tag:theconversation.com,2011:/us/topics/populisme-28949/articlespopulisme – The Conversation2024-03-17T15:33:02Ztag:theconversation.com,2011:article/2257022024-03-17T15:33:02Z2024-03-17T15:33:02ZLe Portugal, théâtre à son tour d’une percée de l’extrême droite<p>Depuis sa création le 19 avril 2019, le parti <a href="https://www.courrierinternational.com/une/enquete-chega-le-parti-qui-veut-mettre-le-feu-la-politique-portugaise-mais-qui-brule-de">Chega !</a> (« Assez ! », CH) n’en finit plus d’obtenir des scores en hausse : une première entrée au Parlement avec un député (son leader André Ventura) aux élections législatives d’octobre 2019 ; 2 députés <a href="https://www.ritimo.org/Portugal-Chega-un-parti-d-extreme-droite-present-dans-le-systeme-politique">à l’Assemblée législative de la Région autonome des Açores</a> en octobre 2020 ; puis <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3206">12 députés au Parlement national aux élections législatives de 2022</a>, avec près de 7,38 %.</p>
<p>Ce 10 mars 2024 se sont déroulées au Portugal des <a href="https://theconversation.com/portugal-elections-sous-haute-tension-221186">élections législatives anticipées</a> au cours desquelles Chega a considérablement amélioré son score en recueillant pas moins de 18,06 % des voix, quadruplant ainsi le nombre de ses députés au Parlement, qui passe de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/portugal-la-percee-d-andre-ventura-s-explique-en-grande-partie-par-sa-tolerance-zero-en-matiere-d-immigration-20240313">12 à 48</a>. CH représente aujourd’hui la troisième force politique au Portugal, derrière les deux grands partis de centre droit (79 sièges) et de centre gauche (77).</p>
<h2>Un salazarisme décomplexé ?</h2>
<p>« Nous sommes un groupe de gens ordinaires, pas une élite ; des gens qui souffrent du système actuel. » C’est ainsi que Ventura <a href="https://brasil.elpais.com/brasil/2019/12/12/internacional/1576187485_020229.html">présentait</a> sa formation politique lors de sa création en 2019. Aujourd’hui, l’objectif affiché de Chega ne serait pas – du moins d’après ses dires – de réhabiliter le salazarisme mais, avant tout, de s’insérer dans la <a href="https://theconversation.com/en-pologne-aux-pays-bas-et-ailleurs-en-europe-les-multiples-visages-des-populismes-de-droite-radicale-218664">vague populiste de droite</a> qui, depuis plusieurs années, un peu partout en Europe, profite à de nombreuses formations de ce camp. Les deux visées n’étant pas antinomiques, André Ventura, non sans une certaine habileté, s’emploie, en jouant sur les ambiguïtés, à attirer le plus de voix possible.</p>
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<p>Il existe une certaine proximité entre André Ventura (né en 1983) et <a href="https://www.cairn.info/la-dictature-de-salazar-face-a-l-emigration--9782724612714-page-99.htm">António de Oliveira Salazar</a> (1889-1975), qui <a href="https://laviedesidees.fr/Fernando-Rosas-art-durer-fascisme-Portugal">dirigea le Portugal d’une main de fer de 1932 à 1968</a>. Curieuse coïncidence, André Ventura eut comme l’ancien dictateur une vocation de séminariste (mais courte, puisqu’elle ne dura qu’une année) et devint également par la suite, comme lui, professeur de droit. Pour autant, malgré une appréhension commune du monde formulée dans le slogan « Dieu, patrie, famille » auquel Ventura ajoute le mot « travail », il ne tient pas à apparaître comme l’incarnation de la continuité de Salazar.</p>
<p>Ainsi, en 2023, il ne se rendit pas à Vimieiro, dans le district de Viseu où naquit Salazar, lors de l’implantation du CIEN (Centre d’interprétation de l’État nouveau), occupé qu’il était par sa campagne électorale… ou ne tenant pas à s’afficher comme partisan inconditionnel d’un personnage qui demeure <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/25/salazar-et-le-salazarisme-la-posterite-politique-dun-dictateur/">controversé dans le pays</a>, pour le moins pour une partie de la population, et à propos duquel il a notamment déclaré : « la plupart du temps, Salazar n’a pas résolu les problèmes du pays et nous a fait prendre beaucoup de retard à maints égards. Il ne nous a pas permis d’avoir le développement que nous aurions pu avoir, surtout après la Seconde Guerre mondiale », ajoutant : « Pas besoin d’un Salazar à chaque coin de rue, il faut un André Ventura à chaque coin de rue. »</p>
<p>Pourtant, en dépit de ces déclarations, Ventura tient à séduire la partie de l’électorat nostalgique de <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2005-1-page-39.htm">« l’État nouveau »</a>. En effet, chaque fois qu’il le peut, il présente le 25 avril 1974 – jour de la <a href="https://www.rtbf.be/article/la-revolution-des-oeillets-que-fete-exactement-le-portugal-le-25-avril-11187709">Révolution des Œillets</a>, dont on fêtera prochainement le cinquantième anniversaire – comme la source de tous les maux de la société portugaise.</p>
<p>Dans l’un de ses discours au Parlement, en 2022, il prend la défense des forces de sécurité, selon lui déconsidérées et rendues « muettes » depuis ce jour-là, et termine son allocution en les comparant à des « héros ». Dans un <a href="https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=discurso+de+andr%c3%a9+ventura&mid=3BFB91F7F5513B583E593BFB91F7F5513B583E59&FORM=VIRE">autre de ses discours</a>, le 25 novembre 2023, il joue sur la date, proposant d’institutionnaliser désormais celle du <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1990/11/27/il-y-a-quinze-ans-au-portugal-la-chute-d-otelo-de-carvalho_3985464_1819218.html">25 novembre 1975</a>, jour qui s’est soldé par la victoire des militaires modérés lesquels, selon lui, ont mis fin à la révolution politique et ont conduit à la normalisation démocratique du pays. Il se pose également en défenseur du peuple, à qui il veut rendre sa « dignité » ; il entend notamment remettre à l’honneur les travailleurs en donnant la priorité aux nationaux et incite à faire revenir au pays les jeunes expatriés.</p>
<p>Certains observateurs soulignent que si Ventura n’est pas à proprement parler « salazariste », il n’hésite pas à <a href="https://sicnoticias.pt/programas/reportagemsic/2021-04-01-Andre-Ventura-nao-e-um-salazarista-mas-apropria-se-do-discurso-de-Salazar-d3d78e3f">évoquer l’imaginaire salazariste</a>. En effet, il reprend à son compte les fondements de l’idéologie de l’État nouveau : il place la famille au centre de la société et, dès 2020, il affiche sa foi catholique – autre pilier du salazarisme –, se montrant volontiers à l’Église en compagnie de son épouse Dina.</p>
<p>Lors de sa campagne de 2022, Ventura <a href="https://www.rtp.pt/noticias/eleicoes-legislativas-2022/chega-quer-15-dos-votos-e-ser-terceira-forca-em-portugal_es1375346">s’était engagé</a> à combattre la corruption supposément encouragée par le PS alors au pouvoir. Son slogan mis en avant à cette occasion, et toujours d’actualité aujourd’hui, appelle à « limpar » (<em>nettoyer</em>) le Portugal – un écho, peut-être pas involontaire, au souhait de « régénérer » le pays pour lancer une ère nouvelle qu’avait formulé Salazar à ses débuts…</p>
<h2>Après le Portugal, des visées européennes ?</h2>
<p>Chega fait siennes les thématiques de l’immigration et de l’insécurité, qui se trouvent aussi au cœur des programmes de plusieurs de ses alliés européens. Dès 2020, la formation portugaise a rejoint, au Parlement européen, le groupe <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et Démocratie</a> (ID), où siègent notamment la Lega italienne, le Rassemblement national français et l’AfD allemande, et aspire à jouer le rôle d’un « pont » pour <a href="https://observador.pt/especiais/chega-na-europa-ventura-fica-na-familia-politica-de-le-pen-e-que-ser-ponte-para-uniao-das-direitas/">l’union des droites</a> souhaitant à long terme réunir tous les patriotes en un même groupe.</p>
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<p>L’argument de campagne pour 2024 a changé par rapport à ceux des campagnes précédentes, mais cela ne veut pas dire qu’il est plus modéré. Auparavant, Ventura se focalisait sur la stigmatisation de la communauté tzigane et promettait de réduire les acquis sociaux et de procéder à des coupes importantes du RSI (revenu d’insertion) ; désormais, il s’en prend moins aux droits sociaux et, conformément aux programmes de ses camarades d’ID, il <a href="https://rr.sapo.pt/fotoreportagem/politica/2024/03/05/como-o-discurso-do-chega-mudou-e-o-que-isso-diz-da-sua-estrategia/368696/">concentre ses attaques</a> sur l’immigration musulmane et sur « l’idéologie du genre » les adaptant toutefois à son pays. Le Portugal connaît dernièrement une <a href="https://www.jn.pt/2856889709/numero-de-imigrantes-em-portugal-quase-duplica-em-10-anos/amp/">forte immigration</a> (121 000 immigrants en 2022, 118 000 en 2023) ; un tiers des nouveaux arrivants proviennent du Brésil mais la plupart des autres arrivent d’autres pays hors UE, notamment d’Inde. Sur les questions sociétales, Ventura semble surtout adapter son discours aux circonstances. En 2020, il se prononce en faveur du mariage entre personnes de même sexe, déclarant à ce sujet qu’il ne verrait <a href="https://www.publico.pt/2020/11/15/politica/noticia/andre-ventura-defende-casamento-gay-critica-salazar-atrasounos-muitissimo-1939288">aucun inconvénient à ce que son fils soit homosexuel</a> ; mais le 16 décembre 2023, il s’insurge contre un <a href="https://vivreleportugal.com/actualite/les-enfants-peuvent-choisir-leur-sexe-nouvelle-loi-soutenue-par-les-socialistes/">projet de loi du PS</a> « visant à garantir le respect de l’autonomie, de la vie privée et de l’autodétermination des enfants et des adolescents qui traversent des transitions d’identité sociale et d’expression de genre », affirmant que ce texte <a href="https://fb.watch/qOS-ciqmWG/?">« mettrait en péril les enfants »</a>.</p>
<p>Durant la campagne des législatives, Ventura <a href="https://www.bbc.com/portuguese/articles/cg695nxk7xko">s’est positionné comme le promoteur d’un contrôle plus strict de l’immigration</a>, en voulant créer un crime de « séjour illégal sur le sol portugais » et imposer des quotas annuels d’entrée des étrangers en fonction « des qualifications des immigrants et des besoins du marché portugais ». Estimant qu’on ne « peut pas vivre dans un pays où tout le monde entre sans contrôle ni critère, sans savoir pourquoi il entre et à quoi il sert », il balayait d’un revers de main les accusations de racisme et de xénophobie, affirmant souhaiter <a href="https://www.bbc.com/portuguese/articles/cg695nxk7xko">« une immigration décente, mais pas incontrôlée »</a>.</p>
<h2>Quelle place dans le nouveau paysage politique ?</h2>
<p>Pour l’heure, les négociations pour former un nouveau gouvernement ont commencé. Le chef de file de la droite, Luis Montenegro, qui a remporté les législatives, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne souhaitait pas travailler avec Chega. <a href="https://fr.euronews.com/2024/03/11/les-elections-au-portugal-laissent-le-pays-dans-lincertitude-quant-a-son-avenir-politique">De son côté, Ventura a déclaré</a> qu’il était prêt, pour participer au gouvernement, à abandonner certaines de ses propositions les plus controversées comme la castration chimique pour les délinquants sexuels et les peines de prison à vie. Il affirme que, sans sa participation au gouvernement, le Portugal plongera dans une crise politique majeure : son ralliement permettrait à une coalition de droite et d’extrême droite de gouverner ; sans cela, le Parlement étant très divisé, le pays sera difficilement gouvernable.</p>
<p>En politique, tout est possible… Et si les adversaires d’hier devenaient les alliés de demain ? Quoi qu’il en soit, Chega a désormais les yeux tournés vers l’échéance des élections européennes de juin prochain, où le parti compte encore bien accroître ses scores…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225702/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Rojtman-Guiraud est membre du Conseil municipal de la Ville de Maxéville (54)</span></em></p>Le Portugal a longtemps été une exception en Europe : l’extrême droite y réalisait des scores nettement plus faibles qu’ailleurs. Mais la donne a changé avec les législatives du 10 mars dernier.Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Science politique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216832024-02-05T15:14:07Z2024-02-05T15:14:07ZTrois raisons de ne pas qualifier l’extrême droite de populiste<p>Le terme <em>populisme</em> fait partie des plus entendus et des plus galvaudés de ces dernières années. Employé <a href="https://theconversation.com/le-populisme-un-terme-trompeur-106361">à tort et à travers</a> tant dans la presse politique que dans la littérature académique, il qualifie – le <a href="https://absp.be/article/populisme-voila-lennemi/">plus souvent de façon péjorative</a> – toutes sortes de partis et figures politiques qui n’ont pourtant rien à voir les uns avec les autres. On dit que Donald Trump est populiste alors que c’est Barack Obama qui se <a href="https://time.com/4389939/barack-obama-donald-trump-populism/">revendique</a> de la tradition populiste américaine. On le dit de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/argentine-le-dangereux-populisme-liberal-de-javier-milei-2030695">Javier Milei</a> alors qu’il a précisément fait campagne contre le populisme argentin incarné par le péronisme. Mais sait-on seulement ce que représente, historiquement, le populisme ?</p>
<h2>Des origines démocrates et anti-oligarchiques</h2>
<p>Le premier mouvement à se revendiquer populiste émergea aux États-Unis à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Loin des clichés contemporains sur l’anti-pluralisme fondamental du populisme, il s’agissait d’un mouvement <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/lantipopulisme_ou_la_nouvelle_haine_de_la_democratie">défendant la démocratie</a> et les garanties constitutionnelles de la liberté contre les dérives oligarchiques du pouvoir en place. Certains de ses membres <a href="https://lavamedia.be/fr/la-longue-histoire-du-populisme/">partageaient les préjugés racistes</a> du Parti républicain et du Parti démocrate d’alors, mais l’orientation générale du mouvement était sociale et démocratique et il comportait – au contraire des autres partis – un nombre significatif d’afro-américains. Le People’s Party (Parti du peuple) qui émergea de ce mouvement essentiellement paysan finit par être absorbé par le Parti socialiste américain et par le Parti démocrate.</p>
<p>Pratiquement au même moment apparurent, en Russie, les <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070281664-les-intellectuels-le-peuple-et-la-revolution-tome-1-histoire-du-populisme-russe-au-XIXe-si%C3%A8cle-franco-venturi/">narodniki</a>, un mouvement d’intellectuels démocrates et socialistes qui entendaient prêter leur voix à la paysannerie opprimée et s’opposer au Tsar. Dans ce mouvement, comme chez les populistes américains, on ne trouve ni anti-pluralisme, ni leader charismatique, ni opposition aux institutions représentatives. Plutôt une <a href="https://aoc.media/opinion/2022/03/01/en-russie-la-potentialite-emancipatrice-du-peuple/">forme d’anti-oligarchisme au nom du peuple et de la démocratie</a>. Ce mouvement finira par se diviser entre une aile libérale et une aile socialiste qui, après s’être convertie au marxisme, fonda la social-démocratie russe. Les deux ailes restèrent attachées aux libertés démocratiques.</p>
<h2>Les dérives d’un concept</h2>
<p>Alors comment se fait-il que le terme <em>populiste</em>, revendiqué par ces deux mouvements, ait pu dériver au point de qualifier aujourd’hui tout ce qu’ils auraient rejeté – notamment l’autoritarisme oligarchique de Donald Trump et de Vladimir Poutine, ces nouveaux Tsars ?</p>
<p>La distance historique et le manque de documentation ont peut-être joué un rôle dans le cas du populisme russe, mais certainement pas dans le cas du populisme américain, qui est très bien documenté. Nous avons donc développé <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">trois hypothèses explicatives</a>.</p>
<p>Un premier moment de la <a href="http://www.populismus.gr/wp-content/uploads/2016/07/WP3-jaeger-final-upload.pdf">dérive sémantique</a> fut la réinterprétation du populisme américain par plusieurs politistes, dans les années 1950, comme la préfiguration du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maccarthysme">maccarthysme</a> ou même du fascisme. Ces réinterprétations ont depuis été remises en cause par les historiens, qui soulignent aujourd’hui le <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/lantipopulisme_ou_la_nouvelle_haine_de_la_democratie">caractère profondément démocratique du populisme américain</a>, qui visait à renforcer la démocratie représentative et non à l’affaiblir.</p>
<p><em>[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</em></p>
<p>Une deuxième étape, plus décisive, fut l’application du terme <em>populisme</em> à des régimes latino-américains – principalement le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9ronisme">péronisme</a> en Argentine – par des auteurs comme le sociologue <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780429336072/authoritarianism-fascism-national-populism-gino-germani">Gino Germani</a>. Le terme a été appliqué de l’extérieur, car ces régimes, contrairement aux exemples américain et russe, ne se qualifiaient pas eux-mêmes de populistes. En qualifiant le péronisme de « national-populiste », Germani voulait marquer la différence entre le péronisme et des formes de nationalisme qui n’avaient pas sa dimension sociale-égalitaire (à côté de sa dimension autoritaire). Mais le résultat est que le mot populisme fut associé de ce fait aux autres caractéristiques du péronisme (ses aspects nationaliste et autoritaire) qu’il ne visait pourtant pas à désigner.</p>
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<p>Un troisième moment, d’une plus grande ampleur politique, a été celui des années 1980. En France, en Italie et en Autriche tout d’abord, les partis d’extrême droite ont remporté leurs premiers grands succès électoraux sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale et ont donc commencé à rechercher une forme de normalisation et de respectabilité. Ces partis ont stratégiquement adopté un langage démocratique et ont donc renoncé à formuler leur nationalisme xénophobe en termes d’opposition à la démocratie parlementaire. Cela a conduit un grand nombre de commentateurs politiques à parler à leur propos de « populisme », ce qui était à bien des égards une <a href="https://editions-croquant.org/sociologie/823-le-populisme-du-fn-un-dangereux-contresens.html">erreur de dénomination</a>.</p>
<p>L’extrême droite s’est alors joyeusement emparée du terme pour mieux se légitimer comme démocratique et pour séduire la classe ouvrière. En effet, quel parti à la recherche de succès électoral refuserait d’être présenté comme défenseur du peuple ? À l’heure actuelle, de nombreuses figures de l’extrême droite internationale (Viktor Orban, Steve Bannon, Éric Zemmour) se revendiquent « populistes », entendant ainsi se montrer plus démocratiques que leurs détracteurs qui, en utilisant le terme comme arme de stigmatisation, montrent leur mépris du peuple et leur adhésion à un idéal élitiste ou technocratique incompatible avec la démocratie.</p>
<h2>Éviter le contresens</h2>
<p>On pourrait en conclure que le terme a désormais changé de sens et que c’est l’usage contemporain qui doit prédominer. Nous pensons néanmoins qu’il y a <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">de bonnes raisons</a> d’éviter de s’aligner sur l’usage aujourd’hui dominant.</p>
<p>La première, c’est que quand un concept est trop large, désigne trop de choses différentes, il n’est <a href="https://journals.openedition.org/ress/6797">plus très utile</a>. C’est le cas du concept de populisme tel qu’il est aujourd’hui utilisé. S’il désigne à la fois un mouvement égalitariste et ancré à gauche comme <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2015-2-page-86.htm">Podemos</a> en Espagne et son opposé politique – un autoritarisme xénophobe et favorable aux plus riches, comme Donald Trump –, il n’est plus d’aucune aide. Car le seul point commun entre les deux est un vague appel au peuple qui est en fait un trait commun de la plupart des mouvements qui cherchent un soutien électoral, et un discours anti-establishment que tiennent pratiquement tous les partis d’opposition qui veulent remplacer les partis au pouvoir.</p>
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<p>La seconde, c’est qu’en s’alignant sur l’usage contemporain dominant, on en arrive à des conclusions historiquement absurdes, comme lorsque le politologue <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/quest-ce-que-le-populisme">Jan-Werner Müller</a> doit affirmer que le mouvement populiste américain n’était pas populiste, pour préserver la définition qu’il utilise. Ou comme lorsqu’on désigne Donald Trump comme l’héritier du populisme alors que c’est Bernie Sanders (mieux qu’Obama) qui incarne la continuité avec le populisme historique.</p>
<p>La troisième raison c’est qu’on fait le jeu de l’extrême droite en l’affublant d’un terme qui lui offre un pedigree démocratique et une légitimité populaire, dissimulant ce faisant ses tendances profondément autoritaires et sa grande complaisance à l’égard des plus fortunés, à rebours de l’anti-oligarchisme démocratique des populismes historiques.</p>
<h2>Retrouver le populisme sans l’idéaliser</h2>
<p>Contre cet usage dominant, <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">nous suggérons</a> de préserver le terme <em>populiste</em> pour qualifier des mouvements politiques qui ont un agenda égalitaire ou démocratique, entendent défendre les classes les plus défavorisées contre des captations oligarchiques de la démocratie, et qui plutôt que de s’appuyer sur une idéologie bien définie comme le socialisme par exemple, en appellent au sens commun démocratique.</p>
<p>Reposant sur une idéologie très fine, le populisme peut prendre différentes formes. Il n’offre en effet pas une vision claire de ce que serait une société juste ou une démocratie idéale. Selon les contextes dans lesquels ils émergent, les mouvements populistes peuvent donc entretenir différents types de rapports aux institutions politiques. Dans des systèmes politiques sclérosés où les partis politiques sont déconnectés de leurs électeurs, les populistes sont très susceptibles de dénoncer les institutions représentatives existantes, mais plus par attachement à la démocratie populaire que par anti-pluralisme.</p>
<p>Le populisme bien défini n’est donc <a href="https://theconversation.com/le-populisme-est-il-vraiment-un-risque-politique-pour-les-democraties-87013">pas une menace pour la démocratie</a> – mais cela ne veut pas dire non plus que ce soit nécessairement la solution la plus prometteuse ! En particulier, dans le contexte européen contemporain, où la crise de la démocratie représentative se marque dans le déclin des corps intermédiaires (partis et syndicats) qui assuraient le lien continu entre les groupes sociaux et l’État, la difficulté des mouvements populistes à reconstruire ces canaux de médiation de façon durable constitue un écueil fondamental du point de vue démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221683/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Etienne Vandamme a reçu des financements du FWO (Research Foundation - Flanders).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Arthur Borriello et Jean-Yves Pranchère ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Employé avec largesse, le terme « populisme » est associé à des partis et figures politiques n’ayant rien à voir les uns avec les autres. Mais alors, qu’est-ce donc que le populisme ?Pierre-Etienne Vandamme, Chercheur en théorie politique, KU LeuvenArthur Borriello, Professor, Université de NamurJean-Yves Pranchère, Professeur, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2203202024-01-18T14:49:04Z2024-01-18T14:49:04ZLe nouveau président argentin, Javier Milei, est-il d’extrême droite ? La réponse n’est pas simple<p>Une onde de choc secoue l’Argentine <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2028009/argentine-vote-presidentielle-massa-milei">depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, le 10 décembre</a>. </p>
<p>Son idéologie qualifiée « d’anarcho-capitaliste » promet de grands bouleversements dans un pays caractérisé par une longue tradition étatique, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/largentine-en-pleine-crise-lance-une-nouvelle-serie-de-mesures-contre-linflation-1972952">et aux prises avec une profonde crise économique</a>. </p>
<p>Le caractère radical de ses propositions aura réussi à lui attirer de nombreux Argentins, mais à s’en aliéner tout autant, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2038012/argentine-greve-generale-24-janvier-reforme-javier-milei">avec plusieurs appels à la grève générale</a>. </p>
<p>Des analystes ont essayé de comprendre les liens idéologiques entre Javier Milei et les divers mouvements d’extrême droite qui ont émergé au cours des vingt dernières années, particulièrement en Europe et aux États-Unis. </p>
<p>Doctorant en science politique à l’Université Laval, mes recherches portent sur les autoritarismes, particulièrement en Argentine. Je souhaite ainsi explorer les relations entre Javier Milei et la mouvance d’extrême droite. </p>
<h2>Attention aux comparaisons rapides</h2>
<p>Javier Milei <a href="https://theconversation.com/le-dilemme-milei-et-lavenir-incertain-de-largentine-219556">peut être décrit comme un populiste</a>. Cette association est pertinente, voire naturelle, si l’on regarde ses multiples références à des figures d’extrême droite telles que <a href="https://twitter.com/JMilei/status/1727501082560205296">Donald Trump</a>, le Brésilien <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/javier-milei-elu-president-de-l-argentine-recoit-les-felicitations-de-donald-trump-et-jair-bolsonaro_6201217_3210.html">Jair Bolsonaro</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Santiago_Abascal">l’Espagnol Sergio Abascal</a>, président de la formation Vox, <a href="https://thediplomatinspain.com/en/2023/11/milei-invites-abascal-to-his-inauguration-as-argentine-president/">qu’il a invité à son investiture</a>.</p>
<p>Ses appels à lutter contre le « gauchisme », <a href="https://www.infobae.com/opinion/2022/05/20/javier-milei-y-su-guerra-contra-el-marxismo-cultural-la-oscura-historia-detras-del-termino/">ses critiques du « marxisme culturel »</a> et son caractère ouvertement antisystème renforcent cette identification.</p>
<p>Cependant, ce rapprochement assez simpliste fait fi de divergences importantes avec le programme de Milei, notamment en matière de politique économique et migratoire. Ainsi, malgré les similitudes, des divergences importantes existent, en particulier dans la manière dont chaque mouvement comprend le rôle de l’État et sa relation avec la société dans son ensemble. </p>
<p>En particulier, j’aimerais attirer l’attention sur une différence centrale, soit le rôle du nationalisme, ainsi que sur les nouveautés apportées par Milei dans le contexte de la montée de la droite au niveau global.</p>
<h2>Le nationalisme nativiste au cœur de l’extrême droite</h2>
<p>Dans un article de synthèse, <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-polisci-042814-012441">Matt Golder</a>, professeur de science politique à la Pennsylvania State University, analyse la littérature scientifique sur les partis politiques d’extrême droite en Europe. Il y trouve trois éléments de plus en plus caractéristiques de ce mouvement, soit le « nationalisme », le « populisme » et le « radicalisme ».</p>
<p>Le nationalisme exposé par des partis d’extrême droite peut être décrit comme du « nativisme ». En suivant <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511492037">Cas Mudde</a>, professeur du département de science politique à l’University of Georgia, le « nativisme » est compris comme « du nationalisme plus de la xénophobie ». Il est basé sur l’idée de l’existence d’une population « native », imaginaire, <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-polisci-042814-012441">construite sur des aspects généralement culturels ou ethniques</a>, et dont l’homogénéité doit être protégée de tout élément qui lui est étranger et externe. </p>
<p>En concevant cette communauté homogène, le <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511492037">nativisme s’ajoute au nationalisme, conçu comme la congruence entre État et nation</a>, soit l’élément de la xénophobie mentionné par Cas Mudde. Ce faisant, les mouvements d’extrême droite avancent une préférence radicalisée pour tout ce qui peut être défini comme appartenant à la « communauté nationale ».</p>
<p>Cette version du nationalisme est bien connue et il est facile d’en trouver des exemples européens et américains : les appels contre le « Grand remplacement » exprimés par <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220214-le-grand-remplacement-o%C3%B9-la-machine-%C3%A0-fantasmes-de-l-extr%C3%AAme-droite">Éric Zemmour</a>, les mises en garde contre les immigrants de <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-politics/the-snake-song-lyrics-trump-b2464914.html">Donald Trump</a>, ou l’islamophobie de <a href="https://www.spiegel.de/international/germany/interview-with-frauke-petry-of-the-alternative-for-germany-a-1084493.html">l’Alternative pour l’Allemagne</a>, entre autres. </p>
<p>Ce nativisme des partis d’extrême droite devient un fondement de leurs projets politiques, incluant leur politique économique.</p>
<p>C’est pour cette raison que l’extrême droite contemporaine avance aussi des projets nettement protectionnistes. L’euro-scepticisme, la nationalisation, ainsi que le discours anti-globalisation sont des éléments partagés par une grande partie des mouvements d’extrême droite. La racine de ces projets est la croyance en une communauté nationale, définie en termes soit ethnique, soit culturel, qui doit être protégée de l’influence d’éléments provenant de l’extérieur. </p>
<h2>Libéraliser l’économie, la priorité de Milei</h2>
<p>On ne trouve pas l’élément du nativisme du côté de Javier Milei, bien que sa liste de promesses puisse surprendre en raison de son caractère radical et par son ampleur.</p>
<p>Les projets et la plate-forme de son parti, La Libertad Avanza (LLA), constituent plutôt une opposition claire au nativisme, répandu en Argentine et représenté par le mouvement péroniste. Les accusations concernant sa prétendue idéologie anti-immigration ne sont pas non plus fondées, du moins jusqu’ici.</p>
<p>Le programme de Javier Milei parle d’immigration que de façon marginale. Il suffit de lire la <a href="https://www.electoral.gob.ar/nuevo/paginas/pdf/plataformas/2023/PASO/JUJUY%2079%20PARTIDO%20RENOVADOR%20FEDERAL%20-PLATAFORMA%20LA%20LIBERTAD%20AVANZA.pdf">plateforme électorale</a> de LLA, où les sujets de la « nation » ou de l’immigration sont relativement absents. </p>
<p>Il est vrai que l’Argentine a reçu proportionnellement, ces dernières années, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=ARG&codeTheme=1&codeStat=SM.POP.NETM">moins d’immigrants que la majorité des pays d’Europe ou d’Amérique du Nord</a>. Le débat concerne davantage l’universalité du service de santé et d’éducation, grâce à laquelle toute personne, sans égard à sa condition migratoire <a href="https://sherloc.unodc.org/cld/uploads/res/document/ley-de-migraciones-25871-english_html/Ley_de_Migraciones_25871_English.pdf">peut disposer du système de santé publique (même les touristes) et d’éducation gratuite</a>. Javier Milei n’est donc pas tant opposé à l’immigration (il a <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xfNnAKnHxGo">même exprimé son appui</a>), mais à certain type de dépenses de l’État qui y sont associés. </p>
<p>En revanche, la libéralisation a constitué et continue à être le pilier de son programme, parfaitement incarnée dans la proposition d’élimination de la banque centrale et l’instauration de la libre concurrence monétaire. <a href="https://www.electoral.gob.ar/nuevo/paginas/pdf/plataformas/2023/PASO/CABA%20501%20LA%20LIBERTAD%20AVANZA%20ADHIERE%20PLATAFORMA%20ON.pdf">Son programme</a> inclut aussi la dollarisation, l’optimisation et la diminution de la taille de l’État, l’ouverture au commerce international, la réforme du code de travail, de la loi sur la santé mentale, des réglementations des services médicaux.</p>
<h2>Attendre avant de juger le projet politique de Milei</h2>
<p>Autrement dit, malgré le style populiste et le caractère radical de ses propositions, l’approche de Milei rend difficile son identification immédiate, sans d’autres qualificatifs, avec l’extrême droite européenne et américaine. </p>
<p>Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il faut exclure le phénomène de Milei de la famille élargie de l’extrême droite. Comme <a href="https://www.bbc.com/mundo/articles/c983y398v0do">Cristóbal Rovira, professeur à la Pontificia Universidad Católica de Chile, affirme</a> cette « famille » n’a pas d’éléments qui sont nécessairement partagés par tous ses membres. Cependant, il oblige à reconsidérer les associations immédiates et faciles. Le fait que Javier Milei ait déclaré sa préférence pour Trump ne fait pas de lui un Trumpiste.</p>
<p>Il y a certainement des individus à l’intérieur de son parti politique qui se montrent plus proches des projets politiques de Donald Trump ou de Sergio Abascal. Cependant, les positionnements personnels de Javier Milei définissent en grande partie ce que l’on peut attendre de son gouvernement et le caractère de son projet politique.</p>
<p>Bien que Milei affirme lui-même sa parenté idéologique avec des leaders souvent inclus dans la grande famille de l’extrême droite contemporaine, les éléments de son programme et le cœur de son idéologie imposent le maintien d’une certaine distance. De façon plus large, la mise en contexte de tout phénomène politique est nécessaire afin de comprendre leur nouveauté et implication.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220320/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Federico Chaves Correa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des aspects du programme du président argentin Javier Milei s’apparentent à l’extrême droite, mais d’autres pas. Sans l’exclure de cette mouvance, il faut attendre avant de juger son projet politique.Federico Chaves Correa, Doctorant en science politique, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2195562023-12-09T20:00:41Z2023-12-09T20:00:41ZLe dilemme Milei et l’avenir incertain de l’Argentine<p>Ce 10 décembre, Javier Milei est investi président de l’Argentine. Cet économiste rendu célèbre par sa participation à de nombreuses émissions télévisées avait été élu le 19 novembre, avec 56 % des voix, contre 44 % pour Sergio Massa, ministre de l’Économie et candidat du parti péroniste du président sortant Alberto Fernandez.</p>
<p>Sa victoire fut une grande surprise. Milei était un « outsider », un libertarien de droite qui s’identifie avec les idées anarchocapitalistes et <a href="https://www.wikiberal.org/wiki/Minarchisme">minarchistes</a> (une idéologie qui appelle à réduire le rôle de l’État au minimum, spécialement dans la vie économique) et qui flirte parfois avec la droite nationaliste en minimisant le nombre de personnes disparues pendant la dictature militaire ou en suggérant l’annulation de la loi sur l’avortement.</p>
<p>Il a été élu deux ans à peine après avoir créé son propre parti, <em>La liberté avance</em>, en 2021. Comment ce personnage au programme radical et à la communication extravagante a-t-il pu l’emporter dans ce pays de plus de 45 millions d’habitants, et que peut-on attendre de son mandat ? </p>
<h2>Le populiste libertaire</h2>
<p>Pendant la campagne, Milei a <a href="https://www.lindependant.fr/2023/11/16/il-veut-liberaliser-les-ventes-darmes-et-dorganes-en-argentine-le-fou-milei-peut-devenir-president-11579085.php">promis</a> d’abandonner le peso, monnaie nationale de l’Argentine, et d’adopter le dollar ; de privatiser la plupart des entreprises publiques ; de réduire drastiquement les dépenses publiques ; de fermer de nombreux ministères et la Banque centrale ; de réduire significativement la charge fiscale ; et d’autoriser le libre accès aux armes à feu ainsi que la vente d’organes.</p>
<p>Ces promesses sont-elles réalisables ? Probablement pas. Mais elles ont toutefois aidé Milei à se faire élire, en séduisant un électorat lassé par le déclin économique du pays. Un déclin que ni les présidents péronistes – Nestor (2003-2007) puis Cristina Kirchner (2007-2015), dernièrement Alberto Fernandez (2019-2023) ni le libéral Mauricio Macri (2015-2019) – n’ont réussi à endiguer.</p>
<p>Face au désespoir et au désenchantement provoqué par les politiciens « traditionnels », la majorité des Argentins a choisi une recette radicale qui n’avait jamais été expérimentée dans le pays, et le candidat insolite qui la proposait. Apparaissant à la télévision avec un masque et dans un costume en spandex noir et jaune pour incarner le « Capitaine Ancap » (contraction d’anarchocapitaliste), et brandissant une tronçonneuse, symbole des coupes dans les budgets publics auxquelles il promis de procéder, Milei a su capter l’attention.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1726248549627646393"}"></div></p>
<p>Plus influenceur que leader charismatique, l’homme, aujourd’hui âgé de 53 ans, a réussi à adapter son style et son message aux codes de communication des nouvelles générations, particulièrement sur les <a href="https://www.academia.edu/110007109/_Long_Live_Freedom_Digital_Communication_of_Argentinas_Emerging_Libertarian_Populism?ri_id=7369">réseaux sociaux</a>. Il a vaincu les péronistes avec leurs propres armes : la <a href="https://www.persee.fr/doc/rint_0294-3069_2016_num_107_1_1541">rhétorique populiste</a>.</p>
<p>Si ses idées sont à l’opposé des politiques, fortement interventionnistes, conduites par les récents gouvernements péronistes de gauche, Milei et ses prédécesseurs péronistes ont un point commun : ils sont tous des leaders populistes.</p>
<p>Selon Loris Zanatta, historien italien spécialiste du phénomène populiste dans le monde latin, le <a href="https://www.carocci.it/prodotto/il-populismo">populisme</a> est un imaginaire ou une vision du monde qui renvoie à un passé mythique, lié à une vision organiciste de la société, caractérisée par l’homogénéité sociale et fondée sur l’unanimité politique. Le leader populiste doit générer des antinomies, et défendre le « vrai peuple » contre ses ennemis, à tout prix, et au-dessus de la loi si nécessaire (l’État de droit n’est pas un concept que le leader populiste affectionne).</p>
<p>Si, pour le péronisme, la dichotomie populiste est « le peuple » (les masses ouvrières, nationales et catholiques) et « l’anti-peuple » (les libéraux, les laïcs, les intellectuels), pour Milei, c’est « la caste » (la politique traditionnelle et corrompue, qui a apporté la misère au pays) et l’anti-caste (les Argentins libres et laborieux, opprimés par la caste).</p>
<p>Zanatta ajoute que le germe de ce que l’on pourrait appeler le protopopulisme latino-américain se trouvait déjà dans les missions jésuites d’Amérique du Sud, avec leur vision fermée, hiérarchique et organiciste de la société idéale, représentation du royaume du Christ sur la terre. François, le pape argentin, est un représentant de ce que l’auteur appelle le <a href="https://www.laterza.it/scheda-libro/?isbn=9788858141281">populisme jésuite</a> et a toujours été du côté du gouvernement péroniste (même si ce dernier a accepté la loi autorisant l’avortement en 2021) et opposé à Milei. Sans le nommer, le pape l’a comparé au joueur de flûte de Hamelin, charmeur et dangereux, et a alerté ses compatriotes contre les « clowns du messianisme » dans une <a href="https://www.telam.com.ar/notas/202310/643280-papa-francisco-guerra-dialogo-crisis-mesianismo-esperanza.html">interview</a> accordée à Télam (l’agence de presse nationale argentine) peu avant le scrutin. Sans succès.</p>
<h2>L’économie, il n’y a que cela qui compte !</h2>
<p>La fameuse formule « <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/chroniques-americaines/its-economy-stupid">It’s the economy, stupid !</a> », due à James Carville, un des conseillers de Bill Clinton lors de la campagne présidentielle américaine de 1992, explique largement la victoire du populisme antisystème de Milei.</p>
<p>Dans un <a href="https://theconversation.com/le-regime-peroniste-racine-du-declin-economique-de-largentine-196348">article précédent</a>, nous avons souligné les racines péronistes du long déclin économique de l’Argentine, qui était l’une des nations les plus riches de la planète il y a 100 ans. Bien que ce déclin ait commencé à se manifester après le krach de 1929, les gouvernements Perón (1946-1955, 1973-1974) et les présidences péronistes des décennies suivantes, par une série de politiques économiques à courte vue, ont accéléré ce processus et l’ont rendu inexorable.</p>
