tag:theconversation.com,2011:/us/topics/soldats-25914/articlessoldats – The Conversation2024-03-11T16:14:31Ztag:theconversation.com,2011:article/2246782024-03-11T16:14:31Z2024-03-11T16:14:31ZEn Russie, la plainte étouffée des mobilisés et de leurs familles<p>Le 26 février 2024, le <a href="https://www.kommersant.ru/doc/6533550">premier débat officiel de la campagne présidentielle russe a lieu à la télévision d’État</a>. Des quatre candidats autorisés à concourir, deux sont présents sur le plateau. Un troisième a envoyé un représentant à sa place. Le président sortant Vladimir Poutine, quatrième candidat de cette campagne, a déclaré, comme lors de tous les scrutins précédents, qu’il ne prendrait pas part aux débats.</p>
<p>La campagne électorale de 2024 se déroule dans un contexte sans précédent : la Russie conduit depuis deux ans une guerre de haute intensité contre l’Ukraine ; l’économie russe est placée sous de <a href="https://theconversation.com/russie-les-sanctions-occidentales-commencent-a-faire-effet-221623">lourdes sanctions</a> décrétées par les pays occidentaux ; plusieurs centaines de milliers de Russes ont quitté le pays ; et <a href="https://meduza.io/en/feature/2024/02/24/at-least-75-000-dead-russian-soldiers">au moins 75 000 soldats russes</a> ont perdu la vie sur le front.</p>
<p>On aurait pu s’attendre à ce que le sujet de la guerre soit central dans la campagne électorale. L’un des débats de la campagne a bien été consacré à « l’opération militaire spéciale » et a permis aux trois candidats de dérouler leur positionnement sur la guerre : attachement à la victoire totale pour les candidats communiste (Nikolaï Kharitonov) et nationaliste (Léonid Sloutski), volonté de lancer un processus de négociation pour le candidat se présentant comme libéral (Vladislav Davankov), sans que les contours ou les conditions de cette négociation ne soient précisés.</p>
<p>Cependant, l’essentiel des débats – qui n’ont pas passionné le public russe – ont été consacrés à d’autres sujets : l’éducation, la culture, l’économie, l’agriculture, la démographie, le logement, dans une confrontation routinisée et encadrée… Les candidats eux-mêmes ne se sont pas toujours déplacés pour les débats, se faisant représenter par d’autres personnes appartenant à leurs partis politiques.</p>
<h2>La guerre est l’affaire des familles des soldats</h2>
<p>De l’autre côté du spectre médiatique, la guerre est une réalité bien différente. Sur la chaîne Telegram <a href="https://t.me/putdomo/543">« Le chemin de la maison »</a>, qui regroupe les membres des familles des combattants mobilisés et compte plus de 70 000 abonnés, le deuxième anniversaire de la guerre n’est pas l’occasion d’une autocongratulation, mais d’une commémoration. « Voilà deux ans que l’opération militaire spéciale déchire et brise sans pitié nos cœurs. Détruit les familles. Fabrique des veuves, des orphelins, des personnes âgées isolées », peut-on y lire.</p>
<p>La critique de la guerre est <a href="https://t.me/PYTY_DOMOY/902">explicite</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a deux ans, la Russie tout entière a plongé dans le chaos et l’horreur. Plus personne ne peut faire des projets d’avenir. […] Nous nous sommes tous retrouvés en enfer. Nos familles ont été les premières à être broyées par l’appareil d’État, et votre famille et vos amis risquent de subir le même sort après notre destruction. »</p>
</blockquote>
<p>C’est en septembre-octobre 2022, au moment du déclenchement de la mobilisation militaire qui a permis à l’État russe d’enrôler de force et d’envoyer sur le front ukrainien près de 300 000 civils, souvent à peine formés au combat, que les premiers groupes de familles de soldats se sont formés. Se réunissant devant les administrations locales et postant des vidéos en ligne, ces femmes ne s’opposaient pas au principe de la mobilisation, mais critiquaient son déroulement chaotique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo du 4 novembre 2022.</span></figcaption>
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<p>La consigne donnée par le pouvoir central aux autorités locales était alors d’être réceptives aux demandes de ces familles, et de tenter de résoudre les problèmes qu’elles soulevaient. Après plusieurs mois de silence, le mouvement est redevenu actif à l’approche du premier anniversaire de la mobilisation, à la fin de l’été 2023.</p>
<p>Ce premier anniversaire n’était pas seulement un seuil symbolique : il s’accompagnait d’une attente de démobilisation. Si la durée de l’enrôlement n’était précisée dans aucun document ni formalisée dans aucune promesse, la fatigue et la conviction d’avoir déjà trop donné commençaient à se répandre dans les familles des mobilisés.</p>
<p>Loyaliste à ses débuts, demandant une nouvelle vague de mobilisation pour remplacer la première, la chaîne Telegram « Le chemin de la maison » s’est progressivement radicalisée et politisée face au refus des autorités d’entendre la demande de démobilisation. À l’approche de la campagne présidentielle, les activistes des groupes de femmes ont cherché à prendre contact avec les candidats pour leur demander d’endosser leurs revendications. Un seul candidat, Boris Nadejdine, opposé à la guerre, leur avait réservé un accueil favorable, mais avait été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/08/russie-le-candidat-antiguerre-boris-nadejdine-exclu-a-son-tour-de-la-presidentielle_6215417_3210.html">rapidement empêché de concourir</a>. Le candidat Davankov a bien évoqué, lors du débat télévisé consacré à l’« opération militaire spéciale », le désir des familles de voir la guerre se terminer, sans aller plus loin. Vladimir Poutine, quant à lui, n’a pas abordé le sujet lors de son <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/29/vladimir-poutine-dans-son-discours-annuel-a-la-nation-met-en-garde-les-occidentaux-contre-une-menace-reelle-de-guerre-nucleaire_6219303_3210.html">discours annuel à la nation</a> : la démobilisation des combattants n’est pas vraiment à l’ordre du jour de cette campagne.</p>
<h2>Dans les pas des mouvements de mères de soldats ?</h2>
<p>L’analogie de ces groupes de femmes de mobilisés avec les mouvements des mères de soldats se rappelle rapidement à l’esprit de ceux qui connaissent l’histoire russe contemporaine. Les <a href="https://journals.openedition.org/lectures/12594">associations des mères de soldats</a> créées dans les dernières années de l’Union soviétique, à la fin de la guerre en Afghanistan, ont été des opposantes actives et puissantes aux deux guerres conduites par l’État russe en Tchétchénie, en 1994-1996, puis en 1999-2004.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Rassemblement de mères de soldats russes pendant la guerre de Tchétchénie, 1996. Sur les pancartes, on lit notamment des appels à la démobilisation adressés au ministre de la Défense de l’époque Pavel Gratchev.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://rightlivelihood.org/app/uploads/2016/09/1996-Soldiers-Mothers-Against-the-Chechen-war-Salzb05.jpg">rightlivelihood.org</a></span>
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<p>En dehors des situations de guerre, elles ont aussi sauvé des dizaines de milliers de conscrits des mauvais traitements, violences et risques de mort encourus dans l’armée russe. Les Mères de soldats ont été l’un des mouvements sociaux les plus influents dans la Russie des années 1990 et 2000. Les épouses de mobilisés reprennent-elles leur flambeau, et peuvent-elles peser sur la représentation de la guerre dans la société russe ?</p>
<p>Lorsque les premiers groupes de femmes ont pris la parole en septembre 2022, beaucoup de commentateurs <a href="https://eu.usatoday.com/story/opinion/columnists/2022/05/02/russian-mothers-putin-war-ukraine/9546447002/">y ont vu un espoir d’opposition de la société à la guerre</a>, mais ils ont rapidement déchanté devant le loyalisme affiché de ces épouses, mères et sœurs. En réalité, ce n’est pas l’absence de critique de la guerre qui distingue ces femmes de leurs illustres prédécesseuses. Bien des mamans de soldats envoyés combattre en Tchétchénie formulaient leur protestation de la même manière : si mon fils doit accomplir son devoir pour sa patrie, je n’ai rien à y redire, mais qu’en retour l’État le respecte. Ce qui distingue les deux mouvements, c’est plutôt la possibilité même de conduire une action collective.</p>
<h2>L’impossible dénonciation publique de la guerre</h2>
<p>Si les premières années postsoviétiques qui ont vu le développement des mouvements de Mères de soldats ont été une époque de chaos et de pauvreté, elles étaient aussi caractérisées par un pluralisme politique et une authentique liberté d’expression. Les activistes n’encouraient pas de risques personnels à manifester leur opposition, et leurs revendications étaient librement relayées par les médias et par des acteurs politiques.</p>
<p>L’efficacité de l’action des Mères tenait aussi à leur capacité à tisser des relations de travail avec des institutions militaires, dans une logique gagnant-gagnant : la vigilance des mères de soldats permettait à l’armée de repérer et de réparer un certain nombre de dysfonctionnements flagrants ; la coopération des militaires permettait aux Mères de mieux venir en aide aux soldats et à leurs proches.</p>
<p>Peu d’éléments de cette équation sont réunis dans la Russie de 2024. Si les mouvements de mères de soldats existent encore, leurs leaders ne peuvent plus dénoncer ouvertement la guerre. <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/russie-des-lois-pour-reduire-les-voix-antiguerre-ukraine">Toute parole critique est sévèrement sanctionnée</a>, y compris dans la classe politique censée représenter l’opposition au parti du pouvoir. Les journalistes tentant de couvrir les cérémonies commémoratives des femmes de mobilisés sont <a href="https://www.themoscowtimes.com/2024/02/03/reporters-detained-at-moscow-protest-by-soldiers-wives-afp-a83966">immédiatement interpellés par les forces de l’ordre</a>. L’espace médiatique verrouillé ne permet pas aux activistes de se faire entendre au-delà des réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1753770811108762038"}"></div></p>
<p>La marge de manœuvre dans la discussion avec les autorités militaires semble aussi ténue, tant la marge d’action de l’armée est elle-même verrouillée par le contexte répressif et par une guerre difficile et vorace en ressources.</p>
<p>Enfin, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/russie-plus-de-75-000-euros-aux-familles-de-certains-soldats-morts-en-ukraine-ou-en-syrie_5181916.html">manne financière promise aux combattants et à leurs familles</a> freine aussi, paradoxalement, le mouvement des femmes de mobilisés, en forçant certaines d’entre elles à se taire, et en ternissant l’image des autres, jalousées pour le pactole qu’elles sont supposées toucher.</p>
<h2>L’embarras du pouvoir</h2>
<p>Cependant, l’équation est aussi délicate à tenir pour le pouvoir russe, qui hésite à se lancer dans une répression ouverte contre les femmes de mobilisés. Les combattants engagés sur le front sont non seulement l’un des socles du récit héroïque sur la guerre, mais aussi un groupe sensible et potentiellement dangereux.</p>
<p>Si la rotation des troupes demandée par les femmes des mobilisés n’a pas encore été mise en œuvre, c’est sans doute en raison d’une difficulté à remplacer les combattants désormais aguerris, mais peut-être aussi d’une peur de l’effet que pourrait provoquer le retour de ces hommes dans leurs foyers. Traumatisés, maltraités, porteurs d’une expérience violente en décalage avec le récit officiel, les mobilisés, comme les soldats sous contrat, pourraient être difficiles à contrôler par le pouvoir après leur retour d’Ukraine.</p>
<p>Il est possible également que les autorités redoutent aujourd’hui une réaction de ces hommes s’ils apprenaient, alors qu’ils sont sur le front, que leurs épouses sont victimes de répressions. <a href="https://theconversation.com/cinq-questions-apres-la-marche-pour-la-justice-de-wagner-208593">La marche des combattants du groupe Wagner sur Moscou</a> est un précédent de mutinerie que le pouvoir ne souhaite sans doute pas voir se répéter.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2nOASfejREU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>De la même manière que le Kremlin a évité jusqu’à maintenant d’envoyer combattre des conscrits de 18 ans, pour ne pas voir se soulever les mères de soldats, il ménage pour l’heure les femmes de mobilisés. Le choix est donc celui, déjà éprouvé, de l’invisibilisation, de la répression indirecte et des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/25/la-rencontre-tres-encadree-de-vladimir-poutine-avec-des-meres-de-soldats-mobilises_6151660_3210.html">tentatives de cooptation</a>. Les forces de l’ordre n’emprisonnent pas les femmes de mobilisés, mais les militaires font pression sur elles, et tout espace médiatique leur est refusé. Un récit différent de la guerre ne doit pas percer dans la campagne présidentielle.</p>
<p>Cette stratégie s’inscrit parfaitement dans la volonté du pouvoir de rendre la guerre le moins présente possible dans l’espace public, afin de rassurer la population russe. Cependant, la fatigue de la guerre que le Kremlin espère voir se développer dans les sociétés occidentales <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/apres-deux-ans-de-guerre-en-ukraine-la-fatigue-de-l-opinion-publique-russe-7838880">est déjà visible à l’intérieur de la Russie</a>. Si le nombre de Russes viscéralement attachés à la poursuite de l’« opération militaire spéciale » a diminué au cours de l’année 2023 et <a href="https://www.chronicles.report/en">représente moins de 20 % de la population</a>, une majorité croissante, estimée à deux tiers de la population, <a href="https://www.extremescan.eu/post/second-demobilisation-how-public-opinion-changed-during-the-second-year-of-the-war">serait soulagée de voir la guerre s’arrêter</a>, même s’ils ne s’opposent pas ouvertement au conflit armé conduit par leur pays.</p>
<p>Pour ceux-là, le discours ronronnant d’une campagne dont la guerre est quasi absente joue un effet anesthésiant. Cependant, la partie de la Russie, combattants en tête, qui vit quotidiennement la guerre est une bombe à retardement pour la société russe, quels que soient les efforts du pouvoir pour la rendre invisible aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224678/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna Colin-Lebedev ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au moins 75 000 soldats russes sont morts en deux ans de guerre en Ukraine. Les familles des combattants mobilisés peinent à faire entendre leur inquiétude dans l’espace public.Anna Colin-Lebedev, Enseignante-chercheuse en sciences politiques, spécialiste des sociétés postsoviétiques, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2098902023-07-27T19:38:38Z2023-07-27T19:38:38ZLes Afro-Américains et le cognac : histoire d’un mythe romantique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539610/original/file-20230726-23-xvbm96.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C6%2C2104%2C1501&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le rappeur Puff Daddy dans le clip du titre de Busta Rhymes « Pass the Courvoisier II » en 2002. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=p56tbkJCa2I&ab_channel=REMASTEREDHIPHOP%E2%99%AA">Youtube/ Capture d'écran</a></span></figcaption></figure><p>C’est dans une charmante rue pavée de la ville de Cognac, au bord de la Charente, que se trouve le Musée des savoir-faire du Cognac. Il narre l’histoire de l’emblématique liqueur française.</p>
<p>La production du cognac remonte au début du XVII<sup>e</sup> siècle. Le musée couvre tous les aspects de cette longue histoire, des crus façonnant le terroir au minutieux processus de fabrication des fûts dans lesquels vieillit le breuvage.</p>
<p>Il présente le cognac comme « un produit particulièrement apprécié des classes moyennes d’origine afro-américaine ou latine ». Une description qui ne fait pas vraiment état de la réalité – à savoir que les États-Unis sont de loin le plus grand marché du cognac et qu’à l’intérieur du pays, les Afro-Américains représentent la plus grande part des consommateurs.</p>
<p>Comment cela se fait-il ? Selon les médias grand public et le folklore de l’industrie, cette consommation du cognac par les Afro-Américains remonte à l’un des conflits mondiaux, voire aux deux. Les soldats noirs américains, alors envoyés dans le sud-ouest de la France, étaient autant tombés amoureux de cette liqueur que d’un pays qu’ils jugeaient résolument moins raciste que le leur. Des journalistes font d’ailleurs le récit de cette histoire dans <a href="https://slate.com/human-interest/2013/12/cognac-in-african-american-culture-the-long-history-of-black-consumption-of-the-french-spirit.html"><em>Slate</em> en 2013</a>, et dans <a href="https://zora.medium.com/hennything-is-possible-how-the-french-cognac-found-a-home-in-the-black-community-f5aeb83d1a8a">Medium en 2020</a>.</p>
<p>Certains comptes très suivis sur les réseaux sociaux ont soutenu ce même argument : si le cognac attirait les soldats noirs, c’est parce qu’il symbolisait la liberté et la reconnaissance de leur humanité qu’ils ne retrouvaient pas aux États-Unis. Par ailleurs, si les déclarations sur Internet ne sont pas toujours fiables, l’histoire du cognac dépasse la pratique du « clickbait » puisqu’elle a également été reprise par de grands journaux. Cette année, <em>Le Monde</em> a publié un article sur la <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-passe-a-table/article/2023/03/01/les-flows-de-cognac-dans-le-rap-americain_6163774_6082232.html">popularité du cognac parmi les rappeurs américains</a>, reprenant la même genèse du temps de guerre.</p>
<h2>Un récit centenaire</h2>
<p>Tout ceci est une bien belle histoire… mais elle n’est pas vraie. Rien ne permet d’affirmer la vraisemblance de ce mythe romantique.</p>
<p>Pourquoi les soldats noirs se seraient-ils spécifiquement épris du cognac et non du vin, pourtant bien plus consommé par les Français ? Pourquoi seraient-ils seuls à succomber au charme de la liqueur, ou du moins davantage que leurs homologues blancs ? Et pourquoi aurait-il fallu attendre un déploiement militaire à travers l’océan pour découvrir ce breuvage ? Le cognac a été exporté pour la première fois aux États-Unis au XVIII<sup>e</sup> siècle, mais le récit qui se rapporte aux guerres du XX<sup>e</sup> siècle raconte que les Afro-Américains ne l’ont découvert que 200 ans plus tard.</p>
<p>En réalité, les Afro-Américains ont connu, servi, étudié, bu et vendu du cognac déjà 100 ans au moins avant la Seconde Guerre mondiale, voire avant la Première. Cato Alexander, ancien esclave propriétaire d’une taverne à Manhattan, n’est qu’un exemple parmi d’autres témoignant que les Afro-Américains connaissaient déjà le cognac. Avant 1811, dans un établissement situé près des actuelles 54<sup>e</sup> rue et 2<sup>e</sup> avenue, Alexander s’est hissé au sommet de sa <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-oxford-companion-to-spirits-and-cocktails-9780199311132?cc=us&lang=en&#">profession de barman</a>.</p>
<p>Bénéficiant d’un respect dont peu d’Afro-Américains jouissaient, il fut célèbre pendant près de 40 ans pour sa cuisine, et <a href="https://revelry.tours/cocktails/cato-alexander/">plus encore pour son art du cocktail (aujourd’hui, on parlerait de mixologie)</a>. Outre Alexander, les récits de personnes réduites en esclavage montrent clairement que, même avant le XIX<sup>e</sup> siècle, le cognac, comme d’autres alcools, faisait partie de la vie de cette communauté.</p>
<p>Alors, que se cache-t-il derrière ce lien contemporain entre les Afro-Américains et le cognac ? L’histoire selon laquelle les soldats noirs américains auraient découvert le cognac au prisme de la philosophie française – liberté, égalité, fraternité – est séduisante, mais l’explication la plus rationnelle demeure celle d’une fine stratégie publicitaire. Les distributeurs des secteurs de l’alimentation et de la boisson ont longtemps cherché à attirer les Afro-Américains avec des campagnes de publicité exclusivement conçues pour <a href="https://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2015/06/casual-racism-and-greater-diversity-in-70s-advertising/394958/">capter ces potentiels consommateurs</a> à une époque où la part de marché était relativement faible.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"607508501619961856"}"></div></p>
<p>La restauration rapide s’est ainsi initiée à ce marketing ciblé au début des années 1970 ; dans les années 2000, des entreprises comme McDonald’s avaient mis en place des sites web entièrement consacrés à des segments de consommateurs <a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/white-burgers-black-cash">basé sur la race et l’appartenance ethnique</a>.</p>
<h2>Hip hop et cognac</h2>
<p>Il n’en demeure que la publicité traditionnelle pour le cognac destinée aux buveurs noirs américains a commencé relativement tard, au début des années 1980. La presse écrite et les panneaux publicitaires étaient les principaux outils de ces campagnes ciblées. Parmi les magazines, <em>Ebony</em> était une pièce maîtresse de cette stratégie de marketing. Fondé en 1945 par John H. Johnson en tant que premier magazine à tirage national destiné à mettre en lumière la réussite des Afro-Américains, ses pages ont contribué à positionner le cognac comme un parfait symbole de la prospérité de la communauté.</p>
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<img alt="Publicité pour le cognac Martell dans le numéro de décembre 1983 du magazine Ebony" src="https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=899&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=899&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=899&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le numéro de décembre 1983 du magazine <em>Ebony</em> comportait une publicité pour le cognac Martell, fondé en 1715.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://books.google.fr/books?id=0tgDAAAAMBAJ&pg=PA82&dq=martell&hl=en&sa=X&redir_esc=y#v=onepage&q=martell&f=false">Ebony Magazine/Google Books</a></span>
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<p>Ces publicités sont probablement passées inaperçues auprès des enfants noirs qui feuilletaient les magazines posés sur la table basse de leurs parents – loin de se douter que certains d’entre eux deviendraient les plus grands promoteurs de cette industrie.</p>
<p>En 2012, Jay-Z s’est <a href="https://www.terredevins.com/actualites/cognac-dusse-comment-la-marque-de-jay-z-a-bati-son-succes">associé à la marque d’Ussé du groupe Bacardi</a>. Cette initiative s’inscrit dans le sillage de l’irruption de la liqueur sur la scène hip-hop entre les années 1990 et le début des années 2000. Les artistes faisaient référence au spiritueux, allant de la simple mention à la construction de chansons entières autour de lui.</p>
<p>Nas affirme être l’initiateur de cette tendance – par exemple avec son titre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ImSoA_fAVL4">« Memory Lane (Sittin’ in da Park) »</a> issu de son album <em>Illmatic</em> sorti en 1994. Une série d’artistes suit alors le mouvement. Parmi eux figurent Busta Rhymes, Pharell Williams et P. Daddy dont le morceau <a href="https://www.youtube.com/watch?v=o4ZUaxyPoZ8">« Pass the Courvoisier »</a> (2001) a changé la donne. La chanson aurait été à l’origine d’une <a href="https://www.editions-ellipses.fr/accueil/10598-cognac-la-culture-de-la-qualite-9782340040267.html">hausse de 30 % des ventes aux États-Unis</a> tandis que Busta Rhymes a toujours nié avoir été payé pour créer le morceau.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/o4ZUaxyPoZ8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Busta Rhymes, « Pass the Courvoisier Part II » (YouTube).</span></figcaption>
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<p>Nas est quant à lui devenu l’ambassadeur d’Hennessy et <a href="https://www.rizzoliusa.com/book/9780847847525/">décrit ce partenariat comme suit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nous nous sommes trouvés mutuellement… Je n’aurais jamais imaginé aller en France, à Cognac, et boire du cognac de cent ans d’âge directement au sortir du tonneau… Au début, je ne savais même pas que le cognac était fait à partir de raisins ! »</p>
</blockquote>
<p>Pour être honnête, la majeure partie du plus grand marché au monde du cognac – les États-Unis – ne sait pas non plus que le cognac est fabriqué à partir de raisins. C’était également mon cas, jusqu’à ce que je commence mes recherches. Le cognac occupe une place particulière dans la culture américaine : il est très présent dans la culture pop, a un grand cachet gastronomique, mais demeure peu connu et mal compris. Et bien, qu’il soit originaire du sud-ouest de la France, il peut sembler plus américain qu’international.</p>
