tag:theconversation.com,2011:/us/topics/turquie-21579/articlesTurquie – The Conversation2024-01-07T15:34:43Ztag:theconversation.com,2011:article/2200782024-01-07T15:34:43Z2024-01-07T15:34:43ZEn Suède, la multiplication des autodafés du Coran met à l’épreuve le pari multiculturel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567329/original/file-20231225-19-xykc6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C313%2C2160%2C1807&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’activiste et politicien dano-suédois Rasmus Paludan pendant un autodafé du Coran devant l’ambassade de Turquie à Stockholm le 21&nbsp;janvier 2023.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rasmus_Paludan#/media/Fichier:Rasmus_Paludan_burning_the_Koran_2023-01-21_(2).jpg">Tobias Hellsten/ToHell.Wikipedia </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Entre l’enlisement de la guerre en Ukraine et les effets de l’embrasement de la bande de Gaza, l’année 2023 a été caractérisée, partout en Europe, par une dégradation du climat sécuritaire et par de brusques recompositions du cadre des relations diplomatiques. En Suède, des tensions sans précédent ont marqué l’actualité, assorties d’inquiétudes palpables et, hélas, justifiées, relatives à la sécurité des ressortissants suédois à l’étranger.</p>
<p>Cet été, à <a href="https://edition.cnn.com/2023/06/28/europe/sweden-quran-protest-intl/index.html">Ankara</a>, à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1342756/coran-brule-en-suede-manifestation-devant-la-mosquee-al-amine-a-beyrouth.html">Beyrouth</a> et à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1342773/pakistan-des-milliers-de-personnes-protestent-contre-lautodafe-dun-coran-en-suede.html">Islamabad</a>, des manifestants ont mis le feu au drapeau suédois ; en <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230720-des-partisans-de-moqtada-al-sadr-ont-incendi%C3%A9-l-ambassade-de-su%C3%A8de-%C3%A0-bagdad">Irak</a> et au <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/liban-un-cocktail-molotov-lance-contre-l-ambassade-de-suede-20230810">Liban</a>, les désordres ont été suivis de violences contre les ambassades du pays.</p>
<p><a href="https://www.tf1info.fr/international/direct-belgique-deux-personnes-decedees-dans-une-fusillade-a-bruxelles-2273181.html">Le 17 octobre, à Bruxelles</a>, un islamiste se revendiquant de l’État islamique a abattu deux supporters de l’équipe suédoise de football venus assister au match Belgique-Suède. Cet attentat a confirmé le bien-fondé des craintes de Stockholm. Depuis l’été, le gouvernement avait en effet recommandé à ses ressortissants de se montrer très précautionneux lorsqu’ils se trouvent à l’étranger : un choc pour un pays identifié depuis des décennies à des politiques migratoires généreuses et au souci du dialogue interculturel.</p>
<h2>Provocations anti-islam et menaces d’attentats</h2>
<p>Cette flambée d’hostilité tient à une cause : les autodafés du Coran, d’abord <a href="https://www.euronews.com/2019/04/25/denmark-s-quran-burning-politician-gathering-support-for-election-candidacy">organisés au Danemark</a> depuis la fin des années 2010, et qui ont désormais la Suède pour théâtre habituel.</p>
<p>L’initiateur de cette modalité de provocation anti-islamique est un citoyen dano-suédois, <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/05/31/rasmus-paludan-le-visage-danois-de-l-extreme-xenophobie_5469724_4500055.html">Rasmus Paludan</a>, avocat de profession, aujourd’hui âgé de 41 ans. Leader du parti danois « Ligne dure » (<em>Hart Stram</em>), Paludan a émergé il y a quelques années comme un pourfendeur de « l’islamisation des sociétés européennes » et du brassage des cultures. Sa formation a récolté 1,8 % des suffrages aux élections législatives danoises de 2019. Après que son parti s’est vu exclu de la vie politique du pays pour avoir manipulé les listes de signatures nécessaires pour déposer des candidatures, Paludan s’est tourné vers la Suède, où les <a href="https://information.tv5monde.com/international/suede-la-question-de-limmigration-au-coeur-des-legislatives-29998">enjeux liés à l’immigration se trouvent</a> au cœur des débats de société depuis une dizaine d’années. </p>
<p>Son premier exploit, en 2020, a eu pour cadre Rosengården, un quartier de Malmö dont près de 90 % des habitants sont d’origine étrangère, épicentre des <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-39047455">révoltes urbaines des années 2015-2017</a>. L’action incendiaire de Paludan a entraîné une <a href="https://www.nst.com.my/world/world/2020/08/620385/riot-sweden-amidst-quran-burning-rally">recrudescence des violences</a>, ce qui lui a valu un arrêté d’interdiction de séjour sur le sol suédois. Sa condition de binational lui a toutefois permis de contourner la décision de justice et de concentrer son activité sur la Suède, où il a fait des émules, dont un réfugié irakien, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/qui-est-salwan-momika-le-bruleur-de-coran-a-l-origine-d-une-crise-diplomatique-entre-la-suede-et-le-monde-musulman-20230721">Salwan Momika</a>.</p>
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<p>Les autodafés se sont vite multipliés, même si Paludan et Momika (qui s’est spécialisé dans la diffusion en direct des autodafés sur la plate-forme TikTok) restent les protagonistes les plus médiatisés de cette forme de contre-liturgie. Les sites où ils se déroulent sont choisis pour exacerber les tensions entre autochtones et immigrés : lieux de culte dédiés à l’islam, quartiers à haute concentration d’étrangers, ambassades de pays musulmans…</p>
<p>Au printemps 2022, Paludan s’est engagé dans une « tournée électorale » (d’après ses propres mots) à travers la Suède : une série de profanations dûment autorisées, qui ont occasionné d’une part des échauffourées violentes dans plusieurs villes, et d’autre part une dégradation de l’image du pays au Moyen-Orient. Une énième provocation, aux abords de l’ambassade de Turquie en janvier 2023, a suscité des réactions particulièrement virulentes d’Ankara, au point de compromettre le premier point de l’agenda de politique étrangère du gouvernement : l’adhésion à l’OTAN.</p>
<p>En effet, le <a href="https://www.letemps.ch/monde/adhesion-de-la-suede-a-l-otan-un-coran-brule-a-stockholm-seme-la-zizanie">Parlement turc a réagi en demandant le rejet de la demande de la Suède</a>, formalisée sept mois auparavant (rappelons qu’un pays ne peut pas rejoindre l’Alliance atlantique si l’un des pays membres s’y oppose ; la Turquie, qui a intégré l’OTAN en 1952, peut donc bloquer à elle seule l’entrée de la Suède). Pendant quelques jours, l’Institut suédois (agence officielle de diplomatie culturelle) comptabilisera 350 000 interventions <em>par heure</em> sur les médias sociaux en turc, dénonçant l’affront à la foi musulmane effectué par Paludan sans que les autorités suédoises n’interviennent. La plainte contre Paludan déposée auprès de la police par un citoyen suédois sera classée sans suite.</p>
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<p>Pour autant, les provocateurs ne cessent pas leurs actions. En juin, à l’ouverture des festivités de <a href="https://www.lepoint.fr/societe/qu-est-ce-que-l-aid-el-kebir-la-grande-fete-musulmane-28-06-2023-2526640_23.php">l’<em>Aid al-Adha</em></a>, un autodafé sous protection policière est organisé par Momika devant la grande mosquée de Stockholm. Il déclenchera un déluge de protestations, la Ligue des États arabes et l’Organisation de coopération islamique s’insurgeant contre l’intolérable… tolérance de la justice suédoise. Au Pakistan, en Iran et en Irak, où l’auteur d’un tel geste encourrait la peine de mort, des milliers d’individus manifestent pour exiger le boycott de la Suède, voire la vengeance à l’égard du pays.</p>
<p>Du fait de ces menaces, l’agence suédoise de contre-espionnage (SÄPO) a décidé au mois d’août de relever au niveau 4 (sur 5) le seuil d’alerte contre les attaques terroristes visant le pays : un retour au climat de 2016, lorsque la guerre en Syrie avait provoqué un bond historique du nombre des réfugiés en Suède, doublée de l’aggravation des tensions dans les banlieues. Et en octobre, nous l’avons dit, <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/attentat-a-bruxelles-deux-suedois-tues-le-suspect-abattu-la-france-renforce-sa-securite/">deux Suédois mouraient à Bruxelles</a> sous les balles d’un homme qui les avait visés expressément du fait de leur nationalité.</p>
<h2>Des causes endogènes, et une nouvelle fracture du spectre politique</h2>
<p>Bien que l’activisme anti-islam, y compris dans la forme de la profanation du Coran, soit le fait d’acteurs transnationaux, c’est en Suède qu’il se manifeste de la manière la plus voyante. Les tensions interethniques qui secouent le pays depuis la crise migratoire des années 2015-2016 et la prolifération des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/guerre-des-gangs-en-suede-des-victimes-toujours-plus-jeunes_6054725.html">règlements de comptes entre gangs</a>, ont participé à créer un terrain favorable. Selon le gouvernement, la Russie aurait également <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jul/26/russia-using-disinformation-to-imply-sweden-supported-quran-burnings">fait jouer ses réseaux</a> pour attiser les conflits entre Suédois installés de longue date et nouveaux arrivants, afin de déstabiliser ce pays qui a pris le parti de l’Ukraine depuis le début de la guerre en février 2022 et a mis fin à deux siècles de neutralité pour rejoindre l’OTAN.</p>
<p>La polémique sur l’islam s’inscrit surtout dans une période marquée par un tournant en matière de politique intérieure : la percée, en septembre 2022, du Parti populiste des <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n178/article/lessor-des-democrates-de-suede-ou-la-fin-de-lexception-suedoise">« Démocrates de Suède »</a> (SD), qui fait de la lutte contre l’immigration – sur la base du postulat de la guerre des civilisations – l’axe de son discours. Depuis l’installation de l’exécutif dirigé par le libéral-conservateur Ulf Kristersson, les SD lui assurent une majorité par leur appui externe, tout en s’efforçant d’insuffler dans l’action du gouvernement leurs thèmes de prédilection. Leur dernière proposition en date est la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/polemique-l-extreme-droite-suedoise-en-guerre-contre-les-mosquees">démolition de nombre des mosquées existant dans le pays</a>.</p>
<p>La généralisation des autodafés n’a fait qu’exacerber la préoccupation du monde islamique face à la banalisation de ce type d’agissements ; mais la cible de la colère des représentants des communautés musulmanes est avant tout l’indifférence des autorités, qui détonne avec le cas de la France – mais aussi de voisins scandinaves, tels que la Finlande – où de tels projets sont <a href="https://www.20minutes.fr/france/704393-20110411-france-il-brule-urine-coran-trois-mois-sursis-requis">immédiatement jugulés</a>. Comment expliquer la posture passive des responsables suédois face à ce phénomène, à l’heure où la situation en matière politique de sécurité apparaît (d’après le <a href="https://europeanconservative.com/articles/news/swedish-pm-delivers-a-grim-christmas-speech/">discours de Noël 2022 du premier ministre Kristersson</a>) comme « la pire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale » ?</p>
<h2>Les raisons culturelles de l’inaction des autorités</h2>
<p>La cause technique le plus souvent invoquée pour expliquer la généralisation des autodafés en Suède est l’absence d’un arsenal juridique qui les interdit. Le blasphème et la diffamation de la religion ont été rayés des textes de loi il y a plus de 50 ans. C’est donc autour de l’enjeu de la possibilité formelle d’enrayer cette provocation, plutôt que sur ses causes, ou son bien-fondé, que la discussion s’est cristallisée.</p>
<p>À ce jour, les tribunaux ont rechigné à mobiliser deux articles pertinents du code pénal qui répriment, respectivement, « les comportements vexatoires » et « l’incitation à la haine raciale ». Le premier exige que l’impact choquant du geste soit avéré – et non seulement probable – alors que dans le second cas de figure, l’interprétation qui prévaut chez les magistrats est que l’injure à l’égard d’un culte n’est pas assimilable à la discrimination d’un groupe ethnique.</p>
<p>La pratique, et plus généralement une approche antinormative de la liberté d’expression, découragent finalement l’activation de ces dispositifs légaux. C’est pourquoi les cours administratives d’appel ont été amenées à annuler des interdictions policières prononcées contre les actions de Paludan ou de Momika.</p>
<p>Face à une indignation qui fédère <a href="https://www.europe1.fr/international/coran-brule-le-president-turc-erdogan-fustige-la-suede-4191624">Erdogan</a>, <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/poutine-le-non-respect-du-coran-est-un-crime-r%C3%A9prim%C3%A9-par-la-l%C3%A9gislation-russe-/2933734">Poutine</a> et <a href="https://www.euractiv.fr/section/international/news/un-coran-brule-au-coeur-du-blocage-hongrois-pour-laccession-de-la-suede-a-lotan/">Orban</a>, mais aussi le <a href="https://www.letemps.ch/monde/le-conseil-des-droits-de-l-homme-condamne-les-autodafes-du-coran">Conseil des droits de l’homme de l’ONU</a>, l’opposition sociale-démocrate semble pencher vers un réajustement de l’arsenal juridique, alors que les déclarations des partis au gouvernement oscillent entre la critique des autodafés et le refus de « céder aux diktats étrangers ».</p>
<p>Il convient de rappeler que si le principe de la liberté d’expression représente depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle un pilier de l’identité nationale, une législation souvent poussée par des urgences politiques en a restreint la portée. Depuis 1933, par exemple, le port de vêtements révélant une appartenance politique est interdit aux citoyens suédois. En 1996, un homme ayant arboré, lors de la fête nationale, un drapeau suédois orné de figures mythologiques et du mot <em>Valhalla</em> avait ainsi été condamné en justice. En 2014, les collages de l’artiste Dan Park – mettant en scène la pendaison de trois individus de couleur, identifiés par leur nom, comme après un lynchage – <a href="https://hyperallergic.com/154676/sentenced-swedish-artist-dan-park-incited-against-an-ethnic-group/">lui valurent</a> une lourde amende, six mois de prison et la destruction de ses œuvres.</p>
<p>La réticence à modifier la loi s’explique aujourd’hui par le rejet de l’idée que la sphère du sacré puisse être l’objet de tutelles ou d’interdits <em>ad hoc</em>. S’attaquer à un « symbole » – a statué le parquet dans le cas de l’autodafé organisé devant l’ambassade turque – n’est jamais illégal, pour autant que la manifestation n’a pas pour cible des croyants en chair et en os. Cette position est au cœur de l’exception suédoise, par rapport à la France, au Royaume-Uni ou au Danemark – capable de défendre farouchement le droit au blasphème lors de l’épisode des caricatures de Mahomet (2005), mais qui vient d’adopter, le 7 décembre, une <a href="https://fr.euronews.com/2023/12/08/le-danemark-interdit-de-bruler-le-cora">loi</a> qui pénalise le « traitement inapproprié » (incendie ou profanation) de textes religieux dans l’espace public.</p>
<p>Dans un spectre politique polarisé, la querelle a contribué à raidir les positions. Si les SD y ont vu l’occasion de s’ériger en défenseurs d’une vertu nationale – la tolérance, étendue aux expressions extrêmes du droit de réunion – le gouvernement se livre à un équilibrisme périlleux : dénoncer l’instrumentalisation du thème de l’islamophobie par des puissances étrangères souvent fort peu démocratiques et tolérantes par ailleurs, tout en se dissociant d’une manifestation du rejet de l’Autre aussi repoussante.</p>
<p>Une enquête publique a été lancée en août pour examiner le pour et le contre de la révision des normes sur la liberté d’expression : elle rendra ses conclusions le 1<sup>er</sup> juillet 2024. En s’appuyant sur des dispositifs consensuels bien rodés, l’establishment tâche de sortir d’une impasse qui place la Suède dans une position excentrée – et inconfortable – par rapport à la manière dont la majorité des pays occidentaux conçoivent l’équilibre entre droit d’expression des individus et sensibilité des communautés de foi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Piero S. Colla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Suède, des activistes très hostiles à l’islam brûlent des Corans en public, ce qui vaut au pays des critiques véhémentes venues des pays musulmans mais aussi des menaces terroristes très réelles.Piero S. Colla, Chargé de cours à l’université de Strasbourg, laboratoire « Mondes germaniques et nord-européens », Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200622024-01-01T15:44:36Z2024-01-01T15:44:36ZTurquie : où en est-on trois ans après la transformation de Sainte-Sophie en mosquée ?<p>En octobre 2023, le ministre turc de la Culture et du Tourisme a <a href="https://lepetitjournal.com/istanbul/actualites/visiter-sainte-sophie-va-devenir-payant-en-2024-371869">annoncé</a> que l’entrée dans l’ancienne basilique byzantine devenue mosquée allait redevenir payante à compter de janvier 2024, pour les visiteurs étrangers, afin de financer la préservation de l’édifice.</p>
<p>L’annonce est aussi l’occasion de faire un bilan du changement de statut de cet édifice emblématique dans le contexte des prochaines élections municipales qui s’annoncent disputées et tendues à Istanbul.</p>
<h2>Les multiples destinations de Sainte-Sophie (Ayasofya)</h2>
<p>Construite par les Byzantins au VI<sup>e</sup> siècle avant même l’apparition de l’islam, elle incarne la chrétienté d’Orient par ses dimensions tant matérielle que spirituelle, avant d’être, pendant un peu plus d’un demi-siècle, après la prise de Constantinople lors de la quatrième croisade en 1204 (qui se solde notamment par son pillage), le siège du patriarcat latin de la ville, qui dépend de l’Église de Rome. </p>
<p>Redevenue orthodoxe en 1261, quand les Byzantins reprennent la cité, Sainte-Sophie le restera pour presque deux siècles. En 1453, elle est convertie en mosquée au soir de la prise de Constantinople par les Ottomans, et devient le symbole de leur victoire sur la chrétienté.</p>
<p>Aménagée pour la pratique du culte musulman, « Ayasofya » (en turc) est dès lors, pendant près de cinq siècles, la grande mosquée impériale où le Sultan se rend solennellement, chaque semaine, pour la prière du vendredi. Sa coupole imposante, à laquelle des minarets ont été adjoints, inspire l’architecture de la plupart des mosquées ottomanes et turques, construites par la suite.</p>
<p>Après la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/10/28/26010-20181028ARTFIG00116-mustafa-kemal-atatuumlrk-proclamait-la-republique-turque-il-y-a-95-ans.php">proclamation de la République</a> en 1923, la <a href="https://www.retronews.fr/religions/chronique/2021/01/11/abolition-du-califat-par-mustafa-kemal">fin du Califat</a> en 1924 et de spectaculaires <a href="https://www.cairn.info/20-idees-recues-sur-la-turquie--9791031802473-page-25.htm">réformes de modernisation</a>, Mustafa Kemal Atatürk entend promouvoir un islam national. Dès 1924, il a ainsi placé la religion majoritaire (le sunnisme hanéfite) sous l’autorité d’une présidence des affaires religieuses (Diyanet). L’appel à la prière se fait désormais en turc et une lecture du Coran a même lieu en 1932 dans cette langue à Ayasofya. </p>
<p>En 1934, le leader de la Turquie moderne, qui vient de signer un <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2006-1-page-283.htm">traité d’amitié</a> avec la Grèce et qui est en train de finaliser un <a href="https://www.jstor.org/stable/45344735">Pacte balkanique</a> avec des pays majoritairement orthodoxes, décide de transformer le bâtiment en musée pour le dédier symboliquement à l’humanité entière. Ce dernier devient alors l’un des symboles de la laïcité dans le pays ; il va aussi, au cours des décennies suivantes, se trouver au cœur des évolutions politiques de la Turquie, notamment de la tendance de plus en plus puissante qui prône un retour aux valeurs de l’islam.</p>
<p>Ainsi, dans les années 1950, le gouvernement du Parti démocrate d’Adnan Menderes, qui s’efforce d’assouplir le laïcisme kémaliste et qui restaure l’appel à la prière en arabe, fait réinstaller dans l’édifice de grands médaillons proclamant les noms d’Allah et des quatre premiers califes.</p>
<p>L’arrivée au pouvoir en 2002 des post-islamistes de l’AKP de Recep Tayyip Erdogan ne change pas immédiatement la donne pour Sainte-Sophie, ceux-ci étant surtout occupés à défendre la <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/adhesion-de-la-turquie-a-l-union-europeenne-ou-en-est-on/">candidature de leur pays à l’Union européenne</a>. Mais la deuxième décennie de l’AKP au pouvoir voit se multiplier les incidents et les polémiques. Des groupes radicaux tentent régulièrement de pénétrer dans l’enceinte du musée <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/12/sainte-sophie-fait-de-la-politique_4333435_3214.html">pour y prier</a>. </p>
<p>Les déclarations de Recep Tayyip Erdogan évoquant le retour d’<em>Ayasofya</em> au culte musulman se font de plus en plus pressantes. En 2019, notamment, le chef de l’État turc adresse une véritable mise en garde aux Occidentaux, en s’écriant : « Ceux qui demeurent silencieux face aux violations de la mosquée Al Aqsa [la plus grande mosquée de Jérusalem, située sur l’esplanade des mosquées à proximité du Dôme du Rocher, troisième lieu saint de l’islam] n’ont rien à nous demander en ce qui concerne le statut de Sainte-Sophie. »</p>
<h2>Réislamisation et préservation du patrimoine culturel</h2>
<p>En juillet 2020, alors qu’il mène une <a href="https://theconversation.com/que-veut-la-turquie-en-mediterranee-orientale-147694">politique très offensive en Méditerranée orientale</a> pour faire valoir ses intérêts dans le grand jeu gazier qui s’y joue, Erdogan obtient du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/10/en-turquie-recep-tayyip-erdogan-annonce-l-ouverture-de-l-ex-basilique-sainte-sophie-aux-prieres-musulmanes_6045870_3210.html">Conseil d’État turc</a> la reconversion du musée en mosquée. L’événement est un symbole de la réislamisation du pays, entreprise depuis plusieurs années.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-sainte-sophie-transformee-en-mosquee-comment-sortir-de-limpasse-politico-religieuse-143417">Débat : Sainte-Sophie transformée en mosquée : comment sortir de l’impasse politico-religieuse ?</a>
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<p>L’accès au bâtiment semblait toutefois initialement sauvegardé et même facilité, puisque n’étant plus un musée, il était devenu libre et gratuit. Il reste que le premier étage de la basilique, où se situent les plus belles mosaïques sauvegardées, a été fermé pour des travaux qui s’éternisent, et que depuis trois ans son caractère de lieu de culte s’est affirmé au détriment de sa destination patrimoniale et culturelle. </p>
<p>La tenue de prières régulières confine souvent les visiteurs dans le narthex et la partie basse de la nef. Les mosaïques du cœur sont cachées par des rideaux qui, contrairement aux promesses initiales, ne sont pas mobiles. Un lieu de prière pour les femmes a été créé. Paradoxalement, l’atmosphère religieuse du lieu est plus ostensiblement affirmée que dans les grandes mosquées ottomanes d’Istanbul.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Au cœur de l’édifice, les mosaïques sont cachées par des rideaux. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">I. Khillo, J. Marcou</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567290/original/file-20231222-27-n1c6ds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567290/original/file-20231222-27-n1c6ds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567290/original/file-20231222-27-n1c6ds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567290/original/file-20231222-27-n1c6ds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567290/original/file-20231222-27-n1c6ds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567290/original/file-20231222-27-n1c6ds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567290/original/file-20231222-27-n1c6ds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567290/original/file-20231222-27-n1c6ds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La mosaïque chrétienne de La Vierge et l’Enfant dans le dôme de Sainte-Sophie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:La_mosaique_de_la_Vierge_et_l%27Enfant_dans_le_dome_de_Sainte_Sophie_-_panoramio.jpg">Corine Rezel/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p><a href="https://www.unesco.org/fr/articles/sainte-sophie-istanbul-declaration-de-lunesco?TSPD_101_R0=080713870fab20007120dfa926106f80e449d75135bb6904c6d51100f4d05b8481fcb7db80fbe469082ff89a8c143000f974b4f563c2c58089d4bffc38a9f0b13f883ff79035a51f6ab5b11bb7a1c7f6d68327b8fecf0508b4cd4eb489aaeb28">L’Unesco s’inquiète des évolutions en cours</a>. Alors qu’elle ne dépendait que du ministère de la Culture et du Tourisme, la gestion du bâtiment relève désormais de plusieurs autres instances, comme la Présidence des affaires religieuses (Diyanet), la direction des fondations et la préfecture d’Istanbul. La multiplication des acteurs rend plus difficiles les interventions visant à préserver l’édifice, lorsque des aménagements inappropriés sont réalisés. </p>
<p>En outre, la fin du paiement du droit d’entrée a privé l’État turc d’une manne financière pourtant nécessaire pour couvrir les énormes frais d’entretien et de préservation que les experts ont identifiés pour les cinquante années à venir. C’est ce qui explique la décision du ministère de la Culture de demander le paiement d’un droit d’entrée aux visiteurs étrangers à partir de 2024.</p>
<p>Il faut rappeler, en outre, que le changement de statut d’Ayasofya a été suivi, à Istanbul, par une reconversion similaire, celle de l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/22/turquie-apres-sainte-sophie-une-autre-ex-eglise-reconvertie-en-mosquee_6049594_3210.html">église Saint-Sauveur-in-Chora</a>, considérée comme l’un des joyaux de l’art byzantin les mieux préservés du fait de la beauté de ses fresques et de ses mosaïques. Comme celles-ci couvrent l’ensemble des murs de l’ancienne église, on peut se demander comment on pourra aménager le site en mosquée en préservant la visibilité de ce patrimoine.</p>
<h2>L’enjeu électoral</h2>
<p>Il est probable que dans la perspective des élections municipales du printemps prochain et, par ailleurs, eu égard à la situation qui prévaut actuellement à Gaza, Recep Tayyip Erdogan compte entre autres sur ces initiatives religieuses pour obtenir les voix qui lui permettront de reconquérir la mairie métropolitaine d’Istanbul, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/24/turquie-erdogan-perd-istanbul-c-ur-de-son-pouvoir_5480713_3210.html">remportée par le kémaliste Ekrem Imamoglu en 2019</a>. </p>
<p>Les <a href="https://www.lesoir.be/516063/article/2023-05-28/elections-en-turquie-erdogan-revendique-la-victoire-la-presidentielle">élections de 2023</a>, qui ont vu la reconduction du leader de l’AKP à la présidence, ont montré la solidité et la résilience du socle conservateur religieux du pays, en dépit de l’urbanisation de ses modes de vie, de la <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/turquie-l-inflation-reste-stable-en-octobre-mais-le-pays-reste-englue-dans-la-crise-982249.html">crise économique</a> sans précédent qu’il subit, et des séismes qui ont ravagé le sud-est de son territoire en février dernier.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-la-catastrophe-humanitaire-sexplique-aussi-par-la-corruption-generalisee-200568">Séisme en Turquie : la catastrophe humanitaire s’explique aussi par la corruption généralisée</a>
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<p>Mais Istanbul n’est pas l’Anatolie, et au-delà de l’importante influence de l’opposition dans l’ancienne capitale ottomane, même son électorat conservateur pourrait bien, comme en 2019, se servir de ce scrutin local pour manifester le mécontentement lors des prochaines municipales qu’il n’a pas osé exprimer lors des dernières élections générales. </p>
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<p>Imad Khillo et Jean Marcou sont membres du séminaire <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/seminaires/geopolitique-et-religions-autour-de-la-mediterranee-entre-permanence-et-recomposition">Géopolitique et religions autour de la méditerranée : entre permanence et recomposition</a> du Collège des Bernardins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220062/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Trois ans après la transformation en mosquée de l’ancienne basilique Sainte-Sophie à Istanbul, où en est la stratégie de réislamisation de Recep Tayyip Erdogan ?Imad Khillo, Maître de conférences de droit public à Sciences Po Grenoble Chercheur associé à l'IREMMO-Institut de Recherche et d'Etudes Méditerranée Moyen-Orient, Sciences Po GrenobleJean Marcou, Directeur des relations internationales, Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2180692023-11-30T17:00:05Z2023-11-30T17:00:05ZComment les partis politiques kurdes gouvernent leurs populations<p><em>Les Kurdes sont l’un des plus importants peuples apatrides du monde. Ils seraient quelque 30 millions à vivre aujourd’hui en Turquie, en Irak et en Syrie. Plusieurs mouvements politiques militent depuis des décennies pour l’instauration d’autonomies régionales voire d’un Kurdistan indépendant au croisement de ces trois pays. <a href="https://www.karthala.com/accueil/3549-le-gouvernement-des-kurdes-gouvernement-partisan-et-ordres-sociaux-alternatifs.html">« Le gouvernement des Kurdes. Gouvernement partisan et ordres sociaux alternatifs »</a>, qui vient de paraître aux éditions Karthala sous la direction de Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre senior de l’Institut universitaire de France, met en évidence le rôle majeur que jouent les partis politiques dans l’instauration des nouveaux ordres sociaux dans les zones où ils détiennent le pouvoir. Nous vous présentons ici un extrait de l’introduction.</em></p>
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<p>Les « conflits kurdes » durent, sous des formes diverses et avec des périodes d’accalmie, depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Ils présentent la particularité de se développer simultanément sur plusieurs espaces étatiques – Turquie, Iran, Irak, Syrie – et mobilisent de plus la diaspora, principalement en Europe.</p>
<p>Depuis les années 1990, des interventions internationales et des guerres civiles, qui n’ont pas les Kurdes pour enjeu central, ont largement redéfini la carte politique du Moyen-Orient. Dans ces dynamiques complexes, qui se développent à de multiples échelles, notre objet d’études est l’émergence de régions kurdes autonomes en Syrie, en Irak et, de façon inaboutie, en Turquie où, même sans perspective réaliste de voir naître un État indépendant, des institutions kurdes administrent, parfois depuis une génération, des populations civiles.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui sont les Kurdes ? Le Monde, octobre 2017.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, en Irak, la protection américaine à partir de 1991 a permis la formation d’un Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), largement autonome de Bagdad. En Turquie, les partis de la mouvance apoïste ont acquis une forte assise municipale dans les années 1990 et des institutions kurdes ont concurrencé directement le gouvernement central – avant d’être démantelées par l’État turc pendant la « guerre des villes » (2015-2016). Après 2011, la guerre civile syrienne a permis au PYD (Parti de l’union démocratique) – la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) – de créer des institutions qui administrent des populations kurdes (et non kurdes).</p>
<p>On vérifie ici que les guerres civiles, pourvu qu’elles durent, tendent à multiplier les institutions et à reconfigurer les rapports de pouvoir. En continuité avec le programme de recherches <a href="https://www.civilwars.eu/">« Social Dynamics of Civil Wars »</a>, nous avons souhaité explorer ce gouvernement des Kurdes par les Kurdes dans toute sa complexité et ses variations régionales.</p>
<p>Les régions autonomes sous contrôle de partis kurdes voient, avec un degré d’institutionnalisation variable, l’apparition d’ordres sociaux alternatifs, c’est-à-dire de hiérarchies identitaires, d’économies du droit et de la violence portées par des institutions en concurrence avec celles des régimes en place. Les études réunies ici mettent en évidence le rôle central des partis dans la constitution de la gouvernementalité kurde : genèse de nouvelles institutions, mise en place d’une nouvelle hiérarchie identitaire et, enfin, clientélisation des sociétés.</p>
<p>L’hypothèse sous-jacente à notre travail est que les partis politiques kurdes sont la matrice du gouvernement des populations, car – c’est une particularité par rapport à d’autres guerres civiles –, ils ont une histoire longue, un militantisme très ancré dans les sociétés locales et des projets politiques qui orientent effectivement leur action. Ils constituent la source principale des dispositifs qui façonnent la société – des rapports de genre au droit de la propriété.</p>
<p>Sans postuler une cohérence nécessaire de ces dispositifs, ni l’absence de contestation, au moins par l’inertie ou l’évitement, la capacité des partis – par exemple à juger, à transformer la hiérarchie ethnique ou à définir les règles d’une économie politique – instaure une relation de pouvoir profondément asymétrique avec le reste de la société.</p>
<p>Quel que soit le degré de complétude et de stabilité de ces ordres sociaux alternatifs, les partis politiques sont donc les acteurs qui définissent le nouvel ordre social par le biais de gouvernements partisans (Mède dans ce volume), dont la forme diffère, mais qui donnent à voir une faible autonomie des institutions publiques par rapport aux organisations politiques. Les mouvements politico-militaires qui nous intéressent en premier lieu – le PDK (Partiya Demokrata Kurdistanê, Parti démocratique du Kurdistan), le PKK, voire l’UPK (Union patriotique du Kurdistan) dans une moindre mesure – ont de fait une forte identité partisane.</p>
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<p>Dans ses pratiques, le PDK reprend en partie l’héritage du parti Baas, dans le sens d’un contrôle étroit de la société. En particulier, la convergence de la socialisation familiale et partisane permet une stabilité du militantisme, qui se conjugue avec le contrôle des instances dirigeantes par une élite liée à la famille Barzani.</p>
<p>Pour sa part, le PKK propose une idéologie ethno-nationaliste et internationaliste. Sa conversion au « confédéralisme démocratique » (Grojean dans ce volume) constitue certes une rupture, mais sa structure interne reste celle d’un mouvement léniniste organisé autour de cadres tenus à une discipline militaire, et la production d’un homme nouveau demeure la logique dominante. Par exemple le parti pratique, comme souvent dans les mouvements révolutionnaires, un contrôle de la sexualité, avec l’interdiction du mariage pour les cadres du mouvement (et des sanctions en cas de relations amoureuses).</p>
<p>Si l’on constate une même volonté de contrôle de la société par les partis, la mise en place d’institutions kurdes donne à voir deux modalités un peu différentes de gouvernement partisan. Le PKK cherche à pénétrer la société par la multiplication d’organisations qui sont en dernière instance sous le contrôle du parti. Pour leur part, le PDK et l’UPK limitent autant que possible le fonctionnement des institutions du Gouvernement régional du Kurdistan, notamment son accès aux ressources économiques. Après une période où certaines institutions se sont autonomisées (notamment le parlement), la compétition politique interne au Kurdistan irakien a finalement conduit à l’affirmation des partis au détriment des institutions (Mède dans ce volume).</p>
<p>Les ordres sociaux kurdes émergents imposent une nouvelle hiérarchie identitaire qui réorganise la société locale, notamment à travers les politiques culturelles, l’établissement de quotas, la gestion de la circulation et de l’installation des populations, la modification des circuits économiques (Haenni & Legrand dans ce volume ; Quesnay dans ce volume). Dans les zones de peuplement mixte, ces politiques entraînent une remise en question des solidarités de classe ou de territoire.</p>
<p>Sur un plan culturel, à partir des années 1990, l’autonomie des Kurdes en Irak entraîne initialement un recul de l’arabe au profit du kurde et, pour l’enseignement supérieur, de l’anglais.</p>
<p>Sur le plan démographique, les mouvements kurdes ont renversé les politiques d’arabisation en réinstallant des populations kurdes, notamment à Kirkouk (Quesnay dans ce volume). Les guerres civiles en Syrie et en Irak ont cependant créé des flux de réfugiés internes ou en provenance des pays voisins, qui ont remis en cause, au moins provisoirement, les équilibres démographiques. Par exemple, des centaines de milliers de réfugiés irakiens sunnites se sont réfugiés au GRK ; des Syriens arabes ont afflué dans l’enclave kurde d’Afrin.</p>
<p>Les trois espaces kurdes étudiés fonctionnent au sein d’économies politiques profondément différentes, mais toutes marquées par une compénétration très forte du politique et de l’économique. Ainsi, les partis dans le nord de l’Irak bénéficient d’une économie rentière où les revenus du pétrole sont déterminants, notamment pour le PDK, et ils contrôlent l’accès aux ressources publiques (emploi public, logement, bourses dans l’enseignement, etc.).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cet extrait est issu de « Le Gouvernement des Kurdes. Gouvernement partisan et ordres sociaux alternatifs », sous la direction de Gilles Dorronsoro, qui vient de paraître aux éditions Karthala.</span>
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<p>Par ailleurs, le cas du Rojava montre l’installation par le PYD d’une économie de guerre qui permet de financer le PKK dans sa lutte sur d’autres espaces (Irak et surtout Turquie). En Turquie, le mouvement kurde légal a cherché ces dernières années à créer les conditions de l’émergence d’un champ économique kurde, mais le projet apoïste a échoué en raison de la répression et, surtout, de l’impossibilité d’autonomiser une économie fortement capitalisée et totalement intégrée dans l’espace national (voir Nicolas Ressler-Fessy dans ce volume).</p>
<p>Le répertoire d’action et le projet politique des partis kurdes sont directement affectés par le contexte international. Tout d’abord, la phase actuelle (depuis 1991) se caractérise par une double action des mouvements kurdes à l’international : mobiliser pour obtenir des soutiens et mimer l’État en reprenant les formes canoniques de la diplomatie (rencontres au sommet, équipes de négociation). Si le PDK multiplie les signes symboliques de la construction d’une représentation paraétatique à l’étranger à partir du GRK – sans, par ailleurs, disposer de soutiens militants significatifs –, l’action du PKK est, elle, marquée par la coexistence d’un double régime, militant et diplomatique.</p>
<p>L’action transnationale de soutien (via le PKK en Europe) mobilise les militants d’extrême gauche autour d’un discours révolutionnaire, mais, en parallèle, le parti s’affiche comme un interlocuteur des États-Unis sans pour autant qu’il n’y ait de perspective de reconnaissance politique d’un parti listé comme terroriste par les puissances occidentales (Haenni & Legrand dans ce volume).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218069/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Dorronsoro ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les Kurdes n’ont pas su, à ce jour, obtenir un État indépendant et souverain, ils ont tout de même su instaurer dans certaines zones de nouvelles institutions et des ordres sociaux alternatifs.Gilles Dorronsoro, Professeur de science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175842023-11-13T19:33:33Z2023-11-13T19:33:33ZLa Turquie face à la guerre à Gaza : Erdogan sur une ligne de crête<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559057/original/file-20231109-29-sl40tf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C14%2C3277%2C2179&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président turc Recep Tayyip Erdogan prononce un discours à Istanbul lors d’une manifestation en soutien aux habitants de Gaza, le 28&nbsp;octobre 2023.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/turkish-president-tayyip-erdogan-speaks-during-a-rally-news-photo/1749720071?adppopup=true">Yasin Akgul/AFP via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Au lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël, le président turc Recep Tayyip Erdogan <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/erdogan-says-turkey-will-ramp-up-diplomacy-calm-israeli-palestinian-conflict-2023-10-08/">avait proposé son assistance diplomatique</a> pour apaiser la situation au Moyen-Orient. Moins d’un mois plus tard, le 4 novembre 2023, il a <a href="https://www.forbes.fr/politique/guerre-israel-hamas-a-linstar-de-six-autres-pays-la-turquie-rappelle-son-ambassadeur-en-israel/">rappelé son ambassadeur d’Israël</a>.</p>
<p>En quelques semaines seulement, et face à l’escalade de la violence en Israël et dans la bande de Gaza, la Turquie a donc drastiquement <a href="https://warontherocks.com/2023/11/turkeys-response-to-the-war-in-gaza/">recalibré sa position</a>.</p>
<p>La première réaction d’Erdogan au massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre avait été soigneusement équilibrée, le chef de l’État turc appelant à la retenue et à la fin des <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/10/7/we-are-at-war-reactions-to-palestinian-hamas-surprise-attack-in-israel">« actions agressives »</a>. Mais au vu du bilan humain des opérations israéliennes à Gaza, il a rapidement adopté une position pro-Hamas et anti-israélienne. Le 25 octobre, il <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2023/11/what-driving-turkeys-erdogan-pro-hamas-fiery-israel-criticism">a accusé Israël</a> d’avoir mené « l’une des attaques les plus sanglantes et les plus sauvages de l’histoire », tout en défendant le Hamas, qu’il a qualifié de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/25/guerre-israel-hamas-erdogan-joue-les-equilibristes-entre-les-occidentaux-et-le-mouvement-islamiste_6196301_3210.html">« groupe de libérateurs »</a>.</p>
<p>Cette évolution de la rhétorique d’Erdogan s’explique par les nombreuses contraintes nationales et internationales qui pèsent sur lui. Il est, en effet, confronté à un dilemme presque insoluble : d’une part, il doit donner satisfaction à sa base politique nationale – qui est <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-13746679">largement acquise aux idées islamistes</a> et a de <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/erdogan-address-pro-palestinian-rally-eve-turkeys-centenary-2023-10-28/">fortes sympathies pour la Palestine</a> – sans pour autant s’aliéner totalement Israël ; d’autre part, la Turquie entretient <a href="https://thehill.com/opinion/international/4228775-what-turkey-israel-reconciliation-means-for-the-region-and-the-world/">d’importants liens géopolitiques et économiques</a> avec l’État hébreu et, ces dernières années (jusqu’aux tout récents développements), la relation bilatérale a connu un <a href="https://jstribune.com/turkey-israel-relations-on-the-upswing/">net réchauffement</a>.</p>
