tag:theconversation.com,2011:/us/topics/venezuela-21715/articlesVenezuela – The Conversation2023-04-03T17:52:50Ztag:theconversation.com,2011:article/2009282023-04-03T17:52:50Z2023-04-03T17:52:50ZLe Costa Rica, au cœur des migrations sur le continent américain<p>Ce 3 novembre 2022, comme tous les jours, Ronaldo, jeune adolescent, est posté en compagnie de sa mère à un carrefour non loin du centre de San José, la capitale du Costa Rica. Une pancarte de fortune autour du cou les identifie comme Vénézuéliens. Ils vendent des bonbons pour gagner de quoi manger. Pour arriver ici, ils viennent de traverser, à pied et en bus, la Colombie, le Panama (via le Tapón del Darién, une jungle auparavant aux mains des narcotrafiquants et désormais entre celles des passeurs) et une partie du Costa Rica.</p>
<p>Les images de migrants vénézuéliens mendiant à tous les coins de rue du centre de San José ou dormant dans des campements de fortune ont fait le tour des médias nationaux. On trouve parmi eux des familles entières, mais aussi beaucoup de femmes seules avec des enfants. Fuyant un <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/billet-retour/20220218-venezuela-une-crise-sans-fin">pays en situation de crise profonde</a>, dénués de ressources, sans idée claire sur la suite de leur parcours, ils espèrent rejoindre les États-Unis. Mais le 12 octobre 2022, le gouvernement Biden, au nom d’un programme d’immigration humanitaire temporaire, a de fait <a href="https://www.courrierinternational.com/article/immigration-washington-ouvre-la-porte-a-24-000-venezueliens">durci sa politique migratoire</a>. Résultat : les migrants vénézuéliens de San José sont coincés au Costa Rica, créant une situation inédite de « crise migratoire » subite dans ce petit pays de 5 millions d’habitants.</p>
<p>Selon le Service national des migrations du Panama, 133 726 personnes ont été enregistrées comme transitant par le Panama en 2021, pour 248 284 en 2022. Le plus probable est qu’elles ont ensuite passé la frontière avec le Costa Rica, mais ce pays n’est pas en mesure, aujourd’hui, de produire ses propres données, signe de son impréparation face à l’ampleur des flux migratoires actuels. Ces chiffres augmentent fortement depuis le début de l’année 2023. Ces migrants venaient très majoritairement du Venezuela en 2022, de Haïti et de Cuba en 2021. Mais on compte aussi de plus en plus de migrants d’Afrique ou d’Asie.</p>
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<p>Le 30 novembre 2022, le président du Costa Rica, le populiste Rodrigo Chaves, modifie les conditions d’obtention de l’asile dans son pays en adoptant deux décrets qui créent une catégorie migratoire spéciale pour les migrants du Venezuela, du Nicaragua et de Cuba. Le ton est donné : face aux plus de 220 000 demandes d’asile reçues depuis 2018, le <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220316-les-%C3%A9tats-unis-et-le-costa-rica-signent-un-accord-pour-renforcer-l-int%C3%A9gration-des-migrants">gouvernement conditionne l’accueil de ces migrants au soutien financier international</a> et met en cause la légitimité de leurs demandes d’asile politique. Ces mesures sont un tournant. Jusqu’ici, le Costa Rica se positionnait comme un pays d’accueil pour les migrants. L’adoption des décrets est un tel choc que la Cour constitutionnelle a invalidé, le 14 février 2023, celui concernant l’asile.</p>
<p>Comment le Costa Rica est-il devenu l’un des centres du phénomène migratoire sur le continent américain, et comment expliquer l’évolution de ses politiques dans ce domaine ? Les travaux de deux chercheurs de l’Universidad du Costa Rica, <a href="https://eccc.ucr.ac.cr/docentes/carlos-sandoval/">Carlos Sandoval</a> et <a href="https://vinv.ucr.ac.cr/sigpro/web/researchers/114190096">Guillermo Navarro</a>, permettent de mieux comprendre les tendances actuelles et de les replacer dans un contexte socio-historique plus large.</p>
<h2>Du Nicaragua vers le Costa Rica : une migration ancienne, précaire et indispensable</h2>
<p>8 % de la population du Costa Rica est originaire du Nicaragua voisin – un chiffre qui rappelle l’importance des <a href="https://books.openedition.org/irdeditions/5835?lang=fr">migrations Sud-Sud</a>. La vague migratoire actuelle en provenance du Venezuela, très médiatisée et politisée, n’efface pas cette migration structurelle plus ancienne, précaire et invisibilisée.</p>
<p>Les migrants nicaraguayens occupent en effet principalement des postes de travailleurs agricoles, d’agents de sécurité, d’ouvriers de la construction et d’employées domestiques. L’agriculture intensive (ananas, café, canne à sucre) a fortement recours à cette main-d’œuvre bon marché. Le modèle économique costaricien ne correspond pas toujours à la carte postale envoyée au niveau international (<a href="https://www.lefigaro.fr/voyages/au-pays-du-tourisme-responsable-20220204">écotourisme</a>, énergies renouvelables, reforestation) et s’appuie également sur des pratiques destructrices de l’environnement et des sociétés (voir les travaux de Rodríguez Echavarría et Prunier sur <a href="https://hal-univ-montpellier3-paul-valery.archives-ouvertes.fr/hal-03114105/">l’ananas</a>, dont le Costa Rica est le premier producteur mondial).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1536744119028092932"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui, la dictature du couple Ortega-Murillo au Nicaragua conduit à des départs de plus en plus nombreux, bien souvent pour demander le statut de réfugié politique.</p>
<p>La loi sur la migration adoptée en 2009 met en avant l’hospitalité, l’intégration et le respect des droits humains. Néanmoins, le diable se cache dans les détails : « En termes de procédure, les exigences et les coûts de la régularisation sont très élevés et laissent de nombreuses personnes sur le carreau. Le problème n’est pas que la loi n’est pas appliquée, mais qu’elle est inaccessible », <a href="https://repositorio.iis.ucr.ac.cr/handle/123456789/735">explique Carlos Sandoval</a>, qui souligne que, au-delà d’un texte très généreux, le coût et la complexité de la procédure violent les droits fondamentaux des personnes concernées. Un grand nombre des migrants nicaraguayens vivent ainsi sans le statut de résident auquel ils pourraient avoir accès.</p>
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<p>Le statut des Nicaraguayens au Costa Rica renvoie à l’idée bien ancrée dans le pays d’un <a href="https://www.theses.fr/179743538">exceptionnalisme costaricien</a> : la stabilité politique, l’état social de droit, le pacifisme seraient liés à <a href="https://www.revistas.una.ac.cr/index.php/historia/article/view/12397">l’homogénéité ethnique et même à la « blancheur » de la population</a>, au cœur du récit national sur une population d’origine européenne. Il est dès lors difficile de penser un « autre de l’intérieur », qu’il soit nicaraguayen, indien ou afrodescendant. L’altérité minimale (même langue, même religion, même histoire) des Nicaraguayens n’en est que plus menaçante. Surtout, la fermeture des frontières liée à l’épidémie de Covid a alimenté le rejet de l’autre, vu comme responsable de la circulation du virus.</p>
<p>L’autre trait marquant la migration nicaraguayenne est son invisibilité. Carlos Sandoval rappelle que près de 20 % des nouveau-nés au Costa Rica aujourd’hui ont un père ou une mère originaire du Nicaragua. Cette deuxième génération et les couples mixtes sont absents des récits sur l’identité nationale, de la littérature, des espaces interculturels et des mémoires familiales. L’instabilité migratoire et la xénophobie ordinaire font ainsi de l’origine nicaraguayenne un « secret de famille bien gardé. Cette expérience binationale se vit mais ne se raconte pas ».</p>
<h2>Migrations planétaires et adaptation des politiques migratoires</h2>
<p>Les migrations actuelles modifient radicalement la situation : nombreuses, multiples, souvent très visibles, il s’agit essentiellement de migrations de transit.</p>
<p><a href="https://estudiossociologicos.colmex.mx/index.php/es/article/view/2177">Guillermo Navarro</a> fait remonter le début de ces nouvelles migrations aux années 2000. Ce flux migratoire continu devient subitement visible en 2015, lorsque le Nicaragua, pays de passage vers les États-Unis, ferme sa frontière avec le Costa Rica. Des milliers de migrants se retrouvent alors bloqués au Costa Rica. La petite ville de La Cruz, dans le nord du pays, devient malgré elle le lieu d’arrivée et d’immobilisation forcée de migrants cubains, tout d’abord, puis africains et haïtiens.</p>
<p>Si la migration cubaine a laissé le souvenir d’une solidarité culturelle et politique, les migrations africaine et haïtienne qui lui succèdent ont provoqué des situations de tension, de peur, de rejet, face à des populations à la fois différentes (religion, langue, pratiques alimentaires) et inconnues, faisant l’objet de stigmatisation raciale.</p>
<p>Le gouvernement du Costa Rica met alors en place des centres d’accueil. La question migratoire devient un problème public et l’État adapte ses politiques en créant un permis de transit temporaire pour traverser rapidement le Costa Rica. « Cela a conduit l’État à se mobiliser, précisément en mettant en avant le récit de la crise migratoire. Entre 40 et 44 abris ont été ouverts, gérés par les communautés, les gouvernements locaux et le gouvernement central », selon Guillermo Navarro.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Centro de Atención Temporal a Migrantes (CATEM), La Cruz, 29 septembre 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dirección General de Migración y Extranjería Costa Rica</span></span>
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<p>Ces nouvelles trajectoires migratoires sont longues et complexes. Les Cubains commencent leur voyage en prenant l’avion jusqu’au Nicaragua, qui les accueille sans visa. Les Haïtiens ont souvent passé des années dans le cône Sud (notamment le Brésil de Lula et l’Équateur de Rafael Correa) avant de reprendre la route vers l’Amérique du Nord, suite au ralentissement des économies nationales ou au renforcement des contraintes migratoires. <a href="https://doi.org/10.24201/es.2022v40n120.2177">Les Africains cherchent à traverser en bus au plus vite le Costa Rica</a>. Ces nouvelles migrations touchent maintenant pratiquement tous les pays d’Afrique, mais aussi la Syrie, le Népal, l’Afghanistan, le Bangladesh, etc., sans que l’on connaisse précisément les motivations de ces migrants (crises économiques et politiques, fermetures de frontières, migrations par étapes, etc.) et leurs routes migratoires qui les emmènent en Amérique latine pour une destination finale qui reste les États-Unis.</p>
<p>Avec le Covid, les frontières du Costa Rica se ferment en avril 2020 et le gouvernement démantèle le système de soutien aux migrants qu’il avait mis en place. Les flux ne s’arrêtent pas mais deviennent clandestins. Lorsque les frontières s’ouvrent à nouveau et que les migrations reprennent plus fortement, le Costa Rica n’a plus d’outils et d’infrastructures.</p>
<p>Les hésitations du gouvernement Chaves et son discours répressif, mais aussi la politique erratique du Nicaragua, favorisent le développement de réseaux de passeurs, le racket des migrants et la stigmatisation de la migration. Un nouveau système de contrôle est progressivement instauré, qui passe par la construction de centres d’accueil pérennes, dont Guillermo Navarro souligne l’influence internationale (formation des fonctionnaires de migration, circulation des idées et des personnes) et la contribution financière des États-Unis et de l’UE. Les agences spécialisées (OIM, <a href="https://www.unhcr.org/costa-rica.html">HCR</a>) et les bailleurs de fonds internationaux (<a href="https://www.iadb.org/en/countries/costa-rica/overview">Banque interaméricaine de développement</a>) sont désormais bien présents.</p>
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<p>« Le Costa Rica est actuellement un laboratoire en train d’expérimenter le contrôle et le soutien humanitaire. L’Amérique centrale entre dans le système mondial migratoire, non seulement pour expulser et recevoir les migrants, mais aussi gérer la migration », constate Navarro.</p>
<p>18 février 2023. Ronaldo et sa mère ont réussi à économiser suffisamment d’argent pour payer le bus jusqu’au Panama puis l’avion vers le Venezuela. Retour à la case départ, où les attend la même situation de pauvreté extrême, même s’ils ne seront plus désormais des migrants illégaux contraints à la mendicité…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200928/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élisabeth Cunin a reçu des financements de IRD, ANR. </span></em></p>Soumis aux décisions politiques des pays de destination et de transit, de nombreux migrants de différentes origines se retrouvent bloqués au Costa Rica.Élisabeth Cunin, Anthropologue, directrice de recherche à l'Unité de Recherche Migrations Et Société (URMIS), chercheuse associée à l'Université du Costa Rica, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1987062023-03-07T18:18:54Z2023-03-07T18:18:54ZLa présence économique croissante de la Chine en Amérique latine et dans les Caraïbes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509412/original/file-20230210-14-3o05sx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C2854%2C1909&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mauricio Macri, alors président de l’Argentine, serre la main de Xi&nbsp;Jinping en 2017 à Pékin. Ce sommet de la Belt and Road Initiative aura été un épisode important du rapprochement entre Pékin et la zone Amérique latine-Caraïbes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/chinese-president-xi-jinping-argentinas-mauricio-2240652207">Salma Bashir Motiwala/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les échanges commerciaux entre l’Amérique latine et les Caraïbes et la Chine <a href="https://www.forbes.com/sites/miltonezrati/2022/11/07/chinas-latin-america-move/">n’ont cessé de se développer</a> depuis le début du XXI<sup>e</sup> siècle et, plus encore, depuis le lancement par Xi Jinping, en 2013, du projet des Nouvelles routes de la soie, ou <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-6-page-111.htm"><em>Belt Road Initiative</em> (BRI)</a>.</p>
<p>L’objectif de ce programme gigantesque est de promouvoir les objectifs de développement chinois en internationalisant les investissements et les prêts, tout en garantissant à la RPC un accès à long terme à l’énergie et aux matières premières qu’elle importe.</p>
<p>Pour mondialiser sa politique industrielle et soutenir ses entreprises dans le monde, la Chine a mis en place une stratégie entre les banques, le ministère des Finances et le ministère du Commerce. C’est ainsi que la China National Petroleum Corporation, Huawei et de nombreuses autres multinationales chinoises se sont « mondialisées » et sont de plus en plus présentes non seulement en Asie mais aussi en Europe, en Afrique et sur le continent américain, une zone qui fut longtemps considérée comme le « pré carré » de Washington.</p>
<h2>Les échanges commerciaux</h2>
<p>Si les échanges entre la Chine et la région Amérique latine-Caraïbes (ALC) remontent aux <a href="https://www.cairn.info/une-histoire-du-monde-global--9782361060299-page-174.htm">galions de Manille</a> qui, à partir de 1565, circulaient entre les ports d’Acapulco et de Manille, ils se sont considérablement accélérés au cours des vingt dernières années. L’un des moments clés, à cet égard, a été le <a href="https://www.oboreurope.com/fr/premier-sommet-belt-road/">forum de la BRI tenu à Pékin en 2017</a> : à l’issue de discussions informelles entre le président Xi Jinping et le président argentin de l’époque Mauricio Macri, <a href="https://greenfdc.org/countries-of-the-belt-and-road-initiative-bri/">l’ALC est incorporée dans la sphère de la BRI</a>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Un processus formel, mis en place lors de la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2018-2-page-134.htm">réunion de la Communauté des nations d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC)</a> en janvier 2018 à Santiago du Chili, a officalisé l’invitation de la Chine à destination des 33 pays d’ALC à participer à l’initiative BRI. Le Panama était devenu, dès 2017, le premier pays <a href="https://dialogochino.net/en/infrastructure/26121-belt-and-road-the-new-face-of-china-in-latin-america/">à signer un protocole d’accord en ce sens</a>, malgré les objections et les critiques des États-Unis.</p>
<p>Depuis, la plupart des autres pays ont suivi. Aujourd’hui, vingt pays de la zone ont rejoint la BRI, laissant le Brésil et le Mexique comme les deux seules grandes économies de la région sans protocole d’entente officiel. En conséquence, ces dernières années, certains pays d’Amérique latine ont <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20211210-le-nicaragua-rompt-avec-ta%C3%AFwan-et-reconna%C3%AEt-une-seule-chine-dirig%C3%A9e-par-p%C3%A9kin">rompu leurs liens diplomatiques avec Taïwan</a> dans le but d’attirer les investissements de Pékin.</p>
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<p>La région de l’Amérique latine et des Caraïbes est une zone d’investissement attrayante en raison de son abondance en ressources naturelles et matières premières (pétrole brut, fer et cuivre) ainsi qu’en produits agricoles (soja et oléagineux). Par rapport à l’Afrique, l’Amérique latine peut également offrir un environnement d’investissement plus stable, un système judiciaire plus fiable et un grand marché pour les produits chinois.</p>
<p>Les relations commerciales avec la Chine remontent aux années 1960, lorsque l’Argentine et le Mexique vendaient du blé à la Chine qui faisait alors face à une grande famine. Dans les années 1970 et 1980, les pays d’Amérique latine et des Caraïbes avaient un excédent commercial avec la Chine. Mais la situation a profondément changé avec les mutations économiques de la Chine à la fin des années 1980 et à son adhésion à l’OMC en 2001. </p>
<p>Depuis, les relations commerciales ont été <a href="https://www.atlanticcouncil.org/in-depth-research-reports/report/latin-america-china-trade-and-investment-amid-global-tensions/">multipliées par 18 entre 2000 et 2016</a>, notamment grâce au boom des matières premières. Pendant cette période, les banques publiques chinoises comme China Development Bank (CDB) et Export-Import Bank of China (ExImBank) ont signé de <a href="https://www.bu.edu/gdp/china-lac_bulletins/">nouveaux accords avec les pays de l’ALC</a>. Les échanges avec la Chine restent toutefois pour l’instant <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/18681026211047871">moins importants que ceux avec les États-Unis</a>.</p>
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<img alt="graphique des échanges commerciaux des États-Unis et de la Chine avec l’Amérique latine" src="https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Comparaison des échanges commerciaux entre l’Amérique latine et les États-Unis avec ceux entre l’Amérique latine et la Chine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane Aymard/La Rochelle Université</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Les investissements directs</h2>
<p>Les relations économiques croissantes entre la Chine et l’ALC ne se limitent pas au commerce. Le deuxième volet de ces relations est l’investissement direct à l’étranger (IDE).</p>
<p>Entre 2000 et 2020, les entreprises chinoises ont investi environ 160 milliards de dollars dans 480 transactions, principalement par le biais de fusions et d’acquisitions mais aussi à travers des projets nouveaux. Par exemple, China Yangtze Power International (CYPI) a récemment <a href="https://latinlawyer.com/article/china-yangtze-power-completes-us36-billion-power-buy-in-peru">acheté des parts de Sempra’s Peruvian</a>) pour 3,6 milliards de dollars.</p>
<p>Le graphique suivant montre un pic après la crise financière de 2008 en raison du retrait des investissements occidentaux dans la région et du manque de fonds d’investissement pour les gouvernements des pays locaux.</p>
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<img alt="Graphique montrant les investissements de la Chine en Amérique latine" src="https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Investissements direct de la Chine en Amérique latine en millions de dollars.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane Aymard/La Rochelle Université</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>Les prêts</h2>
<p>Le troisième volet de cette relation concerne les prêts, qui ont débuté au début du siècle, mais qui ont également connu un pic pendant la crise.</p>
<p>Depuis 2005, les deux principales banques chinoises (la Banque de développement de Chine et la Banque d’import-export de Chine) ont accordé plus de <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-cevipol-2017-3-page-3.htm">141 milliards de dollars de prêts aux pays d’Amérique latine</a> et aux entreprises publiques, soit plus que la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement ou la Banque latino-américaine de développement.</p>
<p>On observe une concentration des prêts chinois en ALC dans quatre pays : le Venezuela, l’Équateur, l’Argentine et le Brésil, qui ont reçu environ 93 % des prêts. Par ailleurs, les prêts sont concentrés dans le <a href="https://www.iss.europa.eu/sites/default/files/EUISSFiles/Brief_9_China%20in%20Latin%20America_web.pdf">secteur de l’énergie (69 %) et des infrastructures (19 %)</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphique sur les politiques bancaires de la Chine selon les pays d’Amérique latine" src="https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Politique bancaire de la Chine selon les pays d’Amérique latine. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane Aymard/La Rochelle Université</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le Venezuela, premier emprunteur sur le continent, est le pays dont la dette vis-à-vis de Pékin est la plus importante. Même si la Chine n’a pas accordé de nouveaux prêts aux pays d’Amérique latine en 2020 et 2021, elle a renégocié la dette du Venezuela en 2018 et celle de l’Équateur. La dette vénézuélienne a appris à la Chine à se montrer plus prudente dans <a href="https://www.batimes.com.ar/news/economy/stephen-kaplan-china-faces-creditor-trap-in-lending-to-latin-america.phtml">l’attribution de prêts à l’Amérique latine</a>. Les prêts au Vénézuéla ont montré à Pékin que les capacités de production de pétrole d’un pays ne sont pas une garantie suffisante pour un remboursement futur.</p>
<p>Par ailleurs, le Brésil a connu une <a href="https://dialogochino.net/en/infrastructure/59714-cccc-chinese-construction-giant-comes-to-standstill-in-brazil/">croissance des échanges</a>, des investissements et des prêts, mais, on l’a dit, sans adhérer officiellement à la BRI. Malgré un récent ralentissement des investissements dû à des relations tendues avec le gouvernement Bolsonaro (il reste à voir ce qu’il en sera désormais, Lula semblant désireux de <a href="https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/Le-Bresilien-Lula-rencontrera-le-Chinois-Xi-le-28-mars-a-Pekin--43022130/">nouer un « dialogue constructif » avec Pékin</a>), des projets, comme le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Port_d%27Itaqui">méga-port à Sao Luis</a>, capable de gérer l’exportation de 10 millions de tonnes de céréales par an, le chemin de fer dans l’État de Para reliant l’extraction de minerai de fer en Amazonie aux principaux ports du Brésil et un <a href="http://www.bahiaflaneur.net/blog2/2010/09/un-pont-pour-sauver-lile-ditaparica.html">pont de 12 kilomètres entre Salvador et Itaparica</a>, qui sera le plus grand projet de construction sur l’eau en Amérique latine, se développent au Brésil. Même si le pays est le deuxième plus grand débiteur de la Chine en Amérique latine, ses entreprises, comme la compagnie pétrolière publique Petrobras, réussissent à rembourser la plupart de leurs prêts.</p>
<p>Le cas du Pérou est également particulier. Le Pérou et la Chine entretiennent des relations diplomatiques depuis plus de 50 ans. Avec le Costa Rica, il est le seul pays à avoir conclu un accord de libre-échange à la fois avec les États-Unis et avec la Chine. Les investissements de Pékin au Pérou concernent des <a href="http://fr.cctv.com/2016/11/19/VIDEAO8wdf8PGOJ10EjXbieq161119.shtml">investissements lourds dans le secteur minier</a> (15 milliards de dollars selon le ministère péruvien de l’Énergie et des Mines). On observe aussi une diversification dans d’autres secteurs tels que l’énergie, l’électricité, la pêche… Un exemple typique est le <a href="https://portsetcorridors.com/2022/amerique-du-sud-la-bataille-de-la-logistique-portuaire/">méga-port de Chancay</a>, construit par un consortium dirigé par l’entreprise publique chinoise Cosco Shipping Ports avec une participation importante de la société suisse Glencore. Le projet, dont l’investissement s’élève à 3 milliards de dollars, devrait devenir le plus important terminal commercial de la Chine en Amérique du Sud lorsqu’il sera terminé en 2024.</p>
<h2>Un partenariat qui s’intensifie</h2>
<p>Comme dans d’autres régions du monde, la Chine finance en ALC des investissements d’infrastructure, notamment dans les secteurs minier et énergétique, qui peuvent avoir des effets positifs sur la croissance économique des pays de l’ALC <strong>()</strong>. Ce système répond à la volonté de la Chine pour devenir un acteur majeur sur les marchés de l’énergie en apportant des investissements dans ces pays (les capitaux privés n’étant pas suffisants en raison de la crise financière ou des scandales liés à la corruption, comme <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/03/26/affaire-petrobras-retour-sur-les-trois-annees-qui-ont-marque-le-bresil_5100932_3222.html">l’opération Lava Jato au Brésil</a>, qui ont découragé les investissements étrangers).</p>
<p>La Chine mise aujourd’hui sur les nouvelles infrastructures : 5G, transmission d’électricité, train à grande vitesse, véhicules électriques, centres de données et intelligence artificielle… Des perspectives se profilent pour le développement de liens supplémentaires avec des échanges d’étudiants, du tourisme, des coopérations dans les domaines de la santé, des sciences et des technologies. Ainsi, la relation pourrait aussi devenir véritablement une stratégie gagnant-gagnant sur d’autres secteurs que les ressources.</p>
<p>Si les gouvernements des pays de l’ALC parviennent à relever les défis et à développer les opportunités qui se présentent, la relation ALC-Chine deviendra plus avantageuse pour la région ALC. Celle-ci devra toutefois prendre garde au <a href="https://www.courrierinternational.com/article/dette-la-chine-une-puissance-qui-prete-beaucoup-en-amerique-latine">« piège de la dette »</a> (la Chine détient par exemple 11 % de la dette extérieure totale de l’Équateur).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198706/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>German Zarate ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans la continuité de sa politique d’investissement à l’étranger, la Chine conclut avec l’Amérique latine et les Caraïbes des partenariats économiques de plus en plus étroits.German Zarate, Professeur d'économie, State of New York University Cortland, professeur invité à La Rochelle University, La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988382023-02-01T19:08:25Z2023-02-01T19:08:25ZCorruption et guerre : deux fléaux qui se nourrissent l’un de l’autre<p>L’ONG <a href="https://www.transparency.org/">Transparency International</a> vient de publier son <a href="https://www.transparency.org/en/press/2022-corruption-perceptions-index-reveals-scant-progress-against-corruption-as-world-becomes-more-violent">palmarès des pays du monde selon le niveau de corruption perçue en 2022</a>.</p>
<p>L’étude de ce document confirme, une fois de plus, les liens étroits qui existent entre le degré de corruption d’un pays et le risque que ce pays soit engagé dans une guerre, extérieure ou civile. Dans un cercle vicieux inextricable, un pays plongé dans un conflit voit aussi son niveau de corruption croître.</p>
<h2>Comment évalue-t-on la corruption dans un pays ?</h2>
<p>Depuis sa création en 1995, l’<a href="https://www.transparency.org/en/news/how-cpi-scores-are-calculated">Indice de perception de la corruption (IPC</a>) est devenu le principal indicateur, à l’échelle mondiale, de la corruption dans le secteur public.</p>
<p>Il permet de classer 180 pays et territoires plus ou moins corrompus, en utilisant des données provenant de 13 sources externes, dont celles de la Banque mondiale, du Forum économique mondial, de sociétés privées de conseil et de gestion des risques, de groupes de réflexion et autres.</p>
<p>Les scores attribués – sur une échelle qui va de zéro (0 = forte corruption) à cent (100 = aucune corruption), en fonction du degré de perception de la corruption dans le secteur public – reflètent l’opinion d’experts et de personnalités du monde des affaires.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Indice de perception de la corruption 2022. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Transparency International</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<h2>La corruption ronge les États…</h2>
<p>La médaille d’or au <a href="https://www.transparency.org/en/cpi/2022">concours des pays les plus corrompus</a> vient d’être remise à la Somalie, suivie du Soudan du Sud, de la Syrie, du Venezuela, du Yémen, de la Libye, du Burundi, de la Guinée équatoriale, de Haïti, et de la Corée du Nord.</p>
<p>Détentrice du titre peu envié de pays le plus corrompu de la planète depuis 2007, la Somalie a <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14747730701695729">plusieurs points communs</a> avec ses « challengers » liés à leur haut niveau de corruption.</p>
<p>Les pays très corrompus sont caractérisés par une grande faiblesse de l’État. La Somalie n’a quasiment plus d’État. Depuis 30 ans, elle a connu deux guerres civiles, des <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20221014-somalie-le-cycle-de-la-famine">famines catastrophiques</a>, des <a href="https://journals.openedition.org/rha/7214">interventions internationales ratées</a>, des <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/stories/2021/8/611cc7aea/deplaces-refugies-somaliens-peinent-reprendre-cours-vie-face-frequentes.html">flux de réfugiés</a>, des morts par centaines de milliers, la corruption entraînant une absence continue de services et d’institutions étatiques même rudimentaires.</p>
<p>Les Somaliens <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03056240500329379">vivent dans un environnement de prédations</a>, de menaces omniprésentes et de privations, cette insécurité impliquant des comportements de survie, comme le recours à la corruption pour avoir accès à de la nourriture ou à des médicaments.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LrvwxAHxu4k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La faiblesse d’un État détérioré par la guerre et la corruption se manifeste aussi au niveau du système judiciaire. Quand l’État est déstabilisé, c’est la loi du plus fort qui s’applique et le plus corrompu peut avoir gain de cause dans un procès, même s’il est coupable. C’est ainsi le cas de la <a href="https://www.stabilityjournal.org/articles/10.5334/sta.522/">Syrie</a>, deuxième sur la liste (à égalité avec le Soudan du Sud), où l’enchevêtrement de la <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/07/26/madame-assad-au-coeur-de-la-corruption-detat-en-syrie/">corruption</a> et de la terrible guerre civile a fait du système judiciaire une <a href="https://www.stabilityjournal.org/articles/10.5334/sta.522/">jungle où gagnent ceux qui corrompent le mieux les juges</a>.</p>
<p>Naturellement, la corruption entraîne une perte de confiance des populations dans les institutions publiques, <a href="https://www.researchgate.net/publication/320862388_Corruption_in_sub-Saharan_Africa%E2%80%99s_established_and_simulated_democracies_the_cases_of_Ghana_Nigeria_and_South_Sudan">détruisant la moindre considération dans le système politique</a>, ce qui accroît le risque d’une chute dans la violence politique, comme on le constate notamment au <a href="https://www.brookings.edu/book/dragon-in-the-tropics-2nd-edition/">Venezuela</a>, classé quatrième, qui s’est retrouvé ces dernières années <a href="https://www.rcf.fr/articles/actualite/le-venezuela-un-pays-au-bord-de-la-guerre-civile">au bord de la guerre civile</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-corruption-peut-elle-assassiner-la-democratie-lecons-du-venezuela-111268">La corruption peut-elle assassiner la démocratie ? Leçons du Venezuela</a>
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<h2>… tue la démocratie…</h2>
<p>La corruption détériore le système démocratique par différents biais : les populations reçoivent de l’argent pour voter en faveur du pouvoir, les commissions électorales sont achetées pour proclamer des plébiscites en faveur des dirigeants en place, les candidats indépendants sont menacés et même parfois assassinés…</p>