<p>C’est peut-être cette toile presque vierge qui est à l’origine de ce récit mythique évoqué ci-dessus. Et s’il n’est sûrement pas exact, son charme est lui évident. Cette histoire présente le cognac comme un membre de la famille, un marqueur de liberté et un moyen de répudier le racisme américain. Et pour cela, l’esprit de l’un des spiritueux français les plus vantés perdure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209890/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Naa Oyo A. Kwate ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La légende raconte que les soldats afro-américains seraient tombés sous le charme du spiritueux après avoir servi en France durant le second conflit mondial. En réalité, l’histoire est toute autre.Naa Oyo A. Kwate, Associate Professor, Rutgers University, DEA Fellow, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH), Rutgers UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810322022-04-21T18:02:40Z2022-04-21T18:02:40ZQui sont les soldats russes qui combattent en Ukraine ?<p>En 2008, la Russie <a href="https://www.russiamatters.org/analysis/emulation-and-military-change-russia">a lancé</a> la grande réforme de ses forces armées. Au-delà de la modernisation des matériels et de l’armement, il s’agissait d’optimiser les effectifs et de professionnaliser les contingents.</p>
<p>Les effectifs ont été fixés à un million d’hommes. Dans les faits, les militaires professionnels, soldats comme officiers, dont le nombre total s’élève à plus de 700 000 personnes, sont toujours appuyés par quelques 260 000 conscrits. Environ 130 000 hommes de 18 à 27 ans sont appelés sous les drapeaux à chacun des deux appels annuels, la durée du service militaire obligatoire étant actuellement de douze mois.</p>
<p>Dans le contexte de la guerre lancée par le régime de Vladimir Poutine contre l’Ukraine le 24 février dernier, il est important de revenir sur la composition de l’armée russe, notamment du point de vue ethnique et social, car ces aspects échappent souvent à la considération des observateurs. Ils sont pourtant révélateurs de la structure même de la société russe d’aujourd’hui.</p>
<h2>Une institution globalement respectée</h2>
<p>Aux côtés de la présidence et des différents services de sécurité, l’armée est traditionnellement l’une des institutions sociales les plus respectées en Russie. Aujourd’hui, une majorité de Russes <a href="https://www.levada.ru/2021/10/06/doverie-obshhestvennym-institutam/">font confiance</a> à leurs forces armées, et <a href="https://www.levada.ru/2019/06/18/rossijskaya-armiya-3/">estiment</a> que celles-ci sont largement capables de protéger le pays en cas de conflit militaire. Cette opinion était partagée par 60 % des sondés en janvier 2014, soit avant le début du conflit russo-ukrainien et l’engagement militaire de la Russie en Syrie ; le ratio serait passé à 89 % aujourd’hui.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1512479212699009030"}"></div></p>
<p>En mai 2021, 61 % des Russes, selon les <a href="https://www.levada.ru/2021/06/17/o-sluzhbe-v-armii-po-prizyvu/">chiffres</a> du Centre Levada, institut de sondage indépendant, approuvaient l’affirmation selon laquelle « tout vrai homme » devrait faire son service militaire. 24 % (42 % parmi les 18-24 ans) considéraient que celui-ci constituait un « devoir qu’il faut rendre à l’État », même s’il peut contredire les projets individuels. Seulement 12 % des sondés disaient alors que le service militaire était « inutile et dangereux » et devait ainsi être « évité à tout prix ». Ces chiffres ne constituent cependant qu’une façade qui cache des réalités sociales complexes.</p>
<h2>Une armée historiquement multinationale</h2>
<p>La formule officielle, qui veut que la Russie se soit constituée comme un <a href="https://theconversation.com/la-russie-une-nation-en-suspens-174141">« État pluriethnique et multiconfessionnel »</a>, s’applique également aux affaires militaires.</p>
<p>Les régiments culturellement non russes existaient au sein des armées impériales et, tout au long du XIX<sup>e</sup> siècle, <a href="https://histrf.ru/read/articles/kazachia-viernost-sobstviennyi-iegho-impieratorskogho-vielichiestva-konvoi">faisaient partie</a> de la garde personnelle du tsar. Pendant la Première Guerre mondiale, la Division indigène de cavalerie caucasienne, dite <a href="https://www.riadagestan.com/news_en/interviews/hajji_murad_donogo_tells_about_wild_division_s_history_/">« Division sauvage »</a>, était presque entièrement composée de volontaires issus des peuples musulmans de l’Empire russe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1458464469068263425"}"></div></p>
<p>À l’image de l’Union soviétique, l’Armée rouge fut, elle aussi, multinationale. La Seconde Guerre mondiale concerna d’ailleurs l’ensemble des populations d’URSS. Étant donné que les forces armées reposaient sur la conscription, les autorités soviétiques prenaient le « facteur ethnique » <a href="https://svpressa.ru/society/article/325760/">très au sérieux</a>, qu’il s’agisse de la répartition des conscrits selon la région de stationnement, de la limitation par division du nombre de soldats représentant des nationalités considérées comme « agressives » (les peuples caucasiens notamment), ou encore du recours à des soldats comme traducteurs militaires (comme les Tadjiks pendant l’invasion soviétique en Afghanistan).</p>
<p>Dès 1979, le régime soviétique a même sollicité deux détachements des forces spéciales connus sous le nom de <a href="https://www.warhistoryonline.com/cold-war/special-units-muslim-battalions-in-the-soviet-army.html">« bataillons musulmans » en Afghanistan</a>. Bien que ces pratiques soient à l’évidence moins appliquées dans la Russie d’aujourd’hui, la composante pluriethnique est toujours <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/etude164.pdf">caractéristique de ses forces armées</a>.</p>
<h2>Une surreprésentation des minorités dans l’armée russe</h2>
<p>La guerre actuelle en Ukraine permet d’en mesurer l’ampleur, en dépit de l’indisponibilité des données officielles complètes.</p>
<p>Une semaine après le lancement de ce que Moscou appelle une « opération militaire spéciale », les journalistes de l’antenne russe de Radio Free Europe/Radio Liberty ont par exemple <a href="https://www.idelreal.org/a/31731981.html">analysé</a> le contenu de plusieurs chaînes Telegram ayant publié des informations sur des soldats russes morts ou capturés en Ukraine. Les résultats de l’analyse ont révélé que 30 % environ des patronymes s’apparentaient à ceux que portent des personnes issues des minorités « non russes », dont une grande majorité de culture musulmane. Il y aurait donc, parmi les soldats, une surreprésentation des minorités, qui constituent près de 20 % de la population générale de la Russie.</p>
<p>Un constat similaire est dressé par le chercheur indépendant Kamil Galeev, qui a pu accéder à une liste des soldats blessés envoyés dans un hôpital de la région russe de Rostov-sur-le-Don, située à la frontière avec l’Ukraine (régions de Donetsk et de Louhansk). Or, ces données restent incomplètes et ne permettent pas d’affirmer avec certitude, comme le fait Galeev, que l’armée russe devient celle « des minorités ». Les pertes humaines de l’armée russe confirmées par les sources officielles à la date du 5 avril 2022 (1 083 personnes), <a href="https://www.bbc.com/russian/features-61003964">montrent</a> en effet que les soldats et officiels morts en Ukraine provenaient de l’ensemble des régions de Russie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1506479259866394625"}"></div></p>
<p>D’autre part, l’envoi des militaires d’origine « non slave » pour faire la guerre en Ukraine pourrait relever d’un choix stratégique des autorités russes, compte tenu des liens familiaux existant entre de nombreux Russes ethniques et Ukrainiens. Nous savons aussi que l’État russe <a href="https://www.kavkazr.com/a/severny_kavkaz_prizyv_v_armiu/28028378.html">fixe annuellement</a> des quotas pour éviter qu’il y ait trop de conscrits issus des régions du Nord-Caucase, par crainte de voir se multiplier des troubles ethniques au sein des régiments. Le terme russe <em>zemliatchestvo</em> vient décrire ces <a href="https://mirros.hse.ru/article/view/4999">communautés d’entraide</a>, qui se forment entre les conscrits de la même région d’origine et constituent des hiérarchies informelles coexistant avec la discipline militaire.</p>
<p>Toutefois, nul ne peut ignorer la présence importante, voire la surreprésentation, des personnes d’origine ethnique ou culturelle « non russe » dans les forces armées régulières, sans parler des bataillons tchétchènes déployés en <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2017/03/russia-syria-chechnya-ramzan-kadyrov-fighters.html">Syrie</a> (essentiellement de la <a href="https://www.ponarseurasia.org/the-russian-military-police-from-syria-to-karabakh/">police militaire</a>) puis en <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/les-tchetchenes-en-ukraine-l-arme-psychologique-de-poutine-pourrait-se-retourner-contre-lui-906390.html">Ukraine</a> (essentiellement de la Garde nationale), qui affichent un dévouement sans limite envers leur chef, Ramzan Kadyrov.</p>
<p>Plusieurs facteurs viennent expliquer cette situation, révélatrice de l’état actuel de l’armée et de la société russe tout entière.</p>
<h2>Démographie, mobilité sociale et stagnation économique</h2>
<p>Le premier facteur est démographique. Pendant la période de 2018 à 2020, l’accroissement naturel a été constaté dans <a href="https://1prime.ru/state_regulation/20210405/833386742.html">seulement 17 régions de Russie</a>, sur 85 au total (en tenant compte de la Crimée et de la ville de Sébastopol, annexées illégalement en 2014). Parmi ces 17 régions où le taux de natalité est supérieur au taux de mortalité, les territoires autonomes constitués sur une base ethnique « non russe » sont majoritaires. Cette tendance est pérenne et se confirme sur une période plus longue, notamment depuis les <a href="http://www.demoscope.ru/weekly/knigi/ns_r01/razdel1g1_4.html">années 1990</a> et <a href="http://www.demoscope.ru/weekly/2009/0367/barom03.php">2000</a>.</p>
<p>Outre les républiques musulmanes du Nord-Caucase (Daghestan, Ingouchie, Kabardino-Balkarie, Karatchaïévo-Tcherkessie, Tchétchénie), trois républiques sibériennes en font partie : la Iakoutie (Sakha), la Bouriatie et la Touva. Il n’est donc pas surprenant que ces territoires fournissent un nombre élevé de conscrits, proportionnellement à celui de leurs habitants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1508844935562285056"}"></div></p>
<p>Un deuxième facteur permettant d’éclairer la <a href="https://www.watson.ch/fr/amp/!109486980">présence importante des minorités ethniques dans l’armée russe</a> tient au fait que le service militaire constitue un moyen privilégié de mobilité sociale pour ces jeunes hommes « non slaves », qui peuvent faire l’objet de stigmatisation dans des régions majoritairement peuplées par des Russes ethniques. Une tendance similaire s’observe dans d’autres pays, par exemple aux États-Unis où les personnes noires sont <a href="https://www.statista.com/statistics/214869/share-of-active-duty-enlisted-women-and-men-in-the-us-military/">surreprésentées</a> dans les forces armées. Par ailleurs, la possibilité de faire une carrière stable attire un certain nombre de citoyens étrangers âgés de 18 à 30 ans et maîtrisant le russe (notamment des <a href="https://www.themoscowtimes.com/2022/03/17/central-asians-in-russia-pressured-to-join-moscows-fight-in-ukraine-a76957">ressortissants des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale</a>) : depuis 2010, ils ont l’opportunité de rejoindre les forces armées russes, en signant un contrat d’engagement de cinq ans, renouvelable en cas d’acquisition de la citoyenneté russe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1508670527828856832"}"></div></p>
<h2>Une armée de pauvres ?</h2>
<p>S’y ajoute un troisième facteur qu’il est difficile de sous-estimer : les territoires autonomes mentionnés sont des régions périphériques et économiquement défavorisées, à l’instar de nombreuses régions « ethniquement russes ». Ces territoires se caractérisent souvent par des taux de chômage élevé et des niveaux de revenus bas, surtout en <a href="https://www.areion24.news/2019/10/09/russie-forte-pauvrete-et-grandes-inegalites/">comparaison</a> avec les grandes métropoles du pays. Ces inégalités économiques et sociales se traduisent par des attitudes divergentes à l’égard du service militaire obligatoire.</p>
<p>En effet, de nombreux jeunes issus des milieux relativement aisés ont une image plutôt négative du service militaire et de l’armée en général, en dépit des statistiques citées plus haut. Beaucoup de jeunes des grandes villes sont habitués au confort de la vie urbaine et de la société de consommation, et ne se sentent pas prêts à sacrifier leur vie pour la patrie. Ils ont ainsi recours à des manœuvres d’<a href="https://www.marianne.net/monde/europe/ukraine-comment-des-jeunes-russes-tentent-dechapper-a-la-guerre-de-poutine">évitement de la conscription</a> : poursuivre des études universitaires pour obtenir une dispense temporaire ; payer un médecin pour obtenir un faux certificat d’exemption et se faire réformer ; ou, dans le pire des cas, implorer un service civil alternatif sous forme de travaux d’intérêt général (dans un hôpital par exemple).</p>
<p>Le salaire moyen d’un militaire professionnel – 32 000 roubles (380 euros environ) selon les <a href="http://contract-army.ru/denezhnoe-dovolstvie/">chiffres</a> du ministère russe de la Défense, en dessous du salaire moyen officiel <a href="https://gogov.ru/articles/average-salary">affiché</a> à plus de 50 000 roubles (600 euros) – ne risque pas d’attirer grand monde parmi les classes moyennes éduquées, même si, en pratique, les revenus sont complétés par des garanties sociales de plus en plus importantes (logement, pension militaire, prêts à des taux d’intérêt préférentiels, accès à des infrastructures culturelles et sportives).</p>
<p>En revanche, le service militaire <a href="https://holod.media/2022/04/03/who-is-russian-soldier/">s’avère plus attractif</a> aux yeux des personnes issues des milieux moins favorisés. Si certains n’ont simplement pas les moyens financiers d’éviter la conscription, d’autres voient l’entrée dans l’armée comme une possibilité de carrière stable et rémunérée, d’autant plus que le statut social des militaires <a href="https://rg.ru/2021/03/02/rossiiane-sklonny-schitat-armiiu-shkoloj-zhizni-prestizh-voennyh-rastet.html">s’est nettement amélioré</a> depuis les années 2000. Cela est notamment dû à la <a href="https://www.devizu.news/les-depenses-militaires-russes-ne-cessent-daugmenter-depuis-lelection-de-vladimir-poutine/">hausse des dépenses</a> dans le domaine de la défense (les chiffres officiels étant <a href="https://aurelien-duchene.fr/pourquoi-les-depenses-militaires-russes-sontbien-plus-importantes-quil-ny-parait/">probablement sous-estimés</a>), à une meilleure discipline entraînant la diminution des pratiques de bizutage (<a href="https://fr.rbth.com/lifestyle/82992-russie-armee-hierarchie"><em>dedovchtchina</em></a>), ainsi qu’à la baisse de la durée du service militaire (qui est passée de 24 à 12 mois depuis 2008).</p>
<p>Outre les stéréotypes de la masculinité <a href="http://dagpravda.ru/obshestvo/prestizh-armii-ne-pustye-slova/">décrivant</a> l’armée comme une « école de vie des vrais hommes », ces changements conduisent à ce que de nombreux jeunes hommes originaires de la Russie périphérique, celle des petites villes et des campagnes, souhaitent, de leur plein gré, rejoindre les rangs des soldats. Des situations inattendues peuvent surgir, par exemple lorsque de jeunes ressortissants du Nord-Caucase sont <a href="https://caucasustimes.com/ru/chechency-platjat-za-sluzhbu-v-armii/">prêts à payer</a> (sic) pour être admis parmi les conscrits pour ensuite envisager un avenir dans l’armée de métier.</p>
<p>S’il est difficile, aujourd’hui, de mesurer les effets de ces facteurs ethniques et sociaux sur la conduite et les conséquences de la guerre en Ukraine, il faut les prendre en compte pour mieux comprendre l’état actuel de la société russe. Aussi, la présence importante des minorités n’est pas sans corrélation avec le <a href="https://jamestown.org/program/marlene-laruelle-how-islam-will-change-russia/">rôle grandissant de l’islam</a> en Russie, et la composition sociale de l’armée russe s’aligne sur la condition des classes populaires russes, <a href="https://alencontre.org/europe/russie/poutine-ne-fait-pas-que-la-guerre-a-lukraine-il-massacre-aussi-la-societe-russe.html">touchées aujourd’hui</a> par des sentiments d’impuissance et de désarroi et, demain sans doute, par une nouvelle paupérisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jules Sergei Fediunin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les ressortissants des régions à majorité musulmane et des régions les plus pauvres du pays (ce sont souvent les mêmes) sont surreprésentés au sein de l’armée russe qui combat en Ukraine.Jules Sergei Fediunin, Docteur en science politique de l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), attaché temporaire d'enseignement et de recherche en civilisation russe, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797892022-04-04T18:31:35Z2022-04-04T18:31:35ZVolontaires internationaux en Ukraine : résurgence d’un phénomène ancien<p>Le lendemain de l’invasion russe, le 24 février 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/25/volodymyr-zelensky-appelle-les-europeens-aguerris-a-venir-combattre-en-ukraine_6115295_3210.html">appelait</a> les « hommes libres du monde entier » à venir combattre en Ukraine. Trois semaines plus tard, plusieurs milliers de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/09/l-emergence-d-une-legion-etrangere-pro-ukraine_6116729_3210.html">volontaires étrangers</a> se sont rendus sur place, réunis dans une « Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine » (ILDU).</p>
<p>Pratiquement inédit, cet appel au volontariat combattant a bénéficié de la mise en place de facilités surprenantes. À l’instar du <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/feb/27/liz-truss-says-she-would-back-britons-going-to-ukraine-to-fight-russia">Royaume-Uni</a>, du Danemark ou de la <a href="https://www.reuters.com/world/europe/is-it-legal-foreigners-fight-ukraine-2022-03-14/">Tchéquie</a>, des gouvernements ont fait savoir qu’ils soutiendraient leurs ressortissants volontaires, a minima en ne s’opposant pas à leur départ.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des volontaires étrangers partent se battre en Ukraine contre la Russie, Le Monde, 8 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Il s’agit, en Ukraine, d’une augmentation considérable, dans le temps et dans les effectifs, d’un phénomène pourtant déjà présent. Depuis 2014, des <a href="https://www.illiberalism.org/wp-content/uploads/2021/09/IERES-Papers-no-11-September-2021-FINAL.pdf">volontaires étrangers</a> étaient engagés dans des formations combattantes de part et d’autre dans le conflit opposant le gouvernement central ukrainien aux républiques séparatistes pro-russes du Dombass.</p>
<p>Ainsi, côté ukrainien, deux formations paramilitaires accueillaient des volontaires étrangers : le <a href="https://www.ledevoir.com/monde/415003/ukraine-le-bataillon-donbass-fer-de-lance-des-forces-de-kiev">bataillon Donbass</a>, connu pour ses volontaires occidentaux aux marqueurs politiques situés très à droite, et la <a href="https://www.bbc.com/news/uk-43899959">Légion nationale géorgienne</a>, formée à partir d’un noyau de volontaires géorgiens résolus à combattre la Russie les armes à la main en souvenir de la <a href="https://fr.euronews.com/2018/08/08/le-conflit-georgie-russie-dix-ans-apres-retour-sur-une-guerre-oubliee">guerre de 2008</a>.</p>
<p>En face, dans les républiques « populaires » séparatistes de Lougansk et Donetsk, d’autres <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20140914-ukraine-quatre-francais-unite-continentale-cotes-pro-russes">étrangers</a>, notamment Grecs et <a href="https://www.legrandsoir.info/l-etoile-a-trois-branches.html">Espagnols</a> – se réclamant du marxisme-léninisme ou de mouvements nationalistes slaves panrusses – s’étaient adjoints aux <a href="https://elpais.com/politica/2014/08/07/actualidad/1407443428_738165.html">combats contre l’Ukraine</a>.</p>
<h2>Engagement spontané</h2>
<p>Pour aussi extraordinaire qu’elle soit, cette série d’événements atteste de la résurgence d’un phénomène ancien et polymorphe : l’engagement spontané et désintéressé de civils étrangers dans un conflit a priori extérieur à leur territoire de résidence, désireux de rejoindre un combat où, pourtant, personne ne les obligeait ni ne les requérait.</p>
<p>Si la fin de l’Ancien Régime avait connu les premiers ébranlements – vers la Pologne puis aux côtés des « insurgents » américains – c’est la Révolution française qui marque véritablement l’inauguration conceptuelle du <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02902706">phénomène</a>. Elle lui permet d’endosser le modèle du citoyen-soldat et le dote d’un horizon idéel, celui d’une guerre para-étatique menée au nom d’un certain nombre de valeurs « nouvelles » – nation, liberté, émancipation – entendues comme universelles.</p>
<p>Dès lors, le XIX<sup>e</sup> siècle est le « grand siècle » du volontariat international armé, posé sur les vestiges de la « Grande nation », et porté par la perpétuation des idées des Lumières : des <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes1-2012-1-page-71.htm">Philhellènes</a> en Grèce aux guerres d’Amérique latine, en passant par la <a href="https://www.cairn.info/un-asile-pour-tous-les-peuples--9782200289270-page-260.htm">Pologne</a> encore et toujours, mais également au travers du <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13545710903281870">Risorgimento</a> et aux côtés de Garibaldi.</p>
<p>Enfin, ce phénomène porte vers la France nombre de volontaires en 1870 puis en 1914, investis des mêmes inspirations. Éminemment libéral, il possède néanmoins une formulation contre-révolutionnaire : en <a href="https://journals.openedition.org/rh19/4798">Calabre</a>, au Portugal ou dans les guerres carlistes en Espagne. Les deux avatars ont pu d’ailleurs cohabiter dans un même élan.</p>
<h2>La guerre d’Espagne et le Brigadisme</h2>
<p>Au XX<sup>e</sup> siècle, le phénomène connaît une puissante inflexion qui débouche sur l’établissement d’un nouveau modèle : le brigadisme.</p>
<p>La guerre d’Espagne a marqué un seuil dans l’histoire longue du volontariat international combattant. Ce palier fut quantitatif et qualitatif. Pratiquement 50 000 volontaires appartenant à 77 nationalités <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02133744/document">ont pris les armes en Espagne</a> durant la guerre civile, dans les deux camps.</p>
<p>C’est l’antifascisme qui a attiré le plus grand nombre de volontaires, qui ont rejoint les milices paramilitaires des <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02902706">organisations prolétariennes</a> puis l’armée régulière de la République espagnole.</p>
<p>La plupart d’entre eux, environ 35 000, ont fait partie des <a href="http://chs.huma-num.fr/exhibits/show/marty-et-les-brigades-internat/marty-et-les-brigades">Brigades internationales</a> créées en octobre 1936 sur la base d’un projet issu du mouvement communiste international, avant d’être régularisées sous la forme plus conventionnelle d’une pseudo-légion étrangère. Réunissant six à huit brigades, plusieurs dizaines de bataillons pseudo-nationaux ont accueilli des étrangers venant pour les deux tiers de six pays seulement (France, États-Unis, Belgique, Tchécoslovaquie, Canada et Suisse) c’est-à-dire des démocraties accueillant une forte immigration.</p>
<p>Ainsi, près de la moitié d’entre eux ne possédaient pas la nationalité du pays dont ils provenaient. Le modèle des Brigades internationales est venu totalement renouveler les formats précédent de « légions nationales ». D’une part en revendiquant une filiation qui, jusqu’alors, n’était pas toujours explicitement invoquée. D’autre part, en incarnant une forme transnationale définitive et collective qui a transfiguré le volontaire national en « volontaires internationaux ».</p>
<p>Ce palier du brigadisme fut également marqué par une rupture décisive, établie par le genre. Les étrangères furent proportionnellement nombreuses à s’engager comme <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/9870">volontaires</a>, surtout dans les Brigades internationales. La participation de centaines de femmes s’est accompagnée de problématiques spécifiques nouvelles, introduisant la mixité dans un phénomène qui, jusqu’alors, avait été pratiquement intégralement masculin. Rien d’étonnant dès lors à ce que les Brigades internationales aient imposé par surimpression leurs caractéristiques sur le phénomène, jusqu’à devenir l’incarnation du phénomène lui-même dans sa perception contemporaine ; elles en constituent aujourd’hui le point de référence le plus signifiant.</p>
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<figcaption><span class="caption">Crise en Ukraine : des volontaires arrivent du monde entier pour prêter main-forte à Kiev, 22 février 2022.</span></figcaption>
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<h2>L’héritage des Brigades internationales</h2>
