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Accès à l’université et financement de l’enseignement supérieur et de la recherche : que faire ? (épisode 2)

Manifestation étudiante (2007) °]° via Visualhunt , CC BY-NC-ND

Deuxième épisode sur quatre de l’état des lieux et propositions sur l’université en particulier, et l’enseignement supérieur et la recherche en général. (Retrouvez le premier épisode.)

Je propose quelques faits et constats, avec une approche aussi objective et pédagogique que possible, qui sont à l’origine des débats actuels sur l’enseignement supérieur et l’université. Constats concernant l’université.

Financement de la partie enseignement supérieur

Environ 1,5 % du PIB selon l’OCDE (repris par le ministère) est consacré à l’enseignement supérieur en France, proche de la moyenne de l’OCDE.

Le budget d’une université est typiquement abondé à 80 % par l’État, et à 20 % par d’autres sources (contrats de recherche, formation continue, partenariats, collectivités territoriales, Europe, etc.). La dépense principale d’une université concerne sa masse salariale, de l’ordre de 70 % ou plus.

Le budget français dédié à l’enseignement supérieur est de l’ordre de 30 milliards d’euros par an. Pour donner une comparaison, cette somme équivaut à environ 1.04 fois le coût du CICE, ou équivaut à 2,5 points de CSG (sachant que son augmentation de 1,7 point rapportant 20 milliards est en discussion) ou six fois ce que rapporte l’ISF, ou encore 5,5 fois le montant du CIR (Crédit impot recherche). Vu l’importance de l’enseignement supérieur pour la société, son coût demeure abordable et comparable à d’autres dépenses publiques.

Dépense par étudiant en France en fonction du niveau et du type d’établissement. Figure 1 de Berné et Métivier, 2015/2017 : source : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01520905

Dans un très documenté et court rapport, O. Berné & F. Métivier étudient les inégalités de financement de l’enseignement en France. L’une des figures remarquables est la suivante : le budget moyen par étudiant selon le niveau et le type d’établissement. Il apparaît clairement que l’université est très largement sous-dotée par rapport aux CPGE ou aux grandes écoles, alors qu’elle accueille la majorité des étudiants. Il est alors facile (ou malhonnête) d’accabler l’université de dysfonctionnements par rapport, par exemple, aux grandes écoles.

Enfin, comme le rappelle M. Deneken, le président de l’université de Strasbourg, l’université, “sans être sélective, accueille et forme à l’excellence, dans des ratios budgétaires incomparables”.

Démographie étudiante

Entre 1980 et 2015, la dépense “au profit du supérieur a été multipliée par 2,6 en euros constants ; malgré cette forte augmentation, la dépense moyenne par étudiant n’a augmenté que de 40 % en raison du doublement des effectifs” selon le rapport ESR 2017.

Si cette forte hausse du nombre d’étudiants en cours et prévue est une bonne nouvelle pour notre société – qui voit ainsi de nombreux citoyens accéder à qualifications du supérieur très recherchées sur le marché de l’emploi de l’économie traditionnelle et de la nouvelle économie – elle pose néanmoins des problèmes critiques aux universités dont les manques de moyens ne permettent pas ou peu d’absorber ce flux de nouveaux étudiants dans de bonnes conditions, malgré une rallonge budgétaire en 2017. Ce flux d’étudiants correspond à l’équivalent d’une dizaine d’universités de taille moyenne d’ici 2025, c.-à-d. demain.

Nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur depuis 1960 (en milliers). Tableau 09.01 : ESR 2017 : https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/10/EESR10_ES_09-les_etudiants_dans_les_filieres_de_formation_depuis_50_ans.php

Filières en tension

Trop de demandes par rapport au nombre de places disponibles, ces filières sont victimes de leur succès : droit, psychologie, STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives), sociologie, médecine (PACES, première année commune aux études de santé).

