tag:theconversation.com,2011:/us/topics/voile-39744/articlesvoile – The Conversation2022-09-06T21:40:19Ztag:theconversation.com,2011:article/1872022022-09-06T21:40:19Z2022-09-06T21:40:19ZBonnes feuilles : « Religion, fait religieux et management »<p><em>« Religion, fait religieux et management », coordonné par Hugo Gaillard, Géraldine Galindo et Lionel Honoré aux éditions EMS, réunit à la fois des grands entretiens et des contributions académiques, autour de la place et des manières de considérer la religion dans la sphère professionnelle. Il s’adresse au lecteur curieux qui souhaite aiguiser sa réflexion sur un sujet en plein cœur de la société, <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-un-phenomene-devenu-objet-de-management-105896">devenu objet de management</a>.</em></p>
<p><em>L’ouvrage fait une bonne place à la contextualisation, notamment au lien historique entre entreprise et religion ou encore entre travail et religion. Il aborde également des questions opérationnelles telles que les stratégies de présentation de soi des femmes musulmanes voilées, les tensions de rôle qui vivent les managers de proximité, et comment les organisations peuvent y répondre par la formation. La comparaison internationale est également au menu, dans les hôpitaux publics du Royaume-Uni, du Québec, et de France.</em></p>
<p><em>Les bonnes feuilles que nous vous en proposons en témoignent.</em></p>
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<h2>Extrait #1. Une inculture religieuse française ? Grand entretien avec Pierre-Yves Gomez, par Lionel Honoré</h2>
<p><em>Dans ce grand entretien, Lionel Honoré interroge <a href="https://theconversation.com/profiles/pierre-yves-gomez-203521">Pierre-Yves Gomez</a>, professeur à l’EM Lyon, sur ce que dit le fait religieux de l’évolution du management, de l’entreprise et du travail. Extrait.</em></p>
<p><strong>Lionel Honoré :</strong> Selon vous, les <a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/religion-au-travail-croire-au-dialogue-barometre-du-fait-religieux-en-entreprise-2020-2021">études sur les faits religieux en entreprise</a> font écho à notre façon particulière de concevoir la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/religion-20867">religion</a> dans la société et notamment de faire place à la religion musulmane ?</p>
<p><strong>Pierre-Yves Gomez :</strong> Je veux dire plus largement que ce que l’on dit sur le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fait-religieux-31975">fait religieux</a> nous éclaire autant sur lui que sur la manière dont la société considère le fait religieux. Quand elle n’en parle pas ou elle ne l’observe pas, c’est que l’appartenance religieuse des individus n’est pas une question, soit parce qu’elle imprègne toute la société, soit parce qu’elle est admise sans problème comme une référence parmi d’autres pour motiver les comportements. </p>
<p>L’intérêt nouveau pour le fait religieux révèle par contraste les embarras ou les inquiétudes de notre société pour se définir en tant que telle, selon sa capacité à reconnaître et à intégrer l’appartenance religieuse comme un registre possible et légitime pour justifier l’agir de citoyens réunis en communautés de croyances. En France en particulier, à partir des années 2000, la crispation croissante sur le phénomène religieux, et notamment sur l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/islam-21325">islam</a>, met au jour une difficulté parallèle à définir le périmètre et le contenu de la société civile dite « républicaine » et de donner du sens à ces mots.</p>
<p><strong>Lionel Honoré :</strong> Les relations entre les religions et les organisations sont anciennes. Certains outils et doctrines actuels de gestion sont d’inspirations religieuses ou ont des origines religieuses. En quoi est-ce un phénomène nouveau au regard de l’Histoire, y compris de l’histoire des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a> ?</p>
<p><strong>Pierre-Yves Gomez :</strong> Nées en Occident, les entreprises ne sont pas issues de rien, elles ont hérité d’une culture, de représentations et d’une anthropologie enracinée en Europe et en Amérique dans le milieu chrétien. De même, les entreprises japonaises bénéficient de traditions et de valeurs du contexte shintoïste et les entreprises indiennes de l’hindouisme, etc. Donc la relation entre les entreprises et les religions n’est pas problématique par nature, car il serait absurde d’imaginer une étanchéité entre les sphères de la vie sociale que ce soient celles du travail, des rituels communs et des croyances religieuses. Plus encore, les religions ont explicitement influencé de nombreuses pratiques entrepreneuriales.</p>
<p>C’est le cas en Occident, des Églises ou des cercles de <a href="https://theconversation.com/le-role-meconnu-des-patrons-chretiens-en-france-94708">dirigeants chrétiens</a> qui sont à l’origine des allocations familiales au début du XX<sup>e</sup> siècle, de la responsabilité sociale des entreprises dans les années 1950 et, si on remonte plus loin dans le temps, du principe de subsidiarité, de la comptabilité en partie double ou de la notion de personne morale. On trouvera sans doute de même en Inde, au Moyen-Orient ou ailleurs, des œuvres directement inspirées par des acteurs et des corpus religieux. C’est pourquoi la crispation contemporaine sur le religieux de la part de certains observateurs nous parle moins du phénomène religieux en soi que des difficultés de le saisir aujourd’hui, dans notre société sans culture religieuse ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WzylEjO8jl8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Religion, fait religieux et management », interview d’Hugo Gaillard pour IQSOG/Xerfi canal (juillet 2022).</span></figcaption>
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<p><em>Dans la suite de l’entretien, sont abordés la hausse des références à des principes religieux dans le contexte du travail, le besoin de spiritualité et les différentes formes de spiritualité qui irriguent le travail ou encore le caractère conventionnel de la laïcité…</em></p>
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<h2>Extrait #2. La (non-)divulgation du voile en entretien d’embauche, par Sarra Chenigle</h2>
<p><em>Dans ce texte, <a href="https://theconversation.com/profiles/sarra-chenigle-1163671">Sarra Chenigle</a>, doctorante en science de gestion, Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (UPEC), met en avant les facteurs organisationnels et intrapersonnels qui poussent à divulguer ou non, de façon subie ou choisie, le port du foulard lors d’un entretien d’embauche. Extrait.</em></p>
<p>Le contact client est le premier facteur organisationnel poussant à une non-divulgation imposée durant l’entretien d’embauche. Bien que dans le secteur privé, la neutralité religieuse des salariés ne soit pas exigée et que tout salarié dispose du droit d’exprimer sa religion au travail, dans certains cas précis, cette liberté est limitée notamment lorsque le règlement intérieur de l’entreprise dispose d’une clause de neutralité, ici, en raison du contact client. La hijabi, consciente de cette exigence de neutralité va appliquer la réglementation.</p>
<blockquote>
<p>« Lorsque j’ai été recrutée, je savais que c’était un emploi en contact avec les clients. J’avais un poste de responsable d’équipe. Je travaillais en face de la clientèle donc c’était impossible pour moi de mettre le hijab. C’était écrit dans le règlement intérieur de l’entreprise. Je n’ai pas voulu parler du hijab à l’entretien d’embauche pour avoir le poste. » (responsable d’équipe, 22 ans)</p>
</blockquote>
<p>Le <em>dress code</em> est le deuxième facteur. Il correspond à l’ensemble des codes vestimentaires imposés par l’entreprise à certains ou tous les salariés et est inscrit dans le règlement intérieur. Les <em>hijabis</em> qui connaissent cette règle ne se présenteront pas avec le <em>hijab</em> le jour de l’entretien :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne me suis pas présentée avec mon voile en entretien et je n’en ai pas parlé car c’est dans le dress code de l’entreprise. C’était impossible de travailler avec, je le savais. L’entreprise fournissait des vêtements spécifiques, c’était aussi dans le règlement intérieur. » (vendeuse dans le secteur du luxe, 25 ans)</p>
</blockquote>
<p>Le troisième facteur organisationnel dépend du secteur d’activité. Plus précisément, il concerne le secteur public où la neutralité est obligatoire et la dissimulation (du voile) exigée. Postuler dans la fonction publique exige d’emblée une suppression de tout signe religieux visible.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/stigmatisation-les-femmes-voilees-en-entreprise-contraintes-de-reorienter-leurs-carrieres-147504">Stigmatisation : les femmes voilées en entreprise contraintes de réorienter leurs carrières</a>
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<p>Tous comme les deux précédents facteurs, la posture organisationnelle dans ce type de situation fait référence à une posture de séparation où une frontière est créée entre la vie privée et la vie professionnelle. Conscientes de cette règle, les <em>hijabis</em> l’appliquent :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai retiré mon voile lors de l’entretien d’embauche car c’était dans la fonction publique. Je me suis dit ‘si je viens avec le voile, ils ne vont pas accepter ma candidature, je sais qu’on à pas le droit de travailler avec. » (agent de cantine scolaire, 44 ans)</p>
</blockquote>
<h2>Extrait #3. La formation des managers pour réduire les tensions de rôle, par Jean-Christophe Volia</h2>
<p><em>Dans son texte, <a href="https://recherche.uco.fr/chercheur/jean-christophe-volia">Jean-Christophe Volia</a>, chercheur à l’Université catholique de l’Ouest, étudie le cas d’une grande organisation française de télécommunication dans laquelle il a conduit une recherche-intervention, et s’attarde sur le design d’une formation pour réduire les conflits de rôle des managers face au fait religieux. Extrait.</em></p>
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<p>S’agissant des conflits inter-émetteurs, c’est-à-dire lorsqu’une personne perçoit des incohérences, de l’incompatibilité entre les attentes formulées par deux ou plusieurs personnes, plusieurs points sont envisagés.</p>
<p>Le partage d’expérience : l’immersion doit faire émerger des anecdotes d’une grande complexité pour les managers. Il s’agit de susciter un partage d’expérience entre managers sur le dialogue avec l’équipe dans les situations évoquées (les arguments possibles, le dépaysement). En ce sens, insister sur la nécessité de prendre une décision collective avec le responsable des ressources humaines (RRH) de proximité paraît opportun pour constituer un émetteur de rôle perçu comme fort à l’égard des salariés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-la-main-invisible-du-manager-intermediaire-148749">Fait religieux en entreprise : « la main invisible » du manager intermédiaire</a>
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<p>L’information disruptive : qu’il s’agisse d’une clarification autour du concept de laïcité et de ses implications sur le port de signes en entreprise, d’un rappel des critères potentiels de restriction du défenseur des droits et risques judiciaires encourus en cas de discrimination, ou encore d’une réaffirmation de la posture d’entreprise en matière de recrutement […], ces éléments sont envisagés afin de fournir au manager un panorama complet des repères légaux existants, susceptibles d’aiguiller ses prises de décision. Les informations fournies vont fréquemment à l’encontre des croyances et désidératas des managers.</p>
<h2>Extrait #4. Une comparaison des personnels d’hôpitaux publics entre Québec, Royaume-Uni et France, par Caroline Cintas, Sophie Brière, YingFei Gao Héliot et Florence Pasche Guignard</h2>
<p><em>Dans ce chapitre, la comparaison internationale réalisée par une équipe de chercheurs met au jour des pratiques originales et locales, qui donnent du relief à la question de l’expression religieuse au travail. Ici, nous proposons un extrait qui évoque les pratiques d’autorégulation des collectifs dans un hôpital du Royaume-Uni.</em></p>
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<p>Les employés de l’hôpital, pour atteindre des états compatibles d’identités religieuses et professionnelles, s’arrangent entre eux. Ils préfèrent ne pas faire appel à la hiérarchie locale ni au département des ressources humaines. Au lieu de cela, ils s’autorégulent. Par exemple, en fonction des confessions, ils s’échangent les congés annuels :</p>
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<p>« Je pense avoir vu quelques exemples d’échange de congés annuels, pendant la période de Noël. Des personnes d’origine particulière qui disent qu’elles ne peuvent pas travailler la veille ou le jour de Noël, mais qu’en échange, elles peuvent me remplacer un autre jour… J’ai pas mal d’exemples en tête où des personnes se sont rapprochées pour cette raison… » (manager, musulman)</p>
</blockquote>
<p>Afin de résoudre les problèmes de planning qui pourraient être liés aux fêtes religieuses, les soignants s’ajustent de manière informelle en s’échangeant les jours travaillés selon leur confession. Certains médecins musulmans n’hésitent pas à faire part de leurs besoins de prières en étant ouverts et proactifs :</p>
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<p>« Je suis devenu plus ouvert avec les gens. Par exemple, si je vais à une conférence, je suis beaucoup plus explicite maintenant sur le fait que je veux un espace tranquille. Parce que j’ai l’impression que je dois donner aux gens l’opportunité de planifier cela, de voir le meilleur de ces gens[…], je pense que nous devons rompre le silence et l’isolement. » (médecin, musulman)</p>
</blockquote>
<p>Les pratiques d’autorégulation des collectifs s’accompagnent aussi pour certains employés d’une anticipation des risques à révéler son identité religieuse. Cela peut se traduire par une baisse d’engagement, de motivation, mais aussi une peur d’être stigmatisé et de ne pas être perçu comme un “bon professionnel” ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-ems.fr/livres-2/collections/questions-de-societe/ouvrage/695-religion,-fait-religieux-et-management.html">Éditions EMS (septembre 2022)</a></span>
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<p><em>En réunissant une large communauté d’experts, cet ouvrage est une étape de plus vers une régulation apaisée et contextualisée de ce phénomène contemporain. Il permet à toute personne curieuse d’entrer progressivement dans le sujet, et permet aux praticiens d’acquérir les repères pratiques et théoriques fondamentaux pour gérer ce phénomène. Bonne lecture !</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187202/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre du Bureau et du CA de l'AGRH, du Pôle recherche de l'Observatoire ASAP, et de la Faculty du Business Science Institute. L'ouvrage évoqué dans cet article accueille des contributions de plusieurs enseignants-chercheurs de l'Association francophone de Gestion des Ressources Humaines (AGRH), soutien de sa publication.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Géraldine Galindo est membre de l'AGRH. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lionel Honoré est rédacteur du rapport de l'Institut Montaigne sur la religion au travail et est membre de l'AGRH.</span></em></p>Un livre collectif publié le 8 septembre aux éditions EMS dresse un état des lieux de la recherche sur la place et les manières de considérer la religion dans la sphère professionnelle.Hugo Gaillard, Maître de conférences en Sciences de gestion, Le Mans UniversitéGéraldine Galindo, Professeur, ESCP Business SchoolLionel Honoré, Professeur des Universités, IAE de Brest, Université de Bretagne Occidentale, IAE BrestLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786732022-03-10T20:22:37Z2022-03-10T20:22:37ZLa « mode modeste », entre mode et religion, des liens paradoxaux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450994/original/file-20220309-22-f8zvlw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C9%2C414%2C367&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Zurbaran, Saint François dans sa tombe, vers 1635.</span> </figcaption></figure><iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/622871d6692eae001351373b" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La mode modeste, ou mode pudique, est le symbole d’une morale vestimentaire qui prône la décence et la sobriété.</p>
<p>Ses incidences sont multiples : elle permet de sortir des diktats marchands et de se démarquer, d’afficher son appartenance à un groupe ou enfin de réorienter une industrie textile qu’on sait ultra polluante. La mode modeste charrie donc des enjeux économiques, esthétiques et éthiques.</p>
<p>Dans ce dernier épisode, nous continuons à tirer le fil de la mode modeste : Nathalie Roelens dévoile les liens paradoxaux entre mode et religion, entre ostentation et discrétion, entre une industrie devenue obscène et une aspiration à la sobriété.</p>
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<p><em>Crédits, conception, Sonia Zannad. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178673/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Roelens ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans cet épisode, Nathalie Roelens dévoile les liens paradoxaux entre mode et religionNathalie Roelens, Professeur de théorie littéraire, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1777672022-02-24T18:53:19Z2022-02-24T18:53:19ZLa « mode modeste », qu’est-ce que c’est ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/452862/original/file-20220317-17-hout8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=431%2C51%2C4207%2C3192&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un défilé de mode modeste. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.piqsels.com/en/public-domain-photo-oquwh/download">Piqsels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/62162e3b4075990012f85f7f" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p>La mode modeste, ou mode pudique, est le symbole d’une morale vestimentaire qui prône la décence et la sobriété.</p>
<p>Ses incidences sont multiples : elle permet de sortir des diktats marchands et de se démarquer, d’afficher son appartenance à un groupe ou enfin de réorienter une industrie textile qu’on sait ultra polluante. La mode modeste charrie donc des enjeux économiques, esthétiques et éthiques.</p>
<p>Dans ce premier épisode, pour nous aider à dessiner les contours de la mode modeste, nous recevons Alberto Fabio Ambrosio, professeur de théologie et d’histoire des religions à la Luxembourg School of Religion and Society et co-directeur de recherches au Collège des Bernardins. Il y a co-organisé, en décembre dernier, un colloque intitulé « Revêtir l’invisible, la religion habillée ». Il est aussi l’auteur de <em>Théologie de la mode</em>, sorti aux éditions Hermann.</p>
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<p><em>Crédits, conception, Sonia Zannad. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alberto Ambrosio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « mode modeste » rencontre un succès grandissant. Mais où puise-t-elle ses origines, et de quoi est-elle le symbole ?Alberto Ambrosio, Professeur de théologie et histoire des religions à la Luxembourg School of Religion & Society (LSRS), co-directeur de recherche, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701602022-02-23T18:35:01Z2022-02-23T18:35:01ZPourquoi le voilement du corps des femmes est au cœur du projet des islamistes<p>Au Maghreb, durant l’année 2021, des cérémonies incitant les adolescentes et les étudiantes à se voiler ont été organisées. En <a href="https://www.businessnews.com.tn/D%C3%A9sormais,-en-Tunisie,-le-port-du-voile-%C3%A7a-se-f%C3%AAte-!537,109467,3">Tunisie</a> et en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bEYIV9DwHiE">Algérie</a> des jeunes filles fraîchement voilées ont été récompensées dans une ambiance festive.</p>
<p>Une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/11/03/une-campagne-du-conseil-de-l-europe-celebrant-la-diversite-et-la-liberte-dans-le-hijab-retiree_6100773_823448.html">campagne pro-hijâb</a> a également été récemment mise en place au sein du Conseil de l’Europe par les <a href="https://dial.uclouvain.be/downloader/downloader.php?pid=boreal%3A91446&datastream=PDF_01">organisations fréristes</a> (<a href="https://www.lepoint.fr/debats/tribune-la-propagande-pro-hidjab-du-conseil-de-l-europe-est-inacceptable-03-11-2021-2450445_2.php">Frères musulmans</a>) européennes.</p>
<p>Autant d’évènements qui semblent témoigner d’une recrudescence de l’activisme islamiste qui fait du voile son fer de lance. Le voilement des femmes est en effet au fondement de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/egypte/egypte-quand-nasser-se-moquait-du-voile-c-etait-il-y-a-plus-de-50-ans_3066035.html">l’idéologie islamiste</a> qui se développe après la naissance, en 1928 en Egypte, de l’association des Frères musulmans fondée sur la revendication de la création d’un <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Le-Prophete-et-Pharaon">État islamique</a> basé sur la « loi islamique » (<em>charî’a</em>).</p>
<p>Pour ne pas tomber dans le travers de la rhétorique islamiste, assimilant toute critique du voile à de l’islamophobie, il nous paraît utile d’adopter une <a href="https://lemonde-arabe.fr/15/10/2018/leila-tauil-feminisme-arabe-maroc-tunisie/">approche historique</a> du phénomène du voile, en contextes musulmans et ailleurs, en vue d’en comprendre sa complexité.</p>
<h2>Les premières féministes arabes anticoloniales et anti-voile</h2>
<p>Les premières associations féministes arabes et maghrébines, qui apparaissent durant les années 1920-1930 dans un contexte de colonisation, s’engagent en faveur de l’accès à l’éducation et aux fonctions sociales et politiques des femmes tout en s’investissant systématiquement dans le combat anticolonial.</p>
<p>Elles s’opposent également avec force au voilement de la gent féminine – <a href="https://www.letemps.ch/culture/leyla-belkaid-une-femme-voiles">voile social</a> dénué de connotation religieuse sous la forme d’un drapé, à l’image du haïk et du safsari au Maghreb, porté indistinctement par les femmes musulmanes, chrétiennes et juives en contextes islamiques – car elles comprennent l’enjeu de la place du corps des femmes dans l’espace public.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1045&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1045&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1045&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Leyla Belkaïd, Voiles, Ed. Vestipolis, 2009.</span>
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<p>Elles décident de s’inscrire dans un rapport d’égalité avec les hommes qui ne font pas l’objet de la même contrainte vestimentaire. A l’image du dévoilement spectaculaire de la féministe égyptienne <a href="https://www.persee.fr/doc/mcm_1146-1225_1998_num_16_1_1184">Huda Sharawi</a> en 1923, suivi par une vague de dévoilement, ces pionnières transgressent les normes patriarcales en s’engageant publiquement débarrassées de leurs voiles comme la tunisienne Bchira Ben Mrad et la marocaine Malika Al Fassi qui créent les premiers <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-feminismes_arabes_un_si%C3%A8cle_de_combat_les_cas_du_maroc_et_de_la_tunisie_leila_tauil-9782343146430-59538.html">mouvements de femmes</a> durant les années 1930.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Leyla Belkaïd, Voiles, Ed. Vestipolis, 2009.</span>
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<p>Face au phénomène de dévoilement apparaît dès la fin des années 1920, dans les milieux de l’islam conservateur et de l’islam politique naissant, un nouveau type de discours sur le voile, le hijâb, fondé sur un argumentaire religieux. Ce dernier n’a toutefois qu’un impact restreint au sein de la population et est surtout arboré par les premières femmes islamistes telles que l’égyptienne <a href="https://experts.illinois.edu/en/publications/an-islamic-activist-zaynab-al-ghazali">Zaynab al-Ghazali</a> qui crée, en 1936, l’Association des Femmes musulmanes, aile féminine de la confrérie des Frères musulmans.</p>
<p>En réaction à cette volonté conservatrice de contrôler religieusement le corps des femmes, des féministes se positionnent courageusement. Parmi elles, la libanaise druze Nazîra Zayn al-Dîn qui fait preuve d’une audace intellectuelle subversive, dans la lignée des théologiens réformistes, en publiant en 1928 un ouvrage, <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2010-2-page-123.htm">Voile et dévoilement (al-Sufûr wa-l-hijâb)</a> qui déconstruit théologiquement le postulat du voile obligatoire et provoque durant une vingtaine d’années des débats sociétaux féconds entre féministes et autorités religieuses.</p>
<p>Au moment des indépendances, l’abandon progressif et généralisé du voile social traditionnel se banalise dans les sociétés travaillées par le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/histoire-des-peuples-arabes-albert-hourani/9782020200011">panarabisme de gauche</a> – projet politique prônant l’unité du monde arabe incarné par le président égyptien Gamal Abdel Nasser – où de nombreuses femmes jusque dans les années 1980 occupent l’espace public, la tête nue, comme en témoignent de nombreuses archives.</p>
<h2>La visibilité politique des courants islamistes</h2>
<p>C’est à partir des années 1980 que le succès de l’islamisme (islam politique) et de la <a href="http://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=003007812">réislamisation</a> (islamisation des mœurs), après l’échec du panarabisme fondé sur une modernisation mais sans démocratisation, s’accompagnent d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2006-4-page-89.htm">voilement massif des femmes</a>. Dès lors, le port du nouveau voile (hijâb) garantit « la visibilité politique des courants islamistes ».</p>
<p>En une vingtaine d’années, les acteurs islamistes et de la réislamisation ambitionnent de <a href="https://www.histoire-immigration.fr/opac/38079/show">contrôler le corps</a> – assimilé à une nudité à cacher – d’une grande partie de la gent féminine en diffusant à grande échelle et de manière récurrente le postulat du voile obligatoire en associant « la femme voilée » à « la bonne musulmane », via les associations, les mosquées, les chaînes satellites et les réseaux sociaux.</p>
<p>A l’image de <a href="https://www.worldcat.org/title/global-mufti-the-phenomenon-of-yusuf-al-qaradawi/oclc/611131071">Youssef Al-Qaradawi</a>, ténor de la confrérie des Frères musulmans ayant contribué à la réislamisation frériste de la « masse orthodoxe » en animant une émission religieuse sur la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/08/30/al-qaradawi-l-islam-a-l-ecran_377155_1819218.html">chaîne Al-Jazira</a> suivie par plusieurs millions d’arabophones, qui participe explicitement au voilement massif des femmes musulmanes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Dans cette vidéo, cheikh Qaradawi explique le caractère « obligatoire » du hijab.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les femmes non-voilées, à partir des années 1980 font l’objet d’une <a href="https://journals.openedition.org/ema/1473">disqualification</a> islamiste banalisée et répandue, au sein des sociétés musulmanes et ailleurs, qui les assimile à des mutabarijât – concept coranique désignant les femmes païennes préislamiques aux « mœurs légères » – entraînant un voilement tant des militantes réislamisées que des femmes « ordinaires ».</p>
<p>Nos <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=65477">recherches de terrain</a>, entre 2006 et 2011, portant sur les discours des acteurs fréristes et salafistes influents d’Europe et du monde arabe, montrent que le phénomène du voilement massif des jeunes filles et des femmes est directement lié à <a href="https://www.academia.edu/43926061/Entretien_avec_Le%C3%AFla_Tauil_sur_lactualit%C3%A9_de_son_ouvrage_Les_femmes_dans_les_discours_fr%C3%A9ristes_salafistes_et_f%C3%A9ministes_islamiques_Une_analyse_des_rapports_de_force_genr%C3%A9s">l’activisme des tenants de l’islamisme et de la réislamisation</a> en contextes musulmans et ailleurs.</p>
<p>En effet, le <a href="https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/comptes-rendus-ouvrages/femmes-au-miroir-lorthodoxie-islamique">voilement du corps de la gent féminine</a> s’inscrit dans le projet de société islamiste – ayant pour modèle de société la période médinoise mythifiée du VII<sup>e</sup> siècle – fondé sur une morale sexuelle patriarcale, une assignation des femmes à l’espace privé – en qualité d’épouses et de mères – avec un accès à l’espace public conditionné par le port du voile et la revendication du primat de la « loi islamique » (la charî’a) qui légalise et sacralise l’infériorité de la gent féminine.</p>
<p>A l’image de <a href="https://www.cairn.info/islam-politique-sexe-et-genre--9782130587927.htm">Khomeyni</a> qui contraint les femmes à porter le tchador dès son investiture en 1979, les talibans qui accèdent au pouvoir en Afghanistan en août 2021, imposent le voile et remplacent le ministère des affaires féminines par le ministère de la promotion de la vertu et de la prévention du vice.</p>
<p>En <a href="https://www.karthala.com/2028-les-freres-musulmans-des-origines-a-nos-jours-9782811101688.html">Egypte</a>, terre mère de l’islamisme, la réislamisation par le bas – activisme islamiste visant à islamiser les mœurs via notamment les associations et les universités –, aboutit à un <a href="https://www.lemonde.fr/m-moyen-format/article/2015/06/17/l-egypte-tout-voile-dehors_4655971_4497271.html">voilement généralisé</a> – environ 90 % de femmes sont désormais voilées.</p>
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<figcaption><span class="caption">Manifestation des femmes égyptiennes, 2011.</span></figcaption>
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<p>L’argument d’autorité religieuse relatif au voile obligatoire, mobilisé par tous les acteurs islamistes et de la réislamisation, se fonde sur deux versets coraniques – évoquant la tenue vestimentaire des femmes – qui ne stipulent pourtant nullement la tête à couvrir. De plus, dans l’exégèse coranique médiévale, le voile constitue un signe de distinction sociale entre femmes libres, sommées de le porter, et femmes esclaves, contraintes de l’enlever comme l’attestent les sources scripturaires citées ci-dessous.</p>
<h2>Le voile : signe de distinction sociale entre femmes libres et femmes esclaves</h2>
<p>Le corpus coranique contient 6236 versets dont seuls deux font allusion au vêtement féminin et ne mentionnent aucunement la tête à couvrir, à savoir :</p>
<blockquote>
<p>« Prophète, dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyants de revêtir leurs mantes (jalabîbihinna), sûr moyen d’être reconnues et d’échapper à toute offense. Dieu est toute indulgence, Miséricordieux. » (33 : 59)</p>
<p>« Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qu’il en paraît et qu’elles rabattent leur voile (khumurihinna) sur leurs poitrines. » (24 : 31)</p>
</blockquote>
<p>A propos du verset 59 de la sourate 33, l’ensemble des exégètes médiévaux, à l’image du célèbre commentateur At-Tabarî (m. 923), lui confèrent exclusivement une fonction de distinction sociale entre les femmes libres, priées de se revêtir d’une mante, et les femmes esclaves, sommées de s’en défaire en pouvant faire hélas l’objet d’agressions sexuelles.</p>
<blockquote>
<p>« [P]orter la mante montre aux hommes qu’elles ne sont pas des esclaves, ce qui leur éviterait d’être blessées par un dire ou un exposé à une convoitise malsaine. » <a href="https://books.google.ch/books?id=Y09iDwAAQBAJ">(At-Tabarî, m. 923) Ibn Jarir Al Tabary (224-310 H./839-923 J.C.)</a></p>
</blockquote>
<p>Aussi, les femmes voilées dans leur grande majorité, convaincues de se soumettre à une injonction religieuse coranique, ignorent – comme d’ailleurs les <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/question-voile-divise-t-feministes-76486-08-04-2016/">féministes post-coloniales</a> qui défendent le droit pour les femmes de porter le voile – la fonction discriminante initiale du voile des femmes libres à l’égard des femmes esclaves présente pourtant dans les sources scripturaires médiévales. En effet, ces dernières comprennent des récits décrivant la violence exercée sur les femmes esclaves, qui osent arborer le voile des femmes libres, par le deuxième calife de l’islam et compagnon du prophète Umar Ibn Khattâb (m. 644).</p>
<blockquote>
<p>« <a href="https://www.lalibrairie.com/livres/encyclopedie-de-la-femme-en-islam-la-tenue-vestimentaire-et-la-parure-de-la-femme-musulmane-vol--4_0-48371_9782909469263.html">Ibn Taymiyya</a> (m. 1328) a dit : ‘‘ Le voile est spécifique aux femmes libres à l’exclusion des esclaves. La pratique des croyants du temps du Prophète et des Califes était ainsi que les femmes libres se voilent tandis que les esclaves restaient découvertes. Lorsque ‘Omar ibn al-Khattâb (que Dieu soit satisfait de lui) voyait une esclave portant le voile, il la frappait en lui disant : ‘‘Sotte, tu t’habilles comme les femmes libres !’’ »</p>
</blockquote>
<p>Par ailleurs, la posture des acteurs de l’islam idéologique, qui assimilent le voile à un acte de foi, est également démentie par les sources religieuses car l’imam Mâlik (m. 796), fondateur d’une des quatre écoles juridiques sunnites, autorise la femme musulmane esclave à prier sans voile.</p>
<blockquote>
<p>« L’imam Malik a dit à propos de la servante qui prie sans voile : ‘‘ Telle est sa tenue habituelle’’. »</p>
</blockquote>
<p>La fonction de distinction sociale du voile entre femmes libres et femmes esclaves, explicitement décrite dans les <a href="https://pdfprof.com/PDF_Doc_Telecharger_Gratuits.php?q=les+causes+et+les+circonstances+de+la+r%C3%A9v%C3%A9lation+des+versets+coraniques/-26PDF30542-">sources scripturaires</a>,est complètement passée sous silence par les acteurs islamistes et de la réislamisation au profit du voile religieusement obligatoire car ils savent pertinemment que, dans la logique chariatique, l’absence d’éléments d’application (ici l’abolition de l’esclavage) entraîne la disparition d’une pratique.</p>
<h2>Fer de lance</h2>
<p>Les acteurs islamistes et de la réislamisation, dans leur projet de société, font du voile leur fer de lance pour, d’une part, contrôler le corps de la gent féminine et, d’autre part, rendre visible l’islamité sur l’espace public dont seules les femmes sont sommées de manifester.</p>