<p>Ainsi, ses formes modernes s’inscrivent résolument dans ce nouveau paradigme, par suggestion ou par revendication implicite des Brigades internationales. Durant la Seconde Guerre mondiale, parmi d’autres exemples, la <a href="https://www.decitre.fr/livres/volontaires-francais-sous-l-uniforme-allemand-9782262013257.html">Légion des volontaires français</a> (LVF) fut imaginée comme une « contre » brigade internationale française. Mais après le mouvement des Mahalnicks (Mahal est l’acronyme hébreu de <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20141128.OBS6494/israel-ces-francais-qui-s-engagent-dans-tsahal.html">Mitnadvei Chutz LaAretz</a> (מתנדבי חוץ לארץ) « volontaires venant de l’extérieur d’Israël », ces combattants volontaires qui, hommes et femmes, ont rejoint la Palestine en 1948 pour défendre l’État israélien dans son avènement, le phénomène s’est pratiquement éteint durant la seconde moitié du siècle, victime de la guerre froide et d’un pacifisme militant.</p>
<p>Sa première résurgence s’effectue après la disparition du bloc soviétique, lors de l’éclatement de la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/contemporary-european-history/article/abs/in-search-of-meaning-foreign-volunteers-in-the-croatian-armed-forces-199195/0391EE9CE52B43B223857A7980F3B947">Yougoslavie</a>, vers les armées croate et serbe, mais également en Bosnie.</p>
<p>C’est à cette occasion que le phénomène se dote d’une dimension transnationale nouvelle marquée par l’irruption de l’islam. Le mouvement des moudjahidins, initié avec la première guerre d’Afghanistan, fait irruption en Europe dans une forme très proche du brigadisme, dans la <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-219.htm">7ᵉ brigade musulmane de l’armée bosniaque</a>. Dès lors, les deux décennies suivantes sont presque entièrement dominées par une nouvelle variante, bientôt désignée comme celle du djihadisme. Mais, depuis 2011, une série de signes attestaient d’un retour du brigadisme.</p>
<h2>Le djihadisme provoque un retour des engagés volontaires</h2>
<p>Paradoxalement, c’est l’essor prodigieux du djihadisme qui va provoquer un retour des formes traditionnelles du phénomène. En défense de populations kurdes, yézidies ou chrétiennes persécutées par l’État islamique, les <a href="https://www.isdglobal.org/isd-publications/shooting-in-the-right-direction-anti-isis-foreign-fighters-in-syria-and-iraq/">engagements de volontaires</a> se multiplient, notamment à partir de 2014.</p>
<p>Enfin, il existait dans la région une tradition d’engagements internationalistes aux côtés des Kurdes du <a href="http://henryjacksonsociety.org/wp-content/uploads/2017/08/3053-PYD-Foreign-Fighter-Project-1.pdf">Parti des travailleurs</a>. Mais la menace mortelle de l’État islamique sur les cantons kurdes, marquée par la bataille de Kobané, a transformé ce fil en un puissant mouvement transnational. En 2015-2017, des centaines d’étrangers ont rejoint les formations kurdes en Syrie, se revendiquant de l’héritage des Brigades internationales.</p>
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<figcaption><span class="caption">Engagement de volontaires étrangers en 2014 pour combattre l’EI (France 24).</span></figcaption>
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<p>Dans sa dimension occidentale, le phénomène procède par des traditions inscrites dans un héritage linéaire remarquable par ses persistances et sa capacité de synthèse, en puisant sans cesse dans ses manifestations passées ses ré-inspirations modernes.</p>
<p>Ce modèle est aujourd’hui mondialisé, à la fois par la capacité de suggestion de l’universalisme libéral et par l’internationalisme hérité du communisme. Car ce qu’il se passe en Ukraine aujourd’hui est, comme à Kobané hier ou à Madrid avant-hier, immédiatement compris et restitué dans un grand récit manichéen saturé de <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674979567">références symboliques</a> largement partagées. Le volontaire international est désormais un citoyen global, capable de s’auto-mobiliser à la fois par indignation face à l’intolérable et par refus de l’attentisme mais aussi sous l’effet d’un puissant désir de transcendance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179789/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Edouard Sill ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le président ukrainien a appelé les « hommes libres du monde entier » à venir combattre en Ukraine. L’engagement spontané de civils étrangers dans un conflit est cependant un phénomène ancien.Edouard Sill, Historien, Institut Catholique de Paris, chercheur associé au CHS UMR CNRS 8058, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1675552021-09-14T21:50:50Z2021-09-14T21:50:50ZL’engagement de l’armée française en Afghanistan : 90 morts pour rien ?<p>Le 15 août 2021, la <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-triomphe-des-talibans-malgre-les-milliards-depenses-par-les-etats-unis-166158">prise de Kaboul par les talibans</a> suscite la stupeur dans l’opinion publique mondiale et, en particulier, française.</p>
<p>Le lendemain, lors d’une <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/08/16/allocution-relative-a-la-situation-en-afghanistan">allocution télévisée</a>, le président de la République Emmanuel Macron rappelle l’engagement militaire de la France de 2001 à 2014. Il fixe une priorité : mettre en sécurité les Français sur place ainsi que tous les Afghans qui ont travaillé pour la France. Il propose l’aide de Paris à tous les Afghans – défenseurs des droits, militants, artistes, journalistes – menacés en raison de leur engagement, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/afghanistan-la-polemique-sur-les-flux-migratoires-irreguliers-craints-par-emmanuel-macron-en-quatre-actes_4741151.html">tout en mettant en garde l’Europe face au risque d’une vague migratoire</a>.</p>
<p>Le président exprime également ses pensées aux familles des soldats français qui ont perdu la vie en Afghanistan. Treize ans plus tôt, pratiquement jour pour jour, se déroulait <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-reportage-de-la-redaction/les-etes-meurtriers-78-afghanistan18-aout-2008-dix-soldats-francais-tues-dans-lembuscade-duzbin">l’embuscade d’Uzbin</a> dans le district de Surobi, 80 kilomètres à l’est de Kaboul. Les Français découvraient alors avec stupéfaction que l’armée menait des opérations de guerre en Afghanistan.</p>
<p>Qui se souvient qu’entre 2002 et 2014, environ 70 000 militaires se succèdent dans ce pays ? En douze ans, les missions de l’armée française évoluent du retour à la paix vers des combats de plus en plus importants, au prix de <a href="https://www.defense.gouv.fr/terre/base/in-memoriam/afghanistan">90 tués</a>, plus de 700 blessés et de nombreux blessés psychologiques dont le décompte demeure incertain.</p>
<p>Aujourd’hui, pour les familles meurtries comme pour les citoyens, parfois éloignés du monde militaire, se pose la question du sens des sacrifices consentis par la Nation : 90 morts pour rien ?</p>
<h2>Une opération de stabilisation (2002-2006)</h2>
<p>Après les attentats du 11 septembre 2001, les <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/1842551001/allocution-du-president-de-la-republique-monsieur-jacques-chirac">premières forces françaises sont rapidement envoyées en Afghanistan</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chronologie de l’engagement français de 2001 à 2002.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>À la suite de la chute des talibans et des <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/af2001.htm">accords de Bonn</a> du 5 décembre 2001, la France contribue à la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (<a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_69366.htm">FIAS</a>) dans le cadre de <a href="https://fr.calameo.com/read/00415197856d5291eaa96">l’opération « Pamir »</a>, sous mandat de l’ONU (qui passe la main à l’OTAN en 2004).</p>
<p>Entre 2002 et 2006, le bataillon interarmes français (BATFRA) est présent à Kaboul. L’armée française a alors pour mission la sécurisation de la zone et ses environs, en restant centrée sur l’aéroport, le nord de la ville, les districts de police 11 et 15 et la plaine de Chamali.</p>
<p>Le BATFRA se consacre à une mission de stabilisation. Il s’agit d’accélérer la normalisation de la situation dans le pays en favorisant l’émergence et l’affirmation d’une autorité civile légale. Durant l’été 2006, la <a href="https://www.understandingwar.org/region/regional-command-capital">Region Command Central Capital</a> (RC-C), sous commandement de l’OTAN, est créée et le district de Surobi est intégré dans ce nouveau découpage territorial.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les différents mandats du BAFTRA (2002–2009).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Chaque nation qui exerce le commandement du RC-C doit envoyer un détachement interarmes sur la <a href="https://www.liberation.fr/planete/2009/09/07/afghanistan-dans-le-poste-avance-des-militaires-francais_579849/">base de Tora</a> (Surobi) pour contrôler cet espace stratégique. Les soldats français se heurtent alors à une résistance plus vive. Au mois d’octobre 2006, les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2006/12/04/01003-20061204ARTFIG90103-le_soulevement_taliban_se_repand_en_afghanistan.php">talibans appellent à l’insurrection générale</a>.</p>
<h2>De l’imposition de la paix à la contre-insurrection (2007-2009)</h2>
<p>Au printemps 2007, la France participe à la relance de la guerre contre les talibans menée par la coalition internationale. Il s’agit d’imposer la paix, y compris par la force.</p>
<p>L’élection de Nicolas Sarkozy, le <a href="https://www.liberation.fr/france/2009/02/11/retour-de-la-france-dans-l-otan-la-polemique-monte_309420/">retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN</a> et le souhait du chef d’état-major des armées – le général <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20191114.OBS21095/qui-est-jean-louis-georgelin-le-general-en-mission-notre-dame-qui-veut-que-ca-depote.html">Jean-Louis Georgelin</a> – de ne pas voir les forces françaises « se vassaliser » au profit des autres grandes puissances poussent la France dans l’engrenage des combats.</p>
<p>Les années 2008 et 2009 sont celles du <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/12/18/01003-20081218ARTFIG00374-la-france-envisagerait-de-renforcer-ses-troupes-en-afghanistan-.php">redéploiement</a> de l’armée française et de l’accélération du processus d’adaptation à la lutte contre la guérilla menée par les talibans. Au printemps 2008, un groupement de mille hommes supplémentaires est annoncé pour un déploiement dans la <a href="https://www.google.com/maps/place/K%C3%A2p%C3%AEss%C3%A2,+Afghanistan/@34.9474295,68.9925164,9z/data=!4m5!3m4!1s0x38d03661144c7495:0x88b2c4004d8134e1!8m2!3d34.9810572!4d69.6214562">province de Kapisa</a> à l’été.</p>
<p>Alors que les restrictions d’emploi des forces françaises au sein de l’OTAN sont levées, le processus d’adaptation réactive est lancé. Il vise à <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/afghanistan/lafghanistan-modifie-le-paquetage-du-soldat-francais-1622367">moderniser l’équipement des troupes françaises</a> sur le terrain.</p>
<p>Le 18 août 2008, l’embuscade meurtrière d’Uzbin, qui coûte la vie à dix soldats, agit comme un accélérateur de la transformation de l’armée.</p>
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<figcaption><span class="caption">France 2 : 10 soldats français tués en Afghanistan, 19 août 2008 (<em>Archive INA</em>).</span></figcaption>
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<p>De nouveaux matériels et équipements sont envoyés en Afghanistan et la préparation opérationnelle passe à six mois : pour un soldat français, une projection dans le pays occupe une année entière. En janvier 2009, une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2010-1-page-83.html?contenu=resume">doctrine de contre-rébellion</a> est adoptée. C’est un retour aux fondamentaux du combat.</p>
<p>Les mandats qui se succèdent en Kapisa et dans le district de Surobi lancent une série d’expérimentations tactiques. C’est le retour de la contre-insurrection, qui vise à couper la population des insurgés et à gagner – autant que possible dans ce pays si compliqué – les cœurs et les esprits.</p>
<p>Les Français suivent en cela les troupes américaines, dont les commandants en Afghanistan, les <a href="https://www.france24.com/fr/2010062-changement-tactique-depart--general-mcchrystal-obama-afghanistan">généraux Mc Chrystal et Petraeus</a>, pensent détenir les clés du succès militaire en remettant au goût du jour (d’abord en Irak puis en Afghanistan) les <a href="https://www.penseemiliterre.fr/lieutenant-colonel-david-galula-peut-on-etre-prophete-en-son-pays-_470_1013077.html">écrits du lieutenant-colonel français David Galula</a> (1919-1968), qu’ils qualifient de « Clausewitz de la contre-insurrection ».</p>
<p>L’armée française participe aussi à la formation de l’armée nationale afghane (ANA), que ce soit dans le cadre de <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/operations/afghanistan-dissolution-du-detachement-epidote">l’opération Epidote</a> ou au sein des équipes de liaison et de mentorat opérationnel, ses membres accompagnant les soldats afghans au combat tout en poursuivant leur entraînement.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les soldats français vont passer de nombreuses années à former l’ANA.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pascal Guyot/AFP</span></span>
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<h2>De la contre-insurrection au retrait (2009-2014)</h2>
<p>À la fin de l’année 2009, l’ensemble des moyens militaires français est regroupé dans la province de Kapisa et dans le district de Surobi. Le 1<sup>er</sup> novembre, la <a href="http://webdocs.ecpad.fr/afghanistan/pages/accueil">brigade interarmes (ou Task Force) Lafayette</a> est créée. Elle est placée sous commandement américain.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les différents mandats de la brigade Lafayette (2009–2012).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les deux premiers mandats de la brigade se concentrent en large partie sur la population. Suivant le principe de la tâche d’huile (<a href="https://www.herodote.net/La_mission_civilisatrice_de_la_France-synthese-2114.php">lointain héritage colonial</a>), des bases opérationnelles avancées sont installées sur l’aire de responsabilité française pour faire progresser le contrôle et la pacification de ces espaces. Les forces françaises mènent alors des opérations de guerre.</p>
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<figcaption><span class="caption">La bataille de l’Afghanya, France24, 25 novembre 2009.</span></figcaption>
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<p>La <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_67814.htm">conférence de l’OTAN à Lisbonne</a>, le 20 novembre 2010, fixe une date de retrait pour la fin de l’année 2014. Le principe de la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/la-france-accelere-la-transition-en-afghanistan_949801.html">transition de la responsabilité des opérations et des territoires vers l’armée afghane</a> est adopté et il devient plus difficile de demander aux populations de faire confiance aux forces étrangères, alors qu’elles savent que les militaires devront partir.</p>
<p>Les objectifs principaux du plan de campagne de la brigade Lafayette se concentrent désormais sur les talibans. Il s’agit de briser l’adversaire pour l’amener à un niveau où il pourra être <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/201412/31/01-4831850-le-test-ultime-de-larmee-afghane.php">pris en charge par l’armée afghane seule</a>. Dès l’hiver 2010-2011, le <a href="https://www.defense.gouv.fr/terre/actu-terre/archives/le-battle-group-richelieu-projete-en-afghanistan">Battle Group (BG) Richelieu</a> lance avec succès une <a href="https://lavoiedelepee.blogspot.com/2012/12/nomadisation-en-kapisa-jean-francois.html">tactique de nomadisation</a> au cœur des villages.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chronologie de l’action de la Brigade Lafayette (2009–2012).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les troupes françaises conduisent des opérations longues. Elles s’installent sur le terrain, dans les habitations, bouclent de vastes zones et procèdent à des fouilles systématiques. Cet effort permet de sécuriser, pour un temps, les axes logistiques vitaux pour ravitailler Kaboul. Simultanément, les troupes françaises du <a href="http://www.opex360.com/2010/11/25/le-battle-group-allobroges-a-pied-doeuvre-en-kapisa/">BG Allobroges</a> poursuivent le quadrillage de la Kapisa en implantant de nouveaux postes de combats et des observatoires.</p>
<p>Le quatrième mandat de la brigade Lafayette marque une rupture : le 2 mai 2011, Oussama Ben Laden est tué lors d’un raid de commandos américains à Abbottabad au Pakistan. Un objectif est donc rempli, alors que le <a href="http://www.slate.fr/story/40095/barack-obama-guerre-afghanistan">président Obama est de plus en plus réticent à envoyer des renforts supplémentaires</a>.</p>
<p>Pour les Français, la préservation des acquis de la campagne précédente entraîne de furieux combats durant l’été. En trois mois seulement, le BG Raptor en Kapisa déplore huit morts et trente blessés tandis que le BG Quinze Deux en Surobi déplore quatre victimes. Après un réaménagement opérationnel durant l’été, la reprise des opérations se solde au mois de septembre par un nouveau mort.</p>
<p>En métropole, <a href="https://www.france24.com/fr/20120120-nicolas-sarkozy-annonce-suspension-operations-francaises-afghanistan-armee">Nicolas Sarkozy décide de suspendre les opérations</a>. Les Français ne retournent plus dans le fond des vallées et les deux mandats suivants de la brigade Lafayette voient le transfert progressif de la responsabilité des combats vers l’ANA.</p>
<p>L’élection de François Hollande, en mai 2012, <a href="https://www.france24.com/fr/20120525-france-militaire-afghanistan-francois-hollande-visite-surprise-kaboul-ministre-etrangere-defense-armee">accélère le retrait</a>. Les soldats français préparent et exécutent un transfert logistique complexe et particulièrement risqué des bases opérationnelles vers la capitale. La brigade Lafayette est dissoute le 25 novembre 2012 après le transfert du district de Surobi et de la Kapisa aux forces afghanes. Les Français sont alors regroupés à Kaboul et quittent définitivement l’Afghanistan le 31 décembre 2014.</p>
<h2>Un sacrifice pour rien ?</h2>
<p>Le sacrifice des soldats français ne peut être considéré comme vain, sinon à renoncer à toute idée de la chose publique ou du destin commun. Les soldats se battent pour défendre les intérêts stratégiques de leur pays mais aussi les uns pour les autres.</p>
<p>Cette parenthèse de vingt ans de relative stabilité en Afghanistan, malgré les combats et le retour des talibans, ouvre un univers de possibles. Après cet engagement, l’armée française est rompue à l’épreuve du feu. Cette expérience opérationnelle accumulée permet de remporter un <a href="https://www.defense.gouv.fr/operations/missions-realisees/afrique/operation-serval-2013-2014">succès rapide</a> au Mali face aux groupes armés terroristes en 2013. Le prix du sang versé aux côtés des alliés de l’OTAN, justifie en partie leur appui en Afrique et au Moyen-Orient. En bande sahélo-saharienne, les Américains fournissent des drones et du renseignement. Les forces spéciales françaises n’hésitent pas de leur côté à venir secourir les forces américaines en mauvaise posture comme à <a href="https://fr.sputniknews.com/international/202105271045660081-le-jour-ou-les-commandos-marine-francais-ont-sauve-les-forces-speciales-us-au-sahel/">Tongo Tongo en 2017</a>.</p>
<p>Pourtant, le sacrifice des militaires français impose aux responsables de notre pays deux réflexions profondes. La première concerne la prise de décision initiale de l’emploi de la force armée. Engager une guerre est souvent plus facile que d’en sortir. L’Afghanistan illustre parfaitement le déficit de débat public en profondeur, alors que le rôle de l’armée française sur place évolue de manière radicale entre 2001 et 2014. Tous les pays de la coalition avaient de bonnes raisons d’envoyer des troupes en Afghanistan, renvoyant souvent à des considérations stratégiques assez éloignées du bien être de la femme afghane ou l’installation de la démocratie. Cela impose une deuxième réflexion sur l’indispensable débat démocratique sur la définition de la stratégie et des objectifs politiques à atteindre par l’intervention armée. Il faut prendre garde de ne pas s’intoxiquer avec sa propre communication opérationnelle, aussi belle et vertueuse soit-elle. Le réel revient toujours avec force dicter ses évidences.</p>
<p>L’intervention militaire dans des États faillis, face à des groupes armés terroristes, ne permet pas de remporter une victoire décisive, même en invoquant le retour de la contre-insurrection. De nouvelles formes d’interventions sont à imaginer. L’usage de la force armée en terre étrangère tend à renforcer les groupes terroristes plutôt qu’à les affaiblir. Tôt ou tard, les populations, d’abord favorables, se retournent contre « l’occupant ». Le retour au multilatéralisme, la diplomatie et le renforcement du droit pénal international avec l’appui de forces comparables à notre gendarmerie nationale seraient sans doute plus efficaces. Combattre le mal à la racine, en quelque sorte, plutôt que s’épuiser vainement contre les symptômes. Vaste programme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167555/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Lafaye ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Treize ans de présence en Afghanistan… pour quel résultat ? La chute de Kaboul invite aussi la France à faire le bilan de son interventionnisme passé pour tirer les leçons de ses échecs.Christophe Lafaye, Chercheur associé au GRHIS de l’université de Rouen (EA 3831) et à l’IRSEM, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1629802021-06-24T17:23:54Z2021-06-24T17:23:54Z« Pinard », « rouquin » et « picrate » : une histoire du vignoble bourguignon pendant la Grande Guerre<p>L’histoire de la vigne est celle d’un éternel retour. Gel, grêle, maladies, invasions d’insectes, guerre restent des fléaux qu’il faut périodiquement combattre. Depuis l’édit de Domitien qui, en 92 ordonna l’arrachage de la moitié des vignes gauloises qui concurrençaient les vins italiens, le vignoble bourguignon a souffert des destructions occasionnées par de multiples conflits.</p>
<p>Face aux malheurs, les vignerons furent amenés à réexaminer leur façon d’envisager la viticulture et à remettre en question leurs méthodes de travail. Pragmatiques, ils surent trouver les ressources qui permirent au vignoble de survivre. Peu importe l’époque ou la menace, ils firent appel aux mêmes réflexes dans leurs luttes sempiternellement recommencées. À cet égard, le sociologue américain <a href="https://www.d.umn.edu/cla/faculty/troufs/anth1095/Gannon%20and%20Pillai,%206th%20Edition/French%20Wine,%20Gannon%20and%20Pillai,%20Understanding%20Global%20Cultures,%206th%20Edition.PDF">Martin Gannon</a> compara la crise phylloxérique à la Première Guerre mondiale.</p>
<p>C’est cette histoire, celle des vignobles bourguignon pendant la Grande Guerre que nous retraçons ici, à partir notamment des archives de la revue bimensuelle <em>Le Progrès agricole et viticole</em> publiée à l’époque.</p>
<h2>Un vignoble sans hommes</h2>
<p>Les vendanges de l’année 1914 s’annonçaient prometteuses, à peine moins abondantes en Bourgogne que dans les autres régions viticoles. Le pays n’était cependant pas gouverné par les hommes de la vigne. Les jeunes vignerons pensaient plus à préparer la future récolte qu’à partir à la guerre.</p>
<p>D’un naturel discipliné, ils ne renâclèrent pas lorsque la mobilisation de tous les Français soumis aux obligations de la conscription universelle masculine fut décrétée le 1<sup>er</sup> août. Croyant en une résolution rapide et victorieuse du conflit, ils quittèrent leurs villages en s’écriant : « Nous serons rentrés pour les vendanges ! » Les chevaux et les mulets valides, auxiliaires devenus indispensables, les harnais et les chariots furent réquisitionnés pour le transport des provisions et de l’artillerie. Seuls restèrent dans les domaines les animaux boiteux ou borgnes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/407089/original/file-20210617-23-1gf2zwn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407089/original/file-20210617-23-1gf2zwn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407089/original/file-20210617-23-1gf2zwn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407089/original/file-20210617-23-1gf2zwn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407089/original/file-20210617-23-1gf2zwn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407089/original/file-20210617-23-1gf2zwn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407089/original/file-20210617-23-1gf2zwn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407089/original/file-20210617-23-1gf2zwn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« On rentrera pour les vendanges, au pire à Noël… » Le départ des poilus au front est l’objet de la célèbre toile d’Albert Herter exposée à la Gare de l’Est.</span>
