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Tous hacktivistes

Internet : l’ennemi grand public nº 1 ?

Contenu bloqué. Brian J. Matis/Flickr, CC BY-NC-SA

Le citoyen spectateur : une espèce en voie de disparition !

En France, en 2017 notre nouveau président aura une nouvelle fois été élu par défaut. Ce n’est pas de sa faute, ce n’est pas une nouveauté, cela ne fera que confirmer la dislocation de l’espace politique français. Comment va pouvoir évoluer un système « démocratique » qui confie régulièrement le pouvoir à une minorité élue majoritairement à contrecœur ? C’est une excellente question, mais sans doctorat en chiromancie, j’ignore la réponse. Il n’y a plus qu’à souhaiter que le personnel politique retrouve de la hauteur et de la crédibilité et que notre système évolue vers plus de stabilité, plus de représentativité et plus de démocratie. Si cela devait passer (outre des changements de comportements) par une évolution de notre constitution, il s’agirait de pouvoir compter sur les spécialistes du droit constitutionnel pour nous éclairer et sur la vigilance de notre conseil constitutionnel ! Une chose est certaine : la situation est de moins en moins tenable pour les gouvernants et l’exaspération de la population se traduit dans les urnes.

Si les choses perduraient, nos gouvernants ne pourraient-ils pas un jour être tentés par un voyage en autoritarisme ? Ce serait contrariant. L’autoritarisme est un traitement très peu recommandable pour soigner une démocratie quand bien même elle est un peu essoufflée. Elle pourrait même faire une terrible allergie.

Pourquoi une telle affirmation ? Parce que la situation actuelle, depuis Internet, n’est plus tout à fait celle que décrivait Noam Chomsky en 1997 dans « Propaganda » et que le citoyen-spectateur de Walter Lippmann est en voie de disparition.

« Désormais, il y a deux « fonctions » en démocratie : d’abord celle des spécialistes, ces hommes qui dirigent le pays, ceux à qui revient le rôle de penser et de planifier, ceux qui comprennent ce qu’est le bien commun ; ensuite, la fonction dévolue à ceux qui font partie du troupeau dérouté. Leur rôle en démocratie, explique Lippmann, c’est d’être des « spectateurs » et non des participants actifs. Toutefois, puisque nous sommes en démocratie, leur rôle ne s’arrête pas là. De temps en temps, on leur permet de donner leur appui à tel ou tel membre de la classe des spécialistes. En d’autres termes, on leur accorde la possibilité de dire « c’est celui-ci que nous voulons pour chef » ou bien « c’est celui-là », puisque nous sommes une société démocratique et mon un État totalitaire. C’est ce que l’on appelle des élections. Mais, dès qu’ils ont donné leur appui à l’un ou l’autre des spécialistes, on attend des membres du troupeau qu’ils se retirent et redeviennent spectateurs de l’action sans y prendre part. »

La problématique que pose Internet à nos représentants n’apparaît-elle pas un peu plus clairement ? Comment gérer ce citoyen nouveau, ce citoyen acteur qui dispose désormais de nouveaux moyens pour se mêler de ce qui le regarde après des élections ? Autant les choses étaient « simples » et fonctionnaient (tant bien que mal) sur des territoires physiques maîtrisables, mais voilà des citoyens et des citoyennes bien plus complexes à gérer pour le pouvoir avec ce monde virtuel et sa déterritorialisation.

Internet : les censeurs, on les connaît, puisque ce sont les autres !

Aujourd’hui, après des éléctions, le citoyen qui le décide n’est plus tenu à demeurer simple spectateur en attendant que les choses se passent. Internet attise le feu du « penser par soi-même », redonne une parole perdue à un plus grand nombre de citoyens, et ce, bien au-delà des lieux d’expressions citoyens usuels : manifestations, rassemblements, etc. N’est-ce pas formidable pour maintenir une démocratie vivace dans une configuration d’élections devenue en France si particulière ? J’aimerais vous écrire : « Bien sûr que si ! » mais cela ne serait pas la bonne réponse ! Cela dépend de l’endroit où l’on se place. Si nous nous plaçons du côté de ceux et celles qui gouvernent, le désir de certains de contraindre Internet et l’expression citoyenne pour que les choses demeurent « comme avant » peut être très tentant. Autant le citoyen spectateur c’était presque reposant, autant le citoyen-acteur c’est bien plus remuant.

Certes les gouvernants de pays comme la Chine ne s’embarrassent pas pour contraindre et censurer l’Internet : les citoyens-acteurs ne sont pas les bienvenus. Certes la gouvernance de Vladimir Poutine ne fait pas plus dans la dentelle pour faire triompher la surveillance, la censure et l’autocensure : en juillet 2017 Vladimir Poutine a signé la loi bannissant l’utilisation des technologies d’anonymisation sur le Web, à savoir les VPN (Virtual Private Network ou réseau privé virtuel), Tor ou les proxies… quant à la vie des citoyens-acteurs, (l’opposant et blogueur Alexi Navalny en est une triste illustration) elle est pour le moins violentée ! Dont acte. Et l’on peut également dresser une longue liste de pays (qui ne peuvent être qualifiés de férocement démocratiques) qui contraignent leurs citoyens dans leurs usages… quitte à leur couper Internet quand cela les arrange tout en torpillant leur économie numérique !