<p>Ainsi, le <a href="https://www.hrw.org/world-report/2021/country-chapters/south-sudan">Soudan du Sud, deuxième du classement, est un cauchemar démocratique</a>. Ce pays indépendant depuis 2011 et <a href="https://www.msf.fr/decryptages/soudan-du-sud-un-pays-devaste-par-la-guerre">dévoré par la guerre civile depuis 2013</a> est le théâtre de violations permanentes des droits de l’homme : arrestations arbitraires, détentions illégales, tortures, meurtres… Avec la guerre, l’insécurité s’accroît et la corruption se développe encore plus.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En outre, la <a href="https://diginole.lib.fsu.edu/islandora/object/fsu:204413/datastream/PDF/view">corruption détruit la liberté de la presse</a>. Dans des pays très mal classés en <a href="https://rsf.org/en/index">termes de liberté de la presse</a>, comme la Corée du Nord ou la Russie, la propagande des autorités se déploie sans que le moindre désaccord ne puisse être formulé dans l’espace public, ce qui laisse se propager le discours belliqueux des dirigeants et les agressions se multipliaient.</p>
<p>Pays particulièrement corrompu, le Yémen, cinquième au classement établi par Transparency International, est <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-2-page-17.htm">ravagé par la guerre depuis 2014</a> – un conflit alimenté par la sous-information des populations du fait d’une presse aux ordres des acteurs qui contrôlent les diverses zones du pays. L’ONG Reporters Sans Frontières <a href="https://rsf.org/fr/pays/y%C3%A9men">présente ainsi</a> la situation du pays : « Les médias yéménites sont polarisés par les différents acteurs du conflit et n’ont d’autre choix que de se conformer au pouvoir en place, en fonction de la zone de contrôle dans laquelle ils se trouvent, sous peine de sanctions. »</p>
<h2>… et accroît les inégalités économiques</h2>
<p>Enfin, dans une nation où règne la corruption, une <a href="http://www.accessecon.com/Pubs/EB/2013/Volume33/EB-13-V33-I4-P240.pdf">petite minorité accapare la richesse nationale</a>, la corruption pouvant être <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1056492615579081">définie</a> comme « l’utilisation de son pouvoir personnel à des fins d’intérêts privés contre l’intérêt collectif ».</p>
<p>Quand l’injustice sociale règne, les tensions économiques se développent, ce qui crée un terreau particulièrement favorable à la guerre civile. Le Soudan du Sud a été ainsi dépeint comme une <a href="https://sites.tufts.edu/reinventingpeace/2014/07/30/when-kleptocracy-becomes-insolvent-brute-causes-of-the-civil-war-in-south-sudan/">kleptocratie</a>, un système dans lequel la <a href="https://www.amazon.fr/Thieves-State-Corruption-Threatens-Security/dp/0393239462">classe dirigeante s’approprie les ressources publiques</a> pour son propre profit au détriment du bien-être public.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1230736929953480704"}"></div></p>
<p>L’histoire d’Haïti est également parsemée de despotes, comme la <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/165747.pdf">famille Duvalier</a>, qui ont mis en place un système de prédation économique visant à les enrichir au détriment de leur population.</p>
<h2>Cercle vicieux</h2>
<p>Au final, un cercle vicieux s’est installé qui débute par la corruption, impliquant des tensions permanentes puis des conflits et, par suite, plus de crimes et de guerres.</p>
<p>Comme le montre le dernier indice de corruption de Transparency International, les pays les plus corrompus sont tous des pays instables économiquement, politiquement et socialement. Si tous ne sont pas en guerre, tous sont, selon des modalités différentes en crise profonde.</p>
<p>Au fil des conflits, toutes les institutions de gouvernance ont été détruites. L’insécurité incite à se livrer à tous les trafics. Sans institutions de contrôle, un sentiment d’impunité totale s’installe et la corruption devient systémique. La diffusion de la corruption en fait alors une norme sociale : « corrompre, c’est la seule manière de survivre », pourraient s’exclamer en cœur les populations des pays les plus corrompus…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198838/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Venard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’examen du classement mondial des pays selon le degré de corruption que vient de rendre public Transparency International confirme que la corruption alimente la guerre, et réciproquement.Bertrand Venard, Professor, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1755582022-02-22T18:39:18Z2022-02-22T18:39:18ZDes crimes contre l’humanité ont-ils été commis au Venezuela ces dernières années ? La Cour pénale internationale va (peut-être) trancher<p>Le 3 novembre 2021, le bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (ci-après « CPI » ou « Cour ») a décidé d’<a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1625&ln=fr">ouvrir une enquête</a> sur les crimes contre l’humanité qui auraient été commis depuis 2017 sur le territoire de la République bolivarienne du Venezuela. Aucune enquête de ce type n’avait encore été ouverte concernant un État américain depuis la <a href="https://www.amnesty.fr/focus/cour-penale-internationale">création de la Cour</a>.</p>
<p>Le lancement de cette procédure ne signifie pas que des individus seront nécessairement jugés, mais seulement que le bureau du Procureur est en capacité d’enquêter sur les faits commis et, éventuellement, d’identifier de suspects, si les éléments de preuves le permettent.</p>
<h2>Que s’est-il passé au Venezuela ?</h2>
<p>En 2012, une <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/28/venezuela-la-crise-expliquee-en-3-graphiques_5415726_4355770.html">crise économique</a> sans précédent a touché le Venezuela, provoquant une forte inflation et une pénurie des produits de première nécessité, notamment le carburant.</p>
<p>La crise a été déclenchée par une forte diminution de la production de pétrole au Venezuela. Cette production étant la principale source de revenu national, le PIB n’a cessé de chuter depuis.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/02/18/au-venezuela-le-mouvement-etudiant-cristallise-la-grogne-sociale_4368489_3222.html">manifestations populaires</a> contre la politique du président Nicolás Maduro (<a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/2013/04/19/venezuela-portrait-nicolas-maduro-le-chauffeur-de-bus-devenu-president-28899.html">devenu président en 2013</a> après le décès d’Hugo Chavez) ont commencé en 2014. La violence s’est accrue en 2015 lorsque le Tribunal suprême de justice, la plus haute instance judiciaire vénézuelienne, a <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/200817/venezuela-le-parlement-se-reunit-malgre-sa-dissolution-de-fait?onglet=full">dissous le Parlement</a> car l’opposition y était devenue majoritaire, et s’est arrogé ses pouvoirs, avec le soutien du président.</p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-nicolas-maduro-se-maintient-au-pouvoir-au-venezuela-60751">Comment Nicolás Maduro se maintient au pouvoir au Venezuela</a>
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<p>Des affrontements entre les manifestants et les forces armées envoyées par le gouvernement ont eu lieu, faisant des centaines de blessés et <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/venezuela-67-personnes-sont-mortes-lors-de-manifestations-en-2019-20200124">au moins 68 morts entre 2014 et 2019</a>. De nombreuses <a href="https://www.coalitionfortheicc.org/sites/default/files/cicc_documents/venezuela-coi-august-19-final.pdf">exactions</a>, commises en majorité par la police contre les manifestants et, dans une moindre mesure, par les manifestants contre les forces de l’ordre ont été rapportées : arrestations arbitraires, torture et violences sexuelles en détention, assassinats politiques, disparitions forcées…</p>
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<p>Ces faits ne doivent pas être assimilés à ceux de la situation <a href="https://www.icc-cpi.int/venezuelaII?ln=fr">Venezuela II</a>, une deuxième situation ouverte par la CPI, qui concernent de possibles crimes contre l’humanité commis par les États-Unis sur le territoire du Venezuela depuis 2014 dans le cadre de mesures coercitives, notamment de fortes <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/le-v%C3%A9n%C3%A9zuela-appelle-la-cour-p%C3%A9nale-internationale-%C3%A0-enqu%C3%AAter-sur-des-responsables-am%C3%A9ricains/1733839">sanctions économiques</a>. L’enquête sur cette question est toujours au stade de l’examen préliminaire.</p>
<h2>Pourquoi la Cour pénale internationale enquête-t-elle ?</h2>
<p>Selon le <a href="https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/add16852-aee9-4757-abe7-9cdc7cf02886/283948/romestatutefra1.pdf">Statut de Rome</a>, la Cour est compétente pour juger les hauts responsables de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de génocides et de crimes d’agression commis par des ressortissants d’un État partie ou sur le territoire de celui-ci. Cependant, celle-ci n’a compétence que lorsque tous les États pouvant juger eux-mêmes ces hauts responsables refusent ou sont en incapacité de le faire : il s’agit du <a href="https://www.un.org/press/fr/2014/ag11577.doc.htm">principe de complémentarité</a>.</p>
<p>Dans un premier temps, un <a href="https://www.sqdi.org/fr/examens-preliminaires-a-la-cour-penale-internationale-fondements-juridiques-pratique-du-bureau-de-la-procureure-et-developpements-judiciaires/">examen préliminaire relatif</a> est ouvert à la demande d’un État partie, du Conseil de sécurité des Nations unies ou par le Procureur de la CPI. Au cours de cet examen, le bureau du Procureur examine les éléments à sa disposition afin de déterminer s’il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête sur la situation. Il analyse également la compétence de la Cour, la recevabilité et les intérêts de la justice.</p>
<p>C’est seulement après l’étude de tous ces éléments que le bureau du Procureur peut décider d’ouvrir une <a href="https://www.icc-cpi.int/pages/situation.aspx?ln=fr">enquête</a> au cours de laquelle il pourra examiner des preuves, interroger des victimes et des témoins, etc. Enfin, au cours de cette période, le Procureur pourra identifier des suspects et demander l’émission de mandats d’arrêt dans le but d’ouvrir une <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/cases.aspx?ln=fr">affaire</a> sur un ou plusieurs individus suspectés d’avoir commis des crimes relevant de la compétence de la Cour.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1457679297955647495"}"></div></p>
<p>Dans le cas du Venezuela, État partie au Statut de Rome depuis juin 2002, un <a href="https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/4e2bc725-6a63-40b8-8cdc-adba7bcaa91f/143684/otp_letter_to_senders_re_venezuela_9_february_2006.pdf">premier examen</a> avait été ouvert en 2006 pour des violences du gouvernement à l’encontre de la population et d’opposants politiques, puis clos pour défaut de compétence temporelle de la Cour.</p>
<p>Un <a href="https://news.un.org/fr/story/2018/02/1005131">second examen préliminaire</a> a été ouvert le 8 février 2018 par l’ancienne Procureure Fatou Bensouda pour de potentiels crimes contre l’humanité commis depuis 2017 au cours des manifestations. Le 27 septembre 2018, six États américains ont demandé <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/180925-otp-referral-venezuela_ENG.pdf">l’ouverture d’une enquête</a> au bureau du Procureur ainsi qu’un élargissement de l’examen préliminaire aux faits remontant au 12 février 2014, date d’une des plus grosses manifestations à Caracas, au cours de laquelle <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2014/02/12/1817495-venezuela-trois-morts-dans-des-manifestations-contre-le-gouvernement.html">trois manifestants ont été tués</a>. Le lendemain, la situation au Venezuela a été attribuée à la Chambre préliminaire I, instance chargée des décisions préalables à l’ouverture d’un procès telles que les mandats d’arrêt.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/illiberalisme-comment-lindulgence-des-voisins-du-venezuela-a-precipite-le-pays-dans-la-crise-111209">Illibéralisme : comment l’indulgence des voisins du Venezuela a précipité le pays dans la crise</a>
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<p>Au cours de cet examen préliminaire, le bureau du Procureur a dû déterminer si la CPI pouvait avoir compétence pour ouvrir une enquête sur la situation au Venezuela. La question principale était de savoir si le principe de complémentarité était respecté. En l’occurrence, il s’agissait d’établir si les juridictions nationales étaient en capacité de juger de manière effective les responsables des violences commises pendant et après les manifestations. <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/2020-PE/2020-pe-report-fra.pdf#page=55">L’examen préliminaire</a> a montré que les juridictions vénézuéliennes n’avaient pas l’indépendance nécessaire pour cela. C’est pourquoi, comme mentionné précédemment, le bureau du Procureur a décidé d’ouvrir une enquête sur la situation au Venezuela.</p>
<h2>Quel avenir pour cette enquête ?</h2>
<p>Il est difficile de se prononcer sur un possible aboutissement de cette enquête. Certains éléments laisser entrevoir de possibles suites. Le président Maduro a fait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/04/la-cpi-ouvre-une-enquete-sur-les-allegations-de-crimes-commis-par-le-regime-au-venezuela_6100974_3210.html">preuve de bonne foi</a> au cours du voyage au Venezuela du Procureur actuel de la CPI, Karim Khan, entre le 31 octobre et le 3 novembre 2021. Les rencontres entre le Procureur, Nicolás Maduro et des membres du gouvernement vénézuélien ont abouti à la rédaction d’un <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/otp/acuerdo/acuerdo-eng.pdf"><em>mémorandum</em></a> de coopération entre le Venezuela et le bureau du Procureur : les autorités de Caracas s’engagent à coopérer pleinement avec la Cour et à faciliter le travail du Procureur sur le territoire.</p>
<p>Cet accord est à saluer dans la mesure où la coopération des États parties avec la Cour est fondamentale pour le travail du bureau du Procureur. En effet, la CPI ne dispose pas de forces propres : elle est totalement dépendante du bon vouloir des États en ce qui concerne l’arrestation des suspects ou l’accès aux preuves par exemple. En outre, il existe aussi un certain nombre de preuves à disposition de la Cour grâce <a href="http://www.oas.org/documents/eng/press/Informe-Panel-Independiente-Venezuela-EN.pdf">au travail des experts internationaux</a> nommés par le secrétaire général des Nations unies en mai 2018.</p>
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<p>En septembre 2020, la <a href="https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/FFMV/A_HRC_45_33_AUV.pdf">mission internationale indépendante d’établissement des faits</a> des Nations unies sur le Venezuela a déterminé que des exécutions illégales, des disparitions forcées, des détentions arbitraires et des actes de torture ont été commis. Ce rapport a ensuite été <a href="https://www.oas.org/en/media_center/press_release.asp?sCodigo=E-122/20">étoffé</a> par <a href="https://archive.crin.org/fr/guides-pratiques/lonu-et-le-systeme-international/mecanismes-regionaux/organisation-des-etats.html">l’organisation des États américains</a> en décembre 2020.</p>
<p>Même si ces éléments laissent penser que le bureau du Procureur pourrait effectuer son travail d’enquête dans de bonnes conditions, un conflit d’intérêts demeure. Nicolás Maduro était au pouvoir au moment de la période de violence : les membres de son gouvernement et lui-même pourraient ainsi voir leur responsabilité engagée. Cette situation rappelle les problèmes rencontrés dans <a href="https://www.icc-cpi.int/kenya/kenyatta?ln=fr">l’affaire <em>Kenyatta</em></a>. Dans cette affaire, ouverte en 2011, l’accusé est devenu président du Kenya en 2013 et a stoppé toute coopération avec la CPI. Le Procureur a donc rencontré de fortes difficultés à présenter des éléments de preuves, ce qui a abouti au retrait des charges, faute de preuves suffisantes pour débuter un procès.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"540862197253931008"}"></div></p>
<p>Dans le cas où Nicolás Maduro, ou certains de ses proches, seraient inquiétés, il est possible que cette situation se présente à nouveau. En outre, Nicolás Maduro pourrait choisir de coopérer uniquement pour les enquêtes contre ses opposants politiques, et par là même instrumentaliser la Cour. À l’inverse, les opposants politiques et en particulier Juan Guaidó, toujours considéré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/04/venezuela-l-opposition-confirme-juan-guaido-au-poste-de-president-par-interim_6108114_3210.html">par l’opposition</a> comme le président par intérim du pays, sont favorables à cette enquête de la Cour car elle permettrait de mettre en lumière des exactions commises à leur égard.</p>
<p>Enfin, l’enquête pourrait être close dans le cas où le principe de complémentarité ne s’appliquerait plus. Nous l’avons dit, l’enquête a été ouverte en raison de l’incapacité des juridictions vénézuéliennes à juger impartialement les auteurs de violences commises depuis 2017. Si les juridictions nationales venaient à acquérir une impartialité totale et à juger les auteurs, la CPI ne serait plus compétente. L’ouverture de cette enquête est un moyen d’inciter les autorités vénézuéliennes à développer cette impartialité, dans la continuité de l’évolution de la politique chaviste.</p>
<p>La clôture de l’enquête pour cette raison constituerait une avancée, car cela refléterait l’impartialité des juridictions. Pour autant, là encore, cette hypothèse semble illusoire tant que Nicolás Maduro sera au pouvoir (son mandat actuel s’achève en 2023), d’autant plus qu’il pourra à nouveau se présenter aux futures élections. Ce dernier n’a pas intérêt à ce que certains de ses proches soient inquiétés. En définitive, il semble difficilement imaginable que ce travail d’enquête puisse être accompli dans les meilleures conditions tant que le président Maduro restera au pouvoir, malgré l’apparente bonne foi des autorités vénézuéliennes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175558/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Augustine Atry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ouverture d’une enquête de la Cour pénale internationale sur les crimes commis lors des manifestations de ces dernières années n’aboutira pas nécessairement à un procès. Voici pourquoi.Augustine Atry, Doctorante en droit public, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1730292021-12-22T20:23:48Z2021-12-22T20:23:48ZL’exploitation minière menace les populations autochtones isolées de la région amazonienne du Brésil<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435098/original/file-20211201-13-1vx3wd0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1356%2C665&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Membres d’une tribu isolée au Brésil.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Gleison Miranda/FUNAI/Survival</span></span></figcaption></figure><p>Les terres indigènes de l’Amazonie brésilienne abritent non seulement le plus grand nombre de peuples indigènes isolés au monde, mais aussi l’une des plus grandes réserves minérales mondiales encore inexploitée. C’est pourquoi elles se trouvent au centre des intérêts de développement du pays depuis des décennies.</p>
<p>Le président actuel du Brésil, Jair Bolsonaro, a l’intention d’autoriser l’exploitation de ces ressources minérales par le biais d’un projet de loi (<a href="https://www.camara.leg.br/proposicoesWeb/fichadetramitacao?idProposicao=2236765">PL191/2020</a>) qui <a href="https://doi.org/10.1525/elementa.427">met en danger les forêts et les sociétés uniques qu’elles protègent</a>.</p>
<p>Bien que l’exploitation minière ne soit pas encore autorisée sur les terres autochtones, les <a href="https://doi.org/10.1017/S0376892917000376">sociétés minières demandent des permis depuis des années</a>. Il existe actuellement plus de <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102398">3 600 projets de mines sur les terres indigènes</a> où vivent des groupes isolés, pour une superficie d’exploitation totale de plus de 10 millions d’hectares – une superficie comparable à celle de l’Islande. En outre, l’Agence nationale des mines du Brésil s’efforce d’attirer davantage d’investisseurs, et l’intérêt de ceux-ci devrait augmenter avec l’approbation de la loi PL191/2020.</p>
<p>Malheureusement, les zones riches en minéraux se trouvent précisément dans les régions les plus reculées, où les populations autochtones sont restées isolées. Ainsi, il y a <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102398">plus de projets miniers sur les terres indigènes avec des groupes isolés</a> que sur celles sans groupes isolés.</p>
<h2>Des groupes isolés à haut risque</h2>
<p>Si le projet de loi PL191/2020 est adopté, les opérations minières toucheront <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102398">25 terres indigènes abritant 43 groupes isolés</a>, avons-nous révélé dans une étude récemment publiée. La situation est particulièrement préoccupante pour 21 groupes, dont les terres sont visées par la majorité des projets.</p>
<p>Dans certains cas, l’exploitation minière laisserait peu de place à la sauvegarde des droits des autochtones. Par exemple, dans les terres indigènes Xikrin do Rio Catete et Baú, les projets miniers occuperaient environ 80 % du territoire. Or, le projet de loi ne prévoit aucune limite, ce qui pourrait amener à atteindre ce taux d’occupation sans problème pour les groupes miniers.</p>
<p>La situation est critique en terre indigène Yanomami, un vaste territoire à la frontière avec le Venezuela sur lequel vivent sept groupes isolés. Les concessions minières y couvrent 3,3 millions d’hectares, une superficie équivalente à celle de la Catalogne. Son impact s’ajouterait à <a href="https://news.mongabay.com/2020/11/the-amazons-yanomami-utterly-abandoned-by-brazilian-authorities-report/">l’invasion massive de chercheurs d’or illégaux</a> à laquelle est confronté le territoire, qui a déjà causé des centaines de morts indigènes <a href="https://doi.org/10.1126/science.abc0073">suite à la propagation du Covid-19</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1000&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1000&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1000&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1257&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1257&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1257&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des terres indigènes en Amazonie brésilienne. Les couleurs indiquent le nombre de groupes autochtones isolés (en haut, en bleu) et le nombre de demandes d’exploitation minière (en bas, en rouge) enregistrées dans chacun d’eux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Modifié de Villén-Pérez et coll. (2021)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>Les effets de l’exploitation minière sur les peuples autochtones</h2>
<p>L’exploitation minière affecte les populations autochtones isolées de plusieurs façons :</p>
<ul>
<li><p>La déforestation qu’elle entraîne réduit le territoire utilisable par ces groupes et augmente les risques de contacts indésirables. Il est parfois avancé que l’exploitation minière a un effet très localisé et donc non pertinent. Cependant, le développement généré autour d’un projet minier entraîne un impact environnemental important. En fait, 9 % de la déforestation en Amazonie est directement ou indirectement <a href="https://doi.org/10.1038/s41467-017-00557-w">due à l’exploitation minière</a>.</p></li>
<li><p>La pollution des rivières qu’elle cause est l’un des plus grands problèmes environnementaux et sanitaires de l’Amazonie. En raison de l’exploitation intensive de l’or, ses habitants sont parmi les plus exposés au mercure dans le monde. Il en va probablement de même pour les populations autochtones isolées, qui doivent elles aussi être touchées par les graves problèmes de santé causés par le mercure.</p></li>
<li><p>L’arrivée massive de travailleurs a des répercussions multiples. La croissance démographique peut épuiser les ressources alimentaires des forêts et des rivières de la région, compromettant ainsi les moyens de subsistance des communautés isolées. En outre, les non-autochtones apportent avec eux des maladies contre lesquelles les peuples isolés ne sont pas immunisés. Un bref contact peut <a href="https://doi.org/10.1038/srep14032">décimer leurs populations</a>, comme cela s’est produit à plusieurs reprises dans le passé. Et même en l’absence de contact, les populations isolées peuvent être affectées par une incidence accrue des maladies transmises par les moustiques, comme le paludisme.</p></li>
</ul>
<h2>Les connaître pour les protéger</h2>
<p>Il existe 120 groupes indigènes isolés <a href="https://acervo.socioambiental.org/acervo/publicacoes-isa/cercos-e-resistencias-povos-indigenas-isolados-na-amazonia-brasileira">enregistrés dans l’Amazonie brésilienne</a>. La Fondation nationale des Indiens (FUNAI) est l’agence gouvernementale chargée de les étudier et de les protéger. Elle est bien consciente de l’existence de certains groupes isolés, qui ont été localisés depuis le sol ou depuis les airs, même si, pour la plupart d’entre eux, cependant, il n’y a que quelques indications de leur existence.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1008&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1008&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1008&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1267&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1267&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1267&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Groupes indigènes isolés sur des terres indigènes en Amazonie brésilienne. Les cercles indiquent le nombre de demandes d’exploitation minière enregistrées sur chaque terre indigène.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Modifié de Villén-Pérez et al. (2021)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le travail de la FUNAI est essentiel pour la protection de ces sociétés isolées. Sur toutes les terres indigènes, celles où se trouvent des groupes isolés connus <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102398">enregistrent moins d’intérêts miniers</a> que celles qui n’en ont pas. Les grandes entreprises minières préfèrent opérer là où il n’y a pas de groupes extérieurs connus susceptibles de compromettre leur réputation.</p>
<p>En outre, des groupes isolés connus pourraient entraver l’obtention des licences nécessaires. Le texte actuel du PL191/2020 ;autoriserait les opérations minières sur les terres indigènes où se trouvent des groupes isolés, mais pas sur les territoires exclusivement fréquentés par ces derniers. Par conséquent, les groupes isolés moins bien étudiés représentent un risque moindre pour l’obtention d’une licence, car les limites de leurs territoires sont totalement inconnues.</p>
<p>Aujourd’hui, de nouveaux groupes isolés sont encore enregistrés à un rythme plus élevé que celui des études. Mais la situation s’est aggravée depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Bolsonaro en 2019 : la <a href="https://www.socioambiental.org/sites/blog.socioambiental.org/files/arquivos/povos_isolados_cdh_onu_relatorio_2020.pdf">FUNAI est en cours de démantèlement</a> et fait face à des réductions de personnel et de budget paralysant son activité.</p>
<p>Or, il est urgent d’étudier tous les groupes isolés afin de les protéger. Le fait de bien les connaître dissuadera les entreprises d’investir sur leurs terres et fournira des informations sur leur localisation qui se révéleront essentielles si le projet de loi PL191/2020 est adopté. Pour y parvenir, le gouvernement brésilien doit remettre la FUNAI dans les conditions opérationnelles et financières nécessaires.</p>
<h2>Comment éviter leur disparition</h2>
<p>De nombreux peuples indigènes isolés de l’Amazonie brésilienne sont conscients de l’existence d’autres sociétés. Certains ont même subi des violences et des épidémies liées au contact dans le passé. Forts de cette expérience, ils ont choisi d’exercer leur droit à l’isolement comme stratégie de survie.</p>
<p>Le Brésil possède l’une des politiques les plus anciennes et les plus solides en matière de protection des droits des populations autochtones isolées. Cependant, les caractéristiques de l’Amazonie rendent sa mise en œuvre parfois difficile. Ces difficultés de gouvernance ont été exacerbées par la situation politique actuelle, qui rend impossible de garantir une coexistence sûre entre les opérations minières et les populations isolées.</p>
<p>Des <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102398">travaux scientifiques</a> indiquent que le gouvernement brésilien devrait investir dans l’étude de la localisation et de la vulnérabilité des groupes indigènes isolés connus en Amazonie brésilienne. Dans le même temps, il doit éviter toute augmentation de la pression de développement qui mettrait en danger les populations autochtones isolées vivant sur son territoire. Faute de quoi, des peuples, des sociétés et des cultures uniques pourraient s’éteindre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173029/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sara Villén Pérez reçoit des financements de la Communauté de Madrid (Ayuda Atracción Talento Investigador 2017-T2/AMB-6035), de la Communauté de Madrid en collaboration avec l'Université d'Alcalá (projet CM/JIN/2019-003), de l'Université d'Alcalá (projet CGB2018/BIO-032), et du ministère de la Transition écologique et du Défi démographique à travers la Fondation Biodiversité (projet 2020/00085/001).</span></em></p>Au Brésil, un projet de loi proposé par Jair Bolsonaro risque d’étendre les zones d’exploitation minière dans des régions isolées d’Amazonie et de mettre en péril 43 groupes indigènes.Sara Villén Pérez, Investigadora postdoctoral en Ecología (Programa Talento de la Comunidad de Madrid), Universidad de AlcaláLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1574762021-04-07T17:04:55Z2021-04-07T17:04:55ZComment la Colombie utilise la xénophobie comme bouclier politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/391506/original/file-20210324-21-8p9xd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C4%2C3106%2C2069&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La mairesse de Bogotá, Claudia López, que l'on voit ici lors de sa cérémonie d'investiture le 1er janvier 2020, a alimenté les discours haineux envers les migrants vénézuéliens par ses déclarations récentes. </span> <span class="attribution"><span class="source">Photo AP/Ivan Valencia</span></span></figcaption></figure><p>En Colombie, la xénophobie contre les ressortissants du Venezuela a atteint des proportions sans précédent dans les dernières semaines. Le 10 mars, <a href="https://www.eltiempo.com/bogota/policia-muerto-en-bogota-revelan-video-del-asesinato-de-edwin-caro-572692">un policier a été assassiné dans la capitale du pays</a>, Bogotá. Mais ce que la presse ainsi que les politiciens et politiciennes en ont retenu, c’est la nationalité de celui qui a commis le crime : un Vénézuélien. </p>
<p>Les propos de la mairesse de Bogotá, Claudia López, n’ont pas manqué de susciter de vives critiques. Elle a affirmé qu’une <a href="https://www.eltiempo.com/bogota/claudia-lopez-habla-sobre-delincuencia-venezolana-en-homenaje-a-patrullero-572606">« minorité de Vénézuéliens, violents, sont un facteur d’insécurité »</a>. Conséquemment, et en dépit <a href="https://www.eltiempo.com/bogota/claudia-lopez-se-disculpa-por-senalamientos-a-migrantes-venezolanos-574638">du fait qu’elle ait exprimé des excuses postérieures</a>, elle a légitimé et alimenté les discours haineux déjà forts présents dans la société colombienne.</p>
<p>En Colombie comme ailleurs, l’utilisation des minorités comme bouclier politique afin de contrer les perceptions citoyennes sur la détérioration de l’efficacité gouvernementale est monnaie courante. La situation migratoire entre le Venezuela et la Colombie a servi la rhétorique populiste de la classe dirigeante colombienne, qui tente d’associer l’insécurité à la migration vénézuélienne, tandis que le pays continue de faire face à un <a href="http://opiniojuris.org/2021/01/15/an-intersectional-approach-to-colombian-transitional-justice-and-covid-19/">conflit armé interne, des déplacements forcés de population et des assassinats systématiques d’activistes des droits de la personne</a>.</p>
<p>Une fois de plus, la mairesse de Bogotá emploie un discours dangereux contre les personnes vénézuéliennes afin de masquer l’incapacité institutionnelle à résoudre les problèmes de sécurité dans la capitale colombienne.</p>
<p>Nos recherches portent sur les enjeux politiques entourant à la fois la situation du conflit armé colombien et la situation migratoire des populations vénézuéliennes, plus particulièrement depuis l’augmentation des mouvements de population depuis 2016. La complexité des manifestations de la violence et l’instrumentalisation politique de la crise migratoire nous amènent à faire une réflexion critique sur la montée des discours xénophobes en Colombie.</p>
<h2>La rhétorique de l’insécurité</h2>
<p>L’histoire commune forte et les migrations massives de part et d’autre entre le Venezuela et la Colombie n’ont pas empêché l’émergence des discours associant la migration à la menace « communiste » (castro-chavisme) et à l’équation directe faite entre migration et insécurité.</p>