<p>Au-delà du fait que nous respectons la liberté individuelle des femmes voilées, souvent animées par des convictions religieuses sincères, il nous semble important de mettre en lumière le patriarcat sacralisé de l’ensemble des gestionnaires contemporains de l’islam orthodoxe et idéologique. En effet, ces derniers – en dehors des jihâdistes – entretiennent un rapport à géométrie variable avec le corpus coranique acceptant, par exemple, d’historiciser les nombreux versets explicites sur l’esclavage (cf. notamment verset 71 de la sourate 16), le combat armé, le jihâd, (cf. notamment verset 5 et 29 de la sourate 9) mais refusent catégoriquement de discuter du statut du voile, dont les versets sont pourtant plus que discutables, tout en sacralisant et absolutisant les versets relatifs à l’autorité maritale (verset 34 de la sourate 4), à la polygamie (verset 3 de la sourate 4), à l’inégalité successorale (verset 11 de la sourate 4) en vue de maintenir les privilèges masculins.</p>
<p>Enfin, dans les sociétés à majorité musulmane, traversées par l’islamisme et la réislamisation, il existe des féministes qui se positionnent explicitement et publiquement sur cette contrainte vestimentaire touchant exclusivement la gent féminine, à l’image de l’Association tunisienne des femmes démocrates qui déclare : « s’opposer au voile n’est pas rejeter les femmes qui le portent, mais <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/277874-femmes-et-republique">refuser le voile pour horizon politique pour les femmes</a> ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Leïla Tauil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plusieurs événements semblent témoigner d’une recrudescence de l’activisme islamiste qui fait du voile son fer de lance.Leïla Tauil, Enseignante-chercheure, Université de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1744862022-01-11T20:51:09Z2022-01-11T20:51:09ZGérer le fait religieux au travail : les paroles et les actes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/439687/original/file-20220106-19-14p0klv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=71%2C26%2C1126%2C770&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans les enquêtes, près des deux tiers des répondants se déclarent confrontés régulièrement ou occasionnellement au fait religieux dans le milieu professionnel.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE), qui publie annuellement un <a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/religion-au-travail-croire-au-dialogue-barometre-du-fait-religieux-en-entreprise-2020-2021">baromètre de l’expression religieuse au travail</a>, montre que, si le phénomène est en stabilisation ces dernières années, et ce depuis 2013, la tendance globale reste orientée à la hausse. Plus de deux répondants sur trois (66,5 %) y sont confrontés de manière régulière ou occasionnelle. Également, les réalités constatées ne sont <a href="https://theconversation.com/religion-au-travail-deux-realites-de-plus-en-plus-distinctes-lune-de-lautre-126705">pas les mêmes selon les entreprises</a>.</p>
<p>L’expression religieuse au travail regroupe les actes, comportements et attitudes liés à l’appartenance religieuse des salariés. Elle se traduit par exemple par des demandes d’absence pour observer des fêtes religieuses, le port d’un signe religieux, ou une demande d’aménagement des horaires. Il peut également s’agir d’un refus de travailler avec ou sous la direction de personnes d’un sexe différent du sien.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439683/original/file-20220106-23-4h5i4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Fréquence du fait religieux dans les situations de travail.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/fait-religieux-entreprise-français-note.pdf">Baromètre du fait religieux en entreprise 2020-2021</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Juridiquement, les organisations privées peuvent restreindre l’expression religieuse au travail par la voie du règlement intérieur, et à condition que ces restrictions soient d’une part légitimées par la nature de la tâche et proportionnées au but recherché, et d’autre part, liées au bon fonctionnement de l’entreprise ou à l’intérêt commercial et l’image de l’entreprise.</p>
<p>Se positionner au sein de ces critères et définir les possibles en la matière, revient pour les organisations à se doter d’une « posture » face au fait religieux.</p>
<h2>Les managers en première ligne</h2>
<p>L’enjeu est ensuite d’en garantir le déploiement et l’application dans l’ensemble des services, unités, sites de l’organisation, ce qui n’est pas toujours simple dans le secteur privé. Pour les organisations publiques, la règle est par exemple plus claire : c’est la neutralité des agents publics et de ceux qui portent une mission de service public.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1314063002837098498"}"></div></p>
<p>Dans un <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/ER-02-2021-0053/full/html">article</a> récent publié dans la revue <em>Employee Relations</em>, nous avons ainsi démontré que le positionnement entre ce que disent et souhaitent faire les organisations que nous avons étudiées en matière d’expression religieuse au travail est parfois différent de ce qui est mis en pratique par les managers, et vécu par les équipes de travail.</p>
<p>Les situations sont en effet complexes, car elles invitent l’identité au travail et qu’elles sont parfois mal interprétées par l’ensemble des acteurs en présence (manager, collègue, salarié). Le sujet du fait religieux peut donc rapidement devenir sensible, en particulier dans le contexte sociétal actuel, et vu le retentissement de <a href="https://theconversation.com/dans-lunion-europeenne-les-entreprises-pourront-elles-choisir-dinterdire-le-voile-au-travail-156681">certaines affaires judiciaires passées</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quatre-situations-qui-illustrent-la-complexite-du-fait-religieux-au-travail-151712">Quatre situations qui illustrent la complexité du fait religieux au travail</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Des <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/ER-06-2017-0142/full/html">travaux</a> sur ce sujet montrent que, dans ce contexte, le rôle du manager est majeur dans le cadre de la mise en application des règles, et que ces managers adoptent des stratégies différenciées, très sensibles à la fois au contexte de l’entreprise et au manager lui-même. En outre, les entreprises sont minoritaires à se positionner clairement le sujet du fait religieux, par exemple en utilisant les outils prévus par le droit (moins de 30 % à en parler dans leur règlement intérieur par exemple, selon l’OFRE).</p>
<h2>Appels à l’aide</h2>
<p>Dans nos recherches récentes, nous avons étudié quatre organisations différentes, par le biais d’entretiens et de périodes d’observation. Parmi ces organisations : une collectivité territoriale (dans laquelle la loi impose aux agents la neutralité), une grande entreprise de service B2B, et deux PME, l’une qui fonctionne principalement au rythme d’une confession (entreprise affinitaire), et une autre, qui met en débat l’expression religieuse au travail.</p>
<p>Nous montrons ainsi qu’il existe deux types de postures.</p>
<p>Les premières sont les <strong>postures alignées</strong>, c’est-à-dire celles pour lesquelles les souhaits énoncés par le top management en matière de régulation de l’expression religieuse au travail sont effectivement constatés à l’opérationnel par les équipes, et à l’appui des managers. C’est le cas pour les deux PME. La vision portée par le dirigeant, souvent charismatique, est claire et acceptée des salariés. Elle est également connue et appliquée.</p>
<p>Les secondes sont les <strong>postures non alignées</strong>, c’est-à-dire celle où ce que la direction proclame n’est pas toujours concrètement mis en place sur les différents sites de l’entreprise. Elles concernent deux des quatre organisations, qui doivent notamment gérer spécifiquement la prière et le port de signes religieux. Dans ces entreprises, des différences de traitements sont constatées entre les sites, ou entre les services. C’est le cas par exemple pour une salariée dans la collectivité publique qui peut dans un service porter un foulard discret, et n’y est pas autorisée dans un autre.</p>
<p>D’abord, l’on remarque que certaines demandes sont plutôt bien appréhendées par les managers, et ne sont pas perçues comme transgressives. Il est par exemple généralement admis par les organisations et les managers que les salariés peuvent demander des aménagements horaires d’ordre religieux, comme en témoigne un répondant d’une des PME étudiées :</p>
<blockquote>
<p>« Nous ne travaillons pas avec des chronomètres, nous ne travaillons pas avec des plannings : nous travaillons avec des objectifs, et ce qui compte, c’est qu’ils soient atteints. Tant que c’est planifié avec tout le monde, c’est tout à fait possible ».</p>
</blockquote>
<p>D’autres pratiques sont quant à elles complètement bannies des organisations, et les managers et leurs équipes perçoivent également ces interdictions. C’est par exemple le cas, dans l’entreprise affinitaire étudiée, pour le refus de travailler avec des personnes de sexe opposé :</p>
<blockquote>
<p>« Si demain on doit travailler en binôme et que l’un d’entre eux dit non, je ne travaille pas avec une femme, je lui dirai “eh bien, rentre chez toi si tu ne travailles pas avec une femme, monte ta boîte avec des gars” ».</p>
</blockquote>
<p>Cela dit, plusieurs facteurs ont été identifiés dans ce manque d’alignement entre la posture organisationnelle et la posture managériale. Il semble que la prière ritualisée et le port de signes visibles (et particulièrement le voile) fassent l’objet d’un traitement spécifique des managers, et qu’ils soient moins souvent considérés par eux comme des pratiques religieuses « comme les autres ». Ils les conduisent plus largement à hésiter, et sur ces deux comportements, les managers attendent des éléments d’aide à la décision.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439688/original/file-20220106-15-15akt0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le refus de travailler avec une femme est un comportement banni de toutes les organisations étudiées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>En effet, sans règles officielles, claires, ou en l’absence de communication large de ces règles, les managers peuvent se trouver isolés, et construire leur propre positionnement, qui expose l’entreprise juridiquement et ne garantit pas le respect des droits des personnels. En effet, de nombreux managers indiquent ne pas savoir vraiment ce qui est souhaité par l’entreprise, voire percevoir des injonctions contradictoires. Par ailleurs, ils indiquent être en difficulté pour construire leur argumentaire face à ces comportements, ne sachant pas vraiment quels critères mobiliser, ni parfois quelle décision prendre.</p>
<h2>Des leviers d’alignement envisageables</h2>
<p>Des entreprises souffrent d’un écart entre ce qu’elles disent faire en matière de régulation de l’expression religieuse, et ce qui est parfois constaté. Cela s’explique notamment par l’isolement du manager opérationnel dans ce cadre. Une plus grande formalisation de la posture, par exemple en utilisant plus fréquemment des outils tels que le règlement intérieur ou encore des démarches de sensibilisation, apparaît nécessaire.</p>
<p>Par ailleurs, si le recours à la sensibilisation et la formation tend à augmenter, il reste souvent réalisé sur un nombre de collaborateurs trop restreint, et ne touche pas toutes les populations et s’attardant notamment sur les cadres.</p>
<p>De même, cette recherche montre que les personnels qui travaillent au siège semblent mieux informés que ceux répartis sur les différents sites, dans la grande entreprise de service. Il faudra donc être attentif à d’éventuelles inégalités de répartition des crédits communication et formation, pour ne pas renforcer ces inégalités.</p>
<p>La sensibilisation évoquée pourra concerner la déconstruction des stéréotypes liés à certaines pratiques religieuses ou certaines religions, et devra aussi concerner la mise en mouvement et en pratique de la posture organisationnelle telle que définie par la direction de l’entreprise. Aussi, si la formation est une condition nécessaire, le positionnement de l’entreprise sur la base des critères prévus par la loi s’avère quant à lui être un préalable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre de l'AGRH.</span></em></p>Il y a parfois un écart entre ce que les organisations affirment faire concerner l’expression religieuse au travail, et ce qu’elles font réellement. Analyse.Hugo Gaillard, Maître de conférences en Sciences de gestion, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1554142021-04-15T20:29:22Z2021-04-15T20:29:22ZVoile intégral : en Israël, la frumka intrigue<p>Une nouvelle religiosité féminine est apparue en Israël dans la seconde moitié des années 2000, qui consiste à se voiler le visage. Cette tendance a émergé au sein d’un groupe de <em>haredim</em>, littéralement « ceux qui craignent Dieu » (traduit en français par ultra-orthodoxes), d’abord dans la ville de Bet Shemesh puis à Jérusalem dans le <a href="https://www.jstor.org/stable/41804782?seq=1">quartier religieux de Mea Shearim</a>.</p>
<p>Le voile intégral chez les Juives, couvrant le corps et le visage sur le modèle du niqab saoudien, est appelé <em>frumka</em>. Ce mot-valise est composé du terme yiddish <em>frum</em>, qui qualifie une personne religieuse, et du suffixe – ka, diminutif féminin yiddish jouant sur l’assonance avec le mot burka. Ce costume est aussi désigné par le mot <em>shal</em> (châle, <em>shwal</em> en anglais) et qualifié d’extrême <em>tsniout</em> (pudeur). Il s’agit d’une nouvelle manifestation de piété féminine dans le judaïsme, même si la pratique du visage voilé est attestée dans l’histoire des Juives du Yémen, d’Afghanistan et d’Irak.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Arrivée en Israël d’une famille juive du Yémen, aéroport Ben Gourion, 14 août 2013. Pour les Juives yéménites, le voile facial est un costume traditionnel sans rapport avec la frumka.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Moshik Brin, The Jewish Agency</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Les femmes qui dissimulent leur visage, <em>neshot ha shalim</em> (expression tirée de leur usage du <em>shal</em>), sont des « born again ». Issues de familles peu pratiquantes, elles se sont engagées dans un processus de <em>techouva</em> (retour à la religion) à l’âge adulte. Elles incarnent la figure de la religiosité extrême qui renvoie aujourd’hui à l’islam radical, d’où le surnom qui leur est fréquemment attribué de <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=REYrDwAAQBAJ">« femmes talibanes »</a> par certains Israéliens.</p>
<p>Ces <em>harediot</em> (féminin de <em>haredim</em>) revendiquent un retour aux origines bibliques en prétendant imiter les matriarches Sarah, Rébecca, Léa et Rachel (épouses des patriarches Abraham, Isaac et Jacob) qui, selon la tradition juive, portaient un voile facial. C’est ainsi que s’explique la substitution de Rachel par Léa par le beau-père de Jacob le jour de son mariage. Elles expriment publiquement leur nouvelle religiosité visible par ce vêtement rigoriste qui paraît traditionnel mais procède en réalité d’une réinvention propre à la modernité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3OvS8EZOprs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage de France 24, 2017.</span></figcaption>
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<p>David Levy est un ultra-orthodoxe quinquagénaire. Sa sœur porte la frumka, comme quelques centaines de Juives en Israël. Selon lui, la pratique est rejetée dans le pays parce qu’elle est nouvelle, ce qui explique que les usagères se fassent insulter dans la rue ou refuser dans les lieux et les transports publics. Mais il n’exclut pas que la frumka se normalise un jour. De carrure imposante, rencontré à son domicile de Bet Shemesh à 30 kilomètres à l’ouest de Jérusalem, David est originaire d’Irak, d’où sont venus ses parents installés en Israël. Il a de nombreux griefs contre le gouvernement :</p>
<blockquote>
<p>« Ce que subissent les femmes intégralement voilées n’est qu’un exemple des exactions contre les religieux. Bruria Keren ([promotrice du visage voilé]) a été arrêtée arbitrairement au prétexte qu’elle menaçait l’État israélien. Son arrestation est une pression de l’État pour faire taire les religieux car ceux-ci remettent en cause la légitimité du pouvoir. »</p>
</blockquote>
<h2>Un nouveau sujet de société</h2>
<p>La frumka a été médiatisée en Israël quand Bruria Keren a été arrêtée en 2009 puis condamnée pour abus sur ses douze enfants, avant d’être libérée en 2012. Les « femmes talibanes » se couvrant entièrement deviennent alors un sujet d’actualité dans les médias israéliens, notamment dans trois reportages : d’<a href="https://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4703307,00.html">Ariella Sternbach</a> en immersion en 2015, du photographe <a href="https://www.gettyimages.ch/detail/nachrichtenfoto/ultra-orthodox-jewish-women-known-in-israel-as-neshot-nachrichtenfoto/652956628?language=fr">Menahem Kahana</a> en 2017, ainsi que de la chaîne israélienne <a href="https://www.youtube.com/watch?v=me7QmFBB_kA">i24 News</a> en 2019. À noter : elles ne sont jamais présentées comme « soumises » ou obéissant à une injonction masculine, contrairement aux musulmanes voilées dans la plupart des médias occidentaux.</p>
<p>La frumka a fait l’objet d’une <a href="https://www.imj.org.il/en/exhibitions/veiled-women-holy-land">exposition</a> intitulée « Veiled Women of the Holy Land. New Trends in Modest Dress », au Israel Museum de Jérusalem du 16 avril 2019 au 31 décembre 2020. La commissaire de l'exposition, <em>No'am Bar'am Ben-Yossef</em>, est l'autrice du catalogue fruit d'une longue recherche dans les différentes communautés religieuses de Jérusalem. L’exposition a présenté en outre une œuvre vidéo d’Ari Teperberg intitulée <em><a href="https://vimeo.com/376362867">Vous devez être prêt à abandonner ce que l’œil voit</a></em> : une femme de chacune des trois religions monothéistes exprime son besoin de se couvrir entièrement le corps, dans une approche personnelle à la pudeur.</p>
<p>L’intransigeant David Levy refuse cependant toute analogie entre frumka et niqab. Les musulmanes portant le voile intégral n’obéissent pas, selon lui, à un idéal de pudeur :</p>
<blockquote>
<p>« Elles se déshabillent en rentrant chez elles, portent des débardeurs et des tenues légères. Il ne faut pas que les musulmanes portent le niqab car on peut les confondre avec des juives <em>tsniout</em>. Dieu alors n’arrive plus à faire la différence entre des juives sincères et des partisanes du Hezbollah. Seules les juives sont légitimes à endosser le <em>shal</em> ! »</p>
</blockquote>
<h2>Condamnation rabbinique</h2>
<p>Ces <em>shal women</em> sont souvent mal perçues par la société israélienne, et les laïcs ne sont pas les plus virulents. Selon le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=98OGos3rzKI">témoignage</a> en hébreu filmé de l’une d’elles restée anonyme, daté de 2011, les plus agressifs sont les <em>haredim</em> des quartiers religieux :</p>
<blockquote>
<p>« À Mea Shearim, on m’insulte, on me crie dessus en me traitant de femme talibane. J’ai même reçu des coups. Car le monde <em>haredi</em> n’est pas comme il devrait être. C’est dur pour eux de me voir habillée comme nos matriarches. […] Si je ne mets pas le <em>shal</em> sur la tête, je me sens terriblement mal. C’est comme si quelqu’un marchait pied nu sur des ronces. C’est ma richesse et c’est ma joie. Ça me rapproche de Dieu. Quand je porte le <em>shal</em>, j’ai l’impression que Dieu me protège. »</p>
</blockquote>
<p>La frumka a rapidement fait l’objet d’une condamnation de l’Edah Haredit, institution ultra-orthodoxe, qui a édité deux <em>pashkevilim</em> (affiches murales) en 2010. Ceux-ci mettent en garde les femmes contre « l’adoption de nouvelles coutumes en opposition à leur mari, comme porter des vêtements étranges et habiller leurs filles selon diverses contraintes ». Cette condamnation par l’Edah Haredit est commentée par Hannah Katsman, une Israélienne née aux États-Unis et créatrice d’un blog, <a href="http://www.amotherinisrael.com/update-edah-discourages-veils">A Mother of Israël</a>, dans lequel de nombreux articles sont consacrés au phénomène des <em>shal women</em>.</p>
<h2>La burka, un fétiche sexuel ?</h2>
<p>Les religieux condamnent une démarche qu’ils considèrent comme opposée à la <em>tsniout</em> du fait que ces femmes attirent l’attention, ce qui révèle le paradoxe d’une pudeur tellement extrême qu’elle en devient impudique. Elles sont marginalisées et dissidentes au sein des <em>haredim</em>.</p>
<p>Des rabbins <em>haredi</em> ont par ailleurs publié un décret selon lequel la <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/israel/7919501/Israeli-rabbis-clamp-down-on-burka.html">« burka représente un fétiche sexuel aussi immoral que la nudité »</a></p>
<p>Ces femmes s’opposent également à leur entourage en défiant l’autorité masculine. Certains époux ont porté plainte contre leur compagne, notamment contre deux femmes « membres du culte <em>shalim</em> » arrêtées <a href="https://www.timesofisrael.com/2-women-from-taliban-jewish-cult-held-on-suspicion-of-child-abduction-neglect/">à Jérusalem le 4 septembre 2018</a>, soupçonnées d’enlèvement d’enfants (dont elles n’avaient pas la garde légale) et de négligence. Le journaliste Adrian Blomfield <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/israel/7919501/Israeli-rabbis-clamp-down-on-burka.html">mentionne</a> en outre :</p>
<blockquote>
<p>« Un homme s’est présenté devant un tribunal rabbinique pour tenter d’obtenir une décision contraignant son épouse à cesser de porter la burka. Le tribunal a jugé que le comportement de cette femme était si “extrême” qu’il a ordonné au couple de se soumettre à un divorce religieux immédiat. »</p>
</blockquote>
<h2>L’implication des hommes</h2>
<p>Si les autorités rabbiniques s’opposent à la frumka, rappelons que l’initiateur de ce mouvement féminin de <em>tsniout</em> radicale est un rabbin ultra-orthodoxe. Aharon Tzvi Rumpler, décédé le 25 novembre 2019 à l’âge de 65 ans, est considéré comme l’initiateur du mouvement des <em>shal women</em>. Il aurait réussi à convaincre des femmes de se voiler entièrement et de se marier contre l’avis de leurs parents, en opposition à l’Edah Haredit.</p>
<p>David Levy reste fasciné par la frumka qui excite son désir. Il sort des photos d’une réunion présidée par une femme en voile intégral bleu et un homme avec de longues <em>peot</em> (papillotes). Puis d’autres photos présentent la même femme montrant son visage.</p>
<p>Il la regarde avec malice, le sourire aux lèvres. Il joue un jeu curieux mêlant voyeurisme et respect pour ces femmes dont il loue la vertu. Quand je lui demande si son épouse est une <em>shal woman</em>, il se résigne en baissant la tête : « Mon épouse ne l’accepte pas, je n’insiste pas, c’est nouveau. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155414/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agnès De Féo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le voile intégral n’est pas limité aux musulmanes salafistes. Quelques centaines de femmes juives l’ont investi en Israël se distinguant par ce zèle de leurs coreligionnaires.Agnès De Féo, Sociologue, chercheuse associée Iremam, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1566812021-03-09T20:07:29Z2021-03-09T20:07:29ZDans l’Union européenne, les entreprises pourront-elles choisir d’interdire le voile au travail ?<p>La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) doit désormais statuer sur la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Ac10823">conformité de l’interdiction</a> du port du voile au travail, en tenant notamment compte de l’impératif d’égalité de traitement en matière d’emploi. La Cour avait été saisie à ce sujet par des salariées musulmanes allemandes dont les employeurs leur demandaient de retirer leur voile dans l’exercice de leurs fonctions.</p>
<p>Le 25 février, dans ses <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2021-02/cp210025fr.pdf">conclusions</a>, l’avocat général a conforté la décision des employeurs allemands. La CJUE n’est toutefois pas tenue de suivre cet avis. Cependant si elle le faisait, cette décision devrait faire date.</p>
<h2>Deux affaires différentes</h2>
<p>Dans une première affaire datant de 2018, une association allemande reconnue d’utilité publique, qui intervient dans le champ de l’éducation des enfants, a adopté des « instructions de service » pour le respect du principe de neutralité.</p>
<p>À partir du mois de mars de cette année-là, il n’était plus possible, pour les salariés, d’exprimer leurs convictions politiques et religieuses dans l’exercice de leurs fonctions. Il est d’ailleurs à noter que ces instructions ne s’appliquent pas aux salariés qui ne sont pas en contact avec le public.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1189292580464451584"}"></div></p>
<p>De retour de son congé parental après cette décision, une salariée portant le voile avait été suspendue provisoirement – après plusieurs avertissements – et le conteste. Ce premier cas n’est pas d’ailleurs sans rappeler, en France <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-apres-baby-loup-le-grand-flou-103113">l’affaire dite « Baby-Loup »</a>, dans laquelle la justice a finalement donné raison à l’employeur après plusieurs années de procédure.</p>
<p>La seconde affaire examinée par l’avocat général concerne le cas d’une salariée d’une chaîne de pharmacies du même pays qui portait nouvellement et à son retour de congé parental en 2014, un foulard islamique. Deux ans plus tard, son employeur lui a donné l’instruction de se rendre au travail « <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2021-02/cp210025fr.pdf">sans signe ostentatoire</a> de grandes dimensions de convictions politiques, philosophiques ou religieuses ». Elle conteste également cette décision.</p>
<h2>Qui pour juger de la taille ?</h2>
<p>Les conclusions de l’avocat général, à la suite de la saisine par les juridictions allemandes, confirment tout d’abord, en s’appuyant sur des éléments de jurisprudence, que l’interdiction des signes religieux ou politiques par une règle interne d’entreprise, ne constitue pas une discrimination religieuse directe.</p>
<p>Cela rappelle notamment le cas de l’entreprise française de conseil informatique <a href="https://theconversation.com/lemployeur-peut-interdire-le-port-du-voile-en-entreprise-sous-conditions-74599">Micropole</a>, pour lequel la CJUE avait précisé en 2017 qu’une telle interdiction ne pouvait toutefois pas être motivée par l’exigence du client, et qu’un <a href="http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=188852&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=163813">règlement interne devait l’appuyer</a>.</p>
<p>Un autre élément important est mis en avant, et n’est pas sans poser de questions pour la suite, notamment pour les managers confrontés à l’expression religieuse visible. En effet, l’avocat général précise que la politique de neutralité philosophique, religieuse et politique, n’est pas incompatible avec le port de signes religieux visibles ou non, mais toujours de petite taille, « que l’on ne remarque pas dans une première approche ».</p>
<p>Plusieurs questions se posent, d’autant que l’avocat général rappelle qu’il n’est pas de la responsabilité de la CJUE de donner une définition de « petite taille ». Dès lors, à qui reviendrait cette responsabilité ? La question reste entière et n’est pas sans rappeler la difficile distinction entre l’ostensible et l’ostentatoire.</p>
<p>Si la responsabilité revenait au manager, qui par appréciation, devrait « juger », de ce qui relève ou non d’une « petite taille », l’on peut supposer ici une extension de son champ d’intervention, au sein de <a href="https://theconversation.com/quatre-situations-qui-illustrent-la-complexite-du-fait-religieux-au-travail-151712">situations déjà complexes</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1321676142357729280"}"></div></p>
<p>Au-delà de ces débats qu’il faudra approfondir lors de la publication finale de l’avis de la CJUE – qui n’est, rappelons-le, pas tenue de suivre les conclusions de son avocat général – ces conclusions renforcent selon nous la conception européenne des accommodements raisonnables.</p>
<p>En effet, <a href="https://theconversation.com/religion-au-travail-perspectives-europeennes-et-outre-atlantique-75416">deux conceptions s’opposent</a>, au sujet de ce concept clé. En France et plus largement en Europe, l’accommodement est le plus souvent demandé à l’employé, alors qu’aux États-Unis, les organisations doivent plus fréquemment s’adapter aux aspirations religieuses des collaborateurs. En Europe, le fonctionnement du collectif prime sur l’expression de l’individu, alors qu’outre-Atlantique, il convient de faire une place à cette expression. D’un côté, le management de la diversité, de l’autre, l’inclusion.</p>
<h2>Vers une diversité de postures en France ?</h2>
<p>En France, et dans le contexte du débat sur la <a href="https://theconversation.com/separatisme-un-projet-de-loi-et-beaucoup-de-questions-pour-les-services-publics-147465">loi confortant les principes républicains</a> et de confusions à propos du <a href="https://theconversation.com/la-la-cite-un-principe-de-plus-en-plus-complexe-a-manier-pour-les-entreprises-125949">principe de laïcité</a>, ces conclusions viennent également confirmer l’importance de l’outil que constitue le règlement intérieur pour un employeur qui souhaiterait restreindre l’expression religieuse au travail.</p>
<p>Ce règlement intérieur ne doit pas interdire l’expression religieuse de manière générale et/ou absolue, ni cibler une religion ou une pratique en particulier. Ainsi, les conclusions de l’avocat général semblent confirmer également le critère de restriction lié au contact client, ou encore le travail avec des publics vulnérables, ici les enfants.</p>
<p>Plus précisément encore, ces conclusions confirment la possibilité d’une extension du domaine de la neutralité, aux entreprises privées qui le souhaiteraient, et laisse donc envisager des « postures » d’organisations de plus en plus diverses face à <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-un-phenomene-devenu-objet-de-management-105896">cet objet de management</a>. Dans le même mouvement, les salariés les moins enclins à consentir à invisibiliser (même partiellement) leur religion au travail, pourraient rechercher des structures qu’ils jugent plus compatibles, <a href="https://theconversation.com/stigmatisation-les-femmes-voilees-en-entreprise-contraintes-de-reorienter-leurs-carrieres-147504">avec des impacts sur leurs carrières</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1313947493269491719"}"></div></p>
<p>Enfin, l’origine européenne de l’avis pourrait permettre de gagner en clarté pour les décideurs des organisations privés, qui regrettent parfois la difficulté à s’approprier des règles françaises qui selon eux se croisent, <a href="https://theconversation.com/des-entreprises-toujours-sur-le-qui-vive-face-a-la-religion-116855">voire s’entrechoquent</a>.</p>
<p>Il s’agira donc d’être particulièrement attentif à l’avis final, et ne pas faire l’économie d’une nouvelle analyse au-delà des slogans, car les avis de la CJUE portent souvent des <a href="https://theconversation.com/les-faux-semblants-des-arrets-de-la-cour-de-justice-de-lunion-europeenne-sur-le-voile-au-travail-72291">faux-semblants</a> qui débouchent sur des évolutions limitées dans les faits. Sur ce sujet particulièrement, les éléments et arguments considérés peuvent donc être pluriels, ce qui laisse des voies de réponses données à ces questions sensibles très ouvertes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156681/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre de l'AGRH et de l'Observatoire Action Sociétale - Action publique (ASAP). Il collabore également aux travaux de la Chaire Gouvernance et RSE de Le Mans Université.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Géraldine Galindo est membre de l'AGRH. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lionel Honoré est rédacteur du rapport de l'Institut Montaigne sur la religion au travail et est membre de l'AGRH</span></em></p>L’avocat général de la CJUE a donné tort à deux salariées allemandes qui refusaient de retirer leur voile dans l’exercice de leurs fonctions. Cet avis, s’il est confirmé, pourrait faire date.Hugo Gaillard, Docteur en Sciences de Gestion et enseignant en GRH, Le Mans UniversitéGéraldine Galindo, Professeur, ESCP Business SchoolLionel Honoré, Professeur des Universités, Université de la Polynésie française, Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1475042020-10-07T17:16:41Z2020-10-07T17:16:41ZStigmatisation : les femmes voilées en entreprise contraintes de réorienter leurs carrières<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/361619/original/file-20201005-16-ui6mca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C19%2C941%2C645&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Certaines femmes revoient leurs ambitions à la baisse face à l’impossibilité d’exprimer leur identité religieuse au travail.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Prostock-studio / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les femmes musulmanes voilées subissent des <a href="https://www.leparisien.fr/societe/le-racisme-anti-musulmans-en-france-le-grand-malaise-05-11-2019-8187135.php">discriminations</a> en entreprise qui ont des conséquences préjudiciables sur leur employabilité, et ce malgré que la loi les autorise à porter le voile dans le secteur privé (sous certains conditions). Pour gérer leur carrière, elles sont donc contraintes de prendre en compte le contexte de <a href="https://twitter.com/AChristine_Lang/status/1306544619438694400">polémiques</a> régulières, auquel est venu s'ajouter le récent projet de loi sur la notion encore floue de séparatisme.</p>
<p>Pour comprendre comment les femmes voilées s'adaptent et ajustent leur plan de carrière tout en travaillant avec le voile, selon une méthode qualitative, une série d'entretiens semi-directifs a été menée auprès de 30 femmes voilées entre 2018 et 2020.</p>
<p>L'analyse des données nous a permis d'identifier 6 stratégies distinctes de bifurcation professionnelle: la réorientation professionnelle, le déclassement social, la recherche d’une entreprise accueillante, la carrière entrepreneuriale, la mobilité internationale et enfin le renoncement à une carrière. Notre travail nous a également permis de comprendre comment s’opère ces décisions, car certains facteurs facilitent la prise de décision. </p>
