tag:theconversation.com,2011:/us/topics/protection-sociale-36286/articlesprotection sociale – The Conversation2024-02-19T14:54:18Ztag:theconversation.com,2011:article/2239052024-02-19T14:54:18Z2024-02-19T14:54:18ZComment les nouvelles règles budgétaires européennes contraindront les dépenses publiques françaises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/576491/original/file-20240219-20-cer2j3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=85%2C6%2C1952%2C1348&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bercy a révisé à la baisse des prévisions de croissance à 1% pour 2024.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/iaea_imagebank/51716644575">Flickr/IAEA Imagebank</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé sur TF1, le 18 février, que Bercy abaissait sa prévision de croissance à 1 % en 2024, soit le haut de la fourchette du consensus des analystes, tout en affirmant sa volonté d’économiser 10 milliards « sur le seul budget de l’État ».</p>
<p>Profitant du brutal retour de l’inflation qui a gonflé mécaniquement les recettes fiscales, les dépenses publiques françaises avaient baissé en volume en 2022 et 2023, malgré une forte progression en valeur. Le projet de loi de finances pour 2024 prévoyait la poursuite de cette tendance.</p>
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<figcaption><span class="caption">Croissance : la prévision pour 2024 révisée à 1 %, annonce Bruno Le Maire (TF1 Info, 18 février 2024).</span></figcaption>
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<p>La croissance alors anticipée de 1,4 % combinée à une prévision d’inflation de 2,6 % devaient assurer mécaniquement une hausse des recettes publiques de 4 % supérieures à celle des dépenses publiques limitées à 3,1 %, réduisant ainsi le déficit public de 0,5 % à 4,4 % du PIB et <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/291190-loi-du-29-decembre-2023-de-finances-pour-2024-budget-plf">stabilisant la dette publique à 110 % du PIB</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution annuelle des depenses publiques en volume, hors credits d’impot, hors soutien d’urgence et hors relance (en pourcentage). Note : les dépenses de soutien face à l’inflation ne sont pas retraitées en 2022 et 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rapport de l’Assemblée nationale sur le Projet de loi de finances 2024</span></span>
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<p>Ce scénario favorable est malheureusement remis en cause par le ralentissement économique en cours, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) prévoyant désormais une croissance de seulement 0,6 % en France ce qui implique mécaniquement un <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/05/bercy-s-apprete-a-revoir-ses-previsions-de-croissance-pour-2024_6214930_3234.html">manque à gagner de l’ordre 10 milliards</a> pour les comptes publics.</p>
<p>D’autant qu’à ce jour, les nouvelles dépenses sont d’ores et déjà d’environ 5 milliards, en additionnant les récentes aides aux agriculteurs de 400 millions d’euros, les primes aux policiers pour les JO de 600 millions d’euros, les pertes supplémentaires des hôpitaux publics d’un milliard et surtout la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/aide-a-l-ukraine-zelensky-et-scholz-signent-un-pacte-de-securite-historique-20240216">nouvelle aide à l’Ukraine</a> annoncée à l’Élysée le 16 février de 3 milliards. Dans ces conditions on voit mal comment le gouvernement pourrait tenir son objectif d’un déficit de 4,4 % en 2024, un record partagé uniquement avec l’Italie dans la zone euro.</p>
<p>Quant à la dette publique, elle ne diminuerait plus et se stabiliserait autour de 111 % du PIB, soit très au-delà du seuil de 90 % qui correspond grosso modo à la moyenne de l’eurozone.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Comparaison de l’évolution des ratios de dette publique de la France, de la zone euro et de l’Allemagne (en points de PIB).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rapport de l’Assemblée nationale sur le Projet de loi de finances 2024</span></span>
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<p>On comprend dès lors les inquiétudes de Bercy quant à une prochaine dégradation de la note de la France. Si Standard and Poor’s avait maintenu sa note AA en décembre 2023 tout en la plaçant sous perspective négative, les 3 grandes agences doivent <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/03/le-maintien-par-standard-poor-s-de-la-note-de-la-france-un-satisfecit-a-la-portee-limitee-pour-le-gouvernement_6175991_823448.html">rendre un nouveau verdict avant les élections européennes</a>.</p>
<h2>Des trajectoires budgétaires individualisées</h2>
<p>Adopté à Amsterdam le 17 juin 1997 en prévision de l’avènement de l’euro en 1999, le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/21801-quest-ce-que-le-pacte-de-stabilite-et-de-croissance-psc">Pacte de stabilité et de croissance</a> imposait à tous les États membres de l’Union européenne (UE) de coordonner leur politique budgétaire en limitant leur déficit public à 3 % du PIB et leur dette publique à 60 % afin d’assurer leur solvabilité.</p>
<p>La violence de la crise économique générée par la pandémie de Covid-19, bien supérieure à celle de 2008, a contraint pour la première fois la Commission européenne à activer en mars 2020 une clause dérogatoire permettant de suspendre jusqu’au 31 décembre 2023 le Pacte en invoquant des circonstances exceptionnelles. Ce fut l’occasion d’un aggiornamento qui a abouti le 10 février 2024 à un accord entre le Parlement européen et les États membres pour le réformer.</p>
<p>Ce nouveau cadre de gouvernance doit entrer en vigueur le 1<sup>er</sup> janvier 2025 après validation définitive par le parlement européen au printemps. Fruit de laborieuses négociations, il reste complexe mais introduit une approche différenciée propre à chaque État pour assurer une trajectoire de soutenabilité de la dette plus souple sans entraver la croissance et fondée sur l’évolution d’un nouvel indicateur clé : les dépenses nettes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1756207740500791661"}"></div></p>
<p>Ainsi, les États membres dont le déficit public dépasse les 3 % disposeront d’une période d’ajustement de quatre ans pour ramener leurs comptes publics sur une trajectoire budgétaire jugée « soutenable », cette période pouvant s’étendre jusqu’à sept ans s’ils adoptent des réformes ou effectuent des investissements stimulant la croissance dans les <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/economic-governance-framework/reform/">transitions vertes, le numérique ou la défense</a>. Le déficit structurel reste un indicateur clé et devra diminuer de 0,5 % par an (avec une flexibilité de 2025 à 2027 pour tenir compte de la récente hausse du coût de la dette liée à l’augmentation des taux d’intérêt).</p>
<p>Une fois les déficits sous contrôle, les pays dont l’endettement dépasse 90 % du PIB devront le diminuer non plus de 5 % de l’écart entre celui-ci et le seuil de Maastricht de 60 % (soit pour la France dont la dette est de 111 % de 2,5 points de PIB par an) mais seulement d’un point de PIB chaque année. Des amendes plafonnées à 0,05 % du PIB restent théoriquement possibles mais il est très vraisemblable qu’elles ne seront pas plus exigées qu’auparavant…</p>
<h2>Quelles réformes envisageables ?</h2>
<p>Les marges de manœuvre budgétaires du président de la République, Emmanuel Macron, étaient déjà <a href="https://theconversation.com/les-marges-de-manoeuvre-budgetaires-particulierement-limitees-du-second-quinquennat-macron-181871">particulièrement faibles au début de son second mandat</a> : elles le sont encore plus aujourd’hui. Avec le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de l’OCDE à 46,1 % du PIB, <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/taxation/statistiques-des-recettes-publiques_25227092">pour une moyenne de 34 %</a>, et face <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/documents/68299">au refus de 75 % des Français d’augmenter les impôts</a>, on voit mal le gouvernement s’engager dans cette voie qui accentuerait en outre le ralentissement économique.</p>
<p>Cette stratégie serait d’ailleurs en contradiction avec le principal objectif de la politique économique menée depuis sept ans, qui consiste à augmenter le taux d’emploi actuellement de 68 % chez les 15-64 ans pour l’amener au niveau de nos voisins européens, entre 75 et 80 %. En effet, à taux d’imposition constant, un tel niveau d’emploi comblerait la totalité du déficit via les recettes supplémentaires d’impôts et de cotisations générées.</p>
<p>Pour réduire le déficit et la dette, il faut donc que les dépenses publiques progressent en volume bien moins rapidement que le PIB sur plusieurs années, stratégie singulièrement compliquée par quatre types de dépenses publiques en augmentation contrainte à moyen terme. Au premier rang de ces dépenses, on trouve la charge de la dette avec la fin de l’argent gratuit (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la nouvelle version du pacte prévoit d’exclure leur progression de celle des dépenses jusqu’en 2027).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=311&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=311&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=311&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=391&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=391&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=391&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Charge de la dette et de la trésorerie de l’État (en milliards d’euros). Note : En charge budgétaire, retracée par les programmes 117 « Charge de la dette et de la trésorerie de l’État » et 355 « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rapport de l’Assemblée nationale sur le Projet de loi de finances 2024</span></span>
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<p>Viennent ensuite deux domaines prioritaires qui concernent tous les pays européens : la transition écologique, qui nécessiterait des investissements de l’ordre de <a href="https://theconversation.com/ue-les-regles-budgetaires-sont-elles-compatibles-avec-les-objectifs-du-pacte-vert-222546">2,3 % du PIB chaque année</a> et les dépenses militaires qui doivent atteindre <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/la-loi-de-programmation-militaire-quest-ce-que-cest">2 % du PIB dès 2025</a> pour tenir compte du nouveau contexte géopolitique (dépenses déjà validées par <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/la-loi-de-programmation-militaire-definitivement-adoptee-par-le-parlement">la loi de programmation militaire pluriannuelle adoptée en 2023</a>). Enfin, le vieillissement démographique accroît tout à la fois les dépenses de santé et de retraite alors même que la récente réforme majoritairement rejetée par les actifs <a href="https://theconversation.com/la-reforme-des-retraites-un-court-repit-pour-les-finances-publiques-204384">ne suffira pas à répondre aux besoins</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reforme-des-retraites-un-court-repit-pour-les-finances-publiques-204384">La réforme des retraites, un court répit pour les finances publiques</a>
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<p>Lorsque l’on compare les dépenses publiques en France (58 % du PIB) au sein de l’Union européenne (50 %) on constate que celles de l’État et des collectivités locales atteignent 25 % du PIB soit seulement 2 points de plus que la moyenne : il est dès lors hautement improbable de pouvoir les réduire significativement au vu des contraintes relevées supra et de l’échec des tentatives de réformes de l’État des dernières années.</p>
<p>C’est donc bien sur les dépenses de protection sociale, qui sont de 33 % du PIB contre 27 % dans l’UE, que se fera l’ajustement. Outre les aides sociales, il faudra remédier au déficit chronique de la branche maladie de 0,5 % de PIB. Quant aux retraites qui pèse 14 % du PIB si celles du secteur privé sont très largement assurées par les cotisations des actifs, les subventions d’équilibre que verse directement le budget aux retraités de l’État, ou à <a href="https://theconversation.com/regimes-speciaux-quel-cout-pour-letat-128826">ceux des régimes spéciaux</a>, pèsent au moins 1,5 % du PIB.</p>
<p>En l’absence de maîtrise des dépenses publiques, ce seront les agences de notation et surtout les marchés obligataires plus sûrement que la Commission européenne qui rappelleront la nécessité d’un ajustement brutal et beaucoup plus douloureux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé, le 18 février, un plan d’économies de 10 milliards d’euros. Or, les marges de manœuvre budgétaires apparaissent particulièrement limitées.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196282023-12-14T19:04:56Z2023-12-14T19:04:56ZComment le Maroc veut stimuler son économie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/564816/original/file-20231211-19-cgbr0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C7%2C1155%2C891&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comme de nombreux pays ayant un revenu intermédiaire en 1960, le Maroc n’a pas encore réussi à atteindre le statut d’économie avancée.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/370336">Pxhere</a></span></figcaption></figure><p>Au cours de ces dernières années, le Maroc a été confronté à une série de chocs exogènes : épidémie de la Covid-19 en 2020, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/18/le-maroc-accable-par-une-secheresse-exceptionnelle_6114309_3212.html">sècheresse exceptionnelle en 2022</a>, ainsi qu’un séisme de magnitude 6,9 qui a frappé la province d’Al-Haouz dans le Haut Atlas, le 8 septembre 2023. Cette catastrophe naturelle a fait près de trois mille morts et a causé de nombreux dégâts matériels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-consequences-economiques-du-tremblement-de-terre-au-maroc-213824">Les conséquences économiques du tremblement de terre au Maroc</a>
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<p>Quelques semaines seulement après le séisme se sont néanmoins tenues, à Marrakech, les assemblées semi-annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Dans leur sillage, le FMI a publié un <a href="https://www.imf.org/en/Publications/Books/Issues/2023/09/22/Moroccos-Quest-for-Stronger-and-Inclusive-Growth-525734">rapport</a> mettant en évidence la stabilité macroéconomique, la résilience institutionnelle et le cadre réglementaire avancé du Maroc. L’étude montre également la remarquable capacité du royaume à attirer les investissements directs étrangers (IDE), notamment dans l’industrie manufacturière à moyenne et haute technologie (automobile, aéronautique, électronique).</p>
<h2>Un ralentissement de la croissance</h2>
<p>Ces résultats ont été obtenus grâce aux investissements significatifs consentis dans les infrastructures, dont les exemples les plus emblématiques sont le mégaport de Tanger Med, et la ligne à grande vitesse (LGV) reliant Tanger à Casablanca. C’est aussi le résultat d’une politique industrielle incarnée par le Plan d’accélération industrielle lancé en 2014. Les infrastructures routières, ferroviaires et portuaires du pays sont au même niveau de qualité que dans l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), selon l’institution basée à Washington.</p>
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<figcaption><span class="caption">Tanger Med, le mégaport qui fait peur aux Espagnols (Lareleve.ma, 2021).</span></figcaption>
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<p>Nonobstant ces acquis indéniables, auxquels on peut ajouter une <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codePays=MAR&codeStat=SP.POP.IDH.IN">hausse continue du développement humain</a> (xxx) depuis 1990, l’économie marocaine connaît un ralentissement marqué de sa croissance depuis près d’une décennie. Cette dernière est en effet passée de 5 % en moyenne entre 2000 et 2009 à 3,5 % en moyenne entre 2010 et 2019.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le ralentissement de la croissance économique au Maroc au cours des 20 dernières années.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/939061643868052130/pdf/Moroccos-Jobs-Landscape-Identifying-Constraints-to-an-Inclusive-Labor-Market.pdf">Banque mondiale</a></span>
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<p>Ce ralentissement de la croissance économique s’est accompagné d’une baisse du contenu en emploi de la croissance, pratiquement <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/939061643868052130/pdf/Moroccos-Jobs-Landscape-Identifying-Constraints-to-an-Inclusive-Labor-Market.pdf">divisée par trois</a>, ainsi que d’une hausse concomitante du chômage des jeunes et d’un <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/939061643868052130/pdf/Moroccos-Jobs-Landscape-Identifying-Constraints-to-an-Inclusive-Labor-Market.pdf">recul de la participation au travail</a>, notamment celle des jeunes femmes âgées de 20 ans et plus.</p>
<p>Comme beaucoup d’autres pays émergents, le Maroc est confronté au « <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/969991468339571076/pdf/WPS6594.pdf">piège du revenu intermédiaire</a> ». Ce concept élaboré par la Banque mondiale se fonde sur un constat empirique : seule une poignée de pays à revenu intermédiaire en 1960 ont réussi à atteindre le statut d’économie avancée en 2010. Si l’on excepte les pétromonarchies du Golfe, dont l’ascension est liée à la rente des hydrocarbures, le constat est encore plus sévère. Parmi les pays qualifiés en « première ligue économique », on trouve les bien connus « tigres et dragons » asiatiques, ainsi qu’une poignée seulement de pays situés hors d’Asie.</p>
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<p>Selon le <a href="https://csmd.ma/documents/Rapport_General.pdf">rapport</a> de la Commission spéciale modèle de développement (CSMD), le Maroc ne valorise pas suffisamment son capital humain, dans un contexte de faible transformation structurelle. Le secteur agricole emploie encore un tiers de la population active et l’emploi informel représente <a href="https://www.policycenter.ma/sites/default/files/2023-07/Rapport--L%27informelauMaroc.pdf">70 % à 80 % de l’emploi total</a>. Le rapport précité du FMI pointe également le problème des inégalités de genre, notamment dans l’accès à l’emploi, comme la cause principale du ralentissement de la croissance.</p>
<h2>La protection sociale étendue</h2>
<p>En 2020, en pleine épidémie de Covid-19, le roi Mohammed VI a annoncé un ensemble de politiques destinées à sortir du piège du revenu intermédiaire. Ce nouveau programme de réformes inclut un plan d’envergure pour généraliser la protection sociale et une réforme de l’État actionnaire, à travers la rationalisation des entreprises publiques existantes, et le lancement d’un Fonds stratégique destiné à investir dans les entreprises privées à fort potentiel de croissance.</p>
<p>Le <a href="https://www.cg.gov.ma/fr/conseils-de-gouvernement/le-chef-du-gouvernement-la-generalisation-de-la-protection-sociale-lancee">plan d’universalisation de la protection sociale</a>, votée en avril 2021, a été mis en œuvre par étape : tout d’abord à travers l’extension à tous les Marocains –, quel que soit leur statut social ou professionnel – de l’assurance maladie obligatoire (AMO) qui était réservée jusque-là aux salariés. Seconde étape : la mise en œuvre d’un programme ambitieux d’aides sociales directes ciblant 60 % des ménages non couverts par un régime de protection sociale.</p>
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<p>Ces aides comprennent une allocation de subsistance avec un plancher mensuel de 500 dirhams (Dh) par ménage bénéficiaire, ainsi que des allocations supplémentaires pour les enfants, les handicapés et les personnes âgées. Au total, l’aide peut dépasser les 1000 Dh par mois, soit près d’un tiers du salaire minimum officiel.</p>
<p>Le financement de ces aides reposera à la fois sur la rationalisation des dispositifs d’aide existants, la mobilisation de ressources fiscales supplémentaires ainsi que la décompensation progressive des prix de certains produits de base encore subventionnés comme la farine de blé tendre, le sucre et le gaz de pétrole liquéfié (GPL).</p>
<h2>Nouveau paradigme</h2>
<p>Ces mesures, assimilables à un revenu minimum, visent à fournir un soutien immédiat au pouvoir d’achat des ménages pauvres et vulnérables. Ainsi, le programme cherche à briser la mécanique de la pauvreté et de l’exclusion à travers l’investissement dans le capital humain des enfants – la perception intégrale des aides est conditionnée à la scolarisation de ces derniers – et la libération des énergies individuelles – notamment celles des femmes non qualifiées, qui pourront prétendre à des emplois plus rémunérateurs que les emplois d’aide à la personne dans lesquels elles sont souvent cantonnées.</p>
<p>Ces aides directes devraient également soutenir la croissance économique dans les localités les plus pauvres du pays – en soutenant la demande des ménages – et favoriser la résorption de l’économie informelle.</p>
<p>Dans l’ère pré-Covid, pour sortir du piège du revenu intermédiaire, de nombreux pays – Maroc compris – avaient mis en œuvre une politique centrée sur l’offre, fondée sur des mesures d’inspiration libérale comme la dérégulation des marchés. Les bouleversements induits par la pandémie ont fait émerger au Maroc un nouveau paradigme en matière de politiques publiques, mettant davantage l’accent sur la complémentarité entre l’offre et la demande, entre l’État et le marché. Ce rééquilibrage peut désormais inspirer d’autres pays en développement en Afrique et ailleurs dans le monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219628/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Kateb fait partie de l'équipe de consultants qui a conseillé le gouvernement marocain pour l'élaboration de la réforme de la protection sociale.</span></em></p>Le royaume tente de stimuler son économie en mobilisant à la fois une politique de l’offre et de la demande, symbolisée par la récente extension de la protection sociale.Alexandre Kateb, Maître de conférence en économie, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105792023-09-19T16:13:23Z2023-09-19T16:13:23ZRéforme du RSA : quels risques pour notre modèle de protection sociale ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/543476/original/file-20230818-21-bi720h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C23%2C5283%2C3495&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le projet de réforme du RSA semble puiser son inspiration dans la distinction entre « Welfare state » et « Workfare state » venue des milieux conservateurs américains des années 1980.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Plaque_square_de_l%27Aide-Sociale,_Paris_14e.jpg">Polymagou / Wikimedia commons, CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La future réforme du revenu de solidarité active (RSA) sera-t-elle celle du « travail obligatoire » comme le dénoncent certaines <a href="https://www.cgt.fr/actualites/france/interprofessionnel/legislation/rsa-conditionne-le-travail-force-version-macron">organisations syndicales</a> ? Après une première lecture au Sénat, l’Assemblée nationale étudiera à la rentrée le projet de loi plein emploi qui prévoit 15 à 20h d’activité par semaine pour les allocataires du RSA. Si cette initiative suscite des craintes de la part de plusieurs associations ou d’élu·e·s venant de la gauche, ainsi que des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/04/la-reforme-du-rsa-suscite-inquietudes-et-scepticisme_6172003_823448.html">interrogations parmi les universitaires</a>, le ministre du travail Olivier Dussopt <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion-soc/l16cion-soc2223076_compte-rendu">se veut rassurant</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Quelles sont ces quinze à vingt heures d’activité ? Ce n’est ni du travail gratuit ni du bénévolat obligatoire […] Ce sont des activités d’accompagnement, d’insertion et de remobilisation […] Ces activités peuvent être très classiques – information, ateliers de réponse à des offres d’emploi, rédaction de curriculum vitae – mais elles peuvent aussi prendre la forme de parcours personnalisés pour lever des freins, que ce soit à la mobilité, au logement ou à la garde d’enfants. »</p>
</blockquote>
<p>Pour favoriser le retour à l’emploi des <a href="https://theconversation.com/au-dela-de-la-fraude-sociale-le-non-recours-a-lallocation-pose-un-probleme-bien-plus-important-184061">bénéficiaires du RSA</a> et encourager la sortie du dispositif d’assistance, l’une des solutions proposées par l’exécutif est l’« accompagnement renforcé ». L’obtention d’un revenu est présentée <a href="https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-2012-1-page-111.htm">comme un critère d’accès</a> à la « dignité », à l’émancipation individuelle, à l’« autonomie retrouvée ». Le travail permettrait également à l’acteur de ne plus se voir attribuer le statut d’« assisté », représentation sociale stigmatisante caractéristique de la <a href="https://www.cairn.info/la-disqualification-sociale--9782130569671-page-IX.htm">disqualification sociale</a> des bénéficiaires des minimas sociaux expliquant en partie les <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-02/DD92.pdf">non-recours aux droits</a>.</p>
<p>Le dessein du gouvernement serait donc de permettre à la communauté nationale de s’<a href="https://www.lagazettedescommunes.com/877698/olivier-dussopt-sans-suivi-le-rsa-est-une-trappe-a-precarite/">« acquitter de son devoir de solidarité »</a> en créant les conditions d’activation des inactifs. Or, cette résolution publique s’inscrit dans un long processus de <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2014-2-page-11.htm">reconfiguration de l’État-providence</a> et du système de protection sociale, <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/timothee-duverger/reforme-rsa-travail-merite-salaire/00102692">faisant craindre à certains</a> le passage d’un « Welfare State » à un « Workfare State ».</p>
<h2>Le modèle français de protection sociale fragilisé</h2>
<p><a href="https://www.puf.com/content/%C3%89conomie_politique_de_la_protection_sociale">Selon Mirelle Elbaum</a>, ex-directrice de la recherche de la <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr">DREES</a>, la protection sociale</p>
<blockquote>
<p>« recouvre tous les mécanismes institutionnels, publics ou privés, prenant la forme d’un système de prévoyance collective et/ou mettant en œuvre un principe de solidarité sociale, qui couvrent les charges résultant pour les individus ou les ménages de l’existence d’un certain nombre de risques sociaux identifiés (santé, vieillesse, chômage, pauvreté…) ».</p>
</blockquote>
<p>Le sociologue Gosta Esping-Andersen distingue trois grandes catégories de systèmes de protection sociale occidentaux (« welfare regimes ») : libéral, corporatiste-conservateur et social-démocrate. Pour chacun, le degré d’interventionnisme étatique, le modèle de financement, le niveau et la qualité de couverture publique des risques varient. Dans cette typologie (<a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2007-7-page-28.htm">pouvant être sujette à débat</a>), le système français appartiendrait davantage au modèle corporatiste-conservateur. Celui-ci est né de l’institutionnalisation d’une protection sociale d’après-guerre qui répondait à un <a href="https://www.puf.com/content/La_R%C3%A9forme_des_syst%C3%A8mes_de_sant%C3%A9">triple objectif</a> : favoriser la productivité des travailleurs (santé et productivité étant liées) ; conserver leur capacité à consommer ; créer des emplois.</p>
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<p>L’inspiration du modèle français est dite <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/24113-systemes-bismarckien-et-beveridgien-detat-providence">beveridgienne</a> concernant ses objectifs (une couverture généralisée) et dite <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/24113-systemes-bismarckien-et-beveridgien-detat-providence">bismarckienne</a> pour son financement (des cotisations sociales). L’essor économique de l’après-guerre permettra de soutenir l’équilibre du système grâce au plein emploi et à l’augmentation des niveaux de vie. Néanmoins, la fin des Trente Glorieuses marque le début de la crise de l’État-providence et l’érosion de ses mécanismes protecteurs.</p>
<p>Si le sociologue Robert Castel associe cette crise à l’<a href="https://www.cairn.info/100-penseurs-de-la-societe--9782130652205-page-55.htm">« affaiblissement de la société salariale »</a>, la montée du chômage ou les évolutions sociétales – comme la mutation de la famille ou le vieillissement de la population – tendent également à fragiliser les équilibres budgétaires des comptes publics (<a href="https://www.inegalites.fr/Chomage-les-ouvriers-non-qualifies-beaucoup-plus-touches">et à accentuer les inégalités entre actifs qualifiés et moins qualifiés</a>). Les mécanismes protecteurs de la solidarité nationale s’amenuisent et le recours à des assurances individuelles est encouragé par la puissance publique, en témoigne par exemple la généralisation du complémentaire santé d’entreprise. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2017-1-page-13.htm">Cette réforme a plutôt reproduit les inégalités sociales, les populations les plus socialement vulnérables étant les moins bien couvertes</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kGDXpzfIsXc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Afin de garantir la pérennité du système, l’État a mené plusieurs aménagements pour élargir ou diversifier les ressources (la création de la Contribution sociale généralisée en 1991 par exemple), limiter les dépenses publiques (le <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/sante-la-securite-sociale-veut-baisser-ses-remboursements-de-soins-dentaires-a-partir-d-octobre-2023_5891890.html">transfert progressif de la prise en charge vers des organismes privés qui vont reporter ces coûts sur leurs assurés</a>), tout en tentant d’alléger le <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2012-3-page-263.htm">« le coût du travail »</a> qui en réduirait l’offre dans un contexte d’attractivité et de compétition internationale. En effet, si la protection sociale suscite du bien-être et favorise la prospérité, elle peut devenir un poids pour la croissance compte tenu de son financement, qui obère les finances publiques à mesure que les dépenses de la Sécurité sociale croissent. Puisque toute cette charge supplémentaire est généralement compensée par l’impôt (plus élevé ou nouveau) et/ou par une variation des cotisations (dont la tendance est à la diminution dans un contexte de concurrence mondialisée), les pouvoirs publics manœuvrent pour éviter la fuite des capitaux et maintenir une protection élevée.</p>
<p>Des débats (<a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/est-ce-que-la-france-est-championne-du-monde-des-impots-comme-le-dit-jean-lin-lacapelle_5776775.html">et des contrevérités</a>) s’ouvrent donc régulièrement sur le <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-05/CPS23MAJ0523.pdf">degré supportable ou suffisant de couverture publique</a>, le <a href="https://theconversation.com/trop-de-pognon-dans-les-aides-sociales-la-face-cachee-du-non-recours-98265">modèle de protection sociale souhaité</a>, ses modalités de financement et ses effets sur les bénéficiaires des aides. Or, depuis plusieurs décennies, la maîtrise des dépenses publiques et le contrôle de la dette sont devenus les <a href="https://theconversation.com/ce-que-le-neoliberalisme-provoque-dans-notre-democratie-207643">nouvelles boussoles de l’action publique</a>, ce qui a conduit les gouvernements à envisager des réformes du système de protection sociale.</p>
<h2>L’« activation » des dépenses sociales : symbole d’une reconfiguration de l’État-providence</h2>
<p>Le modèle de solidarité est désormais envisagé via le prisme de <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2018-1-page-62.htm?ref=doi">l’« activation » des dépenses sociales</a>, considérées comme passives car le bénéficiaire les recevrait sans contrepartie. Cette philosophie fait florès dans la classe politique – à droite généralement – mais aussi chez certains universitaires, à l’instar de l’historien Pierre Rosanvallon, qualifiant le système de solidarité d’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-nouvelle-question-sociale-repenser-l-etat-providence-pierre-rosanvallon/9782020220309">« État passif-providence »</a>. Cette doctrine induit des changements concrets, comme l’explique le sociologue <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-chomeurs--9782707148926-page-67.htm">Didier Demazière</a> :</p>
<blockquote>
<p>« De nombreuses réformes vont tenter d’adapter les systèmes de protection sociale à ces nouvelles approches économiques dominantes, notamment par des politiques de réduction du niveau de certaines prestations sociales, de privatisation de certaines assurances sociales (au profit d’assurances maladie privées et de fonds de pension) et de mises sous condition des prestations versées aux personnes sans emploi, afin de les inciter à rechercher un travail. Ce sont les politiques dites d’activation. »</p>
</blockquote>
<p>Cette « activation » des allocataires des minimas sociaux fait écho à la <a href="https://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2017-1-page-185.htm">distinction entre les « bons pauvres » méritant la solidarité et les « mauvais pauvres » en étant indignes</a>, ainsi qu’au <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-americaine-2012-2-page-69.htm">« workfare state »</a> puisant son inspiration dans les milieux conservateurs américains des années 1980.</p>
<p>Le « workfare », qui désigne des politiques publiques ayant vocation à assurer une réciprocité entre la société et le bénéficiaire d’une ressource publique, a progressivement imposé l’idée que des <a href="https://www.puf.com/content/Les_logiques_de_la_r%C3%A9ciprocit%C3%A9">droits impliquent des devoirs</a>.</p>
<p>Outre-Atlantique, cette transformation de la politique sociale s’est accompagnée d’une politique pénale répréhensive envers les anciens bénéficiaires des aides sociales. Concomitamment au fait de complexifier l’accès aux allocations, l’État a progressivement durci sa politique pénale. <a href="https://journals.openedition.org/civilisations/2249">Pour le sociologue Loïc Wacquant</a>, cela symbolise la transformation de l’État social américain en un <a href="https://agone.org/livres/punirlespauvres">« État pénal proactif »</a>. L’une des vocations de cette transformation est de « discipliner » les pauvres, de créer les conditions d’acceptation d’un système maintenu et alimenté par les logiques du marché.</p>
