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Y a-t-il une crise de l’immigration ?

Un jeune homme détenu au Centre de Retention Administrative de Vincennes, près de Paris, le 18 septembre 2019. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

L’accent mis par le président Macron depuis la rentrée 2019 sur le thème de l’immigration a souvent été décrit comme une opération politique : selon cette analyse, l’exécutif tente de mobiliser l’électorat conservateur, mais aussi le motiver les classes populaires à retrouver le chemin des urnes.

La lecture des sondages confirmerait cette analyse : la fermeté sur l’immigration paierait sur le plan électoral.

Pourtant, l’aile gauche de sa majorité s’émeut et s’interroge : quelle urgence, au terme d’un empilement législatif qui a marqué ces vingt dernières années, à vouloir renforcer l’arsenal juridique ?

Peut-on évoquer une « crise de l’immigration » en France qui justifierait de ternir l’épure « progressiste » portée par le président tant sur le plan intérieur que dans l’arène européenne ?

Un flux modeste, mais de réelles difficultés à accueillir

La réponse est a priori non, si l’on s’en tient à la lecture des dizaines de rapports publics récents. Les flux migratoires demeurent modestes, comparés à d’autres pays développés.

On compte ainsi 255 000 premiers titres de séjour en 2018, en progression de 3,3 % par rapport à 2017, chiffre lui-même en progression de 5,8 % par rapport en 2016. La dynamique est portée par l’augmentation du nombre d’étudiants étrangers (ce que tout pays développé recherche) et par une immigration professionnelle d’un niveau encore modeste.

Elle est surtout stimulée par l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’asile, elle-même portée par un accroissement indéniable du nombre de demandeurs d’asile. Avec 122 000 demandeurs en 2018 (et sans doute 140 000 en 2019, une hausse de 22 % par rapport à 2017, on reste sur des chiffres certes très supérieurs aux années 1990, mais tout à fait raisonnables eu égard à la taille de la population française.

Le nombre demandeurs d’asile est en baisse ailleurs

Il faut toutefois noter que le nombre de demandeurs d’asile augmente en France alors qu’il diminue dans la plupart des pays européens : une telle anomalie découle des « mouvements secondaires » liés au dysfonctionnement du régime de Dublin, qui voient des demandeurs devant théoriquement être pris en charge par le pays de première entrée quitter ce dernier pour s’installer dans le pays de leur choix.

Ainsi de nombreux Afghans déboutés de leur demande en Allemagne – où la gestion politique de l’asile s’affirme avec moins d’états d’âme et se traduit par un taux de protection pour les Afghans anormalement bas – viennent tenter leur chance en France

Cette croissance est également en partie portée par une forte augmentation de demandeurs en provenance de Géorgie et d’Albanie, dont les ressortissants sont dispensés de demande de visa de court séjour et qui relèvent d’un pays dit « sûr », c’est-à-dire que les conditions politiques laissent supposer qu’aucune persécution n’est conduite par les autorités du pays.

Or, le traitement accéléré, les volumes de demandeurs qui demeurent limités et l’action diplomatique entreprise par Paris pour une meilleure coopération afin de contrôler les départs irréguliers rendent désormais secondaire cette question.

Les efforts considérables développés par l’OFPRA ont permis de réduire le délai de traitement des demandes d’asile, mais les contraintes imposées aux effectifs des préfectures (qui enregistrent la demande en amont) tendent à atténuer ce résultat.

Déployer de vrais moyens

Il est vrai que l’accueil des migrants nécessite de déployer des moyens sur les zones géographiques qui, en France, attirent le plus les migrants pour différentes raisons : liens diasporiques, marché du travail, disponibilité d’un parc de logements très sociaux, centres d’accueil…

Les grandes agglomérations concentrent l’essentiel des flux, alors que le marché de l’habitat est déjà tendu. En résulte le développement spectaculaire de campements sauvages qui donnent régulièrement lieu à des évacuations massives et surtout attisent les tensions entre les populations, les communes et l’État.

Les édiles appellent ce dernier à ses responsabilités, c’est-à-dire à proposer un nombre de places suffisantes de places en hébergement tant de demandeurs d’asile que d’urgence (qui relève des compétences étatiques).

L’État a fourni un effort réel pour augmenter la capacité d’accueil, mais toujours avec retard et en sous-budgétisant le programme concerné – le plafond budgétaire devrait être dépassé de 200 millions en 2019.

Les demandeurs d’asile non pris en compte dans le dispositif d’accueil dédié se retournent alors vers le dispositif de droit commun soit l’hébergement d’urgence, pour personnes en situation de très grande fragilité. Or le manque de solutions de sortie vers un hébergement plus pérenne pour les réfugiés contribue à engorger le dispositif d’accueil… Et le manque de logements sociaux est souvent imputable aux maires peu enclins à accroître le nombre de familles défavorisées sur son territoire.

Une perception faussée

La France accueille donc des volumes de migrants relativement modestes mais sans financer suffisamment les services dédiés d’où la perception d’un afflux incontrôlé. Or, il n’est pas certain que les flux actuels vers l’Europe demeurent à ce faible niveau (141 000 par la Méditerranée, en 2018, comparé à 1 411 000 en 2015).

Une série d’accords de coopération, dont le plus fameux reste celui conclu avec la Turquie en 2016, prévoient que les pays partenaires du sud de la Méditerranée retiennent les candidats à la traversée vers l’Europe. Or, les crises humanitaires qui menacent d’éclater dans plusieurs zones périphériques à l’Europe (Sahel, Sud Soudan, Kurdistan, Afghanistan…) et la pression de la Turquie sur l’Union européenne pourraient contribuer à ce que de nombreuses populations quittent les territoires actuellement sous contrôle relatif pour rejoindre le vieux continent.

Les moyens de l’UE dédiés au contrôle commun aux frontières extérieures de l’Espace Schengen ont été nettement renforcés, mais il n’existe toujours pas d’accord pour réformer le régime de Dublin et répartir une partie des demandeurs d’asile en cas d’un brusque afflux des migrants similaire à 2015.

Une réforme de la politique migratoire européenne, au profit d’une gestion plus apaisée en France, serait bienvenue. Pour qu’elle soit efficace, encore faudrait-il d’abord la mettre en œuvre dans des conditions où les flux demeurent gérables.

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