tag:theconversation.com,2011:/us/topics/temoignage-62391/articlestémoignage – The Conversation2023-12-28T17:09:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2196352023-12-28T17:09:48Z2023-12-28T17:09:48Z« L’Archipel du Goulag » : trois tomes qui ont ébranlé le communisme<p>Il y a exactement cinquante ans, fin décembre 1973, un livre paraissait en russe à Paris : <em>L’Archipel du Goulag</em>, d’Alexandre Soljénitsyne.</p>
<p>Publié en traduction dans de nombreux pays occidentaux dès mai 1974, vendu en France à 600 000 exemplaires en moins de trois mois, ce premier tome a été suivi de deux autres.</p>
<p>Peu de livres au XX<sup>e</sup> siècle auront eu un tel impact politique.</p>
<h2>Alexandre Soljénitsyne, écrivain et ancien détenu du Goulag</h2>
<p>Né le 11 décembre 1918, <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Aleksandr_Issa%C3%AFevitch_Soljenitsyne/144751">Alexandre Soljénitsyne</a> est le produit de l’éducation soviétique de son temps. Enseignant, il participe comme officier à la Seconde Guerre mondiale et est décoré pour bravoure en 1943.</p>
<p>Le 9 février 1945, il est arrêté pour avoir critiqué Staline dans une lettre privée. Suivront huit ans de camp – pendant lesquels il trouve la foi –, un cancer et le début d’une relégation au Kazakhstan qui est abrégée par la mort de Staline : réhabilité en 1956, Soljénitsyne peut retourner en République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le détenu Soljénitsyne fouillé par un garde, 31 décembre 1952.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives familiales d’Alexandre Soljénitsyne</span></span>
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<p>Déterminé à témoigner, il écrit sur les camps, mais cache ses œuvres, attendant le moment de les montrer. Le dégel officialisé par Nikita Khrouchtchev lui en fournira l’occasion. Son premier texte publié, <a href="https://www.fayard.fr/livre/une-journee-divan-denissovitch-9782213726458/"><em>Une Journée d’Ivan Dénissovitch</em></a>, paraît en novembre 1962 dans la revue <em>Novyï Mir</em>, avec l’autorisation personnelle de Khrouchtchev, et porte déjà sur les camps : l’écrivain y raconte une journée dans la vie d’un « zek », un prisonnier ordinaire, et démontre ainsi que, contrairement aux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-marche-de-l-histoire/1956-le-rapport-khrouchtchev-1532077">allégations de Khrouchtchev en 1956</a>, les répressions n’ont pas touché que des communistes. Ce récit est lu par des millions de Soviétiques et permet à ses lecteurs occidentaux de saisir la réalité des purges staliniennes. C’est pourquoi la publication de textes sur les camps est presque aussitôt interdite en URSS.</p>
<p>Soljénitsyne devient alors le symbole et le repère de ceux qui, dans la société soviétique, s’opposent à un possible retour des répressions. Néanmoins, ceux qui ont acquis pouvoir et privilèges sous Staline défendent les règles du jeu qui leur ont réussi, et bénéficient en cela du soutien du KGB. L’affrontement entre ces deux camps marque les années 1960 en URSS, mais les nationalistes pro-Staline l’emportent : dès 1963-1964, Soljénitsyne ne peut plus être publié. Il est exclu de l’Union des écrivains en 1969. La consécration vient d’Occident : le prix Nobel de littérature est décerné à l’écrivain en 1970, mais celui-ci <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/11/30/soljenitsyne-ne-se-rendra-pas-a-stockholm-pour-recevoir-le-prix-nobel_2658842_1819218.html">ne peut se rendre à Stockholm pour le recevoir en mains propres</a>.</p>
<h2>Publier <em>L’Archipel du Goulag</em> en Occident</h2>
<p>Ce que ses adversaires ne savent pas, c’est que, dès 1968, Soljénitsyne a fait passer en Occident l’œuvre majeure de sa vie, <em>L’Archipel du Goulag</em>, ce texte-fleuve dans lequel il dresse l’histoire du système concentrationnaire soviétique de 1918 à 1956. Il l’a rédigé entre 1958 et février 1967, et n’a jamais eu l’ensemble du manuscrit sous les yeux : comme il en a pris l’habitude en camp, il écrit sur de minuscules feuilles de papier, qu’il enterre dans des jardins.</p>
<p>Nikita Struve, universitaire et directeur de la <a href="https://www.editeurs-reunis.fr/notre-histoire">maison d’édition YMCA Press</a>, a reçu l’un des deux exemplaires transmis. Cette maison d’édition en langue russe a été fondée par des émigrés en 1921 à Prague et a déménagé en 1925 à Paris où, surtout depuis le début des années 1960, elle publie, outre des émigrés, des auteurs soviétiques qui ne peuvent l’être en URSS : le <a href="https://ceupress.com/book/written-here-published-there">« tamizdat »</a> – la publication « là-bas », en Occident, de textes soviétiques, à ne pas confondre avec le <a href="https://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/actualites/nouvelles-publications/samizdat-publications-clandestines-et-autoedition-en-europe-centrale-et-orientales-1950-1990.html">samizdat</a>, publication « par soi-même », qui désigne le fait de diffuser clandestinement des textes en URSS, essentiellement en les recopiant à la machine – prend de l’ampleur.</p>
<p>Pendant l’été 1973, parce que les pressions se renforcent contre lui et qu’une femme ayant tapé à la machine <em>L’Archipel du Goulag</em>, Elizaveta Voronianskaïa, <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/nivat_georges/soljenitsyne/Soljenitsyne_avec_photos.pdf">s’est pendue</a> après avoir été interrogée par le KGB pendant cinq jours et cinq nuits, Soljénitsyne lance l’ordre de préparer, à Paris, la publication de ce texte.</p>
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<p>Le 28 décembre 1973, il apprend par la BBC la sortie du premier tome ; le 14 janvier, la <em>Pravda</em> traite l’écrivain de <a href="https://biography.wikireading.ru/52393">« renégat »</a>. Dans la foulée, des journaux publient de nombreuses lettres dans lesquelles des écrivains officiels très connus – dont Sergueï Mikhalkov et Constantin Simonov – condamnent l’auteur de <em>L’Archipel du Goulag</em>, cette campagne aussi étant supervisée par le KGB. Arrêté le 12 février et accusé de trahison, Soljénitsyne est poussé, le lendemain, dans un avion qui le dépose en RFA. Il a été déchu de sa citoyenneté soviétique.</p>
<h2>Un « essai d’investigation littéraire »</h2>
<p><em>L’Archipel du Goulag</em>, ce long « essai d’investigation littéraire » – c’est son sous-titre –, dresse un tableau sociologique et historique détaillé des camps et des répressions soviétiques, et décrit les parcours et le quotidien des prisonniers au sein de cet « archipel » qui regroupait des myriades de camps, comme autant d’îles au sein du pays.</p>
<p>Soljénitsyne évoque aussi la « relégation », celle qui suivait le camp ou celle à laquelle ont été directement condamnés des centaines de milliers de paysans et des peuples entiers, dont les <a href="http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-deportation-tchetchenes-ingouches.html">Tchétchènes</a> et les <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2007-4-page-151.htm">Tatars de Crimée</a>. Pour lui, les prisonniers du Goulag peuvent être comparés aux serfs de l’Ancienne Russie, même si le sort de ces derniers était plus confortable.</p>
<p>Le Goulag, souligne-t-il, s’inscrit dans la logique du système soviétique : conçu et initié par Lénine, il ne peut être vu comme une déviation stalinienne. L’écrivain réfléchit aussi à l’impact de ces camps sur les individus et sur la société : le Goulag provoquerait et accentuerait la peur, la méfiance, le mensonge et une « psychologie d’esclaves ». Comment ne pas y repenser aujourd’hui, alors que la Russie poutinienne a renoué avec certaines pratiques répressives impitoyables ?</p>
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<figcaption><span class="caption">« L’archipel du goulag, le courage de la vérité », documentaire de Jean Crépu et Nicolas Milétitch.</span></figcaption>
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<p>Ce qui est sidérant, c’est que, pour réaliser cet énorme travail, Soljénitsyne n’a utilisé aucune archive – celles sur le Goulag étaient fermées – ni pratiquement aucune source publiée – il n’y en avait guère. Il s’est appuyé sur les récits, les mémoires et les lettres de deux cent vingt-sept anciens détenus que lui, ou certains de ses proches, avaient contactés.</p>
<p>Là est l’immense force du livre, et c’est pourquoi son auteur affirmera le considérer « comme au-dessus de [lui-même] ». Déjà, dans sa <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/soljenitsyne_alexandre/le_cri_prix_nobel/le_cri_prix_nobel_texte.html"><em>Lecture du Nobel</em></a>, rédigée alors que <em>L’Archipel</em> n’était pas encore publié, Soljénitsyne se disait porteur de la parole des personnes mortes au Goulag, « accompagné par les ombres de ceux qui y sont restés », et s’inscrivait ainsi, à sa façon, dans la même démarche qu’Anna Akhmatova avec son <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Requiem-1473-1-1-0-1.html"><em>Requiem</em></a>.</p>
<p>Par la suite, il rappellera sans cesse avoir parlé au nom de ceux auxquels toute parole a été confisquée : c’est la voix d’un peuple réduit au silence qu’il veut faire entendre. Et c’est pourquoi non seulement il dédie <em>L’Archipel du Goulag</em> « à ceux à qui la vie a manqué pour raconter ces choses. Et qu’ils me pardonnent de n’avoir pas tout vu, de n’avoir pas tout retenu, de n’avoir pas tout deviné », mais <a href="https://www.solzhenitsyncenter.org/solzhenitsyn-fund">il consacrera l’ensemble des droits de ce livre</a> – des sommes énormes – à l’aide aux prisonniers politiques soviétiques.</p>
<h2>Un passé qui ne « passe » toujours pas</h2>
<p><em>L’Archipel du Goulag</em> a circulé sans discontinuité en URSS grâce au samizdat et a marqué un tournant net dans la complaisance des intellectuels occidentaux pour le régime soviétique. Sa publication en France, où le Parti communiste restait très puissant et aligné sur l’URSS, a entraîné des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/histoire-du-communisme-ii-2-4-9000900">débats passionnés</a>. En effet, ce livre posait une « question énorme, considérable, écrasante » que Jean Daniel, rédacteur en chef du <em>Nouvel Observateur</em>, a résumée ainsi : « L’univers concentrationnaire, qui a été inséparable du stalinisme, peut-il être séparé du socialisme ? » Rapidement, Marx aussi a été mis en cause, et une gauche se voulant antitotalitaire a émergé.</p>
<p>Le PCF a, lui, parlé de campagne organisée contre l’URSS, tandis que des rumeurs initiées par les idéologues soviétiques ont prétendu que l’écrivain soutenait des régimes d’extrême droite, et l’ont <a href="https://www.editeurs-reunis.fr/post/ambiguites-face-dissidence-sovi%C3%A9tique-1">assimilé à Laval, Doriot et Déat</a>. Soljénitsyne restera assigné à la droite, voire à l’extrême droite, d’un champ politique qui n’était pourtant pas le sien, mais même le PCF a été obligé de prendre un peu ses distances avec l’URSS. Trop tard : <em>L’Archipel du Goulag</em> est l’une des raisons qui expliquent l’effondrement électoral durable de ce parti.</p>
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<figcaption><span class="caption">Alexandre Soljénitsyne invité de l’émission « Apostrophes », Antenne 2, 9 décembre 1983.</span></figcaption>
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<p>Ce livre est <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/07/04/urss-oeuvre-majeure-de-soljenitsyne-l-archipel-du-goulag-va-etre-publie-par-l-union-des-ecrivains-sovietiques_4142839_1819218.html">publié en URSS</a> pendant la pérestroïka, à partir d’août 1989 et beaucoup croient à un tournant définitif. Comme le formule alors le critique Igor Vinogradov, « un pays qui lit <em>L’Archipel</em> et ensuite tout Soljénitsyne […] sera, dans sa vie de l’esprit, un pays considérablement différent de ce qu’il était avant ». Connaître le passé pourrait empêcher son retour et permettre à la société de guérir des violences subies, pensait-on.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1994/05/28/russie-le-retour-d-alexandre-soljenitsyne-trop-tard_3830661_1819218.html">Soljénitsyne est rentré en Russie en 1994</a>, mais ses compatriotes l’ont trouvé coupé des réalités. Il demeurait cependant le symbole vivant de la dénonciation des camps, et c’est pourquoi ceux qui géraient l’image de Vladimir Poutine ont tenu à ce que celui-ci <a href="https://desk-russie.eu/2023/05/27/ils-ont-fait-le-poutinisme-gleb-pavlovski-lapprenti-sorcier-au-blouson-vert-suite.html">rencontre publiquement l’ancien détenu</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une deuxième rencontre entre Soljénitsyne et Poutine, après celle de septembre 2000, eut lieu le 12 juin 2007.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kremlin.ru</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>L’écrivain est mort le 3 août 2008. Peu après, <em>L’Archipel</em> a été inscrit au programme des lycées et une version raccourcie a été diffusée. Déjà, pourtant, des attaques visaient son auteur. En octobre 2016, Soljénitsyne a été <a href="https://www.academia.edu/38735094/_Solj%C3%A9nitsyne_aujourd_hui_en_Russie_un_h%C3%A9ritage_instrumentalis%C3%A9_Histoire_and_Libert%C3%A9_num%C3%A9ro_sp%C3%A9cial_pour_le_centenaire_de_Solj%C3%A9nitsyne_n_67_d%C3%A9cembre_2018_p_53_62">pendu en effigie</a> aux portes du musée du Goulag, à Moscou, une <a href="https://lenta.ru/news/2016/10/11/gulag/">pancarte le traitant de « traître » et d’« ennemi de la Patrie »</a> ; des statues, des portraits de lui ont été <a href="https://tvernews.ru/news/260212/">vandalisés en Russie</a>. Une guerre violente opposait, et oppose toujours, ceux qui lui rendent hommage et ceux qui ne lui pardonnent pas d’avoir dénoncé les répressions soviétiques. Le passé « ne passe pas », et la situation actuelle en Russie en témoigne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219635/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Vaissié ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur la genèse et l’impact, en URSS et en Occident, de l’un des livres les plus importants du XXᵉ siècle, publié à Paris il y a exactement 50 ans.Cécile Vaissié, Professeure des universités en études russes et soviétiques, Université de Rennes 2, chercheuse au CERCLE (Université de Lorraine), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2064762023-06-04T16:10:11Z2023-06-04T16:10:11ZRetour en Ukraine : dans les villes mortes, les vies absurdes de Bohdan, d’un poulet et d’un chien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529099/original/file-20230530-25-e9wqnl.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1196%2C714&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près d’Izioum, dans l’est de l’Ukraine.</span> <span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Sur la route qui conduit à Kramatorsk, dans le Donbass, nous traversons la tristement célèbre ville d’Izioum, bombardée puis occupée par les Russes et dans laquelle les Ukrainiens ont découvert un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-ce-que-l-on-sait-du-charnier-d-izioum-ou-445tombes-ont-ete-decouvertes-dans-la-foret_5366239.html">charnier</a> à sa libération le 10 septembre. Les destructions sont gigantesques. Rares sont les maisons qui tiennent encore debout. Quelques tanks rouillés traînent dans les champs. </p>
<p>Sur le bord de la route s’amassent des carcasses de voitures et des morceaux de pneus. Plus loin encore, deux bus calcinés gisent sur le côté, pour ne pas gêner la circulation. En mai 2022, les Russes les ont mitraillés, tuant une douzaine de personnes.</p>
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<p>Les champs sont troués de partout. À l’endroit où ont chuté les bombes, l’herbe est plus verte. La terre, retournée sous l’effet des explosions et devenue alors plus meuble, se remet plus vite en vie que les hommes. Les ruines, elles aussi, sont éclatantes. La végétation ne les a pas encore englouties. Pour dater les destructions, il faut observer la végétation. « C’est une question de botanique » écrivait <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-silence-de-l-ange-heinrich-boll/9782020197038">Heinrich Böll</a>. </p>
<h2>Les villes mortes</h2>
<p>À quel moment décrète-t-on qu’une ville est morte ? C’est la <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/190523/lyman-en-ukraine-est-ce-ainsi-que-les-villes-meurent">question posée par le journaliste Paul Daloy au cours de l’un de ses reportages</a>. Un simple coup d’œil rapide sur Izioum montre une facette de la guerre en Ukraine : l’ambition politique de néantiser le monde. </p>
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<p><em>Entre Izioum et Kramatorsk. R. Huët, fourni par l’auteur</em></p>
<p>Kramatorsk, 150 000 habitants avant la guerre, est une des premières villes à l’arrière des fronts de Bakhmout et de Tchassiv Yar. Longtemps ciblée par les Russes, elle est aujourd’hui peu menacée. Le front est à une bonne quinzaine de kilomètres de là, mais depuis le 8 avril 2022, date du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/guerre-en-ukraine-le-podcast-quotidien/episode-25-la-gare-de-kramatorsk-7594263">terrible bombardement de la gare</a> où soixante personnes ont été tuées, les frappes russes n’ont plus provoqué de carnages comparables. </p>
<hr>
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Après deux premiers séjours dans l’Ukraine en guerre en mai et en août 2022, dont il a tiré à l’époque une dizaine d’articles publiés par notre média, l’ethnographe Romain Huët se trouve actuellement de nouveau sur le terrain. Ce « Retour en Ukraine » le conduit aussi bien au plus près des lignes de front qu’à l’arrière, au plus près des populations. Écouter, retranscrire, documenter cette guerre à hauteur d’homme, tel est le projet de cette nouvelle série d’articles.</em></p>
<hr>
<p>Parfois, des obus ou autres missiles – dont j’ignore le nom – éclatent en plein milieu de la ville, comme en <a href="https://www.europe1.fr/international/ukraine-face-aux-bombardements-quasi-quotidiens-kramatorsk-se-vide-de-ses-habitants-4167692">février</a> et <a href="https://www.tf1info.fr/international/en-direct-guerre-ukraine-russie-aujourd-hui-entre-zelensky-et-poutine-les-dernieres-informations-du-samedi-18-mars-2023-2251333.html">mars</a> 2023. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528802/original/file-20230529-23-fw47mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528802/original/file-20230529-23-fw47mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528802/original/file-20230529-23-fw47mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528802/original/file-20230529-23-fw47mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528802/original/file-20230529-23-fw47mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528802/original/file-20230529-23-fw47mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528802/original/file-20230529-23-fw47mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Kramatorsk.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>C’est une ville stratégique. Les habitants sont rares. Elle est plutôt occupée par les combattants et les volontaires qui viennent prendre quelques jours de repos avant de (re) partir au front.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/529101/original/file-20230530-12003-q3c6n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/529101/original/file-20230530-12003-q3c6n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/529101/original/file-20230530-12003-q3c6n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/529101/original/file-20230530-12003-q3c6n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/529101/original/file-20230530-12003-q3c6n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/529101/original/file-20230530-12003-q3c6n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/529101/original/file-20230530-12003-q3c6n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/529101/original/file-20230530-12003-q3c6n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Quelques « stands » improvisés à Kramatorsk. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Les rues sont jonchées de choses dérisoires à vendre. Les rares civils étalent de vieux pantalons militaires, des casseroles usées, des piles, des lampes de poche défectueuses, etc. Comme ces vendeurs amateurs n’ont guère de chances de trouver des acquéreurs, ils laissent derrière eux ces menus objets dégradés.</p>
<p>Quelques commerces alimentaires et militaires sont ouverts. On peut savourer un cheesecake, un cappuccino, un hamburger dans l’un de ces cafés ouverts depuis quelques mois. La vente et la consommation d’alcool sont interdites. Naturellement, les plus débrouillards trouveront sans problème les bonnes adresses pour s’en procurer. </p>
<p>Kramatorsk est un étrange « entre-deux ». Les bruits de la vie normale, des tondeuses et des débroussailleuses pour entretenir les espaces verts se confondent avec ceux des combats quotidiens. De jour comme de nuit, le son des bombardements et des sirènes ne cesse jamais. C’est une sorte de bruit de fond continu, une malsaine musique d’ambiance. Il est incroyable de constater l’obstination insensée de mettre de l’ordre dans ces espaces verts quand, non loin de là, tout s’écroule. Pour passer outre la catastrophe en cours, on renoue avec la routine quotidienne autant que possible, <a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/pochebabel/de-la-destruction">soulignait W. G. Sébald</a>. </p>
<p>La présence de la vie, ici à Kramatorsk, est un soutien moral pour les engagés sur le front. J’ai pensé à tort que ce semblant de vie normale à quelques kilomètres du front avait un goût amer pour les combattants. Eux ne comptent plus les morts et les blessés tandis qu’à vingt minutes de là, les gens traînent, se reposent, bavardent, tuent le temps relativement sereinement. En réalité, l’effet est le contraire. Ils ont l’impression de combattre pour que la vie, ce genre de vie simple, continue à exister. </p>
<figure class="align-center zoomable">
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<span class="caption">Quelques habitants viennent prendre le soleil sur ce plan d’eau. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>À Kramatorsk, j’attends Mark, un des volontaires que j’avais accompagné à Severodonestk pour évacuer les civils en mai 2022. Il doit me conduire à Tchassiv Yar. Je rejoindrai le bataillon Aidar, composé de combattants et de « medics ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-donbass-esperer-que-le-destin-ne-nous-choisira-pas-183786">Chroniques d’Ukraine : Donbass. Espérer que le destin ne nous choisira pas</a>
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</p>
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<p>Le départ a été reculé à plusieurs reprises. Régulièrement, la route est la cible de l’artillerie russe. Il est bon de n’y aller que lorsque cela est absolument nécessaire. Je profiterai d’une livraison de produits de première nécessité pour faire le trajet. En attendant, je traîne ici, à Kramatorsk. Je m’entretiens avec des combattants, des volontaires et des médecins du front pendant leur rotation. J’assiste aussi à leurs conversations. Ils ne parlent quasiment que du front. </p>
<h2>La vie dans les tranchées</h2>
<p>Avec les mois, les tranchées sont devenues de véritables lieux de vie. Celles des Russes sont réputées de bien meilleure qualité que les ukrainiennes. Elles sont plus sophistiquées, plus confortables. Il existe même des systèmes de drainage. Celles des Ukrainiens sont plus sommaires. Les plus confortables sont celles où sont installés des rondins de bois, évitant ainsi aux combattants de patauger dans la boue. </p>
<figure class="align-center zoomable">
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<span class="caption">Une tranchée ukrainienne, jonchée au sol de rondins de bois. Photo transmise au cours d’une conversation tout à fait ordinaire avec les combattants en repos à Kramatorsk.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La raison est stratégique : les Ukrainiens savent qu’ils risquent de reculer et de perdre les premières tranchées. Ils ne veulent pas faciliter la vie des Russes. Elle est aussi, peut-être, psychologique : les Ukrainiens veulent gagner du terrain. Ils refusent l’idée de s’installer dans les tranchées qu’ils creusent.</p>
<p>Cela signifierait l’abandon d’une guerre de mouvement. Ils se disent à eux-mêmes quelque chose de la sorte : « On s’en fout, demain on va bouger. » Les Russes, quant à eux, préfèrent s’installer. La vie se met en place, extraordinaire et banale, avec ses absurdités.</p>
<p>Car au front, il se passe toujours quelque chose. C’est peut-être en ceci que s’explique une partie de son pouvoir d’attraction. Il concentre tous les événements qui malmènent l’étroit rapport entre la crédulité et l’incrédulité. Au beau milieu des explosions chaotiques et des tirs d’artillerie, la vie est y est constamment en alerte et soucieuse. Elle est aussi incroyablement légère.</p>
<p>Et le front, c’est aussi souvent le « règne de l’absurde ». Des fragments d’existences parallèles s’organisent dans ces tranchées éclatées dans l’espace-temps, tout comme les bribes de récits qui les racontent, et qui soulignent ces moments si décousus, aberrants pour qui vit loin de la guerre. Il y a le récit de Bohdan. Il y a celui de Vitali. Il y a celui de « Scotch », qui me parle d’un chien étrange…</p>
<h2>Le règne de l’absurde</h2>
<p>À Bakhmout, Bohdan a 23 ans. Il a extrêmement peur et n’a aucune envie de combattre. Le commandant l’assigne à un poste : « Tu seras médecin du front. » <em>Medic</em>, comme on dit. Bohdan n’a aucune connaissance médicale. On lui donne un livre pour qu’il apprenne au moins la théorie des premiers secours. </p>
<hr>
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<span class="caption">Le Comte.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photo transmise par des combattants</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>À Bakhmout encore, depuis le début des combats, un chien errant, toujours le même, se traîne inlassablement au milieu des bombes. Il est plutôt laid mais il est en bonne santé. Et à le regarder de près, il a vraiment une tête bizarre : à moitié paumé, ne sachant trop où aller au milieu du paysage lunaire des bombardements.</p>
<p>À Bakhmout toujours, Vitali, combattant, est lui aussi dans une tranchée. Une autre. Ça tire à longueur de journée. Un soir, il trouve un poulet vivant qui se promène à l’intérieur de la tranchée. « Que fait un putain de poulet ici ? », hurle Vitali. Il prend le poulet et s’apprête à le jeter hors de la tranchée. Ça tire de partout. </p>
<hr>
<p>Bohdan, lui, ne supporte rien. Il est effrayé. Il ne veut pas être là et ne pense qu’à partir. Chaque jour, une quarantaine de blessés doivent être pris en charge. Certains ont de sales blessures. Bohdan ne sait pas quoi faire. Il transporte les corps des lignes de front aux points de stabilisation, des sortes de petites caves où l’on donne les premiers soins. Il a l’impression de n’être d’aucune autre aide. Il est incapable d’administrer le moindre geste médical ou de premier secours. Bohdan est obligé d’être là. Il est un de ces nombreux êtres inessentiels que l’on peut « gaspiller ici » en première ligne. Personne ne pleurera sa mort.</p>
<hr>
<p>Au milieu des blessés, le chien exaspère les équipes. Il se précipite vers chaque corps, lèche les plaies. On dirait qu’il s’en délecte. Chassé par les combattants, sous le bruit et les bombes, il revient pourtant toujours.</p>
<hr>
<p>Bohdan a beau lire le manuel des premiers secours, il n’y comprend toujours rien. L’état constant de panique ne l’aide pas. On le traite assez mal. Il veut juste se barrer de cet endroit. Les commandants ne lui en donnent pas l’autorisation. </p>
<hr>
<p>Au moment où Vitali s’apprête à balancer le poulet hors de la tranchée, son commandant hurle : </p>
<blockquote>
<p>« Laisse le poulet ! » </p>
<p>« Tu veux qu’on le bouffe ? » demande Vitali. </p>
<p>« Pas question. Le poulet, il reste avec nous. » </p>
</blockquote>
<hr>
<p>Le soir, Bohdan et ses camarades d’armes picolent. Bohdan s’en donne à cœur joie. Ça fait marrer tout le monde. Dans un état lamentable, le bougre ne tient plus debout. Les moqueries et les humiliations fusent. </p>
<hr>
<p>Scotch, une autre <em>medic</em>, est occupée à soigner un blessé. Le chien accourt pour se gaver de sang. Elle le dégage, part s’occuper d’un autre blessé à quelques mètres de là. Quand elle se retourne, elle voit ce putain de chien plonger son museau dans la plaie du premier blessé, immobilisé, quasi inconscient, incapable de le virer par ses propres moyens.</p>
<hr>
<p>« Le poulet est important, personne ne le bouffera » répète le commandant. Le matin même, juste derrière les tranchées, des artilleurs tiraient sur les Russes. L’abri où ils étaient planqués a été pulvérisé par une roquette russe. Au milieu des décombres encore frais, il y avait ce poulet. Le commandant, l’a attrapé, a couru puis s’est jeté dans la tranchée, le poulet dans les bras.</p>
<hr>
<p>Bohdan sort de l’abri, une sorte d’obscure cave. Totalement ivre, il s’empare d’une grenade, revient dans la cave, la dégoupille et la jette sur ses camarades. La grenade roule sous une cuve d’eau. Elle explose. Sasha, un autre conscrit, prend de plein fouet les éclats de shrapnels. Les autres ont été à peu près épargnés grâce à la cuve d’eau qui a absorbé le plus gros du souffle. Sasha est évacué́ vers l’hôpital. Aujourd’hui, il n’a plus de jambes et un traumatisme crânien. </p>
<p>Bohdan est arrêté. Il pleure. Il pleure de tristesse, d’effroi pour son geste, mais aussi de joie. Il est emmené en prison. Il y est encore. Enfin, il est loin du front.</p>
<hr>
<p>Le poulet est devenu la mascotte du bataillon. Il traîne dans le camp, se promène fièrement. Il est chez lui.</p>
<hr>
<p>Les combattants ont donné un surnom au chien : « Le Comte » en référence au « Comte Dracula » ou parfois le « vampire ». Le Comte est resté à Bakhmout. Désormais, il paraît qu’il erre du côté des Russes. Il faut croire que le sang a la même odeur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206476/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Huët ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les récits des combattants ukrainiens font voisiner l’horreur et l’absurde. Comme cette effarante histoire de poulet et de chien dans une tranchée, sous les yeux d’un conscrit qui perd la raison…Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2060242023-05-23T17:51:40Z2023-05-23T17:51:40ZRetour en Ukraine : continuer à documenter la guerre pour en appréhender la réalité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/527750/original/file-20230523-29-ygtyeh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1198%2C898&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À Irpin, près de Kiev.</span> <span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Faire son sac, prendre des piles, des câbles et des cartes SD pour l’enregistreur numérique. Demander son accréditation médias auprès du ministère ukrainien de la Défense avant de partir, de <a href="https://theconversation.com/profiles/romain-huet-212464/articles">revenir sur le terrain pour la troisième fois depuis le début de l’invasion russe</a>, avec ce désir de documenter la guerre. </p>
<p>Dans l’avion pour la Pologne, juste devant moi, un jeune Ukrainien revient aussi. La teneur existentielle de son retour est sans commun rapport avec mes préoccupations. J’imagine qu’il se réinstalle après un long exil, ou alors peut-être rentre-t-il simplement pour quelques jours, pour revoir les siens, ceux qui sont restés. </p>
<p>À l’approche de l’atterrissage, il tient son téléphone en main. Il fait défiler ses photos : les fumées d’une bonne grosse bombe, une autre explosion, un chat (il zoome), un bébé, encore le même bébé, toujours le bébé mais cette fois-ci dans les bras de sa maman, une voiture de sport en cours de réparation dans un garage (il zoome sur le capot), un immeuble détruit, une femme nue (il ne s’attarde pas sur la photo), des amis au restaurant tout sourire devant l’objectif. </p>
<h2>Revenir en Ukraine, une ethnographie des corps en résistance</h2>
<p>Chroniquer la guerre d’un point de vue ethnographique n’est pas une affaire si courante. J’ai <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/51121_1">tenté de le faire au cours de plusieurs séjours en Syrie (2012-2018)</a>, puis en Ukraine, afin de mieux comprendre comment les conflits s’inscrivent dans le quotidien de chacun. </p>
<p>J’ai toujours pensé que ce travail a du sens. Il n’est pas de commenter les combats en cours, les avancées tactiques ou les engins militaires déployés. Tout cela a assurément son importance. Mais il est une chose contre laquelle je lutte en tant que chercheur, c’est que la guerre ne soit plus vue comme une affaire de gens ordinaires ; qu’elle devienne abstraite, qu’elle ne soit commentée qu’en termes de comptabilisation des morts, des blessés, des territoires perdus ou conquis. </p>
<p>Un matin de février 2022, une foule de personnages ordinaires, que rien ne disposait à vivre une telle expérience, se retrouvent avalés par la guerre. Ils assurent les premiers secours, ils deviennent bénévoles humanitaires, chauffeurs, combattants… La violence du monde les a rattrapés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1561979746799452161"}"></div></p>
<p>Depuis ce jour, pour la plupart, ils participent à l’effort de guerre. Ils ont été enthousiastes, patriotes, courageux, gagnés par la lassitude et la fatigue, terrifiés, confiants ; autant d’humeurs propres à toute expérience vivante.</p>
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<p>Au cours des premières semaines, ils n’ont guère eu de temps de réfléchir aux attitudes à adopter. Ils se sont laissés porter par les événements et la mobilisation massive de leurs amis proches ou lointains. Ils ont vécu de longs mois dans la peur et la suractivité. Leur vie s’est soudainement animée. En quelques jours seulement, ils se sont trouvés mêlés à toute une série d’aventures effrayantes et palpitantes. </p>
<h2>Des vies transformées</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/527267/original/file-20230519-25-kcxc92.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/527267/original/file-20230519-25-kcxc92.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/527267/original/file-20230519-25-kcxc92.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/527267/original/file-20230519-25-kcxc92.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/527267/original/file-20230519-25-kcxc92.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/527267/original/file-20230519-25-kcxc92.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/527267/original/file-20230519-25-kcxc92.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/527267/original/file-20230519-25-kcxc92.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vitali, photographié en mai 2022, un an environ avant sa mort au combat. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Chloé Sharrock/MYOP</span></span>
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</figure>
<p>Il faut bien raconter tout ce qu’il s’est passé ces derniers mois et comment ceux qui la vivent ont été changés par le contact quotidien avec la violence. Se mettre à la hauteur d’existences véritablement humaines, rendre compte de ces faits par une observation participante. Participante, parce qu’il s’agit de vivre quelques semaines avec ces activistes, revoir ceux que j’ai laissés en août dernier, date de mon dernier voyage. Ils habitent Kiev, Kharkiv, Kramatorsk. </p>
<p>Depuis, <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-resister-sous-les-bombes-recits-depuis-kharkiv-183402">Vitali, un volontaire de Kharkiv devenu ensuite combattant</a>, que j’avais rencontré il y a un an, est mort à Bakhmout. Dania, un de ses amis, a lui aussi été tué.</p>
<p>Les autres sont encore en vie. À Kiev ou à Kharkiv, ils ont repris le cours d’une vie à peu près normale. Les bombardements se font plus rares, les magasins rouvrent, les habitants reviennent, les volontaires abandonnent leurs engagements et retournent à leurs affaires personnelles. Le retour à la vie normale s’installe presque aussi rapidement que l’état de guerre.</p>
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<p><em>Sur la place de l’Indépendance, plus connue chez nous sous le nom de Maïdan, Kiev, 16 mai 2022. (Fourni par l’auteur; cliquer pour faire défiler).</em></p>
<p>C’est tout une affaire de laisser la guerre derrière soi quand on a été absorbé par elle. Mais un jour, l’ennemi s’éloigne, la mobilisation perd de son évidence, les nécessités quotidiennes pressent à penser à soi, à retourner au travail, à recommencer à gagner sa vie après l’avoir sauvée, à se projeter dans un à-venir.</p>
<h2>Recommencer une vie « normale »</h2>
<p>Après des mois d’une vie agitée et incertaine, presque sans repères, ils retrouvent une vie familière, ordonnée et plus prévisible. Il est arrivé quelque chose et, dorénavant, il n’arrivera plus grand-chose de remarquable. À la fin de mon séjour, je vais retourner à Kharkiv revoir ces gens qui ont lâché la guerre alors qu’elle se poursuit à une centaine de kilomètres de là. C’est là mon premier questionnement : comment retourne-t-on dans un semblant de « vie normale » ? </p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/socio/1963">Sortir de la violence</a> a des coûts subjectifs immenses : perdre toutes ces intensités, ces solidarités fusionnelles, ce sentiment d’une existence utile et entièrement absorbée dans une pure présence au présent. </p>
<p>C’est aussi vivre avec les souvenirs, les images effroyables de l’écroulement du monde.</p>
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<p><em>Un pont routier à Irpin, détruit pendant les combats en 2022, est en cours de reconstruction. (Fourni par l’auteur; cliquer pour faire défiler)</em></p>
<p>J’imagine que les <a href="https://www.who.int/europe/fr/news/item/16-02-2023-amid-a-year-of-relentless-war--who-regional-director-for-europe-strengthens-commitment-for-mental-health-services-during-visit-to-ukraine">troubles mentaux ou les manifestations dépressives augmentent</a>. J’entrevois toutes les difficultés à se réinscrire dans un monde organisé et, pour beaucoup, à conduire une vie bien plus précaire qu’autrefois, ne serait-ce que parce que de nombreux logements ont été détruits et de beaucoup d’emplois ont disparu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/psychologie-le-coping-ou-comment-nous-faisons-face-aux-stress-intenses-178833">Psychologie : le « coping », ou comment nous faisons face aux stress intenses</a>
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<p>L’inverse est sans doute aussi vrai : peut-être retrouvent-ils la joie de l’insouciance et, fiers d’avoir d’avoir participé à mettre en échec les attaques russes, goûtent avec satisfaction aux plaisirs d’une vie simple et préservée des dangers.</p>
<p>Mais la guerre n’a pas disparu. Elle est toujours là, seulement plus lointaine. Ils se soucient moins de leur vie personnelle que de celle de leurs proches partis au plus près des combats et toujours en proie aux tourments de la violence.</p>
<h2>Dans le Donbass, ceux qui continuent</h2>
<p>D’autres volontaires continuent leur lutte. Je viens tout juste de rejoindre la ville de Kramatorsk, dans le Donbass, pour retrouver Mark, l’un de ces volontaires actifs depuis le début. </p>
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</div>
