tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/conflit-24212/articlesconflit – The Conversation2024-03-26T19:07:57Ztag:theconversation.com,2011:article/2266662024-03-26T19:07:57Z2024-03-26T19:07:57ZL’attaque de l’État islamique (EI-K) à Moscou risque d’aggraver la guerre entre la Russie et l’Ukraine<p>Un concert de musique dans la banlieue de Moscou a été le théâtre d’une attaque terroriste sanglante le 22 mars, lorsque des hommes équipés d’armes automatiques et de cocktails Molotov <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8913079/attentat-moscou-au-moins-143-morts-et-182-blesses">ont tué plus de 140 personnes</a> et en ont blessé des dizaines d’autres. </p>
<p>Immédiatement après l’attentat, des spéculations sont apparues pour déterminer qui étaient les responsables.</p>
<p>Bien que l’Ukraine ait rapidement <a href="https://www.lesoir.be/576371/article/2024-03-22/une-attaque-moscou-fait-au-moins-40-morts-lukraine-nie-toute-implication">nié toute implication</a>, le président russe <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240323-attentat-de-moscou-poutine-%C3%A9voque-l-ukraine-qui-r%C3%A9fute-tout-r%C3%B4le-dans-la-tuerie-revendiqu%C3%A9e-par-l-ei">Vladimir Poutine a fait une brève déclaration télévisée</a> à sa nation pour suggérer, sans preuve, que l’Ukraine était prête à aider les terroristes à s’échapper.</p>
<p>Cependant, l’État islamique et plus particulièrement sa filiale afghane État islamique-Khorasan, EI-K, a par la suite <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y1kuQ7aK8zY">revendiqué la responsabilité de l’attaque</a>.</p>
<p>La Russie <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240325-attentat-de-moscou-poutine-impute-l-attaque-%C3%A0-des-islamistes-radicaux-mais-pointe-toujours-l-ukraine">a fini par reconnaître l’implication d’islamistes radicaux dans l’attentat</a>, mais Vladimir Poutine pointe toujours l’Ukraine comme « commanditaire » du massacre. </p>
<p>Mais indépendamment de l’identité des terroristes, l’attentat de Moscou met en évidence deux problèmes majeurs.</p>
<p>Premièrement, les organisations terroristes — c’est-à-dire celles qui recourent à la violence à des fins politiques sans l’appui spécifique d’un gouvernement — peuvent utiliser des conflits préexistants et l’attention médiatique qui en résulte pour promouvoir leurs intérêts. Deuxièmement, les actions de ces organisations peuvent exacerber les conflits en cours.</p>
<h2>L’utilisation d’entités paramilitaires infra-étatiques</h2>
<p>De nombreux pays jugent utile d’employer des entités infra-étatiques et des paramilitaires pour atteindre leurs objectifs. <a href="https://theconversation.com/paramilitaries-in-the-russia-ukraine-war-could-escalate-and-expand-the-conflict-206441">La Russie et l’Ukraine ont eu recours et continuent d’avoir recours à de tels groupes</a> pour mener des actions que leurs soldats ne sont pas en mesure d’exécuter.</p>
<p>Si l’utilisation de ces forces présente certains <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781003193227/serbian-paramilitaries-breakup-yugoslavia-iva-vuku%C5%A1i%C4%87">avantages pour un pays</a>, elle est en même temps problématique parce qu’elle conduit à se demander qui sont réellement derrière les actes.</p>
<p>Les attaques menées au début de l’année par des groupes houthis basés au Yémen contre des navires en mer Rouge en sont un exemple. Les Houthis sont <a href="https://www.cfr.org/in-brief/irans-support-houthis-what-know">généralement considérés</a> comme un groupe mandataire de l’Iran. Même s’il existe des liens étroits entre les deux, les Houthis <a href="https://theconversation.com/yemens-houthis-and-why-theyre-not-simply-a-proxy-of-iran-123708">ne sont pas contrôlés par l’Iran</a>. Supposer que l’Iran est directement à l’origine de l’attaque contre les navires de la mer Rouge est au mieux discutable, au pire carrément faux.</p>
<p>S’il est difficile d’évaluer le rôle d’un État dans la <a href="https://www.lawfaremedia.org/article/five-myths-about-sponsor-proxy-relationships">direction de ses proxys et paramilitaires</a>, cela n’est rien en comparaison de la difficulté à établir un lien entre les États et les organisations terroristes internationales. C’est une ambiguïté que les groupes terroristes peuvent exploiter.</p>
<h2>L’attention des médias : de l’oxygène pour les terroristes</h2>
<p>Définir le terrorisme est un exercice périlleux. La <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/disciplining-terror/terrorism-fever-the-first-war-on-terror-and-the-politicization-of-expertise/12E123D58AA0437750CB882B066E2B6B">politisation du terme</a> depuis la guerre contre le terrorisme qui a suivi le 11 septembre 2001 a donné un nouveau sens à l’expression selon laquelle <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2012/05/is-one-mans-terrorist-another-mans-freedom-fighter/257245/">« le terroriste de l’un est le combattant de l’autre »</a>.</p>
<p>En règle générale, cependant, les <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/defining-terrorism">décideurs politiques</a> <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/political-science-research-and-methods/article/is-terrorism-necessarily-violent-public-perceptions-of-nonviolence-and-terrorism-in-conflict-settings/9BA6C161346EEE1563A7DC2639066A02">et les universitaires</a> définissent les groupes terroristes comme des organisations non étatiques qui cherchent à recourir à la violence ou à la menace de violence contre des civils pour atteindre des objectifs politiques, avec une certaine ambiguïté quant aux entités qui peuvent s’en charger.</p>
<p>Au XXI<sup>e</sup> siècle, la diffusion des <a href="https://www.igi-global.com/dictionary/scales-dynamics-outsourcing/14566">technologies de communication</a> et le <a href="https://archive.org/details/whatsnextproblem0000unse/page/82/mode/2up">cycle d’information 24 heures sur 24</a> ont donné aux groupes terroristes de nouveaux moyens d’attirer l’attention de la communauté internationale.</p>
<p>Des vidéos peuvent être téléchargées en temps réel par des groupes terroristes, et l’attention internationale ne tarde pas à suivre. Les médias d’information sont toutefois <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2019/7/9/the-problem-is-not-negative-western-media-coverage-of-africa/">très sélectifs</a> dans ce qu’ils couvrent.</p>
<p>En raison de la sélectivité des médias, les organisations terroristes cherchent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272717301214">à maximiser leur audience</a>. L’un des moyens d’y parvenir est de lier leurs activités à des événements en cours. L’attaque de l’EI-K à Moscou illustre cette tendance.</p>
<p>La décision de l’EI-K d’attaquer la salle de concert de Moscou n’était pas purement opportuniste. L’État islamique et ses organisations subsidiaires <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/fusillade-en-russie-l-etat-islamique-et-la-russie-ont-une-dette-de-sang-qui-remonte-a-plusieurs-annees-analyse-un-specialiste-du-jihadisme-apres-la-revendication-de-Daech_6441190.html">reprochent à la Russie</a> son rôle dans la destruction de l’EI en Syrie et en Irak.</p>
<p>L’attaque de l’EI-K contre Moscou correspond donc à son propre agenda, tout en faisant progresser ses objectifs. Le problème est le potentiel d’escalade.</p>
<h2>L’escalade du conflit entre la Russie et l’Ukraine</h2>
<p>Il reste encore beaucoup d’inconnues sur l’attaque. Il est toutefois possible d’en tirer certaines conséquences potentielles.</p>
<p>Les autorités américaines avaient <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iDEkly_6P4A">précédemment averti la Russie</a> qu’une attaque était imminente. Les autorités russes n’ont pas tenu compte de cet avertissement.</p>
<p>Poutine a même déclaré avant l’attaque que les <a href="https://www.rtbf.be/article/attentat-a-moscou-washington-avait-averti-poutine-parlait-alors-de-mensonges-11348726">avertissements américains à cet effet</a> étaient une forme de chantage. Ainsi, même un avertissement sincère des États-Unis a été perçu par les autorités russes à la lumière du conflit plus large entre la Russie et l’Ukraine.</p>
<p>Les suites de l’attaque risquent d’amplifier ces inquiétudes. Poutine a affirmé que quatre personnes impliquées dans le conflit avaient été capturées en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/direct-attentat-terroriste-pres-de-moscou-les-quatre-suspects-ont-ete-places-en-detention-provisoire_6445771.html">tentant de fuir</a> vers l’Ukraine.</p>
<p>Cela semble discutable : la frontière entre la Russie et l’Ukraine est l’un des endroits les plus militarisés du pays en raison de la guerre. Le résultat, cependant, est que la tentative d’évasion présumée a permis aux politiciens russes de <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-03-26/le-fsb-accuse-l-ukraine-et-l-occident-d-avoir-facilite-l-attentat-pres-de-moscou.php">relier l’attaque</a> aux autorités ukrainiennes, malgré les <a href="https://fr.news.yahoo.com/pr%C3%A9sidence-ukrainienne-affirme-navoir-rien-194842346.html">protestations contraires</a> de ces dernières.</p>
<p>Les autorités russes devront agir, comme le ferait n’importe quel État à la suite d’une telle agression. Mais les représailles sont d’autant plus probables que <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/23/world/europe/putin-russia-moscow-attack.html">Poutine</a> se présente comme le protecteur du peuple russe.</p>
<p>L’élimination du terrorisme est cependant une tâche <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/10/world/europe/war-on-terror-bush-biden-qaeda.html">extrêmement difficile, voire impossible</a>, comme le montre l’expérience américaine. La guerre entre la Russie et l’Ukraine offre toutefois aux autorités russes un terrain propice pour canaliser ailleurs le chagrin et l’indignation suscités par le tragique attentat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226666/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Horncastle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine a nié toute implication dans l’attentat terroriste de Moscou. Cela ne signifie pas que la Russie n’essaiera pas d’utiliser cet événement pour intensifier sa guerre avec l’Ukraine.James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2223262024-02-12T10:58:21Z2024-02-12T10:58:21ZDes clients qui dépassent les bornes et un management distant : avez-vous la chance d’avoir une « communauté de pratique » ?<p>Que des <a href="https://theconversation.com/topics/clients-93811">clients</a> puissent dépasser les bornes et avoir des comportements inacceptables n’est pas un phénomène nouveau. Nos précédents <a href="https://theconversation.com/i-want-my-fucking-nuggets-lentreprise-a-lepreuve-des-clients-ingerables-104614">travaux</a> détaillaient déjà la façon dont les organisations de service réagissent aux comportements de réclamations que l’on peut qualifier de « déviants », c’est-à-dire contraires au système de normes. On note toutefois des signes que la <a href="https://theconversation.com/topics/relation-client-48788">relation client</a> <a href="https://www.agoranews-experience-client.fr/l-evolution-du-climat-des-relations-avec-les-clients-decryptage/">continue à se tendre</a> et l’on retrouve probablement ici un facteur aggravant de la désaffection manifeste pour certains métiers mal reconnus comme les livreurs ou les soignants, particulièrement touchés par la <a href="https://theconversation.com/le-mystere-de-la-grande-demission-comment-expliquer-les-difficultes-actuelles-de-recrutement-en-france-173454">« Grande Démission »</a>.</p>
<p>De façon certes plus ponctuelle statistiquement, mais terriblement plus impactante sur un plan symbolique, on voit se multiplier des épisodes violents de la part des clients, aux conséquences pour le personnel allant du (relativement) bénin, ce <a href="https://news-24.fr/un-passager-frappe-un-pilote-pour-un-retard-de-vol-de-13-heures-video-sauvage/#google_vignette">pilote d’avion</a> récemment frappé par un passager pour un vol en retard par exemple, au <a href="https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/claye-souilly-un-employe-d-une-boutique-bouygues-telecom-poignarde-a-mort_183678.html">dramatique</a> avec par exemple, un employé d’une boutique Bouygues Télécom <a href="https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/claye-souilly-un-employe-d-une-boutique-bouygues-telecom-poignarde-a-mort_183678.html">poignardé par un client</a> en 2021 pour des différends commerciaux.</p>
<p>Comment les employés s’organisent-ils pour tenir et pour gérer ces clients ? Les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/gwao.12117">études</a> sur le sujet font le constat récurrent d’un certain désarroi de leur part, du fait notamment d’une absence fréquente de soutien de la part de l’organisation et de son management. Comment font-ils dès lors qu’ils se retrouvent seuls face aux clients pour gérer ces situations tendues ? Et les pratiques de terrain qui leur permettent de faire face au quotidien, d’où viennent-elles ?</p>
<p>C’est à ces questions que <a href="https://shs.hal.science/halshs-04094500/">notre recherche</a>, menée dans le contexte d’un organisme social en France, a tenté d’apporter des réponses. Les agents de cet organisme sont chargés de la gestion et de l’attribution de certaines prestations aux résidents d’un département français et rencontrent régulièrement des situations tendues avec les usagers que ce soit au guichet ou au téléphone. La complexité des procédures d’attribution, la lourdeur bureaucratique et la multiplicité des partenaires impliqués génèrent en effet des situations d’autant plus sensibles que l’attribution ou non d’une prestation particulière a un impact direct sur les ressources financières des familles concernées.</p>
<h2>Des partages d’expériences</h2>
<p>La littérature en sociologie du travail a bien mis en évidence le <a href="https://www.researchgate.net/publication/247747517_Communities_of_Coping_Collective_Emotional_Labor_in_Service_Work">rôle clé du collectif de travail</a> en matière émotionnelle. Avoir des collègues attentifs permet, dans les cas où on subit l’agressivité du client, de tenir grâce à leur soutien émotionnel. Mais ce dernier ne raconte qu’une partie de l’histoire, car il faut aussi comprendre comment le collectif de travail permet d’inventer des réponses pour répondre aux clients et trouver une solution, pas simplement un palliatif.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1708781240478847270"}"></div></p>
<p>C’est ce que permet de saisir la notion de communauté de pratique, forgée notamment par l’anthropologue Jean Lave et le sociologue Étienne Wenger dans un <a href="https://www.cambridge.org/highereducation/books/situated-learning/6915ABD21C8E4619F750A4D4ACA616CD#overview">ouvrage</a> de 1991. Une communauté de pratique est un groupe informel de personnes liées les unes aux autres par le partage des expériences et l’élaboration de pratiques communes pour faire face aux problèmes quotidiens. Le concept visait à l’origine à rendre compte des solutions trouvées par les réparateurs de photocopieuses de Xerox, mais il s’applique aujourd’hui à une variété de situations organisationnelles.</p>
<p>Dans le contexte que nous avons étudié, les agents au contact devaient répondre à des demandes des usagers (soit au téléphone, soit au guichet), demandes qui s’avéraient parfois problématiques, soit sur le fond (par exemple une demande illégitime d’information confidentielle), soit sur la forme (par exemple des insultes à l’attention du personnel). Nos observations montrent que face à l’absence de solution satisfaisante proposée par l’organisation, les agents ont élaboré eux-mêmes leurs réponses à ces problèmes quotidiens pour réussir à faire leur travail malgré tout.</p>
<h2>« Il me fait le coup de Hulk »</h2>
<p>C’est à l’occasion du repas pris en commun, ou d’une pause entre deux appels téléphoniques reçus, ou même pendant un appel téléphonique qui semble délicat à gérer et mobilise l’attention des collègues proches, que se discutent les situations délicates : quel est le problème ? que faut-il faire ? comment faire maintenant, et la prochaine fois ? Ces discussions permettent d’élaborer de façon continue des solutions. Les agents expérimentés savaient par exemple quels arguments utiliser pour recadrer des demandeurs insistants, et ces arguments étaient discutés et partagés avec les collègues plus novices.</p>
<p>Cette élaboration collective permanente de réponses aux comportements déviants permet de développer un répertoire de pratiques relationnelles dans lequel chacune et chacun vient puiser. La discussion des réponses possibles faisait que le celui-ci était en permanence actualisé. Le répertoire jouait ainsi un rôle de boîte à outils partagée, qui permettait d’une part à chacun de s’en sortir « à sa façon » sans devoir complètement inventer ses pratiques non plus ; et d’autre part au groupe d’avoir une référence commune garantissant une bonne coordination.</p>
<p>La situation du « Hulk » illustre parfaitement cette double fonction du répertoire. Une agente fait irruption dans une salle où des collègues étaient en pause, et s’écrie :</p>
<blockquote>
<p>« P… ! J’ai quelqu’un qui est en train de me faire le coup de Hulk ! »</p>
</blockquote>
<p>Elle venait d’annoncer au visiteur un énième report du paiement de ses droits car il manquait encore des pièces dans son dossier, alors qu’il était venu justement à la suite d’une précédente notification de pièces manquantes.</p>
<p>Comprenant immédiatement ce qui se joue, deux de ses collègues se ruent au guichet pour contrôler le client, tandis que l’agente reste avec trois autres collègues qui la rassurent. On voit ici tout ce que contient ce mot « <em>Hulk</em> » : la référence imagée à une situation certes extrême mais déjà rencontrée à ce guichet, qui voit un usager perdre tout contrôle et aller jusqu’à arracher ses vêtements ; mais aussi le protocole de réponse collective et coordonnée pour régler rapidement cette situation explosive. Répondre rapidement et sans trop réfléchir est ici permis par le travail d’élaboration collective continue d’un répertoire de pratiques, dans le cadre des communautés de pratiques des agents.</p>
<h2>Pour les managers, le pari de la discrétion ?</h2>
<p>Pour le manager qui lirait ces lignes, les conclusions à en tirer sont à la fois évidentes et paradoxales. Évidentes parce qu’il suffirait de créer des communautés de pratique parmi les employés au contact des clients pour enlever un caillou dans la chaussure.</p>
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<p>Pourtant, ce n’est pas si intuitif que cela. D’une part parce que les travaux de recherche en management portant sur la question, insistent beaucoup sur l’importance pour le manager d’être plus présent, attentif, et réactif aux difficultés et questions des employés qui touchent à des clients aux comportements contraires aux normes (on parle de « déviance » en sociologie) : plus d’écoute et plus de soutien, donc, ce qui se combine assez mal à première vue avec la volonté de laisser faire la communauté de pratique.</p>
<p>D’autre part, parce qu’une communauté de pratique est un acteur social informel et spontané, qu’on ne décrète pas. Qu’un manager crée une communauté de pratiques face à la déviance des clients n’a donc pas de sens, et il s’agit plutôt d’adopter une posture de soutien indirect au développement de la communauté de pratiques. C’est, par exemple, s’assurer de la présence d’une salle de repos et de temps de pauses, pour favoriser les discussions à propos des clients, dont on a vu combien elles étaient nécessaires et efficaces. Un manager discret donc, pas spécialement héroïque face aux clients qui vont trop loin, mais qui fait en sorte que ses collaborateurs puissent inventer leurs propres pratiques relationnelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222326/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En échangeant de manière informelle, un groupe de collègues peut trouver les réponses aux situations où le comportement du client ne semble pas adéquat. Les managers devraient-ils donc laisser faire ?Jean-Baptiste Suquet, Neoma Business SchoolLamine Mebarki, Maître de conférences en Sciences de gestion, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201052024-01-11T16:40:40Z2024-01-11T16:40:40ZEt si les réseaux sociaux devenaient une chance pour nos démocraties ?<p>Alors que le président libertarien Javier Milei, récemment élu en Argentine, a largement <a href="https://www.politis.fr/articles/2023/12/javier-milei-un-as-libertarien-des-reseaux-sociaux-a-la-tete-de-largentine/">profité des réseaux sociaux lors de sa campagne présidentielle</a>, notamment pour séduire les plus jeunes générations, d’autres personnalités politiques envisagent au contraire de quitter ces mêmes réseaux. En France, c’est la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui a initié ce mouvement, déclarant en novembre dernier que X (ex-Twitter) constituait <a href="https://www.liberation.fr/politique/anne-hidalgo-quitte-x-ex-twitter-devenu-arme-de-destruction-massive-de-nos-democraties-20231127_5HUQFSF3WNHSJBBTVC3JBVCWQ4/">« une arme de destruction massive de nos démocraties »</a>. Force est de constater que depuis de nombreuses années, les réseaux sociaux dominants, dont le modèle d’affaires repose sur <a href="https://cnnumerique.fr/votre-attention-sil-vous-plait-quels-leviers-face-leconomie-de-lattention">l’économie de l’attention</a> favorise structurellement le clash et la polarisation des opinions.</p>
<p>Selon ce modèle économique, il s’agit de « maximiser l’engagement » des utilisateurs afin de vendre leur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Temps_de_cerveau_humain_disponible">« temps de cerveau »</a> et leurs données personnelles à des entreprises susceptibles de les cibler avec leurs publicités. Dès lors, tout ce qui compte pour gagner en visibilité sur ce type de réseau, est de trouver la ligne de fracture – chez chaque utilisateur ou dans la société – et d’enfoncer le coin, afin d’obtenir plus de clics et plus de vues, alimentant ainsi le <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/le-business-de-la-haine-9782702184554/">« business de la haine »</a> des géants du numérique, qui tirent profit de cette cacophonie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/captologie-et-economie-de-lattention-87140">Captologie et économie de l’attention</a>
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<p>Le résultat, tel que décrypté par l’écrivain et politologue italien Giuliano da Empoli, est le suivant : tandis qu’hier la politique était « centripète » – il fallait rallier autour d’un point d’équilibre –, elle est devenue aujourd’hui centrifuge. L’expression d’<a href="https://www.editions-jclattes.fr/livre/les-ingenieurs-du-chaos-9782709664066/">« ingénieurs du chaos »</a> trouve alors tout son sens : pour conquérir le pouvoir, la politique consiste désormais à exploiter au mieux les dynamiques d’infrastructures, ici de communication, pour éclater la société en tous points.</p>
<h2>Faire évoluer le modèle économique et l’architecture des réseaux sociaux</h2>
<p>Comment changer la donne ? Il parait difficile d’imaginer l’ensemble des démocrates pratiquer la politique de la terre brûlée et quitter les réseaux sociaux dominants tant que l’espoir est encore à leur régulation. De même, nous ne pouvons uniquement nous en remettre à la bonne volonté de quelques autres réseaux dominants faisant pour l’instant office de refuge, tant que leur modèle demeure fondé sur la captation de l’attention.</p>
<p>Si nous devons poursuivre nos efforts pour <a href="https://www.nouvelobs.com/idees/20240103.OBS82815/populisme-fake-news-algorithmes-entretien-avec-giuliano-da-empoli-le-decodeur-du-chaos.html">« trouver des réponses politiques à la colère »</a>, nous ne pouvons pas non plus nous aveugler sur les velléités autoritaires ou nationalistes exploitant les failles des réseaux sociaux les plus utilisés. Néanmoins, nous pouvons les priver de l’infrastructure qui les fait émerger comme forces politiques de premier plan partout dans le monde. Pour cela, nous devons faire évoluer le modèle économique et l’architecture des réseaux sociaux. Car il faut bien se rendre compte, dans la lignée de la pensée du professeur de droit <a href="https://en-academic.com/dic.nsf/enwiki/11646941">Lawrence Lessig</a>, que <a href="https://cyber.harvard.edu/works/lessig/camkey.pdf">l’architecture numérique est normative</a> : de même que l’architecture de nos rues détermine nos comportements, l’architecture des réseaux sociaux détermine la façon dont nous nous y exprimons et dont nous y interagissons.</p>
<p>De manière générale et par définition, le principe des « followers », qui consiste à suivre des personnalités en particulier, ne favorise pas l’expression de points de vue diversifiés, mais plutôt les comportements mimétiques, la concurrence, la rivalité et in fine la dévalorisation de soi comme des autres.</p>
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<p>Plus spécifiquement, X/Twitter et Thread sont construits pour faire se rencontrer absolument tous les sujets, points de vue et personnes d’opinions très diverses sur un flux unique et assurer des interactions directes au vu et au su de tous.</p>
<p>Autre architecture, autre ambiance, il en va autrement si l’on se rassemble autour d’un sujet, que ce soit pour en débattre ou seulement pour échanger. Sans qu’ils soient exempts de très nombreux défauts, TrustCafé, Reddit, <a href="https://theconversation.com/streaming-en-direct-pourquoi-tout-le-monde-meme-les-politiques-se-rue-sur-twitch-163454">Twitch</a>, Discord donnent l’opportunité de créer des salons de discussion thématiques ou de regrouper des communautés en un espace et in fine d’avoir un débat plus approfondi. <a href="https://joinmastodon.org/fr">Mastodon</a> repose quant à lui sur une structure décentralisée, c’est-à-dire que « chaque serveur Mastodon est totalement indépendant, mais capable d’interagir avec les autres pour former un réseau social mondial ». Cela permet d’éviter de cultiver l’animosité sociale. Des communautés irréconciliables n’ont pas à se côtoyer, ce qui permet d’éviter de propager le conflit de manière inopportune.</p>
<h2>Reprendre la main sur les algorithmes</h2>
<p>C’est pour orienter les réseaux sociaux vers des architectures permettant de créer des espaces de débat, d’apprentissage, d’échanges et de coopération que nous devons agir en premier lieu, avant même de nous intéresser à la modération des contenus qui y circulent. Le règlement européen sur les services numériques le permet en théorie, mais il faudra que la <a href="https://cnnumerique.fr/communique/cp-suite-la-resolution-du-parlement-ue-visant-agir-sur-les-interfaces-addictives">Commission européenne</a> se mobilise en ce sens. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Jusqu’à présent, le débat a bien plus porté sur le nombre de modérateurs de tel ou tel réseau ou le nombre de contenus retirés que sur la structure des réseaux sociaux en elle-même. Ce qui risque surtout de nous épuiser pour un résultat très relatif.</p>
<p>Pour nous assurer que les réseaux servent une société démocratique où le débat, la construction collective et l’écoute sont privilégiés, nous devrions nous préoccuper de la manière dont les infrastructures numériques sont conçues, développées et financées. Comme les réseaux sociaux dominants sont structurellement fondés sur <a href="https://cnnumerique.fr/votre-attention-sil-vous-plait-quels-leviers-face-leconomie-de-lattention">l’économie de l’attention</a>, l’enfermement de leurs utilisateurs et l’amplification des contenus polémiques et choquants, nous devrions aussi décider de ne plus laisser aux mains du seul réseau social, c’est-à-dire d’une entreprise privée, le monopole de déterminer le flux algorithmique, soit le choix des contenus apparaissant sur nos fils d’actualités.</p>
<p>Une telle proposition est une exigence minimale pour tendre vers une plus grande réappropriation des réseaux sociaux par les utilisateurs. Elle a d’ailleurs déjà été faite sous diverses formes, que ce soit par des <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/le-business-de-la-haine-9782702184554/">spécialistes du numérique</a>, la <a href="https://www.cncdh.fr/actualite/adoption-de-lavis-sur-la-lutte-contre-la-haine-en-ligne-2021-9">Comission nationale consultative des droits de l’homme</a> (CNCDH), des <a href="https://www.eff.org/fr/interoperablefacebook">journalistes</a> ou des <a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/making-the-internet-safe-for-democracy/">chercheurs</a>. Ainsi, il s’agit non plus seulement de forcer la plate-forme à accentuer tel ou tel paramètre de leur algorithme mais de contester le fait que la recommandation soit le seul fait de la plate-forme.</p>
<p>Pour justifier ce principe, nous pouvons nous demander si une fois une taille critique et une certaine concentration du marché atteintes, il est bien légitime de laisser uniquement à des entreprises privées le soin de décider ce qui doit être vu ou ce qui doit être invisibilisé dans l’espace médiatique numérique. Quand bien même certains d’entre nous souhaiteraient s’abandonner aux algorithmes de TikTok ou de Twitter, pourquoi tout un chacun devrait-il s’y plier ? Est-ce à un acteur unique de déterminer les critères en fonction desquels les contenus apparaissent ou disparaissent de nos écrans ?</p>
<h2>Reconnaître les réseaux sociaux comme des espaces publics</h2>
<p>La chose doit encore être affirmée : oui les réseaux sociaux dominants sont des espaces publics. Ce ne sont plus seulement des cafés que l’on est libre ou non de fréquenter. L’analogie ne fonctionne plus. Ils ont un impact structurant sur nos sociétés, que l’on y soit ou non.</p>
<p>De plus, si tout le monde peut virtuellement s’exprimer sur les réseaux, ceux qui auront le plus de vues sont ceux qui joueront les codes du réseau et sponsoriseront leurs comptes ou publications. Ce qui laisse sur le bas-côté ceux qui ne peuvent pas ou refusent de jouer à ce jeu malsain de la mésestime de soi, des autres et du clash constant.</p>
<p>La prétendue liberté d’expression masque le sévère contrôle qui s’exerce sur la recommandation et la hiérarchie qu’elle recèle : l’apparence d’horizontalité (celle de tous les usagers exprimant leurs opinions ou leurs avis publiquement) masque une extrême verticalité (celle des entreprises décidant des critères de ce qui sera vu ou non).</p>
<p>Pour restaurer les libertés d’expression et de pensée, il nous faut donc décorréler l’intérêt du réseau social à voir promu tel ou tel contenu et l’intérêt social ou personnel à s’informer ou échanger sur tel ou tel sujet.</p>
<h2>Œuvrer pour des infrastructures numériques démocratiques</h2>
<p>Cela n’est désormais plus une seule affaire d’imagination ou de prospective. Regardons <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bluesky_Social">Bluesky</a> (le réseau social alternatif créé par Jack Dorsey, l’un des fondateurs de Twitter) ou Mastodon : les flux algorithmiques y sont à la main des utilisateurs.</p>
<p>Sur Bluesky, les utilisateurs les plus chevronnés, des médias ou autres tiers de confiance peuvent proposer à l’ensemble des utilisateurs des algorithmes de leur cru. Et le choix est particulièrement simple à opérer pour un effet immédiat. Sur Mastodon, le classement chronologique reste la clef d’entrée vers les contenus publiés, mais le principe même du logiciel libre permet à l’administrateur comme à l’utilisateur de développer les fonctionnalités de curation de contenus qu’il souhaite. Cela ne veut pas dire que tout le monde doit savoir coder, mais que nous pouvons avoir le choix entre de nombreux algorithmes, paramètres ou critères de recommandations qui ne sont pas seulement le fait de la plate-forme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cinwk2b17m0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment bien débuter sur Mastodon, le réseau social qui attire les déçus de Twitter (BFMTV).</span></figcaption>
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<p>Regardons aussi des projets comme <a href="https://tournesol.app/">Tournesol</a> : cette plate-forme de recommandation collaborative de contenus permet à de nombreux citoyens de participer en évaluant les contenus en fonction de leur utilité publique (et non en fonction d’intérêts privés ou d’agendas politiques déterminés). Grâce à de telles initiatives, il devient possible de découvrir des vidéos pertinentes et pédagogiques que des réseaux sociaux dominants ou une plate-forme comme YouTube n’auraient probablement pas recommandées.</p>
<p>Toutes ces initiatives nous montrent qu’il est possible d’œuvrer pour des infrastructures numériques démocratiques. Nous ne sommes qu’à un pas politique de les valoriser. Et entendons-nous bien, l’objectif n’est pas de nous anesthésier en empêchant le désaccord. Bien au contraire ! Le but est de vivifier la démocratie et renforcer l’intelligence collective en exploitant tout le potentiel des réseaux sociaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220105/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Nous ne pouvons pas uniquement nous en remettre à la bonne volonté des réseaux sociaux dominants tant que leur modèle demeure fondé sur la captation de l’attention.Anne Alombert, Chercheuse associée à l'IRePh (Institut de Recherches Philosophiques), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresJean Cattan, Secrétaire général du Conseil national du numérique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2190832023-12-05T16:25:04Z2023-12-05T16:25:04ZLe conflit israélo-palestinien met à l’épreuve le multiculturalisme canadien<p>Dans l’imaginaire collectif et la représentation sociale que l’on se fait du Canada, le pays est généralement perçu comme ouvert et accueillant envers la diversité ethnoculturelle et religieuse. </p>
<p>L’immigration est considérée comme une <a href="https://journals.library.ualberta.ca/af/index.php/af/article/view/29376">richesse au Canada</a> et le multiculturalisme s’est érigé au fil des décennies en une valeur à protéger et à chérir, comme en fait foi <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/221026/dq221026b-fra.htm">l’Enquête sociale générale de 2020</a>, où 92 % de la population l’endossait. <a href="https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-18.7/page-1.html">La <em>Loi sur le multiculturalisme canadien</em></a> stipule que celui-ci « est une caractéristique fondamentale de l’identité et du patrimoine canadiens et constitue une ressource inestimable pour l’avenir du pays ». </p>
<p>Cependant, depuis les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre, les nombreuses manifestions qui s’en sont suivies, tant en faveur que contre Israël ou en soutien à la Palestine, ont révélé des tensions liées à l’immigration. Les crimes haineux sont aussi en hausse : à Toronto seulement, on rapporte une <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/hate-crime-rise-israel-gaza-1.7001288">augmentation de 132 % depuis le début du conflit</a>.</p>
<p>Il devient ainsi impératif de s’interroger sur les risques éventuels de conflits au sein des différentes communautés canadiennes. Cela est particulièrement préoccupant pour celles qui font face simultanément au racisme et aux répercussions des conflits en cours dans leurs pays d’origine. Par exemple, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2012985/tensions-inquietude-sikhs-hindous-khalistan">conflit historique entre hindous et sikhs</a> suscite des inquiétudes parmi les sikhs du Canada, notamment lorsqu’un de leurs leaders a été assassiné en Colombie-Britannique.</p>
<p>En tant que sociologue, spécialisé dans l’éducation inclusive, j’ai rapidement constaté que le racisme et les discriminations représentent des problématiques significatives dans notre société. Récemment, j’ai rédigé un article intitulé : <a href="https://journals.openedition.org/trema/6042#:%7E:text=L%E2%80%99%C3%A9ducation%20inclusive%20englobe%20et,n%C3%A9gliger%20pour%20autant%20le%20tout">« Penser l’éducation inclusive dans un contexte de discriminations et de diversité au Canada »</a> afin d’expliquer, entre autres, les limites du multiculturalisme canadien dans la lutte contre les discriminations. Conformément à la perspective <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Serge_Paugam">du sociologue français Serge Paugam</a>, qui voit le rôle du sociologue inclure une prise de parole <a href="https://www.puf.com/content/La_pratique_de_la_sociologie">« pour lutter contre toutes les formes de domination »</a>, j’analyserai comment ce multiculturalisme est mis à mal par le conflit entre Israël et la Palestine.</p>
<h2>Augmentation des crimes haineux</h2>
<p>Les statistiques sur les crimes haineux démontrent que des tensions existent bel et bien, malgré les résultats de l’Enquête de 2020. Ainsi, de <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230322/cg-a004-fra.htm">2019 à 2021</a>, la communauté juive a été le groupe le plus fréquemment visé par des crimes haineux, et les signalements à la police ont connu une augmentation significative. En 2019, 306 crimes antisémites ont été signalés à l’échelle nationale. Un an plus tard, ce chiffre a atteint 331 et en 2021, il a augmenté de manière significative pour atteindre 492. <a href="https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr16-rd16/p1.html">Une nouvelle hausse a été enregistrée en 2022, avec 502 incidents déclarés</a>. </p>
<p>Les communautés musulmanes ont également été fortement touchées par des crimes haineux : en 2019, 182 incidents ont été signalés. En 2020, ce nombre a diminué à 84, pour augmenter cependant en 2021, atteignant 144. Enfin, les catholiques ont également été la cible d’actes haineux, avec une augmentation importante des signalements : en 2019, 51 cas ont été recensés, contre 43 en 2020, et 155 en 2021.</p>
<p>Il semble que l’Ontario, la province qui accueille le plus grand nombre d’immigrantes et d’immigrants au Canada, soit celle aux prises avec les pourcentages de crimes haineux les plus élevés par habitant. Selon les données de Statistique Canada de 2021, Ottawa est la ville affichant le taux le plus élevé de ces crimes. <a href="https://twitter.com/DavidVermette/status/1584537161743106048">Parmi les 10 premières villes canadiennes les plus touchées par le phénomène, on recense plus de huit villes ontariennes</a>.</p>
<h2>Un basculement de l’opinion publique</h2>
