tag:theconversation.com,2011:/us/topics/video-surveillance-39443/articlesvideo-surveillance – The Conversation2024-03-11T14:48:08Ztag:theconversation.com,2011:article/2230512024-03-11T14:48:08Z2024-03-11T14:48:08ZLa surveillance numérique est omniprésente en Chine. Voici comment les citoyens y font face<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577749/original/file-20240225-28-qjmkpc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C34%2C3817%2C2121&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans le métro de Pékin, des usagers consultent leur téléphone intelligent, où on s’informe, se divertit, échange des messages, personnels et professionnels. Le gouvernement chinois a accès à toutes les données collectées. Comment les citoyens vivent-ils cette surveillance numérique constante?</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Pensez-vous souvent aux traces numériques que vous laissez quand vous parcourez le web, achetez en ligne, commentez sur les réseaux sociaux ou passez devant une caméra à reconnaissance faciale ? </p>
<p>La surveillance des citoyens par les États se développe dans le monde entier, mais c’est une réalité de la vie quotidienne en Chine, où elle a des <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/mono/10.4324/9781003403876-4/surveillance-china-ariane-ollier-malaterre?context=ubx&refId=4b23b424-16f8-41ce-89e5-09d719356614">racines historiques profondes</a>.</p>
<p>En Chine, on ne paie presque plus rien en liquide. Des <a href="https://search.worldcat.org/fr/title/1043756337">« super-plateformes »</a> rendent la vie facile : on utilise Alipay ou WeChat Pay pour payer un trajet de métro ou de bus, louer un vélo, héler un taxi, faire des achats en ligne, réserver des billets de train et de spectacle, partager l’addition au restaurant ou régler ses impôts et ses factures d’électricité. </p>
<p>Sur ces mêmes plates-formes, on consulte les nouvelles, on se divertit, on échange d’innombrables messages texte, audio et vidéo, personnels et professionnels. Tout ceci est lié au numéro de téléphone de l’utilisateur, lui-même enregistré sous son identité. Le gouvernement a accès aux données collectées par Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi et autres opérateurs. </p>
<p>Les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/poi3.291">listes noires</a> (citoyens indignes de confiance), <a href="https://www.researchgate.net/publication/353602055_Blacklists_and_Redlists_in_the_Chinese_Social_Credit_System_Diversity_Flexibility_and_Comprehensiveness">listes rouges</a> (citoyens méritoires) et les systèmes de <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2021-1-page-55.htm">« crédit social »</a> privés et publics ont fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, les travaux récents ont montré que ces systèmes sont encore <a href="https://www.researchgate.net/publication/369147865_Civilized_cities_or_social_credit_Overlap_and_tension_between_emergent_governance_infrastructures_in_China">fragmentés et dispersés sur le plan de la collecte et de l’analyse des données</a>. Ils sont aussi plus <a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-981-99-2189-8">artisanaux</a> qu’algorithmiques, avec des processus parfois manuels d’entrée des données et peu de capacités à construire des profils intégrés de citoyens en compilant l’ensemble des données disponibles.</p>
<p>Comment les citoyens chinois vivent-ils cette exposition de tous les instants ? Dans mon ouvrage <a href="https://www.routledge.com/Living-with-Digital-Surveillance-in-China-Citizens-Narratives-on-Technology/Ollier-Malaterre/p/book/9781032517704"><em>Living with Digital Surveillance in China : Citizens’ Narratives on Technology, Privacy and Governance</em></a>, je présente une recherche que j’ai menée en 2019 en Chine. Cet ouvrage repose notamment sur 58 entretiens approfondis semi-structurés avec des participants chinois recrutés avec l’aide de mes collègues dans trois universités à Pékin, Shanghai et Chengdu.</p>
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<img alt="Des personnes penchées sur leur cellulaire circulent à bord d’un wagon" src="https://images.theconversation.com/files/578075/original/file-20240226-18-45emg3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578075/original/file-20240226-18-45emg3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578075/original/file-20240226-18-45emg3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578075/original/file-20240226-18-45emg3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578075/original/file-20240226-18-45emg3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578075/original/file-20240226-18-45emg3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578075/original/file-20240226-18-45emg3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans le métro de Pékin, des usagers consultent leur téléphone intelligent, où on s’informe, se divertit, échange d’innombrables messages, personnels et professionnels. Le gouvernement a accès aux données collectées par Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi et autres opérateurs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Démasquer et punir les contrevenants, gagner en moralité</h2>
<p>Comme mes collègues <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1461444819826402">Genia Kostka</a> et <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3958660">Chuncheng Liu</a>, j’ai constaté que de nombreux participants à ma recherche voient la surveillance comme indispensable pour remédier aux problèmes de la Chine. </p>
<p>Cet appui est sous-tendu par un système cohérent de récits angoissants, auxquels remédient des récits rédempteurs. Les récits angoissants insistent sur les lacunes morales que les participants à la recherche attribuent à la Chine : presque tous parlent du <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/mono/10.4324/9781003403876-6/rules-monitoring-raise-people-moral-quality-ariane-ollier-malaterre?context=ubx&refId=9424fad5-6e42-4823-874b-3a4adbf97a7b">« défaut de qualité morale »</a> de leurs concitoyens, qui se comporteraient comme des enfants ayant peu de sens moral. </p>
<p>La surveillance permet ainsi de faire appliquer les règles en punissant les contrevenants et de faire en sorte que les gens se comportent mieux. Les lacunes morales sont, dans le discours des participants, responsables du <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/mono/10.4324/9781003403876-7/national-humiliations-civilisation-dream-ariane-ollier-malaterre?context=ubx&refId=0167048c-9288-4a50-af2d-67ef75ca2d9a">« siècle d’humiliations »</a> vécu par la Chine depuis les guerres de l’opium et les invasions par le Japon : « civiliser » la population permettra à la Chine de gagner la reconnaissance internationale qu’elle désire ardemment. </p>
<p>Enfin, le fait de vouloir protéger sa vie privée est souvent vu comme une <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/mono/10.4324/9781003403876-8/saving-face-ariane-ollier-malaterre?context=ubx&refId=26e22dfc-2812-429d-a0b8-2df3e5fab205">volonté de cacher des secrets honteux pour sauver la face</a>. Là aussi, la surveillance permet de démasquer ces zones d’ombre et de gagner en moralité. </p>
<p>À ces récits de honte et de peur répondent d’autres qui agissent comme un antidote : celui du <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/mono/10.4324/9781003403876-10/government-protection-order-ariane-ollier-malaterre?context=ubx&refId=3bc7328b-b04b-45c3-91fc-80e059436273">gouvernement comme figure protectrice</a>, c’est-à-dire qui agit comme un parent bienveillant garantissant sécurité et prospérité à ses enfants, et celui, résolument techno-optimiste, de la <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/mono/10.4324/9781003403876-11/technology-magic-bullet-ariane-ollier-malaterre?context=ubx&refId=061fee9e-9fa6-4088-8fa3-9bcff0f94b6b">technologie comme solution magique</a> à tous les problèmes de la Chine et force civilisatrice qui va la propulser sur la voie de la reconnaissance internationale. </p>
<h2>Quatre types de tactiques mentales pour se distancier de la surveillance</h2>
<p>Pourtant, les personnes avec lesquelles je me suis entretenue expriment également de <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/mono/10.4324/9781003403876-14/misgivings-objections-ariane-ollier-malaterre?context=ubx&refId=a410f3e8-32c4-469e-9f52-c26deefb50c5">la frustration, de la peur et de la colère</a> à l’égard de la surveillance d’État. Près de 90 % d’entre eux emploient une ou plusieurs <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/mono/10.4324/9781003403876-13/mental-tactics-dissociate-oneself-surveillance-ariane-ollier-malaterre?context=ubx&refId=89ae4273-b251-495c-8293-92e28ba99ef3">tactiques mentales</a> pour se distancer et se protéger de la surveillance. </p>
<p>Mon analyse a permis d’en dégager quatre types :</p>
<p><strong>1 – Mettre la surveillance sous le tapis</strong></p>
<ul>
<li><p>Nier ou minimiser l’existence de la surveillance : « Personne ne regarde les caméras. Le gouvernement ne veut pas dépenser de l’argent pour payer des gens qui surveillent tout le temps. Quand ils en ont besoin, ils vérifient ; sinon, personne ne regarde. »</p></li>
<li><p>L’ignorer : « Si je n’aime pas l’idée que je n’ai pas de vie privée et de liberté, je choisis de l’ignorer, je n’y pense pas. » Ou encore : « Oui c’est vrai, mais la surveillance ne se rappelle pas à moi tout le temps. Parfois, je choisis de l’ignorer. »</p></li>
<li><p>La normaliser : « C’est normal de fournir ses données, tout le monde le fait en Chine. » ; « La plupart des gouvernements espionnent leurs citoyens. »</p></li>
<li><p>Redéfinir les restrictions comme étant temporaires, ou moindres que par le passé, ou moindres pour soi que pour d’autres, comme les fonctionnaires. Certains redéfinissent la liberté elle-même : « C’est le pays qui fait les lois, les règlements, c’est comme ça pour tous les peuples. Les autres comportements relèvent de ma liberté, par exemple ce que je vais manger ce midi. »</p></li>
</ul>
<p><strong>2 – Voir la surveillance comme ciblant les autres :</strong></p>
<ul>
<li><p>Parce que moi, je suis juste un citoyen ordinaire : « Je ne suis pas une personne influente, personne ne va vouloir regarder mes données. »</p></li>
<li><p>Ou parce que moi, je suis une bonne personne, et que « la liste noire c’est seulement pour les criminels : l’amélioration des comportements rendra le cadre de vie meilleur pour nous, qui respectons les règles. »</p></li>
</ul>
<p><strong>3 – Se mettre des œillères :</strong></p>
<ul>
<li><p>En se concentrant sur la vie quotidienne : « La plupart des gens ne se soucient pas de la vie privée. Ce qui les intéresse, c’est l’argent et le pouvoir. »</p></li>
<li><p>Ou sur l’instant présent : « On ne peut pas vivre sans AliPay. Nous avons la reconnaissance faciale ; la vidéosurveillance est partout. Ça ne me fait pas de tort pour le moment, jusqu’ici ça ne m’a pas fait de mal réel, donc je ne suis pas si inquiet. »</p></li>
</ul>
<p><strong>4 – S’en remettre au fatalisme :</strong></p>
<p>« Personne ne peut l’éviter… Je ne sais pas comment éviter ce risque, alors je l’accepte. » ; « Nous pensons que ce n’est inutile, enfin, cela ne sert à rien de passer du temps à discuter du système de crédit social puisque nous ne pouvons pas le changer. »</p>
<h2>Le poids cognitif et émotionnel de la surveillance</h2>
<p>En somme, l’imaginaire chinois de la surveillance est caractérisé par de fortes tensions psychiques : ce sont les mêmes personnes qui soutiennent la surveillance comme étant nécessaire dans le contexte chinois, et qui pourtant expriment tout le poids que cette exposition fait porter sur eux. </p>
<p>Ce poids s’exerce tant sur le plan cognitif, comme la variété des tactiques mentales d’auto-protection le montre, que sur le plan émotionnel, avec des réactions et un <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/mono/10.4324/9781003403876-15/self-censorship-ariane-ollier-malaterre?context=ubx&refId=3f08cb71-224e-498d-ac93-917dafa6d0aa">langage corporel particulièrement parlant</a>.</p>
<p>Et qu’en est-il pour nous ? Nous sommes aussi, dans les démocraties libérales occidentales, exposés à la surveillance numérique. Nos imaginaires de la surveillance sont, eux aussi, façonnés par nos environnements sociopolitiques, culturels et économiques. Mon travail me donne à penser que nos récits sur la surveillance sont pour partie communs à ceux des Chinois, et pour partie distincts. </p>
<p>Et vous, comment voyez-vous notre relation à la surveillance ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223051/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ariane Ollier-Malaterre a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Elle est membre du Work and Family Researchers Network, de l'Association of Internet Researchers et de l'Academy of Management.</span></em></p>La surveillance des citoyens par les États se développe dans le monde entier, mais c’est une réalité de la vie quotidienne en Chine. La population développe des tactiques mentales pour s’en distancier.Ariane Ollier-Malaterre, Professeure de management et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la régulation du digital dans la vie professionnelle et personnelle, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2128072023-09-07T15:36:04Z2023-09-07T15:36:04ZLa vidéosurveillance automatisée, déjà gagnante de la Coupe du monde de rugby en France<p>Ce vendredi 8 septembre 2023, débutera en France la <a href="https://www.rugbyworldcup.com/2023/">Coupe du monde de rugby organisée dans dix villes hôtes réparties dans le territoire</a>. L’enjeu est bien sûr sportif et économique… mais il est aussi sécuritaire.</p>
<p>En ce sens, l’événement sera l’occasion pour les pouvoirs publics d’expérimenter pour la première fois en France l’usage de la vidéosurveillance automatisée ou algorithmique (VSA). </p>
<p>Le principe de cette technique est de pouvoir détecter en temps réel et de manière automatisée (grâce au recours à des logiciels), des comportements ou des situations définies comme à risque. </p>
<p>Il peut s’agir, par exemple, de détecter un bagage abandonné ou un mouvement de foule. Cette technique se distingue de la reconnaissance faciale qui permet d’identifier biométriquement une personne et <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/11/23/jo-2024-la-reconnaissance-faciale-ne-sera-pas-experimentee-durant-les-jeux_6151265_3242.html">qui a été exclue pour le moment</a>. </p>
<h2>Un cadre légal permissif</h2>
<p>Le recours à ce type de dispositif, jusqu’alors impossible, a été permis par l’article 10 de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000046777392/">Loi du 19 mai 2023 « relative aux jeux olympiques et paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions »</a>. Celui-ci autorise le traitement automatisé d’images issues des caméras de vidéosurveillance déjà implantées (ou qui le seront, par exemple près des stades ou des fans zones) et celles des caméras installées <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/nouvelle-reglementation-sur-captation-dimages-de-drones-dans">sur les drones</a> qui pourront survoler les foules. </p>
<p>Si les <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/03/20/jo-de-paris-2024-pourquoi-la-videosurveillance-automatisee-fait-debat_6166273_4408996.html">débats ont été nombreux</a> et les <a href="https://www.laquadrature.net/2023/01/05/mobilisation-generale-contre-la-legalisation-de-la-videosurveillance-automatisee/">contestations associatives importantes</a>, est ainsi désormais autorisé « à titre expérimental », le traitement algorithmique de ces images, afin d’assurer la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles qui, « par l’ampleur de leur fréquentation ou par leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes ». Ce sont ainsi des logiciels, le <a href="https://www.nextinpact.com/lebrief/69124/le-nouveau-business-videosurveillance-algorithmique-automatisee">plus souvent développés par des entreprises privées</a>, qui permettent cette analyse automatisée des vidéos.</p>
<p>Malgré le titre du texte adopté par le Parlement, cette expérimentation <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2023/03/23/jo-2024-les-deputes-autorisent-la-videosurveillance-algorithmique-avant-pendant-et-apres-les-jeux_6166681_3242.html">s’étend bien au-delà des Jeux de 2024</a>. Déjà entrées en vigueur, ces dispositions autorisent les pouvoirs publics à user de ce nouveau dispositif dès maintenant dès lors que les circonstances prévues sont réunies. Or, tel semble être le cas pour l’organisation d’une compétition internationale comme la Coupe du Monde de rugby en France. Il faut également noter que <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047561974/#JORFARTI000047561986">l’article du 10 de la loi prévoit la fin de l’expérimentation, pour le moment, au 31 mars 2025</a>, soit environ sept mois après la fin des compétitions olympiques à Paris.</p>
<p>Les termes employés par l’article 10 sont peu précis, notamment lorsqu’il s’agit de « manifestations récréatives ». Cette indéfinition pourrait permettre juridiquement de voir s’appliquer la VSA à d’autres événements comme des festivals, des concerts ou d’autres rassemblements comme les traditionnels marchés de Noël.</p>
<h2>Une expérimentation risquée</h2>
<p>Le risque de telles expérimentations permises largement réside, précisément, dans l’abandon de leur caractère exceptionnel et temporaire, tel que la loi le précise actuellement. En ce sens, l’organisation des grands événements comme la Coupe du monde de rugby en France peut constituer un <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2023-1-page-46.htm">accélérateur de ces politiques exceptionnelles qui se voient ensuite pérennisées</a>. Les exemples étrangers ne manquent pas comme l’adoption de lois controversées, <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20171031-le-japon-adopte-une-loi-anti-conspiration-suscite-inquietude">à l’image d’une loi « anti-conspiration »</a> par le Japon à l’occasion des précédents Jeux olympiques.</p>
<p>En France, l’exemple de <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Europe-et-International/La-circulation-transfrontiere/Le-passage-rapide-aux-frontieres-exterieures-PARAFE">PARAFE</a>, dispositif de reconnaissance faciale pour le passage de frontière, est <a href="https://www.lepoint.fr/societe/les-aeroports-parisiens-se-mettent-a-la-reconnaissance-faciale-06-07-2018-2233828_23.php#11">particulièrement parlant</a>. Expérimenté en 2005, il a été pérennisé en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000824452">2007</a> puis étendu en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032372112">2016</a>. </p>
<p>Dès lors, il est possible de douter du caractère réellement expérimental du recours à <a href="https://www.cairn.info/la-globalisation-de-la-surveillance--9782707156259-page-166.htm">ces dispositifs de surveillance</a>. Ce constat est d’autant plus préoccupant qu’il sera difficile de tirer un bilan à ce titre après l’organisation de ces grands rassemblements sportifs. En effet, en l’absence (évidemment souhaitable) de tout événement dramatique, on ne manquera sans nul doute de saluer l’efficacité de ces outils — alors même que cette réussite serait sans doute expliquée par bien d’autres facteurs — tandis que s’il devait advenir un quelconque incident, on soulignerait la pertinence de renforcer <a href="https://www.cairn.info/revue-futuribles-2022-4-page-87.htm">ces dispositifs de surveillance et de contrôle</a>.</p>
<p>Ainsi, le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/10/adoptee-pour-les-jo-de-paris-2024-la-surveillance-algorithmique-n-a-jamais-fait-ses-preuves_6164900_3232.html">dispositif technosécuritaire aurait toujours raison</a> et ce d’autant plus que l’organisation de telles compétitions peut apparaître comme une <a href="https://www.sudouest.fr/sport/jeux-olympiques/les-jo-de-paris-vitrine-de-la-techno-police-16152110.php">« vitrine sécuritaire »</a> pour les États concernés aux yeux du monde.</p>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/la-reconnaissance-faciale-du-deverrouillage-de-telephone-a-la-surveillance-de-masse-184484">accoutumance à ces outils</a>, comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_cliquet">l’effet cliquet</a> — selon lequel il est <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2014/10/14/l-effet-de-cliquet-ennemi-de-la-democratie_4505904_3234.html">difficile de revenir en arrière une fois un cap passé</a> — rendent tout retour en arrière encore plus invraisemblable. </p>
<h2>Un dispositif biaisé</h2>
<p>Sur le fond, le but de la vidéosurveillance automatisée est de permettre la détection « en temps réel, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler ces risques » à partir des images de vidéosurveillance, dont les <a href="https://theconversation.com/video-surveillance-ou-vont-nos-donnees-171622">règles d’usage et de conservation ne sont pas modifiées</a>. Ces alertes sont alors ensuite transmises aux services de sécurité (au sein des postes de commandement ou dans des centres de vidéosurveillance) qui prennent les mesures nécessaires.</p>
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<p>Un tel fonctionnement permet aux défenseurs de ces techniques de soutenir le caractère subsidiaire de ces outils qui ne viseraient qu’à renforcer l’efficacité des forces de sécurité qui demeurent seuls décisionnaires. La vidéosurveillance automatisée <a href="https://lcp.fr/actualites/jeux-olympiques-gerald-darmanin-defend-l-usage-de-la-videosurveillance-algorithmique">ne serait en ce sens pas plus dangereuse</a> pour les libertés que la vidéosurveillance classique.</p>
<p>Or, une telle présentation nous semble en réalité peu réaliste. En effet, deux biais importants peuvent, à notre sens, être mis en évidence.</p>
<p>D’une part, en amont, utiliser la VSA impose aux concepteurs de ces outils ou aux donneurs d’ordre de définir très précisément et à l’avance les comportements à risque qui devront être recherchés par les caméras <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000048007150">au-delà de la liste relativement générale adoptée par décret</a>. Or, ces <a href="https://www.laquadrature.net/2022/03/23/quest-ce-que-la-videosurveillance-algorithmique/">« patterns »</a> ne correspondent pas nécessairement — voire rarement — à des infractions pénales puisqu’il peut s’agir du simple fait de ne pas respecter le sens de circulation majoritaire. En ce sens, leur définition revient à ériger une forme de norme sociale nouvelle renforçant encore davantage le <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2010-2-page-127.htm">sentiment de contrôle et l’intériorisation par les individus de cette norme</a>. </p>
<p>D’autre part, en aval, si l’action humaine est toujours nécessaire (la VSA n’autorise heureusement pas les arrestations automatiques), celle-ci se trouve particulièrement biaisée par la manière dont fonctionnent ces dispositifs. En effet, la VSA conduit à une forme de « présomption de risque » auquel il appartient ensuite à la personne soupçonnée de répondre (« pourquoi avez-vous l’air anxieux ? »). Le rôle de la police est alors profondément modifié et la <a href="https://theconversation.com/fiches-s-et-autres-fichiers-de-police-de-quoi-parle-t-on-vraiment-148640">garantie des droits, comme la présomption d’innocence, mise à mal</a>.</p>
<h2>Une incarnation du mythe du « risque zéro »</h2>
<p>En définitive, présentée comme une nécessité induite par l’impossibilité pour des agents humains de <a href="https://www.lyoncapitale.fr/actualite/la-police-nationale-prend-les-commandes-des-cameras-de-villeurbanne">garder un œil attentif sur des dizaines d’écrans</a> (là où deux autres solutions seraient envisageables : réduire le nombre de caméras ou recruter davantage d’agents), la vidéosurveillance automatisée contribue à renforcer le <a href="https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/IMG/pdf/H_L154_5._La_dictature_du_risque_zero_.pdf">mythe d’un « risque zéro »</a> impossible à atteindre. </p>
<p>Plus encore, cette course en avant permanente impose un autorenforcement impossible à limiter. Très concrètement, pour permettre à la VSA de fonctionner effectivement, les pouvoirs publics ont investi également très largement dans le renforcement du parc de caméras de vidéosurveillance qui, elles-mêmes, nécessiteront toujours davantage d’automatisation. Le ministre de l’Intérieur annonçait il y a peu en ce sens <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/833970/prevention-de-la-delinquance-les-credits-dedies-a-la-videosurveillance-vont-tripler/">44 millions d’euros en 2024 pour la vidéosurveillance, soit environ 15 000 nouvelles caméras</a> dont l’emplacement est décidé en grande majorité par les municipalités. Le piège est d’autant plus grand que s’y engouffrent les <a href="https://blogs.mediapart.fr/la-quadrature-du-net/blog/050423/videosurveillance-biometrique-derriere-l-adoption-du-texte-la-victoire-d-un-lobby">industriels et géants de la sécurité et du numérique</a>, <a href="https://lesjours.fr/obsessions/thales-surveillance/ep1-nice-safe-city/">heureux de vendre leurs solutions aux collectivités</a>.</p>
<p>Derrière le bel événement que représente l’organisation en France de la Coupe du monde de rugby, et bientôt celle des Jeux olympiques et paralympiques, il faut ainsi toujours rester sur ses gardes quant à l’avènement de techniques de surveillance ou de contrôle qui, présentés comme efficaces voire nécessaires pour garantir la sécurité de telles compétitions sportives, n’en demeurent pas moins dangereuses pour nos libertés et la démocratie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212807/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Nabat est membre de l'Observatoire de la surveillance en démocratie de l'université de Bordeaux. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Elia Verdon est membre de l'Observatoire de la surveillance en démocratie de l'université de Bordeaux.</span></em></p>Des algorithmes peuvent être utilisés pour repérer des comportements et événements classés « à risque » lors de grands événements – une automatisation qui présente aussi des risques pour les libertés.Yoann Nabat, Enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles, Université de BordeauxElia Verdon, Doctorante en droit public et en informatique, CERCCLE (EA 7436) et LaBRI (UMR 5800), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1844842022-06-10T16:48:52Z2022-06-10T16:48:52ZLa reconnaissance faciale, du déverrouillage de téléphone à la surveillance de masse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/467154/original/file-20220606-16-jxb1i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C261%2C1917%2C1580&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment marche la reconnaissance faciale? En fonction de la réponse, les risques de surveillance varient beaucoup.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/WdNTHwtGjv0">Jan Canty, Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Les évènements intervenus au Stade de France dans le contexte de la finale de la Ligue des Champions en 2022 ont servi d’argument pour renouveler les discours <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/stade-de-france-christian-estrosi-prone-la-reconnaissance-faciale-20220531">prônant l’utilisation de la reconnaissance faciale pour la sécurisation de grands évènements</a>, comme les Jeux olympiques ou la Coupe du Monde de rugby à venir en France.</p>
<p>Cette promotion de la reconnaissance faciale fait écho au dernier <a href="http://www.senat.fr/rap/r21-627/r21-6271.pdf">rapport du Sénat</a> proposant le recours, à titre expérimental, à la reconnaissance « biométrique sur la voie publique en temps réel […] à des fins de sécurisation des grands évènements ».</p>
<p>Ces propositions d’expérimentations soulèvent des risques d’accoutumance des populations, facilitant par la suite une pérennisation de cette technologie, qualifiée par le professeur de droit et d’informatique Woodrow Hartzog de <a href="http://cyberlaw.stanford.edu/publications/facial-recognition-perfect-tool-oppression,">« mécanisme de surveillance le plus dangereux qui ait été inventé »</a>. Les risques en matière de surveillance des individus et de protection des libertés induits par la reconnaissance faciale sont assurément importants.</p>
<h2>Identification et authentification, deux finalités aux enjeux bien différents</h2>
<p>L’identification biométrique vise à retrouver un individu au sein d’un ensemble de personnes, au moyen de sa biométrie (par exemple son visage). On compare alors le visage de la personne recherchée à tous les autres visages inscrits dans une base de données constituée au préalable. Cet usage peut s’effectuer en temps réel, ou bien_ a posteriori_ sur des séquences d’images enregistrées.</p>
<p><em>A contrario</em>, l’authentification vérifie qu’une personne est bien celle qu’elle prétend être. Pour cela, on compare en temps réel sa biométrie préalablement enregistrée – et seulement celle-ci – avec les caractéristiques biométriques de la personne. C’est le cas par exemple pour déverrouiller certains smartphones ou encore pour le contrôle aux frontières via le système PARAFE (où les données de la personne ont été préenregistrées dans une puce au sein du passeport lors de sa fabrication).</p>
<p>Ces deux finalités, authentification et identification, n’impliquent pas le même degré de surveillance des individus : l’identification des individus par un système de reconnaissance faciale, notamment sur la voie publique, a des potentialités de surveillance bien plus importantes que l’authentification, qui s’effectue pour accéder à un lieu précis.</p>
<h2>Quelle surveillance l’identification faciale rend-elle possible ?</h2>
<p>L’identification rend nécessaire la constitution d’une base de données centralisant les « gabarits », c’est-à-dire des <a href="https://www.cnil.fr/fr/reconnaissance-faciale-pour-un-debat-la-hauteur-des-enjeux">modèles informatiques quantifiant les caractéristiques essentielles des visages préenregistrés</a> : positions et tailles relatives des yeux, menton, bouche, etc. En France, l’identification faciale est permise depuis <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000025818357/2012-05-07/">2012</a> <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32727">à des fins d’enquête judiciaire</a> par les services de police dans la recherche d’auteurs d’infraction : les visages de personnes suspectées d’infraction peuvent être comparés aux visages inscrits dans le fichier du « traitement des antécédents judiciaires », ou « TAJ ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fiches-s-et-autres-fichiers-de-police-de-quoi-parle-t-on-vraiment-148640">« Fichés S » et autres fichiers de police : de quoi parle-t-on vraiment ?</a>
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<p>La centralisation des visages au sein d’une base de données soulève des risques de surveillance, car le couplage de ces données faciales avec des caméras de surveillance ou des drones est susceptible de permettre la mise en place d’un système de reconnaissance faciale à distance, en temps réel, dans l’espace public, et à l’insu des individus.</p>
<p>Cette technologie est particulièrement individualisante, au regard de la distinction qu’elle peut faire entre les individus au moyen de leurs caractéristiques faciales. Étant donné qu’il est <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022911670/">interdit de dissimuler son visage dans l’espace public</a>, le déploiement de caméras de surveillance à reconnaissance faciale automatique entraînerait le suivi continu et généralisé des populations. L’individu serait alors privé de son <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006419288/">droit à la vie privée</a> et à l’anonymat, tous deux des droits fondamentaux primordiaux en démocratie.</p>
<p>Bien que la reconnaissance faciale en temps réel dans l’espace public ne soit pas aujourd’hui autorisée en France, les diverses <a href="https://www.cnil.fr/fr/experimentation-de-la-reconnaissance-faciale-dans-deux-lycees-la-cnil-precise-sa-position">tentatives</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/02/18/nice-va-tester-la-reconnaissance-faciale-sur-la-voie-publique_5425053_3224.html">expérimentations passées</a> et <a href="http://www.senat.fr/rap/r21-627/r21-6271.pdf">à venir</a> imposent de comprendre les risques de cette technologie. Si l’identification des individus par un système de reconnaissance faciale peut sembler louable pour des raisons de sécurité publique ou de résolution d’enquêtes, cela est plus discutable au regard de la généralisation de la surveillance faciale des individus.</p>
<h2>Le choix d’une reconnaissance faciale protectrice</h2>
<p><em>A contrario</em>, l’utilisation de la reconnaissance faciale à des fins d’authentification d’un individu conduit à un degré de surveillance moindre, car il est alors possible de ne pas centraliser les visages au sein d’une base de données. En effet, l’authentification peut être effectuée en comparant le visage photographié en temps réel au gabarit du visage préalablement enregistré, soit dans un support physique (son passeport, sa carte d’identité, son téléphone, etc.), soit dans une base de données.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467155/original/file-20220606-14-rhqr0g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467155/original/file-20220606-14-rhqr0g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467155/original/file-20220606-14-rhqr0g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467155/original/file-20220606-14-rhqr0g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467155/original/file-20220606-14-rhqr0g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467155/original/file-20220606-14-rhqr0g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467155/original/file-20220606-14-rhqr0g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Système automatisé de contrôle des passeports à l’aéroport Charles de Gaulle, en 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2016-08_PARAFE.jpg">0x010C/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Utiliser une base de données centralisée pour l’authentification induit les mêmes enjeux que l’identification. En revanche, si le gabarit est inscrit au sein d’un support physique, il sera plus aisé d’écarter les risques d’une société de surveillance en redonnant à l’individu le contrôle sur sa biométrie (on parle alors de « biométrie à la main de l’usager »).</p>
<h2>Légiférer pour mieux protéger les libertés</h2>
<p>Au vu des risques de surveillance que fait peser cette technologie, il semble nécessaire de ne pas éroder nos libertés. Si le rapport du Sénat se veut force de propositions en la matière, il est parfois ambigu. En effet, il <a href="http://www.senat.fr/rap/r21-627/r21-6271.pdf">propose</a> d’interdire « l’utilisation de la reconnaissance biométrique à distance en temps réel dans l’espace public », tout en posant directement des exceptions à ce principe (proposition 22).</p>
<p>Par ailleurs, dans un souci de préservation des libertés, il aurait pu préciser, voire imposer, l’authentification biométrique à la main de l’usager, lorsqu’il évoque l’utilisation de l’authentification biométrique <a href="http://www.senat.fr/rap/r21-627/r21-6271.pdf">à des fins de fluidification des flux de certains évènements</a> (proposition 16).</p>
<p>Enfin, une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/05/15/san-francisco-interdit-la-reconnaissance-faciale_5462287_3234.html">interdiction de l’utilisation de la reconnaissance faciale dans l’espace public</a>, comme à San Francisco, permettrait d’amoindrir les risques d’une société de surveillance. Le rapport du Sénat propose à plusieurs reprises des expérimentations (propositions 7, 14 et 22). Or, les expérimentations ont tendance à se généraliser. Tel fut le cas de PARAFE : il s’agissait à l’origine d’une expérimentation visant le passage rapide aux frontières extérieures par reconnaissance automatisée des empreintes digitales. Ce système a par la suite été pérennisé et s’est vu doter de <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F35295">nouvelles capacités d’authentification par reconnaissance faciale</a>. Ces expérimentations, motivées par des arguments de praticité (fluidifier les accès et améliorer l’« expérience utilisateur »), entraînent des risques d’accoutumance et qui ne sont pas sans risque pour les libertés. Une légère facilité du quotidien permise par cette technologie vaut-elle le prix de nos libertés fondamentales (droit à la vie privée, liberté d’aller et venir anonymement, etc.) ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184484/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elia Verdon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec la reconnaissance faciale, le diable est dans les détails : le niveau de risque de surveillance dépend de la technologie utilisée.Elia Verdon, Doctorante en droit public et en informatique, CERCCLE (EA 7436) et LaBRI (UMR 5800), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1827782022-05-16T19:47:10Z2022-05-16T19:47:10ZRéforme de l’échange des données policières en Europe : vers une surveillance renforcée ?<p>Pandémie, soutien à l’Ukraine, politiques économiques : plus que jamais, l’Union européenne semble au-devant de nombreuses actualités. Parmi les <a href="https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/principles-and-values/aims-and-values_fr">objectifs assignés à l’Union européenne</a> se trouvent bien sûr des enjeux économiques, démocratiques et sociétaux mais également sécuritaires. L’Union doit ainsi permettre de favoriser une plus grande sécurité au sein de l’espace européen.</p>
