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VIH : prendre (beaucoup) moins de médicaments, un progrès à portée de main ?

Un pilulier (photo d'illustration). Shutterstock

En juillet dernier à Mexico s’est tenue la 10e Conférence mondiale sur l’infection à VIH. À cette occasion, l’Agence française de recherches sur le VIH/sida et les hépatites virales (ANRS), une agence autonome de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a annoncé le succès des résultats à mi-parcours de son essai QUATUOR d'allègement thérapeutique par intermittence.

Sa conclusion est que de prendre les médicaments 4 jours sur 7 n'est pas « moins bien » que de les prendre les 7 jours sur 7, comme habituellement prescrit. Cette option thérapeutique, robuste pour plusieurs combinaisons de médicaments (une fois qu'on s'est assuré du contrôle de la charge virale) est donc désormais à portée de main.

Au-delà du bénéfice évident pour les patients, qui pourront prendre moins de médicaments, l’essai révèle une amélioration de leur fonction rénale. Cette prescription allégée présente en outre l'avantage de réduire de 43 % le coût du traitement dans les pays à hauts revenus, ce qui représente environ 519 millions d’euros économisés par la Sécurité sociale en France chaque année. Elle pourrait aussi permettre aux pays à faibles revenus de prendre en charge plus de patients, à l’heure où 15 millions de personnes séropositives n’ont toujours pas accès au traitement.

Si tous les feux sont au vert scientifiquement pour généraliser cet ajustement en médicaments, une étape reste cependant à franchir : c’est celle des recommandations officielles faites aux médecins en France comme à l’OMS.

Ces résultats confirment les études pilotes Iccarre du Dr Leibowitch publiées en 2010 et 2016, pionnier dans la stratégie d'allègement thérapeutique par intermittence.

Essai Quatuor : évaluer le bénéfice de l’allégement

La plupart des personnes séropositives pour le VIH en France prennent, à vie, un traitement quotidien. Mais la possibilité d’alléger bientôt cette contrainte se profile pour les patients sous trithérapie, soit plus de 140 000 personnes. Un essai d’envergure a démarré en septembre 2017 afin de confirmer, dans la continuité d’un essai de taille plus modeste, que les patients peuvent sauter plusieurs jours de traitement dans la semaine sans risque pour leur santé.

En France, quelques 700 patients sont déjà passés à un mode de traitement dit « par intermittence en cycles courts ». Depuis des années, ils prennent leurs médicaments quatre jours par semaine, au lieu des sept jours prévus dans le protocole officiel. Et ils s’en portent bien.

L’essai, baptisé Quatuor, a été lancé par l’ANRS, l’Agence française de recherches sur le VIH/sida et les hépatites virales. Il vise à montrer qu’il y a un bénéfice pour le patient à ne prendre sa trithérapie que quatre jours sur sept, comparé aux sept jours sur sept en vigueur. 636 volontaires ont été recrutés dans les 59 centres hospitaliers publics impliqués en France. Le Dr Pierre de Truchis, infectiologue à l’hôpital Raymond Poincaré AP-HP de Garches (Hauts-de-Seine), et le Dr Landman, infectiologue à l’hôpital Bichat AP-HP, sont les investigateurs principaux de cet essai.

On peut supposer, cependant, que des médecins n’attendront pas les résultats finaux de cette étude pour proposer à certains de leurs patients de supprimer trois jours de médication par semaine. Les recommandations de prescription publiées au mois de mai 2017 pour la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH, sous l’égide du Conseil national du sida et des hépatites (CNS) et de l’ANRS, allaient déjà dans ce sens. « Au cas par cas, dans des conditions similaires à celles des études réalisées, une stratégie de prise discontinue, quatre ou cinq jours sur sept peut être envisagée », indiquent – prudemment – les experts. Il convient de souligner qu'un tel changement implique un suivi médical rigoureux, avec des examens biologiques rapprochés.

Dix-sept années de recul pour le traitement intermittent quatre jours sur sept

On dispose maintenant de dix-sept années de recul concernant la sécurité d’un traitement d’entretien allégé par prise intermittente. La principale expérimentation est menée depuis 2003 dans le cadre d’un protocole baptisé Iccarre, acronyme pour « intermittents en cycles courts, les anti-rétroviraux restent efficaces ». Ce programme a été initié par le Dr Jacques Leibowitch, figure de la lutte contre le VIH/sida. Il a été l’instigateur, en France, de la trithérapie qui, en 1996, a transformé une pathologie mortelle en affection chronique.

Des patients suivis par le Dr Leibowitch et ses confrères à l’hôpital Raymond Poincaré sont ainsi passés de sept à cinq jours de traitement par semaine, puis à quatre. Leur charge virale est restée malgré cela en dessous du niveau de détection. Ces résultats portant sur 48 patients ont été jugés suffisamment robustes par la communauté scientifique internationale pour qu’ils soient publiés en 2010 dans la revue scientifique Faseb Journal. La même expérimentation a donné lieu à une seconde publication en 2015, avec un plus grand nombre de patients (94, précisément) et davantage d’années de recul.

Dès 2009, la direction de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l’Université Versailles Saint-Quentin, les deux employeurs du Dr Leibowitch, ont investi conjointement dans le dépôt de deux brevets à l’international, l’un pour les trithérapies dites « d’entretien » à quatre jours par semaine et moins, et l’autre pour l’usage à cet effet de quadrithérapies innovantes.

