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A quoi servent les registres des malformations

Le CHU de Rouen. Frédéric Bisson/Wikipedia, CC BY-SA

Etienne Meyer-Vacherand, journaliste en formation, est l’auteur de cet article, partie d’un dossier sur l’affaire dite des « bébés sans bras ». Les éléments scientifiques des six articles que nous vous présentons ont été validés par les experts interrogés. L’ensemble a été rédigé par les étudiants et est publié sous l’égide de Pascal Guénée, directeur de l’Institut Pratique du journalisme de l’Université Paris Dauphine – PSL.


Lorsqu’éclate l’affaire des bébés sans bras, le grand public découvre l’existence de « registres des malformations » sur le territoire français. Et, par la même occasion, les fragilités du dispositif de surveillance des malformations congénitales dans notre pays. Tout est parti du registre des malformations en Rhône-Alpes, le Remera : en octobre dernier, sa directrice Emmanuelle Amar alertait sur sa possible fermeture, faute de subvention.

Actuellement au nombre de six (Antilles, Auvergne, Bretagne, Paris, La Réunion, Rhône-Alpes) les registres fonctionnent indépendamment les uns des autres. Ils couvrent seulement 19 départements et 19 % des naissances en France. Les chiffres nationaux du nombre de malformations sont donc extrapolés à partir des données de ces registres.

Les six registres appliquent une méthodologie similaire. En amont, la partie de collecte des données est le plus souvent assurée par des sages-femmes enquêtrices qui se rendent notamment dans les services de maternité, de pédiatrie ou encore de chirurgie infantile de la région. Ensuite, « pour pouvoir analyser et interpréter les données malformatives, il faut des personnes qui connaissent bien l’origine et les causes des malformations congénitales, donc très souvent c’est un généticien. L’épidémiologiste est l’autre personne indispensable du registre, parce qu’il est compétent pour manier les chiffres, qu’il est capable de repérer les « clusters » (regroupement de cas) et indiquer l’évolution du nombre des malformations », explique Bérénice Doray, PU-PH en génétique au CHU de la Réunion qui a dirigé le registre des malformations d’Alsace jusqu’en 2013.

« Nous enregistrons les données en prénatal et jusqu’à la sortie de la maternité, soit à peu près la première semaine de vie », explique, quant à lui, Babak Khoshnood, médecin épidémiologiste et responsable du Registre des malformations congénitales de Paris (Remerap) depuis 2009. Il s’agit d’une particularité du registre de Paris, les autres organismes enregistrant les données jusqu’à la fin de l’année qui suit la naissance.

Réseau européen

Le fonctionnement des six est évalué par le Comité d’évaluation des registres (CER) qui leur délivre une qualification. L’ensemble des registres transmet également leurs données à EUROCAT qui regroupe les données de 43 registres de 23 pays européens. Ce réseau a été créé en 1979, quelques années après les premiers registres français. « L’un des reproches qui a pu être adressé au Remera, c’est qu’il transmettait ses données de manière agrégées. C’est-à-dire, pour chaque type de malformations le nombre d’individus atteints sans donner le détail pour chacun d’entre eux, quand les autres registres le faisaient de manière individuelle », explique Bérénice Doray.

Mais pourquoi avoir créé des registres spécifiques pour ces pathologies ? Leur mise en place remonte au moment où les autorités sanitaires enregistrent une augmentation du nombre de malformations dues à la thalidomide, un médicament sédatif prescrit aux femmes enceintes dans les années 1950 et 1960. Les données qu’ils récoltent, et en particulier celles du Remera, ont notamment permis la mise en évidence d’un autre scandale sanitaire : le lien entre la Dépakine, un traitement anti-épileptique, et le spina bifida une malformation de l’arrière de la colonne vertébrale chez le fœtus qui expose la moelle épinière. CQFD pour les responsables de registres : ils montrent leur efficacité et il faut élargir leur action.

Au quotidien, travailler pour un registre, « c’est un travail très prenant et pas toujours très gratifiant. Il faut rechercher dans des archives et les informations ne sont pas toujours correctement remplies », confie Dana Luiza Timbolschi, pédiatre, qui a participé au registre d’Alsace. Plus les données sont recoupées plus elles sont de qualité, mais il s’agit d’un travail de fourmi, pour lequel les registres ne sont pas toujours suffisamment pourvu en personnel. « Pour les 22 000 naissances annuelles en Alsace, je travaillais 25 % du temps pour le registre, Dana était à mi-temps et on avait une secrétaire à temps partiel, et c’était tout. Ça tient sur des bonnes volontés, » explique Bérénice Doray. À son départ pour la Réunion en 2013, personne ne s’est présenté pour la remplacer… et le registre d’Alsace a fermé après 30 ans d’activité !

Comment les registres sont-ils financés ? La plupart sont adossés à un CHU. Ils dépendent essentiellement de financements publics, subventions de l’Inserm et de la région qui accueille le registre. Certains postes sont soumis au renouvellement de ces financements. « Il y a des postes qui ne sont pas pérennes donc on a du mal à garder le personnel. Pour le registre de la Réunion, il y a une sage-femme enquêtrice qui est renouvelée tous les ans et qui n’a pas le même profil de carrière qu’une sage-femme classique », pointe Bérénice Doray. Ces contraintes expliquent dans une certaine mesure le faible nombre de registres créés en France.

La présence est clairement insuffisante, et certains spécialistes appellent à la création d’un registre national. Mais « ce serait extrêmement cher et logistiquement difficile à mettre en place, affirme Babak Khoshnood. Avec les moyens disponibles, je pense qu’il vaut mieux avoir des registres locaux qui fonctionnent plutôt qu’un registre national qui ne serait pas pérenne. »

Depuis le début de l’affaire des bébés sans bras, l’ouverture d’un registre en Nouvelle-Aquitaine a été évoquée par Santé publique France (SPF), l’organisme qui coordonne les six existants. Dans son point d’étape sur l’enquête nationale lancée en octobre dernier, SPF indique également sa volonté de créer une fédération nationale des registres ainsi qu’une base de données commune.

« Pour établir la prévalence d’une malformation au niveau national, cette couverture est suffisante », estime Bérénice Doray. Mais il y a un mais. « Pour produire des comparaisons entre régions et établir s’il y a des facteurs environnementaux qui entrent en compte ce n’est pas assez. Cette question des facteurs environnementaux est cruciale dans le cadre des bébés nés sans bras », remarque-t-elle.

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