<p>Pour le dire sans ambages, le multiculturalisme n’est pas perçu par toutes et tous comme une richesse et cette perception est exacerbée par le conflit en cours entre deux des communautés les plus discriminées au pays. Tout cela se déroule dans un contexte où les capacités d’accueil des populations immigrantes sont remises en question.</p>
<p>Selon un <a href="https://www.thestar.com/news/canada/there-s-going-to-be-friction-two-thirds-of-canadians-say-immigration-target-is-too/article_7740ecbd-0aed-5d36-b5da-b67bda4a13c5.html">sondage d’Abacus publié le 29 novembre</a>, plus de 67 % de la population estime qu’il y aura des tensions entre les communautés, principalement en raison du seuil d'immigration jugé excessif du gouvernement fédéral. Celui-ci vise toujours à accueillir <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2023209/immigration-immigrants-seuil-ottawa-federal">plus de 500 000 immigrants par an au cours des prochaines années</a>. Cela dit, Ottawa a rejeté l’<em>Initiative du siècle</em>, dirigée par un ancien dirigeant de la firme McKinsey, qui suggérait que la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1978949/demographie-immigration-cibles-canada">population du Canada devrait atteindre 100 millions d’ici à 2100</a>. </p>
<p>Selon un <a href="https://nationalpost.com/opinion/canada-diversity-poll">autre sondage</a>, plus de 78 % des Canadiennes et Canadiens expriment leur préoccupation quant à l’impact du conflit entre Israël et la Palestine au pays. En ce qui concerne les manifestations pro-Palestine, plus des trois quarts des gens sondés sont d’avis que le gouvernement devrait expulser du pays les personnes non citoyennes coupables de discours haineux ou de soutien au Hamas. </p>
<p>Ces chiffres témoignent d’un basculement important dans l’opinion publique concernant la valeur du multiculturalisme. Il ne s’agit plus seulement de sensibiliser les citoyennes et citoyens à la richesse de la diversité ethnoculturelle et religieuse du pays, mais aussi d’accompagner les différentes communautés qui vivent ou qui veulent immigrer au Canada. <a href="https://nationalpost.com/opinion/canada-diversity-poll">Selon le même sondage</a>, plus de la moitié affirment que le gouvernement canadien devrait en faire davantage pour s’assurer que les nouveaux arrivants acceptent les valeurs canadiennes, et plus de 55 % pensent que la politique d’immigration du Canada devrait les encourager à adopter ces valeurs, notamment en abandonnant toute croyance incompatible avec le Canada.</p>
<h2>Un monde de plus en plus complexe</h2>
<p>Le conflit israélo-palestinien semble avoir ébranlé les fondements du multiculturalisme. </p>
<p>Il est frappant de constater à quel point, en si peu de temps, une valeur jugée fondamentale, soutenue par plus de 92 % de la population en 2020, peut être autant remise en question trois années plus tard. En revanche, il est important de rappeler que les crimes haineux existaient avant ce conflit, et ils indiquaient déjà que le multiculturalisme n’était pas tant respecté comme « valeur canadienne ». </p>
<p>Le sociologue Edgar Morin affirme que <a href="https://www.leslibraires.ca/livres/introduction-a-la-pensee-complexe-edgar-morin-9782020668378.html">« la diversité crée la complexité et la complexité crée la richesse »</a>. Certes, le multiculturalisme canadien mise à juste titre sur la richesse de la diversité, mais il est appelé à se renouveler dans une société et un monde de plus en plus complexes. </p>
<p>Parfois, le multiculturalisme canadien donne l’impression que les communautés vivent <em>côte à côte</em>, dans la tolérance de l’Autre, sans pour autant coconstruire une société d’appartenance pour toutes et tous. Il ne faudrait pas laisser la situation sociale se détériorer, car on ne souhaite pas vivre <em>face à face</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219083/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian J. Y. Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les crimes haineux existent depuis plusieurs années au Canada, mais le récent conflit entre Israël et le Hamas les a exacerbés, remettant en cause le multiculturalisme canadien.Christian J. Y. Bergeron, Professeur en sociologie de l’éducation, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2185712023-12-01T13:00:52Z2023-12-01T13:00:52ZConflits, guerre, tensions : comment engager un dialogue ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561981/original/file-20231127-23-vsue0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C8%2C5615%2C3724&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Engager un dialogue critique pour discuter des guerres et des conflits armés est une habilité utile pour éviter la polarisation des idéologies.</span> <span class="attribution"><span class="source"> (Unsplash)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>S’engager dans un débat, prendre position, ou poser des questions pour saisir les contours d’une guerre ou d’un conflit n’est pas une tâche facile. On le voit bien en ce moment avec la guerre Israël-Hamas, où les perspectives sur la situation sont multiples, les informations souvent discordantes et les tensions de longue date dans la région ancrées dans des idéologies qui ne sont pas toujours bien comprises.</p>
<p>Nous sommes trois professeures en travail social, engagées depuis de nombreuses années à soutenir des personnes en situation de grande vulnérabilité dans une <a href="https://revueintervention.org/wp-content/uploads/2017/05/ri_145_2017.1_ou_jin_lee_et_al.pdf">perspective anti-oppressive</a>. Une telle perspective nous oblige de reconnaître l’existence d’oppressions et d’inégalités de pouvoir. Elle fait appel au besoin de réfléchir sur son propre rôle au sein des systèmes d’oppression afin de s’engager dans une pratique de changement social solidaire. </p>
<p><a href="https://www.cairn.info/les-defis-de-la-formation-des-travailleurs-sociaux--9791034607373-page-143.htm">Notre travail</a> nous amène à transmettre des connaissances et des compétences pour établir des liens relationnels et initier des dialogues critiques sur des thèmes complexes et polarisants. En 2020, nous avons cocréé un Comité de soutien aux crises et catastrophes avec des étudiantes et des étudiants de notre École. Au sein de ce comité, nous avons organisé des <a href="https://www.cairn.info/revue-ecrire-le-social-la-revue-de-l-aifris-2022-1-page-66.htm%20%22%22">groupes d’échange</a>, par Zoom, avec des travailleuses sociales au Canada, au Liban et en Arménie. </p>
<p>Le Liban, en crise économique et sociale depuis plusieurs années, a été bouleversé par une <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/08/lebanon-unacceptable-lack-of-justice-truth-and-reparation-three-years-after-beirut-blast/">explosion dévastatrice</a> au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Le pays abrite une population importante d’Arméniens. Or, à peine un mois après la tragédie du port, une <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3446">deuxième guerre entre l’Arménie et son voisin, l’Azerbaïdjan éclate</a>. Nous avons ainsi accompagné nos collègues à travers l’impact émotionnel et professionnel que ces crises ont eu sur elles, sans nous détourner des pièges dans lesquels des discours polarisants et des idéologies auraient pu nous diviser. <a href="https://gipsproject.com/">Nos recherches</a> se réalisent aussi auprès de personnes migrantes.</p>
<p>Nos liens avec les collègues au Liban et en Arménie continuent d’évoluer à la lumière des nouvelles crises, tel que le récent <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2023/10/05/le-haut-karabakh-est-depeuple-et-maintenant">conflit armé</a> en Haut-Karabakh et la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2015916/israel-gaza-roquettes-missiles-treve">guerre à Gaza</a>. Il nous apparaissait important de continuer de s’engager dans un dialogue critique et transformateur avec ces partenaires, ainsi qu’avec nos groupes d’étudiantes et d’étudiants afin d’assurer des espaces pour aborder les tensions sociales, politiques et raciales qui découlent de toute guerre. </p>
<h2>Les valeurs et perspectives du travail social</h2>
<p>Le travail social est une pratique et une discipline qui <a href="https://www.cairn.info/ethique-et-travail-social--9782100553686-page-25.htm%20%22%22">se définit souvent par ses « valeurs phares »</a>, soit des valeurs humanistes comme le respect de la dignité humaine, la compassion, la croyance en les capacités des personnes, ainsi que des valeurs démocratiques comme la justice sociale, les de la personne et la solidarité. </p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/41670012">Une perspective critique en travail social</a> cherche à comprendre la source des inégalités sociales dans une situation donnée en examinant les processus sociaux qui engendrent la domination de certains groupes sur d’autres. Une telle pratique est souvent qualifiée d’engagée. Nous croyons aussi qu’elle soutient et lutte pour un objectif plus large, qui est celui de l’émancipation et de la transformation de la société en un monde plus juste et égalitaire. </p>
<p>Ce sont donc ces valeurs et cette perspective qui agissent en tant que <a href="http://ethicsinthehelpingprofessions.socialwork.dal.ca/wp-content/uploads/2013/10/Weinberg-2008-Structural-Social-Work-CSW.pdf">boussole morale</a> pour guider nos actions en contexte de crise et de guerre.</p>
<h2>Vers un dialogue transformateur</h2>
<p>Le conflit israélo-palestinien perdure depuis 75 ans, et une polarisation s’est instaurée dans l’opinion publique, notamment ces dernières semaines. Ces discours polarisants entravent la possibilité d’un réel dialogue, et cristallise les postures, avec pour conséquences des <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2023-10-20/guerre-entre-israel-et-le-hamas/36-crimes-et-incidents-haineux-a-montreal-en-deux-semaines.php">actes haineux islamophobes et antisémites</a>.</p>
<p>Comment entamer des discussions sans être piégé par une polarisation insidieuse ? À l’instar de la <a href="https://www.nytimes.com/2021/12/15/books/bell-hooks-dead.html">féministe bell hooks</a>, intellectuelle, universitaire et militante américaine, théoricienne du <em>black feminism</em>, nous proposons des pistes pour apprendre et désapprendre les systèmes d’oppression qui nous entourent, en finir avec la pensée nous/eux, développer une connaissance historique et reconnaître notre complicité dans une situation d’oppression. </p>
<p>bell hooks propose l’idée de création d’un <a href="https://iresmo.jimdofree.com/2021/03/21/pourquoi-des-brave-spaces/">espace brave</a>, soit un espace de parole qui invite toutes les personnes impliquées à reconnaître collectivement les défis du dialogue critique pour entamer un échange qui privilégie les voix marginalisées ou peu reconnues. </p>
<p>Les six piliers d’un espace brave sont identifiés par <a href="https://www.ssw.umaryland.edu/media/ssw/field-education/2---The-6-Pillars-of-Brave-Space.pdf">l’École de travail social de l’Université Maryland</a>. Ils s’appuient sur les écrits de bell hooks pour créer des conditions afin de s’engager dans une communauté de discussion où les membres se sentent en sécurité pour ouvrir le dialogue et vivre de l’inconfort.</p>
<p><strong>1) La vulnérabilité</strong> : être vulnérable, c’est être dans l’incertitude, prendre des risques et s’exposer émotivement. Nous pouvons être vulnérables en posant des questions et en partageant notre propre positionnement afin de contextualiser nos commentaires.</p>
<p><strong>2) Adopter une perspective</strong> : écouter pour comprendre, plutôt que d’écouter afin de répliquer. L’objectif est d’être curieux, et non d’être en accord avec le positionnement de l’autre.</p>
<p><strong>3) La peur de se lancer</strong> :’<a href="https://journals.sagepub.com/eprint/GYY8QMPZAJRVRZQD7EJT/full">sortir de sa zone de confort</a>’. Se lancer dans une nouvelle expérience ou un débat, malgré nos hésitations afin d’apprendre de nouvelles façons de voir, faire, penser.</p>
<p><strong>4) La pensée critique</strong> : <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-et-actions-sociales-2016-3-page-5.htm">on se questionne et on questionne</a> afin d’apprécier la complexité des idées et des discours. On reconnaît que notre pensée est peut-être limitée, et que la critique est une opportunité pour élargir notre champ de vision.</p>
<p><strong>5) L’examen de ses intentions</strong> : nous devons tout de même mettre nos limites et nous poser des questions. Pourquoi vais-je partager cette idée ? Quelle contribution mes propos auront-ils à la conversation ?</p>
<p><strong>6) La pleine conscience</strong> : une manière de porter attention, de manière intentionnelle et sans jugement, à nos réactions, nos émotions et nos actions afin de favoriser une réponse plutôt qu’une réaction. Ce sixième pilier permet ainsi de faire place aux cinq autres piliers.</p>
<h2>La nécessité de dialoguer pour rappeler notre humanité commune</h2>
<p>En tant que chercheures et citoyennes, notre rôle est d’offrir d’autres perspectives sur le monde. Nous souhaitons continuer de dialoguer et d’échanger avec nos collègues, étudiantes et étudiants, ainsi que notre entourage dans un espace critique, respectueux et conscientisé.</p>
<p>On a un devoir, dans une perspective critique et axée sur des valeurs humanistes et démocratiques, de faire l’effort d’avoir des conversations difficiles et inconfortables. Un espace brave est une stratégie utile, expérimenté dans nos salles de classe, pour discuter de notre humanité commune lorsque celle-ci est oubliée en temps de guerre, conflit armé ou crise politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218571/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans les moments de haute tension, en raison de guerres, conflits ou crises, créer un « espace brave » permet d’instaurer un dialogue respectueux et ouvert sur les réalités de l’autre.Emmanuelle Khoury, Professeure adjointe, Université de MontréalAline Bogossian, Associate Professor, Université de MontréalCaron Roxane, Professeure en travail social, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2154292023-10-12T00:31:45Z2023-10-12T00:31:45ZQuel droit international dans le conflit israélo-palestinien ?<p>Poser un regard sur le conflit israélo-palestinien n’est jamais chose aisée. Les déclarations qui se multiplient démontrent qu’il est toutefois nécessaire de revenir sur quelques aspects liés à l’appréciation juridique de la situation. </p>
<p>Car, si la solution à tout conflit est politique, il n’en demeure pas moins que tout conflit armé est couvert par une branche spécifique du droit international, le droit des conflits armés, également appelé droit international humanitaire. </p>
<p>Bien que parfois perçue comme manquant d’effectivité, il ne faut pas perdre de vue <a href="https://aoc.media/analyse/2022/03/10/les-conflits-armes-une-zone-de-non-droit/">que son application, même minimale</a>, permet que soient épargnées les personnes civiles.</p>
<p>Professeure à la faculté de droit de l’Université Laval et directrice scientifique de l’<a href="https://www.irsem.fr">Institut de recherche stratégique de l’École militaire</a> (un centre de recherche interdisciplinaire en études sur les conflits et la paix situé à Paris), je suis spécialisée en droit international humanitaire et membre du <a href="https://www.crdh.fr">Centre de Recherche sur les Droits de l’Homme et le Droit humanitaire</a>.</p>
<h2>Qualifier le conflit</h2>
<p>En droit international humanitaire, l’étape préalable à toute analyse juridique est la qualification de la situation. En l’occurrence, celle-ci donne lieu à <a href="https://lieber.westpoint.edu/legal-context-operations-al-aqsa-flood-swords-of-iron/">débat</a>. </p>
<p>Deux qualifications pourraient être retenues : conflit armé non international, entre un groupe armé, le Hamas, et un État, Israël, ou conflit armé international, en raison de la situation d’occupation qui prévaut dans les territoires palestiniens depuis la guerre des Six Jours de 1967. </p>
<p>En 2012, <a href="https://access.archive-ouverte.unige.ch/access/metadata/3819f7ae-9778-49d4-8415-0563efb64f10/download">j’ai défendu la thèse que malgré le retrait unilatéral des troupes israéliennes de la bande de Gaza, ce territoire demeurait sous occupation israélienne</a>. En effet, alors qu’en 2004 la <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/131/131-20040709-ADV-01-00-FR.pdf">Cour internationale de justice</a> estimait qu’Israël était redevable de l’application du droit international humanitaire et du droit international des droits humains en raison de sa qualité de puissance occupante sur ce territoire, Israël a décidé unilatéralement de retirer ses troupes de Gaza en 2005, prétendant ainsi se dégager de ses obligations. </p>
<p>Je considère que si pour qu’une situation d’occupation soit caractérisée, et donc qu’une puissance établisse son autorité sur un territoire, il est nécessaire d’y déployer ses forces armées, leur retrait ne signifie pas ipso facto la fin de l’occupation, dès lors que cet État continue d’en contrôler les frontières terrestres, maritimes et aériennes, de délivrer les passeports à sa population ou encore d’y avoir sa monnaie en circulation. Le fait qu’Israël puisse décider de <a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20231007-isra%C3%ABl-ordonne-de-couper-la-fourniture-d-%C3%A9lectricit%C3%A9-%C3%A0-gaza">couper complètement l’électricité</a> sur le territoire de Gaza ne fait que le confirmer. </p>
<p>Depuis 2005, les heurts et les affrontements entre le Hamas et Israël ont régulièrement ressurgi. Que ceux-ci aient pris l’ampleur que révèlent les événements survenus depuis samedi 7 octobre n’est pas de nature à faire varier cette analyse de la qualification. </p>
<h2>Mais au fond, quelle différence cela fait-il ?</h2>
<p>Aucune.</p>
<p>Quelle que soit la qualification du conflit, il va sans dire que <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule1">prendre délibérément des civils pour cible</a>, faire des <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule96">otages</a> – et que dire de la <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule89">décapitation d’enfants</a> – est rigoureusement interdit. Plus encore, lorsque ces actes s’inscrivent dans un phénomène de violence dont le but principal est de <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule2">répandre la terreur parmi la population civile</a>.</p>
<p>De même, quelle que soit la qualification du conflit, il est difficile d’envisager comment <a href="https://www.ledevoir.com/monde/moyen-orient/799648/siege-total-gaza-est-interdit-droit-international-humanitaire-rappelle-onu?">déclarer un « siège total » de la bande de Gaza</a> pourrait être conforme au droit international humanitaire. Le « siège » n’est pas une notion qui se trouve in extenso exprimée comme telle en droit international humanitaire. Il s’agit d’une pratique qui consiste à restreindre tout mouvement, d’individus comme de biens, dans une zone spécifique, dans le but de contraindre les forces ennemies à cesser le combat. </p>
<p>Si le siège n’est pas interdit en tant que tel, les effets qu’il produit, en revanche, conduisent inévitablement à des violations du droit international humanitaire. À titre d’exemple, ne plus permettre l’acheminement en denrées alimentaires ou empêcher l’approvisionnement en eau peut conduire à la famine de la population qui se trouve sur ce territoire. Or la <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule53">famine comme méthode de guerre est interdite</a>. De même, restreindre ou empêcher la circulation des personnes conduit à ce que les personnels humanitaires ne puissent pas mener leurs activités de secours dans la zone assiégée. Tout au contraire, les organismes humanitaires doivent être autorisés à délivrer leur aide à la population civile et les parties au conflit doivent même <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule55">« faciliter leur passage »</a>.</p>
<p>Le déchaînement de violence à l’œuvre, las actes posés en tout premier lieu comme la réponse qui y est apportée, conduit inévitablement à des violations massives du droit international humanitaire et donc à des <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule156">crimes de guerre</a>. </p>
<p>La question peut dès lors légitimement se poser de l’effectivité de ce droit. Toutefois, si, comme a pu le dire <a href="https://msf-crash.org/fr/rony-brauman">Rony Brauman</a> de Médecins sans frontières, « promouvoir le droit international humanitaire, c’est promouvoir la guerre » (ce qui en soi mérite une conversation), promouvoir le respect du droit international humanitaire dans une situation comme celle qui prévaut en Israël et à Gaza, qui quelle que soit sa nature est sans aucun doute un conflit armé, ne saurait nuire. Au contraire, abandonner la poursuite du respect du droit international humanitaire, même ainsi malmené, ne peut que conduire à davantage de chaos.</p>
<p>À cet égard, il convient de rappeler que les États tiers, c’est-à-dire les États qui ne sont pas parties à ce conflit armé, ont l’obligation de <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/gci-1949/article-1?activeTab=1949GCs-APs-and-commentaries">« faire respecter le droit international humanitaire »</a>. Cela signifie que dans toutes ses interactions avec les parties au conflit, le Canada, comme tout autre État du monde, a le devoir de leur rappeler leurs obligations aux termes du droit international humanitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215429/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julia Grignon est membre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme, présidente de la Sous-Commission droit international humanitaire et action humanitaire. Elle est également directrice de développement du partenariat Osons le DIH! pour la promotion et le développement du droit international humanitaire, financé par le Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada.</span></em></p>Le déchaînement de violence à l’œuvre au Proche-Orient, las actes posés en tout premier lieu comme la réponse qui y est apportée, conduit inévitablement à des crimes de guerre.Julia Grignon, Professeure en droit international humanitaire, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2062162023-09-05T17:05:19Z2023-09-05T17:05:19ZComment aider les élèves à régler leurs conflits<p>Avec son bruit et son agitation, la cour de récréation peut ressembler au premier abord à un espace désorganisé. Il n’en est rien. L’émergence des <em>childhood studies</em> à la fin des années 1980 a mis en avant que, loin d’être un chaos, le monde enfantin dispose de ses propres modes de régulation, comparables à ceux d’une microsociété, et qu’il s’agit de les prendre au sérieux.</p>
<p>Dès lors, conflits et disputes entre enfants sont analysés comme un <a href="https://psycnet.apa.org/record/1991-97356-000">mécanisme puissant de socialisation langagière et politique</a>. Un élément fondamental dans cette approche est alors la mise en avant d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2015-2-page-159.htm?ref=doi"><em>agency</em> enfantine</a>, au sens où les enfants sont conçus comme un groupe social certes minorisé, mais doté d’une capacité d’action. En est tirée la conséquence normative qu’il faudrait reconnaître des droits à ce groupe plutôt que de le surveiller d’aussi près que possible ; il n’est alors pas surprenant que les références à la <a href="https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/271821-droits-de-lenfant-5-questions-sur-la-convention-internationale-cide">Convention internationale des droits de l’enfant</a>, hui %20ratifi %C3 %A9e %20par %20196 %20 %C3 %89tats.), adoptée en 1989 par les Nations unies, soient aussi fréquentes dans cette littérature.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-enfants-choisissent-ils-leurs-amis-142319">Comment les enfants choisissent-ils leurs amis ?</a>
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<p>Toutefois, reconnaître que les enfants disposent de leurs propres modes de régulations ne règle pas la question des conflits enfantins. De nombreux chercheurs et chercheuses ont en effet montré que la <a href="https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2014-2-page-38.htm">cour de récréation</a> est également un espace de violence et de domination : des <a href="https://www.cairn.info/le-grande-ecole--9782130497318.htm">grands sur les petits</a>, des <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2011-3-page-79.htm">garçons sur les filles</a>…</p>
<p>Si répondre aux enjeux de violence par la répression et la surveillance témoigne d’un mépris du groupe enfantin, il ne s’agit donc pas de tomber dans une vision angélique d’enfants capables de s’autoréguler en toute égalité sans intervention des adultes. C’est autour de cette position que j’essaie de fonder empiriquement <a href="https://jeudenfants.hypotheses.org/">ma thèse consacrée aux conseils d’élèves</a>.</p>
<h2>Le dispositif des conseils d’élèves</h2>
<p>Le monde éducatif a, de longue date, mis en place des dispositifs visant une gestion par les enfants de leurs propres conflits, mais avec l’encadrement des adultes. Dès le début du XIX<sup>e</sup> siècle, les <a href="https://theconversation.com/apprendre-autrement-lexperience-de-la-classe-mutuelle-97326">écoles mutuelles</a> mettent en place des tribunaux d’enfants. Mais c’est surtout, au XX<sup>e</sup> siècle, la pédagogie de <a href="https://theconversation.com/apprendre-a-lecole-freinet-67615">Célestin et Élise Freinet</a> qui développe cette idée par l’implémentation de conseils de coopérative.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/S0-PXKGY_LE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Retour sur la pédagogie de Célestin Freinet (France Culture, 2020).</span></figcaption>
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<p>Durant ces conseils, les élèves et leurs enseignants réunis en assemblée ont l’occasion de débattre de propositions pour la classe, mais aussi (et surtout) de porter des critiques à leurs camarades et de traiter collectivement des conflits. <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb33016094m">L’objectif pour Freinet</a> n’est pas répressif, mais plutôt moral :</p>
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<p>« À l’issue de notre séance coopérative, nous n’avons jamais, comme on pourrait le croire, une liste de punis mais seulement des enfants heureux d’avoir discuté de ce qui leur tenait à cœur, de s’être déchargés parfois de leurs péchés, d’avoir éclairci et libéré leur conscience ».</p>
</blockquote>
<p>À la suite de Freinet, la pédagogie institutionnelle développe cette idée du conseil comme « rein » du groupe, ayant une fonction d’épuration des conflits. Inspiré de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/psychanalyse-27606">psychanalyse</a>, ce courant pédagogique voit dans ce dispositif (parmi d’autres « institutions ») des fonctions de thérapie collective. Il s’agit d’abord, en retirant l’enseignante ou l’enseignant comme instance personnalisée d’autorité, de limiter les phénomènes de transfert avec l’adulte.</p>
<p>Mais le conseil permet aussi, à travers l’usage du langage dans un dispositif institutionnalisé, la confrontation à l’autre et la sortie de l’égocentrisme : ce n’est pas en tant qu’individu singulier, mais en tant que membre du groupe que les enfants sont invités à intervenir. Là encore, « le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4801799k">conseil n’est pas nécessairement un tribunal</a>, et la recherche de la vérité importe moins que l’élimination des conflits perturbateurs. […] L’essentiel est peut-être moins ce qui est dit, que le fait que ce soit dit et entendu ».</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>D’autres dispositifs de gestion des conflits ont vu le jour, comme la <a href="https://cache.media.eduscol.education.fr/file/EMC/03/2/Ress_emc_conflits_messages_clairs_509032.pdf">technique des « messages clairs »</a>, inspirée de la communication non violente. Lors de celui-ci, les élèves « agresseurs et agresseuses » et « agressés » sont invités à verbaliser leur description des faits, leurs émotions et leurs besoins. Cet échange est supervisé par un médiateur ou une médiatrice, qui peut être un adulte ou un enfant dûment formé. Quoiqu’il en soit, tout ceci implique que l’enseignant renonce à arbitrer directement les conflits, tout en garantissant le cadre pour que les enfants le fassent eux-mêmes. Cette posture est assurément complexe à trouver.</p>
<h2>Réfléchir aux limites de l’autorégulation</h2>
<p>Il ne faut néanmoins pas croire que ces dispositifs abolissent complètement la violence des relations entre enfants. En effet, ils ne sont pas exempts de phénomènes de détournement et de manipulation. On peut assister à des accusations à répétition contre des élèves, à une volonté de vengeance ou de punition plutôt que d’intercompréhension.</p>
<p>Si ces dispositifs sont théoriquement fondés sur l’empathie et la communication non violente, ils peuvent donc aussi représenter une humiliation publique aux yeux de certaines et certains. Ce phénomène est renforcé par le fait que tous les enfants ne sont pas à égalité face à ces outils. En effet, ils impliquent une conception du langage et de l’autorité <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520271425/unequal-childhoods">tendanciellement plus fréquente dans les classes moyennes et supérieures</a>, face à laquelle les enfants de classe populaire peuvent se retrouver en difficulté.</p>
<p>Face à ces limites, la figure enseignante garde donc un rôle central. Un élément important est celui de la dépersonnalisation. En effet, on retrouve souvent dans le discours des enseignantes et enseignants l’idée de ne pas risquer de faire du conseil un tribunal. Cela implique qu’à partir d’une accusation d’un élève envers un autre, l’enseignant incite les enfants à monter en généralité. Il s’agit souvent de déporter l’attention de l’auteur ou l’autrice de l’acte répréhensible pour la <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb42291202f">diriger vers l’acte lui-même</a>, afin d’éviter d’étiqueter l’accusé comme « déviante » ou « déviant ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mixite-scolaire-que-peuvent-apporter-les-cours-de-recreation-non-genrees-183502">Mixité scolaire : que peuvent apporter les cours de récréation « non genrées » ?</a>
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<p>Le sujet central devient alors les modifications à apporter à la classe pour que le problème ne se reproduise pas. Si Maiwenn est excédée par Hamza qui pose toujours son classeur sur son bureau, n’est-ce pas qu’il y a un problème avec l’agencement des tables ? On rejoint ici un principe fondamental dans ces pédagogies, à savoir que les conflits entre élèves sont le signe d’un dysfonctionnement de l’organisation de la classe.</p>
<p>Ce genre de dispositif prend habituellement en charge de « petits » conflits du quotidien, et n’est peut-être pas à même de traiter des cas de violences plus graves tels que le <a href="https://theconversation.com/violences-scolaires-ou-le-harcelement-commence-t-il-107074">harcèlement scolaire</a>. Néanmoins, on sait que la dynamique de celui-ci repose en grande partie sur la <a href="https://www.cairn.info/le-harcelement-scolaire--9782715416253.htm">passivité des spectateurs et spectatrices</a> et la loi du silence. Dès lors, en habituant les enfants dès le plus jeune âge à traiter publiquement leurs problèmes de façon coopérative, et en contribuant à constituer une communauté d’enfants et d’adultes dans un meilleur climat scolaire, on peut espérer des effets positifs de ces outils y compris sur des enjeux plus graves.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206216/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Duval-Valachs est financé pour sa thèse par un contrat doctoral de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.</span></em></p>Dans quelle mesure les enfants peuvent-ils gérer par eux-mêmes les petits conflits qui émaillent le quotidien scolaire ? Regard sur les conseils d’élèves mis en place dans certains établissements.Nicolas Duval-Valachs, Doctorant en sociologie (EHESS/Lyon-2), Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1914352023-03-22T23:52:01Z2023-03-22T23:52:01ZDans les pays en zone de conflits, des appareillages orthopédiques imprimés en 3D à partir de matériaux recyclés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/494448/original/file-20221109-11077-rc0uqn.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Impression 3D d'orthèse à Lomé au Togo. Crédit : X. Olleros, Handicap International</span> </figcaption></figure><p>Dans les pays à faibles revenus ou en contexte de conflit, seulement <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/assistive-technology">5 à 15 % des personnes ayant besoin d’un appareillage orthopédique y ont accès</a>. En effet, les infrastructures et personnels de santé sont présents en ville et donc difficiles d’accès aux personnes vivant dans des zones rurales ou isolées. De plus, les délais et coûts de fabrication de la conception traditionnelle d’appareillages orthopédiques sont élevés et peu accessibles à tous.</p>
<p>Pour répondre aux problématiques présentes sur le terrain d’intervention, l’ONG <a href="https://www.handicap-international.fr/fr/index">Handicap International</a> et le réseau d’écoles d’ingénieur <a href="https://fondation.groupe-insa.fr/">INSA</a> s’unissent depuis 2021, dans le cadre de la Chaire de Recherche <a href="https://fondation.groupe-insa.fr/innovation_for_humanity">« Innovation for Humanity »</a>. L’objectif est de développer des solutions techniques adaptées aux situations dans les pays d’intervention, grâce aux connaissances de l’ONG dans le domaine de l’humanitaire et l’expertise scientifique du Groupe INSA et de ses laboratoires.</p>
<p>Grâce à l’Alliance « Innovation for Humanity », j’ai pu débuter ma thèse de doctorat en octobre 2021 sur l’impression 3D d’appareillages orthopédiques. L’objectif principal de ma thèse est d’utiliser des matériaux recyclés et locaux pour limiter le coût des appareillages orthopédiques et leur impact environnemental.</p>
<h2>L’impression 3D a un réel potentiel</h2>
<p>Traditionnellement, les appareillages orthopédiques sont réalisés par thermoformage ou stratification par un orthoprothésiste qualifié. Il s’agit d’un procédé long et coûteux qui nécessite de réaliser d’abord un moule en plâtre du membre du patient. Le moule négatif est alors rempli de plâtre et transformé en un moule positif, qui reproduit la forme de la jambe du patient. Ce moule positif est ensuite rectifié pour corriger la posture du patient.</p>
<p>L’appareillage est fabriqué à partir de résine ou il est thermoformé à l’aide d’une plaque de polyéthylène ou polypropylène qui est chauffée pour prendre la forme du moule. Le patient devra alors se rendre plusieurs fois au centre orthopédique pour la réalisation du moule initial puis des ajustements, auxquels il faut ajouter un temps de rééducation. Au final, plusieurs semaines sont requises pour appareiller un patient, avec une prothèse (dispositif de remplacement) ou une orthèse (dispositif de correction).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494665/original/file-20221110-18-6ww6p8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494665/original/file-20221110-18-6ww6p8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494665/original/file-20221110-18-6ww6p8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494665/original/file-20221110-18-6ww6p8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494665/original/file-20221110-18-6ww6p8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494665/original/file-20221110-18-6ww6p8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494665/original/file-20221110-18-6ww6p8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Conception traditionnelle d’appareillage orthopédique. Crédit : C. Fohlen, Handicap International.</span>
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<p>Depuis 2017, Handicap International utilise la fabrication additive, communément appelée impression 3D, pour réaliser des orthèses. Les pièces sont créées, couche par couche, à partir d’un filament en plastique fondu. Il est alors possible de concevoir des orthèses plus rapidement et à des prix plus accessibles. Pour cela, le scan 3D du membre du patient est réalisé à l’aide d’un scanner portatif. Puis, l’appareillage est conçu sur un logiciel de conception et imprimé en 10 à 20 heures. L’impression 3D permet d’aller au plus proche des personnes dans le besoin car le scan 3D du patient peut être pris à distance et envoyé au centre d’impression 3D, qui est encore centralisé. À terme, l’imprimante pourrait être emmenée sur place avec un simple véhicule. Finalement, les études d’Handicap International menées au Togo, Mali et Niger montrent que cette nouvelle technologie est très bien acceptée par les bénéficiaires et les personnels soignants.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494666/original/file-20221110-26-xv235a.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494666/original/file-20221110-26-xv235a.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494666/original/file-20221110-26-xv235a.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494666/original/file-20221110-26-xv235a.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494666/original/file-20221110-26-xv235a.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494666/original/file-20221110-26-xv235a.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494666/original/file-20221110-26-xv235a.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Orthèse fabriquée par impression 3D au Togo. Crédit : Author provided, Handicap International.</span>
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</figure>
<p>Cependant, les filaments d’impression 3D utilisés viennent d’Europe et sont fabriqués à partir de matières vierges, ce qui alourdit les coûts financiers et environnementaux et entraîne des problèmes de logistique. Ainsi, Handicap International souhaite fabriquer son filament d’impression 3D directement dans les pays d’intervention, avec des matériaux locaux et recyclés.</p>
<h2>Pour diminuer les coûts, l’intérêt du recyclage</h2>