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<p>Dès avant la déclaration de guerre, la pénurie de main-d’œuvre commençait à se faire sentir. En dépit de l’absence de chômage et de salaires plus élevés que dans l’agriculture, les jeunes avaient tendance à déserter le vignoble pour aller travailler en ville à l’usine.</p>
<p>Le Crédit Agricole accorda des prêts pour les travaux de vendanges mais rares furent les familles qui firent appel à la banque. « Contracter des dettes » était mal considéré et faisait jaser. On aurait préféré que les chevaux fussent payés à leur juste prix plutôt que de se voir offrir des facilités de prêts bancaires !</p>
<p>Mais on put en général compter sur la fraternelle solidarité des villages et l’on se prêta charrettes et chevaux restants. Dans un bel élan d’ensemble, jeunes gens, jeunes femmes, vieillards et enfants des écoles allèrent couper les raisins pendant l’automne 1914, un des plus beaux que la Bourgogne ait connu depuis longtemps.</p>
<p>Pendant l’hiver pluvieux et neigeux 1914-1915, la vigne fut quelque peu négligée, mais nécessité faisant loi, les mères, les sœurs et les épouses des soldats s’attelèrent à la tâche. Elles reçurent une formation rapide. Alors que jamais, au grand jamais, elles ne se seraient vu confier les travaux de taille, on s’aperçut qu’elles pouvaient tailler aussi bien que les hommes. L’instruction publique toléra un certain absentéisme scolaire pour le bon motif : appareil sur le dos, les enfants des écoles revêtus d’un « caoutchouc » sulfataient les vignes.</p>
<p>Comme la main-d’œuvre disponible était réduite, les ouvriers se montraient exigeants, si bien que de gros propriétaires eurent recours à des prisonniers de guerre, « dociles et maniables lorsqu’ils étaient bien surveillés et qui ne les faisaient pas quotidiennement chanter. » Mais la plupart ne connaissaient rien à la vigne. En 1916, Le Progrès publia un lexique franco-allemand des termes utiles pour diriger des ouvriers viticoles.</p>
<h2>Un élevage de chevaux dans l’Auxerrois</h2>
<p>Sur le front, peu de chevaux moururent sous le feu de l’ennemi mais beaucoup succombèrent à cause des intempéries, de la fatigue, des difficultés de ravitaillement et de la composition des rations.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407088/original/file-20210617-21-1lv7s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407088/original/file-20210617-21-1lv7s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407088/original/file-20210617-21-1lv7s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407088/original/file-20210617-21-1lv7s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407088/original/file-20210617-21-1lv7s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407088/original/file-20210617-21-1lv7s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407088/original/file-20210617-21-1lv7s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les chevaux ardennais, qui existent encore aujourd’hui, convenaient bien aux travaux dans les vignobles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:0_%C3%89talon_ardennais_-_St-Michel_(2).JPG">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Dans l’Auxerrois où le sainfoin et la luzerne avaient remplacé la vigne après la crise phylloxérique, des réfugiés ardennais se lancèrent dans l’élevage de chevaux de trait. La race ardennaise, rustique, relativement petite, d’allure rapide convenait bien au vignoble.</p>
<p>Comme l’avoine était réquisitionnée, les chevaux furent nourris avec des betteraves, des carottes et du son. Toutefois, il ne suffisait pas d’acquérir un fougueux poulain de 18 mois, encore fallait-il en achever le dressage. Les personnes âgées hésitaient à le faire. Au début de 1919, les chevaux démobilisés furent offerts à la vente.</p>
<h2>Rien gâcher…</h2>
<p>Malgré la rareté et la cherté de la main-d’œuvre, les vignes furent plutôt bien entretenues mais on craignit de manquer de soufre et de cuivre, remèdes contre l’oïdium et le mildiou utilisés aussi dans l’armement. Dans les villages, il s’avéra de plus en plus difficile de se procurer ces produits importés des États-Unis, d’Angleterre et de Sicile.</p>
<p>Leur prix ne fit que croître. On craignit la spéculation et l’augmentation des impôts indirects. Toutefois, la société Saint-Gobain donna un exemple de désintéressement en vendant ses produits en dessous des cours. Les vignerons durent néanmoins attendre 1918 pour être livrés en quantité suffisante.</p>
<p>Comme il n’était pas assuré que l’on obtînt en temps voulu et à des tarifs raisonnables les produits nécessaires à la lutte contre les maladies de la vigne, certains viticulteurs crurent trouver la solution en recourant à des plants hybrides résultant du croisement de deux espèces différentes. Cette solution avait déjà eu les faveurs d’une partie de la profession lors de la crise phylloxérique.</p>
<p>Triomphant en année humide quand les vignes souffraient du mildiou et de l’oïdium, le noah, hybride blanc offrait une assurance contre les mauvaises récoltes car il n’avait pas besoin d’être traité. Mais il donnait un vin de faible degré au goût foxé pour le moins déplaisant. Ironiquement, aujourd’hui la recherche sur les hybrides, longtemps abandonnée a repris non pas pour des raisons économiques mais environnementales : beaucoup de ces cépages sont immunisés contre les maladies cryptogamiques. En son temps, Le Progrès donnait déjà des recettes pour « défoxer » le vin avec des levures sélectionnées.</p>
<p>En cette période de restrictions, les autorités conseillaient également aux vignerons de planter des haricots entre leurs ceps. Le professeur Ravaz écrivit dans <em>Le Progrès</em> :</p>
<blockquote>
<p>« L’association de la vigne avec d’autres plantes n’est pas une hérésie. Elle s’impose. »</p>
</blockquote>
<p>On essaya de cultiver pommes de terre, fèves, choux, courges, petits pois, aulx, oignons, radis mais cette association n’allait pas de soi car elle gênait les pratiques culturales.</p>
<p>On réfléchit à la fabrication de charbon de sarments pour conjurer la crise du charbon. On pensa aussi distiller ce combustible pour obtenir du gaz d’éclairage ou fabriquer du papier. On nourrit le bétail avec du marc de raisin. Il ne fallait rien gâcher. Aujourd’hui, on redécouvre ces expériences pour faire face à l’épuisement des matières premières. Mais la pénurie stimula aussi le progrès technique permettant de « restituer à l’agriculture les bras qui lui manquaient ».</p>
<h2>Réquisitions et tromperies sur l’origine</h2>
<p>La vendange 1913 fut bonne, celle de 1914 atteignit le chiffre record de 60 millions d’hectolitres. Le ministre de la guerre Alexandre Millerand estima que le vin étant meilleur que l’eau fournie dans les tranchées, il fallait en faire distribuer aux soldats…</p>
<p>Dès lors, l’administration militaire effectua des achats de vin de plus en plus importants. Lorsque la vinification de 1915, de bonne qualité mais peu abondante, fut terminée, le ministère insista sur le caractère patriotique des réquisitions.</p>
<p>Considérées comme une spoliation, elles furent d’abord accueillies par un tollé général mais à la pensée des souffrances endurées dans les tranchées, les vignerons se résignèrent. Force leur fut d’admettre que l’administration ne cherchait pas à les léser et qu’ils furent payés en temps voulu. La réquisition dura jusqu’en 1919. Conformément à un fait économique d’observation courante, la réquisition eut pour effet de provoquer la hausse du prix du vin.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/407080/original/file-20210617-23-1jz75sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407080/original/file-20210617-23-1jz75sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407080/original/file-20210617-23-1jz75sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407080/original/file-20210617-23-1jz75sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407080/original/file-20210617-23-1jz75sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407080/original/file-20210617-23-1jz75sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407080/original/file-20210617-23-1jz75sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407080/original/file-20210617-23-1jz75sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les Poilus chantaient pour certains une prière à « Saint Pinard ».</span>
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<p>Exposés au danger, au froid, à la peur, à la maladie, les soldats trouvaient, eux, la consolation dans le vin qui, hélas, n’était pas très bon. Affublé de noms tels que « pinard », « rouquin » ou « picrate », le vin qui séjournait longtemps dans les wagons-citernes arrivait parfois gelé en hiver, bouillant en été !</p>
<p>La guerre donna libre cours à toutes les tromperies imaginables sur l’origine des vins. Il y eut moult falsifications de Bourgogne. On accusa notamment les vignerons du Midi… Dire que le Parlement devait débattre d’une législation sur les appellations contrôlées en juillet 1914, juste avant la déclaration de guerre !</p>
<h2>Pendant ce temps, en Argentine…</h2>
<p>À la fin de 1915, les stocks de 1913 et 1914 furent payés un bon prix alors qu’ils avaient été boudés en juillet. La récolte 1915 fut presque toute vendue au début de 1916. À mesure que les prix grimpaient, les propriétaires se montrèrent plus exigeants. La production métropolitaine et algérienne ne suffit pas à étancher la soif des poilus et de leurs renforts d’Angleterre, de Belgique, des États-Unis…</p>
<p>Pendant ce temps-là, en Argentine, on déversait 2 millions d’hectolitres de vin dans les canaux d’irrigation ! Les vignerons virent dans le prix élevé de leurs vins le signe d’une justice réparatrice, une revanche contre les conditions léonines que leur imposaient les négociants avant-guerre. Le marché export s’effondra en raison des difficultés de transport, à l’exception de la Suisse voisine mais il ne représentait qu’un faible pourcentage des ventes bourguignonnes…</p>
<p>Avec la déclaration de guerre, les marchés allemand et autrichien furent perdus, le marché russe disparut avec l’arrivée au pouvoir des bolcheviks. La Prohibition fut instaurée outre-Atlantique, les exportations furent contingentées et fortement taxées au Royaume-Uni, en Suède, au Danemark ou encore au Canada.</p>
<h2>Jamais il ne se but autant de vin</h2>
<p>Lorsque revint la paix, beaucoup de familles avaient perdu un fils ou un mari. Bon nombre de ceux qui revinrent avaient été blessés, gazés, mutilés. Le Crédit Agricole accorda des prêts à 1 % pour une durée de 25 ans aux victimes de la guerre mais peu nombreux furent ceux qui saisirent cette opportunité contraire à leur culture.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407095/original/file-20210617-25-l2js0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407095/original/file-20210617-25-l2js0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407095/original/file-20210617-25-l2js0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407095/original/file-20210617-25-l2js0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407095/original/file-20210617-25-l2js0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407095/original/file-20210617-25-l2js0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407095/original/file-20210617-25-l2js0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En 1919, partout en France, on trinque au vin de la revanche » zoomable = « true.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica/BNF</span></span>
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<p>Beaucoup d’ouvriers vignerons préférèrent rechercher du travail à l’usine ou dans l’administration. Le manque de main-d’œuvre se fit sentir. Grâce à la présence des alliés sur le sol français, l’écoulement du vin fut facile et rémunérateur en 1919. Jamais sans doute il ne se but autant de vins fins de Bourgogne à des prix que les consommateurs français jugeaient excessifs.</p>
<p>Il importait de réguler et de moraliser le marché et les premières lois sur les appellations d’origine furent votées en 1919.</p>
<p>Le traité de Versailles stipula que l’Allemagne et ses alliés devaient se conformer à la législation française des vins. En 1924, l’Office International du Vin (OIV) fut créé à Paris. Le malheur revint cependant vite dans les vignes : l’arrivée au pouvoir de Mussolini en 1922 et de Hitler en 1933 déstabilisa davantage l’économie mondiale et mena à un nouveau conflit mondial.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Chapuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est notamment à cette époque, marquée par le manque de main-d’œuvre et les réquisitions pour soutenir le moral des poilus que sont apparues les premières appellations d’origine.Claude Chapuis, Professeur en viticulture et culture à la School of Wine & Spirits Business, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1520322020-12-14T18:59:35Z2020-12-14T18:59:35ZSoldats augmentés, des humains comme les autres ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/374776/original/file-20201214-21-1kvtdei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C43%2C1198%2C754&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'armure d'Iron Man, nouvelle étape pour les militaires français?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/674695">pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>« Nous disons oui à l’armure d’Iron Man et non à l’augmentation et à la mutation génétique de Spiderman », expliquait la ministre des Armées Florence Parly <a href="https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/discours/discours-de-florence-parly-ministre-des-armees-introduisant-la-table-ronde-ethique-et-soldat-augmente-au-digital-forum-innovation-defense">à propos du soldat augmenté</a>, annonçant la semaine passée que la France se préparait à déployer des <a href="https://www.franceculture.fr/sciences/soldat-augmente-le-feu-vert-du-ministere-des-armees">« soldats augmentés »</a>.</p>
<p>Les références à la science-fiction sont communes lorsque l’on traite d’augmentation humaine tant on trouve d’exemples <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/11/05/huit-uvres-de-science-fiction-pour-reflechir-au-transhumanisme_5378846_4408996.html">dans la littérature ou le cinéma</a>.</p>
<p>Pourtant, les pratiques visant à augmenter les capacités de l’homme sont sorties du cadre fictif et font aujourd’hui partie d’une réalité que l’éthique et le droit peinent parfois à appréhender.</p>
<p>Ici, les nouvelles technologies et techniques biomédicales ne sont pas employées pour soigner, mais pour conférer à l’homme des aptitudes qui dépassent ses capacités naturelles. Dans ce contexte, la particularité de l’activité militaire nécessite d’approfondir la réflexion relative à l’augmentation des soldats sans oublier que ces soldats sont avant tout des êtres humains.</p>
<h2>Des interrogations spécifiques à anticiper</h2>
<p>L’augmentation humaine a déjà fait l’objet de nombreux ouvrages, articles ou avis, surtout depuis le rapport américain <a href="https://biotech.law.lsu.edu/research/pbc/reports/beyondtherapy/"><em>Beyond Therapy</em> en 2003</a>. </p>
<p>En France, le premier rapport rendu par le <a href="https://www.defense.gouv.fr/portail/enjeux2/le-comite-d-ethique-de-la-defense">Comité d’éthique de la défense</a> le 18 septembre 2020 porte sur le soldat augmenté et souligne sa singularité. Celle-ci est liée à la principale mission des armées : sauvegarder les intérêts fondamentaux de la Nation. Si la collectivité prime sur l’individualité du soldat, avec toutes les conséquences éthiques que cela peut avoir en termes d’amélioration, les bénéfices pour la société ne doivent pas effacer les risques encourus par les soldats.</p>
<p>Pour faire face au durcissement des conflits et ne pas entraîner de retard de la part de l’armée française, il n’est pas possible de rejeter <em>a priori</em> les nouvelles opportunités technologiques. Il faut anticiper leurs utilisations, en tenant compte de l’intérêt que d’autres nations leur portent comme les États-Unis, la Chine ou encore la Russie.</p>
<p>Comme l’augmentation humaine plébiscitée par le <a href="https://iatranshumanisme.com/">mouvement transhumaniste</a>, celle du soldat pourrait porter sur ses capacités physiques, cognitives, perceptives, psychologiques.</p>
<p>Les risques de cette pratique seraient, eux, exacerbés dans la sphère militaire. Malgré leur diversité, certains doivent être soulignés en ce qu’ils se heurtent à des règles de droit essentielles à la protection de la personne humaine.</p>
<h2>L’interdiction de principe de l’augmentation non consentie</h2>
<p>D’abord, l’augmentation humaine doit être expérimentée avant d’être couramment réalisée. L’article 7 du Pacte international des droits civils et politiques doit donc être rappelé :</p>
<blockquote>
<p>« […] En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique. »</p>
</blockquote>
<p>L’expérimentation de l’augmentation humaine doit donc faire l’objet d’un consentement libre et éclairé. Ce principe, énoncé de manière générale au sein du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000025457458/2012-05-02/">Code de la santé publique</a>, doit également être respecté pour les expérimentations réalisées sur les soldats.</p>
<p>La difficulté porte néanmoins sur le caractère libre d’un tel consentement dans le cadre militaire. Le risque ne serait-il pas que le soldat se trouve dans une situation de coercition implicite, voire explicite le conduisant à accepter l’augmentation ?</p>
<p>Il pourrait en effet accepter l’augmentation pour ne pas se distinguer des autres membres du groupe, ou parfois se la voir imposer. Les obligations des militaires et la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006540241">restriction de certains de leurs droits</a> doivent alors être conciliées avec cette exigence de consentement.</p>
<p>Différentes formes d’influences ont déjà été identifiées par le CCNE dans son avis relatif à la neuro-amélioration sur des <a href="https://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/recours-aux-techniques-biomedicales-en-vue-de-neuro-amelioration-chez-la-personne-non">personnes non malades</a>.</p>
<p>Ce rapport rendu en 2013 traite notamment de la modification des capacités cognitives, par l’usage de substances biochimiques comme la <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/article/le-medicament-pour-enfants-hyperactifs-detourne-pour-carburer-aux-examens_be4a4fd6-2905-11e7-a853-3e1b090249bc/">Ritaline</a> par exemple. L’exigence du consentement vaut également au-delà de l’étape expérimentale.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/374786/original/file-20201214-15-161pkop.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Hugh Jackman" src="https://images.theconversation.com/files/374786/original/file-20201214-15-161pkop.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374786/original/file-20201214-15-161pkop.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374786/original/file-20201214-15-161pkop.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374786/original/file-20201214-15-161pkop.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374786/original/file-20201214-15-161pkop.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374786/original/file-20201214-15-161pkop.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374786/original/file-20201214-15-161pkop.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les super-pouvoirs du héros Wolverine (ici incarné par Hugh Jackman, statue de cire) en ont fait une cible de choix pour les expérimentations et manipulations de l’armée américaine dans la fiction des X-Men.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Wolverine_(7343567212).jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’article 16-3 du code civil prévoit en effet une double condition pour déroger au principe de respect de l’intégrité du corps humain, rappelée parmi les règles de déontologie des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019495573">praticiens des armées</a> : la nécessité médicale et le consentement de l’intéressé.</p>
<p>Or, si la médecine a aujourd’hui intégré quelques pratiques qui relèvent de <a href="https://theconversation.com/la-pma-pour-toutes-tempete-dans-un-verre-deau-ou-evolution-majeure-97213">l’anthropotechnie</a>, l’augmentation des capacités naturelles du soldat n’a certainement pas de finalité médicale.</p>
<p>Si elle cause une atteinte à l’intégrité du soldat, l’augmentation devra donc bénéficier d’une solide justification.</p>
<h2>L’analyse impérieuse des bénéfices et des risques de l’augmentation</h2>
<p>Une telle pratique ne peut être réalisée que si le <em>ratio</em> bénéfice/risque est favorable. Cette exigence est par exemple rappelée au sujet des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006685829/2008-01-29">recherches impliquant la personne humaine</a> dans le Code de la santé publique.</p>
<p>L’augmentation des capacités, par le recours à la technique, ne devrait être admise que si elle ne peut faire l’objet d’une alternative naturelle.</p>
<p>Par exemple, pour l’augmentation des capacités physiques, l’usage de moyens biochimiques ne saurait se substituer totalement à l’entraînement militaire. En outre, la singularité du soldat augmenté se situe également sur le plan de son retour <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037200631/">dans la société civile</a>. Le comité d’éthique de la défense prend un exemple explicite pour souligner ce qui ne doit pas être fait :</p>
<blockquote>
<p>« Un militaire dont le bras amputé aurait été remplacé par une prothèse inamovible qui serait une arme, qui ne pourrait <em>de facto</em> pas revenir à la vie civile ».</p>
</blockquote>
<p>Sans aller jusque-là, certaines modifications des fonctions psychologiques du soldat pourraient avoir des effets indésirables en dehors de l’activité militaire.</p>
<p>Pensons par exemple aux modifications du comportement visant à supprimer la peur ou l’<a href="https://academic.oup.com/scan/article/11/9/1345/2224135">empathie</a>, comme l’envisage le philosophe Jean‑Michel Besnier dans un <a href="http://www.fondapol.org/etude/le-soldat-augmente-regards-croises-sur-laugmentation-des-performances-du-soldat/">rapport des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan</a>. D’autres risques concernent la dépendance que pourrait causer l’augmentation humaine ou l’engendrement d’un déséquilibre entre des capacités augmentées et d’autres qui ne le seraient pas.</p>
<p>Comment un soldat ayant connu l’augmentation s’adaptera-t-il à une vie civile non augmentée ? Présents pour tout individu augmenté, ces risques sont exacerbés s’agissant du soldat augmenté. La règle de principe doit donc être celle de la réversibilité des augmentations.</p>
<h2>La nécessaire protection de la nature humaine du soldat</h2>
<p>En définitive, l’augmentation du soldat présente un risque de déshumanisation, c’est-à-dire, d’altération de sa nature humaine. Si <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037200631/">« l’état militaire exige l’esprit de sacrifice »</a>, ce sacrifice ne peut conduire à nier la dignité du soldat qui est avant tout une personne humaine : il doit être traité comme une fin et non seulement comme un moyen.</p>
<p>Le soldat augmenté ne saurait devenir un <a href="https://www.lesechos.fr/2002/04/moi-kevin-48-ans-cyborg-1055587">cyborg</a> et être assimilé à une arme.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Armée de cyborgs" src="https://images.theconversation.com/files/374779/original/file-20201214-23-di6cyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374779/original/file-20201214-23-di6cyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374779/original/file-20201214-23-di6cyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374779/original/file-20201214-23-di6cyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374779/original/file-20201214-23-di6cyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374779/original/file-20201214-23-di6cyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374779/original/file-20201214-23-di6cyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une future armée de cyborgs pour défendre la nation ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/illustrations/cyborg-robot-arm%C3%A9e-de-terre-machine-5445576/">Kahll/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Certaines augmentations sont aujourd’hui testées, d’autres sont envisagées, d’autres encore sont prohibées. Les augmentations extrinsèques tel <a href="https://www.tf1.fr/tf1/defile-du-14-juillet/videos/speciale-14-juillet-un-soldat-equipe-dun-exosquelette-nous-presente-cette-innovation-00444302.html">l’usage d’un exosquelette</a> qui ne serait qu’un accessoire, sont expérimentées.</p>
<p>Certaines augmentations invasives sont discutées bien qu’elles franchissent la barrière corporelle. Cela concerne par exemple les implants corporels qui permettraient la géolocalisation, les implants de caféine à libération prolongée pour masquer la fatigue, <em>etc</em>. L’augmentation humaine impliquant eugénisme et modifications génétiques demeure prohibée, en cohérence avec l’article 16-4 du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000006419299/2016-03-16/">Code civil</a>.</p>