<p>Selon ce disciple de Pierre Bourdieu, cette nouvelle manière de traiter la pauvreté est génératrice d’une nouvelle précarité, normalise l’insécurité sociale – justifiée par le mantra de la responsabilité – et « vise non pas à soulager les pauvres mais à soulager la société des pauvres ». Si l’ambition du gouvernement n’est pas de copier le modèle américain, elle pourrait s’avérer être un pas supplémentaire vers un nouveau modèle de protection sociale, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2013-4-page-34.htm">dont les effets sur la réduction des inégalités et la diminution de la précarité ne sont pas assurés</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210579/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Docteur en sociologie, Rémi Boura est également responsable des relations parlementaires et de la recherche-action à la Fédération des acteurs de la solidarité. </span></em></p>La réforme du RSA s’inscrit dans un changement de paradigme : la logique d’« activation » des dépenses sociales, dites passives car le bénéficiaire les recevrait sans contrepartie.Rémi Boura, Docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2073372023-07-04T20:11:25Z2023-07-04T20:11:25ZMédecine : comment serons-nous soignés dans 50 ans ?<p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/Covid-19-82467">pandémie</a> n’a pas seulement modifié notre façon de penser en termes de santé, elle a aussi révélé les failles de nos systèmes de soins. Elle a soulevé des questions concernant le rôle de la technologie, ainsi que des préoccupations éthiques liées à la répartition des richesses et à son impact sur la <a href="https://theconversation.com/topics/sante-20135">santé</a> mondiale. Comment cette « prise de conscience » collective que nous avons connue « grâce » au Covid-19 influencera-t-elle les prochaines années et décennies ? Tel a été l’objet de notre récente <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0016328723000010?via%3Dihub">recherche</a> sur l’avenir de la médecine.</p>
<p>Nous avons sollicité 22 professionnels de sept pays européens, issus de divers domaines tels que la médecine, le monde universitaire et l’élaboration de politiques, et les avons questionnés sur le rythme des évolutions du secteur.</p>
<p>Leurs réponses articulent divers éléments, l’évolution des connaissances de la <a href="https://theconversation.com/topics/medecine-21223">médecine</a>, les inégalités et l’adaptation du secteur au <a href="https://theconversation.com/topics/changement-climatique-21171">dérèglement climatique</a> notamment.</p>
<p>Nous avons appliqué une technique d’analyse dite <a href="https://www.spiral.uliege.be/cms/c_5216973/fr/spiral-la-methode-delphi">« Delphi à trois tours »</a>, une méthode éprouvée qui permet de construire un consensus entre des groupes d’experts pour conduire à une meilleure compréhension d’un sujet donné. Les experts ont pu consulter les résumés de leurs pairs et ont ajusté leurs réponses sur la base de ces informations supplémentaires.</p>
<p>Il en résulte un aperçu clair des principales tendances anticipées, et ce à différents horizons.</p>
<h2>1 à 2 ans : bêta et données</h2>
<p>Alors que nous restons dans la « bêta éternelle » (un état dans lequel les produits ou les médicaments sont testés par leur utilisation active par un large public), les ventes d’appareils électroniques intelligents portatifs continueront à augmenter grâce aux progrès des capteurs, à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">intelligence artificielle</a> (IA) et à la prolifération de la technologie 5G. Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/donnees-23709">données</a> générées par les appareils personnels seront également de plus en plus transférées vers des appareils professionnels. Cela permettra aux médecins de traiter leurs patients de manière plus globale et d’éclairer leurs prescriptions.</p>
<h2>2 à 5 ans : le privé contre-attaque, tensions liées au climat</h2>
<p>Les systèmes de santé financés par l’État étant de plus en plus soumis à des tensions considérables, les acteurs et systèmes de santé privés gagneront en importance dans de nombreuses régions du monde. On peut s’attendre à ce que ces derniers stimulent l’innovation dans le secteur privé, en s’appuyant sur des capteurs intelligents, des registres facilement accessibles, ou des technologies blockchain et des dossiers numériques individuels.</p>
<p>Nos experts s’attendent également à ce que l’impact du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/changement-climatique-21171">changement climatique</a> crée de nouveaux problèmes de santé, en particulier dans les régions les plus vulnérables du monde. Les prestataires de soins devront s’attaquer à la malnutrition et au manque d’eau potable à plus grande échelle, car le changement climatique accentuera les migrations locales et internationales.</p>
<h2>5 à 10 ans : des innovations qui entraînent des inégalités</h2>
<p>La poursuite des découvertes sur le génome humain devrait conduire à une accélération du développement de la médecine personnalisée. Les médecins pourront ainsi mieux anticiper les pathologies de leurs patients et se préparer à la probabilité que se déclenche une maladie génétique.</p>
<p>Certaines avancées notables laissent entrevoir son potentiel. Par exemple, le développement de thérapies ciblées contre le cancer, comme <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_2637981/fr/herceptin-trastuzumab-anticorps-monoclonal-traitement-du-cancer-du-sein-precoce-her2">l’utilisation du trastuzumab (Herceptin)</a> pour des patientes atteintes d’un cancer du sein HER2-positif et présentant un patrimoine génétique spécifique.</p>
<p>Un autre exemple est l’utilisation de la pharmacogénomique, l’étude de la façon dont les gènes affectent la réponse d’une personne aux médicaments. En tenant compte du profil génétique du patient, les médecins peuvent ajuster le dosage du médicament pour une efficacité maximale et des effets secondaires minimaux. La <a href="https://www.cairn.info/revue-hegel-2016-1-page-10.htm">warfarine</a>, un anticoagulant utilisé pour prévenir les crises cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et les caillots sanguins, est par exemple déjà prescrit de la sorte.</p>
<p>Les nouvelles technologies permettront également aux spécialistes de traiter avec finesse des parties très réduites du corps humain, ce qui réduira considérablement les effets secondaires et les complications liés à des traitements moins localisés. Il est en particulier attendu que l’utilisation de nanoparticules pour le microdosage en tant que moyen d’administration de médicaments personnalisés prolifère.</p>
<p>Ces remèdes très efficaces auront toutefois un prix et les soins de santé de haute technologie seront réservés à ceux qui peuvent se les offrir. À mesure qu’elles s’accroîtront, les disparités risquent d’entraîner des conflits sociaux. Cette tendance persistera à mesure que le changement climatique mondial s’accentuera.</p>
<h2>10 à 30 ans : le changement climatique au centre du jeu</h2>
<p>Le réchauffement climatique, qui pourrait selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) coûter la vie à environ <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-54746-2_1">250 000 personnes par an d’ici à 2030</a>, risque d’accentuer les inégalités d’accès aux soins de santé. En effet, différentes catastrophes (inondations, vagues de chaleur, etc.) touchent de manière disproportionnée les populations défavorisées qui n’ont pas les ressources nécessaires pour y faire face. Cela pourrait mettre à rude épreuve les infrastructures de soins de santé existantes, entraînant des disparités dans l’accès aux soins.</p>
<p>En outre, le réchauffement climatique pourrait entraîner des migrations forcées, ce qui ferait peser une charge supplémentaire sur les systèmes de santé dans les régions qui accueillent les migrants climatiques et créerait des difficultés d’accès aux soins pour ces migrants en raison de barrières sociales, économiques et linguistiques. Ces scénarios potentiels soulignent la nécessité de mettre en place des stratégies de soins de santé suffisamment solides et flexibles pour répondre à ces nouveaux défis.</p>
<p>De surcroît, les experts prévoient que, d’ici 10 à 15 ans, les avancées technologiques pourraient être moins efficaces pour répondre aux besoins des groupes de patients issus des minorités raciales et ethniques. En effet, le manque de diversité dans les essais cliniques, sujet aujourd’hui <a href="https://france-science.com/la-diversite-dans-les-essais-cliniques-un-point-dalerte-pour-une-medecine-fiable-et-equitable/">largement débattu aujourd’hui dans la recherche médicale</a>, pourrait contribuer à une moindre efficacité des médicaments sur une large population.</p>
<p>Le médicament BiDil contre l’insuffisance cardiaque en est un exemple. Ce médicament a d’abord été testé, sans succès, sur une population majoritairement blanche pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Cependant, lorsqu’il a été utilisé par la suite sur une population plus large, il s’est avéré plus efficace chez les Afro-Américains. Si bien que le BiDil est devenu, en 2005, le premier médicament « racial » <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/la-premiere-pilule-raciale-approuvee-aux-etats-unis_22791">approuvé par la Food and Drug Administration américaine</a>.</p>
<p>De même, il est de plus en plus reconnu que les différences biologiques entre les hommes et les femmes peuvent influencer les symptômes, la progression et la réponse au traitement. Par exemple, la recherche a montré que certains médicaments, comme le <a href="https://plus.lapresse.ca/screens/48d18950-1ef3-4985-8fbd-f9eeecbf5608%7CERu0cuGMYocE.html">zolpidem (utilisé pour l’insomnie)</a>, peuvent nécessiter des dosages différents pour les hommes et les femmes en raison de différences dans la façon dont le médicament est métabolisé.</p>
<p>Les experts anticipent néanmoins que cette tendance s’estompera progressivement au cours des 20 à 30 prochaines années. Ils pensent que les entreprises de soins de santé adapteront progressivement leurs traitements aux personnes ayant un statut socio-économique défavorisé et aux groupes ethniques minoritaires. Des technologies de suivi portatives plus efficaces pour ces patients feront leur apparition sur le marché, de même qu’une approche plus « prédictive » des soins de santé.</p>
<h2>30 à 50 ans : bond en avant</h2>
<p>Enfin, si l’on se projette d’ici un demi-siècle, les experts prévoient l’apparition de traitements très efficaces et même de remèdes pour des maladies telles que le VIH et l’hépatite C. Sans aucun doute, des progrès considérables ont été réalisés dans la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies, en particulier du cancer.</p>
<p>Les experts de notre étude prévoient un bond en avant significatif dans ces domaines. Ils n’envisagent pas nécessairement une guérison complète de tous les types de cancers ou une éradication des maladies, mais prévoient des progrès dans les méthodes diagnostiques et thérapeutiques qui permettront de traiter avec succès un pourcentage plus élevé de patients à un stade précoce.</p>
<p>Dans ce contexte de progrès, les experts soulignent néanmoins que la résistance aux antibiotiques reste un véritable défi à relever. Il est vrai que le développement de nouvelles molécules antibiotiques reste aujourd’hui relativement lent. Cependant, de nombreux laboratoires et instituts de recherche cherchent activement des solutions à ce problème. Nos experts attirent notre attention sur certaines initiatives qui se concentrent sur la modification des antibiotiques existants pour vaincre la résistance, quand d’autres explorent l’utilisation de bactériophages, ou encore étudient des classes d’antibiotiques entièrement nouvelles. Il existe également des programmes, comme le <a href="https://www.prnewswire.com/news-releases/carb-x-finance-la-3e-phase-du-programme-d-antibiotiques-cibles-de-debiopharm-destine-a-lutter-contre-les-infections-causees-par-la-superbacterie-n-gonorrhoeae-879991358.html">partenariat mondial CARB-X</a>, qui financent et encouragent la recherche de nouveaux antibiotiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laboratoires-pharmaceutiques-une-industrie-aujourdhui-encore-plus-reactive-que-prospective-174624">Laboratoires pharmaceutiques : une industrie, aujourd’hui encore, plus réactive que prospective</a>
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<p>Les progrès technologiques et l’accélération du rythme de vie continueront à peser sur notre santé mentale, peut-être même de plus en plus, les troubles de l’humeur devenant largement répandus. Nous pourrions également assister à une augmentation des dépressions et de certains troubles de la personnalité (tels que les troubles de l’attention et les troubles schizotypiques). Cela obligerait les patients et les médecins à recourir à des médicaments préventifs, voire à une « pilule magique », pour guérir les troubles mentaux.</p>
<p>En outre, le problème des maladies métaboliques chroniques telles que les affections cardiovasculaires, le diabète et l’obésité devrait encore s’aggraver. Les facteurs qui y contribuent sont notamment la prévalence croissante des modes de vie sédentaires, les régimes alimentaires malsains et le vieillissement de la population.</p>
<p>De nouvelles recherches commencent d’ailleurs à révéler les <a href="https://www.frm.org/upload/publications/recherche-et-sante/2022/rs-171.pdf">liens entre ces maladies et l’exposition continue aux polluants environnementaux</a>. Notre environnement est de plus en plus saturé de substances nocives, notamment de polluants de l’air et de l’eau, de pesticides et de déchets dangereux. Ces polluants peuvent interférer avec les processus métaboliques de notre organisme, provoquant une inflammation et un stress oxydatif, ce qui peut entraîner des maladies métaboliques.</p>
<p>Ainsi, l’incidence du cancer du pancréas a augmenté fortement ses dernières années. Les chercheurs attribuent cette situation non seulement à des facteurs liés au mode de vie, tels que le tabagisme, l’obésité et une mauvaise alimentation, mais aussi à l’exposition à long terme à certains polluants environnementaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1628272738337972225"}"></div></p>
<p>C’est pourquoi la compréhension et la prise en compte de ces liens entre santé et environnement deviennent cruciales pour l’avenir des soins de santé.</p>
<h2>Le défi du vieillissement</h2>
<p>Enfin, le vieillissement de la population représente un autre défi important qui aura un impact considérable sur les systèmes de santé, et pas seulement sur les systèmes occidentaux. La prévalence des maladies liées à l’âge, telles que les troubles neurodégénératifs, l’ostéoporose et certains types de cancers, devrait s’accroître.</p>
<p>Cette évolution va non seulement faire peser une charge considérable sur les services de santé, mais aussi nécessiter des changements importants dans la manière dont les soins de santé sont dispensés. L’accent devra ainsi être mis sur les mesures préventives, le dépistage précoce et la gestion des maladies chroniques, ainsi que sur des environnements et des services de soins de santé adaptés aux personnes âgées.</p>
<p>En résumé, au fur et à mesure que nous avançons dans le temps, nous imaginons un progrès dans l’utilisation de la technologie. Alors que certains d’entre nous se verront offrir les moyens de prolonger leur longévité et d’améliorer leur qualité de vie, d’autres pourraient cependant souffrir d’inconvénients sanitaires importants, résultant notamment du changement climatique.</p>
<p>Les médecins généralistes auront une vue transversale sur l’état de santé global d’un patient, tandis que les spécialistes seront en mesure de fournir des traitements plus ciblés. Les soins personnels deviendront ainsi un sujet encore plus brûlant, car le choix du mode de vie sera le reflet des ressources financières et du statut social d’une personne. Cela permettra à une industrie commerciale de prospérer sur les défis de la vie moderne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207337/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Changement climatique, inégalités, évolution des connaissances… Des experts ont été sondés et un consensus se dégage quant à ce qu’il faut attendre des effets de ces éléments dans le domaine médical.René Rohrbeck, Professor of Strategy, Director EDHEC Chair for Foresight, Innovation and Transformation, EDHEC Business SchoolAhmed Khwaja, Professor of Marketing, Business & Public Enterprise, Head of the Marketing Subject Group, Cambridge Judge Business SchoolHeikki Karjaluoto, Professor of Marketing, University of JyväskyläIgnat Kulkov, Postdoctoral researcher, EDHEC Business SchoolJoel Mero, Assistant professor of marketing, University of JyväskyläJulia Kulkova, Adjunct professor, University of TurkuShasha Lu, Associate Professor in Marketing, Cambridge Judge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2064312023-06-01T16:17:40Z2023-06-01T16:17:40ZTuberculose en France : la bataille n’est pas gagnée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528566/original/file-20230526-17-gi3asw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1047%2C787&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La tuberculose reste présente en France (poumons atteints, avec détail de la bactérie Mycobactrieum tuberculosis)</span> <span class="attribution"><span class="source">NIAID, Images courtesy of Clifton Barry/ Laboratory of Clinical Immunology & Microbiology</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Elle s’est appelée « phtisie », « consomption » ou « peste blanche », on parle aujourd’hui de tuberculose. Cette maladie infectieuse, causée par la bactérie <em>Mycobacterium tuberculosis</em>, nous accompagne depuis des millénaires.</p>
<p>Particulièrement contagieuse, elle fut le fléau des sociétés industrialisées occidentales au XIX<sup>e</sup> siècle et durant la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle. À la Belle Époque, on estimait ainsi qu’elle était responsable du décès de près de 150 000 personnes chaque année en France avec près de 9 millions de décès au cours du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Si elle a causé des ravages, on l’associe désormais au passé. C’est une erreur : on meurt toujours de tuberculose, y compris en France. Et, au niveau mondial, elle a récemment <a href="https://www.who.int/fr/news/item/27-10-2022-tuberculosis-deaths-and-disease-increase-during-the-Covid-19-pandemic">progressé pour la première fois depuis vingt ans</a> indiquait l’OMS en 2021. Comment expliquer ce retour ?</p>
<p>Revenons un instant à ce qui avait permis son recul…</p>
<p>L’identification de son agent pathogène par le médecin allemand Robert Koch en 1882 (d’où son surnom de « bacille de Koch », un bacille étant une bactérie de forme allongée) fut une première étape décisive puisqu’elle allait ouvrir la voie à des moyens de lutte efficace. L’amélioration des conditions de vie et d’hygiène, puis le développement de la vaccination (le fameux BCG, pour Bacille de Calmette et Guérin) avec pour finir la mise en place de l’antibiothérapie ont considérablement changé le pronostic de la maladie. Elle allait ainsi refluer dans les pays industrialisés tout au long du XX<sup>e</sup> s.</p>
<p>Refluer mais pas disparaître : la tuberculose reste une menace, et un fléau à l’échelle mondial. Selon l’OMS, en 2021, près de <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/tuberculosis">1,6 million de personnes en sont mortes</a> et elle est la deuxième cause de mortalité par maladie infectieuse, derrière le Covid-19 (et avant le Sida), et la treizième toutes causes confondues.</p>
<p>L’objectif de l’OMS de l’éradiquer d’ici 2030 se heurte à de nombreuses difficultés, dont celles croissantes de la <a href="https://theconversation.com/resistance-aux-antibiotiques-comment-lutter-contre-la-pandemie-silencieuse-168008">résistance aux antibiotiques</a> et la persistance des inégalités socio-économiques sur lesquelles elle prospère.</p>
<h2>Tuberculose en France : les chiffres</h2>
<p>La tuberculose est une des 36 maladies à <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/tuberculose/notre-action/#tabs">déclaration obligatoire auprès de Santé publique France</a>.</p>
<p>Ce suivi a permis de constater que, sur 20 ans, son incidence (nombre de cas apparus sur une année) est en recul avec <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2021/tuberculose-en-france-les-chiffres-2020">6,4 cas pour 100 000 habitants en 2021 contre 11 en 2000 – soit environ 4300 cas contre 4600 20 ans plus tôt</a>. Le nombre de cas de tuberculoses multirésistantes (MDR) a également diminué : 43 cas en 2021 contre 67 en 2020 (environ 1 % des cas).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/528563/original/file-20230526-27-5faty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La baisse générale est régulièrement interrompue par des ressauts ; à noter également que la répartition de la tuberculose n’est pas homogène sur le territoire" src="https://images.theconversation.com/files/528563/original/file-20230526-27-5faty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528563/original/file-20230526-27-5faty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528563/original/file-20230526-27-5faty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528563/original/file-20230526-27-5faty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528563/original/file-20230526-27-5faty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528563/original/file-20230526-27-5faty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528563/original/file-20230526-27-5faty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nombre total de cas et taux de déclaration de tuberculose en France entre 2000 et 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Santé publique France ; DO tuberculose ; données de population : ELP, Insee</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce qui n’empêche pas les ressauts comme en 2007-2008 et en 2017-2019… Quant à la baisse en cours, elle découle en partie des mesures de confinement et de port du masque de la pandémie Covid-19, mais aussi d’une possible baisse des diagnostics du fait d’un accès aux soins limité.</p>
<p>Si le territoire Français est considéré comme une zone de faible incidence par l’OMS de façon générale, on constate de fortes disparités selon les régions avec les outre-mer et l’Île-de-France en principaux épicentres :</p>
<ul>
<li><p>Mayotte compte 12,0 cas pour 100 000 habitants ;</p></li>
<li><p>L’Île-de-France, 13,2 cas pour 100 000 habitants (38 % des cas). La Seine-Saint-Denis est le département de Métropole le plus affecté avec 24,3 cas pour 100 000 habitants ;</p></li>
<li><p>La Guyane, 25,5 cas pour 100 000 habitants.</p></li>
</ul>
<p>Trois catégories de personnes sont particulièrement affectées : les personnes sans domicile (68 cas pour 100 000 habitants), celles détenues (44/100 000 habitants) et celles nées hors de France (32/100 000 habitants) – principalement les jeunes (25-39 ans) nés dans un pays à forte endémie.</p>
<p>Par ailleurs, il est à noter qu’être immunodéprimé (en raison du VIH, d’une transplantation d’organes, de biothérapies…) est un facteur majeur de développement de la maladie.</p>
<h2>En Europe, une situation contrastée</h2>
<p>Europe de l’Ouest et de l’Est sont dans des situations sanitaires très différentes.</p>
<p>À l’Ouest, la prévalence (nombre de cas à un moment donné) de la tuberculose est faible, et l’incidence de nouveaux cas inférieure à 10 pour 100 000 habitants. Dans l’Union européenne, <a href="https://www.ecdc.europa.eu/en/publications-data/tuberculosis-surveillance-and-monitoring-europe-2022-2020-data">l’ECDC (<em>European Control disease center</em>)</a> l’évaluait ainsi à 7,3 cas pour 100 000 habitants en 2020 – soit environ 33 000 nouveaux cas.</p>
<p>Dans l’ancien bloc soviétique, prévalence et incidence sont de modérées à fortes. La Fédération de Russie présentait, en 2020, un taux d’incidence de 58,2 pour 100 000 habitants.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/528314/original/file-20230525-19-y3f8rb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="L’ex-bloc de l’Est a des chiffres supérieurs à 20 ; l’UE se situe plutôt autour de 10" src="https://images.theconversation.com/files/528314/original/file-20230525-19-y3f8rb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528314/original/file-20230525-19-y3f8rb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528314/original/file-20230525-19-y3f8rb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528314/original/file-20230525-19-y3f8rb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528314/original/file-20230525-19-y3f8rb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528314/original/file-20230525-19-y3f8rb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528314/original/file-20230525-19-y3f8rb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte des taux d’incidence (nb de cas/100 000 habitants/an) de la tuberculose en Europe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Données : European Surveillance System (TESSy) et WHO Global TB data-collection system</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’OMS estimait en 2021 à plus de 21 000 le nombre de décès dus à la tuberculose en Europe (2,3 décès pour 100 000 personnes), dont environ 3 800 dans l’UE (0,8 décès pour 100 000). Une augmentation, la première en plus de vingt ans comme indiqué plus haut, qui s’explique notamment par un retard ou une absence de diagnostic à la suite de perturbations des services de lutte contre la maladie.</p>
<h2>Une maladie aux multiples visages</h2>
<p>La transmission se fait par voie aérienne, via des gouttelettes chargées de bactéries projetées par un malade ; elle est favorisée par la toux et l’expectoration. Seules les formes pulmonaires (et les exceptionnelles formes laryngées) sont donc contagieuses.</p>
<p>Le bacille gagne les poumons de son nouvel hôte, où il va entraîner une réponse inflammatoire. Les cellules immunitaires impliquées (des macrophages) peuvent se retrouver infectées et, en se déplaçant ensuite dans le corps via le système lymphatique, transporter la bactérie dans des ganglions. Le malade est au stade dit de <strong>« primo-infection tuberculeuse »</strong>.</p>
<p>Dans 90 % des cas, cette primo-infection sera pas ou peu symptomatique. S’installe une <strong>« infection tuberculeuse latente »</strong> (ITL). Si, dans 90 % des cas l’évolution est favorable (hors immunodépression et très jeunes enfants, plus vulnérables), des formes avec symptômes peuvent se développer :</p>
<ul>
<li><p><strong>Tuberculose pulmonaire commune</strong> : Elle se caractérise par des signes respiratoires (gênes, douleurs thoraciques, toux prolongée parfois sanglante…) et parfois amaigrissement, fatigue, fièvre, sueurs nocturnes, etc. Plus fréquente lorsque la maladie est active, l’hémoptysie (cracher du sang venant des bronches) survient dans 5 à 15 % des cas dans les pays industrialisés mais est plus fréquente dans les pays à forte endémie.</p></li>
<li><p><strong>Formes extra-pulmonaires</strong> : Elles représentent 25 % des cas en France, et peuvent apparaître secondairement. La forme la plus fréquente est la <strong>tuberculose ganglionnaire</strong>, caractérisée par des ganglions enflés et enflammés. La <strong>tuberculose osseuse</strong> est également répandue (avec formation d’abcès au niveau des vertèbres ou autres articulations) comme l’atteinte hépatique (rarement symptomatique). D’autres formes, moins fréquentes, existent : des pleurésies, péricardites et méningites tuberculeuses ainsi que les rares tuberculoses laryngées, urogénitale (risque de stérilité), digestive et surrénalienne. En cas d’immunodépression sous-jacente, elle peut toucher de multiples organes.</p></li>
<li><p><strong>Tuberculose du sujet âgé</strong> : La prévalence dans la population âgée est importante. Les signes cliniques sont aspécifiques et souvent peu bruyants, entraînant parfois un retard diagnostique et thérapeutique.</p></li>
</ul>
<h2>Quelle prise en charge thérapeutique en France ?</h2>
<p>Bien codifiée en France, la prise en charge de la tuberculose est assurée à 100 % par la Sécurité sociale (via les Affections de longue durée, ALD, ou l’Aide médicale d’État, AME). Cela permet une <a href="https://theconversation.com/maladies-chroniques-pourquoi-est-ce-si-difficile-de-suivre-un-traitement-sur-le-long-terme-201994">bonne observance des traitements, particulièrement longs</a> : deux mois de prise de quatre molécules antibiotiques, puis quatre mois avec deux antibiotiques (Recommandations OMS 2018) à l’exception des tuberculoses neuroméningées, qui exigent 9 à 12 mois de traitement.</p>
<p>Les deux principaux antituberculeux, la <a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/3e_bat_rifadine.pdf">rifampicine</a> et l’<a href="https://www.vidal.fr/medicaments/substances/isoniazide-1913.html">isoniazide</a>, sont utilisés sur les six mois ; s’y ajoutent au début <a href="https://www.vidal.fr/medicaments/substances/pyrazinamide-2974.html">pyrazinamide</a> et <a href="https://www.vidal.fr/medicaments/substances/ethambutol-15563.html">éthambutol</a>. Dans les formes respiratoires, les patients sont isolés pendant au moins deux semaines après initiation du traitement.</p>
<p>Cette association permet une guérison dans plus de 85 % des cas. Un bon résultat dû à l’adhésion des patients, obtenu grâce au suivi des effets secondaires et des adaptations de posologies qui en découlent. Aux États-Unis, le <a href="https://academic.oup.com/cid/article/63/7/e147/2196792?login=false">taux de succès est de l’ordre 66 %</a> du fait des difficultés à financer les traitements (permettant l’observance) et au manque de suivi (clinique, biologique et des effets secondaires) dans les populations les plus touchées.</p>
<p>La lutte contre la tuberculose passe par les <a href="https://splf.fr/clat/">Centre de lutte anti-tuberculose (CLAT)</a> qui maillent le territoire. Ils organisent et coordonnent le dépistage des cas, leur suivi et la recherche des cas contacts.</p>
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<h2>Résistance, co-infection : les principales menaces</h2>
<p>Même si des progrès majeurs ont été accomplis depuis un siècle, le reflux de la tuberculose n’est pas global. Il s’observe principalement dans les pays offrant une bonne protection sociale et sanitaire. L’Europe de l’Ouest, par ses acquis sociaux et un meilleur accès à des structures de santé performantes, est à la pointe. Les mesures de protection sociale ont fait leurs preuves en aidant à casser les chaînes de contamination et à diminuer la morbi-mortalité.</p>
<p>Malheureusement, la tuberculose reste endémique dans bien des régions du globe. Les raisons sont multiples et complexes : manque de financement des offres de soins et dans la formation des personnel, difficultés dans le diagnostic, l’accès et le suivi du traitement (coût, effets secondaires), etc.</p>
<p>Or les arrêts de traitements prématurés présentent un double risque : pour le malade, et d’émergence de souches résistantes. On parle de tuberculose multi-résistante (MDR en anglais) lorsque rifampicine et isoniazide deviennent moins efficaces. Lorsque la résistance se développe également contre les médicaments de deuxième intention les plus efficaces (fluoroquinolones, aminosides, etc.), la tuberculose est dite « extrêmement résistante » (XDR en anglais).</p>
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<img alt="Point sur les traitements encore efficaces et inefficaces contre la tuberculose" src="https://images.theconversation.com/files/528580/original/file-20230526-15-hhj43i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528580/original/file-20230526-15-hhj43i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528580/original/file-20230526-15-hhj43i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528580/original/file-20230526-15-hhj43i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528580/original/file-20230526-15-hhj43i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528580/original/file-20230526-15-hhj43i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528580/original/file-20230526-15-hhj43i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La bactérie responsable de la tuberculose est de plus en plus résistante aux traitements. On parle de formes multirésistantes quand les deux principaux antibiotiques, rifampicine et isoniazide, deviennent inefficaces. Il faut alors se reporter sur les autres molécules.</span>
<span class="attribution"><span class="source">NIAID</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>La tuberculose multirésistante est une des principales menaces en termes de santé publique et la sécurité sanitaire au niveau mondial.</p>
<p>Selon l’OMS, en 2021, seul un tiers des patients diagnostiqués avec une tuberculose MDR ont eu accès à un traitement. Plusieurs pistes ont été explorées afin d’améliorer la prise en charge : tests de dépistage de résistance rapide, traitement plus court ou simplifié afin d’améliorer l’observance, etc.</p>
<p>Mais la persistance de la maladie et la progression des formes résistantes sont également associées à une autre pathologie infectieuse majeure : le Sida (Syndrome de l’immunodéficience acquise), causé par le Virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Les sujets touchés ont en moyenne 16 fois plus de risque de développer une tuberculose (OMS 2021), qui est la première cause de décès parmi les personnes vivant avec le VIH (environ 187 000 personnes en 2021). L’Afrique et les pays de l’ancienne URSS sont les plus concernés du fait d’un manque d’accès aux soins et d’une stigmatisation de ces populations.</p>
<p>Des solutions existent, par l’amélioration des diagnostics et des traitements. Mais il ne faut pas oublier la base du problème : la tuberculose est un révélateur de l’état de nos sociétés. Avec les autres maladies infectieuses, elles mettent en exergue nos failles et nos faiblesses. Inégalités socio-économiques, accès aux soins et exclusion font leur lit. Aucune politique d’éradication ne pourra faire l’économie de cette réflexion, y compris dans une Europe occidentale parfois tentée par des solutions démagogiques en ces temps d’incertitudes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simon Bessis est membre de SPILF, socitété de pathologie infectieuse en langue Française.