<p>Nous nous sommes alors intéressés au recyclage des déchets plastiques, qui sont présents partout dans le monde. Dans les pays en voie de développement, les déchets sont un réel problème pour les populations et les écosystèmes car ils finissent dans la nature à cause d’une gestion limitée. Cependant, les plastiques recyclés peuvent désormais être <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11356-020-10657-8">utilisés en impression 3D</a>. Pour cela, les déchets plastiques seraient collectés, triés, nettoyés, broyés, séchés, extrudés (fondus) en filaments qui pourraient ensuite être imprimés en 3D. Les coûts de fabrication et l’impact écologique liés à la fabrication du filament d’impression 3D seraient alors réduits et il serait ainsi possible de lutter contre la pollution plastique.</p>
<p>Les défis sont donc nombreux. Nous devons d’abord trouver des matériaux qui soient à la fois disponibles, recyclables et imprimables, tout en respectant un cahier des charges complexe en termes de résistance mécanique et de fiabilité, afin de répondre aux besoins des orthoprothésistes. Ensuite, nous devons pouvoir créer un filament recyclé de qualité. Le challenge est de taille car les matières recyclées présentent souvent des impuretés (charges métalliques ou minérales, mais aussi d’autres polymères) alors qu’il est primordial de garder un filament de diamètre constant tout au long de l’impression.</p>
<p>Trois matériaux ont été retenus au début de cette étude :</p>
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<li><p>le Polyéthylène Téréphtalate (PET), que l’on retrouve dans les bouteilles plastiques dont les gisements de déchets sont très nombreux, notamment dans les pays en développement où l’accès à l’eau potable est limité. Ce matériau a l’avantage d’être recyclable et imprimable, ainsi que d’avoir de très bonnes propriétés mécaniques.</p></li>
<li><p>le Polyuréthane Thermoplastique (TPU), qui est de plus en plus utilisé dans le domaine du sport et de la santé pour sa flexibilité. Il présente un grand potentiel en orthopédie pour le confort qu’il peut apporter aux utilisateurs d’orthèses. De plus, il est recyclable et facile à imprimer en 3D. Cependant, c’est un matériau onéreux et il ne possède pas de filière de recyclage.</p></li>
<li><p>le Polypropylène (PP) est traditionnellement utilisé en orthopédie technique. C’est un polymère recyclable qui est présent notamment dans nos emballages du quotidien, pour l’alimentaire ou l’hygiène. En revanche, il est difficile à imprimer car l’adhésion entre les premières couches et le plateau d’impression est mauvaise. Ce problème peut toutefois être surpassé par un choix rigoureux des paramètres d’impression 3D.</p></li>
</ul>
<p>Ainsi, nous avons travaillé avec des filaments de PET et TPU recyclés, élaborés respectivement à partir de bouteilles plastiques et de chutes de l’industrie de la chaussure. De plus, nous avons fabriqué notre propre filament en PP. Pour cela, nous avons utilisé les matières recyclées par l’entreprise PAPREC, qui sont issues du tri sélectif. Nous les avons transformées en filament avec l’entreprise ENKY 3DP, spécialisée dans la fabrication de filament d’impression 3D. Nous avons alors obtenu un filament de qualité avec de très bonnes propriétés mécaniques.</p>
<p>Ensuite, nous avons imprimé des orthèses avec les trois polymères, afin d’étudier le panel de propriétés mécaniques qu’il est possible d’obtenir. Comme les matériaux n’ont pas le même comportement mécanique (le PET est rigide, le PP est semi-rigide et le TPU est flexible) nous avons aussi fait varier l’épaisseur de l’orthèse qui agit fortement sur sa raideur. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494669/original/file-20221110-18-pv8gmx.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494669/original/file-20221110-18-pv8gmx.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=206&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494669/original/file-20221110-18-pv8gmx.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=206&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494669/original/file-20221110-18-pv8gmx.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=206&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494669/original/file-20221110-18-pv8gmx.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494669/original/file-20221110-18-pv8gmx.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494669/original/file-20221110-18-pv8gmx.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Orthèses imprimées à partir de PET, PP et TPU. Crédit : V. Delbruel, INSA et Handicap International.</span>
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<p>Nous avons ensuite testé mécaniquement les orthèses pour déterminer leur raideur, qui conditionne le support apporté par l’appareillage à l’utilisateur de l’orthèse. Pour cela, nous avons conçu un banc d’essai qui reproduit la flexion du pied durant la marche. En parallèle, nous avons développé un modèle numérique qui reproduit l’essai mécanique et nous permet d’approfondir nos analyses et d’étudier par exemple les zones qui sont les plus sollicitées dans l’orthèse pendant la marche.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/516325/original/file-20230320-24-o3gjsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/516325/original/file-20230320-24-o3gjsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=253&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/516325/original/file-20230320-24-o3gjsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=253&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/516325/original/file-20230320-24-o3gjsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=253&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/516325/original/file-20230320-24-o3gjsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=319&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/516325/original/file-20230320-24-o3gjsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=319&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/516325/original/file-20230320-24-o3gjsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=319&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Essais mécaniques et simulations numériques. Crédit : V. Delbruel, INSA et Handicap International.</span>
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<p>Nous obtenons alors des orthèses avec des raideurs très différentes : plus le matériau est rigide et plus l’orthèse est épaisse, plus cette dernière sera rigide et bloquera les mouvements de la jambe. Nous avons également remarqué que nous obtenons une proportionnalité entre la raideur et l’épaisseur de l’orthèse, ainsi que la rigidité du matériau. Ce résultat pourrait à terme aider les orthoprothésistes dans leur travail, en leur permettant de choisir la raideur de l’orthèse dès sa conception, afin de répondre au mieux aux besoins du patient.</p>
<p>Finalement, les orthèses en PET ou TPU recyclés ne permettent pas de répondre aux besoins d’Handicap International. Ainsi, nous avons retenu le PP recyclé comme matériau d’étude. Nous souhaitons désormais étudier sa résistance au vieillissement naturel, en reproduisant les conditions climatiques des pays d’intervention d’Handicap International, ainsi que sa résistance en fatigue, pour représenter les sollicitations mécaniques répétées de la marche.</p>
<h2>Il reste à aller sur le terrain</h2>
<p>Une étude sera menée prochainement sur le terrain, dans les pays d’intervention d’Handicap International, pour étudier les gisements de déchets en PP présents sur place et leur qualité. Nous irons également à la rencontre d’entreprises de recyclage pour découvrir leur fonctionnement et évaluer la façon dont nous pourrions travailler ensemble. Ce sera aussi l’occasion de rencontrer les bénéficiaires d’orthèses et les personnels soignants présents sur place, et d’ajuster la recherche menée à l’INSA en fonction de leurs besoins. Vous pouvez suivre les avancées du projet sur mon blog <a href="https://fondation.groupe-insa.fr/blogs">« Impressions de thèse »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191435/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Travaux soutenus par l'Alliance Innovation for Humanity</span></em></p>Dans les pays à faibles revenus ou en conflit, l’accès aux prothèses ou aux orthèses est très compliqué. L’impression 3D pourrait apporter des solutions.Valentine Delbruel, Doctorante en Science des Matériaux, INSA Lyon – Université de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1992072023-03-07T18:22:35Z2023-03-07T18:22:35ZCollages féministes : lutter contre la violence, ça s’organise !<p><a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-limportance-du-soutien-dit-informel-161255">« Je te crois »</a>, « Tu n’es pas seul·e »… Écrits en lettres noires sur feuilles blanches, des slogans de soutien aux victimes de violence recouvrent les murs de nos villes depuis trois ans. Ils sont l’œuvre du mouvement des collages féministes.</p>
<p>Né en 2019 à Paris, à la suite du 100<sup>e</sup> <a href="https://theconversation.com/feminicide-a-lorigine-dun-mot-pour-mieux-prevenir-les-drames-162024">féminicide</a> de l’année, ce mouvement s’étend rapidement à d’autres villes où se montent des groupes de collages. Il s’inscrit dans la continuité du soulèvement des <a href="https://theconversation.com/raptivisme-en-amerique-latine-le-rap-vecteur-des-combats-feministes-137668">Sud-Américaines</a> contre les féminicides <a href="https://youtu.be/VLLyzqkH6cs">« Ni una menos »</a> (« Pas une de plus ») et a mené une des campagnes les plus médiatiques contre les féminicides que la France ait connues, à la fois dans la rue et sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Depuis <a href="https://theconversation.com/mobiliser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">#MeToo</a> en 2017, la lutte contre les violences est au cœur du mouvement féministe au sein duquel émergent de nouvelles organisations. Ce renouveau du féminisme interroge : comment s’organiser pour tendre vers une société sans violence ? Ces organisations sont des laboratoires d’expérimentation de cet idéal de société.</p>
<p>Au travers d’une ethnographie de 5 mois menée en 2020 au sein du collectif parisien, Collages Féminicides Paris (CFP) nous avons interrogé leurs pratiques organisationnelles : comment s’organise un collectif d’activistes dont le projet est la lutte contre les violences ? Comment se coordonner, prendre des décisions, se répartir la charge de travail, intégrer de nouveaux membres sans reproduire la violence que l’on combat ? Les activistes parviennent-ils véritablement à s’organiser sans violence ?</p>
<h2>S’inspirer des organisations « alternatives »</h2>
<p>Perçus comme « inorganisés » ou « anarchiques » par le grand public, les collectifs militants sont rarement conçus comme des organisations à la pointe. En sciences de gestion et du management, traditionnellement centrées sur les grandes entreprises, il reste inhabituel de les considérer comme objet sérieux de recherche. Pourtant, ils sont le lieu privilégié de la production de pratiques gestionnaires, interrogeant les manières traditionnelles de s’organiser (la hiérarchie par exemple).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CuVZYURXyEY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Riposte féministe, documentaire de Marie Perennès et Simon Depardon dédié au mouvement des collages féministes.</span></figcaption>
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<p>Comme l’expliquent les chercheurs Martin Parker et Valérie Fournier, explorer ces organisations qualifiées d’<a href="https://books.google.fr/books?id=UwFjDgAAQBAJ">« alternatives »</a> ouvre nos imaginaires à différentes manières de s’organiser et de travailler ensemble, pour des futurs désirables.</p>
<p>Dans le cas de CFP, les activistes s’engagent dans un projet collectif de lutte contre des violences qu’elles et ils refusent de vivre, et donc de reproduire au sein de l’organisation qui a compté jusqu’à 1 500 membres. Son combat s’étend progressivement à la lutte contre toutes les violences, en particulier racistes et transphobes. Il s’agit d’organiser l’alternative d’une société identifiée comme violente en tentant de faire de leur collectif un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/anti.12089">« safe space »</a> (lieu exempt de violence et de harcèlement, qui encourage la parole et la création de stratégies de résistance).</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’anthropologue Marianne Maeckelbergh explique que les activistes <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14742837.2011.545223">« préfigurent »</a> leur projet politique : au lieu de remettre à un futur lointain l’avènement d’une société sans violence, elles et ils travaillent déjà à le faire advenir chaque jour dans l’espace du collectif.</p>
<h2>Les espaces de collage : des « espaces safe »</h2>
<p>À quoi une organisation sans violence peut-elle alors ressembler en pratique ? Il nous faut d’abord comprendre ce que les activistes entendent par violence. Le collectif considère la violence comme un instrument de maintien des oppressions de sexe, de race et de classe, c’est-à-dire un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01419870.2017.1317827?journalCode=rers20">« ciment »</a> (<em>glue</em>), pour reprendre le terme de la penseuse afroféministe Patricia Hill Collins. Du dénigrement à l’agression physique en passant par la dépendance économique, la violence est un <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-1-349-18592-4_4">« continuum »</a>. Elle est protéiforme et permet aux groupes dominants de se maintenir en opprimant et exploitant les groupes dominés.</p>
<p>Depuis cette compréhension de la violence, les activistes de Collages Féminicides Paris déclinent leur projet politique en <a href="http://www.denoel.fr/Catalogue/DENOEL/Document/Notre-colere-sur-vos-murs">trois principes clés</a> : horizontalité, inclusion et attention mutuelle.</p>
<h2>S’organiser contre la violence : la pratique</h2>
<p>S’organiser de manière horizontale, soit non hiérarchique, se traduit au sein du collectif par une organisation sans <em>leader</em>, favorisant la prise d’initiative et s’assurant du consentement de chaque membre. Les activistes prennent les décisions par vote au consensus et veillent à la bonne transmission de l’information, notamment sur la dimension illégale du collage comme action de désobéissance civile. Chaque individu garde ainsi la liberté de décider pour lui-même.</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment les organisations de collage fonctionnent-elles ?</span></figcaption>
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<p>CFP pratique l’inclusivité, soit la prise en compte de toutes les oppressions – de genre, de race, fondées sur le handicap – et lutte contre leur reproduction au sein de l’organisation. Cela passe par la création de sous-espaces d’auto-organisation par et pour les personnes minorisées au sein du collectif, sous la forme de pôles dits en « mixité choisie » pour les personnes LGBTQIA+, <a href="https://theconversation.com/quest-ce-quune-personne-racisee-trois-definitions-pour-eclairer-le-debat-189996">racisées</a>, transgenres, handicapées et <a href="https://theconversation.com/what-exactly-is-neurodiversity-using-accurate-language-about-disability-matters-in-schools-193195">neuro-atypiques</a>. Ces sous-groupes sont par exemple sollicités dans la validation des slogans les concernant. L’inclusivité s’incarne également dans le respect strict de la présence de personnes transgenres au sein du collectif. Par exemple, l’usage du langage inclusif et l’invention de formulations épicènes telles que « colleureuses » – contraction de colleurs et colleuses, se veut systématique.</p>
<p>Enfin, le collectif pratique l’attention mutuelle en organisant une solidarité économique entre les membres. Dès la création du collectif, des cagnottes sont mises en place pour rembourser le matériel et rendre accessible le mode d’action au plus grand monde. Une autre cagnotte est ouverte durant la crise sanitaire pour les personnes précaires du collectif. Le coût économique de fonctionnement du collectif est mutualisé. Toute personne ayant des problèmes financiers pourra ainsi être aidée.</p>
<p>En bref, le collectif « préfigure » son projet politique : il substitue aux modes de coordination qu’il identifie comme violent (modes de coordination hiérarchique, discriminatoire et favorisant l’exploitation économique) par l’horizontalité, l’inclusion et l’attention mutuelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mobiliser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">Mobiliser dans un contexte post #MeToo : la stratégie du collectif #NousToutes</a>
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<h2>Une pratique clé, la gestion de conflit</h2>
<p>Malgré cet important travail de mise en pratique d’une organisation sans violence, des conflits éclatent régulièrement. Ils portent notamment sur la faible prise en compte des vécus des <a href="https://theconversation.com/il-faut-faciliter-et-non-compliquer-le-changement-de-la-mention-de-sexe-pour-les-personnes-trans-170607">personnes transgenres</a> et racisées dans les slogans, sur l’épuisement de militants faisant du « 40h semaine » et se disant proches du « burn-out militant », ou encore sur les prises de décisions en petits groupes en rupture avec l’horizontalité. Les activistes qualifient ces épisodes de violents. Au lieu de les nier comme tendent à le faire une majorité d’organisations, le collectif s’attèle à la prise en charge collective de la violence.</p>
<p>Par exemple, à l’été 2020, l’inclusivité se voit questionnée au sein du collectif. La majorité des collages relayés sur les réseaux sociaux sont des collages qualifiés de « classiques » portant sur les violences sexuelles et conjugales qui ne prennent pas explicitement en compte les violences raciales et transphobes. Des conflits éclatent, les activistes concernés par le racisme et la transphobie pointent la violence de voir leur vécu invisibilisé de nouveau au sein d’un collectif qui se veut <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-i-comme-intersectionnalite-146721">intersectionnel</a> (supposé lutter contre toutes les oppressions).</p>
<p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">Cette violence</a> fait alors l’objet d’une reconnaissance par le reste des membres qui proposent de nouvelles pratiques. Désormais, les activistes font en sorte que les slogans créés suivent l’actualité des violences transphobes et raciales, qu’ils soient validés par les personnes concernées par ces violences ainsi que collés systématiquement lors des sessions de formation des nouveaux membres (sessions qui représentent la majorité des collages effectués) et fassent l’objet de publications prioritaires sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Un tel réajustement dans les pratiques montre que « préfigurer » son projet politique – comme défini plus haut par Marianne Maeckelbergh – ne se fait pas sans difficulté et reste un travail « en cours ». Même une organisation luttant contre la violence n’en est jamais protégée. Elle doit travailler chaque jour à la gérer. Cela demande une capacité du collectif à placer le conflit au cœur de son organisation, à savoir <a href="https://editions-b42.com/produit/le-conflit-nest-pas-une-agression/">différencier le conflit de la violence</a>, et à le gérer. Ce savoir-faire développé par les activistes constitue, selon notre analyse, la clef du maintien de Collage Féminicide Paris depuis 3 ans.</p>
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<p><em>Cet article est basé sur un projet de recherche de Juliette Cermeno et Justine Loizeau ayant obtenu le prix de la meilleure contribution et le prix de la meilleure contribution théorique à la conférence de l’AIMS (Association Internationale de Management Stratégique) en 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment s’organiser pour tendre vers une société sans violence ? Les collectifs féministes sont de véritables laboratoires d’expérimentations. Une analyse du mouvement des colleuses et des colleurs.Juliette Cermeno, Doctorante en sciences de gestion - théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSLJustine Loizeau, Doctorante en sciences de gestion - théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1983572023-02-21T17:48:26Z2023-02-21T17:48:26ZEthique en recherche : comment travailler avec des personnes victimes de trauma ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511119/original/file-20230220-28-33fck4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le trauma est au coeur de certaines recherches de terrain : comment s'y confronter tout en maintenant une démarche éthique ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/bBgoT9BnV3s">Grey / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Formée dans une université d’Europe centrale, j’ai démarré mes premières recherches anthropologiques de manière classique. Avec mon carnet et un stylo, j’étais en route pour rencontrer des survivants de viols de guerre en Bosnie-Herzégovine, intéressée par la question des effets à long terme des <a href="https://www.routledge.com/Trauma-Transmission-and-Sexual-Violence-Reconciliation-and-Peacebuilding/Mocnik/p/book/9780367535346">traumatismes sur la sexualité</a> dans une société post-conflit. Peu de temps après avoir rencontré le premier groupe de survivants, j’ai pris conscience que j’étais mal formée aux <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2016-1-page-3.htm">méthodes de recherche</a> sur le terrain et qu’une <a href="https://journals.openedition.org/rac/1161">éthique de conduite de recherche standardisée</a> était nécessaire.</p>
<p><a href="https://ec.europa.eu/research/participants/data/ref/fp7/89888/ethics-for-researchers_en.pdf">L’examen éthique</a> a été institutionnalisé pour la première fois dans le Code de Nuremberg en 1947 comme un examen a valider pour être diplômé. En 1965, la World Medical Association a adopté une <a href="https://www.wma.net/what-we-do/medical-ethics/declaration-of-helsinki/">déclaration sur l’éthique de la recherche</a>, qui est encore aujourd’hui l’un des documents les plus importants pour établir des principes éthiques dans le domaine académique.</p>
<p>Son pivot est la conduite <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0305750X19304590">« no harm »</a> : la recherche ne doit jamais blesser qui que ce soit ; les données ne doivent pas s’obtenir aux dépens d’autrui.</p>
<h2>Une conduite éthique difficile à atteindre</h2>
<p>En pratique, une véritable conduite <a href="https://theconversation.com/il-faut-repenser-lethique-de-la-recherche-des-reseaux-sociaux-85433">« no harm »</a> peut être difficile à atteindre, en particulier lorsque l’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10508422.2010.521443">on travaille avec des traumatismes</a>, car les stimulus réveillant la <a href="https://www.memoiretraumatique.org/psychotraumatismes/mecanismes.html">mémoire traumatique</a> – les déclencheurs – sont difficiles à prévoir et donc à éviter complètement.</p>
<p>Les approches méthodologiques orales standardisées, comme les entretiens semi-structurés peuvent être de facto délétères si, par exemple, on pose une question liée à une grossesse forcée ou à un viol de guerre. Je doute qu’il existe un moyen possible de poser de telles questions d’une manière totalement <a href="https://theconversation.com/recherche-comites-dethique-le-risque-dune-bureaucratie-de-la-vertu-118365">éthique</a>.</p>
<p>Outre le format méthodologique problématique, j’étais hantée par l’idée de construire une carrière sur la misère ou le malheur de certaines personnes. La plupart des recherches en sciences sociales n’ont pas d’impact positif direct pour les participants et après chaque terrain, je reviens dans ma vie universitaire confortable, tandis qu’elles et eux restent avec leur trauma et leur contexte de vie difficile.</p>
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<h2>Chercher de meilleurs outils pour ne pas nuire</h2>
<p>Cela m’a amenée à reconsidérer mon approche méthodologique et à chercher de meilleurs outils pour ne pas nuire. J’ai décidé d’appliquer une conduite de recherche qui favoriserait un échange plus mutuel.</p>
<p>Ma principale préoccupation était le respect de la conduite « no harm », mais la méthode que j’ai adoptée conserve des failles. Celle-ci utilise un paradigme méthodologique qui, selon les réglementations actuelles en matière de protection des données, pourrait ne pas être considéré comme <a href="https://theconversation.com/integrite-scientifique-les-universites-francaises-renforcent-leur-dispositif-80708">éthique</a>. J’ai en outre construit des relations amicales qui pourraient être perçues comme des biais lors de la collecte de données « objectives ». Il m’est arrivé d’improviser certaines activités dans le but de provoquer intentionnellement des réactions émotionnelles, improvisation qui, de facto, laisse les participants non informés au préalable. Enfin, cette méthode requiert un investissement personnel et émotionnel bien plus important du chercheur (ce qui, dans mon cas, a mené au burn-out).</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/510056/original/file-20230214-17-pfou7w.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C232%2C142%2C217&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Participante au groupe de théâtre mis en place lors de la recherche. Photo utilisée avec l’accord de la personne photographiée" src="https://images.theconversation.com/files/510056/original/file-20230214-17-pfou7w.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C232%2C142%2C217&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510056/original/file-20230214-17-pfou7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510056/original/file-20230214-17-pfou7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510056/original/file-20230214-17-pfou7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510056/original/file-20230214-17-pfou7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1176&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510056/original/file-20230214-17-pfou7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1176&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510056/original/file-20230214-17-pfou7w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1176&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Participante au groupe de théâtre mis en place lors de la recherche. Photo utilisée avec l’accord de la personne photographiée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nada Zgank pour Nena Mocnik</span></span>
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<p>Concrètement, au lieu de méthodologies traditionnelles, j’ai introduit des activités axées <a href="https://theconversation.com/en-finir-avec-les-traumatismes-grace-a-la-peinture-lecriture-ou-la-chanson-107326">sur le corps</a>, tels la danse ou le théâtre.</p>
<p>Dans <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13569783.2019.1577729">l’une des sessions de recherche</a>, par exemple, j’ai demandé aux femmes survivantes d’utiliser le théâtre pour mettre en scène la rencontre avec le violeur. Cette activité a apporté des réponses en lien avec ma recherche (sur les impacts de traumatisme et sexualités par exemple). Elle a également permis aux victimes de potentiellement se préparer à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13569783.2019.1577729">revivre la scène au tribunal</a>.</p>
<h2>Des limites aux enquêtes de qualité ?</h2>
<p>J’ai également choisi de passer beaucoup de temps avec les participants. Consacrer du temps aux participants devrait être une préoccupation éthique primordiale. Cela permet de réellement créer un lien avec eux, de sortir d’une relation purement utilitariste et peut prévenir de nombreux risques, particulièrement un nouveau traumatisme.</p>
<p>Pourtant, aujourd’hui, si on est attaché à une institution de recherche, en raison des différentes tâches que l’on nous confie, faire de la recherche de terrain de longue durée devient un privilège rare. Qui peut encore se permettre une anthropologie classique afin de comprendre en profondeur les comportements et les relations humaines ? Les pratiques de chercheurs du début du XX<sup>e</sup> siècle comme <a href="https://books.google.es/books/about/Race_Language_and_Culture.html?id=BnEV5JwQFhoC&redir_esc=y">Franz Boas</a>, <a href="https://books.google.es/books/about/An_Anthropologist_at_Work.html?id=9mEKAQAAIAAJ&redir_esc=y">Ruth Benedict</a>, et <a href="https://books.google.es/books/about/Sex_and_Temperament.html?id=tYLS3mqMa_oC&redir_esc=y">Margaret Mead</a> pour ne citer qu’eux, sont devenues des exceptions.</p>
<p>En outre, la grande majorité des ouvrages de ces chercheurs ne passeraient plus aujourd’hui l’examen éthique. Ce n’est pas seulement à cause de nombreuses lacunes et d’angles de vue désormais considérés problématiques, comme l’eurocentrisme. A l’époque, certaines conversations importantes, effectuées dans la dignité et le respect de l’autre, ont pu être analysées sans nécessairement tenir compte du consentement des individus. Dans le but de comprendre certains comportements ou schémas sociaux, ils observaient sans interagir avec les cas étudiés. Ces travaux de recherche se faisaient donc en général sans consentement. Parfois en raison de barrières linguistiques et culturelles, mais plus souvent encore parce qu’ils pensaient que cela affecterait le comportement des participants.</p>
<h2>Combiner éthique et recherche innovante</h2>
<p>Aujourd’hui, les recherches soutenues par des bourses prestigieuses – Marie Curie, par exemple – sont souvent soumises à des <a href="https://ec.europa.eu/research/participants/data/ref/h2020/grants_manual/hi/ethics/h2020_hi_ethics-self-assess_en.pdf">règles éthiques très rigides</a> qui limitent la créativité et la nouveauté.</p>
<p>Pourtant, les résultats les plus époustouflants que j’ai recueillis dans mes recherches ont souvent été la conséquence d’interactions spontanées, avec beaucoup de moments de surprise et de vulnérabilité partagée. Toute <a href="https://www.routledge.com/Sexuality-after-War-Rape-From-Narrative-to-Embodied-Research/Mocnik/p/book/9780367208172">mon argumentation sur l’utilisation du corps</a> comme puissant témoin de traumatismes repose sur une découverte accidentelle. Les activités, les réactions et les expressions des femmes, au-delà de la description orale, informaient davantage sur leur traumatisme que n’importe quel entretien structuré ou groupe de discussion.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4xRilY9chIY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le corps, la meilleure porte d’entrée vers la mémoire du trauma ? Conférence du psychiatre Bessel Van Der Kolk.</span></figcaption>
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<p>Une recherche hautement réglementée et quasi « sous contrôle » qui se soucie excessivement de l’anonymisation totale – en supprimant tout élément permettant potentiellement d’identifier un enquêté – menace de détruire le cœur de la recherche anthropologique.</p>
<p>La « donnée » la plus utile que nous recueillons dans notre recherche est le récit, ces événements vécus de manière très personnelle et individuelle. Ils sont normalement racontés de façon très subjective, leur récit peut même être modifié par le temps qui passe et les circonstances qui changent.</p>
<p>Selon moi, la recherche de qualité en anthropologie et, plus généralement, en sciences humaines ne repose pas principalement sur des données vérifiées, mais sur la pensée critique, la reconnaissance des modèles humains et leur compréhension.</p>
<p>Une planification trop réglementée de la recherche permettra-t-elle de produire des résultats innovants, des savoir-faire révolutionnaires ? Il est nécessaire de protéger les participants, mais nous devons également protéger le courage d’expérimenter. Prendre des risques a toujours été une partie essentielle de toute contribution scientifique originale.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198357/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dr. Nena Mocnik est titulaire de la bourse Marie Sklodowska Curie Eutopia COFUND Science and Innovation (bourse Horizon 2020 de l'Union européenne, convention de subvention n°945380). Elle est hébergée par GRITIM-UPF Barcelona (Groupe de recherche interdisciplinaire sur l'immigration) et CYU Paris (IDHN - Institut des Humanités Numériques).</span></em></p>Le malheur ou le trauma sont au cœur de certaines recherches de terrain : comment s’y confronter tout en maintenant une démarche éthique réaliste ?Nena Mocnik, Maria Skłodowska Curie EUTOPIA-SIF COFUND Fellow, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1928752022-10-23T15:26:50Z2022-10-23T15:26:50ZLa notion de « génération Z » entrave l’intégration des jeunes sur le marché du travail<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490842/original/file-20221020-22-h06yww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=109%2C120%2C1080%2C724&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les parcours individuels, la transmission d’un métier et l’impression de faire partie d’une équipe comptent bien davantage que les supposées caractéristiques d’une tranche d’âge.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1628482">PxHere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Classer les salariés en « générations X, Y, ou Z » pose question. On s’aperçoit bien vite qu’il n’y a <a href="https://www.pole-emploi.fr/employeur/des-conseils-pour-gerer-vos-ress/generations-x-y-z--un-rapport-au.html">pas d’accord</a>, sur les <a href="https://www.amplitude-formation.com/generations-x-y-z-leurs-differences-face-au-travail/">limites chronologiques</a> ou sur les qualités et défauts supposés de chaque génération : vivre à une même époque ne suffit pas à définir une <a href="https://www.persee.fr/doc/agora_1268-5666_2001_num_26_1_1924">expérience commune</a> à toute une classe d’âge et les <a href="http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2021/09/Rapport_Harris_-_Le_coeur_des_Francais_2021_Challenges.pdf">enquêtes</a> empiriques vont à l’encontre des clichés sur une supposée spécificité des jeunes générations. Les « boomers » se sont, par exemple, vus <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33548903/f27.item">reprocher</a> dans les années 1970 certains traits communs avec ceux attribués aujourd’hui aux générations Y ou Z.</p>
<p>Des travaux sociologiques ont déjà tenté de rendre compte des conflits entre <a href="https://theconversation.com/fr/topics/generations-39137">générations</a> sur un lieu de travail, comme ceux de Stéphane Beaud et Michel Pialoux dans les usines de Sochaux-Montbéliard. Dans l’industrie, une partie des ouvriers nés après la Deuxième Guerre avaient tenté en leur temps d’autres <a href="https://editions-croquant.org/temoignages/782-les-vies-prolongees-des-usines-japy-le-travail-ouvrier-a-beaucourt-de-1938-a-2015.html">expériences de travail</a> et la plupart n’ont pas voulu que leurs enfants deviennent ouvriers. Le contexte culturel post 1968 et, localement, les changements organisationnels et les fermetures d’usines, expliquent en partie leur déception face au travail et des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/retour_sur_la_condition_ouvriere-9782707169761">relations difficiles</a> avec les plus jeunes générations, parfois plus diplômées que leurs pairs avec la création du baccalauréat professionnel.</p>
<p>Ces travaux, à la suite desquels nous inscrivons les <a href="https://injep.fr/wp-content/uploads/2018/09/rapport-2017-02-rapports-jeunes-travail-v2.pdf">nôtres</a>, montrent aussi que les conflits entre générations découlent souvent des politiques RH. Alterner des phases sans embauches de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/jeunes-21920">jeunes</a>, puis de recrutements précaires, traiter différemment jeunes et anciens, les séparer voire les opposer, penser que le diplôme peut remplacer l’expérience et tout un tas d’autres pratiques conduisent à la méfiance, une moindre transmission du métier et à un accroissement des divergences.</p>
<p>Si enfermer tous les jeunes sous une même étiquette peut, certes, fournir un outil de gestion pratique, cela reflète mal la diversité des situations ni la complexité des processus qui façonnent le rapport au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a>. Il ne faudrait pas oublier de prendre en compte les parcours individuels ainsi que l’importance de la transmission d’un métier et de l’intégration au sein du collectif de travail pour donner un sens aux efforts consentis au quotidien.</p>
<h2>Effet de parcours ou de génération ?</h2>
<p>Le rapport au travail est notamment structuré par la position sociale. Les jeunes peu diplômés des régions touchées par le chômage soulignent plus que les autres <a href="https://injep.fr/wp-content/uploads/2018/09/rapport-2017-02-rapports-jeunes-travail-v2.pdf">l’importance d’avoir un emploi</a>, et cela vaut aussi bien pour les générations X, Y ou Z. Les plus diplômés ont, eux, davantage de marges de manœuvre pour expérimenter et trouver l’activité qui leur convient.</p>
<p>Des études longitudinales (c.-à-d., qui suivent les mêmes personnes dans le temps) montrent, en outre, que les <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2022-2-page-7.htm">priorités peuvent évoluer</a> avec les premières confrontations au monde du travail. Lors de la recherche d’un premier emploi beaucoup souhaitent trouver un travail qui a du sens à leurs yeux, qui correspond à un domaine qui les passionne ou qui offre de bonnes rémunérations. Au bout de 3 à 5 ans ils mettront plutôt en avant la bonne ambiance de travail ou la recherche d’un équilibre, comme premier critère d’un emploi satisfaisant. C’est là plus un effet de trajectoire que de génération.</p>
<p>La socialisation professionnelle plus ou moins aboutie au sein d’un collectif de travail doit permettre de justifier ou non les efforts consentis et de construire puis d’entretenir l’intérêt pour une activité particulière. Deux illustrations issues d’entretiens informels pour une enquête en préparation sur le rapport au travail dans les entreprises des technologies de l’information et de la communication en témoignent.</p>
<h2>Moments de changements</h2>
<p>Un jeune ingénieur UX designer (il a pour mission de diminuer au maximum les questions que peut se poser l’utilisateur d’un site Internet) a fait plusieurs stages dans des start-up. S’il en a apprécié l’ambiance, il déplorait l’absence de contacts avec d’autres personnes exerçant la même activité ainsi qu’un manque d’organisation. Des appels d’offre sur lesquels l’équipe avait beaucoup travaillé ont, par exemple, été manqués suite à un dépôt trop tardif.</p>