<p>La population vénézuélienne en Colombie représente 3,6 % de la population totale. Cependant, en décembre 2020, les <a href="https://colombiacheck.com/chequeos/venezolanos-no-son-responsables-del-aumento-del-crimen-en-colombia">données du bureau du procureur général (fiscalía) montrent qu’un dossier judiciaire avait été ouvert pour seulement 0,4 % des personnes vénézuéliennes</a>, principalement pour des crimes reliés au trafic de drogue, au vol et, dans une moindre mesure, à des homicides. En termes absolus, cela signifie que plus de 96 % des crimes sont commis par des personnes de nationalité colombienne.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La population vénézuélienne est aujourd’hui disséminée dans plus de 90 pays dans le monde. 80 % des Vénézuéliens qui ont quitté leur pays se trouvent en Amérique latine, dont plus de 1,7 million en Colombie. Cela représente 3.6 % de la population.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luis Robayo/AFP</span></span>
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<p>Bogotá ne fait pas exception. Entre 2018 et 2020, les personnes vénézuéliennes arrêtées pour un crime ne représentaient que <a href="https://www.infobae.com/america/colombia/2021/03/12/11800-migrantes-venezolanos-fueron-capturados-entre-2018-y-2020-delinquiendo-en-bogota/">3,46 % du total</a>, et cela ne signifie pas qu’elles étaient coupables. La participation de personnes du Venezuela dans les structures criminelles et la formation de groupes binationaux est indéniable. Cependant, les chiffres ne soutiennent aucunement les affirmations de la mairesse de Bogotá. Il convient donc de réfléchir sur les vraies causes, profondes et structurelles, de l’insécurité à Bogotá et en Colombie.</p>
<p>En réalité, l’insécurité touche également les personnes migrantes du Venezuela. Des études montrent que le <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w27620/w27620.pdf">nombre de victimes de crimes violents d’origine vénézuélienne a augmenté</a>.</p>
<p>Les preuves empiriques et les avertissements du procureur général de la République montrent le double risque vécu par les personnes migrantes et réfugiées en tant que <a href="https://www.procuraduria.gov.co/iemp/media/file/ejecucion/Recomendaciones%20poblacio%CC%81n%20vulnerable%20y%20COVID-19%20IEMP.pdf">population vulnérable et victimes de violences</a>, en particulier les femmes, les enfants et les adolescent-es.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-en-colombie-recrudescence-des-violences-et-des-inegalites-135651">Covid-19 en Colombie : recrudescence des violences et des inégalités</a>
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<p>À cela s’ajoute les graves <a href="https://oig.cepal.org/sites/default/files/mujeres_y_hombres_brechas_de_genero.pdf">inégalités de genre en Colombie</a> qui affectent considérablement les femmes et les jeunes filles du pays. <a href="https://www.profamilia.org.co/wp-content/uploads/2020/04/Desigualdades-en-salud-de-la-poblacion-migrante-y-refugiada-venezolana-en-Colombia-Como-manejar-la-respuesta-local-dentro-de-la-emergencia-humanitaria.pdf">Un récent rapport</a> a montré que les femmes et jeunes filles en situation de migration étaient exposées à de nombreuses insécurités, notamment l’exploitation sexuelle, la traite de personne et plusieurs violations à leurs droits sexuels et reproductifs.</p>
<p>L’arrivée massive de personnes migrantes du Venezuela opère donc dans un contexte complexe de mobilité humaine forcée en Colombie. En effet, plus de <a href="https://www.unidadvictimas.gov.co/es/registro-unico-de-victimas-ruv/37394">9 millions de personnes</a> sont victimes du conflit armé et, jusqu’à la fin de 2019, la <a href="https://news.un.org/es/story/2020/06/1476202">Colombie est restée le pays au monde avec le plus grand nombre de personnes déplacées</a> à l’intérieur du pays.</p>
<p>Par conséquent, même si la migration apporte son lot d’enjeux sociopolitiques, affirmer que les personnes migrantes sont un facteur déterminant des <a href="https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2020/09/migration-crime-latam-eng-final.pdf">niveaux de criminalité dans les villes colombiennes</a> ne tient pas la route. Les conséquences économiques de la <a href="https://www.procuraduria.gov.co/iemp/media/file/ejecucion/Recomendaciones%20poblacio%CC%81n%20vulnerable%20y%20COVID-19%20IEMP.pdf">pandémie, les multiples formes de violence armée et les hauts taux de précarité et d’inégalités sociales</a> constituent plutôt les véritables éléments qui favorisent l’insécurité. Par contre, politiquement, ce n’est pas commode pour la classe dirigeante de le reconnaître.</p>
<h2>Le renforcement des imaginaires xénophobes</h2>
<p>Même sans chiffres pour étayer ses affirmations, Claudia López renforce la construction d’imaginaires sociaux qui alimentent l’aporophobie – ou l’hostilité envers la pauvreté – et la xénophobie à travers un discours systématiquement discriminatoire et profondément populiste. </p>
<p>Cette stratégie lui permet de regagner la sympathie des citoyens et citoyennes qui subissent quotidiennement les assauts de sa politique sécuritaire infructueuse. C’est le cas de ses déclarations du 11 mars 2021, <a href="http://barometrodexenofobia.org/2021/03/11/comunicado-barometro-de-xenofobia-declaraciones-alcaldes/">qui ont augmenté de plus de 500 % les discours de haine envers les personnes provenant du Venezuela</a> dans les conversations numériques en Colombie.</p>
<p>Comment ces stratégies opèrent-elles pour détourner l’attention de la population colombienne de l’inefficacité gouvernementale ?</p>
<p>En effet, tout cela survient à un moment crucial de l’évolution de la politique migratoire en Colombie, en raison de la mise en œuvre prochaine du <a href="https://www.asuntoslegales.com.co/actualidad/presidente-duque-firmo-el-estatuto-de-proteccion-temporal-a-migrantes-venezolanos-3132859">Statut de protection temporaire des migrants vénézuéliens (ETPMV)</a> décrété le 1<sup>er</sup> mars dernier par le président Iván Duque.</p>
<p>Cette politique migratoire reconnaît la volonté des personnes migrantes du Venezuela de rester au pays et leur permet d’accéder à des mesures de protection, sous la condition qu’elles remplissent les exigences établies pour bénéficier d’un permis de protection temporaire. L’ETPMV devrait entraîner un changement substantiel dans l’égalisation des chances d’intégration socio-économique et d’accès aux droits fondamentaux pour la population vénézuélienne. En effet, la politique migratoire reconnaît la nécessité de régulariser le statut politique de cette population afin d’atténuer les vulnérabilités découlant de la migration qualifiée « d’irrégulière ».</p>
<p>Malheureusement, Claudia López a profité de l’occasion pour préciser sa position sur l’ETPMV, qu’elle critique comme des mesures qui « privilégient » uniquement les personnes vénézuéliennes et qui favorisent la « concurrence déloyale » pour l’accès à l’emploi, « portant atteinte » aux <a href="https://www.asuntoslegales.com.co/actualidad/los-colombianos-necesitamos-garantias-no-es-la-primera-vez-que-esto-ocurre-3137711">garanties constitutionnelles des colombiens et colombiennes</a>.</p>
<p>Une fois de plus, les <a href="https://www.dropbox.com/s/udld8y6oh58fq8r/Wages_Col_Immigration_LADP_2020.pdf">données empiriques réfutent ces affirmations</a>, puisqu’il n’y a aucune preuve d’impact négatif de la migration sur l’emploi formel. De fait, la population vénézuélienne en Colombie est principalement engagée dans des activités économiques informelles, gagnant des revenus inférieurs à la moyenne nationale.</p>
<p>Les femmes migrantes sont particulièrement touchées, <a href="https://migravenezuela.com/web/articulo/brechas-de-genero-de-los-migrantes-venezolanos-en-colombia/2514">recevant de moins bons revenus</a> et étant souvent responsables des enfants. </p>
<p>Ainsi, affirmer qu’un mécanisme de régularisation du statut encourage la concurrence déloyale fait partie intégrante du discours visant à promouvoir délibérément la discrimination contre la population vénézuélienne. D’autant plus qu'avec <a href="https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2021-04-05/venezuela/deux-autres-soldats-tues-lors-de-combats-pres-de-la-colombie.php">les récents événements à la frontière</a>, les relations colombo-vénézuéliennes ne cessent de s’envenimer, avec plus de 5000 personnes forcées de se déplacer pour éviter les affrontements entre les forces armées vénézuéliennes et des groupes armés, notamment les dissidences des FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple). </p>
<p>Claudia López a été élue sous un programme politique « progressiste ». Elle a voulu insuffler un vent de changement à la mairie de Bogotá en affirmant à la fois son identité de femme et lesbienne, tout en se positionnant fortement face au gouvernement d’Iván Duque et sa gestion lente des mesures sanitaires pour lutter contre la pandémie, <a href="https://www.colombia.com/actualidad/politica/claudia-lopez-culpa-situacion-coronavirus-bogota-gobierno-ivan-duque-272103">par exemple en menaçant de fermer l’aéroport El Dorado de Bogota</a>.</p>
<p>Or elle semble avoir ainsi oublié <a href="https://mspgh.unimelb.edu.au/news-and-events/beyond-sex-and-gender-analysis-an-intersectional-view-of-the-covid-19-pandemic-outbreak-and-response">l’analyse intersectionnelle en politique publique</a>. Une telle analyse permettrait de voir l’imbrication entre les différents vécus des personnes migrantes, qui vivent des situations d’insécurité croissante et de xénophobie dans plusieurs pays d’Amérique latine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157476/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les recherches doctorales de Priscyll Anctil Avoine ont été financées par les bourses d'études supérieures du Canada Vanier. Elle est membre de la Fondation Lüvo, une ONG colombo-canadienne.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mairene Tobón Ospino receives funding from Ministerio de Ciencia y Tecnología e Innovación. Project: Territorial dynamics of Venezuelan migration in Colombia.</span></em></p>En Colombie comme ailleurs, l’utilisation des minorités comme bouclier politique afin de contrer les perceptions citoyennes sur la détérioration de l’efficacité gouvernementale est monnaie courante.Priscyll Anctil Avoine, Candidate au doctorat en science politique - spécialiste en études féministes de sécurité, Université du Québec à Montréal (UQAM)Mairene Tobón Ospino, Postdoctoral assistant, Universidad de los Andes Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1507002020-12-14T18:59:30Z2020-12-14T18:59:30ZLa démocratie en Amérique latine ou le syndrome de Sisyphe<p>Depuis leurs Indépendances, les États d’Amérique latine sont tiraillés entre autoritarisme et démocratie. Le XX<sup>e</sup> siècle a été caractéristique de ces tensions. Des <a href="https://www.cairn.info/journal-geneses-2006-1-page-27.htm">caudillos</a> aux dictatures, en passant par les expériences populistes et les soulèvements révolutionnaires, l’Amérique latine est devenue un véritable laboratoire pour l’étude des changements de régime.</p>
<h2>De l’autoritarisme à la démocratie ?</h2>
<p>Les tentations autoritaires ont souvent englouti les élans démocratiques, comme entre les années 1962 et 1968, durant lesquelles pas moins de onze présidents arrivés au pouvoir légalement ont été renversés par des coups d’État. Après les dictatures militaires des années 1960-1970, la région connaît une nouvelle poussée démocratique.</p>
<p>Malgré la pression exercée par les mouvements populaires, la reconstruction des démocraties se fait essentiellement par le haut, via des pactes politiques entre les élites civiles et militaires. Les mauvaises performances économiques et sociales des jeunes démocraties (crises économiques, pauvreté, inégalités) engendrent un rapide désenchantement des populations. Une vague de populisme néolibéral déferle sur la région dans les années 1990, symptomatique de ce rapport ambivalent à la démocratie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Élection d’Hugo Chavez – Archive vidéo INA.</span></figcaption>
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<p>Au tournant des années 2000, le pari démocratique semble pourtant porter ses fruits. Des élections compétitives provoquent des alternances politiques inédites, portant au pouvoir des dirigeants progressistes, sans que les résultats soient contestés : <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2007-5-page-585.htm">Hugo Chávez</a> au Venezuela (1999), <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-sud/le-bresil-de-lula_1633167.html">Lula</a> au Brésil (2003), <a href="https://www.cairn.info/journal-critique-internationale-2009-2-page-89.htm">Néstor Kirchner</a> en Argentine (2003), <a href="https://www.cairn.info/revue-problemes-d-amerique-latine-2009-4-page-7.htm">Tabaré Vázquez</a> en Uruguay (2005), <a href="https://www.lepoint.fr/monde/michelle-bachelet-la-premiere-femme-a-la-tete-du-chili-10-08-2018-2242832_24.php">Michelle Bachelet</a> au Chili (2006), <a href="https://www.cairn.info/revue-problemes-d-amerique-latine-2012-3-page-73.htm?contenu=resume">Evo Morales</a> en Bolivie (2006), <a href="https://journals.openedition.org/cal/4463">Rafael Correa</a> en Équateur (2006), Fernando Lugo au Paraguay (2008), <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/03/16/le-candidat-de-l-opposition-mauricio-funes-elu-au-salvador_1168205_3222.html">Mauricio Funes</a> au Salvador (2009).</p>
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<figcaption><span class="caption">Evo Morales : le premier président indigène de la Bolivie.</span></figcaption>
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<p>Il s’agit souvent d’alternances par défaut : les électeurs sanctionnent avant tout les politiques néo-libérales de la séquence précédente. Cette « vague rose » pacifique n’en est pas moins interprétée comme un printemps démocratique à retardement. Qui plus est, elle coïncide avec un nouveau cycle de croissance économique dans la région (qualifié de « décennie dorée »), alimenté par les cours élevés des matières premières exportées. </p>
<p>Le développement économique nourrit la stabilité politique. Des relents autoritaires nourrissent encore les vies politiques locales et nationales. Mais <em>le Zeitgeist</em> est à l’optimisme. La plupart des observateurs parlent plutôt « d’héritages » autoritaires, que les démocraties latino-américaines, dorénavant perçues comme consolidées, devraient gérer puis digérer.</p>
<h2>Vers des démocraties durables ?</h2>
<p>Vingt ans après, où en sont les démocraties d’Amérique latine ? Et quelles sont les perspectives pour les années, voire les décennies à venir ? Le nouvel élan démocratique qui a marqué l’entrée dans le XXI<sup>e</sup> siècle marque-t-il un point de non-retour ?</p>
<p>La politique latino-américaine ne se résume bien sûr pas à une série de ruptures. L’étude des régimes politiques nous invite à distinguer et articuler deux critères fondamentaux : les conditions d’accès au pouvoir (c’est à ce niveau que l’on croit observer des basculements) ; et les modalités d’exercice du pouvoir. Nombre de dirigeants élus démocratiquement ont développé, une fois au pouvoir, des pratiques politiques empreintes d’autoritarisme, et inversement. Gardons-nous aussi d’opposer frontalement les types de régimes. La science politique nous a montré à quel point les frontières entre démocratie et autoritarisme peuvent être floues et poreuses.</p>
<p>Un rapide regard sur la période 2000-2020 en Amérique latine met à jour la difficulté d’ancrer la démocratie au cœur même du pouvoir (tant au niveau des représentations que des pratiques). L’euphorie démocratique du début de siècle aura même été de courte durée… Il a fallu moins d’une décennie pour que les premiers signes d’une résilience autoritaire se fassent sentir.</p>
<p>Le 28 juin 2009, un <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/06/28/le-president-du-honduras-arrete-par-l-armee_1212725_3222.html">coup d’État</a> militaire chasse du pouvoir le président du Honduras, Manuel Zelaya, dont le rapprochement avec Hugo Chávez et les velléités de maintien au pouvoir ont attisé l’inquiétude des secteurs conservateurs. Ce basculement politique est d’abord interprété comme un épisode isolé, répondant à une conjoncture nationale spécifique. Pourtant, Hugo Chávez avait lui-même essuyé une tentative de <a href="https://www.20minutes.fr/monde/1017781-20121008-hugo-chavez-reelu-president-venezuela-six-ans">coup d’État</a> en 2002 (puis Rafael Correa en essuiera une en <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2010/09/30/en-equateur-le-president-denonce-un-coup-d-etat_1418543_3222.html">2010</a>. Sur fond d’un ralentissement économique régional et d’une multiplication des scandales de corruption, l’instabilité politique fait ensuite tâche d’huile, mettant au défi les équilibres démocratiques dans la plupart des pays de la région.</p>
<p>Cette nouvelle instabilité prend différents habits : dérives vers des régimes autoritaires et répression systématique des opposants au Venezuela au Nicaragua ; destitutions abusives de présidents par leurs Congrès au Paraguay (2012) au Brésil (2016) et au Pérou (2020) ; réélections contestées de présidents accusés d’avoir manipulé les règles électorales au Nicaragua (2011 et 2016), au Honduras (2018), au Venezuela (2018) et en Bolivie (2019) ; démissions sous contrainte de présidents en exercice au Guatemala (2015), au Pérou (2018) et en Bolivie (2019).</p>
<p>Dans plusieurs pays, la contestation populaire de la légitimé des gouvernants a également engendré une intense répression policière, marquée par des violations des droits humains. Ce fut le cas notamment au Chili et en Colombie lors des mouvements sociaux de 2019 et 2020.</p>
<h2>Le syndrome de Sisyphe</h2>
<p>Si la démocratie avait été réinstaurée par le haut dans les années 1980, c’est aussi par le haut que les procédures démocratiques sont maintenant mises à l’épreuve. Les élites politiques peinent à accepter les règles du jeu démocratique lorsque celles-ci leur sont défavorables. Certains groupes progressistes issus du virage à gauche s’accrochent au pouvoir, quitte à renier les valeurs qu’ils avaient défendues par le passé. Estimant que leur projet réformateur déborde le temps démocratique (et donc le cadre légal des mandats), certains ont joué aux apprentis sorciers : ils ont ouvert la boite de Pandore de l’ingénierie institutionnelle afin de pouvoir se maintenir au pouvoir.</p>
<p>Quant aux élites conservatrices, elles avaient toléré les alternances électorales au début des années 2000 mais n’ont jamais envisagé de stagner dans l’opposition. Lorsqu’elles voient leurs intérêts menacés, l’objectif de reconquête du pouvoir passe au premier plan, quitte à puiser dans la panoplie des outils non démocratiques pour provoquer l’alternance. L’Amérique latine est prise dans le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-malheur-des-uns/sisyphe-ou-le-sens-de-labsurde">syndrome de Sisyphe</a> : après avoir porté les valeurs démocratiques sur les sentiers escarpés de l’autoritarisme, ses élites relâchent leur étendard et retournent au point de départ.</p>
<p>Ce comportement ambivalent vis-à-vis des procédures démocratiques, couplé aux mauvaises performances économiques durant les dernières années, a alimenté une nouvelle spirale de déception et de défiance parmi les populations latino-américaines. D’après les enquêtes du <a href="https://www.latinobarometro.org/lat.jsp">Latinobarómetro</a>, le soutien à la démocratie en Amérique latine a d’abord grimpé de 48 % en 2001 à 61 % en 2010, pour retomber à une moyenne régionale de 48 % en 2019 (-13 points). La satisfaction envers la démocratie est quant à elle est passé de 25 % en 2001 à 44 % en 2010, pour retomber à 24 % en 2019 (-20 points). C’est le plus mauvais score depuis la création de l’indicateur en 1995. Les niveaux les plus élevés se trouvent en Uruguay (47 %) et au Costa Rica (45 %), tandis que le Pérou (11 %) et le Brésil (9 %) ferment la marche. Ces deux pays ont été touchés ces dernières années par une forte instabilité politique, d’importants scandales de corruption et une polarisation croissante de la société.</p>
<h2>Les populistes s’imposent</h2>
<p>Les mutations actuelles ne laissent pas présager un nouveau revirement dans les prochaines années. Le dernier cycle électoral a ainsi favorisé l’émergence de figures populistes aux accents autoritaires, qui contribuent à faire imploser les systèmes partisans : <a href="https://www.iris-france.org/143820-mexique-quel-bilan-apres-un-an-de-gouvernement-dandres-manuel-lopez-obrador%E2%80%89/">Andrés Manuel López Obrador</a> au Mexique (2018), <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/10/29/jair-bolsonaro-elu-president-le-bresil-prend-le-virage-de-l-extreme-droite_5375879_3222.html">Jair Bolsonaro</a> au Brésil (2018), <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/04/salvador-le-candidat-antisysteme-nayib-bukele-remporte-la-presidentielle_5418725_3210.html">Nayib Bukele</a> au Salvador (2019). </p>
<p>Alors que le président salvadorien dynamite les relations exécutif/législatif, Bolsonaro exprime régulièrement sa nostalgie des dictatures militaires et ne ménage pas ses efforts pour militariser son gouvernement (6157 militaires assument des fonctions au sein du pouvoir exécutif en 2020, contre 2765 en 2018). Et le Brésil n’est pas une exception : l’influence croissante des militaires est manifeste – sans être toujours visible – dans de nombreux pays de la région.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gpoKHNQ9nmI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bolsonaro poursuit l’apologie de la dictature militaire.</span></figcaption>
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<p>Les turbulences politiques récentes de l’Amérique latine nous incitent donc à explorer, avec une certaine inquiétude, la zone grise entre autoritarisme et démocratie. La crise sanitaire de 2020, qui a porté un nouveau coup aux économies de la région et a érodé encore la légitimité des gouvernants, risque d’amplifier cette tendance à l’instabilité, en nourrissant à court terme l’offre politique antisystème. À l’horizon 2030, une reprise soutenue de l’activité économique et une affectation moins inégalitaire des fruits de la croissance pourraient néanmoins servir le dessein de nouveaux Sisyphe de la démocratie, à la faveur d’un renouvellement générationnel. Ces futures élites, qui ont été socialisées en démocratie au tournant du XXI<sup>e</sup> siècle, auront pour défi de donner un sens concret aux valeurs démocratiques.</p>
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<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’une réflexion collective de synthèse et prospective <a href="https://cevipol.centresphisoc.ulb.be/fr/accueil-0">« 20 ans déjà, 20 ans demain. 2000-2020-2040 »</a> sur quelques évolutions politiques majeures à l’occasion des 20 ans du <a href="https://cevipol.centresphisoc.ulb.be/fr/accueil-0">Cevipol</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150700/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Louault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre projets démocratiques et retour vers l’autoritarisme, l’Amérique latine peut être considérée comme un observatoire des changements et des crises politiques.Frédéric Louault, Chercheur en Science Politique , Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1402692020-06-10T18:17:17Z2020-06-10T18:17:17ZL’euro, un rempart contre l’hyperinflation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/340292/original/file-20200608-176542-mpaqq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C21%2C1794%2C1145&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La banque centrale européenne, en charge de la politique monétaire de la zone euro, a pour objectif principal de maintenir le pouvoir d'achat et donc la stabilité des prix.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://images.unsplash.com/photo-1443110189928-4448af4a2bc5?ixlib=rb-1.2.1&ixid=eyJhcHBfaWQiOjEyMDd9&auto=format&fit=crop&w=597&q=80">Didier Weemaels / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Toutes les critiques que l’on peut adresser à l’euro ne doivent pas faire oublier l’un de ses grands succès : avoir évité aux pays les plus endettés de sombrer dans l’hyperinflation, qui trouve son origine et son développement dans le financement monétaire de déficits budgétaires excessifs.</p>
<p>En effet, les <a href="https://www.academia.edu/4690826/Cagan_-_The_monetary_dynamics_of_hyperinflation">études</a> menées sur les épisodes d’hyperinflation de l’entre-deux-guerres en Europe centrale et en <a href="https://econpapers.repec.org/bookchap/mtptitles/0262022796.htm">Amérique latine</a> dans les années 1980 ont fait apparaître un seuil de déclenchement de l’hyperinflation au niveau d’un financement monétaire des déficits publics de l’ordre d’une dizaine de points de pourcentage du produit intérieur brut (PIB).</p>
<p>Or, en l’espace d’une dizaine d’années, des pays tels que l’Italie, Espagne, le Portugal, ou la Grèce ont connu deux épisodes majeurs de crises budgétaires. Après la crise économique de 2008-2009, ces pays avaient vu les déficits publics dépasser largement le seuil de 10 % du PIB.</p>
<h2>La BCE, gardienne de la stabilité des prix</h2>
<p>Aujourd’hui, du fait de la crise sanitaire extrême, les prévisions du Fonds monétaire international annoncent pour 2020 une nouvelle dérive dangereuse des déficits publics vers le seuil de 10 % du PIB pour ces mêmes pays.</p>
<p>L’inflation <a href="https://theconversation.com/trois-arguments-qui-laissent-penser-quil-ny-aura-pas-dinflation-apres-la-crise-136278">ne devrait pas repartir</a> pour autant : pour sortir de la crise, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé mi-mars la mise en place de nouveaux programmes de rachat massif de dettes publiques (programmes <em>Pandemic Emergency Purchase Programme</em>, PEPP, et <em>Public Sector Purchase Programme</em>, PSPP). Ce type de politique, initié en 2015 et accéléré fin 2019, a conduit au <a href="https://www.contrepoints.org/2016/01/31/236995-la-folie-des-banques-centrales-de-patrick-artus-et-marie-paule-virard">gonflement du prix des actifs</a>, soutenant les cours de la bourse ou encore la hausse de l’immobilier, mais pas à une hausse des prix à la consommation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1250477704950022151"}"></div></p>
<p>La BCE, institution indépendante, a justement comme mission essentielle de maintenir la stabilité des prix dans la zone euro et donc de préserver la valeur de la monnaie unique. L’aversion de la société allemande envers l’inflation, qui trouve sa source dans le traumatisme de l’hyperinflation des années 1920, s’est ainsi, d’une certaine façon, transmise à la BCE.</p>
<p>Dans la zone euro, la responsabilité de l’émission et la gestion de la monnaie unique étant entre les mains de la BCE, aucun de ces gouvernements n’avait ni n’a la possibilité d’envisager un financement monétaire de ses déficits.</p>
<p>Que se serait-il passé si des pays tels que l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou encore le Portugal, faisant face aux deux crises budgétaires majeures de cette décennie, avaient conservé leurs propres monnaies ?</p>
<p>Face à l’ampleur des déficits publics, la défiance des investisseurs, et l’extrême difficulté d’un financement par émission de nouveaux titres de dettes ou prélèvements fiscaux supplémentaires, on peut imaginer l’exercice d’une forte pression des gouvernements sur les banques centrales nationales pour obtenir un financement monétaire.</p>
<p>L’issue d’une telle pression aurait pu être le développement de l’hyperinflation, c’est-à-dire une accélération de l’inflation pouvant conduire à des hausses des prix importantes et difficilement supportables pour les populations.</p>
<h2>Quand l’économie est entraînée vers le chaos</h2>
<p>L’hyperinflation est un phénomène rare, mais elle n’appartient pas au passé. Aujourd’hui, le Venezuela est en <a href="https://sites.krieger.jhu.edu/iae/files/2018/02/Hanke-Bushnell_Venezuela.pdf">situation d’hyperinflation</a> depuis 2016. Le phénomène se produit principalement dans un contexte de troubles politiques et de fragilité financière des autorités publiques qui les conduisent à n’avoir plus d’autres recours pour financer un déficit budgétaire important que la création monétaire.</p>
<p>Cependant, la faiblesse et le laxisme politique de certains gouvernements sont aussi de nature à orienter ces derniers vers l’option de financement la plus simple qu’est la création monétaire.</p>
<p>Le cas de la Bolivie illustre cette possibilité. À la fin des années 1970, les autorités boliviennes laissèrent croître dangereusement le déficit budgétaire. Après que les limites du recours à l’emprunt aient été dépassées, le gouvernement bolivien se mit à recourir à l’option la plus aisée à mettre en place c’est-à-dire la création monétaire. L’<a href="https://www.uni-ulm.de/fileadmin/website_uni_ulm/mawi.inst.150/lehre/ws1112/GundW/BernholzKugler.pdf">hyperinflation bolivienne</a> qui a suivi, avec plus de 120 % de hausse des prix mensuelle à son paroxysme, a été sévère.</p>
<p>Toutefois, il faut remarquer que l’escalade hyperinflationniste est un phénomène qui n’a pratiquement pas de limites. Les trois épisodes d’hyperinflations les plus extrêmes de l’histoire monétaire en sont l’illustration.</p>
<p>En janvier 1994 en Yougoslavie, lors de la troisième hyperinflation la plus sévère de l’histoire monétaire, le taux d’inflation mensuel le plus élevé avait atteint <a href="https://www.uni-ulm.de/fileadmin/website_uni_ulm/mawi.inst.150/lehre/ws1112/GundW/BernholzKugler.pdf">309 millions de pourcent</a>, correspondant à un taux d’inflation quotidien de 64,6 % et à un doublement du niveau des prix tous les 1,4 jours.</p>
<p>En novembre 2008 au Zimbabwe, la deuxième hyperinflation la plus sévère de l’histoire monétaire avait conduit à un taux d’inflation mensuel de <a href="https://www.cato.org/sites/cato.org/files/serials/files/cato-journal/2009/5/cj29n2-8.pdf">79,6 milliards de pourcent</a>, équivalent à un taux d’inflation quotidien de 98 % impliquant un doublement des prix toutes les 24,7 heures.</p>
<p>L’hyperinflation la plus sévère de l’histoire monétaire reste l’hyperinflation hongroise, qui a eu lieu entre 1945 et 1946, et qui a enregistré le taux d’inflation mensuel le plus élevé de plus de <a href="https://www.uni-ulm.de/fileadmin/website_uni_ulm/mawi.inst.150/lehre/ws1112/GundW/BernholzKugler.pdf">12 millions de milliards de pourcent</a> en juillet 1946, équivalant à un rythme quotidien d’inflation de 195 % soit un doublement des prix toutes les quinze heures.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=544&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=544&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=544&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=683&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=683&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=683&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Médaille en souvenir de l’hyperinflation allemande de 1923 sur laquelle est écrit : « 1 livre de pain : 3 milliards ; 1 livre de viande : 36 milliards ; 1 verre de bière : 4 milliards ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Inflationmedal.jpg">Gary M. Greenbaum/Wikimedia</a></span>
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<p>En comparaison, la célèbre hyperinflation allemande de 1923, c’est-à-dire celle qui a causé le traumatisme allemand et qui est à la source de l’aversion de la société allemande à l’encontre de l’inflation, n’arrive qu’en « quatrième position » de l’histoire monétaire avec le <a href="https://www.uni-ulm.de/fileadmin/website_uni_ulm/mawi.inst.150/lehre/ws1112/GundW/BernholzKugler.pdf">taux d’inflation mensuel de 29525 %</a> relevé en octobre 1923 correspondant à un taux d’inflation quotidien de 20,9 % et un doublement des prix tous les 3,7 jours.</p>
<p>Ces chiffres effrayants permettent de comprendre que l’hyperinflation entraîne l’économie dans le chaos. Les crises budgétaires en Grèce, Italie, Espagne et Portugal depuis une dizaine d’années sont répétées et sévères.</p>
<p>Les financements des déficits publics par émission de titres de dette sur les marchés financiers ou prélèvements fiscaux supplémentaires sont problématiques. Les gouvernements sont fragilisés. Sans l’euro il n’est pas exagéré de considérer qu’une menace d’hyperinflation ait été probable. Mais la zone euro offre un environnement de stabilité monétaire particulièrement appréciable en période de crises majeures.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140269/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Sokic ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La zone monétaire a permis ces dernières années aux États membres les plus endettés d’éviter de sombrer des scénarios à la vénézuélienne.Alexandre Sokic, Economie, Finance, ESCE International Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1356512020-04-17T17:23:04Z2020-04-17T17:23:04ZCovid-19 en Colombie : recrudescence des violences et des inégalités<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/328132/original/file-20200415-153302-1awdb00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des voyageurs portant des masques pour se protéger de la propagation du coronavirus font la queue pour un bus qui les emmènera dans leur ville d'origine, devant le principal terminal de Bogota, le 24 mars. Le gouvernement impose des restrictions strictes sur les mouvements des citoyens.