Simon Bessis à reçu une bourse de thèse de la Fondation pour la Recherche Médicale</span></em></p>La tuberculose sonne comme une maladie du passé. On en meurt pourtant toujours en France… Quels sont les territoires les plus touchés, et comment cette menace est-elle traitée aujourd’hui ?Simon Bessis, Médecin infectiologue et chercheur au Centre international de recherche en infectiologie (CIRI) - ENS de Lyon, Institut PasteurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2018272023-04-04T17:35:42Z2023-04-04T17:35:42ZLe « vieillir chez soi », une alternative aux Ehpad ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515235/original/file-20230314-3245-hqredc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C7%2C1226%2C750&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une grande majorité des personnes âgées de plus de 65 ans déclarent ne pas souhaiter être prises en charge en établissement si elles devenaient dépendantes. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Elderly_Woman,_B%26W_image_by_Chalmers_Butterfield.jpg">Wikimedia commons</a></span></figcaption></figure><p>En France, on compte entre 1,3 et 3,9 millions de personnes âgées en perte d’autonomie, qui correspond à l’impossibilité totale ou partielle de réaliser seul un ensemble d’activités du quotidien. De nos jours, la probabilité d’atteindre un âge élevé est bien plus importante que par le passé. Il faut donc s’attendre à une forte <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4196949">croissance de la population âgée en perte d’autonomie</a>.</p>
<p>La publication début 2022 du livre-enquête <em>Les fossoyeurs</em>, le <a href="https://theconversation.com/grand-age-et-dependance-un-an-apres-l-affaire-orpea-ou-en-est-on-199431">scandale Orpea</a> ainsi que les vagues de l’épidémie de Covid-19 ont fait surgir sur la scène publique la question de la qualité de vie des personnes âgées en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/Ehpad-52036">Ehpad</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/grand-age-et-dependance-un-an-apres-l-affaire-orpea-ou-en-est-on-199431">Grand âge et dépendance : un an après l’« affaire Orpea », où en est-on ?</a>
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<p>Pour respecter à la fois le souhait de la majorité des personnes âgées de « vieillir chez soi » et éviter ces situations catastrophiques en Ehpad, les politiques publiques ont pris un <a href="https://www.fondation-mederic-alzheimer.org/plfss-2022-le-gouvernement-accelere-le-virage-domiciliaire">« virage domiciliaire »</a>, visant à favoriser la prise en charge à domicile et la désinstitutionnalisation du grand âge.</p>
<h2>Une solution pas toujours idéale</h2>
<p>Cette idée que l’Ehpad doit être évité repose sur plusieurs éléments. D’abord, l’idée que les gens ne veulent pas aller vivre en établissement. Selon le <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/ER1148.pdf">baromètre</a> de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 60 % des personnes âgées de 65 ans ou plus n’envisagent pas d’être prises en charge en établissement si elles devenaient dépendantes.</p>
<p>Une prise en charge à domicile n’est pourtant pas toujours la solution idéale, et cela pour plusieurs raisons. D’abord parce que la réticence des personnes âgées ne concerne pas seulement la prise en charge en établissement mais aussi l’intervention de professionnels à leur domicile. Des <a href="https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2019-3-page-47.htm">travaux</a> indiquent que la temporalité des interventions peut contribuer à limiter l’adhésion à une aide pourtant essentielle lorsque l’autonomie se dégrade.</p>
<p>Deuxièmement, parce que les personnes sollicitent fréquemment leur entourage, lui aussi indispensable à une prise en charge à domicile. Les travaux de la Drees montrent que, pour rester à domicile lorsqu’on est dépendant, la <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/er1103.pdf">présence de l’entourage est incontournable</a> et son implication conséquente. Or, il apparaît que, dans les années à venir, davantage d’hommes vont vieillir sans conjointe ni enfant, et auront donc un <a href="https://www.ipp.eu/publication/vieillir-a-domicile-disparites-territoriales-enjeux-et-perspectives/">nombre d’aidants potentiels beaucoup plus réduit</a>.</p>
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<p>Comment feront ces personnes si elles souhaitent rester à leur domicile ? Les seniors les plus isolés socialement et fragiles économiquement <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/les-dossiers-de-la-drees/qui-vit-domicile-qui-vit-en-etablissement-parmi-les-personnes">qui se tournent aujourd’hui vers les Ehpad</a> pourront-ils trouver à domicile le soutien nécessaire ? Enfin, il faut souvent procéder à des travaux dans son logement, réorganiser les pièces pour éviter les chutes et l’aggravation de l’état de santé. Or, on se rend compte que les personnes ont plutôt tendance à s’adapter à leur logement <a href="https://www.cairn.info/revue-retraite-et-societe-2017-3-page-15.htm">plutôt qu’adapter leur logement</a> à leur état de santé.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/515246/original/file-20230314-3582-p4a85s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Flickr" src="https://images.theconversation.com/files/515246/original/file-20230314-3582-p4a85s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/515246/original/file-20230314-3582-p4a85s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/515246/original/file-20230314-3582-p4a85s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/515246/original/file-20230314-3582-p4a85s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/515246/original/file-20230314-3582-p4a85s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/515246/original/file-20230314-3582-p4a85s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/515246/original/file-20230314-3582-p4a85s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans le cadre d’une prise en charge à domicile, l’entourage reste incontournable.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Le deuxième chiffre avancé est que le coût en établissement est plus élevé, à la fois pour les personnes et pour la dépense publique. La Direction de la sécurité sociale évalue qu’une personne dépendante paye de sa poche en moyenne <a href="https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/CCSS/2021/FICHES%20ECLAIRAGE%20SEPTEMBRE%202021/2021%20Septembre-Co%C3%BBt%20de%20la%20prise%20en%20charge%20des%20personnes%20%C3%A2g%C3%A9es%20selon%20leur%20degr%C3%A9%20d%E2%80%99autonomie%20et%20leur%20lieu%20de%20r%C3%A9sidence.pdf">50 euros par mois à domicile contre 1 025 euros par mois en établissement</a>, tandis que la dépense publique est en moyenne de 975 euros par mois à domicile contre 1 883 euros par mois en établissement.</p>
<h2>Des solutions alternatives onéreuses</h2>
<p>Mais les différences de coût domicile/établissement proviennent d’abord du fait que certains coûts à domicile ne sont pas pris en compte dans cette comparaison : c’est le cas, principalement, de l’aide de l’entourage et des aménagements du logement. C’est aussi lié au fait qu’on ne sait pas ce que serait le coût de la dépendance si les personnes les moins autonomes, plus isolées socialement, aux troubles souvent multiples, qui sont actuellement accueillies en établissement… restaient à domicile.</p>
<p>Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) estime qu’en faisant appel à des services d’aide à domicile dès qu’une personne est très sévèrement dépendante et a besoin de plus de 2,4 heures d’aide par jour, il est <a href="https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/notecoutselonlieuxdevie16.11.2021.pdf">moins coûteux pour elle de vivre en établissement</a>. 2,4 heures par jour, c’est relativement peu pour les personnes ayant besoin d’une assistance permanente, en cas de maladie d’Alzheimer par exemple.</p>
<p>Les solutions alternatives <a href="https://matieres-grises.fr/nos_publication/quand-les-babyboomers-auront-85-ans-projections-pour-une-offre-dhabitat-adapte-a-lhorizon-2030-2050/">actuellement mises en avant</a> (résidences services seniors, habitats partagés, etc.) restent pour autant peu développées, peu connues, n’apportent que peu de solutions médicales et restent souvent assez onéreuses. Par exemple, le groupe Domitys, acteur majeur du secteur des résidences services pour seniors, précise sur son <a href="https://www.domitys.fr/faq/residence-domitys/cout-vie-residence">site Internet</a> que, « pour une personne seule, habitant un deux-pièces et déjeunant au restaurant tous les midis, il faut compter 1 709 euros par mois » pour une place dans sa résidence à Poitiers. Or, 68 % des retraités ont actuellement une pension inférieure à 1 700 euros par mois.</p>
<p>Il apparaît donc essentiel d’évaluer les véritables besoins des personnes âgées afin de proposer des solutions adéquates, accessibles géographiquement et financièrement, et qui rencontreront l’adhésion des personnes concernées.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/519000/original/file-20230403-24-b0f4c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/519000/original/file-20230403-24-b0f4c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519000/original/file-20230403-24-b0f4c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=771&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519000/original/file-20230403-24-b0f4c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=771&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519000/original/file-20230403-24-b0f4c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=771&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519000/original/file-20230403-24-b0f4c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=969&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519000/original/file-20230403-24-b0f4c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=969&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519000/original/file-20230403-24-b0f4c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=969&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre du <a href="https://www.printempsdeleco.fr/programme">Printemps de l’économie 2023</a>, qui se déroule du 5 au 7 avril au Conseil économique social et environnemental à Paris et dont The Conversation France est partenaire</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201827/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un « virage domiciliaire » est actuellement prôné pour la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées. Non sans risques, si ce « virage » est pris dans de mauvaises conditions.Amélie Carrère, Economiste, Institut National d'Études Démographiques (INED)Delphine Roy, Directrice du programme "Santé et autonomie" de l'IPP, Paris School of Economics – École d'économie de ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1840612022-06-05T16:21:32Z2022-06-05T16:21:32ZAu-delà de la fraude sociale, le non-recours à l’allocation pose un problème bien plus important<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/466559/original/file-20220601-48778-h4iu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1020%2C637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le RSA constituait en 2020 un socle de revenus pour 2,1&nbsp;millions de foyers.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:RSA_2.jpg">ArnoD27/Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Un nouveau plan pour lutter contre la fraude sociale <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/29/allocations-familiales-carte-vitale-retraites-a-l-etranger-le-gouvernement-presente-un-plan-de-lutte-contre-la-fraude-sociale_6175352_823448.html">a été dévoilé lundi 29 mai</a> par Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics. Ce dernier prévoit « de doubler les redressements d’ici à 2027 » et propose notamment de fusionner la carte Vitale et carte d’identité pour mieux cibler les éventuels fraudeurs. Il y a un an déjà, le président candidat Emmanuel Macron créait la <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/les-interrogations-autour-des-15h-20h-d-activite-qu-emmanuel-macron-veut-imposer">polémique</a> en proposant de réformer les droits et devoirs des allocataires du revenu de solidarité active (RSA). </p>
<p>Le chef de l’État, réélu depuis, avait souhaité instaurer une « obligation de travailler quinze à vingt heures par semaine » afin de favoriser leur insertion professionnelle. Des mesures en cours d'expérimentations et qui créent <a href="https://www.liberation.fr/economie/reforme-du-rsa-le-gouvernement-pose-ses-conditions-20230523_JTODOYM235CQBDT5KDXOBEVDGY/">polémiques et discours contradictoires</a>.</p>
<p>Pour les uns, il est indécent d’alourdir la culpabilité des victimes de la crise. Menacées par la pauvreté, elles doivent faire face plus que toute autre au recul de leur pouvoir d’achat et il faut les soutenir par des aides automatiques et inconditionnelles. Pour les autres, l’accès à l’emploi doit être prioritaire et il importe de réformer le volet non monétaire du RSA, de renforcer l’accompagnement et aussi les contrôles…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eJgINHPmDJg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron propose une réforme du RSA avec « 15 à 20 heures » d’activité hebdomadaire (Public Sénat, 17 mars 2022).</span></figcaption>
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<p>Ce débat comporte incontestablement une dimension idéologique, voire même politicienne. Il s’agit pourtant d’un sujet important, à la fois du point de vue de la recherche et de celui des politiques publiques.</p>
<h2>Suspicion montante</h2>
<p>Comme l’a rappelé en début d’année le <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-revenu-de-solidarite-active-rsa">rapport</a> de la Cour des comptes, le nombre d’allocataires progresse de façon irrésistible d’année en année depuis la mise en place du RSA en 2009, comme le faisait déjà celui des bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI) qu’il a remplacé (voir le graphique). La crise sanitaire a ajouté à la série temporelle une bosse, aujourd’hui en voie de résorption, mais la tendance est toujours là, parallèle à celle de la progression de la durée du chômage. Si cette tendance n’est pas soutenable, ce n’est principalement pas sur un plan budgétaire.</p>
<p>Le RSA constituait en 2020 un socle de revenus pour 2,1 millions de foyers, soit plus de 4 millions de personnes avec les conjoints et les enfants à charge, pour une dépense publique annuelle de 15 milliards d’euros en ajoutant la prime d’activité et l’accompagnement, soit moins de trois quarts de point de PIB. Son montant moyen avoisine les 7000 euros par an et par ménage bénéficiaire, ce qui en fait l’une des aides publiques les moins coûteuses par rapport à son impact social.</p>
<p><iframe id="m5Oae" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/m5Oae/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En parallèle de la hausse du nombre de bénéficiaires, le regard de l’opinion publique a évolué vis-à-vis des minima sociaux. De multiples indices convergents confirment notamment la suspicion croissante envers les bénéficiaires des aides sociales.</p>
<p>Une <a href="https://www.credoc.fr/publications/prestations-sociales-et-familiales-conge-parental-aides-au-logement-aides-aux-grands-enfants-etat-de-lopinion-2018">enquête du Crédoc</a> publiée en 2018 indiquait ainsi qu’une grande majorité de Français souscrit à l’idée selon laquelle les Caisse d’allocations familiales (Caf) ne contrôlent pas suffisamment les situations des allocataires. Ils étaient plus de 80 % en 2018 à partager ce sentiment, contre 64 % vingt ans plus tôt.</p>
<p>Selon une <a href="https://www.unedic.org/publications/barometre-unedic-quel-regard-les-francais-portent-ils-sur-le-chomage-et-les-chomeurs">enquête plus récente de l’Unédic</a>, une majorité de Français estime que les demandeurs d’emploi ont des difficultés à trouver du travail car ils ne font pas de concession dans leur recherche d’emploi. De plus, pour 55 % des sondés, les chômeurs ne travaillent pas parce qu’ils risqueraient de perdre leur allocation chômage.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5EPuDoUGC4A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment les Français perçoivent le chômage et les chômeurs ? (unedictv, février 2022).</span></figcaption>
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<p>Enfin, les politistes Vincent Dubois et Marion Lieutaud ont étudié les occurrences sur la fraude sociale en exploitant un corpus de 1 108 questions parlementaires posées entre 1986 et 2017. De rares, voire inexistantes au début de la période, elles ont progressivement augmenté jusqu’à devenir une thématique à part entière du débat politique. Leur formulation révèle un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03462599">durcissement progressif des prises de position</a>, plus particulièrement à l’égard des fractions les plus démunies de l’espace social, et un affaiblissement concomitant des discours critiques à l’égard de telles tendances.</p>
<h2>La fraude reste l’exception</h2>
<p>Le contraste apparaît donc très net entre ce sentiment montant et les résultats des actions de contrôle opérées par les institutions en charge du suivi des bénéficiaires. Ces derniers montrent que les fraudes sont concentrées sur une très petite minorité de bénéficiaires et qu’elles sont surtout le fait de certains réseaux organisés. Selon la Cour des comptes, le montant cumulé des aides indues représenterait <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-09/20200908-rapport-Lutte-contre-fraudes-prestations-sociales_0.pdf">3,2 % des prestations sociales</a>. Des cas existent et ils sont largement relayés par les médias, mais ils forment toujours l’exception. S’il importe de lutter contre ces délits, le rôle de la puissance publique n’est pas d’entretenir le climat de suspicion qui prévaut à l’encontre de la très grande majorité des allocataires respectant les règles.</p>
<p>En complet contre-pied, la recherche en sciences sociales sur le RSA montre au contraire que le fait dominant est celui de la permanence et de la généralité d’un non-recours massif aux prestations sociales destinées à soutenir les ménages à bas revenus. Ainsi, une part importante des ménages ayant droits aux aides sociales n’en bénéficient pas, en réalité. Cela provient principalement d’une absence de demande de leur part.</p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2018-1-page-41.htm?contenu=resume">raisons sont multiples</a> mais font intervenir des difficultés à effectuer les démarches administratives et la stigmatisation qu’entraîne la demande de l’aide : en 2018, un <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/les-dossiers-de-la-drees/mesurer-regulierement-le-non-recours-au">tiers des foyers éligibles</a> au RSA sont ainsi en situation de non-recours chaque trimestre ; 1 foyer sur 5 est en situation de non-recours pérenne toute l’année. Le non-recours touche, par ailleurs, les populations les plus vulnérables du public ciblé comme les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/roiw.12274">personnes sans domicile fixe</a>.</p>
<h2>Des contrôles aux effets inattendus</h2>
<p>La suspicion croissante envers les allocataires a cependant conduit à une intensification de leur surveillance et à l’encadrement de leurs démarches d’insertion professionnelle et sociale. En contrepartie de leurs droits, les allocataires ont des devoirs qui se matérialisent par différentes étapes, comme la signature d’un contrat d’engagement ou d’un projet personnalisé, puis la participation à des démarches d’insertion (sociale ou professionnelle). La participation à ces démarches reste cependant elle-même faible pour des raisons qui tiennent en partie aux difficultés rencontrées par les départements pour organiser l’accompagnement de façon satisfaisante.</p>
<p>Pour augmenter la participation, certains départements ont modifié leur politique d’action sociale. Une <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2018-5-page-777.htm">expérience contrôlée</a> a ainsi été mise en œuvre en Seine-et-Marne. Celle-ci consistait à faire varier le contenu des courriers invitant les allocataires à s’inscrire dans l’accompagnement. La simplification des courriers et l’ajout d’éléments incitatifs n’a cependant pas permis d’augmenter substantiellement la participation aux démarches d’insertion.</p>
<p>Un autre département a fait le choix d’une action plus coercitive consistant à contrôler la situation de l’ensemble des allocataires et à envoyer un message d’avertissement, suivi d’une sanction sous forme de réduction de l’allocation si la situation ne change pas. Ces courriers d’avertissement ont fortement augmenté la participation aux premières étapes <a href="http://www.tepp.eu/doc/users/268/bib/dedicacefinal.pdf">du parcours d’insertion</a>. Mais ces notifications ont également accru les sorties du RSA.</p>
<p>L’étude ne permet pas d’identifier si les sorties vont vers l’emploi ou si elles correspondent à un arrêt de la perception de l’allocation par des individus toujours éligibles. Cependant, il apparaît vraisemblable que ces contrôles découragent les allocataires et accroissent leur non-recours. Une plus grande intensité de contrôle augmente les coûts supportés par les allocataires pour accéder à l’allocation, ce qui peut les conduire à renoncer à l’allocation et à leurs démarches d’insertion, soit l’exact inverse de l’objectif poursuivi.</p>
<p>L’épidémie de Covid-19 a rappelé avec force la résilience du modèle de protection sociale français, en capacité de faire face à une crise économique et sociale de très grande ampleur. La crise sanitaire a montré que les risques de perdre son emploi et de tomber dans la pauvreté concernent l’ensemble de la population et qu’il est nécessaire de disposer d’un mécanisme d’assurance et d’assistance collective. Dans le débat actuel, ce n’est pas seulement le volet monétaire qu’il faut réformer, mais plutôt la manière dont l’accompagnement se déploie et les moyens qui lui sont alloués pour mieux résorber les vulnérabilités sociales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184061/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yannick L’Horty a reçu des financements du conseil départemental de Seine-et-Marne pour certaines études citées dans cet article. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Rémi Le Gall a bénéficié d'un financement de la Délégation Interministérielle de Prévention et de Lutte contre la pauvreté pour une étude citée dans cet article. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sylvain Chareyron a reçu des financements du conseil départemental de Seine-et-Marne pour une étude citée dans cet article.</span></em></p>Un tiers des ménages éligibles renonce au revenu de solidarité active, tandis que le montant cumulé des prestations indues reste minime.Yannick L’Horty, Économiste, professeur des universités, Université Gustave EiffelRémi Le Gall, Economiste, Maître de conférences, Université de LorraineSylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1777092022-03-20T17:51:39Z2022-03-20T17:51:39ZDébat : Un salaire à vie ou un revenu universel ?<p><em>Le 27 janvier dernier, la Bibliothèque universitaire de Nanterre organisait un <a href="http://bu.parisnanterre.fr/agenda-scd/le-travail-salaire-a-vie-ou-revenu-universel-du-pareil-au-meme?id_agendaevenement=72360">débat</a> en présence de Bernard Friot, sociologue et économiste, professeur émérite à l’Université de Paris Nanterre, et Vincent Liegey, ingénieur, chercheur interdisciplinaire et spécialiste de la décroissance. Chacun y a présenté sa proposition, respectivement le Salaire à Vie et la Dotation Inconditionnelle d’Autonomie (ou une version décroissante du revenu universel).</em></p>
<hr>
<p>Le contexte de crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons ne manque pas de poser la question de la valeur travail et de sa rémunération. Elle a porté la focale sur le fait que les métiers dits « essentiels », tels que le travail de soignants, d’éboueurs, de caissières, d’aide-ménagères, étaient particulièrement mal payés. Pour quelles raisons ? Et, par ailleurs, dans un contexte de fragmentation du travail, avec le recours à l’externalisation de certains emplois, sous-traités, voire « ubérisés », ne faut-il pas aussi se pencher sur la qualité de l’emploi ? Ces questions ouvrent celle d’un véritable droit au revenu – ou droit au salaire.</p>
<p>L’idée d’une garantie de revenu fait l’objet de nombreuses propositions depuis bien longtemps. Celle-ci était déjà évoquée dans <em>L’Utopie</em> de Thomas More au XVI<sup>e</sup> siècle. On la retrouve également dans les travaux sur la justice agraire de Thomas Paine au XVIII<sup>e</sup>. Le pamphlétaire britannique interrogeait notamment le système de propriété privée dans le contexte des <em>enclosures</em> en Angleterre qui mettaient fin au partage de certains terrains. Il proposait alors l’allocation d’un revenu minimum garanti, comme compensation pour les personnes qui en seraient exclues.</p>
<p>Plus récemment, certaines expérimentations d’un revenu versé sans conditions de ressources ont vu le jour, notamment aux États-Unis et au Canada dans les années 1970, puis à travers le monde depuis une vingtaine d’années. Dans la grande majorité des cas, ces <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/peut-on-tirer-des-enseignements-de-lexperimentation-finlandaise-de-revenu-universel/">expérimentations</a> ont démontré deux éléments majeurs : d’une part, une garantie de revenu n’a pas d’impact réel en termes d’incitation à l’emploi et n’influe donc pas sur le marché du travail ; d’autre part, le véritable changement repose sur une amélioration du bien-être des individus, libérés de la contrainte économique, ce qui leur permettrait alors de se projeter plus sereinement dans l’avenir.</p>
<h2>Propositions alternatives</h2>
<p>Le débat sur un revenu universel, versé individuellement à chaque membre d’une communauté de la naissance à la mort, sans conditions, est aujourd’hui connu sous différentes appellations telles que revenu de base ou revenu d’existence. Il s’est invité sur la scène politique française à l’occasion de l’élection présidentielle de 2017, lorsque le candidat socialiste Benoît Hamon en a fait une <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/03/15/qui-beneficierait-du-revenu-universel-de-benoit-hamon_5094563_4355770.html">mesure phare de sa campagne</a>.</p>
<p>Différentes propositions de revenu universel existent aujourd’hui et se trouvent parfois diamétralement opposées sur l’échiquier politique. Elles vont des sensibilités les plus libérales, visant à « simplifier » le système de protection sociale en fusionnant le plus grand nombre d’allocations, aux versions plus « à gauche », dont les montants sont plus élevés (autour de 1 000 €). Dans le second cas, la chose serait couplée d’un revenu maximum acceptable pour lutter contre les inégalités et s’inscrirait dans une perspective post-capitaliste. La proposition de <a href="https://www.cairn.info/revue-projet-2021-6-page-78.htm">dotation inconditionnelle d’autonomie</a> émise par Vincent Liegey fait partie de ces dernières.</p>
<p>Il existe aussi en France une proposition alternative : le <a href="https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2020-1-page-243.htm">salaire à vie</a>, théorisé par Bernard Friot et porté notamment par les membres du Réseau Salariat. Il vise à rattacher le salaire à la qualification personnelle et non à l’activité. Un point de comparaison pour mieux le comprendre serait celui du statut de fonctionnaire, dont la garantie de salaire s’est révélée particulièrement efficace en temps de crise. Les fonctionnaires font certainement partie des acteurs sociaux qui ont été les mieux protégés – dont le travail n’a pas été menacé – même en temps de confinement. Le salaire à vie est aussi assimilable aux statuts des retraités ou encore des intermittents du spectacle.</p>
<h2>Assumer le tragique ?</h2>
<p>Le salaire à vie, pensé dans un projet de société communiste, se veut bien distinct du revenu universel, qualifié de « roue de secours du capitalisme ». D’après Bernard Friot, cette proposition induirait la nécessité de faire reposer la sécurité économique sur l’obtention de « deux chèques » : l’un issu du travail, et l’autre issu du revenu universel. Cela reviendrait d’une certaine manière à valider socialement certaines formes de rémunération précaires dans l’emploi, voire d’endormir les volontés de revendications collectives. Les entreprises, sachant que leurs travailleurs disposent d’un revenu garanti, se sentiraient ainsi plus libres de les exploiter.</p>
<p>D’autre part, selon lui, aucun montant, même dans les versions les plus à gauche de revenu universel, n’est suffisant (le salaire à vie s’élève au minimum à 1 500€, pouvant évoluer, selon quatre niveaux de qualification, jusqu’à 6 000€). Il critique également son <a href="https://www.ofce.fr/pdf/pbrief/2016/pbrief10.pdf">mode de financement</a> qui, même en rendant l’impôt plus progressif, resterait insuffisant. Pour lui, seule une socialisation des richesses permettrait leur juste partage.</p>
<p>La rémunération à la qualification proposée pour le salaire à vie interroge cependant Vincent Liegey : qui déciderait ? Si cela doit être collectivement, cela pourrait entraîner de violentes situations dans la prise décision. Ce à quoi répond Bernard Friot qu’il s’agirait d’un jury de qualification déterminant la hiérarchie des salaires. Et d’insister sur la nécessité d’en finir avec « l’anthropologie enchantée » d’un projet de société qui supprimerait les rapports de violence : « il faut assumer le tragique de la société ».</p>
<h2>Un outil pour un changement de société</h2>
<p>C’est alors que, depuis la question du revenu, peuvent s’interroger la gouvernance et la démocratie.</p>
<p>Le système capitaliste actuel repose sur la précarité d’une part importante de la population, de même que sur une grande partie de travail aliéné, tel que les <a href="https://laviedesidees.fr/Les-emplois-inutiles.html"><em>bullshit jobs</em></a> décrits par David Graeber. L’anthropologue américain désigne avec cette expression les emplois dont les titulaires eux-mêmes considèrent qu’ils sont inutiles, pour eux comme pour la société.</p>
<p>Il s’avèrerait alors nécessaire de réintroduire des outils de démocratie directe, vectrices d’autonomie, à l’image de la Convention Citoyenne pour le Climat, qui a produit des propositions intéressantes, même si elles ont ensuite été en grande partie refusées par le politique. Le principe de subsidiarité, qui consiste à promouvoir autant que possible la décision au niveau le plus local est également une piste intéressante, comme l’ont appliqué les <a href="https://www.cairn.info/revue-ballast-2015-2-page-164.htm">zapatistes au Chiapas</a>. Ces outils permettraient de se demander « comment changer la société sans prendre le pouvoir ? »</p>
<p>La dotation inconditionnelle d’autonomie fait, dans cette lignée, partie des outils à disposition pour amorcer un changement de société. Combinée à des alternatives telles que les monnaies locales ou la gratuité de certains services, elle permettrait de repenser ce qu’est un bien commun.</p>
<p>Changer le sens du travail, repenser le partage des richesses, amorcer un changement de société… ce débat, riche en idées et réflexions entre les deux intervenants mais aussi avec la salle – comble – de la Bibliothèque de Nanterre démontrent de l’intérêt de penser les alternatives, de les mettre en débat, sur la base de théories et modes de pensée déjà initiés, en particulier dans le contexte électoral actuel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177709/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicole Teke est membre du Collectif pour un Droit au Revenu. </span></em></p>À la différence du revenu universel, le salaire à vie rattache la rémunération non pas à l’emploi mais au niveau de qualification, un peu comme dans la fonction publique.Nicole Teke, Doctorante en sociologie à l'IDHE.S Nanterre, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1722132021-11-22T21:34:29Z2021-11-22T21:34:29ZEt si le Covid renforçait les solidarités entre travailleurs autonomes ?<p>Développer son activité au sein d’une coopérative permet de mutualiser les risques avec d’autres entrepreneurs, à la fois salariés et associés.</p>
<blockquote>
<p>« Au lieu de gérer chacun sa crise, il s’agira de faire fonctionner le collectif en choisissant l’émulation plutôt que la concurrence, le commun plutôt que la défense d’intérêts individuels, la coopération ouverte plutôt que le repli. Pour faire face au gros temps, mieux vaut un équipage soudé qu’un marin seul ».</p>
</blockquote>
<p>Tel était ce que nombre de travailleurs autonomes pouvaient lire dans une lettre d’information diffusée par une coopérative d’activités et d’emploi (CAE) à la fin du premier semestre 2020. Et si la crise sanitaire et économique avait poussé ces structures à inventer de nouveaux moyens de sécuriser les entrepreneurs individuels, qui comptent parmi les plus précaires ?</p>
<p>Face à la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4470794?sommaire=4470890">croissance du nombre de</a> ces travailleurs, les CAE proposent une forme d’emploi hybride entre travail salarié et indépendant, une forme de travail que l’on peut qualifier d’autonome. Reconnues par la <a href="https://www.economie.gouv.fr/ess-economie-sociale-solidaire/loi-economie-sociale-et-solidaire">loi Économie sociale et solidaire de 2014</a>, elles proposent le régime de l’entrepreneuriat-salarié-associé. Ses membres sont reconnus dans le droit du travail comme des salariés, mais œuvrent dans les faits presque comme des indépendants.</p>
<p>Le Covid invite d’ailleurs à regarder de plus près ce qui s’invente dans ces <a href="https://www.teseopress.com/dictionnaire/">zones grises du travail et de l’emploi</a>. Le pire était à craindre pour les microentrepreneurs, en particulier. Leur <a href="https://journals.openedition.org/sdt/1672">situation économique fragile</a> avec des revenus faibles et discontinus se double en effet d’une <a href="https://theconversation.com/comment-le-confinement-a-enfonce-les-livreurs-a-velo-dans-la-precarite-138617">dépendance importante</a> à leur clientèle, <a href="https://theconversation.com/les-livreurs-de-plateformes-en-quete-de-protection-sociale-168962">d’une protection sociale réduite</a> et les avantages fiscaux dont ils bénéficient (comme une exonération de la TVA) sont insuffisants pour sécuriser leur travail.</p>
<p>Dans un contexte de <a href="http://www.senat.fr/rap/r19-452/r19-452_mono.html">précarisation sociale et économique des travailleurs indépendants</a>, les CAE inventent des mécanismes soutenant les activités entrepreneuriales de leurs membres. Ceux-ci se fondent sur les principes de la mutualisation, de la solidarité et de la coopération afin d’amortir les effets de la crise. Elles rassemblent des travailleurs autonomes autour d’un projet politique commun puisqu’ils sont autant salariés et qu’associés. Nos <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02998438/">travaux</a> montrent que la multifonctionnalité de ces organisations favorise la pérennité et la stabilité des situations d’emplois de leurs membres.</p>