<p>Pour son premier poste, il a ensuite choisi une entreprise qui propose des services numériques aux amateurs et collectionneurs de bandes dessinées. Pourtant lui-même passionné par le neuvième art, il découvre que là encore son travail reste peu reconnu. Ses projets sont systématiquement critiqués par le créateur de l’entreprise qui finit cependant par les adopter, faute d’alternatives techniques viables. D’autres tâches (de marketing, de saisie) occupent une part croissante de son temps. L’absence de progression dans son métier le conduit à douter de ses choix de carrières.</p>
<p>Il démissionne alors pour intégrer la filiale spécialisée en UX design d’un grand groupe. Le travail sur de gros projets, avec d’autres UX designers ayant des expériences et formations différentes, lui permet de renouer avec son intérêt initial pour la spécialité. Il n’envisage plus de changer de travail.</p>
<p>L’autre exemple est celui d’un Français parti à 19 ans étudier dans une capitale étrangère. A cause de l’épidémie liée au coronavirus, il n’a pas pu faire de stage dans son cursus. Après sa licence, pour connaître le monde du travail et gagner un peu d’argent, il se fait embaucher par une plate-forme de livraison de repas pour laquelle il doit gérer, depuis l’étranger, les livreurs français. Pris en charge par une collègue expérimentée il apprend vite et est bien noté.</p>
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<p>La capacité de ses collègues plus âgées à jongler avec plusieurs écrans d’ordinateurs tout en maintenant une bonne ambiance dans l’équipe et avec les livreurs l’enthousiasme. Il peut donner du sens à son travail en trouvant des moyens d’arranger la vie et le travail des livreurs qu’il apprécie.</p>
<p>Toutefois, arrive le moment ou pour augmenter la rentabilité, l’entreprise restructure le service et les algorithmes. Ses collègues les plus expérimentées trouvent d’autres emplois et les marges de manœuvre avec les livreurs disparaissent. Plusieurs salariés du service se mettent en arrêt pour burn-out. La reprise d’un master devient alors un moyen de fuir cet emploi devenu sans intérêt.</p>
<h2>Un âge de transition</h2>
<p>La jeunesse comme <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/sociologie-jeunesse-1">âge spécifique</a> entre l’adolescence et l’âge adulte est une construction récente comme l’expliquent les travaux du sociologue Olivier Galland. Elle a d’abord concerné les hommes de la bourgeoisie qui, au XIX<sup>e</sup> siècle, quittaient leur famille pour les études. Ce temps de liberté, d’expérimentation des idées, du mode de vie, de la sexualité, questionnait peu le futur travail, déterminé par les études et l’origine familiale.</p>
<p>A partir des années 1960, ce modèle va petit à petit se démocratiser avec l’extension des études supérieures. Les transformations structurelles du marché du travail (moins d’ouvriers, plus de professions intermédiaires et de cadres), l’apparition de nouvelles filières et de nouveaux métiers et, à partir de la fin des années 1970, la montée du chômage, font que la recherche de soi et l’interrogation sur l’avenir se portent de plus en plus sur la carrière envisagée. La plupart des jeunes salariés doivent passer par une période, plus ou moins longue suivant le diplôme, de précarité.</p>
<p><iframe id="Hhmoz" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Hhmoz/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La promesse d’un emploi stable et d’une progression de carrière en contrepartie de la docilité et d’un fort investissement au départ s’avère de plus en plus illusoire. La situation que vivent les nouveaux entrants sur le marché du travail est paradoxale : ils doivent, avec moins de repères que leurs aînés, trouver leur voie et faire leur place, alors même que la stabilité professionnelle et les collectifs de travail capables de transmettre un métier font plus souvent <a href="https://www.cairn.info/les-risques-du-travail--9782707178404-page-147.htm">défaut</a>.</p>
<p>En réaction, certains jeunes peuvent développer un rapport au temps paradoxal. Alors qu’ils savent par expérience, notamment les plus modestes, qu’un CDI reste indispensable pour faire des projets à long terme (développer un métier, fonder une famille), certains craignent, de s’enfermer trop précocement dans une voie dont ils ne <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/23/quete-de-sens-immediatete-mobilite-accrue-le-rapport-des-jeunes-au-travail-une-revolution-silencieuse_6110648_3234.html">perçoivent pas l’intérêt</a>.</p>
<p>Ceux qui en ont les moyens peuvent alors multiplier les expériences d’emploi et de formation. D’autres, à qui ne sont proposés que des emplois sans intérêt et mal payés, finissent par concevoir l’intérim comme un moyen de gagner un petit peu plus d’argent et de temps pour des activités plus valorisantes. Cette période reste toutefois vécue comme <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2007-4-page-96.htm">transitoire</a>, jusqu’au moment où l’on pourra enfin trouver sa place.</p>
<p>Catégoriser et traiter chaque âge en fonction de clichés pas toujours validés par l’observation peut ainsi opposer les salariés, empêcher la coopération entre les âges et finalement rendre l’intégration des jeunes plus difficile. Il semble que ce ne soit pas un baby-foot ou des journées de bénévolat offertes à des associations qui vont fidéliser les jeunes entrants, mais la transmission d’un métier et la construction collective d’un <a href="https://www.anact.fr/les-dimensions-collectives-de-la-qualite-de-vie-au-travail">sens positif au travail</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Loriol ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Classer les salariés en classe d’âge, c’est oublier de considérer les trajectoires individuelles et l’esprit d’équipe qui donnent sens aux tâches du quotidien.Marc Loriol, Directeur de recherche CNRS, sociologue, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1862422022-07-01T14:27:50Z2022-07-01T14:27:50ZLe Palio de Sienne, bien plus que du folklore italien<p>Un trait distinctif de nos sociétés modernes est la présence de rivalités bien ancrées entre groupes opposés. Dans des contextes aussi divers que la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis, un antagonisme profond entre des partis ou des entreprises rivales monte les dirigeants les uns contre les autres, entrave la coopération et peut déclencher des affrontements. Le risque d’escalade des conflits reste ainsi une menace permanente pour nos communautés, avec des effets néfastes considérables sur les résultats économiques et le bien-être des populations.</p>
<p>Dans des contextes caractérisés par des rivalités profondément ressenties, existe-t-il des facteurs susceptibles de modérer le risque d’escalade des conflits ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes tournés dans nos <a href="https://pubsonline.informs.org/doi/abs/10.1287/orsc.2019.1283">recherches</a> vers la ville de Sienne, dans la région italienne de la Toscane, pour étudier le système social construit autour du Palio, la course de chevaux mondialement réputée dont l’origine remonte au XIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Le <a href="https://www.ilpalio.org/">Palio</a> a lieu chaque année le 2 juillet et le 16 août, attirant des milliers de touristes. L’année 2022 marque son grand retour après trois ans d’interruption en raison de la pandémie de Covid-19. Chaque course consiste à faire trois tours de la principale <em>piazza</em> (place) de la ville et implique dix de ses dix-sept <em>contrade</em> (quartiers). Le Palio représente bien plus qu’une course de chevaux : c’est le cœur galopant d’un système social qui régit la vie de la ville tout au long de l’année.</p>
<h2>Il fait bon vivre à Sienne</h2>
<p>Le Palio constitue un terrain idéal pour étudier la régulation des conflits liés aux rivalités et aux alliances entre les quartiers de la ville. La rivalité désigne une relation antagoniste stable et enracinée entre deux <em>contrade</em>, transmise à travers les générations par des images, des couleurs, des récits et des histoires. La course et la rivalité sont des sujets de discussion omniprésents dans la ville. Chaque quartier fait tout son possible pour gagner la course ou, au moins, pour empêcher le rival de la gagner.</p>
<p>Cependant, à notre grande surprise, et contrairement à ce que l’on observe en politique et dans les affaires, ces rivalités n’ont pas été préjudiciables aux résultats économiques ou sociaux de la ville. En utilisant des sources d’archives, nous n’avons recensé que 81 accidents ou épisodes de confrontation violente entre des <em>contrade</em> rivales en près de trois siècles, la plupart étant des escarmouches mineures sans blessures ou avec des blessures légères.</p>
<p>Pendant des siècles, Sienne a pu prospérer grâce à son système social. La ville toscane a en effet longtemps été un centre financier, abritant la troisième banque d’Italie (et la plus ancienne du monde encore en activité, la Banca Monte dei Paschi di Siena). Elle s’est classée parmi les <a href="https://lab24.ilsole24ore.com/qualita-della-vita/siena">meilleurs endroits où vivre en Italie</a> selon le journal <em>Il Sole 24 Ore</em>, sur la base d’une combinaison d’indicateurs sociaux et économiques. Elle a atteint l’excellence en matière de sport, son <a href="https://www.eurosport.it/basket/serie-a-basket/2014-2015/le-squadre-piu-forti-di-sempre-la-montepaschi-siena-di-simone-pianigiani_sto6137226/story.shtml">équipe de basket-ball</a> ayant remporté le championnat national entre 2006 et 2013, et un club de football réputé ayant été promu en Serie A, la première division italienne, en 2010.</p>
<h2>Système siennois</h2>
<p>Comment les habitants de Sienne pouvaient-ils minimiser la menace d’une escalade des conflits et faire en sorte que leur communauté prospère, voire profite de la rivalité ? Dans une étude archivistique des déterminants de l’escalade des conflits sur et en dehors de la piste de course depuis 1743, nous avons identifié certains facteurs qui ont conduit à l’escalade ou à la désescalade des conflits.</p>
<p>D’une part, comme prévu, l’existence de rivalités profondément ressenties peut déclencher une escalade des conflits. Les alliances sont également des facteurs importants de conflit, car elles représentent des canaux par lesquels la rivalité se diffuse et induit la confrontation entre des coalitions opposées.</p>
<p>D’autre part, nous avons constaté que les relations personnelles qui transcendent les factions opposées constituent un puissant vecteur de désescalade des conflits. Par exemple, lorsque des jockeys professionnels – acteurs clés du système siennois – passent d’une <em>contrada</em> à une autre, ils entretiennent des relations personnelles étroites avec les membres de leur ancien camp. Le capitaine de l’ancien employeur fait connaissance avec la famille du jockey et des habitants du quartier maintiennent des liens personnels solides. Ces relations permettent un équilibre global du système en réduisant la possibilité d’une escalade du conflit entre les camps rivaux lorsque des changements se produisent.</p>
<h2>Une forme de conflit régulé</h2>
<p>Plus généralement, nos recherches montrent que les liens personnels qui transcendent les camps, tels que les mariages, les amitiés et les expériences scolaires ou professionnelles communes, bien que peu fréquents, renforcent le sentiment d’appartenance à une communauté partagée, dont le bien-être passe avant les intérêts d’un seul groupe.</p>
<p>Conformément à la vision de l’anthropologue américaine Sydel Silverman, le Palio est une « <a href="https://www.jstor.org/stable/643774">forme de conflit régulé</a> structuré comme un jeu ». Pendant l’été, la rivalité gagne le centre de la scène, et peut s’intensifier à l’intérieur des limites implicites définies par les contacts personnels. Mais tout au long de l’année, la coopération entre les quartiers sur des questions cruciales, renforcée par les liens personnels qui unissent les individus entre eux, peut faire prospérer le système.</p>
<p>Un exemple de cette coopération fructueuse a notamment été observé pendant la crise du Covid. Le Palio a été reporté de deux ans, avec un impact significatif sur les revenus et le moral de la ville. Pourtant, les contrade ont trouvé le moyen de garder vivant l’esprit de la ville et le système social sous-jacent, même dans les jours les plus sombres de la pandémie. Les <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/europe/coronavirus-italy-siena-song-canto-della-verbena-video-lockdown-a9399176.html">collaborations entre quartiers rivaux se sont multipliés</a> au cours de cette période, allant des soins de santé et aux aides aux différentes communautés. Ces épisodes montrent que la rivalité peut faire partie d’un système social, mais que la polarisation peut également être régulée et surmontée face à de grands défis.</p>
<h2>Les leçons du Palio</h2>
<p>Les leçons de la ville de Sienne peuvent-elles s’appliquer ailleurs ? Dans le domaine de la politique et des affaires, l’antagonisme est sans aucun doute une menace. Les alliances peuvent également être un vecteur d’escalade des conflits : pensez à la confrontation entre les <a href="https://theconversation.com/gouvernement-limpossible-compromis-185879">grandes coalitions au sein du parlement français</a> ou à la concurrence entre les écosystèmes <a href="https://theconversation.com/fr/topics/boeing-67782">Boeing</a> et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/airbus-35468">Airbus</a> dans l’aéronautique. Dans un tel contexte, des liens interpersonnels peuvent être créés et exploités pour freiner l’essor de conflits potentiels.</p>
<p>Les consultants ou les employés qui passent d’une entreprise à l’autre peuvent ainsi faire en sorte que la confrontation des entreprises ne nuise pas à la frontière de la productivité dans ce secteur. IBM et Apple sont historiquement des entreprises concurrentes, mais les douze années d’expérience professionnelle de Tim Cook chez IBM ont atténué les tensions entre les firmes au point que le <a href="https://www.lesechos.fr/2014/07/sainte-alliance-apple-ibm-pour-attaquer-le-marche-des-entreprises-306789">PDG d’Apple a conclu une alliance avec IBM</a> en 2014.</p>
<p>En politique, des individus appartenant à des coalitions opposées, liés par des amitiés communes ou venant des mêmes régions, peuvent être les meilleurs champions susceptibles de surmonter l’impasse d’un parlement sans majorité claire. Par exemple, de nombreux députés de la majorité ont des expériences antérieures de travail avec d’autres partis, que ce soit au sein du Parti socialiste ou des Républicains. En outre, plusieurs membres de différents partis ont fréquenté la même école française ou ont envoyé leurs enfants dans les mêmes écoles. Ces contacts personnels seront fondamentaux pour réduire les conflits et faire avancer les choses au cours des cinq prochaines années.</p>
<p>Il est également essentiel de créer un calendrier avec des espaces pour la confrontation et des espaces qui permettent la coopération dans la recherche du bien commun. À Sienne, le calendrier du Palio fixe l’heure de ces phases. Ces espaces peuvent-ils être créés dans des communautés plus larges ? Les récents événements de la politique américaine ont montré que des <a href="https://theconversation.com/first-bipartisan-gun-control-bill-in-a-generation-signed-into-law-3-essential-reads-on-what-it-means-185822">initiatives bipartisanes sur la réglementation des armes à feu</a> pouvaient avoir lieu même dans un contexte de polarisation extrême lorsque les nations sont confrontées à de graves défis. Nos communautés et nos partis doivent faire de la place dans le calendrier institutionnel pour des initiatives similaires, indépendamment des événements extérieurs.</p>
<p>La rivalité reste une menace, mais c’est aussi une opportunité qui motive les individus et <a href="https://news.cision.com/bjorn-borg/r/research-study-shows-that-rivalry-can-both-drive-performance-and-compassion-,c2181216">favorise les performances</a>, comme le montrent des recherches menées récemment à l’Université de New York. Il est donc crucial de trouver des moyens de contrôler le côté obscur de l’antagonisme et de tirer parti de la rivalité pour le bien commun. Les citoyens de Sienne nous montrent ici la voie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La traditionnelle course de chevaux, qui revient ce 2 juillet après trois d’interruption, a constitué au fil du temps un facteur d’apaisement des rivalités entre les quartiers de la ville toscane.Elisa Operti, Professeur associé en management, ESSEC Shemuel Lampronti, Assistant Professor of Strategic Management , Warwick Business School, University of WarwickStoyan V. Sgourev, Professor of Management, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1819102022-05-22T16:00:15Z2022-05-22T16:00:15ZBonnes feuilles : « La guerre de l’espace aura-t-elle lieu ? »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/464534/original/file-20220520-14-xijgj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">shutterstock</span> </figcaption></figure><p><em>Soixante ans après le vol inaugural de Spoutnik, plusieurs États, dont les États-Unis et la France, se sont dotés d’une « armée de l’espace » : l’espace est-il sur le point d’entrer en guerre ? Les humains vont-ils transporter dans les étoiles les conflits qu’ils mènent sur Terre ? La question est d’autant plus actuelle que, dans le même temps, les entrepreneurs du NewSpace expriment des velléités d’exploiter les ressources de l’espace et mettent ainsi en défaut les principes du droit de l’espace, en particulier ceux de non-appropriation et de libre accès. Les inévitables conflits d’intérêts conduiront-ils à des affrontements interplanétaires ? En réalité, l’espace est déjà en guerre, parce que nous les humains le sommes. Et si nous considérions l’espace comme une occasion, un lieu pour imaginer et poser les éléments d’une paix entre les pays, entre les humains ?</em></p>
<p><em>Nous vous proposons de lire un extrait de cet ouvrage « La guerre de l’espace aura-t-elle lieu ? » aux éditions de L’Harmattan.</em></p>
<hr>
<p>Dans Les horizons chimériques, un ouvrage où il ne cache pas son enthousiasme pour l’entreprise spatiale inaugurée le 4 octobre 1957 dans laquelle il voit « les prémisses d’une irréversible envolée de l’Homme vers de nouveaux rivages dans l’Univers », Roger-Marie Bonnet parle du Glaive et de la Paillasse, autrement dit des forces militaires et de la recherche scientifique, comme des deux géniteurs, des deux origines de l’espace. Pour l’ancien directeur scientifique de l’Agence spatiale européenne, l’espace serait en quelque sorte dual de naissance, par principe.</p>
<p>André Lebeau, qui a présidé le Centre national d’études spatiales au cours des années 1990, met en avant la dimension militaire pour l’intégrer dans une vision historique. « La fusée spatiale, écrit-il dans L’espace en héritage, telle qu’elle est apparue dans les années cinquante, est fille de la guerre ; elle est issue du développement des techniques d’armement et, somme toute, c’est naturel. » Nul n’ignore que les lanceurs spatiaux actuels, quelle que soit leur « destination », sont effectivement issus du développement de la fusée V2 utilisée par les armées allemandes au cours de la Deuxième Guerre mondiale, puis des engins balistiques intercontinentaux. Et, si elle est officiellement le fait d’une agence spatiale civile aux États-Unis, au contraire de l’organisation politique de la filière spatiale soviétique, quant à elle explicitement duale, la course à la Lune n’est en réalité qu’un chapitre de la Guerre froide, une manière de faire diversion, de détourner des moyens humains et financiers vers des fins moins agressives et destructrices que la course aux armements nucléaires.</p>
<p>André Lebeau n’ignore donc pas le caractère dual de l’espace. Lorsqu’il analyse une dimension spatiale plus immatérielle que les lanceurs, celle de l’information et du renseignement, il écrit encore : « Il faut rassembler les informations sur lesquelles va se fonder l’action, et c’est le rôle de l’observation ; il faut conduire l’action, et c’est le rôle des flux d’informations émis du centre vers la périphérie et de la périphérie vers le centre. » Capter et émettre des signaux, les civils comme les militaires en ont besoin autant les uns que les autres. Ce qui conduit le connaisseur de l’histoire des techniques qu’est André Lebeau à conclure : « Tout cela témoigne d’une vérité plus large. </p>
<p>Toute grande technique, au fur et à mesure qu’elle se développe et qu’elle occupe son domaine de pertinence, s’inscrit à la fois dans la dimension civile et dans la dimension militaire. Il en est peu qui échappent à cette dualité ; dans l’ordre militaire, alors que les techniques qui traduisent une maîtrise de l’énergie et de la matière contribuent, étape après étape, à bâtir la force, les techniques informationnelles en organisent la mise en œuvre. » Et parmi ces « techniques informationnelles », l’une des plus couramment utilisées aujourd’hui, celle de la géolocalisation et du télépositionnement par satellites, a bel et bien une origine militaire. Le premier système spatial mis au point pour rendre ce type de service est le célèbre GPS (pour Global Positioning System, Système mondial de positionnement), élaboré par le département de la Défense des États-Unis à des fins militaires à partir de 1973, mis à la disposition d’usages civils dix ans plus tard.</p>
<p>Le GPS est sans doute l’exemple le plus flagrant du caractère dual de l’espace, mais il est loin d’être unique ou exceptionnel ; les systèmes de positionnement qui ont été installés après lui, comme Galileo par l’Europe, sont eux aussi duaux. Il en est de même dans le domaine de la télédétection, autrement dit de l’observation de la Terre depuis l’espace. Après l’utilisation par les forces armées américaines des images envoyées par les satellites civils américains Landsat et français Spot au cours de la guerre du Golfe, la dualité spatiale a pris une forme plus permanente que celle d’achats de données par les forces armées auprès de sociétés civiles : à l’instar d’Athena-Fidus, plusieurs satellites ont été imaginés, programmés et lancés avec une mission, une utilisation d’emblée duale, comme les deux satellites Pléiades. En fin de compte et à en croire plusieurs experts du domaine, plus de 75 % des satellites qui orbitent aujourd’hui autour de la Terre servent, d’une manière ou d’une autre, à des activités militaires, qu’ils y soient spécifiquement dédiés (20 % environ), qu’il s’agisse d’une mission secondaire ou d’une utilisation « hors norme ».</p>
<p>L’importance de ces chiffres ne se discute guère : au contraire, autour de la Terre, le caractère dual des activités spatiales s’impose. Comme s’impose l’une de ses principales conséquences, au regard de la « révélation » faite à Toulouse par Florence Parly : si l’agression d’Athena-Fidus était relativement simple sinon à observer du moins à qualifier du fait de l’identité des deux protagonistes, il n’en est pas toujours de même des intentions réelles des opérateurs d’un satellite dual à l’égard d’un autre satellite dual. Distinguer les attitudes défensives des attitudes offensives s’avère alors beaucoup plus complexe, voire impossible ; dès lors, est-il toujours possible de donner une définition claire et précise à une « menace spatiale » ?</p>
<p>Les propos précédents d’André Lebeau convoquent l’exemple d’un autre domaine technologique, celui de l’aéronautique, née un demi-siècle avant Spoutnik. L’un de ses inspirateurs, Clément Ader, a écrit : « Sera maître du monde qui sera maître du ciel. » En 1949, Alexander Prokofieff de Seversky, un pilote russe émigré aux États-Unis, devenu constructeur d’avions, transforme la prophétie de l’inventeur français en constat : « Le ciel est devenu le premier moyen de puissance globale. » Ce que confirme un général américain, un mois et demi après le succès du premier satellite soviétique, en franchissant, sans hésitation et en termes sans équivoque, la frontière atmosphérique : « Quiconque est capable de contrôler l’espace aérien est également en mesure d’exercer son contrôle sur les terres et mers situées en dessous. Je pense qu’à l’avenir, ceux qui sauront contrôler l’espace sauront également prendre le contrôle de la surface de la Terre… À propos du contrôle des airs et de l’espace, je tiens à souligner qu’il n’existe aucune séparation en soi entre l’air et l’espace. Ils constituent des champs d’opérations indivisibles. » En appliquant à l’espace extra-atmosphérique la prophétie aérienne d’Ader, l’officier supérieur américain donne aux notions synonymes de maîtrise et de contrôle des accents franchement militaires.</p>
<p>Le dithyrambe du général doit toutefois être tempéré : il existe une « séparation en soi » entre l’air et l’espace, et même plusieurs. La plus évidente est celle à laquelle j’ai recouru en usant des termes d’aérien et d’extra-atmosphérique : aussi compliquée à tracer que soit la frontière entre eux, il existe bel et bien un domaine atmosphérique (une couche) et un domaine extra-atmosphérique (que nous appelons habituellement « l’espace »). Par ailleurs, atteindre ce dernier et surtout s’y déplacer, y séjourner exige la mise au point de techniques particulières, celles de l’astronautique, qui diffèrent notablement de celles de l’aéronautique. La plus évidente des différences est celle des vitesses minimales à atteindre : la vitesse minimale de satellisation autour de la Terre est 7,9 km/s et la vitesse de libération de l’attraction terrestre est 11,2 km/s, deux vitesses qui se situent très au-delà des vitesses habituelles des aéronefs. Toutefois, la « séparation » ou plus exactement la différence la plus nette réside sans nul doute dans le caractère limité de l’espace aérien, à la différence de l’espace cosmique qui, s’il n’est pas assurément infini, est pour le moins illimité, sa seule frontière étant précisément celle de son « plancher », j’entends celle de l’atmosphère. J’y reviendrai.</p>
<p>À ces différences d’ordre physique il convient d’en ajouter une dernière, celle du rôle joué par les usages militaires dans les naissances respectives de l’aéronautique et de l’astronautique. Il serait trop facile d’évoquer les figures audacieuses et sympathiques des pionniers de l’aviation, ceux qui construisaient les premiers plus-lourds-que-l’air dans leurs propres ateliers avant d’apprendre à les piloter eux-mêmes et de leur « opposer » celles des ingénieurs réunis autour de Wernher von Braun sur la base de Peenemünde pour mettre au point les V2, avant de les pointer vers Paris, Londres et Anvers. Certes, l’aviation est officiellement née le 17 décembre 1903 : ce jour-là, le Flyer des frères Wright est le premier des avions (un terme déjà utilisé par Clément Ader) à quitter le sol pour effectuer un vol motorisé et contrôlé. Mais l’aviation aurait-elle été davantage qu’une occupation réservée à de « merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines » si n’avait pas eu lieu, le 5 octobre 1914, le premier combat aérien de l’histoire ? Ce jour-là, les Français Joseph Frantz et Louis Quenault, à bord d’un Voisin III abattent l’Aviatik B. II des Allemands Wilhelm Schlichting et Fritz von Zangen. Les premiers rentrent d’un vol de bombardement d’un fort près de Reims, les seconds sont en mission d’observation des lignes françaises. Tout est dit dans cet événement : dès les premiers jours de la Grande Guerre, l’espace aérien devient un lieu d’affrontement entre les nations. Les avions ne transportent pas seulement des observateurs, mais très rapidement des bombes et des mitrailleuses. Les appareils portent les cocardes de leurs pays respectifs ; les frontières (à cette période, celles marquées au sol par les tranchées) sont défendues jusque dans l’air et, une fois l’armistice signée, sont conservées.</p>
<p>Il n’en est pas de même le 4 octobre 1957, lors de la mise en orbite du premier Spoutnik. La guerre, cette fois, n’est pas déclarée ; elle est « froide », même si le moindre incident aurait pu tout changer, comme la crise des missiles de Cuba en octobre 1962 l’a montré. D’ailleurs, à la fin des années 1950, les capacités des satellites restent limitées ; plusieurs années sont nécessaires pour mettre au point les premiers satellites-espions et leur usage n’est encore que stratégique. Cette situation peut expliquer que, un mois après le lancement de Spoutnik, l’Assemblée générale des Nations unies, dans sa résolution 1148 sur la réduction des armements, demande l’étude d’un « système d’inspection qui permettrait de s’assurer que l’envoi d’objets à travers l’espace extra-atmosphérique se fera à des fins exclusivement pacifiques et scientifiques ». </p>
<p>Le souci des Nations unies est de « réduire le danger de guerre et d’améliorer les perspectives d’une paix durable » : autrement dit, il n’est pas question de réitérer dans l’espace la victoire de Frantz et Quenault, mais au contraire de préserver la situation, le statu quo de Guerre froide au-delà de l’atmosphère, même en absence de frontière spatiale, là où ne semble pas pouvoir être appliqué le dicton : « Les bonnes clôtures font les bons amis ». Même si elle est liée aux efforts de l’époque en faveur du désarmement et du contrôle des armes nucléaires, la résolution onusienne est dans les faits la première étape de l’élaboration et de la mise en place d’un appareil juridique dédié à la gestion de l’espace extra-atmosphérique, sans attendre que s’imposent une coutume et une pratique éventuellement défavorables aux intérêts des nations. L’espace doit demeurer préservé de toute forme d’agression et destiné au seul emploi stratégique. Toutefois, comme Florence Parly en a fait publiquement le constat, les temps semblent avoir désormais changé.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/464535/original/file-20220520-23-4zq3z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/464535/original/file-20220520-23-4zq3z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/464535/original/file-20220520-23-4zq3z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/464535/original/file-20220520-23-4zq3z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/464535/original/file-20220520-23-4zq3z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/464535/original/file-20220520-23-4zq3z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1203&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/464535/original/file-20220520-23-4zq3z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1203&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/464535/original/file-20220520-23-4zq3z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1203&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Couverture de l’ouvrage <em>La guerre de l’espace aura-t-elle lieu ?</em> Aux éditions de L’Harmattan.</span>
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</figure>
<p>Il est vain de rêver à une aéronautique comme à une astronautique qui resteraient vierges de tout usage militaire : le ver était sans doute dans la pomme dès les premiers coups de crayon de leurs inventeurs et cette pomme avait trop belle allure pour que les militaires ne la croquent pas. La guerre est peut-être le « péché originel » de l’aviation comme de l’espace, mais un péché sans lequel, force est de le reconnaître, ces deux domaines n’auraient probablement jamais atteint l’âge adulte. Ce constat nous rappelle que l’espace, malgré toute la richesse symbolique, émotionnelle qu’il est capable de provoque, entretenir ou de véhiculer, n’en constitue pas moins un ensemble d’activités dont les humains sont seuls à posséder la responsabilité. John F. Kennedy nous a mis en garde dans le discours qu’il prononce à Houston le 12 septembre 1962 : </p>
<blockquote>
<p>« Nous posons des voiles sur cette nouvelle mer, parce qu’il y a de nouvelles connaissances à acquérir, de nouveaux droits à gagner, et ils doivent être gagnés et être utilisés pour le progrès de tous les peuples. Car la science de l’espace, comme la science de l’atome de même que toute la technologie, ne possède pas de conscience propre. Qu’elle soit mise au service du bien ou du mal dépend de l’humanité ; si les États-Unis occupent une position de prééminence, nous pourrons aider à décider si cet océan sera une mer de paix ou un nouveau, terrifiant théâtre de guerre. » </p>
</blockquote>
<p>Ce n’est donc pas l’espace, mais plutôt notre humanité qui est duale, profondément duale.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181910/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacques Arnould est l'auteur du livre présenté dans cet article.</span></em></p>L’espace deviendra-t-il un lieu de conflit ou de paix ?Jacques Arnould, Expert éthique, Centre national d’études spatiales (CNES)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1824702022-05-10T21:49:54Z2022-05-10T21:49:54ZLe systémicien, nouveau démineur de conflits en entreprise<p>Selon l’Observatoire du coût des conflits au travail, <a href="https://www.opinion-way.com/fr/inside-by-opinionway/a-la-une/489-observatoire-du-cout-des-conflits-opinionway-all-leaders-initiative-avec-topics.html">plus de deux salariés sur trois se déclarent en situation de conflit</a>. Une étude plus ancienne d’OPP Ltd, cabinet de consultants spécialisé dans la psychologie du travail, précise que les salariés français « passent, en moyenne, <a href="https://fr.slideshare.net/PortailGLF/etude-opp-conflits-au-travail">1,8 heure par semaine</a> » à gérer ces difficultés. Et que 51 % des salariés des départements ressources humaines y consacrent de 1 à 5 heures hebdomadaires. </p>
<p>Or le temps, c’est de l’argent. La perte pour les entreprises de l’Hexagone est estimée à l’équivalent d’un mois de travail par an, soit une facture de plus de 152 milliards d’euros chaque année. Ainsi, la question de la résolution des conflits dans un cadre professionnel représente un enjeu économique autant que social. </p>
<p>Pour prendre en charge ces tensions, les entreprises ont aujourd’hui généralement recours à la médecine du travail, à des médiateurs, des coachs, des juristes ou des organisations syndicales. Autant d’acteurs – particulièrement la médecine du travail –, qui sont généralement démunis face à des situations à la croisée de la santé individuelle et du bien-être collectif. La seule réponse est trop souvent l’arrêt de travail, le licenciement ou la mutation. Mais il existe une autre approche, encore méconnue, bien que particulièrement efficace : l’intervention d’un systémicien. </p>
<h2>Des situations qui se sont « dégonflées d’elles-mêmes »</h2>
<p>De quoi s’agit-il ? L’approche dite systémique est issue de l’école de pensée de Palo Alto, en Californie. Une théorie des sciences de la communication qui consiste à aborder les conflits entre personnes comme un dysfonctionnement du système de relations qu’un individu entretient avec lui-même, avec les autres, et avec le monde. Pour parler simplement, le systémicien est un expert des dynamiques relationnelles et de leur régulation. </p>
<p>Un exemple – réel – permet de comprendre comment il procède. Magali*, 35 ans, travaille dans une entreprise de presse. Elle dirige deux personnes, dans un contexte tendu de transformation digitale. Plus elle se sent en difficulté, plus elle consacre d’énergie à se montrer irréprochable, notamment en planifiant à l’extrême les tâches de son service. « Je finis par me dire que je suis trop exigeante », s’inquiète-t-elle. De fait, ses collaboratrices lui reprochent de ne pas tenir compte de leurs difficultés personnelles. </p>
<p>C’est dans ce contexte que sa N + 1 est affectée à une autre mission. Magali se retrouve alors en prise directe avec Édouard, son N + 2. Celui-ci reçoit les plaintes des subordonnées de Magali et reproche publiquement à cette dernière ses insuffisances managériales. Magali vit ces reproches comme une injustice. Plus elle cherche à se justifier, plus Édouard s’emporte et plus elle-même ressent colère et peur de ne plus être à la hauteur. « Si rien ne change, je vais chercher un autre travail »… </p>
<p>C’est la directrice des ressources humaines, saisie de la question, qui a adressé Magali à une systémicienne. Les premières séances permettent la « délimitation » du problème. L’intervenante cerne les difficultés de sa cliente. Tant vis-à-vis de son supérieur que de ses collaboratrices, cette femme qui veut être parfaite est sur le qui-vive et « redoute sans cesse qu’on lui reproche un problème de management ».</p>
<p>Elle met en place ce que les systémiciens appellent des « tentatives de solution », des stratégies qui aggravent et enkystent le conflit au lieu de le résoudre. Ainsi, Magali prépare soigneusement son argumentation avant de rencontrer son manager, se plaçant sur la défensive. Avec ses collaboratrices, elle évite à tout prix d’aller sur le terrain émotionnel, quitte à s’isoler. </p>
<p>L’intervenante va donc lui proposer des stratégies alternatives, souvent paradoxales. Par exemple, avec Édouard, la « technique du pare-choc » : commencer une intervention par « Je sais que je vais vous décevoir, mais… », pour désamorcer les reproches redoutés. C’est la deuxième phase de l’intervention, dite de la « perturbation ». Enfin, le travail s’achève par un « ajustement » de la stratégie en fonction des résultats de l’expérimentation. </p>
<p>À sa huitième séance, Magali estime qu’« il y a des enjeux que j’ai réussi à démêler, ce n’est plus du tout mélangé comme ça pouvait l’être il y a quelques mois ». Et la séance suivante – la dernière –, elle tire ce bilan : « je pense que ça va beaucoup mieux. Des situations se sont dégonflées d’elles-mêmes et j’ai repensé à ce que vous m’aviez dit : ça a pris du sens ». L’intervenante propose à sa cliente un questionnaire d’évaluation. Sur une échelle de 0 à 10, pour Magali, le problème est résolu à hauteur de 8. Le coaching de Magali aura duré neuf séances sur un an. </p>
<h2>« Le cœur a ses raisons… »</h2>
<p>Notre <a href="https://ripco-online.com/FR/paper.asp?PaperPK=nOkR3mwiBT7o">recherche</a>, menée sur une population de 357 clients du <a href="https://www.lact.fr/nos-videos-articles/blogs/549-presentation-de-syprene-recherche">réseau SYPRENE/LACT</a> sur les pratiques pour les thérapeutes et les chercheurs en stratégie et en systémique, montre plutôt une moyenne de six séances sur une durée de 6 mois. Avec une efficacité notable : résolution du problème ou au moins amélioration tangible dans 88 % des cas. </p>