<p>Les chiffres sont implacables. L’inflation annuelle atteint <a href="https://www.worlddata.info/america/argentina/inflation-rates.php">94,8 %</a> en 2022 et l’estimation pour cette année est de <a href="https://www.reuters.com/markets/emerging/argentina-2023-inflation-seen-185-cenbank-poll-2023-11-13/">185,0 %</a>, soit la <a href="https://www.statista.com/chart/31306/countries-with-the-highest-annual-increases-in-consumer-prices/">quatrième plus haute dans le monde</a>, après le Venezuela, le Zimbabwe et le Soudan. À titre de comparaison, le taux d’inflation qui a frappé si durement les poches des Français en 2022 n’a été que de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2122401">5,2 %</a> en 2022. Rappelons à cet égard une phrase célèbre des économistes <a href="https://www.jstor.org/stable/2673879">Easterly et Fisher</a> : « l’inflation est l’impôt le plus cruel qui soit » – parce qu’elle frappe plus durement les pauvres que les riches.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KbyYRbjEUVk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Selon le rapport 2023 de <a href="https://uca.edu.ar/es/noticias/avance-del-informe-del-observatorio-de-la-deuda-social-de-la-uca-la-pobreza-alcanza-al-447-de-la-poblacion">l’Observatoire de la dette sociale</a> de l’Université catholique argentine, 44,7 % des Argentins, soit près de 20 millions de personnes, vivent sous le seuil de pauvreté. L’instabilité économique génère la pauvreté, qui entraîne une <a href="https://www.courthousenews.com/argentines-feeling-unsafe-despite-declining-official-crime-rates/">augmentation de la criminalité et de l’insécurité</a>, l’autre fléau du pays. Ces chiffres sont inacceptables, surtout pour un gouvernement qui se veut populaire, comme le péronisme.</p>
<p>Les indicateurs internationaux font également état d’une grave détérioration. Le <a href="https://www.heritage.org/index/country/argentina">score de « liberté économique »</a> de l’Argentine est de 51,0, ce qui fait de son économie la 144<sup>e</sup> plus libre de l’indice 2023 établi par la très conservatrice <em>Heritage Foundation</em>. Dans <a href="https://www.transparency.org/en/countries/argentina">l’indice de perception de la corruption 2022</a> élaboré par <em>Transparency International</em>, le score de l’Argentine est de 38 sur 100 (0 étant le pire, 100 le mieux), et le pays occupe la 94<sup>e</sup> place sur 180.</p>
<h2>Le sommeil de la raison engendre des monstres</h2>
<p>Un fameux tableau de Goya porte une inscription remarquable : « Le sommeil de la raison engendre des monstres. » Les politiques économiques insensées des récents gouvernements péronistes, en particulier du gouvernement sortant du président Fernandez et du ministre de l’Économie Massa, ont généré de la pauvreté, des troubles et de l’agitation sociale. Un terrain propice à l’émergence d’un « monstre démagogique » – cette fois-ci de droite et libertaire. Milei a pu émerger et gagner grâce aux échecs du péronisme en matière économique : de nombreux électeurs de Milei ont probablement voté non pas pour ses idées, mais contre le gouvernement péroniste de Fernandez et Massa.</p>
<p>Les images de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/argentine-liesse-immense-des-l-arrivee-des-champions-du-monde-20-12-2022-2502329_24.php">l’arrivée de l’équipe argentine de football</a> à Buenos Aires après avoir remporté la Coupe du monde 2022 montrent la joie du peuple argentin, mais aussi l’exubérance, la dimension passionnelle et mythique du pays. La passion est aussi une composante de la politique locale, magistralement exploitée par les leaders populistes, tant de droite comme de gauche.</p>
<p>Ainsi, la rationalité, la discussion raisonnée des plans gouvernementaux, leur possibilité factuelle, passent au second plan. La rhétorique enflammée de Milei, ses diatribes contre le gouvernement en place, a probablement compté plus que ses propositions économiques, dont la mise en œuvre ne sera pas aisée.</p>
<h2>Pragmatisme politique ou idéalisme libertaire ?</h2>
<p>Les perspectives économiques de l’Argentine sont sombres : économie stagnante, inflation élevée, dépendance à l’égard des exportations de matières premières (soja, blé, maïs et, dans une moindre mesure, viande), déficit de la balance des paiements, problèmes d’importation, plus de 15 taux de change différents pour le dollar américain (la monnaie de prédilection des Argentins, face à la volatilité du peso), départ des entreprises internationales, <a href="https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document/EPRS_BRI(2023)753938">dette extérieure colossale</a>… </p>
<p>La fermeture de la banque centrale, la suppression de plusieurs ministères, la baisse de l’aide sociale, la libération des taux de change et l’ouverture de l’économie sans discernement pourraient entraîner des conséquences désastreuses pour un grand nombre d’Argentins ayant voté pour Milei. De plus, la promesse de dollarisation de l’économie n’est pas facile à mettre en œuvre sans dollars (les réserves de la Banque centrale pourraient <a href="https://www.reuters.com/article/argentina-economy-reserves/argentina-net-fx-reserves-seen-5-billion-in-the-red-analysts-say-idINL1N38S349/">être dans le rouge</a>).</p>
<p>À l’issue des législatives, tenues le jour du premier tour de la présidentielle, le parti de Milei n’a obtenu que la <a href="https://elpais.com/argentina/2023-11-21/javier-milei-gobernara-argentina-con-minoria-en-las-dos-camaras.html">troisième place</a> aux deux chambres du Congrès. Même avec les voix des députés du parti allié Proposition républicaine (PRO), il ne disposera pas du quorum nécessaire pour imposer ses réformes. Il devra donc nouer des alliances et négocier avec d’autres partis ainsi qu’avec l’opposition péroniste (qui dispose du premier groupe parlementaire dans chacune des deux Chambres). Cela rend très difficile l’adoption de ses propositions les plus radicales. En outre, il devra probablement affronter les puissants syndicats (tous péronistes) s’il tente de modifier la législation du travail, comme il s’y est engagé.</p>
<p>Il y a aussi des opportunités à saisir : l’Argentine a un grand potentiel en tant qu’exportatrice de denrées alimentaires et fait partie, avec le Chili et la Bolivie, du « triangle du lithium », l’une des plus grandes réserves mondiales de ce métal si nécessaire à la transition énergétique. Milei pourrait également favoriser un réalignement avec les puissances occidentales qui pourrait accroître les investissements directs étrangers et faciliter l’accès au marché international de la dette et même la relance de <a href="https://apnews.com/article/argentina-eu-mercosur-brazil-paraguay-7448623940e803b314ccd021f22ad7da">l’accord Mercosur-UE</a>, auquel le gouvernement péroniste sortant n’est pas favorable et que la future ministre des Relations extérieures de Milei, Diana Mondino, regarde d’un œil favorable. </p>
<p>Dans ce contexte, Milei devrait rapidement apprendre les règles du jeu politique en devenant pragmatique. Ironiquement, cela signifierait qu’il rejoindrait cette « caste » qu’il a tant combattue. Cela impliquerait aussi de forger des alliances avec les péronistes, d’améliorer les <a href="https://www.reuters.com/world/americas/with-soy-lithium-trade-balance-argentinas-milei-has-china-conundrum-2023-12-07/">relations diplomatiques avec la Chine</a>, l’un des principaux investisseurs dans le pays (pendant la campagne, Milei a promis de rompre avec Pékin et de se retirer du bloc BRICS+, que le président Fernandez s’était engagé à rejoindre à partir de 2004).</p>
<p>Un Milei pragmatique, mesuré et ordonné pourrait conduire l’Argentine sur la voie de la prospérité, mais il est peu probable que celle-ci se concrétise du jour au lendemain. Beaucoup de ceux qui ont voté pour le nouveau président l’ont fait « avec leur portefeuille ». Si leur portefeuille n'est pas rempli dans les mois à venir, il est probable qu’ils se retourneront contre lui.</p>
<p>En 1986, Raúl Baglini, un politicien argentin, a énoncé un « théorème » affirmant que le degré de responsabilité des propositions d’un dirigeant politique est directement proportionnel à ses chances d’accéder au pouvoir (ou, en d’autres termes, que le niveau d’absurdité du discours d’un homme politique est inversement proportionnel à sa proximité avec le pouvoir). Il reste à voir si le mandat de Milei en apportera la confirmation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219556/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maximiliano Marzetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le programme de Javier Milei semble inapplicable, mais le nouveau président argentin avait-il vraiment l’intention de le mettre en œuvre ?Maximiliano Marzetti, Assistant Professor of Law, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2186642023-12-05T17:08:44Z2023-12-05T17:08:44ZEn Pologne, aux Pays-Bas et ailleurs en Europe : les multiples visages des populismes de droite radicale<p>Les récentes élections législatives en <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1418875/resultats-elections-pologne-2023/">Pologne</a> (15 octobre 2023) et <a href="https://fr.euronews.com/2023/11/23/seisme-politique-aux-pays-bas-lextreme-droite-de-geert-wilders-remporte-les-legislatives">aux Pays-Bas</a> (22 novembre 2023) ont témoigné de la vitalité électorale des droites radicales populistes dans les deux pays.</p>
<p>En Pologne, le scrutin d’octobre a démontré la résilience du PiS (Droit et justice), au pouvoir depuis 2015. Malgré une mobilisation sans précédent de l’opposition emmenée par la Coalition civique de Donald Tusk (et qui devrait finir par réussir à former le gouvernement avec ses alliés, malgré la <a href="https://theconversation.com/pologne-malgre-sa-defaite-electorale-la-droite-dure-menace-letat-de-droit-217316">résistance acharnée du pouvoir sortant)</a>, le parti du premier ministre Mateusz Morawiecki est arrivé en première position avec 35,28 % des voix, flanqué de <em>Konfederacja</em>, coalition hétérogène d’anciens membres de l’extrême droite qui a, elle, réuni 7,16 % des suffrages. De leur côté, les Pays-Bas ont vu le PPV (Parti pour la liberté) de Geert Wilders l’emporter avec 23,6 % des suffrages, devenant contre toute attente le premier parti au Parlement avec 37 sièges, soit presque la moitié des sièges nécessaires pour obtenir une majorité (76 sur 150).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pays-bas-quels-scenarios-apres-la-victoire-du-leader-populiste-geert-wilders-218549">Pays-Bas : quels scénarios après la victoire du leader populiste Geert Wilders ?</a>
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<p>Ces succès s’inscrivent dans une tendance plus globale au regain des forces de droite radicale populiste dans nombre de pays européens, à l’instar de l’Italie, de la Suède ou de la Finlande, sans oublier naturellement la France. Ces partis ont actuellement le vent en poupe dans de nombreux États membres de l’UE : <a href="https://theconversation.com/autriche-lextreme-droite-bientot-de-retour-au-pouvoir-199626">Autriche</a>, <a href="https://www.rtl.be/actu/magazine/cptljd/apres-la-victoire-de-lextreme-droite-aux-pays-bas-le-vlaams-belang-peut-il/2023-11-26/article/612043">Belgique</a>, <a href="https://fr.euronews.com/2023/11/28/elections-en-2024-la-roumanie-sera-t-elle-le-prochain-pays-de-lue-a-voter-pour-lextreme-dr">Roumanie</a>, <a href="https://balkaninsight.com/2023/06/16/croatian-right-gears-up-early-for-election-eying-power/">Croatie</a>, <a href="https://fr.euronews.com/2023/03/05/legislatives-en-estonie-lextreme-droite-gagnante-selon-les-resultats-provisoires">Estonie</a> ou <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Bulgarie-crise-politique-perdure-lextreme-droite-prorusse-profite-2023-04-04-1201262064">Bulgarie</a>, en particulier. Outre-Rhin, l’AfD réunit actuellement 21 % des intentions de vote, loin devant les sociaux-démocrates du SPD, une percée <a href="https://www.lopinion.fr/international/elections-regionales-en-allemagne-une-poussee-de-lafd-en-hesse-et-en-baviere">confirmée dans les urnes début octobre</a> aux élections régionales en Bavière (14,6 %, +4 points) et en Hesse (18,4 %, +5 points). En <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2006/07/01/en-slovaquie-la-gauche-s-allie-a-l-extreme-droite-et-aux-populistes_790625_3214.html">Slovaquie</a>, les ultranationalistes du Parti national (SNS) se sont imposés comme partenaires de Robert Fico à l’issue des élections de septembre dernier.</p>
<p>Les expériences polonaise et néerlandaise confirment la dynamique actuelle des droites radicales populistes. Elles illustrent également la diversité et la complexité de la scène populiste contemporaine.</p>
<h2>Des trajectoires parallèles</h2>
<p>Le PiS polonais incarne un modèle de parti conservateur qui s’est radicalisé au fil du temps en s’appropriant certains thèmes de l’extrême droite.</p>
<p>Le parti de <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/portrait-de-jaroslaw-kaczynski-ancien-premier-ministre-polonais-president-du-parti-droit-et-justice">Jaroslaw Kaczynski</a>, créé en 2001, a adopté au départ un populisme de droite teinté de conservatisme social et de nationalisme. Son agenda national-conservateur s’est affirmé avec le temps, à travers des rapprochements successifs avec des mouvements situés plus à droite sur l’échiquier. Le PiS a remporté deux élections consécutives (2015 et 2019) en s’appuyant sur des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/31/en-pologne-la-quasi-interdiction-de-l-avortement-est-entree-en-vigueur-sur-fond-de-manifestations_6068302_3210.html">réformes conservatrices</a>, la mise au pas du système judiciaire (<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/05/la-reforme-de-la-justice-de-2019-en-pologne-enfreint-le-droit-de-l-union-europeenne_6176287_3210.html">réforme de 2019</a>) et l’affirmation récurrente qu’il représente un rempart contre les influences étrangères.</p>
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<p>Cet agenda national-conservateur lui a permis d’assurer un temps sa position de parti dominant et de convserver le pouvoir entre 2015 et 2023, ce qui explique sa trajectoire centrifuge marquée par une <a href="https://www.taurillon.org/l-etat-de-droit-en-pologne-une-situation-enlisee">dérive illibérale sur l’État de droit</a>. Cette tendance l’a d’ailleurs amené à entrer en conflit avec les institutions européennes à ce sujet.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bras-de-fer-entre-bruxelles-et-varsovie-comprendre-la-strategie-des-autorites-polonaises-169665">Bras de fer entre Bruxelles et Varsovie : comprendre la stratégie des autorités polonaises</a>
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<p>Sur le plan économique, le PiS est volontiers interventionniste, mettant l’accent sur le soutien aux familles, la protection sociale et la promotion des entreprises polonaises (y compris par des mesures protectionnistes). En outre, le PiS a mis en place des programmes de soutien à l’agriculture, offrant des subventions aux agriculteurs et mettant l’accent sur la préservation de l’agriculture familiale traditionnelle.</p>
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<p>Le PVV néerlandais a été fondé en 2006 par Geert Wilders après son départ du Parti populaire pour la démocratie et la liberté (VVD) deux ans plus tôt. Son programme comprend des éléments nationalistes, conservateurs et libéraux, et prône la fermeté en matière d’immigration et de justice.</p>
<p>Une partie de son pouvoir de séduction repose sur un <a href="https://www.la-croix.com/international/Pays-Bas-Geert-Wilders-20-ans-campagne-anti-islam-anti-immigration-2023-11-23-1201291960">discours profondément anti-islam</a> – jusqu’à l’outrance – et une critique acerbe de la classe politique dirigeante. Wilders désigne l’immigration comme la principale menace pour l’État-providence néerlandais, dénonce le « tsunami de l’asile et de l’immigration de masse » et propose d’interdire les écoles islamiques, le Coran (qu’il a comparé à <em>Mein Kampf</em>) et les mosquées pour mettre un terme à ce qu’il considère comme « l’islamisation » du pays.</p>
<p>Le populisme demeure une caractéristique forte du PVV. En 2023, Wilders a largement fait appel au « ras-le-bol » des électeurs néerlandais après <a href="https://theconversation.com/la-chute-du-gouvernement-rutte-aux-pays-bas-illustration-des-forces-et-faiblesses-du-regime-parlementaire-209659">13 ans de gouvernement VVD de Mark Rutte</a>. Sur le plan économique, le PVV a progressivement évolué d’un programme néolibéral vers des positions plus sociales, proches de celles de Marine Le Pen en France.</p>
<p>Contrairement au PiS, le PVV n’a jamais été en mesure d’accéder au pouvoir jusqu’à présent. Les élections de 2023 marquent à cet égard un tournant historique vers sa normalisation. D’abord grâce aux efforts de Wilders pour <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/pays-bas/elections-aux-pays-bas-geert-wilders-de-la-haine-de-lislam-au-discours-modere-pour-gagner-751b0e26-89df-11ee-a1c0-8cef14bedf93">tempérer ses positions les plus radicales</a> et se donner un profil plus fréquentable, mais surtout grâce à la porte entrouverte avant le scrutin par la nouvelle dirigeante du VVD, Dilan Yesilgöz-Zegerius, à une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/nov/23/netherlands-far-right-geert-wilders-victory-mark-rutte">possible alliance avec le PVV</a>.</p>
<h2>Divergences et convergences</h2>
<p>Si le PVV néerlandais, comme le RN en France, s’efforce d’épouser les grandes évolutions de société sur les questions de mœurs – souvent d’ailleurs pour mieux diaboliser un islam jugé « retrograde » ou « totalitaire » –, d’autres incarnent à l’inverse une réaction conservatrice face aux enjeux d’égalité femmes-hommes ou de promotion des droits LGBT. Viktor Orban en Hongrie et le PiS polonais s’imposent ainsi comme des hérauts de cette contre-révolution culturelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-pologne-loffensive-anti-lgbt-illustre-un-incroyable-renversement-de-valeurs-120770">En Pologne, l'offensive anti-LGBT illustre un incroyable renversement de valeurs</a>
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<p>En Italie, Giorgia Meloni a été élue sur le slogan <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3289">« Dieu, famille, patrie »</a> ; en Espagne, Vox fait de la <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/vox-la-tentative-de-lultra-droite-contre-les-droits-des-femmes-en-espagne-30929">lutte contre l’avortement</a> ou le <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/espagne-un-candidat-du-parti-vox-compare-le-mariage-homosexuel-a-une-union-entre-une-personne-et-un-animal/">mariage homosexuel</a> un de ses principaux chevaux de bataille.</p>
<p>En dépit de leurs différences, le PVV et le PiS, et au-delà l’ensemble des partis de droite radicale populiste, se rejoignent sur certains traits idéologiques communs : rejet de l’immigration, hostilité envers l’islam, et affirmation de l’identité et de la souveraineté nationales, notamment face à l’Union européenne. Tous ces mouvements partagent également un agenda autoritaire et sécuritaire fondé sur la loi et l’ordre, et la plupart adhèrent à l’idée d’une « préférence nationale » pour assurer l’accès prioritaire aux nationaux à l’emploi et à l’aide sociale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Proportion de sièges détenus au Parlement national par le principal parti de droite radicale, au 23 novembre 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.aubedigitale.com/ou-lextreme-droite-a-gagne-du-terrain-en-europe/">Statista</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Un peu partout en Europe, les partis de droite radicale populiste semblent en mesure d’exploiter les insécurités économiques, le pessimisme et les colères sociales, notamment face à l’impact de la guerre en Ukraine. Le gouvernement polonais du PiS a certes joué, dès février 2022, un rôle essentiel pour soutenir l’effort de guerre du pays voisin, tout en accueillant près d’un million et demi de réfugiés ukrainiens. Mais dans les mois précédant les élections du 15 octobre dernier, le PiS s’est progressivement rapproché des positions de <em>Konfederacja</em>, coalition dénonçant les effets du conflit ukrainien sur les populations rurales défavorisées, qui constituent le cœur de l’électorat du PiS. Ainsi, plusieurs prises de position négatives à l’égard de l’Ukraine, contre l’afflux de céréales et pour l’arrêt des livraisons d’armes ont marqué la fin de la campagne des conservateurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-les-tensions-polono-ukrainiennes-215109">Comprendre les tensions polono-ukrainiennes</a>
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<p>Par contraste, le PVV défend depuis longtemps des relations plus étroites avec Vladimir Poutine, considéré comme un allié dans la lutte contre le terrorisme et l’immigration de masse. Geert Wilders s’était mobilisé lors du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/04/07/le-resultat-du-referendum-aux-pays-bas-nouveau-signe-de-defiance-pour-l-europe_4897522_3210.html">référendum de 2016 aux Pays-Bas</a> pour s’opposer à la ratification de l’Accord d’association entre l’UE et l’Ukraine. Wilders est à la fois très pro-OTAN à domicile mais également contre l’expansion de l’organisation à l’Est et contre la « russophobie hystérique » – il s’est notamment rendu à Moscou en 2018. Lors de sa campagne électorale, il a appelé de ses vœux l’avènement de « l’heure de la <em>realpolitik</em> », la <a href="https://www.kyivpost.com/post/24544">fin de la livraison d’armes et du soutien financier à Kiev</a> et l’ouverture de négociations avec la Russie.</p>
<h2>Les enjeux des élections européennes</h2>
<p>Cette montée en puissance des mouvements de droite radicale populiste pourrait représenter un enjeu majeur des élections européennes de juin 2024.</p>
<p>Ces partis, qui avaient longtemps été les principaux acteurs de l’opposition à l’Union européenne, ont, pour la plupart, opéré depuis quelques années un recentrage stratégique sur la question – souvent du fait de leur accession au pouvoir. En Italie, par exemple, <a href="https://information.tv5monde.com/international/giorgia-meloni-sest-elle-vraiment-convertie-leurope-1413340">Giorgia Meloni</a> s’est éloignée de ses positions les plus radicales sur l’immigration ou l’UE et recherche désormais le compromis avec Ursula von der Leyen et les autorités européennes sur ces sujets. En France, la question européenne a été très largement absente de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2022, quand bien même cette dernière n’a jamais véritablement abandonné la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/20/election-presidentielle-le-frexit-cache-de-marine-le-pen-est-un-projet-de-rupture-deletere-pour-la-france-et-pour-l-europe_6122908_3232.html">vieille idée d’une « Europe des nations libres et indépendantes »</a>, si chère à son père.</p>
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<p>En Pologne, le PiS s’oppose à Bruxelles depuis plusieurs années à propos de ses réformes judiciaires et de sa décision, en octobre 2021, de décréter certains articles des traités européens <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211007-trait%C3%A9s-de-l-ue-la-pologne-juge-certains-articles-incompatibles-avec-sa-constitution">incompatibles avec la Constitution nationale</a>, remettant en question le principe même de primauté du droit européen, s’alignant sur ce point avec la Hongrie de Viktor Orban. Aux Pays-Bas, Wilders a longtemps incarné un euroscepticisme « dur » prônant tout simplement une sortie unilatérale de l’Union. Comme beaucoup de ses homologues européens, le leader d’extrême droite a récemment adouci ses positions pour élargir sa base électorale, et propose désormais un <a href="https://www.levif.be/international/europe/le-nexit-de-geert-wilders-et-si-les-pays-bas-quittaient-lunion-europeenne/">référendum sur un éventuel « Nexit »</a>.</p>
<p>Jusqu’à présent, au Parlement européen, ces partis sont demeurés fortement divisés, répartis entre les groupes <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et Démocratie</a>, celui des <a href="https://www.ecrgroup.eu/">Conservateurs et Réformistes européens</a> et les non-inscrits. Les désaccords entre ID et les CRE tiennent pour beaucoup à leurs positions respectives sur la question de l’attitude à adopter à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine et, en filigrane, face à l’OTAN et aux États-Unis.</p>
<h2>Pro ou anti-Poutine ?</h2>
<p>Parmi les admirateurs zélés du président russe, on retrouve beaucoup des mouvements opposés à l’OTAN – RN, FPÖ, FvD néerlandais (qui a obtenu 2,2 % aux dernières législatives), ATAKA et Vazrazhdane en Bulgarie, SPD tchèque ou AUR en Roumanie. Pour les populistes de droite, Poutine a longtemps été vu comme l’incarnation d’un leadership fort, comme un défenseur des valeurs chrétiennes et un gardien de la civilisation européenne face à la « menace » de l’islam. De façon plus prosaïque, l’attitude des extrêmes droites européennes a été indexée, aussi, sur la dépendance au gaz russe dans des pays tels que l’Autriche, la Bulgarie, la Tchéquie ou la Serbie, ou sur l’existence d’intérêts économiques liés aux investissements russes comme en Italie ou en Hongrie. Sans oublier les liens financiers établis avec le maître du Kremlin, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-rassemblement-national">à l’image du parti lepéniste en France</a>, ou les liens d’amitié personnelle, comme cela fut le cas pour Silvio Berlusconi en Italie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-dela-des-liens-entre-le-rn-et-la-russie-le-grand-projet-illiberal-europeen-207570">Au-delà des liens entre le RN et la Russie : le grand projet illibéral européen</a>
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<p>La topographie des groupes européens recoupe en partie cette ligne de clivage, opposant des partis plus « mainstream » et souvent plus atlantistes, autour de Giorgia Meloni, de Vox ou des Polonais du PiS chez les Conservateurs réformistes, à un groupe ID devenu au fil du temps le principal lieu de convergence des forces pro-russes autour de Marine Le Pen, Matteo Salvini ou de l’AfD allemande. Le cas de Geert Wilders, pro-OTAN et pro-russe, n’en ressort qu’avec plus d’originalité sur ce point.</p>
<p>Si la perspective d’une vaste alliance d’extrême droite au Parlement européen demeure assez peu probable, les succès à venir laissent toutefois entrevoir un nouveau glissement du centre de gravité de la politique européenne et un pouvoir de nuisance accru de la part de mouvements qui, s’ils poursuivent leur chemin vers la normalisation, n’en demeurent pas moins les principaux vecteurs d’opposition aux valeurs fondatrices de l’UE. </p>
<p>À l’image du PiS polonais, l’exercice du pouvoir par ces partis est marqué par une dérive illibérale, caractérisée par l’opposition à certaines des valeurs et des normes qui assurent l’équilibre politique et institutionnel des démocraties modernes. Une telle dérive participe d’un mouvement plus large et particulièrement préoccupant d’érosion démocratique, à laquelle la Coalition civique, en Pologne, devra répondre avec méthode. Parallèlement, le soutien européen à l’Ukraine risque de se trouver affaibli au Parlement européen aussi bien qu’au niveau des États membres. L’arrivée au pouvoir du PVV ne fait que renforcer une telle dérive.</p>
<p>Enfin, fort d’un éventuel futur statut de premier ministre, Wilders pourrait être tenté d’abandonner Marine Le Pen pour rejoindre Giorgia Meloni et les Conservateurs réformistes à Strasbourg en juin prochain. L’hypothèse d’une alliance de la droite du <a href="https://www.eppgroup.eu/fr">Parti populaire européen</a>, qui regroupe les partis de droite « traditionnels », et d’un groupe CRE renforcé, emmené par Giorgia Meloni et le PiS, laisserait entrevoir un durcissement des politiques migratoires de l’UE et, plus fondamentalement encore, un affaiblissement du <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr"><em>Green Deal</em> européen</a> par des partis d’extrême droite souvent climato-sceptiques et peu soucieux de transition énergétique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La droite radicale populiste a le vent en poupe en Europe, mais des divergences sensibles existent entre les partis de cette famille politique hétérogène.Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Gilles Ivaldi, Chercheur en science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2185492023-11-27T17:12:45Z2023-11-27T17:12:45ZPays-Bas : quels scénarios après la victoire du leader populiste Geert Wilders ?<p>Les résultats des élections néerlandaises du 22 novembre dernier, qui ont vu la <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/europ%C3%A9en-de-la-semaine/20231126-geert-wilders-le-tribun-d-extr%C3%AAme-droite-au-seuil-du-pouvoir-aux-pays-bas">victoire du Parti pour la liberté</a> (PVV), ont provoqué une onde de choc au sein de l’establishment politique européen. Les effets de ce scrutin pourraient bien aller au-delà des seuls Pays-Bas.</p>
<h2>Une première dans l’histoire du pays</h2>
<p>Pour la première fois dans l’histoire des Pays-Bas, un parti d’extrême droite est devenu le premier en nombre de sièges au Parlement national. Le leader du PVV, Geert Wilders, est un homme politique excentrique connu pour sa rhétorique incendiaire. Il prône la sortie des Pays-Bas de l’Union européenne et a qualifié l’islam de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/03/07/01003-20080307ARTFIG00024-geert-wilders-l-ideologie-islamique-est-fasciste.php">« religion fasciste »</a>. Lors d’un procès en 2016, il a été reconnu <a href="https://www.lepoint.fr/monde/pays-bas-le-depute-wilders-relaxe-d-incitation-a-la-haine-09-12-2016-2089169_24.php">coupable d’incitation à la discrimination</a>, mais a été dispensé de peine.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/elections-aux-pays-bas-vers-un-paysage-politique-largement-renouvele-2030607">sondages pré-électoraux</a> avaient indiqué que le Parti pour la liberté pouvait arriver en tête, mais il apparaissait au coude à coude avec les grandes formations traditionnelles de la gauche (Parti travailliste-Gauche verte, PvdA/GL) et de la droite (Parti populaire pour la liberté et la démocratie, VVD). Les sondages se sont révélés loin du compte : Wilders a gagné avec une marge confortable (23,6 % des suffrages, contre 15,5 % au PvdA/GL et 15,2 % au VVD), même s’il devra <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20231123-aux-pays-bas-l-extr%C3%AAme-droite-de-geert-wilders-face-au-d%C3%A9fi-de-r%C3%A9unir-une-coalition">chercher des partenaires de coalition</a> pour former un gouvernement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Séisme politique aux Pays-Bas : l’extrême droite de Geert Wilders remporte les législatives. Euronews, 23 novembre 2023.</span></figcaption>
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<p>Un nouveau parti de droite, le Nouveau contrat social (NSC), a également obtenu un très bon score (12,8 %). Comme le Parti pour la liberté, ce parti désigne l’immigration comme étant la <a href="https://nltimes.nl/2023/10/24/election-front-runner-omtzigt-calls-stricter-immigration-limits-netherlands">première cause de problèmes</a> tels que l’engorgement des services publics néerlandais et le manque de logements abordables. Cependant, Pieter Omtzigt, le leader du NSC (et ancien député en tant que membre de l’Appel chrétien-démocrate, un parti chrétien-démocrate de centre droit qui, ce 22 novembre, n’a récolté que 3,3 % des suffrages), critique certains des discours les plus incendiaires de Wilders.</p>
<p>Omtzigt apparaît néanmoins comme le candidat le plus probable pour former une coalition avec Wilders, ainsi qu’avec le VVD, ancien parti du premier ministre sortant Mark Rutte, démissionnaire en juillet dernier. Mais il faudra attendre un certain temps avant de savoir si un tel partenariat est réalisable. Aux Pays-Bas, la mise en place d’une coalition est l’affaire de plusieurs mois et non de plusieurs semaines.</p>
<p>Ces pourparlers seront d’autant plus complexes que l’image et la personnalité de Wilders sont particulièrement clivantes. Bien que son parti ait remporté le plus grand nombre de sièges (37 sur 150), les controverses qui l’entourent depuis tant d’années risquent de l’empêcher d’obtenir le poste de premier ministre, même si son parti parvenait à mettre en place une coalition gouvernementale.</p>
<p>En cas de formation d’une coalition centrée sur le PVV, la question du maintien des Pays-Bas dans l’UE sera inévitablement mise en avant. Wilders souhaite un <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/obsede-par-le-coran-prorusse-et-partisan-du-nexit-geert-wilders-lincrevable-figure-de-lextreme-droite-20231123_5KWABAQ5P5BMFDIWOU2EYKQSPE/">référendum sur la sortie des Pays-Bas de l’UE</a> et, même si ce projet ne se concrétise pas, on peut s’attendre à ce qu’il imprègne d’euroscepticisme tout gouvernement auquel il participerait.</p>
<p>Cela pourrait avoir des conséquences considérables pour l’UE. Même si les <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-europe-pour-les-extr%C3%AAmes-droites-ue-doit-%C3%AAtre-un-outil-pour-juguler-les-crises-migratoires">partis d’extrême droite en Europe divergent</a> sur la question de la sortie de l’Union, ils s’accordent sur la nécessité de transformer l’UE en un organe plus intergouvernemental, ce qui ôterait des prérogatives à Bruxelles.</p>
<h2>Un exemple venu d’Italie</h2>
<p>L’année dernière, <a href="https://theconversation.com/en-italie-la-victoire-annoncee-de-lextreme-droite-191111">Giorgia Meloni</a>, avec qui Wilders partage une certaine affinité idéologique, est devenue la première ministre de l’Italie. Le parti de droite radicale de Meloni, Frères d’Italie est arrivé en tête lors des législatives du 25 septembre 2022 et a formé une coalition avec d’autres partis de droite et de droite dure.</p>
<p>À l’instar de Wilders, Meloni était considérée comme une outsider sur la scène politique de son pays et a toujours placé l’immigration <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/italie-limmigration-au-coeur-de-la-campagne-electorale/">au cœur des débats</a>. Mais depuis son arrivée au pouvoir, sa rhétorique anti-immigration a dû être modérée. Elle a rapidement été confrontée aux appels des milieux d’affaires à remédier à la <a href="https://www.euractiv.fr/section/immigration/news/litalie-demande-larret-des-flux-migratoires-mais-veut-plus-de-main-doeuvre-etrangere/">pénurie de main-d’œuvre en Italie</a>, ce qui impliquait d’accorder des permis aux travailleurs immigrés.</p>
<p>Dans mon livre <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctvt9k3d3"><em>Political Entrepreneurs</em></a>, coécrit avec Sara Hobolt de la London School of Economics, nous montrons que la pratique du pouvoir change les partis politiques. Il est relativement facile de tenir des discours radicaux depuis les coulisses, mais une fois au gouvernement, les partis doivent assumer la responsabilité de la conduite des affaires de leur pays. Ils doivent prendre des décisions, peser les intérêts – et les réserves financières dont ils disposent pour mener à bien leur politique. Meloni, comme les dirigeants de tant d’autres partis populistes, a rapidement <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-migratoire-a-lampedusa-qu-a-fait-giorgia-meloni-face-a-l-immigration-depuis-son-arrivee-au-pouvoir-en-italie_6073092.html">mis de l’eau dans son vin</a> une fois qu’elle est arrivée au pouvoir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1706508650582319566"}"></div></p>
<p>C’est la leçon la plus importante pour Wilders : Frères d’Italie avait conduit une campagne électorale eurosceptique mais épousent désormais largement des positions proches de celles de Bruxelles, y compris sur les questions relatives à l’immigration. Meloni a même <a href="https://euobserver.com/migration/157613">affiché sa proximité</a> avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.</p>
<p>Cela dit, l’expérience italienne offre également un autre exemple que Wilders pourrait trouver intéressant. Dans le cadre de nos recherches, nous avons constaté que les partis qui sont devenus populaires en s’opposant à la politique existante préfèrent parfois garder un pied dans le gouvernement et un pied en dehors. C’est par exemple le cas de Matteo Salvini, chef du parti La Ligue et partenaire de la coalition de Meloni.</p>
<p>Salvini ne manque jamais une occasion de souligner son indépendance, même si cela <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2579959-20190808-crise-politique-italie-matteo-salvini-reclame-elections-anticipees-fait-eclater-coalition-populiste">cause des difficultés au gouvernement italien auquel La Ligue participe</a>. Seul un partenaire de coalition secondaire peut se permettre de telles frasques, car un premier ministre et son parti font face à une pression bien plus intense. Wilders pourrait donc trouver plus pratique de suivre la voie de Salvini plutôt que celle de Meloni.</p>
<p>Quelle que soit la voie qu’il emprunte, si Wilders fait partie du gouvernement, les résultats de ces élections auront certainement des conséquences sur les relations des Pays-Bas avec le reste de l’Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218549/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine de Vries ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le controversé politicien néerlandais a remporté le plus grand nombre de sièges au Parlement, mais il pourrait encore trouver opportun de ne pas briguer le poste de premier ministre.Catherine de Vries, Professor of Political Science, Fellow and member of the Management Council of the Institute for European Policymaking, Bocconi UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172102023-11-16T17:21:59Z2023-11-16T17:21:59ZPrésidentielle en Argentine : un entre-deux-tours électrisant<p>Le 22 octobre dernier, le premier tour de l’élection présidentielle argentine a donné lieu à des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/23/en-argentine-le-peroniste-sergio-massa-parvient-a-limiter-l-avancee-de-l-extreme-droite_6196092_3210.html">résultats surprenants</a>. La dynamique politique change rapidement dans ce pays de 45 millions d’habitants dont le poids économique, malgré les crises, reste considérable en Amérique du Sud.</p>
<p>La non-qualification plus ou moins inattendue pour le deuxième tour de la représentante de la droite traditionnelle, Patricia Bullrich, la « remontada » de Sergio Massa (candidat de la coalition de centre gauche sortante) et la performance moins bonne que prévu de <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/presidentielle-en-argentine-favori-des-sondages-lultraliberal-dextreme-droite-javier-milei-arrive-finalement-deuxieme-20231023_MYEZBGQFLBGR7O4PMAJ4G7NOHE/">l’ultra-libéral Javier Milei</a>, favori des sondages mais arrivé en seconde position ont été les points saillants de cette compétition électorale qui culminera ce dimanche avec le second tour opposant Massa à Milei. À quelques jours du scrutin, l’issue paraît fort incertaine.</p>
<h2>La remontée de Sergio Massa</h2>
<p>Dans un climat économique tendu, caractérisé par une <a href="https://www.lepoint.fr/economie/argentine-manuel-de-survie-en-temps-de-forte-inflation-18-10-2023-2539853_28.php">inflation persistante</a>, une <a href="https://elpais.com/argentina/2023-09-28/auge-de-la-pobreza-en-argentina-ya-no-pienso-en-llegar-a-fin-de-mes-pienso-en-llegar-a-fin-de-semana.html">croissance de la pauvreté</a>, une dette publique en <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/a-court-de-dollars-l-argentine-rembourse-son-pret-au-fmi-avec-des-yuans-968013.html">perpétuelle négociation</a> et un <a href="https://www.infobae.com/economia/2020/09/13/por-que-la-argentina-no-atrae-inversiones/">manque chronique d’attractivité</a> pour les investisseurs internationaux, Sergio Massa, en tant que ministre de l’Économie en fonction, s’est retrouvé dans une position peu enviable aux yeux de l’opinion publique.</p>
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<p>Souvent identifié comme l’incarnation des tribulations économiques nationales, Massa a cependant réussi une performance remarquable lors du premier tour. En août dernier, lors des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/primaires-de-la-presidentielle-en-argentine-l-ultraliberal-milei-en-force-14-08-2023-2531498_24.php">primaires</a> – une consultation propre au système politique argentin, durant laquelle les électeurs étaient appelés à présélectionner à la fois les partis qui seraient en lice au premier tour et leurs candidats –, il était arrivé en troisième position, derrière Milei et Bullrich, avec 27,27 % des voix. Mais le 22 octobre, avec 36,7 % des suffrages exprimés, il est passé devant tous ses adversaires, Milei récoltant 30 % des voix et Bullrich 23,8 %.</p>
<p>En <a href="https://www.lepoint.fr/monde/argentine-sergio-massa-le-cameleon-tombeur-de-cristina-kirchner-29-10-2013-1749327_24.php">prenant ses distances</a> avec les responsables politiques ayant engendré la frustration populaire, et en particulier avec Cristina Kirchner (vice-présidente sortante du président Alberto Fernandez, en poste depuis 2019 et ex-présidente de 2007 à 2015), Massa a réussi à se redéfinir. Il réduit ainsi son image de symbole des déboires économiques, mais se pose comme le garant d’une certaine continuité des politiques sociales péronistes, délesté du poids de l’image de corruption associée au cercle « K » (en référence à Kirchner).</p>