<h2>Garantir une protection</h2>
<p>Les CAE restent une forme d’entreprise encore marginale : les quelques 153 CAE rassemblaient près de <a href="https://www.les-scop.coop/system/files/inline-files/2021%2002%20Actualisation%20des%20donn%C3%A9es%20des%20CAE%20-%20VF%20Avec%20R%C3%A9gions_0.pdf">12 000 travailleurs</a> en février 2021. Elles n’en présentent pas moins des atouts intéressants.</p>
<p>Dans les CAE, les travailleurs autonomes bénéficient de la protection sociale, dès qu’ils parviennent à se salarier grâce à leur chiffre d’affaires. Ceux-ci restent néanmoins responsables du développement de leur activité entrepreneuriale et de trouver leur clientèle. La CAE ne garantit donc pas leur salaire et les <a href="https://www.coopaname.coop/actualite/revenus-temps-travail-chez-coopaname-oxalis">revenus restent ainsi contrastés et discontinus</a>. Ils s’avèrent cependant supérieurs à ceux des microentrepreneurs.</p>
<p>Avec le statut de salariés, les membres accèdent en outre aux droits d’indemnités parentales et de chômage le cas échéant. Ainsi, au plus fort de la crise du Covid, les coopératives ont-elles notamment permis à leurs membres de bénéficier du dispositif mis en place par l’État de chômage partiel. Elles ont aussi pu expérimenter des outils de mutualisation des risques, limitant les impacts économiques de la crise, en particulier pour les travailleurs en situation de fragilité.</p>
<p>Certains mécanismes existaient déjà avant la crise. Un travailleur pouvait ainsi recevoir une avance sur salaire ou un remboursement de frais professionnels grâce à la mutualisation de tous les chiffres d’affaires au sein de la coopérative. Bénéfices et déficits sont en effet mutualisés grâce à un <a href="https://www.cairn.info/journal-recma-2018-4-page-55.htm">système de contribution aux risques collectifs et individuels</a>. Un fonds d’investissement interne peut aider à développer son activité. On peut également bénéficier d’échanges qui prennent la forme de troc entre membres aux compétences diverses (se faire réaliser son site Internet contre une séance de soins par exemple).</p>
<p>La crise aurait-elle ensuite joué un rôle de catalyseur ? Un membre d’une CAE bretonne témoigne :</p>
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<p>« Elle est l’occasion de mettre un truc en place et de le garder par la suite : je pense qu’on va atteindre un autre échelon de coopération ! »</p>
</blockquote>
<h2>Marchandes, publiques, mutualistes et solidaires</h2>
<p>Comme d’autres organisations de <a href="https://www.lelabo-ess.org/ess">l’économie sociale et solidaire</a>, les modèles socioéconomiques des CAE ne reposent ainsi pas uniquement sur des dynamiques de production et d’échanges marchands. Leur force semble en fait résider dans leur capacité à organiser et à produire d’autres formes d’activités sociales et solidaires.</p>
<p>C’est ce que qualifie la notion de multifonctionnalité, définie comme l’association de quatre éléments : la production de biens et services marchands, des échanges communautaires, plusieurs formes de mutualisation (risques, matériel), et l’accompagnement de chômeurs dans la création d’une activité entrepreneuriale. Ils correspondent à des échanges monétaires, réciprocitaires, contributifs ou de subventions publiques.</p>
<p>Autrement dit, la force du modèle socioéconomique des CAE est de parvenir à construire des compromis entre ces quatre logiques socioproductives : marchandes, publiques, mutualistes et solidaires. Ces compromis sont notamment issus de discussion entre les travailleurs autonomes, qui acceptent collectivement de contribuer davantage pour certains, de bénéficier d’aide financière pour les autres.</p>
<h2>Les CAE, comme une forêt</h2>
<p>Pour articuler le tout, l’enjeu est donc aussi de conserver une dynamique démocratique dans la crise.</p>
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<p>« Au lieu de se crisper chacun sur ses manières habituelles de faire, ou de suivre les décisions prises par un seul, nous [dans la CAE] avons inventé de nouveaux cercles pour être à la fois plus réactifs et plus démocratiques », explique une CAE d’Auvergne-Rhône-Alpes.</p>
</blockquote>
<p>Car dans une période où la précarité se fait ressentir, les négociations autour des solidarités peuvent aussi susciter des tensions entre les membres. Il s’agit de trouver un équilibre entre l’intérêt de la coopérative et la situation de chaque travailleur autonome.</p>
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<p>« C’est quand on commence à discuter du degré de solidarité et surtout à qui elle s’applique que les choses se gâtent. S’il y a des décisions difficiles à prendre, il faut qu’elles soient collectives ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/432731/original/file-20211118-20-1sil5ri.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432731/original/file-20211118-20-1sil5ri.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432731/original/file-20211118-20-1sil5ri.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432731/original/file-20211118-20-1sil5ri.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432731/original/file-20211118-20-1sil5ri.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432731/original/file-20211118-20-1sil5ri.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432731/original/file-20211118-20-1sil5ri.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432731/original/file-20211118-20-1sil5ri.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Le risque est aussi d’aboutir à des mécanismes, qui certes incarnent l’idéal politique de la coopérative, mais qui sont si complexes, qu’ils en deviennent incompréhensibles pour leurs membres.</p>
<p>Dans son ouvrage <em>la [vie secrète des arbres]</em>(https://www.franceinter.fr/emissions/co2-mon-amour/co2-mon-amour-09-decembre-2017), le garde-forestier allemand Peter Wollheben nous fait découvrir les solidarités ancestrales de nos comparses végétaux. La survivance et la pérennité d’une forêt reposent sur la capacité des arbres, les plus « forts », à apporter des nutriments complémentaires pour soutenir leurs compagnons en difficulté. Dans les CAE, la logique est comparable.</p>
<p>Si l’ampleur des solidarités entre travailleurs autonomes dans les CAE reste encore loin d’être complètement satisfaisante, elles n’en représentent pas moins des espaces politiques d’expérimentation. En questionnant le travail, la mutualité et la coopération, elles renforcent la solidarité entre les membres, améliorant ainsi leurs conditions d’emplois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172213/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Justine Ballon est sociétaire de la CAE Coopaname, où elle a réalisée sa thèse en tant que doctorante salariée, dans le cadre d'une convention industrielle de formation par la recherche, également financée par le Ministère de la Recherche. </span></em></p>La crise a stimulé l’intérêt pour les coopératives d’activités et d’emploi en France, au sein desquelles les postes proposés hybrident la liberté de l’entrepreneuriat et la sécurité du salariat.Justine Ballon, Chercheuse-praticienne en économie sociale, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1689622021-10-12T17:50:24Z2021-10-12T17:50:24ZLes livreurs de plateformes en quête de protection sociale<blockquote>
<p>« Dans leur monde idéal les plates-formes, il faudrait qu’on ne dise rien, qu’on sourie poliment, “Bonjour, Monsieur”, “Au revoir”, on monte, on livre, on ne tombe jamais, il ne faudrait jamais qu’on ait d’accidents, jamais qu’on se plaigne […]. Avant, on te payait 5 €, maintenant, ce sera 2,60 €, tu n’as rien à dire. Allez hop, vas-y ! Et tu livres chaud, sans respecter les feux rouges et sans mourir, s’il te plaît ! ».</p>
</blockquote>
<p>Ce verbatim d’un jeune livreur illustre la subordination de la force de travail qui est au cœur d’un écosystème régit par des algorithmes ayant <a href="https://journals.openedition.org/terminal/7728">« pignon sur rue »</a>.</p>
<p>Comment prend-on soin de ces travailleurs exposés à des risques multiples ? Quels sont leurs besoins en termes de protection sociale ?</p>
<p>Le sujet est au cœur des débats autour du <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/le-projet-de-loi-de-financement-de-la-securite-sociale-plfss-pour-l-annee-2022">Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2022</a> présenté en septembre dernier qui vise à améliorer la protection sociale des travailleurs indépendants. Néanmoins, les améliorations proposées ne semblent pas adaptées aux contretemps du métier des livreurs.</p>
<p><a href="https://iness.wp.imt.fr/alter">Nous leur avons demandé leurs besoins et difficultés</a>, via un questionnaire en ligne ; 219 livreurs actifs en France en pleine pandémie Covid-19 ont répondu, et 15 d’entre eux ont été interviewés.</p>
<p>Les livreurs ayant répondu à notre questionnaire sont jeunes (3 sur 4 ont moins de 30 ans), et ils gagnent plutôt mal leur vie : moins de 900 €/mois pour la moitié d’entre eux (avant déduction d’impôts et charges). Même si la moitié sont connectés entre 20 et 40 heures par semaine, le temps passé à attendre une commande n’est pas rémunéré ce qui en empêche beaucoup de cumuler un autre travail (60 % n’exercent pas d’autre activité professionnelle). Avant d’être livreurs, 37 % étaient inoccupés, et ces derniers sont les plus nombreux à faire ce travail depuis plus de 3 ans.</p>
<p>Leur moyen de transport privilégié est le vélo mécanique (37 %) ou électrique (26 %), les livreurs à vélo mécanique gagnant moins que les autres (22 % gagnent moins de 900 €/m.), quand la majorité des livreurs utilisant d’autres modes de transport gagne un peu plus.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/424512/original/file-20211004-25-vdfekt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424512/original/file-20211004-25-vdfekt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424512/original/file-20211004-25-vdfekt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424512/original/file-20211004-25-vdfekt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424512/original/file-20211004-25-vdfekt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424512/original/file-20211004-25-vdfekt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424512/original/file-20211004-25-vdfekt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424512/original/file-20211004-25-vdfekt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’écosystème d’une plate-forme de livraison de repas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AUTEURS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les risques du métier</h2>
<blockquote>
<p>« J’ai été percuté par une piétonne. Je me suis fracturé la main. Je ne me suis pas rendu compte que j’avais une fracture, donc j’ai continué à travailler. […] il y a beaucoup de livreurs […] qui continuent à travailler avec des fractures parce qu’ils ne peuvent pas économiquement, ou qu’ils n’ont pas de couverture sociale pour pouvoir s’arrêter et se soigner. » (Entretien n°3)</p>
</blockquote>
<p>Ce verbatim illustre la vulnérabilité économique et physique dont souffrent de nombreux livreurs. Seuls 31 % d’entre eux n’ont jamais eu de problèmes de santé à cause de leur travail. 70 % souffrent également de la circulation et du stationnement, 61 % souffrent beaucoup du temps passé à attendre l’attribution d’une course, et 68 % souffrent beaucoup du temps passé à attendre que la commande soit prête. Nous ne connaissons pas le nombre exact d’accidents et de décès des travailleurs des algorithmes cependant la communauté des livreurs reste vigilante et se mobilise.</p>
<h2>Prend-on soin des livreurs ?</h2>
<p>La vulnérabilité d’un livreur dépend des risques auxquels il est exposé et des protections dont il peut bénéficier (emploi salarié, complémentaire santé familiale…).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425713/original/file-20211011-19-1o1s8xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un graphique qui établit le niveau de vulnérabilité en fonction du niveau de risque et du niveau de protection sociale" src="https://images.theconversation.com/files/425713/original/file-20211011-19-1o1s8xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425713/original/file-20211011-19-1o1s8xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425713/original/file-20211011-19-1o1s8xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425713/original/file-20211011-19-1o1s8xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425713/original/file-20211011-19-1o1s8xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425713/original/file-20211011-19-1o1s8xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425713/original/file-20211011-19-1o1s8xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Quatre niveaux de vulnérabilité en fonction du niveau de risque encouru et du niveau de protection sociale des livreurs.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les livreurs les plus vulnérables (V4) selon notre enquête sont les plus exposés et les moins protégés (chômeurs, sans-papiers, livreurs de longue durée…). Ces livreurs très vulnérables font partie des 32 % déclarant ne pas être couverts par la Sécurité sociale, et connaissent mal leurs droits (25 % des livreurs ayant répondu au questionnaire ne savent pas s’ils sont couverts par la Sécurité sociale). Ils ont tendance à ne pas prévenir leur employeur en cas de problème (57 % n’ont pas informé la plate-forme d’un accident ou maladie). Parmi ceux qui l’ont fait, 61 % n’ont reçu aucune aide, et les prestations proposées ne compensaient pas la perte de revenu en d’arrêt de travail :</p>
<blockquote>
<p>« Ça ne sert à rien. Je savais très bien que le RSI (ndlr : Régime social des Indépendants) ne prenait rien en charge ou quasiment rien. Je savais que les contrats complémentaires avec les plates-formes ce sont des contrats très low-cost, extrêmement low-cost d’ailleurs, et je savais que ça ne servait à rien de faire la demande. » (Entretien n°2)</p>
</blockquote>
<h2>Un bien « sale boulot »</h2>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ByMw25QGfg0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce du documentaire <em>Les délivrés</em> (France 3 Pays-de-la-Loire, 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>La vulnérabilité à géométrie variable des travailleurs exerçant un bien <a href="https://doi.org/10.2307/799402">« sale boulot »</a> tient pour beaucoup à une protection sociale <a href="https://www.puf.com/content/Les_nouveaux_travailleurs_des_applis">« à trous »</a>.</p>
<p>Le <a href="http://theconversation.com/travailleurs-des-plates-formes-numeriques-avec-quels-droits-158075">vide juridique et institutionnel</a> profite aux plates-formes, dont certaines ont été poursuivies en justice pour <a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2021/09/20/deliveroo-france-et-trois-de-ses-anciens-dirigeants-renvoyes-en-correctionnelle-pour-travail-dissimule_6095373_1698637.html">travail dissimulé</a>.</p>
<p>En Espagne, depuis août 2021 tout livreur est <a href="https://elpais.com/economia/2021-08-12/la-ley-de-riders-echa-a-andar-en-medio-de-la-negativa-de-las-empresas-a-contratar-a-toda-su-flota.html">considéré comme salarié</a>. Cette résolution par la loi du précariat généré par la <em>gig-economy</em>, véritable <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-1997-2-page-412.htm?contenu=resume">« question sociale »</a> contemporaine, est soutenue en France par des syndicats et collectifs de livreurs, mais aussi par le <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0257_FR.html">Parlement européen</a> :</p>
<blockquote>
<p>« la couverture, l’adéquation et la transparence formelle et effective des systèmes de protection sociale devraient s’appliquer à tous les travailleurs, y compris aux travailleurs indépendants. »</p>
</blockquote>
<p>Pour rappel, 97 % des livreurs ayant répondu à notre questionnaire avaient le statut d’auto-entrepreneurs.</p>
<hr>
<p><em>Morgane Le Guern, de la Fondation d’entreprise MGEN pour la santé publique a contribué à cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168962/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cynthia Srnec a reçu des financements de la Fondation MGEN pour la Santé Publique pour la réalisation de l'enquête ALTER sur la protection sociale des livreurs. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cédric Gossart ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment prend-on soin des livreurs de plateformes, souvent exposés à des risques multiples ? Quels sont leurs besoins en termes de protection sociale ? Une enquête leur a posé directement ces questions.Cynthia Srnec, Post-doctorante, Sciences Po Cédric Gossart, Professeur (permanent, plein temps), Institut Mines-Télécom Business School Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1386172020-05-17T18:09:32Z2020-05-17T18:09:32ZComment le confinement a enfoncé les livreurs à vélo dans la précarité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334954/original/file-20200514-77263-ghmj0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C113%2C1068%2C653&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La sécurité est devenue le premier problème des livreurs depuis mi-mars.</span> <span class="attribution"><span class="source">Philippe Lopez / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Pendant le confinement, certains n’ont pas eu « le luxe » de poursuivre leur activité depuis chez eux et n’ont, en fait, jamais cessé de travailler en extérieur. C’est le cas des livreurs à vélos ou scooter travaillant pour des plates-formes de livraison de repas chauds à domicile. Contraints à l’indépendance, ces micro-entrepreneurs, majoritairement jeunes et sans expérience professionnelle antérieure, ont, en grande partie, dû continuer leur activité pour (sur)vivre.</p>
<p>Pendant la période de confinement, ils ont souvent été les seuls à colorer les rues de leurs tenues « brandées » et ont même été présentés dans les différents médias comme les <a href="https://tribunedelyon.fr/2020/04/03/heros-et-heroines-lyonnais-du-quotidien-4-ludovic-rioux-livreur/">« héros »</a> du quotidien des français·e·s.</p>
<p>Cette activité est d’ordinaire précaire du fait de faibles rémunérations, des concurrences internes, des horaires flexibilisés et décalés, de la surveillance par un patron-algorithme autoritaire qui ne leur assure <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2019-3-page-37.htm">aucune protection sociale</a>. S’ils étaient pour beaucoup étudiants, ils ont été progressivement remplacés par des travailleurs étrangers, exilés ou sans-papiers qui n’ont d’autre choix que de louer illégalement des comptes à des Français·e·s pour pouvoir travailler.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/334956/original/file-20200514-77247-56xa90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/334956/original/file-20200514-77247-56xa90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/334956/original/file-20200514-77247-56xa90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/334956/original/file-20200514-77247-56xa90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/334956/original/file-20200514-77247-56xa90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/334956/original/file-20200514-77247-56xa90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/334956/original/file-20200514-77247-56xa90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les plates-formes n’assurent aucune protection sociale aux livreurs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Philippe Lopez/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La crise semble avoir accentué cette précarité, et cet article entend revenir sur les changements intervenus dans l’organisation concrète de leur activité, qui fait émerger de nombreuses craintes, mais également un ensemble de revendications du côté des livreurs.</p>
<h2>Vous avez dit livraison « sans contact » ?</h2>
<p>Le problème numéro un mis en avant par les travailleurs des plates-formes est celui de la sécurité. Le souci autour de la sécurité routière a été remplacé par la peur de la contamination, puisque les plates-formes se <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/barbara-gomes/lirresponsabilite-plates-formes-de-livraison/00092666">déchargent de toute responsabilité</a> vis-à-vis des travailleurs dont elles sont, juridiquement, les clientes et non les employeurs.</p>
<p>En se déresponsabilisant ainsi, les plates-formes profitent de la crise (en continuant à faire des profits alors que beaucoup d’autres entreprises sont à l’arrêt) tout en faisant pesant les risques sur l’ensemble de la population (livreurs et leur entourage, clients et leur entourage, etc.).</p>
<p>Si des remboursements de matériel de protection ont été promis, dans les faits, la charge de l’achat de gel alcoolique, masques ou gants incombe aux travailleurs. La seule consigne de Deliveroo, Uber Eats, Frichti ou encore Stuart a été : le respect des gestes barrières, accompagnée de conseils pour respecter la livraison « sans contact ».</p>
<p>Pourtant, il est illusoire de penser que la « distanciation sociale » peut être mise en place : les livreurs, qui doivent aller le plus rapidement possible, se pressent devant les rares restaurants restés ouverts pour récupérer leur commande, ils touchent des dizaines de commandes par jour et se rendent dans des dizaines de lieux différents. Selon les livreurs, une commande équivaudrait à une quinzaine de prises de risques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1250044402577408001"}"></div></p>
<p>Ils sont parfois obligés de monter les commandes dans les appartements – alors que les plates-formes préconisent d’attendre devant l’entrée sans rien toucher que le client récupère la livraison – au risque de se voir attribuer une mauvaise notation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1250448785878274050"}"></div></p>
<p>Un facteur d’insécurité supplémentaire est la menace du contrôle de police pour ces travailleurs très visibles dans l’espace public et dont une grande partie est sans-papiers ou travaille illégalement. Ces derniers, bien souvent, non seulement ne bénéficient pas de la « garantie employeur » servant à justifier l’autorisation dérogatoire pour motif de travail, mais qui plus est, sont la cible privilégiée des opérations d’arrestations de travailleurs immigrés pour être ensuite envoyés en centres de rétention administratifs (CRA).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1246419748738531330"}"></div></p>
<p>Que ce soit par mesure de précaution pour eux, leur famille ou les clients, pour cause de maladie, suite à un accident ou encore pour raisons familiales, certains livreurs ont tout de même dû cesser l’activité avant ou pendant le confinement.</p>
<h2>« Libres » de travailler ou pas</h2>
<p>Quels sont les moyens de subsistance prévus lors d’un arrêt d’activité pendant cette crise ? Le problème est toujours celui du statut : ces faux indépendants ne jouissent d’aucun des droits du salariat, tout en n’ayant ni l’autonomie ni les revenus que confère l’indépendance. Ne bénéficiant d’aucune protection sociale, les solutions qui leur sont proposées ne sont pas le fruit de la solidarité collective, mais d’une assistance minimale faite de bric et de broc à l’aide de fonds publics ou privés.</p>
<p>En effet, les livreurs ne peuvent avoir recours aux dispositifs proposés dans les entreprises aux salariés comme le chômage, qu’il soit partiel ou non, les congés maladie ou le droit de retrait, ce qui ne peut s’appliquer à ceux qui sont « libres » de se connecter la plate-forme comme ils le souhaitent.</p>
<p>La seule aide financière offerte par les plates-formes est pour les livreurs malades du Covid-19, mais elle est en réalité très restrictive afin de cibler les livreurs réguliers dits « actifs ». Le critère pour y prétendre : avoir gagné <a href="https://reporterre.net/Les-plateformes-de-livraison-n-indemnisent-pas-tous-les-livreurs-malades">130 euros par semaine pendant un mois</a>.</p>
<p>Pour les autres, l’État a mis en place un dispositif pour les indépendants, financé par le fonds de solidarité. Il permet à ceux qui en ont font la demande – à renouveler tous les mois – d’obtenir une compensation à la hauteur de leur perte de chiffre d’affaires sur un an, dans la limite de 1 500 euros et si cette perte correspond à 70 % du chiffre d’affaires de l’année précédente. Face à la complexité de la démarche et l’étroitesse des critères, autant dire que cette aide concernera extrêmement peu de travailleurs.</p>
<h2>Bataille juridique en vue ?</h2>
<p>Ceux qui n’ont d’autre choix que de continuer à livrer des burgers à la demande voient le nombre de commandes baisser, même si elles ne disparaissent pas complètement. Or cette baisse représente automatiquement une baisse du chiffre d’affaires. Là encore on assiste à une délégation de la part des plates-formes de leur responsabilité, puisque la prise en charge repose sur la société (via le RSA par exemple) ou sur <a href="https://twitter.com/PS_Paris/status/1253354504759775234">l’entourage individuel qui doit venir en aide</a>.</p>
<p>En réponse, des livreurs mobilisés, organisés ou non, dénoncent tour à tour le contournement du droit du travail, surtout que le droit, qui a reconnu des requalifications de travailleurs ubérisés en contrats salariaux, est de leur côté (<a href="https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1737_28_40778.html">décision « Take Eat Easy » du 28 novembre 2018</a>, <a href="https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/374_4_44522.html">décision Uber du 4 mars 2020</a>).</p>
<p>Ils demandent également l’arrêt total de l’activité et des plates-formes, mais se tournent également du côté de l’État pour demander une imposition de ces fermetures aux entreprises et améliorer la prise en charge financière publique. Le déconfinement, pour eux, devra donc répondre à cet enjeu d’indemnisation soit par l’État soit par les entreprises et, pourquoi pas, d’une bataille juridique autour du statut d’employeur, et des devoirs qui l’accompagnent, pour les plates-formes numériques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Lebas est doctorante contractuelle de l'université de Lille ( ED SJPG) dont elle reçoit des financements pour son travail de recherche.</span></em></p>Ces travailleurs des plates-formes ont été confrontés à une baisse de leur activité, des risques sanitaires accrus, et même une exposition renforcée aux contrôles de police pour les sans-papiers.Chloé Lebas, Doctorante en science politique, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1376522020-05-11T15:06:14Z2020-05-11T15:06:14ZRetour en classe : comment les profs peuvent réagir aux cas de maltraitance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/332883/original/file-20200505-83745-1opyufb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6016%2C3719&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les conversations avec les élèves sur des soupçons de maltraitance peuvent être parmi les plus difficiles que les enseignants et les intervenants scolaires auront dans leur carrière.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La pandémie, et les crises en général, accroissent le risque de maltraitance et d’exposition à la violence pour les enfants.</p>
<p>Dans son analyse de l’actuelle pandémie de la COVID-19, <a href="https://www.unicef.org/fr/communiques-de-presse/ne-permettons-pas-que-les-enfants-soient-les-victimes-cachees-de-la-pandemie">l’UNICEF</a> a recensé plusieurs effets secondaires potentiels sur les enfants et les adolescents, notamment le risque accru d’expériences de maltraitance et d’exposition à la violence. Cette conséquence a été observée lors d’autres événements tragiques, telles les <a href="https://doi.org/10.1016/S0145-2134(00)00176-9">catastrophes naturelles</a>.</p>
<p>Ce risque peut résulter de la détresse croissante des adultes, de la perturbation du soutien habituellement offert par les services sociaux, d’une perte d’appartenance à un réseau, et du recours à des mécanismes d’adaptation dysfonctionnels, comme l’abus d’alcool. L’UNICEF note également que les enfants handicapés, les enfants marginalisés et les autres groupes vulnérables sont plus exposés à ces impacts.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-quatre-actions-a-prendre-des-maintenant-pour-proteger-les-enfants-vulnerables-134840">Covid-19: quatre actions à prendre dès maintenant pour protéger les enfants vulnérables</a>
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<p>Paradoxalement, le nombre de cas de maltraitance rapportés aux services de protection de la jeunesse <a href="https://www.ledevoir.com/societe/575689/maltraitance-baisse-des-signalements-a-la-dpj">est en baisse</a> depuis le début de la pandémie, tant au Québec que dans <a href="https://cicm.wustl.edu/child-abuse-prevention-month-in-the-context-of-covid-19/">plusieurs états américains</a>. Cette diminution peut s’expliquer, du moins en partie, par l’absence de contacts des enfants et adolescents avec d’autres adultes, notamment le personnel scolaire, qui agissent habituellement comme sentinelles et signalent les situations inquiétantes aux autorités.</p>
<p>Des analyses récentes menées en Ontario ont démontré que le tiers des signalements aux services de protection de la jeunesse était fait par les enseignants et les intervenants scolaires et que des <a href="https://cwrp.ca/sites/default/files/publications/School%20Referrals%20Information%20Sheet.pdf">soupçons d’abus physique</a> étaient la principale source d’inquiétude. À la suite de <a href="https://www.lapresse.ca/covid-19/202004/27/01-5271033-reouverture-des-ecoles-le-primaire-dabord.php">l’annonce du ministre</a> de l’Éducation du Québec de la réouverture progressive des écoles primaires, le personnel scolaire pourrait avoir à composer avec des situations d’abus et de négligence portées à leur attention.</p>
<p>Mon expérience de chercheuse dans le domaine de la maltraitance et de directrice du Centre de recherche sur l’enfance et la famille à l’Université McGill m’a permis de confirmer le rôle vital que jouent les différents adultes qui gravitent autour des enfants vulnérables. Dans le contexte de la réouverture des écoles, ce sont les enseignants et le personnel scolaire qui auront un rôle important à jouer auprès de ces élèves. Les lignes directrices suivantes visent à les épauler dans cette mission délicate et émergent des quelques vingt années de recherche sur la question du <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/recueillir-parole-enfant-temoin-ou-victime-theorie-pratique-0">dévoilement en contexte scolaire</a> et de la <a href="https://www.oxfordclinicalpsych.com/view/10.1093/med-psych/9780190052737.001.0001/med-9780190052737">parole des enfants abusés</a>.</p>
<h2>Poser des questions ouvertes</h2>
<p>Les conversations avec les élèves sur les soupçons de maltraitance peuvent être parmi les plus difficiles que les enseignants et les intervenants scolaires auront dans leur carrière. Les quelques stratégies suivantes pourraient être utiles :</p>
<ul>
<li>Il faut s’assurer que le membre du personnel qui aura la conversation avec l’élève est quelqu’un en qui ce dernier a confiance. Plusieurs élèves peuvent hésiter à révéler les sévices vécus, car ils craignent les conséquences et les représailles. Cependant, les élèves sont plus susceptibles de révéler les faits s’ils ont déjà une relation significative avec l’adulte qui le questionne.</li>
</ul>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/332888/original/file-20200505-83775-1sx1oat.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/332888/original/file-20200505-83775-1sx1oat.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/332888/original/file-20200505-83775-1sx1oat.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/332888/original/file-20200505-83775-1sx1oat.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/332888/original/file-20200505-83775-1sx1oat.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/332888/original/file-20200505-83775-1sx1oat.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/332888/original/file-20200505-83775-1sx1oat.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le rôle du personnel scolaire n’est pas d’enquêter sur la situation, mais de donner la parole à l’enfant et de communiquer ces informations aux autorités, le cas échéant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<ul>
<li><p>La conversation doit se dérouler en privé. Toutefois l’élève doit être informé que, même s’il s’agit d’une conversation privée, advenant le cas où les parents ne sont pas en mesure de s’occuper de leurs enfants, les autres adultes devront agir pour s’assurer de leur protection. Il est essentiel de ne pas laisser croire à l’enfant qu’il est possible de garder pour soi tous les secrets révélés, car celui-ci pourrait se sentir trahi et leurré en considérant par la suite que les adultes n’ont pas tenu leur promesse.</p></li>
<li><p>Le vocabulaire utilisé doit être adapté à l’âge et au développement de l’enfant. Il faut éviter les questions suggestives ou celles qui le conduisent à répondre par oui ou par non. Par exemple, il faut éviter de dire : « Quelqu’un t’a-t-il frappé ou touché à la maison d’une manière qui t’a fait mal ? », mais plutôt dire : « Parle-moi de ce qui s’est passé à la maison. »). Le rôle du personnel scolaire n’est pas d’enquêter sur la situation, mais de donner la parole à l’enfant et de communiquer ces informations aux autorités, le cas échéant.</p></li>
<li><p>Si les élèves demandent ce qui pourrait se passer ensuite, les adultes doivent être le plus honnêtes possible quant à la possibilité d’impliquer d’autres personnes si nécessaire. Il est important de ne pas promettre que « tout ira bien » car plusieurs étapes qui suivent le signalement ne sont plus entre les mains du personnel scolaire. Il faut plutôt insister sur le fait qu’ils sont en sécurité à l’école, qu’ils ont bien agi en se confiant à un adulte et qu’ils ne sont pas responsables ou coupables de la situation.</p></li>
</ul>
<h2>Répondre avec empathie et sans jugement</h2>
<p>La réaction de l’adulte à la divulgation a un impact important sur l’élève. Lorsque l’élève a l’impression de ne pas être cru ni pris au sérieux, ou lorsque les services de protection de l’enfance et la police sont appelés sans préavis, il se peut qu’il ne dise plus rien. La divulgation est un processus difficile et délicat et doit être accueillie avec empathie et sensibilité, étant donné le risque énorme que prend l’élève lorsqu’il se décide à la faire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/332891/original/file-20200505-83764-3g7cuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/332891/original/file-20200505-83764-3g7cuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/332891/original/file-20200505-83764-3g7cuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/332891/original/file-20200505-83764-3g7cuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/332891/original/file-20200505-83764-3g7cuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/332891/original/file-20200505-83764-3g7cuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/332891/original/file-20200505-83764-3g7cuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dès le début du confinement, la présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, Regine Laurent, s’est inquiétée du risque accentué de maltraitance d’enfants. La Commission Laurent a été mise en place à la suite du décès d’une fillette de Granby en 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Jacques Boissinot</span></span>
