Parasite est un mot à connotation négative, associé à la paresse et l’inutilité. Et le récent film oscarisé Parasite n’améliora certainement pas l’opinion générale sur eux.
Un animal parasite, par définition, tire profit d’un organisme hôte pour se nourrir ou s’abriter. Pour le biologiste, les parasites sont fascinants et représentent souvent les cas d’évolution biologique les plus intéressants. De plus, ils pourraient bien constituer la majorité de la vie sur terre, à la fois en nombre d’espèces et en nombre d’individus. Presque tous les animaux ont des parasites.
Nous avons choisi d’étudier les parasites de poissons emblématiques, les mérous de la Méditerranée. Pas tous – seulement les minuscules parasites vivant sur les branchies de ces beaux poissons ; ce sont les monogènes.
Monogènes sur les branchies
Les monogènes sont de minuscules animaux de moins de 1 millimètre de longueur – vous les verrez à peine sans loupe binoculaire. Ils sont attachés aux branchies par leur extrémité arrière avec leur partie avant libre dans l’eau. Pour s’attacher fermement aux tissus d’une branchie de poisson, il faut un organe très spécial : il s’appelle le hapteur et contient des crochets pointus qui pénètrent la partie molle de la branchie.
Le nom « monogène » a été donné par le parasitologiste belge Pierre-Joseph Van Beneden il y a plus d’un siècle et signifie que leur cycle de vie n’implique qu’un seul hôte : le poisson. Pour passer d’un poisson à un autre, les monogènes ont une larve spécialisée qui nage librement dans l’eau de mer et trouve son prochain hôte, et le monogène adulte ne quittera ensuite plus jamais son hôte.
Un genre très diversifié
Des études menées au cours des dernières décennies ont révélé que la plupart des monogènes sur les branchies des mérous appartenaient à un seul genre. Ces monogènes sont généralement « spécifiques de leur hôte », ce qui signifie qu’une espèce ne se trouve que sur une seule espèce de mérou. De plus, chaque espèce de mérou abrite plusieurs espèces – jusqu’à une douzaine.
De nombreuses espèces de mérous, de nombreuses espèces de parasites sur chaque mérou, ceci permet à ces monogènes d’être hyperdiversifiés : plus de 80 espèces sont connues, et il y en a probablement beaucoup plus. La plupart de ces monogènes appartiennent à un seul genre nommé Pseudorhabdosynochus.
Un organe mâle très spécial et des vagins incroyablement diversifiés
La plupart des zoologistes passent une partie importante de leur temps à regarder les parties sexuelles des animaux qu’ils étudient. Pourquoi ? Parce que de nombreuses espèces sont superficiellement très similaires, mais très différentes dans la forme de leurs organes génitaux. C’est ainsi que fonctionne l’évolution, et avoir une morphologie sexuelle différente empêche une espèce de copuler avec d’autres espèces, gaspillant ainsi de l’énergie dans un accouplement qui ne produirait pas de descendance.
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Et, pour cet aspect, Pseudorhabdosynochus ne nous déçoit certainement pas. Tout d’abord, ses espèces sont toutes hermaphrodites, et donc dans chaque individu, il y a les deux appareils génitaux complets, le mâle et le femelle ; deuxièmement, les organes sexuels sont sclérifiés : bien que le corps du ver soit mou, ces organes sont constitués de protéines durcies ; troisièmement, la variété des structures sexuelles est remarquable.
Toutes les espèces de Pseudorhabdosynochus ont un étrange organe copulateur mâle, qui est une pompe hautement spécialisée qui insère le sperme dans les organes génitaux femelles. Comment cela fonctionne exactement, on ne le sait pas : après tout, cet organe mâle, qui est impressionnant lorsqu’on le regarde au microscope, a une taille de l’ordre de 100 micromètres – un dixième de millimètre.
De plus, les espèces de Pseudorhabdosynochus sont incroyablement diverses dans la structure de leur vagin. Encore une fois une structure sclérifiée, qui est complexe, avec une « trompette » suivie de plusieurs « canaux » et « chambres » ; chaque espèce a une morphologie unique. Comment les spermatozoïdes traversent ce vagin, encore une fois, on ne le sait pas – il s’agit d’une très petite structure, généralement trente fois plus petite qu’un millimètre. Cependant, il est probable que ces structures complexes jouent un rôle majeur dans la différenciation des espèces.