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<p>Il convient de souligner que, pour rallier des électeurs, il n’a pas hésité à user de promesses populistes de dernière minute. Son <a href="https://www.clarin.com/economia/15-medidas-plan-platita-impacto-inflacion_0_WW68lsME1x.html">« Plan Platita »</a> (plan « argent de poche ») comporte des engagements variés, allant de l’allégement fiscal pour les PME à des primes pour les retraités et les chômeurs. Ce plan, qui comprend quinze mesures différentes, générerait de nouvelles dépenses publiques et, par conséquent, un déficit accru – lequel, en Argentine, se traduirait probablement par une hausse de l’inflation, étant donné que son financement nécessiterait l’émission de monnaie supplémentaire.</p>
<p>Un autre facteur de la remontée de Massa est l’inquiétude suscitée par les discours incendiaires et radicaux de Javier Milei et de ses partisans. En promettant de mettre fin à toutes les subventions, de privatiser à grande échelle et de dollariser l’économie, le candidat libertarien a semé la <a href="https://www.lanacion.com.ar/economia/tras-las-elecciones-vencen-acuerdos-que-mantienen-artificialmente-bajos-los-precios-de-mas-de-50000-nid05112023/">crainte d’une flambée incontrôlable</a> des prix parmi les Argentins. Cette appréhension a été partiellement alimentée, de <a href="https://www.ambito.com/politica/tarifa-massa-bullrich-y-milei-los-carteles-que-aparecieron-las-estaciones-trenes-n5850193">manière discutable</a>, par les alliés du gouvernement en place, qui n’ont pas hésité à prédire une dérégulation des prix subventionnés dans les transports publics, tels que les trains, en cas d’élection de Milei ou de Bullrich.</p>
<h2>Les raisons de l’échec de Patricia Bullrich</h2>
<p>Patricia Bullrich, qui avait initialement obtenu une solide deuxième place aux élections primaires avec 28,27 % des suffrages, a été, nous l’avons dit, évincée de manière inattendue au premier tour, ne recueillant que 23,8 % des voix. Les analystes politiques estiment que son élimination résulte d’une <a href="https://mendozatoday.com.ar/2023/10/23/los-errores-que-patricia-bullrich-cometio-en-mendoza-terminaron-de-enterrar-su-aspiracion-presidencial/">série d’erreurs stratégiques</a>, notamment son attitude de mépris affiché envers les figures influentes des <a href="https://mendozatoday.com.ar/2023/10/23/los-errores-que-patricia-bullrich-cometio-en-mendoza-terminaron-de-enterrar-su-aspiracion-presidencial/">régions de Mendoza et de Córdoba</a>, qui auraient pu lui apporter un soutien significatif au-delà de l’agglomération de Buenos Aires.</p>
<p>Un autre écueil majeur de sa campagne a été son incapacité à se positionner de manière crédible comme une candidate réformatrice, surtout face à un Javier Milei au discours plus tranché et à l’image plus convaincante de candidat anti-establishment.</p>
<p>Cependant, c’est peut-être l’ambiguïté du soutien de l’ancien président Mauricio Macri (2015-2019), figure de proue du parti Propuesta Republicana (PRO) et soutien de Bullrich, qui a le plus nui à sa candidature. Représentant des intérêts économiques argentins, <a href="https://www.pagina12.com.ar/611967-los-halcones-de-macri-se-devoran-a-milei">Macri a semblé hésitant</a> quant à la capacité de Bullrich à remporter les élections et n’a pas dissimulé son ouverture à une alliance électorale avec Milei avant même le premier tour, semant le doute sur son engagement envers Bullrich.</p>
<h2>La campagne mouvementée de Javier Milei</h2>
<p>Les résultats du premier tour ont marqué un coup d’arrêt pour Javier Milei, qui, après une percée surprenante aux primaires d’août, semble avoir atteint son apogée. En dépit d’une hausse de la participation de 69 % à 78 %, son score est resté stagnant autour de 30 %, révélant les limites de son expansion électorale au-delà de sa base de jeunes, surtout provinciaux, désabusés par la politique traditionnelle de Buenos Aires.</p>
<p>L’appel à une réforme économique séduit une partie de la population argentine, mais les propositions radicales de Milei, notamment sa volonté de procéder à des réductions budgétaires drastiques et immédiates, ont suscité une inquiétude palpable parmi les citoyens et les PME dépendantes des aides gouvernementales. Ses mises en scène provocatrices, où il <a href="https://cnnespanol.cnn.com/2023/10/01/analisis-javier-milei-candidato-motosierra-argentina-trax/">manie des tronçonneuses</a> symbolisant sa volonté de « couper dans le budget », ainsi que son style rhétorique agressif et souvent vulgaire, n’ont pas su convaincre un électorat modéré et indécis.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JPNBz68tVMM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>De plus, la position de Milei sur la scène internationale, en particulier sa menace initiale de <a href="https://www.bnnbloomberg.ca/argentina-s-milei-says-he-d-reject-assassin-china-leave-mercosur-1.1959892">rompre les liens commerciaux</a> avec les principaux partenaires de l’Argentine, à savoir le Brésil et la Chine, en les qualifiant de « communistes », a été source de controverses. Face aux critiques, il a par la suite <a href="https://www.bloomberglinea.com/latinoamerica/argentina/no-se-frenara-el-comercio-del-sector-privado-con-brasil-y-china-dice-javier-milei/">tempéré ses déclarations</a>, mais le malaise persiste quant à l’impact potentiel qu’auraient les politiques qu’il promeut sur une économie argentine déjà fragile.</p>
<p>La candidature de Javier Milei a également été mise à l’épreuve par ses propres alliés, dont certains se sont révélés être des figures encore plus controversées. Parmi eux, sa colistière pour la vice-présidence, <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Victoria_Villarruel">Victoria Villarruel</a>, se distingue par un <a href="https://www.letrap.com.ar/politica/los-rituales-secretos-victoria-villarruel-una-faccion-catolica-marginal-y-ultraconservadora-n5402960">ultra-conservatisme</a> marqué.</p>
<p>Contrairement à Milei, qui se revendique libertarien et généralement plus progressiste sur les questions de société, Villarruel porte l’héritage d’une famille impliquée dans la dictature militaire argentine (1976-1983). Son père a même pris part, à la fin des années 1980 à une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Carapintadas">rébellion</a> contre le gouvernement démocratiquement élu de Raúl Alfonsín. Elle n’a jamais renié son attachement à cette période sombre de l’histoire argentine. Ses prises de position contre l’avortement et le mariage homosexuel, et en faveur du rétablissement de la conscription en Argentine se reflètent, de manière plus ou moins subtile, dans le discours de Milei. Cependant, Villarruel a dû <a href="https://www.pagina12.com.ar/613505-la-colimba-volveria-con-victoria-villarruel">tempérer</a> ses propos dans le but de séduire un électorat plus modéré.</p>
<p>Les interventions les plus dommageables pour Milei lors du premier tour ont cependant émané de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/ultradroite-argentine-lilia-lemoine-alias-lady-lemon-cosplayeuse-antifeministe-et-bientot-deputee">Lilia Lemoine</a> et du duo père-fils <a href="https://www.pagina12.com.ar/579851-quienes-son-y-como-piensan-los-benegas-lynch-los-proceres-de">Alberto Benegas Lynch</a>. Lemoine, cosplayer, influenceuse et styliste personnelle de Milei, s’est illustrée par des prises de position anti-vaccins, terreplatistes et antiféministes, allant jusqu’à déclarer, quelques jours avant le premier tour, qu’en tant que députée potentielle du mouvement <em>La Libertad Avanza</em>, elle envisagerait de présenter un projet de loi autorisant les hommes à <a href="https://elpais.com/argentina/2023-10-18/una-candidata-de-milei-impulsa-un-proyecto-para-renunciar-a-la-paternidad-si-te-pinchan-un-preservativo.html">refuser</a> la reconnaissance de paternité d’enfants nés hors mariage.</p>
<p>Quant aux Benegas Lynch, issus d’une famille de libéraux éminents en Argentine, ils ont suscité la controverse par leurs propositions sur le commerce d’organes humains et la privatisation des mers. Mais c’est <a href="https://pledgetimes.com/the-argentine-far-right-proposes-breaking-relations-with-the-vatican/">leur plaidoyer pour la rupture des relations avec le Vatican</a>, le pape actuel étant trop à gauche pour eux, qui a provoqué le plus de remous, attirant même les critiques de l’archevêque de Buenos Aires, <a href="https://www.pagina12.com.ar/600069-fuerte-rechazo-al-planteo-de-alberto-benegas-lynch-de-romper">Jorge García Cueva</a>.</p>
<p>Suite à l’accueil mitigé des résultats du premier tour, l’équipe de campagne de Javier Milei a exhorté ses porte-parole à <a href="https://www.pagina12.com.ar/612030-las-voceros-que-javier-milei-borro-de-la-campana-para-evitar">adopter une approche plus discrète</a> pour ne pas compromettre les chances de leur candidat dans la course au second tour. Cette stratégie de retenue a été renforcée par l’appui de Patricia Bullrich et des <a href="https://www.pagina12.com.ar/611967-los-halcones-de-macri-se-devoran-a-milei">figures de proue</a> du parti <em>Propuesta Republicana</em> (PRO), qui, après une analyse post-premier tour, ont décidé de soutenir Milei. Mauricio Macri, à la tête du PRO, cherche à apaiser ses électeurs en présentant un Milei assagi comme l’alternative idéale pour déloger le péronisme du pouvoir. Cette situation a conduit à une collaboration quelque peu inconfortable des Macristes à la campagne de Milei.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1717399681356193869"}"></div></p>
<p>Bien que les voix du PRO soient cruciales pour briser le plafond de verre de Milei, les partisans de la première heure craignent que cette alliance n’entraîne une modération excessive de leur candidat et l’infiltration de ce qu’ils considèrent comme la « caste » des politiciens traditionnels – une « caste » que Milei a souvent critiquée avec véhémence. En effet, Milei a été contraint de faire des concessions à cette « caste » du PRO, notamment en présentant des <a href="https://www.lmcipolletti.com/pais/el-pedido-perdon-javier-milei-patricia-bullrich-sumar-su-apoyo-el-balotaje-n1067550">excuses</a> à Bullrich pour les attaques personnelles émises lors des débats présidentiels, en minimisant ses propositions de dollarisation de l’économie et en écartant ses porte-parole les plus controversés. Ces ajustements stratégiques posent le risque de diluer l’essence même de <a href="https://www.infobae.com/politica/2023/11/05/milei-oscila-entre-proteger-su-identidad-y-moderarse-para-seducir-a-los-votantes-de-bullrich-y-schiaretti/">l’image anti-establishment</a>, qui a été jusqu’ici au cœur de son attrait électoral.</p>
<p>Bien que le ralliement de Bullrich et Macri puisse, sur le papier, <a href="https://www.clarin.com/politica/eleccion-dice-primera-encuesta-midio-balotaje-massa-vs-milei_0_fEOFPr2k0s.html">assurer à Milei une majorité absolue</a> des voix au second tour, la réalité politique est nettement plus complexe. La coalition <em>Juntos por el Cambio</em>, qui soutenait Bullrich, est une alliance entre le PRO et l’<em>Unión Cívica Radical</em> (UCR), un parti traditionnel, adversaire de longue date du péronisme.</p>
<p>L’UCR, avec ses racines socio-libérales et socio-démocrates, est porteur d’une idéologie qui contraste avec les critiques acerbes de Milei à l’égard du gouvernement de Raúl Alfonsín, le premier président élu démocratiquement après la dictature, et sous lequel la junte militaire avait été jugée.</p>
<p>Alors que le PRO de Bullrich et Macri a choisi de se ranger derrière Milei, l’UCR reste réticente et envisage même de soutenir Sergio Massa, malgré les liens de ce dernier avec le kirchnérisme. Il est important de noter que le PRO, bien qu’étant le partenaire dominant de <em>Juntos por el Cambio</em>, ne représente pas l’ensemble de l’électorat de la coalition. Avec plus de 20 % d’abstentionnistes au premier tour et un nombre similaire d’indécis, dont beaucoup pourraient se sentir plus proches de l’UCR, le paysage électoral reste ouvert. Ainsi, même si Milei semble mathématiquement en tête, son avance sur Massa est <a href="https://www.pagina12.com.ar/613379-balotaje-el-escenario-que-preven-las-encuestas">ténue et loin d’être assurée</a>.</p>
<h2>Le vainqueur aura la tâche ardue</h2>
<p>Quel que soit le futur président, il devra faire face à la réalité implacable de l’économie argentine, qui nécessite des réformes immédiates, en particulier pour réduire le déficit public, moteur clé de l’inflation. L’Argentine continue d’être marginalisée sur les marchés internationaux de capitaux, ce qui complique encore la situation. Ni Milei ni Massa ne pourront s’appuyer sur une majorité parlementaire autonome au <a href="https://chequeado.com/el-explicador/elecciones-2023-como-quedara-conformado-el-nuevo-congreso/">Congrès argentin</a>. Pour obtenir une majorité absolue, des alliances seront indispensables avec les législateurs de <em>Juntos por el Cambio</em>, qui représente la deuxième force au Congrès après l’<em>Unión por la Patria</em> de Massa.</p>
<p>Dans ce contexte, un président Massa serait contraint de négocier avec l’opposition et d’entreprendre des réformes au sein de la structure gouvernementale actuelle. Un président Milei, quant à lui, se verrait incapable de réaliser ses réformes les plus extrêmes sans le soutien du Congrès. L’option d’un plébiscite, évoquée par Milei, ne relève pas du pouvoir exécutif mais du législatif, et son utilisation est <a href="https://www.lanacion.com.ar/politica/javier-milei-el-aborto-y-los-limites-de-la-consulta-popular-nid28082023/">strictement encadrée par le Congrès</a>. En somme, la gouvernance de l’Argentine post-élections exigera un exercice d’équilibre et de compromis, quel que soit le vainqueur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel A. Giménez Roche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce dimanche, à l’issue d’une campagne tendue, les Argentins départageront deux candidats que tout oppose. Quelle que soit l’issue du scrutin, le vainqueur devra composer avec le camp adverse.Gabriel A. Giménez Roche, Enseignant-chercheur en économie, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2131102023-09-13T19:52:41Z2023-09-13T19:52:41ZComment le ressentiment nourrit le vote RN dans les zones rurales<p>La dernière élection présidentielle a réactivé des discussions sur l’existence de fondements géographiques à la fracture politique entre les Français. Il y aurait selon <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jerome-fourquet-l-etat-de-la-france-d-apres-05-05-2022-2474389_32.php">certains acteurs du débat public</a>, une opposition entre la France des grandes métropoles d’un côté et la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/france-espaces-ruraux-periurbains/cadrage">France de la périurbanité</a> et de la ruralité de l’autre.</p>
<p>Cette problématique est au cœur des réflexions de nombreux partis politiques aujourd’hui, <a href="https://www.liberation.fr/politique/pourquoi-la-gauche-na-pas-le-rural-au-beau-fixe-20230806_B6DRIUHD4RDGZHT3N4RWW4OPZM/?redirected=1">notamment au sein de la gauche</a>, comme en témoigne la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/la-france-des-beaufs-le-ps-epingle-par-darmanin-pour-l-intitule-d-une-table-ronde-de-son-universite-d-ete-20230825">polémique suscitée</a> par l’intitulé de l’une des tables rondes organisées par le Parti socialiste (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=NYQ3ppOFbiw">« La France périurbaine est-elle la France des beaufs ? »</a>).</p>
<p>De <a href="https://metropolitiques.eu/Une-opposition-politique-entre-les-grandes-agglomerations-et-le-reste-du.html">nombreuses études universitaires</a> montrent que le niveau de soutien pour le Rassemblement national (RN) est plus fort dans les territoires ruraux et périurbains que dans les grandes agglomérations, tandis qu’à l’inverse le niveau de soutien à LFI est bien plus faible sur ces territoires.</p>
<p>S’il existe un certain consensus sur ce constat descriptif – même si certains chercheurs dénoncent le caractère trop généralisant de ces catégories ou <a href="https://metropolitiques.eu/L-illusion-du-vote-bobo.html">nuancent l’ampleur</a> de la division –, il y a dissensus sur l’explication qu’on peut avancer pour rendre compte de ce phénomène. <a href="https://theconversation.com/zones-rurales-contre-zones-urbaines-deux-france-sopposent-elles-vraiment-dans-les-urnes-189609">Nous indiquions dans un précédent article</a> que ce soutien aux partis d’extrême droite n’était certainement pas réductible à la situation économique et sociale sur les territoires. Cet article pose que l’opposition entre les territoires ruraux et urbains comporte une dimension psychologique importante.</p>
<h2>La conscience rurale</h2>
<p>Les recherches en science politique à l’international mettent de plus en plus en évidence des facteurs de nature psychologique pour expliquer le comportement politique différencié des populations rurales. C’est le cas notamment des travaux qui mobilisent la grille d’analyse établie par la politiste Katherine Cramer pour saisir l’ascension politique d’un gouverneur <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo22879533.html">républicain populiste dans le Wisconsin</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’homme politique Scott Walker victorieux des élections primaires de septembre 2010 au Wisconsin, le 14 septembre 2010. Sa campagne très populiste a été documentée par la politiste Katherine Cramer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b9/Scott_Walker_primary_victory_2010.jpg/1024px-Scott_Walker_primary_victory_2010.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Elle montre, en rendant compte des conversations entre les habitants, qu’il existe une véritable <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/abs/putting-inequality-in-its-place-rural-consciousness-and-the-power-of-perspective/A603EA36286F837AEB4F0CF250D4595A#">conscience rurale</a> basée sur l’identification sociale à un lieu de vie et un ressentiment vis-à-vis des habitants des zones urbaines qui revêt trois facettes.</p>
<p>Tout d’abord politique : les ruraux ont le sentiment que leurs préoccupations ne sont pas prises en compte par les dirigeants politiques et qu’ils sont insuffisamment représentés. Puis économique : ils ont l’impression d’être les derniers à bénéficier des ressources publiques. Enfin, culturelle : l’idée que leur mode de vie est radicalement différent de celui des urbains et qu’il est méprisé.</p>
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<p>Bien que le contexte américain soit différent à bien des égards, les concepts de Katherine Cramer nous semblent pertinents pour éclaircir le cas français pour deux raisons. D’une part, parce que les écarts de comportement électoral entre les ruraux et les urbains ne peuvent se résumer à la <a href="https://metropolitiques.eu/Une-opposition-politique-entre-les-grandes-agglomerations-et-le-reste-du.html">composition économique et sociale des territoires</a>. D’autre part, parce que des <a href="https://www.cairn.info/les-gars-du-coin--9782707160126.htm">travaux sociologiques</a> indiquent qu’il existe dans la <a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">ruralité</a> une forte identification au lieu de vie liée à l’appartenance des habitants à des réseaux d’interconnaissances localisés et qui se <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">définissent en partie en opposition à d’autres groupes géographiques</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-r-comme-ruralite-159848">« Les mots de la science » : R comme ruralité</a>
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<h2>Un ressentiment géographique plus fort chez les ruraux</h2>
<p>Notre enquête par questionnaire pour le projet européen <a href="https://www.rudefrance.eu/">« Rural Urban Divide in Europe »</a> (RUDE) menée en France sur 4000 répondants en octobre 2022 fait apparaître un fossé géographique au niveau du ressentiment que les individus éprouvent vis-à-vis d’habitants d’autres zones géographiques.</p>
<p>La différence de niveau de ressentiment entre les ruraux et les urbains est particulièrement marquée en ce qui concerne le pouvoir politique. En effet, comme le montre la figure 1, 72 % des ruraux se sentent méprisés par les élites, contre près de moitié moins chez les urbains.</p>
<p>En outre, ce clivage est plus accentué encore sur la question de la représentation politique, puisque seulement 36 % des urbains pensent qu’il y a trop de députés ruraux qui ne représentent par les intérêts des habitants des zones urbaines, tandis qu’à l’inverse, 82 % des ruraux considèrent qu’il y a trop de députés issus des zones urbaines et qui ne représentent pas les intérêts des habitants qui vivent dans les zones rurales. Il est intéressant de noter que ce ressenti ne correspond pas à la représentativité effective des députés à l’Assemblée nationale où les <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/7353">zones rurales sont plutôt surreprésentées</a>.</p>
<h2>La perception de l’allocation des ressources publiques creuse le fossé</h2>
<p>Toutefois, c’est la mesure du niveau de ressentiment vis-à-vis de l’allocation des ressources publiques qui constitue le fossé le plus important entre ruraux et urbains. Les habitants des zones rurales ont le sentiment, assez marqué, d’être moins bien dotés en ressources publiques par rapport aux autres zones géographiques. 85 % des ruraux pensent que le gouvernement dépense trop d’argent pour le développement des zones urbaines, alors que le développement des zones rurales serait laissé de côté. En revanche, seulement 23 % des urbains sont d’accord avec l’affirmation inverse, confirmant ainsi l’existence d’un sentiment particulièrement prononcé chez les ruraux d’être abandonnés par les pouvoirs publics.</p>
<p>Là aussi, ce ressenti contraste fortement avec la réalité objective. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-etat-a-toujours-soutenu-ses-territoires-laurent-davezies/9782021451535">Les travaux de l’économiste Laurent Davezie</a> ont montré à plusieurs reprises que non seulement l’État investissait fortement dans ces territoires, mais qu’il y avait une forme de redistribution fiscale des habitants des grandes agglomérations vers les territoires ruraux. Enfin, ce clivage s’observe également concernant le ressentiment vis-à-vis des différences de mode de vie et valeurs selon les zones géographiques.</p>
<p>Pour le dire autrement, les habitants des zones rurales s’estiment en décalage et se sentent méprisés : 65 % des ruraux pensent que les personnes issues des zones urbaines ne respectent pas assez le mode de vie des personnes issues des zones rurales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fractures-territoriales-et-sociales-portrait-dune-france-en-morceaux-112154">Fractures territoriales et sociales : portrait d’une France en morceaux</a>
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<h2>Un ressentiment géographique aux conséquences politiques lourdes</h2>
<p>L’ensemble de ces résultats rejoignent ceux du <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">sociologue Benoît Coquard</a> qui concluait son enquête auprès de jeunes ruraux de l’Est en considérant qu’ils estimaient « ne pas compter aux yeux du pays, ou de ceux qui les gouvernent ». Il semble assez évident que ce ressentiment géographique asymétrique puisse influencer le vote des habitants de la ruralité.</p>
<p>D’autres données issues de l’enquête RUDE, présentées ci-dessous (cf. figure 2), nous donnent un aperçu de ces conséquences politiques. Les ruraux sont d’autant plus enclins à voter pour le « Rassemblement national » à une élection prochaine qu’ils éprouvent du ressentiment vis-à-vis des urbains.</p>
<p>En effet, le score du Rassemblement national est déjà plus élevé de 10 points de pourcentage chez les ruraux par rapport à la moyenne, mais de plus de 22 points chez les ruraux qui éprouvent un ressentiment géographique. Ainsi, s’il y avait une élection prochainement, les ruraux avec du ressentiment géographique voteraient deux fois moins que la moyenne nationale pour le parti « Renaissance », mais deux fois plus pour le « Rassemblement national ».</p>
<h2>Plusieurs constats</h2>
<p>Ces résultats nous invitent à poser plusieurs constats. Tout d’abord, il convient de souligner l’importance du contexte géographique pour rendre compte des représentations politiques des individus. Ensuite, de constater l’existence, à l’instar des États-Unis, d’une certaine forme de « conscience rurale », fondée sur une « politique du ressentiment ». Enfin, ces résultats conduisent à mettre en avant un écart important entre la réalité des inégalités territoriales et la perception qu’en ont les individus.</p>
<p>Les représentations qu’ont les individus des territoires où ils vivent, en comparaison avec les autres, jouent un rôle essentiel. Or, il est probable qu’elles soient en partie façonnées par les discours médiatiques et politiques. À cet égard, le RN <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/803581/vote-des-villes-vote-des-champs-quen-est-il-exactement/">a réussi à convaincre une partie des électeurs ruraux</a> qu’il était le parti d’une ruralité abandonnée et méprisée.</p>
<p>Face à cela, il convient pour les autres forces politiques de prendre en compte cette forme de « conscience rurale », fondée sur le ressentiment, pour construire un autre discours, qui ne soit ni misérabiliste, ni condescendant, et qui fasse sens vis-à-vis des représentations des habitants des zones rurales.</p>
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<p><em>Cet article a été co-rédigé avec Blaise Mouton, étudiant en Master à Sciences Po Grenoble.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213110/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kevin Brookes a reçu des financements de l'ANR "The rural-urban divide in Europe – RUDE" coordonnée par l'agence européenne NORFACE.</span></em></p>Les habitants des zones rurales se sentent méprisés sur les plans politiques, économique et culturel, une impression qui nourrit un vote de ressentiment.Kevin Brookes, Post-doctorant à Sciences Po Grenoble - Laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2118632023-08-24T14:10:13Z2023-08-24T14:10:13ZComment décrypter « Rich Men North of Richmond », le succès de l’été aux États-Unis, récupéré tant par la droite populiste que par la gauche<p>Cet été, deux chanteurs country américains sortis d’un peu nulle part, Jason Aldean et Oliver Anthony, ont produit des hits inattendus. Dans les deux cas, leurs chansons ont été <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/08/17/rich-men-north-of-richmond-song/">récupérés politiquement</a>. </p>
<p>« Rich Men North of Richmond », de Oliver Anthony, qui est apparu sur YouTube il y a seulement deux semaines, <a href="https://www.nytimes.com/2023/08/21/arts/music/rich-men-north-of-richmond-billboard-chart.html?smtyp=cur&smid=tw-nytimes">est la chanson numéro un aux États-Unis cette semaine</a>, surpassant la très populaire Taylor Swift ! </p>
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<figcaption><span class="caption">« Rich Men North of Richmond » est la chanson numéro un du billboard américain.</span></figcaption>
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<p>Sur le plan sociologique, bien que son contenu soit essentiellement libertarien, elle <a href="https://www.bbc.com/culture/article/20230818-rich-men-north-of-richmond-the-hit-song-that-has-divided-the-us">brouille les cartes</a> entre la gauche et la droite populiste américaines. La chanson est en effet célébrée tant par l’aile trumpiste du Parti républicain que par certains démocrates. De son côté, le chanteur de « Try that in a Small Town », Jason Aldean, est un supporter de Trump avoué. Son hit est clairement à <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2023/07/jason-aldean-donald-trump/674842/">droite du spectre politique</a> et encensé par les Républicains.</p>
<p>Anthony se présente plutôt comme « pretty dead center on politics ». Cela ne l’empêche pas de lire des versets des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=X6J9AVlI0ZQ">Psaume évoquant les ennemis de Dieu</a> avant une interprétation récente de son hit. Et son contenu s’inscrit bien dans l’univers libertarien états-unien, comme nous le verrons. </p>
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<figcaption><span class="caption">« Try that in a Small Town » est clairement à droite du spectre politique..</span></figcaption>
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<p>En tant que chercheurs oeuvrant dans le domaine de la sociologie politique, nous nous intéressons aux représentations sociales portées par les acteurs sociaux notamment au sein des mouvements nationalistes et populistes. </p>
<h2>Deux visions du « peuple »</h2>
<p>Avant d’entrer dans l’analyse de la chanson, rappelons ce que les populistes de gauche et de droite ont en commun.</p>
<p>Les deux conçoivent le champ politique comme divisé entre un peuple, considéré comme organique, authentique et moral, et des élites, déconnectées, stratégiques, inauthentiques et surtout immorales. La gauche tend à voir le peuple comme un demos, le socle de la démocratie, et la droite comme un ethnos ou un <em>heartland</em>, gardien de l’authenticité de la nation. </p>
<p>Les populistes de droite conçoivent la communauté comme distincte de l’État. Elle est caractérisée par son capital élevé d’autochtonie, de « gens de la place », opposé à celui des immigrants ou des élites. L’évocation de la <em>small town</em> dans le hit de Aldean est typique de cette représentation.</p>
<h2>Travail valorisé, travail méprisé</h2>
<p>La droite populiste américaine se caractérise par son adhésion au producérisme et au libertarianisme. </p>
<p>Le producérisme est un attachement à une éthique du travail rigoureuse dans les deux sens du terme. Rigoureuse au sens protestant d’une relation disciplinée, vocationnelle et méritoire au travail, et dans la valorisation du travail manuel et physique, ce que le sociologue Everett Hughes qualifiait de <a href="https://psychology.iresearchnet.com/industrial-organizational-psychology/recruitment/dirty-work/">« travail sale »</a>. </p>
<p>La littérature récente sur l’identité sociale des occupations « sales » explique comment ses artisans reconstruisent leur perception de soi afin de s’en créer une <a href="https://www.jstor.org/stable/259134">image positive</a>. Ainsi, l’évocation de la situation des mineurs par Anthony active la solidarité au sein des gens qui font ce genre de travail. Ils reconfigurent ainsi leur identité en répondant au mépris dont leur occupation est l’objet. </p>
<p>Par ailleurs, l’évocation dans « Rich Men » du tourisme sexuel des élites en quête de « mineurs sur une île quelque part » fait écho au cadrage de celles-ci comme nécessairement « immorales », voire aux conspirations entourant la soi-disant <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/sep/20/qanon-conspiracy-child-abuse-truth-trump">pédophilie des élites</a> diffusée par les <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2023/04/17/la-pedocriminalite-une-realite-deformee-et-instrumentalisee-par-le-complotisme">disciples de Qanon</a>. </p>
<p>Enfin, la pratique religieuse assidue est souvent associée à l’adhésion à une conception populiste du politique. Dans <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-flag-and-the-cross-9780197618684?cc=us&lang=en&"><em>The Flag and the Cross</em></a>, les sociologues Philip S. Gorsky et Samuel L. Perry démontrent que parmi les « blancs », ceux qui déclarent avoir une importante pratique chrétienne évangélique sont beaucoup plus susceptibles d’adhérer au nationalisme chrétien et blanc, que les non-croyants. </p>
<h2>Un discours de classe à dimension libertarienne</h2>
<p>Ce qui démarque la chanson de Anthony des discours de droite populiste habituels est qu’elle formule une opposition de classe basée sur le revenu socioéconomique. Ceci va plus loin que l’évocation vague d’une opposition entre un peuple et une élite ou un système. Ceci explique que la chanson ait pu interpeller une partie de la gauche. </p>
<p>La dénonciation morale des riches n’a cependant rien de spécifiquement « de gauche ». Elle a surtout de profondes assises dans la tradition chrétienne. </p>
<p>Inversement, pour la tradition sociale-démocrate, ce n’est pas le fait d’être riche qui est mal en soi, c’est plutôt l’absence d’un droit du travail, d’une liberté d’association et de mécanismes et d’institutions de justices redistributives. </p>
<p>Ainsi, comme le souligne le chanteur Billy Bragg, dans une <a href="https://genius.com/Billy-bragg-rich-men-earning-north-of-a-million-lyrics">chanson en réponse au hit</a> de Anthony, les syndicats brillent par leur absence dans sa vision du monde, comme dans celle des libertariens. </p>
<p>Pour contrer les difficultés bien réelles amenées par la transformation du monde du travail, les sociaux-démocrates contemporains suggèrent que d’importants programmes de formation continue et l’investissement dans l’éducation aux adultes peuvent favoriser la reconversion occupationnelle angoissante du « New World » évoquée par Anthony. </p>
<h2>Inflation et « régions périphériques »</h2>
<p>Plusieurs facteurs expliquent le succès à droite de l’hymne de Oliver Anthony.</p>
<p>D’abord, il y a la perception répandue selon laquelle la gauche a abandonné les cols bleus à qui s’adresse, de fait « Rich men ». Une partie de cette composante de la population se sent méprisée par des « élites » qui monopolisent le capital symbolique, éducationnel et culturel. Le fait qu’ils soient considérés comme privilégiés en fonction de leur « race » et de leur « sexe », selon certaines analyses un peu mécaniques, ne permet guère de comprendre les stigmates auxquels ces travailleurs sont réellement confrontés ni les enjeux sociaux auxquels sont confrontées les régions postindustrielles. </p>
<p>Cette première dynamique est amplifiée par ce qui est également perçu comme une incompréhension de la réalité quotidienne des gens éloignés des grands centres urbains. Les habitants des « régions » ont plus souvent <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10371656.2019.1645429?needAccess=true">tendance à ne pas se sentir représentés</a> par les élus et les médias. Même si cette dynamique persiste année après année, il est rare que la gauche se questionne sur l’importance d’inclure le point de vue de ces habitants au sein de la « bonne » diversité. </p>
<p>Par ailleurs, les contextes inflationnistes favorisent la diffusion des « solutions » libertariennes. Lorsque les citoyens voient leur pouvoir d’achat fondre et le prix de leur hypothèque s’envoler, ils sont confrontés à des choix difficiles, sinon à la survie de leur projet de vie. S’ils ne voient pas les retombées positives des taxes qu’ils paient, ils sont susceptibles de voir l’État social et la justice redistributive comme des mécanismes qui ne fonctionnent pas pour eux. </p>
<h2>La polarisation profite aux populistes</h2>
<p>Il n’y a pas de solution miracle contre la montée de la droite populiste. On peut cependant rappeler certaines leçons sociologiques sur les polarisations.</p>
<p>L’identité sociale des groupes se construit en grande partie à travers des cadrages, des rituels et des interactions. Pour désamorcer la polarisation qui nourrit la droite populiste, ses opposants doivent cesser de les interpeller comme des <a href="https://www.washingtonpost.com/lifestyle/2021/08/31/deplorables-basket-hillary-clinton/">« paniers d’êtres déplorables »</a>, pour reprendre l’expression élitiste de Hilary Clinton. Elle doit aussi cesser de les pathologiser, comme c’est souvent le cas dans les approches psychologiques de la radicalisation politique. Plutôt que les désamorcer, ces interpellations renforcent le cadrage et la polarisation qui profitent aux politiciens populistes.</p>
<p>Exclure des groupes de la participation à des interactions politiques légitimes a principalement pour effet de renforcer leur solidarité, tout comme se moquer de ses rituels. Un cadre légal doit empêcher l’incitation à la violence, la diffamation et protéger le droit à la réputation et à la vie privée. Mais les rencontres permettent ultimement des recadrages, ou des changements qui désamorcent ou font évoluer l’identité sociale des personnes qui s’identifient à des groupes. </p>
<p>Celles-ci sont généralement en mesure d’évoquer des raisons, cognitives ou morales, pour justifier leurs actions. Personne n’est obligé de les partager ni de les trouver ‘bonnes’. Il faut cependant chercher à les comprendre et à reconstruire les conceptions de la justice et de l’injustice qu’elles alimentent ou sur lesquelles elles reposent. C’est une avenue aussi impopulaire que difficile, mais les alternatives ne sont pas évidentes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211863/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Bien que son contenu soit essentiellement libertarien, la chanson numéro un de l’été aux États-Unis trouve écho tant chez certains partisans démocrates qu’avec ceux de la droite trumpiste.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Alexis Harton, Étudiant à la maîtrise en sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2116392023-08-17T13:28:34Z2023-08-17T13:28:34ZDes millions d’Américains sont toujours partisans de Trump : comment font-ils ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/542826/original/file-20230814-28-dt4446.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C225%2C5509%2C3475&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Donald Trump salue ses supporters et signe des autographes lors d'un tournoi de golf à Bedminster, au New Jersey, le 13 août 2023. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Seth Wenig)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.newsweek.com/majority-canadians-say-trump-re-election-would-end-us-democracy-poll-1677591">Partout sur la planète</a> — <a href="https://www.cbsnews.com/news/trump-indictment-jan-6-opinion-poll-2023-08-06/">y compris aux États-Unis</a> — de nombreuses personnes s’interrogent : comment de nombreux Américains peuvent-ils continuer de soutenir Donald Trump, <a href="https://www.politico.com/interactives/2023/trump-criminal-investigations-cases-tracker-list/">malgré une liste de plus en plus longue d’accusations portées contre lui</a>, y compris les dernières en Georgie, où il est inculpé de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2003101/trump-georgie-justice-tentatives-influencer-presidentielle">tentative de manipulation des élections présidentielles de 2020</a>. </p>
<p>Avant l’annonce des dernières inculpations, Donald Trump était <a href="https://www.politico.com/news/2023/08/01/biden-trump-2024-poll-00109161">au coude à coude avec le président Joe Biden dans un hypothétique match retour</a>. Il semble peu probable que les inculpations en Georgie érodent le soutien dont bénéficie l’ancien président.</p>
<p>Cela est choquant pour bien des gens. Un tel soutien à un homme qui <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/trump-support-has-held-steady-despite-legal-troubles-is-that-changing">ment, triche et menace la Constitution des États-Unis</a> n’a pas de précédent dans l’histoire de la politique nationale américaine. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-inconditionnels-de-trump-ignorent-ses-mensonges-146625">Pourquoi les inconditionnels de Trump ignorent ses mensonges</a>
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<h2>Pouvez-vous toujours obtenir ce que vous voulez ?</h2>
<p>Ceux qui soutiennent Trump inconditionnellement <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/3978590-why-gop-voters-are-so-loyal-to-trump/">sont à peu près les mêmes depuis la dernière élection</a>. Il s’agit de groupes divers, mais qui partagent la même préoccupation, fondamentale : ils estiment que Trump obtiendra des résultats sur les questions qu’ils jugent les plus importantes pour le pays.</p>
<p>Ainsi, les chrétiens évangéliques qui le soutiennent apprécient le fait qu’il a nommé des juges conservateurs, ce qui a conduit, entre autres, à <a href="https://www.npr.org/2022/06/24/1102305878/supreme-court-abortion-roe-v-wade-decision-overturn">l’annulation de l’arrêt <em>Roe v. Wade</em></a>. Ses aventures extraconjugales ont peu de poids face à cet objectif à long terme de la droite chrétienne.</p>
<p>Certains électeurs démocrates désenchantés se sont ralliés à Trump. Il s’agit notamment de <a href="https://www.bostonglobe.com/2023/04/05/opinion/jeff-jacoby-democratic-party/">cols bleus</a> et de petits entrepreneurs qui voient les emplois être délocalisés à l’étranger, ainsi que de certains <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2020/10/trump-latinos-biden-2020/616901/">électeurs latinos</a> qui considèrent que Trump agit en accord avec leur morale catholique en nommant des juges plus conservateurs. Ils apprécient également son opposition à l’immigration clandestine.</p>
<p>Les dizaines de milliers d’immigrants potentiels qui tentent de franchir illégalement la frontière entre les États-Unis et le Mexique effraient ceux qui craignent de perdre les emplois non qualifiés qui subsistent aux États-Unis, ainsi que les habitants des zones rurales <a href="https://www.pewresearch.org/short-reads/2016/08/25/5-facts-about-trump-supporters-views-of-immigration/">qui considèrent menacées les valeurs de ce qu’ils considèrent comme l’Amérique blanche traditionnelle</a>.</p>
