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sculpture – The Conversation
2023-10-25T16:01:17Z
tag:theconversation.com,2011:article/208039
2023-10-25T16:01:17Z
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La physique de la matière selon le sculpteur César
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555801/original/file-20231025-19-t8ge4h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C718%2C950&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">César Baldaccini, dit César, 1970.</span> <span class="attribution"><span class="source">Ville de Grenoble/Musée de Grenoble-J.L. Lacroix © SBJ / Adagp, Paris</span></span></figcaption></figure><p>Comme tout le monde, j’ai vu les statuettes remises lors de la cérémonie des Césars du cinéma français, qui tiennent leur nom de César Baldaccini. J’ai aussi croisé quelques-unes des compressions de l’artiste produites sur plusieurs décennies. La statue du <a href="https://parisladefense.com/fr/decouvrir/oeuvres-art/le-pouce">« pouce en l’air »</a> est incontournable quand on traverse le parvis de la Défense à Paris. Je voyais, sur les photos, l’allure magnétique de cet homme avec cette imposante barbe. Je ne connaissais ni les sculptures, sinon ce pouce immense, ni les expansions. J’ignorais à peu près tout de l’artiste et de son œuvre pour une bonne raison : je n’avais pas trouvé mon point d’entrée dans son œuvre.</p>
<p><div data-react-class="TiktokEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.tiktok.com/@parisladefense/video/7171866765012569350 ?lang=fr"}"></div></p>
<p>C’est Renaud Bastien, physicien au CNRS à Toulouse, qui m’a fait voir César… involontairement.</p>
<p>Il y a quelque mois, il me parlait de son travail sur la cohésion apparente des <a href="https://www.twitch.tv/animalmetaverse">bancs de poissons</a>, celles des colonies d’oiseaux comme les étourneaux et les applications induites en robotique. Réfléchissant à haute voix autour de la cohésion de la matière, il me dit : « finalement deux éléments fondamentaux d’un objet en physique de la matière condensée sont son poids et son volume. » Ce n’est pas si rare, il arrive qu’énoncer ce qui semble une évidence ouvre une porte. Et dans le train entre Toulouse et Grenoble, je vois soudain les compressions de César autrement.</p>
<p>Le programme de l’école primaire et du collège passe beaucoup de temps sur le volume, le poids, la masse et la densité (ou son équivalent, la masse volumique). Pour de bonnes raisons. Tout objet solide est de la matière condensée. Il est d’abord caractérisé par son volume et son poids. Pour changer l’un et l’autre, c’est simple, il faut enlever ou ajouter de la matière.</p>
<p>Pour changer le volume, les hautes pressions, utilisées dans les laboratoires, sont monstrueusement élevées pour une compression bien faible, souvent même insignifiante. L’eau par dix kilomètres de profondeur dans l’océan reste de l’eau égale à celle de notre quotidien. L’énorme pression n’y fait rien. Le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=J5gsDtp4h5w">principe d’exclusion de Pauli</a> au cœur de la physique quantique veille : comprimer le gaz d’électrons d’un solide ou d’un liquide est extraordinairement difficile. On ne passe pas non plus à travers les murs, ce qui serait une autre forme de compression.</p>
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<h2>Erwin Schrödinger : le volume, la surface et la forme</h2>
<p>Finalement, à côté du poids et de ce volume invariable, tout le reste me semble affaire de circonstances. Dans le recueil de conférences intitulé : « Qu’est-ce que la vie ? », <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Erwin_Schr%C3%B6dinger">Erwin Schrödinger</a>, prix Nobel de physique 1933 pour « son » équation et père du <a href="https://theconversation.com/zoologie-quantique-le-chat-des-possibles-97737">« chat de Schrödinger »</a> aborde la relation entre le fond et la forme. Il le fait en s’interrogeant à propos d’un presse-papier en forme de chien, qu’il vient de retrouver. On peut lire cela comme une forme d’hommage très profond d’un physicien à la sculpture :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis tout à fait sûr que c’est le même chien, le chien que j’ai vu il y a plus de cinquante ans sur le bureau de mon père. Mais pourquoi en suis-je sûr ? C’est très clair. C’est visiblement la forme ou la configuration particulière qui établit l’identité de façon certaine, et non le contenu matériel. Si la matière avait été fondue et moulée dans la forme d’un homme, l’identité serait beaucoup plus difficile à établir. Et il y a plus : même si l’identité matérielle était établie de façon certaine, cela n’aurait qu’un intérêt très restreint. Je ne me soucierais probablement pas beaucoup de l’identité ou de la non-identité de cette masse de fer, et je déclarerais que mon souvenir a été détruit. »</p>
</blockquote>
<p>Fondu, le chien presse-papier n’aurait changé ni de volume, ni de poids, pas plus qu’après transformation en statue à figure humaine. Tout le reste me semble donc affaire de circonstances : changer la forme, la texture, les reflets et les couleurs n’auraient rien changé au poids et au volume, mais tout à l’objet !</p>
<h2>Comprimer et plier, ça demande beaucoup d’énergie et ça coute très cher</h2>
<p>Le programme stratégique américain <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Heavy_Press_Program">Heavy Press Program</a> au cœur de la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique a conduit à créer des machines capables d’appliquer des forces correspondant à des masses de 45000 tonnes sur des pièces mécaniques. Ces machines, utilisées pour la forge à froid de pièces importantes souvent éléments d’armements, ne cherchent pas à comprimer mais à déformer. C’est plus facile, même si là encore extrêmement difficile comme le soulignent les investissements industriels pharaoniques consentis au XX<sup>e</sup> siècle avec des savoir-faire très sophistiqués. Il existe des versions industrielles plus modestes que l’on utilise dans les casses de voitures pour justement comprimer la carrosserie des épaves et en faire des cubes de petite taille et manipulables, mais toujours aussi lourds. C’est ce type de machine que le sculpteur César a découvert au milieu du XX<sup>e</sup> siècle. En 1960, il expose <em>Trois tonnes</em>, une œuvre constituée de trois voitures compressées. La masse d’abord.</p>
<p>La sculpture se définit d’abord par sa forme et sa couleur. Un même volume de matière peut avoir une infinité de formes et de couleurs. On peut générer d’une infinité d’objets ayant tous le même volume. Exemple, si on prend le cas d’une carrosserie de voiture, quel est ce volume ? Ce n’est pas le volume que définit la carrosserie dans l’espace dont celui disponible pour les valises. Pas du tout. C’est l’espace occupé par la tôle elle-même. Et ce volume-là, sinon en découpant la voiture, on ne peut pas y toucher. Il est là avant et après la compression, intact comme le poids. </p>
<p>César, à mes yeux, par une compression brutale, se met sur un chemin allant vers une carrosserie qui n’occuperait plus que ce volume ultime et minimal. On voit aussi combien il est difficile d’y arriver ainsi, voire impossible. Il est loin du compte, il y a toujours de l’espace vacant. Bien sûr, s’il s’agit de vraiment de l’obtenir, Erwin Schrödinger donne la solution : faire fondre ! Mais alors la voiture n’est plus là du tout. César, par cette compression incomplète, garde la mémoire de l’objet initial – on le devine encore – mais il nous dit aussi qu’il n’est finalement <a href="http://carfree.fr/index.php/2022/08/22/les-compressions-de-cesar/">qu’une masse de tôle</a>. Il n’est d’abord que cela, et en toutes circonstances !</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/555798/original/file-20231025-28-bda13v.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555798/original/file-20231025-28-bda13v.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555798/original/file-20231025-28-bda13v.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555798/original/file-20231025-28-bda13v.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555798/original/file-20231025-28-bda13v.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555798/original/file-20231025-28-bda13v.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555798/original/file-20231025-28-bda13v.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’œuvre de César, 520 tonnes, Biennale de Venise, 1995.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les expansions : supprimer les limites</h2>
<p>Le volume occupé par un atome dans un liquide ou un solide ne varie pas tant. La densité des matériaux autour de nous varie assez peu. Et nous le savons tous : un verre plein peut l’être de n’importe quoi, nous parviendrons toujours à le soulever. Les densités extrêmes existent dans l’univers mais pas sur la Terre. Sur la Terre, la densité de la matière liquide ou solide est limitée, et il n’est pas possible de largement dépasser cette limite. Toujours le principe de Pauli à l’œuvre. Dans l’autre sens, du côté de l’expansion, il n’y a pas de limite fondamentale. On peut aller de la matière condensée au vide avec une immense variété d’états (gazeux en tête), et de matières. L’aérogel de silice a une masse volumique de 2kg/m<sup>3</sup>, seulement deux fois celle de l’air. Sa présence diaphane est assez irréelle.</p>
<p>La masse volumique de la mousse polyuréthane utilisée par César est probablement entre 10kg/m<sup>3</sup> et 100kg/m<sup>3</sup>, celle de l’eau est bien plus grande, avec ses 1 000kg/m<sup>3</sup>. Dans les expansions, avant toute question sur la forme, il y a, à nouveau, celle de la masse et du volume. À masse constante, on peut chercher à augmenter largement le volume occupé dans l’espace autant que souhaité.</p>
<h2>Quand César rejoint Schrödinger</h2>
<p>Avec les sculptures, les compressions et les expansions, les œuvres de César explorent pour nous, par leur matérialité, la forme, la masse et le volume. Il précise et c’est limpide :</p>
<blockquote>
<p>« J’appelle mes compressions des compressions, mes expansions des expansions. La victoire de Villetaneuse, Ginette, L’Hommage à Léon, j’appelle ça des sculptures. »</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/o-RmVIWW4PI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Sculptures, elles ont une forme unique, qui les pose en œuvre d’art et création de César. Que sont alors les compressions ? Le scientifique Schrödinger et l’artiste César se croisent ici et sont, je crois, d’accord : les compressions ainsi présentées soulignent une réalité du monde très profonde, mais on ne les appellera pas « sculptures », plutôt anti-sculptures.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208039/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Un même volume de matière peut avoir une infinité de formes et de couleurs. César, avec ses compressions et ses expansions, nous donne des leçons de physique de la matière.
Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/212931
2023-09-06T17:40:01Z
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Avec 2 000 objets disparus, le British Museum affronte une crise historique, mais ce n’est pas la première
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/546646/original/file-20230906-23-z0dzkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C0%2C3899%2C2521&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lawrence Alma-Tadema - Phidias montrant la frise du Parthénon à ses amis, 1868. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:1868_Lawrence_Alma-Tadema_-_Phidias_Showing_the_Frieze_of_the_Parthenon_to_his_Friends.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Depuis la mi-août, le British Museum est au cœur d’un scandale après le <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/the-times-view-on-the-british-museum-thefts-stolen-goods-vf7tf2wt6">vol d’environ 2 000 objets</a> de ses collections. Un vol dont on soupçonne qu’il a été commis au sein même de l’institution sur une période de <a href="https://www.theguardian.com/culture/2023/aug/25/artefacts-stolen-from-british-museum-may-be-untraceable-due-to-poor-records">vingt ans</a>. <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-66582935">Alerté</a> de la vente d’objets présumés volés dès 2021, le musée n’a pris des mesures que début 2023.</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que le musée fait l’objet de critiques et que son système de conservation est <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/the-times-view-on-the-british-museum-thefts-stolen-goods-vf7tf2wt6">remis en question</a>. Cet article se penche sur quelques incidents notoires liés à la conservation de sa collection.</p>
<h2>Le scandale de Duveen</h2>
<p>Le plus célèbre de tous est celui-ci : le <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-031-26357-6_6">scandale de Duveen</a>, ainsi nommé d’après Lord Joseph Duveen, un marchand d’art ultra-riche à l’éthique douteuse, bienfaiteur du British Museum. Pendant longtemps, les responsables du musée ont soutenu que les marbres du Parthénon seraient mieux protégés s’ils restaient à Londres, car les Grecs n’étaient pas en mesure d’en prendre soin. Cet argument a été abandonné après qu’il a été révélé qu’à la fin des années 1930, le musée avait fait gratter les marbres avec des outils abrasifs, détruisant leur surface d’origine, leurs pigments et les traces d’outils encore visibles avant cette calamiteuse « restauration ».</p>
<p>Les temples grecs de l’Antiquité étaient richement peints, mais les restes polychromes n’étaient pas du goût de Duveen. Un administrateur du British Museum <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Crawford_Papers.html?id=55RnAAAAMAAJ&redir_esc=y">témoigne</a> de l’attitude de Duveen à l’époque :</p>
<blockquote>
<p>« Duveen nous a fait la leçon et nous a harangués, et nous a raconté les absurdités les plus désespérantes sur le nettoyage des œuvres d’art anciennes. Je suppose qu’il a détruit plus d’œuvres des maîtres anciens par excès de nettoyage que n’importe qui d’autre au monde, et maintenant il nous dit que tous les vieux marbres devaient être nettoyés à fond – à tel point qu’il les tremperait dans l’acide. Nous avons écouté patiemment ces folies vantardes… »</p>
</blockquote>
<p>Les hommes de Duveen avaient libre accès au musée et étaient même autorisés à donner des ordres au personnel du musée. Bientôt, dans une tentative malencontreuse de blanchir ce qui restait de la décoration polychrome d’origine, ils commencèrent à frotter les marbres. Ce « nettoyage » a duré quinze mois avant d’être interrompu. Une commission d’enquête interne conclut que les dégâts occasionnés <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-031-26357-6_6">« sont évidents et ne peuvent être exagérés »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/546665/original/file-20230906-15-dden09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/546665/original/file-20230906-15-dden09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/546665/original/file-20230906-15-dden09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/546665/original/file-20230906-15-dden09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/546665/original/file-20230906-15-dden09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/546665/original/file-20230906-15-dden09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/546665/original/file-20230906-15-dden09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Grande Cour du British Museum, vue d’ensemble.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/British_Museum#/media/Fichier:British_Museum_Dome.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Afin d’éviter que sa réputation ne soit entachée, le musée a gardé le silence et a nié que quelque chose de fâcheux s’était produit. Éventuellement, les marbres ont été placés dans la galerie Duveen, nommée en l’honneur de l’homme responsable de leur endommagement.</p>
<p>Le « nettoyage » de Duveen a été gardé secret pendant 60 ans jusqu’à ce qu’il soit <a href="https://global.oup.com/academic/product/lord-elgin-and-the-marbles-9780192880536?cc=fr&lang=en&">découvert</a> par l’historien britannique William St Clair. St Clair, qui était auparavant favorable au maintien des marbres au British Museum, est devenu l’un des plus ardents défenseurs de leur rapatriement.</p>
<p>Le nettoyage des marbres par Duveen n’a pas été le seul à susciter la consternation. Une série de <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-031-26357-6_6">lettres</a> publiées dans le <em>Times</em> dès 1858 s’inquiétait du « nettoyage » des marbres et accusait le musée de « vandalisme ». Il est probable que si ces premiers avertissements avaient été pris en compte, le nettoyage de Duveen aurait pu être évité.</p>
<h2>Accidents et autres polémiques</h2>
<p>Les accidents arrivent, et le British Museum n’a pas été épargné. Des documents publiés en vertu de la législation sur la liberté d’information montrent que dans les années 1960 et 1980, des visiteurs et un accident de travail ont <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/uknews/1490023/Revealed-how-rowdy-schoolboys-knocked-a-leg-off-one-of-the-Elgin-Marbles.html">endommagé de façon permanente</a> des figures des frontons du Parthénon.</p>
<p>Lors d’une conférence organisée en 1999 dans le musée, des sandwiches ont été servis dans la galerie Duveen et les invités ont été <a href="https://www.theguardian.com/uk/1999/dec/01/maevkennedy">encouragés à toucher</a> les sculptures antiques. De nombreuses personnes présentes ont trouvé ce geste tellement inconsidéré qu’elles ont quitté la galerie. Un journaliste du <a href="https://www.nytimes.com/1999/12/02/world/london-journal-on-seeing-the-elgin-marbles-with-sandwiches.html"><em>New York Times</em></a> a titré un de ses articles : « On Seeing the Elgin Marbles, With Sandwiches » (Voir les marbres d’Elgin, avec des sandwiches).</p>
<p>Le <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/sculpture/incident-diplomatique-entre-londres-et-athenes-autour-d-un-marbre-antique_3388127.html">prêt secret de 2014</a> de la statue couchée du dieu grec de la rivière Ilissos (statue issue du fronton ouest du Parthénon) au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, alors que l’Europe avait imposé des sanctions à la Russie pour l’annexion de la Crimée, a également provoqué un incident dimplomatique. Le prêt n’a été annoncé qu’après le transfert de la statue à Saint-Pétersbourg.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/diviser-cest-detruire-les-marbres-du-parthenon-et-lintegrite-des-monuments-201232">« Diviser c’est détruire » : les marbres du Parthénon et l’intégrité des monuments</a>
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<p>Une controverse d’un autre ordre concerne les objets de la collection du musée qui font l’objet de demandes de rapatriement. Contrairement à d’autres institutions, telles que le V&A, le British Museum a été confronté à un concert de demandes de restitution concernant des objets très spécifiques de sa collection. Le musée a fermement refusé de s’engager dans le débat, bien que depuis le début de l’année, il tente de convaincre la Grèce d’accepter un <a href="https://theconversation.com/debate-sorry-british-museum-a-loan-of-the-parthenon-marbles-is-not-a-repatriation-199468">« prêt »</a> des marbres du Parthénon, considérant apparemment qu’il s’agit là d’un moyen d’entrer dans le débat sur le rapatriement.</p>
<p>Bien entendu, le musée est lié par la loi de 1963 sur le British Museum en matière d’aliénation, mais c’est une question à aborder dans un autre article.</p>
<h2>Les problèmes actuels du musée</h2>
<p>Aujourd’hui, le British Museum tente de réparer <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/the-times-view-on-the-british-museum-thefts-stolen-goods-vf7tf2wt6">l’atteinte à sa réputation</a>, au moment où le musée espère <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/new-british-museum-interim-boss-revealed-and-what-he-really-thinks-about-the-elgin-marbles-9s6zvgxnq">récolter 1 milliard de livres sterling</a> pour des travaux de rénovation indispensables.</p>
<p>La moitié de la collection du musée est <a href="https://www.britishmuseum.org/collection">non cataloguée</a>, et cette absence d’inventaire a certainement facilité les vols. Le fait qu’il ait fallu si longtemps pour découvrir les vols soulève également la question de savoir ce qui a pu disparaître davantage sans laisser de traces.</p>
<p>Pourtant, on ne peut s’empêcher de s’interroger : Les malheurs actuels du British Museum font-ils trembler d’autres directeurs de musées ? Combien de musées ont des pièces non cataloguées dans leurs réserves ? Lorsqu’un musée comme le Louvre explique que sa base de données contient des entrées pour <a href="https://collections.louvre.fr/en/page/apropos">plus de 480 000 œuvres</a>, s’agit-il de l’ensemble de sa collection ou seulement d’un pourcentage de celle-ci ? Dans un grand nombre de cas, nous ne le savons tout simplement pas.</p>
<p>Le British Museum n’a pas encore annoncé le nombre exact d’objets volés. Mais comment connaître le nombre exact d’objets disparus sans inventaire ? Plus difficile encore, comment identifier les objets, sans parler de <a href="https://www.theguardian.com/culture/2023/aug/25/artefacts-stolen-from-british-museum-may-be-untraceable-due-to-poor-records">prouver la propriété</a>, sans inventaire ?</p>
<p>En la matière, le secret est tout à fait inhabituel. Le partage d’informations sur les objets volés permet d’identifier et de retrouver ces objets. C’est précisément pour cette raison qu’Interpol tient à jour une base de données accessible sur les œuvres d’art volées. Mais pour qu’un objet soit enregistré dans la base de données, il doit être <a href="https://www.interpol.int/en/How-we-work/Databases/Stolen-Works-of-Art-Database">« entièrement identifiable »</a>. Le problème, c’est que le musée est probablement encore en train d’essayer d’identifier ce qui a disparu. Comment identifier complètement un objet non catalogué et non photographié ?</p>
<p>Le fait que cette liste demeure secrète tient peut-être à autre chose. Et si certains des objets volés identifiés étaient des objets contestés ayant fait l’objet de demandes de restitution ? Pour l’instant, nous ne pouvons que spéculer.</p>
<h2>La crise comme opportunité</h2>
<p>Après la démission du directeur Hartwig Fischer, un directeur intérimaire, Sir Mark Jones, a été nommé. Le poste permanent est à pourvoir. Tristram Hunt, directeur du V&A, qui semble être à l’origine de l’initiative visant à réviser les lois sur l’aliénation des œuvres d’art, figure parmi les candidats <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/new-british-museum-interim-boss-revealed-and-what-he-really-thinks-about-the-elgin-marbles-9s6zvgxnq">évoqués</a> au poste de directeur du musée. La sélection du prochain directeur du musée est une étape cruciale dans l’évolution vers un British Museum moderne qui ne se contente pas de rénover ses galeries, mais reconstruit son image conformément aux nouvelles valeurs du XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212931/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catharine Titi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Ce n’est pas la première fois que le musée fait l’objet de critiques et que son système de conservation est remis en question.
Catharine Titi, Research Associate Professor (tenured), French National Centre for Scientific Research (CNRS), Université Paris-Panthéon-Assas
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/199455
2023-09-03T14:18:49Z
2023-09-03T14:18:49Z
Désir et normes de genre dans l’Antiquité : le mythe d’Hermaphrodite
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532943/original/file-20230620-9063-5u3n7d.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C7%2C1571%2C713&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Statue d’Hermaphrodite, copie romaine d’un original grec du IIe siècle av. J.-C. Musée du Louvre, Paris.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Borghese_Hermaphroditus_Louvre_Ma231.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Dans la salle des Caryatides, au Musée du Louvre, le regard du visiteur est <a href="https://www.louvre.fr/decouvrir/le-palais/au-coeur-du-palais-de-la-renaissance">immanquablement attiré</a> par un corps de marbre, nu et parfaitement lisse, étendu sur un matelas capitonné, lui aussi de marbre.</p>
<p>Cette captivante statue antique, copie romaine d’un original grec remontant au II<sup>e</sup> siècle av. J.-C. et découverte à Rome en 1608, fut l’une des principales attractions de la collection du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Scipione_Caffarelli-Borghese">Cardinal Scipione Borghèse</a> qui, soucieux d’installer confortablement son bel objet, fit ajouter le matelas, réalisé par le Bernin. L’œuvre fut ensuite achetée par Napoléon qui l’exposa dans le musée parisien.</p>
<p>En s’approchant, on distingue de longs cheveux remontés en chignon au-dessus de la nuque, un visage délicat, une taille svelte et de larges hanches. La belle personne a les yeux fermés. Mais son sommeil ne paraît pas très profond, comme en témoigne son pied gauche relevé. Elle paraît s’être assoupie, peut-être en attendant l’arrivée d’un amant, ou d’une amante ? Le fort érotisme qui se dégage de l’œuvre nous plonge dans un monde de fantasmes où divers scénarios amoureux se bousculent.</p>
<p>Dans un second temps, quand nous faisons le tour du matelas et nous penchons vers les cuisses charnues, nous apercevons un petit pénis lui aussi au repos. C’est alors que nous comprenons que nous nous trouvons en présence d’une sorte d’œuvre théâtrale qui se découvre en deux actes. Le sculpteur a délibérément créé un effet de surprise.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532944/original/file-20230620-24-ae4o72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Statue d’Hermaphrodite. Musée du Louvre, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hermaphrodite#/media/Fichier:Borghese_Hermaphroditus_Louvre_Ma231_n4.jpg">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<h2>Belles fesses et cheveux longs</h2>
<p>Nous avons sous les yeux l’enfant que la déesse Aphrodite eut du dieu Hermès : Hermaphrodite. Un nom double pour mieux souligner l’étonnante dualité du personnage. S’agit-il d’une fille ou d’un garçon ? Hermaphrodite est à la fois l’un et l’autre : un garçon pourvu de seins et de larges hanches, comme sa mère, autant qu’une jeune fille dotée d’un pénis, comme son père.</p>
<p>Mais c’est d’abord son postérieur que l’enfant d’Aphrodite et Hermès offre au spectateur par sa pose alanguie. De ce point de vue, beaucoup de Grecs et de Romains ne voyaient guère de différence entre des fesses féminines ou masculines. C’est ce qu’écrit très explicitement le <a href="http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/horace_epodes/texte.htm">poète latin Horace</a> (65-8 av. J.-C.) qui évoque son désir érotique, que ce soit « pour une jolie fille (<em>puella</em>) ou pour un jeune garçon (<em>puer</em>) bien fait, habile à nouer en arrière ses longs cheveux » (<em>Épodes</em> XI, 27-28).</p>
<p>L’abondante chevelure de l’amant ou de l’amante contribue elle aussi à cette indifférenciation. Celui ou celle qu’aime le poète se caractérise par sa jeunesse et se résume, physiquement, à une paire de fesses et à une forte implantation capillaire. L’historienne Eva Cantarella <a href="https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-4-page-3.htm">écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Pour Horace, le sexe de l’objet d’amour n’a absolument aucune importance, comme ce fut le cas pour des millions d’autres hommes ayant vécu à Rome ou dans le monde romain pendant de nombreux siècles. »</p>
</blockquote>
<p>Nul doute que le poète aurait beaucoup apprécié l’Hermaphrodite aujourd’hui au Louvre que, d’ailleurs, il connaissait peut-être. La sculpture manifeste très clairement cette dimension érotique qui permet à l’amant de réunir en une seule et même personne, et indistinctement, la jolie fille et le beau garçon évoqués par Horace.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532941/original/file-20230620-11905-mdt8yr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hermaphrodite et Salmacis, tableau de François-Joseph Navez, 1829. Musée des Beaux-Arts, Gand.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:NAVEZ_Francois_Joseph_The_Nymph_Salmacis_And_Hermaphroditus.jpg">Wikimedia</a></span>
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<h2>La beauté nue qui enflamme le désir</h2>
<p>Ovide (43 av. J.-C. – 17 apr. J.-C.), autre poète latin, contemporain d’Horace, nous raconte <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Les_M%C3%A9tamorphoses_(Ovide,_Nisard)/Livre_4">l’histoire du fils d’Aphrodite et d’Hermès</a> (<em>Métamorphoses</em> IV, 285-388).</p>
<p>Sa mère ne s’occupant pas vraiment de lui, il est élevé par des nymphes, en Asie Mineure. A l’âge de quinze ans, il décide de partir à la découverte du monde. Un jour, il parvient au bord d’un lac où vit une nymphe nommée Salmacis.</p>
<p>Aussitôt séduite par le beau jeune homme, elle s’offre à lui, mais il la repousse. Il ignore ce qu’est l’amour et se met à rougir. Une rougeur sur ses joues blanchâtres qui le rend encore plus désirable, écrit le poète. On remarque au passage que, du point de vue des codes de la virilité gréco-romaine, Hermaphrodite n’est pas un homme accompli. Sa blancheur et sa gêne face aux avances de la nymphe sont censées souligner sa féminité. Ovide suggère que, dès le départ, son sexe est ambigu.</p>
<p>De son côté, Salmacis inverse les rôles. C’est elle qui prend l’initiative, comme un homme, suivant les normes du moment. S’il a déjà une fiancée, lui dit-elle, qu’il ne lui accorde qu’un plaisir furtif. Personne n’en saura rien. Elle insiste. Mais il refuse encore et encore. Alors, elle fait mine de s’éloigner et se cache dans un épais fourré d’où elle épie le beau garçon.</p>
<p>Hermaphrodite se croyant enfin seul et débarrassé de l’importune a bien envie de se rafraîchir. Il se déshabille pour se baigner dans le lac. Alors, écrit Ovide : « Sa beauté mise à nu enflamme Salmacis de désir. ».</p>
<p>Hermaphrodite pénètre dans l’eau fraîche. Aussitôt Salmacis se déshabille et plonge à son tour. Elle l’attrape de toutes ses forces. Il se débat. Mais « c’est en vain qu’il lutte et cherche à lui échapper ». Elle l’enlace <a href="https://theconversation.com/les-jeux-erotiques-de-salammbo-et-de-son-python-fetiche-157618">« comme fait un serpent »</a>, évident symbole phallique, traduisant à nouveau une inversion des rôles suivant l’imaginaire antique.</p>
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<p>Mais que fait Salmacis au juste ? Elle maintient Hermaphrodite. Et après ? Le viol d’un garçon par une fille pose évidemment un problème purement technique : comment parvient-elle à s’unir à lui, s’il n’est pas excité ? Ovide nous dit seulement qu’elle le retient de toutes ses forces, afin que jamais il ne se sépare d’elle. Puis, elle implore les dieux que cette étreinte soit éternelle : « O dieux, exaucez-moi. Faites que jamais ne vienne le jour qui nous éloignerait, lui de moi ou moi de lui ».</p>
<p>Ainsi soit-il ! La nymphe et son amant fusionnent pour toujours en un être doté des deux sexes. Soudés pour l’éternité ! On le voit, l’histoire d’Hermaphrodite traduit beaucoup plus qu’un simple désir sexuel. C’est également le rêve d’une union sans fin.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532945/original/file-20230620-24-3f4pm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hermaphrodite et Salmacis, tableau de Jan Gossaert dit Mabuse, vers 1520. Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Salmacis#/media/Fichier:Jan_Gossaert_013.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Présages funestes et infanticide</h2>
<p>Aux temps les plus anciens, les Grecs considéraient les enfants dotés à leur naissance de deux sexes comme des monstres abominables, car ils brouillaient par leur existence même la stricte différenciation sociale entre hommes et femmes. On voyait en eux des présages funestes envoyés par les dieux à la communauté civique. C’est pourquoi des lois demandaient aux parents de rejeter leurs enfants considérés comme anormaux. C’était une forme d’eugénisme impitoyable, connu à Sparte, mais aussi à Athènes. Ces enfants étaient <a href="https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1999_num_97_3_7173_t1_0657_0000_1">abandonnés dans la nature</a>.</p>
<p>Cela évitait de les tuer directement, car on croyait que les défunts prématurés pouvaient revenir tourmenter les vivants. L’abandon présentait l’avantage de pouvoir se débarrasser d’eux sans avoir à en assumer les conséquences. La responsabilité de leur décès en revenait finalement aux dieux qui ne les avaient pas secourus !</p>
<p>Cette conception était partagée par les Romains qui plaçaient les enfants intersexes dans des caisses qu’ils jetaient à la mer, car il fallait qu’ils meurent aussi loin que possible du territoire civique. Leur noyade était censée écarter tout risque de souillure pour la cité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532950/original/file-20230620-5944-hujhns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Statue d’Hermaphrodite, marbre, Iᵉʳ siècle apr. J.-C. National Museums, Liverpool.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://de.wikipedia.org/wiki/Hermaphroditismus#/media/Datei:Hermaphroditus_lady_lever.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Retrouver l’unité originelle</h2>
<p>Cette vision très négative disparut en Grèce, sous l’effet des réflexions des philosophes. Ainsi, Platon composa, au IV<sup>e</sup> siècle av. J.-C., son célèbre traité sur l’amour intitulé <em>Le Banquet</em>. L’œuvre se présente sous la forme d’un dialogue entre les convives d’une soirée mondaine. Après le repas, comme il était de coutume, l’un des invités choisit le thème du banquet. Ce soir-là, ce sera : Eros et la passion amoureuse. Chacun des convives prendra successivement la parole pour <a href="https://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/banquet.htm">prononcer un petit discours sur le sujet retenu</a>.</p>
<p>Quand arrive son tour, le poète Aristophane explique que, lorsque les êtres humains ont été créés par les dieux, ils avaient quatre jambes, quatre bras et une tête unique dotée de deux visages. Ils possédaient aussi deux organes sexuels. Ces êtres doubles appartenaient à trois catégories : ceux pourvus de deux sexes masculins, ceux possédant deux sexes féminins et ceux disposant de l’un et de l’autre sexe.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hwW7MNV5GD0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ces humains originels étaient fort agiles. Ils essayèrent d’escalader l’Olympe pour y prendre la place des dieux. Folie ! Il fallait les punir sévèrement, se dirent les dieux, sans toutefois les anéantir, car ils avaient besoin des humains vivant sur terre pour leur adresser des offrandes et leur rendre un culte.</p>
<p>A l’issue d’une réunion de crise, Zeus, roi des dieux, décide donc de couper les humains en deux, afin de les affaiblir. Depuis, ils n’ont plus que deux jambes, deux bras, un seul visage et un sexe unique.</p>
<p>La théorie d’Aristophane explique les différents types d’amours et ce que nous appelons aujourd’hui les « orientations sexuelles ». Nous rêvons tous de retrouver l’unité primitive de notre être. C’est pourquoi nous cherchons inlassablement notre moitié perdue, qu’elle soit féminine ou masculine. La rencontre de notre bien-aimée ou aimé nous procure une immense sensation de bonheur, car l’amour nous permet de remédier à la déchirure dont nous sommes issus et de renouer avec notre perfection originelle.</p>
<hr>
<p><em>Chistian-Georges Schwentzel a écrit <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/le-nombril-daphrodite-9782228924795">« Le Nombril d’Aphrodite, une histoire érotique de l’Antiquité »</a>, aux éditions Payot, 2019.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199455/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Que nous raconte cette statue antique, œuvre théâtrale qui se découvre en deux actes ?
Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de Lorraine
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/208800
2023-07-04T20:13:18Z
2023-07-04T20:13:18Z
Une expo, un chercheur : les crânes géants de Ron Mueck vus par un paléoanthropologue
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534862/original/file-20230629-17-6gxigk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C18%2C3977%2C2999&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Antoine Balzeau en pleine inspection de l'oeuvre de Ron Mueck, « Mass ».
Vue de l’exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier pour l’art
contemporain, matériaux divers, dimensions variables.
</span> <span class="attribution"><span class="source">National Gallery of Victoria, Melbourne, Felton Bequest, 2018 / Photo Sonia Zannad, The Conversation</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Antoine Balzeau est paléoanthropologue au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle. Il étudie l’évolution des humains préhistoriques et s’intéresse surtout aux caractéristiques internes des fossiles, grâce aux méthodes d’imagerie.</em>
<em>Au cours d’une longue visite de l’exposition Ron Mueck à la fondation Cartier pour l’art contemporain, le chercheur nous a confié ses réflexions, entre observations scientifiques liées à la morphologie des crânes, curiosité pour la méthode de l’artiste et étonnement face à une œuvre qui pose plus de questions qu’elle n’offre de réponses.</em></p>
<hr>
<p>Les crânes, je suis bien placé pour trouver ça joli : je les manipule et les examine au quotidien. Mais un crâne, même fossile, ce n’est pas un objet anodin : il s’agit de <a href="https://theconversation.com/faut-il-continuer-a-exposer-les-momies-egyptiennes-dans-nos-musees-203645">restes humains</a>, c’est important de s’en rappeler.</p>
<p>En découvrant l’installation monumentale de Ron Mueck, je suis d’abord saisi par l’image de cette accumulation, qui fait forcément penser à des circonstances dramatiques et violentes, en particulier au moment où la guerre est aux portes de l’Europe et dans le contexte d’un dérèglement climatique inéluctable : impossible de ne pas imaginer une extinction, une tuerie de masse ou un charnier ; une impression décuplée par le gigantisme de l’installation. Les visiteurs sont d’ailleurs très silencieux (<em>Mass</em> signifie à la fois masse et messe en anglais, NDLR), comme recueillis.</p>
<hr>
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<img alt="Vignette de présentation de la série Une expo, un chercheur, montrant une installation artistique de l'artiste Kusama" src="https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
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</figure>
<p><em>« Une expo, un·e chercheur·euse » est un nouveau format de The Conversation France. Si de prime abord, le monde de l’art et celui de la recherche scientifique semblent aux antipodes l’un de l’autre, nous souhaitons provoquer un dialogue fécond pour accompagner la réflexion sans exclure l’émotion. Cette série de rencontres inattendues vous guidera à travers l’actualité des expositions en les éclairant d’un jour nouveau.</em></p>
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<p>Troublante aussi, la proximité avec les catacombes de Paris, qui se trouvent à un jet de pierre de la Fondation Cartier ; l’artiste est d’ailleurs allé y faire un tour avant de peaufiner le montage de son installation. Il y a cependant une grande différence entre le travail de Mueck et les crânes que l’on voit aux catacombes : ici, ils se présentent d’emblée comme « faux », du fait de leur échelle, et ce malgré le réalisme du moulage. </p>
<p>Mais ils sont également disposés les uns sur les autres, dans un désordre apparent, baignés dans la lumière vive d’un bâtiment entièrement vitré. Certains sont renversés, retournés, posés sur le côté, comme en équilibre précaire. On dirait qu’un géant a joué avec, avant de s’en désintéresser, comme dans un roman de science-fiction – je pense à l’univers de Stefan Wul <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oms_en_s%C3%A9rie">dans <em>Oms en série</em></a>. Aux catacombes, en revanche, la mise en scène morbide des vrais crânes humains est plus ouvertement associée au « memento mori » : ils sont alignés et empilés, orbites vides dirigées vers les visiteurs, semblant questionner notre vanité, dans la pénombre.</p>
<p>À la fondation Cartier, c’est une planche de Franquin, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Id%C3%A9es_noires_(bande_dessin%C3%A9e)">dans ses <em>Idées noires</em></a>, qui me vient à l’esprit : des mouches discutent, installées dans des boîtes crâniennes. Dans l’image « dézoomée », on comprend que le sol est jonché de crânes humains, et que les mouches ont tiré profit de leur violence et/ou de leur bêtise mais aussi qu’elles craignent de répéter les mêmes erreurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans une planche des « Idées noires », Franquin imagine une colonie de mouches dans des crânes humains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Les Idées Noires, Franquin.</span></span>
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<h2>La question de la méthode</h2>
<p>En observant les crânes de loin, je comprends tout de suite deux choses : il s’agit du même crâne démultiplié, et il s’agit du crâne d’un individu jeune. Difficile, en revanche, d’en déterminer le genre.</p>
<p>Si je sais qu’il s’agit du même crâne démultiplié, malgré les « accidents » provoqués par Ron Mueck pour nous faire croire qu’ils sont différents – l’artiste a cassé certains os ou retiré certaines dents en fonction des crânes – c’est en raison des sutures ouvertes qui sont très apparentes : chez l’être humain, les os du crâne sont en effet unis par des sutures, qui disparaissent avec l’âge, quand le crâne a fini de se former. Cette croissance est presque terminée à l’âge de 12 ans, et complètement achevée lorsqu’on atteint l’âge de 20 ans. Chez un adulte, ces « marques » sont peu visibles. Or ici, on voit même les sutures du palais. Toutes ces marques si nettes sont comme une signature, illustrant que c’est bien le même crâne décliné.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ron Mueck, Mass (2017), matériaux divers, dimensions variables. Ron Mueck pendant le montage de l’exposition à la Fondation Cartier pour l’art contemporain..</span>
<span class="attribution"><span class="source">National Gallery of Victoria, Melbourne, Felton Bequest, 2018, photo Marc Domage</span></span>
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</figure>
<p>La taille géante des crânes, leur couleur légèrement différente – du blanc éclatant au gris très pâle – et l’utilisation répétée d’un même crâne contribuent à renforcer l’aspect fictionnel de l’ensemble, malgré une première impression « réaliste » : Ron Mueck joue visiblement avec les sens et la raison des visiteurs, pour mieux les déstabiliser peut-être.</p>
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<p>Un réalisme à nouveau mis à mal quand on observe l’intérieur des crânes : certains sont posés au sol, sur le côté, et on peut regarder dedans. Je découvre alors que si le modelé de la surface extérieure est très précis, ce n’est pas du tout le cas de l’intérieur ; d’ailleurs les deux ne « communiquent » pas, les parties habituellement connectées ne le sont pas. On a bien affaire à une représentation artistique, à une interprétation plastique du crâne.</p>
<p>Je détecte également quelques anomalies : on dirait que ce crâne a été moulé après reconstitution en 3D, et le passage par l’informatique lui donne des proportions étranges, comme si certains éléments avaient été déformés ou « rejoués ». Il s’agit peut-être de la combinaison de plusieurs modèles, comme un souhait de multiplier les détails réalistes pour faire encore plus vrai. Décidément, l’impression de vérité ou de réalisme qui fonctionne de loin est vite troublée par une observation plus précise – mais j’ai l’habitude de fréquenter des crânes, ce n’est pas le cas de la plupart des visiteurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ron Mueck, <em>Mass</em> (2017). Visiteuses à la Fondation Cartier pour l’art contemporain.</span>
<span class="attribution"><span class="source">National Gallery of Victoria/Marc Domage</span></span>
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<p>En tant que scientifique, j’examine mes crânes avec des techniques de pointe : si j’observe un fossile, j’utilise de petites caméras filaires dotées de lampes, qui me permettent de repérer des microdétails. Quant aux modèles 3D, les microtomographes actuels permettent une précision 100 fois supérieure à celle d’un scanner médical, avec un niveau de résolution incroyable. Quand j’explore virtuellement un fossile sur un écran, la question de l’échelle change beaucoup ma perception, et ne permet pas toujours de bien apprécier les dimensions d’un objet et de le percevoir par rapport aux autres fossiles.</p>
<p>En voyant ces crânes géants, je me dis que si je pouvais examiner des répliques parfaites en format « géant », je découvrirais certainement des choses que je ne peux pas voir sur des modèles 3D. Je pourrais me faufiler dans tous les recoins du crâne, observer le moindre détail sans avoir recours à des verres grossissants.</p>
<h2>Un avertissement ?</h2>
<p>La vision des visiteurs qui déambulent parmi ces crânes géants me rappelle un danger qui menace en permanence la connaissance scientifique, celui de la désinformation et du manque d’esprit critique : si on filmait ou photographiait la scène et qu’on la diffusait sur les réseaux sociaux sans contexte ou avec une légende fallacieuse, certaines personnes pourraient croire qu’il s’agit de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux-numerique/les-squelettes-de-geants-n-existent-pas_1789267.html">fossiles de géants</a>. Des théories de ce type émergent régulièrement sur le net, « fakes » à l’appui : civilisations extra-terrestres, squelettes géants, faux charniers…</p>
<p>La réflexion sur l’origine d’une image, sur la validité d’une expertise, le questionnement systématique de ce qui se présente comme des faits et la recherche du contexte de production d’une information ou d’une image restent les meilleurs outils contre la désinformation. Parmi la foule de questions existentielles que semble nous poser l’œuvre de Ron Mueck, il y a aussi celles-ci : que tenons-nous pour vrai ? Et quel est notre rapport aux images, si « séduisantes » et convaincantes soient-elles ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208800/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Que se passe-t-il quand un paléoanthropologue découvre l’œuvre monumentale de Ron Mueck, faite d’un amoncellement de crânes géants ?
Antoine Balzeau, Paléoanthropologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Sonia Zannad, Cheffe de rubrique Culture, The Conversation France
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/177115
2022-04-19T16:39:13Z
2022-04-19T16:39:13Z
Les « Tapis-Nature » de Piero Gilardi, ou le carbone dans tous ses états
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/458628/original/file-20220419-16-hg3uaj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C6%2C677%2C569&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Piero Gilardi installé sur l'une de ses oeuvres. </span> <span class="attribution"><span class="source">Piero Gilardi / Ecole des Beaux-Arts, Paris</span></span></figcaption></figure><p>En 1965, le plasticien Piero Gilardi crée les « Tapis-Nature », morceaux très réalistes de nature… en plastique. Hier reçus comme éléments de décoration intérieure souples, on peut les voir aujourd’hui avec un regard très différent : les matières plastiques sont devenues une présence envahissante et polluante partout sur la planète.</p>
<h2>De la « Nature en plastique » ?</h2>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Piero_Gilardi">Piero Gilardi</a> est une figure majeure du mouvement artistique italien L’« Arte povera ». De ses « Tapis-Nature », sculptures posées au sol ou accrochées au mur représentant des morceaux de paysage, il a dit :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai créé les Tapis-Nature en 1965 en les pensant comme les exemples de la décoration intérieure de la « cellule individuelle d’habitation » cybernétique, présentée lors de l’exposition Machines du futur. En réalisant les premiers Tapis-Nature, j’ai emprunté à <a href="https://www.aparences.net/art-contemporain/neo-dada/claes-oldenburg-entre-happening-et-performance/">Claes Oldenburg</a> sa poétique sensorielle du « soft » mais, pour moi, la mousse en caoutchouc avait surtout pour fonction d’accueillir et d’interagir avec le corps. »</p>
</blockquote>
<p>Ces Tapis-Nature faits pour accueillir et interagir avec le corps, sont donc en plastique, plus exactement en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Polyur%8Ethane">polyuréthane</a>. Dans un tout autre contexte, pour le <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Monde_comme_volont%8E_et_comme_repr%8Esentation/Livre_I/%A4_7">philosophe Schopenhauer s’attaquant au matérialisme</a>, l’idée même d’une matière sans une intelligence pour la connaître est tellement aberrante qu’elle lui évoque cette image absurde d’un « morceau de fer en bois ». On aurait peut-être pu lui proposer cette autre image : « de la nature en plastique », ce dernier étant en fait aussi étranger à la nature que le fer l’est au bois.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aHqaGIDsvBY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ces « morceaux » de nature stylisés étaient en plastique souple et venaient prendre leur place dans la décoration des intérieurs. Les regarder en 2022 comme en 1965 est simplement impossible. En 50 ans, Piero Gilardi connaît d’ailleurs une évolution radicale dans sa démarche artistique : ainsi en 2008, il compte parmi les fondateurs du <a href="http://parcoartevivente.it/pav/?id=197">Parco Arte Vivente</a> à Turin, un Centre Expérimental d’Art Contemporain dédié à la nature, aux biotechnologies et à l’écologie. Le jardin du <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-masterclasses/gilles-clement-avec-la-creation-dun-jardin-entre-dans-une-dimension-politique">paysagiste Gilles Clément</a>, dit « Jardin mandala », d’environ 600 mètres carrés sur le toit du bâtiment, en est une des installations marquantes.</p>
<h2>Invention des plastiques et création plastique</h2>
<p>Après la Deuxième guerre mondiale, au cœur des trente glorieuses et du progrès triomphant, la production des plastiques augmente vite. Leur utilisation, et donc celle du polyuréthane, prend toujours plus d’importance et se diversifie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-monde-sest-plastifie-115991">Comment le monde s’est plastifié</a>
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<p>Le chimiste Otto Bayer a découvert le polyuréthane en 1937. En 1967, la voiture Bayer K 67 produite en Allemagne est surnommée « the polyurethane car » : toute sa carrosserie est faite dans ce plastique. Ces polymères comme le polyuréthane, sont le produit industriel de la recherche en pétrochimie. Ils sont totalement artificiels, et le cœur de ce qu’on l’appelle communément les matières plastiques.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Et d’abord du carbone de partout (C et hexagone) dans ces molécules géantes" src="https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Équation chimique décrivant la réaction de polymérisation conduisant au polyuréthane.</span>
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<p>Il y a donc du nouveau dans la matière du monde. La chimie a permis de concevoir des matériaux à base de carbone totalement nouveaux dotés de propriétés extraordinaires. Dans les années 70, la physicienne <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Madeleine_Veyssi%C3%A9">Madeleine Veyssié</a>, collaboratrice de Pierre Gilles de Gennes à Paris, utilise la première, l’expression « Matière molle » pour nommer le champ scientifique qui étudie notamment la physique de ces matériaux. La conférence Nobel de <a href="https://physicsworld.com/a/soft-matters-charismatic-pioneer/">Pierre Gilles de Gennes</a> en 1991 s’intitule « Soft Matter ». Dans ces années-là, ces matériaux triomphent et commencent à envahir la planète. Mais ce n’est que le début.</p>
<h2>Et pourtant, c’est d’abord du carbone</h2>
<p>Dans <a href="https://www.fondation-lamap.org/fr/page/12107/le-cycle-du-carbone">son article sur le carbone</a> pour le site de « la Main à la Pâte », Didier Pol, agrégé de sciences naturelles, analyse : « Le carbone est présent chez les êtres vivants mais aussi dans l’atmosphère, les eaux et les roches. Biosphère, atmosphère, hydrosphère et roches constituent ainsi quatre réservoirs de carbone. » Il décrit alors la circulation du carbone entre trois de ces quatre réservoirs, notamment par ce schéma.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Principaux flux de carbone entre atmosphère, biosphère et hydrosphère (en gigatonnes, estimations). Dans l’atmosphère et dans l’eau (hydrosphère), le carbone est en particulier du CO₂, trop de CO₂.</span>
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</figure>
<p>Photosynthèse, respiration, fermentation font le lien entre vivant, air et eau. La photosynthèse transforme notamment « du carbone minéral », le CO<sub>2</sub>, présent dans l’air et l’eau, en « carbone biologique » dans les végétaux.</p>
<p>Il y a aussi des échanges entre l’air que nous chargeons toujours plus en CO<sub>2</sub>, et l’eau : l’océan est un énorme réservoir de CO<sub>2</sub> au prix notamment de son acidification.</p>
<p>Cet article de Didier Pol est une description remarquable des réservoirs et des cycles du carbone, à l’usage des collèges et lycées. Il ne mentionne pas les plastiques qui constituent pourtant, conséquence de l’activité humaine, un nouveau réservoir de carbone. Pour une bonne raison, en tous cas la plus marquante me semble-t-il : si le plastique se répand partout, il ne fait pas partie des cycles massifs du carbone sur terre, au-delà peut-être d’une <a href="https://theconversation.com/la-lente-fragmentation-des-plastiques-decryptee-123717">très lente dégradation objet d’études</a>.</p>
<p>Et quand on se pose la question de cette interférence avec les cycles du carbone, on pense d’ailleurs surtout à la toxicité. Qui voit une forme de vie en mesure de se nourrir des déchets plastiques, ce qui changerait tout ? Pour le moment, ils sont toujours plus présents, envahissants et dispersés, séparés pour l’essentiel de la circulation du carbone sur terre. On les a sortis du pétrole, fossile d’un vivant ancien, pour les envoyer dans ce cul-de-sac. Les Tapis-Nature pointent cette séparation, et c’est elle qui a imposé à mon esprit cette image du « fer en bois » alors que, en fait, ici tout n’est que carbone.</p>
<h2>Le pouvoir d’anticipation des œuvres d’art</h2>
<p>La force de l’art est étonnante. Je ne peux voir aujourd’hui les Tapis-Nature sans avoir cette pensée : cette œuvre va au-delà même de l’intention première explicitée par Piero Gilardi. Avec elle, Piero Gilardi ne le sait sûrement pas encore en 1965, mais son œuvre tape juste face à cette émergence redoutable des plastiques.</p>
<p>On pense au philosophe <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hubert_Damisch">Hubert Damisch</a> : « La peinture, ça ne montre pas seulement, ça pense ». L’historien d’art <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Arasse">Daniel Arasse</a> la mentionne à l’appui de <a href="https://www.franceculture.fr/peinture/histoires-de-peintures-eloge-paradoxal-de-michel-foucault-travers-les-menines">son analyse du texte</a> de Michel Foucault sur les <em>Ménines</em> de Velasquez dans l’introduction des « Mots et les choses ». Daniel Arasse précise : « Les Ménines telles que nous les voyons aujourd’hui pensent toutes seules, et indépendamment de ce qu’a voulu faire Velasquez. » Est-ce un marqueur d’œuvres majeures ?</p>
<p>Piero Gilardi avec « cette nature en plastique » qui pénètre les intérieurs, nous fait prendre la mesure de ces bouleversements au cœur de l’urbanisation du monde. A mes yeux, les Tapis-Nature deviennent aujourd’hui un spectacle d’horreur, ce qui en fait des œuvres importantes.</p>
<p>D’abord, ils soulignent notre séparation physique du vivant, qui ne serait alors plus présent dans notre quotidien que par cette représentation aberrante, une nature plastifiée, ersatz pour notre perception. Et ainsi, ils introduisent au cœur de nos vies, ce plastique artificiel qui apparaît toujours plus comme une menace pour le vivant. Cette œuvre est comme un manifeste qui prévient.</p>
<p>Les œuvres d’art ont ce pouvoir incroyable : avec le temps, elles peuvent aller au-delà de l’intention initiale explicite de leur créateur, se métamorphoser sous le regard des spectateurs.</p>
<p>J’ai ici réécouté Daniel Arasse extraordinaire dans son propos sur l’anachronisme en art, toujours à partir du texte de Michel Foucault. En ne s’embarrassant alors pas avec cet anachronisme flagrant, chacun peut s’emparer aujourd’hui en toute liberté de l’œuvre de Piero Gilardi. Avec cette œuvre, j’ai découvert cet artiste et ressenti de l’admiration pour son travail, mais je ne pourrais pas vivre avec un Tapis-Nature chez moi. Pourtant, je devrais : cette œuvre devenue horrible aujourd’hui <em>a raison</em>. Elle nous redit l’urgence de renouer avec le vivant et de porter la plus grande attention à ce que nous faisons de nos vies. Par exemple quand, désinvoltes et par habitude, nous jetons, comme un message envoyé au vivant non humain, un sac en plastique utilisé au mieux quelques minutes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177115/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Que nous disent aujourd’hui les créations en plastique de cette figure de l’« Arte povera », conçues dans les années 1960 ?
Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)
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2022-01-23T17:26:37Z
2022-01-23T17:26:37Z
Christo et Jeanne-Claude, ou l’art d’envelopper le temps
<p>Un empaquetage de Christo et Jeanne-Claude, qu’il soit celui du Pont-Neuf (22 septembre 1985) ou de l’Arc de Triomphe (du 18 septembre au 3 octobre 2021), est une opération si subtile qu’elle paraît relever d’un art absolument spécifique qui ne se réduit à aucun de ceux que nous connaissons déjà mais qui emprunte à chacun des traits qu’il articule de la façon la plus originale.</p>
<p>Il faut bien qu’il doive quelque chose aux architectures et aux sculptures qu’il enveloppe ; mais les artistes enferment moins des masses sous des voiles, des volumes sous d’autres volumes, qu’ils ne les « habillent » en grands couturiers ; enfin, si « arrêtés » que soient ces enveloppements, ils ne sont pas seulement un jeu d’espaces : ils sont indissociablement un jeu complexe de temporalités. Le happening qui permet de vêtir et dévêtir les monuments, les faisant disparaître et réapparaître au bout d’un certain temps défini par un contrat extrêmement réglé, passé avec les mairies ou avec les habitants d’une grande cité, a quelque chose d’un concert public.</p>
<p>Mais d’abord ce qui frappe, c’est une opération logique d’analyse. Envelopper un monument, c’est en isoler quelques paramètres dissociés de ceux qui font partie de la chose dont on use sans la voir ; et c’est les faire jouer avec d’autres caractères qui ne sont ordinairement pas ceux qui appartiennent à la chose enveloppée. À première vue, un enveloppement gigantesque ne garde que la masse du bâtiment dissimulé et son allure générale. À cette masse, on attribue d’autres couleurs que celles qui paraissent propres au monument.</p>
<h2>Nouvelles propriétés</h2>
<p>Enveloppé, le bâtiment prend la lumière tout autrement qu’il ne l’avait jamais prise auparavant, dans sa minéralité. De plus, enrobé sous les plis qui transforment l’enveloppe en une surface complexe, la bâtisse, habituellement insensible aux intempéries, devient frémissante de toutes parts, offerte aux vents qui restent sans effet sur les pierres. Les enveloppes analytiques substituent de nouvelles propriétés aux anciennes des objets enveloppés.</p>
<p>Non pas qu’elles les subtilisent et les restituent forcément aux objets enveloppés ; les nouvelles propriétés qui apparaissent associées à la masse et à l’allure des bâtisses sont des propriétés de l’enveloppement lui-même qui se donne à voir à la place du monument. Les extensions de pierres ne fonctionnent pas dans leur inertie comme les espaces des tissus froncés, plissés, ourlés, ondulés laissant apparaître et deviner un point saillant qui aurait échappé dans la nudité minérale. Des têtes – ou des bras peut-être ? – de l’ensemble sculpté par Rude se laissaient deviner, comme dans l’un des vingt-quatre Préludes de Debussy, perce, derrière les voiles, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-presence-lointaine-albeniz-severac-monpou-vladimir-jankelevitch/9782020064514">quelque « Aux armes, citoyens ! »</a>.</p>
<p>Dans ce jeu d’apparitions et de disparitions, de captures et de restitutions, comme en un gigantesque jeu de bonneteau, la construction semble soumise à l’épreuve du passage en quelque couloir ou quelque boîte noire. Les artistes prennent ; ils rendent. Mais que nous ont-ils pris ? Et que nous rendent-ils ? En cleptomanes de génie, ils nous ont pris un monument que, à force d’être ustensile, on ne voyait plus. Pendant un certain temps, nous serons entièrement voués à la fragilité des souvenirs et à la précarité des documents.</p>
<p>Peut-être ce qui nous est rendu dans sa profusion et son luxe de détails est une nouvelle façon de voir ce qui était dissimulé ou plutôt un faisceau – qui, probablement s’usera à son tour – de visées. La chose, que nous ne voyions plus, nous est alors restituée, non pas aux mêmes conditions que celles auxquelles elle nous a, un temps, été dérobée, mais en une gerbe de perceptions et d’émotions, comme la drachme retrouvée. C’est paradoxalement parce que l’on nous dérobe la chose que nous avons quelques chances de la mieux apprécier.</p>
<h2>Un colis qui ne partira pas</h2>
<p>À ce jeu sur la temporalité qui sait si bien s’effacer, s’entrelace celui des spatialités. Pour fonctionner comme enveloppes, les volumes des voiles ne jouent qu’en apparence le jeu des volumes qu’elles enveloppent. Certes, on sait bien qu’à travers les arches et les piliers des monuments des lignes imaginaires et invisibles circulent avec une précision extraordinaire. Mais les volumes et les surfaces qui emballent jouent leur rôle selon leurs propres lois. Ils le jouent même deux fois ; car si les enveloppes doivent, comme les arcs, lutter contre la pesanteur et en contourner l’obstacle, ce n’est pas du tout par les mêmes moyens ; et puis il y a, par-dessus les plis, ce jeu de cordes qui paraissent liées à une enveloppe encore différente, qui se vectorise autrement. Comme si l’enveloppement avait son propre infini et poursuivait sa propre finalité.</p>
<p>Dans les paquets ordinaires, l’enveloppement par le papier et les ficelles, paraît au service de ce qu’il enveloppe ; là, à contretemps, c’est sur le paquet même que l’accent est mis ; un colis qui ne partira pas. Son postage ne sera jamais qu’un transit immobile. On emballe des choses pour un voyage qui restera imaginaire et de l’ordre de la transformation dont nous avons parlé : de la chose en perception ; les objets enveloppés ne servant que de prétextes à la pellicule qui les enveloppe.</p>
<h2>Enracinement archaïque</h2>
<p>Déplacer l’intérêt de l’enveloppé à l’enveloppant n’est toutefois pas qu’un ensemble d’actes intellectuels, fussent-ils captivants. Il y a, dans ces enveloppements, un enracinement archaïque qui remonte à l’enfance quand nous recevions des cadeaux des mains de nos parents et que l’émotion, au moins le temps que nous les ouvrions, se fixait moins sur le présent que sur ce qui le dérobait à la vue ; différant le plaisir de la chose même.</p>
<p>Christo et Jeanne-Claude peuvent <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2015/09/18/26010-20150918ARTFIG00300-le-22-septembre-1985-christo-emballe-le-pont-neuf.php">bien faire leurs dons gratuits aux citoyens</a>, à l’entrée de l’automne, c’est dans un hiver imaginaire que nous les avons reçus. Le flottement des surfaces autour des blocs des monuments entourés a le geste de la neige qui, elle aussi, dérobe les formes et en restitue les aspérités sous des aspects plus émoussés, qui a ôté tous les détails saillants. Les neiges, ici, sont imaginaires. Non seulement elles épargnent tous les autres monuments de la ville, mais aucune neige réelle ne vient visiter le dessous des arches comme le font les neiges intégrales des artistes ; elles nous sont données divinement, de très loin, comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_L%C3%A9gende_de_la_ville_invisible_de_Kit%C3%A8ge_et_de_la_demoiselle_Fevronia">celle qui déroba Kitège</a>, à la façon de cette main paternelle et protectrice qui apparaît au coin de certaines gravures du Moyen Âge.</p>
<p>Ainsi n’est-ce pas le privilège de la musique et de la poésie d’avoir <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-musique-et-l-ineffable-vladimir-jankelevitch/9782757854037">« gardé la nostalgie de l’innocence »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169694/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Cléro ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Enveloppé, le bâtiment change de nature, gagne de nouvelles propriétés.