<p>L’intérêt pour une entreprise paraît évident : une économie de moyens, en temps et en ressources. « Généralement, au bout de 6 semaines, on observe une baisse de la crise », confirme ce HR Talent Developer d’un groupe de luxe, interrogé dans le cadre de notre recherche. Un autre professionnel, développeur RH et coach exécutif d’un fournisseur d’énergie, se dit impressionné. « J’ai vu à quel point en 1 ou 2 interventions, les gens se disent « mais quel était le problème ? », ils en ont oublié l’acuité et l’existence même. Ils sont passés tellement vite à autre chose, et ça, c’est le propre d’une action réussie ». </p>
<p>De manière générale, les interventions correspondent à trois types de difficultés : des problématiques de conduite du changement (perte de sens, démotivation), de souffrance au travail (burn-out, harcèlement, dépression) ou de crise (grèves, menaces de tentatives de suicide). L’approche systémique stratégique est particulièrement indiquée pour dénouer des conflits enkystés au fil du temps, où l’émotionnel a pris le dessus sur le rationnel. Car comme le rappelle Blaise Pascal : « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ». « C’est plus rapide et plus efficace quand le conflit est profond, car il y a des symptômes dysfonctionnels forts », acquiesce notre HR Talent Developer. </p>
<p>Les entreprises peuvent donc d’ores et déjà ajouter un outil performant à leur dispositif d’amélioration de la qualité de vie au travail, indépendamment de la médiation et des plates-formes d’écoute téléphonique. Un nouvel outil de résolution des problèmes, nous l’avons dit. Mais aussi un outil de prévention, avec la mise en place de formations/interventions sur le management relationnel (à partir de modules collectifs de 2 heures) appliqué aux sujets sensibles de l’entreprise par exemple la discrimination, la gestion de conflits, le télétravail… Un outil, de surcroît, qui permet d’impliquer, lorsque c’est nécessaire, l’ensemble des parties prenantes : direction, management, médecine du travail, syndicats. Une saine gestion des ressources humaines peut-elle se passer d’un tel atout ? </p>
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<p><em>Les prénoms ont été changés.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182470/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Avec des méthodes qui leur sont propres, les praticiens de cette discipline née en Californie parviennent à apaiser les tensions au bout de six semaines en moyenne.Audrey Becuwe, Maître de Conférences HDR en sciences de gestion à l'IAE Limoges, IAE LimogesGrégoire Vitry, Chercheur en psychologie et sociologie, Université Paris Descartes CERMES3-Paris, Chargé de cours, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1815402022-04-21T18:11:54Z2022-04-21T18:11:54ZChroniques d’Ukraine : Un chercheur sur le terrain pour documenter la guerre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459530/original/file-20220425-22-y8hybp.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1324%2C867&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Je suis arrivé à Lublin, en Pologne, le 15 avril. À l’aéroport, je découvre que mon sac à dos a été perdu par la compagnie aérienne. Stupeur, angoisses. J’avais prévu de passer la frontière le jour même. C’est la première étape d’un tel voyage : rejoindre au plus vite le pays.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chroniques-dukraine-120841">Chroniques d'Ukraine</a>, le chercheur Romain Huët nous raconte comment la guerre change le quotidien d'une population. Sur le terrain durant les mois d'avril et mai 2022, il documente le conflit au plus près pour The Conversation.</em></p>
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<p>15 avril 2022. Voyage en direction de l’Ukraine. J’y resterai un mois. Une question simple anime mon séjour de recherche : avons-nous quelques idées de comment l’on se tient face à l’écroulement du monde ? On lui résiste par les armes, l’entre-aide, l’organisation des secours et de l’humanitaire. On l’observe avec incrédulité. On le fuit. On fait quelque chose.</p>
<p>Pendant ce mois, je tenterai de documenter le vécu quotidien de la guerre à partir des paroles des civils qui réagissent à l’histoire qui les accable.</p>
<h2>La guerre comme expérience de l’écroulement du monde</h2>
<p>La guerre est d’abord une expérience de l’écroulement du monde. C’est la perte de son prochain, l’exil et les destructions. La vie psychique est mise à l’épreuve par l’effondrement des repères qui jalonnaient habituellement la vie quotidienne. L’écroulement du monde ne se vit pas uniquement comme drame. Il suscite en chacun un cortège d’émotions insoupçonnées. C’est sans doute ce qui donne à la guerre ce sentiment contradictoire : elle attire autant qu’elle répulse. La vie y est concrètement diminuée en même temps que les gens ordinaires se redécouvrent des puissances individuelles et collectives. Elle altère tout comme elle incite à sortir de soi-même et à se tourner vers autrui. La guerre est une expérience de l’altération et de l’altérité. Elle rapporte <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Le_T%C3%A9moin_jusqu_au_bout._Une_lecture_de_Victor_Klemperer-3372-1-1-0-1.html">chacun au monde</a>, à un monde écroulé.</p>
<p>La guerre agite l’esprit. Elle a besoin de certitudes. Ses motifs ne s’accommodent pas avec le sens de la nuance. On ne résiste ni avec des « pourtant » ni avec des « pourquoi ». Ou alors, on résiste dans l’hésitation. L’hésitation ronge le courage. Un bloc de sens s’affronte contre un autre bloc de sens. « Pro-ukrainiens » et « pro-russes » clament leurs certitudes, élaborent leurs versions de l’histoire, se cramponnent à leurs convictions géopolitiques, expliquent l’irrationnel : l’invasion russe. Dans ce flot de voix aussi contradictoires qu’assurées, les significations s’immobilisent. Plus la guerre dure, plus elles se crispent. L’ethnographie tente de sauver ce que la géopolitique et les idéologies écrasent: la guerre est aussi une affaire de gens ordinaires dont l’existence en est radicalement affectée.</p>
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<p><strong>Chroniques d'Ukraine :</strong></p>
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<li>Un chercheur sur le terrain pour documenter la guerre</li>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-lart-face-a-la-guerre-181795">L’art face à la guerre</a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-volontaire-pour-entrer-en-guerre-182161">Volontaire pour entrer en guerre</a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-peut-on-tourner-le-dos-a-sa-guerre-182192">Peut-on tourner le dos à « sa » guerre ?</a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-les-ruines-linsouciance-et-la-banalisation-de-la-guerre-182601">Les ruines, l’insouciance et la banalisation de la guerre</a></li>
</ol>
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<h2>Fantasmes de la guerre</h2>
<p>Quand un ethnographe se rend sur un terrain de guerre, les questions qui le hantent sont les mêmes : qu’est-il en train de se passer ? Quelles sont les causes de la guerre ? Son point de vue <a href="https://www.ethnographiques.org/2015/Agier">est situé</a> ; rendre compte des situations locales, d’une atmosphère générale, de quelques histoires qui se racontent ici ou là, du vécu subjectif des personnes qu’il rencontre. Pour le reste, c’est-à-dire pour les vastes questions de l’origine de la guerre et des jeux de nations qui l’accompagnent, l’honnêteté intellectuelle l’oblige au silence. Il s’en tiendra à une vague réponse : il y a toute une durée qui a fomenté le chemin de la guerre. Rien ne l’assure que les points de vue localisés qu’il a récoltés sont symptomatiques de la situation générale. Mais l’histoire s’écrit aussi par le bas, c’est-à-dire par la façon <a href="https://journals.openedition.org/revss/6344">dont des civils ordinaires réagissent à la situation</a> qui les accable et comment ils justifient leur insoumission.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458812/original/file-20220420-19-vdnb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458812/original/file-20220420-19-vdnb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458812/original/file-20220420-19-vdnb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458812/original/file-20220420-19-vdnb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458812/original/file-20220420-19-vdnb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458812/original/file-20220420-19-vdnb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458812/original/file-20220420-19-vdnb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une famille ukrainienne accepte de me conduire de l’autre côté de la frontière. J’arrive à Lviv le 17 avril.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La guerre a évidemment ses dangers. Mais elle est entourée de fantasmes bien tenaces. Quiconque s’y rend, que ce soit pour documenter la situation ou contribuer à l’aide humanitaire, suscite chez ses proches un sentiment gêné. Tous s’imaginent que le témoin – pourtant étranger à la situation où il se rend – assistera à nombre de batailles, qu’il y verra les puissances de la résistance et les cruautés de la guerre. Il ne fait aucun doute que nombre d’aventures l’attendent et que sa vie sera menacée du péril. Il est honoré plus ou moins discrètement pour son courage de rejoindre le point du monde où l’histoire se fait. Ces fantasmes rendent les adieux à ses proches difficiles. Faute de mieux, quelques formules sobres et pudiques accompagnent le départ : « Bon voyage, sois prudent, reviens-nous entier ».</p>
<p>Il est bon de sentir ces attentions soudaines comme s’il fallait attendre que la vie soit possiblement menacée pour que les élans affectifs et les attaches s’expriment. Son orgueil est tout aussi gonflé qu’immérité. Ce fantasme résiste assez peu à la réalité. Les horreurs de la guerre existent assurément. Seulement, le journaliste, le chercheur ou l’humanitaire y assiste rarement directement. Il en est le témoin fugitif. Sa vie est encadrée. Il fait partie de ces vies <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ce_qui_fait_une_vie-9782355220289">particulièrement dignes d’être protégées</a>. Son corps est relativement peu exposé aux duretés de la guerre.</p>
<h2>(Dés)organiser son départ</h2>
<p>À cette version romantique de la guerre s’impose le concret de son expérience. Pour donner à un tel voyage un début de réalisation, il faut « organiser son départ ». Organiser son départ signifie collecter des informations et des contacts : où aller ? Qui rencontrer ? Comment trouver un <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/fixeur-ukraine-reportage-guerre-travail-journalistes-etrangers">fixeur de confiance</a>, c’est-à-dire une personne qui accompagne sur place, qui favorise les relations avec les combattants, qui traduit ? C’est un véritable métier. La guerre offre des carrières. Celle de fixeur est l’une d’entre elles. Plus la demande est forte, plus les prix sont élevés. Aujourd’hui, il est difficile de trouver un fixeur pour moins de 250 euros par jour.</p>
<p>En 2014, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2014/03/13/maidan-la-revolution-des-classes-moyennes">pendant la révolution</a>, je m’étais rendu à Maïdan. Les contacts que j’avais pu faire pendant ce séjour ont été précieux mais souvent insuffisants. La quête d’information est harassante. Elle l’est d’autant plus que l’entraide entre les personnes qui couvrent le conflit est souvent faible. D’abord, parce que la vie de chacun est plongée dans le désordre et l’incertitude. Chaque plan édifié un soir est démenti ou dévié le lendemain. Chacun se préoccupe des rencontres qu’il pourra faire, des lieux pertinents à rejoindre, des personnes avec qui il serait opportun de travailler. L’incertitude est d’autant plus pesante pour chacun que son temps sur place est bref et qu’il doit « restituer » et « trouver un sujet ». Il est alors préférable d’activer les contacts une fois sur place : « Je suis à Kiev ! »</p>
<p>Cette indication « d’être là » signe le fait d’être un interlocuteur pertinent. Il y a aussi une raison moins noble : la concurrence entre les journalistes ou les chercheurs. L’effort déployé pour se faire un réseau a un coût, la concurrence entre chacun est une réalité. Nombre de mes messages à des personnes sur place sont restés sans réponse. La guerre et les enjeux de sa documentation n’engendrent pas toujours les élans de solidarité auxquels on pourrait normalement s’attendre lorsqu’un peuple est menacé de disparition. La guerre commande une certaine attitude : appréhender et se laisser aller au fil des rencontres. Se « laisser aller » est un « laisser ouvert ».</p>
<h2>Que met-on dans son sac ?</h2>
<p>Peu de choses sont écrites sur les détails pratiques d’un tel voyage. Que met-on dans son sac ? La règle est de voyager léger pour faciliter les déplacements. Mais un mois est une certaine durée. Une dizaine de sous-vêtements, trois tee-shirts, un jeans, un pull, vingt piles pour le dictaphone, un ordinateur, de l’argent en liquide, un gilet pare-balles (en France, un gilet pare-balles de troisième catégorie coûte plus de 2 000 euros) emprunté à Reporters sans Frontières, un casque, quatre cahiers : un pour écrire mes pensées, trois autres pour noter ce que mes interlocuteurs me confieront.</p>
<p>J’y ai ajouté quelques livres. Les choix ont été difficiles. J’ai opté pour la littérature : Romain Gary, <em>La promesse de l’Aube</em>, Frédérique Deghelt, <em>Sankhara</em>, Richard Flanagan, <em>La route étroite vers le Nord lointain</em>. Je n’ai pas la moindre idée de ces romans, de leur qualité et de leur puissance. Mais, la littérature souffle des mots et aide à se trouver un regard dans les affairements du chaos de la guerre. Au dernier moment, j’ai emmené avec moi Georges Didi-Huberman, <em>Le témoin jusqu’au bout</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458811/original/file-20220420-19-wtrf1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458811/original/file-20220420-19-wtrf1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458811/original/file-20220420-19-wtrf1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458811/original/file-20220420-19-wtrf1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458811/original/file-20220420-19-wtrf1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458811/original/file-20220420-19-wtrf1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458811/original/file-20220420-19-wtrf1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Alors que la guerre donne le sentiment à ceux qui y participent d’avoir une « prise sur le monde » jusque dans son écroulement, l’ethnographe, quant à lui, le sent se dérober entièrement à ses domestications.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une recherche sur un terrain de guerre ne se laisse pas domestiquer par quelques rationalisations. Il est utile d’avoir un réseau capable d’informer sur la situation, de faciliter les démarches administratives, de mettre en relation avec les personnes qu’il faut rencontrer. Cependant, il faut admettre une constante : alors que la guerre donne le sentiment à ceux qui y participent d’avoir une « prise sur le monde » jusque dans son écroulement, l’ethnographe, quant à lui, le sent se dérober entièrement à ses domestications. Ce genre de voyage est pavé d’incertitudes. Il est fait de naïves anticipations, de plans aussi vite avortés qu’édifiés.</p>
<h2>Bohdan, 21 ans</h2>
<p>Je suis arrivé à Lublin, en Pologne, le 15 avril. À l’aéroport, je découvre que mon sac à dos a été perdu par la compagnie aérienne. Stupeur, angoisses. J’avais prévu de passer la frontière le jour même. C’est la première étape d’un tel voyage : rejoindre au plus vite le pays. Après m’être acquitté d’une chambre d’hôtel, je me dirige vers un taxi pour qu’il m’emmène à la gare ferroviaire afin de me tenir informé des prochains départs de train pour l’Ukraine. Cette complication a eu une conséquence inattendue et extrêmement heureuse. Je rencontre Bohdan, 21 ans, étudiant et chauffeur de taxi pour financer ses études. Bohdan est ukrainien. Je lui parle de mon intention. Il décide de m’aider à trouver le meilleur moyen pour rejoindre l’Ukraine. À la gare de train, il ne me dépose pas. Il m’accompagne pour m’aider dans ma quête d’informations. J’apprends que le prochain train pour Kiev sera vendredi prochain, c’est-à-dire dans une semaine : « tout le monde rentre à Kiev » nous indique l’agent au guichet.</p>
<p>Je suis un peu dépité. Bohdan me propose d’aller à la gare routière. On s’informe sur les prochains départs. À cause des fêtes de Pâques, il n’y aura pas de bus avant le mercredi 20 avril. Je ne peux pas attendre une date si lointaine. Bohdan me raccompagne dans le centre de Lublin. Il refuse mon argent : « Je fais ça pour les Ukrainiens, si c’était ton entreprise qui payait, j’aurais pris l’argent, mais là non ». Bohdan est en Pologne depuis deux ans. Sa famille est en Ukraine. À 21 ans, il a déjà sa compagnie de taxis, composée de trois voitures. En réalité, il brûle d’envie de m’accompagner en Ukraine. Il aimerait remplir sa voiture de matériel qu’il pourrait apporter à sa famille ou aux gens sur place. Il me le dit : « Je suis impulsif, j’aime quand la vie change, j’ai soif de donner un autre cours à mon existence. »</p>
<p>Je le vois hésiter. Ce genre de voyage ne se prépare pas en quelques heures. Je suis trop pressé. La compagnie aérienne a retrouvé mon sac. Finalement, avec sa voiture, il me dépose à la frontière. Une famille ukrainienne accepte de me conduire de l’autre côté de la frontière. J’arrive à Lviv le 17 avril.</p>
<h2>Le progrès a conclu un pacte avec la barbarie</h2>
<p>Je doute que ces détails produisent un écho convaincant et instruisent sur la guerre. Ils paraissent dérisoires et futiles à côté d’une population sous les bombes, obligée à s’exiler et à faire l’expérience de la perte de son monde. Cela est exact. Seulement, <a href="https://www.revue-quartmonde.org/8022">l’ethnographie travaille dans les marges</a> et dans les détails.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458814/original/file-20220420-22-8mpkv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458814/original/file-20220420-22-8mpkv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458814/original/file-20220420-22-8mpkv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458814/original/file-20220420-22-8mpkv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458814/original/file-20220420-22-8mpkv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458814/original/file-20220420-22-8mpkv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458814/original/file-20220420-22-8mpkv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La guerre est d’abord une expérience de l’écroulement du monde. C’est la perte de son prochain, l’exil et les destructions.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Elle oppose aux fantasmes, le concret de la complication de la vie ordinaire. À la somme des anecdotes racontées ici, on pourrait bien se demander ce qui vaut la peine qu’un chercheur s’engage ainsi dans un tel terrain. La réponse, à la hauteur des anecdotes, est triviale. Il nous faut comprendre ce qu’il se passe et ce que nous sommes en train de devenir. G. Didi-Huberman rapporte que Sigmund Freud, dans son ultime ouvrage <a href="https://www.puf.com/content/Lhomme_Mo%C3%AFse_et_la_religion_monoth%C3%A9iste"><em>L’homme Moïse et la religion monothéiste</em></a>, affrontait le problème avec une simplicité déconcertante alors même qu’il était le témoin direct de l’avènement du III<sup>e</sup> Reich. Dans sa toute dernière préface, il écrivait :</p>
<blockquote>
<p>« Nous vivons dans un temps particulièrement curieux. Nous découvrons avec surprise que le progrès a conclu un pacte avec la barbarie. »</p>
</blockquote>
<p>Son enseignement résonne encore aujourd’hui. Il y a bien des façons de résister aux passions guerrières. Il en est une des plus importantes : penser, interroger ce qui est en train d’arriver, observer pour y chercher quelque chose comme un « contenu de vérité historique ».</p>
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<p><em>Prochaine étape : <a href="https://theconversation.com/chroniques-dukraine-lart-face-a-la-guerre-181795">Lviv</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet article s'inscrit dans la continuité des recherches et de l'ANR portés par l'auteur 'Ethnographie des guérillas et des émeutes : formations subjectives, émotions et expérience sensible de la violence en train de se faire – EGR' <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011">https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011</a>.</span></em></p>L’ethnographie tente de sauver ce que la géopolitique et les idéologies écrasent : la guerre est aussi une affaire de gens ordinaires. Romain Huët raconte son départ pour l’Ukraine.Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1789092022-03-17T19:25:24Z2022-03-17T19:25:24ZLe retour de la guerre confirme en creux que l’histoire est bel et bien finie<p>La difficulté majeure de la guerre faite à l’Ukraine ne tient pas à Poutine seul. Les controverses auxquelles donne lieu le conflit signalent la profonde complexité géopolitique de la situation. La difficulté tient à quelque chose dont nous sommes toutes et tous, humains, désormais responsables.</p>
<p>Ce que Poutine semble de toute évidence ne pas savoir, non plus que nous toutes et tous, est que l’histoire est très probablement totalement terminée. Et elle s’est sans nul doute terminée bien avant les thèses de Fukuyama sur la <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/lhistoire-de-la-fin-de-lhistoire">fin de l’histoire</a> parues après la chute du mur de Berlin. Le compatriote de Poutine plus tard naturalisé français, Aleksandr Kojevnikov (Alexandre Kojève), né à Moscou en 1902, l’avait magistralement compris et enseigné dans un livre publié en 1947, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Idees/Introduction-a-la-lecture-de-Hegel"><em>Introduction à la lecture de Hegel</em></a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/450910/original/file-20220309-19-pwxi8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450910/original/file-20220309-19-pwxi8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450910/original/file-20220309-19-pwxi8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450910/original/file-20220309-19-pwxi8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450910/original/file-20220309-19-pwxi8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450910/original/file-20220309-19-pwxi8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450910/original/file-20220309-19-pwxi8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450910/original/file-20220309-19-pwxi8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Francis Fukuyama, en 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fronteirasweb/28022444332">Fronteiras Do Pensamento/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Si ce qui précède est vrai, il faut évidemment se demander ce que cela veut dire. Car ça a l’air à première vue totalement absurde. Les événements de l’actualité mondiale donnent au contraire le sentiment que loin d’être terminée, l’histoire recommence de plus belle.</p>
<p>L’histoire est terminée au sens de Kojève, car nous pouvons comprendre maintenant pourquoi l’humanité se bat depuis son avènement. Ce qui n’a pas toujours été le cas, c’est le moins que l’on puisse dire. L’humanité se bat. Elle est, on le voit de plus en plus clairement, la lutte même pour ce que l’on appelle la justice et le respect des personnes. Nous savons cela depuis l’avènement de l’idée de l’État de droit, qui rend possible l’avènement des droits de l’homme au sens générique du terme. L’humanité est à la fois l’émergence, l’avènement, et autant que possible, la réalisation du respect et de la justice.</p>
<p>L’histoire de l’humanité est l’événement de faire advenir ici-bas le respect, la reconnaissance, de chacune et chacun. Indépendamment de nos sexes, de nos couleurs de peau, de nos âges, etc. Elle a été à la fois le théâtre et l’intrigue de ce combat archaïque constitutif pour la dignité de chacune et chacun. Pour la « reconnaissance universelle de l’irréductible individualité » de chacune et chacun comme le formule Alexandre Kojève.</p>
<p>Pourquoi écrire cela maintenant ? Le pari est le suivant. Si l’on prend toutes et tous clairement conscience que l’avènement de la notion d’État de droit, appuyée sur celle de droits de l’homme, est la conséquence finale de l’aventure humaine, cette prise de conscience collective est susceptible de provoquer un effet de cliquet sur notre compréhension des choses et sur nos vies. On peut parier qu’alors l’ancienne présupposition qu’il n’y a que des guerres à faire, à faire encore, à faire toujours s’oublie progressivement. Encore faut-il y mettre la main à la pâte.</p>
<h2>Désir de reconnaissance</h2>
<p>Nous sommes toutes et tous assoiffés de reconnaissance. La différence d’avec le passé, est qu’aujourd’hui, nous le savons. Nous savons que la notion d’État de droit a été élaborée pour assouvir cette soif. Nous avons à notre portée, si nous voulons bien les lire et leur accorder foi, des livres essentiels de la culture universelle qui disent que l’apaisement est possible, et qui donnent quelques grandes lignes de ce qu’il faut tenter pour cela.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/gouvernements-entreprises-le-desir-de-reconnaissance-moteur-de-lambition-169851">Gouvernements, entreprises… le désir de reconnaissance, moteur de l’ambition</a>
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<p>Nous avons enfin compris – en tout cas on nous a clairement dit – de quoi étaient faits les nerfs de la guerre et de l’aventure humaine jusqu’ici. Nous avons sous la main les guides qui permettent de tracer les grandes lignes d’une vie politique paisible, dotée des gardiens adéquats contribuant à garantir que ceux qui sont censés être nos gardiens, les gouvernants, le soient vraiment : <a href="https://la-philosophie.com/kant-paix-perpetuelle-projet"><em>Le Projet de paix perpétuelle</em></a> de Kant, <a href="https://la-philosophie.com/philosophie-droit-hegel"><em>Les Principes de la philosophie du Droit</em></a> de Hegel, etc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450917/original/file-20220309-23-18w5c2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450917/original/file-20220309-23-18w5c2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450917/original/file-20220309-23-18w5c2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450917/original/file-20220309-23-18w5c2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450917/original/file-20220309-23-18w5c2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450917/original/file-20220309-23-18w5c2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450917/original/file-20220309-23-18w5c2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Esquisse-d-une-phenomenologie-du-Droit">Éditions Gallimard</a></span>
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<p>Ici aussi, Le travail d’Alexandre Kojève est essentiel : il faut lire ce qu’il écrit dans son <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Esquisse-d-une-phenomenologie-du-Droit"><em>Esquisse d’une phénoménologie du Droit</em></a>, écrite en pleine Seconde guerre mondiale, en 1943.</p>
<p>La thèse est que l’humanité est passée d’une domination de Maîtres à la montée en puissance de l’autonomie des Esclaves. Le résultat de l’histoire est le dépassement de la domination par l’avènement de Citoyens tous égaux entre eux, indépendamment du sexe, de l’origine ethnique, etc. À chaque « catégorie » correspond une forme dominante essentielle droit relative à un idéal de justice : « justice de l’égalité » (Maîtres), « justice de l’équivalence » (Esclaves), et « justice de l’équité (Citoyens).</p>
<p>Ce qui est très important est que la « tension » maître-esclave une fois comprise, elle se révèle en fait « éternelle » – c’est-à-dire jouée dès l’avènement de l’humanité, et donc toujours à reconquérir en direction d’une citoyenneté qui ne peut jamais être tenue pour acquise.</p>
<h2>Trop tard</h2>
<p>La conséquence majeure de ceci est que, sur le fond de ce qui précède, le geste de Poutine est un « coup » tardif. Intempestif. Dépassé. Comme tous les « coups » auxquels on assiste de nos jours (voir Bernard Bourgeois, <a href="https://www.vrin.fr/livre/9782711627554/penser-lhistoire-du-present-avec-hegel"><em>Penser l’histoire du présent avec Hegel</em></a>). Le gouvernement russe a beau revendiquer que l’Ukraine est une partie de la Russie – et tsariste et communiste –, et que son invasion en constitue la libération, le « geste » de la « reconquérir » est diamétralement contradictoire avec ce que nous savons, nonobstant ses convulsions continues, du sens de l’histoire.</p>
<p>On ne peut plus faire semblant de vivre une histoire authentique en reculant. En particulier après les deux Guerres mondiales du XX<sup>e</sup> siècle, dont la deuxième est due à une régression comparable à celle à laquelle Poutine voudrait que l’on assiste, il est devenu hors de question d’envisager quelque légitimité que ce soit à un geste comme celui de la Russie envers l’Ukraine.</p>
<p>Nous sommes à la fin de ce qu’est notre histoire, et au début d’autre chose. Mais il faut, pour ouvrir vraiment l’avenir, prendre acte du passé, seul sol solide à partir de quoi de nouveaux rêves, mus par autre chose que la soif et le manque, sont possibles.</p>
<p>Insistons bien sur ceci : ce qui est affirmé ici ne parle pas que de la Russie et des « autres ». Cela parle de l’humanité en son entier. Car ce mal dont Poutine et la Russie souffrent, qui provoque tous les excès, est bien universel. C’est une maladie spécifiquement humaine toute simple, qui s’appelle le <a href="https://theconversation.com/gouvernements-entreprises-le-desir-de-reconnaissance-moteur-de-lambition-169851">désir de reconnaissance</a> et dont l’expression se mondialise de plus en plus. Nous sommes bien à la Fin de l’histoire. Fin qui a elle-même son histoire, et dont nous sommes toutes et tous co-responsables.</p>
<p>Plus nous saurons reconnaître les trésors de la pensée qui s’est retournée sur l’histoire et en a extrait l’essentiel, moins nous serons vulnérables à nous abandonner à des colères devenues de pacotille.</p>
<p>Il n’y a décidément plus de « sujet ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178909/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bibard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Selon le philosophe russe Alexandre Kojève en 1947, la prise de conscience qu’il n’y a plus de raisons de massacrer des populations innocentes marque un achèvement pour l’humanité.Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1782282022-03-08T19:30:12Z2022-03-08T19:30:12ZGuerre russe en Ukraine : les leçons du précédent géorgien<p>Le 24 février dernier, l’armée russe entrait illégitimement en Ukraine par l’Est, le Nord et le Sud. L’une des principales considérations invoquées par Vladimir Poutine dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1qS6J-WbTD8">son discours à la nation</a> pour justifier cette offensive était la nécessité de protéger les habitants des deux républiques sécessionnistes de Donetsk et de Lougansk, qui échappaient depuis des années au contrôle du gouvernement de Kiev – un gouvernement que Moscou considère par ailleurs comme une marionnette entre les mains de l’Occident.</p>
<p>Si l’on remplace dans la phrase précédente Donetsk et Lougansk par Abkhazie et Ossétie du Sud, et Kiev par Tbilissi, on retrouve pratiquement la situation d’août 2008, qui vit la Russie livrer une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/le-conflit-russie-georgie_1632971.html">guerre à la Géorgie</a> et reconnaître l’indépendance de ses deux entités séparatistes.</p>
<p>Quels enseignements peut-on tirer de ce précédent pour analyser la crise actuelle ?</p>
<h2>Un air de déjà-vu</h2>
<p>Commençons par un bref rappel.</p>
<p>L’URSS était composée de quinze « Républiques socialistes ». Chacune de ces Républiques abritait en son sein des entités de divers rangs, le plus élevé étant celui de « République autonome ».</p>
<p>Quand l’Union a été démantelée, les quinze Républiques socialistes qui la constituaient – la Russie, les trois pays baltes, la Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie côté européen ; l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie dans le Caucase ; et les « cinq Stan » en Asie centrale – sont devenues autant d’États indépendants, dans les frontières qui étaient les leurs du temps de l’URSS.</p>
<p>À l’époque soviétique, la Géorgie était une République socialiste. L’Ossétie du Sud, peuplée d’Ossètes, un peuple distinct de la majorité des Géorgiens, était une République autonome à l’intérieur de la Géorgie. À la faveur du démembrement de l’URSS, elle proclame une indépendance que ne reconnaît pas Tbilissi (la capitale géorgienne).</p>
<p>Zviad Gamsakhourdia, à la tête de la Géorgie à partir de 1990, met en place une politique nationaliste qui prive rapidement l’Ossétie du Sud des éléments de son autonomie relative vis-à-vis de Tbilissi.</p>
<p>Les tensions entre Géorgiens et Ossètes aboutissent à un <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-1-page-51.htm">conflit armé</a> au printemps 1991. Avec l’élection à la présidence de la Géorgie d’Édouard Chevardnadze au mois de mars 1992 et le déploiement d’une force de maintien de la paix – composée de Géorgiens, d’Ossètes et de Russes –, le conflit se stabilise.</p>
<p>Parallèlement, dans la région de l’Abkhazie, également République autonome au sein de la République socialiste de Géorgie du temps de l’URSS, un <a href="https://journals.openedition.org/echogeo/10890">conflit similaire éclate</a> entre les Abkhazes et les Géorgiens au mois d’août 1992. La Russie s'impose, là aussi, comme « médiateur » et les trois parties s’entendent pour déployer une triple force de maintien de la paix et pour désarmer la zone de conflit. La guerre a cependant continué pendant plusieurs mois jusqu’à la signature <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/germananglais.pdf">d’un nouveau cessez-le-feu</a> le 14 mai 1994.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/trente-ans-apres-leffondrement-de-lurss-ces-etats-fantomes-qui-hantent-lespace-post-sovietique-174140">Trente ans après l’effondrement de l’URSS, ces États fantômes qui hantent l’espace post-soviétique</a>
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<p>Au début des années 1990, malgré la nouvelle indépendance de la Géorgie, la Russie a donc tout de même été en mesure de déployer des troupes sur ce territoire et d’y <a href="https://open.metu.edu.tr/bitstream/handle/11511/45129/index.pdf">maintenir une présence militaire</a>, sous le couvert de missions de maintien de la paix. Mais au sommet de l’OSCE à Istanbul en 1999, la Géorgie et la Russie s’entendent pour <a href="https://www.acarindex.com/dosyalar/makale/acarindex-1423910583.pdf">fermer définitivement les bases militaires russes</a> situées sur le territoire géorgien. Les soldats russes quitteront finalement ces bases en novembre 2007.</p>
<h2>Crise politique</h2>
<p>En 2003 et 2004, la Géorgie vit une crise politique – la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2004-1-page-121.htm">« Révolution des roses »</a> – à la suite de laquelle le président Chevardnadze est remplacé par Mikheïl Saakachvili, qui tente alors de faire adhérer la Géorgie à l’OTAN et à l’Union européenne.</p>
<p>À Moscou, ce tournant est <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1016/j.euras.2015.03.008">perçu comme un coup d’État organisé par l’Occident</a> afin de destituer Chevardnadze et de placer à la tête du gouvernement géorgien un président résolument tourné vers les structures euro-atlantiques (dix ans plus tard, la même lecture sera faite des événements du Maïdan en Ukraine). À l’époque, le représentant russe auprès de l’OTAN, Dmitri Rogozine, affirme même ouvertement que si la Géorgie obtenait une réelle perspective d’adhésion à l’Alliance, les républiques ossètes et abkhazes proclameraient immédiatement leur indépendance.</p>
<p>Au mois d’août 2008, à la suite de plusieurs accrochages entre les Ossètes et les Géorgiens, un nouveau conflit se déclare. L’armée géorgienne avance en territoire ossète jusqu’à ce que la Russie intervienne militairement et s’engage contre les troupes géorgiennes. L’armée russe bombarde plusieurs villes géorgiennes près de la frontière avec l’Ossétie et détruit rapidement la majorité de la force navale de Tbilissi ainsi que ses défenses anti-aériennes. Le 12 août 2008, les <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2008/08/08/comment-la-situation-a-degenere-en-ossetie_1081424_3214.html">Abkhazes lancent également une offensive</a> contre les troupes géorgiennes dans la région des Gorges de Kodori.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage en Géorgie 14 ans après la « guerre éclair » contre la Russie #cdanslair 22 février 2022.</span></figcaption>
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<p>14 jours après le début des hostilités, la Russie <a href="https://www.liberation.fr/planete/2008/08/26/la-russie-reconnait-l-independance-de-l-ossetie-du-sud-et-de-l-abkhazie_17655/">reconnaît l’indépendance</a> de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Moscou retire alors ses soldats du reste du territoire géorgien. L’armée russe demeure toutefois présente sur les territoires ossète et abkhaze.</p>
<p>Cette guerre en Géorgie a permis au Kremlin d’atteindre plusieurs objectifs. D’abord, par son attaque sur les bases militaires, l’aviation et la marine géorgiennes, la Russie a considérablement affaibli les capacités militaires de Tbilissi. Cette campagne a aussi permis de tester les <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_38988.htm">relations OTAN-Géorgie</a>. La guerre de 2008 a mis un terme à la possibilité pour Tbilissi de rejoindre l’OTAN <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2011-2-page-30.htm">dans un avenir rapproché</a>.</p>
<p>La Russie a finalement gagné le droit d’avoir une base militaire et des troupes postées en permanence dans chacune des nouvelles républiques. Sa présence militaire en Géorgie est dès lors assurée.</p>
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<h2>De la Géorgie à l’Ukraine, de nombreuses similitudes</h2>
