tag:theconversation.com,2011:/us/topics/seconde-guerre-mondiale-20493/articlesSeconde Guerre mondiale – The Conversation2024-03-17T15:33:22Ztag:theconversation.com,2011:article/2207422024-03-17T15:33:22Z2024-03-17T15:33:22Z« L’envers des mots » : Urbicide<p><a href="https://fr.euronews.com/2015/02/11/la-nuit-ou-dresde-fut-reduite-en-cendres">Dresde</a> et <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/en/gallery/bombing-of-warsaw">Varsovie</a> pendant la Seconde Guerre mondiale ou, plus récemment, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/guerre-en-ukraine-les-villes-meurent-elles-aussi-1787296">Marioupol</a> en Ukraine sont autant d’exemples de villes entièrement détruites lors d’un conflit armé contemporain. Nœud logistique, centre industriel et cœur du pouvoir politique, la ville est toujours un objectif militaire, théâtre et enjeu des combats.</p>
<p>Si la destruction de la ville répond à des raisons stratégiques, et ce, depuis longtemps, son anéantissement pour des raisons symboliques est devenu un véritable objet d’étude depuis la diffusion par <a href="https://geographie-ville-en-guerre.blogspot.com/2008/10/la-notion-durbicide-dimensions.html">Benedicte Tratnjek</a> de la notion d’urbicide. Pour cette géographe spécialiste de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et de Sarajevo, <a href="https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/urbicide">l’urbicide</a> renvoie à la « destruction rituelle » de la ville en tant que mode de vie pour des raisons souvent identitaires.</p>
<p>Composé de la racine latine <em>urbs</em> (la ville) et du suffixe <em>cide</em> (tuer), l’urbicide ne désigne pas la seule destruction matérielle d’une ville au cours d’un conflit mais aussi le meurtre de ce que les géographes appellent <a href="https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/urbanite">l’urbanité</a>, c’est-à-dire l’essence de l’urbain. Cette essence se définit souvent, sous la plume des géographes, par la densité (la ville est le lieu des fortes concentrations humaines) et le cosmopolitisme (la ville est le lieu où des populations aux identités plurielles se rencontrent).</p>
<p>En conséquence, mettre à bas l’urbanité revient à s’attaquer méthodiquement à ce qui permet ou symbolise le vivre-ensemble propre à l’environnement urbain. C’est dans cette optique que Tratnjek analyse la <a href="https://hal.science/medihal-00705117/">destruction de la bibliothèque de Sarajevo</a> lors du siège mené par les Serbes de 1992 à 1995. Fréquenté par toutes les communautés de la ville, ce bâtiment abritait des ouvrages provenant de toutes les populations des Balkans et symbolisait un passé commun à tous les Sarajéviens.</p>
<p>Dès lors, l’urbicide revient souvent à priver une ville de son identité de façon à anéantir tout trait d’union, tout sentiment d’appartenance commune aux populations diverses qui la composent.</p>
<p>L’urbicide est alors intimement lié à la destruction du patrimoine puisqu’il consiste souvent à « faire table rase du passé » comme le montrent les <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/carte-a-la-une-ingiusto">destructions perpétrées par Daech à Mossoul en 2015</a>. La destruction des <a href="https://www.lemonde.fr/djihad-online/article/2016/05/16/en-irak-l-etat-islamique-revendique-la-destruction-d-une-partie-des-ruines-antiques-de-ninive_4920404_4864102.html">ruines de Ninive</a> et des églises chrétiennes syriaques vise à faire disparaître les traces de l’histoire pré-islamique de la ville ainsi que son passé cosmopolite pour lui substituer une identité nouvelle fondée sur un sunnisme rigoriste.</p>
<p>Dès lors, « la mise à mort » de l’identité d’une ville, de son histoire, s’intègre souvent à des politiques d’épuration ethnique ou religieuse comme <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/carte-a-la-une-ingiusto">celles menées par Daech envers les chrétiens ou les chiites à Mossoul</a> ou <a href="https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_2006_num_83_4_2526">par les Serbes envers les musulmans en Bosnie</a>.</p>
<p>C’est pourquoi l’urbicide est souvent justifié par un discours, une <a href="https://shs.hal.science/halshs-00702685/">idéologie urbanophobe</a> qui condamne la ville en tant que telle. Assimilée au cosmopolitisme, aux identités plurielles et mouvantes, la ville se voit condamnée par tous les totalitarismes et les acteurs soucieux de diviser les territoires, de les délimiter autour d’identités qu’ils veulent pures et éternelles.</p>
<p>Dès lors, l’urbicide constitue bien un terme dont l’utilisation se diffuse de plus en plus dans les champs médiatique et politique. Il permet d’analyser les nouvelles modalités de nettoyage ethnique employées dans les régimes autoritaires. Ces États, à l’image de la Russie à Marioupol ou de la Turquie à <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/gosse-diyarbakir">Diyarbakir</a> (Kurdistan), entendent parfois effacer ainsi l’identité des peuples, des lieux et des villes qu’ils habitent afin d’annexer ou d’accroître leur contrôle sur un territoire.</p>
<p>Ensuite, le concept d’urbicide a une forte <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/lurbicide-en-ukraine-un-crime-contre-lhumanite-20220425_WOZ5QSAVB5GTFJSTR2VSW4MUSY/">résonance médiatique</a> : il permet de mobiliser, d’attirer l’attention de la communauté internationale sur des drames qui, faute de mots pour les caractériser, pourraient sombrer dans l’oubli.</p>
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<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong><a href="https://theconversation.com/fr/topics/lenvers-des-mots-127848">« L’envers des mots »</a></strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-technoference-199446"><em>« L’envers des mots » : Technoférence</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-ecocide-200604"><em>« L’envers des mots » : Écocide</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/220742/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Firode ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La notion d’urbicide ne désigne pas seulement la destruction matérielle d’une ville au cours d’un conflit mais aussi le « vivre-ensemble » qu’elle représente.Pierre Firode, Professeur agrégé de Géographie, membre du laboratoire Médiations, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2226862024-02-05T13:00:45Z2024-02-05T13:00:45ZDans « La Zone d’intérêt », une Allemagne nazie toute à sa jouissance matérielle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/573136/original/file-20240202-27-bg8v8z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=49%2C2%2C1517%2C1075&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La famille Höss vit comme si de rien n'était, alors que seul un muret sépare la maison du camp de concentration d'Auschwitz.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-266159/photos/detail/?cmediafile=21999060">Allociné</a></span></figcaption></figure><p><em>Dans la première scène de « La Zone d’intérêt » (Jonathan Glazer), adaptation du roman du même nom <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/la-zone-dinteret-9782702191378/">signé Martin Amis</a>, on découvre la baignade bucolique et joyeuse d’une famille allemande et de leurs enfants au bord d’une rivière, en plein été. Mais lorsqu’ils regagnent leur coquette maison, stupeur : elle est littéralement adossée au camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz, où moururent plus de 1,1 million de personnes, dont près d’un million de Juifs, au cours de la Seconde Guerre mondiale. La « Zone d’intérêt », c’est le terme qui désignait, dans le langage du nazisme, la zone de 40 km<sup>2</sup> qui entourait le camp d’Auschwitz, en Pologne. La famille Höss a vraiment existé, et a effectivement vécu plusieurs années à cet endroit, entre 1940 et 1944. Le père de famille, le lieutenant-colonel Rudolf Höss, fut un instrument zélé de la « solution finale ». Jugé et pendu en 1947, il n’exprima jamais le moindre remords, ni au cours de son procès, ni dans ses mémoires.</em></p>
<p><em>En montrant le quotidien de cette famille, sa vie domestique, les fêtes et le jardin fleuri, et en laissant le camp hors champ (on ne voit jamais ce qui s’y produit même si la bande-son permet de l’imaginer), Glazer opte pour un point de vue glaçant qui invite à s’interroger sur la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/arendt-la-banalite-du-mal-5131944">banalité du mal</a>, mais aussi sur notre propre capacité de déni. Nous avons rencontré Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme et auteur de <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070141937-la-loi-du-sang-penser-et-agir-en-nazi-johann-chapoutot/">« La loi du sang ; penser et agir en nazi »</a> (2020), afin qu’il nous livre son analyse de ce film dérangeant, qui a remporté le Grand Prix à Cannes, mais aussi le BAFA du meilleur film britannique et du meilleur film en langue étrangère.</em></p>
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<p><strong>Le cinéma qui s’intéresse à la Shoah semble pris entre la nécessité de réalisme (la fidélité à l’histoire telle qu’elle s’est déroulée) et celle de respecter la mémoire des victimes, sans rien montrer qui puisse porter atteinte à leur dignité, selon les préceptes proposés par Claude Lanzmann, <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/shoah-sur-france-2-un-film-memoire-de-dix-heures-de-claude-lanzmann-sur-le-genocide-des-juifs-d-europe-par-les-nazis_6313590.html">notamment à travers son documentaire <em>Shoah</em></a>. Est-ce que ce que montre Glazer – le quotidien tranquille et « ordinaire » de cette famille de nazis – permet de respecter ces impératifs ?</strong></p>
<p><strong>Johann Chapoutot</strong> : Le film est vraiment réussi : la représentation de la Shoah est un problème très délicat, bien thématisé par Claude Lanzmann qui, lui, avait fait le choix d’une caméra périphérique. Il montre des ruines, des témoins âgés. Il ne va pas au centre, il ne montre pas les fosses où on abattait les gens lors des opérations génocidaires dans les Einsatzgruppen de l’est (les unités mobiles d’extermination du III<sup>e</sup> Reich), il ne montre pas les chambres à gaz. Du point de vue des sources historiques, c’est important parce qu’on a des images (y compris filmées) des opérations de massacre à l’est, mais aucune image – à ce jour – des assassinats par asphyxie dans les chambres à gaz. Les images qui nous sont parvenues sont légèrement périphériques, faites clandestinement par les Sonderkommandos (les équipes de détenus juifs affectés à la manutention des chambres à gaz et des fours crématoires, qui étaient régulièrement assassinés). Ces images montrent les processus de crémation « sauvages » en dehors des fours, sur les rails du chemin de fer. On a aussi des images de déshabillage des victimes.</p>
<p>Du point de vue de la déontologie historique et de l’éthique humaine, le cinéma ne peut pas se référer à des images de la réalité de l’assassinat par le gaz. Glazer fait preuve de tact et d’intelligence en laissant cela hors champ. Il donne à voir et à entendre aux spectateurs ce que des gens extérieurs aux camps pouvaient percevoir à l’époque : en l’occurrence le bruit des chemins de fer, le ronflement des fours crématoires, des coups de fouet, des coups de feu, des hurlements de douleur, des aboiements, des ordres hurlés. On entend aussi la voix et le ton de Höss changer quand il passe de sa maison au camp : soudain sa voix haut-perchée et douce – que ses pairs moquaient, d’ailleurs – devient autoritaire et dangereuse. Mais on ne voit que la fumée des trains, la fumée des crématoires, et la nuit, le rougeoiement du ciel causé par le feu des crématoires.</p>
<p><strong>Le film est-il fidèle au roman de Martin Amis ?</strong></p>
<p><strong>JC</strong> : Pas du tout. Gallimard est le traducteur historique de Martin Amis, et m’avait demandé de relire le manuscrit, car ils étaient un peu dubitatifs face à ce qui est, disons-le nettement, un roman raté. Je leur ai dit que selon moi, ce n’était pas possible de traduire et de publier ce livre (il a été publié chez Calmann-Lévy, NDLR), car c’était une méditation fantasmatique sur la libido de Höss, décrit comme un violeur en série, centré sur ses pseudo-pratiques sadico-orgiaques, sans rapport avec la réalité historique. Le film n’a rien à voir avec le livre ; Glazer n’a retenu que le prétexte de la vie de famille des Höss, qui était présent chez Amis.</p>
<p><strong>Selon vous, il ne faudrait pas parler de « camps d’extermination » : pourquoi ?</strong></p>
<p><strong>JC</strong> : À la suite de <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2007/08/07/raul-hilberg-historien-du-nazisme-est-mort_942594_3382.html">Raul Hilberg</a>, le grand historien du nazisme, je refuse de parler de « camp d’extermination ». Les expressions « camp de concentration » et « camp d’extermination » correspondent à des catégories didactiques qui ont été forgées à <a href="https://www.memorialdelashoah.org/20-novembre-1945-ouverture-du-proces-de-nuremberg.html">Nuremberg</a>, sur le patron sémantique du syntagme « camp de concentration », terme effectivement utilisé par les nazis (Konzentrationlager, ou KL). Or on le voit très bien dans le film, les SS ne parlent jamais de camps d’extermination, mais de Sonderkommando (« commando spécial ») ou de Einsatzkommando (« commando d’intervention »), selon la logique d’un langage euphémisé et technico-pratique, purement organisationnel, voire entrepreneurial.</p>
<p>Pour Hilberg, il faut plutôt parler de « killing centers », de centres de mise à mort. On y vient pour être tué, on n’y « campe » pas. On arrive en train, et quelques heures plus tard, tout au plus, on est déshabillé, gazé, puis brûlé.</p>
<p>Le terme de « centre » est important aussi : tous ces lieux présentent une centralité géographique, pour le bon acheminement des victimes. Le site d’Auschwitz a été choisi pour des raisons pratiques (il y avait déjà des bâtiments en dur), mais aussi parce que c’est un nœud ferroviaire. La dimension de management logistique était déterminante. C’est la même chose dans les autres centres de mise à mort, à Sobibor, Treblinka, Majdanek, Chelmno et Bełżec. Plus encore, à l’est, il n’y a pas de structures « en dur », le massacre est local. On tue sur place, ou on achemine les victimes dans des lieux faciles d’accès, comme à Babi Yar, près de Kiev, où 33 771 Juifs sont assassinés au bord du ravin, les 29 et 30 septembre 1941. Mais ces sites restent actifs pendant des années, on continue à y tuer en masse, pour des raisons pratiques de facilité d’acheminement des victimes et de turnover des tueurs.</p>
<p><strong>La production cinématographique autour de ces événements, évidemment indispensable au devoir de mémoire, est souvent caractérisée par un certain académisme. Avec le choix du hors champ, le réalisateur de <em>La Zone d’intérêt</em> semble rompre avec des décennies d’une filmographie assez uniforme (si on excepte <em>La vie est belle</em> et <em>Le Fils de Saul</em>). Quel est selon vous l’effet potentiel de son parti pris ?</strong></p>
<p><strong>JC</strong> : Avec ce film, on rompt avec l’académisme à la Spielberg. Mais <em>La liste de Schindler</em> (1993), dans l’état des connaissances et de la mémoire à l’époque de sa sortie, reste une référence, assez fidèle à la réalité historique. Pour ma part, je rapprocherais <em>La Zone d’intérêt</em> de deux films : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=WWFbQ2NVVHY"><em>Le Fils de Saul</em></a> (2015) et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lLsnSL1_ie4"><em>La Conférence</em></a> (2022). Dans le film <em>La Conférence</em>, le cinéaste Matti Geschonnek adapte la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942, organisée par Reinhard Heydrich, numéro 2 de la SS et chef du RSHA (Reichssicherheitshauptamt, Office central de la sécurité du Reich). Au cours de cette conférence, Heydrich informe les différentes autorités ministérielles allemandes que le RSHA a, sur injonction du « Führer », décidé la mort de l’intégralité du peuple juif présent sur le sol européen.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573441/original/file-20240205-23-5jqzs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573441/original/file-20240205-23-5jqzs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573441/original/file-20240205-23-5jqzs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573441/original/file-20240205-23-5jqzs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573441/original/file-20240205-23-5jqzs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573441/original/file-20240205-23-5jqzs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573441/original/file-20240205-23-5jqzs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une image du film <em>La Conférence</em> (2022).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Allociné/Constantin films</span></span>
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<p>J’aimerais aussi citer, parmi les films qui proposent une vision décentrée des événements, <a href="https://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19374118"><em>Train de vie</em></a>, une comédie très réussie sur l’histoire d’un shtetl (communauté villageoise juive d’Europe centrale, NDLR) à l’est, qui voit arriver les nazis et décide d’organiser une fausse déportation pour sauver sa peau. On reste là aussi à l’extérieur du camp, mais c’est une pure fiction.</p>
<p><em>La Zone d’intérêt</em> et <em>La Conférence</em> sont exemplaires pour la réflexion historique, sur ce que représente la Shoah du point de vue civilisationnel. C’est aussi ce qu’on peut faire de mieux sur la représentation des criminels.</p>
<p><em>Le fils de Saul</em> quant à lui, est un chef-d’œuvre qui se situe, lui, du côté des victimes, avec la tentative de recréer un sens humain dans un univers de non-sens, au cœur du crime absolu. Ému par le visage d’un enfant mort, refusant de travailler à la chaîne et de le traiter comme une chose, comme une pièce (Stück), Saul (qui travaille dans un Sonderkommado) décide de lui donner des obsèques humaines ritualisées et cherche un rabbin pour prononcer le <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Judaisme/Le-kaddish-quest-cest-2017-07-05-1200860561">kaddish</a>. C’est aussi un film très réaliste, qui fait la jonction entre <em>La Zone d’intérêt</em> et <em>La Conférence</em> : on y voit la réification, la déshumanisation à l’œuvre, dans une logique de performance industrielle et d’obsession constante du bénéfice, de la cadence et de la rentabilité. Il faut « produire » des cadavres et de la cendre humaine en masse (utilisée ensuite comme engrais). Et ce sont des familles comme celle de Höss qui en profitent, avec deux voitures, une piscine, le chauffage central, des domestiques…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573427/original/file-20240205-17-3xi39b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573427/original/file-20240205-17-3xi39b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573427/original/file-20240205-17-3xi39b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573427/original/file-20240205-17-3xi39b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573427/original/file-20240205-17-3xi39b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573427/original/file-20240205-17-3xi39b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573427/original/file-20240205-17-3xi39b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hedwig Höss (interprétée par Sandra Hüller) dans son jardin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Allociné/Leonine</span></span>
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<p><strong>En quoi <em>La Zone d’intérêt</em> et <em>La Conférence</em> permettent-ils de mieux comprendre à la fois la mentalité des bourreaux et les rouages de la culture de l’efficacité, l’industrialisation à l’œuvre dans la mise en place de la « solution finale » ?</strong></p>
<p><strong>JC</strong> : Ce sont deux films jumeaux, sortis à quelques mois d’écart (en 2022 et 2023), ce qui dit beaucoup de l’esprit du temps, du nôtre en l’occurrence. Ils engagent la réflexion sur une organisation du travail déshumanisante qui produit des dommages psychosociaux en masse. Difficile de ne pas faire le lien avec notre époque : il y a aujourd’hui tant de personnes maltraitées, poussées à la productivité pour un travail qui n’a pas de sens à leurs yeux ou pour produire n’importe quoi… Le film permet aussi de questionner la notion de management, l’organisation d’un travail déshumanisé, ce que des philosophes allemands dans les années 1920 et 1930 appelaient « les moyens sans fin ». On calcule des moyens, mais la véritable fin (créer une société plus humaine ou un plus grand bien-être) est évacuée. C’est une rationalité qui tourne à vide.</p>
<p>Les philosophes allemands Max Horkheimer et Theodor W. Adorno ont analysé ce phénomène en 1944 dans <em>La dialectique de la raison</em> (<em>Dialektik der Aufklärung</em>), un essai écrit à la lumière du nazisme, où ils démontrent qu’il révèle une rationalité vide. La numérisation générale de notre société, qui nous place continuellement face aux machines, est une tendance lourde annoncée dès le début du XX<sup>e</sup> siècle. La Raison s’est développée au siècle des Lumières dans l’optique d’humaniser le monde, puis avec le capitalisme du XIX<sup>e</sup> siècle, elle s’est détachée de cette fin pour devenir une machine capable de tout produire et de produire n’importe quoi – pendant la Première Guerre mondiale, par exemple, c’est au nom de la raison que l’on fabrique des mitrailleuses, du gaz, des sous-marins, des canons. Le chimiste allemand <a href="https://www.cairn.info/revue-inflexions-2014-2-page-121.htm">Fritz Haber</a> reçoit le prix Nobel de chimie en 1918 pour ses travaux sur la synthèse de l’ammoniac, importante pour la fabrication d’engrais, d’explosifs et de gaz de combat. Il est en 1919 un des cofondateurs de la Degesch, entreprise qui utilise l’acide cyanhydrique pour des opérations de dératisation, et qui brevètera le Zyklon B en 1920, développé par ses collaborateurs, sur le fondement de ses travaux pionniers.</p>
<p><strong>Cette rationalité et cette obsession de la productivité s’expriment aussi à travers un vocabulaire particulier…</strong></p>
<p><strong>JC</strong> : Oui, le codage de la langue propre à notre époque numérique et les novlangues de l’entreprise néolibérale étaient largement anticipés par ces langues qui sont déjà des langues de l’entreprise. <em>La Zone d’intérêt</em> comme <em>La Conférence</em> sont à ce titre très fidèles aux sources. Unités, rendement, chiffres, mais aussi cadence, performance, rentabilité, optimisation : ces gens échangent avec le vocabulaire de l’industrie et de l’économie de service et de la révolution industrielle.</p>
<p>Höss, cadre supérieur modèle, illustre à la perfection cette vertu de la modernité économique et industrielle qui porte un nom : la « Sachlichkeit ». Dans l’Allemagne du XX<sup>e</sup> siècle, pour être contemporain des évolutions techniques, économiques, du progrès en somme, il convient de sortir du sentiment, de l’émotion, du romantisme, considérés comme des faiblesses, les nazis insistent lourdement sur l’humanitarisme coupable de leurs contemporains, sur la nécessité d’être très « pro ». Donc, il faut être « sachlich ». On pourrait traduire ce mot par « très professionnel », mais aussi « détaché », « froid », « pragmatique », « efficace ». « Die Sache », c’est la chose : une étymologie révélatrice. </p>
<p>Quand on est « sachlich », on évolue dans un univers de choses, ce qui évacue donc l’empathie. Cette vertu était indispensable dans le monde nazi. On peut souligner au passage l’ambiguïté de l’expression « ressources humaines », que nous utilisons toujours : la ressource est une matérialité chosifiée. Autrement dit, si vous êtes mon employé, et si vous ne me servez plus, vous n’êtes qu’une chose, et vous êtes évacués, « par la porte ou par la fenêtre », comme on disait chez France Télécom, ou par la cheminée du crématoire, quand la force de travail est épuisée par une exploitation qui puise l’énergie mécanique jusqu’à l’épuisement du corps.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573428/original/file-20240205-17-e9wpsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573428/original/file-20240205-17-e9wpsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573428/original/file-20240205-17-e9wpsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573428/original/file-20240205-17-e9wpsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573428/original/file-20240205-17-e9wpsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573428/original/file-20240205-17-e9wpsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573428/original/file-20240205-17-e9wpsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rudolf Höss (Chrstian Friedel), cadre supérieur modèle du IIIᵉ Reich.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Allociné/Leonine</span></span>
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<p>Mais ça n’empêche pas les nazis de <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070141937-la-loi-du-sang-penser-et-agir-en-nazi-johann-chapoutot/">distinguer les registres</a> : parallèlement à ses activités de lieutenant-colonel zélé, Höss embrasse sa jument, se montre affectueux avec sa femme et ses enfants. Pour lui, c’est parfaitement compatible, car c’est être « sachlich » que de savoir distinguer le « pro » du « perso » comme on le dit aujourd’hui. On peut être impitoyable au bureau et charmant à la maison. C’est même un impératif de développement personnel, pour être, en retour, plus productif au travail…</p>
<p>Ce qui compte par-dessus tout, pour la pensée nazie, dans cette Allemagne humiliée par la défaite de 1918, c’est bien l’action (pragmatique vient de praxis, l’action) et la performance (Leistung). L’Allemagne, qui se targue d’être la nation des poètes et des penseurs, ce dont se vantent les nazis, mais ce qu’ils tancent en même temps, doit se faire moins philosophe et plus pragmatique, et devenir une nation de managers. La SS (Schutzstaffel, une des principales organisations du régime nazi) est le lieu où cette pensée s’élabore. La SS n’est pas seulement la concentration des organes de répression et de renseignement du III<sup>e</sup> Reich, mais aussi un véritable empire économique : pas moins de 30 entreprises maison qui produisent un peu de tout… un empire qui fournit de la main-d’œuvre à toutes les entreprises allemandes et américaines qui travaillaient pour le III<sup>e</sup> Reich. </p>
<p>Les entreprises américaines ont d’ailleurs continué à travailler pour le III<sup>e</sup> Reich après 1941 (après l’entrée en guerre des États-Unis, donc). C’est le cas de Standard Oil (société de raffinage et de distribution de pétrole, aujourd’hui ExxonMobil), General Motors, à qui appartient Opel, IBM, par l’intermédiaire de sa filiale allemande Hollerith, qui équipe le système de classement préinformatique de l’office de l’économie (WVHA) de la SS, etc.</p>
<p><strong>Il est très difficile d’imaginer que l’on puisse rester à ce point insensible à la souffrance environnante, surtout quand on participe directement au processus mortifère à l’œuvre. Que sait-on des conséquences de la mise en œuvre de la « solution finale » sur la santé mentale de ses agents ? Pouvaient-ils vraiment en sortir « indemnes » ?</strong></p>
<p><strong>JC</strong> : Les nazis étaient très conscients des conséquences de ces exactions sur la psyché des agents, en termes d’ensauvagement potentiel, de dommages psychiatriques de long terme sur des gens qui ont tué et reviennent à la vie civile. Aujourd’hui, on parlerait de troubles et de stress post-traumatiques. Quels maris, quels pères feraient-ils après la guerre ?</p>
<p>Quand les nazis mentionnent leurs crimes, ils emploient des mots spécifiques : die Aufgabe (la tâche), der Auftrag (la mission), die Arbeit (le travail). C’est un travail, sachlich, là encore. L’entreprise de codage sémantique pour parler de ces exactions participe à une forme de mise à distance, et là encore, de réification des humains.</p>
<p>Cette réflexion sur les dommages potentiels sur la santé mentale des collaborateurs est menée au plus haut niveau. Heinrich Himmler lui-même (chef suprême de la SS et deuxième homme le plus puissant du Reich) s’en inquiète. C’est pour cette raison que même si on continue les tueries sur le front de l’est jusqu’en 1945, on acte le fait, pour les Juifs de l’ouest, qu’il est plus difficile de les tuer parce qu’ils ressemblent plus (sociologiquement, physiquement, culturellement…) à leurs bourreaux.</p>
<p>Les Juifs de l’est sont pauvres, ruraux, religieux et vivent dans des communautés traditionnelles : les tueurs allemands ne s’y identifient pas. Mais quand les membres des Einsatzgruppen et de la police allemande se retrouvent face à des gens en costume trois-pièces, parlant un allemand parfait et portant la Croix de fer pour leurs actes de bravoure au service de l’Allemagne ou de l’Autriche pendant la Première Guerre mondiale, c’est une autre histoire.</p>
<p>Quand les nazis prennent la décision, fin décembre 1941, de tuer tous les Juifs d’Europe occidentale, dont les Juifs allemands, on imagine l’intermédiation par le process industriel.</p>
<p>Déjà sur le front de l’est, les chefs des Einsatzgruppen ont commencé à imaginer tous les processus qui permettaient d’épargner aux tueurs le fait d’envisager leurs victimes (c’est-à-dire, littéralement, le fait de voir leur visage).</p>
<p>On demande alors aux victimes de s’allonger face contre terre. Friedrich Jeckeln, chef de la police en « Russie-Sud » (HSSPF Russlande-Süd) a mis au point la technique de la « boite de sardines », qui permet en outre d’optimiser le massacre en évitant de creuser trop de fosses, donc de perdre trop de temps, d’énergie et d’essence. Il s’agissait d’entasser les cadavres, en demandant aux victimes de s’allonger en rang, face contre la rangée de personnes qui venait d’être abattues…</p>
<p><strong>L’image très lisse, les plans très soignés, les couleurs parfois saturées et les nombreuses scènes de vie domestique font appel à un imaginaire qui renvoie à des périodes ultérieures, aux publicités américaines des années 1950, voire au « confort moderne » tel qu’il fut célébré dans les Trente Glorieuses, mais aussi à notre monde contemporain obsédé par la consommation et la technologie…</strong></p>
<p><strong>JC</strong> : Le projet nazi est un projet de prospérité et de jouissance matérielle. Après les affres de la <a href="https://sites.ina.fr/images-de-crises/focus/chapitre/1/medias">Grande dépression</a>, une période de misère matérielle et morale, émerge la promesse d’une société de consommation. On va motoriser Allemagne avec Volkswagen (littéralement, la voiture du peuple). Tout le monde jouira matériellement d’une consommation qui sera gagée sur la spoliation interne et la prédation externe. Le pillage de l’Europe est organisé, avec la main-d’œuvre de l’ouest et les esclaves de l’est.</p>
<p>Reinhard Heydrich, avant la Conférence de Wannsee, fait un grand discours, quand il est affecté comme Reichsprotektor du protectorat de Bohème-Moravie. Il déclare qu’il s’agit de transformer les Européens en ilotes (dans la Grèce antique, les Hilotes ou Ilotes sont une population autochtone de Laconie et de Messénie asservie aux Spartiates, qu’ils font vivre en assurant leur approvisionnement agricole, NDLR).</p>
<p>Dans le film, on voit très bien les effets de cette jouissance matérielle chez les Höss. En témoigne l’émerveillement de la mère d’Hedwig (l’épouse de Rudolf Höss), quand elle découvre le niveau de vie de sa fille. L’historien allemand Frank Bajohr, qui travaille sur la corruption dans le III<sup>e</sup> Reich, a bien montré que l’économie nazie était une économie de la corruption permanente. Dans le film, on voit d’ailleurs Höss compter et classer des devises étrangères, volées aux Juifs qui ont péri juste à côté. </p>
<p>De la même manière, on voit Hedwig Höss se réjouir de la livraison de cosmétiques et de fourrures issus du « Canada », le centre de tri des biens volés aux victimes de l’extermination. La correspondance des époux Himmler, éditée il y a quelques années, montre l’omniprésence de cette économie de la spoliation. Mme Himmler demande à son époux, toujours en déplacement, de lui envoyer par colis des denrées, vêtements et biens de consommation divers. Toute une économie du paquet et de la livraison à domicile.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573429/original/file-20240205-21-fnj4cd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573429/original/file-20240205-21-fnj4cd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573429/original/file-20240205-21-fnj4cd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573429/original/file-20240205-21-fnj4cd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573429/original/file-20240205-21-fnj4cd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573429/original/file-20240205-21-fnj4cd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573429/original/file-20240205-21-fnj4cd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hedwig Höss (Sandra Hüller) s’enferme dans sa chambre pour essayer un manteau de fourrure volé à une femme juive tuée dans les chambres à gaz.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Allociné/Leonine</span></span>
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<p><strong>On ne le remarque pas forcément si on ne le sait pas, mais pour filmer à l’intérieur de la maison des Höss, Glazer a installé des caméras et des micros cachés. Les comédiens improvisaient en partie et ne savaient donc pas d’où ils étaient regardés ou écoutés. Quel est selon vous l’intérêt de ce dispositif dans lequel le réalisateur et la technique se font oublier ?</strong></p>
<p><strong>JC</strong> : Par ce dispositif, Glazer nous fait rentrer visuellement dans l’hypermodernité médiatique et nous invite à réfléchir à notre rapport à la technique. En employant ce procédé issu de la téléréalité, il suggère subtilement que nous sommes contemporains de ce que nous voyons, et que nous sommes aussi les héritiers directs de cette prédation et de ces crimes, que nous perpétuons sous d’autres formes. Il crée une proximité et une intimité très gênantes avec cette famille. Car, oui, au fond, on a affaire à des gens qui sont largement semblables à ce que nous sommes. Il suffit de voir Hedwig Höss en train de déballer ses paquets, essayer des produits de beauté, des vêtements (tous volés à des victimes juives envoyées à la mort, bien sûr). Quand on la voit se réjouir de ce déballage, on ne peut s’empêcher de penser au capitalisme de la livraison dans lequel nous vivons, à tous ces colis en circulation à chaque instant.</p>
<p>Plus généralement, cette vie de cadre supérieur, avec deux voitures, une insouciance matérielle gagée sur l’exploitation, le vol et la mort sont un résumé saisissant de l’histoire du nazisme, elle-même révélatrice d’une histoire européenne et occidentale qui a assis sa prospérité sur la colonisation et la dévastation du monde (on voit bien, dans le film, que le projet nazi est un projet colonial et que les Höss attendent, pour la fin de la guerre, leur vaste domaine et leurs esclaves), ainsi que sur l’exploitation d’une énergie humaine réifiée, dont le lieu concentrationnaire (plus que le centre de mise à mort) apparaît comme l’entéléchie, et au fond, la vérité ultime.</p>
<hr>
<p><em>Propos recueillis par Sonia Zannad.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222686/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Johann Chapoutot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme, nous livre son analyse de ce film dérangeant de Jonathan Glazer.Johann Chapoutot, Historien, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2221402024-01-29T16:59:28Z2024-01-29T16:59:28ZAtmosphère politique aux États-Unis : voici ce qu’on peut apprendre de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres<p>« Ce sera la fin de la démocratie. » Telle est la réponse cinglante que le sénateur américain Bernie <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2024/jan/13/end-of-democracy-bernie-sanders-on-if-trump-wins-and-how-to-stop-him">a servi au <em>Guardian</em> qui lui demandait ce qui se passerait</a> en cas de victoire électorale de Donald Trump en 2025.</p>
<p><em>Le professeur David Dyzenhaus livrera ses réflexions sur la politique et l’état de droit lors d’un entretien avec Scott White, rédacteur en chef de La Conversation Canada. <a href="https://go.b2b-2go.com/fr/crsh2024/user/nouveau/adresse-courriel/">Cliquez ici</a> pour vous inscrire gratuitement à l’événement.</em></p>
<p>Notre défi, a-t-il expliqué, « sera de démontrer au peuple qu’un gouvernement démocratique peut répondre à leurs besoins essentiels. Si nous y parvenons, nous vaincrons Trump. Si nous échouons, alors ce sera la République de Weimar ».</p>
<p>Bernie Sanders fait allusion aux dernières années de la première expérience démocratique de l’Allemagne qui a vu la montée en puissance du futur dictateur dans un climat d’extrême polarisation politique et de grogne sociale.</p>
<p>Si ce rapprochement est juste pour la plupart des démocraties occidentales, le sénateur se trompe sur un point : les États-Unis sont déjà bien engagés dans ce qui ressemble au crépuscule de la République de Weimar.</p>
<p>En tant <a href="https://www.law.utoronto.ca/faculty-staff/full-time-faculty/david-dyzenhaus">que spécialiste du droit, en particulier de l’État de droit</a>, j’étudie la nature du droit et sa relation avec le politique. <a href="https://academic.oup.com/book/2553?login=false">Auteur d’un ouvrage sur ces questions dans l’Allemagne préhitlérienne</a>, je suis d’avis que cette période éclaire de manière pertinente ce qui se passe aux États-Unis et dans d’autres démocraties occidentales (y compris au <a href="https://www.law.utoronto.ca/news/demise-rule-law-in-canada-professor-david-dyzenhaus-lawyers-daily">Canada</a>).</p>
<h2>Polarisation dans l’entre-deux-guerres</h2>
<p>Naturellement, il y a quelques différences importantes.</p>
<p>En Allemagne, la principale ligne de fracture de la polarisation politique opposait l’extrême droite, dominée par le parti nazi, et une extrême gauche communiste. Or, ces deux partis se sont présentés aux élections dans l’intention expresse de détruire la démocratie.</p>
<p>Aux États-Unis, la principale ligne de faille oppose les démocrates et les groupes d’extrême droite qui dominent le parti républicain de Trump.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/571267/original/file-20240124-17-ghk9c5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme et un homme lisent une affiche collée sur un poteau" src="https://images.theconversation.com/files/571267/original/file-20240124-17-ghk9c5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571267/original/file-20240124-17-ghk9c5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=482&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571267/original/file-20240124-17-ghk9c5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=482&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571267/original/file-20240124-17-ghk9c5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=482&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571267/original/file-20240124-17-ghk9c5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=606&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571267/original/file-20240124-17-ghk9c5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=606&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571267/original/file-20240124-17-ghk9c5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=606&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des Berlinois lisant le décret sur les pouvoirs d’exception de 1932.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Lorsque Hitler arrache tous les leviers du pouvoir, la <a href="https://www.bundestag.de/fr/parlement/histoire/weimar-200700">République de Weimar</a> n’existait que depuis 14 ans. Et un article de sa constitution, le 48<sup>e</sup>, qui permettait au président de contourner le parlement en situation d’urgence, lui a ouvert un véritable boulevard.</p>