<p>Or, répondre à cet impératif implique notamment de favoriser la coopération entre les organes policiers et judiciaires de chaque pays. En ce sens, on a récemment évoqué la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/03/les-debuts-prometteurs-du-parquet-europeen_6107976_3210.html">création d’un parquet européen</a> qui doit devenir une autorité de poursuite centralisée pour certaines infractions.</p>
<p>Peut-être moins médiatique se trouve ici la question de l’échange des informations entre services de pays différents. Elle apparaît pourtant absolument essentielle dans la <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-cooperation-police-justice">pratique quotidienne des forces de l’ordre</a> et des juridictions, de l’enquête au jugement.</p>
<h2>Des traités existants</h2>
<p>C’est pour ces raisons que dans le cadre des accords de Schengen, assurant la <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-fonctionnement-de-l-espace-schengen/">libre circulation des personnes entre les pays signataires</a>, a été mis en place un système policier d’échange d’informations. Le <a href="https://www.cnil.fr/fr/sis-ii-systeme-dinformation-schengen-ii">Système d’information Schengen (SIS)</a>, désormais dans sa seconde version, constitue ainsi toujours la principale source de renseignements pour les enquêteurs lors d’infractions transfrontalières.</p>
<p>Le SIS est une grande base de données. Organisé en plusieurs fichiers, il contient des informations notamment sur des personnes recherchées et sous surveillance policière. Il comprend un grand nombre de données, y compris les empreintes digitales. Néanmoins, son usage est très encadré et passe notamment par un <a href="https://www.cnil.fr/fr/sis-ii-systeme-dinformation-schengen-ii">bureau national présent dans chaque pays</a>. Par ailleurs, le SIS ne permet pas l’échange des informations génétiques.</p>
<p>Pour répondre à ces marques, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000017865342">traité de Prüm</a> (appelé par certains « Schengen plus ») a été signé en 2005 d’abord pris entre quelques États. <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A32008D0615">Intégré au droit de l’Union européenne en 2008</a>, il autorise ainsi l’échange automatisé entre les services de police des différents pays européens des empreintes digitales mais aussi <a href="https://cesice.univ-grenoble-alpes.fr/sites/cesice/files/Mediatheque/Documents/resume_marie_nicolas.pdf">notamment des données génétiques</a> et des informations portant sur l’immatriculation des véhicules.</p>
<p>Ces communications entre polices européennes peuvent avoir lieu sur tout type de délit ou de crime, mais sont sans doute en pratique le plus souvent réservées aux cas de criminalité transfrontalière (comme un trafic de stupéfiants par exemple).</p>
<h2>Un cadre jugé insuffisant</h2>
<p>C’est du système de Prüm, qui existe toujours en parallèle du SIS, dont on reparle aujourd’hui. En effet, plus de quinze ans après, voilà plusieurs mois que les Européens échangent à nouveau sur ces questions pour permettre l’adoption d’accords « Prüm 2 ».</p>
<p>La présidence française du Conseil de l’Union européenne, si elle n’est pas à l’initiative du projet, <a href="https://www.statewatch.org/news/2022/april/eu-policing-france-proposes-massive-eu-wide-dna-sweep-automated-exchange-of-facial-images/">y prend une part importante</a> et appuie sa finalisation.</p>
<p>Pourquoi une telle nécessité ? Dans un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_6645">document de décembre dernier</a>, la Commission européenne expose ce que serait le tableau noir des échanges policiers dans le cadre actuel : accords partiels, multiples et complexes, équipements non compatibles, pas de canal unique de communication, pertes d’informations.</p>
<p>Plus encore, un manque se ferait ressentir dans la pratique, selon le même document : l’absence d’outil automatisé de comparaison des images faciales des personnes fichées. Si les photographies peuvent déjà être échangées, cela se fait au cas par cas, de manière manuelle, ce qui engendrerait une perte de temps importante.</p>
<h2>Deux modifications majeures</h2>
<p>Le nouveau système proposé doit répondre à ces critiques. Pour cela, <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=COM%3A2021%3A784%3AFIN&qid=1639141496518">deux modifications majeures sont proposées</a>.</p>
<p>D’une part, en lieu et place du cadre actuel qui fonctionne par échanges bilatéraux, comme une messagerie électronique, le projet d’accord prévoit un système centralisé. Il ne s’agirait donc plus, par exemple, pour le policier français de demander au policier espagnol une information sur un suspect, qui lui répond, de manière manuelle ou automatisée. Désormais, le policier français se connecterait sur une interface centralisée lui donnant directement accès aux différentes bases nationales qui y seraient toutes connectées.</p>
<p>D’autre part, le nouveau système permettrait l’échange de photographies faciales, pour le moment exclues du dispositif. L’usage de systèmes de reconnaissance faciale à partir de ces banques de données serait également permis. Les casiers judiciaires seraient également accessibles automatiquement.</p>
<h2>Un avis mitigé de la CNIL européenne</h2>
<p>Ces modifications ne sont pas mineures mais relèvent en réalité d’un <a href="https://www.nextinpact.com/article/49249/vers-partage-facilite-dimages-faciales-et-casiers-judiciaires-entre-polices-ue">changement d’échelle</a>. En effet, même si cette réforme ne conduit pas à la création d’une base de données centralisée, elle permet une recherche automatisée et immédiate dans tous les fichiers nationaux des pays membres.</p>
<p>Des garde-fous encadrent bien sûr cette possibilité. Le texte prévoit ainsi que, en cas d’usage du système de reconnaissance faciale, le « match » ne pourra être validé que par un humain qui devra confirmer l’identité de la personne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/video-surveillance-ou-vont-nos-donnees-171622">Vidéo-surveillance : où vont nos données ?</a>
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<p>Pour autant, les risques sur les libertés fondamentales et, partant, en matière de surveillance, sont réels. Le CEPD, <a href="https://edpb.europa.eu/edpb_fr">autorité européenne de la protection des données</a> (sorte de CNIL européenne) a ainsi très récemment mis en garde, dans son avis rendu sur le projet dans sa <a href="https://edps.europa.eu/data-protection/our-work/publications/opinions/edps-opinion-proposal-regulation-automated-data_en">dernière version</a>, sur plusieurs points importants.</p>
<p>Le CEPD soulève ainsi notamment l’absence de nécessité de démontrer des soupçons d’un crime grave sur un individu pour pouvoir procéder à la recherche dans les bases européennes. Les infractions autorisant cette consultation ne sont même pas précisément délimitées. Le risque est alors celui de consultations assez régulières voire massives, même en dehors de caractère particulièrement grave ou transfrontalier.</p>
<h2>Le menace d’une massification de la surveillance</h2>
<p>En ce sens, la recherche automatisée par données génétiques est possible quelque soit l’infraction et quel que soit le statut de la personne fichée. En France, le FNAEG autorise ainsi la collecte de personnes seulement soupçonnées, sans même qu’elles n’aient été condamnées. Le projet « Prüm 2 » ne distingue pas et prend en compte l’ensemble de ces informations.</p>
<p>Ces deux dernières remarques font peser le risque d’une surveillance massifiée. Cela d’autant plus que l’usage de la reconnaissance faciale à l’échelle européenne serait grandement facilité par cet accord, alors même que les <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/le-controleur-europeen-soppose-a-la-reconnaissance-faciale-dans-les-lieux-publics-1407095">critiques contre cette technologie sont nombreuses</a>, y compris au niveau européen. Celle-ci permet en effet un <a href="https://theconversation.com/video-surveillance-ou-vont-nos-donnees-171622">contrôle d’identité virtuel permanent des individus sur l’espace public</a>, sans compter les risques de discrimination de certaines populations.</p>
<p>Plus encore, même s’il est précisé que l’obtention des informations ne pourra se faire qu’en accord avec le droit national de l’agent demandeur, des questions pourraient en outre être soulevées quant au cadre français. Par exemple, en France, les policiers n’ont pas directement accès au <a href="https://www.cnil.fr/fr/cnil-direct/question/casier-judiciaire-que-peut-y-trouver-sur-moi">casier judiciaire</a> que peut seul consulter un magistrat alors même qu’il serait ici permis l’échange automatique des casiers entre services policiers.</p>
<p>Concrètement, le risque est donc bien celui d’une massification de la surveillance en autorisant l’accès systématique à toutes les bases de données policières européennes, y compris aux informations les plus sensibles (données génétiques et photographies) et par les mécanismes les plus automatisés (comparaisons informatisées, reconnaissance faciale, etc.).</p>
<p>Ainsi, derrière ces considérations qui pourraient paraître particulièrement techniques, c’est bien à travers le prisme de la surveillance et du respect des libertés fondamentales qu’il faut étudier ce projet. Celui-ci s’inscrit d’ailleurs dans un contexte général, tant européen que national, où la future <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/284424-projet-loi-orientation-programmation-ministere-interieur-lopmi-2023-27">Loi de programmation et d’orientation</a>. du ministère de l’Intérieur favorise encore la vidéosurveillance et l’accès aux bases de données.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182778/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Nabat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un projet de réforme au niveau européen prévoit d’élargir un peu plus les possibilités d’échanges automatisés d’informations entre polices européennes, au risque de formes nouvelles de surveillance.Yoann Nabat, Doctorant en droit privé et sciences criminelles, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1761712022-02-03T17:45:39Z2022-02-03T17:45:39Z« Le pour et le contre » : Faut-il s’inspirer du système de crédit social chinois ?<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/61f8f1bf8af2c50012ebccd3" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><em>Dans « Le pour et le contre », Julien Pillot (Inseec) dresse l’inventaire, non exhaustif, des arguments favorables et défavorables que donne la recherche académique sur une question de notre temps. Une boîte à outils qui vous aidera à vous positionner face aux grands sujets de société, à quelques semaines de l’élection présidentielle.</em></p>
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<p>Dans un épisode majeur de la série dystopique <em>Black Mirror</em> intitulé <em>NoseDive</em>, la société du futur y est dépeinte comme régie par les notations que les individus attribuent à l’ensemble de leurs interactions sociales. Autrement dit, plus votre score social est élevé, meilleurs sont vos droits.</p>
<p>En Chine, la réalité a dépassé la fiction, puisque dans les plus grandes régions du pays, ce système de crédit social s’applique. Pourrait-il faire des émules en Occident ? Pourrions-nous nous acheminer vers une convergence de la gestion des individus via des algorithmes, comme le laisse penser Jean-Marie Guéhenno, professeur à Columbia et ancien secrétaire général adjoint des Nations unies ?</p>
<p>Dans ce cinquième épisode de notre série <em>Le pour et le contre</em>, Julien Pillot, enseignant-chercheur en économie à l’Inseec Grande École (groupe OMNES Education), détaille ce que dit la recherche de cette question. À vous de vous faire votre opinion.</p>
<p><strong>À écouter aussi</strong> <br>
<a href="https://theconversation.com/qatar-2022-jo-2024-faut-il-continuer-a-organiser-des-mega-evenements-sportifs-174346">Episode #1 - Faut-il continuer à organiser des méga-événements sportifs ?</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/le-pour-et-le-contre-faut-il-mener-une-politique-de-ruissellement-des-richesses-174710">Episode #2 - Faut-il mener une politique de « ruissellement » des richesses ?</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/le-pour-et-le-contre-faut-il-augmenter-les-droits-dinscription-a-luniversite-175106">Episode #3 - Faut-il augmenter les droits d’inscription à l’université ?</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/le-pour-et-le-contre-faut-il-interdire-les-vehicules-thermiques-175572">Episode #4 - Faut-il interdire les véhicules thermiques ?</a> <br></p>
<h2>Références citées dans le podcast (liste non exhaustive)</h2>
<ul>
<li><p><a href="https://editions.flammarion.com/le-premier-XXIe-si%C3%A8cle/9782080255969">« Le premier XXIᵉ siècle : De la globalisation à l’émiettement du monde »</a> (Éditions Flammarion), Jean-Marie Guéhenno (2021).</p></li>
<li><p><a href="http://www.cepremap.fr/depot/opus/OPUS09.pdf">« La société de défiance : comment le modèle social français s’autodétruit »</a> (Cepremap), Yann Algan et Pierre Cahuc (2007).</p></li>
<li><p><a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1461444819826402">« China’s social credit systems and public opinion : Explaining high levels of approval »</a>, Genia Kostka (2019).</p></li>
</ul>
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<p><em>Crédits, conception, Julien Pillot et Thibault Lieurade. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176171/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les technologies de contrôle des citoyens peuvent réduire le coût social des crimes et des incivilités, mais posent de questions troublantes en termes de droit à la vie privée.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1550062021-03-14T17:22:59Z2021-03-14T17:22:59ZLoi « Sécurité globale » : un film documentaire pour décrypter trois points sensibles<p>De la <a href="https://reporterre.net/Contre-la-loi-Securite-globale-la-flamme-de-la-liberte-brule-dans-le-Vercors">Drôme</a> à <a href="https://www.dna.fr/transport/2021/02/13/manifestation-contre-la-loi-securite-globale-des-bouchons-autour-des-halles">Strasbourg</a> en passant par <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/brest-29200/brest-8e-manifestation-contre-la-loi-de-securite-globale-7153891">Brest</a>, nombreuses sont encore les manifestations, parfois très localisées et rassemblant de petits noyaux de personnes, s’érigeant contre la proposition de loi « Sécurité globale », qui revient pour une <a href="https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/202012/securite_globale.html">première lecture au Sénat</a> le 16 mars 2021.</p>
<p>Plusieurs mesures sont perçues comme particulièrement problématiques par l’opinion : l’accroissement des pouvoirs des agents de sécurité privés, l’utilisation des drones pour surveiller la population ou encore l’interdiction de diffuser des images de policiers. Le moment singulier choisi pour faire adopter cette loi et le recours à la procédure parlementaire accélérée suscitent aussi de nombreuses interrogations.</p>
<p>Une équipe de chercheurs et de chercheuses décryptent ces questions dans un <a href="https://kparrot.gitlab.io/securite-globale-de-quel-droit/">documentaire de recherche</a>, « Sécurité globale, de quel droit ? ».</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/506052816" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">De quel droit ? Un film réalisé par Karine Parrot et Stéphane Elmadjian, AGITI Films, 1e février 2021.</span></figcaption>
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<h2>La proposition de loi accroît fortement les capacités et pouvoirs de surveillance des forces de l’ordre</h2>
<p>L’un des mécanismes proposés est relatif à la fixation de caméras frontales sur les autobus, tramways et tout autre matériel roulant appartenant aux opérateurs de transport public de voyageurs. Alors qu’un système de surveillance existe déjà à l’intérieur des moyens de transport dans les stations de métros, les abribus, <em>etc.</em>(article L. 1632‑2 du code des transports), il s’agit ici de filmer l’ensemble de la voie publique… et même l’intérieur des magasins ouverts au public.</p>
<p>Dès lors, ce n’est plus le seul usager du service de transport qui sera filmé, mais l’ensemble des personnes circulant sur la voie publique. La proposition de loi prévoit seulement une information générale du public sur l’emploi de ces caméras, organisée par le ministre chargé des transports.</p>
<p>Il suffira alors de collecter l’ensemble des données de ces caméras frontales pour reconstituer une surveillance quasiment continue de l’espace public. Annoncé comme expérimental, ce système est bien entendu destiné à être pérennisé : il fait en effet peu de doute que l’acquisition par les entreprises de transports privées d’un matériel de captation extrêmement coûteux devra être rentabilisée.</p>
<p>Par ailleurs, l’article 28 <em>ter</em> de la proposition de loi autorise les entreprises à transmettre aux forces de l’ordre les images captées à l’intérieur des moyens de transport de manière inconditionnée, alors que cette transmission était jusqu’à présent limitée à l’existence de circonstances liées à la commission imminente d’une infraction (article L. 1632‑2 du code des transports).</p>
<p>La proposition de loi supprime cette finalité et permet ainsi aux entreprises de transport de transmettre à la police leurs images captées à l’intérieur des transport sans justification particulière. De leur côté, les caméras piétons portées par les forces de l’ordre pourront désormais servir à « informer le public quant aux circonstances de l’intervention ».</p>
<p>Autrement dit, la proposition de loi offre aux forces de l’ordre la possibilité de publier des images officielles de leurs interventions, tout en dépouillant, dans le même temps, les citoyens de ce droit.</p>
<p>Le développement de ce système de surveillance globale passe également par l’utilisation de capteurs sonores, thermiques, d’images qui désormais pourront être embarqués par des drones.</p>
<p>En dehors de tout cadre légal, des pratiques de vidéosurveillance par drones commençaient à s’étendre, donnant l’occasion <a href="https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-18-mai-2020-surveillance-par-drones">au Conseil d’État</a> de les sanctionner car portant « une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée » (CE, Ord. Association « La Quadrature du Net » et la LDH, 18 mai 2020, CE, Ord. 22 décembre 2020, Association « La Quadrature du Net »).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1367114945297608708"}"></div></p>
<p>Dans son article 22 sur « les caméras aéroportées », la proposition de loi prévoit de légaliser ces pratiques en prévoyant que : « les autorités publiques […] peuvent procéder au traitement d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs », images qui peuvent « être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné ». Alors qu’il s’agit d’un traitement de données personnelles, les règles qui s’y appliquent (RGPD et loi de 1978 modifiée), ne sont pas respectées. Par exemple, si le texte prévoit que le public sera informé « par tout moyen » de l’utilisation de ces dispositifs, c’est pour ajouter immédiatement qu’il ne sera cependant pas informé si « les circonstances l’interdisent » ou si cette information entre « en contradiction avec les objectifs poursuivis ».</p>
<p>Or, un drone qui surveille une manifestation peut être perçu comme un instrument d’intimidation, pouvant dissuader les personnes de manifester par crainte que les images collectées soient ensuite utilisées contre elles, comme l’a souligné la CNCDH (Avis A, 2020, 16). Parce qu’elles peuvent révéler des opinions politiques, syndicales, des convictions religieuses, ces images correspondent à des données sensibles et devraient être particulièrement protégées, ce que la loi ne prévoit pas.</p>
<p>Autrement dit, ces dispositifs ne portent pas seulement atteinte au droit à la vie privée, ils menacent également la liberté d’expression, la liberté d’opinion et la liberté de manifester, comme l’a fait remarquer la CNIL dans son avis du 26 janvier 2021.</p>
<p>Le texte est d’autant plus préoccupant qu’il n’interdit pas le couplage de ces dispositifs avec les technologies de reconnaissance faciale que certaines villes françaises, comme Nice, ont déjà expérimenté malgré les alertes de la CNIL (Avis 17 octobre 2019) et les condamnations du juge administratif (TA Marseille, 3 février 2020).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peur-sur-la-ville-le-marche-des-safe-cities-138313">Peur sur la ville : le marché des « safe cities »</a>
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<p>Rien, non plus, n’empêche de confier le visionnage voire le traitement des images à des acteurs privés, puisque la sous-traitance n’est pas explicitement interdite par le texte. L’amendement de Philippe Latombe visant à l’interdire a, en effet, été rejeté.</p>
<p>Le recours à ces dispositifs, particulièrement attentatoires aux libertés et par ailleurs très coûteux. Ainsi, à Clamart, commune des Hauts-de-Seine, l’installation d’une caméra coûte environ 25 000 euros (rapport Cour des comptes octobre 2020, p. 67). Il est pourtant encouragé, bien qu’aucune étude n’a démontré leur efficacité sur la baisse de la délinquance ou l’élucidation d’affaires, comme l’a souligné la Cour des comptes dans son <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-rapport-public-annuel-2020">rapport d’octobre 2020</a>.</p>
<h2>À côté de cette surveillance de masse, la loi chercherait à limiter la diffusion des images représentant les forces de l’ordre</h2>
<p>Dans quelle mesure cela est-il possible ?</p>
<p>La disposition la plus controversée de la proposition de loi relative à la sécurité globale est sans aucun doute celle contenue dans <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/securite/loi-securite-globale-l-article-24-est-une-atteinte-a-la-liberte-d-expression-7091902">l’article 24</a> qui prévoit de créer un délit de diffusion de l’image d’un policier dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, assorti d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.</p>
<p>Clairement, il s’agit d’une limite importante à la liberté d’expression et de communication de tout citoyen. Il est vrai que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu et qu’il peut y être apporté des limites en cas de dérive ou d’abus, limites qui peuvent prendre la forme d’une incrimination (diffamation, injure par exemple).</p>
<p>Et si la protection de l’intégrité de toute personne en général et de tout policier en particulier est un motif légitime d’incrimination, cela n’autorise pas pour autant la création d’un délit aussi vague.</p>
<p>En effet, le recours au droit pénal ne se fait pas de n’importe quelle manière et doit respecter des conditions en termes de précision du texte et de matérialité du comportement réprimé (art. 111-3 du code pénal).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/W3EtiRIhXjs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La loi « sécurité globale » menace-t-elle la démocratie ?</span></figcaption>
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<p>Or, que constate-t-on ici ? Ce n’est pas l’atteinte à l’intégrité qui est réprimée (elle l’est déjà dans le code pénal et de manière aggravée d’ailleurs lorsqu’elle est commise contre un représentant de l’ordre, par exemple en matière de violences volontaires, art. 222-8 du code pénal), ce n’est pas non plus la tentative ni la préparation d’une telle atteinte qui sont réprimées, c’est un comportement complètement déconnecté d’une telle atteinte :</p>
<blockquote>
<p>« le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support […] l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale ».</p>
</blockquote>
<p>En quoi est-ce que le fait de diffuser l’image d’un représentant de l’ordre est nuisible à l’ordre public au point de justifier le recours au droit pénal ? Comment les journalistes pourront-ils, avec un tel texte, continuer à exercer leur métier sereinement, sans s’autocensurer ou risquer d’être placés en garde à vue ? Car il ne faut pas s’y tromper.</p>
<p>Le texte est à ce point contraire aux principes fondamentaux du droit pénal qu’il est inapplicable : comment démontrer en effet que cette diffusion est faite « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique » ?</p>
<p>Comment un juge pourrait-il accepter de condamner un individu pour une intention établie de manière divinatoire ? Mais ce texte, tout aussi impuissant qu’il soit à fonder une condamnation, suffira, à partir du moment où il entrera en vigueur, à fonder une intervention policière (pendant une manifestation par exemple) et à placer en garde à vue des individus gênants qui auraient eu la mauvaise idée de filmer ou de photographier des policiers en action.</p>
<h2>Le film questionne aussi la manière dont les lois sont fabriquées ces dernières années</h2>
<p>À première vue, on pourrait se réjouir : il n’est pas si courant qu’une réforme présentée comme majeure pour un quinquennat présidentiel trouve son origine dans une « proposition de loi » plutôt que dans un « projet de loi », c’est-à-dire dans un texte déposé à l’initiative de parlementaires, et non du <a href="https://www.senat.fr/leg/">gouvernement</a>.</p>
<p>Il est néanmoins très vite apparu que l’initiative parlementaire en question était une tromperie : le gouvernement porte les dispositions de la loi comme s’il s’agissait de son propre projet, au point que, sur certains articles comme l’article 24, le ministre de l’Intérieur en revendique ouvertement la paternité, ainsi que le professeur <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/quelques-jours-dans-la-vie-de-larticle-24-par-nicolas-molfessis/">Molfessis l’a relevé</a>.</p>
<p>On peut parler à ce propos d’un véritable détournement des procédures constitutionnelles de fabrique de la loi : comme le résume la <a href="https://www.cncdh.fr/node/2154">Commission nationale consultative des droits de l’homme</a> :</p>
<blockquote>
<p>« en n’assumant pas directement le choix de ces nouvelles orientations sécuritaires, qu’il aurait dû détailler dans un nouveau projet de loi, le gouvernement prive le parlement et la société d’un débat sur leur impact ainsi que d’une expertise juridique du Conseil d’État, préalables requis à l’examen parlementaire de tout projet de loi, mais pas pour une proposition de loi ».</p>
</blockquote>
<p>Loin d’un processus plus démocratique de production de la loi, par la prise en charge directe et collective, de la part des représentants de la nation, du travail d’écriture, l’initiative parlementaire joue ici à contresens : la proposition de loi est le produit d’un processus d’une rare obscurité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7f8ufhzsn08?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Loi sécurité globale : « Je saisirai moi-même le Conseil constitutionnel », promet Castex.</span></figcaption>
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<p>On ne connaît pas précisément, en particulier, les groupes d’intérêts ayant agi sur sa rédaction. Dans le même temps, les instances publiques chargées de veiller au respect des droits fondamentaux en France, tels que la CNIL et le Défenseur des droits ont émis plusieurs <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-cnil-rend-son-avis-sur-la-proposition-de-loi-securite-globale">réserves</a>.</p>
<p>Les débats à l’Assemblée, au mois de novembre, n’ont pas permis de dévier de cette trajectoire initiale. De façon peu surprenante, les seules discussions qui ont conduit à amender le texte étaient d’ordre technique, et non politique. Dans ces conditions, les tergiversations à propos de la réécriture de l’article 24, concernant la diffusion d’images des forces de l’ordre, ne sont que le point d’aboutissement d’une procédure législative gravement endommagée : si le Premier ministre a ingénument proposé de nommer « une commission indépendante, chargée de proposer à la représentation nationale une nouvelle écriture de l’article 24 », suscitant une gigantesque levée de boucliers, ce n’est pas une simple maladresse politique. C’est le signe qu’au plus haut niveau de l’État, on ne sait plus très bien à quoi sert le Parlement.</p>
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<p><em>Le film, « Sécurité globale, de quel droit ? » (48 minutes, production AGITI Films, janvier 2021) est en accès libre depuis février 2021. Le film est publié sous la licence Creative Common (BY-NC-ND). Il peut être regardé, téléchargé et diffusé gratuitement. Contact presse : loi.securite.globale.le.film@gmail.com</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155006/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Plusieurs mesures du projet de loi Sécurité globale sont perçues comme particulièrement problématiques par l’opinion. Décryptage de chercheurs ayant participé à un documentaire sur le sujet.Karine Parrot, Professeur des universités en droit privé, CY Cergy Paris UniversitéLucie Cluzel, Enseignante-chercheuse, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLudivine Richefeu, Maîtresse de conférences, Droit privé et sciences criminelles, CY Cergy Paris UniversitéNoé Wagener, maître de conférences en droit public, Université de Rouen NormandieRaphaële Parizot, Professeur, Droit privé et sciences criminelles, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1562782021-03-03T15:20:01Z2021-03-03T15:20:01ZCaméras pour les policiers : des avantages exagérés et une complexité sous-estimée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/387359/original/file-20210302-23-vsb3a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C0%2C5431%2C3645&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les caméras portatives n'ont pas réussi à rendre les forces de l’ordre imputables parce que la diffusion des images est souvent refusée ou retardée.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La mort de George Floyd, le 25 mai 2020, à Minneapolis, a été filmée en direct par un témoin de la scène. Dans une vidéo de 8 minutes et 46 secondes, on voit l’homme suffoquer sous le genou d’un policier. Cette vidéo est devenue virale, mais peu de gens savaient à ce moment que d’autres images existaient : celles des caméras portatives des coéquipiers de l’officier Derek Chauvin.</p>
<p><a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-8614589/First-length-bodycam-footage-shows-George-Floyds-harrowing-final-moments-brutal-arrest.html">Ces 30 minutes de vidéo captées par les caméras des policiers</a> n’ont été dévoilées au public que trois mois plus tard (le 11 août 2020), par un quotidien britannique.</p>
<p>Dans la foulée de cette tragédie, plusieurs villes américaines ont accéléré l’utilisation de caméras portatives et adopté des politiques pour réduire le profilage racial au sein de leurs corps policiers. Par contre, peu d’entre elles ont pris des mesures pour baliser les interactions policières avec les citoyens souffrant de problèmes de santé mentale, comme on l’a constaté lors de la longue arrestation de Georges Floyd.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-policiers-accuses-de-violence-nen-sont-souvent-pas-a-leurs-premieres-plaintes-139793">Les policiers accusés de violence n’en sont souvent pas à leurs premières plaintes</a>
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<p>De plus, les bandes vidéo de l’arrestation ont été rendues publiques trop tard. La trame narrative des évènements du 25 mai était déjà tissée. Comme l’a <a href="https://www.govtech.com/policy/Mass-Police-Warn-Against-Blanket-Body-Camera-Rules.html">récemment fait remarquer</a> le directeur général du Reporters Committee for Freedom of the Press, « les caméras portatives et d’auto-patrouille ne peuvent pas être des outils efficaces d’imputabilité si le public ne peut jamais voir les images qu’elles enregistrent. »</p>
<p>Nous avons coécrit récemment, le livre « <a href="https://www.cambridge.org/ca/academic/subjects/management/organisation-studies/calibrating-public-accountability-fragile-relationship-between-police-departments-and-civilians-age-video-surveillance?format=PB">Calibrating Public Accountability : The Fragile Relationship between Police Departments and Civilians in an Age of Video Surveillance</a> » publié aux Presses universitaires de Cambridge.</p>
<h2>L’importance des règles d’utilisation</h2>
<p>De nombreux partisans des caméras portatives minimisent la complexité des programmes de caméras portatives pour les policiers et en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/cl2.1112">exagèrent les avantages potentiels</a>. Dans leurs commentaires, plusieurs chroniqueurs et élus se limitent à prôner l’adoption des caméras, et passent sous silence l’importance des modalités d’utilisation, qui moduleront les effets des caméras portatives.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387363/original/file-20210302-23-172jr1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387363/original/file-20210302-23-172jr1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387363/original/file-20210302-23-172jr1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387363/original/file-20210302-23-172jr1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387363/original/file-20210302-23-172jr1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387363/original/file-20210302-23-172jr1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387363/original/file-20210302-23-172jr1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un individu protestant contre le meurtre de George Floyd est appréhendé par la police à Los Angeles, en Californie, le 30 mai 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Selon les modalités retenues, les promesses d’une imputabilité et d’une transparence plus grandes peuvent aisément être creuses. Selon un responsable d’Upturn, un organisme à but non lucratif de défense des droits civiques face aux technologies, les caméras portatives n’ont pas réussi à rendre les forces de l’ordre imputables parce que la diffusion des images est souvent refusée ou retardée. En fait, l’amélioration réelle de l’imputabilité qu’entraînent les caméras portatives est <a href="https://nyupress.org/9781479850150/cops-cameras-and-crisis/">rarement mesurée</a>.</p>
<h2>Des attentes différentes</h2>
<p>La manière dont un service de police gère ses données vidéo influence la relation entre les citoyens et les policiers. Dans <a href="https://www.cambridge.org/core/services/aop-cambridge-core/content/view/2FA0A8C8359285658355DF4C71212FAF/9781108963992AR.pdf/calibrating_public_accountability.pdf">notre livre</a>, nous comparons les préférences de 1000 chefs de police et de 4000 citoyens des États-Unis quant au partage d’une vidéo d’une intervention policière se soldant par la mort d’un citoyen.</p>
<p>Les corps policiers de trois villes, Los Angeles, Seattle et Charlotte, ont des procédures différentes quant au partage des bandes vidéo des fusillades. Pourtant, les résidents de ces trois agglomérations ont exprimé des attentes presque identiques en matière de diffusion des vidéos des caméras et des conceptions de la transparence. Les attentes étaient aussi les mêmes pour notre échantillon de citoyens d’ailleurs aux États-Unis.</p>
<p>Nous avons constaté un écart entre les préférences des chefs de police et celles des citoyens en matière de responsabilité et de transparence. Après qu’une fusillade impliquant un officier ait été filmée, très peu de chefs de police ont comme préférence de partager immédiatement la vidéo de la scène. Une majorité d’entre eux était plutôt favorable à la diffusion de ces bandes seulement après une enquête interne.</p>
<h2>Un fossé avec les groupes minoritaires</h2>
<p>Lorsque l’on compare les préférences des chefs de police avec celles des habitants, un fossé se creuse entre les préférences des premiers et celles des résidents issus des groupes minoritaires. En d’autres termes, les préférences des chefs de police correspondaient pour la plupart à celles des résidents blancs des États-Unis et des répondants des trois villes que nous avons étudiées. Cependant, les résidents issus des minorités, qui ont exprimé une confiance légèrement moindre dans leur service de police que les blancs, étaient moins disposés à attendre la fin d’une enquête interne pour visionner une scène de tragédie. Une grande minorité de résidents de couleur voulait voir les vidéos des caméras tout de suite, avant la fin d’une enquête interne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cameras-corporelles-sur-les-policiers-francais-ce-que-nous-apprend-lexperience-des-etats-unis-et-du-canada-152731">Caméras corporelles sur les policiers français : ce que nous apprend l’expérience des États-Unis et du Canada</a>
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<p>Dans l’ensemble des États-Unis, un large consensus prévaut quant aux préférences d’accès à l’information. Cette même uniformité est aussi présente dans les réponses obtenues quant à la confiance de la population envers les policiers. Selon notre sondage auprès de la population, les niveaux de confiance des répondants blancs et des répondants des minorités étaient similaires, indépendamment de leur lieu de résidence. Une sorte de nationalisation de la politique remplaçant le particularisme local – surnommé <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2018/07/02/the-rise-of-mcpolitics">« McPolitique »</a> – pourrait être en jeu. La confiance des citoyens dans la police repose désormais sur une représentation mentale des comportements policiers, et moins sur les agissements de leurs propres services de police.</p>
<h2>L’avis des citoyens ignoré</h2>
