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Vers quels systèmes de soins en Chine ? La place de la e-santé

Coucher de soleil sur le Huadong hospital, Shanghai. David Veksler/Flickr, CC BY-SA

Cet article reprend les grandes lignes de papiers de recherches à paraître dans le numéro spéciale dirigé par C. Milcent de la revue Perspective Chinoise, 2016/4 ainsi que « How Do You Feel ? The Effect of the New Cooperative Medical Scheme in China », C. Milcent et B. Wu, Journal of Development Studies, Volume 51(12) : 1585-1602, 2015.

Comme dans beaucoup de domaines, la Chine a connu au cours des dernières décennies une évolution accélérée en matière de santé. L’un des objectifs des récentes réformes est d’élargir l’offre de soins, notamment en favorisant les structures privées. Ce type de structure ne trouve pas la demande attendue. Comment le digital healthcare (e-santé) qui est en plein boom, répond-il mieux à la demande des patients chinois ?

Au centre, les hôpitaux, de plus en plus autonomes

Historiquement, l’hôpital public est au cœur du système de santé chinois. Contrairement à ce qui est pratiqué en occident où pour un problème qui nous apparaît comme mineur, nous allons consulter un médecin généraliste dans un cabinet de santé, les hôpitaux chinois sont conçus pour accueillir les consultations externes comme les admissions hospitalières. Le financement de ce système est décentralisé.

Avant les années 80, la grande majorité de la population était rurale. En cas de problème de santé, le patient était dirigé vers un hôpital en fonction de la gravité de son état de santé. La quasi-gratuité des soins était assurée, mais pour un niveau de qualité médiocre.

L’organisation du système de santé est hiérarchique en trois niveaux croissants suivant la performance des équipements et du niveau de qualification du personnel de santé dont les médecins.

Avec les réformes économiques et la décollectivisation (au début des années 1980), les habitants des zones rurales n’étant plus obligés de cotiser au système médical communautaire et insatisfaits par le niveau des soins offerts, ce système s’est effondré faute de financement laissant les zones rurales sans assurance santé. Dans le même temps, le gouvernement s’est progressivement désengagé du financement de l’activité des hôpitaux publics pour financer aujourd’hui moins de 8 % des dépenses, tout en leur permettant une plus grande autonomie de gestion.

Un casse-tête : l’engorgement

Les effets ont été multiples, dont une augmentation exponentielle du coût des soins qui s’explique en partie par la vente de médicaments représentant plus de 40 % du chiffre d’affaires des établissements publics de santé, permettant de compenser la baisse des dotations. Cette poussée inflationniste a entraîné une impossibilité financière d’accès aux soins pour une partie grandissante de la population.

En parallèle, la patientèle solvable a alors opté pour la recherche de la qualité des soins aux dépens de sa proximité, arbitrage rendu possible par l’amélioration des transports. Ainsi, les hôpitaux périphériques ont été délaissés au profit des grands centres hospitaliers. Cette concentration a entraîné un engorgement avec des temps d’attente extrêmement longs et des temps de consultation expéditifs. Les engorgements sont proportionnels à la capacité de l’établissement public à proposer des équipements performants et des soins de grande qualité.

A titre d’exemple, sur le site web d’un des plus grands hôpitaux de Pékin, il est indiqué 4 500 consultations médicales par jour. Suivant les sources, le nombre de consultations par jour et par médecin varie entre 60 et 80 consultations.

Entre la surcharge de travail pour les médecins et le sentiment d’une prise en charge médicale bâclée, des tensions fortes entre le patient ou son entourage et le personnel soignant n’ont fait que grossir ces dernières décennies. À cela s’ajoutent les dessous de table (hong bao) qui viennent alourdir l’aigreur envers le corps médical. Les attaques violentes à son encontre sont devenues des faits divers banals.

La place grandissante du digital healthcare en Chine

Pour parer à ces difficultés, une offre virtuelle se développe rapidement, avec une grande médiatisation, par exemple celle d’interventions médicales très techniques dans des zones reculées de ce pays grand fan de technologie. La commission de santé et de planning familiale de chaque province (PHFPC) favorise la mise en place de cette offre virtuelle.