Parasites sur les branchies des mérous en mer Méditerranée
Les résultats antérieurs avaient montré que les mérous en mer chaude, y compris les récifs coralliens, abritaient une faune très riche de parasites, en particulier de monogènes sur les branchies. Lorsque nous avons décidé d’étudier les monogènes des branchies des mérous de la Méditerranée, il n’y avait que sept espèces de Pseudorhabdosynochus connues parmi les cinq espèces de mérous endémiques.
Nous avons échantillonné les poissons des marchés de Tunisie et parfois de la Libye voisine. Les mérous sont parmi les poissons les plus recherchés dans cette partie du monde, et donc très chers. Cependant, un seul gros mérou peut héberger des centaines de monogènes, et quelques poissons fournissent donc un travail suffisant au parasitologue passionné (et, occasionnellement, un excellent repas).
Nous avons enfin constaté que les mérous de la mer Méditerranée ont une douzaine d’espèces de Pseudorhabdosynochus. Nous avons même pu décrire trois nouvelles espèces, c’est-à-dire des espèces qui n’ont jamais été vues par des chercheurs précédents. Pour ces nouvelles espèces, nous avons attribué de nouveaux noms. L’un est Pseudorhabdosynochus hayet, du mérou royal. Bien que les noms d’espèces soient techniquement latins, celui-ci est d’origine arabe – « hayet », signifiant « la vie ».
Une espèce de parasite avec une distribution déroutante
L’espèce que nous avons trouvée sur le mérou de Haïfa avait quelques surprises dans sa manche. Il s’agit d’une espèce rare de mérou que l’on ne trouve qu’occasionnellement sur les marchés aux poissons. Son nom latin est Hyporthodus haifensis ; le genre Hyporthodus rassemble quelques espèces de mérous rares des grands fonds. Aucun monogène n’avait été signalé chez ce poisson, et donc, lorsque nous avons trouvé un monogène, nous avons d’abord pensé qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce. Nous l’avons comparée à d’autres espèces présentes dans le monde.
À notre grande surprise, l’espèce était identique à Pseudorhabdosynochus sulamericanus, une espèce de l’Atlantique Ouest. Cette espèce avait été signalée chez des espèces de mérous du genre Hyporthodus au Brésil et en Floride. Il était décevant qu’une espèce de monogène de la Méditerranée ait un nom évoquant l’Amérique du Sud (c’est ce que signifie « sulamericanus »). De plus, il était difficile de comprendre comment des espèces de poissons séparées par 6 000 kilomètres de haute mer pouvaient partager la même espèce de parasite. Nous avons proposé plusieurs explications. L’une est simplement que les ichtyologistes connaissent très peu la biologie des mérous des grands fonds : il se pourrait que les trois espèces de mérous des côtés américain et africain de l’Atlantique aient la possibilité d’échanger des parasites, quelque part dans l’Atlantique.
Les parasites sont-ils responsables de la disparition des mérous méditerranéens ?
Dans les années 1950, Jacques-Yves Cousteau a signalé d’énormes mérous vivant tranquillement à proximité des plages et des ports sur les côtes françaises. Hélas ! Les mérous sont désormais rares le long des rives européennes de la Méditerranée, décimés par la surpêche et la pollution.
En revanche, l’influence de ces minuscules parasites sur ces gros mérous est probablement infinitésimale – même si des centaines de monogènes sont sur les branchies, ils n’ont probablement presque aucune conséquence sur la santé du poisson.
La situation est cependant très différente en aquaculture. Lorsque les mérous sont élevés dans un petit volume d’eau de mer, les monogènes peuvent proliférer de façon exponentielle et les espèces de Pseudorhabdosynochus sont une cause bien connue de mortalité. Dans la nature, les mérous sont souvent des animaux solitaires, séparés de leurs congénères par de grandes zones d’eau de mer propre et sans monogène : les mérous ont inventé la distanciation sociale !
Cet article est publié en collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité, Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités). Ils proposent chaque mois une chronique scientifique de la biodiversité : « En direct des espèces ». Objectif : comprendre l’intérêt de décrire de nouvelles espèces et de cataloguer le vivant.