celles auxquelles nos pères sociologues et politiques ont du faire face, mais il est difficile de comprendre que c’est le cas si l’on consulte les derniers numéros de l’American Sociological Review et les autres grandes revues de la discipline. En fait, même s’il existe des exceptions honorables, en matière de pensée critique, nous sommes souvent contraints, tout comme dans la technologie électronique, de compter sur les importations : Habermas, Giddens ou Bourdieu servent de substituts aux produits critiques indigènes manquants. »</p>
</blockquote>
<p>Le travail de recherche critique est la base indispensable à une éducation à l’esprit critique et, comme l’écrit la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/la-philosophie-dans-tous-ses-emois-44-les-emotions">philosophe Martha Nussbaum</a> dans son livre <em>Not for profit. Why Democracy Needs the Humanites</em> (2010) :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a pas à choisir entre une éducation tournée vers le profit et une éducation tournée vers une bonne citoyenneté. Une économie florissante exige ces talents mêmes qui soutiennent la citoyenneté : les défenseurs de ce que j’appelle “l’éducation tournée vers le profit » ou, pour le dire plus précisément, l’éducation tournée vers la croissance économique, ont une conception appauvrie des moyens qui permettent d’atteindre leur but”. »</p>
</blockquote>
<p>J’ai réservé le dernier mot à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Howard_Becker">Howard S. Becker</a> qui, dans une conférence qu’il a donné en 2003 à l’European Sociological Association à Murcia déclarait :</p>
<blockquote>
<p>« Essayer de rendre la sociologie pertinente la rendra inévitablement et nécessairement insignifiante. Pourquoi ? Parce que nous examinerons les problèmes tels qu’ils ont été formulés par les autres. […] Faisons les meilleures recherches possibles et ne nous inquiétons pas de savoir si quelqu’un trouve nos résultats utiles. C’est la meilleure façon de produire des connaissances qui seront utilisables, un jour, si quelqu’un est prêt à les essayer. »</p>
</blockquote>
<p>Ce sont aujourd’hui les chercheurs américains qui portent la critique et c’est la recherche européenne qui est prise à son tour dans une gangue de conformisme. Il faudrait réagir alors même que, dans la pratique, c’est le nombre et le montant des contrats signés qui devient le critère réel d’évaluation des chercheurs et qui prend le pas sur la lecture et la discussion de leurs travaux.</p>
<p>L’article de Clémentine Gazlan sur les débats qui ont présidés à l’établissement des critères d’évaluation de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AEReS) montre à quel point la communauté des chercheurs en SHS est <a href="https://journals.openedition.org/sdt/1598">divisée face aux injonctions technocratiques</a>.</p>
<p>Un acte de recherche véritable ne peut se faire que le regard tourné vers le futur, dans l’indifférence aux injonctions du moment et quoi qu’il en coûte. La production de connaissances nouvelles ne peut être un acte anodin, une simple étape dans une carrière fonctionnarisée, une simple réponse à une offre de financement. Il faut vaincre la résistance du réel et ça peut faire mal, y compris au chercheur lui-même. C’est en ce sens qu’on peut dire, encore aujourd’hui, que la recherche est un sport de combat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112036/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Villette a rédigé sa thèse sous la direction de Pierre Bourdieu (1974-1978). Il bénéficie actuellement d'un Contrat de Recherche de l'European Commission, Horizon 2020, Research and Innovation Framework Programme, MSCA-RISE. </span></em></p>En défense de l’indépendance des chercheurs et de la recherche, tour d’horizon de quelques auteurs qui ont théorisé l’idéal académique.Michel Villette, Professeur de Sociologie, Chercheur au Centre Maurice Halbwachs ENS/EHESS/CNRS , professeur de sociologie, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1080932018-12-03T21:45:59Z2018-12-03T21:45:59ZEinstein et Dieu : un scientifique peut-il être croyant ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/248412/original/file-20181203-194925-1rr75kd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3546%2C2376&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Einstein</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Einstein_gyro_gravity_probe_b.jpg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Une lettre d’Einstein datant de 1954 <a href="https://www.christies.com/LotFinder/lot_details.aspx?intObjectID=6179788">sera mise aux enchères chez Christies’s</a> à New York aujourd’hui. Le physicien y écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Le mot Dieu n’est pour moi rien d’autre que l’expression et le produit des faiblesses humaines. »</p>
</blockquote>
<h2>Sa conception de la religion</h2>
<p>Lors d’une conférence à Zurich en 1979, <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/friedrich-durrenmatt/">Friedrich Dürrenmatt</a> osa dire d’Einstein : « Il parlait si souvent de Dieu que je le soupçonne presque d’avoir été un théologien déguisé. » En effet, le fameux physicien se sert avec complaisance du mot <em>Dieu</em>. C’est par exemple la phrase souvent répétée et qui sera commentée ici : « Je refuse de croire en un Dieu qui joue aux dés avec le monde », ou bien : « Dieu est subtil mais il n’est pas malveillant. » Ces fréquentes références n’indiquent qu’une tournure de langage à usage symbolique. De fait, il n’attribua jamais d’importance aux aspects formels d’une croyance. Pour lui, l’émerveillement devant les lois de l’univers doit tenir lieu de religion, cet élan mystique ayant pour corollaire un sentiment d’obligation morale envers les semblables.</p>
<h2>Ses années de formation</h2>
<p>Sa jeunesse le confronte à différentes religions : la foi juive familiale, puis un enseignement catholique dans une école de Munich suivi par un enseignement israélite au lycée ; sa première épouse sera grecque orthodoxe. Ce faisant, il découvrit que les récits bibliques ne concordaient pas avec l’image de la nature qu’il se faisait à partir d’écrits scientifiques. Son esprit refusant ce qu’il ne comprenait pas, il rejeta toute forme d’autorité religieuse. Nommé à l’université de Prague, il rejoignit la communauté hébraïque, les développements politiques et l’antisémitisme ambiant firent de lui un partisan engagé du sionisme. Ceci explique qu’à la fondation d’Israël, on lui proposa d’en devenir président, ce qu’il refusa arguant que la physique ne l’avait pas préparé à parler aux hommes.</p>
<h2>Un scientifique peut-il croire en Dieu ?</h2>
<p>Dans <em>Neige de printemps</em>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Yukio_Mishima">Yukio Mishima</a> esquisse un rapport entre Dieu et le hasard :</p>
<blockquote>
<p>« Parler du hasard, c’est nier la possibilité de toute loi de cause à effet. Le hasard est finalement l’unique élément irrationnel que peut accepter le libre arbitre… Ce concept du hasard, de la chance, constitue la substance même du Dieu des Européens, ils possèdent là une divinité qui tire ses caractéristiques de ce refuge si essentiel au libre arbitre ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/248420/original/file-20181203-194932-e4lv1h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/248420/original/file-20181203-194932-e4lv1h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=727&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/248420/original/file-20181203-194932-e4lv1h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=727&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/248420/original/file-20181203-194932-e4lv1h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=727&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/248420/original/file-20181203-194932-e4lv1h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=914&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/248420/original/file-20181203-194932-e4lv1h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=914&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/248420/original/file-20181203-194932-e4lv1h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=914&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Ishihara Mishima et l’ancien maire de Tokyo, Shintarō Ishihara, en 1956.