Nous pouvons, vous comme moi nous en offusquer, mais il faut noter :

  • Que l’hypocrisie dans les régimes autoritaires ou dictatoriaux n’est pas invitée au débat.

  • Que ces entraves à la libre expression de la population ne sont pas une grande surprise !

  • Qu’il serait urgent de penser à balayer devant nos belles portes démocratiques.

Internet : démocratie et hypocrisie

Il est rassurant de se dire que les méthodes visant un contrôle accru (voire la censure) par les pouvoirs publics et certains grands acteurs du monde économique sont plus difficiles à mettre en œuvre dans les pays battant fièrement pavillon démocratique, ce qui est vrai : en France nous avons des Institutions qui veillent et des possibilités de les alerter.

Mais de là à croire que les tentatives de censures, et d’atteintes à des droits fondamentaux n’existent pas est une erreur. Elles existent. Elles sont moins visibles parce que cela ferait un peu désordre, et on ne peut pas dire qu’on en fasse une grande publicité auprès du grand public !

Sont-elles pour autant moins condamnables ? N’y a-t-il pas matière à s’offusquer ? Ne sont-elles pas de la même veine avec l’hypocrisie en plus ? Ne répondent-elles pas à des aspirations similaires : se mettre au service d’intérêts spécifiques et/ou particuliers du pouvoir, bien loin de l’intérêt général et du droit à l’information des citoyens, bien loin de la liberté d’expression ?

Pas plus tard que le 16 janvier 2018, en France, le tribunal de commerce de Paris ordonnait au magazine Challenges de retirer de son site un article faisant état les difficultés financières d’une grande enseigne française. Une censure jugée injustifiée tant par Reporters sans frontières (RSF) que par la rédaction :

« Challenges a dû retirer l’article sous astreinte de 10 000 euros par jour. Le magazine, qui a fait valoir devant le tribunal “son droit à l’information du public”, et une “censure illicite en démocratie”, a fait appel de la décision du tribunal de commerce. »

OBEY. PosterBoyNYC/Flickr

L’Insulte est-elle un argument recevable en démocratie ?

Est-ce le fruit du hasard, si le pouvoir en démocratie ne pouvant que composer avec ce nouveau citoyen du TechnoMonde dérape parfois ? Est-il tolérable qu’il aille jusqu’à avoir recours à la disqualification, à l’insulte, à la moquerie, au déni ? C’est tout à fait regrettable, mais les faits sont là, et cela s’est déjà produit, non pas en Russie, non pas en Chine, mais en France !

C’est ainsi qu’à l’occasion de la loi sur le renseignement, le débat se fera unilatéral ! Les contradicteurs se feront traiter par le pouvoir en place d’exégètes amateurs, de gens de mauvaise foi. L’accès aux médias de masse de toutes voix dissonantes à ce choix de société (dont certaines faisant autorité) et en mesure d’argumenter sera (intentionnellement ou non) restreint pour ne pas dire inexistant dans les médias de masse. Pour la société civile, l’insulte, le mépris, la disqualification par l’un des initiateurs de ce projet liberticide du point de vue de nombreux observateurs prévaudra à tout débat.

L’insulte n’est naturellement pas en démocratie un argument acceptable et lorsque l’insulte vient du pouvoir exécutif, cela dépasse l’entendement.

Que les apprentis censeurs prennent bien garde à l’effet Streisand !

À titre préventif, pour l’avenir, pour ceux et celles qui nous représentent et qui auraient la bien sotte tentation de vouloir bâillonner l’Internet français et la parole citoyenne au travers de nouvelles lois qui pourraient s’avérer très pratiques pour la censure, idéale pour le délit d’opinion, mais peu compatible d’avec la notion de démocratie (je pense ici au projet de loi qui a été évoqué sur les fake news) qu’ils prennent bien garde à l’effet Streisand !

Si Internet est l’ennemi grand public N°1 de quelqu’un, ce n’est pas l’ennemi de notre démocratie ni de ceux et celles soucieux de bâtir une démocratie augmentée assistée par un citoyen-acteur. Par contre, Internet sera toujours l’ennemi grand public N°1 de ceux qui seraient peu soucieux de démocratie mais avide de pouvoir, pour y accéder puis pour s’y maintenir à n’importe quelle prix, dont celui du silence des citoyens !

Quis custodiet ipsos custodes ?

« Qui gardera les gardiens ? » interrogeait Juvénal. La réponse est toute trouvée : nous toutes et tous.

*À suivre. *

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