<p>Dans le même temps, Erdogan cherche à renforcer son statut d’acteur régional clé au Moyen-Orient, et à s’imposer en tant que <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2023-11-09/turkey-is-key-to-ending-the-israel-hamas-war">médiateur dans la crise actuelle</a>. Pour comprendre comment il compte y parvenir, il faut aller au-delà de l’examen de ses discours et gestes diplomatiques.</p>
<h2>Discours incendiaires à l’intérieur, realpolitik à l’extérieur</h2>
<p>Erdogan tente de concilier ses intérêts de politique intérieure, qui le poussent à tenir des propos extrêmement virulents sur Israël, et sa stratégie internationale, qui relève avant tout de la realpolitik.</p>
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<p>Depuis la reprise du conflit à Gaza, le président turc <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2023/10/turkeys-erdogan-strikes-moderate-stance-israel-hamas-war-rages">s’est retrouvé sous la pression</a> de divers milieux en Turquie. Sa première réaction a suscité <a href="https://www.gazetepencere.com/babacandan-erdogana-israil-tepkisi-turkiye-iliskileri-duzeltmek-icin-israilin-pesinden-kostu-erdogan-gitti-new-yorkta-netenyahunun-elini-sikti/">l’ire</a> des cercles islamistes du pays, qui partagent depuis longtemps une profonde sympathie pour le Hamas, dont plusieurs membres éminents sont <a href="https://2017-2021.state.gov/president-erdogans-meeting-with-hamas-leadership/">réfugiés en Turquie</a>.</p>
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<p>Ahmet Davutoglu, ancien ministre des Affaires étrangères (2009-2014) puis premier ministre (2014-2016) d’Erdogan, <a href="https://www.bbc.com/turkce/articles/c2vdn5q7vn4o">a reproché au président turc</a> ses atermoiements et l’a appelé à s’aligner sur sa base islamiste. Les dirigeants d’autres <a href="https://yenidenrefahpartisi.org.tr/page/genel-baskanimiz-fatih-erbakan-39-dan-iktidara-israil-cagrisi-incirlik-ve-kurecik-kapatilmali-/2661">partis islamistes</a> et le partenaire de coalition d’Erdogan <a href="https://www.hurriyetdailynews.com/turkiye-must-step-into-gaza-conflict88-says-bahceli-187244">Devlet Bahceli</a>, chef du Parti d’action nationaliste (extrême droite), ont également demandé au gouvernement d’adopter une position anti-israélienne plus ferme.</p>
<p>La <a href="https://theconversation.com/international-reaction-to-gaza-siege-has-exposed-the-growing-rift-between-the-west-and-the-global-south-216938">montée de l’hostilité envers Israël constatée dans l’arène internationale</a> a également encouragé Erdogan à afficher son appui au Hamas. Le 26 octobre, 120 pays de l’Assemblée générale des Nations unies ont voté en faveur d’une <a href="https://news.un.org/en/story/2023/10/1142847">résolution</a> appelant à une « trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue ». Entre-temps, les <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/thousands-march-in-capitals-around-the-world-demanding-cease-fire-in-israel-hamas-war">manifestations dans les rues des capitales occidentales</a> ont renforcé la pression sur les gouvernements de ces pays pour qu’ils assouplissent leur soutien à Israël. Elles ont également facilité le repositionnement d’Erdogan.</p>
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<p>Pour autant, le leader turc ne veut pas aller jusqu’à une rupture totale des liens avec Tel-Aviv. Israël est, en effet, un partenaire important pour la Turquie. Les deux pays ont vu leurs relations commerciales se développer, les <a href="https://tradingeconomics.com/turkey/exports/israel">exportations turques vers Israël</a> ayant doublé entre 2017 et 2022. Ces échanges portent en particulier sur le commerce d’armements, les producteurs israéliens et turcs ayant enregistré la <a href="https://www.middleeasteye.net/news/turkey-israel-defence-firms-see-highest-growth-arms-sales">plus forte croissance</a> de ventes d’armes dans le monde en 2021.</p>
<p>De plus, ces dernières années, l’évolution de la dynamique géopolitique régionale a contribué à un rapprochement entre Israël et la Turquie. En 2021, les deux parties se sont retrouvées du même côté de la ligne de fracture arméno-azerbaïdjanaise, toutes deux <a href="https://www.sipri.org/commentary/topical-backgrounder/2021/arms-transfers-conflict-zones-case-nagorno-karabakh">fournissant des armes à Bakou</a> dans le cadre du <a href="https://theconversation.com/le-haut-karabakh-livre-a-lui-meme-214195">conflit au Haut-Karabakh</a>.</p>
<p>En outre, dans sa lutte contre les séparatistes kurdes, la Turquie a déployé des <a href="https://www.crisisgroup.org/europe-central-asia/western-europemediterranean/turkey/turkeys-pkk-conflict-regional-battleground-flux">drones de surveillance israéliens</a> à la fin des années 1990 et <a href="https://www.reuters.com/article/turkey-drones-israel/turkey-reaches-deal-with-israel-on-drone-purchase-idUSLDE5BL0N420091222">dans les années 2000</a> – avant de développer, plus récemment, ses propres drones.</p>
<h2>Erdogan, faiseur de paix ?</h2>
<p>Un autre facteur essentiel entre en jeu dans l’évolution de la position d’Erdogan. Dès le début de la crise, il a cherché à s’affirmer en tant que possible médiateur entre Israël et le Hamas. À cette fin, il a eu des entretiens avec les autres dirigeants de la région, au cours desquels il a fait part de son intention <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/turkeys-erdogan-discusses-israeli-palestinian-conflict-with-uns-guterres-turkish-2023-10-10/">d’agir en tant qu’agent de la paix</a>. Des officiels turcs ont également révélé qu’Ankara avait <a href="https://www.reuters.com/article/israel-palestinians-turkey-prisoners-idAFL8N3BH6T1">tenté de lancer des négociations</a> au sujet des otages détenus à Gaza par le Hamas.</p>
<p>Cette approche fait écho à la stratégie d’Erdogan en Ukraine, où il s’est également <a href="https://theconversation.com/la-turquie-une-puissance-mediatrice-entre-la-russie-et-lukraine-203782">présenté comme un médiateur potentiel</a>.</p>
<p>D’une certaine manière, c’est précisément parce qu’il doit trouver un équilibre entre ses préoccupations nationales et régionales qu’Erdogan est <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/10/22/is-turkey-uniquely-positioned-to-mediate-between-palestinians-and-israel">particulièrement bien placé</a> pour jouer ce rôle d’intermédiaire : il est l’un des rares acteurs à <a href="https://foreignpolicy.com/2023/10/20/erdogan-turkey-hamas-ties-israel-war-normalization/">maintenir des liens avec le Hamas</a> et à avoir récemment réchauffé ses relations avec Israël.</p>
<p>Toutefois, il ne sera pas aisé pour lui de parvenir à ses fins. Les premières propositions de médiation turque dans la crise auraient été <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2023/10/eying-gaza-mediator-role-turkey-cools-hamas-ties-erdogan-restrains-rhetoric">rejetées</a> par le Hamas.</p>
<p>Le durcissement du discours d’Erdogan sur Israël avait peut-être pour but d’inciter le Hamas à s’asseoir à la table des négociations, mais en l’espèce, il est probablement allé trop loin. Le fait de qualifier le Hamas de <a href="https://www.deccanherald.com/world/turkeys-erdogan-calls-hamas-freedom-fighters-terms-israel-occupier-2746457">groupe de combattants de la liberté</a> et d’<a href="https://www.timesofisrael.com/israel-pulls-diplomats-from-turkey-to-reassess-ties-as-erdogan-blasts-its-war-crimes/">accuser Israël de crimes de guerre à Gaza</a> a nui aux relations turco-israéliennes. Il se peut qu’Erdogan ait déjà <a href="https://www.lemonde.fr/en/opinion/article/2023/11/07/turkey-s-erdogan-is-mediator-no-more-in-israel-hamas-war_6233351_23.html">gâché l’occasion</a> de jouer un rôle d’arbitre.</p>
<p>Mais au-delà des mots, autre chose se joue. Tout en parlant durement d’Israël, Erdogan a pris des mesures concrètes pour éviter que ses relations, déjà tendues, avec l’Occident et Israël, ne s’enveniment complètement. Le 23 octobre, il a <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2023/10/explainer-why-turkeys-erdogan-finally-initiated-swedens-nato-ratification">signé le protocole d’adhésion de la Suède à l’OTAN</a>, à l’issue d’un face-à-face long de plusieurs mois entre Ankara et ses partenaires de l’Alliance atlantique. Le même jour, les forces de l’ordre turques ont <a href="https://www.aa.com.tr/en/turkiye/turkish-police-arrest-33-Daech-isis-terror-suspects/3029850">arrêté à Ankara 33 membres de Daech</a>, possiblement afin de devancer les critiques occidentales relatives au soutien d’Erdogan aux réseaux islamistes.</p>
<p>Le lendemain, les médias turcs ont fait savoir que les <a href="https://www.fdd.org/analysis/2023/10/24/ankara-denies-asking-hamas-leaders-to-leave-turkey/">dirigeants du Hamas quittaient la Turquie</a>.</p>
<p>Il convient également de souligner ce que la Turquie n’a pas fait. Elle n’a pas essayé d’entraver les <a href="https://aze.media/a-million-barrels-of-azerbaijani-oil-are-headed-to-israel/">expéditions de pétrole azerbaïdjanais</a> vers Israël via son territoire, et elle continue d’autoriser les États-Unis à utiliser sa base aérienne d’Incirlik, malgré la pression croissante de l’opinion publique. Le 5 novembre, la <a href="https://www.nbcnews.com/video/pro-palestinian-crowds-try-to-storm-air-base-housing-u-s-troops-in-turkey-197161541899">police a dû disperser des foules pro-palestiniennes</a> qui cherchaient à prendre la base d’assaut.</p>
<h2>Un équilibre instable</h2>
<p>Cela pourrait expliquer la réaction relativement discrète de Washington et de Tel-Aviv aux déclarations d’Erdogan. Le département américain du Trésor s’est contenté de <a href="https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy1816">sanctionner</a> quelques organisations turques pour leurs liens commerciaux avec le Hamas. Le secrétaire d’État Antony Blinken <a href="https://x.com/SecBlinken/status/1721539780226236891">s’est rendu à Ankara</a> dans le cadre de son récent voyage au Moyen-Orient, et plusieurs représentants de l’administration américaine se sont efforcés de <a href="https://www.aa.com.tr/en/world/us-affirms-turkiyes-vital-role-as-valuable-nato-ally-/3038233">souligner la valeur de la Turquie en tant qu’allié</a>, malgré les désaccords concernant les commentaires d’Erdogan sur le Hamas.</p>
<p>Israël a réagi à ces remarques en rappelant sa <a href="https://www.timesofisrael.com/israel-pulls-diplomats-from-turkey-to-reassess-ties-as-erdogan-blasts-its-war-crimes/">mission diplomatique</a> d’Ankara, ce qui a provoqué une <a href="https://www.politico.com/news/2023/11/04/turkey-recalls-ambassador-from-israel-00125397">mesure réciproque</a> de la part de la Turquie.</p>
<p>Toutefois, selon certaines informations, cet épisode était avant tout destiné à sauver les apparences des deux côtés, et les diplomates israéliens <a href="https://www.timesofisrael.com/liveblog_entry/turkey-says-israel-pulls-out-its-diplomats-due-to-security-concerns-amid-war/">avaient déjà été rappelés</a> en raison de craintes pour leur sécurité.</p>
<p>Il y a des raisons de penser que la stratégie d’Erdogan sera couronnée de succès : malgré son changement de ton, Ankara a gardé ouverts ses canaux de communication avec Israël et avec le Hamas tout au long de la crise. Mais équilibrer le soutien interne au Hamas et la dépendance géopolitique à l’égard d’Israël implique pour Erdogan de marcher sur un fil très fin – et certaines de ses déclarations les plus récentes suggèrent qu’il commence à vaciller.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217584/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ozgur Ozkan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le président turc aimerait jouer les médiateurs, mais il lui est difficile de s’exprimer son soutien au Hamas tout en ménageant Israël.Ozgur Ozkan, Visiting Scholar at the Fletcher School's Russia and Eurasia Program, Tufts UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141952023-09-22T19:00:31Z2023-09-22T19:00:31ZLe Haut-Karabakh livré à lui-même<p>Un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-haut-karabakh-s%C3%A9paratistes-arm%C3%A9niens-d%C3%A9posent-les-armes-offensive-azerba%C3%AFdjan">cessez-le-feu</a> a été instauré au Haut-Karabakh après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan, le 20 septembre, qui a fait <a href="https://www.lefigaro.fr/international/attaque-du-haut-karabakh-29-morts-dans-les-frappes-l-azerbaidjan-exige-que-les-armeniens-deposent-les-armes-20230920">au moins 200 morts</a> et conduit à la capitulation des sécessionnistes. Deux jours plus tard, le Conseil de sécurité de l’ONU, réuni à la demande de la France, a été le <a href="https://press.un.org/fr/2023/cs15418.doc.htm">théâtre d’échanges musclés entre les représentants de Bakou et ceux de l’Arménie</a>, laquelle protège historiquement cette région incorporée à l’Azerbaïdjan à l’époque soviétique mais peuplée quasi uniquement d’Arméniens. </p>
<p>Le Haut-Karabakh avait proclamé son indépendance vis-à-vis de Bakou en 1991, au moment de l’effondrement de l’URSS. S’en était suivie une guerre de trois ans, finalement remportée par les forces arméniennes du Haut-Karabakh, largement soutenues par l’Arménie. Ceux-ci avaient par la suite établi dans cette zone la république d’Artsakh, un <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-1-page-30.htm">État de facto doté d’un fonctionnement étatique complet</a>, avec des structures officielles, des élections et une armée, mais qui n’a été reconnu par aucun État représenté à l’ONU. Bakou n’avait jamais accepté cette défaite, et le Karabakh est devenu <a href="https://theconversation.com/trente-ans-apres-leffondrement-de-lurss-ces-etats-fantomes-qui-hantent-lespace-post-sovietique-174140">l’un des nombreux conflits gelés de l’espace post-soviétique</a>. L’Azerbaïdjan a relancé les hostilités à grande échelle en 2020, avec succès, <a href="https://theconversation.com/haut-karabagh-cessez-le-feu-sur-une-ligne-de-faille-geopolitique-149958">récupérant une partie considérable de la région contestée</a>. Sa victoire du 20 septembre signifie-t-elle la fin de ce conflit ? </p>
<p>L’historienne Taline Ter Minassian, spécialiste de la région, répond ici aux principales questions que l’on se pose sur la situation actuelle au Haut-Karabakh et sur les perspectives d’avenir de ses habitants.</p>
<h2>À quoi la vie ressemble-t-elle aujourd’hui à Stepanakert, la principale ville du Haut-Karabakh et capitale de la république autoproclamée en 1991 ?</h2>
<p>Les gens <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/haut-karabakh-apres-les-bombes-la-peur-du-nettoyage-ethnique-20230920_5Z7ZXKLGWRGQZCVBV3USLDIF4M/">ont très peur</a>. Bon nombre d’entre eux sont terrés dans des caves. Un cessez-le-feu a été promulgué, mais les soldats azerbaïdjanais sont à proximité de la ville – ils n’en étaient de toute façon pas très loin, puisque même avant l’attaque du 20 septembre, ils tenaient déjà la ville voisine de Chouchi, distante d’à peine dix kilomètres, et dont ils ont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/08/l-azerbaidjan-annonce-avoir-repris-chouchi-deuxieme-ville-du-haut-karabakh_6058982_3210.html">pris le contrôle lors de la guerre de 2020</a>.</p>
<p>Une partie de la population a été <a href="https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=107865">rassemblée à l’aéroport de Stepanakert</a> – un aéroport où aucun avion civil n’a atterri depuis trente ans, et qui est désormais une sorte de camp retranché aux mains des militaires russes, présents dans le cadre de la mission de maintien de la paix établie à l’issue, précisément, de la guerre de 2020.</p>
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<h2>Quelle était la situation au Haut-Karabakh à la veille de l’attaque que vient de lancer l’Azerbaïdjan ?</h2>
<p>Le 10 novembre 2020, un cessez-le-feu signé sous les auspices de Vladimir Poutine avait mis un terme à ce qu’on a appelé la « guerre de 44 jours », qui était en réalité la seconde guerre du Karabakh. La première ayant été gagnée par le camp arménien au début des années 1990. La seconde, à l’automne 2020 donc, a été remportée de façon incontestable par l’Azerbaïdjan, qui a alors repris le périmètre autour de l’enclave, jusqu’alors contrôlé par les Arméniens, ainsi qu’environ les deux tiers de l’enclave elle-même.</p>
<p>Le <a href="https://fr.azvision.az/news/100149/d%C3%A9claration-du-pr%C3%A9sident-de-la-r%C3%A9publique-dazerba%C3%AFdjan,du-premier-ministre-de-la-r%C3%A9publique-darm%C3%A9nie-et-du-pr%C3%A9sident-de-la-f%C3%A9d%C3%A9ration-de-russie.html">cessez-le-feu</a> prévoyait que des communications devaient être assurées entre, d’une part, l’Arménie et le Karabakh, via la route du corridor de Latchine, et d’autre part entre l’Azerbaïdjan et le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-azerbaidjan-convoiterait-l-extreme-sud-de-l-armenie-02-11-2020-2399058_24.php">Nakhitchevan</a>, qui est une exclave de l’Azerbaïdjan située à l’ouest du territoire arménien et frontalière de la Turquie – c’est-à-dire que l’Azerbaïdjan et la Turquie bénéficieraient dans cette hypothèse, dès lors, d’une sorte de raccordement terrestre direct.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de la région.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Un certain nombre d’Arméniens – on évoque le chiffre de 120 000, mais il est difficile à vérifier – étaient restés dans les zones du Karabakh encore contrôlées par les autorités de la République d’Artsakh, ainsi que dans certains territoires adjacents repris par les Azerbaïdjanais. Je me suis rendue à Stepanakert au tout début de l’application de l’accord de cessez-le-feu de 2020. La situation semblait à peu près stabilisée, notamment du fait de la présence des forces russes de maintien de la paix stationnées le long de ce fameux corridor de Latchine.</p>
<p>Mais cette situation ne pouvait pas satisfaire longtemps l’Azerbaïdjan qui, l’hiver dernier, a mis en place un <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/02/azerbaijan-blockade-of-lachin-corridor-putting-thousands-of-lives-in-peril-must-be-immediately-lifted/">véritable blocus</a>, en interrompant toute circulation à l’intérieur du corridor de Latchine. Le Karabakh était donc coupé de l’Arménie, c’est-à-dire de son seul lien avec l’extérieur, depuis neuf mois. Quelques jours avant l’attaque du 20 septembre, l’Azerbaïdjan avait rouvert une route reliant son propre territoire au Karabakh, officiellement pour y acheminer de l’aide humanitaire mais en réalité, sans doute, aussi et avant tout pour acheminer ses soldats et ses équipements militaires. </p>
<p>Le 20 septembre, en violation totale du cessez-le-feu signé en 2020, l’Azerbaïdjan a déclenché une violente attaque contre Stepanakert et ses alentours. Il y a eu de nombreux morts, y compris d’ailleurs plusieurs soldats russes, dont l’un des hauts responsables des forces de maintien de la paix. <a href="https://www.rtl.be/actu/monde/europe/soldats-russes-tues-au-karabakh-aliev-sest-excuse-aupres-de-poutine/2023-09-21/article/590381">Le président Ilham Aliev s’est fendu d’une courte lettre adressée à Poutine</a> regrettant leur décès. En moins de 24 heures, les autorités de la république du Haut-Karabakh ont été contraintes d’accepter un désarmement total. </p>
<h2>Pourquoi l’Azerbaïdjan a-t-il décidé d’attaquer maintenant ?</h2>
<p>C’est une banalité de le dire, mais pour la Russie, officiellement garante du cessez-le-feu, la priorité est aujourd’hui évidemment ailleurs. Dans le cadre de sa guerre en Ukraine, Moscou a besoin de la Turquie, qui est le parrain international de l’Azerbaïdjan. Signe qui ne trompe pas : la veille de l’attaque azerbaïdjanaise, Erdogan a <a href="https://caliber.az/en/post/191251">dit dans une interview que la Crimée ne retournerait jamais à l’Ukraine</a>. Il n’avait jamais tenu de tels propos auparavant. On peut interpréter cela comme une sorte de monnaie d’échange contre la passivité du Kremlin dans l’affaire du Karabakh. Une chose est certaine : Aliev ne serait pas passé à l’action sans le feu vert d’Erdogan. Riche du produit de la vente de son pétrole, surarmé, notamment grâce à ses <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Israel-et-l-Azerbaidjan-une-romance-diplomatique-sous-le-sceau-de-la.html">achats d’armes auprès d’Israël, dont il s’est dernièrement rapproché</a>, l’Azerbaïdjan était évidemment très supérieur militairement aux forces du Karabakh.</p>
<h2>Comment expliquer ce rapprochement ?</h2>
<p>C’est un jeu diplomatique très complexe. Pour Israël, qui redoute beaucoup l’Iran, il est important d’avoir de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan, lequel a des <a href="https://www.lenouveleconomiste.fr/lintegrite-territoriale-au-coeur-des-tensions-entre-iran-et-azerbaidjan-95580/">relations tendues avec ce pay</a>s, notamment parce que les Iraniens craignent <a href="https://www.cairn.info/ethnicite-et-nationalisme-en-iran--9782811105556-page-75.htm">l’irrédentisme de leur région septentrionale</a>, qui s’appelle Azerbaïdjan iranien, et aussi parce que l’Iran est très hostile à l’OTAN, dont la Turquie, le grand allié de Bakou, est membre.</p>
<p>Les grandes manœuvres ne cessent jamais, chacun défend ses intérêts : il y a deux jours, le ministre russe de la Défense <a href="https://fr.mil.ru/fr/news_page/person/more.htm?id=12479428@egNews">Sergueï Choïgou s’est rendu à Téhéran</a> et les deux pays ont affiché leur entente… Quant aux simples habitants arméniens du Karabakh, ils ne comprennent pas grand-chose à ce Grand Jeu dont ils sont les victimes, puisque les voilà désormais confrontés au risque d’être expulsés de leurs terres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deux-siecles-de-grand-jeu-geopolitique-pour-les-grandes-puissances-210223">Deux siècles de Grand Jeu géopolitique pour les grandes puissances</a>
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<h2>Y a-t-il un risque de nettoyage ethnique orchestré par Bakou au Karabakh ?</h2>
<p>Les autorités azerbaïdjanaises ont beau s’en défendre et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7j2wO83M8jg&">affirmer que les habitants du Karabakh ont vocation à être des citoyens de l’Azerbaïdjan comme les autres</a>, en réalité une campagne visant à les terrifier et à les pousser au départ est en cours depuis longtemps – c’était notamment le but du blocus du corridor de Latchine, qui a affamé le Karabakh.</p>
<p>À présent que l’Azerbaïdjan a mis la main sur toute l’enclave, il est difficile d’imaginer que les Arméniens puissent continuer d’y vivre très longtemps sans garanties de sécurité. Un exode massif semble probable – ce qui serait une sorte de redite des pages les plus terribles de l’histoire des Arméniens, comme celles de 1915 ou de 1921.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/armenie-une-lecon-dhistoire-dune-actualite-brulante-173225">Arménie : une leçon d’histoire d’une actualité brûlante</a>
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<p>Plus près de nous, les Arméniens n’ont pas oublié le <a href="https://www.courrier.am/fr/actualite/pogroms-de-soumgait-un-crime-sans-chatiment">massacre de Soumgaït</a> commis par les Azerbaïdjanais en 1988. </p>
<h2>Comment peut-on qualifier le régime azerbaïdjanais actuel ?</h2>
<p>Il s’agit assurément d’un régime autoritaire, qui n’a absolument rien d’une démocratie. Il est dirigé par une dynastie en place depuis l’époque soviétique, puisque le précédent président du pays, <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2008-3-page-44.html">Heïdar Aliev</a> (1993-2003), père du président actuel Ilham Aliev qui lui a succédé après son décès, était un éminent officier du KGB et membre du Politburo de l’URSS, avant de devenir le président de la République socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan.</p>
<p>Le régime écrase toute voix discordante et n’entend guère laisser la moindre autonomie au Karabakh, alors même que cette région n’y a été intégrée qu’au temps de l’URSS et qu’elle bénéficiait alors du statut de région autonome au sein de la RSS d’Azerbaïdjan.</p>
<p>Au-delà, les Azerbaïdjanais ne cessent de s’affirmer « les frères des Turcs » et emploient, à propos de leur lien avec la Turquie, la formule <a href="https://www.dauphine-strategie-defense.com/publications/2021/1/14/turquie-et-azerbadjan-une-seule-nation-deux-tats-15">« Une nation, deux États »</a>. Les Arméniens n’ont aucune place dans cette vision.</p>
<p>Aujourd’hui, Bakou et Ankara – qui nient officiellement le génocide arménien de 1915 – sont en position de force et il ne faut attendre de leur part aucune délicatesse à l’égard des Arméniens. Ceux-ci seraient bien naïfs de prendre pour argent comptant les propos des responsables de Bakou – d’autant que ceux-ci viennent de trahir leur parole en violant sans états d’âme le cessez-le-feu de 2020.</p>
<h2>L’Arménie, cette fois, n’est pas intervenue pour soutenir le Karabakh…</h2>
<p>Certes, mais elle n’en avait pas les moyens, depuis la guerre perdue il y a trois ans, où elle avait perdu des milliers de soldats. Il y a aujourd’hui en Arménie un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230922-haut-karabakh-en-arm%C3%A9nie-nikol-pachinian-est-coinc%C3%A9-et-sans-solution">grand mouvement hostile au premier ministre Nikol Pachinian</a>, accusé d’avoir tenté sans succès de jouer sur tous les tableaux et d’avoir cherché à donner trop de gages à la fois à la Russie, à l’Azerbaïdjan et aux Occidentaux ; mais il y a aussi la compréhension que, quelles qu’en soient les raisons, l’armée arménienne n’avait pas, cette fois-ci, la capacité de voler seule au secours du Karabakh.</p>
<p>En résumé, on semble assister à nouveau à un épisode similaire à celui d’il y a cent ans, quand l’Arménie avait été prise en étau entre la Turquie de Mustafa Kemal et l’URSS. Sauf qu’il n’y a plus d’URSS pour l’absorber, et la Russie ne va certainement pas tenter de le faire, ne serait-ce que parce qu’elle n’a pas de continuité territoriale avec l’Arménie. </p>
<h2>Au-delà du Karabakh, l’Arménie est-elle en danger ?</h2>
<p>Il faudra suivre cette histoire de jonction de l’Azerbaïdjan et de la Turquie à travers le sud de l’Arménie. Si cela se matérialise, c’est une catastrophe de plus pour l’Arménie, qui risquerait d’être réduite territorialement. Mais c’est un scénario que l’Iran voudra absolument empêcher, car Téhéran tient beaucoup à conserver une frontière commune avec l’Arménie et un tel corridor reviendrait à l’en priver. Une déflagration généralisée ne serait alors pas à exclure.</p>
<h2>Les Occidentaux ont été plus discrets sur ce dossier, même si la France a convoqué en urgence le Conseil de sécurité de l’ONU…</h2>
<p>Les Européens sont loin, les Américains encore plus. Ce qui importe ici, c’est le jeu des puissances régionales. Et si l’Iran est hostile à l’Azerbaïdjan, en revanche Ankara le soutient pleinement et la Russie ne veut se fâcher ni avec l’Azerbaïdjan, ni avec la Turquie.</p>
<p>Moscou a toujours donné la préférence à Bakou par rapport à Erevan, notamment pour les richesses en hydrocarbures de l’Azerbaïdjan – c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le Karabakh avait finalement été attribué par les bolcheviks à l’Azerbaïdjan plutôt qu’à l’Arménie. Bref, une fois de plus, les Arméniens se retrouvent seuls face à leur inextricable situation géopolitique. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214195/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les forces armées du Haut-Karabakh ont déposé les armes après une attaque fulgurante de l’Azerbaïdjan. Et maintenant ?Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2132652023-09-12T21:50:34Z2023-09-12T21:50:34ZSanctions occidentales contre la Russie : l’Asie à la rescousse de Moscou<p>Avant d’envahir l’Ukraine en février 2022, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/russie-21217">Russie</a> avait, semble-t-il, anticipé les sanctions financières occidentales. Malgré celles-ci, et celles qui ont ciblé son commerce, l’économie russe a en effet affiché une relative solidité dans les mois qui ont suivi le début de la guerre. Ce résultat reflète la réallocation géographique rapide de son <a href="https://theconversation.com/fr/topics/commerce-exterieur-61077">commerce extérieur</a> et sa préparation aux sanctions, avec la mise en place de nombreux circuits de contournements et un pivot manifeste vers l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inde-23095">Inde</a>, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/turquie-21579">Turquie</a>, et surtout la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chine-20235">Chine</a>.</p>
<p>En 2022, la Russie a enregistré un excédent commercial de 284 milliards de dollars vis-à-vis de ses principaux partenaires commerciaux. Cet excédent considérable, plus du double de celui de 2019, masque néanmoins les tendances du commerce russe depuis le déclenchement du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">conflit</a>. En effet, l’excédent commercial qui atteignait près de 33 milliards de dollars en mars et avril 2022 s’est considérablement réduit depuis – 14 milliards en décembre (graphique 1a) –, mais reste toutefois supérieur à ce qu’il était en moyenne mensuelle entre 2019 et 2021 (10 milliards de dollars).</p>
<p>Sous les effets cumulés de la hausse des prix de l’énergie et de la montée en puissance progressive des sanctions, les exportations russes, après avoir progressé en début d’année, ont entamé une baisse graduelle à partir d’avril 2022 (graphique 1b). Mais, grâce à la réorientation de ses échanges vers les pays non alignés – ceux qui n’ont pas pris de sanctions à son encontre à la suite de l’invasion de l’Ukraine – la Russie a pu préserver des recettes plus élevées que celles enregistrées en moyenne entre 2019 et 2021.</p>
<h2>Un tournant commercial vers l’Asie</h2>
<p>Du côté des importations, la chute massive, dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine, de 18 milliards à 8,5 milliards de dollars entre février et avril 2022, a été suivie d’une reprise lente jusqu’à un retour, au dernier trimestre 2022, au niveau mensuel moyen observé sur la période 2019-2021, essentiellement grâce à la Chine (graphique 1c).</p>
<h2>Graphique 1 : Une réallocation du commerce extérieur russe vers les pays non alignés</h2>
<p><iframe id="9iHlZ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9iHlZ/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="I3Cfi" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/I3Cfi/6/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="oNQWA" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oNQWA/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En décembre 2022, cette dernière fournissait en effet 52 % des importations russes, contre 27,6 % en moyenne sur la période 2019- 2021, de quoi compenser la baisse des importations en provenance des pays alignés, essentiellement de l’Union européenne (UE) dont la part dans les importations russes n’était plus que de 24 % en décembre 2022 contre 48 % en moyenne sur la période 2019-2021. En définitive, l’Inde, la Chine et la Turquie ont offert des débouchés aux exportations russes tandis que, côté importations, la Chine a remplacé les pays alignés.</p>
<h2>De nouvelles destinations pour le pétrole russe</h2>
<p>Représentant 52 % de ses exportations en 2022, les produits pétroliers ont permis à la Russie d’engranger 238 milliards de dollars (exportations nettes) au cours de l’année. Malgré les restrictions croissantes visant ces produits, dans le but d’affaiblir ses recettes d’exportations et de rendre l’effort de guerre plus difficile, la Russie a profité de la hausse des prix de l’énergie, dans un contexte de reprise post-crise sanitaire, et de la fragmentation internationale quant aux sanctions à adopter en réponse à son agression pour maintenir, voire accroître sa rente pétrolière (graphique 2).</p>
<p>Alors qu’à partir de mars 2022, du fait des embargos mis en place rapidement, les flux à destination des États-Unis et du Royaume-Uni déclinent et atteignent, dès le mois de mai des quantités négligeables, que l’UE – un peu plus lentement – réduit ses importations (passant d’environ 12 milliards de dollars en mars à 6 milliards en décembre 2022), la Chine, et surtout l’Inde ont vu leurs importations augmenter (graphique 2).</p>
<h2>Graphique 2 : Les exportations de produits pétroliers déroutées vers l’Inde et la Chine</h2>
<p><iframe id="g2jzx" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/g2jzx/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Une relative résilience des importations</h2>
<p>Si, grâce à la Chine, les importations russes ont fait preuve de résilience, cela ne signifie pas pour autant qu’elle s’est substituée à l’Europe sur les produits sanctionnés. La Chine peut en effet avoir accru ses exportations sur les produits non sanctionnés ou les avoir augmentées au-delà de la baisse des exportations européennes vers la Russie sur certains produits sanctionnés, et peu sur d’autres, de telle sorte que l’on observe une variation des exportations chinoises d’une ampleur qui ne reflète pas la réalité de la substitution.</p>
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<p>Et c’est, d’une certaine manière, ce que l’on constate : sur plus de 2 milliards de dollars de baisses d’importations en provenance de l’UE, la compensation a été de moins de 10 %, tandis qu’elle n’a été supérieure à 80 % que pour 515 millions de dollars de baisses d’importations.</p>
<p>Ainsi, alors que la Chine est le principal pays qui a compensé les baisses d’importations en provenance d’Europe du fait des sanctions, moins de 24 % l’ont été ; le cas le plus flagrant étant celui des importations de matériel de transport en provenance d’Europe pour lesquelles plus des 75 % de la baisse – très forte – n’ont pas été compensées.</p>
<h2>Une dédollarisation en faveur du yuan</h2>
<p>En revanche, la Chine a offert à la Russie des moyens de contourner les sanctions financières. Il faut dire que depuis les sanctions liées à l’annexion de la Crimée en 2014, la banque centrale russe a non seulement fortement accumulé des réserves, mais aussi diversifié ses avoirs étrangers. Alors que la part du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/dollar-85009">dollar</a> dans les réserves s’élevait à 44 % 2014, celle-ci n’était plus que de 11 % en 2022, une partie importante des réserves ayant été transférée vers le yuan et l’or : le yuan représentait 17 % des réserves et 22 % d’entre elles étaient détenues en or fin 2022 (graphique 4a).</p>
<p>Contrairement à 2014, la banque centrale s’était donc préparée aux restrictions avant l’invasion de l’Ukraine, en « dédollarisant » ses réserves de change, ce qui a permis au rouble, après s’être fortement déprécié face au dollar à la suite du déclenchement du conflit et des sanctions de février 2022, de rapidement revenir à son niveau d’avant-guerre, atteignant le taux de 54,5 roubles pour un dollar en juin 2022, niveau jamais connu depuis 2015 – en moyenne mensuelle.</p>
<p>En autorisant en septembre 2022 la Chine à payer ses achats de gaz russe en yuans et en roubles, Moscou a aussi, par ce biais, accentué la dédollarisation de l’économie russe. Cette inflexion concerne l’ensemble des exportations : ainsi, avant l’invasion de l’Ukraine, plus de 80 % des exportations étaient libellées en monnaies des pays alignés comme le dollar et l’euro, contre 12 % pour le yuan ; ce dernier atteint fin 2022 plus de 35 % dans le paiement des exportations, la part du dollar et de l’euro étant quant à elle passée sous la barre des 50 % (graphique 4b).</p>
<h2>Graphique 3 : La diversification des réserves internationales et la dédollarisation de l’économie russe en 2022</h2>
<p><iframe id="lwdtg" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/lwdtg/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="KI0BL" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/KI0BL/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Au total, l’évolution des échanges commerciaux et du rouble montre qu’il ne fallait pas attendre des sanctions occidentales un effondrement <em>immédiat</em> de l’économie russe. Leurs effets devront être appréhendés à plus longue échéance puisqu’en rendant l’effort de guerre plus difficile pour la Russie, elles devraient peser à terme sur les plans économique, financier et technologique. Ces effets commencent d’ailleurs à se faire sentir avec une dépréciation du rouble de l’ordre de 30 % depuis le début de l’année 2023 – particulièrement marquée depuis la fin du printemps – en raison notamment du poids financier de la guerre, couplé à la baisse des recettes pétrolières du fait des sanctions entrées en vigueur fin 2022.</p>
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<p><em>Cet article reprend des extraits de la lettre du Cepii de juillet-août 2023 intitulée <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/abstract.asp?NoDoc=13860">« Russie : sanctions occidentales et échappatoires orientales »</a> et accessible gratuitement en version intégrale sur le site du Cepii</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213265/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Mignon est conseiller scientifique au CEPII, membre du Cercle des économistes, présidente de la section 05 (sciences économiques) du CNU et secrétaire générale l'AFSE.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Carl Grekou et Lionel Ragot ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La relative résistance de l’économie russe s’explique notamment par la place grandissante du yuan chinois dans ses échanges financiers extérieurs.Carl Grekou, Économiste, CEPIILionel Ragot, Conseiller scientifique au CEPII, professeur d'économie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresValérie Mignon, Professeure en économie, Chercheure à EconomiX-CNRS, Conseiller scientifique au CEPII, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105902023-08-07T20:09:42Z2023-08-07T20:09:42ZQuinze ans après la guerre en Géorgie, les dilemmes de l’Union européenne dans le Sud-Caucase<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539788/original/file-20230727-29-taxyve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=29%2C0%2C3300%2C2193&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tbilissi, capitale de la Géorgie, pays traversé de routes hautement stratégiques pour l’Union européenne.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Il y a <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2008/08/30/autopsie-d-un-conflit_1089640_3214.html">15 ans</a> tout juste, pendant que les regards du monde entier étaient tournés vers Pékin où s’ouvraient les 29ᵉ Jeux olympiques de l’ère moderne, une guerre éclatait entre la <a href="https://theconversation.com/topics/russie-21217">Russie</a> et la Géorgie autour de l’Ossétie du Sud. Officiellement rattachée à la <a href="https://theconversation.com/topics/georgie-24823">Géorgie</a> depuis que le pays avait obtenu son indépendance de l’Union soviétique en 1991, elle restait occupée par Moscou, de même que la région d’Abkhazie, côtière de la mer Noire. Le président de l’époque, Mikheïl Saakachvili, tentait alors un coup de force pour reprendre la main sur ces territoires représentant 20 % de la surface de la Géorgie, en vain. Sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, l’<a href="https://theconversation.com/topics/union-europeenne-ue-20281">Union européenne</a> s’installait alors en médiateur.</p>
<p>La pression russe s’exerce encore aujourd’hui en Géorgie, avec la technique de la <a href="https://www.csis.org/analysis/russias-hybrid-aggression-against-georgia-use-local-and-external-tools">« frontiérisation »</a> pour pénétrer plus avant dans le territoire. Elle vise à rendre irréversible une conquête territoriale en transformant une simple ligne de démarcation administrative en frontière internationale. Le processus, abondamment utilisé par la Russie dans le passé, en particulier en <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/asie-centrale/">Asie centrale</a>, est <a href="https://www.csis.org/analysis/russias-hybrid-aggression-against-georgia-use-local-and-external-tools">mis en œuvre aujourd’hui en Géorgie et en Ukraine</a>.</p>
<p>Malgré <a href="https://theconversation.com/georgie-2008-ukraine-2022-pourquoi-la-france-na-pas-su-amener-la-paix-une-nouvelle-fois-188424">quelques différences de scénarios</a>, les objectifs de la Fédération de Russie dans le Caucase du Sud sont les mêmes que ceux qui ont conduit à l’invasion de l’<a href="https://theconversation.com/topics/ukraine-21219">Ukraine</a> en 2022. L’ambition générale est de maintenir ou de rétablir le contrôle de la Russie sur la situation politique, militaire et économique dans son étranger proche. La région est essentielle pour Moscou en termes de commerce et d’accès à l’énergie le long d’un <a href="https://jamestown.org/program/the-%20%20%20rise-of-multimodal-transportation-among-russia-iran-and-india/">corridor nord-sud reliant la Russie à l’Iran et à l’Inde</a>.</p>
<p>La Géorgie est de facto divisée, tant au niveau du gouvernement que de l’opinion publique, entre les sentiments pro-occidentaux, la perspective d’adhérer à l’UE et la nécessité de maintenir de bons liens avec le voisin russe. La situation est encore plus compliquée avec l’entrée en 2022 en Géorgie d’environ <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/12/pres-de-100-000-ressortissants-russes-se-sont-installes-en-georgie-pour-fuir-leur-pays_6149583_3210.html">100 000 citoyens russes</a> fuyant leur pays, une situation qui contribue à l’économie géorgienne mais qui est aussi une source d’incertitude et d’anxiété.</p>
<p>Les pays du Caucase du Sud se trouvent ainsi une fois de plus au cœur d’un jeu complexe dans lequel les intérêts militaires, économiques et politiques des grandes puissances s’affrontent et s’entremêlent. La Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, malgré des intérêts communs, sont confrontés à des situations et à des défis très différents en ce qui concerne leurs relations avec la Fédération de Russie et avec la Turquie, dont l’influence s’accroît dans le Caucase du Sud et en Asie centrale.</p>
<h2>Un carrefour d’influences</h2>
<p>Le soutien militaire de la Turquie à l’Azerbaïdjan a été décisif dans la guerre contre l’Arménie (soutenue, elle, par la Russie) qui souhaitait maintenir son contrôle sur la région du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/haut-karabakh-96072">Haut-Karabakh</a>. Officiellement rattaché à l’Azerbaïdjan mais majoritairement peuplé d’Arméniens, ce territoire était depuis 1994 plus proche d’Erevan que de Bakou, sans que son indépendance ne soit reconnue par aucun État. Les <a href="https://theconversation.com/haut-karabagh-cessez-le-feu-sur-une-ligne-de-faille-geopolitique-149958">rapports de force se sont inversés à l’automne 2020</a>.</p>
