tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/mythe-29601/articlesmythe – The Conversation2024-03-26T16:24:16Ztag:theconversation.com,2011:article/2258392024-03-26T16:24:16Z2024-03-26T16:24:16ZLes éclipses totales de Soleil constituent une occasion de s’intéresser à la science, à la culture et à l’histoire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/581957/original/file-20240311-16-li8vda.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C3724%2C2146&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De tout temps, les éclipses ont inspiré les sociétés à comprendre le cosmos et ses événements.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le 8 avril 2024, une éclipse solaire totale se produira au Canada. C’est une occasion de vivre une expérience exceptionnelle, d’apprendre et de prendre part à l’excitation et à l’émerveillement. Des chercheurs ont expliqué comment profiter en toute sécurité de cet événement unique, plutôt que de se terrer à l’intérieur.</p>
<p>À peu près tous les 18 mois, le Soleil, la Lune et la Terre s’alignent parfaitement, et il se trouve un endroit sur notre planète <a href="https://eclipse.gsfc.nasa.gov/SEatlas/SEatlas.html">où l’on peut observer une éclipse solaire</a>. La Lune projette alors une ombre d’environ 250 km de large sur la Terre.</p>
<p>Cette obscurité diurne éphémère constitue une expérience que l’on ne voit habituellement qu’une seule fois dans sa vie. Toronto a connu sa dernière éclipse solaire totale le <a href="http://xjubier.free.fr/en/site_pages/solar_eclipses/xSE_GoogleMap3.php?Ecl=+19250124&Acc=2&Umb=1&Lmt=1&Mag=0&Lat=43.69660&Lng=-79.41391&Elv=162.0&Zoom=8&LC=1">24 janvier 1925</a> ; la prochaine s’y produira dans 120 ans, le <a href="http://xjubier.free.fr/en/site_pages/solar_eclipses/xSE_GoogleMap3.php?Ecl=+21441026&Acc=2&Umb=1&Lmt=1&Mag=0&Lat=43.69629&Lng=-79.29982&Elv=127.0&Zoom=8&LC=1">26 octobre 2144</a>.</p>
<p>Notre compréhension des éclipses totales de Soleil et notre réaction à celles-ci ont énormément évolué. Ces phénomènes étaient autrefois considérés comme des présages cosmiques qui annonçaient la mort des rois, de bonnes récoltes ou la nécessité de conclure de nouveaux traités territoriaux. Aujourd’hui, elles offrent une occasion unique de réfléchir à la nature physique de l’univers et au privilège cosmique d’assister à l’alignement de la Lune et du Soleil.</p>
<h2>Éclipses et développement des connaissances</h2>
<p>En raison de l’obscurité soudaine qu’elles provoquent, les éclipses solaires <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2015-03-17/pourquoi-avons-nous-peur-des-eclipses-f5dc6f2a-9aac-4c7a-ac20-b2ba1321592f">ont longtemps été perçues comme des événements catastrophiques</a>. De nombreuses sociétés ont élaboré des récits <a href="https://www.britannica.com/list/the-sun-was-eaten-6-ways-cultures-have-explained-eclipses">pour expliquer ces manifestations inhabituelles</a>, souvent empreints de peur et de violence.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/580949/original/file-20240311-26-98odlu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="illustration d’un démon brun doré mangeant un disque jaune sur un fond violet" src="https://images.theconversation.com/files/580949/original/file-20240311-26-98odlu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580949/original/file-20240311-26-98odlu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580949/original/file-20240311-26-98odlu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580949/original/file-20240311-26-98odlu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580949/original/file-20240311-26-98odlu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580949/original/file-20240311-26-98odlu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580949/original/file-20240311-26-98odlu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Peinture murale qu’on peut admirer au temple Wat Phang La, dans le sud de la Thaïlande, et qui représente le démon hindou Rahu avalant la Lune.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/anandajoti/10684670235/">(Anandajoti Bhikkhu/Flickr)</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans les mythes indiens, on évoque un <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2017/lifestyle/eclipse-myths/">démon immortel qui cherche à se venger de Vishnu en mangeant le Soleil et la Lune</a>. Les Pomo, peuple autochtone du nord de la Californie, parlent d’un <a href="https://www.exploratorium.edu/eclipse/eclipse-stories-from-around-the-world">immense ours en colère qui tente d’avaler le Soleil</a>. Dans d’autres mythologies, les éclipses étaient considérées comme des forces célestes qui nous enlevaient notre source de chaleur et de vie.</p>
<p>Les croyances relatives aux éclipses ont incité les astronomes grecs de l’Antiquité à créer le <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0103275">mécanisme d’Anticythère</a>, un ordinateur analogique complexe qui prédisait le moment des futures éclipses avec une précision de 30 minutes. Ces prédictions étaient cruciales pour la société grecque, car une éclipse solaire pouvait annoncer la mort du roi, et l’on nommait alors un pseudo-empereur qui serait tué à sa place.</p>
<p>Nos réactions aux éclipses ont évolué, et nous comprenons mieux désormais le système solaire et l’univers dans son ensemble.</p>
<p>Lors de l’éclipse du 18 août 1868, les astronomes Norman Lockyer et Pierre Janssen ont étudié la lumière de la couronne solaire et <a href="https://doi.org/10.1007/978-1-4614-5363-5">découvert un nouvel élément chimique</a>. Cet élément a été baptisé hélium, d’après le mot grec désignant le Soleil.</p>
<p>Le 29 mai 1919, Frank Watson Dyson et Arthur Stanley Eddington ont observé la <a href="https://doi.org/10.1098/rsta.1920.0009">trajectoire courbe de la lumière des étoiles</a> pendant une éclipse totale de Soleil, donnant lieu au premier <a href="https://timesmachine.nytimes.com/timesmachine/1919/11/10/118180487.pdf">« triomphe de la théorie d’Einstein »</a> de la relativité générale.</p>
<p><a href="https://images.theconversation.com/files/580945/original/file-20240311-20-25sylo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"></a></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/580945/original/file-20240311-20-25sylo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="anciens fragments carrés verdâtres" src="https://images.theconversation.com/files/580945/original/file-20240311-20-25sylo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580945/original/file-20240311-20-25sylo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580945/original/file-20240311-20-25sylo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580945/original/file-20240311-20-25sylo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580945/original/file-20240311-20-25sylo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580945/original/file-20240311-20-25sylo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580945/original/file-20240311-20-25sylo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Fragments d’un mécanisme d’Anticythère exposés dans un musée d’Athènes, en Grèce.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Vivre une éclipse</h2>
<p>Contrairement à divers autres événements cosmiques, tels que les pluies de météorites ou les comètes, qui nécessitent des télescopes coûteux ou des <a href="https://darksky.org/what-we-do/international-dark-sky-places/">endroits où le ciel est sombre</a>, les éclipses sont accessibles à tous. Pour la regarder sans prendre de risques, il suffit de se munir de lunettes spéciales ou d’une <a href="https://www.asc-csa.gc.ca/fra/jeunes-educateurs/activites/experiences-amusantes/projecteur-eclipse.asp">boîte en carton</a>.</p>
<p>De nombreuses universités canadiennes profitent de l’éclipse solaire totale pour inciter les gens à suivre ce phénomène astronomique en toute sécurité. À titre d’exemple, l’Université Queen’s de Kingston, au Canada, met à disposition du public <a href="https://www.queensu.ca/physics/2024-total-solar-eclipse/eclipse-glasses">120 000 lunettes</a> pour permettre une observation sûre de l’éclipse.</p>
<p>Dans une optique éducative, des centaines <a href="https://exoplanetes.umontreal.ca/emplois-formation/ambassadrices-et-ambassadeurs-de-leclipse-programme-de-formation/#:%7E:text=Notre%20programme%20d%E2%80%99Ambassadrices%20et,les%20observer%20en%20toute%20s%C3%A9curit%C3%A9">d’ambassadeurs de l’éclipse</a> se rendent dans les écoles pour discuter avec les élèves de l’importance de vivre cette expérience d’une manière riche et sans risques. Ils animent des ateliers sur la construction de boîtes à éclipse solaire servant à projeter l’image du Soleil pendant l’éclipse, expliquent les phénomènes uniques que l’on peut remarquer pendant les éclipses, telles que les <a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/photos/astronomie-eclipse-soleil-plus-belles-images-657/photos-grains-baily-ces-perles-lumiere-3901/">grains de Baily</a> et l’<a href="https://www.nasa.gov/image-article/diamond-ring-effect/">effet d’anneau de diamant</a>, et aident les gens à découvrir l’immensité du système solaire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/580952/original/file-20240311-20-8t2snr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="un cercle noir entouré d’un anneau lumineux plus épais dans le quadrant inférieur droit" src="https://images.theconversation.com/files/580952/original/file-20240311-20-8t2snr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580952/original/file-20240311-20-8t2snr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580952/original/file-20240311-20-8t2snr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580952/original/file-20240311-20-8t2snr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580952/original/file-20240311-20-8t2snr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580952/original/file-20240311-20-8t2snr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580952/original/file-20240311-20-8t2snr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’effet des grains de Baily se produit lorsque des irrégularités dans le relief accidenté de la Lune permettent à la lumière du Soleil de passer à certains endroits juste avant la phase totale de l’éclipse.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://science.nasa.gov/resource/baileys-beads/">(Aubrey Gemignani/NASA)</a></span>
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<p>Ces initiatives démontrent la valeur universelle de la science et encouragent le développement de la curiosité scientifique hors des salles de classe et des institutions.</p>
<p>L’éclipse d’avril est non seulement l’occasion d’inspirer une nouvelle génération de scientifiques, mais elle sert également à faire progresser les connaissances scientifiques. Contrairement aux expériences de Dyson, d’Eddington et de Lockyer qui se limitaient au monde universitaire, les institutions d’aujourd’hui mobilisent le public pour mener des expériences de science citoyenne.</p>
<p>Lancé par la NASA, le <a href="https://eclipsemegamovie.org/goals">projet Eclipse Megamovie</a> utilisera des photos prises pendant la totalité de l’éclipse solaire pour étudier la couronne solaire. En 2017, des images prises pendant une éclipse totale ont permis aux chercheurs de détecter un nuage de plasma dans la couronne solaire. L’éclipse de 2024 sera une occasion de l’étudier plus en détail.</p>
<p>Toute personne disposant d’un appareil photo reflex numérique et d’un trépied peut soumettre une photo de l’éclipse solaire totale au projet Eclipse Megamovie. Les données publiques collectées pour l’éclipse de 2024 dépasseront de loin ce qui pourrait être accompli par une seule expérience ou en un seul lieu.</p>
<p>L’éclipse solaire totale d’avril, et d’autres à venir, nous rappelleront que la science est passionnante et inspirante, et que l’expertise scientifique a une grande valeur universelle. Une telle coïncidence céleste est l’occasion de nouer un dialogue avec les collectivités et de discuter de l’origine et de la mécanique de notre système solaire, tout en associant le public à la découverte scientifique au moyen d’images recueillies auprès de la population.</p>
<p>Il ne reste plus qu’à espérer un ciel dégagé et à s’émerveiller une fois de plus devant le cosmos.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225839/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nikhil Arora reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mark Richardson est basé à l'Institut canadien de recherche en astroparticules Arthur B. McDonald, qui a reçu un financement du Fonds d'excellence en recherche du Canada.</span></em></p>Les éclipses ont inspiré des mythes, des prédictions et des découvertes scientifiques. L’éclipse solaire totale du 8 avril est une occasion unique de s’intéresser à la science et au cosmos.Nikhil Arora, Postdoctoral fellow, Physics, Engineering Physics & Astronomy, Queen's University, OntarioMark Richardson, Manager for Education and Public Outreach, Adjunct Professor of Physics and Astronomy, Queen's University, OntarioLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212022024-03-25T13:47:48Z2024-03-25T13:47:48ZEt si avoir des pieds plats était… normal ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/582329/original/file-20240316-24-z9ht8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C2%2C985%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au fil des années jusqu'à aujourd'hui, de nombreux professionnels de la santé continuent de soutenir la théorie selon laquelle avoir les pieds plats est un facteur de risque majeur pour les troubles musculosquelettiques. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>L’idée selon laquelle les personnes ayant les pieds plats sont plus sujettes à développer divers problèmes a été largement répandue parmi les chercheurs, les professionnels de la santé et la population générale pendant de nombreuses décennies, voire des siècles.</p>
<p>Plus précisément, il était reconnu que d’avoir des pieds plats constituait une prédisposition future à des douleurs et autres problèmes musculosquelettiques (c’est-à-dire aux muscles, tendons et/ou ligaments).</p>
<p>Une sorte de bombe à retardement.</p>
<p>Or, dans un <a href="https://bjsm.bmj.com/content/57/24/1536">éditorial récent</a> publié par mon équipe de recherche dans le <em>British Journal of Sports Medicine</em>, nous remettons en question ce mythe. Nous y démontrons que la théorie selon laquelle avoir des pieds plats conduit inévitablement à des douleurs ou à d’autres problèmes musculosquelettiques est infondée.</p>
<p>Chercheur en médecine podiatrique à l’Université du Québec à Trois-Rivières, j’étayerai ici les faits saillants de notre étude.</p>
<h2>D’où cette théorie provient-elle ?</h2>
<p>L’idée que les pieds plats posent problème remonte à plusieurs siècles.</p>
<p>Elle a été ravivée dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle par des podiatres américains, <a href="https://books.google.ca/books/about/Normal_and_Abnormal_Function_of_the_Foot.html?id=CI-KQgAACAAJ&redir_esc=y">Merton L. Root, William P. Orien et John H. Weed</a>, qui ont popularisé le concept de pieds « idéaux » ou « normaux ».</p>
<p>Ces cliniciens-chercheurs ont avancé que les pieds ne répondant pas à des critères spécifiques de normalité (par exemple, une arche plantaire bien définie, un talon droit et aligné avec le tibia) étaient considérés comme anormaux, moins performants et plus enclins aux blessures en raison de multiples compensations biomécaniques, telles qu’un affaissement plus important du pied lors de la marche.</p>
<p>Cette théorie est devenue centrale dans les programmes éducatifs des professionnels de la santé, bien qu’elle disparaisse progressivement avec la mise à jour des cursus modernes. Elle a toutefois été enseignée pendant près de cinq décennies à travers le monde, et ce, même si les fondements scientifiques étaient faibles. En fait, la science n’a jamais validé cette théorie, la laissant toujours au stade d’hypothèse.</p>
<p>Au fil des années jusqu’à aujourd’hui, de nombreux professionnels de la santé continuent de soutenir la théorie selon laquelle avoir les pieds plats est un facteur de risque majeur pour les troubles musculosquelettiques.</p>
<p>Conséquemment, cette idée est encore solidement ancrée dans les croyances de la population générale.</p>
<h2>Est-ce que pieds plats riment avec blessures musculosquelettiques ?</h2>
<p>Contrairement à la proposition de <a href="https://books.google.ca/books/about/Normal_and_Abnormal_Function_of_the_Foot.html?id=CI-KQgAACAAJ&redir_esc=y">Root et ses collègues</a>, des méta-analyses, le plus haut niveau d’évidence scientifique, ont révélé une absence de risque accru de développer la grande majorité des blessures musculosquelettiques chez les personnes avec des pieds plats.</p>
<p>Ces <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1186/s13047-014-0055-4">méta-analyses</a> ont seulement identifié des liens faibles entre avoir des pieds plats et le risque de développer un syndrome de stress tibial médial (douleurs au niveau du tibia), un syndrome fémoro-patellaire (douleurs autour de la rotule), ainsi que des blessures non spécifiques de surutilisation des membres inférieurs.</p>
<p>C’est tout.</p>
<p>Par ailleurs, une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s40279-019-01110-z">revue systématique</a> et une <a href="https://sportsmedicine-open.springeropen.com/articles/10.1186/s40798-022-00416-z">méta-analyse</a> ont conclu que les coureurs avec les pieds plats ne sont pas plus à risque de se blesser que ceux avec des pieds plus droits.</p>
<p>Ces analyses remettent en question l’idée selon laquelle les pieds plats constituent un risque substantiel pour les troubles musculosquelettiques.</p>
<p>Cependant, malgré ces conclusions, diverses sources telles que la littérature grise, les sites Web professionnels, les forums et d’autres médias, laissent souvent entendre que les pieds plats présentent un risque élevé de blessure, voire nécessitent un traitement, même en l’absence de symptômes.</p>
<p>Malheureusement, cette situation conduit fréquemment à des interventions inutiles, telles que l’utilisation de chaussures orthopédiques ou d’orthèses plantaires sur mesure pour des pieds plats asymptomatiques, suscitant également d’importantes préoccupations chez les patients quant à l’apparence de leurs pieds.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="goupe de personnes qui courent" src="https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les coureurs avec les pieds plats ne sont pas plus à risque de se blesser que ceux avec des pieds plus droits.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<h2>Remettre les pendules à l’heure</h2>
<p>Les pieds plats asymptomatiques ne nécessitent généralement pas l’intervention des professionnels de la santé. Selon les connaissances scientifiques actuelles, évaluer si une personne a les pieds plats pour déterminer son risque de blessure est inefficace et contre-productif.</p>
<p>Par contre, il est possible qu’une personne ayant les pieds plats développe une blessure musculosquelettique. Cela ne signifie pas nécessairement que les pieds plats ont causé la blessure.</p>
<p>Il est tout à fait possible que deux variables soient présentes en même temps sans qu’il y ait pour autant un lien de cause à effet. Il y a une différence importante entre un lien de cause à effet et une corrélation. Un lien de cause à effet implique qu’un changement dans une variable (la cause) entraîne un changement dans une autre variable (l’effet). Lorsque deux variables sont corrélées, des changements dans une variable peuvent être associés à des changements dans l’autre variable, mais cela ne signifie pas que l’une cause l’autre.</p>
<p>Prenons l’exemple suivant pour mieux illustrer le concept : nous soumettons 500 enfants âgés de 6 à 12 ans au même examen de mathématiques. En effectuant des tests de corrélation, nous constatons une tendance : plus les enfants ont de grands pieds, plus leur note finale à l’examen est élevée.</p>
<p>Cela soulève la question : est-ce que la taille des pieds influence réellement les compétences en mathématiques ? Bien sûr que non !</p>
<p>Une autre variable, non prise en compte, joue un rôle majeur dans cette corrélation : l’âge ! Comme les pieds grandissent en vieillissant, nous observons une corrélation forte mais inappropriée !</p>
<p>Le même principe s’applique aux pieds plats. Si une blessure musculosquelettique survient chez une personne aux pieds plats, les recherches actuelles indiquent que ces derniers ne sont pas nécessairement en cause, et d’autres facteurs doivent être explorés.</p>
<p>Il s’agit d’un lien de corrélation et non de cause à effet.</p>
<h2>Réduisons le surdiagnostic dans les soins de santé</h2>
<p>La réduction du surdiagnostic dans les soins de santé est devenue cruciale. Ce phénomène, défini comme le diagnostic d’une condition qui n’apporte aucun bénéfice net à l’individu, constitue un fardeau mondial entraînant des effets néfastes potentiels sur les plans <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(16)32585-5/abstract">physique</a>, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1836955317300164">psychologique et financier</a> des patients.</p>
<p>Sur le plan financier, il est facile de comprendre que la prescription d’orthèses plantaires sur mesure à plusieurs centaines de dollars pour prévenir les blessures musculosquelettiques associées aux pieds plats asymptomatiques a un impact négatif substantiel. Surtout dans l’optique où la présence de pieds plats n’augmente que très peu le risque de développer ces blessures.</p>
<p>Pour résoudre ce problème, les professionnels de la santé doivent contribuer à réduire le surdiagnostic des pieds plats en établissant une distinction plus claire pour leurs patients entre les variantes anatomiques inoffensives et les conditions potentiellement préoccupantes.</p>
<p>Étant donné que le surdiagnostic entraîne souvent un surtraitement, éviter les traitements non nécessaires contribuera à apaiser les inquiétudes des patients concernant leurs pieds plats.</p>
<p>Finalement, il est impératif d’abandonner l’idée dépassée, encore trop souvent répandue, selon laquelle avoir les pieds plats pose problème et expose les individus à un risque élevé de blessures musculosquelettiques. Il est temps de changer notre perspective et notre approche concernant l’importance des pieds plats, en reconnaissant leur diversité naturelle dans le contexte de la santé globale des pieds.</p>
<p>Mais surtout, il est temps de considérer les pieds plats asymptomatiques pour ce qu’ils sont… une simple variante anatomique !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221202/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Moisan est membre de l'Ordre des Podiatres du Québec. Il a reçu des financements du conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), des Amputés de Guerre du Canada et du réseau provincial de recherche en adaptation-réadaptation (REPAR).</span></em></p>Avoir des pieds plats asymptomatiques n’est pas problématique et ne nécessite pas de traitement. Il y a un besoin important de déboulonner ce mythe important.Gabriel Moisan, Professeur, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162842023-10-30T19:09:19Z2023-10-30T19:09:19ZComment les sorcières sont devenues des icônes féministes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/556306/original/file-20231027-17-4bj4it.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1020%2C590&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Femmes accusées d'être sorcières brûlées sur le bûcher à Derenburg en 1555</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Zeitung_Derenburg_1555_crop.jpg">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Halloween oblige, les sorcières réapparaissent, aux côtés d’autres figures d’épouvante convoquées pour l’occasion. Pourtant, contrairement aux citrouilles, zombies et autres <em>poltergeists</em>, elles n’ont jamais tout à fait quitté l’actualité ces dernières années – et surtout, elles se rapportent à une réalité historique.</p>
<p>Des personnalités contemporaines, comme la députée Sandrine Rousseau, ont par exemple signé des <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/lappel-de-200-personnalites-sorcieres-de-tous-les-pays-unissons-nous-3928922">tribunes associant cette figure à leurs revendications</a>. Présentées comme des femmes persécutées en raison de leur genre, dans la lignée des <a href="https://entremonde.net/caliban-et-la-sorciere">travaux de la philosophe Silvia Federici</a> et de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sorcieres-9782355221224">l’ouvrage de Mona Chollet</a>, les sorcières irriguent le débat public.</p>
<p>En effet, la répression de la sorcellerie peut être vue comme une <a href="https://www.nonfiction.fr/article-9624-la-sorciere-metaphore-de-la-condition-feminine.htm">métaphore de la condition féminine à travers l’histoire</a>, manifestation violente de l’hégémonie patriarcale.</p>
<p>Pour les historiennes et les historiens spécialistes, le <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/witchcraft-in-early-modern-europe/many-reasons-why-witchcraft-and-the-problem-of-multiple-explanation/8E67EE2828CB2F730F9E5D1DDB1B31A4">constat est plus contrasté</a>, <a href="https://books.openedition.org/pul/7157?lang=en">sans minimiser l’impact des discours et des imaginaires misogynes à l’œuvre dans ces accusations</a>, ni la réalité des dizaines de milliers de femmes persécutées et tuées pour crime de sorcellerie.</p>
<p>Finalement, de quoi parle-t-on lorsque nous évoquons les « sorcières » ? De trois objets, complémentaires, mais distincts. La persécution réelle d’individus accusés de sorcellerie d’abord. D’une figure symbolique ensuite, s’appuyant sur cette dernière, mais construction culturelle au fil des siècles sur laquelle se sont bâtis et appuyés des discours puissants et encore actifs aujourd’hui. D’une nouvelle réalité, enfin, celle d’individus s’identifiant comme « sorcières » et dont les pratiques comme les croyances se revendiquent des accusées du passé, notamment les adeptes des <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1997_num_100_1_1181_t1_0106_0000_3">mouvements néo-païens</a>.</p>
<h2>La répression de la sorcellerie, une réalité historique</h2>
<p>De l’Antiquité, le Moyen Âge conserve le souvenir d’une législation <a href="https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1976_ant_27_1_2009">romaine</a> et impériale rigoureusement sévère contre les magiciens et la magie, <a href="https://www.jstor.org/stable/283219">qu’elle condamnait à mort lorsque celle-ci était destinée à nuire</a>. Héritier de ces conceptions, le Moyen Âge chrétien organise une lutte contre toutes formes de réminiscences du paganisme – pratiques magiques et divinatoires, culte des idoles, etc. – que l’Église englobe dans le champ des superstitions.</p>
<p>Les premiers procès de sorcellerie apparaissent, dans les sources, <a href="https://www.binge.audio/podcast/pop-culture/maxime-et-les-proces-de-sorcellerie-partie-1">dès le début du XIIIᵉ siècle, notamment en Italie du Nord</a>. Ils se rencontrent de plus en plus fréquemment en raison, notamment, d’un changement de perception.</p>
<p>De fait, la sorcellerie est progressivement considérée comme un crime plus grave. Dès les années 1280, elle tend à être assimilée à une hérésie, dans le cadre d’une mouvement plus large. En effet, à la même période, l’Église inaugure un vaste projet de lutte contre toutes les hérésies, dans un contexte de crise politique et d’affirmation du pouvoir pontifical. Elle se dote d’une institution spécifiquement dédiée à ce projet, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-lundis-de-l-histoire/heresie-et-inquisition-9253397">l’Inquisition</a>.</p>
<p>Dans ce nouveau paradigme, la sorcellerie impliquerait explicitement un pacte avec le diable et l’invocation des démons. De ce fait, les accusés encourent la peine réservée aux hérétiques : la <a href="https://journals.openedition.org/medievales/1087">condamnation au bûcher</a>. Un des moments clefs de cette nouvelle définition est la promulgation, en 1326, de la bulle <em>Super illius specula</em> <a href="https://www.cairn.info/satan-heretique--9782738113665-page-17.htm">par le pape Jean XXII (1316-1334)</a>. La sorcellerie est considérée comme une menace tangible pour la société chrétienne.</p>
<p>Pour la combattre, l’Église n’est pas seule. Les pouvoirs laïcs – les rois, les seigneurs, mais aussi les villes – et leur justice participent également à la répression.</p>
<p>Les procès se rencontrent de plus en plus fréquemment en Europe et se multiplient jusqu’à la fin du XV<sup>e</sup> siècle, sans être toutefois un phénomène de masse.</p>
<p>Bien qu’associées dans l’imaginaire collectif au Moyen Âge, les grandes « chasses aux sorcières » ne démarrent véritablement qu’à l’époque moderne.</p>
<p>L’approche quantitative de la répression de la sorcellerie est complexe. La conservation des sources est incomplète, leur étude non exhaustive. Néanmoins, un consensus se dégage. En Europe, entre les XIII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles, le nombre de procès en sorcellerie se situerait entre <a href="https://www.kaggle.com/datasets/michaelbryantds/witch-trials">100 000 et 120 000 pour 30 000 à 50 000 exécutions</a>.</p>
<h2>Entre 1550 et 1650, 80 à 85 % des personnes poursuivies sont des femmes</h2>
<p>Parmi les individus accusés, les femmes occupent une part prépondérante sur l’ensemble de la période de criminalisation.</p>
<p>Celles-ci ont des profils très divers. Contrairement aux idées reçues, l’étude des procès révèle que ce ne sont <a href="https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_1993_num_12_2_1668">pas exclusivement des femmes marginalisées, vieilles, célibataires ou veuves</a>. Toutes les catégories sociales se rencontrent devant les tribunaux, y compris les mieux insérées et les plus fortunées.</p>
<p><a href="https://www.cath.ch/newsf/la-chasse-aux-sorcieres-sest-developpee-comme-une-fake-news/">Personne n’est à l’abri d’une accusation de sorcellerie</a>, souvent issue d’une dénonciation, qui peut découler d’une rumeur ou de tensions.</p>