</span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Fernando Vergara</span></span></figcaption></figure><p>La crise internationale que nous traversons affecte de manière très différente la population mondiale, notamment <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/5122">« le Sud global et les secteurs les plus vulnérables en Occident »</a>, comme l’a souligné Noam Chomsky, en se référant aux <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1536504212436479">déséquilibres de pouvoir</a> qui se manifestent entre les pays, mais également à l’intérieur de ceux-ci.</p>
<p>La Colombie ne fait pas exception : dans ce pays dévasté depuis près de 60 ans par un conflit armé interne et internationalisé, les inégalités sociales sont toujours aussi alarmantes et les <a href="https://nacla.org/news/2019/12/16/colombia-national-strike-duque">multiples revendications portées par les mobilisations sociales de 2019 n’ont vraisemblablement pas été entendues</a>.</p>
<p>En mars, alors que les mesures contre le Covid-19 étaient lentement mises en place dans le pays, 14 personnes militantes des droits de la personne ont été tuées. Le gouvernement d’Iván Duque a réagi de manière sommaire, offrant très peu de réponses aux enjeux économiques avec lesquels la majorité de sa population devra composer. <a href="http://www.laizquierdadiario.com/Protestas-en-Colombia-Duque-decreta-cuarentena-sin-medidas-sociales">Des manifestations ont d’ailleurs eu lieu</a> dans le centre de la capitale, mais aussi dans plusieurs prisons.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-colombie-en-ebullition-pourquoi-le-peuple-est-il-en-colere-127400">La Colombie en ébullition : pourquoi le peuple est-il en colère ?</a>
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<p>Ces dynamiques propres à la Colombie et à la manière dont son gouvernement a géré la crise changent la donne pour contrecarrer le virus. Au moment d’écrire cet article, <a href="https://www.elespectador.com/coronavirus/en-vivo-van-19-muertos-y-1161-casos-por-covid-19-en-colombia-articulo-906414">1 161 cas de Covid-19 ont été répertoriés en Colombie</a>, dont 19 décès. Le gouvernement Duque a été largement critiqué pour sa lenteur à prendre des mesures. Pourtant, comme le soulignent <a href="https://mspgh.unimelb.edu.au/news-and-events/beyond-sex-and-gender-analysis-an-intersectional-view-of-the-covid-19-pandemic-outbreak-and-response">Hankivsky et Kapilashrami</a>, respectivement chercheuses à l’Université de Melbourne et à l’Université Queen Mary of London, le leadership pour trouver des solutions à le Covid-19 passe inévitablement par la diversification des mesures et des décisions. Mais qu’en est-il des conséquences de ces mesures calquées sur celles de pays européens et nord-américains ?</p>
<p>Nos recherches portent sur les enjeux politiques entourant le post-accord de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc-ep). Tout spécialement, nous sommes intéressées par les conséquences vécues par les différentes populations face aux violences politiques, aux problématiques migratoires liées à la crise vénézuélienne ainsi qu’à la réincorporation des ex-combattants : bref, un paysage sociopolitique radicalement changé par la pandémie actuelle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La police utilise un canon à eau pour nettoyer l’un des plus grands centres de distribution alimentaire d’Amérique latine, afin de contenir la propagation du nouveau coronavirus à Bogota, le 10 avril. Le centre sera fermé pendant quatre jours, le temps que les autorités le désinfectent.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Fernando Vergara</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des impacts disproportionnés pour les femmes</h2>
<p>De fait, les <a href="https://data2x.org/an-intersectional-approach-to-a-pandemic-gender-data-disaggregation-and-covid-19/">données</a> qui permettent d’élaborer les politiques de santé publique – souvent uniformisées au modèle occidental – ne sont pas neutres. En effet, les femmes, et plus particulièrement des femmes racisées et des classes moins privilégiées, sont affectées de façon disproportionnée. Selon un <a href="https://www2.unwomen.org/-/media/field%20office%20colombia/documentos/publicaciones/2020/01/covid19_onu_mujeres-colombia.pdf">rapport de l’ONU Femmes</a> en Amérique latine, les femmes représentent 74 % des personnes travaillant dans le secteur de la santé et le secteur social, bien qu’elles soient exclues des positions de leadership.</p>
<p>Selon le même rapport, seulement 53 % des femmes participent au marché du travail formel alors qu’elles sont surreprésentées dans l’économie informelle. Souvent, leur survie économique dépend de la division sexuelle du travail. Le confinement représente donc une immense entrave à leur vie quotidienne, notamment parce qu’elles sont très nombreuses à travailler dans des emplois domestiques et qu’elles étaient déjà très précarisées à la base.</p>
<p>Le confinement en Colombie, comme dans la plupart des pays, a entraîné une hausse des violences que vivent les femmes au sein de leur foyer. Le pays continue d’avoir un taux élevé de féminicides : 258 au 25 décembre 2019 selon l’organisme <a href="https://www.facebook.com/pg/FeminicidiosColombia.Org/posts/">Feminicidios Colombia</a>. Durant le confinement, dans un contexte où les femmes sont davantage exposées à leurs agresseurs, un <a href="https://www.eltiempo.com/colombia/otras-ciudades/cuarentena-en-cartagena-un-hombre-asesino-a-su-esposa-su-cunada-y-su-suegra-477272">triple féminicide</a> a eu lieu à Carthagène.</p>
<p>Également, la militante des droits des femmes Carlota Isabel Salinas Pérez, travaillant pour <a href="http://organizacionfemeninapopular.blogspot.com/p/inicio.html">l’Organisation féminine populaire</a>, a été assassinée le 25 mars dernier. Dans un communiqué de presse, l’organisation <a href="https://www.kairoscanada.org/kairos-canada-condena-la-violencia-que-ha-sido-exacerbada-por-covid-19-en-colombia">Kairos</a> a affirmé que les groupes armés profitaient <a href="https://www.kairoscanada.org/kairos-canada-condena-la-violencia-que-ha-sido-exacerbada-por-covid-19-en-colombia">« des fissures institutionnelles et gouvernementales exacerbées par la pandémie mondiale »</a> pour attaquer les groupes de défense des droits des femmes et groupes LGBTIQ+.</p>
<h2>Les autochtones particulièrement vulnérables</h2>
<p>Les impacts de la Covid-19 ne sont pas seulement marqués selon le genre, mais aussi racialement et selon la classe. <a href="http://www.minvivienda.gov.co/sala-de-prensa/noticias/2020/marzo/gobierno-prohibe-los-desalojos-y-congela-el-canon-de-arrendamiento-en-colombia-en-el-marco-de-la-emergencia-economica">Même si le ministre de l’Habitation de Colombie</a> a affirmé que les « évictions étaient interdites durant les urgences économiques », la réalité est toute autre pour les autochtones et personnes migrantes du Venezuela. <a href="https://www.semana.com/nacion/articulo/no-pueden-tratarnos-como-la-basura-el-drama-de-los-indigenas-desalojados-en-bogota/660793">Plus de 500 familles de la communauté Emberá ont été expulsées</a> des endroits où elles vivent et paient un loyer quotidien, fruit de la vente de leurs produits artisanaux. C’est le résultat direct de l’interdiction de travailler dans le secteur informel durant la quarantaine.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une famille Embará, dans leur logement de Bogota. Même si les évictions sont interdites, la réalité est toute autre pour les autochtones et les migrants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Fernando Vergara</span></span>
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<p>Si la Cour interaméricaine des droits humains qualifie les peuples autochtones de sujets requérant une protection spéciale, la crise du système capitaliste dans la pandémie de Covid-19 démontre que le classisme et le racisme persistent toujours. Comme le souligne Zygmunt Bauman dans son livre <a href="https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/vies-perdues-la-modernite-et-ses-exclus-bauman-zygmunt-9782743619435"><em>Vies perdues : la modernité et ses exclus</em></a> la modernité a produit des résidus humains, des parias de la mondialisation néolibérale ; un sentiment de dépossession que les <a href="https://www.semana.com/nacion/articulo/no-pueden-tratarnos-como-la-basura-el-drama-de-los-indigenas-desalojados-en-bogota/660793">autochtones emberás</a> ont résumé en affirmant : « ils ne peuvent nous traiter comme des poubelles ».</p>
<p>Les conditions des <a href="https://www.eluniversal.com.mx/mundo/asi-enfrentan-los-migrantes-venezolanos-en-colombia-el-covid-19">personnes migrantes provenant du Venezuela</a> sont particulièrement critiques ; déjà dans le marché informel et surtout, dans une précarité grandissante et souvent sans documents, elles font face à de nouvelles vagues de xénophobie. D’autant plus que, l’idée de « rester à la maison » perd tout son sens quand celle-ci n’existe tout simplement pas. Près de deux millions de Vénézuéliens ont migré vers la Colombie depuis que la crise dans leur pays a éclaté en 2016, desquels la moitié n’ont pas de statut régularisé, ce qui les <a href="https://www.diariolasamericas.com/america-latina/coronavirus-un-nuevo-obstaculo-migrantes-venezolanos-colombia-n4195841">prive d’accès au système de santé</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des migrants vénézuéliens partent à pied vers la frontière vénézuélienne, dans le but de quitter la Colombie après un verrouillage ordonné par le gouvernement afin de prévenir la propagation du nouveau coronavirus, à Bogota, Colombie, le 6 avril. De nombreux Vénézuéliens en Colombie disent qu’ils n’ont pas pu trouver de travail dans un pays en raison du confinement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Fernando Vergara</span></span>
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<h2>Les violences politiques au temps de la Covid-19</h2>
<p>La violence faisant partie du paysage politique de la Colombie depuis plusieurs décennies, la question de la pandémie doit donc se poser autrement. Tel que l’affirme <a href="https://elpais.com/internacional/2020-03-26/el-coronavirus-no-detiene-la-violencia-en-colombia.html">Catalina Oquendo</a> « des milliers de paysans doivent confronter une double préoccupation : la pandémie et les organisations armées ».</p>
<p>Par exemple, la région du Catatumbo colombien, située à la frontière avec le Venezuela, continue d’être très instable politiquement : tandis que le conflit armé se poursuit durant la pandémie, des <a href="https://www.elespectador.com/noticias/nacional/incendios-en-el-catatumbo-no-se-detienen-mas-de-300-hectareas-estan-afectadas-articulo-912575">incendies font ravage depuis le 27 mars 2020 dans la région affectant l’écosystème, dont 200 000 habitants</a>. De plus, dans cette région, comme dans d’autres zones rurales de Colombie, les barrières d’accès à la santé pour les femmes sont multiples.</p>
<p>Le gouvernement Duque a non seulement été dénoncé pour sa piètre gestion de la crise de le Covid-19, mais on a aussi déploré <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2019/12/colombia-peace-farc/604078/">son inaction sur la mise en œuvre de l’accord de paix signé en 2016</a> avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie. Dans ce contexte, les ex-combattants des Farc-ep qui ont décidé de se réincorporer à la vie civile n’ont aucune garantie de sécurité. Par ailleurs, il est estimé que <a href="http://www.indepaz.org.co/wp-content/uploads/2020/03/SEPARATA-DE-ACTUALIZACIO%CC%81N-2020-28-02.pdf">plus de 800 militants des droits de la personne ont été tués depuis l’accord de paix</a>, dont 71 depuis janvier 2020 ainsi que 20 personnes ex-combattantes depuis la même date, selon l’institut <a href="http://www.indepaz.org.co/paz-al-liderazgo-social/">INDEPAZ</a>.</p>
<p>En somme, comme le souligne <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/576139/la-ou-le-confinement-peut-tuer?fbclid=IwAR2wzIN1pejllipQv3MLfqLOs-wy4qp4VHA4zSyDfj5CosNTgrH2_x7b2Ak">Maïka Sondarjee</a>, chercheuse postdoctorante à l’Université de Montréal, l’universalisation des mesures prises par l’Occident ne fait qu’exacerber les différences de pouvoir entre les pays et aura probablement les effets contraires. Cela nous amène à nous demander, comme la philosophe américaine Judith Butler, quelles sont les conséquences de cette pandémie sur <a href="https://www.versobooks.com/blogs/4603-capitalism-has-its-limits">l’équité, l’interdépendance globale et nos responsabilités face aux autres ?</a></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135651/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Priscyll Anctil Avoine receives funding from the Vanier Canada Graduate Scholarship and she is an active member of Fundación Lüvo, a non-profit organization based in Colombia.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jakeline Vargas Parra receives funding from Universidad Autónoma de Bucaramanga for her research projects and she is an active member of CreSer, a non-profit organization in Colombia.</span></em></p>En Colombie, la Covid-19 survient dans un pays dévasté depuis 60 ans par un conflit armé, aux prises avec des inégalités sociales et des mobilisations sociales qui n'ont pas été entendues.Priscyll Anctil Avoine, Candidate au doctorat en science politique - spécialiste en études féministes de sécurité, Université du Québec à Montréal (UQAM)Jakeline Vargas Parra, PhD Candidate in Political Sciences and International Relations, Universidad Complutense de Madrid. Researcher on Peacebuilding and Gender, Universidad Autónoma de Bucaramanga.Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283612019-12-09T19:43:03Z2019-12-09T19:43:03ZVenezuela : bientôt la première crise migratoire mondiale<p><a href="https://r4v.info/es/situations/platform">4,6 millions de Vénézuéliens</a>, soit plus de 15 % de la population, ont quitté leur pays au cours de ces dernières années, un phénomène ancien qui augmente de manière exponentielle depuis 2017. En ampleur numérique, il s’agit du quatrième phénomène au niveau mondial, derrière les théâtres d’intervention étasuniens de ces dernières décennies (Syrie, Irak et Afghanistan), mais du premier en dehors des pays en guerre.</p>
<p>Cet exode s’accentue. Selon l’envoyé spécial de l’ONU sur les migrations vénézuéliennes, Eduardo Stein, ils seront <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/press/2019/11/5dcc50fda/refugies-migrants-venezueliens-lancement-dun-plan-regional-daide-135-milliard.html">6,5 millions</a> dès l’année prochaine à être partis, provoquant la principale crise migratoire de la planète.</p>
<p>La population vénézuélienne est aujourd’hui disséminée dans plus de 90 pays dans le monde. 80 % des Vénézuéliens qui ont quitté leur pays se trouvent en Amérique latine : plus de 1,4 million dans la Colombie voisine, 0,9 million au Pérou à plusieurs milliers kilomètres du Venezuela, 0,4 million en Équateur et autant au Chili… Les Vénézuéliens sont donc sans surprise les plus nombreux à mourir sur les routes migratoires latino-américaines. Sur le premier semestre 2019, 89 d’entre eux ont ainsi perdu la vie en mer des Caraïbes, et 17 autres étaient morts d’hypothermie ou d’arrêt respiratoire en septembre 2018, en essayant de traverser le Páramo de Berlin, une zone de haute montagne à la frontière colombienne.</p>
<p>Ces chiffres apparaissent infinitésimaux au regard des tragédies que nous connaissons en Méditerranée, pour des raisons géographiques simples : la migration vénézuélienne s’opère essentiellement par voie terrestre. Mais les risques seront accrus si le phénomène, comme prévu, continue de prendre de l’ampleur.</p>
<h2>Une émigration à l’ampleur nouvelle</h2>
<p>Pour le Venezuela, cette émigration massive est d’autant plus déstabilisante que le pays était traditionnellement une terre d’accueil, pour les Latino-américains et pour les Européens fuyant les régimes autoritaires ou attirés par son abondance pétrolière. Le 18 février 1983, le <em>Viernes Negro</em> (vendredi noir), jour de la première dévaluation de la monnaie nationale, le bolívar, est le début d’une crise économique aiguë. Celle-ci se double d’une crise politique jusqu’à l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir en 1999, qui inverse peu à peu les flux migratoires.</p>
<p>Sous Hugo Chávez, ce sont principalement les classes possédantes qui fuient le pays, en invoquant l’insécurité physique et les incertitudes politiques plus que des motifs économiques. Après l’accession à la présidence en 2013 de Nicolás Maduro, on constate une généralisation du phénomène, qui touche désormais tous les secteurs de la société, des plus aisés aux plus déshérités.</p>
<p>Des chercheurs qui ont étudié un échantillon de 12 957 migrants vénézuéliens à destination <a href="https://www.cpalsocial.org/documentos/830.pdf">du Pérou, de l’Équateur, de la Colombie et du Chili</a>, ont mis au jour les principales caractéristiques de ces émigrés. La majorité d’entre eux a moins de trente ans et leur motivation est principalement économique. 8 migrants sur 10 évoquent la recherche de meilleures opportunités de travail, et plus de 70 % d’entre eux souhaitent aider économiquement un proche.</p>
<p>L’invocation de causes politiques est plus rare. La moitié mentionne un manque d’accès à l’emploi, au logement ou à la retraite pour des raisons politiques et autour de 10 % évoquent des persécutions politiques à proprement parler. Pour les autres, l’émigration est purement économique.</p>
<h2>Un président aveuglé</h2>
<p>La réaction du gouvernement de Nicolás Maduro à cette crise peut être résumée en trois aspects : le mépris, l’euphémisation et la volonté de rapatriement. Le mépris se manifeste dans des phrases récurrentes des principaux responsables de l’exécutif vénézuélien, notamment du chef de l’État en personne <a href="https://www.youtube.com/watch?v=F9tkFDq-J_8">qui a notamment accusé les migrants vénézuéliens</a> d’être abusé par « l’offre fausse de la droite », assurant qu’ils partent pour « profiter des miels d’autres pays et terminent en récurant les toilettes, comme esclaves et mendiants ».</p>
<p>L’euphémisation peut être constatée dans l’une des rares estimations de Nicolás Maduro lors d’un entretien télévisé <a href="https://www.dailymotion.com/video/x71s5q5">début février 2019</a>, où il évalue l’émigration à entre 0,6 et 0,8 million de personnes. La volonté de rapatriement s’incarne dans la mise en place du plan « Vuelta a la patria » (retour à la patrie). Selon les données du gouvernement, 15 946 Vénézuéliens en auraient bénéficié, soit 0,3 % du total des migrations. Or le rythme de l’émigration est actuellement estimé à 5 000 partants par jour, c’est-à-dire que le solde migratoire du plan « Vuelta a la patria » est atteint en seulement trois jours.</p>
<p>Initialement, les migrants ont reçu dans les pays latino-américains voisins un accueil plutôt favorable, fidèle à la <a href="https://www.unhcr.org/fr/about-us/background/4b14f4a5e/declaration-carthagene-refugies-adoptee-colloque-protection-internationale.html">Déclaration de Carthagène</a> de 1984. Contrairement au Vieux Continent, on n’a pas vu émerger de forces politiques capitalisant électoralement sur la xénophobie ressentie par les locaux à l’égard de ces populations fraîchement arrivées. Aux élections municipales de Lima, le candidat Ricardo Belmont a expérimenté ce positionnement et l’a payé par une cuisante défaite, n’obtenant que 3,9 % des suffrages exprimés. Au Brésil, la campagne présidentielle victorieuse du dirigeant d’extrême droite Jair Bolsonaro s’est davantage fondée sur la lutte contre l’insécurité et la corruption que sur le rejet des migrants vénézuéliens.</p>
<h2>Des discriminations en hausse</h2>
<p>Si l’accueil initial apparaissait plus humaniste que le rejet constaté en Europe, on assiste depuis quelques mois à une tendance à la fermeture des frontières, principalement <a href="https://theconversation.com/comment-le-perou-a-ferme-la-porte-aux-migrants-venezueliens-126321">au Chili, en Équateur et au Pérou</a>, condamnant des milliers de Vénézuéliens à se déplacer dans l’illégalité.</p>
<p>Si la xénophobie ne s’exprime pas pour l’heure électoralement, les discriminations visant les « venecos » (surnom péjoratif attribué aux Vénézuéliens) se multiplient. On peut ainsi citer l’attaque en août 2018 d’un camp de migrants vénézuéliens à Pacaraima, à la frontière brésilienne, ou le vote sur l’expulsion des Vénézuéliens sous deux mois dans le district de Pichari au Pérou en octobre 2019. Des responsables politiques ont également tenu des propos inquiétants : Esther Saavedera, parlementaire péruvienne du parti fujimoriste (partisans de l’ancien autocrate Alberto Fujimori), <a href="https://www.youtube.com/watch?v=K1zzSsPWoAo">a déclaré en septembre 2019</a> : « Bons ou mauvais, ils doivent partir du Pérou ! » Le président équatorien Lenin Moreno <a href="https://www.elcomercio.com/actualidad/moreno-brigadas-control-venezolanos-ecuador.html">a quant à lui appelé</a> à « la formation immédiate de brigades pour contrôler la situation légale des immigrants vénézuéliens » quelques heures après un assassinat commis par un Vénézuélien en janvier 2019.</p>
<p>Au-delà de ces faits isolés, les entretiens du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés indiquent en octobre 2019, que <a href="https://apnews.com/9a87709dd6794ebb975bf770bc83f10e">46,9 % des Vénézuéliens se sont sentis discriminés à travers l’Amérique latine, contre 36,9 % au début de l’année</a>.</p>
<p>Aux États-Unis également, le sort des Vénézuéliens est un enjeu de discorde. Les sanctions économiques imposées depuis 2017 asphyxient encore davantage l’économie du pays. À l’instar de ce qui est imposé à l’égard de Cuba, ces mesures limitant le commerce sont généralement conjuguées à des facilités migratoires. Le statut de protection spéciale (<em>temporary protected status</em>, TPS) concède ainsi des permis de séjour de manière extraordinaire aux citoyens de nations affectées par des conflits ou des désastres naturels.</p>
<p>Une loi étendant ce dispositif aux Vénézuéliens a été votée en juillet 2019 par la Chambre des Représentants à majorité démocrate mais <a href="https://www.miamiherald.com/news/local/news-columns-blogs/andres-oppenheimer/article235948032.html">se heurte à l’opposition des républicains et de Donald Trump</a>, qui refusent toute concession sur la thématique de l’immigration si chère à leur électorat. L’ensemble des principaux candidats à la primaire démocrate se sont affirmés favorables à l’octroi du TPS aux Vénézuéliens, sujet qui ne manquera pas de devenir un enjeu de la prochaine élection présidentielle de 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128361/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Posado est membre du Conseil d’Administration du Groupe d’Etudes Interdisciplinaires sur le Venezuela (GEIVEN), association loi 1901 rassemblant des chercheurs travaillant sur le Venezuela. </span></em></p>Depuis le début de la crise, le pays connaît un véritable exode, dont les raisons sont principalement économiques.Thomas Posado, Chargé de cours, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1263212019-11-21T20:51:16Z2019-11-21T20:51:16ZComment le Pérou a fermé la porte aux migrants vénézuéliens<p>En septembre 2019, le démembrement des corps de deux personnes, de nationalité péruvienne et vénézuélienne, a fait la une de tous les journaux péruviens. Le principal responsable de ce double homicide est un Vénézuélien, surnommé Joker. Ce crime lié à des affaires de drogue a servi à légitimer certains discours « culturisants » associant la délinquance à la nationalité vénézuélienne.</p>
<p><em>El Comercio</em>, principal journal du pays, a titré ainsi le fait divers : « Cruel et violent : qu’est-ce qui amène un criminel vénézuélien à tuer sans pitié ? » Un titre modifié à la suite des <a href="https://elcomercio.pe/mundo/latinoamerica/descuartizamiento-smp-venezuela-criminal-venezolano-asesine-piedad-noticia-ecpm-678504-noticia/">nombreux commentaires des internautes</a>. Victime et assassin ont ensuite été rangés dans la même catégorie lorsque l’on a appris que la personne vénézuélienne assassinée, bien qu’ayant fait l’objet d’une expulsion vers son pays d’origine à cause de son fichier de police, était revenue au Pérou de façon irrégulière.</p>
<p>Mais ce crime a également permis au gouvernement de justifier le durcissement de certaines mesures, notamment les expulsions expresses et les contrôles de police. Pour le Pérou, la situation est inédite. Jamais au cours de son histoire républicaine le pays n’avait reçu des flux migratoires aussi importants sur un laps de temps aussi court. Dans ce contexte, l’État peine à élaborer des solutions intégrales et répond en multipliant la création de dispositifs juridiques qui ne résistent pas longtemps et fragilisent la situation des migrants.</p>
<h2>Le Pérou premier pays d’accueil des Vénézuéliens</h2>
<p>Actuellement, 860 000 Vénézuéliens vivent au Pérou, et <a href="https://www.acnur.org/peru.html">280 000 d’entre eux ont demandé le statut de réfugiés</a>. C’est donc le premier pays d’accueil pour les Vénézuéliens nécessitant une protection internationale, et la deuxième destination pour les migrants vénézuéliens dans le monde après la Colombie.</p>
<p>Un tel attrait s’explique d’abord par les dispositifs d’accueil mis en place par le gouvernement de Pedro Pablo Kuczynski au début de la crise, et par le marché de travail péruvien, principalement informel, qui facilite la recherche d’emploi pour les migrants irréguliers : selon l’Institut National de Statistiques, le travail formel ne représente <a href="https://gestion.pe/economia/inei-informal-pais-sigue-creciendo-formal-266936-noticia/?ref=gesr">que 27,4 % de l’économie</a> (contre 72,6 % pour le travail informel).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301987/original/file-20191115-66973-11te9w4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301987/original/file-20191115-66973-11te9w4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301987/original/file-20191115-66973-11te9w4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301987/original/file-20191115-66973-11te9w4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301987/original/file-20191115-66973-11te9w4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301987/original/file-20191115-66973-11te9w4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301987/original/file-20191115-66973-11te9w4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une femme migrante installée dans la zone frontalière entre l’Équateur et le Pérou, attendant une réponse de l’un des deux pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dánae Rivadeneyra</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ces deux facteurs ont encouragé à partir de 2017 des centaines de milliers de migrants à faire le choix du Pérou. En Colombie, pays frontalier du Venezuela, trouver du travail apparaît de plus en plus difficile tant la concurrence entre Vénézuéliens est rude. Quant à l’Équateur, sa devise étant le dollar, le coût de la vie y est un peu plus élevé.</p>
<p>Jusqu’alors, la migration vénézuélienne était essentiellement dirigée vers les États-Unis ou l’Espagne. Depuis 2016, elle suit donc une <a href="https://encovi.ucab.edu.ve/wp-content/uploads/sites/2/2018/02/ucv-ucab-usb-encovi-emigracion-2017.pdf">nouvelle trajectoire dirigée vers le sud</a>.</p>
<h2>La bienveillance des débuts</h2>
<p>La gestion du flux migratoire vénézuélien par le Pérou s’est opérée en deux temps sur le plan juridique. Initialement, le gouvernement de Pedro Pablo Kuczynsnki a mené une politique des portes ouvertes : en janvier 2017 est entré en vigueur un permis temporaire de séjour (PTP). Ce document, dont pouvaient bénéficier exclusivement les migrants vénézuéliens, les autorisait à travailler de manière légale pour une période d’un an.</p>
<p>La création de ce dispositif qui n’accorde ni qualité, ni statut migratoire, ni droits d’accès à la santé, s’inscrit dans un contexte où la communauté internationale a pris des mesures contre la « Revolución Bolivariana ». D’abord, la <a href="https://www.peruoea.org/iv-declaracion-del-grupo-lima/">création du Groupe de Lima (GL)</a>, un groupe formé par 14 pays membres de l’Organisation des États américains dans le but de trouver des alternatives de solution pour la situation au Venezuela. En août 2017, le pays est <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_le-mercosur-suspend-le-venezuela-pour-rupture-de-l-ordre-democratique?id=9676806">suspendu</a> du Marché commun du sud (Mercosur), qu’il avait rejoint en 2012, par les quatre autres membres de cette communauté économique – le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay – qui reprochent au gouvernement Maduro d’avoir contrevenu à la <a href="https://www.mercosur.int/documento/protocolo-ushuaia-compromiso-democratico-mercosur-bolivia-chile/">« clause démocratique »</a> du bloc.</p>
<p>En pratique, cela signifiait que les migrants vénézuéliens ne pouvaient plus bénéficier du visa Mercosur. Or le Pérou a mis en place depuis 2009 un <a href="https://www.migraciones.gob.pe/index.php/residencia-mercosur/">accord migratoire</a> bénéficiant aux ressortissants du Mercosur, de la Bolivie et du Chili, leur permettant de séjourner dans le pays pour une période de deux ans. Après l’expulsion du Venezuela du bloc, les pays concernés ont créé des dispositifs particuliers pour régulariser l’entrée et le séjour des migrants vénézuéliens : chaque territoire a donc adopté des règles spécifiques, évoluant à différentes vitesses et plaçant souvent les migrants face à un vide légal.</p>
<h2>Création d’apatrides</h2>
<p>L’un des principaux risques liés à ce contexte est la situation des enfants apatrides, ou menacés de le devenir. <a href="https://id.presidencia.gov.co/Paginas/prensa/2019/190805-Estado-colombiano-nacionalidad-ninos-nacidos-Colombia-hijos-migrantes-venezolanos-proteger-sus-derechos.aspx">En août de cette année</a>, la Colombie a ainsi été contrainte d’accorder la nationalité aux enfants de parents vénézuéliens nés sur son territoire. Jusqu’alors, ce pays ne reconnaissait pas le droit du sol et n’octroyait qu’un certificat de naissance à ces enfants. Parmi les 24 000 enfants de migrants nés en Colombie ces quatre dernières années, une grande partie sont ensuite partis au Pérou et beaucoup se trouvent ainsi sans nationalité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301990/original/file-20191115-66925-ahy11s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301990/original/file-20191115-66925-ahy11s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301990/original/file-20191115-66925-ahy11s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301990/original/file-20191115-66925-ahy11s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301990/original/file-20191115-66925-ahy11s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301990/original/file-20191115-66925-ahy11s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301990/original/file-20191115-66925-ahy11s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De nombreux enfants de parents vénézuéliens sont aujourd’hui apatrides.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dánae Rivadeneyra</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>S’ils souhaitent que leurs enfants deviennent colombiens, il leur faut retourner dans le pays afin d’entamer la procédure : car la démarche ne peut se faire depuis l’étranger. Or avant de quitter le Pérou, ils doivent demander un visa pour traverser l’Équateur – une <a href="https://www.cancilleria.gob.ec/wp-content/uploads/2019/08/Acuerdo_Ministerial_0000103_2019.pdf">exigence mise en place le 26 août</a> dernier.</p>
<p>En fonction du statut migratoire dont ils bénéficient au Pérou, ils seront autorisés à y revenir ou non. Demander la nationalité vénézuélienne auprès du consulat vénézuélien au Pérou n’est par ailleurs plus une option depuis l’<a href="https://elperuano.pe/noticia-gobierno-peruano-expulsa-al-embajador-venezolano-58382.aspx">expulsion de l’ambassadeur vénézuélien</a> en août 2017, qui a paralysé toutes les démarches administratives à l’ambassade et au consulat vénézuélien au Pérou.</p>
<h2>Entre contrôle et fermeture légale des frontières</h2>
<p>Le deuxième moment coïncide avec l’arrivée au pouvoir en mars 2018 du président Martin Vizcarra, remplaçant Pedro Pablo Kuczynski, qui démissionne pour corruption. Du même bord politique que son prédécesseur, il opère pourtant un revirement dans la politique migratoire. S’appuyant sur le <a href="https://elcomercio.pe/peru/55-limenos-acuerdo-llegada-migrantes-venezolanos-noticia-561949-noticia/">malaise des Péruviens</a>, qui associent la délinquance ou le manque de travail à la migration vénézuélienne, il adopte une série de mesures populistes visant à contenir les arrivées.</p>
<p>En août 2018, la <a href="http://idehpucp.pucp.edu.pe/notas-informativas/exigencia-del-pasaporte-a-personas-venezolanas-aspectos-a-considerar/">présentation du passeport devient une obligation</a> pour tous les ressortissants vénézuéliens désireux d’entrer sur le territoire péruvien. Or son coût dissuasif rend son obtention quasi impossible. Une mesure pourtant bien perçue par <a href="https://larepublica.pe/sociedad/2019/07/01/el-66-de-peruanos-respalda-exigencia-de-pasaporte-y-visa/">66 % des Péruviens</a>.</p>
<p>En novembre 2018, cette exigence est interrompue, avant d’être rétablie trois mois plus tard. Les Vénézuéliens sans passeport empruntent alors des voies clandestines pour entrer au Pérou en payant des « trocheros », des passeurs. Jusqu’alors inexistants, ces derniers voient dans les nouvelles règles du Pérou et de l’Équateur une opportunité lucrative. <a href="https://andina.pe/agencia/noticia-a-partir-hoy-venezolanos-deberan-ingresar-al-peru-pasaporte-y-visa-755608.aspx">Le 15 juin 2019</a> entre en vigueur un visa humanitaire, désormais l’unique document accepté pour entrer au Pérou. Deux mois plus tard, l’Équateur impose à son tour son propre visa humanitaire.</p>
<p>Cette fermeture légale des frontières a certes <a href="https://peru21.pe/lima/venezolanos-peru-fecha-hay-cerca-860-mil-extranjeros-migraciones-nndc-496301-noticia/?ref=p21">diminué l’entrée régulière des migrants au Pérou</a> – on parle d’une baisse de 91 % du nombre de nouveaux migrants vénézuéliens entre juillet et août 2019. Mais inévitablement, le nombre d’entrées irrégulières a de son côté augmenté. Si l’on ne dispose pas de chiffres officiels, l’Organisation internationale des migrations estime que 68 % des Vénézuéliens qui sont arrivés à la frontière entre le Pérou et l’Équateur depuis août 2019 l’ont fait de manière irrégulière. Suite aux nouvelles directives, ces migrants ne sont plus acceptés au Pérou et sont bloqués à la frontière entre ces deux pays.</p>
<h2>L’apparition des campements de migrants</h2>
<p>Cette situation a entraîné l’installation, inédite en Amérique du Sud, de campements de migrants vénézuéliens à la frontière entre l’Équateur et le Pérou. Ils abritent principalement des demandeurs d’asile car, depuis l’entrée en vigueur du visa équatorien, l’évaluation pour accorder ou dénier le statut de réfugié se fait à la frontière. Dans cet espace attendent aussi des Vénézuéliens avec PTP ou visa humanitaire péruvien, ayant traversé l’Équateur de manière irrégulière. Depuis août 2019, il est exigé d’avoir passé le contrôle migratoire en Équateur pour être accepté au Pérou. Faute de quoi les migrants sont bloqués dans cette zone frontalière qui n’est ni le Pérou ni l’Équateur.</p>
<p>Face à la situation d’urgence dans cet espace de libre transit, des <a href="https://r4v.info/es/situations/platform/location/7416">organismes internationaux</a> tels que l’OIM, ACNUR, UNICEF, s’y sont installés. Ils se chargent de l’alimentation, de la garde d’enfants et de l’accompagnement juridique. Actuellement, environ 120 personnes sont bloquées à cette frontière, pour un temps indéterminé, dans l’attente d’une réponse du Pérou ou de l’Équateur. Mariana, jeune fille de 16 ans, me raconte ainsi qu’elle est arrivée quand son bébé avait 23 jours. Il a aujourd’hui presque trois mois.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301989/original/file-20191115-66932-19dlx7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301989/original/file-20191115-66932-19dlx7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301989/original/file-20191115-66932-19dlx7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301989/original/file-20191115-66932-19dlx7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301989/original/file-20191115-66932-19dlx7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301989/original/file-20191115-66932-19dlx7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301989/original/file-20191115-66932-19dlx7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une tente de l’UNHCR à la frontière entre le Pérou et l’Équateur, où les migrants peuvent faire garder leurs enfants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dánae Rivadeneyra</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Des organisations de la société civile se mobilisent également. Le Service Jésuite de la Solidarité (SJS), partenaire d’ACNUR, a mis en ligne un <a href="https://www.veninformado.pe">site web d’information</a> explicatif sur les démarches administratives et accompagne juridiquement les migrants. En fonction des cas, l’ONG aide financièrement les situations d’urgence : des mineurs non accompagnés, des enfants risquant l’apatridie, des nouveaux arrivés sans domicile, etc.</p>