<p>Le soutien turc sert les ambitions d’Erdogan en Asie centrale : reconstruire les liens historiques, culturels et linguistiques, économiques et politiques avec les pays turcophones. L’Organisation des États turciques, fondée en 2009 par l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizstan et la Turquie, a accueilli l’Ouzbékistan en 2019 et peut être perçue comme un <a href="https://thediplomat.com/2022/11/does-the-organization-of-turkic-states-worry-china-and-russia/">défi à l’hégémonie de la Russie et de la Chine dans la région</a>. Néanmoins, la Turquie est également à la recherche de plus de coopération économique et d’investissements de la part de la Chine, qui est déjà l’un de ses trois principaux partenaires commerciaux, avec la Russie et l’Allemagne.</p>
<p>L’Azerbaïdjan, qui équilibre habilement les intérêts de la Turquie et de la Russie, est également, depuis 2022, un partenaire de l’Union européenne. Le « <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-ministerial-meetings/2022/07/19/#:%7E:text=L%E2%80%99Azerba%C3%AFdjan%20est%20un%20partenaire,pour%20diversifier%20ses%20ressources%20%C3%A9nerg%C3%A9tiques.">partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie</a> » signé à Bakou en juillet 2022 entre l’UE et l’Azerbaïdjan soutient le <a href="https://neighbourhood-enlargement.ec.europa.eu/news/eu-and-azerbaijan-enhance-bilateral-relations-including-energy-cooperation-2022-07-18_en">doublement de la capacité du corridor gazier méridional</a> à partir de 2027. Celui-ci achemine le gaz naturel provenant du champ gazier de Shah Deniz, dans le secteur azerbaïdjanais de la mer Caspienne, vers l’Europe en empruntant le gazoduc du Caucase du Sud (SCP), long de 692 km, qui relie Bakou (Azerbaïdjan), Tbilissi (Géorgie) et Erzurum (Turquie). Depuis Erzurum, le gaz naturel est transporté par le gazoduc transanatolien (TANAP), long de 1 850 km, qui traverse la Turquie jusqu’à la frontière grecque, puis par le gazoduc transadriatique (TAP), long de 870 km, qui va de la Grèce au sud de l’Italie, en passant par l’Albanie et la mer Adriatique.</p>
<h2>Une zone stratégique pour l’Europe</h2>
<p>La Géorgie est également une zone de transit privilégiée pour les trains de marchandises en provenance de Chine ou d’Asie centrale et à destination de l’Union européenne, via le corridor ferroviaire transcaspien. Ce « corridor médian » est une alternative intéressante au corridor nord, qui traverse la Russie et la Biélorussie. L’itinéraire le plus rapide aujourd’hui est la liaison ferroviaire Bakou-Tbilissi-Kars (BTK), qui mène ensuite aux ports turcs ou au tunnel de Marmaray. Celui-ci, à Istanbul, relie la Turquie asiatique à la Turquie européenne.</p>
<p>Les ports de Géorgie, Poti et Batoumi, et potentiellement demain le nouveau port d’Anaklia, offrent la possibilité d’une liaison directe avec l’Europe centrale et orientale à travers la mer Noire. Depuis l’achat du premier de ces terminaux en avril 2011, l’opérateur de terminaux basé aux Pays-Bas APM Terminals négocie avec le gouvernement géorgien un <a href="https://www.portseurope.com/apm-terminals-negotiates-poti-port-expansion-with-government/">investissement de 250 millions de dollars</a> comprenant la construction d’un port en eau profonde capable d’accueillir des navires Panamax.</p>
<p><iframe id="UDe5m" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/UDe5m/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Il s’agira d’une nouvelle porte d’entrée vers l’Europe, répondant aux besoins des entreprises de Géorgie, d’Arménie et d’Azerbaïdjan, ainsi qu’à ceux de leurs partenaires commerciaux d’Asie centrale. Il offrira également la connexion la plus courte avec le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) de l’UE, avec des lignes régulières de transport maritime de conteneurs reliant les ports de Poti ou de Batoumi en Géorgie aux ports de Constanta (Roumanie), d’Odessa (Ukraine) et/ou de Varna (Bulgarie).</p>
<p>Les agences et institutions financières de l’UE, telles que la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), contribuent également à la transformation économique de la Géorgie et au financement de projets dans les secteurs de l’énergie, des transports, de l’agro-industrie et de la finance.</p>
<h2>Un partenariat très fragile</h2>
<p>La Géorgie est donc un partenaire clé de l’Union européenne en termes de politique énergétique et de transport, ainsi que de coopération commerciale et économique avec les pays du Caucase du Sud et d’Asie centrale. Les pays de l’UE figurent déjà parmi les principaux partenaires commerciaux de la Géorgie, avec 17,7 % des exportations géorgiennes en 2021, suivis par la Chine (16,6 %), la Russie (13,3 %), l’Azerbaïdjan (12,7 %) et la Turquie (8,7 %).</p>
<p>Malgré ces perspectives économiques encourageantes, la réponse de l’UE en juin 2022 à la demande d’adhésion de la Géorgie a été une simple reconnaissance de la <a href="https://www.eeas.europa.eu/delegations/georgia/european-perspective-georgia_en?s=221">« perspective européenne »</a> du pays, tandis que l’Ukraine et la Moldavie se voyaient accorder le statut de candidat officiel. L’avis de la Commission européenne sur la demande d’adhésion de la Géorgie a défini <a href="https://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/documents/12%20Priorities.pdf">douze priorités</a> auxquelles le pays doit répondre pour obtenir le statut de pays candidat. On y retrouve, par exemple, des demandes de renforcement de l’indépendance de l’autorité anti-corruption, d’efforts en faveur de l’égalité entre les sexes et de promoution d’une « dé-oligarchisation » du pays.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/540197/original/file-20230731-98364-f6wqkk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540197/original/file-20230731-98364-f6wqkk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540197/original/file-20230731-98364-f6wqkk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540197/original/file-20230731-98364-f6wqkk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540197/original/file-20230731-98364-f6wqkk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540197/original/file-20230731-98364-f6wqkk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540197/original/file-20230731-98364-f6wqkk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540197/original/file-20230731-98364-f6wqkk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Bidzina Ivanichvili, ici à la droite de Herman Van Rompuy, avait choisi Bruxelles pour sa première visite officielle en tant que premier ministre en 2012 ; ses positions ont bien évolué depuis.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/europeancouncil/8178732872">Conseil européen</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Reste que la politique de rapprochement avec la Russie poursuivie par le parti au pouvoir, le « rêve géorgien » fondé par l’oligarque Bidzina Ivanichvili, ancien premier ministre, a conduit à mettre en œuvre le plus lentement possible ces douze priorités de l’UE. Les vingt-sept pays membres de l’UE, qui doivent prendre la décision d’octroyer ou non à la Géorgie le statut de pays candidat avant la fin de l’année 2023, font face ainsi à un « <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0674-georgie-terrible-dilemme-pour-l-europe">terrible dilemme</a> » selon les mots de la fondation Robert Schuman.</p>
<p>Refuser l’admission pour des demandes non respectées et pour sanctionner le gouvernement actuel, ce serait de décourager l’opinion publique, majoritairement pro-européenne, et les acteurs politiques dans la même veine comme la présidente Salomé Zourabichvili, ex-diplomate française. Les manifestations de mars 2023 contre la « <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/07/georgie-des-milliers-de-manifestants-a-tbilissi-contre-une-loi-sur-les-agents-etrangers_6164541_3210.html">loi sur les agents étrangers</a> », mesure d’inspiration russe, ont montré la division du pays et la fragilité de la situation. Celle-ci prévoit que les organisations qui reçoivent plus de 20 % de leur financement de l’étranger devraient s’enregistrer en tant qu’« agents de l’étranger », sous peine d’amendes. Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, estimait alors :</p>
<blockquote>
<p>« Son adoption définitive pourrait avoir de graves répercussions sur nos relations. »</p>
</blockquote>
<p>Pour préserver l’avenir, l’idéal serait sans aucun doute que l’Union européenne puisse accorder à la Géorgie le statut de pays candidat sous conditions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210590/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Paul Michel Larçon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Géorgie demeure une zone stratégique pour l’Union européenne. Les 27 doivent-ils se montrer intransigeants sur les conditions d’une adhésion, au risque de rapprocher Tbilissi de Moscou ?Jean-Paul Michel Larçon, Emeritus Professor Strategy and International Business, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2066312023-05-29T16:46:43Z2023-05-29T16:46:43ZCe que la réélection d’Erdogan signifie pour l’avenir de la Turquie<p>Vainqueur au second tour de l’élection de dimanche face à son rival de longue date, Kemal Kiliçdaroglu, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recep-tayyip-erdogan-21581">Recep Tayyip Erdogan</a> restera président de la Turquie <a href="https://www.letemps.ch/monde/indetronable-erdogan-remporte-lelection-presidentielle-turquie">pour cinq années supplémentaires</a>. S’il va jusqu’au bout de son mandat, il aura été au pouvoir pendant 26 ans.</p>
<p>Ce qui est étonnant, c’est que la majorité des Turcs ont élu Erdogan malgré une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/11/20/en-turquie-l-economie-sur-une-pente-dangereuse_6150780_3234.html">économie qui se dégrade</a> et une <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/en-turquie-les-entreprises-sous-le-choc-de-l-hyperinflation-20230509">hyperinflation</a> désormais chronique – une situation qui ferait probablement tomber n’importe quel gouvernement dans un pays démocratique.</p>
<p>Comment Erdogan a-t-il pu remporter les élections et, plus important encore, comment s’annonce le futur proche du pays ?</p>
<h2>Une élection libre mais inéquitable</h2>
<p>L’élection présidentielle a été libre, dans la mesure où les partis politiques ont pu présenter des candidats de leur propre chef et mener campagne. Les partis avaient également le droit d’avoir des représentants dans chaque bureau de vote afin de s’assurer que les bulletins étaient correctement comptés. Enfin, les électeurs étaient libres de voter.</p>
<p>Cependant, l’élection a été loin d’être équitable.</p>
<p>Tout d’abord, un rival potentiel dans la course, le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, a été <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221214-turquie-le-maire-d-istanbul-ekrem-imamoglu-condamn%C3%A9-%C3%A0-plus-de-deux-ans-de-prison">condamné</a> en décembre dernier à plus de deux ans de prison pour « insulte à des personnalités publiques ».</p>
<p>En réalité, le populaire Imamoglu avait surtout eu le tort d’infliger au parti d’Erdogan une rare <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/06/23/defaite-historique-d-erdogan-a-istanbul_1735740/">défaite aux élections municipales de 2019 à Istanbul</a>. Les sondages avaient montré que s’il s’était porté candidat à la présidentielle, <a href="https://www.duvarenglish.com/politics/2020/02/10/poll-shows-imamoglu-as-only-candidate-who-could-beat-erdogan-in-election">il aurait pu gagner contre Erdogan avec une marge confortable</a>. Certains <a href="https://www.contretemps.eu/condamnation-ekrem-imamoglu-maire-distanbul/">soutiennent</a> que la condamnation d’Imamoglu était motivée par des considérations politiques. Quoi qu’il en soit, Imamoglu étant hors jeu, l’opposition a dû se rallier à Kiliçdaroglu, le plus faible de tous les candidats à forte notoriété.</p>
<p>Erdogan exerce également une <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/chronique-des-m%C3%A9dias/20230512-la-libert%C3%A9-des-m%C3%A9dias-en-turquie">emprise sur les médias turcs</a> pratiquement généralisée, par l’intermédiaire de Fahrettin Altun, responsable des médias et de la communication au palais présidentiel.</p>
<p>Les médias turcs sont soit directement détenus par des proches d’Erdogan, comme le journal populaire <em>Sabah</em>, dirigé par Sedat Albayrak, soit contrôlés par des rédacteurs en chef nommés et surveillés par Altun. Certains sites d’information indépendants sur Internet, comme <a href="https://t24.com.tr/">T24</a>, pratiquent l’autocensure pour rester opérationnels.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1661761115687198721"}"></div></p>
<p>Grâce à ce contrôle massif des médias, Erdogan et ses proches s’étaient assurés d’avoir un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/presidentielle-en-turquie-recep-tayyip-erdogan-a-60-fois-plus-de-temps-de-parole-sur-la-television-publique-que-son-rival_5805047.html">temps d’antenne à la télévision bien supérieur à celui de l’opposition</a>. Le président réélu avait été dépeint dans les médias comme un leader mondial faisant progresser la Turquie en construisant des aéroports, des routes et des ponts. Il s’était présenté devant des dizaines de journalistes à la télévision, mais toutes les questions étaient préparées à l’avance et Erdogan a simplement lu ses réponses à l’aide d’un prompteur.</p>
<p>Altun avait également orchestré une vaste campagne de diffamation contre Kiliçdaroglu. Le leader de l’opposition avait bénéficié d’un temps d’antenne minimal, et lorsqu’il apparaissait dans les médias, il était dépeint comme un dirigeant inapte à gouverner le pays.</p>
<p>Altun contrôlait non seulement les chaînes de télévision et la presse écrite traditionnelles, mais aussi les réseaux sociaux. Sur Twitter, une plate-forme très influente en Turquie, Altun utilise depuis longtemps des robots et une <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-AK-Trolls-une-armee-digitale-au-service-des-interets-politiques-du-pouvoir-3580.html">armée de trolls</a> et d’influenceurs rémunérés pour tenter de contrôler les débats.</p>
<p>Et cela a fonctionné. Un nombre suffisant d’électeurs ont été influencés par la confusion et la peur que le pays serait dans un bien pire état si Kiliçdaroglu venait à être élu.</p>
<p>Enfin, il y avait un <a href="https://www.europe1.fr/international/presidentielle-en-turquie-face-a-lenorme-risque-de-fraude-la-societe-civile-turque-se-mobilise-4182741">risque de fraude</a> en raison de l’opacité du traitement des résultats des élections. Une fois chaque urne dépouillée, le bulletin de vote et la feuille de résultats sont transportés par la police (dans les villes) et par l’armée (dans les régions) jusqu’aux bureaux de la commission électorale. La police et l’armée sont toutes deux sous le contrôle étroit d’Erdogan.</p>
<p>Ajoutons que les résultats sont rapportés uniquement par l’agence publique Anadolu, alors qu’auparavant ils étaient rapportés par de multiples agences indépendantes.</p>
<p>Même si <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/election-presidentielle-en-turquie/temoignages-elections-en-turquie-ces-gardiens-des-urnes-qui-ont-les-yeux-bien-ouverts-pour-eviter-les-fraudes-en-ce-jour-de-vote-crucial_5823620.html">aucune preuve incontestable de fraude</a> n’est révélée, le spectre de la manipulation pourrait remettre en question l’intégrité de l’ensemble du processus électoral.</p>
<h2>Le soutien massif des électeurs religieux</h2>
<p>Deux autres facteurs ont joué un rôle décisif dans les élections.</p>
<p>Le premier est l’appel à voter en faveur d’Erdogan lancé par Sinan Ogan, qui était arrivé en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle il y a deux semaines, avec 5,2 % des suffrages. Erdogan a persuadé <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230522-turquie-l-ultranationaliste-sinan-ogan-annonce-son-soutien-%C3%A0-erdogan-au-second-tour">Ogan de lui apporter son soutien</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1660654751585796102"}"></div></p>
<p>Le deuxième facteur, le plus important, est la perception quasi surnaturelle qu’ont les électeurs conservateurs et religieux d’Erdogan. Pour eux, le président sortant est un héros religieux et un sauveur.</p>
<p>La population religieuse de Turquie a longtemps souffert de persécutions au nom de la laïcité. Pour eux, Kiliçdaroglu et son Parti républicain du peuple symbolisent cette persécution. Bien que Kiliçdaroglu ait abandonné les politiques laïques strictes du parti, ces électeurs ne lui ont jamais pardonné d’avoir empêché les femmes musulmanes de porter le foulard dans les établissements d’enseignement et les institutions publiques, et d’avoir tenu la religion à l’écart de la vie publique et de la politique pendant des décennies.</p>
<p>La droite conservatrice et religieuse turque voit en Erdogan un leader mondial et un héros qui a lutté contre des forces mal intentionnées, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, pour rendre à la Turquie sa grandeur.</p>
<h2>Que va-t-il se passer en Turquie après les élections ?</h2>
<p>La Turquie avait désespérément besoin d’un changement de gouvernement et d’une bouffée d’air frais. Aujourd’hui, l’asphyxie sociale, politique et économique risque de s’aggraver.</p>
<p>Il y a quelques années, Erdogan avait <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/17/erdogan-poursuit-sa-mission-de-reinscrire-la-turquie-sur-la-grande-carte-du-monde-pour-rendre-aux-turcs-leur-fierte_6173667_3232.html">promis une renaissance de la Turquie d’ici à 2023</a>, date du <a href="https://www.bostonglobe.com/2023/01/04/opinion/turkey-turns-100-its-democratic-future-still-has-not-arrived/">centième anniversaire</a> de la fondation de la République. La Turquie était censée entrer dans le top 10 des économies mondiales d’ici là. Cependant, la Turquie <a href="https://www.worldometers.info/gdp/gdp-by-country/">se situe à peine dans le top 20</a>.</p>
<p>L’économie a connu un ralentissement important au cours des trois dernières années. La valeur de la <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211127-la-chute-de-la-livre-turque-une-aubaine-pour-les-voisins-grecs-et-bulgares">livre turque a chuté</a>, ce qui a conduit à une économie basée sur le dollar.</p>
<p>Mais les dollars sont difficiles à trouver. La Banque centrale turque a maintenu l’économie à flot en vidant ses réserves au cours des derniers mois en vue des élections. Le <a href="https://www.leconomistemaghrebin.com/2023/04/11/turquie-deficit-courant-plonge-rouge-profond/">déficit du compte courant</a> a été de 8 à 10 milliards de dollars chaque mois, et les réserves sont tombées dans le négatif la semaine dernière pour la première fois depuis 2002.</p>
<p>Erdogan doit maintenant trouver de l’argent. Il aura recours à des prêts étrangers à des taux d’intérêt élevés et se lancera dans une tournée diplomatique des pays musulmans riches en pétrole pour attirer une partie de leurs fonds vers la Turquie. L’incertitude qui entoure le succès de ces initiatives risque de plonger l’économie turque dans la récession.</p>
<p>Pour la population turque, cela pourrait se traduire par un chômage massif et une hausse du coût de la vie. Le <a href="https://fr.euronews.com/2022/10/03/linflation-atteint-834-en-turquie-le-taux-le-plus-eleve-depuis-24-ans">taux d’inflation a atteint son plus haut niveau en 24 ans, 85,5 %</a> l’année dernière, et pourrait encore augmenter, car le gouvernement, à court d’argent, continue d’imprimer de la monnaie numérique pour payer son importante main-d’œuvre bureaucratique.</p>
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<p>En matière de politique étrangère, Erdogan continuera d’essayer de faire de la Turquie une puissance régionale indépendante de l’OTAN, de l’Union européenne et des États-Unis. Il continuera probablement à <a href="https://www.europe1.fr/international/turquie-la-politique-etrangere-derdogan-passe-par-sa-relation-avec-moscou-4185649">renforcer les liens de la Turquie</a>] avec le président russe Vladimir Poutine, ce qui inquiète les alliés occidentaux du pays.</p>
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<h2>Que nous réserve l’avenir ?</h2>
<p>Il s’agit du dernier mandat d’Erdogan, conformément à la Constitution turque, et il est possible qu’il soit écourté.</p>
<p>Le président, âgé de 69 ans, a de <a href="https://www.leparisien.fr/international/turquie-cinq-minutes-pour-comprendre-les-inquietudes-autour-de-la-sante-derdogan-28-04-2023-PYKOMNEAHRGG7ES5OYRFF23PX4.php">nombreux problèmes de santé</a>. Il est de plus en plus fragile physiquement, il a du mal à marcher et ses discours sont souvent saccadés. Dans les années à venir, son état de santé pourrait se dégrader et il pourrait être contraint de céder sa place à un homme de confiance.</p>
<p>L’autre possibilité est que des dirigeants potentiels de son parti décident de commettre un coup d’État pour renverser Erdogan avant la fin de son mandat, afin d’obtenir le soutien de l’opinion publique en vue de l’élection présidentielle de 2028.</p>
<p>Bien que la Turquie postélectorale connaisse pour l’instant une certaine stabilité politique, le pays sera en proie à des troubles économiques, sociaux et politiques dans un avenir prévisible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206631/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehmet Ozalp est affilié à l'Islamic Sciences and Research Academy of Australia.</span></em></p>Avec la reconduction du président sortant pour cinq années supplémentaires, l’asphyxie sociale, politique et économique risque de s’aggraver en Turquie.Mehmet Ozalp, Associate Professor in Islamic Studies, Director of The Centre for Islamic Studies and Civilisation and Executive Member of Public and Contextual Theology, Charles Sturt UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2063662023-05-25T16:48:57Z2023-05-25T16:48:57ZLes Turcs de l’étranger, un électorat acquis à Erdogan ?<p>Les résultats des élections législatives et du premier tour de la présidentielle turque de ce 14 mai 2023 ont été accueillis avec une certaine surprise par les médias français suivant la campagne, dans la mesure où nombre d’entre eux <a href="https://www.tf1info.fr/actualite/election-la-fin-de-l-ere-recep-tayyip-erdogan-une-presidentielle-cruciale-en-turquie-13304/">avaient annoncé</a> dans les jours précédents la fin de <a href="https://www.lopinion.fr/international/election-presidentielle-en-turquie-la-fin-de-lere-erdogan/">« l’ère »</a> ou du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/presidentielle-en-turquie-la-fin-du-regne-erdogan_5814086.htm">« règne »</a> de Recep Tayyip <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recep-tayyip-erdogan-21581">Erdogan</a>.</p>
<p>Un étonnement qui peut s’expliquer à la fois par les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/elections-turquie-une-defaite-d-erdogan-au-premier-tour-n-est-plus-a-exclure">nombreux sondages</a> qui donnaient le président sortant défait par la coalition hétéroclite de six partis ayant fait front commun pour essayer de le faire chuter après 20 ans au pouvoir, mais aussi par une tendance au « wishful thinking » illustrant l’espoir du paysage politico-médiatique français de voir perdre le chef d’État turc.</p>
<p>Par exemple, parmi les Turcs de France amenés à livrer leurs analyses, seuls des opposants au gouvernement sortant ont été <a href="https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/c-ce-soir-saison-3/4840510-erdogan-la-fin-d-une-ere.html">invités à développer leur point de vue sur le sentiment politique national</a>, au détriment des sympathisants du président Erdogan. Un biais qui alimente le discours gouvernemental turc sur les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/complorama/la-turquie-complotiste-a-l-heure-de-l-election-presidentielle_5842877.html">« complots étrangers » visant à faire chuter le gouvernement</a>, et qui contribue également à invisibiliser le vote des Turcs de France.</p>
<p>Ces derniers, comme la majorité des Turcs installés à l’étranger, sont en effet très majoritairement favorables au parti au pouvoir depuis l’ouverture des urnes dans les consulats de Turquie à l’occasion de l’élection présidentielle de 2014 qui fut la première à sacrer Recep Tayyip Erdogan. Jusqu’alors, le vote des ressortissants turcs n’était possible que depuis les postes-frontières de la Turquie, ce qui limitait bien plus la participation des expatriés.</p>
<h2>Les Turcs de l’étranger, un réservoir de voix pour Erdogan</h2>
<p>Avec 49,52 % des 55 833 000 suffrages exprimés au premier tour, il n’a manqué que 268 000 voix au président sortant pour être réélu dimanche 14 mai pour un troisième mandat présidentiel consécutif.</p>
<p>Or, sur l’ensemble des urnes dépouillées hors des frontières turques, l’actuel chef d’État a rassemblé 57,5 % des suffrages avec 1 047 740 électeurs, pour un taux de participation total des Turcs de l’étranger de seulement 50,73 %, alors que 88,82 % des votants se sont déplacés en Turquie. Une baisse de l’abstention des expatriés pourrait ainsi à elle seule suffire à faire réélire le président lors du second tour.</p>
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<p>Le chef de l’État et son gouvernement sont effectivement plus populaires auprès des ressortissants turcs qu’auprès des électeurs vivant en Turquie, comme l’illustrent les scores obtenus par Recep Tayyip Erdogan dans les quatre pays étrangers où les citoyens turcs sont le plus nombreux.</p>
<p>En Allemagne (avec 65,5 % des suffrages pour 475 593 électeurs), en France (64,8 %, 126 572), aux Pays-Bas (68,4 %, 98 265) et en Belgique (72,3 %, 50 318) il a ainsi à chaque fois obtenu un <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2023/dunya-secim-sonuclari">score qui aurait suffi à le faire réélire dès le premier tour</a>.</p>
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<p>Un large soutien que l’on retrouve également au niveau local dans la quasi-totalité des <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2023/yurtdisi-fransa-secim-sonuclari">neuf bureaux de vote installés sur le territoire français</a>, avec des scores plébiscitaires à Clermont-Ferrand (90,9 %), Lyon (86,3 %) et Orléans (85,8 %) ; d’autres larges victoires à Strasbourg (70,9 %), Mulhouse (65,8 %), Nantes (65,7 %) et Bordeaux (57,3 %) ; un résultat plus serré à Paris (51,2 %) et une seule défaite, à Marseille (42,8 % contre 56,3 % pour son principal adversaire, Kemal Kiliçdaroglu).</p>
<p>Ces résultats du candidat Erdoğan en France sont même meilleurs que lors de la présidentielle précédente, en 2018, quand il n’avait remporté « que » <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2018/yurtdisi-fransa-secim-sonuclari">63,7 % des suffrages dans le pays</a>, ce qui ne l’avait pas empêché d’être réélu dès le premier tour avec 52,6 % des voix sur l’ensemble des votants. En 2014, il avait rassemblé déjà <a href="https://www.memurlar.net/secim/haziran-2018-secim-sonuclari/cb-dunya.html">63,68 % des suffrages</a> dans les bureaux de vote installés sur le territoire français (il avait alors aussi été élu au premier tour, avec 51,79 %).</p>
<h2>Le cas de la France dans le paysage politique turc</h2>
<p>Lors des précédents scrutins, la France avait fait l’objet d’une campagne électorale à part entière, avec la venue de plusieurs personnalités du Parti de la Justice et du Développement) (AKP) au pouvoir. Le chef d’État en personne avait même pris part à de véritables meetings électoraux à Paris en 2010, Lyon en 2014 et <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/turquie-un-meeting-pro-erdogan-a-metz-fait-polemique_2094869.html9">Metz en 2017</a>.</p>
<p>Des rassemblements comparables ont également eu lieu à l’instigation des partis de l’opposition, comme le Parti démocratique des Peuples (HDP), dont certains députés et autres représentants sont participé à des débats citoyens en France, notamment <a href="https://www.kedistan.net/2018/05/28/meeting-marseille-garo-paylan/">à Marseille en 2018</a> à l’invitation d’associations arméniennes et kurdes locales. La spécificité du bassin électoral marseillais, plutôt favorable aux candidats anti-Erdoğan en 2023 comme en 2018 et 2014 – quand le président fut chaque fois au coude à coude avec le candidat du HDP, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210528-turquie-l-opposant-kurde-selahattin-demirtas-de-nouveau-condamn%C3%A9">Selahattin Demirtas, désormais emprisonné en Turquie</a> –, s’explique par <a href="https://www.researchgate.net/publication/346786184_Le_developpement_transnational_de_la_cause_kurde_etude_du_foyer_d%E2%80%99implantation_militante_en_region_marseillaise">l’implantation ancienne de réseaux kurdes et d’une importante diaspora arménienne</a> opposés aux gouvernements turcs successifs.</p>
<p>L’électorat turc présent sur le reste du territoire français est surtout constitué de personnes arrivées à la suite de la signature d’un <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1973_num_28_2_15411">accord d’envoi de main-d’œuvre signé avec la Turquie en 1965</a>, en grande partie issues des régions rurales de l’Anatolie, majoritairement acquises à l’AKP et à Erdoğan. De plus, cette population d’émigrés économiques et de leurs descendants est depuis longtemps particulièrement <a href="https://www.researchgate.net/publication/346786034_Les_Turcs_de_l%E2%80%99etranger_au_coeur_de_la_strategie_d%E2%80%99influence_internationale_d%E2%80%99Erdogan_etude_du_cas_franco-europeen">courtisée par les organisations de l’islam politique turc transnational</a>, dont le président turc est issu. Elle est aussi souvent ciblée par les discours nationalistes visant à renforcer les liens de la Turquie avec ses ressortissants résidant au-delà de ses frontières.</p>
<h2>Une exportation des dérives du système électoral turc</h2>
<p>L’une des principales réussites politiques du chef de l’État turc – en tant que premier ministre puis président, depuis 2003 – est justement d’avoir consolidé la synthèse entre l’islamisme et le nationalisme, comme l’illustre la coalition gouvernementale qu’il a formée avec le Parti d’Action nationaliste (MHP, extrême droite d’inspiration fasciste) depuis les élections de 2018. Ce parti qui va lui permettre à nouveau de former un gouvernement de coalition majoritaire à la suite des élections législatives de cette année avec ses 50 députés, est également l’organisation mère de la mouvance des « Loups gris ».</p>
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<p>Les « Loups gris » désignent une milice rassemblant de jeunes militants du parti qui a été, en France, officiellement <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/02/le-gouvernement-annonce-la-dissolution-des-loups-gris-mouvement-ultranationaliste-turc_6058211_823448.html">dissoute par un décret du Conseil des ministres en 2020</a>, suite à des manifestations violentes contre la communauté arménienne de Décines. De nouvelles violences ont eu lieu cette année dans cette même ville de l’agglomération lyonnaise dans le cadre des élections turques, puisque des assesseurs censés garantir le bon déroulé du scrutin et issus du Parti de la Gauche Verte (YSP) <a href="https://www.lepoint.fr/societe/presidentielle-en-turquie-des-opposants-d-erdogan-agresses-pres-de-lyon-12-05-2023-2519875_23.php">ont été agressés</a> lors de la fermeture du bureau de vote installé dans la commune pour les électeurs turcs de la région de Lyon.</p>
<p>La tenue même du scrutin dans des locaux d’ordinaire utilisés par l’organe consulaire du ministère des Affaires religieuses turques – l’Union des Affaires culturelles turco-islamiques (DITIB, <em>Diyanet İşleri Türk İslam Birliği</em>) de Lyon – <a href="https://www.leprogres.fr/politique/2023/05/11/elections-turques-la-deputee-tanzilli-saisit-le-procureur">pose par ailleurs question</a>, dans la mesure où la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043964778">loi contre le séparatisme</a> votée le 24 août 2021 en France interdit justement d’organiser des élections dans des bâtiments « servant habituellement à l’exercice du culte ou utilisés par une association cultuelle ». Or la Turquie est officiellement un État laïc au même titre que la France, bien que les <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/france-turquie-deux-laicites-que-tout-oppose_2137862.html">deux conceptions nationales de cette notion de laïcité soient profondément différentes</a>.</p>
<p>Reste qu’il peut demeurer gênant pour une partie de l’électorat turc lyonnais de se rendre dans un lieu associé à la pratique de l’islam sunnite, notamment dans la mesure où le principal opposant au président Erdoğan lors de cette élection a lui-même <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/10/elections-en-turquie-en-se-revendiquant-alevi-kemal-kilicdaroglu-a-brise-un-tabou_6172737_3232.html">proclamé son appartenance au mouvement religieux alévi</a>. Un culte traditionnellement marginalisé par l’organe gouvernemental responsable des affaires religieuses en Turquie comme à l’étranger, et qui est justement accusé d’être propriétaire des lieux dans lesquels a été organisé le vote des ressortissants turcs habitant dans la région de Lyon.</p>
<h2>Une polarisation croissante</h2>
<p>Cette transposition de la polarisation de plus en plus profonde du système politique turc s’observe dans cet exemple lyonnais mais aussi à Marseille, où des affrontements ont <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/presidentielle-en-turquie-une-bagarre-a-l-arme-blanche-dans-un-bureau-de-vote-a-marseille-2764382.html">également eu lieu à proximité du bureau de vote des Turcs de la région lors de ces élections</a>, ou encore en Allemagne, près de Stuttgart, où une dispute apparemment liée à ce même scrutin aurait fait <a href="https://tr.euronews.com/2023/05/11/almanyada-secim-kavgasi-iddiasi-mercedes-fabrikasinda-2-turk-isci-oldu">deux morts parmi des ouvriers turcs</a>.</p>
<p>Le comportement électoral des Turcs de l’étranger illustre ainsi l’évolution politique de la Turquie, dans la mesure où la persistance du soutien des expatriés au gouvernement actuel et au chef de l’État reflète leur popularité constante auprès d’une large base militante… mais aussi l’intégration de la synthèse idéologique islamo-nationaliste gouvernementale et de la rhétorique agressive qui l’accompagne par cet électorat qui n’hésite plus, dès lors, à s’en prendre directement à ses opposants, à l’étranger autant comme en Turquie. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206366/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rémi Carcélès bénéficie d'une bourse doctorale financée par l'Université d'Aix-Marseille ainsi que de fonds alloués par l'Institut des Hautes Études du Ministère de l'Intérieur (IHEMI), dans le cadre de son travail de recherche - portant sur "la transposition des conflits nationaux en contexte migratoire par l'étude des militantismes turcs, kurdes et arméniens en France" - il est notamment amené à côtoyer régulièrement des associations militantes turques pouvant être en lien avec des organisations mentionnées dans cet article.</span></em></p>Recep Tayyip Erdogan et son parti obtiennent de bien meilleurs scores auprès des Turcs installés en Europe occidentale qu’en Turquie même. Les élections de mai 2023 l’ont encore confirmé.Rémi Carcélès, Doctorant en science politique, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2054952023-05-16T18:39:59Z2023-05-16T18:39:59ZQuand les États-Unis voient leurs alliés leur échapper…<p>Le contexte de la guerre en Ukraine a révélé l’importance de la stratégie du <a href="https://academic.oup.com/irap/article-abstract/19/3/367/5563899?redirectedFrom=fulltext">« hedging »</a>, une notion <a href="https://www.ig.com/fr/strategies-de-trading/le-hedging-explique-apprendre-a-trader-avec-la-strategie-du-hedging-190418">venue de l’univers de la finance</a> et qui désigne une approche consistant, pour un État, à assurer sa sécurité et à préserver ses intérêts en multipliant les partenariats.</p>
<p>Alors que l’hégémonie des États-Unis a longtemps reposé sur l’adhésion de leurs partenaires à l’agenda stratégique global américain à travers la construction d’alliances pérennes, l’ordre mondial est, aujourd’hui, de plus en plus caractérisé par la fluidification des rapports internationaux, l’affirmation d’intérêts nationaux et régionaux qui ne s’alignent plus sur les intérêts américains, et l’essor de <a href="https://orientxxi.info/magazine/bertrand-badie-les-alliances-de-bloc-sont-mortes-et-l-occident-ne-le-comprend,5706">« connivences fluctuantes »</a>. Plusieurs exemples l’illustrent actuellement de manière frappante.</p>
<h2>Un « monde non aligné ? »</h2>
<p>Comme le note avec justesse la revue <em>Foreign Affairs</em> dans l’introduction de son numéro de mai-juin 2023, consacré au <a href="https://www.foreignaffairs.com/issues/2023/102/3">« Monde non aligné »</a>, « étant donné que les hedgers attachent de l’importance à la liberté d’action, ils peuvent former des partenariats de convenance pour poursuivre des objectifs de politique étrangère spécifiques, mais il est peu probable qu’ils concluent des alliances générales. Il s’agit d’éviter la pression de choisir entre la Chine, la Russie et les États-Unis. »</p>
<p>La Chine, <a href="https://theconversation.com/quand-la-chine-organise-un-nouvel-espace-de-vassalite-190932">favorable à une transformation de l’architecture de gouvernance mondiale</a>, encourage ces « connivences fluctuantes » qui apparaissent aujourd’hui comme une manifestation, voire le fondement d’un nouvel ordre international. À cet égard, le politologue français Bertrand Badie <a href="https://youtu.be/NBLp3BfYtTI">rappelle</a> que « l’un des postulats de la diplomatie chinoise est que la Chine a besoin d’un monde stable et d’une économie mondiale prospère, à défaut de quoi le pari chinois de prendre la tête de la mondialisation viendrait à s’effondrer ; c’est la raison pour laquelle elle n’a aucun intérêt à une aggravation des conflits ». Pour Bertrand Badie, cette orientation sonne le glas de la <a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-de-leurope-en-miettes-a-leurope-en-blocs-179392">géopolitique de blocs</a>, car Pékin promeut, dans une approche pragmatique, la multiplication des partenariats au détriment des alliances exclusives et pérennes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295">Avec le conflit Russie-Ukraine, le renouveau des non alignés ?</a>
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<p>De leur côté, les partenaires traditionnels de Washington ne veulent pas se laisser entraîner dans une polarisation géopolitique, comme l’a illustré, dans le contexte de la guerre en Ukraine, le <a href="https://www.washingtonexaminer.com/policy/foreign/which-countries-have-decided-not-to-sanction-russia">refus d’un certain nombre d’entre eux d’imposer des sanctions à la Russie</a>.</p>
<p>Ils perçoivent l’émergence de la Chine comme une opportunité de manœuvrer afin d’accroître leur autonomie décisionnelle. Deux exemples frappants illustrent aujourd’hui la consécration de ces « connivences fluctuantes » au détriment de la géopolitique de blocs : la <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">normalisation entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a>, intervenue grâce à la médiation chinoise ; et l’évolution de la <a href="https://theconversation.com/la-turquie-une-puissance-mediatrice-entre-la-russie-et-lukraine-203782">relation entre la Turquie et la Russie</a>.</p>
<h2>La connivence Iran/Arabie</h2>
<p>Ces deux acteurs étaient en conflit depuis plusieurs années. Dès 2013, l’Arabie saoudite, ainsi que les Émirats arabes unis, s’est fortement impliquée dans la guerre en Syrie, à la fois pour contrer l’influence de la Turquie et du Qatar (qui soutenaient également l’opposition à Bachar Al-Assad) et pour s’opposer à l’Iran, allié du régime de Damas.</p>
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<p>La confrontation entre Riyad et Téhéran s’est durcie à partir de 2015 <a href="https://geopolri.hypotheses.org/2590">du fait de la guerre au Yémen</a>, qui a mis à mal la crédibilité américaine et ses engagements de défense envers ses alliés du Golfe, Washington n’ayant guère réagi à la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/14/arabie-saoudite-deux-installations-petrolieres-attaquees-par-des-drones_5510368_3210.html">première attaque contre les installations pétrolières du géant saoudien Aramco en 2019</a>.</p>
<p>Ce contexte a accéléré le changement de paradigme en Arabie saoudite et donné naissance à une volonté d’appliquer une politique alternative pour apaiser la confrontation régionale tout en diversifiant les partenariats afin de préserver au mieux les intérêts saoudiens.</p>
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<p>Bien que les États-Unis demeurent un partenaire privilégié de Riyad, les <a href="https://theconversation.com/joe-biden-a-riyad-les-lecons-dun-echec-187645">tensions politiques restent persistantes</a>. L’Arabie saoudite a parallèlement renforcé son partenariat avec la Russie, allant jusqu’à refuser de souscrire aux demandes américaines d’augmenter sa production pétrolière et <a href="https://www.irsem.fr/publications-de-l-irsem/breves-strategiques/breve-strategique-n-47-2022-la-politique-petroliere-de-l-arabie-saoudite-et-des-eau.html">s’accordant avec Moscou sur une baisse</a>.</p>
<p>Dans cette approche visant à réduire les tensions régionales et à favoriser des formes de convergence, <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arabie-saoudite-rivalite-rapprochement-2022">l’Arabie saoudite a également renoué avec la Turquie</a>, perçue comme un concurrent régional depuis 2011. Mais l’évolution la plus spectaculaire a été le resserrement des liens avec la Chine, devenue <a href="https://trends.levif.be/a-la-une/international/comment-la-chine-est-devenue-le-premier-partenaire-commercial-de-larabie-saoudite/">son premier partenaire commercial</a>. Riyad a approuvé la médiation chinoise sur le dossier iranien et <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/l-arabie-saoudite-resserre-ses-liens-avec-la-chine-en-s-associant-a-l-organisation-de-cooperation-de-shanghai-957175.html">s’est associé à l’Organisation de coopération de Shanghaï</a>.</p>
<p>En acceptant le parrainage chinois pour le rétablissement de ses relations avec l’Iran, l’Arabie saoudite a <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/05/08/united-states-influence-middle-east-iran-china/">mis à l’écart les États-Unis</a> qui, historiquement, ont toujours joué un rôle politique de premier plan au Moyen-Orient. Cette évolution est contraire aux intérêts américains, notamment parce que la réconciliation Riyad-Téhéran intervient dans un contexte de redéfinition des relations internationales – qui connaissent une évolution des alliances stables et durables vers ces « connivences fluctuantes » – et d’émergence, encouragée par Pékin, d’un monde non aligné.</p>
<p>La Chine tente en effet de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/repositionnement-la-chine-se-reve-en-acteur-diplomatique-global-pour-contrer-washington">refonder l’ordre international</a> à travers une diplomatie de plus en plus active, un rôle de médiateur sur les dossiers régionaux, la multiplication des accords et des structures régionales de coopération et des rencontres politiques (BRICS, Asean, Organisation de Shanghaï, sommets Chine-pays arabes et Chine-Afrique…) qui remettent en cause le monopole du leadership américain.</p>