<p>Bien des parallèles peuvent être tracés entre les <a href="http://connections-qj.org/article/russia-vs-euus-through-georgia-and-ukraine">guerres de Géorgie et d’Ukraine</a>. Dans les deux cas, la Russie est intervenue sur le territoire d’anciennes républiques soviétiques en <a href="https://information.tv5monde.com/info/comment-poutine-justifie-l-invasion-de-l-ukraine-446209">légitimant ses interventions</a> par la nécessité de défendre la sécurité de populations jugées favorables à Moscou contre le gouvernement en place.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-ukraine-la-russie-fait-la-guerre-pour-etendre-sa-sphere-dinfluence-177077">En Ukraine, la Russie fait la guerre pour étendre sa sphère d'influence</a>
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<p>Légalement, la Russie appuie ses deux interventions sur des arguments comparables aux raisons invoquées par <a href="https://savoirs.rfi.fr/fr/comprendre-enrichir/geopolitique/1999-les-bombes-de-lotan-tombaient-sur-la-serbie">l’OTAN pour bombarder Belgrade</a> en 1999, et assister le processus d’indépendance du Kosovo. Comme <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2009-v40-n4-ei3591/038929ar/">Pierre Jolicœur et Aurélie Campana</a> l’expliquent à propos de la guerre de Géorgie :</p>
<blockquote>
<p>« Il s’agit pareillement d’un conflit survenu dans le processus de décomposition d’un État communiste fédéral pour lequel l’ethnicité́ constituait l’un des principes organisateurs de la vie politique. Tant au Kosovo que dans les cas ayant cours dans la CEI, les rapports centre-périphérie se situent au cœur du conflit : la suppression de l’autonomie politique par l’autorité́ centrale constitue la source des conflits du Kosovo et de l’Ossétie du Sud, tandis que la volonté́ d’accroitre l’autonomie, voire de chercher l’indépendance, serait à la source des conflits de l’Abkhazie. »</p>
</blockquote>
<p>Dans son discours du 18 mars 2014 devant la Douma russe, Vladimir Poutine affirme également que ce qui a été permis pour les Kosovars en 1999 devrait être permis pour la Crimée et sa population. Au même titre que le Kosovo, la Crimée est en droit de faire reconnaitre son indépendance par la communauté internationale. Il avait <a href="https://www.lejdd.fr/International/Georgie-La-comparaison-avec-le-Kosovo-ne-veut-rien-dire-87836-3083759">dressé le même parallèle</a> quelques années plus tôt pour justifier la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie.</p>
<p>En 1999, lors du bombardement en Serbie, la Russie ne disposait pas des moyens économiques et militaires nécessaires pour s’opposer à l’OTAN. En 2008 en Géorgie, et en 2014 puis 2022 en Ukraine, Moscou souhaite démontrer qu’elle est de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/plus-de-10-000-militaires-face-a-l-ukraine-une-armee-russe-a-la-puissance-ressuscitee_2167904.html">nouveau une grande puissance</a> en mesure de défendre ce qu’elle perçoit comme étant ses intérêts.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1498200523534704642"}"></div></p>
<p>Les conflits en Géorgie ont rapidement été interrompus par des cessez-le-feu et des négociations tripartites incluant Tbilissi, Moscou et les représentants respectifs des républiques ossètes et abkhazes. En Ukraine, après plus de dix jours de conflit et des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/direct-guerre-Ukraine-Russie-pourparlers-ONU-resolution-Kiev-avancee-russe-ralentit-2022-02-28-1201202504">négociations infructueuses</a>, la Russie semble bien déterminée à poursuivre l’intervention.</p>
<h2>Les sanctions suffiront-elles ?</h2>
<p>À la suite des <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/feb/24/war-ukraine-kyiv-map-where-has-russia-attacked">premiers bombardements</a> visant les bases militaires, l’aviation et la marine ukrainienne, Moscou paraît au moins vouloir atteindre les <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3242599-20220225-guerre-ukraine-transnistrie-ossetie-sud-abkhazie-comment-fonctionnent-territoires-separatistes-reconnus-russie">mêmes objectifs qu’en Géorgie</a> en 2008, à savoir entériner la perte par l’adversaire de deux régions séparatistes, réduire considérablement ses capacités militaires pour des années et obtenir une assurance longue durée sur sa non-adhésion ultérieure à l’OTAN.</p>
<p>À la différence de la Géorgie, la communauté internationale a rapidement réagi lors de l’invasion de la Crimée en 2014 en <a href="https://www.nato.int/docu/review/fr/articles/2015/07/13/annexion-de-la-crimee-les-sanctions-sont-elles-efficaces/index.html">imposant des sanctions à la Russie</a>. Elle a réagi de nouveau le 24 février 2022, jour de l’invasion de l’Ukraine, en imposant de nouvelles sanctions beaucoup plus sévères. Dans les huit dernières années, les sanctions n’ont pas suffi pour faire reculer la Russie et elles n’ont pas non plus réussi à prévenir l’invasion actuelle. Cette fois, il n’est pas impossible que la sévérité des nouvelles sanctions contraigne Moscou à chercher une solution à la table de négociations plutôt qu’avec les armes…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178228/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Marineau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’invasion de l’Ukraine par la Russie sous prétexte de venir en aide aux républiques séparatistes du Donbass rappelle inévitablement la guerre de Géorgie de 2008.Sophie Marineau, Doctorante en histoire des relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1781272022-03-06T17:09:27Z2022-03-06T17:09:27ZExporter ou disparaître : le dilemme de l’industrie de défense française<p>Le 10 février dernier, un contrat est signé avec l’Indonésie pour la <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/lindonesie-achete-six-rafale-et-prevoit-den-commander-36-supplementaires-1385915">vente de 42 chasseurs Rafale</a>. Le 3 décembre 2021, Dassault Aviation a annoncé que le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/21/la-vente-de-80-rafale-aux-emirats-arabes-unis-un-contrat-aux-multiples-retombees_6106868_3232.html">contrat de fourniture de Rafale aux Émirats arabes unis</a> était signé. Le pays deviendra ainsi le second plus gros utilisateur de l’appareil avec 80 machines à terme, derrière les forces françaises. Ce contrat fait suite à celui signé le 15 novembre 2021 avec l’Égypte <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/04/l-egypte-confirme-l-achat-de-30-avions-de-combat-rafale-a-la-france_6079014_3210.html">pour un total de 54 machines</a>. Le lendemain de ce contrat, Jean Guisnel,dans le journal le Point, s’interrogeait : <em>La France doit-elle vendre à tout prix ?</em></p>
<p>Relayant les préoccupations de nombreuses ONG, le journaliste spécialiste des questions militaires concluait en <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/nouveaux-rafale-pour-l-egypte-un-succes-et-des-questions-16-11-2021-2452199_53.php">posant cette question</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Les contestataires qui lui font grief [à l’État français] de ne pas afficher le moindre scrupule parviendront-ils un jour à le faire changer de position ? Rien n’est moins sûr… ».</p>
</blockquote>
<p>Aux origines de la question, un paradoxe apparent : D’après le <a href="https://www.defense.gouv.fr/layout/set/print/content/download/472496/7555575/version/1/file/20160501_DSPC_Mini+guide+Controle+%20Export+Armements-ALLs.pdf">mini-guide sur le contrôle des exportations d’armement</a> du ministère de la Défense :</p>
<blockquote>
<p>« Le régime qui s’applique aux matériels de guerre est un régime de prohibition. Toutes les opérations concernant les matériels de guerre proprement dits sont interdites (conception, fabrication, commerce, importation, transit, exportation), sauf autorisation ».</p>
</blockquote>
<p>C’est naturellement ce dernier mot le plus important. Alors bien sûr, toute règle souffre quelques exceptions. Mais en l’espèce, il est assez osé de considérer la prohibition comme étant la règle et l’autorisation l’exception.</p>
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<p>Car la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/entendez-vous-leco-emission-du-vendredi-29-janvier-2021">France est un exportateur de premier plan</a>. En termes de ventes mondiales, avec 8,2 % de part de marché pour la période (2016-2020) contre 5,6 % en (2011-2015) la France est le <a href="https://sipri.org/publications/2021/sipri-fact-sheets/trends-international-arms-transfers-2020">troisième exportateur mondial</a>. Dans le classement du SIPRI des 25 premières firmes de défense, la France est positionnée à égalité avec la Russie et le Royaume-Uni en 3<sup>e</sup> position avec 2 firmes chacun. Les États-Unis, avec 12 firmes, et la Chine avec 4 firmes ouvrent le classement.</p>
<h2>Des exportations d’armements stratégiques</h2>
<p>Les bonnes raisons de procéder à ces exportations ne manquent pas. Le <a href="https://www.defense.gouv.fr/fre/portail/actualites2/rapport-au-parlement-2021-sur-les-exportations-d-armement-de-la-france"><em>Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France</em></a> nous les donne.</p>
<p>La première partie du document met en avant le fait que les exportations d’armement sont cohérentes avec les priorités stratégiques de la France : la préservation de la sécurité internationale via le renforcement des partenariats de défense, la préservation de la stabilité régionale et la lutte contre le terrorisme. Dans ce volet, les partenariats en <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-1-page-85.htm">direction de pays amis/alliés</a> sont vus comme autant de moyens d’exporter des armes.</p>
<p>Le cas des tensions récurrentes en mer Égée entre la Grèce et la Turquie, avec la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/vente-de-fregates-convergences-strategiques-cette-lune-de-miel-entre-paris-et-athenes_2160016.html">signature d’un accord stratégique</a> entre Paris et Athènes en septembre 2021, en est un parfait exemple.</p>
<p>Puis ce sont les engagements internationaux de la France qui sont mis en avant : règlements internationaux, réglementations européennes et embargos sur les armes sont respectés. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/06/les-geants-de-l-armement-epargnes-par-la-crise-economique-du-covid-19_6104845_3210.html">Le marché de l’armement</a> étant en soi fortement déstabilisateur, la notion de responsabilisation des producteurs et des vendeurs influe logiquement sur la crédibilité internationale du pays.</p>
<p>À noter que la notion de crédibilité internationale ne serait pas en soi opposée à la notion d’intérêt national. Les exportations d’armes sont présentées comme un moyen de renforcement de la dissuasion au sein d’une zone donnée permettant ainsi la vente d’armements aux deux belligérants.</p>
<p>Le cas des ventes d’armes françaises en direction du Pakistan et de l’Inde, deux ennemis héréditaires, en est la parfaite illustration. Même s’il nous semble loisible de penser que ce type de situation peut être analysé de façon différente. En considérant notamment que ces exportations alimentent des courses aux armements régionales entre des pays dont une proportion importante de la population vit encore sous le seuil de pauvreté.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1498221446618877960"}"></div></p>
<p>Enfin, l’autonomie stratégique française est défendue. Si notre pays veut maintenir son rôle au sein de l’Europe (puissance, influence), elle se doit de disposer d’une importante base industrielle et technologique de défense (BITD) indispensable à l’autonomie stratégique et à la souveraineté du pays. De fait, la production d’armements et leur exportation tiennent une place importante dans le tissu économique français. La BITD représente environ 200 000 emplois directs et non délocalisables.</p>
<p>En mai 2020, au sortir de notre première période de confinement, elle y voyait le « <a href="https://www.senat.fr/presse/cp20200515a.html">fer de lance d’une relance souveraine de l’économie française</a> ». La production d’armements est donc une industrie qui se maintient en France à un moment où la désindustrialisation est présentée comme le principal symptôme du déclin économique de notre pays.</p>
<p>Si l’on va un peu plus loin, on constate d’ailleurs que les exportations d’armements ne sont pas seulement autorisées, elles sont fermement soutenues. Le soutien aux exportations d’armements en France découle des orientations de politique étrangère et de défense nées sous la présidence de Charles de Gaulle. Le rôle de l’État a ainsi été central dans l’appui à la recherche d’indépendance stratégique de la base industrielle et technologique de défense (BITD).</p>
<p>La Direction générale de l’armement occupe une place importante dans ce dispositif, notamment via ses attachés d’armements présents dans de nombreuses ambassades. Par ailleurs, le groupe Défense conseil international (DCI) tient une place centrale dans le transfert des savoirs – faire vers les pays partenaires clients de la France. Jusqu’aux armées dont certaines missions sont officiellement dédiées au soutien à l’export, le « SOUTEX ». Activité qui au passage est aussi un important consommateur de ressources et créateur de contraintes pour les armées.</p>
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<h2>Une dépendance vitale aux exportations</h2>
<p>La justification de tous ces dispositifs est simple : la France est dépendante aux exportations. Le rôle de l’État dans l’industrie d’armement a beaucoup évolué depuis les années 1990. Sous l’influence de la doctrine libérale mais surtout de la baisse des budgets de défense après la fin de la guerre froide, l’État producteur d’armement a reculé au profit d’entreprises partiellement ou totalement privées.</p>
<p>Ce fut la fin de l’époque durant laquelle « les prix ont longtemps été plutôt des indicateurs comptables ex post que des critères de décisions ». Il ne faut cependant pas en tirer la conclusion que la production et l’exportation d’armements est devenue une activité commerciale comme les autres. Si la logique concurrentielle a bien transformé l’industrie de défense, en réduisant le champ de l’intervention publique, le rôle de l’État y reste essentiel. D’abord parce qu’il est un client puissant.</p>
<p>Ensuite parce que la R&D de défense ne peut se passer de financement public dans la mesure où elle est très incertaine et donc très risquée financièrement parlant. Mais en tant qu’institution de contrôle, l’État français n’a d’autres choix que de favoriser et de soutenir les exportations de sa BITD.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1479443904445534208"}"></div></p>
<p>Il y a plus de quinze ans, le député Fromion résumait parfaitement la situation : « À la différence de leurs concurrents américains, pour qui exporter ne représente en fait qu’une activité à la marge, d’ailleurs largement prise en compte par l’administration fédérale pour accompagner sa politique d’hégémonisme planétaire, les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2019/09/MIELCAREK/60365">industriels français et européens</a> de la défense doivent, eux, exporter pour survivre ».</p>
<p>En premier lieu parce que le marché français (lui-même tributaire du budget français de la Défense) n’est pas suffisamment large pour permettre aux industriels français de prospérer en se passant des exportations. Ensuite parce que la privatisation relative du secteur de l’armement a fait naître un paradoxe : Il n’est pas possible de laisser des entreprises se développer au sein du secteur privé en leur interdisant d’avoir accès aux moyens de leur prospérité. Enfin parce que de cette capacité à exporter dépend aussi la capacité de l’État français à équiper ses propres forces.</p>
<p>Le Rafale est, de ce point de vue, un excellent exemple. Les contrats d’exportations de l’appareil s’enchaînent depuis le premier avec l’Égypte signée en 2015. Mais avant cela, il a été pendant plus d’une décennie l’objet de critiques, car présenté comme trop cher et donc invendable.</p>
<p>En décembre 2011, le ministre de la Défense (Gérard Longuet à l’époque) prévenait : si le Rafale ne s’exporte pas, il faudra à terme <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2011/12/08/rafale-gerard-longuet-evoque-la-fin-de-la-production-en-cas-d-echec-a-l-export_1615082_3234.html">fermer la ligne de production</a>. Et donc faire porter la poursuite de la production sur les seules commandes nationales.</p>
<p>Les exportations permettent d’allonger les séries et donc d’amortir l’outil industriel comme les investissements en R&D. Elles permettent également d’étaler les livraisons et de ne pas faire peser sur le seul budget national le développement des programmes d’armements. Elles assurent enfin la rentabilité des industriels de la BITD. C’est-à-dire leurs capacités à satisfaire les besoins futurs des armées françaises.</p>
<p>Les chances de voir la France rigidifier ses contrôles des exportations d’armement semblent donc très faibles. D’autant que, si certains militants voudraient aller dans cette direction, ce modèle bénéficie d’un relatif consensus politique, comme le relèvent les chercheurs Josselin Droff et Julien Malizard dans un <a href="https://theconversation.com/en-graphiques-les-exportations-darmes-francaises-173864">article</a> publié récemment dans The Conversation.</p>
<p>Pour conclure, dans un contexte de tension internationale exacerbé sur fond d’invasion russe en Ukraine, un électrochoc semble avoir touché l’ensemble des États européens, dont l’Allemagne. Ce dernier, longtemps partisan d’une doctrine « pacifiste », vient d’annoncer un revirement complet de sa posture stratégique en raison de l’agression russe.</p>
<p>En décidant de passer son <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3243003-20220227-guerre-ukraine-allemagne-va-porter-depenses-militaires-plus-2-pib">budget de la défense à 2 % de son PIB</a> (soit pratiquement un doublement de son budget qui était de 47 milliards d’euros en 2021), d’engager immédiatement une rallonge budgétaire de 100 milliards d’euros pour son budget 2022 tout en incitant plus directement les industries de défense allemande aux exportations, Berlin rejoint ici Paris de manière inattendue dans sa volonté de soutenir désormais, ses propres industries de défense.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178127/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>« On ne vend pas des armes comme on vend des baguettes de pain », affirme Florence Parly. L’industrie de l’armement est souvent l’objet de critiques, bien qu’elle soit une nécessité pour la France.Mourad Chabbi, Professeur, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Laurent Griot, Professeur assistant en géopolitique., Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1781752022-03-01T20:12:57Z2022-03-01T20:12:57ZL’Ukraine n'a pas la même force de frappe que l'armée russe, mais elle peut lui infliger de lourdes pertes<p>Quand en février 2014, la Russie a annexé la Crimée, l’armée ukrainienne, qui se trouvait alors dans un état de délabrement avancé, <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-26532154">n’a opposé aucune résistance</a>.</p>
<p>Au cours des années suivantes, cette armée, très motivée mais mal équipée, a perdu des <a href="https://www.crisisgroup.org/content/conflict-ukraines-donbas-visual-explainer">milliers de soldats</a> dans ses combats contre les forces séparatistes dans la région orientale du Donbass. Dans le même temps, le pays s’est lancé dans une réforme, souvent désordonnée, de son outil militaire. L’armée ukrainienne s’est considérablement renforcée, même si elle demeure vulnérable en certains aspects.</p>
<h2>Un rapport de force qui penche clairement en faveur de la Russie</h2>
<p>Depuis <a href="https://www.france24.com/en/europe/20220120-is-the-ukrainian-military-really-a-david-against-the-russian-goliath">2014-2015</a>, l’Ukraine a triplé son budget de défense et tenté de moderniser ses forces – non seulement pour se défendre contre la Russie, mais aussi pour se conformer aux normes <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/dec/17/russia-issues-list-demands-tensions-europe-ukraine-nato">exigées par l’OTAN</a> comme condition d’entrée.</p>
<p>Les résultats <a href="https://carnegieendowment.org/2018/02/22/ukraine-s-toughest-fight-challenge-of-military-reform-pub-75609">ont été mitigés</a>. Sur le papier, avec ses quelque 800 chars lourds et des milliers d’autres véhicules blindés protégeant et transportant une force régulière d’environ 200 000 hommes, l’armée ukrainienne semble impressionnante. Ses soldats sont bien mieux entraînés qu’en 2014. Ils sont bien dirigés, en particulier par le corps crucial des sous-officiers, épine dorsale de toute armée. Surtout, la plupart des observateurs font état d’un moral et d’une motivation élevés.</p>
<p>Toutefois, des problèmes persistent. La plupart des blindés et des équipements dont dispose l’Ukraine sont relativement anciens et, bien que les usines aient produit des versions modernisées de vieux modèles tels que le char T72, ceux-ci ne peuvent pas s’opposer efficacement aux <a href="https://nationalinterest.org/blog/buzz/just-defense-russia-getting-over-400-armored-vehicles-2022-198949">chars et véhicules blindés russes</a>, beaucoup plus modernes, dont certains sont égaux voire supérieurs aux meilleurs matériels de l’OTAN.</p>
<p>En outre, l’armée ukrainienne est vulnérable à la fois aux frappes de l’artillerie russe – traditionnellement l’arme la plus redoutable de l’Armée rouge – et à la menace que représentent les avions d’attaque russes. Les récentes fournitures en armes et en missiles <a href="https://www.dw.com/en/russia-ukraine-crisis-who-supplies-weapons-to-kyiv/a-60772390">antichars et antiaériens portatifs</a> décidées par l’OTAN infligeront des pertes aux forces russes, mais ne changeront pas radicalement la donne sur le terrain.</p>
<p>L’armée de l’air ukrainienne possède une flotte considérable d’avions datant de la guerre froide et son personnel est bien entraîné. Mais la Russie a <a href="https://eng.globalaffairs.ru/articles/a-proving-ground-of-the-future/">organisé ses forces aérospatiales »</a> de façon à s’assurer le contrôle de l’espace aérien en utilisant, entre autres systèmes, les redoutables <a href="https://www.army-technology.com/projects/s-400-triumph-air-defence-missile-system/">missiles antiaériens à longue portée S400</a>. Ces missiles, <a href="https://nemrod-ecds.com/?p=3200">considérés comme les pus perfectionnés au monde</a>, sont redoutables même pour les forces aériennes les plus avancées de l’OTAN, sans parler des chasseurs et bombardiers ukrainiens, qui datent des années 1990.</p>
<p>Les chasseurs et missiles russes assureront à Moscou la victoire dans le ciel, même si, contre toute attente, les Ukrainiens y ont remporté <a href="https://www.flightglobal.com/defence/ukraine-claims-russian-aircraft-losses-as-invasion-begins/147686.article">quelques succès</a>. Selon des rapports crédibles, les chasseurs ukrainiens volent toujours et ont abattu plusieurs avions russes. Selon des sources ukrainiennes, leurs missiles anti-aériens – anciens, mais toujours efficaces – ont également <a href="https://www.newsweek.com/ukraine-shoots-down-several-russian-aircraft-1682211">causé des pertes à la partie russe</a>.</p>
<p>La marine ukrainienne est désormais insignifiante d’un point de vue militaire, d’autant plus qu’une grande partie de ses bâtiments semblent avoir été <a href="https://www.reuters.com/world/europe/nato-leaves-black-sea-exposed-russia-invades-ukraine-2022-02-24/">coulés en rade</a> dans les 24 heures qui ont suivi le début des hostilités.</p>
<h2>Forces et faiblesses des deux parties</h2>
<p>Reste que l’issue de l’affrontement n’est pas écrite à l’avance. Les généraux ukrainiens ne vont sans doute pas entrer dans le jeu des forces russes et déployer leurs troupes, qui seraient alors anéanties par l’artillerie ou la puissance aérienne de l’adversaire. Ils en ont fait <a href="http://www.dupuyinstitute.org/blog/2017/03/29/the-russian-artillery-strike-that-spooked-the-u-s-army/">l’amère expérience</a> dans le passé. En juillet 2014, un détachement ukrainien a été détruit par des tirs de roquettes dans l’est de l’Ukraine. Ces roquettes étaient guidées vers leurs cibles par des drones opérés par les troupes séparatistes soutenues par la Russie.</p>
<p>La <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/389755/20141208-JDP_0_01_Ed_5_UK_Defence_Doctrine.pdf">pensée militaire</a> britannique, par exemple, décrit « trois composantes de la puissance de combat ». Il s’agit du moral (moral, cohésion, motivation), du conceptuel (stratégie, innovation et « doctrine » militaire) et du matériel (armement). C’est une chose d’avoir l’avantage dans la composante matérielle de la guerre ; c’en est une autre de transformer cet avantage en succès. Les Ukrainiens tenteront ainsi d’exploiter le fait que la Russie n’a probablement pas dans l’idée de devoir mener une campagne militaire de longue haleine, avec le risque de subir de lourdes pertes, ce qui aurait notamment un effet néfaste du point de vue politique.</p>
<p>De nombreux Ukrainiens ont une connaissance de base du maniement des armes – c’est certainement le cas des quelques centaines de milliers de <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/feb/23/ukraine-president-calls-up-reservists-as-russia-moves-troops-into-countrys-east">réservistes appelés</a> lors de l’invasion russe. Ils ne disposent peut-être pas de chars modernes et d’armes sophistiquées, mais ils pourraient bien avoir l’avantage dans les domaines moral et conceptuel.</p>
<p>Il existe en Ukraine une forte tradition de guerre partisane, et le concept de « défense territoriale » – des groupes d’insurgés menant de petites actions sur un terrain qu’ils connaissent bien et soutenus, si possible, par des unités de l’armée régulière – y est profondément ancré. Au début de la guerre froide, après que le pays eut été libéré de l’occupation allemande, l’<a href="https://militaryhistorynow.com/20zee14/03/03/stuck-in-the-middle-the-forgotten-and-bloody-history-of-the-ukrainian-insurgent-army/">« Armée insurrectionnelle ukrainienne »</a> a lancé une guérilla contre les Soviétiques. Elle n’a été définitivement vaincue qu’en 1953. Pendant cette période, elle a fait des dizaines de milliers de victimes. S’il a été largement oublié par le reste du monde, ce conflit est bien présent dans les mémoires en Ukraine.</p>
<p>Les forces armées russes <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/europe/russia-ukraine-army-donbass-troops-b1967532.html">ont déjà déployé</a> une grande partie de leurs troupes terrestres et il leur sera très difficile d’occuper un terrain contesté par les insurgés ou – ce qui est encore plus important – de maintenir les opérations au-delà de la première phase d’invasion de la guerre. La dernière chose que souhaite Poutine est une guerre qui se prolonge, avec des combats urbains sanglants qui rappelleront les campagnes de Tchétchénie. Or les forces ukrainiennes sont précisément susceptibles d’offrir une telle résistance.</p>
<h2>Vers une guérilla au long cours ?</h2>
<p>Pour les Ukrainiens, une approche raisonnable pourrait consister à chercher à échanger des terres contre du temps. Ils espéreront attirer les forces russes dans les zones urbaines où l’avantage de celles-ci sera moins prononcé et, ainsi, leur infliger des pertes. En cas de défaite sur le terrain, les défenseurs de l’Ukraine pourraient se tourner vers une insurrection bien armée, très motivée et prolongée, <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/feb/10/boris-johnson-ukraine-crisis-most-dangerous-moment">probablement soutenue par l’Occident</a>. Ce scénario est le cauchemar de Poutine.</p>
<p>Le revers de la médaille est que le soutien occidental à ce que Moscou ne manquerait pas de qualifier de « terrorisme » pourrait susciter une réaction imprévisible et très dangereuse. Dans son discours de déclaration de guerre, Poutine a menacé de « conséquences telles que vous n’en avez jamais connu dans votre histoire » ceux qui « tentent de nous entraver », faisant clairement référence au vaste arsenal nucléaire de la Russie. Face à la défaite ou à l’humiliation, la rationalité peut faire défaut.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178175/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frank Ledwidge ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine peut s’appuyer sur une population très motivée pour mener une insurrection prolongée contre les forces d’occupation.Frank Ledwidge, Senior Lecturer in Military Capabilities and Strategy, University of PortsmouthLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1778582022-02-25T09:36:47Z2022-02-25T09:36:47ZQuelle efficacité pour les sanctions occidentales contre la Russie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/448368/original/file-20220224-47138-nudw47.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C105%2C1500%2C886&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président du Conseil européen Charles Michel, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen donnent une conférence de presse sur l’opération militaire russe en Ukraine, au siège de l’OTAN à Bruxelles le 24 février 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">John Thys/AFP</span></span></figcaption></figure><p>En enclenchant une offensive massive contre l’Ukraine le 24 février, la Russie à forcé le président Volodymyr Zelensky à <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/le-president-ukrainien-volodymyr-zelensky-instaure-la-loi-martiale-dans-tout-le-pays-apres-l-intervention-militaire-russe_VN-202202240111.html">décréter la loi martiale</a> dans tout le pays. Surtout, Vladimir Poutine a placé les Occidentaux face à leurs responsabilités, puisqu’ils s’étaient engagés à adopter des sanctions très sévères contre Moscou en cas d’invasion de l’Ukraine.</p>
<p>Quelles pourraient être ces sanctions et à quelles conditions pourraient-elles se révéler efficaces ? </p>
<p>Enfin, le temps de la négociation sur la nature des sanctions ne sera pas celui de la guerre déclenchée par Moscou qui déjà bombarde Kiev : elles pourraient bien arriver après que la Russie réalise certains de ses objectifs initiaux, comprenant probablement a minima un changement de régime et une potentielle division du territoire sous une forme ou une autre.</p>
<h2>Déjà huit ans de sanctions…</h2>
<p>Rappelons que suite à l’annexion de la Crimée en 2014, Moscou avait déjà subi des sanctions économiques de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/12/19/les-sanctions-economiques-de-l-ue-contre-la-russie-prolongees-de-six-mois_5051233_3210.html">part de l’UE</a>, mais aussi de la part des <a href="https://www.cbc.ca/news/world/ukraine-crisis-u-s-eu-canada-announce-new-sanctions-against-russia-1.2721836">États-Unis et du Canada</a>. Ces sanctions avaient notamment pris la forme d’un gel d’actifs et des mesures restrictives touchant 185 personnes et 48 entités.</p>
<p>Ces mesures combinées <a href="https://www.nato.int/docu/review/articles/2015/07/13/sanctions-after-crimea-have-they-worked/index.html">ont impacté l’économie de la Russie</a>, notamment en exacerbant les défis macroéconomiques déjà présents dans ce pays-continent à l’économie majoritairement rentière ; mais elles n’ont pas pour autant permis le retour de la Crimée dans le giron ukrainien, ni freiné le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/22/aux-frontieres-de-l-ukraine-c-est-juste-un-nouveau-jour-de-guerre_6103096_3210.html">déploiement de troupes aux frontières ukrainiennes au printemps 2021</a>, ni empêché le déclenchement de l’offensive dont nous sommes aujourd’hui témoins.</p>
<p>Jusqu’où les Européens et les Américains sont-ils prêts à aller aujourd’hui face qui à un président russe qui a menacé de réagir « d’une façon que le monde n’a jamais connue », semblant <a href="https://www.mirror.co.uk/news/world-news/breaking-vladimir-putin-appears-threaten-26318283">sous-entendre une éventuelle utilisation de l’arme nucléaire</a>, à l’encontre de quiconque se mettrait en travers de son chemin ? Voilà tout l’enjeu auquel les Occidentaux sont confrontés.</p>
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<h2>Le sujet Nord Stream II</h2>
<p>La Russie est une économie <a href="https://www.diploweb.com/La-Russie-realites-et-perspectives-economiques.html">majoritairement rentière</a> et dépendante de ses ventes, notamment de gaz à l’UE. Aussi, la menace visant Nord Stream 2, le gazoduc exploité par Gazprom reliant la Russie à l’Europe par l’Allemagne, était un sujet particulièrement sensible pour Moscou. Mais pour l’Europe aussi : le gaz russe représente <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/info-%C3%A9co/20220223-comment-se-d%C3%A9faire-de-la-d%C3%A9pendance-du-gaz-russe">40 % des importations de gaz de l’UE, et un peu plus de 20 % de sa consommation énergétique</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496518966411284480"}"></div></p>
<p>Du fait de cette dépendance européenne, la menace semblait peu crédible aux yeux de Moscou. Cependant, le 22 février, le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-suspension-de-nord-stream-2-sans-consequence-immediate-1389155">suspension du gazoduc</a>.</p>
<p>C’est la première vraie sanction prise dans la crise actuelle. Il reste que la soutenabilité dans le temps de la suspension de Nord Stream II est une potentielle faille sur laquelle la Russie pourrait être tentée de parier. En effet, faute de fournisseur alternatif, l’UE devra piocher dans ses réserves de gaz mais ces dernières sont traditionnellement remplies pendant l’été. En outre, Nord Stream II a été cofinancé par OMV, Engie, Wintershall Dea, Uniper et Shell, soit des entreprises qui pourraient pâtir de la suspension du gazoduc.</p>
<h2>Sanctions visant la Banque centrale russe</h2>
<p>En parallèle de l’annonce allemande, les États-Unis préparent eux aussi des sanctions contre Moscou. Une <a href="https://sanctionsnews.bakermckenzie.com/us-government-imposes-comprehensive-sanctions-on-so-called-donetsk-peoples-republic-and-luhansk-peoples-republic-and-eu-and-uk-announce-plans-to-impose-new-sanctions-related-to-same/">première annonce</a>, à chaud, visait les entreprises des « Républiques autoproclamées » de Donetsk et Lougansk. Seulement, ces régions, au cœur du conflit depuis maintenant huit ans, <a href="https://www.dsnews.ua/static/longread/donbas-eng/macroeconomic-analysis.html">vivent surtout des trafics et de l’économie grise</a>. Les zones sécessionnistes n’offrent <em>de facto</em> que peu ou pas de structures pouvant être sanctionnées.</p>
<p>En revanche, des sanctions visant la Banque centrale russe pourrait être envisagée, sanctions qui seraient à la fois crédibles, car engendrant peu de désagrément pour les États-Unis, et rapides à mettre en œuvre grâce à la numérisation du système financier mondial.</p>
<p>La Russie soutient le taux de change et la stabilité du rouble grâce aux <a href="https://fr.tradingeconomics.com/russia/foreign-exchange-reserves">réserves de change de la Banque centrale russe</a>, estimées à plus de 600 milliards de dollars américains, majoritairement constituées d’écritures comptables électroniques. Une petite part de ces réserves de change est constituée de liquidités libellées en dollars et en euros (environ 12 milliards de dollars) et une autre partie est constituée d’or (environ 139 milliards de dollars). La Russie a entrepris depuis 2019 une <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/la-russie-poursuit-sur-la-voie-de-la-de-dollarisation-1147861">« dédollarisation »</a> de son économie au profit de l’or, mais la chute des cours des matières premières avait freiné cet élan. La Russie a aussi une partie de ses réserves de changes constituée d’obligations en renminbi.</p>
<p>Enfin, concernant les réserves de change constituées de titres et de dépôts libellés en dollars, en euros, et autres devises occidentales – ce qui représente environ les deux tiers des réserves –, il s’agit majoritairement d’écritures comptables électroniques pour beaucoup basées dans des banques centrales et commerciales occidentales. Ces réserves pourraient dès lors faire l’objet d’un gel ne laissant plus que l’usage de la valeur de récupération à Moscou. La Russie ne disposerait alors plus que de liquidités occidentales relativement restreintes, d’or difficile à vendre dans un temps contraint et d’obligations chinoises. Concernant les chaînes d’approvisionnement, il est fort probable que le fournisseur souhaite éviter le rouble et lui préférent d’autres devises, parmi lesquelles figurera certes le renminbi, mais parmi lesquelles les devises occidentales seraient aussi probablement bien placées.</p>
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<p>L’annonce de ce type de sanction pourrait en outre générer un effet boule de neige, en poussant les Russes, entreprises comme citoyens, à aller retirer les quelque 268 milliards de dollars qu’ils détiennent en devises étrangères auprès de structures bancaires qui ne seront pas en mesure de fournir cette quantité de liquidités, pas plus que la Banque centrale ne le pourrait. Cette crise pourrait engendrer des troubles sociaux au sein d’une population déjà impactée par les récentes décisions du gouvernement, dont la <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/09/26/russie-l-impopulaire-reforme-des-retraites-adoptee-en-deuxieme-lecture_5360535_3214.html">réforme des retraites</a>, et forcer la Russie à prendre des mesures financières drastiques.</p>
<p>Il est probable que cette hypothèse ait déjà été envisagée par la Russie qui a, courant janvier, augmenté ses actifs liquides détenus en devises étrangères de plus de 8 milliards de dollars. Néanmoins, la menace de cette sanction reste valide et crédible, car elle engendrerait de gros dommages dans un temps court, avec un impact raisonnable pour les Occidentaux.</p>
<h2>Les entreprises du complexe militaro-industriel</h2>
<p>Le <a href="https://atalayar.com/fr/content/la-russie-montre-la-vigueur-de-son-industrie-militaire-une-semaine-apr%C3%A8s-la-chute-de-kaboul">complexe militaro-industriel</a> pourrait aussi être frappé par les sanctions occidentales.</p>
<p>Ce secteur cher à Moscou, au moins comme vecteur de projection de puissance, reste fondamentalement lié aux importations de certaines technologies et aux exportations vers l’étranger. En cas d’embargo total sur les hautes technologies, il sera automatiquement impacté. Les répercussions seront néanmoins plus longues à se faire ressentir que celles des sanctions touchant la Banque centrale. Il faut aussi noter que cet embargo ne sera peut-être pas total. Les clients finaux restent libres de leurs choix en matière d’approvisionnement dans un secteur de plus en plus compétitif.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496873804617986057"}"></div></p>