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<h2>Apprendre à gérer ses propres émotions</h2>
<p>Entendre de la bouche des enfants qu’ils ont été maltraités ne laisse personne indifférent. Les adultes qui reçoivent ces confidences peuvent se sentir fâchés, impuissants, attristés. Il est important de ne pas manifester ouvertement de choc ni de jugement négatif concernant les actes des parents. Cela pourrait susciter de la honte et de la culpabilité chez l’élève et, par conséquent, le freiner dans ses révélations.</p>
<p>En revanche, nier complètement sa réaction émotive pourrait laisser croire à l’enfant qu’il n’est pas cru ou n’est pas pris au sérieux. Il est donc important, pour les enseignants et le personnel scolaire, de présenter une réponse émotionnelle qui soit la mieux régulée et empreinte de compassion possible. Pour ce faire, il faut être attentifs à ses propres états psychologiques, saisir les occasions de s’autoévaluer et <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/rapports-publications/faire-face-evenements-stressants/comment-prendre-soin-comme-intervenant.html">rechercher du soutien formel et informel</a></p>
<p>Il est probable également que plusieurs enfants nient les expériences vécues malgré les tentatives du personnel scolaire pour encourager la divulgation. Même si un enfant ne révèle pas sur le moment ce qu’il a vécu, le fait que des adultes se préoccupent de lui et partagent leur inquiétude est un premier pas pour bâtir la confiance qui lui permettra, peut-être plus tard, de parler de ce qu’il vit. Les adultes survivants d’abus sont nombreux à mentionner que les liens avec des personnes significatives leur a permis de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1524838017697312">révéler leur histoire au cours de leur vie</a>, lorsqu’ils se sentaient prêts.</p>
<p>Outre les stratégies visant à favoriser les dévoilements d’abus chez les élèves, les enseignants et les intervenants scolaires peuvent aussi s’assurer, dans le contexte du retour en classe, d’offrir aux enfants vulnérables un environnement scolaire le plus épanouissant possible. Les enseignants pourraient privilégier les activités avec lesquelles les élèves sont à l’aise, en leur offrant la possibilité de corriger leur travail jusqu’à ce qu’il soit bon. Et les féliciter pour les comportements souhaités, y compris l’effort et la persévérance en lien avec les règles de distanciation physique qui seront difficiles à respecter pour certains d’entre eux.</p>
<p>Dans le contexte actuel, les enseignants peuvent cibler la sécurité affective et le sentiment d’auto-efficacité pour aider les enfants vulnérables à vivre une expérience à l’école qui soit harmonieuse, et ce, même s’il ne reste que quelques semaines à l’année scolaire. Ces moments de réussite et de confiance sont précieux pour les enfants et les adolescents en situation de vulnérabilité et pourront les aider à bâtir leur résilience malgré les expériences d’adversité vécues.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137652/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Collin-Vézina a reçu du financement du Conseil de recherche en sciences sociales et humaines du Canada (#892-2018-2069)</span></em></p>Les conversations avec les élèves sur les soupçons de maltraitance sont parmi les plus difficiles que les enseignants et les intervenants scolaires auront dans leur carrière. Des outils existent.Delphine Collin-Vézina, Associate Professor, Director of the Centre for Research on Children and Families, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1381402020-05-07T15:53:54Z2020-05-07T15:53:54ZCoronavirus : le point hebdomadaire sur la couverture internationale (9)<p>Alors que les courbes de progression de la pandémie ont atteint un plateau dans de nombreux pays, les restrictions imposées de par le monde et les mesures de confinement commencent à être <a href="https://www.aa.com.tr/en/europe/europe-s-worst-hit-countries-start-lifting-virus-lockdowns/1824268">levées</a>. Pour ce neuvième point international, Le réseau d’experts de The Conversation a analysé les derniers développements en matière de santé publique et examiné en détail les applications de traçage qui, selon les gouvernements, permettront de contenir les taux d’infection.</p>
<p>Mais que se passe-t-il après le confinement ? Il est clair qu’il n’y a pas de simple retour aux affaires courantes.</p>
<p>Cette semaine, nous commençons par examiner certains des contenus que nous avons publiés sur l’impact économique spectaculaire de la pandémie jusqu’à présent, afin de mieux comprendre ce qui pourrait suivre.</p>
<h2>Qui paiera la note ?</h2>
<p>Pendant des semaines, les analystes se sont gratté la tête du fait des bons résultats des bourses mondiales en dépit de la pandémie. Mais deux jours de baisse en raison des mauvais bilans de plusieurs grosses entreprises ont permis de faire face à la réalité. Dans ce contexte, de nombreux spécialistes se sont demandé quelle serait la prochaine étape.</p>
<ul>
<li><p><strong>S’attaquer à tous les paradis fiscaux</strong>. Une grande partie de l’Europe continentale parle de refuser d’étendre les aides aux entreprises qui placent leur argent à l’étranger, ce qu’Atul Shah de l’Université de Londres <a href="https://theconversation.com/tax-havens-theres-a-chance-now-to-apply-conditions-to-bail-outs-137303">estime être une mesure salutaire</a>. Mais il souligne que ces même pays n’incluent pas les paradis fiscaux internes à l’UE…</p></li>
<li><p><strong>Repensez à la protection sociale européenne</strong>. Daniel Hidalgo et Sergio Solbes, de l’université de Las Palmas, <a href="https://theconversation.com/europa-2020-de-nuevo-el-escenario-de-un-plan-marshall-136455">affirment</a> que s’il est vrai qu’il faut un plan Marshall pour rééquilibrer l’Europe, ce dernier doit s’accompagner d’un programme complet de protection sociale.</p></li>
<li><p><strong>Les bons de guerre pourraient être utiles</strong>. James Morley de l’Université de Sydney et Richard Holden de l’Université de Nouvelle-Galles-du-Sud <a href="https://theconversation.com/its-just-started-well-need-war-bonds-and-stimulus-on-a-scale-not-seen-in-our-lifetimes-137155">donnent le point de vue australien</a> sur les faillites potentielles liées au Covid : ils prévoient l’émission d’"obligations de guerre" et un stimulus sans précédent.</p></li>
<li><p><strong>Les prix du pétrole pourraient ne pas se redresser</strong>. L’or noir est à son plus bas niveau depuis de nombreuses années. Mark Shackleton de l’Université de Manchester au Royaume-Uni <a href="https://theconversation.com/oil-price-futures-markets-warn-it-wont-recover-after-coronavirus-137556">analyse</a> ce que disent les marchés à terme sur les évolutions des prix d’ici la fin de l’année 2020.</p></li>
</ul>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/320875/original/file-20200316-27692-1yzfncb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/320875/original/file-20200316-27692-1yzfncb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/320875/original/file-20200316-27692-1yzfncb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/320875/original/file-20200316-27692-1yzfncb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/320875/original/file-20200316-27692-1yzfncb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/320875/original/file-20200316-27692-1yzfncb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/320875/original/file-20200316-27692-1yzfncb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><em><strong>Notre point hebdomadaire d’informations expertes sur le <a href="https://theconversation.com/topics/covid-19-82431">coronavirus</a>.</strong> Composé d’associations à but non lucratif, The Conversation est un média qui travaille avec des milliers d’universitaires à travers son réseau mondial. Ensemble, nous publions des analyses basées sur les faits et la recherche académique. Les articles sont gratuits – il n’y a pas de paywall – et peuvent être republiés.</em></p>
<hr>
<h2>Lever ou ne pas lever les restrictions</h2>
<p>C’est la grande question que se posent de nombreux pays. L’Allemagne et certains <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2020/apr/25/us-states-coronavirus-lockdown-reopening">États américains</a> ont déjà commencé.</p>
<p>Voici ce que disent nos experts :</p>
<ul>
<li><p><strong>Attention, Royaume-Uni</strong>. Boris Johnson, le Premier ministre britannique, a mis en garde contre une libération anticipée, qualifiant ce moment de « risque maximal ». Christian Yates, de l’université de Bath au Royaume-Uni, est du même avis. Il <a href="https://theconversation.com/coronavirus-is-this-the-moment-of-maximum-risk-137105">explique</a> que le Royaume-Uni a effectivement connu un pic d’infection, mais qu’il risque une deuxième vague.</p></li>
<li><p><strong>Réouverture forcée aux États-Unis</strong>. Les manifestants d’extrême droite aux États-Unis ont demandé la réouverture de l’économie. Shannon Reid de l’Université de Caroline et Matthew Valasik de l’Université d’État de Louisiane <a href="https://theconversation.com/why-are-white-supremacists-protesting-to-reopen-the-us-economy-137044">affirment</a> qu’il s’agit là aussi d’une démarche politique. Diana Daly, de l’université d’Arizona, qui <a href="https://theconversation.com/what-are-the-reopen-protesters-really-saying-137558">a examiné en détail</a> le mouvement, souligne qu’il est loin de se limiter aux seuls suprémacistes blancs.</p></li>
<li><p><strong>Ce à quoi ressemblera le pic mondial</strong>. Danny Dorling de l’Université d’Oxford <a href="https://theconversation.com/three-charts-that-show-where-the-coronavirus-death-rate-is-heading-137103">dévoile trois nouveaux graphiques</a> pour montrer ce qu’il advient des taux de contamination dans le monde. Il voit de plus en plus de preuves que les taux de mortalité convergent.</p></li>
<li><p><strong>Applications de traçage et confidentialité</strong>. Le revers de la médaille de la levée du confinement est l’utilisation d’applications pour smartphones qui permettent de tracer les personnes contaminées et leurs contacts. Ce qui soulève moult inquiétudes quant aux libertés civiles. Plusieurs auteurs de l’IMD en Suisse et de l’Université de Copenhague <a href="https://theconversation.com/coronavirus-digital-contact-tracing-doesnt-have-to-sacrifice-privacy-136786">suggèrent comment</a> un dispositif pourrait être mis en place sans pour autant porter atteinte à la vie privée.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/332283/original/file-20200504-83721-19wsqvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/332283/original/file-20200504-83721-19wsqvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/332283/original/file-20200504-83721-19wsqvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/332283/original/file-20200504-83721-19wsqvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/332283/original/file-20200504-83721-19wsqvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/332283/original/file-20200504-83721-19wsqvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/332283/original/file-20200504-83721-19wsqvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/332283/original/file-20200504-83721-19wsqvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Peut-on trouver des solutions avec le traçage et le respect des libertés publiques ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/covid19-pandemic-coronavirus-mobile-application-young-1712350618">Zigres</a></span>
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</figure>
<h2>La chasse aux vaccins et médicaments</h2>
<p>Il y a deux courses livrées ici en parallèle : l’une pour trouver un vaccin et l’autre pour trouver des médicaments qui peuvent aider à contrer la maladie.</p>
<ul>
<li><p><strong>Un vaccin ne viendra pas facilement…</strong>. Thomas Merritt de l’Université Laurentienne au Canada <a href="https://theconversation.com/know-your-target-fundamental-science-will-lead-us-to-coronavirus-vaccines-136952">explique les difficultés</a> à mettre en place un vaccin dans le cas du Covid-19.</p></li>
<li><p><strong>La possibilité d’un palliatif</strong>. Le Remdesivir, un médicament antiviral, a suscité l’enthousiasme suite aux résultats positifs de la recherche américaine. Niale Wheate et Andrew Bartlett de l’Université de Sydney <a href="https://theconversation.com/is-remdesivir-a-miracle-drug-to-cure-coronavirus-dont-get-your-hopes-up-yet-137592">expliquent</a> pourquoi nous ne devrions rester prudents. Lisez également <a href="https://theconversation.com/we-found-and-tested-47-old-drugs-that-might-treat-the-coronavirus-results-show-promising-leads-and-a-whole-new-way-to-fight-covid-19-136789">cette analyse</a> de Nevan Krogan de l’université de Californie, qui a testé 47 anciens médicaments qui pourraient combattre le virus, et qui en soumet actuellement certains à des essais sur les humains.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/138140/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Le réseau international de chercheurs de The Conversation se penche sur les conséquences économiques et sanitaires du déconfinement.Steven Vass, Business + Economy Editor, The Conversation (UK edition)Leighton Kille, Rédacteur en chef, coordination internationale et technique, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1364802020-04-19T17:56:55Z2020-04-19T17:56:55ZCovid-19 : double peine économique en vue pour les pays en développement<p>S’il est difficile d’évaluer aujourd’hui avec précision l’impact économique de la pandémie de Covid-19, on sait d’ores et déjà que les mesures actuellement mises en œuvre dans un grand nombre de pays pour empêcher la propagation de la maladie (distanciation sociale, fermeture des marchés, confinement, interdiction des rassemblements, etc.) ont des incidences profondes sur les marchés du travail et, à travers elles, sur les conditions de vie des ménages.</p>
<p>Dans sa dernière note de conjoncture datée du 26 mars, l’Insee estime ainsi la perte d’activité directement liée aux mesures d’endiguement de la crise sanitaire, et en particulier au confinement de la population, à <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4473294?sommaire=4473296">35 % par rapport à une situation « normale »</a> dans le cas français.</p>
<p>Cette baisse drastique d’activité s’accompagne d’une hausse significative du chômage et du sous-emploi : à l’échelle mondiale, l’Organisation internationale du travail avance que le nombre de chômeurs pourrait augmenter de 5,3 millions dans un scénario optimiste et de 24,7 millions dans un scénario pessimiste <a href="https://www.ilo.org/global/topics/coronavirus/impacts-and-responses/WCMS_739206/lang--fr/index.html">à partir d’un niveau de référence de 188 millions en 2019</a>.</p>
<h2>Situation préoccupante pour les travailleurs informels</h2>
<p>Si les travailleurs des pays développés peuvent en partie compter sur les mécanismes conventionnels de protection sociale et sur certains dispositifs de stabilisation des revenus, la situation est en revanche beaucoup plus préoccupante pour ceux des pays en développement, dont une grande majorité exerce leur activité dans le secteur informel.</p>
<p>Qu’ils soient vendeurs de rue, manutentionnaires ou petits artisans, les mesures de confinement, de couvre-feu ou de fermeture des marchés (dont <a href="https://www.covid19afrique.com/">ce site</a> donne un aperçu) signifient pour eux la mise à l’arrêt de leur activité. Ils se voient alors dans l’impossibilité d’assurer leur subsistance au quotidien, dans des contextes où il n’existe bien souvent ni retraite, ni assurance-chômage, ni assurance-maladie.</p>
<p>Dans le cas des capitales d’Afrique de l’Ouest, par exemple, où <a href="https://books.openedition.org/irdeditions/9639?lang=fr">pas moins des trois quarts des emplois relèvent du secteur informel</a>, les mesures de confinement font craindre une forte progression de la pauvreté et des inégalités et, avec elle, une montée des tensions.</p>
<p>La situation est d’autant plus alarmante que la baisse des revenus issus des activités locales risque de s’accompagner d’un tarissement d’une autre source de revenus souvent importante pour les ménages : l’argent de la diaspora.</p>
<h2>L’argent de la diaspora, une manne menacée</h2>
<p>Véritable filet de sécurité pour nombre de familles, les transferts envoyés par les migrants à leurs proches restés au pays représentaient, en 2019, un volume global de près de <a href="https://www.knomad.org/sites/default/files/2019-04/Migrationanddevelopmentbrief31.pdf">550 milliards de dollars à l’échelle de l’ensemble du monde en développement</a>.</p>
<p>Pour les pays à revenu faible ou intermédiaire, ils constituent souvent une source de devises importante. Dans le cas du Sénégal, par exemple, qui compte officiellement entre <a href="https://publications.iom.int/system/files/pdf/mp_senegal_2018_fr.pdf">500 et 600 000 ressortissants vivant à l’étranger</a>, l’argent de la diaspora représentait, en 2018, 9,1 % du PIB, soit deux fois le montant de l’aide publique au développement reçu par le pays pour cette même année.</p>
<p>Et le Sénégal est loin d’être en tête des économies les plus dépendantes de cette manne : les transferts envoyés par la diaspora ne représentaient pas moins de 34 % du PIB d’Haïti en 2018, 28 % de celui du Népal, 19 % de celui des Comores, et on pourrait facilement allonger cette liste.</p>
<p>À une échelle plus micro-économique, il n’est pas rare que la subsistance du ménage soit en partie assurée par un ou plusieurs membres « partis à l’aventure ». Dans l’ouest du Mali, par exemple, dont beaucoup d’immigrés maliens en France sont originaires, <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2010-6-page-1023.html">nos travaux</a> ont montré qu’en moyenne près de 20 % des dépenses réalisées par les familles comptant au moins un membre à l’étranger étaient financées grâce à l’argent de la migration.</p>
<p>Le caractère mondial de la pandémie de Covid-19 risque toutefois de faire perdre aux familles ce précieux soutien. Nombre de migrants résident en effet dans des pays particulièrement touchés par la pandémie et dans lesquels des mesures de confinement et de fermeture des commerces non essentiels ont été déployées.</p>
<h2>Emplois non qualifiés dans des secteurs à l’arrêt</h2>
<p>Dans le cas déjà évoqué du Sénégal, par exemple, les statistiques de l’OIM indiquent que 49,7 % des émigrés sénégalais, soit 265 000 individus, résideraient en Europe, dont 116 000 en France, 79 000 en Italie et 59 000 en Espagne. Si les mesures prises par ces pays pour endiguer l’épidémie bouleversent le quotidien de tous, on sait aussi qu’elles affectent de façon disproportionnée certaines catégories de travailleurs, notamment les travailleurs non protégés et les <a href="http://icmigrations.fr/defacto/defacto-018/">travailleurs migrants</a></p>
<p>Si l’on s’arrête à nouveau sur le cas des travailleurs sénégalais (mais la situation est assez comparable chez ceux originaires d’autres pays d’Afrique subsaharienne), les données de l’OCDE et celles tirées d’enquêtes que nous avons menées en <a href="https://reader.elsevier.com/reader/sd/pii/S0166046212000063?token=90F2F3EAD2BA0203EC6CFE3D460F603F2B5E77F071CE93781F640BB62F81E6B1CC9125B55C4927314E260F1852F352EE">France et en Italie</a> montrent que la majorité d’entre eux occupent, dans ces pays, des emplois non ou peu qualifiés, dans des secteurs (les services à la personne, la restauration, le nettoyage, le tourisme, la construction, etc.) qui sont aujourd’hui à l’arrêt.</p>
<p>Parmi eux, beaucoup ont des contrats précaires, ou inexistants, ou exercent leur activité à temps partiel. Il y a donc lieu de penser qu’en France en tout cas, cette catégorie de travailleurs ne bénéficiera pas des mesures immédiates de soutien aux entreprises et aux salariés que le gouvernement a mises en place.</p>
<p>Avec des niveaux de rémunération déjà faibles en temps « normal », une proportion non négligeable d’entre eux pourraient donc basculer dans la pauvreté et se retrouver dans l’incapacité financière d’aider leurs proches restés au pays.</p>
<h2>Baisse des transferts observée lors de la crise de 2009</h2>
<p>Bien qu’elle soit d’origine différente, la crise financière de 2009 avait déjà révélé la très forte vulnérabilité des travailleurs migrants. <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/em/2010/em2010-06.pdf">Un travail de David Khoudour-Castéras</a> a par exemple montré qu’ils avaient été les premiers concernés par la montée du chômage dans des pays comme l’Espagne, l’Irlande ou les États-Unis. À cela deux raisons : la très forte sensibilité aux fluctuations de l’économie des secteurs employant une proportion élevée d’immigrés (la construction, les services domestiques, la restauration, le tourisme) d’une part, et la jeunesse et le faible niveau de qualification moyen de cette catégorie de travailleurs d’autre part.</p>
<p>Conséquence de la crise, le volume global des transferts avait connu cette année-là une baisse significative dans plusieurs régions en développement, comme le montre le graphique suivant.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Banque mondiale, Word Development Indicators</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au-delà de son impact sur les capacités financières des migrants, la pandémie de Covid-19 rend par ailleurs plus difficile la réalisation des transferts. En effet, le confinement et la fermeture de la plupart des banques commerciales et des services de transferts d’argent comme Western Union, MoneyGram ou Ria empêchent les travailleurs migrants de se déplacer et d’accéder à ces modes d’envois de fonds.</p>
<p>La fermeture des frontières et les très fortes restrictions imposées sur le transport aérien rendent enfin impossible le système D consistant à confier une somme d’argent à un compatriote rentrant au pays. Certes, les possibilités de transferts par voie numérique se sont considérablement accrues ces dernières années, mais les migrants n’ont pas toutes les ressources nécessaires pour y recourir.</p>
<p>Cette situation plaide pour des actions ciblées envers les travailleurs migrants. Parce qu’ils sont plus vulnérables à la crise, il importe d’abord et avant tout de veiller à ce qu’ils soient protégés et pris en compte dans les programmes de solidarité nationale. On pourrait aussi concevoir que les opérateurs de transferts et les agences bancaires concèdent des réductions sur les frais de transferts qu’ils prélèvent à chaque transaction.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136480/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Flore Gubert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les pays en développement, les mesures sanitaires entraînent des pertes de revenus importantes pour les travailleurs informels. Elles pourraient aussi les priver de l’argent de la diaspora.Flore Gubert, Directrice de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1312382020-02-09T18:15:57Z2020-02-09T18:15:57ZRééquilibrer l’offre et la demande, le défi majeur de la grande dépendance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/313791/original/file-20200205-149796-1g2x0m0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le prix de l'hébergement en EHPAD avoisine les 3 000 euros par mois.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/elderly-woman-on-wheelchair-looking-through-300626660">Photographee.eu / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Selon l’Insee, en 2015, en France hors Mayotte, avec une définition large englobant domicile et établissement, environ <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4196949">2,5 millions de seniors étaient en perte d’autonomie</a>, soit 15,3 % des 60 ans ou plus. Parmi eux, 700 000 peuvent être considérés en perte d’autonomie sévère. Parmi les seniors de 75 ans ou plus, 8,8 % vivent en institution. Si les tendances démographiques et l’amélioration de l’état de santé se poursuivaient, la France hors Mayotte compterait 4 millions de seniors en perte d’autonomie en 2050, soit 16,4 % des seniors.</p>
<p>Pour maintenir constant le pourcentage de personnes en établissement, il faudrait que le nombre de places en hébergement permanent en établissements pour personnes âgées augmente de 20 % d’ici à 2030 et de plus de 50 % à l’horizon 2050.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/313947/original/file-20200206-43113-1adqafk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/313947/original/file-20200206-43113-1adqafk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/313947/original/file-20200206-43113-1adqafk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=254&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/313947/original/file-20200206-43113-1adqafk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=254&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/313947/original/file-20200206-43113-1adqafk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=254&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/313947/original/file-20200206-43113-1adqafk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/313947/original/file-20200206-43113-1adqafk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/313947/original/file-20200206-43113-1adqafk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4196949">Insee (2019)</a></span>
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</figure>
<p>Voilà pour l’effet volume. Quant au prix, les frais d’hébergement à la charge du résident avoisinent les <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/prise-en-charge-des-personnes-agees/video-ehpad-manger-pour-4-euros-par-jour-quand-on-paie-des-frais-d-hebergement-de-plus-de-3-000-euros-par-mois_2949317.html">3 000 euros par mois</a>. Or, la <a href="https://www.lci.fr/societe/public-prive-regimes-speciaux-combien-un-retraite-gagne-t-il-en-france-pension-hauss-csg-manifestations-macron-reforme-2081777.html">retraite moyenne française</a> ne s’élève en 2015 qu’à 1 050 euros pour une femme et 1 700 euros pour un homme. Autrement dit, tous ne pourront y être accueillis.</p>
<h2>L’offre est insuffisante</h2>
<p>En matière d’offre, les personnes âgées peuvent être accueillies en France dans trois types d’établissements :</p>
<ul>
<li><p>Les EPHA, Établissements d’hébergement pour personnes âgées. Ce que nous appelons communément maison de retraite. Ces établissements sont des résidences (foyers ou logements), où les personnes âgées peuvent vivre de manière autonome. Ces établissements sont majoritairement gérés par des structures publiques ou privées à but non lucratif. En France, on estime que 110 000 places d’hébergement sont gérées par le secteur public, dans 2 200 résidences.</p></li>
<li><p>Les USLD, qui désignent les Unités de soins de longue durée. Ces établissements dépendent des centres hospitaliers. Ils offrent environ 36 000 lits en France après que plus de 40 000 aient été transférés des hôpitaux vers les Ehpad.</p></li>
<li><p>Les Ehpad : ces établissements peuvent plus ou moins être médicalisés selon le niveau de pathologie de leurs résidents. Les Ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) désignent les maisons de retraite médicalisées. Ce type d’hébergement représente 70 % des hébergements disponibles pour les personnes âgées. Ces établissements peuvent être privés à but lucratif (22 % des capacités d’accueil), privé à but non lucratif (32 %), par exemple La Croix-Rouge, ou publics (43 % des capacités d’accueil). En 2014, L’Insee estimait qu’il y avait 7 258 Ehpad pour 557 648 lits en France.</p></li>
</ul>
<h2>Une réglementation contraignante</h2>
<p>Le marché des Ehpad commence aujourd’hui à <a href="https://www.ehpad.fr/levolution-du-secteur-ehpad-dans-les-prochaines-annees/">se concentrer</a>. Les 15 premiers acteurs détenant 70 % des capacités en lits du secteur privé lucratif. Parmi ces quinze acteurs, les trois premiers (Korian, Orpéa et DomusVi) détiennent plus de 14 000 lits en France, ce qui représente plus de 63 % des capacités d’accueil des 15 premiers acteurs (plus de 45 % de l’ensemble du secteur). À côté de ces géants, beaucoup de structures restent mono établissement, ce qui freine leur capacité d’investissement.</p>
<p>Surtout, le secteur fait face à un environnement réglementaire très contraignant qui gèle le développement de nouvelles structures :</p>
<p>L’activité des Ehpad privées est fortement liée aux politiques de santé publique. Aujourd’hui, la création et le fonctionnement des Ehpad sont régis par plusieurs textes de nombreux textes qui se sont succédé depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000215460&categorieLien=id">loi du 2 janvier 2002</a>, et notamment la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020879475&categorieLien=id">loi HPST de 2009</a> portant réforme de l’hôpital qui apporte un frein à l’ouverture d’appel à projets pour la création de nouveaux lits. C’est une formidable barrière à l’entrée au profit des groupes déjà installés.</p>
<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031700731&categorieLien=id">loi de 2015</a> d’adaptation de la santé au vieillissement impose plus de transparence sur la tarification des prestations (voir tableau ci-dessous).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/313704/original/file-20200205-149796-1hefpw5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/313704/original/file-20200205-149796-1hefpw5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/313704/original/file-20200205-149796-1hefpw5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=240&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/313704/original/file-20200205-149796-1hefpw5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=240&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/313704/original/file-20200205-149796-1hefpw5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=240&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/313704/original/file-20200205-149796-1hefpw5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=302&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/313704/original/file-20200205-149796-1hefpw5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=302&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/313704/original/file-20200205-149796-1hefpw5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=302&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Et pour avancer encore un projet de loi sur la dépendance est à l’étude au parlement sur la base des propositions du <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/remise-du-rapport-libault-sur-la-concertation-grand-age-et-autonomie">rapport Libault</a> remis à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, en mars 2019. Il préconise notamment un plan de rénovation des établissements, en particulier publics, de 3 milliards d’euros sur 10 ans et l’augmentation de 25 % des effectifs des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) d’ici à 2024.</p>
<p>La question des effectifs reste en effet un point crucial du défi de la grande dépendance. Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées, avait notamment estimé, au moment de la grève des Ehpad de juin 2019, que « 40 000 emplois supplémentaires » étaient nécessaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1145372282015113217"}"></div></p>
<p>S’agissant du financement de la réforme, les besoins étant estimés à 9,2 milliards d’ici à 2030, le rapport propose de procéder en deux temps :</p>
<ul>
<li><p>Avant 2024, les dépenses seraient financées en recourant à l’affectation d’éventuels excédents du régime général ; pour rappel, le <a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2019/09/28/securite-sociale-plus-de-5-milliards-d-euros-de-deficit-en-2019-et-2020_6013466_1651302.html">déficit de la Sécurité sociale</a> atteindra 5,4 milliards d’euros en 2019 et 5,1 milliards en 2020.</p></li>
<li><p>Après 2024, la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS) serait utilisée pour financer en partie la perte d’autonomie. Là aussi, souvenons-nous que la dette de la France atteint 98 % du PIB en 2018. Qu’il serait bon de ne pas transférer aux générations futures.</p></li>
</ul>
<p>Le rapport recommande en outre de réformer le financement des services d’aide à domicile (SAAD), actuellement à la charge des départements, car ces derniers sont <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/affaires-sociales/personnes-agees/concertation-grand-age-et-autonomie/article/rapport-de-la-concertation-grand-age-et-autonomie">au bout de leurs ressources financières</a>.</p>
<h2>Le déséquilibre se creuse</h2>
<p>D’autres pistes se penchent sur le maintien à domicile le plus longtemps possible au moyen d’évolution technologique. Pour l’instant, les robots humanoïdes, testés au Japon, s’ils peuvent apporter une aide psychologique, une présence ne peuvent supplanter l’humain dans l’exécution des tâches les plus basiques (toilettage, habillage, etc.)</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gVZ_pj0-ggg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Japon : aux bons soins des robots » (France 24, 2014).</span></figcaption>
</figure>
<p>Pour conclure, Les Ehpad privés ont un cadre réglementaire très contraignant et source de nombreux dysfonctionnements favorisant les exploitants, mais qui ne permet pas d’avoir une croissance puisque la Sécurité sociale à court d’argent freine l’ouverture de nouveaux lits dont elle aura à charge la partie soins. Quant aux Conseils généraux qui financent l’aide aux soins non médicaux (aides-soignantes) via l’Allocation personnalisée d’autonomie, leur situation financière n’est pas meilleure. Le déséquilibre entre la demande et l’offre se creuse.</p>
<p>Depuis 20 ans, les chefs d’État qui se sont succédé ont fait du « grand âge de la dépendance » une cause nationale. Mais si de nombreux textes ont été publiés, comme toujours les financements n’ont pas été à la mesure de l’enjeu. Le gouvernement, mais plus généralement notre société, doit se saisir de cette question. En plus de l’urgence climatique, de la réforme des retraites, c’est l’avenir de nos parents, de nos grands-parents dont notre génération aura aussi à supporter les coûts à venir, et ils seront colossaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131238/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Marillat des Mercières ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les établissements spécialisés ne comptent actuellement qu’environ 500 000 lits alors que les seniors en perte d’autonomie devraient être 4 millions en 2050.Philippe Marillat des Mercières, Professeur de Finance, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1309592020-02-04T19:54:48Z2020-02-04T19:54:48ZPolémique BlackRock : quelques vérités à rétablir<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/313059/original/file-20200131-41495-1qvqg5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=49%2C135%2C4619%2C3664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La société multinationale BlackRock n’est pas un «&nbsp;fonds de pension&nbsp;», comme cela a pu être affirmé.