<p>Un autre cas mérite une attention particulière : la relation entre Moscou et Ankara, qui illustre une approche pragmatique des deux parties et une convergence d’intérêts, en dépit de contradictions persistantes.</p>
<h2>Turquie-Russie : un partenariat de convenance</h2>
<p>Les antagonismes entre la Russie et la Turquie se sont cristallisés en <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/la-tension-monte-en-syrie-entre-la-turquie-et-la-russie-1171604">Syrie</a>, en <a href="https://www.portail-ie.fr/univers/influence-lobbying-et-guerre-de-linformation/2021/la-libye-typologie-dune-guerre-dinfluence-russo-turque/">Libye</a>, mais aussi <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/13/haut-karabakh-tiraillements-entre-la-russie-et-la-turquie-sur-la-supervision-du-cessez-le-feu_6059600_3210.html">dans le Caucase</a>. Pourtant, sur tous ces terrains de conflits, Russes et Turcs ont trouvé un modus vivendi et mis en place des mécanismes de gestion pacifiés.</p>
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<p>Par ailleurs, bien que dans le contexte de la guerre en Ukraine, Ankara ait publiquement affirmé son soutien à l’intégrité territoriale du pays et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/la-guerre-en-ukraine-vitrine-du-drone-turc-bayraktar-7094729">armé Kiev</a>, elle <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/guerre-en-ukraine-a-quoi-joue-la-turquie_196423.html">s’est toujours refusée à appliquer des sanctions contre la Russie</a>, dont elle dépend pour son approvisionnement en gaz.</p>
<p>En outre, malgré son statut de membre de l’OTAN, la <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/la-turquie-est-prete-a-utiliser-le-systeme-antimissile-russe-s-400-1453226">Turquie a fait le choix d’acquérir des S-400 russes</a> pour son système de défense anti-missiles, une décision qui a fait ressurgir les tensions dans sa relation avec Washington.</p>
<p>Enfin, <a href="https://english.aawsat.com/home/article/4254811/%E2%80%98normalization%E2%80%99-talks-between-ankara-damascus-kick-moscow">Ankara a accepté de s’engager dans un dialogue avec le régime de Damas, sous l’égide de la Russie</a>, et contre l’avis de Washington – une évolution qui laisse entrevoir une possible normalisation prochaine dans les relations bilatérales turco-syriennes.</p>
<p>Notons toutefois qu’une éventuelle victoire de Kemal Kiliçdaroglu, plus sensible aux positions européennes et plus réceptif aux demandes américaines qu’Erdogan, <a href="https://foreignpolicy.com/2023/04/14/turkey-election-kemal-kilicdaroglu-chp-platform-erdogan/">pourrait rebattre les cartes</a>. Mais au vu des résultats du premier tour, le président sortant semble <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230515-turquie-recep-tayyip-erdogan-en-position-de-force-avant-le-deuxi%C3%A8me-tour-de-la-pr%C3%A9sidentielle">mieux placé pour l’emporter</a>.</p>
<h2>La fin des alliances stables</h2>
<p>En définitive, la diversification des partenariats stratégiques des alliés historiques des États-Unis et leur volonté de construire des convergences conformes à leur propre représentation de leurs intérêts stratégiques témoignent aujourd’hui d’une tendance de fond : la fin des alliances stables et le dépassement de la logique de polarisation géopolitique nécessaire au maintien de l’hégémonie américaine.</p>
<p>Cette évolution est encouragée par la Chine dans un contexte où Pékin incite également à une <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/26/10-points-sur-les-sanctions-americaines-et-la-dedollarisation/">remise en cause de la domination incontestée du dollar</a>. En mars dernier, la transaction inédite de TotalEnergies avec le géant chinois des hydrocarbures CNOOC <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/totalenergies-livre-a-la-chine-du-gnl-paye-en-yuans-une-premiere-957227.html">libellée en yuans</a> a provoqué la surprise. Plus récemment, c’est l’Argentine qui a pris la décision de régler ses importations chinoises en <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/l-argentine-abandonne-le-dollar-au-profit-du-yuan-pour-payer-ses-importations-chinoises-960393.html">yuans plutôt qu’en dollars</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205495/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alliées historiques de Washington, l’Arabie saoudite (en se rapprochant de l’Iran) et la Turquie (en suivant sa propre ligne vis-à-vis de la Russie) s’émancipent de la tutelle américaine.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048762023-05-09T18:25:00Z2023-05-09T18:25:00ZLa Turquie va-t-elle sortir de l’erdoganisme ?<p>En <a href="https://theconversation.com/fr/topics/turquie-21579">Turquie</a>, les élections présidentielle et législatives de mai 2023 (premier tour le 14 mai pour les deux, second tour le 28 pour la présidentielle) auront un caractère de référendum. Les électeurs sont, en effet, appelés à choisir entre deux voies politiques opposées.</p>
<p>En votant à la présidentielle pour <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recep-tayyip-erdogan-21581">Recep Tayyip Erdogan</a> et aux législatives pour les partis de l’Alliance populaire constituée autour de lui et de sa formation l’AKP (Parti de la justice et du développement), ils soutiendront la consolidation d’un régime autocratique mettant en œuvre une politique répressive nationale-islamiste.</p>
<p>L’autre option est de voter pour le retour à la démocratie, à l’État de droit et au régime parlementaire. Le chef du Parti républicain du peuple (CHP, républicain, social-démocrate et laïc) Kemal Kiliçdaroglu incarne cette seconde option, qui signifierait la fin de l’erdoganisme, régime taillé sur mesure pour le pouvoir d’un seul homme. Pour la première fois, une très large coalition – la Table des Six, réunie autour du CHP, se présente unie face à Erdogan et son régime. Sera-ce suffisant pour mettre fin à un système dont l’édification a démarré il y a vingt ans ?</p>
<h2>Le durcissement d’Erdogan</h2>
<p>Le glissement progressif vers l’autocratie a commencé après les <a href="https://ovipot.hypotheses.org/5745">élections législatives de 2011</a>. Sorti victorieux pour la troisième fois des élections générales, Recep Tayyip Erdogan, premier ministre depuis 2003, commença alors à faire l’éloge d’un système présidentiel qui lui permettrait de « diriger le pays comme une société anonyme » et de « prendre des décisions le plus vite possible ». En 2014, pour la première fois, le président de la République doit être élu au suffrage universel. Erdogan se fait élire et déclare que désormais « le régime est devenu, de fait, présidentiel ».</p>
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<p><a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-2-page-105.htm">La tentative de coup d’État du 15 juillet 2016</a> et le régime d’état d’exception qui a suivi lui donnèrent l’occasion de transformer cet état de fait en état de droit.</p>
<p>Grâce au soutien du parti d’extrême droite MHP, <a href="https://www.lejdd.fr/International/Turquie-Pourquoi-Erdogan-flirte-t-il-avec-l-extreme-droite-824296-3148787">nouvel et indispensable allié de l’AKP pour conserver la majorité au Parlement</a>, le régime présidentiel a été entériné de justesse (51,4 %) en avril 2017, à l’issue d’un référendum entaché d’irrégularités.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"854291471624794114"}"></div></p>
<p>Une autocratie élective et répressive, sans séparation des pouvoirs, fondée sur une idéologie nationaliste-religieuse, une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/economie-la-pauvrete-dans-la-croissance-6458417">politique économique chaotique</a> et une politique étrangère agressive et <a href="https://theconversation.com/la-turquie-une-puissance-mediatrice-entre-la-russie-et-lukraine-203782">opportuniste</a> s’est ainsi mise en place. Les réussites économiques d’antan ont laissé place à une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/11/20/en-turquie-l-economie-sur-une-pente-dangereuse_6150780_3234.html">grave crise</a> marqu&ée par une très forte inflation, une croissance chaotique et la dépréciation vertigineuse de la livre turque.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-pourquoi-autant-de-degats-et-dimpuissance-203191">Les tremblements de terre du 6 février 2023</a>, qui ont causé des dizaines de milliers de morts, ont révélé toutes les faiblesses du système mis en place : l’incurie des institutions, les conséquences de l’hypercentralisation et du népotisme dans l’administration, les résultats des <a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-la-catastrophe-humanitaire-sexplique-aussi-par-la-corruption-generalisee-200568">autorisations accordées à des fins électorales à des constructions non conformes aux normes antisismiques</a>… C’est dans ce contexte que la Turquie est entrée dans la campagne électorale.</p>
<h2>Une opposition enfin unie</h2>
<p>Erdogan, en <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/polls-show-erdogan-lags-opposition-by-more-than-10-points-ahead-may-vote-2023-03-13/">perte de popularité</a> et pour la première fois en position défensive, a dû élargir la coalition formée avec l’extrême droite – l’Alliance populaire – vers des <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1333017/pour-elargir-son-alliance-erdogan-sentoure-de-partis-islamistes-dextreme-droite.html">partis très minoritaires se réclamant d’un fondamentalisme islamiste radical</a>. Face à lui, une coalition formée à la veille des élections de juin 2018, l’Alliance de la Nation, s’est élargie à d’autres partis et est devenue, en février 2022, la « Table des Six ».</p>
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<p>La première expérience de formation d’un front uni anti-Erdogan avait donné des résultats probants lors des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/24/turquie-erdogan-perd-istanbul-c-ur-de-son-pouvoir_5480713_3210.html">élections municipales de 2019</a>. Prenant appui sur cette réussite, le chef du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, a imposé à son parti un aggiornamento pour former des alliances avec les partis conservateurs.</p>
<p>La Table des Six, ou l’Alliance de la Nation, regroupe donc le CHP, le Bon parti (droite nationaliste formée en partie des dissidents de MHP), deux partis libéraux et conservateurs créés par des dissidents de l’AKP, et un parti qui représente l’islamisme historique et très critique à l’égard de la corruption et du népotisme de l’AKP. Ces six partis ont désigné Kiliçdaroglu comme leur candidat pour l’élection présidentielle. Le parti pro-kurde de gauche HDP (Parti démocratique des peuples) qui représente au Parlement la majorité des électeurs kurdes (la population kurde est estimée autour de 18 %), ainsi que les différents courants de la gauche, ont aussi appelé à voter pour lui.</p>
<p>Voyant venir ce danger de front uni, Erdogan avait pourtant pris le soin auparavant de faire écarter de la course présidentielle le très populaire maire d’Istanbul, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-maire-d-istanbul-condamne-un-concurrent-de-moins-pour-erdogan-15-12-2022-2501916_24.php">Ekrem Imamoglu</a> (CHP), élu en 2019, en le <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221214-turquie-le-maire-d-istanbul-ekrem-imamoglu-condamn%C3%A9-%C3%A0-plus-de-deux-ans-de-prison">faisant condamner</a> en décembre 2022 à deux ans et sept mois de prison pour « insultes » à l’encontre de certains hauts fonctionnaires du régime. Le chef de l’État espérait voir la Table des Six se déchirer dans la recherche de son candidat à la présidentielle et finalement éclater. Sa stratégie a échoué et le large consensus réalisé autour d’un candidat anti-Erdogan unique a changé le contexte politique traditionnel dans lequel ce dernier avait l’habitude de manœuvrer facilement.</p>
<h2>Un scrutin aux faux airs de référendum pour ou contre Erdogan</h2>
<p>Depuis le <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270002-la-turquie-d-erdogan-une-evolution-politique-spectaculaire">virage</a> vers un nationalisme religieux et autoritaire opéré par Erdogan au début de la décennie 2010, un des axes majeurs de sa stratégie politique a été d’attiser les fractures ethniques (Turcs-Kurdes), confessionnelles (sunnites-alévis) et culturelles (modernistes-conservateurs) qui travaillent la société.</p>
<p>Il se plaçait comme le leader naturel de la majorité sociologique turque, sunnite et conservatrice, accusant les représentants de l’opposition d’être des « diviseurs de l’unité nationale et confessionnelle », « le prolongement d’organisations terroristes » ou des agents de puissances étrangères ayant des visées sur la Turquie.</p>
<p>L’expression « authentique et nationale » devint son leitmotiv pour qualifier les actions de son gouvernement. Mais la composition des partis qui forment la Table des Six autour de Kiliçdaroglu, le soutien du mouvement kurde et des mouvements de gauche et la grave crise économique ont brouillé sa stratégie. La fracture entre les partisans et les adversaires d’Erdogan semble devoir surdéterminer l’issue des élections de mai 2023.</p>
<p>Avec une personnalité diamétralement opposée à celle d’Erdogan, Kilicdaroglu se positionne comme une « force tranquille » dans cette campagne électorale et a réussi à créer, ces dernières semaines, une <a href="https://www.taurillon.org/le-courrier-d-europe-kemal-kilicdaroglu-met-toutes-les-chances-de-son-cote">vraie dynamique électorale</a>. Il répond à l’aspiration d’une large partie de la population d’un retour à la quiétude, à une certaine normalité démocratique et à des politiques économiques plus rationnelles, moins chaotiques et imprévisibles par exemple au sujet des taux d’intérêt qu’Erdogan a <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/la-turquie-baisse-ses-taux-directeurs-de-1-5-point-a-rebours-du-reste-du-monde-942085.html">fait passer en dessous de 10 % alors que le taux d’inflation s’approche de 100 %</a>.</p>
<p>De son côté, le HDP, malgré la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/turquie-le-parti-pro-kurde-hdp-prive-de-subventions-20230105">répression</a> et les discriminations quasi quotidiennes qu’il subit, a réussi à former une alliance avec des petits partis de gauche pour les élections législatives. Et pour court-circuiter l’épée de Damoclès d’une dissolution par la Cour constitutionnelle à la veille du scrutin qui pèse sur lui depuis deux ans, il a pris la décision de se présenter aux élections sous les couleurs d’un autre parti, le <a href="https://kurdistan-au-feminin.fr/2023/03/31/turquie-le-hdp-entre-dans-la-course-electorale-sous-la-banniere-du-parti-de-la-gauche-verte/">Parti de la gauche verte</a>. Cette alliance qui ne présente pas de candidat pour la présidentielle et appelle à voter Kilicdaroglu dès le premier tour aura aussi un rôle décisif à jouer dans la future assemblée. Le soutien de ses élus sera probablement nécessaire pour former une majorité parlementaire avec l’Alliance de la nation.</p>
<p>Le dénominateur commun de tous ces nouveaux mouvements de rapprochement est leur volonté de mettre fin au règne de vingt ans d’Erdogan, de revenir au régime parlementaire à travers un changement constitutionnel, de rétablir l’État de droit et les droits et libertés fondamentaux, de mettre fin à l’arbitraire, au népotisme, à la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/corruption-en-turquie-les-revelations-d-un-mafieux-plongent-le-parti-d-erdogan-dans-la-tourmente">corruption</a> et au recours à la religion comme instrument politique actif, et enfin de rétablir la confiance des acteurs économiques internationaux et de relancer les négociations avec l’UE, <a href="https://www.lepoint.fr/europe/adhesion-de-la-turquie-a-l-ue-des-negociations-reellement-au-point-mort-26-06-2018-2230829_2626.php">au point mort depuis plusieurs années</a>.</p>
<h2>Et après les élections ?</h2>
<p>Si l’opposition gagne ces élections, la tâche pour sortir du système légué par l’erdoganisme sera immense, et en tout état de cause la Turquie ne deviendra pas rapidement une démocratie apaisée. On ne peut qu’espérer que ce grand moment d’effervescence démocratique ne soit pas passager, comme ce fut le cas plusieurs fois dans le passé.</p>
<p>En revanche, en cas de nouvelle victoire d’Erdogan et de l’AKP, la Turquie s’engouffrera pour longtemps dans le camp des autocraties populistes et du <a href="https://theconversation.com/la-chine-ou-le-paradigme-du-national-capitalisme-autoritaire-174488">national-capitalisme autoritaire</a>. Les espoirs d’une sortie possible de l’autocratie par les élections seront affaiblis.</p>
<p>Et si l’opposition gagne mais <a href="https://www.challenges.fr/idees/turquie-erdogan-lachera-t-il-le-pouvoir-en-cas-de-defaite-electorale_854332">Erdogan ne reconnaît pas les résultats des élections</a> ou si le système juridique qu’il a mis en place annonce des résultats contraires ?</p>
<p>Cette question est bien sûr dans la tête de tous les électeurs de l’opposition en Turquie. Mais à part organiser une grande mobilisation civile pour assurer la sécurité du scrutin et réaliser un travail acharné pour convaincre les électeurs hésitants à voter pour le changement, tous les partis d’opposition sont unanimes pour ne pas parler de cette hypothèse sombre avant les élections.</p>
<p>D’abord pour ne pas effrayer les électeurs par un tel scénario du chaos, pour le moment hypothétique, et les dissuader ainsi d’aller voter ; ensuite, parce qu’il est impossible et surtout contreproductif de parler aujourd’hui des moyens et des modalités de lutte contre un tel coup de force qui signifierait qu’Erdogan aura franchi le Rubicon et se sera engagé dans la voie d’une dictature assumée comme telle. L’opposition aspire d’abord à gagner les élections dans les urnes ; il sera temps, alors, de prendre les mesures nécessaires pour que la volonté populaire soit respectée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204876/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ahmet Insel est membre fondateur du Parti de la gauche verte en Turquie crée en 2012.</span></em></p>Au pouvoir depuis vingt ans, jamais Recep Tayyip Erdogan n’avait paru aussi proche d’être vaincu qu’aux prochaines élections.Ahmet Insel, Économiste, politologue, professeur émérite à l'Université Galatasaray, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037822023-04-19T16:57:04Z2023-04-19T16:57:04ZLa Turquie, une puissance médiatrice entre la Russie et l’Ukraine ?<p>Au cours de ces dernières années, la politique étrangère conduite par la Turquie – en <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-de-l-information-aura-t-elle-lieu--9782100759729-page-196.htm">Syrie</a>, en <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2021-HS3-page-70.htm">Libye</a> au <a href="https://theconversation.com/haut-karabagh-cessez-le-feu-sur-une-ligne-de-faille-geopolitique-149958">Haut-Karabakh</a> ou encore en <a href="https://theconversation.com/que-veut-la-turquie-en-mediterranee-orientale-147694">Méditerranée orientale</a> – a souvent été perçue par ses partenaires occidentaux traditionnels (États-Unis et UE) comme excessivement interventionniste, voire agressive. Les tensions étaient multiples entre Ankara d’un côté, Washington et les Européens de l’autre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tensions-entre-la-turquie-et-la-france-un-effet-miroir-149245">Tensions entre la Turquie et la France, un effet miroir ?</a>
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<p>Depuis février 2022, le conflit en Ukraine a rebattu les cartes. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/13/guerre-en-ukraine-erdogan-se-pose-en-mediateur-aupres-de-poutine_6145659_3210.html">Se positionnant en tant que médiatrice</a> entre Kiev et Moscou, Ankara est redevenue un acteur incontournable sur la scène internationale.</p>
<p>Au même titre que la crise économique ou les <a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-pourquoi-autant-de-degats-et-dimpuissance-203191">séismes du 6 février dernier</a>, l’activisme diplomatique turc pèsera sans doute sur les prochaines élections présidentielle et législatives, qui se tiendront le 14 mai et pourraient aboutir à la fin de l’ère Recep Tayyip Erdogan et de son parti AKP, entamée en 2002.</p>
<h2>Ankara-Moscou : vingt ans de rapprochement</h2>
<p>Alors que durant la guerre froide, la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2003-3-page-209.htm">Turquie et l’URSS avaient été des adversaires idéologiques</a>, Ankara a développé avec la Russie, au cours des vingt dernières années, un <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/russieneireports/russia-and-turkey-strategic-partners-and-rivals">« partenariat stratégique » fondé sur une relation ambivalente</a> : coopération politique, économique et militaire renforcée d’un côté, rivalités régionales de l’autre (en Syrie, en Libye et au Haut-Karabakh, les deux parties ont soutenu, et soutiennent encore, des camps opposés).</p>
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<p>Le volume des échanges commerciaux <a href="https://data.tuik.gov.tr/">n’a cessé de croître depuis vingt ans</a> et la Turquie est aujourd’hui fortement dépendante de Moscou pour ses besoins énergétiques (la Russie est <a href="https://www.dailysabah.com/business/energy/turkeys-gas-imports-up-65-in-august-as-russia-top-supplier">son premier fournisseur de gaz</a>) et la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-d-anthony-bellanger/histoires-du-monde-du-mardi-17-mai-2022-5201337">société russe Rosatom est en train d’y construire une centrale nucléaire</a>. Le <a href="https://fr.euronews.com/2022/09/15/rebond-du-tourisme-en-turquie-les-touristes-russes-sont-nombreux-sur-les-rives-du-bosphore">tourisme en provenance de Russie</a>, estimé à plusieurs millions de visiteurs par an, représente aussi un apport de devises essentiel pour la Turquie.</p>
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<p>Dans le contexte de la dégradation des relations entre la Russie et les pays européens, ces échanges devraient sans doute se renforcer dans l’avenir, facilités par l’absence de visa pour voyager entre les deux pays et le maintien de liaisons aériennes directes entre la Turquie et la Russie malgré les sanctions européennes.</p>
<p>De plus, de nombreux entrepreneurs russes utilisent la Turquie pour acheter des marchandises européennes en contournant les sanctions occidentales, ce qui conduit certains à considérer la Turquie comme le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-la-turquie-cheval-de-troie-des-sanctions-contre-la-russie">« cheval de Troie » des sanctions contre la Russie</a>.</p>
<p>Enfin, le rapprochement stratégique entre les deux pays s’est traduit par la mise en œuvre d’une coopération militaire dont témoigne <a href="https://www.frstrategie.org/publications/defense-et-industries/export-russe-systemes-anti-aeriens-s-400-intentions-strategiques-atouts-industriels-politiques-limites-2019">l’achat par Ankara en 2017 de systèmes de défense antiaérienne S-400</a> auprès de Moscou, ce qui a entraîné les protestations des alliés de la Turquie au sein de l’OTAN et l’adoption de sanctions par les États-Unis : en juillet 2019, l’administration Trump a exclu la participation de la Turquie du programme de construction de l’avion de chasse américain F-35. En décembre 2020, les <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20201214-les-%C3%A9tats-unis-sanctionnent-la-turquie-pour-l-achat-de-missiles-russes-s-400">États-Unis interdisent tout nouveau permis d’exportation d’armes</a> à l’agence gouvernementale turque en charge des achats d’armement. À terme, ces sanctions étatsuniennes pourraient conduire la Turquie à se rapprocher d’autres partenaires que ses alliés occidentaux.</p>
<h2>Ankara-Kiev : un partenariat militaire intense</h2>
<p>Parallèlement à cette <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-1-page-113.htm?ref=doi">proximité croissante avec la Russie</a>, la Turquie a développé depuis la disparition de l’URSS des relations économiques importantes avec l’Ukraine, les deux pays étant riverains de la mer Noire.</p>
<p>Ankara importe des céréales et des oléagineux depuis l’Ukraine, dont les touristes affluent tout au long de l’année sur les côtes turques (2 millions en 2021, en troisième position après la Russie et l’Allemagne). Le tourisme en provenance de Russie et Ukraine, qui représentait un quart du total en 2021, s’est <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/en-direct-du-monde/en-turquie-la-guerre-en-ukraine-gache-la-saison-touristique_4976706.html">brutalement arrêté à partir de février 2022</a>, malgré les efforts des autorités turques pour le relancer. Par ailleurs, la Turquie est devenue un <a href="https://data.unhcr.org/en/situations/ukraine">pays d’accueil pour de nombreux réfugiés ukrainiens ayant fui la guerre</a>, mais aussi pour de nombreux Russes qui fuient la répression dans leur pays, la mobilisation ou les effets des sanctions occidentales.</p>
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<p>Surtout, depuis l’affaiblissement de ses liens avec ses partenaires occidentaux, Ankara s’est tournée vers Kiev pour développer une coopération renforcée en matière d’industrie de défense et exporter sa production de drones. En mai 2016, un premier accord d’armement officiel acte la fourniture des drones turcs Bayraktar à l’Ukraine.</p>
<p>En août 2020, un accord bilatéral prévoit une coopération accrue entre les industries de défense turque et ukrainienne, avec la mise en place de projets communs en matière de production de navires de guerre, de drones et un échange de savoir-faire et d’équipements. En 2021, des marins militaires ukrainiens sont formés par la Turquie. Un accord est signé pour la production conjointe de drones en novembre 2021 et <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arbitre-guerre-ukraine-2022">l’ouverture d’une usine qui produira le drone turc TB2 Bayraktar SİHA en Ukraine est prévue pour fin 2023</a>.</p>
<p>Les drones turcs ont été <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/l-ukraine-utilise-des-drones-turcs-pour-frapper-les-s%C3%A9paratistes-dans-la-r%C3%A9gion-du-donbass/2404410">utilisés par l’Ukraine contre les séparatistes pro-russes du Donbass</a> pour la première fois en octobre 2021. Depuis le déclenchement de l’agression russe en 2022, ils ont été employés à de multiples reprises contre les colonnes blindées russes en Ukraine, et auraient aussi joué un rôle dans l’attaque du croiseur russe Moskva en avril 2022, suscitant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/18/guerre-en-ukraine-les-drones-bayraktar-pomme-de-discorde-entre-ankara-et-moscou_6122641_3210.html">l’irritation de Vladimir Poutine</a>. </p>
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<p>Lors d’une visite du président Erdogan à Kiev début février 2022, les deux pays ont signé un accord de libre-échange qui favorise l’approfondissement de la coopération militaire et technologique bilatérale à travers la multiplication de projets de défense communs, incluant notamment des transferts de technologies. Au cours du premier trimestre 2022, les exportations d’armements turcs vers l’Ukraine ont été <a href="https://www.reuters.com/world/ukraines-defence-imports-turkey-jumped-30-fold-q1-turkish-data-2022-04-06/">multipliées par 30</a>. La Turquie bénéficie aussi, pour le développement de ses drones, du niveau technologique de l’Ukraine en matière de motorisation aérienne.</p>
<h2>Une posture de médiation</h2>
<p>La relation de dépendance de la Turquie à l’égard de la Russie, dont témoigne le <a href="https://www.mfa.gov.tr/relations-between-turkey-and-the-russian-federation.en.mfa">fort déséquilibre des échanges économiques et commerciaux entre les deux pays</a>, combinée à ses liens privilégiés avec l’Ukraine sur les plans économique et militaire, a conduit Ankara à ne pas prendre totalement parti pour l’un ou l’autre camp dans le conflit, et à tenter de jouer un rôle de médiation.</p>
<p>D’un côté, la Turquie a toujours exprimé sa solidarité à l’égard de l’Ukraine dans son conflit avec la Russie. Elle a condamné l’annexion de la Crimée en 2014 et <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/erdogan-reconnaitre-les-republiques-separatistes-pro-russes-est-inacceptable-20220222">n’a jamais reconnu les républiques autoproclamées</a> du Donbass. Elle a dénoncé l’agression russe contre l’Ukraine, appelé Moscou à retirer ses troupes et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/03/guerre-en-ukraine-la-turquie-verrouille-ses-detroits-aux-navires-russes_6115976_3210.html">fermé les détroits de la mer Noire</a> au passage des navires de guerre russes. Mais, de l’autre côté, elle n’applique pas les sanctions européennes contre Moscou. C’est dans ce contexte qu’elle a proposé ses bons offices pour le règlement du conflit.</p>
<p>Depuis février 2022, trois rencontres ont été organisées entre les diplomaties russe et ukrainienne sur le territoire turc. Parallèlement, Recep Tayyip Erdogan est l’un des rares dirigeants mondiaux à pouvoir s’entretenir avec Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky, qu’il a tous deux rencontrés personnellement au cours de l’année 2022.</p>
<p>La Turquie a également joué un rôle décisif en signant en juillet 2022 <a href="https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/cereales-ukrainiennes-les-enjeux-de-l-accord-entre-l-ukraine-la-russie-et-la-turquie-1658494066">l’accord céréalier</a>, ukraino-russe sous l’égide de l’ONU, qui a permis à près de 25 millions de tonnes de céréales ukrainiennes d’être exportées en sortant du blocus imposé à l’Ukraine et d’atteindre leur destination au Moyen-Orient et Afrique pour éviter une crise alimentaire mondiale. En mars 2023, la Turquie et l’ONU ont annoncé la <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/extension-de-120-jours-de-laccord-sur-les-cereales-ukrainiennes-20230318_DDEISXC43RF2HHB34D42RJRAJA/">prolongation de l’accord international sur l’exportation des céréales ukrainiennes</a>. </p>
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<img alt="Recep Tayyip Erdogan serre la main du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres sous les yeux de Volodymyr Zelensky" src="https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Recep Tayyip Erdogan serre la main du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres devant Volodymyr Zelensky à Lviv (Ukraine), le 18 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mykola Tys/Shutterstock</span></span>
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<p><a href="https://www.liberation.fr/international/turquie-la-crise-ukrainienne-est-une-opportunite-historique-pour-erdogan-de-montrer-son-importance-20220608_KKIQYMHA3JGPZFTVGH7PYXBHGE/">Certains observateurs</a> ont interprété cette posture comme une opportunité, pour la Turquie, de redynamiser sa politique étrangère, confrontée à de multiples errements et échecs au cours des dernières années dans la région. </p>
<h2>Quelles conséquences sur les relations avec les alliés de la Turquie ?</h2>
<p>Au plus bas à cause des facteurs cités plus haut, les relations entre Ankara et l’Occident se sont dernièrement réchauffées, les Occidentaux appréciant l’intérêt que présente la posture d’intermédiaire entre Moscou et Kiev qu’a adoptée la Turquie et, bien sûr, sa position stratégique, qui fait d’elle la gardienne des détroits de la mer Noire. Aux yeux des partenaires occidentaux, la Turquie retrouve une valeur stratégique qu’elle semblait avoir perdue.</p>
<p>En outre, face à la menace plus sensible que jamais posée par la Russie, la Finlande et la Suède, traditionnellement neutres, ont décidé de rejoindre l’OTAN. La Turquie, membre de l’Alliance, est incontournable dans le processus d’adhésion des deux nouveaux pays candidats en raison de l’unanimité requise des pays membres de l’organisation.</p>
<p>Si la <a href="https://theconversation.com/finlande-une-nouvelle-ere-203576">Finlande a été admise en mars 2023</a>, la Suède voit pour l’instant son adhésion bloquée par la Turquie (ainsi que la Hongrie). Les autorités turques <a href="https://fr.euronews.com/2023/01/21/adhesion-a-lotan-la-turquie-annule-une-visite-du-ministre-suedois-de-la-defense-a-ankara">reprochent à la Suède d’héberger des militants kurdes</a> qu’elle considère comme des terroristes, et réclame leur extradition. Plusieurs <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230124-otan-nouvel-incident-diplomatique-entre-la-turquie-et-la-su%C3%A8de-apr%C3%A8s-une-manifestation">incidents diplomatiques</a> ont également dégradé les relations entre les deux pays, malgré de nombreux contacts au plus haut niveau et un <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/organismes-internationaux/otan/la-turquie-donne-son-accord-pour-soutenir-l-entree-de-la-suede-et-de-la-finlande-dans-l-otan-580f39f2-f713-11ec-8d9e-ebb0bb3f5c46#">mémorandum d’accord</a> levant le blocage d’Ankara à la candidature de Stockholm (et de Helsinki) signé en juin 2022.</p>
<h2>Et après le 14 mai ?</h2>
<p>Le conflit russo-ukrainien offre ainsi à la Turquie un levier qu’elle peut utiliser aussi bien envers la Russie pour affaiblir son influence en mer Noire par une coopération renforcée avec l’Ukraine qu’envers ses partenaires occidentaux, afin de leur rappeler qu’elle demeure un allié utile dans ce conflit en sa qualité de puissance régionale médiatrice, puisqu’elle est le seul pays membre de l’OTAN à dialoguer avec les deux belligérants.</p>
<p>L’inconnue demeure l’évolution de la politique étrangère turque après les élections du 14 mai 2023. En cas de victoire de l’opposition, une inflexion dans le discours des autorités turques pourrait être envisageable. La « table des six », qui réunit six partis d’opposition autour de son candidat unique Kemal Kiliçdaroglu, a promis le retour à une diplomatie institutionnalisée et une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/03/elections-en-turquie-les-dirigeants-europeens-doivent-se-preparer-a-l-eventualite-d-une-alternance-au-sommet-de-l-etat-turc_6168028_3232.html">normalisation des rapports avec l’OTAN</a>. Dans la pratique, en revanche, une certaine continuité des orientations de la politique étrangère d’Ankara semble toutefois probable sur plusieurs enjeux (question chypriote, relations avec la Russie), en raison de la position géopolitique de la Turquie et de ses liens de dépendance avec ses voisins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203782/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La Turquie de Recep Tayyip Erdogan cherche à jouer les médiateurs dans le conflit russo-ukrainien, retrouvant ainsi une place centrale dans la géopolitique régionale, voire mondiale.Nicolas Monceau, Maître de conférences en science politique, Université de BordeauxBayram Balci, Chercheur au CERI-Sciences Po, ancien directeur de l'Institut français d'études anatoliennes-Georges Dumézil d'Istanbul, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031912023-04-13T17:49:53Z2023-04-13T17:49:53ZSéisme en Turquie : Pourquoi autant de dégâts et d’impuissance ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/519941/original/file-20230407-22-g3cadh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8192%2C5457&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le tremblement de terre du 6&nbsp;février 2023, qui a frappé une zone frontalière turco-syrienne, a fait plus de 50&nbsp;000 morts.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/turkey-earthquake-kahramanmaras-gaziantep-adana-hatay-2261981611">FreelanceJournalist/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>À un mois de <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230310-pr%C3%A9sidentielle-en-turquie-l-opposition-unie-face-%C3%A0-un-erdogan-plus-fragilis%C3%A9-que-jamais">l’élection présidentielle en Turquie</a>, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan essuie de nombreuses critiques du fait de sa gestion du <a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-la-catastrophe-humanitaire-sexplique-aussi-par-la-corruption-generalisee-200568">tremblement de terre du 6 février dernier</a>, qui a provoqué un traumatisme national. Dans les heures suivant la catastrophe, la société civile s’est mobilisée en un temps record pour envoyer de l’aide humanitaire dans la région. L’État, lui, a semblé tétanisé, et n’a commencé à réagir qu’au bout de 48 heures.</p>
<p>Chacun a pu constater que l’État n’était pas vraiment préparé à un plan d’action d’urgence en cas de séisme de grande ampleur et que ses services étaient largement dysfonctionnels. Au-delà, la catastrophe a également mis en évidence les immenses lacunes de la Turquie en matière de mise en œuvre d’une urbanisation rationnelle tenant compte du <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350">risque sismique</a>.</p>
<p>Ce risque n’a pourtant rien de nouveau dans le pays, qui a déjà connu, par le passé, des secousses comparables, notamment le <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230207-la-turquie-une-longue-histoire-de-s%C3%A9ismes-d%C3%A9vastateurs">séisme d’Elazığ en 1939, qui avait causé la mort de 33 000 personnes</a>. Rien que depuis 1999, la Turquie a subi (si l’on tient compte du 6 février dernier) 11 tremblements de terre d’une magnitude de plus de 6 sur l’échelle de Richter, qui ont causé au total plus de 70 000 morts et des dégâts colossaux.</p>
<p>Pourquoi la Turquie n’arrive-t-elle toujours pas à mettre en place un système de construction fiable et solide et une politique urbanistique adaptée aux réalités géologiques ? Le 6 février en a tragiquement rappelé l’urgence, d’autant que les spécialistes indiquent qu’un séisme de grande ampleur <a href="https://www.courrierinternational.com/article/geologie-istanbul-tarde-a-se-premunir-contre-le-seisme-qui-vient">va très probablement bientôt frapper la métropole d’Istanbul</a> et ses 16 millions d’habitants…</p>
<h2>Cent ans d’urbanisation prenant très peu en compte les risques sismiques</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-2-page-54.htm">L’urbanisation</a> a été une priorité de l’État dans les premières années suivant la fondation de la République (1923). Le gouvernement de Mustafa Kemal Atatürk avait alors convié des aménageurs français et allemands pour planifier et développer des villes, notamment la capitale <a href="https://books.openedition.org/ifeagd/2700?lang=fr">Ankara</a>, selon des normes modernes.</p>
<p>Néanmoins, dès la fin des années 1930, cette volonté s’est heurtée à deux phénomènes devenus endémiques jusqu’à nos jours : d’une part, le manque de moyens ; de l’autre, la spéculation et les intérêts fonciers des dirigeants eux-mêmes.</p>
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<p>Dès les années 1940, les politiques d’urbanisation et de logement sont pratiquement devenues lettre morte et les villes se sont développées d’une manière anarchique, les grandes métropoles se couvrant d’habitats informels (gecekondus). Si bien que, dans les années 1990, 72 % des habitants d’Ankara vivaient dans ce type de logements.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue de bidonvilles à Ankara.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cem Aytas/Shutterstock</span></span>
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<p>Mis à part quelques tentatives infructueuses, les gouvernements ont longtemps laissé faire, et n’ont pas tenté de transformer à grande échelle les gecekondus, craignant une sanction électorale dans ces zones fortement peuplées.</p>
<p>Cette position a évolué à la suite <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/turquie-ao%C3%BBt-1999-17-000-morts-en-moins-de-quarante-secondes-4517831">du grand tremblement de terre de 1999</a> dans la mer de Marmara près d’Istanbul, qui a causé la mort de 16 000 personnes et la destruction de 20 000 bâtiments, et de la <a href="https://www.persee.fr/doc/tiers_1293-8882_2003_num_44_175_5414">crise financière de 2001</a>, qui a provoqué une rupture politique et économique considérable.</p>
<p>Porté au gouvernement après la crise de 2001, le Parti de la justice et du développement (AKP) a massivement utilisé l’argument du risque sismique pour entreprendre de vastes projets urbains : transformation ou rénovation des quartiers informels ou vétustes, construction de grandes infrastructures comme des ponts, des autoroutes et des aéroports. L’idée était de relancer la croissance économique du pays en stimulant le secteur de la construction. Malheureusement, l’urbanisation rapide ainsi mise en œuvre n’a guère pris en compte les normes anti-sismiques, ce qui aurait pu sauver des milliers de vies au vu des séismes qui se sont produits par la suite et qui, pour la plupart, étaient prévisibles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Institution nationale des statistiques de Turquie (TÜIK).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les projets d’urbanisation ont souvent été justifiés par la nécessité d’adapter les bâtiments et infrastructures du pays aux risques sismiques mais, dans les faits, les normes correspondantes n’ont que très peu été appliquées, et ces projets ont surtout servi à enrichir les entreprises proches de l’AKP et, partant, à renforcer le pouvoir en place.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/1468-2427.12154">Erdi-Lelandais, 2014</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>L’urbanisation conduite par l’AKP a abouti à la destruction des gecekondus et au déplacement forcé de leurs habitants vers les marges des villes. Comme le montre le tableau ci-dessus, la construction de nouveaux bâtiments suite à une catastrophe naturelle comme le séisme est restée minime (0,1 %), la priorité étant donnée à l’édification d’immeubles générant de hauts profits et rapportant de l’argent à l’État (75,25 %).</p>
<h2>La centralisation des politiques d’urbanisme</h2>
<p>En termes de construction et de protection contre les désastres naturels, la Turquie possède un arsenal législatif couvrant l’ensemble des domaines de l’urbanisation.</p>
<p>Dès son arrivée au pouvoir, l’AKP décide de restructurer la gouvernance du marché immobilier et de l’urbanisme en renforçant le rôle des institutions étatiques dans ce secteur.</p>
<p>En 2003, il élargit les compétences de l’Administration des Logements Collectifs (TOKI), autorisée à édifier des logements sur les terrains appartenant à l’État. En 2004, la TOKI obtient le pouvoir de procéder à des expropriations dans les zones de rénovation urbaine, d’établir des partenariats avec des entreprises privées et des trusts financiers, et de développer des projets de transformation dans les zones de gecekondus. En 2007, elle devient la seule autorité responsable de la détermination des zones de construction et de la vente des terrains publics. Enfin, en 2012, la « loi sur la transformation des zones à risques de catastrophe » donne au gouvernement les mains libres pour entreprendre des projets de renouvellement, toujours via la TOKI, en utilisant l’argument du « risque ». Les propriétaires des logements situés dans des zones déclarées à risque sont obligés de les vendre à la municipalité ou de les démolir à leurs propres frais.</p>