Un premier essai clinique à l’échelle nationale

Incitée par les premiers résultats du protocole Iccarre, l’ANRS a lancé en 2014 un essai clinique sur deux ans mené dans 17 centres en France, baptisé 4D (en anglais, four days). Les médecins ont reçu beaucoup de candidatures pour participer à cet essai, au point qu’ils ont dû en refuser, comme me l’a confié le Pr Christian Perronne, l’investigateur principal. Les résultats, présentés à la conférence internationale sur le sida de 2016 à Durban, en Afrique du Sud, ont été publiés en 2017 dans la revue Journal of Antimicrobial Chemotherapy. Ils indiquent que 96 des 100 patients de l’essai ont suivi scrupuleusement le schéma de prise avec quatre jours consécutifs sur sept et ce, avec succès. 3 patients ont présenté une charge virale de nouveau détectable à la quatrième semaine de l’étude. Celle-ci est redevenue indétectable, avec le retour à un schéma de traitement quotidien. 1 patient est sorti de l'étude.

Les résultats ont encouragé l’ANRS à poursuivre dans cette voie avec l’essai Quatuor. Cette nouvelle étude en cours comporte, cette fois, un groupe « contrôle » composé de patients qui continuent à prendre leur traitement sept jours sur sept pendant 48 semaines, afin de permettre une comparaison. Cette méthodologie répond aux exigences des autorités sanitaires quant au niveau de preuves à apporter avant un changement de leurs recommandations de prescription.

« Quatuor cherche à démontrer que la stratégie quatre jours sur sept est non-inférieure à la stratégie sept jours sur sept, en d’autres termes qu’à efficacité égale, les patients du groupe Allègement retireront des bénéfices secondaires de ce protocole (moins d’effets secondaires, meilleure observance…) », indique l’ANRS sur son site.

Le traitement au quotidien, parfois mal vécu

De fait, la contrainte de prendre un traitement au quotidien peut être mal vécue. Nombre de patients se montrent ainsi moins réguliers dans leurs prises après plusieurs années de traitement – un problème qui se pose pour beaucoup de maladies chroniques. Or il est très risqué que des patients allègent eux-mêmes leur traitement, sans surveillance médicale.

Par ailleurs, la prise des anti-rétroviraux s’accompagne parfois d’effets secondaires indésirables comme des nausées et des diarrhées, ainsi que de la fatigue. L’allégement des prises peut s’accompagner d’une diminution de ces effets.

Le passage à un régime quatre jours sur sept, c’est à l’échelle d’une année l’équivalent de cinq mois sans médicament pour le patient.

Que va-t-il se passer maintenant ? C’est seulement à l’issue des résultats de l’essai Quatuor, au plus tôt en 2020, que pourra être recommandée officiellement en France la pratique des quatre jours sur sept. A l’étranger, elle ne s’est pas imposée non plus. Pas même aux Etats-Unis, le pays qui a ouvert le premier, en 2001 la voie de l’intermittence que suivra ensuite le Dr Jacques Leibowitch.

Rien n’indique pour l’instant que la surmédication actuelle sera officiellement déconseillée par la voie réglementaire d’un déremboursement des 3 jours sur 7 de traitement superflus. On peut s’étonner que cet allègement du traitement en soit toujours, plus de quinze ans après, au stade expérimental.

Il faut dire que les associations historiques de patients dans le VIH/sida ne se sont pas saisies de cet enjeu. Elles se sont concentrées sur d’autres terrains jugés prioritaires comme les traitements préventifs, la prophylaxie pré-exposition (PreP). Par contre, les patients du Dr Leibowitch suivant un traitement allégé ont créé une association, Les amis d’Iccarre, sous l’impulsion de l’artiste Richard Cross. Elle vise à promouvoir l’allègement thérapeutique par intermittence pour tous.

Le médecin libre de ses prescriptions, selon le code de déontologie médicale

Seuls quelques médecins cliniciens du sida ont commencé, en France, à alléger leurs ordonnances. L’article 8 du code de déontologie médicale le leur permet : « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance ».

La persistance du régime sept jours sur sept peut s’expliquer, selon moi, par une résistance au changement – qui n’est pas propre aux médecins – et par la difficulté à remettre en cause une règle établie de longue date dans la communauté médicale. On peut imaginer que d’autres facteurs jouent : à l’évidence, la prudence des patients et des médecins devant un niveau de preuve présenté parfois comme insuffisant car ne répondant pas aux standards en vigueur ; la crainte des médecins face à la judiciarisation de la médecine ; ou encore l’influence de l’industrie pharmaceutique sur les choix stratégiques des autorités médicales.

Le passage de sept à quatre jours de traitement représente 43 % de médicaments en moins. Cela se traduirait par une économie d’environ 519 millions d’euros pour le système de santé français chaque année (sur la base de 100 000 patients sous traitement, avec un coût moyen par patient et par mois de 9 200 euros en moyenne). A l’échelle du monde, la question du coût rejoint des préoccupations d’ordre éthique et humanitaire à l’heure où 15 millions de personnes séropositives n’accèdent toujours pas à la trithérapie.

De son côté, le Dr Jacques Leibowitch pousse plus loin encore l’allègement des traitements, dans le respect du code de déontologie médicale, et pour les patients qui le souhaitent. Il réduit les prises de médicaments, selon les cas, à trois, deux ou un jour seulement par semaine. Avec ce nouveau protocole d’ultra-intermittence baptisé « grand » Iccarre, il poursuit l’objectif de trouver pour chaque patient la posologie la plus juste, à la fois nécessaire et suffisante. Le principe du Primum non nocere (« d’abord ne pas nuire ») n’était-il pas cher à Hippocrate ?

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