<p>Pour tous ces partisans, obtenir ce qu’ils veulent est plus important que de se préoccuper des <a href="https://www.businessinsider.com/trump-melania-stormy-daniels-affairs-marriages-timeline-2018-3">indiscrétions matrimoniales de Trump</a>, des documents gouvernementaux volés, de sa tentative de renverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020 ou d’avoir encouragé la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021.</p>
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<img alt="Un homme en costume bleu monte sur une scène tandis que des personnes sourient et brandissent des pancartes de soutien dans le public" src="https://images.theconversation.com/files/541964/original/file-20230809-27-lmtbkh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=300%2C0%2C2200%2C1805&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541964/original/file-20230809-27-lmtbkh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541964/original/file-20230809-27-lmtbkh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541964/original/file-20230809-27-lmtbkh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541964/original/file-20230809-27-lmtbkh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541964/original/file-20230809-27-lmtbkh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541964/original/file-20230809-27-lmtbkh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Donald Trump arrive à un meeting de campagne en juillet 2023 à Erie, en Pennsylvanie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Sue Ogrocki)</span></span>
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<h2>Quand les mensonges deviennent la vérité</h2>
<p>Bien sûr, <a href="https://news.berkeley.edu/2022/11/14/loss-fear-and-rage-are-white-men-rebelling-against-democracy">l’attrait de Trump ne se limite pas à sa promesse de rendre à l’Amérique sa grandeur (Make America Great Again)</a>. C’est un véritable démagogue qui répète sans cesse son message simple, avec beaucoup d’emphase. Il rabaisse ses détracteurs de manière répétée et implacable, et ment sur l’élection de 2020.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Une photo en noir et blanc montre un homme mince et brun en uniforme nazi parlant dans un microphone" src="https://images.theconversation.com/files/541959/original/file-20230809-26767-tmneh8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541959/original/file-20230809-26767-tmneh8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541959/original/file-20230809-26767-tmneh8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541959/original/file-20230809-26767-tmneh8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541959/original/file-20230809-26767-tmneh8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541959/original/file-20230809-26767-tmneh8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541959/original/file-20230809-26767-tmneh8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur cette photo de 1938, Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazie, s’adresse aux membres du parti à Berlin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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</figure>
<p>Une citation attribuée à Joseph Goebbels, le ministre nazi de la propagande, se traduit à peu près comme suit : <a href="https://www.bbc.com/future/article/20161026-how-liars-create-the-illusion-of-truth">« Répétez un mensonge assez souvent et il devient la vérité »</a>. </p>
<p>Trump utilise cette technique de manière très efficace avec ses partisans, y compris ceux de la frange d’extrême droite, qui réagissent bien à son message implicite de « rendre l’Amérique blanche à nouveau ». Une grande partie du Parti républicain renforce les mensonges de Trump soit en <a href="https://www.cnn.com/2023/08/05/politics/2020-election-predictor-2024/index.html">approuvant ses affirmations de fraude électorale</a>, soit en se gardant bien de les commenter ou de le critiquer.</p>
<p>L’effet des médias sociaux sur l’attrait de Trump ne doit pas être négligé. Vous y trouverez des « preuves » des affirmations de Trump — des complots de <a href="https://apnews.com/article/trump-jan-6-indictment-misinformation-e9d5077300dafa4c774429b7f82d8930">l’« État profond » et de responsables démocrates</a> pour persécuter le vainqueur de l’élection de 2020. Ces allégations sont très efficaces auprès des citoyens qui se sont détournés des médias traditionnels parce qu’ils sont critiques vis-à-vis de l’homme qui travaille pour eux.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Un homme en costume-cravate fait un geste alors qu’il prononce un discours sur une photo en noir et blanc" src="https://images.theconversation.com/files/541957/original/file-20230809-30-9s7804.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541957/original/file-20230809-30-9s7804.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541957/original/file-20230809-30-9s7804.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541957/original/file-20230809-30-9s7804.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541957/original/file-20230809-30-9s7804.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541957/original/file-20230809-30-9s7804.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541957/original/file-20230809-30-9s7804.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur cette photo de 1934, le sénateur Huey P. Long s’adresse aux étudiants de l’université d’État de Louisiane à Baton Rouge, un an avant son assassinat.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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<p>Bien qu’aucun autre candidat à la présidence n’ait utilisé cette démagogie et cet appel aux préjugés de manière aussi éhontée, <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/03/huey-long-was-donald-trumps-left-wing-counterpart/583933/">il existe un parallèle partiel avec Huey Long</a>, gouverneur de Louisiane de 1928 à 1932 et sénateur américain de 1932 à 1935. </p>
<p>Défenseur des pauvres, critique sévère des banques et partisan d’un gouvernement autoritaire, il était célèbre pour ses discours enflammés. Personnage controversé, il a fait l’objet d’accusations de corruption politique, mais il était néanmoins apprécié par plusieurs. Il envisageait de se présenter à l’élection présidentielle, mais il a été assassiné en 1935.</p>
<h2>Le sosie brésilien de Trump</h2>
<p>Pour trouver un parallèle contemporain, il faut regarder ailleurs qu’aux États-Unis.</p>
<p>Le plus évident se trouve au Brésil, où Jair Bolsonaro a gouverné de 2018 à 2023. Il a l’admiration de Donald Trump, qui a affirmé qu’il <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2021/10/donald-trump-jair-bolsonaro/620504/">« se bat durement pour le peuple brésilien et l’aime — tout comme je le fais pour le peuple des États-Unis »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme brandit un maillot de football jaune avec un numéro 10 tandis qu’un autre homme sourit dans un fauteuil à côté de lui" src="https://images.theconversation.com/files/538159/original/file-20230719-21-drknta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538159/original/file-20230719-21-drknta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538159/original/file-20230719-21-drknta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538159/original/file-20230719-21-drknta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538159/original/file-20230719-21-drknta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538159/original/file-20230719-21-drknta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538159/original/file-20230719-21-drknta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jair Bolsonaro présente à Donald Trump un maillot de l’équipe nationale brésilienne de football dans le bureau ovale de la Maison-Blanche en mars 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Evan Vucci)</span></span>
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</figure>
<p>Bolsonaro croyait en la réduction des impôts, défendait les « valeurs familiales » et était opposé au contrôle des armes à feu et à l’immigration en provenance d’Haïti et du Moyen-Orient. Considéré comme <a href="http://monitoracism.eu/the-rise-of-bolsorano/">raciste, sexiste et homophobe</a> par certains, ses discours enflammés <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/sep/06/jair-bolsonaro-brazil-tropical-trump-who-hankers-for-days-of-dictatorship">ont souvent incité à la violence</a>, en particulier contre les opposants politiques, les criminels et les « rouges ».</p>
<p>Il a qualifié la Covid-19 de pure invention, avec pour résultat que le Brésil a connu <a href="https://theconversation.com/Covid-19-au-bresil-comment-jair-bolsonaro-a-cree-un-enfer-sur-terre-159746">l’un des taux d’infection les plus élevés au monde</a>. Défait en 2022, il n’a pas reconnu sa défaite, mais a déclaré qu’il respecterait la constitution du pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/elections-au-bresil-jair-bolsonaro-met-la-democratie-sous-tension-191488">Élections au Brésil : Jair Bolsonaro met la démocratie sous tension</a>
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<p>Il a quitté le Brésil plutôt que de reconnaître sa défaite, mais ses partisans ont pris d’assaut la Cour suprême, le Congrès et le palais présidentiel pour tenter de faire annuler l’élection. Contrairement à Trump, <a href="https://www.bbc.com/news/world-latin-america-66070923">il lui a été interdit de se présenter aux élections jusqu’en 2030</a> en raison de son refus d’accepter sa défaite, et il a été poursuivi pour fraude électorale.</p>
<p>On saura au cours de prochains mois si les accusations portées contre Trump vont éroder son soutien ou au contraire <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2003269/trump-deboires-justice-manne-financiere">encourager ses partisans à continuer à donner des millions de dollars</a> pour soutenir sa candidature à l’élection et ses frais d’avocat. À ce jour, <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/republican-support-for-trump-has-increased-even-as-he-faces-dozens-of-felony-charges">aucun signe</a> ne laisse entrevoir un désengagement de ses partisans.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211639/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ron Stagg ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le soutien inconditionnel des supporters de Donald Trump n’a pas faibli malgré ses déboires judiciaires.Ron Stagg, Professor of History, Toronto Metropolitan UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2066592023-07-17T13:57:24Z2023-07-17T13:57:24ZÉlections anticipées en Espagne : le pari risqué des socialistes face à une droite conquérante<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537125/original/file-20230712-19-airfnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=61%2C0%2C6834%2C4542&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Gauche ou droite: ce sera le choix des électeurs espagnols lors des élections générales anticipées le 23 juillet, qui pourraient voir entrer un parti d'extrême droite au gouvernement.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Manu Fernandez)</span></span></figcaption></figure><p>Les électeurs espagnols sont conviés aux urnes le 23 juillet prochain, en pleine période de vacances estivales.</p>
<p>Deux questions occuperont les analystes jusque bien après la tenue du scrutin. D’abord, la formation d’un gouvernement soutenu par une majorité stable au parlement sera-t-elle possible ? Et le gouvernement inclura-t-il des élus de Vox, un parti d’extrême droite <a href="https://www.elconfidencial.com/espana/2022-02-06/abascal-aboga-natalidad-nacional-frenar-despoblacion_3370945/">hostile à l’immigration</a>, <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-06-27/vox-intenta-ganar-el-voto-de-las-mujeres-ofreciendoles-proteccion-mientras-las-priva-de-derechos.html">aux droits des femmes</a>, des <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-06-29/ni-matrimonios-ni-adopcion-ni-cambio-de-sexo-en-la-sanidad-publica-los-derechos-lgtbi-que-vox-quiere-restringir.html">minorités sexuelles</a> et de <a href="https://www.telecinco.es/noticias/espana/20230619/santiago-abascal-entrevista-ana-rosa-violencia-genero-no-existe_18_09826565.html">genre</a> ? </p>
<p>Si les conservateurs du Partido Popular l’emportent et que Vox détient la balance du pouvoir, <a href="https://theconversation.com/espagne-lextreme-droite-pourrait-faire-son-entree-au-gouvernement-202569">l’extrême droite intégrera une coalition gouvernementale pour la première fois depuis la consolidation de la démocratie espagnole</a>.</p>
<p>Doctorant et chargé de cours en sociologie à l’Université du Québec à Montréal, mes recherches portent sur la mémoire collective du passé fasciste dans l’Espagne et l’Italie démocratiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/espagne-lextreme-droite-pourrait-faire-son-entree-au-gouvernement-202569">Espagne : l’extrême droite pourrait faire son entrée au gouvernement</a>
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<h2>Des élections régionales et municipales aux élections générales</h2>
<p>Les partis formant la coalition gouvernante en Espagne ont subi une défaite historique aux élections régionales et municipales du 28 mai.</p>
<p><a href="https://elpais.com/espana/elecciones/autonomicas/">Le PP devrait bientôt diriger 11 régions, contre trois pour les socialistes</a>. Ces deux partis étaient à la tête de cinq et neuf régions, respectivement, avant les régionales. <a href="https://www.elconfidencial.com/espana/2023-06-12/vox-llama-pp-pactar-135-ayuntamientos-necesita-votos-rechaza-chantajes_3663852/">Le PP devrait par ailleurs gouverner en coalition avec Vox dans 135 municipalités</a>.</p>
<p><a href="https://cadenaser.com/nacional/2023/05/28/el-pp-arrasa-en-las-elecciones-del-28-m-y-tine-de-azul-el-mapa-local-y-autonomico-cadena-ser/">La progression du PP a été marquée</a> : à l’échelle nationale, le parti a gagné près de deux millions de votes par rapport aux élections générales de novembre 2019, pour culminer à 31,5 % des suffrages. Les socialistes (PSOE) ont subi un modeste recul de 430 000 votes par rapport à 2019, obtenant 28 % des suffrages. Mais l’effondrement de Podemos, leur partenaire de coalition, place la gauche en position précaire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Trois hommes en complet cravates posent debout, au côté d’une femme vêtue de blanc" src="https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le candidat du Parti populaire Nunez Feijóo serre la main du premier ministre espagnol et candidat socialiste Pedro Sánchez, avant le débat télévisé précédant les élections générales espagnoles, à Madrid, le 10 juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Bernat Armangue)</span></span>
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</figure>
<p>Le PP, de son côté, a absorbé <a href="https://www.publico.es/politica/tragicomedia-ciudadanos-cinco-actos.html">Ciudadanos, parti de droite dont le virage centriste a visiblement été un échec</a> et <a href="https://www.eldiario.es/politica/ciudadanos-decide-no-presentarse-generales-23j-certifica-defuncion_1_10251795.html">qui a renoncé à se présenter aux élections générales</a>. Vox, de son côté, a fait des progrès significatifs par rapport aux précédentes élections régionales et municipales et détient la balance du pouvoir dans cinq régions remportées par le PP. </p>
<p>Vox poursuit donc sur sa lancée, porté par les tensions que comporte le caractère plurinational de l’Espagne (Catalogne, Pays basque), et par les réticences de la composante la plus conservatrice de l’électorat catholique face au développement des droits des femmes et des personnes LGBTQ+. Il suit l’exemple d’autres forces politiques d’extrême droite qui ont gagné du pouvoir en Europe ces dernières années. Le parti espère connaître une progression similaire aux Fratelli d’Italia de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1926778/italie-giorgia-meloni-nommee-cheffe-du-gouvernement">Giorgia Meloni</a> et à la Lega de Matteo Salvini, qui ont pris le pouvoir en Italie en octobre dernier. <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-07-09/abascal-quiere-negociar-con-feijoo-medidas-copiadas-del-ultra-orban-que-rechaza-el-pp-europeo.html">Il rêve d’imiter son allié, Viktor Orban</a>, qui gouverne la Hongrie depuis 2010.</p>
<p>Alberto Núñez Feijóo, leader du PP, avait soigneusement évité la question des alliances entre sa formation et Vox jusqu’à récemment, <a href="https://elpais.com/opinion/2023-06-14/feijoo-bendice-a-vox.html">attribuant la seule coalition à l’échelle régionale entre ces partis</a>. Il y est confronté quotidiennement depuis le déclenchement des élections générales.</p>
<h2>La démocratie contre l’extrême droite ?</h2>
<p>Le premier ministre sortant, Pedro Sánchez, a l’habitude des paris risqués. En 2019, il avait convoqué des élections anticipées en novembre, après avoir été élu minoritaire au scrutin d’avril. N’ayant pas obtenu les gains souhaités, il avait formé une coalition avec Podemos. </p>
<p>Au lendemain des élections du 28 mai, il a convoqué des élections générales en <a href="https://elpais.com/espana/2023-05-29/sanchez-adelanta-las-elecciones-al-23-de-julio-ante-el-fiasco-de-las-autonomicas.html">invoquant le message clair envoyé par la population, à la vieille du mandat espagnol à la présidence tournante du conseil de l’Union européenne</a>.</p>
<p>En termes stratégiques, la décision de Sánchez constitue un pari risqué. Il espère freiner l’élan conservateur dans l’espoir que le PP et Vox arrivent à court d’une majorité. Lors des élections du 28 mai, le <a href="https://www.larazon.es/espana/sanchez-adelanta-elecciones-porque-vox-llegan-40_20230530647595e43d230000013b2a0f.html">PP et Vox ont obtenu 38,68 % des suffrages</a>, ce qui, lors des élections générales, se traduirait par une récolte de 160 sièges, loin des 176 nécessaires à l’obtention d’une majorité parlementaire. La tendance à long terme est à l’érosion du vote socialiste et à la progression des suffrages favorables au PP : un scrutin en juillet plutôt qu’en décembre pourrait laisser trop peu de temps à la droite et lui coûter la majorité.</p>
<h2>La gauche mise sur l’unité</h2>
<p>Les socialistes appellent à faire barrage face à l’extrême droite. La campagne électorale coïncide avec les négociations sur la formation de coalitions pour gouverner les régions autonomes. <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-autonomicas/2023-06-13/el-pp-y-vox-acuerdan-formar-un-gobierno-de-coalicion-en-la-comunidad-valenciana.html">Le PP s’est déjà entendu avec Vox pour former des coalitions à Valence</a> et en <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-autonomicas/2023-06-30/lea-el-texto-de-la-alianza-de-pp-y-vox-en-extremadura.html">Extrémadure</a>. Les conservateurs ont négocié l’abstention de l’extrême droite au îles Baléares en <a href="https://www.elmundo.es/baleares/2023/06/28/649c5feffdddffe6418b45cc.html">échange de la présidence du parlement</a>, mais sans concéder de portefeuille ministériel à Vox. <a href="https://www.eldiario.es/politica/sanchez-clama-movilizacion-izquierda-evitar-papelon-gobierno-feijoo-abascal_1_10305593.html">Le PSOE compte sur ces alliances pour mobiliser son électorat</a>.</p>
<p>Pour mieux faire face à la menace que représente l’extrême droite, la gauche mise sur l’unité. Les forces politiques à la gauche du PSOE se sont rassemblées dans un nouveau parti, Sumar, dirigé par la ministre du travail sortante, Yolanda Díaz. Cela permettra d’éviter la division du vote qui a coûté cher à Podemos le 28 mai. </p>
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<img alt="Une femme prend une photo d’une affiche électorale" src="https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une banderole déployée sur la place Pedro Zerolo exhorte les gens à voter contre l’alliance de la haine, le 10 juillet 2023, à Madrid.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP\IMAGE DISTRIBUTED FOR AVAAZ -- NGO)</span></span>
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<p>En campagne, le PSOE et Sumar s’entendent sur les options qui se présentent aux électeurs : un bloc de gauche, héritier d’un gouvernement progressiste ; et un bloc de droite et d’extrême droite, qui souhaite démanteler les politiques sociales mises en place par la gauche.</p>
<h2>La droite hésite, puis assume ses alliances</h2>
<p>Pour contrer l’appel socialiste à faire barrage à l’extrême droite, le PP d’Alberto Núñez Feijóo a ajusté sa stratégie. <a href="https://cadenaser.com/nacional/2023/06/01/feijoo-sobre-los-pactos-con-vox-si-quieren-derogar-el-sanchismo-pueden-facilitarlo-cadena-ser/">Il a d’abord appelé Vox à laisser son parti gouverner les régions où il est arrivé en tête sans faire de concessions à l’extrême droite</a>. </p>
<p>Il a aussi appelé Pedro Sánchez et les élus de son parti à s’engager à s’abstenir lors de l’investiture du futur gouvernement espagnol, si cela est nécessaire pour permettre au parti gagnant de gouverner en solitaire. <a href="https://www.telecinco.es/elprogramadeanarosa/20230704/gobierno-pedro-sanchez-ana-rosa_18_09953987.html">Le chef socialiste a refusé de s’engager en ce sens, rappelant l’opposition du PP à l’investiture des socialistes à la suite des deux élections générales de 2019</a>. </p>
<p>La droite voulait capitaliser sur l’élan que lui ont donné les élections du 28 mai en évitant de donner des munitions aux socialistes avec une alliance trop étroite avec Vox. Le PP est maintenant transparent <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-07-03/feijoo-afirma-que-gobernara-en-solitario-si-tiene-mas-escanos-que-la-izquierda-y-que-se-aliara-con-vox-si-necesita-su-sus-votos.html">sur sa disposition à faire entrer Vox au gouvernement central</a> si l’appui de ses députés est nécessaire à son investiture. </p>
<h2>La droite a peu d’alliés</h2>
<p>Ce changement de cap témoigne d’un problème persistant pour le PP : dans un système de partis fragmenté, la <a href="https://elpais.com/podcasts/hoy-en-el-pais/2023-06-12/podcast-sirve-un-cordon-sanitario-para-frenar-a-la-extrema-derecha.html">droite a peu d’alliés potentiels au parlement</a>, <a href="https://www.eldiario.es/politica/feijoo-defiende-pacto-extrema-derecha-vox-accedio-propuesta-hizo-acuerdo-sencillo_1_10294812.html">jugeant illégitimes les alliances avec les partis nationalistes basques et catalans</a>. </p>
<p>À ceux qui l’interrogent sur les risques d’une coalition avec Vox, Feijóo renvoie la balle à Pedro Sánchez avec ce que plusieurs voient comme une <a href="https://elpais.com/defensor-a-del-lector/2023-06-25/por-que-llamamos-ultra-a-vox-y-no-a-podemos.html">fausse équivalence</a>. Le leader socialiste, à la tête d’une coalition avec les populistes de gauche de Podemos, <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-07-05/sanchez-y-feijoo-se-lanzan-a-la-caza-del-voto-fronterizo-entre-psoe-y-pp.html">a parfois eu besoin de l’appui des indépendantistes basques et catalans lors de la dernière législature, mais il n’a pas permis à ces derniers de gouverner</a>.</p>
<h2>La participation électorale, un élément clé pour les socialistes</h2>
<p>Alors que Sánchez appelle à freiner l’ascension de l’extrême droite <a href="https://www.larazon.es/espana/feijoo-proclama-candidatura-presidencia-gobierno-unir-espanoles-que-espana-deje-perder_202305306475deb75199f300018d3afc.html">Feijóo souhaite cadrer le scrutin du 23 juillet comme un référendum portant sur les années Sánchez</a>.</p>
<p>La participation électorale sera un élément clé du succès socialiste, mais les élections tenues au courant de l’été ont tendance à démobiliser l’électorat, ce qui risque de bénéficier à la droite. </p>
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<img alt="Scène dans un bar, avec des gens attablés et un écran de télévision allumé" src="https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des gens assistent, indifférents, au débat télévisé entre les candidats aux élections du 23 juillet. Les élections tenues au courant de l’été ont tendance à démobiliser l’électorat.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Manu Fernandez)</span></span>
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<p>Dans ce contexte, <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-06-05/sanchez-plantea-seis-debates-cara-a-cara-con-feijoo-hasta-las-elecciones-uno-por-semana.html">Sánchez souhaite forcer son adversaire à débattre</a>, alors que <a href="https://www.eldiario.es/politica/feijoo-rechaza-seis-cara-cara-propuestos-sanchez_1_10267825.html">Feijóo se satisfait volontiers d’un faible engagement de l’électorat</a>. <a href="https://www.ondacero.es/elecciones/generales/asi-sido-debate-cara-cara-pedro-sanchez-nunez-feijoo_2023071164ac8277bcaee000012a3461.html">Il n’a accepté qu’un débat face à face avec Sanchez</a>, tandis que ce dernier profite de toutes les invitations sur les <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-07-05/entrevistando-a-pedro-sanchez.html">plateaux télévisuels</a> pour tenter de convaincre le public de lui accorder un autre mandat.</p>
<h2>Un risque calculé ?</h2>
<p>Pedro Sánchez joue gros dans ces élections : son échec porterait l’extrême droite au pouvoir pour la première fois en 45 ans de démocratie. Ce serait là une marque indélébile sur sa carrière politique. </p>
<p>Pour l’instant, les <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-07-13/el-pp-aumenta-su-ventaja-y-suma-seis-escanos-desde-el-cara-a-cara-con-sanchez.html">sondages donnent le PP gagnant, mais une coalition avec Vox risque d’être insuffisante pour lui donner une majorité</a>. Dans les circonstances, Pedro Sánchez s’accroche à l’espoir de se maintenir au pouvoir malgré la victoire attendue du PP. S’il en a l’occasion, il aura du pain sur la planche pour négocier l’appui des nombreux partis dont il aura besoin pour son investiture.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206659/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel-Philippe Robitaille a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec - Société et culture et de la Chaire de recherche du Canada en Sociologie des conflits sociaux.</span></em></p>Si les conservateurs l’emportent et que Vox détient la balance du pouvoir, l’extrême droite intégrera une coalition gouvernementale pour la 1ʳᵉ fois depuis la consolidation de la démocratie espagnole.Michel-Philippe Robitaille, Doctorant et chargé de cours en sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2070552023-06-14T16:39:04Z2023-06-14T16:39:04ZL’extrême droite autrichienne, soutien indéfectible de la Hongrie de Viktor Orban<p>Le 1<sup>er</sup> juin dernier, par 442 voix pour, 144 contre et 33 abstentions, le Parlement européen a voté une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/union-europeenne-pourquoi-le-parlement-europeen-veut-empecher-la-hongrie-de-prendre-la-presidence-du-conseil-de-l-ue_5860913.html">résolution visant à empêcher la Hongrie de prendre la présidence tournante de l’Union européenne au second semestre 2024</a>. Le texte affirme que le <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0216_FR.html">pays ne peut, dans l’état actuel des choses, exercer la présidence de l’UE</a> « de manière crédible, compte tenu du non-respect du droit de l’Union […] ».</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que la Hongrie se trouve en <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/etat-de-droit-chronologie-du-conflit-entre-l-union-europeenne-et-la-hongrie/">conflit avec l’UE</a>. Le pays a en effet été épinglé à de multiples reprises par Bruxelles pour la tendance marquée de Viktor Orban à <a href="https://theconversation.com/en-hongrie-le-parti-au-pouvoir-a-t-il-fait-main-basse-sur-les-biens-publics-160164">s’emparer de tous les leviers du pouvoir</a> et à diffuser des discours violemment hostiles aux minorités.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/hongrie-une-relation-avec-leurope-a-lepreuve-de-lhomophobie-detat-163473">Hongrie : une relation avec l’Europe à l’épreuve de l’homophobie d’État</a>
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<p>Tout récemment encore (décembre 2022), les Vingt-Sept sont parvenus à un accord visant à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/01/hongrie-la-commission-gele-plus-de-13-milliards-d-euros-de-fonds-europeens_6152490_3210.html">geler une aide de plus de 12 milliards d’euros</a> de fonds européens à Budapest en raison d’« atteintes à l’indépendance de la justice » et d’un manque de pluralisme politique dans les médias.</p>
<p>Le gouvernement de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/viktor-orban-36354">Viktor Orban</a>, sur la sellette à Bruxelles, peut toutefois encore compter sur le soutien sans faille d’un parti majeur d’un des pays de l’UE : le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ). Cette formation classée à l’extrême droite ne se trouve pas au pouvoir actuellement à Vienne, mais elle pourrait y revenir <a href="https://theconversation.com/autriche-lextreme-droite-bientot-de-retour-au-pouvoir-199626">à l’issue des législatives qui se tiendront en septembre 2024</a>. Si cela se produit, et si la Hongrie parvient malgré tout à prendre à ce moment-là la présidence de l’Union, le duo austro-hongrois serait en bonne position pour imprimer à l’UE sa marque populiste, anti-migrants et très compréhensive à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tT0TFUE-H58?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Viktor Orban, un modèle pour le FPÖ ?</h2>
<p>De l’emblématique <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-1-page-196.htm">Jörg Haider</a>, qui domina le parti de 1986 à 2000 à <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2021-1-page-38.htm?ref=doi">Heinz-Christian Strache</a>, qui le présida de 2005 à 2019 et exerça notamment la fonction de vice-chancelier d’Autriche de 2017 à 2019, les dirigeants et les cadres du FPÖ ont été nombreux à assumer publiquement une certaine proximité idéologique avec la Hongrie de Viktor Orban, notamment sur les questions relatives à l’immigration ou à l’identité nationale.</p>
<p>Le leader actuel du FPÖ, Herbert Kickl, a d’ailleurs immédiatement réagi à la résolution adoptée le 1<sup>er</sup> juin par le Parlement européen, en <a href="https://www.euractiv.fr/section/avenir-de-lue/news/presidence-hongroise-du-conseil-de-lue-lextreme-droite-autrichienne-defend-viktor-orban/">apportant un soutien plein et entier au premier ministre hongrois</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il s’agit d’une attaque lâche et injuste de l’establishment de l’UE contre un État membre gênant qui ne dit pas “oui et amen” à tout ce qui vient de Bruxelles et dont le premier ministre se préoccupe avant tout du bien-être de son propre peuple. »</p>
</blockquote>
<p>Une position qui ne peut surprendre puisque, depuis sa prise de fonctions le 1<sup>er</sup> juin 2021 comme président du FPÖ, Herbert Kickl n’a eu de cesse d’<a href="https://visegradpost.com/fr/2021/07/07/rapprochement-entre-le-fidesz-et-le-fpo/">entretenir des liens étroits</a> avec la Hongrie et plus particulièrement avec le <a href="https://courrierdeuropecentrale.fr/theme/fidesz/">Fidesz</a>, la formation de Viktor Orban. Le 9 mai dernier, il s’est rendu en Hongrie pour y <a href="https://europeanconservative.com/articles/news/pm-orban-fpo-chief-urge-peace-talks/">rencontrer le chef de l’État</a> ; l’occasion pour lui d’affirmer que le dirigeant hongrois était un « modèle » pour bon nombre de citoyens et de politiciens européens, notamment en matière de <a href="https://fr.euronews.com/2021/12/22/politique-migratoire-viktor-orban-defie-une-nouvelle-fois-l-union-europeenne">politique migratoire</a>.</p>
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<p>En mars 2023 déjà, à l’occasion d’une précédente visite d’Herbert Kickl en Hongrie, les deux hommes s’étaient prononcés d’une seule et même voix contre les sanctions de l’UE à l’égard de la Russie. Herbert Kickl affirma alors que « la paix et la levée de ces sanctions inutiles entraîneraient une baisse immédiate de l’inflation », rejoignant ainsi les nombreuses <a href="https://theconversation.com/lequilibrisme-de-viktor-orban-entre-lue-et-la-russie-190794">prises de position de Viktor Orban</a> à ce sujet.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1633890749778411549"}"></div></p>
<p>Dernièrement encore, les 4 et 5 mai 2023, s’est déroulée à Budapest la <a href="https://www.euronews.com/2023/05/04/hungary-hosts-european-cpac-event-in-hopes-of-rallying-global-far-right">« Conservative Political Action Conference »</a>, largement inspirée du <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20230302-le-cpac-rendez-vous-annuel-des-conservateurs-am%C3%A9ricains-taill%C3%A9-pour-donald-trump">modèle des Républicains aux États-Unis</a>. Dans un message vidéo, Herbert Kickl, en sa qualité de président du FPÖ, a complimenté une fois de plus la Hongrie de Viktor Orban, incitant l’UE à s’inspirer de la politique menée par le premier ministre hongrois.</p>
<h2>De la proximité avec le Jobbik…</h2>
<p>Le Fidesz de Viktor Orban n’est pas le seul parti hongrois avec lequel le FPÖ a pu entretenir des liens étroits. Il a en effet été longtemps proche du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/jobbik-l-ancien-parti-paria-qui-veut-detroner-viktor-orban-27-03-2018-2205824_24.php">Jobbik</a>, parti d’extrême droite dernièrement en perte de vitesse.</p>
<p>Le FPÖ avait organisé des rencontres entre les cadres et les militants des deux formations pour approfondir ce partenariat. Ces deux partis se retrouvaient sur la nécessité de préserver l’identité nationale de leur pays respectif et s’opposaient régulièrement à l’UE qui, selon eux, était à l’origine de l’érosion des souverainetés nationales. Néanmoins, malgré cette proximité politique, Heinz-Christian Strache s’opposa en 2011 à l’entrée du Jobbik au sein du groupe parlementaire AEL (Alliance européenne pour la liberté) au Parlement européen.</p>
<p>En effet, au fil des années, les relations se sont détériorées, en raison notamment de la volonté du FPÖ à se « respectabiliser » afin d’apparaître comme un partenaire fiable et sérieux pour les conservateurs autrichiens et, ainsi, se rapprocher du pouvoir. En 2014, le chef du Jobbik, Gabor Vona, qualifia le FPÖ (tout comme il l’a dit du Front national français) de « parti sioniste ». Heinz-Christian Strache, puis Herbert Kickl, donnèrent dès lors très largement la priorité aux liens avec le Fidesz, moins excessif et politiquement plus important que le Jobbik.</p>
<h2>… à l’alliance avec le Fidesz</h2>
<p><a href="https://visegradpost.com/fr/2021/07/07/rapprochement-entre-le-fidesz-et-le-fpo/">Les relations FPÖ-Fidesz se sont intensifiées</a> avec l’élection d’Herbert Kickl à la tête du FPÖ en 2021 même si elles existaient déjà du temps de ses prédécesseurs Heinz-Christian Strache et Norbert Hofer (2019-2021). Ainsi, en 2018, alors que, au Parlement européen, le Fidesz traversait quelques turbulences au sein du Parti populaire européen, qu’il a d’ailleurs <a href="https://institutdelors.eu/publications/chronique-dune-rupture-le-depart-du-fidesz-du-groupe-ppe-au-parlement-europeen/">fini par quitter</a>, Heinz-Christian Strache invita le parti de Viktor Orban à <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20210303-au-parlement-europ%C3%A9en-le-parti-hongrois-de-viktor-orban-quitte-le-groupe-ppe">rejoindre le groupe dans lequel siégeait le FPÖ</a>, Europe des Nations et des libertés (où l’on retrouvait notamment le RN français et le parti italien la Ligue du Nord, de Matteo Salvini) arguant du fait que tous les deux avaient une vision commune de l’UE. Mais à cette époque, et bien qu’ayant de nombreuses convergences avec le FPÖ, le Fidesz avait préféré rester au sein du Parti populaire européen (PPE) estimant que son influence et son poids politique seraient plus importants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-au-parlement-europeen-ou-le-renard-dans-le-poulailler-194216">L’extrême droite au Parlement européen, ou le renard dans le poulailler</a>
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<p>Après l’accession d’Herbert Kickl à la présidence du FPÖ en 2021, Viktor Orban lui a adressé une lettre pour le féliciter de sa belle victoire (avec 88,24 % de voix), se réjouissant d’une prochaine coopération.</p>
<p>En réponse, Herbert Kickl réitéra le soutien indéfectible du FPÖ :</p>
<blockquote>
<p>« L’ensemble du peuple hongrois trouvera [dans le FPÖ] un allié lorsqu’il s’agira de défendre une position audacieuse pour des objectifs communs, tels que la préservation de l’identité chrétienne, le renforcement de la politique migratoire, la protection efficace des frontières extérieures de l’Union européenne, le maintien de la souveraineté de l’État-nation ou la lutte contre la tutelle de l’UE ».</p>
</blockquote>
<p>En conséquence, quelques semaines plus tard, le FPÖ et le Fidesz signaient, aux côtés de nombreux autres partis européens (le RN, Fratelli d’Italia, le parti Droit et Justice au pouvoir en Pologne…), une <a href="https://www.lecho.be/economie-politique/europe/general/orban-salvini-et-le-pen-tentent-une-alliance-aux-relents-d-extreme-droite/10318425.html">déclaration commune sur l’Europe</a> dans laquelle ils réfutaient massivement l’idée d’un « fédéralisme européen ».</p>
<h2>2024, année décisive</h2>
<p>Au vu de ces chaleureuses relations entre le FPÖ et le Fidesz, il semble tout naturel que le grand parti d’extrême droite autrichien se range résolument aux côtés de Viktor Orban dans le bras de fer qui oppose ce dernier à l’Union européenne. D’autant plus que le FPÖ n’a pas oublié que, en 2000, lorsque l’UE avait <a href="https://www.persee.fr/doc/criti_1290-7839_2000_num_8_1_1433">durement sanctionné l’Autriche</a> en raison de la participation du FPÖ à une coalition gouvernementale à la suite des <a href="http://archive.ipu.org/parline-f/reports/arc/1017_99.htm">élections de 1999</a>, la Hongrie d’un certain… Viktor Orban, alors tout jeune premier ministre, s’était montrée « surprise » des vives critiques de l’UE à l’encontre de Vienne et s’était opposée aux sanctions…</p>
<p>Plus de vingt ans ont passé et c’est cette fois le FPÖ qui vient secourir la Hongrie et plus précisément Viktor Orban. D’ici un an, espère-t-on au FPÖ et au Fidesz, l’« axe » Vienne-Budapest se trouvera non seulement au cœur géographique, mais aussi au cœur politique de l’UE…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207055/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Rojtman-Guiraud est conseiller municipal d'opposition LR à Maxéville (54). </span></em></p>Tandis que les 27 remettent en question la place de la Hongrie au sein de l’UE, le FPÖ autrichien, parti d’extrême droite, ne cesse d’afficher son soutien au gouvernement hongrois de Viktor Orban.Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Science politique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2066312023-05-29T16:46:43Z2023-05-29T16:46:43ZCe que la réélection d’Erdogan signifie pour l’avenir de la Turquie<p>Vainqueur au second tour de l’élection de dimanche face à son rival de longue date, Kemal Kiliçdaroglu, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recep-tayyip-erdogan-21581">Recep Tayyip Erdogan</a> restera président de la Turquie <a href="https://www.letemps.ch/monde/indetronable-erdogan-remporte-lelection-presidentielle-turquie">pour cinq années supplémentaires</a>. S’il va jusqu’au bout de son mandat, il aura été au pouvoir pendant 26 ans.</p>
<p>Ce qui est étonnant, c’est que la majorité des Turcs ont élu Erdogan malgré une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/11/20/en-turquie-l-economie-sur-une-pente-dangereuse_6150780_3234.html">économie qui se dégrade</a> et une <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/en-turquie-les-entreprises-sous-le-choc-de-l-hyperinflation-20230509">hyperinflation</a> désormais chronique – une situation qui ferait probablement tomber n’importe quel gouvernement dans un pays démocratique.</p>
<p>Comment Erdogan a-t-il pu remporter les élections et, plus important encore, comment s’annonce le futur proche du pays ?</p>
<h2>Une élection libre mais inéquitable</h2>
<p>L’élection présidentielle a été libre, dans la mesure où les partis politiques ont pu présenter des candidats de leur propre chef et mener campagne. Les partis avaient également le droit d’avoir des représentants dans chaque bureau de vote afin de s’assurer que les bulletins étaient correctement comptés. Enfin, les électeurs étaient libres de voter.</p>
<p>Cependant, l’élection a été loin d’être équitable.</p>
<p>Tout d’abord, un rival potentiel dans la course, le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, a été <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221214-turquie-le-maire-d-istanbul-ekrem-imamoglu-condamn%C3%A9-%C3%A0-plus-de-deux-ans-de-prison">condamné</a> en décembre dernier à plus de deux ans de prison pour « insulte à des personnalités publiques ».</p>
<p>En réalité, le populaire Imamoglu avait surtout eu le tort d’infliger au parti d’Erdogan une rare <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/06/23/defaite-historique-d-erdogan-a-istanbul_1735740/">défaite aux élections municipales de 2019 à Istanbul</a>. Les sondages avaient montré que s’il s’était porté candidat à la présidentielle, <a href="https://www.duvarenglish.com/politics/2020/02/10/poll-shows-imamoglu-as-only-candidate-who-could-beat-erdogan-in-election">il aurait pu gagner contre Erdogan avec une marge confortable</a>. Certains <a href="https://www.contretemps.eu/condamnation-ekrem-imamoglu-maire-distanbul/">soutiennent</a> que la condamnation d’Imamoglu était motivée par des considérations politiques. Quoi qu’il en soit, Imamoglu étant hors jeu, l’opposition a dû se rallier à Kiliçdaroglu, le plus faible de tous les candidats à forte notoriété.</p>