<h2>La reconversion professionnelle</h2>
<p>La reconversion professionnelle consiste pour la collaboratrice voilée à gérer sa carrière en changeant de fonction et/ou de secteur d’activité. La présence de dispositifs d’accompagnement, d’offre de formation supplémentaire ou encore l’expérience professionnelle constituent des facteurs facilitant la reconversion. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/361618/original/file-20201005-20-5gxh9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/361618/original/file-20201005-20-5gxh9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/361618/original/file-20201005-20-5gxh9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/361618/original/file-20201005-20-5gxh9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/361618/original/file-20201005-20-5gxh9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/361618/original/file-20201005-20-5gxh9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/361618/original/file-20201005-20-5gxh9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les dispositifs d'accompagnement jouent un rôle clé dans la reconversion professionnelle des femmes voilées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fizkes / Shutterstock</span></span>
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<p>Ici, notre enquêtée a décider de se réorienter du secteur public qui exige une neutralité vers le secteur privé jugé plus ouvert au port du voile : </p>
<blockquote>
<p>«En travaillant dans l’enseignement, j’ai constaté que le milieu de l’Éducation nationale et le trop peu de liberté qu’il accorde ne me convenait pas. Le fait de ne pas avoir pu être complètement moi m’a fait basculer vers un autre milieu car j’avais nié une partie de moi-même. J’ai donc effectué un autre Master 2 en économie sociale et solidaire après mon expérience dans l’enseignement pour me réorienter. Aujourd’hui, mes collègues savent que je suis musulmane, que je fais mes prières, que je mange halal et cela correspond à ce que je suis réellement».</p>
</blockquote>
<h2>Le déclassement social</h2>
<p>Le déclassement social mène à l’occupation d’un emploi en deçà de ses qualifications professionnelles. Il survient lorsque la collaboratrice voilée peine à trouver un emploi lui permettant d’exprimer son identité religieuse et d’être en accord avec son niveau de diplôme, comme en témoigne un détentrice d’un Master 2 en sciences politiques occupant actuellement une fonction de préparatrice de commande :</p>
<blockquote>
<p>«En attendant de trouver mieux et dans mon domaine avec le voile, j’accepte ce qu’on me donne tant que je peux garder mon voile. C’est ma seule «exigence» si on peut dire ça comme ça. Je ne retirerai pas mon voile pour un travail, je ferais tout pour le garder». </p>
</blockquote>
<p>Une tactique qu'elle n'est pas la seule à subir :</p>
<blockquote>
<p>«Là où j’habite, il y a pas mal d’entreprises qui recrutent les femmes voilées au plus bas de l’échelle, en tant que préparatrice de commande, conditionneuse, etc. Ils ont besoin de beaucoup de main d’œuvre et il y a beaucoup de femmes voilées comme moi. Je pense qu’elles acceptent ce type d’emploi avec des conditions très fatigantes parce qu’elles ont beaucoup de difficultés à trouver ailleurs».</p>
</blockquote>
<h2>La recherche d’une entreprise accueillante</h2>
<p>Bien souvent, les entreprises ciblées sont des entreprises communautaires où l’expression religieuse est admise. Elles sont jugées plus accueillantes. L’orientation vers ce type d’entreprise n’est là encore pas un choix. Elle peut se faire grâce à un réseau de connaissances. Cependant, comme pour les autres stratégies, cette possibilité peut nécessiter des formations supplémentaires afin de s’adapter aux besoins du nouvel emploi, comme l'explique une autre interviewée : </p>
<blockquote>
<p>«Je travaille actuellement comme employée polyvalente au sein d’une agence de voyage appartenant à mon beau-frère. C’est une agence où il n’y a que des salariés musulmans et je porte le voile sur le lieu de travail. J’ai cependant du suivre des formations pour être agent de voyage puisque j'avais une formation de comptable à l'origine. D'ailleurs, je ne voulais pas vraiment travailler au sein d’une agence de voyage mais, avec le voile, je ne trouvais pas facilement ailleurs».</p>
</blockquote>
<h2>La carrière entrepreneuriale</h2>
<p>La création d’entreprise peut permettre à la femme voilée de fixer ses propres règles au sein de son entreprise et d’acquérir l’authenticité recherchée. Le sentiment de rejet amène parfois la collaboratrice à mobiliser cette stratégie par nécessité, comme nous l'avons constaté :</p>
<blockquote>
<p>«J’ai créé mon entreprise depuis deux ans. Je fais du graphisme et je vends des produits en ligne. Je me suis rendue compte que je n’avais pas besoin des personnes qui ne m'acceptaient pas pour être compétente et faire ce qui me plaît!» </p>
</blockquote>
<p>Ce choix peut être en lien direct avec les études effectuées ou en totale contradiction, ce qui illustre une nouvelle fois la capacité d’adaptation dont elles doivent faire preuve : </p>
<blockquote>
<p>«J’ai monté ma propre boite. De formation, je suis clerc de notaire et là ce n’est pas du tout en lien avec mes études. Cependant le droit est dans tout donc ça me sert dans tout ce qui est administratif et ça me permet d’être moi-même». </p>
</blockquote>
<h2>La stratégie de mobilité internationale</h2>
<p>Cette stratégie de mobilité internationale exige des ressources importantes. Elle implique pour l’individu un changement radical de lieu, un nouvel apprentissage de la langue locale et une confrontation à un nouvel environnement. l'adaptabilité à un nouveau contexte, pas toujours évident, est souligné par une interviewée aujourd'hui expatriée à New York: </p>
<blockquote>
<p>«Je suis partie en raison des préjugés subis en France et parce que ma progression de carrière était en conséquence limitée. Mais cela n’a pas été facile tous les jours. J’ai dû, par exemple, apprendre à parler couramment anglais. Être loin de ma famille aussi a été le plus difficile».</p>
</blockquote>
<p>Une telle expérience peut cependant devenir finalement très positive car elle confère à la femme voilée une certaine confiance en ses compétences. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/361617/original/file-20201005-14-1yvw3x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/361617/original/file-20201005-14-1yvw3x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/361617/original/file-20201005-14-1yvw3x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/361617/original/file-20201005-14-1yvw3x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/361617/original/file-20201005-14-1yvw3x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/361617/original/file-20201005-14-1yvw3x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/361617/original/file-20201005-14-1yvw3x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les préjugés peuvent conduire certaines femmes voilées à quitter la France pour travailler.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jrpolofoto / Shutterstock</span></span>
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<p>Autrement dit, quitter la France pour un pays où elle considère que son port du voile au travail ne posera pas de problème lui permet d’envisager une réelle carrière professionnelle qui ne sera pas freinée par des préjugés. </p>
<h2>Le renoncement temporaire à la carrière</h2>
<p>Cette dernière stratégie consiste à abandonner temporairement l’idée de travailler pendant un temps donnée. Cette décision, difficile à prendre pour certaines, peut être facilitée par la maternité, nous explique une jeune mère de famille :</p>
<blockquote>
<p>«Dans un premier temps, je n’ai pas repris mon travail d’enseignante parce que j’ai eu un enfant et donc j’ai pris un congé parental. Aujourd’hui, je ne suis plus en congé parental mais dans l’immédiat, je ne suis pas prête à retirer mon foulard pour aller travailler».</p>
</blockquote>
<p>En conclusion, le besoin d’authenticité corrélé à la volonté de porter le voile au travail et à la fuite de la stigmatisation, amènent la collaboratrice musulmane à rechercher sa reconnaissance pour ce qu’elle est réellement et non pas une représentation erronée d’elle-même. Sa capacité de résilience face à la stigmatisation la pousse à diversifier les stratégies de bifurcation professionnelle. </p>
<p>Notre travail montre ainsi que, malgré l’orientation des femmes pour l’une ou l’autre des stratégies, elles sont généralement subies. Ces bifurcations leur permettent néanmoins de faire face à l'exclusion qu'elles peuvent subir dans le monde professionnel.</p>
<hr>
<p><em>Ce travail a bénéficié des résultats des travaux menés au sein des « ateliers thèses » de l'Observatoire « Action Sociétale et Action Publique » (ASAP).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147504/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude met en évidence 6 stratégies de bifurcation professionnelle chez les femmes qui veulent travailler en portant le voile.Sarra Chenigle, Doctorante en science de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)François Grima, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Olivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1474702020-10-06T18:59:18Z2020-10-06T18:59:18Z« Yalda, la nuit du pardon », un cinéma-vérité aussi puissant que dérangeant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/361691/original/file-20201005-20-hoagaq.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C17%2C1986%2C1058&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une émission de télé-réalité qui fait de la justice un spectacle.</span> </figcaption></figure><p>Peut-on sauver une vie dans une émission de télévision ? Ou grâce à un film ? Le film de Massoud Bakhshi, <em>Yalda, la nuit du pardon</em>, qui sort en salle le 7 octobre 2020, saisit par sa réflexion sur le pouvoir des médias et ce qu’il révèle de la société iranienne. Le jury du dixième festival de cinéma ELLE, réuni en septembre, dont je faisais partie cette année, est resté sous le choc lors de la projection et vient de lui décerner le prix du meilleur film. <em>Yalda</em> a également reçu le grand prix du jury au festival de Sundance 2020.</p>
<h2>Le cinéma iranien et son succès</h2>
<p>Le cinéma iranien est de plus en plus reconnu en Europe depuis la Palme d’Or d’Abbas Kiarostami pour <em>Le goût de la Cerise</em> en 1997, film interdit en Iran ; <em>Une séparation</em> d’Asghar Farhadi césarisé, oscarisé, sacré à Berlin ou <em>Taxi Téhéran</em> de Jafar Panahi, ours d’or à Berlin en 2015, tourné en cachette dans un taxi. Son réalisateur a été ensuite interdit de quitter le pays et de tourner pendant 20 ans. Un festival de cinéma iranien a été créé à Vitré en Ille-et-Vilaine, et a primé <em>Yeva</em>, de la réalisatrice Anahid Abad, en novembre 2019.</p>
<p>Massoud Bakhshi a déjà une dizaine de documentaires à son actif et un court métrage célébré par de nombreux prix internationaux. Son film <a href="https://www.humanite.fr/culture/massoud-bakhshi-les-cineastes-iraniens-s-adressent-au-monde-507559en2012"><em>Une Famille respectable</em> en 2012</a> bien que sélectionné à Cannes, n’est pas sorti en Iran et lui a valu une condamnation pour son regard critique sur son pays lors de la guerre Iran/Irak.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/E4yZiIcInDM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Huit ans après, son regard formé au documentaire le conduit à réaliser ce film inspiré de faits réels qui reprend le principe d’une émission de télé-réalité à succès, <em>Le prix du pardon</em> en Iran, qui existe depuis 13 ans. Ce film, en persan sous-titré, raconte l’histoire contemporaine de Maryam, 22 ans, qui a tué accidentellement son mari Nasser, 65 ans. Elle est condamnée à mort pour cet acte. La seule personne qui puisse la sauver est Mona, la fille de Nasser. Il faut que Mona accepte de pardonner Maryam en direct durant l’émission télévisée, devant des millions de téléspectateurs, pour que la condamnation soit levée.</p>
<h2>La mise en scène du talk-show</h2>
<p>Le film nous entraîne au cœur des studios, lors de l’enregistrement de l’émission qui révèle peu à peu l’histoire de l’héroïne, un peu comme <em>Slumdog millionnaire</em> nous plongeait dans l’Inde populaire à travers un « Qui veut gagner des millions » indien.</p>
<p>Le talk-show de <em>Yalda</em> mêle interludes musicaux, lectures et intervention d’un comité moral de spectatrices qui viennent lire et inviter au pardon, tandis que les deux femmes, la jeune mariée et la fille du défunt sont installées sur leurs grands fauteuils dorés. L’histoire de l’héroïne est résumée dans un téléfilm – façon soap – qui retrace les moments clés de sa vie, tandis que la principale intéressée crie en coulisses que l’histoire pour laquelle elle est jugée a été totalement déformée pour la jeter en pâture aux téléspectateurs.</p>
<p>L’émission est diffusée pendant le ramadan pour la fête iranienne de Yalda, qui célèbre le début de l’hiver. Des fruits au cœur rouge, symboles du soleil ornent les tables comme le studio, aux couleurs rouges sang. Il faut rester divertissant en ce jour de fête. Les spectateurs sont invités à voter pour décider si la jeune femme aura la vie sauve et les sponsors sont invités à payer « le prix du sang » à Mona, la fille du défunt.</p>
<p>Les Français ont connu les spectacles interactifs de Robert Hossein, le vote des spectateurs pouvant sauver la vie de personnages historiques, dans <em>Le Cuirassé Potemkine</em> (1975), <em>Notre Dame de Paris</em> (1978), <em>Un Homme nommé Jésus</em> (1983), <em>Jules César</em> (1985) <em>L’affaire du Courrier de Lyon</em> (1987)… <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/spectacles/theatre/quot-seznecquot-une-piece-interactive-de-robert-hossein-au-theatre-de-paris_3373527.html">jusqu’à <em>Seznec</em> (2010)</a>.</p>
<p>Mais il s’agissait toujours de voter de façon fictive et a posteriori. Dans ce film, le spectateur vote réellement pour la mort d’une personne encore en vie qu’il voit à l’écran, et dont la prestation est orchestrée savamment par les producteurs de l’émission.</p>
<p>Le spectateur au cinéma se retrouve dans la même position que celui de l’émission de télévision, jaugeant la peine et la sincérité d’une condamnée à mort. La télévision se substitue au système judiciaire iranien dans un divertissement populaire.</p>
<h2>Des destins de femmes en Iran</h2>
<p>Ce film nous plonge dans la vie de trois femmes dans L’Iran d’aujourd’hui.</p>
<p>Une mère, qui entraîne sa fille à participer à l’émission, attirée par la célébrité, une jeune fille apeurée Maryam, dont nous découvrons peu à peu l’histoire tragique, orpheline de père, condamnée à mort pour le meurtre – qu’elle affirme accidentel – de son mari, et la fille du défunt, Mona autour du producteur de l’émission, grand organisateur de la rencontre.</p>
<p>Même si depuis quelques années, certaines Iraniennes se battent pour <a href="https://www.leparisien.fr/international/la-revolte-des-iraniennes-contre-le-voile-obligatoire-31-05-2019-8083440.php">retirer leur voile dans l’espace public</a>, toutes les femmes apparaissent voilées dans le film.</p>
<p>L’avocate des droits de l’homme Nasrin Sotoudeh, prix Sakarov 2012, qui a défendu les femmes sans voile <a href="https://www.lepoint.fr/monde/ma-femme-nasrin-sotoudeh-est-en-greve-de-la-faim-pour-alerter-le-monde-09-09-2020-2391075_24.php">et a été condamnée à 13 ans de prison pour désobéissance civile</a>, est actuellement en grève de la faim pour dénoncer le sort des prisonniers politiques. Elle a été récemment renvoyée en prison après un séjour à l’hôpital. Dans le film, la mère invite sa fille à changer la couleur de son hijab, du noir au marron, pour être plus séduisante.</p>
<p>Le mariage temporaire auquel a été contrainte la jeune femme de 20 ans avec un homme de presque 50 ans son aîné, pour lequel travaillait son père, interpelle également le spectateur. Appelé <a href="https://www.rfi.fr/fr/hebdo/20141010-iran-misere-sexuelle-mariage-temporel-sigheh-homosexuel-jeunes-prostitution">sigheh</a> en Iran, ce <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/07/14/les-contrats-de-mariage-de-plaisir-fleurissent-en-syrie_1666412">mariage musulman à durée déterminée</a>, pour une heure, un jour, un an et jusqu’à 99 ans. Il peut être immédiatement consommé. Maryam est ainsi tombée enceinte au détriment de Mona, fille de Nasser, qui jusqu’alors était sa seule héritière. Ce type de <a href="https://fr.euronews.com/2011/01/05/un-site-de-mariage-temporaire-cartonne-en-iran">mariage controversé est en vogue en Iran comme en Syrie</a>.</p>
<p>Le face à face mis en scène dans le film oppose deux femmes de classes sociales différentes. La jeune fille, orpheline de père, avoue en pleurs avoir été forcée à ce mariage. Sa mère et Mona l’ont contrainte à répondre aux demandes insistantes d’un homme plus âgé et riche, usant de son pouvoir. En plus de la question du harcèlement sexuel, les conflits de classe sous-tendent le débat.</p>
<p>Cette condamnée ne peut racheter son crime que par ses larmes. Les secrets sordides qui lui ont été cachés les font couler au fil de l’émission. Selon la charia (loi islamique), un condamné à mort pour meurtre peut échapper à l’exécution et purger une peine de prison s’il est pardonné par la famille de la victime, qui reçoit en échange le <a href="https://www.amnesty.ch/fr/sur-amnesty/publications/magazine-amnesty/2015-1/iran-decompte-macabre">« prix du sang »</a>. Ce sont les <a href="https://www.liberation.fr/planete/2006/04/12/23-660-euros-le-prix-pour-une-vie-en-iran_36014">lois du Qisas</a>, la loi du talion qui exige que le sang versé soit compensé par un autre sang ou, si la famille accepte et pardonne, la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/556135https://www.lorientlejour.com/article/556135/%253C%253C_Prix_du_sang_%253E%253E_en_Iran_%253A_37_600_dollars_pour_les_hommes%252C_la_moitie_pour_les_femmes.html">compensation</a> du préjudice subi par un montant <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/nsceparagaprpmon?de/iran-unahe-condamne-a-mort-pardonne-par-la-famille-de-sa-victime_1509762.html">fixé chaque année</a>.</p>
<h2>Un film peut-il amener à une prise de conscience et au pardon ?</h2>
<p>L’émission qui a inspiré le film s’est arrêtée après 13 ans d’existence et de succès, suite aux réactions des spectateurs du film de Massoud Bakhshi en Iran, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-reveil-culturel/massoud-bakhshi-jai-constamment-pense-a-la-question-du-pardon-pendant-ce-film">selon les déclarations du réalisateur</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Quand la justice devient spectacle, mise en scène, c’est pour moi une forme inacceptable. Après mon film, l’émission a été arrêtée, c’était important pour moi. C’était une grande émission populaire, je me suis demandé aussi qui la regardait. »</p>
</blockquote>
<p>Le cinéma avait déjà permis de sauver la vie d’un condamné, en Iran, lorsque le réalisateur Mostafa Kiaei avait organisé une séance de cinéma projetant son film <em>La Ligne Spéciale</em> <a href="https://www.lepoint.fr/monde/iran-une-seance-de-cinema-pour-sauver-un-condamne-a-mort-31-03-2014-1807552_24.php">pour récolter l’argent et sauver un condamné à mort, innocenté entre temps</a>.</p>
<p>De même, le réalisateur de Yalda, a déclaré (lors du Dixième festival de cinéma de ELLE) avoir donné l’argent gagné à la sortie de son film <em>Yalda ou la nuit du pardon</em> en Iran à une association de femmes luttant pour sauver des condamnés à la peine de mort. Deux jeunes condamnés pour homicides auraient été sauvés en payant ainsi le prix du sang : l’un pour un crime commis à l’âge de 14 ans et un autre condamné pour un décès accidentel dans l’incendie de son atelier. Le réalisateur souhaitait sauver une femme, comme son héroïne, mais l’urgence des dates d’exécution en a décidé autrement, a-t-il déclaré.</p>
<p>Si le cinéma iranien d’aujourd’hui nous séduit, c’est par sa force, sa liberté et le véritable pouvoir qu’il confère au cinéma. Il joue des codes du divertissement pour révéler les drames que vivent des iranien.nes aujourd’hui et éveiller les consciences dans le monde entier.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147470/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Aragon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le film de Massoud Bakhshi, « Yalda, la nuit du pardon » saisit par sa réflexion sur le pouvoir des médias et ce qu’il révèle de la société iranienne.Sandrine Aragon, Chercheuse en littérature française (Le genre, la lecture, les femmes et la culture), Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1313652020-03-03T17:45:36Z2020-03-03T17:45:36ZBonnes feuilles : « Pour en finir avec la complainte nationaliste »<p><em>Nous publions un extrait de l’ouvrage de Laurent Mucchielli <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-france-telle-quelle-est-9782213716800">« La France telle qu’elle est, pour en finir avec la complainte nationaliste »</a> qui vient de paraître aux éditions Fayard. En s’appuyant sur plus de trente ans de recherches aussi bien historiques que sociologiques, le chercheur décrypte, à partir notamment des affaires autour du « voile », la façon dont les discours réactionnaires, extrémistes et ultra-nationalistes se sont emparés de l’espace public français. Extraits choisis de l’introduction.</em></p>
<hr>
<h2>Panique sur le foulard des musulmanes</h2>
<p>Le voile, et à travers lui l’islam, rend bel et bien <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2004-2-page-96.htm">« hystérique »</a>.</p>
<p>La liste des exemples est sans fin. En réalité, il ne se passe pas une année sans qu’une polémique vienne raviver le feu allumé en 1989 à Creil (Oise), lorsque, à la rentrée scolaire de septembre dans un collège, trois adolescentes dont deux sœurs de 13 et 14 ans ont refusé d’enlever ce qu’on appelait souvent à l’époque un « tchador » (un grand foulard faisant le tour de la tête pour recouvrir l’ensemble des cheveux). Chaque année depuis se déroule un nouvel épisode de cette longue série qui pourrait s’intituler « Panique sur le foulard des musulmanes ».</p>
<p>Cela fait donc trente ans que le débat public français est empoisonné par cette question d’un choix vestimentaire opéré par certaines femmes de confession musulmane. C’est un premier constat.</p>
<h2>Des femmes sans voix</h2>
<p>Le second est que, bizarrement, la plupart des commentateurs fantasment les raisons qui motivent ces femmes mais ne leur ont jamais demandé leurs raisons. <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/des-voix-derriere-le-voile">Ils parlent à leur place</a>, donc.</p>
<p>Ils interprètent sans savoir, les explications leur paraissent aller de soi. Deux argumentations dominent, qui parfois <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/2561">se cumulent</a>.</p>
<p>Les uns y voient une attaque fondamentale contre la laïcité, les autres un signe de la domination masculine et de l’oppression des femmes. Or, dans la réalité, les <a href="https://www.cairn.info/le-foulard-et-la-republique--9782707124289.htm">nombreux chercheurs</a> qui ont pris la peine d’<a href="https://journals.openedition.org/assr/20712">interroger les intéressées</a> depuis vingt ans ont facilement montré que leurs motivations premièrement étaient diverses, deuxièmement ne relevaient fondamentalement <a href="https://lafabrique.fr/les-filles-voilees-parlent/">d’aucune</a> des deux explications <a href="https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2009-2-page-113.htm">proposées</a>.</p>
<p>La réalité est que, en France, au tournant du XX<sup>e</sup> et du XXI<sup>e</sup> siècles, la décision de porter le voile pour une jeune femme se fait principalement dans un processus d’affirmation identitaire individuelle et/ou dans une quête spirituelle personnelle qui, en soi, n’impliquent ni hostilité envers les institutions françaises ni soumission à un quelconque pouvoir masculin.</p>
<h2>Une passion française</h2>
<p>Enfin, le troisième constat que l’honnêteté commande de faire est le suivant : il s’agit d’une passion spécifiquement française. Tous les épisodes que nous venons d’évoquer ont en effet provoqué la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-letranger-burkini-la-france-se-trompe-de-combat">consternation</a> dans la plupart des pays du monde, y compris les autres pays occidentaux.</p>
<p>À tel point que le Haut-Commissariat de l’ONU aux Droits de l’Homme <a href="http://www.leparisien.fr/societe/burkini-les-arretes-favorisent-la-stigmatisation-des-musulmans-selon-l-onu-30-08-2016-6080393.php">était intervenu fin août 2016</a>, après l’affaire du « burkini », estimant que</p>
<blockquote>
<p>« ces décrets n’améliorent pas la situation sécuritaire ; ils tendent au contraire à alimenter l’intolérance religieuse et la stigmatisation des personnes de confession musulmane en France, en particulier les femmes. […] Les codes vestimentaires, tels que les décrets anti-burkini, affectent de manière disproportionnée les femmes et les filles et sapent leur autonomie en niant leur aptitude à prendre des décisions indépendantes sur leur manière de se vêtir ».</p>
</blockquote>
<p>Pourquoi donc ce particularisme français ? Qu’est-ce qui se joue dans notre pays ? Pourquoi ce qui paraît banal et relevant de la liberté individuelle dans d’autres pays laïcs, est perçu en France comme une agression insupportable et une pratique à éradiquer ? D’où vient cette allergie à l’islam si répandue dans les élites françaises ? D’où viennent cette agressivité et parfois cette hystérie prêtes à se déclencher à la moindre apparition d’une femme voilée dans l’espace public ?</p>
<p>[…]</p>
<p>On peut imaginer plusieurs réponses à cette question, que je pose notamment à la fin de l’ouvrage.</p>
<h2>Répondre à la nouvelle pensée nationaliste</h2>
<p>Mais la première qui peut légitimement venir à l’esprit est la suivante : ces discours ont peut-être du succès pour la bonne et simple raison qu’ils proposeraient un diagnostic pertinent des problèmes de la société française.</p>
<p>Et si Renaud Camus n’était pas un vieux paranoïaque théorisant une hallucination dénommée « grand remplacement » mais un véritable visionnaire ? Et si son disciple Zemmour n’était pas un polémiste névrosé et une machine à fake news mais au contraire un véritable historien et un lanceur d’alerte valeureux et clairvoyant ? Qu’importe que son discours ressemble à s’y méprendre à celui des vieux antisémites du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Librairie antisémite à Paris en 1901.</span>
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<p>S’il avait raison, cela justifierait tout. N’est-ce pas là le fond de l’affaire ? N’est-ce pas sur ce point précis qu’il faut porter le débat ? Les journalistes comme les hommes et les femmes politiques qui débattent tous les jours de ces questions ne prétendent-ils pas nous dire quelle est la vérité sur les problèmes de la société française ? La réponse ne fait aucun doute. Plus que jamais, on peut dire que <a href="https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1997_num_126_4_3546">« le problème de la vérité et de sa manipulation est aujourd’hui au cœur du débat sur l’immigration »</a>.</p>
<p>Et telle est la raison d’être de ce livre : répondre sur le fond à cette « nouvelle » pensée nationaliste à la mode. D’abord en soumettant ses principaux arguments concrets à une sorte d’examen pédagogique de vérification, sur l’immigration, sur la religion, sur la délinquance, sur les motifs de la migration, sur la laïcité, etc. Ensuite en confrontant ses imaginaires historiques profonds (ceux qui déterminent l’idée qu’ils se font de « l’identité française », de la « nation française » ou de la « civilisation française ») à une analyse froide et lucide de l’histoire et de la situation sociale actuelle de notre pays.</p>
<hr>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1206&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1206&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1206&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-france-telle-quelle-est-9782213716800">Fayard</a></span>
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<p><em><a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-france-telle-quelle-est-97822137168">« La France telle qu’elle est, pour en finir avec la complainte nationaliste »</a>, paraît le 4 mars, aux éditions Fayard.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131365/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Mucchielli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« La France telle qu’elle est. Pour en finir avec la complainte nationaliste » paraîtra le 4 mars aux éditions Fayard. Extraits.Laurent Mucchielli, Directeur de recherche au CNRS (Laboratoire méditerranéen de sociologie), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283382020-01-23T19:13:09Z2020-01-23T19:13:09ZLaïcité : l’exception n’est pas là où les Français la voient<p>Le 14 janvier 2020, le <a href="https://www.la-croix.com/France/Politique/deputes-LREM-nouvelle-commission-Stasi-laicite-2020-01-14-1201071749">groupe parlementaire LREM</a> s’est rallié à la demande du député Christian Jacob (Les Républicains, LR) pour la création d’une commission nationale sur la laïcité. Cette annonce, figurant parmi les mesures de la majorité « contre les replis communautaires » promises par Emmanuel Macron, peut s’interpréter comme une réponse à la dernière controverse sur le voile islamique provoquée par un élu du Rassemblement national <a href="https://www.youtube.com/watch?v=AeA4F8ACWUk">Julien Odoul</a>, en octobre dernier.</p>
<p>D’un côté, le ministre de l’Éducation, Jean‑Michel Blanquer, <a href="https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/sorties-scolaires-blanquer-%20prefere-qu-une-mere-accompagnatrice-ne-porte-pas-le-voile-car-il-n-est-pas-%20souhaitable-dans-notre-societe-1193770.html">avait déclaré</a> que le voile « n’est pas souhaitable dans notre société ». De l’autre, une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/10/15/jusqu-ou-laisserons-nous-passer-la-haine-des-musulmans_6015557_3232.html">tribune</a> avait alerté sur la stigmatisation des musulmans au nom de la laïcité. L’événement, qui a débuté par une indignation quasi-unanime, a néanmoins fourni l’occasion au Sénat d’une <a href="https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr18-083.html">proposition de loi</a> visant à restreindre un peu plus la visibilité du voile dans l’espace public.</p>
<h2>Une exception française ?</h2>
<p>Ce nouvel épisode de polarisation mobilise les mêmes ressources rhétoriques depuis deux décennies pour justifier des positions qui sont perçues, hors des frontières, comme des atteintes aux libertés religieuses notamment des musulmans – en <a href="https://www.theguardian.com/world/2015/oct/13/pork-school-dinners-france-secularism-children-religious-intolerance">Grande Bretagne</a> ou en <a href="https://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/unternehmen/nach-kritik-decathlon-verzichtet-auf-verkauf-von-jogging-kopftuch-16062276.html">Allemagne</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/310909/original/file-20200120-69606-1hwwxfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310909/original/file-20200120-69606-1hwwxfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310909/original/file-20200120-69606-1hwwxfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=892&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310909/original/file-20200120-69606-1hwwxfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=892&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310909/original/file-20200120-69606-1hwwxfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=892&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310909/original/file-20200120-69606-1hwwxfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1121&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310909/original/file-20200120-69606-1hwwxfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1121&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310909/original/file-20200120-69606-1hwwxfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1121&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte appartenant à un jeu dessiné par Jacques-Louis David sous la Terreur, dans lequel les dames incarnent des vertus ou des libertés nouvelles. Ainsi, l’ancienne dame de cœur personnifie la fraternité et la liberté de culte.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Musee-historique-lausanne-img_0126.jpg?uselang=fr">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’invocation de la laïcité comme une <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/laicite-une-histoire-millenaire">exception</a>, jugée tantôt <a href="https://www.20minutes.fr/societe/1520667-20150119-laicite-francaise-exception-suscite-incomprehension">incomprise</a>, tantôt menacée, <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/03/19/31003-20180319ARTFIG00299-l-appel-des-100-intellectuels-contre-le-separatisme-islamiste.php">ici</a> et <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2637707-20191027-religions-78-francais-jugent-laicite-menacee-sondage">là</a> est devenue un lieu commun dans un débat clos sur l’espace national.</p>
<p>Or, la comparaison européenne fait apparaître que la singularité française ne réside pas dans les fondements historiques de sa laïcité mais dans son invocation récente face aux inquiétudes de la société.</p>
<h2>Historiquement, un processus commun en Europe</h2>
<p>La vision exceptionnaliste de la laïcité française proposée par le <a href="https://www.puf.com/content/Dieu_et_Marianne">philosophe Henri Peña-Ruiz</a> au début des années 2000 a eu un grand écho dans la gauche laïque. Selon cette vision, la laïcité est un <a href="http://www.laicite-republique.org/henri-pena-ruiz-la-laicite-un.html">idéal d’émancipation à portée universelle</a> issu des Lumières françaises et dressé contre les « traditions rétrogrades ».</p>
<p>Plus récemment, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/laicite-une-histoire-millenaire">l’historien Jean‑François Colosimo</a> a offert une interprétation de la laïcité aux racines encore plus anciennes, invoquant « mille ans de laïcité », depuis l’affirmation de l’autonomie du pouvoir temporel par la monarchie française et son émancipation de la tutelle papale.</p>