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Yukio_Mishima#/media/File:Ishihara_Mishima.jpg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, le hasard, parce qu’il mesure notre ignorance, semble lié à l’idée de Dieu, sinon pourquoi prierait-on dans les moments incertains ? Mais justement, le scientifique s’attache à restreindre le domaine de l’inconnu. Une éclipse de Soleil s’interprétait comme un signe maléfique avant que la mécanique céleste l’ait rabaissé à un événement prédictible. Le hasard dépend de notre niveau de connaissance et il était sans doute plus naturel d’avoir la foi dans les temps anciens quand l’homme vivait dans un monde limité et plein de mystères. Aujourd’hui la science nous révèle un immense univers dont on comprend grosso modo le mode de fonctionnement. Elle déshumanise le monde, or l’idée de Dieu est éminemment humaine. Néanmoins, un sondage indique que la proportion de croyants parmi les scientifiques est la même que celle de la population générale, et un physicien recevant le Prix Nobel déclara : « Découvrir une loi scientifique, c’est lire ce qui est écrit dans le cerveau de Dieu. »</p>
<p>Dans un Univers entièrement déterministe et prédictible, il n’y a plus de place pour le surnaturel. La physique classique donne une réalité du monde connue de tout temps puisqu’on remonte vers le passé et on prédit l’avenir en appliquant les équations consacrées. Einstein voudrait qu’il en soit toujours ainsi, mais justement, le déterminisme strict bute sur le déroutant hasard quantique.</p>
<h2>Les limites de la science</h2>
<p>La mécanique quantique introduit un hasard obligatoire : on ne sait prédire la simple trajectoire d’un électron. La physique devient probabiliste, et seule la répartition d’une population d’électrons est calculable, soumise à un « déterminisme faible ». Cela semble indiquer l’existence d’une réalité qui existe au-delà de l’espace-temps, ou du moins au-delà de notre compréhension. Einstein s’est efforcé de rétablir le déterminisme fort dans l’infiniment petit en imaginant des « variables cachées », et sa réflexion sur Dieu joueur de dés cristallise sa suspicion envers le caractère aléatoire de la théorie. Prise au pied de la lettre, sa fameuse phrase suggère qu’il préférerait croire en Dieu !</p>
<p>Einstein défend la rationalité de la nature. La faculté d’invention humaine produit des concepts entre lesquels l’intelligence sélectionne la théorie qui par sa simplicité logique se montrera supérieure, l’expérience devant in fine la valider. L’étonnement devant cet aspect rationnel du monde tourne en admiration, et ceci reste, pour Einstein, l’une des plus fortes racines du sentiment religieux :</p>
<blockquote>
<p>« L’expérience religieuse cosmique est la plus noble, la plus forte qui puisse surgir d’une recherche scientifique profonde. Celui qui ne comprend pas les formidables efforts, le don de soi, sans quoi rien ne se crée de nouveau dans la pensée scientifique, celui-là ne saurait évaluer la force du sentiment qui seul peut faire naître une telle œuvre, éloignée comme elle est de l’immédiate vie pratique. »</p>
</blockquote>
<p>Ceci résonne avec Proust :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a aucune raison pour que nous nous croyions obligés à faire le bien, pour l’artiste athée à ce qu’il se croie obligé de recommencer vingt fois un morceau dont l’admiration qu’il excitera importera peu à son corps mangé par les vers. Toutes ces obligations qui n’ont pas leur sanction dans la vie présente semblent appartenir à un monde différent fondé sur la bonté, le scrupule, le sacrifice, un monde dont nous sortons pour naître à cette terre, avant peut-être d’y retourner vivre sous l’emprise de ces lois inconnues auxquelles nous avons obéi parce que nous en portions l’enseignement en nous sans savoir qui les avait tracées… »</p>
</blockquote>
<p>Et l’écrivain ajoute dans une lettre : « … réveiller en nous ce fond mystérieux de notre âme… et qu’on peut appeler pour cela religieux. »</p>
<h2>La religion d’Einstein</h2>
