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Pour être vraiment seuls, n’oubliez pas de débrancher. Shutterstock

À l’ère numérique, renouer avec la solitude bienfaisante

La solitude offre de nombreux avantages. Elle permet d’agir et de penser en toute liberté, stimule la créativité et l’imagination. Elle enrichit également nos relations aux autres, en favorisant l’intimité et le sentiment d’empathie.

Évidemment, la solitude n’est pas toujours vécue de façon positive. Pour certains, elle peut même mener à un sentiment d’isolation douloureux. Mais, de même que nous pouvons veiller au quotidien à ce que nous ingurgitons, il peut être bénéfique de prendre conscience de la quantité et de la qualité de solitude que nous expérimentons au jour le jour.

Qu’il s’agisse d’une solitude délibérée ou de celle qui nous tombe dessus sans prévenir, les bénéfices potentiels sont les mêmes, mais en réalité, la solitude « subie » devient peu à peu une espèce en voie de disparition, en tous cas pour certains d’entre nous.

En psychologie sociale, la solitude se définit traditionnellement comme le fait d’être physiquement seul, ou éventuellement entouré physiquement d’autres personnes avec lesquelles nous n’interagissons pas. Mais les temps changent, de même que les possibilités et les modalités d’« être avec » les autres.

« Si un arbre tombe dans la forêt et que personne ne l’entend, est-ce que sa chute fait du bruit quand même ? » dit une vieille question philosophique. Après avoir exploré le thème de la solitude dans le cadre de mes recherches, j’ai élaboré une nouvelle version de la question : « Si un individu se retrouve seul dans la forêt tandis un arbre tombe, mais qu’il ne s’en rend pas compte parce qu’il est en train d’envoyer un texto, peut-on encore parler de solitude ? »

Avez-vous remarqué, ou étiez-vous concentré sur votre texto ? nahidv/Flickr, CC BY

Que signifie être seul ?

Avec le smartphone et les médias sociaux, nous transportons en permanence nos réseaux dans nos poches, et ces nouvelles possibilités de contacts perpétuels empêchent non seulement d’expérimenter la solitude, mais aussi de l’étudier. Tous nos concepts pour penser et mesurer la solitude sont dépassés : il nous manque les outils scientifiques indispensables à son exploration.

Si nous ne tenons pas compte de la façon dont nos contemporains se connectent entre eux à l’ère numérique, impossible de découvrir la quantité de solitude dont disposent les gens, de comprendre comment ils en souffrent ou comment ils l’apprécient, ou encore quel type de solitude ils expérimentent. Après avoir passé l’été dernier à lire tout ce que je pouvais sur le sujet, il m’a semblé que l’étude de la solitude était dans l’impasse, et qu’il fallait tout recommencer à zéro.

Ce processus de réflexion renouvelée a été lancé l’automne dernier, quand Sherry Turkle a publié Reclaiming Conversation « Reprendre la conversation ». Le livre a divisé l’opinion : son auteur critique l’ère numérique et dénonce la détérioration de la qualité des conversations interpersonnelles. Mais si on met la polémique de côté, cet essai permet surtout de pousser plus avant la réflexion et le débat sur la solitude à l’ère numérique.

Turkle souligne notamment que le fait de pouvoir se connecter n’importe quand et n’importe où a rendu l’expérience de la solitude quasiment impossible (à voir aussi, le coup de gueule comique de Louis C.K, sur ce sujet). Si cela pose problème, c’est que, comme l’écrit Turkle : « C’est dans la solitude que nous nous trouvons et que nous nous préparons à la conversation. » D’après l’auteur, si la technologie mobile nous séduit tant, c’est qu’elle nous permet d’échapper facilement aux moments d’ennui du quotidien. Mais cela soulève nombre d’autres questions  : pourquoi certains préfèrent le smartphone à leurs propres pensées dans les moments de creux , tandis que d’autres recherchent les moments de solitude « délibérée » ?

Vers un monde connecté et automatisé

Pour le sociologue Rich Ling, si nous nous devons d’être toujours joignables, c’est que la communication mobile n’est plus une nouveauté. Désormais, son utilisation va de soi. À l’époque où la téléphonie mobile était encore une nouveauté, pouvoir joindre quelqu’un à tout moment restait un fait exceptionnel. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. Une étude récente révèle d’ailleurs que 80 % des adolescents américains consultent leur mobile toutes les heures, tandis que 72 % ressentent le besoin de répondre immédiatement aux messages qu’ils reçoivent.

Quand travailler de partout revient à travailler non-stop. Working person on cliff via Shutterstock

La communication mobile est désormais étroitement liée à notre vie sociale et elle s’installe progressivement dans notre système cognitif. Quand un nouvel objet intègre notre quotidien, nous perdons peu à peu la conscience de nos gestes : c’était le cas, jadis, avec les montres ou les agrafeuses, et c’est désormais la même chose avec les téléphones portables, qui font partie intégrante de notre vie quotidienne. En réalité, l’usage habituel (c’est à dire de moins en moins conscient) du mobile explique en partie pourquoi les gens envoient des textos tout en conduisant.

La communication mobile est devenue notre seconde peau. Tout signal émis par notre téléphone provoque une réponse quasi automatique. Pire : même si notre appareil ne se manifeste pas, nous réagissons à ses « vibrations fantôme ». Mais les habitudes liées au portable sont aussi conditionnées par nos états émotionnels et par le contexte dans lequel nous évoluons.

Il y a quelques années, j’ai visité un parc animalier au concept étonnant près de Miami : les singes s’y promènent en toute liberté dans un vaste espace naturel tandis que les humains, « enfermés »dans des cages, les observent. A un moment, nous avons été « libérés » et autorisés à évoluer parmi les animaux : en un clin d’œil, les singes-araignées se précipitaient sur nous, intéressés par les noisettes et les raisins que nous leur apportions. Sans réfléchir, nous avons immédiatement sorti nos téléphones pour prendre des photos et filmer la scène.

Si nous nous ruons sans réfléchir sur nos gadgets technologiques dans les moments les plus merveilleux de nos vies, pas étonnant que nous faisions de même quand nous nous retrouvons seuls, d’autant que cette tendance est accentuée par la pression sociale, qui nous incite à être toujours joignables. Je ne dis pas que nous devrions tous ménager plus de place à la solitude. Mais, maintenant que la solitude intempestive a complètement disparu, ce serait peut-être une bonne idée, pour certains d’entre nous, de dédier volontairement quelques espaces, quelques moments et quelques activités à une solitude véritable.

This article was originally published in English

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