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Des restes fumants d'un édifice dans un paysage de fumée.
Des restes fumants des tours jumelles à New York, le 11 septembre 2001. Le large consensus antiterroriste aux États-Unis qui a suivi les attentats s'est peu à peu effiloché. (AP Photo/Alexandre Fuchs)

Vingt ans après les attentats du 11 septembre, que reste-t-il du consensus antiterrorisme ?

Avec un bilan d’au moins 3 000 morts et de 6 000 blessés, les attaques du 11 septembre 2001 constituent à la fois l’attentat terroriste et l’attaque étrangère les plus meurtriers perpétrés en sol américain.

En plus d’avoir traumatisé durablement la population américaine, ces attaques ont mis fin à la certitude partagée par nombre de citoyens de mener une existence à l’abri de la violence et du chaos. Le 11 septembre a porté un coup fatal et inattendu au paradigme optimiste de la « fin de l’histoire » énoncé en 1992 par le politologue néoconservateur Francis Fukuyama. Il voyait la disparition de l’Union soviétique comme annonciatrice d’une marche inexorable des nations vers la démocratie, le libre marché et, en définitive, la paix mondiale.

Douze ans après la chute du Mur de Berlin, une autre chute, celle des tours jumelles de Manhattan, a amené un « retour de l’histoire », marqué au sceau d’un « choc des civilisations ».

Dans le monde de l’après 11 septembre, les États-Unis devaient reprendre l’étendard du monde libre pour mener un combat homérique contre un extrémisme islamiste violent, obscurantiste et liberticide, aux valeurs incompatibles avec celles de l’Occident. Neuf jours après les attentats, le président George W. Bush annonce devant le Congrès que les États-Unis s’engagent dans un nouveau type de guerre, une « war on terror » : « [Cette guerre] ne sera pas terminée tant que tous les groupes [terroristes] ayant une portée mondiale n’auront pas été trouvés, neutralisés et vaincus », de déclarer le président républicain, dont le taux de popularité atteignait alors un incroyable 90 %.

Ils étaient rares alors ceux qui remettaient en doute l’entrée des États-Unis dans un nouveau paradigme au sein duquel le djihadisme remplaçait le communisme en tant que plus grande menace portée à la paix mondiale. Le consensus antiterroriste succédait ainsi au consensus anticommuniste de la Guerre froide.

En tant qu’historien et politologue spécialiste des États-Unis, il me paraissait pertinent de revisiter, 20 ans après la tragédie du 11 septembre et alors que s’achève la guerre américaine en Afghanistan, l’effet de ce consensus aux États-Unis : continue-t-il de façonner la politique intérieure et extérieure des États-Unis ou est-il devenu un enjeu parmi d’autre, sujet aux aléas de la polarisation partisane ?

Un patriotisme exacerbé

À n’en pas douter, la lutte contre le terrorisme (lire : le terrorisme d’inspiration djihadiste) a été au cœur des années Bush (2001-2009) : en plus de cette lutte, l’administration républicaine a lancé les États-Unis dans deux guerres plus « classiques » en Afghanistan et en Irak. Elle l’a fait avec l’appui de majorités écrasantes au Congrès (une seule voix, celle de la démocrate californienne Barbara Lee, a osé voter contre l’utilisation de la force militaire en Afghanistan).

Moins de deux mois après les attentats, ce même Congrès a voté massivement pour l’adoption du USA Patriot Act, un imposant projet de loi accroissant les capacités de surveillance du gouvernement américain afin de prévenir de nouvelles attaques. Chose relativement rare dans l’histoire des États-Unis, un tout nouveau ministère, le Department of Homeland Security, a été créé avec le mandat d’assurer la sécurité du territoire américain.

Les Américains (et les touristes de passage) ont du apprendre à vivre avec les niveaux nationaux d’alerte terroriste (les fameuses alertes orange) et avec la sécurité renforcée dans les aéroports et dans les lieux publics. Dans un contexte de patriotisme exacerbé, critiquer le gouvernement américain a pris rapidement des allures suspectes et on a vu temporairement le God Bless America remplacer le Take Me Out to the Ball Game dans les stades de baseball.

La culture populaire ne devait pas échapper à ce nouveau paradigme comme en font foi la popularité de la télésérie 24 ou, dans un registre satyrique, le film Team America : World Police.

Premiers doutes et critiques

La détresse ressentie par les Américains immédiatement après les attentats du 11 septembre, de même que le phénomène de « ralliement autour du drapeau », expliquent sans doute pourquoi une forte majorité d’Américains ont pu souscrire au consensus antiterroriste.