<p>Pourtant, en replaçant l’histoire nationale dans une histoire globale et comparée, le régime politique français de laïcité apparaît comme l’une des modalités d’un processus commun, fondateur de la modernité européenne.</p>
<p>Bien avant qu’apparaisse en France le <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4175">concept de laïcité à la fin du XIXᵉ</a>, un sécularisme s’est progressivement affirmé en Europe. Le sécularisme désigne le type de relations entre État et religions dans les pays de tradition démocratique. La laïcité, qui est un mode de sécularisme, désigne le principe de séparation des Églises et de l’État.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310911/original/file-20200120-69539-wx8r4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310911/original/file-20200120-69539-wx8r4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=473&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310911/original/file-20200120-69539-wx8r4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=473&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310911/original/file-20200120-69539-wx8r4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=473&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310911/original/file-20200120-69539-wx8r4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310911/original/file-20200120-69539-wx8r4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310911/original/file-20200120-69539-wx8r4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les évêques français prêtant le serment civil exigé par le Concordat, régime organisant les rapports entre les différentes religions et l’État dans toute la France depuis 1801. <em>Paris à travers les siècles</em>, v. 4, Paris, F. Roy, 1881.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Concordat_of_1801?uselang=fr#/media/File:FrenchChurchOathConcordat.jpg">Henri Gourdon de Genouillac/Wikimedia</a></span>
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<p>Les principes des révolutions anglaise, américaine et française, ont substitué à l’idée de tolérance des minorités religieuses, celle de liberté religieuse des sujets/citoyens, entamant un divorce entre États modernes et religions, plus ou moins brutal selon les contextes nationaux.</p>
<p>En France, où les Lumières ont développé une « idéologie de la raison » dirigée contre la religion en tant que foi et en tant qu’institution, la religion est devenue symbole d’irrationalité et de soumission.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/310914/original/file-20200120-69568-1or9hjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310914/original/file-20200120-69568-1or9hjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310914/original/file-20200120-69568-1or9hjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=864&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310914/original/file-20200120-69568-1or9hjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=864&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310914/original/file-20200120-69568-1or9hjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=864&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310914/original/file-20200120-69568-1or9hjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1086&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310914/original/file-20200120-69568-1or9hjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1086&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310914/original/file-20200120-69568-1or9hjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1086&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Emmanuel Kant, l’un des penseurs des « Lumières » en Allemagne, vers 1790.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Aufkl%C3%A4rung#/media/Fichier:Immanuel_Kant_(painted_portrait).jpg">Carnegie/Wiikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Au contraire, selon Gertrude Himmelfarb <a href="https://www.nationalaffairs.com/public_interest/detail/the-idea-of-compassion-the-british-vs-the-french-enlightenment">l’Enlightenment britannique s’est affirmé en partie contre la position française</a> sans opposer la <a href="https://www.cambridge.org/core/books/enlightenment-in-national-context/CE5FD30BBE4FB9D564F7426062B9B1D4">raison à la foi individuelle</a>.</p>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Aufkl%C3%A4rung">L’Aufklärung</a> allemand s’est quant à lui construit au XVIII<sup>e</sup> siècle en réaction aux Lumières françaises, comme théologie laïque protestante amendant les traditions et théories religieuses sans les rejeter.</p>
<h2>Pouvoirs séculiers et spirituels</h2>
<p>Dans les trois cas, les identités « séculières » et « chrétiennes » sont inextricablement liées. En France, le concept de laïcité a émergé pour briser le monopole de l’Église catholique sur l’État et l’école, dans un processus conflictuel. Au Royaume-Uni et en Allemagne, le processus de sécularisation s’est traduit par un déclin progressif de la domination de la religion, sans conflit manifeste entre pouvoirs spirituel et temporel.</p>
<p>En Grande-Bretagne, le chef de l’État est aussi le chef de l’Église établie, mais la liberté religieuse, l’égale citoyenneté et la non-discrimination sont les principes d’un pluralisme religieux reconnu graduellement du <a href="https://www.britannica.com/event/Toleration-Act-Great-Britain-1689">Toleration act</a> (1688) à l’<a href="https://www.gov.uk/guidance/equality-act-2010-guidance">Equality Act</a> (2010).</p>
<p>En Allemagne, l’État national s’étant constitué au XIX<sup>e</sup> siècle à partir de <a href="https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1996_num_105_588_21673">principautés de religions différentes</a>, le pluralisme religieux a été reconnu avant et après la période du III<sup>e</sup> Reich. La loi fondamentale de 1949 garantit, comme en France, les libertés religieuses et la neutralité de l’État, mais ce dernier pratique aussi une forme de reconnaissance légale des communautés religieuses.</p>
<h2>Une timide expérience du pluralisme religieux</h2>
<p>Dans cette perspective, la laïcité n’apparaît plus comme une exception française. S’il y a bien une particularité, c’est que l’expérience historique française n’a pas été celle du pluralisme religieux sur une longue durée.</p>
<p>La tolérance instituée par l’Édit de Nantes (1598) n’a duré qu’un siècle avant d’être rétablie un an seulement avant la Révolution. Ainsi le sécularisme français, que l’on commence à appeler « laïque » sous la <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-la-laicite-en-france--9782130581253.htm">IIIᵉ République</a>, dut s’imposer à une Église catholique restée hégémonique.</p>
<p>Selon le journaliste néerlandais <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/088472-049-A/28-minutes/">Stefan de Vries</a> cette particularité s’exprime encore aujourd’hui par une difficulté à accepter la visibilité d’autres religions que la religion catholique.</p>
<p>La France est confrontée à un pluralisme dont elle a en réalité peu fait l’expérience, et l’exception réside dans la mobilisation d’une <a href="https://journals.openedition.org/revdh/3951">« nouvelle laïcité »</a> depuis les années 2000, contre la <a href="https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/281019/laicite-versus-secularisation-de-la-liberte-religieuse-l-islamophobie-politique">visibilité de l’islam</a> dans l’espace public.</p>
<h2>Une « nouvelle laïcité »</h2>
<p>Le <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r1275-t1.asp">rapport Baroin</a> « Pour une nouvelle laïcité », commandé par l’ancien premier ministre Jean‑Pierre Raffarin en 2003, a fait pour la première fois référence à l’« identité nationale » dans un contexte de problématisation du voile.</p>
<p>Depuis, le principe laïque n’est plus invoqué comme une norme régissant les pouvoirs publics, mais comme symbole de la République s’appliquant aux citoyens (musulmans) eux-mêmes. À « Liberté, Égalité, Fraternité » semble donc s’être ajoutée, « Laïcité ». En témoigne cette <a href="https://www.liberation.fr/france/2016/04/12/manuel-valls-depuis-plus-de-trente-ans-on-me-demande-si-je-suis-de-gauche_1445774">affirmation de l’ancien premier ministre, Manuel Valls</a>, en 2016 : « La laïcité, c’est notre ADN ».</p>
<p>Trois lieux communs alimentent cette « nouvelle laïcité », sans lien avec le principe laïque, tel qu’il est exprimé par les lois et dispositions constitutionnelles, soient les <a href="http://www.senat.fr/evenement/archives/D42/">lois Jules Ferry 1882</a>, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000508749">loi de 1905</a> et le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946">préambule de la Constitution 1946</a>. On entend ainsi bien souvent que « la religion est une affaire privée » ; « l’égalité hommes-femmes est une dimension essentielle de la laïcité » ; la « laïcité est un rempart contre la menace terroriste ».</p>
<h2>Un double legs historique</h2>
<p>Cette « nouvelle laïcité » apparaît donc comme un cadre d’interprétation spécifiquement français des enjeux socioculturels, identitaires et sécuritaires liés à l’islam, qui peut s’interpréter comme le produit d’un double legs historique.</p>
<p>D’une part, la tradition laïque s’est traduite par l’émergence de mouvements qui, soit par anticléricalisme, soit par attachement à une laïcité de tradition catholique, expriment une réticence à la visibilité de l’islam. D’autre part, les études postcoloniales, dont <a href="https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1981_num_12_3_1857_t1_0357_0000_1"><em>l’Orientalisme</em>, d’Edward Said</a>, constitue l’un des textes fondateurs, interrogent les legs laissés par la colonisation.</p>
<p>La guerre d’indépendance de l’Algérie, perdue politiquement plus que militairement, aurait engendré une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_fracture_coloniale-9782707149398.html">« fracture coloniale »</a>, ou une <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2007_num_1268_1_4649">« guerre des mémoires »</a>.</p>
<p>En comparaison, l’Allemagne a un passé colonial marginal, et la présence de l’islam sur son territoire découle d’une alliance d’abord politique puis économique avec la Turquie. À cela s’ajoute le legs traumatique du national-socialisme, qui a rendu politiquement coûteux les <a href="https://scholar.google.ch/citations ?user=coaVKSAAAAAJ&hl=de">discours identitaires, ou völkish</a>, à la marge des mouvements d’extrême droite.</p>
<p>Du côté britannique, la continuité politique et économique entre l’Empire colonial et le Commonwealth s’est traduite par une mémoire post-impériale moins conflictuelle à l’égard de l’islam.</p>
<p>En mobilisant cette « nouvelle laïcité » de façon incantatoire en France, ne prend-on pas le risque de rendre inaudible le principe laïque de 1905, indispensable au respect des libertés fondamentales, et de rendre invisible une « fracture coloniale » qui polarise pourtant implicitement le débat public ?</p>
<hr>
<p><em>Texte édité avec la collaboration de Victor Baussant.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128338/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeanne Prades a reçu des financements de l'Institut polytechnique de Paris (allocation de recherche 2016-2019).</span></em></p>La comparaison européenne fait apparaître que la singularité française autour de la laïcité ne réside pas dans des fondements historiques.Jeanne Prades, Doctorante en Science politique - Relations internationales, École polytechniqueLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1274132019-11-24T16:32:42Z2019-11-24T16:32:42ZFace aux discriminations, les musulmans et les minorités demandent l’égalité<p>Emmanuel Macron <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Les-Miserables-le-cri-d-alarme-sur-les-banlieues-qui-seduit-Macron-et-Borloo-1659860">se rendra-t-il à Montfermeil</a> comme le souhaite Ladj Ly, réalisateur primé à Cannes pour <em>Les Misérables</em> ? Ce film lui permettra-t-il – à lui comme à l’ensemble des Français·es – de considérer enfin les discriminations dont sont victimes une part non négligeable de nos concitoyen·ne·s ? Il serait temps.</p>
<p>Le climat de racisme ambiant et la <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-eric-zemmour-le-probleme-mais-la-legitimite-que-lui-conferent-les-medias-125271">libération de la parole xénophobe</a> a encouragé une série d’humiliations et d’attaques visant directement des personnes de confession musulmane.</p>
<p>Attentat contre une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/10/29/claude-sinke-l-homme-derriere-l-attaque-de-la-mosquee-de-bayonne_6017270_3224.html">mosquée à Bayonne</a>, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/julien-odoul-demande-a-une-mere-accompagnatrice-denlever-son-voile_fr_5da1887ce4b087efdbaebacc">humiliation</a> d’une mère portant un foulard et accompagnatrice d’une sortie scolaire à Dijon, propos comparant les femmes voilées à des « sorcières d’Halloween » <a href="http://www.leparisien.fr/politique/femmes-voilees-comparees-a-des-sorcieres-d-halloween-pas-de-sanctions-pour-le-senateur-08-11-2019-8188809.php">par un sénateur</a> … La liste est longue.</p>
<p>Ces séquences éprouvantes laissent des traces profondes, sociales, psychologiques, individuelles comme collectives, ainsi que le révèle une enquête que nous conduisons depuis 2015.</p>
<h2>Plus de 90 % des enquêtés ont subi ou été témoins de discrimination</h2>
<p>Les débats concernant la place des religions dans la société française ne sont pas illégitimes. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/14/les-musulmans-n-en-peuvent-plus-d-entendre-parler-de-leur-religion-sur-le-mode-de-la-denonciation-et-du-denigrement_6019085_3232.html">Ils se mènent cependant le plus souvent sans ceux/celles qui sont le plus directement concerné·es</a>, beaucoup s’autorisant à décider à leur place ce que signifie telle ou telle pratique ou évoquant la menace d’un supposé « agenda caché ». Ici, l’enquête sociologique permet de rappeler certains faits.</p>
<p><a href="https://anr.fr/Projet-ANR-14-CE30-0011">La recherche</a> que nous conduisons depuis 2015 dans les quartiers populaires révèle en effet l’ampleur des discriminations et de la stigmatisation dont sont victimes les citoyen·ne·s perçu·es comme descendant·es de l’immigration ou musulman·es.</p>
<p>Nous avons conduit 165 entretiens biographiques dans plusieurs agglomérations de France (Grenoble, Bordeaux, Lyon, Roubaix et en Seine-Saint-Denis Villepinte et Le Blanc-Mesnil). Plus de 90 % des personnes rencontrées déclarent avoir fait au moins une fois directement, ou comme témoin, l’expérience d’une discrimination ou d’un acte stigmatisant.</p>
<h2>Un impact sur l’ensemble de la société</h2>
<p>À côté des propos racistes, des insultes et remarques stigmatisantes, la discrimination désigne une différence de traitement en raison de critères illégitimes et illégaux.</p>
<p>Beaucoup se sont vus refuser un emploi ou une progression de carrière, un logement alors que leur dossier correspond aux attentes, n’ont pas pu accéder à certains magasins ou loisirs. On pense par exemple à ces femmes portant un voile empêchées de participer <a href="https://www.liberation.fr/direct/element/a-croix-deux-femmes-empechees-de-brocante-car-voilees_97029">à une brocante</a>. D’autres, ne portant pas forcément de signes religieux mais perçu·es comme noir·es, arabes, musulman·es, roms, jeunes de quartiers, subissent des contrôles d’identités routiniers, humiliants voire violents… Souvent minimisée, il s’agit d’une réalité massive et incontestable, démontrée par de <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/grandes-enquetes/trajectoires-et-origines/">nombreuses études de sciences sociales</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trois lycéens ont assigné l’État en justice pour contrôle d’identité abusif (Brut, 2017).</span></figcaption>
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<p>Notre enquête, qui donnera lieu à un ouvrage collectif en 2020, renseigne sur l’étendue de la violence sociale subie par ces personnes et son impact sur l’ensemble de notre société.</p>
<h2>Démotivation, dépression, suicides</h2>
<p>Ces traitements inégalitaires constituent un traumatisme profond pour les individus. Nombre de nos enquêté·es ont comparé ces expériences à « une gifle », « un coup de poignard ». Elles suscitent colère et tristesse. Elles entraînent des interrogations et des doutes, construisent des identités meurtries.</p>
<p>Les expériences stigmatisantes ont également des conséquences pratiques. Démotivation, dépression, suicide : leurs effets sur la santé ont été abondamment documentés dans <a href="https://research-information.bristol.ac.uk/en/publications/a-systematic-review-of-studies-examining-the-relationship-between-reported-racism-and-health-and-wellbeing-for-children-and-young-people(813653aa-47f4-4aaf-b041-8850162c1220)/export.html">plusieurs pays</a>, et commencent à l’être en France, comme l’atteste par exemple la surmortalité des descendant·e·s d’immigré·es de <a href="https://www.ined.fr/fr/actualites/presse/la-premiere-etude-sur-la-mortalite-des-descendants-dimmigres-de-deuxieme-generation-en-france-revele-une-importante-surmortalite-chez-les-hommes-dorigine-nord-africaine/">deuxième génération</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MzgKxgrfbNs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Impact du contexte social sur la dépression des jeunes issus de minorités (National Institute of Mental Health, 2017).</span></figcaption>
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<h2>Quitter la France pour fuir le racisme</h2>
<p>Dans ce contexte, un nombre croissant de Français, membres de groupes minorisés, spécialement les musulman·e·s, <a href="https://www.bondyblog.fr/societe/eduques-formes-et-discrimines-les-injustices-au-travail-des-francais-dorigine-maghrebine/">envisagent de quitter le pays ou l’ont déjà fait</a> pour se prémunir de cette atmosphère étouffante. Nous avons interviewé de nombreux Français·es installé·es au Canada, en Angleterre ou aux États-Unis qui expriment à quel point, même si le racisme y existe aussi, leur vie y est malgré tout plus simple, le quotidien moins oppressant.</p>
<p>C’est le cas par exemple de Mourad, d’origine algérienne, titulaire d’un doctorat en sociologie de l’Université Paris 8, qui gérait une librairie à Colombes. Il a décidé avec sa femme de migrer à Montréal explicitement à cause du racisme en France :</p>
<blockquote>
<p>« C’était trop dur, toujours ces regards, je ne voulais pas que mes enfants grandissent là. »</p>
</blockquote>
<p>C’est également le cas de Slimane, travailleur social d’origine franco-tunisienne, qui a vécu en Tunisie jusqu’à l’âge de 19 ans et est arrivé en France pour faire des études de sociologie. Après avoir travaillé une dizaine d’années comme animateur dans un centre social à Strasbourg, il fait le choix d’émigrer au Québec, fatigué par le regard suspicieux porté sur les immigrés originaires du Maghreb :</p>
<blockquote>
<p>« Je voulais partir, je ne voulais plus rester en France. J’en avais marre de devoir toujours, toujours me justifier. Et puis on parlait souvent du Maghreb, des arabes… J’ai joué le jeu pendant 10 ans en me disant “OK, on va faire de la pédagogie”, mais à un moment donné, voilà, j’en avais marre. »</p>
</blockquote>
<p>La France ne les aime pas, donc ils la quittent. Ce phénomène, qui n’est pas qu’anecdotique parmi nos enquêtés, devrait nous interroger : certains de nos compatriotes quittent leur pays pour vivre une vie décente et digne.</p>
<p>En s’attaquant à leur identité, les propos et traitements inégalitaires déstabilisent l’image de soi des individus. Certain·es peuvent dire que ce n’est pas leur problème ou que celui-ci est secondaire au regard d’autres sujets d’actualité. On peut aussi considérer que la souffrance sociale et les manières d’y répondre sont des questionnements d’intérêt collectif, qui concernent et affectent la nation tout entière.</p>
<h2>« Vous n’avez qu’à retirer votre voile »</h2>
<blockquote>
<p>« Si vous voulez accompagner les sorties scolaires, vous n’avez qu’à retirer votre voile. »</p>
</blockquote>
<p>On a beaucoup entendu sur les plateaux de télévision comme chez les élu·e·s de tous bords cette injonction à se dévoiler faite aux femmes musulmanes.</p>
<p>Comme si, pour continuer à exister sans discrimination ou stigmatisation il fallait s’effacer, « se faire discret » <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/08/15/01016-20160815ARTFIG00078-chevenement-conseille-la-discretion-aux-musulmans.php">(comme le proposait un ancien ministre de l’intérieur)</a>. En d’autres termes : s’invisibiliser. Il s’agit de faire porter aux individus discriminés eux-mêmes la responsabilité du traitement injuste dont ils et elles font l’objet.</p>
<p>Autre propos fréquemment entendu : « Mais vos mères ne se voilaient pas, elles ! C’était différent dans les années 1980 ». Constat en partie exact, mais qui fait généralement l’économie d’une analyse pourtant établie par de nombreux travaux de sciences sociales. Ce mouvement de retour du religieux touche toutes les confessions, pas seulement l’islam et ce <a href="https://www.eerdmans.com/Products/4691/the-desecularization-of-the-world.aspx">dans le monde entier</a>.</p>
<h2>Pourquoi l’offre religieuse trouve-t-elle son public ?</h2>
<p>Le développement d’un islam plus rigoriste est le fruit de la mobilisation de certains courants théologiques au Moyen-Orient, qui ont été pour partie importés en France <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-islam-mondialise-olivier-roy/9782020538343">depuis la fin des années 1980</a>.</p>
<p>Mais il convient de se demander pourquoi cette offre religieuse a fonctionné et a conquis une partie de la jeunesse française. On sait ainsi que les jeunes de 18 à 25 ans se déclarant musulmans indiquent une <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/secularisation-regain-religieux/">religiosité supérieure de 10 points aux croyants de plus de 35 ans</a>.</p>
<p>On ne peut comprendre la pratique religieuse plus intensive – à ne pas confondre avec la radicalisation – des musulman·e·s depuis plusieurs décennies (port du voile et de la barbe, pratique du ramadan et consommation halal par exemple) indépendamment des expériences de discrimination et de stigmatisation que subissent les minorités issues de l’immigration post-coloniale.</p>
<h2>L’islam comme refuge</h2>
<p>Le chômage de masse – on sait que le taux de chômage des immigrés et de leurs descendants s’avère <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/les-discriminations-accentuent-fortement-le-chomage-des-immigres-743681.html">au moins cinq points supérieur à la moyenne</a> – est en partie lié <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2891682?sommaire=2891780">aux discriminations à l’embauche</a> ou lors de l’orientation scolaire. Il constitue également un facteur qui pousse à chercher d’autres sphères de socialisation que celles du travail.</p>
<p>Né·es Français·es de parents étrangers, traité comme des « Français·es de seconde zone », pour reprendre une expression fréquemment entendue au cours de nos entretiens, elles et ils cherchent des clefs, des réponses, une <a href="http://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/limmigration-ou-les-paradoxes-de-lalterite-tome-iii/">forme de réconfort identitaire</a> dans des traditions familiales et culturelles refoulées, parfois <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9780429451737">imaginées ou réinventées</a>.</p>
<p>L’islam peut alors constituer un refuge. Si bien que paradoxalement plus le débat public se durcit, plus « la République se montre ferme » à coup de lois et de dispositifs d’exception, plus ces « Français de seconde zone », en particulier les musulman·e·s, se sentent ciblé·e·s et tendent à se retrancher vers des espaces et des ressources collectives de réassurance.</p>
<p>On ne peut pas à la fois provoquer le repli communautaire et le dénoncer. On n’émancipe pas non plus les gens malgré eux.</p>
<p>Quant à ce reproche de « communautarisme », de nombreuses recherches montrent qu’<a href="https://www.puf.com/content/Communautarisme">il est davantage l’apanage des plus aisés</a>, les « ghettos de riches » et autres « clubs » marqués par des formes d’entre-soi communautaire discrètes mais efficaces, que des minorités.</p>
<p>Ces résultats pourtant attestés n’empêchent pas les éditorialistes et nombre de nos représentant·e·s de mobiliser sans relâche ce terme pour (dis)qualifier les mobilisations politiques des minorités, comme lors des <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/manifestation-contre-l-islamophobie-philippe-y-voit-du-communautarisme-20191106">récentes manifestations</a> contre l’islamophobie.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KjmRoVZKx6U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les bonnes conditions, documentaire de Julie Gavras (ARTE).</span></figcaption>
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<h2>Une seule revendication : l’égalité</h2>
<p>Nous avons rencontré au cours de notre enquête des dizaines de militants et bénévoles actifs au sein des quartiers populaires. Ils et elles ne demandent pas de droits spécifiques. Ils ne sont pas les « chevaux de Troie d’un islam politique » qui ne dit pas son nom, comme l’avance une <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/infiltration-des-freres-musulmans-lelivre-qui-denonce-3927802">rhétorique complotiste</a> connaissant un succès grandissant ces derniers temps.</p>
<p>Ces militants ne réclament qu’une chose : l’égalité. Pouvoir bénéficier des mêmes droits et des mêmes opportunités que tous les autres citoyens de notre pays. Mettre en place, enfin, des politiques publiques reconnaissant le caractère systémique des discriminations et prenant à bras le corps ce problème qui mine la cohésion nationale : inspecteurs du travail dédiés, testings généralisés, sanctions réelles contre les entreprises et les institutions discriminantes (y compris les institutions publiques et d’État), attribution anonyme des logements sociaux, <a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20181022.OBS4284/sebastian-roche-pour-une-reforme-des-controles-d-identite.html">réforme des contrôles d’identité par la police</a>, respect égalitaire de la loi de 1905…</p>
<p>Il n’existe pas de solution miracle, mais tant que l’ampleur du problème n’aura pas été reconnue et constituée en priorité nationale, il perdurera. Les femmes qui portent le voile savent parler, il est urgent de les entendre dans leur diversité.</p>
<p>Constituer des groupes en « ennemis de l’intérieur » plutôt qu’en égaux avec qui on peut dialoguer amène inévitablement à une logique antagonique qui creuse encore le fossé démocratique et disloque la République au lieu de la rassembler.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs sont membres du <a href="https://www.univ-lille.fr/detail-evenement/?tx_news_pi1%5Bnews%5D=1427&tx_news_pi1%5Bcontroller%5D=News&tx_news_pi1%5Baction%5D=detail&cHash=7e431227370cbd0b7d7ff7c00f13cc53">collectif DREAM</a> ([discriminations, racismes, engagements et mobilisations).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127413/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Talpin a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Rien à déclarer</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anaïk Purenne, Guillaume Roux, Hélène Balazard, Samir Hadj Belgacem et Sümbül kaya ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les controverses ciblant les musulman·e·s laissent de profondes traces sur les individus. Il est urgent d’en prendre la mesure et d’écouter les premiers concernés, comme le révèle notre enquête.Julien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de LilleAnaïk Purenne, sociologue, chargée de recherche à l’Université de Lyon., ENTPEGuillaume Roux, Chercheur, sciences politiques, FNSP, laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Hélène Balazard, Chercheure en science politique à l’Université de Lyon, ENTPEMarion Carrel, Maîtresse de conférence en sociologie, Habilitée à diriger des recherches, Université de LilleSamir Hadj Belgacem, Maître de Conférence en sociologie à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneSümbül kaya, Chercheure, Responsable des Études contemporaines IFEA, Institut français d’études anatoliennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1270412019-11-21T20:51:03Z2019-11-21T20:51:03ZPrendre en compte la conviction religieuse dans l’entreprise : ce que dit le droit<p>Un employeur peut-il licencier une salariée, ingénieure informatique, refusant d’enlever son voile lorsqu’elle travaille chez un client opposé au port de ce signe religieux dans son entreprise ?</p>
<p>Dans son arrêt du <a href="https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/2484_22_38073.html">22 novembre 2017</a> (et à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé</p>
<blockquote>
<p>« qu’il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement ».</p>
</blockquote>
<p>La haute juridiction n’a-t-elle pas ouvert la voie aux ajustements de la norme lorsque l’application de celle-ci au cas concret pose question au regard du respect d’une liberté (ici la liberté de religion), suscite un conflit de valeurs ou de normes, risque d’engendrer une discrimination ?</p>
<p>À cet égard, et bien que les <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-70954">faits de l’affaire Leyla Sahin</a> soient bien éloignés du monde de l’entreprise puisqu’était concernée une jeune étudiante en médecine turque qui refusait d’enlever son voile à l’université, l’opinion dissidente de la juge Tulkens dans ce litige a gardé toute sa pertinence et doit être rappelée :</p>
<blockquote>
<p>« Dans une société démocratique, je pense qu’il faut chercher à accorder – et non à opposer – les principes de laïcité, d’égalité et de liberté. »</p>
</blockquote>
<p>Mais comment accorder ? Dans certaines situations, plusieurs droits fondamentaux se confrontent : droit à l’égalité, principe de non-discrimination et droit à la liberté de religion, sont étroitement enchâssés, dans un rapport ambigu de répulsion et d’attirance. L’opposition est parfois frontale entre système légaliste et mise en balance des intérêts.</p>
<h2>L’articulation de l’impératif juridique et de l’impératif religieux</h2>
<p>L’articulation de l’impératif juridique et de l’impératif religieux peut susciter des tensions dont la résolution réside dans une mise en balance des intérêts, une pesée de ceux-ci, aboutissant non point à un renoncement ou à un recul de la norme positive au profit de la norme religieuse, (ou l’inverse) mais davantage à une prise en compte de la liberté de religion en tant qu’elle est une liberté fondamentale grâce à une adaptation de la règle de droit.</p>
<p>S’agit-il alors de transplanter en France et plus largement en Europe cette notion venue d’outre-Atlantique connue sous le nom d’<a href="http://pus.unistra.fr/fr/printable/?GCOI=28682100460180">« accommodement raisonnable » comme le soulèvent Manon Montpetit et Stéphane Bernatchez</a> ?</p>
<p>Pas vraiment : parfois abusivement utilisée dans les discours publics, l’obligation d’accommodement raisonnable, qui est le corollaire du droit à l’égalité, est une construction de la jurisprudence afin d’assurer la mise en œuvre d’une « égalité réelle » plutôt que formelle.</p>
<p>Néanmoins, la simplicité de l’expression cache une évolution et une réalité complexes, sujettes à controverse.</p>
<h2>Adapter la norme commune ?</h2>
<p>En Europe, la problématique tenant à l’adaptation de la norme commune pour satisfaire la liberté de religion a également trouvé un écho à travers des concepts voisins ou distincts : principe de proportionnalité, concordance pratique.</p>
<p>Au premier chef, le principe de proportionnalité. Celui-ci occupe une place cardinale dans le raisonnement juridique toutes les fois qu’il s’agit d’apprécier la licéité d’une action ou d’une abstention au regard des normes protectrices des droits et libertés fondamentaux.</p>
<p>Par exemple, dans l’<a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-116097%22%5D%7D">affaire Eweida et autres c</a>. La Cour européenne a dû mettre en balance les droits des requérants et les intérêts légitimes de leurs employeurs.</p>
<p>En l’espèce, les requérants soutenaient que le droit national n’avait pas adéquatement protégé leur droit de manifester leur religion. Les deux premières requérantes se plaignaient en particulier de restrictions par leurs employeurs au port visible par elles d’une croix à leur cou. Concernant la première requérante, la Cour a conclu que les autorités n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le désir de la requérante de manifester sa foi et de pouvoir la communiquer à autrui et, d’autre part, le souhait de son employeur de véhiculer une certaine image de marque (quelle que soit par ailleurs la légitimité de cet objectif).</p>
<p>Comme l’accommodement raisonnable, le principe de proportionnalité est a priori d’une simplicité confondante dans sa compréhension et son maniement. Introduisant de la souplesse dans la règle de droit, en ce qu’il permet une application différenciée de celle-ci et respectueuse des droits fondamentaux, le principe de proportionnalité semble paré de toutes les vertus. Néanmoins, une analyse plus fine du principe en révèle les limites.</p>
<h2>Concordance pratique</h2>
<p>Parmi les techniques juridiques permettant d’appréhender les conflits entre droits fondamentaux, on ne peut manquer d’évoquer la notion de « praktische Konkordanz » ou concordance pratique, issue du droit constitutionnel allemand (<a href="http://pus.unistra.fr/fr/livre/?GCOI=28682100460180">voir l’article de Bernhard Kresse</a>).</p>
<p>Cette notion qui s’inscrit dans une logique de conciliation optimale, est traditionnellement mobilisée par la doctrine allemande pour résoudre les conflits de droits fondamentaux.
Celle-ci insiste sur le fait que lorsque deux droits fondamentaux sont en conflit, aucun d’entre eux n’a vocation à se voir a priori sacrifié au profit de l’autre.</p>
<p>Les deux droits en concurrence se doivent des concessions réciproques. Les deux aspects de la liberté de religion – celle des organisations religieuses et celle des individus – font l’objet d’une protection éminente en Allemagne.</p>
<p>Nul besoin ici de déroger à la norme générale de droit civil : la mise en balance des intérêts antagonistes permet de résoudre les conflits de valeurs, « dans une concordance pratique des valeurs en cause ».</p>
<h2>La critique des solutions au cas par cas</h2>
<p>Cette démarche d’ajustement ou d’aménagement de la norme au cas particulier soulève cependant aussi interrogations, résistances et critiques. Elle orienterait la gestion du droit vers des solutions particulières au cas par cas ou « sur mesure ».