Pour la gestion des files d’attente, devenue un problème majeur d’accès aux soins, il est désormais possible de prendre un rendez-vous pour une consultation via une application sur son téléphone mobile. Le virtuel permet ainsi de faire disparaître les foules denses de patients en attente d’une consultation. Le online booking system (OBS) introduit en 2011 deviendra obligatoire à Pékin pour les hôpitaux classés d’excellence (3AAA) en janvier 2017. Le patient doit rentrer ses informations personnelles en donnant son nom et son numéro d’identité équivalent à son numéro de sécurité sociale. Par SMS, il reçoit ensuite un code de rendez-vous.

À titre d’exemple, Tencent offre des modules à travers son application We Chat, l’équivalent entre autres de WhatsApp. Il permet également de mettre fin aux marchés noirs de numéro de ticket des files d’attente. Toutefois, si les files d’attente n’existent plus physiquement, elles demeurent virtuellement.

Désormais, reste le grand chantier de l’harmonisation des plateformes informatiques entre provinces et parfois même entre établissements hospitaliers. Se pose également la question des modalités de remboursements dans un pays où les caisses d’assurance publique de santé sont très décentralisées. Il apparaît ici que le manque d’unicité géographique de régulation des systèmes de santé crée alors des frontières physiques à un système de soins basé sur le virtuel.

La délicate question de la gestion des données médicales

Grâce à des applications sur leur téléphone mobile, les patients peuvent consulter en ligne un médecin.

Le patient peut également faire parvenir son dossier médicale par fichiers attachés ou encore en prenant directement des photos de ses informations médicales (analyses de biologie médicales, radiographie, rapport de consultations antérieures…) via son application mobile. En 2014, plus de 72 millions d’utilisateurs chinois utilisait ce type de service en ligne. Le marché représentait près de 2.95 milliards de RMB. Aujourd’hui, les estimations laisser penser que ses services rassembleraient 138 millions d’utilisateurs et un marché de 4,27 milliards de RMB.

Ces consultations représentent un gain de temps pour le patient ainsi qu’un coût minimum comparativement à ce qu’engendrerait un déplacement à l’hôpital. Pour la tutelle, ce service virtuel permet un certain désengorgement des files d’attente pour consultation. Toutefois, ce type de services pose la question de la confidentialité des données ainsi que la qualité du service de soins offerts.

Ainsi, la question du suivi du dossier médical du patient est devenue centrale. Des opérateurs publics et privés proposent des clouds permettant le stockage de big data. Par exemple, Baidu, le « Google chinois » a mis en place « Beijing Health Cloud » dans la capitale.

Les géants de l’Internet ont bien entendu une longueur d’avance sur les acteurs publics. À ce titre, l’exemple récent sur la prise de rendez-vous en ligne est assez édifiant : le online booking system lancé par le Département de la Santé de Pékin rencontre parfois des soucis entraînant des temps d’attente de plusieurs heures pour la confirmation du rendez-vous. Ce système a été complètement éclipsé par un service concurrent lancé par Alibaba (équivalent chinois d’Amazon) plus de 800 hôpitaux dans 18 provinces. Cette société met en avant la gratuité du service et sa volonté de participer à la construction d’un service public. Sans naïveté, la question de l’intérêt de ces groupes privés se pose.

Fin 2015/début 2016, Baidu a ainsi été sous le feu des critiques et le boycott d’une partie des hôpitaux privés pour avoir promu des services de santé d’hôpitaux hors licence sur des forums médicaux. Ceci montre clairement la poreuse frontière entre des services commerciaux visant l’amélioration du bien-être des consommateurs (social entrepreneurship) et des services commerciaux à pur objectif de profit.

Comment conjuguer efficacité et protection des données ? Les projections financières de ce secteur en construction donnent le vertige et attirent la convoitise des nombreux opérateurs, mais la délégation totale au secteur privé n’est pas sans poser certaines questions éthiques, en particulier lorsqu’il s’agit de gérer les données médicales individuelles.

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