<p>Les différences marquées dans les politiques de diffusion des vidéos des caméras portatives à Seattle, Los Angeles et Charlotte ne peuvent s’expliquer par les préférences exprimées par les résidents de ces trois villes. Cela devrait laisser songeuses les autorités du ministère de la Sécurité publique sur la discrétion laissée aux corps policiers pour forger leurs propres règles d’utilisations des caméras portatives. L’existence de plusieurs modèles à travers la province pourrait refléter uniquement les préférences des chefs de police et celles des associations, fédérations et syndicats des policiers, sans inclure aussi l’avis des personnes qui seront filmées par les caméras.</p>
<p>Par exemple, lors d’une <a href="https://www.usnews.com/news/best-states/kentucky/articles/2019-09-21/police-say-complaints-have-dropped-thanks-to-body-cameras">entrevue</a> avec le shérif du comté d’Henderson, qui dirige un service policier au Kentucky où les caméras sont utilisées depuis onze ans, celui-ci a déclaré que les caméras n’ont que des avantages, et aucun inconvénient. Il a ensuite avancé deux raisons pour lesquelles il ne voyait que des avantages : « Dans de nombreux cas, si les avocats de la défense voient une vidéo avant le procès, ils règlent à l’amiable. La seconde, s’il y a une plainte d’un citoyen, nous pouvons régler la plupart des problèmes en cinq minutes. C’est probablement l’une des meilleures choses que nous ayons faites ».</p>
<p>C’est aussi ce qu’une majorité des entretiens avec plus de 350 chefs de police ont révélé. Selon les modalités d’application, les caméras peuvent être utilisées en tant qu’outil de surveillance pour rendre les services de police plus efficaces sans les rendre plus ouverts ou plus imputables. Les caméras portatives, selon la façon dont les modalités d’utilisation sont mises en œuvre, peuvent avoir un impact minimal sur la responsabilité de la police envers le public, mais elles augmentent tout de même la surveillance du gouvernement envers le public, en <a href="https://www.cambridge.org/core/books/cambridge-handbook-of-policing-in-the-united-states/CD0203E96796ADAD41C0F3C26F3AE081">particulier dans les quartiers défavorisés</a>.</p>
<h2>L’autonomie professionnelle menacée ?</h2>
<p>Aux États-Unis, alors que les policiers obtiennent la confiance d’une <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/06/05/a-month-before-george-floyds-death-black-and-white-americans-differed-sharply-in-confidence-in-the-police/">mince majorité</a> des membres de la communauté noire, les corps policiers comptent parmi les institutions publiques qui bénéficient d’un <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2019/09/19/why-americans-dont-fully-trust-many-who-hold-positions-of-power-and-responsibility/">haut niveau de confiance</a> de la population en général ; il en va de même au Canada.</p>
<p>Néanmoins, on ne leur fait pas assez confiance pour qu’ils utilisent leur pouvoir discrétionnaire pour faire leur travail sans être filmés. Combien de temps reste-t-il aux autres fonctionnaires, à qui la population ne fait pas aussi confiance qu’aux policiers, avant de devoir échanger leur autonomie professionnelle pour une caméra vidéo épinglée à leur poitrine ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156278/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Étienne Charbonneau a reçu une subvention Savoir (#435–2020-1013) et même qu'un soutien du programme des chaires de recherches du Canada, toutes deux du CRSH.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Daniel Bromberg est collaborateur pour la subvention Savoir (#435–2020-1013) </span></em></p>Les recherches montrent que de nombreux partisans des caméras portatives minimisent la complexité de ces programmes et en exagèrent les avantages potentiels.Étienne Charbonneau, Professeur agrégé & titulaire de la Chaire de recherche du Canada en management public comparé, École nationale d'administration publique (ENAP)Dan Bromberg, Associate Professor of Public Administration and Political Science, University of New HampshireLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1527312021-01-18T19:56:06Z2021-01-18T19:56:06ZCaméras corporelles sur les policiers français : ce que nous apprend l’expérience des États-Unis et du Canada<p>L’introduction en France des caméras portables au sein des forces de sécurité (police, pompiers) est <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/14/police-les-cameras-pietons-vont-etre-generalisees-au-1er-juillet-2021_6052086_3224.html">d’actualité</a>. Sa mise en place, prévue à l’été prochain, vise a améliorer les relations citoyens-police et à accroître la transparence lors des interventions.</p>
<p>Toutefois, les avis issus du « terrain » divergent. Certains y sont <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/generalisation-des-cameras-pietons-pour-les-policiers-ce-nest-pas-un-probleme-on-est-transparent-assure-l-unsa-police_4202323.html">favorables</a>, au nom de la protection des droits des citoyens ; d’autres estiment au contraire qu’une telle mesure aurait des <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/07/15/les-cameras-pietons-une-fausse-bonne-idee_1794325">effets négatifs</a> sur les interventions car elle instaurerait un climat de voyeurisme et de surveillance excessive de l’action des forces de l’ordre.</p>
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<p>En tout état de cause, il est opportun de s’interroger sur les recherches scientifiques effectuées à propos de cette thématique à l’international, aucun résultat d’étude scientifique menée en France n’étant disponible à ce jour. Rappelons que en France plus de 300 communes ont participé à une expérimentation menée de juin 2016 à juin 2018, qui a concerné uniquement les policiers municipaux. Cette expérimentation a fait l’objet d’un <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-actualites/2018-Actualites/Experimentation-de-l-emploi-des-cameras-mobiles-par-les-agents-de-police-municipale">rapport</a> destiné au ministère de l’Intérieur. Suspendu suite à l’absence d’encadrement juridique, le port des caméras-piétons a repris officiellement pour la police municipale dès la publication du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038175494/">décret d’application du 27 mars 2019</a> qui complète la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037284329">loi du 3 août 2018</a> autorisant à nouveau l’usage des caméras-piétons par la police municipale.</p>
<p>En Europe, la pratique consistant à équiper les policiers de caméras est déjà appliquée dans plusieurs pays, notamment en <a href="https://www.dw.com/en/german-police-on-patrol-with-bodycams/av-50337218">Allemagne</a>, au <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-22-000-policiers-anglais-equipes-de-cameras-en-2017-66250.html">Royaume-Uni</a> et au <a href="https://www.nbcnews.com/id/wbna19750278#.We-NKEyiE_U">Danemark</a>. Mais pour l’instant, c’est aux États-Unis et au Canada que des études scientifiques ont été réalisées sur cette question.</p>
<h2>Quelles sont les études effectuées à ce sujet ?</h2>
<p>Rappelons d’abord qu’il est présumé que les caméras corporelles peuvent avoir un impact dissuasif tant sur les personnes faisant l’objet d’interventions que sur les policiers eux-mêmes : sachant que leur comportement est filmé, les policiers comme les citoyens agiraient d’une façon plus conforme aux attentes sociales liées à ce type de situation.</p>
<p>Une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10940-014-9236-3">étude</a> fait référence sur cette question : l’analyse des résultats de l’expérience <a href="https://www.theguardian.com/world/2013/nov/04/california-police-body-cameras-cuts-violence-complaints-rialto">conduite en 2013 à Rialto, en Californie</a>.</p>
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<p>Ceux-ci ont révélé que l’emploi de la force par les policiers était deux fois moins fréquent parmi le groupe expérimental (les policiers qui portaient des caméras corporelles) et qu’il y avait eu une baisse de 87 % des plaintes pendant la période d’essai. C’est d’ailleurs cette expérimentation qui a fourni à l’administration Obama la légitimité́ nécessaire pour subventionner les services de police désirant acheter des caméras corporelles en signe de transparence envers la population.</p>
<p>Une étude de suivi qui a duré quatre années a indiqué que la baisse du recours à la force par la police s’est <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047235217303653?via%3Dihub">maintenue dans le temps</a>. Il est à préciser que la ville de Rialto a enregistré́ une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047235217303653?via%3Dihub">baisse spectaculaire des plaintes visant les policiers</a>. On observera le même effet dans d’autres villes américaines, <a href="https://doi.org/10.1007/s11292-015-9237-8">dont Mesa</a> (Arizona), à <a href="https://www.strategiesforpolicinginnovation.com/sites/default/files/spotlights/Phoenix%20SPI%20Spotlight%20FINAL.pdf">Phoenix</a> (également en Arizona), <a href="https://doi.org/10.1016/j.jcrimjus.2015.10.003">Orlando</a> (Floride), <a href="https://scholarlycommons.law.northwestern.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=7632&context=jclc">Las Vegas</a> (Nevada), <a href="https://www.urban.org/sites/default/files/publication/98461/the_milwaukee_police_departments_body_worn_camera_program_1.pdf">Milwaukee</a> (Wisconsin) et <a href="https://academic.oup.com/policing/article/12/1/66/2928179">Spokane</a> (État de Washington) ainsi que dans <a href="https://www.repository.cam.ac.uk/handle/1810/264739">sept autres villes non précisées</a>.</p>
<p>Une autre étude, publiée en 2014 par l’Université d’État de l’Arizona, présente les témoignages de 249 personnes ayant été en interaction avec des policiers portant des caméras corporelles.</p>
<p>Il en ressortait que les personnes qui étaient au courant de l’existence des caméras ont perçu les actions des policiers comme étant plus « justes » que celles des policiers qui n’en portaient pas.</p>
<p>Depuis les <a href="https://cebcp.org/wp-content/technology/BodyWornCameraResearch.pdf">premières revues de littérature publiées aux États-Unis</a>, une <a href="https://doi.org/10.1177/0004865816638909">deuxième série de recensions a été publiée afin de mettre à jour les informations</a>. Elles ont été suivies de dizaines d’articles scientifiques et de rapports d’évaluation. Tous ces travaux permettent de dresser <a href="https://doi.org/10.7202/1070513ar">plusieurs constats</a>.</p>
<p>La majorité des analyses empiriques a porté sur l’impact des caméras corporelles ou sur le comportement des personnes impliquées directement dans une intervention policière filmée ; très peu ont porté sur les enregistrements issus des caméras, à quelques exceptions près. En général, ces études portent d’ailleurs sur les biais potentiels liés à la présence des caméras corporelles.</p>
<p>Presque toutes les évaluations de l’impact des caméras corporelles mesurent généralement cet impact sur trois dimensions, qualifiées de « Big Three » : la résistance citoyenne, l’emploi de la force par la police et les plaintes envers des policiers.</p>
<p>Ainsi, trois études ont été conduites au Canada, à <a href="http://www.bwvsg.com/wp-content/uploads/2015/06/Edmonton-Police-BWV-Final-Report.pdf">Edmonton en 2015</a>, à <a href="http://torontopolice.on.ca/media/text/20160915-body_worn_cameras_report.pdf">Toronto en 2016</a> et <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/crimino/2020-v53-n1-crimino05397/1070513ar/">à Montréal en 2019</a>. Des effets positifs ont été observés : une plus grande facilité à évaluer la pertinence des plaintes envers les policiers, une diminution de l’agressivité et de l’impolitesse des citoyens (Edmonton) ainsi que la perception qu’il était adéquat que l’intervention soit filmée (Toronto).</p>
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<p>Il est précisé que l’impact des caméras corporelles dépendait toutefois de la situation et n’était pas généralisé à̀ toutes les interventions policières. Malgré cela, dans les trois cas, la présence des caméras ne s’est pas accompagnée d’une réduction significative en termes d’emploi de la force par la police.</p>
<h2>Des résultats contrastés</h2>
<p>Aux États-Unis, la baisse spectaculaire de l’emploi de la force observée à Rialto et <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1477370816686120">ailleurs</a> a accéléré le déploiement des caméras corporelles, qui sont utilisées depuis sept ans par 95 % des polices des États-Unis. Les policiers portant des caméras corporelles auraient aussi davantage tendance à procéder à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1098611116652850">l’arrestation du conjoint agresseur dans les cas de violence conjugale</a> et à effectuer globalement moins d’interpellations. Ce qui, dans le contexte de remise en question de la légitimité de la police, peut être interprété comme un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11292-015-9237-8">effet positif</a>.</p>
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<p>On a donc, d’un côté, des études neutres au Canada, et de l’autre des études positives aux États-Unis. Mais aucune étude négative à ce jour.</p>
<ul>
<li><p>Des études « neutres » au Canada : les services de police d’Edmonton (2015), de Toronto (2016) et plus récemment de Montréal (2019) n’ont pas observé́ de changement radical lors de leurs projets pilotes.</p></li>
<li><p>Des études positives : aux États-Unis, les caméras corporelles ont été associées à des baisses statistiquement significatives de l’emploi de la force, des plaintes envers les policiers, des agressions envers les policiers, des comportements entravant le travail policier et de la contestation judiciaire. Il est également <a href="https://www.researchgate.net/publication/321127770_The_effects_of_body-worn_cameras_BWCs_on_police_and_citizen_outcomes_A_state-of-the-art_review">noté</a> une amélioration de la productivité policière, de la satisfaction des citoyens des services offerts et du niveau de politesse des citoyens et des policiers lors des interventions.</p></li>
</ul>
<h2>Quelques conclusions provisoires</h2>
<ul>
<li><p>L’aspect culturel du pays est à considérer dans l’usage de l’outil : au Canada, les résultats sont à nuancer dans la mesure où les relations citoyens-police sont <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2017-3-page-457.htm">très bonnes</a>. Celles-ci pourraient être un facteur déterminant dans la réussite de l’implémentation des caméras corporelles.</p></li>
<li><p>Les caméras corporelles ne pourraient avoir un impact significatif qu’aux endroits où la police agit de façon problématique.</p></li>
<li><p>La perception des caméras corporelles par les publics reste un élément déterminant pour une adoption de l’outil.</p></li>
</ul>
<p>Une <a href="https://dx.doi.org/10.1111/1745-9125.12179">étude récente</a> explore cette question. Wallace, White, Gaub et Todak (2018) rappellent que les caméras corporelles sont souvent présentées et comprises comme un outil de surveillance permettant aux organisations policières de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0967010615584256">démontrer la transparence de leur travail, et à la société d’examiner le travail des policiers</a> (Tanner et Meyer, 2015). Une autre <a href="http://europia.org/RIHM/V20N2/2-RIHM20(2)-Lollia.pdf">étude</a> (Lollia,2020) montre qu’il est utile avant tout d’agir sur la vision de ce type d’outils par les publics afin de transformer la perception d’un outil de surveillance en un outil de protection pour <a href="https://books.google.fr/books ?hl=fr&lr=&id=JSjgDwAAQBAJ">en assurer une meilleure acceptation</a>.</p>
<p>En tout état de cause, les futurs résultats scientifiques tirés des expérimentations des caméras-piétons sur la police française devraient pouvoir améliorer l’approche terrain en mettant en lumière, de façon encore bien plus explicite, les opportunités et faiblesses liées à cette technologie de terrain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152731/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Parallèlement à son activité de chercheur, Fabrice LOLLIA est fonctionnaire de police dans un service spécialisé de protection des personnes.</span></em></p>Les policiers français seront bientôt équipés de façon générale de caméras-piétons pour filmer leurs interventions. Une pratique déjà mise en œuvre outre-Atlantique depuis plusieurs années.Fabrice Lollia, Docteur en sciences de l'information et de la communication, chercheur associé laboratoire DICEN Ile de France, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1404562020-06-17T17:34:26Z2020-06-17T17:34:26ZTerreur chinoise contre les Ouïgours : quand l’histoire se répète<p>La ville ouïghoure de Ghulja (Yining en chinois) a depuis longtemps la réputation d’être un centre de rébellion et de contestation contre le pouvoir chinois. Elle est aujourd’hui la préfecture de la région d’Ili, située à la frontière du Kazakhstan. <a href="https://www.chikyu.ac.jp/ilipro/page/18-publication/workshop-book/workshop-book_individual%20files/3-4_Noda.pdf">Colonisée</a> à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle par l’empire russe, auquel elle a appartenu pendant dix ans, Ili est une porte d’entrée en Chine des influences occidentales, via l’Asie centrale russophone voisine.</p>
<p>C’est aussi le berceau du <a href="https://www.persee.fr/doc/cmr_1252-6576_1996_num_37_1_2449">djadidisme</a> ouïghour, ce mouvement de renaissance qui s’est déployé au sein des peuples turcs entre 1890 et 1945, mené notamment par des intellectuels et hommes d’affaires désireux de <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/The-Politics-of-Muslim-Cultural-Reform%3A-Jadidism-in-Khalid/dc2791911a0e08f83874f017fc7170c4a49941f5">réformer l’islam et la société musulmane</a> et de moderniser cette région sur le modèle occidental. Le djadidisme a participé à l’éveil de la société ouïghoure et au début de sa lutte contre le colonialisme chinois. Une première rébellion a eu lieu dans le sud de la région, qui a donné la naissance à la première République turque islamique du Turkestan oriental (1933-1934), puis un seconde rébellion à la <a href="https://brill.com/view/title/24090">seconde République du Turkestan oriental (1944-1949)</a> dans le nord, dont Ghulja était la capitale.</p>
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<p>Les djadidistes ont été massivement chassés, emprisonnés et massacrés par les pouvoirs coloniaux chinois. Des intellectuels tels que Lutpulla Mutellip, Abduhaliq Uyghur, Telet Nasiri et Memtéli Tewpiq (l’auteur de l’hymne national du Turkestan oriental) ont été <a href="http://turkistanilibrary.com/sites/default/files/qaynam-orkishi.pdf">brûlés vifs</a>. Les années 1930-1940 ont notamment été marquées par une terreur de l’État colonial surnommée « terreur blanche ».</p>
<h2>La renaissance ouïghoure dans les années 1990</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/342135/original/file-20200616-23231-8wug2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/342135/original/file-20200616-23231-8wug2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/342135/original/file-20200616-23231-8wug2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/342135/original/file-20200616-23231-8wug2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/342135/original/file-20200616-23231-8wug2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/342135/original/file-20200616-23231-8wug2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/342135/original/file-20200616-23231-8wug2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/342135/original/file-20200616-23231-8wug2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ablimit Halis Hajim.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>À partir des années 1990, dès que les hommes d’affaires ouïgours ont eu la possibilité de faire du commerce en dehors de la région, certains, notamment ceux de Ghulja, ont aussitôt investi dans la philanthropie pour inciter les jeunes Ouïgours à aller faire leurs études dans des universités de qualité pour qu’ils puissent espérer un futur brillant. Un premier fonds d’études supérieures a été créé dans ce but en 1994 par Ablimit Halis Hajim, un entrepreneur qui s’est enrichi dans l’immobilier : le fonds Halis.</p>
<p>Halis Hajim, qui était déjà connu comme un philanthrope par le soutien qu’il apportait aux initiatives en faveur du développement de l’identité culturelle ouïghoure, souhaitait également encourager les entrepreneurs ouïgours de toute la région, puisque son fonds était destiné non seulement aux élèves originaires de Ghulja mais à ceux de toute la région ouïghoure (Xinjiang en chinois).</p>
<p>En octobre 1994, quelque 1,5 million de soms (environ 200 000 euros) sont réunis pour ce premier fonds par plusieurs notables. Le pédagogue et figure publique Abduweli Muqiyit est embauché pour s’occuper de la gestion concrète du fonds. Ainsi, le recrutement, le choix des candidats, la communication autour du projet, la coordination avec les représentants des institutions publiques et privées sont tous confiés à Abduweli Muqiyit.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/342134/original/file-20200616-23243-3kjgtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/342134/original/file-20200616-23243-3kjgtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/342134/original/file-20200616-23243-3kjgtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/342134/original/file-20200616-23243-3kjgtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/342134/original/file-20200616-23243-3kjgtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=664&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/342134/original/file-20200616-23243-3kjgtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=664&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/342134/original/file-20200616-23243-3kjgtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=664&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Abduweli Muqiyit.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ce n’était pas la première fois que Halis Hajim collaborait avec lui. Ce projet de fonds d’études avait été initié et souhaité par Halis Hajim dès 1985 ; il s’était alors rapproché de Muqiyit pour essayer de le mettre en œuvre, celui-ci se trouvant à l’époque à la tête de la direction de l’éducation de la ville de Ghulja. Cependant, le jeune entrepreneur ne disposait pas d’assez de fonds pour financer à long terme ce projet et la tentative avait finalement échoué. </p>
<p>La seconde fois a été la bonne. Le fonds a commencé par permettre le retour à l’école de 800 élèves qui n’auraient pas pu continuer leurs études par manque d’argent. Cependant, le fonds a particulièrement privilégié un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bAQaN9Yt1dk">prêt de financement attribué à chaque étudiant ouïghour inscrit dans l’enseignement supérieur</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1036084799130284033"}"></div></p>
<p>Un an après la fondation du Fond de Halis d’Ili, un autre jeune entrepreneur de Ghulja, Nurtay Hajim Iskender, a fondé la première école d’orphelins qui porte son nom. Comme pour le projet de Halis, Abduweli Muqiyit a accepté de piloter la réalisation de cet immense chantier : le fonctionnement de l’école, la coordination avec l’État et les médias, le recrutement des professeurs, le budget prévisionnel, la sélection des élèves et même le choix de l’emplacement de l’école.Ainsi, le beau quartier fleuri et calme sur la grande avenue du fleuve d’Ili, un peu éloigné du centre bruyant de la ville a été choisi pour construire un bâtiment qui reprend à la fois les traits traditionnels de l’architecture ouïghoure et des aspects plus modernes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/342137/original/file-20200616-23261-kajrqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/342137/original/file-20200616-23261-kajrqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/342137/original/file-20200616-23261-kajrqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/342137/original/file-20200616-23261-kajrqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/342137/original/file-20200616-23261-kajrqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/342137/original/file-20200616-23261-kajrqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/342137/original/file-20200616-23261-kajrqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’école de Nurtay Hajim Iskender.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Nurtay Hajim Iskender a déposé 1,5 million de soms sur la table, suivi d’autres entrepreneurs ouïgours d’Ili. L’école a recruté 60 élèves orphelins dans un premier temps ; ce chiffre est <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rXyDsQhsFOg">très vite monté à plusieurs centaines les années suivantes</a>. L’ensemble de leurs besoins depuis l’école primaire jusqu’à leur fin d’études universitaires sont pris en charge par Nurtay Hajim, accompagné et soutenu financièrement par d’autres philanthropes ouïgours. Tous ces enfants appelaient Nurtay Hajim « papa ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/342133/original/file-20200616-23235-12lkgac.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/342133/original/file-20200616-23235-12lkgac.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/342133/original/file-20200616-23235-12lkgac.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/342133/original/file-20200616-23235-12lkgac.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/342133/original/file-20200616-23235-12lkgac.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/342133/original/file-20200616-23235-12lkgac.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/342133/original/file-20200616-23235-12lkgac.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nurtay Hajim Iskender avec les enfants de son école.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La réputation de Nurtay Hajim est désormais célèbre non seulement dans la région d’Ili mais à travers tout le pays ouïghour. D’ailleurs, son école des orphelins n’accepte plus uniquement des orphelins de l’Ili mais de toute la région ouïghoure. Ainsi, Nurtay Hajim et Ablimit Halis Hajim sont devenus les représentants et les symboles des entrepreneurs progressistes, comme à l’époque djadidiste. De plus en plus d’entrepreneurs ouïgours ont commencé investir dans des projets similaires. Parmi eux, Memtimin Tewekkül a fondé en 1998, une première crèche privée ouïghoure moderne inspirée des modèles occidentaux.</p>
<h2>Le temps des répressions</h2>
<p>En février 1997, la ville de Ghulja a connu une manifestation de jeunes Ouïgours contre le colonialisme chinois, réprimée dans le sang par l’armée chinoise. La <a href="https://humanrightshouse.org/articles/remembering-the-ghulja-massacre-2/">terreur d’État</a> a semé la peur dans la ville au cours des mois suivants, marqués par des arrestations massives d’intellectuels, de religieux mais aussi d’hommes d’affaires, dont Nurtay Hajim. Le nombre de Ouïgours disparus ou morts dans les prisons n’est toujours pas connu, mais la majorité des foyers ouïgours de Ghulja a perdu un ou plusieurs membres, souvent des jeunes hommes. Un de mes cousins lointains, interpellé par la police dans la rue alors qu’il allait acheter du pain, a été relâché un mois après son arrestation. Devenu fou sous la torture, il a disparu définitivement peu de temps après. Mon oncle, maire adjoint d’un arrondissement, a été arrêté avec une trentaine de jeunes professeurs des écoles. Il est sorti de prison après huit mois de détention, amaigri et gravement malade. Nurtay Hajim, lui, est finalement relâché après quelques mois de prison.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/32Ekrds_aYI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En 2017, lorsque l’État chinois a relancé la terreur d’État en ciblant d’abord les intellectuels, les notables religieux et les hommes d’affaires, Nurtay Hajim Iskender a été une nouvelle fois mis sous les verrous. Cette fois, la répression est encore plus féroce. Personne n’est à l’abri. L’école des orphelins de Nurtay Hajim a été fermée et transformée en camp de concentration. Nous avons appris que la quasi-totalité des professeurs de cette école ont également été arrêtés. Nous n’avons aucune nouvelle concernant les élèves.</p>
<p>Abduweli Muqiyit a été naturellement victime de cette terreur rouge. Descendant d’un grand-père qui avait servi dans le gouvernement de la République du Turkestan oriental, Abduweli Muqiyit a d’abord enseigné dans les écoles primaires et secondaires avant d’être désigné à la tête de la direction de l’éducation de la ville de Ghulja. À la fin de sa carrière, il était devenu responsable de la section ouïghoure de la direction audiovisuelle de la ville. C’est également un brillant orateur qui a donné d’innombrables conférences sur le rôle des enseignants et l’éducation ouïghoure. En 2002, il a initié et organisé le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rXyDsQhsFOg">100e anniversaire de l’école N°2 de Ghulja</a>, une combinaison du collège et lycée, la plus ancienne de la région ouïghoure. En 2014, il a fondé la librairie Bilal Nazimi, la plus grande et la plus moderne librairie privée non seulement de Ghulja mais aussi de toute la région ouïghoure. Très vite, cette librairie est devenue un lieu de rendez-vous incontournable pour de nombreux Ouïgours de différentes couches sociales qui venaient y écouter des conférenciers venant de partout.</p>
<p>Les informations sur ce qui se passe réellement dans la région ouïghoure, la <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2019/05/01/chine-recours-une-application-pour-la-surveillance-de-masse-au-xinjianghttps://www.wsj.com/articles/twelve-days-in-xinjiang-how-chinas-surveillance-state-overwhelms-daily-life-1513700355">zone la plus surveillée au monde</a>, sont extrêmement difficiles à obtenir. Nous apprenons bien tardivement l’arrestation, la condamnation, la disparition ou la mort de nos proches sur place. Cette situation de verrouillage extrême de la Chine sur l’information concernant la région ouïghoure en général et les camps de détention en particulier donne naissance à de nombreuses rumeurs qui se révèlent parfois mensongères mais qui reflètent souvent la réalité. </p>
<p>Ainsi, des rumeurs sur la mort de Nurtay Hajim en détention ont circulé pendant un certain temps dans la diaspora, de même que pour le célèbre musicien et chanteur Abduréhim Héyit. Des proches de Nurtay Hajim ont démenti l’information. Aujourd’hui, nous avons appris encore par voie non officielle la condamnation à perpétuité de Nurtay Hajim et d’Abduweli Muqiyit. La Chine ne faisant aucune déclaration officielle sur ces questions, nous ne pouvons toujours pas confirmer cette information. Quant à Ablimit Halis Hajim, ses enfants à l’étranger n’ont aucune nouvelle de lui.</p>
<h2>D’une terreur à l’autre</h2>
<p>Ces trois hommes étaient les piliers de l’éducation nationale ouïghoure en dehors du cadre étatique, les bâtisseurs de la société civile, les pionniers du néo-djadidisme. Ils avaient donné l’exemple à de nombreux autres entrepreneurs et artistes ouïgours désireux de moderniser une société ouïghoure qui avait commencé à se construire sur une nouvelle base, à la fois fièrement traditionnelle et moderne. À la fin des années 1930 et au début des années 1940, le gouverneur chinois de la région ouïghoure, Sheng Shicai, avait mené une politique d’éradication de toute la classe intellectuelle et bourgeoise ouïghoure afin de rendre ce peuple éternellement esclave. </p>
<p>Cette période noire de « terreur blanche » est réapparue avec <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Chen-Quanguo-main-fer-Pekin-Xinjiang-2019-12-04-1301064451">Chen Quanguo</a>, sous les ordres de Xi Jinping, mettant à terre l’ensemble de la classe intellectuelle et bourgeoisie ouïghoure. L’arrestation et disparition de ces trois grands hommes de Ghulja est le symbole de la terreur d’État, rouge cette fois, de la Chine communiste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dilnur Reyhan est Présidente de l'Institut Ouïghour d'Europe, membre du laboratoire EASt à l'ULB.</span></em></p>La vague de répression chinoise actuellement en cours contre le peuple ouïghour est loin d’être la première. Retour sur une histoire douloureuse.Dilnur Reyhan, Chercheuse post-doctorante en études ouïghoures, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1399262020-06-12T14:12:36Z2020-06-12T14:12:36ZChine : tri sélectif, lutte contre le Covid-19 et surveillance des citoyens<p>C’est à l’occasion de l’ouverture de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire, le 22 mai, après deux mois de retard, que les dirigeants du Parti communiste chinois félicitent leurs compatriotes pour le « succès stratégique majeur » obtenu dans la lutte contre le coronavirus. Cet événement est l’occasion de mettre en avant la supériorité du modèle chinois, à un moment où de nombreux pays européens peinent à se remettre en marche.</p>
<p>Mais comment expliquer cette capacité de réponse ? Comment la Chine a-t-elle imposé un confinement strict à sa population ? Au premier abord, il peut paraître logique de faire prévaloir l’approche autoritaire du régime pour expliquer la gestion de la crise : manipulation, propagande, répression, surveillance et centralisation du pouvoir. Cependant, d’autres stratégies, de nature plus participative, sont également utilisées. Ces mécanismes, plus discrets, sont mis en place par le régime autoritaire à l’échelon local pour façonner le comportement des citadins et entretenir la légitimité du parti.</p>
<p>La façon dont le tri des déchets a été instauré dans l’une des plus grandes villes de Chine éclaire ces mécanismes. Depuis le 1<sup>er</sup> juillet 2019, un nouveau système de recyclage oblige les habitants de Shanghai à effectuer un tri sélectif de leurs déchets sous peine de se voir infliger des amendes et de perdre des points de <a href="https://theconversation.com/le-credit-social-ou-le-big-brother-a-la-sauce-chinoise-98200">crédit social</a>. Ce programme, instauré de façon pilote via l’aide d’organisations citoyennes communément connues sous l’abréviation ONG depuis le début des années 2010, rassemble plusieurs des caractéristiques instaurées par le régime à l’échelle urbaine pour contrôler la vie quotidienne des habitants des villes. Ces mécanismes de gouvernance locale se fondent dans la vie quotidienne des citadins : construction communautaire, technologie de surveillance et responsabilisation de l’individu.</p>
<h2>Une gouvernance au plus près des citoyens</h2>
<p>Première de la classe en matière de traitement des déchets ménagers en Chine, la municipalité de Shanghai contraint, depuis 2011, ses différents districts à <a href="http://www.shanghai.gov.cn/nw2/nw2314/nw2315/nw5827/u21aw1097675.html">réduire de 5 % par an la production de déchets ménagers</a>. En raison d’une population dépassant les 25 millions d’habitants et d’habitudes de consommation de plus en plus consuméristes (surtout avec le développement fulgurant de la vente en ligne), la mégapole cherche à élaborer des mesures efficaces pour réduire ses tonnes d’ordures journalières. Ses efforts lui valent d’être reconnue comme leader en matière de traitement de déchets ménagers dans le pays. En 2018, le président Xi Jinping est venu en personne encourager les gouvernants locaux de Shanghai à développer davantage le recyclage. Selon Xi, le tri des déchets doit devenir la <a href="http://www.china.org.cn/china/2019-09/10/content_75191212.htm">« nouvelle mode »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1151397149214556164"}"></div></p>
<p>Mais, pour cela, il est nécessaire d’impliquer le citoyen. Or il est très difficile de changer le comportement des habitants, habitués à disposer de leurs déchets dans un contenant commun, selon Madame Hua (nom fictif), leader d’une ONG environnementale tournée vers l’objectif <a href="https://www.geo.fr/environnement/dans-la-chine-du-plastique-le-zero-dechet-fait-de-la-resistance-199550">« zéro déchet »</a>. Depuis le début des années 2010, son organisation développe des programmes de recyclage dans des zones résidentielles à Shanghai. L’ONG de Madame Hua, comme beaucoup d’autres, a été cooptée/sélectionnée par le gouvernement local et joue un rôle clé dans l’implémentation des nouvelles directives via des stratégies de participation <em>bottom-up</em>. Ces stratégies, à l’apparence démocratique, agissent sur le comportement des citoyens via un éventail d’instruments fondé sur un modèle « collaboratif ». C’est ainsi que les ONG, en collaboration avec les comités de quartiers, les représentants locaux et les volontaires, modifient les relations gouvernants-gouvernés et œuvrent à façonner des citadins responsables sous la rhétorique d’un progrès « vert ».</p>
<p>L’un de ces projets est la <a href="http://french.peopledaily.com.cn/VieSociale/n3/2019/0809/c31360-9604840.html">« carte de la fortune verte »</a> lancée en 2016 par les autorités environnementales de Shanghai. L’idée du programme est simple. Pour encourager le tri des déchets, les citoyens sont incités à scanner les QR code (petits codes-barres) d’une « carte verte ». Chaque fois qu’ils recyclent, ils accumulent des points. Ces points sont ensuite échangés contre des récompenses.</p>