<p>À l’origine, la machine judiciaire n’est pas spécifiquement dirigée contre les femmes, mais la persécution se concentre sur elles <a href="https://books.openedition.org/pul/7157?lang=en">à partir de la fin du Moyen Âge et tout au long de l’époque moderne</a>.</p>
<p>Ainsi, si cette criminalisation touche à l’époque médiévale <a href="https://hal.science/hal-03296671/">autant les femmes que les hommes</a> – avec parfois des particularismes régionaux où peuvent s’observer <a href="https://journals.openedition.org/crm/11507?lang=es">certaines nuances</a>, <a href="https://www.routledge.com/The-Witch-Hunt-in-Early-Modern-Europe/Levack/p/book/9781138808102">entre 1550 et 1650, 80 à 85 % des personnes poursuivies auraient été des femmes</a>.</p>
<p>Pour comprendre cette évolution, il faut se pencher sur le concept novateur du sabbat, sur lequel se sont appuyées les chasses aux sorcières. Cet imaginaire, qui se construit au XV<sup>e</sup> siècle, englobe, en apparence, autant les hommes que les femmes. Toutefois, dès le départ, comme l’indiquent les historiennes Martine Ostorero et Catherine Chêne, il diffuse les ferments d’une misogynie destinée à s’amplifier par la suite, dans une <a href="https://shs.hal.science/halshs-03394529">période de circulation intense de stéréotypes contre les femmes</a>. Selon ce paradigme, les femmes, plus faibles, sont davantage susceptibles de <a href="https://journals.openedition.org/crm/768">céder au diable que les hommes</a>.</p>
<p>Avant toute chose, c’est du fait de la croyance en la réalité de leur pacte avec les démons que ces femmes, mais aussi ces hommes et ces enfants, font l’objet de poursuites judiciaires et, dans un cas sur deux, sont susceptibles d’être condamnés, le plus souvent à mort.</p>
<h2>La sorcière, de la répression à la figure « mythique »</h2>
<p>Plusieurs coups d’arrêts marquent la fin des procès et amorcent la décriminalisation de la sorcellerie (édit du Parlement de Paris de 1682, <em>Witchcraft Act</em> de 1736). Ainsi, en Europe, <a href="https://www.slate.fr/societe/femmes-coupables/anna-goldi-proces-injuste-sorciere-condamnee-mort-histoire-suisse">Anna Göldi</a> fut la dernière personne exécutée pour sorcellerie en 1734 à Glaris, en Suisse.</p>
<p>Désormais dépénalisé, le phénomène devient un objet d’études et de fascination.</p>
<p><em>La Sorcière</em> de Jules Michelet (1862) marque une rupture importante dans la réhabilitation du personnage. En insistant sur sa dimension symbolique et mythique dans le discours historique national, la sorcière ne serait plus simplement une création de l’Église et de l’État pour justifier leur pouvoir. C’est l’incarnation du peuple, auquel il attribue un génie particulier, et de sa <a href="https://books.openedition.org/septentrion/13577?lang=fr">révolte contre les oppressions du Moyen Âge</a>.</p>
<p>Une nouvelle approche de la sorcellerie émerge en parallèle, mettant l’accent sur ses éléments folkloriques. Certains auteurs, comme les frères Grimm, cherchent à démontrer les liens entre la <a href="https://publikationen.sulb.uni-saarland.de/handle/20.500.11880/23635">sorcellerie et les anciennes croyances païennes</a>. Leurs œuvres ont contribué à la circulation de la <a href="https://www.24heures.ch/comment-ma-sorciere-est-devenue-bien-aimee-259859275274">figure de la sorcière dans la culture populaire</a>, où l’on a assisté à son <a href="https://leclaireur.fnac.com/article/66475-sorcieres-des-icones-de-la-pop-culture-entre-bouc-emissaire-et-stars-des-reseaux-sociaux/">« réenchantement »</a>.</p>
<h2>Sorcières et paganisme</h2>
<p>Au tournant du XX<sup>e</sup> siècle, Alphonse Montague Summers suggère que les sorcières étaient membres d’une organisation secrète, hostile à l’Église et à l’État, qui poursuivrait des <a href="https://www.academia.edu/79069952/The_History_OF_Witch_Craft_And_Demonology_Montague_Summers_Complete_Edition_Ultra_Rare_Book_Exhaustive_Annalysis_on_Demons_to_the_Occult_ETC">cultes païens antérieurs au christianisme</a>. On lui doit surtout la traduction du <em>Marteau des sorcières</em>, traité du dominicain Heinrich Kramer, composé entre 1486-1487, dans lequel il appelle à la lutte contre l’hérésie des sorcières, que Summers produit pour donner une <a href="https://www.jstor.org/stable/43446479">nouvelle actualité à son contenu et à ses théories misogynes, auxquelles il adhère</a>.</p>
<p>En 1921, Margaret Alice Murray propose des <a href="https://books.openedition.org/pur/52872?lang=fr">interprétations nouvelles et controversées sur le paganisme des sorcières</a>.</p>
<p>Dans <em>The Witch-Cult in Western Europe</em> (1921), elle suppose l’existence continue d’un culte archaïque de la fertilité dédiée à la déesse Diane dont les sorcières avaient prolongé la pratique ainsi que l’existence réelle, partout en Europe, au sein de sectes de sorcières (des <em>covens</em>). En 1931, dans <em>God of Witches</em>, elle postule encore que ce culte rendrait hommage à un « dieu cornu », diabolisé au Moyen Âge, et que les sorcières avaient été persécutées, après que ces <em>covens</em> furent découverts, vers 1450, puisqu’elles auraient formé une résistance souterraine opposée à l’Église et à l’État.</p>
<p>Ses théories sont <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1997_num_100_1_1181_t1_0106_0000_3">à l’origine des mouvements néo-païens comme la Wicca</a>. Les adeptes de cette religion se nomment sorcières et sorciers. Initiée au Royaume-Uni par Gerald Gardner en s’inspirant des travaux de Murray, la Wicca fait partie d’un mouvement païen contemporain plus vaste fondant leurs pratiques <a href="https://theconversation.com/as-witchcraft-becomes-a-multibillion-dollar-business-practitioners-connection-to-the-natural-world-is-changing-209677">sur l’idée d’une réactivation d’une culture qualifiée de préchrétienne</a>.</p>
<p>Le nombre d’adeptes de cette religion fait l’objet de discussions intenses, mais on estime qu’il pourrait y avoir <a href="https://www.newsweek.com/witchcraft-wiccans-mysticism-astrology-witches-millennials-pagans-religion-1221019">environ 1,5 million de « sorcières » et de « sorciers » aux États-Unis</a>.</p>
<h2>Sorcières et féminisme</h2>
<p>Dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, dans la première vague féministe, la célèbre autrice et suffragette américaine <a href="https://www.jstor.org/stable/25163624?searchText=Matilda%20Joslyn%20Gage&searchUri=%2Faction%2FdoBasicSearch%3FQuery%3DMatilda%2BJoslyn%2BGage&ab_segments=0%2Fbasic_search_gsv2%2Fcontrol&refreqid=fastly-default%3A62c5b4843b71d8780360c10391a32089">Matilda Joslyn Gage</a> voit en la sorcière le symbole de la science réprimée par l’obscurantisme et l’Église.</p>
<p>Dans le cadre du mouvement de libération des femmes, l’œuvre de Murray inspire un <em>Witches Liberation Movement</em> qui donne naissance à de nombreux groupes féministes aux États-Unis <a href="https://www.jstor.org/stable/3173832">tout particulièrement à New York, à partir d’octobre 1968</a>.</p>
<p>En proposant de réhabiliter le terme « sorcière » grâce à la déconstruction des stéréotypes négatifs associés à ce terme, le mouvement le réinterprète comme une figure de résistance féminine.</p>
<p>Dans les milieux américains, en 1973, Barbara Ehrenreich et Deirdre English, journalistes et écrivaines, signent <em>Sorcières, sages-femmes et infirmières</em>. Elles avancent une théorie controversée. Si les femmes ont été persécutées comme sorcières, c’est en raison d’un savoir accumulé qui mettrait en péril la norme et la domination de genre, et plus spécifiquement la communauté médicale masculine concurrencée par leur connaissance du corps féminin. S’il est vrai que les <a href="https://theconversation.com/la-disparition-progressive-des-femmes-medecins-du-moyen-age-une-histoire-oubliee-192360">professions médicales se structurent au profit des hommes</a> à la fin du Moyen Âge, rien n’établit une corrélation entre un savoir détenu par les femmes et leur condamnation pour sorcellerie. L’historien David Harley parle même de <a href="https://academic.oup.com/shm/article-abstract/3/1/1/1689119">« mythe » de la sorcière sage-femme</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Tremate, tremate le streghe son tornate ! » (Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour !).</span></figcaption>
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<p>Dans le même temps, en Italie, les mouvements militants en faveur de la légalisation de l’avortement et engagés dans l’« Unione Donne Italiane », une association féministe italienne créée en 1944, s’inspirent de la vision de Michelet et utilisent pour slogan « Tremate, tremate, le streghe son tornate » (<em>Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour !</em>).</p>
<p>Issues de ces luttes, la sociologue Leopoldina Fortunati et la philosophe Silvia Federici proposent une lecture nouvelle de Karl Marx pour expliquer l’émergence du capitalisme. Selon elles, la naissance de ce système a nécessairement impliqué l’apport d’une <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/dictionnaire/definition/96548">accumulation primitive de capital</a> permise par la dépossession sytématique par les hommes du travail non payé des femmes, de leurs corps, de <a href="https://journals.openedition.org/grm/783">leurs moyens de production et de reproduction</a>. En somme, pour les autrices, le <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2014/07/09/le-corps-terrain-originel-de-l-exploitation-des-femmes_4454118_3260.html">capitalisme n’aurait pas pu se déployer sans le contrôle des corps féminins</a>. L’institutionnalisation du viol, de la prostitution et de la chasse aux sorcières auraient été des manifestations de l’assujettissement méthodique des femmes par les hommes <a href="https://journals.openedition.org/grm/783">et de l’appropriation de leur travail</a>.</p>
<p>Dans cette perspective, Françoise d’Eaubonne, grande figure du MLF et de l’écoféminisme français, dans <em>Le sexocide des sorcières</em> (1999), analyse la chasse aux sorcières comme une « guerre séculaire contre les femmes ».</p>
<p>Très largement médiatisée, la sorcière entre définitivement dans le langage commun comme une figure devenue incontournable de l’<em>empowerment</em> féminin.</p>
<p>Il existe donc un écart manifeste entre la compréhension historique d’un phénomène de répression et les discours et interprétations qui mobilisent la figure de la sorcière depuis le XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Ces réinvestissements – <a href="https://theyorkhistorian.com/2017/03/11/the-european-witch-hunts-a-mass-murder-of-women/">sans être exempts d’approximations ou d’anachronismes</a> – ne possèdent pas moins de valeur, tant sur le plan symbolique qu’analytique. Ils témoignent des préoccupations actuelles, politiques, sociales et culturelles.</p>
<p>Plus généralement, comme l’annonçait dès 1975 la <a href="https://femenrev.persee.fr/issue/sorci_0339-0705_1975_num_1_1">revue féministe française <em>Sorcières</em></a>, ils expriment le combat pour la cause des femmes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216284/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Gelly-Perbellini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De quoi parle-t-on lorsque nous évoquons les « sorcières » ? Et quels imaginaires convoque cette figure historique devenue mythique ?Maxime Gelly-Perbellini, Doctorant en histoire du Moyen Âge, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2144032023-10-01T15:40:16Z2023-10-01T15:40:16ZInondations en Libye : et après, le déluge ?<p>Rupture de barrages hydrauliques majeurs, zones entières submergées par les eaux, affaissements de terrain, dislocations spectaculaires, milliers de morts et de disparus dans tout l’Est du pays : le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/24/les-inondations-en-libye-ont-fait-plus-de-3-800-morts-selon-un-bilan-officiel-toujours-provisoire_6190738_3212.html">bilan, encore temporaire, des inondations qui ont ravagé la Libye en septembre</a> est loin de se limiter à ce bref et non moins terrifiant panorama de dévastation.</p>
<p>Face à l’ampleur des destructions et des scènes de détresse, certains commentateurs ont tôt fait de qualifier le cataclysme de « déluge », reprenant ainsi le <a href="https://www.cairn.info/les-grands-mythes--9782361064358-page-59.htm">célèbre mythe présent dans la Bible, mais aussi dans d’autres cultures</a>, et décrivant des inondations diluviennes et continues causées par Dieu (ou par les dieux) pour punir l’humanité. Cette inclination à une lecture mythique des événements est renforcée par le fait que le désastre a été provoqué par la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-billet-vert/tempete-daniel-les-inondations-en-grece-et-en-lybie-sont-bien-liees-au-rechauffement-climatique_6045182.html">tempête Daniel</a>, cyclone méditerranéen portant le nom du prophète de l’Ancien Testament qui interprétait les rêves et entrevoyait l’avenir.</p>
<p>Il est notable que le <a href="https://www.la-croix.com/Definitions/Priere/Petite-theologie-temps-depidemie-chatiment-divin-sinterroge-Mgr-Jean-Pierre-Batut-eveque-Blois-2020-04-03-1701087698">thème du châtiment divin</a> ressurgisse dans les croyances populaires alors qu’on le pensait disparu avec les Lumières et l’entrée dans la modernité.</p>
<p>L’invocation de la <a href="https://www.jstor.org/stable/43712745">théologie rétributive</a> en laquelle croyaient les Anciens, fondée sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-projet-2004-4-page-43.htm">vision d’un Dieu colérique et vengeur</a>, peut avoir pour effet d’occulter le poids des responsabilités humaines, morales comme politiques. Or cette théologie commode refait une nouvelle fois surface dans la discussion consacrée au drame libyen, comme pour pallier l’impuissance des populations et le sentiment de faute des élites.</p>
<h2>Punition surnaturelle, châtiment divin</h2>
<p>Depuis des millénaires, les <a href="https://www.cambridge.org/core/books/disasters-and-history/past-and-present/E22790AA6E26EF63841ED6A5D88E489B">hommes cherchent à comprendre et à interpréter les catastrophes qui les atteignent</a>. Cette interrogation, qui dépasse souvent tout cadre rationnel, est aujourd’hui réitérée en Libye comme elle l’a été dernièrement après les tremblements de terre survenus au <a href="https://theconversation.com/pour-une-analyse-geographique-des-catastrophes-le-cas-du-seisme-du-8-septembre-au-maroc-213668">Maroc</a>, en <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350">Syrie et Turquie</a>, et ailleurs. Appréhendées sur le plan de l’éthique, ces catastrophes fournissent toujours une occasion idéale de convier à la table des débats <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-023-01558-0">l’idée selon laquelle la source de pareils désastres ne peut être que surnaturelle</a>, allant bien au-delà de la compréhension humaine, et qu’une vengeance – tantôt des dieux, tantôt de la nature elle-même – en est la cause la plus probable.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1216646357257277442"}"></div></p>
<p>Dans les pays de tradition musulmane, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17447140903197233">particulièrement dans les milieux les plus conservateurs</a>, la tendance à présenter ces calamités comme l’expression d’une colère divine, suivie du jugement et du châtiment des hommes, reste courante. Une telle intervention transcendantale viserait, selon les tenants de ces discours, à rappeler à l’humain qu’il n’est pas le maître du monde et qu’un « message » lui est envoyé en contrepartie de ses actes. Pourtant, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33354304/">cette attitude résignée ne repose en l’espèce sur aucun enseignement singulier de l’islam</a>. Aucun verset du Coran, ni aucun hadith n’enjoint en effet aux croyants de se complaire dans le fatalisme. L’islam prône au contraire la foi dans la bienveillance divine, au même titre que la science et la connaissance pour réduire les risques qui pèsent sur l’humanité.</p>
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<p>Mais les légendes qui recensent, au niveau historique, ces ébranlements d’apparence extraordinaire, de même que les réponses humaines qui leur sont apportées, ne sont pas récentes ; elles remontent aux civilisations les plus anciennes, pré-monothéistes. Tous les récits existants soulèvent la problématique du pourquoi et y apportent pour réponse ce qui procéderait d’une volonté de rétribution contre l’humanité.</p>
<h2>Géomythologie de l’« homme diluvien »</h2>
<p>En tant que discipline historico-scientifique, la <a href="https://theconversation.com/geomythology-can-geologists-relate-ancient-stories-of-great-floods-to-real-events-63434">géomythologie</a> se penche sur ces narrations surnaturelles et tente de relier les grands mythes diluviens du passé aux réalités historiques qui les ont accompagnés, d’établir la part de réel et d’objectif entre ce type d’inondations torrentielles et dévastatrices et les discours qui en sont issus. Le mythe du déluge, bien connu dans la culture judéo-chrétienne à travers l’épisode de l’Arche de Noé, n’est d’ailleurs pas caractéristique des seules cultures monothéistes : beaucoup d’autres sociétés ont transmis des histoires analogues de bouleversements destructeurs.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sorti en 2014, « Noé », de Darren Aronofsky, reprend, avec quelques approximations, le récit biblique de l’annihilation par Dieu de la quasi-totalité de l’humanité pour la punir de son égarement.</span></figcaption>
</figure>
<p>On retrouve ces récits parmi la plupart des peuples et dans de nombreuses traditions orales et folkloriques en lien avec divers phénomènes naturels – séismes, éruptions volcaniques, tsunamis, ouragans, pestes, épidémies… Indépendamment des croyances ou religions qui les sous-tendent, ceux-ci ont pour dénominateur commun de vouloir expliquer la survenue de désastres à travers une fenêtre historique menant à la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0002716205285589">reconstruction d’un monde chargé de sens à la suite d’événements mystérieux, de situations considérées comme incontrôlables</a>.</p>
<p>Depuis la nuit des temps, la vie humaine a coexisté avec son environnement naturel, <a href="https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2015-2-page-97.htm">dans une lutte perpétuelle pour le contrôle de ce dernier</a>. Dès lors, l’effort qui consiste à rechercher des significations à des événements accablants à l’échelle psychologique, car hautement traumatiques à l’instar de ce qui s’est produit en Libye, relève d’une agentivité en quête de causes, d’intentions, d’effets, <a href="https://www.cairn.info/revue-le-sujet-dans-la-cite-2012-1-page-162.htm">pour regagner la maîtrise d’une situation qui semble échapper à l’homme, autrement dit de son destin</a>. Nombre de systèmes de croyances affirment qu’une puissance surnaturelle ou divine ne se contente pas d’intervenir : elle châtierait en délivrant à l’humanité, prise en partie ou dans sa totalité, <a href="https://www.salon.com/2017/09/10/are-natural-disasters-part-of-gods-retribution_partner/">violences et souffrances pour mieux l’inviter à se réformer</a>.</p>
<h2>Repousser la responsabilité humaine ?</h2>
<p>Ne doit-on pas voir dans ces légendes et mythes une stratégie destinée à <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2021-1-page-39.htm">refouler la culpabilité directe des hommes dans ces désastres</a> ? Fables, créatures fantastiques et dieux vengeurs qui entourent les interprétations prémodernes des catastrophes s’abattant sur l’humanité ne sont-ils pas, en réalité, la preuve d’une <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20130313-1-pourquoi-humains-sont-responsables-degradation-environnement">faute foncière quant à la dégradation environnementale</a> aux répercussions délétères ? Le thème du châtiment divin ou celui de représailles de « mère Nature » ne sert-il pas de prime abord à échapper à cette cruelle réalité ?</p>
<p>De fait, la notion de punition surnaturelle a pour conséquence première de créer l’illusion de cataclysmes exceptionnels, inexplicables, alors que les <a href="https://pubs.usgs.gov/circ/2004/circ1254/pdf/circ1254.pdf">inondations qui ont frappé la Libye et d’autres nations traversent toute l’histoire</a>. Les populations ne s’y sont pas trompées : les habitants de Derna, sinistrée par les eaux, ont d’emblée manifesté leur colère contre les autorités en <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/18/libye-les-habitants-de-derna-demandent-des-comptes-aux-autorites-apres-les-inondations-meurtrieres_6189931_3212.html">réclamant des comptes, exprimant ainsi une exigence de réponses rationnelles</a>. Les initiatives de secours sont d’autant plus difficiles à mettre en œuvre que la Libye est rongée par une guerre civile meurtrière depuis plus d’une décennie et que la <a href="https://www.europe1.fr/international/inondations-en-libye-pourquoi-lacheminement-de-laide-humanitaire-est-elle-si-delicate-4203868">coordination de l’assistance humanitaire aux victimes</a> est gérée par deux pouvoirs antagonistes.</p>
<p>Contre toute lecture superstitieuse ou apocalyptique qui viderait ces développements de leur cause humaine, le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/25/inondations-en-libye-le-procureur-ordonne-la-detention-de-huit-responsables_6190914_3212.html">Procureur général de Libye a ordonné la mise en détention de huit responsables</a> en charge des ressources hydrauliques, accusés d’avoir fait montre de mauvaise gestion et de négligence après que des fissures sur les barrages concernés leur furent signalées, sans action spécifique pour y remédier. Cette réaction, comme d’autres, suggère-t-elle pour autant que l’équation sur le terrain évoluera fondamentalement dans la bonne direction ? <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20230925.OBS78626/libye-la-catastrophe-va-renforcer-le-statu-quo-et-maintenir-de-facto-les-elites-au-pouvoir.html">Rien n’est moins sûr</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214403/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Libye comme ailleurs, les catastrophes naturelles sont souvent présentées comme des manifestations d’un châtiment divin – ce qui permet d’exonérer les hommes de leurs responsabilités.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2068132023-06-05T15:45:39Z2023-06-05T15:45:39Z« La petite sirène » et toutes les autres sirènes dans la mythologie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529384/original/file-20230531-17-mnn417.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1917%2C971&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">"Jeunes filles de la mer (Sirènes)", par Evelyn de Morgan, 1886</span> <span class="attribution"><span class="source">De Morgan Centre/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le 26 mai aura lieu la première mondiale de <em>La Petite Sirène</em> de Disney, une adaptation libre du conte de fées du danois Hans Christian Andersen, publié en 1837.</p>
<p>Ce classique a déjà été porté au grand écran par Disney en 1989 sous la forme d’un <a href="https://www.youtube.com/watch?reload=9&v=363URFzzCgg">film d’animation</a>. La nouvelle version, avec des acteurs en chair et en os, suit de près ce modèle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trailer de la nouvelle version de <em>La Petite Sirène</em>.</span></figcaption>
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<p>Dans le conte d’Andersen comme dans ses deux adaptations cinématographiques, la protagoniste est une belle jeune fille dotée d’une queue de poisson et d’une voix captivante. Mais les sirènes ont-elles toujours été représentées de cette manière ?</p>
<h2>Des femmes ailées</h2>
<p>La première mention des sirènes dans la littérature occidentale remonte à <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-odyssees/odyssee-episode-3-ulysse-et-circe-la-magicienne-5428781">l’<em>Odyssée</em> d’Homère</a>. De retour dans sa patrie, Ithaque, après la guerre de Troie, Ulysse (Odysseus pour les Romains) a vécu de nombreuses aventures en Méditerranée et a dû faire face à des créatures dangereuses, dont des sirènes.</p>
<p>La magicienne Circé l’avertit de tous ces dangers, et le premier d’entre eux est celui des sirènes « qui enchantent les hommes ». L’imprudent qui s’approche d’elles et écoute leur voix se sent irrémédiablement attiré et ne rentrent jamais chez eux. Ces sirènes vivraient aujourd’hui quelque part sur la côte napolitaine. Avec leur doux chant – qu’elles héritent de leur mère, l’une des muses – elles envoûtent et retiennent les hommes, si bien que la côte est jonchée d’ossements de malheureux marins.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/527546/original/file-20230522-17-1jsiou.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un vase à fond noir avec une illustration orange d’un navire et des sirènes ailées autour" src="https://images.theconversation.com/files/527546/original/file-20230522-17-1jsiou.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/527546/original/file-20230522-17-1jsiou.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/527546/original/file-20230522-17-1jsiou.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/527546/original/file-20230522-17-1jsiou.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/527546/original/file-20230522-17-1jsiou.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/527546/original/file-20230522-17-1jsiou.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/527546/original/file-20230522-17-1jsiou.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Poterie du Vᵉ siècle avant J.-C. montrant le navire d’Ulysse passant devant les Sirènes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1843-1103-31">The British Museum</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ulysse suit les conseils de Circé pour profiter sans risque de la douce voix des Sirènes : il se fait attacher au mât et ses hommes se bouchent les oreilles avec de la cire. Homère ne les décrit pas, mais nous avons conservé des poteries qui reproduisent cette scène de l’Odyssée et les représentent mi-femme, mi-oiseau.</p>
<p>Les Argonautes les rencontrent également lors de leur voyage de retour après s’être emparés de la Toison d’or. À cette occasion, c’est Orphée qui, par son chant, les <a href="https://bdh-rd.bne.es/viewer.vm?id=0000147090&page=598">contre : ils parviennent à surmonter le danger</a>. Et dans un poème beaucoup plus tardif intitulé les <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Argon%C3%A1uticas_%C3%B3rficas"><em>Orphic Argonautics</em></a>, le chant d’Orphée entraîne la mort des sirènes et leur transformation en rochers.</p>
<p>Dans la mythologie et la littérature classiques, il existe des êtres hybrides, comme les sirènes, dont certaines parties du corps ont une forme humaine et d’autres des caractéristiques animales : les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Harpies">harpies</a>, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gorgones">gorgones</a>, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sphinx_(mythologie_grecque)">sphinx</a>, associés au négatif, à la ruine des hommes. Ce sont toutes des femmes.</p>
<h2>Les séductrices à queue de poisson</h2>
<p>Le premier témoignage décrivant des sirènes à queue de poisson est le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Liber_Monstrorum"><em>Livre des monstres de diverses sortes</em></a>, un <a href="https://dle.rae.es/bestiario">bestiaire</a> (recueil de descriptions d’animaux réels ou fantastiques) anonyme en latin du VIII<sup>e</sup> siècle :</p>
<blockquote>
<p>« Les sirènes sont des vierges marines qui trompent les marins par leur belle apparence et la douceur de leur chant ; de la tête au nombril, elles ont un corps de jeune fille et ressemblent beaucoup à l’homme, mais elles ont néanmoins des queues de poisson écailleuses. »</p>
</blockquote>
<p>Selon ce recueil, elles ont donc quitté leur habitat terrestre, bien que proche du rivage, pour plonger au fond de la mer, et leur beauté est soulignée pour la première fois.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/527572/original/file-20230522-4578-w3waxn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme à queue de poisson est assise au bord de la mer sur une plage tout en peignant ses longs cheveux" src="https://images.theconversation.com/files/527572/original/file-20230522-4578-w3waxn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/527572/original/file-20230522-4578-w3waxn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/527572/original/file-20230522-4578-w3waxn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/527572/original/file-20230522-4578-w3waxn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/527572/original/file-20230522-4578-w3waxn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/527572/original/file-20230522-4578-w3waxn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/527572/original/file-20230522-4578-w3waxn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une sirène, peinte par John William Waterhouse.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://es.wikipedia.org/wiki/Archivo:John_William_Waterhouse_A_Mermaid.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’écrivain et humaniste Boccace (XIV<sup>e</sup> siècle) rapproche les traditions classiques et médiévales dans sa <a href="https://www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_2002_num_54_1_2499"><em>Généalogie des dieux païens</em></a> et propose une interprétation allégorique de ces êtres hybrides. Il insiste sur leur beauté et leur capacité à séduire les hommes, les assimilant à des prostituées.</p>
<p>Dès lors, elles sont associées à des tentatrices sans scrupules (elles sont souvent représentées les seins nus et les cheveux longs) qui séduisent et escroquent les hommes naïfs et subvertissent leur âme, à l’opposé de la morale chrétienne.</p>
<h2>De la méchanceté à l’amour</h2>
<p>Dans le romantisme, la vision négative de la sirène a été contrecarrée par la nouvelle image, beaucoup plus positive, représentée dans le conte d’Andersen. La protagoniste de ce conte, lorsqu’elle atteint l’âge de 15 ans et fait surface, tombe amoureuse d’un beau prince qu’elle sauve lors d’un naufrage.</p>