<p>Erdogan exerce également une <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/chronique-des-m%C3%A9dias/20230512-la-libert%C3%A9-des-m%C3%A9dias-en-turquie">emprise sur les médias turcs</a> pratiquement généralisée, par l’intermédiaire de Fahrettin Altun, responsable des médias et de la communication au palais présidentiel.</p>
<p>Les médias turcs sont soit directement détenus par des proches d’Erdogan, comme le journal populaire <em>Sabah</em>, dirigé par Sedat Albayrak, soit contrôlés par des rédacteurs en chef nommés et surveillés par Altun. Certains sites d’information indépendants sur Internet, comme <a href="https://t24.com.tr/">T24</a>, pratiquent l’autocensure pour rester opérationnels.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1661761115687198721"}"></div></p>
<p>Grâce à ce contrôle massif des médias, Erdogan et ses proches s’étaient assurés d’avoir un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/presidentielle-en-turquie-recep-tayyip-erdogan-a-60-fois-plus-de-temps-de-parole-sur-la-television-publique-que-son-rival_5805047.html">temps d’antenne à la télévision bien supérieur à celui de l’opposition</a>. Le président réélu avait été dépeint dans les médias comme un leader mondial faisant progresser la Turquie en construisant des aéroports, des routes et des ponts. Il s’était présenté devant des dizaines de journalistes à la télévision, mais toutes les questions étaient préparées à l’avance et Erdogan a simplement lu ses réponses à l’aide d’un prompteur.</p>
<p>Altun avait également orchestré une vaste campagne de diffamation contre Kiliçdaroglu. Le leader de l’opposition avait bénéficié d’un temps d’antenne minimal, et lorsqu’il apparaissait dans les médias, il était dépeint comme un dirigeant inapte à gouverner le pays.</p>
<p>Altun contrôlait non seulement les chaînes de télévision et la presse écrite traditionnelles, mais aussi les réseaux sociaux. Sur Twitter, une plate-forme très influente en Turquie, Altun utilise depuis longtemps des robots et une <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-AK-Trolls-une-armee-digitale-au-service-des-interets-politiques-du-pouvoir-3580.html">armée de trolls</a> et d’influenceurs rémunérés pour tenter de contrôler les débats.</p>
<p>Et cela a fonctionné. Un nombre suffisant d’électeurs ont été influencés par la confusion et la peur que le pays serait dans un bien pire état si Kiliçdaroglu venait à être élu.</p>
<p>Enfin, il y avait un <a href="https://www.europe1.fr/international/presidentielle-en-turquie-face-a-lenorme-risque-de-fraude-la-societe-civile-turque-se-mobilise-4182741">risque de fraude</a> en raison de l’opacité du traitement des résultats des élections. Une fois chaque urne dépouillée, le bulletin de vote et la feuille de résultats sont transportés par la police (dans les villes) et par l’armée (dans les régions) jusqu’aux bureaux de la commission électorale. La police et l’armée sont toutes deux sous le contrôle étroit d’Erdogan.</p>
<p>Ajoutons que les résultats sont rapportés uniquement par l’agence publique Anadolu, alors qu’auparavant ils étaient rapportés par de multiples agences indépendantes.</p>
<p>Même si <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/election-presidentielle-en-turquie/temoignages-elections-en-turquie-ces-gardiens-des-urnes-qui-ont-les-yeux-bien-ouverts-pour-eviter-les-fraudes-en-ce-jour-de-vote-crucial_5823620.html">aucune preuve incontestable de fraude</a> n’est révélée, le spectre de la manipulation pourrait remettre en question l’intégrité de l’ensemble du processus électoral.</p>
<h2>Le soutien massif des électeurs religieux</h2>
<p>Deux autres facteurs ont joué un rôle décisif dans les élections.</p>
<p>Le premier est l’appel à voter en faveur d’Erdogan lancé par Sinan Ogan, qui était arrivé en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle il y a deux semaines, avec 5,2 % des suffrages. Erdogan a persuadé <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230522-turquie-l-ultranationaliste-sinan-ogan-annonce-son-soutien-%C3%A0-erdogan-au-second-tour">Ogan de lui apporter son soutien</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1660654751585796102"}"></div></p>
<p>Le deuxième facteur, le plus important, est la perception quasi surnaturelle qu’ont les électeurs conservateurs et religieux d’Erdogan. Pour eux, le président sortant est un héros religieux et un sauveur.</p>
<p>La population religieuse de Turquie a longtemps souffert de persécutions au nom de la laïcité. Pour eux, Kiliçdaroglu et son Parti républicain du peuple symbolisent cette persécution. Bien que Kiliçdaroglu ait abandonné les politiques laïques strictes du parti, ces électeurs ne lui ont jamais pardonné d’avoir empêché les femmes musulmanes de porter le foulard dans les établissements d’enseignement et les institutions publiques, et d’avoir tenu la religion à l’écart de la vie publique et de la politique pendant des décennies.</p>
<p>La droite conservatrice et religieuse turque voit en Erdogan un leader mondial et un héros qui a lutté contre des forces mal intentionnées, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, pour rendre à la Turquie sa grandeur.</p>
<h2>Que va-t-il se passer en Turquie après les élections ?</h2>
<p>La Turquie avait désespérément besoin d’un changement de gouvernement et d’une bouffée d’air frais. Aujourd’hui, l’asphyxie sociale, politique et économique risque de s’aggraver.</p>
<p>Il y a quelques années, Erdogan avait <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/17/erdogan-poursuit-sa-mission-de-reinscrire-la-turquie-sur-la-grande-carte-du-monde-pour-rendre-aux-turcs-leur-fierte_6173667_3232.html">promis une renaissance de la Turquie d’ici à 2023</a>, date du <a href="https://www.bostonglobe.com/2023/01/04/opinion/turkey-turns-100-its-democratic-future-still-has-not-arrived/">centième anniversaire</a> de la fondation de la République. La Turquie était censée entrer dans le top 10 des économies mondiales d’ici là. Cependant, la Turquie <a href="https://www.worldometers.info/gdp/gdp-by-country/">se situe à peine dans le top 20</a>.</p>
<p>L’économie a connu un ralentissement important au cours des trois dernières années. La valeur de la <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211127-la-chute-de-la-livre-turque-une-aubaine-pour-les-voisins-grecs-et-bulgares">livre turque a chuté</a>, ce qui a conduit à une économie basée sur le dollar.</p>
<p>Mais les dollars sont difficiles à trouver. La Banque centrale turque a maintenu l’économie à flot en vidant ses réserves au cours des derniers mois en vue des élections. Le <a href="https://www.leconomistemaghrebin.com/2023/04/11/turquie-deficit-courant-plonge-rouge-profond/">déficit du compte courant</a> a été de 8 à 10 milliards de dollars chaque mois, et les réserves sont tombées dans le négatif la semaine dernière pour la première fois depuis 2002.</p>
<p>Erdogan doit maintenant trouver de l’argent. Il aura recours à des prêts étrangers à des taux d’intérêt élevés et se lancera dans une tournée diplomatique des pays musulmans riches en pétrole pour attirer une partie de leurs fonds vers la Turquie. L’incertitude qui entoure le succès de ces initiatives risque de plonger l’économie turque dans la récession.</p>
<p>Pour la population turque, cela pourrait se traduire par un chômage massif et une hausse du coût de la vie. Le <a href="https://fr.euronews.com/2022/10/03/linflation-atteint-834-en-turquie-le-taux-le-plus-eleve-depuis-24-ans">taux d’inflation a atteint son plus haut niveau en 24 ans, 85,5 %</a> l’année dernière, et pourrait encore augmenter, car le gouvernement, à court d’argent, continue d’imprimer de la monnaie numérique pour payer son importante main-d’œuvre bureaucratique.</p>
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<p>En matière de politique étrangère, Erdogan continuera d’essayer de faire de la Turquie une puissance régionale indépendante de l’OTAN, de l’Union européenne et des États-Unis. Il continuera probablement à <a href="https://www.europe1.fr/international/turquie-la-politique-etrangere-derdogan-passe-par-sa-relation-avec-moscou-4185649">renforcer les liens de la Turquie</a>] avec le président russe Vladimir Poutine, ce qui inquiète les alliés occidentaux du pays.</p>
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<h2>Que nous réserve l’avenir ?</h2>
<p>Il s’agit du dernier mandat d’Erdogan, conformément à la Constitution turque, et il est possible qu’il soit écourté.</p>
<p>Le président, âgé de 69 ans, a de <a href="https://www.leparisien.fr/international/turquie-cinq-minutes-pour-comprendre-les-inquietudes-autour-de-la-sante-derdogan-28-04-2023-PYKOMNEAHRGG7ES5OYRFF23PX4.php">nombreux problèmes de santé</a>. Il est de plus en plus fragile physiquement, il a du mal à marcher et ses discours sont souvent saccadés. Dans les années à venir, son état de santé pourrait se dégrader et il pourrait être contraint de céder sa place à un homme de confiance.</p>
<p>L’autre possibilité est que des dirigeants potentiels de son parti décident de commettre un coup d’État pour renverser Erdogan avant la fin de son mandat, afin d’obtenir le soutien de l’opinion publique en vue de l’élection présidentielle de 2028.</p>
<p>Bien que la Turquie postélectorale connaisse pour l’instant une certaine stabilité politique, le pays sera en proie à des troubles économiques, sociaux et politiques dans un avenir prévisible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206631/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehmet Ozalp est affilié à l'Islamic Sciences and Research Academy of Australia.</span></em></p>Avec la reconduction du président sortant pour cinq années supplémentaires, l’asphyxie sociale, politique et économique risque de s’aggraver en Turquie.Mehmet Ozalp, Associate Professor in Islamic Studies, Director of The Centre for Islamic Studies and Civilisation and Executive Member of Public and Contextual Theology, Charles Sturt UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037772023-04-17T15:58:32Z2023-04-17T15:58:32ZL’Inde, nation multiculturelle aux immenses ambitions internationales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521025/original/file-20230414-28-6rytjb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C55%2C7348%2C4847&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À New Delhi, le 26&nbsp;janvier 2017, défilé de véhicule militaires emportant le missile de croisière supersonique à moyenne portée Brahmos, lors de la 68<sup>e</sup>&nbsp;célébration du Jour de la République.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/new-delhi-india-january-26-2017-1897758673">PradeepGaurs/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Désormais le pays le plus peuplé de la planète avec <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-du-lundi-17-avril-2023-7300367">1 milliard 428 millions d'habitants</a>, l’Inde abrite de multiples cultures sur son territoire. Aujourd’hui, le premier ministre Narendra Modi cherche à forger l’image d’un peuple indien uni, voire uniforme, tourné vers l’ambition de faire de « la plus grande démocratie du monde » une superpuissance. Dans son ouvrage <a href="https://editions.flammarion.com/breve-histoire-de-linde/9782080285386">Brève histoire de l’Inde. De pays des mille dieux à la puissance mondiale</a>, paru le 5 avril aux éditions Flammarion et dont nous vous présentons ici quelques extraits, Anne Viguier, spécialiste de l’histoire de l’Inde et de l’Asie du Sud, montre toute la complexité d’une société hétérogène qui s’interroge autant sur elle-même que sur son rapport au monde extérieur.</em></p>
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<h2>Un mille-feuille de langues et de cultures</h2>
<p><em>Un conservatoire de la diversité humaine</em></p>
<p>[…] La singularité de l’Inde ne vient pas d’une histoire du peuplement par vagues successives. Après tout, l’ensemble de la planète fut peu à peu colonisé par <em>Sapiens</em> de cette manière. L’Europe sans la Russie, aussi vaste que l’Asie du Sud, est également habitée par des populations diverses, et on sait bien que les peuples germaniques s’y sont mêlés aux Celtes qui les avaient précédés à l’ouest. Mais ce qui surprend, en Inde, c’est que les traces linguistiques de ce passé ancien sont accompagnées de particularismes culturels qui semblent résister au temps, sans que des frontières politiques ne séparent les groupes sur la longue durée : ce n’est pas le politique qui, comme en Europe, a construit cette diversité résistante.</p>
<p>Pourtant, l’Inde fut la matrice de royaumes et d’empires parfois immenses. Par quel mystère l’unification politique échoua-t-elle à s’imposer de manière durable, même sur une partie du territoire, avant que la conquête coloniale britannique ne vienne, au XIX<sup>e</sup> siècle, tenter de soumettre chaque Indien à la même loi ?</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’Inde vient remettre en cause le récit encore trop habituel d’une histoire de l’humanité suivant une trajectoire unique. […] Les récentes découvertes archéologiques, partout dans le monde, remettent en cause ce récit de référence. L’Inde se trouve être un laboratoire singulier des expériences collectives humaines. Y ont cohabité, jusqu’à nos jours, tous les modèles politiques, une infinité de coutumes, des formes d’organisation sociale parfois très fluides, parfois très rigides.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-foret-lieu-symbolique-et-mythique-des-recits-traditionnels-indiens-125507">La forêt, lieu symbolique et mythique des récits traditionnels indiens</a>
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<p>Rien ou presque ici de la centralisation chinoise, pas d’Église régissant les âmes ni de <em>limes</em> ou murailles fermant l’espace, une réinvention permanente des traditions, une conservation aléatoire d’un passé rarement mis à l’écrit et une capacité à s’emparer des inventions venues d’ailleurs, mais aussi d’y résister. Ainsi, l’Inde adopta des éléments de l’astrologie romaine, elle acclimata la médecine arabe, se régala bien vite du piment venu d’Amérique, mais ne se mit que très tard à utiliser le papier ou la brouette.</p>
<p><em>Ordonner le chaos</em></p>
<p>[…] N’imaginons pas que chaque groupe, en Inde, s’est refermé sur sa propre culture. Traversé d’échanges en tout genre (hommes, idées, marchandises), le monde indien s’est constamment recomposé, associant métissages et particularismes. Le propre des Indiens est peut-être leur capacité à se réclamer d’identités multiples, selon les circonstances, les besoins, les interlocuteurs.</p>
<p>Cette histoire complexe ne peut être passée sous silence, même si le récit présenté ici se veut bref. Car concevoir un récit unifié du passé de l’Inde est une gageure. En Inde, la multiplicité des récits sur l’histoire reste une réalité, chaque groupe ayant établi sa propre mythologie pour expliquer son origine, ce qui n’empêche pas ses habitants actuels de se reconnaître aussi dans un récit national plus récent qui leur donne la certitude de partager une culture commune justifiant l’existence d’un seul État.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Vue aérienne de la Statue de l’Unité, en Inde" src="https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C3994%2C2988&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Statue de l’Unité, représentant Sardar Vallabhbhai Patel, l’un des pères fondateurs de l’Inde contemporaine, a été inaugurée en 2018 par Narendra Modi, dans l’État du Gujarat. Avec ses 240 mètres, elle est de loin la plus grande statue du monde. Modi y voit le symbole de l’unité et de la puissance du pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mahi.freefly/Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Un jeune Tamoul interrogé au sortir de sa salle de classe parlera avec fierté des dernières découvertes archéologiques témoignant d’une culture antique brillante dans le sud de l’Inde, à l’appui des descriptions tirées de la plus ancienne littérature écrite dans sa langue. Il évoquera comme une réalité historique l’ancienne légende d’un continent englouti, le pays de Kumari, réceptacle disparu d’une glorieuse civilisation dravidienne. Un militant du parti des nationalistes hindous, dans la plaine du Gange, affirmera avec conviction que les Indiens descendent des Arya, peuple autochtone dont les Européens forment une branche ultérieure venue d’Inde. Dans l’ouest du pays, les militants de la Shiv Sena (parti des « fils du sol ») glorifieront plutôt la geste d’un héros du XVII<sup>e</sup> siècle, Shivaji, qui combattit les puissants Moghols.</p>
<p>À chacun son époque de référence, son mythe, sa manière d’être au monde… De même que, dans l’hindouisme, le <em>dharma</em> n’impose pas de principes d’action universels, puisque chacun doit adapter ses interventions aux circonstances immédiates, à l’environnement (y compris aux agencements des astres) et aux règles propres à sa caste, de même la présence du passé résonne de manière singulière pour chacun, en dépit des efforts pour inventer une « nouvelle Inde » dépouillée de tous ces particularismes qui, selon certains, l’affaiblissent.</p>
<p>[…]</p>
<h2>Une fragile démocratie en quête d’un rôle mondial</h2>
<p>Au cours des années 2000-2010, le nationalisme hindou s’était doublé d’un national-populisme incarné par un nouveau leader, Narendra Modi. […]</p>
<p>En avril 2014, à l’issue d’une campagne à l’américaine anticipant le style Trump deux ans plus tard, le BJP emmené par Narendra Modi remporta les élections générales en réussissant l’exploit d’obtenir à lui seul la majorité absolue des sièges à la Lok Sabha. Même s’il restait minoritaire en voix à l’échelle nationale (31 %), le scrutin uninominal à un seul tour lui avait permis de remporter une majorité de circonscriptions, notamment dans la région hindiphone la plus peuplée.</p>
<p>Pour assurer cette victoire, le parti avait joué sur tous les tableaux : les militants les plus durs espéraient une mise en œuvre de la politique de l’<em>hindutva</em>, tandis que les hautes castes hindoues misaient sur l’abandon des quotas ; la jeunesse en quête d’emploi et de reconnaissance croyait au <em>Make in India</em> (fabriquer en Inde) promis par Modi ; les membres des basses castes espéraient une amélioration de leur sort par un homme qui revendiquait son origine modeste et racontait à l’envi son expérience de petit vendeur de thé dans l’échoppe de son père quand il était enfant.</p>
<p>Le premier mandat de Narendra Modi mit surtout en avant une politique économique offensive, tout en élaborant une personnalisation du pouvoir de plus en plus marquée. Les résultats mitigés firent croire, en 2019, que le BJP allait perdre les élections. Mais de nouveau, ce fut une grande victoire qui parut effacer de manière irréversible toutes les tendances antérieures à une régionalisation de la politique.</p>
<p>La façon dont la personnalité de Modi a été mise en scène y fut sans doute pour beaucoup. Dans la culture indienne, obsédée par la hiérarchie et les symboles, la projection ostensible du pouvoir est ce qui permet la reconnaissance quasi inconditionnelle d’un statut. Ce pouvoir peut être obtenu par différents moyens : la non-violence ou au contraire la violence ; ce n’est pas une question morale. Le succès est attribué au <em>karma</em> de l’individu. L’étoile qui monte est saluée avec une adulation disproportionnée. <em>A contrario</em>, on s’écarte rapidement de celui qui connaît une passe difficile. C’est pourquoi la propagande doit saturer l’espace médiatique pour diffuser l’image du succès et donc de la puissance, et s’assurer des allégeances renouvelées.</p>
<p>[…]</p>
<h2>L’ambition rêvée d’une superpuissance</h2>
<p>L’Inde n’est ni la Chine ni la Russie. Comment dompter une population si vaste, si diverse, comment enrégimenter toutes les castes, toutes les tribus, toutes les croyances, pour les faire tendre vers un but commun ? Certes, les moyens modernes de communication créent un espace imaginaire inédit pour réunir tous les Indiens. Certes, l’idéologie de l’<em>hindutva</em>, qui veut uniformiser l’Inde, s’est implantée au-delà de son bastion originel des régions nord-indiennes, surfant sur la xénophobie locale en Assam, au Gujarat ou au Maharashtra.</p>
<p>Mais de fortes identités régionales persistent au sud, au centre, à l’est. Les élections qui continuent malgré tout à ponctuer la vie politique le montrent. Les Indiens ont le temps. Un temps cyclique tropical. Ils aiment les films-fleuves pleins de chansons, les interminables matchs de cricket, les grandes fêtes qui s’étirent en longueur. Ils peuvent soudainement rejoindre une marche protestataire traversant l’Inde, abandonner leurs champs pour faire le siège de la capitale pendant un an, s’installer dans une rivière pour empêcher la construction d’un barrage ou, plus modestement, s’accrocher aux arbres pour empêcher qu’on les coupe. Tout dépend des lunettes que l’on chausse pour regarder, des lieux où l’on voyage, des personnes que l’on rencontre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-paysans-indiens-pourront-ils-faire-flechir-le-gouvernement-modi-109791">Les paysans indiens pourront-ils faire fléchir le gouvernement Modi ?</a>
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<p>Longtemps, les Français ont plutôt cultivé une fascination pour la Chine, un pays dont l’organisation quasi militaire pouvait mieux correspondre à l’esprit cartésien et au goût napoléonien pour l’ordre. L’Inde fascine certains qui y retournent sans cesse, mais effraie la majorité : trop complexe, trop diverse, trop religieuse et, aujourd’hui, trop intolérante ? C’est l’Europe tout entière, dans son multilinguisme, son fédéralisme inachevé, son idéal humaniste, qui devrait dialoguer avec l’Inde et concevoir des ponts, des échanges, aussi bien économiques que culturels.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Livre d’Anne Viguier « Brève histoire de l’Inde. Du pays des mille dieux à la puissance mondiale »" src="https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « Brève histoire de l’Inde. Du pays des mille dieux à la puissance mondiale », paru le 5 avril 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://editions.flammarion.com/breve-histoire-de-linde/9782080285386">Éditions Flammarion</a></span>
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<p>Le prix Nobel d’économie (1998) et inventeur de l’Indice de développement humain (IDH) Amartya Sen, dans son éclairant essai <em>The Argumentative Indian</em> (2005), en commentant la pensée de Rabindranath Tagore qui affirmait que « l’idée de l’Inde » militait contre « la conscience intense de la séparation de son propre peuple et des autres », souligne que cela vaut autant à l’intérieur du pays – qu’il ne faut pas voir comme une mixture de cultures juxtaposées – que pour la relation de l’Inde avec l’extérieur.</p>
<p>C’est un message refusant une définition exclusive de l’identité. Ouverture à l’espace, mais foi dans la possibilité du renouvellement : « Quand les vieilles paroles expirent sur la langue, de nouvelles mélodies jaillissent du cœur ; et là où les vieilles pistes sont perdues, une nouvelle contrée se découvre avec ses merveilles », écrivait aussi Tagore dans <em>L’Offrande lyrique</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203777/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Viguier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Historiquement constitué d’une mosaïque de langues et de cultures, le deuxième pays au-delà du milliard d’habitants compte s’imposer comme puissance économique et géopolitique.Anne Viguier, Directrice du département Asie du Sud et Himalaya, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031822023-04-06T16:24:22Z2023-04-06T16:24:22ZRéforme des retraites : les citoyens au miroir de leurs blessures émotionnelles<p>La spontanéité et l’intensité avec lesquelles les opposants à la réforme des retraites expriment leur mécontentement ont-elles une influence sur la structuration de leurs argumentaires ?</p>
<p>Les termes utilisés pour décrire le phénomène parlent d’eux-mêmes : <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798">révolte</a>, <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/la-question-qui-f%C3%A2che/20230317-retraites-un-d%C3%A9ni-de-d%C3%A9mocratie">déni de démocratie</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/03/17/49.3-pour-les-retraites-a-l-assemblee-nationale-le-gouvernement-en-retard-un-hemicycle-dechaine-et-des-appels-a-la-demission_6165821_823448.html">honte, scandale</a>, <a href="https://www.estrepublicain.fr/social/2023/03/15/reforme-des-retraites-un-sentiment-de-mepris-voire-d-humiliation">humiliation</a>, <a href="https://www.coordinationrurale.fr/nos-cr-locales-actualites/normandie/cr-50/retraites-stop-a-la-trahison/">trahison</a>…</p>
<p>Dans tous les témoignages, la perception des enjeux semble indexée à des ressentis personnalisés, comme si le contexte de la réforme libérait la parole sur des sentiments enfouis. </p>
<p>Les avis mettent volontiers en scène des souffrances personnalisées. Des situations de mal-être, qui semblaient jusqu’alors contenues ou indicibles, sont avancées pour commenter les effets de la réforme. On est presque sur le registre de la révélation : les colères contre la réforme mettent des mots inédits sur des fragilités et des impuissances.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-a-t-on-atteint-notre-capacite-collective-a-supporter-la-brutalite-du-monde-199736">Réforme des retraites : A-t-on atteint notre capacité collective à supporter la brutalité du monde ?</a>
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<h2>Les émotions influencent-elles les opinions ?</h2>
<p>Ces émotions influencent-elles la <a href="https://theconversation.com/face-au-changement-climatique-faire-de-la-peur-un-moteur-et-non-un-frein-200876">formation et l’expression</a> des opinions politiques ? La question n’a pas toujours été prise au sérieux dans les sciences sociales mais elle suscite un renouveau pluridisciplinaire depuis deux décennies. En France par exemple, des philosophes et des historiens suggèrent un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/21/le-tournant-emotionnel-de-la-vie-intellectuelle_6064060_3232.html">tournant émotionnel</a> qui serait lié à la fois à la mondialisation, à la montée de l’individualisme, au développement des réseaux sociaux et à la crise écologique.</p>
<p>Ils mobilisent des données comme la haine, la peur, le doute, la foi et le désir pour proposer une relecture de la vie en société autour de ces dimensions sensibles. Mais dans le champ de la science politique et chez les sociologues, l’équation reste surtout abordée sous l’angle des émotions exprimées et apparentes qui reflètent ou accentuent des <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/lsp/2021-n86-lsp06205/">rapports de domination</a>.</p>
<p>Certains travaux s’intéressent par exemple aux passions qui caractérisent les manifestations dans la rue. D’autres analysent la façon dont la compassion et l’empathie sont convoquées dans des procès ou pour résoudre des conflits. D’autres encore montrent comment <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/npss/2018-v14-n1-npss04336/1056436ar/">l’authenticité des larmes</a> en direct peut nourrir la <a href="https://theconversation.com/quand-les-politiques-font-de-leur-vulnerabilite-un-outil-de-communication-200193">stratégie d’un leader politique</a>.</p>
<p>Qu’ils soient individuels ou inscrits dans un cadre collectif, qu’ils expriment des actes de résistance ou de conquête, ces dispositifs émotionnels caractérisent ce que Machiavel nommait la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Prince">comédie du pouvoir</a> et que Guy Debord a plus tard nommé la <a href="https://www.frustrationmagazine.fr/societe-du-spectacle-debord/">société du spectacle</a>. Pour reprendre la principale thèse de Norbert Elias, ces émotions visibles légitiment la <a href="https://editions.flammarion.com/la-societe-de-cour/9782081218024">société de cour</a> sans qu’il n’y ait jamais de réelle remise en cause de l’ordre établi et des codes du pouvoir en place.</p>
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<h2>Des ressentiments qui viennent de loin</h2>
<p>Avec la réforme des retraites, les coups de sang ont une portée émotionnelle particulière dans la mesure où leur caractère viscéral déborde les ressorts classiques de la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/langage-et-pouvoir-symbolique-pierre-bourdieu/9782757842034">violence symbolique</a> théorisés par Pierre Bourdieu.</p>
<p>Alors que ces questionnements existentiels s’exprimaient jusqu’alors essentiellement dans le cadre privé de confidences ou de confessions, ce dernier saute sous la pression de la charge émotionnelle.</p>
<p>Dans une perspective psychanalytique, on pourrait dire que les prises de parole sur la réforme ressemblent à un passage à l’acte. En évoquant publiquement des traumatismes jusque-là refoulés, les individus font preuve de <a href="https://www.google.fr/books/edition/R%C3%A9silience_Protection_et_vuln%C3%A9rabilt%C3%A9/68WdEAAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=R%C3%A9silience+:+facteurs+de+protection+et+de+vuln%C3%A9rabilit%C3%A9&printsec=frontcover">résilience</a>.</p>
<p>Et ce travail d’introspection révèle des fêlures, viscérales et parfois narcissiques, dans leur rapport aux institutions et à l’autorité. Ces ressentiments viennent de loin.</p>
<p>Le mouvement actuel fait ainsi penser aux découvertes de l’anthropologue <a href="http://anthropopedagogie.com/wp-content/uploads/2019/01/La-societe-contre-letat-Pierre-Clastres1.pdf">Pierre Clastres</a> lorsque ce dernier s’intéressait à la façon dont les membres des tribus amazoniennes dites pré-étatiques concevaient le vivre ensemble en rejetant explicitement toute forme organisée coercitive et tout leadership autoritaire. On peut faire le parallèle avec les opposants à la réforme qui la réfutent d’abord au nom de leur dignité et de leur liberté menacées.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-au-rechauffement-climatique-passer-de-leco-anxiete-a-leco-colere-184670">Face au réchauffement climatique, passer de l’éco-anxiété à l’éco-colère</a>
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<h2>Dignité et fierté, mépris et morgue</h2>
<p>Les blessures enfouies qui surgissent en premier dans les témoignages concernent le sentiment aigu, et tout particulièrement pour les populations les plus fragiles, d’un <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-a-t-on-atteint-notre-capacite-collective-a-supporter-la-brutalite-du-monde-199736">désaveu</a> : avec la réforme, leur dignité est bafouée et leur fierté est atteinte.</p>
<p>La retraite touche frontalement aux questions de l’utilité sociale, du destin individuel et du rapport à la mort. Les calculs sur l’âge légal et sur les annuités fonctionnent comme un miroir grossissant qui interpelle chacun sur la reconnaissance de la place qu’il occupe dans la société. La réforme rappelle les inégalités de salaires, elle souligne les problèmes rencontrés en matière de santé, les capacités d’adaptation au marché du travail, le rôle de la famille dans les moments difficiles, les itinéraires professionnels chaotiques, la perte d’estime de soi dans les périodes de crise…</p>
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<figcaption><span class="caption">Histoire des émotions, Alain Corbin.</span></figcaption>
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<p>Le gouvernement a certes construit son raisonnement à l’aune de formules budgétaires pour sauver le <a href="https://theconversation.com/le-systeme-de-retraite-sera-t-il-aussi-genereux-avec-les-generations-futures-quavec-les-retraites-actuels-202060">système des retraites par répartition</a>. Mais la méthode possède un vice de forme qui est souvent perçu comme insupportable : le temps de cotisation procède d’une équation comptable où les individus sont considérés comme de simples pions sur un vaste échiquier. Leur contribution n’est évaluée qu’à l’aune de critères quantifiés, planifiés et indicés de façon indifférenciée sans prêter aucune attention aux aléas et aux échecs propres à chaque trajectoire de vie.</p>
<p>C’est à ce stade que les blessures deviennent politiques. Le manque de reconnaissance, qui vient du monde politique, <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/lhistorien-pierre-rosanvallon-il-y-a-chez-emmanuel-macron-une-arrogance-nourrie-dignorance-sociale-20230403_HEYZOLZ3XJDD7J57UYTVZ44DHM/">est perçu comme une preuve d’arrogance</a>, de mépris, parfois même de morgue.</p>
<p>Emmanuel Macron devient le <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">héraut de la verticalité</a> et du <a href="https://docassas.u-paris2.fr/nuxeo/site/esupversions/92032176-d29e-438c-88db-5a67a88ff5a0?inline">parlementarisme rationalisé</a>, il symbolise avec le 49.3 une conception autoritaire et surplombante du pouvoir. Il amplifie malgré lui les bouffées de détestation du politique car il a échoué pour l’instant dans sa tentative à incarner simultanément les <a href="https://theconversation.com/pourquoi-certains-adorent-detester-emmanuel-macron-178665">deux corps du Roi</a>.</p>
<h2>Les passions tristes de la citoyenneté du nombril</h2>
<p>C’est sur ce malentendu et ce dilemme que les émotions brouillent peut-être les voies classiques de politisation des opinions. Les indignations ne se limitent pas à des cris et des larmes.</p>
<p><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-epreuves-de-la-vie-pierre-rosanvallon/9782021486438">Au fil des épreuves affrontées</a>, elles orientent peut-être l’apprentissage de la citoyenneté. De manifestation en manifestation, les blessures intimes de chaque histoire de vie deviennent la boussole des raisonnements. Les discours cristallisent des souffrances et des fragilités. Et chaque ressenti gagne en légitimité… Un peu comme pour le mouvement des « gilets jaunes » <a href="https://theconversation.com/le-rond-point-fabrique-quotidienne-de-solidarites-122808">sur les ronds-points</a>, les cris du cœur deviennent des motifs de ralliement et les refus du changement des arguments politiques.</p>
<p>En superposition à ces réactions personnalisées de dignité et fierté, la réforme provoque aussi un cocktail émotionnel moins vertueux à base de violence et d’intolérance. La violence provient du sentiment que les libertés premières sont gravement menacées par la réforme. L’intolérance se diffuse sur l’idée qu’il y a, dans cette réforme, une immense majorité de victimes impuissantes et quelques coupables manipulateurs. Juste après la séquence traumatique du confinement sanitaire, la période est particulièrement anxiogène. Le débat sur l’âge de la retraite fait office d’accélérateur : les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thique_(Spinoza)">passions tristes</a> du dégoût et du repli y trouvent soudainement matière à toutes les formes d’expression et de propagation, comme en témoignent certains discours de haine qui prennent parfois une <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/la-democratie-peut-elle-survivre-a-la-haine.html">ampleur inquiétante</a>. La violence et le repli reflètent aussi une forme d’épuisement ou d’incapacité à discuter avec l’autre.</p>
<h2>Une panne d’altérité</h2>
<p>Cette panne d’altérité pourrait profiter – comme le souligne une <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/a-qui-profite-la-crise-des-retraites/">étude de la Fondation Jean-Jaurès</a> – au parti du Rassemblement national qui sait si bien agréger les <a href="https://www.midilibre.fr/2015/12/07/entretien-emmanuel-negrier-est-chercheur-au-cnrs-centre-d-etudes-politiques-de-l-europe-latine-a-montpellier,1254402.php">frustrations et les peurs</a>.</p>
<p>Et les appels au référendum, qu’ils soient de droite ou de gauche, favorisent <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/le-referendum-un-instrument-defectueux.html">l’illusion dangereuse</a> d’une vox populi souveraine et salvatrice.</p>
<p>En combinant la dignité et la fureur, la fierté et le repli, les journées de mobilisation nationale font converger les émotions. Elles donnent du crédit, de la lumière et donc de la légitimité à une <a href="https://theconversation.com/debat-la-citoyennete-du-nombril-des-gilets-jaunes-107313">citoyenneté du nombril</a> pour le moins équivoque sur le plan démocratique.</p>
<p>Comment faire de la politique et des politiques publiques à l’aune de cette confusion émotionnelle que les réseaux sociaux sans cesse décuplent ? La question reste en suspens, d’autant plus quand les médiateurs traditionnels semblent céder, eux aussi, aux aveuglements de leurs propres blessures émotionnelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203182/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Faure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mots entendus lors de la contestation contre la réforme des retraites sont empruntés au registre des émotions et traduisent un ressenti qui vient de loin.Alain Faure, Directeur de recherche CNRS en science politique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2016942023-04-04T17:37:04Z2023-04-04T17:37:04ZEn Espagne, en Italie et ailleurs : quand la rhétorique populiste joue sur l’émotion<p>Lorsque l’on examine les discours tenus par les <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/comprendre-la-vague-populiste-en-europe/">partis populistes</a> qui, depuis plusieurs années, ne cessent de progresser dans de nombreux pays d’Europe, on constate que ces formations placent au cœur de leurs stratégies de communication des termes fortement empreints d’émotions pour convaincre et séduire les électeurs.</p>
<p>Les analyses présentées dans l’ouvrage collectif <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-emotions_strategies_politiques_et_engagement_citoyen_david_bousquet_alexandra_palau-9782806106506-72999.html"><em>Émotions, stratégies politiques et engagement citoyen</em></a> que nous avons co-dirigé mettent en évidence les structures affectives mobilisées par ces idéologies et leur instrumentalisation dans un paysage médiatique en pleine mutation. Dans quelle mesure le recours à cette rhétorique émotionnelle explique-t-il la vague populiste actuelle ? Quels sont les contextes politiques et culturels qui favorisent l’expression des émotions ? Et quelle est l’influence des outils numériques dans la propagation d’arguments fondés sur l’émotion et dans la formation de communautés émotionnelles ?</p>
<h2>Internet : un catalyseur d’affects</h2>
<p>La généralisation des outils numériques et des réseaux sociaux a eu un impact majeur sur les modalités de la discussion politique et citoyenne. En cristallisant des <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-11-page-43.htm">rapports de force intangibles</a> entre, d’une part, « une élite hors sol » et, de l’autre, « un peuple ancré dans la réalité », ces nouvelles pratiques alimentent un processus social identitaire qui favorise l’adhésion émotionnelle aux valeurs nationalistes portées par certaines formations politiques.</p>
<p>La capacité d’influence des dispositifs numériques est, de ce fait, privilégiée par des leaders populistes à la recherche d’une <a href="https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=7791273">communication directe et personnelle avec leur auditoire</a>. Pour nombre d’entre eux, il s’agit de promouvoir, sur fond d’angoisse identitaire, leurs référents idéologiques à travers des thématiques qui suscitent des émotions telles que la peur, la colère ou le ressentiment.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La mise en exergue de valeurs partagées, associée à la viralité des nouvelles technologies de l’information, permet de créer ces communautés morales imaginaires du populisme qui, en s’appuyant sur des référents symboliques et des affects, cherchent à effacer les différences au sein du groupe et à se centrer sur des intérêts et des objectifs communs.</p>
<p>Dans la rhétorique et les visuels du parti espagnol d’extrême droite Vox, ces logiques d’appartenance communautaire se retrouvent, par exemple, dans l’exaltation d’une thématique <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/vox-chasse-le-vote-rural-en-vantant-lespagne-authentique-1014520">ruraliste</a> qui mise à la fois sur des symboles patriotiques tels le drapeau espagnol mais aussi sur la défense de certaines traditions comme la tauromachie ou la chasse.</p>
<p>L’espace de la discussion numérique autorise de nouveaux formats, avec des interactions plus immédiates et plus spontanées que les traditionnels meetings et entretiens télévisés. L’incidence des nouvelles technologies sur la médiatisation de la parole publique est significative. En effet, la généralisation des médias numériques entraîne de nouvelles formes d’influence médiatique et redéfinit les rapports et les interdépendances entre la sphère politique et la société civile. Les émotions deviennent alors un outil de mobilisation, à travers la stigmatisation ou la délégitimation de certains groupes minoritaires par exemple les immigrés clandestins.</p>
