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À la Réunion, la pandémie aggrave les inégalités sociales

Port de la Réunion le 1 mars 2020. Les manifestants dénoncent le débarquement de passagers du Sun Princess sans que des contrôles de santé ne soient effectués. Richard BOUHET / AFP

L’île de la Réunion subit de plein fouet la pandémie avec [207 cas de Covid-19 déclarés au 30 mars]. La mise en place du confinement a été déclarée dès le stade 1 de l’épidémie avec seulement 12 cas déclarés et pas de circulation du virus sur le territoire. Cette mesure de confinement perçue comme salutaire intervient sur un territoire rompu à cette pratique mais l’application de l’ensemble des mesures valables pour l’Hexagone peuvent paraître inéquitables sur ce territoire insulaire qui connaît de graves inégalités socio-économiques.

La culture du confinement à La Réunion

Cette épidémie vient s’ajouter à de nombreux autres risques pérennes – cyclone tropical intense, épidémies de dengue récurrente. L’île de la Réunion n’est pourtant pas novice en termes de gestion du risque et du confinement. En effet la culture du risque cyclonique profite à cette culture du risque) épidémique.

Le risque cyclonique impose ainsi un rituel annuel de vérification des stocks d’eau potable, de bougie, de gaz, de piles, de conserves, de riz, de pâtes…

« Vider » les rayons de leurs marchandises montre que tous se préparent activement au confinement, pratique familière à La Réunion. Ces actes ne traduisent pas uniquement du « chacun pour soi ». La constitution de stocks n’est pas que comportements « faméliques, inciviques et individualistes » (comme indiqué ou entendu dans la presse) mais aussi protecteurs des besoins alimentaires de la famille élargie en vue d’un confinement total.

Chaque année, les mêmes mesures de précaution sont répétées : se tenir informé·e du bulletin météorologique et des instructions préfectorales, faire des réserves et se préparer à la pénurie des denrées alimentaires, aux coupures d’eau d’électricité, aux inondations… Il existe trois niveaux d’alerte cyclonique qui confinent, après une phase de préparation (pré-alerte), le public scolaire (alerte orange) puis toute la population (alerte rouge).

Plaquette d’information sur les risques. Ministère de la Santé, Author provided

Chacun·e cultive ses propres façons de le gérer et dispose de stratégies pour contourner les ruées périodiques (généralement en fin d’année) sur les marchandises de première nécessité. Certains vont mobiliser le réseau de connaissances pour faire le plein de légumes avant la hausse des prix de ces denrées (hausse qui intervient systématiquement après le passage de tout cyclone), d’autres s’en vont chez les grossistes pour éviter la cohue dans les supermarchés. Il est aussi répandu chez les habitants de maison individuelle de disposer de citernes en cas de coupures du réseau d’eau, ce qui épargne d’avoir à faire la tournée des supermarchés pour trouver des bouteilles d’eau (première denrée prise d’assaut sur les étalages).

Fort·e·s de ces expériences, les populations acceptent d’autant mieux le confinement qu’il intervient en période cyclonique : les réserves sont parfois déjà faites même si elles n’empêchent pas les dernières ruées sur les étalages par crainte de la pénurie habituelle en cas de cyclone.

Un territoire vulnérable paradoxalement habitué aux crises

Contrairement à l’Hexagone, il n’est pas besoin de remonter très loin dans le temps pour trouver des périodes similaires en termes de mesures sociales et sanitaires urgentes.

En 2006, sévit une épidémie de chikungunya, maladie aux conséquences parfois particulièrement handicapantes, transmise par les moustiques. On comptera plus de 266 000 cas et 267 décès à La Réunion. Cette épidémie a mis en exergue la très mauvaise santé des Réunionnais. Sa gestion sera décriée, certains auteurs parleront de forme d’aveuglement /

Un peu comme en Camargue, à La Réunion, la résistance aux moustiques permet de séparer symboliquement les locaux des nouveaux arrivants.

Carte de l’île de la Réunion (Google Maps).