<p>En conclusion, les sanctions qui seront appliquées à la Russie devront être crédibles, ce qui implique une faisabilité réelle. Le Kremlin connaît bien les forces et la faiblesse des Occidentaux et leurs réticences aux risques. La Russie ne modifiera son comportement que si elle estime que sa résilience et sa capacité à encaisser les sanctions sera outrepassée.</p>
<p>En cela, les sanctions mises en place depuis huit ans ont permis à Moscou, si besoin en était, de tester sa capacité de résistance et de résilience. En outre, la Russie, relativement isolée en 2014-2015, bénéficie aujourd’hui du <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/crise-ukrainienne-la-russie-beneficie-du-soutien-de-la-chine_4947471.html">soutien de la Chine</a>. Pour Vladimir Poutine, la Chine est un partenaire de choix si son pays doit renforcer la réorientation de son économie.</p>
<p>Enfin, certains autres États pourraient vouloir tenter de tirer leur aiguille du jeu en venant se glisser dans les espaces laissés libres par les sanctions occidentales en devenant fournisseur et importateurs de produits russes. Quoi qu’il en soit, le président Poutine continuera sans doute d’estimer que la chute de l’URSS est <a href="https://www.latribune.fr/depeches/reuters/KBN2IR0BE/poutine-qualifie-la-chute-de-l-urss-de-desintegration-de-la-russie-historique.html">« la plus grande catastrophe géopolitique du 20ᵉ siècle »</a> : la vulnérabilité de la Russie à des sanctions touchant sa Banque centrale viennent de l’interconnexion de son système économique avec le reste du monde, notamment à travers la convertibilité du rouble – qui n’était pas possible pendant la période soviétique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177858/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est avant tout dans le domaine bancaire que la Russie semble vulnérable aux sanctions occidentales.Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris - Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1770772022-02-24T19:58:47Z2022-02-24T19:58:47ZEn Ukraine, la Russie fait la guerre pour étendre sa sphère d'influence<p>En engageant les <a href="https://www.lemonde.fr/international/live/2022/02/24/ukraine-la-russie-bombarde-des-cibles-militaires-dans-tout-le-pays-la-communaute-internationale-condamne-une-agression_6115008_3210.html">opérations militaires contre l’Ukraine</a>, Vladimir Poutine a montré qu’il ne renonçait pas à la guerre pour réaliser son objectif : la reconstitution d’une sphère d’influence russe dans l’espace de l’ancienne Union soviétique.</p>
<p>Pour bien comprendre la situation, il est nécessaire de revenir sur cet objet contesté des relations internationales qu’est la notion de sphère d’influence.</p>
<h2>Tradition européenne et tradition étatsunienne</h2>
<p>La période de tension qui a précédé <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/direct-le-president-russe-vladimir-poutine-annonce-une-operation-militaire-en-ukraine-kiev-denonce-une-invasion-de-grande-ampleur_4978662.html">l’ouverture des hostilités</a> de ce jeudi 24 février a fait apparaître des dissensions entre alliés. Malgré un unanimisme de façade, auquel <a href="https://www.courrierinternational.com/une/geopolitique-la-russie-menace-lukraine-orban-regarde-ailleurs">seule la Hongrie a dérogé,</a> certains pays européens se sont longtemps démarqués de la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Crise-Ukraine-Joe-Biden-veut-restaurer-credibilite-internationale-2022-02-19-1201201211">fermeté</a> affichée par l’administration Biden.</p>
<p>Les réserves européennes répondent bien sûr à des divergences d’intérêts, comme l’ont montré les <a href="https://www.dw.com/fr/la-position-floue-de-lallemagne-dans-la-crise-en-ukraine/a-60540786">hésitations affichées par l’Allemagne</a>. Il nous semble pourtant que ces réticences tiennent, aussi, à des spécificités affectant les cultures politiques. L’Europe reste marquée par une tradition diplomatique se voulant réaliste qui ne se reconnaît pas dans une diplomatie étatsunienne qui donne officiellement la primauté aux principes moraux.</p>
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<figcaption><span class="caption">Russie-Ukraine : l’Europe sait-elle se défendre ? Le Dessous des Cartes – Arte, 2 février 2022.</span></figcaption>
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<p>Dans son <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/diplomatie-9782213597201">ouvrage de synthèse sur la diplomatie</a>, l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger met en avant l’opposition entre ces deux traditions diplomatiques.</p>
<p>En 1919, à la <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/relations-internationales/pratiques-diplomatiques-contemporaines/la-conf%C3%A9rence-de-la-paix-de-1919">Conférence de la Paix</a>, le président Woodrow Wilson affirme que la diplomatie européenne, qui privilégiait la recherche de l’équilibre des forces, doit désormais se tourner vers une conception nouvelle, dérivée de l’idéalisme américain.</p>
<p>Selon lui, la diplomatie doit se fonder sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et sur la recherche de la sécurité collective. Largement reprise par le <a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/sdn1919.htm">Pacte de la SDN</a>, puis par la Charte de l’ONU, <a href="https://www.herodote.net/8_janvier_1918-evenement-19180108.php">cette vision</a> inspire le droit international contemporain. À ce titre, se trouve condamné un élément de l’ordre international traditionnel : l’instauration de sphères d’influence par les grands États.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1186019602385559552"}"></div></p>
<p>Le retour, ou le maintien, de <a href="https://www.19fortyfive.com/2021/12/what-russia-wants-from-a-ukraine-crisis-a-sphere-of-influence-in-eastern-europe/">l’Ukraine dans une zone d’influence russe</a> est fréquemment présenté comme étant l’<a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/ukrainealert/inside-putins-ukraine-obsession/">objectif final de Vladimir Poutine</a>. Cet objectif serait à l’origine directe de la crise qui se développe depuis décembre 2021.</p>
<p>L’illégitimité de cet objectif est couramment avancée pour dénoncer la politique russe, par exemple par le président polonais <a href="https://www.thefirstnews.com/article/no-russian-zone-of-influence-in-ukraine-polish-president-says-27417">Andrzej Duda</a> ou par le secrétaire général de l’OTAN <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/le-secretaire-general-de-lotan-declare-que-la-russie-na-aucun-droit-detablir-une-sphere-dinfluence/">Jens Stoltenberg</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496797579425693702"}"></div></p>
<p>Ainsi mise en avant, la notion de sphère ou de zone d’influence, de même que les débats qu’elle a inspirés, mérite d’être mobilisée pour nourrir la réflexion sur le conflit et la crise ukrainienne.</p>
<h2>À l’origine de la revendication russe : le prix de la défaite</h2>
<p>Alors même que l’URSS n’avait pas été vaincue militairement, le prix de l’effondrement du système soviétique en 1991 a excédé, pour la Russie, le coût de la défaite de l’empire russe face à l’Allemagne, actée par le <a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1918brestukraine.htm">Traité de Brest-Litovsk d’avril 1918</a> ; il a aussi été supérieur aux concessions maximales que Staline était disposé à accepter à l’automne 1941, alors que l’invasion de l’Union par la Wehrmacht semblait inexorable, comme l’ont noté Georges-Henri Soutou dans son ouvrage sur <a href="https://www.fayard.fr/histoire/la-guerre-de-cinquante-ans-9782213608471">La guerre de cinquante ans</a> et Kissinger dans l’ouvrage précité.</p>
<p>La CEI, créée sur les décombres de l’URSS, avait pour fonction de structurer dans la durée la coopération entre les États issus de l’Union, mais cette organisation <a href="https://les-yeux-du-monde.fr/actualites-analysees/europe/49043-49043-russie-politique-voisinage">s’en est révélée incapable</a>. Paradoxalement, c’est pour une grande part <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1991/04/CHAUVIER/43434">à cause de la mobilisation du nationalisme russe</a> par Eltsine dans sa stratégie de prise de pouvoir que Gorbatchev a échoué à reconstruire sur une base fédérale et démocratique un ensemble post-soviétique dans lequel la Russie aurait tout naturellement retrouvé son rôle central. À défaut, la reconstruction de relations avec cet <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/09/30/-l-etranger-proche-partie-de-la-patrie-russe_1800965/">« étranger proche »</a> pour rétablir une sphère d’influence devait susciter affrontements et conflits.</p>
<p>La perception révisionniste russe reprend largement à son compte le syndrome de l’encerclement, central dans la littérature diplomatique et militariste de l’Allemagne wilhelminienne. En 1914, le grand état-major de Berlin estimait nécessaire de briser l’encerclement du Reich par la Triple Entente avant que l’armée russe ne soit devenue trop puissante. De la même façon, Vladimir Poutine a affirmé à de multiples reprises, et spécialement dans son <a href="https://www.letemps.ch/monde/vladimir-poutine-discours-rage">discours du 22 février dernier</a>, que Moscou devait absolument réagir au processus d’élargissement de l’OTAN, poursuivi de 1999 à 2020, qui a abouti à ce que plusieurs pays de la <a href="https://nationalinterest.org/blog/skeptics/nato-encirclement-may-be-creating-new-crisis-russia-27617">frontière européenne de la Russie</a> sont aujourd’hui alliés aux États-Unis, donc potentiellement hostiles en cas d’affrontement entre Washington et Moscou.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496798540319928321"}"></div></p>
<h2>Les sphères d’influence : bref rappel historique</h2>
<p>Le terme de sphère d’influence apparaît à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle dans des accords entre puissances coloniales, notamment dans les accords germano-britanniques de <a href="https://www.britannica.com/topic/Anglo-German-Agreement">1886</a> et de <a href="https://www.britannica.com/event/Zanzibar-Treaty">1890</a>] répartissant entre les deux pays des zones d’influence en Afrique, qui sont suivis d’accords <a href="https://archivfuehrer-kolonialzeit.de/deutsch-franzosisches-abkommen-vom-4-nov-1911-uber-den-erwerb-von-neu-kamerun-ausserungen-der-presse-uber-das-abkommen?sf_culture=fr">franco-allemands</a> et <a href="https://bibliotheque-numerique.diplomatie.gouv.fr/ark:/12148/bpt6k56138680.texteImage">franco-britanniques</a>, puis <a href="https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1907_num_16_90_6791">russo-britanniques</a>. Lord Curzon, l’un des premiers diplomates à <a href="https://en.wikisource.org/wiki/Frontiers">analyser</a> cette notion de « sphère d’influence », la considère comme une version atténuée du protectorat.</p>
<p>Associées à l’ordre colonial, les zones d’influence sont condamnées dans l’approche wilsonienne qui inspire la Conférence de la Paix en 1919 et le Pacte de la SDN. On trouve déjà à cette occasion une ambiguïté fondamentale de la conception américaine puisque le Pacte, dans son article 21, validait explicitement la <a href="https://les-yeux-du-monde.fr/ressources/15691-quest-ce-la-doctrine-monroe/">doctrine Monroe</a>, qui instituait pourtant de facto l’« hémisphère occidental » en sphère d’influence américaine.</p>
<p>Franklin D. Roosevelt (président de 1932 à sa mort en 1945) devait renouveler à diverses reprises cette condamnation avec, toutefois, la même ambiguïté, puisqu’il acceptait à <a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1945yalta.htm">Yalta</a> une dérogation explicite : la Mandchourie était reconnue comme appartenant à la sphère d’influence soviétique. Néanmoins, sans que la <a href="https://www.un.org/fr/about-us/un-charter">Charte de l’ONU</a>, adoptée en juin 1945, n’aborde explicitement la question, ses dispositions générales excluent la légitimité internationale des sphères d’influence.</p>
<p>Les déclarations de l’immédiat après-guerre devaient rapidement faire place aux exigences de la guerre froide, dont les zones d’influence respectives des États-Unis et de l’URSS constituaient un enjeu central. À nouveau, comme l’a remarqué <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-02-10/new-spheres-influence">Graham Allison</a>, l’issue victorieuse de la Guerre froide a fourni l’occasion à divers responsables américains de proclamer que les zones d’influence devaient disparaitre du nouvel ordre international. La position américaine rejoignait ainsi les principes de souveraineté du droit international.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/putin-is-on-a-personal-mission-to-rewrite-cold-war-history-making-the-risks-in-ukraine-far-graver-177730">Putin is on a personal mission to rewrite Cold War history, making the risks in Ukraine far graver</a>
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<h2>Le renouveau des zones d’influence</h2>
<p>Avec la fin du <a href="https://www.jstor.org/stable/20044692">« moment unipolaire »</a> d’un ordre international à domination américaine, les sphères d’influence sont réapparues dans la réflexion comme dans la réalité des relations internationales.</p>
<p>Divers auteurs ont proposé de réévaluer ce concept, dont la <a href="https://lauda.ulapland.fi/handle/10024/61767">connotation péjorative leur parait injustifiée</a>. Renouant avec la notion de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2009-v40-n1-ei3248/037572ar/">grands espaces – <em>grossraume</em> – développée Carl Schmitt</a>, cette approche considère que les sphères d’influence permettent de construire un ordre international pluraliste, par opposition à un système universaliste – condamné de fait à être dominé par une puissance hégémonique, en l’espèce américaine.</p>
<p>Comme il fallait s’y attendre, cette approche s’est trouvée mobilisée en soutien de la politique de <a href="https://www.ledevoir.com/monde/71454/vladimir-poutine-defend-la-zone-d-influence-russe">Vladimir Poutine</a>, comme d’ailleurs de celle de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/03/20/le-retour-des-zones-d-influence_5097465_3232.html">Xi Jinping</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496838110000394243"}"></div></p>
<p>Dans le foisonnement d’études et d’articles que suscite la crise ukrainienne, ce débat théorique qui sous-tend les postures opposées des protagonistes reste insuffisamment mis en avant.(https://russiamatters.org/analysis/us-embrace-great-power-competition-also-means-contending-spheres-influence)</p>
<h2>Des principes aux compromis</h2>
<p>Certes, dans sa <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1857294/conflit-russie-ukraine-etats-unis-demandes">réponse</a> aux propositions de Vladimir Poutine sur une nouvelle architecture de sécurité européenne, qui visaient à exclure toute éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN même à lointaine échéance, l’administration américaine est restée ferme sur le principe du droit pour l’Ukraine de contracter les alliances qu’elle souhaite.</p>
<p>Pourtant, comme l’a souligné en 2020 <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-02-10/new-spheres-influence">Graham Allison</a>, les États-Unis devront finir par se résoudre à abandonner des aspirations inatteignables et « accepter que les zones d’influence restent un élément central de la géopolitique ». Les modalités de cette résignation restent problématiques.</p>
<p>La « finlandisation » de l’Ukraine est une solution <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/02/crise-ukrainienne-l-hypothese-de-la-finlandisation-ou-la-neutralite-obligee_6111937_3232.html">régulièrement évoquée</a>. Certains relèvent que cela n’avait pas entravé, durant la guerre froide, la capacité de la Finlande à <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1980_num_45_2_2981">mener sa vie démocratique et économique sans interférence du grand voisin soviétique</a>.</p>
<p>Toutefois, au moment où la Finlande elle-même <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/adhesion-a-lotan-les-exigences-russes-relancent-le-debat-en-finlande-et-en-suede-1378015">s’interroge sur une éventuelle adhésion à l’OTAN</a>, on comprend la réticence que l’idée de finlandisation peut susciter en Ukraine. Le politiste britannique souligne ainsi Taras Kuzio <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/ukrainealert/ukrainian-neutrality-would-not-appease-putin-or-prevent-further-russian-aggression/">souligne</a> à cet égard :</p>
<blockquote>
<p>« Une Ukraine neutre dans une “zone russe d’intérêts privilégiés” ne ressemblerait pas à l’Autriche ou à la Finlande pendant la guerre froide, mais plutôt à la Biélorussie du président Loukachenko. »</p>
</blockquote>
<p>On mesure, dès lors, le risque d’un retour à la reconnaissance explicite de zones d’influence. Entré dans une nouvelle phase avec l’engagement d’opérations de guerre, le conflit en cours aboutira-t-il à la reconnaissance d’une sphère d’influence russe élargie et consolidée, au détriment de l’indépendance ukrainienne ? C’est tout l’enjeu des jours et semaines à venir…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177077/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Yves Hénin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vladimir Poutine considère que l'« étranger proche » de la Russie doit se trouver sous son influence. Même s’il faut faire la guerre pour cela.Pierre-Yves Hénin, Professeur émérite en économie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1770922022-02-23T18:36:17Z2022-02-23T18:36:17ZEn Ukraine et ailleurs, comment les politiques de dissuasion peuvent provoquer la guerre<p>La politique américano-européenne en Ukraine semble s’inspirer d’un calcul simple : si les bénéfices de la paix l’emportent sur ceux de la guerre, le Kremlin s’abstiendra de recourir à la force armée. Aussi les responsables otaniens menacent-ils régulièrement la Russie de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/18/crise-ukrainienne-les-etats-unis-sont-prets-a-adopter-des-sanctions-qui-transformeraient-la-russie-en-paria-dans-le-systeme-financier_6114174_3210.html">tout un attirail de représailles</a> qui seraient insupportables pour un pays au PIB <a href="https://fr.countryeconomy.com/pays/comparer/russie/pays-bas?sc=XEG4">semblable à celui des Pays-Bas</a>, aux dépenses militaires <a href="https://fr.statista.com/infographie/24751/classement-des-pays-depenses-militaires-budget-defense/">comparables à celles de la France</a> et qui, en outre, sait qu’un conflit ouvert avec l’Ukraine, dont la population, sauf à l’Est, lui est largement hostile, serait pour lui très coûteux.</p>
<p>A priori, cette approche mise en œuvre par les pays otaniens semble frappée au coin du bon sens. </p>
<p>Elle mérite pourtant d’être interrogée car elle peut aussi avoir un effet exactement inverse. Ce qui est tristement illustré par le lancement de l'opération militaire de Moscou durant la nuit de mercredi à jeudi. </p>
<h2>Au cœur de la dissuasion : l’image donnée par chacune des parties</h2>
<p>En affirmant qu’une invasion totale de l’Ukraine par la Russie est imminente, les responsables de l’OTAN ont <a href="https://www.lepoint.fr/monde/ukraine-selon-washington-7-000-soldats-russes-supplementaires-ont-ete-deployes-17-02-2022-2465185_24.php">dramatisé</a> les manœuvres et concentrations militaires russes aux frontières de sa voisine. Ce faisant, ils ont cherché à rendre plus crédible leur menace dissuasive : l’idée était de convaincre Moscou de leur détermination absolue. Mais comment expliquer que, malgré tout, les dirigeants de Moscou aient devancé l’affrontement en reconnaissant les républiques séparatistes de Lougansk et de Donetsk ?</p>
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<p>Un retour historique sur le <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782874951589-missiles-et-decisions-castro-kennedy-et-khrouchtchev-et-la-crise-de-cuba-d-octobre-1962-vincent-touze/">rôle de la dissuasion dans les crises internationales</a> peut être utile. Même s’il faut se méfier de toute analogie hâtivement établie, deux constantes politiques semblent relativement incontestables pour comprendre l’issue d’une crise.</p>
<p>Tout d’abord, les décideurs d’une entité étatique aspirent non seulement à assurer la sécurité et la survie de leur entité, mais aussi leur propre survie politique. La « profession politique » est une carrière comme une autre, et les dirigeants doivent jouer la partition de la souveraineté nationale pour conserver leur légitimité. À cet égard, la <a href="https://www.bfmtv.com/international/ukraine-boris-johnson-accuse-la-russie-de-preparer-la-plus-grande-guerre-en-europe-depuis-1945_AD-202202200113.html">dramatisation du conflit ukrainien par Boris Johnson</a> peut ainsi s’interpréter comme une performance d’« homme fort », dans un contexte interne où <a href="https://theconversation.com/partygate-quand-boris-johnson-joue-les-trouble-fetes-177029">son sérieux de dirigeant est en question</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1495347820408233988"}"></div></p>
<p>Des leaders politiques qui apparaissent passifs, voire dominés, devant une « puissance étrangère » auront une vie politique très courte comme le démontre l’expérience de l’administration Carter en 1979 dans la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Crise-des-otages-americains-en.html">crise des otages avec l’Iran</a>.</p>
<p>Cela conduit à un deuxième constat : si la dissuasion relève apparemment d’un calcul rationnel coût-avantage impeccable, elle comporte un inconvénient majeur : celui qui s’y conforme apparaît facilement « soumis », même humilié. En d’autres termes, les coûts de la dissuasion en termes psychologiques et de légitimité peuvent être considérables et inciter des dirigeants comme <a href="https://savoirs.rfi.fr/fr/comprendre-enrichir/geopolitique/1999-les-bombes-de-lotan-tombaient-sur-la-serbie">Slobodan Milosevic</a> ou <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/saddam-hussein-rejette-l-ultimatum-de-george-w-bush_1410473.html">Saddam Hussein</a> à accepter l’affrontement, malgré une infériorité évidente.</p>
<h2>L’option de la dissuasion empathique : enseignements de 1914 et de 1962</h2>
<p>Pourtant, il existe une alternative : celle de la dissuasion « empathique ».</p>
<p>Cette approche consiste à prendre en considération les coûts psychologiques de la dissuasion pour la partie qui en fait l’objet. Pour cela, il s’agit d’abord de privilégier le format privé dans son exercice. En effet, une menace proférée en tête à tête est plus facilement acceptée qu’une menace exprimée au vu et su devant l’audience interne. La crise de juillet 1914 et la crise de Cuba d’octobre 1962 en sont des illustrations.</p>
<p>En 1914, alors que le chancelier allemand Bethmann Hollweg cherchait encore activement, le 29 juillet, à arrêter l’escalade en poussant son allié austro-hongrois à accepter un compromis avec la Triple Entente, il <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/413938-les-doctrines-darwiniennes-et-la-guerre-de-1914-thomas-lindemann-economica">changea radicalement d’attitude</a> dans la soirée du 30 juillet et donna le feu vert à la mobilisation générale. Que s’était-il passé ?</p>
<p>Le 28 juillet, le secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, Lord Grey, avait menacé Bethmann Hollweg, lors d’une conversation privée, expliquant qu’en cas de conflit Londres soutiendrait la France et la Russie. La menace, qui n’avait pas fuité, avait porté ses fruits, et le chancelier avait donc tout fait pour éviter que la situation ne dégénère. Mais le 30, on apprit que la Russie avait ordonné une mobilisation partielle. Cette information, publique, avait placé le chancelier, réputé trop « mou », devant une immense pression non seulement militaire, mais réputationnelle. Il ne pouvait pas se permettre de céder. On connaît la suite…</p>
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<p>48 ans plus tard, le monde a évité un autre affrontement cataclysmique. Probablement en partie parce que c’est en privé que le président Kennedy, au dernier jour de la crise cubaine, avait averti le numéro un soviétique Khrouchtchev de l’imminence d’une escalade militaire américaine. <a href="https://www.fayard.fr/pluriel/13-jours-la-crise-des-missiles-cuba-9782818505632">Khrouchtchev put reculer, mais sans perdre la face</a>.</p>
<p>Un autre aspect de la dissuasion empathique concerne la reconnaissance de l’autre comme acteur autonome, notamment via la préservation de l’image de sa souveraineté, même quand celle-ci est largement fictive. Alors que l’ultimatum austro-hongrois à la Serbie de 23 juillet 1914 est l’un des exemples les plus flagrants d’un radical mépris de toute reconnaissance d’action autonome de l’autre – Vienne exigeait notamment la coopération de la police serbe avec les autorités austro-hongroises dans la recherche des « coupables » de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand –, le président Kennedy reconnut en fin de crise, sans engagement formel mais publiquement, la souveraineté de Cuba via un engagement de non-invasion.</p>
<p>Cette concession était importante pour que Khrouchtchev puisse sauver partiellement la face. Poussé par des considérations internes, car les élections parlementaires de mi-mandat approchaient, Kennedy garda secrète la concession du retrait de missiles américains de Turquie. Ce caractère secret de la décision du président américain aurait pu être fatal à la résolution de la crise. En effet, l’URSS voulait un accord public, qui aurait souligné que les deux « Grands » traitaient sur un pied d’égalité : les Soviétiques retiraient leurs missiles de Cuba, les Américains retiraient les leurs de Turquie. Néanmoins, Kennedy comprenait que l’invasion d’un allié « socialiste », le Cuba de Castro, serait inacceptable pour l’URSS, et mena sa gestion de crise sur cette base.</p>
<p>Tout indique que la politique de la dissuasion mise en œuvre par les décideurs américains dans la crise ukrainienne est à l’opposé d’une démarche empathique : les menaces sont publiques et personne ne semble se demander comment les leaders russes pourraient accepter que tous leurs voisins européens, et pis encore, les anciennes républiques soviétiques, intègrent l’OTAN.</p>
<p>Les politiques otaniennes auront surtout contribué à un processus qui a fait monter la tension à un point inédit. Le message du Kremlin semblerait le suivant, pour obtenir une finlandisation de l’Ukraine : si l’Ukraine doit intégrer l’OTAN, nous allons annexer par la force l’Est du pays. Si cette solution ne semble pas « raisonnable », elle paraît pourtant politiquement seule en mesure de permettre à la Russie de se mettre en scène comme grande puissance souveraine…</p>
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<p><em>Cet article a été co-écrit avec Vincent Touze, docteur en sciences politiques, spécialiste de la crise de Cuba</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177092/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Lindemann ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il arrive qu’en menaçant une partie de représailles si elle se conduit d’une façon donnée, on la pousse à se conduire ainsi. Des exemples historiques fournissent à cet égard d’utiles leçons…Thomas Lindemann, Professor of International Relations & Political Science at L'École polytechnique, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1770362022-02-17T20:50:18Z2022-02-17T20:50:18ZRussie-Ukraine : la cyberguerre est-elle déclarée ?<p>Alors que des troupes russes se <a href="https://france24.com/fr/europe/20220206-ukraine-la-russie-pr%C3%A9pare-une-invasion-de-grande-ampleur-selon-le-renseignement-am%C3%A9ricain">massent aux frontières ukrainiennes</a> et que la Fédération de Russie maintient ses <a href="https://www.npr.org/2021/12/23/1067188698/putin-urges-west-to-act-quickly-to-offer-security-guarantees">demandes de garanties</a> de non-extension de l’OTAN, de transparence sur le déploiement des systèmes d’armes et de retour aux clauses de l’<a href="https://nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_25468.htm">Acte Fondateur de 1997</a>, l’Ukraine vient d’être visée par une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/17/une-cyberattaque-en-ukraine-alimente-les-tensions-avec-moscou_6109784_3210.html">puissante cyberattaque</a>. Bien qu’il soit difficile d’identifier le ou les auteurs de cette agression, un certain nombre d’observateurs n’hésitent à l’attribuer à Moscou et à son alliée la Biélorussie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/russie-ukraine-la-guerre-est-elle-inevitable-175774">Russie-Ukraine : la guerre est-elle inévitable ?</a>
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<p>L’Ukraine apparaît depuis le début de la crise qui l’oppose à la Russie comme un véritable <a href="https://wired.com/story/russian-hackers-attack-ukraine/">laboratoire à ciel ouvert</a> pour les opérations cyber. Les attaques qu’elle a subies au cours de ces dernières années ont contribué à la prise de conscience globale concernant les « risques cyber » et l’impérieuse nécessité d’en tenir compte dans l’analyse des conflits, notamment en amont du déclenchement cinétique. Ainsi, le cyber est désormais perçu comme pouvant être un nouveau théâtre de conflictualité, qualifié par les militaires de <a href="https://cairn.info/revue-les-champs-de-mars-ldm-2013-1-page-71.htm">cinquième dimension</a> – après la terre, la mer, l’air, et l’espace.</p>
<h2>Un « laboratoire à ciel ouvert »</h2>
<p>De nombreuses attaques cyber et informationnelles, aux cibles et formes variées, ont été observées depuis le début du conflit dans l'est de l’Ukraine. Certaines y ont émergé avant de se propager à d’autres pays.</p>
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<p>Une des premières survenues après le déclenchement du conflit a <a href="https://www.kyivpost.com/article/content/may-25-presidential-election/authorities-hackers-foiled-in-bid-to-rig-ukraine-presidential-election-results-349288.html">ciblé la Commission électorale centrale (CEC)</a> lors de l’élection présidentielle de 2014, premier scrutin postérieur à la <a href="https://www.france24.com/fr/billet-retour/20181123-ukraine-bilan-revolte-maidan-kiev-corruption-russie-ianoukovitch">révolution du Maïdan</a>.</p>
<p>On se souvient également de l’attaque sur la centrale électrique d’Ivano-Frankivsk en 2015, qui avait <a href="https://wired.com/2016/03/inside-cunning-unprecedented-hack-ukraines-power-grid/">privé une partie de la région d’électricité</a> en plein mois de décembre. Les auteurs avaient réussi à accéder aux <a href="https://www.factoryfuture.fr/tout-savoir-systemes-scada/">réseaux SCADA (Système de Contrôle et d’Acquisition de Données)</a>, ce qui a rappelé aux observateurs <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-un-malware-semblable-a-stuxnet-pret-a-cibler-les-systemes-scada-65036.html">l’attaque du virus Stuxnet</a> qui avait ciblé la <a href="https://www.numerama.com/cyberguerre/763181-stuxnet-lespion-qui-voulait-saboter-le-nucleaire-iranien.html">centrale nucléaire iranienne de Natanz en 2009</a>. Cette agression sur les systèmes électriques fait écho à <a href="https://www.controleng.com/articles/throwback-attack-lessons-from-the-aurora-vulnerability/">l’expérience Aurora</a>, réalisée en 2007 par une équipe de l’Idaho National Lab : il avait alors été démontré que le piratage d’infrastructures électriques pouvait détruire définitivement un générateur diesel de 2,25 mégawatts.</p>
<p>Un an plus tard, en 2016, une nouvelle attaque <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-une-cyberattaque-suspectee-de-causer-un-black-out-en-ukraine-66852.html">visant des systèmes électriques</a> a impacté Kiev pendant plusieurs heures.</p>
<p>En 2017, <a href="https://www.cyber-cover.fr/cyber-documentation/cyber-criminalite/cybercriminalite-notpetya-le-malware-a-10-milliards-de-dollars">NotPetya</a> d’abord et <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/vague-internationale-de-cyberattaques_1907798.html">WannaCry</a> ensuite ont défrayé la chronique. En détruisant les données, ces malwares (logiciels malveillants) déguisés en ransomwares (rançongiciels) ont semé le chaos <a href="https://www.cnet.com/tech/services-and-software/uk-said-russia-is-behind-destructive-2017-cyberattack-in-ukraine/">bien au-delà des frontière ukrainienne</a> et ont affecté des entreprises dans <a href="https://www.bbc.com/future/article/20170704-the-day-a-mysterious-cyber-attack-crippled-ukraine">plus d’une centaine pays</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1493670967264133128"}"></div></p>
<p>Si ces cyberattaques ont marqué les esprits par leur ampleur, leur originalité ou à cause du contexte dans lequel elles ont émergé, bien d’autres ont suivi. S’y sont ajoutées de nombreuses <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2017-1-page-123.htm">attaques informationnelles</a>, notamment conduites via les réseaux sociaux afin d’influencer les populations, que ce soit par la diffusion de fake news et de contenus propagandistes ou en utilisant des <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/visite-guidee-dune-ferme-a-trolls-russe-142088">réseaux de « trolls »</a>.</p>
<h2>Un regain de tension accompagné de nouvelles cyberattaques</h2>
<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/17/une-cyberattaque-en-ukraine-alimente-les-tensions-avec-moscou_6109784_3210.html">cyberattaque de la mi-janvier 2022</a> n’a pas totalement été une surprise pour l’Ukraine : le SBU, le service de renseignement ukrainien, <a href="https://www.ukrinform.net/rubric-society/3396245-sbu-blocks-over-120-cyber-attacks-on-ukrainian-govt-agencies-in-jan.html">dit avoir détecté</a> au cours de ces derniers mois de très nombreux incidents et tentatives d’attaques – y compris des tentatives de connexion à des serveurs de commande et de contrôle pour obtenir des accès non autorisés, des attaques visant des applications web et l’utilisation de malwares.</p>
<p>L’attaque de janvier, qui n’a pas pu être interceptée, a notamment visé des entités gouvernementales impliquées dans la gestion logistique des forces armées, ce qui aurait pu nuire à l’efficience opérationnelle de Kiev en cas de conflit ouvert. Bien que l’attribution de telles opérations soit toujours une affaire délicate et sensible, les <a href="https://www.reuters.com/world/europe/exclusive-ukraine-suspects-group-linked-belarus-intelligence-over-cyberattack-2022-01-15/">regards se tournent</a> vers un groupe de hackers connu sous le qualificatif de UNC 1151, que le haut responsable du Conseil national de sécurité et de défense ukrainien associe <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20220116-cyberattaque-en-ukraine-kiev-met-en-cause-la-bi%C3%A9lorussie">aux services de renseignement militaire biélorusses</a>, tout en notant des similitudes du malware utilisé avec ceux employés par des hackers présumés russes.</p>
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<p>Le 18 janvier, l’Agence américaine pour la cybersécurité et la sécurité des infrastructures (CISA) <a href="https://www.cisa.gov/sites/default/files/publications/CISA_Insights-Implement_Cybersecurity_Measures_Now_to_Protect_Against_Critical_Threats_508C.pdf">a fortement conseillé</a> aux opérateurs étatsuniens d’infrastructures critiques et vitales de prendre toutes les « mesures urgentes » possibles contre les cybermenaces. Dans cette mise en garde, l’Agence a fait référence aux récentes attaques contre l’Ukraine, susceptibles de préfigurer d’éventuelles menaces à l’encontre des États-Unis, et rappelé les précédents NotPetya et WannaCry, tous deux attribués à la Russie.</p>
<p>Dans le même temps, l’OTAN a prévenu qu’elle <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220114-l-otan-soutient-l-ukraine-contre-les-cyberattaques-apr%C3%A8s-un-piratage-informatique-massif">soutiendrait l’Ukraine face aux cyberattaques</a>. On l’aura compris : le domaine cyber est devenu un champ de conflictualité à part entière. Si besoin était de renforcer cette prise de conscience, une <a href="https://siecledigital.fr/2022/02/16/le-ministere-de-la-defense-ukrainienne-victime-dune-cyberattaque/">attaque par DDoS</a> visant le code du site lui-même vient de frapper le ministère de la Défense ukrainien et deux banques, dont le géant PrivatBank.</p>
<h2>Des attaques qui bénéficient du brouillard de la guerre</h2>
<p>Il est toujours difficile, voire impossible, de rattacher rapidement et avec certitude une attaque à une structure clairement identifiée, qu’il s’agisse d’un groupe de hackers ou d’un État. Les équipes de threat intelligence remontent les traces des attaques pour y relever des marqueurs permettant d’en repérer les initiateurs ; mais l’efficacité de leur travail dépend de nombreux facteurs mouvants, et il est difficile d’identifier avec une absolue certitude des individus qui agissent masqués, qui peuvent imiter des signatures et dont les liens potentiels avec des États sont soigneusement camouflés.</p>
<p>Ainsi, s’agissant d’opérations supposées avoir été commanditées ou opérées par des États, attribuer une cyberattaque représente un geste politique fort. La plus grande prudence reste le plus souvent de mise. C’est pourquoi, en juin 2021, la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/01/06/les-etats-unis-estiment-la-russie-probablement-a-l-origine-de-la-cyberattaque-dont-ils-ont-ete-victimes_6065309_4408996.html">réaction de Joe Biden</a> à <a href="https://www.lemonde.fr/blog/binaire/2021/06/18/on-vous-explique-les-attaques-supply-chain/">l’attaque par _supply chain</a>_ connue sous le nom de <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/securite-sur-internet/cyberattaques/solarwinds-ce-que-l-on-sait-sur-la-cyberattaque-massive-qui-touche-notamment-microsoft-et-des-agences-federales-americaines_4223253.html">Solar Gate</a>, qui a affecté de nombreuses institutions américaines, a surpris.</p>
<p>Estimant que l’opération avait été effectuée par la Russie et qu’elle constituait une menace sérieuse pour les États-Unis, Joe Biden a <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/presidential-actions/2021/04/15/executive-order-on-blocking-property-with-respect-to-specified-harmful-foreign-activities-of-the-government-of-the-russian-federation/">ordonné des sanctions</a>, créant notamment une liste noire d’entreprises russes du secteur des technologies de l’information (ERA Technopolis, Pasit, SVA, Neobit, AST et Positive Technologies) interdisant aux entreprises et institutions financières américaines de travailler avec ces dernières.</p>