<h2>La résilience de la Constitution américaine</h2>
<p>En revanche, la Constitution américaine date de 1789, ce qui en fait la constitution la plus ancienne de la plus vieille démocratie moderne. Elle a montré sa résilience le 6 janvier 2021 lorsque Trump et ses partisans, refusant leur défaite contre Joe Biden aux élections de 2020, ont échoué dans leur tentative de prendre le pouvoir par la force.</p>
<p><a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2018/628309/EPRS_BRI(2018)628309_FR.pdf">Konrad Adenauer</a>, premier président de l’Allemagne de l’Ouest dans l’après-guerre, a dit un jour que le problème de Weimar n’avait pas été sa constitution, mais les rangs éclaircis des véritables partisans de la démocratie parmi les politiciens, les juges, les avocats et d’autres figures d’autorité susceptibles de la défendre.</p>
<p>Et en effet, en 2021, lors de la tentative d’insurrection trumpiste, c’est bien la foi démocratique d’une poignée de personnages qui s’est effectivement interposée et qui a permis l’entrée en fonction de Biden. Les juges nommés par les républicains ont rejeté les tentatives de Trump de contester certaines élections ; les responsables électoraux républicains qui ont résisté aux pressions exercées pour truquer les votes dans leurs circonscriptions ; et le vice-président Mike Pence, même s’il a <a href="https://nymag.com/intelligencer/2021/09/dan-quayle-convinced-mike-pence-to-reject-trumps-coup.html">vacillé jusqu’à la dernière minute</a>, a finalement refusé de jouer le jeu de la sédition.</p>
<p>Mais l’analogie entre la République de Weimar et les États-Unis demeure valide parce que c’est exactement ainsi que les démocrates allemands ont su résister jusqu’à la fin de l’année 1932.</p>
<p>Dans des situations extrêmes, le rôle des avocats et des tribunaux peut donc être crucial.</p>
<h2>Un coup d’État annonciateur</h2>
<p>En 1932, le gouvernement fédéral allemand — dominé par des aristocrates de droite — a utilisé les pouvoirs d’urgence prévus par l’article 48 de la constitution pour remplacer le gouvernement de l’État libre de Prusse, l’un des 39 Länder de la fédération allemande.</p>
<p>Ce faisant, <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/abs/legal-theory-in-the-collapse-of-weimar-contemporary-lessons/5B0A1534B72EB5BBA186C523F7836412">ce coup d’État légal</a> a effectivement anéanti le principal bastion de résistance démocratique aux forces d’extrême droite de l’époque.</p>
<p>Au lieu de livrer une résistance armée qu’il ne pouvait pas gagner, estimait-on, ce gouvernement prussien de tendance a plutôt opté pour la contestation juridique. Or, la constitution de la République de Weimar avait justement créé une cour spéciale, la Staatsgerichtshof, ayant justement pour vocation de résoudre les litiges constitutionnels entre le niveau fédéral et les 39 Länder fédérés.</p>
<p>Après avoir entendu les arguments oraux entre le 10 et le 17 octobre 1932, le tribunal s’est arrangé pour confirmer le décret dans un jugement rendu le 25 octobre.</p>
<p><a href="https://aeon.co/essays/carl-schmitts-legal-theory-legitimises-the-rule-of-the-strongman">Cette décision juridique est considérée comme un point tournant vers la prise de pouvoir d’Hitler en 1933</a>, qui s’est alors placé au-dessus des lois en s’érigeant lui-même comme l’ultime autorité légale.</p>
<h2>Un juriste nazi toujours admiré</h2>
<p>Parmi les juristes éminents qui se sont opposés dans ce débat, il faut mentionner la figure <a href="https://www.jstor.org/stable/23735189">Carl Schmitt</a>, théoricien fasciste du droit qui représentait le gouvernement fédéral dans l’affaire de la Prusse avant de joindre le parti nazi après 1933.</p>
<p>Tout au long de sa carrière, Schmitt a résolument utilisé l’argumentaire juridique pour saper les bases de la démocratie. De nos jours, à l’instar de plusieurs autres grandes figures conservatrices de la République de Weimar, Schmitt est un <a href="https://www.nybooks.com/online/2020/01/15/william-barr-the-carl-schmitt-of-our-time/">maître à penser</a> parmi la coterie d’avocats d’extrême droite qui ont téléguidé la tentative de coup d’État de Trump en janvier 2021.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/571266/original/file-20240124-29-wxuqg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme figure sur la couverture d’une ancienne revue académique" src="https://images.theconversation.com/files/571266/original/file-20240124-29-wxuqg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571266/original/file-20240124-29-wxuqg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=779&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571266/original/file-20240124-29-wxuqg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=779&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571266/original/file-20240124-29-wxuqg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=779&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571266/original/file-20240124-29-wxuqg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=979&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571266/original/file-20240124-29-wxuqg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=979&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571266/original/file-20240124-29-wxuqg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=979&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’avocat Carl Schmitt en une de la revue Der Wirtschafts-Ring (L’Anneau économique) en 1934.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La Cour suprême des États-Unis doit bientôt se prononcer sur <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20231223-la-cour-supr%C3%AAme-des-%C3%A9tats-unis-refuse-de-trancher-en-urgence-sur-l-immunit%C3%A9-pr%C3%A9sidentielle-de-trump">plusieurs affaires</a> impliquant Donald Trump contre l’état de droit. L’enjeu ne se conjugue pas qu’au passé : l’ex-président a laissé entendre que, s’il était réélu, il pourrait utiliser la <a href="https://www.telos-eu.com/fr/le-crepuscule-de-la-democratie-americaine.html">Loi sur l’insurrection</a> pour réprimer toute manifestation politique.</p>
<p>Les décisions de la Cour suprême sur les affaires impliquant l’autorité légale de Trump pourraient donc avoir des conséquences aussi importantes pour l’avenir de la démocratie américaine que celle de la Staatsgerichtshof en 1932.</p>
<p>Or, la majorité de juges de la Cour suprême est constituée de conservateurs tels Clarence Thomas. Et <a href="https://www.letemps.ch/monde/ameriques/femme-dun-juge-cour-supreme-coeur-dun-scandale-aux-etatsunis">l’épouse de ce dernier a même joué un rôle dans la tentative de Donald Trump pour renverser sa défaite électorale</a>. Un bien mauvais présage pour la démocratie et l’État de droit aux États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222140/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Dyzenhaus reçoit un financement du CRSH pour des projets de recherche connexes.</span></em></p>Dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, la montée au pouvoir d’Adolf Hitler a été facilitée par les tribunaux et les avocats. Une situation similaire existe aujourd’hui aux États-Unis.David Dyzenhaus, Professor of Law and Philosophy, University of TorontoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2189522024-01-24T15:46:11Z2024-01-24T15:46:11ZSur la piste des 86, mémoires d’un crime nazi (3/5) : « L’étrange matricule 107969 et la quête d’un journaliste allemand »<p><em><a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-2-217294">Épisode précédent :</a> Ce 1<sup>er</sup> décembre 2021, tandis que se termine le discours de Georges Yoram Federmann, l’activiste strasbourgeois qui n’a cessé de lutter pour honorer les 86, un petit groupe d’étudiants, profitant d’une pause dans leur cours magistral pour fumer une cigarette, se rassemble sous l’auvent. Le président de la cérémonie les interpelle : « Qui parmi vous connaît Menachem Taffel ? »</em></p>
<hr>
<h2>Épisode 3 : « L’étrange matricule 107969 et la quête d’un journaliste allemand »</h2>
<p>C’est dans un village de Galicie, en actuelle Pologne, que naît Menachem Taffel, le 21 juillet 1900. Après la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/premiere-guerre-mondiale-25897">Première Guerre mondiale</a>, le jeune homme arrive à Berlin, où il devient commerçant indépendant. Il épouse Klara Schenkel, dont il aura une fille, Ester, née le 31 mai 1928. En 1938, le durcissement des lois antijuives contraint la famille à emménager chez les parents de Klara Schenkel, qui seront déportés quatre ans plus tard, en avril 1942.</p>
<p>Le 12 mars 1943, le 36<sup>e</sup> convoi quitte Berlin pour <a href="https://theconversation.com/heidegger-theoricien-et-acteur-de-lextermination-des-juifs-86334">Auschwitz</a>, emportant Menachem, Klara et Ester. La mère et sa fille de 15 ans sont exécutées dans les chambres à gaz dès leur arrivée, le 13 mars 1944. Menachem est quant à lui enregistré sous le numéro matricule 107969 et forcé à travailler au camp de concentration. En juin 1943, il est sélectionné par deux anthropologues nazis, <a href="https://www.cairn.info/le-camp-de-natzweiler-struthof--9782020956338-page-311.htm">Bruno Beger et Hans Fleischhacker</a> puis déporté au camp de Natzweiler-Struthof où il sera gazé, avec 85 autres femmes et hommes juifs qu’il ne connaît pas. Il avait 43 ans.</p>
<h2>Des « noms derrière les numéros »</h2>
<p>« En hébreu, Menachem (מְנַחֵם), signifie le consolateur », m’apprend Georges Yoram Federmann un jour où nous parlons de Menachem Taffel, avant d’ajouter :</p>
<blockquote>
<p>« Je me suis souvent demandé : qu’est-ce qu’il venait consoler ? Qu’est-ce que sa naissance devait réparer ? »</p>
</blockquote>
<p>Ce jour de 2021 où je me rends chez lui, Georges égrène les patronymes de celles et ceux qui ont perdu leur vie et leur identité à l’été 1943.</p>
<p>Il me raconte les destinées tragiques de Menachem Taffel, d’Alice Simon, née en Prusse en 1887, d’Ester Eskenazi, née à Thessalonique en 1924. Ou encore de Jean Kotz, arrêté en janvier 1943 à Paris où il est né, pour ne pas avoir porté l’étoile de David.</p>
<p>Ces noms, il les connaît grâce <a href="https://www.die-namen-der-nummern.de/index.php/fr/">à un homme qui a consacré sa vie à retrouver l’identité et le nom des disparus</a> : Hans-Joachim Lang.</p>
<h2>Un journaliste allemand intrépide</h2>
<p>C’est au milieu des années 1980, alors qu’il est journaliste pour la presse allemande locale, qu’<a href="https://laviedesidees.fr/Du-crime-a-l-enquete">Hans-Joachim Lang</a> entend parler d’August Hirt et de son projet de collection anatomique juive. À l’exception de Menachem Taffel, identifié par <a href="https://phdn.org/archives/holocaust-history.org/klarsfeld/Struthof/T001.shtml">Serge Klarsfeld</a> à partir d’une photographie de l’autopsie rendant visible son numéro-matricule, toutes les victimes sont encore anonymes. Cette lacune, ce trou de mémoire, n’a plus jamais laissé Hans-Joachim Lang en paix.</p>
<p>Lui qui est né en 1951 à Spire, en République fédérale d’Allemagne, se raconte peu. Son récit biographique, que je tente de recueillir au printemps 2022, est pudique et débute presque toujours au même moment : celui de sa rencontre avec ce crime et ses victimes, au milieu des années 1980. Depuis lors, exhumer le nom de ces victimes est devenu pour lui un défi personnel et un impératif moral.</p>
<p>Hans-Joachim Lang débute son enquête dans les années 1990. Formé aux sciences politiques et à l’anthropologie, il n’a aucune expérience des recherches en archives et apprend sur le tas, en dépouillant obstinément les fonds d’archives du monde entier à la recherche d’une trace de ces hommes et femmes assassinés un demi-siècle plus tôt.</p>
<p>Durant plus de dix années, son enquête est jalonnée de péripéties, d’espoirs déçus et de pistes infructueuses, jusqu’à parvenir à retrouver, dans les archives du Mémorial de l’Holocauste à Washington, une copie de la liste de numéros matricules tatoués sur les corps des victimes.</p>
<p>Devant le caractère suspect des cadavres, ces matricules avaient été relevés par Henri Henrypierre en 1943, et la liste versée au dossier judiciaire du procès du Struthof.</p>
<p>Ce feuillet fragile répertoriant des numéros indéchiffrables ne quitte plus Hans-Joachim Lang.</p>
<p>Partout où il va, il porte avec lui une copie de ce document dans l’espoir de faire parler les chiffres, pour tenter de restituer l’épaisseur des vies humaines qu’ils abolissent.</p>
<p>Le 21 septembre 2003, dans le cadre d’un colloque intitulé « Strasbourg 1943. L’horreur de la médecine nazie » organisé par le cercle Taffel à Strasbourg, Hans-Joachim Lang dévoile publiquement pour la première fois le fruit de ses recherches. À voix haute, il énonce les noms des 86 victimes juives du professeur Hirt. Un membre du cercle présent à cette occasion se souvient avec émotion :</p>
<blockquote>
<p>« C’était un moment poignant. Il a récité les noms, un peu comme une prière. On pouvait enfin nommer ces gens, on pouvait dire ce qui s’était passé. Et ça leur rendait un peu de leurs vies ».</p>
</blockquote>
<h2>Le nom comme « lieu de mémoire »</h2>
<p>La révélation des noms des 86 victimes ouvre une nouvelle étape dans la <a href="https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1989_num_19_63_5570">mémorialisation de ce crime</a>. Elle rend possible le souvenir de ces personnes assassinées, et marque leur intégration progressive dans les pratiques mémorielles locales à partir du milieu des années 2000, au sein de la communauté juive notamment.</p>
<p>Dans l’écriture de l’histoire de la Shoah, mais aussi dans les commémorations liées au génocide, le nom propre a acquis une importance cruciale pour contrer l’idée d’annihilation de l’autre. Dès 1953, lorsque le Parlement israélien décide la construction d’un mémorial en hommage aux victimes juives de la Shoah (<a href="https://www.yadvashem.org/fr.html">Yad Vashem</a>, qui signifie « un monument et un nom »), le nom s’impose comme une balise centrale :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis sa création, Yad Vashem s’efforce de recueillir les noms des six millions de Juifs assassinés pendant la Shoah – l’une de ses missions centrales. »</p>
</blockquote>
<p>Imprimé <a href="https://klarsfeld-ffdjf.org/produit/2012-le-memorial/">dans des livres</a>, gravé dans la pierre, <a href="https://www.memorialdelashoah.org/yom-hashoah-2023.html">récité lors de cérémonies</a>, le nom des disparus devient un « lieu de mémoire » universel, support principal du « devoir de mémoire ».</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/562740/original/file-20231130-23-vvfy39.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Inauguré en 2005, le Mur des noms est un dispositif du Mémorial de la Shoah à Paris. Il regroupe les noms des 75 568 Juifs déportés de France, dont 11 400 enfants" src="https://images.theconversation.com/files/562740/original/file-20231130-23-vvfy39.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/562740/original/file-20231130-23-vvfy39.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/562740/original/file-20231130-23-vvfy39.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/562740/original/file-20231130-23-vvfy39.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/562740/original/file-20231130-23-vvfy39.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/562740/original/file-20231130-23-vvfy39.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/562740/original/file-20231130-23-vvfy39.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Inauguré en 2005, le Mur des noms est un dispositif du Mémorial de la Shoah à Paris. Il regroupe les noms des 75 568 Juifs déportés de France, dont 11 400 enfants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.paris.fr/pages/le-mur-des-noms-une-memoire-vivante-des-victimes-de-la-shoah-7442">Mairie de Paris</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un « réveil mémoriel »</h2>
<p>À Strasbourg, la révélation des noms des 86 victimes produit un <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2007-3-page-475.htm">« réveil mémoriel »</a> qui se traduit notamment par l’inauguration de deux dispositifs, destinés à reconnaître et fixer spatialement le souvenir.</p>
<p>Le 11 décembre 2005, au cours d’une cérémonie organisée par le Consistoire israélite du Bas-Rhin, une nouvelle stèle comportant les 86 noms est dévoilée au cimetière juif de Cronenbourg (Strasbourg), sur la fosse commune où ont été inhumés les restes des victimes – une partie de ces restes, initialement enterrés dans un autre cimetière furent transférés là en 1951, à l’initiative du Grand Rabbin d’alors.</p>
<p>Au même moment, à l’Université, une plaque est inaugurée à l’entrée de l’Institut d’anatomie, rappelant les crimes commis entre ces murs. Longtemps opposée à cette initiative, l’Université se range finalement aux demandes associatives, devant « l’évolution des mentalités collectives » et l’émergence de <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_sciences_morphologiques_m%C3%A9dicales.html?id=3DEgAQAAMAAJ&redir_esc=y">« la notion de devoir de mémoire »</a>, suivant les mots de Jean-Marie le Minor, professeur d’anatomie à l’Université de Strasbourg. Le texte suggéré par le cercle Taffel ne sera pas retenu et si ses membres saluent l’action de l’Université, ils sont nombreux à regretter l’absence des noms des victimes sur la plaque.</p>
<h2>Des vivants derrière les morts</h2>
<p>Les noms retrouvés, le travail inlassable d’Hans-Joachim Lang se poursuit pour déjouer le projet des bourreaux. Dans l’idéologie nationale-socialiste, la destruction des Juifs d’Europe est pensée comme un processus total. À la « Solution finale », politique d’extermination systématique décidée par les dirigeants nazis en 1942, s’ajoute <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-de-la-shoah-2022-1-page-7.htm">« l’effacement des traces mêmes de cet anéantissement »</a>.</p>
<p>Ainsi des corps des victimes de la Shoah : absents, détruits, brûlés ou morcelés, à l’instar des 86 dépouilles. Ce traitement post-mortem répondait à la volonté des criminels d’échapper aux poursuites judiciaires mais aussi de nier ce que furent ces corps : des personnes vivantes.</p>
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<p>Au-delà des identités nominatives, Hans-Joachim Lang se donne pour mission d’arracher ces personnes à l’oubli ou à l’anonymat propre à la mort de masse qui les réifie dans une comptabilité funèbre difficilement concevable.</p>
<p>Comment se représenter 6 millions de personnes assassinées ? Pour rendre la Shoah sensible, le <a href="https://www.die-namen-der-nummern.de/index.php/fr/">journaliste et historien</a> s’attelle à reconstituer les destins singuliers des « 86 ».</p>
<blockquote>
<p>« Ils sont nés dans différents pays européens, ont eu une enfance pacifique et avaient un bel avenir devant eux. Beaucoup d’entre eux étaient fraîchement mariés, quelques-uns avaient des enfants, tous vivaient pleinement ».</p>
</blockquote>
<p>Sous sa plume, des mondes engloutis refont surface. Avant d’être les victimes du terrible projet d’August Hirt, ces 86 hommes et femmes furent des fils et des filles, des époux et des mères, ils connurent des joies, des chagrins et des espoirs.</p>
<p>Les noms enfin connus, Hans-Joachim Lang se met en quête de leurs histoires pour retracer leurs existences. C’est ainsi qu’à partir du début des années 2000, il se lance à la recherche de leurs descendants, partout dans le monde. Comment peut-il les retrouver ?</p>
<hr>
<h2>Accédez aux épisodes suivants :</h2>
<blockquote>
<p><strong>Épisode 4/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-4-220694">« 2015 : L’affaire des restes découverts à Strasbourg »</a></p>
<p><strong>Épisode 5/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-5-220900"> Notre histoire ?</a></p>
</blockquote>
<h2>Accédez aux épisodes précédents :</h2>
<blockquote>
<p><strong>Épisode 1/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-15-une-sinistre-decouverte-216667">« Une sinistre découverte »</a></p>
<p><strong>Épisode 2/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-2-217294">« Zakhor : Souviens-toi ! »</a></p>
</blockquote>
<hr><img src="https://counter.theconversation.com/content/218952/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeanne Teboul a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche et du CIERA pour la conduite de cette recherche. Elle participe en outre à un groupe de travail sur la mémoire de la Reichsuniversität Strasbourg. Projet ANR N°-23-CE27-0015-01 Faire siens les morts incertains. Matérialités, identités et affects dans le traitement des restes humains problématiques en contextes post-violences.</span></em></p>Ce 1er décembre 2021, Georges Yoram Federmann, l'activiste strasbourgeois qui n'a cessé de lutter pour honorer les 86, interpelle: « Qui parmi vous connaît Menachem Taffel ? »Jeanne Teboul, Anthropologue, Maîtresse de conférences à l'Université de Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166672024-01-24T15:45:59Z2024-01-24T15:45:59ZSur la piste des 86, mémoires d’un crime nazi (1/5) : « Une sinistre découverte »<p><em>Pendant plus de 70 ans, des particuliers, associations, chercheurs, militants, journalistes, médecins et anonymes se sont battus pour rendre leur identité et leur dignité à 86 personnes juives. Gazées, leurs corps avaient été morcelés pour constituer une collection anatomique imaginée par des scientifiques nazis. Cet épisode, survenu en Alsace en 1943 est longtemps resté ignoré de la mémoire collective. Je m’appelle Jeanne Teboul, je suis anthropologue et j’ai enquêté sur celles et ceux qui ont mené ce combat contre l’oubli. Dans ce récit inédit, je reviens sur les détails de cette histoire tragique, et retrace la mémorialisation complexe de ce crime dans la société alsacienne contemporaine.</em></p>
<p><em><strong>Avertissement : certains témoignages, particulièrement insoutenables, peuvent heurter la sensibilité des lecteurs et des lectrices.</strong></em></p>
<h2>Épisode 1 : Une sinistre découverte</h2>
<blockquote>
<p>En décembre 1944, les troupes alliées qui libèrent l’Alsace découvrent à l’Université de Strasbourg des cadavres morcelés, probables pièces à conviction d’un crime de guerre nazi. La justice militaire française ouvre une enquête : d’où viennent ces corps ? Qui étaient ces victimes ?</p>
</blockquote>
<hr>
<p>Strasbourg. 1<sup>er</sup> décembre 1944. La deuxième division blindée du général Leclerc pénètre dans l’enceinte de l’Hôpital civil de la ville, tout juste libérée ce 23 novembre.</p>
<p>Le commandant Gabriel Raphel se dirige vers l’Institut d’anatomie de l’Université. Henri Henrypierre, un préparateur en anatomie employé de l’Institut, aurait affirmé au bureau militaire du général Leclerc avoir reçu, en août 1943, des cadavres encore tièdes, les yeux grands ouverts. Selon lui, ces personnes <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1946/12/20/deposition-horrifiante-d-un-ancien-preparateur-a-l-academie-de-medecine-de-strasbourg_1870323_1819218.html">« avaient été gazées »</a>.</p>
<p>Vertige. Dans les caves de l’Institut, Gabriel Raphel découvre une quantité indéfinie de corps et fragments de corps immergés dans l’alcool. Certains portent d’énigmatiques séries de chiffres tatouées sur les avant-bras : 107969, 106569, 42329, 119801…</p>
<hr>
<p></p><div style="position: relative; width: 100%; height: 0; padding-top: 56.2500%; padding-bottom: 0; box-shadow: 02px 8px 0 rgba(63,69,81,0.16); margin-top: 1.6em; margin-bottom: 0.9em; overflow: hidden; border-radius: 8px; will-change: transform;"><p></p>
<iframe loading="lazy" style="position: absolute; width: 100%; height: 100%; top: 0; left: 0; border: none; padding: 0;margin: 0;" src="https://www.canva.com/design/DAF1XqsbIjw/view?embed" allowfullscreen="allowfullscreen" allow="fullscreen" width="100%" height="400"> </iframe>
<p></p></div><a href="https://www.canva.com/design/DAF1XqsbIjw/view?utm_content=DAF1XqsbIjw&utm_campaign=designshare&utm_medium=embeds&utm_source=link" target="_blank" rel="noopener"></a><p></p>
<hr>
<p>Les Alliés sont alors engagés dans la <a href="https://journals.openedition.org/alsace/2270">campagne d’Alsace</a> qui vise à ramener dans le giron français cette région <a href="https://theconversation.com/vers-la-fin-du-centenaire-limportance-de-la-commemoration-de-la-grande-guerre-pour-les-relations-franco-allemandes-90085">disputée</a> depuis la guerre franco-allemande de 1870, et annexée par le Reich en 1940. La sinistre découverte de Strasbourg les confronte aux probables crimes commis par les nazis en territoire alsacien.</p>
<p>Emblématique, <a href="https://theconversation.com/lalsace-lorraine-dans-lempire-allemand-une-integration-incomplete-107450">la situation de l’Alsace</a> est aussi très spécifique au regard du territoire national, puisqu’avec la Moselle, elle constitue l’unique région non pas occupée mais annexée de fait au Troisième Reich en 1940.</p>
<h2>Une croix gammée en haut de la cathédrale de Strasbourg</h2>
<p>Le 22 juin 1940, tandis que la France du maréchal Pétain et l’Allemagne nationale-socialiste signent l’armistice, une croix gammée flotte déjà en haut de la cathédrale de Strasbourg.</p>
<p>Les troupes allemandes ont traversé le Rhin une semaine plus tôt et se sont emparées de la ville, pratiquement déserte, les Alsaciens et Mosellans ayant été évacués dès septembre 1939 vers le centre et le sud-ouest de la France, régions <a href="https://www.cairn.info/l-alsace-lorraine-pendant-la-guerre-39-45--9782130481065-page-6.htm">moins directement exposées aux risques des combats</a>.</p>
<p>Rapidement, l’Alsace est placée sous administration civile allemande au mépris du droit international et Robert Wagner, fervent nazi, est nommé Gauleiter (gouverneur) du Gau Baden-Elsaß (Gau de Bade-Alsace) pour restaurer <a href="https://books.openedition.org/editionsmsh/18321">« l’essence allemande »</a> de la région, à travers une <a href="https://journals.openedition.org/allemagne/1844">politique de défrancisation et de germanisation forcée</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/559649/original/file-20231115-17-8abbfx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Cette carte montre les itinéraires que doivent emprunter les strasbourgeois pour rejoindre des points de ralliement, à partir desquels ils pourront se rendre dans le sud-ouest de la France. On estime à 374 000 et 200 000 le nombre d’Alsaciens et de Mosellans évacués" src="https://images.theconversation.com/files/559649/original/file-20231115-17-8abbfx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559649/original/file-20231115-17-8abbfx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559649/original/file-20231115-17-8abbfx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559649/original/file-20231115-17-8abbfx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559649/original/file-20231115-17-8abbfx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559649/original/file-20231115-17-8abbfx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559649/original/file-20231115-17-8abbfx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cette carte montre les itinéraires que doivent emprunter les Strasbourgeois pour rejoindre des points de ralliement à partir desquels ils pourront se rendre dans le sud-ouest de la France. On estime à 374 000 et 200 000 le nombre d’Alsaciens et de Mosellans évacués.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.crdp-strasbourg.fr/data/histoire/alsace-39-45a/evacuation.php?parent=10">CRDP Alsace</a></span>
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<p>À Strasbourg comme ailleurs en Alsace, les traces de la culture française sont traquées : des statues sont déboulonnées, des associations dissoutes, la presse disparaît, et ce jusque dans la langue, interdite d’usage pour la population locale dont les patronymes germanisés traduisent désormais la nouvelle appartenance nationale – pour certains, la quatrième en 70 ans.</p>
<p>Dans ce contexte, et pour marquer la puissance de ce territoire nouvellement reconquis, les <a href="https://signal.sciencespo-lyon.fr/numero/22064/Une-universite-nazie-sur-le-sol-francais-Nouvelles-recherches-sur-la-Reichsuniversitat--de-Strasbourg-1941-1944">nazis investissent les locaux de l’Université de Strasbourg</a>, évacuée en 1939 et repliée depuis lors à Clermont-Ferrand.</p>
<p>Le 23 novembre 1941, la Reichsuniversität Straßburg (Université du Reich à Strasbourg) est inaugurée ; elle est pensée comme un haut lieu de la science allemande au service de <a href="https://journals.openedition.org/alsace/1371">l’idéologie nationale-socialiste</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/559624/original/file-20231115-27-mv7vgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559624/original/file-20231115-27-mv7vgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559624/original/file-20231115-27-mv7vgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559624/original/file-20231115-27-mv7vgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559624/original/file-20231115-27-mv7vgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559624/original/file-20231115-27-mv7vgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559624/original/file-20231115-27-mv7vgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559624/original/file-20231115-27-mv7vgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Inauguration de la Reichsuniversität Straßburg le 23 novembre 1941.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Charles Spehner/Archives de la Ville</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Un puzzle macabre de 224 pièces humaines</h2>
<p>Quatre ans après, ce 1<sup>er</sup> décembre 1944, lorsque le commandant Raphel et ses hommes fouillent l’Institut d’anatomie de la Reichsuniversität, ce dernier est pratiquement vide. Le directeur de l’Institut, <a href="https://rus-med.unistra.fr/w/index.php/August_Hirt">August Hirt</a>, professeur allemand d’anatomie, d’histologie et d’embryologie, membre du parti national-socialiste et de la SS, est introuvable.</p>
<p>Face à l’amoncellement suspect de cadavres morcelés et aux affirmations d’Henri Henrypierre, le préparateur en anatomie qui témoignera au procès de Nuremberg, une enquête est ouverte par la justice militaire française afin d’élucider ce probable crime de guerre.</p>
<p>À l’été 1945, trois experts sont mandatés par la justice militaire française pour réaliser l’examen médico-légal. Léonard Singer, étudiant en médecine alors âgé de 22 ans, assiste les trois professeurs et <a href="https://www.researchgate.net/publication/348043994_Nazisme_science_et_medecine_Sous_la_direction_de_Christian_Bonah_Anne_Danion-Grilliat_Josiane_Olff-Nathan_Norbert_Schappacher_Paris_Editions_Glyphe_2006_365_p_Ill_Societe_histoire_et_medecine_23-_ISBN">relate ainsi</a> les faits 60 ans plus tard :</p>
<blockquote>
<p>« Mon patron et moi, nous nous rendîmes donc dans l’Institut d’anatomie, et sous la conduite de Henrypierre nous visitâmes les lieux. Cette première visite fut pour moi un choc : nous nous trouvions dans un local sinistre éclairé d’une lumière glauque, où régnait une odeur de formol.</p>
<p>D’énormes cuves recouvertes d’un carrelage blanc, comme l’ensemble du local, étaient remplies de cadavres. Certaines contenaient des quartiers de cadavres décapités et tronçonnés, des membres supérieurs et inférieurs. On ne connaissait pas le nombre de cadavres, ni de quartiers de cadavres, ni le sexe. Le médecin-lieutenant Fourcade me chargea de sortir des cuves, avec Henrypierre, les quartiers de cadavres pour reconstituer les corps et déterminer leur nombre et leur sexe. Pendant trois jours, j’ai fait ce travail qui devint bientôt pour moi insupportable.</p>
<p>Je me trouvais en face de monceaux de quartiers de cadavres que je devais reconstituer comme un puzzle. Au bout de quelques jours, je n’avais pu reconstituer que quelques cadavres sans tête, mais je fus incapable de continuer. J’ai demandé à mon patron de me décharger de cette horreur. Il comprit en voyant mon état et accepta. »</p>
</blockquote>
<p>Ce puzzle d’épouvante aux 224 pièces humaines imprime un « profond choc » au jeune homme, qui conservera des décennies durant une « répulsion » pour l’Institut d’anatomie, qu’il continue pourtant de fréquenter longtemps comme professeur de psychiatrie.</p>
<p>Malgré l’horreur, il poursuit sa mission en qualité de rédacteur lors des autopsies pratiquées sur les quelques cadavres restés intacts. Les constatations, croisées au témoignage d’Henrypierre qui raconte avoir réceptionné en août 1943 des cadavres encore tièdes de sujets qui paraissaient en bonne santé, permettent de reconstituer une partie de l’histoire.</p>
<p>Les corps et fragments de corps proviennent de 86 personnes, assassinées à quelques dizaines de kilomètres de Strasbourg, dans une chambre à gaz spécialement aménagée pour leur mise à mort.</p>
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<h2>Un camp de concentration à 60 km de Strasbourg</h2>
<p>En mars 1941, dans le contexte de l’annexion de l’Alsace, le Reichsführer-SS Heinrich Himmler ordonne l’implantation d’un camp de concentration sur les hauteurs du village vosgien de Natzwiller (alors germanisé en Natzweiler) pour exploiter une mine de granite au profit du Reich. Les premiers détenus arrivent en mai 1941 à Natzweiler-Struthof, le camp le plus à l’ouest du système concentrationnaire nazi, situé à une soixantaine de kilomètres de Strasbourg.</p>
<p>Entre 1941 et 1944, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782716506328-struthof-le-kl-natzweiler-et-ses-kommandos-une-nebuleuse-concentrationnaire-des-deux-cotes-du-rhin-1941-1945-robert-steegmann/">52 000 personnes venues de plus de trente pays</a> seront déportées dans ce camp ou l’un de ses kommandos, principalement pour raisons politiques. Les détenus, essentiellement des prisonniers dits <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nuit_et_brouillard">« Nacht und Nebel » (Nuit et Brouillard)</a>, travaillent dans des conditions inhumaines à l’extraction de granite dans la carrière située juste au-dessus du camp ; <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-camp-de-natzweiler-struthof-robert-steegmann/9782020956338">17 000 à 22 000 d’entre eux y périront</a>.</p>
<h2>Une chambre à gaz, laboratoire des horreurs</h2>
<p>Dans un bâtiment annexe en contrebas du camp servant de salle des fêtes dans l’entre-deux-guerres, une chambre à gaz est aménagée à l’automne 1942.</p>
<p>Elle doit servir à des expérimentations médicales pour les professeurs de la Reichsuniversität Straßburg, et tout particulièrement aux recherches du directeur de l’Institut d’anatomie, August Hirt.</p>
<p>C’est dans cette chambre à gaz de 9 mètres carrés que seront gazés, en août 1943, les 86 déportés (29 femmes et 57 hommes), spécialement transférés du camp d’Auschwitz à celui de Natzweiler-Struthof. Le commandant du camp, Josef Kramer, se charge lui-même des opérations à partir de sels cyanhydriques que lui procure August Hirt et assiste en personne à l’agonie des victimes :</p>
<blockquote>
<p>« Au cours du mois d’août 1943, j’ai reçu […] l’ordre de recevoir environ 80 internés venant d’Auschwitz. Dans la lettre qui accompagnait cet ordre, il m’était précisé d’avoir à me mettre en relation immédiatement avec le professeur HIRT de la Faculté de médecine de Strasbourg. […].</p>
<p>Au début d’août 1943 je reçus donc les 80 internés destinés à être supprimés à l’aide des gaz qui m’avaient été remis par HIRT, et je commençai par faire conduire dans la chambre à gaz un certain soir, vers 9 heures, à l’aide d’une camionnette, une première fois une quinzaine de femmes environ. Je déclarai à ces femmes qu’elles devaient passer dans la chambre de désinfection et je leur cachai qu’elles devaient être asphyxiées.</p>
<p>Assisté de quelques SS, je les fis complètement déshabiller et je les poussai dans la chambre à gaz alors qu’elles étaient toutes nues. Au moment où je fermais la porte, elles se mirent à hurler. J’introduisis, après avoir fermé la porte, une certaine quantité de sel dans un entonnoir placé au-dessous et à droite du regard. En même temps je versai une certaine quantité d’eau qui, ainsi que les sels, tomba dans l’excavation située à l’intérieur de la chambre à gaz au bas du regard. Puis, je fermai l’orifice de l’entonnoir à l’aide d’un robinet qui était adapté dans le bas de cet entonnoir, prolongé lui-même par un tube en métal. Ce tube en métal conduisit le sel et l’eau dans l’excavation intérieure de la chambre dont je viens de vous parler. J’allumai l’intérieur de la chambre à l’aide du commutateur placé près de l’entonnoir et j’observai par le regard extérieur ce qui se passait à l’intérieur de la chambre.</p>
</blockquote>
<blockquote>
<p>Je constatai que ces femmes ont continué à respirer environ une demi-minute puis elles tombèrent par terre. Lorsque j’ouvris la porte après avoir fait en même temps marcher la ventilation à l’intérieur de la cheminée d’aération, je constatai que ces femmes étaient étendues sans vie et qu’elles avaient laissé échapper leurs matières fécales.</p>
<p>J’ai chargé deux officiers SS infirmiers de transporter ces cadavres dans une camionnette le lendemain matin, vers 5h30, pour qu’ils soient conduits à l’Institut d’anatomie ainsi que le professeur Hirt me l’avait demandé.</p>
<p>Quelques jours après, dans les mêmes conditions que sus-indiqué, j’ai conduit à nouveau dans la chambre à gaz une certaine quantité de femmes qui furent asphyxiées de la même façon, puis encore, quelques jours après, j’ai fait conduire dans la chambre à gaz en deux ou trois fois, une cinquantaine d’hommes environ, peut-être cinquante-cinq, qui furent supprimés, toujours à l’aide des sels que je détenais de Hirt. […].</p>
<p>Je n’ai éprouvé aucune émotion en accomplissant ces actes, car j’avais reçu l’ordre d’exécuter de la façon dont je vous ai indiqué les 80 internés. J’ai d’ailleurs été élevé comme cela ».</p>
</blockquote>
<h2>Qui sont les victimes ?</h2>
<p>À l’automne 1945, le déroulement du crime ayant pu être reconstitué, du moins dans ses grandes lignes, l’inhumation des victimes est ordonnée.</p>
<p>Son organisation traduit bien l’incertitude qui pèse encore sur ces dépouilles et sur leur destinée ; à la demande du ministère des Prisonniers de guerre, déportés et réfugiés, certains restes sont inhumés le 23 octobre 1945 au cimetière de la Robertsau (Strasbourg) en présence d’un prêtre, d’un pasteur et d’un rabbin, la religion des victimes n’ayant pu être déterminée.</p>
<p>Quelques jours plus tard, le 28 octobre 1945, les 17 corps intacts, « identifiés comme appartenant à la religion juive » sont quant à eux enterrés au cimetière israélite de Cronenbourg (Strasbourg).</p>
<p>Si les corps semblent désormais reposer en paix, le mystère reste entier : qui sont ces victimes ?</p>
<hr>
<h2>Accédez aux épisodes suivants :</h2>
<blockquote>
<p><strong>Lire l'épisode 2/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-2-217294">« Zakhor : Souviens-toi ! »</a></p>
<p><strong>Lire l'épisode 3/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-3-218952">L’étrange matricule 107969 et la quête d’un journaliste allemand</a></p>
<p><strong>Lire l'épisode 4/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-4-220694">« 2015 : L’affaire des restes découverts à Strasbourg »</a></p>
<p><strong>Lire l'épisode 5/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-5-220900"> Notre histoire ?</a></p>
</blockquote>
<hr><img src="https://counter.theconversation.com/content/216667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeanne Teboul a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche et du CIERA pour la conduite de cette recherche. Elle participe en outre à un groupe de travail sur la mémoire de la Reichsuniversität Strasbourg. Projet ANR N°-23-CE27-0015-01 Faire siens les morts incertains. Matérialités, identités et affects dans le traitement des restes humains problématiques en contextes post-violences.