<p>L’intérêt premier d’Einstein resta toujours centré sur les lois de la nature, mais cela l’amena à réfléchir aux grandes questions de l’existence : « À la sphère de la religion appartient la croyance que les normes valables pour le monde sont rationnelles, c’est-à-dire intelligibles à la raison. On peut rendre la situation par une image : la science sans la religion est boiteuse, la religion sans la science est aveugle. » L’existence d’un système logique expliquant la nature implique que des êtres pensants revendiquent un tel système. Cela rappelle la preuve de l’existence de Dieu avancée par le philosophe Berkeley selon qui le monde matériel n’existe que comme objet de perception qui doit être soutenu par un esprit pensant.</p>
<p>À la question de savoir si le but de la vie humaine peut se déduire de la science seule, Einstein répond catégoriquement non. Les lois naturelles nous apprennent comment nous pouvons utiliser la nature en vue de réaliser des buts humains, mais non ce que doivent être ces buts. Et il précise : « La plus belle émotion que nous puissions éprouver est l’émotion mystique. C’est là le germe de tout art et de toute science véritable… Savoir que ce qui nous est impénétrable existe vraiment et se manifeste comme la plus haute sagesse et la plus rayonnante beauté dont les formes les plus grossières sont seules intelligibles à nos pauvres facultés, cette connaissance, voilà ce qui est au centre du véritable sentiment religieux. En ce sens, et seulement en ce sens, je me range parmi les hommes profondément religieux. »</p>
<p>Émigré aux États-Unis, pays fondamentalement religieux, son attitude fut débattue publiquement. Son scepticisme envers un Dieu personnel fit polémique. En 1940 il envoie une contribution à une conférence « Science et religion » tenue à New York.</p>
<p>Il y déclare :</p>
<blockquote>
<p>« La source principale des conflits actuels entre la religion et la science se trouve dans le concept d’un Dieu personnel. »</p>
</blockquote>
<p>Il concède pourtant que la doctrine d’un Dieu intervenant dans les phénomènes naturels ne pourra pas être réfutée par la science, car cette croyance pourra toujours se réfugier là où la connaissance scientifique n’est pas établie, pensait-il au hasard quantique ?</p>
<p>Alors, en quoi croyait Einstein ? En 1929, il répondit par un télégramme envoyé à H. Goldstein : « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se manifeste dans l’harmonie de l’existant, pas dans un Dieu qui s’abandonne au destin et aux actions des hommes. » Une controverse en résulta. « Si cet être est Tout-Puissant, tout événement, toute action humaine, toute pensée humaine, tout sentiment et toute aspiration est son œuvre. Comment peut-on penser que devant un tel être, l’homme soit responsable de ses actions ? »</p>
<p>Heureusement, la physique quantique offre une échappatoire (une planche de salut ?) : le hasard microscopique nous restitue un espace de liberté, d’autant qu’il est à la base des bienvenues mutations biologiques sans lesquelles nous ne serions pas ici.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108093/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Vannucci ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« Je refuse de croire en un Dieu qui joue aux dés avec le monde ». Einstein représente la figure de la science et a beaucoup réfléchi à la religion. Ces deux pensées sont-elles compatibles ?François Vannucci, Professeur émérite, chercheur en physique des particules, spécialiste des neutrinos, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/904692018-01-23T22:57:12Z2018-01-23T22:57:12ZPouvoir, société, culture : pourquoi faut-il relire Georges Balandier<p>Quand on évoque les grands noms de l’anthropologie, le grand public connaît bien souvent ceux de Claude Lévi-Strauss ou encore <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-hommes-aussi-doivent-a-francoise-heritier-87557">Françoise Héritier, récemment disparue</a>.</p>
<p>Rares sont celles et ceux qui citeront spontanément <a href="http://www.bibliotheque.sorbonne.fr/biu/IMG/pdf/georges_balandier.pdf">Georges Balandier</a>.</p>