<p><em>Mark pendant une distribution de produits de première nécessité dans la région de Kramatorsk. (Fourni par l’auteur; cliquer pour faire défiler)</em></p>
<p>Avec d’autres, il continue de livrer des colis dans les villes sinistrées non loin de Bakhmout et <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-la-ville-tchassiv-yar-l-une-des-principales-bases-arriere-de-l-armee-ukrainienne-nouvelle-cible-de-l-armee-russe_5656571.html">Tchassiv Yar</a> où les combats sont d’une intensité effrayante. Jusqu’à récemment, il s’est aussi occupé d’évacuer les civils des territoires menacés d’être conquis par les Russes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/527525/original/file-20230522-21-u9lnp7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/527525/original/file-20230522-21-u9lnp7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/527525/original/file-20230522-21-u9lnp7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/527525/original/file-20230522-21-u9lnp7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/527525/original/file-20230522-21-u9lnp7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/527525/original/file-20230522-21-u9lnp7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/527525/original/file-20230522-21-u9lnp7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/527525/original/file-20230522-21-u9lnp7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Kramatorsk, à l’ouest sur cette carte, se trouve à 36 km à vol d’oiseau de Bakhmout (Artemivsk) (au sud). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran Google Maps</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces volontaires aussi sont transformés.</p>
<p>Ils sont entrés dans des routines, dans des organisations davantage rationalisées et non plus seulement façonnées depuis les élans du cœur. Ils vivent de la guerre et pour elle. Ils se sont habitués à vivre une vie sous tensions, étroite et contrainte par les dangers et les nécessaires sécurisations militaires. Probablement, ils ont diminué la réalité de la violence.</p>
<p>À mesure qu’ils en font l’expérience, l’apprécient-ils différemment ? Ont-ils déplacé les seuils de l’intolérable ? Éprouvent-ils les mêmes chocs des premières fois ? Je ne sais pas s’il existe des êtres qui s’habituent aux visages terrorisés, aux corps blessés, aux vies vécues dans les décombres, dans les caves de fortune, dans les immeubles écroulés, à vivre aux côtés de vies en ruine.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Tombes fleures peintes aux couleurs du drapeau ukrainien, chacune étant surmontée d’un grand drapeau ukrainien" src="https://images.theconversation.com/files/527536/original/file-20230522-15-8xz1x1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C14%2C1200%2C883&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/527536/original/file-20230522-15-8xz1x1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/527536/original/file-20230522-15-8xz1x1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/527536/original/file-20230522-15-8xz1x1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/527536/original/file-20230522-15-8xz1x1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/527536/original/file-20230522-15-8xz1x1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/527536/original/file-20230522-15-8xz1x1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tombes de soldats tués au combat près d’Irpin, ville située à proximité de Kiev. Attaquée par les Russes en février 2022, elle a été le théâtre de violents affrontements avant le retrait des forces russes fin mars de cette même année.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>En Syrie, à mesure que la guerre traînait en longueur, j’ai pu constater comment la profonde affliction pouvait rendre les visages gris, fatigués et sans joie. Plus on s’enfonce dans la violence, plus on désapprend à vivre. Le monde ne devient plus rien pour soi. Les passions les plus tristes sont alors susceptibles d’envahir les esprits endurcis. Qu’en est-il pour ces Ukrainiens au plus proche des combats ? Comment le rapport à la vie et aux ennemis se transforme-t-il ? </p>
<div style="position: relative; width: 100%; height: 0; padding-top: 75.0000%; padding-bottom: 0; box-shadow: 00px 0px 0 rgba(63,69,81,0.16); margin-top: 1.6em; margin-bottom: 0.9em; overflow: hidden; border-radius: 0px; will-change: transform;">
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<p><em>Près d’Irpin, cimetière de véhicules pour la plupart criblés de balles et détruits pendant les combats, devenu lieu de commémoration. (Fourni par l’auteur; cliquer pour faire défiler.)</em></p>
<h2>Regarder bien en face la chair du monde</h2>
<p>J’ai aussi mes habitudes. Il me faut lutter contre ce regard qui banalise ce qu’il voit. C’est un vrai combat intérieur que de se laisser encore surprendre par la réalité, d’être saisi par elle et de ne pas ramener l’inconnu au connu. On distingue les bons observateurs à leur capacité d’attention. Il ne s’agit pas tant de recueillir de bons matériaux que de remarquer des faits apparemment minuscules pour en tirer des enseignements riches sur l’ordinaire de la guerre, ses forces, ses ordres, ses passions et ses déboires. </p>
<p>Une recherche ethnographique cherche à comprendre dans la durée l’effet de la guerre sur les vies ordinaires. Elle cherche aussi à transformer en témoins ceux qui en sont éloignés géographiquement, à travers le simple acte de regarder. Parce que « regarder » engage, disait Lanzman à propos de son film Shoah. Le rôle de l’ethnographie est aussi de regarder bien en face la chair du monde pour la faire voir. </p>
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<p>Ethnographier la guerre, c’est aussi participer à l’effort de narrer ces existences alors que tout s’effondre autour d’elles. Il n’est pas impossible, qu’un jour ces gens ordinaires soient tentés d’oublier pour recommencer à vivre. Il leur arrivera aussi d’être privés d’interlocuteurs qui voudront bien accueillir leurs histoires. C’est le moment cruel de la solitude, de l’esseulement moral après avoir été un sujet héroïque de l’histoire. </p>
<p>Déjà, depuis quelques mois, l’attention publique décline. Le lecteur aussi s’est habitué à la guerre. Les émotions des premières semaines de février 2022 sont vite retombées, les marches de soutien pour le peuple ukrainien se sont vidées, l’indignation devant ces vies détruites tarit. Que l’on soit à quelques milliers de kilomètres ou au centre de la guerre, il se dégage une attitude commune : minorer la réalité de la violence pour s’éviter un terrible vacillement psychique.</p>
<p>Le dilemme est toujours aussi douloureux ; enjamber le réel pour s’en protéger a pour conséquence une complicité avec les horreurs du présent. Une autre attitude, qui apparaît à mes yeux comme absolument souhaitable, est d’être fidèle aux événements et de prendre position vis-à-vis d’eux. Cela requiert « le sens du réel et un certain flair moral », écrivait Jean-Jacques Rosat dans sa préface aux chroniques <a href="https://agone.org/livres/amaguise"><em>à ma guise</em></a> de George Orwell.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206024/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Huët ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un an après deux séjours de plusieurs semaines dans l’Ukraine en guerre, l’ethnographe Romain Huët y est retourné. De Kiev au Donbass, il cherche à saisir en quoi la guerre a changé les Ukrainiens.Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1965262022-12-21T16:20:19Z2022-12-21T16:20:19ZErevan, le « refuge » russe au cœur de l’Arménie<p>Une frêle jeune fille aux cheveux blonds répond à l’appel de son nom : Angela, Svetlana ou Irina… Les jeunes Russes, filles ou garçons, ne sont pas si nombreux à régulariser leur situation au département des visas et de l’enregistrement (OVIR) d’Erevan en demandant la nationalité arménienne, mais on ne peut pas manquer de remarquer leur présence dans la salle bondée.</p>
<p>Depuis plusieurs mois, la salle 110 de l’OVIR d’Erevan ne désemplit pas. Tous les jours ouvrables, il s’y accomplit une prestation collective de serment, rapidement expédiée au son de l’hymne national arménien. C’est le moment solennel où les candidats à la nationalité de ce petit pays marqué jusqu’ici par les stigmates d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2017-3-page-119.htm">émigration massive</a> reçoivent leur passeport arménien au terme d’une procédure administrative sérieusement menée. Les candidats à la nationalité n’ayant pas d’origine arménienne auront répondu à un questionnaire sur la <a href="http://www.parliament.am/parliament.php?id=constitution&lang=frn">Constitution de l’Arménie</a> – ce qui, compte tenu des nombreux amendements intervenus depuis son adoption en 1995, se révèle plutôt complexe.</p>
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<figcaption><span class="caption">Arménie : le refuge russe (Arte, 29 novembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Dans la salle 110, l’immense majorité des personnes portent des patronymes arméniens. Ce sont plutôt des quinquagénaires ; il n’est pas difficile de reconnaître en eux les <a href="https://jam-news.net/sanction-hostages-why-armenian-workers-no-longer-find-it-profitable-to-work-in-russia/">jeunes gens partis travailler et s’installer en Russie dans les années 1990</a>. En 1991, à la chute de l’URSS, ils n’avaient pas demandé leur citoyenneté arménienne. Aujourd’hui, ils sont titulaires d’un passeport russe, mais la guerre en Ukraine les a poussés à solliciter la citoyenneté de leur pays d’origine : côté russe, en effet, la double nationalité n’est strictement interdite qu’aux agents de l’État. Elle semble tolérée dans le cadre d’un certain nombre d’accords bilatéraux.</p>
<p>La présence de ces Arméniens de Russie, jusque là uniquement Russes par la citoyenneté, semble corroborer <a href="https://fr.rbth.com/lifestyle/81510-russie-double-citoyennete">l’existence d’un tel accord</a> – même si, récemment, un oligarque proche de Poutine, Rouben Vardanyan, a dû renoncer à sa nationalité russe pour devenir le 4<sup>e</sup> <a href="https://www.courrier.am/fr/region/ruben-vardanyan-accepte-de-devenir-ministre-detat-de-lartsakh">ministre d’État de l’Artsakh</a>, la république autoproclamée du Karabagh.</p>
<p>Dans le couloir, on croise un jeune homme aux cheveux châtains. Maigre, le teint livide, on repère tout de suite parmi cette foule de Caucasiens cette pâle silhouette surgie de l’univers de Dostoïevski. Au XXI<sup>e</sup> siècle, ses nuits fiévreuses se déroulent sûrement à la lueur bleutée de son écran d’ordinateur. Il n’a pas le physique pour faire la guerre. Pourtant, que vient-il chercher à Erevan, capitale d’un petit pays lui aussi en état de guerre ?</p>
<h2>Des vagues d’arrivée massives</h2>
<p>Leur démographie <a href="https://www.courrier.am/fr/societe/deuxieme-afflux-de-russes-en-armenie-les-risques-pour-le-petit-pays">ne peut être évaluée avec certitude</a> car ils sont arrivés en plusieurs vagues distinctes après le lancement de « l’opération spéciale » en Ukraine le 24 février 2022, puis en septembre après l’annonce de la mobilisation générale partielle.</p>
<p>Ce mois là, 60 000 Russes seraient arrivés à Erevan, depuis la Géorgie voisine ou bien par avion, avec ou sans escales. Certains sont restés à Tbilissi mais, pour beaucoup, la capitale géorgienne s’est avérée moins attrayante qu’Erevan. À Tbilissi, le russe n’est plus parlé par la jeune génération et les Russes <a href="https://cepa.org/article/georgia-a-deluge-of-russians/">n’y ont pas bonne réputation</a>. La situation est différente à Erevan : Poutine et la Russie ont négocié le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/10/haut-karabakh-vladimir-poutine-confirme-un-accord-de-cessez-le-feu-total-entre-armenie-et-azerbaidjan_6059150_3210.html">fragile accord de cessez-le-feu</a> qui a mis un terme à la seconde guerre du Haut-Karabagh (17 septembre-10 novembre 2020). Certains jugent que les Russes n’ont rien fait pour sauver l’Arménie dans cette guerre ; d’autres, au contraire, que leur présence est déterminante pour l’avenir du pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1600773774298689538"}"></div></p>
<p>Le vieux problème de la « russophilie » arménienne refait surface. Celle-ci est largement imposée par les circonstances car l’Arménie, enclavée entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, est menacée par ses ennemis. La situation était à peu près la même, voici cent ans : en 1920-1921, au moment de la soviétisation, les Russes, c’est-à-dire l’Armée rouge, furent accueillis à Erevan en « sauveurs ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/armenie-une-lecon-dhistoire-dune-actualite-brulante-173225">Arménie : une leçon d’histoire d’une actualité brûlante</a>
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<p>Un jeune Russe âgé de 22 ans arrivé à Erevan en mars 2022 pour échapper à la menace de la conscription témoigne du fait qu’en général, les Russes sont très bien accueillis en Arménie. Les habitants exprimeraient leur reconnaissance vis-à-vis de la Russie pour son aide dans le règlement du conflit de l’Artsakh. Et de manière un peu paradoxale, cette reconnaissance s’exprimerait à l’égard de tous les Russes, y compris ceux qui sont à Erevan précisément pour échapper à l’armée russe…</p>
<h2>Les « Relokanty » à Erevan : une réalité contrastée</h2>
<p>Ils sont partout dans le centre comme dans la périphérie de Erevan. Pour le plus grand bonheur des agents immobiliers et des propriétaires de commerces, restaurants et cafés. Certains propriétaires <a href="https://fr.euronews.com/2022/07/17/avec-lafflux-de-russes-a-erevan-les-loyers-senvolent-depuis-le-debut-de-la-guerre-en-ukrai">n’ont pas hésité à se débarrasser des locataires locaux</a> pour les remplacer par des <em>relokanty</em> à la bourse mieux garnie. Toutefois, si la télévision ou le wifi ne fonctionne pas dans votre appartement loué, votre logeuse vous expliquera que « <em>c’est la faute des Russes »</em> qui occupaient cet appartement avant vous et qui auraient défait tous les branchements.</p>
<p>Mais qu’on les remercie ou qu’on les blâme, leur présence se fait sentir partout dans Erevan et dans le reste du pays : cette présence est d’abord celle de la langue russe qu’on n’entendait plus aussi souvent, loin de là, depuis l’indépendance de l’Arménie. Une présence décomplexée de part et d’autre : les jeunes couples émigrés peuvent inscrire leurs enfants dans des écoles russes, publiques ou privées. Ces mêmes couples au mode de vie aisé font leurs courses dans des supermarchés de luxe remplis de produits russes : à Erevan, on trouve tout ou presque – même si évidemment, tout n’est pas à la portée des locaux.</p>
<p>Au supermarché, je croise Gourguen B. Je ne l’avais pas vu depuis trente ans. Issu de l’intelligentsia artistique arménienne, il est parti à Moscou après l’indépendance faire du « business ». Désormais, il est de retour en ville avec son fils de 17 ans. Il redécouvre une ville dans laquelle il est né et où il a grandi, et qu’il trouve « agréable ». Du côté de la <a href="https://www.tsarvoyages-caucase.com/site/cascade-complexe-architectural">Cascade</a>, un guide russe donne des explications à un groupe de touristes amassés autour de la statue d’Alexandre Tamanian, l’architecte fondateur d’<a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_2007_num_38_3_1854">Erevan à l’époque soviétique</a>. Difficile de distinguer les vrais touristes des parents de jeunes réfugiés russes venus en visite. À l’époque soviétique, les Russes adoraient ce pays – on se souvient du fameux voyage en Arménie d’<a href="http://www.acam-france.org/bibliographie/auteur.php?cle=bitov-andrei">Andreï Bitov</a> – et visiblement, c’est toujours vrai aujourd’hui.</p>
<p>Au sommet de la Cascade, on contemple l’Ararat et on profite du soleil encore chaud en cette fin d’automne, on traîne à la terrasse des cafés. Beaucoup mais pas tous, profitent d’un certain climat de <em>dolce vita</em>. Et dans le grand ciel bleu, personne ne prête attention à l’hélicoptère russe qui fait sa ronde, pas plus qu’au Soukhoï qui accomplit ses exercices et subitement, déchire le ciel. Car le paradoxe de ce « refuge » russe à Erevan est qu’il se forme au nez et à la barbe d’une présence russe officielle, politique, économique, diplomatique et militaire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501525/original/file-20221216-20-6ak0gl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501525/original/file-20221216-20-6ak0gl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501525/original/file-20221216-20-6ak0gl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501525/original/file-20221216-20-6ak0gl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501525/original/file-20221216-20-6ak0gl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501525/original/file-20221216-20-6ak0gl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501525/original/file-20221216-20-6ak0gl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des opposants à Vladimir Poutine sont présents en Arménie. Ici, une manifestation en soutien à l’Ukraine à Erevan. Les visages barrés sont ceux de trois des principaux propagandistes russes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">T. Ter Minassian</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les <em>relokanty</em>, quel que soit leur nombre (on avance parfois 300 000 personnes) et les générations auxquelles ils appartiennent, sont issus d’horizons sociaux et géographiques divers.</p>
<p>Les premiers arrivants ont été les « Aïtitchiniki » (employés des entreprises numériques) qui, juste après le déclenchement de « l’opération spéciale » en Ukraine, ont trouvé à Erevan une plate-forme de contournement légal des sanctions. Ces opportunités de délocalisation partielle grâce au télétravail leur permettent de poursuivre leurs affaires basées en Russie, depuis l’Arménie. Le potentiel élevé de l’Arménie dans le domaine des technologies et de l’informatique pourrait être devenu un atout dans ce contexte.</p>
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<p>Ceux qui ont suivi en mars ont des <a href="https://a1plus.am/hy/article/440801">profils différents</a> : Artiom est un jeune journaliste de Saint-Pétersbourg. Il n’a pas de grands moyens et pour lui comme pour un certain nombre de ses compatriotes, les loyers sont chers, même en Arménie. Ils vivent en colocation dans des appartements au standard confortable avec cuisine, salle de bains et machines à laver, dans des chambrées d’au moins trois lits. Les déménagements sont fréquents au gré des finances et des inévitables problèmes avec le propriétaire. Ils ont un sac à dos, une valise, un appareil photo, une guitare ou un saxo. Tard dans la nuit, dans le quartier à moitié détruit de ce qu’il reste du « vieux centre » d’Erevan, il y a désormais de la lumière. D’une fenêtre béante s’échappe une improvisation de jazz.</p>
<h2>La diaspora s’organise</h2>
<p>Les trajectoires des plus jeunes sont en ligne brisée : certains attendent et reçoivent l’aide financière de leurs parents, d’autres bénéficient de l’accès gratuit au logement grâce à certains réseaux de solidarité.</p>
<p><em>Kovtcheg (L’Arche)</em> par exemple est une organisation fondée en mars 2022 par <a href="https://www.facebook.com/anastasiya.burakova.73">Anastasiya Burakova</a>, politologue formée à l’université de Saint-Pétersbourg. Elle semble liée à <a href="https://khodorkovsky.com/what-is-open-russia/"><em>Open Russia</em></a>, fondée en 2014 par l’ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovski, ennemi farouche de Vladimir Poutine, exilé à l’étranger après avoir passé dix ans en prison. La correspondante de <em>Kovtcheg</em> à Erevan, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xSg9IrCfVmU">Darina Maetskaïa</a>, procure aux nouveaux arrivants toutes les informations légales nécessaires (notamment pour l’obtention du permis de séjour au terme des six mois autorisés sans formalités).</p>
<p>Les jeunes Russes émigrants n’ont pas tous un projet précis mais ils se retrouvent dans des lieux branchés, peu fréquentés par la jeunesse arménienne, plus provinciale et plus traditionnelle dans ses goûts et ses comportements. Un petit attroupement de jeunes à capuches signale le Tuf Café, au 42 de la rue Aram, à deux pas de la maison, d’ailleurs toujours en ruines, du fondateur de la République d’Arménie. Dans un décor branché typique de la bohème russe, le <a href="https://vk.com/wall-69375327_756406">Tuf Café</a> est un centre de trois étages disposant d’une cour avec une scène, un bac à sable et des chaises longues, d’un club de tatouage, d’un studio de répétition et d’enregistrement pour les nombreux musiciens qui passent par là, de plusieurs lieux d’exposition et enfin d’une salle au sous-sol spécialement dédiée aux <em>rave parties</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501524/original/file-20221216-27-g4p6wh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501524/original/file-20221216-27-g4p6wh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501524/original/file-20221216-27-g4p6wh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501524/original/file-20221216-27-g4p6wh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501524/original/file-20221216-27-g4p6wh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501524/original/file-20221216-27-g4p6wh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501524/original/file-20221216-27-g4p6wh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Tuf Café.</span>
<span class="attribution"><span class="source">T. Ter Minassian</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Lieu de ralliement, il s’agit quasiment d’une structure d’accueil pour nouveaux arrivants : on y trouve tout, de l’entraide, des contacts, des <a href="https://www.the-village.ru/news/city/matrasi-v-tufe">matelas</a>, et peut-être du travail. Cependant, les soirées payantes (5 000 drams, l’équivalent de 10 euros) ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Là encore, les réseaux mis à la disposition des réfugiés russes semblent très variés et mériteraient une enquête approfondie.</p>
<p>La question du financement de certaines organisations venant en aide aux réfugiés russes est abordée dans un reportage de la chaîne Arte qui évoque sans plus de précisions les fonds de « plusieurs milliers de dollars » mis à disposition par une « ONG pacifiste soutenue par les États-Unis ». Parmi les autres lieux de rencontre du « refuge » russe, le <a href="https://www.facebook.com/GeorgesDOM19/">George’s Dom</a> se trouve sur la rue Sarian où s’agglutinent depuis quelques années de nombreux bars à vins. Les reporters d’Arte mentionnent que le propriétaire se nomme « Ilya » et qu’il est le fils d’un oligarque « proche de Poutine ». Quoi qu’il en soit, il est probable que tous ces lieux de rencontre sont étroitement surveillés par l’ambassade de Russie.</p>
<h2>Soft power et diplomatie culturelle</h2>
<p>D’autres projets semblent d’inspiration plus classique, comme le projet <a href="https://hume.timepad.ru/event/2160397/">HUME</a> qui dispense dans les locaux du Tuf Café des cours sur l’histoire et la culture de l’Arménie. Le projet est destiné à l’intégration culturelle des Russes en Arménie, mais aussi à promouvoir la culture russe auprès des Arméniens. Un concert de musique arménienne et russe a été organisé au <em>Kamerayin</em>, la salle de concert dédiée à la musique de chambre portant le nom du compositeur Komitas.</p>
<p>Enfin, en dehors du « refuge » russe des opposants à Poutine, le soft power russe officiel se déploie quant à lui dans les institutions académiques.</p>
<p>Placées entre autres sous l’égide de l’institut de recherche russe <a href="https://www.imemo.ru/en/about">IMEMO</a>, les « lectures Primakov » délivrent une interprétation conforme aux orientations internationales actuelles de la Fédération de Russie. Une conférence d’experts consacrée aux bouleversements de l’ordre mondial a abordé début novembre 2022, parmi beaucoup d’autres thèmes, l’affrontement entre la Russie et l’OTAN, le « système de sécurité » du Caucase-Sud et les relations russo-arméniennes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501526/original/file-20221216-15-5qwayv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501526/original/file-20221216-15-5qwayv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501526/original/file-20221216-15-5qwayv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501526/original/file-20221216-15-5qwayv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501526/original/file-20221216-15-5qwayv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501526/original/file-20221216-15-5qwayv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501526/original/file-20221216-15-5qwayv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Panneau annonçant les « Lectures Primakov », et portant notamment le sigle de l’IMEMO.</span>
<span class="attribution"><span class="source">T. Ter Minassian</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>À l’Institut des Manuscrits anciens d’Erevan, le célèbre <em>Matenadaran</em>, un colloque consacré aux problèmes de l’exégèse des textes antiques et médiévaux organisé par Nikolaï Grintzer, a rassemblé pendant cinq jours des spécialistes venus de Moscou, de Saint-Pétersbourg et d’autres villes de Russie et représentant l’Université d’État de Moscou (MGU) ainsi que diverses sections de l’Académie des Sciences de la Fédération de Russie. Erevan a donc le potentiel pour être aussi une plate-forme où les intellectuels résidant toujours en Russie pourront rencontrer leurs pairs du reste du monde…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196526/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des centaines de milliers de Russes se trouveraient aujourd’hui en Arménie. La plupart fuient la mobilisation. Le paradoxe, c’est que leur pays d’accueil reste politiquement proche de Moscou.Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1962352022-12-14T18:43:02Z2022-12-14T18:43:02ZParole des accusés : de son importance dans un procès d’assises<p>Alors que le procès des attentats du 22 mars 2016 débute à Bruxelles, la cour belge attend que Salah Abdeslam, mis en cause pour sa participation dans ces événements qui ont causé la <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentats-de-bruxelles-abdeslam-quitte-la-salle-daudience-protestant-contre-ses-conditions-dextraction-07-12-2022-TO3PPQPHUZAATJ5BN35YJ3CNPM.php">mort de 32 personnes</a>, s’exprime aux côtés de huit autres co-accusés. Au premier jour de l’audience, mardi 6 décembre, <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/attentat/attentats-bruxelles/proces-des-attentats-de-bruxelles-salah-abdeslam-et-quatre-co-accuses-quittent-la-salle-d-audience-72411336-760c-11ed-8f92-c4b50591c8c5">ils ont été cinq à quitter la salle d’audience</a>, jugeant « leurs conditions d’extraction » et de transferts entre cellules et prisons indignes. Or leur présence et leur parole sont particulièrement importantes dans ce type de procès.</p>
<p>Lors du procès des attentats de Paris, du 13 novembre 2015, après six années de silence, la parole de Salah Abdeslam, dernier membre du commando terroriste des attentats de Paris encore en vie, était également très attendue par la cour, les avocats et les parties civiles. Après avoir usé de son droit au silence, il a finalement <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/direct-proces-du-13-novembre-salah-abdeslam-le-principal-accuse-doit-a-nouveau-etre-interroge-4b21abc0-baf6-11ec-8d6e-c8becc50df10">« livré sa vérité »</a> lors de ce procès et il faut souligner l’immense travail réalisé par les avocats, durant l’audience et en amont, pour aboutir à cette parole.</p>
<h2>Le poids de la parole de l’accusé</h2>
<p>Le mot « justice » vient du latin <em>ius</em>, « le droit », et <em>dicere</em>, « dire », étymologiquement, il signifie « dire le droit ». Ainsi le lien entre la justice et la parole est-il très profond. Cependant, la parole judiciaire a ses propres enjeux et est produite selon des règles et des mécanismes bien spécifiques au dispositif judiciaire. Centrale, dans les procès d’assises régis par l’oralité, la parole est orchestrée par le ou la président·e de la cour qui va la distribuer tour à tour aux différents acteurs. À ce sujet, l’avocat et maître de conférences, <a href="https://journals.openedition.org/droitcultures/308">Jean Danet</a> écrit :</p>
<blockquote>
<p>« ce qui va se dire dans l’enceinte de justice, c’est une parole socialisée, encadrée par des règles très précises, finalisée, inscrite dans le temps, dans la durée, dans un contexte »</p>
</blockquote>
<p>Dans cet article, nous proposons de voir ce que représente la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2017-2-page-265.htm">parole des accusés et quels enjeux de pouvoir</a> elle mobilise pour les différentes parties du procès.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/victimes-de-terrorisme-quelle-indemnisation-189831">Victimes de terrorisme : quelle indemnisation ?</a>
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<h2>Pour la justice : construire la vérité judiciaire</h2>
<p>Dans le cadre d’un procès pénal, les magistrats jugent des faits (un attentat terroriste ou un projet d’attentat par exemple) et l’auteur des faits. Dans ce sens, les interrogatoires visent à comprendre factuellement le ou les crimes commis mais aussi comment ils ont été commis et par qui.</p>
<p>Cela implique de comprendre l’état d’esprit de l’accusé, ses intentions, son degré de discernement au moment des faits, sa liberté d’action. C’est donc en <a href="https://theconversation.com/proces-terroristes-des-trajectoires-pour-comprendre-juger-et-reparer-167808">comprenant qui est l’accusé</a>, à travers son histoire et sa personnalité, que se construit la vérité judiciaire qui doit permettre d’assigner un crime à un individu.</p>
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<p>Dans le cadre du système juridique romano-germanique (<a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2002-1-page-251.htm">Civil law</a>) exercé en France et en Belgique, les informations provenant de l’accusé lui-même, et donc sa parole, ont une valeur particulièrement importante. À titre d’exemple, la présidente du procès des attentats de Bruxelles a reporté de deux mois le début de l’audience, après que plusieurs des principaux accusés aient <a href="https://www.rtbf.be/article/proces-des-attentats-du-22-mars-si-le-box-vitre-est-maintenu-nous-refuserons-de-participer-a-ce-proces-annonce-l-avocat-d-abrini-11056418">refusé de comparaître derrière des box vitrées</a>.</p>
<p>Elle a en effet estimé que le dispositif viole le droit des accusés à un procès équitable (article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, CEDH ci-après) et <a href="https://www.rtbf.be/article/proces-des-attentats-de-bruxelles-la-cour-ordonne-le-demontage-des-boxes-des-accuses-11068228">expliqué que</a> :</p>
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<p>« C’est une bulle qui les exclut de leur procès, une entrave à la communication, entre autres, avec les avocats. Il y a une difficulté de voir les accusés tant pour le futur jury que pour la présidente. Cet isolement réduira ou anéantira la participation des accusés à leur procès. »</p>
</blockquote>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lutte-antiterroriste-les-mailles-du-filet-francais-sont-encore-bien-trop-larges-167814">Lutte antiterroriste : les mailles du filet français sont encore bien trop larges</a>
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<p>Appliquant un modèle de justice inquisitoire et contradictoire, la cour va questionner les accusés et écouter leur version des faits afin de produire la vérité judiciaire au sein de débats dits « contradictoires » car différentes versions d’un même fait s’opposent ou se distinguent.</p>
<p>L’aveu de sa culpabilité par l’accusé demeure l’un des principaux enjeux de l’audience. Par l’aveu, l’accusé reconnaît sa responsabilité et son implication dans les faits et il en valide l’assignation. Cependant, il y a eu trop d’abus faits pour <a href="https://www.justicepenale.net/post/2017/02/19/laveu-en-droit-p%C3%A9nal-faute-avou%C3%A9e-faute-%C3%A0-demi-pardonn%C3%A9e">obtenir des aveux</a>, ce qui a entraîné une évolution de leur statut de preuve. Ainsi, durant l’instruction, il fait encore souvent office de « preuve », mais durant un procès, les magistrats mettent un point d’honneur à vérifier les conditions de production de cet aveu afin d’être sûr qu’il est vrai. Aujourd’hui, lorsqu’il est obtenu, l’aveu n’a pas plus de valeur que d’autres preuves plus matérielles <a href="https://www.em-consulte.com/article/829744/l-aveu-reine-des-preuves-l-aveu-dans-la-procedure">par exemple</a>.</p>
<p>L’aveu n’est pas tant « ce que l’on veut entendre » que « ce que l’accusé est prêt à livrer de lui et de sa propre vérité ». Des chercheurs nuancent toutefois cette parole dite « libre » par les acteurs de la justice pénale et le cadre de production, très contraignant, de cette parole. La chercheuse en linguistique Evelyne Saunier écrit <a href="https://journals.openedition.org/semen/14168">à cet effet</a> :</p>
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<p>« Le “bon accusé” est celui qui illustre au mieux son portrait en se cantonnant à l’incarnation d’une figure saisissable. Son registre est celui de l’émotion, non de la raison. »</p>
</blockquote>
<h2>Pour les victimes : pouvoir comprendre</h2>
<p>Avant toute autre chose, les victimes et les parties civiles attendent du procès l’occasion d’être reconnues juridiquement en tant que victime des faits. Elles souhaitent être entendues par la cour mais aussi par les accusés, présumés coupables des crimes dont ils sont victimes. S’exprimer devant la justice a, pour certains, un pouvoir salvateur comme l’exprime un père qui a perdu sa fille au Bataclan le <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/proces-des-attentats-du-13-novembre-2015-les-attentes-et-les-craintes-des-parties-civiles-87cb6978-0e4c-11ec-aed2-938cdb0b390a">13 novembre 2015</a> :</p>
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<p>« Beaucoup de rescapés ou de familles de victimes ne se sont pas exprimés dans les médias et vont le faire devant la Cour. Il va y avoir un effet de masse. On va mesurer l’impact dans les esprits et dans les corps. »</p>
</blockquote>
<p>Pour certains, il y a aussi un besoin de comprendre <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/proces-des-attentats-du-13-novembre-2015-les-attentes-et-les-craintes-des-parties-civiles-87cb6978-0e4c-11ec-aed2-938cdb0b390a">ce qui s’est produit et pourquoi</a> :</p>
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<p>« comprendre comment des gens ont pu être ainsi conditionnés pour passer à l’acte. Connaître également le rôle de chacun et leurs connexions. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, la parole des accusés a son importance en ce sens qu’elle permet de construire du sens. Après les traumatismes et la sidération provoqués par un attentat terroriste, la rationalisation et l’élaboration de sens sont des processus essentiels pour la reconstruction des victimes. L’une des fonctions du procès est de faire du lien. Les victimes et les parties civiles sont entendues par la cour, au même titre que les accusés. Il s’agit de réinscrire leurs récits individuels dans un discours collectif, de retisser des liens rompus par les actes criminels. Le magistrat <a href="https://www.cairn.info/des-crimes-qu-on-ne-peut-ni-punir-ni-pardonner--9782738112057.htm">Antoine Garapon écrit</a> :</p>
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<p>« L’expérience racontée cesse d’être simplement vécue : elle devient communicable et permet de faire entrer un événement indicible dans la configuration d’un récit. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, le même événement est-il raconté tel qu’il a été vécu par la ou les victime(s), et tel qu’il a été vécu par le ou les accusé(s). Il s’agit de récits personnels, d’expériences propres à chacun, relatant néanmoins de faits communs que le dispositif pénal va rassembler dans l’espace-temps de l’audience.</p>
<h2>Pour l’accusé : droit au silence et droit d’être entendu</h2>
<p>Conformément à l’article 6 de la CEDH, l’accusé a le droit « à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».</p>
<p>Comme à aucun autre moment de la procédure, l’accusé a l’occasion, lors de son procès, de s’exprimer publiquement, de livrer « sa vérité ». Certains voient cela comme une opportunité à ne pas rater. À la fin du procès de la filière terroriste de Cannes-Torcy, en juin 2017, l’un des 19 accusés <a href="http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2020/01/17.29-Rapport-final.pdf">prononce ces mots</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je remercie les juges d’avoir écouté mon histoire. Pour la première fois, quelqu’un a pris le temps de m’écouter. »</p>
</blockquote>
<p>D’autres, comme Mehdi Nemmouche (attentat au Musée juif de Bruxelles en mai 2014) ou Osama Krayem (attentats de 2015 et 2016 en France et en Belgique), utilisent le droit au silence, également au cœur de l’article 6 de la CEDH et introduit en France par la loi du 27 mai 2014, comme un moyen de désarmer le système inquisitoire en lui refusant une parole clé.</p>
<p>Comme l’explique le magistrat <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2019-1-page-221.htm">Denis Salas</a>, par leur silence, ils exercent une emprise sur le déroulement du procès.</p>
<p>Certains accusés justifient leur silence comme étant leur seul moyen de se sentir encore acteur d’un processus qui leur échappe. Ainsi, après avoir usé de son droit au silence, Salah Abdeslam s’adresse <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/direct-proces-du-13-novembre-salah-abdeslam-le-principal-accuse-doit-a-nouveau-etre-interroge-4b21abc0-baf6-11ec-8d6e-c8becc50df10">au président en ces termes</a> :</p>
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<p>« Si j’ai fait usage de mon droit au silence, c’est parce que je ne me suis pas senti écouté […] Je pense que depuis le début de cette affaire, on ne veut pas voir la personne que je suis vraiment. Les gens n’arrivent pas à accepter ce que je suis vraiment. »</p>
</blockquote>
<h2>La mise en récit de soi</h2>
<p>Le dernier enjeu pour l’accusé que nous souhaitons souligner concerne la valeur transformatrice de la mise en récit de soi, de l’élaboration de sens et de la réflexivité permise par la publicité des débats.</p>
<p>L’accusé a une occasion unique de raconter son histoire et sa version de l’histoire. Il devient <em>sujet</em> et produit sa propre histoire, se donnant ainsi une chance d’être entendu. Mais au-delà d’une simple historicisation, l’accusé qui se saisit d’une histoire qui lui appartient et qu’il donne à entendre, se saisit aussi d’une occasion de redevenir l’acteur de cette histoire et d’agir sur la suite. Ce phénomène de subjectivation a été particulièrement visible lors du procès de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz qui s’est tenu à Paris en 2019 et que nous avons étudié dans le cadre de <a href="https://www.theses.fr/s352298">nos travaux</a> qui seront rendus publics au printemps prochain.</p>