</span> <span class="attribution"><span class="source"> Casimiro PT / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le 31 décembre 2019, lors de la traditionnelle promotion civile de la Légion d’honneur, ont été décorés ou promus des artistes (Chantal Lauby, actrice et ancienne membre du groupe d’humoristes de Canal plus « Les Nuls », le chanteur Gilbert Montagné, etc.) des scientifiques (<a href="https://theconversation.com/conversation-avec-gerard-mourou-prix-nobel-de-physique-2018-104338">Gérard Mourou</a>, prix Nobel de physique 2018)… et le président de la filiale française de BlackRock, Jean‑François Cirelli, déjà chevalier de La légion d’honneur depuis avril 2006 et <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/sept-questions-sur-la-legion-d-honneur-attribuee-a-jean-francois-cirelli-patron-de-blackrock-france_3768057.html">promu au grade d’officier</a> sur proposition du premier ministre.</p>
<p>La couverture par les médias de cette décoration (une parmi un total de 487 personnes !) a déclenché des salves de critiques de la part de responsables politiques et syndicaux. Ceux-ci arguant que, dans le contexte actuel de la réforme des retraites, cette distinction allait faire la promotion de la « retraite par capitalisation » et encourager des « fonds de pension ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1212361590034616320"}"></div></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1212656395943923712"}"></div></p>
<p>Ces deux questions sont fondamentales et nécessitent d’être examinées au-delà des préjugés idéologiques.</p>
<h2>Les Français déjà tournés vers la capitalisation</h2>
<p>Traditionnellement, les systèmes de retraite sont divisés en deux catégories :</p>
<ul>
<li><p>les régimes par répartition, où les cotisations des actifs actuels financent les pensions versées aux retraités actuels. L’équilibre du système repose sur le rapport cotisant/retraité et sur le pourcentage d’actifs dans le nombre de cotisants. Le régime par répartition est un système de mutualisation. En France, il est très largement majoritaire ;</p></li>
<li><p>les régimes par capitalisation, qui reposent sur les cotisations individuelles des participants, qui sont investies sur des supports financiers et qui débouchent en capital ou en rente viagère à la retraite. Les supports financiers peuvent être de nature très variées : actions, obligations, etc.</p></li>
</ul>
<p>Or, si le régime par répartition reste le socle de notre système de retraite, il semble que les Français aient décidé eux-mêmes de le compléter par l’adhésion à des dispositifs individuels par capitalisation, bien avant qu’il ne soit question de réforme des retraites pour laquelle BlackRock est accusé de faire du lobbying.</p>
<p>Le <a href="https://www.amf-france.org/Publications/Rapports-etudes-et-analyses/Epargne-et-prestataires?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F90a1a5ff-b5f0-4967-85e3-2398c9965416">dernier baromètre AMF de l’épargne et de l’investissement</a> montre ainsi clairement que la proportion de nos compatriotes qui souhaite « disposer d’un capital en vue de la retraite » passe de 69 % en 2017 à 72 % en 2018. Lesquels épargnants français, ont investi en 2019, malgré la baisse continue des taux de rendement sur les actifs en euros, <a href="https://www.ffa-assurance.fr/actualites/assurance-vie-collecte-nette-positive-en-decembre-2019">144,6 milliards d’euros bruts sur des contrats d’assurance-vie</a> dont 39,6 milliards sous forme d’unités de compte, soit 27 %, ce qui est le pourcentage le plus élevé depuis des années.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/313057/original/file-20200131-41485-1t5dk4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/313057/original/file-20200131-41485-1t5dk4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/313057/original/file-20200131-41485-1t5dk4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=106&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/313057/original/file-20200131-41485-1t5dk4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=106&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/313057/original/file-20200131-41485-1t5dk4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=106&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/313057/original/file-20200131-41485-1t5dk4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/313057/original/file-20200131-41485-1t5dk4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/313057/original/file-20200131-41485-1t5dk4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les dépenses imprévues, y compris celles de santé, demeurent la priorité dans les objectifs d’épargne, mais aussi prévoir les besoins liés à un âge plus avancé (retraite, perte d’autonomie).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.amf-france.org/Publications/Rapports-etudes-et-analyses/Epargne-et-prestataires?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F90a1a5ff-b5f0-4967-85e3-2398c9965416">Extrait du baromètre AMF (janvier 2020)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La vraie question n’est donc plus de s’inquiéter de la mise en place de dispositifs de préparation à la retraite individuels sur le principe de la capitalisation, ils existent déjà. La vraie question est de les encourager et de faciliter leur utilisation par les épargnants. C’est là justement l’objectif de la Loi Pacte, adoptée en 2019, qui prévoit le lancement de <a href="https://www.retraite.com/dossier-retraite/retraite-complementaire/epargne-retraite/la-loi-pacte-et-la-reforme-de-l-epargne.html">nouveaux plans épargnes retraites</a> (PER) courant 2020. Ces derniers sont censés permettre plus de lisibilité, plus de souplesse, ou encore plus d’options de sortie.</p>
<h2>BlackRock n’est pas un fonds de pension</h2>
<p>Il est important de le rappeler : la société multinationale BlackRock, dont le siège est situé à New York, n’est pas un « fonds de pension », mais tout simplement une entreprise spécialisée dans la gestion de portefeuille pour le compte de tiers, dont les produits financiers sont distribués auprès de leurs clients par des banques privées ou des compagnies d’assurance. BlackRock est aussi célèbre pour son activité de gestion indicielle, qui consiste en rechercher des performances proches de celles d’autres indices majeurs comme le Cac 40 ou le Dow Jones. C’est ce qui explique par exemple que BlackRock soit présent au sein du capital de la majorité des entreprises cotées au Cac 40.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1220652066277875714"}"></div></p>
<p>De leur côté, les fonds de pension sont simplement des véhicules d’épargne longue, individuels ou collectifs. Souvent souscrits dans le cadre de l’entreprise, ils permettent aux actifs de cotiser pour disposer d’un capital disponible lors la cessation d’activité.</p>
<p>Les fonds de pension peuvent prendre de nombreuses formes. Ils peuvent être publics (c’est le cas du célèbre fonds CalPers réservé aux fonctionnaires de l’État de Californie) ou privés. Ils peuvent se présenter sous forme de cotisations définies (les <a href="https://investir.us/creer-une-entreprise-aux-usa/fiscalite-usa/retraite-usa-4-etapes-pour-devenir-un-401k-millionnaire/">plans « 401(k) » aux États-Unis</a>) ou sous forme de prestations définies. Les dispositions fiscales ou sociales sont variables selon les contrées d’origine.</p>
<h2>Un atout pour l’économie</h2>
<p>De nombreux pays, membres ou non de l’OCDE, possèdent des fonds de pension (voir graphique). Il est intéressant de constater que la présence des fonds de pension dans l’économie n’est pas l’apanage des pays anglo-saxons et que certains pays européens comme les Pays-Bas ou la Suisse se caractérisent par un poids très important des fonds de pension par rapport au PIB.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/313058/original/file-20200131-41503-1gulomf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/313058/original/file-20200131-41503-1gulomf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/313058/original/file-20200131-41503-1gulomf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/313058/original/file-20200131-41503-1gulomf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/313058/original/file-20200131-41503-1gulomf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/313058/original/file-20200131-41503-1gulomf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/313058/original/file-20200131-41503-1gulomf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/313058/original/file-20200131-41503-1gulomf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">OCDE (2019)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tous ces pays ont-ils systématiquement tort ou les fonds de pension sont-ils vraiment un atout pour l’économie et les marchés financiers domestiques ? La recherche académique a étudié le sujet de manière extensive et les résultats sont plutôt concluants. Ainsi, une <a href="http://documents.vsemirnyjbank.org/curated/ru/358571468778194284/pdf/multi0page.pdf">étude</a> de 2003 démontre par exemple l’impact positif des institutions d’épargne, telles que les fonds de pension et les compagnies d’assurance, sur les marchés financiers domestiques d’un ensemble de pays développés et en voie de développement.</p>
<p>Les auteurs concluent que la présence d’une épargne institutionnelle conduit à en effet à augmenter la dynamique des marchés financiers, et à accroître ainsi le volume des marchés d’actions et des marchés obligataires. Le financement de l’économie au sens large en est ainsi facilité, puisque tel est, finalement, le rôle des marchés financiers : permettre l’allocation optimale des ressources financières.</p>
<p>Il n’est pas peut-être pas anodin, d’ailleurs, que l’Union européenne ait annoncé en juillet 2019 le lancement en 2021 du <a href="https://www.lecho.be/les-marches/fonds/inside/le-produit-d-epargne-pension-europeen-va-bouleverser-le-deuxieme-pilier/10183275.html"><em>Pan-European Pension Plan</em></a>, un produit financier individuel non obligatoire qui permettra aux Européens d’épargner pour leur retraite…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130959/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Haguet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Certaines des vives réactions au sujet de la Légion d’honneur décernée au président de la filiale française de BlackRock comportaient plusieurs approximations sur le fond.Daniel Haguet, Professeur associé de Finance , EDHEC Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1297102020-01-12T22:53:17Z2020-01-12T22:53:17ZLa police peut-elle changer d’éthique ?<p>Les manifestations anti-racistes et contre les violences policières ont pris une ampleur sans précédent en France, à la suite du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/04/apres-la-colere-les-etats-unis-rendent-hommage-a-george-floyd_6041806_3210.html">décès de George Floyd le 25 mai</a>, homme noir décédé par asphyxie après une interpellation de la police à Minnéapolis. Le gouvernement Macron par la voix de son ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a considérablement <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/09/l-executif-ploie-sous-l-effet-de-souffle-provoque-par-la-mobilisation-contre-les-violences-policieres_6042191_3224.html">modifié son discours</a> sur la question des violences policières, après avoir déclaré qu'elles n'existaient pas. Il a notamment annoncé «une tolérance zéro» quant aux propos ou comportements racistes au sein des forces de l'ordre -suite à <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/06/05/six-policiers-en-conseil-de-discipline-pour-des-propos-racistes-dans-une-conversation-whatsapp_6041851_1653578.html">plusieurs affaires</a> révélées par la presse - et vouloir mettre fin à la technique dite d'étranglement.</p>
<p>Ces événement ravivent régulièrement la fracture entre policiers et citoyens.</p>
<p>Comment enrayer cette escalade de la violence ? Comment revenir à une police vertueuse au service des citoyens ? On serait tenté de répondre qu’il faut inculquer l’éthique déontologique aux policiers et mieux les contrôler. Mais ils savent déjà parfaitement qu’ils doivent respecter les lois de la République et le code de déontologie. Ils savent aussi qu’ils sont souvent filmés sur la voie publique et cela ne les empêche pas de se laisser aller parfois à des comportements violents comme le rappellent les nombreux vidéos et tweets suite aux dernières manifestations.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1215299865233829890"}"></div></p>
<h2>Illégalismes policiers</h2>
<p>Les illégalismes ont été définis par <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Surveiller-et-punir">Michel Foucault</a> comme étant l’ensemble des pratiques illicites associées chacune à des groupes sociaux distincts.</p>
<p>Il précisait que l’illégalisme contient la possibilité d’un respect de la légalité en fonction des circonstances. Cela peut sembler paradoxal mais les <a href="http://www.champsocial.com/book-la_police_contre_les_citoyens_,643.html">spécialistes</a> le savent :</p>
<blockquote>
<p>« Clairement et comme le montre les classiques de la sociologie policière, une attitude de conformité stricte aux règles déboucherait inévitablement sur une paralysie de l’ensemble de l’organisation. »</p>
</blockquote>
<p>Les magistrats eux-mêmes sont complices de cet état de fait, la procédure pénale s’étant complexifiée à tel point qu’il devient difficile de mener à terme une enquête policière en respectant scrupuleusement les lois et règlements sans risquer un vice de procédure. <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rs/2010-v51-n3-rs3994/045502ar/">Jean‑Paul Brodeur</a>, éminent spécialiste de la police, affirmait même que</p>
<blockquote>
<p>« la possibilité toujours ouverte de transgresser impunément les lois auxquelles sont soumis les autres citoyens est constitutive de l’idée de police. »</p>
</blockquote>
<h2>Mimétisme et anomie</h2>
<p>Le mimétisme, par exemple, tient une part importante dans les illégalismes policiers. Il s’agit du comportement adopté par les policiers pour mener à bien leurs missions : rouler à grande vitesse pour rattraper un conducteur en fuite, user de la force pour maîtriser un individu violent ou faire usage d’une arme pour neutraliser un terroriste.</p>
<p>Ce qui peut être reconnu comme légal et légitime dans certaines circonstances mais qui contribue à désinhiber les policiers au quotidien.</p>
<p>L’anomie, aussi joue un rôle. Ici, elle est entendue comme l’absence de règles claires. Ce concept peut paraître contradictoire mais puisque les illégalismes sont des tolérances concédées au grès des circonstances, on peut parler d’anomie policière quand certaines règles ne sont plus clairement établies.</p>
<p>S’agissant des contrôles d’identité par exemple : ceux-ci sont très encadrés par la loi mais les policiers sur le terrain s’en affranchissent largement. Et quand ils ont opéré « hors cadre », s’ils découvrent une infraction, ils trouvent alors un motif de contrôle valable a posteriori pour justifier de leur action initiale.</p>
<p>Les habitus enfin, sont les dispositions intériorisées pendant la socialisation dans un milieu et agissent comme une matrice de perception et d’appréciation de l’environnement. Ainsi, dès les premiers jours dans le métier, les anciens incitent les jeunes à oublier ce qu’ils ont appris à l’école de police et les initient à ce qu’il faut faire en fonction de critères qui leur sont propres…</p>
<p>Sur le terrain, les jeunes policiers auraient tendance à vouloir expliquer les raisons de leur contrôle ou de leur intervention auprès des personnes mais les anciens les en dissuade car « les gens n’ont pas à savoir« et/ou « ne peuvent pas comprendre » et puis « on n’a pas à se justifier ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_RBAqv0VQH8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Dans le film de Ladj Ly, <em>Les Misérables</em>, le policier « Pento » incarne cette figure du policier intègre qui tente de suivre les règles.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un pas vers la déontique</h2>
<p>La frontière est parfois mince entre les illégalismes tolérés et les comportements illégaux de certains policiers. C’est ce qui nous incite à penser que renforcer l’éthique déontologique des policiers ne semble pas pertinent puisqu’il s’agirait de renforcer les textes de lois alors que ceux-ci ne sont déjà pas toujours respectés. Nous suggérons donc qu’il pourrait être plus pertinent de former les agents à la déontique, fondamentalement différente de la déontologie.</p>
<p>La déontique est la science qui étudie les rapports formels qui existent entre des concepts normatifs tels que les obligations, les permissions et les interdictions. On parle même de <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/55648922.pdf">logique déontique</a> qui, pour être efficiente, articule le temps, l’agent, le droit et les destinataires en s’appuyant sur la mise en œuvre d’un discernement éclairé (ce qui nous intéresse car nous en retrouverons la trace plus loin dans le code de déontologie).</p>
<p>Face à une situation d’urgence, le policier se doit d’intervenir rapidement tout en conciliant le respect des lois en vigueur, ses droits et ses devoirs. Rarement il objective les conséquences éventuelles de son action mais pense uniquement à ce qu’il peut faire dans les temps qui lui sont impartis.</p>
<p>Ensuite, en s’appuyant sur l’éthique des vertus, on pourrait amener les policiers à s’interroger sur la mise en œuvre de comportements personnels où les agents ne se demanderaient plus seulement « Comment faire pour bien faire ? » mais plutôt « Comment <em>être</em> pour bien faire ? ». Car selon <a href="https://www.puf.com/content/Lutilitarisme_Essai_sur_Bentham">John Stuart Mill</a> « ce sont les conséquences pour autrui qui permettent d’évaluer moralement nos actes », et même si la plupart des policiers affirment faire preuve de bonne volonté et agir en conscience, <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/petit-traite-des-grandes-vertus-andre-comte-sponville/9782757842072">André Comte-Sponville fait remarquer</a> que :</p>
<blockquote>
<p>« la bonne volonté n’est pas une garantie ni la bonne conscience une excuse : car la morale ne suffit pas à la vertu, il y faut aussi l’intelligence et la lucidité. »</p>
</blockquote>
<h2>Pratiques réflexives</h2>
<p>Et c’est justement une des nouveautés qui apparaît dans le <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Le-ministere/Deontologie">dernier code de déontologie de la police et de la gendarmerie</a> (2014) :</p>
<blockquote>
<p>« Le policier et le gendarme, dans l’exercice de ses fonctions, font preuve de discernement : il tient compte en toutes circonstances de la nature des risques et des menaces de chaque situation à laquelle il est confronté et des délais qu’il a pour agir, pour choisir la meilleure réponse à apporter. »</p>
</blockquote>
<p>On ne parle plus de textes de loi à faire respecter à tout prix, on parle bien de réflexion éthique personnelle à avoir. Mais il faudrait pour cela revoir la formation des policiers car il ne s’agit plus d’imposer des notions de droits rigoristes mais d’amener les agents à réfléchir aux conséquences de leurs actes par la mise en place de <a href="https://journals.openedition.org/osp/4894">pratiques réflexives</a>.</p>
<p>Actuellement il existe des débriefings opérationnels après les opérations ou les manifestations mais ceux-ci ont lieu en groupe et les agents ne sont pas incités à réfléchir individuellement à leurs pratiques, ni à exprimer leur ressenti et/ou prendre en compte les conséquences de leurs actes. Instaurer des pratiques réflexives plus poussées permettrait de changer les mentalités et les modes opératoires.</p>
<p>En effet, il doit être compris que la fin ne saurait justifier les moyens et que la force ne doit rester à la loi que si elle est absolument nécessaire et légitime.</p>
<p>L’enjeu essentiel pour la sécurité du quotidien est de revenir à des comportements personnels vertueux de la part des policiers, basés sur une éthique conséquentialiste, c’est-à-dire, relative à une analyse morale fondée sur les conséquences des actions individuelles ou communes, pour une police au service des citoyens, respectée parce qu’elle est respectable et non parce qu’elle est crainte.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur a récemment publié « Précis d’éthique et de déontologie dans la police », les Editions du Prévôt, 455 pages, 2019</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129710/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Lemercier est Capitaine de police.</span></em></p>Pourquoi les policiers agissent-ils parfois de façon illégale ? Et comment y remédier ? Un changement d’éthique policière est indispensable.Stéphane Lemercier, Chargé de cours - Membre de l'Equipe de Droit Pénal de Montpellier (EDPM), Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1285962019-12-16T17:48:19Z2019-12-16T17:48:19ZFact check : « Les réfugiés sont-ils mieux accompagnés que les SDF » ?<p>Un « migrant fraîchement débarqué » a-t-il le droit à des soins « totalement gratuits lorsque nos compatriotes dans la difficulté sont sans emploi, sans toit, ou renoncent à des soins par manque de moyens ? » Cette citation est <a href="https://twitter.com/mlp_officiel/status/1099691633258446849?lang=fr">extraite</a> d’un discours de Marine Le Pen, lors d’un déplacement à Caudry dans le nord de la France le 24 février 2019. De nombreux journaux ont dénoncé la <a href="https://factuel.afp.com/un-migrant-fraichement-arrive-peut-il-toucher-davantage-quun-retraite">désinformation véhiculée par la présidente du Rassemblement national</a>.</p>
<p>Néanmoins, en septembre, les premières réponses du gouvernement dans le débat sur l’immigration ont porté sur la lutte contre le « tourisme médical » en pointant des dysfonctionnements dans le dispositif de <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/ame-fantasme-tourisme-medical/00091208">l’Aide médicale d’état</a> (AME) et sur la régulation de l’immigration professionnelle.</p>
<p>Les partisans d’une restriction de l’immigration dénoncent l’AME comme un détournement de la générosité française par des migrants venus en France essentiellement dans le but de profiter de la protection sociale.</p>
<p>Or, plusieurs <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i3196.asp">rapports</a>, dont celui tout <a href="http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/AME.pdf">récent</a> rendu en octobre 2019 par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS-IGF), nuancent ces propos.</p>
<p>Reprenons point par point les questions litigieuses.</p>
<h2>L’AME n’est attribuée que pour les personnes en situation irrégulière</h2>
<p>L’AME n’est attribuée que pour les personnes en situation irrégulière, qui résident depuis au moins trois mois sur le territoire français et pouvant prouver un faible niveau de ressources.</p>
<p>Elle se justifie tant pour des raisons humanitaires que d’ordre public (contenir la propagation de pathologies). Elle a bénéficié à 318 000 personnes, ce qui nous donne incidemment un ordre de grandeur de la population sans-papiers migrants en France. Cette aide a coûté à <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/aide-medicale-d-etat-qui-en-beneficie-quels-soins-sont-pris-en-charge-combien-ca-coute-20190923">l’état 908 millions d’euros</a> en 2018 (0,6 % des dépenses de santé).</p>
<p>Certes, d’après le rapport de l’IGAS, les différences de dépenses de soins par rapport à celles des autres assurés – accouchements, insuffisances rénales chroniques, les cancers et les maladies du sang – « renforcent, de façon convaincante l’hypothèse d’une migration pour soins, qui n’est clairement pas un phénomène marginal », puisque plus d’un quart des étrangers en situation irrégulière citeraient les soins parmi les raisons de leur migration.</p>
<p>Pour autant, beaucoup de bénéficiaires potentiels n’y recourent pas.</p>
<p>Les demandeurs d’asile, <a href="https://www.france-terre-asile.org/demandeurs-d-asile-col-280/infos-migrants/demandeurs-d-asile#Q1">donc en situation régulière</a>, relèvent pour leur part de la <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34308">Protection universelle maladie</a> (PUMa) qui s’applique aussi bien aux étrangers qu’à toute personne majeure sans activité professionnelle, « dès lors qu’elle réside en France de manière stable et régulière ». Le coût annuel de cette aide pour les demandeurs d’asile revient à environ 200 millions d’euros.</p>
<h2>Les cotisations sociales des immigrés sont bienvenues</h2>
<p>Sur le plan de l’emploi, <a href="https://read.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/le-recrutement-des-travailleurs-immigres-france-2017_9789264276741-fr#page1">l’OCDE pointe les dysfonctionnements du mécanisme d’autorisation de travail</a> et les pertes de gains dues à absence de politique d’accueil proactive.</p>
<p>Face au déséquilibre du régime des retraites et au vieillissement de la population, les <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/immigration-et-retraites-la-petite-musique-de-delevoye-20191129">cotisations sociales des travailleurs immigrés</a> sont les bienvenues.</p>
<p>Le dispositif de dérogation à la règle de l’autorisation par l’administration, sur la base d’une liste de métiers en tension sur le plan local (mis en œuvre en 2008), est <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/le-recrutement-des-travailleurs-immigres-france-2017_9789264276741-fr">notoirement inefficace</a> : « seuls 15 % des métiers inscrits sur la liste seraient encore en tension sur l’ensemble du territoire en 2015 ».</p>
<p>Mais l’État français persiste, et propose une version adaptée du dispositif, nonobstant une concertation préalable avec les partenaires sociaux. 33 000 titres de séjour ont été accordés pour motif de travail en 2018, dont 8 000 régularisations de sans-papiers.</p>
<p>Une politique cohérente visant à attirer des profils qualifiés en France <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-09/20190916-rapport-mobilite-internationale-etudiants_0.pdf">devrait se traduire par une politique ciblant les meilleurs étudiants</a> de master ou de doctorat, ce que la France sait fort mal faire – et les <a href="https://theconversation.com/hausse-des-frais-dinscription-en-fac-une-tendance-contre-productive-111545">hausses récentes des droits d’inscription</a> décidée à leur encontre ne va pas dans le bon sens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128596/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yannick Prost est Secrétaire général de l’Association Services Publics.</span></em></p>Les migrants sont-ils venus en France dans le but de profiter de la protection sociale ?Yannick Prost, enseignant en relations internationales (Sciences Po) - responsable de l'unité d'enseignement "aire juridique et administrative'" (Master Lisi, UFR EILA, Université Paris VII Denis DIderot), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1189542019-06-18T20:51:02Z2019-06-18T20:51:02ZLe combat de l’Argentine pour améliorer les conditions de travail des domestiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/279965/original/file-20190618-118522-vleoc3.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C777%2C511&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d'écran d'une campagne télévisée argentine pour sensibiliser les employées et employeurs aux conditions de travail des domestiques.</span> <span class="attribution"><span class="source">Comercial Afip Cocina</span></span></figcaption></figure><p>Carmen, 48 ans, travaille comme employée de maison depuis l’âge de 15 ans. Elle a commencé par aider sa mère, elle-même domestique. Mère célibataire de trois enfants, cette dernière a quitté sa région rurale du nord-est de l’Argentine dans les années 1970 pour s’installer à Buenos Aires, en quête d’une vie meilleure.</p>
<blockquote>
<p>« J’ai toujours fait ce métier depuis. On pense que c’est provisoire mais, quand on commence, c’est difficile de faire autre chose. J’ai arrêté quand j’ai eu mes propres enfants, mais seulement pendant les six ou sept premières années. Quand mon mari m’a quittée […] ça a été le moyen le plus rapide de regagner de l’argent. »</p>
</blockquote>
<p>L’histoire de Carmen confirme les statistiques qui montrent que le secteur du travail domestique tend à exclure les femmes en <a href="https://www.ilo.org/buenosaires/temas/economia-informal/WCMS_592331/lang--es/index.htm">âge de procréer</a> : 63 % des personnes concernées ont plus de 40 ans, contre 40 % des femmes exerçant un autre emploi. Cela résulte en partie de l’absence de congé maternité en Argentine jusqu’en 2013 et, en partie, du manque de crèches.</p>
<h2>« C’est comme si je faisais partie de la famille »</h2>
<blockquote>
<p>« Ce que je préfère dans mon emploi actuel c’est qu’ils [mes employeurs] sont très attentionnés. Avec eux c’est comme si je faisais partie de la famille. Je travaille chez eux depuis 15 ans. »</p>
</blockquote>
<p>Le témoignage de Carmen montre clairement que la dimension personnelle et affective est cruciale dans l’appréciation des conditions de travail. Dans ce secteur, les employées sont en position de vulnérabilité – dans le contexte d’une relation de travail très asymétrique – et risquent donc d’être victimes de toutes sortes d’abus et de mauvais traitements.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/278872/original/file-20190611-32317-qv8isw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/278872/original/file-20190611-32317-qv8isw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/278872/original/file-20190611-32317-qv8isw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/278872/original/file-20190611-32317-qv8isw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/278872/original/file-20190611-32317-qv8isw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/278872/original/file-20190611-32317-qv8isw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/278872/original/file-20190611-32317-qv8isw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les employées de maison argentines viennent souvent de milieux économiques et sociaux défavorisés, y compris la mère de Carmen, qui a quitté sa région rurale pour trouver du travail en ville. Ici, à Mendoza en 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nalejandro/12973069604/">Nicolas Alejandro/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour les travailleuses informelles, trouver des employeurs qui leur donnent l’impression de faire « partie de la famille » est souvent la meilleure chose qui leur puisse arriver. Toutefois, Carmen a récemment vu ses conditions de travail s’améliorer de façon significative.</p>
<p>En 2006, après la mise en place par le gouvernement <a href="http://www.pdfhumanidades.com/sites/default/files/apuntes/TP1%20%20TIZZIANI%20y%20PEREYRA%20Servicio%20domestico.pdf">d’avantages fiscaux</a> pour les ménages qui déclarent leurs employés, elle est devenue pour la première fois une travailleuse officielle.</p>
<blockquote>
<p>« [Mes employeurs] ont même eu la gentillesse de me déclarer. Personne ne l’avait jamais fait depuis toutes ces années ! »</p>
</blockquote>
<p>Elle a vécu ce changement de statut comme une faveur personnelle de la part de ses employeurs, mais s’est aussi rendu compte des avantages de sa nouvelle situation :</p>
<blockquote>
<p>« Maintenant, j’ai un compte en banque et une carte de crédit… Je n’ai plus à transporter mon salaire en liquide à la fin du mois, ce qui est trop dangereux. »</p>
</blockquote>
<p>Elle bénéficie aujourd’hui d’une assurance santé et de bulletins de salaire qui pourront l’aider à obtenir un prêt immobilier ou à faire valoir ses droits à la retraite.</p>
<h2>Davantage de droits, mais pas pour tout le monde</h2>
<p>En complément de ces efforts de régularisation, une version améliorée du texte de loi relatif aux travailleurs domestiques <a href="https://www.ilo.org/buenosaires/temas/economia-informal/WCMS_592331/lang--es/index.htm">a été adoptée en 2013</a>, afin de leur donner davantage de droits. Tout comme les autres salariés du secteur privé argentin, Carmen a maintenant droit à un mois de congés payés ainsi qu’à des augmentations de salaire et à une assurance.</p>
<p>Toutefois, les avantages dont elle dispose sont encore loin d’être la norme.</p>
<blockquote>
<p>« Quand je prends le train et que je discute avec d’autres [employées de maison], je me rends compte que je suis privilégiée : la plupart travaillent encore au noir et doivent supplier leurs patrons pour avoir une augmentation, un congé payé ou des choses comme ça. Elles savent que c’est leur droit d’être déclarées, mais ça dépend vraiment des employeurs. C’est pour ça que je vous dis que j’ai de la chance de travailler pour des gens si généreux. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/278876/original/file-20190611-32361-ekn476.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/278876/original/file-20190611-32361-ekn476.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/278876/original/file-20190611-32361-ekn476.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/278876/original/file-20190611-32361-ekn476.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/278876/original/file-20190611-32361-ekn476.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/278876/original/file-20190611-32361-ekn476.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/278876/original/file-20190611-32361-ekn476.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les employées de maison dépendent souvent de la bonne volonté de leurs employeurs pour obtenir de meilleures conditions de travail. Ici, San Isidro, province de Buenos Aires, 2003.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/adam_jones/3773950400/in/album-72157621775124927/">Adam Jones/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un million de femmes sont employées comme domestiques</h2>
<p>Ces lois sont d’autant plus importantes qu’en Argentine – comme dans <a href="http://www.fes-connect.org/trending/domestic-service-and-social-protection-in-latin-america">toute l’Amérique latine</a> – le nombre de déclarations d’employées dans ce secteur est historiquement bas.</p>
<p>Jusqu’au début du XXI<sup>e</sup> siècle, le pourcentage de travailleuses domestiques déclarées tournait <a href="https://www.ilo.org/buenosaires/temas/economia-informal/WCMS_592331/lang--es/index.htm">autour de 5 %</a>. La situation est encore plus problématique étant donné le poids significatif du secteur dans la structure professionnelle du pays (similaire à celle de l’ensemble de la région).</p>
<p>Le travail domestique est en effet une activité peu qualifiée qui, dans les sociétés très inégalitaires, est exercée par une fraction non négligeable de la population féminine. En Argentine, près d’un million de femmes sont employées dans ce secteur. Elles représentent 7 % de l’ensemble des travailleurs du pays, 13 % des travailleuses et près de 16 % <a href="https://www.ilo.org/buenosaires/temas/economia-informal/WCMS_592331/lang--es/index.htm:">des salariées</a>.</p>
<p>Depuis quelques décennies, un ensemble de mesures économiques et de campagnes d’information ont été mises en place pour améliorer les conditions de travail de ces employées. Sans surprise, ces incitations économiques se sont révélées très efficaces pour faire augmenter le pourcentage d’employées déclarées, qui est monté à <a href="https://www.pdfhumanidades.com/sites/default/files/apuntes/TP1%20%20TIZZIANI%20y%20PEREYRA%20Servicio%20domestico.pdf">près de 15 %</a>.</p>
<h2>Sensibilisation du public et innovations</h2>
<p>Une vaste campagne de sensibilisation a également été lancée, à l’aide de spots radio et télé, et d’affiches dans les rues et les transports en commun. Malgré tout, la situation et le respect des droits des travailleuses domestiques restent difficiles à contrôler, étant donné que leur activité s’exerce dans des résidences privées où les inspecteurs du travail n’ont pas le droit d’entrer, sous peine de violer la constitution.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/v-GYb3fxLMc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Publicité destinée à sensibiliser le public à la situation des employées de maison.</span></figcaption>
</figure>
<p>À cet égard, et pour conclure sur le chapitre des mesures politiques, le cas de l’Argentine montre aussi l’émergence de pratiques novatrices. Dans les années <a href="https://www.mcgill.ca/lldrl/files/lldrl/poblete_final.pdf">2000</a>, par exemple, le Service national des impôts a installé des points d’accueil dans les plus riches quartiers résidentiels pour faciliter les inspections.</p>
<p>Étant donné que, dans ces quartiers, les résidences disposent en général d’une porte de service pour le personnel, les inspecteurs abordaient les employées à cette entrée pour leur poser quelques questions sur leurs conditions de travail. Les employeurs étaient tenus de donner aux inspecteurs le nom et l’adresse exacts de leurs employées et, lorsque celles-ci n’étaient pas déclarées, ils recevaient une citation à comparaître.</p>
<p>En 2017, la même institution a envoyé une lettre aux 10 % de ménages parmi les plus riches du pays qui disent ne pas employer de domestique. La lettre leur demandait de confirmer par une déclaration sur l’honneur l’exactitude de cette situation et les avertissait qu’ils risquaient des sanctions pénales en cas de fausse déclaration. Bien que l’impact de telles initiatives soit limité, elles servent d’exemple et montrent qu’un contrôle et des sanctions existent, tout en renforçant l’idée que le travail informel dans ce secteur professionnel est illégal.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/278880/original/file-20190611-32373-1dj52v1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/278880/original/file-20190611-32373-1dj52v1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/278880/original/file-20190611-32373-1dj52v1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/278880/original/file-20190611-32373-1dj52v1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/278880/original/file-20190611-32373-1dj52v1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/278880/original/file-20190611-32373-1dj52v1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/278880/original/file-20190611-32373-1dj52v1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les travailleuses domestiques s’organisent pour défendre leurs droits avec le soutien du gouvernement. Ici, en Argentine à un séminaire de la Fédération internationale des travailleurs domestiques, en 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/idwf/albums/72157690282733854">Claire E. Hobden/IDWF</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« Il y a toujours quelqu’un pour faire le même travail pour moins cher »</h2>
<p>Quoique modeste, la hausse du nombre de travailleuses déclarées fait émerger de nouvelles pratiques, de nouveaux discours et paramètres, au sein desquels les notions de droits, de devoirs et de responsabilité commencent à prendre de l’importance.</p>
<p>Toutefois, déclarer ses employées est encore loin d’être la norme. En dépit de tous ces efforts et de toutes ces avancées, trois travailleuses domestiques sur quatre ne sont toujours pas déclarées. Il est particulièrement difficile d’aider ces femmes à régulariser leur situation dans des sociétés très inégalitaires où l’offre de ces services tend à excéder la demande. Comme le résume une employée :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a toujours quelqu’un pour faire le même travail pour moins cher. C’est ça le problème. »</p>
</blockquote>
<p>C’est justement pour cette raison qu’il faut continuer à établir de nouveaux mécanismes – qu’il s’agisse d’incitations économiques, de campagnes de sensibilisation, de contrôle, de sanctions, etc. – pour faire en sorte que de plus en plus de travailleuses domestiques puissent quitter le monde opaque du travail informel.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AASVLeuhLF8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trois questions à Francisca Peyreyra sur les travailleuses informelles en Argentine, The Conversation en partenariat avec l’AFD.</span></figcaption>
</figure>
<hr>
<p><em>Cet article fait suite à un colloque <a href="https://ideas4development.org/emploi-informel-developpement-social-travail/">organisé par l’AFD</a> autour de la question du travail informel.</em></p>