<p>Par amour pour lui, elle renonce à la sécurité de son environnement et conclut un sombre pacte avec la sorcière des mers : elle échange sa langue et sa belle voix contre deux jambes. Le sortilège lui cause de terribles douleurs lorsqu’elle marche ou danse, mais elle s’en moque.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/527571/original/file-20230522-8471-eg0u1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme à queue de poisson regarde un navire au loin" src="https://images.theconversation.com/files/527571/original/file-20230522-8471-eg0u1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/527571/original/file-20230522-8471-eg0u1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/527571/original/file-20230522-8471-eg0u1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/527571/original/file-20230522-8471-eg0u1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/527571/original/file-20230522-8471-eg0u1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/527571/original/file-20230522-8471-eg0u1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/527571/original/file-20230522-8471-eg0u1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Illustration de La Petite Sirène d’Andersen par Ivan Bilibin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Little_Mermaid_(Bilibin)_04.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le marché conclu avec la sorcière l’oblige à épouser le prince pour sauver sa peau. La petite sirène sait que si elle n’y parvient pas, elle mourra et se fondra dans l’écume. Bien que le prince l’aime comme une sœur, il finit par épouser une princesse voisine, croyant reconnaître la femme qui l’a sauvé du naufrage.</p>
<p>C’est alors que la sorcière propose un nouveau pacte à la petite sirène : si elle assassine le prince, elle redeviendra sirène et pourra regagner son royaume sous-marin. Incapable de s’y résoudre, la petite sirène se jette dans la mer. Mais son amour est si pur qu’ au lieu de se transformer en écume, elle devient l’une « fille de l’air », un des êtres qui peuvent obtenir une âme immortelle par leurs bonnes actions.</p>
<h2>Le XXIᵉ siècle et les sirènes</h2>
<p>Malgré cette image adoucie, la vision négative des sirènes subsiste aujourd’hui. Ainsi, l’expression « chant des sirènes » est utilisée pour désigner un discours agréable et persuasif qui contient une tromperie.</p>
<p>Heureusement, ce concept coexiste avec l’autre, beaucoup plus positif, qui présente les sirènes comme des filles à queue de poisson, belles et inoffensives, voire bienfaisantes, comme celle du conte d’Andersen ou de l’adaptation de Disney. Des êtres qui sont devenus des symboles de villes, comme la <a href="https://www.visitcopenhagen.com/copenhagen/planning/little-mermaid-gdk586951">Petite Sirène de Copenhague</a>, ou même d’entreprises, comme la sirène à deux queues du logo de Starbucks, mondialement connue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206813/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Regla Fernández Garrido ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une nouvelle adaptation de « La petite sirène » de Disney sort sur les écrans, mais d’où vient cette figure mythologique ?Regla Fernández Garrido, Catedrática de Filología Griega, Universidad de HuelvaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2053172023-05-29T16:46:41Z2023-05-29T16:46:41ZCe que la Grèce antique nous dit de l’amour maternel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528849/original/file-20230529-19-ixxqa5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C45%2C1002%2C705&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">"Les adieux d'Hector et d'Andromaque", tableau du XVIIIe siècle représentant une scène de l'épopée antique L'Iliade.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Vien_-_Les_adieux_d%27Hector_et_d%27Andromaque_01.jpg">Joseph-Marie Vien, via Wikimedia Commons</a></span></figcaption></figure><p>Peut-être les <a href="https://www.brandeis.edu/facultyguide/person.html?emplid=1be7ee967d45605afddf7da9ad4ca2c049a26c0b">Grecs de l’Antiquité</a> ne connaissaient-ils pas le genre de fête des Mères qu’on célèbre aujourd’hui en Europe et aux États-Unis – et dont l’origine remonte <a href="https://nationalwomenshistoryalliance.org/resources/commemorations/history-of-mothers-day/">au début du XXᵉ siècle</a>, voire <a href="https://www.bbc.co.uk/newsround/17343360">au Moyen Âge</a>. Cependant, ils organisaient bel et bien des festivités en l’honneur de la maternité, centrées sur la déesse <a href="https://www.britannica.com/topic/Daedala">Héra</a> ou <a href="https://www.theoi.com/Phrygios/Kybele.html">Cybèle</a>, mère de la Terre, même si, le plus souvent, la <a href="https://womeninantiquity.wordpress.com/2018/11/29/the-cults-of-hera/">préparation de ces fêtes</a> reposait en majeure partie sur les épaules des femmes elles-mêmes.</p>
<p>Les récits qui nous sont parvenus sur les mères réelles, ou celles représentées dans la mythologie nous montrent combien elles étaient importantes. En partie grâce à leur lien avec le cycle de la vie, les femmes de la Grèce antique étaient à la fois des <a href="https://repository.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1085&context=classics_papers">symboles de mortalité</a> et une force qui humanisait les héros.</p>
<h2>Ce que l’histoire antique nous dit sur les mères</h2>
<p>Ce que nous savons de la vie des femmes dans la Grèce antique n’est généralement pas très reluisant. Selon le poète Hésiode (environ 700 avant J.-C.), il était de bon ton de marier les femmes à des hommes plus âgés <a href="http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Hes.+WD+695&fromdoc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0132">« quatre ou cinq ans après la puberté »</a>. Les traditions philosophiques et médicales de l’époque considéraient les femmes comme inférieures et définies <a href="https://www.routledge.com/Hippocrates-Woman-Reading-the-Female-Body-in-Ancient-Greece/King/p/book/9780415138956">par leur capacité à donner naissance</a>, même si, dans les croyances populaires, c’était le sperme masculin qui contenait <a href="https://aeon.co/essays/blame-it-on-aristotle-how-science-got-into-bed-with-sexism">tout ce qui est nécessaire à un bébé</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fete-des-meres-dans-les-livres-pour-enfants-les-meres-sont-elles-vraiment-mises-a-lhonneur-172992">Fête des mères : dans les livres pour enfants, les mères sont-elles vraiment mises à l’honneur ?</a>
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<p>Les informations dont nous disposons sur ce qu’étaient leurs vies après le mariage sont très floues. Certains récits font état d’une moyenne de <a href="https://bmcr.brynmawr.edu/1994/1994.12.02/">six naissances par femme</a>, et jusqu’à 40 % des enfants <a href="https://www.jstor.org/stable/4502068">pourraient ne pas avoir survécu</a> jusqu’à l’âge de leur mariage – ces estimations de la mortalité infantile sont variables. La plupart des historiens s’accordent à dire que la perte d’un enfant était suffisamment courante dans l’Antiquité pour qu’on s’y attende plutôt que de s’en étonner.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/524236/original/file-20230503-19-e9d5rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un relief sculpté montre un homme debout tenant un enfant emmailloté, avec une femme assise à côté d’eux" src="https://images.theconversation.com/files/524236/original/file-20230503-19-e9d5rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524236/original/file-20230503-19-e9d5rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=937&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524236/original/file-20230503-19-e9d5rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=937&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524236/original/file-20230503-19-e9d5rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=937&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524236/original/file-20230503-19-e9d5rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1177&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524236/original/file-20230503-19-e9d5rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1177&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524236/original/file-20230503-19-e9d5rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1177&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une pierre tombale en marbre datée de 420 av.J.-C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/marble-tombstone-of-timarete-the-tombstone-depicts-the-news-photo/1314616517?adppopup=true">Photo12/Ann Ronan Picture Library/Universal Images Group via Getty Images</a></span>
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<p>Les informations sur la mortalité maternelle sont tout aussi obscures, bien que les données démographiques suggèrent qu’à certaines époques <a href="https://www.jstor.org/stable/4502068">plus de 30 % des mères seraient mortes de complications liées à l’accouchement</a>. Mais il existe des témoignages ici et là à travers les inscriptions funéraires recueillies dans l’ensemble du monde grec de l’Antiquité. Ainsi, Prakso, 21 ans, épouse de Théocrite, <a href="https://sententiaeantiquae.com/2022/06/25/another-casualty-of-childbirth-2/">est morte en couches</a> et a laissé derrière elle un enfant de 3 ans. Kainis est morte des <a href="https://sententiaeantiquae.com/2023/03/09/lost-to-childbirth-at-18-and-20-two-funerary-inscriptions-3/">suites d’un accouchement prolongé</a>, à 20 ans, « à peine entrée dans la vie ». Plauta est également décédée à 20 ans, <a href="https://sententiaeantiquae.com/2021/03/11/gone-at-20-in-childbirth-mourned-evermore/">lors de son deuxième accouchement</a> – mais sa renommée « continue de chanter, aussi profondément que le chagrin sans fin de son cher mari », peut-on lire sur sa pierre tombale.</p>
<p>Les étudiants en lettres classiques apprennent souvent que les hommes de la Grèce antique ne passaient généralement pas beaucoup de temps avec les très jeunes enfants, étant donné le taux élevé de mortalité précoce. Certaines pratiques rituelles peuvent avoir été des réponses à la <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/79426554.pdf">précarité de ces jeunes vies</a>, comme le fait de ne donner un nom à l’enfant que le dixième jour après sa naissance ou de ne l’enregistrer officiellement en tant que membre de la famille du père qu’au cours de la première année.</p>
<h2>Les femmes dans la mythologie grecque</h2>
<p>Lorsque les gens pensent au domaine que j’étudie, la poésie épique, je soupçonne qu’ils se représentent généralement des héros masculins violents et des femmes victimes. Cette image n’est certes pas fausse, mais elle néglige d’autres aspects des femmes, et des mères en particulier dans le monde de la poésie et des mythes grecs.</p>
<p>Grèce antique possédait une sorte de catalogue poétique – en gros, des listes de personnes et leurs histoires en bref – destiné à raconter les histoires de familles héroïques, et ce catalogue s’appuyait sur les <a href="https://www.theoi.com/Text/HesiodCatalogues.html">épouses et les mères</a>, ce qui permettait d’humaniser les héros pour leur public.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/524243/original/file-20230503-26-rgplib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une plaque sculptée représente une femme assise, la tête dans les mains, entourée d’hommes" src="https://images.theconversation.com/files/524243/original/file-20230503-26-rgplib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524243/original/file-20230503-26-rgplib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524243/original/file-20230503-26-rgplib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524243/original/file-20230503-26-rgplib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524243/original/file-20230503-26-rgplib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524243/original/file-20230503-26-rgplib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524243/original/file-20230503-26-rgplib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une plaque datant du Vᵉ siècle avant J.-C. montre Ulysse retournant auprès de Pénélope, harcelée par des prétendants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/terracotta-plaque-classical-ca-460-450-b-c-greek-melian-news-photo/1296614367?adppopup=true">Sepia Times/Universal Images Group via Getty Images</a></span>
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<p>Dans <em>L’Odyssée</em>, par exemple, Ulysse s’inspire de cette tradition lors de son voyage aux enfers, racontant l’histoire de toutes les mères de héros rencontrées parmi les morts, au premier rang desquelles, sa propre mère. Au cours de sa brève visite, il <a href="http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0136%3Abook%3D11%3Acard%3D180">apprend que celle-ci, Anticleia</a>, a eu le cœur brisé par la longue absence de son fils et en est morte. Par ailleurs, tout au long de l’épopée, Ulysse lutte pour retrouver Pénélope, sa femme, mais aussi mère protectrice de leur fils, Télémaque.</p>
<p>Dans <em>L’Iliade</em>, la mère du puissant guerrier Achille, Thétis, joue un rôle déterminant en intercédant en sa faveur auprès de Zeus lorsqu’Agamemnon, le chef des Grecs, le <a href="http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0134%3Abook%3D1%3Acard%3D345%20%22%22">déshonore</a>. Lorsque le combattant presque invincible s’apprête à affronter Hector, Thétis se lamente sur la brièveté d’une vie qui touche à sa fin.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/524242/original/file-20230503-22-4eb1k2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une peinture montre un homme en tenue de combat qui remet un enfant nu à une femme vêtue d’une tunique bleue" src="https://images.theconversation.com/files/524242/original/file-20230503-22-4eb1k2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524242/original/file-20230503-22-4eb1k2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524242/original/file-20230503-22-4eb1k2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524242/original/file-20230503-22-4eb1k2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524242/original/file-20230503-22-4eb1k2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1089&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524242/original/file-20230503-22-4eb1k2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1089&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524242/original/file-20230503-22-4eb1k2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1089&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Peinture d’Andromaque interceptant Hector avant qu’il ne parte au combat, par Fernando Castelli.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/andromache-intercepting-hector-at-the-scaean-gate-by-news-photo/150620659">A. De Luca/De Agostini via Getty Images</a></span>
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<p>Tout au long des récits de guerre et d’honneur de <em>L’Iliade</em>, les mères sont là pour rappeler aux auditeurs les conséquences réelles de la guerre. Dans un moment saisissant, Hector, le prince de Troie, attend de faire face à Achille et à une mort probable. Hécube, sa mère, depuis les murs de la ville, montre son sein à son fils, le suppliant de <a href="http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Hom.+Il.+22.100&fromdoc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0134">se souvenir des soins qu’il a reçus d’elle</a> et de rester dans la ville pour la protéger.</p>
<p>La scène la plus déchirante nous fait entendre la voix d’Andromaque, la femme d’Hector, apprenant la mort de son mari et déplorant la <a href="http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Hom.+Il.+22.600&fromdoc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0134">souffrance future de leur fils orphelin</a>, privé d’une place à la table des autres hommes, livré à l’errance et à la mendicité. Ce passage était encore plus bouleversant pour les spectateurs de l’Antiquité qui connaissaient le sort de leur fils, Astyanax : après la chute de Troie aux mains des Grecs, il fut précipité du haut des murs de la ville.</p>
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<p>Ces mères de héros ont aidé les Grecs de l’Antiquité à se définir et à comprendre leur place dans le monde, presque toujours à leur propre détriment. Elles rappellent aux auditeurs le sens du travail et du sacrifice.</p>
<p>Nous considérons généralement que le monde moderne est très différent du passé mais, hier comme aujourd’hui, il y a peu de choses qui puissent être considérées comme étant sources de telles transformations que le fait de donner naissance ou d’élever un enfant. Les paroles de dramaturges antiques nous le rappellent. Ainsi, <a href="https://sententiaeantiquae.com/2015/06/03/three-sophoklean-fragments-on-parents-and-children/">Sophocle affirme</a> que « les enfants sont les points d’ancrage de la vie d’une mère » et <a href="https://sententiaeantiquae.com/2014/11/14/fragmentary-friday-euripides-confuses-himself-on-women/">Euripide écrit</a> : « Aimez votre mère, enfants, il n’y a pas d’amour plus doux que celui-là ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205317/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joel Christensen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la Grèce antique n’organisait pas de fête des Mères comme on le fait aujourd’hui, la maternité était bel et bien célébrée lors de festivités.Joel Christensen, Professor of Classical Studies, Brandeis UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2019032023-03-23T17:57:39Z2023-03-23T17:57:39ZLe mythe des Brontë, source d’inspiration sans fin pour la culture pop<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516761/original/file-20230321-28-oy5qu0.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C824%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Branwell Brontë, qui peignait, s'est effacé de ce tableau représentant ses trois sœurs Anne, Emily et Charlotte, vers 1834.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Branwell_Bront%C3%AB#/media/File:Painting_of_Bront%C3%AB_sisters.png">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>En son temps, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070326075-la-litterature-et-le-mal-georges-bataille/">Georges Bataille</a> voyait dans <em>Les Hauts de Hurlevent</em> « peut-être la plus belle, la plus violente des histoires d’amour ». La lauréate du Prix Goncourt 2014, <a href="https://www.babelio.com/livres/Salvayre-7-femmes/476249">Lydie Salvayre</a> qualifie quant à elle Emily Brontë d’« allumée » pour qui « l’écriture n’est pas un supplément d’existence, mais l’existence même ».</p>
<p>À l’occasion de la sortie française d’<em>Emily</em>, le premier film de la réalisatrice et actrice australienne Frances O’Connor, on peut se demander à quoi tient le phénomène Brontë. Incarne-t-il une sorte <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-absolu-litteraire-theorie-de-la-litterature-du-romantisme-allemand-philippe-lacoue-labarthe/9782020049368">« d’absolu littéraire »</a> ? Est-il emblématique d’une certaine idée de <a href="https://www.fondationderougemont.org/ouvrages/lamour-et-loccident/">« l’amour en Occident »</a> où amour de l’amour et amour de la mort se confondent ?</p>
<p>En réalité, point besoin de forcer la nature des Brontë. Leur romantisme farouchement « objectif », à la différence de celui prêté à tort par Hollywood à Jane Austen, ne se laisse pas aisément dévoyer. La mèche du mythe qu’elles ont allumée en leur temps n’en finit pas de se consumer dans la culture populaire, qu’elle soit cinématographique ou musicale. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lQdkVTmmkMw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Bien avant <em>Emily</em>, plus de 30 adaptations filmiques se sont succédé, dont celles d’André Téchiné (1978) et de Jacques Rivette (1985) : <a href="https://www.penguin.co.uk/books/355538/the-bronte-myth-by-lucasta-miller/9780099287148">« le mythe Brontë »</a> persiste. Mais les cinéastes, quand ils ne s’y brûlent pas les ailes, affadissent souvent la charge corrosive et magnétique qui irradie à partir des œuvres.</p>
<h2>Empowerment par la fiction</h2>
<p>Le film de Frances O’Connor, témoin contemporain d’une incandescence nommée Brontë, ne fait pas exception à la règle : il revisite le mythe… mais trop sagement. On l’aurait voulu possédé ; il est seulement habité. Paradoxalement, <em>Emily</em> ne se donne même plus la peine de convoquer l’état-civil. L’élision du nom de famille apparaît ici triplement signifiante : elle désavoue la fratrie, composante pourtant essentielle des Brontë ; elle isole une individualité en la magnifiant aux dépens de ses pairs en écriture ; elle parle enfin à un public plutôt jeune ou adolescent, jouant la proximité du prénom contre le respect dû à une autrice canonique. </p>
<p>Dans les faits, le film sacrifie tout au mythe, au prix de nombreux coups de canif dans le pacte biographique passé avec les spectateurs.</p>
<p>Tordant les dates et bousculant la chronologie des parutions, inventant une histoire d’amour à Emily (avec un fougueux et éloquent vicaire), tatouant un crédo libertarien (« Freedom in thought », soit la liberté de pensée chère aux libres-penseurs) sur le bras de l’actrice Emma Mackey, Frances O’Connor revendique, dans le sillage d’une Jane Campion, le droit à l’<em>empowerment</em> par la fiction, comprenons par la fabulation, par les histoires (<em>stories</em>) – sans doute le terme qui revient le plus souvent dans le film.</p>
<p>Tout y est subordonné à la puissance de création littéraire. <em>Emily</em> y fait feu de tout bois : le masque blanc, cadeau de mariage fait au couple parental, devenu plaisant jeu de société, elle le détourne pour faire parler la mère morte. C’est aussi le moment où la fenêtre s’ouvre avec fracas, laissant s’engouffrer un grand <a href="https://www.canal-u.tv/intervenants/lanone-catherine-069362548">« vent de sorcière »</a>, celui de l’inspiration surgie d’outre-tombe, seule à même d’expliquer l’inexplicable.</p>
<p>À plusieurs reprises, le film s’interroge sur la nature énigmatique de cet étrange « quelque chose » (<em>something</em>) dont Emily et les autres tirèrent la matière de leurs récits. Mais cela méritait-il de sacrifier Charlotte sur l’autel dressé à la gloire de la seule Emily ? Portraiturer la plus âgée des sœurs en fillette binoclarde et envieuse, voilà qui dessert assez fâcheusement un propos qui se veut féministe. Un tel <em>casting</em>, d’un mot, fût-il dans l’air du temps, n’est guère brontéen.</p>
<h2>Portrait de groupe</h2>
<p>Car la vérité des Brontë, pour peu qu’elle existe, est celle d’un portrait de groupe, et se conjugue au pluriel. Les évoquer, c’est convoquer un collectif, plus fort que la somme de ses (fortes) individualités. Sous la tutelle pas toujours compréhensive mais jamais malveillante du Révérend Patrick Brontë, la jeune génération vécut de l’addition de ses pouvoirs, avant de voir la tuberculose les décimer un à un. </p>
<p>Indissociables, ils œuvrèrent d’abord en commun avant d’écrire chacune pour soi. Au début, et le mythe cultive volontiers ce sentiment d’une origine en partage, leur création ne faisait qu’un. En témoignent les quatre à cinq mille pages des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1972/03/10/les-bronte-et-leurs-juvenilia_2377879_1819218.html"><em>Juvenilia</em></a>, continent longtemps englouti, mais aujourd’hui reconnu pour ce qu’il est : le paradis d’une enfance îvre d’aventures lointaines, dans des contrées inventées de toutes pièces et conquises de haute lutte. Le souffle de l’histoire (coloniale) y fait naître des sentiments mêlés, entre exaltation et colère, probablement inspirés par la geste napoléonienne et les <a href="https://xn--rpubliquedeslettres-bzb.fr/gibbon-histoire-empire-romain.php">considérations d’un Edward Gibbon sur la chute des Empires</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/alice-a-lasile-60457">Alice à l’asile</a>
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<p>Un paradis jamais perdu, car la fidélité de chacun lui resta à jamais acquise, à commencer par Branwell, idolâtré par ses sœurs – la mythologie commence souvent <em>at home</em> –, organisateur en chef de leurs cérémonies secrètes, peintre de talent, mais rapidement emporté par l’alcool, l’opium et la maladie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Landscape with Cottage, River and Bridge, Patrick Branwell Brontë (1817–1848).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://artuk.org/discover/artworks/landscape-with-cottage-river-and-bridge-20989">Brontë Parsonage Museum</a></span>
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<p>À des degrés divers, <em>Jane Eyre</em> (octobre 1847), <em>Wuthering Heights</em> (<em>Les hauts de Hurlevent</em>, décembre 1847), <em>Agnes Grey</em> (décembre 1847) perpétuent sous la plume, respectivement, de Charlotte, Emily et Anne, une même provenance : le pays de l’enfance retrouvée à volonté.</p>
<h2>Une lande battue par les vents et la pluie</h2>
<p>C’est que, deuxième facteur déterminant, le mythe s’enracine toujours quelque part, dans un territoire donné, Grèce antique ou Yorkshire d’avant la civilisation (<em>beyond the pale</em>, en anglais). Le « pays » des Brontë, c’est le nord de l’Angleterre, rude et provincial, c’est Haworth, son presbytère et son cimetière battus par les vents et la pluie.</p>
<p>Ce lieu, Michel Foucault l’aurait nommé « hétérotopie », soit un lieu réel (distinct en cela de l’utopie), un espace tout ce qu’il y a de plus concret, souvent clos ou enclavé, caractérisé par une profonde discontinuité avec ce qui l’entoure. Située à proximité du cimetière, lieu hétérotopique – et pathogène – par excellence, le presbytère fut un havre pour l’imagination débordante de chacun de ses jeunes habitants dont l’existence censément en vase clos ne fut qu’une vue de l’esprit. Il suffit de lire la correspondance des Brontë, de Charlotte en particulier, pour mesurer combien ils auront battu la campagne, sillonné le pays de long en large et pris la ville (de Londres, mais aussi de Bruxelles) d’assaut.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/byron-et-delacroix-aux-avant-postes-de-linternationale-romantique-163918">Byron et Delacroix, aux avant-postes de l’Internationale romantique</a>
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<p>Pour un peu, le vocable « Brontë » s’apparenterait à un <a href="https://muse.jhu.edu/article/195468/pdf">« nom de pays »</a> à la Proust. Par contraste, toutefois, avec le nom « compact, lisse, mauve et doux » de Parme, sur lequel rêve le narrateur de <em>La Recherche</em>, le nom Brontë serait à la fois hurlant, en souvenir des <em>Hauts de Hurlevent</em>, et foudroyant (du grec <em>brontè</em> : grondement du tonnerre). À l’oreille, Brontë impose une bruyante rugosité, de nature consonantique et d’origine saxonne, à peine adoucie par la voyelle finale. À l’écho d’une lande détrempée par les averses continuelles succède celui d’un thé servi dans un presbytère de campagne. Un thé noir, laissant en bouche le goût âcre de feuilles infusant dans la théière encrassée. Et puis, <em>icing on the cake</em>_, l’archaïque tréma coiffant le « e » les situe mystérieusement à part. </p>
<p>Le mythe Brontë vient de là, du sentiment qu’une terre trop primitive et barbare pour se prêter à la vie de l’esprit aura concentré autant de talents issus d’une seule et même famille. Alors, quand on apprit, assez tôt, que trois femmes, trois sœurs de surcroît, avaient écrit sous des noms d’emprunt, forcément masculins, la sidération fut totale. Il fallait ce critère du genre pour que le mythe fût au complet : organique (bien plus que familial), septentrional, génésique (car relatif à la création), mais avant tout féminin. Un féminin tout sauf délicat ou joli. </p>
<h2>Kate Bush, une autre sœur Brontë ?</h2>
<p>Un mythe ne meurt jamais. Et si c’était Kate Bush qui avait le mieux capté à son profit l’énergie indomptable des Brontë ? Fin 1977, début 1978, l’artiste âgée d’à peine 19 ans écrit et compose en une nuit une chanson inspirée de <em>Wuthering Heights</em>. S’affranchissant de la narration emboîtée du roman, elle fait parler Catherine Earnshaw-Linton à la première personne : « It’s me, I’m Cathy » (« C’est moi, Cathy »).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Fk-4lXLM34g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Profitant de la proximité entre Kate, son prénom, et Cathy/Catherine, elle fait d’une pierre deux coups : en s’identifiant à une autre, elle se trouve et trouve son public. Tenant tête aux producteurs du label EMI, elle obtient que son premier 33 tours débute par cette ballade singulière et haut perchée, au gothicisme ultra-théâtral. Dégagée de la pesanteur terrestre, son irréelle voix de tête, ainsi que sa gestuelle de danseuse <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KcVvk4asEU4">façon Isadora Duncan</a> lui valent de grimper aux premières places des <em>charts</em> et de lancer sa carrière.</p>
<p>Surtout, sa « performance » puisée à l’esprit de la pop culture consacrait l’influence souterraine mais toujours vivace d’Emily <em>et alii</em>.</p>
<p>Brontë, ou la capacité à toujours renaître de ses cendres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201903/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le film « Emily » réactive le mythe des Brontë, trois sœurs et un frère unis dans une quête d’absolu et attachés dans l’imaginaire collectif à une terre âpre battue par les vents.Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1994392023-03-06T19:30:35Z2023-03-06T19:30:35ZDébat : L’Égypte noire est-elle une imposture ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/512956/original/file-20230301-1565-kc9vaz.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C4%2C643%2C356&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Peinture du tribut Nubien auprès du pharaon égyptien d’après la tombe d’Amenhotep-Houy (TT40) le gouverneur égyptien de Nubie pendant le règne de Toutankhamon (1336-1327 av. J.-C.). Salle transversale, mur ouest, coté sud. Au Nouvel Empire, les Nubiens (Nubie) font partie de l'empire égyptien ; ils fournissent régulièrement des tributs au roi.