<p>Les discours des deux principales accusées, Irène Madani et Ornella Gilligmann, ont considérablement évolué tout au long de leur procès. Tandis qu’elles niaient leur culpabilité et minimisaient leurs implications respectives dans les faits au début de l’audience, elles ont, au fur et à mesure des témoignages, des interrogatoires et des auditions, reconnu leurs parts de responsabilité, leurs torts et leur culpabilité. Les derniers mots qu’elles adressent à la cour sont pour demander pardon et <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/10/14/01016-20191014LIVWWW00001-proces-attentat-rate-notre-dame-plaidoiries-verdict-terrorisme-islamisme.php">assurer que le djihadisme ne fait plus partie de leurs projets d’avenir</a>.</p>
<p>La mise en récit de soi a fait l’objet de <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100594820">recherches poussées</a>. Elle est notamment utilisée dans des cadres thérapeutiques ou de développement personnel. Cécile de Ryckel et Frédéric Delvigne, qui ont travaillé sur la construction de l’identité par le récit, <a href="https://www.cairn.info/revue-psychotherapies-2010-4-page-229.htm">écrivent</a> ainsi « la mise en intrigue de nos récits transforme notre agir ».</p>
<p>Pour conclure, nous empruntons au magistrat <a href="https://www.cairn.info/des-crimes-qu-on-ne-peut-ni-punir-ni-pardonner--9782738112057.htm">Antoine Garapon</a> les questions suivantes : le procès est-il le lieu adéquat pour l’élaboration et l’expression de ces récits personnels ? Peut-il être, précisément, le lieu dans lequel ces récits individuels sont réinscrits symboliquement dans un discours collectif ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196235/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Littaye a reçu des financements du Ministère des Armées. </span></em></p>La parole des accusés répond à des enjeux de pouvoirs distincts pour chacune des parties du procès, tout particulièrement dans les affaires de terrorisme.Claire Littaye, Docteure, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1906172022-09-22T18:43:08Z2022-09-22T18:43:08ZAu Bénin, construire à tout prix<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485563/original/file-20220920-18-em2inb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5455%2C3631&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue de Cotonou.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/cityscape-sunset-view-cotonou-benin-republic-1719771760">sope Adelaja/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Construire et habiter « chez soi » sont, au Bénin comme dans bien d’autres pays d’Afrique – du <a href="https://journals.openedition.org/com/6443">Togo</a> à la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-modern-african-studies/article/middle-class-construction-domestic-architecture-aesthetics-and-anxieties-in-tanzania/121A60413113E3609D7F6E55D4844722">Tanzanie</a> et du <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2020-1-page-115.htm?contenu=article">Mali</a> au <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/africa/article/morality-in-the-middle-choosing-cars-or-houses-in-botswana/7314905F3E781CC64B2DAB40DE6A50C5">Botswana</a> –, des ambitions largement partagées par tous ceux qui, des classes populaires aux élites, parviennent à s’assurer des revenus un minimum stables et suffisants pour dégager une certaine épargne.</p>
<p>La construction artisanale est ici la norme, le propriétaire engageant un maçon et son équipe pour édifier la maison. Seule la construction d’un bâtiment à étages demande l’intervention de techniciens en bâtiment qualifiés. De tels projets ne concernent fondamentalement que l’élite et les fractions supérieures des classes moyennes, concentrées dans les grandes agglomérations que sont Cotonou, Porto-Novo ou Parakou, même si leur présence est aussi visible ailleurs, au travers des quelques maisons à étages et petits immeubles des agglomérations plus modestes.</p>
<p>Dans les villes secondaires et les campagnes, et même dans les périphéries des grandes villes, une nette majorité des projets de construction en restent au niveau du rez-de-chaussée, et se négocient entre un propriétaire auto-promoteur et un maçon. La croissance urbaine importante du pays, où les statistiques officielles estiment désormais que la <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.URB.TOTL.IN.ZS?locations=BJ">moitié des quelque 12 millions de Béninois vivent en ville</a>, se nourrit largement de cette <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2019-2-page-85.htm?ref=doi&contenu=article">dynamique d’auto-construction</a> dans laquelle chacun s’engage corps et biens. Dépôts de ciment et de matériaux de construction, mais aussi chantiers d’habitations, sont d’ailleurs <a href="https://archive-ouverte.unige.ch/unige:145150">omniprésents</a> dans un pays littéralement en chantier.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’avancée du front urbain à Togbin, dans la banlieue de Cotonou, où quelques constructions déjà achevées cohabitent avec chantiers d’ampleurs diverses et parcelles de maraîchers.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les enjeux de cette croissance urbaine sont <a href="https://journals.openedition.org/poldev/3352">multiples</a>, et sa planification délicate. Mais pour les gens mobilisés par ces projets, l’investissement dans la construction et l’accès à la propriété sont à la fois une question de conditions d’existence et de possibilités ultérieures d’accumulation, et une question de reconnaissance sociale fondamentale.</p>
<h2>Les voies tortueuses de la construction</h2>
<p>En juillet 2022, dans Abomey, une petite ville de province, je repassai voir Guy (les prénoms ont été modifiés), une vieille connaissance que j’avais fréquentée il y a une douzaine d’années. La quarantaine bien engagée, celui-ci s’était vu allouer il y a une quinzaine d’années un emplacement dans la parcelle de son père, afin d’y construire son propre logement. Plombier de profession, il disposait à l’époque de revenus lui permettant un niveau suffisant d’épargne pour s’engager dans un tel projet, et il se mit donc au travail. Il conçut le plan d’un bâtiment de quatre petites chambres et un salon, et parvint en quelques années à faire élever les murs jusqu’au niveau où viendrait se poser la charpente.</p>
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<p>Au début des années 2010, sa mère tombe malade et ses affaires commencent à péricliter, sous l’effet, dit-il, d’une concurrence accrue au sein de la profession de plombier dans la petite ville de province où il réside, Abomey. En 2014, il décide de s’engager dans une formation pour devenir instituteur. Un emploi salarié lui garantirait au moins des revenus réguliers. Toutefois, le niveau de revenus qui est le sien aujourd’hui ne lui permet plus de poursuivre son projet de construction.</p>
<p>Des 60 000 francs CFA par mois qu’il gagne (un peu plus de 90 euros) pendant l’année scolaire, il doit en effet d’abord retirer 10 000 francs pour payer l’essence de ses trajets en moto jusqu’au village où il a été affecté, et le reste est entièrement absorbé par les soins que demande l’état de sa maman – « cela me ruine », glisse-t-il –, la scolarisation de ses deux adolescents dans une école privée, et par les frais du ménage, auxquels sa femme, vendeuse de sucre sur le marché local, contribue de façon marginale. Guy habite toujours aujourd’hui dans un bâtiment construit par son père, qu’il partage avec certains de ses frères. Il y a une dizaine d’années désormais que son projet de maison est à l’arrêt, et se transforme doucement en la ruine inachevée d’un rêve brisé…</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Maison inachevée abandonnée" src="https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La maison inachevée de Guy à Abomey.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>C’est assurément dans les classes populaires, où se côtoient petits indépendants, artisans, paysans et petits employés, que le défi de la construction se pose avec la plus grande acuité.</p>
<p>Chez l’ensemble des propriétaires de milieux modestes que j’interroge depuis plus d’un an lors de mes séjours au Bénin sur les motivations et les contours de leurs projets de construction, j’entends des récits soulignant la persévérance et les privations que requiert l’édification d’une maison, et les stratégies d’épargne parfois radicales qu’ils mettent en place pour y parvenir, consacrant parfois plus de la moitié de leurs revenus à leur projet de construction au moment de la fabrique des parpaings et de l’édification des murs.</p>
<h2>Construction et réalisation de soi</h2>
<p>C’est que les enjeux sont considérables, à la mesure des investissements réalisés et des sacrifices consentis. L’édification d’une maison est un accomplissement majeur et une source fondamentale de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/02723638.2017.1286839">reconnaissance sociale</a>. La consécration, aussi, d’une certaine indépendance économique et statutaire. En particulier, dans une société où l’on répète volontiers que « si tu n’as rien, tu n’es rien », construire et habiter son « chez soi » est une manière essentielle de s’affirmer en tant qu’homme.</p>
<p>Les projets de construction, en effet, se conçoivent le plus souvent de manière individuelle dans un pays où les finances restent gérées de manière <a href="https://odagnelie.github.io/docs/lemay_dagnelie_jid.pdf">très largement séparée</a> au sein du couple. Et même si l’on croise parfois un couple ayant mis ses ressources en commun pour construire ensemble, c’est d’abord aux hommes que revient le devoir d’édifier l’habitation familiale. Les femmes peuvent certes, elles aussi, construire leur propre maison. C’est même là un signe de réussite auquel aspirent en particulier les cadres et les grandes commerçantes, mais aussi celles qui s’avèrent capables de dégager une épargne, et que les liens conjugaux rompus ou distendus ont rendues cheffes de ménage. D’une femme qui a construit, on pourra d’ailleurs dire pour souligner son mérite qu’elle « a agi comme un homme »…</p>
<p>L’enjeu toutefois n’est pas de la même nature, et touche moins directement à l’accomplissement d’un idéal féminin. Car pour ce qui est des hommes, « il a construit », « il est chez lui », ou au contraire « il n’a jamais fabriqué une brique dans sa vie », sont autant de manières dont peut être rapportée au quotidien la valeur des individus et jaugée leur réalisation de l’idéal masculin. Et le jugement est d’autant plus sévère sur ceux qui, salariés ou cadres dans la fonction publique ou dans le secteur privé, ont été en position de construire mais n’ont « rien réalisé », et que la doxa populaire accuse alors typiquement d’avoir dilapidé leur argent dans les plaisirs des femmes et de la fête…</p>
<p>C’est ainsi que chacun investit dans une maison qui peut devenir une véritable mise en scène de sa réussite. Dans les couches supérieures de la population, on construit volontiers de grandes maisons à étages, de plus en plus souvent entourées de murs d’enceinte surmontés de barbelés, avant de rivaliser dans la qualité des finitions et des équipements, des jeux de lumières des plafonniers à la qualité du carrelage, au confort du salon et à la taille des écrans plats.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’aménagement progressif du salon dans les classes populaires, où l’on investit souvent les lieux avant la réalisation des finitions. L’embellissement des lieux pourra encore s’étaler sur plusieurs années.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Dans les milieux populaires, les préoccupations esthétiques passent au second plan, mais on s’efforce de plafonner puis éventuellement de peindre les murs de parpaings, d’installer un faux plafond qui isolera un peu de la chaleur du toit de tôles, et peut-être plus tard de carreler la pièce de vie. La possession d’un salon meublé et d’une télévision viendront compléter ce que parents, voisins et amis apprécieront à sa juste valeur comme une belle réalisation. Mais les aléas de l’existence et les imprévus des trajectoires les mieux planifiées prélèveront aussi leur tribut sur les projets engagés, et bon nombre de constructions en resteront finalement à un niveau d’aménagement plus sommaire…</p>
<h2>Construction et accumulation</h2>
<p>La maison, toutefois, n’est pas seulement un lieu crucial d’accomplissement social, à travers lequel se donne à voir un jeu subtil de distinction entre classes et fractions de classes. Elle peut aussi devenir, en particulier dans les milieux populaires et les classes moyennes, un site non moins crucial d’accumulation. Un certain nombre de petits propriétaires construisent en effet dans leur parcelle d’autres logements, avec l’intention de les louer et d’en tirer des revenus complémentaires, susceptibles aussi de devenir leur « assurance vieillesse » une fois qu’ils auront cessé de travailler.</p>
<p>Christian est un mécanicien approchant désormais la quarantaine et vivant lui aussi à Abomey, que j’ai connu en 2021 par l’intermédiaire d’un ami. En 2019, il a revendu sa modeste maison à un voisin qui voulait agrandir sa propre parcelle, réalisant au passage une petite plus-value qui lui a permis de construire l’habitation où il vit désormais.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelles-sources-de-financement-pour-les-pme-beninoises-du-secteur-informel-102027">Quelles sources de financement pour les PME béninoises du secteur informel ?</a>
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<p>Sa nouvelle construction est plus grande que la précédente, et la plus-value lui a aussi permis de construire à côté de sa propre maison une habitation plus petite, formée d’une chambre et d’un salon, qu’il destine à la location. Christian s’auto-contraint à l’épargne pour un peu plus d’un demi-million de francs CFA par an (soit un peu plus de 800 euros), via des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1468-0084.2011.00641.x">systèmes d’épargne rotative</a> connus en Afrique sous le nom de « tontines ». Une telle somme représente sans doute un peu plus du tiers de ses revenus. À son agenda des prochaines années figure en bonne place la réalisation d’autres logements de ce type, avec lesquels il partagera une partie de sa cour, et qui lui fourniront progressivement des revenus complémentaires non négligeables.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La maison de Christian. A gauche, un logement en cours de finition qu’il destine à la mise en location. Au premier plan, le tas de ciment témoigne de la volonté de Christian de ne pas s’arrêter à ce stade de la construction.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Dans les fractions supérieures des classes moyennes et parmi les élites, on investit volontiers dans l’achat de parcelles, à des fins spéculatives – croissance démographique et croissance urbaine font monter rapidement le prix des terrains à bâtir – ou pour y construire des logements destinés à la mise en location. Dans les classes populaires et fractions inférieures des classes moyennes, c’est davantage la parcelle d’habitation elle-même qui accueille ces projets d’accumulation et de diversification de ses sources de revenus.</p>
<p>Au final, dans une société béninoise où la construction se révèle être une passion sociale majeure, l’édification d’une maison constitue un moment clé dans la <a href="https://www.berghahnbooks.com/title/NoretSocial">stabilisation d’une position sociale</a> et la concrétisation d’une forme de réalisation de soi. Entre ceux qui seront parvenus à bâtir leur propre édifice et ceux qui, pour des raisons diverses, y auront échoué, passe une double ligne de partage, qui distingue les uns des autres à la fois dans l’ordre matériel des conditions d’existence et dans l’ordre symbolique de la reconnaissance sociale. Logée au cœur des investissements et des désirs de larges pans de la population, la construction des maisons s’avère ainsi un lieu privilégié d’exploration des rapports sociaux et des aspirations qui font la dynamique d’une société africaine d’aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Noret a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique (FRS-FNRS, Belgique).</span></em></p>Au Bénin, construire sa propre maison est un accomplissement social majeur, dans lequel ceux qui en ont les moyens s’engagent avec passion, chacun à la mesure de ses possibilités et de ses ambitions.Joël Noret, Professeur d'anthropologie, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1890112022-08-22T18:23:10Z2022-08-22T18:23:10ZPortraits d’Ukraine : Alessia, bénévole auprès des réfugiés à Dnipro, 32 ans<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/480402/original/file-20220822-76791-6k4f5e.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C0%2C1509%2C1072&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Alessia à Dnipro, juillet 2022.
</span> <span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Au cours de mon étude ethnographique sur les volontaires ukrainiens (avril, mai et juillet 2022), j’ai participé à plusieurs <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-donbass-esperer-que-le-destin-ne-nous-choisira-pas-183786">évacuations de civils à Severodonetsk et dans ses environs, dans le Donbass</a>).</p>
<p>Lorsque ces territoires sont menacés d’une occupation imminente par l’armée russe, les volontaires se rendent dans les villages avec des minibus et récupèrent les habitants prêts à fuir. Ces voyages sont chaotiques et extrêmement dangereux. Souvent, ils se déroulent dans des zones grises, entre l’armée ukrainienne et les forces russes. C’est au cours de l’une de ces opérations de secours que le journaliste français <a href="https://www.sudouest.fr/international/europe/ukraine/mort-de-frederic-leclerc-imhoff-il-voulait-raconter-le-monde-l-hommage-au-journaliste-tue-en-ukraine-11254691.php">Frédéric Leclerc-Imhoff</a> a été tué le 30 mai 2022. Des volontaires ukrainiens ont également péri, sans que l’on puisse connaître leur nombre exact.</p>
<p>Au cours du mois de mai 2022, j’effectue le trajet avec les exilés, depuis leur village à quelques kilomètres de Severodonetsk jusqu’à leur prise en charge dans la ville de Dnipro, située à 250 kilomètres de là. Ces trajets sont éprouvants. Je suis frappé par le silence qui règne dans ces minibus bondés. Ce n’est pas le silence de la peur, mais plutôt celui de l’abattement.</p>
<p>La violence cerne de toutes parts l’exilé. Il est tenté de se rendre, d’abdiquer face aux forces qui haïssent et détruisent. La douleur est intérieure. Les exilés la gardent pour eux. Dans ce minibus, ils vivent la fin du monde, de leur monde. Ils ne fuient pas la guerre, ils l’emmènent avec eux sous la forme d’images, de sons qui les hanteront durablement.</p>
<p>Dans ce car bondé, nous subissons un moment historique. Brutalité première d’une existence contrainte à se transformer sous l’effet de la violence des hommes. Au bout de la nuit, je rencontre Alessia, une volontaire de 32 ans qui participe à l’accueil des réfugiés dans la ville de Dnipro. Je l’ai revue lors de mon deuxième séjour sur place, en juillet.</p>
<h2>Existence banale et insouciante</h2>
<p>Avant la guerre, Alessia mène une vie banale entre son travail d’architecte, ses vacations dans une école d’architecture et ses amis. Elle est heureuse de son existence. Elle fait peu, mais rien à moitié. Elle confie tout le plaisir qu’elle retire de son travail d’enseignante. Pendant le Covid, elle se démène pour garder le lien avec les étudiants, les soutenir dans l’enfer des études à distance.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/479920/original/file-20220818-10365-a31kna.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/479920/original/file-20220818-10365-a31kna.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/479920/original/file-20220818-10365-a31kna.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/479920/original/file-20220818-10365-a31kna.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/479920/original/file-20220818-10365-a31kna.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/479920/original/file-20220818-10365-a31kna.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/479920/original/file-20220818-10365-a31kna.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Alessia et ses étudiants, avant la guerre.</span>
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<p>Son travail d’architecte l’enthousiasme. Elle fait son métier avec des idées et des convictions qui varient au gré de ses lectures, ses rencontres et ses expériences. Elle déplore la disparition des villages traditionnels ukrainiens avec l’apparition de l’Union soviétique. Elle a à cœur de les reconstruire, de puiser dans l’histoire culturelle ukrainienne pour faire de l’habitat autre chose qu’un espace fonctionnel : « Pour moi, l’urgence est de retrouver des espaces humains, plus fleuris, plus proches de nos codes et de nos traditions. »</p>
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<p>Alessia a aussi le goût du voyage. Début février 2022, elle commence à préparer son futur <em>road trip</em>, prévu au printemps en Turquie. Elle passe ses soirées à tracer son itinéraire, à choisir les villes qu’elle visitera, les endroits où elle souhaite rester un peu pour s’imprégner de l’ambiance locale. Elle a aussi une passion solitaire : la photographie. Son appareil est toujours dans son sac. À chacune de nos rencontres, elle me tire le portrait. Qu’importe que je sois gêné, elle aime capter ces instants, trouver la singularité des expressions dans chaque visage.</p>
<p>Alessia ne s’est jamais intéressée à la chose politique. Elle préfère se tenir à l’écart des rapports conflictuels, de ces misères et ces mensonges propres à la politique qui, si elle y était confrontée directement, affecteraient le rapport innocent, presque naïf, qu’elle a au monde. Elle s’est trouvé une place dans son univers et en retire beaucoup de joie. Avec ses quelques amis, l’humeur est semblable. Les relations sont aussi légères que solides, insouciantes aux turbulences qui agitent l’Ukraine et le reste de la planète.</p>
<h2>24 février 2022 : rattrapée par le fracas du monde</h2>
<p>Aux premiers abords, son visage dégage timidité, humilité et réserve. Mais dès qu’elle se met à parler des sujets qui lui tiennent à cœur, elle dégage une assurance insoupçonnée qui oblige son interlocuteur à se tenir en silence et à écouter. Elle parle lentement mais précisément.</p>
<p>Face à moi, elle ferme les yeux pour se remémorer ses réactions au début de la guerre. Après quelques secondes, son visage s’illumine et elle me raconte simplement et sincèrement cette sinistre chronologie.</p>
<p>Le 24 février 2022, au petit matin, son téléphone sonne. Elle décroche et entend la voix forte et rapide de son frère qui réside à Kharkiv, à quelques kilomètres de la frontière russe, alors que Dnipro se trouve quelque 200 km plus au sud. Il va à l’essentiel : « La guerre a commencé. La ville est bombardée, je vais chercher deux amis et on arrive à Dnipro. » La conversation est brève et urgente. Elle se limite à ces seuls mots nécessaires.</p>
<p>Stupéfaite, elle sent sa tête tourner, le sol se soulever. Elle s’allonge pour ne pas tomber. Elle demeure comme ça quelques minutes, allongée sur le dos, les yeux ébahis devant son téléphone où défilent les nouvelles de l’invasion russe.</p>
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<p>Assaillie par un flot de pensées confuses qui brouillent sa conscience et produisent un sentiment d’irréalité, elle imagine les bruits de la guerre, la terre qui se déchire, les milliers de voitures qui fuient le feu, la rivière du Dniepr charriant le sang. À cet instant, elle souffre plus qu’elle ne pense.</p>
<p>Sa famille est dispersée en Russie et en Biélorussie. Comme <a href="https://theconversation.com/portraits-dukraine-alisa-benevole-25-ans-187908">Alisa</a>, elle vit la douleur de la séparation entre les populations. Sa famille en Russie semble convaincue par les arguments de Vladimir Poutine :</p>
<blockquote>
<p>« Les premiers jours, je hurlais au téléphone. Je hurlais que je n’étais pas nazie, que le peuple ukrainien ne constituait aucune menace pour la Russie. »</p>
</blockquote>
<p>Elle interrompt son récit, aspire l’air profondément pour éviter que sa gorge se noue. Je comprends que ses protestations tournent à vide. Elle ne convainc personne. Peu à peu, les appels et les messages se font plus rares, le sujet de la guerre soigneusement évité. Une faille béante commence tragiquement à les séparer. L’écart qui se creuse entre sa famille n’est ni un manque d’affection ni un défaut d’amour. Il est imposé par les forces politiques.</p>
<h2>Que faire devant un monde qui s’affole ?</h2>
<p>La guerre produit chez certains un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-genevieve-de-gaulle-anthonioz-une-vie-de-resistante">sens de l’accommodement aux situations les plus inextricables</a>. Pour d’autres, elle ouvre quelques chances de réussite matérielle ou sociale. Alessia n’a aucune expérience de résistance. Elle n’a jamais vécu le vertige du refus et du soulèvement. Elle a la sensation d’être assommée par des questions qu’elle ne s’était jusqu’à présent jamais posées : Que faut-il faire ? Que peut-on faire face au monstre de la guerre quand on se pense incapable de tout ? Elle n’a ni compétences militaires, ni médicales. La photo, l’architecture et l’enseignement ne paraissent d’aucun secours dans ces moments : « Où aller lorsqu’on a seulement envie de faire quelque chose ? ».</p>
<p>Alors, avec son amie du même âge, Iona, elles se présentent à l’hôpital, espérant être recrutées comme volontaires. Elles sont amenées à faire quelques pansements, mais comprennent rapidement qu'elles y seront moins utiles qu'ailleurs, du fait de leurs faibles compétences en médecine. Alessia se retrouve seule, avec son envie, sa peur et quelques amies. Elle agit de façon désordonnée au gré des mouvements de son cœur. Elle dépense toutes ses économies en matériel militaire et médical qu’elle envoie à la <a href="https://www.bfmtv.com/international/comment-la-defense-territoriale-ukrainienne-forme-chaque-jour-de-nouveaux-soldats_VN-202207250048.html">Défense territoriale</a>. Curieusement, dans ces instants désordonnés, elle se sent presque normale et forte.</p>
<blockquote>
<p>« La première fois que j’ai craqué, c’est quand on a organisé une visioconférence avec les étudiants. Je leur ai demandé d’allumer leur caméra. J’étais si touchée de voir leurs visages. Certains d’entre eux habitent à l’Est, là où il y a le plus de bombardements. Et puis, il y avait un de nos étudiants qui ne s’était pas connecté. J’ai appelé sa maman de Kharkiv pour avoir de ses nouvelles. Personne n’en avait. C’était un moment terrifiant. »</p>
</blockquote>
<p>Ses yeux se brouillent, les larmes se précipitent sur ses joues. Ce sont ses premières larmes. Elle pleure à nouveau, le jour de son anniversaire, le 18 mars. Ses amis insistent pour le fêter. Elle reçoit pour cadeau un kit de survie composé de nourriture en conserve, de café, de chocolat, de porridge, et une petite bouteille de champagne : « C’est un jour que je n’oublierai jamais. »</p>
<h2>Volontaire pour l’accueil des réfugiés</h2>
<p>Quelques jours après le début de la guerre, la ville de Dnipro change de physionomie. Des milliers de réfugiés affluent en provenance de Marioupol, du Donbass ou de Kharkiv. La mobilisation de la population se fait massive pour les accueillir.</p>
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<p>Avec son amie, Alessia suit le mouvement et décide de prendre en charge un lieu, une garderie située non loin du centre de la ville. Il y a tout à faire : aménager l’espace pour accueillir des familles, trouver des lits, des denrées alimentaires, et organiser le lieu, de sorte qu’il soit vivable. Jour et nuit, à quelques-uns, ils se démènent pour finalement ouvrir ce centre. Il accueillera rapidement une centaine de personnes. Alessia s’occupe particulièrement d’organiser la logistique et l’équipe de bénévoles pour s’assurer d’une présence continue sur place. Elle ne compte pas les heures et dort peu.</p>
<p>Les réfugiés arrivent affolés par leur départ précipité de leurs maisons. Ils sont anxieux, nerveux, parfois paniqués. Beaucoup n’ont aucun plan pour l’avenir. Ils sont en attente, dans l’espoir de retourner dans leur ville d’origine. Elle écoute leurs histoires dont certaines sont effroyables. Elle les conserve toutes en tête : « On essaie d’enregistrer ces récits, il faut les raconter. » Elle se donne cette tâche essentielle de constituer les premières mémoires de la guerre, même si l’attention publique pour ces histoires d’atrocités faiblit. Par la voix de ces familles, elle apprend ce qu’est réellement la guerre. Depuis ce jour, il lui semble qu’elle a perdu son innocence, qu’il n’est plus possible de vivre sans conséquences.</p>
<h2>Soubresauts de la vie intérieure</h2>
<p>Il est assez commun de constater que la guerre tue les questions et <a href="https://www.cairn.info/revue-inflexions-2020-2-page-105.html">débarrasse du souci de soi</a>. Ce n’est pas tout à fait le cas pour Alessia. Elle n’a pas perdu le contact avec elle-même. Depuis le début de la guerre, elle est assaillie par une foule d’impressions nouvelles qui produisent de nombreux soubresauts de sa vie intérieure. C’est d’abord le choc moral d’être témoin des ravages de la guerre, de populations affolées et déplacées, de récits bouleversants des familles endeuillées.</p>
<p>C’est ensuite la peur d’être choisie par le destin au cours de ces bombardements aléatoires, l’incapacité d’oublier la guerre à cause de ces alertes quotidiennes. Elle produit d’incroyables efforts pour s’empêcher de ruminer des pensées sombres. Lourdement, je l’interroge sur ses sentiments contradictoires, sur ce qui, dans ce contexte étouffant et anxiogène de la guerre, la transforme. Elle sait que son être n’est plus le même, qu’elle est durablement changée, que la guerre l’oblige à se défaire d’elle-même.</p>
<p>Mais il lui est difficile de nommer précisément ces transformations : s’est-elle endurcie devant le réel ? A-t-elle perdu l’innocence qui l’aidait à se glisser avec aisance dans le monde ? Qu’est-ce que la conscience soudaine de la brutalité du monde lui a volé ? Il n’est en tout cas rien moins que facile d’expliquer ce qui l’agite intérieurement, des transformations singulières et encore mystérieuses, insaisissables dans le présent de la guerre. Des parties en elle ont été tuées.</p>
<p>Son insouciance passée vole en éclats. Alors qu’elle demeurait à la surface de la vie, tournant volontairement le dos aux abîmes obscurs, elle est rattrapée par la violence du monde et ses conséquences sur les vies humaines. Dans un carnet, elle écrit ses pensées, qu’elle me transmet :</p>
<blockquote>
<p>« C’est difficile de se réveiller le matin dans le noir, difficile d’écouter ces sirènes pendant des heures, difficile d’entendre ces explosions, difficile d’écouter les douleurs et le désespoir des autres, difficile de penser à la mort, difficile de penser au futur, difficile de composer avec toutes ces émotions, difficile d’accepter le silence des autres, difficile de penser que demain pourrait ne pas avoir lieu, difficile d’être. Difficile… »</p>
</blockquote>
<h2>Apprendre à mettre à distance le réel</h2>
<p>Au centre, les bénévoles s’appuient sur quelques psychologues pour aider les réfugiés à affronter la situation, et aussi pour les aider eux-mêmes à surmonter l’abattement et l’effroi qui les saisissent en écoutant les histoires terribles narrées par ces réfugiés. Ils apprennent à mettre à distance le réel, à ne pas se laisser submerger.</p>
<p>Alessia m’explique qu’elle éprouve de grandes difficultés à échanger avec certains exilés qui manifestent de la colère, voire une certaine violence. Les plus nerveux sont les plus taiseux. Ils ne racontent pas leurs histoires par honte, ou parce qu’ils pensent qu’elles n’ont rien de remarquable car elles sont partagées par des milliers d’Ukrainiens. Alors, dans le centre, ils restent seuls, manifestent parfois une certaine hostilité envers les autres.</p>
<p>Il paraît à Alessia que ces hommes ne savent pas traiter leur passé récent, sinon avec un certain mépris destructeur. Elle éprouve une profonde gêne devant ses situations. Elle s’éloigne et préfère s’occuper des enfants :</p>
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<p>« Avec eux, je passe énormément de temps. Ils ne se détruisent pas. Ils éprouvent dans leur corps toutes ces horreurs avec une spontanéité stupéfiante. Ils deviennent facilement des amis. Je dessine et je joue avec eux. »</p>
</blockquote>
<p>Depuis, elle a réalisé quelques cartes postales à partir des dessins des enfants en vue de les vendre pour augmenter les ressources propres du centre d’accueil des réfugiés.</p>
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<span class="caption">Pour les cartes postales, les volontaires choisissent des dessins plus joyeux et symbolisant l’espoir d’une victoire ukrainienne et du retour de la paix.</span>
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<h2>L’économie ordinaire de la guerre et le retour au travail</h2>
<p>Alors que le monde se dissout dans la désolation et le sang, elle est rappelée par les nécessités économiques. À tort, la question financière a été peu évoquée dans les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chroniques-dukraine-120841">précédentes chroniques</a>. Cette considération matérielle, apparemment anodine, est pourtant de toute importance pour Alessia et pour bien d’autres volontaires.</p>
<p>Dans l’épicentre de la guerre, les nécessités économiques sont parfois secondaires. Les volontaires occupent les appartements vides, l’entraide est suffisamment importante pour dispenser des charges financières quotidiennes. En revanche, la guerre ne les supprime pas pour les personnes éloignées du feu. Alessia reprend donc le travail, la tête partagée entre son envie de continuer l’accueil des réfugiés et de retrouver ses projets d’architecture pour lesquels elle a toujours travaillé avec enthousiasme. Elle est partagée entre l’aspiration de reconstituer le monde brisé en morceaux et celle de poursuivre ses activités d’autrefois. Elle retourne au travail, s’adonne à quelques projets de construction, nécessairement moins nombreux qu’avant la guerre.</p>
<p>Par ailleurs, elle n’est pas épargnée par la laborieuse bureaucratie de l’existence quotidienne. La propriétaire de son appartement a augmenté son loyer « car elle a constaté que je ne suis plus seule à l’habiter, mais que nous sommes trois avec mon frère et mon ami ». Le montant du loyer est trop onéreux.</p>
<p>En juillet, le trio se résigne à déménager. Satisfaits, ils décident de fêter ce nouveau commencement dans un restaurant de Dnipro qu’ils affectionnent. Une soirée ordinaire comme ils en passaient régulièrement autrefois. Une légèreté les enveloppe. Ce plaisir simple a une saveur particulière. Pendant un instant, les tumultes de l’Histoire se dissipent. Ils s’entretiennent sur des sujets banals, plaisantent, se remémorent leurs souvenirs communs. C’est un moment hors du temps où ils ne sont plus concernés par la guerre.</p>
<p>Soudainement, peu avant le dessert, une alarme se met à hurler.</p>
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<div class="audio-player-caption">
</div></p>
<p>Ce son strident et insupportable entraîne à nouveau Alessia et les siens dans leur sinistre présent. Ils quittent précipitamment le restaurant. Quelques minutes plus tard, ils voient un premier missile s’abattre à un kilomètre et demi d’eux :</p>
<blockquote>
<p>« Toute cette fumée, ces cris lourds et douloureux, et ce curieux sentiment de se réjouir de survivre à ce missile… Puis, j’ai été rattrapée par ce sentiment glaçant que toute chose est provisoire. Un jour, peut-être, je serai sous l’une de ces bombes. »</p>
</blockquote>
<p>Le soir et le week-end, elle se rend au centre d’accueil des réfugiés pour apporter son aide. Mais, là aussi, les réfugiés sont moins nombreux. Certaines familles rentrent chez elles, même dans les zones occupées, tandis que d’autres s’installent plus durablement dans un logement qu’elles espèrent encore provisoire. Alessia commence à s’habituer à ce nouveau quotidien laborieux. Puis, alors qu’elle me parle, elle se met à sourire avec une soudaine gaieté qui lui va bien : elle a décidé de <a href="https://www.Flickr.com/photos/alesia_sand/page2">faire des photos et de les vendre</a> pour financer les aides humanitaires ou militaires.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/479937/original/file-20220818-15-2hy87f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/479937/original/file-20220818-15-2hy87f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/479937/original/file-20220818-15-2hy87f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/479937/original/file-20220818-15-2hy87f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/479937/original/file-20220818-15-2hy87f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/479937/original/file-20220818-15-2hy87f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/479937/original/file-20220818-15-2hy87f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Alessia Sand, tous droits réservés</span></span>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Alessia Sand, tous droits réservés</span></span>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Alessia Sand, tous droits réservés</span></span>
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<h2>Lucioles</h2>
<p>Il lui arrive d’être prise de mélancolie. Elle scrute la ville, fixe les bâtiments détruits, en quête d’un signe que la situation s’améliorera dans un monde qu’elle trouve de plus en plus à la dérive. La situation politique et militaire n’offre guère de perspectives heureuses à moyen terme. C’est un espoir désespéré, un ultime geste de résistance dans un monde en morceaux ; elle espère seulement retrouver la quiétude, une vie paisible et légère.</p>
<p>Alessia me fait penser à l’une de ces fragiles lucioles chères à <a href="https://www.cairn.info/revue-lignes-2005-3-page-63.htm">Piero Paolo Pasolini</a>. Ces petits insectes à la lumière faible et aléatoire crépitent au milieu de la nuit. Seule l’obscurité permet à l’œil de percevoir leur <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Survivance_des_lucioles-2627-1-1-0-1.html">« danse »</a>. Dans les temps sombres de la guerre, quelques âmes, souvent errantes comme celle d’Alessia, résistent malgré leur fragilité et leur sentiment d’être impuissantes devant l’ampleur du désastre.</p>
<p>Elles ne luttent pas nécessairement pour une grande idée patriotique ou un dessein révolutionnaire. Elles ne sont guidées par aucune totalité de sens. Elles n’ont pas la sensation de se découvrir des puissances par leurs actions. Elles se lèvent et agissent parce que les frontières de l’intolérable ont cédé. En temps de paix, prises par les affaires privées quotidiennes, ces âmes suivent le cours du monde et n’expriment aucun refus éclatant devant leur présent. C’est quand le monde se renverse qu’elles se soulèvent. C’est au prix de mille luttes intimes que ces gestes de refus pourraient, un jour, devenir <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Imaginer_recommencer._Ce_qui_nous_soul%C3%A8ve,_2-3359-1-1-0-1.html">« gestes émancipateurs »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189011/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet article s'inscrit dans la continuité des recherches et de l'ANR portés par l'auteur 'Ethnographie des guérillas et des émeutes : formations subjectives, émotions et expérience sensible de la violence en train de se faire – EGR' <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011">https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011</a>.