<p><em>Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr/">Fast ForWord</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118954/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Francisca Pereyra a été consultante pour l'OIT dans le cadre de ses recherches.</span></em></p>Malgré de nombreux progrès en terme de protection sociale, les employées de ménages en Argentine restent confrontées à une forte vulnérabilité.Francisca Pereyra, Sociologist, Universidad Nacional de General SarmientoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1154762019-04-15T18:16:01Z2019-04-15T18:16:01ZLe long chemin européen vers l’harmonisation sociale et fiscale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/269265/original/file-20190415-147480-1phaeav.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C13%2C875%2C682&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De nombreuses multinationales comme Google ont choisi d'installer leurs locaux européens en Irlande, où le taux d’imposition sur les sociétés est plus bas qu’ailleurs.</span> <span class="attribution"><span class="source">Laura Hutton / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>À la veille des élections européennes, la question qui anime les débats est celle des conditions de la refondation du projet européen et de ses finalités. Il est clair qu’une réactualisation de l’idée des pères fondateurs d’une <a href="https://europa.eu/european-union/about-eu/symbols/europe-day/schuman-declaration_fr">fédération européenne</a> ne suffira pas à rassembler une majorité d’Européens. Les candidats aux élections l’ont d’ailleurs bien compris. Si la forme politique et institutionnelle de la construction européenne a longtemps concentré les débats, ce sont surtout les moyens d’accomplir sa mission de protection qui interrogent aujourd’hui.</p>
<p>La question des moyens renvoie à celle des compétences et de sa répartition entre les États membres et l’Union européenne. Cette répartition est définie dans l’<a href="https://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/fonctionnement/france-ue/qu-est-ce-que-principe-subsidiarite.html">article 5</a> du traité sur l’Union européenne (TUE), aussi appelé traité de Maastricht, par le principe de <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2008-6-page-777.htm">subsidiarité</a> selon lequel, « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres ».</p>
<p>L’Union européenne dispose donc de moyens limités pour agir dans des domaines tels que l’immigration, la protection sociale, la lutte contre le terrorisme, etc. Pourtant, c’est sur ces questions relatives à la protection de leurs intérêts stratégiques, de leurs modes de vie, et de leurs préférences en termes de modèles économiques et sociaux que les citoyens attendent davantage de leur appartenance à l’UE, comme le révèle un <a href="http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/eu-affairs/20180912STO13338/sondage-ce-que-les-europeens-attendent-de-l-union-europeenne">sondage Eurobaromètre</a> réalisé en septembre 2018 par le Parlement européen.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/269261/original/file-20190415-147487-100403x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269261/original/file-20190415-147487-100403x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269261/original/file-20190415-147487-100403x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269261/original/file-20190415-147487-100403x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269261/original/file-20190415-147487-100403x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269261/original/file-20190415-147487-100403x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269261/original/file-20190415-147487-100403x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269261/original/file-20190415-147487-100403x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Domaines dans lesquels les citoyens attendent une action renforcée de l’UE.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.europarl.europa.eu/at-your-service/files/be-heard/eurobarometer/2018/delivering_on_europe_citizens_views_on_current_and_future_eu_action/report.pdf">Eurobarometer 85.1 et 89.2</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un objectif qui ne date pas d’hier…</h2>
<p>Pour répondre à ce besoin de protection, France Stratégie a publié en avril 2019 une note d’analyse intitulée <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/refonder-leurope-de-solidarite">« Refonder l’Europe de la solidarité »</a>, dans laquelle elle préconise une coordination renforcée et accrue dans plusieurs domaines, afin de répondre à quatre objectifs principaux : « écarter la tentation du moins-disant en matière sociale, fiscale et salariale ; mieux accompagner les mutations ; encourager la mobilité ; privilégier l’action en commun lorsque l’efficacité l’impose ».</p>
<p>Si la note précise que les compétences de l’UE ne peuvent pas s’étendre à l’ensemble des politiques sociales, elle incite néanmoins à revoir la répartition des rôles entre les niveaux nationaux et européens dans un souci d’efficacité, notamment pour permettre une meilleure convergence des systèmes fiscaux et sociaux des États.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269266/original/file-20190415-147502-svlerv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269266/original/file-20190415-147502-svlerv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269266/original/file-20190415-147502-svlerv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269266/original/file-20190415-147502-svlerv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269266/original/file-20190415-147502-svlerv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269266/original/file-20190415-147502-svlerv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269266/original/file-20190415-147502-svlerv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jacques Delors à Lausanne, en 2001.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Nvpswitzerland">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Cet objectif de convergence – <a href="http://confrontations.org/la-revue/fiscalite-en-europe-harmonisation-ou-convergence/">terme qui est souvent préféré à celui d’harmonisation</a> – ne date pas d’aujourd’hui. Dès 1985, Jacques Delors, président de la Commission, publiait son <a href="https://www.cvce.eu/collections/unit-content/-/unit/df06517b-babc-451d-baf6-a2d4b19c1c88/5673993b-5e5d-4ee3-9d12-4bd18e9fb9d6/Resources#0d72b347-b235-4c9d-bb71-ba38824f5d49_fr&overlay">Livre blanc sur l’achèvement du marché intérieur</a>, dans lequel il préconisait notamment « l’harmonisation des règles et le rapprochement des législations et des structures fiscales ».</p>
<p>S’il ne parlait pas explicitement d’une harmonisation sociale, il reconnaissait néanmoins la nécessité d’approfondir le « dialogue avec les gouvernements et les partenaires sociaux en vue de s’assurer que les opportunités offertes pour l’achèvement du marché intérieur soient accompagnées de mesures appropriées pour atteindre les objectifs de la communauté en matière d’emploi et de sécurité sociale ».</p>
<h2>Systèmes de protection sociale en concurrence</h2>
<p>Certes, de <a href="https://ue.delegfrance.org/la-construction-de-l-europe">nombreuses avancées</a> ont été réalisées en matière d’harmonisation des droits sociaux, notamment dans le domaine du droit du travail et l’égalité hommes-femmes, ou encore par le biais des libertés de circulation. Mais des blocages subsistent. Ils sont de trois ordres :</p>
<ul>
<li><p>Juridique : la <a href="http://www.nouvelle-europe.eu/viking-et-laval-libertes-de-circulation-versus-droits-sociaux">Cour de Justice de l’UE</a> lève les entraves nationales à la libre circulation au détriment parfois des politiques sociales des États membres ;</p></li>
<li><p>Économique : la <a href="https://www.challenges.fr/economie/que-signifie-la-regle-d-or-budgetaire_324">règle d’or budgétaire</a> limite les dépenses publiques des États, donc le financement des politiques de solidarité et des mécanismes de redistribution ;</p></li>
<li><p>Politique : la <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2008-1-page-43.htm?try_download=1">diversité des modèles fiscaux et sociaux</a> des États membres rend laborieux le chemin vers un modèle social européen unique.</p></li>
</ul>
<p>Ces trois facteurs, conjugués au primat de la libre concurrence dans le droit européen, provoquent une course au moins-disant en matière fiscale et sociale qui a pour effet de mettre en concurrence les systèmes de protection sociale des États membres. Par exemple, les taux d’imposition sur les sociétés en Irlande et en Hongrie sont plus bas qu’ailleurs en Europe, ce qui pousse un grand nombre d’entreprises à se délocaliser dans ces pays.</p>
<h2>Le Brexit complique la donne</h2>
<p>En matière sociale, la <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2016-3-page-82.htm?contenu=resume">directive sur les travailleurs détachés</a> a fait couler beaucoup d’encre : celle-ci permettait aux entreprises européennes de détacher leurs travailleurs dans d’autres États membres, au même salaire et suivant les règles de protection sociale en vigueur dans le pays d’origine. La <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/05/30/travailleurs-detaches-la-revision-de-la-directive-est-adoptee-par-le-parlement-europeen_5306950_3234.html">révision en 2018</a> de cette directive témoigne de la volonté de lutter contre les pratiques de dumping social et fiscal en Europe.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269267/original/file-20190415-147514-jtr9cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269267/original/file-20190415-147514-jtr9cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269267/original/file-20190415-147514-jtr9cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269267/original/file-20190415-147514-jtr9cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269267/original/file-20190415-147514-jtr9cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269267/original/file-20190415-147514-jtr9cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269267/original/file-20190415-147514-jtr9cz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La directive sur les travailleurs détachés a été révisée en 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photoshooter2015/Shutterstock</span></span>
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<p>Mais le chemin vers l’harmonisation sociale et fiscale, s’il n’est plus aussi utopique aujourd’hui qu’hier, sera vraisemblablement encore long. La perspective du Brexit n’arrange pas les choses. En effet, si la sortie des Britanniques de l’UE présente un avantage certain dans la reprise des discussions sur la question de l’harmonisation (car ils s’y sont toujours fermement opposés), elle interroge toutefois sur le financement qu’impliquerait une telle convergence des systèmes sociaux et fiscaux. L’harmonisation a un coût, surtout si on souhaite qu’elle se fasse par le haut. Or, le <a href="http://institutdelors.eu/publications/brexit-et-budget-de-lue-menace-ou-opportunite/">Brexit aura un impact non négligeable sur le budget communautaire</a>, le Royaume-Uni étant l’un des principaux contributeurs nets.</p>
<p>Alors que faire ? Si les moyens existent, notamment par le biais des coopérations renforcées introduites par le <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/le-traite-d-amsterdam-1997.html">traité d’Amsterdam</a> en 1997, reste à trouver la ou les volontés politiques qui auront le courage de les mettre en œuvre. L’impulsion nécessaire viendra peut-être de la société civile elle-même : en février 2019, les deux principales organisations patronales françaises ont lancé un <a href="https://www.challenges.fr/monde/europe/les-patrons-veulent-une-harmonisation-fiscale-en-europe_640777">appel en faveur d’une convergence fiscale dans l’UE</a>. Reste à voir maintenant si cet appel sera repris par d’autres organisations patronales et syndicales à travers l’Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115476/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joséphine Staron est membre de Synopia, l'observatoire des gouvernances (think tank français). </span></em></p>Même si des progrès ont été réalisés ces dernières décennies, la fin de la course au moins-disant social et fiscal apparaît encore comme une perspective lointaine dans l’UE.Joséphine Staron, doctorante en philosophie politique à la faculté des Lettres de la Sorbonne, Teacher Assistant à Sciences po Paris, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1112782019-03-21T23:05:25Z2019-03-21T23:05:25ZLa politique migratoire en Suède : vers la fin d’un modèle ?<p>La société scandinave est dite cosmopolite et tolérante à bien des égards. La Suède, par son esprit humaniste et son architecture politique, attire de nombreux migrants à la recherche de sécurité. Toutefois, si ce pays a longtemps été vanté pour ses politiques d’accueil et d’hospitalité, les mesures de rigueur font l’objet d’une surenchère sous la pression de la montée de l’extrême droite.</p>
<h2>Les spécificités du modèle suédois</h2>
<p>L’exceptionnalité de la démocratie suédoise se perçoit à travers une politique du compromis et du consensus, ainsi que la recherche d’une stabilité institutionnelle. La crise économique dans les années 1990 y a toutefois remis en question la <a href="http://www.slate.fr/story/146724/limites-super-modele-suede">version « douce » du capitalisme</a> qui avait pour objectif d’accorder une grande importance à l’égalité sociale, reposant sur des impôts élevés pour financer un système d’aide sociale redistributif et universaliste.</p>
<p>Les mesures prises à la suite de cette crise ont permis au pays de rebondir assez rapidement, en parvenant à maintenir un niveau élevé de protection sociale pour ses citoyens, tout en garantissant le <a href="http://www.rfi.fr/europe/20171117-suede-modele-social-inspiration-france-macron-scandinavie">libre fonctionnement du marché et sa compétitivité</a>. L’État providence suédois est ainsi le fruit d’un contrat social reposant sur un dialogue tripartite entre l’État, les partenaires sociaux et les employeurs.</p>
<p>Les ingrédients de la recette suédoise reposent ainsi sur la puissance des syndicats et de la négociation collective, la présence d’entreprises rentables, un droit du travail fort mais souple, une politique de la famille égalitaire, mais aussi sur un esprit de justice sociale et d’ouverture.</p>
<h2>Une politique migratoire historiquement généreuse</h2>
<p>La Suède a historiquement eu une politique migratoire dite « généreuse » avec l’accueil de nombreux demandeurs d’asile et la mise en place de diverses mesures pour leur venir en aide.</p>
<p>Dès 1975, la politique d’assimilation est remplacée par une approche multiculturelle qui se veut plus respectueuse de l’identité de l’immigré. Ainsi, dans les années 1980, de nombreuses populations fuyant les conflits (Chili, Liban, ex-Yougoslavie, etc.) arrivent en Suède. Le pays est alors devenu un <a href="http://liu.diva-portal.org/smash/record.jsf?pid=diva2%3A646036&dswid=-4238">« centre de gravité »</a> pour de nombreuses communautés.</p>
<p>À la fin des années 1990, la question de l’immigration commence à devenir un sujet sensible. Un discours populiste et intolérant, jusque-là inaudible, devient légitime aux yeux d’une partie de la population dans un pays marqué par l’arrivée de nombreux réfugiés alors que le pays souffre d’une crise du logement et que le marché du travail y est stagnant. C’est à partir de cette période que les <a href="https://www.lesinrocks.com/2018/09/05/actualite/suede-comment-peut-expliquer-lexplosion-de-lextreme-droite-alors-que-leconomie-est-au-beau-fixe-111121616/">groupuscules d’extrême droite se développent en Suède</a>. Les choix des sociaux-démocrates ainsi que le modèle multiculturel qu’ils prônent sont peu à peu remis en question par une partie importante de l’opinion publique.</p>
<p>Toutefois, malgré le tournant de ses politiques d’intégration, la Suède cherche toujours à privilégier la cohésion sociale et la concertation. De plus, l’ouverture de l’espace Schengen – que la Suède rejoint en 2001 – contribue à une importante libéralisation des frontières entre l’État scandinave et des autres pays membres de l’Union européenne.</p>
<p>Entre 2014 et 2015, la Suède est ainsi, en proportion, le pays d’Europe qui a accueilli le plus grand nombre de <a href="https://read.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/working-together-skills-and-labour-market-integration-of-immigrants-and-their-children-in-sweden_9789264257382-en">demandeurs d’asile et de réfugiés par habitant jamais enregistré dans un pays de l’OCDE</a> – principalement du Moyen-Orient et d’Afrique. Aussi, avec 16 % de sa population née à l’étranger, la Suède possède l’une des plus grandes populations d’immigrants parmi les pays européens de l’OCDE. En 2015, selon l’<a href="https://www.migrationsverket.se/English/About-the-Migration-Agency/Statistics.html">Agence des migrations</a>, plus de 160 000 personnes ont demandé l’asile en Suède – soit deux fois plus qu’en 2014.</p>
<h2>La Suède, « superpuissance humanitaire »</h2>
<p>La politique d’asile constitue l’un des piliers des politiques migratoires de la Suède qui examine et accorde l’asile aux personnes reconnues comme réfugiés conformément aux <a href="https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/statusofrefugees.aspx">Conventions sur les réfugiés</a> que le pays a signées. Avec la politique du regroupement familial, en 2014, plus de 40 000 personnes ont obtenu leur résidence en Suède.</p>
<p>Des opportunités de travail, l’octroi de bourses universitaires et la croissance économique des start-up, tout autant que l’apparition des « love refugees » (immigrés venus en Suède après être tombés amoureux d’un ou d’une résident·e suédois·e) favorisent également l’implantation de nombreux migrants en Suède.</p>
<iframe allowfullscreen="true" style="transition-duration:0;transition-property:no;margin:0 auto;position:relative;display:block;background-color:#000000;" frameborder="0" scrolling="no" width="100%" height="406" src="https://www.arte.tv/player/v3/index.php?json_url=https%3A%2F%2Fapi.arte.tv%2Fapi%2Fplayer%2Fv1%2Fconfig%2Ffr%2F088856-000-A%3FlifeCycle%3D1&lang=fr_FR&mute=0"></iframe>
<p>À cet égard, il convient de noter ici la <a href="https://www.arbetsformedlingen.se/Om-oss/Statistik-och-publikationer.html">baisse du taux de chômage en Suède</a> à 6,8 %, le taux le plus bas depuis fin 2008. Ainsi, même si le taux de chômage des personnes nées à l’étranger atteint, lui, <a href="http://www.slate.fr/story/166181/la-suede-accueilli-600000-refugies-et-son-economie-se-porte-bien">20 %</a>, les nouveaux migrants obtiennent aujourd’hui un emploi deux fois plus rapidement que ceux arrivés lors de la dernière décennie et contribuent au <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/les-histoires-du-monde/les-histoires-du-monde-10-octobre-2016">boom économique</a> de la Suède.</p>
<p>La Suède est ainsi qualifiée de <a href="http://geoposvea.hypotheses.org/535">« superpuissance humanitaire »</a>, selon les dires de l’ex-premier ministre conservateur Fredrik Reinfeldt. À titre d’exemple, les demandeurs d’asile ont la possibilité de demander une <a href="https://www.migrationsverket.se/Other-languages/Francais/Protection-et-asile-en-Suede.html">« indemnité journalière »</a> d’un montant de 71 couronnes suédoises par jour pour un adulte seul (soit environ 7,70 euros), ou de 24 couronnes suédoises par jour si la nourriture leur est fournie gratuitement (soit environ 2,50 euros).</p>
<p>La Suède offre également aux demandeurs d’asile un hébergement, géré soit par l’Agence des migrations soit par un acteur privé (hébergement gratuit si le demandeur d’asile n’a pas les ressources financières suffisantes). Dans l’attente de la décision concernant leur demande d’asile, des cours intensifs de langue suédoise sont également donnés aux nouveaux arrivants et ils peuvent bénéficier de soins médicaux et dentaires d’urgence, ainsi que de tout soin qui ne peut pas attendre.</p>
<h2>Le pays se crispe</h2>
<p>Si l’année 2015 est marquée en Suède par le slogan « Welcome Refugees », le tournant pris au même moment laisse peu augurer de la continuité du modèle dit scandinave (voir ci-dessous). Le premier ministre social-démocrate Stefan Löfven estime alors que le pays <a href="https://www.thelocal.se/20151109/weeklyasylum-claims-top-10000-in-sweden">« ne peut plus accueillir autant de demandeurs d’asile »</a> qu’auparavant, étant débordé par l’arrivée de 10 000 demandeurs d’asile par semaine à l’automne 2015 (selon les chiffres de la presse nationale).</p>
<p>Dans le contexte européen de cloisonnement des frontières, la Suède va multiplier les démarches visant à <a href="https://fr.euronews.com/2016/01/04/la-suede-retablit-le-controle-aux-frontieres-pour-limiter-l-afflux-de-refugies">limiter l’afflux de migrants</a>. Les frontières sont rétablies et des papiers d’identité sont systématiquement demandés entre le Danemark et la Suède. De plus, les permis de séjour permanents sont remplacés par des permis de résidence temporaires. Autre mesure phare de ce changement de politique migratoire : l’expulsion des migrants dont la demande d’asile a été rejetée par l’utilisation plus importante d’avions charters et non plus des vols commerciaux.</p>
<p>Le coup de frein migratoire instauré, marqué par des délais administratifs contraignants et des règles de plus en plus strictes, incite par ailleurs certains migrants à <a href="http://www.independent.co.uk/news/world/europe/refugee-crisis-asylum-seekers-sweden-applications-withdrawn-record-numbers-a7209231.html">emprunter le chemin en sens inverse</a> – un mouvement que le gouvernement suédois soutient par une subvention au retour.</p>
<p>La question de l’immigration a, en outre, peu à peu investi le débat public national. La colère sociale apparue ces dernières années peut s’expliquer par divers facteurs. Le domaine de l’emploi, notamment, représente un défi majeur pour la Suède avec l’existence d’un écart important entre natifs et migrants. La répartition spatiale de la population immigrée dans certains quartiers – notamment la concentration des communautés issues de l’immigration dans certaines zones à Rosengard ou à Malmö par exemple – souligne l’existence d’une fracture sociale au sein du pays.</p>
<h2>Des mineurs et jeunes adultes en danger</h2>
<p>Ce tour de vis n’est pas sans conséquence. Une étude menée récemment par des chercheurs de l’Institut Karolinska a mis en exergue la hausse alarmante des <a href="https://www.thelocal.se/20180219/suicides-higher-among-refugee-youths-in-sweden">taux de suicide chez les mineurs et jeunes non accompagnés en Suède</a>. En 2017, parmi les jeunes âgés entre 10 et 21 ans, le taux de suicide était de 51,2 pour 100 000, alors qu’il était de 5,2 pour 100 000 parmi les Suédois de la même tranche d’âge.</p>
<p>Ces jeunes mineurs non accompagnés font face à une immense détresse pouvant s’expliquer par les expériences traumatiques vécues dans leur pays d’origine, tout autant que pendant leur parcours migratoire jusqu’en Suède.</p>
<p>En outre, le <a href="https://pulitzercenter.org/reporting/sweden-steps-deportation">pays ne reconnaît pas le statut de réfugié à de nombreux jeunes mineurs non accompagnés</a> en application de la définition suédoise et européenne en la matière. Refusant de prendre en considération le niveau élevé de dangerosité du pays d’origine, Stockholm ne s’interdit pas de recourir aux déportations pour ces mineurs devenus entre-temps adultes : dès l’âge de 18 ans, l’impératif d’avoir un membre de la famille dans le pays d’origine n’est en effet plus requis.</p>
<p>Autre fait alarmant : le syndrome <a href="https://www.wired.it/lifestyle/salute/2018/02/16/svezia-bambini-rifugiati-sindrome-da-rassegnazione/">« uppgivenhetssyndrom »</a> qui touche majoritairement des enfants de réfugiés dont le permis de séjour a été, ou risque d’être révoqué, par l’État suédois. Immobilité, incapacité de manger ou de boire, manque de réactivité et parfois même coma : tels sont les symptômes de cette maladie. En Suède, ces enfants de réfugiés doivent s’accommoder de nouvelles traditions, s’acclimater à un nouvel environnement sans pour autant avoir la possibilité de se projeter en raison de la menace de retourner là d’où ils viennent.</p>
<p>Les personnes âgées ne sont pas plus épargnées par ces mesures draconiennes prises par la Suède. Ainsi, une femme de 106 ans, ayant fui l’Afghanistan et surnommée la <a href="https://www.thelocal.se/20170818/sweden-rejects-worlds-oldest-refugees-asylum-application">« plus âgée des réfugiés au monde »</a>, s’est vu notifier une décision d’expulsion par les autorités suédoises. <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/sep/04/sweden-rejects-asylum-claim-by-106-year-old-afghan-woman-bibihal-uzbeki">Le parcours migratoire de Bibihal Uzbeki</a> a pourtant été des plus périlleux : elle s’est d’abord réfugiée en Iran pour fuir les talibans, a traversé la Turquie et la Grèce, avant de se retrouver dans un camp de réfugiés en Croatie après 20 jours de marche et portée à tour de rôle par des membres de sa famille.</p>
<h2>Montée de l’extrême droite et fragmentation politique</h2>
<p>La Suède, qui a adopté des mesures de plus en plus draconiennes dans la gestion de l’immigration, censées répondre aux inquiétudes d’une partie de l’électorat, n’échappe pas à la montée de partis d’extrême droite.</p>
<p>Chaque année, le parti des Démocrates suédois <a href="http://www.scb.se/en/finding-statistics/statistics-by-subject-area/democracy/political-party-preferences/party-preference-survey-psu/pong/statistical-news/political-party-preferences-in-may-2017/">accroît son audience</a> : son score est passé de 12,9 % aux élections législatives de 2014 à 17,6 % lors de celles de 2018.</p>
<p>Si les élections législatives suédoises de septembre 2018 ne se sont pas traduites par la forte poussée nationaliste annoncée, elles ont néanmoins révélé l’ampleur de la fragmentation politique. Les partis traditionnels – sociaux-démocrates et modérés de centre-droit – s’affaissent. Le parti social-démocrate a obtenu un score de 28,4 % lors du dernier scrutin, <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20180909.OBS2051/suede-les-partis-moderes-reculent-l-extreme-droite-progresse.html">son plus mauvais chiffre depuis plus d’un siècle</a>. Aucune coalition n’ayant obtenu de majorité absolue, il a fallu des mois de négociations pour parvenir à former un nouveau gouvernement, le 18 janvier 2019, avec à sa tête le retour du premier ministre social-démocrate Löfven.</p>
<p>Cette nouvelle coalition gouvernementale – qui comprend les sociaux-démocrates et les Verts (comme en 2014), soutenue au Parlement par le Centre et les Libéraux (membres de l’opposition en 2014) – a, en réalité, été mise en place pour contrer la montée de l’extrême droite.</p>
<h2>Les mêmes défis que dans le reste de l’Europe</h2>
<p>Cette situation reflète la dynamique qui a cours à l’échelle européenne, la social-démocratie suédoise étant confrontée aux mêmes défis que ses voisins. Alors que la question migratoire n’a cessé de raviver les débats en Suède, les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/09/07/en-suede-la-question-de-l-integration-des-refugies-au-c-ur-des-elections-legislatives_5351621_3234.html">indicateurs économiques sont au beau fixe</a> et en 2017, 80 % des nouveaux emplois créés en Suède ont été attribués à des travailleurs nés étrangers, notamment dans les secteurs public, tertiaire et de l’industrie, avec la création de nombreuses start-up marquant le tremplin de l’entreuprenariat migrant.</p>
<p>De nombreux politiques locaux se réfugient derrière les fameux mots de Michel Rocard (« Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde »), oubliant de mentionner les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/refugies-un-impact-economique-strictement-positif-selon-une-etude_2019157.html">avantages économiques</a> mais aussi socio-culturels que peuvent générer l’ouverture des frontières et l’accueil de populations migrantes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111278/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fanny Christou est lauréate d'une bourse d'étude post-doctorale allouée par la Fondation Croix Française pour mener sa recherche post-doctorale. Elle est basée au Center for Middle Eastern Studies, Lund University, en Suède et réalise son terrain de recherche en Allemagne. </span></em></p>Sous la pression d’une extrême droite qui monte en puissance, les autorités de Stockholm ont peu à peu remis en cause la tradition d’accueil et d’hospitalité du pays.Fanny Christou, Docteur en Géographie - Spécialiste des Migrations Internationales, Lund UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1099862019-01-20T19:47:55Z2019-01-20T19:47:55ZEt si la France repensait le congé paternité et offrait (enfin) plus d’égalité aux femmes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/254388/original/file-20190117-32834-1vj4n4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C135%2C5294%2C3399&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le congé paternité allongé est essentiel pour qu'hommes et femmes puissent répartir équitablement leur temps entre vie privée et professionnelle.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/621675">Pxhere</a></span></figcaption></figure><p>La France augmentera-t-elle la durée du congé paternité ? D’après les dernières données du <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er1098.pdf">baromètre de la Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques</a> (DREES) plus de <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20190117.OBS8679/63-des-18-24-ans-veulent-un-conge-de-paternite-plus-long.html">six Français sur dix de 18 à 24 ans</a> seraient favorables à l’allongement de ce congé, actuellement de onze jours et mis en place en <a href="https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu01174/l-instauration-du-conge-de-paternite-en-2002.html">janvier 2002</a>.</p>
<p>Si ce souhait devenait réalité, il pourrait améliorer de façon considérable la vie des femmes.</p>
<p>Dans la conception traditionnelle de la spécialisation, de la séparation et de la complémentarité des tâches entre les femmes et les hommes, les hommes se voient assigner les activités dites de production (participation rémunérée au marché du travail), alors que les femmes sont destinées aux tâches dites de reproduction (tâches domestiques et de soins aux personnes proches – que l’on nomme aussi le « care », exercées à titre gratuit).</p>
<p>Cette conception définit aujourd’hui encore des stéréotypes, des attentes, une organisation sociale (le temps, l’espace), des institutions qui façonnent les « rôles de genre » <a href="http://catalogue.sciencespo.fr/ark:/46513/sc0001177672">dévolus aux hommes et aux femmes</a>.</p>
<h2>Des femmes toujours cantonnées aux rôles de genres</h2>
<p>Les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3353488">statistiques</a> témoignent de la difficulté de faire évoluer les rôles de genre. Si l’on constate, en France, un engagement croissant des femmes sur le marché du travail, les modalités de cet engagement diffèrent de celles des hommes (temps partiel, retraits plus fréquents, etc.).</p>
<p>Les modalités et le degré de participation différents des femmes et des hommes sur le marché du travail se traduisent par un revenu moins élevé pour les femmes, plus dépendantes que les hommes des revenus de leur conjoint et se répercutent, en cas de problème, sur le montant de leurs prestations sociales respectives.</p>
<p>En parallèle, l’implication des hommes dans la sphère familiale <a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:80918">évolue très lentement</a>, alors qu’on sait que ce facteur est déterminant pour favoriser la participation des femmes au marché du travail. C’est dans cette dynamique que s’ancrent profondément les inégalités de genre.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rtpiEQVTC2U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Femmes et hommes face aux tâches ménagères, INA, 2005.</span></figcaption>
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<h2>Transformer le cercle vicieux</h2>
<p>L’enjeu politique est donc de transformer ce cercle vicieux. Aux côtés de la fiscalité, de l’organisation du temps de travail, et des solutions d’accueil, la protection sociale est l’un des instruments efficaces de transformation des rôles de genre. La fonction de la protection sociale est en effet double : elle permet aux femmes et aux hommes de se retirer du marché du travail ou maintient leur revenu lorsqu’ils sont confrontés à certaines éventualités (maladie et soins de santé, chômage, vieillesse, arrivée d’un enfant, maternité). Elle peut aussi encourager, par différents moyens, leur réinsertion sur le marché du travail.</p>
<p>À partir de la Seconde Guerre mondiale, et pendant des décennies, la protection sociale française a été marquée par une <a href="https://www.persee.fr/doc/oss_1634-8176_2010_num_9_2_1408">ambition nataliste</a> et, par un jeu de gratifications sous forme d’augmentation des prestations, a encouragé les femmes à mettre au monde au moins trois enfants et à demeurer au foyer, ce qui a consolidé les inégalités de genre.</p>
<p>Dans les années 1990, <a href="https://www.persee.fr/doc/caf_1149-1590_1994_num_35_1_1621">des études ont montré</a> qu’encourager la participation des femmes au marché du travail comme le faisait la Suède favorisait mieux la natalité.</p>
<p>La France a alors mis en place une série de dispositifs pour encourager la participation des femmes au marché du travail (et a relevé son taux de natalité, avec cependant une chute importante au cours des trois dernières années) : subventions pour l’engagement de gardes d’enfants, augmentation des places de crèches, etc.</p>
<h2>Un « problème de femmes » ?</h2>
<p>La protection sociale, et la politique de conciliation de la vie familiale et professionnelle restent marquées par l’idée que cette question est un « problème de femme ».</p>
<p>Elles favorisent l’activité professionnelle des femmes en négligeant l’importance, pour réduire les <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/partage-du-conge-parental-un-imperatif-degalite/">inégalités de genre</a>, d’encourager la participation des hommes à la vie familiale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/254382/original/file-20190117-32837-12v18rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/254382/original/file-20190117-32837-12v18rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/254382/original/file-20190117-32837-12v18rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/254382/original/file-20190117-32837-12v18rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/254382/original/file-20190117-32837-12v18rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/254382/original/file-20190117-32837-12v18rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/254382/original/file-20190117-32837-12v18rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La présence des pères auprès des nouveau-nés est indispensable.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/en/kids-father-cute-family-happy-2655508/">Balouriarajesh/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>On sait que la présence du père auprès de ses enfants nouveau-nés est essentielle pour mettre en place des habitudes de partage équitable des soins entre les parents des deux sexes. Toute mesure dans ce domaine devrait, comme en Suède, être adoptée en réfléchissant à son impact simultané sur le travail professionnel des femmes et l’engagement familial des hommes.</p>
<h2>Repenser le congé parental</h2>
<p>À côté de solutions d’accueil des enfants accessibles, la configuration des congés parentaux et de paternité apparaît à cet égard déterminante, et les <a href="https://www.persee.fr/issue/caf_2431-4501_2016_num_122_1">études</a> montrent que le comportement des pères est sensible à certains facteurs comme le montant de l’allocation, ou la possibilité de fractionner le congé ou de le prendre à temps partiel.</p>
<p>En France, par exemple, le congé parental d’éducation est indemnisé de manière forfaitaire et peu élevée. Or, au sein du ménage, le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281400">revenu d’un homme est en général plus élevé que celui d’une femme</a>, et la perte pour le ménage, dans ces conditions, serait trop importante si l’homme interrompait son activité.</p>
<p>En définitive, ce sont plutôt les femmes peu insérées ou qui disposent de salaires modestes qui y recourent. Il conviendrait de mettre en place une indemnisation proportionnelle au salaire, qui couvre une période plus longue qu’aujourd’hui, et de favoriser la prise de congés fractionnée et à temps partiel. La durée du congé de paternité, qui lui est bien indemnisé, pourrait être augmentée et le congé rendu obligatoire : beaucoup d’hommes <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281361">qui souhaiteraient y recourir</a> en sont en effet dissuadés par leur entourage professionnel.</p>
<h2>Modèle suédois</h2>
<p>Le <a href="https://sweden.se/society/10-things-that-make-sweden-family-friendly">modèle suédois</a> de congé parental est favorable à l’égalité : chaque parent dispose de 480 jours par enfants à répartir entre les parents, sous réserve de 90 jours qui ne sont pas transférables d'un parent à l'autre.</p>
<p>La sécurité sociale – et non l’employeur – couvre 80 % du salaire pendant les 390 premiers jours et environ 18 euros par jour pendant les 90 jours qui suivent, en plus d’un large accès à des solutions d’accueil pendant la première année de l’enfant.</p>
<p>Il a inspiré un <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52017PC0253&from=EN">projet européen</a> de directive sur la conciliation entre vie privée et vie professionnelle destinée à favoriser un meilleur partage des responsabilités familiales entre les femmes et les hommes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/254385/original/file-20190117-32816-1uf1xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/254385/original/file-20190117-32816-1uf1xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/254385/original/file-20190117-32816-1uf1xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/254385/original/file-20190117-32816-1uf1xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/254385/original/file-20190117-32816-1uf1xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/254385/original/file-20190117-32816-1uf1xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/254385/original/file-20190117-32816-1uf1xg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Petite école, Gothenburg, Suède, 2011.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/niklashellerstedt/5712062157">Niklas Hellerstedt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<h2>La France opposée à plus d’ouverture</h2>
<p>Cependant, et notamment en raison de l’<a href="https://www.lesechos.fr/02/05/2018/lesechos.fr/0301627806371_directive-vie-privee-vie-professionnelle---les-syndicats-denoncent-l-opposition-de-la-france.htm">opposition de la France</a>, les vingt-huit ont réduit de 4 à 2 mois la durée minimale du congé non transférable à l’autre parent, ainsi que la durée minimale d’indemnisation (de 4 à 1,5 mois), et aucune référence à une indemnisation minimale n’a été retenue.</p>
<p>En l’état, ce projet tendra donc à renforcer la spécialisation des rôles masculins et féminins dans la famille et sur le marché du travail, plutôt qu’à assurer un meilleur partage des tâches.</p>
<p>De manière plus fondamentale, faire dépendre les droits à la sécurité sociale de la citoyenneté plutôt que du statut de travail permet d’éviter que les inégalités professionnelles se répercutent sur les allocations sociales.</p>
<p>Ce principe, au cœur des systèmes scandinaves de sécurité sociale, est un facteur important de leur réussite dans la réduction des inégalités de genre… À condition toutefois d’être mis en œuvre dans le cadre d’une politique globale de promotion de l’engagement des hommes dans la famille (en imposant, par exemple, des congés de paternité suffisamment longs) et des femmes sur le marché du travail (solutions d’accueil financièrement accessibles et de qualité, organisation du temps de travail favorable aux parents).</p>