</span></em></p>Qui étaient les 86 ? Enquête inédite sur les mémoires d'un crime nazi en Alsace.Jeanne Teboul, Anthropologue, Maîtresse de conférences à l'Université de Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2151092023-10-12T17:30:10Z2023-10-12T17:30:10ZComprendre les tensions polono-ukrainiennes<p>Alors que Varsovie apparaissait depuis un an et demi comme <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-la-pologne-meilleur-allie-de-zelensky-face-a-poutine-JQY6LOV53REMNAA3GVTJRLBDZM/">l’un des soutiens les plus déterminés de l’Ukraine face à l’attaque russe</a>, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a annoncé le 20 septembre 2023 que <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/21/guerre-en-ukraine-varsovie-arrete-ses-livraisons-d-armes-a-kiev_6190267_3210.html">son pays ne livrerait plus de nouveaux armements à Kiev</a>.</p>
<p>Comment interpréter cette décision, à première vue surprenante, qui est intervenue dans un contexte de crise diplomatique entre les deux pays au sujet de l’exportation des produits agricoles ukrainiens, et surtout moins d’un mois avant les élections législatives polonaises du 15 octobre ?</p>
<h2>Les grains de la discorde</h2>
<p>En mai 2022, trois mois après le lancement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_2671">l’UE levait ses droits de douane sur les produits agricoles ukrainiens</a> et organisait des <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/corridors-de-solidarite-la-commission-europeenne-lance-une-plateforme-de-rapprochement-des-2022-06-03_fr">« corridors de solidarité »</a> pour permettre leur exportation, devenue impossible via les ports de la mer Noire du fait du blocage mis en place par la Russie.</p>
<p>Mais l’afflux de céréales ukrainiennes, couplé aux difficultés logistiques d’expédition depuis les pays de transit, a formé des goulots d’étranglement provoquant une baisse des prix des céréales vendues par ces pays, ce dont pâtissent les agriculteurs locaux.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les corridors de solidarité tels que présentés par l’UE.</span>
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<p>Dès le début 2023, les agriculteurs polonais ont <a href="https://www.courrierinternational.com/article/politique-en-pologne-les-agriculteurs-arrachent-un-accord-pour-limiter-l-afflux-de-cereales-ukrainiennes">protesté contre l’arrivée des céréales ukrainiennes</a>, aux prix plus compétitifs car non soumises aux normes européennes. Les manifestations organisées en Pologne et devant le siège de la Commission européenne à Bruxelles, les grèves, les défilés de tracteurs et blocages des points de passage à la frontière polono-ukrainienne ont entraîné la <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230405-d%C3%A9mission-du-ministre-polonais-de-l-agriculture-sur-fond-de-l-affaire-du-bl%C3%A9-ukrainien">démission du ministre de l’Agriculture et du Développement rural polonais Henryk Kowalczyk</a> en avril 2023.</p>
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<p>Face aux difficultés rencontrées par les agriculteurs des pays de transit, la Commission européenne a introduit en mai une interdiction de commercialisation du blé, maïs, colza et tournesol ukrainiens en Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie et Slovaquie. Cependant, alors que cette suspension devait prendre fin le 15 septembre, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/cereales-ukrainiennes-nouveau-bras-de-fer-entre-bruxelles-et-leurope-centrale-1978752">ont pris la décision unilatérale d’outrepasser les règles européennes et de la prolonger</a>.</p>
<p>L’Ukraine a réagi en <a href="https://www.wto.org/french/news_f/news23_f/ds619_620_621rfc_21sep23_f.htm">déposant une plainte contre les trois pays auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)</a>, au motif que ces interdictions contreviennent aux dispositions de <a href="https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/06-gatt_f.htm">l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce</a> de 1994 et de <a href="https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/14-ag_01_f.htm">l’Accord de l’OMC sur l’agriculture</a> de 1995.</p>
<h2>La fin des livraisons</h2>
<p>La difficile entente agraire entre la Pologne et l’Ukraine s’est transformée au cours de l’été en <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/les-relations-entre-la-pologne-et-l-ukraine-volent-en-eclats-varsovie-cesse-de-fournir-des-armes-a-kiev-976971.html">crise diplomatique</a>. Les déclarations des dirigeants des deux pays ont provoqué une montée des tensions, trahissant par là même des relations empreintes d’émotions.</p>
<p>Le point culminant de ces tensions fut l’annonce par Mateusz Morawiecki de la suspension des livraisons de nouveaux armements à l’Ukraine le 20 septembre, au motif que la Pologne souhaite désormais se concentrer sur la modernisation de ses propres capacités de défense.</p>
<p>Cette décision faisait à la fois suite à la plainte déposée par l’Ukraine auprès de l’OMC le 18 septembre, et au discours de Volodymyr Zelensky devant l’Assemblée générale des Nations unies à propos de la crise céréalière. Il déclara alors que « certains pays feignent la solidarité » et « soutiennent indirectement la Russie ». La Pologne n’a pas été nommément citée ; mais le ministère polonais des Affaires étrangères a <a href="https://www.sudouest.fr/international/europe/ukraine/guerre-en-ukraine-la-pologne-proteste-contre-les-propos-de-zelensky-a-l-onu-16725469.php">immédiatement convoqué l’ambassadeur ukrainien</a> et fait savoir que « cette thèse est fausse et, de plus, particulièrement injuste en ce qui concerne notre pays, qui soutient l’Ukraine depuis les premiers jours de la guerre ».</p>
<p>Cet été, les tensions se sont exacerbées. En juillet, la décision de la Russie de <a href="https://press.un.org/fr/2023/cs15358.doc.htm">ne pas prolonger l’accord céréalier en mer Noire</a> a accru la pression sur les voies de transport fluviales et terrestres. Dans ce contexte, Marcin Przydacz, le conseiller à la politique internationale du président polonais, a évoqué la possibilité pour la Pologne de prolonger l’interdiction de commercialiser les céréales ukrainiennes sur le sol national en dépit des règles communautaires :</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui, le plus important est de défendre les intérêts des agriculteurs polonais. […] En ce qui concerne l’Ukraine, elle a reçu un très grand soutien de la part de la Pologne. Je pense qu’il serait bon que l’Ukraine commence à apprécier le rôle que la Pologne a joué pour l’Ukraine ces derniers mois et ces dernières années. »</p>
</blockquote>
<p>L’ambassadeur polonais en Ukraine fut convoqué dès le lendemain, le 1<sup>er</sup> août, jour de commémoration en Pologne de l’insurrection de Varsovie. Cette maladresse diplomatique a été mal reçue par les dirigeants polonais. Morawiecki a notamment souligné qu’il s’agissait d’une erreur, d’autant que l’ambassadeur polonais avait été le seul à rester à Kiev le jour de l’invasion russe. Face à cette escalade, Volodymyr Zelensky a réagi le jour même : « Nous ne laisserons aucune affaire politique gâcher les relations entre les peuples polonais et ukrainien, et les émotions doivent absolument s’apaiser. »</p>
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<p>Les deux pays se sont mutuellement accusés de se laisser emporter par les émotions. Par exemple, à la suite de la convocation de l’ambassadeur ukrainien à Varsovie en septembre, le porte-parole du ministère ukrainien des Affaires étrangères Oleg Nikolenko a appelé « nos amis polonais à mettre leurs émotions de côté ». De son côté, le ministre polonais de l’Agriculture et du Développement rural Robert Telus a indiqué, parlant de la plainte déposée par Kiev auprès de l’OMC, que « cette rancœur n’est pas nécessaire. Il faut calmer les émotions ».</p>
<p>Cependant, dans le contexte polono-ukrainien, ces réactions émotionnelles illustrent la fragilité des relations entre les deux pays – des relations sur lesquelles continue de planer l’ombre de dissensions plus anciennes.</p>
<h2>L’ombre des contentieux historiques</h2>
<p>Parties de la <a href="https://theconversation.com/quand-la-russie-la-prusse-et-lautriche-se-partageaient-la-pologne-197779">République des Deux Nations (1569-1795)</a> dominée par le royaume de Pologne, puis États voisins à partir de 1918, l’Ukraine et la Pologne partagent une histoire commune douloureuse. Depuis la chute de l’URSS et l’indépendance ukrainienne au début des années 1990, les deux pays n’ont pas su mener une véritable politique de réconciliation.</p>
<p>La décennie 2010 a vu les tensions s’exacerber en raison de politiques historiques antagonistes. Côté ukrainien, avec la réhabilitation de figures comme <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/01/08/guerre-en-ukraine-le-mythe-bandera-et-la-realite-d-un-collaborateur-des-nazis_6157084_4355770.html">Stepan Bandera</a> et <a href="https://fr.timesofisrael.com/ukraine-un-stade-renomme-en-lhonneur-dun-collaborationniste-nazi/">Roman Choukhevytch</a>, chefs de file de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN-B) et de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) pendant la Seconde Guerre mondiale ; côté polonais, avec la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/varsovie-qualifie-de-genocide-le-massacre-de-polonais-par-les-ukrainiens-entre-1943-45-22-07-2016-2056277_24.php">reconnaissance du terme de « génocide »</a> pour qualifier les <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230522-le-massacre-de-volhynie-en-1943-le-sujet-qui-divise-la-pologne-et-l-ukraine">massacres de milliers de civils polonais de Volhynie et de Galicie orientale en 1943</a> par ces mêmes groupes de nationalistes ukrainiens, et la commémoration des victimes particulièrement mise en avant par le parti nationaliste Droit et Justice (PiS) au pouvoir.</p>
<p>La défense de chacune de ces conceptions de l’histoire a entraîné le blocage des travaux d’exhumation des victimes des massacres de Volhynie par les associations polonaises en Ukraine. Et la Pologne a criminalisé la négation « des massacres commis par les nationalistes ukrainiens et les membres de formations ukrainiennes collaboratrices du Troisième Reich » en 2018.</p>
<p>La guerre semblait avoir rapproché les deux pays sur le plan mémoriel. L’un des moments les plus symboliques fut la commémoration conjointe par les présidents Andrzej Duda et Volodymyr Zelensky des 80 ans des massacres de Volhynie, le 9 juillet 2023.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1678001829613805569"}"></div></p>
<p>Cependant, la fébrilité des réactions des dirigeants polonais et ukrainiens lorsque les intérêts de leurs pays respectifs divergent interroge sur la solidité de l’alliance polono-ukrainienne.</p>
<h2>Des intérêts bien compris</h2>
<p>Nous l’avons dit : dès le début de la guerre, la Pologne a été, malgré ces dissensions, l’un des premiers soutiens de l’Ukraine sur les plans diplomatique, humanitaire, financier et militaire. Au cours des trois premiers mois, <a href="https://theconversation.com/3-5-millions-de-refugies-ukrainiens-sur-son-sol-comment-la-pologne-absorbe-t-elle-le-choc-184588">3,5 millions d’Ukrainiens</a> sont passés par la frontière polono-ukrainienne. Un an et demi après le début du conflit, 1,2 million de réfugiés vivent toujours en Pologne, qui a récemment prolongé leur droit de séjour et continue de leur garantir un accès aux prestations sociales équivalent à celui de ses propres citoyens.</p>
<p>Sur le plan géopolitique, l’attaque de l’Ukraine par la Russie a révélé les liens stratégiques qui lient la Pologne et l’Ukraine depuis le début des années 1990. Libérée des obligations du Pacte de Varsovie, la Pologne a alors fondé sa politique extérieure sur la <a href="https://www.taurillon.org/Les-politiques-de-voisinage-la-doctrine-ULB-dans-la-politique,04724">doctrine ULB</a> (Ukraine, Lituanie, Biélorussie), développée dans la revue parisienne <em>Kultura</em> par les intellectuels exilés Jerzy Giedroyc et Juliusz Mieroszewski dans les années 1970. Cette doctrine ULB entendait soutenir les mouvements indépendantistes baltes, biélorusses et ukrainiens afin d’obliger la Russie (mais aussi… la Pologne elle-même) à abandonner toute prétention territoriale sur cet espace autrefois parties de leurs empire et royaume. Ainsi, le 2 décembre 1991, la Pologne fut le premier État à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine.</p>
<p>Au fil du temps, la pensée de Giedroyc et Mieroszewski a été transformée par les politiques des gouvernements successifs. Il s’agit désormais pour la Pologne de créer une zone tampon entre son territoire et celui de la Russie. En se faisant l’avocate de l’Ukraine au sein des institutions atlantiques et européennes, en soutenant les mouvements pro-européens comme la Révolution orange (2004-2005) et l’Euromaïdan (2013-2014), et en associant l’Ukraine à une série de forums régionaux, la Pologne espérait rattacher sa voisine à l’ensemble occidental et s’assurer définitivement de son alliance. Il est communément admis en Pologne que la sécurité du pays passe par l’indépendance de l’Ukraine, et le vaste soutien apporté par Varsovie à Kiev en février 2022 peut être lu à partir de cette analyse.</p>
<h2>L’enjeu des législatives polonaises</h2>
<p>Le 15 octobre 2023 se tiendront les élections législatives polonaises, ce qui n’a pas échappé au premier ministre ukrainien Denys Chmygal, qui a accusé le PiS d’instrumentaliser la question des céréales pour des raisons électorales. En effet, en défendant les agriculteurs polonais, le PiS pourrait espérer reprendre quelques voix au parti agrarien <em>Polskie Stronnictwo Ludowe</em> (PSL). Surtout, son intransigeance à l’égard de l’Ukraine affichée ces derniers mois avait peut-être pour objectif de s’attirer une partie de l’électorat du <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/08/30/les-guerres-de-lextreme-droite-polonaise/">parti Confédération (<em>Konfederacja</em>)</a>, qui dénonce l’« ukrainisation » du pays provoquée par l’arrivée massive de réfugiés, venus s’ajouter aux nombreux travailleurs ukrainiens déjà présents en Pologne avant la guerre. Le parti est annoncé troisième dans les sondages.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur la pancarte : « Pas notre guerre : www. Stop à l’ukrainisation de la Pologne.pl », Marche de l’indépendance, Varsovie, 11 novembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Léa Xailly</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le 3 octobre, l’Ukraine et la Pologne ont <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/cereales-la-pologne-et-lukraine-parviennent-a-sentendre-1984006">trouvé un premier accord</a> : le contrôle des céréales ukrainiennes qui transitent par la Lituanie sera désormais effectué sur le sol lituanien et non plus à la frontière polono-ukrainienne. Si la crise diplomatique semble se résorber petit à petit, il n’en demeure pas moins que l’avenir des relations polono-ukrainiennes dépendra des résultats des élections législatives du 15 octobre et, notamment, du score qu’obtiendra Confédération…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215109/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Léa Xailly a reçu des financements de l'Agence nationale polonaise pour les échanges universitaires (NAWA), dans le cadre du programme d'échanges académiques et scientifiques de coopération franco-polonaise (10/2021-05/2022 ; 09/2022-01/2023)
</span></em></p>La Pologne ne livrera pas d’armes supplémentaires à l’Ukraine. Une décision qui s’inscrit dans un contexte marqué par la crise agricole entre les deux pays et l’imminence des législatives polonaises.Léa Xailly, Doctorante en science politique et relations internationales, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105152023-10-03T16:37:04Z2023-10-03T16:37:04ZParler de la Shoah aux lycéens et contribuer à leur formation éthique<p>L’antisémitisme qui perdure, les tentatives négationnistes concernant les crimes contre l’humanité perpétrés durant la Seconde Guerre mondiale et la survenue de nouveaux crimes contre l’humanité montrent combien il est important d’aborder le sujet de la Shoah avec les nouvelles générations. Cependant, l’évolution des programmes scolaires et le renouvellement générationnel invitent à repenser le discours sur ces événements et à interroger les implications de la transmission de la Shoah dans la formation éthique du lycéen.</p>
<p>D’une part, à travers les cours d’histoire consacrés à la <a href="https://www.babelio.com/livres/Wieviorka-Histoire-totale-de-la-Seconde-Guerre-mondiale/1541437">Seconde Guerre mondiale</a>, l’élève découvre le regard scientifique de l’historien, fondé sur une solide connaissance factuelle et l’esprit critique. D’autre part, la Shoah soulève des questions transversales qui sont évoquées dans plusieurs matières à travers des œuvres comme <em>L’Album de la famille D</em>. de Christian Boltanski en cours d’art plastiques, <em>Different trains</em> de Steve Reich en cours de musique, le court-métrage <em>Spielzeugland</em> de Jochen Alexander Freydank en cours d’allemand, les incontournables récits de survivants en cours de français comme <em>La nuit</em> d’Élie Wiesel ou <em>Si c’est un homme</em> de Primo Levi, puis Daniel Mendelsohn : <em>Les disparus</em>, Déborah Lévi-Berthérat : <em>Sur la terre des vivants</em> ou Ivan Jablonka, <em>Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus</em> pour la littérature de la troisième génération.</p>
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<figcaption><span class="caption">75 ans de la libération d’Auschwitz : les survivants font visiter l’ancien camp à des lycéens (France 24, 2020).</span></figcaption>
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<p>D’une certaine manière, la question de l’humanité en tant que telle mène à la confrontation avec les <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/08/20/olivier-wieviorka-la-seconde-guerre-mondiale-a-contraint-chaque-individu-a-affronter-des-dilemmes-moraux-inedits_6185960_3260.html">dilemmes moraux</a> des contemporains de cette époque d’abord et des traces laissées chez leurs héritiers. L’objectif consiste à créer un dialogue entre les élèves lors d’une rencontre avec un récit sur la Shoah. La multiplication des récits permet de « heurter » leurs préjugés et de déclencher une réflexion propre lors d’un atelier qui doit être conçu de manière à permettre effectivement cette impulsion de <a href="https://www.babelio.com/livres/Sasseville-La-communaute-de-recherche-philosophique--Applica/748799">penser par et pour soi-même</a>.</p>
<p>Le sujet de ma thèse <a href="https://www.theses.fr/s260529"><em>Le rôle des émotions dans la transmission d’une mémoire collective et dans la construction du sujet éthique</em></a> se décline en deux axes, d’abord, celui d’être force de proposition d’une méthode qui définirait un cadre théorique pour cette transmission et ensuite, d’effectuer un retour critique sur l’expérience menée au lycée.</p>
<p>Adorno, philosophe de l’école de Francfort, réfléchissait après la guerre sur une éducation qui serait « un vaccin contre la dictature », autrement dit, il proposait à réfléchir à un espace propice à développer la capacité de combattre les tendances à nier l’humanité de certains groupes qui existent dans toutes les sociétés. Tout en tenant compte des pièges inhérents aux émotions, une démarche mémorielle est proposée aux lycéens sans instrumentaliser la Shoah. En effet, les ateliers mis en place dans le cadre d’une pédagogie de projet ou lors de voyages scolaires invitent les élèves à se saisir de ces questionnements. Voici quelques propositions d’ateliers qui ont en effet débouché sur un tel état d’esprit selon le retour d’expérience des participants.</p>
<h2>Rencontres directes ou littéraires</h2>
<p>Les ateliers cherchent à faire vivre aux jeunes l’expérience d’une rencontre pour qu’ils y fabriquent des souvenirs. Jusqu’à aujourd’hui, les rencontres des témoins directs étaient des moments privilégiés pour transmettre le vécu de la Shoah. L’élève attentif écoutait le récit du témoin se tenant devant lui. Comment remplacer ces rencontres inoubliables alors que les témoins disparaissent ? À <a href="https://www.babelio.com/livres/Barjonet-Lere-des-non-temoins/1424579">l’ère des non-témoins</a>, il est possible de retrouver leur voix dans la littérature, mais comment rendre cette rencontre effective, pour que les élèves fabriquent des souvenirs qui permettent de se rappeler de ces récits ?</p>
<p>La rencontre avec une mémoire vive suscite la compassion, la lecture d’un texte n’aboutit pas à cette même implication affective du lecteur. Alors, si la composante compassionnelle tend à diminuer, autre chose doit la remplacer.</p>
<p>La littérature peut-elle offrir une expérience vive du récit ? Comment et en quoi s’agit-il ici d’un changement de degré d’empathie qui revêt d’abord une <a href="https://hal.science/ijn_00353957">forme affective puis une forme cognitive</a> ? Le lecteur entre en dialogue avec un texte qui va raconter un monde différent du sien en heurtant parfois ses croyances, ainsi qu’en déclenchant une interrogation sur le bien-fondé de ses préjugés.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Par la lecture, une ouverture se crée dans deux sens, et vers la compréhension d’autrui et vers celle de soi-même. Cette rencontre déclenche un dialogue, ainsi, en reconstituant la question que pose le texte, le jeune emprunte une démarche d’interprétation et de compréhension menant à un sentiment de responsabilité envers l’autre. Ce dialogue devra <em>in fine</em> être intériorisé, mais lors des ateliers, il se vit en interaction sociale. Autrement dit, le travail de lecture cherche à créer une habitude de pensée qui serait analogue aux échanges vécus avec tous les participants pendant les ateliers autour d’un texte commun.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ivan Jablonka sur l’Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus (France 3 Pays de la Loire, 2013).</span></figcaption>
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<p>Voici un exemple d’atelier, inspiré de la démarche de <a href="https://www.babelio.com/livres/Manning-Pensee-en-acte-vingt-propositions-pour-la-recherch/1537998">« recherche-création »</a>, une méthode qui s’est peu à peu développée à partir de la pratique du travail en atelier artistique et qui a été formalisée au début des années 2000 et relayée en France par <a href="https://www.babelio.com/livres/Citton-Leconomie-de-lattention/648379">Yves Citton</a>, tout comme celle du <em>speed-booking</em>, pratiquée dans certaines <a href="https://hal.univ-lille.fr/hal-01820736/document">médiathèques innovantes</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/combattre-lantisemitisme-lenseignement-de-la-shoah-a-lere-de-twitter-et-tiktok-198542">Combattre l’antisémitisme : l’enseignement de la Shoah à l’ère de Twitter et TikTok</a>
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<p>L’atelier prend la forme d’un <em>speed dating</em> « conceptuel ». Pendant la préparation d’une séance de cinéma pour voir le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1U9tEw5Xzok">Simone, le voyage du siècle</a>, des extraits du texte de <a href="https://www.babelio.com/livres/Veil-Une-vie/36438">Simone Veil</a> ont été donnés à lire aux élèves. Selon les propositions de la méthode de « recherche-création », la lecture d’extraits de la même œuvre devient ainsi « une contrainte encapacitante », appelée ainsi parce que celle-ci favorise l’interaction tout en évitant un laissez-faire de celle-ci peu productif. </p>
<p>Par exemple, la consigne « d’en dire quelque chose qui doit être tout sauf achevé », invite à ne pas entrer dans l’échange lors du <em>speed dating</em> avec un commentaire achevé du passage lu, mais avec une ébauche qui aboutira à quelque chose de différent que si les uns et les autres agissaient seuls et en amont. Ce « quelque chose » peut prendre la forme d’un mot-clé, d’un passage marquant du texte ou d’une question. Ainsi, cette lecture devient une rencontre, ancrée dans un texte commun qui se termine par un compte rendu des échanges en dégageant les tendances observées dans le groupe (des questions semblables, des passages souvent cités, etc.). Les participants ont relaté avoir pris plaisir à ces échanges d’une complexité et d’une diversité stimulante.</p>
<h2>La rencontre des ascendants</h2>
<p>Inviter les élèves à se pencher sur leur histoire familiale leur permet de prendre conscience l’existence <a href="https://www.babelio.com/livres/Huston-Lespece-fabulatrice/66404">d’un récit intergénérationnel</a> et de prendre la responsabilité de la mémoire de certains membres de leur famille. Ce travail est proposé à tous les élèves, mais il ne peut pas être rendu obligatoire, certains élèves ayant des vécus familiaux traumatiques.</p>
<p>Cet atelier s’est inscrit dans les cours d’accompagnement personnalisé, afin de travailler la compétence d’expression orale en continu avec un intervenant de théâtre. Là encore, en accord avec l’intervenant, les « contraintes encapacitantes » ont été mises en place, c’est-à-dire, l’interdiction de présenter un travail achevé et l’ancrage dans une même démarche. C’est un travail périphérique à la transmission de la Shoah mais les retours des participants soulignent que l’importance subjective accordée à l’histoire familiale leur a permis de comprendre le concept de « descendant ».</p>
<p>L’atelier peut aussi avoir un point de départ littéraire, car les auteurs de la génération « des petits-enfants » des témoins directs proposent des <a href="https://www.europe-revue.net/produit/n-1125-1126-enqueter-sur-la-shoah-aujourdhui-janv-fev-2023/">récits d’enquête familiale</a>. En cours d’allemand, un grand choix de textes littéraire (par exemple <em>Sag es mir</em> de Vanessa Fogel) existe pour asseoir cette démarche sur un récit d’enquête familiale.</p>
<h2>La rencontre avec l’histoire locale</h2>
<p>Ici, il s’agit d’une inscription d’un nom dans l’espace public qui invite à une enquête. Ainsi, les jeunes se souviendront du déroulement de l’enquête. Déambuler dans les rues du lieu où l’on habite, tout en changeant de perspective, permet aux élèves d’aller sur les traces des disparus. Pour retrouver les noms des déportés de sa ville, on peut utiliser le <a href="https://stevemorse.org/france/">moteur de recherche mis en place par Serge Klarsfeld</a> pour <a href="https://stevemorse.org/france/">retrouver les déportés d’un département</a> et <a href="https://www.memorialdelashoah.org/pedagogie-et-formation/activites-pour-le-secondaire/ateliers-pedagogiques.html">d’autres</a>.</p>
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<img alt="Stolpersteine" src="https://images.theconversation.com/files/550633/original/file-20230927-17-b8y5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550633/original/file-20230927-17-b8y5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550633/original/file-20230927-17-b8y5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550633/original/file-20230927-17-b8y5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550633/original/file-20230927-17-b8y5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550633/original/file-20230927-17-b8y5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550633/original/file-20230927-17-b8y5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Stolpersteine à Weiterswiller – Famille Samuel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Stolpersteine_Weiterswiller_-_Famille_Samuel.jpg">FHd, via Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Souvent, des parcours de mémoire existent déjà localement : les <a href="https://eriac.hypotheses.org/1652">mémoriaux ou les pavés de mémoire</a>. Parfois, aucune inscription visible n’existe. Les destins des disparus peuvent dans ce cas être retrouvés et retracés lors d’une visite aux <em>Archives départementales</em>, afin de retrouver des documents témoignant de ces vies. Les jeunes s’emparent de ces biographies grâce au lien affectif qui préexiste avec leur lieu d’habitation. Les élèves affirment de se sentir concernés parce qu’ils y <a href="https://www.researchgate.net/profile/Mathieu-Nicole-2/publication/278780183_Habiter_une_affaire_d%E2%80%99affects_dialogue_et_confrontations/links/55c350d708aeb975673e7422/Habiter-une-affaire-daffects-dialogue-et-confrontations.pdf">« habitent »</a>. Ensuite, peu importe l’endroit, la discussion amène une compréhension du scandale de la déportation d’un lieu où l’on a choisi d’habiter.</p>
<p>Les différents ateliers de transmission de la Shoah permettent de prendre l’habitude de questionnements éthiques et de prendre position. Ainsi, une mémoire collective grâce à l’ancrage commun dans les œuvres littéraires se met en place, une mémoire qui permet aux lycéens de <a href="https://www.babelio.com/livres/Eustache-La-memoire-au-futur/1105312">s’engager dans l’avenir</a>, riche de leur expérience.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210515/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anke Bédoucha ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Jusqu’à aujourd’hui, la rencontre de témoins directs était un espace privilégié pour transmettre le vécu de la Shoah. Alors que ceux-ci disparaissent, quelle démarche mémorielle proposer aux élèves ?Anke Bédoucha, Doctorante en philosophie, enseignante agrégée d'allemand, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2041592023-05-04T14:56:15Z2023-05-04T14:56:15ZFinistère, 7 août 1944 : enquête sur le massacre invisible de Gouesnou<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522951/original/file-20230426-28-s8qq58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=51%2C59%2C1185%2C866&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photo de l'église de Gouesnou, incendiée par les Allemands dans la nuit du 12 au 13 août 1944. Photo prise entre 1944 et 1947. Auteur inconnu. </span> <span class="attribution"><span class="source">Musée du patrimoine</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-irice-2011-1-page-63.htm">massacre d’Oradour-sur-Glane</a>, au cours duquel 643 civils périrent, semble être l’unique grande tuerie des nazis que la mémoire collective a retenu en France. Pourtant, il en existe d’autres, tout aussi marquantes et traumatisantes pour des villages, des départements, des familles. Mais leur mémoire s’est au fil du temps étiolée pour laisser place à un unique symbole national de la barbarie nazie.</p>
<p>Le 7 août 1944, presque deux mois après Oradour, dans la petite commune de Gouesnou, dans le Finistère, à seulement huit kilomètres au nord de Brest, eut lieu le massacre de civils le plus important du Grand Ouest.</p>
<p>Quarante-trois personnes furent assassinées par des soldats de l’armée régulière du III<sup>e</sup> Reich, plus précisement ceux de la <em>Kriegsmarine</em>, la marine de guerre allemande. Depuis près de 80 ans, cet évènement reste invisible ; pourquoi ?</p>
<p>C’est pour combler ce vide historique que j’ai entamé une thèse de doctorat, grâce notamment au concours financier de la municipalité de Gouesnou. Car depuis la fin de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/seconde-guerre-mondiale-20493">Seconde Guerre mondiale</a>, aucune recherche n’avait été entreprise sur cette tragédie. <a href="https://www.theses.fr/2022BRES0064">Mon enquête</a> porte donc sur le déroulé et la mémoire de ce massacre.</p>
<p>Dans les semaines qui suivent le <a href="https://theconversation.com/le-jour-j-a-ete-un-succes-grace-a-une-idee-de-genie-les-ports-artificiels-118386">débarquement des Alliés</a> sur les plages de Normandie le <a href="https://www.decitre.fr/livres/6-juin-1944-9782262028657.html">6 juin 1944</a>, la Bretagne est en effervescence.</p>
<p>La Résistance locale s’active pour ralentir la montée des renforts allemands vers le front. Les civils trépignent d’impatience à l’idée d’être enfin libérés et les Allemands savent pertinemment que rester bloqués dans la péninsule bretonne sera synonyme de fin, car il leur sera alors impossible d’évacuer par la mer. Ils devront <a href="https://www.mollat.com/livres/2639852/jean-luc-leleu-combattre-en-dictature-1944-la-wehrmacht-face-au-debarquement">se battre jusqu’au bout</a>, selon le mot d’ordre du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/adolf-hitler-86426">Führer</a>.</p>
<h2>À partir de 1943, la dure répression allemande</h2>
<p>La Bretagne est une région particulièrement active sur le plan de la Résistance depuis le 6 juin. Quelques maquis, <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/tourisme/guide-ete/histoire-le-debarquement-debute-a-saint-marcel-en-1944-1f4a771c-d58b-11eb-8505-6750ce5b83e2">comme à Saint-Marcel</a>, dans le Morbihan, parviennent, non sans mal, <a href="https://www.belin-editeur.com/maquis-et-maquisards#anchor1">à mettre en difficulté l’armée allemande</a>.</p>
<p>La <em>Wehrmacht</em> (l’armée régulière du III<sup>e</sup> Reich) ne supporte pas cette « petite guerre », cette guérilla de partisans, de « Terroristen » comme disent les Allemands. Alors, face à la Résistance, l’occupant sévit de plus en plus.</p>
<p>On est loin de l’état d’esprit du début de l’occupation. La répression touche alors essentiellement les communistes, les juifs et les résistants. À partir de 1943, lorsque la Résistance se montre plus active dans l’Hexagone, les autorités allemandes décident de franchir un cap et de <a href="https://hal.science/hal-00157767">faire des otages</a>. Puis, en février 1944, le numéro deux de l’armée d’occupation en France, le général Hugo Sperrle, édicte une directive, qui porte d’ailleurs son nom.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/522355/original/file-20230421-4029-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522355/original/file-20230421-4029-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522355/original/file-20230421-4029-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522355/original/file-20230421-4029-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522355/original/file-20230421-4029-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522355/original/file-20230421-4029-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522355/original/file-20230421-4029-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522355/original/file-20230421-4029-2c4ewg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Hugo Sperrle au procès de Nuremberg. Wikimedia.</span>
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<p>Cette directive ordonne que toute unité allemande prise à partie par la Résistance devra procéder à des rafles d’otages, mais aussi fusiller les personnes suspectes et incendier leurs maisons. Et ce, sans ordre préalable de la hiérarchie militaire. « Les mesures prises, même excessives, ne pourront pas entraîner de sanction », précise même le texte.</p>
<p>C’est exactement ce qu’il s’est passé dans le hameau de Penguerec, sur la commune de Gouesnou, le 7 août 1944.</p>
<p>Pour comprendre l’enchaînement des événements, il faut revenir sur le contexte de cette fin de guerre dans la région. Lorsque l’armée américaine pénètre en Bretagne le 31 juillet 1944, elle est encore à plus de 300 kilomètres de Brest et de son port, <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/d-day-et-la-bataille-de-normandie-9782702140161/">qu’elle souhaite prendre intact</a>. La rapidité est donc de mise.</p>
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<p>À Gouesnou, la vie suit son cours. Dans cette paisible commune de 1300 habitants, l’occupation s’est déroulée sans histoires. La Résistance y est même absente jusqu’en 1943, lorsque trois frères, Philippe, Jean et Gilles Prédour, décident de constituer un petit groupe d’une dizaine de personnes. Mais celui-ci a pour consigne de ne rien entreprendre avant la libération.</p>
<p>Le village n’est ni un maquis, ni une plaque tournante de la Résistance – et les Allemands le savent, puisqu’ils cohabitent avec les habitants depuis décembre 1940.</p>
<h2>Une opération de résistance tourne au fiasco</h2>
<p>Pourtant, tout va basculer en quelques heures seulement ce lundi 7 août 1944. Pour reconstituer les événements, je me suis majoritairement appuyé sur des témoignages écrits et oraux des témoins de la journée du 7 août, notamment ceux conservés aux archives départementales de l’Ille-et-Vilaine.</p>
<p>La veille au soir, les Américains sont à Plabennec, soit à 3 km au nord de Gouesnou. Le 7, une rumeur parcourt le bourg dans la matinée : les Alliés auront atteint Gouesnou en début d’après-midi.</p>
<iframe src="https://www.google.com/maps/d/u/0/embed?mid=1_kFRWPvfwiWfBtYJ3k-6C7o6BLwzInE&ehbc=2E312F" width="100%" height="480"></iframe>
<p>C’est alors que les <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-la-resistance--9782262042059.htm">résistants FFI – Forces française de l’Intérieur-</a> des frères Prédour, décident, en accord avec des parachutistes français largués dans le secteur trois jours plus tôt, de libérer la commune.</p>
<p>Pour cela, il faut déloger les trois ou quatre soldats allemands qui se trouvent en haut du clocher de l’église, poste de vigie pour surveiller les environs. Le groupe d’une dizaine de personnes attaque le beffroi en tout début d’après-midi, mais très vite, l’opération tourne au fiasco. Deux parachutistes sont tués, ainsi qu’un soldat allemand.</p>
<p>Depuis Gouesnou, les Allemands parviennent à contacter des renforts, situés au lieu-dit de Roc’h Glas, à 4 km au sud du bourg.</p>
<p>Au même moment et non-loin de là, coïncidence malheureuse, un jeune résistant, Pierre Phélep, accompagné de quelques amis, s’en prend justement à un projecteur de DCA (Défense contre aviation) appartenant à la batterie de Roc’h Glas, gardé par des soldats allemands. Il existait une dizaine de batteries de DCA autour de Brest ; leur mission était d’abattre les bombardiers alliés qui menaçaient la base sous-marine de l’armée allemande. Les projecteurs permettaient d’éclairer ces cibles.</p>
<p>L’attaque, qui n’était pas concertée avec celle de Gouesnou, se passe mal.</p>
<p>Vers 16h d’après les témoins, les Allemands se rendent à Penguerec, un hameau composé de trois fermes, à deux kilomètres au sud de Gouesnou. Ce lieu ne doit rien au hasard : dans l’une de ces fermes réside la famille de Pierre Phélep, tout juste 22 ans. Le jeune homme, également actif au sein d’un réseau qui distribue des journaux clandestins dans l’arsenal de Brest, s’y trouve.</p>
<p>Les Allemands, rendus furieux par l’attaque du projecteur DCA, incendient la ferme Phélep, mitraillent les deux autres maisons. Des grenades sont aussi jetées. Cette première exaction fait six victimes identifiées (dont Pierre Phélep et trois membres de la famille Phélep).</p>
<p>Dans le centre de Gouesnou, si les résistants et les parachutistes qui ont mené l’attaque du clocher ont réussi à prendre la fuite, les habitants, eux, persuadés encore, quelques minutes auparavant, de vivre les combats de la libération, sont abasourdis de voir la commune encore aux mains des Allemands.</p>
<p>Le maire, Jean-Louis Lamour, pressent qu’un malheur est imminent, comme il l’explique dans sa déposition de septembre 1948, consultable aux archives nationales, dans le fichier de la police judiciaire relatif aux meurtres et assassinats entre 1940 et 1950.</p>
<p>Il appelle ses concitoyens à rentrer chez eux et à se barricader. Mais il est trop tard : déjà, les soldats allemands forcent les portes des maisons. Une cinquantaine de Gouesnousiens sont arrêtés et rassemblés devant le mur d’enceinte de l’église, sous un soleil de plomb.</p>
<p>Puis les soldats allemands séparent les femmes et les enfants des hommes et décident d’acheminer ces derniers vers Penguerec. Les femmes et les enfants sont laissés dans l’expectative. Ils attendront le retour de leurs maris, pères, frères, en vain.</p>
<p>Les otages sont conduits vers Penguerec ; quelques autres civils sont raflés en chemin. Arrivés sur place, probablement vers 18h, la trentaine d’otages est placée face au spectacle macabre d’une ferme en flammes devant laquelle gîsent des corps. Les Allemands les massacrent aussitôt, dans un déchaînement de violence.</p>
<h2>« Hommes ordinaires » et violence inouïe</h2>
<p>Les Gouesnousiens ont été obligés d’abandonner les dépouilles. Au bout de dix jours, les Allemands réquisitionnent trois paysans pour enterrer les corps. Le charnier ne sera inhumé qu’en janvier 1945 et les corps seront placés dans une fosse commune du cimetière.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ukraine-comment-les-equipes-medico-legales-enquetent-sur-les-atrocites-de-boutcha-180991">Ukraine : comment les équipes médico-légales enquêtent sur les atrocités de Boutcha</a>
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<p>En plus d’un homme abattu chez lui à Gouesnou, ce sont 42 personnes, dont 9 n’ont jamais été identifiées, qui ont été assassinées par des membres de la <em>Kriegsmarine</em>, la marine de guerre allemande.</p>
<p>Car ce ne sont pas des membres de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Waffen-SS">Waffen-SS</a>, tenants de l’idéologie nazie et réputés plus fanatiques, qui ont agi ici.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/O1N-2g27Pi8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ce reportage diffusé par l’ORTF en juin 1969 donne la parole à des rescapés du massacre d’Oradour-sur-Glane, au cours duquel 643 personnes périrent.</span></figcaption>
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<p>La Waffen-SS est responsable, entre autres, des massacres d’Oradour-sur-Glane, mais aussi de ceux, moins connus, de Tulle (Corrèze), d’Ascq (Nord), ou de <a href="https://journals.openedition.org/abpo/3496">Maillé</a> (Indre-et-Loire).</p>
<p>Mais à Gouesnou, ce sont de simples soldats, <a href="https://www.mollat.com/livres/761450/christopher-r-browning-des-hommes-ordinaires-le-101e-bataillon-de-reserve-de-la-police-allemande-et-la-solution-finale-en-pologne">« des hommes ordinaires »</a>, pour reprendre l’expression de l’historien américain spécialiste de la Shoah Christopher Browning.</p>
