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Prévue pour décembre 2020, la sortie de Dune, le très attendu film du cinéaste québécois Denis Villeneuve, a été reportée à l'automne 2021 en raison de la pandémie. Warner Brothers

Les salles de cinéma survivront-elles à la crise sanitaire mondiale ?

Mourir peut attendre, Wonder Woman, Dune… La liste des superproductions hollywoodiennes dont la sortie est reportée en 2021 ou 2022 ne cesse de s’allonger compte tenu de la crise sanitaire. Les salles de cinéma en subissent les contrecoups, à tel point que l’on s’interroge sur leur survie et leur capacité de concurrencer les plates-formes numériques comme Netflix, Crave, Apple TV+ ou Disney+.

Le manque à gagner occasionné par la crise sanitaire met en péril tous les professionnels de l’industrie cinématographique : producteurs, distributeurs et exploitants sont au bord de la faillite. Les nombreux employés (maquilleurs, habilleurs, cascadeurs, décorateurs) se sont retrouvés du jour au lendemain au chômage.

Une industrie affaiblie

Les contrecoups économiques que subit l’industrie un peu partout dans le monde sont le résultat de la fermeture et de l’importante baisse de fréquentation des salles, de l’arrêt des tournages, ainsi que des reports de sorties des blockbusters américains. Les grands studios hésitent à lancer leurs productions les plus coûteuses sur des marchés très instables.

Aux États-Unis, par exemple, où seulement 17 % des salles sont ouvertes, les revenus depuis le début de 2020 sont 100 fois moindres que ceux générés dans la première moitié de l’année 2019. AMC, l’une des plus importantes chaînes américaines de salles de cinéma au monde a présenté un bilan financier très peu rassurant. L’entreprise frôle la faillite.

Au Québec, les propriétaires de salles de cinéma exhortent le gouvernement à les compenser rapidement pour les pertes encourues en raison de la pandémie. LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson

Au Canada, et en particulier au Québec, les mesures pour freiner la deuxième vague de la pandémie fragilisent de nouveau l’industrie, qui se relevait peu à peu avec la reprise de la fréquentation des salles pendant l’été. Les exploitants avaient pris les dispositions nécessaires pour rouvrir leurs salles en imposant le port du masque dans les espaces de circulation et dans la salle durant la projection, en faisant respecter la distanciation entre les sièges des spectateurs, et en préconisant la réservation des billets sur Internet ou le paiement sans contact sur place.

Dans une lettre adressée au premier ministre François Legault, 300 intervenants de l’industrie du cinéma (propriétaires de salles, réalisateurs, producteurs…) reprochent au gouvernement d’utiliser les salles de cinéma comme boucs émissaires, alors qu’aucune éclosion de Covid-19 n’y a été détectée. Ils exhortent le gouvernement à compenser rapidement les salles de cinéma, les distributeurs et leurs partenaires pour les pertes encourues à la suite de cette décision de les fermer.

Le malheur des uns…

Le secteur de la vidéo à la demande (VAD) et de la diffusion en continu a jusqu’ici toujours été complémentaire au divertissement offert sur grand écran. Mais dans le contexte de la crise actuelle, la concurrence s’accentue entre les plates-formes numériques mondiales et les salles obscures, au point où on s’interroge sur les effets de cette rivalité sur l’avenir du cinéma.

Pendant le confinement du printemps, les habitudes de consommation culturelle ont évolué et les abonnements aux services de vidéo à la demande ont augmenté. Netflix a ainsi attiré près de 26 millions de nouveaux abonnés au premier semestre de 2020, tandis que le nombre d’abonnés à Disney+ est passé de 28,6 millions à 50 millions entre février et avril 2020.

La manne financière générée par les abonnements illustre bien l’hégémonie de ces plates-formes numériques en contexte de pandémie. Qui plus est, elle renforce leur capacité à investir dans la production de contenus originaux et à séduire davantage de studios, de cinéastes et de producteurs qui contribuent à enrichir leur catalogue.