</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>En 2016, le film hollywoodien d’Alex Proyas, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ekVeO7uWsRk"><em>Gods of Egypt</em></a>, est accusé par les <a href="https://www.cineserie.com/news/cinema/gods-of-egypt-pourquoi-le-film-a-fait-polemique-a-sa-sortie-5175871/">spectateurs</a> de « blanchir » la société égyptienne antique. Une critique qui témoigne de la vivacité de la querelle anthropologique concernant la couleur de peau des anciens Égyptiens.</p>
<p>« Il existe un gros débat sur la couleur de peau des Égyptiens anciens et personne n’en est sûr à l’heure actuelle […] Était-ce une représentation artistique et symbolique, loin de ce qu’ils étaient vraiment ? », <a href="https://cinema-series.orange.fr/cinema/toutes-les-actus/gods-of-egypt-alex-proyas-repond-aux-accusations-de-whitewashing-CNT000000j0XGi.html">déclarait alors Alex Proyas</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, grâce aux progrès de l’archéologie, et notamment aux prélèvements ADN réalisés sur des momies, l’hypothèse d’une Égypte noire semble écartée par les <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Ancient_Egyptian_race_controversy">égyptologues</a>. Pourtant, depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, les défenseurs de l’afrocentrisme, adeptes d’une conscience historique noire, ne cessent de s’opposer à cette affirmation et défendent ardemment la théorie d’une Égypte noire.</p>
<p>Mais le débat qui oppose les partisans d’une Égypte blanche et « eurocentrée » à ceux d’une Égypte noire « afrocentrée » est-il encore d’actualité ?</p>
<h2>De l’afrocentrisme à l’égyptocentrisme</h2>
<p>À l’inverse du <a href="https://www.cairn.info/africa-unite--9782707196408-page-5.htm">panafricanisme</a> (doctrine et idéologie politiques souhaitant l’indépendance africaine), l’afrocentrisme peut être défini comme une réécriture et une vision sélective de l’histoire mettant l’accent sur l’Afrique, les valeurs culturelles africaines et la vision propre des Africains dans l’élan que des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nationalisme_noir">mouvements nationalistes noirs</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/egypte-blanche-egypte-noire-histoire-dune-querelle-americaine-197119">Égypte blanche, Égypte noire : histoire d’une querelle américaine</a>
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<p>Il s’agit essentiellement d’un mythe moderne né en réaction aux visions européocentristes liées aux siècles de traites négrières et de domination coloniale. Né aux États-Unis au XIX<sup>e</sup> siècle au sein des communautés Afro-Américaines, le mouvement s’est amplifié et a connu son apogée au XX<sup>e</sup> siècle à travers les travaux de l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop qui proclame : « Le Noir ignore que ses ancêtres, qui se sont adaptés aux conditions matérielles de la vallée du Nil, sont les plus anciens guides de l’humanité dans la voie de la civilisation ». (<em>Alerte sous les tropiques</em>, articles 1946-1960)</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512958/original/file-20230301-1565-zoqnqc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512958/original/file-20230301-1565-zoqnqc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512958/original/file-20230301-1565-zoqnqc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512958/original/file-20230301-1565-zoqnqc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512958/original/file-20230301-1565-zoqnqc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512958/original/file-20230301-1565-zoqnqc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512958/original/file-20230301-1565-zoqnqc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image : Les différentes populations d’Égypte d’après une peinture murale de la tombe de Séthi Iᵉʳ ; copie de Heinrich Menu von Minutoli (1820). De gauche à droite : un Libyen, un Nubien, un Asiatique et un Égyptien.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Ancient_Egyptian_race_controversy#/media/File:Egyptian_races.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Les afrocentristes revendiquent l’appartenance de l’Égypte pharaonique au monde des cultures africaines.</p>
<p>Convertis au christianisme, les Afro-Américains ont été éduqués selon des préceptes bibliques centrés sur une Égypte oppressive et sur l’émancipation des enfants d’Israël portée par Moïse. Se référant à la Bible et aux ouvrages d’érudits blancs prônant l’africanité des anciens Égyptiens, ils construisent peu à peu leurs propres revendications basées sur la gloire d’une Égypte antique prétendument noire.</p>
<p>Martin R. Delany (1812-1885) est l’un des principaux auteurs Afro-Américains afrocentriste du XIX<sup>e</sup> siècle. Né d’un père esclave et d’une mère libre, ses ouvrages, comme <em>Principia of Ethnology</em> (1879), défendent, sur fond biblique, une origine noire égyptienne. Le fils de Noé, Cham (qui selon la « table des nations » est l’ancêtre des populations d’Afrique), puis un de ses fils, Koush, seraient allés s’installer l’un en Égypte, l’autre en Éthiopie (en fait en Nubie). Ils auraient régné tous deux sur la vallée du Nil et auraient été les inventeurs des hiéroglyphes et les bâtisseurs des pyramides. Dans la continuité de ces études basées sur la Bible, l’écrivain noir Edward Wilmot Blyden (1832-1912) publie en 1866, dans la revue savante <em>The Methodist Quartely Review</em> un essai intitulé <a href="https://archive.org/details/negroinancienthi00blyd">« The Negro in Ancient History »</a>.</p>
<p>Dans le sillage des auteurs du XIX<sup>e</sup> siècle, W.E.B. Dubois (1868-1963) est l’un des écrivains Afro-Américains les plus influents qui plaida en faveur d’une Égypte noire et africaine. Militant panafricain, il lutte contre les préjugés raciaux qui envahissent la sphère scientifique de la fin du XIX<sup>e</sup> et du début du XX<sup>e</sup> siècle : des théories douteuses considérant l’Afrique comme un continent sans histoire et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9r%C3%A9otypes_sur_l%27histoire_de_l%27Afrique">qui seront discrédités par le monde scientifique</a> par la suite.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/512959/original/file-20230301-26-nllbrr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512959/original/file-20230301-26-nllbrr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512959/original/file-20230301-26-nllbrr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=856&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512959/original/file-20230301-26-nllbrr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=856&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512959/original/file-20230301-26-nllbrr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=856&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512959/original/file-20230301-26-nllbrr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1076&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512959/original/file-20230301-26-nllbrr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1076&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512959/original/file-20230301-26-nllbrr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1076&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Portrait de W.E.B. Dubois par James E. Purdy, 1907.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/W._E._B._Du_Bois#/media/File:W.E.B._Du_Bois_by_James_E._Purdy,_1907_(cropped).jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Combattant avec force les théories sur la prétendue infériorité des noirs, il publie de nombreux ouvrages dans lesquels il témoigne de l’existence d’une filiation noire des Égyptiens et notamment de leur berceau éthiopien :</p>
<p>« Les Égyptiens étaient des nègres, et non seulement cela, mais par tradition ils se croyaient descendants non pas des blancs ou des jaunes, mais des peuples noirs du Sud » (<em>Black Folk Then and Now</em>, 1939)</p>
<h2>L’Égypte « terre des noirs »</h2>
<p>Icône de l’afrocentrisme, l’écrivain George G.M. James diffuse en 1954 le concept d’« héritage volé ». Outre son affirmation d’une civilisation égyptienne noire, le titre de son ouvrage offre un condensé de sa théorie : <em>Stolen Legacy : The Greeks were not the Authors of Greek Philosophy, but the Peoples of North Africa commonly called the Egyptians</em> (<em>Héritage volé : Les Grecs ne sont pas les auteurs de la philosophie grecque, mais ce sont les peuples d’Afrique du Nord, communément appelés les Egyptiens</em>).</p>
<p>Les thèses de James seront reprises par Cheikh Anta Diop, surnommé « Le Pharaon » par les afrocentristes américains. Ses livres : <em>Nations nègres et culture</em> (1955), puis <em>Civilisations ou Barbarie</em> (1981), affirment la primauté civilisationnelle africaine. Les noirs seraient la « race originelle » à l’origine de la genèse de la civilisation égyptienne durant la préhistoire. L’Égypte, berceau de la science et de la philosophie, aurait même colonisé la Grèce ! L’Égypte ne serait pas la « terre noire », en référence au limon fertile des bords du Nil, mais la terre des noirs.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JeVaVtr_DCE?wmode=transparent&start=1" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ces théories ont été réfutées par <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/archeologie/legypte-ancienne-est-elle-a-lorigine-des-civilisations-ouest-africaines_3475837.html">l’ensemble des égyptologues</a> que Diop, pour se défendre, accuse de mauvaise foi. Toutefois, ses écrits présentent comme des faits historiques des affirmations qui ne sont que ses opinions, <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_7/carton07/010008847.pdf">fondées sur ses interprétations personnelles</a>.</p>
<h2>De l’uchronie historique au déni</h2>
<p>Les études afrocentristes pullulent à partir des années 1980, surtout depuis l’onde de choc provoquée par les écrits de l’universitaire britannique Martin Bernal, Professeur émérite à l’université de Cornell. Entre 1987 et 1991, il publie les trois volumes de son <em>Athéna Noire</em>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/512961/original/file-20230301-20-vzzg0i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512961/original/file-20230301-20-vzzg0i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512961/original/file-20230301-20-vzzg0i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=978&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512961/original/file-20230301-20-vzzg0i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=978&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512961/original/file-20230301-20-vzzg0i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=978&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512961/original/file-20230301-20-vzzg0i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1228&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512961/original/file-20230301-20-vzzg0i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1228&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512961/original/file-20230301-20-vzzg0i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1228&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Couverture du livre polémique de Martin Bernal, Black Athena.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Black_Athena#/media/File:Black_Athena.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Selon lui, la Grèce a été colonisée par un peuple égyptien pouvant être « utilement qualifié de noir » et affirme que 40 % des mots grecs proviennent de l’égyptien ancien. Divers chercheurs afrocentristes lui emboîtent le pas, comme Leonard Jeffries, Abdul Nanji, Yosef A.A. Ben-Jochannan, John Henrik Clark ou encore Molefi Asante qui affirme que Cléopâtre était noire et que les Grecs ont volé l’héritage de l’Égypte.</p>
<p>« La philosophie grecque pourrait-elle s’enraciner dans la pensée égyptienne ? Est-il possible que la théorie pythagoricienne ait été conçue sur les rives du Nil et de l’Euphrate plutôt que dans la Grèce antique ? La civilisation occidentale serait-elle née sur ce que l’on appelle le continent noir ? » (Martin Bernal, <em>Description de l’Athéna Noire</em>, 1987-1991).</p>
<p>Une grande partie des études afrocentristes relèvent d’un imaginaire où l’esprit ne voit que ce qu’il a envie de voir ! Dans ce processus de dénégation de la réalité, si les preuves archéologiques ne concordent pas, elles sont réinterprétées, voire inventées. On peut citer comme exemple le journaliste Van Sertima qui soutient dans son livre <em>They Came Before Colombus</em> (1976) que les Égyptiens ont voyagé dans l’Amérique précolombienne et rencontré la civilisation olmèque.</p>
<p>Les ouvrages uchroniques concernant l’Égypte antique sont nombreux et donnent lieu à diverses théories fantaisistes. Ainsi certains auteurs (W.E.B. Dubois, George G.M. James – soutiennent qu’Aristote (384-322 av. J.-C.) aurait plagié les écrits de la bibliothèque d’Alexandrie dont la date de construction est pourtant postérieure, ou encore qu’Alexandrie aurait été fondée avant Alexandre le Grand et que ce dernier était noir de peau.</p>
<p>Plus récemment, l’ouvrage de Robin Walker, <em>When We Ruled : The Ancient and Medieval History of Black Civilizations</em> (2006) s’appuyant sur les travaux de Diop, réaffirme une colonisation moyenne orientale et des régions égéennes par l’Égypte. De manière plus surprenante encore, Walker rallonge de 1 000 ans l’histoire égyptienne qu’il fait débuter au 5<sup>e</sup> millénaire av. J.-C., sans preuve archéologique.</p>
<h2>L’afrocentrisme, un mythe thérapeutique ?</h2>
<p>Pour les afrocentristes, l’Égypte est une source indéniable de fierté et d’ethnocentrisme. En témoigne le succès, pour les Afro-Américains, de la campagne publicitaire menée par la Budweiser Brewing Company (1975-2000) qui, sur le thème « The Great Kings and Queens of Africa », a édité une trentaine d’affiches de souverains africains qui régnèrent entre 1500 av. J.-C. et nos jours. On y trouve d’improbables images de Néfertari et Cléopâtre noires. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-sommes-nous-fascines-par-legypte-des-pharaons-113228">Pourquoi sommes-nous fascinés par l’Égypte des pharaons ?</a>
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<p>L’afrocentrisme n’en demeure pas moins une mythologie qui ne repose sur aucune preuve tangible ni scientifique. La majorité de ces « travaux » ont été rejetées par l’ensemble des égyptologues lors de la <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000192572">conférence sur le peuplement de l’Égypte ancienne au sommet de l’Unesco en 1974</a>.. Il y est écrit notamment que « Les arguments invoqués pour l’appartenance négroïde des [peuples d’Égypte, NDLR] relèvent plus souvent du domaine culturel et linguistique, voire littéraire, que de l’anthropologie scientifique ».</p>
<p>Le manque d’autocritique et les attaques constantes contre ceux qu’ils jugent imprégnés de « racisme blanc » voulant « désafricaniser l’Égypte » font des études afrocentristes un fantasme égyptologique simpliste, raciste et réactionnaire, d’après l’historien Afro-Américain Clarence Walker. Les études de Mary Lefkowitz (<em>Not Out of Africa</em>, 1996) soulignent les erreurs afrocentristes, accusant même certains auteurs comme Bernal de générer des tensions raciales.</p>
<p>D’une manière générale, chercheurs africains et Afro-Américains rejettent les auteurs afrocentristes. L’afrocentrisme est davantage un phénomène culturel, source thérapeutique de fierté et d’estime de soi, qu’une démarche scientifique.</p>
<p>« Chaque période de l’histoire a eu une Égypte qui lui était propre, sur laquelle elle a projeté ses peurs et ses espoirs, jusqu’aux Égyptiens noirs des Afro-Américains contemporains », écrit ainsi Eric Hornung (<em>The Secret Lore of Egypt : Its Impact on the West</em>, 2001)</p>
<h2>Un débat séculaire source de tensions</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513629/original/file-20230306-26-7q0cfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513629/original/file-20230306-26-7q0cfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513629/original/file-20230306-26-7q0cfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=997&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513629/original/file-20230306-26-7q0cfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=997&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513629/original/file-20230306-26-7q0cfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=997&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513629/original/file-20230306-26-7q0cfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1253&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513629/original/file-20230306-26-7q0cfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1253&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513629/original/file-20230306-26-7q0cfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1253&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Buste d’Akhénaton, Musée égyptien du Caire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Akhenaton#/media/Fichier:Pharaoh_Akhenaten.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>À l’opposé de la recherche historique, la quête des afrocentristes brasse de nombreux anachronismes, quand il ne s’agit pas de falsifications. C’est une forme de réécriture nationaliste de l’Histoire qui prétend dénoncer une « conspiration blanche » à l’encontre du passé noir africain.</p>
<p>Cette opposition séculaire entre ces deux courants de pensée est toujours d’actualité. Dans une Amérique ou les tensions raciales sont omniprésentes, l’afrocentrisme a de beaux jours devant lui et le débat entre historiens et afrocentristes est loin d’être clos. En 2009, le président Obama a été qualifié par certains Afro-Américains de « réincarnation d’Akhénaton » !</p>
<p>Plus récemment, le lancement par l’école publique de Chicago, en 2014, d’un programme entièrement consacré aux thèses afrocentristes laisse perplexes de nombreux historiens. Faut-il vraiment sacrifier toute vérité historique au nom de l’estime de soi ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199439/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Vanthournout ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le XIXᵉ siècle, et jusqu’à nos jours, les défenseurs de l’afrocentrisme défendent une Égypte noire.Charles Vanthournout, Professeur d'histoire-géographie et Doctorant en égyptomanie américaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1964072022-12-15T18:19:28Z2022-12-15T18:19:28ZCe que les enfants pensent vraiment du père Noël<p>Pour beaucoup d’enfants, l’arrivée du père Noël est le point culminant des festivités de décembre. Mais croient-ils vraiment qu’un homme aux pouvoirs magiques parcourt le globe pour leur apporter leurs cadeaux ?</p>
<p>S’ils y croient, n’est-ce pas une preuve de leur crédulité ou de leur incapacité à faire la distinction entre la fiction et la réalité ? Pour bien faire la part des choses, imaginez cependant un instant votre réaction face au scénario qui suit.</p>
<p>Depuis plusieurs jours, les journaux télévisés diffusent en boucle des reportages sur un individu non identifié qui s’introduit dans les habitations où il dérobe les clés de la voiture avant de partir au volant du véhicule. Le coupable ne laisserait aucune trace, hormis celles que de bottes pleines de boue sur le sol.</p>
<p>Un matin au réveil, vous trouvez des traces de boue chez vous, vous remarquez que vos clés de voiture ont disparu. Vous vous précipitez à la fenêtre et constatez que la voiture n’est plus là. Immédiatement, vous vous dites que l’inconnu dont vous avez entendu parler aux infos vous a rendu une petite visite. Quelques minutes plus tard, vous recevez un appel de votre colocataire, un type sans-gêne, qui vous explique qu’il a voulu se rendre au travail à pied, comme d’habitude, mais qu’il pleuvait tellement qu’il est rentré dans l’appartement avec ses chaussures sales et vous a emprunté votre voiture pour la journée.</p>
<p>Des publicités aux adultes, tout le monde s’évertue à perpétuer le <a href="https://doi.org/10.1016/j.cogdev.2016.04.002">mythe du père Noël</a>. Les parents eux-mêmes emmènent leur progéniture dans les centres commerciaux pour rencontrer un type déguisé qui prend l’enfant sur ses genoux pour qu’il lui récite sa liste de cadeaux. La veille de Noël, ils disséminent dans la maison des preuves irréfutables de l’existence de ce personnage : des bouts de biscuits et un verre de lait à moitié vide que les enfants trouveront le lendemain matin et, le plus important, les cadeaux sous le sapin.</p>
<p>Alors, si les enfants croient à l’existence du père Noël, ce n’est pas parce qu’ils sont plus crédules que vous, mais qu’on les a encouragés dans cette voie. Vous-même, face à des preuves du même ordre, auriez été capable de déduire qu’un criminel s’était introduit chez vous pour voler vos clés de voiture. D’ailleurs, les enfants font parfois preuve de davantage de <a href="https://doi.org/10.1111/cdep.12294">scepticisme</a> que les adultes à l’égard d’allégations et d’affirmations.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’adhésion à l’histoire du père Noël pique particulièrement la curiosité du <a href="https://scholar.google.com/citations?user=InLiWyMAAAAJ&hl=en">chercheur spécialisé dans les croyances des enfants</a> que je suis. Je m’intéresse à la représentation qu’ils se font des autres, à leur esprit, et à leur conception de l’extraordinaire. La recherche sur le développement cognitif des enfants nous permet d’entrer dans l’histoire fascinante – et plus nuancée qu’on l’imagine souvent – de cette croyance annuelle.</p>
<h2>Se représenter le monde</h2>
<p>Admettre l’existence du père Noël est une chose. Mais les enfants croient-ils vraiment que le père Noël est capable de faire tout ce que racontent leurs parents et les autres adultes ? Qu’il peut faire le tour de la Terre en une nuit, sur un traîneau tiré par des rennes, et leur apporter des cadeaux à tous ? Ou qu’il sait s’ils ont été gentils ou méchants au cours de l’année écoulée ?</p>
<p>C’est là que l’histoire devient plus intéressante et plus nuancée. Ces croyances dépendent en fait de la conception que les enfants ont du monde, et ces représentations évoluent de façon spectaculaire au cours de l’enfance.</p>
<p>Il existe par exemple des différences individuelles considérables entre les enfants et des évolutions dans leur manière d’envisager les notions de <a href="https://doi.org/10.1016/0010-0285(92)90018-W">planète Terre</a>, de <a href="https://doi.org/10.1016/S0885-2014(00)00031-9">temps et de vitesse</a> chez l’enfant.</p>
<p>Si un jeune enfant croit que la Terre est petite ou qu’elle abrite peu d’habitants, une distribution massive de cadeaux par le père Noël en 24 heures ne lui semble pas si farfelue. Il existe également de grandes différences dans l’idée que les enfants se font de <a href="https://doi.org/10.1080/17405629.2018.1435413">l’esprit</a>. Les jeunes enfants, en particulier, trouvent <a href="https://doi.org/10.1111/cogs.12232">difficile de se représenter quelqu’un d’omniscient</a>, qui <a href="https://doi.org/10.1037/a0037715">connaîtrait chacune de leurs pensées et chacun de leurs mouvements</a>. En maternelle par exemple, ils sont enclins à croire que le père Noël a un esprit exceptionnel, qu’il peut savoir des choses que la plupart des autres adultes ignorent, mais pas tout.</p>
<p>Ainsi, les plus petits croient généralement que le père Noël existe, mais sous une forme plus banale que ce que les adultes laissent entendre.</p>
<h2>Jouer avec les faux-semblants</h2>
<p>Pourtant, même dans les cultures où les récits sur le père Noël et les preuves physiques de son existence sont omniprésents, la plupart des enfants finissent par se rendre compte qu’il n’existe pas. Ce qu’en disent leurs copains peut lentement éroder leur croyance. Ils peuvent aussi surprendre leurs parents qui se régalent des biscuits du père Noël ou déposent les cadeaux sous le sapin.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-livres-de-jeunesse-qui-font-noel-173855">Ces livres de jeunesse qui font Noël</a>
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<p>De plus, à mesure que les enfants se rendent compte de l’ampleur des pouvoirs attribués au père Noël – lorsqu’ils prennent par exemple conscience de la distance qu’il doit parcourir et du nombre de maisons qu’il doit visiter en une seule nuit – <a href="http://dx.doi.org/10.1016/j.cogdev.2014.12.006">ils se mettent à remettre en question ses qualités supposées</a> et finissent par douter de son existence tout court. Vers l’<a href="https://doi.org/10.2466/pr0.1980.46.3.691">âge de huit ans</a>, la plupart <a href="https://doi.org/10.1111/j.1939-0025.1978.tb02566.x">n’y croient plus vraiment</a>.</p>
<p>Alors, pourquoi continuent-ils de participer à ce rituel annuel ? Pourquoi font-ils comme si le père Noël existe vraiment et leur offre des cadeaux parce qu’ils ont été gentils (ce qui va sans dire) ?</p>
<p>La réponse est simple : parce que c’est amusant. C’est un peu comme les amis imaginaires. <a href="https://psycnet.apa.org/record/2001-06861-000">Les enfants qui en ont</a> savent qu’ils ne sont pas réels, mais ils font semblant de jouer avec eux et de parler d’eux à leur entourage parce que c’est une fiction agréable et gratifiante. Considérer que le père Noël est réel présente un avantage supplémentaire puisqu’il leur apporte des jouets chaque année ! Lorsque les enfants plus âgés s’adonnent à cette mythologie, ils jouent le jeu avec les adultes, qui eux-mêmes s’amusent de ce faux-semblant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mon-enfant-a-un-ami-imaginaire-et-si-ca-laidait-a-grandir-109274">Mon enfant a un ami imaginaire : et si ça l’aidait à grandir ?</a>
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<p>Ce mensonge a-t-il des conséquences sur les enfants ? Perdent-ils la confiance qu’ils avaient en leurs parents lorsqu’ils découvrent que ceux-ci ont mis en place un stratagème aussi sophistiqué ?</p>
<p>Peu d’études répondent directement à ces questions. <a href="https://doi.org/10.1007/BF02253287">L’une des rares</a> à avoir interrogé les enfants sur leurs réactions a révélé qu’ils éprouvaient plus d’émotions positives que négatives lorsqu’ils apprenaient l’existence du mythe, qu’ils aient découvert le mensonge eux-mêmes ou de la bouche de leurs parents.</p>
<p>Si l’on considère que les enfants sont à même de comprendre qu’il s’agit d’un jeu et qu’ils font semblant sans que leurs parents ne s’en rendent compte, et si l’on considère que toute cette fiction se déroule dans un contexte de plaisir et de convivialité, il y a alors probablement plus à y gagner qu’à y perdre.</p>
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<p><em>Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196407/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les recherches de Jonathan Lane ont été financées par le National Institutes of Health et la John Templeton Foundation.</span></em></p>Si les plus petits croient généralement au père Noël, ils se représentent ce personnage sous une forme bien plus banale que ce qu’en disent les adultes.Jonathan Lane, Assistant Professor of Psychology and Human Development, Vanderbilt UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921382022-10-29T14:37:04Z2022-10-29T14:37:04ZMais où se trouve la momie de Cléopâtre ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490885/original/file-20221020-1633-lyaomr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1280%2C714&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Valerie Leon dans Blood from the Mummy’s Tomb (en français : La Momie sanglante), 1971.</span> </figcaption></figure><p>Rien ne subsiste du tombeau « d’une élévation et d’une somptuosité étonnantes » que Cléopâtre se fit édifier, non loin du palais royal, au nord-est d’Alexandrie, selon l’auteur antique Plutarque (<em>Vie d’Antoine</em> 74).</p>
<p>Vaincue par Octave, le futur empereur Auguste, la reine y fait entasser toutes ses richesses, au cours de l’été 30 av. J.-C.</p>
<p>Lorsqu’il pénètre dans Alexandrie, le vainqueur craint que Cléopâtre se donne la mort en mettant le feu à ses trésors. Il souhaite s’emparer d’elle vivante autant que de ses richesses qui seront, espère-t-il, les principaux ornements de son triomphe à Rome.</p>
<p>Au même moment, Marc Antoine, maître déchu de l’Orient romain et amant de Cléopâtre, rate son suicide. Il se frappe avec son glaive, mais pas suffisamment fort pour mourir sur le coup. À l’agonie, se vidant de son sang, il est transporté par des serviteurs jusqu’au tombeau de la reine. Comme les portes en ont été barricadées, Marc Antoine mourant doit être hissé jusqu’à une fenêtre au moyen de cordes. Une fois arrivé au sommet, il expire dans les bras de sa maîtresse.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"><em>Antoine mourant rapporté à Cléopâtre</em>, tableau d’Eugène-Ernest Hillemacher, 1863. Grenoble, Musée de Peinture et Sculpture.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un mausolée en forme de tour</h2>
<p>L’anecdote racontée par Plutarque a l’avantage de nous renseigner quelque peu sur l’aspect de la dernière demeure de Cléopâtre : c’était une haute tour, suivant le modèle du fameux mausolée d’Halicarnasse, élevé au IV<sup>e</sup> siècle av. J.-C., par Mausole, dynaste de Carie, dans l’actuelle Turquie.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Octave, raconte Plutarque, envoya ses hommes s’emparer de Cléopâtre. Ils parvinrent à pénétrer dans le mausolée, en passant par une ouverture qui se trouvait dans la partie supérieure de l’édifice et réussirent à immobiliser la reine, au moment où elle allait se tuer d’un coup de poignard.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=642&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=642&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=642&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=806&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=806&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=806&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Reconstitution du mausolée d’Halicarnasse. Bodrum, Musée d’archéologie sous-marine.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les hommes d’Octave vérifient que leur prisonnière ne porte plus aucune arme sur elle. Puis Cléopâtre est placée en résidence surveillée dans une chambre du palais royal. C’est là qu’elle parvient à se suicider au moyen d’un serpent qui lui est apporté, caché sous des figues, selon l’étonnant scénario évoqué par Plutarque. Un suicide fascinant <a href="https://theconversation.com/coucher-avec-cleopatre-et-mourir-183664">qui connut une étonnante postérité littéraire et artistique</a>.</p>
<h2>Cléopâtre et Marc Antoine réunis dans la mort</h2>