<p>Cet éminent spécialiste de l’Afrique, <a href="http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2016/10/05/la-mort-de-georges-balandier-sociologue-specialiste-de-l-afrique_5008603_3382.html">décédé le 5 octobre 2016</a>, a pourtant marqué l’histoire de l’anthropologie de son <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/balandier_georges/balandier_georges_photo/balandier_georges_photo.html">empreinte</a>.</p>
<h2>Comprendre le changement</h2>
<p>Mais à la différence de celle de Claude Lévi-Strauss, son œuvre est moins portée par l’ambition disciplinaire de redéfinir l’<a href="http://www.ethnographiques.org/2010/Sahlins">objet et les méthodes de l’anthropologie</a> que par celle d’en faire une science de l’Homme dans la modernité, attentive aux contingences, aux indéterminations, au désordre et à l’événement plus qu’aux permanences et aux symétries. Rien n’est plus étranger à la pensée de Balandier que les notions d’invariant, de structure ou d’homologie.</p>
<p>Il s’agit pour lui avant tout de faire l’analyse d’une situation, c’est-à-dire d’un certain état de la société indissociable de rapports de forces changeants, qui sont aussi des rapports de sens. Si l’on considère l’instabilité comme l’état normal des collectifs humains, alors il est vain de chercher des armatures pérennes qui en garantiraient l’existence.</p>
<p>De ce point de vue, Balandier pratiquait ce qu’on appelle une anthropologie dynamique, laquelle entretient une certaine affinité avec la sociologie de Pierre Bourdieu, affinité inattendue car ce dernier se réclamait explicitement, non de l’anthropologie dynamique, mais de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2011-4-page-6.htm">héritage structuraliste</a> en mettant en avant la notion de « champ » qui n’est rien d’autre qu’une structure sociale déterminant les comportements individuels.</p>
<p>L’un et l’autre ont toujours navigué entre <a href="http://blogterrain.hypotheses.org/9453">sociologie et anthropologie</a>, et ils ont aussi l’un et l’autre placé au cœur de leurs analyses l’idée que les luttes sociales sont aussi des luttes de significations, ou mieux, des luttes pour la définition de la réalité sociale.</p>
<h2>Une vision inversée du monde</h2>
<p>Dès 1953, Balandier montre comment la contestation de la colonisation va de pair avec la promotion d’une vision du monde inversée, les colonisés africains sont dans le vocabulaire religieux les élus d’un Dieu qui parle par la bouche de leurs <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/balandier_georges/messianismes_nationalismes/messianismes_nationalismes.html">prophètes</a>. Il en conclut ainsi que l’anticolonialisme s’exprime dans des catégories messianiques qui réinterprètent complètement la situation de domination. Aujourd’hui encore, un mouvement comme <a href="https://blog.courrierinternational.com/afrikarabia/2008/03/26/rdc-kinshasa-interdit-le-mouvement-politico-religieux-bundu-dia-kongo-bdk/">Bundu dia Kongo</a> (en français « Réunion du Kongo »), en RDC (ex-Zaïre) est de nature à la fois politique et religieuse. Ne Muanda Nsemi, le chef du mouvement, est ainsi un <a href="http://www.rfi.fr/emission/20141019-afrique-mouvement-bdk-bundu-kongo-identite-religion-politique">leader messianique et un chef de guerre</a>, qui conteste les découpages territoriaux de la colonisation et veut rétablir l’empire du Kongo dans ses frontières du XV<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Remarquons que Bourdieu utilise explicitement le concept de « situation coloniale » dans son premier livre en 1960 : <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2001-1-page-9.htm">Balandier a forgé l’expression en 1951</a>. « C’est en référence à la situation coloniale qu’il importe de saisir le style de vie propre aux Européens, leur système de valeurs et le type de rapport qu’ils entretiennent avec les colonisés », écrit ainsi Bourdieu dans <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-l-algerie--9782130521754.htm"><em>Sociologie de l’Algérie</em></a>). Certaines catégories utilisées par le jeune Bourdieu (« équilibre dynamique », « interpénétration culturelle », « réinterprétation partielle »…) s’apparentent ainsi à la sociologie telle que la conçoit Balandier en parallèle avec Roger Bastide, l’un des plus grands spécialistes de la société et de la culture brésilienne, très proche <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/bastide_roger/bastide_roger.html">sur le plan théorique de Balandier</a>.</p>