<p>Si les cyberattaques ont modifié le déroulement des conflits en épaississant encore davantage le « brouillard de la guerre », elles ont aussi permis l’apparition de nouveaux acteurs. Dans le cas ukrainien, alors que du matériel militaire russe transite par la Biélorussie pour être acheminé vers les frontières ukrainiennes, un groupe de hackers biélorusses et pro-ukrainiens a opéré un ransomware d’un genre particulier. Alors que ce type d’outil a généralement pour but de chiffrer les données de la cible pour obtenir de l’argent (souvent demandée en cryptomonnaies) en échange de la clé de déchiffrement, les hackers ont, en l’espèce, <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20220127-cyberattaque-en-bi %c3 %a9lorussie-des-hackers-lancent-un-ran %c3 %a7ongiciel- %c3 %a0-caract %c3 %a8re-politique">conféré une portée politique</a> à leur logiciel : au lieu de demander une rançon à l’Agence biélorusse des chemins de fer, ils ont exigé la libération de prisonniers politiques détenus par Minsk et la fin du transport par voie ferroviaire du matériel militaire russe vers l’Ukraine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1485615555017117700"}"></div></p>
<h2>L’avantage de la cybercoercition</h2>
<p>Si les États, notamment occidentaux, ont depuis longtemps pris conscience de l’importance de la cyberdéfense, ils peinent encore à développer une approche offensive, notamment en incluant la « cybercoercition ».</p>
<p>Pour mémoire, la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/28/cybercoercition-un-nouveau-defi-strategique_6027444_3232.html">cybercoercition</a> consiste à attaquer des infrastructures critiques d’un État afin de l’empêcher de fonctionner normalement pouvant influencer ses prises de décision. Dans ce cas, la cybercoercition recouvrera les actions engagées par un État pour influencer et affaiblir le gouvernement d’un adversaire. L’objet sera, tout en bénéficiant de la difficulté d’attribution, de <a href="https://www.france24.com/fr/ %C3 %A9co-tech/20200220-la-cybercoercition-un-concept-offensif-de-cyberd %C3 %A9fense">démontrer de manière implicite</a> sa capacité à provoquer des perturbations importantes, tant dans les services de l’État visé que dans ces activités industrielles cruciales voire vitales.</p>
<p>Par exemple, les attaques qui, début février 2022, ont visé des <a href="https://www.leparisien.fr/high-tech/cyberattaque-les-terminaux-petroliers-de-plusieurs-ports-vises-en-allemagne-pays-bas-et-belgique-03-02-2022-PU3Q76DZMNA3VLSZ64P2IFMBJ4.php">ports européens</a> et retardé la distribution de produits énergétiques vers plusieurs pays d’Europe, pourraient apparaître comme relevant de cette cybercoercition. La dépendance de l’Europe envers le gaz russe constituant un point clé des négociations dans la crise ukrainienne, ce retard est loin d’être anodin. S’il est avéré que ces attaques sont imputables à la Russie, il pourrait alors s’agir d’une démonstration de cybercoercition de la part de Moscou, qui marquerait une prise en compte avancée de cet axe par le Kremlin dans sa stratégie cyber…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177036/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine a dernièrement subi plusieurs cyberattaques de grande ampleur. L’un des avantages que présente le recours à ce type d’agression, c’est qu’il est très difficile de remonter à sa source…Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris - Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1758692022-01-28T12:15:04Z2022-01-28T12:15:04ZQuels sont les accords qui encadrent les interventions militaires au Mali ?<p>Le 9 janvier dernier, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) annonçait une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/01/10/les-dirigeants-de-la-cedeao-placent-le-mali-sous-embargo-pour-sanctionner-le-maintien-de-la-junte-au-pouvoir_6108802_3212.html">série de sanctions sévères</a> contre le Mali, suite à la proposition par le gouvernement de transition d’un chronogramme prévoyant que des élections seraient tenues « dans un délai de quatre ans ». Aux yeux de la Cédéao, cette proposition revient à permettre à la junte qui <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/31/au-mali-la-semaine-ou-le-colonel-goita-s-est-couronne-president_6082131_3212.html">s’est emparée du pouvoir en mai 2021</a> de prolonger pour plusieurs années sa présence au pouvoir.</p>
<p>Dans la nuit même, le colonel Maïga, porte-parole du gouvernement, intervenait à la télévision nationale pour dénoncer des sanctions « illégales et illégitimes » et annoncer un « plan de riposte » des autorités maliennes comprenant des mesures de réciprocité.</p>
<p>Quelques semaines plus tard, on constate que ce plan comprend une importante dimension juridique, puisque le gouvernement malien a multiplié les offensives sur ce point.</p>
<h2>La bataille des arguments juridiques</h2>
<p>Le premier ministre Choguel Maïga a d’abord annoncé qu’une <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220116-le-premier-ministre-malien-annonce-une-plainte-contre-les-sanctions-de-la-c%C3%A9d%C3%A9ao">série de plaintes</a> pourraient être déposées devant des juridictions internationales contre les sanctions promulguées par la Cédéao.</p>
<p>Ensuite, les tensions diplomatiques se sont succédé autour des accords militaires existants entre le Mali, la France et, plus largement, les pays européens : dénonciation d’une <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220113-le-mali-d%C3%A9nonce-une-violation-de-son-espace-a%C3%A9rien-par-un-avion-militaire-fran%C3%A7ais">violation de l’espace aérien</a> par un avion militaire français le 12 janvier, <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/le-mali-refuse-le-survol-de-son-territoire-%C3%A0-un-avion-militaire-allemand/2480741">refus de survol du territoire</a> pour un avion allemand le 20 janvier, annonce d’une demande de <a href="https://malijet.com/a_la_une_du_mali/266089-discours-a-la-nation-du-61eme-anniversaire-de-l-armee-malienne-d.html">« relecture de certains accords de coopération militaire »</a> par le président de la transition, Assimi Goïta.</p>
<p>Enfin, le 24 janvier, un <a href="https://www.facebook.com/matdmali/photos/a.378838225881471/1385779478520669/">communiqué du gouvernement malien</a> demande le départ du contingent danois de la Force Takuba, qui serait présent au Mali sans base juridique et sans consentement de la partie malienne. Un départ obtenu le 27 janvier, malgré les protestations des pays européens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1486463525585399809"}"></div></p>
<p>Il est évident que, de part et d’autre, les arguments juridiques sont facilement instrumentalisés dans un contexte politique devenu très tendu. En témoigne le fait que ces accusations soient publiques et évitent volontairement les canaux diplomatiques. En invoquant la légalité des interventions internationales, c’est aussi et surtout leur légitimité que le gouvernement malien cherche à dénoncer.</p>
<p>En cela, il se place sur le même terrain que la France et les pays européens, qui ont toujours fondé leur légitimité en se réclamant de la légalité internationale et se retrouvent pris au piège de leurs propres arguments. Surtout, cela met en lumière la dimension complexe et peu transparente de ce cadre juridique inédit, qui nécessite d’être mieux compris pour analyser la situation actuelle.</p>
<h2>L’Opération Serval et les différentes bases légales invoquées</h2>
<p>Le 11 janvier 2013, près d’un an après le début des hostilités dans le Nord du Mali et la prise des principales villes par une coalition composée de groupes djihadistes affiliés à <a href="https://www.franceculture.fr/theme/aqmi">AQMI</a> et de groupes indépendantistes touarègues, la France lance une opération militaire d’urgence à travers des frappes aériennes et la mobilisation de forces spéciales, auxquelles viendront s’ajouter 4 000 hommes au sol.</p>
<p>Sans préjuger de sa légitimité, revenons sur les arguments juridiques avancés pour justifier l’opération Serval, qui sont importants dans le cadre des tensions actuelles. En droit international, le recours à la force est clairement interdit par la <a href="https://www.un.org/fr/about-us/un-charter">Charte des Nations unies</a>. Une intervention militaire sur un territoire étranger est toutefois permise à travers deux exceptions (autorisation du Conseil de sécurité, exercice de la légitime défense), ou bien si cette intervention est effectuée à la demande de l’État concerné. Pour justifier son intervention au Mali en 2013, la France a successivement invoqué ces trois raisons.</p>
<p>En effet, dès le lendemain de l’intervention, le <a href="https://www.elysee.fr/francois-hollande/2013/01/12/declaration-de-m-francois-hollande-president-de-la-republique-sur-lintervention-militaire-francaise-au-mali-a-paris-le-12-janvier-2013">président Hollande indique</a> que celle-ci s’effectue « à la demande du président du Mali et dans le respect de la Charte des Nations unies ». Le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/186790-conference-de-presse-de-m-laurent-fabius-ministre-des-affaires-etrange">mentionne</a> quant à lui une situation de « légitime défense » tirée de l’article 51 de la Charte des Nations unies, avant de corriger son propos <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/186791-extraits-dun-entretien-de-m-laurent-fabius-ministre-des-affaires-etra">deux jours plus tard</a> et de s’appuyer sur la <a href="https://www.un.org/press/fr/2012/CS10870.doc.htm">résolution 2085</a>, adoptée en décembre 2012 et prévoyant la mise en œuvre de la <a href="http://www.au-misahel.org/historique-de-loperation-misma/">Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA)</a>. Le 14 janvier, l’ambassadeur de France auprès des Nations unies <a href="https://undocs.org/fr/S/2013/17">transmet un courrier</a> au Conseil de sécurité indiquant que « la France a répondu […] à une demande d’aide formulée par le Président par intérim de la République du Mali, M. Dioncounda Traoré » pour lutter contre les groupes terroristes dans le pays.</p>
<p>Aucun État n’a contesté la légalité de l’intervention française, pas plus que les <a href="https://www.ejiltalk.org/french-military-intervention-in-mali-its-legal-but-why-part-i/">spécialistes du <em>jus ad bellum</em></a>. En revanche, les arguments soulevés ont provoqué d’importants débats, voire des controverses.</p>
<p>En premier lieu, l’argument de la légitime défense a été rejeté de manière quasi unanime, en l’absence d’agression <a href="https://dictionnaire-droit-humanitaire.org/content/article/2/agression/">au sens du droit international</a>. Plusieurs chercheurs ont ensuite <a href="http://www.afdsd.fr/wp-content/uploads/2019/07/AFDSDactes13-Traversac.pdf">critiqué</a> le fait que la France s’appuie sur une autorisation donnée par le Conseil de sécurité : cette justification relève d’une lecture très extensive de la résolution 2085, puisque celle-ci autorisait le déploiement d’une force militaire, mais sous conduite africaine.</p>
<p>Ainsi, un <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2604235">consensus est apparu</a> pour considérer la demande des autorités maliennes comme base légale de l’intervention, <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315796307-18/french-military-intervention-mali-exactly-fran%C3%A7afrique-definitely-postcolonial-isaline-bergamaschi-mahamadou-diawara">malgré quelques critiques</a> portant sur la légitimité du président de l’époque (Diocounda Traoré était président par intérim depuis le <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2012/03/22/01003-20120322ARTFIG00511-mali-le-president-renverse-par-un-coup-d-etat-militaire.php">coup d’État</a> ayant renversé Amadou Toumani Touré en mars 2012).</p>
<p>En avril 2013, à travers l’adoption de la <a href="https://undocs.org/S/RES/2100(2013)">résolution 2100</a> créant la <a href="https://minusma.unmissions.org/">Minusma</a>, le Conseil de sécurité reconnaît implicitement la légalité de l’intervention en saluant la « célérité des forces françaises » et en soulignant que celle-ci est conduite « à la demande » des autorités maliennes. Depuis, que ce soit sur le plan juridique ou politique, la présence française a été constamment justifiée par cet argument, rappelé avec vigueur lors <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/pau-emmanuel-macron-reunit-les-chefs-d-etat-du-g5-sahel-340941">du sommet du G5 Sahel</a> à Pau en 2020.</p>
<p>La France, pourtant active sur le dossier malien au sein du Conseil de sécurité, n’a pas voulu (ou n’a pas pu) faire adopter un mandat du Conseil de sécurité pour encadrer son intervention. Cela rompt avec la politique poursuivie depuis la fin des années 2000 en matière d’opérations extérieures, qui cherchait systématiquement <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315796307-18/french-military-intervention-mali-exactly-fran%C3%A7afrique-definitely-postcolonial-isaline-bergamaschi-mahamadou-diawara">l’obtention d’un mandat des Nations unies</a> pour renforcer le cadre légal et la légitimité de l’opération.</p>
<h2>La conclusion postérieure d’accords dits SOFA</h2>
<p>Le cadre juridique de l’intervention militaire française a depuis évolué et s’est fortement épaissi et complexifié, du fait des transformations du dispositif et de l’adoption de plusieurs accords relatifs au statut des forces armées.</p>
<p>Tout d’abord, un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000027376103">accord sous forme d’échanges de lettres</a> est publié en avril 2013 pour fixer le « statut du détachement français dans le cadre de ses missions au Mali ».</p>
<p>Communément appelé SOFA (<em>Status of Forces Agreement</em>), ce type d’accord est courant et généralement conclu de manière bilatérale ou multilatéral afin de fixer le cadre juridique applicable à un détachement militaire présent à l’étranger : liberté de circulation, compétence juridictionnelle en cas de faute, dispositions en matière de douanes, taxes, etc. Ainsi, un SOFA n’a pas vocation à justifier la légalité d’une intervention militaire, mais plutôt à encadrer son déploiement. D’ailleurs, de nombreux SOFA sont conclus entre États sans existence d’intervention militaire.</p>
<p>Pourtant, l’accord conclu entre la France et le Mali en 2013 mentionne plusieurs aspects concernant la base légale de cette intervention, en rappelant l’existence des résolutions du Conseil de sécurité et en soulignant à nouveau « la demande expresse » du gouvernement malien. Là encore, cela rompt avec la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r3860.asp">pratique initiée après 2008 et la révision des accords de défense</a> avec les pays africains, où les SOFA sont systématiquement distingués des accords d’assistance militaire. Le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/projets/pl3498-ai.pdf">nouveau traité de coopération</a> signé en 2014 entre la France et le Mali n’y changera rien. Bien que sa signature soit concomitante au lancement de l’opération Barkhane, il est sans préjudice de l’accord conclu en 2013, qui <a href="http://www.senat.fr/rap/l15-358/l15-3586.html">continue à s’appliquer</a> aux contingents de la nouvelle opération.</p>
<p>Ce choix de mêler justification légale de l’intervention et encadrement juridique des forces au Mali est d’autant plus surprenant que la même année, la France a signé deux accords distincts avec le Niger pour le déploiement de ses opérations, l’un relatif « au régime juridique de l’intervention », l’autre concernant le statut des forces.</p>
<h2>Takuba : un objet juridique non identifié</h2>
<p>Une nouvelle évolution intervient en 2020 avec la mise en œuvre du groupement de forces spéciales <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/06/11/takuba-l-embryon-d-une-force-europeenne_6083722_3212.html">Takuba</a>. Sans lien avec l’Union européenne, ce dispositif repose sur une structure juridique complexe, mêlant là aussi justification légale de l’intervention et statut des forces, accords bilatéraux et multilatéraux.</p>
<p>Tout d’abord, dans une lettre adressée le 27 novembre 2019 à plusieurs pays européens, Ibrahim Boubacar Keita, alors président, sollicite une « assistance militaire » au sein de la force Takuba, encore en gestation et dont l’existence sera officialisée quelques mois plus tard. En février 2020, la France soumet au Mali un projet de protocole additionnel à l’accord de 2013, qui prévoit l’application d’un SOFA type contenant les mêmes dispositions à l’ensemble des contingents européens déployés.</p>
<p>Entériné par un échange de lettres en mars 2020, ce protocole prévoit que chaque pays contributeur de Takuba doit conclure un accord spécifique avec le Mali et solliciter l’accord de la France pour intégrer la nouvelle force. Il fixe donc un cadre général, au sein duquel des relations bilatérales doivent être nouées entre le Mali et chaque État contributeur. La conclusion de ces accords bilatéraux est très simple sur la forme : un échange de lettres entre le pays contributeur et le Mali, contenant en annexe le SOFA, puis une notification à la partie française.</p>
<p>Ainsi, si Takuba est une opération présentée comme multilatérale, elle est juridiquement une juxtaposition de coopérations bilatérales, inscrites toutefois dans un cadre commun et homogène. La même année, un protocole similaire est signé avec le Niger. Toutefois, aucun accord bilatéral entre un pays contributeur de Takuba et le Niger n’a été publié à ce jour.</p>
<p>Le cadre juridique de Takuba est donc une réplique de celui adopté en 2013 pour Serval puis Barkhane. La légitimité de l’intervention des pays européens est alors fondée sur sa légalité, matérialisée par la demande de la partie malienne, qui est exprimée à travers la conclusion bilatérale d’un SOFA. Ce choix est aujourd’hui lourd de conséquences du fait des changements politiques ayant eu lieu au Mali, et des volontés de renégociations des accords.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-decision-de-la-france-de-retirer-ses-troupes-du-sahel-appelle-a-une-approche-moins-militaire-163874">La décision de la France de retirer ses troupes du Sahel appelle à une approche moins militaire</a>
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<p>Au-delà de ces aspects juridiques, la situation présente doit conduire à réfléchir à l’efficacité de ces dispositifs, plus de neuf ans après le début de l’intervention française. En s’attaquant à la base légale de la présence danoise, c’est la légitimité de l’ensemble de Takuba que le gouvernement malien <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/01/26/mali-la-task-force-takuba-victime-collaterale-de-la-defiance-de-la-junte-envers-la-france_6111057_3212.html">remet en cause</a>.</p>
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<p>Du fait de la structure juridique de ces accords, construits autour d’un texte unique mêlant demande d’assistance et statut des forces, la renégociation de termes et dispositions techniques est aujourd’hui impossible sans une nouvelle discussion sur la base légale des interventions et l’invitation de la partie malienne, sur lesquelles se fonde la légitimité des interventions européennes. Cette discussion, même sur des points très techniques, conduirait <em>in fine</em> le gouvernement de transition à confirmer ou à retirer clairement sa demande d’assistance, au-delà des postures et joutes verbales, forçant ainsi les pays contributeurs à en tirer les conséquences.</p>
<p>Enfin en cas de poursuite de la coopération militaire, toujours officiellement souhaitée par les différentes parties, une plus grande transparence sera nécessaire. En partie dévoilés par la brouille diplomatique avec le Danemark, ces accords étaient jusque-là réservés aux initiés et certains sont toujours confidentiels.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175869/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Antouly ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Mali accueille sur son territoire plusieurs contingents de militaires étrangers. Après l’annonce du départ forcé des troupes danoises, le cadre juridique de ces interventions interroge.Julien Antouly, Doctorant en droit international (CEDIN) et Coordinateur de projets (LMI MaCoTer), Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1732242021-12-07T21:25:10Z2021-12-07T21:25:10ZFaut-il s’alarmer des nouveaux bruits de bottes à la frontière russo-ukrainienne ?<p>La concentration des forces militaires russes aux frontières de l’Ukraine, qui <a href="https://www.lci.fr/international/crimee-la-france-l-ue-et-les-etats-unis-s-inquietent-de-mouvements-de-troupes-russes-a-la-frontiere-de-l-ukraine-2201734.html">inquiète</a> de nombreux observateurs, rappelle des événements similaires survenus au printemps dernier, qui n’avaient pas dégénéré en guerre ouverte. Faut-il s’attendre à une simple répétition de cet épisode, quand la Russie s’était contentée de montrer les muscles ? Ou bien le risque est-il, cette fois, plus élevé ?</p>
<p>En avril dernier, le déplacement de troupes russes <a href="http://www.opex360.com/2021/04/01/dimportants-mouvements-de-troupes-russes-signales-pres-de-lukraine-et-en-crimee/">venues se masser aux frontières de l’Ukraine</a> s’était accompagné de <a href="https://www.eurotopics.net/fr/234176/russie-un-nouveau-conseiller-sur-l-ukraine-pour-pacifier-le-donbass">discours menaçants</a> en provenance du Kremlin. Cette période de tension a été suivie par une relative accalmie et un retrait – très partiel – des troupes de Moscou.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ukraine-russie-entre-intimidations-et-risque-de-conflit-de-grande-ampleur-159111">Ukraine-Russie : entre intimidations et risque de conflit de grande ampleur</a>
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<p>L’automne a donc été marqué par de nouveaux mouvements de soldats russes. Si la Russie <a href="https://www.tass.com/world/1369327">nie toute velléité d’invasion de l’Ukraine</a> et argue d’exercices militaires hivernaux pour justifier ces mouvements, ces bruits de bottes préoccupent les pays européens et l’administration Biden qui, par la voix de son secrétaire d’État, Anthony Blinken, a <a href="https://www.state.gov/secretary-antony-j-blinken-at-a-press-availability-at-the-organization-for-security-and-cooperation-in-europe-osce/">demandé</a> le retrait des effectifs russes et le retour au calme.</p>
<p>Ces tensions récurrentes ont plusieurs explications.</p>
<h2>L’ombre de l’OTAN</h2>
<p>La Fédération de Russie est particulièrement sensible à toute extension de l’OTAN vers ses frontières. Or le souhait de l’Ukraine de se rapprocher de l’UE, notamment manifesté avec la révolution du Maïdan de 2013-2014, s’est doublé d’une volonté assumée de Kiev d’intégrer l’OTAN. Une aspiration qui <a href="https://uacrisis.org/fr/why-ukraine-is-still-not-in-nato">tarde à se réaliser</a> malgré les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-ukraine-fustige-l-otan-pour-ne-pas-avoir-accelere-son-adhesion-20210526">demandes réitérées</a> des administrations Porochenko (2014-2019) puis Zelensky (depuis 2019).</p>
<p>Aux yeux de la Russie, une telle adhésion est tout à fait inacceptable ; mais il semble qu’un déploiement de troupes de l’OTAN en Ukraine le <a href="https://tass.com/politics/1370101">soit tout autant</a>.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> décembre, le président Poutine a <a href="https://www.usnews.com/news/business/articles/2021-12-01/russia-says-its-worried-about-ukrainian-military-buildup">demandé des garanties</a> concernant le non-déploiement de systèmes d’armes otaniens en Ukraine, <a href="https://www.lopinion.fr/international/ukraine-vladimir-poutine-hausse-le-ton-apres-la-mise-en-garde-de-lotan">précisant</a> qu’un tel déploiement serait considéré comme une agression à laquelle la Russie serait prête à réagir. Ces déclarations ont été jugées <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/le-secretaire-general-de-lotan-declare-que-la-russie-na-aucun-droit-detablir-une-sphere-dinfluence/">inacceptables</a> par l’OTAN qui, par l’entremise de son secrétaire général, Jens Stoltenberg, a averti qu’une éventuelle action russe contre l’Ukraine provoquerait de <a href="https://www.rferl.org/a/nato-ukraine-russia-belarus-poland-latvia-lithuania-stoltenberg-blinken/31586329.html">lourdes conséquences</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Russie-Ukraine : l’OTAN devrait-elle intervenir ? – 28 Minutes – Arte, 2 décembre 2021.</span></figcaption>
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<p>Au-delà de la question de l’OTAN, l’afflux de soldats russes (dont le nombre était <a href="https://www.militarytimes.com/flashpoints/2021/11/20/russia-preparing-to-attack-ukraine-by-late-january-ukraine-defense-intelligence-agency-chief">estimé</a> début décembre à 115 000 par Dmytro Kuleba, le ministre ukrainien des Affaires étrangères) participe d’un désordre global dont la Russie pourrait espérer tirer profit.</p>
<h2>Profiter de perturbations générales</h2>
<p>L’actuelle montée des tensions s’inscrit dans un contexte particulièrement délicat pour l’UE, qui ne facilite ni le consensus ni la prise de décision rapide – ce dont la Russie peut espérer tirer parti.</p>
<p>Ainsi, la Pologne est actuellement aux prises avec une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/migrants-a-la-frontiere-polonaise-le-conflit-entre-l-ue-et-la-bielorussie-en-six-actes_2162456.html">pression migratoire inédite à ses frontières</a> organisée par la Biélorussie en réponse aux sanctions européennes. Bon nombre d’observateurs voient dans la Russie l’architecte de cette <a href="https://www.forbes.com/sites/jillgoldenziel/2021/11/10/belarus-is-weaponizing-migrants-using-putins-playbook-europe-must-legally-fight-back/">instrumentalisation</a> des réfugiés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1460879564427579397"}"></div></p>
<p>La réaction intraitable de Varsovie face à cet afflux de migrants, dont une proportion élevée sont des femmes et des enfants, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/migrants-la-pologne-prolonge-linterdiction-dacces-a-la-frontiere-1368534">divise profondément l’UE</a>. Cette division s’ajoute au <a href="https://www.letemps.ch/monde/crise-pologne-vingtsept-entre-dialogue-fermete">conflit qui oppose déjà Bruxelles à Varsovie</a> au sujet de son système judiciaire <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211027-l-ue-sanctionne-la-pologne-pour-ses-manquements-%C3%A0-l-ind%C3%A9pendance-de-la-justice">qui s’écarte des standards européens</a>.</p>
<p>Parallèlement, le président biélorusse, Alexxandre Loukachenko, a récemment <a href="https://www.lefigaro.fr/international/le-belarus-repondra-a-de-nouvelles-sanctions-europeennes-dit-loukachenko-20211111">menacé</a> de fermer le pipeline gazier transitant par son territoire qui alimente l’UE, au moment même où l’Union fait face à une <a href="https://www.lci.fr/economie/hausse-des-prix-du-gaz-et-de-l-electricite-84-des-francais-preoccupes-selon-barometre-energie-2021-2198716.html">flambée des prix de l’énergie</a>. La mise à exécution de cette menace semble irréaliste : cela priverait la Biélorussie de la rente substantielle que représente pour elle le transit du gaz et, surtout, cela affecterait la Russie qui reste une économie principalement rentière. Néanmoins, l’enjeu énergétique et, tout particulièrement, gazier n’est pas à négliger dans cette crise.</p>
<h2>L’enjeu Nord Stream II</h2>
<p>Le gaz est un sujet plus que sensible pour la Russie. Sa qualité de <a href="https://uacrisis.org/fr/pourquoi-les-prix-du-gaz-russe-augmentent-ils-en-europe-et-quel-est-le-rapport-entre-la-hausse-des-prix-et-l-ukraine">principal fournisseur de l’UE</a> l’autorise à en faire un <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/flambee-des-prix-du-gaz-5-questions-pour-comprendre-le-role-de-la-russie-1352759">levier géopolitique</a> de premier ordre.</p>
<p>Le projet de gazoduc <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/qu-est-ce-que-nord-stream-2-le-nouveau-gazoduc-entre-la-russie-et-l-allemagne/">Nord Stream II</a> est devenu une cause de désaccord majeur entre les États membres de l’UE, les États-Unis et l’Ukraine. Ce nouveau pipeline est destiné à relier la Russie à l’Allemagne en traversant la mer Baltique, doublant ainsi Nord Stream I, actif depuis 2012.</p>
<p>Or, si, pour des raisons évidentes l’Allemagne est favorable à Nord Stream II, ce projet divise, non seulement parce que sa mise en service accentuera la dépendance énergétique des pays de l’UE envers la Russie, mais aussi parce que son tracé contourne l’Ukraine, faisant perdre à celle-ci, qui fut longtemps le premier pays de transit du gaz russe vers l’Europe, de <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Nord-Stream-2-lUkraine-elle-ete-sacrifiee-2021-07-22-1201167440">précieuses entrées financières</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Nordstream 2 fini, l’Ukraine inquiète. TV5 Monde, 12 septembre 2021.</span></figcaption>
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<p>Dans ces conditions, l’Ukraine a fait savoir qu’elle « <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3121339-20210910-ukraine-gouvernement-battra-jusqu-bout-contre-gazoduc-russo-allemand-nord-stream-2">se battra jusqu’au bout</a> » pour amener les pays européens à renoncer au gazoduc controversé. Or, pour compréhensible qu’il soit, le discours ukrainien, quand il emploie un tel vocabulaire guerrier, est repris par le Kremlin qui s’en sert pour justifier ses prises de position, y compris dans la crise actuelle.</p>
<h2>L’argumentaire de Moscou</h2>
<p>Le déploiement des forces russes a engendré l’annonce du <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_188552.htm">soutien sans faille de l’OTAN à l’Ukraine</a>. Cette dernière, craignant une attaque russe, <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/crise-ukrainienne-face-a-la-russie-kiev-veut-sequiper-darmes-occidentales-1420391">cherche à se doter de matériel militaire occidental</a>. Pour sa part, la Fédération de Russie considère que la volonté de réintégrer à l’Ukraine la Crimée, qu’elle a annexée en 2014, <a href="https://tass.com/politics/1369823">menace directement ses intérêts</a>.</p>
<p>Dès lors, le Kremlin justifie le déploiement de ses troupes à la frontière par les « provocations » ukrainiennes – des provocations qui attisent ses craintes de voir Kiev tenter de reconquérir par la force les territoires séparatistes du Donbass. La dialectique russe s’appuie également sur la présence américaine en mer Noire <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/moscou-la-pr%C3%A9sence-de-navires-de-la-marine-am%C3%A9ricaine-en-mer-noire-est-un-test-de-nos-capacit%C3%A9s/2414539">pour conforter sa position</a>.</p>
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<p>C’est dans ce contexte que Dmitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine, a récemment déclaré que, en suggérant que Moscou pourrait intervenir en Ukraine, les Occidentaux <a href="https://www.reuters.com/markets/rates-bonds/kremlin-accuses-west-artificially-whipping-up-ukraine-tensions-2021-11-21/">exacerbent artificiellement les tensions</a>. Afficher une posture défensive est un classique de la dialectique du Kremlin, qui lui permet de susciter une relative adhésion de sa population.</p>
<p>Par ailleurs, effectuant le parallèle avec le scénario <a href="https://fr.euronews.com/2018/08/08/le-conflit-georgie-russie-dix-ans-apres-retour-sur-une-guerre-oubliee">observé en Ossétie du Sud en 2008</a>, le Kremlin sous-entend que, faute de garanties suffisantes concernant l’OTAN, une guerre semblable au conflit russo-géorgien de 2008 <a href="https://globalaffairs.ru/articles/vysokoe-napryazhenie/">pourrait éclater</a>. Ce discours, qui s’inscrit dans le droit fil de la diplomatie coercitive antérieure, cherche également à servir d’outil de dissuasion à destination des Occidentaux et, quitte à distordre les faits, à entraîner l’adhésion de la population russe et à constituer une forme d’autojustification.</p>
<h2>Risque de conflit et coût d’un engagement</h2>
<p>L’engagement d’un conflit aurait de lourdes conséquences pour Moscou.</p>
<p>Tout d’abord, il conviendrait de choisir l’objectif : s’agirait-il d’utiliser la <a href="https://warontherocks.com/2016/05/grappling-with-the-fait-accompli-a-classical-tactic-in-the-modern-strategic-landscape/">technique du « fait accompli »</a> sur une petite partie d’un territoire adjacent à la Russie ou d’engager une percée dans les terres ukrainiennes ? Outre le risque d’une escalade avec l’OTAN, lancer une intervention qui emmènerait les forces russes loin de leurs bases présenterait des difficultés logistiques certaines.</p>
<p>La Russie utilise généralement une stratégie dite de « défense active » qui suppose une proximité suffisante de ses bases de ravitaillement ou, a minima, la possibilité de recourir aisément à des moyens d’acheminement, classiquement axés sur les chemins de fer. Une invasion d’une partie de l’Ukraine impliquerait d’<a href="https://warontherocks.com/2021/11/feeding-the-bear-a-closer-look-at-russian-army-logistics/">étendre cette ligne logistique</a>, ce qui en accroîtrait la vulnérabilité dans un territoire hostile à la présence russe.</p>
<p>Cet enjeu logistique serait d’autant plus prégnant qu’un tel conflit pourrait être long et se heurter à la résistance ukrainienne qui s’est particulièrement aguerrie depuis 2014. En outre, la capacité de l’OTAN à <a href="https://warontherocks.com/2016/05/fixing-nato-deterrence-in-the-east-or-how-i-learned-to-stop-worrying-and-love-natos-crushing-defeat-by-russia/">intensifier horizontalement le conflit</a> en mettant sous stress de nombreuses zones sur lesquelles la Russie porte un regard inquiet pourrait fortement obérer la capacité de mobilisation des forces russes, ce que l’état-major russe ne peut pas ignorer.</p>
<p>Une autre option consisterait à effectuer des avancées sur des objectifs d’intérêt pour la Russie et proches de la zone frontalière. Cette approche se traduirait par une incursion et un enracinement rapides sur ces territoires, ce qui permettrait ensuite de tenir la position, <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2008/08/28/472566-russie-le-fait-accompli.html">à l’instar, là encore, du scénario ossète</a>.</p>
<p>Néanmoins, ce scénario aurait pour la Russie un coût d’autant plus élevé que l’armée ukrainienne a accru ses moyens en termes de matériels et de compétences depuis 2014, et peut désormais s’appuyer sur l’expérience opérationnelle durement gagnée sur les lignes de front de l’Est de son territoire. Une autre conséquence, économique cette fois, serait qu’une telle action accentuerait encore l’isolement de la Russie.</p>
<p>Il reste que, si ce risque est raisonnablement défendable, il peut être insuffisant pour prévenir un conflit.</p>
<h2>Les accords de Minsk, une impasse ?</h2>
<p>On le voit : la situation est complexe, multifactorielle et éminemment volatile. Une erreur sur le terrain pourrait mettre le feu aux poudres. Outre les éléments tenant aux déplacements militaires et à la spécificité des troupes déployées, l’évolution du discours témoigne d’une inflexion de la politique russe vers l’accentuation d’une diplomatie coercitive, notamment envers l’OTAN. Ces actions sont autant de messages adressés à des Européens dont Moscou tente encore une fois d’exploiter les divisions internes.</p>
<p>Pour autant, Moscou a-t-elle intérêt à déclencher une opération militaire ? Ne gagnerait-elle pas davantage en continuant de jouer sur des déplacements de troupes, des discours offensifs et des opérations informationnelles pour empêcher l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN tout en affaiblissant régulièrement Kiev à travers le conflit dans le Donbass, dont le coût économique et social reste considérable ?</p>
<p>Le ministre russe des Affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, a récemment rappelé le rôle central des <a href="https://uacrisis.org/fr/minsk-agreements">accords de Minsk</a> visant à « désamorcer le conflit armé dans l’est de l’Ukraine » signés en 2015. Pour lui, l’OSCE devrait envoyer à Kiev un signal clair pour lui signifier qu’une quelconque révision de ces accords, seule base de règlement acceptable pour la Russie, serait <a href="https://tass.com/politics/1369869">immédiatement rejetée et entraînerait un désastre</a>. Cette déclaration fait écho à l’insatisfaction de Kiev par rapport à ces accords, considérés comme particulièrement favorables pour la Russie. En campant sur son invocation de ces accords, qui restent au point mort et ne parviennent pas à faire cesser le conflit du Donbass depuis février 2015, la Russie nie de facto son implication dans ce conflit. En effet, sa position officielle est qu’elle n’est pas présente dans le Donbass et n’a donc aucune raison de sortir du cadre déterminé à Minsk, où elle se positionne comme simple intermédiaire entre Kiev et les sécessionnistes du Donbass. C’est au nom de ce principe qu’elle rejette la <a href="https://www.ukrinform.net/rubric-polytics/3360993-zelensky-we-will-not-stop-war-without-direct-talks-with-russia.html">proposition ukrainienne de dialogue direct Kiev-Moscou</a>.</p>
<p>Dans un contexte où le processus de paix paraît bloqué, les épisodes de tension comme celui en cours actuellement pourraient se multiplier, notamment pour des raisons dépassant le simple cadre ukrainien. La question est de savoir s’ils ne risquent pas, un jour, de dégénérer en conflit de grande ampleur. Il est en tout cas certain que déployer autant de troupes sans objectif n’a pas grand sens ; reste à savoir si la négociation en sera toujours un suffisant. S’il s’agit de mettre de la pression, il convient néanmoins de rester prudent quant à une possible escalade et d’observer ce qui sortira de la <a href="https://www.france24.com/fr/vid %C3 %A9o/20211207-tensions-russie-ukraine-rencontre-virtuelle-entre-biden-et-poutine">rencontre Poutine-Biden du 7 décembre.</a></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173224/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Russie a massé près de 100 000 soldats à la frontière ukrainienne. On s’est presque habitué à ces démonstrations de force. Pourtant, le risque de brusque dégradation, quoique faible, est réel.Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris - Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.