<p>Pour assurer la bonne mise en œuvre du programme, les ONG s’organisent avec les communautés de quartier, <em>shequ</em> en Chinois, les yeux et les oreilles du parti à l’échelle locale. Rappelant les <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/art_ja.pdf">comités de résidents</a> de l’ère maoïste, qui surveillaient étroitement les habitants qui ne relevaient pas d’une unité de travail, le <em>shequ</em> connaît un nouvel essor. Passerelles entre le gouvernement central et la société, ces comités agissent en tant que service public de proximité et veillent à ce que les directives des hautes instances du parti soient appliquées. Ce sont eux qui se chargent de maintenir l’ordre, de régler les disputes, d’accrocher des affiches de propagande ou de mener des campagnes politiques (comme le recyclage ou l’application d’un confinement strict).</p>
<p>Le rôle des <em>shequ</em> est facilité par un tissu urbain qui tend à s’organiser autour de quartiers fermés ou semi-fermés (de murs ou de grillages), où seuls les résidents, leurs invités et les services publics sont autorisés. Ces espaces ouvrent des possibilités de contrôle inestimables, car les habitudes des habitants, ainsi que leurs moindres déplacements, peuvent être suivis de près. C’est précisément ce système de construction communautaire qui a facilité l’implémentation d’un confinement strict.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1256833249021747201"}"></div></p>
<p>Développé sous la couverture d’un discours axé sur la gouvernance « collaborative », ce système cache un redéploiement du contrôle urbain et une extension des bras du parti à un niveau micro. Ainsi, comme la crise du Covid-19 l’a bien démontré, le pouvoir du parti ne repose pas exclusivement sur des mécanismes répressifs et autoritaires, mais surtout sur sa pénétration croissante à l’échelon local. Cette force « invisible », qui se mélange à la vie quotidienne des urbains chinois, est devenue un atout. Loin de l’image de l’exceptionnalisme du modèle chinois, ce sont des mécanismes participatifs couramment utilisés dans des systèmes démocratiques et remis au jour par le parti qui permettent au parti-État unique de répondre aux difficultés que présuppose la gestion d’un environnement urbain complexe.</p>
<h2>Technologie de surveillance</h2>
<p>Comme indiqué plus haut, les Shanghaiens sont invités à scanner le QR code de leur carte « verte » pour accumuler des points quand ils trient leurs déchets ménagers. Instauré de façon « test » il y a plusieurs années, le système est devenu obligatoire en 2019. L’usage des QR codes est également <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jul/12/a-sort-of-eco-dictatorship-shanghai-grapples-with-strict-new-recycling-laws">ajusté</a>. Certaines résidences mettent en place des poubelles qui ne s’ouvrent qu’après le scannage du code-barres pour évaluer le taux de participation des résidents. Une communauté à Pékin est allée plus loin en mettant en place un <a href="https://qz.com/1667020/in-china-people-are-turning-to-apps-to-sort-out-their-trash/">système de reconnaissance faciale</a>.</p>
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<p>Ces codes-barres, de plus en plus communs dans la vie des citadins, que ce soit à la caisse de grandes chaînes de supermarchés ou de vendeurs de fruits dans la rue, émergent comme des outils de surveillance efficaces pour contrôler les moindres pas et gestes des citoyens. Ce système a été largement utilisé pour confirmer la santé des habitants pendant la crise. Suivant la logique du programme de recyclage, les citadins se voient attribuer une couleur – vert, jaune ou rouge – en fonction de plusieurs critères qui restent à ce jour assez flous (symptômes, déplacements, possibilité de contact avec des personnes infectées, etc.). D’un seul coup d’œil, chaque personne, en fonction du résultat, peut se déplacer librement ou non.</p>
<p>Ces technologies rapides et efficaces visent à réprimer toute forme d’incivisme et à imposer un confinement strict. Reste à savoir comment, une fois la crise passée, le régime va adapter cette capacité à suivre l’empreinte numérique de ses citoyens. Les dirigeants chinois, pourraient profiter de l’occasion pour continuer à suivre en temps réel les déplacements des citoyens, comme ils le font déjà à travers le suivi du recyclage via les QR codes.</p>
<h2>Créer des citoyens responsables et exemplaires</h2>
<p>La « carte de la fortune verte » évoquée plus haut vise aussi à créer des citadins modèles. Le pouvoir central, malgré un discours toujours plus « vert », tend à se déresponsabiliser de l’application de mesures « vertes » et à responsabiliser davantage les gouvernements locaux et l’action individuelle. Ainsi, en cas de crise, il est facile de reprocher leur inefficacité aux leaders locaux, comme Xi Jinping l’a fait en <a href="https://www.businessinsider.com/analysis-china-hubei-officials-sacked-xi-jinping-protected-2020-2?r=US&IR=T">destituant</a> plusieurs dirigeants à Hubei, province où l’épidémie de Covid-19 a éclaté. Derrière une rhétorique promouvant la « civilisation écologique », cette stratégie est aussi utilisée pour culpabiliser les citoyens pour leur manque de participation et de civisme. Cette stratégie se manifeste dans la propagande de la RPC, stratégiquement parsemée dans le paysage proche via les communautés de quartier.</p>
<p>Mais l’attention particulière portée à la réduction des déchets n’est pas anodine. Plusieurs <a href="https://www.lemonde.fr/chine/article/2014/05/10/en-chine-une-manifestation-contre-un-incinerateur-tourne-a-l-emeute_6005592_1667009.html">manifestations</a> ont éclaté contre la construction d’incinérateurs un peu partout dans le pays ces dernières années.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"750024305128333312"}"></div></p>
<p>Conscients des conséquences néfastes de la pollution de l’air, les habitants des villes deviennent réfractaires à ces installations. Néanmoins, ce n’est pas pour autant qu’ils réduisent leur consommation. Le recyclage devient donc une question essentielle. Le développement de programmes à caractère participatif encourage les citoyens à se responsabiliser à la réduction et à la gestion des déchets… mais aussi à être pointés du doigt en cas de non-civisme.</p>
<h2>Déconstruire le narratif autoritaire</h2>
<p>Pour mieux déconstruire la propagande de Pékin sur la supériorité du modèle chinois par rapport aux sociétés démocratiques, il est important de comprendre comment le régime autoritaire s’adapte à l’échelle locale. Le virus est venu renforcer cette réalité. La propagande chinoise n’a pas hésité à <a href="https://qz.com/1850097/chinese-propaganda-video-mocks-us-response-to-coronavirus-crisis">se moquer</a> de la réponse américaine et européenne à la crise. Ces discours, comme le <a href="https://madeinchinajournal.com/2020/05/04/covid-19-in-china-from-chernobyl-moment-to-impetus-for-nationalism/">démontre Chenchen Zhang</a>, visent avant tout à éliminer toute critique adressée au Parti.</p>
<p>Ces efforts démontrent aussi la nécessité, pour le parti, de veiller à entretenir sa légitimité aux yeux d’une population attentive. L’agentivité des citoyens chinois, comme l’a démontré leur <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-la-colere-gronde-apres-la-mort-du-medecin-lanceur-d-alerte-6726166">colère à la suite de la mort de Li Wenliang</a>, le médecin qui avait lancé l’alerte sur l’épidémie, ne doit pas être sous-estimée. Le leadership de Xi Jinping ne repose pas uniquement sur des mécanismes durs et coercitifs (comme il tend à le faire croire), mais aussi sur sa capacité à adapter à sa sauce des outils qu’emploient également les systèmes démocratiques. L’analyse de ces processus permet de remettre en question l’exceptionnalisme que revendique le Parti communiste chinois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139926/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Arantes a reçu des financements de la Fédération Wallonie-Bruxelles (WBI) et du Fonds de la Recherche Scientifique (F.R.S.-FNRS).</span></em></p>La mise en place du tri sélectif, de même que les mesures visant à lutter contre le Covid-19, permettent au régime chinois de renforcer le contrôle qu’il exerce sur sa population.Virginie Arantes, Postdoctoral research fellow, F.R.S.-FNRS, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1385542020-05-26T21:53:19Z2020-05-26T21:53:19ZDébat : Souriez, vous êtes surveillés !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/337572/original/file-20200526-106862-1y7ysy2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C14%2C1183%2C614&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Houseparty, l'application « conviviale » plébiscitée durant le confinement.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://apps.apple.com/fr/app/houseparty/id1065781769">Houseparty</a></span></figcaption></figure><p>En 2011, l’ancien président de la CNIL, Alex Türk, annonçait la <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/questions-de-societe/vie-privee-en-peril_9782738122797.php">fin du concept de vie privée</a> pour 2020.</p>
<p>Sommes-nous arrivés à ce stade avec l’application « StopCovid » ? <a href="https://www.ticsante.com/story/5183/stopcovid-un-debat-et-un-vote-a-l-assemblee-nationale-organises-le-27-mai.html">Le débat et vote</a> prévus aujourd’hui à l’Assemblée nationale ont suscité l’ire d’environ cinq cents experts en sécurité informatique et militants des libertés civiles qui <a href="https://attention-stopcovid.fr/">alertent quant aux dérives possibles d’une telle technologie</a>.</p>
<p>Mais au-delà de l’usage de tels outils, c’est l’acceptabilité du contrôle généralisé de la population dont il est question. L’Histoire se souviendra-t-elle du Covid-19 comme du moment où les citoyens ont massivement renoncé à leurs droits civils pour raisons sanitaires ?</p>
<p>Deux leviers semblent être utilisés conjointement pour faire pression sur la population : la peur (Big Brother) et le divertissement (Big Mother), tant il est vrai que <a href="https://philosciences.com/philosophie-et-psychopathologie/psychopathologie-psychiatrie-psychanalyse/144-fonction-paternelle-humanisme">dans la théorie psychanalytique</a>, le père ou le grand frère est celui qui fait respecter la Loi, tandis que la mère est celle qui soigne au sens large du terme (nourriture), mais c’est aussi celle qui distrait.</p>
<h2>Vers la surveillance généralisée</h2>
<p>La surveillance des données est déjà, d’une certaine façon, généralisée. Qui peut encore croire que nos conversations restent dans le domaine privé, quels que soient le support utilisé et les protections invoquées ?</p>
<p>Le confinement a vu un téléchargement massif d’applications de visio-conférences telles que Zoom et Houseparty. Téléchargée des millions de fois, Zoom fait désormais partie du top des applications les plus téléchargées dans le monde. Rien que sur la journée du 22 mars 2020, <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/data/zoom-houseparty-les-applications-stars-du-confinement-portes-ouvertes-sur-nos-donnees-personnelles_142971">Zoom a été téléchargée plus de 600 000 fois</a>. Au 25 mars 2020, en France ainsi que dans des dizaines d’autres pays, Zoom était l’application gratuite la <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/coronavirus-zoom-le-service-de-visioconference-qui-flambe-en-bourse-en-pleine-crise-1189102">plus téléchargée sur smartphone</a>. Alors que Zoom comptait 10 millions d’utilisateurs en 2019, elle en comptait <a href="https://www.theverge.com/2020/4/2/21204018/zoom-security-privacy-feature-freeze-200-million-daily-users">200 millions en mars 2020</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337573/original/file-20200526-106853-1eeju5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337573/original/file-20200526-106853-1eeju5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337573/original/file-20200526-106853-1eeju5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337573/original/file-20200526-106853-1eeju5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337573/original/file-20200526-106853-1eeju5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337573/original/file-20200526-106853-1eeju5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337573/original/file-20200526-106853-1eeju5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vidéo-conférence sur Zoom, l’application la plus téléchargée pour des réunions de travail durant le confinement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Zoom est utilisée par de nombreuses universités françaises comme support pour les cours en ligne et pour les réunions. Or, le 26 mars 2020, on apprend que <a href="https://www.vice.com/en_us/article/k7e599/zoom-ios-app-sends-data-to-facebook-even-if-you-dont-have-a-facebook-account">Zoom a envoyé à Facebook des données sur ses utilisateurs</a>, sans leur consentement, même si ces derniers n’étaient pas usagers de Facebook. Par ailleurs, <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/securite-sur-internet/donnees-personnelles-pourquoi-faut-il-se-mefier-des-applications-de-visioconference-zoom-et-houseparty_3896389.html">ni Zoom ni Houseparty ne chiffrent les conversations</a>. Dans sa politique de confidentialité, Houseparty déclare être :</p>
<blockquote>
<p>« libre d’utiliser le contenu de toutes les communications passées via ses services, dont toute idée, invention, concept ou techniques » même pour « développer, concevoir ou vendre des biens et des services ».</p>
</blockquote>
<p>Suzanne Vergnolle, doctorante en droit spécialiste de la protection des données personnelles, <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/securite-sur-internet/donnees-personnelles-pourquoi-faut-il-se-mefier-des-applications-de-visioconference-zoom-et-houseparty_3896389.html">précise :</a> </p>
<blockquote>
<p>« Si vous êtes une entreprise, par exemple, et que vous comptez échanger des informations secrètes, sachez que Houseparty et Zoom peuvent accéder à vos conversations. »</p>
</blockquote>
<p>Par ailleurs, rappelons que ces technologies peuvent être aussi utilisées par <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/05/06/a-paris-la-justice-valide-la-surveillance-du-confinement-par-drones-policiers_6038884_4408996.html">la police</a>, bien qu'en France, la mesure de surveillance par drones durant le confinement n'ait pas été finalement validée par le conseil d'Etat dans une décision <a href="https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-18-mai-2020-surveillance-par-drones">rendue publique</a> le 18 mai. Des villes françaises testent aujourd’hui la reconnaissance faciale pour des raisons sécuritaires, à l’exemple de la ville de <a href="https://www.latribune.fr/regions/smart-cities/tracking-reconnaissance-faciale-video-surveillance-7-milliards-de-suspects-845735.html">Nice qui se situe à l’avant-garde de l’expérimentation</a>.</p>
<h2>Appliquer la « sousveillance »</h2>
<p>Comment contraindre les populations à accepter de telles mesures, ou du moins, à ne pas les contester ? Il s’agit ici de susciter la soumission librement consentie.</p>
<p>On évoque alors plutôt que la surveillance, le principe de <a href="https://www.multitudes.net/de-la-sousveillance">« sousveillance »</a>, où l’individu n’est même plus sur-veillé mais plutôt sous-veillé par ses traces numériques, de façon discrète, immatérielle et omniprésente. Dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/1984_(roman)"><em>1984</em></a>, publié en 1949, Orwell n’explique pas la façon dont Big Brother s’est emparé du pouvoir, il n’éclaire pas le processus d’émergence de cette société, mais la décrit dans les détails ; et à bien des égards, nous avons déjà dépassé certaines caractéristiques de surveillance de cette société.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337571/original/file-20200526-106823-n8wons.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=90%2C120%2C3935%2C2897&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337571/original/file-20200526-106823-n8wons.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337571/original/file-20200526-106823-n8wons.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337571/original/file-20200526-106823-n8wons.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337571/original/file-20200526-106823-n8wons.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337571/original/file-20200526-106823-n8wons.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337571/original/file-20200526-106823-n8wons.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Statue de George Orwell devant la maison de la BBC, Londres.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/56/Statue_of_George_Orwell_%282018%29.jpg">Ben Sutherland/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, Orwell n’avait pas prédit le télécran portatif, la soumission librement consentie, mais avait déjà alerté sur l’idée de vidéo-surveillance (exercée dans son ouvrage par le télécran, similaire à nos écrans connectés contemporains). Il n’avait pas non plus prédit que chaque individu accepterait de se soumettre à une forme généralisée de surveillance par le biais d’un petit appareil portatif qui serait, en plus, payant.</p>
<h2>Big Mother : divertir pour asservir</h2>
<p>Ce qu’Orwell n’avait pas prédit, c’est l’aspect ludique attribué au fameux instrument de contrôle de la population. Si les outils numériques sont si largement acceptés, c’est bien par l’aspect ludique qui distrait et, par ce biais, endort son possesseur.</p>
<p>C’est là qu’il s’agit de mobiliser une autre dystopie tout aussi célèbre : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Meilleur_des_mondes"><em>Le Meilleur des mondes</em></a> d’Huxley, et le fameux soma, qui supprime toute velléité de résistance. Les citoyens, dans ce roman, étaient fortement incités à utiliser le soma, qui leur était présenté officiellement comme un simple médicament, alors qu’en fait il s’agissait d’une drogue artificielle de synthèse, qui pouvait, à fortes doses, les plonger dans un sommeil paradisiaque.</p>
<p>Les outils numériques d’aujourd’hui semblent combiner le soma du <em>Meilleur des mondes</em> et le télécran de <em>1984</em>.</p>
<p>Ainsi, actuellement, un adolescent entre 13 et 18 ans passe 6h40 par jour devant des écrans pour se distraire, en <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-fabrique-du-cretin-digital-michel-desmurget/9782021423310">dehors de tout usage éducatif ou sérieux</a> ; cela représente 100 jours dans une année ou encore l’équivalent de 2,5 années scolaires.</p>
<p>Plus de 4 étudiants sur 10 se sentent <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/20-des-etudiants-passent-plus-de-six-heures-par-jour-sur-leur-smartphone_2824253.html">incapables de se passer de leur téléphone ne serait-ce qu’une seule journée</a>.</p>
<p>L’objet numérique est devenu une extension de soi, une prothèse. Pour pouvoir continuer à utiliser ses fonctionnalités, pratiques mais aussi et surtout ludiques, l’individu est prêt à sacrifier un peu de liberté, comme si dans la balance bénéfices/risques, les bénéfices apportés par l’utilisation de l’outil numérique compensaient les risques d’intrusion dans la vie privée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337570/original/file-20200526-106823-1mz2gvx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337570/original/file-20200526-106823-1mz2gvx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337570/original/file-20200526-106823-1mz2gvx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337570/original/file-20200526-106823-1mz2gvx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337570/original/file-20200526-106823-1mz2gvx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337570/original/file-20200526-106823-1mz2gvx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337570/original/file-20200526-106823-1mz2gvx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Doit-on réellement risquer ses libertés fondamentales pour jouer à Candy Crush ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/candy-crush-dispositif-ecran-ecran-tactile-228963/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, les outils numériques représentent de véritables sources de distraction, d’éloignement du savoir et de difficultés scolaires en classe. Une <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/la-nouvelle-religion-du-numerique-9782376872924/">étude inédite</a> que nous avons menée pendant cinq ans auprès d’étudiants post-bac en France montre que les étudiants, avec l’iPad distribué gratuitement par les écoles d’enseignement supérieur, passent en moyenne, pendant 1h30 de cours, 61 minutes à se distraire (Facebook, jeux vidéo, vidéos distractives, etc.). Seul 20 % de leur usage de ces outils a un lien avec le cours.</p>
<p>Chaque <em>like</em> reçu libère immédiatement une dose de dopamine, <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/le-bug-humain/9782221240106">on le voit clairement lorsque l’on observe les utilisateurs sous IRM</a> ; cela correspond bien au fameux soma de Huxley…</p>
<h2>Big Brother : Effrayer pour dompter</h2>
<p>Le vocable de la guerre est invoqué par les puissances nationales pour lutter contre le Covid-19. Peut-on y voir là un hasard ? La guerre semblerait autoriser des comportements interdits en temps de paix.</p>
<p>Chaque temps de « guerre » serait un temps de risque pour les libertés individuelles : ce serait le temps des décisions sans concertation, celui des exceptions. Mais en matière de surveillance numérique, l’exception devient vite la règle. C’est ce qu’on constate <a href="https://journals.openedition.org/conflits/1001">depuis le 11 septembre 2001</a>.</p>
<p>Dernier exemple en date en France : l’état d’urgence, mesure exceptionnelle et normalement de courte durée datant de 1955, instaurée pendant la présidence de François Hollande le soir des attentats du 13 novembre 2015, a été régulièrement prolongée jusqu’à ce que le Président Macron fasse passer cette loi d’exception en loi organique. Cette nouvelle loi contient plusieurs <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/10/03/loi-antiterroriste-de-multiples-mesures-qui-etendent-le-domaine-de-la-surveillance-numerique_5195554_4408996.html">dispositions nouvelles de surveillance électronique</a>, par exemple les personnes suspectées peuvent être obligées de fournir l’ensemble de leurs identifiants, mots de passe, etc.</p>
<p>À partir du 1<sup>er</sup> novembre 2017, la France est sortie officiellement de deux ans d’état d’urgence (un record historique) mais pour se retrouver sous la coupe de la loi antiterroriste. Celle-ci est dénoncée comme « liberticide » par ses opposants, et critiquée par des <a href="https://www.lepoint.fr/politique/macron-signe-la-loi-antiterroriste-qui-prend-le-relais-de-l-etat-d-urgence-30-10-2017-2168625_20.php">experts de l’ONU</a>.</p>
<p>Le registre de la peur reçoit cependant <a href="https://www.lepoint.fr/politique/macron-signe-la-loi-antiterroriste-qui-prend-le-relais-de-l-etat-d-urgence-30-10-2017-2168625_20.php">l’assentissement</a> de la population : 57 % des Français soutenaient le texte de loi, bien que 62 % d’entre eux estimaient que la loi aura « tendance à détériorer leurs libertés ».</p>
<p>Déjà, dans le <em>Livre blanc sur la sécurité publique</em>, le ministère de <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/32126-livre-blanc-sur-la-securite-publique">l’Intérieur de 2011</a> souligne la résistance probable de la population aux nouvelles technologies, pouvant être considérées comme intrusives. Ainsi, on peut lire à la page 180 :</p>
<blockquote>
<p>« […] le recours aux nanotechnologies combiné notamment à la géolocalisation est susceptible d’induire des craintes quant à la protection des libertés individuelles ».</p>
</blockquote>
<p>La publication rappelle ainsi que :</p>
<blockquote>
<p>« […] l’importance du ressenti de la « menace » (qu’elle soit à des fins terroristes ou mercantiles) est à même de contribuer à une perception plus favorable de la société en matière d’emploi des nouvelles technologies […] ».</p>
</blockquote>
<h2>Une servitude volontaire</h2>
<p>Peur du terrorisme, peur de la maladie : ce sentiment est entretenu par le biais d’incertitudes et d’informations continues soigneusement choisies, voire disséminées dans les divertissements plébiscités. Preuve en est, le succès que rencontrent d’anciennes séries Z de zombies et autres productions survivalistes.</p>
<p>Le divertissement, comme la peur, permettent une forme de servitude volontaire qui s’appuie également sur le <a href="https://www.fabula.org/actualites/b-e-harcourt-la-societe-d-exposition-desir-et-desobeissance-l-ere-numerique_94992.php">plaisir du narcissisme exhibitionniste qu’autorisent les réseaux sociaux</a>.</p>
<p><a href="https://www.lesinrocks.com/2015/11/19/actualite/actualite/un-peuple-pret-a-sacrifier-un-peu-de-liberte-pour-un-peu-de-securite-benjamin-franklin-a-t-il-vraiment-dit-ca/">On attribue</a> à Benjamin Franklin la phrase suivante : « Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre ».</p>
<p>À quoi on pourrait ajouter : « Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de divertissement, tu ne mérites ni l’une ni l’autre. »</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9xEiOb_WvDE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En 1960, Aldous Huxley interviewé en français par Hubert Aquin.</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/138554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florence Rodhain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La peur et le divertissement incitent les populations à accepter de renoncer à leurs droits civils pour raisons sanitaires.Florence Rodhain, Maître de Conférences HDR en Systèmes d'Information, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1383132020-05-26T21:53:12Z2020-05-26T21:53:12ZPeur sur la ville : le marché des « safe cities »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/337412/original/file-20200525-106848-1hizm5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C94%2C5734%2C3733&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les villes sont désormais soumises à une forte pression sécuritaire, accrue par les nouveaux usages technologiques en temps de crise.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/fPxOowbR6ls">Mathew Henri/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>À Nice, Marseille, Saint-Étienne ou encore Valenciennes, se développent des projets de <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/faut-il-surveiller-la-safe-city/">« safe city »</a>, pendant sécuritaire de la « smart city ». Ce terme désigne des dispositifs numériques destinés à lutter contre les dangers de l’espace urbain : vidéosurveillance « intelligente », où l’analyse d’image s’appuie sur des algorithmes de détection de mouvements de foule, de violences, d’intrusion ; des plates-formes dites d’hypervision, <a href="https://www.bouygues-es.fr/villes-et-territoires/dijon-premiere-smart-city-francaise">comme à Dijon</a>, permettant de gérer ensemble différents services municipaux dont la vidéosurveillance, ou liant analyse de divers fichiers municipaux et nationaux et big data en ligne afin de prévenir les crimes ; <a href="https://sd-magazine.com/securite-numerique-cybersecurite/les-objets-connectes-au-service-de-la-police-judiciaire">forces de l’ordre connectées</a> ; etc.</p>
<p>Les villes sont ciblées de façon croissante par des politiques de sécurité, tout en étant présentées comme les lieux du renouveau économique de l’économie des plates-formes numériques, à l’instar d’Airbnb ou d’Uber.</p>
<p>La sécurité des villes n’est toutefois pas un sujet nouveau : elles ont longtemps été considérées à travers le prisme de l’insécurité, comme lieux de désorganisation sociale. Différentes politiques, aux finalités sécuritaires et sociales, ont été mises en œuvre afin de lutter contre ces phénomènes. Dans de nombreuses métropoles, cela a favorisé le recours à la vidéosurveillance, qui a ouvert la voie au développement contemporain des « safe cities », présentées comme des remèdes aux failles de celle-ci.</p>
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<figcaption><span class="caption">Tous surveillés : 7 milliards de suspects (Arte, 2020).</span></figcaption>
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<p>Par exemple, dans la vidéosurveillance dite « intelligente », les opérateurs derrière les caméras seraient aidés par l’analyse algorithmique des images, ce qui permettrait d’envoyer une alerte lorsque sont repérés certains comportements (violences, déplacements de foules, etc.).</p>
<p>Pour l’instant, ces dispositifs semblent seulement déplacer la <a href="https://www.sciencespo.fr/ecole-urbaine/sites/sciencespo.fr.ecole-urbaine/files/2019_05%20-%20Castagnino.pdf">« définition du soupçon »</a> : à la surveillance de certains espaces ou groupes sociaux perçus comme étant plus « à risque », avec toutes les <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2012-3-page-423.htm?contenu=resume">inégalités</a> que cela comporte, s’ajoute le ciblage de comportements « anormaux » au sens statistique du terme, repérés par l’analyse algorithmique des images.</p>
<p>Par ailleurs, les <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-L_oeil_s__curitaire-9782348036491.html">recherches sur la vidéosurveillance</a> témoignent d’usages très différenciés et souvent loin des promesses initiales. Si elle peut être utilisée dans l’élucidation de cas, <em>a posteriori</em>, son efficacité dans la lutte contre les crimes et délits reste à prouver.</p>
<p>Cela appelle à la prudence quant à la croyance en l’efficacité de dispositifs numériques de sécurité pour l’espace urbain, surtout au regard des risques qu’ils posent quant au respect des libertés publiques, ce que soulignent différentes associations, par exemple dans le cadre de la campagne <a href="https://technopolice.fr/">Technopolice</a>.</p>
<h2>La construction d’un nouveau marché numérique</h2>
<p>Le développement de projets de « safe cities » peut se comprendre comme la construction d’un marché (numérique) de la sécurité urbaine.</p>
<p>Celle-ci s’opère dans un contexte de transformation du marché de la sécurité, qui joue un rôle croissant avec l’appel par l’État, par la voix de <a href="https://www.aefinfo.fr/depeche/597901">Christophe Castaner</a>, à un « continuum de sécurité entre services de police et de gendarmerie, élus locaux, police municipale, entreprises, mais aussi citoyens ».</p>
<p>L’Union européenne soutient également ce marché de la sécurité, auquel au moins <a href="https://www.tni.org/en/publication/market-forces-the-development-of-the-eu-security-industrial-complex">11 milliards d’euros</a> ont été dédiés entre 2014 et 2020, avec un focus important sur le développement de nouvelles technologies.</p>
<p>En France, le secteur marchand de la sécurité représentait 34 milliards d’euros de production de biens et de services en 2016. Mais quels sont les acteurs de la montée en puissance des « safe cities » ?</p>
<h2>La défense, leader parmi les acteurs clefs du marché</h2>
<p>L’industrie de la sécurité en a fait l’un des cinq objectifs de la politique de sécurité nationale industrielle à horizon 2025, la France étant appelée à devenir un leader mondial dans le domaine des « safe cities ». Ainsi, des multinationales comme des start-up développent des logiciels d’analyse de données, des plates-formes d’hypervision, des caméras intelligentes, etc.</p>
<p>Le projet de « safe city » envisagé à Nice est ainsi porté par un consortium d’entreprises menées par Thales, entreprise du secteur de l’aéronautique, de la défense et de la sécurité, dont le chiffre d’affaire était de 18,4 milliards d’euros en 2019. Récemment, Thales a fortement investi le numérique, consacrant environ 1 milliard d’euros à la recherche et développement, créant une <em>digital factory</em> destinée à favoriser le développement de produits en interne et acquérant des entreprises, telle que <a href="https://www.thalesgroup.com/fr/group/journaliste/press-release/thales-finalise-lacquisition-gemalto-et-devient-leader-mondial">Gemalto</a> en 2019, spécialisée dans la gestion de l’identité (des personnes et objets) et de la sécurité numériques.</p>
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<figcaption><span class="caption">Communication officielle de Thalès sur son périmètre « digital ».</span></figcaption>
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<p>Néanmoins, la smart city n’est pas l’apanage des entreprises de sécurité et défense. Celles des secteurs des NTIC, ou encore de l’énergie et des services urbains, dont on donne ici quelques exemples, s’y intéressent également.</p>
<h2>Améliorer la « qualité de vie »</h2>
<p>C’est le cas d’Amazon, qui développe des logiciels de reconnaissance faciale ainsi que les caméras de vidéosurveillance Ring, destinées aux particuliers, dont <a href="https://www.telegraph.co.uk/politics/2020/03/29/police-recruit-householders-create-network-doorbell-cameras/">l’installation est recensée</a> par certaines polices au Royaume-Uni.</p>
<p><a href="https://atos.net/fr/">L’entreprise ATOS</a> quant à elle recueille et analyse des données urbaines afin « d’aider la ville à offrir un environnement sécurisé à ses citoyens pour améliorer la qualité de vie », un dispositif mis en œuvre dans le <a href="https://atos.net/wp-content/uploads/2016/06/atos-ph-eindhoven-city-pulse-case-study.pdf">quartier nocturne de la ville d’Eindhoven</a>, aux Pays-Bas. ATOS propose également « City Safe », solution de communication sécurisée pour les forces de sécurité, une version civile d’un dispositif initialement destiné aux militaires de l’opération Sentinelle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ring, la caméra-sonnette rachetée par Amazon.</span></figcaption>
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<p>Finalement, des multinationales comme Engie, l’un des plus grands groupes du secteur de l’énergie, ont également développé une activité dans le domaine de la sécurité urbaine. L’une de ses filiales développe ainsi une offre de « safe city » basée notamment sur <a href="https://www.engie-ineo.fr/offer/nos-offres/safe-city/">l’hyperviseur SenCity</a>. Cette plate-forme, en croisant différents jeux de données (vidéosurveillance, objets connectés, mais aussi données des hôpitaux, open data, etc.), est sensée fournir une aide à la décision pour les politiques de sécurité.</p>
<p>L’entreprise gère ainsi <a href="https://www.engie-ineo.fr/wp-content/uploads/2017/11/cpineobigdatavdef.pdf">l’Observatoire de la tranquillité publique</a> à Marseille, basé sur l’analyse de données à des fins de sécurité, ou encore la vidéosurveillance pour la Préfecture de Paris. Engie mène par ailleurs le consortium d’entreprises ayant remporté en 2019 le marché public de « territoire intelligent » de <a href="https://www.suez.fr/fr-fr/actualites/angers-loire-metropole-territoire-intelligent">la métropole d’Angers</a>.</p>
<h2>Une grande diversité parmi les entreprises</h2>
<p>La diversité des entreprises proposant des offres de « safe cities » est rarement étudiée. Or, leurs visions de la ville et de sa sécurité divergent, voire s’opposent.</p>
<p>Les dispositifs numériques développés circulent souvent depuis d’autres secteurs (de la défense vers le civil, de l’analyse de données massives au domaine urbain, etc.). La sécurité est ainsi conçue et mise en œuvre différemment, par des dispositifs qui ne sont pas simplement des opérateurs neutres, mais bien des constructions sociales et politiques. Les plates-formes (de centralisation et d’analyse de données) par exemple, de plus en plus courantes dans les projets de sécurité urbaine, témoignent de la lecture sécuritaire qui est faite de données produites dans des cadres très différents : police, réseaux sociaux, hôpitaux, circulation routière, données sociodémographiques concernant les résidents (Insee), météo, etc.</p>
<p>Le choix des données utilisées engage différentes conceptions des « risques » urbains : selon les populations, les territoires, les incidents passés, les interactions en ligne, etc.</p>
<p>Les entreprises privées ne sont toutefois pas seules dans la construction de ce marché de la sécurité urbaine numérique. Celui-ci est en effet soutenu aussi par les représentants des pouvoirs publics, à commencer par ceux des collectivités locales qui les accueillent. La « safe city » s’est en effet muée en objet de concurrence interurbaine, s’inscrivant dans des politiques d’attractivité et de développement économique local. Si la sécurité tend aujourd’hui à transcender de façon croissante les oppositions politiques, nombre des villes emblématiques des projets de « safe city », telles que Valenciennes, Marseille, Nice, ou encore Saint-Étienne, ont des maires à droite de l’échiquier politique.</p>
<h2>Quand les crises font évoluer le droit</h2>
<p>Mais le développement des projets de « safe cities » est aussi encadré par le droit, à l’échelle nationale et européenne, notamment en ce qui concerne la protection des données.</p>
<p>Différents événements sont l’occasion pour les groupes d’intérêt, comme pour certains représentants des pouvoirs publics, de faire évoluer ces normes.</p>
<p>Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), prévus à Paris en 2024, sont ainsi présentés comme un moment exceptionnel nécessitant une sécurité exceptionnelle, et donc des adaptations du droit, en particulier pour permettre la reconnaissance faciale dans l’espace public. Ces adaptations sont demandées par les représentants du marché de la sécurité, mais aussi des membres des forces de sécurité publique ou des parlementaires. Concernant les JOP, différents projets sont en cours, notamment à travers le développement de dispositifs de sécurité soutenus par l’<a href="https://anr.fr/fileadmin/aap/2019/selection/aap-jop2024-2019-selection.pdf">Agence Nationale de la Recherche</a>.</p>
<p>Les crises fournissent-elles aussi des occasions à l’évolution des normes : c’est ce qu’ont montré les attentats de 2015, qui ont fortement impacté les représentations de la sécurité et les <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/3377">politiques publiques</a>.</p>