<p>Ces hommes ordinaires commirent ce jour-là un massacre d’une violence inouïe, preuve que des membres de la Wehrmacht <a href="https://journals.openedition.org/rha/7082">ont eux aussi participé activement à la répression dans les territoires occupés</a>.</p>
<p>Si les Gouesnousiens, qui commémorent chaque année cette tragédie, ne l’ont jamais oubliée, elle est pourtant passée sous silence depuis près de 80 ans. Pour quelles raisons ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522828/original/file-20230425-22-fgtdpd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=36%2C12%2C2005%2C1348&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522828/original/file-20230425-22-fgtdpd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522828/original/file-20230425-22-fgtdpd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522828/original/file-20230425-22-fgtdpd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522828/original/file-20230425-22-fgtdpd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522828/original/file-20230425-22-fgtdpd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522828/original/file-20230425-22-fgtdpd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cérémonie de commémoration du massacre de Penguerec, au monument aux morts de Gouesnou, le 7 août 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Premier élément de réponse, le massacre de Penguerec a été victime de la mémoire collective de sa région.</p>
<h2>Un massacre invisibilisé par un « brouillard de guerre »</h2>
<p>La Bretagne est un territoire très marqué par la forte présence de l’armée allemande et par l’implantation d’une Résistance précoce. <a href="https://www.tallandier.com/livre/les-francais-libres-lautre-resistance/">L’engagement de nombreux Bretons dans les Forces Françaises Libres</a> est aussi à noter : sur environ 73 000 FFL, 14 % étaient des Bretons. Dès juin 1940, des Français quittent les îles bretonnes pour rejoindre l’Angleterre, le plus emblématique de ces départs étant celui des <a href="https://www.ordredelaliberation.fr/fr/ile-de-sein">128 hommes de l’île de Sein en juin 1940</a>.</p>
<p>Les terribles bombardements comme celui de Rennes en juin 1940, ou ceux sur Brest durant l’Occupation ont également marqué les esprits. D’autant que Brest a aussi été dévastée, à la libération, par 40 jours d’un siège qui eut pour point d’orgue l’explosion de l’abri Sadi Carnot, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/finistere/brest/abri-sadi-carnot-brest-temoin-vie-quotidienne-guerre-1401199.html">qui tua environ 400 personnes</a>.</p>
<p>La mémoire collective s’est concentrée sur les faits de résistance et sur les immenses dommages subis par la cité du Ponant, laissant de côté le massacre de Pengerec.</p>
<p>Mais l’oubli de ce drame tient aussi à sa date. Le 7 août 1944, c’est le premier jour du siège de Brest, et Gouesnou se retrouve dans la tourmente des combats, totalement plongée dans un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Brouillard_de_guerre#:%7E:text=%C2%AB%20Brouillard%20de%20guerre%20%C2%BB%20est%20un,des%20forces%20et%20ses%20objectifs.">« brouillard de guerre »</a>. On ne sait pas vraiment ce qu’il s’y passe. La nouvelle du massacre n’est donc pas relayée. Par qui pourrait-elle l’être ?</p>
<p>Ce 7 août, les principaux organes de presse que sont la <em>Dépêche de Brest</em> et l’<em>Ouest-Eclair</em> n’existent plus. Du côté des politiques, seul le maire est encore présent. Mais il n’y a plus ni préfet, ni député, ni sénateur, bref, aucune autorité pour se faire l’écho de cet événement.</p>
<p>A contrario, le massacre d’Oradour-sur-Glane est immédiatement médiatisé, car il a lieu 10 juin 1944, dans une région encore sous administration de Vichy, avec des médias pour relayer l’information, et dans un secteur très éloigné des combats.</p>
<p>Une fois la libération achevée (à Gouesnou, elle commence le 2 septembre, et se termine avec la capitulation de Brest le 19 septembre) et les Gouesnousiens revenus dans leur commune, aucune association de victimes ne voit par ailleurs le jour.</p>
<p>Aucun parti ou responsable politique ne se fait le porte-parole des familles. Or, à Oradour, le parti communiste, très présent en Limousin, s’empare du sujet.</p>
<h2>Sidération et fatalité : « c’était la guerre, voilà tout »</h2>
<p>À Gouesnou, priorité est donnée à la reconstruction, au relogement, à la recherche de nourriture. Le temps de la sidération viendra plus tard.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/522658/original/file-20230424-1209-j8vqpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522658/original/file-20230424-1209-j8vqpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522658/original/file-20230424-1209-j8vqpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522658/original/file-20230424-1209-j8vqpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522658/original/file-20230424-1209-j8vqpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522658/original/file-20230424-1209-j8vqpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522658/original/file-20230424-1209-j8vqpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522658/original/file-20230424-1209-j8vqpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des soldats américains dans Gouesnou, après la libération du bourg, en septembre 1944. L’association « Les amis du patrimoine de Gouesnou », Author provided.</span>
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<p>Les Gouesnousiens vivent alors dans une sorte de fatalité. Ils ne cherchent pas, dans les années d’après-guerre, à comprendre ce qu’il s’est passé, ni pourquoi. Pour certains survivants que nous avons pu rencontrer, « c’était la guerre, voilà tout » ; « les gens en avaient marre d’en parler », comme nous l’ont confié Jeanne Goubin (née Jestin) et Marie-Thérèse Jestin en juin 2019.</p>
<p>Le massacre de Penguerec reste bien sûr très présent dans l’esprit de ceux qui l’ont vécu de près comme de loin, mais les rescapés n’évoqueront pas leur traumatisme.</p>
<p>Les enfants des victimes n’oseront pas non plus poser de questions : « On ne nous a rien raconté, on n’osait pas demander, on a tout appris avec les autres », relate Francine Phélep, nièce de Pierre Phélep, tué le 7 août.</p>
<p>Comme l’explique l’historienne Clotilde Vandendorpe <a href="https://www.editions-transmettre.fr/maille-la-memoire-oubliee-xml-378_384-1098.html">dans son ouvrage sur la question</a>, la problématique est la même à Maillé. « Pour certains psychologues et juristes, l’absence de procès et d’identification claire de coupables peuvent être vus comme une des causes qui conduisent les rescapés à ne plus parler des événements », analyse-t-elle.</p>
<p>Mais les motifs de cette invisibilisation sont aussi à chercher hors des murs de Gouesnou. Ainsi, il n’y a jamais eu, après la guerre, de véritable enquête judiciaire sur cet évènement. Aucun historien ne s’est penché sur ce drame, aucune personnalité politique locale ou nationale ne s’en est fait l’écho.</p>
<p>La raison est également politique, puisque dans la France d’après-guerre, les gouvernants, <a href="https://allemagneenfrance.diplo.de/fr-fr/actualites-nouvelles-d-allemagne/actualites-des-relations-franco-allemandes-seite/-/2550758">notamment Charles de Gaulle, ont voulu renouer des liens d’amitié forts avec l’Allemagne</a>.</p>
<p>Et pour cela, il a fallu sciemment <a href="http://theses.univ-poitiers.fr/notice/view/57766">passer sous silence plusieurs des nombreux crimes nazis commis en France</a>, comme celui de Gouesnou.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204159/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dimitri Poupon a reçu des financements de la ville de Gouesnou pour mener à bien sa thèse sur le massacre de Penguerec. </span></em></p>7 a oût 1944 : 43 civils sont massacrés par les soldats allemands à Gouesnou (Finistère). Près de 80 ans plus tard, une recherche inédite lève le voile sur cette tuerie de la Seconde Guerre mondiale.Dimitri Poupon, Docteur en Histoire contemporaine, Université de Bretagne occidentale Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039942023-04-24T18:14:17Z2023-04-24T18:14:17ZDes tulipes au menu : de la survie pendant la guerre à la gastronomie contemporaine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521358/original/file-20230417-22-6foitl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C1920%2C1287&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des enfants mangent de la nourriture donnée par une organisation religieuse pendant la grande famine aux Pays-Bas entre 1944 et 1945.</span> <span class="attribution"><span class="source">Menno Huizinga/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Aux Pays-Bas, à l’automne 1944, l’Allemagne nazie occupe le pays et la libération se révèle plus compliquée que prévu. L’accès à la nourriture est compromis par le blocage des trains et des transports fluviaux, qui sont interrompus en raison du gel des rivières.</p>
<p>Cette situation critique entraîne une <a href="https://academic.oup.com/shm/article-abstract/7/2/229/1704987">grande famine</a>, surtout dans les zones urbaines de l’ouest du pays. <a href="https://publ.nidi.nl/output/2013/lumey-2013-nutrition-health-famine.pdf">Les apports énergétiques y passent de 1 800 à 500 kilocalories par personne et par jour de mai 1944 à février 1945</a>.</p>
<p>On estime qu’en mai 1945, entre <a href="https://www.niod.nl/">20 000 et 25 000 citoyens néerlandais</a> sont morts des suites de la malnutrition. Elle a également touché les femmes enceintes et les enfants de moins d’un an, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0378512211002337">avec des conséquences à long terme pour la santé de ces enfants</a>.</p>
<p>Une apprentie danseuse de 16 ans, qui mesurait 1,80 m et pesait 40,8 kg, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19392397.2011.544163">s’est remémorée plus tard</a> qu’elle avait souffert d’asthme, de jaunisse, d’anémie et d’autres maladies résultant de la malnutrition, comme les œdèmes. « Cela commence par les pieds et quand cela atteint le cœur, on meurt. Pour moi, c’était au-dessus des chevilles quand les forces alliées nous ont libérés ».</p>
<p>Comme elle le raconte dans ses souvenirs, sa famille a survécu en mangeant des tulipes.</p>
<h2>Soupe aux tulipes</h2>
<p>Pour remédier à la famine et à la malnutrition, le gouvernement néerlandais recherche des aliments énergétiques et riches en nutriments, facilement accessibles. En temps de guerre, la culture des tulipes est interrompue et il existe un stock important de bulbes non plantés. Les autorités décident de profiter de ce surplus pour vendre les bulbes dans les épiceries et publier des recettes dans des magazines locaux afin d’aider la population. La soupe aux bulbes de tulipes est cuisinée pendant l’heure quotidienne de disponibilité du gaz.</p>
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<p>L’une de ces recettes indique le mode de préparation suivant : « Versez de l’eau dans la marmite, coupez les bulbes en deux et enlevez le germe. Râpez ensuite les bulbes à l’aide d’une râpe fine et de préférence dans la marmite, car la pulpe se décolore rapidement. Bien que les bulbes de tulipe soient riches en amidon, ils n’épaississent pas la soupe comme le fait la farine. Leur pulpe flotte dans la soupe sous forme de flocons. Si vous avez encore du curry chez vous, ajoutez-en une pincée, puis ajoutez un peu d’huile ou une petite quantité de matière grasse. Et n’oubliez pas le sel ! »</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/520106/original/file-20230410-28-ytzaen.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520106/original/file-20230410-28-ytzaen.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520106/original/file-20230410-28-ytzaen.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520106/original/file-20230410-28-ytzaen.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520106/original/file-20230410-28-ytzaen.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520106/original/file-20230410-28-ytzaen.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520106/original/file-20230410-28-ytzaen.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520106/original/file-20230410-28-ytzaen.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Recette pour la préparation de la soupe aux bulbes de tulipes pendant la famine aux Pays-Bas.</span>
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<h2>Attention à la tulipaline A</h2>
<p>Les tulipes posent toutefois un problème. Leurs bulbes contiennent principalement un allergène : le composé appelé <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15563650.2018.1440588">tulipaline A</a>. Il se trouve principalement dans la couche externe du bulbe, mais aussi dans la tige, les feuilles et les pétales.</p>
<p><a href="https://europepmc.org/article/med/12910870">Les vaches peuvent ainsi s’empoisonner</a> en consommant du foin et des bulbes de tulipe ; par ailleurs, ce composé provoque ce que l’on appelle les <a href="https://cdn.mdedge.com/files/s3fs-public/CT110003145.pdf">« doigts de tulipe »</a>. Cette dermatite, dont souffrent les bulbiculteurs, se caractérise par une desquamation érythémateuse de la peau autour des ongles et entre les extrémités du premier et du deuxième doigt de la main dominante. <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamadermatology/article-abstract/549543">Elle ne peut être évitée</a> qu’en réduisant le contact avec ces plantes bulbeuses et en portant des gants en nitrile (les gants en vinyle ne conviennent pas).</p>
<p>Le danger associé à la consommation de bulbes de tulipes réside donc dans la variété choisie ou le mode de préparation. En effet, toutes les variétés ne sont pas comestibles et celles qui le sont peuvent avoir un goût amer. D’autre part, leur consommation crue peut provoquer des nausées, des douleurs abdominales et d’autres troubles digestifs.</p>
<h2>Les tulipes dans la cuisine contemporaine</h2>
<p>Aujourd’hui, les bulbes de tulipe peuvent être séchés, pulvérisés et ajoutés aux céréales ou transformés en farine pour fabriquer du pain.</p>
<p>Les fleurs sont également <a href="https://theconversation.com/flores-comestibles-mas-que-una-cara-bonita-199196">comestibles</a>. Elles peuvent être utilisées comme garniture de plats, avec la fleur entière (sans le pistil et les étamines) ou en hachant les pétales et en les mélangeant à une salade, bien qu’elles aient peu de goût. Les pétales peuvent aussi décorer un gâteau ou servir de base à un sirop.</p>
<p>Dans la gastronomie moderne, on s’efforce de faire revivre cet ingrédient original. Par exemple, il y a 23 ans, l’experte en plantes nutritionnelles et médicinales <a href="https://www.margaretroberts.co.za/edible-medicinal-flowers/">Margaret Roberts</a> a énuméré des suggestions telles que le sirop de tulipe, les tulipes farcies à la mayonnaise de poulet et la salade de trois haricots aux tulipes.</p>
<p>On peut également citer Johanna Huiberts Van den Berg, qui a compilé une <a href="https://www.bol.com/nl/nl/p/eet-smakelijke-tulp/9200000120020113/">trentaine de recettes</a>, ou Alain Caron, un chef français qui vit aux Pays-Bas depuis 40 ans et dirige plusieurs restaurants à Amsterdam. Caron a inventé des plats comme la <a href="https://binnenstebuiten.kro-ncrv.nl/recepten/tulpenbollen-recept">salade de tomates confites, fenouil et bulbes de tulipe</a> ou les huîtres aux bulbes de tulipe.</p>
<p>La jeune femme qui raconte les ravages de la famine hollandaise aurait sans doute été ravie de goûter à ces délices.</p>
<p>Elle est d’ailleurs devenue, des années plus tard, l’une des plus grandes actrices du XX<sup>e</sup> siècle et, fin avril 1990, déclarée star du monde botanique aux Pays-Bas. L’industrie néerlandaise des bulbes a rendu hommage à son travail pour l’UNICEF en consacrant une variété blanche de cette fleur exceptionnellement lumineuse : la tulipe Audrey Hepburn.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MaQKOPp09V0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Cérémonie officielle pour nommer une variété de tulipes en l’honneur d’Audrey Hepburn à Huis Doorn, le manoir de la famille à Doorn, aux Pays-Bas.</span></figcaption>
</figure></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203994/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La plante emblématique des Pays-Bas a sauvé des milliers de personnes de la famine en période de disette. Aujourd’hui, elle est à nouveau appréciée pour ses qualités gastronomiques…Jose Miguel Soriano del Castillo, Catedrático de Nutrición y Bromatología del Departamento de Medicina Preventiva y Salud Pública, Universitat de ValènciaMª Inmaculada Zarzo Llobell, Estudiante de Doctorado en Medicina, Universitat de ValènciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1999332023-02-15T15:23:25Z2023-02-15T15:23:25ZEn réécrivant l’histoire, le gouvernement polonais déforme l’Holocauste<p>En janvier 2018, le parlement polonais <a href="https://www.amnesty.org/en/documents/eur37/7858/2018/en/">a adopté une loi</a> permettant d’imposer des peines de prison qui peuvent aller jusqu’à trois ans à toute personne ayant déclaré que les Polonais ont eu une quelconque responsabilité ou complicité dans les crimes nazis pendant l’Holocauste. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le 15 février, l’auteur Jan Grabowski discute, dans le cadre d’un événement en direct organisé conjointement par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines, de ses recherches sur l’Holocauste.</span>
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<p>La loi, qui vise à faire taire les historiens, a instauré un climat tendu dans les milieux universitaires et ailleurs.</p>
<p><a href="https://iupress.org/9780253010742/hunt-for-the-jews/">J’oriente mes recherches</a> sur les relations entre les Juifs polonais et la population non juive locale.</p>
<p>Le gouvernement polonais a décidé (directement ou par procuration) de porter contre moi des accusations au civil. J’ai été <a href="https://lactualite.com/actualites/un-historien-de-luniversite-dottawa-est-accuse-de-diffamation-en-pologne/">poursuivi pour diffamation</a>, et des organisations polonaises ont demandé que je sois démis de mes fonctions de professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa.</p>
<p>Plus récemment, j’ai été interrogé par l’<a href="https://www.abw.gov.pl/en">Agence de sécurité intérieure</a> de la Pologne, et le <a href="https://twitter.com/ziobropl/status/1427525611019546634">ministre de la Justice du pays a exprimé son indignation</a> à l’égard de mon travail.</p>
<p>Ce ne sont là que quelques-uns des enjeux juridiques et extrajuridiques actuels liés à l’écriture de l’histoire de l’Holocauste en Pologne.</p>
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<img alt="Une statue d’un homme portant un enfant avec d’autres enfants derrière lui" src="https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C10%2C3464%2C2664&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un monument à la mémoire de Janusz Korczak, mort dans la chambre à gaz du camp de la mort de Treblinka en 1942, avec les enfants de l’orphelinat juif qu’il dirigeait dans le ghetto de Varsovie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Czarek Sokolowski)</span></span>
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<h2>Histoire et nationalisme</h2>
<p>L’idée que des franges de la société polonaise se soient rendues complices de l’Holocauste pendant la guerre a longtemps constitué un sujet tabou.</p>
<p>Le parti d’extrême droite <a href="https://www.ledevoir.com/monde/440921/pologne-le-conservateur-andrzej-duda-remporte-la-presidentielle">Droit et Justice est arrivé au pouvoir</a> en Pologne en 2015. La défense de la <a href="https://www.macleans.ca/news/world/as-poland-re-writes-its-holocaust-history-historians-face-prison/">réputation de la nation</a> est l’un des éléments centraux de son programme politique et un moyen sûr de consolider sa base électorale.</p>
<p>Les historiens et enseignants indépendants, <a href="https://www.tvp.info/52369152/dalej-jest-noc-historyk-dr-piotr-gontarczyk-engelking-padla-ofiara-wlasnej-metodologii">dont je fais partie</a>, sont devenus la cible de campagnes de haine virulentes dans les médias d’État et contrôlés par l’État.</p>
<p>Les historiens de l’Holocauste ont pour dicton : « Je n’ai pas choisi d’étudier l’Holocauste, c’est l’Holocauste qui m’a choisi. »</p>
<p>Après une formation en histoire des 17<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles, je me suis tourné vers l’étude de l’Holocauste de manière inattendue, au début du XX<sup>e</sup> siècle, quand je me suis rendu à Varsovie au chevet de <a href="https://www.newyorker.com/news/our-columnists/the-historians-under-attack-for-exploring-polands-role-in-the-holocaust">mon père, un survivant de l’Holocauste</a>, qui était malade.</p>
<p>Ayant un peu de temps libre, j’ai fait ce que font la plupart des historiens : je suis allé aux archives locales. C’est là que je suis tombé sur des milliers de dossiers des tribunaux allemands de l’époque de l’occupation de Varsovie.</p>
<p>Ce qui a éveillé ma curiosité, c’est qu’il y avait des centaines de dossiers concernant des Juifs du <a href="https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/ghettos/le-ghetto-de-varsovie.html">ghetto de Varsovie</a>. J’ai découvert que les Allemands les poursuivaient pour avoir enfreint divers règlements nazis : refus de porter le <a href="https://www.bl.uk/learning/histcitizen/voices/info/yellowstar/theyellowstar.html">brassard avec l’étoile de David</a>, sortie du ghetto sans permission, violation du couvre-feu, achat et contrebande de nourriture du côté <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/aryan-1">« aryen »</a> vers le ghetto ou « diffamation de la nation allemande » – ce qui signifiait généralement avoir raconté des blagues sur l’occupation.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Des fleurs à côté d’une tombe avec une étoile de David" src="https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Monument à Wojsławice, en Pologne, à la mémoire des 60 Juifs exécutés dans la ville pendant l’Holocauste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Czarek Sokolowski)</span></span>
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<h2>Les témoins de l’Holocauste</h2>
<p>Raul Hilberg, éminent historien de l’Holocauste, a divisé le paysage humain de l’Holocauste en trois catégories : les <a href="https://www.cultura.com/p-executeurs-victimes-temoins-9782070316663.html">exécuteurs, les victimes et les témoins</a>. Au fil des ans, nous avons beaucoup appris sur les exécuteurs allemands et les victimes juives de l’Holocauste, mais beaucoup moins sur la dernière catégorie, qui demeure mal définie.</p>
<p>Qui étaient les témoins ? S’agissait-il de personnes qui ne savaient rien de la tragédie que vivaient les Juifs ? Ou de personnes qui, sachant ce qui se passait, avaient choisi l’indifférence ?</p>
<p>La Pologne était un épicentre de l’Holocauste. Les nazis y ont construit des camps de la mort et c’est dans ce pays que la <a href="https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/sort-des-juifs/massacre-des-juifs-de-pologne.html">majeure partie de la population juive a été assassinée</a>. Dans le cadre de mes recherches, j’ai constaté, sans l’ombre d’un doute, qu’il était impossible que les gens restent à l’écart du génocide, sans en avoir conscience.</p>
<p>Ce ne sont pas tous les ghettos juifs (<a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/map/ghettos-in-occupied-poland-1939-1941">il y en avait des centaines en Pologne)</a> qui étaient isolés du monde extérieur. La plupart étaient soit ouverts (sans murs), soit dotés de clôtures peu solides qui n’empêchaient pas les contacts entre Juifs et autres Polonais.</p>
<p>En 1942, les opérations de liquidation ont commencé. Les Allemands, avec l’aide des gens du coin, ont rassemblé les familles juives et les ont conduites vers la gare la plus proche, où elles sont montées à bord des <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/german-railways-and-the-holocaust">trains de la mort</a> à destination des camps d’extermination de Treblinka, Belzec, Sobibor et Auschwitz.</p>
<p>Tout cela se passe au vu et au su de la population non juive du voisinage. Une fois que les Juifs ont été déportés en masse vers la mort, les ghettos vides sont devenus le théâtre de vols à grande échelle. Des dizaines de milliers de maisons, d’appartements et de meubles étaient désormais faciles à piller.</p>
<p>C’est à ce moment-là que des milliers de Juifs, qui s’étaient réfugiés dans des <a href="https://www.dw.com/en/surviving-the-holocaust-uncovering-secret-hideouts/video-60539431">cachettes</a> sous et à l’intérieur de leurs maisons, ont été découverts, sortis et livrés aux Allemands pour être aussitôt exécutés.</p>
<p>Des Juifs ont fui les ghettos et se sont réfugiés dans les forêts, le plus souvent grâce à des habitants du coin qui leur ont offert leur aide, soit contre une rémunération, soit pour des motifs altruistes.</p>
<p>Au cours de cette dernière étape de l’Holocauste – que les Allemands ont appelé Juden jagdou « chasse aux Juifs » –, les Juifs cachés sont devenus en bonne partie invisibles aux yeux des Allemands. Pendant cette dernière phase (qui s’est poursuivie jusqu’à la fin de la guerre), ce sont souvent les voisins non juifs qui ont déterminé qui allait vivre et qui allait mourir.</p>
<p>Mes recherches sur cette phase de l’Holocauste m’ont amené à penser qu’il était impossible d’être un simple témoin passif en Europe de l’Est et, surtout, en Pologne. La notion même de témoin passif est une chose à réévaluer, à remettre en question, voire à rejeter.</p>
<p>Mes recherches ont donné lieu à des discussions entre historiens et, en Pologne, elles ont soulevé le <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/ottawa/jan-grabowski-holocaust-hate-campaign-1.4169662">courroux des nationalistes</a>.</p>
<h2>Une nuit sans fin</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture de livre rouge et noir avec les mots : Une nuit sans fin, le sort des Juifs dans la Pologne occupée par les Allemands" src="https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Night Without End</em>, par Jan Grabowski et Barbara Engelking.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Indiana University Press)</span></span>
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<p>C’est dans un tel contexte politique <a href="https://iupress.org/9780253062864/night-without-end/">que <em>Night Without End</em> (Une nuit sans fin</a> un livre que j’ai coécrit et coédité, a été publié en 2018. Cette étude en deux volumes qui font en tout 1 600 pages est une enquête sur le sort des Juifs dans certaines régions de la Pologne en temps de guerre. Nous avons étudié la lutte des Juifs pour leur survie et les politiques génocidaires allemandes.</p>
<p>Nous avons également essayé de comprendre l’attitude de la société polonaise envers la tragédie juive. Les conclusions sont peu réjouissantes : les résultats de nombreuses années de recherche indiquent qu’au moins deux tiers des Juifs qui se cachaient ont été soit assassinés, soit livrés aux nazis par leurs voisins polonais.</p>
<p>La réaction des autorités a été prompte et virulente. La co-auteure du livre et moi-même avons été <a href="https://www.tvp.info/52288441/kiedy-historyk-boi-sie-babci">dénoncées dans la presse</a>. Il s’en est suivi une campagne de haine sans précédent, suivie de poursuites civiles et d’accusations au criminel.</p>
<p>Les attaques contre les historiens et l’histoire elle-même s’accompagnent généralement d’attaques contre d’autres éléments essentiels d’une société ouverte et démocratique. La défense de l’histoire et la lutte pour préserver le droit de savoir ce qui s’est passé font partie des fondements d’un régime démocratique.</p>
<p>« Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur », écrivait George Orwell dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/1984_(roman)"><em>1984</em></a>. Ses paroles n’ont jamais sonné aussi juste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199933/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jan Grabowski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Holocauste est devenu une question controversée en Pologne ces dernières années. Ceux qui contestent le récit historique du gouvernement ont été condamnés et poursuivis en justice.Jan Grabowski, Professor, Department of History, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1972422023-01-08T16:38:46Z2023-01-08T16:38:46ZL’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale : une mémoire douloureuse parfois méconnue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503283/original/file-20230105-20-nc2xj9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C1022%2C725&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Soldats allemands dans une rue de Tunis, 1943.</span> <span class="attribution"><span class="source">Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Il y a un peu plus de quatre-vingts ans, en novembre 1942, les <a href="http://www.cerclealgerianiste.fr/index.php/archives/encyclopedie-algerianiste/histoire/histoire-militaire/la-seconde-guerre-mondiale/265-la-tunisie-sous-occupation-allemande">nazis occupaient la Tunisie</a>. Pendant les six mois qui suivirent, les Juifs et les musulmans tunisiens furent soumis au règne de terreur du Troisième Reich, ainsi qu’à sa législation antisémite et raciste. Les habitants vivaient dans la peur – « sous la botte des nazis », comme l’a écrit l’avocat juif tunisien Paul Ghez dans son <a href="https://www.fondationshoah.org/memoire/six-mois-sous-la-botte-paul-ghez?2022-09-18_091008_2539.html">Journal</a> pendant l’occupation.</p>
<p>Nous sommes respectivement <a href="https://sarahastein.com/">historienne</a> et <a href="https://www.aomarboum.com/">anthropologue</a>. Ensemble, nous avons passé une décennie à <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=32119">rassembler les voix</a> de diverses personnes qui ont enduré la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord, par-delà <a href="https://www.worldreligionnews.com/issues/the-triangular-affair-between-muslims-france-and-jews-interview-with-ethan-b-katz/">leur confession, leur classe sociale, leur langue et leur région d’origine</a>. Leurs lettres, leurs journaux intimes, leurs Mémoires, leurs poèmes et leur histoire orale expriment à la fois l’espoir et la détresse. Ils se percevaient comme étant piégés par la machine déchaînée du nazisme, de l’occupation, de la violence et du racisme.</p>
<p>Quand la plupart des Européens pensent au cauchemar de la guerre ou de l’Holocauste, ils pensent avant tout aux événements survenus sur le continent européen. Mais l’Afrique du Nord n’a pas été épargnée par ce déferlement de haine et de violence.</p>
<h2>L’Afrique du Nord aux mains des régimes d’Hitler, de Mussolini et de Pétain</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une famille juive à Tanger, au Maroc, en 1885. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LL/Roger Viollet via Getty Images</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/2500-annees-de-presence-juive-en-afrique-du-nord-un-monde-qui-s-eteint_3477857.html">L’histoire des Juifs installés en Afrique du Nord</a> commence dès le VI<sup>e</sup> siècle avant J.-C., après la destruction du premier temple de Jérusalem. Une autre vague importante d’immigrants a suivi l’Inquisition espagnole. Au début de la Seconde Guerre mondiale, une <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2015-3-page-71.htm">population juive nord-africaine variée d’environ 500 000 personnes</a> coexistait avec les voisins musulmans.</p>
<p>Ces Juifs d’Afrique du Nord parlaient de nombreuses langues, reflétant leurs différentes cultures et appartenances : l’arabe, le français, le tamazight – langue berbère – et le haketia, une forme de judéo-espagnol parlé dans le nord du Maroc. Alors qu’un grand nombre de Juifs d’Afrique du Nord, en particulier en Algérie, bénéficiaient des privilèges de la citoyenneté française et d’autres nationalités occidentales, la majorité restait soumise aux autorités locales.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un groupe de jeunes filles juives à Debdou, au Maroc, vers 1915.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Millet E/Wikimedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs détenteurs de la citoyenneté française en <a href="https://journals.openedition.org/assr/21080">ont été déchus</a>. Trois puissances européennes ont gouverné tout ou partie de l’Afrique du Nord pendant la guerre, toutes trois avec une immense brutalité : la France de Vichy, l’Italie mussolinienne et l’Allemagne nazie.</p>
<p>Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie furent pendant la majeure partie du conflit dominés par la France de Vichy. Toutes les <a href="https://books.openedition.org/pumi/17916?lang=fr">lois et politiques antisémites et racistes</a> que le régime de Vichy a imposées à la France métropolitaine ont été <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/anti-jewish-legislation-in-north-africa">étendues aux colonies françaises d’Afrique du Nord et de l’Ouest</a>, expulsant les Juifs de leurs emplois, les privant de la citoyenneté – s’ils la possédaient – et saisissant les propriétés, les entreprises et les actifs appartenant à des Juifs.</p>
<p>Le régime de Vichy a également poursuivi les <a href="https://journals.openedition.org/rh19/1762">politiques racistes initiées par la IIIᵉ République</a>, en imposant le <a href="https://www.cairn.info/histoire-militaire-de-la-france--9782262065133-page-485.htm">service militaire aux jeunes Noirs des colonies</a>, et en les exposant aux avant-postes les plus dangereux en temps de guerre : après l’occupation allemande de la France, de nombreux tirailleurs sont emprisonnés par les nazis. Beaucoup ont été libérés et remis aux autorités de Vichy qui les ont utilisés pour contrôler la population indigène dans les colonies nord-africaines et les camps d’Afrique du Nord. Ces recrues forcées venaient du Sénégal, de Guinée française, de Côte d’Ivoire, du Niger et de Mauritanie, des territoires français du Bénin, de la Gambie et du Burkina Faso d’aujourd’hui. Il y avait également parmi eux des musulmans du Maroc et d’Algérie.</p>
<p>Ainsi, en ces temps de guerre, les Français menèrent une campagne anti-musulmane et anti-noire, associant des formes de haine raciale de l’ère coloniale à l’antisémitisme. Celui-ci avait des racines profondes dans l’histoire française et coloniale, mais trouva une <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2022-06-27/ty-article-opinion/.highlight/how-north-african-jews-have-been-erased-from-holocaust-history/00000181-a4fe-dcbe-a19b-a5ff8fc40000">nouvelle vigueur</a> avec le nazisme.</p>
<p>La politique antisémite et anti-Noirs était également une composante de la politique du gouvernement fasciste de Benito Mussolini, qui a <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-libye-vue-ditalie-colonialisme-fascisme-et-histoire-cachee">régné sur la Libye pendant la guerre</a>. L’Italie a d’abord testé sa politique raciste dans ses colonies d’Afrique orientale, en séparant les populations locales noires des colons italiens. Le régime de Mussolini a ensuite adapté cette politique de haine raciale en Libye, où il a <a href="https://northafricanjews-ww2.org.il/fr/les-juifs-de-libye-pendant-la-seconde-guerre-mondiale">chassé les Juifs de la vie active et de l’économie</a>, saisi les biens de milliers de personnes et les a déportées vers des camps de travail et d’internement. Des Juifs – enfants, femmes et hommes – sont morts de faim, de maladie, et des suites de privations et du travail forcé.</p>
<h2>Des camps en terre africaine</h2>
<p>L’Allemagne nazie a occupé la Tunisie de novembre 1942 à mai 1943. <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=32119">Pendant cette période</a>, les SS – le corps d’élite du régime nazi – ont emprisonné quelque 5 000 Juifs dans environ 40 camps de travaux forcés et de détention sur le front et dans des villes comme Tunis. Les troupes allemandes ont également terrorisé les filles et les femmes musulmanes et juives restées sur place.</p>
<p>Le Troisième Reich n’a pas déporté des Juifs d’Afrique du Nord vers ses camps de la mort en Europe de l’Est, mais des centaines de Juifs d’origine nord-africaine et certains musulmans qui vivaient en France ont connu ce sort. Ils furent déportés d’abord au camp d’internement de Drancy, aux portes de Paris, puis envoyés de là dans des camps de concentration et de la mort. Beaucoup sont morts à Auschwitz.</p>
<p>Il y avait aussi des camps en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. En plus des centres ouverts par les fascistes italiens en Libye, la France de Vichy et l’Allemagne nazie ont établi des camps pénitentiaires, des camps de détention et des camps de travail.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un prisonnier juif allemand du nom de Rosenthal pousse une charrette dans la carrière de pierres du camp de travail d’Im Fout au Maroc.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musée du mémorial de l’Holocauste des États-Unis</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le régime de Vichy a construit à lui seul <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/gallery/camps-in-north-africa">près de 70 camps de ce type au Sahara</a>, insufflant une nouvelle vie au vieux projet colonial consistant à construire un chemin de fer transsaharien pour relier les côtes atlantique et méditerranéenne. Le régime de Vichy y voyait notamment un moyen d’envoyer un certain nombre de soldats sénégalais assurer la sécurité des camps sahariens de travaux forcés.</p>
<p>Dans <a href="https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/camps/les-camps-dafrique-du-nord.html">ces camps</a>, comme dans les camps nazis d’Europe de l’Est, la logique raciste complexe du nazisme et du fascisme s’est illustrée de manière très concrète. Les musulmans arrêtés pour activités anticoloniales ont été contraints à un travail épuisant aux côtés de Juifs et de chrétiens qui avaient fui l’Europe déchirée par la guerre avant d’être arrêtés en Afrique du Nord.</p>
<p>Ces hommes ont partagé le pain avec d’autres travailleurs forcés du monde entier, y compris des combattants qui s’étaient portés volontaires aux côtés de l’armée républicaine espagnole pendant la guerre civile. Ces Ukrainiens, Américains, Allemands, Juifs russes et autres avaient été arrêtés, déportés et emprisonnés par le régime de Vichy après avoir fui l’Espagne de Franco. Il y avait aussi des opposants politiques du régime de Vichy et du régime nazi, dont des socialistes, des communistes, des syndicalistes et des nationalistes maghrébins. Des enfants et des femmes ont également été emprisonnés.</p>
<p>Parmi ces prisonniers, beaucoup étaient des réfugiés ayant fui l’Europe, que ce soit en raison de leur judéité ou parce qu’ils étaient des adversaires politiques du Troisième Reich. Les détenus étaient encadrés par des soldats français de Vichy ainsi que par des <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2004-2-page-215.htm">autochtones marocains et des Sénégalais recrutés de force</a>, qui n’étaient souvent guère plus que des prisonniers eux-mêmes. Parfois, les prisonniers du camp interagissaient avec les populations locales : musulmans sahariens et juifs qui leur fournissaient des soins médicaux, des lieux de sépulture, de la nourriture et du sexe contre de l’argent.</p>
<p>Le nazisme en Europe reposait sur une matrice complexe d’idées racistes, eugénistes et nationalistes. La guerre – et l’Holocauste – apparaît encore plus complexe lorsque l’on prend en compte la logique raciste et violente des événements survenus alors en Afrique du Nord.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au début des années 1940, l'Afrique du Nord a été aux mains de la France de Vichy, de l'Italie fasciste et de l'Allemagne nazie. Une période tragique et douloureuse pour les populations locales.Sarah Abrevaya Stein, Professor of History, University of California, Los AngelesAomar Boum, Professor of Anthropology, University of California, Los AngelesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1930922022-10-24T17:19:08Z2022-10-24T17:19:08ZCovid-19 : voilà l’impact réel de la pandémie sur l’espérance de vie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/491317/original/file-20221024-23-r8b3pw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C343%2C4286%2C2804&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'impact du Covid sur l'espérance de vie se fait sentir depuis deux ans, de façon désormais différente selon les pays.</span> <span class="attribution"><span class="source">Hyejin Kang/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La pandémie de Covid a déclenché une hausse, sans précédent récent, du nombre de décès dans le monde et une baisse visible au niveau mondial de l’espérance de vie. Dans une étude menée en 2021, nous avions déjà constaté que l’année 2020 avait entraîné <a href="https://doi.org/10.1093/ije/dyab207">d’importantes pertes d’espérance de vie</a>. L’effet avait été particulièrement frappant aux États-Unis, avec une chute de plus de deux ans, et en Angleterre et au Pays de Galles, avec une baisse d’un an.</p>
<p>Cette fois, dans une nouvelle étude tout juste publiée dans <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-022-01450-3"><em>Nature Human Behaviour</em></a>, nous avons montré qu’en 2021, l’espérance de vie a quelque peu rebondi dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, tandis que l’Europe de l’Est et les États-Unis ont enregistré des pertes supplémentaires. Partout, toutefois, la situation est moins bonne que ce qu’elle aurait probablement été sans la pandémie… Hormis en Norvège, qui a retrouvé et même dépassé son espérance de vie de 2019.</p>