<p>Depuis le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/04/16/le-premier-ministre-turc-proclame-la-victoire-du-oui-au-referendum-constitutionnel_5112199_3210.html">référendum constitutionnel de 2017</a>, le pouvoir politique est plus que jamais centralisé autour du président Erdogan qui gère plusieurs domaines comme la défense, le patrimoine national, les affaires religieuses voire la communication, via des décrets présidentiels, sans passer par le Parlement. Cette centralisation se reflète au niveau local : les mairies métropolitaines deviennent compétentes dans l’ensemble des départements où elles se trouvent, y compris les villages et les zones rurales. Elles peuvent entreprendre des actions d’expropriation ou changer la caractéristique des sols, ouvrant les zones agricoles à la construction.</p>
<h2>Clientélisme et corruption</h2>
<p>Si l’ultra-centralisation aurait pu fournir à l’État la possibilité d’améliorer l’ensemble du parc immobilier du pays de façon à le rendre plus résistant aux séismes, la législation n’a pas été utilisée en ce sens.</p>
<p>L’État a utilisé l’urbanisation et la construction pour faire des profits grâce au développement de projets dans des zones à haute valeur foncière, ces projets étant sous-traités à des entreprises privées de construction « amies » : Limak, Cengiz, Kolin, Kalyon et Makyol… Les dirigeants de ces entreprises figurent dans le cercle rapproché d’Erdogan et constituent ensemble la <a href="https://www.jstor.org/stable/2777096">« machine de croissance » urbaine</a> du pays, selon les termes du sociologue Harvey Molotch.</p>
<p>Le candidat de l’opposition à la prochaine élection présidentielle, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/turquie-qui-est-kemal-kilicdaroglu-l-homme-qui-va-defier-recep-tayyip-erdogan-dans-les-urnes_5703293.html">Kemal Kılıçdaroğlu</a>, utilise la formule <a href="https://www.duvarenglish.com/erdogan-sues-main-opposition-chp-leader-kemal-kilicdaroglu-for-1-million-liras-for-calling-him-money-collector-of-five-construction-firms-news-60772"><em>Beşli Çete</em> (Gang des Cinq)</a> pour désigner ces entreprises. Celles-ci accumulent les contrats publics et se sont constitué, d’après l’opposition, une fortune d’environ 418 milliards de dollars attribués uniquement par l’État.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JwoPBVOVdaE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Cette gouvernance où s’imbriquent et se chevauchent des liens amicaux, familiaux, économiques, financiers mais aussi politiques se retrouve non seulement dans la construction et les infrastructures physiques (transport, facilités portuaires, canalisation, approvisionnement en eau, etc.) mais aussi dans les infrastructures sociales (éducation, culture, technologie…). Mais le secteur de la construction est particulièrement marqué par le clientélisme. Jusqu’à récemment, les constructeurs pouvaient choisir eux-mêmes l’entreprise chargée d’inspecter la conformité de leurs bâtiments aux normes antisismiques.</p>
<p>Les intérêts financiers ont toujours dépassé l’intérêt public et le pouvoir a fermé les yeux pendant des années sur ces relations. Aucun système efficace, susceptible de sanctionner ces dérives, n’a été établi.</p>
<p>Depuis des années, des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/turquie-le-seisme-revele-le-manque-d-anticipation-des-autorites-20230207">scientifiques annonçaient l’imminence d’un grand séisme dans la région</a>, mais le gouvernement a fait la sourde oreille et continué d’autoriser la construction de bâtiments au-dessus des lignes de faille.</p>
<p>Le comble a été <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/seisme-en-turquie-et-en-syrie/seisme-en-turquie-une-loi-d-amnistie-a-autorise-durant-plus-de-40-ans-la-construction-illegale-de-logements_5660081.html">l’adoption en 2018 d’une loi rendant légaux les bâtiments construits dans des zones à risques</a> illégalement et sans respecter les normes sismiques. Ce faisant, au lieu de consolider le bâti résistant au séisme, l’État a laissé en place de nombreux bâtiments mal conçus, ce qui a, de fait, augmenté le nombre de pertes humaines le 6 février dernier.</p>
<p>On l’aura compris : l’État turc actuel, ultra-centralisé, focalisé sur les intérêts financiers d’entreprises proches du pouvoir, voit ses institutions publiques de tous les niveaux pratiquement paralysées et incapables d’agir pour réduire les risques sismiques. À chaque niveau, l’accord des supérieurs hiérarchiques est nécessaire, ce qui empêche ainsi un fonctionnement souple. À titre d’exemple, l’envoi de soldats dans la zone du séisme du 6 février pour participer aux opérations de sauvetage a pris deux jours car (en partie à cause de la méfiance envers l’armée consécutive à la <a href="https://theconversation.com/erdogan-la-guerre-tous-azimuts-64916">tentative de putsch de 2016</a>) hormis le président Erdogan, personne n’était habilité à prendre cette décision. La transformation du fonctionnement du système politique et étatique en Turquie apparaît aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Il aura fallu les dizaines de milliers de morts du 6 février pour que cette prise de conscience s’opère…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203191/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gülçin Erdi a reçu des financements de l'ANR France pour un projet de recherche sur les villes capitales (SPACEPOL) </span></em></p>Le bilan du tremblement de terre qui a dévasté le 6 février dernier une zone à cheval entre la Turquie et la Syrie s’explique en partie, côté turc, par des décennies d’urbanisation incohérente.Gülçin Erdi, Chargée de recherches CItés, TERritoires, Environnement, Sociétés (CITERES), CNRS, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2023802023-03-27T16:51:24Z2023-03-27T16:51:24ZDerrière le cas de Pinar Selek, la recherche en danger en Turquie et ailleurs dans le monde<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/517861/original/file-20230328-452-k14h7p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1917%2C1063&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pinar Selek pendant une conférence à Paris en 2010.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pinar_selek.jpg">Streetpepper/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Le combat de Pinar Selek se poursuit : réunie le 31 mars 2023, peu avant l'élection présidentielle de mai 2023, la cour d’assises d’Istanbul avait décidé de reporter l’audience au 29 septembre prochain et <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230331-pinar-selek-cible-d-une-traque-judiciaire-en-turquie-nous-luttons-de-fa%C3%A7on-tr%C3%A8s-d%C3%A9termin%C3%A9e">confirmé le mandat d’arrêt</a> émis contre cette citoyenne française, l’entravant dans sa liberté de circuler et, de fait, dans sa liberté de recherche et d’enseignement.</em></p>
<p><em>Pınar Selek n’est malheureusement pas la seule à être menacée par le pouvoir turc. Son combat pour obtenir justice, qui se poursuit depuis plus de 25 ans, est plus que jamais emblématique des risques qui pèsent sur la liberté académique dans son pays d'origine et ailleurs aussi. Universitaires, étudiants, personnalités du monde littéraire, avocats, juristes, élus, journalistes, militants de tous pays continuent à lui apporter <a href="https://pinarselek.fr/actualites/26-27-29-septembre-2023/">un soutien sans faille</a> auquel il est toujours <a href="https://www.helloasso.com/associations/karinca/formulaires/1">possible de contribuer</a>. Nous vous proposons de relire cet article que ses collègues lui avaient consacré peu avant l’audience du 31 mars 2023.</em></p>
<p>Ce 29 septembre 2023 se tiendra à Istanbul le procès contre <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2018-2-page-5.htm">Pinar Selek</a>, sociologue, écrivaine, militante féministe, antimilitariste et pacifiste, exilée en France depuis fin 2011 et qui risque la prison à vie en Turquie.</p>
<p>Elle subit depuis 25 ans une <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-persecution-sans-fin-de-pinar-selek-refugiee-en-france-16-01-2023-2504973_24.php">persécution judiciaire constante de la part du pouvoir turc</a>. La moitié d’une vie. Motif : son refus de révéler l’identité des personnes qu’elle a interrogées lors d’une enquête qu’elle a conduite sur les mouvements kurdes.</p>
<p>Arrêtée en juillet 1998, elle est <a href="https://www.dailymotion.com/video/xgmcli">torturée</a> et emprisonnée pendant plus de deux années. Elle apprend en prison qu’elle est accusée d’avoir déposé une bombe qui aurait explosé sur le marché aux épices d’Istanbul, faisant 7 morts et 121 blessés.</p>
<p>Libérée fin décembre 2000, elle est acquittée en 2006, en 2008, en 2011 et en 2014, les expertises ayant toutes montré que ce drame était dû à l’explosion accidentelle d’une bouteille de gaz. Bien que la justice turque l’ait blanchie à quatre reprises, le procureur a déposé un recours après chaque acquittement. Après un silence de près de neuf années, la Cour suprême de Turquie a annoncé l’annulation de son dernier acquittement et donc ce nouveau procès, qui se déroulera en son absence.</p>
<p>Avant même l’audience du 31 mars, Pinar Selek fait l’objet d’un <a href="https://www.lalsace.fr/faits-divers-justice/2023/01/16/mandat-d-arret-international-contre-pinar-selek-une-farce-judiciaire">mandat d’arrêt international</a> en vue de son emprisonnement immédiat en Turquie. Difficile de ne pas lier le « réveil » de la justice turque, neuf ans après le dernier acquittement de la chercheuse, au fait que l’année 2023 sera cruciale pour la Turquie, en raison des élections présidentielles et législatives prévues en mai et de la célébration du centenaire de la République turque.</p>
<p>Au-delà du sort personnel de Pinar Selek, cet épisode est révélateur de la répression dont les universitaires font l’objet en Turquie depuis des années et qui s’est encore intensifiée après la tentative de coup d’État de 2016.</p>
<h2>La liberté scientifique en danger</h2>
<p>« Je ne lâcherai rien », promet la <a href="https://www.liberation.fr/portraits/pinar-selek-la-chercheuse-recherchee-20220728_3EG5AYRYKBBXVFPMCMSE54UOCY/">« chercheuse recherchée »</a> pour <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/30/que-la-turquie-cesse-de-harceler-pinar-selek_1824500_3232.html">« crime de sociologie »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Image pour le Comité de soutien à Pinar Selek, Pays basque. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://blogs.mediapart.fr/fred-sochard/blog/080323/justice-pour-pinar-selek">Fred Sochard</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Depuis son arrivée en France en 2011, elle a soutenu une <a href="https://www.theses.fr/164430822">thèse de doctorat</a> en sciences politiques à l’Université de Strasbourg, <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Pinar-Selek--140498.htm">publié de nombreux travaux scientifiques</a> et enseigne à l’Université Côte d’Azur depuis 2016. Après l’aide du Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/programme-PAUSE">(PAUSE)</a> les deux premières années, l’Université Côte d’Azur a créé pour elle un poste pérenne d’enseignante-chercheure en 2022.</p>
<p>À travers elle, c’est aussi la liberté académique qui est en jeu. Les présidences des universités Côte d’Azur et de Strasbourg, ainsi que de nombreux laboratoires de recherche et d’autres instances universitaires et scientifiques ont <a href="https://pinarselek.fr/actualites/soutien-a-pinar-selek-la-mobilisation-sorganise/">publiquement pris position</a> en sa faveur. Des collectifs de soutien universitaires, étudiants et militants se sont également constitués. Elle a été nommée <a href="https://sociologuesdusuperieur.org/cat/pinarselek">présidente d’honneur de l’Association des Sociologues de l’Enseignement Supérieur</a>. Une délégation de <a href="https://pinarselek.fr/actualites/une-centaine-deuropeen%c2%b7nes-convergeront-a-istanbul-le-31-mars-prochain-au-proces-de-pinar-selek/">près d’une centaine de représentants français et étrangers</a> des mondes civils, associatifs, culturels, artistiques, politiques, juridiques, scientifiques, universitaires et étudiants se rendront à Istanbul pour assister à son procès, exiger la vérité et demander officiellement que justice lui soit rendue.</p>
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<p>Engagée dans un mouvement d’ouverture des sciences sociales sur la société et de critique des postures scientistes au service de l’ordre établi, Pinar Selek est une « scientifique en danger ». Même si elle a obtenu la nationalité française en 2017, elle continue à subir la violence politique d’un régime autoritaire qui s’attaque à <a href="https://theconversation.com/la-liberte-scientifique-en-danger-sur-les-cinq-continents-130624">l’autonomie du monde académique</a> – un phénomène dont la Turquie n’a pas le monopole. Nombre d’<a href="https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/les-chercheurs-etrangers-en-danger-ont-besoin-de-pause">universitaires</a> irakiens, syriens, afghans, égyptiens, turcs, iraniens et tant d’autres payent un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-combat-de-fariba-adelkhah-est-le-combat-de-tous-139892">lourd tribut à la répression d’État</a>.</p>
<h2>Une situation qui s’est envenimée en Turquie depuis 2016</h2>
<p>La situation de Pinar Selek reflète la montée de l’autoritarisme en Turquie, particulièrement sensible depuis le renforcement des pouvoirs présidentiels consécutif au <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/04/16/le-premier-ministre-turc-proclame-la-victoire-du-oui-au-referendum-constitutionnel_5112199_3210.html">référendum d’avril 2017</a>.</p>
<p>Suite à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/retour-sur-le-putsch-rate-de-2016-en-turquie-4604024">tentative de coup d’État du 15 juillet 2016</a> au cours de laquelle des centaines de civils, de soldats, de policiers ont perdu la vie, un grand nombre d’universitaires ont été <a href="https://laviedesidees.fr/La-chasse-aux-intellectuels-en-Turquie.html">désignés comme cibles par le président de la République, Recep Tayyip Erdoğan</a>. Les signataires de la <a href="https://mouvements.info/des-universitaires-pour-la-paix-en-turquie/">pétition des universitaires pour la paix</a> ont été accusés de terrorisme, victimes d’ostracisme professionnel, de poursuites judiciaires et de lynchage médiatique.</p>
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<p>Parmi eux, <a href="https://barisicinakademisyenler.net/node/314">549</a> universitaires ont été forcés de démissionner ou de prendre leur retraite, licenciés, révoqués et bannis de la fonction publique en vertu des décrets-lois. Le cas des <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/06/turkiye-free-the-gezi-7/">« sept de Gezi »</a> est emblématique de la répression massive des droits humains dans le pays. Parmi eux, l’éditeur et mécène Osman Kavala, emprisonné en 2017, a été condamné à la prison à vie pour avoir organisé et financé les manifestations de Gezi en 2013, sans possibilité de libération conditionnelle <a href="https://www.ldh-france.org/la-turquie-doit-liberer-sans-delai-osman-kavala/">après avoir été injustement reconnu coupable de tentative de coup d’État</a>. Même s’il y a eu une décision de la Cour constitutionnelle turque le 26 juillet 2019 les acquittant, ces universitaires ont perdu leur emploi et ont été victimes de harcèlement dans leur milieu professionnel. De plus, l’<a href="https://science-societe.fr/soutien-aux-universitaires-turcs-pour-la-paix/">Agence nationale de recherche turque</a> bloque leurs publications. Les accusations pour terrorisme continuent, en particulier en lien avec la question kurde. Ainsi, en octobre 2021, l’écrivaine Meral Simsek est condamnée à un an et trois mois d’emprisonnement pour <a href="https://actualitte.com/article/107920/international/turquie-l-autrice-et-editrice-kurde-meral-simsek-condamnee-en-appel">« propagande en faveur d’une organisation terroriste »</a>.</p>
<p>Les menaces pèsent également sur des chercheurs installés en France. En 2019, le mathématicien <a href="https://aoc.media/entretien/2019/11/15/tuna-altinel-mon-proces-na-aucune-raison-detre/">Tuna Altinel</a>, enseignant-chercheur à l’Université Lyon 1, accusé de propagande terroriste pour avoir participé, à Villeurbanne, à une réunion publique sur les crimes de guerre de l’armée dans le Sud-Est du pays, a été arrêté en Turquie. Libéré au bout de trois mois, il n’a pu récupérer son passeport et rentrer en France qu’en juin 2021, à l’issue d’une longue bataille <a href="https://blogs.mediapart.fr/amities-kurdes-de-lyon/blog/240522/trois-ans-apres-les-persecutions-contre-tuna-altinel-continuent">qui n’est pas terminée à ce jour</a>.</p>
<p>Des centaines d’arrestations abusives, des acquittements prononcés – le plus souvent annulés en appel par la Cour de cassation –, des affaires rejugées malgré les recommandations de la <a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/country-monitoring/turkey">Cour européenne des droits de l’homme</a>, émaillent ce sombre tableau. Mais les nombreuses épreuves auxquelles chercheurs et chercheuses ont dû faire face ont renforcé leur solidarité, ainsi qu’en témoignent leurs récits rassemblés dans le <a href="https://www.amnesty.be/evenement/projection-debat-documentaire-living-truth-eylem">documentaire <em>Living in truth</em></a> d’Eylem Sen.</p>
<h2>Au nom de l’inconditionnalité de la liberté d’expression des chercheurs</h2>
<p>« En condamnant Pinar Selek, c’est à l’indépendance de la recherche en sciences sociales que s’attaque le gouvernement turc », titre une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/12/en-condamnant-pinar-selek-c-est-a-l-independance-de-la-recherche-en-sciences-sociales-que-s-attaque-le-gouvernement-turc_6134424_3232.html">tribune</a> d’un collectif d’universitaires parue dans <em>Le Monde</em> en juillet 2022. Le combat de Pinar Selek nous rappelle la vulnérabilité des chercheurs et chercheuses face aux attaques qu’ils et elles subissent dans de nombreux pays.</p>
<p>Les conférences et déclarations internationales réaffirment régulièrement la protection des libertés académiques, mais le maintien de celles-ci nécessite des combats permanents de la <a href="https://contrelarepressionenturquie.wordpress.com/">communauté universitaire</a> et elles ne sont, de fait, <a href="https://www.cairn.info/liberte-de-la-recherche--9782841749485-page-71.htm">jamais pérennes</a> : les étudiants, professeurs et chercheurs sont toujours au mieux suspectés ou menacés ; au pire arrêtés, torturés et tués, quand s’installent des pouvoirs forts auxquels ils refusent de se soumettre.</p>
<p>« Militante de la poésie », comme elle aime à se définir, Pinar Selek, qui est aussi l’autrice de romans et de contes pour enfants, fait l’objet d’une violence politique qui ne pourra être combattue que par la dénonciation et l’annulation de sa condamnation à perpétuité. Son combat sans relâche contre les injustices, les oppressions, les atteintes à la liberté académique aujourd’hui fragilisée en de <a href="https://academia.hypotheses.org/30191">nombreux endroits du monde</a>, illustre celui de tous les scientifiques menacés <a href="https://theconversation.com/la-liberte-academique-aux-prises-avec-de-nouvelles-menaces-171682">dans les pays autoritaires, mais aussi dans les démocraties</a>. Notre solidarité avec elle constitue plus qu’un devoir moral. Elle s’inscrit dans une lutte partagée au service de la liberté de la recherche et de l’exercice d’une citoyenneté qui doit plus que jamais s’affirmer comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/25/face-a-l-acharnement-du-pouvoir-turc-contre-la-sociologue-pinar-selek-les-pays-europeens-doivent-cesser-de-regarder-ailleurs_6166957_3232.html">transnationale</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202380/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Erlich est membre du Comité de soutien Université Côte d'Azur à Pinar Selek</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Fanny Jedlicki est présidente de l'ASES. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascale Laborier a reçu des financements de l'Institut Convergence Migrations .
Elle est membre du comité de parrainage du programme PAUSE</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sylvie Monchatre est membre du collectif lyonnais de solidarité avec Pinar Selek</span></em></p>La sociologue turque Pinar Selek, réfugiée en France, est persécutée dans son pays depuis 25 ans. Son cas est emblématique des répressions visant les universitaires en Turquie – et ailleurs.Valérie Erlich, Maîtresse de conférences de sociologie, URMIS (Unité de recherche Migrations et Société), CNRS, IRD, Université Côte d’AzurFanny Jedlicki, Maîtresse de conférences de sociologie, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Innovations Sociétales (LIRIS), Université Rennes 2Pascale Laborier, Professeure de science politique, Institut des sciences sociales du politique (ISP), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresSylvie Monchatre, Professeure de sociologie, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2005682023-02-23T20:32:02Z2023-02-23T20:32:02ZSéisme en Turquie : la catastrophe humanitaire s’explique aussi par la corruption généralisée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511962/original/file-20230223-2744-jvfo37.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=187%2C0%2C1088%2C720&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au moins 45&nbsp;000 personnes ont trouvé la mort après le séisme de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter qui a frappé la Turquie et la Syrie début février.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2023_Turkey–Syria_earthquake_montage.jpg#/media/File:2023_Turkey_Earthquake_Damage.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 6 février 2023, un séisme de magnitude <a href="https://earthquake.usgs.gov/earthquakes/eventpage/us6000jllz/executive">7,8 sur l’échelle de Richter</a> a frappé la Syrie et la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/turquie-21579">Turquie</a>, détruisant notamment Antakya (l’antique cité d’Antioche). Pour les assureurs, il s’agit d’un « act of god », une catastrophe naturelle sans cause humaine, mais l’ampleur des victimes avec 45 000 décès recensés à ce jour (et peut-être plus de 100 000 avec les disparus) et des millions de sinistrés a très vite suscité la colère des Turcs contre l’exécutif.</p>
<p>En réponse, le pouvoir a dénoncé leur indécence face à la « catastrophe du siècle » qui ne serait due qu’à <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/160223/seisme-en-turquie-la-colere-prend-le-pas-sur-le-deuil">« la main du destin »</a> selon le président Recep Tayyip Erdogan. Les autorités ont très vite <a href="https://www.lemonde.fr/en/international/article/2023/02/08/twitter-down-in-turkey-as-quake-response-criticism-mounts_6014930_4.html">coupé le réseau Twitter</a> comme de nombreux sites Internet et procédé à <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2023/02/08/erdogan-turkey-aftermath-earthquake-politics/">l’arrestation des critiques des secours</a> puis le Conseil supérieur de la radio-télévision a sanctionné le 22 février <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/22/seisme-trois-medias-turcs-sanctionnes-pour-avoir-critique-le-pouvoir_6162898_3210.html">trois chaines de télévision</a> qui avaient blâmé le gouvernement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1624740523733819395"}"></div></p>
<p>Les risques sismiques dans la région étaient en effet parfaitement <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-64566296">connus des scientifiques</a>, comme le rappelait le sismologue néerlandais Frank Hoogerbets du Solar System Geometry Survey (SSGEOS) dans un tweet du 3 février dernier « tôt ou tard il y aura un séisme d’une magnitude d’environ 7,5 dans cette région ».</p>
<p>Les accusations se sont ainsi rapidement cristallisées sur l’autorité de gestion d’urgence des catastrophes naturelles, l’AFAD, créée en 2009 et dirigée par Ismail Palakoglu, un diplômé d’une faculté de théologie qui a réalisé l’essentiel de sa carrière au ministère des Affaires religieuses et dénué de compétences dans le domaine. Les équipes d’aide internationales ont d’ailleurs déploré la désorganisation des premiers secours et le peu d’appui de l’AFAD dans leur travail.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1621479563720118273"}"></div></p>
<p>Le gouvernement a même tenté d’entraver l’aide civile : le ministre de l’Environnement, de l’urbanisation et du changement climatique, Murat Kurum, a ainsi décrété que les dons ne pourront être collectés que par l’intermédiaire de l’AFAD et que le <a href="https://rojinfo.com/le-gouvernement-turc-entrave-laide-aux-regions-sinistrees-par-le-seisme/">matériel de secours des organisations non gouvernementales (ONG) sera confisqué</a>.</p>
<h2>Engagements non tenus</h2>
<p>Quand l’actuel président <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recep-tayyip-erdogan-21581">Recep Tayyip Erdogan</a> est devenu premier ministre en 2003, quatre ans après le séisme d’Izmit qui avait fait <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Seisme-Turquie-1999-tremblement-terre-dIzmit-faisait-17-000-morts-2023-02-07-1201254106">plus de 17 000 victimes</a>, il s’était engagé à renforcer les normes de construction et les constructions existantes. Pourtant, fin 2022, après un séisme de magnitude 5,9, l’Union des architectes et ingénieurs turcs affirmait dans un communiqué que « la Turquie avait <a href="https://time.com/6253208/turkey-earthquake-syria-updates/">échoué à prendre les mesures nécessaires</a> en cas de tremblement de terre », relevant de sérieux problèmes dans la conception, la construction et le contrôle des bâtiments.</p>
<p>Les premiers responsables de la fragilité des bâtiments sont les promoteurs qui cherchent systématiquement à réduire leurs coûts de construction en employant massivement le béton peu cher et en limitant la quantité d’acier destinée à le renforcer.</p>
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<p>Les dispositifs antisismiques existent pourtant depuis longtemps, comme en atteste la résistance des bâtiments dans des pays à haut risque sismique comme le Japon et le Chili où on a dénombré <a href="https://lepetitjournal.com/istanbul/actualites/seisme-en-turquie-linevitable-questionnement-du-respect-des-normes-de-construction-356572">525 morts et disparus</a> dans un séisme bien plus puissant, de magnitude 8,8 le 27 février 2010. Plus grave encore, pour agrandir les espaces dans les étages inférieurs, les promoteurs turcs détruisent fréquemment certaines colonnes de soutien des immeubles, pour pouvoir ouvrir des magasins ou des chaines de supermarchés.</p>
<p>Pour tenter de calmer la colère populaire, les autorités ont immédiatement arrêté et incarcéré une quarantaine d’entrepreneurs et maîtres d’ouvrage. Pour leur défense, ces derniers ont rejeté la faute sur les autorités locales qui ont accordé les permis de construire, ces dernières reconnaissant ne pas disposer de compétences en interne et se défaussant à leur tour sur les bureaux de certification privés sous-traitants.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Photo de Tayyip Recep Erdogan" src="https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Devenu premier ministre en 2003, Tayyip Recep Erdogan s’était engagé à renforcer les normes de construction.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Recep_Tayyip_Erdogan_%282020-03-05%29_02.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Comme ailleurs dans le monde, ce sont les administrations locales qui délivrent les permis de construire, mais la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/corruption-21440">corruption</a> est telle en Turquie qu’il est facile d’obtenir un permis moyennant le versement d’un pot-de-vin. Preuve par l’absurde d’une corruption locale généralisée, Erzin, une ville de 42 000 habitants située dans une région dévastée n’a subi ni dommage, ni victimes, ni blessés.</p>
<p>Le maire de la commune, Okkes Elmasoglu, a en effet expliqué qu’à la différence de nombre de ses confrères, il n’avait jamais autorisé de construction illégale. « Certains ont essayé », a-t-il précisé, interrogé par <em>Le Monde</em>, « Nous les avons alors signalés au bureau du procureur et pris la décision de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/16/derriere-le-bilan-humain-des-seismes-en-turquie-des-annees-de-corruption-et-de-laisser-faire-du-pouvoir_6162015_3210.html">démolir les édifices</a> » en chantier. Dans sa ville, à la différence de ses voisines, la majorité des habitations sont soit individuelles, soit à quatre étages et le bâtiment le plus élevé n’en compte que six.</p>
<h2>Amnisties récurrentes</h2>
<p>La corruption ne se limite pas aux potentats locaux au contraire, elle est même le résultat d’un système généralisé au niveau national mêlant incurie, incompétence, détournement de fonds publics, népotisme et électoralisme méthodiquement tissé depuis vingt ans par Erdogan et son parti, l’AKP.</p>
<p>Créée en 1984 pour pallier le manque de logements sociaux et freiner l’étalement des quartiers informels, l’Agence nationale du logement social (TOKI) rattachée au bureau du premier ministre en 2004 puis au président en 2018 s’est vite imposée comme l’acteur et le promoteur le plus puissant du secteur foncier et immobilier du pays. Outil principal des grands chantiers de logements et d’infrastructures du parti au pouvoir depuis 20 ans, elle a pour mission de faciliter l’accès à la propriété des nouvelles classes moyennes et populaires, cœur électoral du pouvoir en place.</p>
<p>La connivence croissante entre le pouvoir politique et le secteur de la construction, de notoriété publique, a fini par éclater au grand jour le 17 décembre 2013 avec <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/17/vaste-coup-de-filet-dans-l-entourage-de-m-erdogan-en-turquie_4336062_3214.html">l’arrestation d’une cinquantaine de personnalités</a> accusées de malversations, de corruption et de blanchiment d’argent ainsi que d’avoir délivré des permis de construire mettant en danger la sécurité de certains édifices. Mais six mois plus tard, le nouveau procureur chargé du volet immobilier des enquêtes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2212567115000118">abandonnait subitement les charges contre tous les suspects</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Réfugiés dans un gymnase" src="https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le séisme du 6 février a fait des millions de sinistrés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2023_Turkey–Syria_earthquake_montage.jpg#/media/File:2023_Gaziantep_Earthquake_Shelter.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Après chaque séisme, le gouvernement turc procède rituellement à des arrestations de promoteurs qui sont non moins rituellement amnistiés un peu plus tard. Au total, les pouvoirs publics ont accordé une dizaine d’amnisties générales dans le secteur de la construction depuis 2002, permettant ainsi aux propriétaires de logements non conformes de régulariser leur situation moyennant le paiement de droits.</p>
<p>Plus de 7 millions de bâtiments en ont bénéficié, dont 300 000 se trouvent dans les dix villes les plus touchées par l’actuel tremblement de terre. Au moment du séisme, une nouvelle loi d’amnistie était d’ailleurs en discussion au parlement en prévision des prochaines élections…</p>
<h2>Le pouvoir en place fragilisé</h2>
<p>Comme dans les tragédies antiques, le drame du 6 février est peut-être le signe avant-coureur de la fin du règne du président Erdogan. L’État de droit s’est d’ailleurs <a href="https://carnegieeurope.eu/strategiceurope/88887">considérablement affaibli ces 20 dernières années</a> et la Turquie pointe aujourd’hui seulement à la <a href="https://rsf.org/fr/classement-mondial-de-la-libert%C3%A9-de-la-presse-2021-le-journalisme-est-un-vaccin-contre-la">149ᵉ place sur 180 États</a> dans le classement l’ONG Reporters sans frontières en matière de liberté de la presse.</p>
<p>En outre, le niveau de vie des Turcs est laminé par une inflation officiellement proche de 60 % (mais en réalité sans doute du <a href="https://globalvoices.org/2022/09/01/undertones-in-turkeys-plunging-economy-conspiracy-and-corruption-allegations-abound/">double</a> selon les économistes indépendants) provoquée par une politique monétaire absurde qui prétend la <a href="https://www.economist.com/special-report/2023/01/16/the-turkish-economy-is-in-pressing-need-of-reform-and-repair">réduire en diminuant les taux d’intérêt</a>.</p>
<p>Le président Erdogan avait avancé les élections présidentielle et législative initialement prévues en juin au 14 mai 2023 mais le séisme a bousculé ses plans en exacerbant la colère populaire. La constitution interdit en l’état de repousser les législatives (sauf en cas de guerre) et le parti présidentiel ne dispose que de 333 sièges, loin du seuil des 400 parlementaires nécessaire à la modifier.</p>
<p>L’opposition craint toutefois que le pouvoir qui a déclaré l’état d’urgence (et non pas, comme cela aurait été plus logique, l’état de catastrophe naturelle) pour trois mois ne demande un délai pour se consacrer à la reconstruction du pays en transformant l’état d’urgence actuel en un état permanent.</p>
<p>À l’approche du <a href="https://www.herodote.net/29_octobre_1923-evenement-19231029.php">centenaire de la proclamation la République turque</a>, le 29 octobre 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, autour des principes de sécularisation, d’occidentalisation et de modernisation du pays, la démocratie turque vit sans doute aujourd’hui son heure de vérité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200568/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet est membre de l'association anticorruption française Anticor et de l'organisation non gouvernementale Amnesty international France.</span></em></p>Les villes qui sont parvenues à limiter les constructions illégales ont enregistré des bilans humains moins lourds après le tremblement de terre du 6 février.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1993502023-02-08T19:59:02Z2023-02-08T19:59:02ZPourquoi il y a des séismes en cascade en Turquie et en Syrie<p>Ce lundi 6 février, à 4h17 du matin, un <a href="https://theconversation.com/fr/topics/seismes-27199">séisme</a> de magnitude 7,8 a frappé la Turquie et la Syrie. Les séismes dans cette région du monde sont courants, mais l’ampleur de celui-ci est clairement impressionnante : pour trouver un séisme aussi violent sur cette faille, il faut <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9781139195430">remonter en 1114</a>.</p>
<p>Une dizaine de minutes après le séisme le plus puissant, une réplique de magnitude 6,7 s’est produite à proximité de l’épicentre et d’autres répliques continuent aujourd’hui de se produire dans une zone allongée sur plus de 350 kilomètres, depuis l’est de la Turquie jusqu’à la frontière syrienne. Ces « répliques », les séismes qui se produisent après un grand tremblement de terre, sont attendues et leur comportement statistique est bien connu.</p>
<p>De façon plus étonnante et surtout dramatique, un second séisme de magnitude 7,5 a eu lieu à 13h24 heure locale, plus au nord. Ce séisme n’est pas une réplique : d’après les premières données traitées en direct par les grandes agences sismologiques internationales, il se serait produit sur une faille est-ouest coupant la rupture principale.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La micro-plaque Anatolienne est poussée vers l’ouest par la remontée de la plaque Arabie vers le nord, et tractée à l'ouest. Ce mouvement vers l’ouest est accommodé par deux grandes failles tectoniques : la faille nord-anatolienne (2 cm par an de mouvement relatif entre les plaques Anatolie et Eurasie) et la faille est-anatolienne (entre 5 mm et 1 cm par an de mouvement relatif entre les plaques Arabie et Anatolie). Nous savons bien comment et pourquoi l’Anatolie bouge, mais cette connaissance est encore trop parcellaire pour prévoir les séismes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Jolivet/ENS. Fond de carte GoogleEarth</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Nous n’avons pas encore toutes les <a href="https://theconversation.com/seisme-en-mer-egee-que-savent-les-scientifiques-apres-quelques-jours-de-travail-149246">informations que fournissent les images satellites et les mesures GPS</a>, mais il est possible que le second séisme ait été causé par le premier, une hypothèse qu’il va falloir vérifier dans les jours à venir avec les données qui arrivent au compte-goutte.</p>
<p>Cette activité sismique majeure sur deux failles proches reflète que les contraintes qui sont à l’origine des tremblements de terre se réorganisent petit à petit. L’autre grande faille de la région (la faille « nord-anatolienne ») a vu se propager une séquence de séismes au long du XX<sup>e</sup> siècle, comme une série de dominos, jusqu’à la mer de Marmara et la mégalopole d’Istanbul.</p>
<p>Toute la communauté scientifique, ainsi que les autorités turques, <a href="https://doi.org/10.1038/35005054">attendent un séisme</a> proche de cette ville de 16 millions d’habitants. Nous ne savons pas quand ce séisme aura lieu ni quelle sera sa taille. Nul ne peut, en l’état actuel des connaissances, proposer une date et une magnitude pour ce séisme à venir, et le séisme de ce lundi nous rappelle malheureusement que la Turquie peut aussi être frappée durement ailleurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/seismes-pourquoi-on-ne-peut-pas-les-prevoir-58754">Séismes : pourquoi on ne peut pas les prévoir</a>
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<h2>Des répliques et un second séisme</h2>
<p>Le comportement des répliques suite au séisme de lundi n’est en lui-même pas du tout une surprise. En 1894, Omori observait déjà une décroissance logarithmique du nombre de répliques avec le temps (selon une loi en 1/t, t étant le temps écoulé depuis le choc principal).</p>
<p>Ces mêmes lois empiriques, dites « lois d’échelles », prévoient que la plus grosse réplique aura une magnitude d’un ordre de grandeur inférieur au choc principal : ici, la plus grosse réplique du premier séisme a été d’une magnitude de 6,7, proche des 6,8 attendus. Rappelons que cette échelle est logarithmique, et qu’un séisme de magnitude 6 libère 30 fois moins d’énergie qu’un séisme de magnitude 7.</p>
<p>Les répliques s’arrêtent lorsque les forces engendrées par le séisme principal sont accommodées, un peu comme lorsque, après avoir mis un coup de pied dans un tas de sable, les grains continuent de rouler les uns après les autres, puis se stabilisent.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Essaims de répliques des deux séismes ayant eu lieu à la frontière entre Turquie et Syrie le 6 février.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Jolivet/ENS. Fond de carte Google Earth</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Mais le séisme de magnitude 7,5 de 13h24 sort complètement de ce comportement statistiquement vérifié depuis 1894 sur des milliers de séismes dans le monde : ce n’est pas une réplique mais bien un second séisme. Il faut ainsi noter qu’il s’est produit sur une faille qui semble orientée à 45° par rapport à la faille Est-Anatolienne, comme en témoigne la forme de l’essaim de répliques qui l’ont suivi.</p>
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<p>On parlera donc plutôt ici de « séisme déclenché », ou tout du moins, on tentera d’explorer des mécanismes permettant d’expliquer la coïncidence temporelle entre ces deux grands séismes.</p>
<h2>Un risque pour Istanbul</h2>
<p>Certains séismes sont effectivement liés les uns aux autres : en « accommodant » les contraintes qui s’accumulent au niveau des failles tectoniques, ils relâchent de l’énergie et réorganisent ces contraintes, ce qui peut déclencher de nouveaux séismes.</p>
<p>Sur la faille nord-anatolienne, très active et qui accommode un déplacement relatif d’environ 2 centimètres par an entre les plaques Anatolie et Eurasie, une série de séismes de magnitude supérieure à 7 a eu lieu en cascade d’est en ouest sur environ 800 kilomètres au cours du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Le point notable est que toute la longueur de la faille nord-anatolienne a rompu entre 1939 et 1999. Le dernier segment n’ayant pas rompu se trouve en mer de Marmara, tout près d’Istanbul, entre les séismes de Izmit en 1999 et de Ganos en 1912.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="carte de la région avec les failles, mouvement des plaques tectoniques et seismes historiques" src="https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une séquence historique de séismes s’est produite au XXᵉ siècle : initiée à l’est avec le séisme de Erzincan en 1939 (7,8), elle a continué avec des séismes en 1943, 1944, 1967 et enfin en 1999 avec les deux séismes d’Izmit (7,6) et Duzce (7,3), séparés d’à peine quelques mois.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Jolivet, ENS. Fond de carte GoogleEarth</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Cette succession de séismes s’explique par le transfert de la contrainte tectonique d’un segment à l’autre de la faille. Un séisme relâche localement les contraintes accumulées par le mouvement relatif des plaques, mais en même temps, augmente celles sur les segments de faille adjacents qui se rapprochent donc d’une rupture future.</p>
<p>Si ce segment est déjà bien chargé (proche de la rupture), alors un séisme peut en déclencher un autre. Sinon, il faudra attendre que le mouvement des plaques tectoniques apporte le reste de contrainte nécessaire pour déclencher un séisme. On parle ici de « déclenchement statique » car l’état de la croûte après le séisme est la cause du séisme suivant.</p>
<h2>Quand des séismes géants déclenchent d’autres séismes… à distance</h2>
<p>Il existe aussi un type de déclenchement dit « dynamique ». Dans certains cas, la variation de contrainte résultant d’un grand séisme n’est pas assez grande pour expliquer l’occurrence de certains séismes, notamment s’ils sont situés à plusieurs centaines de kilomètres de l’épicentre du choc principal.</p>
<p>Par exemple, suite aux séismes californiens de Landers en 1992 et Hector Mine en 1999, des essaims de séismes ont été observés à plusieurs centaines de kilomètres de l’épicentre. Il a été démontré que <a href="https://doi.org/10.1038/35078053">ces séismes ont eu lieu exactement lors du passage des ondes sismiques les plus fortes émises par ces deux séismes</a>.</p>
<p>Des observations similaires ont été effectuées en laboratoire pour démontrer que <a href="https://doi.org/10.1038/nature04015">lors du passage de ces ondes sismiques, le matériau qui constitue le cœur de la faille s’affaiblit</a>, provoquant un relâchement des contraintes par glissement, c’est-à-dire un séisme.</p>
<p>Ce genre de comportement vient de la physique des milieux granulaires, qui lorsqu’ils sont secoués, peuvent se comporter comme des fluides. Secouer rapidement un tas de sable va le conduire à s’aplatir sous son propre poids alors que sans ces secousses, il tient très bien tout seul.</p>