Aujourd’hui, ces plates-formes sont bien positionnées pour tirer profit d’une offre de divertissement alternative, en comblant le vide occasionné par les annulations et les retards de sorties de films en salle.

En effet, avant la pandémie, les studios de cinéma étaient habituellement tenus d’attendre 90 jours après leur sortie en salle avant de diffuser leurs films sur les plates-formes numériques. En France, cette période est même de trois ans en vertu de la règle sur la chronologie des médias. Mais certains studios de production comme DreamWorks, Disney et Universal ont transgressé ce principe de fenêtre d’exclusivité, en expérimentant de nouveaux modèles d’affaires basés sur des sorties simultanées sur les plates-formes de VAD et en salles, ou sur une diffusion directe et exclusive en ligne, sans sortie en salle.

Les exemples récents de Trolls 2 (plus de 100 millions de dollars de recettes générées via les plates-formes numériques en trois semaines), de Mulan (35,5 millions de profit net, uniquement sur Disney+) démontrent à quel point la conjoncture actuelle semble favorable à une diffusion exclusivement en ligne des films. Soul, le dernier long métrage de Disney, sortira d’ailleurs lui aussi directement sur la plate-forme Disney+.

En nouant des ententes avec d’autres plates-formes ou en diffusant leurs productions sur leurs propres plates-formes, les studios semblent ainsi avoir trouvé une stratégie pour s’affranchir (du moins pour le moment) de la contrainte qu’ils avaient de partager le gâteau avec les exploitants de salles.

Ainsi, après une perte de près de 5 milliards de dollars à la suite de la fermeture temporaire de ses parcs d’attractions thématiques, Disney a annoncé le 12 octobre un plan de restructuration qui donne dorénavant la priorité à la création de contenus pour ses plates-formes de VAD (incluant Disney+, Hulu, ESPN+ et le nouveau service Star). La même stratégie a été adoptée par WarnerMedia qui, après des recettes faméliques générées par la sortie en salle de Tenet, l’été dernier, a décidé de concentrer ses efforts sur son service de VAD HBO Max.

Entre résistance et résilience

Devant les défis posés par la pandémie, les plates-formes numériques deviennent des acteurs incontournables de la consommation d’œuvres cinématographiques. À l’approche de cette fin d’année, les grands studios n’ont toujours pas trouvé le moyen de distribuer leurs superproductions de manière rentable à l’international, bien qu’ils aient privilégié les sorties de films sur les plates-formes numériques. Les chiffres indiquent que la VAD ne saurait permettre, à elle seule, d’amortir les importants investissements dans les superproductions. C’est toute l’industrie cinématographique qu’il faudrait repenser dans cette ère numérique.

En effet, personne ne peut prédire à quel moment les salles de cinéma vont pouvoir rouvrir de manière permanente. Si la crise sanitaire est une occasion pour l’écosystème du cinéma de se renouveler, il faudrait lui donner les moyens de survivre et de s’adapter à l’émergence de modèles d’affaires disruptifs, qui fragilisent l’ensemble du système de financement des films.

Les salles de projection peuvent coexister avec l’offre numérique de VAD puisque les deux offrent une expérience différente aux cinéphiles. Toujours est-il que pour résister à la déferlante numérique, la programmation des salles devra être enrichie, diversifiée et des mesures réglementaires devront être prises pour inciter les plates-formes et services de VAD à contribuer au financement des productions cinématographiques nationales et locales.

Par ailleurs, de nombreux exploitants de salle risquent de fermer définitivement leurs salles compte tenu des problèmes de rentabilité à court terme. Cela ne signifierait pas pour autant la fin du cinéma, qui a déjà fait preuve de résilience et déjà survécu à l’arrivée d’autres formats ou modes de diffusion. D’ici la sortie de Mourir peut attendre, la mort du cinéma attendra encore…

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