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Voir Hitler en peinture

Le site culturenorthernireland.org. Author provided

Encouragé par le nom de ce nouveau média, c’est sur le ton de la conversation que j’ai choisi d’écrire cet article. Les polémiques autour de la réédition de Mein Kampf par Fayard, prévue pour 2016, le rattacheront à l’actualité. Il ne s’agit pourtant là que d’un hasard, sauf à considérer qu’ « Hitler est partout » – et donc en permanence dans notre actualité – comme l’écrivait récemment Richard Evans, un des grands spécialistes de l’histoire de l’Allemagne nazie. Mon titre s’inspire de celui d’un autre article publié récemment dans Le Monde ; la portée de mon texte est en revanche bien plus modeste.

L’année dernière, à peu près à cette même saison, je prenais la décision de mettre à profit mes pauses déjeuners pour faire un peu d’exercice. Je décidais tout simplement d’aller me promener régulièrement dans les jardins botaniques de Belfast qui se trouvent à deux pas de mon bureau. C’est délibérément que je prenais cette décision avant le Nouvel An afin de la dissocier des bonnes résolutions que je prends rarement puisque je ne les tiens jamais. Je me disais même qu’en cas de mauvais temps cette promenade pourrait se faire principalement en salle, dans l’Ulster Museum – un musée régional – qui se trouve au milieu des jardins botaniques.

Ulster Museum. Wikimedia, CC BY-SA

Le lendemain ou le surlendemain, je tombais sur un article publié sur le site Culture Northern Ireland. Il annonçait l’exposition d’art annuelle de la Royal Ulster Academy dont j’ignorais et ignore toujours tout. C’est la photographie placée en tête de cet article qui retint mon attention : elle représentait un tableau d’Hitler avec une moustache rousse et des cheveux roux (voir ci-dessus). Je parcourais l’article rapidement pour trouver le nom de cet artiste, persuadé, à raison, qu’il serait mentionné puisque c’est son tableau qui servait d’appât : Hitler fait parler, Hitler fascine, Hitler vend. Il s’agissait d’un certain Oliver Jeffers. Cette exposition se tenait à Belfast, dans l’Ulster Museum. Travaillant sur les mémoires de la Seconde Guerre mondiale et même plus précisément sur la fascination que cette période exerce toujours en France et en Europe, j’étais piqué de curiosité.

Je me rendis dans ce musée quelques jours plus tard. Je trouvai assez facilement les salles qui abritaient cette exposition, mais je dus demander à deux employés de m’indiquer où se trouvait ce tableau d’Hitler roux. Je le trouvai, à ma surprise, dans un recoin assez sombre du musée : son emplacement et sa taille minuscule (40cmx50cm) le rendaient difficilement visible et, ce jour-là du moins, le public passait allègrement devant le tableau sans même s’arrêter ou ralentir. Personnellement, je jugeai le tableau quelconque : ce Hitler roux de Jeffers ressemblait à bien d’autres portraits d’Hitler peints dans les années 30, sauf pour la couleur de ses cheveux et de sa moustache.

Je cherchai à en savoir davantage sur l’artiste, mais l’employé du musée présent dans cette salle ne pouvait hélas m’en dire beaucoup plus : l’artiste était australien ou néo-Zélandais, me dit-il, en me notant les références du tableau (y compris son prix) sur une fiche cartonnée. Déçu, je sortis mon téléphone portable et pris quelques photos de ce tableau, car j’avais peur que la page internet qui avait attiré mon attention ne disparaisse après l’exposition.

De retour au bureau, je trouvai sur internet de nombreuses informations sur l’artiste, Oliver Jeffers. Il n’était ni australien ni néo-Zélandais, mais nord-irlandais (c’est ainsi qu’il se présente sur son site, car, bien qu’il soit né en Australie, il a grandi en Irlande du Nord). Cette information me surprit alors qu’elle était prévisible puisque l’Ulster Museum est un musée régional. Il vivait maintenant à Brooklyn et était devenu un célèbre illustrateur et auteur de livres pour enfants.

J’appris aussi que son « Hitler roux » faisait partie d’une collection intitulée « Dictators and Hair » rassemblant quatre œuvres qui représentaient Hitler et Mao avec différents systèmes pileux. « Hitler roux » datait de 2012 et faisait suite à « Adolf Dali », peint en 2009, qui représente Hitler avec une moustache à la Dali. Les deux autres pièces, sur Mao, dataient également de 2012. Une seule de ces quatre œuvres me fit sourire, non pour ce qu’elle montre, mais pour son titre : elle représente Mao avec une large moustache et est intitulée « Maostache ».

