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Academic All-Star Game, épisode VIII : Innovation financière et recherche en finance

Laurent Deville et Fabrice Riva. Capture d'écran.

Ce texte de Marine Stampfli et Louis Choisnet (élèves normaliens de l’ENS Paris-Saclay et étudiants en master Management stratégique de l’Université Paris-Saclay) est publié dans le cadre d’un partenariat entre The Conversation France et l’Academic All-Star Game, cycle de conférences débats organisés par les étudiants de licence économie-gestion de l’ENS Paris-Saclay et de la faculté Jean‑Monnet (droit, économie, gestion) de l’Université Paris-Sud. Ce cycle est soutenu par la MSH Paris-Saclay.


Programme complet de l’Academic All-Star Game.

La huitième conférence de l’Academic All-Star Game a pris place le jeudi 11 avril. À peine cet épisode clos que déjà nous voyons apparaître un brin de nostalgie à la sortie d’une salle à l’ambiance intacte.

Cet acte 8 du cycle de conférences a engagé un tournant radical dans les sujets traités. En effet, ce nouvel épisode a été porté par Laurent Deville et Fabrice Riva, tous deux chercheurs en finance. Jusque-là, aucun des invités n’avait traité de cette thématique.

Laurent Deville est professeur à l’EDHEC et chercheur au CNRS. Il est spécialiste de finance et des marchés financiers. Fabrice Riva est professeur à l’Université Paris-Dauphine et dirige actuellement le Master « Finance d’Entreprise et Ingénierie Financière ». Il est spécialiste des marchés financiers et de la modélisation financière.

Prenant notamment appui sur leurs travaux communs, Laurent Deville et Fabrice Riva ont donc décidé de nous éclairer sur les innovations financières et les enjeux liés à ces dernières. Mission difficile pour les deux chercheurs car à peine la conférence commencée qu’une question un brin « politique » était posée : « finalement, les marchés financiers sont-ils efficients ? ».

L’innovation financière : l’exemple des ETF

Le fil rouge de cette conférence fût les ETF : des raisons de leur apparition à leurs conséquences en passant par la recherche qui y est associée. En effet, ces derniers mettent en lumière bon nombre d’interrogations que les marchés financiers ont soulevé ces dernières décennies auprès du grand public, des régulateurs mais aussi dans une moindre mesure des chercheurs.

N’étant pas tous des aficionados de la finance, revenir sur ce que sont les ETF est une nécessité. Le terme d’abord : ETF, comprendre Exchange Traded Fund, qui se traduit en français par fond indiciel coté. Leur principe est simple, à comprendre tout du moins, puisqu’il s’agit de construire un fond d’investissement dont la valeur va tenter de répliquer celle d’un indice boursier préalablement choisi. Pour cela, le fond indiciel va en reproduire la composition. Fabrice Riva prend l’exemple d’un ETF qui voulant répliquer l’indice CAC 40 va acheter des titres de l’ensemble de 40 entreprises qui constituent cet indice. La grande différence avec un fond classique réside dans le fait qu’un ETF est lui-même coté.

Comme toute innovation, qu’elle soit financière ou non, les ETF sont une réponse à un besoin, issu des imperfections du marché : friction, manque de liquidité, incomplétude des instruments financiers… Ainsi la promesse des ETF est-elle, au-delà d’offrir aux investisseurs un placement liquide, de permettre d’acheter une part d’un fond relativement diversifié, et donc de détenir un titre dont le risque est plus ou moins égal au risque de marché. Reprenant l’exemple de CAC 40, Fabrice Riva résume : « en une seule action vous avez une exposition au risque égale à celle de CAC 40 ». Et ce à moindre frais, d’autant plus qu’il s’agit d’une gestion de portefeuille passive. Il faut par ailleurs noter que les frais de gestion des ETF sont relativement faibles puisque les gestionnaires de ces fonds se rémunèrent principalement via le prêt des titres qui constituent leurs fonds.

Les ETF sont le reflet, d’une certaine manière, de la complexification des instruments financiers. Apparus outre-Atlantique dans les années 1990 et introduit en Europe au début des années 2000, les ETF se sont davantage complexifiés avec le développement des ETF synthétiques. Cette fois pour répliquer un indice, le fond indiciel ne va pas chercher à en reproduire la constitution, mais va par un jeu d’assurance se couvrir sur l’écart, positif ou négatif, entre le rendement du fond réel et celui de l’indice.

Laurent Deville a fortement insisté sur l’absence de compréhension, de maîtrise des conséquences dues à l’introduction d’une innovation, notamment financière. Car si l’on sait pourquoi on introduit un changement, il reste difficile d’en prévoit pleinement la portée. Ainsi, prenant l’exemple des stratégies d’assurance de portefeuille développées dans les années 1980, il rappelle que celles-ci sont soupçonnées d’être en partie responsable de la crise de 1987.