Jean-Pierre Cléro, Professeur émérite de philosophie , Université de Rouen Normandie
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2021-04-01T21:00:32Z
2021-04-01T21:00:32Z
La Vierge, le Maître et les truands : retrouver les routes de l’art et des matériaux grâce à la géochimie
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/393061/original/file-20210401-23-1s3ic36.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4608%2C3456&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Dentelles » en Albâtre : décor du XVIème s. du Monastère Royal de Brou (Bourg-en-Bresse).</span> <span class="attribution"><span class="source">Wolfram Kloppmann</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Depuis la nuit des temps, l’Europe est traversée par des réseaux d’échanges invisibles par lesquels circulent les biens, les humains, les idées, et qui s’effacent et se redessinent sans cesse. Les premières rares cartes de ces réseaux datent de l’antiquité <a href="https://omnesviae.org/fr/viewer/">romaine</a>. L’écriture ne se propageant que très progressivement sur le continent <a href="https://www.cairn.info/revue-diogene-2007-2-page-52.html">européen</a>, nos moyens de compréhension de ces échanges sont en conséquence, et pour une très large partie de l’histoire humaine, limités. Les seules informations qui nous viennent des temps et des contrées où la transmission orale était privilégiée relèvent de l’archéologie.</p>
<p>Quand se mélangent, dans un <a href="https://www.inrap.fr/l-enigme-de-la-tombe-celte-13576">tombeau celte</a>, ambre de la Baltique et céramiques étrusques ou attiques, cela nous en dit long sur les échanges commerciaux intenses de cette « protohistoire ». Mais même au Moyen-âge, les sources écrites manquent souvent. Heureusement, il est également possible de faire parler les matériaux mêmes, utilisés pour tel objet de la vie quotidienne ou tel objet de luxe ou d’art. En effet, leur composition peut conserver des traces de leur origine, des éléments qui les lient aux endroits où étaient extraites les matières premières en vue de leur fabrication. La science consacrée à l’étude de ces matériaux anciens est, elle, <a href="https://books.google.com/ngrams/graph?content=arch%C3%A9om%C3%A9trie">récente</a> et s’appelle l’archéométrie. Aux confins de nombreux domaines, archéologie, chimie et biochimie, physique et géosciences, elle est aussi diversifiée que les objets fabriqués par l’homme.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393066/original/file-20210401-15-90tfiy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393066/original/file-20210401-15-90tfiy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393066/original/file-20210401-15-90tfiy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393066/original/file-20210401-15-90tfiy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393066/original/file-20210401-15-90tfiy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393066/original/file-20210401-15-90tfiy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393066/original/file-20210401-15-90tfiy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Laboratoire d’analyse isotopique sur phase solide par thermo-ionisation (TIMS) au BRGM dans lequel sont analysé les rapports isotopique du strontium contenu dans l’albâtre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wolfram Kloppmann</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un matériau prestigieux</h2>
<p>Notre programme de recherche est à la hauteur de cette diversité, car notre partenariat réunit, depuis une dizaine d’années, des laboratoires spécialisés dans le patrimoine, dans la géochimie, ainsi qu’un vaste réseau mondial de musées. Le Musée du Louvre y occupe une place toute particulière du fait de son engagement à la fois scientifique et financier. Quant au matériau que nous essayons de « faire parler », c’est une pierre chargée de symbolique, de prestige, mais qui préserve sa part de mystère : l’albâtre. Sa blancheur, sa tendreté, sa translucidité sont proverbiales : depuis le Moyen-Âge on la compare à la blancheur de la peau. Déjà Flaminio de Birague, dans ses œuvres poétiques de 1585, écrivait :</p>
<p>« C’est cette main d’albastre qui fait honte à l’yvoire et efface les lis ».</p>
<p>Au fil des siècles, il est devenu un matériau de prédilection des sculpteurs : il rivalise avec le marbre, plus dur, plus froid et, surtout, plus difficile d’accès en dehors de l’Italie. Chargé de prestige ? Oui, en particulier depuis le XIV<sup>e</sup> siècle, quand on l’utilisera pour la sculpture des grands monuments funéraires des papes, cardinaux, rois et ducs.</p>
<p>Au XVI<sup>e</sup> siècle, ce sont les gisements d’albâtre mêmes qui deviennent sources de prestige pour les souverains, au point que l’on peut parler d’une véritable <a href="https://edoc.hu-berlin.de/handle/18452/8208">« diplomatie d’albâtre »</a>. Et ces gisements, où se trouvent-ils donc ? En Angleterre, où, dans les East Midlands s’était établi durant 200 ans et jusqu’à la Réforme une véritable industrie de la sculpture de l’albâtre, exportée en grande quantité vers le <a href="https://journals.openedition.org/perspective/15321">continent</a>. En Espagne, où, dans l’ancien Royaume d’Aragon, les églises regorgent d’autels monumentaux en albâtre, extrait notamment dans la vallée de l’Ebre et dans les Pyrénées. En Italie, où l’albâtre toscan était déjà exploité par les Étrusques, puis, semble-t-il, après une longue pause, par les sculpteurs de la Renaissance. Vers l’Est – et notre programme de recherche avance pas à pas dans cette direction –, où le Harz et la Franconie fournissaient déjà de l’albâtre aux sculpteurs médiévaux allemands. Plus loin encore, on trouve les gisements du sud des Carpates, en Pologne et en Ukraine.</p>
<p>En France, nous avons identifié des gisements principalement dans le Jura, en Bourgogne, dans les Alpes et en Provence. Nous avons eu la surprise de mettre en lumière la longévité et la productivité extraordinaires des carrières autour de Notre-Dame-de-Mésage dans l’Isère, actives sur un demi-millénaire et rivalisant avec l’albâtre anglais, comme le démontre une <a href="https://www.pnas.org/content/pnas/114/45/11856.full.pdf">technique de traçage</a> que nous avons mise au point spécifiquement pour l’albâtre.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393063/original/file-20210401-13-qr8myd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393063/original/file-20210401-13-qr8myd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393063/original/file-20210401-13-qr8myd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393063/original/file-20210401-13-qr8myd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393063/original/file-20210401-13-qr8myd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393063/original/file-20210401-13-qr8myd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393063/original/file-20210401-13-qr8myd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La carrière d’albâtre de Malaucène qui a fourni le matériau pour la Vierge de l’Annonciation du Louvre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">WK</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les « empreintes digitales » de l’albâtre</h2>
<p>Mais d’abord, qu’entendent les géologues par « albâtre » ? Nous ne parlons pas ici de l’albâtre en calcite dit « égyptien », stratifié beige et marron. L’albâtre blanc est chimiquement un sulfate de calcium, c’est-à-dire rien d’autre que du gypse ou son cousin, l’anhydrite. Il contient donc du calcium, du soufre et de l’oxygène ainsi que des traces de strontium. Nous nous intéressons de près à ces trois derniers éléments. Chacun d’eux possède plusieurs isotopes stables, des variantes de l’élément, qui ne se distinguent que par leur nombre de neutrons et ainsi leur masse. Les rapports entre les isotopes lourds et légers des trois éléments, tel le rapport du soufre 32 et de son homologue plus lourd, le soufre 34, nous fournissent une sorte d’empreinte digitale de chaque gisement d’albâtre dépendante de son âge géologique et des conditions de sa formation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393067/original/file-20210401-19-19efscc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393067/original/file-20210401-19-19efscc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393067/original/file-20210401-19-19efscc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393067/original/file-20210401-19-19efscc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393067/original/file-20210401-19-19efscc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393067/original/file-20210401-19-19efscc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393067/original/file-20210401-19-19efscc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans la carrière de gypse souterraine de Notre-Dame-de-Mésage. Ces gisements ont fourni de l’albâtre à la sculpture française pour 500 ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">WK</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une attribution sans ambiguïté d’une œuvre à une carrière n’est possible que si les « signatures isotopiques » des carrières sont bien contrastées. Cela fut la bonne surprise du début de nos recherches, condition sine qua non pour la réussite de la <a href="https://www.dailymotion.com/video/x4kzijf">méthode</a>. Ce qui ne veut pas dire que nos débuts furent toujours simples.</p>
<h2>Le restaurateur démasqué</h2>
<p>L’énigme de la Vierge de l’Annonciation de Javernant illustre bien les rebondissements que nous avons pu rencontrer au cours de nos <a href="https://www.brgm.fr/fr/actualite/video/fete-science-2016-retour-images">investigations</a>. Cette belle statue du XIV<sup>e</sup> siècle se trouvait, jusqu’en 1878, en compagnie de l’ange Gabriel dans une petite église de l’Aube, à proximité de Troyes. Les deux sculptures sont de nos jours séparées par l’Atlantique, la Vierge ayant intégré le Louvre, et l’ange le musée de Cleveland (USA). Les résultats des analyses des deux statues étaient pour le moins surprenants étant donné l’état de nos connaissances, à l’époque, des gisements historiques d’albâtre en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/arcm.12008">Europe</a> : les signatures isotopiques de la Vierge et de l’ange étaient clairement différentes et aucune des deux statues ne pouvait se rattacher à une carrière connue à ce moment-là.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393064/original/file-20210401-21-zsm9kq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393064/original/file-20210401-21-zsm9kq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393064/original/file-20210401-21-zsm9kq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393064/original/file-20210401-21-zsm9kq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393064/original/file-20210401-21-zsm9kq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393064/original/file-20210401-21-zsm9kq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393064/original/file-20210401-21-zsm9kq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vierge de l’Annonciation de Javernant (Aube), XIVe s., collections du Louvre (RF 1661), l’ange se trouvant au Cleveland Museum of Art (Ohio, EU) les deux en albâtre de Malaucène.</span>
<span class="attribution"><span class="source">WK</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Un examen minutieux de la base de la Vierge au Louvre au printemps 2014 révélait une restauration non documentée. Or par malchance, ce fut précisément de cette partie remplacée que provenait notre premier microprélèvement. Il s’ensuivit une nouvelle analyse, cette fois-ci du matériel d’origine du XIV<sup>e</sup> siècle et non de la partie restaurée, qui se révéla identique à celui de l’ange du musée de Cleveland. Comme, entre-temps, notre recherche sur les carrières avait grandement avancé, nous avons pu rattacher les deux statues au village vauclusien de Malaucène et à sa carrière d’albâtre.</p>
<p>Il nous restait à éclaircir la question du matériau que le restaurateur inconnu avait utilisé pour son remplacement à la base de la Vierge du Louvre. Il s’agit en réalité d’albâtre toscan du Miocène (environ 7-5 millions d’années) que l’enrichissement en soufre 34 rend bien identifiable, et qui semble absent de la sculpture française avant le XVIII<sup>e</sup> siècle. Depuis, la Vierge et l’ange de Javernant ont trouvé leur place dans une famille de sculptures grandissante, pour la plupart des Vierges à l’Enfant, toutes en albâtre de Malaucène et toutes de la même époque (deuxième moitié du XIV<sup>e</sup> siècle). Indice d’un atelier médiéval provençal spécialisé, peut-être en Avignon, diffusant sur un axe Rhône-Meuse à l’existence déjà soupçonnée par les historiens d’art ?</p>
<h2>Le Maître de Rimini, artiste mystérieux au bras long</h2>
<p>Prenons encore plus de recul, et revenons à l’échelle des <a href="https://www.nytimes.com/2017/10/23/science/alabaster-statues-medieval-europe.html">grandes routes</a> d’échanges commerciaux et artistiques qui liaient <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/10/31/a-la-source-des-statues-d-albatre_5208327_1650684.html">l’Europe médiévale</a>. S’il fut un artiste qui usa et développa ces réseaux, c’est bien l’énigmatique Maître de Rimini, un des sculpteurs les plus doués et prolifiques de la fin du Moyen-Âge.</p>
<p>Ses œuvres, exclusivement en albâtre, se retrouvaient de l’Adriatique jusqu’en Artois, des lacs italiens jusqu’en Silésie, et sont maintenant présentes dans les musées du monde entier. Parmi ses clients auraient compté les grandes familles princières italiennes, les Malatesta, les Borromée, les riches abbés d’Arras ou de Wrocław… Pourtant, nul ne sait où était situé l’atelier du Maître, point nodal de son réseau commercial paneuropéen. Les historiens d’art hésitent.</p>
<p>Au temps de la découverte de son œuvre, dans les années 1910-20, on le croyait allemand, rhénan même. Avec les années, les hypothèses successives ont déplacé son atelier jusqu’aux Pays-Bas ou même à Paris. Son style, montrant des influences flamandes, françaises, germaniques et même d’Europe centrale, est trop multiforme et les sources écrites trop éparses pour resserrer sa zone d’activité. La recherche se trouvait, en quelque sorte, dans une impasse.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393065/original/file-20210401-15-12cknag.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393065/original/file-20210401-15-12cknag.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393065/original/file-20210401-15-12cknag.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393065/original/file-20210401-15-12cknag.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393065/original/file-20210401-15-12cknag.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393065/original/file-20210401-15-12cknag.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393065/original/file-20210401-15-12cknag.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Statue d’apôtre du début du XVe s en albâtre attribuée à l’atelier du Maître de Rimini, Musée de l’hôtel Sandelin, Saint-Omer (Pas-de-Calais).</span>
<span class="attribution"><span class="source">WK</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Arrivent enfin les analyses isotopiques dont les résultats sont sans appel : toutes les sculptures de l’œuvre du Maître peuvent se ramener à une seule carrière d’albâtre qui se trouve… en Allemagne, plus précisément en Franconie, entre Wurtzbourg et Nuremberg. Or, on sait que cette dernière ville constituait l’un des principaux centres de négoce du Moyen Âge. Un artiste néerlandais aurait-il importé exclusivement un matériau d’une carrière à 600 km de son atelier alors qu’il pouvait avoir recours à l’albâtre anglais qui dominait l’ouest de l’Europe ? Ou s’agissait-il plutôt un sculpteur d’origine ou de culture flamande ou française qui se serait installé là où il trouvait, presque devant sa porte, à la fois son matériau de prédilection et un réseau commercial européen pour diffuser ses œuvres ? C’est plutôt en faveur de cette seconde hypothèse que nous penchons dans notre <a href="https://hal-brgm.archives-ouvertes.fr/hal-03114505v1">publication soumise au journal PLoS ONE</a>.</p>
<h2>Les truands et la traçabilité, nouvel enjeu mondial</h2>
<p>Passionnant ? Peut-être pour les historiens d’art et historiens pour lesquels se redessinent les routes de l’albâtre et le marché de l’art au Moyen Âge, mais en quoi cela nous concernerait-il dans le monde moderne ? Restons pour un moment dans le domaine de l’art. Les faux et les faussaires existent depuis que l’on vend des œuvres d’art, mais la science leur rend la vie de plus en plus compliquée. Nous avons pu nous pencher sur le cas du plus « grand » faussaire anglais du XX<sup>e</sup> siècle, Shaun Greenhalgh, dont la diversité et la qualité inégalée des faux, tableaux, sculptures assyriennes, égyptiennes ou même de Gauguin, ont pu tromper des <a href="https://www.dailymotion.com/video/xtmnhz">grands musées</a>. Ses travaux d’imitation lui ont valu, outre une exposition dédiée au prestigieux Victoria and Albert <a href="https://www.independent.co.uk/life-style/history/fakes-and-forgeries-go-display-v-amp-museum-1872710.html">Museum</a> en 2010, quatre ans de prison ferme. Nous avons eu l’occasion d’examiner ses faux bas-reliefs assyriens et sa fameuse Princesse d’Amarna dans le style d’Akhenaton IV. Et nous avons pu déterminer ses sources d’approvisionnement en albâtre. Nous ne pourrons pas encore vous livrer ici les détails de nos résultats, l’enquête étant, comme on dit, en cours.</p>
<p>Du reste, les enjeux de la provenance des matériaux et l’utilisation du traçage géochimique excèdent de très loin le marché de l’art. L’exploitation et l’exportation en matières premières, minerais de métaux comme le cobalt, le tantale, tungstène, étain, or, les diamants… fait vivre des groupes armés, des communautés de truands dans nombre de pays souvent en proie à des conflits régionaux et à des systèmes politiques défaillants. La communauté internationale a pris conscience de ces chaînes d’approvisionnement clandestins en « diamants de sang » et autres matières précieuses ou stratégiques nourrissant les conflits.</p>
<p>La pression de la société civile a conduit les industries d’exploitation, exportation, affinement et transformation à contrôler les origines et vérifier les chaînes de responsabilité. Comme les routes de commerce passées qui se perdent dans la nuit des temps, ces routes illégales modernes restent dans l’ombre. Tout comme les sources écrites inexistantes ou fragmentaires, de la protohistoire au Moyen Âge, les systèmes de contrôle des transports modernes, basés sur la documentation, peuvent se révéler insuffisants, peuvent se faire contourner ou manipuler. C’est justement là, dans l’étude des réseaux anciens tout comme dans la surveillance des réseaux actuels, que la traçabilité par des méthodes minéralogique, géochimique et isotopique trouve toute sa place.</p>
<hr>
<p><em>Les travaux évoqués dans cet article ont bénéficié – entre autres – des partenariats suivants : Musée du Louvre, Département des Sculptures,
<a href="https://www.lrmh.fr">Laboratoire de recherche des monuments historiques</a> (LRMH),
<a href="https://cicrp.info/">Centre Interdisciplinaire de Conservation et de Restauration du Patrimoine</a>.
De mi-juin 2021 à mai 2022, le Louvre <a href="https://www.louvre.fr/recherche-et-conservation/vie-des-projets/les-voyages-de-l-albatre">met en lumière ces recherches sur les géomatériaux en lien avec la sculpture</a> (projet Albâtre).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153592/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Wolfram Kloppmann ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’albâtre est une pierre chargée de symbolique et de prestige, mais qui garde une part de mystère. Grâce à la géochimie, les chercheurs retracent ses routes à travers l’Europe au fil des siècles.
Wolfram Kloppmann, Chercheur en géochimie isotopique, chargé de mission, expert scientifique, BRGM
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/156788
2021-03-15T17:59:33Z
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Non, les athlètes grecs n’avaient pas tous des abdos parfaits
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/388569/original/file-20210309-13-u9e3hl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C155%2C1302%2C781&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Amphore attique à figures noires (fin VIe s. av. notre ère): deux boxeurs à la garde très haute.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Dans un article <a href="https://theconversation.com/abdos-parfaits-dou-vient-cette-obsession-des-hommes-155937">récemment publié ici même</a> sur l’obsession contemporaine pour des abdos parfaits, Connor Heffernan relie très justement celle-ci à une certaine image de l’athlète de la Grèce antique, en soulignant en particulier l’influence de la statuaire.</p>
<p>Le corps de l’athlète grec est un corps évidemment masculin, un corps nu, huilé, bronzé, plutôt jeune et esthétiquement « parfait » : c’est ainsi que la plupart des Modernes le voient, et de fait ils sont là en accord avec les sources littéraires antiques.</p>
<h2>Beauté athlétique</h2>
<p>La beauté joue un rôle de premier plan dans l’univers du gymnase et du stade helléniques, et chez beaucoup de poètes comme Simonide, Pindare ou Bacchylide, la beauté athlétique revient comme un leitmotiv (« il était beau à voir et ses exploits ne démentaient pas son physique » – Pindare, <em>Olympiques</em>, 8, 19) ; Pindare a presque un usage immodéré de l’adjectif <em>kalos</em> (beau) pour le lutteur Alcimédon, pour le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pancrace#">pancratiaste</a> Aristocleidès, tous deux d’Égine, et aussi pour le boxeur Agésidamos et le lutteur Epharmostos – remarquons au passage qu’il s’agit à chaque fois d’athlètes lourds, c’est-à-dire ceux qui participaient aux trois sports de combat (boxe ou pugilat, lutte et pancrace) : cette qualité n’est pas réservée dans la littérature grecque aux seuls pentathloniens qu’on imaginerait à priori plus volontiers comme ayant développé des proportions plus harmonieuses. On voit déjà par là que nos critères modernes de la beauté sportive antique ne sont peut-être pas tout à fait identiques à ceux des Grecs…</p>
<p>En revanche, que ce corps nu du bel athlète ait été une source d’inspiration permanente pour l’art et d’abord pour l’art grec est d’une telle évidence qu’il est inutile d’insister outre mesure. On se contentera de rappeler le cas particulier de la sculpture, le Discobole de Myron étant en quelque sorte emblématique de ce point de vue – et l’on voit donc que les pentathloniens ne sont évidemment pas oubliés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/389629/original/file-20210315-13-18iubib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/389629/original/file-20210315-13-18iubib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/389629/original/file-20210315-13-18iubib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/389629/original/file-20210315-13-18iubib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/389629/original/file-20210315-13-18iubib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/389629/original/file-20210315-13-18iubib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/389629/original/file-20210315-13-18iubib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Amphore panathénaïque (vers 540 av. n.è.) : deux lutteurs (Musée de Karlsruhe).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais le rapport entre l’homme et l’œuvre d’art n’est pas à sens unique : les athlètes eux-mêmes, dans tout l’éclat de leur nudité bronzée et huilée, sont souvent comparés à des statues de bronze. Ainsi Dion de Pruse le dit-il explicitement de Mélancomas. Et il est loin d’être le seul : « … les athlètes olympiques debout au milieu du théâtre en plein midi, sur la piste comme dans un four, et recevant les rayons du soleil sur leur corps nu, comme des statues de bronze. ». Ces athlètes-statues au corps brillant parce que recouvert d’huile dégagent une grande charge érotique dont on retrouverait facilement l’équivalent à l’époque moderne. Mais bien sûr, quand ce type d’éloge devient si banal, il est facilement repris de façon parodique, ce que ne manque pas de faire Lucillius dans son Épigramme 85 : le coureur armé Marcus court si lentement qu’il en devient presque immobile, et les employés du stade ferment l’édifice à la nuit tombée, prenant l’« athlète » pour une de ces statues qui ornaient régulièrement ces lieux dans les grands sanctuaires !</p>
<h2>Des corps fétichisés</h2>
<p>La métamorphose inverse existe aussi, qui va cette fois de la matière inerte vers le vivant. On pense évidemment au début de la première partie du film de Leni Riefenstahl, <em>Les dieux du stade</em>, consacré aux Jeux olympiques de Berlin et véritable hymne au corps aryen : dans cette partie intitulée « La fête des peuples » – et la seconde s’appelle de façon significative « La fête de la beauté »- un long travelling (et la cinéaste avait bénéficié de moyens techniques exceptionnels pour l’époque) permet de voir de nombreuses statues antiques, dont le Discobole qui se fait chair pour porter la flamme olympique de Grèce jusqu’à Berlin.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/389631/original/file-20210315-15-1emt6xr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/389631/original/file-20210315-15-1emt6xr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/389631/original/file-20210315-15-1emt6xr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=881&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/389631/original/file-20210315-15-1emt6xr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=881&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/389631/original/file-20210315-15-1emt6xr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=881&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/389631/original/file-20210315-15-1emt6xr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1107&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/389631/original/file-20210315-15-1emt6xr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1107&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/389631/original/file-20210315-15-1emt6xr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1107&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le Parti, statue d’Arno Breker, sculpteur officiel du régime nazi. Cette statue se trouvait à l’entrée de la cour d’honneur de la chancellerie du Reich, demeure d’Adolf Hitler.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Arno_Breker#/media/Fichier:Bundesarchiv_Bild_183-H27141,_Berlin,_Neue_Reichskanzlei,_Statue_%22Partei%22.jpg">Wikimedia, Bundesarchiv</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La carrière de Leni Riefenstahl, en tant que cinéaste et photographe – qu’on pense à ses photos de lutteurs Noubas du Soudan – est, de ce point de vue en tout cas, typique de l’art nazi, fasciné par la nudité athlétique à la grecque (les statues d’Arno Breker) et la mystique du corps huilé et bronzé.</p>
<h2>Athlètes bedonnants</h2>
<p>Beauté athlétique donc dans la Grèce antique : mais de quel type de beauté parlons-nous ? À feuilleter un recueil de photos de vases attiques montrant des athlètes, par exemple un catalogue d’exposition sur le sport antique (par exemple « El deporte en la Grecia antigua », Barcelone, 1992), on est frappé par la représentation, assez fréquente, d’athlètes dont la morphologie n’est en rien celle d’éphèbes à la musculature parfaite, c’est-à-dire celle que nous nous attendons à voir dans le gymnase hellénique. On peut en effet découvrir, entre autres sur des amphores <a href="http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=7777">panathénaïques</a>, des lutteurs, boxeurs ou pancratiastes très lourds, massifs, dont la taille n’est pas marquée, et même souvent affublés d’un ventre énorme, proéminent : en somme l’antithèse de notre idéal occidental de beauté athlétique, et un sportif assez proche des sumotoris du Japon que nous avons tendance à regarder parfois avec une certaine commisération.</p>
<p>Mais on aurait bien tort de considérer que ces images sont caricaturales : ce sont au contraire celles qui se rapprochaient sans doute le plus de la réalité. Il faut en effet se souvenir que les Grecs ne connaissaient pas les catégories par poids et que dans les sports de combat, les sports dits « lourds », seuls les athlètes corpulents et massifs avaient quelque chance de l’emporter. Mieux même, un texte de Philostrate nous incite à accepter et à apprécier le ventre en forme de ballon de certains de ces athlètes bedonnants.</p>
<blockquote>
<p>« Le ventre qui n’est pas trop en avant est assez avantageux pour les pugilistes qui sont par là bien lestes et leur respiration est bonne ; toutefois le ventre qui avance n’est pas inutile pour le pugilat car il préserve la figure de l’athlète des coups que l’adversaire peut lui appliquer… »</p>
</blockquote>
<p>(Philostrate, <em>Sur la Gymnastique</em>, 34 ; traduction M. Mynas, p. 88-89).</p>
<p>Dans le <a href="https://www.herodote.net/Lutte_pugilat_et_pancrace-synthese-321.php">pugilat antique</a>, comme les coups n’étaient portés qu’à la tête, le fait d’avoir un ventre rebondi était évidemment un avantage puisqu’il fallait avoir une « allonge » considérable pour toucher son adversaire !</p>
<p>Bien sûr, ces images se rencontrent très majoritairement sur des vases attiques du VI<sup>e</sup> ou du début du V<sup>e</sup> siècle – mais il est aussi des amphores panathénaïques du IV<sup>e</sup> siècle qui entrent facilement dans cette catégorie. Bien sûr, il s’agit presque toujours d’athlètes participant aux sports de combat, pour les raisons que nous venons d’indiquer – mais on aurait tort d’en conclure que ceux-ci étaient moins appréciés des Grecs que les pentathloniens élancés : à voir les prix donnés aux concurrents des Panathénées, on constate que les vainqueurs dans les épreuves lourdes reçoivent autant d’amphores d’huile d’olive que les « beaux » pentathloniens, et ceux-ci ne sont pas l’objet d’un traitement spécialement favorable chez un auteur comme Platon.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Amphore panathénaïque (vers 48O av. n.è.) : deux pugilistes (Musée de Tarente)</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Bien sûr, ces athlètes grecs à la musculature de catcheur (de « wrestler ») moderne sont généralement barbus et font partie de la classe d’âge des « andres », des adultes, des seniors. Sans refaire toute l’histoire du beau athlétique dans l’art, à travers les siècles et même dans son seul rapport avec la Grèce antique, c’est donc un choix précis qui a été fait par les Modernes : celui d’une période particulière, le cœur du classicisme, celui d’un âge particulier, l’athlète imberbe, préadulte (ou en tout cas jeune adulte), celui de compétitions « légères ». On a abouti à une image d’athlète idéal, au modèle que propose entre autres le Discobole.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/389599/original/file-20210315-15-1q1ae78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/389599/original/file-20210315-15-1q1ae78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/389599/original/file-20210315-15-1q1ae78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/389599/original/file-20210315-15-1q1ae78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/389599/original/file-20210315-15-1q1ae78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/389599/original/file-20210315-15-1q1ae78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/389599/original/file-20210315-15-1q1ae78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Copie romaine de l’époque impériale d’après un original grec du premier classicisme.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/49/Discobolus_Lancelotti_Massimo.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On voit ainsi que les choses ne sont pas aussi tranchées qu’on pouvait le croire, et qu’une volonté d’idéalisation, souvent présente chez les artistes et artisans grecs comme chez les historiens d’aujourd’hui, peut masquer certaines réalités : les athlètes grecs n’avaient pas tous des abdos parfaits.</p>
<hr>
<p>**</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156788/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Paul Thuillier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les athlètes de la Grèce antique n'avaient pas tous le physique d'éphèbes et les abdominaux parfaits que nous leur attribuons habituellement.