<p>Pas question donc de modifier le génome humain en recourant à l’hybridation entre espèces pour que le soldat bénéficie de la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-5-page-72.html">vision nocturne</a> propre à certains animaux par exemple. Bien d’autres possibilités ne manqueront pas de voir le jour dans les prochaines années, obligeant les comités d’éthique à maintenir une vigilance accrue pour assurer la protection des soldats.</p>
<hr>
<p><em>L'autrice effectue <a href="http://www.theses.fr/s189793">sa thèse</a> sous la direction d’ Anne-Blandine Caire.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elise Roumeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les pratiques visant à augmenter les capacités de l’homme sont sorties du cadre fictif et font aujourd’hui partie d’une réalité que l’éthique et le droit peinent parfois à appréhender.Elise Roumeau, Doctorante & ATER en droit privé - Centre Michel de l'Hospital, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1250992019-10-29T17:21:30Z2019-10-29T17:21:30ZLutte contre le terrorisme en Afrique : des armées mieux équipées contrôlent et répriment les populations<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/299065/original/file-20191028-113953-1holiid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C196%2C5472%2C3145&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un soldat patrouille lors d'une fête, en Ouganda. Plutôt que de favoriser le professionnalisme des armées, l’assistance internationale tend à augmenter la capacité des forces de sécurité à réprimer les populations civiles.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les États-Unis et les pays européens engagés dans la lutte contre le terrorisme placent beaucoup d’espoirs dans le renforcement des capacités des forces armées des États africains.</p>
<p>Articulée autour de plusieurs instruments comme le financement, le partage d’informations, la formation et l’équipement, la stratégie vise à renforcer la qualité et le niveau d’engagement des forces armées contre le terrorisme. L’assistance traduit un regain d’intérêt pour l’Afrique et s’inscrit dans une dynamique de guerre à distance. Il s’avère moins coûteux et moins risqué pour les puissances de soutenir les pays africains et leurs armées que d’envoyer des soldats combattre les groupes terroristes.</p>
<p>Je m’intéresse à ces questions depuis plusieurs années, travaillant principalement sur les questions politiques, de paix et de sécurité en Afrique. J’ai codirigé l <a href="https://www.pum.umontreal.ca/catalogue/la-lutte-contre-le-terrorisme-en-afrique">e livre collectif <em>La lutte contre le terrorisme en Afrique</em> paru aux Presses de l’Université de Montréal en 2019</a>.</p>
<h2>Améliorer les capacités des forces armées</h2>
<p>Le terrorisme qui se réclame de l’islam semble perdre de la vitesse partout dans le monde, sauf en Afrique, où la menace continue de s’étendre.</p>
<p>L’Afrique australe, une région épargnée jusqu’à récemment, fait face au groupe <a href="https://www.acleddata.com/2018/11/30/clear-threat-murky-objectives-ahlu-sunna-wal-jamaa-and-instability-in-cabo-delgado-mozambique/">Ahlu Sunna Wal Jamaa (ASWJ)</a> qui sévit au Mozambique. L’action militaire s’avère importante lorsque des groupes terroristes montent en puissance. Cependant, beaucoup de pays africains ont de faibles ressources militaires et comptent sur le soutien extérieur pour améliorer leurs capacités opérationnelles.</p>
<p>À travers ses nombreux programmes d’aide en matière de sécurité et ses bases militaires et de drones, Washington apporte un appui en formation et en équipements aux forces armées de plusieurs États africains. Des ressources financières importantes sont aussi investies. En Afrique subsaharienne, l’aide antiterroriste américaine est passée de 327 millions de dollars entre 2011 et 2014 à 1 milliard entre 2015 et 2018. Washington a aussi alloué 363 millions de dollars à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Force_multinationale_mixte">Force multinationale mixte (FMM)</a> qui combat le terrorisme au Nigeria et dans le bassin du lac Tchad, et doublé son aide aux pays du G5 Sahel, de <a href="https://thedefensepost.com/2018/11/05/g5-sahel-us-assistance/">60 millions de dollars en 2017 à 111 millions en 2018</a>.</p>
<p>L’Union européenne (UE) est également active pour ce qui est de l’aide en matière de sécurité. Elle assure à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/G5_Sahel">Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S)</a>, qui lutte contre le terrorisme et le crime organisé au Sahel, son plus grand financement (116 millions de dollars). L’UE dispose aussi de trois missions de formation de forces de sécurité dont une au Niger et deux au Mali. La mission militaire au Mali conseille et forme aussi les troupes de la Force conjointe.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/interventions-etrangeres-lechec-afghan-se-repete-t-il-au-mali-117570">Interventions étrangères: l'échec afghan se répète-t-il au Mali ?</a>
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<p>L’assistance internationale peut améliorer les capacités des forces de sécurité. Par exemple, la FC-G5S dépend, au niveau opérationnel, de l’<a href="https://www.google.com/search?client=safari&rls=en&q=op%C3%A9ration+fran%C3%A7aise+Barkhane&ie=UTF-8&oe=UTF-8">opération française Barkhane</a>. Le soutien extérieur a aussi semblé favoriser l’ascendance de la FMM sur le groupe terroriste nigérian Boko Haram en 2015, même si le lien de causalité s’avère difficile à démontrer. D’autres facteurs <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Muhammadu_Buhari">comme l’arrivée au pouvoir du président nigérian Muhammadu Buhari</a> et l’amélioration de la coopération régionale ont été déterminants.</p>
<h2>Les effets pervers de la stratégie de renforcement des capacités</h2>
<p>Après une décennie de renforcement des capacités contre le terrorisme en Afrique, la menace ne cesse de gagner du terrain. Beaucoup de régimes sollicités dans le contre-terrorisme par les puissances extérieures en profitent pour consolider leur pouvoir par des mesures de répression. Les violations des libertés et des droits de la personne par les forces armées sont récurrentes au Cameroun, au Tchad et au Niger, des pays qui ont le plus bénéficié de l’aide financière des États-Unis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme entre 2014 à 2017.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299066/original/file-20191028-114011-d4chqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299066/original/file-20191028-114011-d4chqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299066/original/file-20191028-114011-d4chqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299066/original/file-20191028-114011-d4chqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299066/original/file-20191028-114011-d4chqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299066/original/file-20191028-114011-d4chqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299066/original/file-20191028-114011-d4chqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un véhicule de l’ONU patrouille près de Koukou Angarana, au Tchad. L’assistance internationale y a favorisé la montée en puissance d’une milice ethnique qui sert de garde prétorienne au pouvoir.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Le Cameroun est marqué par les répressions de manifestations, mais aussi par les arrestations arbitraires d’acteurs de la société civile, de journalistes, d’avocats, de syndicalistes, etc. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs été <a href="https://www.amnesty.org/fr/documents/pol10/6700/2018/fr/">jugés par des tribunaux militaires</a>. Au Tchad, l’assistance internationale a favorisé la montée en puissance d’une milice ethnique qui sert de <a href="https://warontherocks.com/2018/02/the-destabilizing-dangers-of-american-counterterrorism-in-the-sahel/">garde prétorienne au pouvoir avec un bilan désastreux en matière de droits de la personne</a>.</p>
<p>La stratégie de renforcement des capacités privilégie l’approche sécuritaire, qui affecte aujourd’hui plusieurs domaines y compris l’aide au développement. D’importants montants octroyés par Washington dans le cadre du développement <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0967010617742243">servent la sécurité et les intérêts stratégiques des États-Unis, et non le développement des pays visés</a>. La militarisation déjà préoccupante se trouve ainsi renforcée, ce qui empêche les discussions sur les questions sociopolitiques et compromet le développement économique et social des pays.</p>
<h2>Davantage de coups d’État</h2>
<p>Le renforcement des capacités a aussi une influence sur le comportement des armées bénéficiaires. Un lien a été établi entre les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0022343317713557">programmes américains de formation de personnel militaire étranger et les coups d’État</a>. Alors que la formation vise à promouvoir le contrôle civil de l’armée, elle renforce l’habileté des militaires entraînés à formuler des revendications et à mener un coup d’État si leurs demandes ne sont pas satisfaites.</p>
<p>Plutôt que de favoriser le professionnalisme des armées pour plus de respect des droits humains, l’assistance internationale augmente la capacité et la volonté des forces de sécurité à <a href="https://www.rand.org/pubs/research_reports/RR2447.html">s’engager dans la répression et l’escalade de la violence</a>.</p>
<p>Au moins 101 personnes ont été détenues et torturées entre 2013 et 2017 dans plusieurs bases militaires camerounaises gérées par le célèbre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataillon_d%27intervention_rapide">Bataillon d’intervention rapide (BIR)</a> et dans des centres de renseignements <a href="https://www.amnesty.org/fr/documents/pol10/6700/2018/fr/">où des militaires américains étaient régulièrement présents</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299312/original/file-20191029-183147-5dagfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299312/original/file-20191029-183147-5dagfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299312/original/file-20191029-183147-5dagfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299312/original/file-20191029-183147-5dagfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299312/original/file-20191029-183147-5dagfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299312/original/file-20191029-183147-5dagfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299312/original/file-20191029-183147-5dagfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un garde de sécurité patrouille le long du fleuve Niger, au Niger. L’assistance internationale augmente la capacité des forces de sécurité à s’engager dans la répression et l’escalade de la violence.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Certes, les violations des droits humains sont constatées partout où le contre-terrorisme est mené. On sait aussi que des forces de sécurité autre que l’armée peuvent y être impliquées. De plus, même avec des ressources limitées et sans appui extérieur, les forces armées peuvent commettre des exactions contre les civils, comme on le voit en Érythrée. La répression y est quotidienne ce qui lui a valu le nom de « Corée du Nord de l’Afrique de l’Est ». Le pays est sous le coup de sanctions internationales appliquées par les puissances occidentales et la Russie. Pourtant, l’armée se trouve aux avant-postes dans la répression et les arrestations.</p>
<p>Les puissances extérieures ne sont donc pas entièrement responsables et n’ont pas le contrôle de tout ce que font les forces de sécurité partenaires. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elles n’ont aucune marge de manœuvre. Ce qui est déploré, c’est l’absence de mesures contraignantes à l’encontre des forces armées qui bénéficient de l’aide pour ensuite s’en servir contre les droits humains.</p>
<p>Enfin, l’assistance en matière de sécurité a donné lieu à une compétition entre puissances comme la France et la Russie, par exemple, sur fond de dispersion des efforts pendant que les groupes armés coopèrent pour coordonner des attaques, comme c’est le cas au Sahel.</p>
<p>La lutte contre le terrorisme nécessite le respect des droits humains, l’appui à la société civile, l’imputabilité et la lutte contre la corruption, y compris au sein des forces de sécurité.</p>
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<p>[<em>Ne manquez aucun de nos articles écrits par nos experts universitaires</em>. <a href="https://theconversation.com/ca-fr/newsletters?utm_source=TCCA-FR&utm_medium=inline-link&utm_campaign=newsletter-text&utm_content=expert">Abonnez-vous à notre infolettre hebdomadaire</a>. ]</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125099/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Moda Dieng ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plutôt que de favoriser le professionnalisme des armées, l’assistance internationale tend à augmenter la capacité des forces de sécurité à s’engager dans la répression et l’escalade de la violence.Moda Dieng, Professeur agrégé à l'École d'études de conflits de l'Université Saint-Paul, Ottawa, Université Saint-Paul / Saint Paul UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1203132019-07-13T11:08:28Z2019-07-13T11:08:28ZAu-delà du 14 juillet, des interrogations tenaces sur l’usage des armées<p>Comme chaque année, le 14 juillet, le ministère des Armées pourra se prévaloir de <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/sondage-les-chiffres-cles-de-la-defense-juillet-2018">chiffres de sondages</a> qui témoignent de la bonne image dont bénéficient les militaires au sein de la société française. Comme chaque année, en cette journée, les armées vont être saluées par les politiques, qui vont dire tout le bien qu’ils en pensent et toute l’admiration qu’ils ont pour elles. C’est un rite, et si l’on peut bien évidemment s’interroger sur son sens et ses modalités, il a acquis une légitimité que rien ne semble devoir ébranler à court terme.</p>
<p>Pourtant, ce rite et les affichages médiatiques qui l’accompagnent masquent, comme chaque année, des réalités bien plus complexes. Ces réalités éclatent parfois au grand jour, comme en 2017 alors que couvait la <a href="https://theconversation.com/defense-les-journalistes-ecrivent-les-generaux-aussi-112742">démission du général Pierre de Villiers</a>, chef d’état-major des armées, finalement survenue le 19 juillet. Elles sont le plus souvent discrètes, mais faites de l’accumulation de petits et grands faits d’actualité, de débats plus ou moins bien menés et de l’empilement des strates mémorielles dans le temps long.</p>
<p>Cette année écoulée aura été emblématique des incohérences de la place des armées dans la société française, qui ne font pas toujours du bruit mais ne font pas de bien non plus au débat public et politique.</p>
<h2>Hommage au courage combattant</h2>
<p>Dans la nuit du 9 au 10 mai décédaient Alain Bertoncello et Cédric de Pierrepont dans une opération de libération de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/05/10/qui-etaient-les-deux-militaires-tues-lors-de-l-operation-de-liberation-des-otages_5460723_3212.html">deux otages français au Burkina Faso</a>. L’hommage national qui a eu lieu le 14 mai, dans la cour des Invalides, diffusé en direct sur TF1 et France 2, a marqué un tournant à deux égards par rapport aux précédentes cérémonies du même type, en particulier par rapport à celles qui ont ponctué l’engagement des forces françaises en Afghanistan entre 2008 et 2012.</p>
<p>Tout d’abord, le discours du chef de l’État a constitué un hommage au courage combattant. Il n’a pas seulement souligné la part de sacrifice qu’induisait l’engagement sous les drapeaux de ces deux hommes ; il a d’abord rappelé leurs actions et leurs faits d’armes. Par ailleurs, sur les plateaux de télévision, des militaires en exercice et en uniforme étaient présents pour expliquer à leurs concitoyens le sens de cet engagement.</p>
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<p>C’était une première depuis l’électrochoc de l’embuscade d’Uzbin, en Afghanistan, en 2008. Elle a d’abord été rendue possible par des circonstances particulières : très vite, le 10 mai, la conférence de presse tenue par Florence Parly, ministre des Armées, et le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, a permis de livrer un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=f406qXzAZwQ">récit détaillé</a> de l’action des militaires français dans la nuit qui avait précédé. Ce récit était incarné, précis, sans fausse pudeur sur le fait que ces hommes <a href="https://theconversation.com/rendre-aux-armees-leur-vraie-place-80840">s’engagent pour combattre</a>, donc pour porter atteinte à un ennemi au risque de leur vie.</p>
<h2>Des militaires qui n’hésitent plus à se raconter</h2>
<p>Entrent aussi en jeu des évolutions qui s’inscrivent dans le temps long : depuis 2008 en effet, l’action combattante des militaires français a trouvé une place nouvelle dans l’espace médiatique. Les journalistes traitent davantage du sujet tandis que, de son côté, la communication des armées assume peu à peu de raconter et montrer que les militaires ne sont pas d’abord, en opérations extérieures, des agents humanitaires ou des logisticiens hors-pair dont la mort, quand elle survient, constituerait un regrettable et surprenant accident.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/armee-nation-ces-morts-privees-de-sens-104458">Armée-nation, ces morts privées de sens</a>
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<p>Si ce mouvement a été possible, c’est aussi parce que le politique lui a laissé la marge nécessaire pour s’épanouir. Certes, certains emportements épiques observés ces dernières années au sommet de l’État <a href="https://www.lepoint.fr/politique/hollande-le-president-normal-devenu-anormalement-impopulaire-01-12-2016-2087344_20.php">mériteraient analyse</a>.</p>
<p>Reste qu’on peut constater que des évolutions bien réelles se sont produites ; elles permettent aux Français d’aujourd’hui de mieux saisir qu’un militaire a pour fonction de porter les armes pour son pays, quels que soient les légitimes débats sur l’usage qu’en font les chefs de l’État successifs.</p>
<h2>Le paravent commode de la bonne image des armées</h2>
<p>Et pourtant… Pourtant, dans les mois qui ont précédé cette opération au Burkina Faso, bien d’autres faits d’actualité sont venus montrer à quel point des malentendus et des ambiguïtés demeurent. À quel point, si la mission combattante est reconnue, elle n’apparaît toujours pas clairement comme ce qui ordonne l’ensemble de la vie militaire.</p>
<p>En fait, elle ne demeure, pour beaucoup de responsables politiques, qu’une tâche parmi d’autres, plus spectaculaire et risquée mais dont la place n’est pas vraiment clarifiée dans le catalogue large de fonctions que les armées seraient capables de remplir, quand bien même elles n’auraient qu’un lointain rapport avec le sens de l’engagement sous l’uniforme.</p>
<p>Pour ces responsables politiques, la bonne image des armées, si elle peut être une satisfaction, est aussi un paravent commode. Il évite que des questions soient posées ; il permet à beaucoup de se contenter de ces bons résultats de sondages sans chercher à mieux comprendre ce que vivent les militaires ; il offre parfois, enfin, des occasions très tentantes d’utiliser le kaki à des fins de communication et d’affichage.</p>
<p>Il y a quelque chose d’incongru, en effet, à saluer le courage combattant des deux commandos de la Marine nationale en 2019, tout en ayant affirmé sans sourciller, à l’occasion du centenaire du 11 novembre 1918, que les poilus de la Grande Guerre étaient « des civils que l’on avait armés ». Il y a quelque chose de gênant à voir que, dans le même temps, le vocabulaire politique se militarise à tout bout de champ, au point que pour apparaître efficace dans l’action environnementale, on annonce la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/quatre-choses-a-savoir-sur-le-conseil-de-defense-ecologique-cette-nouvelle-instance-reunie-aujourd-hui-autour-d-emmanuel-macron_3456141.html">création d’un Conseil de défense écologique</a> sur le modèle de ce qui a été mis en place, en matière militaire et de sécurité intérieure, après les attaques terroristes de 2015.</p>
<p>Il y a quelque chose de préoccupant à constater que l’opération Sentinelle qui perdure offre un terrain de jeu fort opportun pour une communication politique aléatoire lorsqu’une crise survient : les annonces de Benjamin Grivaux, le 20 mars 2019, concernant l’utilisation de Sentinelle dans le contexte du maintien de l’ordre face aux « gilets jaunes » en a été un signe éclatant.</p>
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<p>Il y a quelque chose d’incohérent à voir coexister dans l’espace public l’hommage rendu aux deux militaires morts au Burkina Faso et le débat sur le Service national universel (SNU), <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/06/18/le-snu-est-l-heritier-d-une-pensee-magique-nee-dans-les-annees-1960_5477713_3232.html">fruit d’une mémoire brouillée</a> du service d’antan précisément fabriquée par l’effacement de la finalité combattante de l’engagement militaire dans les représentations de la vie miliaire contemporaine à partir des années 1960.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/operation-sentinelle-cette-histoire-piegee-que-lon-raconte-aux-francais-61471">Opération Sentinelle, cette histoire piégée que l’on raconte aux Français</a>
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<p>Ce gouvernement n’est pas plus en cause que ses prédécesseurs. Les responsables politiques d’aujourd’hui sont les héritiers directs, dans ce domaine, de ceux qui ont parlé et agi depuis la professionnalisation initiée en 1996 (pour ne s’en tenir qu’à cette borne chronologique). L’articulation parfaite du débat public aux finalités qui font vivre une institution et justifie son existence est un doux rêve : les réalités et leur lot de contraintes commandent.</p>
<p>Reste qu’en la matière, le grand écart n’est pas sans conséquences préoccupantes sur la compréhension que peuvent avoir les Français des enjeux de défense et <a href="https://theconversation.com/armees-quand-la-communication-politique-abime-le-moral-des-troupes-et-celui-des-francais-114316">sur le moral de ceux qui endossent l’uniforme</a>.</p>
<p>Or, les 10 années écoulées ont fait bouger des lignes en un sens qui rend plus visibles encore les incohérences majeures qui caractérisent le débat public sur la place des armées au sein de la nation et qu’un budget, seul, ne peut suffire à résoudre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120313/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bénédicte Chéron a reçu des financements de l'IRSEM pour son post-doctorat et d'autres travaux de recherche. Elle a aussi contribué ponctuellement à des travaux menés dans le cadre de think tank sur des questions de défense. </span></em></p>Si la mission combattante est reconnue, elle n’apparaît toujours pas clairement aux yeux de nombreux politiques comme ce qui ordonne l’ensemble de la vie militaire.Bénédicte Chéron, Historienne, chercheur-partenaire au SIRICE (Sorbonne Université), chercher associé à l'IESD (Lyon 3), Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1066212018-11-13T23:09:39Z2018-11-13T23:09:39ZLa Grande Guerre vue des deux côtés du front<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/244881/original/file-20181110-116832-1aiq19r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C25%2C3398%2C2477&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Berry-au-Bac (février 1915) la tranchée de l'Autobus, près de la ferme du Choléra. Autobus parisien servant au ravitaillement et échoué en septembre 1914 sur la route de Reims, qui passe entre les deux tranchées française et allemande</span> <span class="attribution"><span class="source">Service historique de la Défense, CHA, Vincennes, DE 2015 PA2. 1er album</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Octobre 2014 : sept historiens en devenir – quatre français, trois allemands – lisent au sommet d’un mont dominant la plaine de l’Aisne un chapitre des <em>Croix de Bois</em> de Roland Dorgelès, un des livres majeurs de la littérature ancien combattant.</p>
<p>Octobre 2017 : à la <em>Heinrich Heine Haus</em>, la maison allemande de la Cité universitaire à Paris, l’équipe franco-allemande présente un ouvrage – <em>Cote à côte : Berry-au-Bac dans la Première Guerre mondiale. Perspectives franco-allemandes sur les fronts de l’Aisne</em> – publié simultanément en français et en allemand.</p>
<p>De la rencontre à l’ouvrage, cette démarche propose, dans le sillon ouvert par le centenaire de la Première Guerre mondiale, une histoire binationale d’un haut lieu oublié de la Grande Guerre.</p>
<h2>La cote 108, un haut lieu de la guerre</h2>
<p>Jusqu’en août 1914, Berry-au-Bac est une petite commune au carrefour de voies de communication, avec les canaux de l’Aisne à la Marne, les voies ferrées vers Reims, la route nationale 44. Les quelque 820 habitants profitent de la situation pour écouler leurs productions agricoles et soutenir l’activité industrielle.</p>