<p>Son <a href="http://journals.openedition.org/etudesafricaines/21523">hommage</a> dans le numéro des <em>Cahiers d’études africaines</em>, revue d’ethnologie africaniste dont il a été membre, témoigne bien de l’influence de Balandier à la fois dans les sciences humaines et sociales et du caractère pionnier de ses analyses qui ont transgressé les frontières des disciplines.</p>
<p>Ainsi, bien qu’elles s’inscrivent dans le champ particulier de l’anthropologie politique, ses réflexions, certes, articulées autour de la notion de pouvoir, ont surtout invité à étudier les sociétés et les cultures dans leur dynamisme, de manière exhaustive et extensive, abordant les religions, le sacré et le rite, l’économie et le travail ou encore la parenté et le genre.</p>
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<figcaption><span class="caption">Entretien avec Bénédicte Goussaut, dans le cadre de la collection « L’ethnologie en héritage » (Teaser).</span></figcaption>
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<h2>Ouvrir le dialogue entre « ordre » et « désordre »</h2>
<p>Ses premiers travaux sur la ville congolaise de Brazzaville et la « situation coloniale » (lire notamment <a href="https://www.puf.com/content/Sociologie_actuelle_Afrique_noire"><em>Sociologie actuelle de l’Afrique Noire</em>, 1955</a>) ont marqué une rupture dans la tradition anthropologique.</p>
<p>Ils ont en effet contesté les approches culturalistes, formalistes et matérialistes qui se développaient après la Seconde Guerre mondiale. Ces approches minoraient l’importance du changement social en se concentrant sur l’analyse du folklore ou des mythes, ou alors, comme les marxistes, prenaient seulement en compte la lutte des classes et les forces productives pour comprendre le changement social.</p>
<p>Pour Balandier, il s’agissait alors de se démarquer du structuralisme, du marxisme mais aussi d’une grande partie de l’anthropologie britannique et nord-américaine qui s’intéressaient certes au changement culturel (l’<a href="http://cnrtl.fr/definition/acculturation">acculturation</a>), mais sans le rapporter aux cadres sociaux dans lequel il se produit.</p>
<p>Dans ce contexte, Georges Balandier a développé une pensée très originale, fondée sur l’élaboration d’une anthropologie généralisée et comparative, soucieuse de comprendre et de saisir les dynamiques historiques déterminant les formations sociales et culturelles. Cette perspective dynamiste a renouvelé les fondements épistémologiques de l’anthropologie. En proposant de s’interroger sur le rapport entre « tradition » et « modernité » puis en élaborant la dialectique de l’ordre et du désordre, elle a mis en cause l’anhistorisme des travaux de ses prédécesseurs.</p>
<h2>Un autre regard sur la parenté</h2>
<p>La parenté constitue un objet extrêmement significatif de cette approche. Il s’agit bien d’un objet d’étude secondaire dans la réflexion de Georges Balandier, si on le compare à la place que la <a href="http://journals.openedition.org/lectures/23470">parenté occupe dans l’anthropologie classique et dans le travail de Lévi-Strauss</a>. Marginales dans l’œuvre foisonnante de Balandier, les analyses de la parenté permettent pourtant de retracer l’évolution de la définition du pouvoir dans son œuvre.</p>
<p>La parenté est d’abord définie comme une relation de domination dont la forme a été soumise à des reconfigurations historiques par l’intrusion d’une puissance étrangère, puis comme un modèle de « mutation » exemplifiant les origines interne et externe du <a href="http://www.cargo.canthel.fr/fr/manetta-delphine/">changement</a>. Or, si « l’imaginaire » et le « symbolique » permettent d’identifier les dynamiques du pouvoir au sein des liens parentélaires, la parenté n’en demeure pas moins déterminée par la géographie comme Balandier l’a brillamment montré dans sa <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-brazzavilles-noires--9782724605241.htm"><em>Sociologie des Brazzavilles noires</em></a>. L’anthropologie dynamiste propose au fond une vision triadique du politique, associant le pouvoir, le symbolique et l’espace.</p>