<p>Nous savions que les perspectives pour 2021 étaient mitigées. L’enthousiasme suscité par le déploiement de la vaccination est en effet tempéré par le nombre considérable d’infections causées par l’<a href="https://theconversation.com/comment-le-variant-omicron-ba-2-a-repousse-les-limites-initiales-du-Covid-19-177292">émergence régulière de nouveaux variants</a>. Pour évaluer l’impact de ces changements, notre équipe de recherche du <a href="https://www.demographicscience.ox.ac.uk/">Leverhulme Centre for Demographic Science</a> (de l’Université d’Oxford) et du <a href="https://www.demogr.mpg.de/en">Max Planck Institute for Demographic Research</a> a rassemblé des données provenant de 29 pays (principalement européens, ainsi que le Chili et les États-Unis).</p>
<h2>Espérance de vie : de quoi parle-t-on ?</h2>
<p>L’espérance de vie est une mesure utilisée pour « résumer » le schéma de mortalité d’un pays pour une année donnée. Elle est calculée sur la base des décès, toutes causes confondues : elle ne dépend donc pas de l’exactitude de l’enregistrement des décès liés au Covid, et peut donner une image plus large de la façon dont la pandémie a affecté la mortalité.</p>
<p>L’espérance de vie n’est pas une prédiction de la durée de vie d’un bébé né aujourd’hui. Il s’agit plutôt du nombre d’années qu’une personne née aujourd’hui pourrait espérer vivre, si elle vivait toute sa vie avec les taux de mortalité de l’année en cours (de 2021 dans le cas de notre recherche). Il s’agit donc d’un instantané des conditions de mortalité actuelles, si elles devaient se poursuivre sans amélioration ni détérioration.</p>
<p>Les démographes considèrent l’espérance de vie comme une mesure synthétique très utile de la mortalité de la population, car elle est comparable entre les pays et dans le temps. De fortes variations à la hausse ou à la baisse peuvent nous indiquer que quelque chose de significatif a changé – comme ça a été le cas avec le Covid. L’ampleur de ces baisses nous permet de comparer les chocs de mortalité dans le temps et dans l’espace.</p>
<h2>L’Europe de l’Est et les États-Unis particulièrement touchés</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="Classement des pays cumulant du plus au moins de perte d’espérance de vie, en haut Bulgarie, Slovaquie, États-Unis, en bas Norvège" src="https://images.theconversation.com/files/487175/original/file-20220928-25-sgnrw1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487175/original/file-20220928-25-sgnrw1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=707&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487175/original/file-20220928-25-sgnrw1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=707&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487175/original/file-20220928-25-sgnrw1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=707&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487175/original/file-20220928-25-sgnrw1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=888&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487175/original/file-20220928-25-sgnrw1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=888&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487175/original/file-20220928-25-sgnrw1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=888&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Classement des pays par pertes cumulées décroissantes d’espérance de vie (en mois) depuis 2019. Les deux niveaux de flèches indiquent l’évolution en 2020 (haut) et 2021 (bas). En rouge les hausses, en gris les baisses. On constate que la France a quasiment retrouvé son niveau de 2019, à 1,2 mois près.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Dowd, J.M. Aburto, R. Kashyap</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Premier constat : nous avons remarqué que l’impact de la pandémie sur la mortalité variait beaucoup plus d’un pays à l’autre en 2021 qu’en 2020. L’espérance de vie a diminué dans pratiquement tous les pays étudiés en 2020, à l’exception du Danemark et de la Norvège. Mais en 2021, pour certains pays, l’espérance de vie s’est améliorée par rapport à 2020, tandis que pour d’autres elle s’est encore dégradée.</p>
<p>● En Europe de l’Est, ces nouvelles baisses s’expliquent probablement par un double phénomène : la région a évité certaines des <a href="https://ourworldindata.org/explorers/coronavirus-data-explorer?zoomToSelection=true&time=earliest..2021-12-29&facet=none&hideControls=true&Metric=Confirmed+deaths&Interval=Weekly&Relative+to+Population=true&Color+by+test+positivity=false&country=BGR%7EEST%7EEuropean+Union%7ECZE%7EHUN%7ELTU%7EPOL%7ESVK%7EHRV%7ESVN%7EGBR">vagues Covid précoces en 2020</a>, ce qui n’a pas permis une première immunisation naturelle de la population ; elle a ensuite fait montre d’une <a href="https://ourworldindata.org/explorers/coronavirus-data-explorer?zoomToSelection=true&time=earliest..2021-12-29&facet=none&hideControls=true&Metric=People+fully+vaccinated&Interval=Weekly&Relative+to+Population=true&Color+by+test+positivity=false&country=BGR%7EEST%7EEuropean+Union%7ECZE%7EHUN%7ELTU%7EPOL%7ESVK%7EHRV%7ESVN">plus faible utilisation des vaccins</a> lorsque de grandes vagues sont arrivées en 2021. La Bulgarie est l’exemple le plus extrême, avec une perte de 3,5 années depuis 2019 (1,5 année en 2020 et deux années encore en 2021).</p>
<p>● La situation est mauvaise également aux États-Unis, pour des raisons différentes. Malgré un <a href="https://ourworldindata.org/explorers/coronavirus-data-explorer?zoomToSelection=true&time=earliest..2022-01-01&facet=none&hideControls=true&Metric=People+vaccin%C3%A9s&Intervalle=7jours+roulement+moyenne&Relatif+%C3%A0+la+population=vrai&Couleur+par+test+positivit%C3%A9=faux&pays=USA%7EEuropean+Union">déploiement précoce des vaccins</a>, ils ont continué de s’écarter de l’Europe de l’Ouest avec une perte supplémentaire de près de trois mois en 2021 après avoir perdu plus de deux ans en 2020. L’analyse des données épidémiologiques fait ressortir que les États-Unis ont un <a href="https://www.ft.com/content/03aa46e2-ac3a-4c16-82be-431ea4c43e58">taux d’utilisation des vaccins et des rappels</a> inférieur à celui des autres pays occidentaux : ce qui explique probablement une partie de cette différence en 2021.</p>
<p>Il faut aussi rappeler que l’espérance de vie aux États-Unis <a href="https://www.vox.com/future-perfect/2022/9/7/23339734/life-expectancy-shorter-united-states-Covid?">est à la traîne par rapport aux pays européens</a> depuis des années. On peut faire l’hypothèse qu’une partie de ce désavantage américain peut refléter des vulnérabilités sanitaires sous-jacentes spécifiques à cette région, et qui ont été exacerbées par la pandémie de Covid. Ainsi, si la plupart des pertes d’espérance de vie peuvent être attribuées <a href="https://www.cdc.gov/nchs/data/vsrr/vsrr023.pdf">aux décès confirmés dus au Covid</a>, une augmentation continue des décès <a href="https://www.cdc.gov/nchs/pressroom/nchs_press_releases/2021/20211117.htm">dus aux surdoses de drogues</a> a également été enregistrée.</p>
<p>● L’Angleterre et le Pays de Galles se situent quelque part au milieu, gagnant 2,1 mois en 2021 après avoir perdu presque un an en 2020. Même pour les pays qui s’en sortent relativement bien, le Covid a quand même fait dérailler la trajectoire d’amélioration de la mortalité que l’on devrait normalement observer d’année en année.</p>
<p>● La France, de son côté, fait partie des huit pays qui ont connu un rebond significatif : l’Hexagone a regagné 5 mois d’espérance de vie en 2021 après une perte de 6,2 mois en 2020, retrouvant ainsi un niveau proche de celui de 2019 (comme la Belgique, la Suisse et la Suède). Cela reflète une amélioration de la mortalité aux âges les plus élevés (presque une « normalisation »), sans les pertes aux âges plus jeunes observées en Europe de l’Est et aux États-Unis.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Évolution de l’espérance de vie à la naissance pour cinq pays. Pour la Bulgarie et les États-Unis, contrairement à l’Angleterre, l’Italie et la Norvège, elle baisse toujours" src="https://images.theconversation.com/files/490005/original/file-20221017-23-w9ta73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490005/original/file-20221017-23-w9ta73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490005/original/file-20221017-23-w9ta73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490005/original/file-20221017-23-w9ta73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490005/original/file-20221017-23-w9ta73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490005/original/file-20221017-23-w9ta73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490005/original/file-20221017-23-w9ta73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Évolution de l’espérance de vie à la naissance pour cinq pays en 2019, 2020 et 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Dowd, J.M. Aburto, R. Kashyap</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Comparer la crise du Covid aux grandes crises passées</h2>
<p>De façon générale, les décès imputables au Covid se sont légèrement déplacés vers les personnes plus jeunes en 2021 par rapport à 2020. Cela est probablement dû à une meilleure couverture vaccinale et à davantage de précautions prises chez les plus âgés.</p>
<p>En effet, ce sont les pays qui ont une meilleure couverture vaccinale pour les plus de 60 ans qui s’en tirent le mieux en matière d’espérance de vie. Aux États-Unis, la mortalité des personnes âgées de plus de 80 ans a ainsi retrouvé son niveau d’avant la pandémie… mais, de façon plus globale, l’espérance de vie s’est dégradée dans le pays en raison de la hausse de la mortalité des moins de 60 ans.</p>
<p>Nous avons également comparé les récentes baisses d’espérance de vie avec les crises historiques qui ont entraîné des décès importants. Il s’avère que des pertes de l’ampleur de celles observées pendant la pandémie n’avaient plus été enregistrées depuis la Seconde Guerre mondiale en Europe de l’Ouest, ou depuis l’éclatement de l’Union soviétique en Europe de l’Est.</p>
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<p>Un dernier élément significatif ressort de cette comparaison de la situation actuelle avec les crises passées. L’impact des précédentes épidémies de grippe se voit, et on constate qu’elles étaient suivies de rebonds rapides des niveaux d’espérance de vie – qui regagnaient rapidement leurs niveaux antérieurs. Clairement, l’impact du Covid est de nature différente : il est plus important, et il est surtout plus persistant dans le temps. Ce qui dément donc catégoriquement l’affirmation encore trop couramment entendue que « le Covid, c’est comme la grippe ».</p>
<h2>Comment aller plus loin</h2>
<p>Les estimations de l’espérance de vie nécessitant des données fines sur les décès par âge et par sexe, nous n’avons pas été en mesure de calculer avec précision l’espérance de vie pour tous les pays du monde dans cette étude.</p>
<p>Nous savons que des pays comme le <a href="https://www.nature.com/articles/s41591-021-01437-z">Brésil</a> et le <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s42650-021-00051-1">Mexique</a> ont subi d’importantes pertes d’espérance de vie en 2020, et il est probable qu’ils ont continué à subir des pertes supplémentaires en 2021. La mortalité liée au Covid dans des pays comme l’Inde ne sera peut-être jamais comptabilisée avec précision en raison des limites des données, mais nous savons que le nombre de décès <a href="https://doi.org/10.1126/science.abm5154">a été considérable</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une personne montre le haut de son bras, couvert d’un petit pansement après vaccination" src="https://images.theconversation.com/files/488786/original/file-20221007-16-pedve0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488786/original/file-20221007-16-pedve0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488786/original/file-20221007-16-pedve0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488786/original/file-20221007-16-pedve0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488786/original/file-20221007-16-pedve0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488786/original/file-20221007-16-pedve0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488786/original/file-20221007-16-pedve0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La vaccination contre le Covid a un effet positif sur l’espérance de vie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/man-pull-sleeve-shoulder-show-adhesive-2073538409">Verin/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quelles sont les perspectives de récupération de l’espérance de vie en 2022 et au-delà ? Les données et modèles sont encore flous. Nous nous attendons toutefois à ce que les divergences se poursuivent en raison des différences entre les pays en matière d’utilisation des vaccins et des rappels, des infections antérieures et des mesures de santé publique (ou de leur absence).</p>
<p>Plusieurs éléments sont toutefois déjà à considérer, même si leurs impacts respectifs ne sont pas encore connus :</p>
<ul>
<li><p>Les conséquences des retards dans les soins de santé habituellement dispensés (maladies chroniques, etc.) et de la pression continue sur les systèmes de santé restent à estimer ;</p></li>
<li><p>De nouveaux variants du SARS-CoV-2 capables de mieux échapper à l’immunité existante sont toujours susceptibles d’apparaître ;</p></li>
<li><p>L’impact à long terme des infections par le Covid (et les <a href="https://theconversation.com/Covid-long-quen-savent-les-scientifiques-aujourdhui-179817">conséquences du Covid long</a>) sur la santé des survivants est une grande inconnue.</p></li>
</ul>
<p>Si nous espérons que la mortalité revienne aux niveaux prépandémiques (et que l’espérance de vie recommence à progresser), la persistance de la <a href="https://theconversation.com/summer-2022-saw-thousands-of-excess-deaths-in-england-and-wales-heres-why-that-might-be-189351">surmortalité en Angleterre</a> et <a href="https://ourworldindata.org/explorers/coronavirus-data-explorer?zoomToSelection=true&time=2022-01-02..latest&facet=none&hideControls=true&Metric=Excess+mortalit%C3%A9+%28%25%29&Intervalle=hebdomadaire&Relative+%C3%A0+la+population=true&Color+by+test+positivity=false&country=USA%7EESP%7EDEU">ailleurs en 2022</a> suggère que nous n’avons toujours pas complètement surmonté l’impact de la pandémie sur la mortalité, et que la voie de la guérison reste incertaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193092/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jennifer Beam Dowd a reçu des fonds de recherche du Conseil européen de la recherche et du Leverhulme Trust (Centre Grant). Elle est rédactrice en chef de la plateforme de communication scientifique à but non lucratif Dear Pandemic.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>José Manuel Aburto a reçu des financements du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne dans le cadre de la convention de subvention Marie Sklodowska-Curie n° 896821.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ridhi Kashyap bénéficie du soutien du Leverhulme Trust, par le biais du Leverhulme Centre for Demographic Science. Elle bénéficie également du soutien financier de l'Economic and Social Research Council (ESRC). Elle est membre et administrateur du Nuffield College de l'université d'Oxford.</span></em></p>Partout sur la planète, la mortalité a augmenté du fait du Covid en 2020… Mais 2021, la situation a évolué de façon très différente selon les pays. Pourquoi certains s’en tirent-ils mieux ? Réponses.Jennifer Beam Dowd, Professor of Demography and Population Health, University of Oxford and Deputy Director, Leverhulme Centre for Demographic Science, University of OxfordJosé Manuel Aburto, Brass Blacker Associate Professor of Demography at LSHTM and Marie Sklodowska-Curie Fellow at Leverhulme Centre for Demographic Science, University of OxfordRidhi Kashyap, Professor of Demography & Computational Social Science, University of OxfordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1817302022-04-28T21:21:58Z2022-04-28T21:21:58ZFinlande 1939, Tchétchénie 1994, Ukraine 2022 : pourquoi les guerres russes se ressemblent-elles ?<p>Si l’on compare l’actuelle guerre en Ukraine à deux conflits précédents qui ont impliqué l’armée soviétique et russe – la guerre soviéto-finlandaise de 1939 et la première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 –, on ne peut qu’être surpris par leurs similitudes. Pourtant, les contextes historiques et sociaux sont totalement différents. Quelle proximité peut-il y avoir entre l’URSS de 1939, marquée par les terribles <a href="https://clio-cr.clionautes.org/terres-de-sang-leurope-entre-hitler-et-staline.html">purges staliniennes</a> et dont le gouvernement vit dans la peur d’une future invasion allemande, la Russie de 1994, société en <a href="https://www.decitre.fr/livres/le-chaos-russe-9782707125705.html">plein effondrement</a> où les logiques mafieuses prévalent et où les militaires doivent recourir à toutes sortes d’arrangements douteux pour se rémunérer, et la Russie de 2022, qui se serait, d’après une formule chère à Vladimir Poutine, <a href="https://www.cairn.info/breve-histoire-de-la-russie--9782080244130-page-277.htm">« relevée »</a> au cours des deux dernières décennies ?</p>
<p>Une constante apparaît à l’examen de ces trois conflits : la combinaison d’une peur ressentie par le Kremlin (paranoïa excessive dans l’URSS de Staline, crainte du démembrement de la Russie au début des années 1990, effroi face à l’extension de l’OTAN en 2022) et de la confiance démesurée du pouvoir russe dans sa propre armée, malgré une méconnaissance profonde de son mode de fonctionnement. De même, en 1939 et en 1994 comme en 2022, la force de l’ennemi est insuffisamment prise en compte. Cela peut se comprendre : sur le papier, le déséquilibre des forces est absolu. Pourtant, chaque fois, ce ne sont pas des éléments quantitatifs qui définissent réellement la force de l’armée soviétique ou russe mais son organisation, laquelle est directement corrélée à un élément essentiel : le niveau de motivation de ses hommes, qui reste fragile.</p>
<h2>Autorité ne veut pas dire contrôle</h2>
<p>Car si l’armée soviétique ou russe est une structure autoritaire, l’obéissance de ses hommes est loin d’être acquise. C’est ainsi que le 31 décembre 1994, <a href="https://tergam.info/2018/12/31/la-premiere-bataille-de-grozny-1994-1995/?lang=fr">lorsque l’état-major russe ordonne à quatre colonnes d’entrer dans Grozny</a>, la capitale de la Tchétchénie, seules deux vont s’exécuter, les commandants des deux autres unités <a href="https://nationalinterest.org/blog/reboot/grozny-1994-battle-changed-post-soviet-russia-forever-181529">refusant d’obéir</a>.</p>
<p>Dans cette guerre, la capacité à commander du ministre de la Défense, Pavel Gratchev, <a href="https://web.archive.org/web/20070930191909/http:/www.jamestown.org/publications_details.php?volume_id=3&issue_id=140&article_id=1670">« dépendait directement de sa présence sur le terrain »</a>. Car lorsque les troupes russes sont peu motivées, les ordres tendent à se perdre dans des difficultés de transmission. Lors de la première guerre de Tchétchénie s’est établi un système d’<a href="https://www.decitre.fr/livres/le-chaos-russe-9782707125705.html">autorité charismatique</a> : le chef doit être « admirable » pour être obéi et doit donner en personne ses ordres à ses subordonnés. Cette présence obligatoire sur le terrain pourrait d’ailleurs expliquer le nombre important de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/guerre-en-ukraine-comment-expliquer-le-nombre-eleve-de-generaux-russes-morts_5034531.html">généraux russes tués</a> dans l’actuelle guerre d’Ukraine.</p>
<p>Dans ce contexte, le commandement se voit contraint de laisser la troupe s’auto-organiser, quitte à en perdre le contrôle. On comprend mieux les <a href="https://www.liberation.fr/planete/1995/04/19/moscou-accuse-de-massacres-en-tchetchenie_129738/">très nombreuses exactions commises par les troupes russes</a> dans cette première guerre de Tchétchénie, l’état-major étant plus préoccupé par la résistance incertaine de ses troupes face à un ennemi redoutable que par l’existence avérée de comportements criminels.</p>
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<figcaption><span class="caption">La guerre de Tchétchénie, un conflit d’une rare violence.</span></figcaption>
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<p>Lors de la première guerre de Tchétchénie, loin de ressembler à des troupes abreuvées de propagande et prêtes à mourir pour la mère patrie, les soldats russes vont hésiter et ne pas comprendre pourquoi il faut attaquer <a href="https://www.decitre.fr/livres/tchetchenie-une-affaire-interieure-russes-et-tchetchenes-dans-l-etau-de-la-guerre-9782746705609.html">cette région dont ils se sentent si proches</a> et dont la capitale Grozny <a href="https://docplayer.fr/10097508-Du-retex-l-enfer-de-grozny-1994-2000-centre-de-doctrine-cdef-d-emploi-des-forces-division-recherche-drex-et-retour-d-experience.html">compte près de 29 % de Russes</a>. Les ordres ne sont pas suivis ou n’arrivent pas à leurs destinataires. L’artillerie russe va même, en 1996, aller jusqu’à bombarder, <a href="https://www.nytimes.com/1996/01/18/world/saying-hostages-are-dead-russians-level-rebel-town.html">à Pervomaiskaya</a>, une unité de Spetnaz, dépendant du FSB, <a href="https://www.decitre.fr/livres/le-chaos-russe-9782707125705.html">qu’ils détestent</a>, invoquant des malentendus ou des erreurs de tirs. </p>
<p>Car l’armée russe des années 1990 est loin d’être une structure monolithique : à l’armée, qui dépend du ministère de la Défense, s’ajoutent les unités du ministère de l’Intérieur (le MVD), mais aussi les forces de sécurité dont le FSB fait partie et, sous la dénomination de « cosaques », des forces irrégulières. Les forces du MVD, réputées pour leur cruauté, leur niveau de corruption élevé et leur efficacité, sont particulièrement haïes par les conscrits qui forment l’essentiel de la troupe. C’est ainsi que, si le Kremlin exerce une autorité absolue sur ses forces armées, il ne les contrôle pas réellement, <a href="https://www.dunod.com/russie-impasse-tchetchene">ce qui sera également le cas lors de la seconde guerre de Tchétchénie</a>, victorieuse cette fois, effectuée sous l’impulsion de Vladimir Poutine.</p>
<p>Le phénomène s’est également produit lors de la <a href="https://www.economica.fr/livre-la-guerre-finno-sovietique-clerc-louis-c2x32211197?PGFLngID=0">guerre soviéto-finlandaise</a> : les soldats s’étaient rapidement rendu compte du décalage entre la propagande soviétique du régime stalinien et la réalité du terrain : les Finlandais étaient loin d’être les barbares qui attendaient avec impatience d’être libérés par les troupes soviétiques que la propagande leur avait décrits. C’est ainsi qu’aux nombreux courriers de soldats soviétiques s’émerveillant de l’abondance des villageois finlandais vont s’ajouter des épisodes d’insoumission, tels que des chants contre la guerre après des tournées de vodka et quelques désertions. Le NKVD saura vite réprimer ces manifestations hostiles en fusillant les déserteurs et fuyards.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’invasion soviétique de la Finlande – La guerre d’Hiver 1939-40.</span></figcaption>
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<h2>L’ennemi sait toujours communiquer</h2>
<p>Dans ces deux conflits précédents, les troupes russes ont été soumises à un traitement redoutable face à une guérilla terriblement efficace. Si les militaires finlandais se concentrent sur les colonnes d’arrière-garde qu’ils détruisent systématiquement, les Tchétchènes vont mener des <a href="https://docplayer.fr/10097508-Du-retex-l-enfer-de-grozny-1994-2000-centre-de-doctrine-cdef-d-emploi-des-forces-division-recherche-drex-et-retour-d-experience.html">actions beaucoup plus éprouvantes</a> avec l’utilisation de snipers, de destructions systématiques des colonnes de ravitaillement, de tirs sur les ambulances, voire de tirs ponctuels à partir d’hôpitaux dans le but d’inciter les soldats russes à réagir et pouvoir mettre en avant la brutalité de ces derniers.</p>
<p>Si les Tchétchènes se montrent particulièrement violents envers les soldats russes, ce n’est pas le cas des Finlandais qui commettent quelques exactions au début de la guerre, mais se font vite rappeler à l’ordre par leur propre gouvernement, car ces actions isolées ne peuvent qu’affaiblir le travail de communication mis en œuvre à la face du monde.</p>
<p>Dans ces deux guerres, les Finlandais et les Tchétchènes se révèlent de redoutables communicants, là où l’URSS et la Russie brillent par leur silence ou par une propagande en décalage avec la réalité. Si la communication des Tchétchènes et des Finlandais a pour but de mobiliser la communauté internationale, celle de Moscou vise avant tout à cacher à sa propre population la réalité de la guerre et de la difficile situation que traverse l’armée, voire de l’ampleur du nombre de soldats tués.</p>
<p>Les Tchétchènes s’attachent à montrer au monde de nombreux chars russes détruits, des frappes sur les bâtiments civils et les nombreuses exactions commises par les troupes russes. Les Finlandais, plus de cinquante ans plus tôt, avaient fait circuler des photos de soldats soviétiques morts gelés, révélant la faiblesse logistique de l’armée ennemie.</p>
<p>Ils avaient également décrit les soldats soviétiques comme des êtres incontrôlables <a href="https://journals.openedition.org/nordiques/3423">« incapables de voir et réagir à l’autoritarisme de leurs maîtres »</a>, auxquels Helsinki opposait <a href="https://www.economica.fr/livre-la-guerre-finno-sovietique-clerc-louis-c2x32211197?PGFLngID=0">« la dignité, le courage, la virilité, la ténacité et la retenue »</a> des militaires finnois. Ce faisant, ils avaient réussi à déclencher un véritable mouvement de sympathie des pays occidentaux à leur égard et même obtenu un résultat qui ferait pâlir d’envie l’actuel gouvernement ukrainien : la <a href="https://military-history.fandom.com/wiki/Franco-British_plans_for_intervention_in_the_Winter_War">promesse d’une intervention armée de la France</a>, qui n’aura finalement pas lieu. Édouard Daladier, président du Conseil, particulièrement sensible à l’esprit de résistance des Finlandais, était en effet allé jusqu’à proposer une intervention militaire, ce qui eut pour effet d’agacer le Quai d’Orsay, qui ne comprenait pas comment il serait possible d’entrer en conflit avec l’URSS alors que la France et le Royaume-Uni étaient déjà en guerre avec l’Allemagne nazie.</p>
<h2>Des guerres en deux phases</h2>
<p>Dans les deux cas, la guerre s’est déroulée en deux phases.</p>
<p>Si la première n’a été qu’une succession d’échecs militaires, la seconde est l’occasion d’une réorganisation de l’appareil militaire soviétique puis russe, ce qui donne des résultats plus probants. <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-russie-en-guerre-9782729822415.html">Pour la guerre de Tchétchénie</a>, la seconde phase permit la prise de sa capitale Grozny, au prix de nombreux morts civils et des destructions massives. Pour la guerre d’Hiver, les Soviétiques décidèrent d’abandonner leur projet initial de conquête de la Finlande et se recentrèrent sur l’acquisition de territoires à haute valeur stratégique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1505790132032581636"}"></div></p>
<p>Dans les deux cas, la technique militaire utilisée fut la même : des bombardements massifs afin de tirer parti d’une artillerie infiniment supérieure et une progression lente et méthodique bien à l’encontre de la tradition doctrinaire de l’armée soviétique. Si dans le cas de la guerre d’Hiver un armistice put être conclu, ce qui provoqua des réactions plutôt hostiles de la population finlandaise, il en fut autrement en Tchétchénie. Après une première victoire, les troupes russes furent expulsées par surprise de Grozny quelques mois plus tard et durent conclure un <a href="https://www.universalis.fr/evenement/6-31-aout-1996-accord-de-paix-en-tchetchenie/">armistice</a> reconnaissant <em>de facto</em> l’indépendance de la Tchétchénie.</p>
<h2>Un armistice est-il encore possible ?</h2>
<p>En suivant les enseignements de ces deux guerres, on ne peut que douter de la possibilité d’un armistice pour l’actuelle guerre d’Ukraine.</p>
<p>Lors de la guerre avec la Finlande, les Soviétiques souhaitaient libérer leurs forces armées afin de leur permettre de se préparer à un affrontement ultérieur avec l’Allemagne alors que l’armée finlandaise était au bord de l’effondrement. En ce qui concerne, la première guerre de Tchétchénie, le niveau de décomposition de la société russe était tel que le Kremlin se sentit contraint de signer un armistice. Rien de tel dans l’actuelle guerre en Ukraine, où aucun des deux belligérants ne se sentira obligé d’accepter un cessez-le-feu.</p>
<p>Si la Russie a subi d’importantes pertes, elle n’est pas sujette à une menace vitale la contraignant à cesser la guerre en renonçant à ses conquêtes ; quant à l’Ukraine, elle bénéficie d’un soutien externe, qui a fait défaut à la Finlande de 1940, ce qui lui permet de résister et de refuser des concessions territoriales trop importantes. Cette situation semble devoir aboutir à une guerre gelée aux conséquences internationales autrement plus sérieuses que celles liées à la <a href="https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Fwww.lemonde.fr%2Finternational%2Farticle%2F2014%2F06%2F05%2Fsanctions-contre-la-russie-etat-des-lieux_4432788_3210.html">guerre du Donbass de 2014</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181730/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Martel-Porchier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « guerre d’Hiver » de 1939-1940, entre l’URSS et la Finlande, et la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) rappellent en bien des points l’actuelle « opération militaire spéciale » en Ukraine.Eric Martel-Porchier, Enseignant chercheur, ICD Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1798572022-03-23T19:24:18Z2022-03-23T19:24:18ZLa guerre en Ukraine est-elle une conséquence de la crise financière de 2008 ?<p>Les parallèles historiques sont toujours troublants. Une dizaine d’années après l’une des deux crises financières les plus dévastatrices du capitalisme moderne, un terrible conflit débute en Europe et menace d’entraîner le monde entier dans le chaos. Jusqu’à présent, la guerre en Ukraine reste évidemment d’un tout autre ordre que la Seconde Guerre mondiale, mais le choc des idéologies semble tout aussi fondamental.</p>
<p>À nos yeux, si un tel parallèle entre les conséquences de 1929 et 2008 n’a pas tellement était établi, c’est parce qu’à première vue, il n’a pas beaucoup de sens : les grandes crises financières et les guerres restent avant tout symptomatiques de problèmes structurels plus profonds dans les sociétés, qui sont autant de mouvements tectoniques qui créent des fractures en surface.</p>
<p>Vers la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, un bouleversement important est survenu dans le capitalisme. Jusqu’alors, l’humanité menait une vie précaire. L’offre de biens était soumise aux aléas climatiques, et la demande ne posait généralement pas de problème. Cela a changé avec la <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203498569/scientific-management-frederick-winslow-taylor">méthode scientifique de production</a> dans l’agriculture et l’industrie manufacturière, qui a introduit des éléments tels que les engrais et les machines puissantes. D’abord aux États-Unis, qui étaient les pionniers de la technologie, puis ailleurs, il y eut alors trop de biens pour un nombre restreint de personnes capables de les acheter.</p>
<h2>Luttes idéologiques</h2>
<p>Cette situation a fondamentalement déstabilisé le capitalisme, créant des situations dans lesquelles les prêteurs étaient surendettés alors que les producteurs, qui ne trouvaient pas assez de clients, ne remboursaient pas leurs dettes.</p>
<p>Les États-Unis ont connu depuis de <a href="https://www.federalreservehistory.org/essays/banking-panics-of-the-gilded-age">nombreuses paniques financières</a> à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle et au début du XX<sup>e</sup> siècle, jusqu’à la crise de 1929 qui fut la plus spectaculaire. Selon ce que l’on appelle la théorie française de la régulation, l’offre excédentaire de biens était bien là au cœur du problème.</p>
<p>On peut dire que la Seconde Guerre mondiale a été une bataille colossale entre <a href="http://lipietz.net/ALPC/LIV/LIV_MiragesMiracles/LIV_Mirages01.pdf">quatre modèles industriels</a> qui proposaient chacun leur propre solution à cette offre excédentaire :</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Joseph Stalin en 1925" src="https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1078&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1078&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1078&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Staline a refusé de s’associer au modèle impérial britannique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Joseph_Stalin#/media/File:Ordzhonikidze,_Stalin_and_Mikoyan,_1925.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<ul>
<li><p>La solution britannique consistait à essayer de recréer l’économie impériale d’avant la Première Guerre mondiale, centrée sur la Grande-Bretagne, en imposant notamment des droits de douane élevés au-delà de l’empire pour se protéger.</p></li>
<li><p>Au début des années 1920, peu après la révolution russe, les Britanniques, pour lesquels l’Ukraine et la Russie jouaient jusqu’alors le rôle de producteurs de céréales, avaient offert aux Soviétiques la possibilité de réintégrer cette vision d’un système commercial mercantile. Cette proposition a finalement été rejetée lors du débat qui a suivi en Russie. Cependant, le débat a en partie conduit au modèle de socialisme « <a href="https://www.marxists.org/history/etol/writers/curtiss/1941/11/staltheory.html">dans un seul pays</a> » du dirigeant soviétique Joseph Staline (par opposition à l’opinion de Karl Marx selon laquelle le communisme nécessitait une révolution mondiale). Le système stalinien est en effet celui d’une économie planifiée où l’offre et la demande de biens industriels sont organisées par l’État.</p></li>
<li><p>En Allemagne, les national-socialistes ont développé un modèle différent : une <a href="https://www.nber.org/system/files/chapters/c9476/c9476.pdf">économie semi-planifiée</a>, essentiellement capitaliste, mais les industries clés étaient nationalisées, ainsi que les syndicats.</p></li>
<li><p>Une autre variante est venue des États-Unis, avec le <a href="https://www.khanacademy.org/humanities/us-history/rise-to-world-power/great-depression/a/the-new-deal">New Deal</a>. Ce modèle combinait des services publics, des systèmes de défense, d’éducation et de retraite nationalisés avec une économie d’entreprise planifiée gérée par de grands conglomérats, mais tous construits autour des droits de propriété privée. Il existe de nombreuses similitudes avec le modèle allemand, bien que le modèle américain soit finalement fondé sur la démocratie.</p></li>
</ul>
<p>En 1939, ces quatre systèmes différents sont entrés en guerre. La quatrième version a gagné. Elle a été quelque peu adaptée dans les années qui ont suivi, mais nous dire que cette victoire s’est traduite, en gros, par la mondialisation. Cette mondialisation est maintenant contestée, ce qui est au cœur de la lutte idéologique équivalente aujourd’hui.</p>
<h2>D’hier à aujourd’hui</h2>
<p>La crise de 2008 n’a pas été aussi dévastatrice que celle de 1929, mais elle a gravement endommagé le modèle dominant d’économie capitaliste dirigée par le marché. Pendant des décennies, ce modèle a été présenté aux électeurs comme étroitement lié à la notion de « liberté », c’est-à-dire à la primauté de la propriété privée associée à la liberté de choix des consommateurs. Ce modèle a conduit à un « marché libre » dominé par des conglomérats multinationaux se déplaçant librement dans le monde entier tout en évitant les impôts et les responsabilités des personnes et des entreprises.</p>
<p>Une autre forme de capitalisme apparue à la fin du XX<sup>e</sup> siècle ne partageait que quelques-unes de ces hypothèses. La Russie est revenue au capitalisme dominé par l’État après un flirt ruineux avec l’économie néolibérale dans les années 1990. Cette « solution » est devenue l’un des socles de la popularité et du pouvoir du président Vladimir Poutine.</p>
<p>La Chine, quant à elle, a <a href="https://www.cambridge.org/core/books/chinas-great-economic-transformation/BD126A197B16634501EA12F594D528DF">prudemment ouvert son économie</a> depuis la fin des années 1970 afin d’éviter l’effondrement. S’inspirant peut-être de l’expérience de la Russie dans les années 1990, elle s’est montrée beaucoup plus prudente, veillant à ce que sa version du capitalisme reste sous la tutelle du parti communiste.</p>
<p>Dans une troisième variante, les États du Golfe ont encouragé l’entreprise privée et des milliards de dollars d’investissements dans leurs pays, mais toujours sous le contrôle de quelques cheikhs et de leurs familles dirigeantes. Pour eux, cette approche autoritaire reflète fondamentalement ce qu’ils ont toujours été – et ce qu’ils seront certainement à l’avenir.</p>
<p>La crise financière mondiale de 2008 a ébranlé la conviction que les marchés avaient la capacité de résoudre les problèmes, sapant ainsi la confiance dans la classe politique et la démocratie elle-même. Les banques ayant été renflouées alors que la population subissait l’austérité, il était alors facile de penser, dans les années qui ont suivi, que la Chine, la Russie ou un certain populisme occidental pourrait représenter l’avenir.</p>
<p>Jusqu’à présent, chaque courant du capitalisme autoritaire ressemblait à un îlot isolé, ne se reliant qu’occasionnellement à un autre. Or, la guerre actuelle pourrait changer la donne si le conflit se transforme rapidement en une guerre par procuration entre les démocraties autocratiques et libérales. La Chine, les États du Golfe, peut-être l’Inde – et les républicains pro-Trump aux États-Unis – sont au mieux ambivalents face à la guerre en Ukraine, alors que le reste du monde ne l’est pas.</p>
<p>Qui va gagner ? La Russie rencontre peut-être des difficultés militaires en Ukraine, mais cette bataille par procuration pour l’avenir du capitalisme ne sera pas être remportée à coup de missiles Stinger.</p>
<p>Étrangement, le problème est que l’Occident, mené par les États-Unis et l’Union européenne, a réussi à faire en sorte que la crise de 2008 ne soit pas aussi dévastatrice qu’elle aurait pu l’être. Pour ce faire, les gouvernements ont combiné l’austérité, la réduction des taux d’intérêt à zéro et l’augmentation massive de la masse monétaire grâce aux politiques d’assouplissement quantitatif (quantitative easing).</p>
<p>Le prix à payer de ces politiques est aujourd’hui élevé. Les inégalités <a href="https://inequality.org/facts/income-inequality/">ne cessent de s’aggraver</a>, et la récente flambée de l’inflation les creuse encore davantage. Une fois de plus, nous sommes confrontés à un problème de demande : si les acteurs économiques n’ont pas les moyens d’acheter les biens et services que les producteurs vendent, l’instabilité s’accentuera.</p>
<p>Ainsi, si l’autoritarisme peut sembler moins attrayant maintenant que Poutine démolit l’Ukraine, les conditions qui favorisent le populisme ne font que se renforcer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179857/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ronen Palan a reçu des financements du Conseil européen de la recherche. Il est conseiller principal du Réseau pour la justice fiscale.</span></em></p>Les blocs qui s'opposent aujourd'hui présentent des modèles de capitalisme spécifiques. Comme lors du krach de 1929, dix ans avant l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale.Ronen Palan, Professor of International Politics, City, University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1792552022-03-17T19:25:10Z2022-03-17T19:25:10Z« Apocalypse managériale » : depuis 1945, le management enfermé dans une logique de l’ennemi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/451935/original/file-20220314-131692-3m6hkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=184%2C30%2C2587%2C1590&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La cybernétique et son futur «&nbsp;cerveau électronique&nbsp;» sont devenus l’instrumentation et la philosophie invisibles d’un management à la recherche de conquêtes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.piqsels.com/en/public-domain-photo-zwfoh/download">Piqsels</a></span></figcaption></figure><p>Lors de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis sont devenus en quelques années l’<a href="https://www.mtholyoke.edu/acad/intrel/WorldWar2/arsenal.htm">« arsenal de la démocratie »</a>, pour reprendre l’expression du président américain Franklin Delano Roosevelt dans un discours prononcé en 1940.</p>
<p>Cela n’avait pourtant rien d’évident à la fin des années 30. Le pays ne parvenait pas à sortir de sa Grande Dépression liée au krach de 1929. Il était même en rechute depuis 1937. Quant à l’armée américaine, elle était étonnamment modeste et fragile. En effectif et en armement, elle se situait au 19<sup>e</sup> rang mondial, derrière les Pays-Bas. Et la mobilisation industrielle de la Première Guerre mondiale avait laissé un souvenir douloureux. Engagés sur le tard, les États-Unis s’étaient retrouvés avec des stocks, une capacité industrielle et des dettes sans le moindre horizon de reconversion.</p>