<p>Mais la fermeture légale des frontières a des effets plus généraux sur la dynamique migratoire.</p>
<h2>Une explosion des demandes d’asile</h2>
<p>D’une part, les demandes d’asile des Vénézuéliens en situation irrégulière ont connu une très forte augmentation. Devenue un véritable fourre-tout pour les cas non prévus par la loi, la demande d’asile est désormais une stratégie à laquelle ont recours les migrants dans l’espoir de demeurer sur le territoire péruvien.</p>
<p>Dans ce contexte, la Commission spéciale pour les Réfugiés s’est vue submergée de demandes qui ne correspondaient pas à la définition classique <a href="https://www.acnur.org/fileadmin/Documentos/BDL/2003/1938.pdf">du profil de protection</a>. Sa réponse a alors été de mettre hors ligne, jusqu’à nouvel ordre, la plate-forme Internet sur laquelle étaient déposées les demandes. Désormais, il faut se rendre sur place, une solution temporaire qui vise à décourager les migrants.</p>
<p>L’augmentation des demandes d’asile est également liée à la mise en place du Plan « Migration en Sécurité 2019 », en avril de cette année. Cette stratégie du ministère de l’Intérieur entend lutter contre la délinquance en expulsant du pays les Vénézuéliens ayant des antécédents judiciaires dans leur pays d’origine. Les derniers chiffres montrent que <a href="https://elcomercio.pe/lima/moran-tras-expulsion-de-nuevo-grupo-de-venezolanos-a-la-fecha-890-han-sido-retirados-del-peru-video-noticia/">890 personnes</a> ont été renvoyées sur ce motif. Le délai entre l’interpellation et l’expulsion de la personne concernée est de moins de 24 heures, ce qui ne laisse aucune place à sa défense.</p>
<p>Dans ce contexte de demandes de refuge en suspens, d’expulsions sans droit à la défense – qui touchent même des demandeurs d’asile – et de pratiques qui changent toutes les semaines sans canal officiel d’informations, les ONG ainsi que les organismes internationaux sont devenues la seule source fiable d’informations pour les migrants vénézuéliens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126321/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dánae Rivadeneyra a reçu des financements du laboratoire URMIS - Unité de Recherche Migrations et Société de l'Université Paris 7.</span></em></p>La profusion de dispositifs légaux et leur instabilité rend difficile voire impossible pour les migrants vénézuéliens de construire leur projet dans le pays.Dánae Rivadeneyra, Doctorante en Socio-Anthropologie, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1112682019-02-07T22:05:43Z2019-02-07T22:05:43ZLa corruption peut-elle assassiner la démocratie ? Leçons du Venezuela<p>En novembre 2018, un ex-trésorier national du Venezuela a été condamné aux États-Unis à dix ans de prison pour avoir reçu plus <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/11/27/97001-20181127FILWWW00357-usa-un-ex-responsable-venezuelien-condamne-a-10-ans-de-prison-pour-corruption.php">d’un milliard de dollars en pots-de-vin</a>.</p>
<p>Plus qu’une simple histoire de fraude financière, cette affaire est un exemple de l’effet de la corruption sur une démocratie, lorsque les élites ne pensent qu’à s’enrichir et menacent la population lorsque celle-ci réclame des réformes.</p>
<h2>Le cas vénézuélien</h2>
<p>Ces dernières années, en effet, la corruption a atteint un taux <a href="https://www.transparency.org/country/VEN">record au Venezuela</a>. Dans le même temps, la <a href="https://newrepublic.com/article/116762/venezuelan-democracy-myth-maduros-regime-autocratic">démocratie y est devenue un mythe</a>. De nouveaux <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/150918/au-venezuela-l-etau-de-l-autoritarisme-de-maduro-se-resserre-encore?onglet=full">signes d’autoritarisme</a> ont ainsi émergé, tant et si bien que, début février la population est massivement <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20190203.OBS9544/reportage-maree-humaine-contre-maduro-a-caracas.html">descendue dans les rues</a> contre le président Maduro.</p>
<p>La légitimité de ce dernier a,, d’ailleurs, été remise en cause par son opposant Juan Guaido, qui s’est autoproclamé <a href="https://www.voaafrique.com/a/4773166.html">président par interim</a> le 23 janvier dernier et reconnu par la France comme <a href="https://www.lepoint.fr/societe/la-france-reconnait-juan-guaido-comme-president-en-charge-du-venezuela-04-02-2019-2291165_23.php">« président en charge »</a> début février. Cette situation est-elle spécifique au Venezuela, ou bien la corruption a-t-elle la capacité intrinsèque de détruire la démocratie ?</p>
<p>Le Venezuela n’est pas le seul pays à avoir vu son taux de corruption augmenter et, en conséquence, sa démocratie se fragiliser. Le rapport de Transparency International <a href="https://www.transparency.org/cpi2018">sur l’indice de perception de la corruption pour l’année 2018</a> montre clairement l’ampleur du phénomène : sur 180 pays étudiés, les pays les moins corrompus sont tous <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272799000924">des démocraties de longue date</a>.</p>
<h2>Taux de corruption et démocratie</h2>
<p>Au premier rang se trouve le Danemark, suivi d’autres solides régimes démocratiques : la Nouvelle-Zélande (2<sup>e</sup>), la Finlande, Singapour, la Suède et la Suisse (ex æquo en 3<sup>e</sup> position) ou la Norvège (7<sup>e</sup>). À l’opposé, les nations les plus corrompues sont la Somalie (180<sup>e</sup>), la Syrie et le Soudan du Sud (178<sup>e</sup>), le Yémen (177<sup>e</sup>), la Corée du Nord (176<sup>e</sup>), le Soudan, la Guinée Bissau, la Guinée équatoriale et l’Afghanistan (172<sup>e</sup>), la Libye et le Burundi (170<sup>e</sup>), le Venezuela et l’Irak (168<sup>e</sup>).</p>
<p>La situation dans ces pays fortement corrompus est si mauvaise que leurs populations sont à la fois confrontées à l’<a href="https://www.hrw.org/world-report/2018/country-chapters/afghanistan">insécurité</a>, <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2018/02/23/paper-fuel-north-koreans-endure-widespread-shortages-sanctions">aux pénuries de ressources</a>, à un État <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2018/02/the-war-in-yemen-and-the-making-of-a-chaos-state/551987/">faible ou inexistant</a>, des <a href="https://www.usaid.gov/afghanistan/infrastructure">infrastructures insuffisantes</a>, une <a href="https://reliefweb.int/report/south-sudan/2018-south-sudan-humanitarian-needs-overview">situation sanitaire préoccupante</a> et un système <a href="https://www.borgenmagazine.com/education-in-somalia-verge-of-collapse/">éducatif de médiocre qualité</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/256163/original/file-20190129-108364-1gjp3hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/256163/original/file-20190129-108364-1gjp3hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/256163/original/file-20190129-108364-1gjp3hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/256163/original/file-20190129-108364-1gjp3hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/256163/original/file-20190129-108364-1gjp3hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/256163/original/file-20190129-108364-1gjp3hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/256163/original/file-20190129-108364-1gjp3hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rapport de Transparency International sur l’Indice de perception de la corruption pour l’année 2018. Les couleurs les plus sombres représentent les pays les plus corrompus.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.transparency.org/cpi2018">Transparency International</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Un abus de pouvoir à des fins personnelles</h2>
<p>De nombreuses raisons expliquent pourquoi la corruption porte si gravement atteinte au système démocratique. En général, lorsque les élites sont extrêmement corrompues, elles ne se soucient pas vraiment du reste de la population, ni même de leur propre pays. En effet, la corruption se définit en général comme un abus de pouvoir <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1056492615579081?journalCode=jmia">à des fins personnelles</a>. La corruption brise le lien entre la prise de décision collective et la capacité du peuple à influer sur ces décisions (normalement par son vote et sa participation). Or c’est ce lien qui <a href="https://www.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.0092-5853.2004.00073.x">définit la démocratie</a>.</p>
<p>De plus, pour qu’un pays soit démocratique, il faut un minimum de services publics. Sans un système éducatif suffisant, une bonne situation sanitaire et un environnement relativement sûr, la participation du peuple aux débats politiques est réduite au minimum.</p>
<p>Il est clair que la corruption implique une <a href="https://ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/11didr_venezuela_la_crise_venezuelienne_ofpra_07122016.pdfl">défaillance des services publics</a> dans la mesure où les pots-de-vin (la forme la plus courante de corruption) conduisent à une <a href="http://www.accessecon.com/Pubs/EB/2013/Volume33/EB-13-V33-I4-P240.pdf">mauvaise répartition des ressources</a>, les décisionnaires étant davantage soucieux d’obtenir le pot-de-vin le plus important que de faire le meilleur choix.</p>
<p>Pour couronner le tout, la corruption augmente le coût des <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-4-431-67939-4_4">services publics</a>. Par conséquent, les pays corrompus <a href="https://academic.oup.com/qje/article-abstract/110/3/681/1859244">investissent de moins en moins et s’appauvrissent</a>.</p>
<h2>Un effritement de la culture démocratique</h2>
<p>En outre, la hausse du taux de corruption conduit à une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-journal-of-sociology-archives-europeennes-de-sociologie/article/trust-honesty-and-corruption-reflection-on-the-statebuilding-process/EECD058A8C4C540F7318E65BDBE7B6BA#">profonde défiance du peuple envers les élites et le gouvernement</a>. Dans un pays fortement corrompu, la population n’a pas confiance dans ses <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9780203413920/chapters/10.4324%2F9780203413920-9">politiciens ni dans ses fonctionnaires</a>. Si les citoyens éprouvent de la méfiance ou même de la peur vis-à-vis de leurs élites, ils ne vont pas participer aux votes, ne pas s’impliquer dans la société civile, ni participer aux débats publics. De ce fait, la culture de la démocratie s’effrite.</p>
<p>Enfin, le pire scénario est la <a href="https://elibrary.worldbank.org/doi/abs/10.1596/1813-9450-2444">mainmise des dirigeants sur l’État</a>, qui peut aboutir à une totale tyrannie. Par exemple, quand la population du Venezuela s’est mise à réclamer des réformes après des années de déclin économique et de corruption galopante, la réaction des élites a été de faire <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20180208.OBS1929/venezuela-la-repression-de-maduro-a-neutralise-tous-les-leaders-de-l-opposition.html">emprisonner les opposants, d’employer la violence comme moyen de coercition, et d’isoler le pays</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/257502/original/file-20190206-174873-147zq9a.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/257502/original/file-20190206-174873-147zq9a.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/257502/original/file-20190206-174873-147zq9a.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/257502/original/file-20190206-174873-147zq9a.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/257502/original/file-20190206-174873-147zq9a.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/257502/original/file-20190206-174873-147zq9a.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/257502/original/file-20190206-174873-147zq9a.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Selon Transparency International ces deux pays se classent parmi les plus corrompus au monde.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/47482/photos/39220">Bureau de presse du Kremlin</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Des dérives à travers le monde</h2>
<p>Le <a href="https://www.transparency.org/news/feature/cpi_2018_global_analysis">dernier indice de perception de la corruption</a> devrait nous inciter à prêter attention aux effets dramatiques de ce type de crime sur le fonctionnement interne des démocraties.</p>
<p>Outre le Venezuela, ce genre de dérive préoccupante concerne le <a href="https://www.latimes.com/opinion/op-ed/la-oe-grandia-guatemala-morales-20190117-story.html">Guatemala</a>, la <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-37883006">Turquie</a>, la <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/apr/06/hungary-democracy-britain-orban-brexit-deal">Hongrie</a> et même les <a href="https://freedomhouse.org/article/new-analyses-show-ongoing-russian-interference-us-democracy">États-Unis</a>. Ces cas et bien d’autres démontrent que la démocratie est un joyau précieux sur lequel il convient de veiller en permanence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111268/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Venard, professeur à Audencia (France) et à l'University of Oxford (UK) dirige différents projets sur la fraude, notamment la cybersécurité et la corruption. Il mène ainsi un projet de recherche important sur le comportement de cybersécurité financé par l'Union Européenne (Numéro de projet : 792137). Par ailleurs, Il a aussi reçu des fonds pour ses recherches de la Commission Anti-Corruption du Bhoutan (Anti-Corruption Commission of Bhutan). Ainsi, il a dirigé deux projets majeurs pour combattre la corruption dans le secteur minier et la gestion des ressources humaines.</span></em></p>Le dernier classement publié par l’ONG Transparency International montre que les pays les plus démocratiques sont aussi les moins corrompus. Et si phénomène détruisait la démocratie ?Bertrand Venard, Professor, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1112092019-02-05T20:59:14Z2019-02-05T20:59:14ZIllibéralisme : comment l’indulgence des voisins du Venezuela a précipité le pays dans la crise<p>Le Venezuela se trouve aujourd’hui au cœur des tensions qui ont cours sur le continent latino-américain entre les forces libérales et illibérales. Si ces forces trouvent l’origine au sein même du pays, elles bénéficient aussi d’un puissant soutien à l’étranger. D’un côté, les États-Unis, plusieurs pays de l’Union européenne et un grand nombre de gouvernements latino-américains ont reconnu le leader de l’opposition, <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jan/25/venezuelas-juan-guaido-offers-nicolas-maduro-amnesty-if-he-goes-quietly">Juan Guaido</a>, comme le nouveau président légitime du Venezuela. De l’autre, Nicolas Maduro s’accroche au pouvoir avec l’appui de la Russie et de Cuba.</p>
<p>L’illibéralisme au Venezuela a ouvert la voie à un désastre humanitaire sans précédent dans le pays, suscitant la contestation d’une partie de la population vis-à-vis de la légitimité de Maduro. Au-delà du soutien croissant dont bénéficie aujourd’hui Juan Guaido, la plupart des voisins latino-américains ont toléré depuis dix ans la lente dégradation de la démocratie et de l’économie de marché au Venezuela.</p>
<p>Au lendemain la Guerre froide, l’Amérique latine avait résolument embrassé les principes de l’ordre libéral international, peut-être plus que nulle part ailleurs dans le monde. Mais une tendance favorable à l’illibéralisme a depuis gagné un large spectre au niveau régional. Sa légitimité a même été parfois consacrée dans les urnes. Le populiste Jair Bolsonaro a ainsi accédé à la présidence au Brésil malgré – ou peut-être grâce à – son désintérêt pour les droits humains et l’État de droit.</p>
<p>Le Président mexicain <a href="https://theconversation.com/uk/topics/andres-manuel-lopez-obrador-39700">Andres Manuel Lopez Obrador</a> a, pour sa part, recours à des <a href="https://uk.reuters.com/article/uk-mexico-politics-referendum/mexicos-lopez-obrador-to-hold-new-public-consultation-on-policy-platform-idUKKCN1NM05Z">« consultations populaires »</a> contestables pour justifier des décisions qui suscitent une opposition non négligeable. Au Honduras, un Président de droite a étendu ses pouvoirs et toléré l’usage de la violence contre les mouvements sociaux. Au <a href="https://theconversation.com/uk/topics/nicaragua-9050">Nicaragua</a>, un ancien leader guérillero de gauche a pris un virage autoritaire, et réprime violemment des manifestations pacifiques.</p>
<h2>Une lutte à l’échelle mondiale</h2>
<p>L’Amérique latine était censée en avoir fini avec cette période. Mais une forte défiance vis-à-vis de l’ordre libéral a pris de l’ampleur sur la scène internationale, comme le montrent l’élection de Donald Trump aux États-Unis ou le Brexit au Royaume-Uni. Cet ordre semble également menacé de l’extérieur par les attaques russes à l’encontre de la démocratie – illustré ces temps-ci par le soutien explicite de Moscou à Nicolas Maduro. La Chine, l’un des créanciers traditionnels du Venezuela, s’en prend de façon plus subtile mais croissante à l’ordre juridique international.</p>
<p>Les débats autour de la crise de confiance qui frappe les idées libérales sur le plan international ont souvent occulté ce qui se passait en Amérique latine. Des parallèles ont certes été tracés récemment entre Trump et Bolsonaro, mais la régression démocratique en Amérique latine est loin de se limiter à la montée en puissance de la droite populiste et n’a pas grand-chose à voir, en vérité, avec la victoire de Donald Trump. Comme le montre le cas du Venezuela, l’Amérique latine a connu, durant ces dernières décennies, des mouvements contradictoires entre des périodes d’illibéralisme et d’autres marquées par une forte mobilisation en faveur de la démocratie et des droits humains. Ces mouvements de balancier s’expliquent par la relation complexe qu’entretient l’Amérique latine avec l’ordre libéral mondial.</p>
<p>Depuis pratiquement leur indépendance, au début des XIX<sup>e</sup> siècle, les États latino-américains n’ont été que <a href="https://doi.org/10.1093/ia/iiy188">partiellement intégrés</a> à l’ordre mondial libéral. Ses règles n’ont été appliquées que sporadiquement sur le continent du fait de l’ingérence de certaines grandes puissances, tels les États-Unis, qui n’ont pas hésité à les enfreindre afin de protéger leurs propres intérêts dans la région. Les élites latino-américaines, qui demandaient leur pleine intégration dans le processus de développement du droit international et au sein de la diplomatie mondiale, en ont souvent été écartées. Et quand les pays latino-américains se sont impliqués au sein des institutions internationales et dans la mondialisation, ce fut souvent pour le plus grand bénéfice d’élites mettant en œuvre des politiques illibérales et pratiquant un capitalisme de connivence.</p>
<p>Les États les plus puissants du monde libéral ont volontairement ignoré cette réalité, se concentrant sur leurs propres priorités économiques et politiques plutôt que sur la question de savoir si les pratiques et les principes libéraux étaient réellement respectés en Amérique latine. Au Brésil, l’exemple de Bolsonaro montre ainsi qu’on peut se vanter d’être illibéral tout en courtisant les marchés internationaux et le monde des affaires. À gauche, les largesses du Venezuela envers ses voisins ont longtemps freiné la mobilisation de la région face au déclin de la démoratie à Caracas, du moins jusqu’à ce que ses finances soient à sec et que la crise commence à déborder des frontières.</p>
<h2>Détourner le regard</h2>
<p>Le fait d’évoluer à la lisière de l’ordre libéral mondial s’est traduit, dans de nombreux cas en Amérique latine, par la redistribution des fruits de la libéralisation des marchés en faveur d’une toute petite minorité et par un engagement des plus limités en faveur de la démocratie et des droits de l’homme. Cet état de fait a contribué à l’ascension de l’ancien président Hugo Chavez il y a vingt ans, tout en préparant le terrain à la crise actuelle. Des dynamiques similaires se trouvent au cœur des problèmes que connaît aujourd’hui l’ordre libéral mondial.</p>
<p>Les défenseurs de ces principes libéraux en Amérique latine devraient conjuguer leurs propres traditions libérales, très riches, avec le renforcement de la coopération entre États pour élaborer des règles internationales applicables dans leur mode de gouvernement. Les multiples organisations régionales créées dans les années 2000 n’ont absolument pas reflétées cette vieille tradition libérale locale. Bien au contraire, elles ont très largement servi à protéger et à légitimer les dirigeants en place, y compris Nicolas Maduro. Les leaders de la région devraient aider à raviver la flamme des idéaux de la démocratie, en se concentrant notamment sur la prévention. Ces idéaux sont bien présents dans les doctrines <a href="https://www.jstor.org/stable/980469#metadata_info_tab_contents">Tobar</a> (2007) Larreta (1945), qui prônent une mobilisation multilatérale en cas de violations des droits humains dans un pays de la région ou en cas de coups de force constitutionnels.</p>
<p>Elles incitent les dirigeants locaux à se mobiliser et à riposter collectivement en cas de violations des pratiques démocratiques. Ce type de réponses doit être appliqué très tôt et avec fermeté pour empêcher une nouvelle poussée illibérale sur le continent, qu’elle émane des forces de gauche ou de droite.</p>
<p>Dans le cas du Venezuela, l’actuelle mobilisation diplomatique et mise en quarantaine du régime de Maduro marque une nette rupture avec des années de complaisance. Maduro a pu ainsi consolider son pouvoir, tout en réduisant d’autant les perspectives de sortie de crise pacifique. Une pression régionale exercée préventivement face à une évolution de type illibéral serait beaucoup plus efficace, à l’avenir, que l’adoption de sanctions une fois que le pays a sombré dans le désastre, comme c’est le cas au Venezuela où des millions de personnes souffrent de la situation.</p>
<p>Pour permettre aux idées libérales de retrouver leur vitalité sur le continent latino-américain et ailleurs, il faut s’assurer que l’ordre international bénéficie à tous, dans la durée, sur les plans social, économique et politique. Les peuples latino-américains n’ont pas besoin d’aller chercher ailleurs les solutions à la crise de l’ordre libéral mondial. Il leur suffit d’aller puiser dans leur propre héritage.</p>
<p><em>Cet article a été traduit par Nolwenn Jaumouillé et Thomas Hofnung</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111209/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tom Long has received funding from the British Council, British Academy/Leverhulme Trust, the US Fulbright Commission, the Truman Library Institute, American University, and the Tinker Foundation, all related to his research on Latin America.</span></em></p>La plupart des voisins latino-américains du Venezuela ont toléré depuis dix ans la lente dégradation de la démocratie et de l’économie de marché dans ce pays.Tom Long, Assistant Professor in New Rising World Powers, University of WarwickLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1063612018-11-28T20:38:47Z2018-11-28T20:38:47ZLe populisme, un terme trompeur<p>Le terme <em>populisme</em> est polysémique. Certains considèrent le populisme comme un style (proximité langagière avec le « peuple », habillement simple « populaire », etc.) ; d’autres réduisent le populisme à un discours démagogique.</p>
<p>On peut aussi considérer que l’aspect le plus important pour définir un populiste, en plus des deux précédents, est son attachement à se considérer comme le représentant du « vrai peuple », c’est-à-dire comme le représentant légitime de la majorité silencieuse. Mais quelle est-elle ?</p>
<p>S’agit-il du peuple tout entier moins ceux d’en haut (les « élites »), c’est-à-dire de la majorité de la population nationale ? Parle-t-on de la partie prolétarisée de celle-ci ? Dans ce dernier cas, le « peuple » se réduit-il à la classe ouvrière à laquelle s’adjoindraient les chômeurs et les précarisés ? Y ajoute-t-on les employés ? Les artisans et les commerçants ? Les paysans ? Et où met-on les classes moyennes salariée ? Bref, le terme <em>populisme</em> est trompeur.</p>
<h2>Les raisons de la montée en puissance</h2>
<p>Il renvoie, dans les différents pays où il est utilisé, à des contenus différents : aux Pays-Bas, par exemple, à un parti de droite qui se radicalise (le Parti pour la Liberté) ; tandis qu’en France, il est utilisé pour qualifier un parti d’extrême droite qui essaie de muter (en <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=PE_162_0103&contenu=article">l’occurrence le Rassemblement national</a>). Au Venezuela, il sert à définir un <a href="http://www.csprp.univ-paris-diderot.fr/IMG/pdf/raison_publique_16.pdf">régime autoritaire</a>.</p>
<p>En France, il y a deux grandes formations populistes : le Rassemblement national (Jean‑Marie Le Pen excellait dans cet exercice) et La France Insoumise. D’ailleurs, cette dernière formation met en avant des théoriciens du populisme, en l’occurrence d’un populisme de gauche : <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/pour-un-populisme-de-gauche-9782226435293">Chantal Mouffe et Ernesto Laclau</a>.</p>
<p>Le populisme est divers, d’où la difficulté d’en cerner les contours : son expression dépend du lieu où il est né, elle est liée à l’histoire du pays dans lequel il se développe. En outre, ce terme est abondamment utilisé comme disqualifiant –, ce qui ne facilite pas sa compréhension.</p>
<p>Les différents partis populistes apparaissent et se développent à partir du milieu des années 1980, à la suite de la stagnation économique née des chocs pétroliers du début des années 1970. Mais ils deviennent des partis de premier plan à compter du début des années 2000. Ce sont donc d’autres raisons qui sont à l’origine de l’essor de ces partis.</p>
<p>Parmi celles-ci, qui peuvent d’ailleurs se cumuler, figurent la montée de l’euroscepticisme et la question de la souveraineté, le poids de la mondialisation, la volonté de protectionnisme économique, le rejet des élites et des partis politiques et, évidemment, celui de l’immigration, en particulier celle provenant des pays arabo-musulmans.</p>
<h2>Défendre le « vrai peuple »</h2>
<p>Pour un partisan de cette façon de faire de la politique, être populiste est éminemment positif. Il s’agit de défendre le peuple, d’en être son porte-parole. La connotation négative est le fait de ceux qui le rejettent. Elle est utilisée comme une façon de disqualifier. En ce sens, elle devient synonyme de démagogie.</p>
<p>En outre, on peut être d’extrême droite sans être populiste. Pensons aux régimes technocratiques. L’un des meilleurs exemples reste l’« État nouveau » de Salazar au Portugal. Ceci dit, le style « populiste » est très fréquent à l’extrême droite, surtout dans les régimes totalitaires : <a href="https://www.jstor.org/stable/3770603?seq=1#page_scan_tab_contents">Italie fasciste</a>, Allemagne nazie. Mais il faut tenir compte du fait que ce populisme n’est pas spontané, il est au contraire très travaillé. Le populisme relève du discours extrémiste, dans le sens où il pousse à tout changer, à tout bousculer… Il porte en lui des germes radicaux.</p>
<p>Cette radicalité se manifeste dans l’idée de défendre le « vrai peuple ». En définissant un « vrai peuple », le leader populiste établit une double exclusion : d’un côté, cela revient à rendre les autres partis illégitimes, ceux-ci étant forcément corrompus (le « tous pourris » chez tous les populistes, de gauche comme de droite) ; de l’autre, à exclure les citoyens qui ne soutiennent pas la politique de ce leader (ils deviennent alors des ennemis) : car s’il y a un « vrai peuple », forcément homogène, il y a aussi, en miroir, un « faux peuple ».</p>
<p>Le cœur du populisme, son essence, n’est pas la critique des élites – les leaders populistes sont d’ailleurs rarement issus du « peuple », bien au contraire –, mais le rejet du pluralisme de l’offre politique. Sauf que, sans pluralisme politique, <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=POUV_161_0019">il n’y a pas de démocratie</a>.</p>
<h2>Malaise dans le système représentatif</h2>
<p>S’il existe un populisme droite et un populisme de gauche, distincts, ceux-ci se rejoignent dans l’idée d’être le représentant du « vrai » peuple. Le rapport aux élections de ces formations est d’ailleurs symptomatique : les populismes rejettent le système représentatif au profit du référendum et préfèrent <a href="https://laviedesidees.fr/Penser-le-populisme.html">s’adresser directement au peuple</a>.</p>
<p>En ce sens, il s’agit d’un symptôme d’un malaise dans le système représentatif. Comme il est censé connaître les besoins de ce peuple, le leader populiste est à même d’identifier la volonté populaire, il n’a guère besoin d’institutions intermédiaires. Le rejet des pratiques électorales se voit dans le décalage, selon lui, entre le résultat électoral et celui des populistes : la majorité silencieuse, n’ayant pu s’exprimer (pour quelle raison ? Cela reste un mystère), les procédures électorales sont remises en cause.</p>
<p>Toutefois, il ne faut pas repousser d’un geste de la main le populisme ou mépriser ceux qui sont attirés par ce vote. Il faut maintenir un dialogue avec ces partis, mais en respectant plusieurs règles :</p>
<ul>
<li><p>ne pas les disqualifier d’office, par exemple en les traitant de démagogues, de racistes ou de menteurs ;</p></li>
<li><p>il faut faire de vraies contre-propositions ;</p></li>
<li><p>il faut condamner fermement les propos les plus antidémocratiques ou moralement les plus inacceptables ;</p></li>
<li><p>Surtout, il faut prendre conscience que le populisme relève d’une crise de la représentation pour deux grandes raisons : premièrement, l’électorat des grands partis s’érode, ceux-ci ne renouvelant ni leur personnel, ni leurs idées ; deuxièmement, cet électorat devient très volatile.</p></li>
</ul>
<p>Face au populisme, l’un des enjeux est donc de renouer la confiance entre les partis de gouvernement et l’électorat, et surtout de proposer des idées nouvelles, mobilisatrices, qui peuvent – et doivent – être concrétisées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106361/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane François ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cœur du populisme, son essence, n’est pas la critique des élites, bien au contraire, mais le rejet du pluralisme de l’offre politique.Stéphane François, Politiste, historien des idées, chercheur associé, École pratique des hautes études (EPHE)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1031542018-09-17T22:36:05Z2018-09-17T22:36:05ZVenezuela : l’inéluctable échec des mesures contre l’hyperinflation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/236612/original/file-20180917-158225-1vpdg3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C124%2C998%2C612&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le bolívar soberano remplace désormais le bolívar fuerte dans les poches des Vénézuéliens.</span> <span class="attribution"><span class="source">Paolo Costa/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>À Caracas, la lutte contre l’hyperinflation est la grande priorité. Il y a quelques semaines, le président vénézuélien, Nicolás Maduro, a annoncé une nouvelle série de mesures économiques visant à stabiliser une situation hors de contrôle : une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/venezuela/venezuela-une-inflation-de-1-000-000-d-ici-fin-2018-et-une-contraction-du-pib-de-18-selon-le-fmi_2863953.html">poussée de 1 000 000 %</a> d’ici la fin de l’année est anticipée. Or, ces mesures s’avéreront probablement inutiles… comme toutes les mesures précédentes du gouvernement Maduro en la matière.</p>
<p>La première mesure emblématique du gouvernement a été d’enlever cinq zéros des billets du « bolívar fuerte » qui, pour l’occasion, a changé de nom pour devenir le « bolívar soberano ». Objectif : simplifier la vie quotidienne des Vénézuéliens, qui utiliseront des liasses moins épaisses pour payer leurs courses. Mais cette mesure n’est qu’un palliatif. Rappelons que le bolívar fuerte était déjà une version de la monnaie précédente dont les billets avaient été allégés de trois zéros, en <a href="https://www.lavanguardia.com/internacional/20080101/53423082943/los-venezolanos-empiezan-el-2008-con-el-bolivar-fuerte.html">2008</a>… Si la hausse folle des prix se poursuit, les Vénézuéliens seront donc bientôt à nouveau obligés de faire leurs courses munis de liasses de billets conséquentes.</p>
<h2>Caracas lâché par ses alliés</h2>
<p>Dans les années 1990, l’<a href="https://www.journaldunet.com/economie/magazine/faillite-de-l-argentine.shtml">Argentine</a> et le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2009/07/23/quinze-ans-de-stabilite-deja">Brésil</a> avaient eux réussi à stabiliser l’hyperinflation. Contrairement au Venezuela, ils avaient réuni toutes les conditions nécessaires à cet objectif. D’abord, ils ont porté la création monétaire à des niveaux extrêmement bas. Or, il y a fort à parier que le gouvernement Maduro continuera à recourir à la planche à billets, ne serait-ce que pour financer un déficit budgétaire qui atteint depuis longtemps p <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/10-chiffres-spectaculaires-qui-montrent-que-le-venezuela-est-au-bord-du-precipice-1257999">rès de 20 % du PIB par an</a>. Le gouvernement n’a en effet plus accès au crédit car il a perdu toute crédibilité sur les marchés financiers internationaux – nous y reviendrons. Même la Russie et la Chine, ses alliés de longue date, l’ont lâché…</p>
<p>En outre, ces déficits risquent d’augmenter, car l’autre mesure phare du gouvernement est la <a href="http://www.lepoint.fr/monde/le-venezuela-supprime-cinq-zeros-sur-ses-nouveaux-billets-20-08-2018-2244646_24.php">hausse de 3 300 % du salaire minimum</a>, en bolívares soberanos bien sûr. Cette hausse ne fera que nourrir l’inertie hyperinflationniste, puisqu’elle sera subventionnée en activant, une nouvelle fois, la planche à billets.</p>
<h2>Des réserves en dollars très faibles</h2>
<p>Les plans brésilien et argentin doivent leur succès dans les années 90 à une autre condition que l’on ne retrouve pas au Venezuela : ils avaient indexé leur monnaie nationale, le real brésilien et le peso argentin, à une valeur stable et forte, le dollar américain, pour rétablir la confiance. Autrement dit, les banques centrales argentines et brésiliennes soutenaient un taux de change fixe entre le dollar et leurs monnaies. Pour ce faire, les deux pays avaient accumulé suffisamment des réserves de dollars pour soutenir la convertibilité. Ce que n’a absolument pas fait le Venezuela dans un contexte de <a href="https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-baquiast/blog/080717/le-venezuela-plus-que-jamais-la-cible-des-etats-unis">relations glaciales</a> avec Washington.</p>
<p>Aujourd’hui, les réserves accumulées en dollars atteignent à peine 9 milliards de dollars à Caracas. C’est très peu pour un pays dont la dette excède 150 milliards de dollars et qui multiplie les <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/le-venezuela-en-defaut-de-paiement-sur-deux-emprunts-obligataires_1967576.html">défauts de paiement</a>. En outre, le gouvernement a préféré au dollar le petro, la <a href="https://theconversation.com/venezuela-une-cryptomonnaie-pour-vaincre-lhyperinflation-102142">cryptomonnaie officielle de l’État</a>, comme référence d’indexation. Or, le cours du petro est lui-même indexé sur le pétrole. Un soutien bien fragile… cela fait en effet plusieurs années que la capacité de production et raffinement de pétrole au Venezuela a baissé de presque 50 %, à cause notamment de l’utilisation politique de l’entreprise pétrolière d’État, PDVSA. N’oublions pas non plus que le petro n’a pratiquement aucun volume de transaction connu dans les marchés. Il faut dire qu’il est peu pratique pour un citoyen lambda de négocier du pétrole tout seul…</p>