Cette approche « casuistique » réduirait la sécurité juridique, elle pourrait conduire à un effritement de la norme commune (voir l’article de <a href="http://pus.unistra.fr/fr/livre/?GCOI=28682100460180">Frédéric Dieu sur ce sujet</a>).</p>
<p>En France, particulièrement, les principes constitutionnels de laïcité et d’égalité semblent s’opposer aux adaptations de la norme commune, mais la jurisprudence tout en nuances est réceptive à la satisfaction des demandes liées aux exigences religieuses.</p>
<p>Ainsi, <a href="http://lyon.cour-administrative-appel.fr/content/download/146304/1483834/version/1/file/17LY03323et17LY03328.pdf">le juge administratif</a> estime-t-il désormais que</p>
<blockquote>
<p>« les principes de laïcité et de neutralité auxquels est soumis le service public ne font pas, par eux-mêmes, obstacle à ce que, en l’absence de nécessité se rapportant à son organisation ou son fonctionnement, les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ou philosophiques ».</p>
</blockquote>
<p>En d’autres termes, comme le souligne Frédéric Dieu, il n’est plus possible de s’abriter derrière la norme commune que constituent les principes de laïcité et de neutralité du service public pour refuser ce type d’exigence.</p>
<p>Et que dire encore de la pratique de la <a href="https://books.openedition.org/pus/14358">circoncision rituelle</a>, largement répandue, souvent effectuée en milieu hospitalier et pourtant, heurtant frontalement certaines dispositions juridiques d’ordre public ?</p>
<h2>Le choix des stratégies d’intégration</h2>
<p>Comment articuler l’injonction paradoxale consistant à prôner d’un côté des politiques de valorisation de la diversité, de lutter contre la discrimination et à exiger de l’autre une forme d’invisibilité religieuse <a href="https://radical.hypoth%C3%A8ses.org/4711">(voir l’article de Jeanne Pawella sur ce point)</a> au travail ?</p>
<p>Le thème de l’accommodement ou de l’ajustement de la norme positive soulève des questions politiques et sociales qui concernent le traitement des minorités et le choix des stratégies d’intégration par les pouvoirs publics.</p>
<p>Les règles communes peuvent être « accommodées » pour faciliter leur participation dans le respect de leurs traditions propres. Cette démarche ou logique de conciliation, de concertation était déjà prônée dans le guide édité par le ministère du Travail en janvier 2017 sur le <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/guide_candidats_salaries_majfevrier2018valide.pdf">fait religieux en entreprise</a> e.</p>
<p>Dans son préambule, le guide définit l’entreprise en ces termes :</p>
<blockquote>
<p>« L’entreprise a une finalité économique mais elle est également un lieu de socialisation, de discussions, d’interactions, voire parfois de confrontation puisque le salarié y est aussi un individu avec son histoire, ses convictions, sa culture, ses croyances ou sa non-croyance. »</p>
</blockquote>
<p>Et poursuivant, pour préciser ses objectifs, il est écrit que</p>
<blockquote>
<p>« Ce guide […] apporte, en second lieu, des réponses à des cas concrets tout en suggérant les attitudes permettant de favoriser la recherche de solutions consensuelles. Dans tous les cas, pour assurer une vie collective apaisée et harmonieuse, la tolérance et le respect mutuels doivent présider à cette recherche. »</p>
</blockquote>
<p>L’ajustement des normes prend place dans une politique de pluralisme culturel et de respect de la diversité.</p>
<p>Toutefois, l’accommodement ou l’ajustement ne constitue pas un droit absolu : toute personne ou groupe concerné de manière défavorable par une mesure générale ne peut prétendre à un accommodement.</p>
<p>Quelle que soit la technique juridique utilisée ou la voie privilégiée, qui très souvent du reste se combinent, et même si le croyant ne saurait s’affranchir de la règle commune au nom de sa liberté de religion, l’effectivité de celle-ci et sa reconnaissance pleine et entière supposent des ajustements raisonnables du droit commun.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est issu de l’introduction du numéro Revue du droit des religions <a href="http://pus.unistra.fr/fr/printable/?GCOI=28682100460180">« Convictions religieuses et ajustements de la norme »</a> (juillet 2019), co-dirigé par l’auteure.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127041/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincente Fortier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En matière juridique, des règles communes peuvent être « accommodées » pour faciliter la participation de chacun dans le respect de ses traditions et religions propres.Vincente Fortier, Directrice de recherche, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1257802019-10-28T19:24:28Z2019-10-28T19:24:28ZDe la mauvaise défense de l’« islamophobie »<p>La France a longtemps été l’incarnation l’idéal-typique de l’universalisme des droits de l’homme – chez Max Weber, l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Id%C3%A9al-type">idéaltype</a> est une construction conceptuelle à laquelle la réalité est comparée. Or cette même France autorise, voire valorise, l’expression d’un inquiétant malaise face à l’altérité que les oripeaux « républicains » ne parviennent plus à dissimuler.</p>
<p>On a pu observer une nouvelle occurrence de ce malaise dans un récent débat télévisé à propos du port du foulard islamique entre <a href="https://www.gentside.com/voile/cnews-sara-el-attar-une-femme-voilee-recadre-pascal-praud-et-elizabeth-levy-sur-la-laicite_art92786.html">Sara El Attar et quelques-uns de ses interlocuteurs</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9dHlsSbKrHw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Sara El Attar face à Pascal Praud et Elisabeth Lévy, CNews, 21 octobre 2019.</span></figcaption>
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<h2>Du « droit » d’être islamophobe</h2>
<p>La récurrence des propos de certaines personnalités médiatiques ou d’élus quant au « port du voile islamique » résonne avec une tribune récemment publiée par <em>Libération</em> le 12 octobre.</p>
<p>De nombreuses « personnalités » du monde intellectuel et médiatique avaient alors affiché un total soutien au philosophe <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/10/12/nous-apportons-notre-total-soutien-a-henri-pena-ruiz_1756976">Henri Pena-Ruiz</a>, qui <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2019/08/26/qu-a-dit-henri-pena-ruiz-sur-le-droit-d-etre-islamophobe-lors-de-l-universite-d-ete-de-la-france-ins_1747363">avait suscité un tollé après avoir déclaré</a> en août dernier :</p>
<blockquote>
<p>« On a le droit d’être athéophobe comme on a le droit d’être islamophobe. En revanche, on n’a pas le droit de rejeter des hommes ou des femmes parce qu’ils sont musulmans. Le racisme, et ne dévions jamais de cette définition sinon nous affaiblirons la lutte antiraciste, le racisme c’est la mise en cause d’un peuple ou d’un homme ou d’une femme comme tel. Le racisme antimusulman est un délit. La critique de l’islam, la critique du catholicisme, la critique de l’humanisme athée n’en est pas un. »</p>
</blockquote>
<p>Je ne suis pas de ceux qui vouent le philosophe à la vindicte publique. Connu pour ses engagements progressistes, nul ne prétendra qu’il cède à une quelconque pulsion xénophobe. La liberté d’expression, dès lors qu’elle n’est pas en contradiction avec la loi, suffit d’ailleurs à justifier sa prise de parole publique. Mais s’agit-il bien de cette question dans la tribune de soutien susmentionnée ?</p>
<h2>Un terme équivoque</h2>
<p>Combien de fois sera-t-il nécessaire de dire l’équivocité du terme d’islamophobie ? Même si je pense que l’on aurait gagné à se passer de ce terme ambigu, il fait désormais partie du vocabulaire des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Islamophobie-9782707176806.html">sciences sociales</a>.</p>
<p>Il désigne incontestablement un racisme lorsqu’il fait référence à l’opinion selon laquelle les origines culturelles des musulmans constituent un obstacle insurmontable sur la voie de la citoyenneté, et plus encore lorsqu’elle travestit sous ce nom la haine des arabo-musulmans.</p>
<p>Évidemment, le terme n’est aucunement raciste lorsqu’il est utilisé pour désigner une légitime méfiance à l’égard des visées de l’islam politique. Mais est-il alors approprié pour nommer le droit à la critique rationnelle de la religion musulmane ?</p>
<p>Ne pas distinguer ces registres sémantiques conduit à une extrême confusion. Or, le premier me semble totalement négligé par les auteurs de la tribune.</p>
<p>Être islamophobe n’appartiendrait selon eux qu’au nécessaire droit à la critique des religions. Ils passent ainsi à côté de la réalité des discriminations dont les « minorités » (au <a href="https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1985_num_77_1_2224">sens politique</a> et non démographique du terme) sont victimes. La mobilisation en faveur de la laïcité, aussi louable puisse-t-elle être dans les intentions, éclipse la question sociale et sous-estime le risque d’une dérive xénophobe.</p>
<h2>Quand la laïcité fait le jeu de la logique identitariste</h2>
<p>S’il est légitime de se reconnaître dans une communauté politique, le « Nous » de cette communauté ne peut se bâtir sur l’exclusion d’un « Eux ». Cette passion nationale pour la laïcité emprunte dès lors, à l’opposé de l’universalisme revendiqué, à la logique identitariste.</p>
<p>Et, il faut le redire (bien que cela ait été fait, et bien fait, par Saïd Benmouffok dans <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/08/28/a-t-on-vraiment-le-droit-d-etre-islamophobe_1747794"><em>Libération</em></a> le 28 août dernier), la phobie ne peut être comprise comme un simple rejet.</p>
<p>Il y a surtout la peur et l’effroi suscités par la perception d’une menace. Si l’on souhaite critiquer les idées en épargnant les personnes, il faut ne pas recourir au concept de phobie, précisément parce qu’il confond les deux. Quel sens cela aurait-il, se demande justement Saïd Benmouffok, d’avoir peur du communisme sans redouter les communistes ? De même, peut-on avoir peur de l’islam sans craindre les musulmans ? Si l’on désire un examen rationnel, il faut tenir la peur à distance et, par conséquent, ne pas recourir à des termes dont les effets métaphoriques ne peuvent être maîtrisés.</p>
<h2>La diversité n’est pas la différence</h2>
<p>Derrière cette querelle, se perpétue l’affrontement entre un universalisme « décharné » – selon la <a href="http://lmsi.net/Lettre-a-Maurice-Thorez">suggestive expression</a> d’Aimé Césaire dans sa lettre de 1956 à Maurice Thorez – ou de « surplomb » ou « abstrait », dont le principe régulateur est l’assimilation du différent (sous le nom d’intégration, désigne-t-on vraiment une autre fin ?) et un universalisme « pluriel », fondé sur la valeur de la diversité.</p>
<p>Certes, faire de la diversité une valeur ne va pas de soi. Mais la diversité n’est pas la différence. Ce point est trop souvent mal compris. Ma conviction est que nos sociétés contemporaines ne peuvent traiter dignement les individus qui la composent en faisant abstraction de leur diversité. Ce souci de déterminer les principes qui doivent être adoptés pour la prendre en compte ne saurait être confondu avec sa promotion managériale dont les effets pervers ont été soulignés par d’autres, notamment, <a href="https://www.puf.com/content/Linvention_de_la_diversit%C3%A9">Réjane Sénac</a>.</p>
<p>Il convient donc, comme l’a souligné le philosophe <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/un-humanisme-de-la-diversite">Alain Renaut</a>, d’éviter la soumission du divers à l’identique.</p>
<p>Il nous incombe de créer les conditions qui autorisent simultanément la promotion de la diversité et la perception de notre humanité commune : semblables, mais divers, divers, mais semblables.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EE-vHDcHNU4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le candidat aux législatives canadiennies Jagmeet Singh représente avec force cette idée de diversité dans une unité nationale.</span></figcaption>
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<p>La diversité culturelle permet <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/un-humanisme-de-la-diversite">dès lors</a> de « tester le type de diversification par lequel les “semblables” que sont les hommes en viennent à trouver dans la façon dont ils s’apparaissent comme “dissemblables” un marqueur ou une marque de leur dignité ».</p>
<p>Et nous retrouvons là l’œuvre <a href="http://www.edouardglissant.fr/creolisation.html">du poète et philosophe martiniquais Édouard Glissant</a>, et l’importance de la distinction entre « créolité » (définie comme valorisation de la différence identitaire) et « créolisation » (comprise comme processus de mise en relation d’univers hétérogènes.</p>
<p>Cette créolisation permet de comprendre pourquoi le paradigme de la diversité rompt avec la problématique identitaire. Et pourquoi on peut défendre un universalisme ouvert à la diversité tout en évitant le piège du différentialisme culturel (soit l’exaltation de la différence culturelle).</p>
<p>Cette crispation accentue ce que la philosophe <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01742841">Jean‑Marc Ferry</a> a suggestivement nommé la « disjonction de l’universel et du commun » opérée par un « républicanisme de combat », lequel confond sacralisation de la nation et amour de la République. Malgré l’estime que je porte à nombre de signataires de cette tribune, je crains que celle-ci ne permette pas de dissiper le malaise.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur vient de publier « Le cosmopolitisme sauvera-t-il la démocratie ? » (dir.), Classiques Garnier, 2019 et publiera le 22 novembre « Le libéralisme politique expliqué aux jeunes gens », éditions Le Bord de l’eau.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Policar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mobilisation en faveur de la laïcité, aussi louable puisse-t-elle être dans les intentions, éclipse la question sociale et sous-estime le risque d’une dérive xénophobe.Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1184292019-06-25T19:54:47Z2019-06-25T19:54:47ZLe foulard des accompagnatrices scolaires : une question plus civique que religieuse<p>La question des mères d’élèves arborant un signe religieux vient, une fois de plus, de faire l’objet de débats, lors de la récente attaque de la part d'un élu (RN) à l'encontre d'une mère accompagnatrice d'un groupe scolaire dans l'enceinte du <a href="https://www.bfmtv.com/societe/femme-voilee-au-conseil-regional-l-accompagnatrice-de-sortie-scolaire-avait-le-droit-de-porter-le-voile-1786865.html">Conseil régional Bourgogne Franche-Comté</a>.</p>
<p>Un amendement a été voté pour interdire le port du voile pour les accompagnatrices sorties scolaires par le <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/sorties-scolaires-le-senat-vote-pour-l-interdiction-du-port-du-voile-pour-les">Sénat le 15 mai</a>, puis a été rejeté le <a href="https://www.senat.fr/rap/l18-575/l18-575.html">13 juin par la commission mixte paritaire de députés et sénateurs</a>.</p>
<p>Face à cette polémique récurrente, une question se pose : doit-on attendre des citoyens qu’ils aient démontré leur pleine citoyenneté, selon les normes républicaines, avant de pouvoir contribuer au commun ? Ou, pour le dire autrement, peut-on envisager cette question sous l’angle de la <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=60511">participation sociale</a> ?</p>
<h2>« Pas de voile ou alors pas de goûter »</h2>
<p>Prenons un cas apparaît comme particulièrement emblématique. À l’invitation d’une déléguée de parents d’élèves, fin novembre 2013, Nadia propose d’aider à la préparation du goûter de Noël d’une école élémentaire, à Méru, <a href="http://www.leparisien.fr/espace-premium/oise-60/une-maman-privee-de-gouter-a-cause-de-son-voile-11-12-2013-3396713.php">dans l’Oise</a></p>
<p>Sachant que dans une autre école de la ville, une mère avait été écartée d’une sortie scolaire en raison de son foulard, elle prend les devants et va voir la directrice, « pour lui demander si [son] voile poserait problème », la réponse est « pas de voile ou alors pas de goûter ».</p>
<p>Une pétition de soutien circule, signée aussi par des mères non musulmanes. La directrice annule le grand goûter devant rassembler tous les enfants et des parents, en le remplaçant par un petit goûter dans chaque classe, donc sans parents. Soulignant qu’elle veut « s’investir dans la vie des établissements [que ses enfants] fréquentent », Nadia ajoute qu’elle a « vécu cette affaire dans la souffrance ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zd8ybbFdxI0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Une centaine de femmes voilées manifestent devant une école et la mairie de quartier de la Mosson à Montpellier pour protester contre l’amendement visant à interdire le port du voile aux accompagnatrices des sorties scolaires. France 3 Occitanie, 24 mai 2019.</span></figcaption>
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<p>En décembre 2013, une <a href="https://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2014/09/20/femmes-voilees-interdites-de-sorties-scolaires-combien-de-plaintes_4491273_1473688.html">directive émanant du directeur académique</a> confirme l’interdiction de participer à des sorties scolaires aux mères voilées de Méru. Quelques mois plus tard, un groupe de mères se mobilise et porte l’affaire devant le <a href="http://www.leparisien.fr/meru-60110/sorties-scolaires-a-meru-les-meres-voilees-ont-eu-gain-de-cause-30-12-2015-5410981.php">tribunal administratif d’Amiens, qui leur donne finalement raison en 2015</a>.</p>
<p>Position de principe ou pragmatisme, un signe religieux empêche-t-il de participer au bien commun ?</p>
<h2>Doit-on être « neutre » pour participer à un goûter de Noël ?</h2>
<p>De tels cas sont fréquents et <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/Justice/A-Nice-le-tribunal-donne-raison-a-une-mere-interdite-de-porter-le-voile-en-sortie-scolaire-737038">leurs issues variables</a>. Ces refus s’appuient jusqu’à présent sur la <a href="https://www.liberation.fr/societe/2013/12/23/les-meres-voilees-peuvent-participer-aux-sorties-scolaires_96860">« Circulaire Chatel »</a> de 2012 qui stipule que les parents accompagnant les sorties scolaires ne portent pas de signes religieux ostentatoires.</p>
<p>Les positions des ministres de l’Éducation ont néanmoins été diverses. Vincent Peillon s’appuyait sur cette circulaire, alors que <a href="https://www.education.gouv.fr/cid83175/discours-de-najat-vallaud-belkacem-a-l-observatoire-de-la-laicite-21-octobre-2014.html">Najat Vallaud-Belkacem considérait que</a></p>
<blockquote>
<p>« Le principe c’est que dès lors que les mamans (les parents) ne sont pas soumises à la neutralité religieuse, comme l’indique le Conseil d’État, l’acceptation de leur présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception ».</p>
</blockquote>
<p>Quant au ministre actuel, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/sorties-scolaires-le-senat-vote-pour-l-interdiction-du-port-du-voile-pour-les">Jean‑Michel Blanquer, il souligne</a> que cet amendement</p>
<blockquote>
<p>« contreviendrait à un avis récent du Conseil d’État et poserait tout un tas de problèmes pratiques, qui iraient à l’encontre du développement des sorties scolaires ».</p>
</blockquote>
<p>Une mère doit-elle obligatoirement devenir « neutre » (sans signe religieux visible) pour pouvoir aider à préparer un goûter de Noël ou pour accompagner une sortie scolaire ?</p>
<p>La posture d’interdiction s’appuie sur une lecture extensive de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000417977&categorieLien=id">loi de 2004</a>, sur le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics et qui pourtant ne devrait s’appliquer qu’aux élèves.</p>
<p>Elle relève finalement de la position selon laquelle la personne doit montrer qu’elle est une bonne citoyenne, donc, selon ces critères républicains, ne pas porter de signe religieux, avant d’être autorisée à participer à la construction du bien commun, concernant ici la sociabilité scolaire et l’apprentissage de la pluralité aux enfants.</p>
<h2>« nous n’avons pas le droit d’accompagner nos enfants aux sorties scolaires mais nous avons le droit de faire des gâteaux »</h2>
<p>On peut s’interroger sur les effets collatéraux de telles interdictions.</p>
<p>Le premier effet est souligné, de manière pragmatique, par les acteurs éducatifs ou politiques s’opposant à l’interdiction : dans certains quartiers populaires, un grand nombre de sorties scolaires ne pourraient plus avoir lieu, faute de parents accompagnateurs.</p>
<p>Le second effet est celui de mésestime sociale qui impacte les mères, comme plusieurs le soulignent, alors qu’elles se sentent pleinement françaises (nées ici pour la très grande majorité, sinon arrivées très jeunes et scolarisées en France), et, plus largement, le groupe des musulmans.</p>
<p>Ces mères s’inquiètent aussi de l’impact de ces mesures sur leurs enfants, notamment sur l’image qu’ils ont de la laïcité et de la manière dont on traite les personnes visiblement musulmanes, comme le souligne <a href="https://www.saphirnews.com/Appel-du-18-juin-2014-oui-a-la-laicite-non-aux-discriminations-_a19032.html">cet appel de 2014</a> porté par les trois collectifs : « Maman toutes égales » et « Sorties scolaires avec nous », « Toi plus moi plus ma maman » et signé aussi par des militants non musulmans :</p>
<blockquote>
<p>« Parce que nous portons un foulard, nous n’avons pas le droit d’accompagner nos enfants aux sorties scolaires, mais nous avons le droit de nous présenter aux élections de délégués de parents d’élèves, nous avons le droit de siéger dans les conseils d’écoles, nous avons le droit de participer aux activités dans l’enceinte de l’école, mais nous sommes surtout les bienvenues pour faire des gâteaux. […]</p>
</blockquote>
<h2>Réactions et mobilisations</h2>
<p>Trois enquêtes font état des réactions et mobilisations de mères musulmanes face à cette interdiction. Dans la <a href="http://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100153570">première</a>, la sociologue canadienne Houda Asal montre que les engagements militants contre cette interdiction se sont inscrits dans un activisme plus large, celui de la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Islamophobie-9782707176806.html">lutte contre « l’islamophobie »</a>. Une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10767-018-9290-1">autre étude</a>, menée par la sociologue française Hanane Karimi, analyse les impacts émotionnels négatifs mais aussi les formes d’<em>empowerment</em> alternatifs. Enfin, une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01419870.2016.1171371">troisième analyse</a> des sociologues étatsuniens Alexandra Kassir et Jeffrey Reitz sur deux de collectifs de mères en France souligne le positionnement commun de ces femmes françaises et musulmanes. Elles affirment sans ambiguïté leur appartenance identitaire multiple en se référant à leur francité, à leur citoyenneté, ainsi qu’aux valeurs de tolérance et de vivre ensemble et réfutent l’unique assignation religieuse.</p>
<h2>L’impact sur les enfants</h2>
<p>Plus frappant encore, elles expliquent qu’elles sont particulièrement inquiètes de l’effet de cette interdiction pour leurs enfants. Certaines en viennent à inventer des prétextes pour leur cacher le fait qu’elles n’ont plus le droit d’accompagner les sorties, par crainte de leur donner une mauvaise image de l’école et de la société.</p>
<p>Bien que le phénomène soit difficile à quantifier (il n’existe pas d’étude sur la manière dont les enfants vivent cela), les divers médias/organismes musulmans (féminins ou généralistes, engagés ou non), en donnant la parole à des femmes concernées, souligne cette <a href="http://www.lallab.org/maman-tu-peux-maccompagner-en-sortie-scolaire/">crainte récurrente</a> depuis 2004. Quant au nombre de mères concernées, le chiffre est difficile à déterminer : CCIF, association militante de défense des musulmans fait état, dans un <a href="http://d6.islamophobie.net/rapports/CCIF-bilan-loi15mars2004.pdf">rapport de 2005</a>, de neuf écoles concernées dans une seule ville de la banlieue parisienne peu après la <a href="http://d6.islamophobie.net/rapports/CCIF-bilan-loi15mars2004.pdf">promulgation de la loi de 2004</a>. En 2013 l’association comptait une <a href="https://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2014/09/20/femmes-voilees-interdites-de-sorties-scolaires-combien-de-plaintes_4491273_1473688.html">centaine de sollicitations</a> de mères concernées et inquiètes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ACFqirJzH5g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">De quoi le voile est-il le nom ? Ecouter le podcast « Kiffe ta race » sur le sujet (Binge Audio) 15 juin 2019.</span></figcaption>
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<h2>Un combat pour des droits civiques et non religieux</h2>
<p>Par ailleurs, l’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01419870.2016.1171371">étude déjà citée</a>, montre aussi ce que ces femmes disent de leurs motivations à accompagner les enfants : agir en parents responsables et impliqués dans la vie de la « cité », ici représentée par l’école.</p>
<p>Et, contrairement à ce que la majorité des acteurs politiques, éducatifs et médiatiques affirme, ces femmes ne définissent nullement leur mouvement comme un combat pour des droits religieux, mais pour des droits civiques.</p>
<p>Par elles ne recherchent aucunement le soutien de mosquées ou d’imams. Comme le dit l’une d’elles lors d’entretiens avec les chercheurs, « Je ne vois pas pourquoi un imam devrait nous soutenir davantage qu’un homme politique » ou une autre « Je ne considère pas cette revendication comme religieuse ».</p>
<p>D’ailleurs, elles ne considèrent pas toujours ces derniers comme figure d’autorité : « ils ne sont pas la religion » et « s’ils considèrent que cela est licite ou non [cette revendication d’accompagner les enfants], c’est leur problème. […] Nous subissons des discriminations […] ce sont les droits de l’homme qui sont violés ».</p>
<h2>La notion de participation sociale, plutôt que celle d’intégration</h2>
<p>Le philosophe social pragmatiste John Dewey, dans son bel essai <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Le-public-et-ses-problemes"><em>Le public et ses problèmes</em></a>, nous invite à réfléchir à la « nature de l’idée démocratique », qui selon lui consiste pour l’individu à « prendre part de manière responsable, en fonction de ses capacités » aux activités des groupes auxquels il appartient.</p>
<p>Ces derniers incluent son quartier ou sa commune, un groupe de parent ou l’école de ses enfants, un syndicat ou une association professionnelle, une communauté religieuse etc.</p>
<p>Dewey considère donc que la démocratie s’enracine avant tout au niveau local :</p>
<blockquote>
<p>« La démocratie doit commencer à la maison, et sa maison, c’est la communauté de voisinage. » (p. 317)</p>
</blockquote>
<p>Cette vision de la démocratie invite à s’interroger sur la fabrication du monde commun, non pas comme un monde totalement neutre dans lequel les acteurs sociaux gommeraient leurs particularités, mais comme un monde qui se fabrique dès lors que ces acteurs, bien qu’agissant de manière très locale (environnement, quartier, école) ou en étant ancrés dans une identité particulière (religion, ethnicité, habitat spécifique…), le font avec une perspective d’un bien commun plus large que celui de leur groupe restreint.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118429/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Sophie LAMINE a reçu des financements de Agence Nationale de la Recherche</span></em></p>Un signe religieux comme le foulard empêche-t-il de participer au bien commun et de s’investir en tant que citoyen ?Anne-Sophie Lamine, Professeure de sociologie, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1179442019-06-25T19:50:07Z2019-06-25T19:50:07ZDébat : Y a-t-il une laïcité à la sénégalaise ?<p>Rayanna Tall, proviseure de l’établissement catholique d’enseignement secondaire, l’Institution Sainte-Jeanne d’Arc de Dakar, a informé par courriel, le 1<sup>er</sup> mai dernier, les parents d’élèves qu’à la rentrée prochaine la seule tenue autorisée pour les élèves serait « l’uniforme habituel avec la tête découverte aussi bien pour les filles que pour les garçons ». S’ensuivit une vive polémique sur le port du « voile » dans les écoles catholiques du Sénégal, chacun étant invité à soutenir ou condamner cette décision des sœurs de Saint-Joseph de Cluny qui, au fond, interroge le modèle sénégalais de laïcité.</p>
<h2>Plus laïc que l’État ?</h2>
<p>Il faut d’emblée, quand on parle de laïcité, rappeler qu’elle est plurielle. Il n’y a pas un seul et unique modèle de laïcité. En effet, la laïcité n’est qu’un modèle de sécularisation politique qui se distingue par la séparation des institutions religieuses et politiques d’une société. Il y a donc plusieurs modes de séparation de ces institutions qui dépendent forcément de l’histoire de leur relation. Si on polémique souvent sur la laïcité, c’est notamment parce que le laïcisme – doctrine excluant le religieux de l’espace public – en fait une valeur qui conduit à polariser le débat public.</p>
<p>Or, la laïcité <a href="https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_2007_num_39_1_1251">n’est pas une valeur idéologique</a> à laquelle on adhère mais un principe politique que l’on respecte, quel que soit son rapport aux religions. Interdire ! C’est ainsi que les « laïcistes » veulent appliquer la laïcité comme les islamistes veulent appliquer la charia : à travers une atteinte des droits humains les plus élémentaires. Ce qui est comparable dans les deux attitudes prohibitionnistes, c’est l’empêchement à un droit par exemple celui de l’éducation quand il s’agit de lycéennes « voilées » en France ou de lycèennes « non-voilées » en Arabie saoudite, voire de lycéennes tout court en Afghanistan.</p>
<p>C’est parce que la laïcité est sacralisée qu’elle s’élève au rang de valeur servant à interdire ou à autoriser. Cette posture fait écho à l'affirmation de Jean Baechler selon lequel « le principe politique de laïcité […] n'est pas seulement une vérité politique, c'est aussi bien une vérité religieuse » (<em>En quête de l'Absolu. Vérités et erreurs religieuse</em>, Paris, Hermann, 2017, p. 39). Or la laïcité n’est pas sacrée, elle est un choix politique qui se respecte.</p>
<h2>Concilier droit à l’éducation et laïcité</h2>
<p>Ironiquement, les récentes évolutions de la laïcité en France trouvent leur pendant au Sénégal à travers cette école catholique l’Institution Sainte-Jeanne d’Arc de Dakar. Elle souhaiterait, comme les écoles publiques françaises, interdire aux élèves le port de couvre-chef qui parfois permet de signifier ostensiblement une identité religieuse. Pourtant, la République laïque du Sénégal n’interdit pas aux usagers, ni même aux agents d’ailleurs, des services publics de manifester leurs convictions religieuses.</p>
<p>En France, <a href="https://www.la-croix.com/Famille/Education/Loi-Blanquer-deputes-senateurs-trouvent-compromis-2019-06-13-1201028626">des parents d’élèves ont protesté et obtenu gain de cause</a> contre l’<a href="https://www.lexpress.fr/education/le-senat-vote-un-amendement-pour-interdire-les-signes-religieux-lors-des-sorties-scolaires_2078540.html">amendement</a> adopté par le Sénat, le 15 mai dernier, qui prévoyait l’interdiction du port de signes religieux aux parents accompagnateurs et bénévoles lors des sorties scolaires contre la loi en vigueur, comme le rappelait en <a href="https://www.observatoire-collectivites.org/IMG/pdf/Etude_du_Conseil_d_Etat_sur_la_laicite_rendue_le_19_Decembre_2013_sur_commande_du_Defenseur_des_droits.pdf">2013 le Conseil d’État</a>. En revanche, au Sénégal, il est permis aux élèves et même aux enseignants des écoles publiques du pays de porter des signes religieux.</p>
<p>Dès lors, il y a plusieurs manières de comprendre la laïcité à l’école qui va notamment dépendre de l’histoire des relations entre les établissements scolaires (publics ou privés) et l’État garant du droit fondamental et universel à l’éducation. Droit qui, comme on peut le voir, fait bien moins l’<a href="https://www.jeuneafrique.com/771857/societe/senegal-linterdiction-du-voile-par-linstitution-sainte-jeanne-darc-de-dakar-fait-polemique/">objet de polémique passionnée</a> !</p>
<p>Or la mission de l’école est une éducation sans discrimination. Elle a, en effet, le devoir d’accepter les élèves qui ont fait le choix ou non de vêtir leur corps d’une quelconque manière à condition toujours de respecter la dignité humaine.</p>
<p>En réalité, la laïcité oblige les établissements publics comme les établissements privés financés par l’État – et donc par le peuple – à fournir égalitairement une éducation de qualité à tous les élèves, quelle que soit la religion pratiquée ou non. Ce n’est pas uniquement un enjeu de laïcité, mais aussi une question de démocratie.</p>
<h2>De l’usage liberticide de la laïcité</h2>
<p>C’est ainsi que la laïcité à la française, <a href="https://www.jeuneafrique.com/528342/societe/en-afrique-la-laicite-a-la-croisee-des-chemins/">dont s’inspirent beaucoup de pays africains comme le Sénégal</a>, ne pouvait pas cibler légalement le voile. Même si les écoles françaises excluent les élèves portant « un signe religieux ostensible », <a href="https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/CCPR/Pages/CCPRIndex.aspx">Le Comité des droits de l’homme de l’ONU</a> a sévèrement critiqué l’<a href="https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/Monde/La-France-epinglee-a-l-ONU-sur-l-interdiction-du-turban-sikh-sur-les-photos-d-identite-2012-01-12-756978">exclusion d’un élève sikh en France</a>, en application de la loi du 15 mars 2004.</p>
<p>L’affaire concernait Bikramijt Singh, un jeune lycéen exclu de son établissement scolaire en 2004 pour avoir refusé de se « désenrubanner ». Et le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a déclaré en préambule, dans son avis que « l’attachement légitime des autorités françaises au principe de laïcité n’autorisait pas tout, et ne justifiait nullement que des élèves soient renvoyés au motif de leur foi » pour avoir porté des signes religieux. Une telle décision, selon cet organisme de l’ONU, « porte atteinte à son droit de manifester sa religion et constitue une violation de l’article 18 » du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a aussi demandé à la France de <a href="https://www.lemonde.fr/religions/article/2018/10/23/une-instance-de-l-onu-demande-a-la-france-de-reviser-sa-loi-contre-le-voile-integral_5373395_1653130.html">réviser sa législation contre le voile intégral</a>.</p>
<p>Plusieurs autorités académiques et études scientifiques – dont les travaux d’<a href="https://journals.openedition.org/revdh/2910">Elsa Bourdier</a>, d’une équipe de chercheures de l’<a href="https://vfouka.people.stanford.edu/sites/g/files/sbiybj4871/f/abdelgadirfoukajan2019.pdf">Université de Standford</a>, qui aborde la question d’un point de vue juridique, ou encore de l’universitaire <a href="https://www.20minutes.fr/societe/1322574-20140313-20140313-la-loi-linterdiction-signes-religieux-a-lecole-na-regle-problemes">Jean Baubérot</a> – ont montré que cette interdiction avait eu des effets réels stigmatisants, négatifs et durables sur l’autonomie, l’émancipation et l’insertion des jeunes filles musulmanes.</p>
<h2>Le modèle sénégalais</h2>
<p>Le Sénégal entretient une <a href="https://www.cairn.info/la-charia-aujourd-hui--9782707169969-page-209.htm">relation ambivalente</a> entre les institutions religieuses et l’État. C’est ce qui permet de faire de la laïcité, un instrument politique de régulation sociale du religieux dont les usages peuvent être contradictoires selon que la perspective soit démocratique ou non.</p>