Il faut savoir qu’une filière ne se résume pas à « un amphi, quelques salles de TD et des enseignants-chercheurs ». Outre des aspects immobiliers – il faut bien des amphis et salles de TD et/ou TP pour accueillir convenablement les étudiants – l’enseignement supérieur requiert un nombre d’enseignants-chercheurs qualifiés et reconnus internationalement ainsi que des personnels administratifs et techniques expérimentés (essayez de gérer une petite filière de plusieurs centaines d’étudiants sur votre temps libre, vous comprendrez vite : il faut plus d’1 ETPT). Ces filières en tension ont des limitations d’accueil car il y a inadéquation entre le nombre d’enseignants-chercheurs (qui pourtant se donnent beaucoup et dépassent leurs quotas d’heures à enseigner) et le nombre d’étudiants ou, ce qui est lié, inadéquation avec le nombre de dispositifs techniques nécessaires.

Une posture martiale visant à vouloir augmenter les capacités d’accueil d’un coup est insuffisante : recruter les enseignants-chercheurs ou les ingénieurs, techniciens et administratifs, ou construire des amphis ou salles de TD ou de TP avec équipements est un processus long et réfléchi, et qui demande des moyens. Même si l’ESR (Enseignement Supérieur et recherche) fait appel, souvent au-delà du raisonnable, aux emplois précaires (CDD administratifs ou techniques, ATER par exemple) pour pallier une partie des besoins.

Sélection des étudiants à l’entrée de l’université

La sélection n’existe en principe pas en premier cycle universitaire une fois le baccalauréat (ou équivalent) obtenu (article L711-1) – sauf cas particulier.

Le ministère utilise depuis plusieurs années le tirage au sort pour sélectionner les étudiants dans les filières en tension, ce contre quoi la communauté s’inscrit logiquement en faux. La CPU rappelle son opposition au tirage au sort, et la ministre F. Vidal évoque, enfin, sa suppression. Mais comment résoudre cet épineux problème ? Se pose alors la question de la sélection ou, mieux, de l’orientation des étudiants à l’entrée du premier cycle universitaire.

Récemment, F. Dardel, président de l’université Paris-Descartes, résumait la manière dont nos voisins européens sélectionnent ou orientent leurs étudiants. Bien menée, elle oublie cependant que l’université française cohabite avec les CPGE et les grandes écoles, système quasi inexistant à l’étranger. L’ignorer peut aboutir à un résultat biaisé et marquant que l’on connaît : le taux d’échec très élevé en licence française contraste avec les autres pays, dont l’accès au supérieur n’est pas le même, ainsi que la parité des étudiants.

Cependant, cette étude met en lumière des pistes très intéressantes concernant l’orientation. Ce débat houleux suscite logiquement l’ire des syndicats étudiants comme la FAGE et l’UNEF.

Je tiens à préciser qu’une grande (la majorité ?) partie des universitaires (dont l’auteur) reste très attachée à l’accueil de tous les étudiants – sélection, orientation ou pas. Ainsi, le débat de la sélection à l’entrée de l’université s’entend, dans cet article, comme : comment accepter tous les étudiants, mais en améliorant le taux de réussite : dans ce cadre, la sélection/orientation peut-elle être un levier parmi d’autres ?

L’accès à l’université est-il un parcours d’obstacles ? (Toulouse Mirail). Frank Taillandier/Visual Hunt, CC BY-NC-ND

Échec en Licence

Le taux de réussite de la Licence en trois ans est scandaleusement faible : 27 %. Ce chiffre peut se comprendre en réalisant que, en moyenne, environ 65 % des étudiants réussissent leurs examens chaque année. Cela aboutit mécaniquement à environ 27 % de réussite sur trois ans (0,653 = 0,27 soit 27 %), même si le réalité est bien plus complexe que ce simple modèle.

Les enseignants-chercheurs qui côtoient, comme moi, les étudiants de L1 le savent bien : une partie des étudiants s’évapore vite dès le début du premier semestre (littéralement : on ne les voit pas ou plus après une ou deux séances), une partie demeure mais ne s’accroche pas assez, une autre partie s’accroche mais n’obtient pas des résultats satisfaisants, et enfin une partie réussit convenablement.