<p>En 1992 pour l’Argentine, et en 1994 pour le Brésil, la situation d’hyperinflation, qui se situait entre 800 et 1 000 % annuels, a pris fin en quelques semaines. Depuis, les deux pays enregistrent des taux d’inflation à deux chiffres tout au plus. Si ces deux pays n’ont pas réussi à maintenir leur stabilité monétaire ces dernières années, c’est justement par manque de respect des conditions préalablement citées.</p>
<h2>Le bolívares soberanos déjà déprécié</h2>
<p>À l’époque, l’Argentine et le Brésil devaient impérativement rétablir la confiance des marchés financiers internationaux pour éviter les attaques spéculatives contre leur nouvelle monnaie. Ils l’ont fait grâce à des accords passés avec le FMI et leurs principaux créanciers, des banques américaines et européennes. Ces acteurs ont même fourni une partie des réserves nécessaires aux plans de stabilisation de ces deux pays. Sans oublier de mettre de l’ordre dans les finances publiques, réduisant à pratiquement rien le déficit budgétaire pour ainsi éviter toute tentation de surendettement et un nouveau recours à la planche à billets. Aujourd’hui, le Venezuela fait exactement le choix inverse.</p>
<p>Sans diminution de la création monétaire ni responsabilité budgétaire, sans crédibilité sur les marchés, et sans réserves en dollars, le plan contre l’hyperinflation semble économiquement voué à l’échec. Et les dernières mesures en date risquent bien de venir s’ajouter à la longue série de fanfaronnades si chères aux pouvoirs publics vénézuéliens depuis Hugo Chávez. D’ailleurs, depuis l’annonce des mesures, fin août, le dollar est passé de 60 bolívares soberanos à plus de 100 ! Une dépréciation de 37,5 % en quelques jours seulement…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103154/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel A. Giménez Roche est membre de l'Eastern Economic Association et chercheur associé à l'Institut Économique Molinari.. </span></em></p>Le Brésil et l’Argentine ont réussi à sortir de l’hyperinflation dans les années 90. Mais le Venezuela, qui n’a ni réserve en dollars ni confiance des marchés, ne pourra pas suivre la même voie.Gabriel A. Giménez Roche, Enseignant-chercheur en économie, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1022772018-09-06T18:33:01Z2018-09-06T18:33:01ZLa tranquille pénétration chinoise en Amérique latine et Caraïbes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/235255/original/file-20180906-190650-1nrr25t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C43%2C2005%2C1356&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deux diplomates chinois lors d'une visite dans le nord du Brésil (ici en 2011).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/prefeituradeolinda/6323844431/in/photolist-aCPmCx-5PAk4s-8rPeJi-4ULBrG-f7BCD3-dYKLvF-XrmmjS-8YHTGy-7oocmY-58JLdy-e26FrC-7rj1d3-eU91hW-ddwGTC-7zwEyz-dUirhY-CdbAo2-eTZ3uv-oC4vxQ-faJceh-67zPdo-Y2aEmR-cEmncE-qazVKu-8YERF2-gpvSqQ-6hnqbY-9gMM53-izLQmd-YZCJGJ-YDFz8L-4xJZqW-XXGxzs-pWWLrh-8idtKm-ddx15n-BWkqqQ-qekwpF-cWNG7f-67nHwX-cWNGLY-cYZ8B9-cWNGmh-cWNmCJ-cWNFju-nFu9PT-cWNjsq-4xENQk-7vTPgW-237j87Z">Pire/Pref.Olinda/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>En 2008, la République populaire de Chine (RPC) publiait son premier <em>Policy Paper</em> définissant stratégiquement ses relations avec l’Amérique latine et les Caraïbes (ALC). Depuis, en l’espace d’une décennie, elle s’est affirmée comme un partenaire commercial et financier incontournable dans cette zone longtemps considérée comme l’arrière-cour de Washington. Pourtant, vus d’Europe, les intérêts et l’action de Pékin dans le sous-continent latino-américain restent encore largement méconnus, voire ignorés.</p>
<h2>Une pénétration économique et financière croissante</h2>
<p>Le volume des échanges en marchandises entre la Chine et l’ALC est passé de négligeable en 1990 à 10 milliards de US dollars en 2000, avant de s’envoler après 2008 pour atteindre 266 milliards de dollars US en 2017, selon les <a href="https://repositorio.cepal.org/bitstream/handle/11362/43213/S1701250_es.pdf">chiffres de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes</a>. Soit l’équivalent du commerce de marchandises entre les États-Unis et les pays de la région.</p>
<p>Grâce aux liens commerciaux tissés avec ses partenaires latino-américains – Brésil, Argentine, Venezuela –, Pékin a sécurisé des ressources stratégiques (hydrocarbures, ressources minérales, productions alimentaires, etc.) ainsi que des matières premières pour alimenter sa consommation intérieure, tout en ouvrant de nouveaux marchés pour ses entreprises.</p>
<p>Outre le commerce, la RPC est aussi devenue un important investisseur (par le biais des investissements directs sur sites vierges et mais aussi sous forme de fusions-acquisitions) et fournisseur de capitaux sous forme de prêts pour un nombre croissant de pays de l’ALC. Elle a ainsi pratiquement doublé le montant de ses prêts à destination de ces pays à une période où le financement des banques de développement occidentales envers le sous-continent connaissait au contraire une diminution graduelle : en 2010 et en 2015, où ils atteignaient respectivement 36 et 29,1 milliards de US dollars, le montant des prêts concédés par la Chine ont dépassé ceux combinés de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de la Corporation andine de développement (CAF).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span></span>
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<p>L’engagement économique et financier chinois dans le sous-continent latino-américain est massif. Une politique qui offre des opportunités <a href="https://www.palgrave.com/gb/book/9783319667201">vu les intérêts croisés des deux parties</a>, qui n’est cependant <a href="https://www.palgrave.com/br/book/9781137439765">pas sans risques et défis</a>, à la fois pour la Chine – comme le montre la situation économique désastreuse du Venezuela qui laisse planer le doute quant aux capacités de Caracas d’honorer les dettes contractées auprès de la RPC – mais aussi <a href="https://www.e-elgar.com/shop/china-the-european-union-and-the-developing-world?___website=uk_warehouse">pour ses partenaires latino-américains</a>. Certains d’entre eux pourraient ainsi être confrontés au surendettement.</p>
<h2>Une vulnérabilité accrue pour les pays de la région</h2>
<p>Ce risque de surendettement ne doit pas être pris à la légère. <a href="https://www.cgdev.org/publication/examining-debt-implications-belt-and-road-initiative-policy-perspective">Une étude</a> montre en effet que 8 des 68 pays impliqués dans l’initiative BRI (Belt and Road Initiative, le nom officiel depuis 2017 de l’initiative One Belt One Road annoncée en 2013 par Xi Jinping) lancée par Pékin sont d’ores et déjà confrontés à des niveaux d’endettement insoutenables. Cette étude ne couvre malheureusement pas le cas des pays ALC. Outre les difficultés socio-économiques, il les rendrait vulnérables à d’éventuelles pressions de la part de leur créancier comme on a pu le constater ailleurs. Pékin a en effet obtenu du Sri Lanka, incapable de rembourser ses emprunts, la cession à bail pour 99 ans du port d’Hambantota !</p>
<p>Ce n’est pas le seul problème. Certaines études soulignent l’asymétrie des relations commerciales établies avec la RPC, la « primarisation » des exportations des pays latino-américains, l’accélération de la désindustrialisation dont ils pourraient être victimes du fait de la concurrence des produits chinois ou l’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01436597.2012.691834">émergence possible d’un nouveau phénomène de « dépendance »</a> que ces relations économiques pourraient créer, <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-china-triangle-9780190246730?cc=be&lang=en&">pour n’en citer que quelques-uns</a>.</p>
<p>De plus, le financement inconditionnel chinois peut être détourné dans les pays d’accueil pour des gains personnels ou politiques. L’investissement et les prêts sans conditionnalité de Pékin peuvent aussi favoriser la <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/2f1b/5247360f944646bbbe8126defbc03245f0fe.pdf">mauvaise gouvernance</a>, les atteintes à l’environnement ou <a href="https://nationalinterest.org/feature/chinese-loans-hurt-south-american-us-interests-26226">perpétuer la corruption dans la région</a>, voire semer les graines d’une nouvelle crise de la dette latino-américaine – ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour les populations locales.</p>
<p>Bref, une présence croissante et des relations commerciales et financières qui soulèvent bien des questions, dans un contexte où la Chine revoit ses ambitions à la hausse dans la région. Lors du premier sommet entre dirigeants chinois et de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), qui s’est tenu à Brasilia en juillet 2014, Pékin a énoncé sa volonté de faire passer le commerce Chine-ALC à 500 milliards de dollars US en 2025 et d’investir 250 milliards de dollars dans la région au cours de la prochaine décennie. En janvier 2018, Pékin a par ailleurs invité les pays latino-américains à se joindre à <a href="https://theconversation.com/la-nouvelle-route-de-la-soie-une-strategie-dinfluence-mondiale-de-la-chine-75084">son initiative des Routes de la Soie</a> !</p>
<h2>Une projection facilitée par la neutralité politique de Pékin</h2>
<p>La pénétration commerciale et financière chinoise s’est accompagnée d’une projection politique, facilitée par l’orientation très critique de Washington vis-à-vis de certains régimes locaux et par une politique étrangère de Pékin guidée par le principe de non-ingérence dans les affaires intérieure des États, la neutralité quant à la nature des systèmes politiques et une coopération soustraite aux formes de conditionnalité promues par les puissances occidentales et les institutions internationales qu’elles ont façonnées. Ces dernières irritent de nombreux pays.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Visite d’État en 2016 du président Xi Jinping en Équateur (ici avec son homologue Rafael Correa).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:VISITA_DE_ESTADO_-_XI_JINPING_(31072546255).jpg">Carlos Rodríguez/Andes/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Sur le plan bilatéral, Pékin a multiplié depuis Hu Jintao, avec une forte accélération sous Xi Jinping, les visites et les contacts entre hauts responsables politiques. Il a établi des relations de proximité avec les États ALC <a href="http://www.nids.mod.go.jp/english/publication/joint_research/series3/pdf/3-cover.pdf">par le biais d’accords de <em>partenariats stratégiques</em></a>. Certaines de ces relations ont atteint le plus haut niveau de la hiérarchie des « partenariats » établie par la diplomatie chinoise. C’est le cas du Brésil, du Venezuela, du Mexique, de l’Argentine, du Pérou, du Chili et de l’Équateur. L’Uruguay pourrait suivre prochainement.</p>
<p>Ces partenariats dits « compréhensifs » (complets) comprennent tous les aspects des relations bilatérales : politiques, économiques, financiers, culturels, technologiques, etc., mais aussi de sécurité. Dans le secteur militaire, les liens avec les États ALC sont encore de faible intensité mais suffisants pour éveiller l’attention, voire l’inquiétude d’observateurs à Washington. En plus des ventes d’armes à certains pays, Pékin a développé une dimension humanitaire et de <em>peacekeeping</em> en direction de la région (Haïti). Il entretient des échanges de haut niveaux réguliers avec des responsables militaires de ces pays et favorise des transferts de technologies (la Chine est par exemple l’une des principales plates-formes de développement satellitaire pour l’ALC). Un Forum multilatéral portant sur la coopération militaire logistique a aussi été mis en place.</p>
<h2>Un <em>soft power</em> efficace</h2>
<p>La RPC a consolidé ses relations politiques bilatérales par la création d’une plate-forme multilatérale : le <a href="http://www.chinacelacforum.org/eng/">Forum sur la coopération Chine-CELAC</a>. Xi Jinping l’a établi en 2014. Des consultations régulières sur les questions régionales et internationales d’intérêt mutuel sont organisées : Forum ministériel de coopération, Forum agricole, Forum de l’innovation scientifique et technologique, Business Forum, Forum des think-tanks, Forum des jeunes dirigeants politiques, Forum sur la coopération en matière d’infrastructure, Forum pour l’amitié de peuple à peuple, Forum des partis politiques.</p>
<p>En plus de cette structure, Pékin met à profit les sommets des <a href="https://theconversation.com/limportance-des-brics-ne-se-dement-pas-67349">BRICs</a> (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) pour cultiver les rapports Sud-Sud avec les pays latino-américains.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Lors du sixième sommet des BRICs à Brasilia.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.fr/search?biw=1193&bih=627&tbs=sur%3Afmc&tbm=isch&sa=1&ei=bkaRW_jtLJGZlwTDzoawCw&q=Xi+Jinping+in+South+America&oq=Xi+Jinping+in+South+America&gs_l=img.3...20240.23781.0.24061.13.13.0.0.0.0.124.739.11j2.13.0....0...1c.1.64.img..0.1.109...0i5i30k1j0i8i30k1.0.9so3mkAYsSw#imgrc=uoSoVNUTGwLdwM:">Service de presse du Kremlin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, la RPC a complété sa présence économique, financière et politique par l’essor d’une diplomatie publique destinée à promouvoir son <em>soft power</em> dans le sous-continent latino-américain et dans les Caraïbes. Elle est particulièrement visible à travers l’augmentation du nombre d’Instituts et de classes Confucius établis dans les pays de la région ou la <a href="http://theasiadialogue.com/2018/05/28/chinese-state-media-in-latin-america-profile-and-prospects/">présence de médias destinés à un public hispanophone</a>.</p>
<p>De plus, dans certains pays, Pékin peut utiliser le relais potentiel que constitue la présence d’une diaspora chinoise relativement ancienne. L’Amérique latine et les Caraïbes abritent en effet dans leur ensemble <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/2057150X16655077">plus de 1,8 million de Chinois d’outre-mer</a>.</p>
<p>Si on en croit l’<a href="http://www.pewglobal.org/database/indicator/24/">enquête d’opinion réalisée par l’Institut Pew au printemps 2017</a>, la RPC semble avoir réussi à diffuser une image favorable de ses activités et de sa présence multiforme croissante auprès l’opinion publique de certains pays d’ALC. C’est le cas de 61 % des personnes interrogées au Pérou, de 52 % de celles interrogées au Brésil et au Venezuela et de 51 % de celles interrogées au Chili. Ailleurs, son score est plus mitigé : 43 % de personnes favorables en Colombie et au Mexique et 41 % en Argentine.</p>
<h2>Un nouveau compétiteur géopolitique de taille</h2>
<p>Au total, loin des regards européens, la Chine est devenue en l’espace d’une décennie un acteur dont on ne peut ignorer les activités et l’influence croissante dans le sous-continent latino-américain et les Caraïbes, même si sa présence multiforme actuelle suscite des questions et se heurte à des limites.</p>
<p>Certains y voient l’entrée en lice d’un compétiteur géopolitique de taille notamment pour Washington, alors que d’autres considèrent que ce type d’inquiétude est surestimé au stade actuel, signalant au contraire les importants obstacles auxquels les ambitions chinoises sont confrontées sur le continent.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, il n’en s’agit pas moins d’une transformation majeure des relations internationales. Cette pénétration chinoise est un phénomène encore en cours et ses conséquences économiques, financières, <a href="https://orbi.uliege.be/handle/2268/227541">normatives</a>, <a href="https://www.raco.cat/index.php/RevistaCIDOB">politiques et géopolitiques</a>, voire sociétales et environnementales au long cours, tant pour les sociétés locales que pour les partenaires plus traditionnels des États du sous-continent latino-américain, restent aujourd’hui autant de questions ouvertes à discussion.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs de cet article organisent un <a href="http://msh.ulb.ac.be/agenda/colloque-chine-amerique-latine-et-caraibes-bilan-et-perspectives/">colloque à l’Université libre de Bruxelles</a> le 30 novembre 2018, : une quinzaine d’experts internationaux y feront le point sur ces questions.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102277/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis, en l’espace d’une décennie, la Chine s’est affirmée comme un partenaire commercial et financier incontournable dans cette zone longtemps considérée comme l’arrière-cour de Washington.Thierry Kellner, Chargé de cours (politique étrangère de la Chine), Université Libre de Bruxelles (ULB)Sophie Wintgens, Chargée de recherches du F.R.S.-FNRS en Relations internationales, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1021422018-08-29T19:21:57Z2018-08-29T19:21:57ZVenezuela : une cryptomonnaie pour vaincre l’hyperinflation ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/233673/original/file-20180827-75996-l8zu8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C76%2C878%2C589&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Venezuela fait le pari d'une cryptomonnaie souveraine pour sortir de la crise, mais reste flou sur son fonctionnement. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans le drame économique que connaît le Venezuela et dont la presse nous offre quotidiennement de nouvelles illustrations, une initiative du gouvernement, annoncée en 2017, intrigue : la création d’une cryptomonnaie indexée sur le prix du baril de pétrole, le petro. Une initiative loin d’être anecdotique, puisque, le 27 août, les autorités ont ordonné aux banques de l’<a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/08/28/le-venezuela-ordonne-aux-banques-de-compter-en-petro_5346820_3222.html">adopter comme « unité de compte »</a>.</p>
<p>La <a href="https://www.france24.com/fr/20180219-petro-venezuela-bitcoin-cryptomonnaie-blocus-dette-inflation">première émission</a> de petros sur une plate-forme spécialisée remonte au mois de février 2018. Le président Maduro a d’abord annoncé que l’introduction officielle avait rapporté 25 millions de dollars. Puis les autorités ont affirmé avoir récolté plus de 5 milliards de dollars. Le livre blanc publié par les autorités lors du lancement affirme par ailleurs que la quantité de Petro est fixée une fois pour toutes.</p>
<p>L’initiative est intervenue alors que la situation économique du pays était déjà critique. Selon le FMI, <a href="http://www.rfi.fr/emission/20180517-venezuela-endure-pire-crise-economique-50-dernieres-annees">elle s’est encore dégradée depuis</a>. La taille de l’économie a été réduite de 45 % depuis 2013 et le rythme de l’inflation s’est accéléré au point qu’elle devrait atteindre 1 000 000 % en 2018. Le gouvernement et la compagnie pétrolière nationale, PDVSA, ont déjà partiellement fait <a href="http://www.europe1.fr/international/le-venezuela-en-defaut-de-paiement-sur-deux-emprunts-obligataires-3500210">défaut sur leur dette en dollars</a>. Le pays n’a plus accès aux financements internationaux, ni au travers des marchés, ni au travers des financements bilatéraux de la Chine et de la Russie gagés sur les ressources pétrolières. Sans compter les sanctions financières de la part des <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2267635-20180507-etats-unis-prennent-nouvelles-sanctions-contre-venezuela">États-Unis</a> et de l’<a href="http://www.lepoint.fr/monde/venezuela-l-ue-va-imposer-de-nouvelles-sanctions-ciblees-et-reversibles-28-05-2018-2221941_24.php">Union européenne</a>…</p>
<h2>Braver les sanctions américaines</h2>
<p>Les crypto-actifs, qui s’autoproclament « cryptomonnaies », ont émergé grâce à la <a href="https://blockchainfrance.net/decouvrir-la-blockchain/c-est-quoi-la-blockchain/">technologie blockchain</a> comme une alternative libertarienne au contrôle de l’émission monétaire par les états. Le petro est quant à lui la première tentative de création d’un cryptoactif souverain. À quoi cela peut-il bien servir ? Le flou et le caractère évolutif des intentions déclarés par les autorités vénézuéliennes rend difficile la réponse à cette question. Néanmoins, un certain nombre d’hypothèses peuvent être formulées.</p>
<p>Initialement, le projet visait sans doute à contourner les sanctions financières américaines. Cependant, les autorités vénézuéliennes n’ont donné aucune précision sur la manière dont le petro pourrait être utilisé dans les transactions avec l’étranger. Les seules dettes dont un détenteur de petro peut officiellement se libérer sont des dettes vis-à-vis du gouvernement vénézuélien.</p>
<p>L’hyperinflation prenant de l’ampleur au fil des mois, les autorités ont de plus en plus fait référence au petro dans leur communication sur les mesures envisagées pour stabiliser la situation monétaire et financière du pays. Cette hyperinflation est née du financement monétaire du déficit budgétaire, lequel atteint 30 % du PIB. Alors que les dépenses sont grevées par les transferts de revenus et, surtout, les subventions aux carburants, les recettes issues de la rente pétrolière ont diminué à partir de 2014 avec la baisse des prix du pétrole et de la production.</p>
<h2>Emprunter la crédibilité supposée des cryptomonnaies</h2>
<p>Dans le <a href="https://www.france24.com/fr/20180822-venezuela-devalue-monnaie-bolivar-souverain-inflation-greve-maduro">plan de réforme monétaire</a> mis en œuvre le 20 août dernier, les autorités annoncent que la nouvelle monnaie qu’elles introduisent, le bolivar souverain, sera indexé sur le petro. Mais elles ne précisent pas quel mécanisme garantirait une telle indexation. Elles ont par ailleurs accompagné les mesures monétaires de restrictions budgétaires dont l’efficacité est incertaine, tant elles souffrent d’exception. C’est par exemple le cas de la réduction des subventions aux carburants. En effet, cette mesure ne s’appliquera pas à la population qui bénéficie d’un carnet de rationnement.</p>
<p>Tout se passe comme si les autorités voulaient emprunter la crédibilité supposée des cryptomonnaies pour que s’installe l’idée que le nouveau bolivar souverain est ancré sur des algorithmes impossibles à manipuler. Ces algorithmes garantiraient ainsi la stabilité de la valeur du petro et son ancrage au prix du pétrole grâce aux réserves gigantesques dont dispose le pays (les premières réserves prouvées au monde).</p>
<h2>La production de pétrole décline</h2>
<p>S’il est vrai que la quasi-totalité des recettes d’exportation du Venezuela provient du pétrole, la production du pays décline en raison du manque d’investissement et de la gestion défaillante de la compagnie nationale PDVSA. Surtout, l’intérêt des non-résidents pour un instrument monétaire n’est pas lié aux ressources naturelles d’un pays auxquelles ils n’ont pas un accès direct. Il s’explique bien davantage par le dynamisme d’une économie, ou encore la solidité et la crédibilité de son système financier et institutionnel.</p>
<p>Et, comme il n’y avait jadis aucune raison que la production d’or corresponde aux besoins des économies, il n’y a aucune raison aujourd’hui qu’un actif de réserve monétaire ait sa valeur alignée sur les prix du pétrole. Les effets économiques d’une baisse des prix du pétrole seraient renforcés par les effets dépressifs de cette ancre monétaire, et inversement.</p>
<p>Une autre hypothèse serait que le Venezuela émette ce nouvel actif pour créer le sentiment chez certains investisseurs qu’il est différent de la dette publique sur laquelle il est en défaut. Les petros seraient échangés contre des dollars cédés par des investisseurs qui, au demeurant, bravent une interdiction américaine. Cette émission effectuée sur une plate-forme spécialisée dans les crypto-actifs génère donc des recettes en dollar pour le gouvernement vénézuélien qui, de surcroît, n’aura pas à les rembourser. Les investisseurs ne pourraient que céder cet actif – non rémunéré – sur le marché secondaire s’ils souhaitent recouvrer des dollars.</p>
<h2>Pensée magique</h2>
<p>Finalement, le petro pourrait relever de la simple stratégie politique de diversion dont le gouvernement vénézuélien est coutumier. Le flou des informations techniques fournies par les autorités et l’absence de preuve attestant du succès proclamé de la première émission vont dans le sens de cette interprétation.</p>
<p>Historiquement, la plupart des pays confrontés à des épisodes d’hyperinflation ont soit procédé à une dollarisation pure et simple de leur économie, comme le <a href="https://www.bbc.com/afrique/region/2015/06/150608_zimbabwe_dollar">Zimbawe</a> à la fin des années 2000, soit réussi à engager des plans de réforme économique et monétaire crédibles, à l’image du <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2009/07/23/quinze-ans-de-stabilite-deja">Brésil</a> au début des années 90.</p>
<p>Les autorités vénézuéliennes actuelles n’ont ni la crédibilité ni, sans doute, les compétences nécessaires pour engager un plan de réforme monétaire et économique digne de confiance. Les relations hostiles qu’elles entretiennent avec les États-Unis depuis près de 20 ans leur ferment la porte de la dollarisation, d’autant que l’administration américaine utilise de plus en plus le rôle international du dollar, et leur contrôle des systèmes de paiement internationaux, à des fins de politique étrangère.</p>
<p>Il semble bien, au final, que la création du petro relève davantage de la pensée magique que d’une politique monétaire et financière cohérente qui contribuerait à la nécessaire stabilisation de l’économie vénézuélienne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102142/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Destais a participé à un projet financé par la Commission Européenne en 2011</span></em></p>Le petro, un crypto-actif créé par le Venezuela, vise à contourner les sanctions américaines et à stabiliser la situation monétaire du pays. Il est peu probable qu’il atteigne ces objectifs.Christophe Destais, Économiste, Directeur adjoint du CEPII, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/985902018-06-19T18:59:15Z2018-06-19T18:59:15ZÉlections au Venezuela et en Colombie: la démocratie en clair-obscur<p>A quelques semaines d’intervalle, le Venezuela et la Colombie ont tenu des élections présidentielles que tout oppose.</p>
<p>Le 20 mai, au Venezuela, Nicolas Maduro a mis en scène sa réélection à l’issue d’un simulacre de scrutin que l’opposition avait boycotté. La participation électorale n’a pas atteint les 50 %, alors qu’elle avait flirté avec les 80 % en 2013, et le candidat chaviste a été crédité de 67 % des voix.</p>
<p>La Colombie, de son côté, a connu ses premières élections sans violence dans un contexte inédit de post-conflit. La participation a atteint 53 % au premier comme au second tour (27 mai et 17 juin) – ce qui représente un progrès notable. La droite menée par Iván Duque l’a emporté avec 54 % des suffrages exprimés, mais avec 42 % la gauche réalise un score historique qui lui permet d’envisager l’avenir avec sérénité. L’appel au vote blanc des candidats centristes n’a guère été entendu (4 %). Débarrassée du conflit avec la guérilla des FARC, la Colombie est aujourd’hui politiquement polarisée.</p>
<h2>Qu’attendre de la période post-électorale ?</h2>
<p>Maduro règne désormais en maître au Venezuela. Il a devant lui un horizon politique de plusieurs années sans élection qui va le contraindre à assumer ses responsabilités. Les batailles électorales passées, il pourra toujours continuer à évoquer des agressions extérieures, mais le roi est désormais nu et doit gouverner.</p>
<p>Sauf inflexion rapide et profonde permettant de juguler l’hyperinflation et d’enrayer l’effondrement de l’économie et la terrible crise humanitaire qui l’accompagne, la révolution bolivarienne creuse sa propre tombe. L’isolement international du Venezuela et les sanctions dont il est l’objet compliquent singulièrement la tâche du gouvernement. La survie du régime est hypothéquée, sans qu’il soit possible de décrire un scénario de transition.</p>
<p>Disposant d’une large majorité au Congrès, Duque a, lui aussi, les coudées franches. Il a promis d’apporter des modifications aux accords de paix, afin que les membres des FARC soupçonnés de crime soient jugés et privés de leurs droits politiques. Son discours d’unité au soir de sa victoire montre qu’il compte construire un consensus autour d’une Colombie en paix. Devant assumer un accord de paix auquel il s’était opposé en 2016, il est paradoxalement plutôt bien placé pour mener à bien cette tâche.</p>
<p>Mais dans un pays où l’État est absent de vastes régions qui sont violemment disputées par des bandes de trafiquants, l’agenda conservateur de Duque risque de consolider une paix mafieuse. La réactivation de la guérilla est très improbable, mais le scénario salvadorien d’une paix assortie de violence délinquante est déjà une réalité.</p>
<p>Par ailleurs, l’ensemble des parlementaires colombiens impliqués dans des scandales de corruption ayant pris parti pour Duque, le pays ne s’achemine pas vers une opération « main propre » à la brésilienne. L’opposition, désormais conduite par Gustavo Petro au Sénat (en vertu de la loi colombienne, le candidat défait au 2<sup>e</sup> tour de la présidentielle siège automatiquement au Sénat), s’apprête à exercer une vigilance de tous les instants, afin de donner davantage encore de crédibilité à son projet politique, en vue des élections locales de 2019 et de la présidentielle de 2022.</p>
<h2>Election et clientélisme</h2>
<p>Les élections au Venezuela viennent consolider une dérive autoritaire perceptible depuis au moins décembre 2015 quand les chavistes, ayant perdu les élections législatives, avaient dépossédé l’Assemblée nationale élue de tout pouvoir. Depuis, se sachant minoritaire dans le pays, le gouvernement a usé de tous les ressorts du clientélisme, et probablement de la fraude, pour remporter les élections régionales en 2017 et présidentielle en 2018. Le « carnet de la patrie » contrôlé le jour du scrutin a permis de subordonner l’aide alimentaire, fournie par le Comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP), à la participation électorale.</p>
<p>En Colombie, le clientélisme est aussi traditionnellement un outil de perpétuation de la domination des partis politiques traditionnels depuis le XIXème siècle. Les achats de voix dans les zones rurales sont monnaie courante. En 2018 cependant, les candidats soutenus par ce que les Colombiens appellent la « machine » (<em>maquinaria</em>) ont été évincés du 2<sup>e</sup> tour, donnant à penser aux médias colombiens que l’ère du « vote d’opinion » était advenue.</p>
<p>Il est vrai que les programmes des deux prétendants – Iván Duque et Gustavo Petro – étaient radicalement opposés, selon un clivage droite-gauche jamais vu en Colombie. Pour autant, et sous réserve d’analyses plus fines, plus qu’une adhésion à un programme, les électeurs se sont probablement résolus à écarter la personnalité la moins détestable. Entre l’accusation de « castro-chavisme » proférée contre la gauche et celle de « dictature uribiste » contre la droite, les deux candidats qualifiés pour le 2<sup>e</sup> tour affichaient des taux de rejet importants.</p>
<p>Rappelons ici qu’Alvaro Uribe, président de 2002 à 2010, et mentor politique de Duque, reste l’homme politique le plus populaire de Colombie. Sa politique de « sécurité démocratique » a affaibli les FARC et pacifié certaines régions du pays, mais au prix de violations massives des droits de l’homme.</p>
<h2>Elections et démocratie</h2>
<p>Tant en Colombie qu’au Venezuela, l’interaction entre les gouvernements et leur opposition est au cœur de la consolidation de la démocratie. Afin de prendre la mesure de l’importance du moment politique, il convient d’historiciser ces élections. Les deux pays ont installé la démocratie à la fin des années cinquante sur la base d’un « pacte » politique qui excluait des forces politiques de gauche.</p>
<p>Le pacte de Benidorm (1956, révisé en 1957) a permis à la Colombie de mettre fin à une période de violence et de stabiliser la vie politique pendant seize ans grâce à une formule de partage du pouvoir entre partis traditionnels.</p>
<p>Au Venezuela, le pacte de Puntofijo en 1958 a ouvert une période de 40 ans d’alternance entre deux partis modérés représentant les intérêts des mêmes catégories sociales. En 1998, le projet d’Hugo Chavez a fait voler en éclat ce système corrompu de répartition de la rente pétrolière entre amis. Dans les deux cas, l’opposition de gauche était réduite à la clandestinité. La lutte armée a été pour elle une option.</p>
<p>Les deux pays, longtemps considérés par la science politique comme des modèles de démocratisation, masquaient des comportements intolérants. La démocratie n’y était pratiquée que dans la mesure où les vainqueurs des élections étaient connus d’avance, et les opposants étaient traités comme des adversaires à éliminer.</p>
<p>Ainsi au Venezuela, en 1998, les partis traditionnels n’ont pas accepté leur défaite et ils ont tout fait pour débarrasser le pays d’Hugo Chavez : coup d’Etat (2002), grève « civique » (2003), procédure d’impeachment (2004). Les chavistes, de leur côté, n’ont jamais envisagé la défaite électorale, car leur agenda de réformes ne pouvait s’accommoder de délais aussi brefs qu’un ou deux mandats. Les élections de 2018 ont confirmé que le Venezuela n’est plus un pays démocratique. Mais en appelant à boycotter l’élection, l’opposition possède une part de responsabilité dans cette dérive.</p>
<p>Dans la Colombie de ces cinquante dernières années, la gauche n’a jamais été considérée comme un adversaire politique légitime et ses candidats étaient assimilés à des complices des guérillas. L’élection de 2018 permet d’entrevoir une autre Colombie. Les 8 millions de Colombiens qui ont apporté leur voix à Gustavo Petro ont notamment montré que la rhétorique intolérante sur le « castro-chavisme » avait une portée de plus en plus limitée.</p>
<p>Il reste aux acteurs en présence, au premier rang desquels Duque et Petro, de montrer qu’ils sont capables de s’affranchir du passé, de faire preuve de respect mutuel et de débattre sereinement des différentes options dont ils sont porteurs pour l’avenir du pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98590/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Dabène receives funding from Sciences Po</span></em></p>Au Venezuela, la révolution bolivarienne creuse sa propre tombe. En Colombie, le scénario salvadorien d’une paix assortie de violence délinquante est déjà une réalité.Olivier Dabène, Professeur des universités, Président de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) du CERI , Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/935372018-03-18T21:15:21Z2018-03-18T21:15:21ZLa dernière chose dont les îles Marshall ont besoin, c’est d’une cryptomonnaie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/210860/original/file-20180316-104663-y9s1g1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C25%2C4288%2C2702&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les îles Marshall, la plage Laura.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mrlins/302895051/">Stefan Lins/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La République micronésienne des Îles Marshall est sur le point de devenir le premier pays à fonder sa <a href="http://bit.ly/2GAn6bz">monnaie nationale</a> sur une cryptomonnaie. La société israélienne Neema fournira la technologie et le soutien nécessaires au lancement d’une <a href="http://bit.ly/2Iwd7V1"><em>initial coin offering</em></a> (ICO) qui devrait permettre de lever 30 millions de dollars US, dont la moitié sera conservée par Neema.</p>
<p>Le parlement des Îles Marshall a adopté ce mois-ci la loi qui créera la cryptomonnaie, connue sous le nom de « sovereign ». La loi lui donnera un statut juridique complet en tant que monnaie à utiliser aux côtés du dollar américain. Contrairement à bitcoin, les 24 millions de pièces souveraines seront émises en une seule fois, dont 6 millions seront vendues à des investisseurs étrangers et 2,4 millions à des résidents marshallais. L’argent recueilli servira à financer le système, en plus de financer des projets de lutte contre le réchauffement climatique et de soutenir les citoyens qui sont encore touchés par les bombes nucléaires que l’armée américaine a <a href="http://bit.ly/2ayT33I">testées dans la région entre 1946 et 1958</a>.</p>
<h2>ICO douteuses ou politiques</h2>