<p>Il faut bien garder à l’esprit que le Sénégal est un pays musulman dont l’État est laïc et le régime démocratique avec une <a href="https://www.globalpartnership.org/fr/blog/la-societe-civile-senegalaise-obtient-un-meilleur-siege-la-table-de-leducation">société civile particulièrement forte</a>. À ce titre, il se distingue à la fois des pays historiquement chrétiens où le combat laïc s’inscrivait dans un élan démocratique, et des autres pays musulmans, où la laïcité était privilégiée par des régimes autoritaires.</p>
<p>C’est – pourrait-on dire – tout l’inverse de l’histoire de la laïcité en Europe. Incarnée par l’institution ecclésiale, la religion imposait ses vues et ses règles avant de se voir successivement écartée de l’art, de la science, de la politique, du droit et aujourd’hui de la culture. C’est à la lumière de cette histoire européenne qu’on est en droit de parler d’un véritable pouvoir politique du religieux et de son institutionnalisation. Dans les pays d’islam, le religieux ne fut incarné que par diverses institutions religieuses au service du politique, exception faite du clergé chiite et de l’islam confrérique.</p>
<p>Toutefois, au Sénégal, les confréries religieuses se sont construites indépendamment de l’État, tout comme elles ne sont jamais conçues en tant que telles comme institution politique. Dès lors, autorités religieuses et pouvoirs politiques profitent les uns des autres sans jamais chercher à se substituer.</p>
<p>Outre la relation à la France, c’est cet arrière-fond socio-historique de la construction de la nation sénégalaise qui a doté ce pays religieux d’un État laïc, tandis que les États-Unis – qui font montre d’une sécularisation qui ne rejette pas l’influence sociale, culturelle et même politique des religions – se sont construits comme pays séculier mais pas laïc.</p>
<p>Ni française, ni américaine, la laïcité sénégalaise est à mi-chemin entre le modèle des États-Unis et celui de la France. La sécularisation politique du Sénégal intègre le religieux dans l’administration du pays, et les acteurs religieux et anti-religieux cherchent aussi à influencer l’État en leur faveur, mais sans jamais non plus aller jusqu’à porter atteinte à l’esprit du « vivre ensemble ».</p>
<p>Attachée à sa culture du pluralisme, la société sénégalaise est parfois agitée par des velléités intégristes laïques ou religieuses, et des polémiques le plus souvent importées, dans un mimétisme qui – jusqu’à présent – a confirmé la résilience politique du pays vis-à-vis de l’islamisme, mais aussi de l’occidentalisme, du laïcisme, des violences interethniques…</p>
<h2>La famille, un code laïc ou religieux ?</h2>
<p>L’exemple du Code de la famille sénégalais, avec la mise à contribution des guides religieux, n’entrave pas la laïcité de la République sénégalaise où les institutions religieuses et politiques ne se confondent pas. En revanche, il montre aussi très bien qu’il n’y a pas de séparation franche entre le religieux et l’État, car la famille est une question anthropologique qui repose sur des croyances autres que politiques.</p>
<p>Par exemple, l’adoption du mariage entre personnes de même sexe en France ou tout récemment à Taïwan, l’officialisation de la polygamie homosexuelle en <a href="http://www.rfi.fr/ameriques/20170614-colombie-mariage-trois-reconnu-officiellement">Colombie</a>, le mariage des enfants <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2017/11/17/01003-20171117ARTFIG00216-aux-etats-unis-la-plupart-des-etats-autorisent-toujours-le-mariage-des-enfants.php">aux États-Unis</a>, ou la non-pénalisation de l’inceste entre adultes consentants en <a href="https://www.senat.fr/lc/lc102/lc102.pdf">France</a>, reposent sur des conceptions de la vie où les religieux (clercs ou civils ordinaires) sont appelés à aider à la décision mais sans jamais la prendre.</p>
<p>Ce besoin social de sens est notamment pris en charge à travers la création de comités d’éthique et de déontologie, notamment pour des questions de biotechnologie ou d’euthanasie, dans lesquels siègent les représentants de religions. Avec qui et à quelles conditions peut-on donner la vie ? C’est à cette question que l’institution familiale s’est chargée de répondre, de manière quasi-exclusive jusqu’ici.</p>
<h2>Qui fait la loi au Sénégal ?</h2>
<p>Dès lors, il n’y a aucune entrave à la laïcité bien comprise lorsque les acteurs religieux contribuent à définir dans un cadre démocratique les lois du pays. Ce qui, par contre, ne serait pas laïc, c’est de confier institutionnellement à une confrérie donnée la décision politique. Or, c’est le législateur de la République du Sénégal qui a décidé du Code de la famille, tout comme c’est à lui qu’il appartient de le modifier, à souhait. Et libre à chacun, religieux ou non, de le convaincre.</p>
<p>En définitive, la sécularisation n’est pas la perte d’influence du religieux dans une société mais la perte d’évidence du religieux. Autrement dit, il n’y a rien d’évident à ce que le code de la famille sénégalais soit relativement conforme à des valeurs musulmanes, chrétiennes ou tiédos – guerriers des anciens royaumes ouest-africains et adeptes des croyances traditionnelles –, tout en s’accommodant avec la laïcité.</p>
<p>Dans le cas contraire, elle devient à son tour une valeur religieuse que d’aucuns réservent à l’athéisme et autre a-religion. C’est alors qu’intégrismes laïc et religieux ne manquent pas de s’affronter et que des « guerres de religion » se font au nom de divinités quelconques, qu’elles se nomment Lucifer, Bouddha, Yahvé, Jésus, Allah, Grand Architecte ou Laïcité !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117944/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rachid Id Yassine does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Le Sénégal est-il vraiment un pays laïc ? Ou pourrait-on en douter tant le religieux influence la société sénégalaise ? Confréries, églises, franc-maçonneries, qui fait la loi au Sénégal ?Rachid Id Yassine, Maître de conférences en sciences sociales, Université Gaston BergerLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1168552019-05-16T19:30:55Z2019-05-16T19:30:55ZDes entreprises toujours sur le qui-vive face à la religion<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/273597/original/file-20190509-183112-a5hbnj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C4%2C983%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les décisions de justice se succèdent mais n'éclairent pas toujours les managers sur la manière de traiter le fait religieux en entreprise.</span> <span class="attribution"><span class="source">Aleksandra Suzi / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’incendie de la cathédrale <a href="https://theconversation.com/dossier-notre-dame-apres-lincendie-115722">Notre-Dame de Paris</a>, le lundi 15 avril dernier, a suscité un désarroi partagé en France et à l’étranger, quelles que soient les croyances religieuses ou les cultures. Cette situation met en lumière la forte porosité de la religion avec les pans historiques et culturels de la société. Il en est de même dans les entreprises, où les questions religieuses se sont invitées depuis une dizaine d’années. Si les statistiques globales de l’<a href="http://www.grouperandstad.fr/wp-content/uploads/2018/09/grf-ofre-180925.pdf">Observatoire du fait religieux en entreprise</a> (OFRE) et les propos d’observateurs tendent à dessiner une vision apaisée du sujet, ces mêmes statistiques soulignent aussi les difficultés de certaines entreprises à régler ces questions.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/273590/original/file-20190509-183077-hx5wx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/273590/original/file-20190509-183077-hx5wx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/273590/original/file-20190509-183077-hx5wx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/273590/original/file-20190509-183077-hx5wx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/273590/original/file-20190509-183077-hx5wx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/273590/original/file-20190509-183077-hx5wx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=344&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/273590/original/file-20190509-183077-hx5wx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=344&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/273590/original/file-20190509-183077-hx5wx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=344&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Extrait de l’étude 2018 de l’OFRE.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.grouperandstad.fr/wp-content/uploads/2018/09/grf-ofre-180925.pdf">Capture d’écran</a></span>
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<p>« Dans une part très minoritaire d’entreprises, il peut, à l’inverse, se révéler fortement perturbateur et conflictuel », est-il ainsi souligné dans l’étude 2018 de l’OFRE, qui relève par ailleurs que la part de personnes rencontrant régulièrement (à une fréquence journalière, hebdomadaire ou mensuelle) le fait religieux dans leur situation de travail est en baisse (29,5 % contre 34 % en 2017).</p>
<p>De manière générale, le sujet reste donc toujours sensible pour la plupart d’entre elles.</p>
<h2>Un sujet loin d’être réglé</h2>
<p>La troisième saison du Club « Faits religieux, identités et diversité » de <a href="https://anvie.fr">Anvie</a> apporte de nouvelles perspectives face à ces questions managériales, et plus largement sociétales. Les échanges entre la vingtaine de participants de grandes entreprises françaises incitent en effet à une certaine prudence par rapport aux conclusions hâtives qui consisteraient à croire que ce sujet est réglé. L’enjeu ne consiste certes plus à savoir pourquoi la religion devrait être un sujet de management et ni quels peuvent en être ses contours. L’action et l’anticipation sont de mises, mais « on est en même temps rassurés et toujours anxieux sur le sujet », comme le résumait l’un des participants à ce Club.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-apprehender-le-fait-religieux-dans-les-entreprises-73888">Comment appréhender le fait religieux dans les entreprises ?</a>
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<p>Pourquoi une telle ambivalence par rapport aux faits religieux dans le travail ? Plusieurs types de tensions sont à l’origine du faux calme qui semble entourer en ce moment ce sujet.</p>
<h2>Tensions entre temps long et temps court</h2>
<p>Qu’elles soient directement ou potentiellement confrontées à des situations à gérer, beaucoup d’entreprises ont pris l’initiative de s’outiller. Des guides et des chartes ont été élaborés et diffusés, sous des versions allégées ou plus complètes, combinant des rappels de dispositifs juridiques et des exemples de situations à gérer accompagnés des réponses appropriées. Tous les responsables diversité à l’initiative de ces outils inscrivent leurs actions dans un temps long.</p>
<p>Il s’écoule ainsi souvent un an entre le moment où l’initiative est prise et celui où le guide est par exemple terminé. Les négociations prennent du temps avec des directions parfois frileuses sur le sujet, stoppant net le processus ou incitant à « peser chaque mot inscrit dans le document ». La diffusion de ces guides prend aussi en général du temps, afin que tous les managers concernés soient progressivement sensibilisés au sujet via des sessions de formation. Et il faut encore plus de temps, pour que ces outils soient identifiés en interne, et surtout que des sanctions y soient associées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"944085560058089472"}"></div></p>
<p>Mais face à ce temps long, voire ralenti, l’urgence s’impose parfois. En effet, les situations à gérer ne s’inscrivent souvent pas dans la même temporalité. Elles nécessitent des réponses immédiates de la part des managers qui y sont confrontés, alors même qu’ils n’ont pas encore connaissance des dispositifs initiés, ou que ces derniers ne sont pas encore stabilisés, remettant parfois en cause leur utilité ou leur pérennité. L’urgence des cas se heurte ainsi aux temps très longs nécessaires aux entreprises pour initier des dispositifs sur le sujet sensible de la religion.</p>
<h2>Situations génériques et cas singuliers</h2>
<p>Derrière l’expression « faits religieux », l’OFRE distingue deux catégories de situations : celles d’ordre personnel, et celles qualifiées de transgressives, qui elles-mêmes peuvent être découpées en sous-catégories, par exemple ports d’un signe visible, aménagements des temps de travail ou relations à une personne du sexe opposé. Les entreprises partagent ces types de situations emblématiques à gérer. On pourrait alors croire qu’une réponse commune et pérenne pourrait être trouvée pour chacune de ces situations.</p>
<p>Néanmoins, l’exposé de ces cas fait émerger quasi systématiquement le caractère singulier de chacun d’entre eux. La manière de gérer le port du voile d’une salariée est différent selon les situations : si elle est la première à le porter dans un établissement (ou pas), si elle est en relation avec la clientèle (et si celle-ci est gênée ou pas), si elle doit obéir à un code vestimentaire, si elle assume une mission de service public, etc.</p>
<p>Autant de situations particulières et donc autant de limites potentielles aux réponses trouvées en amont face à un cas que l’on pouvait croire générique. Qui plus est, aucune entreprise n’est à l’abri d’une nouvelle situation, de salarié qui insulte une autre qu’il suppose musulmane et en train de manger un sandwich au jambon, ou de salariée qui refuse d’être photographiée sur son badge sans son voile et par un homme. Les organisations sont ainsi constamment tiraillées entre la nécessité de produire des réponses types pour chaque situation récurrente, à les comparer avec celles d’autres entreprises, tout en réfléchissant à leur adaptation le cas échéant.</p>
<h2>Le manager n’est pas qu’un manager</h2>
<p>« Cela doit devenir un sujet de management comme un autre ». Tel un mantra, cette expression est répétée par les responsables des différentes entreprises pour dépassionner les manières dont pourraient être gérés les faits religieux. Les managers sont invités à « agir comme des managers » et à toujours se référer par exemple au bon fonctionnement de l’entreprise ou aux obligations en matière d’hygiène et de sécurité. Ils sont incités à « dépayser » ou à « décorréler » les situations liées à la religion, et à les rapprocher de situations comparables. Le port du voile est comparé à celui de tatouages ou piercings, tandis que les pauses pour prier sont mises en miroir de celles utilisées pour aller fumer.</p>
<p>Or le manager, en première ligne pour appliquer ces consignes, n’est pas qu’un manager. Il est d’ailleurs incité à ne pas se résumer à sa fonction puisqu’on l’invite de plus en plus à dévoiler ses passions ou des facettes de sa vie privée par différentes actions et politiques d’entreprises. Ces injonctions à n’être soit qu’un manager, soit un manager incarné, créent des tensions individuelles chez certains d’entre eux, mais plus largement des tensions au niveau des entreprises, incertaines sur les discours à tenir face à une identité globale attendue, ou au contraire une stricte séparation entre identité personnelle et professionnelle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1060744463092465664"}"></div></p>
<h2>Confrontation entre différents types de règles</h2>
<p>Les entreprises prennent donc des initiatives en interne, et édictent leurs propres règles et postures. Différents types d’acteurs y sont associés, allant des responsables diversité, aux dirigeants, responsables sécurité, juristes, jusqu’aux managers concernés. Des groupes de travail sont ainsi parfois organisés pour produire ces règles et faciliter leur acceptation et appropriation en interne.</p>
<p>Mais en externe, les choses évoluent aussi. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000033001625&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20160810">L’article L.1321-2-1 du code du travail</a> donne depuis 2016 la possibilité aux entreprises d’inscrire une clause dite de neutralité dans le règlement intérieur. Les <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2017-03/cp170030fr.pdf">récents arrêts</a> de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), les différentes <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/01/11/01016-20180111ARTFIG00186-licencies-pour-leur-barbe-leur-proces-est-renvoye-devant-un-juge-professionnel.php">décisions de justice</a> sur des cas de ports de barbe, ou encore de <a href="https://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand-63000/actualites/licencie-parce-qu-il-refusait-de-serrer-la-main-de-collegues-femmes-le-chauffeur-de-bus-clermontois-gagne-devant-les-prud-hommes_13526116/">refus de serrer la main</a>, se succèdent et viennent alimenter les repères proposés aux entreprises, ou au contraire brouiller les décisions prises en interne.</p>
<p>On assiste alors à une confrontation entre les différents types de règles, qui donnent lieu à beaucoup d’interrogations sur les opportunités ou au contraire les risques pris lorsqu’on introduit par exemple la clause de neutralité ou lorsque l’on sanctionne certains salariés en cohérence avec une posture affirmée dans l’entreprise.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/non-le-droit-ne-peut-tout-regler-en-matiere-de-religion-en-entreprise-75160">Non le droit ne peut tout régler en matière de religion en entreprise…</a>
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<p>Face à toutes ces tensions, les entreprises sont donc loin d’être apaisées et toujours aux aguets. D’un côté réconfortées par leur mimétisme sur les dispositifs mis en œuvre, sur la diminution perçue de cas problématiques à gérer, elles sont d’un autre côté toujours inquiètes sur les limites de ces dispositifs et la difficulté d’anticiper tous les cas pouvant survenir. Si dans certaines on prône de « ne jamais rester seuls sur le sujet », elles sont tentées en parallèle d’avancer groupées face à ces questionnements lourds en effets de contagion et de réputation quand ils ne sont pas ou mal gérés.</p>
<p>Les entreprises qui participent à ces échanges sont de grande taille et souvent déjà outillées sur nombre d’autres sujets, et en capacité de se saisir de cette nouvelle et sensible question. Leur progression ne doit pas simplement servir à les rassurer. Elle doit aussi servir d’exemples aux autres types d’entreprises, PME ou TPE, qui elles se sentent souvent bien isolées pour faire face à ces questions et qui sont tentées de bricoler des solutions incertaines voire non légales pour répondre aux faits religieux. Ces tensions entre les réponses des grands groupes et les actions des autres entreprises appellent à la prudence quant aux affirmations d’apaisement du sujet dans le contexte du travail.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116855/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Géraldine Galindo est membre de l'AGRH. </span></em></p>Si les statistiques font état d’un recul global des problèmes liés au fait religieux en entreprise, la question est encore loin d’être réglée.Géraldine Galindo, Professeur associé, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1112792019-03-09T17:39:14Z2019-03-09T17:39:14ZRepenser le recrutement : le secret de Team Jolokia pour construire des organisations inclusives<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/258214/original/file-20190211-174887-1waob2d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=195%2C29%2C6331%2C4315&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Team Jolokia en mer.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pierre Bouras / Team Jolokia</span></span></figcaption></figure><p>Avec la multiplication de chartes, de labels et de postes dédiés reflétant son institutionnalisation croissante dans les organisations et la société, la diversité est devenue un <a href="https://www.jstor.org/stable/4165021?seq=1#metadata_info_tab_contents">sujet stratégique</a>. Objet d’une littérature prolifique fondée sur des arguments moraux et légaux, puis sur un raisonnement économique (le « business case de la diversité »), elle renvoie aux différences entre les membres d’un groupe concernant des attributs visibles comme le genre ou l’origine ethnique, et invisibles comme le milieu socio-culturel. La diversité est souvent présentée comme un moyen de renforcer la créativité et la résolution de problèmes au sein des équipes. Qu’elles soient privées ou publiques, les organisations sont désormais encouragées à promouvoir et à valoriser les différences pour s’assurer d’une performance durable.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1096360793665400833"}"></div></p>
<p>Cependant, derrière les discours, la recherche des profils considérés comme les plus aptes à contribuer à la performance génère encore une <a href="https://theconversation.com/climat-des-affaires-la-guerre-des-talents-une-preoccupation-mondiale-103453">« guerre des talents »</a>. Dans de nombreux métiers et secteurs d’activité, des consensus managériaux se forment sur les profils « stratégiques » à rechercher en priorité. Ce processus de « calibrage anthropologique » (<a href="http://www.editions-ems.fr/ouvrage292-nouvelles-perspectives-en-management-de-la-diversite.html">Bellini, 2010</a>), fondé à partir de croyances collectives sur l’existence d’un profil type du « bon salarié », est à l’origine de nombreux biais discriminatoires, et constitue un écueil important à la diversité. Dans les faits, pour beaucoup d’organisations, la diversité reste un problème à gérer, une situation à manager, ou dans le meilleur des cas, un challenge à relever.</p>
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<figcaption><span class="caption">« The Surprising Solution to Workplace Diversity » Conférence d’Arwa Mahdawi au TEDxHamburg 2016 (en anglais).</span></figcaption>
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<p>Comment aider les organisations à composer avec et au-delà des différences pour devenir plus inclusives ? L’inclusion repose sur une démarche qui dépasse les approches descriptive et statique de la diversité, et suppose un engagement de l’organisation pour satisfaire deux besoins chez les collaborateurs : le sentiment d’appartenance, et le respect de leur unicité. La mobilisation croissante par les professionnels et la communauté académique du terme de « management inclusif » amène à penser que l’inclusion se conçoit ex post, c’est-à-dire une fois l’équipe formée, et donc la diversité constituée. Or, l’expérience menée par <a href="https://www.teamjolokia.com">Team Jolokia</a> nous montre que l’inclusion ne peut exister et se construire que si elle est pensée bien en amont, dès la phase de recrutement des collaborateurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261637/original/file-20190301-110137-1fveo8g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261637/original/file-20190301-110137-1fveo8g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261637/original/file-20190301-110137-1fveo8g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261637/original/file-20190301-110137-1fveo8g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261637/original/file-20190301-110137-1fveo8g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261637/original/file-20190301-110137-1fveo8g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261637/original/file-20190301-110137-1fveo8g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Présentation de Team Jolokia.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs -- Crédit photo : Benjamin Simon Lohézic</span></span>
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<p>En 2018, nous avons mené une recherche sur cet équipage de course au large atypique, basé à Lorient en Bretagne, pour identifier les pratiques et les comportements favorisant l’acceptation et la valorisation des différences, et permettant de construire des environnements de travail inclusifs.</p>
<p>Notre étude montre que, pour construire des organisations inclusives, il est impératif de repenser le recrutement :</p>
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<li><p>en s’affranchissant des profils habituels pour s’ouvrir à des profils plus atypiques ;</p></li>
<li><p>en croisant les regards et les mises en situation pour révéler des compétences ;</p></li>
<li><p>et en recherchant un potentiel inclusif chez les candidats.</p></li>
</ul>
<h2>S’ouvrir à des profils atypiques</h2>
<p>Avec des profils d’équipiers ignorés par les skippers traditionnels, Team Jolokia avance délibérément à contre-courant des standards de la course au large. Pour remplir ce pari sportif, l’équipage considère que toutes les ressources humaines peuvent potentiellement contribuer à la performance, et perçoit les différences comme une source de richesse.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/v2zOXdkOfcI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Diversités toutes ! Présentation de l’expérience Team Jolokia ».</span></figcaption>
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<p>Team Jolokia s’inscrit dans une démarche proche de certaines organisations comme <a href="http://specialisterne.com">Specialisterne</a> qui reconnaissent les capacités spécifiques des personnes atteintes du syndrome Asperger comme un levier de performance à condition de sortir des dispositifs de recrutement classiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/integration-des-personnes-autistes-un-atout-pour-lentreprise-91592">Intégration des personnes autistes : un atout pour l’entreprise</a>
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<p>Construire des organisations plus inclusives suppose donc d’amener les managers à considérer certains profils habituellement hors de leur champ de vision et de leurs viviers de recrutement traditionnels. Mais s’intéresser à des profils inhabituels ne signifie pas forcément qu’on y accède facilement. Dans le cas de Team Jolokia, « sortir des CSP + » et « toucher » certains publics, en particulier dans les milieux sociaux plus modestes reste un défi, et ce malgré une campagne de communication construite pour dépasser un certain nombre de stéréotypes. Pendant plusieurs années, Team Jolokia a utilisé une annonce humoristique qui, lorsqu’elle était sortie de son contexte, pouvait désarçonner.</p>
<p>Ainsi, l’inclusion se pense dès la phase de sourcing des ressources humaines, et une communication de recrutement plus inclusive pourrait permettre de s’adresser à des profils très divers tout en favorisant leur engagement dans le projet de l’organisation.</p>
<h2>Croiser les regards et les mises en situation</h2>
<p>Chez Team Jolokia, la sélection des équipiers s’opère à 360 degrés, et ce n’est pas le skipper (l’équivalent du manager ou du n+1 en entreprise) qui a le dernier mot. La décision est collégiale et repose sur un ensemble de compétences nautiques, sportives et relationnelles évaluées par plusieurs personnes dans différents contextes. Ainsi, chaque membre du jury de sélection confronte ses appréciations à celles des autres évaluateurs. Trianguler les points de vue et les évaluations avec des mises en situation variées permet d’apprécier les candidats sous différents angles. Cette démarche, qui repose sur une conception interprétative et contextualisée des compétences, contribue à réaliser un recrutement inclusif en permettant aux candidats d’exprimer leurs compétences par différents moyens.</p>
<p>Pierre Meisel, directeur et co-fondateur de Team Jolokia, précise :</p>
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<p>« Les modèles de recrutement semblent formés pour un type de population bien donné. On est complètement stéréotypé dans notre façon de recruter ! Il faut multiplier les contextes pour évaluer les candidats. Autrement, il y a le risque de passer à côté de plein de gens. »</p>
</blockquote>
<p>Chaque année, Team Jolokia est également accompagné par les psychologues de la Marine nationale car « ils ont cette spécificité de travailler avec des publics très variés et sont habitués à sélectionner des individus qui, avec leurs différences, sont capables de rester sur un bateau, et ont des capacités à faire groupe, à faire ensemble dans la difficulté, et à être performants », souligne Pierre Meisel. Les psychologues jouent un rôle de garde-fou et constituent un filtre évitant de tomber dans une diversité « à tout prix » qui pourrait s’avérer dangereuse, en particulier dans l’environnement de la compétition nautique. Recourir à des psychologues ou des tests psychologiques via des entretiens ou des mises en situation est un moyen de croiser les regards pour apprécier un candidat à sa plus juste valeur en révélant comment ce dernier agit dans certains contextes et se positionne dans un groupe hétérogène.</p>
<h2>Rechercher un potentiel inclusif</h2>
<p>Selon Pete Stone, Consultant Diversité et Inclusion, et partenaire de Team Jolokia, « On a tendance à se focaliser sur la <em>diversité</em> et pas assez sur comment faire pour que des gens différents travaillent ensemble. Pour moi, la diversité est un état, et l’inclusion, un processus, une dynamique. Pour un groupe, ce qui est intéressant dans le fait d’avoir des gens différents, c’est à quel point il est capable de prendre ces différences, les valoriser et les utiliser comme levier de performance, et non pas comme un facteur de chaos ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261047/original/file-20190226-150728-voy9cq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261047/original/file-20190226-150728-voy9cq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261047/original/file-20190226-150728-voy9cq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261047/original/file-20190226-150728-voy9cq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261047/original/file-20190226-150728-voy9cq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261047/original/file-20190226-150728-voy9cq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261047/original/file-20190226-150728-voy9cq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Nous sommes une famille », répètent souvent les membres de la Team Jolokia.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.teamjolokia.com/photos/#/rlightbox=1-4&slide=11">teamjolokia.com</a></span>
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<p>La recherche d’un potentiel inclusif chez les candidats fait partie intégrante du processus de sélection mis au point par Team Jolokia pour faciliter l’émergence d’un sentiment d’appartenance chez les membres de l’équipage. « Nous sommes une famille » nous ont-ils souvent répété. Dans l’équipage, les différences ne sont ni gommées ni surexposées, et la contribution unique de chacun est valorisée. L’expérience de Team Jolokia montre que l’inclusion ne doit pas être uniquement considérée comme un résultat à atteindre, mais plutôt comme un processus dynamique fondé sur des compétences à rechercher chez tous les collaborateurs. Les compétences inclusives, qui reposent sur la compréhension réciproque, la pluralité des points de vue, la confiance ou encore l’intégrité, contribuent à créer des environnements de travail où chacun se sent engagé, reconnu et respecté pour et <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-004-9465-8">au-delà de ses différences</a>. L’inclusion serait donc l’affaire de tous, et pas uniquement celle du manager.</p>
<p>Une démarche inclusive ne se réduit donc pas au management d’une équipe diverse, mais se joue dès les premières étapes de sa constitution. Cependant, si repenser le recrutement est un impératif pour construire des organisations inclusives, bien d’autres leviers sont à explorer, et Team Jolokia ne nous a pas encore révélé tous ses secrets !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111279/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Ryslène Zaoual a reçu des financements de l'Université d'Artois pour conduire l'étude empirique.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vanessa Warnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’étude de cet équipage de course à voile montre que l’inclusion doit se penser dès la phase de recrutement des collaborateurs.Anne-Ryslène Zaoual, Maître de Conférences, Université d'ArtoisVanessa Warnier, Professeure des universités, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1119202019-02-20T23:40:13Z2019-02-20T23:40:13ZRéussir contre toute attente : le pari de la diversité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/259297/original/file-20190215-56208-169nods.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">DSC</span> </figcaption></figure><p><em><strong>Composer un équipage de jeunes et de seniors, d’hommes et de femmes, avec ou sans handicap et participer à des courses de voile contre des équipes professionnelles, quelle drôle d’idée ! Une équipe de David peut-elle affronter sans se ridiculiser des équipes de Goliath ?</strong></em></p>
<p>Le sport de haut niveau est synonyme de performance. Il est souvent pris dans les séminaires de team building comme une source d’inspiration pour la cohésion d’une équipe. Mais on oublie souvent que ces équipes, taillées pour la performance, sont le fruit d’un processus très sélectif conduisant généralement à une grande homogénéité des profils. L’homogénéité des équipes est la voie royale pour atteindre la performance, mais une équipe hétéroclite n’a-t-elle vraiment aucune chance de faire bonne figure ?</p>
<p>Compétiteur de haut niveau en voile, Pierre Meisel s’est également intéressé, pendant ses études d’anthropologie, à la façon dont les conflits aident à faire groupe. Il a eu l’idée de participer à des compétitions de voile de haut niveau avec des équipages les plus divers possible, pour voir si, et comment, diversité pouvait rimer avec efficacité.</p>
<h2>Team Jolokia, l’équipage de la diversité</h2>
<p>Avec deux amis, il crée une association, Team Jolokia (nom d’un piment très fort), pour lancer un défi qui surprend le milieu :</p>
<blockquote>
<p>« En général, la voile est pratiquée par des hommes blancs, âgés de 30 à 45 ans, et issus de milieux aisés. Nous voulions un équipage associant des juniors et des seniors, des personnes handicapées, des étrangers, des gens aisés et des gens modestes, et bien sûr des femmes. Tous les navigateurs vous expliqueront qu’il n’y a pas de sexisme dans la voile, sauf que, jusqu’à récemment, il était impossible de s’inscrire à certaines compétitions si on pesait moins de 80 kg… »</p>
</blockquote>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/259267/original/file-20190215-56229-1gwbhw8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/259267/original/file-20190215-56229-1gwbhw8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/259267/original/file-20190215-56229-1gwbhw8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/259267/original/file-20190215-56229-1gwbhw8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/259267/original/file-20190215-56229-1gwbhw8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/259267/original/file-20190215-56229-1gwbhw8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/259267/original/file-20190215-56229-1gwbhw8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">P. Meisel.</span>
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<p>Il fallait d’abord acheter un bateau. Les fondateurs jettent leur dévolu sur un Volvo Ocean, bateau de 60 pieds régulièrement utilisé pour faire le tour du monde. Pierre Meisel arrive à trouver des personnalités séduites par le défi – le lancement des projets d’entreprenants tient souvent à des rencontres heureuses.</p>
<p>Gonzague de Blignières, président du fonds Raise, se montre enthousiaste : « Votre projet, j’y crois, à condition que vous vous mettiez à plein temps dessus. » Il devient mécène dès le premier rendez-vous. Reste à trouver un assureur. Celui contacté approuve le choix du Volvo Ocean (« Joli bateau ! »), mais s’exclame, quand il apprend que l’équipage comprendra des handicapés et des personnes âgées : « Comment voulez-vous que j’assure un projet pareil ? » Une semaine plus tard il rappelle pourtant : « J’ai réfléchi : osons ensemble. »</p>
<h2>Constituer un équipage avec une vraie diversité</h2>
