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2018 en revue : janvier, racisme décomplexé en Europe

Matteo Salvini en 2018. Wikipedia / Presidenza della Repubblica, CC BY

Le président de la N-VA, (parti nationaliste flamand), Bart De Wever, dans une carte blanche publiée le 24 janvier 2018 dans le quotidien De Morgen, estime qu’ouvrir les frontières aux migrants comme le préconise, selon lui, la gauche, mettra inévitablement la Sécurité sociale belge en péril. Le chef de file des nationalistes flamands entend alors réagir à la situation au parc Maximilien à Bruxelles, où aboutissent des migrants souhaitant rejoindre la Grande-Bretagne.

Bart de Wever associe migration et mise en péril du système social belge.

Ce lien n’est en aucun cas démontré. Mieux : les déclarations de Bart de Wever vont même à contrecourant de ce que disent les études. La Banque nationale de Belgique a conclu dans un rapport de 2016 que les étrangers contribuent à la croissance économique, ils ne représentent absolument pas un coût pour l’économie belge. Notre centre de recherche, le GERME a, lui, montré que bien sûr, les réfugiés coûtent à l’État lorsqu’ils reçoivent le revenu d’intégration sociale au moment de l’acquisition de leur statut de séjour.

En revanche, la Belgique n’a pas payé leur scolarité puisqu’ils se sont formés dans leur pays d’origine et dès qu’ils travaillent et, pour certains se lancent dans une activité d’indépendant, les réfugiés contribuent à la croissance économique du pays et à l’accroissement du budget public et de la sécurité sociale. Les étrangers ou réfugiés ne mettent donc pas en danger notre système social ; ils contribuent même à en assurer son avenir.

La rhétorique de De Wever n’est pas vraiment neuve ni limitée à la Belgique… En effet, toute société construit une hiérarchisation sociale où certains groupes sont stigmatisés, racialisés. Ces groupes changent, parfois, avec le temps mais la rhétorique reste stable : dans les années ‘20, les Juifs étaient qualifiés de profiteurs ; dans les années ‘60, ce seront les Italiens taxés de venir chez nous pour toucher la “moutouelle” ; puis, ce seront les Marocains qui, dit-on, perçoivent trop d’allocations familiales ; et aujourd’hui ce sont les Africains et les réfugiés qui sont accusés, à tort, de mettre en péril notre système social.

Dans ce processus, le groupe racialisé n’est pas simplement qualifié de différent, il est surtout infériorisé, minorisé. Les membres sont des “sous-citoyens” à qui on nie la légitimité de leur demande d’égalité de droit, de parole, d’estime. En outre, les descendants de migrants stigmatisés dans le passé reprennent souvent cette rhétorique raciste pour bien se démarquer des nouvelles figures de bouc émissaire, suivant l’adage le dernier ferme la porte.

Matteo Salvini, le 14 septembre 2018.

Matteo Salvini encourage la natalité… italienne, contre l’immigration

Avec une cinquantaine de collègues migrants ou issus de la 2e génération de migrants italiens, nous avons réagi aux propos de Matteo Salvini disant que son pays n’avait pas besoin de migrants africains mais bien que les Italiens fassent plus d’enfants. Il oublie qu’entre 1946 et 1955, l’Italie a exporté 1,5 millions de travailleurs italiens, en majorité des jeunes, vers la France, l’Allemagne, le Bénélux et la Suisse. Si l’Italie s’est développée économiquement dans les années 60, c’est également parce que l’Italie a exporté une grande partie de sa misère, comme il en est aujourd’hui pour des pays africains.

Salvini a répondu à notre carte blanche sur son compte Facebook. Les posts se sont multipliés et très vite, j’ai reçu des insultes, des disqualifications, des intimidations… plutôt que des arguments. C’est difficile aujourd’hui de soutenir une controverse argumentée ou un débat citoyen face à une rhétorique raciste où l’histoire et les faits sont oubliés, voire niés.

De Wever, Salvini, Orban, Trump ont-ils libéré la parole raciste ?

Dans les années 80, pendant une courte période, des responsables politiques locaux ont eu recours à un discours politique raciste. Aujourd’hui, ce discours politique raciste devient une partie de la communication gouvernementale dans certaines démocraties européennes. Lorsque des politiques relaient des propos racistes, ils les légitiment ; ils changent la norme de ce qui est audible et dicible ; ils libèrent en effet la parole raciste dans les assemblées, dans les cafés, dans la rue, au travail, etc. Ces discours fonctionnent comme un algorithme de la pensée où migrant égale profiteur ou délinquant. La réalité est bien sûr bien plus complexe. L’Union européenne voulait devenir une société de la connaissance, mais nous plongeons dans une société de l’ignorance, ingrédient indispensable des régimes autoritaires.

Comment s'articulent immigration et racisme

Le groupe racisé n’est pas nécessairement celui qui migre ; les Aborigènes d’Australie ou les Indiens des Etats-Unis en sont de bons exemples. Nos sociétés sont hiérarchisées : à un moment donné, un groupe dominant contribue à stigmatiser une partie de la population et à lui nier des droits. Le groupe racisé est construit à partir de deux dimensions principales : la première est identitaire renvoyant aux traits ethniques et culturels ; la deuxième fait référence au statut d’infériorité dans la hiérarchie socio-économique.

Ainsi, un Polonais employé à la Commission européenne sera qualifié d’expat’ tandis qu’un Polonais qui travaille dans la construction, sera appelé migrant… Là aussi, ce n’est guère neuf : les pauvres n’ont pas la même manière de vivre et de mourir écrivait déjà Balzac, contribuant de la sorte à la racisation de la pauvreté.


Retrouvez ici l’intégrale des articles de la rétrospective 2018 des enseignants-chercheurs de l’ULB.

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