Pour autant, des solidarités nouvelles semblent s’être créées entre créoles et zoreils (nom attribué aux personnes venues de l’Hexagone), ces derniers étant perçus par les autres populations comme « dominants » socialement, économiquement et politiquement.

En 2011, une autre crise réactive cette ligne de partage identitaire entre zoreils et créoles. Il s’agit de la « crise requin » qui intervient sur la côte ouest considérée comme concentrant le plus de zoreils.

Cette crise-là, plus relayée dans l’Hexagone par son côté sensationnel, a par ailleurs abouti à l’interdiction totale de toute activité nautique et de baignade non surveillée sur le littoral ; interdiction ayant entraîné un report des baignades sur le lagon déjà très vulnérable.

France 24, 2019.

En 2018, la crise des « gilets jaunes » qui bloqua durablement le territoire pendant 15 jours avec l’instauration d’un couvre-feu par arrêté préfectoral, a de nouveau posé cette question de « classe raciale ». À cette occasion avait émergé l’expression publique d’un sentiment anti-zoreil.

Les revendications sur les ronds-points relayaient notamment au préfet des demandes de préférence régionale devant l’emploi, traduction d’un sentiment d’injustice dans la répartition du pouvoir et des responsabilités. Des agressions racistes ont eu lieu sur et en marge des ronds-points.

Absence de clés de compréhension du social

Peu de travaux en sciences sociales s’intéressent à ces tensions raciales et cherchent à instruire le débat sur le sentiment d’injustice socio-économique à La Réunion. Chaque crise repose inlassablement les mêmes questions, qui restent sans réponse. Pourtant la volonté de résilience culturelle et sociale des habitant·e·s a émergé sur les ronds-points en 2018 mais les structures émancipatrices de l’histoire esclavagiste et coloniale manquent.

Les inégalités se reproduisent, surtout en l’absence de clés de compréhension du social. Bien que des projets de recherche cherchent aujourd’hui à comprendre et construire cette résilience, le débat est renvoyé à la sphère privée.

Manifestations de « gilets jaunes » à Sainte-Marie lors de la visite de la ministre des Outre-mer Annick Girardin le 28 novembre 2018. Richard Bouhet/AFP

Dans un tel contexte, la communication de crise est cruciale et peut à tout moment alimenter ces tensions. Contrairement aux épidémies récurrentes de dengue, il n’y a pas eu d’informations cartographiques sur la répartition en local des « cas importés » malgré les demandes pressantes d’informations concernant cette répartition (annonce de la directrice de l’ARS, plateau télévisé, mercredi 25/03/2020).

Pour l’ARS, l’injonction de ne pas stigmatiser des populations et de garantir l’anonymat des cas importés et des 800 personnes contacts répertoriées par ces services s’impose encore plus.

Le confinement reproduit et aggrave les inégalités sociales

À La Réunion, la culture du risque a contribué à la mise en place rapide du confinement. Alors que l’île n’en était « qu’à » 12 cas dits « non autochtones », la mise en place du confinement pour l’épidémie de coronavirus semblait une mesure salutaire et familière.

Le respect des consignes de confinement est aujourd’hui salué comme du civisme par les autorités sanitaires après avoir été assimilées à de la panique. Mais si le confinement semble bien observé, c’est au détriment des solidarités usuelles (accueil et prise en charge des membres vulnérables dans les familles) qui ne pourront s’exprimer.

À l’inverse, lorsqu’elles se sont exprimées, elles auront peut-être participé à la mise en danger des populations les plus fragiles.

Dans la droite ligne de l’unité nationale prônée par la ministre de l’Outre-mer, les modalités tous azimuts visant à ne pas bloquer l’économie risquent également de creuser les inégalités. Certaines mesures semblent ainsi très peu adaptées au territoire. La mise en place du télétravail et du plan de continuité pédagogique par exemple ne semblent tenir compte ni des 39 % de pauvreté (contre 14,2 % sur le territoire national), ni de l’illettrisme et encore moins de la fracture numérique. De quoi aggraver les inégalités que les écoles et l’université peinent à endiguer.

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