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Vue d'Heidelberg où se tient la conférence Neutrino 2018. Alex Hanoko / Flickr, CC BY-SA

À la recherche des neutrinos : ces particules fantômes

À partir d’aujourd’hui et jusqu’au 9 juin, plus de 500 physiciens se rencontreront dans la charmante cité d’Heidelberg sur les bords du Neckar, en Allemagne pour discuter des dernières nouvelles concernant la recherche sur les neutrinos. Aucune annonce spectaculaire n’est attendue, en revanche un flux de récents résultats devrait animer les séances de la conférence exclusivement consacrée à ces remarquables particules.

Les neutrinos, qu’est-ce que c’est ?

Les neutrinos sont des particules élémentaires qui trouvent leur place à côté des électrons, protons et neutrons formant la matière ordinaire. Ils sont essentiels pour comprendre les comportements réciproques des particules mais leur contact avec notre monde est dérisoire. Ils n’interagissent pratiquement pas avec le reste de la matière, ce sont des particules fantômes qui nous assaillent et nous traversent de toutes parts sans que nous en ressentions le moindre frémissement ; en conséquence, ils sont très difficiles à détecter.

Malgré tout, leur connaissance a fortement progressé depuis l’audacieuse hypothèse de leur existence par le physicien Wolfgang Pauli et on mesure aujourd’hui précisément leurs attributs. On comprend pourquoi ces particules semblent vivre dans un monde parallèle, et le lancinant problème de leur masse a été résolu, leur octroyant un rôle primordial au niveau de l’Univers global.

« Comprendre les neutrinos », Paris Diderot.

Les neutrinos sont d’utiles outils pour comprendre le monde. Particules pratiquement invisibles, ils permettent de capter une information venant de phénomènes très cachés. Ils révèlent les détails des processus intervenant au cœur du Soleil, ils espionnent le combustible à l’intérieur des réacteurs nucléaires. Mais cela a un prix et la détection de ces mystérieuses entités relève du tour de force.

Le premier visiteur fantôme

Jusqu’en 1930, il semblait que les trois objets élémentaires connus à l’époque, proton, neutron et électron, suffisaient pour expliquer tous les déguisements de la matière puisqu’ils permettaient de construire l’ensemble des éléments naturels, de l’hydrogène aux atomes lourds.

Comme souvent en recherche, une apparente anomalie exigea alors de réviser ce point de vue : de l’énergie semblait disparaître dans les désintégrations de certains éléments naturels qui émettent spontanément un électron. Or l’énergie se conserve toujours, c’est une règle d’or de la physique. Potentielle ou cinétique, calorique, l’énergie se transforme sans se perdre.

Pourtant, dans la désintégration appelée « Bêta », l’énergie emportée par l’électron détecté s’avérait variable. Le dilemme durât plusieurs années jusqu’à ce que Wolfgang Pauli, dans une lettre de décembre 1930 restée fameuse, suggérât l’existence d’une nouvelle particule, émise en même temps que l’électron et qui s’échappe sans laisser de trace.

Ce n’était qu’une solution « désespérée » selon son inventeur. Mais l’idée, a priori téméraire, expliquait si bien les résultats expérimentaux qu’elle fut rapidement acceptée. Dès 1933, Enrico Fermi écrivit la théorie sous-jacente ; il développa la phénoménologie d’un nouveau type de force, l’interaction dite faible, longtemps appelée interaction de Fermi. C’est lui qui baptisa l’objet encore hypothétique « neutrino », petit neutre en italien, symbolisé par la lettre grecque nu. Ainsi la force faible prenait toute sa place à côté des forces forte et électromagnétique, sans oublier la gravitation hégémonique à grande échelle.

Ne subissant que la force faible, le neutrino est une particule très spéciale. Mais cette originalité a un corollaire gênant : elle explique sa faible probabilité d’interaction et donc la difficulté de sa mise en évidence. Heureusement pour les chercheurs, le neutrino n’est pas une particule absolument indétectable, sinon son existence serait demeurée une pure spéculation. Mais subissant la seule interaction faible, cela implique que la très improbable détection doit bénéficier de sources très abondantes ainsi que de détecteurs très massifs, et cela explique qu’il fallut attendre 1956 pour compter expérimentalement une poignée de neutrinos au voisinage d’un réacteur nucléaire.

Comment voit-on les neutrinos ?

La détection des neutrinos pose un problème de taille, c’est la conséquence de la rareté des événements engendrés. Heureusement les émetteurs sont en général très généreux. Un réacteur nucléaire EdF produit quelque 1 021 neutrinos chaque seconde ; une supernova en crache 1 058 en une dizaine de secondes, le Soleil déverse chaque seconde 60 milliards de neutrinos sur chaque cm2 de surface de la Terre, et ceci de jour comme de nuit puisque, pendant la nuit, ils nous arrivent par les pieds, la Terre entière étant transparente aux neutrinos.