<p>Le corps de la reine est alors, de toute évidence, embaumé, comme l’ont été les dépouilles de ses prédécesseurs, Alexandre le Grand et les souverains de la dynastie des Ptolémée dont elle est l’ultime représentante. La momie est ensuite déposée dans le mausolée, où la rejoint le corps de Marc Antoine. Le Romain avait, en effet, formulé dans son testament le souhait que sa dépouille soit placée à côté de celle de Cléopâtre (Plutarque, <em>Vie d’Antoine</em> 58). Et la reine avait confirmé cette ultime volonté dans une lettre adressée à Octave quelques instants avant son suicide (Plutarque, <em>Vie d’Antoine</em> 85).</p>
<p>Le mausolée n’a pas été retrouvé. Ce qu’il en reste doit reposer aujourd’hui quelque part sous les eaux de la zone orientale du grand port d’Alexandrie. L’archéologue Franck Goddio y a mené des recherches sous-marines en 1996, sans parvenir <a href="https://www.liberation.fr/culture/1996/11/12/le-palais-de-cleopatre-en-eau-trouble-scepticisme-apres-la-decouverte-de-vestiges-sous-marins-de-l-a_188756/">à identifier les vestiges du fameux monument</a>.</p>
<p>Par contre, le témoignage de Plutarque <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2020-07-13/pourquoi-on-ne-trouve-toujours-pas-la-tombe-de-cleopatre-malgre-de-recentes-decouvertes-8e65fc70-380b-4ae6-8a22-93c8c35f0728">contredit formellement l’hypothèse avancée par l’archéologue Kathleen Martinez</a>, qui pensa, au début des années 2000, pouvoir découvrir la sépulture de Cléopâtre et Marc Antoine à Taposiris Magna, à quelque 40 kilomètres à l’ouest d’Alexandrie.</p>
<p>La forte médiatisation de ces recherches traduit néanmoins le puissant intérêt que suscite toujours, auprès du grand public, le tombeau de la reine devenue mythique.</p>
<h2>Dévotion posthume pour une souveraine regrettée</h2>
<p>Cet intérêt remonte aux années qui suivirent la mort de Cléopâtre. La reine fit l’objet d’un culte posthume, sans doute parce qu’elle fut une dirigeante politique compétente, regrettée par ses sujets, au contraire de la légende de la putain royale, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/cleopatre-le-genie-politique/une-reine-en-son-royaume-ep3-7842254">diffusée par la propagande d’Octave</a>.</p>
<p>C’est ce que suggère un graffiti en égyptien démotique, gravé au IV<sup>e</sup> siècle apr. J.-C., dans le temple de la déesse Isis à Philae, évoquant une « statue de Cléopâtre » <a href="https://www.babelio.com/livres/Schwentzel-Cleopatre--La-deesse-reine/784074">qui fut redorée par un prêtre nommé Pétésénouf</a>.</p>
<p>Sur une plaquette en bronze du II<sup>e</sup> ou du III<sup>e</sup> siècle apr. J.-C., l’historien Richard Veymiers est parvenu à lire, entre les représentations de divinités égyptiennes, une <a href="https://www.cairn.info/revue-archeologique-2014-1-page-37.htm">inscription grecque signifiant</a> : « Grand est le nom de Sarapis, grande est Néôtéra l’invincible ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=118&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=118&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=118&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=148&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=148&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=148&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plaquette en bronze aux noms de Sarapis et Néôtéra. Paris, Cabinet des Médailles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.cairn.info/revue-archeologique-2014-1-page-37.html">cairn</a></span>
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<p>Théa Néôtéra, ou « Déesse la plus jeune », est le surnom divin que prit Cléopâtre en 37 av. J.-C. Le texte pourrait ici, me semble-t-il, faire référence à la reine divinisée, vue comme la manifestation terrestre la plus récente de la déesse Isis, épouse du grand dieu Sarapis.</p>
<p>Le mausolée de Cléopâtre à Alexandrie était au cœur de ces dévotions posthumes. Il fut certainement fermé et pillé lors de la christianisation de l’Empire romain, à la fin du IV<sup>e</sup> siècle apr. J.-C. Ses restes s’effondrèrent ensuite dans la mer lors des séismes qui frappèrent Alexandrie et ses environs au début du Moyen Âge.</p>
<h2>Bonaparte et la momie de Cléopâtre</h2>
<p>La dépouille de Cléopâtre disparut vraisemblablement lors du pillage de son tombeau. Elle n’en continua pas moins <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-histoires-de-momies-nous-font-elles-fremir-79046">à hanter les esprits</a>, suscitant de nombreux fantasmes en Occident, à partir de la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Conséquence de l’égyptomanie ambiante, les momies sont alors à la mode. Le Cabinet des médailles, à Paris, aurait conservé la dépouille de l’ancienne reine, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/cleopatre-le-genie-politique/mourir-plutot-que-subir-ep4-1100991">selon une légende relayée par la presse de l’époque</a>.</p>
<p>On racontait que le cadavre de Cléopâtre avait été découvert lors de l’expédition de Bonaparte en Égypte. Le général lui-même aurait passé une nuit avec elle dans sa tente, dressée au pied d’une pyramide. Il l’aurait ensuite rapportée en France, dans ses bagages, et remise au Cabinet des médailles.</p>
<p>Mais la dépouille ne supporta pas le climat parisien. Elle se mit à pourrir et fut finalement enterrée dans le jardin de la Bibliothèque nationale de France. Cette légende repose sur quelques faits réels, <a href="https://antiquitebnf.hypotheses.org/7790">comme l’a montré Julien Olivier</a>, conservateur à la BNF.</p>
<p>Il y avait bien, au XIX<sup>e</sup> siècle, une momie exposée au Cabinet des médailles que des étudiants, férus d’égyptologie, se plaisaient à nommer « Cléopâtre ». Il est possible que, détériorée par l’humidité, elle ait finalement été enfouie du côté de la rue Vivienne.</p>
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<span class="caption">Evandale et Rumphius découvrent la momie de Tahoser. Théophile Gautier, <em>Le Roman de la momie</em>, illustration de Georges-Antoine Rochegrosse.</span>
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<h2>Séduisantes dépouilles</h2>
<p>De cette légende se dégage un érotisme nécrophile également présent dans la littérature du XIX<sup>e</sup> siècle. « Oh ! que je donnerais volontiers toutes les femmes de la terre pour avoir la momie de Cléopâtre ! », <a href="https://books.openedition.org/pul/20091?lang=fr">écrit Gustave Flaubert dans <em>Par les champs et par les grèves</em> (1847)</a>.</p>
<p>Dans <em>Le pied de momie</em>, nouvelle de Théophile Gautier (1840), le <a href="https://journals.openedition.org/aes/1760?lang=en">narrateur fait l’acquisition du pied embaumé d’une princesse égyptienne</a> dont il entend se servir comme presse-papier. Il décrit l’objet avec délectation : « Les doigts étaient fins, délicats, terminés par des ongles parfaits, purs et transparents comme des agathes (sic) ».</p>
<p>Gautier est aussi l’auteur du célèbre <em>Roman de la momie</em> (1858) qui confirme ce lien fantasmé entre beauté féminine et mort. Dans ce livre, deux archéologues, Lord Evandale et le docteur Rumphius, découvrent la <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626654k/f15.image">momie parfaitement conservée d’une jeune souveraine égyptienne nommée Tahoser</a>.</p>
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<span class="caption">La « main de Cléopâtre ». Collection privée.</span>
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<h2>La « main de Cléopâtre »</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, des voyageurs occidentaux, toujours plus nombreux, visitent la vallée du Nil afin d’assouvir leur passion pour l’Égypte ancienne. Ils pouvaient y acheter, en guise de souvenirs, des objets antiques dont le marché n’était alors guère réglementé. Les plus audacieux rapportaient <a href="https://www.researchgate.net/publication/326827533_Ancient_Corpses_as_Curiosities_Mummymania_in_the_Age_of_Early_Travel">chez eux des morceaux de momie</a> qu’ils exhibaient fièrement à leurs invités, lors de soirées mondaines.</p>
<p>Parmi ces restes macabres, une main féminine, présentée comme celle de Cléopâtre, est acquise par Sir Thomas Bowser (1749-1833), officier britannique, lors de son passage en Égypte en 1794. Redécouverte chez un collectionneur américain, elle est vendue aux enchères en 2011.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490893/original/file-20221020-25-t48d64.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490893/original/file-20221020-25-t48d64.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490893/original/file-20221020-25-t48d64.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490893/original/file-20221020-25-t48d64.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490893/original/file-20221020-25-t48d64.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490893/original/file-20221020-25-t48d64.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490893/original/file-20221020-25-t48d64.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiche du film <em>Blood from the Mummy’s Tomb</em> (en français : <em>La Momie sanglante</em>) de Seth Holt, 1971.</span>
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<h2>Films d’horreur et égyptomanie sanglante</h2>
<p>La momie de Cléopâtre apparaît au cinéma, dès 1899, grâce à Georges Méliès qui choisit Jehanne d’Alcy pour incarner la toute première pharaonne cinématographique. L’œuvre nous fait assister à la profanation du tombeau de la reine. Sa momie est carbonisée mais Cléopâtre surgit soudain de la fumée.</p>
<p>Plus tard, en 1971, Valerie Leon incarne une nouvelle momie de reine égyptienne, extrêmement bien conservée, dont la main droite, <a href="https://www.lefilmetaitpresqueparfait.fr/2020/04/la-momie-sanglante-seth-holt-1971.html">devenue immortelle, a été amputée par de cruels prêtres égyptiens</a>.</p>
<p>Un bel exemple d’égyptomanie et d’érotisme sanglant.</p>
<hr>
<p>Christian-Georges Schwentzel a publié en septembre 2022 <a href="https://www.puf.com/content/Cl%C3%A9op%C3%A2tre"><em>Cléopâtre</em>, aux éditions PUF, collection « Biographies »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192138/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En ces temps de fête de la Toussaint et de célébrations d'Halloween, rien de tel qu'une histoire de momie sur fond d'égyptomanie teintée d'érotisme…Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1852372022-06-16T20:41:46Z2022-06-16T20:41:46ZJudith, figure biblique de la « veuve noire »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/469291/original/file-20220616-12-41b3u9.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C1515%2C1203&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Judith décapitant Holopherne. Tableau du Caravage, vers 1598-1602. Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome. Détail. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7e/Judit_y_Holofernes%2C_por_Caravaggio.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le livre de Judith fait partie des écrits deutérocanoniques admis dans le canon biblique par les Églises catholique et orthodoxe. Il s’agit d’un récit édifiant qui doit montrer au lecteur comment il est possible, en des circonstances dramatiques, de <a href="https://bible.catholique.org/livre-de-judith/4147-chapitre-1">rester fidèle à Dieu</a>.</p>
<p>Malgré les divergences entre les commentateurs de cette œuvre, on s’accorde généralement à reconnaître qu’elle a été écrite entre 160 et 60 av. J.-C., c’est-à-dire <a href="https://www.academieoutremer.fr/images/files/Juifs-Nabateens-%2859_088%29.pdf">à l’époque des Hasmonéens</a>, dynastie de souverains juifs qui régna sur la Judée, entre la fin de la domination séleucide et la conquête romaine.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Judith, par Jean-Joseph Benjamin Constant, vers 1886. National Gallery of Art, Washington.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le livre se réfère, de manière allusive, à la <a href="https://www.babelio.com/livres/Hadas-Lebel-La-revolte-des-Maccabees--167-142-av-J-C/938279">guerre de libération</a> menée contre le roi séleucide Antiochos IV Épiphane par Judas Maccabée, héros fondateur de la dynastie hasmonéenne.</p>
<p>L’auteur a dissimulé son dessein édifiant sous le voile du passé : il situe l’action <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Book_of_Judith.html?id=5NgUAAAAIAAJ&redir_esc=y">au temps de Nabuchodonosor</a>, souverain babylonien du VI<sup>e</sup> siècle av. J.-C. Mais, toute ressemblance avec des personnages et des faits du II<sup>e</sup> siècle av. J.-C. n’est nullement fortuite.</p>
<h2>Deux époques superposées</h2>
<p>L’auteur superpose deux époques, suivant un procédé qui sera encore exploité, bien plus tard, par Sergueï Eisenstein dans <em>Alexandre Nevski</em> (1938). Le film, bien que se situant au Moyen Âge, n’en fait pas moins implicitement référence au contexte contemporain de sa réalisation : la menace de l’expansionnisme nazi. Dans un but propagandiste, le passé est mis au service du présent.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1159&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1159&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1159&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Judith et Holopherne. Tableau de Franz von Stuck, 1927. Gemäldegalerie, Schwerin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Franz_von_Stuck_-_Judith.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Le roi Nabuchodonosor, ennemi des Juifs, n’est autre que la transposition littéraire d’Antiochos IV Épiphane. Le livre de Judith évoque aussi le principal haut fait de Judas Maccabée : la purification du Temple de Jérusalem et de son autel, après leur profanation par le roi séleucide qui avait consacré le sanctuaire des Juifs à Zeus Olympien.</p>
<p>« Depuis peu tout le peuple de Judée avait été rassemblé et les ustensiles, l’autel et la maison de Dieu avaient été consacrés après leur profanation (<em>Judith 4, 3</em>) ».</p>
<p>Il s’agit d’une référence au 25 kislew (mois du calendrier hébraïque) 165 ou 164 av. J.-C. et à l’instauration de la <a href="https://bmcr.brynmawr.edu/2015/2015.02.48/">fête de Hanoucca</a> qui fut ensuite célébrée chaque année.</p>
<h2>Conquérir « toute la terre d’Occident »</h2>
<p>Le livre de Judith s’ouvre sur une évocation de Nabuchodonosor. L’orgueilleux roi, avide de guerres et de pillages, lance le général en chef de son armée, Holopherne, à la conquête de « toute la terre d’Occident » (<em>Judith 2, 6</em>), c’est-à-dire du Proche-Orient méditerranéen. Les Juifs, effrayés par la menace qui pèse sur eux, n’en décident pas moins de résister à l’envahisseur.</p>
<p>Holopherne, qui souhaite en savoir davantage sur l’identité de ces Juifs qui osent lui tenir tête, interroge à ce sujet un officier ammonite nommé Akhior, commandant de troupes auxiliaires recrutées en Transjordanie.</p>
<p>Akhior déconseille formellement à Holopherne de s’attaquer aux Juifs « de peur que leur Seigneur et Dieu ne les protège » (<em>Judith 5, 21</em>). Mais le général méprise cet avertissement : selon lui, Nabuchodonosor est un dieu bien plus puissant que le dieu d’Israël (<em>Judith 6, 2</em>).</p>
<p>Pour punir Akhior de l’insolence de ses propos, Holopherne ordonne à ses hommes de ligoter l’officier et d’aller l’abandonner au pied de la colline où s’élève la ville de Béthulie. Une localité juive, inconnue par ailleurs, sans doute inventée par l’auteur.</p>
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À lire aussi :
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<p>Akhior est recueilli et bien traité par les habitants, tandis qu’Holopherne commence le siège de la ville. Bientôt la population n’a plus de quoi se nourrir et envisage de se rendre à l’ennemi.</p>
<h2>Et Dieu créa Judith</h2>
<p>C’est alors qu’intervient une belle veuve nommée Judith. Pourquoi une veuve ? L’auteur veut souligner le fait qu’elle échappe à toute tutelle masculine dans un cadre matrimonial. C’est une femme libérée de la domination des hommes, mais non de Dieu. Judith possède aussi une expérience qui va lui permettre de mener à bien sa mission. De plus, comme les filles juives étaient alors mariées dès l’adolescence, il n’est pas difficile pour le lecteur d’imaginer une jeune et pimpante veuve.</p>
<p>Judith prend la parole : elle prédit aux habitants de Béthulie leur prochain salut, car, dit-elle, « le Seigneur visitera Israël par mon entremise (<em>Judith 8, 33</em>) ». Après une prière, accompagnée de sa servante, la veuve quitte Béthulie pour se rendre dans le camp ennemi. Elle est vêtue comme pour un jour de fête. Elle s’est enduit le corps d’un baume parfumé, a entouré sa chevelure d’un bandeau, a chaussé des sandales, mis « ses colliers, ses bracelets, ses bagues, ses boucles d’oreilles et toutes ses parures » (<em>Judith 10, 4</em>).</p>
<p>Parfum, coiffure et bijoux contribuent à façonner une figure prête à séduire, de la tête aux pieds, « les yeux des hommes qui la verraient ».</p>
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<span class="caption">Judith et Holopherne. Tableau de Lucas Cranach l’Ancien, vers 1530. Jagdschloss Grunewald.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Judith_mit_dem_Haupt_des_Holofernes.jpg">Wikimedia</a></span>
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<h2>L’appât féminin</h2>
<p>Quand elle se présente à l’entrée du camp ennemi dans cet irrésistible accoutrement, la jeune femme attire aussitôt tous les regards. Subjugué par l’appât, Holopherne l’invite à entrer dans sa tente, comme un cheval de Troie féminin. Assurée de son succès, la sublime veuve se permet une touche d’ironie : « Dieu m’a envoyée réaliser avec toi des affaires dont toute la terre sera stupéfaite », lance-t-elle à sa proie (<em>Judith 11, 16</em>).</p>
<p>Après un banquet bien arrosé, Holopherne, ivre, s’assoupit. L’assistance se retire, laissant le chef seul avec Judith. La belle soulève la lourde épée que le général a déposée près de son lit. Elle saisit Holopherne par les cheveux et, frappant de toutes ses forces, lui tranche le cou. Puis elle sort de la tente et confie la tête à sa suivante qui la met dans son sac.</p>
<p>Toutes deux s’en retournent alors à Béthulie avec leur trophée. Ravis de cet exploit, les assiégés accrochent la tête d’Holopherne à la muraille de la ville. Lorsqu’ils découvrent l’assassinat de leur chef, les ennemis, frappés de stupeur, se hâtent d’abandonner leur camp.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=656&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=656&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=656&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=825&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=825&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=825&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Judith. Tableau de Gustav Klimt, 1901. Musée du Belvédère, Vienne. Détail.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Judith_et_Holopherne_(Klimt)#/media/Fichier:Gustav_Klimt_039.jpg">Wikimedia</a></span>
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<h2>La belle tueuse</h2>
<p>Bien après l’Antiquité, le livre de Judith fascina nombre de lecteurs et d’artistes. Son attrait repose notamment sur le renversement de situation qu’il opère entre le dominant et le prétendu faible, qui sort finalement vainqueur de la confrontation.</p>
<p>Ce schéma asymétrique est comparable au duel entre le jeune David et le géant Goliath, thème biblique qui connut un engouement similaire.</p>
<p>La figure de Judith rencontra aussi un grand succès en raison des deux thèmes, en apparence contradictoires, qui fusionnent en elle : la séduction et la mort. Elle incarne la femme dangereuse, mais dans un sens positif, car elle agit pour la bonne cause. C’est une sorte de Salomé inversée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/salome-itineraire-dune-jeune-fille-impudique-155245">Salomé : itinéraire d’une jeune fille impudique</a>
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<p>À partir du XV<sup>e</sup> siècle, la veuve de Béthulie devint un sujet d’inspiration pour nombre de peintres, comme le Caravage (vers 1598-1602) qui la représente en train de décapiter sa proie.</p>
<p>Sandro Botticelli préfère montrer les conséquences de l’acte : l’effroi des officiers d’Holopherne découvrant le corps amputé de leur maître, ou encore Judith rentrant à Béthulie, suivie de sa servante qui porte la tête d’Holopherne sur sa propre tête, comme une femme revenant du marché.</p>
<p>On ne compte pas les nombreuses Judith posant en compagnie de leur macabre trophée, de Lucas Cranach l’Ancien (vers 1530) à Gustav Klimt (1901). Quant à Franz von Stuck (1927), il choisit d’illustrer l’instant fatidique où la lame tranchante va s’abattre sur le cou du chef ennemi.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le retour de Judith à Béthulie. Tableau de Sandro Botticelli, vers 1470. Galerie des Offices, Florence.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/84/Sandro_Botticelli_-_Retour_de_Judith_1.JPG">Wikimedia</a></span>
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<h2>L’odalisque armée</h2>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, Benjamin Constant, suivant la mode orientaliste du moment, imagine une odalisque aux longs cheveux noirs, sertie de bijoux, et armée d’un puissant cimeterre.</p>
<p>Le livre de Judith inspira aussi Flaubert. Comme l’héroïne de Béthulie, <a href="https://books.openedition.org/pufc/1584">Salammbô pénètre dans la tente de l’ennemi, dans le chapitre 11</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Au chevet du lit, un poignard s’étalait sur une table de cyprès ; la vue de cette lame luisante l’enflamma d’une envie sanguinaire ».</p>
</blockquote>
<p>La Carthaginoise songe un instant à tuer Mâtho endormi, avant de se raviser.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jeux-erotiques-de-salammbo-et-de-son-python-fetiche-157618">Les jeux érotiques de Salammbô et de son python fétiche</a>
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<p>Dans l’imaginaire occidental de l’époque, toutes ces figures de femmes fatales, de Judith à Salammbô, en passant par Salomé, se rejoignent et se confondent en un même rêve d’Orient érotique et cruel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185237/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La figure de Judith rencontra aussi un grand succès en raison des deux thèmes, en apparence contradictoires, qui fusionnent en elle : la séduction et la mort.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1836642022-05-26T19:04:28Z2022-05-26T19:04:28ZCoucher avec Cléopâtre… et mourir<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/465315/original/file-20220525-13-gwnatn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C17%2C613%2C469&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sophia Loren en Cléopâtre dans « Deux nuits avec Cléopâtre », 1953.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://ivannature.blogspot.com/2012/03/lay-down_16.html">ivannature</a></span></figcaption></figure><p>Cléopâtre « était si belle que beaucoup d’hommes achetèrent de leur vie la faveur de passer une nuit avec elle (« Tantae pulchritudinis, ut multi noctem illius morte emerint »), peut-on lire sous la plume de l’auteur anonyme du <em>De viris illustribus</em> (<em>Au sujet des hommes illustres</em> 86, 2), un ouvrage latin du IV<sup>e</sup> s. apr. J.-C. qui fut parfois attribué à Aurelius Victor.</p>
<p>Ainsi, la célèbre reine d’Égypte (69-30 av. J.-C.) ne se serait pas contentée de coucher avec ses admirateurs, elle les aurait aussi faits tuer, <a href="https://www.geo.fr/environnement/pour-survivre-des-araignees-males-se-catapultent-apres-laccouplement-209514">à la manière d’une araignée</a> ou d’une mante religieuse pratiquant le cannibalisme sexuel.</p>
<h2>La putain charismatique</h2>
<p>Ce court passage inspira Alexandre Pouchkine dans ses <em>Nuits égyptiennes</em> (1835). Dans cette œuvre, un poète italien installé en Russie est chargé, lors d’une élégante soirée, d’improviser un poème sur le thème : « Cléopâtre et ses amants ». Il imagine une <a href="https://www.cairn.info/revue-romantisme-2012-2-page-123.htm">putain charismatique</a> qui tout en se prostituant n’en reste pas moins dans une position radicalement supérieure à ses clients qu’elle anéantit après leur avoir procuré des plaisirs divins.</p>
<p>À son tour, Théophile Gautier reprit ce thème dans sa nouvelle intitulée <em>Une nuit de Cléopâtre</em> (1838). La reine, qui fait commerce d’elle-même, y offre à un jeune Égyptien, nommé Meïamoun la félicité suprême mais éphémère de passer une nuit dans ses bras. Il pourra jouir pleinement du corps de la souveraine, assouvir ses rêves les plus intimes, mais à une seule condition : en <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/amoureuse-martyre-ou-prostituee-les-100-visages-de-cleopatre-7771465">payer ensuite le prix extrême</a>. Le lendemain matin, il recevra une coupe de poison qu’il devra avaler. Sa mort sera le salaire de Cléopâtre <a href="https://mediterranees.net/romans/cleopatre/chapitre_1.html">pour cette coucherie orgiaque</a>.</p>
<p>Au moment où Meïamoun avale le puissant poison qu’elle lui fait apporter, la sublime Cléopâtre, un peu émue, baisse la tête et verse « une larme brûlante, la seule qu’elle ait versée de sa vie ». Sans doute n’a-t-elle pas été totalement indifférente à la fougue du jeune Meïamoun. La prostituée aurait-elle tiré du plaisir des extases de son client ? Mais elle sort vite de ce regret passager. Lorsque retentit le signal de l’arrivée de Marc Antoine, le chef romain avec lequel elle vit maritalement, elle retrouve aussitôt sa parfaite insensibilité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465317/original/file-20220525-12-9xdlly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465317/original/file-20220525-12-9xdlly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465317/original/file-20220525-12-9xdlly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465317/original/file-20220525-12-9xdlly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465317/original/file-20220525-12-9xdlly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465317/original/file-20220525-12-9xdlly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465317/original/file-20220525-12-9xdlly.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Meïamoun s’agenouille devant Cléopâtre. Illustration de Paul Avril, 1894.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b22002038/f20.item.zoom">Gallica</a></span>
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<h2>Deux nuits avec Sophia Loren</h2>
<p>Dans <em>Due notti con Cleopatra</em> (<em>Deux nuits avec Cléopâtre</em>, 1953), film comique de Mario Mattoli, dont le titre constitue une référence ironique à la nouvelle de Théophile Gautier, Sophia Loren, pulpeuse incarnation de Cléopâtre, prend pour amants ses gardes du corps. Au petit matin, elle les fait systématiquement exécuter, leur première nuit d’amour devant aussi être la dernière. Par ce procédé cruel, la reine peut se vanter de n’avoir aucun amant, du moins en vie !</p>
<p>Un des hommes de la reine, nommé Cesarino, interprété par Alberto Sordi, passe une nuit avec Nisca, sosie de la reine et servante (également jouée par Sophia Loren), qu’il prend pour Cléopâtre. N’ayant pas fait l’amour avec la véritable souveraine, il n’est pas mis à mort. C’est seulement dans un second temps que Cesarino couche avec l’authentique Cléopâtre. Mais il échappe à la peine capitale. Après avoir réussi à enivrer la reine, il prend la fuite avec Nisca. Tout est bien qui finit bien. Le film offrant une parodie du thème de la femme fatale, cher aux auteurs du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Récemment, la figure de Cléopâtre a également fait son entrée dans l’univers des jeux vidéo. Les concepteurs d’<em>Assassin’s Creed Origins</em>, sorti en octobre 2017, ont choisi comme point de départ la guerre civile qui opposa la reine à son jeune frère Ptolémée XIII, en 49-47 av. J.-C. Le jeu fut suivi, en 2018, d’un <em>Discovery Tour</em>, à but autant ludique que pédagogique, qui propose une promenade culturelle à Alexandrie, dans la vallée du Nil et en Cyrénaïque.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-assassins-creed-origins-une-antiquite-mondialement-correcte-107639">Dans « Assassin’s Creed Origins », une Antiquité « mondialement correcte »</a>
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<p>On note cependant la présence d’éléments tirés non de l’histoire de Cléopâtre, mais du mythe de la femme fatale. Ainsi, dans une cinématique, la reine se dit prête à passer la nuit avec tout homme qui accepterait de se faire exécuter le lendemain matin (« I will sleep with anyone ! As long as they agree to be executed in the morning »).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/J7ZTNZu5XLA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>C’est donc une référence à Pouchkine, à Gautier et à Sophia Loren en Cléopâtre ! Preuve que les fantasmes collent à la peau de la reine d’Égypte de manière presque indélébile.</p>
<h2>Mort et orgasme de Cléopâtre</h2>
<p>Dans la figure fantasmée de Cléopâtre se mêlent plaisir et cruauté, amour et mort. Si la reine élimine ses amants, elle finit aussi par se tuer elle-même. Son suicide connut un extraordinaire succès dans l’art de la fin du Moyen Age à nos jours.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465318/original/file-20220525-16-584s9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465318/original/file-20220525-16-584s9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=641&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465318/original/file-20220525-16-584s9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=641&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465318/original/file-20220525-16-584s9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=641&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465318/original/file-20220525-16-584s9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=806&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465318/original/file-20220525-16-584s9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=806&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465318/original/file-20220525-16-584s9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=806&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Enluminure d’un manuscrit de Boccace, vers 1480.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pinterest.fr/pin/752241943986917195/">British library</a></span>
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<p>La représentation de la mort de Cléopâtre est fortement érotisée, comme le montre une enluminure d’un manuscrit de Boccace (1313-1375), aujourd’hui à la <em>British Library</em>, à Londres. L’artiste a peint Cléopâtre en train de se faire mordre les tétons par deux serpents. C’est la première fois, autant qu’on puisse le savoir, que la morsure est ainsi déplacée au niveau des seins, alors que Plutarque écrit pourtant que la reine a été mordue au bras. Le but de l’artiste était de rendre ce suicide encore plus érotique.</p>