Intrigué, j’envoyai un courriel à Oliver Jeffers pour lui demander tout simplement ce qui avait inspiré cette collection et plus particulièrement son Hitler roux. Une personne nommée Suzanne me répondit presqu’immédiatement pour me dire qu’Oliver était en vacances, mais qu’il me répondrait à son retour. C’était le 28 novembre 2014. Il oublia. Je pensais à son tableau en me posant de nombreuses questions – sur ses motivations, sur la couleur rousse, sur son style, sur les raisons de son silence, etc. – et puis j’oubliai également. Pas complètement, évidemment, mais d’autres tâches m’accaparaient.

La semaine dernière, me remettant à travailler sur un projet qui porte sur les représentations d’Hitler dans la culture française, ce tableau me revint en mémoire. Je renvoyai un courriel à Oliver. Je n’ai toujours pas reçu de réponse, mais consultant son site internet, je remarquai qu’un de mes futurs collaborateurs qui se trouve à l’Université de Warwick figure dans une de ses vidéos. Mieux (ou pire, selon), je remarquai également que le nom d’un ancien doctorant en cinéma avec qui j’avais brièvement partagé un bureau lorsque je finissais ma thèse figurait dans le générique de fin de cette même vidéo, tout comme celui du directeur de l’Institut dans lequel je suis basé et dont le bureau se trouve à deux pas du mien. Je décidai pourtant de ne pas poursuivre mon enquête, du moins pas pour l’instant : les artistes ont souvent des choses intéressantes à dire, c’est vrai, mais l’intention d’un auteur ou les conditions de production d’une œuvre m’ont toujours moins intéressées que leur réception ou leur effet.

Dans les allées des Botanic Gardens de Belfast. Albert Bridge geograph.org.uk, CC BY-SA

Ce tableau d’Hitler roux avait nourri en moi de nombreuses réflexions que, pour conclure, je résumerai ainsi :

  1. L’Irlande du Nord est un petit pays, mais riche en talents. Je pense immédiatement à The Undertones, Gary Moore, Van Morrison, Snow Patrol, Liam Neeson ou encore Seamus Heaney. Cette liste est loin d’être exhaustive et, en ce qui me concerne, j’y ajouterai également Oliver Jeffers, moins le peintre d’Hitler roux que l’illustrateur et auteur de livres pour enfants que je trouve remarquables. La richesse artistique de ce pays est évidemment à chercher du côté de son histoire, complexe et souvent tragique. Mais si ce sont les violences sectaires qui sont presque toujours mises en avant dans les médias, son passé et surtout son présent ne se réduisent pas à cela.

  2. C’est sans doute parce que « Hitler roux » ne véhiculait aucun message évident qu’il avait attiré mon attention. La simplicité de ce tableau contraste avec les nombreuses représentations d’Hitler souvent extravagantes, métaphoriques ou saturées de sens comme dans « Les sept péchés capitaux » (1933) d’Otto Dix ou, au contraire, avec celles qui le caricaturent à l’extrême, le réduisant à une mèche et à une moustache comme sur la couverture du roman Il est de retour (2014) de Timur Vermes, pour prendre un exemple récent. Le tableau d’Oliver Jeffers, par sa simplicité, humanise Hitler : il déconstruit cette mèche et cette moustache « historiques » et, ce faisant, permet de porter un regard neuf sur un visage que l’on ne regarde plus tant on le connaît. Évidemment, humaniser Hitler n’est pas sans risque, car les soupçons de sympathie ne sont jamais loin. Et pourtant, Hitler était humain.

  3. Ce tableau me permit enfin de jauger ma propre fascination pour ce funeste personnage. Je crois pouvoir dire que ma fascination ne porte pas sur le personnage, mais sur la fascination qu’il a pu exercer ou qu’il exerce toujours. La petite histoire que j’ai racontée ici s’est déroulée sur un an, ce qui démontre assez que je n’étais pas obsédé par ce tableau. Entre temps, j’avais même effacé les photos que j’avais prise de ce Hitler roux, non pour des raisons symboliques, éthiques ou philosophiques, mais tout simplement parce que la mémoire de mon téléphone portable était pleine.

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