<p>En définitive, la pertinence de genre d’une politique sociale peut s’évaluer à l’aune de sa capacité à permettre à chaque individu, homme ou femme, même isolé, de participer au marché du travail <em>et</em> d’assumer ses obligations familiales, tant dans leurs dimensions financières que temporelles.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article a d’abord été publié sur le journal de RFIEA, <a href="http://fellows.rfiea.fr/dossier/devenir-parents-rester-inegaux/article/la-protection-sociale-comme-regime-de-genre">Fellows n°48</a>. Édition avec le concours d’Aurélie Louchart. Le réseau des quatre instituts d’études avancées a accueilli plus de 500 chercheurs du monde entier depuis 2007. Découvrez leurs productions sur le site <a href="http://fellows.rfiea.fr/">Fellows</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascale Vielle travaille pour l'Université de Louvain. Elle est collaboratrice scientifique de la Faculté de Droit de l'ULB. Elle bénéficie en 2018-2019 d'une résidence à l'Institut d'études avancées de Nantes.</span></em></p>Aux côtés de la fiscalité, de l’organisation du temps de travail, et des services d’accueil, la protection sociale est l’un des instruments efficaces de transformation des rôles de genre.Pascale Vielle, Professeure de droit social, Université de Louvain, IEA de Nantes, Réseau français des instituts d’études avancées (RFIEA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1081892018-12-04T14:25:34Z2018-12-04T14:25:34ZLes étroites marges de manœuvre pour atténuer le « ras-le-bol fiscal »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/248701/original/file-20181204-34142-cfxqze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=287%2C556%2C5523%2C3422&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le haut niveau de taxes en France trouve sa source dans des dépenses publiques supérieures à celles constatées chez nos voisins européens.</span> <span class="attribution"><span class="source">Birdog Vasile-Radu / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L'annulation de la hausse de la taxe carbone, annoncée le 5 décembre par l'Élysée, suffira-t-il à calmer la colère des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gilets-jaunes-62467">gilets jaunes</a> ? Rien n’est moins sûr. En effet, le mouvement s’alimente plus généralement d’un « ras-le-bol fiscal » en France. Mais ce sentiment d’exaspération se fonde-t-il sur une réalité ? Et, si oui, quelles pistes pour y remédier alors que les revendications restent pour le moins <a href="https://www.republicain-lorrain.fr/france-monde/2018/11/29/gilets-jaunes-doleances-disparates">disparates</a> ?</p>
<h2>Un niveau de taxes inédit au niveau international</h2>
<p>Comme le montre très clairement le graphique ci-dessous, le taux des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) français est le plus élevé d’Europe. De fait, les gilets jaunes ont raison lorsqu’ils dénoncent le poids excessif des taxes en France.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
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</figure>
<p>La raison principale du niveau de taxes excessif trouve logiquement sa source dans des dépenses publiques, elles-mêmes très supérieures à celles constatées chez nos voisins européens.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=997&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=997&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=997&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1253&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1253&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1253&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Si l’on souhaite réduire le poids des taxes en France, il faut donc d’abord réduire le poids des dépenses publiques sur le PIB (la richesse créée par l’économie française). Dès lors, deux options complémentaires s’offrent au gouvernement : soit agir sur le dénominateur, le PIB, pour qu’il augmente plus rapidement que les dépenses ; soit agir sur le numérateur en réduisant ces dépenses publiques.</p>
<h2>La voie de l’accroissement du PIB</h2>
<p>Depuis l’élection du président Emmanuel Macron, le gouvernement privilégie la première option, comme semblent l’indiquer des éléments incantatoires comme la <a href="https://theconversation.com/la-start-up-nation-un-symptome-mais-de-quoi-105599">« start-up nation »</a>, ou plus fondamentaux comme l’<a href="https://www.village-justice.com/articles/reforme-code-travail-assouplissement-notable-procedure-licenciement-majoration,25785.html">assouplissement du droit du travail</a>. Le problème de cette option, c’est que la croissance ne se décrète pas : le gouvernement peut simplement essayer de créer des conditions favorables au dynamisme entrepreneurial.</p>
<p>La croissance dépend également d’éléments exogènes comme la <a href="https://www.un.org/development/desa/dpad/publication/situation-et-perspectives-de-leconomie-mondiale-2018-resume/">conjoncture économique internationale</a>. Par ailleurs, les réformes conduites par le gouvernement ne peuvent produire des résultats que sur le temps long, d’autant plus que l’instabilité traditionnelle des politiques fiscales françaises à la faveur des changements de majorité ou d’orientation en cours de mandat rend les destinataires des réformes <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/10/l-instabilite-fiscale-un-fleau-de-longue-date-pour-les-entreprises_5028947_3232.html">méfiants et prudents</a>.</p>
<p>Par rapport aux revendications pour le moins diverses des gilets jaunes, des mesures isolées comme l’augmentation du smic, comme le <a href="https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/gilets-jaunes-le-medef-envisage-une-baisse-du-smic-et-reclame-un-moratoire-sur-les-augmentations-de-1543907225">propose le Medef</a>, iraient en outre à l’encontre de l’objectif visé d’accroissement de la compétitivité des entreprises françaises et conforteraient les entrepreneurs dans leur méfiance vis-à-vis de l’instabilité des politiques publiques si elle ne sont pas compensées par une baisse des charges. Voilà sans doute pourquoi, pour le moment, le gouvernement ne l’envisage pas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1067687912559521792"}"></div></p>
<h2>L’équation délicate de la réduction des dépenses publiques</h2>
<p>Sujet pourtant <a href="https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/depenses-publiques-les-economies-d-emmanuel-macron-et-francois-fillon_459901">phare</a> de la dernière campagne présidentielle, la réduction des dépenses publiques n’a pour l’heure pas été au cœur de l’action du gouvernement, celles-ci <a href="https://www.lci.fr/politique/baisse-des-depenses-une-promesse-de-campagne-d-emmanuel-macron-2105949.html">continuant à progresser</a>.</p>
<p>Si l’on adopte une posture rationnelle, ce sont les postes de dépenses les plus importants qui doivent faire l’objet d’une attention plus marquée. Certes, pour répondre symboliquement à la demande populaire, on pourrait supprimer les nombreux « hauts comités Théodule », ou le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) et ses avatars régionaux dont les rapports ne sont lus par personne. Mais le compte n’y serait pas, comme on peut le constater en étudiant la structure de la dépense publique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<h2>Comment compenser une baisse de la fiscalité ?</h2>
<p>Le premier poste de dépenses publiques concerne de loin les prestations sociales et la santé, c’est-à-dire principalement les retraites, la dépendance, la maternité-famille, la santé, la perte d’emploi, le logement, la pauvreté et l’exclusion sociale. En l’absence de croissance suffisante du PIB pour répondre aux objectifs gouvernementaux, c’est donc là qu’il faudrait aller chercher des économies pour compenser une baisse du niveau de fiscalité.</p>
<p>On se retrouve ici au cœur d’une des contradictions des gilets jaunes qui dénoncent, à juste titre comme on l’a vu, le poids excessif des taxes, mais en même temps se plaignent des <a href="https://www.europe1.fr/societe/smic-sdf-et-taxations-les-revendications-des-gilets-jaunes-sont-elles-realistes-3811325">aides insuffisantes</a> qu’ils reçoivent. En effet, un effort en direction des personnes aux revenus du travail faibles qui payent l’impôt se ferait nécessairement au détriment de la population active sans travail.</p>
<p>Faut-il alors augmenter l’imposition de nos concitoyens les plus aisés ? La solution serait non seulement inefficace économiquement, mais aussi contradictoire avec un appel à une baisse des taxes. Elle pourrait même froisser une frange des gilets jaunes. En effet, pour qu’un impôt soit efficace, il est nécessaire que la base soit <a href="https://www.lecercledesfiscalistes.com/publication/un-bon-impot-a-une-assiette-large-peu-dexceptions-et-des-taux-faibles/165">suffisamment large</a> pour que les ressources générées soit suffisantes. Or, de nombreuses personnes, y compris des gilets jaunes, risquent de constater à leur grande surprise qu’ils ont de hauts revenus ou qu’ils sont « riches ». Rappelons simplement que moins de 50 % des Français payent déjà l’<a href="https://www.latribune.fr/economie/france/qui-paie-l-impot-sur-le-revenu-746211.html">impôt sur le revenu</a> (Un taux par ailleurs en diminution). Toute augmentation des taxes se traduira donc certainement par une augmentation des prélèvements sur les classes moyennes et supérieures, qui sont également les principaux pourvoyeurs de charges sociales.</p>
<p>Il semble donc difficile d’accroître encore la pression fiscale sur ces classes moyennes, d’autant plus que ces dernières ont connu ces récemment une baisse de leur niveau de vie comme l’illustre le tableau ci-dessous. Cette baisse du niveau de vie a bénéficié surtout aux catégories les plus pauvres, tandis que celles qui perçoivent un bas salaire et peu d’aides sociales (la population a priori la plus représentée chez les gilets jaunes) n’en ont que très peu bénéficié.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Une autre solution pour résoudre l’équation budgétaire pourrait être une refonte drastique du système de protection sociale français, avec par exemple un allongement important de l’âge de départ à la retraite, la définition d’un socle forcément restreint des prestations de santé qui sont prises en charge par la solidarité nationale, une remise à plat du maquis de l’ensemble des aides pour s’assurer de leur efficacité pour le retour à l’emploi et de leur équité, etc. Mais cet immense chantier, peu consensuel, ne répondra pas à court terme aux demandes des gilets jaunes et la réelle détresse de certains d’entre eux.</p>
<h2>Face à un mur ?</h2>
<p>Si l’on écarte les dépenses militaires ou liés aux forces de sécurité dans une période marquée par une instabilité géopolitique internationale et le terrorisme, ou d’autres fonctions régaliennes comme la justice, on ne peut donc que constater l’étroitesse des marges de manœuvre.</p>
<p>On pourrait dès lors sombrer dans le pessimisme en se disant que nous sommes face à un mur où à la fois tout le monde a de bonnes raisons de se plaindre et où tout le monde cultive son intérêt personnel (pour ne pas dire son égoïsme) de façon parfois inconséquente (« j’ai travaillé au <em>noir</em> et je n’ai pas suffisamment cotisé pour ma retraite, mais je veux une retraite comme les autres », ou encore « je pars en retraite au Portugal pour ne pas payer d’impôts, mais je veux bénéficier du service public français de santé ») au détriment de l’intérêt général.</p>
<p>On peut aussi conserver l’espoir que l’intérêt général l’emporte sur les intérêts particuliers, en étudiant par exemple le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/10/vive-le-modele-suedois_1815026_3232.html">cas de la Suède</a>, qui a réduit drastiquement son taux de prélèvements obligatoires tout en demeurant un des pays au niveau d’équité après redistribution sociale les plus performants.</p>
<p>Si, pour calmer à court terme la vindicte populaire et répondre aux situations légitimes de détresse, le gouvernement décide de mesures à destination des gilets jaunes qui se traduisent par une augmentation des dépenses publiques ou des salaires, il devra de façon urgente et prioritaire s’attacher à réduire les dépenses publiques pour ne pas poursuivre sur la trajectoire mortifère de leur augmentation qui, in fine, <a href="http://www.oecd.org/eco/the-effect-of-the-size-and-mix-of-public-spending-on-growth-and-inequality.htm">pénalise la croissance du PIB</a>, c’est-à-dire de la richesse collective.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108189/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Caby ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une baisse de la fiscalité pour répondre aux revendications des gilets jaunes aurait forcément des conséquences budgétaires et sociales que le gouvernement devra traiter à long terme.Jérôme Caby, Professeur des Universités, IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/921202018-02-22T19:56:44Z2018-02-22T19:56:44ZTravail domestique : comprendre les formes plus invisibles des abus<p>Dans son article du 18 février <a href="https://theconversation.com/une-domesticite-qui-mene-a-lesclavage-mais-que-fait-letat-91711">publié sur ce site</a> Alizée Delpierre rappelle avec justesse que la question d’exploitation à laquelle fait face de façon disproportionnée le secteur domestique refait périodiquement surface dans les médias, en France, comme dans d’autres pays européens.</p>
<p>Ces incidents – à caractère exceptionnel- attirent toujours l’attention du grand public, suscitant émotion et indignation. Or, une telle visibilité laisse pourtant largement dans l’ombre les enjeux plus larges et plus diffus des formes d’abus et l’exploitation « ordinaires » des travailleurs domestiques.</p>
<p>L’Organisation internationale du travail (OIT) <a href="http://www.ilo.org/global/topics/labour-migration/publications/WCMS_436330/lang--en/index.htm">estime à 67 millions</a> le nombre de travailleurs et travailleuses domestiques dans le monde. Or ce travail – qui inclut un large spectrum de tâches telles que le ménage, la préparation de repas, le soin des enfants, des personnes âgées ou de membres de la famille ayant un handicap – est encore trop souvent déprécié.</p>
<h2>Un non-respect des droits <strong>encore trop généralisé ?</strong></h2>
<p>Les situations qualifiées (parfois à tort) <a href="http://gaatw.org/ATR/AntiTraffickingReview_issue5.pdf">« d’esclavagisme »</a> ne doivent pas faire diversion quant à l’importance de s’attaquer à l’ensemble des formes de non-respect des droits des travailleuses et travailleurs domestiques : par exemple ne pas recevoir l’entièreté de sa rémunération, de pas avoir droit à un jour de repos.</p>
<p>Ce travail se fait derrière les portes closes des foyers, loin du regard public (et politique), ce qui entraîne son lot de difficultés comme l’absence ou de grandes lacunes en matière de contrôle des conditions de travail. Ici réside une des tensions importantes liées à cette activité : celle-ci se situant à l’intersection du domaine privé et du domaine public.</p>
<p>Dans le cadre d’une étude réalisée à l’Institut Universitaire européen (<a href="https://www.eui.eu/">EUI</a>) entre 2014 et 2017, notre <a href="http://globalgovernanceprogramme.eui.eu/demandat/">équipe de chercheur(es)</a> a ainsi examiné l’enjeu de la traite de personnes dans le secteur domestique au sein de sept pays européens (Belgique, Chypre, France, Grèce, la Grande-Bretagne, l’Italie et les Pays-Bas).</p>
<p>Les sept pays offrent des modèles politiques et/ou de réglementation bien différents, mais notre étude a montré que tous ont pour point commun de nombreuses lacunes sur le plan juridique et social.</p>
<p>Les politiques en place ne protègent pas suffisamment les travailleurs et travailleuses domestiques – notamment en matière de couverture sociale : congé de maternité, salaire minimum, etc. – et peuvent même parfois contribuer à accentuer les facteurs de vulnérabilité. Nous pouvons ainsi penser aux programmes de visa spécifique pour travailleuses et travailleurs domestiques (en <a href="http://cadmus.eui.eu/handle/1814/41930">Grande-Bretagne</a> et <a href="http://cadmus.eui.eu/handle/1814/41925">Chypre</a>), qui lient l’employé·e à son employeur, c’est-à-dire un visa qui donne un droit de séjour et de travail pour un seul employeur, sans la possibilité de changer d’employeur.</p>
<p>Ce type de politique accroît le lien de dépendance envers l’employeur et le déséquilibre des rapports de pouvoir. En situation d’abus, il devient difficile de quitter la situation de travail, soit quoi la travailleuse ou le travailleur perd son visa.</p>
<h2>Un lourd héritage historique</h2>
<p>On perçoit par ailleurs le lourd héritage historique entourant le travail domestique qui, justement, n’était pas traditionnellement considéré comme une forme de « travail » comme les autres, et qui peine encore à voir reconnaître sa dimension professionnelle.</p>
<p>Ceci influence les cadres politiques et légaux développés depuis de nombreuses années, tout comme les attitudes et perceptions du travail domestique qui persistent chez les <a href="https://www.routledge.com/Employers-Agencies-and-Immigration-Paying-for-Care/Triandafyllidou-Marchetti/p/book/9781472433213">employeurs</a> (et dans la société en général).</p>
<p>L’auteure Delpierre rappelle à juste titre qu’en France, de même qu’en Belgique où un système de <a href="http://www.emploi.belgique.be/defaultTab.aspx?id=42422">« titres-services »</a> existe, un des moyens privilégiés de régulation du secteur concerne la déclaration des salariés. Des mesures incitatives sont mises en place afin de favoriser la déclaration de l’embauche de travailleuses et travailleurs domestiques (via par exemple, des déductions fiscales), ce qui à terme, devrait faire diminuer le marché informel, et par conséquent favoriser la formalisation du secteur domestique. Or, il y a plusieurs façons de contourner ces systèmes, par exemple en ne payant pas une rémunération égale aux heures travaillées.</p>
<h2>Petits arrangements domestiques</h2>
<p>De plus, en pratique les arrangements de travail domestique sont très divers, hétérogènes, et recoupent des cadres législatifs et réglementaires différents. Ainsi, agir en prévention nécessite des réponses plurielles, et surtout une approche plus globale au vu des différents contextes dans lesquels intervient l’exploitation, et des formes plus invisibles d’abus.</p>
<p>Ce peut être le cas dans le cadre du <a href="https://www.aupair.com/fr/p-programme-d-au-pair.php">programme Au pair</a> (programme d’échange culturel et linguistique, impliquant de vivre dans une famille et participer aux tâches ménagères) ; auprès d’employés à domicile du personnel diplomate (qui est régi par un cadre légal spécifique) ; ou encore dans le cadre d’arrangements d’emploi formels comme aide familiale à temps plein, à temps partiel ou même d’emploi à résidence.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/207304/original/file-20180221-132654-1qho4a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/207304/original/file-20180221-132654-1qho4a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/207304/original/file-20180221-132654-1qho4a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/207304/original/file-20180221-132654-1qho4a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/207304/original/file-20180221-132654-1qho4a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/207304/original/file-20180221-132654-1qho4a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/207304/original/file-20180221-132654-1qho4a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le travail domestique prend des formes variées qui génèrent des relations floues et complexes entre employeur et employés, souvent fondées sur l’affectif et la dépendance.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/601065">Pxhere</a></span>
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<p>Il y a également des situations où prédominent les rapports familiaux. Par exemple lorsqu’un enfant est envoyé dans un autre pays, dans une famille parfois éloignée, en vue d’être hébergé en échange de tâches ménagères, dans l’espoir d’accéder en même temps à une meilleure éducation et de régulariser, voire faciliter son statut migratoire.</p>
<p>Par exemple, une jeune nigériane de 14 ans a été envoyée par la famille pour laquelle elle travaillait au Nigeria au service d’une autre famille en Angleterre. Malgré la promesse qu’elle pourrait aller à l’école, la jeune fille s’est plutôt retrouvée à prendre soin des enfants de la famille, à réaliser toutes les tâches ménagères et ce sans rémunération et en étant régulièrement battue.</p>
<p>En somme, à la complexité des différents arrangements « d’emploi » dans le secteur domestique, s’ajoutent les situations qui échappent complètement aux relations employeur/employé.</p>
<h2>Une exploitation fondée sur des barrières floues</h2>
<p>Notre recherche a ainsi révélé que, malgré des situations hétérogènes, l’exploitation et les abus interviennent principalement lorsque la personne réside chez l’employeur. Ce type d’arrangement de travail demeure le moins réglementé.</p>
<p>Ce type d’arrangement accentue les facteurs de vulnérabilité fréquemment associés au travail domestique : l’isolement, le caractère intime de la relation avec l’employeur et la famille, la frontière ambiguë entre temps libre et travail. Il peut également survenir qu’au nom d’une rhétorique de faire soi-disant partie de la famille, plus de tâches sont exigées.</p>
<p>Dans une autre <a href="http://cadmus.eui.eu/handle/1814/41924">situation observée</a>, une femme congolaise est venue en Belgique afin de prendre soin d’un enfant handicapé dans une famille d’origine congolaise également. Il y avait eu un <em>arrangement</em> avec l’employeur qui devait envoyer de l’argent à la famille de la jeune femme plutôt que de lui verser directement une rémunération. La situation s’est dégradée, les tâches se sont multipliées. Il y eut un procès au cours duquel l’employeur a nié la relation d’emploi, et tentait de démontrer qu’il ne s’agissait que de tâches ménagères légères. La femme n’avait pourtant aucun espace privé où dormir, elle dormait d’abord dans le lit de l’enfant puis sur un matelas à même le sol dans la chambre de ce dernier.</p>
<p>Ce type de situations illustrent que les formes d’abus sont multiples : ne recevoir aucun salaire, ne recevoir qu’une partie de la rémunération bien infime par rapport aux heures travaillées, travailler jusqu’à 18 heures par jour, sans jour de repos, et ce tout en résidant dans des conditions très difficiles. Les contacts et communications avec la famille peuvent également être contrôlés, voire interdits. Et le passeport peut parfois être également confisqué.</p>
<p>La recherche a mis en lumière la <a href="http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15562948.2017.1310340">complexité de ces relations interpersonnelles</a>, au cœur des processus d’exploitation dans le secteur domestique. Souvent intimes, ces relations peuvent contenir une <a href="https://www.routledge.com/Migration-and-Domestic-Work-A-European-Perspective-on-a-Global-Theme/Lutz/p/book/9780754647904">dimension émotive</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Documentaire de François Chilowicz (2008), <em>Profession : femme de ménage</em>.</span></figcaption>
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<p>Les relations sont alors teintées de dépendance et d’un fort déséquilibre de pouvoir, voire même d’un sentiment de gratitude envers l’employeur.</p>
<p>De plus, la majorité des situations impliquaient des personnes migrantes sans titre de séjour. Ceci devrait nous interpeller sur le type de politiques migratoires qui encadrent la migration pour le travail (dit « non qualifié »).</p>
<p>Il n’y a pas suffisamment d’opportunités de migrer légalement pour un travail dit « non qualifié » tel que le secteur domestique et ce, malgré une forte demande pour embaucher une aide familiale en Europe ; une demande qui est à majorité comblée par des ressortissants étrangers.</p>
<h2>S’attaquer aux attitudes abusives</h2>
<p>Face à cette complexité, notre recherche a non seulement réitéré l’importance de développer des réglementations plus adéquates, qui encadrent l’ensemble des formes de travail domestique afin d’assurer une vraie couverture sociale, mais aussi de s’attaquer aux attitudes, comportements et sentiments d’impunité qui règnent dans certaines situations d’abus.</p>
<p>Or, il demeure très difficile, voire impossible de définir une typologie de ceux qui « exploitent » : aucune classe sociale n’est épargnée. Par contre, l’étude réalisée en France (voire à ce sujet le <a href="http://cadmus.eui.eu/handle/1814/41926">rapport</a> portant sur la France de Florence Levy) indique qu’il semble y avoir un biais – ambigu, implicite et surtout difficile à documenter – qui pousse à percevoir plus facilement la figure de l’exploiteur comme étant un étranger, plutôt qu’un Français. Ce faisant, ce type de biais tend à soutenir la perception que, certes, « l’esclavage » survient en France, mais demeurerait un phénomène limité aux pratiques d’individus provenant d’autres pays.</p>
<p>Ce type de fausse perception confirme le besoin de poursuivre le travail de sensibilisation au sein de la société en général, tout en travaillant de façon plus ciblée sur la responsabilité (légale et morale) des employeurs.</p>
<h2>Mobilisation des travailleurs</h2>
<p>Parallèlement aux actions plus spectaculaires contre la traite des personnes, la mobilisation des travailleuses et travailleurs domestiques dans le monde a depuis 20 ans, déjà fait un <a href="https://www.opendemocracy.net/beyondslavery/dws/giulia-garofalo-geymonat-sabrina-marchetti/global-landscape-of-voices-for-labour-right">travail considérable de mobilisation et de sensibilisation</a> sur les conditions de travail dans ce secteur, poussant la reconnaissance à sa juste valeur de ce travail.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/207302/original/file-20180221-132680-9uoy3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/207302/original/file-20180221-132680-9uoy3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/207302/original/file-20180221-132680-9uoy3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/207302/original/file-20180221-132680-9uoy3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/207302/original/file-20180221-132680-9uoy3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/207302/original/file-20180221-132680-9uoy3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/207302/original/file-20180221-132680-9uoy3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Détournement d’une illustration de Bécassine, la très célèbre « bonne » bretonne caricaturale, ici mobilisée pour ses droits.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/63054810@N03/12469308485">iesmasaxh/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Le moment charnière dans leur lutte a été sans nul doute l’adoption par l’OIT de la <a href="http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_INSTRUMENT_ID:2551460">Convention (no 189)</a> sur les travailleuses et travailleurs domestiques. Cette convention établit un ensemble de droits fondamentaux et des principes pour garantir et protéger les droits des travailleurs domestiques à des conditions de travail décentes.</p>
<p>À leur image, il demeure important de ne pas faire du phénomène de l’esclavage domestique un vecteur d’indignation – bien qu’il soit essentiel de sanctionner par le droit pénal les actes criminels liés à la traite – qui détourne l’attention de l’enjeu plus global du respect des droits et la reconnaissance des conditions décentes et justes de travail.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92120/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandra Ricard Guay ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’instantané de visibilité que procure la couverture médiatique sur la traite des personnes laisse largement dans l’invisibilité l’enjeu plus large et plus diffus des formes d’abus ordinaires.Alexandra Ricard Guay, Research Associate, European University InstituteLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/812402017-09-26T22:01:18Z2017-09-26T22:01:18ZLoi travail : ci-gît le compte pénibilité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/184357/original/file-20170901-27238-9e6ij3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le travail de nuit, par exemple à l'hôpital, est l'un des critères reconnus de pénibilité.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/sad-surgeon-leaning-on-wall-corridor-630461921">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En direct pour la télévision, le président de la République Emmanuel Macron a signé le 22 septembre les ordonnances réformant le droit du travail. Parmi ces ordonnances, l’une est entièrement consacrée à la transformation du « compte personnel de prévention de la pénibilité » ou C3P en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000035607482&dateTexte=&categorieLien=id">« compte professionnel de prévention » ou C2P</a>. Un changement de nom qui cache « péniblement », pourrait-on dire, la mise à mort pure et simple de ce dispositif.</p>
<p>Cette réforme du compte pénibilité avait été présentée le 20 juillet <a href="https://mobile.Twitter.com/nraymond1/status/888112584179671042/photo/1">au Conseil National d’Orientation des Conditions de Travail</a> par Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. Elle avait été annoncée un peu plus tôt aux interlocuteurs sociaux <a href="http://www.lemonde.fr/gouvernement-philippe/article/2017/07/08/edouard-philippe-annonce-aux-partenaires-sociaux-sa-reforme-du-compte-penibilite_5157994_5129180.html">par une simple lettre</a> signée du Premier ministre, Edouard Philippe.</p>
<h2>Feu le C3P et ses dix critères de pénibilité</h2>
<p>En quoi consistait « feu » le C3P ? Dispositif novateur et ambitieux, il avait pour objectif de rétablir l’équité dans les départs à la retraite en garantissant à tous les citoyens la même espérance de vie en bonne santé. Dix critères avaient été retenus : le travail en milieu hyperbare (où la pression est supérieure à la pression atmosphérique), les températures extrêmes, le bruit, le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif, ainsi que la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition à des agents chimiques dangereux.</p>
<p>Un C3P devait s’ouvrir dès qu’un salarié était exposé à au moins l’un de ces facteurs, au-delà de seuils de durée et d’intensité définis. Le nombre de points comptabilisés dépendait du nombre de facteurs auquel le salarié était exposé mais aussi de son âge et du temps passé dans l’entreprise durant l’année. Le C3P permettait de cumuler et d’utiliser des droits au cours de la vie active, via des actions de formation, de réduction du temps de travail à salaire égal et d’anticipation de départ à la retraite.</p>
<p>Mis en place par étapes depuis 2015, ce dispositif a dû faire face à de nombreuses critiques, principalement de la part des employeurs : coût administratif, complexité, reconfiguration des logiciels de paie, délais de transmission des informations à la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (Cnav) et à la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), nécessité de concevoir de nouveaux outils de recueil et d’analyse des expositions, ainsi que le risque accru de départs massifs en retraite anticipée. C’est ainsi que, sur les 2,6 à 3 millions de salariés potentiellement concernés évoqués par la Cnav (chiffres officiels non publiés <a href="http://www.lexpress.fr/actualites/1/actualites/compte-penibilite-comment-le-simplifier_1918359.html">consultés par l’AFP</a>), seulement 800 000 salariés ont été déclarés par leurs employeurs.</p>
<h2>Avec le C2P, quatre critères exclus et un nouveau mode de financement</h2>
<p>Le passage du C3P au C2P a condamné quatre des dix critères, en les excluant tout simplement du dispositif de compte à points : charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et risques chimiques. Ces critères apparaissaient comme les plus décriés par les dirigeants d’entreprises, qui les jugeaient inapplicables en l’état, du fait de leur présumée complexité à être mesurés.</p>
<p>Le départ anticipé d’un salarié suite à l’exposition à l’un de ces quatre critères reste envisageable. Mais, et c’est là que ça se complexifie, uniquement lorsque « qu’une maladie professionnelle a été reconnue » – ce qui suppose que la maladie du salarié figure dans l’un des <a href="http://www.inrs.fr/publications/bdd/mp.html">98 tableaux du régime général de la Sécurité sociale ou un des 59 du régime agricole</a>, si « le taux d’incapacité permanente excède les 10 % », et suite à une visite médicale de fin de carrière permettant au salarié de faire valoir son droit. Des conditions qui constituent autant de barrières à la compensation ou à la réparation.</p>
<p>Pourtant Muriel Pénicaud annonçait <a href="https://mobile.Twitter.com/murielpenicaud/status/885164356836700160?p=v">dès le 12 juillet</a> que 10 000 salariés pourraient bénéficier de la retraite à taux plein dès 2018 suite à des examens médicaux. Elle a malheureusement omis de compléter cette évaluation chiffrée, dont elle n’a pas précisé les fondements, par celle du nombre de salariés dont les pathologies apparaîtront seulement à la retraite, notamment les cancers.</p>
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<p>La seconde évolution majeure liée au C2P repose sur le mode de financement du dispositif : <em>exit</em> la double cotisation patronale, place à un financement assuré par la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale (du fait, certainement, de sa situation excédentaire). La logique de « pollueur-payeur » du C3P est ainsi remplacée par une logique de mutualisation du financement, répondant à une demande de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). On cherchera longtemps en quoi ces changements incitent les employeurs à réduire les expositions aux facteurs de pénibilité.</p>
<p>Les objectifs affichés par le gouvernement sont de plusieurs ordres : simplifier un dispositif qui <a href="http://www.gouvernement.fr/argumentaire/simplifier-la-prise-en-compte-de-la-penibilite-pour-garantir-les-droits-des-salaries">« s’est avéré trop complexe à mettre en œuvre »</a>, « libérer » les entreprises – notamment les PME – d’une « contrainte administrative » et d’une « obligation franchement usine à gaz », selon les termes de la ministre du travail. <a href="https://mobile.Twitter.com/mansat/status/884473241846386689">L’expression « usine à gaz »</a> et plus généralement, la position de la ministre, ont été critiquées, notamment par le député socialiste Régis Juanico <a href="http://www.juanico.fr/2017/07/12/qag-compte-penibilite/">lors de la séance des questions au Gouvernement</a>.</p>
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<h2>La disparition du mot pénibilité, une stratégie d’affichage</h2>
<p>Ne nous leurrons pas : le changement de nom du dispositif, avec la disparition du mot pénibilité, n’est pas exempt d’une stratégie d’affichage ; les organisations patronales n’appréciaient pas que la notion de travail soit associée à quelque chose de pénible, une réticence dont le <a href="http://www.leparisien.fr/flash-actualite-economie/penibilite-macron-favorable-a-une-mise-en-place-par-branche-16-03-2017-6768537.php">candidat Macron, déjà, avait tenu compte</a>… Cachez cette pénibilité que nous ne saurions voir !</p>
<p>Mais le plus paradoxal est que ce nouveau compte, prétendument de prévention, tend beaucoup plus vers une logique de compensation <em>a posteriori</em> des atteintes à la santé, que vers une logique de prévention <em>a priori</em>. Cette tendance s’inscrit dans la lignée des dernières heures de feu le C3P : le <a href="http://www.gouvernement.fr/partage/8406-rapport-ameliorer-la-sante-au-travail-l-apport-du-dispositif-penibilite">rapport demandé par Manuel Valls, alors premier ministre, en novembre 2016</a> faisait déjà état d’un déséquilibre patent entre ces deux approches. Cependant le C3P présentait de sérieuses avancées dans la lutte contre les risques professionnels, avec la prise en compte en amont de l’exposition réelle des individus. Aujourd’hui la perspective choisie relève essentiellement de la réparation.</p>
<p>Le C2P pose également un problème d’inégalités entre salariés. En effet, les salariés exposés aux six facteurs maintenus dans le dispositif pourront, de droit, partir à la retraite de manière anticipée alors que, à moins d’avoir pu faire reconnaître une maladie professionnelle incapacitante d’au moins 10 %, ceux exposés aux quatre facteurs sortis du compte ne pourront bénéficier ni d’un départ anticipé, ni du système de points pour suivre une formation et changer pour un métier moins pénible, ni d’un temps partiel payé à temps plein. Quid donc des milliers de personnes ayant accumulé des « points pénibilité » en raison de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques ou risques chimiques ?</p>
<h2>Des différences d’espérance de vie entre les citoyens</h2>
<p>Légiférer autour de la pénibilité fournit pourtant une occasion unique de souligner le rôle déterminant du travail dans les différences d’espérance de vie et d’état de santé entre les citoyens. Ce constat est validé par de nombreuses études liant l’exposition aux facteurs de pénibilité avec, notamment, la <a href="http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2008.01-03.1-2-2.pdf">sortie précoce de l’emploi</a>, ou l’<a href="http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2011-020.pdf">état de santé après 50 ans</a>. L’espérance de vie sans incapacité est également corrélée <a href="http://gdr.site.ined.fr/fichier/rte/65/GDR%20-%20Lettre%20dinformation%2010.pdf">avec les catégories professionnelles</a>.</p>
<p>Cette réforme du C3P intervient alors que le <a href="http://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/plans-de-sante-au-travail/article/plan-de-sante-au-travail-2016-2020-pst-3">Plan Santé Travail 3 pour 2016-2020 (PST3)</a> adopté en 2015, et qui constitue la feuille de route du gouvernement en matière de santé au travail jusqu’en 2020, souligne l’importance d’une « politique de prévention qui anticipe les risques professionnels et garantit également la bonne santé des salariés en prenant aussi pleinement en compte la qualité de vie au travail ».</p>
<p>L’un des axes de ce Plan santé travail donne explicitement la priorité à la prévention primaire, axée sur l’organisation du travail, et au développement d’une culture de prévention. En effet, bien menée, la prévention permet d’éviter des dommages sur le plan humain et peut aussi se traduire par un bénéfice financier pour les entreprises. Ainsi, <a href="https://www.preventionbtp.fr/Documentation/Explorer-par-produit/Information/Dossiers-prevention/Prevention-et-performance/Etude-de-terrain-et-fiches-a-telecharger">des calculs réalisés en 2015</a> dans le secteur du bâtiment montrent que 1 euro investi dans la prévention des risques professionnels se traduit par un gain final de 2,34 euros.</p>
<p>Avec le C2 P, le P de « personnel » est devenu celui de « professionnel », celui de « pénibilité » s’est volatilisé, et celui de « prévention » perd de son sens. Le nouveau dispositif constitue une marche arrière unilatérale en matière de prévention, et celle-ci n’augure rien de positif, ni pour les salariés ni pour les employeurs. Le risque est de voir perdurer ou augmenter les invalidités, ainsi que les décès précoces chez les retraités.</p>
<p>Au lieu de rester sur une telle mesure, la création d’une délégation interministérielle à la santé au travail chargée notamment de la prévention des risques professionnels serait davantage à la hauteur des enjeux de santé en lien avec le travail. Cette délégation pourrait être chargée, en lien avec le Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), de suivre la mise en œuvre du Plan santé travail. Une chance pour que les mots <em>santé</em> et <em>travail</em> occupent enfin ensemble la scène médiatique et politique ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/81240/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le compte pénibilité, rebaptisé compte prévention, a été largement vidé de son contenu. Le nouveau dispositif n’incite pas suffisamment les employeurs à préserver la santé de leurs salariés.Tarik Chakor, Maître de conférences en sciences de gestion - Université Savoie Mont Blanc, Membre de la chaire Management et Santé au travail, Université Grenoble Alpes (UGA)Claire Edey Gamassou, Maîtresse de conférences en sciences de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.