<h2>De la possession au pouvoir</h2>
<p>On peut émettre aussi l’hypothèse que l’expérience directe de rites de possession et de divination en Afrique est à l’origine d’une <a href="http://www.cargo.canthel.fr/wp-content/uploads/2017/12/Cargo6-7_Dianteill.pdf">certaine fascination de Balandier pour la religion</a>, au-delà de la seule sociologie des institutions religieuses. Georges Balandier a en effet été frappé – comme <a href="http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Leiris/">Michel Leiris</a> – écrivain, poète, ethnologue, auteur de <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/L-Afrique-fantome"><em>L’Afrique fantôme, 1934</em></a> – par les émotions que déchaînent les rites.</p>
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<figcaption><span class="caption">Olivier BARROT, en 1996, dans un décor africain, présente « Miroir de l’ Afrique » de Michel LEIRIS en édition Gallimard/Quarto qui rassemble ses écrits africanistes. Images d’archive INA.</span></figcaption>
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<p>Ce sont en effet des épreuves corporelles, subjectives et existentielles qui permettent de mieux comprendre les dynamiques de domination et de résistance. Ainsi s’explique le fait que Georges Balandier porte son attention sur le <a href="http://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1959_num_9_3_403015">rôle politique des mouvements religieux dans le contexte des décolonisations</a> et, enfin, sur le caractère volatile du sacré dans la « surmodernité » lorsqu’il apparaît en dehors des institutions religieuses.</p>
<p>Il s’agit donc aussi d’une <a href="http://journals.openedition.org/rsa/350">anthropologie qui engage l’anthropologue</a>, loin des analyses purement logiques du structuralisme. L’anthropologie dynamique est donc aussi une anthropologie engagée, non pas au sens politique, mais au sens existentiel : l’engagement subjectif du chercheur sur son terrain oriente ses analyses autant que les données objectives qu’il peut collecter.</p>
<p>Parce que toute société et toute culture ont pour caractéristique commune d’être soumises à la contingence et aux « turbulences », l’anthropologue doit décrire les ambiguïtés et les contradictions déstabilisant l’ordre social et culturel. « Tension », « conflit », « évènement » et « situation » composent un dispositif méthodologique que Georges Balandier a su faire dialoguer en dehors des limites disciplinaires. Or, c’est bien aujourd’hui la condition nécessaire d’une bonne compréhension du pouvoir, des sociétés et des cultures en mouvement dans la haute modernité.</p>
<hr>
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<span class="attribution"><span class="source">Paris Descartes/Canthel</span></span>
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<p><em>Les auteurs viennent de coordonner un dossier spécial sur Georges Balandier dans le dernier numéro de la revue cArgo, <a href="http://www.cargo.canthel.fr/fr/cargo6-7-memoires-et-violences-extremes-balandier/">« L’anthropologie de Georges Balandier, hier et aujourd’hui »</a> et animeront le <a href="http://canthel.shs.parisdescartes.fr/hommage-balandier-cargo-cea-bu/">23 janvier à partir de 18h une journée-hommage ouverte au grand public</a> (entrée gratuite sur inscription) à la bibliothèque universitaire de l’Université de SHS Paris Descartes.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90469/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erwan Dianteill a reçu des financements de IUF. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Delphine Manetta ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’œuvre de Georges Balandier est indissociable de l’anthropologie moderne. Ses travaux sur le changement au sein des sociétés humaines sont désormais incontournables pour mieux comprendre notre monde.Erwan Dianteill, Directeur du CANTHEL, anthropologue, Université Paris CitéDelphine Manetta, Ethnologue, Docteure, Canthel, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.