<p>Encore plus étonnant pour le pays de l’ingénieur Frederick Winslow Taylor, père du « taylorisme », son « management scientifique » du travail <a href="https://www.cairn.info/le-maniement-des-hommes--9782707186577-page-95.htm">y connaissait une crise de légitimité majeure</a>. Au-delà de la critique des <a href="https://www.charliechaplin.com/fr/films/6-Les-Temps-modernes/articles/14-Les-Temps-modernes">Temps modernes</a> de Chaplin (plutôt celle de la chaîne de montage), les pratiques tayloristes y étaient largement combattues. Elles y étaient même interdites <a href="https://silo.tips/download/scientific-management-and-the-us-navy-congress-bans-taylorism">par décret du sénat dans les Navy Yards américains depuis 1915</a> (même si, en parallèle à cette interdiction, un <a href="https://www.tamupress.com/book/9781585445486/institutionalizing-congress-and-the-presidency/">« US bureau » dédié aux questions d’efficacité est créé en 1916 et reste actif jusqu’en 1933</a>).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/h4rdulAGbbQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait du film <em>Les temps modernes</em> de Charles Chaplin (1936).</span></figcaption>
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<p>Et pourtant… entre 1938 et 1945, un « miracle » va se produire. Forts d’un management scientifique relégitimé, les États-Unis vont non seulement être un des grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (avec les Soviétiques), mais <a href="https://www.jstor.org/stable/26304207?seq=1#metadata_info_tab_contents">ils vont également devenir la première puissance militaire et économique</a>. En 1945, plus de la moitié du PIB mondial est américain. Ce phénomène, bien connu, est indissociable de la mobilisation industrielle initiée par l’administration de Franklin Delano Roosevelt.</p>
<h2>Besoin d’adversaire</h2>
<p>Dans le livre <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251452814/apocalypse-manageriale"><em>Apocalypse managériale</em></a>, qui combine analyse d’archives et ethnographie historique réalisée entre 2017 et 2020, nous avons essayé de comprendre le lien entre cette formidable mobilisation industrielle et l’institutionnalisation de ce management global (américain) habitant toujours notre présent. À partir d’archives sur l’histoire institutionnelle du management (celle de l’<a href="https://aom.org/about-aom/history">Academy of Management</a>, de l’<a href="https://www.amanet.org/">American Management Association</a> et de la <a href="https://samnational.org/">Society for Advanced Management</a>), ainsi que des archives industrielles (notamment celles du Brooklyn Navy Yards), nous montrons à quel point le management s’est institutionnalisé comme une pratique de contrôle et de représentation indissociable de la « cybernétique ».</p>
<p>La <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/cybern%C3%A9tique/21261">cybernétique</a> était la science des automates et du contrôle développée à partir de la fin des années 1930. Dans l’événement de la guerre, management et digital se sont constitués. Ils ont trouvé un sens conjoint. La cybernétique et son futur « cerveau électronique » sont devenus l’instrumentation et la philosophie invisibles d’un management à la recherche de conquêtes. Elles le sont encore aujourd’hui pour de nombreux acteurs économiques et non économiques.</p>
<p>Les innovations digitales les plus récentes ont simplement rendu ces phénomènes plus narratifs et plus « apocalyptiques ». Le devenir des produits et des services n’est plus que finitude et incomplétude à la fois matérielles, imaginaires et discursives. Révélation sur un futur toujours un peu déjà là dans l’élan de nos vies, les « apocalypses managériales » animent les mille et une nuits de nos économies.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Vv9JexdsWmg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation du livre <em>Apocalypse managériale</em>, par François-Xavier de Vaujany (Éditions Les Belles Lettres, 2022).</span></figcaption>
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<p>Nos outils révèlent l’activité pour la dominer, pour nous permettre dans le même mouvement de « nous la raconter ». L’attente nécessaire à la profondeur de l’expérience, celle du client, du citoyen, du managé, sont supprimées ou instrumentées.</p>
<p>Le caractère guerrier de la rencontre n’est pas un simple passé, même répété. Il est un présent. Il est toujours notre présent. Fort du vocabulaire du management stratégique, le « management » et son partenaire digital ont toujours besoin d’adversaires.</p>
<h2>Logique de « grande cause »</h2>
<p>Il faut « conquérir des marchés » et être en veille sur les concurrents. De leur côté, les salariés doivent faire l’objet d’une <a href="https://theconversation.com/votre-patron-a-t-il-le-droit-de-vous-espionner-lorsque-vous-teletravaillez-146850">forme de surveillance</a>. S’ils télétravaillent, ils doivent prendre leur poste et l’entreprise doit être en mesure de s’assurer de leurs connexions et de leur « présence », même virtuelle. Les adversités sont autant celles du dehors que celles du dedans pour un monde calculé sur le registre de l’opportunité ou de la menace, de la force ou de la faiblesse.</p>
<p>Surtout, l’action des managers doit avoir un sens corrigé en fonction d’objectifs à atteindre. On adapte le plan et l’activité selon les événements. Tout ce management guerrier doit être « intentionnel ». Pourtant, comme l’expliquait Harlow Person, l’un des pères du management américain, le management véritable commence sans doute là où le plan s’arrête…</p>
<p>Ce management global dans lequel nous sommes toujours pris ne sait pas faire autrement : il doit se différencier, il doit permettre de trouver une place dans un « champ concurrentiel ». Les stratégies d’alliance, de coopétition, ou d’innovation ouverte ne permettent pas de quitter la logique de l’adversaire. Elles n’incarnent pas le passage à la logique d’une grande cause climatique et pacifiste (à l’ère nucléaire) dont nos sociétés ont urgemment besoin.</p>
<p>En attendant, l’horrible guerre en cours en Ukraine semble plus que jamais confirmer les résultats de cette recherche : la guerre est indissociable d’un froid management digitalisé (fait de « représentations » manipulables) et le management digitalisé est plus que jamais froidement guerrier. En arrière-plan, la terre reste un sol à conquérir et une ressource à exploiter. Pourtant, les alternatives, nombreuses, sont bien là. À quand une reconfiguration politique profonde de ce qui fonde les temporalités les plus quotidiennes de nos vies : le « management » ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179255/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François-Xavier de Vaujany ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un récent livre revient sur la genèse des pratiques de contrôle nées de la Seconde Guerre mondiale et qui restent encore en vigueur aujourd’hui dans les organisations.François-Xavier de Vaujany, Professeur en management & théories des organisations, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1733692021-12-26T10:20:57Z2021-12-26T10:20:57ZJoséphine Baker, du champ artistique à l’engagement politique<p>Si Joséphine Baker est la première femme noire à entrer au Panthéon, elle est aussi la première artiste du divertissement populaire (danseuse, chanteuse, meneuse de revue et actrice) à franchir cette grille.</p>
<p>La figure de Baker est, on le sait, complexe : tout à la fois artiste, résistante, activiste pour les droits civiques des Afro-américains et militante de la fraternité universelle. Mais cet engagement politique n’a pris tout son sens que parce qu’il était lié à une reconnaissance et une célébrité obtenues précédemment dans le champ artistique.</p>
<p>Une telle trajectoire pose donc la question du passage du champ artistique vers le champ politique des luttes et actions militantes et, conséquemment, la manière dont l’un entretient l’autre, surtout lorsque l’engagement est amené à durer.</p>
<p>Pour y répondre, outre la trajectoire de Joséphine Baker, celles de trois autres artistes, Jean Gabin, Marlène Dietrich et Mstislav Rostropovitch apportent des éléments concrets pour comprendre les mécanismes à l’œuvre dans le passage de l’artistique au politique.</p>
<h2>De la carrière artistique à la résistance et à l’activisme</h2>
<p>La trajectoire de Joséphine Baker commence comme petite fille des bas quartiers ségrégués de St Louis (Missouri) douée pour la danse qui arrive à s’échapper de cette situation, réussit à prendre place dans la <em>Revue nègre</em> par laquelle elle triomphe dans un spectacle d’un genre très nouveau à Paris. Elle devient célèbre par son art… et par la polémique qu’elle suscite. Elle mesure aussi le degré de compétition qui existe dans les arts du divertissement.</p>
<p>Paris est alors encore une capitale mondiale du divertissement dont la revue de music-hall est le produit phare qui s’exporte aisément sous forme de tournées. Baker connaît ainsi une ascension fulgurante en Europe et en Amérique latine. Le disque et la radio révèlent sa voix au public tandis que le cinéma fait connaître l’artiste totale, danseuse, chanteuse et actrice. Dès 1927, elle est présente sur les écrans, première actrice noire au monde à tenir un rôle-titre dans <a href="https://www.imdb.com/title/tt0135652/"><em>La Sirène des Tropiques</em></a>, film qui sera distribué dans toute l’Europe. Deux autres films vont servir sa réputation, <a href="https://www.cinematheque.fr/film/46171.html"><em>Zouzou</em></a> (1934) et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NX9vvj0ug7s"><em>Princesse Tam Tam</em></a> (1935).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/josephine-baker-et-les-etats-unis-un-amour-contrarie-171635">Joséphine Baker et les États-Unis, un amour contrarié</a>
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<p>En 1940, Baker choisit de se battre pour l’un de ses « deux amours », Paris. Sa trajectoire prend alors une nouvelle tournure car, « l’artiste‑femme‑libre » qu’elle incarnait jusque-là, interpellée par la défaite et l’occupation de sa patrie d’adoption, sort de sa zone de confort.</p>
<p>La voilà engagée dans la résistance, recrutée (et volontaire) comme agent des renseignements français puis, à partir de 1943, chantant pour les troupes françaises et américaines. Ce qui la confronte à nouveau <a href="https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2001-4-page-141.htm">à la ségrégation raciale, celle pratiquée dans l’armée américaine</a>.</p>
<p>Lorsqu’elle retourne aux États-Unis entre 1947 et 1951, deux faits notoires la hissent au premier rang de l’activisme pour les droits civiques :</p>
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<li><p>L’obtention que ses spectacles à Miami et dans d’autres villes, soient accessibles sans discrimination au public noir et au public blanc, ce qu’aucun artiste n’avait obtenu auparavant,</p></li>
<li><p>Son esclandre au très select Stork Club où on refuse de la servir, déclenchant des manifestations de jeunes noirs de Harlem mais se concluant par l’interdiction pour elle de séjourner aux États-Unis.</p></li>
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<p>Son aura est grande, en 1963,* lorsqu’elle est enfin autorisée à revenir, grâce à Bob Kennedy, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9pv0QhEyS5c">qu’elle prend la parole après Martin Luther King lors de la Marche de Washington</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/josephine-baker-et-sa-tribu-arc-en-ciel-au-nom-de-la-fraternite-universelle-171858">Joséphine Baker et sa « tribu arc-en-ciel », au nom de la fraternité universelle</a>
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<p>Ajoutons à ce tableau d’honneur sa « tribu arc-en-ciel » par laquelle la Joséphine qui ne peut enfanter adopte douze enfants de toute ethnie, religion et culture, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/l-esprit-des-lieux/l-esprit-des-lieux-du-mardi-24-aout-2021">proclamant ainsi que la fraternité est possible</a>. Cette action (médiatisée) rejoint par d’autres signes (l’amour maternel, la fratrie) le combat qu’elle mène contre le racisme et l’antisémitisme.</p>
<h2>Lorsque la trajectoire artistique est modifiée par un engagement actif</h2>
<p>Baker fait partie de cette génération qui connaît avec la Seconde Guerre mondiale un brutal changement de contexte. Il en est de même pour Gabin et Dietrich qui choisissent eux aussi de s’engager, l’un contre l’occupant et la seconde contre le nazisme.</p>
<p>Gabin s’engage dans l’armée de la France libre et sera chef de char de la 2<sup>e</sup> DB du général Leclerc ; ce qui est alors tout à fait exceptionnel pour un artiste français de sa notoriété mais qui montre aussi combien son refus de la défaite était fort. En 1940 l’acteur quitte la France par Barcelone et rejoint les États-Unis avec Hollywood comme point de chute où se trouvent notamment Michèle Morgan et Marlène Dietrich. Ce n’est qu’une fois là-bas qu’il a l’opportunité de s’engager pour la France libre. Ce faisant, l’acteur abandonne complètement son activité artistique pour le combat militaire, jusqu’en août 1944.</p>
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<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/photographie/marlene-dietrich-la-vie-dune-legende-exposee-a-la-maison-natale-de-charles-de-gaulle-a-lille_3321477.html">Quant à Dietrich</a>, dès 1935 elle s’active contre le régime nazi, co-crée un fonds de soutien pour les réfugiés juifs et dissidents venus d’Allemagne et obtient la nationalité américaine. À partir de 1940, elle milite pour l’entrée en guerre de l’Amérique. Recrutée par United Service Organization, elle revient en Europe en 1944 et avance avec les troupes américaines pour lesquelles elle donne plus de soixante concerts. L’engagement de Dietrich repose sur sa révolte contre la perte de l’honneur du peuple allemand voulant signifier qu’il ne s’est pas unanimement rallié au nazisme.</p>
<p>Baker, Gabin et Dietrich en s’engageant activement font chacun un choix crucial qui réoriente leur trajectoire artistique. Ce processus s’accomplit en quatre temps :</p>
<p>1) le changement de contexte qui interpelle l’artiste</p>
<p>2) le refus de l’artiste de poursuivre ses activités « comme avant »</p>
<p>3) la révolte de l’artiste, provoquant une disposition à l’action et une quête d’opportunités pour sortir de cette situation de dilemme</p>
<p>4) l’opportunité qui se présente et permet à l’artiste de s’engager, en s’appuyant sur ses ressources réputationnelles, matérielles et relationnelles, tout en prenant des risques.</p>
<h2>Agir dans deux champs en parallèle</h2>
<p>Si, après leurs années de lutte, Dietrich et Gabin retournent dans le champ artistique, auréolés d’héroïsme qui les distingue d’autres congénères et concurrents, Baker quant à elle, a encore des comptes à régler avec le racisme notamment en Amérique.</p>
<p>Or ces combats ne nourrissent pas directement leurs combattants. Ceux-ci ont certes au départ des ressources financières suffisantes mais si les combats durent, ils doivent parallèlement continuer leur carrière dans le champ artistique lequel est marchand et concurrentiel. Or c’est précisément là que Baker va se heurter à un obstacle majeur qui la conduit finalement à la ruine. En effet, à partir des années 1960 le <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Jos%C3%A9phine_Baker?uselang=fr#/media/File:Nachtoptreden_van_Josephine_Baker_in_het_Citytheater_te_Amsterdam,_Bestanddeelnr_911-7659.jpg">genre qu’elle représente est quelque peu passé de mode</a> alors qu’elle continue activement son engagement contre le racisme et pour la fraternité universelle.</p>
<p>On retrouve ce paramètre du financement de l’engagement avec Mstislav Rostropovitch, dans un autre contexte, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-Y0x1zt5PcM">celui du conflit Est/Ouest</a> des années 1970. Sa révolte contre le régime totalitaire l’oblige à quitter l’URSS en 1974, devenant pour un temps apatride et se doutant bien que ce temps risque d’être long (l’URSS paraissait alors loin de l’effondrement). Malgré cette incertitude, Rostropovitch sait qu’il peut soutenir cette stratégie en continuant ses activités musicales car la musique classique est aussi bien jouée à l’Est qu’à l’Ouest. Il sait aussi qu’il peut compter sur des relations déjà tissées dans les pays occidentaux grâce auxquels il deviendra la star du violoncelle que l’on sait.</p>
<p>Quant à Joséphine Baker, morte quasiment sur scène, en artiste, sa ruine matérielle est sans doute venue nourrir sa légende, en tout cas, enrichir la figure de l’artiste engagée qu’elle incarne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173369/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mario d'Angelo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment passe-t-on du champ artistique vers des champs d’actions militantes, de luttes, de résistance ? Retour sur la trajectoire de Joséphine Baker.Mario d'Angelo, Professeur émérite à BSB, coordinateur de projet à Idée Europe, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1697032021-10-12T17:52:36Z2021-10-12T17:52:36ZCrimes du franquisme : qu’en est-il des plus de 4 000 fosses communes d’Espagne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425778/original/file-20211011-17-1fct03q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=47%2C0%2C1549%2C1065&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Exhumation de la tombe de Guadalajara. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/imagenes-exhumaciones/">Association pour la Récupération de la Mémoire Historique (ARMH)</a></span></figcaption></figure><p><em>Les films de Pedro Almodóvar ont toujours eu des connotations sociales et politiques, mais jamais aussi explicitement que dans son nouvel opus, « Madres parallelas » (sortie prévue en France le 1<sup>er</sup> décembre 2021). Sa protagoniste, Janis, interprétée par Pénélope Cruz, est l’arrière-petite-fille de victimes de la guerre civile et se bat pour l’ouverture des tombes afin de découvrir si ses proches font partie des anonymes enterrés dans des fosses communes. À l’occasion de cette première, nous nous penchons sur la situation des fosses communes en Espagne, qui a déjà attiré l’attention d’organisations internationales telles que le <a href="https://www.ohchr.org/fr/HRBodies/CED/Pages/CEDIndex.aspx">Comité des Nations unies sur les disparitions forcées</a>.</em></p>
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<p>En Espagne, il n’existe pas de chiffre officiel des personnes disparues pendant la dictature de Franco (1939-1975) et la <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/es/article/spanish-civil-war">guerre civile espagnole</a> (1936-39), car aucune enquête publique digne de ce nom n’a encore été menée sur les violations flagrantes des droits de l’homme commises à cette époque sombre de l’histoire.</p>
<p>L’absence d’un registre unique et actualisé des fosses communes et des victimes entrave l’adoption d’un plan national d’exhumation et de récupération par les proches des restes des personnes disparues. Pendant ce temps, les descendants souffrent d’une angoisse constante, d’une sorte de deuil « gelé », ne pouvant pas enterrer décemment leurs proches disparus.</p>
<h2>Plus de 4 000 fosses communes et environ 100 000 personnes disparues</h2>
<p>Selon les données extraites de la <a href="https://www.mpr.gob.es/memoriademocratica/mapa-de-fosas/Paginas/buscadorfosas.aspx">carte des fosses communes</a> créée par le ministère de la Justice en 2011, qui relève désormais du ministère de la Présidence, des relations avec le parlement et de la mémoire démocratique, 4 265 fosses communes sont enregistrées et un total de 57 911 victimes ont été comptabilisées. On estime qu’environ 100 000 personnes ont disparu.</p>
<p>Sur le nombre total de tombes enregistrées, 326 ont été complètement exhumées, 899 n’ont fait l’objet d’aucune intervention, 496 ont été transférées dans la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Valle_de_los_Ca%C3%ADdos">« vallée de ceux qui sont tombés »</a> et pour 2263 d’entre elles, leur état n’est pas précisé.</p>
<p>Selon ces données, seulement 8,4 % des tombes enregistrées par l’État ont été entièrement exhumées. Sur le nombre total de victimes enregistrées par l’État, se distinguent 12 988 en Aragon, 12 112 dans la communauté de Madrid, 8 012 en Catalogne, 6 627 en Andalousie et 5 430 dans les Asturies.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des tombes établie par le ministère de la Présidence, des Relations avec le Parlement et de la Mémoire démocratique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.mpr.gob.es/memoriademocratica/mapa-de-fosas/Paginas/buscadormapafosas.aspx">Gouvernement espagnol</a></span>
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</figure>
<p>Cependant, ces données officielles sont loin des chiffres réels. Le <a href="https://aeaof.com/media/document/Memoria%20Democr%C3%A1tica.%20Fosas%20y%20exhumaciones.%20Las%20exhumaciones%20de%20la%20Guerra%20Civil%20y%20la%20dictadura%20franquista%202000-2019.pdf">rapport de l’État</a> sur l’état des exhumations des fosses communes de la guerre civile et de la dictature de Franco (2019) détaille que 785 tombes ont été exhumées entre 2000 et 2019 et que 9 698 corps ont été retrouvés. En <a href="https://www.juntadeandalucia.es/organismos/culturaypatrimoniohistorico/areas/memoria-democratica/mapa-fosas-andalucia.html">Andalousie</a>, le gouvernement régional a recensé 708 tombes et le nombre de victimes est estimé à 45 556.</p>
<p>En <a href="http://justicia.gencat.cat/ca/ambits/memoria/Fosses/Mapa-de-fosses/">Catalogne</a>, entre 1999 et 2018, 41 actions ont été menées dans des fosses communes et les restes de 345 personnes ont été retrouvés. La carte régionale catalane recense 525 tombes, dont 251 sont confirmées et 274 probables, avec 12 154 victimes enregistrées. De même, en Catalogne, 66 643 victimes de procès sommaires ont été identifiées et leur préjudice a été réparés grâce à la <a href="http://justicia.gencat.cat/ca/serveis/document-reparacio-juridica/">loi 11/2017, du 4 juillet</a> sur la réparation juridique des victimes du franquisme, qui permet de déclarer nuls les jugements émis par les cours martiales qui ont eu lieu entre 1938 et 1978 : elles sont considérées comme contraires à la loi et ont violé le droit à un procès équitable.</p>
<h2>Un parcours d’obstacles continu pour les proches des victimes</h2>
<p>La majorité des personnes victimes de répression en territoire républicain ont été localisées, exhumées, identifiées et enterrées sur leurs lieux d’origine après la guerre civile en vertu de <a href="http://www.boe.es/datos/pdfs/BOE/1939/137/A02688-02689.pdf">dispositions légales</a> dictées en 1939.</p>
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<span class="caption">Exhumation des Treize de Priaranza del Bierzo (2000).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/memoriahistorica/12745708574/in/album-72157641455369013/">Association pour la Récupération de la Mémoire Historique (ARMH)</a></span>
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</figure>
<p>Pendant les années de transition vers la démocratie, quelques <a href="https://www.eldiario.es/sociedad/victimas-franquismo-abrian-tierra-manos-historia-exhumaciones-fosas-transicion_1_6201776.html">exhumations sans rigueur scientifique</a> ont été réalisées, paralysées par le coup d’État du 23 février 1981. Les victimes de la répression franquiste n’ont commencé à être exhumées que bien plus tard, avec un tournant décisif au moment de l’ouverture de la tombe de <a href="https://memoriahistorica.org.es/los-trece-de-priaranza/">Priaranza del Bierzo</a> en 2000. À la suite de cette action, l’Association pour la récupération de la mémoire historique (<a href="https://memoriahistorica.org.es/">ARMH</a>) a été créée, ce qui donnera lieu au début d’un processus associatif autour de la Mémoire.</p>
<p>Depuis lors, la récupération des restes des personnes disparues est restée principalement l’affaire des proches des victimes, qui ont dû recourir à des subventions de l’État (suspendues entre 2011 et 2021) pour réaliser les travaux d’exhumation avec la participation volontaire d’anthropologues et d’experts. En outre, le rythme des exhumations de fosses communes au niveau régional dépend du parti politique au pouvoir, ce qui crée des inégalités pour les victimes selon la région.</p>
<p>Ainsi, des communautés comme l’Andalousie, l’Aragon, la Catalogne, Valence, l’Estrémadure, le Pays basque, les Baléares et la Navarre ont promu des politiques de mémoire, tandis que d’autres, comme les Asturies, ont choisi de ne pas ouvrir les tombes, mais de marquer les lieux de mémoire et l’existence des tombes. En revanche, en Cantabrie, à Madrid et à Murcie, le nombre d’exhumations est très faible en raison de l’absence de politiques de mémoire actives.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Fosse de la Canalona (Asturias).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/imagenes-exhumaciones/">Association pour la Récupération de la Mémoire Historique (ARMH)</a></span>
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</figure>
<h2>Le droit de savoir ce qu’il est advenu des personnes disparues ou où elles se trouvent</h2>
<p>Le droit à la vérité a été identifié par les Nations unies comme l’un des piliers de la <a href="https://ap.ohchr.org/documents/dpage_s.aspx?si=E/cn.4/2005/102/Add.1">lutte contre l’impunité</a>, avec le droit à la justice et le droit à la réparation et aux garanties de non-répétition.</p>
<p>Le droit de connaître la vérité est généralement invoqué dans un contexte de violations flagrantes des droits de l’homme et comporte une double dimension, individuelle et collective. Les victimes et leurs familles ont un droit imprescriptible de connaître la vérité sur les circonstances dans lesquelles les violations ont été commises et, en cas de décès ou de disparition, sur le sort de la victime. En outre, le droit à la vérité est collectif par nature et, par conséquent, la société dans son ensemble a le droit de connaître les atrocités passées afin de prévenir et de garantir qu’elles ne se reproduiront pas à l’avenir.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des proches assistent à l’exhumation de la tombe de Chillón (Ciudad Real).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/imagenes-exhumaciones/">Association pour la Récupération de la Mémoire Historique (ARMH)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le phénomène des disparitions forcées, en raison de sa gravité et de sa pratique généralisée dans de nombreux pays, a été qualifié de crime contre l’humanité : cela a des implications juridiques très importantes, à savoir l’imprescriptibilité du crime et l’inadmissibilité des lois d’amnistie.</p>
<p>En Espagne, la <a href="https://www.boe.es/buscar/act.php?id=BOE-A-1977-24937">loi d’amnistie de 1977</a> a empêché toute enquête sur les graves violations des droits humains commises dans le passé, notamment l’ouverture de fosses communes. À cet égard, on ne peut oublier que le Tribunal suprême espagnol lui-même, en ce qui concerne les disparitions forcées commises pendant la guerre civile et le franquisme, a reconnu dans la décision <a href="https://vlex.es/vid/prevaricacion-crimenes-franquismo-injusticia-356948146">STS 101/2012</a>, le 27 février, que :</p>
<blockquote>
<p>« Les faits […] sont selon les règles actuellement en vigueur, des crimes contre l’humanité dans la mesure où les personnes décédées et disparues ont été l’objet d’une action systématique visant à les éliminer en tant qu’ennemis politiques. »</p>
</blockquote>
<h2>L’exhumation des fosses communes : une forme de réparation et de dignité pour les victimes</h2>
<p>Les exhumations de personnes disparues ou exécutées extrajudiciairement retrouvées dans des fosses communes ont pour but non seulement d’établir la vérité sur les événements survenus, mais aussi de restaurer la dignité des victimes et de leurs familles et de favoriser l’accès à la justice.</p>
<figure class="align-right zoomable">
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<span class="caption">Exhumation de la fosse commune dans le cimetière de Guadalajara.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/imagenes-exhumaciones/">Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’une part, les exhumations ont une dimension humanitaire qui implique l’identification et la restitution des restes des personnes disparues et exécutées à leurs proches afin qu’ils puissent « clore » le deuil gelé et être enterrés selon leurs croyances. Outre la dimension humanitaire, les exhumations peuvent également être pertinentes dans le cadre d’une procédure judiciaire, dans la mesure où les restes exhumés peuvent constituer des preuves et permettent en même temps d’établir les faits et les circonstances qui ont conduit à la disparition forcée ou à l’exécution extrajudiciaire.</p>
<p>En janvier 2016, à la demande de la juge argentine Maria Servini de Cubría et par le biais d’une exhortation internationale, une <a href="https://www.eldiario.es/clm/Guadalajara-solo-fosa-Timoteo-Mendieta_0_477702574.html">fosse commune a été ouverte dans le cimetière de Guadalajara</a> où ont été enterrés les restes de 22 personnes fusillées entre novembre 1939 et février 1940.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ascensión Mendieta, lors de l’ouverture du charnier à Guadalajara.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/imagenes-exhumaciones/">Asociación para la recuperación de la memoria histórica (ARMH)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ascensión Mendieta, 90 ans, recherchait la dépouille mortelle de son père Timoteo Mendieta, secrétaire général du syndicat UGT de Sacedón en 1936 et fusillé en 1939 par les autorités franquistes. Ana Messutti, l’une des avocates chargées du procès argentin sur les crimes de la répression franquiste, <a href="http://www.eldiario.es/clm/Apenas-Timoteo-Mendieta-olvido-franquista_0_517948935.html">souligne</a> qu’il est essentiel que :</p>
<blockquote>
<p>« Ascensión Mendieta retrouve les restes de son père mais aussi obtient une résolution judiciaire qui lui dira que son père a été assassiné. »</p>
</blockquote>
<h2>Au-delà d’une question humanitaire, l’exhumation des tombes est une question de justice</h2>
<p>Le droit à la vérité dure tant que le sort ou le lieu où se trouve la personne disparue n’est pas clarifié et que l’absence d’une enquête rapide et efficace viole le droit à la vérité et l’accès à la justice. Le droit à la vérité permet également de restaurer la dignité des victimes et constitue une mesure de réparation. Son déni cause souffrance et angoisse aux proches des personnes disparues et constitue un traitement inhumain selon les cours internationales des droits de l’homme.</p>
<figure class="align-right zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Exhumation Grado, El Rellán (Asturias).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/">Asociación para la recuperación de la memoria histórica (ARMH)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En Espagne, il est essentiel d’établir une politique d’État pour la recherche des personnes disparues qui ne dépende pas des partis politiques ou des idéologies et qui réponde à la juste attente des familles de retrouver les restes de leurs proches et de connaître la vérité sur ce qui s’est passé. L’exhumation des tombes n’est pas seulement une question humanitaire, mais aussi une question de justice, qui devrait être faite d’office, sans attendre que les victimes engagent une procédure.</p>
<p>Le 27 septembre 2021, le <a href="https://www.europapress.es/nacional/noticia-onu-arremete-contra-ley-amnistia-1977-pide-perseguir-penalmente-autores-desapariciones-franquismo-20210930150251.html">Comité des Nations unies sur les disparitions forcées</a> a insisté une fois de plus sur la nécessité pour l’Espagne de supprimer les obstacles qui entravent les enquêtes sur les cas de disparitions forcées et la recherche des personnes disparues, comme la loi d’amnistie de 1977, ainsi que sur la nécessité d’accélérer la création d’une banque d’ADN centralisée pour permettre l’identification des victimes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169703/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elisenda Calvet Martínez no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>L’exhumation des tombes n’est pas seulement une question humanitaire, mais aussi une question de justice.Elisenda Calvet Martínez, Profesora de Derecho Internacional Público, Universitat de BarcelonaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1670622021-08-31T18:50:40Z2021-08-31T18:50:40ZJoséphine Baker ou les chemins complexes de l’exemplarité<p>Si les historiens et les passionnés sont depuis longtemps familiers de la figure de Joséphine Baker, nombreux sont ceux qui ne connaissent de cette artiste que quelques bribes superficielles de sa vie, loin de la complexité du personnage. Bananes autour des hanches, pitreries, niaiseries ont longtemps fait écran sur un destin exceptionnel, celui d’une femme hors normes, Noire et sans frontières, légère et engagée, toujours sensible, solidaire.</p>
<p>Mais l’heure de reconnaissance a sonné : la modernité de son parcours la fera entrer au Panthéon le 30 novembre 2021. Qui aurait pu l’imaginer lorsque, dans la France des Trente Glorieuses, celle du yéyé et de mai 1968, sa voix était éteinte, sa notoriété quasiment disparue. Vedette déchue, elle vivotait jusqu’à ce qu’une compatriote, la princesse Grâce de Monaco et avec elle la principauté – où elle est enterrée – ne lui vienne en aide, ce qui lui offrira la possibilité, en 1975, d’un dernier et inoubliable tour de piste à Bobino quelques jours avant sa mort.</p>
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<p>Certes, on salue l’artiste disparue qui a émerveillé le Paris de l’entre-deux-guerres mais personne ne peut alors imaginer que Joséphine Baker puisse entrer au Panthéon moins de cinq décennies plus tard. On le sait, les figures du passé ne parlent pas toutes à notre temps présent de la même manière : voyez <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/05/15/jules-ferry-le-colonisateur-suscite-la-controverse_1701252_1471069.html">Jules Ferry</a> ou <a href="https://www.lalibre.be/sports/omnisports/2014/02/07/la-face-sombre-de-pierre-de-coubertin-BZOTYI2ODRGZVEDWGAYDJ4L3CE/">Pierre de Coubertin</a> tant honorés hier, sujets à controverse aujourd’hui. Pour d’autres, l’inverse se produit.</p>
<h2>Une artiste qui sait parler à la France du début du XXIᵉ siècle</h2>
<p>L’entrée de Joséphine Baker au Panthéon n’est pas une surprise, cela fait plusieurs années que son nom circule, comme ce fut le cas fin 2013 lorsque Laurent Kupferman et Régis Debray avaient lancé la proposition <a href="https://www.franceinter.fr/osez-josephine-la-petition-qui-plaide-pour-l-entree-de-josephine-baker-au-pantheon">sous la forme d’une pétition judicieusement intitulée « Osez Joséphine »</a>.</p>
<p>Il s’agit donc d’un aboutissement logique dans un contexte où l’artiste « coche des cases » qui correspondent à des valeurs de mieux en mieux partagées aujourd’hui : talent, liberté, résistance, antiracisme, courage, féminisme, solidarité. Avec comme valeur suprême la diversité quelle incarne à travers la chanson « J’ai deux amours » créée pour elle par Géo Koger et Henri Varna sur une musique de Vincent Scotto en 1930 et qu’elle chantera jusqu’à la fin de sa vie.</p>
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<p>C’est pourquoi Joséphine Baker, <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/l-intersectionnalite-ne-segmente-pas-les-luttes-elle-les-articule">« intersectionnelle »</a> avant l’heure, parle au plus grand nombre : ni intellectuelle, ni idéologue, elle réagissait avec son cœur en toute liberté dans un pays qui a été sa terre d’accueil et de consécration. Cette Américaine noire représente ainsi une forme de synthèse des minorités visibles que la France a pu mettre en valeur voire aduler – surtout dans le domaine du spectacle ou du sport, au risque parfois de l’essentialisation, mais aussi, paradoxalement, ignorer voire discriminer.</p>
<p>Aux côtés des « grands hommes » et de <a href="https://www.mondedesgrandesecoles.fr/qui-sont-les-femmes-du-pantheon/">quelques femmes pionnières</a>, elle apporte au Panthéon toute la vigueur de sa personnalité, toute son originalité et on ne peut qu’applaudir cette initiative.</p>
<h2>Richesses d’une vie chaotique</h2>
<p>Le parcours de cette jeune américaine née en 1906 à Saint-Louis, à la jeunesse plutôt triste, n’a pas été simple. Sa carrière, faite de hauts et de bas nous enseigne bien des choses sur le XX<sup>e</sup> siècle qui s’éloigne. Star éblouissante à la fin des années 20 et au début des années 30, sa carrière est fulgurante, avec la <em>Revue nègre</em> au Théâtre des Champs-Élysées à partir de 1925, elle éblouit le Tout-Paris et la France par son talent et sa liberté.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Joséphine Baker dansant le charleston aux Folies-Bergère, à Paris – Revue Nègre Dance (1926).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Revue_n%C3%A8gre#/media/Fichier:Baker_Charleston.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Le public est comme magnétisé par cette vedette excentrique. Puis sa carrière patine un peu avant la guerre même si elle reste très populaire dans l’Hexagone.</p>
<p>Sa nationalité française, elle l’obtient en 1937 en se mariant avec l’homme d’affaires Jean Lion. Puis, engagée de multiples manières avec courage et conviction durant le second conflit mondial à Paris, en province et au Maghreb, sa vie connaît une tournure différente au gré des événements. En 1939-40, elle chante pour les soldats au front pendant la « Drôle de guerre », entretient le moral des Parisiens à travers des concerts avant l’Occupation, distribue de la nourriture et des effets personnels aux indigents avant de devenir agent de renseignement et pilote d’avion.</p>
<p>Devenue sous-lieutenant, elle participe au débarquement à Marseille en octobre 1944. Médaillée de la résistance française avec rosette en 1946, elle sera faite chevalier de la Légion d’honneur et recevra la Croix de guerre en 1961.</p>
<p>Après guerre, dans l’impossibilité d’avoir des enfants, elle décide d’en adopter douze, de toutes origines, comme une mise en exergue de son idéal de fraternité universelle. Ce sera <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/l-esprit-des-lieux/l-esprit-des-lieux-du-mardi-24-aout-2021">sa « tribu arc-en-ciel », avec laquelle elle a vécu assez retirée en Dordogne dans une vaste propriété, le château des Milandes</a>. Mal connue dans son pays d’origine dans lequel elle se rend pourtant, Joséphine Baker ne retrouvera pas le succès qui avait été le sien.</p>
<h2>« L’étoile Noire »</h2>
<p>La notoriété de Joséphine Baker, c’est d’abord à travers son corps qu’elle la conquiert : le 9 octobre 1925, dans <em>Le Journal</em>, quotidien très conservateur, l’influent critique Georges Le Cardonnel s’enflamme en découvrant la <em>Revue nègre</em> :</p>
<blockquote>
<p>« sous l’excitation qui ne cesse de s’accélérer d’un jazz où la caisse domine et dont les discordances sont merveilleusement disciplinées, les ancêtres des forêts originelles semblent se réveiller en ces « noirs » au point de les posséder. Aussi leur frénésie les conduit, peu à peu, à une manière de bamboula. »</p>
</blockquote>
<p>Et de considérer que le clou du spectacle est incontestablement la figure de mademoiselle Baker :</p>
<blockquote>
<p>« C’est nu, candide, joyeux et renseigné. C’est précisément cette candeur joyeuse que ne sauront jamais monter nos contemporains […] C’est un spectacle extraordinaire qui transporte sur un autre continent. »</p>
</blockquote>
<p>Ce prisme « exotique » prévaudra aussi au cours de l’Exposition universelle de 1931. L’artiste qui a vigoureusement combattu le racisme reprenait à ses débuts, sans en être dupe, une vision stéréotypée et colonialiste du corps noir, elle qui n’avait alors pas mis les pieds sur le continent africain. Pour les commentateurs, la nudité du corps noir – supposément « sauvage » était d’ailleurs toujours plus subversive que celle du corps blanc.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/auto-essentialisation-quand-josephine-baker-retournait-le-racisme-contre-elle-meme-148280">Auto-essentialisation : quand Joséphine Baker retournait le racisme contre elle-même</a>
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<p>Dans cette première revue, Joséphine Baker s’illustre au milieu de 25 artistes parmi lesquels se trouve le danseur Louis Douglas. Vêtue d’un simple pagne de fausses bananes, elle surgit dans un tableau intitulé « La danse sauvage », agitant son corps sur un rythme d’une musique totalement inconnue en Europe que l’on nommera bientôt charleston. Et le succès est au rendez-vous : Joséphine Baker attire les regards grâce à son corps dénudé mais aussi grâce à son extraordinaire énergie et son sens de l’humour. Voilà bien un élément décisif de l’entrée au Panthéon de l’artiste : la manière dont Joséphine Baker a su s’extirper de ce corps auquel elle était assignée et des clichés qui y étaient attachés, pour vivre d’autres vies.</p>
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<h2>Indocile et antiraciste</h2>
<p>Forte de sa soudaine célébrité, Joséphine Baker devient une vedette et se comporte immédiatement comme telle. Elle ne respecte pas ses contrats et n’en fait qu’à sa tête. À tel point qu’elle se retrouve régulièrement devant les tribunaux pour répondre à diverses assignations. En 1926, l’homme de lettres et écrivain François Ribadeau-Dumas offre l’un des premiers reportages qui nous font entrer dans l’intimité de Joséphine dans les pages littéraires et artistiques du quotidien volontiers humoristique <em>La Lanterne</em>. Le journaliste est allé à sa rencontre dans son petit hôtel du parc Monceau. À midi elle dormait encore, mais, une fois réveillée, en robe de chambre, vive et endiablée, elle parle en anglais et joue avec ses petits chiens, son chat, ses canaris et perruches.</p>