Aux accélérateurs, une machine moderne fournit des salves atteignant quelque 109 neutrinos traversant un détecteur toutes les quelques secondes. Ces chiffres donnent le vertige et pourtant, pour en arrêter quelques-uns, il ne faut pas lésiner sur les dispositifs qui doivent être à la fois très élaborés et de grandes dimensions.

Il faut inventer des dispositifs plus volumineux pour accéder à des phénomènes naturels plus secrets. C’est le cas du gigantesque appareillage SuperKamiokande qui représente l’archétype des détecteurs de neutrinos.

Le SuperKamiokande, l’archétype des détecteurs de neutrinos. Super Kamiokande, CC BY

Il s’agit d’un immense réservoir souterrain (pour être à l’abri du rayonnement cosmique) contenant 50 kilotonnes d’eau purifiée, soit sept fois le poids de la Tour Eiffel. De forme cylindrique, il mesure 40 mètres de haut et 40 mètres de diamètre, un immeuble de quinze étages pourrait s’y loger.

Dans la photo ci-dessus, on remarque un canot avec trois techniciens en train de contrôler, un par un, les « yeux » tapissant les parois intérieures du cylindre. Ces yeux constituent des capteurs très sensibles de lumière ; l’appareillage en compte 11 000. En effet, quand un neutrino interagit dans l’eau de la cuve, les particules chargées alors produites y laissent une évanescente trace lumineuse de couleur bleutée qu’il s’agit de détecter au mieux.

Les neutrinos et l’Univers

Comment des particules si légères et aux interactions si rares peuvent-elles influencer l’évolution de l’Univers ? La réponse est dans leur nombre. Il existe plusieurs milliards de fois plus de neutrinos que d’électrons ou de protons, à tel point que leur masse totale égale grosso modo celle de toutes les étoiles emplissant le firmament. Comment être sûr de ce paradoxal résultat ?

Parmi les nombreux producteurs de neutrinos, Soleil, réacteurs, accélérateurs, atmosphère, l’émetteur le plus puissant reste le Big Bang. Les neutrinos sont l’un des ingrédients pour comprendre la cohérence existant entre les particules, ils sont donc obligatoires pour suivre les phases successives qui se sont déroulées à la naissance de notre Univers.

Sans neutrinos, le Big Bang n’aurait pu se produire. On évalue la densité des neutrinos rescapés de l’explosion originelle à 300 dans chaque cm3 de l’espace. Ces neutrinos dits cosmologiques ont la même source que les photons du fond cosmologique qui montent à 400 dans chaque cm3. Or le fond cosmologique est aujourd’hui magnifiquement connu.

Leur détection est un défi qui restera en ligne de mire des physiciens pendant encore bien des décennies. Dommage, car leur détection permettrait d’obtenir une image unique du monde à l’âge d’une seconde, alors que le fond de photons ne renseigne que sur un Univers déjà âgé de 370 000 ans, quand photons et matière se sont découplés.

On sait aujourd’hui que les neutrinos ont une masse, et ce résultat clôt une longue interrogation qui a débuté dès l’hypothèse du premier neutrino. Les masses trouvées semblent dérisoires devant celles affectant les autres particules de matière. Pourtant, elles suffisent pour arriver au très surprenant résultat que les neutrinos contribuent autant que les dix mille milliards de milliards d’étoiles présentes à l’équilibre de l’Univers entier.

Les questions en suspens

Où est passée l’antimatière ? En effet notre Univers a débuté par une soupe très chaude où matière et antimatière étaient présentes à égalité, or l’antimatière a complètement disparu, sauf pour les neutrinos et antineutrinos présents à égalité.

Une autre question lancinante se pose sur la nature intime des neutrinos : sont-ils leur propre antiparticule comme suggéré par le modèle inventé par Majorana dès les années 1935 et toujours sans solution ? Là aussi des recherches sont en cours.

Les neutrinos subissent-ils les interactions électromagnétiques ? Bien que sans charge électrique, cela est permis par la théorie.

Existent-ils d’autres formes de neutrinos ? On sait que les trois types bien étudiés sont au complet, mais on parle de neutrinos stériles qui seraient encore plus évanescents que les neutrinos connus. De tels objets sont proposés par certains théoriciens pour expliquer la masse sombre à l’œuvre dans l’Univers.

Un autre axe très actif de recherche consiste à développer une nouvelle astronomie en sondant le ciel pour y découvrir des émetteurs neutriniques de très haute énergie. Les premiers signaux venant de sources extragalactiques ont été révélés grâce à un télescope 10 000 fois plus gros que SuperKamiokande construit dans la glace du Pôle Sud, et ce n’est qu’un début.

En somme, il y a encore beaucoup de pain sur la planche pour les physiciens des neutrinos, ils auront bien des motifs pour se rencontrer à nouveau, sans même aborder le thème de la détection des neutrinos cosmologiques qui reste le saint graal des chercheurs. Leur détection révélerait le Big Bang bébé, mais il faudra encore attendre bien des réunions biennales avant d’amorcer la moindre idée sérieuse quant à la résolution de cet emblématique problème.

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