Jean-Paul Thuillier, Directeur du département des sciences de l’Antiquité, École normale supérieure (ENS) – PSL
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/143304
2020-09-08T18:47:58Z
2020-09-08T18:47:58Z
Quand une statuette féminine devient ambassadrice de la culture kanak
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/356907/original/file-20200908-18-15k3o59.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C13%2C694%2C460&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La statuette féminine kanak (ici au centre) est visible au musée du Quai Branly à Paris. </span> <span class="attribution"><span class="source">Marion Bertin/Musée du Quai Branly</span></span></figcaption></figure><p>En France, les débats portant sur la restitution des collections muséales acquises dans des contextes coloniaux s’intensifient avec la remise du <a href="http://restitutionreport2018.com/sarr_savoy_fr.pdf">Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain</a>, rédigé par Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, au président de la République Emmanuel Macron en 2018.</p>
<p>Ce contexte crée parfois de vives polémiques et témoigne des rôles politiques et diplomatiques prêtés aux objets. Le patrimoine africain n’est pas le seul concerné, en rend compte une statuette féminine kanak en bois datant de la fin de XVIII<sup>e</sup> siècle ou du début du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Cette statue, haute de 19 centimètres, est visible au sein des collections du musée du quai Branly – Jacques Chirac (MQB-JC).</p>
<p>Son usage originel, de même que l’histoire et les conditions de sa collecte, sont incertains et manquent de précisions.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/352762/original/file-20200813-16-1d8thc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/352762/original/file-20200813-16-1d8thc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/352762/original/file-20200813-16-1d8thc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/352762/original/file-20200813-16-1d8thc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/352762/original/file-20200813-16-1d8thc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=973&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/352762/original/file-20200813-16-1d8thc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=973&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/352762/original/file-20200813-16-1d8thc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=973&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le navigateur français Antoine Raymond Joseph Bruny d’Entrecasteaux, portrait (1791) par Charles-Paul Landon, d’après un dessin d’Edme Quenedey (1756–1830).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Bruny_d%27Entrecasteaux#/media/Fichier:Antoine-Raymond-Joseph_Bruny_d%E2%80%99Entrecasteaux.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elle pourrait avoir été rapportée en France par Antoine Bruny d’Entrecasteaux (1737-1793), un des premiers Européens à accoster en Nouvelle-Calédonie en avril-mai 1793, où il acquiert quelques objets dans des circonstances inconnues, comme le rapporte l’historienne de l’art Sylviane Jacquemin dans <a href="https://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_1990_num_90_1_2870">l’ouvrage</a>, <em>De jade et de nacre</em> en 1990. Cette statuette intègre de manière plus certaine les premiers témoignages d’objets kanak conservés dans les collections nationales françaises.</p>
<p>Plus, tard, la statuette retourne à trois reprises à Nouméa : elle y est présentée dans des expositions en tant que symbole des premières collectes et rare témoignage de statuaire féminine kanak, dont aucun exemple n’est présent dans les collections publiques de la ville.</p>
<h2>Un patrimoine kanak hautement politique</h2>
<p>En Nouvelle-Calédonie, la culture et les objets du patrimoine kanak jouent un rôle déterminant dans l’affirmation politique autochtone qui émerge à partir des années 1970 dans le prolongement d’un mouvement indépendantiste, notamment pour le leader politique kanak Jean‑Marie Tjibaou (1936-1989).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/h8QgvL-q6EI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jean‑Marie Tjibaou, pionnier de la lutte indépendantiste kanak (INA).</span></figcaption>
</figure>
<p>La définition d’un patrimoine kanak uni apparaît à cette époque. Elle fait suite à un rejet des cultures kanak par les colons, au départ et à la dispersion d’objets anciens et, pour certains, leur disparition locale.</p>
<p>De vives tensions entre partisans d’une Nouvelle-Calédonie française et aspirants à l’indépendance marquent les années 1980 et culminent entre 1984 et 1988, période nommée par euphémisme les <a href="https://journals.openedition.org/jso/1259#xd_co_f=MjgzYjBjYmVlYzk1ZjJjNWRlNzE1NjEzNjc4NjgzMTQ">« Événements »</a> durant laquelle se multiplient les affrontements.</p>
<p>Les accords politiques ultérieurs encadrés par l’État français placent la culture kanak au cœur des enjeux institutionnels et statutaires.</p>
<p>La reconnaissance culturelle est l’un des principaux socles des accords de <a href="http://www.mncparis.fr/uploads/accords-de-matignon_1.pdf">Matignon-Oudinot en 1988</a>, symboles d’un rééquilibrage politique, culturel et social : ils prévoient la création de <a href="http://www.adck.nc/presentation/lagence-de-developpement-de-la-culture-kanak/presentation">l’Agence de développement de la culture kanak</a> (ADCK) – afin de valoriser et de promouvoir les pratiques anciennes et contemporaines – et du <a href="http://www.adck.nc/">Centre culturel Tjibaou</a> (CCT), son principal instrument à Nouméa.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/nB5VVdRgSvE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Une hâche vivante », explications par Nidoïsh Naisseline, ex grand chef à Maré, pour l’association Boutures de Paroles KANAK.</span></figcaption>
</figure>
<p>En prenant le nom de Tjibaou, le CCT s’inscrit dans la continuité de l’homme politique. L’accord de Nouméa, signé en 1998, consacre son premier point à « l’identité kanak » et souligne le devoir de l’État français de</p>
<blockquote>
<p>« favoriser le retour en Nouvelle-Calédonie d’objets culturels kanak qui se trouvent dans des musées ou des collections, en France métropolitaine ou dans d’autres pays ».</p>
</blockquote>
<p>Est également intégrée l’idée du « destin commun » entre les communautés du territoire en vue de leur autodétermination, défendue par Jean‑Marie Tjibaou.</p>
<p>Cette idée irrigue la gestion du patrimoine kanak, pensée autour de la coopération et de l’entente.</p>
<h2>Une circulation des objets dans une logique de représentation</h2>
<p>Plutôt qu’une demande de retours définitifs des objets, les différents acteurs concernés vont privilégier le développement de collaborations entre musées, afin de permettre la circulation des objets et le maintien d’une représentation kanak à travers le monde.</p>
<p>À l’aube de cette initiative figure le repérage des objets, débuté dans les années 1970 par l’ethnologue Roger Boulay à la demande de Jean‑Marie Tjibaou en vue de constituer un Inventaire du patrimoine kanak dispersé, rassemblant les objets conservés dans des musées internationaux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/353635/original/file-20200819-22-f78lxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/353635/original/file-20200819-22-f78lxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353635/original/file-20200819-22-f78lxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353635/original/file-20200819-22-f78lxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353635/original/file-20200819-22-f78lxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353635/original/file-20200819-22-f78lxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353635/original/file-20200819-22-f78lxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353635/original/file-20200819-22-f78lxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La statuette est représentée sous le numéro deux dans la légende. « Monuments des arts du dessin chez les peuples tant anciens que modernes, Denon, Vivant, 1747-1825 ; Duval, Amaury, 1760-1838.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://archive.org/details/Monumentsdesartt1Deno/page/n57/mode/2up">Archive.org/Monuments des arts du dessin chez les peuples tant anciens que modernes</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les résultats initiaux sont présentés en 1990-1991 lors de l’exposition <em>De jade et de nacre</em>, qui se tient d’abord au musée territorial de Nouvelle-Calédonie (MNC) à Nouméa, puis au musée national des arts d’Afrique et d’Océanie à Paris, et permet le retour temporaire en Nouvelle-Calédonie de 250 objets kanak anciennement collectés dans diverses circonstances, dont cette statuette.</p>
<h2>Des retrouvailles symboliques</h2>
<p>Cette exposition est conçue comme une forme de <a href="https://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_1992_num_95_2_2627_t1_0280_0000_3">« retrouvailles »</a> par les populations kanak avec les objets, qui sont autant de représentants de leurs ancêtres et de leurs créations.</p>
<p>Elle est inaugurée par les autorités coutumières, statutairement habilitées à prendre la parole dans un contexte kanak, par une « coutume », une cérémonie de dons accompagnée de discours qui marquent l’accueil et la protection des objets exposés.</p>
<p>Cette cérémonie ouvre une alliance et un cycle d’échanges entre clans kanak et musées, notamment hexagonaux.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ya1UBtAtyiA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La collection kanak du Musée de Cherbourg, Boutures de Paroles KANAK.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les objets kanak sont alors investis d’une nouvelle fonction d’« ambassadeurs » culturels hors de Nouvelle-Calédonie, expression attribuée à Jean‑Marie Tjibaou et reprise en 1990 par l’autorité coutumière kanak, dont Octave Togna, le directeur de l’ADCK, dans <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6559503j?rk=21459">son discours d’inauguration</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ces objets représentent le sang, la pensée et la racine de nos pères. Ils ne sont que de passage ; c’est important si l’on veut faire connaître la culture kanak de par le monde et faire savoir qui sont les hommes de ce pays et à qui appartient le pied qui marche sur cette terre. C’est peut-être mieux que cela se passe ainsi. Nos ancêtres ont laissé partir ces choses et certains l’ont peut-être fait de bon cœur. Laissons-les être nos ambassadeurs. »</p>
</blockquote>
<p>Ce passage illustre les conceptions kanak de l’échange et du don, qui doivent être entourés de paroles qui leur donnent sens. Or, les renseignements sur les modalités de collecte sont rares et les paroles inconnues, ce qui explique la défiance à demander le retour définitif d’objets collectés par le passé.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CuLlk-_DhHU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Fière aujourd’hui d’être kanak », Marie-Claude Tjibaou, veuve de Jean‑Marie Tjibaou, Boutures de Paroles – KANAK.</span></figcaption>
</figure>
<p>La statuette fait fort impression à Nouméa auprès du public kanak, où la statuaire de petite taille est oubliée et davantage assimilée à une production européenne. Les statuettes féminines sont également rares, ce qui ajoute à son importance.</p>
<h2>« Objet ambassadeur »</h2>
<p>L’expression « objet ambassadeur » porte en elle un devoir de représentation de la parole et de la culture kanak auprès d’interlocuteurs plus ou moins lointains, avec la possibilité d’un retour régulier auprès des descendants des populations qui les ont créés, en restant la propriété des musées qui les conservent.</p>
<p>Cette idée permet de valoriser la signification kanak des objets en même temps que leur appréciation par un public européen.</p>
<p>La statuette fait partie des objets remarquables investis de cette mission particulière, par son ancienneté et son histoire.</p>
<p>Elle est à nouveau exposée au CCT entre 1998 et 2001, lors de l’exposition inaugurale de la salle Bwenaado, « rassemblement coutumier » en langue cèmuhî, l’une des langues kanak parlée sur la côte est. Cette salle est exclusivement réservée aux retours temporaires du patrimoine dispersé et conservé dans des musées internationaux.</p>
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<figcaption><span class="caption">La cérémonie d’ouverture de l’exposition Kanak, l’art est une parole, NC La 1ʳᵉ, 2014.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le troisième et dernier retour de la statuette en Nouvelle-Calédonie advient en 2014, lors de l’exposition <em>L’art est une parole</em>, organisée conjointement par le MQB-JC et le CCT sous le commissariat de Roger Boulay et d’Emmanuel Kasarhérou.</p>
<p>Cette statuette et sa trajectoire illustrent les conceptions kanak liées à l’échange, à la circulation et aux propriétés de représentation des objets, éclairant les choix de gestion contemporaine du patrimoine kanak. La circulation des objets permet <a href="https://journals.openedition.org/cel/5438">leur partage</a> entre des musées d’adoption et leur terre d’origine et la reconnaissance du droit culturel des Kanak à disposer de leur patrimoine dispersé.</p>
<h2>Une diplomatie muséale à explorer</h2>
<p>Le projet des « objets ambassadeurs » témoigne du <a href="https://journals.openedition.org/perspective/9059">rôle des collections muséales</a> dans la <a href="https://journals.openedition.org/culturemusees/783">géopolitique mondiale postcoloniale</a>.</p>
<p>Arrêtée en 2014 pour des raisons principalement budgétaires et logistiques, cette forme de diplomatie muséale trouve ses limites dans les financements.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Xig2QPDKXyo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le conservateur d’origine kanak Emmanuel Kasarhérou a pris la tête du musée du Quai Branly à Paris en mai 2020.</span></figcaption>
</figure>
<p>Une telle coresponsabilité, partagée entre musées d’accueil et territoires d’origine des objets, peut-elle être servir de modèle pour d’autres régions ?</p>
<p>Nommé à la tête du musée du Quai Branly–Jacques Chirac en mai 2020, en plein débat sur les possibilités de restituer certains objets du patrimoine africain, Emmanuel Kasarhérou entend <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/reouverture-du-musee-du-quai-branly-le-kanak-emmanuel-kasarherou-pret-a-relever-le-defi-07-06-2020-8331354.php">développer la circulation des collections du musée vers leur territoire d’origine</a>, tout en poursuivant les recherches de provenance afin de mieux connaître les circonstances d’acquisition des objets.</p>
<hr>
<p><em>Billet publié en collaboration avec le <a href="http://blogterrain.hypotheses.org/">blog de la revue Terrain</a>. Dans le numéro 73, <a href="https://journals.openedition.org/terrain/19542">« Homo diplomaticus »</a>, Terrain s’écarte de la diplomatie traditionnelle pour observer des pratiques émergentes, ou non occidentales, en prêtant une attention spéciale aux adaptations et aux inventions des vaincus</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143304/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marion Bertin a reçu des financements de l'École du Louvre et de l'Université de La Rochelle pour ses recherches de terrain menées en Nouvelle-Calédonie, au centre culturel Jean-Marie Tjibaou et au musée de Nouvelle-Calédonie.</span></em></p>
En Nouvelle-Calédonie, la culture et les objets du patrimoine kanak jouent un rôle déterminant dans l’affirmation politique autochtone.
Marion Bertin, Anthropologue et muséologue, École du Louvre, et Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique, La Rochelle Université
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/141493
2020-06-29T19:13:00Z
2020-06-29T19:13:00Z
Pourquoi déboulonne-t-on des statues qui n’intéressent (presque) personne ?
<p>Depuis le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/08/deboulonnee-a-bristol-par-des-manifestants-une-statue-d-un-marchand-d-esclaves-va-sans-doute-finir-au-musee_6042155_3210.html">déboulonnage de la statue d’Edward Colston à Bristol</a> le 7 juin dernier, la présence des statues dans l’espace public est devenue une question médiatique.</p>
<p>Dans ce débat, en France tout au moins, les scientifiques à avoir pris la parole ont jusqu’ici principalement été des historiens. <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100929800">La sociologie politique de la mémoire</a> est toutefois susceptible d’apporter un regard sensiblement différent sur cette actualité. Elle s’intéresse en effet non tant à ce qu’il faudrait commémorer, ou à la manière dont il faudrait le faire, mais aux effets sociaux de ces rappels publics du passé dans la société contemporaine. En d’autres termes, elle invite à s’interroger : pourquoi déboulonne-t-on des statues qui n’intéressent (presque) personne ?</p>
<h2>Le déboulonnage comme (dé)commémoration</h2>
<p>La pratique de retrait, y compris violent, de statues précède de beaucoup les événements récents et ne se limite pas au rappel de certains passés plutôt que d’autres. Elle a par exemple été un fait majeur de la fin de l’URSS. Plus près de nous et sur la question même de la mémoire de l’esclavage, en 1991 déjà, à Fort-de-France, des activistes ont <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/enlever-tete-josephine-fut-tres-simple-505015.html">décapité la statue de l’impératrice Joséphine</a> pour protester contre le rétablissement de l’esclavage en 1802 par Napoléon I<sup>er</sup> dont l’épouse était fille d’un propriétaire terrien de l’île.</p>
<p>Nos collègues anglophones ont forgé le néologisme de <a href="https://www.memorystudiesassociation.org/wp-content/uploads/2017/12/Book-of-Abstracts.pdf"><em>decommemoration</em></a> pour parler de ce phénomène déjà ancien de déboulonnage de statues ou, plus largement, de retrait de l’espace public de rappels du passé. Il est en effet plus approprié en ce qu’il permet de penser les déboulonnages pour ce qu’ils sont : des formes – certes violentes, certes non validées par la représentation politique, mais des formes malgré tout – de commémoration. Plusieurs commentateurs se sont indignés ces derniers jours que l’on puisse voir le passé avec les yeux du présent et ont dénoncé un péché d’anachronisme. C’est pourtant la définition même de la commémoration publique que de voir le passé avec les yeux du présent.</p>
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<p>Une commémoration est créée, amendée et surtout appropriée par les individus qui en font l’expérience d’abord en fonction du présent et non du passé auquel elle renvoie. Le fait, pour une société, de transformer une commémoration instituée – qu’elle soit incarnée dans une statue, une loi, un mémorial, une plaque ou autre – n’a donc rien ni de nouveau ni d’original.</p>
<p>Cette pratique s’accélère toutefois depuis le début du XXI<sup>e</sup> siècle. Et dans cette dynamique, elle n’est pas propre aux manifestations citoyennes et aux mobilisations sociales liées à l’histoire de l’esclavage ou du colonialisme, tant s’en faut. Pour ne prendre que l’exemple de la France, alors que l’État n’avait instauré que quatre nouvelles journées de commémoration sur les près de cinquante ans allant de 1954 à 2000, depuis cette date et donc sur une vingtaine d’années, il en a créé pas moins de douze, procédant chaque fois à une (re)qualification du passé à la lumière du présent. Ainsi la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000571650#:%7E:text=Justes%20%22%20de%20France-,Loi%20n%C2%B0%202000%2D644%20du%2010%20juillet%202000%20instaurant,hommage%20aux%20%22%20Justes%20%22%20de%20France">loi n° 2000-644 du 10 juillet 2000</a> a instauré annuellement, chaque 16 juillet, « une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes » de France ». Pour cela, elle a renommé une journée qui existait déjà, par le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000162544#:%7E:text=(1940%2D1944)-,D%C3%A9cret%20n%C2%B093%2D150%20du%203%20f%C3%A9vrier%201993%20instituant,fran%C3%A7ais%20%22%20(1940%2D1944)">décret n° 93-150 du 3 février 1993</a>, mais qui portait un autre intitulé, celui de « Journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite « Gouvernement de l’État français » (1940-1944) ».</p>
<h2>La méconnaissance et l’indifférence des passants et des riverains</h2>
<p>Il reste que, en temps normal, la plupart de ces journées, statues, plaques commémoratives et autres monuments et rappels du passé dans l’espace public passent très largement inaperçus. La majeure partie des citoyens ne remarquent même pas leur présence. Tout un chacun peut ainsi conduire une simple expérience et demander à ses voisins de citer les statues présentes dans le quartier. La plupart d’entre eux resteront silencieux. Plus encore, lorsque l’existence de la statue est connue, il est rare que les simples passants, comme les riverains, connaissent l’histoire du personnage ou la signification de l’inscription. Jusqu’à ces derniers jours, qui, en passant sur le quai d’Orsay devant le Palais Bourbon, avait particulièrement remarqué la statue de Colbert, en avait gardé le souvenir, savait qui elle représentait et, enfin, quelles actions (plutôt que d’autres donc) avaient fait de cet homme un « grand homme » ?</p>
<p>Ce constat est valable y compris lorsque le passé évoqué dans l’espace public renvoie à une période récente. En janvier 2016, place de la République, un « chêne du souvenir » portant à ses pieds une plaque commémorative a été inauguré par la maire de Paris et le président de la République afin de rendre hommage aux victimes des attentats de 2015 en région parisienne. Depuis, l’observation du site et la réalisation d’entretiens, dans le cadre d’une <a href="https://anamosa.fr/produit/memoire-vive/">enquête sociologique au long cours</a>, a montré qu’il est très rare qu’un passant ordinaire (il en va bien sûr différemment des proches de victimes), riverain comme francilien, étranger comme provincial, connaisse la simple existence de l’arbre, sans parler de sa signification précise.</p>
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<span class="caption">Le chêne du souvenir, place de la République à Paris….</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sarah Gensburger</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<span class="caption">… et sa plaque commémorative.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sarah Gensburger</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Or, fait particulièrement intéressant, cette indifférence perdure le plus souvent même après le déboulonnage de statues.</p>
<p>En 2017, le maire de New York a mis en place une commission de réflexion pour réaliser un audit des monuments et marqueurs historiques présents dans la ville (<a href="https://www1.nyc.gov/site/monuments/index.page">Mayoral Advisory Commission on City Art, Monuments, and Markers</a>). Les cas examinés allaient de la figure du maréchal Pétain à celle de Christophe Colomb. Le <a href="https://eu.montgomeryadvertiser.com/story/opinion/2020/06/11/j-marion-sims-statue-questionable-monument-questionable-place/5341690002/">Docteur J. Marion Sims Monument</a> comptait parmi eux. Située en plein Central Park, la statuaire en question était constituée d’un imposant socle orné de la statue de J. Marion Sims, un gynécologue philanthrope à l’origine d’avancées pour la santé des femmes. Celui-ci avait toutefois conduit ses expériences sur des femmes noires esclaves, au mépris non seulement de leur liberté mais aussi de leur vie. Une des recommandations de la commission fut finalement de conserver le socle du monument à Sims, en y ajoutant une explication, tout en commissionnant la fabrication d’une nouvelle statuaire de remplacement en conformité avec le récit du passé que la société new-yorkaise contemporaine souhaitait mettre en avant – en l’espèce, le souvenir du vécu de ces femmes esclaves. Il fut décidé que la statue du gynécologue devait, elle, être transportée dans un cimetière près de la tombe de Sims pour y occuper, en quelque sorte, sa juste place. Au printemps 2019, seul un socle vide demeurait donc encore sur place.</p>
<p>Avec mes étudiants de l’Institute for French Studies de New York University, avec qui je travaillais alors de manière comparative sur la <em>de-commemoration</em> à Paris et New York, nous avons réalisé des entretiens avec les passants et les usagers de cette partie du parc comme des rues adjacentes. Ce travail d’enquête a montré que seuls celles et ceux qui avaient pris, d’une manière ou d’une autre, part à la mobilisation en vue du déboulonnage de Sims étaient conscients de sa disparition. Les autres, soit l’écrasante majorité et parmi eux plusieurs Afro-Américains, avaient au mieux noté le départ « d’une statue », le plus souvent n’avaient rien remarqué… si ce n’est que ce socle vide offrait finalement un nouveau terrain de jeu aux enfants qui visitaient cette partie du parc.</p>
<h2>Quel est le véritable impact des politiques de mémoire ?</h2>
<p>Du point de vue de la sociologie, la question n’est plus dès lors seulement de savoir s’il faut garder ou non telle ou telle statue mais bien à quoi servent les monuments du passé dans l’espace public. <a href="https://revue.alarmer.org/les-politiques-de-memoire-sont-elles-des-outils-efficaces-pour-lutter-contre-le-racisme-et-lantisemitisme/">Les trop rares recherches existantes</a>, conduites en France comme ailleurs, invitent en effet à se montrer très prudent quant à l’impact des statues, monuments, plaques, expositions et autres vecteurs de commémoration.</p>
<p>Contrairement à une fausse évidence, la transmission de la mémoire ne transforme pas toujours, et même très rarement, les représentations et stéréotypes de celles et ceux à qui elle est adressée. Que l’on donne, dans le cas des États démocratiques, à ces supports du récit du passé la mission sociale de lutter contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations contemporaines ou, à l’inverse, dans le cas des mouvements d’extrême droite, celle de fédérer des mouvements politiques, les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/2153368715573608">études</a> que nous possédons montrent que ces supports ne parlent finalement qu’à ceux qui sont déjà convaincus – au risque, même, de renforcer les convictions de celles et ceux dont ils avaient pourtant pour objectif de transformer les représentations et stéréotypes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/344103/original/file-20200625-33533-1rh4z5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/344103/original/file-20200625-33533-1rh4z5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/344103/original/file-20200625-33533-1rh4z5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/344103/original/file-20200625-33533-1rh4z5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/344103/original/file-20200625-33533-1rh4z5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/344103/original/file-20200625-33533-1rh4z5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/344103/original/file-20200625-33533-1rh4z5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/344103/original/file-20200625-33533-1rh4z5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Plaques affichées dans l’espace public, Paris, janvier à juin 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sarah Gensburger</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Pourtant, et bien au-delà de la question, d’actualité, du sort à réserver aux statues, plusieurs défenseurs des causes de populations discriminées du fait de leur couleur de peau, de leur orientation sexuelle, de leur genre, de leur lieu de résidence ou encore de leur religion semblent considérer comme un moyen d’action privilégié la mise en avant du souvenir des leurs, héro(ïne)s ou victimes, dans l’espace public. C’est ainsi que, depuis plusieurs mois, les murs de Paris sont recouverts de papiers figurant des plaques fictives, conçues comme symboliques. Or, cet activisme reste finalement prisonnier des cadres mêmes de ces politiques publiques de mémoire, passées comme actuelles, contre lesquelles il entend pourtant lutter.</p>
<p>Ainsi, contrairement ce que sous-entendent la plupart des commentaires politiques et notamment le <a href="https://www.franceinter.fr/politique/emmanuel-macron-la-republique-n-effacera-aucune-trace-et-elle-ne-deboulonnera-pas-de-statues">discours du Président de la République le 14 juin dernier</a>, les revendications de ce type, et leur forme extrême que prend le déboulonnage des statues, ne sont pas des signes de <a href="https://theconversation.com/de-quoi-communautarisme-est-il-le-nom-132704">« séparatisme »</a> mais bel et bien la preuve que celles et ceux qui les portent partagent avec leurs opposants le recours à la mémoire comme langage commun du politique.</p>
<p>Avec ma collègue Sandrine Lefranc, nous avons ainsi <a href="https://www.cairn.info/a-quoi-servent-les-politiques-de-memoire--9782724621259.htm">montré</a> que la principale efficacité des politiques de mémoire contemporaines n’est pas de transformer les représentations du passé ou d’orienter les comportements futurs. Leur principal effet est de créer un espace politique commun, fût-il conflictuel, en ce qu’un nombre croissant d’acteurs sociaux s’en revendiquent et y prennent part.</p>
<p>Les pays occidentaux comme les organisations internationales n’ont en effet eu de cesse, ces dernières années, de lier <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/23798-visites-scolaires-histoire-et-citoyennete">mémoire et citoyenneté</a>, transmission des passés violents et lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Il n’y a ainsi rien de surprenant à ce que des revendications qui visent à lutter contre les discriminations raciales se manifestent à travers des demandes mémorielles dont les statues ou les plaques de rue ne sont qu’un exemple parmi d’autres. Cet état de fait n’est pas sécessionniste. Du point de vue de la science politique, il est, au contraire le signe de la parfaite participation de ces acteurs mobilisés au champ politique français tel que l’État l’a lui-même structuré par ses politiques publiques, en France comme dans la plupart des pays européens et nord-américains, selon des modalités certes à chaque fois différentes. La <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/24/leonora-miano-ce-qui-derange-c-est-le-profil-de-ceux-qui-demandent-le-deplacement-des-statues-de-colbert_6043951_3232.html">reconnaissance de ce fait</a> est un préalable à la mise en place d’un débat public et politique constructif sur ces questions.</p>
<h2>La nécessité de mettre en œuvre des changements systémiques</h2>
<p>Il est ainsi vain de chercher à faire advenir des changements systémiques par la mise en avant, ou le déboulonnage – les deux étant les versants d’une même médaille –, de figures individuelles.</p>
<p>Changer la société ne consiste pas à changer les individus pour en faire de « bonnes personnes » en lieu et place de « vilains personnages ». Changer la société passe par une transformation des relations qui lient ces individus les uns aux autres. L’étude des effets des politiques de mémoire a montré que transformer les représentations des individus ne suffisait pas, tant s’en faut, à changer leurs comportements. De même, vouloir réduire des situations de domination passées ou d’émancipation à venir à l’exemplarité de quelques-un·e·s méconnaît les mécanismes qui sont à l’origine de ces mêmes dominations, discriminations et inégalités. </p>
<p>Ainsi trois des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/EtatsUnis-6-policiers-poursuivis-dans-la-mort-de-Freddie-Gray-a-Baltimore-2015-05-01-1308344">six policiers</a> à l’origine de la mort du jeune Afro-Américain Freddie Gray, qui avait entraîné des émeutes à Baltimore en 2015, étaient noirs. Des hommes qui agissaient alors en tant que policiers, et donc exerçaient un métier dont aux États-Unis les enjeux raciaux structurent l’exercice, ont pu agir de manière raciste alors même que ces mêmes hommes dans le civil portent eux-mêmes le stigmate de la couleur de peau qui en fait des victimes potentielles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"594572376513388546"}"></div></p>
<p>La sociologie a, de même, <a href="https://theconversation.com/comment-atteindre-plus-degalite-entre-hommes-et-femmes-en-europe-114095">mis en évidence</a> que la création d’un long congé paternité obligatoire ou la mise en œuvre de règles contraignantes quant aux horaires de travail, et notamment l’interdiction de réunions de fin de journée, étaient plus à même de changer la condition des femmes que la mise en évidence d’héroïnes féminines ou de programme de lutte contre les stéréotypes.</p>
<p>Enfin, l’histoire de la Shoah a <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100470190">montré</a> que des antisémites ont pu aider des Juifs à survivre alors même que d’autres, qui eux ne partageaient pourtant pas de tels stéréotypes raciaux, ont pu participer à, ou faciliter, leur arrestation. Ce sont d’abord les situations sociales dans lesquelles nous nous trouvons au quotidien qui façonnent nos actions et l’étendue de nos possibilités, et non tel ou tel exemple passé et les valeurs qu’il porte, auxquels nous nous identifierions au moment d’agir. La société n’est pas faite d’individus isolés dont il s’agirait de permettre le développement personnel ou d’orienter les comportements par tel ou tel <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/hashtag/connaissez-vous-le-nudge"><em>nudge</em></a> ou impératif mémoriel. Une société est d’abord un ensemble interdépendant, hiérarchique et structuré : un système.</p>
<p>Il est fort à parier, et c’est heureux, que des commissions de citoyen·ne·s et d’expert·e·s vont être mises en place dans les mois qui viennent pour parler, toutes et tous ensemble, de la place et de la forme que doit revêtir la « mémoire » dans l’espace public, notamment en regard du passé colonial et esclavagiste mais également de la place des femmes. À l’image du cas new-yorkais, elles donneront sans doute naissance à des recommandations stimulantes. Il reste que défendre la cause de la fin des discriminations et d’une pleine égalité politique, sociale et économique ne se résume pas aux discussions autour de l’incarnation individuelle du passé et, en se concentrant sur la question du déboulonnage, le débat médiatique repousse au second plan les conséquences structurelles, par exemple économiques, non seulement de l’esclavage mais également de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/13/thomas-piketty-affronter-le-racisme-reparer-l-histoire_6042710_3232.html">son abolition</a>. La réparation ne peut être que symbolique. L’enjeu d’aujourd’hui est la transformation systémique du présent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141493/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Gensburger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Un éclairage sociologique sur le débat actuellement en cours dans de nombreux pays du monde sur l’opportunité ou non de déboulonner des statues honorant des personnalités controversées.