Ce sont des jeunes citoyens qui composent les rangs des deux tiers d’étudiants qui échouent. Statistiquement issus plutôt des catégories les moins favorisées on l’a vu, ils n’ont pas toujours obtenu et acquis les codes et méthodologies au lycée pour s’adapter au supérieur. Ils travaillent mais échouent assez vite et se découragent – malgré les petits groupes, l’accompagnement, le tutorat et autres dispositifs équivalents souvent mis en place par leurs établissements. Par ailleurs, nombre d’entre aux doivent avoir une activité salariée pour financer leur logement. Certains étudiants de bonne volonté cumulent alors les difficultés d’ordre extra-universitaire (malgré les aides), alors que l’accès à l’université est l’aboutissement d’une éducation pour une partie des familles ; il est alors cruel et dramatique d’échouer sur cette marche.

Ne sous-estimons pas les drames personnels : l’échec d’un étudiant à l’université est grave pour toute la société. D’abord pour l’étudiant lui-même, car dans sa construction sociale, professionnelle en devenir, et personnelle, c’est une cassure qui s’opère et qui peut être longue à réparer malgré les joies et l’ouverture intellectuelle rencontrées à l’université. Pour l’université ensuite, car ce sont des ressources humaines très qualifiées qui sont déployées et des moyens qui sont mobilisés sans résultat net (alors qu’un étudiant ne constitue pas seulement un coût, mais bien un apport à la société). Pour la société enfin, qui accepte (et se résigne, abdique ? face à) ce gâchis dans un contexte de sous-financement des universités.

Au-delà des chiffres, ces étudiants ont des parcours personnels riches, et ont beaucoup à apporter à notre société – pourtant avide d’innovations, de créativité, de ruptures, d’idées novatrices, d’influences multiculturelles – mais qui reproduit ses élites comme au XIXe siècle.

Frais d’inscription à l’université

Ils sont parmi les plus bas du monde (et coûtent moins cher mensuellement qu’un forfait Navigo de transports en commun en Île-de-France). Pourquoi ne pas les augmenter afin de rendre viable le modèle de financement des universités, en manque cruel de moyens comme on l’a vu ? Cette question importante mérite d’être posée.

Pour y répondre, il faudra cependant, au-delà des postures idéologiques, prendre en compte la sociologie des étudiants qui seront touchés, ainsi qu’examiner les exemples à l’étranger (en n’omettant pas les biais des modes de financement différents des établissements), ce qu’ont fait les rapport STRANES de l’OCDE, ou de manière complète mes collègues D. Flacher, H. Harari-Kermadec, et L. Moulin. Certaines de ces études prennent en compte la difficulté de l’accès au crédit, le désengagement des États suite au relèvement des frais d’inscription. On le voit, le sujet est très complexe et ne traite qu’une petite partie du problème de l’accès à l’université et du financement pérenne de l’ESR.

Dualité universités – CPGE/grandes écoles

Les CPGE et l’université se partagent l’essentiel de l’accès au premier cycle pour les filières longues. Cette spécificité française engendre un biais sociologique et de niveau scolaire assez important, puisque les classes prépapartoires, sélectives, attirent en proportion une majorité de bons élèves.

Au contraire des autres pays, l’université française est souvent perçue par les familles comme un second choix. Heureusement, de nombreuses passerelles ou équivalences existent dans les deux sens, favorisant la perméabilité des filières CPGE/ingénieur et universitaires. Citons les exemples : 1) les magistères universitaires très prisés et dans lesquels s’inscrit parfois une écrasante majorité d’anciens élèves de CPGE ; 2) les écoles d’ingénieur universitaires Polytech avec prépas intégrées, sélectives et prisées ; 3) les admissions parallèles des grandes écoles sur dossier pour les étudiants universitaires titulaires de DUT, licence ou M1. Notre système gagnerait à faciliter et généraliser ces passerelles.