<p>La nouvelle de la ICO des Îles Marshall survient à un moment où l’on s’inquiète de plus en plus du fait que les ICO sont des escroqueries à peine déguisées. Google cette semaine <a href="http://bit.ly/2G00DGJ">a annoncé</a> qu’il refuserait désormais toute publicité faisant la promotion des cryptomonnaies ou des ICO, une décision qui fait suite à une celle, similaire, prise en janvier par <a href="http://bit.ly/2phEo5M">Facebook</a>. Les autorités européennes et américaines ont également <a href="http://bit.ly/2IvuXHP">mis en garde</a> contre les risques liés à l’investissement dans les ICO. Les ICO sont <a href="http://bit.ly/2sLpVmI">interdites</a> en Chine et en Corée du Sud.</p>
<p>La plus controversée des récentes ICO a peut-être été <a href="http://bit.ly/2FzA87X">celle de la cryptomonnaie « petro » du gouvernement vénézuélien</a> ; le président Nicholas Maduro a déclaré avoir levé 5 milliards de dollars US. Si c’était vrai, cela aurait représenté une victoire significative pour le pays en contournant les sanctions américaines qui sont actuellement en place. Toutefois, jusqu’à ce que la monnaie commence à se négocier sur les marchés boursiers, il sera impossible de vérifier si les affirmations du gouvernement vénézuélien sont vraies. Pour l’instant, cela semble très improbable et l’ICO semble avoir surtout été utilisée à des fins de propagande.</p>
<h2>Le cas des Îles Marshall</h2>
<p>Dans le cas des Îles Marshall, il n’est absolument pas clair à quoi servirait une monnaie numérique. Le pays souffre d’un taux de chômage élevé, d’un taux élevé de <a href="http://bit.ly/2IwZWDc">maladies chroniques</a> et la plus grande partie de son revenu national provient de l’<a href="http://bit.ly/2phqgJD">aide étrangère</a>.</p>
<p>L’accès à Internet (à faible vitesse) est certes <a href="http://bit.ly/2Iy9T3C">disponible</a>, mais au-dessus des moyens de la plupart des résidents des îles. Seuls 19 % de la population utilisent l’<a href="http://bit.ly/2tTQ1o5">Internet</a> et 30 % ont un téléphone portable, le réseau cellulaire étant toujours principalement en 2G.</p>
<p>Il est difficile de voir ce qui maintiendrait la valeur du sovereign une fois qu’il est émis, problème auquel sont confrontées la plupart des nouvelles cryptomonnaies. De plus, même si le sovereign est techniquement une cryptomonnaie, le fait qu’elle soit contrôlée par un gouvernement central, que toutes les pièces soient émises en une seule fois et qu’elle exige que toutes les parties à une transaction soient identifiées, est totalement contraire à l’idée originale de <a href="https://bitcoin.org/bitcoin.pdf">bitcoin</a>. L’utilisation de l’identification, éventuellement par reconnaissance faciale, fait partie d’un protocole d’autorisation « Yokwe » qui a été ajouté à la cryptomonnaie pour la rendre <a href="http://bit.ly/2FM5Gat">non-anonyme</a>.</p>
<h2>Cryptomonnaie et réchauffement climatique</h2>
<p>La plus grande ironie de l’utilisation d’une cryptomonnaie par ce pays <a href="http://bit.ly/2phqgJD">menacé de destruction</a> en raison du réchauffement climatique et de l’élévation du niveau de la mer, est que la technologie choisie consomme justement <a href="http://bit.ly/2DmNJ4B">des quantités massives d’électricité</a>… et contribue à de grandes quantités d’émissions de CO<sub>2</sub> !</p>
<p>On estime que le bitcoin consomme 42 TWh d’électricité par an, ce qui est plus que la consommation annuelle de la Nouvelle-Zélande et serait responsable de 20 mégatonnes d’émissions de CO<sub>2</sub>. Le bitcoin et l’ethereum combinés n’utilisent qu’un peu moins d’énergie chaque année que le <a href="http://bit.ly/2zgLqht">Venezuela</a>.</p>
<p>La raison pour laquelle les cryptomonnaies utilisent cette quantité d’énergie est liée à la manière dont les transactions sont enregistrées sur la blockchain. Afin de prévenir la fraude et de vérifier que la monnaie a été envoyée d’une partie à l’autre, beaucoup de travail informatique intensif est effectué qui utilise une grande quantité d’électricité. Même si l’Ethereum utilise <a href="http://bit.ly/2zgLqht">moins d’énergie</a> que le bitcoin, son utilisation reste importante, tout comme les émissions de CO<sub>2</sub> qui en résultent.</p>
<p>Le débat au Parlement des Îles Marshall sur l’adoption de la cryptomonnaies s’est concentré sur les coûts et les avantages financiers de cet argent pour le pays. Le gouvernement prévoit même d’allouer 10 % des recettes de l’ICO à un Fonds vert pour le climat.</p>
<p>Le meilleur scénario pour l’ICO est peut-être qu’elle réussisse et fournisse aux Îles Marshall les fonds nécessaires… mais que la cryptomonnaie elle-même ne soit jamais utilisée pour ne pas précipiter la disparition des nations sous la mer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93537/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Glance ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La République micronésienne des Îles Marshall est sur le point de devenir le premier pays à fonder sa monnaie nationale sur une cryptomonnaie. Analyse d’une décision politique absurde.David Glance, Director of UWA Centre for Software Practice, The University of Western AustraliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/868902017-11-15T20:17:58Z2017-11-15T20:17:58ZRetour sur le terrain : quand le chercheur navigue entre intuition, menaces et empathie<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la deuxième édition du <a href="http://www.sorbonne-paris-cite.fr/festival-des-idees">Festival des idées</a>, qui a pour thème « L’amour du risque ». L’événement, organisé par USPC, se tient du 14 au 18 novembre 2017. The Conversation France est partenaire de la journée du 16 novembre intitulée « La journée du risque » qui se déroule à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).</em></p>
<hr>
<p>Travailler comme anthropologue au Venezuela sur les situations extrêmes et les <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00717835/document">processus de subjectivation</a>, c’est-à-dire l’analyse de phénomènes à travers le regard des sujets qui les font ou les subissent, pose des enjeux à la fois méthodologiques et sécuritaires, surtout quand on est originaire du pays en question. Ce qui est mon cas.</p>
<p>Mes travaux s’inscrivent sur le terrain latino-américain et se déploient notamment dans le champ des catastrophes, analysant par exemple les <a href="https://www.academia.edu/8455145/Poder_y_catastrofe._Venezuela_bajo_la_Tragedia_de_1999">modes de protestations qui en découlent</a> et les reconfigurations historiques qui les suivent. Je suis à présent engagée dans une réflexion portant sur la rancœur et les doléances qui s’expriment en situation de post-catastrophe ou de désagrégations sociales. Mon travail s’inscrit dans un projet d’anthropologie des sentiments politiques dans lesquels rancœur et griefs exprimés sont analysés comme des émotions politiques.</p>
<p>Une question m’intéresse particulièrement concernant la société vénézuélienne, celle du sens de la compassion humanitaire de la « révolution bolivarienne » du président Hugo Chavez (1999-2013) (que j’ai traité dans <a href="http://books.openedition.org/editionsmsh/5087"><em>Le chavisme, un militarisme compassionnel</em></a>, éditions Maison sciences de l’Homme, 2014). Mes travaux s’inscrivent aussi dans une perspective d’analyse des conditions d’extrême assujettissement de certains individus ou groupes, d’invisibilité sociale et d’anéantissement où se jouent les demandes de justice et les émotions politiques telles que la compassion. J’ai par exemple traité en profondeur le cas de <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/americas/venezuelan-hunger-striker-franklin-brito-dies-over-farm-seizure-2066915.html">Franklin Brito</a>, gréviste de la faim, mort en 2010.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/194304/original/file-20171113-27573-2yjuel.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/194304/original/file-20171113-27573-2yjuel.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/194304/original/file-20171113-27573-2yjuel.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/194304/original/file-20171113-27573-2yjuel.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/194304/original/file-20171113-27573-2yjuel.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/194304/original/file-20171113-27573-2yjuel.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/194304/original/file-20171113-27573-2yjuel.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Franklin Brito, agriculteur, a fait plusieurs grèves de la faim entre 2004 et 2010, pour protester d’accaparement des terres paysannes au Venezuela. Il est décédé le 30 août 2010 d’épuisement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Paula Vasquez</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Pressions politiques en France</h2>
<p>J’ai commencé mon travail de thèse doctorale en France au moment où le président Hugo Chavez est arrivé à la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1998/12/USLAR_PIETRI/4197">présidence du Venezuela en 1998</a>. Mon dernier ouvrage a été publié quelques mois après sa mort, en 2013. D’une certaine manière, toute ma carrière a été ainsi marquée par ce moment historique et par le processus révolutionnaire chaviste.</p>
<p>Or, le gouvernement vénézuélien et la polarisation politique ont fait de ce pays une sorte de terrain miné pour les chercheurs. À plusieurs reprises, j’ai subi des pressions et ai dû utiliser des stratégies différentes pour éviter des risques trop sévères, et contourner des menaces, souvent à peine voilées, contre moi ou ma famille.</p>
<p>Le fait de vivre en France ne change rien. Ainsi, l’ambassade vénézuélienne a fait savoir à un fonctionnaire français, organisateur d’une audition d’experts au Quai d’Orsay sur la crise vénézuélienne en 2015 – à laquelle j’avais été conviée – que l’ambassadeur n’était « vraiment pas content » de <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/agendas/feuilletons/F0289-230614.pdf">mon travail</a>. Dans la lettre, à laquelle je n’ai pas eu accès, j’aurais été traitée de traître participant à un travail de déstabilisation du gouvernement.</p>
<p>Ce type de pression diplomatique s’est accompagné d’autres manifestations disons plus « intellectuelles » : des lettres m’ont été systématiquement adressées ainsi qu’à mon laboratoire, et nous avons du faire face à des processus de diffamation systématique de la part de groupes politiques, des militants qui soutiennent le gouvernement « chaviste » vénézuélien. Mais ces menaces relèvent, pour moi, de la sphère médiatique. C’est la conséquence directe de ma participation dans les médias, car certains journalistes m’ont attribué le rôle de spécialiste du Venezuela et <a href="http://www.franceculture.fr/emissions/culturesmonde/table-ronde-d-actualite-internationale-le-venezuela-au-bord-de-l-implosion">me sollicitent</a> régulièrement lorsque le pays fait l’actualité.</p>
<h2>Le terrain, lieu de tous les risques</h2>
<p>Cependant, le terrain et mon accès à celui-ci restent ma plus grande source d’inquiétude. C’est là où je prends des risques. Mes parents vivent toujours sur place. Je dois faire attention à mes déplacements, camoufler mon identité et faire preuve de créativité afin de minimiser les risques.</p>
<p>Un exemple illustrant cette part de réflexivité dans mon travail me vient à l’esprit. En 2015 j’ai séjourné dans une ville proche d’une raffinerie de pétrole où une explosion <a href="http://www.liberation.fr/planete/2012/08/25/explosion-dans-une-raffinerie-de-petrole-au-venezuela_841812">a eu lieu en 2012</a>. Travailler sur cette catastrophe est très risqué. D’une part, parce que le gouvernement vénézuélien soutient que l’<a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01297571/document">explosion de la raffinerie d’Amuay</a>, a été le produit d’un acte de sabotage. Même s’il n’y a eu aucune preuve, ni procès, ni aucun responsable désigné à ce jour.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/194867/original/file-20171115-19789-j8m7kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/194867/original/file-20171115-19789-j8m7kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/194867/original/file-20171115-19789-j8m7kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/194867/original/file-20171115-19789-j8m7kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/194867/original/file-20171115-19789-j8m7kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/194867/original/file-20171115-19789-j8m7kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/194867/original/file-20171115-19789-j8m7kv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les habitants de Punto Fijo (Falcon, nord ouest du Venezuela), près du lieu de l'explosion d'Amuay, réclament justice.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Paula Vasquez</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>D’autre part, parce que le système économique d’importations, fondé sur le modèle de redistribution de la rente pétrolière crée par le président Chavez est dans une <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2012/10/08/01003-20121008ARTFIG00590-une-economie-droguee-a-la-rente-petroliere.php">crise profonde</a>. Le Venezuela vit aujourd’hui une situation de <a href="https://theconversation.com/inside-venezuelas-economic-collapse-80597">pénurie extrême</a> et le président Maduro accuse l’opposition d’en être responsable en menant une « guerre économique » contre le gouvernement.</p>
<p>Ainsi, être critique peut être assimilé à être opposant et par conséquent, un traître au gouvernement dont l’objectif serait de déstabiliser l’économie voire de chercher à accuser la compagnie nationale de pétrole (PDVSA) de négligence ou de mauvaise gestion de la sécurité.</p>
<p>Mes visites dans certains lieux se sont ainsi réalisées à condition d’être très discrètes. Et pendant l’élaboration des articles scientifiques, mon principal souci a été de me protéger ainsi que mes informateurs.</p>
<h2>Rencontres suspectes</h2>
<p>Un matin d’août 2015, j’étais en train de prendre mon café à l’hôtel quand un homme d’un certain âge est venu discuter avec moi. Gentiment, il a commencé à me poser des questions de plus en plus pointues sur mon séjour. Il est vrai que j’étais la seule femme dans un hôtel où logent les techniciens de la raffinerie ; le soir j’étais aussi la seule femme à rester dîner. Je me suis rendue compte qu’il était dans le secteur pétrolier. En conversant, il me raconte sa maladie, son opération du cœur pour laquelle il s’est rendu au Texas, où il a également un bureau et où habite son frère. J’en ai déduit qu’il s’agissait d’un « puissant » au sein du secteur pétrolier. Après il m’a expliqué qu’il n’aimait pas habiter dans « l’Empire », c’est-à-dire, <a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/03/06/hugo-chavez-eternel-adversaire-des-etats-unis_1843915_3222.html">dans le jargon utilisé</a> par le président Chavez, les États-Unis, et qu’il aurait donné sa vie pour sauver « nôtre commandant » (Chavez).</p>
<p>Devant un tel degré d’implication politique de la part mon interlocuteur, j’ai tout de suite compris qu’il fallait absolument cacher le sujet de ma recherche. Et pendant tout mon séjour j’ai eu peur d’être vue en ville par ce monsieur qui logeait dans mon hôtel. L’accès au wifi à l’hôtel se faisait par l’entreprise pétrolière qu’il dirigeait, tous ses employés y logeaient, bref, j’étais facilement identifiable.</p>
<h2>L’ethnographie, une critique politique</h2>
<p>Adhérer à une ou autre version quant aux raisons de l’explosion – « sabotage organisée par l’opposition » ou bien « négligence dans les travaux de maintenance » – implique de fait un positionnement politique pour la population dans un contexte dominé par la <a href="https://theconversation.com/global-series-venezuelas-collapse-81654">violence politique</a>. J’ai conduit des entretiens auprès d’experts, de témoins et de directeurs des usines situées aux alentours pour reconstituer la controverse sur les causes et conséquences de l’accident.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/194306/original/file-20171113-27595-14r9rwt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/194306/original/file-20171113-27595-14r9rwt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/194306/original/file-20171113-27595-14r9rwt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/194306/original/file-20171113-27595-14r9rwt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/194306/original/file-20171113-27595-14r9rwt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/194306/original/file-20171113-27595-14r9rwt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/194306/original/file-20171113-27595-14r9rwt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/194306/original/file-20171113-27595-14r9rwt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« The show must go on ». Déclaration d’Hugo Chavez le 24 août 2012, Amuay, Punto Fijo.</span>
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<p>Il fallait le faire d’une manière discrète, voire clandestine. Au Venezuela, l’analyse de ce type de sujets est marquée par la perspective dominante qui est d’appeler chacun à prendre parti et de choisir un camp. L’enquête s’avère vite un terrain miné. Les discours médiatiques officiels concernant le pétrole sont imprégnés de théories du complot.</p>
<p>Le défi est de construire, à mon avis, une forme d’intersubjectivité sur le terrain, une manière de comprendre le sens, l’expérience et de laisser complètement de côté toute action engagée. Mais, forcément, l’ethnographie <a href="http://joaobiehl.net/wp-content/uploads/2009/07/Ethnography-as-Political-Critique.pdf">s’imprègne de critique</a>, de remise en cause de l’état de fait.</p>
<p>C’est une sorte d’aller-retour, de mouvement constants, où l’ethnologue se doit de développer son sens de l’intuition pour se protéger et à la fois, son empathie, pour comprendre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86890/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paula Vasquez Lezama a reçu des financements du Labex TEPSIS et du CNRS. </span></em></p>Le gouvernement vénézuélien et la polarisation politique ont fait de ce pays un terrain miné pour les chercheurs travaillant sur des sujets sensibles telles que les populations face aux catastrophes.Paula Vasquez Lezama, Anthropologue, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/774372017-05-11T22:41:34Z2017-05-11T22:41:34ZAu Venezuela, la grande fuite en avant de Maduro<p>Nicolás Maduro fait face à une situation politique inédite dans l’histoire démocratique vénézuélienne. Héritier désigné par Hugo Chávez avant sa mort en 2013, il dirige aujourd’hui une coalition d’intérêts qui contrôle les vastes ressources économiques et politiques que lui octroie la domination des institutions de l’État vénézuélien. Mais au regard de la terrible situation économique dans laquelle est plongé le pays, cette coalition paraît dans l’incapacité de garder la mainmise sur ces ressources par la simple voie électorale.</p>
<p>Pour conserver le pouvoir dans les mains de la révolution bolivarienne, le gouvernement socialiste de Nicolás Maduro a donc décidé de noyer les contre-pouvoirs démocratiques telle que l’Assemblée nationale – passée à l’opposition en 2015 – et, plus largement, toute forme d’expression électorale qui pourrait le léser. Cette dérive autoritaire – lente mais systématique – a abouti, en avril 2017, à la <a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/05/01/au-venezuela-l-opposition-defie-nicolas-maduro-lors-du-defile-du-1er-mai_5120455_3222.html">convocation d’une nouvelle Assemblée constituante</a> dite « communale » qui se substituerait à l’Assemblée nationale actuelle et dont Maduro veut sélectionner lui-même les représentants.</p>
<p>Sur fond de manifestations de rue quotidiennes, qui ont provoqué en un mois plus de 39 morts et 700 blessés, l’actuelle situation de blocage politique et économique est bien le produit des dérives du système de gouvernement mis en place par Maduro. Ce système a certes permis au successeur de Chávez de se maintenir à la présidence de la république, mais au détriment des mesures économiques qui s’imposaient.</p>
<p>Cette dynamique pousse Maduro dans une contradiction politique qui ne trouvera pas de solution à court terme. Cette inaction se solde par une <a href="http://www.el-nacional.com/noticias/reporte/los-hogares-venezolanos-viven-pobreza_82026">augmentation de la pauvreté</a> et une dégradation des indices sociaux dans le pays. Ainsi le <a href="http://www.el-nacional.com/noticias/sociedad/ministerio-admite-que-11466-ninos-756-parturientas-murieron-2016_181262">taux de mortalité à la naissance</a> a récemment explosé, a reconnu le gouvernement.</p>
<h2>Le gouvernement, une confédération de groupes en compétition</h2>
<p>Lorsque Maduro a pris le pouvoir en 2013, les prix du pétrole n’avaient pas encore chuté. Il disposait de vastes ressources économiques ainsi que du soutien – symbolique – que Hugo Chávez lui avait donné lors d’une allocution nationale peu avant sa mort. La première tâche de Nicolás Maduro a donc consisté à préserver l’unité du mouvement révolutionnaire vénézuélien et de s’y installer comme président indiscuté. Il y est parvenu en gagnant les élections locales de décembre 2013 et en étendant le pouvoir de certains groupes au sein de la nébuleuse chaviste.</p>
<p>Sous son gouvernement, la sphère d’influence des militaires s’est élargie dans l’espace dollarisé du monde économique public. Maduro a permis aux forces armées de disposer de <a href="https://theconversation.com/comment-nicolas-maduro-se-maintient-au-pouvoir-au-venezuela-60751">leur propre banque</a> et autorisé les hauts gradés à investir directement sur le marché pétrolier – ce que même Chávez, militaire lui-même, s’était refusé de faire.</p>
<p>Il a aussi limogé les responsables économiques les plus puissants sous Chávez : d’abord le ministre de Planification Giordani, puis le président de l’entreprise pétrolière Ramirez, mais aussi le <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2017/01/22/97002-20170122FILWWW00243-venezuela-le-president-de-la-banque-centrale-remplace.php">président de la Banque centrale Merentes</a>. En définitive, Maduro a mis à l’écart du monde économique les représentants les plus actifs du chavisme radical.</p>
<p>Le gouvernement Maduro s’est ainsi transformé en une confédération de groupes de pouvoir en compétition pour tenter de s’accaparer une parcelle du budget de l’État vénézuélien. Cette nouvelle dynamique politique s’est imposée dans un contexte de contrôle absolu des institutions de l’État, d’un arbitre électoral soumis aux injonctions de la présidence et d’un pouvoir judiciaire noyauté par quinze ans de nominations favorables au gouvernement.</p>
<p>Mais ce système à l’équilibre instable a dû affronter une crise économique majeure, conséquence des dérives du modèle économique mis en œuvre par Hugo Chávez.</p>
<h2>Un contrôle des changes à double tranchant</h2>
<p>Le contrôle du taux de change a joué un rôle décisif dans l’accumulation de pouvoirs aux mains du gouvernement chaviste. <a href="https://www.challenges.fr/monde/defiles-rivaux-et-heurts-au-venezuela-a-l-occasion-du-1er-mai_470577">Imposé en 2002</a>, ce contrôle a en effet permis à l’État de s’adjuger une distribution discrétionnaire des dollars qui rentraient dans le pays. Malgré la propagande officielle qui insistait sur une répartition censée inclure les secteurs les plus démunis, cette manne a en réalité été attribuée prioritairement aux serviteurs (publics ou privés) les plus <em>méritants</em> du régime, autrement dit les plus zélés. Ainsi l’État s’est posé en arbitre ultime l’économie vénézuélienne.</p>
<p>Ce système de contrôle de change, qui a enfanté un système de taux de change parallèle – ceux qui ne pouvaient se pourvoir sur le marché public le faisaient dans le « marché noir » –, s’est effondré en 2014 : la différence entre le taux du marché noir et du taux légal est passée de 1 à 4 à 1 à 100. Cette dévaluation de fait a renchéri considérablement les prix des produits, et a obligé le gouvernement à soutenir la consommation interne avec la planche à billets. Et ce, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/0211991506279-venezuela-les-causes-du-naufrage-2081151.php">au prix d’une inflation terrible</a> et d’une chute annuelle du PIB de 0 point, puis 5, puis 10 et enfin 17 points entre 2013 et 2016.</p>
<p>À chaque tentative de réforme, un des secteurs de la coalition d’intérêts du chavisme a crié à la trahison, se sentant plus lésé que les autres. Et en 2014, lorsque les prix du pétrole ont chuté, l’État devenu le principal importateur du pays a dû approvisionner le pays avec des revenus diminués.</p>
<h2>Surenchère autoritaire</h2>
<p>L’unité du mouvement révolutionnaire s’est faite au prix d’un processus de sclérose politique. Face à un système économique en déliquescence, le gouvernement a payé le prix de son inaction lors des élections législatives de 2015 : l’opposition a remporté les <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2015/12/07/venezuela-elections-legislatives-defaite-parti-du-president-maduro_n_8736828.html">deux tiers des sièges</a>. Le gouvernement s’est alors évertué à énucléer l’Assemblée nationale et à casser les initiatives de l’opposition. Le gouvernement Maduro a ainsi prohibé le <a href="http://www.rfi.fr/ameriques/20170109-venezuela-maduro-referendum-revocatoire-suspendu-tsj-julio-borges">référendum révocatoire</a> du chef de l’État pourtant prévu dans la Constitution. Il a également repoussé les élections régionales aux calendes grecques.</p>
<p>Le processus de dialogue entamé en 2016 n’a servi qu’à diviser l’opposition et à asseoir la position de Maduro à la tête du pays, théoriquement jusqu’en 2019, terme de son mandat. En mars 2017, sous la pression du gouvernement, la <a href="http://alemonde.fr/ameriques/article/2017/03/30/venezuela-le-parlement-bastion-de-l-opposition-prive-de-ses-pouvoirs-par-la-cour-supreme_5103523_3222.html">Cour suprême</a> a prononcé deux décisions rendant illégale toute décision de l’Assemblée nationale.</p>
<p>Ce coup de force a finalement incité l’opposition à l’unité. Le consensus s’est imposé autour d’une stratégie de protestation dans la rue, avec une mobilisation presque quotidienne. Dans sa surenchère autoritaire, Maduro a sévèrement réprimé ces manifestations et rendu inéligible le principal leader d’opposition du Venezuela encore libre, <a href="http://lemonde.fr/ameriques/article/2017/04/08/au-venezuela-l-opposant-henrique-capriles-prive-de-ses-droits-politiques_5107985_3222.html">Henrique Capriles</a>, le gouverneur de l’État de Miranda.</p>
<p>Face à une mobilisation qui, malgré la répression, ne faiblit pas, Maduro a choisi l’option de la fuite en avant en convoquant une Assemblée nationale dite « communale ». Ses leaders seront choisis selon un modèle corporatiste (de classes et de métiers). Son but <em>sotto voce</em> est de marginaliser l’Assemblée nationale pour récupérer par la force le semblant de légalité que lui a ôté la victoire de l’opposition aux élections législatives de 2015.</p>
<h2>Un avenir incertain</h2>
<p>La situation économique tragique qui alimente les manifestations ne devrait pas s’améliorer sur le court terme. Si Maduro réussit son coup politique avec la mise en place d’une Assemblée constituante – ce qui semble improbable vu la faible adhésion que son projet génère –, il aura encore à faire face à la <a href="http://www.24heures.ch/monde/Chute-du-petrole-et-penuries-le-cocktail-qui-plonge-le-Venezuela-dans-le-chaos--/story/18512382">pire érosion de PIB</a> qu’un pays en paix ait subi depuis 1945 : -30 % de PIB en 4 ans. Maduro ne dispose plus de fonds propres et les bailleurs de fonds refusent d’investir dans un pays dont le gouvernement a assujetti le pouvoir judiciaire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/168951/original/file-20170511-32585-dmpltv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/168951/original/file-20170511-32585-dmpltv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/168951/original/file-20170511-32585-dmpltv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/168951/original/file-20170511-32585-dmpltv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/168951/original/file-20170511-32585-dmpltv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/168951/original/file-20170511-32585-dmpltv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/168951/original/file-20170511-32585-dmpltv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nicolàs Maduro, en pleine surenchère autoritaire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e4/Madurocarabobo11372107284111.jpg/640px-Madurocarabobo11372107284111.jpg">Hugoshi/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Cette stratégie de Maduro peut apparaître suicidaire, mais sa maîtrise des deniers publics et de l’appareil répressif – menée conjointemement par l’armée et par des groupes civils armés – lui a déjà permis de tenir quatre ans à la tête du pays.</p>
<p>Reste que le maître absolu des institutions est aussi perçu comme le principal responsable du chaos et la cible de tous les mécontentements. Plus il accumule de pouvoir par une voie sans cesse plus autoritaire et plus il risque de susciter la grogne sociale. Mais Maduro semble prêt à tout pour conserver le pouvoir, même en rognant les conquêtes sociales mises en œuvre par son prédécesseur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77437/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eduardo Rios Ludena a reçu des financements de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP). Il est membre de l'OPALC.. </span></em></p>Quotidiennes, les manifestations ont provoqué plus de 39 morts et 700 blessés en un mois. Le blocage politique et économique au Venezuela est le produit des dérives du système de gouvernement Maduro.Eduardo Rios Ludena, Docteur associé (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/769152017-05-02T21:43:09Z2017-05-02T21:43:09ZMultinationales et crise politique : faut-il vraiment sortir du Venezuela ?<p>La récente cessation des activités de General Motors au Venezuela suite à la confiscation d’une de ses usines pose la question de la pérennité des activités des entreprises dans un pays en proie à une violente crise politique et sociale. Est-ce pour autant le moment de partir ? Quels sont les risques encourus ? Cette situation pose la question de savoir si les entreprises multinationales, si elles cessent leurs activités, ne vont pas aussi contribuer à aggraver une situation déjà critique.</p>
<p>En effet, l’économie vénézuélienne est dans une situation déplorable. Elle est en récession pour la troisième année consécutive et les experts estiment que 25 % de sa population est au chômage (contre 7,4 % en 2015). Ce chiffre pourrait même monter jusqu’à 28 % l’année prochaine. Par ailleurs, celle-ci souffre de pénurie de nourriture et de médicaments et l’économie connaît une <a href="https://blogs.wsj.com/economics/2016/07/18/venezuelas-inflation-is-set-to-top-1600-next-year/">inflation galopante</a> (720 % en 2016, avec une prédiction de 2000 % par le FMI pour 2018).</p>
<h2>Des signaux déjà inquiétants</h2>
<p>De larges pans de l’économie vénézuélienne avaient déjà été nationalisés depuis plusieurs années, principalement dans l’industrie pétrolifère, l’énergie, l’industrie de la construction et les télécommunications. La situation actuelle est en fait le fruit d’une longue escalade de l’interférence étatique dans la conduite des affaires. Déjà en 2006, Hugo Chavez, dans le cadre de la révolution bolivarienne, avait repris le contrôle de deux puits de pétrole exploités par Total et Eni en soumettant les entreprises à une participation majoritaire de l’État à hauteur de 60 % afin de reprendre la main sur la production de pétrole et de redistribuer la rente pétrolière. <a href="http://www.bbc.com/news/world-latin-america-24883849">En 2013, sous la présidence Maduro, l’État avait également saisi plusieurs magasins de la chaîne de matériel électronique Daka</a> pour avoir pratiqué des prix jugés trop élevés.</p>
<p>Arguant de la détérioration de la situation économique du pays, Procter & Gamble, Pepsi, Delta et Kimberly-Clark (fabriquant de la marque Kleenex) ont déjà réduit considérablement et/ou arrêté leurs activités dans le pays l’année dernière (comme General Motors qui a arrêté de produire des voitures en 2015). Suite à sa fermeture en juillet 2016, jugée illégale, l’<a href="http://www.bbc.com/news/world-latin-america-36771022">usine de Kimberly-Clark a alors été saisie et occupée par le gouvernement</a>.</p>
<p>Plus préoccupant encore, lors de l’une de ses allocutions en mai 2016 devant son parti, le Président Nicolás Maduro a ouvertement <a href="http://www.bbc.com/news/world-latin-america-36294939">menacé de mettre en prison les dirigeants des entreprises ayant stoppé leur production</a> et a déclaré un nouvel état d’urgence de trois mois pour combattre « l’agression étrangère » et mieux distribuer les ressources alimentaires. Cette menace est intervenue juste après l’arrêt de la production de bière de la plus grande entreprise agroalimentaire du Venezuela, Polar Group.</p>
<h2>Des options juridiques et des réactions politiques limitées</h2>
<p>La dernière saisie de l’usine de General Motors à Valencia, la semaine dernière, qui employait 2 700 travailleurs, pourrait bien marquer le début de nombreux départs du pays pour d’autres multinationales. Bien entendu, l’entreprise a fortement contesté cette saisie et a déclaré vouloir conduire une action juridique contre le gouvernement au Venezuela mais aussi en dehors du pays pour faire valoir ses droits.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/167514/original/file-20170502-17245-ez8hxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/167514/original/file-20170502-17245-ez8hxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/167514/original/file-20170502-17245-ez8hxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/167514/original/file-20170502-17245-ez8hxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/167514/original/file-20170502-17245-ez8hxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/167514/original/file-20170502-17245-ez8hxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/167514/original/file-20170502-17245-ez8hxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président Maduro, en septembre 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/121483302@N02/15244869746/in/photolist-pe8WDQ-oUNmry-oHAJRF-7j2Siv-5Snata-8v8TLc-8vbWFW-8v8TJB-dEGcw7-egBSZU-EqwVN-7WhWHq-o5nMBw-yBLpg-dNhs3N-dEAPy8-4Dmfhu-mqqo5x-hH14YS-kuEnt9-7YR2w8-4CXt3Z-cyNJjA-eLf7pt-qqkCKa-dozL6Z-kXprwZ-kXpm5B-uGyYeG-EWjKna-hQuzJg-FKHszH-kuEnF3-6UaSeo-6U6Spp-b3wbSx-9ZSAGr-e1RUtD-hJG97e-egCdAJ-4XnJ9T-eqKtCE-DLogas-ebjwMX-kXpWhT-5ZWhTc-ds2bkP-9moxrU-e1UBGG-cnWRU1">Global Panorama</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Cependant, les options sont assez limitées. Une action juridique locale risque de ne pouvoir être menée à bien étant donné l’instabilité politique actuelle et la gouvernance particulièrement répressive de Nicolás Maduro (le Venezuela violant déjà sa propre Constitution par ces saisies autoritaires). Une action juridique aux États-Unis, par exemple, pourrait être envisagée mais risquerait d’être peu efficace, à moins de pouvoir saisir en compensation des actifs du gouvernement vénézuélien aux États-Unis. Mais ce scénario semble peu probable.</p>
<p>La réaction politique aux États-Unis, dont les entreprises sont principalement concernées par le problème, reste pour l’instant relativement timorée. Pourtant, les relations diplomatiques entre les deux pays sont loin d’être au beau fixe. La semaine dernière, le Venezuela <a href="http://www.cbsnews.com/news/venezuela-nicolas-maduro-opposition-mother-of-all-marches-blames-us/">a accusé les États-Unis d’avoir voulu encourager un coup d’État</a> suite aux propos de Mark Toner, le porte-parole du Départment d’État sur les manifestations dans le pays.</p>
<p>Par ailleurs, la rhétorique anti-américaine, qui avait été une des bases du discours de politique étrangère depuis de nombreuses années, semble s’être assouplie chez le Président Maduro. En outre, le <a href="http://money.cnn.com/2017/04/20/news/economy/venezuela-trump-inauguration/">versement de 500 000 dollars au comité d’investiture de Donald Trump</a> en décembre dernier au travers de Citgo, la filiale de l’entreprise pétrolière PDVSA détenue par l’État (rachetée aux États-Unis dans les années 1980 par le Venezuela), semble être une preuve supplémentaire du double jeu joué par le Président car les États-Unis restent le premier partenaire commercial du pays et encore l’un des rares États achetant (et payant à terme) son pétrole.</p>
<p>Cette dernière saisie risque donc de ne pas être la dernière étant donné le peu de réaction diplomatique.</p>
<h2>L’instrumentalisation des entreprises dans le conflit</h2>