<p>C’est aussi le cas de l’épidémie de Covid-19 aujourd’hui, avec la mise en œuvre de dispositifs tels que StopCovid (parmi d’autres), et ce, malgré les risques aux libertés publiques. Atos et Thales appartiennent d’ailleurs à <a href="https://www.capgemini.com/fr-fr/news/stopcovid/">« l’écosystème des contributeurs »</a> de cette application. Si ces événements facilitent la représentation des dispositifs numériques de sécurité comme des solutions aux enjeux contemporains, le soutien à leur développement ne se limite pas aux temps de crise. Atos et Thales sont ainsi parmi les grandes entreprises auxquelles ont le plus bénéficié le budget européen dédié à la recherche en sécurité, cumulant respectivement 6,5 et 4,6 millions d’euros pour différents projets.</p>
<p>Les projets de « safe cities » témoignent ainsi d’un phénomène plus global de multiplication des agents, publics et privés, investissant la définition et la production de la sécurité urbaine. Si les enjeux pour les libertés publiques sont souvent soulignés, c’est aussi de la façon de vivre dans les villes qu’il est question. Les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2012-1-page-25.htm">recherches sur la sécurité</a> dans les centres commerciaux et les gares témoignent de l’interpénétration des logiques sécuritaires et économiques dans ces espaces.</p>
<p>C’est un angle que doivent aussi interroger les études actuelles sur la mise en œuvre réelle des projets de « safe cities », en examinant leurs usages, leurs détournements, mais aussi leur réception par les habitants des villes, qui ne sont pas tous égaux face à ces dispositifs de sécurité numérique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138313/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myrtille Picaud received funding from the chaire "Villes et numérique" de l'Ecole urbaine de Sciences Po. </span></em></p>Le développement de projets de « safe cities » peut se comprendre comme la construction d’un marché (numérique) de la sécurité urbaine.Myrtille Picaud, Chercheuse associée à la chaire « Villes et numérique » de l’Ecole urbaine de Sciences Po et au Centre d’études européennes et de politique comparée (CEE), docteure associée au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1367052020-04-29T17:30:49Z2020-04-29T17:30:49ZL’« Internet souverain » russe face au Covid-19<p>Malgré l’évolution de la pandémie de Covid-19 en Russie, l’état d’urgence n’a pas été déclaré dans le pays : seul un « état d’alerte élevée » est en vigueur à Moscou et dans certaines régions depuis début avril. Les « congés obligatoires » ne sont que partiellement respectés par une population <a href="https://theconversation.com/letat-russe-face-au-defi-du-coronavirus-135272">plongée dans un flou</a> sanitaire, juridique et économique grandissant. Dans ce contexte, la Russie est en train de déployer et de mettre à jour sa stratégie et ses infrastructures numériques, qui font couler beaucoup d’encre depuis des années à cause de leurs (toujours plus) fortes dimensions centralisatrices et autoritaires. Que dit la crise du Covid-19 sur le pouvoir numérique de l’État russe et les défis qu’il pose aux libertés publiques ?</p>
<h2>L’État russe face au Covid-19 : des ambitions numériques contrariées</h2>
<p>Les autorités russes ont très tôt préconisé le recours massif aux outils numériques pour contrôler les déplacements des citoyens et limiter la circulation du virus. Ces usages sécuritaires s’inspirent des exemples étrangers (Chine, Corée, Singapour), tout en s’inscrivant dans une logique de « souverainisation » de l’Internet russe (<em>runet</em>) <a href="https://theconversation.com/souverainete-numerique-linternet-russe-peut-il-se-couper-du-reste-du-monde-113516">déjà engagée</a> avant le début de l’épidémie et en consolidant des dispositifs de surveillance en <a href="https://www.bbc.com/russian/features-52219260">place depuis longtemps</a> (caméras de vidéo-surveillance, agrégation des données de géolocalisation fournies aux autorités par les opérateurs mobiles).</p>
<p>Dès février, Sergueï Sobianine, le maire de Moscou, propose le recours à la reconnaissance faciale pour surveiller les personnes revenant de l’étranger, en utilisant les caméras de surveillance du programme <a href="https://www.themoscowtimes.com/ru/2020/03/26/vspishka-koronavirusa-yavlyaetsya-sereznim-ispitaniem-dlya-rossiiskoi-tehnologii-raspoznavaniya-lits-a38">« Une ville sûre »</a>, en vigueur depuis 2018. Entre février et mars, 200 personnes ayant enfreint leur quarantaine auraient ainsi été identifiées, dont un homme qui sortait ses poubelles. Mais comme le montre une <a href="https://t.me/itsorm/1663">étude</a> menée par l’équipe du projet IT et SORM (un blog sur Telegram consacré aux problèmes de surveillance et régulation de l’Internet russe, avec plus de 73 000 abonnés), ce dispositif est un catalyseur d’inégalités : ces caméras de surveillance sont majoritairement installées dans les quartiers modestes de Moscou car ceux qui décident de leur emplacement, qui résident eux-mêmes dans les quartiers huppés, ne souhaitent pas que leurs activités puissent être surveillées.</p>
<p>Le 20 mars 2020, face à l’augmentation des contaminations, le premier ministre Mikhaïl Michoustine <a href="http://government.ru/orders/selection/401/39243/">préconise</a> un suivi des citoyens se trouvant ou s’étant trouvés au contact de personnes infectées en récoltant les données de géolocalisation auprès des opérateurs, et en les <a href="https://roskomsvoboda.org/56599/">transmettant</a> aux administrations locales. Une application de surveillance des malades, « Monitoring social », est rendue disponible le 1w-<sup>er</sup> avril sur GooglePlay. Elle est rapidement controversée car la surveillance va bien au-delà des déplacements des malades et protège peu les données personnelles ; l’application est finalement <a href="https://www.kommersant.ru/doc/4309778">retirée</a>.</p>
<p>Le traçage numérique des citoyens n’est pas abandonné pour autant. Depuis le 13 avril, toute sortie à Moscou impliquant un déplacement en transports s’effectue, sous peine d’amendes, avec un laissez-passer numérique, à générer sur un <a href="http://nedoma.mos.ru">site officiel</a>. En réponse aux critiques visant l’application « Monitoring social », la mairie de Moscou <a href="https://www.mos.ru/mayor/themes/2299/6434050/">assure</a> qu’avec ce nouveau dispositif, les données personnelles seront stockées sur le territoire russe (conformément à la loi de 2014 visant en particulier les GAFAM) et seront supprimées à la sortie de « l’état d’alerte élevée ». Le même système fonctionne au Tatarstan et dans la région de Primorié ; des laissez-passer QR-Code sont aussi disponibles et recommandés mais non obligatoires à Nijni-Novgorod, alors que d’autres régions russes se contentent de <a href="https://www.vesti.ru/doc.html?id=3254717">mesures plus légères</a>.</p>
<h2>Résistances et mobilisations de l’Internet libre</h2>
<p>L’utilisation des données numériques pour renforcer la surveillance de la population face à la maladie suscite l’inquiétude des défenseurs des libertés en ligne. Les ingénieurs et développeurs débattent des projets mis en œuvre par le gouvernement et mènent des investigations indépendantes pour dévoiler les failles de sécurité, les problèmes techniques et d’autres aspects controversés des technologies déployées par l’État russe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1244114699362459648"}"></div></p>
<p>Plusieurs associations et médias indépendants alertent les internautes sur les atteintes croissantes à la protection des données personnelles et du développement de la surveillance en ligne. L’ONG Roskomsvoboda publie, le 27 mars, un <a href="https://cards.roskomsvoboda.org/card/digitalrights/">vademecum</a> sur les droits numériques en période de pandémie, soulignant que l’utilisation des données personnelles, notamment biométriques, nécessite légalement l’accord des personnes. Mais « l’utilisation de la reconnaissance faciale se trouve dans une zone grise », <a href="https://www.themoscowtimes.com/ru/2020/03/26/vspishka-koronavirusa-yavlyaetsya-sereznim-ispitaniem-dlya-rossiiskoi-tehnologii-raspoznavaniya-lits-a38">affirme</a> Sarkis Darbinian, le juriste du groupe. L’association lance aussi, avec d’autres associations de l’espace postsoviétique, un <a href="https://pandemicbigbrother.online/ru/">recensement</a> des restrictions aux libertés numériques dans le monde, alors que l’association Agora ouvre une permanence d’aide juridique liée à la pandémie. Ses avocats <a href="https://agora.legal/news/2020.03.19/Agora-otkryla-operativnyi-shtab-pravovoi-pomoshi-v-svyazi-s-pandemiei-koronavirusa/1002">s’inquiètent</a> également du recours à la reconnaissance faciale pour faire respecter la quarantaine. Les militants proches de l’opposant Alexeï Navalny <a href="https://ozi-ru.org/">(Société pour la Protection d’Internet)</a> dénoncent, plus hardiment encore, la mise en place d’un <a href="https://shtab.navalny.com/hq/ekaterinburg/3796/">« goulag numérique »</a>, et appellent les citoyens à ne pas transmettre leurs données personnelles aux applications de contrôle des déplacements.</p>
<p>Parallèlement, des initiatives solidaires se développent sur Internet visant à soutenir les personnes les plus démunies et les soignants. Le collectif <a href="https://makersvscovid.ru/">« Makers contre Covid »</a> utilise les techniques d’impression 3D pour offrir aux médecins le matériel de protection qui leur manque. Un hackathon en ligne, « Covidhack », développe un bot pour Telegram qui aide à produire une base de données citoyenne permettant aux personnes atteintes de coronavirus de s’exprimer anonymement et de cartographier leurs symptômes et demandes.</p>
<p>Les infrastructures Internet se voient aussi affaiblies par la pandémie, du fait de la croissance du trafic liée au confinement. Les réseaux russes sont fréquemment en panne, mais le déplacement des techniciens et câbleurs des trois mille et plus fournisseurs d’accès Internet (FAIs) qui les gèrent se fait au risque de poursuites juridiques. La firme de consulting pour FAIs <a href="http://www.ordercom.ru">OrderKom</a>, leur propose un soutien juridique qui inclut la préparation des autorisations de déplacement, et la défense en justice en cas d’amende.</p>
<h2>Failles et paradoxes de la surveillance numérique</h2>
<p>Au fil des jours, des failles se dessinent entre les ambitions sécuritaires des autorités et les réalités de leur mise en œuvre. La surveillance numérique et les solutions sanitaires sont déléguées à de nombreux acteurs publics et privés, fédéraux et régionaux, qui prennent des décisions souvent contradictoires. Les paradoxes et les dysfonctionnements documentés par les militants des libertés en ligne montrent les limites du design sécuritaire annoncé. L’échec le plus patent est peut-être celui des laissez-passer numériques à Moscou. Le site Nedoma.mos.ru, développé pour les générer, utilise des serveurs d’hébergement étrangers ; le gouvernement a donc été <a href="https://t.me/itsorm/1645">accusé</a> de mettre en cause son propre projet de Runet souverain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1246048221459353600"}"></div></p>
<p>Certains militants des libertés numériques, comme Mikhaïl Klimarev (Société pour la Protection d’Internet), pointent l’inefficacité des solutions technologiques ; la responsabilité civique doit primer face au Covid, alors que la surveillance numérique infantilise les citoyens et est susceptible d’être contournée. Cette crise fait ressortir avec force le manque de confiance réciproque entre les citoyens et l’État. En effet, les informations sur l’épidémie diffusées par l’État sont perçues avec méfiance, oscillant entre « on nous cache la véritable étendue de la catastrophe » et « c’est un complot pour nous museler encore plus ». Si les autorités rouvrent la chasse aux « fake news », de leur côté, des Youtubeurs et journalistes indépendants dénoncent les informations incomplètes ou douteuses diffusées par les représentants du pouvoir et leur comportement en public (comme celui du porte-parole de Vladimir Poutine, qui <a href="https://www.9tv.co.il/item/12619">s’est présenté</a> à une conférence de presse avec un badge « bloqueur » de virus très contesté). Parfois, l’ironie est au rendez-vous, comme lorsque le ministère des Affaires étrangères ouvre un fil d’information pour ses ressortissants à l’étranger sur l’application Telegram… officiellement interdite en Russie.</p>
<p>Ainsi, une partie de la société civile, sans remettre en cause la nécessité du confinement, se mobilise contre les velléités menaçantes du Big Brother russe, et dénonce l’incompétence des autorités à gérer l’implémentation des dispositifs techniques ainsi que la violation par le pouvoir de ses propres lois (comme celle sur le stockage des données des Russes sur le territoire russe), ainsi que la non-protection des données personnelles qui les expose à des fuites vers le marché noir des bases de données.</p>
<p>Si le grand projet de surveillance et de souverainisation de l’Internet russe se renforce bien à l’occasion de la crise du coronavirus, sa mise en œuvre est incertaine et souvent contradictoire. La pandémie démontre les limites du projet de centralisation des infrastructures d’Internet, et le gouvernement se sent obligé d’assouplir certaines mesures régulatrices, comme la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Yarovaya_law">loi Yarovaya</a> (qui impose aux FAIs de conserver l’historique et les métadonnées des utilisateurs aux fins d’interception légale et lutte anti-terroriste). Cependant, cette complexité apparente n’est pas nécessairement synonyme d’inefficacité. Elle s’inscrit dans des reconfigurations plastiques de la contrainte numérique en Russie, s’ajustant tant bien que mal aux défis qui surgissent, et suscite à juste titre les inquiétudes des défenseurs des libertés numériques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136705/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Francesca Musiani a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) via le projet ResisTIC (<a href="http://www.resistic.org">www.resistic.org</a>). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anna Zaytseva a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) via le projet ResisTIC (resistic.org)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bella Ostromooukhova a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche, dans le cadre du projet ResisTic (resistic.org).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Françoise Daucé a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR) via le projet ResisTIC (resistic.org).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ksenia Ermoshina a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) via le projet ResisTIC (resistic.org).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olga Bronnikova a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) via le projet ResisTIC (resistic.org)</span></em></p>Au pays de Vladimir Poutine, l’amplification de la surveillance numérique mise en œuvre dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19 suscite bien des inquiétudes.Francesca Musiani, Chargée de recherche CNRS, Directrice adjointe du Centre Internet et Société (CIS), chercheuse associée, Mines Paris - PSLAnna Zaytseva, Maître de conférences, Université Toulouse – Jean JaurèsBella Ostromooukhova, Maître de conférence, Sorbonne UniversitéFrançoise Daucé, Directrice d'études, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Ksenia Ermoshina, Docteure en socio-économie de l’innovation, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Olga Bronnikova, Enseignant-Chercheur à l'Institut des Langues et Cultures d'Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie (ILCEA4), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1342782020-03-22T20:13:46Z2020-03-22T20:13:46ZLa Chine se rêve en première puissance sanitaire mondiale<p>Le Covid-19 est devenu une pandémie avec près de 10 000 morts dans le monde, surtout en Chine, Italie et Espagne. Populations confinées, chute des cours boursiers, déraillement de l’économie mondiale… les États adoptent des stratégies variées pour limiter la propagation du virus tout en soignant les patients. Après s’être excusée d’avoir pris tardivement la mesure du fléau, la Chine vole au secours de l’Iran, de l’Italie et de la France et fournit masques, matériel médical et personnel de santé. Un nouveau rêve de Xi Jinping ?</p>
<h2>Une guerre de propagande</h2>
<p>Le président de la Chine populaire l’avait <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/03/14/xi-jinping-l-homme-du-reve-chinois-elu-nouveau-president-de-chine-populaire_1847515_3216.html">annoncé</a> dès son élection :</p>
<blockquote>
<p>« Je crois que le plus grand rêve des Chinois, c’est la renaissance de leur nation dans les temps modernes. »</p>
</blockquote>
<p>Un rêve qui devient un cauchemar avec l’apparition le 12 décembre 2019 dans la province de Wuhan, du virus qui fait sa première victime officiellement notifiée le 31 décembre. Pourtant dès les 2 et 3 janvier, le Dr. Li Wenliang et sept autres médecins avaient attiré l’attention sur l’existence dans le marché des fruits de mer d’une épidémie de pneumonie virale se propageant par le contact humain sur WeChat. Mais le 14 janvier, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) reprenait le discours officiel chinois, se fendant du tweet suivant :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1217043229427761152"}"></div></p>
<p>Le médecin lanceur d’alerte et ses collègues furent censurés, réprimandés, arrêtés pour trouble à l’ordre public pour avoir lancé une fausse rumeur, et forcés à signer une lettre d’excuses.</p>
<p>Le décès du Dr. Wenliang des suites du virus le 6 février <a href="https://www.whatsonweibo.com/distrust-and-despair-on-wechat-and-weibo-after-death-of-wuhan-whistleblower/">enflamma les réseaux sociaux Weibo et WeChat</a>. En effet, c’est seulement le 25 janvier 2020 que la Chine adopta des mesures drastiques (dépistage, distance sociale, désinfection et quarantaine) et s’empressa de bâtir en 10 jours une structure de 1 000 lits, non sans en organiser la propagande sur la chaîne de télé nationale CCTV, sans oublier de filmer la prise en charge des patients équipés de masques par des médecins vêtus de combinaisons, gants et masques.</p>
<p>Aujourd’hui, du Cambodge aux Philippines, en passant par l’Italie, la France et l’Espagne, la Chine poursuit sa campagne de communication au point d’apparaître comme la <a href="https://news.cgtn.com/news/2020-03-17/Xi-calls-for-global-cooperative-actions-to-battle-virus--OWnoq8x5WE/index.html">bienfaitrice de la santé publique globale</a>…</p>
<h2>Business et pandémie : la Chine, de partenaire commercial à bombe toxique</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/322006/original/file-20200320-22614-1jag6ws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/322006/original/file-20200320-22614-1jag6ws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/322006/original/file-20200320-22614-1jag6ws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/322006/original/file-20200320-22614-1jag6ws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/322006/original/file-20200320-22614-1jag6ws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/322006/original/file-20200320-22614-1jag6ws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/322006/original/file-20200320-22614-1jag6ws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/322006/original/file-20200320-22614-1jag6ws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">MERICS Silk Road v.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.merics.org/en/bri-tracker/mapping-the-belt-and-road-initiative">Mercator Institute for China Studies</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Énième illustration de son arsenal stratégique, Xi Jinping offre à l’Iran (11 000 cas, 600 morts) des fournitures antiépidémiques et une équipe d’experts médicaux « volontaires ». La Chine profite ainsi de la politique de l’administration Trump au Moyen-Orient pour marquer des points dans la guerre de propagande en se positionnant, là encore, comme la première puissance de la lutte anti Covid-19 et, au passage, tenter de maintenir à flot son projet de <a href="https://www.diploweb.com/Chine-Le-deploiement-des-projets-d-infrastructures-de-l-Initiative-Belt-and-Road-Une-strategie.html">Nouvelle route de la soie</a>.</p>
<p>Les relations sino-iraniennes sont en effet tendues depuis que la Chine a <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/apres-total-la-chine-abandonne-un-projet-gazier-geant-en-iran-20191006">renoncé en octobre dernier à un projet gazier de 5 milliards de dollars</a>, cédant ainsi à la pression étasunienne.</p>
<p>Or l’épicentre iranien de l’épidémie est la ville sainte de Qom (1 million d’habitants). La cité abrite des dizaines de sanctuaires religieux mais aussi des projets d’infrastructures <a href="http://www.globalconstructionreview.com/news/iran-draw-24bn-chinese-credit-line-tehranisfahan-h/">financés par Pékin</a> et construits par de nombreux ouvriers et de techniciens chinois (25 000). On se souvint aussi que cette Nouvelle route de la soie (projet OBOR pour « One Belt One Road ») est en réalité une <a href="https://thediplomat.com/2011/11/the-new-silk-road/">initiative américaine</a> qui a reçu le <a href="https://www.merics.org/en/blog/italys-new-government-lays-foundation-more-balanced-china-policy">soutien de l’Italie</a> en mai dernier. L’hypothèse d’une propagation du virus via ces 25 000 ouvriers est ouverte.</p>
<h2>Une vraie championne des technologies de santé</h2>
<p>C’est grâce à des applications mobiles déployées à Hangzhou et Shenzhen avec le concours d’Alibaba et Tencent que le statut sanitaire des Chinois a été géré pendant l’épidémie : vert, jaune ou rouge, le code couleur assigné à chacun dépendait de ses déplacements et de son historique médical. Avec 450 millions de caméras à 500 mégapixels, les mégadonnées sont recoupées et chaque individu atteint du virus sert de traceur pour remonter à la source de l’épidémie.</p>
<p>Quels sont les trajets effectués ? Les lieux visités ? Les personnes côtoyées ou les transports utilisés ? Toutes ces données sont exploitées. On comprend mieux l’empressement à construire des hôpitaux eux-mêmes équipés de la 5G : faire remonter les données du théâtre des opérations était vital, la diffusion en live de cette construction ne l’était pas moins, même si cette connexion ultrarapide aurait aussi permis de réaliser des télédiagnostics en mettant en relation des experts avec le personnel de terrain. Oui, les caméras à reconnaissance faciale tracent les personnes infectées et les contacts qu’elles ont eus pour les identifier, les diagnostiquer et remonter au patient zéro.</p>
<p>La reconnaissance faciale et la prise de température par infrarouge ont donc servi à identifier les personnes infectées et deviennent une <a href="https://onezero.medium.com/facial-recognition-companies-see-the-coronavirus-as-a-business-opportunity-6c9b99d60649">nouvelle source de business</a>. Les données sont ensuite basculées par SMS aux agences de médias étatiques, les informant de l’identité des personnes infectées (y compris leur historique de déplacements) : des <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/17/world/asia/coronavirus-singapore-hong-kong-taiwan.html">caméras de CCTV</a> furent donc installées afin d’assurer que ces personnes n’accèdent pas aux bâtiments.</p>
<p>C’est un peu comme si le ministère de la Santé décidait de télécharger sur votre mobile une application développée par Amazon ou Facebook et gérait votre éventuelle embolie grâce à vos données personnelles : nom, prénom, géolocalisation, dossier médical, contacts… Quel effet cela vous ferait-t-il de recevoir un SMS vous invitant à un dépistage Covid-19 ? De voir votre droit à accéder aux transports en commun déterminé par un QR code ? Ou de voir vos allées et venues régies par l’intelligence artificielle ?</p>
<p>En outre, les technologies émergentes ont une solution au confinement avec la livraison de repas et médicaments par robots, comme c’est le cas pour ces passagers venus de Singapour <a href="https://www.businessinsider.fr/us/wuhan-virus-robot-little-peanut-delivers-food-to-people-quarantine-2020-1">maintenus en quarantaine</a> dans un hôtel à Hangzhou.</p>
<p>Il est bien nécessaire que la lutte contre l’épidémie repose sur des données médicales, par définition sensibles, mais la mésutilisation des mégadonnées collectées à cette occasion (via des technologies dont l’encadrement juridique est incertain) ne risque-t-elle pas de nous faire entrer dans une relation de surveillance pour le moins problématique ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134278/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Devillier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine veut jouer un rôle central dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 dans le monde. Mais ses solutions ne vont pas sans poser de nombreux problèmes en termes de respect de la vie privée…Nathalie Devillier, Professeur de droit, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1338182020-03-17T20:20:47Z2020-03-17T20:20:47ZComment l’épidémie permet à l’État chinois d’étendre son contrôle sur la population<p>La réaction de la Chine à l’épidémie de coronavirus est <a href="https://www.who.int/docs/default-source/coronaviruse/who-china-joint-mission-on-covid-19-final-report.pdf">suivie de très près</a>, mais la <a href="https://foreignpolicy.com/2020/02/05/china-lockdown-wuhan-coronavirus-government-propaganda-xi-jinping/">plupart des analyses</a> portent avant tout <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/07/world/asia/china-coronavirus-cost.html">sur son degré d’efficacité</a>. Un aspect important est souvent négligé : l’impact que cette réaction aura sur le fonctionnement de l’État en Chine.</p>
<p>Or la mise en place de prérogatives exceptionnelles soutenues par une technologie de surveillance avancée pourrait permettre à l’État d’exercer à long terme un niveau de contrôle inédit sur sa population.</p>
<p>Pour contenir efficacement l’épidémie dès son apparition, l’élite politique chinoise devait établir publiquement le fait que le virus constituait une menace pour la sécurité de la société. Ce processus, consistant à faire d’un élément (un problème de santé, en l’occurrence) un problème de sécurité alors qu’il ne serait normalement pas considéré comme tel, est connu en science politique sous le nom de « <a href="https://www.e-ir.info/2018/01/14/securitisation-theory-an-introduction">sécuritisation</a> ».</p>
<p>La sécuritisation consiste à informer et à éduquer le public sur la question (ce qui est crucial lors d’une épidémie de maladie hautement infectieuse), mais aussi à l’alarmer au maximum sur la nature et la gravité de la menace, à un point tel qu’il apparaît alors légitime que l’État se dote, « temporairement », de prérogatives exceptionnelles.</p>
<p>La réaction initiale de la Chine à l’épidémie de coronavirus a consisté non pas à tout faire pour endiguer la propagation du virus, mais à tout faire pour <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanpub/article/PIIS2468-2667(20)30030-X/fulltext">endiguer toute information relative à l’épidémie</a>. En conséquence, le grand public chinois n’était au départ pas du tout conscient de la gravité du virus.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chinas-coronavirus-cover-up-how-censorship-and-propaganda-obstructed-the-truth-133095">China’s coronavirus cover-up: how censorship and propaganda obstructed the truth</a>
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<p>Quand il est apparu que le problème ne disparaîtrait pas de lui-même, la Chine a opté pour la sécuritisation, prenant des décisions exceptionnelles comme la <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-china-51523835">mise en quarantaine de plusieurs villes</a> de la province de Hubei. Mais, dans le même temps, le gouvernement a <a href="https://theconversation.com/chinas-coronavirus-cover-up-how-censorship-and-propaganda-obstructed-the-truth-133095">continué d’étouffer tout débat public</a> sur l’épidémie.</p>
<p>L’exemple le plus fameux de cette approche est le cas du médecin lanceur d’alerte <a href="https://edition.cnn.com/2020/02/08/opinions/coronavirus-bociurkiw/index.html">Li Wenliang</a>. Li a été l’un des premiers à essayer d’alerter le public sur la gravité de l’épidémie. Mais ses efforts lui ont valu d’être convoqué par la police locale et forcé de cesser ses activités.</p>
<p>Li est décédé le 7 février, après avoir contracté le virus. La <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2020/feb/07/coronavirus-chinese-rage-death-whistleblower-doctor-li-wenliang">colère causée par sa mort</a> a conduit certains commentateurs à suggérer que la Chine pourrait connaître un <a href="https://thediplomat.com/2020/03/is-covid-19-chinas-chernobyl-moment">« moment Tchernobyl »</a>, c’est-à-dire que l’État verrait sa légitimité significativement affaiblie et perdrait donc dans une large mesure le pouvoir et le contrôle qu’il exerce sur sa population.</p>
<h2>L’hyper-sécuritisation</h2>
<p>La sécuritisation consiste notamment à donner aux élites politiques la légitimité populaire nécessaire pour qu’elles puissent s’attaquer à un problème rapidement et avec force. Mais la réaction initiale de la Chine – dissimuler des informations importantes et harceler les lanceurs d’alerte – a eu l’effet inverse, nuisant à la légitimité du gouvernement.</p>
<p>Cependant, si la catastrophe de Tchernobyl en 1986, a provoqué un <a href="https://slate.com/technology/2013/01/chernobyl-and-the-fall-of-the-soviet-union-gorbachevs-glasnost-allowed-the-nuclear-catastrophe-to-undermine-the-ussr.html">important examen de conscience</a> au sein des élites de l’Union soviétique, la réponse du gouvernement chinois à l’épidémie de coronavirus a jusqu’à présent pris une autre direction. Les dirigeants ont « hyper-sécuritisé » la menace, non seulement pour s’attaquer plus rapidement au virus, mais aussi pour regagner une partie de la légitimité perdue du fait de leurs faux pas initiaux.</p>
<p>Ainsi, plutôt que de minimiser la gravité du problème, les autorités ont présenté l’épidémie comme une menace sans précédent pour la Chine, ne pouvant être résolue que par des mesures extraordinaires. Comme le <a href="https://www.scmp.com/news/china/politics/article/3052159/why-chinese-president-xi-jinping-called-170000-cadres-about">président Xi Jinping l’a récemment déclaré dans une adresse en ligne</a> destinée à 170 000 responsables du parti et de l’armée :</p>
<blockquote>
<p>« C’est une crise et c’est aussi une épreuve majeure… l’efficacité du travail de prévention et de contrôle a une fois de plus montré les avantages significatifs de la direction du Parti communiste de Chine et du système socialiste à caractéristiques chinoises. »</p>
</blockquote>
<p>Il n’est pas surprenant qu’après les premiers faux pas, la Chine se soit montrée extrêmement dynamique dans la mise en œuvre des mesures d’urgence. Dans le Hubei, le gouvernement a fait appel à l’armée pour garantir la bonne application des mesures de quarantaine tout en transférant des médecins depuis d’autres provinces pour venir en aide au personnel médical local. L’État a également organisé la construction de <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/feb/04/new-1000-bed-wuhan-hospital-takes-its-first-coronavirus-patients">deux nouveaux hôpitaux</a> à Wuhan en quelques semaines seulement.</p>
<p>Mais ces mesures d’urgence ont été accompagnées de l’introduction de nouvelles formes de contrôle. La Chine a notamment utilisé de <a href="https://www.bbc.com/news/technology-51717164">hautes technologies</a> telles que des drones, des caméras de reconnaissance faciale et l’intelligence artificielle pour <a href="https://www.cnbc.com/2020/02/25/coronavirus-china-to-boost-mass-surveillance-machine-experts-say.html">surveiller de plus près ses citoyens</a>, tout cela au nom de la lutte contre le virus.</p>
<p>Grâce à une <a href="https://thediplomat.com/2020/02/amid-coronavirus-outbreak-chinas-government-tightens-its-grip/">simple pression sur quelques boutons</a>, l’État chinois a pu <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/mar/09/the-new-normal-chinas-excessive-coronavirus-public-monitoring-could-be-here-to-stay">recueillir des données</a> sur la quasi-totalité des habitants du pays. L’État sait exactement où se trouve chaque personne, quelle est sa routine quotidienne et même la température de son corps. Des sanctions sont infligées à ceux qui enfreignent les règles.</p>
<p>Cela représente un niveau de surveillance sans précédent. Mais, étant donné la gravité de la menace présumée d’une épidémie de coronavirus, ces mesures <a href="https://www.sciencemag.org/news/2020/03/china-s-aggressive-measures-have-slowed-coronavirus-they-may-not-work-other-countries">ont été étudiées</a> et <a href="https://contemporarycondition.blogspot.com/2020/03/covid-19-no-alternative-to-containment.html">saluées</a> par les chercheurs internationaux.</p>
<p>Que ces mesures aient été ou non efficaces pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, les implications politiques pour la Chine pourraient être durables. Quand un État réussit à « sécuritiser » une question, il s’engage sur une pente glissante. Plus la menace est présentée comme existentielle, plus l’État obtient de prérogatives pour y répondre, et plus sa puissance et son degré de contrôle sur la population augmentent.</p>
<p>La question est maintenant de savoir ce que la Chine fera des nouvelles formes de contrôle dont elle dispose une fois la menace surmontée. L’expérience montre qu’une « sécuritisation » réussie peut peser longtemps sur le modèle de gouvernance d’un État. <a href="https://www.nytimes.com/2011/09/07/us/sept-11-reckoning/civil.html">Par exemple</a>, à la suite des attentats du 11 Septembre, l’expansion des prérogatives du gouvernement américain en matière de surveillance a duré plus d’une décennie après l’événement qui avait justifié l’adoption de ces mesures.</p>
<p>Mais dans le cas du coronavirus, la question ne se pose pas seulement pour la Chine. Les effets de l’hypersécuritisation de cette épidémie pourraient se faire sentir au niveau mondial. La mauvaise gestion initiale de l’État chinois a fait passer l’épidémie d’un problème local à un problème mondial et, aujourd’hui, de nombreux autres pays s’interrogent en urgence sur la meilleure façon de répondre à la menace. Ironiquement, bon nombre d’entre eux saluent les avantages du modèle chinois…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133818/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le gouvernement chinois s’est accordé des prérogatives extraordinaires appuyées sur une technologie de surveillance avancée.Dionysios Stivas, Lecturer in International Relations, Hong Kong Baptist UniversityNicholas Ross Smith, Assistant Professor of International Studies, University of NottinghamLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323162020-02-24T17:07:35Z2020-02-24T17:07:35ZAux origines de l’affaire Griveaux : la culture russe du « kompromat »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/316736/original/file-20200223-32678-lb90ro.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1876%2C1005&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'immeuble du FSB, place de la Loubianka à Moscou.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Lubyanka_Building#/media/File:Lubyanka_Building.jpg">A.Savin (Wikimedia Commons · WikiPhotoSpace) </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Vendredi 14 février 2020 : Benjamin Griveaux, candidat de la majorité présidentielle pour les municipales à Paris et porte-parole du gouvernement, annonce son retrait de la campagne après la publication d’une « vidéo à caractère sexuel » le mettant directement en cause. Quatre jours plus tard, le mardi 18 février, l’artiste russe Piotr Pavlenski et son amie Alexandra de Taddeo, destinataire de la vidéo (enregistrée en mai 2018), sont mis en examen pour « atteinte à l’intimité de la vie privée » et « diffusion sans l’accord de la personne d’un enregistrement portant sur des paroles ou images à caractère sexuel et obtenues avec son consentement ». Pavlenski, qui revendique son action, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/affaire-griveaux-piotr-pavlenski-assure-vouloir-reveler-les-mecaniques-du-pouvoir_2118696.html">explique</a> avoir voulu dénoncer l’« hypocrisie » de Griveaux (qui selon lui avait voulu se faire passer auprès de l’électorat pour un père de famille modèle et fidèle tout en ayant des aventures) et révéler les « mécaniques du pouvoir ».</p>
<p>Piotr Andreïevitch Pavlenski, né le 8 mars 1984 à Leningrad, est arrivé le 13 janvier 2017 en France où il a obtenu le statut de <a href="https://www.lemonde.fr/arts/article/2017/05/04/l-artiste-russe-piotr-pavlenski-a-obtenu-l-asile-politique-en-france_5122402_1655012.html">réfugié politique</a> en raison des persécutions dont il avait fait l’objet en Russie. Sans évidemment accuser Pavlenski d’avoir été « téléguidé » par les services secrets russes suite aux <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NIhq7fQ0SV8">démêlés de Griveaux avec la chaîne RT France</a>, on ne peut manquer de s’interroger sur la similitude de son mode opératoire avec une pratique dans laquelle le Kremlin serait passé maître : l’exploitation du <em>kompromat</em>, qui désigne des matériaux collectés pour discréditer un acteur (politique, économique…) russe ou étranger ou, s’ils ne sont pas divulgués publiquement, pour le manipuler. Une pratique qui participerait d’une véritable « culture du chantage » en Russie et dans les pays de l’ex-URSS, qualifiés pour cette raison par le politologue américain Keith Darden d’« États-chantage » (<a href="https://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.journals/eeurcr10&div=20&id=&page=">blackmail states</a>). </p>
