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Adolescentes : être populaire sans se faire traiter de « pute » ?

Adolescentes. Photo by Cristina Gottardi on Unsplash, CC BY-SA

A l’adolescence, la reconnaissance des autres, et plus spécifiquement des pairs, est particulièrement importante parce que les jeunes construisent leur identité d’adulte et veulent être reconnu·e·s comme tel, notamment sur le plan sexuel. C’est notamment la période où les jeunes commencent à expérimenter l’intimité, la liberté de choix et la sexualité. Pouvoir choisir ses amis, ses amies et ses amours, à la différence de la famille, est un acte d’autonomisation que les jeunes valorisent.

Ils et elles peuvent choisir avec qui partager leur intimité et à quel degré. Ce, d’autant plus que le fait de pouvoir montrer qu’on partage des expériences intimes avec des amis et des amies ou des amoureux et amoureuses permet de gagner du prestige social au sein du groupe de pairs.

Une recherche menée en Suisse auprès de jeunes femmes et hommes âgés de 14 à 25 ans (www.sexe-et-toi.ch) montre que cette quête de reconnaissance peut amener certains et certaines jeunes à s’engager dans des transactions sexuelles, c’est-à-dire, des expériences d’ordre sexuel associées à un échange financier, matériel et/ou symbolique. Il peut s’agir, par exemple, d’expériences sexuelles en échange d’un verre ou d’argent, d’être accepté·e dans un groupe ou encore l’échange de photos érotiques.

Un documentaire diffusé sur France 5 (Jeunesse à vendre, Alexis Marant, 2018) traite de la prostitution des adolescentes.

Une jeunesse pas aussi « débridée » que cela

Loin de banaliser la question des échanges associés à la sexualité, les jeunes rencontré·e·s se réfèrent à la prostitution, et notamment à la figure de la « pute », principalement pour s’en distinguer ou blâmer les comportements qu’ils/elles associent à cette figure. Ils et elles accordent beaucoup d’importance à une entrée progressive dans la sexualité, au choix du/de la bonne partenaire, et valorisent surtout le plaisir, les sentiments et les émotions dans leurs expériences sexuelles.

Si, par le passé, on attendait des jeunes qu’ils et elles n’aient pas de sexualité avant leur entrée dans la vie adulte, aujourd’hui l’adolescence est perçue comme une période de préparation et d’apprentissage de la sexualité. Leur socialisation sexuelle passe donc davantage par l’expérimentation, mais elle n’est pas aussi « débridée » que certains discours adultes le laissent entendre, comme le montre également d’autres enquêtes.

En outre, les résultats de notre recherche montrent qu’il faut distinguer les transactions sexuelles de la prostitution, celle-ci ne concernant qu’une minorité de jeunes. En effet, seuls 6 jeunes sur les 37 interrogé·e·s étaient concerné·e·s et les partenaires étaient toujours des hommes plus âgés, voire beaucoup plus âgés.

Il serait donc réducteur de qualifier de prostitution l’ensemble des expériences de transactions sexuelles relatées par les jeunes car ces dernières renvoient à un processus dynamique qui implique différentes formes de négociation.

Pas forcément de la prostitution

Dans la plupart des cas, ces négociations s’inscrivent dans le cadre de la socialisation sexuelle, répondant notamment à des logiques de redevabilité et/ou de reconnaissance affective et sociale. Ces expériences peuvent contribuer à la construction identitaire associée à la transition vers l’âge adulte. S’échanger des photos intimes peut par exemple contribuer à sceller la confiance au sein du couple. Se montrer torse nu sur des « chatrooms » peut permettre de se confirmer, à soi et aux autres, qu’on peut plaire.

Capture d’écran du forum Public Ado. Comme souhaité, le jeune homme a reçu des dizaines de commentaires sur son physique. Public Ado

Pouvoir montrer qu’on a un/une amoureux·se peut permettre de gagner en popularité auprès de ses pairs et d’affirmer une position d’adulte.

Ainsi, le fait qu’il y ait des dynamiques d’échange liées à la sexualité n’est pas problématique en soi. Lorsqu’il s’inscrit dans un engagement libre, l’échange peut notamment contribuer à des formes de reconnaissance qui favorisent la socialisation sexuelle et affective. L’enquête révèle toutefois que dans certaines expériences, l’engagement des jeunes est davantage marqué par la contrainte que par la liberté.