Sarah Gensburger, Chercheuse en sciences sociales du politique, CNRS - ISP - Université Paris Nanterre - ENS Paris Saclay, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
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tag:theconversation.com,2011:article/117924
2019-08-27T20:12:53Z
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L’« Autoportrait mou de Dali », un ovni télévisé des années 1960
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/289632/original/file-20190827-184222-pm6l1k.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1991%2C1122&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dali à la fenêtre de sa maison de Portlligat (capture d'écran)</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dailymotion.com/video/xxodao">Dailymotion </a></span></figcaption></figure><p>Tourné durant l’été 1966, avec pour toile de fond la maison de Portlligat, en Espagne, <em>Autoportrait mou de Salvador Dali</em>, réalisé par Jean‑Christophe Averty, est probablement unique pour la représentation du peintre sur le petit écran.</p>
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<p>Avec cette coproduction franco-américaine aux moyens importants, dont le titre rappelle la toile <em>Autoportrait mou avec du lard grillé</em> (1941), l’artiste livre les secrets de sa « méthode » paranoïaque-critique qui suppose le recours simultané à l’image double en peinture et à une approche théorique s’appuyant <a href="https://www.letelepherique.org/Catalogue-de-films-527-4166-0-0.html">sur la littérature psychanalytique</a>. Le film dépasse le personnage pour se concentrer sur sa seule peinture et sa conception visionnaire de l’art.</p>
<h2>Averty plutôt que Fellini ou Antonioni</h2>
<p>Si Dali choisit Averty pour réaliser ce film unique en son genre, c’est probablement parce qu’il est proche du mouvement surréaliste auquel il a appartenu durant sa jeunesse et en raison de sa notoriété aux États-Unis où il a reçu en 1966 la distinction suprême des Emmy Edwards pour « Les raisins verts », émission d’humour noir dans laquelle il n’a pas hésité à faire mine de broyer un bébé à la moulinette.</p>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="270" src="https://www.dailymotion.com/embed/video/x9x8en" allowfullscreen="" allow="autoplay"></iframe>
<p>Pourtant, le tournage s’avère difficile car Dali, bien connu pour son art de la provocation, s’oppose constamment au réalisateur et entend rester maître de cette œuvre « cinématographique ». Averty relatera plus tard cette confrontation permanente entre eux dans la conception artistique du film :</p>
<blockquote>
<p>« Le résultat est que Dali a trouvé le film mauvais, et que, dans le monde entier, on s’est accordé à le trouver très très bon. Il le trouve mauvais parce qu’il considère que je lui ai volé un peu de lui-même, qu’il s’est livré, que l’image que je donne de lui est une image peut-être pas conforme à ce qu’il pense de lui. »</p>
</blockquote>
<h2>Un processus narratif entre réel et imaginaire</h2>
<p>Car le réalisateur entend rester maître de l’écriture du film malgré les nombreuses exigences de Dali qui demande à confectionner un « arbre à chats », précipiter un piano dans la mer, peindre un porc en vert pour prouver que le film est en couleurs, etc. Averty trouve sa source narrative dans l’œuvre picturale de Dali, mais aussi dans son autobiographie <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/Table-Ronde/Vermillon/La-vie-secrete-de-Salvador-Dali"><em>La vie secrète de Dali</em></a> et dans le travail de <a href="http://premium.lefigaro.fr/culture/2014/02/18/03004-20140218ARTFIG00206-deces-de-robert-descharnes-l-homme-qui-avait-sauve-salvador-dal.php">Robert Descharnes</a>, qui l’aide dans l’écriture du film. Le film s’articule ainsi autour des obsessions du peintre : la naissance (la sienne) avec son « climat imprégné de l’expulsion d’un bien- être intra-utérin », la mort, l’instinct sexuel dans une approche mystique empreinte de religiosité.</p>
<p>Dans ce film hybride à mi-chemin entre le documentaire biographique, le happening et l’art vidéo, Averty rend ainsi compte de l’œuvre complexe du peintre qu’il se plaît à décrypter, avec pour ambition de montrer aux téléspectateurs les mécanismes artistiques et références imaginaires de Dali tout en dévoilant ses proximités avec <a href="https://www.amazon.fr/Jean%E2%80%91Christophe-Averty-biographie-Sylvie-Pierre/dp/286938243X">André Breton, Marcel Duchamp ou Man Ray</a>, par exemple.</p>
<p>Averty se distingue de la pratique de création habituelle à la télévision par ses rapprochements subreptices ou ses hybridations étranges et un refus affirmé du direct. Mais dans ce film, il va plus loin par l’utilisation de procédés comme le happening, inexistants à la télévision de cette époque. Il invente une écriture inédite utilisant le trucage (et notamment l’incrustation), l’image double et d’autres astuces électroniques comme figures d’expression qui prendront forme au moment du montage. Le défi est de décrypter l’imaginaire artistique de Dali et non de faire l’apologie du personnage médiatique d’après-guerre, caricaturé par André Breton par l’anagramme « Avida Dollars ».</p>
<h2>Théâtralité et mise à distance du personnage</h2>
<p>Autoportrait mou permet au téléspectateur d’entrer dans le processus créatif du peintre et de ses formes d’autoreprésentation. La première partie du film est construite comme un récit chronologique : naissance, jeunesse puis maturité. Le spectateur se trouve à Portlligat, dans la maison où ont vécu Dali et Gala. Né à Figeras au nord de la Catalogne en Espagne le 11 mai 1904, Dali, fils d’un notaire amateur d’art et d’une mère disparue prématurément, doit lutter très tôt contre la mémoire d’un autre Salvador, son frère aîné, précocement disparu <a href="https://www.salvador-dali.org/fr/oeuvre/catalogue-raisonne-peinture/obra/802/portrait-de-mon-frere-mort">qu’il peint en 1963</a>. Ce complexe qu’il nourrit face à ce double idéal (« une de ces intelligences insurmontables ») est ce qui le construira comme « pervers, polymorphe, demeuré et anarchisant ».</p>
<h2>Le spectre de la mort</h2>
<p>Dans l’esprit de Jarry, Averty se joue de Dali qu’il n’hésite pas à mettre en scène tout au long du film bafouant le sacré et les prétentions du peintre. Il met ainsi le spectateur dans la position inconfortable de ne savoir s’il doit rire, si Dali se moque vraiment de lui ou si ses propos sont sincères. Par exemple, dans une mise en scène théâtrale, Dali face caméra explique avec beaucoup de pédagogie les deux éléments qui le motivent, instinct sexuel et angoisse de la mort. Prenant au pied de la lettre l’expression, Dali se rend au piano où il réveille le musicien endormi qui se met à jouer, et dans une succession d’actions rapides et démesurées, jette le piano à la mer dans une eau devenue rouge à l’image du tableau <a href="http://www.artnet.fr/artistes/salvador-dal%C3%AD/le-piano-rouge-ou-lorchestre-rouge-9xECIi9OnPoZNtHqbOEKA2"><em>Le Piano rouge</em> ou <em>l’Orchestre rouge</em></a> (1957).</p>
<h2>La nature comme inspiration</h2>
<p>C’est dans le paysage de Portlligat et du cap de Creus que Dali a trouvé la matrice de sa méthode paranoïaque-critique qu’il a théorisée dans « l’Âne pourri » (essai paru dans le premier numéro de la revue <em>Le Surréalisme au service de la Révolution</em> en 1930), laissant entendre qu’elle est, comme l’art, une façon de regarder. Il y voit la paranoïa comme une méthode active de la pensée laquelle, poussée par le désir de créer des images doubles ou multiples à travers une même forme ou une même image, s’oppose à la passivité des automatismes psychiques. Avec sa caméra, Averty montre des paysages se transformer en silhouettes.</p>
<p>Dans les ombres de la petite treille du patio de Portlligat, le spectateur découvre le buste de Voltaire, image double, image devinette, image multiple. Ainsi l’image créée par l’ombre est-elle mise en correspondance avec un tableau dans un subtil arrangement rappelant d’autres procédés utilisés par le réalisateur dans ses émissions. Dès lors, Dali s’affirme, dans la proximité de Roussel et de Duchamp, en peintre extraordinairement « pointu », livrant toutes les pièces du puzzle, ouvrant au spectateur les portes de son imaginaire.</p>
<h2>Les objets à fonctionnement symbolique</h2>
<p>Dali est un personnage connu pour ses moustaches et son caducée. Mais aussi pour les objets fétiches qu’il représente dans ses tableaux et dont ils donnent ici les clés. Dans le même esprit, il explicite sa conception philosophique des montres molles, réponse à l’accélération effrénée du temps. Le registre de Dali est celui du désir et du rêve, d’un monde où le temps s’est arrêté. Il oppose ainsi deux matières (le mou et le dur) pour faire passer ses idées, le <a href="https://www.kazoart.com/blog/oeuvre-a-la-loupe-la-persistance-de-la-memoire-dali/">temps qui s’écoule et la mémoire qui dure</a>.</p>
<h2>Mettre en scène Dali par l’<em>action painting</em></h2>
<p>La fin du film tournée sous la forme d’une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Action_painting">_action painting</a> se déroule dans les conditions du direct sous les yeux du spectateur à qui l’on veut faire vivre une expérience. La scène finale concourt à cet objectif et pour théâtraliser et se montrer à l’œuvre, Dali réalise une peinture sur un support transparent, reprenant le principe du <a href="https://www.dailymotion.com/video/x31l3jw"><em>Mystère Picasso</em></a> de Clouzot en 1955.</p>
<p>Dans <em>Autoportrait mou</em>, tout est centré sur la question de la vie, de la mort, ainsi que celles d’une spiritualité et d’un symbolisme voire d’une transcendance. Le commentaire de fin est une manière de célébrer une philosophie de vie et s’adresse directement au spectateur :</p>
<blockquote>
<p>« […] Salvador Dali se sait dépositaire du secret initiatique du futur. Cosmonaute de l’avenir, quittez vos tenues spatiales ! […] Parcourez notre humble domaine terrestre ! Enrichissez-vous de votre propre richesse intérieure ! »</p>
</blockquote>
<p>Malgré la notoriété des deux hommes, le film sera censuré par la télévision américaine lors de sa diffusion en 1968. La version anglaise réduite à 50 minutes est commentée par Orson Welles. Mais il faudra attendre le 22 décembre 1972 pour que le public français le voie dans sa version intégrale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117924/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Pierre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Tourné durant l’été 1966, avec pour toile de fond la maison de Portlligat, en Espagne, « Autoportrait mou de Salvador Dali », réalisé par Jean‑Christophe Averty, est une du peintre sur le petit écran.
Sylvie Pierre, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication/Centre de recherche sur les médiations, Université de Lorraine
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2019-07-11T21:35:48Z
2019-07-11T21:35:48Z
La femme préhistorique : artiste, muse et modèle
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/283707/original/file-20190711-173325-4mf7p4.PNG?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C6%2C2038%2C1095&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vénus préhistoriques.</span> <span class="attribution"><span class="source">Jennifer Kerner</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Au sein des œuvres paléolithiques, la figure de la femme s’impose dès les plus anciennes productions artistiques européennes (vers -40 000 ans) et jusqu’à l’aube du Néolithique où la femme conservera une place prépondérante dans l’iconographie.</p>
<p>Lors de la naissance de l’art moderne, les artistes se tourneront d’ailleurs volontiers vers ces représentations pour s’en inspirer, de Picasso à Louise Bourgeois. La sublime exposition <a href="https://www.centrepompidou.fr/cpv/agenda/event.action?param.id=FR_R-9efd70159546de76f3bf352a9942cf7&param.idSource=FR_E-9efd70159546de76f3bf352a9942cf7"><em>Préhistoire, une énigme moderne</em></a>, actuellement à l’affiche au Centre Georges Pompidou,s’en fait le juste reflet.</p>
<figure>
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<figcaption><span class="caption">Jennifer Kerner présente, via sa chaîne Boneless, sa revue de l’exposition « Préhistoire, une énigme moderne », actuellement à l’affiche au Centre Georges Pompidou.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Le modèle</h2>
<p>La femme a été allègrement représentée par les artistes du Paléolithique. Sur tous les supports (serpentine, ivoire, paroi en pierre), grâce à toutes les techniques (gravure, peinture, sculpture) et sous toutes les coutures (de la femme entière à la vulve isolée). Bref, quand l’homme n’est qu’une figure approximativement anthropomorphe traitée en 2D, la femme, elle, a mobilisé toutes les forces artistiques en présence pour sublimer sa plastique.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/281901/original/file-20190630-94712-9gxpeo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/281901/original/file-20190630-94712-9gxpeo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/281901/original/file-20190630-94712-9gxpeo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1128&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/281901/original/file-20190630-94712-9gxpeo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1128&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/281901/original/file-20190630-94712-9gxpeo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1128&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/281901/original/file-20190630-94712-9gxpeo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1418&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/281901/original/file-20190630-94712-9gxpeo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1418&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/281901/original/file-20190630-94712-9gxpeo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1418&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Vénus de Willendorf, Paléolithique supérieur, vers 24 000–22 000 av. J.-C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9nus_de_Willendorf#/media/Fichier:Venus_von_Willendorf_01.jpg">MatthiasKabel/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Femme peinte de Chauvet et vulve</h2>
<p>La femme a donc été le modèle préféré des artistes du passé. Mais n’était-elle que cela ? De Lee Miller à Flora Mayo, les femmes artistes qui ont eu le malheur d’être aussi des modèles ont été cataloguées plus aisément dans la seconde catégorie… Et pourtant, les photographies d’Elizabeth et les sculptures de Flora n’avaient rien à envier aux œuvres de leurs glorieux amants Man Ray et Alberto Giacometti. Tout comme nos femmes préhistoriques artistes qui ont peut-être produit les œuvres les plus emblématiques de l’art paléolithique.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/283698/original/file-20190711-173347-8a5gkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/283698/original/file-20190711-173347-8a5gkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/283698/original/file-20190711-173347-8a5gkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=664&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/283698/original/file-20190711-173347-8a5gkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=664&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/283698/original/file-20190711-173347-8a5gkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=664&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/283698/original/file-20190711-173347-8a5gkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=834&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/283698/original/file-20190711-173347-8a5gkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=834&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/283698/original/file-20190711-173347-8a5gkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=834&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>Portrait of Space</em>, Lee Miller, 1937.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pinterest.es/pin/425238389787748384/">source</a></span>
</figcaption>
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<h2>L’artiste</h2>
<p>Lorsqu’on pense à l’art paléolithique, l’image des mains positives et négatives sur les parois des grottes s’impose à l’esprit. Ces motifs se retrouvent en Europe mais également dans certaines îles de l’archipel malais.</p>
<p>Face à cette abondance de témoignages, deux chercheurs en médecine et un archéologue ont exploré la possibilité de déterminer le sexe des artistes paléolithiques à travers ces fameuses mains. Grâce à l’étude de populations contemporaines, ils ont réalisé qu’une diagnose sexuelle pouvait être proposée sur la base de l’observation du <em>ratio digital</em> chez certaines populations de sapiens.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/283699/original/file-20190711-173366-zwy8jc.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/283699/original/file-20190711-173366-zwy8jc.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/283699/original/file-20190711-173366-zwy8jc.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/283699/original/file-20190711-173366-zwy8jc.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/283699/original/file-20190711-173366-zwy8jc.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/283699/original/file-20190711-173366-zwy8jc.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/283699/original/file-20190711-173366-zwy8jc.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le « Bouquet de Mains », Ilas Kenceng.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://blogs.univ-tlse2.fr/palethnologie/wp-content/files/2013/fr-FR/version-longue/articles/ASI8_Fage.pdf">Luc-Henri Fage</a></span>
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<p>Le principe est simple : l’index et l’annulaire des femmes sont sensiblement de taille égale alors que, chez les hommes, l’index est plus court que l’annulaire. Une observation du <em>ratio digital</em> a donc été appliquée aux mains de la <a href="https://blogs.univ-tlse2.fr/palethnologie/wp-content/files/2013/fr-FR/version-longue/articles/ASI8_Fage.pdf">grotte Gua Masri II de Bornéo</a> avec des résultats concluants.</p>
<p>La mixité était donc a priori de mise parmi les artistes du Paléolithique. Évidemment, la méthode n’est pas parfaite car des adolescents mâles adultes peuvent avoir des mains particulièrement féminines. De nombreux auteurs appellent ainsi à la prudence interprétative en contexte archéologique mais la présence féminine parmi les artistes n’est généralement plus remise en doute par les préhistoriens.</p>
<p>Les courbes généreuses des vénus laissent rêveur… mais également perplexe ! On constate en effet que les proportions ne sont pas souvent naturelles et que certaines parties du corps sont carrément omises. Mc Dermott souligne en 1996 que ces accentuations des proportions de certaines parties des corps féminins (seins hypertrophiés, fesses surélevées) pourraient être liées au regard subjectif de l’artiste qui se regarderait elle-même – de haut donc, à une époque où la glace en pied n’existe pas – afin de se représenter.</p>
<p>Adhérer à l’analyse de Mc Dermott, c’est envisager que l’auto-portrait était de mise et que les femmes ne se seraient pas regardées entre elles pour se représenter de manière plus naturaliste. Même si l’hypothèse de l’auto-portrait est largement discutée, elle n’en demeure pas moins passionnante car elle pose pour la première fois la question d’une représentation artistique de soi !</p>
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<figcaption><span class="caption">Vénus Paléolithiques avec Harry Boudchicha.</span></figcaption>
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<p>Des représentations de soi donc, imaginons-nous et des représentations peut-être également POUR soi. En effet, plusieurs vénus sont destinées à être portées en pendentif et auraient pu constituer des parures féminines. Évidemment, nous savons que la parure n’est pas l’apanage des femmes au Paléolithique : une plantureuse vénus attachée au cou ou au vêtement d’un homme n’est donc pas une hypothèse à exclure. Cependant, une vénus fait figure d’exception, celle de Mal’ta (Russie, période gravettienne).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/283702/original/file-20190711-173334-1ef7wv5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/283702/original/file-20190711-173334-1ef7wv5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1240&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/283702/original/file-20190711-173334-1ef7wv5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1240&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/283702/original/file-20190711-173334-1ef7wv5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1240&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/283702/original/file-20190711-173334-1ef7wv5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1559&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/283702/original/file-20190711-173334-1ef7wv5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1559&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/283702/original/file-20190711-173334-1ef7wv5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1559&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vénus malta.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.hominides.com/html/art/venus_art_mobilier.php">Hominides.com</a></span>
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<p>Elle est entaillée de plusieurs sillons. Si l’on considère les plus nets d’entre eux, ils sont au nombre de 21, ce qui a amené certains chercheurs à voir ce pendentif comme un mémo permettant aux femmes de maîtriser leur fertilité en comptant les jours qui les séparent de leur prochain cycle d’ovulation par observation empirique de leur période de fertilité personnelle au sein de leur cycle menstruel. Une interprétation controversée mais qui a le mérite de remettre la femme au centre de la production d’objet esthétique, non plus seulement en tant que simple <em>motif</em> mais bien en tant qu’utilisatrice !</p>
<h2>La muse</h2>
<p>Plus qu’un sujet parmi d’autres pour réaliser quelques études rapidement croquées, la femme semble avoir dépassé le statut de modèle pour atteindre celui de muse. Le phénomène le plus emblématique de ce règne féminin est probablement celui des vénus paléolithiques, ces statuettes de femmes en ronde-bosse à la silhouette schématique produites de l’Oural à l’atlantique, et de l’Aurignacien (-40 000) au Magdalénien (-15 000).</p>
<p>Vénus. C’est le nom qu’on leur donne à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle au moment de leur découverte, comme une évocation de leur divine sensualité. Alors, divinité, la vénus paléolithique ? Assurément les abbés-archéologues bâtisseurs de la science préhistorique lors de ses balbutiements ne souhaitaient pas voir autre chose dans ces femmes aux formes étourdissantes et à la nudité sublimée.</p>
<p>Mais elles pourraient plus largement être des symboles de fécondité : la représentation de plusieurs femmes enceintes et la focalisation dont fait l’objet la vulve pourrait le suggérer. Mais ces femmes voluptueuses ont également pu être les témoins d’un érotisme dont les rarissimes représentations de coït se font aussi l’écho.</p>
<p>Qu’elle soit symbole de fertilité, déesse-mère, ou plus simplement une beauté mystérieuse dont la perfection des courbes vaut à elle seule d’accaparer l’inspiration des artistes, la femme est au centre de la représentation anthropomorphique paléolithique. Et quelles que soient les interprétations fluctuantes des préhistoriens, il est fort à parier que ces statuettes feront tourner les têtes des scientifiques et des esthètes pendant encore quelques millénaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119358/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jennifer Kerner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Qu’elle soit symbole de fertilité, déesse-mère, ou plus simplement une beauté mystérieuse, la femme est au centre de la représentation anthropomorphique paléolithique.