<p>Si le vocable <em>kompromat</em> se retrouve désormais <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Video-exclusive-affaire-Griveaux-l-arrestation-de-Piotr-Pavlenski-et-d-Alexandra-de-Taddeo-1674662">sous la plume des journalistes français</a>, son origine et sa place dans la culture politique russe demeurent mal connues du grand public, d’où un détour nécessaire par l’Histoire.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/316824/original/file-20200224-24680-1z0agpa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316824/original/file-20200224-24680-1z0agpa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316824/original/file-20200224-24680-1z0agpa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316824/original/file-20200224-24680-1z0agpa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316824/original/file-20200224-24680-1z0agpa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316824/original/file-20200224-24680-1z0agpa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316824/original/file-20200224-24680-1z0agpa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316824/original/file-20200224-24680-1z0agpa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Panneau brandi pendant une manifestation anti-Donald Trump, le 19 février 2019 à Los Angeles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Women%27s_March_LA_2019_(45890674525).jpg">Women’s March LA 2019</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Sexe, mensonge et KGB</h2>
<p>Le kompromat naît dans un contexte d’ouverture de la Russie soviétique à l’Occident sous Staline, d’abord à des fins de propagande et d’espionnage. En avril 1929, quand voit le jour en URSS la société « Intourist », peu imaginent que l’objectif premier du Kremlin n’est pas tant de favoriser le développement du tourisme étranger et l’amitié entre les peuples que de surveiller les Occidentaux et si possible, d’obtenir du kompromat, terme du jargon policier qui se diffuse justement dans les années 1930.</p>
<p>Pendant la guerre froide, la collecte du kompromat, notamment dans les chambres d’hôtel, devient une <a href="https://www.businessinsider.com/afp-russias-kompromat-soviet-era-tool-to-blackmail-opponents-2017-1?IR=T">activité à part entière du KGB</a>, mobilisant nuit et jour une petite armée d’agents.</p>
<p>Les services secrets soviétiques font régulièrement appel aux services de prostituées afin de <a href="https://www.washingtonpost.com/archive/opinions/1987/04/12/sexpionage-why-we-cant-resist-those-kgb-sirens/900e1e59-1a7b-455f-93cf-22e67394512b/">compromettre des personnalités politiques ou du monde des affaires</a>. En cas de succès, les « compromis » deviennent des agents d’influence dont la mission est de contrer les discours antisoviétiques une fois rentrés chez eux, en racontant par exemple que l’URSS est un pays comme les autres et que les Occidentaux gagneraient à faire des affaires avec elle.</p>
<p>Plus rarement, le KGB réussit à attraper de « gros poissons » pour en faire des espions. En 1954, les services secrets soviétiques recrutent l’attaché militaire de l’ambassade britannique, <a href="https://media.nationalarchives.gov.uk/index.php/the-scandalous-case-of-john-vassall-sexuality-spying-and-the-civil-service/">John Vassall</a>, grâce à des photos le montrant au lit avec plusieurs hommes. Trahi en 1961 par un officier de haut rang du KGB passé à l’Ouest, Anatoli Golitsyne, Vassall est finalement arrêté en septembre 1962. L’affaire marque puissamment les imaginaires : une scène de <em>Bons baisers de Russie</em> (1963) montre des agents soviétiques filmant le célèbre agent 007 en train de faire l’amour dans un hôtel avec une agente soviétique, Tatiana Romanova, derrière une glace sans tain. <a href="https://www.grasset.fr/livres/la-france-sous-influence-9782246484813">L’affaire Maurice Dejean</a> a défrayé la chronique en 1964 : cet ambassadeur de France a dû être rappelé en urgence à Paris, les services soviétiques disposant d’un enregistrement vidéo de ses ébats avec une actrice.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316737/original/file-20200223-92541-sl8zwl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316737/original/file-20200223-92541-sl8zwl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316737/original/file-20200223-92541-sl8zwl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316737/original/file-20200223-92541-sl8zwl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316737/original/file-20200223-92541-sl8zwl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316737/original/file-20200223-92541-sl8zwl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316737/original/file-20200223-92541-sl8zwl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">James Bond et Tatiana Romanova filmés à leur insu dans <em>Bons baisers de Russie</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EON Productions</span></span>
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<h2>La démocratisation de la sextape</h2>
<p>Le kompromat et sa forme la plus outrancière, la sextape, « se démocratisent » après la disparition de l’URSS. Avec l’avènement de la liberté d’expression, de médias indépendants (et corruptibles…) et le développement de réseaux criminels organisés, le pouvoir n’a plus le monopole de cette pratique. Dans le même temps, l’expérience acquise et les infrastructures des services secrets soviétiques, maintenues en l’état, favorisent le <a href="https://www.rferl.org/a/1073587.html">« recyclage » de très nombreux ex-agents du KGB auprès d’employeurs privés</a>. Il convient de souligner qu’on observe le même phénomène dans tous les États issus de l’éclatement de l’URSS – chaque territoire soviétique ayant sur son territoire une branche du KGB locale (par exemple, le KGB d’Ukraine, le KGB de la Géorgie, etc.) et donc autant d’agents expérimentés dans le domaine du kompromat.</p>
<p>Dans le contexte chaotique de la première partie des années 1990 en Russie – c’est une période de « flottement législatif », en particulier en ce qui concerne la notion de diffamation –, la démocratisation du kompromat se constate d’abord dans la presse. La publication de documents compromettants est rendue possible à tout un chacun moyennant le versement à l’organe de presse d’une somme plus ou moins substantielle.</p>
<p>Le pouvoir russe s’efforce de récupérer le monopole du kompromat au cours de la seconde partie des années 1990, après la réélection d’Eltsine et la création du FSB, héritier indirect du KGB. Deux ans plus tard éclate l’affaire qui éclabousse le ministre de la Justice en personne, <a href="https://www.liberation.fr/planete/1997/06/25/le-ministre-russe-de-la-justice-dans-une-mauvaise-passe-une-video-galante-de-kovalev-pourrait-entrai_208783">Valentin Kovalev</a>. En juin 1997, un périodique russe qui se spécialise dans les révélations sur des personnalités politiques, <em>Soverchenno sekretno</em> (<em>top secret</em>), publie un article mentionnant l’existence d’une cassette vidéo – de deux ans d’âge ! – dans laquelle Kovalev prendrait du bon temps en compagnie de prostituées. Circonstance aggravante, apprend-on, sur cette vidéo Kovalev se trouverait dans un sauna appartenant à l’une des plus célèbres organisations criminelles de Russie, la « Solntsevskaïa » (du nom d’un arrondissement de Moscou, Solntsevo). L’information sur la sextape de Kovalev provient d’un banquier de trente-cinq ans proche de la mafia russe, Arkadi Anguélévitch. Pressentant son arrestation, Anguélévitch demande à ses amis de Solntsevskaïa de lui fournir un enregistrement vidéo du ministre, un kompromat destiné à être utilisé comme monnaie d’échange. Anguélévitch n’a pas le temps d’utiliser sa pièce à conviction : la sextape est découverte dans sa datcha suite à une perquisition.</p>
<p>Inspirées par le précédent du ministre de la Justice, les sextapes fleurissent dans tout le pays (un site dédié aux documents compromettants de toute sorte, <a href="http://www.compromat.ru/">Compromat.ru</a>, sera créé en 1999 et connaîtra un succès colossal, qui ne s’est pas démenti à ce jour) ; ironie suprême, l’une de leurs victimes est le procureur général Iouri Skouratov en personne. Après la crise économique d’août 1998, le procureur s’en prend à l’entourage de Boris Eltsine, accusant plusieurs de ses proches de s’être enrichis frauduleusement en jouant sur la valeur des obligations émises par l’État, les <a href="https://www.liberation.fr/futurs/1998/07/13/le-cauchemar-de-l-emprunt-russe-pris-au-piege-d-une-dette-exponentielle-l-etat-court-apres-les-fonds_243703">GKO</a>. Le scandale éclabousse aussi Boris Berezovski, le plus connu des « oligarques », un homme richissime proche du « clan » Eltsine.</p>
<p>Pour se débarrasser de Skouratov, les oligarques <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2017/01/kompromat-trump-dossier/512891/">décident de recourir au kompromat</a>. En mars 1999, sur instruction de Berezovski, la première chaîne du pays dont l’oligarque est le principal actionnaire, ORT, diffuse une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=W51Wp57brLY">sextape</a> où l’on voit un homme « ressemblant au procureur général » (l’expression passera à la postérité) profiter des services de deux prostituées. L’intéressé a beau crier au trucage, rien n’y fait. Boris Eltsine le suspend de son poste, « en attendant de faire toute la lumière sur cette affaire ». Vladimir Poutine, administrateur loyal que le président a fait venir de la mairie de Saint-Pétersbourg pour le nommer à la tête du FSB, est appelé à servir de garant : le futur président russe joue son rôle à la perfection, certifiant l’authenticité de la vidéo. En participant à la crucifixion de Skouratov, Poutine finit de gagner les faveurs de la « Famille », et notamment de Tatiana Diatchenko, la fille d’Eltsine, qui convainc le président vieillissant et malade de le nommer Premier ministre, une manière de le désigner à sa succession.</p>
<h2>La sextape russe 2.0</h2>
<p>Dans les années 2000, avec Vladimir Poutine à la présidence, les tendances observées plus tôt se renforcent : d’un côté, les nouvelles technologies numériques tendent à accroître la vulnérabilité de cibles potentielles, permettant une fabrication et une diffusion quasi instantanée de kompromat, par n’importe qui, à moindre coût, à une échelle jamais vue auparavant. Dans le même temps, l’utilisation du kompromat en Russie redevient une prérogative de l’État. Utilisant le service de hackers, le Kremlin se réserve le droit d’utiliser la sextape contre des opposants du régime et, dans le contexte de la « nouvelle Guerre froide », contre des cibles étrangères.</p>
<p>Pour autant qu’on puisse en juger, ces opérations ne rencontrent pas toujours le succès escompté. En 2009, Kyle Hatcher, diplomate américain à Moscou, est aussi victime d’un <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/russia/6228105/US-complains-to-Russia-over-sex-tape-fabrication.html">chantage à la sextape</a>, mais l’impossibilité de le distinguer sur les images de la vidéo, publiée sur un site web russe, permet au Département d’État de dénoncer un kompromat fabriqué de toutes pièces. En 2010 éclate une véritable « guerre des sextapes » orchestrée par le Kremlin, avec dans le rôle de l’appât <a href="https://www.dailymail.co.uk/femail/article-1274081/Is-honey-trap-girl-Katya-Gerasimova-Putins-latest-secret-weapon.html">Katia Guerassimova, dite « Moumou »</a>. Parmi ses cibles, un jeune opposant à Poutine âgé de 25 ans, Ilya Iachine. Mais contrairement à d’autres opposants victimes du « moumougate », Iachine quitte l’appartement de Katia sans avoir touché à la cocaïne qu’elle lui offrait et surtout, <a href="https://www.thedailybeast.com/ilya-yashin-katya-gerasimova-and-russias-amazing-drugs-and-hookers-sex-scandal">il raconte son histoire, dans le détail, à la presse</a>. </p>
<p>Plus récemment, en 2016, Mikhaïl Kassianov, ancien premier ministre de Poutine (2000-2004) passé depuis à l’opposition, a été filmé à son insu par sa maîtresse au lit, en train de critiquer plusieurs autres personnalités du camp libéral. L’<a href="https://fr.rbth.com/ps/2016/04/15/la-sex-tape-qui-met-ko-lopposition-russe_585285">objectif</a> de la révélation de cette vidéo était clair : semer la discorde au sein d’une opposition « hors système » déjà très hétérogène. L’impact de ces opérations est encore une fois mitigé : le public russe s’est « endurci », et il est plus difficile de le choquer que dans les années 1990.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xSCR_fTZScM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">CBS Evening News, 13 janvier 2017.</span></figcaption>
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<p>Le kompromat le plus connu de l’ère Poutine est, de fait, une sextape peut-être imaginaire : il s’agit de la supposée « golden shower » (<em>pee tape</em>), où le futur président Donald Trump, en visite à Moscou en 2013, figurerait en compagnie de prostituées payées pour uriner sur le lit de la chambre de l’hôtel précédemment occupée par le couple Obama. L’affaire est révélée début 2017 par le FBI sur la base des informations fournies par un ancien agent des services secrets britanniques, Christopher Steele. Certains spécialistes comme <a href="https://www.newyorker.com/news/swamp-chronicles/a-theory-of-trump-kompromat">Alena Ledeneva</a>, de l’University College London, doutent de l’existence de la « pee tape », et ce, malgré les précédents de Trump en matière de frasques sexuelles ; quelle que soit la réalité, sa révélation n’aurait aucune conséquence sur la carrière d’un président « teflon » qui a survécu à une tentative de destitution. Tout le contraire d’un Benjamin Griveaux donc.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132316/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andreï Kozovoï ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La diffusion de la vidéo privée de Benjamin Griveaux ne doit sans doute rien au Kremlin, mais cet épisode n’en vient pas moins s’inscrire dans une longue tradition russe : celle du « kompromat ».Andreï Kozovoï, Maître de conférences en histoire russe, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1231602020-01-15T11:33:26Z2020-01-15T11:33:26ZLes « tech-refuzniks » chinois vont-ils montrer la voie au « monde libre » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/309716/original/file-20200113-103990-844izl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les gouvernements s'intéressent de plus en plus à la vidéosurveillance couplée à de la reconnaissance faciale. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/_endstation_/37970135684/">Endstation Jetzt / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Si le terme « refuznik » désignait à l’origine des personnes – dont les Juifs soviétiques – à qui certains droits ont été déniés durant la Guerre froide, notamment l’interdiction d’émigrer. Au fil des années, la définition a évolué pour s’élargir. Elle s’est progressivement appliquée à des personnes ou à des groupes de personnes s’opposant à des activités citoyennes obligatoires, à l’image des <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/objecteur_de_conscience/74183">objecteurs de conscience</a>.</p>
<p>En cette période de poursuite de révolution numérique, le terme s’applique désormais aussi pour qualifier ceux qui s’opposent à l’omniprésence technologique dans notre quotidien.</p>
<h2>Les premiers « tech-refuzniks »</h2>
<p>Les premiers « tech-refuzniks » sont les mieux placés pour juger du monstre qu’ils ont créé et qui leur a échappé. Ils ont une crédibilité qui ne prête pas à discuter. <a href="http://www.slate.fr/story/152258/createur-facebook-supprime-applis">Justin Rosenstein</a>, l’inventeur en 2009 du bouton « like » de Facebook, fait partie de cette mouvance. Il s’est associé à d’autres ingénieurs de la Silicon Valley pour mener un combat visant à dénoncer la perte de contrôle et le dévoiement d’outils qu’ils ont contribués à créer. Comme l’avait révélé le journal britannique The Guardian en 2017, tout comme Justin Rosenstein « beaucoup de ces jeunes technologues se sèvrent de leurs propres produits, envoyant leurs enfants dans des écoles d’élite de la Silicon Valley où les iPhones, iPads et même les ordinateurs portables <a href="https://www.theguardian.com/technology/2017/oct/05/smartphone-addiction-silicon-valley-dystopia">sont interdits</a> ».</p>
<p>Ce type de « tech-refuznik » pourrait être perçu comme focalisé sur la <a href="https://www.lemonde.fr/vous/article/2013/08/01/les-debranche-tout_3456290_3238.html">désintoxication numérique</a>. Dans la réalité, l’opposition à la collecte outrancière de données personnelles par les entreprises ou par les États fait partie intégrante de leur combat.</p>
<p>Si l’envahissement est parfois consenti, il peut lui être reproché l’intentionnalité des entreprises à viser la fidélisation par l’addiction. Dans d’autres contextes, la notion de consentement n’existe pas : le citoyen chinois – comme d’autres citoyens du monde – n’a ainsi pas son mot à dire sur les développements de technologies de contrôle comme la vidéosurveillance couplée à de la reconnaissance faciale.</p>
<h2>Un mouvement bientôt radicalisé ?</h2>
<p>En Chine, cette fronde anti-reconnaissance faciale s’organise aujourd’hui sur le site de microblogage <a href="https://english.sina.com/weibo/">Weibo</a>. Comme l’indique une dépêche AFP du 8 janvier dernier, une « plainte a été déposée en octobre 2019 par Guo Bing, professeur à l’université des Sciences et techniques de la province du Zhejiang, à Hangzhou, décrite par les médias chinois comme la <a href="https://actu.orange.fr/societe/high-tech/big-brother-sur-le-grill-une-plainte-anti-reconnaissance-faciale-agite-la-chine-CNT000001mGV6l.html">première du genre</a>. Dans le viseur de l’enseignant : le système de reconnaissance faciale mis en place par le Safari Park de Hangzhou pour filtrer les entrées des visiteurs dotés de cartes annuelles. La plainte fait parler : les commentaires sur l’affaire ont cumulé plus de 100 millions de vues sur le réseau social Weibo, où nombre d’utilisateurs appellent à une interdiction pure et simple de la collecte de données biométriques ».</p>
<p>Ces outils technologiques visant à surveiller et punir le citoyen ne sont pas sans rappeler les <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouvelles-de-leco/les-nouvelles-de-leco-du-mercredi-09-janvier-2019">uchronies orwelliennes de la série <em>Black Mirror</em></a>.</p>
<p>Cette plainte très suivie n’augure-t-elle pas de la naissance dans les années à venir d’un mouvement de « tech-refuzniks » qui va gagner en puissance, se mondialiser, voire se radicaliser ?</p>
<p>Si les Chinois sont inquiets et en éveil, s’ils le font savoir dans un régime ou la contestation n’est pas la bienvenue, cela ne donne-t-il pas à réfléchir ? Le « monde libre » et ses gouvernements semblent en effet <a href="https://www.francetvinfo.fr/sciences/high-tech/l-article-a-lire-pour-comprendre-alicem-l-application-d-identite-numerique-par-reconnaissance-faciale-qui-fait-polemique_3660027.html">friands</a> de ce type de technologies. Leurs citoyens vont donc peut-être enfin trouver le courage de se réveiller !</p>
<hr>
<blockquote>
<p>« C’est très ordinaire pour l’humanité de créer des choses avec les meilleures intentions, avant qu’elles n’aient des <a href="https://www.sudouest.fr/2017/12/12/les-etats-d-ame-d-anciens-dirigeants-de-facebook-se-multiplient-4027864-5166.php">conséquences négatives</a> ».</p>
</blockquote>
<p>Justin Rosenstein</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Expert auprès de l'UNODC, (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) dans le cadre du programme E4J : The First Expert Group Meeting to Peer-Review the E4J University Module Series on Cybercrime. </span></em></p>La résistance contre la reconnaissance faciale dans l’empire du Milieu s’organise. Va-t-elle inspirer les citoyens des pays occidentaux ?Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283242019-12-09T11:32:39Z2019-12-09T11:32:39ZL’effet Hawthorne : les mensonges technologiques qui mettent en péril nos « démocraties » !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/305288/original/file-20191205-70116-2ut3jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C7%2C792%2C591&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Je suis un menteur qui dit la vérité ... Menteur !</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/9315597066/">Jeanne Menjoulet / VisualHunt / CC BY-ND</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Le déploiement de technologies dédiées à la surveillance (<a href="https://twitter.com/hashtag/TDS?src=hashtag_click">#TDS</a>) sur Internet comme sur la voie publique s’accélère. Qu’importe les régimes ! Sous couvert de protection des citoyens, il se profile, pas à pas, une société de contrôle des individus pour les individus et par la technologie !</p>
<h2>Problématiques relatives aux libertés publiques</h2>
<p>Dans nos démocraties – comme de par le monde – la menace terroriste – qui signe notre époque – légitimerait tant le développement d’algorithmes en charge de la surveillance des usagers du net que le développement de la vidéo surveillance sur la voie publique. Certains souhaitant, par ailleurs, systématiser le couplage de cette vidéo surveillance <a href="https://www.france24.com/fr/20191014-reconnaissance-faciale-cedric-o-videosurveillance-france-technologie">avec de la reconnaissance faciale</a>.</p>
<p>Nos démocraties font aujourd’hui face à un choix de société. Voulons-nous poursuivre la fuite en avant (et en aveugle) vers une société du contrôle ? Un choix kafkaïen : il s’agirait de faire cohabiter le mot « démocratie » en portant régulièrement atteinte à des libertés publiques fondamentales qui en sont le socle !</p>
<h2>Problématiques relatives à l’efficacité des TDS</h2>
<p>En 2016, Christian Estrosi avait déclaré – à propos des tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher : « Si Paris avait été équipée du même réseau (de caméras) que le nôtre, les frères Kouachi n’auraient pas passé <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2016/07/16/video-estrosi-videosurveillance-attentats-nice-paris_n_11032136.html">trois carrefours sans être neutralisés et interpellés</a> ». Il vous faut savoir que Nice est la ville la plus vidéosurveillée de France. (De 220 caméras en 2007, on était passé selon la ville à plus de <a href="https://www.nice.fr/fr/securite/le-centre-de-supervision-urbain">2 600 caméras au 15 mai 2019</a>). Faut-il rappeler que cet arsenal n’a en rien empêché l’attaque au camion bélier du 14 juillet 2016. Une tuerie – sous état d’urgence – qui a fait 86 morts et 468 blessés.</p>
<p>L’efficacité de la vidéosurveillance sur la voie publique – pour ce qui est du terrorisme – est-elle probante ? Les partisans d’une fuite en avant argumentent – et c’est leur droit – que l’efficacité de la vidéosurveillance doit passer par le couplage de la vidéo surveillance avec la reconnaissance faciale. Une piste qui – outre ce qui va suivre – contreviendrait à un droit essentiel en « démocratie » : la liberté d’aller et venir anonymement !</p>
<p>Un exemple – celui de l’attentat de Nice – ne peut permettre de tirer des conclusions hâtives. Cependant, lorsque les constats d’échec des TDS se multiplient nous sommes en droit de nous interroger !</p>
<p>En matière de reconnaissance faciale, certains faits sont édifiants. La MTA (Metropolitan Transportation Authority), qui avait initié en 2018 un projet de reconnaissance faciale des conducteurs traversant le pont Robert F. Kennedy à New York, a été bien malgré elle placée devant un échec cuisant.</p>
<p>Le Wall Street Journal, qui avait eu accès à un courrier électronique interne du MTA en date du 29 novembre 2018, titrait le 7 avril 2019 : « La première tentative du MTA dans la reconnaissance faciale à grande vitesse est un <a href="https://www.wsj.com/articles/mtas-initial-foray-into-facial-recognition-at-high-speed-is-a-bust-11554642000">fiasco</a> ». Titre péremptoire ? Vous apprendrez que ce mail évoquait un taux de réussite de « 0 % » pour identifier un visage « avec des paramètres acceptables ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1115235295035895808"}"></div></p>
<p>Comme le note la <a href="https://www.laquadrature.net/">Quadrature du Net</a>, en Chine, « la société <a href="https://www.sensetime.com/">SenseTime</a> se vante de pouvoir identifier un individu qui commet une « incivilité » dans la rue, afin d’afficher son visage sur des écrans géants et le soumettre au mépris public ». Le verbe « vanter » au regard de l’expérience désastreuse de la MTA est… pertinent ! La Quadrature du Net rappelle de nombreux événements où l’usage de la reconnaissance faciale <a href="https://www.laquadrature.net/2019/06/21/le-vrai-visage-de-la-reconnaissance-faciale">a montré ses limites</a> et a mené à des identifications erronées.</p>
<p>En matière de TDS, la reconnaissance faciale tente maladroitement de prendre pied en France au travers d’applications comme <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/L-actu-du-Ministere/Alicem-la-premiere-solution-d-identite-numerique-regalienne-securisee">Alicem</a>. Il est étonnant que cette application gouvernementale – en l’état – s’autorise à violer allégrement les règles du règlement général sur la protection des données (<a href="https://www.cnil.fr/fr/comprendre-le-rgpd">RGPD</a>). En outre, en matière de TDS – si des boîtes noires ont été déployées par le pouvoir pour surveiller les internautes français, nous ne disposons à ce jour d’aucun bilan démontrant une efficacité tangible ! Mais in fine, que les TDS soient efficaces ou non, quelle importance au regard des impacts comportementaux que leur déploiement engendre, et va continuer à engendrer dans nos « démocraties » ?</p>
<h2>« L’effet Hawthorne » appliqué au TDS</h2>
<p>De 1924 à 1932 les sociologues Elton Mayo, Fritz Roethlisberger et William Dickson s’étaient attachés à étudier les effets d’une amélioration des conditions de travail – entre autres la lumière – sur la productivité dans l’usine Western Electric de Cicero : la <em>Hawthorne Works</em>, « l’effet Hawthorne ».</p>
<p>Il s’est avéré que lorsque les conditions d’éclairage s’amélioraient, la productivité progressait. Les résultats obtenus – après avoir informé les ouvrières qu’elles faisaient l’objet d’une expérimentation – tendent à prouver que « l’explication de résultats, positifs ou négatifs, ne sont pas dus aux facteurs expérimentaux, mais à l’effet psychologique d’avoir conscience d’<a href="http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2011/12/21/cercle_41450.htm#9loZ8cR8bX3oqseX.99">être le groupe étudié dans une recherche</a> ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">The Western Electric Company, dans l’Illinois, en 1925.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Hawthorne,_Illinois_Works_of_the_Western_Electric_Company,_1925.jpg">Western Electric Company</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À travers le prisme de l’effet Hawthorne, ne pouvons-nous pas postuler que l’efficacité ou non des TDS est, in fine, « sans la moindre importance » ? Ne devrions-nous pas nous interroger sur leur impact sociologique ? Sur les divers changements comportementaux des citoyens qui se savent l’objet d’une surveillance algorithmique opaque <em>on</em> et <em>off</em> line ?</p>
<p>L’important n’est-il pas que le citoyen se sache épié ? Ne pouvons-nous pas émettre l’hypothèse que – dans le cadre des boîtes noires par exemple – les citoyens informés soient susceptibles de changer leurs usages et adopter des postures <em>hawthornienne</em> qui altèrent profondément un mode de fonctionnement démocratique ?</p>
<blockquote>
</blockquote>
<p>A : Cela ne peut-il pas générer de l’autocensure ?</p>
<p>B : Cela ne peut-il pas augmenter le recours systématique – par ceux qui disposent d’un savoir technologique suffisant – à des outils garantissant un anonymat relatif ?</p>
<p>C : Pour les plus fragiles – et je laisse là le soin aux psychiatres et aux psychologues de nous éclairer – la multiplication d’outils de surveillance des citoyens et de leurs comportements – que ces derniers soient fonctionnels ou pas – s’ils sont portés à connaissance du plus grand nombre est-elle une approche saine et sans conséquence sur les comportements et la santé mentale ? Cette approche – sous des couverts louables – n’est-elle pas susceptible de déclencher des pathologies latentes, voire de les aggraver chez les personnes les plus vulnérables : paranoïa, etc. ?</p>
<p>Merci de votre retour. yannick.chatelain@grenoble-em.com</p>
<p>« <em>À mesure que le monde devient de plus en plus étrange, une sorte de dictature de la normalité se met en place. Surtout sur le Web</em>. ». Tim Burton</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128324/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Expert auprès de l'UNODC, (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) dans le cadre du programme E4J : The First Expert Group Meeting to Peer-Review the E4J University Module Series on Cybercrime. </span></em></p>Si vous ne connaissiez pas l’effet Hawthorne, il devient urgent que vous en preniez connaissance…Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1240192019-10-11T08:18:56Z2019-10-11T08:18:56Z2020 : « 1984 » de George Orwell est-il encore une dystopie ? (Réflexions secondes !)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/293566/original/file-20190923-54782-m14hz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C96%2C613%2C491&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nkomodore/6129417150/">Nicholas Komodore / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Cette chronique est la suite des <a href="https://theconversation.com/2020-1984-de-george-orwell-est-il-encore-une-dystopie-reflexions-premieres-122797">« réflexions primaires »</a> publiées récemment sur The Conversation autour des parallèles possibles entre la situation actuelle et l’extrait qui suit de la célèbre dystopie de George Orwell « 1984 ».</em></p>
<hr>
<h2>« 1984 »</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293546/original/file-20190923-54793-1j00705.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293546/original/file-20190923-54793-1j00705.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293546/original/file-20190923-54793-1j00705.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293546/original/file-20190923-54793-1j00705.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293546/original/file-20190923-54793-1j00705.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1200&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293546/original/file-20190923-54793-1j00705.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1200&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293546/original/file-20190923-54793-1j00705.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1200&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Photo credit : Russ Allison Loar/VisualHunt/CC BY-NC-ND</span></span>
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</figure>
<p>« Derrière Winston, la voix du télécran continuait à débiter des renseignements sur la fonte et sur le dépassement des prévisions pour le neuvième plan triennal. Le télécran recevait et transmettait simultanément. Il captait tous les sons émis par Winston au-dessus d’un chuchotement très bas. De plus, tant que Winston demeurait dans le champ de vision de la plaque de métal, il pouvait être vu aussi bien qu’entendu. Naturellement, il n’y avait pas moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé. Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée se branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne pouvait le savoir. On pouvait même imaginer qu’elle surveillait tout le monde, constamment. Mais de toute façon, elle pouvait mettre une prise sur votre ligne chaque fois qu’elle le désirait. On devait vivre, on vivait, car l’habitude devient instinct, en admettant que tout son émis était entendu et que, sauf dans l’obscurité, tout mouvement était perçu ».</p>
<h2>2020</h2>
<p>Le dernier comptage effectué en 2012 par la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) faisait état de <a href="https://www.caminteresse.fr/economie-societe/combien-y-a-t-il-de-cameras-de-surveillance-en-france-11101907/">935 000 caméras de surveillance installées sur notre territoire</a>. Le nombre doit maintenant dépasser allègrement le million. Où sont-elles ? Partout ! Aux guichets de banque, dans les bureaux de tabac, les parkings, les couloirs de métro et même sur les lieux de travail. Avant un nouveau comptage, la dynamique ne n’infléchit pas sur le territoire : En 2018, <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/tours-le-nombre-de-cameras-de-videosurveillance-a-double-en-4-ans-1540196848">23 nouvelles caméras de vidéosurveillance ont été installées à Tours</a>, le nombre de caméras dans cette ville ayant quadruplé en quatre ans. À Béziers, la mairie à fait savoir, dans un communiqué en janvier 2019, que la ville allait doubler le nombre de caméras de vidéosurveillance d’ici deux ans, passant de 90 début 2019, à 200 fin 2020, appuyant cette volonté d’un tweet et de mots dont je vous laisse juge.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/290521/original/file-20190902-175668-xen5tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/290521/original/file-20190902-175668-xen5tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=688&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/290521/original/file-20190902-175668-xen5tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=688&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/290521/original/file-20190902-175668-xen5tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=688&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/290521/original/file-20190902-175668-xen5tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=864&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/290521/original/file-20190902-175668-xen5tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=864&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/290521/original/file-20190902-175668-xen5tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=864&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Public Domain.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Twitter</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’efficacité réelle ? le grand mystère !</h2>
<p>Dès 2011, la Cour des comptes s’agaçait de l’absence d’évaluation de l’efficacité de cette approche sur la voie publique : « Les différentes études conduites à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie <a href="https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/Discours_rapport_public_securite_publique.pdf">ne démontrent pas globalement l’efficacité</a> de la vidéosurveillance de la voie publique », s’inquiétait-elle même dans son rapport. Le flot d’images qu’elles diffusent est humainement impossible à regarder ! Et l’analyse automatique reste expérimentale.</p>
<p>En 2010, Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, répondait lors d’une audition publique à un questionnement de la mairie de Toulouse qui souhaitait savoir si la vidéosurveillance était un bon moyen pour lutter <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/telechargements/mucchielli-chercheur-cnrs.pdf">contre les problèmes de délinquance et d’incivilités</a>. En s’appuyant sur les recherches internationales et sur des évaluations locales réalisées en France des rapports publics, six constats ont été formulés :</p>
<ul>
<li><p>La vidéosurveillance de voie publique est une technologie qui présente à l’heure actuelle un faible intérêt comme outil de lutte contre la délinquance, tant en termes préventifs que répressifs.</p></li>
<li><p>Elle se heurte à des limites inhérentes à la réalité délinquante, ainsi qu’à des limites en termes de coût financier, de carence doctrinale et de déficit chronique de coordination des différentes catégories d’agents publics (voire privés) concernés.</p></li>
<li><p>Son principal impact est sans doute symbolique : la vidéosurveillance peut rassurer certaines personnes plus sujettes que d’autres au sentiment d’insécurité (commerçants du centre-ville, personnes âgées, etc.), elle peut aussi servir à des élus à afficher une politique de sécurité.</p></li>
<li><p>Son coût est tel qu’il oblige fatalement à abandonner d’autres dépenses et à renoncer à d’autres types d’embauche d’agents contribuant à la tranquillité publique.</p></li>
<li><p>La pression que l’État exerce actuellement sur les collectivités territoriales par le biais de l’incitation financière ainsi que par la mobilisation des préfets et des fonctionnaires de police et de gendarmerie a nécessairement d’autres raisons que la recherche d’une meilleure efficacité de la politique de sécurité. Le contexte de désengagement de l’État et de réduction des fonctionnaires en fait partie. La volonté d’affichage d’une politique permettant de masquer la persistance du haut niveau des problèmes de délinquance me semble également une hypothèse légitime. Les liens avec le monde de la sécurité privée seraient à explorer.</p></li>