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<img alt="Wikipedia" src="https://images.theconversation.com/files/465319/original/file-20220525-16-44gku4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465319/original/file-20220525-16-44gku4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=712&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465319/original/file-20220525-16-44gku4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=712&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465319/original/file-20220525-16-44gku4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=712&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465319/original/file-20220525-16-44gku4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=894&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465319/original/file-20220525-16-44gku4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=894&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465319/original/file-20220525-16-44gku4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=894&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cléopâtre se donnant la mort. Tableau de Claude Vignon, XVIIᵉ siècle, Musée des Beaux-Arts, Rennes.</span>
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</figure>
<p>Le serpent devient, par la même occasion, un symbole phallique entrant en contact avec la poitrine dénudée de la reine. On retrouve ce thème dans la peinture occidentale du XVI<sup>e</sup> jusqu’à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. La mort de Cléopâtre se confond avec un orgasme chez Guido Reni, Guido Cagnacci, Claude Vignon, Hans Makart, Reginald Arthur et bien d’autres encore. La reine paraît s’abandonner à l’ultime jouissance que lui procure le ou les reptiles phalliques qui lui dévorent les seins. Le venin mortel remplaçant le sperme, c’est un érotisme ambigu et sadique qui se dégage de ces œuvres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jeux-erotiques-de-salammbo-et-de-son-python-fetiche-157618">Les jeux érotiques de Salammbô et de son python fétiche</a>
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<p>Dans son drame <em>Antoine et Cléopâtre</em> (1607), Shakespeare fait référence à la peinture de son époque : lorsque le paysan apporte à la reine le reptile, instrument de son suicide, il lance ironiquement : « Je vous souhaite beaucoup de plaisir avec le serpent » (« I wish you all joy of the worm »).</p>
<h2>Érotisme nécrophile</h2>
<p>Dans la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, certains peintres préfèrent des compositions d’apparence moins troublée, mais tout aussi cruelles : ils montrent non l’instant très tendu qui précède la mort, mais la minute qui suit le suicide parfaitement orchestré.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465320/original/file-20220525-18-ecp8vd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465320/original/file-20220525-18-ecp8vd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465320/original/file-20220525-18-ecp8vd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465320/original/file-20220525-18-ecp8vd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465320/original/file-20220525-18-ecp8vd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465320/original/file-20220525-18-ecp8vd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465320/original/file-20220525-18-ecp8vd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>La mort de Cléopâtre</em>. Tableau de Jean-André Rixens, 1874. Musée des Augustins, Toulouse.</span>
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<p>Il en résulte un érotisme nécrophile, comme sur le célèbre tableau de Jean-André Rixens, en 1874. On y voit le corps nu de la reine morte, très belle selon les canons de l’époque. Mais sa peau inerte est déjà d’une blancheur toute cadavérique qui contraste avec sa chevelure d’un noir intense. Dans un style orientaliste, alors en vogue en Europe, la reine prend la pose d’une odalisque défunte. Son cadavre érotique excite le désir du spectateur et voyeur, tout en le plongeant <a href="https://penelope.uchicago.edu/%7Egrout/encyclopaedia_romana/miscellanea/cleopatra/rixens.html">dans un monde lointain et fantasmé</a>.</p>
<h2>Cleopatra Varela</h2>
<p>À l’extrême fin du XX<sup>e</sup> siècle, l’intérêt du grand public pour la figure de Cléopâtre fut relancé par un téléfilm en deux parties, réalisé par Franc Roddam, qui connut un large succès. Le rôle de la reine, toujours impeccablement fardée et vêtue de tenues égyptiennes dorées, <a href="https://before-a-million-universes.tumblr.com/post/135147806167/catalina-de-aragon-women-of-egypt-cleopatra/amp">assura à Leonor Varela une renommée internationale</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/465321/original/file-20220525-25-908vka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465321/original/file-20220525-25-908vka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465321/original/file-20220525-25-908vka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465321/original/file-20220525-25-908vka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465321/original/file-20220525-25-908vka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465321/original/file-20220525-25-908vka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465321/original/file-20220525-25-908vka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465321/original/file-20220525-25-908vka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Leonor Varela en Cléopâtre, dans le téléfilm Cléopâtre, 1999. légende.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=jS8_ViaFX0k](https://www.youtube.com/watch?v=jS8_ViaFX0k">YouTube</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’actrice offre une transposition filmique des Cléopâtre littéraires et picturales. Elle incarne une reine courageuse qui met fin à ses jours, au terme d’un face-à-face avec le serpent fatal, offrant une ultime scène d’érotisme aussi éclatant que trouble. Comme le paysan de Shakespeare, le spectateur se prend à souhaiter à Cléopâtre « beaucoup de plaisir avec le serpent » !</p>
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<p><em>Christian-Georges Schwentzel est l’auteur de « Cléopâtre, la déesse-reine », aux éditions Payot.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le thème d’une reine cruelle, faisant assassiner ses amants après ses ébats, a rencontré un grand succès dans la littérature et au cinéma, alimentant sa légende noire.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1756712022-02-01T19:12:08Z2022-02-01T19:12:08ZComment l’école a façonné notre image de Molière<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/442727/original/file-20220126-17-oe9sn2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C107%2C2041%2C1554&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Molière et Goudouli, par Édouard Debat-Ponsan, peinture exposée au Capitole de Toulouse.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9e/Capitole_Toulouse_-_Salle_du_Conseil_municipal_-_Moli%C3%A8re_et_Goudouli_-_Debat-Ponsan_1907_-_Detail.jpg">Public domain, via Wikimedia Commons</a></span></figcaption></figure><p>Dans les manuels scolaires d’aujourd’hui, deux images de Molière coexistent souvent : d’un côté celle du <a href="https://art.rmngp.fr/en/library/artworks/charles-antoine-coypel_antoine-coypel_moliere-a-sa-table-de-travail">Molière écrivant</a> de Charles-Antoine Coypel, de l’autre celle du <a href="https://art.rmngp.fr/en/library/artworks/claude-simonin_le-vray-portrait-de-mr-de-moliere-en-habit-de-sganarelle_estampe-technique">Molière en habit de Sganarelle</a> de Claude Simonin.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Molière selon Antoine Coypel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Molier_(dzie%C5%82a)_Portret.png">Antoine Coypel, Public domain, via Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>La première iconographie permet de vénérer la <a href="https://journals.openedition.org/recherchestravaux/934?lang=de">double image de Molière</a> : celle du grand auteur français, représentant de notre pays, donné à voir en plein travail, la plume à la main ; et celle d’un homme dont les traits réguliers seraient censés refléter les qualités de l’âme. La seconde iconographie représente l’acteur en plein travail, le comédien qui endosse le rôle grimaçant du personnage de Sganarelle.</p>
<p>Si la première image s’est longtemps imposée dans les salles de classe, sa juxtaposition actuelle avec celle de <a href="https://moliere2022.org/">Molière</a> dans un rôle de valet comique nous rappelle combien la représentation de cet auteur majeur a évolué depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/10/12102020Article637380845099200146.aspx">dans les programmes scolaires</a>. En quoi le <a href="https://www.fabula.org/actualites/i-calleja-roque-moliere-un-heros-national-de-l-ecole_96748.php">Molière enseigné</a> à nos parents et grands-parents n’est-il plus tout à fait le même que celui que découvrent les élèves d’aujourd’hui ? Quelques éclairages historiques alors qu'on commémore la disparition de Molière, décédé <a href="https://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/1673-moliere-ne-meurt-pas-en-scene-escroc-17-02-2012-1432293_494.php">17 février 1673</a>. </p>
<h2>Molière écrivain</h2>
<p>Pour les auteurs des manuels d’avant 1880, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Biographies/Moliere">Molière</a> est déjà considéré comme le plus grand comique français ; il est la référence de la comédie classique, et s’il est incontournable, c’est en tant que représentant du rôle éducatif que celle-ci peut avoir pour la jeunesse, le rire moliéresque n’étant exploité que pour sa valeur axiologique, suivant la célèbre devise de la comédie « castigat ridendo mores » (corriger les mœurs par le rire).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Molière en costume de Sganarelle, Claude Simonin, 1660.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Moli%C3%A8re_as_Sganarelle.jpg">Claude Simonin (1635-1721), via Wikimedia Commons</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une première image du dramaturge est déjà mise en place : celle d’un portraitiste de grand talent. On le loue pour le naturel et la vivacité de son écriture, qu’il nous montre les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Fourberies_de_Scapin">stratagèmes d’un Scapin</a>, les hypocrisies d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Tartuffe_ou_l%27Imposteur">Tartuffe</a> ou la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C3%89cole_des_femmes">naïveté d’une Agnès</a>, et on voit en lui un grand observateur des mœurs de son temps. Ainsi, il est une valeur sûre du Grand siècle : son génie, c’est son écriture, et c’est en cela qu’il est un grand homme que loue l’école d’avant la grande réforme de 1880.</p>
<p>Ce sont les lycées républicains qui, à travers l’enseignement de la littérature, vont canoniser Molière comme le dramaturge classique par excellence. La naissance de l’enseignement de la littérature rejoint ainsi la constitution d’un patrimoine littéraire national dont Molière devient une des figures incontournables ; son œuvre, avec sa promotion de l’image de l’« honnête homme », apparaît alors comme un réservoir des vertus louées par la jeune République.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lit-on-autant-les-fables-de-la-fontaine-a-lecole-161521">Pourquoi lit-on autant les « Fables » de La Fontaine à l’école ?</a>
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<p>C’est à cette époque que <a href="https://www.fabula.org/actualites/i-calleja-roque-moliere-un-heros-national-de-l-ecole_96748.php">Molière devient un « bien national »</a>, un personnage clé de l’histoire identitaire de la France, dans le sens où il est le miroir de l’identité nationale et de l’idéal démocratique. Son œuvre est mise au service de la fonction à la fois éducative et patriotique de l’enseignement de la littérature, dont la visée première demeure la formation morale des élèves.</p>
<h2>Molière libre penseur</h2>
<p>Au cours de la période qui couvre les années 1925-1963, <a href="https://obvil.sorbonne-universite.fr/projets/projet-moliere">l’image de Molière</a> se consolide et évolue. Désormais, il devient un véritable personnage. On ne se contente plus de vénérer le plus grand comique français, on admire aussi, selon l’expression de Des Granges dans son <a href="https://www.abebooks.fr/rechercher-livre/titre/precis-de-litterature-francaise/auteur/des-granges/">Précis de littérature</a> de 1946 « l’homme de cœur », tolérant, fidèle, courageux et volontaire. On vante ses mérites à la manière de ceux d’un véritable héros.</p>
<p>À travers lui se cristallisent les caractéristiques de la visée humaniste qui imprègne le système éducatif de cette époque. Molière, en tant qu’homme, devient l’incarnation des valeurs patriotiques. En lui, se trouve illustré le pouvoir civilisateur de la littérature.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BP8wiE8Y5rg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Il y a 400 ans, naissait Molière : sur les traces du plus célèbre dramaturge français – avec une interview du professeur Georges Forestier et un reportage sur la mise en scène de Molière au Sénégal.</span></figcaption>
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<p>Il est donné comme un parfait exemple permettant de développer, comme on le dit encore dans les instructions officielles de 1953, « courage, honneur, loyauté, justice, tolérance, générosité, bonté, sagesse ». Véritable icône, héros à la réalité vivante, il incarne l’idéal de l’homme digne d’admiration, modèle éducatif donné en pâture à la jeunesse. Quant à son théâtre, il est toujours l’incarnation de valeurs éthiques.</p>
<p>Mais ce qui change, c’est que, maintenant, ses personnages, tout comme l’auteur, servent d’exemples pour analyser des situations de la vie réelle, susceptibles de déboucher sur une réflexion à tonalité éducative.</p>
<p>On admire Molière libre penseur. <em>Des Précieuses ridicules</em> à <em>Tartuffe</em>, de <em>L’Avare</em> au <em>Malade imaginaire</em>, on vante sa sagesse tout empreinte de naturel et de sincérité. On vénère son œuvre parce qu’elle est l’expression d’une leçon de morale sociale dont la famille est le centre de gravité. Les manuels de cette période ont fait de lui un être de chair et de sang, pour lequel ils provoquent l’empathie. Par-delà l’auteur patrimonial, figure identitaire de l’idéal démocratique, Molière est quasiment devenu un personnage romanesque.</p>
<h2>Molière homme de théâtre</h2>
<p>Au cours de la période qui couvre des années 1963 jusqu’à aujourd’hui, dans les manuels, Molière demeure le plus grand comique français, le maître de la comédie, incarnant à lui seul le rire du XVII<sup>e</sup> siècle. Sur les fondations de l’ancien mythe, s’est cependant greffée une nouvelle image, plus en accord avec l’évolution d’une histoire littéraire différente, laquelle s’intéresse à la vie quotidienne des hommes et à leurs pratiques culturelles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1481967437616758792"}"></div></p>
<p>Désormais, Molière n’est plus l’homme mélancolique, le contemplateur cher à l’époque romantique. À travers la référence à sa vocation précoce, à ses années d’errance et à sa mort « en scène », ce qu’on admire avant tout, c’est le praticien du théâtre. Figure identitaire de la France, l’auteur du <em>Bourgeois gentilhomme</em> l’est toujours, mais depuis la fin du XX<sup>e</sup> siècle, ce qu’on célèbre en lui, c’est l’écrivain qui incarne l’homme de théâtre par excellence ; c’est l’acteur populaire, le génial farceur qui a su séduire le Roi-Soleil, ainsi que le rappelle la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/le-cinema-des-cineastes-ariane-mnouchkine-pour-son-film-moliere-1ere-diffusion-01101978-0">fresque d’Ariane Mnouchkine</a> sortie en 1978.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-comedies-de-moliere-quon-etudie-encore-et-toujours-a-lecole-177473">Ces comédies de Molière qu’on étudie encore et toujours à l’école</a>
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<p>À travers lui, c’est <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/moliere-le-chien-et-le-loup/episode-2-l-esprit-de-troupe">l’image du comédien</a> qui est réhabilitée. C’est en tant que tel qu’il est sacralisé dans les manuels d’aujourd’hui, sa vie étant placée sous le signe du rire farcesque.</p>
<p>En lien avec cette nouvelle image, l’analyse des textes moliéresques s’est ouverte vers l’approche de la mise en scène et vers le jeu des acteurs. Depuis la fin du XX<sup>e</sup> siècle, c’est entre classicisme et modernité que se situe l’étude de Molière. On continue à prendre son œuvre comme support à une réflexion axée sur l’édification morale de l’élève mais la vision qu’on a de l’homme, de l’artiste qu’il était, a profondément changé.</p>
<p>Réhabilité en tant que comédien, génie du rire, depuis la fin du XX<sup>e</sup> siècle, le grand dramaturge devient dans les manuels un être quasiment atemporel, exemple parfait de l’artiste complet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Calleja-Roque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 17 février 1673 disparaissait Molière. Ses pièces continuent de résonner dans les écoles, mais le Molière qu'on enseigne aujourd'hui n'est plus tout à fait celui de nos grands-parents.Isabelle Calleja-Roque, Chercheuse en didactique de la littérature, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1699832021-11-16T15:40:32Z2021-11-16T15:40:32ZSix mythes et croyances sur les risques des vaccins contre la Covid-19 déboulonnés par un médecin-virologue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432052/original/file-20211115-17-jppvt6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C0%2C959%2C526&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il est important d'utiliser l'évidence scientifique afin de démystifier certaines croyances liées à la vaccination contre la Covid-19.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les principaux vaccins qui continuent à être administrés au Canada depuis la fin du printemps sont les <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/vaccination/piq-vaccins/covid-19-vaccin-a-arn-messager-contre-la-covid-19/">deux vaccins à ARNm, Pfizer-BioNTech et Moderna</a>. Je décortiquerai ainsi les mythes les entourant, ainsi que leurs effets indésirables potentiels.</p>
<p>En tant que médecin-virologue, j’estime qu’une bonne communication destinée à dissiper les doutes contribue à augmenter la confiance et l’adhésion du public sur la sécurité des vaccins anti-Covid-19.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/413613/original/file-20210728-25-1gbj1jy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/413613/original/file-20210728-25-1gbj1jy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/413613/original/file-20210728-25-1gbj1jy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/413613/original/file-20210728-25-1gbj1jy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/413613/original/file-20210728-25-1gbj1jy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/413613/original/file-20210728-25-1gbj1jy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/413613/original/file-20210728-25-1gbj1jy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/ca-fr/topics/confiance-dans-les-vaccins-au-canada-107062">Cliquez ici pour lire d’autres articles de notre série sur les vaccins</a></span>
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<p>Il importe donc de fournir une appréciation des bénéfices de la vaccination anti-Covid-19 en comparaison aux risques potentiels de la maladie à Covid-19 elle-même et de ses conséquences parfois graves. Il est essentiel de comparer les effets indésirables dont la gravité diffère d’une personne à une autre, y compris les risques potentiels minimes associés au vaccin anti-covid-19 avec les grands bienfaits de cette vaccination.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lhesitation-vaccinale-vue-par-un-chercheur-il-faut-mieux-expliquer-la-demarche-scientifique-165288">L’hésitation vaccinale vue par un chercheur : il faut mieux expliquer la démarche scientifique</a>
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<h2>Comment fonctionnent ces vaccins ?</h2>
<p>Les vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna sont tous deux des <a href="https://www.nature.com/articles/s41577-020-00479-7">vaccins à ARN messager (ARNm)</a> qui utilisent une technologie nouvelle. Le code de l’ARNm contenu dans ces nouveaux vaccins est analysé au niveau du cytoplasme (fluide semi-visqueux à l’intérieur d’une cellule) des cellules du système immunitaire de l’organisme. La traduction (processus durant lequel l’information contenue dans les molécules d’ARNm est utilisée pour construire des protéines) de ce code entraîne la synthèse d’une partie de la <a href="https://www.nature.com/articles/s41577-021-00526-x">« protéine spicule »</a> qui est identique à celle située à la surface du nouveau coronavirus.</p>
<p>La présence de cette protéine est suffisante pour que notre organisme apprenne à développer des anticorps spécifiques à cette composante du virus, déclenchant une réponse immunitaire. Ainsi, dans l’éventualité d’une « vraie » infection, le système immunitaire sera déjà prêt à neutraliser le virus et l’empêcher de se répandre dans l’organisme. La vaccination permet donc à l’organisme de développer, au préalable, des anticorps exclusifs à la protéine spicule du nouveau coronavirus, afin d’être capable de défendre l’organisme dès le début de l’infection en cas de contamination.</p>
<h2>Mythe # 1 : il y a de dangereux effets secondaires associés aux vaccins</h2>
<p>Comme tous les médicaments et autres vaccins, les vaccins contre la Covid-19 peuvent provoquer des effets secondaires. Il est néanmoins nécessaire d’éviter l’amalgame entre des effets indésirables très rares tels que les <a href="https://www.inspq.qc.ca/publications/3124-thromboses-astrazeneca-covishield">thromboses</a>, rapportées après la vaccination avec AstraZeneca et Johnson et Johnson, et les effets indésirables typiques qui sont rapportés après les vaccins Pfizer/BionTech ou Moderna.</p>
<p>Contrairement au vaccin Oxford-AstraZeneca, il n’y a <a href="https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/vaccines/safety/adverse-events.html">pas d’évidence claire</a> de cas de thromboses liés aux vaccins à ARNm (Pfizer/BionTech ou Moderna).</p>
<p>Bien que rares, certains effets néfastes relativement plus graves ont été observés à la suite de l’administration de vaccins à ARNm. Par exemple, certains cas de myocardite (inflammation du muscle cardiaque) ou de péricardite (inflammation de la membrane externe du cœur) ont été rapportés après la vaccination avec les vaccins de <a href="https://canadiensensante.gc.ca/recall-alert-rappel-avis/hc-sc/2021/75959a-fra.php">Pfizer/BionTech ou Moderna</a>.</p>
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<img alt="médecin combattant un groupe de cellules pathogènes contagieuses avec un gant de boxe" src="https://images.theconversation.com/files/432055/original/file-20211115-21-hs6d2a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432055/original/file-20211115-21-hs6d2a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432055/original/file-20211115-21-hs6d2a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432055/original/file-20211115-21-hs6d2a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432055/original/file-20211115-21-hs6d2a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432055/original/file-20211115-21-hs6d2a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432055/original/file-20211115-21-hs6d2a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le bénéfice de la vaccination est nettement supérieur au risque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Il importe de souligner que ces cas de myocardite et péricardite post-vaccination sont généralement légers à modérés et ils répondent bien aux anti-inflammatoires non stéroïdiens ; les patients atteints sont ainsi rarement hospitalisés et ne nécessitent habituellement qu’un suivi externe. En revanche, le risque de développer une <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1820708/covid-19-myocardite-risques-vaccination">myocardite au cours de la maladie à Covid-19</a> est approximativement 18 fois plus élevé que celui lié à la vaccination anti-Covid-19.</p>
<p>Il y aurait aussi quelques effets secondaires rarissimes – mais sous enquête – de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1814977/vaccination-pandemie-covid-coronavirus-paralyse">paralysie de Bell</a> et de <a href="https://www.lefigaro.fr/sciences/le-zona-un-effet-secondaire-inattendu-de-la-vaccination-20210427">zona</a> liés aux vaccins à ARNm. La paralysie de Bell se présente comme une faiblesse soudaine d’un côté du visage. Or, il importe également de préciser que, selon la base de données de pharmacovigilance de l’OMS, les vaccins à ARNm anti-Covid-19 n’entraîneraient pas d’augmentation du risque de contracter la paralysie faciale de Bell <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/2779389">par rapport à d’autres vaccins contre les maladies virales</a>.</p>
<p>On rapporte également des cas de zona chez certaines personnes ayant été vaccinées contre la Covid-19. En réalité, ces cas de zona (ou herpes zoster) sont survenus à cause de la <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/jmv.27036">réactivation du virus du zona</a> présent chez ces personnes qui portent ce virus (le même qui provoque la varicelle). Une fois qu’une personne contracte le virus de la varicelle, ce dernier persiste dans l’organisme pendant des années et le corps n’arrive pas à s’en débarrasser ; ce virus dormant peut se réactiver par la suite et être à l’origine des symptômes du zona. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33638924/">Des études suggèrent</a> que tant l’infection à la Covid-19 que la vaccination peuvent « réactiver » le virus de la varicelle présent dans le corps, provoquant ainsi l’apparition de zona de manière sporadique.</p>
<h2>Mythe # 2 : les vaccins à ARNm peuvent modifier notre code génétique</h2>
<p>L’ARN messager du vaccin constitue un vecteur intrinsèquement sécuritaire : il est transitoire et il ne représente qu’un simple porteur d’informations qui n’interagit pas avec l’ADN du récipiendaire du vaccin. C’est dans le noyau de la cellule que se trouve notre ADN (ou code génétique), qui est contenu dans le chromosome. L’ARNm du vaccin ne se retrouve pas dans le noyau et il ne peut pas interagir avec le chromosome. En effet, il demeure de manière temporaire dans le cytoplasme, où il agit seulement à titre de porteur d’informations génétiques pour la synthèse de la protéine spicule du virus ; cet ARNm est par la suite <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7076378/">dégradé au bout de quelques jours</a>.</p>
<h2>Mythe # 3 : les vaccins à ARNm contre la Covid-19 contiennent des adjuvants dangereux</h2>
<p>Les vaccins à ARN (Pfizer, Moderna) ou adénovirus (AstraZeneca et Johnson&Johnson), qui sont les premiers disponibles ou approuvés au Canada, n’ont pas besoin d’adjuvants. Un adjuvant est une substance que l’on ajoute dans certains vaccins dans le but de stimuler ou renforcer le système immunitaire. Ces substances sont en effet nécessaires pour améliorer l’efficacité des vaccins dits « classiques » (vaccins inactivés ou vaccins à protéine recombinante). Les adjuvants sont utilisés de manière <a href="https://www.cdc.gov/vaccinesafety/concerns/adjuvants.html">sécuritaire</a> dans la fabrication de vaccins depuis plusieurs décennies.</p>
<h2>Mythe # 4 : les vaccins ont des effets à long terme que l’on ne connaît pas</h2>
<p>De nombreuses personnes craignent de se faire vacciner en invoquant le manque de recul sur de possibles effets du vaccin à long terme. À l’heure actuelle, nous avons un recul de presque une année. Les chances de voir des effets indésirables surgir à long terme sont extrêmement faibles. Pour l’instant, après avoir administré des millions de doses de ces vaccins à ARNm dans plusieurs pays, il n’y a <a href="https://wexnermedical.osu.edu/blog/covid-19-vaccine-long-term-side-effects">pas encore de signalement en ce sens</a> à travers les registres mis en place pour la surveillance des différents effets liés à ces vaccins.</p>
<h2>Mythe # 5 : il n’est pas sécuritaire de recevoir le vaccin s’il y a des antécédents d’allergies sévères aux aliments ou aux médicaments</h2>
<p>Si vous avez des allergies qui ne sont pas liées à ces vaccins à ARNm, ni à leurs ingrédients, en particulier le <a href="https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/vaccines/recommendations/specific-groups/allergies.html">polyéthylène glycol ou PEG</a>, il est recommandé aux personnes de se faire vacciner sous surveillance et précautions, c’est-à-dire en milieu clinique avec observation post-vaccination pendant une période deux fois plus longue que pour les personnes sans histoire d’allergie. Ces antécédents incluent des allergies alimentaires, des allergies aux médicaments oraux, des allergies liées aux animaux, au venin, ou des allergies liées à certains facteurs environnementaux (ex. pollen) ou au latex.</p>
<p>En revanche, les personnes ayant des allergies sévères aux médicaments injectables doivent d’abord être évaluées par leur médecin traitant afin d’évaluer le pour ou le contre de se faire vacciner sous hautes précautions.</p>
<h2>Mythe # 6 : les vaccins contre la Covid-19 peuvent-ils causer la venue de variants du nouveau coronavirus ?</h2>
<p>Les vaccins contre la Covid-19 ne peuvent pas être à l’origine de nouveau variants. Au contraire, les vaccins peuvent empêcher que de nouveaux variants prennent naissance. Ces variants se développent lorsque le nouveau coronavirus se réplique pour générer de nouveaux virus, accumulant de nouvelles mutations (changements dans son code génétique). Plus le virus se répand et plus sa transmission est importante dans la population, plus il a de chance de muter et aboutir à un nouveau variant dangereux.</p>
<p>En se faisant vacciner, chacun fait sa part pour contribuer à empêcher la circulation du virus et, de par ce fait, diminuer l’émergence de nouveaux variants.</p>
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<p><em>Vous avez une question sur les vaccins Covid-19 ? Envoyez-nous un courriel à l’adresse <a href="mailto:ca-vaccination@theconversation.com">ca-vaccination@theconversation.com</a> et des experts répondront à vos questions dans les prochains articles.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169983/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Déclaration de conflits d’intérêt
Je n’ai aucun conflit d’intérêt, ni de subvention, ni de lien direct ou indirect avec les fabricants des vaccins cités dans le contenu de ce texte.