Science et société

Je dépasse ici le cadre strictement universitaire pour élargir vers tout l’ESR et aborder le sujet de la relation – parfois tumultueuse – de la science et de la société : le grand public, les jeunes, mais aussi les décideurs, les médias, les politiques, les entrepreneurs, etc. Des « fake news » à l’éclipse de soleil annulée à l’école, nous assistons à une défiance d’une partie des citoyens envers la science. La confusion est entretenue par des actions publiques ou privées sur des sujets importants (nucléaire, OGM, pesticides, perturbateurs endocriniens, cancer, amiante, algues vertes, œufs contaminés, grippe aviaire, médicaments dangereux mis sur le marché, etc.) qui mélangent choix politiques et causes technologiques ou développements scientifiques. La science (toute la science : sciences humaines et sociales et sciences dures) n’est ni bonne ni mauvaise en soi. Ce sont les (non-)choix éthiques et politiques qui donnent à une découverte ou une technologie une utilité sociale ou la transforment en danger public.

Pourtant de nombreuses actions existent et peuvent prendre différentes formes, des célébrissimes Fête de la Science ou Nuit des Étoiles, à des performances arts et sciences, des café-débats comme Pint of Science“ ou TEDx ou encore sous forme papier ou électronique (chaînes vidéo YouTube, podcasts, sites web – comme celui-ci ! – blogs, réseaux sociaux, etc.). On remarquera cependant un manque de recul critique et un grand illettrisme scientifique parmi la population – et en particulier au sein de la classe politique. Le 21 février 2017, l’Assemblée nationale votait une bienvenue résolution sur les sciences et le progrès dans la République. Avec la SNCSTI, cette résolution est de nature à réconcilier les citoyens avec la science en général, enjeu important (y compris donc pour les acteurs de l’ESR), mais de nombreux progrès restent à faire pour promouvoir l’esprit critique, la démarche scientifique, la joie de la curiosité et de l’inconnu, bref le « bon sens » de Descartes. À ce sujet, je ne résiste pas au plaisir de citer le très regretté Umberto Eco :

« Contrairement à ce que disait Descartes, la chose du monde la mieux partagée, ce n’est pas le bon sens, mais la bétise : car chacun pense en être si bien dépourvu que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer moins qu’ils en ont. »

Autres problématiques

Parmi d’autres problématiques dans d’enseignement supérieur et la recherche, citons : la charge de travail croissante et peu supportable pour les équipes scientifiques et administratives concernant l’inflation des guichets de demandes de financements (dont le faible taux de succès de l’ANR, parfois tourné en dérision, ou le discuté Crédit impôt recherche CIR), les complications sans fin pour engager des collègues en CDD quand on en a la possibilité, les locaux souvent dégradés et les charges immobilières contraignantes, des politiques RH souvent bloquées (en particulier par le GVT) avec le recours à de nombreux contractuels faisant de fait du travail récurrent normalement dévolu à des personnels permanents dont les « postes » n’existent pas ou plus, les faibles perspectives d’évolution de carrière des personnels et les faibles ouvertures de recrutements, les regroupements d’établissements dans des COMUE ou autres grandes structures toujours questionnés, en plus des problématiques spécifiques à l’autonomie des établissements sans les moyens associés, et à l’attractivité sur la scène internationale. Le bilan de la LRU est également débattu.

Ces points ne seront pas abordés ici, mais indiquons que les établissements et organismes sont sensibles à ces aspects et tentent – arrivent même parfois – à mettre en place des politiques de rétablissement ou d’évolution de la situation vers un état plus sain et plus serein.

Spécialisation de la science française par rapport aux USA, à la Chine et au Japon. La France excelle notamment en mathématiques, sciences de l’univers, et biologie. ESR 2017 : Figure 46.02 : https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/10/EESR10_R_46-le_profil_scientifique_de_la_france_a_travers_ses_publications.php

Terminons ce tableau par une note plus positive : les moyens de la recherche sont souvent préservés ou reconfigurés de sorte à permettre des avancées scientifiques constantes dans des conditions acceptables pour l’essentiel. (Avant de m’attirer les foudres des collègues en colère sur ce dernier point, je signale qu’effectivement en matière de recherche, la France est, comme pour l’enseignement supérieur, en mode de sous-investissement criant, en témoigne par exemple la comparaison avec les autres pays de l’OCDE).


Je passerai en revue dans l’épisode 3 l’essentiel des propositions communément discutées pour faire face à ces constats, avant de formuler (épisode 4) des propositions.

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