Par exemple, lorsqu’une jeune femme accepte des pratiques sexuelles non-souhaitées dans l’espoir d’obtenir l’amour de son partenaire. Ou lorsqu’une autre se sent obligée d’accepter les avances sexuelles d’un ami qui lui a proposé de l’héberger pour une nuit. Ainsi, il ne s’agit pas de nier que certaines transactions sexuelles peuvent s’inscrire dans des logiques de domination, voire d’abus et ces cas requièrent une intervention de la part des adultes.

Les inégalités de genre encore très présentes

Nos résultats révèlent par ailleurs que cette quête de reconnaissance est soumise à des normes strictes de comportement qui s’inscrivent dans un « ordre hétérosexuel » qui agit de façon plus contraignante pour les filles que pour les garçons, en tout cas au sein des relations hétérosexuelles.

Pour les garçons, du moins pour ceux qui s’inscrivent dans des relations hétérosexuelles, l’injonction d’expérimenter et de valoriser ses performances sexuelles et ses expériences intimes pour obtenir la reconnaissance des pairs est relativement cohérente avec les attentes sociales adressées au genre masculin en matière de sexualité.

Au contraire, les filles sont soumises à une injonction paradoxale : pour être reconnues comme des « grandes », elles doivent, comme les garçons, faire la preuve de leur capacité à expérimenter des expériences intimes et à développer des compétences affectives et sexuelles.

Mais si elles adoptent des comportements trop insouciants et marqués par la liberté d’expérimenter indépendamment des sentiments, elles courent le risque d’être sanctionnées par le stigmate de la « pute ». En effet, on attend des filles que leur sexualité se développe au sein d’une relation amoureuse et qu’elles se montrent responsables.

Le stigmate de la « pute » comme moyen de contrôle

Toutefois, les expériences relatées par les jeunes montrent que l’attribution de ce stigmate n’est pas uniquement liée à des pratiques concrètes (par exemple, l’habillement, un comportement considéré comme aguicheur ou des pratiques sexuelles précoces). En effet, si certaines filles se sont vues traitées de « pute » pour avoir accepté des propositions de transactions sexuelles (par exemple, le fait de faire une fellation à un garçon dans les toilettes de l’école), d’autres ont reçu le même traitement pour avoir refusé les avances d’un homme.

Ainsi, plutôt que d’être associée à des comportements individuels, la réputation de « pute » doit être comprise comme un mécanisme social, une « police du genre », qui vise à dissuader les jeunes femmes d’agir de façon différente de ce qui est attendu d’elles.

Extrait du film Les mauvaises fréquentations (1999) de Jean‑Pierre Améris, Olivia est prête à tout, même à des transactions sexuelles pour aider son amoureux.

« Tu couches avec qui tu veux, quand tu veux, tu t’en bats les couilles »

Face à ces injonctions, les filles adoptent différentes stratégies, qui peuvent contribuer au renforcement de l’« ordre hétérosexuel », mais qui peuvent aussi comporter un caractère subversif, comme par exemple le fait d’adopter un langage et des comportements masculins, à l’image de cette jeune fille qui dit que, pour elle, la sexualité c’est :

« tu couches avec qui tu veux, quand tu veux, tu t’en bats les couilles ».

Or, la peur de la stigmatisation, la honte et la culpabilité ont amené plusieurs jeunes, garçons et filles, à garder ces expériences secrètes. Ainsi, lorsque ces expériences ont été vécues de manière problématique, ce n’est pas en raison d’une banalisation de la part des jeunes, mais plutôt d’une peur d’en parler, avec parfois des conséquences désastreuses sur le plan psychologique et social.

Ces résultats invitent à remettre en question les mesures qui visent à contrôler le comportement sexuel des jeunes, que ce soit par la morale, des formes de prévention « hygiénistes » ou encore le durcissement des dispositifs légaux. Ils incitent plutôt à renverser la perspective.

Ainsi aux adultes de réagir aux blagues ou insultes sexistes, de favoriser une diversité de façons de vivre sa vie affective et sexuelle tout en étant attentif·ve aux besoins exprimés par les jeunes, indépendamment de leur sexe et de leur genre, de véhiculer des discours médiatiques nuancés concernant les relations et la sexualité des jeunes, les identités de genre et les orientations sexuelles. Ou encore de valoriser des modèles adultes qui rendent compte d’une diversité de manières d’incarner les identités de genre et de vivre sa vie sexuelle et affective.

Peut-être que plus de films tels que ‘Love, Simon’ de Greg Berlanti (2018) qui aborde les amours homosexuelles et le harcèlement à l’école, permettraient de véhiculer des messages de tolérance et diversité.

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