Voici les organismes ayant subventionnés mes recherches récemment :
L’Association médicale universitaire de l’Hôpital Montfort (AMUHM),
The Canadian Institutes of Health Research (CIHR),
Wits Reproductive Health and HIV Institute
BioLytical Laboratories, Inc
Level 42. Inc.</span></em></p>La communication et la vulgarisation de la preuve scientifique disponible permettent d’assurer la confiance du public envers la vaccination et de dissiper les inquiétudes potentielles.Hugues Loemba, Clinicien-chercheur, Virologue, et Professeur Agrégé de Médecine, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1581112021-04-08T18:08:41Z2021-04-08T18:08:41ZRobin des Bois, un héros instrumentalisé par les puissants ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/394037/original/file-20210408-13-8py9h5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C3%2C1162%2C670&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Robin Hood, Wolfgang Reitherman, Walt Disney Productions.</span> </figcaption></figure><p>L’une des plus importantes figures de contestation sociale de l’histoire de la littérature anglaise, et tout simplement de notre imaginaire collectif, est indéniablement Robin des Bois. Ses multiples et complexes origines mythologiques (<a href="https://www.encyclopedia.com/science/encyclopedias-almanacs-transcripts-and-maps/green-man"><em>Green Man</em></a>, homme sauvage, <em>trickster</em>) tendent d’ailleurs à s’effacer en faveur de la nature politique du personnage, qui illustre à merveille la notion développée par <a href="https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000a.htm">Karl Marx et Friedrich Engels</a> selon laquelle l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes. Or, c’est précisément de l’alignement politique de Robin des Bois dont il sera ici question et plus précisément de sa récupération politique au fil des siècles.</p>
<h2>Robin le Yeoman</h2>
<p>Bien avant d’être promu au rang de Prince des voleurs, Robin était surtout le héros/héraut d’une population soumise aux abus du régime féodal. Il a toujours volé aux riches pour donner aux pauvres, mais le programme politique des Joyeux Compagnons a progressivement été détourné de manière à embourgeoiser progressivement Robin et le couper du peuple.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393386/original/file-20210405-21-1j58p88.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Illustration de A Geste of Robyn Hode.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Oubliez donc tout ce que vous pensez savoir sur Robert de Loxley, comte de Huntington, laissez de côté ce que le cinéma vous a appris du personnage ! Dans les premières versions de la légende, orales d’abord, puis écrites ensuite, Robin ne fait aucunement partie de la haute société. Bien au contraire, c’est un yeoman : il appartient à une classe paysanne intermédiaire cultivant ses propres terres, une classe qui va même se militariser durant le XIV<sup>e</sup> siècle et qui va être connue pour son maniement de l’arc long. Il existe ainsi, vous en conviendrez, un lien très fort entre la classe sociale originelle de Robin et ses talents d’archer. Robin est donc un yeoman et il en va de même pour le genre littéraire mettant en scène ses premières aventures qui appartenaient à une tradition poétique elle-même yeoman, composée par des artistes et ménestrels itinérants.</p>
<p>Le narrateur de <a href="https://www.uga-editions.com/menu-principal/collections-et-revues/toutes-nos-collections/moyen-age-europeen/les-faits-et-gestes-de-robin-des-bois-252949.kjsp"><em>Robin des Bois et le potier</em></a> encadre d’ailleurs son récit par des références directes à son public (« Écoutez-moi, mes bons yeomen » ; « Puisse Dieu avoir pitié de l’âme de Robin et sauver tous les bons yeomen ! ») De même, <a href="https://www.uga-editions.com/menu-principal/collections-et-revues/toutes-nos-collections/moyen-age-europeen/les-faits-et-gestes-de-robin-des-bois-252949.kjsp"><em>La Geste de Robin des Bois</em></a>, premier récit écrit de la légende, affiche fièrement aux yeux de tous cet alignement politique de Robin et son appartenance à une classe de paysans libres, non sujets au servage : « Écoutez-moi bien, gentilshommes, vous qui avez du sang d’hommes libres. Je vais vous parler d’un bon yeoman, son nom était Robin des Bois. »</p>
<p>Robin et ses compagnons disposent donc d’une liberté accentuée par leur statut de hors-la-loi dans la mesure où ils s’opposent au régime féodal et choisissent de vivre en dehors des normes de la société. Violence, meurtres et vols ponctuent leurs actions mais toujours afin d’en faire profiter les plus démunis, qu’ils soient paysans ou chevaliers. Réfugiés dans la forêt (de Barnesdale d’abord puis de Sherwood dans les versions ultérieures de la légende), ils fuient les normes et développent un ordre social utopique nourrissant d’espoir les opprimés en incarnant une justice sociale potentielle.</p>
<h2>Médiatisation et récupération politique</h2>
<p>Les agitateurs ne sont que rarement bien vus par les classes dirigeantes, à moins qu’ils puissent servir leur propre agenda politique. Or, manipuler de cette façon une figure d’opposition populaire est délicat et ne se fait que rarement sans l’adroite assistance des médias.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Illustration du roman de Henry Gilbert, Robin Hood and the Men of the Greenwood (1912)" src="https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1090&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1090&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393387/original/file-20210405-17-g5ya8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1090&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le Roi unit Robin des Bois et Belle Marianne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Walter Crane</span></span>
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<p>Les aventures de Robin le Yeoman ont ainsi longtemps été transmises à l’oral, se développant et évoluant de bouche à oreille et échappant à toute forme de contrôle documentaire et de cristallisation littéraire. Le passage à l’écrit des aventures de Robin des Bois va cependant enclencher la longue récupération médiatique de Robin, puisqu’une fois couché sur papier, il va commencer à gagner en popularité au sein de classes à même de lire ses aventures, ce qui n’était pas toujours le cas des classes populaires.</p>
<p>On voit ainsi, dès le XV<sup>e</sup> siècle, des chroniqueurs entamer un travail de sape systématique qui va préparer son instrumentalisation. Durant les années 1440, Walter Bower précise par exemple que Robin est de loin <a href="http://portail-video.univ-lr.fr/Robin-des-Bois-noble-voleur-ou">« le plus célèbre meurtrier » et qu’il est célébré par « le peuple stupide »</a>. Pour Bower, c’est clairement la stupidité des classes populaires qui explique leur attachement à Robin des Bois.</p>
<p>Cette médiatisation par l’écrit permet plus tard une transformation radicale du mythe, puisque sous l’ère Tudor, Robin est tout bonnement anobli, perdant son statut de Yeoman pour devenir le célèbre Robert de Loxley dans les pièces de Anthony Munday de 1598 et 1599 (<em>La Chute</em> et <em>La mort de Robert, Comte de Huntington</em>). C’est à cette époque que Robin devient le héros avec lequel nous avons tous grandi, à savoir un noble en exil injustement traité par le Prince Jean durant l’absence de Richard Cœur de Lion. </p>
<p>Qu’importe le médium adaptant la légende de Robin des Bois (série télévisée, bande dessinée, roman, film…), c’est bien cette variante de l’histoire qui sera systématiquement mise en scène, soit une version dans laquelle Robin lutte non pas contre les classes dirigeantes mais bien pour elle. Il défend le pouvoir régalien, et se fait protecteur de l’ordre établi, s’éloignant au passage de son rôle archétypal de violeur d’interdits ; redistribuer des richesses aux pauvres perd d’ailleurs très vite de son importance si cela ne permet pas de nuire au Prince Jean…</p>
<p>Mais cela ne s’est pas arrêté en si bon chemin, puisque le hors-la-loi offrant un semblant de justice à petite échelle avait été suffisamment anobli aux XIX<sup>e</sup> siècle pour se faire, dans le roman <em>Ivanhoé</em> de Sir Walter Scott (publié en 1819), défenseur d’une forme ô combien polémique aujourd’hui d’<a href="https://www.thedailybeast.com/academics-are-at-war-over-racist-roots-of-anglo-saxon-studies">anglo-saxonisme</a>. Robin devient bien malgré lui un héros national(iste), dédié à la préservation de la nation britannique traditionnelle anglo-normande.</p>
<h2>Robin, noble voleur ou voleur des nobles</h2>
<p>Robin a subi une évolution progressive ayant fortement réaligné la nature politique du mythe afin de l’écarter de ses origines populaires. S’il continue bien de voler aux riches pour donner aux pauvres dans l’imaginaire collectif, le Robin du XXI<sup>e</sup> n’en reste pas moins problématique dans la mesure où l’on ne peut être sûr de savoir, <a href="https://www.lrb.co.uk/the-paper/v38/n04/james-meek/robin-hood-in-a-time-of-austerity">comme le remarque James Meek</a>, si « mes » riches et pauvres correspondent à « vos » riches et pauvres. Dans un monde globalisé et industrialisé ayant subordonné la nature, les campagnes et les forêts, les milieux financiers et industriels ont centralisé les populations et leurs récits fondateurs : caché dans la jungle urbaine, Robin est à présent récupéré sans rougir par les élites les plus conservatrices. </p>
<p>Steven Knight signale notamment que Donald Trump, alors candidat « hors système », a été un temps perçu par ses électeurs comme une figure de Robin des Bois, alors que Sean Penn nous vendait le narcotrafiquant Joaquín « El Chapo » Guzmán comme un « type de Robin des Bois » au service des populations du Sinaloa au Mexique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393388/original/file-20210405-17-a4p0tq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Donald Trump et Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse au G7 (2019)</span>
<span class="attribution"><span class="source">Office of U.S. Ambassador to France</span></span>
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<p>Le personnage de Robin des Bois semble avoir été réduit à un simple et unique mythème, celui de la redistribution des richesses, un mythème qu’il est facile de manipuler. La longue et lente médiatisation de Robin permet donc aujourd’hui aux politiques conservatrices d’inverser les rôles : les populations les plus démunies (sans emploi, réfugiés…) occupent à présent la place des nobles d’autrefois, vivant oisivement grâce aux impôts. Les classes populaires sont alors régulièrement accusées de vivre du travail des autres, soutenant par leurs contributions salariales une classe d’assistés. Dans cette version instrumentalisée du mythe, Robin des Bois se rapproche de <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/53470_1">Nigel Farage, Margaret Thatcher, Ronald Reagan ou Emmanuel Macron</a>. Le mythe médiéval qui consistait à redistribuer les richesses injustement captées par une classe dirigeante oisive a été récupéré par un imaginaire économique libéral.</p>
<p>Doit-on cependant en conclure que l’imaginaire des classes populaires a été corrompu par cette instrumentalisation ? Que la figure de contestation sociale qu’était Robin des Bois n’est plus ? Oui et non. L’ombre mythique du Robin des origines continue de planer, tant et si bien qu’il est toujours invoqué par les <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/pour-ruffin-macron-est-un-robin-des-bois-a-lenvers-1296918">partis de gauche et les mouvements antimondialisation</a> comme illustration du principe de redistribution des richesses.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"903904867235844097"}"></div></p>
<p>Mais le plus important n’est pas là, puisque c’est en d’autres mains que repose l’avenir de Robin. Qu’on le veuille ou non, Robin des Bois continue de parler aux enfants sous sa forme la plus pure, débarrassée de ses oripeaux politiques, grâce à ses diverses adaptations. Il entretient dans les esprits des enfants sages les notions de justice sociale et de possibilité de révolte. Et à en croire Jean‑Paul Sartre, ce sont justement les enfants sages qui font les révolutionnaires les plus terribles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158111/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Fruoco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Bien avant d’être promu au rang de Prince des voleurs, Robin était surtout le héros/héraut d’une population soumise aux abus du régime féodal.Jonathan Fruoco, Chercheur associé, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1576172021-03-26T14:03:48Z2021-03-26T14:03:48Z« Black Blanc Beur » : le corps des héros et la fin d’un mythe<p>Ces deux images nous rappellent de bons souvenirs : la liesse des joueurs de l’équipe de France de football à vingt ans d’intervalle. Ces corps qui exultent viennent de conquérir le Graal suprême : la Coupe du monde.</p>
<p>À ces corps en joie s’ajouteront d’autres corps, ceux des supporters en folie, rassemblés au soir de ces victoires. La fête fut belle le 12 juillet 1998, surprenante, vivifiante, fraternelle. Elle sera certes plus convenue en 2018, mais le bonheur était aussi au rendez-vous.</p>
<p>Après les concerts humanitaires et <a href="https://journals.openedition.org/jda/1999">antiracistes</a> des années 80, le football est devenu l’une des principales occasions de faire la fête, une fête multiculturelle de surcroît. Les occasions n’ont pas manqué en vingt ans : les Français y ont pris goût et en redemandent. Ces moments intenses et positifs qui contrebalancent les chiffres alarmants, les drames ou les inquiétudes sont de véritables aubaines pour les historiens du temps présent qui s’intéressent aux migrations et altérités.</p>
<p>Ainsi la victoire de 2018, dernière grande fête avant la crise du Covid permet de mesurer le chemin parcouru dans le rapport à l’altérité. D’autant qu’elle s’est inscrite dans le cadre de la commémoration un peu feutrée de la victoire de 1998 comme cela avait déjà été le cas en 2008. Vingt ans tout juste, le temps d’une génération ou presque.</p>
<p>Le 12 juillet 1998 a provoqué un réel effet sur la société, ne serait-ce que parce qu’on s’en souvient avec autant d’intensité et que la fête de 2018 s’est nourrie de celle qui s’est déroulée vingt ans plus tôt avec un brin de nostalgie, car, pour beaucoup, l’explosion de joie avait été largement plus intense le 12 juillet 1998 et les jours suivants.</p>
<h2>« Black Blanc Beur », une mythologie de notre temps</h2>
<p>L’effet 98 a surtout porté sur les <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/condition-de-lhomme-global-9782228909853">imaginaires collectifs</a> : qu’on le veuille ou non, malgré le racisme toujours ambiant, les consciences ont évolué en matière de rapport à l’altérité en France.</p>
<p>À la fin des années quatre-vingt-dix, cette victoire a permis de célébrer l’intégration républicaine, notion très en vogue à l’époque tant dans les médias que dans les politiques publiques. Le <a href="http://archives.hci.gouv.fr/">Haut Conseil à l’Intégration</a> créé en 1989 (et dissout en 2012), alors dirigé par Simone Veil, promeut cette notion.</p>
<p>S’imposant comme une véritable mythologie dans le sens où il vient symboliser l’idéal d’une société multiculturelle guide de toute une génération, le slogan « Black Blanc Beur » devient l’emblème d’une France plurielle, unie, nourrie de ses multiples composantes rassemblées pour l’honneur de la Nation derrière <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2008-1-page-49.htm">son meilleur représentant</a> : le fils de <a href="https://www.decitre.fr/livres/who-s-who-les-champions-sportifs-a-l-epreuve-des-colonisations-et-des-migrations-textes-en-francais-et-anglais-9782371250260.html">travailleurs immigrés algériens</a> Zinedine Zidane.</p>
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<figcaption><span class="caption">Réaction du leader du FN, JEAN MARIE LE PEN, après que l’equipe nationale de football se soit qualifiée pour les ½ finales de l’Euro 96 en battant hier soir l’equipe de Pays Bas, INA Sport.</span></figcaption>
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<p>Si les questions qui se posent sont d’ordre politique et social, dans les imaginaires, c’est bien le corps de « l’Autre » qui importe. En visuel, l’image de ces « Noirs » et « Arabes » qui portent le maillot bleu met parfaitement en scène le processus d’hybridation assumé par la République au grand dam d’un Jean‑Marie Le Pen qui en juin 1996, avait déclaré lors de l’Euro au cours duquel le Onze de France avait échoué en demi-finale que cette équipe ne peut pouvait dignement représenter la France compte tenu de la couleur de peau de la plupart des joueurs.</p>
<p>On pourra arguer que l’après 98 n’a pas été à la <a href="https://livre.fnac.com/a2238727/Yvan-Gastaut-Le-Metissage-par-le-foot">hauteur des espérances d’une société ouverte</a>, entrevue sur une séquence – assez longue – allant de la victoire de 98 jusqu’à celle de l’Euro 2000.</p>
<h2>Un long feuilleton</h2>
<p>En effet, la route qui mène à 2018 sera longue et douloureuse, la preuve que le football n’est pas un outil si simple à manipuler. Le désastreux match amical <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2008-1-page-49.htm">France-Algérie d’octobre 2001</a>) (<em>Marseillaise</em> sifflée, terrain envahi, match arrêté, le seul de toute l’histoire des Bleus) et la présence de Jean‑Marie Le Pen au second tour de l’élection de 2002 couplés avec l’échec cuisant en Coupe du monde cette année-là ont été le point de départ de vicissitudes dans le rapport de la France et de son équipe de football en lien avec questions liées à « l’immigration » : image détériorée des joueurs, échec des entraîneurs, désarroi généralisé.</p>
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<figcaption><span class="caption">retour sur le match amical France-Algérie en 2001 (TFI).</span></figcaption>
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<p>Il s’agit du début d’un feuilleton qui se poursuivra par le fâcheux « coup de boule » de Zinedine Zidane en guise de spectaculaire conclusion de sa carrière de joueur lors de la finale de coupe du monde de 2006 dont on dit qu’il avait porté une terrible atteinte à l’image du football dans les “banlieues” quelques mois après les émeutes de 2005.</p>
<p>Cet incident si commenté sur la nature même de ce que représente Zinedine Zidane n’annonce-t-il pas <a href="https://330prod.com/my-product/le-k-benzema/">« l’affaire Benzema »</a> qui pollue l’action pour efficace du sélectionneur Didier Deschamps depuis plusieurs années.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Coup de boule » de Zidane, INA.</span></figcaption>
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<p>Ecarté du groupe France depuis 2015 malgré ses formidables performances, Karim Benzema est sans doute la victime de son comportement mais aussi, peut-être, d’un certain nombre de préjugés, <a href="https://www.francefootball.fr/news/Karim-benzema-et-l-equipe-de-france-un-feuilleton-sans-fin/1081074">défraie la chronique des Bleus</a>. Avant la coupe du Monde de 2018 on accusera même Didier Deschamps de racisme.</p>
<p>Ces épisodes s’apparentent à une succession de mise en scène de l’échec de l’intégration que les milieux politiques et l’opinion publique vont acter en 2012-2013. Chantre de cette notion en 1998, le football en devient le fossoyeur au gré de ces incidents et mésaventures qui passionnent les réseaux sociaux.</p>
<h2>Joueurs ou « racailles »</h2>
<p>Dans ce cadre, on ne peut, bien entendu, ignorer le précipice devant lequel le football français s’est dangereusement placé avec « l’affaire du bus de Knysna lors de la Coupe du monde de 2010 en Afrique du Sud qui s’est soldée par un cinglant échec sportif avec une équipe sans génie, ni ambition.</p>
<p>Pire, cette étonnante « grève des Bleus » refusant de sortir de leur bus en raison d’un conflit avec leur staff et en particulier le sélectionneur Raymond Domenech ayant renvoyé Nicolas Anelka pour <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/sport/l-equipe-contre-l-equipe-de-france_900644.html">comportement irrespectueux et insultant</a>, a profondément marqué les esprits. on a parlé de désamour de la France pour ses Bleus : quelle étrange descente aux enfers !</p>
<p>La lecture de leur « communiqué » par Domenech devant le bus, dans une ambiance de psychodrame et de délitement, est apparue comme le terrible aveu d’une incapacité à « vivre ensemble » au sein du groupe engendrant la forte déception de ses supporters. Mais aussi l’incapacité de « gérer » des jeunes à l’image de parvenus mal éduqués.</p>
<p>On ne parle alors plus que de « racailles » (nouvelle version des <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-suite-dans-les-idees/des-sauvageons-aux-racailles-une-lente-derive-de-la-justice-des">« sauvageons »</a> et de joueurs trop gâtés, insconscients, abrutis et surtout <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/comment-les-benzema-nasri-ou-ben-arfa-ont-rate-leur-reve-bleu-20210322">sans aucun respect</a> pour le maillot, le pays et de ses valeurs à l’image (en plus d’Anelka et de Benzema) d’un Hatem Ben Arfa, d’un Samir Nasri ou d’un Patrice Evra.</p>
<p>Loin des sommets de 1998, l’échec de 2010 est perçu comme un négatif, le revers de la médaille : Zinedine Zidane et ses coéquipiers, icônes de la politique française de l’intégration, ont été remplacés par ces « racailles » refusant tout compromis avec une France qu’ils ne portent pas dans leurs cœurs.</p>
<h2>« L’affaire des quotas »</h2>
<p>En 2010-11, alors que les plaies de la Coupe du monde sont loin d’être recousues, la question de la diversité est à nouveau mise à mal par l’« affaire des quotas ».</p>
<p>Dans le cadre d’une réunion technique au sein de la Fédération Française de Football, captée clandestinement et livrée au <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/tous-nos-articles-sur-laffaire-des-quotas-discriminatoires-dans-le-foot-francais">site Médiapart</a>, la conversation tourne autour de l’idée d’instaurer des quotas au sein de l’équipe de France afin d’éviter qu’un jour elle ne soit représentée à 100 % par des « Noirs » et « Arabes ».</p>
<p>La présence du nouveau sélectionneur des Bleus, Laurent Blanc, lors de cette réunion a suscité une intense polémique dans les médias et sur les réseaux sociaux. Les autorités du football français sont-elles racistes ? Au point d’œuvrer en coulisse pour éviter que trop d’enfants de migrants ne soient représentés au plus haut niveau pour des questions d’image et de symbole ? On retouve le questionnement très visuel sur ces corps altérisés ici : onze « noirs » et « arabes » peuvent-ils représenter la France ? Voilà l’enjeu et le débat, un retour aux allégations de Jean‑Marie Le Pen en 1996 en somme.</p>
<h2>Renouveau</h2>
<p>Puis la situation s’est éclaircie en grande partie grâce aux résultats positifs des Bleus à partir de la Coupe du monde de 2014. Malgré le pénible échec en finale de l’Euro 2016, la solidité du groupe France, l’apparition de nouveaux talent comme celui de Kylian MBappé (qui n’était pas né lors de la Coupe du monde 1998) et le fabuleux parcours de 2018 ponctué par la victoire finale face à la Croatie, incite l’historien à constater qu’il s’agit d’une seule et même histoire qui se déroule sous nos yeux depuis plus de vingt ans : celle du football comme théâtre des passions françaises en lien avec les questionnements identitaires.</p>
<p>Mais aussi celle de l’évolution des corps : les exploits d’un Paul Pogba, d’un Kylian MBappé, d’un N’Golo Kanté, d’un Prensel Kimpembé ou d’un Ferlant Mendy ne sont généralement pas salués à l’aune de leur origines ou de leur couleur de peau. Et si tel est le cas, l’accusation de racisme totalement absente dans un passé même proche (y compris en 1998) ne tarde pas à surgir.</p>
<p>Mais il y a un facteur décisif propre à l’essence même du football : au gré des bons ou mauvais résultats, le discours peut changer du tout au tout, preuve de la versatilité de l’opinion mais aussi de la fragilité des discours en la matière. L’assignation aux origines pourrait resurgir en cas de défaite ou de mauvais comportement des joueurs scrutés dans leurs moindres faits et geste par tout un univers médiatique qui vit à leurs dépens.</p>
<h2>Un mythe en remplace un autre</h2>
<p>Si le football ne peut pas tout endosser, il peut contribuer à constater que la notion d’intégration est tombée provisoirement ou définitivement en obsolescence et que la brillante épopée de l’équipe de France n’est plus célébrée à l’aune de la diversité des origines mais plutôt comme celle de Français à part entière.</p>
<p>Tous égaux au point de n’avoir pas d’origine déclarée comme le symbolise ce tweet du défenseur de Manchester City Benjamin Mendy qui en réponse à un internaute qui avait placé à côté de chacun des noms des Bleus le drapeau de leur pays d’origine. Celui-ci avait tout barré et remplacé chaque drapeau par le drapeau bleu blanc rouge.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1019269986282598403"}"></div></p>
<p>Une preuve que l’intégration n’est plus à la page et que le mythe « Black Blanc Beur » a fait long feu sans doute pour de bonnes raisons. Mais une mythologie en remplace une autre : place à celle de la fraternité républicaine. Avec des joueurs, convaincus ou pas, sommés de taire leur sensibilité pour les pays d’origine, de chanter la <em>Marseillaise</em> et de policer leur discours sur la cohésion du groupe.</p>
<p>Valeur républicaine quelque peu en souffrance, notamment en matière d’accueil des « migrants » envers lesquels la France est apparue plus intransigeante que ses voisins européens, la fraternité a toutefois retrouvé du souffle grâce à nos footballeurs et à Emmanuel Macron qui en a exploité le filon. Nos 23 héros, rangés comme un seul homme derrière leur entraîneur Didier Deschamps, affichent des valeurs « républicaines » clairement exposées qui se résument à un idéal de fraternité incarnant une France rassemblée au-delà de toutes les différences.</p>
<p>Voilà le nouveau crédo de 2018 dépoussiérant celui de 1998. Le football nous entraînera-t-il dans un post-racisme qui permettrait de ne plus distinguer les couleurs de peau ?</p>
<h2>Le football à l’ère « woke »</h2>
<p>Le football et plus largement le sport seraient ainsi à l’avant-garde du « color blindism » (la non reconnaissance de la différence de couleurs de la peau) à l’ère du « woke » à laquelle appartient précisément la génération MBappé. Cette ambition d’un « daltonisme racial » promouvant l’idée d’une société au sein de laquelle la <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2002-4-page-173.htm">couleur de peau serait insignifiante</a> n’est pas nouvelle, elle nous vient de théories élaborées aux États-Unis dans les années 60 dans le contexte du mouvement des droits civiques. Elle s’applique bien au monde du football, car tout entraîneur dira que lorsqu’il compose son équipe, les meilleurs éléments seront alignés sans distinction de « race ».</p>
<p>Il est vrai que les plus grands héros du sport et du football en particulier ont toujours eu cette exceptionnelle capacité à éteindre les assignations originelles pour prendre une dimension universelle.</p>
<p>Se rappelle-t-on que Pelé est « noir » ? Considère-t-on que Zinédine Zidane est « Arabe » ? Et aujourd’hui de quelle couleur est Kylian MBappé ? Non, ces joueurs exceptionnels dépassent ces clivages, leur statut de héros transcende les assignations à ce que peut représenter leur corps en action. Voilà la grande utilité du football de haut niveau : donner une autre image du corps en mêlant le particulier et l’universel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yvan Gastaut ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>1998-2018: qu’on le veuille ou non, malgré le racisme toujours ambiant, les consciences ont évolué en matière de rapport à l’altérité en France.Yvan Gastaut, Maître de conférences à l'UFR STAPS de l'université de Nice, Chercheur associé à TELEMME, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1562292021-03-04T19:14:27Z2021-03-04T19:14:27ZCassandre, la prophétesse qui disait toujours la vérité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/387090/original/file-20210301-18-owfbzw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C677%2C554&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Pythie de Delphes d’après John William Godward (_The Delphic Oracle_, 1899).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5f/Godward%2C_L%27Oracle_de_Delphes%2C_1899_%285613762473%29.jpg">Wikimédia</a></span></figcaption></figure><p>Qu’il s’agisse de l’épée de Damoclès, du tonneau des Danaïdes ou de la cuisse de Jupiter, les poncifs mythologiques abreuvent régulièrement les médias. Avec la crise sanitaire est apparue une nouvelle épidémie, celle des experts qui « jouent les Cassandre ».</p>
<p>Mais que sait-on de la célèbre princesse troyenne, douée du don de prophétie et cruellement jugée pour sa lucidité ?</p>
<p>Cassandre n’est pas un personnage historique, mais une figure de la mythologie grecque. Elle était la fille du roi de Troie Priam. Une beauté, dès son plus jeune âge, d’après la légende. Un jour, alors qu’elle s’était assoupie dans un temple, le dieu Apollon, excité à sa vue, la réveille et lui signifie qu’il apprécierait de faire l’amour avec elle. En échange de ses charmes et de sa virginité, il lui offre le pouvoir de deviner l’avenir. Cassandre accepte le marché. Elle reçoit le cadeau divin mais refuse ensuite de payer son dû.</p>
<p>Fâché, Apollon, demande alors à la jeune fille de ne lui accorder qu’un seul baiser. Mais au moment de l’embrasser, il lui crache dans la bouche. Ainsi, Cassandre sera une prophétesse inutile. Elle pourra conserver le don de prophétie, mais ne pourra jamais en faire aucun usage efficace, car nul humain ne croira en ses prédictions. Terrible malédiction ! Cassandre incarne l’être doué d’une extrême lucidité mais dans l’incapacité de la partager. Elle ne peut empêcher les malheurs qu’elle prédit, ni sauver ses proches dont elle prévoit la perte. Sa perspicacité est incommunicable.</p>
<p>Cassandre annonce aux Troyens que le cheval en bois, laissé par les Grecs sur le rivage de Troie, est un stratagème pour prendre la ville. Elle tente d’empêcher ses concitoyens d’introduire l’instrument de leur perte au sein de la cité. En vain. On la prend pour une folle.</p>
<p>Dans <em>Agamemnon</em>, tragédie d’Eschyle, la jeune fille, devenue la captive du vainqueur, le roi Agamemnon, s’exclame (vers 1171-1172) :</p>
<blockquote>
<p>« Rien n’a pu sauver Troie de sa ruine présente, et moi, toute enflammée du souffle divin, je serai bientôt étendue contre terre ! »</p>
</blockquote>
<p>La malheureuse ne peut s’empêcher d’entrevoir sa propre mort. Son don prophétique n’a pour seul effet que de la faire souffrir jusqu’à sa fin tragique qu’elle connaît d’avance. C’est une véritable torture quotidienne que lui a infligée Apollon.</p>
<h2>La sympathique hirondelle de La Fontaine</h2>
<p>Jean de La Fontaine a transposé Cassandre sous la forme d’une hirondelle dans sa fable <a href="http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/hiroiso.htm">« L’Hirondelle et les petits oiseaux »</a>.</p>
<p>Par pure sympathie, l’hirondelle met en garde des oisillons sur le danger qui les menace, alors qu’un paysan sème du chanvre non loin de leur nid. Sans effet :</p>
<blockquote>
<p>Les Oisillons, las de l’entendre,<br>
Se mirent à jaser aussi confusément<br>
Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre<br>
Ouvrait la bouche seulement.</p>
</blockquote>
<p>L’hirondelle, avatar de Cassandre, est pour le fabuliste une figure éminemment positive, à la fois douée d’une intelligence supérieure et d’une grande générosité. Ses conseils ne sont motivés que par son désir d’assurer le bonheur d’autrui.</p>
<h2>Prophétesse de malheur</h2>