<p>Secouer rapidement une faille peut donc la conduire à glisser, produisant ainsi des séismes. Il a aussi été observé que <a href="https://doi.org/10.1029/2012JB009160">ces ondes sismiques peuvent déclencher des glissements lents à des distances colossales</a>. Les ondes sismiques émises par le séisme de Maule, un séisme de magnitude 8,9 en 2010 au Chili, ont provoqué un glissement lent le long de la subduction du Mexique, à environ 7 000 kilomètres de l’épicentre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199350/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Jolivet a reçu des financements de Conseil Européen pour la Recherche (ERC), de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) ainsi que du Centre National pour la Recherche Scientifique (CNRS) et de l'Institut Universitaire de France (IUF).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laurent Jolivet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les séismes peuvent en déclencher d’autres : des répliques, mais aussi des séismes plus distants.Romain Jolivet, Professeur des Universités, École normale supérieure (ENS) – PSLLaurent Jolivet, Professeur, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1975622023-01-12T18:44:39Z2023-01-12T18:44:39ZPourquoi l’État français entretient-il un rapport ambivalent avec les militants kurdes ?<p>Le nouvel <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/231222/attaque-paris-trois-kurdes-tues-par-balles-un-francais-de-69-ans-arrete">attentat</a> qui a frappé la communauté kurde parisienne du X<sup>e</sup> arrondissement de Paris le 23 décembre 2022 marque une nouvelle meurtrissure dans l’histoire du militantisme kurde en France ; près de dix ans jour pour jour après le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/01/09/dix-ans-apres-la-communaute-kurde-demande-la-verite-et-la-justice-pour-le-triple-assassinat-de-la-rue-la-fayette_6157132_3224.html">triple assassinat du Centre d’Information du Kurdistan</a> dans la nuit du 9 au 10 janvier 2013. </p>
<p>Il suffit de seulement quelques minutes de marche pour se rendre d’une scène de crime à l’autre, du 147 rue La Fayette au Centre Culturel Ahmet Kaya du 16 rue d’Enghien. Sur le chemin, on peut également passer devant la porte de l’Institut kurde de Paris, au 106 rue La Fayette. Un petit Kurdistan au centre de la France où l’on retrouve des nombreux commerces anatoliens à chaque coin de rue jusqu’au Faubourg Saint- Denis, comme le restaurant et le salon de coiffure où s’est également rendu le tueur du 23 décembre. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-kurdes-victimes-indirectes-de-la-guerre-en-ukraine-196372">Les Kurdes, victimes indirectes de la guerre en Ukraine</a>
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<p>Mais le quartier est loin d’être seulement marqué par l’identité kurde, le X<sup>e</sup> arrondissement et les artères adjacentes de la rue d’Enghien ont en effet une longue histoire d’accueil de différentes populations issues de l’immigration, turque autant que kurde par exemple. Les alentours de la porte Saint-Denis et de la Gare de l’Est représentent ainsi un carrefour multiethnique qui amène les proches des victimes de cette nouvelle tuerie <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/25/la-communaute-kurde-refuse-de-croire-a-la-these-de-l-attaque-raciste-au-lendemain-de-la-tuerie-de-la-rue-d-enghien_6155633_3224.html">à douter des motivations uniquement racistes</a> du meurtrier.</p>
<h2>D’une attaque à l’autre</h2>
<p>Alors que le <a href="https://www.20minutes.fr/justice/4016309-20221226-attaque-raciste-contre-kurdes-pourquoi-caractere-terroriste-encore-retenu">parquet national antiterroriste</a> n’a pas, pour l’instant, été saisi de l’affaire, la possibilité d’une organisation de l’attaque par le <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/pour-les-kurdes-de-france-lombre-de-la-turquie-derriere-le-crime-raciste-20221225_QZBHE5RUC5FHLJ4SCUY6QPIU5Y/">gouvernement turc</a> ne cesse de hanter les militants kurdes de France qui voient de nouveau dans cette affaire une volonté de les intimider dans leur combat, mené en exil comme au Moyen-Orient. </p>
<p>Le refus continu du gouvernement français de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/militantes-kurdes-tuees-en-2013-le-poids-du-secret-defense-pese-sur-l-enquete_6080850_3224.html">lever le secret-défense</a> sur les notes des services de renseignement confirmant potentiellement l’implication de leurs collègues turcs dans l’attaque de 2013 – dont la <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/070123/d-un-triple-meurtre-l-autre-des-milliers-de-kurdes-reclament-une-reaction-de-la-france">manifestation de commémoration des dix ans</a> était organisée au moment de l’attentat de 2022 –, est la raison principale de ce doute constant et illustre également toute l’ambiguïté de la France vis-à-vis du militantisme kurde.</p>
<h2>Soutien à géométrie variable</h2>
<p>Le lendemain de cette nouvelle attaque, les responsables du Centre Démocratique Kurde en France (CDK-F) – dont le siège est situé au 16 rue d’Enghien – ont ainsi été reçus par le <a href="https://twitter.com/Le_CDKF/status/1606695019037048833">ministre de la Justice</a>, alors qu’un an plus tôt, l’une des antennes de cette organisation faisait l’objet d’une descente de police menée par la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) et conduisant à une série d’arrestations. </p>
<p>Accusées de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/le-pkk-a-nouveau-dans-le-viseur-de-la-justice-antiterroriste_6080851_3224.html">« financement terroriste »</a>, les personnes incriminées se voient reprochés leurs liens présumés avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan, PKK). Cette organisation est considérée comme terroriste par les États-Unis et l’Union européenne, du fait de son engagement dans la lutte armée en Turquie, l’un des principaux piliers de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Or, depuis l’été 2014, les États-Unis comme plusieurs pays européens membres de l’OTAN, dont la France, participent à une coalition militaire visant à combattre l’État islamique en Irak et en Syrie, notamment à travers l’appui aérien et logistique apporté à l’antenne syrienne du PKK, le Parti de l’Union Démocratique (Partiya Yekîtiya Demokrat, PYD).</p>
<p>Frappée de plein fouet par les attentats fomentés par l’autoproclamé État islamique depuis 2015, la France a été particulièrement engagée dans ce soutien aux milices kurdes du PYD : que ce soit à travers la mobilisation du <a href="https://www.opex360.com/2015/11/18/depart-de-toulon-du-porte-avions-charles-de-gaulle-de-son-escorte-pour-la-mediterranee-orientale/">porte-avions Charles de Gaulle</a>, la réception de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/offensive-jihadiste-en-irak/emmanuel-macron-recoit-des-kurdes-syriens-et-les-assure-du-soutien-de-la-france-contre-le-groupe-etat-islamique_3405889.html">plusieurs délégations des Kurdes de Syrie à l’Élysée</a> ou encore la <a href="https://www.revuedesdeuxmondes.fr/cause-kurde-devenue-populaire-france/">médiatisation sans précédent</a> autour des Kurdes et de leurs revendications. </p>
<p>Ce fort soutien dont a bénéficié la cause kurde à cette époque a dès lors permis aux associations porteuses de ce militantisme sur le territoire français de jouir d’un nouveau souffle de reconnaissance et d’adhésion, autant que du témoignage de soutiens transpartisans – de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/03/21/97001-20180321FILWWW00139-retailleau-accuse-macron-d-abandonner-les-kurdes.php">Bruno Retailleau</a> à <a href="https://www.lepoint.fr/politique/kurdes-tues-a-paris-melenchon-veut-une-saisine-du-parquet-antiterroriste-26-12-2022-2502885_20.php">Jean-Luc Mélenchon</a>, en passant par <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/bernard-henri-levy/bhl-ukraine-kurdistan-meme-combat-08-09-2022-2489140_69.php">Bernard Henri-Lévy</a> – parfois inespérés au vu des fondements idéologiques de ces organisations historiquement proches de la gauche plus ou moins radicale en France. </p>
<h2>Un militantisme kurde qui a évolué en France</h2>
<p>Si les prémisses de l’insertion des revendications kurdes dans l’espace des mouvements sociaux français remontent au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, je décris dans une recherche à paraître que c’est dans le contexte des luttes décoloniales, anti-impérialistes et tiers-mondistes que se sont véritablement développés des réseaux de soutien à la cause kurde en France. À cette époque les grandes revendications s’inscrivaient dans un discours reprenant les grandes lignes de la pensée marxiste et de ses dérivées, avec la mise en avant de l’héritage des combats menés par les révolutionnaires cubains et les indépendantistes algériens. Les combats des Kurdes s’inscrivent en effet dans une dynamique de lutte contre l’autoritarisme des régimes irakiens, turcs, iraniens ou syriens qui cherchent à marginaliser les revendications des minorités au sein de leurs populations respectives en menant des politiques de colonisation des régions concernées sur leurs propres territoires.</p>
<p>Et si les premiers porteurs du militantisme kurde en France vont réussir à faire connaître leurs mouvements à travers la légitimation de ce type de discours après mai 68, ainsi que grâce à leur proximité avec <a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/2896?lang=en">Danielle Mitterrand</a> (qui s’est distinguée par son fort soutien aux Kurdes, notamment en Irak) ; les années 1980 vont justement être marquées par l’émergence et l’imposition du PKK comme nouvel acteur non négligeable, mais dérangeant, de la lutte des Kurdes pour la reconnaissance de leur droit à l’auto- détermination, que ce soit en Turquie ou à l’international.</p>
<h2>Internationalisation de la lutte et de sa répression</h2>
<p>Fondé par Abdullah Öcalan et ses camarades étudiants en 1978, le PKK va se démarquer des autres organisations partisanes kurdes actives à l’étranger en choisissant de transposer auprès de la diaspora son répertoire d’action politique révolutionnaire. Or, les Kurdes sont particulièrement nombreux à avoir émigré en Europe, et notamment en France, suite à la <a href="http://editionsdudetour.com/index.php/les-livres/histoire-des-turcs-en-france/">signature d’accord d’envoi de main-d’œuvre</a> entre la Turquie et les pays d’Europe de l’Ouest tout au long des années 1960. Puis à travers l’arrivée régulière de réfugiés politiques kurdes en provenance de Turquie, mais aussi d’Irak, de Syrie et d’Iran, selon les différentes périodes de répression plus ou moins violentes dont sont victimes les populations kurdes locales. Il existe donc en France, comme ailleurs en Europe, une importante population kurde sur laquelle le PKK va s’appuyer pour soutenir son combat au Moyen-Orient, à travers un réseau d’associations créées au contact des différents foyers d’installation de la diaspora à l’étranger. Ce maillage prend alors la forme d’une fédération d’associations kurdes étalées sur l’ensemble du continent européen, et qui finira par prendre le nom, pour la France, du Centre Démocratique du Kurdistan.</p>
<p>Forte de cette présence au plus près des populations kurdes expatriées, cette organisation va donc jouer dans ces différentes associations le double-rôle d’institution de sociabilité centrale pour ces populations migrantes qui cherchent à recréer du lien à l’étranger et de lieu de (re)politisation, autant pour les exilés que pour les populations locales intéressées par la cause kurde. Car bien que considéré comme terroriste, le PKK séduit certains militants internationaux pour sa position de fer de lance dans la lutte contre un État turc qui s’attire les foudres d’activiste des droits de l’homme, pour la répression qu’il mène contre ses propres compatriotes kurdes.</p>
<p>Au début des années 2000, le parti va présenter une mue idéologique qui va amener ses revendications à évoluer de l’indépendance vers l’autonomie, et son discours du marxisme-léninisme vers la nouvelle théorie du <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-2-page-27.htm">« confédéralisme démocratique »</a>. Un principe libertaire de communautés d’auto-administrations démocratiques, féministes et écologiques qui va séduire un activisme transnational se revendiquant notamment de l’altermondialisme. La tentative de mise en place de ce nouvel objectif politique dans le nord-est de la Syrie à partir de 2012 poussera ainsi de <a href="https://lundi.am/Rojava-y-partir-combattre-revenir">nombreux militants occidentaux</a> à faire le voyage dans la région pour y soutenir cette <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_revolution_kurde-9782707188472">« utopie »</a> en construction, et même certains à prendre les armes dans la guerre qui fait rage dans le pays, principalement contre l’État islamique (EI).</p>
<p>À leur retour dans leurs pays respectifs, dont la France, ces militants seront traités de la même manière que les volontaires partis combattre dans les rangs de l’EI. Fichés et surveillés du fait de la formation militaire et idéologique reçue en Syrie, certains seront même <a href="https://hal.science/hal-03879950/">arrêtés pour terrorisme</a>, du fait de leur engagement dans les rangs d’une organisation filiale du PKK, aux côtés de laquelle l’armée française a néanmoins elle-même combattu. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197562/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rémi Carcélès bénéficie d'une bourse doctorale financée par l'Université d'Aix-Marseille, dans le cadre de son travail de recherche - portant sur "la transposition des conflits nationaux en contexte migratoire par l'étude des militantismes turcs, kurdes et arméniens en France" - il est notamment amené à côtoyer régulièrement des associations militantes kurdes pouvant être en lien avec les réseaux mentionnés dans cet article. </span></em></p>Le nouvel attentat qui a frappé la communauté kurde marque une nouvelle meurtrissure dans l’histoire du militantisme kurde en France, près de dix ans jour pour jour après le triple-assassinat de 2013.Rémi Carcélès, Doctorant en science politique, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963722022-12-29T17:42:31Z2022-12-29T17:42:31ZLes Kurdes, victimes indirectes de la guerre en Ukraine<p>La guerre en Ukraine a des répercussions géostratégiques importantes sur le Moyen-Orient et, notamment, sur le dossier kurde.</p>
<p>Cette guerre concentre toute l’attention de la Russie et une grande partie de celle des États-Unis, et rend donc ces deux acteurs moins enclins à s’opposer fermement aux opérations conduites par la Turquie contre le PKK (parti marxiste-léniniste pankurde). En outre, le contexte actuel contribue à créer une convergence objective entre Ankara et Téhéran sur la question kurde.</p>
<h2>Quand Ankara et Téhéran s’en prennent simultanément aux groupes kurdes</h2>
<p>La recherche d’un dialogue entre les puissances occidentales et Téhéran <a href="https://english.alarabiya.net/News/middle-east/2022/10/31/Military-option-is-on-the-table-if-needed-to-prevent-Iranian-nuclear-weapon-Malley">n’est plus à l’ordre du jour</a>.</p>
<p>Les Occidentaux fustigent l’Iran pour son <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220910-nucl%C3%A9aire-france-allemagne-et-royaume-uni-doutent-s%C3%A9rieusement-des-intentions-de-l-iran">inflexibilité sur le dossier nucléaire</a> et son engagement aux côtés de la Russie en Ukraine, qui s’est matérialisé par la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-iran-reconnait-avoir-livre-des-drones-a-la-russie-avant-sa-guerre-contre-l-ukraine-20221105">livraison de drones à Moscou</a>.</p>
<p>De son côté, Téhéran dénonce l’ingérence des puissances occidentales <a href="https://www.plenglish.com/news/2022/09/21/iran-denounces-western-interference-in-its-internal-affairs/">dans ses affaires intérieures</a> (puisque ces puissances critiquent avec véhémence la répression du mouvement de contestation qui traverse le pays depuis le meurtre de la jeune Kurde Mahsa Amini) et le rôle déstabilisateur des États-Unis qui <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/gaillaud_washington_teheran_reconciliation_impossible_2022.pdf">affichent leur soutien à l’opposition iranienne</a> – à savoir les monarchistes, les <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Iran-sont-moudjahidines-peuple-2018-07-03-1200952241">Moujahidines du peuple</a> (comme composante politique identifiée) et aussi les manifestants actuels à l’intérieur du pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-guerre-en-ukraine-bloque-un-accord-sur-le-nucleaire-iranien-192061">Comment la guerre en Ukraine bloque un accord sur le nucléaire iranien</a>
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<p>Pendant ce temps, la Turquie met à profit le contexte de la guerre en Ukraine, qui lui a permis de <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arbitre-guerre-ukraine-2022">renforcer son influence diplomatique</a>, pour mener une offensive militaire en Syrie contre les forces kurdes affiliées au PKK. La branche syrienne du PKK, le Parti de l’union démocratique (PYD), domine les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_d%C3%A9mocratiques_syriennes">Forces démocratiques syriennes</a>, structure militaire hétéroclite composée de plusieurs dizaines de milliers de combattants.</p>
<p>Depuis le 20 novembre, Ankara <a href="https://www.dw.com/en/kurds-in-the-middle-east-why-are-they-under-fire/a-63850573">conduit une suite d’opérations militaires</a> qui ont pris la forme d’une série de raids aériens et de tirs d’artillerie contre les positions en Syrie et en Irak du PKK, tenu pour responsable de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/attentat-a-istanbul-le-spectre-du-terrorisme-de-retour-en-turquie_2183539.html">l’attentat à la bombe qui a fait six morts à Istanbul le 13 novembre</a>. La Turquie prépare ses forces terrestres à un <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1318947/erdogan-envisage-une-operation-terrestre-en-syrie.html">engagement majeur dans le nord de la Syrie</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cWuABTFDQtE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La Turquie riposte à l’attentat d’Istanbul en frappant les régions kurdes de Syrie et d’Irak, France 24, 20 novembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Téhéran, de son côté, a <a href="http://www.strato-analyse.org/fr/spip.php?article142">frappé les positions militarisées</a> dans le Mont Qandil (non nord-ouest de l’Irak) de plusieurs organisations kurdes – le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), le Parti pour une Vie Libre au Kurdistan (PJAK, branche iranienne du PKK) et Komala (Organisation autonomiste kurde (de tendance maoïste). Ces groupes sont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/21/l-iran-mene-de-nouvelles-frappes-au-kurdistan-d-irak_6150818_3210.html">accusés par Téhéran d’attiser les manifestations contre le régime</a> consécutives à la mort de Mahsa Amini.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">Iran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes</a>
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<p>Ces nouveaux développements démontrent que si, historiquement, la question kurde renvoie à une diversité de réalités et d’intérêts, le sentiment identitaire qui déborde les frontières et la trajectoire de certains mouvements indépendantistes, ainsi que <a href="https://www.institutkurde.org/info/opinion-wesre-americass-most-loyal-ally-in-syria-donst-forget-us-1232552220">leur alliance devenue inextricable avec les États-Unis</a>, fédèrent les deux principaux acteurs régionaux dans leur volonté de neutraliser la « menace intérieure kurde ».</p>
<h2>La passivité américaine</h2>
<p>Voilà près de 40 ans que des épisodes d’affrontements rythment l’histoire conflictuelle entre le PKK, créé en 1978 par Abdullah Öcalan (et inscrit depuis 1997 sur la <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations">liste américaine des organisations terroristes</a>), et les autorités turques. Le conflit armé, qui débute en <a href="https://rojinfo.com/le-15-ao%C3%BBt-1984-debut-dune-nouvelle-ere-dans-lhistoire-kurde/">1984</a> et atteint son paroxysme <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/conflitkurde">dans les années 1990</a>, est passé par plusieurs phases. Après une période d’accalmie à la fin de l’année 2012, faisant suite à des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2013/01/10/kurdes-et-turcs-en-negociations-ouvertes_873047/">négociations entre les autorités turques et le PKK</a>, le conflit s’intensifie de nouveau à partir de 2015.</p>
<p>À la faveur de la guerre en Syrie et des évolutions sur le terrain, le PYD a connu une montée en puissance qui a accru les appréhensions d’Ankara. Pour la Turquie, cette force incarne une menace pesant sur son intégrité territoriale et son unité nationale puisque le projet du PKK (dont le PYD, nous l’avons dit, est la branche syrienne) est de créer un État kurde en séparant le Kurdistan de Turquie du reste du pays.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2017/06/25/le-vrai-visage-des-liberateurs-de-rakka/">Fer de lance de la lutte contre le groupe État islamique</a>, le PYD est soutenu par les États-Unis, même si ceux-ci cherchent dans le même temps à ménager leur allié stratégique turc. Pour ne pas heurter la Turquie et appuyer de manière directe le PYD, Washington a favorisé la création des <a href="https://rojinfo.com/les-fds-representent-toutes-les-composantes-du-nord-de-la-syrie/">Forces démocratiques syriennes</a> (FDS), une coalition hétéroclite qui reste perçue par Ankara comme une structure-écran dominée par le PKK, et qui contrôle le Nord-Est de la Syrie. Cette alliance fluctuante au gré des contextes et de la redéfinition des priorités américaines est d’abord conçue dans l’intérêt des États-Unis.</p>
<p>Les FDS se sont, en effet, retrouvées dans un rapport de dépendance élevé à l’égard de Washington. Plusieurs épisodes du conflit en Syrie ont illustré la faiblesse de la garantie de sécurité américaine, à l’exemple des batailles de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/990063/les-ambiguites-du-triangle-usa-turquie-kurdes-au-coeur-de-loffensive-contre-manbij.html">Manbij en 2016</a> et d’<a href="https://www.nytimes.com/2018/01/23/opinion/turkey-syria-kurds.html">Afrin en 2018</a> où les Kurdes ont été les otages des calculs américains, et traités davantage comme des partenaires circonstanciels que comme des alliés stratégiques.</p>
<p>L’opération militaire lancée par le président turc le 20 novembre pour <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/turkeysource/the-risks-and-rewards-of-erdogans-next-military-operation/">neutraliser la menace kurde dans les zones syriennes situées le long des frontières méridionales de la Turquie</a> en refoulant les YPG (bras armé du PYD) à près de trente kilomètres de la frontière turque a ravivé les inquiétudes des forces kurdes, qui craignent que la Turquie ne bénéficie une nouvelle fois de la mansuétude de Washington.</p>
<p>Le commandant général des FDS, Mazloum Kobane Abdi, a en effet demandé aux États-Unis d’adopter une <a href="https://www.voanews.com/a/us-backed-kurdish-commander-us-needs-stronger-position-on-turkish-threat-/6855246.html">position plus ferme « face aux menaces turques »</a>. Il a également appelé la Russie – qui avait joué un rôle de médiateur lors de la précédente offensive turque en 2019 et obtenu un accord en vertu duquel l’armée syrienne et des forces russes se sont déployées le long de la frontière – <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221129-syrie-les-kurdes-exhortent-moscou-%C3%A0-emp%C3%AAcher-une-offensive-terrestre-turque">à faire pression sur la Turquie</a>.</p>
<p>Cette opération militaire de la Turquie pour sécuriser ses zones frontalières est toutefois perçue par les observateurs occidentaux comme s’inscrivant dans un agenda électoral : il s’agit de renforcer la position de l’AKP dans la perspective des prochaines échéances électorales, après sa défaite en 2019 aux élections locales <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/4/2/erdogans-ak-party-loses-major-turkey-cities-in-local-elections">à Izmir, Istanbul et Ankara</a> sur fond de profonde <a href="https://www.courrierinternational.com/article/crise-en-turquie-l-inflation-sur-un-an-atteint-83-un-pic-inedit-depuis-1998">crise économique</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1602006253802242051"}"></div></p>
<p>Mais pour Bayram Balci, directeur de l’Institut français d’Études anatoliennes (IEFA), joint par téléphone, cette offensive militaire ne relève pas uniquement de l’instrumentalisation politique et obéit à un réel souci sécuritaire : « Les considérations de politique intérieure sont très importantes, les autorités turques veulent montrer que les responsables de l’attentat d’Istanbul ne sont pas restés impunis, et probablement également obtenir de meilleures chances de remporter les élections. Mais malgré cela, il y a une réalité dont nombre d’analystes ne veulent pas tenir compte : cette opération revêt un intérêt sécuritaire réel face à la menace que représente pour la Turquie la présence des milices kurdes à sa frontière. »</p>
<p>Bayram Balci estime que si jusque là ni les Russes, ni les Américains ne veulent d’une incursion militaire terrestre de la Turquie en Syrie, ils tolèrent toutefois les bombardements aériens et les tirs d’artillerie dans la mesure où ils « n’ont pas les moyens d’entrer en conflit avec Ankara et ont besoin d’elle dans le conflit en Ukraine ».</p>
<p>Pour Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou, contacté également par téléphone, les Russes sont hostiles non pas aux Kurdes en tant que tels mais à leur alliance militaire avec les États-Unis, qui <a href="https://www.justsecurity.org/81313/still-at-war-the-united-states-in-syria/">continuent de garder sous leur contrôle la rive orientale de l’Euphrate</a> : « Moscou a régulièrement critiqué cette présence américaine et appelé les Kurdes à rompre cette alliance. Rien n’indique à ce stade que les FDS vont troquer leur allégeance aux Américains contre un retour dans le giron de Damas. Les Russes ont manifestement poussé pour que les Kurdes évacuent la bande de 30 km attenante à la frontière avec la Turquie dans les zones sous leur contrôle, mais cela n’a rien donné. Maintenant, il est vrai que l’entêtement des Kurdes à privilégier leur alliance avec Washington irrite les Russes. Mais cela ne va pas au-delà. »</p>
<h2>Une nouvelle donne appelée à durer ?</h2>
<p>Du côté de Washington, bien que le <a href="https://apnews.com/article/islamic-state-group-nato-syria-bucharest-turkey-bb1980f532b5a44cbc693897c853d9f1">durcissement de ton à l’égard la Turquie</a> pour tenter de dissuader Recep Tayyip Erdogan de lancer la phase terrestre de l’offensive augure d’un raidissement de la position américaine, les moyens de pression restent limités en raison de l’importance du rôle de la Turquie dans le conflit en Ukraine.</p>
<p>Sur ce dossier, Ankara tient une position ambivalente. D’une part, elle a contribué à l’effort de guerre de ses alliés de l’OTAN. D’autre part, elle <a href="https://www.euronews.com/2022/11/04/hungary-and-turkey-are-the-last-two-roadblocks-to-nato-membership-for-finland-and-sweden">continue de bloquer la tentative de l’OTAN d’accélérer l’adhésion de la Suède et de la Finlande</a> à l’Alliance en dépit des sollicitations américaines. Ankara est l’un des deux seuls pays membres de l’OTAN, avec la Hongrie, à ne pas avoir donné son aval à l’adhésion des pays nordiques. Washington dispose donc de peu de leviers de pression contre la Turquie dans ce contexte.</p>
<p>Quant à l’Iran, s’il n’a pas d’antagonisme majeur avec les FDS en Syrie, et ne semble pas résolument hostile au PKK en Irak, il est aujourd’hui, nous l’avons dit, engagé dans une confrontation militaire avec le PDKI, le PJAK et Komala, considérés parmi les forces motrices du soulèvement actuel contre le régime (soulèvement au moins partiellement imputé à Washington).</p>
<p>Une nouvelle donne s’esquisse donc : la convergence de la Turquie et de l’Iran qui voient désormais les acteurs kurdes comme des auxiliaires d’une stratégie américaine de déstabilisation. Les grandes puissances ayant à fort à faire ailleurs, les Kurdes risquent de ne pouvoir compter que sur leurs propres ressources pour faire face à cette double offensive…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196372/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pendant que l’attention russe et américaine est largement fixée sur l’Ukraine, Ankara et Téhéran s’attaquent aux forces kurdes, en Syrie et à la frontière Irak-Iran.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1893502022-08-29T18:16:25Z2022-08-29T18:16:25ZLa guerre en Ukraine transforme la carte des routes commerciales Chine-Europe<p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> n’a pas seulement impacté les échanges de l’Europe avec la Russie. Elle a aussi largement redéfini les routes commerciales terrestres avec la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chine-20235">Chine</a>, modifiant les portes d’entrée des marchandises en Europe et incitant les entreprises à reconfigurer davantage leurs chaînes d’approvisionnement.</p>
<p>Avant le conflit qui éclaté fin février, 95 % du fret ferroviaire entre la Chine et l’Europe transitaient, par le corridor Nord du China-Europe Express, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/nouvelles-routes-de-la-soie-36140">route de la Soie ferroviaire</a> reliant la Chine à l’Allemagne via le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie et la Pologne. À la suite des sanctions internationales contre la Russie et au risque de confiscation des marchandises transportées, les volumes de fret ferroviaire eurasiatique – constitués de <a href="https://asia.nikkei.com/Spotlight/Supply-Chain/China-opens-wallet-to-keep-trans-Eurasian-express-moving#:%7E:text=As%20the%20conflict%20in%20Ukraine,the%20China%2DEurope%20Railway%20Express.">PC et appareils électroniques, machines et pièces automobiles</a> – ont baissé de 80 %.</p>
<h2>Repenser les approvisionnements</h2>
<p>Les entreprises doivent, en effet, réorganiser la logistique de leurs échanges Chine-Europe et repenser la carte de leurs approvisionnements. Choix radicaux ou adaptations prudentes, les options varient selon les entreprises.</p>
<p>L’enseigne française de distribution d’articles de sports Decathlon, présente en Chine avec plus de 300 magasins et un réseau de partenaires industriels, affrétait, depuis 2017, des trains complets porte-conteneurs (train block). Partant de Wuhan (Chine), ils arrivaient à Liège (Belgique) et alimentaient la plate-forme logistique multimodale de Dourges (Hauts-de-France). Ce trafic ferroviaire s’est interrompu après trois mois de guerre et l’entreprise est obligée de choisir entre la voie maritime et le transit par de nouvelles routes ferroviaires.</p>
<p>Le constructeur suédois Volvo Cars, qui appartient au groupe chinois Zhejiang Geely et dont les usines sont basées en Suède, en Belgique et en Chine, a choisi Gand en Belgique comme pièce maîtresse de sa logistique internationale. Les modèles fabriqués en Chine sont expédiés par trains complets jusqu’à Gand et les mêmes trains repartent en Chine avec les modèles produits en Europe. L’entreprise doit choisir aujourd’hui de nouvelles modalités de transport Chine-Europe et décider également de l’implantation de ses nouvelles usines de production de voitures électriques pour le marché européen.</p>
<p>Son homologue allemand BMW, pour qui la Chine constitue le plus grand marché, a cessé tout transport ferroviaire via la Russie depuis le début de la guerre. Les voitures produites en Allemagne sont transportées par train jusqu’au port de Bremerhaven (Allemagne) puis par bateau jusqu’en Chine. De même, Audi, dont les usines sont en Allemagne et en Hongrie, étudie les possibilités offertes par de nouvelles routes ferroviaires pour exporter sa production vers la Chine.</p>
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<p>Face à ces interrogations, transporteurs et logisticiens ouvrent aujourd’hui de nouvelles liaisons ferroviaires, notamment via le corridor central transcaspien (middle corridor). AP Moller – Maersk, la plus grande compagnie maritime au monde, a ainsi lancé, avec un premier train en avril 2022, un nouveau service ferroviaire entre la Chine et la Roumanie qui relie l’empire du Milieu et l’Europe en 40 jours. Les trains venant de Chine traversent le Kazakhstan depuis le hub de Khorgos jusqu’au port d’Aktau sur la mer Caspienne. Les marchandises sont ensuite transportées en barge jusqu’au port de Bakou en Azerbaïdjan pour se diriger vers le port de Poti en Géorgie puis celui de Constanta en Roumanie, le plus grand port de la mer Noire.</p>
<p>Rail Bridge Cargo, logisticien ferroviaire néerlandais, relie lui Zhengzhou (Chine) et Duisburg-Neuss (Allemagne) via le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et la Géorgie en 23-25 jours via une route multimodale. Enfin, Nurminem Logistics, logisticien finlandais et pionnier du corridor transcaspien, a lancé, en mai 2022, en coopération avec Kazakhstan Railways, son premier train de fret utilisant le corridor transcaspien.</p>
<h2>Forces et faiblesses du corridor transcaspien</h2>
<p>Le corridor transcaspien (Trans-Caspian International Transport Route ou TITR) a gagné en intérêt en tant que route ferroviaire alternative. <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/la-route-de-la-soie-ferroviaire-se-rallonge-pour-contourner-la-russie-20220626">Mais cette route est plus difficile à développer que la route Nord</a> : elle passe par des pays de cultures et d’orientations géopolitiques très différentes comme les pays du Caucase, elle compte plus de ruptures de charge, et implique la traversée de deux mers : la mer Caspienne et la mer Noire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/480909/original/file-20220824-4453-o1hnw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/480909/original/file-20220824-4453-o1hnw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480909/original/file-20220824-4453-o1hnw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480909/original/file-20220824-4453-o1hnw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480909/original/file-20220824-4453-o1hnw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480909/original/file-20220824-4453-o1hnw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480909/original/file-20220824-4453-o1hnw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480909/original/file-20220824-4453-o1hnw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">International Association Trans-Caspian International Transport Route (TITR)</span></span>
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<p>Dans les ports, les délais de transit sont rallongés en raison des lacunes de l’infrastructure de manutention des marchandises et de la taille modeste des terminaux. Il en résulte un temps de trajet plus long (30 jours au lieu de 20).</p>
<p>Pour l’heure, le corridor transcaspien n’est pas dimensionné pour un pont terrestre massif se substituant à la voie traditionnelle transitant par la Russie : <a href="https://www.lagazetteaz.fr/news/economie/9088.html">il ne représente que 5 % de la capacité du corridor Nord</a>. C’est pourquoi, en mars 2022, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, le Kazakhstan et la Turquie ont signé une déclaration pour <a href="https://www.lagazetteaz.fr/news/economie/9088.html">améliorer le potentiel de transport</a> dans la région. La Turquie, qui a ouvert une liaison Bakou-Tbilissi-Kars dès 2017, apporte certes une contribution significative au trafic ferroviaire régional mais, dans l’ensemble, les volumes transportés restent inférieurs aux besoins.</p>
<p>Le développement des nouveaux corridors nécessite, en effet, d’importants investissements d’infrastructure ferroviaire et portuaire. L’Union européenne, avec le programme Transport Corridor Europe-Caucase-Asie (TRACECA), s’intéresse depuis 1993 au développement du corridor transcaspien. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) prévoit également d’investir plus de <a href="https://infra.global/ebrd-100m-for-kazakhstan-railway-modernisation/">100 millions d’euros dans Kazakhstan Railways</a> (KTZ).</p>
<p>L’intérêt de l’UE pour les pays du Caucase et le corridor transcaspien est décuplé par la recherche de nouvelles sources de gaz et de produits dérivés du pétrole en provenance de l’Azerbaïdjan et d’Asie Centrale. Cette actualité, qui est un facteur favorable aux investissements sur la route transcaspienne, peut aussi être de nature à exacerber les rivalités et <a href="https://thediplomat.com/2022/03/what-will-russias-invasion-of-ukraine-mean-for-chinas-belt-and-road/">aiguiser les appétits des grands acteurs régionaux</a>, en particulier la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/russie-21217">Russie</a> et la Turquie. Ceci constitue un risque tant pour les investisseurs que pour les entreprises utilisatrices des services logistiques dans la région.</p>
<p>Dans ce contexte, une grande partie des entreprises tend à reporter le transport de leurs marchandises du ferroviaire au maritime bien que ce dernier se heurte encore à une saturation des ports dans le monde.</p>
<h2>Le rôle clé de l’Europe orientale</h2>
<p>Dans l’UE, la Bulgarie et la Roumanie sont bien placées pour bénéficier du développement des échanges via le corridor transcaspien. La liaison entre les ports de Poti en Géorgie et de Constanta en Roumanie fait l’objet de nouvelles solutions intermodales. Le transporteur Cosco Shipping Lines Romania étudie la possibilité de lancer un service de train de conteneurs <a href="https://www.railfreight.com/railfreight/2022/05/24/cosco-considers-launching-greece-romania-train-to-alleviate-constanta/">entre Le Pirée (Grèce) et les terminaux roumains</a> pour désencombrer le port de Constanta.</p>
<p>La Commission européenne a récemment approuvé l’allocation de 110 millions d’euros pour la modernisation d’un corridor ferroviaire en Bulgarie entre Sofia et la frontière serbe dans le cadre du réseau transeuropéen de transport (RTE-T).</p>
<p>La Grèce peut aussi bénéficier de la réallocation de trafic dans une logique alliant rail et mer. Le Pirée est déjà largement employé comme porte d’entrée des marchandises asiatiques en Europe. De nombreux groupes électroniques entreposent et distribuent vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique à partir du Pirée, les marchandises venant d’Asie pouvant atteindre, en 25 ou 26 jours, la Hongrie ou la République tchèque où ils disposent de sites d’assemblage. La connexion du port grec au réseau ferroviaire européen reste, en effet, décisive pour le transport de biens en Europe du Sud-Est et Cosco contrôle le port depuis 2016.</p>
<h2>Un pivotement vers la Turquie</h2>
<p>Pour augmenter les possibilités d’acheminement, les entreprises doivent surtout repenser la localisation de leurs sites de production car elle détermine largement le choix des routes de transport. S’il est encore difficile de remplacer la Chine dans plusieurs secteurs, le confinement de villes comme Shanghai ou Shenzhen et les tensions croissantes entre Pékin et Washington conduisent les entreprises à prendre en compte plus avant le scénario d’un relatif découplage entre la Chine et l’Occident.</p>
<p>La réorientation des routes Asie-Europe avantage déjà largement les entreprises européennes qui ont des sites de production en Turquie ou en Europe centrale et orientale. En 2021, le géant suédois Ikea a <a href="https://www.miroir-mag.fr/innovation/ikea-va-transferer-davantage-de-production-en-turquie-pour-raccourcir-sa-chaine-dapprovisionnement/">transféré en Turquie</a> une partie de sa production de meubles. En 2022, Volvo Cars a annoncé le <a href="https://pro.largus.fr/actualites/volvo-cars-va-ouvrir-en-slovaquie-sa-troisieme-usine-europeenne-10980396.html">choix de la Slovaquie</a> pour la création de sa troisième usine en Europe. Boohoo, enseigne anglaise d’ultra-fast fashion, a décidé, au printemps dernier, de <a href="https://www.thisismoney.co.uk/money/markets/article-10099233/Boohoo-opens-manufacturing-office-Turkey.html">produire plus de vêtements en Turquie</a> ainsi qu’au Maghreb.</p>
<p>L’intérêt de la Turquie en matière de connectivité Asie-Europe n’avait pas échappé à Cosco qui, dès 2015, avait pris le <a href="https://www.seatrade-maritime.com/asia/cosco-pacific-jv-buy-turkeys-kumport-terminal">contrôle du troisième port turc de containers</a> (Kumport) près d’Istanbul et assure des liaisons directes entre la mer Noire, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/turquie-21579">Turquie</a>, la Grèce et Israël.</p>
<p>Finalement, la guerre en Ukraine, qui a porté un coup majeur au fret ferroviaire par la route Nord, favorise l’émergence d’axes de transport alternatifs. Elle invite aussi les entreprises à vite reconfigurer leurs chaînes d’approvisionnement. Elle déplace, enfin, la porte d’entrée des échanges commerciaux Chine-Europe de la frontière polono-biélorusse vers la Turquie.</p>
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<p><em>Corinne Vadcar, Senior Trade Analyst, a participé à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189350/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Paul Michel Larçon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le début du conflit, les entreprises abandonnent progressivement les voies du Nord pour de nouvelles alternatives. La Turquie semble la principale gagnante de cette reconfiguration.Jean-Paul Michel Larçon, Emeritus Professor Strategy and International Business, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1814992022-04-24T20:28:15Z2022-04-24T20:28:15ZLe mouvement kurde et le travail de mémoire du génocide arménien encore menacés par l’État turc<p>Ce 24 avril 2022, la majorité des Français avaient les yeux rivés sur l’élection présidentielle. Les années précédentes, c’était pourtant bien la mémoire du peuple arménien massacré qui retenait toute l’attention.</p>
<p>Le 24 avril – une date choisie en référence à la rafle d’intellectuels arméniens de 1915 – est en effet devenu <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/genocide-armenien-chaque-annee-une-journee-de-commemoration">officiellement depuis 2019</a> une journée de commémoration du génocide arménien, que la France reconnaît <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000403928/">dans la loi depuis 2001</a>.</p>
<p>Cette année-là, le Premier ministre Édouard Philippe avait assuré que « la France entend contribuer à faire reconnaître le génocide arménien comme un crime contre l’humanité, contre la civilisation ».</p>
<h2>Un génocide toujours nié par l’État turc</h2>
<p>Lorsqu’un évènement malheureux survient au Kurdistan de Turquie, il est coutume de s’exclamer, comme on invoquerait la fatalité : « Cent ans de malédiction ! » L’origine de ce dicton populaire et le fantôme qu’elle évoque ne font aucun doute. Il se <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782343229065-la-malediction-le-genocide-des-armeniens-dans-la-memoire-des-kurdes-de-diyarbekir-adnan-celik-namik-kemal-dinc/">réfère au génocide des Arméniens</a>, déclenché dans l’Empire ottoman en avril 1915 par le Comité Union et Progrès.</p>
<p>Dans les régions kurdes, les chrétiens (près d’un tiers de la population, Arméniens et Assyriens) furent <a href="https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-2003-1-page-123.htm">massacrés et déportés</a> avec la participation de collaborateurs locaux, au nom d’une fraternité turco-kurde conçue sous la bannière de l’islam.</p>