Jennifer Kerner, Archéologue, éthnologue, spécialiste des rites funéraires, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
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tag:theconversation.com,2011:article/113281
2019-05-07T13:05:49Z
2019-05-07T13:05:49Z
Berlinde de Bruyckere, ou les métamorphoses de la matière
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/273080/original/file-20190507-103057-u1xxm8.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C890%2C587&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Berlinde De Bruyckere, Criplewood, 2012-2013</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/slashparis/photos/pcb.1017344291643565/1017323268312334/?type=3&theater">Compte Facebook de Slash Paris</a></span></figcaption></figure><p>Son nom, prononcé à la flamande en roulant les « r », évoque des carcasses d’animaux qui n ‘en sont pas : c'est <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/078894-003-A/femmes-artistes-berlinde-de-bruyckere/">Berlinde de Bruyckere</a>. L’artiste sculpte des corps, ni homme ni bêtes, comme pendus à des crocs de boucher imaginaires ; la peinture violente et organique de Francis Bacon n’est pas loin. La matière employée pour ces sculptures est énigmatique : cuir, époxy, cire, graisse ? On n’arrive pas à le savoir, et au fond, c’est sans importance. Ce qui se joue, c’est l’effet produit par ce mélange de matières.</p>
<p>Car ces étranges sculptures monumentales se transforment en images mentales indélébiles qui questionnent l’anthropomorphisme, le mystère d’une transformation et le drame de la souffrance et de la décomposition des corps ; elles interrogent notre humanité. Si les sculptures d’un artiste comme Ron Mueck montrent bien le vieillissement et la déformation des corps, l’exaspération des tailles, le fripé d’un nouveau-né, Berlinde de Bruyckere s’interroge plutôt sur les métamorphoses, c’est-à-dire la transformation des formes, la chenille devenue papillon, le sang de l’amant d’Apollon, Hyacinthe devenu fleur de lys. Elle pense aux <em>Métamorphoses</em> d’Ovide lorsque, d’entrée de jeu, le poète écrit : « je veux dire l’histoire et les métamorphoses des formes et des corps ».</p>
<p>A Mechelen, se tient actuellement une exposition personnelle de l’artiste flamande. Mechelen dominait l’Europe <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tZUWyIBnEBc">au temps de Marguerite d’Autriche</a> ; fille de l’empereur Maximilien d’Autriche, tante de Charles-Quint, elle régna sur les Pays-Bas bourguignons pendant plus de vingt ans. De ce pouvoir exercé au XVIe siècle subsiste la puissance symbolique de son palais, entouré de quelques demeures seigneuriales.</p>
<p>C’est dans dans la maison de l’humaniste Jérôme de Busleyden que Berlinde de Bruyckere dialogue avec des retables appelés « jardins clos », œuvres des religieuses du XVIe siècle. Tout comme dans le pavillon belge où l’artiste exposait à la biennale de Venise un corps/tronc d’arbre à peine visible, le visiteur a l’impression de rentrer dans l’histoire où d’ailleurs nous aurions pu rencontrer l’humaniste de la Renaissance <a href="https://goo.gl/images/AUewCj">Thomas More</a>, l’ami du propriétaire des lieux, et auteur d’<a href="https://www.lhistoire.fr/classique/%C2%AB-lutopie-%C2%BB-de-thomas-more"><em>Utopie</em></a>.</p>
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<p>En nous plongeant dans la pénombre, l’artiste nous demande d’interroger le lien entre le patient travail de ces religieuses anonymes du XVIe siècle et son propre travail sur les métamorphoses. C’est en résonance avec ces paradis miniatures visibles dans de petites vitrines que Berlinde de Bruyckere imagine des formes qui pourraient ressembler à des fleurs de lys mais qui n’en sont pas. Revenons à Ovide : « une fleur apparut, qui eut semblé de lys, s’il n ‘était pas argenté, elle de vermillon vif »…</p>
<p>Sachant que ces petits retables sont l’œuvre de sœurs de l’ordre hospitalier, un bref retour historique s’impose. Les Sœurs augustines soignaient les malades et les pélerins ; ce sont des religieuses à demeure qui vivent dans un hospice de la ville sous le contrôle de l’archevêque de Malines. Ces retables restaurés du XVIe ont pu être sauvés grâce à la ruse des religieuses ; en effet pendant les guerres de religions, elles les avaient rangés dans les salles réservées aux malades de la peste, un lieu que les iconoclastes n’osaient pénétrer.</p>
<p>C’est cette résonance entre deux mondes qui fait toute la force de cette exposition ; un monde contenu, serré, épinglant minutieusement, pendant des heures et des heures, les mini-reliques, les objets des scènes de la vie quotidienne mais aussi les écureuils, les oiseaux les fruits et les fleurs ; un monde qui exprime la fragilité mais aussi un idéal, une utopie de la vie bonne.</p>
<p>A ce monde résonne celui de l’artiste, un monde qui exprime aussi la souffrance et la fragilité mais d’une toute autre manière. Les matériaux utilisés d’abord sont différents. Ce n’est plus de la soie ni du papier, ni de la terre, ni du bois, ni des perles, ni du verre qui sont utilisés mais des peaux de vache encore chaude provenant de l’abattoir pour mieux les mouler dans la cire, aussi des vielles couvertures abîmées par le temps et les éléments et utilisées comme pour rappeler au visiteur le <a href="https://goo.gl/images/ef1cXh">rôle protecteur d’une couverture</a>, qui symbolise aussi une forme de vulnérabilité.</p>
<p>L’échelle est différente elle aussi, le passage de la miniature au monumental change le regard ; les fleurs fanées sont pendues de haut en bas comme des silhouettes à l’allure christique, des formes aux allures de moine à capuchons frôlent Zurbaran. Si les matériaux et les échelles diffèrent, le point commun reste la ferveur créatrice, d’expression religieuse ou non.</p>
<p>C’est dans la salle où sont exposés les dessins de fleurs en floraison et en déclin qui évoquent le sexe ou des dessins de sexe qui évoquent des fleurs en floraison ou en déclin que le travail de l’artiste est le plus ambivalent dans sa correspondance avec les œuvres des religieuses. Pour ces religieuses ayant fait vœu de chasteté et toutes entières dévouées à la souffrance de leurs malades, ce travail patient et obstiné peut se comprendre comme un refuge intime mais aussi comme l’expression de la souffrance et de leur créativité joyeuse annonçant le paradis. On peut l’interpréter aussi comme une forme de sublimation ou de mysticisme.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L'affiche de l'exposition.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musée de Mechelen.</span></span>
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<p>Ces religieuses anonymes, tout comme cette artiste flamande, entretiennent un même rapport au monde : pour elles, le temps ne se compte pas, l’esprit de calcul n’a pas sa place, le travail de création engage le corps et l’esprit sans crainte du jugement ; l’engagement total dans l’art prend une dimension presque mystique. Loin des représentations comptables de nos vies intérieures, auxquelles trop souvent le monde moderne veut nous réduire. Repensons à Ovide : « Dieux, c’est votre œuvre aussi ; inspirez mon poème et guidez en le fil de l ‘aurore du monde au matin d’aujourd’hui ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113281/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les sculptures de Berlinde de Bruyckère questionnent l’anthropomorphisme, le mystère d’une transformation et le drame de la souffrance et de la décomposition des corps.
Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business School
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tag:theconversation.com,2011:article/108480
2019-02-03T21:28:13Z
2019-02-03T21:28:13Z
Le temple de Baalshamîn et le site de Palmyre dans les archives de l’Université de Lausanne
<p>En 1953, l’archéologue suisse Paul Collart, descendant d’une famille d’architectes genevois, et qui avait déjà fouillé l’autel monumental de Baalbeck au Liban (1938-1940), est chargé par l’Unesco de dresser l’inventaire des biens culturels de la Syrie et du Liban. Il profite de cette mission pour nouer des contacts avec les autorités archéologiques syriennes. De 1954 à 1956, il dirige à Palmyre le premier grand chantier archéologique suisse à l’étranger et s’intéresse tout particulièrement au temple de Baalshamîn. La fouille durera une vingtaine de semaines. En 1966, il procède à l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anastylose">anastylose</a> de plusieurs colonnes dans les portiques, c’est-à-dire à leur remontage à partir des blocs d’origine.</p>
<h2>Le sanctuaire du dieu Baalshamîn</h2>
<p>Le sanctuaire de Baalshamîn se situe au nord de la ville antique. Il était dédié au « Seigneur des cieux », une divinité ouest-sémitique. Le sanctuaire connut une importante évolution entre 20 après J.-C. environ et l’inauguration de son temple tétrastyle en 130-131 de notre ère, à l’époque de l’empereur Hadrien. La nature de ce dieu se comprend grâce à diverses inscriptions qui le désignent comme un maître suprême. Son nom en grec est Zeus Hypsistos. Maître du monde, il gouverne le Soleil (Malakbêl) et la Lune (Aglibôl), que l’iconographie nous montre comme étroitement liés à sa personne. En tant que seigneur des cieux, il est symbolisé par un aigle éployé régnant sur les astres. Il est, de plus, le dieu qui amène les pluies et assure ainsi les récoltes.</p>
<blockquote>
<p>« La foudre qu’il brandit dans sa main n’est pas l’image d’une puissance terrifiante, mais le rappel des pluies fécondes dont s’accompagnent les orages, qui font reverdir le désert et empêchent les sources de tarir. »</p>
</blockquote>
<p>Le complexe architectural qui lui est dédié comprend trois cours à portiques, une salle de banquet et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cella_(temple_romain)">cella</a>. De cette partie sainte, il ne demeurait au début des fouilles que le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pronaos">pronaos</a> et le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Naos">naos</a>. La cella se présentait sous la forme d’un petit bâtiment de quinze mètres de long sur dix de large. Les six colonnes qui entouraient le pronaos étaient ornées de chapiteaux corinthiens et comportaient des consoles pour les statues et les inscriptions. La disposition interne était remarquable et typique de l’architecture religieuse orientale puisque le naos était divisé en trois thalamos (une chapelle sacrée où étaient placées les statues divines, dite aussi <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Adyton">adyton</a>), avec un décor en trompe-l’œil de fausses portes et de fausses fenêtres.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/256932/original/file-20190203-124043-1megzgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/256932/original/file-20190203-124043-1megzgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=812&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/256932/original/file-20190203-124043-1megzgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=812&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/256932/original/file-20190203-124043-1megzgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=812&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/256932/original/file-20190203-124043-1megzgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1021&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/256932/original/file-20190203-124043-1megzgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1021&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/256932/original/file-20190203-124043-1megzgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1021&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Cella du temple de Baalshamîn (1954-1956).</span>
<span class="attribution"><span class="source">ASA, Fonds Collart, UNIL</span></span>
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<p>La grande réussite de Collart à Palmyre réside dans le fait d’avoir démonté les structures byzantines édifiées <a href="https://www.jstor.org/stable/41744010">avec les blocs remployés du thalamos</a>. La question de la transformation du temple de Baalshamîn en église à l’époque byzantine (V<sup>e</sup> siècle), avec notamment l’utilisation de la cella comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%AAma">bêma</a>, doit être posée et des doutes subsistent concernant cette interprétation. Paul Collart put cependant identifier les cinquante-trois blocs sculptés qui composaient à l’origine le thalamos à l’intérieur du temple. Cette découverte apporta des informations précieuses sur la pratique des rites palmyréniens. Le thalamos du temple se présente comme une structure indépendante posée dans la cella, mais sans lien architectonique avec elle. C’est, à ce titre, une construction tout à fait remarquable.</p>
<h2>Le fonds Paul Collart</h2>
<p>Le fonds des archives de Paul Collart conservé à l’Université de Lausanne représente aujourd’hui la source la plus complète pour comprendre et restituer le sanctuaire de Baalshamîn à Palmyre, aujourd’hui complètement détruit : photographies, dessins, plans, carnets de fouilles sont conservés dans les meilleures conditions. Les plans, les dessins et les photographies laissés par les fouilleurs sont des documents très utiles pour prendre connaissance du monument et l’étudier en deux dimensions. Les analyses et la planimétrie sont extrêmement précises, tout comme les dessins au trait et les différents relevés. Aujourd’hui, on se rend compte de l’importance des travaux préparatoires, des photographies de travail, des croquis intermédiaires, des relevés de détails. Tous ces documents, qui n’avaient pas été publiés, représentent donc des étapes cruciales pour l’interprétation du site et des monuments et pour l’établissement de la chronologie de ces derniers. Ces données inédites permettent aussi désormais de poursuivre les recherches.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-aux-patrimoines-culturels-detruits-du-proche-orient-ancien-defis-de-la-reconstitution-et-de-la-restitution-numeriques-85032">Face aux patrimoines culturels détruits du Proche-Orient ancien : défis de la reconstitution et de la restitution numériques</a>
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<p>Ainsi, la documentation sur le matériel de l’époque arabe, notamment les découvertes épigraphiques (inscriptions à l’encre sur des tessons de poterie), est en cours d’étude (Emanuele Intagliata, Ghali Zuhur-Adi). De plus, la qualité des photographies permet aussi la réédition de documents portant des inscriptions en langues grecque, latine et palmyrénienne (dialecte de l’araméen).</p>
<p>Paul Collart avait également documenté d’autres monuments importants de l’antique Palmyre : le temple de Bêl avec les détails de son architecture et son ornementation, le théâtre, l’arc monumental (de Septime Sévère), les tombeaux ou le château de Fakh-ed-Din II (XVI<sup>e</sup> siècle après J.-C.).</p>
<p>Enfin, au-delà de l’histoire des monuments, Paul Collart raconte aussi l’histoire de la fouille avec des photographies des diverses phases de travaux, notamment l’installation des wagonnets Decauville en 1954, les repas en commun, la vie dans la maison de fouilles et le quotidien avec les ouvriers.</p>
<h2>Les archives des savants et les nouvelles technologies</h2>
<p>Après la destruction d’un monument historique, les chercheurs doivent se tourner vers la documentation à disposition. Suivant les modalités de la géométrie descriptive, les publications à l’ancienne consistaient à donner une représentation architecturale sous forme de plans, de coupes et d’élévations, complétés par des photographies.</p>
<p>Or les nouvelles technologies permettent notamment de produire des modèles photogrammétriques en trois dimensions, en assemblant un volume d’images important sous différents angles de vue. De tels modèles servent à procéder à l’analyse architecturale du monument. De plus, les supports numériques permettent à un grand nombre de personnes d’accéder aux données sans se déplacer. Des outils permettent en particulier de prendre ou de reprendre des mesures sur le monument ou de prévoir des travaux d’anastylose.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/256933/original/file-20190203-108334-8mo474.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/256933/original/file-20190203-108334-8mo474.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=64&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/256933/original/file-20190203-108334-8mo474.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=64&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/256933/original/file-20190203-108334-8mo474.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=64&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/256933/original/file-20190203-108334-8mo474.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=80&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/256933/original/file-20190203-108334-8mo474.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=80&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/256933/original/file-20190203-108334-8mo474.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=80&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Restitution en 3D de la cella du temple de Baalshamîn.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UNIL, ICONEM-DGAM</span></span>
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<p>À travers les archives numérisées, c’est toute l’histoire du monument qui se révèle, avec notamment, avant la construction du sanctuaire, l’installation d’un caveau funéraire, puis la construction elle-même, qui atteint son extension maximale sous le règne de l’empereur Hadrien au II<sup>e</sup> siècle de notre ère. Plus tard, les Byzantins réutilisent les blocs de l’intérieur de la cella du temple. Durant l’époque arabe, un quartier d’habitation voit le jour. Tous les témoignages de ces différentes phases nous sont parvenus grâce aux photographies, aux relevés, aux dessins et aux plans auxquels le public a désormais accès.</p>
<p>Une fois digitalisées et mises en ligne, les archives permettent de conserver la mémoire du site pour le transmettre aux générations futures, et aussi de mettre à disposition des chercheurs le matériel scientifique nécessaire à la poursuite de leurs travaux, de participer à l’identification des blocs et des sculptures sur le site et dans le musée saccagé de Palmyre.</p>
<h2>Reconstruire Palmyre ?</h2>
<p>Il s’agit d’une question grandement débattue. À mon avis, la décision devra être prise, le moment venu, par les Syriens eux-mêmes. Ce n’est pas notre rôle de décider ce qui devra être fait. De plus, dans l’état actuel de la situation, les conditions sécuritaires ne sont pas réunies pour assurer des travaux sur le site.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/khaled-al-asad-le-martyr-de-palmyre-46777">Khaled Al As’ad, le martyr de Palmyre</a>
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<p>Si on accepte, pour un temps, de laisser les considérations éthiques de côté, nous constatons que l’Arc monumental a été détruit par des moyens mécaniques et non des explosifs ; ce qui rendrait une anastylose possible. Les sanctuaires de Bêl et de Baalshamîn ont, eux, été détruits à l’explosif. Cela signifie que les débris ne sont pas suffisants pour permettre une « simple » anastylose. La reconstruction – et non une restauration – impliquerait un pourcentage très – trop – important de matériaux neufs.</p>
<p>Mais que restaurer, au juste ? Comme le dit ma collègue <a href="https://muse.jhu.edu/article/704776">Azra Aksamija du MIT à Boston</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Étant donné que le site de Palmyre était à l’état de ruine avant sa récente destruction par l’État islamique, il faut se demander quel serait le sens d’une restauration. […] Il faut aussi prendre en compte le fait que les bâtiments accumulent différentes significations tout au long de leur vie ».</p>
</blockquote>
<p>Si l’on revient à l’Arc monumental, on peut donc se demander s’il devrait être restauré dans son état antérieur ou postérieur aux restaurations des années 1930.</p>
<p>Les destructions perpétrées par l’État islamique donneront peut-être la possibilité aux archéologues de fouiller les niveaux antérieurs aux époques hellénistiques et romaines. Nous pourrions ainsi fouiller le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tell_(arch%C3%A9ologie)">tell</a> qui se situe sous le sanctuaire de Bêl, mais aussi sous la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cella_(temple_romain)">cella</a> du temple de Baalshamîn à la recherche du Hamana (un autel sacrificiel) antérieur par exemple et considérer aussi la possibilité d’étendre la fouille dans le secteur de l’hôtel Zénobie. Paul Collart a souvent écrit dans ses notes ses regrets de ne pas pouvoir poursuivre la fouille de ce côté-ci.</p>
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<p><em>L’exposition <a href="https://www.imarabe.org/fr/expositions/cites-millenaires">« Cités millénaires, Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul »</a> se tient en ce moment et jusqu’au 17 février à l’Institut du Monde Arabe.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108480/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Maxime Michel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le fonds des archives de Paul Collart représente la source la plus complète pour comprendre et restituer le sanctuaire de Baalshamîn à Palmyre, aujourd’hui complètement détruit.
Patrick Maxime Michel, dr ès Lettres, assyriologue, philologue, archéologue, spécialiste du Proche-Orient ancien, Université de Lausanne
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/107831
2019-01-03T00:21:58Z
2019-01-03T00:21:58Z
Culte du gigantisme : quand le mythe devient réalité dans l’Inde néolibérale
<p>C’est un édifice impossible à englober d’un seul regard : 182 mètres de haut, deux fois la taille de la statue de la Liberté, 1 700 tonnes de bronze et 1 850 tonnes de placage en bronze.</p>
<p>L’intérieur est rempli de 210 000 mètres cubes de béton et de 18 500 tonnes d’acier et de 6 500 tonnes d’acier de <a href="https://www.livemint.com/Companies/z9KNZfDJBIFtkYn2o7pRVN/Sardar-Patels-Statue-of-Unity-inauguration-today-Worlds-t.html">construction</a>.</p>
<p>La statue de Sardar Vallabhbhai Patel, appelée <a href="http://www.statueofunity.in/">Statue de l’Unité</a>, leader du parti du Congrès qui consolida le territoire de l’Union indienne en intégrant les états princiers dans la nouvelle nation indépendante, trône dans une île en face du barrage de Sardar Sarovar au nord-est de la ville de Vadodara dans l’état de Gujarat.</p>
<p>Conçu pour célébrer les 10 ans de Narendra Modi comme ministre en chef de l’état de Gujarat et comme un hommage rendu par l’état de Gujarat à la nation, ce projet a été réalisé grâce à un partenariat public privé.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/251745/original/file-20181220-45385-1swawjk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251745/original/file-20181220-45385-1swawjk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251745/original/file-20181220-45385-1swawjk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1066&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251745/original/file-20181220-45385-1swawjk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1066&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251745/original/file-20181220-45385-1swawjk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1066&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251745/original/file-20181220-45385-1swawjk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251745/original/file-20181220-45385-1swawjk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251745/original/file-20181220-45385-1swawjk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La Statue de l’Unité est bâtie devant la rivière Narmada, un site controversé symbolique des batailles environnementales en Inde.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Statue_of_unity.png">Rahul 71144/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
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<p>La hauteur totale du monument est de 180 mètres. Elle a coûté environ 358 millions d’euros. Elle a été dévoilée au public le <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/10/17/l-inde-s-apprete-a-inaugurer-la-plus-haute-statue-du-monde_5370396_3216.html">31 octobre 2018</a>.</p>
<h2>La recherche de l’équilibre</h2>
<p>L’intérêt cognitif pour le tout petit ou l’infiniment grand est une constante chez les scientifiques et les intellectuels indiens, et ce, depuis des millénaires. On le retrouve notamment dans un texte appartenant au corpus classique tamoul, daté entre le II<sup>e</sup> siècle av. J.-C. et le VIII<sup>e</sup> siècle, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tirukku%E1%B9%9Fa%E1%B8%B7">Thirukkural</a>. Comme le souligne le poète Idaikadar un verset du Thirukkural serait aussi compact qu’une <a href="https://books.google.fr/books?id=QtZCDwAAQBAJ&pg=PR13&lpg=PR13&dq=ambai,+piercing+a+mustard+seed&source=bl&ots=XT2_rHUdNy&sig=v5mlTHCLhtjC-MN2ONcWnuVzzDE&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjC_-XvwK7fAhXKy4UKHXQwDFQQ6AEwB3oECAkQAQ#v=onepage&q=ambai%2C%20piercing%20a%20mustard%20seed&f=false">graine de moutarde</a> qu’on aurait creusée pour y verser les sept océans !</p>
<p>L’importance de la mesure et la nécessité de l’équilibre sont également au cœur <a href="https://archive.org/stream/LaBhagavadGita-FrenchTranslation/LaBhagavad_gita_djvu.txt">des mythes et de la littérature</a> comme le rappelle l’histoire de Bali, démon géant et <a href="http://www.sunypress.edu/p-1254-the-myths-of-narasimha-and-vama.aspx">Vamana</a>, le nain.</p>
<p>Bali (appelé également Mahabali), roi des Daitya, après avoir pris le contrôle de la Terre, le paradis et l’enfer, organise un rite sacrificiel pour consolider son pouvoir.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/251721/original/file-20181220-45408-1xa1hfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251721/original/file-20181220-45408-1xa1hfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251721/original/file-20181220-45408-1xa1hfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=736&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251721/original/file-20181220-45408-1xa1hfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=736&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251721/original/file-20181220-45408-1xa1hfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=736&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251721/original/file-20181220-45408-1xa1hfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251721/original/file-20181220-45408-1xa1hfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251721/original/file-20181220-45408-1xa1hfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vâmana transformé en Viṣṇu Trivikrama.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vamana#/media/File:Vamana1.jpg">LACMA/Wikimedia</a></span>
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<p>Contrarié, Vishnou, le dieu de la protection de la trinité hindoue et de l’équilibre entre les mondes, prend alors la forme d’un nain, son cinquième avatar, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vamana">Vamana</a>. Il retrouve Bali et lui demande une aumône consistant en un terrain grand comme ses trois pas. Balui le lui accorde. Quelle ne fut pas la surprise de Bali lorsque Vamana reprend sa véritable dimension et enjambe la Terre et le paradis en ne faisant que deux pas ! Son troisième pas atterrit directement sur la tête de Bali et envoie le roi arrogant régner sur l’enfer.</p>
<h2>Épopées et gigantisme</h2>
<p>La fascination pour l’échelle surdimensionnée se retrouve également dans les grandes épopées. Le <em>Ramayana</em>, épopée aussi célèbre en Asie du Sud que <em>L’Ulysse et l’Odyssée</em> en Occident, met en scène plusieurs personnages géants, tels que le roi de Lanka, Ravana et son frère Kumbhakarna. Le roi de Lanka retient captive l’héroïne du récit, Sita. Son mari, Ram, la délivre grâce à l’aide du singe Hanuman, qui à son tour, prend une forme géante pour traverser la mer séparant l’Inde du Sri Lanka.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GukTvvfwTBo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Hanuman grandit et transporte une montagne, dessin animé pour enfant, 2012.</span></figcaption>
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<p>Ici, la grandeur est synonyme de force et de <a href="http://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780195309225.001.0001/acprof-9780195309225">puissance surhumaine</a> et de possibilité d’un incroyable dépassement de soi. Ce trait de caractère, illustré par le gigantisme dans les mythes, est régulièrement remis en valeur à l’ère contemporaine par d’autres moyens : modes spirituelles et <a href="https://www.thehindu.com/features/magazine/vivekananda-wrote-selfhelp/article5664278.ece">ouvrages de développement personnel</a> fondés sur la pensée indienne font recette dans le pays.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251722/original/file-20181220-45416-mmfttd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251722/original/file-20181220-45416-mmfttd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=777&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251722/original/file-20181220-45416-mmfttd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=777&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251722/original/file-20181220-45416-mmfttd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=777&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251722/original/file-20181220-45416-mmfttd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=976&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251722/original/file-20181220-45416-mmfttd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=976&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251722/original/file-20181220-45416-mmfttd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=976&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Shravanabelagola est l’un des plus importants pèlerinages des Jains Digambara qui inclu la visite à la divinité Bahubali, au cœur du Karnataka.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Colossal_Gommateshwara_idol_of_Jainism_at_Vindhyagiri_Shravanabelagola_Karnataka.jpg">Sarah Welch/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>La monumentalité n’est pas le privilège des seuls hindouistes comme en témoignent le monolithe de Gommateshwara – une statue de 17m représentant le jain Bahubali, érigée en l’an 980 dans l’état de Karnataka – ou les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bouddhas_de_B%C3%A2miy%C3%A2n">Bouddhas de Bamiyan</a> (53 et 38 mètres), alors au sein du royaume de Gandhara ; détruits au début des années 2000 par les talibans en Afghanistan.</p>
<p>Cette fascination pour le gigantisme s’est par la suite transposée dans le 7<sup>e</sup> art. La place des surhommes y a pris une dimension toute particulière, à grand renfort d’effets spéciaux et de scènes abracadabrantes, plébiscitée par le public. Ces vedettes font usage de leur charme et de leurs fortunes pour, très souvent, entamer une carrière politique. L’adulé <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rajinikanth">Rajinikanth</a>, originaire du sud de l’Inde a <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/when-will-rajinikanth-s-political-career-take-off-1287488-2018-07-16">récemment déclaré</a> vouloir lancer son parti. En attendant, <a href="https://www.scmp.com/week-asia/society/article/2104058/tamil-star-who-inspired-new-life-paths-his-japanese-fan-club">ses fans lui vouent un culte religieux</a> qui s’est propagé jusqu’au Japon.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/from-south-india-to-trumps-election-the-happy-marriage-of-stardom-and-politics-70829">From South India to Trump’s election: the happy marriage of stardom and politics</a>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0vbfadyCrZk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Les scènes les plus stylées de Rajnikhant ».</span></figcaption>
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<h2>Des géants aux pieds d’argile ?</h2>
<p>Le gigantisme, bien installé dans la culture populaire et savante se traduit donc aujourd’hui par de multiples projets coûteux, avec en arrière-plan, l’ambition de faire triompher l’ingénierie indienne, une traduction concrète de la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2017-2-page-26.htm">campagne Make in India</a> (privilégier l’industrie et manufacture locale) de l’actuel premier ministre.</p>
<p>Ses détracteurs pointent pourtant que cette dernière dépend aussi de participations étrangères, comme l’illustre l’<a href="https://www.outlookindia.com/magazine/story/nationalism-made-in-china/295605">emploi de bronze chinois</a> dans la fabrication de la statue de Patel, bien que supervisée par le conglomérat indien Larson et Tubro (L&T).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1045725692690911232"}"></div></p>
<p>Une autre perspective doit être prise en compte : celle de l’idéologie dans laquelle sont nées ces statues. Si le nationalisme affiché du gouvernement séduit, il ne faut pas omettre que ces projets incarnent aussi une velléité de domination symbolique et culturelle de certaines franges extrémistes hindoues sur le reste de la population.</p>
<p>Actuellement un mémorial de 212 mètres de haut appelé Shiv Smarak ou Chhatrapati Shivaji Maharaj Memorial est en cours de construction en pleine mer d’Arabie, dans l’état de Maharashtra.</p>
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<figcaption><span class="caption">ABP News.</span></figcaption>
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<p>L’histoire officielle dépeint le guerrier Shivaji comme un roi marathe du XVII<sup>e</sup> siècle en lutte contre l’empereur moghol Aurangazeb, un musulman décrié pour son fanatisme religieux.</p>
<p>Le coût prévu de cet édifice est de <a href="https://www.ndtv.com/business/l-t-reduces-cost-of-shivaji-memorial-in-arabian-sea-off-mumbai-report-1818953">490 millions de dollars</a>. Sa construction pourrait d’ailleurs éclipser un autre monument, dont la hauteur de 107 mètres a été <a href="https://www.ndtv.com/mumbai-news/maharashtra-has-reduced-height-of-mumbai-ambedkar-memorial-says-anandraj-ambedkar-1926447">récemment revue à la baisse</a>, celle de Babasaheb Ambedkar, leader dalit.</p>
<p>Cette concurrence mémorielle n’est pas sans rappeler d’autres projets plus anciens vite décriés comme les <a href="https://www.ndtv.com/india-news/mayawatis-elephant-statues-could-be-a-40-000-crore-scam-says-akhilesh-yadav-482599">cent trente éléphants de pierre, bâtis en 2012</a> de la ministre en chef d’Uttar Pradesh, une dalit dont la <a href="https://www.liberation.fr/planete/2009/05/02/mayawati-kumari-intouchable-incontournable-et-irresponsable_555732">probité a été souvent mise en cause</a>.</p>
<h2>Du mythe hindou au mythe américain ?</h2>
<p>Devenu premier ministre en 2014, Narendra Modi vise sa réélection en 2019. Il compte, au-delà des résultats économiques de son mandat, sur des succès d’ordre idéologique telle que la glorification du passé hindou une certaine vision de l’histoire, des sciences voire de la culture <a href="https://theconversation.com/yoga-contre-cancer-Internet-millenaire-quand-linde-nationaliste-utilise-lhistoire-des-sciences-94871">réécrite par ses idéologues</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251742/original/file-20181220-45400-5qt4p7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251742/original/file-20181220-45400-5qt4p7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251742/original/file-20181220-45400-5qt4p7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251742/original/file-20181220-45400-5qt4p7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251742/original/file-20181220-45400-5qt4p7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251742/original/file-20181220-45400-5qt4p7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251742/original/file-20181220-45400-5qt4p7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La course au gigantisme, une façon d’inscrire durablement l’Inde dans l’américanisation des valeurs ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://deshgujarat.com/2018/10/29/online-ticket-booking-for-statue-of-unity-visit-commences-on-svpret-website-mobile-app/">DeshGujarat</a></span>
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<p>En inscrivant l’Union dans « la course au gigantisme », valorisant ainsi l’expertise et l’industrie indienne Narendra Modi positionne aussi son pays sur la même échelle que les grandes puissances internationales à commencer par les États-Unis.</p>
<p>L’écrivaine indienne Arundhati Roy dénonçait il y a dix ans le <a href="https://www.outlookindia.com/magazine/story/the-greater-common-good/207509">gigantisme par imitation</a>, inspiré par les États-Unis qui fait la promotion d’une vision du monde selon laquelle la compétition plutôt que la coopération est devenue la valeur dominante.</p>
<p>Plus grande que la statue de la Liberté à New York ou même le Christ rédempteur à Rio, la statue de Patel est certainement désormais la marque de fabrique de l’Inde néolibérale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107831/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geetha Ganapathy-Doré a reçu des financements de l'université Paris 13 et de l'Université Paris Nanterre pour le compte de la Société d'activités et de recherches sur le monde indien, association qu'elle préside.</span></em></p>
La course aux statues géantes de chefs de guerre ou d’hommes politiques marque-t-elle un tournant dans l’Inde néolibérale de M. Modi ?