<p>À 20 ans, il a été question qu’elle écrive ses mémoires, sans suite. Indocile, Joséphine Baker le sera dans sa vie privée et parfois dans ses comportements, toujours capable de laisser libre cours à ses envies, ses impulsions, sans jamais réellement calculer, au risque de surprendre. Capricieuse comme une star, elle joue bien son rôle pourtant contrebalancé par la participation à de très nombreuses actions caritatives. Celle que l’on surnomme simplement « Joséphine » s’est toujours montrée sensible et généreuse face à toutes les formes de misère.</p>
<p>Cette meneuse de revue, danseuse, chanteuse et comédienne, loin de clichés, nous enseigne un engagement antiraciste multiforme, tel qu’il faudrait le promouvoir aujourd’hui, dénué de toute « concurrence victimaire ». Sensibilisée par son mari Jean Lion confronté à l’antisémitisme, l’artiste s’engage notamment aux côtés de la LICA (Ligue Internationale Contre le Racisme) en 1938, se montrant très sensible au sort des Juifs pendant toute la période de l’Occupation. Plus tard, elle participera aux meetings du MRAP (Mouvement contre le Racisme et l’Antisémitisme et pour la Paix) en relation avec l’Unesco afin de sensibiliser à la lutte contre le racisme à l’échelle internationale.</p>
<p>Au temps des décolonisations, si l’artiste s’engage assez peu dans la lutte pour les Indépendances malgré un soutien affirmé, elle milite contre l’apartheid en Afrique du Sud et s’investit dans les mobilisations contre le racisme visant les Noirs aux États-Unis. La voilà aux côtés de Martin Luther King le 28 août 1963 devant le Lincoln Mémorial de Washington lorsque celui-ci prononce son discours historique « I have a dream ». En habit militaire, arborant fièrement ses impressionnantes décorations militaires, elle est l’une des rares femmes à prendre la parole au micro devant la foule immense. Dans cette période, elle apprécie aussi le Cuba de Fidel Castro où elle se rend pendant deux mois fin 1965, prenant le parti des non-alignés dans une période de tensions au cœur de la Guerre froide.</p>
<p>Tout sauf anecdotique, l’entrée de <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/075185-000-A/josephine-baker-premiere-icone-noire/">Joséphine Baker</a> au Panthéon est une bonne nouvelle : enfin ! Regarder en face la complexité des regards sur les femmes noires par notre République est une manière d’avancer. Et Joséphine Baker, personnalité inspirante, nous aide à aller de l’avant. Cette France qui l’a tant aimé et qui la retrouve aujourd’hui a encore beaucoup à apprendre de son humanité faite de conviction, de courages et de fragilités, nous avons beaucoup à réfléchir sur son parcours aux accents universalistes certes, mais avec son pays d’adoption chevillé au corps et au cœur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167062/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yvan Gastaut ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur le destin exceptionnel de Joséphine Baker, qui fera son entrée au Panthéon le 30 novembre 2021.Yvan Gastaut, Maître de conférences à l'UFR STAPS de l'université de Nice, Chercheur associé à TELEMME, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1591622021-08-12T21:15:25Z2021-08-12T21:15:25ZCe que la chanson engagée nous enseigne sur la liberté d’expression en France<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/414783/original/file-20210805-19-ah9683.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=67%2C11%2C1408%2C670&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manuscrit du Chant des Partisans</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://adirp37-41.over-blog.com/2020/05/le-chant-des-partisans-l-hymne-de-la-resistance.html">Musée de l’ordre de la Libération.</a></span></figcaption></figure><p>Les chansons racontent la société (<a href="http://louis-jean.calvet.pagesperso-orange.fr/accueil.htm">Louis-Jean Calvet</a>) et le patrimoine français compte bon nombre de chansons engagées, subversives et contestataires, qu’il s’agisse d’attaquer la monarchie au début du XIX<sup>e</sup> siècle, de soutenir la lutte des résistants pendant la deuxième guerre mondiale, de défendre la liberté d’expression ou l’antiracisme.</p>
<p>Certaines de ces chansons françaises – et leurs auteurs – ont subi des procès, suscité des débats politiques. D’autres sont devenus de véritables monuments culturels.</p>
<p>Selon <a href="http://www.editions-msh.fr/livre/?GCOI=27351100553490">Morgan Jouvenet</a>, ce phénomène culturel s’explique par le fait que l’artiste ne se limite pas à manipuler paroles et musique ; il est aussi le membre d’une communauté culturelle, qui exprime avec ses chansons un point de vue sur la société.</p>
<h2>Béranger : en prison pour avoir critiqué la monarchie</h2>
<p>Deux fois emprisonné en raison de ses chansons engagées, considéré comme un poète majeur l’auteur <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Pierre-Jean_de_B%C3%A9ranger">Pierre-Jean de Béranger</a> a été un des artistes les plus importants de la première moitié du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Il fut un artiste très populaire, apprécié et admiré pour ses paroles subversives à la fois sensibles et profondes. Le clergé, la noblesse et Napoléon étaient ses sujets les plus récurrents ; mais ses attaques les plus virulentes visaient la monarchie des Bourbons (1814–1830).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/389362/original/file-20210313-23-1fiie09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/389362/original/file-20210313-23-1fiie09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/389362/original/file-20210313-23-1fiie09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/389362/original/file-20210313-23-1fiie09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/389362/original/file-20210313-23-1fiie09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/389362/original/file-20210313-23-1fiie09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=884&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/389362/original/file-20210313-23-1fiie09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=884&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/389362/original/file-20210313-23-1fiie09.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=884&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pierre-Jean de Béranger.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pierre_Jean_de_B%C3%A9ranger.JPG"> Victor Frond/Wikimedia</a></span>
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<p>Les paroles antimonarchiques et favorables à la liberté de la presse de ses chansons lui ont valu d’en découdre avec la justice. Il fut emprisonné pendant trois mois en 1821, puis dix mois en 1829. Tout comme lui, au début du XIX<sup>e</sup> siècle, <a href="https://journals.openedition.org/criminocorpus/2594?lang=en">plus de deux mille personnes ont été emprisonnées pour délits d’opinion</a>.</p>
<p>Son deuxième emprisonnement le rendit encore plus populaire et fit de lui une véritable légende. Plus de deux cents personnes lui rendirent visite, y compris les intellectuels, romanciers et poètes les plus prestigieux du moment. En prison, il continua à écrire et publier de paroles subversives, et son incarcération lui fit gagner encoe plus d'influence. </p>
<p>D’âpres le critique littéraire <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vissarion_Belinski">Visarión Belinski</a>, avec Béranger, la poésie est devenue politique, et la politique, poésie.</p>
<h2>Le chant des partisans, un monument historique</h2>
<p>Lors de la Seconde Guerre mondiale et sous l’Occupation, les chansons représentaient symboliquement le camp que l’on soutenait. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=WpvA86MG1PM"><em>Le Chant des partisans</em></a> (1943) était l’hymne de la Résistance. Cachés dans les bois, prévoyant des sabotages, les maquisards savaient qu’ils n’étaient pas seuls s’ils entendaient au loin quelqu’un siffler l’air de cette chanson.</p>
<p><a href="https://www.sa-autrement.com/livre/9782746705630-la-resistance-en-chantant-cd-sylvain-chimello/">Les chansons permettaient concrètement d’étendre le soutien à la Résistance</a>. Mais il fallait faire attention et esquiver la censure. Les chansons étaient envoyées par courrier à trois personnes proches et partageant les mêmes convictions. Dans l’enveloppe, on trouvait la partition, les paroles, les instructions précises pour poursuivre la chaîne et, surtout, pour ne pas être découverts.</p>
<p>La France considère que le rôle de ces chansons pour la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lib%C3%A9ration_de_la_France">Libération</a> a été si important que le manuscrit des paroles du <a href="https://www.legiondhonneur.fr/fr/actualites/pret-du-chant-des-partisans-au-musee-de-lordre-de-la-liberation/1605/2"><em>Chant des partisans</em></a>, composé par Maurice Druon et Joseph Kessel, a été déclaré <a href="https://www.la-croix.com/Archives/2006-12-05/Le-Chant-des-partisans-classe-monument-historique-_NP_-2006-12-05-278264">monument historique en 2006</a>. Il est conservé depuis au Musée de la Légion d’honneur.</p>
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<figcaption><span class="caption">Germaine Sablon – Le Chant des partisans.</span></figcaption>
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<h2>« Le bruit et l’odeur »</h2>
<p>Le 20 juin 1991, le maire de Paris, Jacques Chirac, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4BxaVdu0hqU">à l’occasion du dîner de son parti à Orléans</a>, évoqua les immigrés en les associait au « bruit et l’odeur » supposément supportés par leurs voisins, affirmant : « ce n’est pas raciste de dire cela ».</p>
<p>Cette déclaration a suscité une vive polémique. La contestation musicale est venue du groupe Zebda avec une chanson qui reprend cette partie du discours et dont le titre est aussi celui du deuxième album du groupe, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rbXUIkYOvl8"><em>Le bruit et l’odeur</em></a> (1995).</p>
<p>Leurs paroles rappellent l’histoire de l’immigration en France, avec ces ouvriers arrivés de l’étranger qui ont tant oeuvré à l’heure de la reconstruction du pays suite à la Seconde Guerre mondiale :</p>
<blockquote>
<p>« Qui a construit cette route ? Qui a bâti cette ville ? Et qui l’habite pas ? À ceux qui se plaignent du bruit, à ceux qui condamnent l’odeur, je me présente : je m’appelle Larbi, Mamadou, Juan et faites place. »</p>
</blockquote>
<p>Désormais, évoquer « Le bruit et l’odeur » renvoie à la fois au discours de Chirac et à la chanson de Zebda, et c’est devenu une expression qui évoque le racisme en général. Ce n’est qu’en 2009 que Jacques Chirac avouera son erreur lors d’une interview à la radio.</p>
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<figcaption><span class="caption">Zebda – Le Bruit Et L’Odeur.</span></figcaption>
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<h2>Contre l’extrême droite</h2>
<p>Dans l’ouvrage <a href="https://www.furet.com/livres/cette-chanson-qui-emmerde-le-front-national-baptiste-vignol-9782351440476.html"><em>Cette chanson qui emmerde le Front national</em></a> on trouve une compilation de 50 chansons qui s’en prennent à ce parti politique d’extrême droite.</p>
<p>Des groupes célèbres comme IAM, Assassin, NTM, Zebda et les chanteurs tels que Francis Cabrel, Renaud ou Diam’s attaquent à travers leurs paroles non seulement aux idées extrémistes du Front national, mais aussi à leurs dirigeants, insultes incluses. Un phénomène qui peut surprendre dans d’autres pays où la liberté d’expression ne permet pas s’exprimer d’une manière si explicite.</p>
<p>C’est le cas de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0uGLw5ToU7I"><em>Nique le système</em></a> de Sniper :</p>
<blockquote>
<p>« Si Auschwitz n’est qu’un détail, c’est parce Le Pen est un sale cochon. ».</p>
</blockquote>
<p>Au deuxième tour des élections présidentielles de 2002, Jacques Chirac affrontait Jean‑Marie Le Pen. C’était donc la première fois qu’un candidat d’extrême droite arrivait à ce stade du scrutin. Les artistes se sont mobilisés et ont organisé des concerts contre Le Pen. Les rappeurs français ont sorti un album collectif intitulé <a href="https://www.youtube.com/watch?v=q3nDa3IrBWg"><em>Sachons dire non</em></a> dans lequel ils demandaient avec insistance d’aller voter et rejetaient de façon catégorique le Front national.</p>
<h2>Insultes et menaces à la République</h2>
<blockquote>
<p>« La France est une garce et on s’est fait trahir. Le système voilà ce qui nous pousse à les haïr […] Pour mission exterminer les ministres et les fachos […] À croire que le seul moyen de se faire entendre est de brûler des voitures […] l’État nique sa mère. »</p>
</blockquote>
<p>Ces vers sont extraits du titre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0GIPgmmij90"><em>La France</em></a> (2001), du groupe de rap Sniper. Les paroles signalent le racisme, la discrimination, mais elles insultent aussi la République et menacent ses politiciens.</p>
<p>Le groupe Sniper a été mis en cause le 27 juillet 2004 pour incitation à blesser ou tuer des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ainsi que pour injure, trois mois après avoir interprété la chanson <em>La France</em>. Le procès s’est terminé par une relaxe. De son côté, le groupe a exigé des excuses de la part du ministre, menaçant de porter plainte contre lui pour ses déclarations populistes et diffamatoires.</p>
<p>Peu de temps après, Sniper a publié une nouvelle version de la chanson avec le titre <em>France, itinéraire d’une polémique</em>. Les paroles disent la même chose que sur le titre <em>France</em>, mais d’une autre manière, et relatent les ennuis du groupe avec la justice :</p>
<blockquote>
<p>« La France est une farce et on s’est fait trahir ; Tu sais, ils ont tenté de nous salir ; Oui moi j’ai parlé de garce, notamment de la France ; Ils m’interdisent de dire en face mais t’inquiète, je le pense ; Accusés d’inciter à prendre les armes. »</p>
</blockquote>
<p>De Béranger à Sniper, il semble que la chanson contestataire, en France, reste un fil rouge de la liberté d’expression.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159162/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ana María Iglesias Botrán ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De Béranger, qui critiquait ouvertement la monarchie des Bourbons, au groupe Zebda, qui fustigea les propos racistes de Chirac en 1991, les chansons françaises savent porter des messages subversifs.Ana María Iglesias Botrán, Profesora del Departamento de Filología Francesa en la Facultad de Filosofía y Letras. Doctora especialista en estudios culturales franceses y Análisis del Discurso, Universidad de ValladolidLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1606322021-06-08T17:30:24Z2021-06-08T17:30:24ZLes deux visages de l’extrême droite ukrainienne<p>Malgré son regain d’activité lors de la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/23745118.2016.1154646">Révolution du Maïdan en 2014</a> et de la <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/rnv95_versionfr_likhachev_far-right_radicals_final.pdf">guerre dans le Donbass</a>, l’extrême droite ukrainienne reste un phénomène marginal et, surtout, profondément divisé.</p>
<p>En effet, deux discours nationalistes diamétralement opposés s’affrontent au sein de cette mouvance. L’un, « historique », « occidental » et « intraverti », est incarné par des partis comme <a href="http://library.jewseurasia.org/data/image/books/18/14/9/18149_d.pdf">Svoboda</a> et <a href="https://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780190274559.001.0001/oxfordhb-9780190274559-e-30">Secteur droit</a> ; l’autre, « néo-nationaliste », « oriental » et « extraverti », est représenté avant tout par le mouvement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09546553.2018.1555974">Azov</a>.</p>
<p>Pour comprendre cette dichotomie, il convient de la replacer dans son contexte et de détailler les idéologies et les traditions politiques dont elle relève.</p>
<h2>Le nationalisme galicien : la mouvance originelle et le rejet de l’URSS</h2>
<p>Si le nationalisme ukrainien dit « historique » trouve ses origines dans différentes organisations telles que le Congrès des nationalistes ukrainiens (KUN, un parti national-démocrate fondé en 1992 et dirigé par la deuxième génération d’émigrés en Allemagne et dans le monde anglo-saxon) et sa formation paramilitaire <a href="https://www.jstor.org/stable/40871070?seq=1">Tryzub</a>, cette mouvance est principalement dominée aujourd’hui par l’Union pan-ukrainienne « Svoboda » (Liberté), un mouvement politiqué autrefois connu sous le nom de Parti social-nationaliste ukrainien (SNPU).</p>
<p>Né officiellement le 13 octobre 1991 à Lviv de la fusion de différentes organisations nationalistes, ce mouvement s’inscrit, schématiquement parlant, dans les traditions nationalistes et paramilitaires de l’Ukraine occidentale, notamment galiciennes. C’est dans cette région, dominée de 1772 à 1918 par les Austro-Hongrois puis de 1918 à 1939 par les Polonais, que se sont développées à partir du XIX<sup>e</sup> siècle les premières idées défendant la spécificité de l’Ukraine, et surtout <a href="https://www.files.ethz.ch/isn/145572/10_nivat.pdf">son droit d’exister en tant que nation souveraine et indépendante</a>.</p>
<p>Berceau d’une culture proto-nationaliste, la Galicie voit, au cours de l’entre-deux-guerres (l’Ukraine étant rattachée à l’URSS dès la création de celle-ci en 1922), se développer dans la clandestinité plusieurs mouvements politiques, au premier rang desquels l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) et sa branche armée, l’Armée insurrectionnelle d’Ukraine (UPA). Dirigé par des nationalistes ukrainiens d’origine galicienne comme Roman Choukhevytch et Stepan Bandera, notamment tenus pour responsables des <a href="https://www.memorial-caen.fr/lespace-pedagogique/enseignement-superieur/colloques/memoires-des-massacres-du-XXe-siecle">massacres de Volhynie</a> (1942-1944), ce mouvement-guérilla tentera de jeter les bases d’un nouvel État, indépendant du joug stalinien.</p>
<p>Au <a href="https://www.jstor.org/stable/25729089?seq=1">début de la Seconde Guerre mondiale</a>, l’OUN et l’UPA, fortes de 200 000 hommes, privilégient une collaboration de circonstance avec l’Allemagne hitlérienne ; elles se retournent ensuite contre l’occupant nazi qui leur refuse la création d’un État indépendant, avant d’être finalement défaites par l’URSS. Par leur lutte en faveur de l’indépendance et leur idéologie radicale animée d’un désir de rupture totale avec l’URSS, ces mouvements galiciens ont évidemment eu une influence après 1991 sur l’idéologie et la posture des ultra-nationalistes. Ces derniers profitent également de l’incapacité de la gauche ukrainienne à se débarrasser des connotations négatives liées au passé soviétique.</p>
<p>Réplique radicale au séisme de 1991 visant à parachever la sortie définitive de l’Ukraine de la dépendance russe, l’idéologie du SNPU se veut, lors de ses débuts, fondamentalement identitaire et raciste. Construite autour de la notion de « Terre » et de « Sang », cette idéologie monolithique s’arc-boute autour de l’ethnos ukrainien, compris comme un fondamentalisme blanc, et donc une supériorité raciale sur les ennemis présupposés de l’Ukraine, à savoir la Russie, la Pologne et le peuple juif. Cette vision s’inspire en majeure partie du national-socialisme allemand et des premières thèses intégralistes du théoricien ukrainien <a href="http://www.encyclopediaofukraine.com/display.asp?linkpath=pages%5CD%5CO%5CDontsovDmytro.htm">Dmytro Donstov</a> (1883-1973) qui considérait les Russes comme un peuple d’Asie. C’est à ce titre que le SNPU reprend à son compte les couleurs rouge et noir de l’UPA mais également la rune SS « Wolfstangel » renversée pour symboliser l’« Idée de la Nation ». De plus, le SNPU entretient par un folklore – notamment de nombreuses marches au flambeau – la mémoire collective de l’UPA et de la division SS ukrainienne Halychyna, glorifiant ainsi la dimension militaire du combat de ces organisations.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1389513651028041729"}"></div></p>
<p>Si la posture extrême et provocatrice du SNPU légitime dans l’Ukraine post-soviétique le recours à la violence à des fins politiques, elle ne permet pas à ce parti de s’extraire de son berceau électoral galicien – où ses scores tournent autour de 1 % des suffrages – et de gagner d’autres territoires. Contrairement à d’autres partis nationalistes comme le Congrès des nationalistes ukrainiens, beaucoup plus démocrate et modéré, le SNPU n’obtient aucun siège à la Rada centrale en 1994 et 1998.</p>
<p>C’est pourquoi, en 2004, ses dirigeants Andriy Parubiy et Oleh Tyahnibok entreprennent la refondation du SNPU en l’expurgeant de tous ses symboles néo-nazis et le rebaptisant Svoboda. Si Svoboda entend proposer un programme plus social, la rhétorique chauviniste galicienne anti-russe dénonçant l’« ukrainophobie » reste de mise.</p>
<p>Même si la percée de Svoboda à travers l’ensemble du territoire ukrainien (10,4 % des voix lors des élections législatives de 2012, et jusqu’à 30 % en Galicie) tient largement à l’hybridation de son programme et à des enjeux sociaux liés aux difficultés de l’Ukraine indépendante, il convient de préciser que la diffusion de ce nationalisme historique doit beaucoup aux politiques mémorielles conduites en 2009-2010 par le président Iouchtchenko (2004-2010) qui <a href="https://www.rferl.org/a/Yushchenko_Grants_Hero_Status_To_Controversial_Ukrainian_Nationalist/1937123.html">nomma</a> à titre posthume, « Héros de l’Ukraine » Stepan Bandera ainsi que les principaux membres et théoriciens de l’OUN, cherchant ainsi à promouvoir une mémoire ukrainienne jadis frappée de l’anathème soviétique. La revitalisation du nationalisme galicien s’explique également par la médiatisation qu’en a faite le successeur de Iouchtchenko à la présidence, Viktor Ianoukovitch (2010-2014), qui souhaitait pour sa part <a href="https://www.opendemocracy.net/en/odr/ukraine-right-wing-politics-is-genie-out-of-bottle/">favoriser la montée en puissance de Svoboda</a> afin d’apparaître comme le rempart contre le fascisme en vue de la présidentielle de 2014.</p>
<p>Loin de s’imposer, en dépit de sa participation à la Révolution du Maïdan, comme une force suffisamment légitime, les partis représentant le nationalisme historique passent au second rang dans le contexte post-révolutionnaire de 2014 qui ouvre définitivement l’ère post-soviétique en Ukraine. Échouant à l’élection présidentielle de 2014 (Oleh Tyahnibok et Dmytro Iarosh, respectivement candidats de l’Union Svoboda et du Secteur droit, n’obtiennent que 1,2 % et 0,7 % des suffrages) puis aux législatives tenues cette même année (4,7 % pour la liste de Svoboda et 1,8 % pour celle de Secteur droit), le nationalisme historique s’efface dans les années suivantes au profit d’une autre mouvance, dite « néo-nationaliste ».</p>
<h2>Le néo-nationalisme ukrainien : entre « Troisième Voie » et ambition impériale</h2>
<p>Aussi semblable qu’il puisse être en termes de radicalité et d’importance que son idéologie confère au thème national, le néo-nationalisme se distingue du nationalisme historique sur de nombreux points.</p>
<p>Face à la polarisation du pays autour de nouveaux enjeux identitaires, économiques et militaires hérités de la dissolution de l’URSS, certains mouvements implantés dans l’est et le centre du pays, comme <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2753/RUP1061-1940510502">l’Assemblée nationale ukrainienne – Autodéfense ukrainienne (UNA-UNSO)</a>, ont décidé de reconsidérer les paradigmes du nationalisme ukrainien. Il ne s’agit plus seulement de plaider pour une restauration des permanences ethno-culturelles de la nation ukrainienne en se séparant d’un empire, mais bien de repenser sa place dans son environnement géographique. Ainsi, ce « néo-nationalisme » s’oppose au nationalisme historique ukrainien en se référant à une conception « civilisationnelle » de l’Ukraine, qu’il rattache à l’Europe par son héritage culturel et historique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1051936061256028160"}"></div></p>
<p>L’émergence et la structuration d’une force néo-nationaliste comme le <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/05/18/01003-20180518ARTFIG00007-ukraine-les-milices-extremistes-du-bataillon-azov.php">mouvement Azov</a>, qui en est le principal porte-drapeau depuis la <a href="https://www.kyivpost.com/ukraine-politics/nationalist-azov-battalion-starts-political-party.html">fondation de son parti, baptisé Corps national</a>, le 14 octobre 2016, est à l’aval de cette mutation politique favorisée par le contexte géopolitique immédiat. Centralisé autour d’Andriy Biletsky, le fondateur du régiment Azov puis du parti Corps national, le mouvement Azov peut être considéré comme l’incarnation d’un « nationalisme soldatique » situé à l’intersection de l’extrême droite parlementaire de Svoboda (qui compte aujourd’hui un député à la Rada) et des groupuscules paramilitaires ultra-nationalistes et néo-nazis, à l’exemple de Patriotes d’Ukraine, dont le commandement initial du régiment Azov puis du parti Corps national est majoritairement issu. Capitalisant sur la renommée de ce régiment d’élite de la garde nationale ukrainienne fort d’environ 4 000 hommes ayant joué un rôle conséquent dans la <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/the-battle-for-mariupol/">reconquête de la cité portuaire de Marioupol</a>, ce mouvement entend s’inscrire durablement dans le paysage politique ukrainien.</p>
<p>Par son interprétation des événements révolutionnaires de 2014 comme étant l’avènement d’un nouvel <a href="https://dalekoblisko.com/2018/02/14/linvite-db-natsionalniy-druzhyny-les-phalanges-du-nouvel-ordre-ukrainien/">« ordre ukrainien »</a> et par son engagement militaire sur le front du Donbass, le mouvement Azov est dépositaire d’un combat politique qui entend non pas détruire un « système » auquel est imputée la perte de la grandeur nationale, mais plutôt le remodeler de l’intérieur selon ses propres normes. Il s’agit là d’une forme de nationalisme révolutionnaire qui cherche à bâtir une communauté de destin à l’échelle de la nation. Ce projet trouve ses origines dans les principes de la « natiocratie » de <a href="http://www.encyclopediaofukraine.com/display.asp?linkpath=pages%5CS%5CT%5CStsiborskyMykola.htm">Mykola Stsiborsky</a> (1897-1941) et du « social-nationalisme » de <a href="http://www.encyclopediaofukraine.com/display.asp?linkpath=pages%5CS%5CT%5CStetskoYaroslav.htm">Iaroslav Stetsko</a> qui constituèrent l’idéologie définitive de l’OUN à partir du mois d’août 1939. Rejetant les principes ethnicistes et centralisateurs des régimes nazis et fascistes, de même que les principes libéraux des démocraties et les principes collectivistes du communisme, il entend recomposer l’État autour du principe de solidarité et d’une « Troisième voie » où l’Ukraine ne s’inscrirait dans aucun bloc géopolitique existant.</p>
<p>Ainsi établi sur le rejet de l’Occident libéral et de l’Orient « néo-bolchévique » et eurasiatique, le néo-nationalisme ukrainien entend dépasser la complexité des enjeux identitaires propres à l’histoire ukrainienne, qui reste prise dans un choix géopolitique et civilisationnel entre l’Europe et le « Monde ruse » (Rousskiï Mir).</p>
<p>Si pour s’éloigner de l’orbite russe, des partis comme Svoboda se sont montrés favorables à une adhésion à l’OTAN et à une coopération accrue avec l’Occident – ce qui leur permet au passage de cultiver une certaine proximité avec des partis européens de droite dure comme le Rassemblement national au sein de l’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01697494">Alliance européenne des mouvements nationaux</a> –, les néo-nationalistes ukrainiens, eux, sont majoritairement partisans d’une « guerre perpétuelle » contre la Fédération de Russie, pays perçu – tout comme l’Occident – comme le principal obstacle à la création d’un État-nation ukrainien pleinement consolidé et prédominant dans le monde slave.</p>
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<p>Cette stratégie se déploie aujourd’hui autour de l’<a href="https://www.ifri.org/en/publications/publications-ifri/articles-ifri/imagined-geographies-central-and-eastern-europe-concept">Union Baltique Mer Noire-Intermarium</a>, que le mouvement Azov entend populariser avec l’aide d’une Nouvelle droite ukrainienne en formation. Organisée autour du club métapolitique Plomin, celle-ci est dirigée par la philosophe <a href="https://www.illiberalism.org/olena-semenyaka-the-first-lady-of-ukrainian-nationalism/">Olena Semenyaka</a>. Plus qu’établir un nouveau réseau d’alliances contre la Russie, les néo-nationalistes ukrainiens souhaitent, à travers l’idée d’Intermarium, raviver et réenraciner l’idée d’identité et de civilisation européennes. Autrefois périphérique à l’Europe et en marge du débat d’idées, l’extrême droite ukrainienne tente de devenir le nouveau point de convergence et de départ d’une révolution nationale paneuropéenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160632/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrien Nonjon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’extrême droite ukrainienne est marquée par des divisions idéologiques profondes qui reflètent à leur façon l’histoire du pays.Adrien Nonjon, Doctorant en Histoire , Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1603212021-05-24T18:46:54Z2021-05-24T18:46:54ZStolpersteine à la mémoire des victimes du nazisme : les enjeux d’un mémorial de proximité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/402348/original/file-20210524-15-hh4r03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C11%2C3680%2C2768&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pavés de Mémoire pour la famille Ettinger, Rouen.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pavés de Mémoire Rouen Métropole</span></span></figcaption></figure><p>« Ici habitait… » : conçues par l’artiste allemand Gunter Demnig, les <a href="http://www.stolpersteine.eu">Stolpersteine</a> – des pierres sur lesquelles on trébuche, symboliquement – honorent la mémoire individuelle de victimes du nazisme. Ces Pavés de Mémoire, tels qu’on les appelle généralement en France, sont recouverts d’une plaque de laiton sur laquelle sont gravés le nom et le sort de chaque victime. Ils sont le plus souvent encastrés dans le trottoir devant le dernier domicile de celle-ci. Depuis les années 1990, près de 80000 d’entre eux ont été installés en Allemagne puis dans toute l’Europe. La mise en œuvre du projet de Demnig dans l’agglomération rouennaise, à l’initiative de l’association <a href="https://pavesmemoirerouen.monsite-orange.fr">Pavés de Mémoire Rouen Métropole</a>, est l’occasion de revenir sur les <a href="https://eriac.hypotheses.org/1652">enjeux de ce monument</a> décentralisé, ou mémorial de proximité.</p>
<h2>Individualiser et territorialiser la mémoire</h2>
<p>Le premier de ces enjeux est l’individualisation de la mémoire, d’autant plus importante pour les victimes de la Shoah, notamment, que celles-ci tendent à disparaître derrière l’abstraction des chiffres. Le projet s’adresse ainsi prioritairement aux jeunes, pour lesquels le génocide n’est souvent plus qu’une réalité lointaine, tant sur le plan temporel que géographique. À l’heure où l’Allemagne unifiée débattait d’un <a href="https://www.stiftung-denkmal.de/denkmaeler/denkmal-fuer-die-ermordeten-juden-europas-mit-ausstellung-im-ort-der-information">monument central à la mémoire des juifs assassinés d’Europe</a> au cœur de sa capitale, Demnig avait conçu ses Stolpersteine comme une réponse à l’anonymat des victimes. En France, l’approche individualisée de la Shoah n’est certes pas nouvelle, elle remonte aux années 1970, lorsque Serge Klarsfeld, dont le <a href="https://www.fondationshoah.org/memoire/memorial-de-la-deportation-des-juifs-de-france-serge-klarsfeld">Mémorial de la déportation des Juifs de France</a> a été actualisé en 2012, avait entrepris de redonner un nom et une identité à l’ensemble des victimes. Ce travail est poursuivi par le <a href="http://www.memorialdelashoah.org">Mémorial de la Shoah</a> à travers son Mur des Noms et sa base de données régulièrement complétés.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/402349/original/file-20210524-19-1dnmcwj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/402349/original/file-20210524-19-1dnmcwj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/402349/original/file-20210524-19-1dnmcwj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/402349/original/file-20210524-19-1dnmcwj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/402349/original/file-20210524-19-1dnmcwj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1076&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/402349/original/file-20210524-19-1dnmcwj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1076&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/402349/original/file-20210524-19-1dnmcwj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1076&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Gunter Demnig.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Katja Demnig</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
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<p>Mais la caractéristique principale du projet de <a href="http://www.gunterdemnig.de">Demnig</a>, dont l’œuvre artistique globale est centrée sur la notion de <a href="https://www.stiftung-spuren-gunterdemnig.eu">trace</a> du passé matérialisée au cœur de l’espace public, est d’associer cette approche individuelle à une <a href="https://journals.openedition.org/framespa/4634">reterritorialisation</a> de la mémoire. La superposition passé-présent y joue un rôle essentiel. Le choix du dernier domicile librement choisi par les victimes (avant leur arrestation, leur expulsion ou leur exil forcé) vise à inscrire leur souvenir au cœur de la cité, là où nous vivons aujourd’hui, et non dans un lieu sanctuarisé. La mémoire du passé surgit ainsi de manière impromptue dans l’espace partagé et familier. </p>
<p>Les Stolpersteine proposent, sans l’imposer, aux habitants et aux passants de s’incliner pour lire les inscriptions et de prendre conscience que les persécutions ont commencé dans leur voisinage immédiat, parfois dans l’indifférence des contemporains de l’époque. Quant aux victimes elles-mêmes, souvent des familles entières réunies par la pose de plusieurs pavés à une même adresse, elles sont réintégrées dans leur environnement d’avant la persécution. Leur identité et leur parcours ne se résument alors pas à la tragédie de leur déportation. Dans l’agglomération rouennaise, le projet nous avait paru pertinent pour les victimes de la Shoah, souvent « invisibles » au cœur des villes, particulièrement en province. Mais la souplesse du projet de Demnig, qui pose des Stolpersteine pour tous les groupes de victimes du nazisme, permet de prendre en compte et de compléter, en fonction de chaque situation locale, le paysage mémoriel existant.</p>
<h2>Un projet citoyen et éducatif</h2>
<p>Le rôle joué par la société civile est important aussi dans la genèse des différents projets. Considérant lui-même son œuvre comme un monument « d’en bas », une sorte de <a href="https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2018-3-page-87.htm">sculpture sociale</a> à la Joseph Beuys, Gunter Demnig en encourage la réappropriation par des initiatives citoyennes regroupant des personnes sensibilisées à l’importance du travail de mémoire pour alerter sur les dangers actuels du racisme et de l’antisémitisme. Ces initiatives, souvent portées par des associations travaillant en partenariat avec les <a href="https://www.metropole-rouen-normandie.fr/actualite/2020/paves-de-memoire-9784">collectivités territoriales</a> et les familles de victimes, font leur propre choix des personnes dont il s’agit d’honorer la mémoire. </p>
<p>La notion même de « choix » n’est d’ailleurs pas sans poser problème. Le projet de Demnig ne peut évidemment pas prétendre à l’exhaustivité et n’honorera jamais la mémoire de toutes les victimes, mais la pluralité et la complémentarité des initiatives locales, que permet le caractère cumulatif de l’œuvre globale, aboutissent au moins à une large représentativité à l’échelle européenne. Après des débuts difficiles, puisque le projet n’a commencé à être <a href="https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2018-3-page-104.htm">réalisé en France</a> qu’à partir de 2013, les initiatives hexagonales reflètent elles aussi cette diversité. Les discussions relatives à ces choix font elles-mêmes partie du processus de réappropriation citoyenne de la mémoire, à l’heure où les monuments plus traditionnels ne parviennent pas toujours à maintenir la mémoire vivace.</p>
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<p>Confrontée à cette question du choix difficile des victimes à honorer, l’association Pavés de Mémoire Rouen Métropole a décidé de réaliser le projet pour toutes les familles victimes de la Shoah avec enfants mineurs ayant résidé dans l’agglomération. Avec la pose de 39 Stolpersteine à Rouen et à Sotteville-lès-Rouen en septembre 2020, puis de 38 nouveaux pavés à l’automne 2021 à Rouen, elle aura réalisé la majeure partie de son projet initial. Ce choix avait été fait aussi pour le travail pédagogique avec les scolaires, autre enjeu fondamental du projet de Gunter Demnig. Lors des dernières <a href="http://www.memorialdelashoah.org/pedagogie-et-formation/formations-et-universites/assises-pedagogiques-2020.html">Assises pédagogiques</a> du Mémorial de la Shoah en octobre 2020, une table ronde avait été spécifiquement consacrée à l’enseignement de la Shoah à travers l’histoire locale, et un des <a href="https://college.clionautes.org/troisieme-enseigner-la-shoah-a-partir-de-lhistoire-locale-les-paves-de-memoire.html">projets rouennais</a> associés aux Pavés de Mémoire y avait été présenté. </p>
<p>La proximité géographique des élèves avec les victimes, l’identification avec des enfants et adolescents qui fréquentaient parfois les mêmes établissements scolaires, constituent un atout majeur dans leur sensibilisation au sujet. Entre 2019 et 2021, déjà plus de 600 élèves et étudiants de l’agglomération rouennaise, encadrés par leurs professeurs d’histoire-géographie ou d’allemand, ont travaillé sur le destin des familles honorées par des Stolpersteine, ont été sensibilisés à la démarche mémorielle de l’artiste, ou encore ont été associés à l’élaboration de <a href="https://view.genial.ly/5e999c338a1e5e0e2068b68d/interactive-image-image-interactive">cartes interactives</a> présentant les lieux et les victimes.</p>
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<h2>Un enjeu de connaissance</h2>
<p>Le dernier enjeu des poses de Pavés de Mémoire, et non des moindres, est de compléter et de valoriser, à l’échelle locale, la connaissance des persécutions nazies et des complicités des régimes de collaboration durant la Seconde Guerre mondiale. En Allemagne, les projets ont stimulé la recherche microhistorique, comme en témoigne par exemple la publication de 23 volumes de <a href="https://www.stolpersteine-hamburg.de/?MAIN_ID=25">biographies de victimes de Hambourg</a>. Pour la <a href="http://www.leseditionsovadia.com/collections/23-histoires-destin%C3%A9es/34-de-rouen-a-auschwitz-les-juifs-du-grand-rouen-et-la-shoah-9-juin-1940-31-juillet-1944.html">Shoah dans le « Grand Rouen »</a> de la période de l’occupation allemande, le projet de l’association Pavés de Mémoire Rouen Métropole avait pu s’appuyer dès ses origines sur des travaux existants, replacés dans leur contexte historique général, et il a stimulé de <a href="https://eriac.hypotheses.org/1688">nouvelles recherches</a>, assorties d’une présentation de leur méthodologie. </p>
<p>Ces connaissances ont été rendues accessibles au grand public par le biais du site Internet et de l’application de géolocalisation <a href="https://stolpersteine-guide.de/map/staedte/205/rouensotteville">Stolpersteine Guide</a>, où sont visibles photographies et biographies des victimes. Des déambulations commémoratives, patrimoniales et pédagogiques seront envisagées dès que la situation sanitaire le permettra. Car ce projet mémoriel, éducatif et citoyen a vocation, au-delà de la simple présence matérielle des Stolpersteine dans l’espace public, à redonner non seulement un nom, mais aussi une histoire aux victimes, tout en impulsant des échanges avec le public sur l’importance du travail de mémoire aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160321/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Corinne Bouillot est présidente de l'association Pavés de Mémoire Rouen Métropole. </span></em></p>Depuis les années 1990, à l’initiative d’un artiste allemand, des pavés honorent la mémoire individuelle de victimes du nazisme dans toute l’Europe.Corinne Bouillot, Maîtresse de conférences en études germaniques, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1585702021-04-14T19:35:13Z2021-04-14T19:35:13ZLe Chambon-sur-Lignon, une terre de « Justes » en Haute-Loire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/395070/original/file-20210414-20-9ix8th.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=185%2C140%2C4067%2C2807&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jeux au Stade, au Chambon sur Lignon.</span> <span class="attribution"><span class="source"> Fonds Darcissac, Commune du Chambon-sur-Lignon</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Plusieurs médias ont relaté le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/09/dans-la-haute-loire-un-juif-autrichien-legue-sa-fortune-au-village-qui-l-a-sauve-pendant-la-guerre_6069254_3224.html">legs par Erich Schwam</a>, un pharmacien d’origine juive autrichienne décédé le 25 décembre 2020, de la somme de deux millions d’euros au village du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Chambon-sur-Lignon">Chambon-sur-Lignon</a> (Haute-Loire). C’est l’occasion de revenir sur l’histoire de ce lieu, aujourd’hui connu pour son identité de « montagne refuge » avec en coïncidence, la récente publication des Mémoires de l’un de ses protagonistes : le pasteur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Trocm%C3%A9">André Trocmé</a>.</p>