</span></em></p>Alessia était architecte et menait une vie paisible. La guerre a bouleversé son existence. Pour ne pas sombrer, elle s’est trouvé une mission : aider les réfugiés affluant dans sa ville, Dnipro.Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1879082022-08-11T17:38:37Z2022-08-11T17:38:37ZPortraits d’Ukraine : Alisa, bénévole, 25 ans<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/478262/original/file-20220809-16-hux0f8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5556%2C3120&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Alisa en gilet pare-balles pendant une livraison de biens de première nécessité dans un quartier de Kharkiv, juillet 2022.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Juliette Corne</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p><em>Spécialiste des questions de violence politique, le chercheur Romain Huët, qui avait déjà séjourné en <a href="https://journals.openedition.org/lectures/54808">Ukraine en 2014</a> au moment de la révolution du Maïdan et <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-un-chercheur-sur-le-terrain-pour-documenter-la-guerre-181540">cette année après le déclenchement de l’offensive russe</a>, a effectué un nouveau séjour sur place dans la deuxième moitié du mois de juillet. Il nous propose plusieurs portraits de personnes qu’il a rencontrées et longuement interrogées durant cette période.</em></p>
<hr>
<p><em>Kharkiv, le 20 juillet 2022.</em></p>
<p>Âgée de 25 ans, Alisa est « engagée volontaire » à Kharkiv. Son rôle consiste à récolter des biens de première nécessité, recenser les besoins des habitants, organiser la distribution et livrer les colis aux familles qui n’ont pas souhaité, ou pas pu, quitter la ville <a href="https://information.tv5monde.com/info/direct-ukraine-kharkiv-toujours-sous-les-bombardements-466105">régulièrement bombardée par les forces russes</a>.</p>
<p>Chaque jour, le cœur inquiet, elle rejoint les quartiers les plus exposés aux tirs de roquettes pour permettre aux quelques habitants restés sur place de survivre. Cette mission est risquée, souvent héroïque… mais <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-les-ruines-linsouciance-et-la-banalisation-de-la-guerre-182601">presque ignorée</a>, aussi bien des observateurs internationaux que d’une bonne partie des Ukrainiens eux-mêmes : le spectacle de la guerre et ses intenses combats est préféré aux résistances ordinaires dépourvues d’éclats, laborieuses et invisibles.</p>
<h2>La guerre n’est pas que « vertige »</h2>
<p>Alisa n’est pas venue chercher la guerre. Elle l’a subie puis s’en est imprégnée. Et lorsqu’elle raconte son histoire, elle en dit peu. À l’entendre, elle n’a rien fait d’exceptionnel, juste « son devoir ». Quand <a href="https://theconversation.com/portraits-dukraine-micha-32-ans-combattant-allemand-de-la-legion-internationale-188103">Micha, le combattant allemand</a>, se plaît à étaler, les yeux brillants et le visage excité, ses aventures dont il exagère à l’envi la dimension spectaculaire, Alisa, elle, s’exprime avec prudence, réserve et presque avec gêne quand elle raconte ses réactions face à la guerre. Elle incarne une tout autre idée de l’héroïsme face à un monde qui s’écroule.</p>
<p>L’enthousiasme est assurément une qualité importante. Mais le valeureux, exalté par sa participation au présent historique, pourrait déchanter bien rapidement. La guerre est une affaire qui traîne en longueur : les journées sont souvent faites d’attente d’un événement qui, pendant plusieurs jours, n’arrive pas, et les occasions de briller sont assez rares. Elle est aussi une affaire de tâches laborieuses d’entretien de la vie, de tensions relationnelles, de soucis face aux lendemains incertains. Elle exige endurance, patience et quelques renoncements à soi. Elle n’est pas que vertige. Entre Micha et Alisa coexistent deux définitions de l’héroïsme qui ne s’opposent pas : celle du physique et des sensations d’un côté, celle de la logistique et du labeur invisibilisé de l’autre côté.</p>
<p>Je retrouve Alisa à Kharkiv, dans le « quartier général » du groupe de volontaires où je l’avais déjà rencontrée <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-resister-sous-les-bombes-recits-depuis-kharkiv-183402">lors de mon précédent séjour</a>, en mai. Coiffée d’une longue natte qui chute jusqu’en bas de son dos, t-shirt large et pantalon cargo, elle est la personne fiable du groupe, celle sur qui on compte les yeux fermés. Pourtant, on n’imaginerait rien de son courage. On a l’impression d’avoir affaire à une jeune femme un peu flegmatique, l’air légèrement fatigué. En réalité, il se dégage d’elle une sagesse, une patience étonnante devant les agitations du monde. Régulièrement, elle bouillonne intérieurement, mais elle garde en elle ses amertumes ou ses colères. Alisa est une personne réfléchie et à la parole rare.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/478280/original/file-20220809-14-rqymsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478280/original/file-20220809-14-rqymsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478280/original/file-20220809-14-rqymsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478280/original/file-20220809-14-rqymsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478280/original/file-20220809-14-rqymsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478280/original/file-20220809-14-rqymsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478280/original/file-20220809-14-rqymsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pendant une pause.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Juliette Corne</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Depuis le premier jour de la guerre, elle est volontaire au <a href="https://www.facebook.com/switchbaby/">Switch Bar</a>, une organisation improvisée qui livre quotidiennement plus d’une centaine de colis alimentaires dans les quartiers les plus touchés par la guerre.</p>
<p>Elle est d’une nature pacifique. Autrefois, son quotidien se partageait entre une vie régulière, rythmée par des horaires fixes et interrompue par ses passions pour la photographie et pour la jonglerie de feu, qu’elle pratique encore pendant les temps de repos. Quand elle n’est pas avec son appareil photo, elle sort ses bâtons et répète inlassablement les mêmes gestes qu’elle présentera plus tard, elle l’espère, devant un public enthousiaste.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/478282/original/file-20220809-22-51g33d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/478282/original/file-20220809-22-51g33d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478282/original/file-20220809-22-51g33d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=676&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478282/original/file-20220809-22-51g33d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=676&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478282/original/file-20220809-22-51g33d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=676&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478282/original/file-20220809-22-51g33d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=849&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478282/original/file-20220809-22-51g33d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=849&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478282/original/file-20220809-22-51g33d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=849&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Un art qui nécessite de la pratique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Rien ne prédisposait Alisa à une existence plongée dans la violence de la guerre. D’ailleurs, elle n’était pas capable de se représenter la forme d’une roquette, d’un missile ou d’un obus. Aujourd’hui encore, elle ne distingue pas la nature des explosifs qui s’abattent sur la ville. Dans ses mots, ces explosions proviennent d’un même objet : « Les roquettes. »</p>
<h2>La vie est plus facile qu’en Russie</h2>
<p>Alisa est née en Crimée. En 2014, peu après l’annexion de la péninsule par la Russie, elle rejoint l’université de Kharkiv, l’une des plus réputées du pays, pour poursuivre des études de mathématiques.</p>
<p>Rapidement, elle se sent ici chez elle. Kharkiv, à une trentaine de km de la frontière russe, est une ville étudiante, aérée par de nombreux espaces verts et d’immenses places. Le rythme de vie y est favorable aux sociabilités les plus épanouies.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/478286/original/file-20220809-20-9eydx9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478286/original/file-20220809-20-9eydx9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478286/original/file-20220809-20-9eydx9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478286/original/file-20220809-20-9eydx9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478286/original/file-20220809-20-9eydx9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478286/original/file-20220809-20-9eydx9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478286/original/file-20220809-20-9eydx9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Kharkiv, deuxième moitié de juillet 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>C’est avec soulagement qu’elle a quitté la Crimée désormais sous occupation russe. Ici, « la vie est plus facile qu’en Russie. Il y a moins de bureaucratie, de lois qui gênent la vie quotidienne, et puis tu peux plus facilement espérer un avenir professionnel. » D’après elle, la vie en Russie est plus laborieuse et les possibilités d’ascension sociale plus étroites.</p>
<p>Début 2022, elle s’attendait à la guerre. Quelques semaines avant le début de l’invasion russe, prête à fuir, elle prépare son sac à dos : « Dans mon sac, j’avais mis mon ordinateur, les documents les plus importants, mon appareil photo et quelques vêtements ». Le 21 février, trois jours avant le déclenchement de l’invasion, elle prend même la précaution de faire un double des clés de son appartement, qu’elle confie à l’une de ses amies au cas où elle quitterait précipitamment Kharkiv.</p>
<h2>Résister à la panique et à l’effondrement intérieur</h2>
<p>Le 24 février, elle est réveillée par les premiers bombardements. Sons glaçants et terrifiants qu’elle entend pour la première fois de son existence. Ils annoncent le basculement du monde, de sa vie et de ses habitudes quotidiennes sans qu’elle ne puisse rien y opposer. Dans ces premiers instants, elle subit entièrement la violence du monde.</p>
<p>En panique, elle appelle deux de ses proches amis, Margo et Bohdan, lequel vient justement, quelques semaines plus tôt, d’ouvrir ce Switch Bar où le petit groupe a pris ses habitudes. Les premières conversations sont des appels à la fuite : « Préparez vos bagages, on se retrouve au bar à 9h, prenez tout ce dont vous avez besoin ! ». Elle est traversée par un étrange sentiment : un mélange de peur intérieure et de comportement normal, comme si son calme extérieur domestiquait l’inquiétant. Elle s’efforce de se préparer à manger lentement et avec application, comme n’importe quel jour ordinaire. C’est sa façon de résister à l’effondrement intérieur et à la panique. À 9h, elle retrouve ses deux amis.</p>
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<p>Beaucoup de gens arrivent en même temps. En quelques heures à peine, le bar se remplit. En réalité, sans qu’ils ne le sachent, sur le plan de la ville le bar, qui se trouve partiellement en sous-sol, est annoncé comme un « abri » que les habitants peuvent rejoindre pour se protéger des bombardements. Plus de 60 personnes affolées et impuissantes se retrouvent agglutinées dans cet espace de quelque 200 m<sup>2</sup>. L’atmosphère est chaotique et nerveuse. Devant l’afflux de personnes dont certaines font des crises de panique, Alisa et ses amis ne songent plus à prendre la fuite. Ils commencent à organiser la vie à l’intérieur de leur bar.</p>
<p>À son commencement, la guerre a ses lois : l’improvisation et la débrouille sont parmi les plus importantes. Il faut sortir de l’abri pour se procurer des biens de première nécessité pour nourrir et loger tout ce monde. Seulement, chaque pas dans ces rues désertes est redouté. Les combats arrivent jusqu’aux portes de Kharkiv. Chaque jour, le centre ville est fortement touché par les explosions.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guerre en Ukraine : Kharkiv en ruine après d’intenses bombardements, Le Parisien, 7 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Les sens d’Alisa sont aux aguets et la confondent. Un moteur de voiture, un oiseau qui vole bas, une porte qui claque sont perçus comme autant de menaces. Les illusions auditives et visuelles sont nombreuses. Aujourd’hui, alors que les troupes russes sont sur le recul, ces menaces la poursuivent toujours. Elles sont moins fréquentes. Elle les a surtout normalisées.</p>
<p>Les premières nuits sont éprouvantes. Alisa ne dort que quelques heures. Sa première tâche est d’écouter jour et nuit la radio pour informer le reste du groupe de la situation militaire. Rapidement, le flot d’informations anxiogènes, nombreuses et souvent contradictoires l’épuise. Dans le même temps, elle se trouve prise par la gestion de la vie quotidienne des soixante personnes vivant dans l’abri. Elle a peu de contacts avec le monde extérieur. Alisa ne peut plus assurer son travail de développeuse de programmes technologiques pour l’entreprise ukrainienne Waverley, mais perçoit encore son salaire. Elle reçoit également des dizaines de messages de soutien, d’inquiétude et de réconfort. Elle est même autorisée à se rendre dans les bureaux de Kharkiv pour y récupérer tout le matériel dont elle a besoin. Elle ira alors chercher une imprimante, quelques t-shirts publicitaires et de nombreux goodies. Récolte dérisoire mais qui a toute son importance dans une situation chaotique où les habitants de la ville manquent d’à peu près tout.</p>
<p>Sur le plan psychologique, Alisa retrouve de l’assurance :</p>
<blockquote>
<p>« C’est un peu personnel, mais avant la guerre, j’avais une peur panique de l’abandon. C’était vraiment gênant dans ma vie quotidienne. Depuis, je me suis trouvé une communauté. C’est vraiment une famille. »</p>
</blockquote>
<p>Elle tisse de nombreuses relations dont la chaleur affective et les soins mutuels l’aident à tenir et à se dépasser. Au bout de deux à trois semaines, progressivement, elle reprend son travail à distance : « Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais j’éprouvais le besoin de remettre en marche mon cerveau, de retrouver une certaine normalité. Alors j’ai composé entre mon travail à distance et mon travail dans la guerre » : d’un côté, les réunions, les exigences de coordination entre collègues, la vie ordinaire de toute entreprise ; de l’autre, les roquettes, les stratégies de survie : « Tu vis dans deux états sans jamais savoir lequel choisir. »</p>
<h2>Les difficultés de la vie en commun</h2>
<p>À mesure que la guerre dure, Alisa s’accommode de la situation. Elle sait qu’elle devra tenir plusieurs mois, voire plusieurs années. La tension nerveuse et la fatigue accumulées depuis cinq mois produisent des réactions intérieures : légères déprimes, désenchantement, irritabilité dans la vie en commun.</p>
<p>L’organisation initiale se fragilise. Désormais, les volontaires sont moins nombreux, mais les relations sont plus consistantes, fiables et promises à durer : « On apprend à se discipliner, à travailler ensemble, à communiquer davantage, à respecter la solitude de chacun, et à anticiper la variabilité de nos réactions émotionnelles. »</p>
<p>Les tentatives d’esthétisation de la guerre, d’en faire un spectacle jouissif de feu et de bravoure, sont nombreuses. Les récits, <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/etudlitt/2004-v36-n1-etudlitt874/010635ar/">souvent remarquablement écrits</a>, exaltent également les solidarités spontanées et généreuses qui s’y nouent. Sur ce point, l’Ukraine a été un exemple parfait. Dès les premiers jours, les centres de volontaires ont été envahis par les candidats qui n’avaient d’autre ambition que d’aider et de se rendre utiles. Dans les interactions ordinaires, les attentions solidaires se vérifient un peu partout.</p>
<p>Alisa explique qu’un voisin a laissé sa voiture au groupe de volontaires avant de prendre la fuite, qu’un autre a confié les clés de son appartement, qu’un dernier a offert une cinquantaine de cartouches de cigarettes, biens rares dans les premiers jours de la guerre. Plusieurs ont également fait don d’une partie considérable de leurs économies.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guerre en Ukraine : le quotidien des résidents de Kharkiv, Radio Canada-info, 5 avril 2022.</span></figcaption>
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<p>À la fin de la guerre, le récit des vainqueurs exaltera cette union inébranlable. Seulement, ces mêmes récits ont tendance à occulter les replis égoïstes et les opportunismes de certains. Les dons spontanés deviennent moins fréquents et les dépenses plus calculées. Les pratiques de détournement ou de corruption s’étendent. L’engagement dans le volontariat est plus lâche.</p>
<p>D’un air désespéré mais fataliste, Alisa explique que certains habitants trouvent toutes sortes de combines pour obtenir deux fois plus d’aides. Elle ajoute que les solidarités initiales se retournent en leur contraire. Le voisin qui a prêté sa voiture tente de la faire rapatrier en Italie, là où il vit désormais en exil. Certains volontaires sont retournés travailler pour subvenir à leurs besoins et ont complètement arrêté le volontariat. Même le généreux donateur des cigarettes a exigé des comptes sur leur écoulement :</p>
<blockquote>
<p>« On lui explique que tout a été distribué et que l’on n’a déjà plus rien. Il nous demande alors le <em>reporting</em> de ces donations. Mais nous, on n’avait tenu aucun registre. Alors il a pensé qu’on a gardé les cigarettes pour nous, alors que juste, on n’était pas encore organisés. On ne s’attendait tellement pas à ça. »</p>
</blockquote>
<p>Dans un monde où plus rien de solide n’existe, les possibles les plus sinistres s’épanouissent. Aux côtés des puissances vertueuses, s’expriment aussi la médiocrité et les mesquineries les plus basses. La guerre change les rapports sociaux : d’un côté, elle crée de nouvelles « familles » entre combattants ou engagés volontaires. De l’autre, elle divise et crée une atmosphère générale de suspicion et d’opportunisme égoïste.</p>
<h2>La joie pour résister à l’accablement</h2>
<p>Ces dernières semaines, les volontaires du Switch Bar s’autorisent quelques distractions, principalement nocturnes : des jeux, des fêtes, des concerts et des spectacles de jonglage. Dans ces moments, l’humeur est joyeuse, débordante et effervescente. Ce sont des instants de dépense, d’extériorisation de toutes ces énergies saturées et empêchées de s’exprimer dans la dureté du quotidien.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/478307/original/file-20220809-13115-gw5chs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478307/original/file-20220809-13115-gw5chs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478307/original/file-20220809-13115-gw5chs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478307/original/file-20220809-13115-gw5chs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478307/original/file-20220809-13115-gw5chs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478307/original/file-20220809-13115-gw5chs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478307/original/file-20220809-13115-gw5chs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le karaoké du bar est très apprécié.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>« On a besoin de vivre, de rire, sinon, émotionnellement, on ne tiendrait pas. » Ils hésitent à montrer au monde que, malgré la situation, ils sourient, rient et s’abandonnent dans la légèreté de l’instant. Les pro-russes pourraient s’en servir pour nier l’existence de l’horreur dans ces épicentres de la guerre : « Sans doute devrions-nous poser devant le monde avec des mines défaites et des airs tristes. Mais non, on préfère exprimer la vie. »</p>
<p>Avec application, ils s’emploient à créer les conditions pour retrouver l’état d’apesanteur suscité par l’ivresse, la sensualité, les <em>karaokés</em>, les effusions collectives. Ces moments hors du temps sont vécus comme des soupirs qui ramènent à la vie. Ils sont nécessaires pour ne pas s’effondrer. Mais le risque existe aussi que ces quêtes d’étourdissement les entraînent au bord de la cohérence.</p>
<h2>Je me suis étonnée de moi-même</h2>
<p>La guerre change les hommes et les femmes. Alisa confie qu’elle s’est étonnée d’elle-même, de ses capacités d’adaptation, de son sens des responsabilités, de son application à démêler toutes les difficultés de la vie ordinaire :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai mieux compris qu’on peut tout faire du moment qu’on est prêt et qu’on est en groupe. »</p>
</blockquote>
<p>Elle n’a cédé ni à la panique ni à l’effondrement intérieur. Ses peurs d’avant la guerre, celles qui la tourmentaient quotidiennement, ont pour le moment disparu. Les petites anxiétés ordinaires qui empoisonnent la vie ordinaire en temps de paix lui paraissent désormais dérisoires. La guerre oblige à déplacer le regard ailleurs, se convaincre qu’il y a mieux à faire que de s’enfermer dans ses malheurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/478309/original/file-20220809-14401-qqm53q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478309/original/file-20220809-14401-qqm53q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478309/original/file-20220809-14401-qqm53q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478309/original/file-20220809-14401-qqm53q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478309/original/file-20220809-14401-qqm53q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478309/original/file-20220809-14401-qqm53q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478309/original/file-20220809-14401-qqm53q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Préparation de colis destinés aux habitants des quartiers environnants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En somme, dans sa réalisation, <a href="https://www.cairn.info/revue-inflexions-2020-2-page-105.html">« la guerre débarrasse du souci de soi » (Hélie de Saint Marc)</a>. Plus encore, elle offre des occasions de s’éprouver intimement et, en certains cas, fait grandir le sentiment de puissance. C’est lorsque la paix revient, lorsque ces occasions de vérification de soi se font plus rares, que l’on constate la violence de la guerre dans les esprits et dans la vie.</p>
<h2>Familles déchirées</h2>
<p>La mère et la grand-mère d’Alisa et d’autres membres plus éloignés sont en Crimée. Leurs échanges se font de plus en plus rares. Ils se limitent à un message toutes les trois semaines dans lequel Alisa écrit « Je suis vivante. »</p>
<p>Sa famille s’est montrée <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/temoignage-entre-russie-et-ukraine-une-famille-dechiree-par-la-guerre-mes-soeurs-ont-besoin-de-temps-pour-comprendre-ce-qu-il-se-passe-ici_4994349.html">incrédule</a> face à la situation réelle en Ukraine : « S’ils ne voient pas les choses de leurs yeux, ils considèrent que c’est faux. Ils m’ont même demandé de faire des selfies devant les destructions. Malgré cela, ils ne savent pas quel camp choisir – ou plutôt, ils ont déjà choisi. Culturellement, ma maman aime l’Ukraine. Mais elle n’accorde pas tant d’importance à ça. Elle préfère la stabilité politique. Et la Russie de Poutine promet quelque chose qu’elle connaît déjà, elle est rassurée. Au début, je parlais chaque jour avec eux. C’était absolument épuisant. J’ai arrêté maintenant. Je me détache. Ma famille, dorénavant, elle est ici, dans ce bar avec tous ces volontaires. » C’est une famille de l’instant, une fraternité « d’obligés » dont on ignore le devenir.</p>
<p>Contrairement à <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-volontaire-pour-entrer-en-guerre-182161">certains autres volontaires que j’ai pu rencontrer</a>, qui trouvaient à certains moments une occasion de s’accomplir dans le monde astructurel de la guerre, Alisa n’envisage son rôle que comme un devoir, excitant parfois, mais dont elle se passerait bien. D’ailleurs, elle refuse de voir ces résistances ordinaires comme des actes héroïques. Ce n’est pas par fausse modestie ou par coquetterie d’héroïne un peu flattée par le regard qu’on lui porte. Elle exprime plutôt le refus de penser l’engagement par la sensation ou par les actes éclatants qui gonflent l’orgueil de son auteur.</p>
<p>La guerre est avant toute chose une affaire laborieuse. Aux discours brûlants et passionnés de la ferveur guerrière, elle préfère le calme et la résolution silencieuse. Son visage, d’apparence insensible, ne cache pas pour autant ses peurs et son désir d’un retour de la paix.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet article s'inscrit dans la continuité des recherches et de l'ANR portés par l'auteur 'Ethnographie des guérillas et des émeutes : formations subjectives, émotions et expérience sensible de la violence en train de se faire – EGR' <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011">https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011</a>.
</span></em></p>La vie quotidienne et les aspirations d’une jeune Ukrainienne qui, depuis le début de l’attaque russe, récolte des biens de première nécessité et les apporte aux personnes dans le besoin.Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1881032022-08-08T17:23:47Z2022-08-08T17:23:47ZPortraits d’Ukraine : Micha, 32 ans, combattant allemand de la légion internationale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/477179/original/file-20220802-15-1h3z39.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1198%2C855&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Micha pendant un court séjour à l’arrière, dans les environs de Kharkiv, juillet 2022.