<p>Ce crime fondateur fait l’objet d’un <a href="http://adl.hayway.org/default_zone/documents/le_tabou_du_genocide_armenien.pdf">négationnisme farouche en Turquie</a>. Les élites de l’État-nation turc, depuis sa naissance en 1923, ont fait de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/la-turquie-toujours-dans-le-deni-du-genocide-armenien_4368997.html">ce déni un socle de l’histoire officielle</a>, et lourdement criminalisé les voix et mémoires dissidentes. <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-Turquie-genocide-armenien-reste-tabou-2021-05-08-1201154729">Diffusé depuis le sommet de l’État</a>, le discours négationniste, <a href="https://enrs.eu/article/teaching-the-armenian-genocide-a-comparative-analysis-of-national-history-curriculums-and-textbooks-in-turkey-armenia-and-france">enseigné à l’école</a>, a tôt infusé l’ensemble de la société, dont une partie a hérité des biens arméniens confisqués et accaparés.</p>
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<figcaption><span class="caption">Génocide arménien : « L’État turc n’arrive pas à assumer son histoire » – France 24.</span></figcaption>
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<p>Pourtant, dans la capitale politico-culturelle du Kurdistan de Turquie, Diyarbakır, en 2015, des milliers de personnes <a href="https://armenianweekly.com/2015/05/01/armenian-genocide-commemorated-in-diyarbakir/">ont œuvré à la commémoration</a> du centenaire du génocide, point culminant du <em>réveil</em> <em>de mémoire</em>, dont le Kurdistan des deux décennies précédentes avait été le berceau. L’articulation publique de cette contre-mémoire s’inscrit dans un mouvement plus large d’éveil de la société civile.</p>
<h2>La contestation du récit national turc</h2>
<p>Dès les années 1990, de <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2005-4-page-101.html">nombreux groupes sociaux en Turquie</a> (femmes, mouvement LGBTI+, « minorités » religieuses et ethniques du pays) s’élèvent contre un récit officiel qui les a occultés, invisibilisés, criminalisés. Ils revendiquent une histoire propre, qui diffère de la glorieuse, linéaire et très nationaliste histoire imposée par les vainqueurs. Des bribes et fragments de mémoire diffus, jusqu’alors confinés dans la sphère privée, se rencontrent désormais sur la scène publique. Ces prises de parole se font écho les unes aux autres, se stimulent, et parfois se découvrent une relative communauté de destin, celle d’une oppression et d’une violence étatique récurrentes.</p>
<p>C’est ainsi notamment que le <a href="https://www.letemps.ch/monde/fantome-genocide-armenien-hante-kurdes">passé des Arméniens et celui des Kurdes s’unissent</a> sur un même registre « victimo-mémoriel ». En région kurde, des habitants « se souviennent » de cette mise en garde attribuée à des Arméniens sur le chemin de la déportation à leurs voisins kurdes : « Nous sommes le petit-déjeuner, vous serez le dîner ! »</p>
<p>Beaucoup plus proche dans le temps, les soldats turcs faisant la guerre aux combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), – qu’a lancé sur le sol turc une guérilla de décolonisation – dans la terrible décennie 1990 ne s’évertuaient-ils pas à les traiter de « bâtards d’Arméniens », la sinistre inscription conquérante et raciste.</p>
<h2>La tentative de faire émerger une conscience publique du génocide</h2>
<p>Avec <a href="https://merip.org/2020/08/the-armenian-genocide-in-kurdish-collective-memory/">l’apaisement relatif du conflit et les nouvelles dynamiques sociales</a>, les années 2000 sont propices à la remémoration et au questionnement. Il apparaît que la langue maternelle des Kurdes (<a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2009/12/09/progressivement-istanbul-autorise-la-langue-et-la-culture-kurdes-a-sortir-de-la-clandestinite_1278084_3214.html">longtemps interdite</a>), leur toponymie (turcisée mais toujours en usage), les récits de leur histoire orale et, plus silencieusement, leurs paysages, charrient irrémédiablement la mémoire de ce génocide. N’est-il pas temps, alors, de se confronter à ce passé, de se détourner de la voie des nationalismes excluants qui ont ensanglanté la région ? Pour qu’advienne le terme des <a href="https://information.tv5monde.com/info/ou-en-est-l-armenie-100-ans-apres-le-genocide-29928">« cent ans de malédiction »</a> ne faut-il pas se confronter au passé ?</p>
<p>Entraînée par les prises de parole profanes issues de la société civile et par un très fort désir de retour à la paix, l’émergence de la mémoire refoulée de 1915 fut aussi favorisée par la <a href="https://www.cairn.info/la-question-kurde--9782724607178-page-97.htm">mue idéologique du mouvement kurde</a>, qui dominait alors très largement la politique locale. En s’éloignant d’un prisme kurdocentré, fort d’un projet politique d’émancipation misant sur la résolution pacifique des conflits et la cohabitation des différences, celui-ci accompagna le déploiement du <em>travail de mémoire</em> qui s’opère dans le champ social. Ce travail de mémoire, pleinement embrassé par les municipalités kurdes, a débouché sur des <a href="https://aoc.media/analyse/2021/04/22/les-kurdes-et-la-construction-dune-contre-memoire-du-genocide-armenien/">actes symboliques</a> très forts notamment à Diyarbakir (restauration de monuments arméniens, changement de nom de rues, monuments d’hommage, etc.).</p>
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<figcaption><span class="caption">Les Arméniens commémorent le génocide de 1915 – Le Monde.</span></figcaption>
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<p>Entre 1999 (<a href="https://ovipot.hypotheses.org/11188">accession</a> du mouvement prokurde légal à la tête de la mairie de Diyarbakır) et 2015, divers acteurs se sont mobilisés pour la réhabilitation du passé multiculturel de la région et la reconnaissance du génocide de 1915. Cela s’est traduit <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2015/01/05/century-silence">par une multitude d’initiatives</a>, de la recherche académique au champ littéraire, de l’organisation de rencontres, discussions et festivals à des entreprises architecturales, commémoratives et muséales, jusqu’aux excuses publiques au nom du peuple kurde. La <a href="https://armenianweekly.com/2015/01/23/dink-anniversary-diyarbakir/">commémoration qui eut lieu en 2015</a>, en présence de figures de proue du mouvement kurde (comme la mairesse de la ville Gültan Kışanak et le co-président du Parti démocratique des peuples Selahattin Demirtaş, tous deux actuellement derrière les barreaux), a constitué l’apogée de ce long cheminement.</p>
<h2>Le retour en force négationniste</h2>
<p>Las ! Entre 2015 et 2021, après <a href="https://www.lesechos.fr/2015/07/turquie-erdogan-juge-impossible-la-poursuite-du-processus-de-paix-avec-le-pkk-268595">l’échec du processus de paix initié en 2013</a>, une nouvelle offensive de l’État turc a conduit au presque anéantissement des efforts et réalisations de ce processus mémoriel polymorphe. L’« ouverture kurde » promise par Erdoğan à l’aube de son second mandat a été maigre et de courte durée : quelques avancées symboliques, mais surtout des pourparlers de paix historiques, dont les <a href="https://boutique.lemonde.fr/hors-series/hs-turquie.html">espoirs ont été balayés dès 2015</a> par un retour à l’option belliciste et répressive. Depuis la reprise de la guerre contre le mouvement kurde, la violence étatique, militaire et judiciaire s’est à nouveau abattue massivement, non seulement dans les régions kurdes, mais aussi contre tous les acteurs de la société civile qui osaient élever une voix critique en Turquie. Au Kurdistan, les autorités locales élues ont été <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-4-page-125.htm">remplacées par des <em>kayyum</em></a> (administrateurs) nommés par le gouvernement, parfaite incarnation du despotisme étatique.</p>
<p>À la suite de cette offensive de l’État, on assista également au retour en force d’un discours kurde de déni de responsabilité vis-à-vis du génocide de 1915. Il ne faut pas oublier, en effet, l’existence de voix kurdes depuis le début hostiles à ce processus de reconnaissance.</p>
<p>Cette hostilité s’ancrait dans des perspectives diverses. Les uns pensaient qu’à travers la « repentance », les Kurdes s’affaiblissaient et endossaient à tort le « crime du maître » (l’État turc est pour eux le seul coupable). D’autres, partisans d’un Kurdistan kurdo-kurde, ne voulaient pas entendre parler d’un passé kurdo-arménien susceptible d’entacher l’homogénéité et les revendications territoriales d’un nationalisme kurde classique. D’autres enfin, islamistes radicaux, s’appropriaient sans réserve la part de la propagande étatique consistant à dénoncer le mouvement kurde dans son ensemble comme un mouvement au service des intérêts arméniens et occidentaux.</p>
<h2>La mémoire du génocide, ennemie de l’État turc</h2>
<p>Si ces voix avaient été de fait marginalisées et discrètes durant la montée en puissance du mouvement de réhabilitation de la mémoire arménienne, elles se sont exprimées sans retenue après l’offensive gouvernementale belliqueuse et <em>mémoricide</em> de 2015.</p>
<p>Au cours de celle-ci, le <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/gosse-diyarbakir">quartier historique de Sur à Diyarbakır</a>, qui accueillait notamment l’église arménienne Surp Giragos restaurée avec l’appui politique et économique de la municipalité et le « Monument de la conscience commune » érigé deux ans auparavant, a été rasé en deux temps : par l’armée lors des affrontements des « guerres urbaines » de 2015, puis par la politique d’expropriation-reconstruction qui a suivi. Ce dernier exemple est emblématique de la <a href="https://aoc.media/analyse/2021/04/22/les-kurdes-et-la-construction-dune-contre-memoire-du-genocide-armenien/">permanence du désir d’annihilation de tout retour des traces</a> de l’ancienne présence arménienne qui obsède les autorités turques depuis plus d’un siècle.</p>
<p>La brutalité du <em>mémoricide</em> et le retour du cycle infernal de la guerre et de la répression ont coupé court à l’extraordinaire travail de mémoire accompli sur le long chemin de la reconnaissance. Ce processus fut d’autant plus singulier et profond qu’il s’est déroulé dans un État-nation négationniste, au sein d’un groupe subalterne (Kurdes) dont les acteurs ont la particularité d’être aussi, pour partie, les descendants de perpétrateurs directs du génocide aux côtés du groupe dominant au pouvoir un siècle auparavant.</p>
<p>Il mérite d’être salué et raconté notamment car il fait apparaître combien la reconnaissance du génocide des Arméniens, la lutte pour les droits des Kurdes, et la possibilité démocratique en Turquie restent intimement et irrémédiablement interreliées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adnan Çelik est chercheur invité à l'Université de Cambridge et fait partie d'un projet de recherche sur les relations turco-arméniennes accueilli par le Programme interconfessionnel de Cambridge (Cambridge Interfaith Programme) et financé par la Fondation Calouste Gulbenkian. Les opinions exprimées sont celles de l'auteur. </span></em></p>Reconnu par vingt-neuf pays, le génocide arménien est encore nié par l’État turc. Ce tabou mémoriel est un enjeu crucial avec le droit des Kurdes et une démocratisation de la Turquie.Adnan Çelik, Chercheur anthropologue et historien, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1798752022-03-29T19:30:11Z2022-03-29T19:30:11ZMazeppa, héros de la nation ukrainienne magnifié par lord Byron<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/454751/original/file-20220328-27-8qvi25.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C11%2C1257%2C856&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Illustration de Mazeppa dans l'édition de 1846 du poème de lord Byron. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Mazeppa_(poem)#/media/File:Mazeppa_-_Byron.png">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>On laissera aux historiens, dont je ne suis pas, le soin de débattre de la place occupée par Ivan Stepanovitch Mazepa (1639-1709) dans l’histoire de la Russie comme dans celle de l’Ukraine. Une place des plus controversées, <a href="http://sflgc.org/chercheur/larue-anne/">« sujette à caution », a-t-on dit</a>. Et en tout point dépendante de l’endroit où se fixe le curseur : traître, aux yeux des Russes, héros national selon les Ukrainiens, Mazepa fut un véritable Janus bifrons. Né sur la rive occidentale du Dniepr, il tenta un moment, mais c’était déjà trop tard, de conclure une alliance avec les Ottomans, pour sauver l’indépendance de l’Ukraine.</p>
<p>Confirmé en tant qu'Hetman (Chef élu des clans cosaques, à l’époque de leur indépendance) par le tzar Pierre Le Grand, il avait régné en despote éclairé avant de trahir son bienfaiteur en allant solliciter le soutien des Suédois. En son temps, Voltaire avait eu l’habileté de livrer deux « Histoires ». Dans la première, L’Histoire de Charles XII, Roy de Suède, Mazepa a le beau rôle ; dans la seconde, Histoire de l’Empire de Russie sous Pierre le Grand, Voltaire épouse le point de vue des Russes, soulignant sa duplicité, ses complaisances successives, son cynisme, au pire, au mieux son opportunisme. Alors, girouette ou roc ? Judas ou Jeanne d’Arc ? Les deux, mon hetman. Il fallait assurément, pour demeurer si longtemps le héros des Ukrainiens, que leur « Prince » ait mis à profit ses lectures de Machiavel…</p>
<h2>Un personnage de légende</h2>
<p>C’est vers un poète, Lord Byron, que j’entends me tourner. Il est l’un des premiers à enrôler Mazepa sous la bannière romantique, et à accorder à son pays, l’Ukraine, une place de choix sur l’atlas européen des émotions. Peintres, musiciens, artistes se précipiteront dans la brèche, mais la matrice du mythe, c’est à son poème, ainsi qu’à sa traduction française par Amédée Pichot, qu’on la doit. Du reste, le nom de son personnage, il l’écrit avec deux « p », <em>Mazeppa</em> (1818), comme si le redoublement d’une lettre avait vocation à consacrer deux choses : l’affranchissement d’avec la vérité historique et le désir de parler du présent à la lumière du passé. Rappeler Mazeppa, comme Frédéric Boyer s’ingéniait il y a peu à <em>Rappeler Roland</em> (P.O.L. 2013) et sa chanson éponyme, c’est toucher du doigt en quoi la littérature enjolive, brode, reconstruit (et déconstruit) des personnages de légende – littéralement devant être lues.</p>
<p>Lire Byron, donc. Il escamote l’Histoire, pour mieux la faire rentrer par la petite porte, celle de l’anecdote. Il « byronise » son héros, calquant sur ce dernier un peu de sa trajectoire personnelle. Son exil forcé d’Angleterre, en juin 1816, sous la pression du scandale provoqué par ses infidélités à répétition, il le transpose dans les steppes d’Ukraine. Son personnage de page à la cour du roi de Pologne se voit lui aussi condamné à quitter la bonne société et ses mœurs policées ; surpris en flagrant délit d’adultère, il est ligoté, nu, à la demande du mari trompé sur un cheval sauvage – difficile de ne pas voir dans la cruauté du châtiment une sorte de contre-viol, de rapt inversé. Et c’est dans cet équipage pour le moins osé qu’il parcourt à la vitesse du vent toute la distance qui le sépare de la civilisation. Mais la liberté farouche des Cosaques qui le recueillent, au terme de sa cavalcade, avant de le porter à leur tête, était à ce prix. L’histoire connaît de ces retournements… Il aura ainsi « passé » le désert pour se retrouver sur un trône, celui d’Ukraine. Un tête-à-queue que Victor Hugo rendra de manière encore plus elliptique : « Enfin le terme arrive… il court, il vole, il tombe,/Et se relève roi ! »</p>
<p>Le point de départ du récit de Byron est beaucoup plus tardif : il a lieu lors de la bataille de Poltava (1709) qui consacre la défaite du roi de Suède, avec lequel Mazeppa, sentant l’heure de sa destitution venue, avait conclu une (dernière) alliance. Vaincu et harassé de fatigue, Charles XII lui demande de raconter dans quelles circonstances il a appris l’art équestre, et d’où lui vient la sollicitude dont il fait preuve envers ses montures. Pour ces deux vieillards, leur jeunesse enfuie revient au galop, à la faveur d’un récit livré à fond de train. La conclusion du poème, elle, escamote la fin prochaine des deux protagonistes. Rien sur la mort de Mazepa qui se réfugiera sur la rive ottomane du Dniepr, où il meurt peu de temps après, dans la forteresse de Tighina (aujourd’hui située en Moldavie, en lisière de la Transnistrie russophone).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454704/original/file-20220328-17-14c2vth.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454704/original/file-20220328-17-14c2vth.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454704/original/file-20220328-17-14c2vth.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454704/original/file-20220328-17-14c2vth.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454704/original/file-20220328-17-14c2vth.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454704/original/file-20220328-17-14c2vth.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454704/original/file-20220328-17-14c2vth.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La bataille de Poltava, Pierre-Henri Martin, 1726.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Poltava#/media/Fichier:Marten's_Poltava.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un personnage de proscrit</h2>
<p>Pas plus que le poème n’évoque les longues années passées par Mazeppa à exercer, de la plus rugueuse des façons, l’hetmanat, en se mettant pour ce faire, d’abord à son propre compte, et ensuite, ceci n’excluant pas cela, au compte des puissances étrangères qui font la pluie et le beau temps dans la région, auprès desquelles il plaidera la cause, avec une sincérité à chaque fois renouvelée, d’une Ukraine libre et indépendante. N’hésitant pas à changer de monture, polonaise à ses débuts, russe longtemps, suédoise sur la fin à défaut d’ottomane – dès lors que la cause le justifiait. Aux Turcs, il fit même valoir que ces derniers perdraient la Crimée – ce qui ne manqua pas de se produire, après coup – s’ils persistaient à se fier au maître de Saint-Pétersbourg. Rien de tout cela, donc, ne figure chez Byron, qu’on connaîtra, lorsqu’il se portera au secours de la Grèce sous domination ottomane, plus prompt à se faire le héraut de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes…</p>
<p>Même si la politique n’est pas tout à fait absente du propos, ce qui requiert Byron est tout autre : une Ukraine dont la topographie, la géographie, réduites à une valeur d’allégorie, lui tiennent lieu de repères dans sa reconstruction psychique, celle de l’exilé, du proscrit, du vaincu, bien décidé à prendre sa revanche. Qui s’y frotte, s’y pique. À bon entendeur, salut, glissera-t-on en marge du poème (dans la traduction française de Jean Pavans, <em>Poésie</em>/Gallimard, 2019))…</p>
<blockquote>
<p>« moi qui suis surgi d’une race<br>
Dont l’humeur, quand on la provoque et la piétine,<br>
Devient celle d’un crotale tout prêt à mordre. »<br></p>
</blockquote>
<p>Le paysage traversé par le couple formé par Mazeppa, renversé sur son cheval, n’a de réalité géopolitique qu’en creux. Il se résume à une suite d’étapes obligées dans ce qu’on voudra bien appeler un pèlerinage, ou un rite de passage à valeur initiatique. Un fleuve divise la cavale en deux temps, l’avant et l’après de l’épreuve. Ce fleuve est ligne de démarcation, autant qu’eau lustrale : Mazepa y entre à demi mort et en ressort vivant, « rebaptisé ». Sur ses berges escarpées et glissantes, il trouve les ressources qui fonde l’héroïsme et la résistance. Parvenu sur une éminence, il contemple, tel Moïse, les plaines en contrebas – l’Ukraine, ça rime avec plaine, en anglais comme en français. L’y attend, mais il ne le sait pas encore, une nouvelle vie.</p>
<p>Du fond de la forêt surgit alors une étrange troupe de cavalerie, un bien singulier escadron – de quoi former l’une des scènes les plus grandioses du poème :</p>
<blockquote>
<p>« Un millier de chevaux, et aucun cavalier !<br>
Un millier de chevaux la crinière en bataille<br>
Et la queue mouvante, avec de larges naseaux<br>
Jamais tendus par la douleur, avec des bouches<br>
Jamais ensanglantées par le mors ni les rênes,<br>
Avec des sabots inentamés par le fer,<br>
Et des flancs ne portant aucune cicatrice<br>
D’éperon ou de fouet, libres et sauvages<br>
Comme des vagues qui déferlent en grondant<br>
Sur la rive pour saluer notre timide<br>
Venue ! »<br></p>
</blockquote>
<p>La confrontation avec les congénères, non du cavalier – car il n’est pas une âme en vue dans ce grand désert d’hommes –, mais de sa cavale fourbue, cristallise deux postures antinomiques, entre lesquelles il n’est pas de compromis qui vaille : l’enchaînement, les liens (qui entrent dans la chair jusqu’au sang), la servitude (subie, involontaire, mais la volontaire n’est pas absente du propos), l’impuissance, versus la liberté, fière, farouche, hostile à toute soumission (à l’homme, au mors, à la selle, etc.). Il fallait, à l’évidence, cet ensauvagement, ce passage par l’animalité brute, écrit Anne Larue, pour souligner le rite de passage, la conversion du délicat courtisan aux mœurs rudes des Cosaques qui le recueillent. Mais libre à chacun, libre au lecteur, de voir sous ces figures chevalines rassemblées en horde, toute une « troupe », le mot est dans le texte, d’Ukrainiens que rien, ni personne, ne vaincra.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454705/original/file-20220328-16839-1k6grjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454705/original/file-20220328-16839-1k6grjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454705/original/file-20220328-16839-1k6grjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454705/original/file-20220328-16839-1k6grjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454705/original/file-20220328-16839-1k6grjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454705/original/file-20220328-16839-1k6grjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454705/original/file-20220328-16839-1k6grjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan Mahmoud IV de Turquie. Ilia Répine, 1891.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>La chute finale du récit de Byron réserve une surprise de taille : au moment d’en finir avec son histoire, donnée pour haletante, le conteur découvre que le roi de Suède dort depuis plus d’une heure, et qu’il n’a donc rien entendu ( !). Mais loin de prendre cette déconvenue au tragique, Mazeppa en sourit. Pour un peu, il s’esclafferait, comme s’esclaffent, hilares, les Cosaques Zaporogues (écrivant une lettre au sultan de Turquie), magistralement croqués par le peintre russe Ilya Répine (1880-1891). Plaisanterie mise à part, il prend toute la mesure, ironique, de la situation. Indifférent à la mort qui vient, il refuse de s’abandonner au désespoir et au découragement. Loin de céder à la « mélancolie de l’Histoire », il se dit convaincu que les ennemis d’hier… et ceux de demain, croit-on deviner entre les lignes, ne sauront échapper à leur juste châtiment :</p>
<blockquote>
<p>« Car le Temps rétablit<br>
Toute chose ; et pourvu que nous sachions attendre<br>
L’heure propice, il n’est point de puissance humaine,<br>
Qui, n’ayant pas eu de pardon, puisse échapper<br>
Aux longues veilles et recherches de celui<br>
Qui cultive sa rancune comme un trésor. »<br></p>
</blockquote>
<p>Ce « classique » fougueux qu’est <em>Mazeppa</em> n’est exempt, ni de fabrication historiographique ni de révisionnisme amoureux. Comme pour tous les classiques, cependant, sa signification se réactualise, en particulier dès lors que les plaines d’Ukraine sont prises pour cibles. Que les situations changent, ou, a fortiori, quand elles se répètent, toujours un classique nous parle : il « n’a jamais fini de dire ce qu’il a dire » (Italo Calvino). Puissent les Ukrainiens qui voudront bien lire ou relire l’histoire du supplice de Mazepa y puiser, aujourd’hui encore, des raisons d’espérer, pour ici et maintenant. Espérer que la justice poétique ne soit pas seule à passer, et que ses arrêts soient confortés par ceux, plus concrets, que pourrait rendre la Cour Pénale Internationale appelée à statuer, hors « rancune » mais au terme de « longues veilles et recherches », sur le cas de l’envahisseur de l’Ukraine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Byron fit de Mazeppa une figure de l’exilé, du proscrit, du vaincu, bien décidé à prendre sa revanche.Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797072022-03-24T18:44:04Z2022-03-24T18:44:04ZUkraine-Russie : comment négocie-t-on en temps de guerre ?<blockquote>
<p>« Chaque parole est plus importante qu’un tir de canon. » (Volodymyr Zelensky, <a href="https://www.bfmtv.com/international/europe/volodymyr-zelensky-previent-que-si-l-ukraine-tombe-la-russie-s-attaquera-a-l-europe-de-l-est_AD-202203030564.html">3 mars 2022</a>)</p>
</blockquote>
<p>On a parfois <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2008-3-page-73.htm">écrit</a> que l’histoire des relations internationales n’est qu’une alternance de négociations avant la guerre et après la guerre. Et on a fait remarquer que la <a href="https://www.cairn.info/negociations-internationales--9782724612813-page-199.htm">guerre se décide seul alors que la paix se négocie</a>. La guerre que mène la Russie en Ukraine ne déroge pas à ce principe.</p>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-entrezelenskyet-poutine-l-impossible-negociation_5027926.html">Plusieurs rounds de négociation</a> ont déjà eu lieu. Beaucoup d’autres suivront sans doute, avant la conclusion d’un cessez-le-feu. L’analyse du déroulement de ces négociations permet de tirer quelques constats sur le fonctionnement d’une négociation diplomatique.</p>
<h2>La composition des délégations</h2>
<p>Russes et Ukrainiens sont autour de la table. La <a href="https://tass.com/politics/1413549">composition</a> des deux délégations qui se sont rencontrées une première fois à Gomel en Biélorussie le 28 février, quatre jours après le début de l’invasion, est déjà une première indication du niveau de la négociation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1498257113931522058"}"></div></p>
<p>Si, du côté ukrainien, on retrouve le ministre de la Défense Reznikov, le proche conseiller de Zelensky Mikhailo Podolyak, ou encore le vice-ministre des Affaires étrangères et ancien ambassadeur d’Ukraine auprès de l’UE, Nikolai Tochitskty, l’équipe russe, elle, semble composée d’apparatchiks sans envergure. Le chef de la délégation, <a href="https://slate.com/news-and-politics/2022/03/who-is-vladimir-medinsky-negotiator-russia-ukraine.html">Vladimir Medinsky</a>, est un ancien ministre de la Culture (2012-2020), qui s’est surtout illustré par sa <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/09/vladimir-medinski-ministre-russe-de-l-inculture-et-de-la-propagande_5312227_3232.html">vision hypernationaliste et propagandiste</a>, avec même une tendance à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-rehabilitation-de-staline-avance-en-russie-05-03-2018-2199748_24.php">réhabiliter Staline</a>. Il est flanqué de Leonid Sloutski, le président de la commission des affaires internationales de la Douma, un personnage à la <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2018/03/russia-mockery-of-sexual-harassment-claims-against-mp-prompts-protest-on-international-womens-day/">réputation sulfureuse</a>, qui figure sur la liste américaine et européenne des personnalités russes faisant l’objet de sanctions.</p>
<p>Pourquoi Vladimir Poutine a-t-il envoyé de tels émissaires plutôt que son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov ? S’il avait voulu signifier qu’il ne prêtait pas vraiment d’importance à ces négociations, il ne s’y serait pas pris autrement.</p>
<p>La Turquie a fait offre de médiation en organisant le 10 mars à Antalya une <a href="https://www.bfmtv.com/international/europe/guerre-en-ukraine-apres-antalya-reste-t-il-une-voie-pour-la-negociation-dans-le-conflit_AV-202203100308.html">rencontre</a> entre les ministres des Affaires étrangères russe et ukrainien. Aucun résultat probant n’en est sorti car la Turquie ne dispose pas vraiment d’un levier sur la Russie. Il est vrai qu’elle espérait en tirer des dividendes diplomatiques. Il faut savoir qu’Ankara, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/les-etats-unis-exhortent-la-turquie-a-ne-plus-acheter-d-armes-russes-20211001">bien que membre de l’OTAN, achète des armes à la Russie</a> et <a href="https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-les-drones-turcs-cles-de-la-resistance-armee-face-a-la-force-de-frappe-russe-20220320">vend des drones à l’Ukraine</a>. Mais plus la guerre se prolonge et plus il sera difficile à la Turquie de ne pas s’aligner sur la position de l’OTAN concernant la Russie. D’ailleurs, les autorités turques ont <a href="https://marine-oceans.com/actualites/erdogan-appliquera-la-convention-de-montreux-dans-linteret-de-la-turquie/">réactivé la Convention de Montreux</a> qui leur confère la surveillance des détroits de la Mer noire (Bosphore, Dardanelles) : ceux-ci sont fermés aux navires de guerre depuis le début des hostilités.</p>
<p>En tout état de cause, il n’est pas indifférent que Zelensky ait déclaré récemment que la vraie négociation doit se dérouler <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/ukraine-volodymyr-zelensky-se-dit-convaincu-que-sans-negociations-on-n-arretera-pas-la-guerre_AD-202203200186.html">entre lui et Poutine</a>.</p>
<h2>L’importance du lieu et du secret</h2>
<p>Il y a, ensuite, le choix du lieu de la négociation. Négocier en Russie eut été un affront pour les Ukrainiens : cela aurait signifié qu’ils avaient déjà perdu la guerre. Il fallait donc trouver un endroit acceptable pour les deux parties. La Biélorussie (bien qu’elle puisse être considérée comme belligérante, puisqu’elle autorise l’armée russe à utiliser son territoire dans le cadre de la guerre) s’y prêtait, à condition de choisir un lieu à proximité de la frontière ukraino-biélorusse. Les autorités de Minsk ont assuré qu’elles se cantonneraient à une absolue neutralité, ce qui paraît être le cas pour lesdites négociations. À noter que les négociations suivantes, à l’exception de la rencontre d’Antalya évoquée ci-desus et qui n’a rien donné, ont eu lieu par <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1868705/ukraine-russie-guerre-diplomatie">vidéoconférence</a>.</p>
<p>Une négociation doit se faire dans le secret et la confidentialité. Si le contenu des négociations est rendu public, les négociateurs seront l’objet de pressions permanentes de l’opinion publique (notamment via les réseaux sociaux). Ils ne pourront pas, dès lors, faire la moindre concession car celle-ci sera considérée comme une forme de faiblesse et de capitulation face à la partie adverse.</p>
<p>Un exemple célèbre en est la négociation de <a href="https://www.oecd.org/fr/investissement/accordssurlinvestissementinternational/accordmultilateralsurlinvestissement.htm">l’Accord Multilatéral sur l’Investissement à l’OCDE</a> entre 1995 et 1997. Des ONG parviennent à se procurer le texte en négociation et font pression sur les gouvernements pour l’amender, voire le rejeter. La négociation suscite un large débat public qui devient un enjeu politique. Il n’y a plus de marge pour un compromis et le projet d’accord est finalement abandonné en 1998.</p>
<p>Il y a, aussi, la question de la sécurité des négociateurs. Il est évident que le pays hôte doit assurer la protection des délégués des deux pays. On imagine le scandale que produirait le kidnapping ou la mystérieuse disparition d’un délégué ukrainien… Tout ce qui porte atteinte à l’intégrité physique des négociateurs est préjudiciable à la poursuite des négociations. Il en va autrement si ce type d’événement se déroule hors du cadre des négociations, comme l’a montré le faible écho provoqué par la mort de Denis Kireev, l’un des négociateurs ukrainiens présents en Biélorussie, <a href="https://7news.com.au/news/ukraine/competing-claims-emerge-after-ukraine-official-denis-kireev-accused-of-treason-shot-dead-in-street-c-5958770">abattu à Kiev</a> quelques jours plus tard dans des circonstances troubles.</p>
<h2>Le timing et les « négociations dans les négociations »</h2>
<p>Il y a le timing de la négociation. Est-ce le bon moment pour négocier ? Choix difficile tant pour l’agresseur que pour l’agressé, dans une négociation en période de guerre.</p>
<p>Les Russes peuvent se dire qu’ils sont en position de force du fait de leur avancée militaire sur le terrain. Ils peuvent donc vouloir tirer le maximum de la négociation en cours en termes de concessions arrachées aux Ukrainiens. Ces derniers peuvent, tout au contraire, estimer qu’ils sont capables de résister sur le terrain (ce qui est avéré) et donc retarder le moment de la négociation ou, en tout cas, le moment où il faudra faire des concessions.</p>
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<p>La négociation est elle-même une épreuve temporelle. Les parties peuvent estimer qu’il convient de gagner du temps pour laisser à leur armée respective la possibilité de marquer des victoires sur le terrain. Les premiers rounds sont donc souvent des exercices convenus, sans grande substance. On réaffirme sa position de principe, puis on discute sujet après sujet en déroulant l’agenda préalablement convenu.</p>
<p>À un moment, les chefs de délégation peuvent demander une interruption de séance. C’est parfois l’occasion pour eux d’aller prendre un café ensemble et de discuter à l’écart de leurs délégués respectifs au sujet de ce qui peut aboutir à un compromis et ce qui ne le peut. On pense aux <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2008-3-page-53.htm">négociations secrètes</a> entre Henry Kissinger et Le Duc Tho pour mettre fin à la guerre du Vietnam. Menées trois années durant (avec des interruptions), entre 1970 et 1973, dans un pavillon de la banlieue parisienne, elles ont abouti parce que les deux négociateurs avaient su développer une relation de confiance malgré tout ce qui les opposait.</p>
<p>Un négociateur ne peut se laisser envahir par l’émotion. On n’imagine pas le chef de la délégation ukrainienne verser une larme. Il faut rester entièrement maître de ses moyens et utiliser toute son intelligence (dans laquelle la ruse joue un rôle) pour aboutir à un compromis qui ne soit pas une capitulation.</p>
<h2>Négociations bilatérales… et intervenants extérieurs</h2>
<p>Qui a le dernier mot dans une négociation ? Supposons que les chefs de délégation russe et ukrainien s’accordent sur un compromis pour un cessez-le-feu. Cet accord est dit « ad referendum », c’est-à-dire qu’il doit être validé auprès de leurs autorités respectives.</p>
<p>Seulement voilà : imaginons que le Kremlin refuse le projet d’accord. Le chef de la délégation russe est en quelque sorte désavoué. Cela aboutit à paralyser la négociation. Il faut alors tout recommencer, et cela dans un climat de suspicion accru. D’ailleurs, le chef de délégation est souvent remplacé car lorsqu’on est désavoué par ses autorités, on a beaucoup de mal à continuer à mener une négociation.</p>
<p>Une négociation diplomatique peut être accompagnée de contacts parallèles. Ainsi, le président Macron a-t-il des <a href="https://www.franceinter.fr/politique/guerre-en-ukraine-cinq-questions-sur-les-appels-telephoniques-entre-emmanuel-macron-et-vladimir-poutine">contacts téléphoniques réguliers</a> avec son homologue russe, pour en quelque sorte appuyer les efforts de négociation de part et d’autre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504888141689372674"}"></div></p>
<p>Il faut, toutefois, éviter que ces négociations parallèles prennent le dessus sur les négociations bilatérales officielles, au risque de les décrédibiliser. Dans le cas russo-ukrainien, il est toutefois permis de penser que des entretiens entre Lavrov et son homologue américain Blinken constitueraient un levier appréciable pour faire aboutir un projet de cessez-le-feu.</p>
<h2>Quid des médiateurs ?</h2>
<p>Il est aussi beaucoup question de médiation, ces temps-ci. <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-ukraine-souhaite-la-turquie-comme-garante-d-un-eventuel-accord-avec-la-russie-20220317">La Turquie a fait offre de médiation</a>, mais on a rapidement constaté que cela n’a eu que très peu d’incidence sur les négociations, de même que la tentative entreprise <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/vu-disrael-les-mediations-turque-et-israelienne-entre-kiev-et-moscou-une-illusion">par le premier ministre israélien Naftali Bennet</a> t, qui a rencontré Poutine le 5 mars avant de parler au téléphone à Zelensky. En effet, pour qu’une médiation réussisse, il faut que le médiateur dispose d’une réelle influence (un levier) sur les parties en présence. Or l’influence des autorités turques sur le maître du Kremlin est très limitée.</p>
<p>On évoque aussi une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-la-chine-affirme-etre-disposee-une-mediation-entre-lukraine-et-la-russie">médiation chinoise</a>, très hypothétique à ce stade-ci. Mais en termes d’influence, la Chine dispose de leviers considérables vis-à-vis de la Russie (cette dernière se tournant vers son voisin chinois pour alléger le poids des sanctions occidentales).</p>
<p>Imaginons une médiation entre la Russie et l’Ukraine. Le médiateur devra déployer toute la mesure de ses talents en se situant dans une position médiane et en faisant émerger des points d’accord entre Russes et Ukrainiens, sans leur faire perdre la face, évidemment. Tout l’art est d’intervenir ni trop tôt (et sans doute est-ce encore trop tôt, pour les Russes) ni trop tard. Lorsque la médiation a commencé, le médiateur devra s’adapter à la situation pour laquelle il intervient. La médiation nécessite souvent un « forcing » diplomatique. Il s’agit d’exercer une pression maximale sur les parties. À Dayton, en 1995, les Américains avaient enfermé dans la base aérienne de l’Ohio les acteurs du conflit bosniaque jusqu’à l’obtention <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2005/11/21/les-grandes-lignes-des-accords-de-dayton_712343_3214.html">d’un accord à l’arraché</a>.</p>
<p>Mais la médiation est un processus ponctuel, qui n’est pas appelé à durer. Elle ne se substitue pas aux mesures de rétablissement de la paix et de reconstruction du cadre normatif. À noter qu’aujourd’hui la figure solitaire du médiateur a souvent laissé la place aux médiations collectives, chacun jouant sa partition pour faire émerger une dynamique de nature à produire un accord entre les parties.</p>
<p>Reste la question centrale : pourquoi et quand <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-kiev-se-dit-pret-a-des-concessions-substantielles-1395438">faire des concessions</a> ? La négociation est toujours un rapport de force. Celui qui est en position de force va tenter d’engranger un maximum de dividendes de la situation présente, en se disant que le rapport de force peut être beaucoup moins favorable plus tard. Celui qui est en position de faiblesse sera enclin à faire des concessions, en se disant que la situation pourrait être pire encore plus tard.</p>
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<h2>Les trois logiques de la négociation</h2>
<p>La négociation se décline en trois logiques. Soit on vise le jeu à somme nulle (je gagne, tu perds), qui débouche nécessairement sur une situation privilégiant une des parties. Soit on recherche la solution gagnant-gagnant, et la négociation est dite coopérative. Soit, enfin, on est dans le cas de figure de la concession (le donnant-donnant).</p>
<p>Il semble que ce soit ce scénario qui prévale dans les négociations russo-ukrainiennes, sans que l’on sache précisément où se situera le point médian des concessions que chacune des parties est disposée à faire. En échange du retrait des troupes d’occupation russes, l’Ukraine est-elle prête à adopter un statut de neutralité (à l’instar de <a href="https://www.liberation.fr/international/neutralite-de-lukraine-pourquoi-la-suede-et-lautriche-sont-evoquees-comme-modele-par-moscou-20220316_IELOB6XA3JFTZFV3WNO3Z3THGQ/#:%7E:text=L%E2%80%99ONU%20y%20a%20install%C3%A9,sur%20la%20neutralit%C3%A9%20du%20pays.">l’Autriche</a> ?). Et est-elle prête à reconnaître l’amputation d’une partie de son territoire (le Donbass) ? On peut en douter, pour ce qui est du territoire.</p>
<p>On pressent ici que la difficulté se situe précisément dans la compréhension des buts de guerre de Poutine. Il ne les a jamais clairement énoncés. Le compromis va devoir trouver un équilibre entre des intérêts contradictoires, et ne peut faire l’économie de l’éternelle question : que vais-je lâcher ? Il est assez normal que les positions s’assouplissent en cours de négociation, sans toutefois céder sur ce que chacune des parties considère comme étant « non négociable ».</p>
<p>Finalement, on peut dire que la négociation diplomatique est une série de petites avancées. On fera une concession ici, une suggestion là, on fera jouer des leviers extérieurs, on veillera à ce que personne ne perde la face. En toutes circonstances, on évitera la moindre provocation et on veillera à contenir les émotions et l’impatience, qui sont mauvaises conseillères. La ruse n’est pas interdite mais la dissimulation peut conduire à des compromis fragiles et de courte durée…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raoul Delcorde est ambassadeur honoraire de Belgique, professeur invité à l'Université catholique de Louvain.</span></em></p>Lieu de la négociation, timing, composition des délégations, interventions des médiateurs issus d’États tiers, secret des discussions… Chaque aspect d’une négociation en temps de guerre est crucial.Raoul Delcorde, Guest Professor European Studies, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1762142022-02-14T18:12:48Z2022-02-14T18:12:48ZJusqu’où ira le rapprochement Pékin-Ankara ?<p>La République populaire de Chine et la Turquie comptent parmi les puissances non occidentales les plus actives sur la scène internationale. Leur relation, qui s’inscrit dans une histoire longue de plusieurs siècles, <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/asie-visions/relations-turquie-chine-ambitions-limites-de-cooperation">gagne dernièrement en intensité</a>, aussi bien sur le plan politique et diplomatique qu’au niveau économique.</p>
<p>D’un côté, la Turquie constitue pour Pékin un partenaire de premier plan au Moyen-Orient. De l’autre, la Chine représente aux yeux d’Ankara un acteur économique et politique alternatif à l’Occident – un Occcident avec lequel la Turquie, bien que <a href="https://www.areion24.news/2021/10/21/quel-avenir-pour-la-turquie-dans-lotan/">membre de l’OTAN</a>, entretient des rapports pour le moins tendus.</p>
<p>Comme dans ses relations avec les <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/07/07/chine-et-terres-dislam-enjeux-pour-de-nouvelles-grammaires-internationales/">autres États du Moyen-Orient</a>, Pékin a diversifié le spectre de ses domaines de coopération avec le pays présidé par Recep Tayyip Erdogan : leurs échanges concernent, outre les questions diplomatiques, des domaines aussi variés que la défense, les technologies, l’énergie ou les infrastructures. Ainsi, en bonne partie du fait de la <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/06/05/la-resistible-ascension-de-la-chine-pt-3-un-hegemon-partiel-pour-un-monde-trop-grand/">participation d’Ankara aux Nouvelles routes de la soie</a>, la Chine est devenue, ces dix dernières années, l’un des principaux partenaires commerciaux de la Turquie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-jordanie-acteur-cle-pour-la-chine-au-moyen-orient-173760">La Jordanie : acteur clé pour la Chine au Moyen-Orient</a>
