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Affaire Djokovic : retour sur une crise en quatre actes

Un passant devant une fresque murale représentant le tennisman serbe, à Belgrade. Andrej Isakovic / AFP

L’Open d’Australie vient de s’achever avec le 21e titre en Grand Chelem de l’Espagnol Rafael Nadal, qui devient le joueur le plus titré de l’histoire à ce jour dans les tournois majeurs. Pourtant, cette édition 2022 restera également marquée par l’affaire Djokovic.

Avant le début de la quinzaine australienne, le monde du tennis se réjouissait de se retrouver à Melbourne pour lancer la saison. Si l’Open d’Australie 2021 avait été marqué par de nombreux matchs joués à huis clos, l’édition 2022 annonçait une jauge à 50 % de spectateurs. De quoi ravir les fans de tennis et les joueurs eux-mêmes, heureux de rejouer devant un public. Toutefois, la fête a été gâchée avant même que le tournoi ne débute. La raison ? L’expulsion du numéro 1 mondial, le Serbe Novak Djokovic.

Si une crise, par essence, plonge ses protagonistes dans une zone de perturbation, elle se compose de phases distinctives qui permettent d’éclairer ce qui est devenu aujourd’hui l’affaire Djokovic. Reprenons chacune de ces phases afin de comprendre comment cette situation aurait pu être gérée bien différemment.

Premiers signaux

La première des phases est appelée « phase de gestation ». Lors de cette période se déroulant avant l’éclatement de la crise, des éléments peuvent apparaître comme autant de symptômes d’une maladie. Il convient donc à tout gestionnaire de les identifier avant que ne survienne une crise majeure.

L’exemple de la restauration est assez représentatif. Si un établissement se laisse aller sur ses conditions d’hygiène, il est fort probable que certains clients souffrent d’intoxications alimentaires. Malheureusement, il se peut aussi que l’un de ses clients en décède. L’inaction conduit dans ce cas à un drame (phase aiguë) alors que le gestionnaire savait comment agir pour éviter ce drame (phase de gestation).

Manifestation de soutien à Novak Djokovic de supporters serbes à Melbourne, le 6 janvier 2022, après que l’Australie a déclaré avoir annulé le visa d’entrée du joueur. William West/AFP

Dans l’affaire qui nous intéresse, les signaux d’alerte ne manquaient pas. Novak Djokovic n’a jamais caché le rapport particulier qu’il entretenait avec son corps. Pour le tennisman, son corps n’est pas seulement un instrument de travail, il s’agit d’un temple, d’un lieu qu’il a sanctuarisé. Sa défiance vis-à-vis du corps médical n’est pas récente. Dans sa jeunesse, les médecins n’avaient pas réussi à diagnostiquer que la cause de certains de ces maux était liée à son intolérance au gluten. Ce qu’il a perçu comme un échec de la science a façonné l’homme qu’il est aujourd’hui.

Un autre élément aurait dû conduire les organisateurs à une grande vigilance : ses nombreux propos au sujet de la vaccination et son refus obstiné de se faire injecter une dose contre la Covid-19. Il était donc certain que le joueur serbe, au regard de ses déclarations ou de ses silences sur son statut vaccinal, allait s’appuyer sur l’un de motifs d’exemption envisagés par le tournoi.

Enfin, comment oublier le fiasco de l’Adria Tour ? Cette compétition, organisée en 2020 dans les Balkans par Novak Djokovic avec les meilleurs joueurs mondiaux, s’était transformée en un cluster géant. Tout semblait écrit à l’avance…

Diffusion massive

La « phase aiguë » correspond donc à l’apparition de la crise. Cette étape se caractérise par une pression médiatique forte : le journaliste investigue, recherche les causes de la situation et, dans un monde hyperconnecté, la diffusion de l’information devient massive. Cette phase correspond également à un traitement de l’information focalisé sur la crise en tant que telle. Cette concentration pourrait être comparée à l’effet d’une loupe : l’analyse est réalisée sur un point précis et a tendance à éluder, parfois, d’autres raisons pouvant expliquer la crise.

Dans le cas de Novak Djokovic, la phase aiguë correspond à la période de sa mise en rétention (le 5 janvier 2022) à son départ du territoire australien (le 16 janvier 2022). Lors de ces 12 jours, la pression médiatique sera des plus fortes : qu’il s’agisse de journalistes relayant tous les éléments en lien avec l’affaire, de joueurs professionnels donnant leur opinion ou de politiciens se positionnant sur la situation du Serbe, tous vont focaliser l’attention sur les moindres faits et gestes du numéro 1 mondial. Durant cette période, une seule stratégie semble payer : humilité et transparence.

Il convient ici de rappeler que Novak Djokovic n’a pas été le seul à avoir dû renoncer au tournoi australien pour non-respect des conditions sanitaires, mais il était le plus connu et a été certainement une sorte de paratonnerre pour les autres joueurs moins connus. Rappelons-nous du « horsegate » qui a touché l’entreprise agroalimentaire Findus, en 2013, après des révélations sur la présence de viande de cheval dans ses produits : cette dernière n’était pas la seule à avoir été impactée par cette crise mais elle était la plus connue. Elle a donc porté seule le poids des évènements, car il était plus simple médiatiquement de parler d’une marque connue de tous que d’une entreprise bien plus obscure.

Cicatrisation

À ce jour, nous rentrons dans une « phase chronique » : l’affaire s’éloigne dans le temps, mais toute nouvelle information peut conduire à refocaliser l’attention des médias. Loin de la question du « jouera/jouera pas », les éléments chroniques nous offrent un autre éclairage sur la crise. Certes, la fédération australienne aurait pu travailler en amont de l’affaire mais nous apprenons comment l’application de normes sanitaires était devenue complexe, les règles changeant régulièrement. Cette question a fait l’objet de recherches soulignant la nécessité d’avoir des principes clairs en stratégie organisationnelle.

Cette phase demeure des plus délicates car les crises dépassent les frontières et se répandent à une vitesse jamais connue. L’affaire Djokovic en est assez emblématique : l’exclusion d’un joueur de tennis en pleine crise sanitaire le porte à la fois comme le héros sacrifié d’une nation, le symbole de protocoles fragiles voire d’égérie antivax. La crise s’étend bien au-delà de son point d’origine. Dans cette phase, les raisons ayant conduit à la crise deviennent moins manichéennes.

Ce que cette crise nous apprend est qu’il faut être vigilant dans le cadre d’accusations. Certes, Novak Djokovic ne souhaitait pas être vacciné mais il faut certainement regarder du côté de l’organisation du tournoi qui semble avoir perdu pied sur les motifs d’exemption à une injection.L’afflux des prises de paroles sur les évolutions sanitaires a conduit à une incompréhension progressive sur ce qui était autorisé ou non.

Enfin, la phase dite de « cicatrisation » vise à dresser le bilan de la crise et d’en tirer des enseignements pour l’avenir. Il apparaît donc que cette période va conduire l’ATP à produire des règles claires, duplicables pour éviter que d’autres affaires similaires ne surviennent. Déjà, des interrogations émergent quant à la participation de Novak Djokovic au prochain tournoi de Roland-Garros, qui débute en mai prochain.

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