</span> <span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p><em>Spécialiste des questions de violence politique, le chercheur Romain Huët, qui avait déjà séjourné en <a href="https://journals.openedition.org/lectures/54808">Ukraine en 2014</a> au moment de la révolution du Maïdan et <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-un-chercheur-sur-le-terrain-pour-documenter-la-guerre-181540">cette année après le déclenchement de l’offensive russe</a>, a effectué un nouveau séjour sur place dans la deuxième moitié du mois de juillet. Il nous propose plusieurs portraits de personnes qu’il a rencontrées et longuement interrogées durant cette période.</em></p>
<hr>
<p><em>Kharkiv, le 18 juillet 2022.</em></p>
<p>La ville a changé depuis <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-resister-sous-les-bombes-recits-depuis-kharkiv-183402">mon dernier séjour, en mai</a>. La vie n’est pas revenue à la normale, mais les rues se remplissent progressivement en dépit des <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/guerre-en-ukraine-deux-morts-et-19-blessees-dans-un-bombardement-russe-a-kharkiv-1ffe5710-08d8-11ed-809f-9e7ceb27185e">roquettes qui s’abattent aveuglément chaque jour</a>. Il règne une curieuse atmosphère, une sorte d’entre-deux, entre la guerre et la paix.</p>
<p>D’un côté, quelques badauds se promènent tranquillement. Certains cafés rouvrent, bien qu’ils restent peu fréquentés. Devant le Théâtre dramatique de Kharkiv, les jeunes skaters ont repris la possession des lieux.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/477183/original/file-20220802-11403-3wlvj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477183/original/file-20220802-11403-3wlvj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477183/original/file-20220802-11403-3wlvj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477183/original/file-20220802-11403-3wlvj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477183/original/file-20220802-11403-3wlvj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477183/original/file-20220802-11403-3wlvj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477183/original/file-20220802-11403-3wlvj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Devant le théâtre national.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De l’autre, il y a la guerre, beaucoup de militaires, des checkpoints et des alertes quotidiennes. C’est dans le centre de Kharkiv que je rencontre un combattant artilleur allemand, libéré pour une semaine de toute obligation de service, qui se fait appeler « Micha ».</p>
<h2>Aucune place laissée au doute</h2>
<p>Micha est membre de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-quatre-questions-sur-la-legion-internationale-creee-par-kiev_4999848.html">Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine</a> créée par Volodymyr Zelensky le 27 février 2022. Elle comprend quelques milliers de combattants venus du monde entier pour lutter contre l’invasion russe. Micha l’a rejointe début mars. Il opère sur les fronts de Kharkiv, le long de la rivière du Donets.</p>
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<p>Il est vif et sûr de lui. Il prend place au comptoir du café Marcus. Il commande un Coca-Cola qu’il ingurgite en deux minutes, puis un second et un troisième. Il s’offrira une bière qu’il terminera aussi rapidement, avant même que j’aie terminé mon premier café. Micha est un solide gaillard de 32 ans : 1m90, 90 kg, un corps tendu et puissant. Il correspond exactement aux imaginaires virilistes du combattant. Le corps rempli de tatouages, il parle avec assurance, ne laisse paraître aucun doute et raconte son expérience sobrement mais avec fierté. Il existe des êtres qui paraissent ne pas douter, qui sont <a href="https://journals.openedition.org/conflits/18948">entièrement habités par les buts qu’ils se donnent</a>, convaincus d’être dans le juste.</p>
<p>Cette <a href="https://journals.openedition.org/socio/12289">disposition d’esprit absolument affirmative</a> est sans doute requise pour combattre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-un-chercheur-sur-le-terrain-pour-documenter-la-guerre-181540">Chroniques d’Ukraine : Un chercheur sur le terrain pour documenter la guerre</a>
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<p>Après cinq mois sur le front non loin de la ville, il a obtenu une permission d’une semaine. Épuisé par ces longs mois passés pour l’essentiel dans la forêt, où la <a href="https://news.sky.com/story/ukraine-war-deep-in-the-forest-where-battle-is-fought-via-the-terrifying-howl-of-the-hailstorm-12624276">guerre est d’une très haute intensité</a>, il occupe ce temps pour se ressourcer, laver ses affaires et prendre du bon temps dans les quelques pubs ou parcs de la ville.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/477188/original/file-20220802-10039-9jeb3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477188/original/file-20220802-10039-9jeb3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477188/original/file-20220802-10039-9jeb3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477188/original/file-20220802-10039-9jeb3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477188/original/file-20220802-10039-9jeb3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477188/original/file-20220802-10039-9jeb3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477188/original/file-20220802-10039-9jeb3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans un parc près de Kharkiv.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ses premières réactions une fois en permission sont des plus simples :</p>
<blockquote>
<p>« Prendre une douche, dormir dans un vrai lit, manger, boire, parler avec mes amis et ma famille. Le lendemain, tu te réveilles, tu te sens un homme nouveau. Je me promène aussi dans les parcs de la ville. Je me suis même fait trois nouveaux tatouages ; t’imagines, ici, c’est huit fois moins cher qu’en Allemagne ! C’est ça, ma liberté. »</p>
</blockquote>
<p>Face à l’expérience de l’engagement total dans un quotidien étroit et radicalement fermé, la liberté s’éprouve dans de minces interstices : « Fumer une cigarette, posé dans un parc, ça c’est la vie. » Un geste élémentaire devient le tout.</p>
<h2>« Guerre civilisationnelle »</h2>
<p>Micha a passé quatre ans dans l’armée allemande. Il a <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/afghanistan-lallemagne-marrie-de-la-plus-grande-defaite-politique-de-loccident-20210816_GCAWLTPT3RF3BATY5RJ5CG33DE/">combattu en Afghanistan contre les talibans</a> entre 2009 et 2013. À son retour, sous la pression de sa famille, il quitte l’armée et trouve un travail dans la logistique chez le constructeur automobile BMW. Il vit tranquillement avec sa femme et sa fille de 14 ans, qu’il reçoit en garde alternée.</p>
<p>Au lendemain du 24 février 2022, il regarde avec incrédulité les premières images de l’invasion russe. À ses yeux, il ne fait aucun doute que l’Europe est menacée. Dans le sillage d’un mouvement de solidarité et de soutien inédit dans l’histoire récente, il veut « faire quelque chose face à cette tragique histoire ». Quand Volodymyr Zelensky annonce la création d’un bataillon international, son indignation trouve une prise à son expression.</p>
<p>Il lui faudra seulement deux jours pour faire son sac, rejoindre un convoi humanitaire et se rendre en Ukraine. Sa décision est le fruit d’une délibération sommaire : « Je n’ai pas hésité. C’est un combat pour la liberté, pour l’Ukraine, pour l’Europe. C’est un combat pour la civilisation. » Micha reprend à son compte un vocabulaire familier aux nationalistes de droite. En revanche, il ne se dit guidé par aucune conviction politique particulière. Il critiquera en creux (assez légèrement d’ailleurs), les quelques néo-nazis qui sont dans les bataillons.</p>
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<img alt="Micha pose avec une mitraillette" src="https://images.theconversation.com/files/477661/original/file-20220804-20-nw03gm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477661/original/file-20220804-20-nw03gm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477661/original/file-20220804-20-nw03gm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477661/original/file-20220804-20-nw03gm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477661/original/file-20220804-20-nw03gm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477661/original/file-20220804-20-nw03gm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477661/original/file-20220804-20-nw03gm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Selfie de Micha.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pour grand que soit son attachement à sa famille, ce sentiment d’avoir un devoir à accomplir l’emporte. Lorsqu’il est en première ligne, sa femme et sa fille vivent dans l’inquiétude et l’angoisse, attendant pendant plusieurs jours qu’il donne signe de vie. Mais les inquiétudes sont compensées, explique Micha par la fierté de voir son homme, son père défendre « l’Ukraine, l’Europe ». Quand ils s’écrivent, s’échangent messages vocaux et photos, il y a toujours cette joie des retrouvailles. Je ne serais pas étonné que leurs sentiments s’échangent désormais avec davantage d’intensité. Il n’y a plus de quotidiens laborieux où chacun épuise sa présence avec l’autre.</p>
<p>Sur place, il rejoint rapidement le bataillon international. Les premiers jours sont confus. Les candidats désireux de rejoindre l’armée sont nombreux. L’engagement est émotionnel, viscéral et repose pour l’essentiel sur les « bonnes intentions ». Nombre de candidats n’ont aucun vécu militaire et se font une idée extrêmement vague de la réalité de la guerre. L’armée ukrainienne sélectionnera principalement ceux qui ont une expérience significative de l’armée.</p>
<h2>« David contre Goliath »</h2>
<p>Durant nos sept heures d’échanges, Micha ne cesse de comparer cette guerre à la Seconde Guerre mondiale. Deux armées s’affrontent avec de lourds équipements militaires. Les Ukrainiens sont en infériorité numérique : « C’est David contre Goliath », dit-il avec fascination. Pour lui, la solide résistance des Ukrainiens réside dans leur intelligence tactique. Sur le front, pour l’artillerie, on retrouve toujours la même stratégie : « Tire, cours et cache-toi. »</p>
<p>D’après Micha, les pertes russes sont nombreuses : « sept soldats russes pour la vie d’un Ukrainien ». Néanmoins, la détermination des Ukrainiens et des membres de la légion internationale n’est pas suffisante. Micha se fait le relais du gouvernement ukrainien et se plaint du manque de soutien matériel des nations étrangères. Il vise particulièrement Olaf Scholz, « ce bâtard », lâche-t-il avec rage. <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220607-les-chars-de-la-discorde-bient%C3%B4t-des-leopard-2-en-ukraine">S’il envoyait quelques tanks Leopard 2</a>, « on ferait très mal à l’armée russe. Ces tanks sont incroyables. On gagnerait la guerre. Mais si on reste avec ce matériel, on va la perdre cette guerre, les efforts ne sont pas suffisants ».</p>
<h2>La vie minute par minute</h2>
<p>Le front est d’une très grande intensité. Les bombardements ne cessent jamais : roquettes, hélicoptères, tanks, artillerie, etc. « Je vis minute par minute. » La vie sur le front est une pure présence au présent, une <a href="https://journals.openedition.org/revss/6344">totale concentration à l’instant de la situation</a>.</p>
<p>Pendant de longues heures, il se terre dans un trou. Il est soumis à la forte tension de l’attente. Il doit lutter contre la déconcentration. En silence, il observe et scrute les moindres signes de la présence des ennemis. Ces heures passées là, quasi immobile, lui paraissent durer une éternité : « C’est long, très long. Tu regardes ta montre tout le temps. Tu ne peux même pas fumer pour ne pas être repéré par les Russes. » Il ne prête attention qu’au présent de la situation, à sa tâche. « Un bon soldat est un soldat rigoureux et concentré » dit-il avec fermeté. Quand la présence ennemie est lointaine, lui et ses camarades passent leur temps à creuser des tranchées, à améliorer leurs couchettes creusées dans le sol. Elles ressemblent à des terriers. Les combats n’occupent que 3 % du temps, selon son estimation. Ils sont brefs et intenses. L’infériorité numérique empêche les Ukrainiens de tenir sur un pur affrontement avec l’infanterie russe.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/477671/original/file-20220804-16-e3dlgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477671/original/file-20220804-16-e3dlgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477671/original/file-20220804-16-e3dlgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477671/original/file-20220804-16-e3dlgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477671/original/file-20220804-16-e3dlgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477671/original/file-20220804-16-e3dlgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477671/original/file-20220804-16-e3dlgw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les habitants évitent le centre de Kharkiv, habituellement très vivant. Les monuments sont protégés par des bâches spéciales.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Micha ne tarit pas d’éloges sur le sens tactique des Ukrainiens. Ils sont « fucking brillant » s’exclame-t-il. « Ils apprennent vite et ils ont un sens dingue de l’improvisation. Or, la guerre est une improvisation permanente. Et sur ce point, ce sont les meilleurs. Bon, il y a toujours quelques abrutis, généralement des jeunes, qui prennent des risques inconsidérés ou qui sont légers, mais de façon générale, c’est du solide ».</p>
<p>Sa façon de parler du front rejoint les mêmes histoires, souvent fantasmées, des <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2001-4-page-160.htm">guerres passées</a>. Des récits qui soulignent surtout l’héroïsme de quelques-uns, soldats expérimentés, calmes, organisés, fort physiquement et mentalement, qui ont miraculeusement réussi à s’en sortir. Les autres, ce sont les jeunes, plus indisciplinés et donc plus vulnérables. Le combat est une profession.</p>
<p>Le front est divisé en deux lignes. Il y a la première ligne, celle où l’on combat. Il y reste trois à quatre jours. Puis il retourne à la seconde ligne, située à 7 km de là. Il y stationne autant de temps pour récupérer, laver ses affaires, nettoyer ses armes afin qu’elles « soient comme neuves ». Il tue aussi le temps avec ses camarades, joue aux jeux vidéo sur son téléphone, regarde des films sur Netflix et communique avec sa famille.</p>
<h2>4 000 euros d’équipements matériels</h2>
<p>Cette guerre lui a coûté beaucoup d’argent. Le matériel qui lui a été confié est insuffisant et pas toujours adapté au terrain. Il a dépensé près de 4000 euros pour acquérir un équipement militaire performant : gilet pare-balles, casques, lunettes nocturnes, viseurs, couteau, etc.</p>
<p>La vie sur le front a ses petites complications :</p>
<blockquote>
<p>« Le principal problème est la corruption. Les armes n’arrivent pas. Je ne parle même pas de la nourriture. Imagine, tu es sur le front, et ton kit de survie alimentaire est composé d’une boîte de haricots, de quelques saucisses et d’un paquet de chips. Comment tu fais pour tenir 24 heures avec ça ? Le pire, c’est le kit fourni par les Anglais. Ils ont mis de la poudre de Coca-Cola, mais sans eau. Tu fais quoi avec ton sachet ? »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/477667/original/file-20220804-1334-e3dlgw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/477667/original/file-20220804-1334-e3dlgw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477667/original/file-20220804-1334-e3dlgw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=809&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477667/original/file-20220804-1334-e3dlgw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=809&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477667/original/file-20220804-1334-e3dlgw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=809&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477667/original/file-20220804-1334-e3dlgw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477667/original/file-20220804-1334-e3dlgw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477667/original/file-20220804-1334-e3dlgw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>À ses yeux, les meilleurs kits alimentaires sont slovaques, américains, allemands, roumains ou estoniens. On y trouve de l’huile, du chocolat, des boissons énergisantes, des gâteaux, de quoi faire chauffer de la nourriture, du sel et du poivre, et de la viande de qualité.</p>
<p>Sur le front, ce qui lui manque le plus est la nourriture d’avant. Lorsqu’il quittera l’Ukraine, sans doute à Noël prochain, la première chose qu’il fera, « c’est un bon McDo ou Burger King. Putain, je rêve de ça ».</p>
<p>Il se plaint aussi des nombreux vols – cigarettes, équipements militaires, nourriture :</p>
<blockquote>
<p>« Ça te fout en l’air des choses comme ça sur le front. Et puis, il y a ceux qui volent et ceux qui taxent, qui te grattent chaque jour des cigarettes alors qu’ils ont largement les moyens pour s’en acheter. J’ai arrêté de fumer, te disent-ils, puis une fois arrivés ici, ils te taxent… »</p>
</blockquote>
<h2>Une vie consacrée</h2>
<p>Le front est éprouvant. Néanmoins, il s’en plaint peu. J’aurais aimé trouver en Micha quelques tiraillements, des doutes ou des choses de la vie qui contestent son présent dans la guerre. En sociologue de l’intime, j’espérais trouver des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/28/clementine-vidal-naquet-silencieuses-en-temps-de-paix-les-intimites-deviennent-soudainement-visibles-en-temps-de-guerre_6064614_3232.html">tensions qui traversent n’importe quel humain</a>. Mais Micha n’est pas de ceux-là. Sa vie entière est tendue vers le présent de la guerre, concentrée aux buts qu’il s’est donnés. Le sens du devoir paraît toujours l’emporter. Il superpose la vie aux règles et aux exigences de la guerre. C’est un contournement de soi. La ténacité, l’obstination et la dureté du rapport à soi forment un engagement sacrificiel au nom de ce qu’il considère être la vérité. Le risque existe assurément de s’accrocher au plus près de « son destin » et ainsi, de se priver d’un rapport perpétuellement ouvert à soi.</p>
<p>Aujourd’hui, Micha rejoint à nouveau le front pour cinq mois. Ce genre de vie interdit les plans pour l’avenir. Il s’attend à une guerre longue – deux, trois, peut-être quatre ans. Il y restera jusqu’au bout, me dit-il sans hésiter. Il ne semble pas envier les vies étrangères à la guerre. En Allemagne, « mes amis ne me comprennent pas. Ils pensent que je joue à Call of Duty. Ça ne sert à rien que je leur raconte, ils ne peuvent pas imaginer ».</p>
<p>Cette solitude vis-à-vis des personnes étrangères à la guerre ne produit en lui aucun recul. Sans doute est-ce une sorte d’orgueil dans son esprit. Il se sent dépositaire d’une impérieuse responsabilité : empêcher la ruine d’un peuple.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188103/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet article s'inscrit dans la continuité des recherches et de l'ANR portés par l'auteur 'Ethnographie des guérillas et des émeutes : formations subjectives, émotions et expérience sensible de la violence en train de se faire – EGR' <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011">https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011</a>.</span></em></p>Actuellement en Ukraine, un ethnographe interroge longuement divers acteurs de la guerre. Aujourd'hui, portrait d'un volontaire allemand rencontré durant un court séjour à l'arrière.Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1842122022-06-05T16:24:25Z2022-06-05T16:24:25ZLe massacre de Tadamon : une enquête secrète de chercheurs sur la politique d’extermination en Syrie<p><em>Le Parquet national antiterroriste français a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/massacre-a-tadamon-en-syrie-en-2013-la-justice-examine-les-fichiers-transmis-au-quai-d-orsay-20220817">indiqué ce 17 août</a> avoir reçu «une importante documentation relative à de possibles crimes commis par les forces du régime syrien (…) lors du massacre de Tadamon, à Damas, en 2013». Selon le Quai d'Orsay, «les faits allégués sont susceptibles d'être constitutifs de crimes internationaux les plus graves, notamment de crimes contre l'humanité et crimes de guerre», crimes pour lesquels la justice française dispose d'une compétence universelle. Ce nouveau développement nous incite à vous proposer de relire cet article/entretien consacré à l'enquête édifiante qui a permis de révéler au grand jour le massacre de Tadamon et l'identité de certains de ses auteurs.</em></p>
<p>Début 2019, à Paris, Uğur Ümit Üngör, chercheur au <a href="https://www.niod.nl/en">NIOD Institute of War, Holocaust & Genocides Studies</a> de l’université d’Amsterdam, participe à une conférence universitaire lorsqu’un activiste syrien résidant dans la capitale française demande à le rencontrer discrètement. Quelques heures plus tard, le professeur se retrouve en possession de 27 vidéos uniques et inédites. Elles viennent d’arriver de Syrie, exfiltrées par un jeune milicien pro-Assad depuis un ordinateur des renseignements militaires à Damas. Sur ces enregistrements : des scènes d’atrocités de masse commises par les services syriens.</p>
<p>Trois ans plus tard, le 27 avril 2022, <em>The Guardian</em> <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/apr/27/massacre-in-tadamon-how-two-academics-hunted-down-a-syrian-war-criminal">publie</a> des images choc de l’exécution de 41 civils. Le journal britannique explique que ce massacre, qui a eu lieu le 16 avril 2013 dans une banlieue sud de Damas, Tadamon, a été révélé par deux chercheurs de l’Université d’Amsterdam : <a href="https://www.niod.nl/en/staff/ugur-umit-ungor">Uğur Ümit Üngör</a> et sa collègue syrienne Annsar Shahhoud, chercheuse sur la violence de masse dans le conflit syrien.</p>
<p>Le lendemain de cette révélation, les deux chercheurs publient dans le <a href="https://newlinesmag.com/reportage/how-a-massacre-of-nearly-300-in-syria-was-revealed/">magazine américain <em>New Lines</em> un article</a> expliquant le cadre académique de leur enquête dissimulée (<em>Covert Research</em>) auprès des assassins. Celle-ci leur a pris trois ans de travail secret, dont ils n’ont rien dit à quiconque, pas même aux membres de leurs familles respectives.</p>
<p>La vidéo publiée, affirment-ils, ne montre pas tout ; le massacre Tadamon a vu l’exécution de 288 civils, dont 7 femmes et 12 enfants. C’est là une courte séquence d’un long film de nettoyage, d’extermination et de diverses formes de violence à l’encontre de la population civile.</p>
<p>Après avoir terminé l’enquête sur le massacre de Tadamon, Uğur et Annsar ont remis toutes les vidéos en leur possession aux services publics compétents aux Pays-Bas, en France et à d’autres États européens. Ils ignorent l’usage qui sera fait de ces vidéos et n’en sont plus les propriétaires.</p>
<p>Dans le cadre de mes recherches sur le récit et le vocabulaire du conflit syrien, et dans le but d’informer le public francophone à propos du massacre Tadamon, j’ai tenté, par le biais d’un activiste et ancien prisonnier politique syrien, de contacter Annsar et Uğur.</p>
<p>Le lendemain de ma requête, j’ai obtenu une rencontre avec eux sur Zoom. En voici le compte-rendu, qui reprend tout le fil de cette enquête secrète.</p>
<h2>La décision de ne pas diffuser immédiatement les vidéos</h2>
<p>Les deux chercheurs ont gardé le secret des 27 vidéos en leur possession depuis le moment où ils les ont reçues, en juin 2019, jusqu’au mois d’avril 2022. Seule la police néerlandaise en était informée, raconte Uğur à <a href="https://www.theguardian.com/news/audio/2022/apr/27/investigating-a-war-crime-part-1-searching-for-the-shadow-man-podcast"><em>Today in Focus</em></a>, afin que les chercheurs et leur centre assurent leur « obligation fiduciaire » en ce qui concerne leur usage temporairement privé de ces vidéos.</p>
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<p>« Notre ambition était de parler à ces professionnels de la violence de masse. Ils ne savaient pas que nous avions des vidéos de leurs crimes ! »Uğur Ümit Üngör</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le quartier Tadamon dans la banlieue sud de Damas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">The Guardian</span></span>
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<p>Uğur nous apprend qu’il se trouvait devant deux possibilités ; rendre les vidéos publiques de manière immédiate par le biais des médias, ou les intégrer au projet du NIOD sur la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14623528.2021.1979907">violence de masse en Syrie</a> à l’université d’Amsterdam.</p>
<p>« Notre ambition était de parler à ces professionnels de la violence de masse. Ils ne savaient pas que nous disposions des vidéos de leurs crimes ! », explique Uğur.</p>
<p>« Rendre les vidéos publiques ne rendait aucun service », affirme-t-il ; certes, les activistes syriens « allaient identifier et dénoncer les auteurs du massacre sur les réseaux sociaux », mais ça aurait été du gâchis devant la possibilité d’une enquête. La révélation des vidéos aurait simplement permis aux « coupables de se dissimuler et au régime syrien de nier l’authenticité des documents ». La publication immédiate des vidéos aurait signifié « 5 minutes de sensations fortes », de surutilisation « émotionnelle » sur les réseaux sociaux, mais sans résultats profonds. Qui plus est, conclut-il, « nous ne pouvions pas rendre les vidéos publiques avant que le jeune milicien qui les avait copiées ne puisse quitter la Syrie (fin 2021) ».</p>
<h2>« Anna Sh. », un personnage Facebook infiltré dans les réseaux loyaux à Assad</h2>
<p>Quand Uğur rentre de Paris avec les vidéos, milieu 2019, Annsar Shahhoud prépare une thèse sur <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14623528.2021.1979908?needAccess=true&journalCode=cjgr20">« le rôle des médecins syriens dans les meurtres et tortures organisés par le régime depuis 2011 »</a>.</p>
<p>Déjà, elle utilise un compte Facebook mi-faux mi-vrai où elle s’appelle « Anna Sh. » et où elle se présente comme une chercheuse syrienne installée aux Pays-Bas, alaouite et loyaliste à Assad. Elle enquêtait, disait-elle à ses interlocuteurs, sur la « réussite » de l’armée syrienne dans le conflit ayant démarré en 2011.</p>
<p>Par le biais de ce compte, Annsar dispose d’un réseau d’amis Facebook composé de plusieurs dizaines d’affiliés au régime syrien : militaires de l’armée régulière, agents des services internes de renseignements et membres des Forces de Défense nationale (milices loyalistes).</p>
<p>Les vidéos amenées par Uğur ouvrent à Annsar et à son personnage « Anna Sh. » de nouvelles pistes d’enquêtes. Ils ont enquêté sur trois vidéos de six minutes chacune où des soldats se filmaient pendant qu’ils exécutaient, avec lassitude et ennui, un groupe de 41 civils.</p>
<h2>Les faits et l’enquête</h2>
<p>Voici ce que l’on voit sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=r5wMtWrH2PE">l’unique vidéo rendue publique jusque là</a>. Un visionnage que nous déconseillons aux personnes sensibles.</p>
<p>Entouré et filmé par ses collègues en plein jour, un soldat tue, une par une, 41 personnes. Les yeux bandés, les mains attachées dans le dos, les victimes sont sorties des minibus qui les ont acheminées. On leur donne l’ordre de courir pour échapper à un prétendu « sniper du quartier ». Elles se mettent à courir.. et chutent dans une fosse préalablement creusée. Elles sont alors abattues d’une ou deux balles. À la tombée de la nuit, leurs corps sont brûlés comme le montrent les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_J1gqCp6C0s&t=35s">images obtenues par <em>The Guardian</em></a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=659&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=659&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=659&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=828&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=828&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=828&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur l’une des vidéos, on voit un soldat exécuter plusieurs dizaines de personnes. Il s’agirait d’un sous-officier des renseignements militaires à Damas (Branche 227), également responsable de la sécurité du front sud de la banlieue de Damas depuis le soulèvement en 2011.</span>
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<p>Grâce à l’examen des métadonnées des vidéos, Uğur et Annsar ont pu découvrir la date du massacre, le 16 avril 2013, mais rien ne leur permettait d’identifier le lieu, les auteurs et les services responsables. Pendant un an, ils ont cru que la tuerie avait probablement eu lieu à Yelda, une autre banlieue de Damas, jusqu’à ce que des Syriens du sud de Damas parviennent à identifier une rue du quartier Tadamon, à la vue de certaines séquences des vidéos envoyées par les chercheurs.</p>
<p>En janvier 2021, après un an et demi de recherche, un coup de théâtre : « Anna Sh. », ayant consulté des milliers de profils liés à son réseau Facebook, réussit à découvrir le profil de l’homme que l’on voit sur la vidéo exécutant la quasi-totalité des victimes.</p>
<p>Elle entre en contact avec lui. Des appels rapides, des réponses méfiantes de la part du sous-officier. Mais six mois plus tard, il rappelle et s’ouvre. Anna Sh. réussit à tenir et enregistrer deux appels vidéo avec lui.</p>
<p>Il s’agit d’un sous-officier des renseignements militaires syriens, du nom d'Amjad Youssef. Il ne lui a pas parlé de Tadamon, mais il a reconnu « ne même pas se souvenir du nombre de personnes qu’il avait tuées, tellement il en avait tuées ».</p>
<p>Avec cette enquête, les chercheurs ne réussissent pas seulement la tâche de l’identification du présumé assassin, mais aussi et surtout de son affiliation directe aux renseignements militaires syriens (<a href="https://www.vdc-sy.info/index.php/en/reports/militarybranch227#.YpqcBp3P1pg">Branche 227</a>). Il s’agit de la première preuve visuelle et entièrement documentée de l’implication de l’appareil sécuritaire du régime syrien dans des faits d’extermination ou de crimes contre l’humanité.</p>
<p>Quelques jours après nos échanges, le Réseau syrien des droits de l’homme <a href="https://snhr.org/blog/2022/05/30/the-syrian-regime-detains-the-criminal-amjad-yousef-who-killed-dozens-of-syrians-and-raped-dozens-of-women-in-al-tadamun-neighborhood-in-damascus/">assurait</a> qu'Amjad Youssef était désormais « détenu » par le régime syrien (sans savoir dans quel cadre et quel sort lui sera réservé), suite à l’enquête de New Lines.</p>
<p>Quant aux victimes du massacre, elles sont passées du statut de <a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/tenth-annual-report-enforced-disappearance-syria-international-day">« cas de disparitions forcées depuis 2013 »</a> à celui de « victimes du massacre de Tadamon », massacre commis - et filmé - par des forces du régime syrien.</p>
<h2>Le cadre de recherche de l’enquête Tadamon</h2>
<p>En tant que spécialistes de la violence de masse et experts du dossier syrien, Uğur et Annsar étudient le conflit qui ravage ce pays dans un cadre théorique plus large que celui offert par la vidéo de Tadamon. Ils l’observent également dans des micro-espaces restreints et en deçà de la totalité territoriale de la Syrie.</p>
<p>Ils expliquent que le massacre de Tadamon n’est qu’une « séquence instantanée » illustrant une politique sécuritaire appliquée dans l’« ensemble des banlieues sud de Damas » à partir de 2012. Comme conséquence de cette politique étatique, se dessine petit à petit, affirment-ils, un « tableau de nettoyages et d’exterminations systématiques ».</p>
<blockquote>
<p>« Dans le contexte de violence syrien, il y a une différence importante à faire : la violence de masse perpétrée par les Mukhabarat (services de renseignements internes), qui émane d’une formation professionnelle, et la violence des amateurs, à savoir les civils engagés dans le conflit armé. » Uğur Ümit Üngör</p>
</blockquote>
<p>Pour expliquer le type de nettoyage pratiqué, les deux chercheurs emploient une méthodologie d’« études de cas » qui consiste à diviser le conflit « en micro-espaces – provincial, citadin, de quartier ou de village – où l’analyse de l’évolution de la violence conduit à des résultats plus fructueux ». L’ambition étant d’établir, poursuivent-ils, une chaîne de commandement aussi complète que possible incriminant les institutions sécuritaires et leurs hiérarchies politiques, jusqu’à la tête du régime syrien et son président.</p>
<p>Ansar Shahhoud précise :</p>
<blockquote>
<p>« Nos études sur les micro-espaces en Syrie nous ont également permis de faire la distinction entre l’approche générale du régime – pousser vers l’escalade de la violence –, et son approche locale et particulière – la manipulation des tensions communautaires dans un environnement spatial particulier. À Homs, par exemple, en 2011, c’est-à-dire avant le début des manifestations, les enlèvements de part et d’autre (entre quartiers sunnites et alaouites) avaient très tôt installé une atmosphère de guerre civile. Ce que l’on voit dans la vidéo de Tadamon est caractéristique de la politique menée par le régime dans différents micro-espaces syriens. Je suppose que la nature sociale d’un espace, sa fabrique communautaire et d’autres facteurs jouent un rôle dans les moyens adoptés par le régime pour atteindre les objectifs de cette politique d’escalade. »</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, dans certaines zones comme Tadamon ou la ville de Homs, les oppositions politiques (pro- et anti-régime) s’emmêlent avec des oppositions identitaires et confessionnelles (alaouites et sunnites). Mais lorsque ces oppositions identitaires font défaut (comme à Alep), le régime applique sa politique de violence de masse à l’ensemble de la population civile des zones tenues par les rebelles.</p>
<h2>Comment qualifier le conflit syrien : révolution, guerre civile ou guerre d’extermination ?</h2>
<p>Par son cadre théorique (la violence de masse), son approche micro-spatiale (les études de cas) et les données collectées par « Anna Sh. » (notamment l’enquête dissimulée sur Tadamon), le projet de l’université d’Amsterdam s’impose comme une contribution incontournable à l’élaboration méthodologique du récit sur le conflit syrien.</p>
<p>D’une certaine manière, la confusion sur la nature des facteurs ayant précipité la société syrienne dans la guerre civile commence à se dissiper, du moins en partie.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14623528.2021.1979907">article</a> sur la violence de masse en Syrie, Uğur souligne que pour désigner les formes de violence dans un contexte de conflit, il convient d’abord d’opérer une séparation conceptuelle entre « l’ampleur des combats des factions militaires entre elles » et « l’ampleur de la violence de masse visant les civils ».</p>
<p>L’escalade rapide en Syrie après le soulèvement de 2011 a bien produit, pour lui, « une guerre civile complexe et asymétrique », mais du côté du régime syrien, les formes et l’échelle de la violence proposée exprimaient « une dynamique génocidaire délibérée » visant de « manière indiscriminée l’entière population des zones prises par les rebelles ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Uğur nous a fourni ce diagramme qui situe leur projet de recherche par rapport au conflit syrien. Le cadre général, c’est le « conflit », l’opposition armée entre deux ou plusieurs belligérants. À l’intérieur de ce conflit, il y a une « révolution » dont une partie des partisans s’est imbriquée dans un conflit civil (identitaire et/ou idéologique). Mais, parallèlement à l’ensemble de ces faits de violence caractéristiques des guerres civiles, il y a un type de violence très développé mais peu étudié, caractéristique du cas syrien, la « Mass Violence », la violence d’État qui vise la population civile en tant que cible propre et distincte.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ainsi, dans le contexte syrien, nous affirme-t-il, l’application de la notion de « guerre civile » n’est pas erronée en tant que résultat de l’escalade du conflit. Mais l’usage de « guerre civile » a également le défaut de faire de l’ombre à la factualité corroborée de la « violence de masse organisée et orchestrée par le régime syrien depuis le début de la révolution ».</p>
<p>Or, la vidéo du massacre de Tadamon révèle également un aspect problématique en ce qui concerne le récit sur le conflit syrien et la nature de celui-ci. La description littérale ou immédiate que l’on peut tirer de cette vidéo lorsqu’on est syrien est une description simpliste et caractéristique des guerres civiles : un soldat alaouite (reconnu à son accent) abat méthodiquement 41 civils de la banlieue de Damas, de confession sunnite.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=799&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=799&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=799&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En réaction à l’entretien donné par Annsar et Uğur à la chaîne YouTube Syria TV (une chaîne d’opposition basée en Turquie), un commentaire donne les noms de ceux qu’il appelle « les auteurs du massacre de Tadamon ». Il poursuit : « 6 assassins ; 5 alaouites et Un Druze » et « diffusez cette information partout mes frères ».</span>
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<p>Uğur précise :</p>
<p>« La réalité, c’est que l’un des assassins dans la vidéo était alaouite, mais l’autre, qui le filmait, était druze. Leur supérieur est sunnite, mais le supérieur de leur supérieur est alaouite. Ces identités nominales ne sont pas propres au conflit syrien, et la seule et véritable secte en Syrie, d’après ma conviction, s’appelle les Mukhabarat. »</p>
<p>Depuis la construction d’un empire sécuritaire par Hafez Al-Assad, le terme <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2014-2-page-15.htm">Mukhabarat</a> bénéficie d’un effet <em>Big Brother</em> sur la société syrienne. Il renvoie aux agents secrets présents partout, dans les câbles téléphoniques, au travail ou même quelque part au foyer.</p>
<p>Selon Uğur, l’appartenance aux Mukhabarat dote ces individus d’une personnalité fantasmée et quelque part surnaturelle qu’expriment les surnoms rimés et inidentifiables de leurs membres : « Abu Ali », « Abu Stef », « Abu Saqr », etc.</p>
<p>Annsar ajoute, suivant ses entretiens avec des membres des Mukhabarat :</p>
<blockquote>
<p>« Même en parlant avec un Mukhabarat, il ne faut pas prononcer le mot “Mukhabarat” car leurs membres ont eux aussi peur des Mukhabarat ! C’est un cercle sans début ni fin de peur, de paranoïa et de terreur. »</p>
</blockquote>
<p>Concernant l’interpellation d’Amjad Youssef, le Réseau Syrien des Droits de l’Homme a précisé qu’aucun mandat ni justification de l’arrestation n’ont été mentionnés.</p>
<p>Uğur nous l’avait dit :</p>
<p>« Ce régime est intelligent et garde ses criminels sous contrôle. Il les espionne, les maintient ensemble ou s’en débarrasse s’il y en a besoin. Ce pays est un coffre fermé, un état de tueurs. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184212/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamad Moustafa Alabsi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Deux universitaires ont identifié les auteurs d’un massacre commis en 2013 par les forces loyalistes syriennes. Un épisode qui en dit long sur la réalité de la Syrie de ces dix dernières années.Mohamad Moustafa Alabsi, Chercheur postdoctoral au Mellon Fellowship Program, Columbia Global Centers, Amman, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1837862022-05-29T15:37:33Z2022-05-29T15:37:33ZChroniques d’Ukraine : Donbass. Espérer que le destin ne nous choisira pas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/465957/original/file-20220530-14-ktw8io.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C658%2C431&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chroniques-dukraine-120841">Chroniques d’Ukraine</a>, le chercheur Romain Huët nous raconte comment la guerre change le quotidien d’une population. Sur le terrain durant les mois d’avril et mai 2022, il documente le conflit au plus près pour The Conversation. Cette chronique est la dernière de la série.</em></p>
<p>1er mai 2022, Kramatorsk et Severodonetsk.</p>
<p>Quitter <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-resister-sous-les-bombes-recits-depuis-kharkiv-183402">Kharkiv</a> a été une épreuve douloureuse. Je me suis attaché à beaucoup de volontaires. Le départ et le malaise qui l’accompagne révèlent l’asymétrie du rapport entre l’observateur et les volontaires. Ils restent, tandis que j’ai une liberté de mouvement et que je n’ai vécu leur quotidien que pour une durée provisoire.</p>
<p>Après nos adieux et nos promesses de maintenir les liens en toutes circonstances, je me rends dans un autre centre de volontariat, dans le Donbass, à Kramatorsk — puis à Severodonetsk. La situation militaire semble bien plus défavorable qu’à Kharkiv. Les Russes forment un arc autour de la ville. Les affrontements sont d’une très forte intensité. Chaque jour, on craint une avancée significative de l’armée ennemie jusqu’à la prise potentielle de chacune des villes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rzbsfIkBAkw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Au plus près des combats</h2>
<p>Tout comme à Kharkiv, le centre de volontariat fournit de l’aide humanitaire aux villes et villages situés au cœur des affrontements. Il s’occupe aussi de l’évacuation des derniers habitants exténués par l’intensité de la guerre et résolus malgré eux à quitter leur monde.</p>
<p>Pendant cette semaine, j’accompagne les volontaires dans leurs missions. Les journées sont à peu près identiques. À 7h du matin, les volontaires viennent des quatre coins de Kramatorsk pour se retrouver en banlieue, dans ce qu’ils appellent « leur base ». Pour y accéder, il faut emprunter une route en piteux état. Sur quelque 200 mètres à l’approche de la base, la voiture roule au pas et slalome entre les divers obstacles.</p>
<p>La base est une immense scierie désaffectée. Le spectacle est lunaire. L’usine paraît abandonnée depuis de nombreuses années. Quelques piles de bois, quelques engins de chantier à l’abandon.</p>
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<span class="caption">Devant l’ancienne scierie transformée en base de volontaires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La plupart des volontaires sont déjà arrivés en minibus ou avec leur voiture personnelle. Ils font la queue devant la station-service qu’ils se sont improvisée : deux cuves de quelques centaines de litres.</p>