<p>Lors des dernières campagnes électorales dans plusieurs pays européens comme la France, l’Espagne ou l’Italie, une rhétorique émotionnelle a été utilisée, et <a href="https://www.cairn.info/geopolitique-des-extremes-droites--9791031805030-page-167.htm">amplifiée via les réseaux sociaux</a>, pour convaincre les électeurs des dangers de l’immigration. En Espagne, jusqu’en 2017, la lutte contre l’immigration n’était pas un argument électoral porteur. Dans les autres pays, les réseaux sociaux ont facilité la propagation de ce type d’arguments qui utilisent les émotions, d’où des résultats en hausse lors des dernières élections (ce qui s’explique bien sûr également par d’autres facteurs comme le sentiment de déclassement, la crise sanitaire, les difficultés économiques, etc.).</p>
<p>Dans des discours alarmistes, diffusés sous la forme de courtes vidéos, de spots électoraux ou de messages brefs tels des hashtags ou des tweets, on observe une centralité de la thématique identitaire. Il s’agit de construire des logiques d’exclusion basées sur une peur de l’étranger et un refus des valeurs cosmopolites, présentées comme menaçantes pour la nation. Cette guerre/manipulation idéologique exacerbe des peurs et, en clivant l’espace politique, alimente dans l’espace public et médiatique une forme de radicalisation favorable aux populismes. L’implication affective qui caractérise la conflictualisation est mise à profit pour nourrir des frustrations et agir sur la construction des positionnements idéologiques des citoyens.</p>
<h2>Émotions et stratégies électorales</h2>
<p>En appuyant leur argumentation sur <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/dossiersduceri/populisme-mode-d-emploi">l’angoisse identitaire</a>, plusieurs leaders populistes ont pu accéder au pouvoir – comme en Italie où <a href="https://theconversation.com/quelle-politique-migratoire-pour-litalie-de-giorgia-meloni-191023">Giorgia Meloni</a>, chef de file du parti Fratelli d’Italia, devient présidente du Conseil des ministres – ou obtenir une représentation parlementaire plus importante. C’est notamment le cas du Rassemblement national en France ou de Vox en Espagne qui, suite aux dernières élections générales, en novembre 2019, est <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/11/elections-legislatives-l-extreme-droite-vox-devient-la-troisieme-force-en-espagne_6018732_3210.html">devenu la troisième force politique du pays</a> alors que depuis la fin du processus de transition démocratique en 1982, aucune formation d’extrême droite n’avait siégé au congrès des députés à Madrid.</p>
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<p>Lors de cette dernière campagne électorale, Vox surinvestit la thématique « anti-immigration » en l’associant à une exaltation de la nation et à des valeurs patriotiques. Sur son compte officiel Twitter, le parti diffuse de nombreuses <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-_Lck24ut6Q">vidéos</a> qui mobilisent, avec un ton véhément et sur fond de musique entraînante, cet argumentaire polémique, et exploite les mécanismes de viralité à travers des hashtags percutants.</p>
<h2>La construction d’une opposition ami/ennemi</h2>
<p>Le registre de l’émotion vise également à exploiter le mécontentement social et le ressentiment des populations déclassées causé par les difficultés économiques. Dans un contexte politique européen marqué par une <a href="https://www.cairn.info/la-politique-en-france-et-en-europe--9782724610192-page-15.htm">crise de la représentativité</a> et une désaffection des citoyens envers l’État et les partis traditionnels, les discours produits par les formations populistes reposent sur des dispositifs d’attaque visant à décrédibiliser le fonctionnement des institutions et à désigner de boucs émissaires.</p>
<p>Le vocabulaire affectif se retrouve dans la rhétorique anti-élites et dans l’utilisation d’invectives destinées à alimenter le ressentiment de la population à l’égard de celle-ci. Par ailleurs, les dispositifs émotionnels mis en œuvre cherchent à promouvoir des formes d’identification collective en proposant une vision manichéenne de la société. Ainsi, Vox se présente comme « le parti du sens commun » et se nourrit d’un désenchantement démocratique en opposant le peuple à l’élite. Il manifeste également une prise de distance vis-à-vis des idéologies comme en témoigne ce slogan : « Le sens commun se passe des idéologies. » L’objectif est de retranscrire un sentiment d’indignation à l’égard du système de partis traditionnel qui ne semble plus, d’après cet argumentaire, répondre aux attentes de la société.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1578675687493632001"}"></div></p>
<p>Comme pour nombre de populismes nationalistes, cette thématique qui clive de manière systématique l’espace public est devenue centrale dans le dispositif communicationnel de Vox. On remarque l’utilisation d’un langage simple et très souvent binaire qui oppose un « eux » (l’élite) à un « nous » (le peuple) ainsi qu’un rejet de la complexité. Les images et les narrations mises en ligne visent à montrer un parti à l’écoute du « vrai peuple » et de ses difficultés. Une vidéo intitulée <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PPZ3J924T_U">« Les travailleurs du bitume, l’Espagne oubliée »</a> met l’accent, avec une esthétique soignée, sur les conditions de travail précaires de certaines professions comme les livreurs des plates-formes numériques, présentés comme laissés-pour-compte par les dirigeants politiques. À travers le portrait d’un jeune livreur de 31 ans, Vox fustige les décisions prises par les entreprises, le gouvernement et les syndicats. On retrouve la logique accusatrice caractéristique de cette rhétorique qui privilégie le recours aux émotions et la présentation de solutions simples aux argument rationnels.</p>
<p>Dans le contexte actuel d’incertitudes politiques, sociales et économiques, les émotions sont un outil essentiel de communication politique pour les formations populistes. L’étude de ces mécanismes ouvre de nouvelles perspectives pour analyser non seulement les stratégies mises en œuvre et leur impact électoral mais aussi les éléments sous-jacents à la construction d’un discours sur l’identité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201694/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les partis populistes, notamment en Espagne et en Italie, jouent au maximum sur les émotions des électeurs, en particulier sur les réseaux sociaux, où ces forces politiques excellent.Alexandra Palau, Maître de conférences en Civilisation de l'Espagne contemporaine, Université de Bourgogne – UBFCDavid Bousquet, Maître de conférences en études culturelles, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1996262023-04-04T17:36:46Z2023-04-04T17:36:46ZAutriche : l’extrême droite bientôt de retour au pouvoir ?<p>Depuis décembre 2021, <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211203-l-autriche-d%C3%A9signe-l-ancien-ministre-de-l-int%C3%A9rieur-chancelier-et-tourne-la-page-kurz">l’Autriche est dirigée par un gouvernement de coalition</a> regroupant les conservateurs de l’ÖVP et les écologistes, avec à sa tête le chancelier (premier ministre) Karl Nehammer (ÖVP). Mais les élections générales qui se tiendront dans un an <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/lextreme-droite-autrichienne-est-prete-a-faire-son-retour-au-gouvernement/">pourraient bien favoriser le parti d’extrême droite FPÖ</a>, lequel a participé à plusieurs coalitions gouvernementales au cours des 25 dernières années.</p>
<p>Après plusieurs années difficiles, cette formation, qui avait défrayé la chronique au début des années 2000 sous la férule du charismatique <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-1-page-196.htm">Jörg Haïder</a>, vient en effet d’obtenir un score très encourageant lors des élections régionales du Land de Niederösterreich (Basse-Autriche), le plus étendu des États fédérés du pays et le deuxième plus peuplé après celui de Vienne : avec près de 24 % des suffrages, soit 9,43 points de plus que lors des élections de 2018, le <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/lextreme-droite-autrichienne-est-prete-a-faire-son-retour-au-gouvernement/">FPÖ s’est hissé au deuxième rang</a> derrière l’ÖVP (39,93 %) mais devant les sociaux-démocrates du SPÖ (20,65 %).</p>
<p>Aujourd’hui dirigé par Herbert Kickl, ancien ministre de l’Intérieur (2017-2019), le FPÖ ambitionne désormais de ne plus seulement être un « junior partner » de la coalition gouvernementale, mais de remporter les prochaines élections et de placer son chef au poste de chancelier, celui-ci exerçant la réalité du pouvoir exécutif dans le pays.</p>
<h2>Une courte traversée du désert</h2>
<p>Depuis <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/europeennes/autriche-on-vous-explique-l-affaire-d-ibiza-qui-torpille-l-extreme-droite-au-gouvernement_3451981.html">l’Affaire Ibiza</a>, qui lui avait coûté sa place au gouvernement en 2019, on pensait le FPÖ moribond. Une vidéo tournée en cachette en 2017 dans l’île espagnole avait montré Heinz-Christian Strache, alors chef du parti et vice-chancelier, se disant prêt, lors d’une conversation avec une interlocutrice russe, à aligner sa formation sur les intérêts de Moscou en échange de financement. Dans la foulée, Strache avait démissionné, mais le chancelier de l’époque, Sebastian Kürz, avait également limogé Herbert Kickl, ministre de l’Intérieur, entraînant le <a href="https://theconversation.com/lautriche-dans-la-tourmente-de-laffaire-ibiza-117384">départ du FPÖ du gouvernement</a>.</p>
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<p>Le résultat enregistré en Basse-Autriche démontre que le parti demeure une force politique de premier plan dans le pays.</p>
<p>Si ce scrutin a été marqué par le regain du FPÖ, il convient également de noter que l’ÖVP a nettement reculé, perdant une partie significative de ses électeurs précisément au profit du FPÖ. L’autre enseignement que l’on peut tirer de cette élection porte sur le choix de la tête de liste du FPÖ en la personne d’<a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/01/26/un-candidat-autrichien-aux-elections-regionales-critique-pour-des-chants-nazis_5247852_3214.html">Udo Landbauer</a>, figure montante du parti incarnant son aile la plus dure.</p>
<p>Rappelons que les tenants de l’aile dure ont pour obsession de traiter des questions dites identitaires ou ayant un lien avec la sécurité, l’immigration et le « Diktat de l’UE » tandis que les modérés tentent d’élargir les propositions du FPÖ aux domaines économiques, sociétaux ou encore environnementaux. Cette fracture entre les deux lignes existe au sein du FPÖ depuis sa création, même si bien souvent, l’aile dure a pris le dessus sur l’aile modérée.</p>
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<p>Landbauer avait déjà fait parler de lui en 2018 puisqu’il s’était retrouvé au cœur d’une affaire politique qui l’avait contraint à renoncer à tous ses mandats et à se mettre en retrait du FPÖ. Il avait à l’époque <a href="https://theconversation.com/en-autriche-le-fpo-nen-a-pas-fini-avec-les-vieux-demons-du-passe-92805">refusé de désavouer un livre</a>, retrouvé dans les locaux d’une organisation étudiante, qui faisait l’apologie du nazisme et du Troisième Reich.</p>
<p>Son retour en grâce et son succès en Basse-Autriche soulignent que le FPÖ, tant au niveau régional que national, n’est jamais aussi fort d’un point de vue électoral que lorsqu’il tend vers l’aile la plus dure. Une ligne politique plébiscitée par Herbert Kickl.</p>
<p>Kickl, qui ne cache pas ses envies d’être le prochain chancelier autrichien à l’issue des élections de 2024, a d’autres raisons d’être optimiste : un sondage de janvier 2023 place le FPÖ largement en tête, avec <a href="https://www.profil.at/oesterreich/umfrage-fpoe-zieht-spoe-davon/402298622">28 % des intentions de vote pour les prochaines législatives</a>, devançant les sociaux-démocrates du SPÖ (24 %) et les conservateurs de l’ÖVP, qui ne recueillent que 22 % des voix. Si un sondage reste ce qu’il est et que la vérité politique d’hier ne sera pas forcément celle de demain, nul ne peut contester le fait que le FPÖ revient sur le devant de la scène.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1624723664028549121"}"></div></p>
<p>De plus, le sondage évoquait aussi le choix du chancelier. L’actuel chancelier conservateur Karl Nehammer est encore plébiscité par près de 20 % des sondés, mais est talonné par Herbert Kickl, <a href="https://www.profil.at/oesterreich/umfrage-fpoe-zieht-spoe-davon/402298622">qui recueille l’adhésion de 17 % des Autrichiens</a>, loin devant Pamela Rendi-Wagner, la présidente du SPÖ, qui n’obtient que 12 % des intentions de vote.</p>
<p>Au regard de ce sondage, et si l’on se trouve dans la même configuration à l’issue des élections législatives de 2024, on pourrait se diriger vers une nouvelle coalition entre l’ÖVP et le FPÖ. Il reste un an au FPÖ et à Herbert Kickl pour capitaliser sur ce succès obtenu en Basse-Autriche et s’immiscer à nouveau dans le duel entre l’ÖVP et le SPÖ. Ces élections avaient un goût particulier pour le FPÖ dans la mesure où celui-ci devait confirmer son regain observé depuis de longues semaines dans les sondages. Les différentes élections ayant lieu au cours de l’année 2023 seront tout autant primordiales pour permettre au parti d’aborder les élections législatives de 2024 avec une forte dynamique.</p>
<h2>Des prises de position à rebours du consensus autrichien</h2>
<p>Sur plusieurs sujets majeurs, la ligne défendue par le FPÖ se distingue significativement de celle des autres partis autrichiens. Sur des sujets comme l’immigration ou la notion d’identité nationale, le parti semble isolé sur la scène politique nationale, tout comme il l’est au niveau international avec son euroscepticisme constant.</p>
<p>Durant la crise du Covid, le FPÖ s’était érigé contre le souhait du gouvernement autrichien de rendre la vaccination obligatoire, estimant que la vaccination devait émaner d’une volonté personnelle et non d’une décision gouvernementale. Dans les médias, les intervenants du FPÖ s’étaient faits les défenseurs des libertés individuelles en critiquant les différentes mesures mises en place pour endiguer la pandémie et en appelant à <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/en-autriche-lextreme-droite-fait-descendre-des-milliers-de-personnes-dans-la-rue-contre-le-confinement-20211120_FD62R6CRUVF2TNPLTBZXMG2LQE/">manifester contre le confinement, auquel le parti était farouchement opposé</a>.</p>
<p>Dès le début de la guerre en Ukraine, les membres du FPÖ ont plaidé, par la voix d’Herbert Kickl, pour une <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Guerre-Ukraine-lAutriche-fil-neutralite-2022-03-28-1201207421">médiation de l’Autriche entre l’Ukraine et la Russie</a>, rappelant leur attachement à la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2006-1-page-27.htm">neutralité autrichienne</a> (pour rappel, la neutralité est inscrite dans la Constitution depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le pays n’est par exemple pas membre de l’OTAN). Herbert Kickl profita de ce moment pour insister sur le fait que sanctionner la Russie ne résoudrait pas le conflit et relevait d’une certaine forme de « naïveté politique ». De plus, tout en concédant que les actions russes en Ukraine étaient contraires au droit international, il ne manqua pas de s’interroger sur la volonté de l’OTAN et des États-Unis de « provoquer les Russes ».</p>
<p>En novembre 2022, c’est au tour de la députée Petra Steger, fille de l’ancien dirigeant du FPÖ Norbert Steger (vice-chancelier d’Autriche de 1983 à 1987), de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zTf9lo9whlc">s’insurger</a> contre le soutien de Vienne à Kiev : « Le gouvernement préfère financer la guerre de l’UE et de l’Ukraine plutôt qu’aider les Autrichiens ! » Le FPÖ a également critiqué le <a href="https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/autriche-pas-darmes-pour-lukraine-mais-un-soutien-sans-faille/">voyage du président autrichien Alexander Van der Bellen en Ukraine</a>, Herbert Kickl allant même jusqu’à le qualifier de « Staatsgefährder » (dangereux pour l’État), considérant que cette visite constituait un manquement à la neutralité autrichienne, ce qui, pour lui, était inconcevable. Enfin, le 30 mars, les députés du FPÖ sont démonstrativement sortis du Bundestag au moment où le président ukrainien Volodymyr Zelensky y prononçait un discours.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1641553163701440512"}"></div></p>
<p>Cette position a trouvé un prolongement au niveau européen, le FPÖ – qui siège au Parlement européen au sein du groupe Identité et Démocratie, aux côtés de la Lega (Italie), d’Alternative pour l’Allemagne (AfD), de Vlaams Belang (Belgique) ou encore du Parti populaire danois, autant de formations connues pour leur attitude compréhensive à l’égard de Moscou – désapprouvant clairement les décisions de la Commission européenne favorables à Kiev. Citons le député européen FPÖ <a href="https://www.fpoe.eu/vilimsky-keine-eu-schulden-fuer-ukraine-hilfe/">Harald Vilimsky</a> : « Nous sommes clairement opposés à ce que l’UE s’endette à nouveau pour soutenir l’Ukraine, un pays non membre de l’UE). »</p>
<p>Ces positions du FPÖ concernant la guerre en Ukraine s’expliquent notamment par les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/12/19/97001-20161219FILWWW00120-autriche-l-extreme-droite-renforce-ses-liens-avec-russie-unie.php">liens profonds et anciens qui unissent le parti à la Russie</a>. En 2009, Heinz-Christian Strache, alors président du FPÖ, s’était prononcé en faveur d’une entrée de la Russie au sein de l’UE et, plus globalement – sans même reparler de l’affaire Ibiza –, le FPÖ a souvent défendu l’idée d’un rapprochement et d’une <a href="https://www.diepresse.com/5630263/fpoe-die-beziehungen-zu-russland-sind-innig">plus grande coopération entre l’Autriche et la Russie</a>.</p>
<h2>Une année décisive</h2>
<p>Si bon nombre de ses prises de position sont controversées, tant sur la crise sanitaire que sur le conflit russo-ukrainien, le FPÖ ne semble guère en pâtir au niveau électoral.</p>
<p>Mieux, il pourrait renaître de ses cendres après une période compliquée. La bonne situation actuelle du FPÖ ne serait-elle pas finalement le résultat de la stratégie de la « radicalité » mise en place par son chef ? Après Jörg Haider et Heinz-Christian Strache, Herbert Kickl pourra-t-il être le « messie » tant attendu par son parti et, pour la première fois dans l’histoire du FPÖ, ravir la chancellerie ?</p>
<p>Au regard du contexte politique en Autriche le FPÖ paraît en bonne position pour au mieux conquérir la chancellerie pour la première fois ou à minima redevenir un partenaire de coalition. Finalement, on pourrait dire que le seul adversaire du FPÖ, c’est le FPÖ lui-même car, si dans l’année qui vient le parti n’est pas secoué par des querelles internes ou un scandale type « Affaire Ibiza », fort est à parier qu’il reviendra au pouvoir…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199626/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Rojtman-Guiraud est conseiller municipal "Les Républicains". </span></em></p>Le Parti de la liberté de l’Autriche (FPÖ), classé à l’extrême droite, ne participe plus au gouvernement depuis quatre ans, mais pourrait bien remporter les prochaines législatives…Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Science politique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1989392023-02-26T17:15:38Z2023-02-26T17:15:38ZLa dénonciation publique, une caractéristique des discours populistes ?<p>Lors des discussions houleuses à l’Assemblée nationale sur le projet controversé de réforme des retraites du gouvernement, le député Louis Boyard a publié sur son compte Twitter la liste des députés qui ont voté contre une proposition de loi socialiste visant à proposer des repas à un euro à tous les étudiants. Cette initiative, assortie de la mention « retenez leurs noms », a suscité de vives critiques dans la majorité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1623710452973727746"}"></div></p>
<p>Le tweet du député et les différentes oppositions à la <a href="https://theconversation.com/retraites-comment-la-reforme-incarne-le-bras-de-fer-entre-le-pouvoir-et-la-rue-198083">réforme des retraites</a> mettent aujourd’hui en lumière l’importance de la dénonciation publique dans les démocraties. Cette forme de discours apparaît dans le débat comme une contestation du pouvoir en place. Mais elle donne aussi à voir un spectacle politique dans lequel les acteurs populistes ont fait de ce mode d’action une stratégie.</p>
<p>Si les définitions des populismes sont plurielles et polémiques, la plupart s’accordent sur une série de caractéristiques propres à ces mouvements. Les <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/le-nouveau-national-populisme/">populismes</a> seraient portés par des leaders charismatiques et dénonceraient les élites en place au nom d’un peuple victime perçu comme homogène. Cette définition des populismes est une montée en généralité théorique nécessaire à leur conceptualisation, mais elle masque en même temps leurs spécificités.</p>
<p>En France, trois candidats à la dernière élection présidentielle s’inscrivent dans ce courant : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Éric Zemmour. Ils revendiquent un <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/quest-ce-que-le-populisme">« monopole de la représentation populaire »</a>, mais ne s’appuient pas sur les mêmes figures du « peuple » et des « élites ». L’analyse des dénonciations publiques produites par les trois acteurs peut alors constituer un moyen de mieux saisir ces deux figures aux contours flous.</p>
<p>Les dénonciations sont des formes narratives produites dans l’espace public et appartiennent à la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-contre-democratie-pierre-rosanvallon/9782757841167">critique sociale et politique</a>. Elles présentent une conflictualité et renseignent l’identité de ceux qui les portent car elles construisent des « victimes » et des « bourreaux », un « nous » et un « eux ».</p>
<p>En s’appuyant sur un corpus de dénonciations produites sur Twitter par Jean-Luc Mélenchon (1478 tweets), Marine Le Pen (2052 tweets) et Eric Zemmour (952 tweets) entre l’annonce publique de leur candidature et le second tour des élections présidentielles (2022), il s’agit ici de déplier les notions de « peuple » et « d’élites » en revenant sur les figures de bourreau et de victime les plus couramment mises en avant par ces acteurs.</p>
<h2>Les figures de bourreau</h2>
<p>Emmanuel Macron représente « le bourreau » le plus dénoncé par les trois candidats : 19,01 % des contenus d’Éric Zemmour, 18,03 % pour Marine Le Pen et 17,73 % pour Jean-Luc Mélenchon.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1492859596217761797"}"></div></p>
<p>Ce résultat est en partie déterminé par le contexte électoral qui incite les acteurs à critiquer le président sortant pour se présenter comme une alternative crédible à celui-ci. En ce sens, le gouvernement constitue la deuxième figure la plus dénoncée par Marine Le Pen (17,3 %) et Jean Luc Mélenchon (10,62 %). Éric Zemmour accuse quant à lui le gouvernement dans seulement 4,1 % de ses contenus. Cette différence peut résulter d’une annonce plus tardive de candidature à l’élection l’ayant conduit à moins se positionner contre les mesures mises en place par le gouvernement dans les années qui ont précédé le scrutin.</p>
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<p>Eric Zemmour dénonce en revanche amplement les autres candidats à l’élection. Valérie Pécresse a ainsi constitué la deuxième figure qu’il a le plus dénoncée (7,14 %). Au-delà de la candidate LR, Eric Zemmour a largement critiqué « les politiciens professionnels » (3,26 %), Jean-Luc Mélenchon (1,57 %), Marine Le Pen (1,36 %) et Yannick Jadot (0,63 %). Mélenchon, quant à lui, dénonce fréquemment Marine Le Pen (3,11 %), Eric Zemmour (2,84 %) et dans une moindre mesure Anne Hidalgo (0,68 %). Marine Le Pen est finalement celle qui critique le moins ses adversaires. Elle concentre ses dénonciations sur Emmanuel Macron et le gouvernement pour se présenter comme leur principale opposante. Le seul candidat que Marine Le Pen critique parfois est Eric Zemmour (0,53 %) car il occupe un espace politique assez proche du sien.</p>
<h2>L’UE et les médias comme figures antagonistes</h2>
<p>La dénonciation de l’Union européenne a aussi été relativement importante pour les trois acteurs. Marine Le Pen a été la candidate qui a le plus critiqué l’UE (4,63 %) ; tandis qu’Eric Zemmour (1,15 %) et Jean-Luc Mélonchon (0,88 %) ont moins visé cette figure de bourreau.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1484439548625133568"}"></div></p>
<p>Les trois candidats partagent ensuite une dénonciation des médias et des journalistes. Ceux-ci ont en effet constitué la 4<sup>e</sup> figure la plus critiquée par Eric Zemmour (4,62 %) et la 5<sup>e</sup> par Jean-Luc Mélenchon (3,06 %). La dénonciation des médias a en revanche été beaucoup plus parcellaire dans les contenus de Marine Le Pen (1,07 %).</p>
<p>Des convergences s’observent donc dans les figures dénoncées par les acteurs, mais elles ne doivent pas masquer leurs différences.</p>
<p>Si Le Pen et Zemmour semblent proches, avec par exemple un même taux de dénonciation de l’institution judiciaire (respectivement 2,58 % et 2,67 % des contenus), il peut être hâtif de les mettre sur un même plan. Eric Zemmour se démarque en effet de Marine Le Pen en ce qu’il durcit le discours de la candidate RN. D’une part, Eric Zemmour mobilise un discours ouvertement plus <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/stigmatiser-discours-mediatiques-et-normes-sociales/">stigmatisant</a>. Il cible prioritairement les personnes lorsqu’il dénonce l’immigration (4,56 % des contenus critiquent les migrants, les réfugiés, les clandestins ou les étrangers contre 4,23 % pour l’immigration) ; là où Marine Le Pen dénonce le phénomène migratoire en priorité (5,7 %) en évitant une attaque plus systématique contre les étrangers (1,7 %). D’autre part, Eric Zemmour se distingue de Marine Le Pen par sa dénonciation du « Grand remplacement » (3,47 % des contenus) ; une <a href="https://theconversation.com/politiques-identitaires-et-mythe-du-grand-remplacement-117471">théorie xénophobe</a> que la candidate RN prétend aujourd’hui mettre à distance.</p>
<p>Jean-Luc Mélenchon se différencie enfin des autres acteurs sur de nombreux sujets, signe que le clivage gauche/droite n’est pas complètement désuet. Le candidat insoumis dénonce en effet des figures qui ne sont pas critiquées par les deux autres leaders, entre autres : le système capitaliste/néolibéral (3,99 %), le nucléaire (2,57 %), les ultra-riches (2,23 %) ou les fermes-usines (0,95 %).</p>
<h2>Les figures de victime</h2>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2005-2.htm">notion de « peuple »</a> recouvre des réalités multiples et diffère en fonction des approches et des contextes politiques. Les victimes dans le récit de dénonciation sont un des biais par lesquels les candidats populistes construisent des figures du « peuple ».</p>
<p>Celles-ci sont très proches pour Eric Zemmour et Marine Le Pen, les deux plus récurrentes étant identiques : les Français constituent 36,4 % des victimes d’Eric Zemmour et 35,72 % de celles de Marine Le Pen ; la France, respectivement 17,5 % et 12,71 %. Le « peuple-victime » de ces deux leaders renvoie avant tout à un <a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1997_num_79_1_2772">peuple-ethnos</a>, centré sur l’appartenance à la communauté nationale. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, mobilise moins ces deux figures (4,24 % pour les Français et 2,32 % pour la France). Le « peuple-victime » du leader insoumis est celui des « classes populaires » (11,97 %) ; il prend pour référent un critère économique et social. Il se distingue en cela du peuple-ethnos des deux autres leaders, bien qu’il le mobilise par moment.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1483900104318857219"}"></div></p>
<p><a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1997_num_79_1_2772">Le peuple-demos</a>, qui est centré sur un référent démocratique et renvoie à la communauté des citoyens, occupe également une place significative dans le récit des trois acteurs. Celui-ci constitue notamment la troisième figure la plus mobilisée par Jean-Luc Mélenchon (7,1 % des contenus). Le peuple-demos est une victime moins récurrente mais tout de même importante dans les récits d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen (respectivement 3,68 % et 2,29 %).</p>
<p>Par ailleurs, les « femmes » constituent des victimes régulières dans le récit des trois acteurs. Eric Zemmour est celui qui les mobilise le plus dans ce rôle (2,73 %), tandis que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen les présentent comme victimes dans des proportions similaires : respectivement 2,16 % et 2,29 % des contenus.</p>
<p>Mélenchon et Le Pen mobilisent aussi de nombreuses figures de victime identiques, mais dans des proportions différentes : les animaux constituent par exemple 1,69 % des victimes de Jean-Luc Mélenchon contre 0,49 % de celles de Marine Le Pen ; l’environnement et la biodiversité représentent 4,47 % des victimes du leader insoumis et 0,88 % de celles de la candidate RN. Inversement, Marine Le Pen mobilise aussi des victimes qui sont identiques à celles d’Eric Zemmour : par exemple, les policiers (respectivement 1,51 % et 2,31 %) ainsi que les agriculteurs (respectivement 1,66 % et 1,36 %).</p>
<h2>L’autovictimisation</h2>
<p>Les trois leaders partagent enfin une même stratégie d’autovictimisation. Cette démarche permet aux acteurs de créer une symétrie d’oppression avec le peuple-victime dont ils revendiquent la représentation. Ainsi, Eric Zemmour est celui qui se présente le plus souvent comme une victime (7,46 %), suivi par Jean-Luc Mélenchon (5,2 %), puis Marine Le Pen (2,19 %).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1467540791413379079"}"></div></p>
<p>Réduire les populismes à une opposition floue entre le peuple et les élites n’est ainsi pas toujours pertinent pour saisir leurs spécificités. Les antagonismes sur lesquels ils s’appuient semblent plus formalisés. En l’espèce, les notions de « peuple » et « d’élites » occupent une place relative dans les dénonciations.</p>
<p>Le « peuple » est souvent mis en avant indirectement. Il l’est par l’intermédiaire d’un référent national et ethnique par Marine Le Pen et Eric Zemmour lorsqu’ils définissent la France et les Français comme les victimes principales du contexte politique. Il l’est aussi par Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il installe les classes populaires dans ce rôle, recentrant la notion de peuple sur une condition sociale spécifique et s’inscrivant ainsi dans une tradition politique radicalement différente de celle des deux autres leaders. Le terme peuple est aussi mobilisé de manière plus explicite par les trois acteurs. Il renvoie alors le plus souvent à un référent démocratique et caractérise la communauté des citoyens. La notion d’« élites », en revanche, occupe une place presque nulle dans les dénonciations et seul Eric Zemmour lui accorde une position importante lorsqu’il accuse les « politiciens professionnels » ; une figure qui peut être associée à une forme d’élite politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198939/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Swan DUFOUR est en contrat doctoral au laboratoire CARISM (Université Paris-Panthéon-Assas). </span></em></p>Cette forme de discours apparaît dans le débat comme une contestation du pouvoir en place. Les populistes ont fait de ce mode d’action une stratégie.Swan Dufour, Doctorant en Sciences de l'information et de la communication au laboratoire CARISM, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1974662023-01-17T17:49:56Z2023-01-17T17:49:56ZSuède et Italie : la droite radicale au gouvernement<p>Des <a href="https://theconversation.com/etats-unis-la-democratie-en-sursis-196524">États-Unis</a> à la France, en passant par les laboratoires revendiqués de la « démocratie illibérale » que sont la <a href="https://confrontations.org/admin/le-tournant-illiberal-de-la-hongrie-et-de-la-pologne/">Pologne et la Hongrie</a>, la portée transnationale de la montée en puissance des partis radicaux-populistes de droite dans les pays occidentaux est indiscutable.</p>
<p>Depuis une quinzaine d’années, les politologues tâchent d’en capturer le dénominateur commun en multipliant les concepts (<a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/201712/18/01-5147616-lonu-sinquiete-dun-courant-ethno-nationaliste-en-europe.php">« ethno-nationalisme »</a>, <a href="https://www.cairn.info/les-grandes-idees-politiques--9782361064488-page-109.htm">« national-populisme »</a>, <a href="https://www.populismstudies.org/Vocabulary/welfare-chauvinism/">« welfare-chauvinism »</a>) et en tentant de mettre en évidence ce que tous ces mouvements ont en partage.</p>
<p>Le succès quasi simultané des Démocrates de Suède (SD) et des <em>Fratelli d’Italia</em> (FdI) aux législatives tenues dans les deux pays les 11 et 25 septembre 2022 est un test probant de cet effet d’entraînement à l’échelle de l’Europe. Et cela, d’autant plus que ces résultats détonent par rapport aux traditions politiques des deux pays après 1945.</p>
<p>Totalisant 20,5 % des suffrages aux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/12/elections-legislatives-en-suede-l-extreme-droite-a-son-plus-haut-dans-des-resultats-partiels-tres-serres_6141178_3210.html">élections législatives</a>, les SD sont devenus le deuxième parti de Suède et ont été intégrés à la nouvelle majorité, aux côtés de trois formations de centre-droit. Forts de leurs 26 %, les FdI se sont imposés comme le premier parti italien et leur présidente, Giorgia Meloni, a accédé au poste de premier ministre.</p>
<p>Quelles analogies peut-on déceler entre les trajectoires que ces deux <em>outsiders</em> ont connues dans le champ politique, de l’ostracisme des débuts aux responsabilités de gouvernement d’aujourd’hui ?</p>
<h2>Désenchantement et désagrégation du cadre politique : deux conditions similaires</h2>
<p>Apparentées par un engagement commun, au Parlement européen, au sein du <a href="https://www.ecrgroup.eu/">groupe des Conservateurs et Réformistes</a> (ECR), ainsi que dans le parti du même nom, dont Meloni est la présidente, les deux formations n’ont toutes deux longtemps existé, politiquement parlant, qu’en tant que forces d’opposition. Annoncée par une progression ascendante d’une dizaine d’années, leur percée s’explique par l’accumulation de facteurs qui ont, en <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n161/article/suede-la-montee-en-puissance-de-lextreme-droite">Suède</a> comme en <a href="https://www.20minutes.fr/monde/1010181-20120925-scandale-lazio-accroit-discredit-hommes-politiques-italie">Italie</a>, contribué à discréditer les classes dirigeantes.</p>
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<p>La concomitance de trois crises (démographique, budgétaire et sociale) a créé les circonstances idéales pour nourrir l’argument de campagne de la droite radicale : un patriotisme à la fois victimaire et revanchard. À l’échelle de l’UE, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3127">Suède</a> et <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/litalie-sinquiete-de-lafflux-de-migrants-a-ses-frontieres-1314314">Italie</a> se trouvent exposées de manière particulièrement aiguë aux aléas des flux migratoires. L’aggravation du phénomène est intervenue sur fond d’une instabilité chronique de la gouvernance politique, marquée par le brouillage des frontières idéologiques. La droite radicale y a trouvé l’occasion d’étayer sa crédibilité, en capitalisant sur sa capacité à incarner la seule opposition se réclamant, de manière cohérente et univoque, de l’intérêt national.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les élections législatives en Suède aboutissent à l’arrivée au pouvoir des SD.</span></figcaption>
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<p>En Italie, les dix dernières années ont été marquées par <a href="https://theconversation.com/la-politique-italienne-est-elle-vraiment-atteinte-dinstabilite-chronique-187812">l’alternance</a> entre des gouvernements d’union dirigés par des technocrates, et des coalitions dirigées par des personnalités externes au Parlement (Matteo Renzi de 2014 à 2016, puis Giuseppe Conte, de 2018 à 2021). De l’ancien commissaire UE Mario Monti (2011-2013) à l’ex-président de la BCE Mario Draghi (2021-2022), en passant par l’ancien ministre des Affaires étrangères Paolo Gentiloni (2016-2018), l’ascendant des premiers ministres a souvent été le seul recours face au blocage induit par la conflictualité des factions internes aux partis – sur fond d’attaques spéculatives, puis d’urgences sanitaires qui imposaient des choix impopulaires et des gages de fiabilité face à Bruxelles.</p>
<p>En Suède, depuis 2014, le monopole idéologique de la social-démocratie, autant que l’alternative incarnée par la droite néolibérale, ont été <a href="https://information.tv5monde.com/info/legislatives-en-suede-vers-la-fin-du-modele-social-democrate-258992">ébranlés</a> par l’impossibilité de chacun des deux blocs à réunir une majorité parlementaire. Le pays a été exposé à d’exténuantes <a href="https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/suede-le-parlement-renverse-le-gouvernement-une-premiere-dans-l-histoire-du-royaume/">vacances du pouvoir</a>, suivies de coalitions transversales à géométrie variable : accords rendus précaires par la divergence des positions sur des dossiers tels que le nucléaire, l’engagement dans les enjeux climatiques, la réponse à l’insécurité.</p>
<h2>Un nationalisme décomplexé</h2>
<p>Les grandes coalitions, au profil flou, qui ont régi les deux pays, ont impliqué une rupture avec des mœurs politiques bien ancrées, ce qui a nourri la désagrégation des grands partis de centre-gauche et centre-droit. En attestent, en Italie, le <a href="https://www.contretemps.eu/italie-dans-une-democratie-moribonde-cest-lextreme-droite-qui-lemporte/">déclin très rapide de Forza Italia et du Parti démocrate</a>, ainsi que l’émergence d’un <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/03/05/qu-est-ce-que-le-mouvement-5-etoiles_5266001_3214.html">sentiment antitechnocratique</a>, hostile à toute forme d’expertise. Le rôle de cette dernière durant la crise de la Covid-19 ne pouvait qu’accentuer la polarisation, qui a fini par favoriser le message manichéen martelé par les partis de droite radicale : la réinstauration de la souveraineté nationale, et l’appel viscéral aux valeurs-refuges dans lesquelles elle se reflète.</p>
<p>Le handicap à surmonter, pour ces partis, était le stigmate de l’« extrémisme » lié à leurs racines idéologiques anti-démocratiques : les DS comme les FdI sont parvenus, ces dernières années, à convertir ce stigmate en une sorte de label d’engagement « patriotique ». Ce nationalisme décomplexé se manifeste, en Italie comme en Suède, par un euroscepticisme tempéré (la proposition de sortir de l’euro ou de renégocier les traités, dans le cas de Meloni, a été discrètement évacuée depuis les résultats du Brexit) et par la focalisation sur la lutte contre l’immigration. Celle-ci est présentée comme la solution à la plupart des problèmes du pays, de l’insécurité au financement de la sécurité sociale.</p>
<p>Le penchant des deux partis pour une politique isolationniste n’exclut pas des convergences embarrassantes. Autant <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/italie-5-choses-a-savoir-sur-giorgia-meloni-la-candidate-dextreme-droite-qui-pourrait-arriver-au-pouvoir-1782899">Meloni</a> qu’<a href="https://www.aa.com.tr/en/europe/right-wing-swedish-democrats-slammed-as-security-risk-by-ruling-party/2675442">Åkesson</a> n’ont pas manqué de signifier, en tout cas jusqu’à l’invasion de l’Ukraine en février 2022, leur sympathie à l’égard de Vladimir Poutine et de son modèle de leadership.</p>
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<p>Autre analogie : le fort élément de personnalisation présent dans les deux formations. SD et FdI ont littéralement grandi avec leurs leaders actuels. Jimmie Åkesson (43 ans aujourd’hui) a pris la tête du parti à 27 ans, et Meloni a participé, en 2012, à 35 ans, au divorce de la droite postfasciste de l’expérience éphémère du <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2009/03/28/01003-20090328ARTFIG00206-berlusconi-fonde-le-parti-unique-de-la-droite-italienne-.php">parti unique du centre-droit</a> voulu par Silvio Berlusconi, et s’est emparée de FdI deux ans plus tard.</p>
<p>Les deux leaders monopolisent le temps de parole dévolu à leurs partis respectifs dans les médias : leurs discours, qui empruntent volontiers le canal des médias sociaux, sont souvent axés (à l’instar de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/giorgina-meloni-par-elle-meme-les-extraits-de-sa-biographie-20221209">l’autobiographie de Meloni</a>, sortie en 2021) sur les vicissitudes familiales et sur les émotions du leader.</p>