Geetha Ganapathy-Doré, Maîtresse de conférences HDR en anglais, Université Sorbonne Paris Nord
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/103133
2018-09-16T20:55:17Z
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Agrippine, ou le destin tragique d’une femme de tête
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/236511/original/file-20180916-177938-6h2asn.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C0%2C1169%2C769&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tête en marbre qui pourrait représenter Agrippine la Jeune (15-59 apr. J.-C.). </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=2798&langue=fr">Musée du Louvre</a></span></figcaption></figure><p>Le Musée du Louvre a ses stars : la Vénus de Milo, la Joconde, la Victoire de Samothrace. Cependant d’autres œuvres, moins connues, nous racontent elles aussi des histoires fascinantes, comme ce portrait en marbre qui pourrait représenter l’impératrice Agrippine, mère tyrannique d’un fils non moins tyrannique, le célèbre Néron.</p>
<h2>La coiffure féminine : un art romain</h2>
<p>Ce qui attire d’abord le regard, c’est cette étonnante chevelure toute en boucles. D’abord, un chapelet de bouclettes, parfaitement semblables les unes aux autres, rigoureusement alignées au sommet du front. Puis, au-dessus, des boucles plus grosses qui font penser à des rangées d’escargots. Et enfin, derrière les oreilles, encore des boucles, très longues cette fois, en forme de tire-bouchon, qui s’écoulent dans la nuque.</p>
<p>Toutes ces spirales n’ont rien de naturel. Elles ont été obtenues au moyen de fers à friser que les mains expertes des coiffeuses romaines faisaient chauffer avant de tordre les mèches de leurs maîtresses.</p>
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<p>Les nobles dames comme Agrippine détestaient les coiffures trop simples. Il fallait que les cheveux soient travaillés. Elles renonçaient à leurs coupes sophistiquées uniquement pour les enterrements. Les chevelures naturelles étaient synonymes de deuil ou de basse condition sociale. Entre une esclave et une aristocrate, il n’y avait pas seulement une différence de statut, mais aussi de coupe de cheveux. Les chevelures les plus compliquées, domestiquées à l’extrême, passaient pour le summum de l’élégance romaine. À Rome, la coiffure des femmes était devenue un <a href="https://www.persee.fr/doc/dha_2108-1433_2015_sup_14_1_4064">véritable art</a>, au même titre que l’architecture ou la mosaïque.</p>
<p><a href="http://www.slate.fr/story/94137/antiquites-sculptures-couleur">La tête du Louvre devait être peinte</a>, comme la plupart des portraits des membres de la dynastie impériale. Il ne reste aucune trace de couleur, mais on peut imaginer que les cheveux d’Agrippine étaient blonds, peut-être avec des reflets roux. Les chevelures dorées étaient à la mode. Et même si Agrippine avait été brune, elle aurait pu se décolorer les cheveux au moyen de produits un peu agressifs, à base de graisse animale et de cendre.</p>
<p>Certaines boucles pouvaient être des postiches réalisés à partir de cheveux prélevés sur des prisonniers blonds, comme ceux que le père d’Agrippine, Germanicus, avait capturés au-delà du Rhin.</p>
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<span class="caption">La mort de Germanicus, tableau de Nicolas Poussin, 1627.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Germanicus#/media/File:Germanicus_Death.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Fille de héros et sœur d’empereur</h2>
<p>Agrippine est née en 15 apr. J.-C. dans la ville qui, plus tard, allait devenir Cologne. Elle passe en Germanie les premiers mois de son existence, tandis que son père, neveu de l’empereur Tibère, commande les légions qui combattent les Germains rebelles à la domination de Rome.</p>
<p>Elle a 18 mois lorsque son père est rappelé à Rome par Tibère. Il y célèbre un somptueux triomphe, défilant dans les rues de la capitale impériale, debout sur un char, où il a installé ses enfants. Ce fut la première apparition officielle de la petite Agrippine, encore bébé. À ses côtés se tenait son grand frère, le futur empereur Caligula.</p>
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<figcaption>
<span class="caption">Sesterce de Caligula frappé en 37 ou 38 apr. J.-C. Buste de Caligula. Au revers, les trois sœurs de l’empereur. Agrippine est la première à gauche.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cngcoins.com/Coin.aspx?CoinID=339862">source</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quand Caligula devient empereur à la mort de Tibère, en 37, il rend hommage à ses trois sœurs qu’il fait figurer sur des monnaies, dans des poses de déesses. C’est sans doute à cette époque que furent réalisés les premiers portraits officiels d’Agrippine. Et peut-être cette tête du Louvre ?</p>
<p>On peut imaginer son regard intense sous des paupières noircies à la cendre, selon la mode du moment. Le reste du visage devait être clair et brillant comme la neige. À l’instar des autres aristocrates romaines, Agrippine se faisait appliquer un fond de teint à base de craie ou de blanc de céruse. Pour faire ressortir encore sa pâleur, ses maquilleuses teintaient de rouge ses petites lèvres charnues ainsi que le sommet de ses pommettes. Le visage d’Agrippine devait avoir l’aspect théâtral d’un masque blanc, rouge et noir.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236513/original/file-20180916-177956-7nrlld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236513/original/file-20180916-177956-7nrlld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236513/original/file-20180916-177956-7nrlld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236513/original/file-20180916-177956-7nrlld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236513/original/file-20180916-177956-7nrlld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236513/original/file-20180916-177956-7nrlld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236513/original/file-20180916-177956-7nrlld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Monnaie d’or figurant à l’avers l’empereur Claude et au revers l’Augusta Agrippine. 50 apr. J.-C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://cngcoins.com/Coin.aspx?CoinID=310089">Cng coins</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’épouse de son oncle</h2>
<p>En 48, Agrippine a 33 ans. Elle est veuve de deux époux successifs et mère d’un seul enfant : le futur Néron. Elle rêve de le pousser sur le trône impérial afin de régner à travers lui. Ce sera l’ambition de toute sa vie. Dans un premier temps, elle persuade l’empereur Claude, qui a succédé à Caligula, de l’épouser. Mais cette union est considérée comme incestueuse par les Romains, car Claude est l’oncle d’Agrippine. Qu’à cela ne tienne ! L’empereur profite de sa position dominante pour faire voter par le Sénat un décret autorisant désormais le mariage entre une nièce et son oncle paternel. Un décret sur mesure.</p>
<p>Deuxième acte : Agrippine devenue impératrice <a href="https://mediterranees.net/histoire_romaine/empereurs_1siecle/neron/iconographie.html">pousse Claude à adopter Néron comme son fils et à le déclarer, par la même occasion, son héritier.</a></p>
<p>Troisième et dernier acte : en 54 apr. J.-C., Agrippine élimine son oncle-époux, peut-être en lui faisant servir un plat de champignons empoisonnés. Néron, 17 ans, est aussitôt proclamé empereur.</p>
<h2>La femme qui voulait régner comme un homme</h2>
<p>Tout s’est passé comme prévu. Agrippine règne sur l’Empire, tandis que Néron ne s’intéresse qu’aux courses de chars et à la poésie. Jamais une Romaine n’avait exercé un tel pouvoir, <a href="https://www.babelio.com/livres/Girod-Agrippine--Sexe-crimes-et-pouvoir-dans-la-Rome-Im/727722">comme le souligne l’historienne Virginie Girod</a>.</p>
<p>Ce n’est qu’après la mort de l’empereur Auguste, en 14 apr. J.-C., que son épouse Livie avait été nommée <em>Augusta</em>, le titre latin que l’on peut traduire par impératrice. Mais Livie, très respectée, avait surtout bénéficié d’une autorité morale.</p>
<p>Agrippine, elle, entend régner comme un homme. Pour y parvenir, il lui faut souvent ruser :la présence de femmes étant interdite au Sénat, elle fait convoquer les sénateurs au palais afin de suivre leurs débats, cachée derrière une tenture.</p>
<p>Mais l’instrument de son pouvoir va finalement se retourner contre elle. À 18 ans, Néron décide de ne plus se laisser manipuler par sa mère, si écrasante et possessive. Il la chasse du palais. Au même moment, le buste de l’Augusta disparaît des monnaies.</p>
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<figcaption>
<span class="caption">Néron couronné par sa mère Agrippine. Sculpture découverte à Aphrodisias, Turquie.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Telle mère, tel fils</h2>
<p>Selon l’historien latin Tacite, Agrippine aurait tout tenté pour ramener à elle son fils chéri : elle aurait même essayé de le séduire. Une pure calomnie. Tacite force le trait, même si Agrippine et son fils n’étaient évidemment pas des anges.</p>
<p><a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/tacite/annales14.htm">Dans un véritable morceau de bravoure de ses <em>Annales _(XIV, 5-8),</em></a> l’auteur nous raconte, de manière très romanesque et théâtrale, la mort d’Agrippine, assassinée par son fils.</p>
<p>Néron feint d’abord de se réconcilier avec sa mère pour dissiper ses craintes ; il l’invite dans sa maison de la baie de Naples, au bord de la mer. Après un banquet censé sceller leurs retrouvailles, il offre à Agrippine un magnifique navire. Elle s’embarque, au milieu de la nuit, pour rentrer chez elle. Mais le bateau a été saboté. Il fait naufrage. Agrippine, blessée, parvient à rentrer chez elle à la nage, malgré le poids de ses habits de fête et l’eau plutôt froide en ce mois de mars 59. Informé de l’échec de son plan, Néron envoie alors des hommes achever sa mère. Au premier qui se rue sur elle, elle montre son ventre : qu’il la frappe là où elle a porté son fils !</p>
<blockquote>
<p>« Les assassins environnent son lit, et le triérarque lui décharge le premier un coup de bâton sur la tête. Le centurion tirait son glaive pour lui donner la mort. “Frappe ici,” s’écria-t-elle en lui montrant son ventre, et elle expira percée de plusieurs coups. » (Tacite, <em>Annales</em> (XIV, 5-8)</p>
</blockquote>
<p>C’est une bien terrible histoire d’ambition, de trône impérial et de meurtres en famille que nous raconte la charmante tête du Louvre à la chevelure si complexe.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236516/original/file-20180916-96155-1frpy6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236516/original/file-20180916-96155-1frpy6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236516/original/file-20180916-96155-1frpy6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236516/original/file-20180916-96155-1frpy6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236516/original/file-20180916-96155-1frpy6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236516/original/file-20180916-96155-1frpy6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236516/original/file-20180916-96155-1frpy6d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Agrippine vue par Philippe Delaby dans la BD Murena.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://guybrush.wordpress.com/2006/10/09/bd-murena-le-cycle-de-la-mere-dufaux-et-delaby/">Dargaud</a></span>
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<p>Dans <em>Murena</em>, série de bandes dessinées créée en 1997, la fascinante impératrice imaginée par Philippe Delaby est coiffée de cheveux noirs, sans doute pour mieux souligner encore la tragique noirceur de son destin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103133/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Au Louvre, ce portrait en marbre pourrait représenter l’impératrice Agrippine, mère tyrannique d’un fils non moins tyrannique, le célèbre Néron. Retour sur une figure ambiguë de l’Antiquité.
Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de Lorraine
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/100107
2018-07-23T23:16:35Z
2018-07-23T23:16:35Z
« Cloud Gate » d’Anish Kapoor, la sculpture-miroir qui reflète la finitude du monde
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/228819/original/file-20180723-189329-1igdnbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C2048%2C1024&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La sculpture monumentale d'Anish Kapoor, au Millenium Park de Chicago.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/pedrosz/34789346695/">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis son installation en 2006, des milliers de personnes jouent chaque jour avec l’œuvre d’Anish Kapoor, <a href="http://anishkapoor.com/210/cloud-gate"><em>Cloud Gate</em></a>, dans le Millenium Park sur Michigan Avenue à Chicago. <em>Cloud Gate</em>, la porte des nuages, a été immédiatement surnommée <em>The Bean</em>, c’est-à-dire le haricot, en raison de sa forme caractéristique.</p>
<p>J’ai vu <em>Cloud Gate</em> deux fois en quelques années et je ne m’en lasse pas. Cette œuvre a d’abord été un défi technologique. Ce miroir en forme de haricot géant, posé sur le sol, est composé de 168 plaques d’acier inox soudées. Il est haut de 10 mètres pour une base de 20 m x 13 m. Et il faut bien cela pour prendre sa place dans le Millenium Park et pour réaliser l’ambition du projet.</p>
<p>Le haricot joue avec la lumière et mélange tous les reflets de Chicago, de jour comme de nuit. La ville se prête formidablement au jeu, avec sa géographie très simple. D’un côté le Midwest, le plat pays américain sur des distances infinies. Inouï pour un français qui vit dans un pays où tout change en quelques dizaines de kilomètres. Là, rien ne change pendant des heures et des heures de route. De l’autre côté, le lac Michigan. Une surface d’eau équivalente à un dixième de la surface de la France. De l’eau jusqu’à l’horizon d’un côté, et de l’autre, des champs de maïs sans fin. Le ciel au-dessus. À côté du Millenium Park, au bord du lac, la ville de Chicago se dresse, avec sa
skyline, surgissement de gratte-ciel dans ce monde plat. Ici, plus de 100 buildings culminent à plus de 150 mètres, le plus haut atteignant les 442 mètres. La nuit, c’est simplement magique.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GBHrpd26JIw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans cet écrin, selon la position que vous adoptez, <em>Cloud Gate</em> devient le miroir que vous vous choisissez. Vous pouvez mélanger les éléments à votre guise : le ciel, la ville, l’espace au-dessus du lac et bien sûr les gratte-ciel. La nuit, le jour. Par beau temps ou pas. Vous pouvez être dans l’image que vous avez construite ou pas. À votre guise. C’est simple. Passez même dessous pour tout masquer si vous le souhaitez ! Les milliers de photos disponibles sur le web doivent à peu près rendre compte de l’ensemble des possibilités.</p>
<h2>L’optique géométrique, règle du jeu avec la lumière</h2>
<p>Les miroirs et les lentilles sont deux piliers de l’optique géométrique. Ils sont des outils de base qui permettent de changer la direction des rayons lumineux. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Indice_de_r%C3%A9fraction">Indice optique</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_de_Snell-Descartes">lois de Snell-Descartes</a> sont des éléments théoriques essentiels de l’optique géomètrique : transmission, réflexion et réfraction.</p>
<p>Ce que l’on veut regarder, la manière d’observer, déterminent la façon dont on va construire et assembler ces éléments optiques. Les astronomes et les microscopistes dans les laboratoires sont des professionnels à ce jeu. Anish Kapoor aussi. Mais quiconque joue avec la lumière ne le fait pas sans conséquence. Elle apporte dans nos yeux de l’information en images sur le monde à la vitesse… de la lumière. Avoir accès à cette information, la voir, a le pouvoir de changer nos vies. Nous le savons tous, à une époque où les images sont de plus en plus présentes.</p>
<p>Les miroirs et les lentilles nous permettent de voir à différentes échelles : de l’infiniment grand avec le télescope spatial Hubble à l’invisible autour de nous avec les microscopes optiques. L’imagerie à différentes échelles constitue un des enjeux majeurs de la science depuis toujours. C’est une préoccupation explicite chez Anish Kapoor aussi. Il a même abordé la sculpture à l’extérieur avec cette idée, et a donc fini par construire des miroirs courbes. Pour un physicien, cette démarche est une évidence. Ce qu’il en fait au plan artistique est bluffant.</p>
<h2>Le télescope de Galilée change la vision de l’univers</h2>
<p>L’exemple le plus célèbre de ce jeu, dans lequel un instrument d’optique porte le regard de l’homme brutalement au-delà du quotidien visible, est l’observation de la Lune dans le ciel par Galilée avec sa lunette en 1609. Deux références permettent de situer l’importance de l’événement. Il faut tout d’abord revenir au <em>Messager des Etoiles</em> écrit par Galilée. Il s’agit en fait de la toute première page :</p>
<blockquote>
<p>« Grands, assurément, sont les sujets qu’en ce mince traité je propose à chacun de ceux qui observent la Nature, afin qu’il les examinent et contemplent. Grands, dis je, d’abord en raison de l’importance de la matière même, ensuite en raison de sa nouveauté inouïe au cours des siècles, enfin, également, à cause de l’Instrument grâce auquel ces sujets sont offerts à notre perception. »</p>
</blockquote>
<p>Physicien expérimentateur, je reste sensible au I majuscule de « instrument ». Comme enseignant, j’ai toujours noté le « … sont offerts à notre perception ». Le résultat de l’observation est à la page suivante. À son corps défendant, le regardeur de l’époque certainement persuadé que la Lune est une sphère céleste idéale, ne pourra pas ne pas voir qu’elle est comme la Terre, « couverte de tous côtés d’énormes protubérances, de creux profonds, et de sinuosités. » Trop tard, dit en substance Galilée, « fallait pas regarder »… Au choix, regardez ou ne regardez pas. À votre guise, mais regardez la Lune dans la lunette, et elle perdra immédiatement son statut de sphère idéale pour devenir terreuse, c’est-à-dire un astre comme la Terre. Votre vision du monde et de l’univers en sera irrémédiablement transformée, écrit Galilée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/228084/original/file-20180717-44103-k75w16.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/228084/original/file-20180717-44103-k75w16.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/228084/original/file-20180717-44103-k75w16.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/228084/original/file-20180717-44103-k75w16.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/228084/original/file-20180717-44103-k75w16.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/228084/original/file-20180717-44103-k75w16.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/228084/original/file-20180717-44103-k75w16.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Phases de la Lune dessinées par Galilée en 1616 (Crédit : Wikimedia commons).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La philosophe Hannah Arendt, dans <em>La Condition de l’homme moderne</em>, souligne la rupture radicale que cette expérience de Galilée introduit. Pour elle, trois événements fondent la modernité : la découverte de l’Amérique, la Réforme et l’invention de la lunette astronomique. Elle insiste particulièrement sur cette dernière invention et sur son utilisation par Galilée :</p>
<blockquote>
<p>« Ce que fit Galilée, ce que personne n’avait fait avant lui, ce fut d’utiliser le télescope de telle façon que les secrets de l’univers fussent livrés à la méconnaissance humaine avec la certitude de la perception sensorielle. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/228085/original/file-20180717-44079-1kwhkub.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/228085/original/file-20180717-44079-1kwhkub.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=725&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/228085/original/file-20180717-44079-1kwhkub.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=725&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/228085/original/file-20180717-44079-1kwhkub.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=725&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/228085/original/file-20180717-44079-1kwhkub.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=911&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/228085/original/file-20180717-44079-1kwhkub.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=911&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/228085/original/file-20180717-44079-1kwhkub.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=911&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Y’a quelqu’un ? Peinture de Pierre Rouillon 2013 (image reproduite avec l’autorisation de l’artiste).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>On ne joue pas impunément avec la lumière : elle ouvre des portes, nous transporte très loin comme le montrent aujourd’hui les images du télescope Hubble qui fait venir à nous le lointain et nous révèle l’incroyable diversité de l’univers.</p>
<h2>Avec le Cloud Gate d’Anish Kapoor, retour sur Terre</h2>
<p>Dans ce contexte qui allie la capacité technique d’observation et ses implications bouleversantes pour la vision que l’homme a de sa situation sur Terre et dans l’univers, comment aborder le travail d’Anish Kapoor avec les miroirs ? Dans le livre <em>I have nothing to say/Je n’ai rien à dire</em>, Anish Kapoor insiste sur le lien entre ses miroirs et leur lieu d’installation, l’espace qu’ils ouvrent en relisant le monde autour d’eux.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/228086/original/file-20180717-44079-sdd6gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/228086/original/file-20180717-44079-sdd6gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/228086/original/file-20180717-44079-sdd6gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/228086/original/file-20180717-44079-sdd6gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/228086/original/file-20180717-44079-sdd6gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/228086/original/file-20180717-44079-sdd6gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/228086/original/file-20180717-44079-sdd6gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cloud Gate, la nuit (crédit : Dave Wilson/Flickr, licence cc).</span>
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</figure>
<p>Chicago, avec cette géographie élémentaire, une plaine et un lac tous deux immenses, et un paysage urbain magnifique construit par l’homme, semble fait pour accueillir <em>Cloud Gate</em>. La sculpture, dans un dialogue avec les gratte-ciel qui installent la verticalité dans cet espace plat, est un instrument qui permet à chacun de jouer de la lumière pour proposer tous les mélanges, toutes les distorsions, toutes les reconstructions de ce paysage.</p>
<p>C’est un nouveau « scope » qui, par distorsion et dilatation, change le regard sur notre place dans le monde. Cette sculpture travaille les éléments du paysage autour du regardeur, en change sa perception. Le ciel est à nos pieds mais aussi la Skyline et l’on se trouve en proximité immédiate avec le massif des constructions derrière Michigan Avenue. Notre attention se trouve concentrée sur ce qui nous entoure immédiatement. Le contraste avec l’analyse de l’observation de la Lune par Galilée et sa lunette, faite par Hannah Arendt, est alors radical :</p>
<blockquote>
<p>« [Dans] tous les cas, nous manions la nature d’un point de l’univers situé hors du globe. Sans nous tenir réellement en ce point dont rêvait Archimède, liés encore à la Terre par la condition humaine, nous avons trouvé moyen d’agir sur la Terre et dans la nature terrestre comme si nous en disposions de l’extérieur, du point d’Archimède. Et au risque de mettre en danger le processus naturel de la vie nous exposons la Terre à des forces cosmiques, universelles, étrangères à l’économie de la nature. »</p>
</blockquote>
<p>On ne joue pas sans conséquence avec la lumière…</p>
<p>Nous revenons sur Terre, mais nous avons changé d’époque et de monde. À l’exception peut-être de Elon Musk, nous savons tous que ce monde est fini et que c’est le seul possible.</p>
<h2>Sculpter son environnement</h2>
<p>Il reste la simplicité du dispositif et de son fonctionnement. Grâce à cette œuvre, chacun peut construire l’image de Chicago qu’il va photographier. À la différence du télescope de Galilée, le regardeur installe sa propre présence, en ce qu’il choisit sa place et celle des autres lors de la construction de l’image. Pour un instant, il devient le sculpteur de son propre environnement, il produit sa propre représentation éphémère de son environnement.</p>
<p>Il faudra écrire un jour comment la découverte des <a href="https://www.nationalgeographic.fr/espace/2017/02/les-trois-nouvelles-exoplanetes-peuvent-elles-vraiment-abriter-la-vie">exoplanètes</a> vient à nouveau changer notre regard sur la Terre et sur nous même… quand un artiste s’en sera emparé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/100107/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Anish Kapoor a fait Cloud Gate, un miroir en forme de haricot géant à Chicago. Les visiteurs jouent avec ses reflets. Cloud Gate met une mégapole, image du futur du monde, à leurs pieds. Magique !
Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/89614
2018-02-04T19:16:48Z
2018-02-04T19:16:48Z
Les trésors de Damien Hirst survivront-ils au marché mondial du luxe ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/204668/original/file-20180203-19937-6bmjcn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un plongeur fait une découverte étonnante…</span> <span class="attribution"><span class="source">J.M. Saussois</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Venise, 8 novembre 2017 ; les tréteaux sont en place pour l’acqua alta ; en ce jour pluvieux, la bourrasque de vent sur le parvis de la Basilica della Salute teste la qualité de mon parapluie : la toile se déchire et les baleines se plient sans résister. Il va falloir l’abandonner dans une corbeille, mais pas n’importe laquelle, celle située dans le hall d’entrée de la Punta della dogana ; un parapluie Louis Vuitton aurait peut-être mieux résisté au vent, mais entrer chez François Pinault avec un parapluie Vuitton aurait été inconvenant, même si les deux entreprises françaises vivent en bonne intelligence pour se partager le marché mondial du luxe.</p>
<p>Dans le hall, un écran attire l’œil : des plongeurs, des bonbonnes de couleur jaune sur le dos, remontent à la surface de la mer ce qui ressemble à des statues ; sur le pont d’un navire-laboratoire, des hommes et des femmes – des archéologues ? – s’affairent et nettoient avec précaution ces statues arrachées aux fonds marins. Un panneau à gauche de l’écran répond à mes interrogations ; il y a deux mille ans, au temps de l’Empire romain, un esclave, Aulus Calidius Amotan, fut affranchi par son maître vivant à Antioche ; cet esclave fit alors fortune (on ne nous dit pas comment). L’homme était, avant tout, un passionné d’art ; il se fit construire un temple dédié à ses plus belles pièces ; malheureusement le bateau qui transportait ses collections, l’<em>apistos</em>, en grec <em>koiné</em>, en anglais <em>unbelievable</em>, fit naufrage au large d’Azania.</p>
<p>En 2 000 ans, personne ne sut retrouver cette cargaison. Et puis, miracle, en 2008, l’épave fut enfin localisée par une équipe d’archéologues et les statues gisant dans ce cimetière marin furent repêchées, dans un parfait état de conservation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204669/original/file-20180203-19929-14ap4gi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204669/original/file-20180203-19929-14ap4gi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204669/original/file-20180203-19929-14ap4gi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204669/original/file-20180203-19929-14ap4gi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204669/original/file-20180203-19929-14ap4gi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204669/original/file-20180203-19929-14ap4gi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204669/original/file-20180203-19929-14ap4gi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’une des statues du trésor sous-marin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J.M. Saussois</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un trésor imaginaire</h2>
<p>Cette histoire m’intrigue. L’origine modeste de cet esclave/affranchi ressemble fort à celle de François Pinault qui a démarré dans le négoce du bois pour accumuler peu à peu une immense fortune au gré des hasards heureux croisant affaires et politique ; cette fortune, François Pinault la mobilise pour, lui aussi, commander des oeuvres aux artistes. Il est aujourd’hui à la tête d’une des plus grandes collections privées au monde. Or, derrière cette aventure en plein Océan indien, se profile l’artiste Damien Hirst, soutenu et défendu par François Pinault depuis des années. Rien de surprenant que la collection enfin retrouvée, soit abritée à la Punta della dogana et au Palazzo Grassi.</p>
<p>Dès la première salle, la statue immergée dans l’eau verte bouteille que je vois dans un immense caisson lumineux est bien là, sous mes yeux, grandeur nature ; en face il y a une réplique, comme pour montrer au visiteur, qui pourrait s’avérer incrédule, la différence entre le vrai et le faux ; sur la « vraie » statue, des coquillages et des coraux encore accrochés au marbre de la sculpture sortie des profondeurs de l’océan indien sont des indices qui ne trompent pas. La statue « fake » apparaît plus kitsch, les matériaux sont en résine, rien à voir avec le marbre de Carrare. Au gré des salles, on peut apprécier l’« œil » du collectionneur qui a su rassembler au fil des ans des centaines de pièces… : un éléphant chinois de la période Zhou (475-221 av. J.-C.), des Bouddhas du nord de l’Inde, un immense cadran solaire aztèque en pierre de quatre mètres de long et de large, un Minotaure surpris en plein viol, un crâne de cyclope, un buste égyptien (tadukheba), une coquille géante, un sphinx.</p>
<p>Si cette belle histoire prend vite l’eau, il n’y a pas pour autant matière à se révolter contre l’artiste qui cherche à leurrer l’imaginaire du visiteur crédule. Cette exposition m’a « embarqué » de mon plein gré, une manière de suspendre son incrédulité. C’est dans sa mise en énigme que cette exposition prend tout son sens.</p>
<h2>Repères brouillés</h2>
<p>D’abord il y a la cohérence surprenante entre le lieu et les statues. Immenses, elles évoquent des concrétions marines dans cet édifice qui rappelle une proue de navire et dont la charpente évoque la carène d’un bateau. Les sculptures « sauvées des eaux » semblent naturellement à leur place comme cette volumineuse (116 x 167 x 144 cm) coquille en bronze peint, placée judicieusement devant une ouverture en demi- lune qui donne sur le grand canal.</p>
<p>Ensuite, l’artiste nous fait déambuler dans les salles pour redécouvrir une mythologie qui nous est familière, prenant vie sous sous forme de sculptures exubérantes. Le Minotaure, figure de la violence sexuelle, Chronos, figure du rapport parent/enfants, dévorant sa progéniture de crainte d’être tué par elle.</p>
<p>Enfin, l’exposition provoque une perte des repères : la résine imite le bronze, le marbre imite l’os. En regardant cinq bustes de femme en marbre rose dont un seul est indiqué comme pièce originale, le visiteur est aussi amené à réfléchir sur la place de l’unique par rapport au multiple. Pourquoi cette obsession pour l’original et ce mépris pour la copie ? La crainte du faux n’est-elle pas aussi la hantise du marché du luxe ? Le faux est mis en scène et du même coup accepté un peu comme au théâtre, où l’on accepte que la neige tombe des cintres sans crier pour autant à la tromperie ou à l’usurpation.</p>
<p>L’écriture des cartels brouille aussi les repères ; des faux/vrais cartels parodient le jargon scientifique. Pour preuve, le cartel de l’œuvre <em>The warrior and the bear</em>, qui illustre aussi la connivence entre l’artiste et son mécène</p>
<blockquote>
<p>« Cette sculpture monumentale fait référence à l’Arkteia, rite d’initiation de la Grèce antique, où de jeunes Athéniennes imitaient des ours en dansant et en pratiquant des sacrifices. Cet acte de sauvagerie assumée servait à apaiser Artémis. »</p>
</blockquote>
<p>Artémis renvoie au mythe de la déesse de la chasse mais c’est aussi le nom de la holding créée en 1992 par François Pinault. Artémis est en fait l’actionnaire de contrôle de Kering, l’un des leaders mondiaux de l’habillement et des accessoires dans les secteurs du luxe, du sport et du lifestyle. Artémis détient également la maison de ventes aux enchères Christie’s ce que Damien Hirst n’ignore pas. La devise d’Artemis <em>believe, dare, act</em> semble être la sienne, artiste affranchi du monde des amateurs cultivés qui, (pas tous) se pincent le nez lors de cette exposition en parlant non pas d’art contemporain mais d’art forain.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204670/original/file-20180203-19933-245qhc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204670/original/file-20180203-19933-245qhc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204670/original/file-20180203-19933-245qhc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204670/original/file-20180203-19933-245qhc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204670/original/file-20180203-19933-245qhc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204670/original/file-20180203-19933-245qhc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204670/original/file-20180203-19933-245qhc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Harmonie entre les lieux et les objets présentés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J.M. Saussois</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le <em>bad boy</em>, en affirmant crânement sa liberté de créateur, semble dire aux visiteurs : assumez votre regard d’enfant qui sait faire la différence entre jouer pour de vrai et jouer pour de faux, ne vous prenez pas au sérieux, admirez les déesses callipyges, profitez de cette exposition pour relire les grands récits mythologiques et transmettez- les à vos enfants.</p>
<p>Mais au-delà du kitsch et de l’explosion des formes et des couleurs, l’exposition montre aussi des corps en décomposition, des corps mutilés, des nez tranchés, des tumeurs qui envahissent la moitié d’un visage, ou un couple d’esclaves attachés en attente d’exécution. Dans la dernière salle de la Punta della Dogana, deux gisantes, l’une blanche – sculpture funéraire en marbre de Carrare –, l’autre noire, simple copie en marbre noir ; au Palazzo Grassi, la dernière salle dévoile deux mains en prière.</p>
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<h2>Transgression, réaction, acceptation</h2>
<p>La visite terminée, l’incrédulité est de retour. Que veut bien nous dire Damien Hirst, qu’est-ce « que ce travail d’artiste nous fait » ? Damien Hirst n’a rien d’un artiste critique de la société capitaliste ; son travail renvoie <a href="http://journals.openedition.org/lectures/14859">au triple jeu de l’art contemporain mis en lumière par Nathalie Heinich</a> ; la transgression, la réaction (outragée ou non) du public et des critiques et enfin, ce qui est plus long, l’acceptation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204671/original/file-20180203-19929-fbygbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204671/original/file-20180203-19929-fbygbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204671/original/file-20180203-19929-fbygbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204671/original/file-20180203-19929-fbygbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204671/original/file-20180203-19929-fbygbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204671/original/file-20180203-19929-fbygbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204671/original/file-20180203-19929-fbygbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nature morte, Giorgio Morandi, 1942.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/clairity/15968340928">Flickr/Sharon Mollerus</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans sa façon de travailler, Damien Hirst est aussi très loin de la figure de l’artiste seul dans le silence de son atelier traquant, une vie durant, l’effet de la lumière sur trois bouteilles dangereusement placées sur le bord d’une étagère ; c’est un artiste qui rappelle plutôt un Rubens ayant à son service une centaine d’assistants pour répondre aux commandes de toutes les cours d’Europe ; ce projet de dix ans a certainement impliqué des centaines de personnes relevant de compétences variées (plongeurs, informaticiens, tailleurs de pierre, graphistes, maquettistes, photographes) avec un budget de plus de 60 millions d’euros.</p>
<p>Damien Hirst est non seulement à la tête d’une entreprise <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/capitalisme-un-dieu-sans-bible/">véritable nœud de contrats</a> mais c’est aussi un homme d’affaires avisé qui veut rentabiliser son investissement compte tenu des fonds engloutis : chaque statue ou objet a été « produit » à trois exemplaires et deux épreuves d’artistes, dont un exemplaire gardé par l’artiste.</p>
<p>Enfin, le lien entre industrie du luxe et industrie culturelle éclate comme une évidence. L’industrie du luxe a besoin d’événements mondains comme ce jour de vernissage, où pas moins de quatre mille personnes venant du monde entier étaient invitées, tissant un réseau social à l’échelle mondiale. Mais si le marché du luxe a besoin du marché de l’art, le marché de l’art a besoin du marché du luxe. Ce qui est bon pour François Pinault est bon pour Damien Hirst et réciproquement.</p>
<p><a href="http://www.xerficanal-economie.com/emission/Kathryn-McFarland-Luxury-Groups_2859.html">Mais le marché mondial du luxe peut un jour s’effondrer</a> – les mesures anticorruption en Chine commencent à produire leurs effets, la récession s’installe au Brésil et en Russie. Pire, les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=M6PYldkGCtg">fondamentaux du luxe</a> qui consistent à fabriquer des produits durables dont les prix ne cessent d’augmenter au nom d’une valeur éternelle, sont menacés par la technologie numérique qui prône le primat de la fonction des objets et leur obsolescence continue. L’énergie créatrice de Damien Hirst survivra- t-elle au lent enfoncement des piliers du luxe ? Seul son sphinx de bronze détient la réponse à cette énigme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89614/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
« Treasures from the wreck of the unbelievable », tel était le mystérieux titre de la dernière exposition présentée au palazzo Grassi et à la Punta della Dogana, à Venise.
Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/87461
2017-12-12T22:55:28Z
2017-12-12T22:55:28Z
« Essere vento » de Giuseppe Penone : quand l’art et la science s’entremêlent
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/198186/original/file-20171207-11347-m62uj4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Essero vento » : pour la première fois, le couple de grains de sable prend place dans l’empreinte de cette main inscrite dans un tronc fossilisé devenu minéral au fil du temps. Cette image est issue de la présentation de l’exposition « A Question of Identity » à la galerie Marian Goodman de New York City du 14 novembre 2017 au 22 décembre 2017. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.mariangoodman.com/upcoming-exhibitions">Mariangoodman.com</a>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>« Vous êtes physicien ? » me demande Giuseppe Penone lors du vernissage de son exposition au <a href="http://www.museedegrenoble.fr/1394-giuseppe_penone.htm">Musée de Grenoble en novembre 2014</a>. Un peu surpris, je réponds : « Oui, professeur de physique à l’université et chercheur en nanotechnologies. » Il me demande ensuite : « Vous pourriez sculpter un grain de sable ? »</p>
<h2><em>Essere fiume</em></h2>
<p>Je connais son œuvre <em>Essere fiume</em> (<em>Être fleuve</em>), pour avoir vu ces deux grosses pierres identiques et voisines disposées à même le sol du musée de Grenoble. L’une est issue de la rivière, et l’autre taillée à l’identique par Giuseppe Penone. Leur vision surprend, car en toute logique, deux pierres, dans la nature, ne peuvent pas être identiques. On n’a jamais vu des pierres jumelles.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/194666/original/file-20171114-26420-100mp7a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/194666/original/file-20171114-26420-100mp7a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/194666/original/file-20171114-26420-100mp7a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=813&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/194666/original/file-20171114-26420-100mp7a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=813&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/194666/original/file-20171114-26420-100mp7a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=813&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/194666/original/file-20171114-26420-100mp7a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1021&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/194666/original/file-20171114-26420-100mp7a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1021&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/194666/original/file-20171114-26420-100mp7a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1021&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Essere fiume</em> (1998) exposé au Musée de Grenoble en 2014.</span>
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<p>L’observation de ces pierres et la question de leur identité m’ont plongé au cœur de questions essentielles pour les scientifiques. En physique, l <a href="http://www.cea.fr/comprendre/Pages/physique-chimie/essentiel-sur-particules-elementaires-matiere.aspx">es particules élémentaires</a> sont dites indiscernables, les atomes et les molécules aussi. Cette indiscernabilité, rigoureuse et parfaite, fonde, dans le cadre de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Particules_indiscernables">mécanique quantique</a>, la stabilité et la densité de la matière, celle qui se trouve autour de nous, mais aussi celle dont nous sommes faits. Elle décrit aussi cette évidence brutale : les objets ne se superposent pas dans l’espace. Ils interagissent durement lors des contacts, ceux mêmes qui façonnent les pierres que reproduit Giuseppe Penone. Quand on assemble de plus en plus de molécules, on perd très vite de vue cette indiscernabilité élémentaire. Les objets sont uniques et ont alors des formes qui dépendent de leurs interactions avec le monde extérieur, de leur histoire. L’irréversibilité, la singularité s’installent avec la dimension.</p>
<h2>De <em>Essere fiume</em> à <em>Essere vento</em></h2>
<p><em>Essere fiume</em>, c’est l’évocation de l’eau des rivières qui charrie, roule, attaque les pierres et les rochers, qu’elle marque au fil du temps qui passe. Le vent, lui, soulève le sable, pas les rochers. Il fait s’entrechoquer les grains entre eux et avec le monde, ce qui les marque au fil du temps, et contribue à déterminer leur forme unique. C’est <em>Essere vento</em> (<em>Être vent</em>).</p>
<p>Avec les grains de sable, Giuseppe Penone change d’échelle : il passe des pierres aux grains. Il bascule au seuil du visible. Pour explorer le monde invisible, sous le seuil de la perception, la physique combine théorie, expérience et instruments. Il s’agit ici d’utiliser cette approche pour sculpter en deçà de la perception, pour chercher à rendre identiques deux grains à peine visibles.</p>
<h2>« Quelle taille pour les grains de sable ? »</h2>
<p>La taille des grains détermine les échelles auxquelles on doit sculpter et les instruments à utiliser. C’est donc la question cruciale. À l’<a href="http://neel.cnrs.fr/">Institut Néel</a> (CNRS et Université Grenoble Alpes), nous sommes capables de tailler la matière à l’échelle micrométrique en quelques minutes. Disons à l’échelle du centième du diamètre d’un cheveu. J’entends, je crois, Giuseppe Penone ajouter : « A la limite du perceptible, du visible. » Pour moi, c’est clair : ce sont des grains dont la taille est d’environ 100 micromètres. Ainsi en imprimerie, le point visible à la fin d’une phrase a une taille d’environ 300 micromètres. Nous devrions être capables de tailler les grains de sable à ces échelles. Enfin je crois. Comme souvent avec les expériences scientifiques, on ne peut pas complètement tout prévoir. À un moment, il faut sauter le pas et essayer.</p>
<h2>La rencontre avec les scientifiques</h2>
<p>Giuseppe Penone visite l’Institut Néel. Je crois que le courant passe avec mes collègues. Finalement pour une raison simple : Giuseppe Penone est un sculpteur. Il lui faut toujours travailler la matière en détail. Les chercheurs en physique de l’Institut Néel jouent avec les électrons de la matière pour étudier leur comportement collectif, pour comprendre et transformer le transport de l’énergie et de l’information. Le cadre quantique de ces études nécessite souvent la mise en œuvre de matériaux aux échelles micro/nano. Certains des outils qu’utilisent les techniciens et les chercheurs viennent tailler, couper, abraser la matière à ces échelles. </p>
<p>Cette rencontre entre arts et sciences est d’abord une rencontre entre un artiste, des techniciens et des chercheurs qui vont travailler ensemble à reproduire un grain de sable. Mais à l’Institut Néel, personne n’étudie les grains de sable. Il nous manque à l’évidence des spécialistes des grains de sable. <a href="https://www.3sr-grenoble.fr/spip.php?article149&lang=en">Cino Viggiani</a> est Professeur à l’Université Grenoble Alpes et directeur du laboratoire 3SR (Sols, Solides, Structures, Risques) où on étudie les grains de sable en détail, du grain unique à la multitude. Lui, et son jeune collègue <a href="https://www.3sr-grenoble.fr/spip.php?article412">Edward Ando</a>, savent s’y retrouver dans l’immense diversité des grains de sable, et aussi déterminer à l’échelle de quelques micromètres par rayons X, la forme tridimensionnelle d’un grain unique. Leur renfort est essentiel pour le succès du projet.</p>
<h2>Le problème de l’automne 2015 : un grain 1 000 fois trop petit</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/194667/original/file-20171114-26460-1js6gjc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/194667/original/file-20171114-26460-1js6gjc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/194667/original/file-20171114-26460-1js6gjc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/194667/original/file-20171114-26460-1js6gjc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/194667/original/file-20171114-26460-1js6gjc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/194667/original/file-20171114-26460-1js6gjc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/194667/original/file-20171114-26460-1js6gjc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/194667/original/file-20171114-26460-1js6gjc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Discussion sur la taille des grains de sable à Turin. Il y a un problème.</span>
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<p>Pour choisir les grains, nous utilisons un petit microscope branché sur mon ordinateur. Il permet de regarder les grains de sable en détail sur l’écran. Il faudra alors un microscope et un écran pour voir l’œuvre exposée. Dans cette situation, que regarde-t-on : les grains ou l’écran ? Cet écran… fait écran et cache les grains ! Impossible ! La solution est évidente : il faut un grain plus gros. Disons entre 1 et 3 millimètres pour être bien visible à l’œil nu. Simple et catastrophique. En volume, et c’est ce qui compte quand on vient le tailler, un grain de cette taille est 1 000 fois plus gros que le grain précédent. Tailler un grain 1 000 fois plus gros prendra un temps sinon infini en tous cas bien trop long pour que cette opération soit possible. Dans bien des recherches scientifiques, on travaille au bord de l’impossible. Ça fait partie du jeu. Quelquefois on se retrouve coincé et le doute s’installe. Il faut s’accrocher, mais un chercheur en sciences n’abandonne pas facilement. Serait-ce là un nouveau point commun avec le fonctionnement d’un artiste ?</p>
<h2>La micro-sculpture grâce aux lasers de puissance</h2>
<p>Quelle est la technique capable d’enlever de la matière, en l’occurrence de la silice à l’échelle de quelques micromètres, sur un grain de sable de taille millimétrique en un temps raisonnable, à l’endroit de notre choix ? C’est le micro-usinage. Plus particulièrement le micro-usinage laser : un faisceau de lumière laser fortement focalisée et très intense vient détruire de la matière solide à l’échelle micrométrique. Nous faisons appel à l’entreprise MUL (pour micro usinage laser) située près de Toulouse. Christophe Carrière et Mathieu Gouhaut nous accueillent. Après quelques essais, des discussions entre nous et des échanges avec Giuseppe Penone, nous apprécions plus en détail le potentiel de cette technique. Et plus nous avançons dans cette collaboration, plus nous sommes convaincus que l’on ne pourra pas recréer un grain de sable à l’identique en 3D. Mais qui le peut vraiment, quelle que soit l’échelle ? Quand on aura vu la ressemblance, on trouvera immanquablement ensuite des différences. Mais cette forme quasi-identique devrait montrer à la fois le miracle de l’identité unique et l’impossibilité de vraiment la copier. À partir de ce constat, à l’automne 2016, nous procédons à la sélection des grains et à leur taille avec ce laser de puissance qui vient creuser la matière là où le dirige Mathieu Gouhaut, pilote de la machine. On parvient alors à ce résultat : le grain taillé à côté de celui naturel, qui sont maintenant au cœur de cette œuvre.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/194668/original/file-20171114-26440-1kdhwvq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/194668/original/file-20171114-26440-1kdhwvq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/194668/original/file-20171114-26440-1kdhwvq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/194668/original/file-20171114-26440-1kdhwvq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/194668/original/file-20171114-26440-1kdhwvq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/194668/original/file-20171114-26440-1kdhwvq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/194668/original/file-20171114-26440-1kdhwvq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/194668/original/file-20171114-26440-1kdhwvq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un des premiers couples de grains qui nous a convaincu. La différence de couleur à ce stade sert de repère pour toujours savoir lequel est l’original. Quant à la forme, ils ne sont pas encore identiques. C’est visible. Mais on peut commencer à chercher les différences et ils sont déjà trop proches pour que cela soit un hasard.</span>
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</figure>
<p>Spécialistes de l’ablation laser, géomécaniciens, physicien, nous avons été les acteurs de cette partie aux côtés de Giuseppe Penone. Nous connaissons les limites de la sculpture du grain à l’échelle micrométrique. Il reste que, premiers spectateurs de cette microsculpture, nous avons été surpris et transporté par ces deux petits grains sur la table du laboratoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87461/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
« Vous êtes physicien ? » me demande Giuseppe Penone au Musée de Grenoble. Un peu surpris, je réponds : « Oui, professeur de physique. » Il me demande ensuite : « Vous pourriez sculpter un grain de sable ? »
Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/65265
2016-09-16T04:41:37Z
2016-09-16T04:41:37Z
Le « Coup de tête » d’Abdessemed et « Les Bourgeois de Calais » de Rodin : quel rapport ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/137430/original/image-20160912-19222-ce1xfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À gauche : « Coup de tête », par Adel Abdessemed, exposée à Doha (Qatar). À droit : « Les Bourgeois de Calais » d'Auguste Rodin.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Coup_de_t%C3%AAte_de_Zidane#/media/File:Zinedine_Zidane_and_Marco_Materazzi_(retouch).jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>En regardant la sculpture d’Adel Abdessemed intitulée <em>Coup de tête</em>, je suis saisi par la force que dégage cette sculpture et sans savoir exactement pourquoi je l’associe aux <em>Bourgeois de Calais</em> de Rodin. Ces deux sculptures monumentales, qui pèsent chacune leurs tonnes de bronze, n’ont pourtant rien à voir l’une avec l’autre. L’une est passée dans la postérité, éditée en douze exemplaires, visibles au Japon,en Angleterre et aux États-Unis, l’autre, le coup de tête, en fait le fameux coup de boule de Zidane, pas encore.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/137637/original/image-20160913-4980-yb0zci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137637/original/image-20160913-4980-yb0zci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137637/original/image-20160913-4980-yb0zci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=567&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137637/original/image-20160913-4980-yb0zci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=567&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137637/original/image-20160913-4980-yb0zci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=567&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137637/original/image-20160913-4980-yb0zci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=713&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137637/original/image-20160913-4980-yb0zci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=713&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137637/original/image-20160913-4980-yb0zci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=713&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Coup de tête », exemplaire exposé à Doha au Qatar.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dohastadiumplusqatar/10135347146/in/photolist-grBs3f-grCiAA-dpPj7g">Doha Stadium Plus Qatar/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Exposé en 2012 sur le parvis de Beaubourg, un exemplaire se trouve aujourd’hui au fond de la <a href="http://www.letelegramme.fr/bretagne/dinard-pinault-renonce-au-coup-de-tete-de-zidane-01-10-2014-10365397.php">propriété bretonne de François Pinault</a> et un autre exemplaire a été acheté par l’autorité des musées du Qatar en vue de la coupe du Monde de football qui se tiendra dans l’émirat en 2022. Installée sur la corniche de Doha, <a href="http://www.coureur-du-monde.org/le-qatar-gloire-au-coup-de-tete-fatal">elle sera déboulonnée</a> car la jurisprudence islamique interdit toute idolâtrie sur des lieux publics ; hier dehors, elle est aujourd’hui dans le Musée arabe d’art moderne de Doha et je fais le pari que la sculpture d’Abdessemed traversera aussi bien les siècles que celle de Rodin et sera vue aussi dans le monde entier.</p>
<h2><em>Les Bourgeois</em> finalement victorieux</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/137644/original/image-20160913-4958-nwr8sz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137644/original/image-20160913-4958-nwr8sz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137644/original/image-20160913-4958-nwr8sz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137644/original/image-20160913-4958-nwr8sz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137644/original/image-20160913-4958-nwr8sz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137644/original/image-20160913-4958-nwr8sz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137644/original/image-20160913-4958-nwr8sz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137644/original/image-20160913-4958-nwr8sz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Les Bourgeois de Calais » à Londres à Victoria’s Garden prés du Parlement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/debord/2987541954/in/photolist-5xZW93-bUtv2C-9qsgxf-fvzkwq-4xsCZ-91omem-aA3ijh-4SL2R-3ivcE4-3QDTaS-aA3iJ3-3ivcHa-4PqXXk-4SL2L-7kVJ2W-4SL2S-3izATA-g7UZ6h-bubDGY-7kVFC7-aA3j6o-7kVwQE-3izAXq-apRYAq-7kVzBo-bkCVou-8fpzAu-8X4moR-4SL2P-4SL2K-4xkAP-7kRDN8-4xmgc-4SL2Q-7kVJXq-7kVAzE-61pVUZ-7kRNXg-apPgpK-7kVyMm-7kRBWc-6ZzyHV-91xRor-8P9cNc-92Utmm-c6qxRs-c6qyHo-3izAZN-ed2TZp-3ivcBc">Véronique Debord-Lazaro/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p><a href="http://www.musee-rodin.fr/fr/collections/sculptures/monument-des-bourgeois-de-calais"><em>Les Bourgeois de Calais</em></a>, chacun le sait, fixe pour toujours la détresse des édiles humiliés qui donnent, la corde au cou, les clefs de leur ville tout en sachant qu’ils seront exécutés. Calais est sauvé par ces bourgeois qui placent le collectif au-dessus de leur destin individuel. Finalement, leur beau geste les sauvera ; le vainqueur anglais les graciera soit par charité chrétienne soit par pitié. La sculpture appelle des questions : mais pourquoi se rendre après des mois de siège victorieux, ce qui accula l’ennemi à proposer en dernier recours ce chantage ignoble ? Ces bourgeois sont-ils des résignés qui capitulent trop tôt ou sont-ils des héros qui sacrifient leur vie pour sauver leur population au bord de la famine ? Leur défaite n’est-elle pas finalement une victoire ?</p>
<p>Si Rodin répond en 1889 à une commande de la ville de Calais qui souhaite immortaliser ses édiles christiques, Adel Abdessemed s’empare d’un fait planétaire pour questionner le public quitte à le provoquer ou le mettre mal à l’aise.</p>
<h2>Mais pourquoi ? Mais pourquoi ?</h2>
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<figcaption><span class="caption">Le coup de boule de Zidane durant la finale de la coupe du monde 2006 (France – Italie).</span></figcaption>
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<p>Été 2006, finale de la coupe du monde de football entre la France et l’Italie : à quelques dizaines de minutes de la fin d’un match encore indécis, Zidane donne un coup de boule à l’arrière Marco Materrazi et l’arbitre siffle immédiatement sa sortie du terrain ; sortie qui va expliquer en partie la victoire de l’équipe d’Italie et fera perdre une équipe de France tétanisée par l’initiative incompréhensible de son meilleur joueur. Comme le déplorait en direct un commentateur sportif d’une voix étranglée : « Mais pourquoi, mais pourquoi ! ? » C’est ce « mais pourquoi » qui, me semble-t-il, sera le point de départ de l’œuvre monumentale d’Adel Abdessemed.</p>
<p>Qu’est-ce que l’artiste veut nous dire en mettant en scène cette action violente ? Le public s’interroge ; il y a plusieurs interprétations. L’insulte, somme toute courante, aurait pu être réglée plus tard, dans les vestiaires. Le coup de boule, un coup de tête de cour d’école, est une réponse violente à une insulte qui blesse une personne privée qui perd la face et non un joueur appartenant à une équipe. Victoire du tout à l’ego, symbole de notre époque où l’individu se sent invincible, seul à même de produire son jugement. C’est une lecture possible. Cette sculpture nous dit en creux que le maillot d’une équipe ne vaut pas l’honneur bafoué d’un homme.</p>
<h2>La fin du collectif ?</h2>
<p><a href="http://lelibellio.com/wp-content/uploads/2013/02/Libellio-vol.-12-n%C2%B0-2-pages-7-11-Saussois-J.-M.-2016-CR-Livre-Micro-histoire-dun-candide%E2%80%A6pdf">Régis Debray</a> y verrait comme symbole la fin de l’ère chrétienne, c’est-à-dire ce temps où l’accomplissement collectif l’emporte sur l’accomplissement personnel. Le sociologue Émile Durkheim y aurait vu la fin de la solidarité mécanique, c’est-à-dire ce temps où l’individu savait que sa vie était liée à celle des autres.</p>
<p>L’idole des stades n’est finalement qu’un homme, un homme fragile comme tout autre homme. Ignorance de l’enjeu collectif, oubli du contexte monétaire et planétaire. La sculpture arrête le temps, fige la dynamique d’une lutte corps contre corps, une affaire d’hommes. L’insulté sort-il vainqueur ou ne serait-ce pas plutôt l’insultant ? Qui domine qui ? Qui gagne, qui perd ?</p>
<h2>Des symboles ambivalents</h2>
<p>À un siècle de distance, les sculptures se répondent par l’émotion dégagée venant de l’ambivalence des interprétations possibles. Les <em>Bourgeois de Calais</em> sont certes des héros pour la ville mais ce qui ressort de la sculpture de Rodin est plutôt la défaite du vainqueur. Par la beauté des corps des vaincus, l’artiste proclame leur humanité. C’est cette proclamation qui rend l’émotion.</p>
<p>Il en va de même pour le <em>Coup de tête</em>. Cette sculpture n’est pas un monument à la gloire d’un héros, c’est plutôt la défaite d’un geste mauvais mais juste, qui va entraîner une défaite collective. C’est la façon dont s’enchevêtre le collectif et l’individuel selon chacune des périodes et aussi le regard porté par les artistes sur la fragilité humaine qui font la force de ces deux sculptures qui a priori n’ont rien à voir l’une avec l’autre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/65265/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Réflexions sur les symboles croisés portés par deux statues.
Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.