<li><p>Le pays européen le plus vidéosurveillé – le Royaume-Uni – est en train de faire machine arrière en parvenant à peu près aux mêmes constats. C’est ce qu’ont déclaré à plusieurs reprises ces dernières années les policiers londoniens et c’est ce qu’a entériné récemment le nouveau premier ministre Boris Johnson. En conclusion, un chercheur indépendant ne peut que mettre en garde les élus contre ce « mirage technologique » et rappeler qu’il existe bien d’autres façons d’essayer de réduire le niveau de délinquance dont souffrent l’ensemble de nos concitoyens.</p></li>
</ul>
<p>Et Laurent Mucchielli de conclure :</p>
<blockquote>
<p>« Un chercheur indépendant ne peut que mettre en garde les élus contre ce « mirage technologique » et rappeler qu’il existe bien d’autres façons d’essayer de réduire le niveau de délinquance dont souffrent l’ensemble de nos concitoyens. »</p>
</blockquote>
<p>En 2018, le <a href="https://criminocorpus.hypotheses.org/61211">sociologue</a> évoquait à nouveau dans son ouvrage, <a href="https://m.armand-colin.com/vous-etes-filmes-enquete-sur-le-bluff-de-la-videosurveillance-9782200621230"><em>Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de… la vidéosurveillance</em></a> un gaspillage de l’argent public déniant toutes les recherches et études sérieuses. « Depuis plus de vingt ans, le monde scientifique, par la voix de chercheurs français et étrangers, ne cesse de juger, chiffres à l’appui, l’<a href="https://www.lagazettedescommunes.com/550944/la-videosurveillance-est-un-gaspillage-de-largent-public/">impact très limité</a> de la vidéosurveillance sur l’insécurité ! »</p>
<p>À l’approche de 2020 la poursuite de la fuite en avant de certaines municipalités, démontre que la science à peu d’effet, sur des postures éléctoralistes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1180089101682434049"}"></div></p>
<p>Pour contre-argumenter, les fervents adeptes de l’utilisation de caméras évoquent le fait que le manque d’efficience régulièrement pointée – hier comme aujourd’hui – est, entre autres, lié au fait que cette dernière gagnerait en efficacité si elle était couplée à de la reconnaissance faciale. C’est désormais chose faite en France, mais pour l’instant de façon parcimonieuse. Pour rappel, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) <a href="https://www.lepoint.fr/societe/eurostar-la-reconnaissance-faciale-installee-a-paris-15-02-2017-2105192_23.php">a autorisé la reconnaissance faciale</a> avant d’embarquer dans l’Eurostar à la gare du Nord. Dans la même dynamique <a href="https://demarchesadministratives.fr/actualites/mise-en-place-de-la-reconnaissance-faciale-pour-les-controles-de-passeport-dans-les-aeroports-parisiens">« pour fluidifier (Ndla : argument mis en avant) les contrôles aux frontières »</a>, des sas à reconnaissance faciale sont opérationnels depuis juillet 2018 dans les aéroports parisiens.</p>
<p>Pour autant, la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/05/17/la-videosurveillance-est-elle-efficace_5300635_4355770.html">CNIL n’est pas favorable</a> à la généralisation de la reconnaissance faciale dans tous les lieux publics :</p>
<blockquote>
<p>« Si cette technologie n’en est qu’à ses balbutiements, il importe de comprendre que son caractère intrusif est croissant puisque la liberté d’aller et venir anonymement pourrait être remise en cause. »</p>
</blockquote>
<p>Les similitudes et analogies entre l’ouvrage « 1984 » et notre société contemporaine pourraient se multiplier. Mais je doute que le lecteur lise une chronique de 300 pages.</p>
<h2>La vidéosurveillance ne connaît pas la crise</h2>
<p>L’entretien de la peur fait recette pour la surveillance dans une époque où, tant pour le politique que pour certains secteurs d’activités liés à la protection des personnes : ici pour légitimer des lois controversées, là pour multiplier les offres de produits sécurisants le citoyen chez lui. Si nous pouvons pointer des arguments fallacieux niant les conclusions d’experts sur des dérives d’usages à fin éléctoraliste, nous ne pouvons pourtant pas nier la recrudescence des cambriolages. Depuis le 1<sup>er</sup> janvier dernier (Ndla 2019), les <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/les-cambriolages-explosent-de-nouveau-partout-en-france-1346222">cambriolages en France ont augmenté de 1,15 %</a>, passant ainsi de 114 917 à 116 237 faits qui ont été dénoncés auprès des autorités.</p>
<p>Dans ce contexte, le marché de la vidéosurveillance (partie intégrante du domaine de la sécurité) se porte bien. Comme le souligne une étude de MSI publiée en mai 2019, cette croissance – même si elle se ralentie du fait du non renouvellement d’usagers déjà équipés – est « favorisée par le <a href="https://www.msi-reports.com/market_research_report_pdfs/GFR12-S.pdf">maintien d’un sentiment d’insécurité important</a>, mais également par la diminution de la réticence à l’installation de caméras tant dans l’espace public que privé ».</p>
<p>En 2020, « 1984 » n’a pas perdu son statut de chef d’œuvre. Celui de dystopie est devenu plus discutable. La dystopie est presque devenue réalité, mais une dystopie… dysfonctionnelle : problématique de tri des données récoltées, de l’efficacité des outils de surveillance… avec la complicité des citoyens (par exemple, le développement de la possibilité de vendre ses données personnelles). Pour combien de temps le sera-t-elle encore (dysfonctionnelle) ? Je l’ignore. De là ou George Orwell observe Londres, la ville où il est décédé le 21 janvier 1950 et qui compte aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de caméras, ce dernier doit songer aux vers d’Alfred de Musset
(<em>La Coupe et les lèvres</em>, 1831) :</p>
<blockquote>
<p>« Je hais comme la mort l’état de plagiaire ;<br>
Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre<br>
C’est bien peu, je le sais, que d’être homme de bien,<br>
Mais toujours est-il vrai que je n’exhume rien. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/124019/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Expert auprès de l'UNODC, (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) dans le cadre du programme E4J : The First Expert Group Meeting to Peer-Review the E4J University Module Series on Cybercrime. </span></em></p>Le développement que connaît actuellement la vidéosurveillance n’est pas sans rappeler la célèbre dystopie…Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1190352019-07-04T21:31:32Z2019-07-04T21:31:32ZLes voitures à radars embarqués, un dispositif de contrôle au service du pouvoir<p>L’information ne circule que depuis quelques mois : un comité de l’Union européenne <a href="https://www.capital.fr/votre-argent/un-mouchard-embarque-dans-tous-les-vehicules-neufs-en-2022-1334033">propose d’équiper tous les véhicules neufs d’un boîtier électronique</a> capable de limiter la vitesse intelligemment et d’enregistrer les données de conduite selon le journal <em>Capital</em>.</p>
<p>Si cette proposition est adoptée, ces boîtiers deviendraient obligatoires sur tous les véhicules neufs à partir de 2022. Est-ce une nouvelle étape vers la surveillance individuelle au nom du bien-être collectif ?</p>
<p>Déjà, depuis mars 2018 la région Normandie <a href="https://www.lamanchelibre.fr/actualite-429479-normandie-une-entreprise-selectionnee-pour-la-privatisation-des-radars-embarques">expérimente la mise en circulation de voitures avec radars embarqués</a>. Un essai confié à l’entreprise privée Mobiom.</p>
<p>Si ces propositions ont déjà fait polémiques quant à leur efficacité et leur coût, le cœur du dispositif a été, en revanche, beaucoup moins remis en cause. Pourtant, son origine est à rechercher chez les théoriciens de la prison à la fin du XVIII<sup>e</sup> dans leurs réflexions sur les techniques visant à contrôler les comportements.</p>
<h2>Les radars-embarqués c’est quoi ?</h2>
<p>L’objectif de la sécurité routière est louable et ne peut être remis en question. Rappelons que la vitesse est en cause dans un <a href="https://www.securite-routiere.gouv.fr/actualites/bilan-definitif-de-laccidentalite-routiere-2018">accident mortel sur trois en France</a>.</p>
<p>Anciennement appelés équipement de terrain mobile (ETM), les radars embarqués sont sur nos routes depuis 2013 dans des véhicules banalisés conduits par deux policiers ou gendarmes en uniforme.</p>
<p>C’était alors une première mondiale avec <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/02/28/01016-20130228ARTFIG00356-peu-visible-ce-nouveau-radar-flashe-en-roulant.php">« un atout indéniable : celui d’être quasiment invisible »</a>.</p>
<p>On se souviendra de la phrase prononcée en octobre 21013 par Aurélien Wattez (alors chef du département du contrôle automatisé au ministère de l’Intérieur) lors d’une rencontre avec les <a href="http://www.leparisien.fr/espace-premium/fait-du-jour/nous-avons-teste-le-tout-nouvel-appareil-18-10-2013-3236237.php">journalistes</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Si l’on voulait piéger les conducteurs, les policiers seraient en civil dans les voitures ou cachés dans les fourrés, alors qu’ils sont en uniforme et insérés dans la circulation. »</p>
</blockquote>
<p>C’est aujourd’hui le cas à la différence près que les personnes « en civil » sont vraiment… des civils.</p>
<p>Une autre différence de taille avec l’ancien dispositif réside dans son automatisation et son invisibilité pour le conducteur. Alors que les infractions s’affichaient immédiatement aux policiers et aux gendarmes, sur une tablette qui devait être branchée sur un ordinateur fixe à leur retour de mission pour transmettre les données, cette transmission s’effectue désormais en temps réel et sans notifications particulières.</p>
<h2>Un bilan critiqué</h2>
<p>Après un an, certains <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/voitures-radars-privees-vers-un-flop-couteux-pour-les-finances-publiques-1337493">critiquent le bilan</a> : un coût élevé pour les finances publiques pour un résultat discutable.</p>
<p>Comme le souligne <em>Le Parisien</em>, dans le département de la Manche, si durant les quatre premiers mois de l’année le nombre d’infractions n’a pas cessé de baisser, les <a href="http://www.leparisien.fr/societe/le-bide-des-radars-avec-chauffeurs-prives-07-05-2019-8067741.php">excès de vitesse ont quant à eux augmenté de 54 %</a>.</p>
<p>Pourtant les pouvoirs publics clament qu’il s’agit d’une réussite. Selon les <a href="http://www.manche.gouv.fr/Actualites/Le-prefet-de-la-Manche-dement-formellement-les-informations-sur-les-radars-embarques">déclarations du Préfet de la Manche</a> et un <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/L-externalisation-de-la-conduite-des-voitures-radar-s-etend-a-de-nouvelles-regions%22">communiqué du Ministère de l’Intérieur</a>, 60 nouveaux véhicules seront mis en place dans <a href="https://www.flotauto.com/voitures-radars-trois-regions-20190513.html">trois régions dès janvier 2020</a>, : 19 en Bretagne, 20 en Pays de la Loire et 21 en Centre-Val-de-Loire.</p>
<p>Ces voitures circuleront 6h par jour, 7 jours sur 7, 24h/24h sur des trajets et horaires définis par l’État sur les routes les plus accidentogènes.</p>
<p>Dans <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/L-externalisation-de-la-conduite-des-voitures-radar-s-etend-a-de-nouvelles-regions">son communiqué</a>, le Ministère annonce qu’avec seulement 26 véhicules radars :</p>
<blockquote>
<p>« La barre des 100 000 kilomètres a été dépassée au cours du mois d’avril […] plus de 6 800 messages d’infraction ont été générés par ce dispositif, confirmant sa montée en charge. »</p>
</blockquote>
<p>En quoi ce dispositif doit-il être analysé comme un contrôle de l’État sur l’individu ? Les philosophes Michel Foucault, Gilles Deleuze et Olivier Razac nous offrent quelques réponses.</p>
<h2>Quand le politique s’exerce sur le corps</h2>
<blockquote>
<p>« Le pouvoir politique, avant même d’agir sur l’idéologie, sur la conscience des personnes, s’exerce de façon beaucoup plus physique sur leur corps. La manière dont on leur impose des gestes, des attitudes, des usages […] appartient, me semble-t-il, à une technologie politique du corps. » (Foucault, 1974)</p>
</blockquote>
<p><a href="http://1libertaire.free.fr/MFoucault451.html">Ce pouvoir</a> se réalise avec le panoptique pensé par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeremy_Bentham">Jeremy Bentham</a> au XVIII<sup>e</sup> pour l’architecture des prisons.</p>
<p>Une tour centrale abrite un gardien qui observe la totalité des cellules construites autour en cercle. Les prisonniers ne savent jamais s’ils sont observés.</p>
<p>Le sentiment de visibilité du détenu transformé en « objet d’une information, jamais sujet dans une communication » comme l’écrit Foucault dans <em>Surveiller et punir</em> en 1975, s’insinue dans sa conscience perméable au pouvoir. Le cœur du dispositif repose sur l’incertitude qu’à l’individu d’être constamment surveillé.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’intérieur de la prison Presidio Modelo, à Cuba, construite sur le modèle du panoptique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span>
</figcaption>
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<p>L’objectif selon Foucault est, « d’induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir » (1975). Le regard présupposé sur le corps induit un état conscient qui, par la force d’habitude, s’intériorise en modifiant le détenu lui-même, pour agir en retour sur les comportements du corps.</p>
<h2>Souveraineté, discipline, contrôle</h2>
<p>Foucault distingue deux formes de sociétés définies par l’organisation du pouvoir. Nous recourons au résumé qu’en donne Deleuze (1990) dans son <a href="http://1libertaire.free.fr/DeleuzePostScriptum.html"><em>Post-scriptum sur les sociétés de contrôle</em></a>.</p>
<p>Dans les sociétés de souveraineté, le pouvoir souverain est fait d’interdits inscrits dans la loi où l’on préfère « prélever plutôt qu’organiser la production, décider de la mort plutôt que gérer la vie ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fCcxhdobloU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Marc Bidan sur Deleuze.</span></figcaption>
</figure>
<p>Puis, leur ont succédé les sociétés disciplinaires caractérisées par un pouvoir positif délaissant les interdictions pour privilégier les incitations. Par l’utilisation du panoptique, la discipline aspire à conduire dans le sens voulu les comportements individuels par un pouvoir économe de sa présence avec des effets maximaux. Deleuze (1990), ajoute une troisième forme avec les sociétés de contrôle, dont il situe les débuts après la Seconde Guerre mondiale, observant la fin des enfermements au sein des institutions pour un contrôle à ciel ouvert et continu qui fonctionne « par machines de troisième espèce, machines informatiques et ordinateurs ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FzIIgODvzHw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Michel Foucault, 1976.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Et nos véhicules radars dans tout cela ?</h2>
<p>Vous êtes au volant de votre voiture. Mais quelque chose a changé. Vous sentez le regard du radar sur vous alors qu’il n’y a pas de radar sur cette route, vous le savez. Mais voilà, vous savez qu’il y a des véhicules avec des radars embarqués et plusieurs de vos proches vous ont raconté avoir été flashés sans s’en rendre compte, sans voir d’où cela venait…</p>
<p>Ce sentiment résonne avec l’effet recherché par le panoptique mais il est augmenté par la puissance de l’informatique en milieu ouvert et mobile. Rien n’est dû au hasard.</p>
<p>De manière inquiétante, cette situation fait écho avec ce que décrit le philosophe <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2013-3-page-389.htm">Olivier Razac</a> à propos des individus portant un bracelet électronique :</p>
<blockquote>
<p>« Les placés doivent imaginer les opérations qui s’exercent sur eux d’une manière invisible et quasi insensible ; ils produisent ainsi la matérialité de ce pouvoir qu’ils tirent en quelque sorte de leur propre substance. »</p>
</blockquote>
<p>Vous êtes au volant et votre vitesse vous inquiète plus que de raison car vous imaginez que c’est une voiture radar qui arrive en face…</p>
<p>Un des arguments avancés par les pouvoirs publics réside dans l’économie des forces de l’ordre (400 équivalents temps plein). Nous retrouvons là encore, les analyses d’Olivier Razac, à la suite de Foucault et Deleuze. Dans son <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-essais/sciences-humaines/histoire-politique-du-barbele"><em>Histoire politique du barbelé</em> (2000)</a>, Razac montre ainsi que le contrôle s’effectue sur une <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2013-3-page-389.htm">base économique</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Les meilleurs dispositifs de pouvoir sont ceux qui dépensent la plus petite quantité d’énergie possible (matériellement et politiquement) pour produire le plus d’effets de contrôle ou de domination possibles. »</p>
</blockquote>
<p>Appliqué à nos voitures radars, l’espace contrôlé devient mobile par les véhicules, virtuel dans les esprits des conducteurs et un possible dans le véhicule que l’on croise sur les routes. Ce nouveau type de contrôle rend également caduque l’usage des radars fixes, l’équivalent des « barbelés » utilisé par Razac dans son argumentation :</p>
<blockquote>
<p>« Le barbelé annonçait son propre dépassement, il annonçait le temps où lui-même serait trop voyant et trop lourd et devrait être remplacé par des techniques plus éthérées, par des dispositifs plus furtifs traçant des limites immatérielles : pas de bois, pas de pierre ni de métal, mais de lumière, d’ondes, de vibrations invisibles. »</p>
</blockquote>
<p>Les radars embarqués présentent donc un assemblage de différents moyens utilisés par la société de contrôle et soumis à l’intelligence des sociétés disciplinaires. Mais ne vous inquiétez pas, Gilles Deleuze <a href="https://infokiosques.net/imprimersans2.php3?id_article=214">avait tout prévu</a> : « Il n’y a pas lieu de craindre ou d’espérer, mais de chercher de nouvelles armes ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119035/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marius Bertolucci ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le dispositif des radars-embarqués s’insère dans une société de contrôle. Et si Foucault et Deleuze avaient raison ?Marius Bertolucci, Maître de conférences spécialisé en management public., Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1118812019-03-03T19:53:34Z2019-03-03T19:53:34ZLes défis éthiques de l’identité numérique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/260955/original/file-20190226-150721-1igj18n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C0%2C5442%2C3470&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Regard numérique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Omar Prestwich/Unsplash</span></span></figcaption></figure><p>Si le <a href="https://www.economie.gouv.fr/entreprises/reglement-general-sur-protection-des-donnees-rgpd">RGPD</a> est entré en application récemment, en plaçant l’Europe à l’avant-garde de la protection des données à caractère personnel, il ne doit pas nous dissuader de nous interroger en profondeur sur la question des identités, dont les contours se sont redéfinis à l’ère numérique. Il s’agit bel et bien de porter une réflexion critique sur des enjeux éthiques et philosophiques majeurs, au-delà de la seule question de la protection des informations personnelles et de la <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=8862"><em>privacy</em></a>.</p>
<p>Les politiques actuelles sur la protection des données mettent l’accent sur les droits de la personne. Mais elles ne prennent pas la mesure de la manière dont l’exercice de notre libre arbitre se voit de plus en plus empêché au sein d’environnements technologiques complexes, et encore moins des effets de la métamorphose numérique sur les processus de subjectivation, le devenir-soi de l’individu. On considère le plus souvent, dans ces textes, un sujet déjà constitué, capable d’exercer ses droits, sa propre volonté et ses principes. Or, le propre des technologies numériques – telle est la thèse ici défendue – est de participer à la formation des subjectivités selon un mode nouveau : en redistribuant sans cesse le jeu des contraintes et des incitations, elles créent les conditions d’une plus grande malléabilité des individus. Nous détaillons ces processus dans l'ouvrage <a href="https://iste-editions.fr/products/les-identites-numeriques-en-tension"><em>Les identités numériques en tension</em></a>, réalisé dans le cadre de la Chaire <a href="https://cvpip.wp.imt.fr/accueil/">Valeurs et politiques des informations personnelles</a> de l'IMT.</p>
<p>Si les moyens mis en place par le RGPD sont clairement nécessaires pour soutenir l’initiative et l’autonomie de l’individu dans la gestion de sa vie numérique, il faut cependant souligner que les notions mêmes de consentement et de contrôle par l’utilisateur vis-à-vis de ses données, et sur lesquels le mouvement actuel repose, restent problématiques. Et cela parce que deux logiques, distinctes mais concordantes, sont aujourd’hui à l’œuvre.</p>
<h2>Nouvelle visibilité des individus</h2>
<p>Si une certaine sensibilité des utilisateurs aux traces laissées volontairement ou involontairement au cours de leurs activités en ligne, et dont il peut avoir connaissance (comme, par exemple, des métadonnées de connexion), semble s’accroître, et peut servir de support à l’approche basée sur le consentement, cette dynamique rencontre assez vite ses limites.</p>
<p>Tout d’abord, la multiplication des informations récoltées rend irréaliste l’exercice systématique du consentement et le contrôle par l’utilisateur, ne serait-ce qu’en raison de la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/surcharge-cognitive/">surcharge cognitive</a> que cet exercice effectif exigerait de sa part. Ensuite, le changement de nature des moyens techniques de collecte, exemplifiée par l’avènement des objets connectés, conduit à la démultiplication des capteurs qui collectent les données sans même que l’utilisateur puisse s’en rendre compte, comme le montre l’exemple, de moins en moins hypothétique, de la vidéo-surveillance couplée à la <a href="https://www.cnil.fr/fr/definition/reconnaissance-faciale">reconnaissance faciale</a> et, plus amplement, le cas de toutes les connaissances que les opérateurs acquièrent sur la base de ces données. Il s’agit ici d’une couche de l’identité numérique dont le contenu et de nombreuses exploitations possibles sont absolument inconnus de la personne qui en est la source.</p>
<p>Qui plus est, une forte tendance des acteurs, étatiques et privés, consiste à vouloir décrire l’individu de manière exhaustive et totale, en créant le risque de le réduire à un ensemble de plus en plus complet d’attributs. Dans ce nouveau régime de pouvoir, le visible se réduit à ce qui peut être saisi en données, à ce qui relève de la mise à disposition immédiate des êtres, comme s’il s’agissait en fin de compte de simples objets.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260956/original/file-20190226-150694-a28lo5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260956/original/file-20190226-150694-a28lo5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260956/original/file-20190226-150694-a28lo5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260956/original/file-20190226-150694-a28lo5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260956/original/file-20190226-150694-a28lo5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260956/original/file-20190226-150694-a28lo5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260956/original/file-20190226-150694-a28lo5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vidéo de surveillance.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mike Mozart/Wikipedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les ambiguïtés du contrôle</h2>
<p>La deuxième logique à l’œuvre dans nos sociétés hypermodernes touche à l’inscription de ce paradigme basé sur la protection et le consentement dans les mécanismes de la société néolibérale. La société contemporaine conjugue en effet deux aspects en matière de <em>privacy</em> : il s’agit de considérer l’individu comme étant visible de manière permanente, et comme étant responsable individuellement pour ce qui est vu de lui. Un tel ensemble de normes sociales se consolide à chaque fois que l’utilisateur exerce le consentement – ou l’opposition – à l’utilisation de ses données. En effet, à chaque itération, l’utilisateur renforce sa compréhension de soi-même comme l’auteur et le responsable de la circulation des données. Il endosse aussi l’injonction à la maîtrise des données alors même que cette dernière est le plus souvent illusoire. Surtout, il endosse l’injonction <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2533057">à calculer les bénéfices</a> que le partage des informations peut lui apporter. En ce sens, l’application stricte et croissante du paradigme de consentement peut être considérée comme étant corrélative d’une conception de l’individu qui devient non seulement l’objet d’une visibilité quasi-totale, mais aussi – et surtout – un agent économique rationnel, à même d’analyser son agir en termes de coûts et de bénéfices.</p>
<p>Cette difficulté fondamentale fait que les enjeux futurs des identités numériques ne se réduisent pas à donner plus de contrôle explicite, ou plus de consentement éclairé. Il convient bel et bien de trouver d’autres voies complémentaires, qui se situent sans doute du côté des pratiques (et non simplement des « usages ») des utilisateurs, à condition que de telles pratiques mettent en place des stratégies de résistance pour contourner l’impératif de visibilité absolue et de définition de l’individu comme agent économique rationnel.</p>
<p>De telles pratiques digitales doivent en outre nous inciter à dépasser la compréhension de l’échange social – numérique ou non – sous le régime du calcul des bénéfices que l’on en retire ou des <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/externalite-economie/">externalités</a>. Ainsi, les enjeux soulevés par les identités numériques dépassent largement les enjeux de protection de l’individu ou les enjeux des « modèles d’affaires », et touchent à la manière même dont la société dans son ensemble conçoit la signification de l’échange social. Dans un tel horizon, il est primordial d’affronter les ambivalences et les jeux de tension qui sont intrinsèques aux technologies numériques, en examinant les nouveaux modes de subjectivation qui sont induits dans ces opérations. C’est à partir d’un tel exercice de discernement que pourra advenir un mode de gouvernance des données plus responsable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111881/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Armen Khatchatourov est l'auteur de Les identités numériques en tension, cité dans cet article</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre-Antoine Chardel est le co-auteur de Les identités numériques en tension, cité dans cet article</span></em></p>Les politiques sur la protection des données mettent l’accent sur les droits de la personne. Mais l’exercice de notre libre arbitre se voit de plus en plus entravé.Armen Khatchatourov, Enseignant-chercheur, membre de la Chaire Valeurs et politiques des informations personnelles, Institut Mines-Télécom Business School Pierre-Antoine Chardel, Professeur de sciences sociales et d'éthique, Institut Mines-Télécom Business School Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1095982019-01-09T18:07:33Z2019-01-09T18:07:33Z« Gilets jaunes » : l’urgence démocratique commence par le bas<p>Le récent mouvement des « gilets jaunes » est une <a href="https://theconversation.com/deux-ou-trois-choses-dont-je-suis-presque-certain-a-propos-des-gilets-jaunes-108183">véritable révolte populaire</a>, assez peu organisée et dont les revendications sont hétérogènes. Toutefois, parmi ces revendications, l’une est de nature politique et s’est progressivement imposée : le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Plébiscitée sur les réseaux sociaux, cette idée a été présentée comme nouvelle lors même qu’elle a, au contraire, une longue histoire – <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20181219.OBS7404/tribune-de-le-pen-a-ruffin-en-passant-par-chouard-le-ric-ou-la-confusion-des-genres.html">plutôt marquée politiquement à l’extrême droite</a> – et qu’elle figurait dans les <a href="https://www.lemonde.fr/programmes/institutions-1/la-democratie-directe">propositions de la plupart des candidats à l’élection présidentielle de 2017</a>, à l’exception notable d’Emmanuel Macron.</p>
<p>On ne reviendra pas ici sur cette histoire. Notre propos est bien plutôt de prendre appui sur une recherche récente pour réfléchir au fait que le RIC est sans doute une fausse bonne idée et qu’il serait préférable de favoriser la démocratie participative plutôt que la démocratie directe. Encore faudrait-il toutefois que cette démocratie participative parvienne à exister davantage – ce qui pose la question beaucoup trop occultée du fonctionnement politique au niveau local et non pas simplement national.</p>
<h2>Un exemple : installer ou pas de la vidéosurveillance</h2>
<p>À l’occasion d’une <a href="http://www.armand-colin.com/vous-etes-filmes-enquete-sur-le-bluff-de-la-videosurveillance-9782200621230">enquête récente sur la vidéosurveillance</a>, nous avons notamment examiné les mécanismes de la prise de décision qui conduisent les élus nationaux comme locaux à investir l’argent public dans cette nouvelle technologie. Et nous avons pu faire une série de constats qui peuvent contribuer à la réflexion sur le fonctionnement de la démocratie et sur les moyens de l’améliorer.</p>
<ul>
<li><p>Les élus nationaux comme locaux ne décident pas fondamentalement d’investir l’argent public dans ce type de technologies en fonction de leur efficacité déjà éprouvée, et donc à nouveau espérée (il est au contraire démontré dans l’enquête que cela ne sert presque pas à améliorer la sécurité quotidienne des habitants). Ce sont d’autres raisons qui les motivent.</p></li>
<li><p>Sauf exceptions, les citoyens ne sont jamais consultés avant ces prises de décision. Au niveau national, les élus se contentent de profiter de sondages simplistes (« êtes-vous pour ou contre ceci ou cela ? ») pour prétendre que « les Français le souhaitent ». Et au niveau local, les élus préfèrent se fier aux courriers de plainte qu’ils reçoivent en mairie et aux discussions qu’ils ont au fil de leurs déplacements et réunions quotidiens. Ils ont ainsi le sentiment de « prendre le pouls » de leur commune dont ils ne côtoient pourtant en réalité qu’une toute petite partie de la population.</p></li>
<li><p>Les <a href="http://www.armand-colin.com/sociologie-des-opinions-9782200261856">recherches scientifiques ont montré de longue date</a> que ces sondages nationaux expriment des opinions simplistes (puisque binaires), généralement désincarnées, plutôt conformistes et souvent politisées (les gens qui se sentent plutôt de droite répondent plutôt ça, ceux qui se sentent plutôt de gauche répondent ça, etc.).</p></li>
<li><p>Lorsque l’on réalise des enquêtes avec la technique des sondages mais au niveau local, en incarnant les problèmes et en impliquant les personnes, en proposant des questions réflexives et en offrant la possibilité de réponses multiples, les résultats peuvent être très différents de ceux des sondages, voire contradictoires. Nous l’avons montré dans cette enquête sur la vidéosurveillance et, plus globalement, dans une <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/delinquances-police-justice">série d’enquêtes locales sur les politiques de sécurité et de prévention</a> menées ces dernières années dans le département des Bouches-du-Rhône.</p></li>
<li><p>Dans au moins deux communes françaises – <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/83253/les-habitants-de-nerac-disent-non-par-referendum-a-un-projet-de-videosurveillance/">Nérac (Lot-et-Garonne) en 2011</a> et <a href="http://www.objectifgard.com/2018/03/26/aigues-vives-consultation-sur-la-videoprotection-le-non-lemporte-largement/">Aigues-Vives (Gard) en 2018</a> –, avant de prendre une décision, les élus (pour des raisons diverses) ont organisé un débat citoyen, en donnant à la population des éléments d’information techniques et budgétaires, en tenant des réunions publiques et finalement en organisant un référendum local sans valeur juridique. Et, dans les deux cas, une large majorité des votants s’est prononcée contre, non pas par principe mais au terme d’un arbitrage (estimant notamment qu’il y avait des dépenses plus importantes à faire dans la commune). Le résultat d’un forum local peut donc être contraire aux déductions trop rapidement faites à partir des sondages nationaux.</p></li>
</ul>
<h2>Le référendum et le risque d’une caricature de démocratie</h2>
<p>Chacun s’accorde aujourd’hui pour constater que la démocratie <em>représentative</em> est en crise dans les démocraties occidentales. Mais ce n’est pas une raison pour en conclure que la bonne alternative est le modèle opposé de la démocratie <em>directe</em>, dans lequel les citoyens décident potentiellement tous par vote, le font sur tous les sujets et peuvent – en fin de compte – se passer de représentants élus. Il existe en quelque sorte une voie du milieu : c’est la démocratie <em>participative</em>.</p>
<p>Cette dernière est préférable car, au niveau national, le fonctionnement par référendum a toutes les chances de renforcer ce que l’étude des sondages d’opinion a déjà montré : le poids des arguments idéologiques, la constitution d’opinions binaires, voire manichéennes, interdisant de penser la diversité et la complexité des choses, l’exacerbation des imaginaires, des peurs et des émotions, le manque d’informations (voire la sensibilité à la désinformation)… Toutes choses qui risqueraient fort d’écraser tout véritable débat sur leur passage.</p>
<p>Ce serait alors une caricature de démocratie, le règne des émotions et de la politique par slogans, et finalement un boulevard pour les populismes en tous genres. Ce serait, de surcroît, un type de fonctionnement ne suscitant aucun débat réel entre les gens qui vivent ensemble. En tiendrait lieu une sorte de forum sur Internet, sur les réseaux sociaux et autres sites dits « participatifs » où pullulent déjà les propagandistes et les « trolls » en tous genres.</p>
<p>Nous avons désormais une bonne douzaine d’années de recul sur tout ceci et l’expérience montre que ce pseudo-débat sur Internet et les réseaux sociaux participe trop souvent à une dégradation de la qualité des discussions et, finalement, à une <a href="https://laviedesidees.fr/Internet-et-la-brutalisation-du-debat-public.html">brutalisation des relations sociales</a>.</p>
<h2>Instaurer une véritable démocratie participative à l’échelon municipal</h2>
<p>En revanche, au niveau local, le référendum apparaît comme l’issue logique d’un débat au cours duquel des personnes qui vivent ensemble dans un espace donné (la commune) ont réellement discuté, confronté leurs avis et recherché ensemble une solution à des problèmes qui touchent leur vie quotidienne. Il constitue ainsi un des leviers d’une démocratie participative qui présenterait les énormes avantages d’incarner les problèmes et d’impliquer réellement les citoyens, en les amenant à davantage se parler entre eux, donc également à admettre plus facilement la diversité des points de vue et à rechercher plus naturellement des compromis.</p>
<p>Autrement dit, si le référendum risque de bi-polariser encore plus les opinions et de conflictualiser encore plus les relations sociales, son organisation au niveau local peut s’articuler avec une mise en discussion collective incarnée (on ne s’adresse pas à un personnage inconnu voire anonyme sur Internet, on parle avec son voisin dans la « vraie vie »), qui tend au contraire à les pacifier.</p>
<p>Si la démocratie n’est pas que le choix d’une forme de gouvernement non autoritaire, mais aussi un projet de « faire société », alors il est clair que, dans un pays de 67 millions d’habitants comme la France, en ce début de XXI<sup>e</sup> siècle, le référendum local peut y correspondre. En pratique, il se heurte toutefois à tout un système de gouvernement qui brille par son immobilisme, malgré une façade de constante « modernisation ».</p>
<h2>Sortir de la culture du chef et de la verticalité du pouvoir également au niveau local</h2>
<p>Une demande de démocratie s’exprime de plus en plus dans un vieux pays dont le système politique apparaît non seulement usé mais aussi figé et comme incapable de se réformer. Domine toujours l’antique conception du pouvoir de type guerrier (il se conquiert dans et par « la guerre électorale ») et de type autocratique (une fois qu’on l’a, on le partage le moins possible). Le chef décide puis l’intendance suit.</p>
<p>Le pouvoir est vertical et les messages vont dans un seul sens : du haut vers le bas (le système <em>top-down</em> disent les anglo-saxons). Le fait est bien connu au niveau national et les constitutionnalistes savent, depuis le <a href="https://www.puf.com/content/Le_syst%C3%A8me_politique_fran%C3%A7ais">célèbre livre de Maurice Duverger en 1970</a>, que le régime politique organisé par la V<sup>e</sup> République ne doit pas être qualifié de parlementaire mais de « semi-présidentiel ». La critique d’une dérive autoritaire voire monarchique est ainsi consubstantielle à ce régime, de De Gaulle à Macron en passant par Mitterrand et Sarkozy. Et nombre de personnalités politiques de tous bords ont déjà appelé par le passé à la fondation d’une VI<sup>e</sup> République.</p>
<p>Ces débats ont, toutefois, le plus souvent un point aveugle. En se concentrant sur le seul échelon national de la vie politique, ils occultent les questions locales, où les blocages sont tout aussi puissants – si ce n’est davantage – et expliquent largement l’incapacité française à organiser davantage de démocratie participative.</p>