<p>À partir de septembre 1914, Berry-au-Bac devient ligne du front de l’Aisne qui oppose Français et Allemands. Il le restera jusqu’en 1918. Le secteur constitue le verrou oriental du Chemin des Dames en raison de la présence de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cote_108">cote 108</a>, une colline haute de 108 mètres de haut selon les cartes d’état-major, qui offre un formidable point de vue pour contrôler les mouvements des troupes alentour. Ce qui se joue autour de la cote 108, ce que vont vivre des milliers de combattants allemands et français, des villages entiers avec leurs populations, c’est une guerre nouvelle, une guerre européenne.</p>
<p>Et Berry-au-Bac et la cote 108 de prendre une épaisseur historique particulière. L’échec de la guerre de mouvement fin 1914 ne permettant pas aux Allemands de percer dans l’Aisne transforma la région en un gigantesque système de tranchées autour de la cote tenue par les Allemands et Berry-au-Bac défendu par les Français, mais aussi plus de la moitié de l’Aisne en territoire occupé. Naquit alors une expérience entre Français et Allemands, qui utilisèrent d’autres armes que la mitraille pour démobiliser ou se mobiliser dans un conflit qui se totalisait. Les armées s’enterrèrent, mais pour reprendre l’offensive, elles allaient creuser : la cote 108 devint le lieu d’une guerre dans la guerre, la guerre des mines qui marqua l’année 1915-1916.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/244878/original/file-20181110-37973-10nc3lq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/244878/original/file-20181110-37973-10nc3lq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/244878/original/file-20181110-37973-10nc3lq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/244878/original/file-20181110-37973-10nc3lq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/244878/original/file-20181110-37973-10nc3lq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/244878/original/file-20181110-37973-10nc3lq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/244878/original/file-20181110-37973-10nc3lq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Le 16 avril 1917, ce fut dans la plaine adjacente qu’eut lieu la première bataille des chars français en lien avec l’offensive Nivelle, tandis que l’aviation continuait de se développer, élargissant encore un peu plus l’échelle tactique des états-majors. Berry-au-Bac et la cote 108 offrent ainsi un formidable concentré de Grande Guerre en termes d’expérience de combat comme d’occupation.</p>
<p>En novembre 1918, l’armistice est signé, mais l’histoire n’en est pas terminée pour autant : Berry-au-Bac est devenu village martyr, détruit à 90 %. Les ruines de la commune sont classées en zone rouge en 1920, puis monument historique en 1937. Et la reconstruction, longue et douloureuse, ne redonnera jamais au village son dynamisme d’antan : en 1930, il ne compte que 395 habitants. Dans les paysages, la guerre a laissé ses traces tombées dans l’oubli de l’histoire nationale de la Grande Guerre alors que la cote 108 appartient à la mythologie locale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/244875/original/file-20181110-39548-4hhtz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/244875/original/file-20181110-39548-4hhtz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=655&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/244875/original/file-20181110-39548-4hhtz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=655&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/244875/original/file-20181110-39548-4hhtz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=655&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/244875/original/file-20181110-39548-4hhtz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=823&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/244875/original/file-20181110-39548-4hhtz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=823&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/244875/original/file-20181110-39548-4hhtz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=823&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Berry-au-Bac et la cote 108 dans la Première Guerre mondiale.</span>
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<h2>Un projet collectif, franco-allemand et intergénérationnel</h2>
<p>Elle le serait sans doute restée si une association n’avait pas fait de la mise en valeur du site sa raison d’être : avec <a href="http://1418.aisne.com/Les-projets/projets-2014/article/correspondance-cote-108"><em>Correspondance.Côte108</em></a>, Caroline Guerner et Jean‑Marie Dogué « ont eu l’envie de s’associer à ce mouvement commémoratif et mémoriel […] » afin aussi « de redécouvrir l’histoire locale qui a marqué le village et les esprits de son empreinte jusqu’à nos jours […] » (<em>Cote à côte</em>, p. 332).</p>
<p>L’initiative de l’association créée en octobre 2013, soutenue par la mairie, labellisée par la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale, participe de la vitalité du « Centenaire d’en bas » dont parle l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau : « la Grande Guerre reste un événement vivant pour le plus grand nombre. Elle n’est pas encore un événement mort, pour seuls spécialistes […] » (<em>Presse Océan</em>, 5 novembre 2018).</p>
<p>Le projet entre dans sa phase scientifique quand, à l’automne 2018, l’association se tourne vers le monde universitaire et me demande d’écrire l’histoire de ce lieu. Comment écrire une telle histoire cent ans après ?</p>
<p>En revenant aux sources, à ces lettres de combattants à la fois si proches et si lointaines. « Notre situation est des plus bizarres – écrit le 13 décembre 1914, Louis Grégoire, un soldat du 28<sup>e</sup> Régiment d’infanterie engagé dans le secteur – nous sommes dans une carrière de marne perdus dans des tranchées et des boyaux tous blancs quand on a quelque peu circulé dans ces tranchées, on ressemble à des plafonneurs ; ce qui ajoute à la situation une note très intéressante, c’est qu’à certains endroits, 50 mètres à peine nous séparent des boches […] » (orthographe d’origine).</p>
<p>Revenir à l’expérience combattante, c’est essayer de comprendre ce qu’avaient de commun ces Français et ces Allemands, qui, une fois devenus « plafonneurs » auraient été méconnaissables, pour peu qu’ils se fussent trompés de tranchées. Cela supposait une étude transnationale de la Première Guerre mondiale, qui ne considère plus le cadre national comme nécessairement pertinent pour comprendre la rupture qu’avait été 14-18. Et cela supposait, in fine, de réunir une équipe d’historiens français et allemands prêts à travailler ensemble.</p>
<h2>De nouvelles perspectives sur la Grande Guerre</h2>
<p>Grâce au soutien de l’<em>Albert-Ludwigs-Universität Freiburg</em> et de l’université de Paris Nanterre, une équipe de chercheurs s’est constituée en 2014. Relativement jeunes, entre 21 et 34 ans – l’âge d’être appelés en 1914 – ils n’ont jamais connu la guerre, et leurs parents non plus, pour la plupart. Une génération donc pour laquelle la paix représente la norme et la guerre est un horizon lointain, de moins en moins compréhensible.</p>
<p>Or, pour passer du face-à-face des combattants français et allemands au côte à côte des chercheurs allemands et français, il a fallu quasiment un siècle d’historiographie, le temps que l’on emprunte d’autres perspectives sur la Grande Guerre que celles proposées par l’histoire surplombante des chefs militaires et des diplomates. Le temps aussi que l’on convoque d’autres sources qui reflètent le vécu des populations en guerre, les combattants, mais également ce qu’on appelait l’arrière et qu’on désigne aujourd’hui comme le front domestique, tant la mobilisation culturelle ne se cantonna pas aux champs de bataille.</p>
<p>Au cours des sept séminaires, à Berry-au-Bac, mais aussi à Paris, en Allemagne et au Canada, au gré de milliers de mails et conversations, au prix aussi de doutes, peu à peu le projet a pris corps autour d’un double principe : principe méthodologique fondé sur le croisement systématique des sources des deux côtés du front, ce qui aboutit à la rédaction de textes par des tandems binationaux ; principe de présentation qui place l’archive au cœur de la démonstration, donnant à voir la méthode critique de l’historien.</p>
<p>L’un des objectifs du projet était en effet d’apprendre le métier d’historien, de l’élaboration d’un objet de recherche à la production d’un récit, d’abord sous <a href="https://cote108.hypotheses.org/tag/cote-108">forme de blogs</a>, puis de 19 panneaux d’exposition bilingues, enfin d’un ouvrage. Comme le souligne l’historienne allemande Wencke Meteling :</p>
<blockquote>
<p>« Les réflexions initiales et finales quant au déroulement du projet et leur “temps d’apprentissage” comme historien offrent un aperçu rare autant que fascinant sur ce que signifie être historien, sur combien il est difficile de faire de l’histoire méthodiquement encadrée, de la transmettre à des publics extrêmement divers et, de plus, de contribuer à la construction de la mémoire cent ans après l’éclatement de la Première Guerre mondiale. » (p. 339)</p>
</blockquote>
<h2>La guerre racontée des deux côtés du front</h2>
<p>Cette histoire des deux côtés du front [se déploie autour quatre parties(https://www.peterlang.com/view/title/64160]. Elle s’ouvre sur la situation géographique de Berry-au-Bac et de la cote 108 à l’échelle du front de l’Aisne et sur les hommes qui y combattirent. À partir, notamment, des registres d’état civil des unités qui répertorient les poilus tombés pour retracer le parcours de différentes unités qui combattirent à Berry-au-Bac et sur la cote 108.</p>
<p>Les différentes formes de guerre qui se sont déroulées autour de la cote 108 sont ensuite retracées en s’appuyant sur les expériences combattantes des deux armées. Un objet particulier cristallise les différences : les carcasses des chars d’assaut français à l’issue de l’offensive du 16 avril 1917.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/244876/original/file-20181110-116838-1yp20v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/244876/original/file-20181110-116838-1yp20v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/244876/original/file-20181110-116838-1yp20v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/244876/original/file-20181110-116838-1yp20v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/244876/original/file-20181110-116838-1yp20v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/244876/original/file-20181110-116838-1yp20v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/244876/original/file-20181110-116838-1yp20v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Photographie extraite de l’album privé du sous-lieutenant Fritz Scholl, officier d’artillerie du 65ᵉ régiment wurtembergeois d’artillerie de campagne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">collection F. Scholl, Europeana</span></span>
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<p>La guerre dure. Se développent alors des façons de « vivre la guerre, dire la guerre, raconter la guerre », à travers les lettres, la littérature mais aussi le renseignement et la manière de nommer l’ennemi. Parmi les soldats anonymes, on retrouve un certain Roland Lecavelé que l’expérience combattante dans le secteur de Berry-au-Bac poussera à prendre la plume sous le nom de Dorgelès.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/245269/original/file-20181113-194491-1mohwq4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/245269/original/file-20181113-194491-1mohwq4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/245269/original/file-20181113-194491-1mohwq4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/245269/original/file-20181113-194491-1mohwq4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/245269/original/file-20181113-194491-1mohwq4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/245269/original/file-20181113-194491-1mohwq4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/245269/original/file-20181113-194491-1mohwq4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’ouvrage collectif coordonné par Fabien Théofilakis a été publié aux éditions Peter Lang.</span>
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<p>Vient ensuite le temps des expériences d’occupation et de coexistence. À travers notamment <em>La Gazette des Ardennes</em>, journal de propagande allemande en langue française à destination des populations occupées. Elle invite à découvrir l’expérience des civils. Et de faire comprendre en quoi les enjeux de mobilisation et de démobilisation culturelles finissent d’inclure ces oubliés dans la Grande Guerre et l’Aisne dans une guerre qui se totalise.</p>
<p>Enfin, l’ouvrage se conclut par le retour d’expérience de deux participants, français et allemand, et les entretiens avec cinq archivistes qui détaillent en quoi le centenaire a changé, en France, en Allemagne et au Canada, le rapport que les sociétés entretiennent avec la Grande Guerre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106621/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Voir la Première Guerre mondiale autrement : la cote 108, verrou oriental du Chemin des Dames, est devenue, cent ans plus tard, le terrain d’une enquête de jeunes historiens français et allemands.Fabien Théofilakis, Maître de conférences, histoire contemporaine, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneAmaury Bernard, Doctorant en histoire contemporaine, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1065752018-11-09T10:42:25Z2018-11-09T10:42:25Z« Ceux de 14 » et ceux d’aujourd’hui<p>Le 5 novembre, le président de la République s’est rendu à Morhange pour inaugurer son « itinérance mémorielle » après un concert qui avait eu lieu la veille en la cathédrale de Strasbourg. Du 14 au 23 août 1914, dans cette petite ville de Moselle, 7 000 à 10 000 soldats français ont perdu la vie dans leur combat face aux Allemands. En août 2008, 94 ans plus tard, dans la nuit du 18 au 19, à Uzbin, en Afghanistan, ils sont dix à avoir péris en une nuit de combat dans une embuscade.</p>
<p>Il ne s’agit pas ici de mener une vaine comparaison du nombre de morts alors que le seul point commun entre ces deux guerres réside dans le fait que des soldats français y ont été engagés. Cependant, alors que dix ans se sont écoulés depuis l’embuscade d’Uzbin et que ce 11 novembre est celui du Centenaire, le choc médiatique que constitua en 2008 la mort de ces dix militaires prend une résonance particulière.</p>
<p>La réaction de la société française et de ses plus hauts responsables politiques à ce fait combattant survenu sur un théâtre lointain a, en effet, porté tous les stigmates du long siècle inauguré par la victoire de la France et de ses alliés autant que par l’horreur durable qu’inspire cette guerre.</p>
<p>Dans les semaines qui ont suivi l’embuscade d’Uzbin, le destin des soldats français tués n’a pas été raconté comme celui de combattants mais bien comme celui de victimes ayant tout subi alors qu’ils étaient pourtant engagés volontaires. Ceux qui se sont essayés à évoquer l’action menée pendant cette embuscade, le bilan de leur riposte et de celle de leurs camarades ont été tenus au mieux pour des iconoclastes, au pire des provocateurs cyniques.</p>
<p>Certes, la communication des armées et du ministère de la Défense a été chaotique ; certes l’état du matériel et les circonstances tactiques qui ont présidé au dénouement de ce fait d’armes expliquent en partie les polémiques qui ont suivi. Mais, bien plus profondément, ce moment est apparu comme l’aboutissement d’un siècle de brouillage successif et de malentendus sur le <a href="https://theconversation.com/armee-nation-ces-morts-privees-de-sens-104458">sens de l’action militaire</a>.</p>
<h2>L’image compassionnelle du soldat victime</h2>
<p>C’est en effet au lendemain de 1918 que la figure du soldat comme victime s’ancre dans le paysage des représentations de la guerre. L’historien Nicolas Beaupré a montré comment le poilu a peu à peu glissé de la figure du héros ou du martyr à celle de la victime. C’est la nature même de la Grande Guerre qui est en cause :</p>
<blockquote>
<p>« Si l’on en croit Jay M. Winter, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Great_War_and_Modern_Memory">à la suite de Paul Fussel</a>, c’est elle qui, en Europe occidentale, en raison de ses formes mêmes, aurait été à l’origine d’une mutation profonde sapant les grandes idées de gloire militaire, d’héroïsme combattant, d’honneur, de courage guerrier, de sacrifice. »</p>
</blockquote>
<p>(<em>Guerre et paix. Une destinée européenne ?</em>, Bruxelles, Peter Lang, 2016, p.99-112.)</p>
<p>Dès l’immédiat après-guerre, coexistent différentes représentations du poilu qui oscillent entre l’héroïsme et la victimisation, qui se complètent et se superposent. Cependant, l’expérience française des guerres du XX<sup>e</sup> siècle – jalonnée par la défaite de 1940, l’Occupation, puis la guerre d’Algérie – mène bien à l’état de fait actuel : le soldat français qui meurt au combat, au fil du siècle et jusqu’à aujourd’hui encore, est d’abord vu comme une victime. Son action, qui a précédé le sacrifice suprême auquel il a consenti, est effacée au profit d’un traitement presque uniquement compassionnel.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iYH-AxMjS3U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Cette trame victimaire a peu à peu envahi tout le champ de la création culturelle, et en particulier de la fiction cinématographique et télévisuelle, une puissante contributrice à l’édification des représentations collectives. Même lorsque l’officier ou le sous-officier de la guerre d’Algérie est raconté comme un bourreau, il finit par être lui-même considéré comme une victime, blessée dans son esprit par les conflits précédents qui l’auraient fait devenir comme tel. Ainsi, dans <em>L’Ennemi intime</em> de Florent Emilio Siri (2007), ceux qui ont recours à la torture sont en fait des traumatisés, notamment de l’expérience indochinoise.</p>
<h2>La complexité des destins combattants</h2>
<p>Un archétype – celui du héros combattant de l’Empire et de la République – a ainsi été remplacé par un autre – celui d’un soldat inéluctablement victime du pouvoir politique et des chefs militaires. Ces figures racontent une part de vérité et ont une logique propre. Elles sont aussi les signes de ces balancements de l’histoire qui nous ont collectivement fait passer d’un état de fait où la guerre était admise comme un fait commun et ordinaire à une situation où elle apparaît peu à peu comme une anomalie brutale et révoltante des relations entre les peuples et les nations.</p>
<p>Cette uniformité de représentations, si elle contribue à entretenir l’idée que la guerre est toujours un mal à éviter, ne suffit cependant pas à empêcher qu’elle survienne ni que des soldats français, après 1962, aient continué de porter les armes au nom de leurs concitoyens et de risquer de revenir atteints dans leur chair et dans leur esprit. En ce sens, ces archétypes contribuent également à l’empêchement collectif à comprendre et raconter la complexité des destins combattants au fil des décennies, au même titre que l’exaltation des vertus guerrières impériales ou républicaines masquaient les souffrances vécues en leur nom.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/244616/original/file-20181108-74754-1q4azg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/244616/original/file-20181108-74754-1q4azg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/244616/original/file-20181108-74754-1q4azg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/244616/original/file-20181108-74754-1q4azg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/244616/original/file-20181108-74754-1q4azg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/244616/original/file-20181108-74754-1q4azg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/244616/original/file-20181108-74754-1q4azg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Entrée de la IVᵉ armée française à Strasbourg le 22 novembre 1918.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/4b/Entr%C3%A9e_de_la_IV%C3%A8me_arm%C3%A9e_fran%C3%A7aise_%C3%A0_Strasbourg_le_22-11-1918_04.jpg/640px-Entr%C3%A9e_de_la_IV%C3%A8me_arm%C3%A9e_fran%C3%A7aise_%C3%A0_Strasbourg_le_22-11-1918_04.jpg">Wikimédia</a></span>
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<p>Ce n’est donc pas une concurrence dialectique entre archétypes héroïques et stéréotypes victimaires qu’il faut espérer mais bien la coexistence de figures les plus diverses possible, échappant aux instrumentalisations politiques et idéologiques, qui permettent de rendre compte de la complexité des destins combattants français des conflits armés du XX<sup>e</sup> siècle et du XXI<sup>e</sup> siècle. Qui permettent, en ce mois de novembre 2018, de comprendre que les combattants français de la Grande Guerre peuvent tout à la fois avoir pris en horreur ce qu’ils ont vécu et remporté une victoire comme l’a opportunément raconté Michel Goya dans <a href="http://centenaire.org/fr/publications-recentes/michel-goya-en-1918-larmee-francaise-est-la-plus-puissante-du-monde"><em>Les Vainqueurs</em></a>. De saisir la part d’intelligence stratégique et tactique, à tous les échelons militaires malgré les lourdes et dramatiques erreurs de certains grands chefs, qui a rendu possible le dénouement du conflit, tout en célébrant la paix comme le souhaitaient les anciens combattants.</p>
<h2>Parole politique et parole militaire</h2>
<p>Si des frémissements culturels semblent perceptibles, sur lesquels le recul manque encore, c’est bien aussi toute parole publique qui est porteuse de représentations collectives. La parole politique en particulier, parce qu’elle pose des choix mémoriels et articule les actions du passé avec celles du présent, est déterminante dans la compréhension que les Français dans leur ensemble peuvent avoir du sens de l’engagement militaire.</p>
<p>La parole militaire enfin, évidemment portée dans les limites qu’imposent les prérogatives de chacun, occupe une place particulière parce qu’elle est la seule à pouvoir donner à voir ce que vivent ceux qui ont encore cette expérience du feu. Cette expérience ne donne aucun privilège, mais elle doit être connue de ceux au nom de qui elle est consentie.</p>
<p>La diversité de l’expression publique de ceux qui ont encore l’expérience du feu est une garantie qu’elle échappe aux stéréotypes du genre ; il est donc heureux qu’elle porte <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/communaute-defense/vision-strategique-du-chef-d-etat-major-des-armees">sur les questions stratégiques</a> autant qu’elle raconte <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Jonquille">des destins à hauteur d’hommes</a>. Le militaire d’aujourd’hui, en effet, n’exalte pas le recours aux armes pour lui-même parce qu’il sait ce qu’il produit sur les corps et sur les esprits et parce que, Français parmi les Français, il est aussi l’héritier des souvenirs douloureux des conflits armés du XX<sup>e</sup> siècle et rarement porteur d’une mémoire belliciste.</p>
<p>C’est au prix seulement de la prise en compte de ces paroles multiples et de cet effort de diversification des représentations que chaque Français pourra saisir quels sont les ressorts des choix portés par ses dirigeants politiques lorsque ces décisions engagent, en leur nom, des militaires qui portent un dommage à ennemi au risque de leur propre vie.</p>
<p>À ce prix seulement, les discours sur la guerre et la paix, d’où qu’ils viennent et quelles que soient leurs inspirations idéologiques, pourront être compris à leur juste mesure. À l’heure où hommage est rendu à Maurice Genevoix et à « ceux de 14 », ce respect dû aux combattants dépasse la seule dimension mémorielle et apparaît comme une nécessité du temps présent.</p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/106575/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bénédicte Chéron a reçu des financements de l'IRSEM. </span></em></p>Inaugurée par la Grande Guerre, l’expérience française des guerres du XXᵉ siècle a ancré profondément et durablement dans l’opinion l’image d’un soldat victime.Bénédicte Chéron, Historienne, chercheur-partenaire au SIRICE, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1066292018-11-08T21:09:22Z2018-11-08T21:09:22ZUne lueur dans les ténèbres : l’honneur au cœur de la Grande guerre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/244563/original/file-20181108-74775-1xnzo65.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C13%2C1500%2C1005&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une exposition d'acrobaties par des internés allemands au camp de prisonniers de guerre de Newbury Racecourse dans le Berkshire en octobre 1914.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/German_Prisoners_of_War_in_Britain_during_the_First_World_War_Q53357.jpg">Imperial War Museum/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Les premiers vers d’<a href="https://www.poetryfoundation.org/poems/57258/insensibility">« Insensibilité »</a>, le poème de Wilfred Owen (1893-1918), témoignent du terrible choc de la Première Guerre mondiale sur ceux qui ont participé au conflit :</p>
<blockquote>
<p>Heureux, les hommes qui, avant même d’être tués,<br>
Peuvent laisser leur sang refroidir dans leurs veines.<br>
