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Vladimir Poutine, le crépuscule annoncé du chef plébiscité

Vladimir Poutine, le 18 mars 2018, jour de présidentielle en Russie. Yuri Kadobnov/AFP

Si la victoire de Vladimir Poutine a été acquise sans péril du fait de la faiblesse des concurrents, le Président russe a cherché à montrer lors de cette élection qu’elle n’était pas sans gloire en se donnant un objectif de participation.

Quatre ans jour pour jour après l’annexion de la Crimée, malgré une participation en deçà de ses attentes (63 %, contre 70-65 % espérés), Vladimir Poutine a ainsi obtenu près des trois quarts des suffrages exprimés, un score sensiblement supérieur à celui de 2012 (63 % au premier tour).

Au-delà de cette victoire annoncée de longue date, que retenir donc de ce résultat ? Elle a été le résultat d’une campagne sans relief, d’une opposition divisée et inaudible, et laisse ouvertes de nombreuses questions sur l’évolution du pays à horizon 2024.

Une campagne sans grand relief

L’inquiétude du pouvoir était bien celle d’une trop grande abstention : le relatif vide de contenu de la campagne ne manquait pas de nourrir ces craintes. « Un Président fort, une Russie forte » : le slogan électoral de Vladimir Poutine pouvait le faire apparaître comme un leader robuste et indispensable pour gouverner le pays, mais inspirait plus de résignation que d’enthousiasme de la part des électeurs. Afin de se placer au-dessus de la mêlée, il s’est présenté comme un candidat indépendant, et celui du parti « Russie unie », qui s’il incarne la stabilité fait l’objet de davantage de griefs que son leader.

Vladimir Poutine a réussi à être omniprésent dans la campagne, en se déclarant le plus tard possible, tout en ne participant à aucun débat électoral ; il s’est tout juste fait interpeller par Ksenia Sobtchak lors de la conférence présidentielle annuelle de décembre 2017 : elle avait évoqué, à cette occasion, l’emprisonnement et le meurtre de certains opposants politiques ou le blocage de la candidature d’Alexandre Navalny. Un moment très rare dans une campagne sans véritable moment fort. Les célébrations ont, d’ailleurs, été elles-mêmes sobres, puisque le Président n’a fait que deux brèves apparitions, près du Kremlin ainsi qu’au quartier général de la campagne.

Dans ce contexte, la victoire s’est construite en s’appuyant sur un socle électoral constant, conservateur sur le plan social, autour des régions du Caucase Nord, de la Volga et de la Sibérie. Parmi les nouveautés, les régions de la Crimée et de Sébastopol s’exprimaient pour la première fois dans une présidentielle, la Crimée manifestant son soutien à plus de 90 % à Vladimir Poutine.

Une opposition divisée et inaudible

La victoire ne s’est pas seulement construite sur la popularité du Président ou sur les fraudes électorales, ces deux facteurs n’expliquant pas à eux seuls l’ampleur du vote. La division de l’opposition, entre jeunes et anciens, libéraux et sociaux, a largement contribué à ce résultat.

L’opposant qui a le mieux tiré ses cartes du jeu est Pavel Groudinine, le « communiste millionnaire » quinquagénaire, manager du sovkhoze Lénine, près de Moscou. Victime d’une forte campagne de dénigrement de la part des médias, il obtient à peine plus de 12 %, score qui le place loin derrière Poutine mais qui est pourtant le double du troisième candidat. Ce résultat est en baisse par rapport au score du septuagénaire communiste Ziouganov en 2012, mais Groudinine a su rassembler un électorat inquiet sur le plan social et souhaitant davantage de justice. Le troisième candidat est le nationaliste Vladimir Jirinovski, dont c’était la sixième candidature, et qui termine avec un score déclinant autour de 6 %.