<p>Si ces mesures drastiques sont justifiées par l’État vénézuélien face à une situation économique critique (qu’il a pourtant bel et bien contribué à engendrer), il faut aussi comprendre qu’elles servent tout autant des intérêts politiques. En 2015, le Président avait ordonné la <a href="http://www.bbc.com/news/world-latin-america-31178692">saisie de la chaîne de supermarchés Dia a Dia</a> soupçonnée d’avoir stocké de la nourriture dans une période de pénurie. L’entreprise avait été montrée du doigt en et accusée de conduire une « guerre économique » contre les intérêts de la population du pays. Si c’est bien les choix économiques du gouvernement Maduro qui ont largement conduit à cette situation d’inflation et de pénurie, il est important pour la solidité du régime de trouver des boucs émissaires afin de se dédouaner.</p>
<p>En outre, le Président a ordonné la semaine dernière une <a href="https://www.ft.com/content/8cbd9c00-26aa-11e7-a34a-538b4cb30025">enquête visant la filiale du groupe espagnol Telefónica (Movistar)</a> accusé de soutenir les rassemblements de l’opposition qui ont conduit à la mort de neuf personnes. Il soutient que l’envoi de millions de messages à ses usagers pour promouvoir les manifestations anti-gouvernementales fait partie d’un plan de « cyberguerre » contre le pays, d’autant plus que l’entreprise compte 11 millions d’abonnés, soit un tiers de la population. Le groupe Telefónica a réagi en expliquant que les messages ne provenaient pas de la société elle-même mais avait été seulement distribués par sa filiale. Par cette attaque, ce sont bien entendu les tentatives d’opposition qui sont, une nouvelle fois, ciblées.</p>
<h2>Responsabilité géopolitique</h2>
<p>Le risque économique tout autant que politique est effectivement très fort au Venezuela et la situation ne semble pas s’améliorer. Actuellement, une quarantaine d’entreprises françaises sont enregistrées sur place (dont des grands groupes comme L’Oréal, Sanofi, Air France, Total, Alstom et Lactalis, mais aussi quelques PME) et la France reste le troisième investisseur du pays.</p>
<p>Bien qu’il soit parfaitement compréhensible de considérer un retrait alors que les actifs de l’entreprise localement peuvent être fermés ou nationalisés, il s’agit également de penser aux problèmes locaux provoqués par ces retraits en terme d’emploi et de déstructuration sociale. Telefónica semble actuellement prôner l’apaisement et normaliser les relations avec le régime plutôt que de penser à un retrait.</p>
<p>Ce cas particulier du Venezuela pose en fait plus largement la question de la responsabilité non plus exclusivement sociale mais géopolitique (dans le sens de l’amplification des conflits internes) des entreprises multinationales lorsqu’elles opèrent à l’étranger en ayant maille à partir avec un gouvernement (notamment lorsqu’elles sont instrumentalisées), mais également en tant qu’acteur de stabilité, un élément crucial dans la crise que traverse actuellement le pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Belhoste ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cas du Venezuela pose la question de la responsabilité non plus exclusivement sociale mais géopolitique des entreprises multinationales.Nathalie Belhoste, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/695322016-11-28T22:04:50Z2016-11-28T22:04:50ZNi hagiographie ni critique assassine, un bref bilan de l’héritage de Fidel Castro<p>Après avoir échappé à des centaines de tentatives d’assassinats et survécu à de multiples opérations médicales, Fidel Castro est décédé le 25 novembre 2016 à l’âge de 90 ans. Cette nouvelle qui a engendré une réaction de stupeur à Cuba a, au contraire, jeté les Cubains émigrés dans la rue à Miami. La production médiatique est à l’image de cette dichotomie, dressant d’un côté des portraits hagiographiques du leader révolutionnaire, s’appliquant de l’autre côté à noircir le trait en le caractérisant de tyran sanguinaire.</p>
<p>Il s’agit ici d’effectuer un bilan critique de l’héritage de Fidel Castro, en tentant de tenir le fil d’une lecture non partisane, sans pourtant être exempte d’une sensibilité politique favorable à la justice sociale et à la souveraineté nationale.</p>
<h2>Un bouleversement mondial des rapports de force</h2>
<p>Alors que les États-Unis sont devenus hégémoniques sur la scène internationale à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la révolution menée par Fidel Castro opère un renversement dans le rapport de force entre pays du Nord et pays du Sud, pays riches et pays dits du Tiers-Monde. Fidel Castro démontre en effet qu’il est possible de s’affranchir de la tutelle néo-coloniale des États-Unis sans pour autant s’inféoder totalement à l’Union soviétique.</p>
<p>Malgré des relations économiques étroites avec l’URSS et des positions souvent alignées sur elle (par calcul ou par conviction), le gouvernement cubain est fondateur d’<a href="http://www.ospaaal.com/">OSPAAAL</a> (Organisation de solidarité entre les Peuples d’Afrique, d’Asie, et d’Amérique latine), hôte de la conférence Tricontinentale (1966) et il obtient la présidence tournante du mouvement des non alignés en 1979. Très actif dans la création d’alliances Sud-Sud, Fidel Castro concourt à la dynamique émancipatrice engagée par de nombreux leaders tiers-mondistes comme Mehdi Ben Barka (Maroc), Amilcar Cabral (Guinée-Cap Vert) ou Daniel Ortega – à l’époque – (Nicaragua), engagés contre l’impérialisme des grandes puissances et pour la souveraineté nationale des nations récemment décolonisées.</p>
<p>En Amérique latine, la victoire de la révolution cubaine et son maintien sur le long terme, malgré la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9barquement_de_la_baie_des_Cochons">tentative d’invasion cubano-américaine de la Baie des Cochons en 1961</a> et l’embargo unilatéral imposé par les États-Unis en 1962, donnent du souffle à des mouvements progressistes qui cherchent d’une part à s’émanciper de la tutelle étatsunienne, d’autre part à contrer les élites bourgeoises locales qui accaparent richesses et pouvoir.</p>
<p>Malgré l’échec sanglant des guérillas en Amérique centrale et la fin précipitée du gouvernement de Salvador Allende en 1973 au Chili – la CIA jouant dans les deux cas un rôle central –, la révolution cubaine constitue une inspiration pour de nombreuses luttes sociales et politiques latino-américaines jusqu’à aujourd’hui car elle incarne la possibilité réelle de prendre le pouvoir et de faire basculer les rapports de force, à la fois à l’échelle nationale et à l’échelle internationale.</p>
<h2>Des avancées sociales indiscutables</h2>
<p>L’écho mondial de la révolution cubaine est également lié à ses réussites sociales relativement uniques dans un petit pays insulaire peu pourvu en ressources naturelles. On cite communément – et à raison – l’accès gratuit et universel à des services publics de santé et d’éducation. Mais on oublie souvent le contrôle des loyers et la répartition des logements, l’éradication des bidonvilles et la mise en place de services sociaux ou encore la fin des discriminations raciales.</p>
<p>Par ailleurs, on tend à négliger le fait que le développement de ces politiques publiques n’a pas seulement constitué une fin (l’amélioration des conditions de vie de la population), mais également un moyen pour révolutionner les hiérarchies sociales et raciales. En effet, ces politiques ont concouru à générer une mobilité sociale extraordinaire pour l’époque, tout particulièrement pour les Cubains les plus pauvres, souvent issus de familles noires, rurales et habitant la partie orientale de l’île. C’est dans ces catégories de population que Fidel Castro a puisé un soutien et une légitimité immenses pendant des décennies. Certes, les inégalités sociales se creusent de nouveau depuis vingt ans, mais les rapports sociaux de classe demeurent sensiblement différents de ceux qu’on peut observer ailleurs en Amérique latine où les relations ancillaires demeurent fortement ancrées.</p>
<p>Enfin, si on note également une résurgence des discriminations raciales, la volonté de Fidel Castro de revendiquer la part africaine de la culture cubaine, <a href="http://qz.com/315968/why-black-americans-love-fidel-castro/">son accueil de Black Panthers en exil</a> ainsi que la place – bien que limitée – accordée à la musique hip-hop auront malgré tout en partie changé la donne sur le long terme en ce qui concerne les perceptions raciales à Cuba.</p>
<h2>Un désastre économique et un anachronisme politique</h2>
<p>Si le bilan social de Fidel Castro est défendable, son bilan économique et politique est désastreux. Bien sûr, l'embargo imposé unilatéralement par les États-Unis a eu un impact considérable sur l'économie cubaine et son coût est évalué à 104 milliards de dollars cumulés par le gouvernement cubain. Cependant, les choix faits par Fidel Castro sont également responsables de la débâcle économique. </p>
<p>Ses errements mégalomaniaques ont ainsi conduit à des expérimentations économiques catastrophiques, comme la <a href="http://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1969_num_33_1_1436">collectivisation des terres</a>, la nationalisation totale des petits commerces en 1968, la grande récolte de sucre de 1970 ou encore la fermeture des centrales sucrières dans les années 1990 contre l’avis de ses conseillers. Alors qu’Ernesto Guevara (le Che), ministre de l’Industrie dans les années 1960, recommandait une diversification de l’économie afin de parvenir à l’autosuffisance alimentaire et de diminuer la dépendance extérieure, Fidel Castro fit le choix de revenir à la monoculture exportatrice du sucre en acceptant d’entrer dans la division du travail soviétique. Pour Cuba, c’était « sucre contre pétrole ».</p>
<p>À la chute de l’URSS, le choc économique externe a donc été brutal. Le remplacement de l’URSS par le Venezuela (médecins contre pétrole) a certes permis la survie économique de l’île, mais si Nicolas Maduro venait à perdre le pouvoir, l’île pourrait de nouveau connaître une grave crise d’approvisionnement en matières premières. Certes, certains paris de Fidel Castro ont été couronnés de succès – comme la recherche de pointe développée dans les biotechnologies –, mais l’économie cubaine, qui mise désormais beaucoup sur le tourisme, demeure fragile et soumise aux aléas climatiques (ouragans) et économiques mondiaux.</p>
<p>Enfin, le bilan politique de Fidel Castro est tout aussi désastreux que son bilan économique. Outre les violations systématiques des droits civils et politiques justifiées publiquement par l’hostilité américaine, la personnalisation de l’administration publique autour de sa figure a créé des générations de citoyens cubains analphabètes sur le plan politique. D’une part, les Cubains ne sont pas aujourd’hui armés pour défendre les conquêtes sociales de la révolution, puisqu’ils ont perdu toute tradition de lutte sociale (les mobilisations officielles sont orchestrées par les autorités politiques) et toute connaissance des clivages politiques historiques ; d’autre part, Fidel Castro a systématiquement éliminé toute figure réformiste au sein du parti.</p>
<p>Il a ainsi favorisé une polarisation des débats, ce qui a pour conséquence que l’opposition la plus organisée et la plus visible à l’extérieur de Cuba est aussi la plus virulente : c’est celle qui célèbre l’<a href="http://www.politico.com/story/2016/11/trump-cuba-relations-threat-231869">élection de Donald Trump aux États-Unis</a>, exige le maintien d’un embargo délétère et pourrait, si elle arrive au pouvoir dans le futur, radicalement remettre en question les acquis sociaux, autrement dit le peu qu’il reste de la révolution à Cuba.</p>
<p>C’est l’un des enjeux majeurs auxquels Raul Castro devra faire face avant 2018 : dépasser l’anachronisme d’un régime politique de gérontocrates qui restent arrimés dans le XX<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/69532/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Laure Geoffray est membre de l'Association française de Sociologie et de la Latin American Studies Association. Elle a reçu des bourses de Sciences Po, de l'Institut des Amériques et du laboratoire CREDA UMR 7227.</span></em></p>Si le bilan social de Fidel Castro est défendable, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation, son bilan économique et politique est désastreux.Marie-Laure Geoffray, Maître de conférence en sciences politiques, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/610952016-06-16T04:42:32Z2016-06-16T04:42:32ZCette crise de l’eau qui met le Venezuela en danger<p>Le Venezuela est confronté à de graves pénuries, faisant craindre une <a href="http://www.crisisgroup.org/en/regions/latin-america-caribbean/andes/venezuela/b033-venezuela-unnatural-disaster.aspx">crise humanitaire</a> dévastatrice pour ce pays d’Amérique du Sud pourtant si riche en pétrole. Nourriture, soins, liquidités, électricité et eau sont soit rationnés, soit non disponibles au moment même où le gouvernement de Nicolás Maduro se trouve également confronté à une récession profonde et à une intense sécheresse.</p>
<p>La <a href="http://www.nasdaq.com/markets/crude-oil.aspx?timeframe=2y">chute de 50 %</a> du prix du pétrole sur le marché international, pour ce pays qui tire <a href="http://www.opec.org/opec_web/en/about_us/171.htm">95 %</a> du revenu de ses exportations de cette ressource, a fait considérablement reculer les progrès réalisés au milieu des années 2000 dans la <a href="http://revista.drclas.harvard.edu/book/poverty-reduction-venezuela">lutte</a> contre la pauvreté et les inégalités.</p>
<p>Mais les difficultés du pays vont bien au-delà de cette dépendance à l’or noir. Depuis <a href="https://theconversation.com/venezuela-election-maduro-claims-close-victory-but-opposition-to-challenge-13384">son élection en 2013</a> à la suite du décès d’Hugo Chávez, Maduro a en effet échoué à résoudre les problèmes liés à une mauvaise gestion économique, à une planification défaillante ainsi qu’à la corruption.</p>
<p>Son gouvernement a poursuivi une politique de <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/heterodox-economics-venezuela-collapse-by-ricardo-hausmann-2016-05">prix élévés</a> et de <a href="http://www.economist.com/blogs/graphicdetail/2016/02/graphics-political-and-economic-guide-venezuela">contrôles de changes</a> qui a alimenté l’inflation, les marchés noirs et les pénuries. Dans sa quête d’élaboration du socialisme du XXI<sup>e</sup> siècle, le gouvernement vénézuélien a également engagé de trop coûteux <a href="http://venezuelanalysis.com/tag/expropriations">programmes de nationalisation</a>.</p>
<p>Des milliards de dollars sont en effet susceptibles d’être réclamés par les entreprises nationalisées pour des affaires d’expropriations et de saisies foncières, tandis que l’accumulation de factures et de contrats non payés ont entraîné la spéculation ; et la compagnie pétrolière nationale, PDVSA, pourrait bien <a href="http://www.reuters.com/article/us-oil-pdvsa-debt-analysis-idUSKCN0W00DA">ne plus pouvoir payer</a> les intérêts de ses dettes.</p>
<h2>Pénuries dramatiques</h2>
<p>Le rationnement perpétuel de l’eau est la parfaite illustration des ambitions, des limites et, au final, des échecs d’Hugo Chávez – et par conséquent de Nicolás Maduro. Face à une sévère sécheresse déclenchée en mars dernier par <a href="https://theconversation.com/el-nino-is-over-but-has-left-its-mark-across-the-world-59823">El Niño</a>, le gouvernement n’aura pu faire autrement que de <a href="http://www.bloomberg.com/news/articles/2016-03-16/venezuela-to-shut-down-for-a-week-as-electricity-crisis-mounts">prolonger les vacances de Pâques</a>, de fermer tous les centres commerciaux et d’écourter une semaine ouvrée courant avril.</p>
<p>Ces mesures ont été prises pour économiser l’électricité, car le niveau des eaux du <a href="http://www.wsj.com/articles/water-shortage-cripples-venezuela-1459717127">barrage électrique de Guri</a> – qui fournit 65 % de l’électricité du pays – est exceptionnellement bas.</p>
<p>Aujourd’hui, tout comme en 2007 et en 2010, ces réserves <a href="http://www.nbcnews.com/id/34827034/ns/world_news-venezuela/t/venezuela-starts-nationwide-energy-rationing/#.V0xRbZN96T8">ont chuté</a>, passant de 244 mètres au-dessus du niveau de la mer à 240 mètres, <a href="http://www.reuters.com/article/us-venezuela-energy-idUSKCN0WY5TK">limite</a> qui oblige à ralentir la production en mettant à l’arrêt les huit turbines produisant 5 000 mégawatts.</p>
<h2>Une histoire troublée</h2>
<p>Le Venezuela est riche en eau, mais ses réserves sont <a href="http://www.ipsnews.net/2014/06/venezuelans-thirsty-in-a-land-of-abundant-water/">mal placées</a>. Selon des estimations officielles, 85 % des stocks se trouvent dans la partie sud-est du pays, où réside seulement 10 % de la population. À l’inverse, seules 15 % des ressources en eau se situent dans le nord du pays, où l’urbanisation est galopante et où se concentre le gros de la population.</p>
<p>Les investissements dans les infrastructures des années 1950 et 1960 ont amélioré l’approvisionnement en eau, permettant à 80 % des foyers d’y avoir accès. Mais ces développements n’ont pas permis de contenter la demande grandissante et la consommation moyenne de <a href="https://books.google.fr/books?id=_BqpcXQcFgMC&pg=PA150&lpg=PA150&dq=350+litres+per+day+venezuela&source=bl&ots=YOwhjCc6AH&sig=qpqUwKocuZVPVr4sR-_aN0vqrCw&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwiYrbrZkYTNAhWIDBoKHbu-C4wQ6AEIHDAA#v=onepage&q=350%20litres%20per%20day%20venezuela&f=false">350 litres d’eau par jour</a> et par habitant (<a href="http://venezuelanalysis.com/news/11822">450 litres</a> pour les quatre millions d’habitants de Caracas).</p>
<p>En 1989, la célèbre grogne au sujet des rationnements, des services publics défaillants, de la pollution, de l’approvisionnement clandestin et de la détérioration de la qualité a conduit à la création d’un nouveau cadre réglementaire. Ce dernier a enclenché la décentralisation de la gestion de l’eau au profit de dix structures régionales coordonnées par une nouvelle agence : <em>Empresa Hidrológica de Venezuela</em> (<a href="http://www.hidroven.gob.ve/">Hidroven</a>).</p>
<p>Pour l’agglomération surpeuplée de Caracas, l’approvisionnement était assuré par <em>Hidrocapital</em>, une compagnie créée en 1991 et qui avait décidé de faire de la rénovation des aqueducs acheminant l’eau de la rivière Tuy une priorité. Mais les difficultés et l’instabilité sociale se sont poursuivies à travers tout le pays au cours des années 1990. Et l’hostilité de la population à l’égard de la politique de privatisation des services de l’eau a compliqué l’afflux de capitaux étrangers.</p>
<h2>Les années Chávez</h2>
<p>Comme pour tout le reste, la politique de gestion de l’eau a connu de profondes transformations pendant la présidence de Chávez. Le gouvernement prit ainsi des décisions radicales pour régler le problème de l’approvisionnement en eau des bidonvilles, base électorale du président.</p>
<p>À la suite d’une <a href="http://www.ine.es/censo2001/">étude menée en 2001</a> par l’Institut national des statistiques, on découvrit que sur les 335 agglomérations du pays, 231 n’avaient aucun accès à l’eau courante et que huit millions de personnes étaient dépourvues d’installations sanitaires. Une loi fut adoptée par décret présidentiel. Dans la lignée de <em>l’empowerment</em> populaire et de la <a href="http://www.open.ac.uk/researchcentres/osrc/events/geographies-of-power-a-lecture-on-venezuela-by-doreen-massey">« nouvelle géométrie du pouvoir »</a> souhaités par le gouvernement, cette loi offrit de décentraliser la politique de l’eau en s’appuyant sur 7 000 structures locales (des associations gérant ce dossier au niveau des quartiers) en lien avec la compagnie nationale des eaux, Hidroven.</p>
<p>Il incomba donc aux populations locales d’identifier leurs besoins et les investissements à réaliser. Parallèlement à cette relocalisation de la gestion des services, le gouvernement <a href="http://www.unrisd.org/80256B3C005BCCF9/%28httpAuxPages%29/1D4EF25E12C57738C1257D9E00562542/$file/Buxton.pdf">nationalisa</a> des secteurs clés de l’économie, à l’image de celui de l’électricité en 2007.</p>
<h2>Promesses non tenues</h2>
<p>La vision de Chávez de communautés s’assumant et d’une énergie nationale autosuffisante a, comme les plans de ses prédécesseurs dans les années 1990, échoué à améliorer la situation. Pour l’eau et l’électricité, les investissements, estimés à <a href="http://www.wsj.com/articles/water-shortage-cripples-venezuela-1459717127">10 milliards pour l’eau</a> et 60 milliards pour l’électricité au cours de la dernière décennie, n’ont pu répondre aux besoins d’une population et d’une économie en plein développement.</p>
<p>La gestion des problèmes a souffert d’un fort <em>turnover</em> ministériel et d’un manque d’efficacité technique, tandis que la gabegie administrative prospéra en l’absence de véritable contrôle. Comme ce fut le cas pour d’autres initiatives relatives à la <a href="http://venezuelanalysis.com/analysis/2129">démocratie participative</a> voulue par Chávez, les associations locales de gestion de l’eau furent mal gérées. </p>
<p>Le pays se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. La faillite financière empêche le gouvernement de pouvoir investir massivement dans le secteur de l’eau, tandis que la crise politique continue à renvoyer les problèmes de gestion et de conservation des ressources au second plan.</p>
<p>Les conséquences sanitaires d’une telle situation sont en outre préoccupantes. En conservant l’eau qui se fait rare, les foyers vénézuéliens, déjà en position de vulnérabilité, pourraient s’exposer encore davantage aux risques de maladies véhiculées par les moustiques comme <a href="http://wwwnc.cdc.gov/travel/notices/alert/zika-virus-venezuela">Zika</a>, la fièvre jaune, la dengue ou le <a href="https://www.cdc.gov/chikungunya/">chikungunya</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/61095/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julia Buxton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les pénuries qui frappent régulièrement les Vénézuéliens illustrent les profonds dysfonctionnements de gestion des ressources naturelles dont le pays est pourtant riche.Julia Buxton, Professor of Comparative Politics, Central European UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/607512016-06-16T04:42:26Z2016-06-16T04:42:26ZComment Nicolás Maduro se maintient au pouvoir au Venezuela<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/126727/original/image-20160615-14057-kkjjws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président Maduro, ici en 2013, lors d'une visite en Équateur.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/agenciaandes_ec/8805013491/in/photolist-eq4ZKr-cUoVCq-ebMQMm-e2Ybid-e2SvDB-q8MHBh-eaGctR-qNeNNW-r5DmDZ-qNnGo2-eaMRFE-ebukks-r5NYtR-q8MNvf-qNexoN-qNnJfD-q8N361-ecxxyH-qNmoSz-qNdU1G-ebqAFi-r1TuwW-qNnexD-e2Yb8u-bQ1kDZ-e2SvA6-e2YbkE-ebGdJR-ebG9gv-bQ1kuM-qNdRmm-eak9iD-qNeaLE-ehRd1H-qQosBw-eak3Gp-r5GPgw-r7YwRM-r3uJPL-qNnszF-r5DpYp-ebweiL-eak3tx-eaGdYt-ebbY8C-ecxyze-r7YCuv-q91zN4-ecDaHb-eaGc8V">Agencia de Noticias Andes/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 1913, le magnat du pétrole John D. Rockefeller aurait déclaré à la mort du très puissant banquier d’affaires américain, <a href="https://fr.Wikim%C3%A9dia.org/wiki/John_Pierpont_Morgan">Pierpont Morgan</a> : « Il n’était même pas riche ». Bien qu’il fut l’artisan du sauvetage des banques de New York lors de la panique financière de 1907 et l’un des banquiers les plus influents de son époque, son testament révélait, selon Rockefeller, « l’étroitesse » de sa fortune personnelle. Loin du milliard de dollars d’actifs qu’avait amassé ce dernier, Morgan n’avait accumulé au long de sa vie « que » 80 millions de dollars (l’équivalent de 960 millions de dollars aujourd’hui). Mais sa puissance parmi les banquiers de Wall Street ne résidait pas uniquement dans son pouvoir de frappe financier.</p>
<p>De la même façon, le pouvoir politique que Hugo Chávez a légué à Nicolás Maduro au Venezuela ne se limite pas à l’utilisation des deniers publics pour financer le socialisme révolutionnaire. S’il est vrai que Chávez a bénéficié d’un prix du pétrole très élevé entre 2003 et 2013 (autour de 100 dollars pour le baril de brent), dont le Venezuela est l’un des principaux producteurs mondiaux, son pouvoir ne reposait pas exclusivement sur cette rente. Depuis 2013, l’étendue de l’arsenal du chavisme au pouvoir se mesure à la capacité de survie de son dauphin.</p>
<p>Malgré une situation économique désastreuse, Maduro se maintient au pouvoir à l’aide de leviers souvent méconnus et que nous allons maintenant décrypter.</p>
<h2>L’inertie économique pour survivre politiquement</h2>
<p>Il y a quelques mois, un site proche de l’opposition <a href="http://www.caracaschronicles.com/">Caracas Chronicles</a> louait – non sans une pointe d’ironie – l’habilité politique de Maduro à se maintenir au pouvoir alors que son taux de popularité avait chuté à 20 % dans les sondages. Et cela, malgré des pénuries généralisées, une inflation à 400 % en 2016, une chute du PIB de 7 % sur la même période et une inflation de l’ordre de 1 000 % depuis 2012…</p>
<p>Cette capacité à surnager politiquement est d’autant plus surprenante que Maduro est l’un des acteurs qui, aux commandes du pays, ont provoqué la crise économique et qu’il est considéré par l’opinion comme le premier responsable du chaos actuel. Depuis son élection, Nicolás Maduro fait feu de tout bois pour garantir la survie de la révolution bolivarienne. Après chaque utilisation d’une cartouche, il pioche minutieusement dans sa besace pour tirer une nouvelle salve si nécessaire. Cette stratégie lui a permis de se maintenir. Au risque de brûler le legs politique de Hugo Chávez.</p>
<p>La course inexorable vers l’<a href="http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/face-aux-magasins-vides-de-caracas-le-marche-noir-prospere_1802423.html">effondrement économique du pays</a> s’explique, en grande partie, par les divisions internes du chavisme. Face à la crise, des groupes au sein du pouvoir – animés par leur credo idéologique et mus par la défense de leurs intérêts financiers – se sont divisés, se montrant incapables de trouver un compromis pour résoudre les difficultés économiques du pays.</p>
<p>En revanche, conscients qu’une fracture du mouvement chaviste se solderait inévitablement par une défaite politique, les héritiers de Chávez ont préservé coûte que coûte l’unité du mouvement révolutionnaire, au prix d’une inertie totale sur le plan économique.</p>
<h2>Attiser la furie consumériste</h2>
<p>En 2012, la dernière année de Chávez au pouvoir, son équipe de campagne a utilisé des flots d’argent public disponibles pour abreuver la machine électorale qui lui avait permis de gagner pas moins de 19 élections en 13 ans. La <a href="http://lemonde.fr/international/article/2012/09/05/au-venezuela-hugo-chavez-mise-sur-son-plan-logement_1755822_3210.html">mission logement</a> – à travers laquelle Chávez a pu répartir quelque 500 000 appartements en deux ans et assurer le financement de son parti politique, le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela) –, lui ont de nouveau assuré, en décembre 2012, une confortable victoire aux présidentielles face à l’opposition.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/126743/original/image-20160615-14060-1wljgsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/126743/original/image-20160615-14060-1wljgsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/126743/original/image-20160615-14060-1wljgsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/126743/original/image-20160615-14060-1wljgsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/126743/original/image-20160615-14060-1wljgsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/126743/original/image-20160615-14060-1wljgsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/126743/original/image-20160615-14060-1wljgsl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hugo Chavez, au pouvoir pendant dix ans à Caracas.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/quecomunismo/3246184439/in/photolist-5VTeyH-5DuKuf-61Ywum-5Yy6bj-5WRxxe-6tNgSq-e3s1HD-e3ruzZ-5Zt8wF-e3xrJQ-e3rcv2-e3xPKL-e3xwvJ-e3rDGz-e3rx3p-6162Mc-e3xmjS-r56K16-64eNaT-e14xBS-e3xKyE-e3rtCv-dZXR8K-5QpEFo-e14xp3-e3tw7b-5ZMtsD-e14xEL-2kmAxT-e3nQFT-e3tw8Q-e3tw8N-e3nQEk-e3tw71-dZXRAH-e3nQFn-64eMXR-e3tw8j-e3nQEp-dZXRjT-dZXRLv-dZXRPn-e3tw8L-e1KsrS-64eMTR-e3tw7S-3bpbUJ-Pr7NB-4nk9y3-2BP8M4">Bernardo Londoy/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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</figure>
<p>Sur sa lancée, en avril 2013, Nicolás Maduro a remporté l’<a href="http://www.france24.com/fr/20130415-nicolas-maduro-president-venezuela-election-presidentielle">élection présidentielle</a> un mois seulement après la mort de son prédécesseur, Hugo Chávez (qui l’avait lui-même gagnée quelques mois auparavant). Mais dès le début de de son mandat, les difficultés économiques se sont accumulées, et Maduro a entamé sa chute dans les sondages.</p>
<p>Pour préparer les élections municipales de 2013, il a une fois de plus utilisé ses prérogatives régaliennes pour obliger les magasins d’électroménager à vendre leurs produits à perte. Ce <em>dakazo</em> – du nom de la première chaîne, <a href="http://www.bbc.com/news/world-latin-america-24883849">Daka</a>, qu’il a contrainte à réduire ses prix – lui a assuré une deuxième victoire électorale portée par une furie consumériste.</p>
<h2>L’achat de la loyauté des forces armées</h2>
<p>Les problèmes économiques ne faisant qu’empirer par la suite, le gouvernement a toutefois été contraint de recourir au deuxième levier du chavisme au pouvoir : les forces armées.</p>
<p>Dès 2013, l’institution militaire a bénéficié de <a href="http://lemonde.fr/ameriques/article/2014/03/27/venezuela-face-a-un-president-affaibli-les-militaires-renforcent-leur-influence_4390390_3222.html">nouvelles concessions</a> après celles déjà obtenues sous Hugo Chávez. Doté d’un pouvoir de contrôle sur de nombreuses entreprises d’État (dont les très rémunératrices aciéries), Maduro a octroyé aux militaires la possibilité d’ouvrir une banque et une chaîne de télévision. Les militaires sont également responsables de l’acheminement des principales denrées alimentaires dans le pays.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/126740/original/image-20160615-14057-1nhgp2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/126740/original/image-20160615-14057-1nhgp2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/126740/original/image-20160615-14057-1nhgp2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/126740/original/image-20160615-14057-1nhgp2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/126740/original/image-20160615-14057-1nhgp2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/126740/original/image-20160615-14057-1nhgp2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/126740/original/image-20160615-14057-1nhgp2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Deux émeutes par jour au Venezuela.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/diariocriticove/12504305004/in/photolist-dQinaD-6jGESz-dQin6B-dQin6e-ebMQMm-dQin5B-ebMHRj-dQoXJL-dQoXJj-dQoXHS-dQoXHU-6jGCBr-k3W3hM-k3Vnyr-dQin6H-k3XQeA-mc5RJR-k3XQ7w-m3tYKT-ebGdJR-qsHzcv-mc7PVq-ebG9gv-6jGCNt-6jGBkF-mc6J7x-mc5Lpc-mc7k73-mc62Ht-mc5N5M-mc7j9S-mc5A16-5BA31o-mc6Fut-mc6LKt-5BzqPC-mc5Jv2-qsJZsv-N2gtA-8xhQFk-bX4JnK-ebG6Rt-mc7pxY-ebMTdm-ebMP9d-6uhYcF-bX4Jit-fLPxe7-N2gtE-wJ4e1Y">Diariocritico de Venezuela/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2016, il a aussi permis aux forces armées de participer directement aux affaires pétrolières du pays à travers la société <a href="http://www.bbc.com/mundo/noticias/2016/03/160315_venezuela_petrolera_militares_dp">Camimpeg</a>. Sous son autorité, Chávez les avait pourtant systématiquement empêché de contrôler cette chasse gardée du pouvoir présidentiel au Venezuela.</p>
<p>Ce renforcement de l’influence du pouvoir politique sur le militaire a permis à Maduro de se prémunir contre un possible coup d’État, même si une telle éventualité paraissait peu plausible. Mais l’offensive de charme en direction du monde militaire permet, en tout cas, à un gouvernement fragilisé de mater dans l’œuf les révoltes de la faim qui éclatent dans tout le pays. L’<a href="http://lemonde.fr/ameriques/article/2016/05/30/le-venezuela-implose-sous-l-effet-des-penuries-alimentaires_4928631_3222.html">Observatoire vénézuélien de la conflictualité sociale (OVCS)</a> a ainsi comptabilisé 78 émeutes de la faim pour le seul mois de mai 2016 – soit au moins deux par jour.</p>
<h2>Le verrouillage des institutions</h2>
<p>En plus de la rente pétrolière et de la loyauté des forces armées, Maduro a pu bénéficier du verrouillage des institutions vénézuéliennes opéré par Hugo Chávez. Certains éléments de contexte sont indispensables pour bien comprendre l’hégémonie du chavisme sur le pouvoir politique au Venezuela.</p>
<p>En arrivant au pouvoir, Chávez a tout d’abord réécrit la Constitution en rendant le système législatif unicaméral et en l’érigeant en acteur central dans la sélection des membres de deux autres pouvoirs : le judiciaire et l’arbitre des élections (le Conseil national électoral, CNE). En 2005, l’opposition ayant refusé de participer aux élections législatives, le gouvernement a eu tout le loisir de nommer un tribunal supérieur et un arbitre électoral à sa main. Ainsi donc, en plus du pouvoir économique et militaire, le régime peut compter sur des ressources institutionnelles importantes.</p>
<p>Mais malgré l’étendue de ses pouvoirs, le chavisme a été rattrapé par la crise économique qu’il a lui-même suscitée. Le prix de cette crise et de l’inaction politique a été payé en <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2015/12/07/venezuela-elections-legislatives-defaite-parti-du-president-maduro_n_8736828.html">2015</a> à l’occasion de la défaite aux législatives du chavisme. L’opposition unie, la MUD (Table de l’unité démocratique), a remporté les deux tiers des sièges. Face à la défaite, le chavisme au pouvoir, loin d’abdiquer, a consolidé son pouvoir économique, militaire et institutionnel.</p>
<h2>Une Assemblée nationale entravée</h2>
<p>Grâce au <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/fp_sj_venezuela_20140211.pdf">Tribunal supérieur de justice</a>, la plus haute juridiction du pays, le gouvernement a de fait bloqué le pouvoir de l’<a href="http://www.rfi.fr/ameriques/20151224-venezuela-mauvais-perdant-maduro-tente-verrouiller-le-pouvoir">Assemblée nationale</a>. Dans les six mois qui ont suivi l’investiture de la nouvelle Assemblée (en janvier 2016), cette juridiction a en effet bloqué pas moins de 17 lois votées par les députés. Dans le même temps, le Tribunal a permis au président de gouverner par décret.</p>
<p>D’autre part, lorsque l’opposition a décidé de faire face à ce verrouillage institutionnel en demandant l’activation d’une clause constitutionnelle permettant de révoquer un président à mi-mandat (à la faveur d’un référendum constitutionnel), le Conseil national électoral est parvenu à stopper le processus. Puis face à l’insistance – et à la mobilisation de l’opposition –, il a décidé de gagner du temps. En vertu de la loi finalement votée, le référendum ne peut avoir lieu que lors de la troisième année de mandat.</p>
<p>En définitive, la stratégie de survie de Maduro au pouvoir démontre que le chavisme – un mouvement qui fonde sa force sur sa légitimité électorale – était bien plus qu’une machine à gagner des élections.</p>
<p>Le pouvoir économique considérable de l’État vénézuélien, ajouté à l’alliance civilo-militaire et aux vastes ressources institutionnelles à sa disposition, ont permis au chavisme de survivre à son créateur. Mais les alliances stratégiques nouées au niveau international – notamment avec la Chine, mais aussi le Brésil ou Cuba – ont également joué un rôle important dans le maintien du chavisme au pouvoir à Caracas. Le chavisme n’a jamais pour autant renié du débat avec ses partenaires plus traditionnels. Pour preuve, le 14 juin, le président Maduro a également annoncé sa volonté de reprendre le dialogue <a href="http://lemonde.fr/ameriques/article/2016/06/15/maduro-annonce-la-reprise-du-dialogue-entre-venezuela-et-etats-unis_4950537_3222.html">avec les États-Unis</a>, au point mort depuis des années.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/60751/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eduardo Rios Ludena a reçu des financements de La fondation nationale de Sciences Politiques. Il est membre de l'OPALC. </span></em></p>Aux prises avec une crise sociale aiguë, le gouvernement de Caracas s’accroche au pouvoir grâce au contrôle des deniers publics, de l’armée et en se gardant bien de toute réforme économique.Eduardo Rios Ludena, Doctorant (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.