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<figcaption><span class="caption">Italie : qui est Giorgia Meloni ? TV5 Monde, 23 septembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Le succès de la quête de dé-diabolisation des deux partis doit beaucoup à cette métamorphose « pop ». L’héritage antidémocratique dont ils sont issus les avait cantonnés au-delà d’un cordon sanitaire qui interdisait toute alliance (un cordon jusqu’à récemment plus hermétique dans le cas de la Suède, FdI étant formée en grande partie d’ex-alliés du mouvement de Berlusconi).</p>
<p>Fondé en 1988, SD est issu de la fusion d’une constellation de groupuscules anti-immigrés, avec une composante raciste et négationniste affichée. L’empreinte de cet héritage, en dépit de l’effort de l’actuel leadership pour s’en démarquer, demeure visible, et s’est exprimée, encore en 2022, par des dérapages plus qu’embarrassants. Le cas d’une <a href="https://www.i24news.tv/fr/actu/international/europe/1665996513-une-responsable-des-democrates-suedois-suspendue-apres-un-message-controverse-sur-anne-frank">responsable du parti proférant sur Instagram des insultes</a> contre la mémoire d’Anne Frank est loin d’être isolé.</p>
<p>Dans le cas des FdI, on a plutôt affaire à une réaffirmation identitaire qu’à une continuité directe : le <a href="https://www.tf1info.fr/international/elections-legislatives-en-italie-la-flamme-ce-sulfureux-symbole-d-extreme-droite-choisi-par-fratelli-d-italia-de-giorgia-meloni-2233219.html.">parti exprimant au sens littéral le « retour de flamme » du MSI</a>, parti historique de la droite radicale, en rupture à la fois contre la dissociation explicite vis-à-vis du fascisme, prônée par son ancien secrétaire Gianfranco Fini, et contre la dissolution dans le projet plébiscitaire de Berlusconi.</p>
<h2>Une politique de l’histoire – ou de la nostalgie ?</h2>
<p>Avec des accents différents, la réappropriation de l’histoire (teintée de révisionnisme) est le fer de lance de la stratégie des deux partis. En 2016, la radicalisation du projet des FdI fut marquée par le reproche, adressé au premier ministre Renzi, d’avoir choisi le jour anniversaire de la fondation du Royaume d’Italie (17 mars 1861) pour « brader » les intérêts du pays lors d’un Conseil européen consacré aux migrants.</p>
<p>FdI entretient une relation compliquée avec la commémoration du 25 avril (date de <a href="https://lepetitjournal.com/milan/actualites/le-25-avril-pourquoi-le-fete-t-en-italie-228956">l’insurrection contre le nazi-fascisme en 1945</a>) ; après sa victoire aux élections, le parti a réitéré la proposition de reconnaître le 17 mars comme fête nationale, pour sceller la solidarité retrouvée entre tous les Italiens. Ses premières mesures au gouvernement ont été symboliques : insertion de renvois aux termes « souveraineté », « Made in Italy » et « natalité » dans les appellations des ministères, criminalisation des « rave parties »… – une stratégie qui cache les impasses au niveau de la gestion de la question migratoire (à peine occultées derrière les polémiques avec l’UE) et les urgences économiques, à commencer par l’application du <a href="https://commission.europa.eu/business-economy-euro/economic-recovery/recovery-and-resilience-facility/italys-recovery-and-resilience-plan_fr.">plan de relance européen</a>, rendue compliquée par les tensions entre partis partenaires et entre intérêts régionaux. Le détour par le virtuel offre un recours facile : il convoque une image d’Épinal, y compris au niveau de la politique familiale. Une société sous cloche, arborant face à la mondialisation la fierté pour sa culture et ses productions traditionnelles.</p>
<p>Le point de rencontre entre FdI et SD pourrait bien se résumer à un usage judicieux de l’arme de la nostalgie. Autant dans sa théorie que dans son discours, le parti d’Åkesson a peaufiné une alchimie qui n’est pas sans rappeler l’argumentaire des populistes <a href="https://www.lepoint.fr/elections-europeennes/thierry-baudet-la-nouvelle-figure-du-populisme-neerlandais-28-05-2019-2315449_2095.php">néerlandais</a> et <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/06/04/au-danemark-la-victoire-ideologique-de-l-extreme-droite_1731603/">danois</a> : elle combine un vieil arsenal xénophobe avec l’éloge du bilan du « modèle suédois », en associant ses mots-clés (« solidarité », « sécurité », « État-providence ») aux vertus d’un entre-soi mis à mal par la mondialisation.</p>
<p>Le slogan de campagne de 2022 (« La Suède doit redevenir <em>un bon pays</em> ») rappelle un adage plus percutant (« Rendez-nous la Suède ! ») utilisé il y a quelques années. La phrase était plaquée sur une photo rappelant une affiche touristique, qui mettait en scène la course insouciante d’un groupe d’enfants blonds dans un pré. Dans un contexte anxiogène (le pays a connu la plus forte augmentation en Europe des délits occasionnés par des règlements de comptes <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-suede-face-a-la-violence-meurtriere-des-gangs-1787105">entre gangs criminels</a>), le message a été d’autant plus porteur que la totalité du spectre politique se range désormais derrière l’éloge de la « suédicité » (<em>svenskhet</em>). En Suède comme en Italie, la course des partis de droite radicale vers une nouvelle hégémonie culturelle n’a pas encore atteint son but : mais tous ses ingrédients sont bel et bien réunis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197466/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Piero S. Colla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les partis d’extrême droite « Démocrates de Suède », qui participe au gouvernement à Stockholm, et « Frères d’Italie », qui dirige celui de Rome, ont bien des points en commun.Piero S. Colla, Chargé de cours à l’université de Strasbourg, laboratoire « Mondes germaniques et nord-européens », Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963482022-12-15T18:17:24Z2022-12-15T18:17:24ZLe régime péroniste, racine du déclin économique de l’Argentine<p>Il y a un peu plus de 50 ans, le 17 novembre 1972, Juan Domingo Perón débarque à la surprise générale d’un vol Alitalia sur le tarmac de Buenos Aires. Mis au défi de fouler à nouveau le sol argentin par le général Alejandro Agustín Lanusse alors à la tête du pays, et ce afin de se présenter aux élections à venir, l’ancien chef d’État (1946-1955), contraint à l’exil mais profitant des relatives marques d’ouverture du clan rival, faisait son grand retour, objet d’un <a href="https://www.clarin.com/politica/libro-revelaciones-regreso-juan-domingo-peron-1972_0_iOGdN5RW45.html">livre récent</a> du journaliste Pablo Mendelevitch. Il retrouvera la présidence du pays le 12 octobre 1973, qu’il laisse à sa mort quelque mois plus tard le 1<sup>er</sup> juillet 1974.</p>
<p>Récemment, l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/argentine-45194">Argentine</a> a célébré, comme chaque 17 novembre le « Día de la militancia », jour de la militance, en mémoire de l’« opération retour » par laquelle les militants ont permis la réapparition au pays de ce personnage toujours autant influent que clivant. Preuve en est la <a href="https://www.clarin.com/politica/alberto-fernandez-respondio-maximo-kirchner-cita-peron-companero-empieza-criticar-deja-peronista-_0_SwC2qif16f.html">sortie</a> de l’actuel président, Alberto Fernandez, qui, pris dans une polémique avec le fils de sa vice-présidente du même camp, Cristina Kirchner, répond :</p>
<blockquote>
<p>« Perón nous apprend que lorsqu’un camarade parle mal d’un autre, il cesse d’être péroniste ».</p>
</blockquote>
<p>Les passages au pouvoir de cette dernière et de son mari Nestor ont pu d’ailleurs volontiers être qualifiés de <a href="https://www.abebooks.fr/%C3%BAltimo-peronista-cara-oculta-Kirchner.---Ensayo/16032909695/bd">« néo-péronisme »</a>. Sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/07/argentine-condamnation-historique-de-cristina-kirchner-a-six-ans-de-prison_6153358_3210.html">condamnation</a> le 6 décembre à six années de prison assorties d’une interdiction à vie d’exercer un emploi public n’en finit pas d’animer le débat public. Le Président lui-même dénonce ce qu’il considère comme la condamnation d’une innocente.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1600275973068722176"}"></div></p>
<p>Personnage majeur de l’histoire politique auquel on continue de se référer en bien ou en mal, instigateur du « justicialisme », celui que ses opposants avaient fini par surnommer <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/07/02/il-y-a-quinze-ans-la-mort-du-general-juan-domingo-peron_4142159_1819218.html">« Pocho »</a> semble également avoir laissé une trace indélébile dans l’histoire économique du pays. Pas forcément pour le mieux. Pour le dire avec des mots d’économistes, il s’agirait d’un « moment critique » toujours influent par un phénomène de « dépendance de sentier ». C’est la conclusion que nous tirons d’un <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41294-022-00193-4">papier de recherche</a> publié récemment.</p>
<p>Au début du XX<sup>e</sup> siècle, l’avenir de l’Argentine semblait radieux. On parlait même de « miracle argentin » et l’on prête cette phrase, sans doute <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41294-022-00193-4#ref-CR27">apocryphe</a>, au prix « Nobel » d’économie Simon Kuznets : « dans le monde, il y a quatre types de pays : les pays développés, les pays sous-développés, le Japon et l’Argentine ». Pays bien intégré à l’économie mondiale, aux avantages comparatifs certains, où la démocratie semble relativement solide, à la politique d’éducation jugée exemplaire par une <a href="https://www.oecd.org/fr/dev/ameriques/etudesducentrededeveloppementlargentineauXXesieclechroniquedunecroissanceannoncee-resume.htm">note de l’OCDE</a> et aux investissements pertinents, il suit, au moins jusqu’à la crise des années 1930, une dynamique de croissance remarquable.</p>
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<p>Aujourd’hui, les difficultés sont légion et le pays peine à renouer avec les promesses passées. Il y a notamment eu, au début des années 2000, une terrible crise économique. Plus proche de nous, la crise du Covid a davantage impacté l’Argentine que ses voisins, avec un taux de pauvreté passant de 35,5 à 42 % au cours de l’année 2020 selon l’institut national des statistiques et une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/04/28/on-travaille-davantage-et-on-gagne-moins-en-argentine-les-travailleurs-de-l-economie-informelle-frappes-par-l-inflation_6124056_3234.html">inflation</a> en 2021 de l’ordre de 50 %.</p>
<p>La question de savoir ce qui en un siècle a mal tourné fait l’objet d’une grande attention de la part des chercheurs : les causes de ce déclin et les explications à ce paradoxe argentin restent un sujet de débat intense.</p>
<h2>Changements institutionnels</h2>
<p>Une source majeure, si ce n’est la principale, pour expliquer la dynamique économique d’un pays réside dans la qualité de ses institutions. C’est une des leçons que l’on peut tirer des travaux du « Nobel » Douglas North, repris ensuite par <a href="https://link.springer.com/article/10.1023/B:JOEG.0000031425.72248.85">Dani Rodrik</a> encore Daron Acemoglu et James Robinson. Ces deux derniers, professeurs respectivement au MIT et à l’université de Chicago, mettent notamment en évidence les destinées différentes des anciennes colonies selon le modèle imposé par les métropoles, qu’il repose ou non sur <a href="https://ens-paris-saclay.fr/lecole/prix-et-distinctions/docteur-honoris-causa/daron-acemoglu">l’extraction de ressources naturelles</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Juan Bautista Alberdi, père de la Constitution de 1853.</span>
<span class="attribution"><span class="source">William George Helsby</span></span>
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<p>C’est par les institutions que nous tentons donc de comprendre l’histoire économique de l’Argentine. Pour se débarrasser de l’héritage de la colonisation espagnole et après une longue période de violence et d’instabilité, l’Argentine finit par adopter en 1853 une Constitution largement inspirée de celle des États-Unis. Celui qui en est à l’origine avec son <a href="https://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/bases-y-puntos-de-partida-para-la-organizacion-politica-de-la-republica-argentina--0/html/ff3a8800-82b1-11df-acc7-002185ce6064_8.html">ouvrage</a> <em>Bases y puntos de partida para la organización politica de la republica argentina</em> publié un an auparavant, Juan Bautista Alberdi, a voulu penser un modèle libéral, imprégné de libertés économique et de la <em>rule of law</em>, élément considéré <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/261555">nécessaire</a> au développement.</p>
<p>Elle reste l’épicentre de la vie du pays, jusqu’au moins aux années 1930. Durant la crise qui frappe le monde entier, le pays subit un premier coup d’État militaire, celui du général José Félix Uriburu, initiant une « décennie infâme ». Le cadre propice à la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/croissance-economique-21197">croissance</a> s’en trouve <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/016001799761012334">fragilisé</a>, en particulier du fait de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0165176507004272?via%3Dihub">l’instabilité politique</a> qui en résulte pour près d’un demi-siècle.</p>
<p>Une date ressort néanmoins particulièrement dans nos travaux : 1943. Cette année-là, un nouveau coup d’État ouvre le chapitre suivant de l’histoire argentine. Le colonel Juan Domingo Perón, 48 ans, devient alors secrétaire au Travail et à la Prévoyance, fonction qu’il cumule ensuite avec celle de ministre de la Guerre. Proche des syndicats, il met en place toute une série de réformes lui conférant une grande popularité qui le propulse bientôt Président en 1946. L’économie devient petit à petit subordonnée à son projet politique avec notamment la nationalisation de la banque centrale et de grandes industries privées et une politique commerciale particulièrement protectionniste.</p>
<h2>Au niveau de l’Espagne</h2>
<p>Une nouvelle Constitution a été approuvée en 1949 et prend véritablement à contrepied le modèle alberdien. Elle n’est que la concrétisation de réformes déjà entreprises par celui qui sera renversé en 1955. La Constitution est alors abrogée mais une rupture durable semble bien avoir eu lieu. L’<a href="https://leyes-ar.com/constitucion_nacional/14%20bis.htm">article 14 bis</a> sur les droits des travailleurs du texte lui succédant reste, par exemple, un héritage direct de l’époque Perón.</p>
<p>Dans nos travaux nous faisons apparaître cette rupture grâce à la méthode de la double différence. Elle vise à répondre à la question : que serait devenue l’Argentine sans les réformes menées par Juan Perón ? Comme on ne peut l’observer directement, nous avons construit ce que l’on appelle un <a href="https://business.baylor.edu/scott_cunningham/teaching/abadie-and-gardeazabal-2003.pdf">contrefactuel</a>. En combinant plusieurs variables et 58 pays, nous avons construit une sorte d’« Argentine bis », qui suit une trajectoire parallèle à la « vraie Argentine » jusqu’en 1943.</p>
<p><iframe id="7iDr9" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/7iDr9/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En simulant la suite, nous observons un véritable décrochage à partir de cette date, à tel point que le PIB par habitant de l’Argentine à la fin de notre période d’échantillonnage est inférieur d’environ 30 %. L’Argentine aurait été en 2015, même s’il faut rester prudent avec les simulations, au niveau de pays de l’Union européenne tels que l’Espagne ou de la Slovénie. L’impact ne semble en effet pas cantonné simplement à la période péroniste ni ne s’achève avec le putsch des généraux de 1976, renversant Isabel Perón qui avait pris la suite de son défunt époux.</p>
<p>Les résultats restent solides lorsque l’on utilise différente « Argentine bis » et survivent à une batterie de contrôles placebo dans l’espace et dans le temps. Bien que les épisodes de gouvernance populiste puissent être de courte durée, les dommages économiques à long terme infligés par les politiques économiques et les réformes institutionnelles populistes peuvent ainsi bel et bien s’avérer élevés et durables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196348/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maximiliano Marzetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les passages au pouvoir de Juan Domingo Perón ont été accompagnés d’une série de réformes populistes dont les effets sur l’économie se font encore sentir aujourd’hui.Maximiliano Marzetti, Assistant Professor of Law, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1954762022-11-29T18:56:51Z2022-11-29T18:56:51ZTwitter 2.0 : le populisme assumé d’Elon Musk<p>Dès l’annonce de son intention de devenir le seul propriétaire de Twitter, il y a six mois, Elon Musk avait <a href="https://theconversation.com/les-projets-delon-musk-pour-twitter-un-populisme-de-plate-forme-182006">laissé entrevoir</a> que sa gestion future de la plate-forme serait fortement marquée par une approche populiste. Les derniers développements en date le confirment clairement.</p>
<p>Plusieurs signes avant-coureurs permettaient déjà de discerner la présence, dans ses actes et ses paroles, des trois critères qui, <a href="https://academic.oup.com/book/866/chapter-abstract/135467344?redirectedFrom=fulltext">selon l’expert Cas Mudde</a>, sont constitutifs du populisme : concevoir le « peuple » comme boussole, une supposée « élite » comme ennemi et l’accomplissement de la « volonté générale » comme aspiration.</p>
<p>Depuis que l’acquisition est devenue effective, ces indices sont devenus de plus en plus nombreux et explicites, au point que le nouveau dirigeant semble s’inspirer délibérément des recettes éprouvées par ceux qui adoptent ce discours et ces pratiques dans le domaine politique : alors que ces concepts pouvaient auparavant être lus entre les lignes, Musk invoque à présent ouvertement le <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1592451233826340872">peuple</a> et dénonce les <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1591121142961799168">élites</a>.</p>
<h2>Un populisme ouvertement assumé, voire revendiqué</h2>
<p>L’épisode des « comptes vérifiés » s’est révélé particulièrement illustratif de cette tendance. Jusque récemment, certains comptes étaient pourvus d’un badge bleu dès lors qu’étaient remplies <a href="https://help.twitter.com/en/managing-your-account/legacy-verification-policy">certaines conditions</a>, liées à la vérification de l’identité et de la notoriété de l’utilisateur. Même imparfait, ce système présentait une utilité objective, puisqu’il permettait d’établir l’authenticité des comptes les plus en vue.</p>
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<p>Pourtant, Musk a décidé de modifier en profondeur le sens de ce symbole en le rendant également disponible à <a href="https://help.twitter.com/en/managing-your-account/about-twitter-verified-accounts">tout souscripteur de la version payante de la plate-forme</a>. Lors de l’annonce officielle de cette nouvelle politique, il a en une poignée de caractères justifié ce changement par son intention de donner « le pouvoir au peuple ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1587498907336118274"}"></div></p>
<p>Selon ce narratif, la distinction antérieure entre comptes vérifiés et ceux qui ne l’étaient pas relevait d’une logique élitiste qu’il était urgent d’abolir. Ce privilège avait vécu : le « peuple » et la supposée « élite » de la plate-forme se retrouveraient donc désormais logés à la même enseigne.</p>
<p>Conçue dans la précipitation, cette nouvelle façon de procéder a permis que plusieurs comptes, estampillés du fameux badge, <a href="https://mashable.com/article/fake-news-blue-check-tweets-verification">se fassent passer</a> pour des célébrités ou des entreprises, voire <a href="https://www.theguardian.com/technology/2022/nov/11/twitter-blue-check-verification-impostor-accounts">pour Musk lui-même</a>. La confusion qui en a résulté, parfois non sans conséquences pour l’image des personnes ou des organisations dont l’identité avait été usurpée, a par contraste souligné le bien-fondé de la règle précédente. Face à la débâcle, l’application de cette politique a été suspendue.</p>
<p>Le sort de Donald Trump sur la plate-forme fournit un autre exemple de logique populiste. Musk avait d’abord <a href="https://arstechnica.com/tech-policy/2022/05/elon-musk-would-let-trump-back-on-twitter-says-ban-was-morally-wrong/">exprimé</a> son intention de revenir sur la suspension du compte de l’ex-président, <a href="https://blog.twitter.com/en_us/topics/company/2020/suspension">décidée</a> au lendemain de l’attaque contre le Capitole. Il avait semblé faire preuve de prudence en <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1586059953311137792">annonçant</a> que les décisions de cet ordre seraient prises par un « conseil de modération des contenus », au sein duquel serait représentée une « large diversité de points de vue ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/donald-trump-banni-des-grands-reseaux-sociaux-et-maintenant-152950">Donald Trump banni des grands réseaux sociaux : et maintenant ?</a>
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<p>En lieu et place de cette méthode, il a lancé le 18 novembre un <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1593767953706921985">sondage en ligne</a> soumettant au vote des internautes la proposition de rétablir le compte de l’ancien président. 24 heures et 15 millions de « votes » plus tard, le verdict tombe : comme 52 % des participants ont répondu affirmativement, Trump pourra de nouveau faire usage de son mégaphone numérique. Du moins potentiellement, car l’intéressé a <a href="https://www.reuters.com/technology/musks-twitter-poll-showing-narrow-majority-want-trump-reinstated-2022-11-20/">publiquement exprimé</a> son intention de ne pas retourner sur ce réseau social.</p>
<p>Pleinement en phase avec les préceptes populistes, la décision a donc été remise entre les mains de la majorité, au détriment de tout corps intermédiaire – y compris de celui que Musk avait un temps annoncé vouloir créer pour examiner ce genre de cas. Les institutions et les règles ne font pas le poids face à la « volonté générale » : là encore, le « peuple » est directement invoqué, et plutôt deux fois qu’une, pour justifier cette prise de décision.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1594131768298315777"}"></div></p>
<p>Moins d’une semaine plus tard, il a recouru à la même <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1595473875847942146">méthode</a> pour décider d’une <a href="https://www.leparisien.fr/high-tech/comptes-suspendus-sur-twitter-5-minutes-pour-comprendre-lamnistie-generale-decretee-par-elon-musk-25-11-2022-VHH7QC4YWBDHFFEWB4ZPXMXQTU.php">« amnistie générale pour tous les comptes suspendus »</a>, effective à partir de la semaine du 28 novembre, confirmant par la même occasion que rien ne saurait résister à la « voix populaire ».</p>
<h2>Une manière douteuse de donner la parole au « peuple »</h2>
<p>L’importance que les leaders populistes attribuent au pouvoir du « peuple » contraste avec les limites des procédures mises en place pour permettre à ce même peuple de s’exprimer. D’ordinaire, les résultats des référendums sont ainsi tenus pour vérité absolue, en tout cas lorsqu’ils vont dans la direction désirée.</p>
<p>En l’occurrence, Musk a mis de côté ses préoccupations, pourtant récurrentes à un moment donné, au sujet des comptes automatisés, ou <em>bots</em>. Estimés à 5 % des utilisateurs par l’équipe précédente, et à un <a href="https://edition.cnn.com/2022/10/10/tech/elon-musk-twitter-bot-analysis-cyabra/index.html">pourcentage bien plus élevé</a> par Musk lui-même, leur nombre est suffisant pour <a href="https://twitter.com/profgalloway/status/1594450858439237634?">jeter le doute</a> sur les résultats de ce sondage.</p>
<p>Ces consultations souffrent également d’un <a href="https://fr.surveymonkey.com/mp/dont-let-opinions-sneak-survey-4-ways-avoid-researcher-bias/">biais de sélection</a>, puisqu’elles ont été lancées par l’intermédiaire du compte personnel de Musk et donc diffusées bien plus massivement auprès des utilisateurs qui le « suivent », parmi lesquels ses soutiens sont sur-représentés. Par conséquent, les personnes les plus susceptibles de prendre position sont aussi celles qui ont la plus forte propension à aller dans le sens de celui qui a posé la question.</p>
<p>Techniquement parlant, il était parfaitement possible pour Musk de présenter ces deux options à <em>l’ensemble</em> des usagers de la plate-forme, mais il a préféré procéder par l’intermédiaire de son propre compte. Ce choix souligne que Twitter en tant qu’institution a désormais cédé la place à Twitter, instrument à usage personnel de son propriétaire. Une confusion des genres fréquente dans tout système régi par une logique populiste.</p>
<p>En général comme dans ce cas précis, l’objectif du leader populiste n’est pas tant de permettre à une supposée « volonté générale » de se former et de s’exprimer mais bien davantage de pouvoir brandir la réponse qui, bien souvent sans guère de surprises, sera ressortie de cette consultation.</p>
<h2>Pourquoi Musk adopte-t-il les codes et les techniques du populisme ?</h2>
<p>Il n’est pas surprenant que Musk ait recours à ces pratiques. D’abord, il a depuis longtemps fait étalage d’une personnalité avide de jouer les premiers rôles en communiquant directement avec une large audience, au sujet de ses entreprises comme sur bien d’autres thèmes.</p>
<p>Cette tendance s’est notamment déployée sur Twitter, où il avait déjà démontré son appétence pour les <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1457064697782489088">sondages</a> comme mode de prise de décision.</p>
<p>Il n’a échappé à personne que sa prise en mains de l’entreprise est synonyme non seulement de refonte en profondeur de son fonctionnement, mais aussi de remise en cause de la culture et des valeurs qui y prévalaient jusque-là, dont la reconnaissance de <a href="https://digiday.com/media/twitters-company-culture-used-to-have-an-amazing-culture-unsure-of-future/">l’importance du bien-être des employés</a> ou la <a href="https://www.theguardian.com/technology/2022/nov/19/elon-musk-management-style-twitter-tesla-spacex">liberté de parole au sein de l’entreprise</a>, y compris pour critiquer les décisions prises au plus haut niveau. Pour mener à bien cette transformation, Musk a besoin de s’adosser à une source de pouvoir et de légitimité, en complément de son statut légal de propriétaire. Il a donc naturellement recours à cette base « populaire », représentée par ses <em>followers</em> dont une bonne partie est acquise à sa cause, à qui il peut s’adresser directement grâce à la plate-forme elle-même.</p>
<p>Fort de ce soutien, réel ou suffisamment apparent, le multimilliardaire peut déclencher une confrontation ouverte contre ceux qui sont considérés comme autant d’obstacles à ses projets, et qui sont collectivement désignés comme une élite affairée à ses privilèges hérités de la situation antérieure. Dans cette vaste catégorie entrent tout aussi bien l’ancienne équipe dirigeante, les employés accusés de ne pas travailler suffisamment ou les ONG qui rappellent la plate-forme à ses responsabilités.</p>
<h2>Un Twitter « populiste » peut-il continuer à s’autoréguler ?</h2>
<p>Jusqu’alors, l’évolution des plates-formes de réseaux sociaux allait dans le sens d’un épaississement notable de leurs capacités afin de faire face à leurs responsabilités vis-à-vis des sociétés où elles opèrent. Cette tendance s’est traduite par une augmentation des moyens et personnels consacrés à la définition et l’application de politiques, en particulier contre la diffusion de contenus considérés comme néfastes à la cohésion sociale et au bon fonctionnement des démocraties, comme les discours de haine, le cyber harcèlement ou la désinformation.</p>
<p>En conséquence, les plates-formes ont mis en place des <a href="https://www.vanityfair.com/news/2019/02/men-are-scum-inside-facebook-war-on-hate-speech/">équipes spécialisées</a> pour définir des règles d’utilisation de plus en plus détaillées, les mettre à jour et les appliquer. Bien que cette forme d’autorégulation ait produit des résultats imparfaits, cibles de critiques méritées, elle permet la constitution progressive d’un ordre normatif propre à chaque plate-forme. Dans ce cadre, les attentes en termes de cohérence, transparence et respect des droits fondamentaux se font de plus en plus pressantes de la part des gouvernements, comme des annonceurs, des ONGs ou des utilisateurs.</p>
<p>À rebours de cette évolution, Musk démantèle ces moyens et ces principes, pour les remplacer par l’arbitraire de ses propres décisions, sous couvert d’une volonté générale qu’il dit suivre et servir. Alors qu’elles sont censées être toujours en vigueur, les règles existantes se retrouvent finalement reléguées à un rang secondaire et leur application peut être remise en cause à tout moment.</p>
<p>Si elle se confirme sur la durée, cette façon de procéder heurtera frontalement les <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/digital-services-act-ensuring-safe-and-accountable-online-environment_en">obligations</a> que le <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act">« Digital Services Act »</a> fera reposer sur les plates-formes dans le marché européen à court terme. Du côté des États-Unis, elle démontrera les graves limites de l’autorégulation et pourrait bien représenter, pour le Congrès américain, le facteur qui jusque-là lui avait fait défaut pour parvenir à adopter une législation fédérale encadrant le fonctionnement des plates-formes numériques.</p>
<p>Comme son pendant politique, le populisme de plate-forme se confrontera tôt ou tard au principe de réalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195476/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Barthélémy Michalon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Elon Musk a rétabli les comptes des utilisateurs, dont Donald Trump, qui avaient été suspendus pour violation grave des règles de la plate-forme. En se prévalant de « la volonté du peuple »…Barthélémy Michalon, Professeur au Tec de Monterrey (Mexique) - Doctorant en Sciences Politiques, mention RI, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1935142022-10-30T19:56:52Z2022-10-30T19:56:52ZBrésil : quel avenir pour le bolsonarisme ?<p>Lula vient de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/bresil-le-candidat-de-gauche-lula-elu-president-face-au-sortant-bolsonaro-20221030">remporter d’une courte tête</a> le second tour de l’élection présidentielle au Brésil face au président sortant, Jair Bolsonaro, à l’issue d’une campagne émaillée de troubles <a href="https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2022-10-30/bresil/des-barrages-policiers-font-craindre-une-repression-des-electeurs.php">jusqu’au dernier jour</a>.</p>
<p>Cette campagne extrêmement tendue aura confirmé l’emprise durable du bolsonarisme sur la société brésilienne.</p>
<p>En effet, malgré la résurgence de l’insécurité alimentaire, les <a href="https://www.heidi.news/sante/comment-bolsonaro-a-gere-la-pandemie-et-pourquoi-ca-pourrait-lui-couter-sa-reelection">presque 700 000 décès provoqués par la pandémie de Covid-19</a> et la <a href="https://theconversation.com/que-se-passe-t-il-quand-on-supprime-une-aire-protegee-le-cas-du-bresil-163301">hausse de la déforestation</a>, Jair Bolsonaro et son gouvernement ont conservé tout au long de son mandat une forte popularité auprès d’une partie importante de la population. <a href="https://datafolha.folha.uol.com.br/">Le dernier sondage Datafolha</a> organisé avant le scrutin indiquait que 38 % des Brésiliens considéraient le gouvernement « bon » ou « très bon », tandis que 22 % le jugeaient « moyen » et 39 % « mauvais » ou « très mauvais ».</p>
<p>Si le débat reste ouvert, les <a href="https://www.theses.fr/s259141">recherches en cours</a> montrent que <a href="https://theconversation.com/bresil-que-deviendra-le-bolsonarisme-apres-la-disparition-de-lideologue-de-lextreme-droite-176166">l’adhésion aux idées bolsonaristes</a> peut s’expliquer par plusieurs facteurs, le premier étant la <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2021-1-page-293.htm">stratégie de communication du président sortant</a>. Malgré les critiques récurrentes des médias traditionnels à l’égard de Bolsonaro et de son gouvernement, le bolsonarisme parvient à créer un circuit d’informations indépendant, étendu et perméable, notamment sur Internet.</p>
<h2>Envers et contre tous</h2>
<p>Le contenu reproduit par ces moyens de diffusion contribue lui aussi au maintien du bolsonarisme. Malgré ses divergences internes, le discours bolsonariste conçoit le leader et ses partisans comme des soldats dans la lutte contre « le système ». Ce « système » comprend, entre autres, les établissements d’enseignement supérieur, les institutions judiciaires, les ONG nationales et internationales, et même les Nations unies.</p>
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<p>De ce fait, toute critique émanant de ces institutions et de leurs membres voit sa légitimité remise en cause, ce qui contribue à justifier les difficultés que rencontre le gouvernement dans la mise en œuvre de ses politiques.</p>
<p>En outre, le discours bolsonariste insiste sur la <a href="https://www.cairn.info/le-bresil-de-bolsonaro--9782849508466-page-31.htm">nécessité de moraliser la société brésilienne</a>. Cette moralisation ravive la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2005-5-page-90.htm">mémoire des scandales de corruption</a> qui ont éclaté durant les gouvernements du Parti des Travailleurs et exalte les valeurs traditionnelles – comme en témoigne le <a href="https://www.rfi.fr/fr/ameriques/20191122-alliance-bresil-parti-jair-bolsonaro-dieu-famille-patrie-triptique">slogan bolsonariste</a> souvent répété, « Dieu, patrie et famille ». Dans ce contexte, l’utilisation de symboles nationaux et religieux renforce l’effet de moralisation, éveillant des sentiments tels que la peur et la haine.</p>
<p>De surcroît, il est important de souligner le soutien économique et moral apporté à Bolsonaro par certains secteurs, comme une partie des Églises évangéliques (en particulier pentecôtistes), de l’agrobusiness, du monde de l’entreprise, de la police et de l’armée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lelectorat-evangelique-au-coeur-de-la-bataille-lula-bolsonaro-191744">L’électorat évangélique au cœur de la bataille Lula-Bolsonaro</a>
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<h2>Une représentation restreinte du peuple</h2>
<p>L’enracinement du bolsonarisme dans la société brésilienne passe dans une large mesure par la construction d’une certaine représentation du peuple. Reposant sur la figure du « bon citoyen », le peuple que Bolsonaro et son camp entendent représenter se construit avant tout par opposition aux représentations faites de l’ennemi commun bolsonariste, incarné par la gauche.</p>
<p>Dans une perspective de lutte du bien contre le mal, les autres sont ici les « vagabonds », qu’ils soient intérieurs – tous ceux qui menaceraient l’intégrité des Brésiliens et de leurs familles – ou extérieurs – en ce sens, les nombreuses <a href="https://brazilian.report/latin-america/2022/10/23/venezuela-argentina-left-bolsonaro/">comparaisons avec les pays d’Amérique latine gouvernés par des partis de gauche</a> servent à mettre en garde contre leur retour au pouvoir.</p>
<p>Dans ce contexte, Lula apparaît comme la personnification de cette contre-image, soudant le « nous » bolsonariste autour d’un rejet profond. On lui attribue notamment la volonté de détruire les familles brésiliennes – sur fond de lutte contre « l’idéologie du genre », associée à la « sexualisation des enfants » – et de persécuter les chrétiens, au risque de voir leurs temples fermés – en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/04/au-nicaragua-le-pouvoir-cible-l-eglise-catholique_6137188_3210.html">invoquant l’exemple du Nicaragua</a>.</p>
<h2>Panique morale autour de Lula</h2>
<p>On fustige également les politiques de lutte contre la pauvreté mises en œuvre par le Parti des Travailleurs en y voyant une forme de manipulation électorale – même si Bolsonaro cherche à <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/election-au-bresil-jair-bolsonaro-courtise-les-electeurs-pauvres-20221026_SEODFVHLARAIBADJO5TW76D2C4/">mettre en avant sa propre « générosité »</a> à l’égard des bénéficiaires de ces mêmes politiques. De plus, on présente Lula comme le candidat « du système », soutenu à la fois par les grands médias et par les institutions chargées de réguler les élections – en particulier le <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20221016-l-ind%C3%A9pendance-de-la-cour-supr%C3%AAme-au-br%C3%A9sil-suspendue-%C3%A0-la-pr%C3%A9sidentielle">Tribunal suprême électoral</a>, représenté dans la personne de son président, le ministre Alexandre de Moraes.</p>
<p>Avec la panique morale créée autour du camp Lula, se développe l’idée que le Brésil est spirituellement malade, car dominé par des forces maléfiques. Bolsonaro apparaît alors comme le seul à pouvoir lutter contre ces forces et à « guérir » le Brésil en le débarrassant d’un système profondément corrompu.</p>
<p>Ce discours sous-tend une <a href="https://theconversation.com/le-bolsonarisme-stade-ultime-de-la-peuplecratie-191218">forme de rapprochement</a> avec les électeurs, marquée par la mise en valeur de l’authenticité et de la simplicité comme des qualités intrinsèques du leader et du peuple qu’il entend représenter. L’emploi de termes vulgaires, la revendication du sens commun contre un certain intellectualisme perçu comme élitiste, ou encore son style vestimentaire traduisent une représentation quelque peu caricaturale du « citoyen ordinaire ».</p>
<h2>Le poids de l’électorat populaire</h2>
<p>D’après les <a href="https://datafolha.folha.uol.com.br/">derniers sondages</a> (Datafolha, 28 octobre 2022), les électeurs dont le revenu familial est inférieur ou égal à deux smic brésiliens (environ 460€) ont tendance à voter pour Lula (61 % Lula, 33 % Bolsonaro). Cet écart se reproduit dans la plupart des strates où les classes populaires sont majoritaires, comme parmi les électeurs qui se déclarent noirs (60 % contre 34 %), les moins diplômés (60 % contre 34 %) et ceux qui habitent dans la région du Nord-Est, la plus pauvre du Brésil (67 % contre 28 %). Malgré cela, dans un pays où 48 % des électeurs ont un revenu familial inférieur ou égal à deux smic, le soutien de l’électorat populaire reste fondamental pour le maintien du potentiel électoral de Bolsonaro.</p>
<p>Ce potentiel peut s’expliquer en partie par l’appui dont il bénéficie <a href="https://theconversation.com/lelectorat-evangelique-au-coeur-de-la-bataille-lula-bolsonaro-191744">auprès des évangéliques</a>. Pour autant, le camp évangélique, qui en 2018 était fortement favorable à Bolsonaro (près de 70 % des voix), est devenu aujourd’hui un <a href="https://www.cairn.info/le-bresil-de-bolsonaro--9782849508466-page-31.htm">camp disputé</a>, comme le souligne Esther Solano. Cette professeure de relations internationales à l’Université fédérale de São Paulo observe que certains fidèles manifestent leur insatisfaction quant à l’instrumentalisation de leur religion à des fins politiques et note l’existence de ce qu’elle appelle le « pentecôtisme oscillant » entre Lula et Bolsonaro. Selon la chercheuse, une partie des fidèles des Églises pentecôtistes regrettent d’avoir soutenu Bolsonaro, soit en raison du manque de prise en charge de la population pendant la pandémie, soit en raison de leur désespoir économique.</p>
<p>Outre les questions religieuses, le discours bolsonariste paraît trouver une certaine résonance dans la révolte des classes populaires face à la criminalité – plus intense dans la périphérie des grandes villes et dans les zones rurales. Face à cette colère, la réponse est une proposition répressive, que ce soit par la police ou par les citoyens – devenant alors libres de porter des armes à feu.</p>
<p>De plus, le discours bolsonariste met en valeur l’importance de la corruption comme clé explicative de tous les problèmes. Cela contribue à la construction d’une image de l’État en tant qu’obstacle à l’épanouissement individuel et collectif – raison pour laquelle, de ce point de vue, les fonctions publiques devraient être confiées au secteur privé, affirmait Paulo Guedes, le ministre de l’Économie de Bolsonaro.</p>
<h2>Les effets à long terme</h2>
<p>Au vu de l’enracinement bolsonariste dans la société brésilienne, il est important d’envisager les effets à court et à long terme qu’il produit sur cette jeune démocratie. Les attaques incessantes dirigées vers les autres pouvoirs, en particulier la Cour suprême, accentuent la méfiance à l’égard des institutions dont la mission est de sauvegarder l’État de droit. Ancré dans la Constitution de 1988, dont la promulgation scelle la fin de la dictature militaire, ce cadre institutionnel affichait des <a href="https://laviedesidees.fr/Bresil-une-crise-en-trois-actes.html">signes de corrosion</a> bien avant l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir.</p>