<p>Il fallait recruter 25 personnes, dont 12 à bord par rotation. Pour sortir du milieu relativement fermé de la voile, des associations et la presse locale de Lorient sont mobilisées, et dès la première année, 130 candidatures de présentent. Pour éviter de faire des discriminations inconscientes, positives ou négatives, un processus complexe de sélection est inventé, en se fondant sur quatre critères : aptitudes physiques, compétences nautiques (tous les postes ne demandent pas une compétence maximale), motivation pour le travail collectif, motivation pour la compétition. Un premier équipage suffisamment divers est constitué, avec, notamment, un non-voyant, un paraplégique, ou encore une menuisière aux revenus très modestes et un pilote d’Air France.</p>
<p>La majorité des équipiers restent deux ans, le renouvellement se faisant de manière continue. Ils s’engagent à consacrer 45 à 60 jours par an à l’entraînement et aux courses. Pour ceux qui ne peuvent pas choisir leur emploi du temps, les organisateurs négocient avec leurs employeurs la libération de temps contre une prestation de communication ou de formation dans leur entreprise.</p>
<h2>Gérer les conflits et travailler les points forts</h2>
<p>Les méthodes de gestion de cette diversité s’affinent progressivement et j’en citerai ici deux (pour en savoir plus, voir <a href="https://www.ecole.org/fr/seance/1173-l-efficacite-dans-la-diversite-la-preuve-par-jolokia">« L’efficacité dans la diversité, le preuve par Jolokia »</a>).</p>
<p>Une grande diversité augmente le risque de conflits. Si on ne s’en occupe pas, ils minent l’ambiance et la performance, mais si on arrive à les gérer, le groupe devient très performant. Beaucoup de temps est ainsi consacré à des réunions pour exprimer ces diversités et donner un cadre de fonctionnement au groupe. Cela prend du temps sur l’entraînement proprement dit, mais permet de débusquer les effets de divers stéréotypes : ceux qu’on peut avoir sur les autres (« Une femme n’aura jamais la force ») ; sur soi-même (« Quand il y aura plus de vent, je n’y arriverai pas ») ; sur la façon dont on est vu par les autres (« Moi, junior, je ne serai pas écouté »). Chacun peut alors ajuster progressivement sa perception des autres et son apport au collectif.</p>
<p>Un enjeu majeur est de travailler sur les points forts. Si l’équipage passe son temps à répertorier ses points faibles, qui ne manquent pas, il court à la catastrophe. Il faut donc donner la priorité aux points forts et en tirer parti. Par exemple, un non-voyant compense son handicap en développant les autres sens, notamment celui du toucher, essentiel pour un barreur. L’équipier non-voyant s’est ainsi révélé un excellent barreur. De plus, il a obligé les autres à expliciter davantage chaque manœuvre, ce qui a contribué à améliorer la communication et les procédures. C’est un rôle difficile, mais essentiel, du chef d’équipe que de dégager les points forts de chacun et de convaincre le groupe de les valoriser.</p>
<p>On lira prochainement dans The Conversation France un article d’Anne Rysléne Zaoual et Vanessa Warnier présentant les résultats d’une recherche sur les facteurs d’efficacité de Team Jolokia.</p>
<h2>Des résultats qui étonnent</h2>
<p>À sa création, l’objectif de l’équipage Team Jolokia était de se classer dans la première moitié du tableau des courses de haut niveau auxquelles il participait… mais il fait beaucoup mieux, puisqu’il est régulièrement sur les podiums.</p>
<blockquote>
<p>« Je garde un souvenir précis de la Middle Sea Race. Les conditions étaient particulièrement difficiles, avec des vents à 50 nœuds et des vagues de 6 à 9 mètres. Sur 130 concurrents, 67 ont abandonné. Une fois au port, nous avons attendu les suivants pour prendre leurs amarres et les aider à faire les manœuvres. Pour nos concurrents, dont plusieurs professionnels, constater que non seulement nous n’avions pas abandonné, mais que nous étions arrivés avant eux et qu’une petite jeune femme ou un homme en fauteuil roulant se tenaient prêts à saisir leurs amarres a provoqué un changement complet de regard sur notre équipage. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/v2zOXdkOfcI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’aventure de Team Jolokia continue depuis six ans avec succès dans la compétition. Après une émission de TF1 vue par 5 millions de téléspectateurs et une bande dessinée, Marins d’audace, l’association investit dans la communication et se pose en porte-parole de la diversité. Les premières entreprises qui ont soutenu cette aventure ont été intriguées par ses résultats et ont organisé des débriefings, avec leurs équipes et l’association, sur la manière de gérer la diversité. Cette activité de sensibilisation et de formation est désormais en plein essor.</p>
<p>Pierre Meisel poursuit ainsi le rêve qu’il avait formé en tant qu’étudiant, puis marin : convaincre que la diversité peut être une richesse à condition de se donner les moyens de la gérer. Vu le nombre d’organisations confrontées à cet enjeu, c’est un champ immense qui s’offre au partage de ces expériences et de leurs enseignements.</p>
<hr>
<p><em>L’écriture de cet article a bénéficié de la complicité de Christophe Deshayes.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111920/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Michel Berry est fondateur et animateur du Jardin des entreprenants</span></em></p>Un équipage de jeunes et de seniors, d’hommes et de femmes, avec ou sans handicap, participe à des courses de voile contre des professionnels, et montre que la diversité peut être une vraie richesse.Michel Berry, Fondateur de l'école de Paris du Management, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/931592018-03-13T22:29:08Z2018-03-13T22:29:08ZIran : bas les voiles !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/209990/original/file-20180312-30969-9lch6a.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C5%2C994%2C585&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une jeune iranienne soutient le mouvement spontané « My stealthy freedom » (ma liberté furtive) aussi appelé « mercredi blanc ».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/StealthyFreedom/photos/rpp.858832800797482/2119346728079410/?type=3&theater">My Stealthy Freedom</a></span></figcaption></figure><p>Récemment, le monde entier a été surpris par l’émergence d’un nouveau mouvement féministe en Iran. <a href="http://www.lemonde.fr/international/article/2018/02/24/en-iran-le-mouvement-des-femmes-qui-protestent-contre-le-port-du-voile-ne-s-essouffle-pas_5262139_3210.html">Des Iraniennes non voilées se tiennent debout sur des plateformes</a> et des bancs dans les lieux publics en brandissant des foulards blancs au bout d’un bâton pour protester contre le port obligatoire du hijab.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"973076706125742081"}"></div></p>
<p>Seules et silencieuses, ces femmes peuvent difficilement être accusées de se mobiliser contre le régime ou de troubler la paix, qui sont les motifs habituellement invoqués pour arrêter les manifestantes. Certaines femmes ont été arrêtées pour avoir ôté leur hijab en public, mais les autorités détournent en général le regard pour éviter d’exacerber les tensions, d’attirer l’attention sur les militantes et de donner prise au mouvement.</p>
<p>Néanmoins, des <a href="http://mystealthyfreedom.net/en/">vidéos et des images de ces gestes sont largement relayées sur les réseaux sociaux</a>, ce qui engendre un nouveau désir d’émancipation chez les Iraniennes et attire l’<a href="https://www.vice.com/en_ca/article/jmk8z3/the-iranian-women-fighting-state-censorship-one-selfie-at-a-time">attention des médias</a> internationaux.</p>
<h2>Les filles de la Révolution</h2>
<p>Les jeunes militantes sont appelées <a href="https://www.franceculture.fr/societe/en-iran-le-mouvement-des-femmes-qui-retirent-leur-voile-samplifie">« les filles de la Révolution »</a>. Ce mouvement inattendu n’a entraîné aucune réponse cohérente du régime, et le nombre de femmes brandissant leurs foulards en guise de protestation dans les lieux publics ne cesse d’augmenter. Bien qu’il n’existe encore aucune organisation militante centralisée, ces gestes isolés ont attiré de nombreux sympathisants.</p>
<p>Nous assistons à la <a href="https://www.letemps.ch/opinions/mercredis-blancs-femmes-iraniennes-contre-voile">naissance d’un mouvement citoyen spontané</a> qui exprime l’insatisfaction d’un large pan de la population masculine et féminine, y compris les femmes qui continueraient de porter le hijab, mais qui s’opposent au port obligatoire.</p>
<p>Nous connaissons au moins un cas de femme vêtue d’un tchador ayant brandi un foulard dans une rue fréquentée pour protester contre l’oppression de sa liberté. L’enjeu n’est pas le voile à proprement parler, mais bien les inégalités politiques qu’il représente, et de son utilisation comme symbole silencieux d’opposition envers le contrôle de l’état sur la liberté des femmes.</p>
<p>L’aspect politique qui entoure le port du voile soulève parfois l’incompréhension. Par exemple, en Turquie et dans certaines régions d’Europe, les musulmanes luttent pour le droit de porter le hijab alors qu’en Iran, les femmes s’opposent depuis près de 40 ans au port obligatoire du voile. Dans un cas comme dans l’autre, les <a href="https://theconversation.com/comment-le-voile-a-donne-naissance-a-la-hijabista-mondiale-76886">femmes revendiquent la liberté de choisir</a>, une étape essentielle vers la reconnaissance de leur identité et de leurs droits en tant que citoyennes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/209171/original/file-20180306-146645-15b1skk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/209171/original/file-20180306-146645-15b1skk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/209171/original/file-20180306-146645-15b1skk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/209171/original/file-20180306-146645-15b1skk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/209171/original/file-20180306-146645-15b1skk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/209171/original/file-20180306-146645-15b1skk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/209171/original/file-20180306-146645-15b1skk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les femmes s’opposent à l’oppression physique chaque jour en Iran. Le nombre de femmes qui brandissent leurs foulards en guise de drapeau dans les lieux publics ne cesse d’augmenter.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://mystealthyfreedom.net/en/">Facebook/mystealthyfreedom</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Quand le 8 mars m’a conduit en prison</h2>
<p>Il y a deux ans, j’ai célébré le 8 mars à Téhéran en marchant dans les rues, en empruntant le métro pour me rendre à un groupe de discussion et en lisant des messages d’encouragement sur les réseaux sociaux. Je garde gravée dans mon cœur et dans mon esprit cette journée passée dans des compartiments réservés aux femmes, à célébrer ces Iraniennes vêtues de leurs tenues colorées et de leur voile dénoué, s’opposant à un régime voulant contrôler leur corps et opprimer leur liberté.</p>
<p>Grâce à l’esprit d’entreprise extraordinaire de ces femmes, les wagons du métro de Téhéran sont devenus des plateformes publiques pour discuter des sujets qui les touchent, mais aussi des lieux de magasinage clandestins. Les femmes de tous les horizons peuvent s’y procurer une incroyable diversité de biens, malgré les efforts déployés par les autorités pour mettre fin à ce commerce parallèle et empêcher les femmes d’entrer et de sortir du train avec des articles de cuisine, des vêtements, du maquillage, des articles de sport et bien d’autres marchandises.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"972069243440304128"}"></div></p>
<p>Le soir du 9 mars, je suis rentrée le cœur rempli d’optimisme et j’ai commencé à faire mes valises en prévision de mon départ le jour suivant. C’est à ce moment que mon appartement a été perquisitionné par les Gardiens de la révolution. J’ai été arrêtée et envoyée à la prison d’Evin, inculpée pour avoir « participé à des activités féministes et dangereuses », un crime qui, juridiquement, n’existe pas.</p>
<p>Je me consolais en pensant que mon incarcération était bien insignifiante comparativement à certaines luttes menées par les femmes dans l’histoire. J’essayais aussi de garder le moral en me remémorant l’hymne féministe de mon enfance, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LWkVcaAGCi0">« Bread and Roses »</a> de Joan Baez ainsi que la chanson iranienne « Zan » (<em>femme</em>) par Ziba Shirazi, qui adresse ce message à l’Ayatollah Khomeini : les femmes sont plus douces que des pétales et plus solides que le fer, il ne faut pas les voiler, car tous les hommes, lui compris, leur doivent la vie.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Zan », par Ziba Shirazi.</span></figcaption>
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<h2>1979, hijab pour toutes</h2>
<p>En 1979, j’ai constaté avec quelle facilité les progrès et les gains modestes réalisés par les femmes en Iran au fil des ans ont été renversés à peine deux semaines après la Révolution. Ces événements ont appris aux générations de femmes qui ont suivi la Révolution que les droits ne sont pas garantis, il faut les protéger.</p>
<p>Peu après la création de la République islamique d’Iran, les dirigeants du pays ont décidé que les femmes symboliseraient, collectivement, l’islamisation de la nation en Iran et à l’étranger. Le 7 mars 1979, le port obligatoire du hijab était décrété.</p>
<p>Le lendemain matin, soit le 8 mars (une journée qui n’est habituellement pas célébrée en Iran) des <a href="https://www.theguardian.com/artanddesign/2015/sep/03/hengameh-golestans-best-photograph-iranian-women-rebel-against-the-1979-hijab-law">milliers de femmes ont envahi les rues</a> pour manifester contre la nouvelle mesure.</p>
<p>Surpris par cette violente et soudaine opposition, les dirigeants ont temporairement suspendu leur décision. Au cours des deux années suivantes, le régime a utilisé le discours nationaliste pour réinstaurer le port obligatoire du voile, d’abord pour les employées de l’état, puis dans les bureaux du gouvernement, et ensuite pour les étudiantes.</p>
<p>Enfin, le port obligatoire du voile en public fut imposé à toutes les femmes de plus de neuf ans, qu’elles soient musulmanes ou non. Le gouvernement a décrété que les femmes non voilées faisaient naître des désirs impurs chez les hommes, un argument fallacieux utilisé pour rabaisser la femme et permettre aux hommes d’agir en toute impunité.</p>
<p>L’oppression politique extrême durant les premières années de la République islamique d’Iran, <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-30-ans-de-la-guerre-Iran-Irak.html">alliée à une guerre sanglante et coûteuse avec l’Irak de 1981 à 1988</a>, ont empêché toute action collective organisée pour les droits des femmes. Malgré tout, certains mécanismes de résistance ont perduré. Par exemple, de nombreuses femmes se sont opposées aux groupes ultraconservateurs appuyés par la République en refusant de porter le tchador noir (qui signifie littéralement tente), au profit de foulards et de manteaux, arguant que le tchador n’existait pas au temps du Prophète.</p>
<p>Ces femmes ont également remis en cause la légitimité des couleurs permises par l’État (brun, blanc, bleu marine et gris), soulignant que même dans les interprétations les plus conservatrices, il n’existe aucune prescription à ce sujet dans les textes islamiques, et que la couleur préférée du Prophète était le rose.</p>
<p>À cette époque, plusieurs Iraniennes, dont moi lorsque je visitais le pays, portions des vêtements d’un vert très vif appelé « vert saoudien », ce qui irritait particulièrement les dirigeants du régime, et contre laquelle la police des mœurs était impuissante, puisque le vert est généralement reconnu comme la couleur de l’islam. Quelques années plus tard, les femmes ont commencé à porter d’autres couleurs vives en public.</p>
<p>Le régime entendait faire du hijab un symbole de fierté nationale s’opposant à la mode occidentale « hédoniste » <a href="https://www.youtube.com/watch?v=nMsyNXNdZdU">popularisée par l’ancien gouvernement</a>. Les Iraniennes ont continué de déjouer les intentions du régime en modernisant la tenue traditionnelle, par exemple en portant des motifs ethniques aux couleurs vives, mais parfaitement conformes aux codes islamiques de modestie.</p>
<p>La police des mœurs et autres agents de l’État n’avaient donc aucune raison légitime d’arrêter ces femmes pour violation du code vestimentaire, permettant ainsi à la première génération de femmes vivant sous la République islamique d’Iran de continuer d’exprimer leur opposition.</p>
<h2>Vers une nouvelle révolution ?</h2>
<p>Avec le temps, des générations de filles de tous les horizons ayant grandi sous le régime de la République islamique d’Iran ont commencé à porter des tuniques plus courtes et plus moulantes sur leurs leggings. Leurs voiles aussi sont devenus plus courts plus lâches. Les femmes plus âgées, sous prétexte d’avoir dépassé l’âge d’être désirables, ont commencé à laisser tomber les foulards sur leurs épaules en public dans les villes et les villages.</p>
<p>Malgré des investissements massifs pour l’embauche de centaines de milliers d’employés et de bénévoles de la <a href="https://8e-etage.fr/2016/04/21/teheran-brigade-moeurs-7000-agents-en-civil-pour-signaler-les-comportements-immoraux/">police des mœurs</a>, et près de 40 ans à tenter d’inculquer aux étudiants les valeurs « islamiques » du pays, le régime n’a toujours pas atteint son objectif.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été adapté de la version originale et traduit par l’Université de Concordia</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93159/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Homa Hoodfar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De plus en plus d’Iraniennes défient le gouvernement, brandissant leurs foulards dans les lieux publics. En solidarité, chaque mercredi dans le monde, d’autres femmes portent un voile blanc.Homa Hoodfar, Professor of Anthropology, Emerita, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/901592018-01-29T23:16:32Z2018-01-29T23:16:32ZQuelle vie après le niqab ? Rencontre avec celles qui ont retiré le voile<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/203814/original/file-20180129-41441-e31vgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Alexia (en bleu) et Saliha en 2012 : deux Françaises à l'époque militantes pour le voile intégral. Depuis, Saliha a fait « l'hijra » à Tataouine dans le Sud de la Tunisie, Alexia a tout retiré.</span> <span class="attribution"><span class="source">Agnès De Feo</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Il est beaucoup question aujourd’hui de <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2017-1-p-115.htm">désaffiliation djihadiste</a>, de celles et ceux qui affirment sortir du djihad pour revenir en Europe, jurant s’être « déradicalisés » telle la djihadiste et convertie <a href="http://www.slate.fr/story/155933/emilie-konig-voile-integral-syrie-djihadiste">Emilie König</a> dont l’arrestation en Syrie <a href="http://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/01/02/la-djihadiste-francaise-emilie-konig-a-ete-capturee-par-les-forces-kurdes-en-syrie_5236849_1618247.html">par les forces kurdes</a> a fait grand bruit en France.</p>
<p>Mais qu’en est-il des autres ? Certaines femmes pratiquant un <a href="http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/quietistes-politiques-djihadistes-qui-sont-les-salafistes-30-11-2015-5122_118.php">islam dit salafiste piétiste ou quiétiste</a>, sans recours à la violence, ont toujours refusé la guerre, tout en portant le voile intégral, ou niqab. Or certaines décident d’en sortir un beau jour et retirent tout, même le foulard sur la tête, ce qui peut aussi s’apparenter à un désengagement militant.</p>
<p>Hanane et Alexia (pseudonymes) sont nées en France. La première a grandi dans une famille de confession musulmane non pratiquante, la seconde s’est convertie à 22 ans. Toutes deux ont fait durant cinq ans l’expérience du niqab. Hanane l’a porté en 2009, juste avant le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000023654701">vote sur la loi interdisant le voile intégral en 2010</a>. Alexia l’a adopté ensuite. Ces deux ardentes défenseuses du voilement féminin total l’ont aujourd’hui complètement abandonné. Mais ce changement s’est fait progressivement et s’est accompagné d’une prise de distance avec l’idéologie salafiste.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/207938/original/file-20180226-120971-17yc4d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/207938/original/file-20180226-120971-17yc4d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/207938/original/file-20180226-120971-17yc4d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/207938/original/file-20180226-120971-17yc4d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/207938/original/file-20180226-120971-17yc4d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/207938/original/file-20180226-120971-17yc4d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/207938/original/file-20180226-120971-17yc4d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hanane aujourd’hui.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agnès De Féo</span></span>
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<h2>« Recommencer à vivre »</h2>
<p>Le 10 janvier dernier, premiers jours des soldes, Alexia me donne rendez-vous à la gare du Nord, à Paris. Elle veut s’acheter des vêtements. Elle dit vouloir « recommencer à vivre ». Dans une première enseigne, elle s’achète quatre pantalons <em>slims</em> et un blouson serré. Elle cherche ensuite des vêtements indiens. Non pas les classiques de Bollywood en vente dans les boutiques tamoules de la rue du Faubourg-Saint-Denis et dont les salafistes sont friandes – l’exubérance pailletée et colorée contraste en privé avec l’austérité du niqab en public –, mais de la mode ethnique fabriquée au Népal pour le goût occidental. Une boutique en propose. Elle essaye une veste bariolée et un pantalon aux « pattes d’eph » immenses.</p>
<p>En sortant de la cabine d’essayage, elle se jauge devant le miroir : « C’est vraiment moi, je me sens enfin redevenir moi-même après des années d’enfermement. » Avec ses cheveux qui balayent son visage, Alexia ressemble à une femme moderne, épanouie dans son corps. Alors qu’elle se rhabille, je suis impressionnée par sa métamorphose. Difficile d’imaginer qu’Alexia est restée cinq ans sous le niqab. Elle était l’une des femmes les plus radicales que j’ai jamais rencontrées.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/202265/original/file-20180117-53328-1oxp5mh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/202265/original/file-20180117-53328-1oxp5mh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/202265/original/file-20180117-53328-1oxp5mh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/202265/original/file-20180117-53328-1oxp5mh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/202265/original/file-20180117-53328-1oxp5mh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/202265/original/file-20180117-53328-1oxp5mh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/202265/original/file-20180117-53328-1oxp5mh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Alexia à la Rencontre annuelle des musulmans de France au Bourget, en région parisienne, 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agnès De Féo</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Un peu plus tard, j’ai rendez-vous avec Hanane pour imprimer des étiquettes à flacons dans une imprimerie du même quartier, tenue par des Tamouls du Sri Lanka. Elle me demande de l’accompagner car c’est moi qui réalise ses maquettes : « Masque capillaire à l’huile de coco », « Déodorant à la pierre d’alun et au musc », « Mascara à l’huile de ricin », autant de créations qu’elle commercialise depuis qu’elle s’est lancée dans la fabrication de produits naturels. Avec ses cheveux colorés rouge vif, son pantalon noir ultra-moulant, tout comme son haut qui enveloppe ses formes généreuses, je la vois négocier avec les imprimeurs, se coller à eux à cause de l’exiguïté du lieu sans manifester le moindre recul spontané comme il est d’usage dans le milieu très rigoriste qu’elle fréquentait. Incroyable évolution pour cette ancienne partisane du voile intégral.</p>
<p>Revenons sur Alexia. Je l’ai rencontrée le 6 août 2011 dans le cadre de <a href="https://ehess.academia.edu/Agn%C3%A8sDeFeo">mes recherches</a> sur le voile intégral lors d’une manifestation du groupe salafiste revendicatif <a href="http://www.liberation.fr/societe/2015/06/10/forsane-alizza-nous-entendions-creer-une-police-musulmane_1326640">Forsane Alizza</a> (littéralement Cavaliers de la fierté) à Aulnay-sous-Bois, en banlieue parisienne.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203250/original/file-20180124-107967-1arfh7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203250/original/file-20180124-107967-1arfh7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203250/original/file-20180124-107967-1arfh7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203250/original/file-20180124-107967-1arfh7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203250/original/file-20180124-107967-1arfh7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203250/original/file-20180124-107967-1arfh7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203250/original/file-20180124-107967-1arfh7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation du groupuscule Forsane Alizza le 6 août 2011 où j’ai rencontré Alexia. Au centre son leader, Mohamed Achamlane. Depuis 2015, il est en détention pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agnès De Féo</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Elle était entièrement couverte sous le niqab et se présentait comme l’épouse d’un des leaders du groupe. Alexia se souvient de cette époque : « Nous considérions tous les musulmans républicains comme des mécréants. Nous faisions le <em>takfir</em> (excommunication) contre ceux qui ne pratiquaient pas comme nous. Nous étions opposés au <a href="https://books.google.fr/books?id=-ehi3S8PLTUC&pg=RA6-PR5&lpg=RA6-PR5&dq=taghout+malek+chebel&source=bl&ots=Ad0CkYWca9&sig=APUrNKRZ6D8B28sXRskK8e1uIM8&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwiUsdfK497YAhUOLlAKHeAfAMoQ6AEIQjAD#v=onepage&q=taghout%20malek%20chebel&f=false"><em>taghout</em></a>, l’[idolâtrie ici au sens large, ndlr], c’est-à-dire à l’État et aux institutions. Nous étions dans l’exagération, nous nous définissions comme ghûlat, qui signifie extrémiste en arabe. »</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/202266/original/file-20180117-53320-xybxxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/202266/original/file-20180117-53320-xybxxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/202266/original/file-20180117-53320-xybxxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/202266/original/file-20180117-53320-xybxxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/202266/original/file-20180117-53320-xybxxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/202266/original/file-20180117-53320-xybxxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/202266/original/file-20180117-53320-xybxxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Alexia en 2013.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agnès De Féo</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>En fait ce terme est en général utilisé pour <a href="https://books.google.fr/books/about/Extremist_Shiites.html?id=WYO1BqdvX9EC&redir_esc=y">dénigrer les chiites</a> qui exagèrent le culte rendu au prophète et à sa famille. Mais il est utilisé par ce sous-groupe salafiste pour se désigner lui-même. Cette tendance, également nommée <a href="http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2015/11/26/31002-20151126ARTFIG00093-salafistes-et-djihadistes-quelles-differences-quels-points-communs.php"><em>takfiriste</em></a> est née dans les années 1970 en Égypte, pour l’usage qu’ils font du takfir sans la moindre légitimité. Ils se montrent sans pitié pour exclure de l’islam ceux qu’ils jugent déviants sans pour autant forcément appeler au djihad.</p>
<p>Quant à Hanane, je la connais depuis plus longtemps encore. Nous nous sommes rencontrées lors d’une manifestation de femmes en niqab en janvier 2010, place de la République à Paris puis devant l’Assemblée nationale, s’opposant à la <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/dissimulation_visage_espace_public.asp">proposition de loi d’interdiction de dissimulation du visage</a>. Nous étions alors en pleine polémique devant un phénomène inconnu pour l’écrasante majorité des Français.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203251/original/file-20180124-107959-1gghw1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203251/original/file-20180124-107959-1gghw1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203251/original/file-20180124-107959-1gghw1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203251/original/file-20180124-107959-1gghw1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203251/original/file-20180124-107959-1gghw1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203251/original/file-20180124-107959-1gghw1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203251/original/file-20180124-107959-1gghw1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hanane, rencontrée en marge d’une manifestation devant l’Assemblée nationale, Paris, 2010.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agnès De Féo</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les femmes en niqab étaient d’abord estimées à quelques centaines, <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/09/09/01016-20090909ARTFIG00040-deux-mille-femmes-portent-la-burqa-en-france-.php">puis à 2 000</a>.</p>
<h2>« Le niqab me protégeait »</h2>
<p>Début 2017, Hanane m’a recontactée pour l’aider à écrire un livre sur sa vie. L’ancienne lectrice en traduction française du prédicateur et cheikh saoudien <a href="http://cpa.hypotheses.org/5862">Aidh El-Qarni</a>, qui donne des conseils aux femmes pour devenir de parfaites musulmanes, a radicalement changé de perspectives. Ses modèles de livres sont aujourd’hui <a href="https://www.actualitte.com/video/jamais-sans-ma-fille-la-lutte-de-betty-mahmoody-pour-la-liberte/66837"><em>Jamais sans ma fille</em></a> (1991) ou encore <a href="https://www.babelio.com/livres/Muhsen-Vendues/35296"><em>Vendues</em></a> (2004) best-sellers qui font des musulmanes les victimes d’un ordre machiste intrinsèque à l’islam.</p>
<p>Ce n’est pourtant pas pour dénoncer le niqab qu’elle veut écrire mais pour raconter les viols qu’elle a subis par son beau-père durant dix ans lorsqu’elle était mineure, argument qu’elle utilise pour expliquer son engagement dans le salafisme.</p>
<blockquote>
<p>« La religion m’a beaucoup apporté pour sortir du traumatisme du viol. J’avais 19-20 ans quand j’ai commencé à porter le niqab, je l’ai enlevé à 25 ans. Plus j’avançais, plus je voulais me couvrir. Le niqab me protégeait, j’étais bien avec. J’aimais me cacher des hommes. Je pouvais les voir mais eux ne me voyaient pas. Maintenant quand les mecs me regardent, ça m’énerve. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IJTyWhq_w40?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Voile interdit, bande-annonce du film réalisé par Agnès De Féo, producteur Marc Rozenblum (Sasana Productions), 2017.</span></figcaption>
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<p>Contrairement à Alexia qui a pris seule la décision de se voiler le visage, Hanane se souvient de l’influence qu’a exercé sur elle le groupe qu’elle fréquentait alors à Villiers-sur-Marne :</p>
<blockquote>
<p>« Nous étions une bande de copines et avons porté le niqab presque toutes en même temps. Dans notre groupe, la plus précoce était Ayat Boumédiène, qui l’a adopté plus de deux ans avant la loi. Au début, elle était en mode normale puis elle a commencé à organiser des repas entre sœurs pour nous inciter à prendre les armes, c’était fatigant. C’est son mari, Ahmadi Coulibaly, qui lui a tourné de la tête. Je me souviens de lui, il était cool jusqu’à ce qu’il fasse de la prison. Quand il est sorti, c’est parti en cacahouète. Et dire qu’Ayat voulait me présenter un homme pour me marier, elle insistait beaucoup. Cet homme avait été emprisonné pour meurtre dans une bagarre. Heureusement que je ne me suis pas mariée, je serais en Syrie aujourd’hui [rires]. »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.lesechos.fr/12/02/2015/lesechos.fr/0204154882732_attentats---hayat-boumedienne-aurait-parle-au-magazine-en-anglais-de-l-ei.htm">Ayat (ou Hayat) Boumédiène aurait rejoint la Syrie</a> juste avant les attentats de l’Hyper Cacher en janvier 2015.</p>
<h2>« Quand je l’ai enlevé, j’ai eu l’impression de sortir de prison »</h2>
<p>La majorité des femmes qui ont abandonné le niqab portent aujourd’hui le jilbab, costume couvrant intégralement le corps à l’exception du visage. Elles disent avoir cédé à la <a href="http://www.slate.fr/story/153005/islam-pourquoi-quinquagenaires-virulentes-contre-niqab">pression de la rue</a> et aux contrôles policiers tout en espérant le remettre un jour. Rien de tel chez Alexia et Hanane qui affirment avoir tourné la page et refuser d’être identifiées à leur ancien groupe d’appartenance.</p>
<p>Alexia est même devenue une farouche détractrice du voile et du salafisme. Elle continue à se définir comme musulmane mais avec une lecture critique des textes. Hanane, elle, avoue être devenue rituellement moins assidue : « Je saute souvent les prières ou je les fais en retard. Certains jours même, je n’ai pas le temps de prier. Quand je portais le niqab, j’étais un peu plus régulière, même si j’étais souvent en retard. » Toutes les deux disent avoir abandonné leurs anciennes lectures, ainsi que la fréquentation des sites communautaires.</p>
<p>Mais ce retrait ne se fait pas d’un coup. Plusieurs mois sont nécessaires pour en sortir. Alexia raconte avoir décidé d’enlever le niqab sur les conseils de l’homme qui partageait sa vie à l’époque. Ce salafiste converti à l’islam était pourtant partisan de ce rigorisme féminin :</p>
<blockquote>
<p>« Quand il a vu mon état physique, il m’a demandé de l’enlever, il craignait pour ma santé. J’ai suivi son avis, mais c’est long, c’est dur. Je l’avais porté pour plaire à Allah. Mais à cause du manque de lumière, je ne synthétisais plus la vitamine D, mon corps m’a lâché. »</p>
</blockquote>
<p>Hanane a abandonné son voile du visage après les attentats de <em>Charlie Hebdo</em> en 2015 car elle craignait pour sa sécurité, faisant face à de plus en plus d’insultes dans la rue : « Je l’ai retiré petit à petit. Ce n’était plus vivable de le porter. » Alexia se souvient : « Quand je l’ai enlevé, j’ai eu l’impression de sortir de prison, ce qui ne veut pas dire que je me suis libérée. Car je me sentais encore mal. Des années sont nécessaires pour s’en sortir et je n’ai pas encore fini de faire le ménage dans ma tête. »</p>
<p>Pour Hanane, le plus dur est l’exclusion du groupe : « Depuis que j’ai retiré mon voile, beaucoup de sœurs ne veulent plus me parler. Je les trouve hautaines et injustes, car cela peut arriver à n’importe qui d’enlever son voile. Quelques rares sœurs me répondent, mais ce n’est plus comme avant. » Alexia a longtemps remis son voile en rentrant dans sa cité du 93. Puis elle a fini par tout enlever en modifiant ses fréquentations : « Ma vie a commencé à changer quand je me suis inscrite dans une salle de sport ce qui m’a permis de sortir des réseaux sociaux salafistes qui étaient ma seule source de socialisation avant. Puis j’ai trouvé du boulot et là j’ai définitivement dit adieu à mon passé. » C’est justement à son travail qu’elle a rencontré l’homme avec qui elle se marie à la fin du mois. Il n’est pas musulman et le mariage aura lieu à la mairie, une initiative impensable pour cette femme qui haïssait les institutions françaises. Elle m’a demandé d’être son témoin.</p>
<h2>Un goût amer</h2>