Pour le reste, la faiblesse des candidats libéraux est patente, en deçà des résultats de Mikhaïl Prokhorov en 2012 (7,7 %). Ksenia Sobtchak, 36 ans, proche des manifestations de 2011-2012 contestant le pouvoir en place, a un temps été l’attraction de la campagne. En définitive, la fille de l’ancien mentor de Vladimir Poutine, le défunt maire de Saint-Pétersbourg, Anatoly Sobtchak, n’a obtenu qu’un résultat bien modeste de 2,5 %. Quant au vétéran du parti Iabloko, Grigori Iavlinski, déjà présent lors des présidentielles de 1996, il n’a réuni que 1 % des votes.

Si la mobilisation est légèrement inférieure à ce qui était souhaité par le pouvoir, il est néanmoins clair que le boycott du vote prôné par Alexeï Navalny, l’un des principaux opposants à Poutine, n’a pas eu les effets escomptés. Cette abstention avait pour but de refuser le processus rituel de légitimation du pouvoir par le vote ; il s’est d’ailleurs disputé à ce sujet avec Ksenia Sobtchak à propos de la marche à suivre à l’occasion du vote.

Les trois grands défis du mandat à venir

De cette élection sans grand suspense, il faut néanmoins retenir trois grands défis essentiels pour la Russie et son dirigent.

Le premier défi est d’ordre diplomatique. Le Président doit-il persévérer dans sa stratégie de disruption de l’ordre international, ou au contraire viser un apaisement ? Vladimir Poutine a gagné sa présidentielle sur le plan interne, et il est redevenu un acteur international incontournable suite à son intervention en Syrie, après la crise ukrainienne. Il est vrai que la politique de confrontation s’avère populaire auprès de son opinion publique, persuadée de l’hostilité des Occidentaux à son égard. Par ailleurs, son intervention en Syrie est même très majoritairement soutenue par les musulmans de Russie, qui représentent 20 millions de personnes. Une telle politique comporte toutefois des coûts qui mettent en lumière les difficultés de la Russie.

À ce sujet, la question du modèle économique de la Russie constitue le deuxième défi d’envergure. Le candidat Poutine a évoqué au cours de sa campagne une modernisation du modèle de développement russe, prônant notamment pour une politique industrielle plus volontariste. La Russie peut-elle, une nouvelle fois, se contenter de s’appuyer sur les rentes que constituent ses matières premières, à défaut de pouvoir imposer une réelle modernisation économique à une bureaucratie freinant l’activité économique et favorisant un système de corruption ? La bureaucratie réclame, hélas, davantage des personnes loyales que des managers de qualité. Dans ce contexte, il est possible que le pouvoir en place entreprenne suffisamment de réformes pour donner une crédibilité internationale, mais certainement pas jusqu’à entamer l’autonomie de l’État.

Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine, ici en 2010. Kremlin.ru/Wikimedia, CC BY

Enfin, à l’aube d’un nouveau mandat, comment assurer la relève politique ? À 65 ans, Poutine se rapproche de son dernier mandat : sauf changement de la Constitution, il aura 77 ans en 2030. Le problème est qu’en ayant affaibli l’État de droit et les institutions démocratiques, il sera plus difficile pour lui de quitter le pouvoir sans être inquiété. Par conséquent, il lui faudra trouver un filet de sécurité en s’appuyant sur un successeur, dont la loyauté sera très probablement un critère de sélection.

Verra-t-on un retour de Dimitri Medvedev, l’actuel premier ministre, à cette occasion ? L’émergence d’une personnalité comme le ministre de la Défense Sergueï Choïgu ? L’arrivée de successeurs plus jeunes, comme le ministre du Développement économique Maxime Orechkine (35 ans) ou le chef de l’administration présidentielle Anton Vaino (46 ans) ? Une chose est sûre : il ne sera probablement pas connu avant les prochaines législatives de 2021, laissant Vladimir Poutine arbitrer d’ici là les différentes tendances existant au pouvoir.

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