<p>Face à la succession de crises et de reconfigurations survenues depuis la dernière décennie, marquée <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/08/31/bresil-la-presidente-dilma-rousseff-destituee_4990645_3222.html">par la destitution de Dilma Rousseff</a> en 2016, ainsi que par de nombreux scandales de corruption, le mécontentement généralisé devient de plus en plus palpable. Le bolsonarisme apparaît alors comme <a href="https://www.cetri.be/Bolsonaro-president-ressorts-et?lang=fr">l’expression de l’antipolitique</a>, partant de l’idée que tous ceux qui se soumettent au système sont corrompus. Une construction non dépourvue de contradictions – étant donné la longue trajectoire de l’ancien capitaine en tant que député, et surtout le fait que lui aussi est amené à faire alliance avec de vieilles forces politiques pour se maintenir au pouvoir –, mais très puissante dans une société traversée par des scandales et un certain discours moralisateur.</p>
<p>Les scénarios qui se dessinent pour l’avenir de la démocratie brésilienne ne laissent pas entrevoir un « retour à la normalité démocratique » facile à opérer. Le phénomène observé actuellement se caractérise bien davantage par la déstructuration d’un cadre institutionnel historiquement situé qui montrait déjà ses limites.</p>
<p>Même si la victoire de Lula était acceptée par Bolsonaro et ses partisans, il faudrait un travail de fond du nouveau gouvernement pour se réadapter aux nouvelles méthodes d’action politique, face à une opposition bolsonariste qui sera sans doute féroce et déterminée à revenir au pouvoir au plus vite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193514/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno Ronchi a reçu des financements de l'Université de Rennes 1, de la Région Bretagne et de Rennes Métropole.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lucas Camargo Gomes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Jair Bolsonaro a été vaincu dans les urnes, mais son mandat aura durablement marqué la société brésilienne.Bruno Ronchi, Doctorant en science politique, Université de Rennes 1 - Université de RennesLucas Camargo Gomes, Doctorant en sociologie, Université Federal du Paraná, Universidade Federal do Paraná (UFPR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1912182022-09-28T21:29:02Z2022-09-28T21:29:02ZLe bolsonarisme, stade ultime de la « peuplecratie »<p>À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle brésilienne, qui se tiendra le 2 octobre (un second tour aura lieu si nécessaire le 30 octobre), deux candidats historiques, sur onze au total, se détachent nettement dans les sondages : le président sortant conservateur Jair Bolsonaro, et l’ex-président de gauche Lula (2003-2011). Ce dernier est <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220926-une-semaine-avant-la-pr%C3%A9sidentielle-au-br%C3%A9sil-lula-reste-en-t%C3%AAte-des-sondages">en tête</a>, malgré un climat politique complexe et risqué. L’enthousiasme domine chez la plupart des commentateurs occidentaux, qui espèrent la fin – dès ce dimanche si le candidat de gauche l’emporte au premier tour – de la <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/bresil-quel-bilan-pour-le-mandat-de-bolsonaro-211593">morne époque du bolsonarisme</a>.</p>
<p>Néanmoins, il convient de se montrer prudent, alors que les dernières tendances semblent indiquer un rapprochement des intentions de vote en faveur des deux principaux candidats. Bolsonaro, ancien capitaine d’artillerie <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/10/05/bresil-bolsonaro-un-nostalgique-de-la-dictature-militaire_5365030_3222.html">nostalgique de la dictature militaire</a>, entend bien mener une offensive non conventionnelle (fake news) et sans règles jusqu’à la fin de la campagne… Sans parler d’un risque de vote caché, comme durant le dernier scrutin national de 2018.</p>
<p>Ainsi, cette élection demeure bien plus ouverte qu’on le croit généralement – d’autant que la cristallisation ultime du vote se fait souvent, au Brésil comme ailleurs, dans les tout derniers jours de campagne. Pour remonter son retard, le sortant, qui affirme déjà que <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220907-bolsonaro-affirme-que-les-sondages-mentent-%C3%A0-moins-d-un-mois-de-la-pr%C3%A9sidentielle">« les sondages mentent »</a>, va employer tous les ressorts de sa rhétorique populiste ancrée dans la <a href="https://www.researchgate.net/publication/339944294_What_is_Post-Truth_A_Tentative_Answer_with_Brazil_as_Case_Study">« post-vérité »</a> – un domaine dans lequel le clan bolsonariste est devenu maître.</p>
<h2>La rhétorique de « l’expérience du réel »</h2>
<p>Qu’est-ce que le bolsonarisme, du point de vue du discours ?</p>
<p>Dans leur excellent ouvrage <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Connaissance/Peuplecratie"><em>Peuplecratie, le métamorphose de nos démocraties</em></a> (2019), analysant notamment l’Italie de Matteo Salvini, les chercheurs Ilvo Diamanti et Marc Lazar ont avancé la notion de « peuplecratie ». Selon nous, le Brésil sous Bolsonaro est une peuplecratie à son stade ultime.</p>
<p>Qu’entendons-nous par là ? Laissons la parole aux créateurs de la notion :</p>
<blockquote>
<p>« La peuplecratie résulte d’un double processus. D’une part, l’ascension des mouvements et partis populistes par effet de contamination, la modification des fondements de nos démocraties. Les populistes se réfèrent au peuple souverain qu’ils en viennent à idolâtrer et sacraliser. Dans le même temps, ils s’attaquent aux représentants politiques qualifiés par eux de traditionnels et se livrent à une occultation, voire à une critique radicale, des formes institutionnelles organisant cette même souveraineté populaire. Le peuple […] est systématiquement valorisé en tant qu’entité homogène, porteur de vérité et considéré comme fondamentalement bon, surtout par opposition aux élites supposées homogènes, toujours dénigrées, disqualifiées, détestées, haïes. Cet antagonisme – le peuple vertueux contre ces élites corrompues – a un effet explosif mesurable et amplifié par la caisse de résonance que constituent les réseaux sociaux. »</p>
</blockquote>
<p>La peuplecratie se structure donc via le discours populiste, propagé notamment sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Bolsonaro, au style direct et familier, essaye par une vraie proximité politique créée avec son cœur de cible électoral, de construire les frontières de la réalité, de produire une « fake news » aux apparences complètes d’authenticité. Cette rhétorique de « l’expérience du réel » est un élément central du populisme à la sauce Bolsonariste. À notre sens, la « rhétorique de l’expérience du réel » est un élément fondamental relativement oublié dans l’étude du populisme. Les valorisations successives de « l’expérience du réel » sont donc légion au sein du discours bolsonariste sur un sujet qui lui a valu bien des accusations : l’Amazonie.</p>
<p>Revenons sur certains extraits significatifs de ce discours :</p>
<p>En septembre 2019 devant l’Assemblée générale de l’ONU, quelques semaines après le <a href="https://www.sudouest.fr/international/g7/amazonie-des-centaines-de-nouveaux-incendies-le-sujet-au-coeur-du-g7-a-biarritz-2503692.php">buzz médiatique international du G7 de Biarritz sur l’Amazonie</a>, déclenché notamment par Emmanuel Macron, une première réponse : « N’hésitez pas à venir au Brésil, c’est un pays très différent de ce que vous voyez à la télé et dans les journaux ». Une négation de la possibilité de médiation du réel sur l’Amazonie via les médias.</p>
<p>En février 2020, <a href="https://www.geo.fr/environnement/lamazonie-selon-bolsonaro-un-reve-qui-fait-cauchemarder-les-indigenes-199802">il s’en prend aux ONG écologistes avec une ironie malsaine</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Si je pouvais, j’aimerais confiner ces écologistes au beau milieu de l’Amazonie pour qu’ils arrêtent d’embêter les peuples amazoniens depuis la ville. »</p>
</blockquote>
<p>La provocation directe accompagne donc ce type de rhétorique dessinant une césure entre un « eux » et « nous », base du populisme.</p>
<p>En août 2020, Bolsonaro <a href="https://www.challenges.fr/top-news/bresil-pour-bolsonaro-les-incendies-en-amazonie-sont-un-mensonge_722728">invite son auditoire à effectuer un vol au-dessus de l’Amazonie</a>) entre les villes lointaines de Boa Vista et Manaus pour se rendre compte qu’aucune flamme n’était visible :</p>
<blockquote>
<p>« Ils ne trouveront pas un seul foyer d’incendie, pas un seul hectare de déforestation. »</p>
</blockquote>
<p>Le président brésilien emploie la logique populiste classique, exploitée universellement, voulant que seul un policier a la légitimité pour s’exprimer sur la sécurité des rues, seul un ouvrier peut parler des aspirations des classes populaires, seul un juge ou magistrat doit avoir quelque chose à dire sur l’état de la justice, seul un berger des Pyrénées peut donner son avis sur la question de la réintroduction de l’ours, et ainsi de suite… Bolsonaro affirme donc que seuls les Brésiliens vivant en Amazonie (plus de 22 millions de personnes, les indigènes traditionnels étant ultra-minoritaires) ont la légitimité nécessaire pour s’exprimer sur les enjeux concrets liés à cette région – pratique, sachant que <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/25/bresil-dans-l-acre-la-decheance-de-la-gauche-amazonienne_6061049_3210.html">l’État d’Acre, dans l’ouest de l’Amazonie, était un foyer bolsonariste</a>, où il a réalisé ses meilleurs scores aux dernières élections.</p>
<p>Cette réduction de la source d’information à son identité, unique élément permettant de juger de la véracité de ses propos, épouse la conception populiste du « peuple » et de son supposé « bon sens ».</p>
<h2>Une victimisation commune à bien d’autres populistes</h2>
<p>Tous les populismes ont en partage la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0267323117737952">« rhétorique de l’exclusion »</a> (exclusionary narratives), aspect consubstantiel de l’idée du « peuple » qu’ils prétendent incarner et dont résulte la création obligatoire, dans leurs discours, de camps totalement antagonistes : « nous » contre « les autres ».</p>
<p>Sur la problématique de l’Amazonie, Bolsonaro use et abuse de cette dénonciation des « autres », représentés ici par de supposés intérêts de l’étranger hostiles au Brésil. Ce récit permet la consolidation d’une identité collective forte par opposition à l’adversaire.</p>
<p>Bolsonaro emploie cette « rhétorique de l’exclusion » sur de très nombreux sujets. Nous concentrons donc notre analyse sur le seul objet de l’Amazonie. On observe l’actualisation de la dénonciation du « néo-colonialisme », les pays occidentaux étant accusés de vouloir piller les ressources du pays. La victimisation est alors un processus central par le biais duquel un individu ou un groupe sont culturellement construits comme victime. Cette dénonciation indirecte ou directe du « complot international » contre les intérêts du Brésil, cette opposition permanente entre le global et le local sont au cœur des théories du complot que Bolsonaro fait circuler dans l’espace public.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1200913948729626624"}"></div></p>
<p>Revenons sur certains extraits significatifs de ce discours :</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> août 2019, Bolsonaro <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/bolsonaro-sur-le-drian-qu-est-ce-qu-il-est-venu-discuter-avec-des-ong-ici-20190801">s’en prend au ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian</a>, qui a rencontré des représentants d’ONG pendant un déplacement officiel au Brésil :</p>
<blockquote>
<p>« Qu’est-ce qu’il est venu discuter avec des ONG ici ? Dès qu’on parle d’ONG, il y a une alarme qui s’allume dans la tête de celui qui a un minimum de bon sens. »</p>
</blockquote>
<p>En septembre 2020, à l’ONU, il assène :</p>
<blockquote>
<p>« Nous sommes victimes d’une campagne de désinformation internationale des plus brutales sur l’Amazonie […]. L’Amazonie brésilienne est connue pour être très riche en ressources […] Cela explique le soutien des institutions internationales à cette campagne soutenue par des intérêts douteux, que rejoignent des associations brésiliennes profiteuses et non patriotes, dans le but de nuire au Brésil lui-même. »</p>
</blockquote>
<p>En janvier 2021, un haut gradé brésilien, Durval Nery, proche du président, <a href="https://culturadefato.com.br/controle-dos-rothschilds-na-amazonia">abonde dans son sens</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’ONG anglaise WWF est financée par Jacob de Rothschild, George Soros et la Fondation Ford. Cette ONG est à l’origine de la tentative d’activer l’intervention occidentale en Amazonie et par conséquent de livrer sa richesse à des groupes étrangers. »</p>
</blockquote>
<p>Les éléments de discours victimaire très présents chez Bolsonaro se retrouvent également au sein d’un véritable « arc populiste mondial ». Steve Bannon, l’ancien stratège en chef de Donald Trump, est venu plusieurs fois <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211115-br%C3%A9sil-des-trumpistes-pour-sauver-le-soldat-bolsonaro">conseiller Bolsonaro</a>. Le premier ministre hongrois Viktor Orbán et les médias proches du pouvoir utilisent l’image de Soros comme une véritable caricature maléfique, cause d’une bonne partie des problèmes du pays et du monde. En 2014, le gouvernement hongrois a mis en œuvre avant les élections législatives une large campagne, placée sous le signe du slogan « Stop Soros », affirmant que toutes les organisations critiques à l’égard d’Orban étaient corrompues par Soros.</p>
<p>Par la suite, Nigel Farage, l’un des principaux promoteurs du Brexit au Royaume-Uni, a décrit Soros comme <a href="https://www.theguardian.com/politics/2019/may/12/farage-criticised-for-using-antisemitic-themes-to-criticise-soros">« la plus grande menace actuelle pour le monde occidental »</a>. En France, la figure de Soros est également agitée aussi par les populistes, le magazine <em>Valeurs Actuelles</em> voyant en lui « le milliardaire qui complote contre la France » et « le militant de la submersion migratoire et de l’islamisme ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1056453052713054208"}"></div></p>
<p>George Soros est ainsi une figure vide dans laquelle les populistes glissent toutes leurs chimères et leurs haines. Il représente un épouvantail international à caricaturer dans le sens souhaité par l’émetteur, réactivant au passage <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2018/11/04/les-antisemites-obsedes-par-soros/">tout un imaginaire antisémite</a>.</p>
<p>Deuxièmement, Bolsonaro s’inspire de la pratique de « stigmatisation globale » mise en place depuis 2011 par Vladimir Poutine, qui délégitime ses adversaires intérieurs (médias, ONG…) en les présentant comme des <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211231-comment-moscou-utilise-le-statut-d-agents-%C3%A9trangers-pour-harceler-les-opposants">« agents de l’étranger »</a> dès lors qu’ils reçoivent des financements, même limités, en provenance d’un pays autre que la Russie. De la même façon, le président brésilien martèle que ceux qui le critiquent nationalement le font parce qu’ils sont influencés pour cela par des puissances étrangères, déterminées à affaiblir « la patrie ».</p>
<p>Troisièmement, Bolsonaro, parfois surnommé <a href="https://www.europe1.fr/international/le-trump-des-tropiques-lancien-president-americain-appelle-a-reelire-jair-bolsonaro-4132917">« le Trump des Tropiques »</a>, emprunte aussi une rhétorique victimaire à son modèle dans sa stigmatisation de la gauche (Lula, autres leaders sud-américains). Pour Bolsonaro comme pour Trump, la gauche, dans toute sa diversité, est identifiée au communisme. À cet égard, le chercheur brésilien Felipe Loureiro <a href="https://blogs.mediapart.fr/marilza-de-melo-foucher/blog/050620/bresil-etats-unis-entretien-avec-felipe-loureiro">explique</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le bolsonarisme identifie dans le trumpisme une sorte de gardien de l’État-Nation au XXI<sup>e</sup> siècle, contrairement aux intérêts et aux stratégies mondialistes, soi-disant orchestrés par une conspiration du communisme international. Cette conspiration, selon cette perspective, s’appuie sur un réseau de soutien complexe, impliquant des organisations internationales […] avec des connexions qui traverseraient le monde des affaires, des universités et de la presse, pour détruire les bases de l’identité nationale. Au Brésil, cette conspiration vise la religion chrétienne et la famille patriarcale. »</p>
</blockquote>
<h2>Un bolsonarisme au-delà de Bolsonaro ?</h2>
<p>On observe donc un Bolsonaro qui joue la victime au niveau national a l’image d’un Trump et dénonce le complot international à l’image d’un Poutine ou d’un Orbán, tout en produisant sa propre rhétorique de « l’expérience du réel ».</p>
<p>Ce bolsonarisme peut survivre à une éventuelle défaite électorale de l’actuel président… et tout à fait s’exporter vers l’Europe pour y stimuler notamment un sentiment anti-écologique déjà présent dans certaines sphères populistes du Vieux continent. Demain, les nuages des fumées délirantes du bolsonarisme pourraient obscurcir les cieux lointains, de la même façon que les feux d’Amazonie ont un <a href="https://www.numerama.com/sciences/543998-lamazonie-brule-voici-les-consequences-gravissimes-sur-lavenir-de-la-planete.html">impact qui ne se limite pas au Brésil</a>. La compréhension, l’analyse et la vigilance face aux discours populistes nationaux et internationaux sont donc aussi un impératif démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191218/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Cilluffo Grimaldi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Durant son mandat, Jair Bolsonaro n’a cessé de diffuser un discours populiste ancré dans une sorte de « post-vérité », notamment sur le dossier de l’Amazonie.Pierre Cilluffo Grimaldi, Doctorant - SIC, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1868572022-09-28T21:29:01Z2022-09-28T21:29:01ZEmmanuel Macron, naissance et mort d’un populisme couronné<p>Il y a cinq ans, un tremblement de terre ébranlait le système de partis français : Emmanuel Macron, quasi inconnu deux ou trois ans plus tôt, effectuait un parcours de météorite, écrasant la gauche et affaiblissant la droite, jusqu’à ravir la victoire à l’élection présidentielle, puis réunissait une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Ce qui était encore impensable quelques mois plus tôt venait de se produire.</p>
<p>Il est important de souligner ici que le candidat Macron devait une bonne partie de sa victoire à ce qu’on appellera ici le « populisme couronné ».</p>
<p>Le populisme couronné est une posture politique qui consiste à désavouer les élites politiques traditionnelles, en dénonçant le système de partis existant, et, en tant que chef d’État (ou simple candidat, dans un premier temps), en se réclamant directement du peuple contre les élites. Ces dernières peuvent être de diverses natures : dans tous les cas, le populisme couronné dénonce les parlementaires, droite et gauche confondue, mais il peut aussi dénoncer tout ou partie des médias, éventuellement les syndicats, tout ce que l’on appelle les corps intermédiaires, et parfois, plus rarement, une partie des élites sociales.</p>
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À lire aussi :
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<p>Ainsi, le candidat Macron dénonçait la classe politique dans son ensemble, droite et gauche confondues, toutes deux renvoyées à ce qu’il appelait <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/05/26/dix-mots-pour-cerner-emmanuel-macron_5134334_3232.html">« l’ancien monde »</a>.</p>
<p>Il se réclamait du peuple contre les élites, et en voulait pour preuve le fait que son programme était directement issu du terrain, recueilli par un mouvement politique alors atypique, En marche, issu de la société civile. <a href="http://www.juspoliticum.com/article/Le-populisme-couronne-essai-sur-un-jeu-de-roles-institutionnel-1449.html">Le populisme couronné</a> est un phénomène d’une puissance exceptionnelle, un mouvement qui allie à la fois la force dévastatrice de l’opposition et la majesté du pouvoir d’État.</p>
<h2>Histoire du populisme couronné</h2>
<p>Mais le phénomène va bien au-delà, à la fois dans le temps et dans l’espace, et c’est ce que l’on voudrait souligner brièvement à présent. Les deux premiers populistes couronnés étaient tous deux des monarques réduits à un rôle symbolique par les conventions du régime parlementaire, ou de son équivalent : ce fut d’abord le cas de Gustave III de Suède, qui n’hésita pas à provoquer un coup d’État, en 1772, afin de se libérer du carcan du Parlement. Le deuxième fut le roi George III d’Angleterre. En 1784, il provoqua une grave crise constitutionnelle, afin de renverser une coalition contre nature entre les partis de gouvernement, qu’il mit à bas grâce à une dissolution triomphale.</p>
<p>On pourrait également évoquer Andrew Jackson, fondateur du parti démocrate aux États-Unis, qui entreprit de partir en guerre contre l’oligarchie des élites républicaines, restées longtemps seules au pouvoir. Il entendait aussi lutter contre ce qu’il appelait « l’aristocratie de l’argent », c’est-à-dire la banque fédérale, et finit par remporter la partie.</p>
<p>Dans le monde contemporain, l’autre exemple majeur est celui de Donald Trump ; on pourrait aussi évoquer le cas de Jair Bolsonaro, au Brésil.</p>
<p>Et puis, il y a aussi et surtout la France, qui a une longue tradition de populisme couronné.</p>
<h2>Longue tradition française</h2>
<p>La première aspiration à un populisme couronné à la française date, paradoxalement, de 1788. Une bonne partie du <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k41862s.texteImage">Tiers-État</a>, s’estimant trahie par les privilégiés, se retourna vers le roi, dans l’espoir qu’il s’allierait à lui contre les élites. Le partisan le plus notable d’une telle alliance fut <a href="https://data.bnf.fr/fr/32806045/lettre_du_comte_de_mirabeau_a_ses_commettans/">Mirabeau</a>.</p>
<p>Mais ce fut peine perdue, car Louis XVI refusa toujours d’endosser le rôle de leader du peuple face aux ordres privilégiés. Cette espérance déçue ne s’éteignit pas pour autant, et, en réalité, ce que les Bourbons s’étaient refusés à faire, un autre, à peu près sorti de nulle part, allait le réaliser avec talent : Napoléon Bonaparte.</p>
<p>Lui aussi se réclamait du peuple contre les élites, celles du Parlement, cette fois, qu’il n’hésita pas à éliminer par un coup d’État. Son pouvoir fut conforté par voie de plébiscite <a href="https://www.cairn.info/revue-napoleonica-la-revue-2022-2-page-7.htm?contenu=resume">pour la première fois dans l’histoire française</a>. Mais le soutien du peuple, dans ce régime militaire, passait avant tout par les paysans-soldats de la grande armée. Les paysans français furent toujours les plus ardents partisans de l’Empire, y compris après sa chute. Et la nostalgie en était telle que, en 1848, le peuple choisit d’élire, à la tête de la jeune république, à nouveau un Bonaparte, Louis-Napoléon, neveu du précédent, et ardent défenseur du suffrage universel.</p>
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<p>C’est lui qui inventa le référendum-plébiscite, mettant en jeu sa propre responsabilité. Il le fit pour laver la tache du coup d’État du 2 décembre 1851 par lequel, à son tour, il avait éliminé les parlementaires. Quelques semaines à peine après le coup de force, les Français lui apportaient massivement leur soutien. Commençait alors la deuxième expérience de populisme couronné à la française, sans doute la plus élaborée sur le plan politique et institutionnel.</p>
<p>Le suivant fut le général de Gaulle, sur lequel on n’insistera pas beaucoup, car son histoire est assez largement connue : élu en 1958 pour être un simple chef d’État parlementaire, il n’hésita pas à renverser la table en 1962, en soumettant au référendum, de manière illégale, l’élection du président au suffrage universel. L’Assemblée ayant commis la lourde erreur de ne riposter que par une simple motion de censure contre le gouvernement, elle donna une excellente raison au Président pour provoquer une dissolution, qu’il gagna triomphalement, peu après le succès du référendum. L’alliance du peuple et du chef d’État contre les partis était une nouvelle fois solidement établie, et ce fut ainsi que commença la toute-puissance du président que nous avons longtemps connue depuis.</p>
<h2>Normalisation et affaiblissement</h2>
<p>Le candidat Emmanuel Macron, en 2017, avait donc derrière lui une longue tradition de populisme couronné. Mais, si ce populisme lui permit bel et bien d’arracher la victoire, la posture ne fut pas durable. Presque toujours, les expériences de populisme couronné se terminent mal : le populisme couronné, irrésistible dans la conquête du pouvoir, a beaucoup plus de mal à l’exercer, car il est contraint d’installer à son tour des élites parlementaires et politiques très comparables aux anciennes, et risque donc de voir s’effondrer sa légitimité : ce qui n’est qu’un phénomène classique d’usure du pouvoir, pour d’autres formations politiques, se transforme en véritable menace existentielle pour les populistes couronnés. Aussi une des issues possibles, pour le populisme couronné, est celle de la normalisation, au risque de l’affaiblissement. C’est le choix que le président a fait lors de sa réélection, faisant désormais disparaître toute dimension populiste.</p>
<p>Mais à force de se normaliser, le président s’est aussi spectaculairement affaibli : le parti présidentiel et ses alliés ont – très nettement perdu la majorité absolue à l’assemblée. À l’époque du gouvernement de Michel Rocard, en 1988, il ne manquait qu’une quinzaine de voix au Premier ministre. Mais aujourd’hui, c’est à peu près 45 voix qui manquent au gouvernement au sein de l’Assemblée nationale. Ces voix, il pourrait les trouver du côté de ce qui reste de la droite, Les Républicains (64 députés). Ce serait même une solution toute naturelle dans une démocratie parlementaire classique. Seulement voilà : le président n’a pas eu de mots assez durs à l’égard de ce qu’il appelait les partis de l’« ancine monde », et ce qui reste de l’ancien monde, à droite, ne veut manifestement pas de lui, en tout cas pour le moment.</p>
<p>En 2017, lors de son arrivée triomphale au pouvoir, le nouveau président avait promis d’en finir définitivement avec le clivage droite-gauche, désormais relégué au passé. Mais cinq ans plus tard, c’est un échec complet : le parti central a désormais face à lui à la fois un extrême de droite (le Rassemblement national) et une coalition de gauche (la Nupes), tous deux fortement renforcés. Un centre, entendant résister contre les extrêmes : cette configuration a existé jadis, sous la IV<sup>e</sup> République : c’était la troisième force, qui luttait à la fois contre les communistes et contre les gaullistes. Mais l’expérience s’est mal terminée…</p>
<p>Aussi on peut dire que, au lieu du « nouveau monde » promis en 2017, nous avons désormais une situation parlementaire assez comparable avec celle… de la IV<sup>e</sup> République. Au-delà, et de façon particulièrement ironique, c’est le président Macron lui-même qui a finalement, cinq ans après, brisé le cœur de ce qu’on pourrait appeler la V<sup>e</sup> République quinquennale : la concordance des majorités présidentielle et parlementaire, clef de voûte de la toute-puissance du président.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-centre-attrape-tout-demmanuel-macron-184853">Le centre attrape-tout d’Emmanuel Macron</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Carlos-Miguel Pimentel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le populisme est une posture politique qui consiste à désavouer les élites politiques traditionnelles, en dénonçant le système de partis existant, et en se réclamant directement du peuple.Carlos-Miguel Pimentel, Professeur de droit public, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1910232022-09-26T20:32:33Z2022-09-26T20:32:33ZQuelle politique migratoire pour l’Italie de Giorgia Meloni ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485974/original/file-20220921-10221-898w7p.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C3%2C1020%2C752&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Peinture murale du street artist Tvboy, à Rome , qui se moque de la coalition de la droite italienne qui a remporté les élections du 25 septembre.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Tvboy</span></span></figcaption></figure><p>Giorgia Meloni, 45 ans, leader du parti d’extrême droite <em>Fratelli d’Italia</em>, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/26/elections-en-italie-avec-plus-de-26-des-voix-fratelli-d-italia-de-giorgia-meloni-remporte-un-succes-eclatant_6143174_3210.html">se prépare à présider</a> le 68<sup>e</sup> gouvernement italien depuis la Seconde Guerre mondiale, qui sera le gouvernement le <a href="https://edition.cnn.com/2022/09/25/europe/italy-election-results-intl/index.html">plus à droite depuis Benito Mussolini</a>.</p>
<p>La coalition dans laquelle sa formation tient le premier rôle a en effet obtenu près de 44 % des suffrages (plus de 26 % pour <em>Fratelli d’Italia</em>, 9 % pour la <em>Lega</em> de Matteo Salvini et 8 % pour <em>Forza Italia</em> de Silvio Berlusconi) aux législatives tenues ce 25 septembre.</p>
<p>Giorgia Meloni, qui sera la première femme premier ministre dans l’histoire de l’Italie, est connue pour ses propos virulents contre <a href="https://www.20min.ch/fr/story/oui-a-la-famille-naturelle-non-au-lobby-lgbt-241250337164">« les lobbies LGBT+ »</a>, les <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/09/06/le-style-populiste-de-giorgia-meloni/">« élites de gauche »</a> et, cela va sans dire, les migrants.</p>
<p>À première vue, le succès de <em>Fratelli d’Italia</em> semble n’être qu’une continuation de la dérive de l’Italie vers la droite, initiée par le succès de la <em>Lega</em> aux précédentes élections législatives en 2018 (<a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/05/17/italie-la-ligue-aux-origines-d-une-formation-populiste-en-passe-de-cogouverner-le-pays_5300546_4355770.html">17 %</a>), et aux européennes en 2019 (<a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/salvini-wins-over-italy-as-five-star-movement-falls-apart/">33 %</a>).</p>
<p>Les élections de ce 25 septembre, qui voient le parti de Meloni supplanter nettement celui de Salvini, constituent-elles un simple passage de témoin dans le leadership de la droite italienne, ou bien les deux partenaires représentent-ils deux voies distinctes ?</p>
<h2>En quoi <em>Fratelli d’Italia</em> diffère-t-il de la <em>Lega</em> ?</h2>
<p>Pour répondre à cette question, il est utile d’examiner les deux partis à travers le prisme de leur rapport à la question de la migration, centrale dans les programmes de toutes les formations d’extrême droite, en Italie comme ailleurs. Conformément à cette tradition bien ancrée, Giorgia Meloni et Matteo Salvini ont tous deux placé les politiques migratoires au cœur de leur campagne et de leur programme politique.</p>
<p>Globalement, les <em>Fratelli</em> et la <em>Lega</em> abordent ces questions de la même manière, c’est-à-dire avant tout en termes de sécurité publique, et donc en termes de protection – des citoyens, des frontières, du marché du travail – et non de droits ou d’intégration des nouveaux arrivants.</p>
<p>Les deux partis proposent un contrôle strict de l’immigration légale, mais la <em>Lega</em> met l’accent sur une politique de sélection qui vise à n’accorder l’accès qu’à une main-d’œuvre de <a href="https://static.legaonline.it/files/Programma_Lega_2022.pdf">qualité et spécialisée, ou alors saisonnière et donc limitée dans le temps</a>. Le parti de Salvini se montre en cela fidèle à son origine et aux intérêts de son électorat historique, à savoir la classe des petits et moyens entrepreneurs du Nord de l’Italie.</p>
<p>En ce qui concerne la question des réfugiés, la <em>Lega</em> se concentre sur la gestion interne de l’accueil et vise à réactiver <a href="https://cadmus.eui.eu/bitstream/handle/1814/61784/PB_2019_06_MPC.pdf">ses décrets « sécurité »</a> promulgués en 2018, puis désactivés par la suite par le gouvernement Conte/Draghi. Les pierres angulaires de ces décrets sont l’augmentation des temps de détention dans les centres de première arrivée, la réduction des infrastructures d’accueil en favorisant les installations qui concentrent un nombre élevé de demandeurs d’asile, l’augmentation des fonds pour les rapatriements forcés et la réduction des possibilités d’obtention de la protection internationale.</p>
<p><em>Fratelli d’Italia</em>, pour sa part, s’inscrit dans une longue tradition politique qui est restée minoritaire dans la droite italienne ces dernières années, dominée par l’exploit réussi par Salvini en 2018-2019. Les racines de la formation de Giorgia Meloni se trouvent dans <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/260922/le-jour-ou-le-post-fascisme-pris-le-pouvoir-en-italie">l’extrême droite post-fasciste</a>. Si dernièrement, le parti a stratégiquement écarté toute référence directe au fascisme, il se tourne tout particulièrement vers un électorat souverainiste et ultra-conservateur.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9dTyH3Rs3E8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un candidat de Fratelli d’Italia suspendu pour avoir fait l’éloge d’Hitler.</span></figcaption>
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<p>La mesure clé actuellement proposée par le parti en matière de politique migratoire, le <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/2022/08/08/italie-la-presidente-des-fratelli-ditalia-appelle-a-un-blocus-naval-pour-les-bateaux-de-migrants-ZXEEGDUO4RFZ7KQZT2I35LPK2Y/">blocus naval</a> contre les migrants qui traversent la Méditerranée, est le reflet de cette identité.</p>
<p>Or, il faut d’abord souligner que cette mesure entre en conflit avec le droit international, car elle ne peut être mise en place unilatéralement qu’en cas de guerre, par le pays attaqué. Même en supposant, comme l’affirme Meloni en réponse aux critiques, qu’un blocus naval peut être concerté de manière bilatérale avec les autorités de la Libye (principal pays à partir duquel partent les migrants qui tentent la traversée de la mer vers l’Italie), il va sans dire qu’une telle action militaire, sur les routes de la Méditerranée, serait pour le moins irresponsable.</p>
<p>Un précédent tragique existe dans l’histoire. Le 28 mars 1997, 81 réfugiés perdirent la vie lors du <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Tragedy_of_Otranto">naufrage du Katër i Radës</a>, éperonné par une corvette de la marine de guerre italienne suite à l’application du blocus naval concerté entre le gouvernement Prodi e l’Albanie. À noter qu’il s’agissait d’un navire de 35 tonnes, pas d’une embarcation de fortune à la dérive.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486116/original/file-20220922-30154-96u39a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486116/original/file-20220922-30154-96u39a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486116/original/file-20220922-30154-96u39a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486116/original/file-20220922-30154-96u39a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486116/original/file-20220922-30154-96u39a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486116/original/file-20220922-30154-96u39a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486116/original/file-20220922-30154-96u39a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’épave du Katër i Radës exposée dans le port d’Otranto, mémorial du naufrage du 28 mars 1997.</span>
<span class="attribution"><span class="source">www.wikipedia.it</span></span>
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<p>Que se passera-t-il si les autorités libyennes ne coopéraient pas à la mise en œuvre du blocus naval, et les bateaux des passeurs continuaient à transporter des migrants vers les côtes italiennes ? Nous serions confrontés à deux scénarios possibles, selon le <a href="https://www.fratelli-italia.it/blocconavale/">programme</a> du parti.</p>
<p>Première option : la Libye contrôle ses propres frontières et laisse donc délibérément partir des centaines de milliers de migrants. Dans ce cas, le blocus naval serait la réponse hostile à un acte tout aussi hostile du pays nord-africain. Deuxième option : la Libye ne contrôle pas ses frontières, auquel cas l’ingérence d’un autre pays ne peut être pas considérée comme un acte hostile, puisque ces territoires – les portions de mer – sont de facto libres.</p>
<h2>La <em>Lega</em> s’est montrée sceptique à l’égard du projet de blocus naval</h2>
<p>En pleine campagne électorale, Salvini <a href="https://www.fanpage.it/politica/perche-alla-lega-e-a-matteo-salvini-non-piace-il-blocco-navale-proposto-da-giorgia-meloni/">n’a pas apprécié</a> une prise de position aussi forte sur une question considérée comme son cheval de bataille ces dernières années, capable de faire bouger le consensus comme peu d’autres sujets en Italie.</p>
<p>D’autre part, la question des réfugiés est traitée par <em>Fratelli d’Italia</em> avec une mentalité que l’on pourrait qualifier d’impérialiste – une façon de penser le rôle de sa propre nation dans le scénario mondial typique de l’imaginaire fasciste, imprégnée d’autoritarisme et d’ethnocentrisme.</p>
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<h2>L’Italie en porte-à-faux vis-à-vis de l’UE ?</h2>
<p>Certains observateurs ont déjà prédit un <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/sep/18/far-right-contender-giorgia-meloni-italian-pm-eu-election">adoucissement pragmatique de l’approche anti-européenne</a> habituellement adoptée par Giorgia Meloni et son parti. Pour mettre en œuvre son blocus naval, <em>Fratelli d’Italia</em> devrait en effet travailler en étroite coopération avec l’UE pour opérer sur les côtes libyennes.</p>
<p>À cet égard, Meloni a, de façon polémique, répété à plusieurs reprises que l’Europe ne peut pas se dérober à sa responsabilité de soutenir le projet, puisqu’elle n’a pas ménagé ses efforts pour endiguer la route des Balkans vers l’Allemagne d’Angela Merkel. Manifestement, ce n’est pas avec l’Allemagne (ou la France, à l’exception de <a href="https://twitter.com/MLP_officiel/status/1574262650611146754?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1574262650611146754%7Ctwgr%5E3f42c4ab5d1cea7d068044965b462cd008ee6379%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Finformation.tv5monde.com%2Finfo%2Fitalie-la-victoire-de-giorgia-meloni-rejouit-l-extreme-droite-europeenne-472809">Marine Le Pen</a>) que Meloni semble avoir le plus d’atomes crochus au niveau de l’UE, mais plutôt avec le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_de_Visegr%C3%A1d">Groupe de Visegrád</a>.</p>
<p>Cette attitude est aggravée par des propos qui sont souvent explicitement contraires aux positions du Parlement européen, comme son soutien récemment réitéré a Viktor Orban, qu’elle a présenté comme un <a href="https://www.ansa.it/english/news/2022/09/16/orban-won-elections-hungary-is-a-democracy-meloni_9556853e-2b5c-47f0-a494-d770964f1a28.html">gentleman démocratiquement élu</a>, en contraste flagrant avec une <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/20220909IPR40137/meps-hungary-can-no-longer-be-considered-a-full-democracy">récente résolution</a> du Parlemet européen qui qualifie la Hongrie d’« autocratie électorale ». Les relations entre Meloni et le leader hongrois ont toujours été étroites, notamment sur la <a href="https://www.ilmessaggero.it/social/giorgia_meloni_viktor_orban_ungheria_italia_immigrati-5498982.html">question de la fermeture des frontières</a> aux migrants.</p>
<p>Au vu de ces positions, bien que Meloni parle d’une mesure qui « s’inscrit parfaitement dans l’approche de l’UE », il est loin d’être certain que le projet de blocus naval reçoive le soutien de Bruxelles. La décision de mettre en œuvre une telle mesure de manière autonome serait encore plus critique, ainsi que difficile sur le plan pratique et économique.</p>
<h2>Que pourrait-il se passer si l’UE ne soutient pas la politique migratoire de Meloni ?</h2>
<p>Sommes-nous vraiment confrontés au risque que l’Italie suive l’exemple de pays comme la Hongrie et la Pologne, et devienne elle aussi un membre de l’Union qui <a href="https://www.politico.eu/article/veni-vedi-veto-giorgia-melonis-march-on-brussels/">utilise la menace de faire obstruction aux projets de l’UE</a> pour obtenir gain de cause sur ses propres dossiers ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1574148949606248449"}"></div></p>
<p>Tout dépend évidemment de l’étanchéité de cette nouvelle coalition. Ce qui est certain, c’est que les forces anti-immigration de la droite radicale célèbrent déjà le résultat des élections italiennes, convaincues d’avoir un nouvel allié au sein de l’Union. Nous sommes à l’aube d’un nouveau défi pour l’UE, et ce sera potentiellement l’un des plus difficiles de son histoire récente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191023/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessandro Mazzola ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Giorgia Meloni souhaite un « blocus naval » pour empêcher les migrants venant de Libye de rejoindre l’Italie. Une option que même son allié Matteo Salvini ne partage pas.Alessandro Mazzola, Cultural and Political Sociologist, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.