<p>Chaque matin, c’est la même routine. Les volontaires stationnent devant les cuves pour recevoir l’essence nécessaire à leur trajet du jour. C’est une économie provisoire, au jour le jour. Pour le reste, un immense hangar sert d’entrepôt de marchandises et de lieu de chargement. On y trouve de nombreux cartons ordonnés de façon approximative. Pour l’essentiel, ils contiennent des produits de première nécessité fournis par quelques ONG européennes. On y trouve également toutes sortes de confiseries et quelques jus aux saveurs et aux couleurs improbables.</p>
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<span class="caption">Dans le hangar.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Non loin de là, les tanks ukrainiens sont planqués. On ne les voit pas mais on les entend tirer régulièrement. Leur présence me contrarie un peu. Elle fait de la base une cible potentielle. Cette inquiétude n’est pas partagée. Les volontaires paraissent indifférents vis-à-vis de la réalité des fronts, des positions militaires et de la situation générale. Usés par la saturation des informations changeantes, ils composent avec cette réalité, un point c’est tout. Ils ne parlent de la situation militaire qu’en des termes extrêmement généraux.</p>
<h2>Quand les missiles tombent soudain du ciel</h2>
<p>Ce matin, j’accompagne Vadim pour la journée. Nous irons livrer des colis dans la ville de Severodonetsk, à deux heures de route de là en temps normal, assiégée depuis plusieurs semaines. Puis nous tenterons d’aller évacuer des civils dans les villages environnants.</p>
<p>Nous empruntons un vieux minibus offert par une ONG polonaise. Les sièges ont été enlevés pour gagner de la place. Vadim a une quarantaine d’années. Il est un peu dodu, le visage rieur. Il parle peu, et jamais un mot plus haut que l’autre. Ce n’est pas le genre de gars à poser problème. Il fait le job sans fanfaronner. Durant toutes nos conversations, il ne s’est jamais étendu sur sa vie d’avant, comme si elle ne signifiait pas grand-chose par rapport à maintenant. Il m’a été présenté comme un redoutable chauffeur, le meilleur d’entre tous. Je comprends surtout que cette qualité indique que ses missions le conduisent dans les quartiers les plus difficiles d’accès.</p>
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<span class="caption">Vadim au volant du minibus.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Avant de rejoindre la base, Vadim me dépose devant un des rares supermarchés ouverts pour faire le plein de cigarettes. Il n’est pas toujours possible d’en trouver. Dans de nombreuses villes, il y a quelques pénuries. L’approvisionnement des produits de première nécessité est assez inégal. Les cigarettes pourraient être considérées comme un objet de consommation absolument inessentiel. Mais en temps de guerre, autour de moi, les volontaires les enchaînent, pour tuer le temps ou pour calmer la nervosité dans les situations critiques. J’hésite à me prendre un café à emporter. J’ai mes habitudes : un <em>americano</em>, c’est-à-dire un grand café qu’ils coupent avec de l’eau. Dans l’ensemble, je ne vanterai pas la qualité des saveurs. Ils ont au moins le mérite d’aider à tenir éveillé. Les nuits sont agitées par les explosions ou les sirènes annonçant les bombardements. Quelques personnes sont devant moi. Nous décidons de ne pas attendre, nous sommes pressés.</p>
<p>L’arrivée à l’usine est assez pénible à cause du très mauvais état de la route. Vadim s’y prend à plusieurs reprises pour franchir le chemin bosselé, surtout les rails du chemin de fer qui menacent les amortisseurs. On pourrait rester coincés dessus. Le vieux minibus, bricolé un nombre incalculable de fois, tangue de gauche à droite. Patiemment, Vadim slalome en choisissant les bouts de terre qui supporteront ses roues.</p>
<p>Arrivés à l’usine, nous sortons du véhicule. Comme toujours, on se serre les mains en attendant notre tour pour le ravitaillement d’essence. J’allume une cigarette. Au même moment, une énorme explosion nous secoue. Le son déchire le ciel. La détonation soudaine produit en nous un mouvement de réflexe : baisser la tête. Le missile a explosé à 200 mètres de nous, sur la route bosselée que nous avons traversée il y a trois minutes. Un gigantesque nuage noir mélangé de débris s’élève dans le ciel. Nous sommes effarés. « Putain, c’est pas passé loin », dit l’un des volontaires. Nous continuons à scruter le ciel, des fois que l’on verrait un autre missile nous tomber dessus. À la vitesse où ces bombes tombent, on a juste le temps de se voir mourir.</p>
<p>Je tape sur l’épaule de Vadim et je lui montre dans le ciel le second missile. Il s’abat à peu près au même endroit que le premier. Je ne saurais dire si c’était le son ou la stupeur face à ces engins de mort, mais j’ai rivé mes yeux sur la trajectoire du missile, du ciel jusqu’à la terre. Il y a eu d’abord cette seconde fumée noire salie de mille débris et de poussière, cet immense champignon de mort qui envahit le ciel, avant que nous entendions le son de l’explosion. La détonation perce l’air, nous courons derrière un monticule de planches de bois, découpées et empilées les unes sur les autres. Abri de fortune qui protège des éclats. Et quand on voit l’acier tranchant que contiennent ces missiles, ces planches nous font l’effet de n’être pas si mal.</p>
<p>Tout est tellement rapide et soudain qu’il n’est même pas besoin de lutter contre la panique. Nous sommes traversés par des sentiments contradictoires : irréalité, conscience aiguë du danger, yeux rivés sur le ciel et sur les planques possibles autour de nous.</p>
<p>L’inquiétude et la peur existent. Seulement, aucun de nous ne l’extériorise. Elles se logent dans le corps et rabâchent aux pensées intimes que quelque chose d’encore plus terrible pourrait arriver. Mais la règle est de garder ces sentiments pour soi.</p>
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<span class="caption">Quelques secondes après l’explosion. L’inscription sur le minibus dit : « Évacuation gratuite ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Photographier la destruction, être témoin</h2>
<p>Peu après l’explosion, plusieurs ont photographié cette fumée qui se dissipait dans le ciel. Ce geste n’a pour fonction que de garantir que notre présence était bien là, à quelques dizaines de mètres de l’impact. Vadim s’est même pris en vidéo avec les fumées en arrière-plan. L’atmosphère est légèrement excitée : « On était là, et trois minutes avant, ça en aurait été fini. » Le reste de la journée, j’ai entendu à plusieurs reprises ces mêmes mots qui racontent le danger et la conscience de notre chance. Pendant tout ce temps, l’estomac est noué.</p>
<hr>
<p><strong>Chroniques d’Ukraine :</strong></p>
<ol>
<li><p><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-un-chercheur-sur-le-terrain-pour-documenter-la-guerre-181540">Un chercheur sur le terrain pour documenter la guerre</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-lart-face-a-la-guerre-181795">L’art face à la guerre</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-volontaire-pour-entrer-en-guerre-182161">Volontaire pour entrer en guerre</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-peut-on-tourner-le-dos-a-sa-guerre-182192">Peut-on tourner le dos à « sa » guerre ?</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-les-ruines-linsouciance-et-la-banalisation-de-la-guerre-182601">Les ruines, l’insouciance et la banalisation de la guerre</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-resister-sous-les-bombes-recits-depuis-kharkiv-183402">Résister sous les bombes</a></p></li>
<li><p>Donbass. Espérer que le destin ne nous choisira pas</p></li>
</ol>
<hr>
<p>Nous ne nous attardons pas. Il nous faut rejoindre Severodonetsk pour livrer les colis et évacuer les habitants qui le souhaitent. Vadim remplit le réservoir d’essence. Nous partons dans le sens opposé de l’explosion. Sur la route bosselée, à quelques mètres de l’immense usine, quelques militaires sortent de leur planque. Ils sont en état d’alerte mais ne savent trop quoi faire. Une fois explosés, les missiles interdisent toute réponse d’un soldat. C’est l’ultime impuissance : scruter le ciel et espérer que le destin ne nous choisira pas.</p>
<h2>Les pourboires aux checkpoints : deux paquets d’Oréo et deux bouteilles de jus d’orange</h2>
<p>Il nous faut une heure trente pour arriver à Severodonetsk. </p>
<p>Les checkpoints sont nombreux. On les traverse assez facilement. Vadim fait la route tous les jours. Il a ses habitudes. Il échange des mots brefs avec les soldats, dont certains sont de vieilles connaissances. Il ne vient pas les mains vides. À chacun d’entre eux, il offre deux boites de gâteaux Oréo et deux bouteilles de jus d’orange.</p>
<p>La générosité de Vadim amuse les soldats. Ils se marrent un peu mais prennent volontiers le présent. Pour ma part, je n’ai été contrôlé qu’une seule fois dans la ville de Severodonetsk. Le soldat me demande où se trouve mon casque. Je lui explique qu’il est dans le coffre. Vadim n’en porte pas et je n’ai guère envie de faire différence dans ces situations. Il me regarde avec dépit, agacé par l’insouciance d’un « touriste de la guerre » :</p>
<blockquote>
<p>« Tu t’es pris pour Ironman ou quoi ? Si ça explose, tout ton corps gicle. »</p>
</blockquote>
<p>Vu l’ampleur de son geste qui simule la dispersion de ma chair dans l’espace, je nourris quelques doutes sur l’utilité du casque. Il poursuit : « T’as qu’à me le filer si tu le ne mets pas. » Impossible. Le casque et le gilet pare-balles ont été <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-un-chercheur-sur-le-terrain-pour-documenter-la-guerre-181540">prêtés par Reporters Sans Frontières</a>. J’y ai laissé une caution de 2 500 euros. Autant dire que je veille dessus.</p>
<h2>Le même vide qui se déploie devant nous</h2>
<p>La ville de Severodonetsk est tout aussi sinistre que les quartiers Nord-Est de Kharkiv. On y retrouve le même vide qui se déploie devant nous : gravats sur les routes, trous dans les immeubles, toits arrachés et bâtiments carbonisés. Les explosions sont très nombreuses.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465684/original/file-20220527-23-a9ew15.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465684/original/file-20220527-23-a9ew15.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465684/original/file-20220527-23-a9ew15.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465684/original/file-20220527-23-a9ew15.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465684/original/file-20220527-23-a9ew15.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465684/original/file-20220527-23-a9ew15.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465684/original/file-20220527-23-a9ew15.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Severodonetsk.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les Russes sont à trois km de là, autour de la ville. Sur le chemin, on croise quelques chars ukrainiens qui se cherchent leur positionnement. Nous parcourons la ville. Vadim me somme de prendre des vidéos. Après tout, mon rôle est de documenter et l’image occupe une place de choix pour « attester ».</p>
<p>La seule consigne qu’il me donne est de cacher mon appareil lorsqu’un checkpoint est en vue. Les rues sont vides. Vadim n’avait pas prévu une chose importante. Nous sommes sur la ligne de front et il n’y a évidemment plus de checkpoints.</p>
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<figcaption><span class="caption">La vidéo s’arrête abruptement au moment où des soldats nous ordonnent de nous arrêter.</span></figcaption>
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<p>Alors que je filme les décombres depuis l’intérieur du minibus qui roulait à faible allure, surgissent de nulle part quatre soldats. Ils sont à vingt mètres et nous mettent en joue. Vadim s’arrête et ouvre la portière. L’un des soldats braque encore davantage. Il nous hurle de rester immobiles. Un geste et il tirera. La pression est lourde. Ils encerclent le véhicule à une distance de quelques mètres. Il ne faut pas grand-chose pour qu’ils nous abattent au nom du « principe de précaution ». La guerre n’offre pas toujours des morts valeureuses. Je me souviens qu’en Syrie, non loin d’Idlib, deux combattants s’étaient tués juste après une victoire importante sur l’armée de Bachar Al-Assad. D’humeur festive, ils s’étaient amusés avec les 4x4 qu’ils avaient pris à l’armée régulière. Ils sont entrés en collision. Deux d’entre eux sont morts.</p>
<p>Depuis son siège de conducteur, Vadim hurle que nous sommes des volontaires. Ils nous demandent de sortir du véhicule les bras en l’air et lentement. Avec méfiance et toujours en nous tenant en joue, ils s’approchent de nous. Ils nous posent quelques questions, vérifient notre identité et commencent à se détendre. Étonnamment, ils ne vérifient pas mon téléphone. Le contrôle ne peut pas durer longtemps. Nous sommes totalement à découvert et donc vulnérables. Au bout de quelques minutes, ils nous laissent repartir en exigeant que l’on ne fasse aucune photo. Je ne suis pas difficile à convaincre.</p>
<p>Quelques minutes plus tard, nous arrivons dans le centre de volontaires. C’est une maison étroite, de quelques 70 m<sup>2</sup>. Il n’y a pas d’intérieur. La veille, le mur du salon a été éventré par une explosion. Les chaises n’ont pas bougé, désormais face au trou béant qui ouvre sur un amas de gravats. La maison est à peine nettoyée des décombres. Une cafetière est posée à même le sol, près de la prise électrique. Les cartons désordonnés comblent l’espace. L’endroit est précaire et menacé. Pourtant, c’est là que la dizaine de volontaires continuent à s’activer pour acheminer l’aide aux habitants de Severodonetsk.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Le centre de volontaires de Severodonetsk vu de l’extérieur…</span>
<span class="attribution"><span class="source">William Nessen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">… de la cour…</span>
<span class="attribution"><span class="source">William Nessen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465687/original/file-20220527-11-7d3pzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465687/original/file-20220527-11-7d3pzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465687/original/file-20220527-11-7d3pzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465687/original/file-20220527-11-7d3pzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465687/original/file-20220527-11-7d3pzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465687/original/file-20220527-11-7d3pzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465687/original/file-20220527-11-7d3pzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">… et de l’intérieur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">William Nessen</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Hasard du moment, je rencontre à la base un journaliste américain, William Nessen (son récit sur son séjour dans le Donbass est à lire <a href="https://www.democracynow.org/2022/5/18/journalist_billy_nessen_frontline_report_ukraine">ici</a>). Il est là depuis une quinzaine de jours et ne partira que « quand les Russes ne seront plus là ». Paquet de chips à la main, il picore, tout en me résumant en quelques minutes ses mille vies qui l’ont conduit à couvrir les guerres en Indonésie, en Irak, et en bien d’autres endroits. Sa nonchalance et son insouciance m’apaisent. Rien n’a l’air de le contrarier, certainement pas les bruits sourds d’explosion que l’on entend à peu près tout le temps.</p>
<h2>Un néant singulier</h2>
<p>Après la livraison, nous quittons en quatrième vitesse le centre de volontaires. Nous sortons de Severodonetsk pour rejoindre un village menacé d’être pris par les Russes. La mission est d’évacuer les habitants qui le souhaitent. Parfois, l’évacuation se fait avec l’aide de l’armée. Ce jour-là, rien n’avait été organisé par les autorités militaires. Nous roulons à vive allure sur une route craquée par les impacts de roquettes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465692/original/file-20220527-25-gv7o2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465692/original/file-20220527-25-gv7o2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465692/original/file-20220527-25-gv7o2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465692/original/file-20220527-25-gv7o2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465692/original/file-20220527-25-gv7o2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465692/original/file-20220527-25-gv7o2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465692/original/file-20220527-25-gv7o2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur la route.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Elle est bordée d’arbres et de champs où sont cachés quelques chars. Partout, quelques fines colonnes de fumée. On se demande souvent à quoi ressemble le front : à ça, un espace vide, des combattants cachés dans le paysage, de la fumée un peu partout, des sons réguliers d’explosions. Quelques-uns tirent, sans doute vainement, au petit bonheur. Le paysage lunaire n’apporte aucun soulagement. Tout est immobile, dans l’attente.</p>
<p>Dans la voiture, Vadim ne parle pas. On est crispés, le corps en vrac. On fume nerveusement. Alors qu’on circule à toute allure sur ces routes menaçantes, les sens sont hyper-récepts, guettant les dangers qui pourraient survenir d’un peu partout. J’observe un néant singulier ; paysage désolé d’une intensité destructrice et meurtrière. Nous arrivons dans le village, situé en hauteur d’une petite colline. On aperçoit quelques habitants qui fument devant leur maison, dans ce paysage sinistrement désertique. Vadim ouvre la fenêtre et propose son aide. Ils déclinent d’un geste de main. Ils restent là. Peu importe qu’ils risquent la destruction et l’occupation, c’est leur affirmation. Il n’est pas simple de débarrasser la vie de ces villes.</p>
<p>Vadim continue à tourner dans les rues quasi vides. Au coin d’une rue, un type avec un sac plastique nous fait de grands signes. Il semble soulagé de notre présence. Il s’empresse de rejoindre la voiture : « Oui, je souhaite être évacué », dit-il avec une voix tremblante. Il a l’air particulièrement secoué, le visage hagard et apeuré. Vadim s’assure que le type a ses papiers d’identité. Il les a. Le jeune homme quitte son monde avec un sac plastique et ses papiers d’identité.</p>
<p>Ce jour-là, une seule personne a accepté l’évacuation. La théorie du choix rationnel qui voudrait qu’une décision se prenne en faisant le rapport entre les risques encourus et les bénéfices escomptés d’une telle action est hors de propos. La voiture quitte le village à une vitesse folle.</p>
<p>« Il ne faut pas s’arrêter, c’est dangereux ici » dit Vadim tout entier concentré sur la route.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465694/original/file-20220527-11-l05iie.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465694/original/file-20220527-11-l05iie.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=526&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465694/original/file-20220527-11-l05iie.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=526&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465694/original/file-20220527-11-l05iie.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=526&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465694/original/file-20220527-11-l05iie.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465694/original/file-20220527-11-l05iie.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465694/original/file-20220527-11-l05iie.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465696/original/file-20220527-13-ylly66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465696/original/file-20220527-13-ylly66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465696/original/file-20220527-13-ylly66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465696/original/file-20220527-13-ylly66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465696/original/file-20220527-13-ylly66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465696/original/file-20220527-13-ylly66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465696/original/file-20220527-13-ylly66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La vitesse a son enjeu. Le silence vient soudainement dans la voiture. Il se glisse entre nous. Toute parole paraît pour le moment inutile. L’état de la route est catastrophique, craquée de toute part. Vadim doit pourtant gagner en vitesse. Il place les roues droites de l’autre côté d’un fossé, les roues gauches sur le reste de route en état correct. Il file tel un équilibriste. Je m’accroche, aussi effrayé qu’impuissant. Les branches d’arbre se fracassent sur le pare-brise, déjà bien abîmé par de nombreux trajets similaires. Je regarde la route comme si je conduisais moi-même. J’envisage toutes les trajectoires qui nous renverseraient, la vitre qui exploserait. Entièrement pris par la course, j’en ai oublié le danger des bombes. Vadim braque encore et retrouve la route.</p>
<p>Celle-ci devient plus praticable. Elle commence à s’élargir. Le danger s’éloigne. Les corps tendus se détendent. Nous sommes plus décontractés mais toujours silencieux. Je reprends mes esprits. Dans le silence de la voiture, je rumine ces mêmes pensées à propos de la guerre : dans cette impuissance où nous sommes, sur quoi avons-nous encore le sentiment d’avoir agi ?</p>
<p>Le passager, à l’arrière, tousse et se rappelle à ma présence. L’écroulement du monde offre toujours quelques prises, la sensation d’avoir été actif, d’avoir résisté à la violence. Évidemment, à chercher ainsi une vie pleine de sens, il se peut que l’on en crève. Pourtant, à mon grand étonnement, durant ce séjour, avec les volontaires, jamais nous n’avons parlé de la mort. Elle n’est pas encore devenue, sinistrement, un mode de vie. Seul l’enlisement dans la guerre et la survenue du désespoir fera de la mort un sujet de choix. Pour le moment, les énergies sont tout entières dirigées vers une résistance qu’ils pensent victorieuse.</p>
<h2>À la limite de toutes les expressions, il y a le silence (C. Marker)</h2>
<p>Au bout de quelques minutes, nous avons allumé une cigarette et retrouvé la parole. Vadim dit que la route était jolie avant qu’elle ne soit envahie par les chars.</p>
<p>Elle était verdoyante, des plaines à perte de vue, et de jolis arbres qui offraient quelques abris à l’ombre. Le silence qui s’était glissé parmi nous quelques minutes auparavant traduisait la tristesse générale. Elle ne se raconte pas, ne se trouve pas de mots, elle est enracinée dans le corps. Chris Marker <a href="https://esprit.presse.fr/article/chris-marker/les-vivants-et-les-morts-23760">disait</a> : « À la limite de toutes les expressions, il y a le silence. » </p>
<p>Chaque jour, Vadim recommence perpétuellement les mêmes trajets. Arrivés à Kramatorsk, il s’arrête devant un bar qui semble fermé. En réalité, une porte discrète permet de pénétrer à l’intérieur. Le bar a été transformé en épicerie semi-clandestine où s’achètent alcool, cigarettes et quelques aliments. Vadim prend quelques bouteilles. À cet instant, j’avais envie d’une grande fête, d’une légère ivresse où tous se féliciteraient joyeusement de cette journée supplémentaire.</p>
<p>Mais il me dépose au QG. Avant de repartir chez lui, il me demande de lui envoyer la vidéo que j’ai prise au moment où les militaires nous ont mis en joue. Ce moment si absurde a bien existé. C’est la preuve qu’il s’est passé quelque chose - comme si les gens croyaient toujours ce qui est filmé. L’image est le rempart à l’oubli et aux incrédules qui vous feraient douter de votre témoignage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183786/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet article s'inscrit dans la continuité des recherches et de l'ANR portés par l'auteur 'Ethnographie des guérillas et des émeutes : formations subjectives, émotions et expérience sensible de la violence en train de se faire – EGR' <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011">https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011</a>.
</span></em></p>Porter secours aux personnes dont les villes ont été ravagées par les bombardements est encore plus difficile et plus périlleux quand la ligne de front se trouve tout près…Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821922022-05-10T21:51:02Z2022-05-10T21:51:02ZChroniques d’Ukraine : Peut-on tourner le dos à « sa » guerre ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/462257/original/file-20220510-24-a7cnul.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C658%2C431&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Kharkiv, fin avril 2022.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chroniques-dukraine-120841">Chroniques d’Ukraine</a>, le chercheur Romain Huët nous raconte comment la guerre change le quotidien d’une population. Sur le terrain durant les mois d’avril et mai 2022, il documente le conflit au plus près pour The Conversation.</em></p>
<hr>
<p>Kharkiv, partie 1.</p>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-volontaire-pour-entrer-en-guerre-182161">histoire de Sergueï</a> n’est pas strictement personnelle. Au contraire, elle concerne beaucoup de monde.</p>
<p>S’engager comme volontaire est toujours présenté non comme une délibération longuement mûrie mais plutôt comme une réaction naturelle imposée par la situation. Dans les mots des volontaires, se dresser face à un envahisseur qui « arrache vos terres et tue des populations entières » apparaît comme une évidence.</p>
<p>Cependant, le patriotisme n’est pas l’unique cause de la résistance. À cet instant, les corps sont traversés par une pulsion irréfléchie de défense face à une armée qui approche. Dans la durée, cette pulsion transforme existentiellement les hommes. Il est incontestable que la guerre n’est <a href="https://theconversation.com/la-guerre-comme-experience-sensible-les-motifs-existentialistes-du-djihad-80163">pas qu’une affaire d’idées</a>. La vie ordinaire et ses innombrables empêchements ou devoirs pratiques n’ont plus de réalité.</p>
<p>Désormais, la vie se conduit dans le contexte chaotique de la guerre. Et il est remarquable de constater que l’on se trouve aisément une place et une utilité dans le monde. Au sein des centres de volontaires, la résistance est peu soucieuse des compétences ou expériences effectives de chacun. Elle est surtout attentive aux bonnes volontés. Ces volontaires vivent activement l’histoire qui agite le monde. Cette promesse d’expressivité de la vie est une des raisons pour lesquelles la guerre exerce sur certains un pouvoir d’attraction.</p>
<h2>Une guerre qui donne du sens</h2>
<p>À cette analyse, on peut opposer à raison nombre d’objections. Ce point de vue est dangereusement romantique. Il affirme que la guerre est une puissance individuelle et collective qui fait défaut dans la vie ordinaire en temps de paix. En forçant le trait, on pourrait même avancer qu’elle est utile, sinon nécessaire, car elle régénère la population. Par exemple, Georges Bataille ou Roger Caillois avançaient une explication proche. La guerre est l’occasion d’une <a href="https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/10452">« régénération de la société et de l’individu »</a>, en particulier parce qu’elle brise les routines, la vie régulière, la monotonie.</p>
<p>Pour Roger Caillois, la guerre est le <a href="https://editions.flammarion.com/bellone-ou-la-pente-de-la-guerre/9782081286191">mépris de la tranquillité</a>. Chacun est déchargé des soucis de l’avenir personnel. Au cours de ce présent intensifié, les volontaires trouvent quelques joies occasionnelles. Attaqués par le réel sur tous les fronts, ils se réfugient dans leurs groupes et s’activent. Pour la première fois, ils se découvrent une force collective qu’ils n’avaient jusqu’alors jamais expérimentée. En deux mois, ils accomplissent tant de choses ensemble qu’ils sont étonnés de leurs capacités.</p>
<p>La guerre donne un quotidien plein de sens et rend la fatigue anecdotique. Au cours de mes rencontres à Kiev ou ici à Kharkiv, je m’enquiers de l’état du moral de mes interlocuteurs. Mes questions sur leur vie d’avant la guerre produisent quelques soupirs et un instant de nostalgie qu’on lit dans les yeux qui fuient. Ce regard momentanément perdu exprime un désir fugitif, auquel il ne faut pas trop penser, de retrouver une vie normale.</p>
<p>Cependant, je n’ai entendu ni plaintes désespérées ni regrets de la vie d’autrefois. J’ai plutôt en souvenir une phrase qu’un volontaire me lâcha au cours d’une conversation. Elle m’était suffisamment inattendue pour que je ne puisse l’oublier de sitôt : « Je vis une meilleure vie qu’avant. »</p>
<p>Ces mots n’indiquent pas qu’il fait profit de la guerre. Il a simplement la sensation de faire quelque chose dans la vie. Non qu’auparavant, il ne faisait rien. Mais il n’agissait pas avec d’autres camarades d’infortune et sa contribution dans le monde n’avait pas l’évidence d’aujourd’hui.</p>
<h2>Ne pas occulter l’horreur de la guerre</h2>
<p>Il ne faut pas se méprendre sur la tonalité d’une telle hypothèse. Elle n’ôte pas à la guerre ses horreurs. C’est une chose de considérer et de décrire les façons dont la guerre transforme existentiellement les hommes. C’en est une tout autre que de se laisser séduire par son pouvoir d’attraction ou de se trouver fasciné par cette capacité inouïe qu’ont les hommes à s’anéantir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guerre en Ukraine : à Lviv, des volontaires s’entrainent pour organiser la résistance – France 24, 5 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>À plusieurs reprises, à Kharkiv, en entendant le son des roquettes ou autres missiles qui retentissent un peu partout et en constatant leurs dégâts, je me suis senti abattu par l’abjection de la guerre et par la détresse qui accable tous ces foyers détruits ou menacés. À plusieurs reprises, j’ai été saisi par une pensée d’une incroyable banalité et naïveté : « Comment les hommes peuvent-ils s’infliger cela ? Comment peut-on être auteur de telles destructions qui tuent et brisent les vies ? »</p>
<hr>
<p><strong>Chroniques d'Ukraine :</strong></p>
<ol>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-un-chercheur-sur-le-terrain-pour-documenter-la-guerre-181540">Un chercheur sur le terrain pour documenter la guerre</a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-lart-face-a-la-guerre-181795">L’art face à la guerre</a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-volontaire-pour-entrer-en-guerre-182161">Volontaire pour entrer en guerre</a></li>
<li>Peut-on tourner le dos à « sa » guerre ?</li>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-les-ruines-linsouciance-et-la-banalisation-de-la-guerre-182601">Les ruines, l’insouciance et la banalisation de la guerre</a></li>
</ol>
<hr>
<p>Je ne suis gagné par aucun romantisme et je n’ai jamais pensé que la guerre était une affaire respectable et souhaitable. Cependant, elle dit beaucoup sur les élans des hommes, sur leurs rapports brisés au monde et sur leur capacité à renoncer à la passivité jusque dans les situations les plus inextricables.</p>
<p>Il y a sans doute lieu de qualifier cette résistance. Elle n’a pas pour origine un quelconque désir révolutionnaire qui se serait transformé en guerre comme ont pu le connaître les Syriens. Il s’agit d’un soulèvement réactif face à l’invasion russe. Il reste alors à voir ce que cette défense pourrait produire comme aspirations politiques nouvelles dans le futur de l’Ukraine.</p>
<h2>Roman, volontaire à Kiev</h2>
<p>Roman est trentenaire. Il habite Kiev. Il est l’un des membres <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-volontaire-pour-entrer-en-guerre-182161">du centre de volontariat où travaille déjà Sergueï</a>. Tous deux partagent de nombreux points de vue. Le volontariat s’est massivement développé à la suite de Maïdan. Mais pour Roman, « le volontariat s’est essentiellement organisé sur des aspects humanitaires, militaires et patriotiques ». Selon ses mots, il a moins consisté en la création d’une contre-société qu’en la généralisation d’une culture de la débrouille là où l’État est absent.</p>
<p>Lui aussi concède l’importance du nationalisme en Ukraine : « Maïdan a normalisé le nationalisme. Cela traverse toute la société. Même les centristes comme <a href="https://www.lesechos.fr/2015/12/michel-terestchenko-ce-francais-elu-maire-en-ukraine-1109355">Terestchenko</a> sont devenus nationalistes. » D’ailleurs, on remarque que dans les premières années de son mandat, Volodymyr Zelensky a été vivement critiqué pour sa complaisance envers le régime russe et sa timidité dans la défense des intérêts ukrainiens.</p>
<p>Roman l’assure :</p>
<blockquote>
<p>« Si Zelensky avait accepté les accords de Minsk, il s’opposait à une énorme protestation nationale ; une protestation qui aurait pu donner lieu à un troisième Maïdan. »</p>
</blockquote>
<p>Je laisse aux spécialistes de l’Ukraine le soin de se prononcer sur la nature de ce nationalisme. Pour ma part, dans mon regard de témoin non avisé, il ne m’a pas paru se traduire par un cloisonnement national, car les intentions de regarder à l’ouest sont tout aussi vives que celles de résister aux tentations prédatrices de l’emprise russe.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ukraine-russie-une-histoire-commune-et-conflictuelle-des-avenirs-incertains-178275">Ukraine-Russie : une histoire commune et conflictuelle, des avenirs incertains</a>
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</em>
</p>
<hr>
<h2>« Après avoir fui, je voulais retourner à Kiev »</h2>
<p>Le premier jour de la guerre, Roman était avec sa petite amie. Lui aussi, comme beaucoup, était absolument convaincu que la Russie n’engagerait pas une telle guerre. Pour lui, le <a href="https://www.letemps.ch/monde/images-satellites-montrent-une-nouvelle-etape-deploiement-militaire-russe">déploiement des militaires aux frontières</a> n’était qu’une intimidation supplémentaire dans le jeu géopolitique international.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/461959/original/file-20220509-23-ditbyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C565%2C3010%2C3196&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/461959/original/file-20220509-23-ditbyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C565%2C3010%2C3196&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461959/original/file-20220509-23-ditbyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461959/original/file-20220509-23-ditbyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461959/original/file-20220509-23-ditbyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461959/original/file-20220509-23-ditbyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461959/original/file-20220509-23-ditbyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461959/original/file-20220509-23-ditbyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vue sur le château de Richard Cœur de Lion, Kiev, 25 avril 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Aux âmes qui s’inquiétaient d’une possible guerre, il leur jurait qu’un tel avenir était rigoureusement impossible. Avec ses amis, il raillait volontiers ces pessimistes qui s’inquiétaient de la situation et qui annonçaient la venue des sombres temps.</p>
<p>Lorsque je l’interroge sur ses souvenirs du premier jour de la guerre, il me confie :</p>
<blockquote>
<p>« Comment ne pas se souvenir de ce premier jour ? C’est un traumatisme collectif. À cinq heures du matin, je suis réveillé par plusieurs appels de mes amis. Je me demandais bien pourquoi on tentait de me joindre à une heure si tardive. J’ai alors ouvert mon téléphone, j’ai regardé les informations et j’ai compris. Immédiatement, Elena (sa petite amie) a décidé de quitter Kiev. Elle tenait absolument à ce que je vienne avec elle et sa famille. C’était une panique totale. On a immédiatement fait nos bagages et on a quitté la ville. C’était le premier jour de la guerre. »</p>
</blockquote>
<p>Pendant quatre jours, Roman est en proie à une extrême confusion. De façon compulsive, il dévore les informations. Il est profondément intranquille. Il est constamment agité par la pensée de retourner à Kiev. L’idée d’avoir abandonné si facilement ses amis et sa ville lui est difficile à endurer. En termes subjectifs, la guerre lui aurait été insupportable s’il était resté dans ce coin de paix. Il lui fallait revenir. Il était animé par cette si commune idée : « il fallait revenir et faire quelque chose ».</p>
<p>Lorsqu’on est témoin d’une histoire qui « nous » concerne directement, on peut réagir de bien des manières différentes. On se tient passivement comme spectateur impuissant de la situation, on s’empresse de fuir le feu en s’exilant dans des territoires plus sûrs. Certains restent, en vue de tirer quelque intérêt de la situation, en saisissant l’une des opportunités promises par la guerre. D’autres choisissent de rester et de lutter pour la défense de leurs terres. Il restera à clarifier les ressorts insondables d’un tel choix.</p>
<h2>« Je me suis senti tellement mieux »</h2>
<p>Pour Roman, ce choix n’a rien eu d’évident. Il a fallu convaincre Elena de le laisser partir. Il ne parvenait pas à tourner le dos à l’histoire. L’élan l’a saisi énergiquement. Roman est retourné à Kiev :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai pris un train entièrement vide. J’ai fait le chemin inverse de tous les autres. Je suis arrivé à Kiev. Les rues étaient vides. C’était irréel. Un ami m’a fait venir ici au QG, dans ce groupe de volontaires. Je me suis rendu disponible. J’organise le transport des ravitaillements des bataillons de la défense territoriale. »</p>
</blockquote>
<p>Puis il me dit ce que je pressentais un peu :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis le jour où j’ai rejoint le QG, je me suis senti tellement mieux. C’est ma manière de faire face à la guerre. C’est en faisant quelque chose. C’est trop déstabilisant de ne pas savoir quoi faire. Je n’ai aucune formation militaire et je ne m’imaginais pas bien passer mes journées entières sur un check-point à contrôler les papiers. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499731132140728324"}"></div></p>
<p>Roman affirme se sentir mieux. Le travail obstiné sauve de l’effondrement intérieur et permet de vivre dans de sombres temps jusqu’à connaître quelques joies occasionnelles. Cela n’est possible que parce qu’il est lié à d’autres, que le soulèvement n’est pas l’affaire de quelques-uns avisés. Face à l’impouvoir solitaire se dresse la réponse collectivement organisée.</p>
<h2>Vivre au jour le jour</h2>
<p>La solidarité dans l’adversité est un puissant moyen pour tenir face à l’écroulement du monde. Entre autres, elle détourne des pensées générales tournées vers l’avenir. Les volontaires ne font pas de pronostics sur le futur. Je ne les vois pas consommer de manière compulsive l’<a href="https://www.defense.gouv.fr/ukraine-point-situation">évolution de la situation militaire</a>.</p>
<p>Quand j’échange avec eux à ce sujet, je comprends qu’ils ne savent pas grand-chose de l’évolution des fronts. Même ici à Kharkiv, bombardée chaque jour, ils n’ont qu’une vague idée de la position exacte des Russes. Lorsque nous avons traversé les quartiers particulièrement visés pour les ravitailler, je m’informais de la distance à laquelle se situaient les troupes russes. Tantôt, on m’a dit à 3 kilomètres, à 5 kilomètres puis à 7 kilomètres. Ici, comme à Kiev, on regarde peu les cartes militaires.</p>
<p>Cette insouciance relative vis-à-vis du conflit réside dans le fait que dans l’expérience de la résistance, le temps est littéralement bloqué. Elle se vit au jour le jour. La nécessité d’agir dans l’urgence et l’incertitude les condamne à ne jamais discuter sérieusement à propos de l’avenir. Il y en a assez à s’occuper du quotidien.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guerre en Ukraine : à la rencontre des volontaires de la défense territoriale – BFM TV.</span></figcaption>
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<p>On pourrait penser que cette vie au jour le jour n’est promise qu’à une sévère dépression. Or, je ne les vois ni abattus, ni enfermés dans l’accablement, ni épris d’une idéologie qui les convaincrait d’une victoire militaire imminente des forces ukrainiennes. Je les vois plutôt appliqués dans leurs tâches jour après jour.</p>
<p>La vie de groupe oblige chacun à dompter ses affects négatifs, à ne penser qu’aux choses à accomplir, et à veiller au soin des uns et des autres. Dans ces moments-là, les rivalités mesquines qui ruinent les vies communautaires restreintes peinent à s’exprimer. Ils s’interdisent les mouvements d’humeur ou les expressions incontrôlées, si fréquents dans la vie ordinaire. Pourtant, ils ne paraissent pas concéder d’immenses efforts pour vivre ensemble. Cela va presque de soi. Les nécessités commandent aux égos de se plier au milieu général de leurs camarades d’infortunes.</p>
<p>Incontestablement, l’être-ensemble fait oublier la condition tragique de leur vie présente. Aussi redoutable et tragique que la guerre puisse être, il existe des résistances tantôt appliquées, tantôt aléatoires, essentiellement mineures qui jaillissent dans les temps les plus sombres. C’est peut-être cela que <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2004-2-page-127.htm">Louis Quéré désignait</a> lorsqu’il pensait que l’anthropologie avait pour rôle essentiel de « sauver les phénomènes ».</p>
<p>Dans le cas de la guerre, il ne suffit ni de commenter ni de s’apitoyer tragiquement sur la situation. Il importe également d’observer et de décrire comment certains lui résistent avec endurance. Dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2006-4-page-4.htm">mots de Georges Didi-Huberman</a>, je retrouve ce que j’aurais voulu écrire à propos de Sergueï, Roman et tant d’autres : leurs actions sont des effractions dans l’espace du malheur.</p>
<p>Cette vision, que certains jugeront sans doute comme un chuchotement inoffensif et divertissant au cœur de cette lutte entre nations, n’occulte pas l’inquiétude pour les temps futurs. Une fois la guerre terminée, ces volontaires auront à se retrouver des pratiques de liberté et des formes de vie commandées par aucune adversité générale. Il leur faudra retrouver des capacités d’imaginations et prendre part à quelque futur. Il est aussi fondamental de se préparer à la fin de la guerre, à la fin de tous ses désastres et de toutes ses intensités.</p>
<hr>
<p><em>Prochaine étape : <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-les-ruines-linsouciance-et-la-banalisation-de-la-guerre-182601">Kharkiv, partie 2</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182192/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet article s'inscrit dans la continuité des recherches et de l'ANR portés par l'auteur 'Ethnographie des guérillas et des émeutes : formations subjectives, émotions et expérience sensible de la violence en train de se faire – EGR' <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011">https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011</a>.