Un homme portant un mouchoir sur sa bouche traverse le pont de Brooklyn avec d’autres personnes
Des gens traversent le pont de Brooklyn Bridge après l’écrasement des tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001. Le traumatisme des Américains après les attentats explique pourquoi une écrasante majorité d’Américains d’entre eux ont pu souscrire au consensus antiterroriste. (AP Photo/Mark Lennihan)

Peu à peu toutefois, les ratés de la guerre en Irak et la révélation que cette guerre a été lancée sous de faux prétextes, le récit des bavures américaines (notamment à la prison d’Abou Ghraib) et les entorses de plus en plus nombreuses aux libertés civiles au nom de la sécurité (y compris sous Barack Obama, le président sous lequel ont été révélés les scandales des écoutes de la NSA par Edward Snowden) ont amené un nombre croissant d’Américains à remettre en question les méthodes employées pour lutter contre le terrorisme, voire à douter de l’importance à accorder à cet enjeu.

Ces critiques ont proliféré au sein des franges plus progressistes du Parti démocrate, mais également dans les cercles libertariens au sein du Parti républicain. On a ainsi vu, en mars 2013, le sénateur républicain Rand Paul, du Kentucky, bloquer pendant 12 heures la nomination du nouveau directeur de la CIA pour remettre en question la légalité de l’utilisation de drones pour lutter contre des terroristes possédant la citoyenneté américaine.

Oussama Ben Laden
La mort de leader d’al-Qaida, Oussama ben Laden, a laissé croire aux Américains que la menace terroriste s’éloignait, effritant le consensus anti-terroriste. (AP Photo, File)

La mort d’Oussama Ben Laden en 2011, de même que l’absence pendant plusieurs années d’attaques de grande ampleur en sol américain, expliquent sans doute également l’effritement du consensus. L’émergence du groupe armé État islamique (ISIS) et la vague d’attentats qui ont frappé l’Occident entre 2014 et 2017 ont toutefois remis de l’avant les enjeux liés au terrorisme sans qu’on assiste par ailleurs au retour d’un consensus bipartisan : une enquête réalisée en marge de l’élection présidentielle de 2016 devait montrer que le terrorisme représentait alors un enjeu majeur pour 74 % des électeurs républicains et pour seulement 42 % des électeurs démocrates.

Le terrorisme, un enjeu parmi d’autres ?

Les élections présidentielles américaines de 2020 ont été les cinquièmes organisées après les attentats du 11 septembre. Et c’étaient les premières depuis cette date fatidique où le thème du terrorisme n’a pas été sur le devant de la scène. Terrorisme djihadiste s’entend, puisque la violence de certains groupes d’extrême droite appuyant le président Donald Trump (notamment les Proud Boys) a fait l’objet d’une certaine attention médiatique.

Avec le recul, il est étonnant que Donald Trump n’ait pas davantage cherché à tirer profit de la défaite d’ISIS ou de la mort de son leader Abou Bakr al-Baghdadi (comme l’a fait Obama en 2012 lors de sa campagne de réélection avec la mort de Ben Laden). De même, son adversaire démocrate Joe Biden a peu attaqué le président à propos de son « Muslim Ban » adopté en 2017 pour empêcher l’arrivée en sol américain de ressortissants provenant principalement de pays à majorité musulmane.

Certes, la Covid-19 a monopolisé une bonne partie des débats, mais il n’en demeure pas moins que même des enjeux généralement marginalisés comme la justice environnementale ont été davantage discutés que la lutte contre le djihadisme. Certes, le terrorisme islamique n’a pas disparu et ne disparaîtra jamais totalement des préoccupations des Américains : on l’a vu récemment avec la réaction courroucée de nombreux républicains craignant que l’arrivée de réfugiés afghans en sol américain constitue une menace inacceptable envers la sécurité nationale.

Par ailleurs, malgré la débâcle ayant accompagné la chute de Kaboul et le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan, une majorité d’Américains (54 %) appuient le retrait américain de ce pays. Quant aux talibans, une faible majorité d’Américains (52 %) affirment qu’ils représentent un danger mineur ou ne représentent pas de danger pour les États-Unis.

En somme, le monde de 2021 n’est plus celui de 2001 : la crise sanitaire, le retour des tensions géopolitiques (avec la Russie sous Obama, avec la Chine et l’Iran sous Trump) et l’urgence climatique font en sorte que le terrorisme islamique ne peut être, aux yeux des Américains, qu’une menace parmi d’autres.

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