<p>Le Chambon-sur-Lignon est situé sur le plateau du Vivarais-Lignon, aux confins de la Haute-Loire, de l’Ardèche et des Cévennes. Comme les 17 localités du Plateau, sa population est marquée par le protestantisme depuis le XVI<sup>e</sup> siècle. Avant-guerre, le tourisme se développe grâce à une petite ligne ferroviaire, plusieurs hôtels et des maisons d’enfants. C’est dans ce milieu géographique et humain que près de 3500 juifs persécutés, dont un tiers d’enfants, trouveront refuge jusqu’en 1944.</p>
<p>Pourquoi ce sauvetage massif ? Comment s’est-il déroulé ? Comment se remémorer ces événements aujourd’hui ?</p>
<h2>L’entre-deux guerre : christianisme social et pacifisme</h2>
<p>Dans cet isolat, des pasteurs liés à des organismes nationaux et internationaux arrivent dans les années 1930. Porteurs de convictions pacifistes, ils font vibrer chez leurs paroissiens la corde historique de leur propre persécution après la <a href="https://fr.vikidia.org/wiki/R%C3%A9vocation_de_l%27%C3%89dit_de_Nantes#:%7E:text=Le%2018%20octobre%201685%2C%20par%20l%27%C3%89dit%20de%20Fontainebleau%2C,interdit%20la%20pratique%20du%20culte%20protestant%20en%20France.">révocation de l’Edit de Nantes</a>. Deux d’entre eux, très mobilisés pour le sauvetage : André Trocmé et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89douard_Theis">Edouard Theis</a>, ont étudié à l’étranger et prônent l’objection de conscience.</p>
<p>Dans la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle, l’Œuvre des enfants à la montagne, émanation du courant de christianisme social au sein du protestantisme, organise les séjours sur le Plateau d’enfants de mineurs de Saint-Étienne et d’autres villes, avec l’appui d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Philip">André Philip</a>. En 1938, les pasteurs Trocmé et Theis créent le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Coll%C3%A8ge_C%C3%A9venol">Collège Cévenol</a>, institution privée devant permettre aux jeunes protestants du Plateau de recevoir une éducation de qualité et être un lieu de rencontre entre enseignants français et étrangers. Enfin, des Allemands antinazis et des Espagnols fuyant le franquisme sont accueillis à la veille de la guerre.</p>
<p>Dès le 23 juin 1940, lendemain de l’armistice, André Trocmé prononce un sermon, dit des « armes de l’esprit » inspiré de ses convictions pacifistes, véritable manifeste contre le futur régime de Vichy :</p>
<blockquote>
<p>« Si l’on ne parvient pas tout de suite à soumettre nos âmes, on voudra soumettre tout au moins nos corps. Le devoir des chrétiens est d’opposer à la violence exercée sur leur conscience les armes de l’Esprit. Nous faisons appel à tous nos frères en Christ pour qu’aucun n’accepte de collaborer avec cette violence. »</p>
</blockquote>
<h2>Un premier refuge « légal »</h2>
<p>Entre 1940 et l’été 1942, grâce à certains organismes : le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Quaker_United_Nations_Office#Historique">Comité d’entraide Quaker</a>, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cimade">Cimade</a>, le <a href="https://www.histoire.redcross.ch/evenements/evenement/du-cartel-a-la-croix-rouge-suisse-secours-aux-enfants.html">Secours suisse aux enfants</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Chaillet">l’Amitié chrétienne</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C5%92uvre_de_secours_aux_enfants">l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE)</a>, c’est légalement que des réfugiés arrivent sur le Plateau. Ils sont exfiltrés de camps d’internement de Zone sud et placés dans des centres d’accueils agréés par les préfectures.</p>
<p>Les autorités sont donc au courant de cet état de fait, et il semblerait que le préfet de Haute-Loire, Robert Bach, n’ait pas fait de zèle pour faire appliquer la législation contre les Juifs ; ses bonnes relations avec le pasteur Trocmé l’auraient rendu sensible à l’ambiance internationaliste qu’il promeut sur sa paroisse, mais il n’en est pas moins maintenu à son poste. Le 10 août 1942, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Lamirand">Georges Lamirand</a>, secrétaire d’État à la jeunesse du gouvernement de Vichy se rend au Chambon ; il est accueilli froidement et un groupe d’élèves du Collège cévenol lui adresse une protestation contre les mesures antisémites. En cet été 1942, le Plateau accueille aussi deux intellectuels notoirement connus pour leurs positions politiques : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Camus">Albert Camus</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Chouraqui">André Chouraqui</a>.</p>
<p>Les événements du second semestre de l’année 1942 : les rafles massives de Juifs étranger du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rafle_du_V%C3%A9lodrome_d%27Hiver">Vel d’Hiv</a> (juillet) et de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rafle_du_26_ao%C3%BBt_1942">Zone sud (26 août)</a> puis l’invasion de cette zone par les Allemands (novembre) modifient l’organisation du sauvetage.</p>
<h2>Le refuge clandestin et l’implication des habitants</h2>
<p>Les pasteurs du Plateau prennent clairement position contre les rafles ; l’un d’eux, André Bettex, déclare dans son sermon du 16 août 1942 :</p>
<blockquote>
<p>« La conscience ne peut que se révolter à l’égard des mesures prises contre les Juifs. Notre devoir est de les secourir, de les cacher, de les sauver par tous les moyens possibles ; je vous engage à le faire. »</p>
</blockquote>
<p>Cette prise de position fait écho à celles d’ecclésiastiques catholiques, tels que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Sali%C3%A8ge">Mgr Saliège</a>, archevêque de Toulouse ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Marie_Th%C3%A9as">Mgr Théas</a>, évêque de Montauban qui contribuent à sensibiliser l’opinion publique sur le sort des Juifs.</p>
<p>Avertis de la rafle du 26 août 1942, les foyers-refuges du Plateau sont évacués et les tentatives d’arrestations menées par la gendarmerie échouent. Mais c’est la fin de l’accueil « légal » : les organisations passent dans la clandestinité, les familles réfugiées sont réparties dans les fermes dispersées et prennent de fausses identités. Ce sont donc d’innombrables paysans – et notamment des paysannes – qui ouvrent leur foyer. Toutes les professions sont mobilisées pour l’entraide : soins gratuits, fabrique de faux papiers en vue de fuir vers la Suisse, non-signalement des enfants juifs… Les habitants catholiques ne sont pas en reste dans cet élan d’accueil.</p>
<p>Mais la répression des autorités de Vichy puis des Allemands est plus dure : le 13 février 1943, les pasteurs Trocmé et Theis, ainsi que le directeur de l’école primaire sont arrêtés et internés au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Paul_(Haute-Vienne)#Camp_d%E2%80%99internement">camp de Saint-Paul d’Eyjeaux</a>, prés de Limoges. Ils seront libérés après une intervention de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_r%C3%A9form%C3%A9e_de_France">l’Église réformée de France</a>. Le 29 juin de la même année, 18 étudiants du foyer des Roches et son directeur sont emmenés par des policiers allemands. Sept d’entre eux ont survécu.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395073/original/file-20210414-21-cl05ne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395073/original/file-20210414-21-cl05ne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=671&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395073/original/file-20210414-21-cl05ne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=671&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395073/original/file-20210414-21-cl05ne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=671&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395073/original/file-20210414-21-cl05ne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=843&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395073/original/file-20210414-21-cl05ne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=843&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395073/original/file-20210414-21-cl05ne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=843&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">André Trocmé, Roger Darcissac et Edouard Theis à la sortie du temple le jour de leur retour de camp.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fonds Darcissac, Commune du Chambon-sur-Lignon</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le Plateau est également propice à la formation de maquis : dès le début de l’année 1943, des réfractaires au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Service_du_travail_obligatoire_(France)">Service du Travail Obligatoire</a> trouvent refuge dans des fermes et certains pasteurs, qui n’adhèrent pas aux idées de non-violence de leurs confrères leur apportent leur aide. Alors que la Résistance s’oriente vers la lutte armée, les maquis s’organisent avec l’appui de missions interalliées et prendront une part active à la Libération.</p>
<h2>Une commémoration tardive</h2>
<p>Après 1945, les réfugiés tentent de retrouver leurs proches, dont beaucoup ont été exterminés. Quant aux habitants du Plateau, ils reprennent le cours de leur vie et cette « résistance civile » reste dans l’ombre. C’est en 1979, soit près de 40 ans après ces faits, qu’une première cérémonie a lieu au Chambon, lors de la pose d’une plaque commémorative par d’anciens réfugiés résidant depuis aux États-Unis ; ces retrouvailles entre sauveteurs et sauvés enclenchent un travail de reconnaissance mémorielle.</p>
<p>En 1990, <a href="https://www.yadvashem.org/fr.html">Yad Vashem</a> (Institut International pour la mémoire de la Shoah) décerne à titre exceptionnel un diplôme de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Juste_parmi_les_nations">Juste parmi les Nations</a> à l’ensemble des localités du Plateau. À travers la figure du Juste, cette forme de « résistance civile » va progressivement être reconnue, étayée par des travaux d’historiens (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Boulet">François Boulet</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Cabanel">Patrick Cabanel</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Bolle">Pierre Bolle</a>), et des documentaires (<a href="https://www.fondationshoah.org/memoire/les-armes-de-lesprit-un-film-de-pierre-sauvage">Pierre Sauvage</a>).</p>
<h2>Tensions mémorielles</h2>
<p>La décennie suivante est marquée par la tenue de deux colloques, en 1990 et 2002, qui reviennent sur des lignes de débats, quelque peu apaisées avec la disparition des témoins de l’époque : les zones de forte implantation du protestantisme en France ont-elles toutes connu de tels phénomènes de sauvetage ? Y a-t-il un conflit mémoriel entre deux formes de résistance qui ont cohabité sur le plateau : une résistance « civile », non encadré par des mouvements et inspiré des courants pacifistes et une résistance plus classique (mouvements, maquisards) ? Les autorités allemandes ont-elles « fermé les yeux » ou n’ont-elles pas eu les moyens d’agir ? Cette dernière question reste entière du fait de la méconnaissance de l’organisation des troupes d’occupation en Auvergne.</p>
<h2>De la reconnaissance officielle au Lieu de mémoire</h2>
<p>Le 8 juillet 2004, Jacques Chirac se rend au Chambon. En écho à son discours du 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv où il déclarait</p>
<blockquote>
<p>« La France ce jour-là accomplissait l’irréparable », il prononce ces mots : « Dans l’anonymat, la discrétion, dans le simple élan de la main tendue, de la fraternité et de l’humanité partagées, refusant la loi de la haine, “le Plateau”, Juste parmi les nations, a grandi la France. »</p>
</blockquote>
<p>Le 18 janvier 2007, ce sont ces Justes qui sont collectivement honorés au Panthéon.</p>
<p>Ce long travail historiographique et mémoriel aboutit le 3 juin 2013 à l’inauguration du <a href="https://www.memoireduchambon.com/">Lieu de mémoire au Chambon-sur-Lignon</a>, qui propose un parcours à vocation pédagogique expliquant l’histoire du sauvetage et tente de concilier les différentes formes de résistance. Le lieu est membre du <a href="https://memorha.hypotheses.org/qui-sommes-nous">Réseau Mémorha</a>, qui a coorganisé en mai 2016, une rencontre sur le sauvetage massif des Juifs au Chambon, Moissac (Tarn) et Dieulefit (Drôme).</p>
<p>Au bout de ce cheminement historique, il reste les femmes et les hommes du Plateau qui ont hébergé réfugiés juifs et maquisards. Terminons en donnant la parole à l’un d’entre eux, Roger Darcissac : « Ça s’est passé tout simplement, sans complications ; on ne s’est pas demandé pourquoi en faisait ça, parce que c’était humain. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158570/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Vallade est membre de l'association Réseau Mémorha, qui regroupe plusieurs musées et centres d'histoire ayant comme thème principal la Seconde Guerre mondiale en Auvergne Rhône-Alpes, ainsi que des scientifiques de plusieurs disciplines en sciences humaines (Histoire, sociologie, ethnologie...)</span></em></p>Une donation exceptionnelle a récemment attiré l’attention sur le Chambon-sur-Lignon, refuge pour de nombreux Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.Olivier Vallade, Ingénieur d'étude CNRS Historien, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1587382021-04-09T16:10:53Z2021-04-09T16:10:53ZDécès du prince Philip, aristocrate européen de la vieille école et époux royal dévoué<p>La mort du prince Philip, duc d’Édimbourg, marque la fin d’un chapitre non seulement pour la famille royale britannique, mais aussi pour la monarchie européenne elle-même. Philip appartenait à ce monde cosmopolite de rois interdépendants qui avait régné sur l’Europe avant la Première Guerre mondiale et qui a été largement balayé par le temps, la guerre ou la révolution.</p>
<p>Né à Corfou du prince Andrew, d’origine grecque et danoise, et de la princesse Alice de Battenberg, d’origine anglaise et allemande, il aurait pu vivre comme un prince européen obscur si sa famille n’avait pas été prise dans la politique révolutionnaire de l’après-guerre et bannie de sa patrie. Philippe a été affecté toute sa vie par le fait que ses parents Romanov avaient été assassinés par les bolcheviks : en 1993, son ADN a été utilisé pour identifier leurs corps.</p>
<p>S’installant d’abord à Paris puis à Londres, Philip a fait ses études en Angleterre, en Allemagne et enfin <a href="https://www.bbc.co.uk/news/magazine-35603975">à la Gordonstoun School</a>, fondée par le réfugié juif allemand Kurt Hahn. C’est à cet enseignement rugueux et sévère de Gordonstoun que Philip a toujours attribué son approche pragmatique et non sentimentale de la vie, alors qu’il a parfois frappé les autres comme étant dur ou insensible.</p>
<p>Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a servi avec distinction dans la Royal Navy, mais c’est après la guerre qu’il a été projeté dans le rôle royal qui a défini son existence. Tombé amoureux de sa lointaine parente, la princesse Elizabeth, il l’épousa en 1947 dans le premier d’une série de mariages royaux très médiatisés qui allaient ponctuer l’histoire britannique d’après-guerre.</p>
<p>À l’occasion du mariage, Philip, qui avait renoncé à ses titres étrangers en prenant la nationalité britannique, reçut le titre de duc d’Édimbourg. Cependant, à sa grande irritation, sa femme conserva son nom royal de Windsor pour elle-même et leurs deux premiers enfants, au lieu de prendre le nom de son mari, Mountbatten. Un compromis constitutionnel a finalement été trouvé : le prince Andrew et le prince Edward ont reçu le nom de <a href="https://www.express.co.uk/news/royal/776626/royal-house-of-windsor-prince-philip-mountbatten-change-family-name">Mountbatten-Windsor</a>.</p>
<h2>Air frais</h2>
<p>Philip semble alors représenter une bouffée d’air frais, en entrant à Buckingham Palace en pantalon et chemise à col ouvert, dans une monarchie qui apparaît guindée et déconnectée. Mais lorsque la princesse Elizabeth succède au trône en 1952, il découvre les ambiguïtés et les frustrations du rôle de consort du monarque britannique. Contrairement au Prince Albert, il ne reçoit pas le titre officiel de prince consort, même si, en 1957, il reçoit le titre de courtoisie de prince Philip.</p>
<p>Comme son prédécesseur victorien, il se lance dans des projets caritatifs, scientifiques, sportifs et éducatifs, notamment à la tête de la National Playing Fields Association et du Worldwide Fund for Nature. Son héritage le plus durable est peut-être le <a href="https://www.dofe.org/">Duke of Edinburgh Award Scheme</a>, un programme d’aventures et d’efforts en plein air pour les jeunes, basé sur les mêmes principes d’enseignement que Gordonstoun.</p>
<h2>Un problème de « dentopédologie »</h2>
<p>Philip a rapidement développé une réputation pour ce qu’il a un jour appelé « la dentopédologie – la science d’ouvrir la bouche et d’y mettre le pied ».</p>
<p>Ses « gaffes » étaient typiques de l’humour des officiers britanniques – bien que moins appréciées, parfois même offensantes, pour d’autres oreilles.</p>
<p>Un humour que l’on peut considérer comme mal placé comme quand il dit au président du Nigéria, qui portait la tenue nationale : « Vous avez l’air d’être prêt à aller vous coucher ». Ou comme quand il donne conseil aux étudiants britanniques en Chine de ne pas y rester trop longtemps sous peine de se retrouver avec des « yeux bridés ».</p>
<p>Dire à un photographe de « juste prendre la putain de photo » ou déclarer « ce truc ouvert, quel qu’il soit », représentaient aussi des expressions d’exaspération ou de lassitude que l’on peut apprécier ou pas.</p>
<p>Il était également capable d’un esprit direct et terre-à-terre, disant par exemple de sa fille, la Princesse Anne, et de son amour des chevaux : « S’il ne pète pas ou ne mange pas de foin, elle n’est pas intéressée. » Beaucoup de gens ont pu le penser mais peu ont osé le dire.</p>
<p>Si les célèbres gaffes du prince Philip ont provoqué autant d’amusement que de colère, c’est peut-être parce qu’elles semblent exprimer la perplexité et les frustrations refoulées auxquelles nous faisons tous face.</p>
<h2>Mon mari et moi</h2>
<p>C’est dans son rôle familial que Philip a été le plus critiqué. La Reine ne manquait jamais de rendre hommage à son soutien – pendant de nombreuses années, elle commençait ses déclarations publiques par les mots « Mon mari et moi ». Et leurs enfants semblaient, selon les apparences, équilibrés et heureux.</p>
<p>Pourtant, la série de scandales et de divorces qui a englouti les plus jeunes membres de la famille royale dans les années 1980 semblait clairement pointer vers une éducation parentale pour le moins inadéquate.</p>
<p>Le prince Charles en particulier, personnage plus sensible que son père mais que Philip avait néanmoins soumis aux rigueurs de Gordonstoun et de la marine, a souffert de l’approche sans états d’âme de son père.</p>
<p>C’est Philip qui <a href="https://www.express.co.uk/news/royal/928112/prince-charles-princess-diana-camilla-parker-bowles-biography">a forcé Charles</a> à mettre fin aux spéculations publiques et à épouser Lady Diana Spencer en 1981 et, lorsque le mariage s’est soldé par un divorce, on a beaucoup reproché au duc la rigueur et l’intransigeance avec lesquelles il avait élevé son fils aîné.</p>
<p>La crise provoquée par la mort de Diana en 1997 a fait ressortir les <a href="http://edition.cnn.com/WORLD/9709/04/diana.royals.under.fire/">critiques à l’égard de la monarchie</a>, mais par son rôle dans <a href="https://www.theguardian.com/media/2008/sep/20/adamboulton.media1">l’organisation des funérailles</a> et sa décision de marcher à côté de ses petits-fils, le duc avait su s’attirer la sympathie du public.</p>
<h2>Fonctionnaire</h2>
<p>À la fin de sa vie, le duc d’Édimbourg a commencé à se retirer de son <a href="https://www.royal.uk/the-duke-of-edinburgh">énorme éventail de rôles publics</a> – il a occupé plus de 800 présidences et patronages – y compris la chancellerie des universités de Cambridge, Salford, du Pays de Galles et, comme il se doit, d’Édimbourg.</p>
<p>Il a reçu de nombreux éloges en 2012 lorsqu’il est resté debout pendant trois heures sous la pluie aux côtés de la Reine lors de son spectacle fluvial du Jubilé de diamant, avant de <a href="https://www.theguardian.com/uk/2012/jun/04/prince-philip-duke-edinburgh-hospital">souffrir d’une infection de la vessie</a>. Cependant, son insistance à continuer à conduire <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-6607639/Should-Prince-Philip-driving-97-Palace-insist-Dukes-licence-date.html">a attiré des critiques</a> lorsque, en 2019, il est entré en collision avec une autre voiture près du domaine de Sandringham.</p>
<p>Alors que sa santé se détériorait, il a maintenu néanmoins son calendrier de fonctions publiques, ne se retirant finalement qu’en 2017, à l’âge de 96 ans.</p>
<p>Comme il se doit pour un militaire de la marine, son <a href="https://www.bbc.co.uk/news/av/world-asia-china-53498877">dernier devoir public</a> a été de transférer son rôle de colonel en chef du régiment des Rifles à sa belle-fille Camilla, duchesse de Cornouailles, en juillet 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158738/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sean Lang ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Né au sein de la royauté européenne après la Première Guerre mondiale, le duc d’Édimbourg en est venu à représenter l’archétype de l’aristocrate anglais. Avec ses « gaffes ».Sean Lang, Senior Lecturer in History, Anglia Ruskin UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1562612021-03-10T18:18:52Z2021-03-10T18:18:52ZÀ Fukushima, un travail de mémoire tout en contrastes<p>De <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Les-Lieux-de-memoire">nombreux travaux</a> ont montré <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-memoire-l-histoire-l-oubli-paul-ric-ur/9782020563321">toute l’importance</a> du <a href="https://lafabrique.fr/le-passe-modes-demploi/">travail de mémoire</a> sur des événements traumatiques – accidents, bombardements, attentats… Les cérémonies commémoratives ont une fonction cathartique pour les victimes ou leurs proches. À l’échelle d’un pays, elles structurent la communauté nationale en instituant un passé partagé.</p>
<p>L’inauguration du mémorial d’Hiroshima en août 1955, dix ans après l’explosion d’une bombe atomique sur cette ville, illustre bien ces fonctions de la mémoire que l’on était en droit d’espérer qu’un travail de mémoire similaire serait entrepris pour les dix ans de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Mais d’une catastrophe à l’autre, les « bonnes recettes » de la mémoire ne sont pas toujours applicables.</p>
<p>La ville de Fukushima n’inaugure pas un monument semblable au mémorial d’Hiroshima le 11 mars 2021 et le gouvernement n’a prévu qu’une modeste cérémonie nationale en l’honneur des victimes du tremblement de terre et du tsunami. Elle rassemble quelques personnalités au théâtre national de Tokyo en présence du Premier ministre, de l’Empereur Naruhito et de l’Impératrice, et une minute de silence sera observée à 2h46. Certes, les mesures sanitaires liées à la pandémie interdisent les rassemblements, mais cette donnée conjoncturelle cache des difficultés plus profondes pour une mise en mémoire de la troisième catastrophe nucléaire qui frappe le Japon (après Hiroshima et Nagasaki).</p>
<h2>A Hiroshima, un travail de mémoire exemplaire</h2>
<p>Voyons d’abord en quoi et pourquoi le <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520085879/hiroshima-traces#:%7E:text=Hiroshima%20Traces%20Time%2C%20Space%2C%20and%20the%20Dialectics%20of%20Memory&text=In%20the%20way%20battles%20over,pastness%2C%20nostalgia%2C%20and%20modernity.">travail de mémoire</a> effectué <a href="https://reviews.history.ac.uk/review/1818">à Hiroshima</a> en 1955 fut une réussite exemplaire.</p>
<p>Le parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima, construit sur les lieux mêmes du bombardement, s’organise autour d’un sobre cénotaphe où la flamme éternelle est surmontée d’une plaque portant l’inscription : « Qu’ils reposent en paix. Jamais plus la même erreur ». En plus d’un musée, le parc comprend le dôme en ruine d’un bâtiment ainsi qu’une horloge symboliquement arrêtée à 8h45 le 6 août 1945.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388827/original/file-20210310-19-cmvm5n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le mémorial de la paix d’Hiroshima en 1955.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pinterest.fr/pin/446419381791755556/">Pinterest</a></span>
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<p>Le musée expose les dégâts de la bombe : d’abord les effets de la chaleur sur la pierre, le métal, les choses et les gens ; puis le choc de l’explosion et enfin l’impact des radiations sur la peau des victimes. Il donne à entendre « le cri de l’âme » des enfants disparus à travers leurs objets familiers : cartables et vêtements. Toutes ces horreurs exhibées ont produit une sorte de libération après des années de silence dues à la censure exercée par les forces d’occupation. De plus, elles étaient accompagnées par un flot de <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-l-ere-du-temoin-de-annette-wieviorka">témoignages de victimes invitées à susciter la compassion</a>. Le témoignage des enfants fut particulièrement cultivé si bien que la petite cigogne en origami façonnée par Sadoko, l’une des jeunes victimes décédée à l’âge de 12 ans, est devenue le symbole d’Hiroshima.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388828/original/file-20210310-21-7846t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mémorial des enfants à Hiroshima.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Children%27s_Peace_Monument">Wikimedia</a></span>
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<p>Tout le mémorial fait appel à l’émotion sans chercher à recréer le contexte historique ou à désigner des responsables. Les cartels disent pudiquement : « Une bombe est tombée d’un avion le 6 août 1945 à 8h45 » comme si personne n’avait ordonné de la larguer. Tout est fait pour créer du consensus, de l’empathie. En estompant adroitement les conflits nationaux, le mémorial est devenu un sanctuaire universel de la paix, un lieu de rassemblement de tous les mouvements pacifistes et un haut lieu du tourisme scolaire pour les enfants de tous pays. Il a, comme Auschwitz, <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2007-2-page-3.htm">favorisé la globalisation du rapport au passé</a>.</p>
<p>En produisant ainsi une catharsis, l’inauguration du Peace Museum à Hiroshima en 1955 a permis la renaissance d’Hiroshima. La ville est reconstruite alentour et s’ouvre au confort de la vie moderne. La société de consommation pousse des tentacules tout autour du mémorial. Il a réussi à graver la bombe dans le passé pour ouvrir l’avenir en scandant le message « jamais plus ». La mémoire du passé est confinée dans l’espace du Memorial Park délimité par les bras de la rivière, de sorte qu’elle ne trouble pas le présent hédoniste des habitants.</p>
<h2>A Fukushima, les traces d’une lente catastrophe</h2>
<p><a href="http://www.editions-msh.fr/livre/?GCOI=27351100129890">Dix ans après l’accident de Fukushima</a>, il reste impossible de séparer le passé du présent.</p>
<p>En un seul lieu, le passé semble figé, immobilisé par le choc violent qui arrêta les pendules, comme au mémorial d’Hiroshima. À l’épicentre du tsunami, un bâtiment expose des objets personnels – cartables, peluches, téléphones portables – extraits de la boue, soigneusement nettoyés, enveloppés, étiquetés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388829/original/file-20210310-21-1evn0jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Objets trouvés dans les décombres du tsunami.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernadette Bensaude-Vincent</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Mais cette exposition formée dans l’espoir que les victimes ou leurs proches pourraient récupérer ce qui leur appartint ressemble moins à un musée qu’à un centre Emmaüs déserté. Objets témoins d’un non-retour.</p>
<p>L’autre semblant de musée est le Decommissioning Archive Center ouvert fin 2018 par Tepco (la compagnie en charge de Fukushima Daiichi) à la place du Musée de l’énergie. Ce centre, fortement recommandé par Tripadvisor, assure certes la mise en mémoire de l’événement grâce à un déroulé fidèle de la séquence d’événements qui a conduit à la catastrophe.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388832/original/file-20210310-22-1ylrmq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Exposition du centre d’archives de Tepco dédié à « enregistrer le passé et communiquer sur le présent ». Pas d’ouverture sur le futur…</span>
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<p>Contrairement au mémorial d’Hiroshima, ce centre aborde ouvertement la question des responsabilités puisqu’à l’entrée on voit le PDG de TEPCO prononcer des excuses publiques. Mais l’évocation de l’événement reste très factuelle. Et ce style compte-rendu tourne vite à la propagande d’entreprise dans la description des exploits techniques pour endiguer les effets de la catastrophe et surveiller le corium à l’aide de robots. Les seuls témoignages suscitant une pointe d’émotion sont les récits d’employés de la centrale exprimant leur dévouement et leur fidélité à Tepco.</p>
<p>Le seul véritable mémorial est la centrale elle-même. Certes tout a été fait pour l’isoler : retenir les eaux contaminées à l’aide d’un mur imperméable en front de mer, prévenir les infiltrations d’eau radioactive dans la nappe souterraine à l’aide d’un mur de glace, stocker les eaux radioactives dans des piscines et la terre contaminée sur place. Ces mesures de confinement dans une zone d’exclusion ont été accompagnées d’une vigoureuse campagne de « revitalisation » de la région alentour. Depuis des années, les deux zones d’évacuation autour de la centrale bourdonnent de camions, grues et pelleteuses qui nettoient la campagne dans l’espoir de faire revenir les habitants et d’accueillir les Jeux olympiques à l’été 2020.</p>
<p>Mais le passé du tsunami ne passe pas plus que le présent de la pandémie. Les jeux ont été annulés et peu d’habitants retournent dans leurs villages malgré la suppression des indemnités pour déplacement. Les épisodes climatiques et sanitaires qui s’enchaînent trament <a href="https://slowdisaster.com/podcast/">« une lente catastrophe »</a>, selon l’expression de Scott Gabriel Knowles, une catastrophe qui dure, s’étale dans le présent et pèse sur l’avenir.</p>
<p>Malgré les efforts de Tepco et du gouvernement japonais restaurer la confiance en l’avenir et pour démontrer que la situation est sous contrôle, il semble impossible de convoquer la mémoire pour dire « jamais plus ». Dans un climat d’incertitude où le futur est colonisé par des tonnes de déchets radioactifs difficiles à contenir, le message livré par ces lieux de mémoire serait plutôt un « pour toujours », du moins à l’échelle humaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156261/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernadette Bensaude-Vincent est membre de l'Académie des technologies</span></em></p>Dix ans après l’accident de Fukushima, il reste impossible de séparer le passé du présent.Bernadette Bensaude-Vincent, Philosophe, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539462021-01-28T18:07:35Z2021-01-28T18:07:35ZBonnes feuilles : « Brejnev, l’antihéros »<p><em>Léonid Brejnev (1906-1982), à la tête de l’URSS au cours des 18 dernières années de sa vie, reste aux yeux des Occidentaux l’incarnation d’un soviétisme finissant, morose, cacochyme même. Dans cette nouvelle <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/brejnev/9782262070212">biographie très complète</a> qui vient de paraître aux Éditions Perrin, l’historien Andreï Kozovoï, s’appuyant sur de nombreuses archives jusqu’ici inexploitées, montre toute la complexité d’un dirigeant caméléon, dont l’héritage se fait ressentir à ce jour.</em></p>
<hr>
<p>Brejnev a présidé aux destinées de l’Union soviétique pendant dix-huit ans, du 14 octobre 1964 au 11 novembre 1982 : jusqu’en 1966 en tant que premier secrétaire, puis comme secrétaire général du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS), cumulant ce poste avec celui de président du Soviet suprême – l’équivalent de chef de l’État – à partir de 1977. En dépit de cette longévité, il a peu inspiré les historiens : les archives étaient inaccessibles et, surtout, on le considérait comme l’incarnation même de la médiocrité, à des années-lumière du génie politique d’un Lénine ou d’un Staline, de la possibilité de rédemption d’un Khrouchtchev, de l’humanisme d’un Gorbatchev.</p>
<p>Incompétent, hypocondriaque, rancunier, lâche, opportuniste, intrigant, vaniteux, paresseux, sybarite, corrompu, néostalinien, sénile : Brejnev a été et continue d’être la cible d’innombrables quolibets et anathèmes. Ses épais sourcils, son élocution incertaine et son orthographe approximative ont inspiré beaucoup de persifleurs. Sa passion pour les voitures américaines, son impressionnante collection de médailles et de titres aussi pompeux qu’immérités, refléteraient son infantilisme. Son humanité apparente cacherait un grand cynisme, une absence de dimension éthique dans son comportement. Brejnev, c’est l’homme qui aurait passé le plus clair de son temps à chasser et à dormir, hors des murs du Kremlin, plus qu’à travailler. Son époque serait celle de la « stagnation ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1296204546042204163"}"></div></p>
<p>Cette vision caricaturale ne correspond pas à une réalité plus complexe. Certes, sous Brejnev, le régime soviétique s’éloigne de l’esprit du « dégel », du « communisme à visage humain » auquel croient nombre d’intellectuels soviétiques après le XX<sup>e</sup> Congrès. Dès le milieu des années 1960 s’amorce, en un mouvement de balancier, la répression des dissidences, le durcissement de la censure, le retour de la peur. En dépit de la réforme entreprise par le Premier ministre Kossyguine, qui réhabilite, partiellement, la notion de profit, ce qui donne dans un premier temps des résultats encourageants, les problèmes économiques s’aggravent. </p>
<p>Dans les années 1970, l’URSS devient, pour reprendre une expression de <a href="https://www.fayard.fr/histoire/la-puissance-pauvre-9782213024318">Georges Sokoloff</a>, une « superpuissance pauvre », un « État-rentier » impérialiste qui cherche à garder le contrôle de sa périphérie, en Tchécoslovaquie et en Afghanistan, mais aussi dans le tiers-monde – au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine – pour tenter, en vain, de freiner le déclin inexorable de son rayonnement dans « les cœurs et les esprits ».</p>
<p>Dans le même temps, le niveau de vie des Soviétiques s’améliore. On vit mal sous Brejnev, mais mieux que sous Khrouchtchev. L’espoir d’un avenir pacifié, d’un dépassement de la guerre froide, renaît avec la « détente ». En dépit d’une censure tatillonne et d’un KGB omniprésent fleurissent, ici ou là, de nombreuses « oasis » intellectuelles qui, souvent sous une forme déguisée, autorisent la libre pensée, tandis qu’écrivains, musiciens et cinéastes utilisent la langue des fables, ou « langue d’Ésope », pour exprimer leurs convictions les plus secrètes. Si les dirigeants vieillissent au pouvoir, c’est sous Brejnev que commence la carrière de Gorbatchev à Moscou.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0rglcFl0EJQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La période brejnévienne, même tardive, ne se réduit pas à la « stagnation » – un vocable qui renvoie d’abord au marasme économique. Il en va tout autant de Brejnev lui-même, un dictateur polymorphe – un Soviétique aux racines ukrainiennes, un conservateur à l’attitude ambiguë envers le marxisme-léninisme, un homme de « clans » qui a fermé les yeux sur les abus de ses proches, tout en cherchant à les faire travailler pour le bien commun. Un collectionneur de voitures étrangères qui a voulu démocratiser la voiture individuelle et un passionné d’armes à feu qui a lutté pour prévenir le risque d’une nouvelle guerre mondiale.</p>
<p>Le temps est venu d’extraire Brejnev de la gangue de mépris dont il demeure prisonnier. Même si la tâche est loin d’être aisée : ses « carnets » ou « notes », conçus d’abord comme un aide-mémoire, publiés en 2016 en Russie, sont le plus souvent lacunaires, ce qui rend leur décodage périlleux. Quant aux archives russes d’histoire contemporaine, leur accès, depuis quelques années, est devenu on ne peut plus problématique. […]</p>
<p>Mon objectif a été de percer le mystère de la longévité de Brejnev, dix-huit années qui aident à comprendre les ressorts du pouvoir politique russe et invitent inévitablement à faire un parallèle avec l’actualité. On sait que Brejnev « dura » parce que son entourage le voulait bien, parce qu’il était non seulement un meneur d’hommes, mais aussi un homme capable de respecter l’avis des autres et de déléguer. Paradoxalement, il dura parce qu’il fut un dictateur souvent « absent », préférant ses datchas, aux environs de Moscou et en Crimée, à ses appartements de la capitale. Brejnev dura aussi parce qu’il sut créer et entretenir des réseaux fondés sur la confiance, la stabilité et la séduction ; parce qu’il s’institua en « grand prêtre » de la vie politique soviétique, ritualisée à l’extrême. J’étudierai tout particulièrement le facteur mémoriel, la place du mythe du « Brejnev combattant » au sein d’un mythe plus large, celui de la Grande Guerre patriotique (1941-1945).</p>
<p>Ce dernier émerge lors de la commémoration des vingt ans de la Victoire, le 9 mai 1965 ; deux ans plus tard, il est amplifié par l’inauguration du mémorial du Soldat inconnu sur la place Rouge – inspiré du précédent français de 1920. Ce mythe se nourrit de « rituels » (défilé du 9 Mai) et de « sites de mémoire » (statue de la « mère patrie » à Volgograd, ex-Stalingrad), mais aussi de témoignages, oraux ou écrits, de ceux qui ont vécu et participé au conflit, sans oublier les œuvres de fiction, textes ou images. </p>
<p>Le mythe de la Victoire forme un élément essentiel du vaste système de propagande soviétique, au sens de diffusion d’un mode de pensée et d’action particulier destiné à forger « l’homme nouveau » : il sanctifie les morts, l’héroïsme et l’esprit de sacrifice des combattants et des civils – petits et grands, jeunes et vieux. Il ressoude les peuples de l’URSS, encore récemment divisés et meurtris par les répressions, autour de la figure controversée de Staline et, par-delà, du parti communiste. Il solidarise les quinze républiques soviétiques autour d’une toile de fond de souffrances et de bravoure partagées. Il sert de matrice à une reconfiguration identitaire de l’<em>Homo sovieticus</em>, moins communiste que patriote. Il sert de justification aux problèmes dans la vie quotidienne : si les pénuries persistent, c’est toujours de la faute de la guerre, dont les séquelles perdurent.</p>
<p>Le mythe de la Grande Guerre patriotique, surtout, permet l’émergence d’un mythe du Brejnev combattant. Dans le contexte de la guerre froide – qui est aussi une guerre des mémoires –, le récit de la libération de Novorossiisk [à laquelle Brejnev a participé] sert de « contre-mythe » : c’est un « alter-D-Day ». Mais, selon moi, sa principale raison d’être, étant donné qu’il est moins axé sur le « patriotisme du désespoir » (Sergei Oushakine), est d’injecter de l’optimisme dans le culte de la Grande Guerre patriotique, fondé sur les morts et les souffrances inimaginables de la population. Il offre au public la possibilité de s’identifier non plus à un mort, mais à un survivant. […]</p>
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<span class="caption">Ce texte est issu de <em>Brejnev, l’antihéros</em> d’Andreï Kozovoï, qui vient de paraître aux Éditions Perrin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Perrin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Certes, Brejnev n’a jamais fasciné les foules ni par la noirceur de son âme ni par sa jubilation à transgresser les normes, même s’il s’est évidemment trouvé des gens pour l’adorer jusqu’à écrire des vers en son honneur. Il n’en demeure pas moins qu’il parvint au sommet et y demeura pendant dix-huit ans, principalement en raison de son caractère et de sa capacité à faire office d’antihéros – telle est la thèse de ce livre. </p>
<p>Dans un premier temps, Brejnev se hissa au pouvoir en jouant au « faux idiot » – stratégie qui n’était pas sans rappeler celle de Khrouchtchev, « bouffon du roi » de Staline. À son apogée, Brejnev fut un « dictateur aimable » ; sur la scène internationale comme à l’intérieur, il fut « une main de fer dans un gant de velours », un dirigeant qui s’efforça de parachever le travail de Staline, de « gagner la paix », une « paix » favorable à l’URSS évidemment. À la fin de sa vie, enfin, il fut un « héros ridicule », vaniteux et sénile, protagoniste de nombreuses histoires drôles, qui commença certainement à prendre conscience de l’impasse tragique dans laquelle se trouvait le pays, cherchant alors dans son « passé glorieux » un refuge.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andreï Kozovoï ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De 1964 à 1982, Léonid Brejnev fut l’un des hommes les plus puissants du monde. Il reste pourtant largement méconnu. Une biographie très complète revient en détail sur ce personnage protéiforme.Andreï Kozovoï, Maître de conférences en russe, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.