</span></em></p>De nombreux simples citoyens ukrainiens se sont portés volontaires pour assister l’armée dans sa résistance à l’invasion russe.Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1817952022-04-26T19:47:27Z2022-04-26T19:47:27ZChroniques d’Ukraine : L’art face à la guerre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459784/original/file-20220426-26-ta9413.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1326%2C867&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une œuvre contemporaine&nbsp;? Non une œuvre protégée. À Kiev, le 18&nbsp;avril.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chroniques-dukraine-120841">Chroniques d'Ukraine</a>, le chercheur Romain Huët nous raconte comment la guerre change le quotidien d'une population. Sur le terrain durant les mois d'avril et mai 2022, il documente le conflit au plus près pour The Conversation.</em></p>
<hr>
<p>Lviv, 18-20 avril 2022. La ville est calme. Les rues sont remplies de badauds qui se promènent sous un soleil intermittent. À première la vue, la vie y parait normale. En réalité, les changements sont profonds.</p>
<p>Lviv a accueilli <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/a-la-gare-de-lviv-le-desespoir-des-refugies-ukrainiens-1392337">plusieurs dizaines de milliers de réfugiés</a> venant de toute l’Ukraine, en particulier de Kiev et des villes de l’Est. Un couvre-feu est imposé de 22h à 5h. La vente d’alcool vient tout juste d’être à nouveau autorisée, mais avant 20h. Les alcools forts sont strictement interdits. Autour de la ville s’accumulent quelques checkpoints, des barricades installées par les civils volontaires, de menues protections contre certaines vitres, des sacs de sable ou de grandes bâches pour protéger les monuments d’éventuels éclats d’explosion. Durant ces deux jours, six ou sept alertes ont retenti dans la ville, n’interrompant que temporairement la vie collective. Le 18 avril, un des missiles russes <a href="https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-sept-morts-dans-de-puissantes-frappes-de-missiles-sur-lviv-la-grande-ville-de-l-ouest-20220418">a tué sept personnes à Lviv</a>.</p>
<p>L’expérience de la guerre incite à focaliser l’attention sur la résistance armée. Ce n’est là qu’un aspect du problème. Elle engendre aussi des résistances non violentes. Il existe une <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2018-3-page-89.htm?contenu=plan">économie ordinaire</a> de la guerre, faite de débrouilles et d’<a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2001-4-page-5.htm">arrangements</a> collectifs. À l’arrière, on ravitaille le front, on accueille les réfugiés, on tisse des réseaux internationaux, on cherche des fonds. C’est le maintien d’une économie de paix dans un temps de guerre.</p>
<p>J’ai voulu m’approcher des artistes et de leurs façons d’envisager la résistance. L’art est une ressource indispensable pour mettre en langage ce qu’il se passe. La guerre se déroule <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/nadia-kaabi-linke-artiste-plasticienne">aussi dans ce domaine</a> pour faire face à l’hégémonie culturelle russe dans l’espace post-soviétique.</p>
<h2>Denys Metelin, street-artiste</h2>
<p>Je rencontre Denys Metelin, <a href="https://www.instagram.com/metelin_denys/?hl=fr">street-artiste</a>. Il est originaire de Crimée. En 2014, à la suite de l’invasion russe, son père a fait ses bagages et l’a jeté dans le premier train pour Lviv. Il avait 19 ans. Depuis ce jour, il est hanté par la guerre.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CcSQG-Pt-WA","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Il en a fait le sujet principal de son travail. Son point de vue est clair. Il ne veut pas tomber dans le tragique. Il « faut trouver une perspective pour appréhender les bombes » pour changer le regard sur la guerre. Il joue avec l’humour, travaille et détourne les symboles de l’Union soviétique. Il ôte à la guerre sa part d’atrocité et célèbre les forces collectives ukrainiennes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/459263/original/file-20220422-11-orrhbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459263/original/file-20220422-11-orrhbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459263/original/file-20220422-11-orrhbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459263/original/file-20220422-11-orrhbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459263/original/file-20220422-11-orrhbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459263/original/file-20220422-11-orrhbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459263/original/file-20220422-11-orrhbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Denys Matelin dans son atelier. 18 avril.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figcaption>
<span class="caption">Œuvre de Denys Metelin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
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<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/459265/original/file-20220422-24-8kat0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/459265/original/file-20220422-24-8kat0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459265/original/file-20220422-24-8kat0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459265/original/file-20220422-24-8kat0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459265/original/file-20220422-24-8kat0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459265/original/file-20220422-24-8kat0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459265/original/file-20220422-24-8kat0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459265/original/file-20220422-24-8kat0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Œuvre de Denys Metelin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Dans les deux premiers jours de l’invasion, Denys, comme des milliers d’Ukrainiens, s’est rendu aux services de volontariat qui jaillissaient un peu partout dans la ville. Il ne savait que faire :</p>
<blockquote>
<p>« Le premier jour, j’ai été tellement dérouté et paniqué que je suis allé acheter des bonbons pour les enfants réfugiés et leur arracher un sourire. Le deuxième jour, on a construit des barricades un peu partout dans la ville. Le troisième, j’ai appris à confectionner des cocktails Molotov. »</p>
</blockquote>
<p>Depuis, il a suivi quelques cours de volontariat pour apprendre les gestes de premiers secours et la formation au combat. Aujourd’hui encore, il s’y rend trois fois par semaine « pour être prêt si les Russes arrivent ici ».</p>
<h2>Viktor Kudin, peindre le texte urbain</h2>
<p>Je rencontre également Viktor Kudin, architecte et artiste. Au commencement de la guerre, il a fui Kiev pour Lviv. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/459808/original/file-20220426-16-42ic33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/459808/original/file-20220426-16-42ic33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459808/original/file-20220426-16-42ic33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459808/original/file-20220426-16-42ic33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459808/original/file-20220426-16-42ic33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459808/original/file-20220426-16-42ic33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459808/original/file-20220426-16-42ic33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459808/original/file-20220426-16-42ic33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Œuvre de Viktor Kudin. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span></span>
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</figure>
<p>À côté de son travail d’artiste, sa préoccupation est de réunir des fonds pour soutenir l’armée. Il a vécu l’invasion russe comme un véritable choc moral. Envahi par le stress et les « sentiments négatifs », il s’en est allé acheter du matériel pour peindre. Chaque jour, on le retrouve sur les toits de Lviv pour peindre la ville, les maisons, les rues.</p>
<p>Ses peintures montrent un paysage légèrement transformé. Un détail s’y insère et témoigne de la présence de la guerre : un tag insultant Poutine, une affichette qui annonce la localisation des abris, des fumées noires qui s’envolent dans le ciel, un drapeau ukrainien qui résiste au vent. Les hommes sont absents de ses tableaux :</p>
<blockquote>
<p>« Souvent, quand je peins, j’entends les sirènes qui annoncent un bombardement. Je suis seul sur les toits, les rues se vident. »</p>
</blockquote>
<p>La guerre transforme la vie. Elle affecte aussi les textes et les paysages urbains. Il me confie que son inspiration a profondément été touchée. Il oscille entre « larmes et haine […] Je ne peux pas vivre avec des sentiments aussi vifs. Je veux nommer ces énergies qui me traversent, je veux les comprendre ».</p>
<p>Ses mots sont noués dans sa gorge. Sa colère les libère : « Il faut détruire la Russie. Nous allons tous les tuer. »</p>
<h2>Effroi et fatalisme</h2>
<p>Tous les artistes que je rencontre témoignent d’une réaction constante : un mélange d’effroi et de fatalisme. Le 24 février 2022, c’est d’abord l’incrédulité qui s’est emparée d’eux. <a href="https://www.antiqvitas-nova.art/press/">Alexander Denysenko</a>, artiste dans le même atelier que son père, Oleh Denysenko, me confie :</p>
<blockquote>
<p>« J’étais effaré. Je ne savais plus quoi faire. Je suis sorti de la maison, et j’ai commencé à marcher. J’ai marché sans savoir où aller. Il m’était impossible de m’arrêter. Et puis, j’ai appelé mes amis. On se demandait que faire. »</p>
</blockquote>
<p>Cette incrédulité est d’autant plus forte que nombre d’entre eux étaient éloignés des cercles de volontariat qui s’activaient dans le Donbass depuis 2014. La guerre était en toile de fond, mais elle était normalisée. Elle ne produisait pas d’effet sur le plan sensible.</p>
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<p><strong>Chroniques d'Ukraine :</strong></p>
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<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-un-chercheur-sur-le-terrain-pour-documenter-la-guerre-181540">Un chercheur sur le terrain pour documenter la guerre</a></li>
<li>L’art face à la guerre</li>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-volontaire-pour-entrer-en-guerre-182161">Volontaire pour entrer en guerre</a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-peut-on-tourner-le-dos-a-sa-guerre-182192">Peut-on tourner le dos à « sa » guerre ?</a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-les-ruines-linsouciance-et-la-banalisation-de-la-guerre-182601">Les ruines, l’insouciance et la banalisation de la guerre</a></li>
</ol>
<hr>
<p>Désormais, elle fait effraction dans le quotidien. À Lviv ou ailleurs en Ukraine, elle est devenue incontournable, même si son intensité est variable. Son incrédulité s’est rapidement transformée en une conviction que l’invasion russe était réelle. Seulement, tout paraît submergé. Jusqu’alors, il ignorait la guerre dans sa réalité concrète. Soudainement, elle vous tombe dessus. La vie est brutalement transformée. Elle doit désormais s’organiser « avec » la guerre. Après la stupéfaction et son cortège d’émotions qui impuissantent, leur accablement est devenu révolte. Il n’existe pas une infinie de réactions possibles dans ce genre de situation : fuir, tenter de sauver les habitudes dans un quotidien tout aussi retourné qu’incertain, ou se rendre utile sans trop savoir comment. Certains artistes ont pris les armes et se sont rendus sur le front. D’autres sont restés et ont continué « malgré tout » à pratiquer leur art.</p>
<h2>La guerre a ses opportunités : promouvoir l’art ukrainien</h2>
<p>Leur détermination est de faire connaître l’art ukrainien. <a href="https://www.instagram.com/marta_trotsiuk/?hl=fr">Marta Trotsiuk</a> est galeriste. Avant la guerre, elle organisait des expositions partout dans Lviv. Désormais, elle tente d’arranger la solidarité des artistes de la ville pour faire face à l’urgence de la situation. Marta Trotsiuk est énergique. Elle me paraît en ébullition. Elle l’est d’autant plus qu’elle est invitée dans les jours prochains à la Biennale de Venise. Elle vit ce moment comme une aubaine pour faire connaître la singularité de l’art ukrainien.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CcnPmZctvzP","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Son premier travail a été d’initier une pétition puis une lettre collective pour dénoncer l’agression de la Russie et pour appeler à des sanctions contre ses artistes. Elle le justifie car la « culture est une des voies privilégiées utilisées par Moscou pour conduire sa propagande : « C’est ni plus ni moins que du soft power ».</p>
<p>Aux côtés de cette initiative politique, les artistes ukrainiens tentent de mettre en place une série d’événements culturels à destination des réfugiés : concerts, théâtres, cinémas, expositions, autant d’événements quotidiens qui pourraient aider les réfugiés à « se relaxer ».</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Cb0aksONfB3","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Dans cette période d’écroulement du monde, l’art console face à une réalité insoutenable. Ces manifestations culturelles ne visent pas directement à donner un visage à la guerre ou à la regarder autrement. Il s’agit essentiellement de soulager les êtres tourmentés par la guerre et obligés à l’exil. Marta, comme d’autres, se donnent le défi de :</p>
<blockquote>
<p>« décomplexer les gens vis-à-vis de l’art, les aider à venir et à se dire que cette exposition est aussi pour eux, qu’elle leur parlera […]. Les gens viennent de partout : de Kiev, d’Odessa et de bien d’autres villes. Ils sont timides, ils gardent leurs distances, mais quand ils viennent, ils sont toujours contents ».</p>
</blockquote>
<h2>« C’est insupportable d’être assimilé à l’Union soviétique »</h2>
<p>Cette revendication de la singularité de l’art ukrainien est particulièrement vive. D’un esprit désabusé et lassé par les habitudes, Marta comme d’autres, s’insurge contre les confusions systématiques qui sont faites entre l’art russe et l’art ukrainien.</p>
<blockquote>
<p>« Quand, nous ne sommes pas confondus avec les Russes, on nous présente comme leurs “petits frères” […]. C’est insupportable d’être assimilés à l’Union soviétique. Notre histoire est différente. D’ailleurs, notre langue est plus proche du polonais que du russe. Nous sommes indépendants depuis 1991. Depuis cette date nous luttons contre l’impérialisme russe et sa redoutable propagande », s’emporte-t-elle.</p>
</blockquote>
<p>Marta revendique sans hésitation sa fierté pour l’Ukraine :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis fière de l’Ukraine. Nous devons continuer à nous battre. Nous devons même nous battre pour retrouver notre frontière de 1991, date de l’indépendance. Nous devons changer de gouvernement en Russie, faire en sorte que ce gouvernement reconnaisse ce qu’il a fait : un génocide en Ukraine. »</p>
</blockquote>
<p>Ce discours nationaliste est assumé. L’essentiel de la tension autour du nationalisme me paraît se poser dans les mots de Marta :</p>
<blockquote>
<p>« On doit être patriotique, garder nos traditions parce qu’on a été offensés. Sinon, on sera effacé en tant que peuple. »</p>
</blockquote>
<p>Le sentiment national s’épanouit là où le peuple est menacé de disparition. La guerre donne au peuple le sentiment de retrouver une puissance collective, une unité d’autant plus forte que les menaces sont réelles. Derrière la révolte de Marta s’esquissent quelques perspectives ouvertes par la guerre : que le monde s’intéresse à la culture ukrainienne, à ses artistes, ses œuvres et sa singularité. Dans l’écroulement du monde, ces artistes se prennent à rêver d’un avenir neuf : un peuple qui prend conscience de lui-même, qui s’invente et fait reconnaître ses singularités dans le monde. L’imagination est un terrain où la réalité peut être défiée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-un-chercheur-sur-le-terrain-pour-documenter-la-guerre-181540">Chroniques d’Ukraine : Un chercheur sur le terrain pour documenter la guerre</a>
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<h2>Regarder pour devenir témoin</h2>
<p>Il est assez remarquable de constater que l’art n’est pas déployé comme on peut l’envisager en temps de paix. Il ne s’agit pas de rendre intelligible la guerre ou de forger une pause où le monde, dans sa cruauté, vient se déployer. Il est plutôt question d’accompagner la guerre. L’art console ceux dont l’âme est anxieuse et les nerfs rongés à vif. Il encourage le soulèvement et le refus de toute résignation pour ceux qui ont encore quelques forces. Enfin, il fixe la mémoire. Toutes ces œuvres qui s’édifient dans le cours de la guerre sont autant d’actes qui captent les actions des hommes, leurs gestes et leurs paroles et leur permettent ainsi d’échapper à l’éphémère. Les artistes espèrent faire de nous des spectateurs qui deviennent témoins.</p>
<p>Et alors que certains continuent à créer dans le présent de la guerre, d’autres tentent de sauver les œuvres présentes partout dans le pays. Bogdana Brylynska travaille <a href="https://cityofliterature.lviv.ua/mans/bogdana-brylynska">au Musée de la terreur à Lviv</a>. Dès le début de la guerre, elle s’est préoccupée des œuvres dispersées en Ukraine, notamment au Sud et à l’Est où se situe une partie considérable de l’héritage national : « Sauver l’héritage, à Marioupol et dans tant d’autres villes, voilà notre objectif. » Les volontaires s’activent alors à protéger les monuments soit par des bâches soit par des sacs de sable.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/459268/original/file-20220422-16-ryrfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459268/original/file-20220422-16-ryrfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459268/original/file-20220422-16-ryrfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459268/original/file-20220422-16-ryrfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459268/original/file-20220422-16-ryrfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459268/original/file-20220422-16-ryrfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459268/original/file-20220422-16-ryrfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’essentiel est de les protéger des éclats de bombes. Certaines statues sont cachées dans des lieux sûrs, à l’étranger ou dans des souterrains. Les volontaires s’organisent également pour transporter les œuvres les plus importantes jusqu’à Lviv. Dans tous les musées du pays, on s’active par la débrouille pour les faire sortir :</p>
<blockquote>
<p>« On n’attend pas les instructions du gouvernement pour sauver ces œuvres. Depuis le Maïdan, on s’est habitués à s’organiser par nous-mêmes. Depuis, nous avons organisé tellement de relations avec tout le pays qu’on est en contact avec des volontaires partout. Depuis le Maïdan, on a compris nos capacités collectives. »</p>
</blockquote>
<p>Le transport des œuvres est réalisé par des volontaires. Il se pose quelques questions pratiques, par exemple comment emballer des œuvres sans risquer de les abîmer :</p>
<blockquote>
<p>« Au début, on ne savait vraiment pas comment faire. On a essayé plein de procédés avant de trouver les techniques qui ne fonctionnaient pas trop mal […]. Et puis, ce n’est pas le seul problème. On doit transporter des œuvres sans avoir de quelconques autorisations de la part de l’État. Cela suppose de longues négociations dans les checkpoints pour assurer qu’on ne les vole pas mais qu’on les protège. C’est de la débrouille, on connaît. »</p>
</blockquote>
<p>Dans une telle situation, la résistance consiste à sauver la matérialité du monde, la mémoire du pays : préserver autant que se peut le monde de sa destruction. Je quitte Lviv pour Kiev puis Kharkiv.</p>
<hr>
<p><em>Prochaine étape : <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-volontaire-pour-entrer-en-guerre-182161">Kiev</a>.</em></p>
<p><em>Cet article n’aurait pu être réalisé sans l’aide précieuse de Julia Sinkevych, productrice de films. Je lui dois les nombreuses rencontres faites à Lviv</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181795/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet article s'inscrit dans la continuité des recherches et de l'ANR portés par l'auteur 'Ethnographie des guérillas et des émeutes : formations subjectives, émotions et expérience sensible de la violence en train de se faire – EGR' <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011">https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011</a>.</span></em></p>L’expérience de la guerre donne aussi lieu à des forme de résistance non violentes.Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1762802022-03-29T19:27:36Z2022-03-29T19:27:36ZLe concours d’agrégation du CAMES, un modèle institutionnel pour l’Afrique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/455037/original/file-20220329-21-7y23m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C1%2C987%2C680&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cérémonie d’ouverture du CAMES le 4&nbsp;novembre 2021 à Cotonou (Bénin).
</span> <span class="attribution"><span class="source">Présidence du Bénin</span></span></figcaption></figure><p>Le concours d’agrégation du <a href="https://www.lecames.org/">Conseil africain et malgache pour l’Enseignement supérieur (CAMES)</a> est un événement universitaire et institutionnel d’importance. Nous l’abordons ici via quelques faits et échanges entre candidats et membres du jury dans la discipline des sciences de gestion.</p>
<h2>Quelques mots sur le CAMES et sa genèse</h2>
<p>Le Conseil est une institution internationale qui se concentre sur cinq <a href="https://www.lecames.org/missions/">missions principales</a>. Insistons tout d’abord sur <a href="https://www.lecames.org/historique/">l’histoire du CAMES</a>, qui fut pensé comme un organisme de coordination de l’Enseignement supérieur dans les pays d’expression française d’Afrique et de Madagascar.</p>
<p>L’idée de sa création remonte aux premières années des indépendances. Lors de la Conférence de Niamey, les 22 et 23 janvier 1968, les chefs d’État de <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1966/08/DECRAENE/27385">l’L’Organisation commune africaine et malgache (OCAM</a> vont décider de la création du Conseil africain et malgache pour l’Enseignement supérieur afin, notamment, de développer la <a href="http://udsmed.u-strasbg.fr/aufemo/PDF/actualites/Presentation_CAMES.pdf">francophonie, la solidarité et la coopération interafricaine</a>.</p>
<p>Le Conseil rassemble une vingtaine d’États francophones d’Afrique et de l’océan Indien. Ses statuts ont été adoptés le 26 avril 1972 à Lomé. Les textes furent ensuite actualisés – notamment <a href="https://www.lecames.org/wp-content/uploads/2019/10/AccordAgregSJPEG.pdf">sur l’agrégation</a> – pour que le Conseil des ministres du CAMES les adopte en avril 2000 lors de sa 17<sup>e</sup> Session à Antananarivo.</p>
<h2>Quelques mots sur l’agrégation et ses concours</h2>
<p>Il existe deux familles de concours. Nous abordons dans ce papier non pas celle des <a href="https://www.lecames.org/documents-concours-dagregation-mpomv/">Concours d’agrégation de médecine humaine, pharmacie, odontostomatologie, médecine vétérinaire et productions animales</a> mais plutôt celle des Concours d’agrégation des Sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion. Cette dernière <a href="https://www.lecames.org/programmes/agreg-sjpeg/">existe depuis 1983</a>. Les épreuves s’adressent à des enseignants-chercheurs en poste sur le continent. Depuis 2017, ils doivent être inscrits sur la Liste d’aptitude aux fonctions de maitre-assistant (LAFMA).</p>
<p>Son organisation est spectaculaire. Il n’existe en effet pas d’évènement académique comparable en Sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion qui réunisse en un seul lieu et une seule quinzaine autant de pays, de candidats, de jurés, de coachs, de collègues et d’administratifs. Cette dimension internationale et institutionnelle ne se retrouve guère ailleurs, ni en Afrique, ni en Europe.</p>
<p>Cet événement a lieu tous les deux ans en novembre. En novembre 2019, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=m1w1g6Kepy0">c’était à Ouagadougou</a>. Du 4 au 17 novembre 2021, ce fut à Cotonou. À l’issue des trois épreuves, <a href="https://www.lecames.org/wp-content/uploads/2021/11/Palmares_SJPEG_2021_vf.pdf">77 candidats ont obtenu l’agrégation</a> sur 198 candidats inscrits. L’Afrique compte donc 77 « maîtres de conférences agrégés » supplémentaires.</p>
<p>Notons qu’en sciences de gestion, les <a href="https://www.msn.com/fr-xl/afrique-de-l-ouest/senegal-actualite/concours-cames-2021-onze-universitaires-s%C3%A9n%C3%A9galais-agr%C3%A9g%C3%A9s/ar-AAQWY4W">Sénégalais</a>, les <a href="https://www.actu-cameroun.com/actu/20me-concours-dagrgation-cames-rsultats-connus-ortb/">Camerounais</a>, les Malgaches et les Burkinabé ont plutôt bien réussi, avec un bon ratio inscrits/agrégés.</p>
<h2>Quelques échanges entre trois candidats et deux jurés</h2>
<p>Trois candidats et deux membres du jury, tous en sciences de gestion, répondent ici à de simples questions et ouvrent leur « carnet de notes ».</p>
<h3># Quelles sont vos principales impressions ?</h3>
<p><em>Réponses des deux professeurs (Roger-Jules Feudjo et Marc Bidan)</em></p>
<p>Après quelques jours de repos, nos impressions sont à la fois d’ordre opérationnel et académique. D’un point de vue opérationnel tout d’abord, c’est pour les membres du jury beaucoup de travail en amont, notamment en matière de préparation et d’expertise par binôme, sur chacun des 44 dossiers d’agrégatifs déposés sur la plate-forme du CAMES pour que tout se passe au mieux le jour J, et surtout lors de la leçon 1, celle dite « sur travaux », qui nous mobilise pendant une heure avec le candidat ou la candidate. Ensuite, ce travail continue sur place, notamment à partir de la sous-admissibilité ce qui correspondait, à Cotonou, <a href="https://www.lecames.org/section-sciences-de-gestion-deliberations-du-jury-en-vue-de-la-sous-admissibilite/">à 27 candidats</a>.</p>
<p>D’un point de vue académique ensuite, c’est surtout la sensation de passer dix jours en immersion totale – nous dirions presque nuit et jour – dans le cadre d’un événement majeur qui draine des candidats, des coaches et des collègues venant de Dakar à Antananarivo.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ug6u6aDmBcg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><em>Réponses des trois candidats (Angélique Ngaha Bah, Robert Bationo et Abdou-Karim Faye)</em></p>
<p>Après deux années de préparation, le 4 novembre marque officiellement le lancement du concours pour dix jours. Durant cette période nous avons d’abord été impressionnés par, l’incroyable solidarité, l’entre-aide et la fraternité entre candidats, quel que soit le pays de provenance. En effet, rien ne se fait seul : le partage d’informations et de documents, les déplacements pour se rendre au centre d’examen, faire des courses, aller au restaurant, etc.</p>
<p>Ensuite, la puissance institutionnelle du CAMES (dont le <a href="https://actucameroun.com/2021/09/26/mort-du-pr-bertrand-mbatchi-secretaire-general-du-cames/">secrétaire général venait de décéder</a> quelques jours avant le concours) nous a beaucoup marqués. En effet, sa capacité à mobiliser 17 pays avec une organisation logistique sans faille a été exemplaire.</p>
<p>Enfin, la ténacité du jury nous a épatés ! Nous présumions une fatigue générale de celui-ci dès la fin de la première épreuve eu égard au nombre pléthorique de candidats et à la longueur des épreuves. Mais, à aucun moment du concours, une baisse d’attention de leur part n’a été ressentie, au contraire ! Ce sentiment est partagé par l’ensemble des candidats. Durant toutes les épreuves nous étions toujours surpris par leur vivacité, quelle que soit l’heure de passage du candidat…</p>
<h3># Quels furent les points forts de ce concours ?</h3>
<p><em>Réponse des deux professeurs</em></p>
<p>Tout d’abord, le nombre de candidats inscrits en sciences de gestion – 44 dossiers déposés et un seul candidat absent à Cotonou – met en évidence l’attractivité de la discipline.</p>
<p>L’un des points forts, c’est que l’ensemble des dossiers a pu être traité qualitativement. À la fois techniquement, grâce à une plate-forme <a href="https://www.cames.online/">informatique intuitive</a> et bien documentée, et académiquement, grâce à la mobilisation des sept membres du jury efficacement présidé par le <a href="https://alumni.lecames.org/groupe/sciences-economiques-et-gestion-18">Pr. Augustin Anassé</a> de Bouaké en Côte d’Ivoire. Grâce à la diversité des membres du jury, chaque dossier a pu être expertisé par deux membres dont l’un au moins était de la sous-spécialité du candidat.</p>
<p>Un autre point fort fut l’organisation matérielle du concours à Cotonou avec des conditions de travail de bonne qualité (salle, calme, climatisation, wifi, rafraîchissement, documentation, etc.) – et ce malgré le contexte sanitaire et le nombre important de candidats.</p>
<p>Un dernier point fort – et non des moindres – était l’ampleur, la diversité et le niveau des débats lors des délibérations. Les débats sur la notation de la qualité des publications, la qualité des supports de publication, la pugnacité du candidat dans la défense de ses travaux, étaient parfois délicats, d’où l’importance du président de jury pour mener les débats et parvenir à une note consensuelle.</p>
<p><em>Réponses des trois candidats</em></p>
<p>D’abord, le nombre d’admis en <a href="https://www.lecames.org/benin-lancement-du-20e-concours-dagregation-des-sciences-juridiques-politiques-economiques-et-de-gestion-sjpeg/">sciences de gestion</a>, comparativement aux autres spécialités, constitue un motif de satisfaction. Ensuite, l’accompagnement institutionnel dont ont bénéficié certains candidats, comme les Sénégalais ou les Camerounais, a été un atout de taille. Le soutien indéfectible des coachs et de la famille à distance a aussi été déterminant. Après, nous notons l’environnement général du concours au sein de la faculté de médecine, propre, bien aérée, avec une bonne ambiance et un soutient permanent des accompagnateurs.</p>
<p>La diffusion rapide des informations sur le déroulement du concours, des résultats des épreuves en ligne via le site du CAMES est aussi à saluer. Enfin, la bienveillance du jury, qui prenait souvent le temps de mettre à l’aise le candidat juste avant sa prestation est particulièrement appréciable. Le temps entre le tirage et la découverte du sujet tiré, tu as l’impression d’être en enfer. Ce qui est touchant, c’est que le jury vous encourage par le regard comme s’il voulait vous dire « vas-y, tu peux y arriver » !</p>
<h3># Quels furent vos moments de difficulté lors de ce concours ?</h3>
<p><em>Réponses des deux professeurs</em></p>
<p>Tout d’abord, nous noterons, même si cela peut paraître anecdotique, la chaleur et l’humidité du littoral béninois. Ces conditions nous ont en effet obligés à nous installer dans les salles climatisées de la faculté de pharmacie durant de longues journées afin de ne pas trop se dépenser et se fatiguer pour rester éveillés en termes intellectuels et physiques tout au long des passages des candidats. De plus, les hôtels étaient dispersés et parfois éloignés du site, ce qui a impacté nos temps de trajet. Enfin, le nombre de candidats en gestion (44 à la première épreuve et 27 à partir de la seconde) nous a mécaniquement interdit toute escapade touristique en dehors de la route des Pêches et du riche et original village artisanal… mais nous reviendrons !</p>
<p><em>Réponses des trois candidats</em></p>
<p>À quelques jours du départ sur Cotonou, il fallait partir à l’aéroport avec un test PCR négatif au Covid-19. Ce fut un moment compliqué à gérer. Mais, tout au long de ce concours, le plus difficile a été la gestion du stress et du sommeil. En effet, les veilles du tirage de la lettre qui détermine l’ordre de passage des candidats, de chaque épreuve et de chaque délibération, nous n’arrivions pas à fermer l’œil. On les appelle désormais les « 7 nuits sans sommeil du concours d’agrégation ». En outre, le stress était permanent et encore plus dense au centre d’examen, et particulièrement en loge. Cet endroit, avec ses tables rapprochées et des tas de livres qui y sont superposés pêle-mêle, était appelé « le stressodrôme ».</p>
<p>Certains candidats pratiquaient du sport pendant que d’autres méditaient ou encore consommaient des vitamines C ou des somnifères. À la fin du processus, c’est un « ouf » de soulagement : le retour dans nos foyers est imminent. Nous allons enfin pouvoir relâcher la pression et nous reposer !</p>
<h3># Quelles sont vos prochaines étapes désormais ?</h3>
<p><em>Réponses des deux professeurs</em></p>
<p>Nous devons inciter les agrégés à ne pas stopper leurs efforts et à publier, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-qxnLVgW8IY">à s’impliquer, à encadrer</a>, etc. Nous avons un travail de suivi à assurer. De plus, nous devons aussi inciter les non-agrégés à ne pas baisser les bras. Nous les avons reçus en face à face et nous restons disponibles, car le concours est sélectif. Il faut qu’ils se représentent dans deux ans, après avoir étoffé leur dossier avec des publications et du rayonnement dans la discipline. Ne pas négliger non plus de s’entraîner pour chacune des épreuves comme un sportif de haut niveau le ferait… Il faut arriver en forme intellectuelle et physique le jour J.</p>
<p>Enfin, en tant que membres du jury, nous sommes à la disposition du président – s’il a besoin de nous en novembre 2023 – et nous devons donc rester en éveil, sur le plan académique bien sûr mais aussi institutionnel car nos écosystèmes évoluent vite et le CAMES en est le reflet interrégional. En tous cas, ce fut un beau concours et une <a href="https://bj.l-frii.com/cames-le-20%E1%B5%89-concours-dagregation-officiellement-cloture-a-cotonou/">belle cérémonie de clôture à Cotonou</a>.</p>
<p><em>Réponses des trois candidats</em></p>
<p>L’admission au concours d’agrégation <a href="https://www.laprimeur.net/2021/11/16/cames-un-beninois-parmi-les-14-nouveaux-agreges-en-droit-prive/">est un événement majeur</a>. Elle fait naître de nouvelles responsabilités pour le néo-agrégé notamment, dans l’accompagnement et l’encadrement de jeunes collègues doctorants. Cette immense responsabilité doit aller de pair avec une amélioration qualitative et quantitative de nos publications et productions pédagogiques. C’est ainsi que nous nous sommes inscrits dans une logique de recherche en réseaux entre collègues de même pays <a href="https://www.lecames.org/category/opportunites/">mais également de pays différents liés au CAMES</a>.</p>
<p>La rédaction de ce court récit entre deux jurés et trois candidats entre dans ce cadre. De même, un groupe WhatsApp regroupant tous les admis en gestion a été créé pour permettre aux collègues de mieux se connaître, de partager et de développer des <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-de-l-organisation-2021-1-page-9.htm">initiatives et travaux de recherche d’intérêt commun</a>. Dans cette dynamique, nous centrons actuellement nos réflexions sur un projet d’ouvrage collectif en lien avec nos thématiques de recherche. On est ensemble !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176280/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Angelique Ngaha Bah a participé, comme candidat, au dernier concours d'agrégation du Cames à Cotonou en novembre 2021.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Abdou Karim Faye a participé, comme candidat, au dernier concours d'agrégation du Cames à Cotonou en novembre 2021.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marc Bidan fut membre du jury lors des concours d'agrégation du cames de 2019 et 2021 en sciences de gestion </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Roger Bationo a participé, comme candidat, au dernier concours d'agrégation du Cames à Cotonou en novembre 2021.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Roger Jules Feudjo a participé, comme membre du jury, au dernier concours d'agrégation du Cames à Cotonou en novembre 2021</span></em></p>Quelques données, faits et témoignages sur l’original et dense concours d’agrégation organisé à Cotonou en novembre 2021 par le Conseil africain et malgache pour l’Enseignement Supérieur.Angelique Ngaha Bah, professeur agrégé en sciences de gestion, Université Alioune Diop de BambeyAbdou Karim Faye, Enseignant-chercheur, Université Cheikh Anta Diop de DakarMarc Bidan, Directeur du laboratoire LEMNA - Professeur en Management des systèmes d’information - Polytech Nantes, Auteurs historiques The Conversation FranceRobert Bationo, Chercheur en sciences de gestion/gestion comptable, Université Joseph Ki-ZerboRoger Jules Feudjo, Professeur Agrégé en Sciences de Gestion, Vice-doyen chargé de la Recherche et de la coopération à la FSEG de l'Université de Dschang, Université de DschangLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1752572022-01-23T17:29:19Z2022-01-23T17:29:19ZEntretenir la mémoire du goulag, malgré les menaces de dissolution de Memorial par les autorités russes<p><a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/home/accueil">« Archives sonores – Mémoires européennes du Goulag »</a> est un « livre ouvert ». Cette production éditoriale numérique s’est développée à partir d’une recherche collective engagée en 2007, portant sur les déportations staliniennes. Elle est fondée sur le recueil d’entretiens auprès d’anciens déportés des territoires occidentaux de l’URSS et des pays d’Europe centrale et orientale relégués dans les territoires sibériens, d’Asie centrale ou du Grand Nord russe, entre 1939 et 1941 et entre 1944 et 1953.</p>
<p>Lorsque nous avions entrepris ce projet, que nous coordonnions avec Valérie Nivelon (Radio France Internationale) nous marchions dans les traces de l’ONG russe <a href="https://www.memo.ru/ru-ru/">Memorial</a>. Celle-ci s’était consacrée depuis 1987 à révéler la violence stalinienne, et à rassembler des documents et objets (exposés par exemple lors de l’exposition <a href="https://www.memo.ru/ru-ru/projects/vystavka-material">« Matériaux – mémoires féminines du goulag »</a> ou encore <a href="https://www.memo.ru/ru-ru/projects/vystavka-skripka-bromberga">« Le violon de Bromberg – les victimes des campagnes antisémites en URSS, 1920-1950 »</a>) permettant d’en comprendre la nature.</p>
<p>Nous n’imaginions pas que, quelques années plus tard, cette ONG serait <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20211229-russie-la-justice-ordonne-la-dissolution-du-centre-des-droits-humains-de-l-ong-memorial">brutalement dissoute</a> par le pouvoir russe, désireux d’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/01/la-dissolution-de-memorial-marque-une-etape-decisive-dans-la-politique-de-controle-de-la-societe-russe_6107899_3232.html">imposer une histoire</a> écrite au seul profit d’une vision héroïque de l’URSS ou plutôt de la Russie.</p>
<h2>Une histoire du stalinisme qui n’est pas que soviétique</h2>
<p>Les Archives sonores – Mémoires européennes du Goulag contribuent, au contraire, à une histoire en débat, extrêmement complexe qui ne peut se réduire à une analyse simpliste.</p>
<p>Le projet a conduit à écrire une histoire du stalinisme qui soit réellement européenne et ne soit pas enfermée dans les frontières de l’ancienne Union soviétique, encore moins dans les frontières de la Russie actuelle. C’est aussi, et surtout, l’histoire de celles et ceux qui ont vécu ces violences.</p>
<p>Cette publication a de plus pour objectif, dans la tradition de Memorial et s’inscrivant dans la science ouverte, de développer un travail historien de haut niveau, mais aussi en dialogue avec un large public. Ce dialogue, nous l’avons engagé dès l’origine, en travaillant avec RFI qui a produit de nombreuses émissions de <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/marche-monde/">La Marche du Monde</a>, dont la dernière série en six épisodes <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/la-marche-du-monde/20210521-les-voix-du-goulag-1-6">« Les voix du goulag »</a>. Nous le renforçons encore aujourd’hui en concevant une publication destinée à partager très largement les résultats de cette recherche, les entretiens et autres matériaux recueillis, non seulement pour un public français, mais aussi international, le travail étant diffusé en quatre langues (<a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr">français</a>, <a href="https://museum.gulagmemories.eu/en">anglais</a>, <a href="https://museum.gulagmemories.eu/ru">russe</a> et <a href="https://museum.gulagmemories.eu/pl">polonais</a>).</p>
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<p>L’histoire ici narrée est celle de millions de personnes déportées vers des « villages spéciaux », monde intermédiaire entre les camps du goulag et le monde libre.</p>
<p>Ces relégués vécurent les violences de l’arrachement de leur domicile au petit matin, des <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/le-transport">longs trajets en train</a> entassés dans des wagons à bestiaux, l’arrivée dans des territoires souvent inhospitaliers, le travail forcé.</p>
<p>La déportation de masse fut largement utilisée par Staline et ses proches pour contraindre les populations à se soumettre à l’ordre soviétique. <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/la-matrice-des-peuplements-speciaux">Les paysans en furent les premières victimes</a>, au début des années 1930. Suivirent les groupes jugés peu loyaux, vivant aux frontières du pays, puis les peuples dont Staline craignait qu’ils s’allient à l’ennemi – Coréens, Allemands, Polonais… – pour s’élargir ensuite à bien d’autres populations.</p>
<p><em>Archives sonores – Mémoires européennes du Goulag</em> a pour objet les déportations menées à partir des territoires occidentaux de l’URSS et des pays d’Europe centrale et orientale.</p>