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<p>Pour autant, cette relation demeure sujette à des <a href="https://www.reuters.com/world/china/turkeys-erdogan-chinas-xi-discuss-uyghurs-phone-call-turkish-presidency-2021-07-13/">discordes liées notamment à la question ouïgoure</a>, qui provoque des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/31/en-turquie-le-traite-d-extradition-entre-pekin-et-ankara-inquiete-la-communaute-ouigoure_6064900_3210.html">controverses au sein même du gouvernement turc</a>.</p>
<h2>Une relation pluriséculaire</h2>
<p>Aux deux extrêmes de l’Eurasie, les civilisations turque et chinoise ont appris à se connaître au fil des siècles. Il suffit de visiter les salles du <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Palais-de-Topkapi-Istanbul.html">Palais de Topkapu Sarayi</a> d’Istanbul et leurs collections de porcelaine chinoise pour s’en rendre compte. Elles témoignent d’un transfert de savoir-faire : celui permettant la conception d’une porcelaine peinte en bleu sous une couverte incolore. Sa conjugaison avec le kaolin, une argile blanche, naît à <a href="https://fr.unesco.org/creative-cities/jingdezhen">Jingdezhen (province méridionale chinoise du Jiangxi)</a>, vers 1320-1330, à la faveur de l’apport d’un minerai de cobalt provenant des confins du monde turc et de la Perse.</p>
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<p>Deux mondes sont alors connectés, sous l’égide des dynasties gengiskhanides de Chine – les Yuan (1279-1368) – et de la Perse – les Ilkhanides (1256-1335) : ces deux empires sont à l’origine d’une commercialisation du « bleu blanc » et ce, <a href="https://books.google.fr/books/about/Aspects_of_the_Maritime_Silk_Road.html?id=YJibpHfnw94C&redir_esc=y">à une échelle sans précédent</a>.</p>
<p>C’est à cette époque que le <em>Jame al-Tawarikh</em> (que l’on pourrait traduire par <em>Histoire universelle</em>) de Rashid al-Din (1247–1318) est composé. C’est le premier récit en langue persane abordant des faits historiques de la Chine. En 1516, Sayyed Ali Akbar Khitai, s’en inspirant sans doute, écrira à son tour une somme, le <em>Khitai-nameh</em>. Des siècles durant, ce texte fera autorité sur ce pays et sera d’ailleurs davantage lu <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00210862.2013.855047">dans sa version turque</a>.</p>
<p>Avec la révolution industrielle et l’essor des puissances européennes au tournant des XIX° et XX<sup>e</sup> siècles, les élites turques et chinoises se forgent soit dans des idéologies clairement anti-européennes soit, au contraire, dans la fascination que les cultures occidentales leur inspirent. Quand les empires chinois et ottoman s’effondrent, émerge l’idée de confraternité eurasienne à laquelle les peuples turcophones et musulmans de l’Asie centrale <a href="https://www.puf.com/content/Chine_et_terres_dIslam">resteront particulièrement sensibles</a>. Surtout lorsqu’il s’agit pour les dirigeants actuels de la Turquie et de la Chine de flatter l’orgueil de leurs peuples respectifs en cultivant une certaine nostalgie de leur histoire impériale.</p>
<p>La fin de la guerre froide accélère le rapprochement entre Ankara et Pékin. Ce phénomène est d’ailleurs propre à l’ensemble de la région) : que ce soit les monarchies du Golfe, la Syrie ou l’Irak, tous les pays du Proche et du Moyen-Orient accueillent progressivement des installations chinoises soutenues par les géants étatiques (Sinopec, Merchant Bank, ICBC, Agricultural Bank of China, etc.) dans les domaines les plus divers : gestion et participations dans des ports, industrie automobile, textile, transports…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1446111277873438731"}"></div></p>
<h2>Développement des relations économiques…</h2>
<p>Les années 1990 et 2000 sont marquées par la progression des relations commerciales, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/28/affaiblie-economiquement-ankara-courtise-la-chine_6078354_3210.html">toujours déséquilibrées au profit de Pékin</a>. La Turquie importe une large gamme de produits chinois, sans pouvoir en retour exporter à la hauteur des capacités chinoises – aussi parce que le marché chinois lui reste en partie fermé.</p>
<p>Plusieurs années de négociations seront nécessaires à une véritable diversification des échanges qui intervient au cours de la dernière décennie, particulièrement <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine--9782724618051-page-477.htm?contenu=article">pour des produits alimentaires (notamment laitiers) turcs sur le marché chinois</a>.</p>
<p>Pékin effectue, à travers différents opérateurs privés et publics, divers investissements et prêts dans les <a href="https://www.challenges.fr/monde/la-chine-s-ouvre-la-voie-du-moyen-orient_764082">infrastructures</a> en Turquie (<a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-02-10/istanbul-airport-in-talks-with-chinese-banks-on-6-billion-loans">ports, routes, ferroviaires ou infrastructures urbaines et aéroports</a>). L’un des cas les plus éloquents est probablement celui réalisé par <a href="https://portsetcorridors.com/tag/cosco/">l’opérateur COSCO</a>, qui a acheté les deux tiers des actions du port de Kumport, à proximité d’Istanbul, pour une valeur de près de 1 000 millions de dollars.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"644485853075636224"}"></div></p>
<p>Pékin déploie également un activisme notable dans le paysage bancaire turc. L’<a href="https://www.aa.com.tr/en/economy/turkish-state-lender-china-exim-bank-ink-loan-deal/2193739">Eximbank</a>, l’<a href="https://asialyst.com/fr/2020/11/28/chine-turquie-rapprochement/">ICBC</a> et la <a href="https://www.aa.com.tr/en/economy/turkcell-china-development-bank-ink-590m-loan-deal/1937231">China Development Bank</a> investissent dans de nombreux projets (infrastructures, énergie, immobilier etc.). La dynamique des relations est favorable au déploiement des géants du numérique chinois, notamment <a href="https://www.invest.gov.tr/en/whyturkey/successstories/pages/huawei.aspx">Huawei</a>, <a href="https://kr-asia.com/alibaba-invests-750m-in-turkeys-trendyol-to-compete-against-amazon">Alibaba</a> et <a href="https://www.zte.com.cn/global/404?path=/global/about/news/detail">ZTE</a>, qui ont accru leurs parts de marché en Turquie au cours de la décennie écoulée, effectuant notamment plusieurs acquisitions <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/28/affaiblie-economiquement-ankara-courtise-la-chine_6078354_3210.html">(48 % du leader turc des équipements de télécommunication Netas, et 75 % du site de commerce en ligne Trendyol)</a>.</p>
<p>En outre, dès le début de la pandémie de Covid-19, Pékin a envoyé puis vendu du matériel médical à la Turquie, des masques aux vaccins. Si la livraison de ces derniers se révèle d’ailleurs <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/13/la-turquie-confrontee-aux-limites-de-la-diplomatie-chinoise-des-vaccins_6076580_3210.html">plus problématique que prétendu par la RPC</a>, il n’en reste pas moins que cette dimension sanitaire de la coopération témoigne de la capacité de la Chine à s’imposer dans cette partie du monde.</p>
<h2>… malgré le point de discorde ouïgour</h2>
<p>Recep Tayyip Erdogan a, dans un passé récent, fait grand cas de la continuité ethno-linguistique ouïgoure, d’Istanbul à Urumqi. Dès lors, la <a href="https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/5801?file=1">question du Xinjiang et des répressions des Ouïgours</a> par le régime communiste chinois a suscité, ces dernières années, plusieurs dégradations (ponctuelles mais redondantes) des relations entre Pékin et Ankara. Rappelons que la Chine et la Turquie ont signé un traité d’extradition et que de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Turquie-Ouighours-peur-lextradition-2021-01-08-1201133819">nombreux Ouïgours installés en Turquie craignent d’être envoyés en Chine</a>.</p>
<p>La Turquie a apporté un soutien pour l’essentiel déclaratif <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/au-moyen-orient-la-chine-garantit-aux-dictateurs-la-longevite">aux Ouïgours de Chine</a> et accueilli sur son territoire un certain nombre de ressortissants de cette minorité nationale turcophone. Toutefois, la « question ouïgoure » constitue une <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1287049/en-turquie-les-refugies-ouigours-ont-peur-detre-extrades-vers-la-chine.html">variable d’ajustement de la politique d’Erdogan</a>.</p>
<p>Ainsi, suite aux émeutes et répressions au Xinjiang en 2009, Recep Tayyip Erdogan dénoncera une « sorte de génocide » perpétré par Pékin ; mais en 2013, lors d’une visite d’État en Chine, il a souligné la menace constituée par les mouvances djihadistes pour la Chine et <a href="https://asialyst.com/fr/2021/11/30/podcast-quelle-strategie-pour-chine-afghanistan/">s’est opposé à toute remise en cause de l’intégrité du territoire chinois</a>, effectuant d’ailleurs une escale au Xinjiang avant son retour en Turquie.</p>
<p>La dernière visite du président turc, en 2019, apportera la confirmation d’une <a href="https://asia.nikkei.com/Politics/International-relations/Erdogan-courts-Chinese-investment-on-visit-to-Beijing">volonté affirmée du développement des liens commerciaux et technologiques</a>, sur fond de convergence politique entre Ankara et Pékin au Moyen-Orient et en Asie centrale, les deux puissances souhaitant intensifier les relations avec les pays non occidentaux et peser dans cette immense zone.</p>
<h2>Et maintenant, des relations tous azimuts ?</h2>
<p>Depuis 2013, la Turquie a souligné à maintes reprises le rôle qu’elle souhaiterait jouer pour renforcer la connectivité entre la Chine et l’Europe. Signe qui ne trompe pas : quelques mois seulement après <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-reportage-de-la-redaction/le-reportage-de-la-redaction-emission-du-vendredi-16-juillet-2021">l’échec du coup d’État</a> de 2016, alors fermement <a href="https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/china-supported-turkey-after-2016-coup-bid/1920523">condamné</a> par les autorités chinoises, Erdogan a nommé ambassadeur à Pékin <a href="https://twitter.com/eminonen">Abdülkadir Emin Onen</a>, un homme d’affaires – et non un diplomate de carrière –, afin de densifier cette coopération économique.</p>
<p>Le <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/bus_fin_out-2018-6-en/index.html ?itemId=/content/component/bus_fin_out-2018-6-en">CCWAEC (<em>China-Central West Asia Economic Corridor</em>)</a>, qui passe par l’Asie centrale, l’Iran et la Turquie, est une ramification des Nouvelles routes de la soie qui conforte Ankara dans son ambition de se désenclaver, y compris par la promotion de ses propres projets comme le <a href="http://recca.af/ ?page_id=2080">corridor de transport <em>Lapis Lazuli</em></a>, qui vise à développer route et voie ferrée pour relier l’Afghanistan à la Turquie en passant par le Turkménistan, l’Azerbaïdjan et la Géorgie.</p>
<p>La politique de Pékin vis-à-vis d’Ankara est également corrélée à plusieurs projets de ventes d’armes. La Chine souhaitait notamment, en 2015, vendre à la Turquie un système modernisé de dispositifs antiaériens (12 batteries de missiles HQ-9 (DF 2000), dérivés du S 300 russe) – un projet qui, pour l’instant, <a href="https://www.questionchine.net/la-cooperation-sino-turque-autour-hq-9-fd-2000-dommage-collateral-du-terrorisme">ne s’est pas concrétisé</a> (en partie du fait de la pression américaine). Plus tard, <a href="https://air-cosmos.com/article/la-turquie-prte-acheter-un-second-lot-de-missiles-s400-25369">Ankara a privilégié l’achat de S-400 russes</a>. Mais l’achat d’armes à la Chine dans l’avenir demeure <a href="https://foreignpolicy.com/2020/09/16/erdogan-is-turning-turkey-into-a-chinese-client-state/">tout à fait possible</a>.</p>
<p>La dégradation des relations avec l’Occident (Europe, États-Unis et cadre otanien), les réflexes post-impériaux d’Ankara, qu’on constate notamment dans <a href="https://theconversation.com/que-veut-la-turquie-en-mediterranee-orientale-147694">sa politique agressive en Méditerranée</a>, et la faiblesse de ses infrastructures et de son économie convergent pour pousser Erdogan vers un choix stratégique plus tourné vers l’Est. La Turquie n’est pas membre de l’Organisation de coopération de Shanghai, mais partenaire de discussion. À ce titre, elle participe à diverses réunions et aux sommets annuels, mais elle souhaiterait aller plus loin et <a href="https://thediplomat.com/tag/turkey-in-the-sco/">intégrer pleinement cette structure non occidentale</a>, comme l’a fait l’Iran en 2021.</p>
<p>Si le rapprochement se poursuit entre Ankara et Pékin, malgré les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/ouighours-la-turquie-convoque-l-ambassadeur-chinois-20210406">tensions récurrentes autour de la question ouïgoure</a>, ce sera avant tout un <a href="https://asialyst.com/fr/2020/11/28/chine-turquie-rapprochement/">succès chinois</a> qui confirmera, aux yeux de Pékin, que l’Occident se désengage toujours plus du Moyen-Orient et que la Chine y (re)trouve progressivement une place interprétée comme <a href="https://www.nbr.org/publication/exploring-chinas-push-for-a-new-world-order/">lui revenant de droit</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176214/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le partenariat sino-turc se déploie dans de nombreux domaines, en dépit du soutien proclamé, mais versatile, d’Ankara aux Ouïgours.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1751232022-02-13T19:58:40Z2022-02-13T19:58:40ZAu nord comme au sud de la Méditerranée, les quartiers populaires face à la métropolisation<p>Dans de nombreux pays du monde, les processus de mondialisation et de métropolisation à l’œuvre depuis plusieurs décennies ont entraîné une profonde mutation des villes, plus ou moins inspirée de <a href="https://metropolitiques.eu/Villes-contestees.html">logiques néo-libérales</a>.</p>
<p><a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/46385">Nos analyses</a> portent sur des quartiers de diverses villes du bassin méditerranéen abritant des <a href="https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20110913_schwartz.pdf">classes populaires</a>, directement ou indirectement confrontées aux transformations urbaines (éradication des bidonvilles, requalification des centres, rénovation des grands ensembles et régularisation/restructuration des quartiers non réglementaires) et à un urbanisme de grands projets (commerciaux, immobiliers, touristiques ou à finalité patrimoniale) dont l’objectif essentiel est de valoriser le foncier.</p>
<p>Ces dynamiques provoquent des <a href="https://metropolitiques.eu/Renovation-urbaine-et-trajectoires-residentielles-quelle-justice-sociale.html">déplacements contraints</a>, qui se conjuguent aux effets de la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_privatisation_des_services_urbains_en_europe-9782707155566">« privatisation » des services urbains</a>, de la réduction des budgets publics d’équipement des quartiers et des difficultés de transport. Ces effets enclenchent des processus de marginalisation qui exacerbent les inégalités sociospatiales.</p>
<p>Nos <a href="https://marges.hypotheses.org/">travaux de terrain</a>, conduits dans des quartiers représentatifs de ces mutations dans cinq villes au nord de la Méditerranée (Cagliari, Turin, Barcelone, Grenade et Marseille) et sept villes au sud (Rabat, Casablanca, Fès, Alger, Tunis, Istanbul, Ankara) ont mis en évidence la circulation de modèles de gouvernance, de régulations sociales et politiques, et de modes de mobilisation et de résistance aux transformations imposées d’en haut.</p>
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<p><em>Cliquer sur les villes pour des informations sur leur superficie et leur démographie</em>.</p>
<h2>La marginalisation par la stigmatisation</h2>
<p>Dans le cadre de nos recherches, nous avons employé la formule « marges urbaines » : nous entendons par là ces <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01609138">quartiers populaires</a>, qu’ils se trouvent dans le centre ou en périphérie, qui font l’objet de pratiques de marginalisation et de <a href="https://books.openedition.org/editionsmsh/9204?lang=fr">stigmatisation</a> mises en œuvre par les acteurs urbains dominants. La stigmatisation apparaît comme une violence symbolique particulièrement humiliante, qui affecte la dignité des personnes. Beaucoup d’entre elles finissent par l’intérioriser, certaines par la détourner et d’autres par la combattre.</p>
<p>Souvent, le langage est un premier élément de compréhension, et les expressions utilisées pour <a href="https://passansnous.org/evenements/">désigner ces quartiers</a> reflètent les processus qui, de l’extérieur mais aussi de l’intérieur, fabriquent les valeurs socioculturelles et les registres idéologiques de leurs habitants.</p>
<p>Plusieurs systèmes langagiers participent à une sémantique de la stigmatisation de la marge : les langages savants, administratifs, techniques, juridiques – en un mot, les registres normatifs –, mais tout autant les langages courants, ordinaires, dialectaux ou vernaculaires, créolisés… Lorsqu’elle émane des acteurs dominants – ou de ceux qui n’habitent pas de tels espaces –, la sémantique construit la marge comme problème, en marquant son « a-normalité » et en en écartant toute possibilité de la considérer comme une ressource. Mais, dès lors qu’elle est saisie « de l’intérieur », à partir des paroles et images de ses habitants, la marge se révèle comme un <a href="https://journals.openedition.org/cdlm/729">espace d’appartenance</a>, une ressource, voire un espace d’autonomie normative et politique.</p>
<p>Les langues « administrantes » édictent une vision normative de l’espace. S’y opposent les parlers ordinaires, qui peuvent, selon les cas, intégrer, s’approprier, modifier, contester, inverser ou délégitimer ces discours « d’en haut ». Ces tensions posent la question des liens entre <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Surveiller-et-punir">savoir et pouvoir</a> et, plus explicitement, du rapport entre <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753559035/frontieres-en-tous-genres">domination et dénomination</a>.</p>
<h2>Des quartiers à problèmes aux quartiers à potentiels</h2>
<p>Face aux mutations provoquées par la mondialisation et plus particulièrement par les transformations urbaines, le quartier populaire apparaît comme un <a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/46385">territoire-ressource</a> qui prend corps autour des réseaux de sociabilité et de solidarité, ainsi qu’autour des constructions identitaires et mémorielles que ceux-ci génèrent.</p>
<p>Ces constructions assurent la force du quartier et en font, de ce fait, un cadre privilégié de résistance à la marginalisation et d’action politique des habitants.</p>
<p>Le quartier doit régulièrement s’opposer à des politiques publiques qui, quels qu’en soient les objectifs affichés, apparaissent le plus souvent comme des facteurs de déstructuration sociale contrariant les dynamiques d’intégration des populations. L’intégration renvoie ici à un processus, où les individus et leur famille tentent de conjuguer une certaine stabilité économique par le travail et des relations sociales au sein des réseaux de protection rapprochée procurés par le voisinage ou d’autres plus larges. L’objectif pour les ménages étant de s’écarter de la vulnérabilité et de la désaffiliation sociales. L’intégration se joue également à l’échelle du quartier, à travers les <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/les-metamorphoses-de-la-question-sociale-9782213594064">stratégies déployées par les populations</a>, pour la reconnaissance de ce territoire.</p>
<p>Les correspondances entre les trajectoires sociospatiales des ménages et les transformations de leurs territoires montrent comment les mutations de ces espaces pèsent sur l’intégration sociale et/ou la marginalisation des habitants. Par exemple, lee déménagement contraint de ménages après la rénovation de leur quartier enclenche des dépenses d’installation et de transport qui fragilisent leur budget.</p>
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<p>Pour les habitants, les changements subis se répercutent sur leurs espaces de vie et leur rapport à la ville, au point qu’ils sont souvent ressentis comme une remise en cause de leur citoyenneté.</p>
<p>Dans les contextes étudiés, la mise en œuvre (matérielle et idéelle) de l’urbanisation plus ou moins néo-libérale, les bouleversements, voire les traumatismes, qu’elle provoque auprès des citadins les moins dotés économiquement et socialement (classes populaires qui ont perdu l’espoir d’ascension sociale et classes moyennes inférieures en situation de déclassement) font qu’ils la ressentent comme l’expression d’une extrême violence, matérielle et/ou symbolique.</p>
<p>Confrontés à ces situations, les habitants des quartiers marginalisés contestent et résistent pour tantôt refuser les évolutions qu’ils estiment leur être imposées, tantôt composer avec les acteurs de ces transformations, qu’ils soient privés ou publics.</p>
<h2>Le long chemin de la reconnaissance de la citoyenneté</h2>
<p>Les habitants défient « l’ordre » de manières multiples, à travers des émeutes, des manifestations, des occupations de lieux publics – soit toutes les actions qui se « donnent à voir » parce qu’elles se déploient dans des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/pourquoi_se_mobilise_t_on_-9782707152503">arènes publiques</a> – et expriment le mécontentement d’individus, de petits groupes, de communautés spécifiques et généralement limitées à l’échelle du quartier.</p>
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<p>La <a href="https://archive-ouverte.unige.ch/unige:4324">géographie des résistances</a> met en évidence des évolutions qui se sont traduites par une diversification des modalités d’action, mais aussi, dans des cas particuliers, par des convergences susceptibles d’alimenter des révoltes de grande ampleur, voire des « révolutions ». En Algérie, par exemple, le Hirak a été alimenté en partie par des populations qui avaient déjà manifesté contre leur éviction des bidonvilles ou pour obtenir des logements décents.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/algerie-la-revolution-du-sourire-pacifique-persiste-et-signe-157615">Algérie : la « Révolution du sourire pacifique » persiste et signe</a>
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<p>Mais, d’un autre côté, nombre de contestations conduisent leurs initiateurs à des impasses : la résistance peut échouer, soit qu’elle est réprimée plus ou moins violemment, soit qu’elle se délite pour des raisons multiples (y compris des conflits internes).</p>
<p>La recherche de négociations, d’arrangements et de compromis entre les habitants des quartiers populaires et les pouvoirs politiques éclaire sur la fabrique de l’ordre politique. Dans leurs rapports avec l’action des institutions, les acteurs populaires « pénètrent le système », non pas à des fins subversives ou de renversement, mais pour y saisir des opportunités ou pour se protéger contre les risques que la précarité de leur habitat (et de leurs revenus) leur fait courir.</p>
<p>Les mobilisations collectives restructurent l’espace en modifiant les perceptions sociales, culturelles et politiques des habitants. Même lorsqu’elles n’ont pas de réponses aux revendications, elles consolident l’idée du « nous » et débouchent souvent sur des actions collectives du type nettoyage, embellissement, réparation d’une conduite d’eaux usées, etc. Les mobilisations de la période récente sont à replacer dans une filiation, un héritage ou encore une continuité mémorielle.</p>
<p>La <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100717390">mémoire protestataire</a> est un moteur particulièrement efficace des luttes, qu’il s’agisse de la mémoire des événements qui les ont composées, des « héros » qui les ont animées ou des hauts lieux où elles se sont déployées. Mais ces luttes visibles, fortement médiatisées et bien étudiées ne doivent pas masquer les résistances qui, pour être plus ordinaires, plus discrètes, plus quotidiennes, n’en contiennent pas moins une prise de risque importante pour ceux qui osent les mettre en œuvre.</p>
<p>Ces mobilisations sont contrariées par le renforcement – à quelques exceptions près – de l’autoritarisme, l’échec des transitions politiques vers la démocratie et la répression de toute contestation politique d’un côté de la Méditerranée et par la montée des extrémismes sur l’autre rive. Ces mobilisations sont pourtant à l’origine de processus d’apprentissage et de politisation ainsi que de chemins singuliers de construction de la citoyenneté au sein des quartiers populaires méditerranéens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nora Semmoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Conclusions d’une récente étude conduite dans les quartiers défavorisés de plusieurs villes du pourtour méditerranéen.Nora Semmoud, Professeur des universités, classe exceptionnelle Directrice de l'UMR 7324 CITERES Membre suppléante nommée de la section 24 du CNU, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1742692022-01-05T11:22:20Z2022-01-05T11:22:20ZDe quoi la France est-elle le nom dans le monde ?<p>Un quinquennat s’achève, et une nouvelle page de la politique étrangère de la France vient donc de s’écrire. Elle a déjà fait l’objet de <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/la-france-dans-le-monde/">contributions</a>, d’<a href="https://www.editions-observatoire.com/content/La_France_dans_le_bouleversement_du_monde">essais</a>, ou de bilans divers.</p>
<p>Qu’en retiendra-t-on ? Y a-t-il eu des épisodes marquants, des avancées indéniables, des échecs piteux, des réformes importantes ?</p>
<p>À vrai dire, la question ne se pose plus en ces termes dans les relations internationales contemporaines : l’évaluation d’une politique étrangère est devenue difficile. Les interventions libyenne (2011) et malienne (2013) par exemple, d’abord présentées comme des succès, ont finalement été regrettées (<a href="https://theconversation.com/libye-fragiles-espoirs-de-paix-168741">pour la Libye</a>) ou se sont compliquées ensuite (au <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/22/sortir-de-l-impasse-au-mali-une-priorite-pour-la-france_6107019_3232.html">Mali</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fin-de-loperation-barkhane-au-mali-mythe-ou-realite-166291">Fin de l’opération Barkhane au Mali, mythe ou réalité ?</a>
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<p>Ailleurs, à l’inverse, des présidences d’abord très critiquées dans leur action diplomatique ont été vues avec le temps sous un jour plus favorable, comme la <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2007-3-page-138.htm">politique étrangère de Jimmy Carter</a> (1977-1981) aux États-Unis. Des administrations très entreprenantes sur le front extérieur (la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan), finissent par poser la question du prix de l’aventurisme en interne. L’URSS des années 1970 cumulait les succès internationaux (défaite américaine au Vietnam, victoires communistes en Angola ou au Mozambique, en Asie, invasion de l’Afghanistan…) mais s’est effondrée quelques années après.</p>
<p>C’est donc un autre type de questions qu’il faut poser, à la fois moins globales et plus profondes. Moins globales, car il n’y a pas « un » bilan de politique étrangère : celui-ci s’apprécie dossier par dossier. Plus profondes car une politique étrangère demeure avant tout un message et une anticipation de ce que sera la défense des intérêts et des valeurs d’un pays dans le monde qui vient.</p>
<p>Les cinq années qui viennent de s’écouler ont donné à voir des séquences françaises fortes, d’autres essentiellement symboliques, tandis que d’autres encore, moins médiatisées, ont pu paradoxalement obtenir davantage de résultats. À l’issue de cette période, notre diplomatie a bien des défis à relever, qui devront être pris à bras-le-corps dès le prochain mandat.</p>
<h2>Moments forts, rayonnement et persévérance</h2>
<p>Président jeune issu d’une élection surprenante, Emmanuel Macron a connu d’emblée un succès de curiosité dans le monde : la presse internationale <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/les-histoires-du-monde/les-histoires-du-monde-08-mai-2017">s’y est intéressée</a>, ses premiers discours ont été relayés et étudiés dans les cercles de spécialistes de nombreux pays (<a href="https://foreignpolicy.com/2018/01/18/macron-the-conquerer/">revues</a>, <a href="https://www.csis.org/analysis/macron-miracle-could-transform-france-global-powerhouse">think tanks</a>…).</p>
<p>Une cohérence a rapidement été perçue dans le sens d’une approche européaniste, libérale (opposée notamment aux « illibéralismes » d’Europe orientale), et multilatéraliste. Le souhait de parler à tous, sans tabou (du <a href="https://www.liberation.fr/planete/2017/05/28/les-relations-franco-russes-s-exposent-a-versailles_1572922/">sommet franco-russe de Versailles</a> en 2017 jusqu’à la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Emmanuel-Macron-rehabilite-MBS-prince-heritier-saoudien-Djedda-2021-12-05-1201188637">rencontre avec le Prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane fin 2021</a>, en passant par <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/07/visite-de-sissi-a-paris-macron-evoque-sobrement-les-droits-de-l-homme-en-egypte_6062504_823448.html">l’Égyptien Sissi</a>), a été critiqué, mais <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/03/a-dubai-emmanuel-macron-defend-son-choix-de-traiter-avec-les-regimes-autoritaires-du-golfe_6104649_3210.html">assumé comme méthode</a>.</p>
<p>Plusieurs moments ont marqué les esprits : le <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/09/26/initiative-pour-l-europe-discours-d-emmanuel-macron-pour-une-europe-souveraine-unie-democratique">discours de la Sorbonne</a> sur l’Europe (26 septembre 2017), ceux de <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/28/discours-demmanuel-macron-a-luniversite-de-ouagadougou">Ouagadougou sur l’Afrique</a> (28 novembre 2017), ou aux <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/09/24/discours-du-president-emmanuel-macron-a-la-tribune-de-lassemblee-generale-onu">Nations unies sur les inégalités</a> ; une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/06/l-aide-internationale-commence-a-arriver-au-liban-macron-sur-place-aujourd-hui_6048253_3210.html">visite spectaculaire à Beyrouth</a> au lendemain de l’explosion du 4 août 2020 ; la <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20211109-la-france-fer-de-lance-de-la-restitution-d-objets-d-art-africains">restitution d’œuvres d’art</a> à plusieurs pays ; des tentatives de dépassionner les enjeux mémoriels par le recours aux historiens (<a href="https://theconversation.com/genocide-au-rwanda-lappel-au-pardon-demmanuel-macron-a-kigali-retablit-des-liens-historiques-161787">Rwanda</a>, <a href="https://theconversation.com/france-algerie-limpasse-diplomatique-172796">Algérie</a>), ou de décrisper des relations tendues (avec la Russie de Poutine ou l’Amérique de Trump) ; de nouveaux types de sommets multilatéraux (<a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/one-planet-summit">One Planet</a> sur l’environnement, <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/choose-france">Choose France</a> sur l’attractivité économique) ; une participation forte à la cohésion européenne dans les négociations sur le Brexit…</p>
<p>Ces initiatives n’ont pas toutes abouti : le Liban <a href="https://theconversation.com/liban-un-an-apres-lexplosion-de-beyrouth-un-etat-defaillant-aux-prises-avec-la-pauvrete-et-le-communautarisme-165794">reste dans l’impasse</a>, l’Algérie n’a pas encore saisi la main tendue, Poutine et Trump ne sont pas de ceux que l’on amadoue facilement…</p>
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<figcaption><span class="caption">La visite d’Emmanuel Macron a suscité beaucoup d’espoir au Liban, sans pouvoir sortir le pays de l’ornière.</span></figcaption>
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<p>Mais d’autres canaux, discrets, se sont révélés plus porteurs que ce que le débat public en a retenu : en Libye, d’abord critiquée pour son soutien au Maréchal Haftar, la France a accueilli trois réunions clés avec les principaux protagonistes (<a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/07/26/libye-rencontres-de-la-celle-saint-cloud">juillet 2017</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/05/28/libye-le-france-organise-un-nouveau-sommet-de-sortie-de-crise_5305692_3212.html">mai 2018</a>, <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-du-vendredi-12-novembre-2021">novembre 2021</a>). Ces efforts ont contribué à donner à ce pays une nouvelle perspective d’élection présidentielle reconnue par l’ensemble des parties prenantes – même si, pour l’heure, le scrutin a été repoussé.</p>
<p>D’autres moments furent plus délicats. Des positions furent mal comprises par les partenaires, comme la « mort cérébrale » de l’OTAN annoncée par Emmanuel Macron dans une <a href="https://www.economist.com/europe/2019/11/07/emmanuel-macron-in-his-own-words-french">interview à l’hebdomadaire britannique <em>The Economist</em></a> en novembre 2019), ou l’<a href="https://www.lesechos.fr/2017/05/emmanuel-macron-promet-un-dialogue-exigeant-avec-poutine-169091">« ouverture exigeante »</a> envisagée à l’égard de la Russie, qui a inquiété certains voisins européens et dont on a surtout retenu la <a href="https://www.lopinion.fr/politique/etat-profond-cette-etonnante-expression-utilisee-par-emmanuel-macron">polémique sur l’existence d’un « État profond »</a> au sein du quai d’Orsay…</p>
<p>Des tensions plus inédites apparurent également : citons la crise <a href="https://theconversation.com/guerre-de-la-peche-entre-londres-et-paris-les-lecons-de-lhistoire-171028">avec le Royaume-Uni post-Brexit</a>, la contestation de la <a href="https://theconversation.com/lenlisement-francais-au-sahel-130111">présence française au Sahel</a> ou encore le camouflet qu’a constitué <a href="https://theconversation.com/aukus-la-france-grande-perdante-du-duel-americano-chinois-168786">l’abandon du contrat australien sur la fourniture de sous-marins français</a>…</p>
<p>Mais au final, le lien avec Washington reste confiant, les fils du dialogue avec Moscou ou Ankara n’ont pas été rompus, la France parle à tout le monde. Des <a href="https://www.lopinion.fr/international/eloge-du-coup-diplomatique-la-chronique-de-frederic-charillon">épisodes présentés comme autant de « coups »</a> ont en réalité, parfois, fait avancer la diplomatie.</p>
<h2>Quelle France pour quel monde ?</h2>
<p>Y a-t-il pour autant un fil directeur ? Une <a href="https://global.oup.com/academic/product/comparative-grand-strategy-9780198840855 ?cc=fr&lang=en&">« grande stratégie »</a> ? De quoi la France est-elle le nom dans le monde ? Que veut Paris pour lui-même, pour l’Europe, pour les relations internationales ? Le quinquennat 2017-2022 aura-t-il aidé à défricher ces questions ? Oui et non.</p>
<p>Oui car – on l’a dit – Emmanuel Macron a voulu donner une marque à sa politique étrangère : l’Europe, le multilatéralisme libéral, la lutte contre les inégalités furent des éléments répétés d’un discours au final constant. Non, car les moyens ont manqué pour transformer ces objectifs en réalisations, et le contexte international n’était pas favorable.</p>
<p>Élu avec un programme qui annonçait une France <a href="https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/international">« indépendante, humaniste, européenne »</a>, Emmanuel Macron envisageait de dégager des marges de manœuvre budgétaires (par le retour aux équilibres financiers), puis de consolider l’Europe-puissance, afin de poursuivre une ambition internationale. Mais de Gilets jaunes en Covid-19, les cordons de la bourse se sont encore resserrés. De Brexit en populismes, l’Union européenne s’est divisée, et <a href="https://theconversation.com/de-quoi-leurope-puissance-est-elle-le-nom-148704">« l’Europe-puissance »</a> reste introuvable, malgré quelques avancées.</p>
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<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron continue à soutenir le principe d’« Europe-puissance » et veut en faire l’un des axes de la présidence française de l’UE.</span></figcaption>
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<p>Paris est aujourd’hui bien seul à vouloir la ressusciter encore. L’affaire eut sans doute été différente avec un David Cameron à Downing Street, un Barack Obama à la Maison Blanche, et une Angela Merkel sans entrave à Berlin. Mais, arrivé à l’Élysée en 2017, Emmanuel Macron a dû nager à contre-courant. Le trumpisme, puis Boris Johnson et la <a href="https://theconversation.com/allemagne-en-marche-vers-une-crise-politique-inedite-87842">difficile coalition allemande</a> qui a émergé des élections serrées de 2017 ont fait de ce président européen, libéral, libre-échangiste et multilatéraliste un résistant au milieu des obstacles, plus qu’un élément moteur dans son milieu naturel.</p>
<p>Qui plus est, la Russie revient en force dans le jeu de la sécurité européenne, et la Chine dans le jeu mondial, avec des intentions que l’on ne saurait qualifier d’amicales. En Afrique, où la France mesure souvent sa puissance, et <a href="https://theconversation.com/la-france-dans-la-tourmente-au-sahel-152954">se trouve à la peine au Sahel</a>, neuf ans après le début de son intervention militaire au Mali, ces deux protagonistes-là sont omniprésents.</p>
<p>Ankara s’est joint à ce club autoritaire, et les <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/monde-retour-sur-plusieurs-mois-de-tensions-diplomatiques-entre-la-france-et-la-turquie_4292671.html">relations franco-turques ont été exécrables</a>, jusqu’à passer près de l’incident militaire (en juin 2020, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/17/paris-denonce-une-man-uvre-turque-recente-extremement-agressive-en-mediterranee_6043175_3210.html">au large des côtes libyennes</a>). La tutelle turque sur une partie de l’islam européen contribue grandement à la tension entre les deux pays : Recep Tayyip Erdoğan n’a pas ménagé ses efforts pour <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20201027-recep-tayyip-erdogan-se-pose-en-d %C3 %A9fenseur-de-l-islam-face- %C3 %A0-macron">dénoncer une France « islamophobe »</a>, troublant par ailleurs le jeu otanien, et <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/04/migrants-l-ue-face-au-cynisme-de-la-turquie_6031792_3232.html">multipliant les pressions migratoires sur l’Union européenne</a>.</p>
<p>La diplomatie française voit ses adversaires gagner du terrain, ses moyens budgétaires <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/deficit/budget-la-diplomatie-au-regime_2918181.html">s’amenuiser</a>, les défis se multiplier. Emmanuel Macron semble avoir fait le lien – à raison – entre défense des valeurs et défense des intérêts. Car quels intérêts resteraient à défendre dans un monde dominé par des puissances aux valeurs opposées aux nôtres ? Sans présenter l’enjeu sous la forme d’une croisade ni évoquer de <a href="https://mjp.univ-perp.fr/textes/truman12031947.htm">« containment »</a> – comme le font souvent les États-Unis – la France a pointé du doigt la menace qui émergeait de ce clivage de plus en plus net entre démocraties libérales et populismes national-autoritaires.</p>
<h2>Défis à venir</h2>
<p>Faut-il, pour affronter ces défis, un nouvel instrument diplomatique ? Il n’y eut pas de réforme du quai d’Orsay sous Emmanuel Macron (il y en avait eu sous Nicolas Sarkozy avec <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2008/08/27/01002-20080827ARTFIG00010-kouchner-leve-le-voile-sur-sa-reforme-du-quai-d-orsay-.php">Bernard Kouchner</a> au poste de ministre des Affaires étrangères, et sous François Hollande avec <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2015/08/28/laurent-fabius-accelere-la-mutation-du-quai-d-orsay_4738877_3210.html">Laurent Fabius</a>. Même si la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/reforme-de-l-ena-paravent-ou-vraie-revolution_2159607.html">réforme de l’ENA</a>, devenue Institut national du service public, et la <a href="https://www.europe1.fr/politique/pourquoi-la-suppression-du-corps-diplomatique-va-plomber-linfluence-de-la-france-4076646">suppression du corps diplomatique</a> bouleverseront peut-être la donne.</p>
<p>Que manquerait-il alors ? Un budget plus élevé, bien sûr, mais la conjoncture économique mondiale ne se commande pas. Ou encore une prise de conscience plus forte des <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/guerres-d-influence_9782738155108.php">guerres d’influence</a> qui s’annoncent.</p>
<p>Le quai d’Orsay vient d’édicter une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/missions-organisation/feuille-de-route-de-l-influence/article/jean-yves-le-drian-presente-la-feuille-de-route-de-l-influence-de-la-diplomatie">« feuille de route de l’influence »</a>, qui montre que le sujet émerge enfin. Mais l’influence est aussi une culture, qui sera longue à ancrer et coûteuse à entretenir. Elle suppose une inscription dans le circuit international des idées, avec des think tanks, l’organisation d’événements internationaux, ou des structures dédiées, qui prendront du temps et de l’argent pour se mettre en place.</p>
<p>Un débat existe également sur les outils d’une réflexion stratégique à la fois plus novatrice, plus irriguée de pensées extérieures à l’État, et plus systématiquement prise en compte au plus haut niveau du processus décisionnel.</p>
<p>Faut-il créer un <a href="https://www.whitehouse.gov/nsc/">« National Security Council »</a> à la française, c’est-à-dire une instance chargée de coordonner la réflexion et de conseiller le président sur les affaires stratégiques ? Rattaché à qui ? Avec quels moyens ? Pour remplacer quoi, ou bien s’y superposer comment ? Faut-il remettre sur le métier la réflexion sur l’audiovisuel extérieur, peu performant en France malgré quelques succès (comme RFI, qui a trouvé son public mondial depuis longtemps, ou France 24, dont le programme en anglais est bien identifié à l’étranger) ? Revoir la philosophie et les relais de l’aide au développement ? Jouer davantage avec les acteurs privés, par exemple en se concertant mieux avec les ONG ? Trouver des niches thématiques pour un « nation branding » de la diplomatie française, afin d’identifier sur la scène mondiale les sujets sur lesquels la France est en pointe ? Pendant les cinq dernières années, on peut comprendre que d’autres urgences ont pu retarder ces réflexions. Elles ne pourront pas être repoussées indéfiniment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174269/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’aube d’un nouveau quinquennat, retour sur la politique étrangère française de ces cinq dernières années.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.