<p>Avec le recul, aucune des deux femmes ne parle de sa « sortie » du niqab comme d’une libération. Elles gardent un goût amer de cette expérience. Elles disent avoir été convaincues à un moment donné de leur vie de l’importance de se voiler intégralement et y avoir trouvé des avantages. Alexia croyait ainsi atteindre la perfection musulmane et donner un sens à sa vie. Elle imaginait rencontrer l’homme pieux et vertueux qui la sortirait de sa condition de mère célibataire. Pour Hanane, il s’agissait de panser les plaies d’une adolescence déchirée par la névrose familiale et les placements en foyer. Toutes deux ont utilisé le niqab comme revanche.</p>
<p>Alexia considère a posteriori que cette période lui a fait perdre des années de sa vie et manifeste sa colère contre les publications et la propagande d’Arabie saoudite. Elle en veut à tout le système qui l’a endoctrinée, même si elle reconnaît que cet endoctrinement était volontaire. Selon elle, Daech profite de la naïveté de ceux et celles qui croient s’engager pour des raisons légitimes et se trouvent au final embrigadés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/duYOeSbScbI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du documentaire « Revenantes » de la réalisatrice Marion Stalens, diffusé sur France 2 le 16 janvier 2018.</span></figcaption>
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<p>Même si elles s’opposent aujourd’hui au niqab, ni Hanane ni Alexia ne soutiennent la loi d’interdiction de 2010. « La loi est contre-productive. La seule solution est de s’en sortir par soi-même. L’interdit ne convaincra jamais aucune femme de l’enlever », me disait récemment Hanane. Même réaction chez Alexia qui fustige une loi qui a poussé certaines femmes à se couper de la société et même « à le porter en signe de révolte ».</p>
<p>Ces témoignages de « sortantes du niqab » restent rares, non pas parce que peu de femmes l’abandonnent, mais parce qu’elles font table rase de leurs anciennes relations en adoptant leur nouvelle identité. Elles changent de mail, de numéro de portable et disparaissent sans laisser d’adresse. Le voile intégral devient alors une étape transitoire dans leur vie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90159/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agnès De Féo est co-fondatrice de Sasana Productions et enseigne à l'école de journalisme CFPJ.</span></em></p>Porter et défendre le voile intégral. Puis le retirer : les femmes qui passent à l’acte racontent leur expérience.Agnès De Féo, Sociologue, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/768862017-07-12T19:59:42Z2017-07-12T19:59:42ZComment le voile a donné naissance à la « hijabista » mondiale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/174023/original/file-20170615-23518-1purekq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le voile musulman sème la confusion chez les Occidentaux.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/mod%C3%A8le-la-mode-jeune-fille-sexy-1245558/">Bessi/Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>La marque Gap relance la polémique sur le port du voile : dans sa dernière campagne pour GapKids, deux enfants sont mis en avant, l'une porte un voile bleu. <a href="https://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2018/08/11/une-campagne-publicitaire-de-gap-montrant-une-enfant-voilee-suscite-la-polemique_5341566_3224.html">En France, élus et internautes appellent au boycott</a>. L'enseigne se défend en expliquant qu'il s'agit d'enfants issus d'une école publique new-yorkaise et que la publicité est destinée au marché international.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1027890662098780160"}"></div></p>
<p>Comment le voile, une simple pièce de tissu aux déclinaisons diverses, a-t-il pu devenir un vêtement mondialisé, suscitant d’importantes controverses ?</p>
<p>En juin 2017, c'était le maire de la commune de Lorette qui avait <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/le-maire-de-lorette-retire-son-arrete-anti-burkini-1498960310">rédigé un arrêté anti-burkini</a>, interdisant le port du burkini et du voile sur un plan d’eau municipal. La polémique suscitée par son acte l’a poussé à le retirer au bout d’une semaine. Le même mois, de l’autre côté de l’Atlantique, le <a href="http://www.bbc.com/news/blogs-trending-40379503">magazine de mode américain Allure illustrait sa Une</a> avec une photo de la modèle somalienne Hamali Aden, portant un hijab.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"877181177894973440"}"></div></p>
<p>Une dizaine d’années de terrain en Afghanistan et de nombreux voyages au Moyen-Orient m’ont menée à réaliser un travail anthropologique et <a href="http://croquant.atheles.org/terra/femmesafghanesenguerre">historique du costume féminin</a>.</p>
<p>Cependant, il m’a été difficile d’ignorer les transformations sociétales européennes de ces dix dernières années. L’habillement des jeunes femmes musulmanes a en effet engendré des débats virulents.</p>
<h2>Le <em>voile</em>, un mot, des variantes</h2>
<p>En France, où je vis, le terme <em>voile</em> est particulièrement confus, puisqu’il recouvre <a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/11/niqab-hijab-burqa-des-voiles-et-beaucoup-de-confusions_4651970_4355770.html">des variantes</a> qui s’excluent souvent mutuellement : le foulard, la burqa, le niqab, le hijab, le jilbab.</p>
<p>Ces termes décrivent des formes différentes de voile, plus ou moins enveloppantes. <a href="http://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/la-burqa-en-questions_768733.html">La burqa</a> afghano-pakistanaise bleue et le <a href="http://www.lemondedesreligions.fr/mensuel/2010/40/niqab-quels-sens-pour-celles-qui-le-portent-06-05-2010-167_106.php">niqab</a> noir d’Arabie saoudite, recouvrent le visage aussi bien que le corps. C’est une version du niqab que portent les jeunes musulmans et les convertis qui se sont tournés vers un islam puriste, basé sur une lecture fondamentalisme des textes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/174021/original/file-20170615-23528-153b2qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/174021/original/file-20170615-23528-153b2qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/174021/original/file-20170615-23528-153b2qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/174021/original/file-20170615-23528-153b2qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/174021/original/file-20170615-23528-153b2qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/174021/original/file-20170615-23528-153b2qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/174021/original/file-20170615-23528-153b2qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un défilé de mode, dans un salon de la femme musulmane ayant eu lieu en France.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C.M.</span></span>
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<p>Le hijab est le terme utilisé pour désigner une coiffure islamique colorée, couvrant le crâne, le cou et les épaules. Cette coiffe est notamment portée dans le monde issu des colonies anglaises, en Inde, au Pakistan, au Bangladesh.</p>
<p>En Indonésie, le terme jilbab signifie à peu près la même chose. Ailleurs, par exemple sur les catalogues de <a href="http://www.nabira.fr/23-jilbab?">vente en ligne</a> – dont les plus pudiques mettent un flou sur les visages des mannequins-, il désigne la tenue en une pièce qui recouvre la tête et le corps.</p>
<p>Le port du simple foulard est l’antithèse du niqab (le voile intégral), puisque le foulard permet la participation à l’espace public de celle qui le porte, alors que le niqab l’exclut définitivement. L’individualité d’un côté, l’anonymat de l’autre, au nom de préceptes religieux qui se voudraient partagés mais qui offrent des oscillations déterminantes, parfois choisies, parfois contraintes.</p>
<h2>Du voile honni au voile plébiscité ?</h2>
<p>Une version médiane, qui ne révèle que le visage, est imposée par la loi en Iran et Irak chiites : le tchador noir, vêtement politique aussi bien que religieux, était censé <a href="http://www.karthala.com/867-la-revolution-sous-le-voile-femmes-islamiques-diran-9782865373291.html">représenter la femme musulmane idéale</a>, produite par la révolution khomeiniste de 1979. Mais son détournement imaginatif à Téhéran <a href="http://thetehrantimes.tumblr.com">est devenu un sport national</a>.</p>
<p>Le visage est alors investi en tant que terrain d’expression, voire de contestation, par le maquillage, les sourcils, et même la chirurgie esthétique.</p>
<p>Le voile intégral est obligatoire dans quelques pays <a href="https://www.gov.uk/guidance/living-in-saudi-arabia">comme l’Arabie Saoudite</a> (niqab/abaya), ou au sud de l’Afghanistan surtout rural (burqa), où le <a href="https://www.unicef.org/infobycountry/files/Best_Estimates_Fact_Sheet_-_Kandahar.PDF">taux l’alphabétisation féminin 16 %</a> est l’un des plus bas sur terre selon l’UNICEF.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/174010/original/file-20170615-23548-1v80g9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/174010/original/file-20170615-23548-1v80g9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/174010/original/file-20170615-23548-1v80g9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/174010/original/file-20170615-23548-1v80g9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/174010/original/file-20170615-23548-1v80g9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/174010/original/file-20170615-23548-1v80g9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/174010/original/file-20170615-23548-1v80g9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans les jardins publics de Kaboul, en Afghanistan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C.M</span></span>
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<p>Dans de nombreux autres pays, y compris ceux où réside une vaste communauté musulmane pratiquante, les lois n’imposent certes pas explicitement le port d’un tel vêtement dédié, <a href="https://tribune.com.pk/story/711490/no-dress-codes-for-pakistani-women/">mais une exigence de « modestie »</a> s’applique, selon les canons en vigueur. Il est impensable, par exemple, de se promener en short ou jean moulant au Pakistan, même si aucune loi constitutionnelle ne l’interdit.</p>
<p>En revanche, dans les pays aux lois explicitement répressives comme l’Iran, la Malaisie, les régions dominées par Daech et Boko-Haram au Sahel et au Moyen-Orient, une police des mœurs religieuse veille et rappelle à l’ordre les contrevenants, souvent par des moyens violents. Elle est généralement rattachée à un <a href="http://www.bbc.com/news/world-middle-east-36101150">« Comité pour la promotion de la vertu et la répression du vice »</a>.</p>
<p>Mes amies féministes iraniennes et afghanes sont ainsi consternées lorsque des organisations comme <a href="http://www.france24.com/fr/20140630-voile-integral-france-islamique-burqa-CEDH-droit-homme-expression-amnesty-international-">Amnesty International</a> ou la Ligue des Droits de l’homme s’insurgent, au nom des libertés personnelles, contre l’interdiction du port du voile intégral, statuée par l’<a href="http://www.liberation.fr/societe/2014/07/01/la-cedh-valide-l-interdiction-du-voile-integral-en-france_1053802">Union européenne en 2014</a>.</p>
<p>À l’époque où les <a href="https://2001-2009.state.gov/g/drl/rls/6185.htm">Américains</a> et leurs alliés intervenaient en Afghanistan (à partir de 2002), ces mêmes organisations jugeaient que la burqa (version locale du niqab) était emblématique des <a href="https://www.hrw.org/legacy/wr2k2/women.html">restrictions extrêmes</a> imposées aux femmes par les talibans et représentait un refus de leurs droits humains.</p>
<p>Comment, en l’espace de quinze ans, s’est opéré ce bouleversement absolu ?</p>
<h2>La religion, une certitude rassurante</h2>
<p>Selon un <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19585/document_.travail_2013_196_religion.fr.pdf">rapport de l’INED</a>, l’un des facteurs le plus important serait la montée du fait religieux auprès des jeunes, en particulier chez les immigrés se déclarant musulmans de la deuxième génération. Ils estiment vivre une « forte religiosité », souvent différente de celle pratiquée par leurs propres parents.</p>
<p>Selon ce même rapport, la sécularisation, voire l’athéisme s’enracinent plus chez les migrants ou natifs d’origine chrétienne.</p>
<p>Peu importe leur religion, les enfants du millénaire vivent ce qui a été appelé « la <a href="http://www.liberation.fr/debats/2016/02/23/la-fin-des-ideologies_1435327">fin des idéologies</a> », ou le « <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Le-desenchantement-du-monde">désenchantement du monde</a> », selon les expressions consacrées, avec par exemple, la montée du néo-libéralisme à tout cran et son lot de désillusions. Parmi celles-ci, la <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-gerald-bronner-ce-nest-pas-la-post-verite-qui-nous-menace-mais-lextension-de-notre-credulite-73089?sa=google&sq=post+v%C3%A9rit%C3%A9&sr=3">normalisation de l’incrédulité</a> et le manque de confiance face aux processus démocratiques et aux personnalités politiques ont joué un rôle majeur.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/174011/original/file-20170615-23548-18pwzl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/174011/original/file-20170615-23548-18pwzl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/174011/original/file-20170615-23548-18pwzl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/174011/original/file-20170615-23548-18pwzl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/174011/original/file-20170615-23548-18pwzl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/174011/original/file-20170615-23548-18pwzl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/174011/original/file-20170615-23548-18pwzl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des étudiantes à Beyrouth (Liban) : la femme située au milieu porte son voile dans un style « sunnite ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">C.M.</span></span>
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<p>Au Moyen-Orient, les jeunes ont été élevés dans le contexte d’une guerre violente ou de basse intensité, du terrorisme, de l’effondrement de l’option relativement laïque des gouvernements post-coloniaux de <a href="http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2011/01/22/01006-20110122ARTFIG00584-o-va-la-tunisie.php">Ben-Ali en Tunisie</a> et de <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2011/02/10/01003-20110210ARTFIG00658-plus-de-deux-semaines-de-revolte-populaire-en-egypte.php">Moubarak en Egypte</a>, ainsi que de l’échec des révoltes populaires <a href="http://www.la-croix.com/Editos/L-echec-du-printemps-arabe-2013-07-29-992331">comme le Printemps arabe</a>.</p>
<p>Les débats autour de l’<a href="https://www.fidh.org/fr/regions/maghreb-moyen-orient/israel-palestine/50e-anniversaire-de-l-occupation-militaire-par-israel-de-la-palestine">occupation de la Cisjordanie</a> depuis un demi-siècle a d’autant plus cristallisé les débats en France, <a href="http://www.regards.fr/monde/en-france-le-mouvement-de-soutien,7866">rassemblant la jeunesse</a> souvent issue de l’immigration musulmane autour d’un même combat.</p>
<p>Peu à peu, la religion politisée a été érigée en un nouvel idéal, <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Connaissance/La-Fracture">comme l’a démontré le politologue Gilles Kepel</a>, notamment dans son ouvrage <em>La Fracture</em>.</p>
<p>Un processus partiellement comparable s’est opéré dans les pays occidentaux tels que le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, ainsi qu’en Scandinavie. Dans ces territoires, le <a href="http://www.lesinrocks.com/2015/12/10/actualite/doit-on-remettre-en-question-la-la%C3%AFcit%C3%A9-%C3%A0-la-fran%C3%A7aise-11791149/">principe communautariste</a> domine : soit une société plurielle où est reconnue l’appartenance affichée, à des communautés religieuses et ethniques, jusque dans l’espace public, au détriment parfois d’une idée d’appartenance nationale unificatrice.</p>
<p>Selon les critiques français, cette tendance encouragerait la dissolution identitaire dans l’assimilation totale. En 1997, le sociologue Michel Wieviorka avait déjà cerné les <a href="https://www.cairn.info/une-societe-fragmentee--9782707127310.htm">écueils d’une trop grande rigidité</a>.</p>
<h2>Le vêtement véhicule identitaire</h2>
<p>Le vêtement figure aujourd’hui parmi les signes les plus évidents de cette soif de reconnaissance identitaire. Une classe moyenne éduquée, dynamique, moderne et religieuse a émergé en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord. Elle affirme son appartenance musulmane et revendique le droit de faire du hijab un objet de mode.</p>
<p>En 2016, le Huffington Post recensait d’ailleurs les <a href="http://www.huffingtonpost.com/entry/17-muslim-american-women-who-made-america-great-in-2016_us_584204b7e4b09e21702ec3b1">17 femmes musulmanes</a> américaines qui avaient contribué à la bonne image des États-Unis en 2016. On peut y admirer, en foulard et souvent très maquillées, des avocates, des femmes d’affaires et des activistes.</p>
<p>Cette représentation est inimaginable en France, où la réussite sociale signifie conformité au <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses-2014-4-page-43.htm">modèle républicain</a>, y compris dans le style de vie. C’est ainsi que les <a href="https://www.mimoza-hijab.fr/">sites web</a> vendant des vêtements plus orthodoxes en France, tels que des niqabs et des jilbabs, sont plutôt réservés à un marché populaire, <a href="http://www.institutmontaigne.org/fr/publications/un-islam-francais-est-possible">généralement sans emploi</a>.</p>
<p>Aux États-Unis au contraire, <a href="https://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2015/02/making-modest-fashion-cool/385789/">c’est une classe bourgeoise de consommatrices</a> qui, affichant clairement son attachement à l’islam, a permis le développement du <a href="http://blogs.lexpress.fr/styles/le-boulevardier/2013/01/07/lexplosion-du-modest-clothing-vers-une-mode-hallal-ou-cascher-ou-sacree/">« modest wear »</a>. Au départ, dans les années 1980, cette mode était destinée aux femmes juives orthodoxes et mormones, et se retrouve aujourd’hui sur les <a href="http://www.deseretnews.com/article/865622949/Jewish-woman-says-modesty-spans-religions-and-cultures-launches-modest-online-marketplace.html">sites Internet</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/174016/original/file-20170615-11162-1jjg43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/174016/original/file-20170615-11162-1jjg43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/174016/original/file-20170615-11162-1jjg43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/174016/original/file-20170615-11162-1jjg43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/174016/original/file-20170615-11162-1jjg43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/174016/original/file-20170615-11162-1jjg43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/174016/original/file-20170615-11162-1jjg43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Jérusalem, des femmes juives orthodoxes, portant des coiffes sur la tête.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C.M.</span></span>
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<h2>Le business florissant de la mode « islamique »</h2>
<p>Les styles aujourd’hui en vente ne se conforment pas uniquement aux injonctions de piété, mais également aux critères temporaux et sociaux de la mode actuelle, par la coupe et les couleurs.</p>
<p>Ainsi, alors que 40 couturiers internationaux présentaient la première <a href="https://www.theguardian.com/fashion/2017/feb/22/generation-m-how-young-muslim-women-are-driving-a-modest-fashion-revolution">Modest Fashion Week à Londres</a> en février 2017, le lancement, en 2016, de <a href="http://www.huffingtonpost.com/entry/uniqlo-hijabs-february_us_56c3699de4b08ffac126a8fa">collections</a> de prêt-à-porter « modest wear » par Uniqlo, D&G, Tommy Hilfiger, et Oscar de la Renta, <a href="https://blogs.mediapart.fr/carol-mann/blog/040416/interdire-la-mode-mais-soutenir-les-dictatures">ont suscité la polémique</a> en France.</p>
<p>On ne saurait accuser ces entreprises de prosélytisme en faveur de l’islam : <a href="https://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2016/01/dolce-gabbana-high-fashion/423171/">elles capitalisent avant tout</a> sur une croissance annoncée d’un marché de plus en plus large. D’après Thomson Reuters et son rapport « State of Global Islamic Economy 2014-2015 », <a href="http://www.aljazeera.com/indepth/features/2016/01/booming-muslim-fashion-industry-160124132747636">ce marché était de 266 milliards de dollars en 2013</a> et devrait atteindre les 484 milliards de dollars d’ici 2019.</p>
<p>Cette croissance coïncide avec le <a href="http://www.la-croix.com/Religion/Monde/Que-seront-religions-2050-2016-04-22-1200755307">boom démographique de la population musulmane dans le monde</a>, passant de 1,6 milliard à presque 3 milliards d’ici 2050.</p>
<h2>Hijabista branchée</h2>
<p>Aujourd’hui la <a href="http://o.nouvelobs.com/mode/20130529.OBS1059/les-hijabistas-des-bloggeuses-mode-voilees-reinventent-la-feminite-musulmane.html">hijabista</a> a le vent en poupe : c’est une jeune femme, vivant en Occident, qui a décidé de vivre sur son corps sa foi musulmane de façon moderne et branchée, selon les référents toujours changeants de la mode ; on retrouve ce phénomène, de façon plus limitée, au Moyen-Orient, au Pakistan et en Asie du Sud-est.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XOX9O_kVPeo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Hijabi, de l'artiste Mona Haydar revendique un féminisme islamique internationaliste, décomplexé vis à vis de la religion.</span></figcaption>
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<p>La différence, c’est que la figure de la hijabista constitue une particularité de la jeunesse actuelle en Europe et sur le continent américain, qui continue à revendiquer une neutralité religieuse, alors que dans les pays musulmans, elle est la norme, comme l’explique la sociologue pionnière du <em>modest fashion</em>, <a href="http://www.ibtauris.com/en/Books/Society%20%20social%20sciences/Society%20%20culture%20general/Cultural%20studies/Fashion%20%20society/Modest%20Fashion%20Styling%20Bodies%20Mediating%20Faith">Reina Lewis</a>.</p>
<p>La mode permet justement d’intégrer celles qui l’endossent, de vivre au temps présent et non pas de les emmurer dans un état supposément religieux, figé dans la temporalité inerte des textes et selon l’interprétation des islamistes.</p>
<p>Ces dernières, voilées de pied en cap, refusent le principe même de la mode. Cependant, elles ne « représentaient » en France que 687 verbalisations en 2016, et <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/04/08/97001-20160408FILWWW00177-voile-integral-1500-amendes-en-5-ans.php">1 500 en cinq ans</a>. En France, l’interdiction policière comme unique stratégie peine à atteindre le but escompté, soit une invisibilisation du fait musulman, où du moins sa réduction, dans l’espace public.</p>
<p>À l’inverse, elle exacerbe les tensions et renvoie ces femmes et leurs familles à l’entre-soi islamiste rigoriste, qui se manifeste dans les <a href="http://www.francetvinfo.fr/societe/le-bourget-je-suis-fier-detre-musulman-francais-ou-francais-musulman_1690279.html">salons spécialisés</a> organisés pour les « Musulmans de France », anciennement l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170504.OBS8965/freres-musulmans-conferences-polemiques-10-choses-a-savoir-sur-l-uoif.html">historiquement proches des Frères Musulmans</a>. On y voit défiler par centaines des niqabs et jilbabs, d’ailleurs en vente sur place.</p>
<p>Au contraire, la mode des jeunes musulmanes, joyeuse, colorée, libérée, <em>in fine</em> jouissive, est un phénomène positif, puisqu’elle s’oppose d’emblée au niqab mortifère et à ses défenseurs. Elle permet une fluidité vestimentaire et, surtout, la possibilité de changer d’avis à tout moment.</p>
<hr>
<p><em>Carol Mann a publié <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=53086">« De la burqa afghane à la hijabista mondialisée »</a>, aux éditions de L’Harmattan.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76886/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carol Mann ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Accessoire de mode, instrument de contestation politique ou de répression, le voile est désormais un vêtement incontournable de nos sociétés.Carol Mann, chercheure associée au LEGS de Paris 8 spécialiste de genre et conflits armés, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/796082017-06-19T19:50:39Z2017-06-19T19:50:39ZLa liberté de culte, le maire… et le magasin de vêtements<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/174200/original/file-20170616-554-b2heb3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Pixabay</span></span></figcaption></figure><p>Dans une <a href="http://www.liberation.fr/france/2017/06/13/voile-chez-hm-a-mandelieu-le-courrier-mal-inspire-du-maire_1576555">lettre datée du 24 avril 2017</a> et rendue publique récemment, Henri Leroy, maire (LR) de Mandelieu-la-Napoule, s’adresse aux « gérants » du H&M de la commune, articles de loi et arrêtés de jurisprudence à l’appui, et réclame que le port de signes religieux et particulièrement le « foulard islamique » soit « proscrit » dans ce point de vente suite à des « retours négatifs d’administrés ».</p>
<p>La question des faits religieux au travail est depuis quelques années un sujet qui intéresse les observateurs, les entreprises et les administrations. Les entreprises de conseils et les experts en tous genres fleurissent sur la toile et dans les cabinets. Les consultants produisent de la formation <em>manu militari</em> « parce qu’il y a un business », les autres ayant recours à leurs services puisqu’il « faut travailler là-dessus, c’est touchy ».</p>
<p>L’affaire la plus emblématique en France a été l’<a href="http://www.francetvinfo.fr/societe/justice/affaire-baby-loup/">affaire Baby Loup</a> dont les rebondissements auront approvisionné la rubrique juridique des quotidiens pendant presque six ans, de 2008 à 2014. Une salariée musulmane s’était présentée voilée au travail à son retour de congé maternité, alors qu’elle ne portait pas le voile à son départ en congés. Scandale à l’époque, et courte mémoire aussi, oubliant que <a href="https://www.lesechos.fr/26/11/2015/lesechos.fr/021508353802_religion-sur-le-lieu-de-travail--les-entreprises-mal-a-l-aise-face-a-la-pression.htm">dans les années 70 déjà</a>, des salles de prières existaient dans certaines usines françaises et que cela n’avait à l’époque, pas posé particulièrement de problèmes.</p>
<p>Bien que la loi ait pu entraîner l’installation d’un flou, la jurisprudence a eu le mérite de lever un sentiment d’insécurité juridique et d’apporter la clarté souhaitée par les acteurs économiques et institutionnels, <a href="https://theconversation.com/les-faux-semblants-des-arrets-de-la-cour-de-justice-de-lunion-europeenne-sur-le-voile-au-travail-72291">sans pour autant bouleverser le droit</a> ni retirer l’autonomie des entreprises dans la définition de leur posture.</p>
<h2>Le rôle social et sociétal de l’entreprise en question</h2>
<p>Le sujet de la religion au travail est sujet bien français, et n’en est qu’à ses premiers rebondissements. Aussi, c’est bien à la lumière de notre contexte qu’il convient de lire les situations, en <a href="https://theconversation.com/religion-au-travail-perspectives-europeennes-et-outre-atlantique-75416">conscience de la diversité des paradigmes à ce sujet à l’échelle européenne et internationale</a>. Notre paradigme est celui de la <a href="https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2012-2-page-49.htm">laïcité à la française</a>, principe qui garanti à tous la liberté de croire ou de ne pas croire, et pour ceux qui choisissent de croire, la liberté de culte.</p>
<p>La question fondamentale, en accord avec l’injonction contemporaine de valorisation des diversités est « Comment permettre aux collaborateurs d’exprimer leur identité multiple au travail sans perturber le fonctionnement de l’entreprise ni mettre en danger les acteurs ? ».</p>
<p>L’entreprise, au carrefour de toutes les sensibilités individuelles et lieu de convergence de tous vers un objectif commun est confrontée à cette question d’interpénétration entre les sphères personnelle et professionnelle et à ses enjeux de cohésion sociale et de préservation de l’idéal républicain. Quel autre ciment que l’entreprise et le travail pour unir les citoyens ?</p>
<p>Ces enjeux déterminants sont invoqués par Monsieur Le Maire dans son courrier afin de justifier de la nécessité de réguler les comportements religieux qu’il juge ostentatoires. Si à première vue les arguments semblent juridiquement étayés, certains pans entiers du droit ont été omis. Plusieurs questions se posent.</p>
<h2>Monsieur Le Maire connaît-il le droit privé en matière d’expression des convictions religieuses au travail ?</h2>
<p>Dans l’entreprise privée, c’est la liberté de conscience et par conséquent, sa sœur jumelle la liberté de culte qui prime. Comme le rappelait Nicolas Cadène, rapporteur de l’Observatoire de la laïcité récemment seul « l’arbitre », c’est-à-dire l’État, est neutre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"875258592416473088"}"></div></p>
<p>En prélevant des éléments du droit et de la jurisprudence partiellement, l’élu occulte volontairement ou pas, un élément fondamental de droit qui donne la possibilité à une salariée qui le souhaite de porter le voile et ce en raison du respect de ses convictions et de la liberté de culte, qui sont reconnues comme fondamentales et protégées par la Constitution.</p>
<p>Il précise bien que l’entreprise a la possibilité de restreindre l’expression, et non pas l’obligation. Par conséquent, aucun acteur externe ne peut l’y contraindre. C’est pourtant bien une « demande » que formule l’élu au gérant du magasin.</p>
<h2>Monsieur Le Maire ne confond-il pas les salariés du privé et les agents publics ?</h2>
<p>En matière d’expression religieuse et politique, les agents publics sont soumis à une stricte neutralité, puisqu’ils sont porteurs d’une mission de service public. Ils doivent remplir cette mission en toute impartialité, toujours en accord avec la promesse républicaine d’égalité de tous les citoyens devant la République et en accord avec la récente loi de déontologie des fonctionnaires et <a href="http://www.fonction-publique.gouv.fr/points-cles-de-la-loi-relative-a-la-deontologie-et-aux-droits-et-obligations-des-fonctionnaires">notamment son article premier.</a></p>
<p>L’entreprise privée elle, n’a pas (sauf exception) de délégation de service public, sa finalité principale et originelle est économique. Si elle souhaite interdire l’expression religieuse de ses collaborateurs dans l’exercice de leur travail, elle peut le faire si les restrictions apportées sont <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do%3Bjsessionid=E2040E83AA6115AAB696712EB09CC0A6.tpdila16v_2?idArticle=JORFARTI000032983501&cidTexte=JORFTEXT000032983213&dateTexte=29990101&categorieLien=id">« justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché »</a>.</p>
<h2>Monsieur Le Maire aurait-il mal lu les arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 14 mars 2017 ?</h2>
<p>En évoquant les <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2017-03/cp170030fr.pdf">arrêts de la CJUE du 14 mars 2017</a> en indiquant qu’il précise l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000033001625">article L-1321-2-1 du Code du travail</a> qui permet de réguler les manifestations religieuses en contexte professionnel « sous certaines conditions », Monsieur Le Maire s’appuie tout au long de son courrier sur « de nombreuses plaintes d’administrés et de clients », plaintes qu’il qualifie de « répétées » et « non entendues ».</p>
<p>La loi permet de restreindre la liberté religieuse des collaborateurs pour des raisons de sécurité, d’hygiène, ou encore de bon fonctionnement de l’entreprise. Au regard des éléments avancés par l’élu, il nous faut préciser les conclusions de l’arrêt invoqué et leurs incidences en droit.</p>
<p>L’arrêt vient compléter la loi, ou plutôt la préciser en indiquant que le souhait d’un client de ne pas avoir affaire à une femme voilée ne suffit pas à lui seul pour qu’un employeur exige le retrait d’un signe religieux au travail, en tous cas en France (l’arrêt porte sur deux cas, l’un en France, l’autre en Belgique).</p>
<p>Dans ce cas précis donc, et sans contre-indications d’hygiène, de sécurité et de bon fonctionnement, le fait de ne pas porter de signes religieux ne constitue pas en soi une exigence professionnelle déterminante pour le poste.</p>
<h2>Monsieur Le Maire méconnaît-il le rôle des collectivités envers les acteurs économiques présents sur leur territoire ?</h2>
<p>Cette lettre qui ressemble à celle d’un conseiller juridique (mal avisé certes), témoigne d’une certaine ingérence de l’élu (sur fond politique ?).</p>
<p>Si le rôle des collectivités territoriales dans l’incitation des entreprises à des pratiques écologiquement responsables, ou encore dans leur capacité à faciliter l’installation des entreprises sur un territoire donné semble évident ; le rôle qui viserait à contraindre l’entreprise dans la fixation de ses règles de fonctionnement interne au-delà de ce que prévoit la loi et en dépit de l’exercice des libertés fondamentales, ne leur semble pas attribué.</p>
<p>La rédaction du règlement intérieur relève évidement de la responsabilité de la structure privée et les différents alinéas proposés et les pratiques qui en découlent, s’ils ne sont pas contraires à la loi, ne sont aucunement soumis à appréciation ni même avis consultatif de la collectivité locale du territoire.</p>
<p>Après tout en tant que Maire d’une commune, l’élu n’est pas tenu de connaître sur le bout des doigts le droit qui ne s’applique pas à ses agents, mais il n’est pas tenu non plus de conseiller les acteurs privés de son territoire concernant leur gestion interne (a fortiori lorsqu’il se trompe).</p>
<h2>« Nul n’est censé ignorer la loi »</h2>
<p>Si ce célèbre adage reste un mythe juridique, sorte de promesse utopique qui voudrait que tous puissent sur le bout des doigts connaître et pourquoi pas citer la loi (et qui par conséquent mettrait au chômage tous les juristes), il n’en est pas moins essentiel pour un élu de la République de connaître et de comprendre les éléments juridiques sur lesquels il fonde son argumentaire.</p>
<p>Nous avons besoin d’élus qui éclairent le débat, favorisent la disputa, entretiennent le doute, et non pas qui soufflent sur les braises, dans un contexte d’hypersensibilité des questions religieuses, mais également de hausse de l’intolérance chez les extrémistes (confessants ou non).</p>
<p>Dans le dernier volet des résultats de l’<a href="http://grouperandstad.fr/wp-content/uploads/2016/09/communiquexx-de-presse-exxtude-2016-fait-religieux-en-entreprise.pdf">étude de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE) en partenariat avec l’Institut Randstad parue en 2016</a>, le professeur Lionel Honoré (Université de Polynésie Française) constatait une certaine banalisation des faits religieux au travail, traduction d’une hausse de 15 points du nombre d’entreprises qui en observait (65 %).</p>
<p>Nous n’avons pas fini d’entendre parler de faits religieux au travail.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/79608/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre de l'Institut du pluralisme religieux et de l’athéisme (IPRA).
Il conseille en parallèle de son travail de recherche des entreprises et administrations sur les questions de faits religieux et de laïcité au travail.</span></em></p>Liberté de culte des salariés du privé : de quoi se mêle le maire de Mandelieu-La-Napoule en intervenant à propos d’une salariée d’un magasin H&M ?Hugo Gaillard, Doctorant en Sciences de Gestion et chargé de cours en GRH, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.