Pour ce qui est des ETF, Fabrice Riva et Laurent Deville ont observé que les ETF, s’ils ont bien permis un gain d’efficience et une diminution des frictions pour leurs détenteurs, ont aussi provoqué une dégradation de la qualité de l’information des titres qui leurs sont sous-jacents, ainsi qu’une baisse de leur liquidité.

Se pose donc la question du rôle des régulateurs face aux innovations financières. Face aux risques qu’ils font planer, à tort ou à raison, les ETF synthétiques ont été interdits aux États-Unis en 2011, mais toujours pas en Europe. De manière globale, les régulateurs semblent être toujours à la traîne en ce qui concerne les innovations financières et leurs actions régulièrement contournées par de nouveaux instruments… Alors, à quoi bon ?

Publication… et manipulation ?

Après avoir présenté l’innovation financière via l’exemple des ETF, Laurent Deville et Fabrice Riva ont décidé de porter notre attention sur ce qu’est la recherche en finance.

Tout d’abord, Laurent Deville rappelle que faire de la recherche, notamment en finance, bien au-delà de l’objet d’étude, c’est faire porter l’attention sur les conséquences d’un phénomène. Toute la difficulté de la recherche s’inscrit donc dans l’étude de ces conséquences et plus exactement dans l’anticipation de ces dernières. Et en effet, il apparaît extrêmement compliqué de prévoir tous les effets et toutes les dérives émanant des innovations financières.

Le second point présenté par le chercheur, et que l’on a très souvent retrouvé tout au long de l’Academic All-Star Game, est celui de la transdisciplinarité. L’idée est toujours la même : faire de la recherche en gestion suppose d’opter pour un regard transdisciplinaire afin de tirer profit des apports d’autres sciences. Toutefois, cette fois-ci les chercheurs vont plus loin dans leur démarche.

En effet, au-delà de la pétition de principe selon laquelle il est important d’adopter une approche transdisciplinaire, Laurent Deville et Fabrice Riva ont par exemple mis en pratique ces recommandations en utilisant une méthode issue de la biologie : l’« accelerated failure time ». Laurent Deville a par ailleurs étudié les ETF d’un point de vue sociologique avec Mohamed Oubenal.

Enfin, les chercheurs ont souhaité nous indiquer que la recherche concernant les ETF n’avait rien d’évidente dans la communauté des chercheurs en finance. En effet, pour certains il ne s’agit pas d’une innovation financière : les ETF n’impliquent pas un changement de paradigme. Cela induit de fortes difficultés en ce qui concerne la publication d’articles sur les ETF.

Néanmoins, Laurent Deville et Fabrice Riva insistent sur le fait que l’étude des ETF engendre l’émergence de nouvelles approches et méthodologies ; nous pouvons alors nous demander si l’objectif de publication (induisant nécessairement la notion de création) inhérent au métier de chercheur ne peut pas conduire parfois à des formes de manipulation des objets de recherche afin d’en faire des sujets d’étude pertinents. Nous retrouvons donc ici une forme de performativité de la recherche en finance, telle qu’elle a pu être étudiée lors d’une précédente conférence

Redorer le blason de la finance

Après la logistique, l’idéologie néoclassique, les discours de stratégie ou encore l’intelligence économique, place a donc été donnée à la finance, un pan des sciences de gestion quasiment absent de ces conférences jusqu’alors. Un point intéressant y a été soulevé : l’éthique des innovations financières, dont les ETF. Ce qui ne manque pas d’être un enjeu majeur dans l’acceptation du système financier par le grand public et les questions posées aux intervenant s’en sont faites l’écho.

Cette question semble parfois se résumer à un simple calcul coûts/avantages pour le système financier : est éthique, en finance, ce qui permet globalement d’améliorer l’allocation des ressources. En toute naïveté peut-être, on peut alors se demander si l’éthique ne serait pas justement une invitation à sortir des modèles de maximisation purement économique puisque, par essence, elle n’est pas mathématisable, ni même quantifiable…

« L’éthique » ce n’est pas « le mieux », ni même « le bien », c’est finalement définir une grille de lecture pour analyser une action. Introduire l’éthique en finance conduirait alors à s’interroger moins sur les stricts bénéfices en termes d’allocation des ressources que sur une meilleure compréhension du rôle de la finance. Cela reviendrait potentiellement à redéfinir son rôle et donc à changer de modèle mental, comme diraient peut-être certains autres intervenants de cet Academic-All Star Game…

Le débat est donc ouvert… Qu’il aurait été passionnant qu’il se poursuive avec une rencontre, en direct, de l’ensemble des intervenants !


À visionner, l’intégralité de l’épisode 8 de l’Academic All-Star Game avec Laurent Deville et Fabrice Riva.

À voir également, l’interview de Laurent Deville et Fabrice Riva.

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