<p>Les premiers, aujourd’hui États ou territoires d’États indépendants, de l’Estonie à l’Ukraine occidentale, furent <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2019-3-page-3.htm">annexés</a> en 1939 et 1940 à la suite du pacte scellé en août 1939 entre l’Allemagne nazie et l’URSS stalinienne, occupés ensuite par l’armée allemande, puis réintégrés à l’URSS à partir de 1944. Dans ces territoires, les vagues de déportation se succédèrent, en <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/les-territoires-annexes-lurss-1939-1941">1940 et 1941</a>, peu avant l’invasion allemande, touchant les élites et autres populations jugées déloyales. <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/les-territoires-annexes-lurss-1944-1952">À partir de 1944</a>, ces déportations constituèrent un des outils de lutte employés par le pouvoir de Moscou contre les <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2012-2-page-77.htm">insurrections</a> qui se développèrent face au retour de l’Armée rouge ; elles furent aussi utilisées pour collectiviser rapidement les exploitations paysannes de ces régions, dans un monde essentiellement rural. Dans le « bloc de l’Est », entré dans la sphère d’influence soviétique après la guerre, elles furent aussi largement utilisées, avec divers objectifs.</p>
<h2>Une multiplicité de témoignages</h2>
<p>Ce livre ouvert est fondé au départ sur le recueil d’un grand nombre de récits (200 ont été recueillis jusqu’à présent) qui permettent d’enrichir la masse d’archives ouvertes à l’issue de la perestroika.</p>
<p>Les personnes que nous avons retrouvées avaient été déportées, le <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/enfances-au-goulag">plus souvent enfants</a>, entraînées avec leur mère (leur père parfois, quand il n’était pas envoyé en camp) dans ce long exil. Certaines avaient été envoyées dans un camp de travail.</p>
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<p>Ce livre ouvert offre à écouter de nombreuses voix, à voir de nombreux documents photographiques, conservés par ces déportés, parfois des <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/correspondre">correspondances</a>. Il traite de <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/thematique">thèmes</a> aussi variés que la <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/la-faim">faim</a>, le <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/le-travail-en-deportation">travail</a>, le <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/le-quotidien">quotidien</a>, ou encore le <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/le-retour">retour</a>, tout en proposant des entrées par les <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/biographie">vies</a> de celles et ceux qui ont partagé avec nous leur récit, comme <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/maryte-kontrimaite">Marytė Kontrimaitė</a>, déportée de Lituanie en 1941 et qui vit à Vilnius ; <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/henry-welch">Henry Welch</a>, déporté après avoir fui l’avancée nazie en Pologne et ayant, après sa libération, parcouru le monde ; <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/micheline-herc">Micheline Herc</a>, qui vit désormais en France ; <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/zofia-helwing">Zofia Helwing</a>, déportée de Pologne ; <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/juozas-miliauskas">Juozas Miliauskas</a>, qui a décidé, après sa libération, de rester en Sibérie.</p>
<h2>Un projet en constante évolution</h2>
<p>« Livre ouvert », « livre dynamique », cette publication innovante en développement articule étroitement des présentations destinées à un large public et des contributions académiques validées par les pairs. Elle est destinée à être un support d’enseignement autant que de débats sur de nouvelles recherches. Contrairement aux productions éditoriales valorisant un état achevé de la connaissance, cette forme dynamique de publication permet de donner à voir la science en marche et de se faire l’écho de nouvelles approches, y compris à l’état d’hypothèses appelant à une réflexion critique. Elle est aussi destinée à susciter un débat entre société civile et historiens.</p>
<p>Cette publication va évoluer ces prochaines années, avec le soutien du Fonds national pour la science ouverte, en adaptant les contenus, dans la mesure du possible, à un public empêché de lire ou d’entendre, en accueillant des articles scientifiques, des notes méthodologiques, des réflexions sur l’usage des sources, un <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/cartographie">travail cartographique</a> original et des parcours pédagogiques. La cartographie mettra mieux en image l’immensité des territoires traversés, et les liens qui se tissaient entre des lieux éloignés de milliers de kilomètres. Les parcours pédagogiques seront destinés aux enseignants, élèves et étudiants, et chercheront à utiliser au mieux les médias divers pour traiter de thèmes essentiels à cette histoire, partant toujours du vécu. C’est ainsi que sera traité le pacte Molotov-Ribbentrop, dont l’interprétation est aujourd’hui un <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2015/05/11/01003-20150511ARTFIG00216-poutine-rehabilite-le-pacte-molotov-ribbentrop.php">enjeu central de l’histoire officielle en Russie</a>. Enfin, toutes les données collectées seront archivées dans un entrepôt garantissant leur pérennité et leur accessibilité.</p>
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<p>Cette large ouverture des données et des résultats de cette recherche permettra de préserver pour les générations à venir cette mémoire aujourd’hui menacée en Russie. La dissolution de l’ONG <em>Memorial</em>, prononcée par la Cour suprême de Russie après un <a href="http://memorial-france.org/jusquou-iront-les-autorites-russes/">simulacre de procès</a>, malgré le travail magnifique des juristes et avocats de cette organisation et une mobilisation <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20211209-russie-la-mobilisation-s-organise-pour-tenter-de-sauver-l-ong-m %C3 %A9morial-de-la-dissolution">nationale</a> et <a href="https://www.allotrends.com/fr/france-24/russie-la-communaute-internationale-s-inquiete-suite-a-la-liquidation-de-l-ong-memorial-714369.html">internationale</a> massive, a parmi d’autres conséquences celle de la perte totale de crédibilité de l’histoire officielle russe aujourd’hui. Les débats compliqués, parfois tendus, entre historiens russes et ceux des divers pays d’Europe centrale et orientale, sont désormais réduits à une confrontation qui ne permet guère le dialogue et la nuance.</p>
<p>Mais s’il est possible de dissoudre une institution, fut-elle immensément respectée, on ne dissout pas la mémoire, les souvenirs, on ne peut empêcher d’écrire une histoire en débat, une histoire partagée par l’Europe dans son ensemble. Notre publication veut contribuer à poursuivre l’écriture d’une telle histoire, à préserver cette mémoire, à poursuivre le magnifique travail pédagogique mené par <em>Memorial</em> en Russie.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175257/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Blum est vice-président de l'association Mémorial-France, filiale de Memorial International, que nous évoquons dans l'article</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marta Craveri est membre de l'association Mémorial-France. </span></em></p>Le régime russe vient d’ordonner la liquidation de la principale ONG du pays travaillant sur la mémoire des crimes du stalinisme. De nombreux projets continuent toutefois de faire vivre cette mémoire.Alain Blum, Directeur d'études, Institut National d'Études Démographiques (INED)Marta Craveri, Directrice du Pôle International de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1710792021-11-07T16:50:15Z2021-11-07T16:50:15Z« Il n’est pas mort pour rien » : un an après la défaite au Karabakh, le douloureux travail de deuil des familles arméniennes<p>De septembre à novembre 2020, une <a href="https://www.diploweb.com/Geopolitique-de-la-Seconde-Guerre-du-Haut-Karabakh-27-septembre-9-novembre-2020.html">guerre a ravagé le Haut-Karabakh</a>, laissant à son terme des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Le-vertigineux-bilan-humain-guerre-Haut-Karabakh-2020-12-04-1201128269">milliers de morts</a> déchiquetés et des familles endeuillées. En tant que recteur de l’<a href="https://ufar.am/fr/">Université française en Arménie (UFAR)</a>, j’ai vu un certain nombre de mes jeunes étudiants partir au front. Onze d’entre eux sont morts au combat, et leurs parents les pleurent amèrement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/429813/original/file-20211102-5521-rpu9ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429813/original/file-20211102-5521-rpu9ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429813/original/file-20211102-5521-rpu9ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429813/original/file-20211102-5521-rpu9ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429813/original/file-20211102-5521-rpu9ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429813/original/file-20211102-5521-rpu9ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429813/original/file-20211102-5521-rpu9ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429813/original/file-20211102-5521-rpu9ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Monument à l’UFAR à la mémoire des étudiants tués au combat. (Cliquer pour zoomer).</span>
<span class="attribution"><span class="source">B. Venard</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Observateur de cette douleur nationale, j’ai été aux premières loges de cette pièce tragique arménienne qui confronte ce petit pays à des <a href="https://www.herodote.net/Le_chemin_de_croix_du_premier_%C3%89tat_chretien-synthese-2025.php">agressions récurrentes</a>. Aujourd’hui, un an après la fin officielle des affrontements, permise par la signature le <a href="https://www.lci.fr/international/haut-karabakh-un-accord-trouve-pour-mettre-fin-aux-combats-incidents-a-erevan-2169444.html">9 novembre 2020</a> d’un accord de cessez-le-feu, des milliers de familles arméniennes cherchent à faire le deuil de leurs proches – un deuil d’autant plus pénible que ceux-ci ont été tués dans une guerre qui s’est soldée, pour leur camp, par une amère défaite.</p>
<h2>Le temps du déni</h2>
<p>Le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/armenie/caucase-l-article-a-lire-pour-mieux-comprendre-le-conflit-dans-le-haut-karabakh_4138597.html">Haut-Karabakh</a> est un petit territoire (4 400 km<sup>2</sup>) peuplé d’Arméniens qui fut cédé par Staline en 1921 à la République soviétique d’Azerbaïdjan. En 1991, ce territoire proclama son indépendance. L’Arménie lui accorda immédiatement son soutien, tandis que l’Azerbaïdjan exigea qu’il retourne dans son giron. Le droit des peuples contre le doit des traités aboutit à <a href="https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2018/04/26/la-guerre-sans-fin-du-haut-karabakh_5290825_4497186.html">toute une série de conflits meurtriers</a>.</p>
<p>Le dernier en date a éclaté le 27 septembre 2020. L’Azerbaïdjan, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/30/la-turquie-souffle-sur-les-braises-du-conflit-entre-l-azerbaidjan-et-l-armenie_6054193_3210.html">aidé par le gouvernement turc</a>, attaqua par surprise le territoire contesté. 44 jours de conflits se soldèrent par une large défaite des troupes du Karabakh assistées par celles de l’Arménie et des milliers de garçons morts, mobilisés ou volontaires, souvent très jeunes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/429815/original/file-20211102-5521-gp29q0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429815/original/file-20211102-5521-gp29q0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429815/original/file-20211102-5521-gp29q0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429815/original/file-20211102-5521-gp29q0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429815/original/file-20211102-5521-gp29q0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429815/original/file-20211102-5521-gp29q0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429815/original/file-20211102-5521-gp29q0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429815/original/file-20211102-5521-gp29q0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tombe d’un étudiant mort au combat à l’automne 2020, au cimetière de Yerablur (cliquer pour zoomer).</span>
<span class="attribution"><span class="source">B. Venard</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Face à l’annonce de la mort de leurs époux, frères ou fils, de nombreuses familles arméniennes ont réagi par le déni. Le cas le plus frappant fut celui d’une famille dont le fils était porté disparu. Comme cela est toujours le cas dans une telle situation, les proches refusèrent obstinément l’idée de sa mort tant que le corps n’avait pas été retrouvé. De nombreuses familles arméniennes s’accrochèrent désespérément à l’espoir que leur soldat soit blessé et soigné quelque part ou fut prisonnier.</p>
<p>De même, le corps d’un jeune décédé dont les papiers ainsi qu’un test ADN attestaient l’identité ne fut pas immédiatement reconnu comme étant celui du fils chéri. Par amour, ses parents continuaient à refuser d’admettre la mort effroyable de leur fils aimé. Le déni de la mort par les familles arméniennes était d’autant plus fort qu’il s’accompagnait d’un sentiment d’injustice face à cette attaque. La phase de déni put parfois être celle de la colère contre les agresseurs, et contre une communauté internationale <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/26/c-est-une-situation-de-guerre-totale-dans-le-haut-karabakh-l-armenie-tente-d-attirer-l-attention-de-la-communaute-internationale_6057350_3210.html">accusée d’avoir laissé les Arméniens seuls</a> face à un adversaire nettement plus puissant.</p>
<h2>Le temps de l’acceptation</h2>
<p>Par la suite, les familles ont accepté la certitude de la mort de leurs enfants et la <a href="https://www.courrier.am/fr/armenie-francophone/par-le-sang-et-les-pleurs">tristesse a encore augmenté</a>. Cette phase de tristesse s’est accompagnée de la recherche de détails sur le moment du trépas. Après avoir repoussé l’idée de la mort d’un jeune fils, il fallait au contraire l’admettre, en comprenant ses circonstances. Recueillir des éléments précis sur les derniers jours permettrait de croire en cette mort refusée, même si les détails sordides arrachaient alors des cris de douleur supplémentaires. Ce fut le cas pour la mort d’un de mes étudiants de 18 ans, brûlé vif lors d’une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/armenie-des-soldats-brules-au-phosphore_4214353.html">attaque au phosphore</a>. Dans un sanglot, sa mère me décrivit son fils comme un magnifique ange alors que la dernière image qu’elle eut de lui fut un corps carbonisé et crispé dans une effroyable agonie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429820/original/file-20211102-17-182wdkn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429820/original/file-20211102-17-182wdkn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=590&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429820/original/file-20211102-17-182wdkn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=590&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429820/original/file-20211102-17-182wdkn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=590&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429820/original/file-20211102-17-182wdkn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=741&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429820/original/file-20211102-17-182wdkn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=741&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429820/original/file-20211102-17-182wdkn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=741&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Drapeaux arméniens au cimetière militaire de Yerablur, à Erevan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">B. Venard</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Toutes les familles ont vécu ces pertes avec une douleur d’autant plus grande que les morts furent soudaines. Peu à peu, par légers ajustements progressifs, les familles finirent par accepter l’impossible. Chaque minute devenait une lutte acharnée pour bien graver les instants précieux des chers disparus. Un an après, certains parents arméniens examinent toujours, dans une longue litanie d’événements, la vie perdue de leurs garçons frappés par une mort sauvage.</p>
<p>Cette attention portée au jeune enfant permet aussi d’identifier ce qui n’est toujours pas disparu. Une famille m’énuméra les qualités sans nombre de leur « petit » au moment où je regardais sa photo montrant un immense visage, beau et serein. De son côté, un père me confia qu’il collectait tous les écrits de son fils pour en faire un livre honorant sa mémoire et ses qualités intellectuelles, montrant ainsi que tout n’est pas perdu avec la mort. Ce fut un moment crucial de basculement entre l’évaluation de la perte irrémédiable et aussi la mise en évidence de tout ce qui pouvait être préservé.</p>
<h2>Donner un sens au drame</h2>
<p>Dans cette phase du deuil, les proches ont essayé de trouver un sens à la mort. Un père effondré me dit dans un sanglot : « Il n’est pas mort pour rien. » En effet, ces jeunes, parfois engagés volontaires, laissent derrière eux une exemplarité qui fait frémir l’observateur : donner sa vie pour un idéal, pour sauver sa patrie, mettre en cause son intérêt personnel pour l’intérêt collectif. Le sens de la mort d’un jeune fut d’offrir l’exemple sacré de l’altruisme le plus total.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429811/original/file-20211102-19-1ghpp2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429811/original/file-20211102-19-1ghpp2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429811/original/file-20211102-19-1ghpp2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429811/original/file-20211102-19-1ghpp2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429811/original/file-20211102-19-1ghpp2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429811/original/file-20211102-19-1ghpp2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429811/original/file-20211102-19-1ghpp2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dessin sur la guerre d’un jeune Arménien.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Enfin, les parents, dans une grande dignité, ont construit une relation avec les jeunes morts. Leurs garçons ont beau être ensevelis sous terre, les proches conservent une relation étroite et continue, une connexion intense par-delà la mort. Parfois, les parents m’ont répété de simples paroles prononcées par leurs garçons, mots profonds et lucides qui restent gravés dans les esprits et les gardent vivants. Dans le cas arménien, cette relation après le décès est d’autant plus intense que les relations familiales sont <a href="https://www.evnreport.com/politics/independence-generation-perceptions-of-family-and-marriage">denses et élargies</a>. Un an après, certains parents se rendent chaque jour sur la tombe du fils perdu. En dépit du décès, ces familles ont établi une relation consciente renforcée par la volonté farouche de conserver par-delà le temps une relation profonde avec Shant, Pargev, David, Artak, Areg, Suren, Abgar, Vahe, Harutyun, Yuri ou Gevorg.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171079/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Venard est recteur de l'Université française en Arménie (UFAR).</span></em></p>Un an après la fin des combats, les familles des milliers de jeunes soldats arméniens morts au front cherchent à donner un sens à cette guerre perdue.Bertrand Venard, Professor, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685202021-10-11T19:08:42Z2021-10-11T19:08:42ZParoles de chercheurs : l’émotion collective en recherche<iframe src="https://embed.acast.com/614c47bce7e75c00112afb98/615ae57e8eae4f00129194e3" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><em>Une série de podcasts pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Rencontrez des scientifiques qui vous racontent l’émotion de la découverte, la passion de la recherche et comment elle se pratique au quotidien. Moments en solo, travail en équipe, implication d’une communauté internationale, pratiquer la démarche scientifique est plein de rebondissements, de surprises et de doutes.</em></p>
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<p>Guillaume Hébrard est directeur de recherche au CNRS, il travaille à l’Observatoire de Haute Provence et à Institut d’Astrophysique de Paris. Il nous raconte comment l’émotion de quelques chercheurs lors de la découverte de la première planète extra-solaire s’est répandue à toute une communauté, puis au grand public.</p>
<p>Pour lui, les émotions sont un moteur mais la joie de la découverte peut aussi être un piège, car il faut éviter de croire trop rapidement que ses résultats sont valides : il arrive très souvent que l’on ait mal compris quelque chose, ou fait une erreur.</p>
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<p><em>Crédits : Une production Making Noise par Making Waves et The Conversation France. Conception, Elsa Couderc, Françoise Marmouyet et Fabrice Rousselot. Direction artistique, Alexandre Plank. Coordination, Hervé Marchon. Production et réalisation, Pauline Josse. Mixage, Martin Delafosse. Musique, Emma Esdourrubailh. Lecture de texte, Hervé Marchon</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168520/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Hébrard a reçu des financements d'organismes publics de recherche.</span></em></p>Un podcast pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Dans cet épisode, Guillaume Hébrard raconte l’émotion de toute une communauté lors de la découverte de la première exoplanète.Guillaume Hébrard, Directeur de recherche au CNRS, Institut d'Astrophysique de ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685162021-10-10T16:47:47Z2021-10-10T16:47:47ZParoles de chercheurs : Les émotions permettent aussi de comprendre les choix des chercheurs<iframe src="https://embed.acast.com/614c47bce7e75c00112afb98/615ae086226eb60013fc972a" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><em>Une série de podcasts pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Rencontrez des scientifiques qui vous racontent l’émotion de la découverte, la passion de la recherche et comment elle se pratique au quotidien. Moments en solo, travail en équipe, implication d’une communauté internationale, pratiquer la démarche scientifique est plein de rebondissements, de surprises et de doutes.</em></p>
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<p>Claire Valotteau et Félix Rico sont chercheurs à l’Inserm et à Aix-Marseille Université. Ils étudient des cellules biologiques grâce à des microscopes à force atomique qui – outre permettre de voir les atomes individuellement dans certaines conditions – permettent de « toucher » les cellules et de les manipuler.</p>
<p>Pour ces deux chercheurs, les émotions devraient être davantage prises en compte pour comprendre les choix de recherche faits par des chercheuses et des chercheurs, mais aussi pour appréhender les processus de cognition et d’apprentissage qui sous-tendent la recherche au quotidien. En effet, les émotions peuvent introduire des biais qui sortent du champ scientifique. En avoir conscience permet de valoriser les émotions positives mais aussi d’éviter les écueils.</p>
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<p><em>Crédits : Une production Making Noise par Making Waves et The Conversation France. Conception, Elsa Couderc, Françoise Marmouyet et Fabrice Rousselot. Direction artistique, Alexandre Plank. Coordination, Hervé Marchon. Production et réalisation, Pauline Josse. Mixage, Martin Delafosse. Musique, Emma Esdourrubailh. Lecture de texte, Hervé Marchon</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168516/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Valotteau est membre de Centuri (Turing Centre for Living Systems) et du LAI (Laboratoire Adhésion & Inflammation), laboratoire de recherche publique sous la tutelle de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et de l'AMU (Aix-Marseille Université). Elle reçoit des financements du programme Horizon 2020 de l’Union européenne (Actions Marie Sklodowska-Curie, MSCA grant agreement N° 895819) et du programme ATIP-Avenir 2020 (avec le support financier de l’ITMO Cancer d’Aviesan sur les fonds Cancer 2021 administrés par l’Inserm). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Félix Rico est membre de Aix-Marseille Université, CNRS, Inserm, LAI, Turing Centre for Living Systems (CENTURI). Il a reçu des financements du programme Horizon 2020 de l’Union européenne (Actions Marie Sklodowska-Curie, H2020-MSCA-ITN-2018 Grant Agreement n. 812772, Phys2BioMed), de l’European Research Council (ERC, grant agreement No. 772257), et du Human Frontier Science Program (HFSP, grant No.RGP0056/2018).</span></em></p>Un podcast pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Dans cet épisode, Claire Valotteau et Félix Rico parlent de l'émerveillement de la recherche.Claire Valotteau, Postdoctoral research fellow, InsermFélix Rico, Enseignant-Chercheur, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685242021-10-08T17:30:22Z2021-10-08T17:30:22ZParoles de chercheurs : L’humilité devant la nature et la culture… animales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/423158/original/file-20210924-22-tl6cqy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C5982%2C3988&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qu'est ce que la culture chez les animaux?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/silhouettes-people-observing-stars-night-sky-586441904">vchal, Shutterstock</a></span></figcaption></figure><iframe src="https://embed.acast.com/614c47bce7e75c00112afb98/615ad3a2312fd700123049ab" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<p><em>Une série de podcasts pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Rencontrez des scientifiques qui vous racontent l’émotion de la découverte, la passion de la recherche et comment elle se pratique au quotidien. Moments en solo, travail en équipe, implication d’une communauté internationale, pratiquer la démarche scientifique est plein de rebondissements, de surprises et de doutes.</em></p>
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<p><strong>Qu’appelle-t-on la culture chez les animaux ?</strong></p>
<p>Déborah Federico, doctorante à l’université Paul Sabatier – Toulouse III au sein du Laboratoire Évolution et Diversité Biologiques, travaille sur l’hérédité non génétique chez les animaux, dont une des formes possibles est l’hérédité dite culturelle : ce qui se transmet d’une génération à l’autre par « tradition ».</p>
<p>Elle nous apprend que les mouches sont conformistes : elles ont tendance à se ranger à l’avis de la majorité en terme de choix du partenaire reproducteur. Est-ce que ces capacités se transmettent à travers les générations pour que des traditions émergent à long terme – des traditions qui influenceraient l’évolution ?</p>
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<p><em>Crédits : Une production Making Noise par Making Waves et The Conversation France. Conception, Elsa Couderc, Françoise Marmouyet et Fabrice Rousselot. Direction artistique, Alexandre Plank. Coordination, Hervé Marchon. Production et réalisation, Pauline Josse. Mixage, Martin Delafosse. Musique, Emma Esdourrubailh. Lecture de texte, Hervé Marchon</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168524/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Déborah Federico ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un podcast pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Dans cet épisode, Déborah Federico vous fait découvrir que même les mouches auraient tendance à se ranger à l'avis de la majorité.Déborah Federico, Doctorante, Université de Toulouse III – Paul SabatierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685252021-10-08T17:30:20Z2021-10-08T17:30:20ZParoles de chercheurs : Réattribuer une œuvre à son artiste<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/423162/original/file-20210924-25-2vz6hg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4749%2C3005&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment le rapport à la mort évolue-t-il? Que reflète-t-il des vivants?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/silhouette-photographer-who-shooting-milky-way-377725168">Mod-X, Shutterstock</a></span></figcaption></figure><iframe src="https://embed.acast.com/614c47bce7e75c00112afb98/615acf89aff81f00135d029a" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<p><em>Une série de podcasts pour transmettre l'émotion de la découverte scientifique.</em></p>
<p><em>Rencontrez des scientifiques qui vous racontent l’émotion de la découverte, la passion de la recherche et comment elle se pratique au quotidien. Moments en solo, travail en équipe, implication d’une communauté internationale, pratiquer la démarche scientifique est plein de rebondissements, de surprises et de doutes.</em></p>
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<p>Balade au cœur d’un cimetière parisien sur les pas d’Éric Sergent, doctorant en histoire de l’art à l’Université Lumière Lyon 2, pour comprendre pourquoi l’élite a construit de tels monuments à ses morts, remarquables sur les plans architecturaux et artistiques.</p>
<p>Comment évolue notre rapport à la mort ? Ces monuments ne parleraient-ils pas plus des vivants que des morts ?</p>
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<p><em>Crédits : Une production Making Noise par Making Waves et The Conversation France. Conception, Elsa Couderc, Françoise Marmouyet et Fabrice Rousselot. Direction artistique, Alexandre Plank. Coordination, Hervé Marchon. Production et réalisation, Pauline Josse. Mixage, Martin Delafosse. Musique, Emma Esdourrubailh. Lecture de texte, Hervé Marchon</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L'émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168525/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>La thèse d'Eric Sergent est financée par un contrat doctoral unique (2018-2021), accordé par l'Université Lumière Lyon 2. </span></em></p>Un podcast pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Dans cet épisode, Éric Sergent nous emmène dans les cimetières, qui parlent des vivants autant que des morts.Eric Sergent, Doctorant en histoire de l'art des XIXe-XXe siècles, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685232021-10-07T18:16:49Z2021-10-07T18:16:49ZParoles de chercheurs : Transformer la frustration en quelque chose de positif<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/423164/original/file-20210924-46597-1y6xfz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=80%2C8%2C5910%2C3979&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Rendre visible l'invisible procure une émotion toute particulière, entre magie et émerveillement.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/silhouettes-people-observing-stars-night-sky-586441904">vchal, Shutterstock</a></span></figcaption></figure><iframe src="https://embed.acast.com/614c47bce7e75c00112afb98/6152c8017a432800131fe721" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<p><em>Une série de podcasts pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique.</em></p>
<p><em>Rencontrez des scientifiques qui vous racontent l’émotion de la découverte, la passion de la recherche et comment elle se pratique au quotidien. Moments en solo, travail en équipe, implication d’une communauté internationale, pratiquer la démarche scientifique est plein de rebondissements, de surprises et de doutes.</em></p>
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<p>Éliette Riboulet-Bisson et Florie Desriac sont enseignantes-chercheuses à l’Université de Caen Normandie et étudient les bactéries pour combattre leur résistance aux antibiotiques.</p>
<p>Elles nous parlent à deux voix d’une vie de laboratoire riche en émotions : de la déception et la frustration – que l’on rencontre très tôt dans une carrière de chercheur, à l’émotion de la découverte et la capacité à transformer la frustration en quelque chose de positif – que l’on acquiert avec le temps.</p>
<p>Pour elles, rendre visible l’invisible (l’ADN par exemple) procure des émotions toutes particulières, entre le côté magique d’un objet qui se révèle alors que l’on ne soupçonnait pas l’instant d’avant et émerveillement devant des objets biologiques magnifiques.</p>
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<p><em>Crédits : Une production Making Noise par Making Waves et The Conversation France. Conception, Elsa Couderc, Françoise Marmouyet et Fabrice Rousselot. Direction artistique, Alexandre Plank. Coordination, Hervé Marchon. Production et réalisation, Pauline Josse. Mixage, Martin Delafosse. Musique, Emma Esdourrubailh. Lecture de texte, Hervé Marchon</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168523/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un podcast pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Dans cet épisode, découvrez les évolutions des émotions des chercheurs avec Éliette Riboulet-Bisson et Florie Desriac.Eliette Riboulet-Bisson, Maître de Conférences en Microbiologie, Université de Caen NormandieFlorie Desriac, Maître de Conférences en Microbiologie, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685222021-10-06T18:34:49Z2021-10-06T18:34:49ZParoles de chercheurs : Éviter l’exaltation qui peut compromettre les fouilles<iframe src="https://embed.acast.com/614c47bce7e75c00112afb98/615aac97a3a4af001ab4299f" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<p><em>Une série de podcasts pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Rencontrez des scientifiques qui vous racontent l’émotion de la découverte, la passion de la recherche et comment elle se pratique au quotidien. Moments en solo, travail en équipe, implication d’une communauté internationale, pratiquer la démarche scientifique est plein de rebondissements, de surprises et de doutes.</em></p>
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<p>Jean-Renaud Boisserie est passionné depuis l’enfance par l’histoire et les animaux. Il donc devenu paléontologue pour pouvoir étudier l'histoire évolutive des animaux. Il nous emmène dans une visite sonore de l’atelier de préparation et de moulage des fossiles de son laboratoire, PALEVOPRIM (CNRS et Université de Poitiers).</p>
<p>Il pense qu’il faut des émotions pour tenir à titre individuel, celles qui nous font avancer, voire reculer. Mais la recherche de fossiles nécessite de canaliser ces émotions sur le terrain et au laboratoire pour être le plus rigoureux possible. Il s’agit en particulier d’éviter l’exaltation, forme de « transe » du paléontologue qui peut compromettre les fouilles.</p>
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<p><em>Crédits : Une production Making Noise par Making Waves et The Conversation France. Conception, Elsa Couderc, Françoise Marmouyet et Fabrice Rousselot. Direction artistique, Alexandre Plank. Coordination, Hervé Marchon. Production et réalisation, Pauline Josse. Mixage, Martin Delafosse. Musique, Emma Esdourrubailh. Lecture de texte, Hervé Marchon.</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168522/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Renaud Boisserie a reçu des financements de recherche de l'Agence Nationale de la Recherche, du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de la Fondation Fyssen, de la région Nouvelle-Aquitaine.</span></em></p>Un podcast pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Dans cet épisode, Jean-Renaud Boisserie nous emmène dans une visite sonore de l’atelier de préparation et de moulage des fossiles.Jean-Renaud Boisserie, DR CNRS, paléontologue, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685192021-10-05T19:21:20Z2021-10-05T19:21:20ZParoles de chercheurs : Travailler sur une momie et des textes anciens, du toucher à l’odorat<iframe src="https://embed.acast.com/614c47bce7e75c00112afb98/615aab2b2dade7001af0afb6" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><em>Une série de podcasts pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique.</em></p>
<p><em>Rencontrez des scientifiques qui vous racontent l’émotion de la découverte, la passion de la recherche et comment elle se pratique au quotidien. Moments en solo, travail en équipe, implication d’une communauté internationale, pratiquer la démarche scientifique est plein de rebondissements, de surprises et de doutes.</em></p>
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<p>Philippe Mainterot fait le grand écart entre les époques : égyptologue, il fouille aussi le passé de Frédéric Cailliaud, un explorateur du XIX<sup>er</sup> siècle qui a découvert la cité de Méroé, capitale de l’antique royaume de Koush, maintenant au Soudan.</p>
<p>Il parle de ses recherches comme d’un jeu de piste à travers les musées français et internationaux, pour rassembler les traces de cet explorateur. Ses recherches permettent de faire revivre les histoires oubliées à travers ces objets, et les faire partager aux autres.</p>
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<p><em>Crédits : Une production Making Noise par Making Waves et The Conversation France. Conception, Elsa Couderc, Françoise Marmouyet et Fabrice Rousselot. Direction artistique, Alexandre Plank. Coordination, Hervé Marchon. Production et réalisation, Pauline Josse. Mixage, Martin Delafosse. Musique, Emma Esdourrubailh. Lecture de texte, Hervé Marchon.</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168519/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Mainterot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un podcast pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Dans cet épisode, Philippe Mainterot nous parle de faire revivre les histoires oubliées à travers des objets et des écrits.Philippe Mainterot, Maître de conférences en Histoire de l'Art et Archéologie de l'Antiquité, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685152021-10-04T18:50:43Z2021-10-04T18:50:43ZParoles de chercheurs : On ressent une forte responsabilité quand on travaille sur le cancer<iframe src="https://embed.acast.com/614c47bce7e75c00112afb98/6154514d2e88e700125c5549" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<p><em>Une série de podcasts pour transmettre l'émotion de la découverte scientifique
Rencontrez des scientifiques qui vous racontent l’émotion de la découverte, la passion de la recherche et comment elle se pratique au quotidien.
Moments en solo, travail en équipe, implication d’une communauté internationale, pratiquer la démarche scientifique est plein de rebondissements, de surprises et de doutes.</em></p>
<p>Quel est le rôle des lymphocytes B dans le développement des tumeurs cancéreuses ? Peut-on les cibler dans des thérapies ?</p>
<p>Eve Playoust est doctorante en première année d’immunologie à Aix-Marseille Université. Elle nous parle de ses recherches et de l’équilibre entre émotions et rigueur scientifique dans un domaine qui a des implications concrètes pour la communauté scientifique, médicale, et surtout pour les patients.</p>
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<p><em>Crédits : Une production Making Noise par Making Waves et The Conversation France. Conception, Elsa Couderc, Françoise Marmouyet et Fabrice Rousselot. Direction artistique, Alexandre Plank. Coordination, Hervé Marchon. Production et réalisation, Pauline Josse. Mixage, Martin Delafosse. Musique, Emma Esdourrubailh. Lecture de texte, Hervé Marchon.</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L'émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168515/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eve Playoust travaille en tant que doctorante au Centre d’Immunologie de Marseille Luminy dans le cadre d’une collaboration avec la société de biotechnologies Innate Pharma.
Elle réalise un double cursus médecine-science au sein d’Aix Marseille Université (faculté de médecine de Marseille, faculté des sciences de Luminy) avec le soutien de l’Ecole de l’Inserm Lilianne Bettencourt à laquelle elle a candidaté en deuxième année de médecine.
Elle participe à la création d’un tutorat au sein de la faculté de médecine de Marseille afin de soutenir les étudiants souhaitant réaliser un double-cursus médecine-sciences, elle est également chargée d'organiser les évènements scientifiques autour de ce projet.</span></em></p>Un podcast pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Dans cet épisode, Eve Playoust nous parle du délicat équilibre quotidien entre émotions et rigueur scientifique.Eve Playoust, Doctorante en Immunologie, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685182021-10-03T17:25:14Z2021-10-03T17:25:14ZParoles de chercheurs : Élucider les raisons de sa curiosité<iframe src="https://embed.acast.com/614c47bce7e75c00112afb98/61530d9441bab8001551e376" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<p><em>Une série de podcasts pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique.</em></p>
<p><em>Rencontrez des scientifiques qui vous racontent l’émotion de la découverte, la passion de la recherche et comment elle se pratique au quotidien. Moments en solo, travail en équipe, implication d’une communauté internationale, pratiquer la démarche scientifique est plein de rebondissements, de surprises et de doutes.</em></p>
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<p>François Drémeaux, enseignant-chercheur à l’Université d’Angers, débutait un nouveau projet de recherche : il voulait travailler sur les marins en Extrême-Orient. La découverte imprévue d’archives rares lui a fait prendre conscience, comme une évidence, qu’il devait travailler sur les femmes qui prenaient la mer dans la première moitié du siècle, plus précisément dans les transatlantiques. Qu’est-ce qui motivait ces femmes à prendre la mer ?</p>
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<p><em>Crédits : Une production Making Noise par Making Waves et The Conversation France. Conception, Elsa Couderc, Françoise Marmouyet et Fabrice Rousselot. Direction artistique, Alexandre Plank. Coordination, Hervé Marchon. Production et réalisation, Pauline Josse. Mixage, Martin Delafosse. Musique, Emma Esdourrubailh. Lecture de texte, Hervé Marchon.</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L'émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168518/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Drémeaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un podcast pour transmettre l’émotion de la découverte scientifique. Dans cet épisode, François Drémeaux nous emmène sur les transatlantiques à la rencontre de femmes-marins.François Drémeaux, Enseignant-chercheur en histoire contemporaine, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.