Ceux que la compassion ne vient pas tourmenter<br>
Ni meurtrir leurs pieds<br>
Dans les chemins pavés des corps de leurs frères.</p>
</blockquote>
<p>Le sacrifice de plus de 16 millions de vies sur l’autel d’une guerre impitoyable et le traumatisme de millions d’autres personnes, si bien décrits par Wilfred Owen, l’écrivain <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2001-4-page-160.htm">Jean Norton Cru</a> et d’autres témoins, sont aujourd’hui devenus le point d’ancrage de la mémoire de 14-18. On comprend aisément pourquoi l’horreur des tranchées, l’apparition d’armes toujours plus meurtrières, et les atrocités comme le génocide arménien ont laissé une marque indélébile dans la mémoire collective.</p>
<p>Pourtant, l’adaptabilité des sociétés à ce que l’historien dublinois John Horne <a href="https://zeithistorische-forschungen.de/3-2004/id%3D4534">appelle</a> les « tendances totalitaires » de la Grande Guerre ne peut être réduite aux effets corrosifs de ce seul traumatisme. Loin de rendre les combattants « insensibles », comme le croyait Wilfred Owen, la durée du conflit doit en fait beaucoup à l’investissement affectif des citoyens dans les idéaux les plus nobles. Si le choix des nations belligérantes d’ériger leur combat au rang de <a href="https://books.google.co.uk/books/about/The_Great_War_and_Medieval_Memory.html?id=pgY_V8I9WyIC&redir_esc=y">« dernière croisade »</a> peut être vu comme un simple outil de propagande pour humilier l’ennemi, la rhétorique chevaleresque employée contrastait parfois de façon surprenante avec l’inhumanité du conflit.</p>
<h2>La captivité et l’honneur</h2>
<p>Prenons l’exemple des 8 millions de soldats qui ont connu l’épreuve de la captivité pendant la guerre. Faire prisonniers un si grand nombre de combattants ennemis représentait un véritable défi pour les armées. <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0968344507083992?journalCode=wiha">Le protocole à respecter en cas de capitulation</a> était mal défini, et les infrastructures pour accueillir ces hommes étaient insuffisantes. Les prisonniers ont donc <a href="https://www.cambridge.org/core/books/violence-against-prisoners-of-war-in-the-first-world-war/4DECCAF83694C8DE3B47CA6920BD97DC">été maltraités de manière quasi systématique</a> mais le souhait, exprimé avant-guerre par un juriste allemand, Paul Wünnenberg, de libérer les prisonniers s’ils donnaient leur parole de ne plus prendre part au combat, a été exaucé, même s’il le fut, de manière sélective.</p>
<p>En France, par exemple, le ministère de la Guerre a fait communiquer en septembre 1914 des <a href="https://catalog.hathitrust.org/Record/006028796">instructions spécifiques</a> autorisant les officiers capturés à garder leur épée et à louer des logements privés confortables dans des villages pittoresques, où ils pouvaient se déplacer librement à condition de s’engager par écrit à ne jamais tenter de s’échapper.</p>
<p>Pour éviter de devoir employer et payer des gardes, les autorités britanniques et allemandes ont elles aussi choisi, au début de la guerre, de relâcher les civils capturés et les équipages des navires marchands dès lors que ceux-ci promettaient de ne plus combattre le pays qui les avait faits prisonniers. <a href="http://www.spiegel.de/einestages/britischer-kriegsgefangener-robert-campbell-hafturlaub-vom-kaiser-hoechstpersoenlich-a-951254.html">Dans au moins un cas</a>, un officier britannique a obtenu d’être libéré temporairement pour se rendre au chevet de sa mère mourante, après s’être engagé sur l’honneur à revenir, ce qu’il a fait sans délai.</p>
<p>Bien sûr, même si le <a href="https://ihl-databases.icrc.org/ihl/INTRO/150?OpenDocument">droit humanitaire international et les conventions de La Haye</a> (1899-1907) reconnaissaient la validité des accords de libération sur parole, les belligérants ont massivement abandonné cette pratique durant la première année du conflit. En soi, cette évolution n’est sans doute pas surprenante, étant donné que ces accords imposaient aux prisonniers l’obligation morale de s’abstenir de s’évader, privant ainsi les gouvernements de leur service. En outre, la possibilité de passer un accord avec l’ennemi conférait une dimension démocratique à la guerre, en donnant à un soldat le pouvoir de décider individuellement de se retirer du conflit.</p>
<h2>Les accords de libération sur parole</h2>
<p>Néanmoins, ces accords sur parole sont réapparus sous d’autres formes durant la seconde moitié de la Grande Guerre. La « psychose des barbelés », <a href="https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2005-2-page-235.htm">endémique parmi les prisonniers de longue durée</a>, a poussé la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne à signer une série de traités bilatéraux permettant l’internement des détenus malades en Suisse, pays neutre, et aux Pays-Bas. Ces accords permettaient aux internés de visiter des villages locaux, en échange de leur parole de ne pas s’enfuir. La permission de faire de courtes promenades à l’extérieur des camps de prisonniers a aussi été accordée aux officiers, restés en Allemagne, qui acceptaient de signer ce que l’on appelait des « cartes de parole ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243920/original/file-20181105-12015-2nyeh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243920/original/file-20181105-12015-2nyeh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243920/original/file-20181105-12015-2nyeh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243920/original/file-20181105-12015-2nyeh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243920/original/file-20181105-12015-2nyeh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243920/original/file-20181105-12015-2nyeh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243920/original/file-20181105-12015-2nyeh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cartes de parole, 1918.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Publié avec l’aimable autorisation du Conseil d’administration du Musée national de l’Armée de Londres.</span></span>
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</figure>
<p>La place accordée à la parole donnée dans le cadre plus vaste des tentatives d’amélioration du sort des prisonniers nous rappelle que le cataclysme de la Première Guerre mondiale n’a pas été qu’une course vers l’abîme. Bien qu’insuffisamment coordonnés pour endiguer la violence systémique engendrée par la <a href="https://www.nytimes.com/2007/11/04/books/review/Sebag-Montefiore-t.html">« dynamique de destruction »</a> du conflit, ces élans philanthropiques ont été riches en enseignements théoriques et pratiques pour le développement ultérieur de l’humanitaire (comme le montre par exemple la nouvelle <a href="https://ihl-databases.icrc.org/ihl/INTRO/305">Convention de Genève de 1929</a>).</p>
<p>Le « sentiment d’honneur » a fait partie intégrante de ce processus d’apprentissage car il constituait la première garantie de bonne conduite de la part des soldats, comme l’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01856134/document">avait fait remarquer</a> l’avocat belge Gustave Rolin-Jacquemyns, spécialiste du droit international, dès 1871.</p>
<p>Bien des années plus tard, un <a href="https://heinonline.org/HOL/Page?handle=hein.journals/intllegcomp32&div=10&g_sent=1&casa_token=">homologue allemand, Henri Harburger, commentera</a> :</p>
<blockquote>
<p>Même à la guerre, même entre des armées hostiles, il faut qu’il y ait de part et d’autre de la loyauté et de la bonne foi. Faute d’admettre ce principe, il n’est pas de trêve, pas d’armistice, pas de capitulation possibles, et les dispositions de la Convention de Genève deviennent absolument inapplicables.</p>
</blockquote>
<p>À quelques jours du centenaire de l’Armistice, nous ferions bien de nous remémorer cette leçon.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast for Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106629/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jasper Heinzen a reçu des financements d'EURIAS, Institut d'études avancées de Paris et British Academy.</span></em></p>Pendant la Première Guerre mondiale, la rhétorique de la chevalerie a permis de contrer l’inhumanité du conflit de façon parfois surprenante.Jasper Heinzen, Maitre de conferences en histoire de l'Europe moderne, Université de York, Fellow 2018 - IEA de Paris, Institut d'études avancées de Paris (IEA) – RFIEALicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/935832018-03-25T19:30:15Z2018-03-25T19:30:15ZQuelles représentations de l’armée dans le cinéma français d’aujourd’hui ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/211853/original/file-20180325-54903-ct3bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C64%2C1599%2C797&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image extraite du film « Jeunesse aux coeurs ardents ».
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-258777/photos/detail/?cmediafile=21440509">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques années, certains films sont explicitement centrés sur l’institution de l’armée, présentée comme un corps ou une famille. Ce ne sont pas des films de guerre, mais plutôt des réflexions sur les rapports entre l’individu et le groupe, sur la transmission ou la perte de valeurs spécifiques. Avec la fin de la conscription obligatoire, les liens entre le monde militaire et la société civile se sont considérablement distendus. Immersions presque documentaires dans le quotidien des soldats, des films comme <em>Jeunesse aux cœurs ardents</em> de Cheyenne-Marie Carron ou <em>Le Grand homme</em> de Sarah Leonor s’attachent, dans le même temps, à montrer les mythes et les valeurs portés par l’institution.</p>
<h2>Filmer le dépassement de soi : <em>Les Combattants</em> (Thomas Cailley, 2014)</h2>
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<p>La solidarité des hommes de troupe s’oppose aux commandants, isolés dans la sphère du commandement. Et dans <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Alain/mars_ou_la_guerre_jugee/Mars_ou_guerre_jugee.pdf"><em>Mars ou la guerre jugée</em></a> (1920), Alain de remarque la force, trompeuse mais vivace, des mythes et des modèles :</p>
<blockquote>
<p>« Je dis que la chose militaire est proprement esthétique. Et je remarque qu’il n’y a point d’autre art populaire […] qui soit comparable à celui-là par la puissance et la perfection. Chacun y est pris. » (chap. III, « Du beau »)</p>
</blockquote>
<p>Dans <em>Les Combattants</em>, de Thomas Cailley (2014, César de la meilleure actrice pour Adèle Haenel, César de l’espoir masculin pour Kevin Azaïs, César du meilleur premier film, Prix Louis Delluc), l’armée est montrée dans sa force de séduction, qui tient du mirage. La romance entre deux jeunes gens débute devant un camion de recrutement militaire. Entre Arnaud et Madeleine, le premier regard échangé est celui de deux adversaires qui se mesurent avant le combat mains nues. Avant de parler de sentiments, les deux jeunes gens vont parler de l’armée, et de ce qu’elle représente à leurs yeux. Pour Arnaud, qui travaille avec son frère dans une entreprise de construction, l’univers militaire n’a a priori rien de fascinant. Les lourds appels du pied du sergent recruteur le font sourire, sans le tenter. Mais Madeleine, bloc d’agressivité, est déterminée à intégrer un régiment de parachutiste. « Je croyais qu’on signait, et puis voilà » lance Arnaud, étonné, quand la jeune femme lui explique qu’il faut d’abord s’inscrire, simplement, à un stage de quinze jours. Comme dans la vie, où l’on accumule stages et petits contrats avant de débuter une carrière.</p>
<p>Le stage de formation est filmé avec ironie : le sergent se braque dès qu’on lui demande une explication plus détaillée. Les belles valeurs prônées, « ne pas subir », « solidarité », semblent assez incantatoires. Dans <em>Le Fil de l’epée</em> (1932), le Général de Gaulle soulignait déjà les risques de conformisme que la tendance nette vers le corporatisme pouvait induire :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne tient qu’à l’armée de tirer parti d’une telle évolution. En tout cas, les corps de troupe, les consignes, l’exercice et l’uniforme n’ont rien qui contredise le siècle des syndicats, du code de la route, du système Taylor et des grands magasins. »</p>
</blockquote>
<p>Entre une pensée dogmatique, rabâchée, et des valeurs conformes à un idéal antique, l’écart est important. Et, de Gaulle le souligne, « il ne tient qu’à l’armée », de préserver ses valeurs. Dans le film de Cailley, Madeleine, déçue par le cadre vide de l’institution, va vite essuyer un avertissement et prendre les chemins de traverse. Elle rêvait de l’armée pour s’endurcir et apprendre les règles de survie, dans un monde de plus en plus hostile. L’obéissance aveugle ne lui convient pas. Pourquoi l’armée ? « Pour en chier » rétorque-t-elle avec aplomb. Mais c’est à deux, loin du groupe d’apprentis, que Madeleine et Arnaud vont s’essayer au dépassement de soi, dans l’aventure de l’amour où, dans la hiérarchie hommes-femmes, les rapports peuvent s’inverser.</p>
<h2>Filmer l’engagement : <em>Jeunesse aux cœurs ardents</em> (Cheyenne‑Marie Carron, 2018)</h2>
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<p>Ce mercredi sort un film de Cheyenne-Marie Carron, <em>Jeunesse aux cœurs ardents</em>, sur l’engagement d’un jeune homme au sein de l’armée. Il s’agit d’une initiation au sens fort. À tout juste vingt ans, David est un étudiant prometteur. Sa mère est prof de philo, mais l’enseignement lui paraît coupé du monde et ne l’attire pas. À la manière des chevaliers d’antan, David se sent un cœur pur et des idéaux élevés.</p>
<p>Un beau jour, avec une bande d’amis, il menace d’une arme un vieil homme, qui ne baisse pas les yeux. Dans sa mallette, des journaux militaires le renseignent sur son identité : il s’agit d’un officier. David va provoquer une rencontre avec l’homme, Henri, et, peu à peu, l’apprivoiser. Fasciné par son expérience, il l’écoute parler de l’Indochine, où son frère est mort, et de l’Algérie, où il a servi. Le jeune homme boit les paroles de l’ancien, avec une ferveur presque religieuse. Pourtant, autour de lui, les regards ne sont pas les mêmes : son père notamment, libertaire dans l’âme, n’a pas effectué son service militaire et voit l’armée comme un univers étriqué. Une amie de sa mère a vu son frère, officier, sombrer dans l’alcool après des opex dans les Balkans où il a eu l’impression de servir les intérêts économiques plus qu’un drapeau ou un idéal.</p>
<p>À David, qui se renferme sur lui-même, son père demande : « Tu es amoureux ? » Car les symptômes sont semblables. Le jeune homme fait penser au jeune Werther, mélancolique et habité par quelque chose qui le dépasse et qui, peut-être, le détourne de la vie. Cette attirance pour l’armée, est-ce un désir de mort, comme le craignent ses parents ? Non, répond-il, c’est bien plus un désir de voir sa vie valoir plus qu’une simple existence, une volonté de vivre au-delà de lui-même et de la sphère des plaisirs ou du bonheur. L’idée du sacrifice, comme don et comme sens. Ces arguments résonnent curieusement aux oreilles modernes de sa famille, qui peine à comprendre cette passion, au sens christique. Roger Caillois, dans <a href="https://www.senscritique.com/livre/Bellone_ou_la_pente_de_la_guerre/8466035"><em>Bellone ou la pente de la guerre</em></a> (1963), remarquait une évolution moderne, où l’idée de sacrifice se perd :</p>
<blockquote>
<p>« La modernité, sous son aspect à la fois technique et politique, peut être définie comme le parti pris de la conservation de la vie, qui est la perte du sens de la totalité. […] Tout est fait pour que l’homme n’ait plus besoin de se sacrifier, ni d’attendre aucun salut d’un quelconque sacrifice. »</p>
</blockquote>
<p>À rebours, pour une jeunesse désorientée, l’attirance pour l’armée, ou l’attirance pour Daech, semblent procéder de ce désir trouble de sacrifice.</p>
<p>Dans <em>Jeunesse aux cœurs ardents</em>, David aime Henri, d’un amour filial, plein d’admiration. À son père, il lance « Tu es mon père, tu le resteras toujours, mais je ne t’admire pas. » C’est ce vieil homme qu’il veut prendre pour modèle. L’officier du film est joué par un vrai officier de métier, André Thiéblemont. La réalisatrice Cheyenne-Marie Carron capte des confessions livrées par des militaires, qui jouent ici leur propre rôle. Elle ne filme pas des idées désincarnées, mais saisit l’esprit de corps dans les gestes, les accolades et, surtout, lors des scènes à table. Les réunions d’anciens militaires, chantant l’hymne de la Légion étrangère dans un petit bistrot, montrent ces hommes, en apparence si différents, comme une véritable famille.</p>
<h2>Filmer les mythes : <em>Le Grand homme</em> (Sarah Leonor, 2014)</h2>
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<p>Dans son roman <em>La Nostalgie de l’honneur</em> (Grasset, Prix interallié 2017), consacré à son grand-père militaire (le général d’armée Jean Crépin) Jean‑René van der Plaetsen écrit :</p>
<blockquote>
<p>« C’est cette notion-là, en laquelle je vois une esthétique autant qu’une morale, qui m’intéresse, et c’est d’elle que j’entends parler ici. C’est le goût de l’honneur qu’éprouvent les jeunes gens. C’est l’aspiration à l’honneur qui anime les exaltés. C’est l’instinct de l’honneur qui fait les héros. En écrivant cela, je fais appel à la part d’enfance et à l’exigence d’idéal qui sommeillent en chacun de nous. » (pp. 12-13)</p>
</blockquote>
<p>En 2014, Jérémie Rénier incarnait un officier dans le film de Sarah Leonor, <em>Le Grand homme</em>. Le prologue évoque les légendes dorées : deux légionnaires héroïques, frères d’armes, ont affronté la guerre d’Afghanistan, allant en éclaireurs à la rencontre des balles et des léopards des neiges. Des noms héroïques, Hamilton et Markov, sortes d’Achille et de Patrocle des temps modernes. Précisément, aujourd’hui, le temps des héros appartient au passé : après la légion, il y a le retour à la vie civile.</p>
<p>La réalisation épouse en douceur les points de bascule du récit : on passe de l’Afghanistan saturé de soleil et de dangers au quotidien maussade de Paris. Hamilton et Markov n’existent plus, alors, et ce sont deux hommes aux noms communs qui doivent se réinventer. L’un, Français (Jérémie Renier), n’a pas de famille. L’autre, Tchétchène (Surho Sugaipov), a un fils mais pas de papiers. Dans cette nouvelle galère de la vraie vie, moins glorieuse, que peuvent partager les deux hommes ? Frères d’armes, ils sont aussi frères de sang, frères de lait. Dans une belle scène, les deux hommes, scellent leur amitié indéfectible autour d’un plateau de fruits de mer. De ce pacte de confiance découle alors une responsabilité, lorsque, un jour, Markov meurt subitement, laissant seul son petit garçon. Tout naturellement, c’est son ami qui prend le relais de la paternité. L’intrigue possède la simplicité d’un conte de l’Antiquité, où il est question de fraternité, de filiation et de dignité.</p>
<h2>Filmer la disparition : <em>Ni le ciel, ni la terre</em> (Clément Cogitore, 2015)</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sAtFSbIvic8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Même motif troublant de la disparition dans <em>Ni le ciel ni la terre</em> de Clément Cogitore. On y retrouve justement Jérémie Rénier et Kevin Azaïs (l’acteur des <em>Combattants</em>), ainsi que Swann Arlaud (sacré meilleur acteur cette année pour l’excellent <em>Petit paysan</em> d’Hubert Charuel). Dans la lumière crue d’Afghanistan, entre chiens et loups, des hallucinations frappent les soldats. Soudain, certains d’entre eux, mystérieusement, se mettent à disparaître. Clément Cogitore filme la perte de contact avec la rationalité, la dérive vers un monde de l’entre-deux, où les militaires flottent entre rêve et réalité. Pas de chute ni d’explication dans ce film hanté, qui explore un imaginaire de la guerre traversé de visions fulgurantes. </p>
<p>Comme chez Dino Buzzatti (<em>Le Désert des Tartares</em>, 1940), le temps militaire s’étire dans un entre-deux trouble, où priment les sensations, réelles ou imaginées. Dans l’ouvrage <a href="https://epdf.tips/virtuous-war-mapping-the-military-industrial-media-entertainment-network4b2aa6eef0954a600b8af912b98dd05234534.html"><em>Virtuous War : Mapping the Military Industrial Media Entertainment Network</em></a>, (2001, 2ᵉ édition 2009), James Der Derian étudie le processus de déréalisation, de « virtualisation » de la guerre. Les guerres actuelles portent en elles, selon Der Derian, une distance, une forme d’irréalité qui tient aux évolutions modernes.</p>
<p>Dans ces quelques films centrés, non sur le moment du conflit, mais sur l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ethos">éthos</a> militaire et la communauté des frères d’armes, c’est le motif du lien et de la transmission qui ressort le plus vivement. Dans l’article « Les canaux de la confiance », le <a href="http://inflexions.net/revue/numero-29">colonel et psychologue Vincent Gelez</a> souligne bien cette force du lien. La confiance implique à la fois l’individu et le groupe, conçu comme un corps vivant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93583/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivia Leboyer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec la fin de la conscription obligatoire, les liens entre le monde militaire et la société civile se sont considérablement distendus. Dans ce contexte, comment évolue l’image de l’armée au cinéma ?Olivia Leboyer, Docteur en science politique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/832342017-10-12T19:07:33Z2017-10-12T19:07:33ZCombien coûterait le retour du service national en France ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/189780/original/file-20171011-16660-11s1f25.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Appelés du contingent à l'exercice de lancer de grenade (France - Oise - 1996)</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/pierbou/2105877968/in/photolist-4d6b9Q-pQU6Zt-bhiYsg-WqrhVF-SwKqFo-aEZHeG-YpM61M-8uW6hF-8uW6E4-RbNmCG-FtxMoF-CcFwq6-J3GtnF-H59JgS-RB6QvQ-CEs6DD-Vi316J-8LZDLd-7jCiPH-dWB3Qo-dWB3EQ-dWvqDX-dWvqdM-mKEVT2-7jCj4F-dWvpT4-dWB4xW-dWvqnv-4d6sLE-dWB3M3-VdpsVc-4d8989-4d8ftQ-dWvqNx-bY5BNy-dWvqMc-4d6ukf-4d3TTp-4d7WDf-dWB4nG-4d48Dv-4d82aq-4d41Kc-4d7R6J-4d4cPD-4d3SjV-4d3LvV-4d4h6z-4d3N2e-dWB44S">Pierre Boureau / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La Suède vient de <a href="http://lemde.fr/2yYkKOz">rétablir la conscription</a> à l’été 2017. En France, les <a href="http://bit.ly/2yXDtKc">débats sont récurrents</a> sur le sujet. Ils sont issus de deux réflexions. La première considère le service national comme une solution éventuelle pour pérenniser la posture permanente de sécurité à installer face au terrorisme (avec les opérations Vigipirate ou Sentinelle).</p>
<p>La seconde vise à retrouver la logique d’instruction civique du modèle de la Troisième République qui était basé sur l’école et le service national, les deux figures tutélaires de l’instituteur et du capitaine se complétant pour diffuser un message sur les valeurs de la République de Jules Ferry ou de Gambetta, les droits et les devoirs du citoyen.</p>
<p>Cet article propose une analyse des coûts budgétaires du service national pour cerner les raisons qui rendent la fin de sa suspension peu crédible, voire impossible.</p>
<h2>Le cadre démographique</h2>
<p>Il est assez simple de se donner une idée des volumes associés à la conscription en France. En 2015, l’<a href="http://bit.ly/2y90PQ9">ensemble des militaires</a> représentent 202 964 hommes et femmes, après des niveaux historiquement bas en 2012. En 1995, les appelés représentaient un volume de 212 500 jeunes gens, répartis entre les trois armées, la Gendarmerie, le service des essences et le service de santé. Les « spécialistes » (médecins, informaticiens, bouchers, menuisiers, mécaniciens, etc.) représentaient alors 52 000 personnes en année pleine. Ces chiffres sont à rapprocher <a href="http://bit.ly/2y3CmLD">d'une population totale française</a> alors à peine inférieure à 60 millions d’habitants et 760 000 naissances, ou par classe d’âge (contre 67 millions et environ 785 000 naissances en 2016).</p>
<p>Si le service national est décrié à l’époque, c’est pour trois raisons majeures : il frappe les jeunes Français de façon tout à fait inégalitaire ; il propose des « occupations » très peu attractives et le plus souvent fort peu connectées aux missions militaires réelles ; il est devenu très coûteux à l’institution militaire et au budget de l’État. Pour aggraver le tout, les politiques ont décidé de ne plus envoyer les appelés en opérations extérieures depuis la Guerre du Golfe (1991).</p>
<h2>Quelques références de calcul</h2>
<p><a href="http://bit.ly/2wziBId">L'analyse budgétaire du service national</a> suppose de prendre en compte plusieurs composantes. Les dépenses liées à ces opérations vont se répartir entre rémunérations (Titre 2 en jargon budgétaire) et coûts de fonctionnement (Titre 3) qui comprennent tous les coûts de formation et d’opérations. Il sera également nécessaire de prendre en compte les dépenses en capital (Titre 5) qui couvriront les coûts d’infrastructure et d’investissement.</p>
<p>Toutes ces dépenses ne représentent pas les mêmes masses budgétaires.</p>