<h2>Des outils en place mais détournés</h2>
<p>C’est, en théorie, l’un des enjeux de la décentralisation : renforcer la démocratie en donnant davantage de prérogatives aux collectivités locales. Le gouvernement socialiste issu des élections de 1981 avait enclenché ce mouvement, la loi Deferre du 2 mars 1982 supprimant la tutelle des préfets sur les départements et créant les régions administratives également dirigées par leurs propres élus.</p>
<p>Vingt ans plus tard, le gouvernement de Jean‑Pierre Raffarin prolongeait ce mouvement par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000601882&dateTexte=&categorieLien=id">loi constitutionnelle du 28 mars 2003</a> consacrant l’autonomie financière des collectivités locales, transférant de nouvelles compétences aux Régions et créant deux nouveaux outils censés favoriser la démocratie participative : le référendum d’initiative locale et un certain droit de pétition (les électeurs peuvent, par pétition, demander l’inscription à l’ordre du jour du conseil municipal d’une question relevant de sa compétence).</p>
<p>À sa suite, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000428976&dateTexte=&categorieLien=id">loi organique du 1ᵉʳ août 2003 relative au référendum local</a>, dans un souhait de « participation des électeurs aux décisions locales », a précisé la possibilité pour le maire ou le conseil municipal d’organiser à tout moment un référendum local pour trancher des questions relevant de la compétence de la mairie.</p>
<p>En théorie, la France dispose donc déjà des outils pour faire vivre la démocratie participative au niveau local. Mais il y a souvent loin de la théorie à la pratique ! Dans la réalité, la tentation est grande pour les élus locaux (<a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=10893&razSqlClone=1">comme l’avait bien montré Marion Paoletti</a>) d’instrumentaliser ces référendums locaux, d’en faire une sorte d’instrument de légitimation de décisions déjà prises ou de les transformer en des sortes de plébiscites.</p>
<p>Et puis, malgré la loi de 2003, les maires ayant utilisé la possibilité de faire des référendums locaux se comptent sur les doigts des mains en quinze ans. La méfiance envers les citoyens prédomine chez les élus. La démocratie locale est figée, <a href="https://croquant.atheles.org/savoiragir/lepouvoirlocaloulademocratieimprobable">comme l’a montré Michel Koebel</a>. Pire encore : les gouvernements successifs récents ont multiplié les échelons intermédiaires de décision en créant des communautés d’agglomération (loi du 12 juillet 1999), des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI, loi du 16 décembre 2010) et enfin des métropoles (loi du 27 janvier 2014).</p>
<p>Résultat : loin de renforcer la lisibilité des prises de décisions et la démocratie participative, ces réformes ont au contraire conduit à un renforcement de la confiscation du pouvoir de décider par les élus et les techniciens locaux, le tout de façon encore plus discrétionnaire (loin de tout débat citoyen local). C’est ce que Fabien Desage et David Guéranger ont appelé <a href="https://croquant.atheles.org/savoiragir/lapolitiqueconfisquee/">« la politique confisquée »</a>.</p>
<h2>Budget participatif et droit de pétition : des innovations intéressantes mais peu opératoires</h2>
<p>Certes, dans ce tableau particulièrement sombre émerge l’initiative très intéressante <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/budgets-participatifs-la-nouvelle-promesse-democratique">des budgets participatifs</a>, initiée à Porto Alegre (Brésil) en 1989, reprise en France dans les années 2000 par des municipalités de gauche et qui s’étend désormais à d’autres courants politiques. L’expérience est intéressante à beaucoup d’égards (voir par exemple la <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/budgets-participatifs-une-revolution-citoyenne">vidéo de ce débat</a>). Toutefois, il semble très exagéré de parler de « révolution citoyenne ». Deux limites de cette expérience sont en effet plus qu’évidentes.</p>
<p>Premièrement, l’expérience ne concerne que quelques dizaines de communes en France (sur près de 36 000…). Et, deuxièmement, la part des budgets alloués et donc des projets concernés est plus que limitée. À Brest, par exemple, le montant alloué par la ville à cette forme de participation est de <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/dans-les-coulisses-du-premier-budget-participatif-de-brest">3 % de l’investissement – ce qui correspond à 0,3 % du budget annuel de la ville</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gpHcurbHL00?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Enfin, quant au droit de pétition, au niveau national cette fois-ci, organisé par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022402454&dateTexte=&categorieLien=id">loi organique du 28 juin 2010</a>, il prévoit une procédure particulière puisque les pétitionnaires (au moins 500 000 personnes majeures, de nationalité française ou résidant régulièrement en France) doivent saisir le Conseil économique, social et environnemental (<a href="https://www.lecese.fr/la-petition-citoyenne-mode-demploi">CESE</a>) sur « toute question à caractère économique, social ou environnemental ». Ce dernier doit ensuite la discuter en interne et éventuellement décider de la valider par un vote en séance plénière, avant de la transmettre au premier ministre ainsi qu’aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.</p>
<p>De nombreuses pétitions ont ainsi été réalisées ces dernières années, mais à notre connaissance aucune n’a débouché sur une quelconque action législative. L’activité du CESE est, hélas, largement invisible politiquement et médiatiquement, y compris lorsqu’il tente de s’emparer de l’actualité des problèmes sociaux comme il l’a fait avec les « gilets jaunes », ne dénombrant que <a href="https://www.la-croix.com/France/Politique/Gilets-jaunes-Cese-recueilli-7-000-contributions-2019-01-04-1200993290">25 000 participations entre la mi-décembre et début janvier</a> (quand, par exemple, des vidéos postées sur Internet et les réseaux sociaux sur ces mêmes sujets font des centaines de milliers voire des millions de vues).</p>
<h2>L’échec récurrent de la participation en France</h2>
<p>À tout cela, il faut ajouter le constat classique fait par les chercheurs (voir par exemple <a href="https://www.armand-colin.com/la-democratie-en-debat-9782200264895">ici</a>, <a href="http://catalogue-editions.ens-lyon.fr/fr/livre/?ISBN13=9782847883855">ici</a> et encore <a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2006-7-page-5.htm">là</a>) ayant évalué les politiques de la ville au fil des ans et des réformes (la dernière en date étant la création de « conseils citoyens » dans les quartiers prioritaires par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=7C63CD8A73D21DF3FDBEF8F13534A673.tpdjo11v_2?cidTexte=JORFTEXT000028636804&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000028636780">loi du 21 février 2014</a>). De tous les aspects de ces politiques menées depuis les années 1970, celui qui conduit à un constat d’échec récurent est précisément « le volet participatif ».</p>
<p>On est loin en France de pratiquer ce que les Nord-Américains appellent de longue date l’<a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-L_empowerment__une_pratique___mancipatrice__-9782707186348.html"><em>empowerment</em></a>. Le constat dressé par exemple <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01098470/document">par le sociologue Thomas Kirszbaum</a> est limpide :</p>
<blockquote>
<p>« La France se singularise dans le paysage international par une politique de la ville dont le caractère bureaucratique et descendant n’a fait que se renforcer au fil des ans. S’il existe naturellement des variations, d’une ville à l’autre, dans le mode de gestion des quartiers, la monopolisation du pouvoir par les institutions publiques – et par les municipalités au premier chef – est une donnée structurelle du “modèle français”. Ici se marque la principale différence avec d’autres modèles que l’on qualifiera de pluralistes, au sens où ils reconnaissent les collectifs d’habitants comme des acteurs légitimes du processus décisionnel ».</p>
</blockquote>
<p>La participation à la française reste ainsi un processus étroitement contrôlé par le pouvoir politique, tant au niveau national qu’au plan local. Les élus redoutent l’émergence d’un véritable contre-pouvoir citoyen délibératif et ne conçoivent fondamentalement ni que l’initiative puisse partir du bas, ni que les citoyens puissent savoir mieux que les élus et les technocrates ce qui est bon pour eux, pour résumer les choses.</p>
<p>Et Thomas Kirszbaum ajoute :</p>
<blockquote>
<p>« Toute la dynamique institutionnelle à l’œuvre de la politique de la ville française concourt à inhiber l’émergence d’une capacité d’action autonome des habitants. Toutes ses orientations de fond confortent leur atomisation, aux antipodes du développement communautaire qui vise à restaurer des dynamiques collectives, bien au-delà de ce que l’on entend par “lien social” dans l’animation socio-culturelle ».</p>
</blockquote>
<p>Aveuglés par la <a href="https://www.demopolis.fr/livre.php?Clef=88">peur du communautarisme</a>, précise enfin Kirszbaum :</p>
<blockquote>
<p>« La plupart des élus ne comprennent pas que la “communauté”, c’est ce que les habitants partagent en commun, c’est la prise de conscience de leurs intérêts communs. De même que l’on a parlé d’une “conscience de classe” à propos du mouvement ouvrier, il s’agit de faire advenir une « conscience du quartier », de transformer une force latente en force active pour échapper à la résignation et au fatalisme individuels ».</p>
</blockquote>
<h2>Répondre enfin à la demande de démocratie</h2>
<p>Le mouvement des « gilets jaunes » pose avec acuité une <a href="http://www.participation-et-democratie.fr/fr/content/gilets-jaunes-lurgence-democratique">demande de démocratie repérée de longue date par les chercheurs</a>. On doit même parler d’une urgence démocratique à l’heure où les populismes, les nationalismes et les extrémismes gagnent du terrain un peu partout en Europe et dans le monde, conduisant à un <a href="https://freedomhouse.org/report/freedom-world/freedom-world-2017">recul des libertés et des droits fondant la démocratie</a>. La France résiste encore à la conquête du pouvoir par l’extrême droite nationaliste, mais pour combien de temps ?</p>
<p>L’étude des aspirations des manifestants en gilets montre que les <a href="http://laurent-mucchielli.org/index.php?post/2018/12/11/Qui-sont-les-Gilets-jaunes-Une-enquete-pionniere">thèmes nationalistes traditionnels comme la xénophobie n’y sont pas prédominants</a>. Mais qui récupérera le plus les fruits de leur colère aux prochaines élections sinon l’extrême droite ? Pour les élus de tous niveaux qui gouvernent aujourd’hui notre pays, il y a donc urgence absolue à admettre que l’expression de la démocratie par le seul vote a vécu et qu’il faut véritablement instaurer davantage de participation et de délibération dans la vie politique.</p>
<p>Beaucoup réclament pour cela une procédure référendaire nationale, restant ainsi figés sur le principe du vote binaire et des oppositions bloc-contre-bloc. Il nous semble, quant à nous, que c’est bien plutôt en commençant par en bas, par les échelons locaux, que l’on aurait une chance de faire vivre une véritable démocratie, participative et délibérative, qui contribue du même coup à renforcer le vivre-ensemble et à pacifier la société. On espère, sans trop y croire, que le dit <a href="https://www.gouvernement.fr/le-grand-debat-national">« grand débat national »</a> ouvert par le gouvernement jusqu’en avril 2019 pourra au moins soulever quelques-uns de ces enjeux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109598/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Mucchielli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>il y a urgence absolue à admettre que l’expression de la démocratie par le seul vote a vécu et qu’il faut véritablement instaurer davantage de participation et de délibération dans la vie politique.Laurent Mucchielli, Directeur de recherche au CNRS (Laboratoire méditerranéen de sociologie), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1039532018-10-01T18:33:36Z2018-10-01T18:33:36ZCaméras sur le lieu de travail et RGPD, quels changements ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/238538/original/file-20180930-48656-19tgkkx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C4897%2C3233&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Caméra de video surveillance sur la voie publique… comment peuvent-elles entrer dans les entreprises ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/zigazou76/5708084918/in/photolist-9GpqMd-9xKKsZ-bCwVQH-f3JqaX-8urvWR-aZsY76-9RM9oF-gE8Khz-g21f7V-g21hfT-ohfQ6j-8mgYUB-8mhxxa-3Fpbmy-3FjPcz-4J52uv-6uxM4n-2cptG-9RMa9p-9qL9Mp-2gJJ8k-2hvnvB-2gJJ8V-2hvEKr-2huL52-2hu4bx-d4kY59-2gJJ82-2huL2H-2huugt-2hvEJ8-2hvELg-2i32rD-bPybuc-3FjP5Z-5y9X8h-8mkLbS-3FjPjx-bPybmk-ggT2Cv-bADwSL-95VeBK-8n2DPc-2hzuWL-2gJV2r-2huu9g-2huL36-2huug6-2hvnwi-2hzuVu">Frédéric Bisson/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La mise en place de caméras sur le lieu de travail est autorisée à condition de respecter les libertés individuelles et la vie privée des collaborateurs. Le système doit respecter certaines conditions préalables (sa mise en place doit correspondre à un intérêt légitime, ou une activité réglementée et doit rester proportionnée au but recherché).</p>
<p>Cependant, l’installation d’un tel dispositif ne doit pas conduire à une mise sous surveillance généralisée et permanente du personnel (délibération n°2014-307 du <a href="https://bit.ly/2Qcwwxu">17 juillet 2014 de la CNIL</a>, décision du Conseil d’État <a href="https://bit.ly/2OSKGDB">du 18 novembre 2015</a>.</p>
<p>Ainsi, en vertu du pouvoir de l’employeur, celui-ci est parfaitement fondé à installer un système de vidéo-protection dans les locaux de l’entreprise à condition de respecter les contraintes réglementaires lors du déploiement et de ne pas utiliser le dispositif pour contrôler le salarié à son insu.</p>
<p>Ces contraintes ont évolué avec l’entrée en vigueur du RGPD (Règlement général pour la protection des données) le 25 mai 2018.</p>
<h2>Le recours aux caméras sur le lieu de travail : quelles contraintes réglementaires ?</h2>
<p>Dans les entreprises, en vertu de son obligation de sécurité (Article L4121-1), l’employeur peut décider d’installer des caméras pour garantir la protection des personnes et aussi des biens.</p>
<p>En premier lieu, l’installation de caméras est soumis au principe énoncé à l’article L1121-1 du code du travail selon lequel :</p>
<blockquote>
<p>« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » </p>
</blockquote>
<p>Il s’agira alors de respecter la proportionnalité des moyens de contrôle. Les caméras ne doivent pas filmer les employés sur leur poste de travail (sauf exception comme la manipulation d’argent), les locaux destinés à la pause, les toilettes, les locaux syndicaux.</p>
<p>L’employeur doit respecter à la fois le code civil, le code du travail, le code de la sécurité intérieure, le code pénal et le RGPD.</p>
<p>La première étape de la mise en place consiste à informer collectivement les salariés. Conformément à l’article L2323-47 du code du travail, « le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés ».</p>
<p>Une information individuelle doit également être effectuée : selon l’article L1222-4 du code du travail, </p>
<blockquote>
<p>« Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. » </p>
</blockquote>
<p>Cette règle s’applique notamment à la vidéo-protection. Un affichage est donc indispensable mais reste insuffisant. Le Règlement intérieur ou une notice d’information diffusée sur l’intranet ou par courriel peut également intégrer les éléments relatifs à la gestion des données personnelles et aux droits des personnes dans le cadre de la mise en place d’un dispositif de caméras. Cette information peut être formalisée par voie d’avenant au contrat de travail, ce qui permet une information individuelle.</p>
<p>Ce cadre normatif contraignant contribue à une meilleure acceptation par les salariés. On notera que ces informations ne sont pas exigibles si les locaux concernés ne sont pas accessibles aux salariés.</p>
<h2>La protection des salariés… et de leurs données : les nouveautés</h2>
<p>Les systèmes de caméras de vidéosurveillance des employés – qui filment un lieu fermé au public (lieux de stockage, zones dédiées au personnel, salle de coffre) et permettent l’enregistrement et la conservation des images sur support numérique – n’ont plus à être déclarés à la CNIL depuis le 25 mai 2018, date d’entrée en application du RGPD.</p>
<p>La CNIL (<a href="https://www.cnil.fr/fr/cnil-direct/question/328">Commission nationale de l’informatique et des libertés</a>) conserve néanmoins son rôle de contrôle.</p>
<p>La CNIL dispose d’un effectif de 198 agents. D’ailleurs, en 2017, elle a procédé à 341 contrôles dont 47 concernant des installations de vidéo-protection(<a href="https://bit.ly/2FjnTv8">rapport annuel pour 2017</a>).</p>
<p>Les images enregistrées ne peuvent être visionnées que par les seules personnes habilitées dans le cadre de leurs fonctions (direction, responsable sécurité). Elles seront conservées pendant une durée déterminée par l’employeur. En effet, la loi n°2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles et le Règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) précise qu’il appartient à l’employeur de définir une durée de conservation des images en lien avec l’objectif poursuivi par le dispositif.</p>
<p>Pour finir, afin de se conformer au RGPD, l’employeur doit tout d’abord apposer un panneau d’information affiché dans les locaux qui informe les salariés et les visiteurs éventuels de la présence du dispositif, du nom du responsable, de la base légale du dispositif (sécurité des locaux), de la durée de conservation des images, de la possibilité d’adresser une réclamation à la CNIL, de la procédure à suivre pour demander l’accès aux enregistrements visuels les concernant.</p>
<p>Les employeurs devront donc agir sur trois points principaux : la modification des panneaux d’affichage relatifs aux dispositifs de vidéo-protection, la décision relative à la durée de conservation des images et également vérifier que les formalités nécessaires ont été accomplies auprès de la CNIL, en fonction de la nature des lieux filmés (ouverts ou non au public).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103953/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
L’entrée en vigueur du RGPD modifie le processus de déploiement de la vidéo-protection dans les entreprises. Les contraintes évoluent.Caroline Diard, Professeur associé en Management des Ressources Humaines et Droit - Laboratoire Métis - Membre de l'AGRH, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/975892018-06-13T22:49:24Z2018-06-13T22:49:24ZStade de foot : comment les tribunes de supporters se sont « rangées »<p>La Russie devrait recevoir la visite d’un million de touristes supplémentaires cette année, à l’occasion de la Coupe du monde de football, dont plusieurs milliers de supporters <a href="http://www.europe1.fr/sport/coupe-du-monde-2018-comment-la-russie-accueillera-les-supporters-etrangers-3667217">dispersés dans onze villes</a>. Parmi eux, <a href="https://fr.rbth.com/lifestyle/80490-francais-coupe-monde-2018-russie">près de 30 000</a> supporters français sont attendus. Ces chiffres révèlent l’affluence croissante des spectateurs aux matchs de football.</p>
<p><a href="http://www.lfp.fr/ligue1/affluences/journee">L’affluence moyenne</a> de première division a en effet doublé pendant les 30 dernières années dans la plupart des pays d’Europe ; en France l’affluence était de 10 000 spectateurs en moyenne en 1980-1981 ; elle était en 2016-2017 de 21 200.</p>
<p>Seule l’Italie a vu le nombre de spectateurs décroître, en raison de la violence dans les stades et d’une avalanche de mesures administratives dissuasives pour une partie du public.</p>
<p>À quoi attribuer cette augmentation du nombre de spectateurs ?</p>
<h2>Vers une gentrification du « footeux »</h2>
<p>En France, les bons résultats de clubs dans les compétitions européennes (OM 1993), l’effet Coupe du monde 1998 ayant entraîné, tout comme l’Euro 2016, une modernisation et une amélioration du confort des stades, un pourcentage plus important, mais qui demeure très minoritaire, de femmes, intéressées par le spectacle, et non plus seulement accompagnatrices d’enfants ou d’amis, la légitimation de l’intérêt pour le football, naguère regardé de haut, une certaine gentrification du public dans des stades « clean », tous ces facteurs expliquent cette augmentation du nombre de spectateurs.</p>
<p>Mais cette gentrification varie selon les lieux. À Marseille, par exemple, le public demeure populaire et les aménagements récents <a href="http://www.editions-msh.fr/livre/?GCOI=27351100973080&fa=author&person_id=3361">n’ont pas modifié en profondeur la sociologie des spectateurs</a>.</p>
<p>Ces aménagements récents ont restreint les possibilités d’appropriation et de bricolage des gradins et donnent l’impression d’assister à un show plutôt qu’à un match. Les enceintes sportives s’apprêtent à devenir, avec leurs équipements annexes – magasins, salles de cinéma, installations pour les enfants et pour les adultes on peut ici et là y fêter désormais son anniversaire ou son mariage- des « lieux de vie ».</p>
<p>Dans une <a href="https://doc.rero.ch/record/30643/files/00002287.pdf">récente étude sur le nouveau stade de Neuchâtel</a> en Suisse, Roger Besson fait état de ces nouveaux aménagements extérieurs qui intègrent le stade dans un espace de loisirs familiaux et, à l’intérieur de l’enceinte, ce qui frappe, c’est un recul de la mixité sociale, une « élitisation des tribunes ».</p>
<p>Cette métamorphose s’accompagne d’un changement d’ambiance dans les stades. Aux chants et aux chorégraphies symbolisant l’attachement des supporters à leur équipe se substitue progressivement une atmosphère plus feutrée, orchestrée par de la musique enregistrée et par un animateur à la voix chaleureuse.</p>
<h2>Des virages turbulents aux tribunes « rangées »</h2>
<p>Pendant les trente dernières années, le public des virages situés derrière les buts s’est également <a href="http://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100973080">métamorphosé</a>. On appelait naguère les virages les « Populaires » (car s’y regroupait un public peu fortuné) ; il faudrait aujourd’hui les rebaptiser les « Juvéniles ».</p>
<p>Ils sont en effet devenus les espaces emblématiques d’une classe d’âge plutôt que d’une classe sociale et sont le siège depuis la fin des années 1980 en France des groupes de jeunes supporters démonstratifs et « jusqu’au-boutistes » (les Ultras).</p>
<p>Mais, ici et là en Europe, ces tribunes colorées et turbulentes se sont, pour ainsi dire, rangées.</p>
<p>Cette régression est principalement due aux mesures qui ont été prises, au fil des 30 dernières années, pour prévenir et punir les débordements violents. En France, la formule du « tout assis » (les tribunes doivent toutes être équipées de places assises) est devenue obligatoire depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000711624&categorieLien=id">loi de la ministre Bredin en 1992</a>.</p>
<p>Or comment exprimer ses émotions, assis, les mouvements contraints et le corps séparé de celui des autres et non plus fondu dans la masse ? Les supporters demeurent cependant debout dans les virages des stades mais les sièges sont des obstacles aux démonstrations collectives.</p>
<h2>Interdictions en pagaille</h2>
<p>Depuis cette loi s’est développée une <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/foot/ligue-1/football-c-est-devenu-la-mode-de-prendre-des-arretes-d-interdiction-de-deplacement-des-supporteurs_2616956.html">judiciarisation du supporterisme</a>, y compris pour de petits méfaits.</p>
<p>Des lois prévoient ainsi, en cas d’infraction, des <a href="https://journals.openedition.org/sejed/7423">interdictions judiciaires de stade</a> (1993), puis des <a href="http://latta.blog.lemonde.fr/2014/01/07/linterdiction-administrative-de-stade-une-exception-devenue-automatique/">interdictions administratives de stade</a> (sans possibilité de débat contradictoire) (2006), la <a href="http://www.leparisien.fr/faits-divers/les-deputes-s-attaquent-aux-groupes-de-hooligans-11-04-2006-2006895524.php">dissolution des groupes de supporters</a> (2006) et l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071318&idArticle=LEGIARTI000023715836&dateTexte=29990101&categorieLien=cid">interdiction des déplacements des groupes de supporters</a> (2011) que certains <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Saint-etienne-soutient-ses-supporters-qui-bravent-l-interdiction-de-deplacement-a-monaco/900647">n’hésitent pas à braver</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"995373463828299776"}"></div></p>
<p>Toutes ces mesures de contrôle, appuyées par un usage accru de la vidéo-surveillance et visant à réprimer la violence, ont aussi entraîné le déclin du supporterisme festif et carnavalesque.</p>
<p>En Italie, une série de lois et décrets entre 1989 et 2007 ont entravé, voire rendu impossible, la pratique du supporterisme. Comme le <a href="http://www.furialiga.fr/wp-content/uploads/2018/03/Carte-Livre-Ultras.pdf">montre le chercheur Sébastien Louis à propos des ultras italiens</a>, la loi de 2007 stipule ainsi que le matériel brandi par les <em>tifosi</em> doit être soumis à une autorisation préalable.</p>
<p>On ne peut ainsi pas introduire de banderoles qui n’aient fait l’objet d’une déclaration et d’un contrôle préalables ; celles-ci doivent être ignifuges.</p>
<p>Alors que, dans les années 1980-1990, les virages étaient recouverts de banderoles aux inscriptions emphatiques (pour son équipe) ou sarcastiques (pour l’adversaire), seuls sont exhibés aujourd’hui de petits étendards, dûment référencés, ou que les supporters ont pu dissimuler.</p>
<p>Les slogans discréditant les adversaires peuvent faire l’objet de sanctions pénales.</p>
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<figcaption><span class="caption">Compilation de chants de supporters, si ces derniers peuvent être humoristiques, certains sont aussi injurieux.</span></figcaption>
</figure>
<p>Si cette mesure est nécessaire lorsqu’il s’agit d’insultes racistes, elle semble moins compréhensible s’il s’agit de stéréotypes utilisés pour brocarder l’adversaire : le stade n’est-il pas un lieu de <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/histoire-des-emotions-vol-3-collectif/9782021177374">débridement carnavalesque</a> des comportements, un des rares espaces où l’on peut encore dire des gros mots ?</p>
<p>Aux virulentes imprécations contre l’équipe et les supporters adverses se sont substituées des scènes de violence à l’extérieur du stade, au rituel le passage à l’acte.</p>
<h2>Le plein d’émotions</h2>
<p>Entre la <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2011-3-page-346.htm">disneylandisation</a> du spectacle sportif et le hooliganisme, il y a une voie à trouver, d’autant plus que le public chamarré, bariolé aux couleurs du club, dans cette enceinte particulière où l’on voit tout étant vu, ce public fait partie du spectacle. Rien n’est plus désolant qu’un match joué à huis clos dans un stade suspendu.</p>
<p>Le spectacle du match de football a donc perdu, au fil des trente-quarante dernières années, en densité de significations.</p>
<p>Demeure le plaisir esthétique et l’admiration devant des gestes techniques hors du commun ; demeure l’intensité du drame que rehausse la partisanerie ; demeure une occasion exceptionnelle de faire le plein d’émotions.</p>
<p>Demeure aussi une <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/095715589500601803">vision ludique et caricaturale du monde contemporain</a> où se conjuguent sur le chemin de la réussite le mérite individuel des vedettes, le travail d’équipe, la solidarité, la planification collective mais aussi le rôle, pour parvenir au succès, de la chance, de la tricherie, d’une justice – celle de l’arbitre – <a href="https://journals.openedition.org/terrain/2837">plus ou moins discutable</a>. Le match continue de symboliser ainsi les ressorts contradictoires du succès dans le monde contemporain.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été présenté lors du colloque organisé conjointement par PSE et le CNAM les 17 et 18 mai <a href="https://footsciences.sciencesconf.org/">intitulé Football et Sciences</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97589/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bromberger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Changement d’ambiance dans les stades de foot : les tribunes se rangent peu à peu.Christian Bromberger, Anthropologue, professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/978402018-06-11T21:37:16Z2018-06-11T21:37:16ZCaméras au travail : une question de confiance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/222620/original/file-20180611-191981-1uew2hz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C5751%2C3811&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans la rue, l'installation de caméras de surveillance est source de méfiance.</span> <span class="attribution"><span class="source">Matthew Henry / Unsplash</span></span></figcaption></figure><p>L’installation de caméras sur la voie publique a entraîné de nombreux débats éthiques et philosophiques à propos de la protection des libertés individuelles. Souvent perçue comme liberticide, cette technologie a rencontré l’hostilité de nombreuses associations, dont la Ligue des droits de l’homme. Les opposants à ces systèmes de surveillance évoquent souvent leur esprit orwellien, dénonçant l’intrusion dans la vie privée. Dans l’entreprise, ces arguments, qui vont <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2017-4-p-79.htm">à l’encontre de l’acceptabilité de la vidéo-protection, sont des freins</a>.</p>
<h2>Une installation très encadrée</h2>
<p>Fort heureusement, la vidéo-protection est très strictement encadrée lors de sa mise en place, que ce soit sur la voie publique ou dans l’espace privé. Si le dispositif est installé dans un lieu public ou ouvert au public ou dans un lieu privé ce sont alors les <a href="https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/_videosurveillance_au_travail.pdf">dispositions différentes qui s’appliquent</a>.</p>
<p>Au sein des entreprises, les salariés sont en première ligne. Mais être citoyen et salarié comporte des différences, et les facteurs d’acceptation peuvent diverger. Il apparaît que l’individu-citoyen n’est pas toujours favorable aux caméras, comme l’ont relevé plusieurs sociologues comme Muriel Ory. Selon elle,</p>
<blockquote>
<p>« La vidéosurveillance est acceptée quand la rue est conçue comme un simple couloir de circulation. Elle est refusée quand on la considère comme un espace de rencontre, un espace de discussion ou un lieu d’expression politique parce que la rue joue un rôle vital dans l’exercice de la liberté d’opinion et d’expression. »</p>
</blockquote>
<p>L’individu-salarié, lié à son employeur par un contrat de travail, semble en revanche davantage s’accommoder des caméras.</p>
<h2>Obligation d’acceptation</h2>
<p>Une étude menée en 2015 a révélé <a href="https://bit.ly/2sKeWri">que les employés acceptent la présence de caméras sur le lieu de travail pour différentes raisons</a> : leur expérience passée, des critères inhérents aux salariés, à l’entreprise ou à l’environnement de cette dernière. Si ces facteurs d’acceptation existent bel et bien, la question d’éventuelles stratégies d’évitement des caméras demeure malgré tout.</p>
<p>Car la mise en place de caméras dans les organisations résulte d’un souci de protéger les personnes et les biens. Dans certains secteurs réglementés, la vidéo-protection est une technologie obligatoire : les agences bancaires notamment, par exemple, n’ont donc d’autre choix que d’installer des caméras. Elles sont en effet soumises au <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000381545">décret 97-46 du 15 janvier 1997</a> relatif aux obligations de surveillance ou de gardiennage incombant à certains propriétaires, exploitants ou affectataires de locaux professionnels ou commerciaux.</p>
<p>Ces entreprises n’ont donc pas mis en œuvre cette technologie de contrôle par choix, mais afin de se conformer à une obligation de sécurité. Les salariés qui les rejoignent consentent de fait, en contractant avec l’employeur, à être filmés : leur acceptation est impérative, liée au secteur d’activité dans lequel ils évoluent. Les salariés qui subissent ainsi la présence des caméras pourraient être tentés d’élaborer des stratégies d’évitement.</p>
<h2>Un risque d’évitement ?</h2>
<p>Le salarié recruté dans le secteur bancaire connaît l’existence des caméras et il les accepte dans l’espace de travail. Il ne peut s’y soustraire. Il peut arriver qu’il ressente malgré tout une certaine inquiétude quant à la présence d’une technologie de contrôle sur son lieu de travail. En permettant une surveillance constante, la présence de caméras peut être notamment être perçue comme une restriction de l’espace de liberté. On peut imaginer qu’un certain nombre de salariés de banques, qui se trouvent dans une situation dite « mandatory » (le système de surveillance est rendu obligatoire par la loi), pourraient être tentés d’éviter les caméras, afin de se protéger contre l’inquiétude d’être filmés dans le but éventuel d’être contrôlés.</p>
<p>Une étude menée fin 2016 au sein d’une banque <a href="https://bit.ly/2MdcrWw">va cependant à l’encontre de cette hypothèse</a>. En effet, ce que la <a href="http://www.springerpub.com/stress-appraisal-and-coping.html">littérature décrit</a> sous le terme de <a href="https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_1992_num_92_4_29539">« coping »</a> est un comportement d’évitement permettant d’échapper à une situation ressentie comme peu confortable. Certains évitent, d’autres anticipent, d’autres s’adaptent. Les salariés pourraient modifier leur comportement au travail pour s’accommoder de l’œil des caméras.</p>
<h2>L’acceptation passe par une utilisation proportionnée</h2>
<p>Dans la banque étudiée, où les caméras ont été déployées pour des raisons de sécurité, afin de protéger les personnes (les salariés et les clients) et les biens (dépôts), dix salariés (cadres et non-cadres) ont été rencontrées. Les objectifs du système sont la protection des collaborateurs et des fonds : il s’agit d’éviter les cambriolages ainsi que la fraude.</p>
<p>Ces travaux montrent que, globalement, les salariés et les managers acceptent le système et peu de questions sont soulevées à ce sujet. La totalité des personnes interrogées accepte la présence des caméras pour plusieurs raisons :</p>
<ul>
<li><p>La nature de l’activité l’impose ;</p></li>
<li><p>les salariés font confiance à leurs managers ;</p></li>
<li><p>Les salariés ont été correctement informés ;</p></li>
<li><p>Il existe un risque perçu (fraude, braquage).</p></li>
</ul>
<blockquote>
<p>« L’acceptation est liée à l’activité, à une utilisation proportionnée au but recherché (protection des biens et des personnes). La caméra n’est donc pas perçue comme un outil de contrôle <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2017-4-p-79.htm">parce qu’elle n’est pas déployée dans ce but</a>. »</p>
</blockquote>
<h2>Des « usages collatéraux »</h2>
<p>L’enquête terrain révèle également des utilisations de l’outil qui n’avaient pas été anticipées : la technologie de contrôle est présentée par certains comme un outil managérial, de travail collaboratif en cas de risque potentiel à affronter.</p>
<p>Les résultats de cette étude ne sont cependant malheureusement pas transposables à la vidéo-protection sur la voie publique où de nombreuses stratégies d’évitement sont mises en œuvre (port de vêtement ample, capuche, angle mort).</p>
<p>Certains salariés interrogés ont d’ailleurs précisé que l’acceptation de la caméra sur le lieu de travail ne signifiait pas qu’ils acceptaient pour autant le contrôle en général (géolocalisation sur leur smartphone, caméras sur la voie publique). L’acceptation du contrôle sur la voie publique relève de la sociologie et de l’acceptabilité sociale (qui détermine ce qui peut socialement être toléré par les individus), tandis que l’acceptation d’une technologie de contrôle au travail <a href="https://www.researchgate.net/publication/247913147_L%E2%80%99adoption_des_technologies_en_situation_professionnelle_quelles_articulations_possibles_entre_acceptabilite_et_acceptation">relève du domaine du management</a>.</p>
<p>Pour conclure, dans un contexte « mandatory », où la présence de caméras est justifiée par la nature de l’activité, les salariés ne modifient pas leur comportement et n’adoptent pas de stratégie d’évitement. Les caméras ne sont pas perçues comme stressantes, ne justifiant donc pas de besoin d’échapper à la caméra. Attention toutefois : les salariés ne sont pas pour autant prêts à tout accepter, et ils blâment toute utilisation déviante de ces technologies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97840/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Alors que l’installation de caméras de surveillance dans l’espace public provoque des réticences, les salariés se montrent moins méfiants quant à la vidéo sur leur lieu de travail. Explications.Caroline Diard, Professeur associé en Management des Ressources Humaines et Droit - Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.