<p>La rémunération des appelés a toujours été considérée comme dérisoire par les intéressés. Dans les années 1990, un appelé du contingent était « soldé » entre 100 et 150 euros par mois si on convertit les 450 à 750 francs de l’époque en euros courants 2017. À titre de comparaison, la loi française impose aujourd’hui une gratification minimale de 504 euros mensuels aux étudiants en stage. C’est la masse totale qui pose donc un problème budgétaire quand on multiplie par 212 000 garçons comme c’était le cas en 1995, et a fortiori par 425 000 si on enrôle les jeunes gens des deux sexes sous les drapeaux. L’enveloppe totale variera selon la durée du service.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2gexUjB">Le rapport parlementaire rédigé sur le service national en 1995-1996</a> par le sénateur Serge Vinçon faisait état de besoins d’encadrement pour chaque durée de service national « court » envisagé à l’époque : 8 500 militaires d’active « équivalents temps plein » pour l’encadrement de 25 000 appelés pendant un service militaire d’un mois, qui deviennent 17 000 ETP pour deux mois et 50 000 appelés, ou encore 25 000 ETP pour trois mois et 75 000 appelés. On notera que ces chiffres représentent moins de 10 % d’une classe d’âge (garçons et filles) aujourd’hui.</p>
<p>À titre de comparaison, en 2015, les militaires du rang, sous-officiers et officiers de la Marine nationale représentent 36 331 militaires et ceux de l’Armée de l’air 42 607 militaires (source : <a href="http://bit.ly/2yEvFke">« Bilan social de la Défense 2016 »</a>). Sans entrer dans les détails précis d’une analyse par fonction et par grade, il est facile de comprendre que le besoin d’encadrement entraînerait de très forts besoins budgétaires (Titre 2). Pour se donner une idée des masses budgétaires relatives à la rémunération des engagés qui assureront l’encadrement et la formation des appelés, il faut se souvenir que les effectifs cités pour 2015 correspondent à des rémunérations à peine inférieures à 3 milliards d’Euros pour l’Armée de l’air et un peu plus de 2,5 milliards pour la Marine nationale.</p>
<h2>Une équation budgétaire insoluble</h2>
<p>Tout calcul simple est forcément caricatural. Si on imagine de gérer l’ensemble d’une classe d’âge dans le cadre d’un service de trois mois, alors on doit imaginer quatre incorporations de plus de 175 000 jeunes gens chacune, qui vont au moins représenter 50 000 ETP à recruter dans les forces uniquement pour gérer les appelés, les incorporer, les former, et éventuellement les encadrer sur le terrain.</p>
<p>En volume, cela revient à recruter plus de personnels que le total actuel de l’Armée de l’air. Rien qu’au titre des rémunérations et charges sociales (Titre 2), le problème budgétaire serait donc de « trouver » entre 300 millions (quatre incorporations de 175 000 jeunes pour 3 mois de service national à 150 euros par mois) et 1 milliard d’Euros (les mêmes pour 504 euros par mois) pour les soldes des appelés et 3 milliards d’Euros pour les soldes de l’encadrement dédié. Si on dépasse trois mois de service national, tous ces chiffres explosent.</p>
<p>En outre, la question de la faisabilité de ces recrutements va se poser… Chacun se souvient que les missions de formation des appelés n’étaient pas les plus attractives pour les militaires « d’active ». Pour ne rien gâcher, ces chiffres sont en plus évalués sur une base de service national à trois mois. Toute augmentation de la durée du service alourdira la facture à la fois budgétaire et humaine. Dans la simulation à quatre vagues d’incorporation, les appelés se succèdent. S’ils doivent coexister en parallèle sous l’uniforme, les besoins en encadrement et en infrastructures seront démultipliés.</p>
<p>Cette analyse succincte nécessite encore d’ajouter les deux questions des moyens (Titre 3) et des infrastructures (Titre 5). Il faut habiller ces jeunes gens, les loger et les nourrir. Il faut aussi ouvrir des logements et des casernes, acheter les armes, les munitions d’exercice et les systèmes de communication pour les entraînements et les missions.</p>
<p>Jusqu’à présent, le ministère des Armées a pris le parti de réduire le nombre des bases de Défense pour rationaliser ses coûts de structure, et aussi de vendre les sites militaires inutilisés pour générer des recettes dans le budget de l’État. Revenir en arrière ne sera pas simple, car de nombreuses casernes ont déjà été cédées ou détruites. À nouveau, la question de la faisabilité se pose.</p>
<h2>Quelle efficacité attendre ?</h2>
<p>La question de l’utilité du service national s’est déjà posée dans les années 1990 ; elle est toujours liée à la définition des objectifs.</p>
<p>Dans l’ancien temps du service national à 10 ou 12 mois, la vie de l’appelé passait par plusieurs phases : un mois pour l’instruction militaire élémentaire (apprendre à manipuler un fusil d’assaut et à ne pas être dangereux pour soi ou pour ceux qu’on est supposé protéger) ; puis autour de cinq mois pour apprendre les tactiques et doctrines opérationnelles de base pour partir en mission en tant que soldat au sein d’une unité constituée ; puis quelques mois pour mûrir et, enfin, parfois, mettre en œuvre ce qui a été appris. À tout cela, il faut ajouter un mois de « permissions ».</p>
<p>Les militaires considéraient dans les années 1990 qu’un service national de 10 mois n’était plus « rentable » car trop peu de temps était dévolu aux missions réelles. La question majeure reste aujourd’hui la même qu’il y a vingt ans : dans quelles missions emmener un appelé ? Si c’est pour assurer la relève sur une mission de type Sentinelle, et a fortiori pour partir en Afrique ou au Levant lutter contre les ennemis de la France, il y a fort à parier que les appelés d’un service militaire « court » de trois ou dix mois ne disposent pas des compétences minimales pour aller sur le terrain.</p>
<p>Tous les chiffres mentionnés dans cette analyse rapide sont donc largement sous-estimés car il faudrait augmenter la durée du service national pour donner quelque efficacité aux appelés. L’équation budgétaire semble impossible à résoudre, mais elle n’est qu’un élément technique de l’analyse. Si les appelés ne sont pas utilisés pour des missions « militaires », pourquoi les incorporer sous l’uniforme ?</p>
<p>La question budgétaire montre que le rétablissement du service national suppose de mobiliser des sommes énormes qui sont hors de portée des très maigres ressources budgétaires de l’État sauf à augmenter les impôts de façon très significative ou à réallouer les ressources au détriment de nombreux ministères. Ces sommes seraient bien plus efficaces si elles permettaient d’apporter plus de moyens aux militaires professionnels, ou de mobiliser plus de réservistes.</p>
<p>Ceux qui parcourent les débats des années 1990 comprennent vite que la fin de la suspension du service national ne provoquera pas un enthousiasme débordant chez les jeunes gens qui interrompront leurs études ou retarderont leur entrée sur le marché du travail. Qui prendra le risque de perdre les votes des appelés et de leurs familles ? Et le vote de tous ceux qui seront déçus par les réaffectations budgétaires de tous ces milliards d’euros ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/83234/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David W. VERSAILLES a développé le début de cette recherche alors qu'il était en poste au sein de la Direction des affaires financières du Ministère de la Défense (Observatoire économique de la Défense). Les idées présentées dans ce texte sont celles de l'auteur et n'engagent en rien le ministère des Armées. </span></em></p>Les débats politiques font état régulièrement d’un retour du service national en France. Analyse du coût budgétaire de ce rétablissement éventuel. Quel « retour sur investissement » ?David W. Versailles, Chair professor, strategic management and management of innovation, PSB Paris School of BusinessLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/727852017-02-12T21:34:41Z2017-02-12T21:34:41ZL’armée française, des rues de Paris au désert du Sahara<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/156450/original/image-20170212-23331-1on3syu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C118%2C1417%2C823&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les soldats de l’opération « Iroquois ».</span> <span class="attribution"><span class="source">Raphaël Krafft</span></span></figcaption></figure><p>Ce sont quatre documentaires qui font du bien aux relations entre la société française et les militaires qui remplissent leurs missions au nom de la nation. Quatre épisodes d’une série radiophonique sur les armées françaises qui viennent, en quelques dizaines de minutes, raconter beaucoup plus de ces destins que bien des longs-métrages de fiction à haute prétention psychologique et que les reportages à sensations fortes sur les commandos et forces spéciales.</p>
<p>Raphaël Krafft (au reportage) et Guillaume Baldy (à la réalisation) racontent les missions des soldats à hauteur d’hommes. Raphaël Krafft a embarqué sur le porte-avions Charles de Gaulle, est parti au Mali et s’est penché sur l’opération Sentinelle, sans complaisance malvenue ni langue de bois. Il a tenu le micro à ces soldats, un peu <a href="http://www.lemonde.fr/cinema/article/2012/03/14/pierre-schoendoerffer-un-survivant-de-l-histoire_1667727_3476.html">comme Schoendoerffer</a> aimait poser sa caméra à leurs côtés, sans qu’ils en soient dérangés outre mesure. Peut-être parce que Raphaël Krafft a lui aussi <a href="http://www.buchetchastel.fr/captain-teacher-raphael-krafft-9782283026953">porté l’uniforme français en Afghanistan</a>, ceux qu’il a suivis semblent avoir oublié qu’il était un corps étranger à intégrer de plus ou moins bon cœur.</p>
<h2>Le quotidien, dans les cailloux et le sable</h2>
<p>À l’arrivée, ces soldats se confient sur un ton qui est trop rare dans nos médias nationaux, avec pudeur mais sans crainte d’être trahis, en respectant la sécurité de leurs missions mais sans contrôle excessif de leur institution. Dans les <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/larmee-francaise-des-rues-de-paris-au-desert-du-sahara">deux premiers épisodes</a>, au ras du sol et des cailloux, au nord du Mali, non loin de la frontière algérienne, les soldats racontent le quotidien d’une mission laborieuse face à un ennemi qui ne se montre jamais et dissémine <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Engin_explosif_improvis%C3%A9">IED</a> et mines sur le terrain.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/156452/original/image-20170212-23361-1dkrwt2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/156452/original/image-20170212-23361-1dkrwt2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/156452/original/image-20170212-23361-1dkrwt2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/156452/original/image-20170212-23361-1dkrwt2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/156452/original/image-20170212-23361-1dkrwt2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/156452/original/image-20170212-23361-1dkrwt2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/156452/original/image-20170212-23361-1dkrwt2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une mission au ras du sol et des cailloux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Krafft</span></span>
</figcaption>
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<p>On songe encore à Schoendoerffer, en les écoutant parler longuement des paysages et de la place qu’ils y occupent. Le cinéaste aimait dire que seuls les combattants et les paysans connaissent vraiment la terre ; les seconds parce qu’ils la travaillent et les premiers parce qu’ils s’y réfugient. Les soldats français de l’<a href="http://www.defense.gouv.fr/operations/operations/sahel/actualites/barkhane-operation-iroquois">opération <em>Iroquois</em></a> connaissent les cailloux et le sable. Ils les analysent, même. Bébert, le poète, évoque la monotonie des couleurs et a conseillé aux plus jeunes d’apporter des objets de couleur vivre pour rompre cette lassitude visuelle. Son camarade, plus prosaïque, avoue : devoir regarder tous ces cailloux, « c’est casse-burne ». Tout à coup, Krafft demande : « On attend quoi, là ? », et par cette phrase, il nous ramène à l’Indochine de La <em>317ᵉ section</em> (toujours Schoendoerffer…), à ces guerres où l’on attend plus qu’on ne combat.</p>
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<h2>Évoquer la mort sans pathos psychologisant</h2>
<p>Dans le deuxième épisode, on parle de la mort, beaucoup, de l’expérience du véhicule qui saute sur un engin explosif, des camarades blessés, de ceux qui ont été évacués. De ces images qui ne les quittent plus. Comme avait su le faire Philippe Bodet dans son film <em>Le soldat et la mort</em>, donc nous avions parlé <a href="https://theconversation.com/le-soldat-et-la-mort-au-c-ur-des-realites-combattantes-56517">dans ces pages</a>, Raphaël Krafft aborde le sujet sans chercher à violer la part d’incommunicabilité propre à l’expérience de la mort au combat ni verser non plus dans le pathos psychologisant.</p>
<p>Ces hommes qui racontent leur confrontation avec la mort le font en toute simplicité. Incontestablement marqués, ils n’expriment ni rancune ni ressentiment. Ils sont des soldats, volontairement engagés, qui accomplissent leur mission, en connaissent le sens et le comprennent même s’ils n’en nient pas l’aridité. Aucune violence ne transpire de leurs mots. Ils vivent dans une communauté d’initiés, dans des conditions qui sont à mille lieues de ce que vivent leurs concitoyens et s’en amusent : « ça fait dix jours que j’ai le même treillis, une douche à la bouteille hier, une vraie douche il y a douze jours », diagnostique Thomas avant de conclure en riant : « Je me plais dans ma crasse. »</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/156453/original/image-20170212-23316-vfvnr5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/156453/original/image-20170212-23316-vfvnr5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/156453/original/image-20170212-23316-vfvnr5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/156453/original/image-20170212-23316-vfvnr5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/156453/original/image-20170212-23316-vfvnr5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/156453/original/image-20170212-23316-vfvnr5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/156453/original/image-20170212-23316-vfvnr5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À bord d’un hélicoptère « Lynx ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Krafft</span></span>
</figcaption>
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<p>Sur le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/larmee-francaise-des-rues-de-paris-au-desert-du-sahara-34-la">porte-avions <em>Charles de Gaulle</em></a>, la guerre prend un tout autre visage ; celui des décollages et des appontages, de la vie dans les entrailles du bateau, de cette énergie qui fait tendre tous ceux qui y œuvrent vers la mission qu’accomplissent les pilotes et du savoir-faire technique hors du commun chaque jour déployé. L’histoire est moins chargée en sueur, en crasse et en sang, et pleine de bruits des moteurs. Elle raconte pourtant le même destin de ceux qui ont accepté de donner la mort et de la recevoir au nom de leurs concitoyens.</p>
<h2>Raconter les guerres sans clichés</h2>
<p>La qualité de ces documentaires est à souligner. Ce travail vient prouver que, contrairement à un poncif trop souvent répété, les Français savent raconter leurs guerres. Encore faut-il que ceux qui s’y attellent aient une appétence pour le sujet qui ne soit pas seulement une passade et sachent laisser de côté les présupposés qui ont envahi notre champ de représentations.</p>
<p>Trop souvent en effet, on colle sur les militaires, dans des films de fiction notamment, des habits grossièrement taillés qui font d’eux des multi-traumatisés ultra-violents ou des guerriers insensibles. Encore faut-il également qu’on laisse travailler autant de journalistes que possible pour que puissent éclore quelques très beaux reportages de ce type, avec la prudence évidemment requise pour que des vies ne soient pas mises en danger de manière inconsidérée mais sans craindre systématiquement que toute prise de parole non maîtrisée vire à la déviance.</p>
<p>Les Français ne peuvent avoir une connaissance éclairée de la chose militaire que si elle est racontée dans sa complexité. Donner à voir ces destins dans leur diversité, sans dissimuler les doutes et les interrogations, avec le respect dû à ceux qui acceptent de sacrifier bien plus qu’une part de leur confort matériel mais aussi, éventuellement, leur vie, est le meilleur moyen de servir ce que les militaires aiment appeler le lien armée-nation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/156454/original/image-20170212-23350-dtcsg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/156454/original/image-20170212-23350-dtcsg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/156454/original/image-20170212-23350-dtcsg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/156454/original/image-20170212-23350-dtcsg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/156454/original/image-20170212-23350-dtcsg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/156454/original/image-20170212-23350-dtcsg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/156454/original/image-20170212-23350-dtcsg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les soldats racontent leur quotidien.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Krafft</span></span>
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<p><em>La série documentaire sera diffusée sur France culture, du <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire">13 au 16 février, à 17h</a>. Le quatrième et dernier épisode traite de l’opération Sentinelle. Parce que l’auteur de ces lignes y est interviewée, elle préfère laisser le lecteur se faire sa propre opinion.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/72785/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bénédicte Chéron a reçu des financements du Centre d'études historiques de la Défense et de l'RSEM (Institut de recherches stratégiques de l'Ecole militaire) entre 2006 et 2009 puis en 2011 et 2012 pour son doctorat et son post-doctorat. </span></em></p>Dans cette série documentaire radiophonique Raphaël Krafft et Guillaume Baldy racontent la guerre avec une grande liberté de ton et loin des clichés associés à la vie militaire.Bénédicte Chéron, Historienne, chercheur-partenaire au SIRICE, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/565172016-03-18T11:46:17Z2016-03-18T11:46:17Z« Le soldat et la mort » : au cœur des réalités combattantes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/115576/original/image-20160318-4411-yhd9r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C114%2C1828%2C1173&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Antonio Lopez, l'un des soldat dont on suit le parcours.</span> <span class="attribution"><span class="source">Philippe Bodet</span></span></figcaption></figure><p>Ils sont cinq. Cinq soldats, aux parcours différents, mais qui partagent tous une expérience : celle de la confrontation avec la mort dans l’exercice de leur mission. Avec leur mort, toujours possible, et avec celle des autres, de leurs camarades de combat, des civils pris dans le chaos de la guerre, mais aussi de leurs ennemis, qu’ils ont tués. C’est parce que cette confrontation avec la mort est au cœur de l’engagement sous les drapeaux que le réalisateur Philippe Bodet a voulu se pencher sur la question et faire parler ces cinq hommes.</p>
<h2>Cinq parcours en compagnie de la mort</h2>
<p>Antonio Lopez est un ancien légionnaire d’origine espagnole, devenu français. Pendant vingt-sept ans, il a accompli sa mission sous les drapeaux d’un pays qui n’était pas encore le sien. Des morts, il en croisé ; il en a causé. La pudeur avec laquelle il l’évoque laisse deviner qu’il n’a pas traversé l’épreuve sans y réfléchir. Brice Erbland, lui, est toujours militaire ; il a longtemps piloté un hélicoptère Tigre. Avec son arme puissante, il a tué pour la première fois en Afghanistan ; il en est revenu fortement marqué mais n’a rien regretté : il a accompli sa mission, loyalement et avec droiture.</p>
<p>Michel Goya est désormais connu et reconnu comme un expert, qui publie et qui s’exprime dans les médias. Aujourd’hui revenu à la vie civile, indemne de ses guerres, il se livre là sous un jour peu habituel, ne dissimulant pas le fait que le retour à Sarajevo, sous l’œil de la caméra de Philippe Bodet, est une expérience délicate. En Afghanistan, Yoann a été physiquement blessé mais aussi, et peut-être surtout, psychologiquement. Toujours militaire, il est inapte au combat en raison de ce traumatisme mais ne se considère pas plus comme un survivant que ses camarades valides. S’il doit se résoudre à quitter l’armée, ce sera un crève-cœur.</p>
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<p>Et puis vient le dernier grand témoin, Hélie Denoix de Saint-Marc, grâce aux quelques minutes d’un entretien inédit réalisé avant sa mort. Il aurait eu mille raisons de se plaindre de ce destin combattant débuté dans la résistance, sous l’Occupation, puis avec l’expérience de la déportation, et achevé dans les prisons françaises suite à sa participation au putsch d’Alger. Il ne l’a jamais fait.</p>
<h2>Le choix assumé du métier des armes</h2>
<p>Ces hommes ont choisi une vie, ils l’assument et ne rendent personne responsable des épreuves traversées. Et c’est en cela que ce film est intéressant, au-delà même de ces cinq destins qui à eux seuls méritent le détour : sans rien dissimuler des questions profondes que pose la confrontation avec la mort, ni de la trace psychologique, quand elle n’est pas physique, que laisse ce passage par la guerre, il raconte l’histoire de l’engagement d’hommes qui ne regrettent pas la décision librement posée de choisir le métier des armes. Ils évoquent ce goût pour le combat, qui n’est pas l’expression d’une sauvagerie et d’une violence incontrôlée. Ils parlent de la morale et des règles qui encadrent leur métier, et sans lesquelles ils ne pourraient plus se tenir debout. Ils ne sont ni des victimes, ni des bourreaux. Ils sont juste des soldats.</p>
<p>Avec ce documentaire, dans une grande sobriété de récit, Philippe Bodet remet la figure combattante du militaire français au cœur du récit en permettant que s’exprime une parole trop rarement entendue dans les médias grand public. Ce n’est ni un documentaire à sensations fortes sur les commandos ni un reportage à scoops plus ou moins solides sur la manière dont des militaires français sont devenus des violeurs ou des criminels. C’est pourtant un film important parce qu’il pose une pierre de plus dans la manière dont le récit médiatique sur les militaires français parvient, peu à peu, à se renouveler.</p>
<h2>Faire entendre d’autres voix</h2>
<p>Michel Goya évoque au fil de son propos ce sujet des représentations collectives, le passé traumatique de la guerre d’Algérie dans notre mémoire nationale et les « hypocrisies », parfois même de l’institution militaire, qui ont conduit à afficher toutes les fonctions du soldat, de la logistique à l’humanitaire, au détriment des réalités combattantes. Parce qu’il vient d’une famille de militaires, parce qu’il a songé lui-même à le devenir et parce que, comme journaliste, il a beaucoup filmé ces soldats, Philippe Bodet contribue à combler des vides avec subtilité, et avec l’aide des organismes du ministère de la Défense (de l’ECPAD – Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense – et de la CABAT – Cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre – en particulier) qui n’ont rien contrôlé du contenu.</p>
<p>Le sujet n’est évidemment pas épuisé, et il n’est pas question non plus qu’émerge un récit uniformément épique sur la vie des militaires français. Bien entendu, les médias continueront, et c’est heureux, de parler de ceux qui estiment avoir été oubliés, malmenés ou illégitimement engagés et meurtris dans des opérations dont les politiques portent la responsabilité. Bien entendu également, et c’est une nécessité, ceux qui dérivent, transgressent et oublient toute morale devront toujours être dénoncés. Mais il est bon que d’autres voix se fassent entendre et contribuent à donner de la figure du militaire un portrait plus complet et plus nuancé, dans un contexte où, chaque jour, la guerre devient un sujet un peu plus central du discours politique.</p>
<p><em><a href="http://replay.publicsenat.fr/emissions/documentaire/le-soldat-et-la-mort/200504">Diffusions</a> du documentaire « Le soldat et la mort » : 19 mars à 22h10, dimanche 20 mars à 09h10, samedi 26 mars à 23h25 et dimanche 27 mars à 10h20.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/56517/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bénédicte Chéron a reçu des financements du CEHD pour sa thèse et de l'IRSEM pour son post-doctorat. </span></em></p>À travers cinq parcours de soldats, le réalisateur Philippe Bodet explore la confrontation avec la mort. Un documentaire sans complaisance.Bénédicte Chéron, Historienne, chercheur-partenaire au SIRICE, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.