<p>Aujourd’hui, par contre, et par un étonnant retournement, Cassandre est devenue synonyme de prophétesse de malheur, comme en témoignent de nombreux articles publiés récemment dans la presse.</p>
<p>L’expression « jouer les Cassandre » est utilisée pour désigner une personne qui profère des annonces exagérément dramatiques. Bien sûr, elle ne condamne pas Cassandre elle-même, mais plutôt ses imitateurs non qualifiés. La princesse troyenne de la mythologie ne s’en trouve pas moins associée à vision très pessimiste de l’avenir.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1268&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1268&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1268&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1594&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1594&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387780/original/file-20210304-23-l99mn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1594&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La Pythie de Delphes d’après John Collier (1891).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est dans ce sens totalement négatif que le <a href="https://www.theguardian.com/world/2015/jan/26/alexis-tsiprass-victory-speech-cassandra-myth-greek-elections">premier ministre grec Alexis Tsipras</a> fait référence à la prophétesse lors d’un discours tenu après sa victoire en 2015 : « Le nouveau gouvernement grec, affirme-t-il, va prouver que toutes les Cassandre du monde ont tort. »</p>
<p>Tsipras entendait ainsi dénoncer les politiciens et banquiers qui prévoyaient l’effondrement économique de la Grèce. Sauf que les qualifier de « Cassandre » revenait en fait à leur donner raison. Car Cassandre ne peut se tromper. C’est même sa principale caractéristique. Comme l’écrit Eschyle, elle est par excellence la figure de la « prophétesse de vérité » ou <em>alèthomantis</em>. Elle est sans cesse « très » (<em>agan</em>), voire presque « trop », véridique (Eschyle, <em>Agamemnon</em>, vers 1241).</p>
<h2>Le métier de prophétesse en Grèce antique</h2>
<p>Si Cassandre est une figure légendaire, des femmes bien réelles ont exercé le métier de prophétesse <a href="https://theconversation.com/hidden-women-of-history-the-priestess-pythia-at-the-delphic-oracle-who-spoke-truth-to-power-108401">dans plusieurs sanctuaires du monde grec antique</a>.</p>
<p>Ainsi, à Delphes, dans le sanctuaire d’Apollon, la <a href="https://didierlaroche.wixsite.com/delphes/pythies-modernes?lightbox=image_14am">prêtresse nommée Pythie rendait ses oracles, assise sur un trépied</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387783/original/file-20210304-13-knkako.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le roi d’Athènes Egée consulte l’oracle de Delphes. Céramique attique, 440-430 av. J.-C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a3/Oracle_of_Delphi%2C_red-figure_kylix%2C_440-430_BC%2C_Kodros_Painter%2C_Berlin_F_2538%2C_141668.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est d’ailleurs cette prophétesse d’Apollon qu’Eschyle prit pour modèle lorsqu’il conçut le <a href="https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1945_num_2_1_2755_t1_0091_0000_3">personnage de Cassandre pour sa tragédie, <em>Agamemnon</em></a>.</p>
<h2>La Pythie de Delphes délirait-elle ?</h2>
<p>Le fonctionnement de l’oracle demeure assez mystérieux. Selon l’auteur antique Plutarque, une fois installée sur son trépied, la Pythie s’agitait, comme si elle avait été hors d’elle-même, dans un état d’émotion et d’instabilité. Plutarque évoque même un accident qui survint lors d’une consultation : une Pythie « complètement bouleversée, s’élança vers la sortie avec un cri étrange et s’écroula sur le sol » (Plutarque, <em>Sur la disparition des oracles</em> 51). Elle mourut peu après.</p>
<p>De son côté, le poète latin Lucain (<em>Pharsale</em> V) évoque l’état de transe qui s’empare de la prêtresse dans son antre, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/lucain/livre5.htm">aménagé sous le temple d’Apollon</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Tantôt son visage est glacé, tantôt menaçant et terrible ; il n’est pas deux instants le même, tour à tour couvert d’une pâleur livide et d’une brûlante rougeur. Mais sa pâleur n’est pas celle que cause l’effroi ; elle est effrayante elle-même. Son sein soulevé par de violents soupirs, ressemble aux vagues qui se balancent avec bruit […] »</p>
</blockquote>
<p>Dans les années 1950, l’helléniste Pierre Amandry critiqua ces descriptions outrancières. À l’opposé, écrit-il, les consultations de la Pythie <a href="https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1951_num_140_2_5837">étaient généralement empreintes d’une « dignité tranquille »</a>.</p>
<p>S’il ne faut pas prendre à la lettre la description de Lucain, une certaine agitation physique de la part de la Pythie paraît néanmoins probable. La prophétesse se devait sans doute de manifester son enthousiasme, c’est-à-dire, dans le sens étymologique, l’inspiration divine <a href="https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1950_num_52_3_3436">qu’elle était censée recevoir en elle comme une forme de possession</a>.</p>
<p>Mais jouait-elle la comédie ou bien provoquait-elle son propre délire en inhalant des substances toxiques ou des vapeurs hallucinogènes émanant de la terre sous le sanctuaire, comme on l’a parfois suggéré ?</p>
<p>Fermement rejetée au XX<sup>e</sup> siècle, en l’absence de traces archéologiques susceptibles de la confirmer, cette thèse a cependant à nouveau été avancée par une équipe de chercheurs américains en 2001. Lors de leur exploration du temple de Delphes, ils ont identifié une faille géologique et découvert la <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/les-vapeurs-de-la-pythie_20543">présence d’oxyde d’éthylène, un gaz potentiellement euphorisant</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=843&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=843&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=843&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1060&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1060&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387786/original/file-20210304-23-1w0r7l6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1060&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La Pythie, sculpture de Marcello (pseudonyme d’Adèle d’Affry), 1870.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a7/Pythia.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Rien ne prouve cependant que la Pythie en faisait usage. Et les débats sur le fonctionnement de l’oracle delphique, si vifs au siècle dernier, ne paraissent pas clos pour autant.</p>
<h2>Une prophétesse sous influence</h2>
<p>La Pythie était consultée pour des raisons autant privées que politiques. L’historien antique Hérodote raconte que ses oracles pouvaient faire l’objet de véritables manipulations. Elle fut notamment instrumentalisée à plusieurs reprises par des rois de Sparte. La révélation d’une affaire de subornation, évoquée par Hérodote (<em>Histoires</em> VI, 66), <a href="https://www.cairn.info/revue-dialogues-d-histoire-ancienne-2014-Supplement11-page-129.html">provoqua un tel scandale que la Pythie incriminée fut même destituée</a>.</p>
<p>Une prophétesse sous influence : c’est ainsi que <a href="https://www.spiked-online.com/2019/05/07/greta-thunberg-autistic-prophet/">certains médias présentent aujourd’hui Greta Thunberg</a> : la jeune militante écologiste <a href="https://www.infochretienne.com/greta-thunberg-est-elle-une-prophetesse-comme-certains-lannoncent/">divise l’opinion</a>.</p>
<p>Est-elle une nouvelle Pythie manipulée ou bien une prophétesse de vérité, à l’instar de la mythique princesse de Troie ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156229/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que sait-on de la célèbre princesse troyenne, douée du don de prophétie et cruellement jugée pour sa lucidité ?Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1547672021-02-09T19:30:21Z2021-02-09T19:30:21ZOscar : « Pourquoi n’y a-t-il pas qu’une langue parlée sur Terre ? »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/383283/original/file-20210209-15-c54372.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2020%2C1309&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les grandes familles des langues indo-européennes et ouraliennes</span> <span class="attribution"><span class="source">Minna Sundberg</span></span></figcaption></figure><p>Merci, Oscar, sache que c’est une question plus compliquée qu’on ne le croit et qui a interrogé l’humanité depuis bien des années !</p>
<p>À première vue, on a souvent envie de penser que la grande diversité de langues qui peuplent notre monde remonte aux origines de l’humanité elle-même.</p>
<p>Une des histoires les plus connues qui a tenté de répondre à cette question, c’est celle de la Tour de Babel, dans la Bible. Je te raconte : au commencement du monde, tous les humains parlaient la même langue. C’était une situation vue comme idéale, car ainsi tout le monde se comprenait : moins de risques de malentendus entre les communautés, une communication plus simple, universelle, et propice à la paix. Seulement, les humains utilisèrent cet outil à de mauvaises fins : ils voulurent construire une ville dont la tour principale serait si haute qu’elle toucherait le ciel, le domaine de Dieu. Ce dernier, voyant cette démesure, décida de disperser les bâtisseurs aux quatre coins de la Terre et de brouiller leur langue, afin que chaque groupe en parle une différente et qu’ils ne puissent plus se comprendre. Ainsi naquirent les langues.</p>
<p>Bien sûr, il s’agit d’une histoire, mais elle souligne un certain nombre de problèmes lorsqu’on pense à l’origine du langage et sa diversification sous forme de langues. Les disciplines qui étudient ces questions sont la linguistique (l’étude du langage) et l’anthropologie (l’étude de l’espèce humaine). Beaucoup de scientifiques étudient ces deux domaines depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, mais il reste encore de nombreuses controverses (des débats compliqués) dans les théories. Elles étudient des périodes de l’histoire humaine si anciennes qu’on y trouve très peu d’indices sur les langues parlées à l’époque. Il faut dire que l’écriture n’avait pas encore été inventée, encore moins les cassettes audio !</p>
<p>Tout d’abord, est-ce que l’humanité a démarré avec une et une seule langue ? Ce problème concerne l’évolution du langage : les étapes biologiques qui nous ont permis de communiquer avec des systèmes d’expression de plus en plus créatifs et de plus en plus complexes, qu’on pourrait appeler provisoirement la « grammaire ». Tout comme pour l’origine de la vie, les scientifiques débattent depuis longtemps de la source du langage : a-t-elle émergé à un seul endroit sur Terre ou à plusieurs endroits en même temps ?</p>
<p>Si c’est la première réponse, alors oui, l’humanité a peut-être démarré avec une seule langue, mais sans doute une langue partagée par un tout petit groupe, et qui a très vite changé par la suite. Si c’est la deuxième réponse, alors le langage aurait émergé au sein de plusieurs groupes humains distincts, et donc il y aurait eu, dès le départ, plusieurs langues parlées sur Terre. Les deux positions semblent se défendre et il y a un vrai débat, à cause du manque de données et de preuves issues de notre Préhistoire… Mais dans les deux cas, il semble improbable que tous les humains, au sein d’une grande population allant de l’Europe à l’Asie, aient pu parler une seule et même langue partout, comme dans l’histoire de la Tour de Babel.</p>
<p>Pourquoi c’est improbable ? Parce que la langue a la caractéristique unique de changer en permanence, et très vite, lorsqu’elle est parlée par des groupes de plus en plus nombreux, et dans un espace géographique de plus en plus grand.</p>
<p>Lorsque nous parlons une langue, nous nous mettons d’accord sur les mots que nous utilisons et les règles grammaticales qui vont les organiser dans des phrases. Mais ces mots et ces règles ne sont jamais exactement les mêmes entre deux individus ni entre deux groupes. Cette variation a pour résultat de faire changer les langues, et d’en créer des nouvelles. Par exemple : prenons le village A, qui parle une langue. Le village B, qui est juste à côté, parle presque la même langue, avec peut-être quelques mots qui changent. Le village C, un peu plus loin, parle une langue similaire, mais avec certaines règles qui diffèrent… Et ainsi de suite, jusqu’au village Z, qui est si loin du village A qu’ils ne se sont jamais rencontrés, et qu’ils parlent une langue si différente qu’ils ne se comprendraient pas !</p>
<hr>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383280/original/file-20210209-13-9blfea.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383280/original/file-20210209-13-9blfea.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=153&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383280/original/file-20210209-13-9blfea.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=153&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383280/original/file-20210209-13-9blfea.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=153&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383280/original/file-20210209-13-9blfea.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=192&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383280/original/file-20210209-13-9blfea.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=192&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383280/original/file-20210209-13-9blfea.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=192&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La variation de la langue entre plusieurs communautés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cameron Morin</span></span>
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<p>Notre exemple des villages souligne la variation des langues dans l’espace, mais une autre dimension importante, c’est le changement au cours du temps : par exemple, si tu compares ta manière de parler avec celle de tes parents, tu remarqueras sans doute que vous utilisez des mots un peu différents. En principe, ces différences devraient être encore plus remarquables entre ta manière de parler et celle de tes grands-parents. Tu peux faire le test !</p>
<p>Cette variabilité fondamentale du langage nous donne l’immense nombre de langues qui s’est développé au cours de l’Histoire : aujourd’hui, on les estime à environ 7000 dans le monde – un nombre qui malheureusement décline, à cause d’un phénomène contemporain d’extinction des langues. Chacune de ses langues s’inscrit dans une famille, avec des « frères et sœurs » contemporains (par exemple, le français, l’italien et l’espagnol) et un parent antérieur (le latin). Au XIX<sup>e</sup> siècle, les linguistes et anthropologues firent une découverte majeure sur les plus de 200 langues parlées en Europe. Une grande partie de celles-ci seraient issues d’une langue commune et très ancienne, répandue en Eurasie : l’indo-européen ! Au fur et à mesure des années, et avec les mouvements de populations qui se sont séparés dans des pays de plus en plus éloignés, l’indo-européen s’est subdivisé en plusieurs familles et sous-familles : parmi les plus connues, les langues slaves (russe, tchèque, croate), celtiques (gaélique, gallois, breton), germaniques (allemand, anglais, scandinave), romanes, et bien d’autres.</p>
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<span class="caption">La branche latine des langues indo-européennes (simplifiée).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cameron Morin</span></span>
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<p>Voilà certaines raisons pour expliquer qu’il n’y ait pas qu’une langue parlée sur Terre. Mais est-ce que c’est une mauvaise chose, comme le sous-entend l’histoire de Babel ? Bien que les langues du monde soient très différentes les unes des autres, elles ont en commun de refléter les étonnantes compétences du langage chez les humains, et en cela, elles sont toutes égales. De plus, la diversité des langues est l’image d’une diversité des cultures du monde, d’une richesse de l’humanité répandue aux quatre coins de notre planète. Nous sommes à une époque où la mondialisation tend à réduire cette diversité, et à mettre de nombreuses langues en voie d’extinction, un peu comme les espèces vivantes, animales et végétales, de la nature. Il est urgent de préserver cette diversité, et de peut-être rejeter l’idéal biblique d’une langue « unique et universelle ». Après tout, nous sommes aussi très forts en traduction !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : tcjunior@theconversation.fr. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cameron Morin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce serait quand même plus simple pour se comprendre, non ?Cameron Morin, Doctorant en linguistique, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1536602021-01-22T12:08:45Z2021-01-22T12:08:45ZPour s’orienter, les bousiers comptent sur la Voie lactée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/380002/original/file-20210121-13-1jgjtf5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C2%2C1874%2C1072&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Voie lactée.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/voie-lact%C3%A9e-ciel-%C3%A9toil%C3%A9-2881461/">Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>Les insectes se dirigent un peu comme nos ancêtres : en se fiant au ciel. La position du soleil constitue leur principal repère, mais ils sont <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15146265/">également sensibles aux propriétés de la lumière diffuse</a>, la lueur bleue émanant des couches supérieures de l’atmosphère, qui les renseigne indirectement. Les indications fournies par le rayonnement solaire diffus sont notamment les variations de luminosité et de couleur du ciel, ainsi que la façon dont la lumière est polarisée par l’atmosphère. L’ensemble de ces « indices célestes » permet à diverses espèces d’insectes de suivre une trajectoire déterminée.</p>
<p>De nuit, les indices visuels étant plus difficiles à percevoir, les choses se compliquent. Si certaines espèces nocturnes s’en remettent à la lueur de l’astre lunaire pour s’orienter, les bousiers (<em>Scarabaeus satyrus</em>) se fient aux points lumineux de la Voie lactée, la traînée lumineuse qui parcourt le ciel nocturne, et qui est due à la disposition en forme de disque des étoiles de notre galaxie. Pour nous permettre de comprendre comment ils s’y prennent, mes collègues et moi-même avons reproduit, à l’aide de diodes électroluminescentes, une Voie lactée artificielle destinée à évaluer les performances des coléoptères. <a href="http://rstb.royalsocietypublishing.org/content/372/1717/20160079">Nous avons ainsi découvert</a> qu’ils se basent sur les variations de luminosité entre les différentes parties de la Voie lactée pour déterminer leur trajectoire.</p>
<p>L’obscurité n’empêche pas les <em>Scarabaeus satyrus</em> de se repérer. Chaque soir, ils prennent leur envol dans la savane africaine, en quête des bouses fraîches dont ils se nourrissent. Mais ils ne sont pas seuls. Alors, pour échapper à la concurrence de leurs semblables, ils façonnent une pelote <a href="https://books.google.com/books?isbn=1444341987">d’excréments qu’ils déplacent sur quelques mètres en la faisant rouler</a> avant de l’enterrer et de s’en repaître.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/165831/original/image-20170419-6395-1dtpf5k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/165831/original/image-20170419-6395-1dtpf5k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/165831/original/image-20170419-6395-1dtpf5k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/165831/original/image-20170419-6395-1dtpf5k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/165831/original/image-20170419-6395-1dtpf5k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/165831/original/image-20170419-6395-1dtpf5k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/165831/original/image-20170419-6395-1dtpf5k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Et j’emmène ça où, moi ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Pour éviter de revenir à leur point de départ, ils font rouler leur boulette en conservant une trajectoire rectiligne. Des scientifiques ont découvert qu’ils en étaient capables même par nuit sans lune, pourvu que le ciel soit dégagé. En 2009, un groupe de chercheurs a donc emmené un certain nombre de spécimens au <a href="http://www.planetarium.co.za">planétarium de Johannesburg</a>, où ils ont observé la capacité des bousiers à s’orienter en fonction de différentes configurations de la voûte étoilée.</p>
<p>Les scientifiques <a href="http://bit.ly/2otpafg">ont constaté</a> que les coléoptères parvenaient à maintenir leur trajectoire lorsque seule la Voie lactée était projetée sur le plafond du planétarium. En revanche, ils se montraient moins performants dès lors que seules les étoiles les plus brillantes étaient activées.</p>
<p>Rien ne permettait cependant de déterminer avec certitude quel type de repère la Voie lactée fournit aux coléoptères. Nous savions, par exemple, que les <a href="http://www.sandiegocounty.gov/content/dam/sdc/pds/ceqa/Soitec-Documents/Final-EIR-Files/references/rtcref/ch9.0/rtcrefaletters/F1%202014-12-19_Emlen1975.pdf">oiseaux qui migrent la nuit peuvent distinguer les constellations</a> situées autour du pôle Nord céleste, tout comme le faisaient les marins avant l’avènement des systèmes de navigation modernes. Ces constellations demeurent visibles dans l’hémisphère Nord du ciel lorsque la Terre tourne, et constituent donc un repère fiable pour les itinéraires nord-sud.</p>
<p>Les expériences menées au planétarium ont montré que les coléoptères ne s’en remettent pas aux constellations formées d’étoiles brillantes, mais plutôt aux caractéristiques de la Voie lactée. Mes collègues et moi-même nous sommes donc dit qu’ils procédaient probablement à des comparaisons de luminosité, en repérant soit le point le plus lumineux de la Voie lactée, soit un certain gradient de lumière présente dans le ciel du fait de cette dernière.</p>
<h2>Une Voie lactée artificielle</h2>
<p>Pour confirmer cette théorie, nous avons eu recours à notre Voie lactée artificielle, reproduite sous forme de <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2016.0079">traînée lumineuse simplifiée</a>, et en simulant différentes configurations d’étoiles et de gradients de lumière. Nous avons constaté que les insectes s’éloignaient de leur trajectoire lorsqu’ils étaient confrontés à une disposition partielle d’étoiles au sein de la Voie lactée. Ils ne parvenaient à respecter l’itinéraire voulu que si les deux extrémités de la traînée présentaient des degrés de luminosité différents.</p>
<p>Ces observations montrent que les coléoptères nocturnes ne se fient pas aux tracés complexes des étoiles de la Voie lactée mais plutôt à la différence de luminosité au sein de la voûte céleste. Il en va de même pour leurs <a href="https://jeb.biologists.org/content/217/13/2422">semblables diurnes</a>, qui s’orientent, lorsque le soleil n’est pas visible, en se basant sur le gradient de luminosité du ciel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164663/original/image-20170410-8846-n7u3of.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164663/original/image-20170410-8846-n7u3of.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164663/original/image-20170410-8846-n7u3of.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164663/original/image-20170410-8846-n7u3of.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164663/original/image-20170410-8846-n7u3of.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164663/original/image-20170410-8846-n7u3of.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164663/original/image-20170410-8846-n7u3of.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une boussole pour le travail de nuit.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si cette stratégie, qui repose sur la différenciation des degrés de luminosité, est assurément moins élaborée que la méthode consistant à se référer à certaines constellations, méthode à laquelle ont recours les <a href="https://academic.oup.com/auk/article-abstract/84/4/463/5198008?redirectedFrom=fulltext">oiseaux</a> et les navigateurs, elle s’avère tout à fait adaptée pour interpréter la multiplicité de données que présente la voûte céleste, surtout si l’on tient compte de la taille minuscule des yeux et du cerveau de ces insectes. Ils surmontent ainsi les possibilités limitées de leurs systèmes de traitement des informations et en font davantage avec moins de ressources, tout comme les humains ont appris à le faire avec la technologie.</p>
<p>Quoique rudimentaire, cette approche se révèle particulièrement efficace sur de courtes distances. De fait, bien que le <em>Scarabaeus satyrus</em> soit la seule espèce connue à s’orienter de cette manière, cette technique pourrait bien être utilisée par de nombreuses autres créatures lors de leurs expéditions nocturnes.</p>
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<p><em>Traduit de l’anglais par Damien Allo pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153660/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Foster reçoit des financements du Conseil de la Recherche sudédois, de la fondation Knut and Alice Wallenberg, de la fondation Carl Trygger's foundation pour la Recherche scientifique, de la fondation Lars Hierta Memorial et de la Société Physiographique Royale de Lund. </span></em></p>Des études récentes montrent que ces coléoptères s’en remettent à la luminosité de la voûte étoilée pour savoir dans quelle direction aller.James Foster, Postdoctoral fellow in functional zoology, Lund UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1522942020-12-21T19:50:07Z2020-12-21T19:50:07ZPourquoi les enfants croient-ils (ou pas) au Père Noël ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376132/original/file-20201221-21-1nhyyxl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1908%2C1158&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A l'âge de 5 ans, plus de quatre enfants sur cinq pensent que le Père Noël existe vraiment.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/illustrations/christmas-motif-4695299/">Image by Frauke Riether from Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La saison des fêtes de fin d’année est arrivée, avec tous les mythes qui l’accompagnent, au premier rang desquels on trouve bien sûr le Père Noël. C’est à cette époque que l’on raconte aux enfants l’histoire d’un homme éternel, qui habite au Pôle Nord, est au courant de ce que désire chaque enfant tout autour du monde, conduit un traîneau tiré par des rennes volants et entre dans les maisons par la cheminée – cheminée qui n’existe pas chez la plupart des enfants !</p>
<p>Étant donné les multiples absurdités et contradictions de cette histoire, il est surprenant que les enfants, même très jeunes, y adhèrent. Cependant, les recherches menées dans mon laboratoire montrent que <a href="http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15248372.2011.554929">83 % des enfants de 5 ans</a> pensent que le Père Noël est une personne réelle. Comment cela s’explique-t-il ?</p>
<h2>Un avantage de l’évolution ?</h2>
<p>Au fondement de ce paradoxe, on retrouve une question fondamentale sur le jeune enfant, considéré comme un être intrinsèquement crédule, par opposition à ce qu’on définirait comme un être rationnel.</p>
<p>Dans un <a href="https://utexas.app.box.com/s/3blu93waj8noakhtkyowhmqyal2xarw8">essai</a> publié en 1995, le célèbre auteur et étholoque <a href="https://richarddawkins.net/">Richard Dawkins</a> a affirmé que les enfants étaient enclins à croire quasiment tout ce qu’on leur dit. Il a même suggéré que ce serait un avantage acquis au cours de l’évolution.</p>
<p>Il l’a illustré de manière très convaincante en prenant <a href="https://utexas.app.box.com/s/3blu93waj8noakhtkyowhmqyal2xarw8">l’exemple</a> d’un jeune enfant vivant près d’un marais infesté d’alligators. Il a fait valoir que l’enfant sceptique – qui évaluerait d’un œil critique les conseils de ses parents l’enjoignant à ne pas aller nager dans ce marais – a beaucoup moins de chances de survivre que celui qui suit sans réfléchir les recommandations de ses parents.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-les-enfants-pensent-vraiment-du-pere-noel-196407">Ce que les enfants pensent vraiment du père Noël</a>
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<p>Cette façon de voir les jeunes enfants comme des <a href="http://www.psupress.org/books/titles/0-271-01702-3.html">être crédules</a> est assez largement partagée, notamment par le philosophe du XVIII<sup>e</sup> siècle <a href="https://plato.stanford.edu/entries/reid/">Thomas Reid</a>, et par des spécialistes en psychologie du développement, qui assurent que les enfants sont fortement enclins à <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3507998/">faire confiance</a> à ce que les gens leur disent.</p>
<h2>Pas si différents des adultes ?</h2>
<p>Pourtant, les recherches menées dans mon laboratoire montrent que les enfants sont des <a href="http://www.jstor.org/stable/1132282?seq=1#page_scan_tab_contents">consommateurs d’information rationnels</a> et réfléchis. En réalité, ils ont recours aux mêmes outils que les adultes pour évaluer ce qu’ils doivent croire ou non.</p>
<p>Quels sont donc ces outils et comment pouvons-nous savoir que les enfants les possèdent ? Concentrons-nous sur trois d’entre eux. Le premier est l’attention portée au contexte dans lequel s’intègre l’information. Le deuxième est la tendance à évaluer l’information nouvelle par rapport aux connaissances préalables dont on dispose. Le troisième est la capacité à évaluer l’expertise d’autres personnes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8LVonkl-bm8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Si le Père Noël n’existait pas, faudrait-il le dire à ses enfants ? (Brut, 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Arrêtons-nous d’abord à ce qui relève du contexte. Imaginons que vous lisez un article sur une nouvelle espèce de poissons, que nous appellerons des « surnits », dans deux situations très différentes. Dans le premier cas, votre médecin a beaucoup de retard et vous restez dans la salle d’attente à lire un exemplaire du <em>National Geographic</em>, magazine officiel d’une société scientifique.</p>
<p>Dans l’autre cas, vous tombez sur un compte rendu de cette découverte en feuilletant le <em>National Enquirer</em>, un tabloïd américain distribué dans les supermarchés, alors que vous faites la queue à l’épicerie.</p>
<p>C’est grosso modo le type de situation <a href="http://www.jstor.org/stable/4139274?seq=1#page_scan_tab_contents">que nous avons essayé de reproduire avec des enfants</a>. Nous avons abordé avec eux le sujet de ces animaux dont ils n’avaient jamais entendu parler. Avec certains, nous avons partagé la nouvelle en l’insérant dans un cadre fantastique, en leur disant que les dragons ou les fantômes collectionnaient ces poissons. Avec les autres, nous avons évoqué les « surnits » en prenant un contexte scientifique, où ils seraient utilisés par des médecins ou des scientifiques.</p>
<p>Les enfants, de quatre ans à peine, étaient plus enclins à affirmer que les « surnits » existaient vraiment lorsqu’ils en entendaient parler dans un contexte scientifique plutôt que dans un contexte fantastique.</p>
<h2>Du bon usage de l’expertise</h2>
<p>L’une des principales façons dont nous, adultes, apprenons de nouvelles choses, est d’en <a href="http://www.jstor.org/stable/3696543?seq=1#page_scan_tab_contents">entendre parler</a> par d’autres. Imaginez que vous ayez vent de l’existence d’une nouvelle espèce de poisson par l’intermédiaire d’un biologiste marin – plutôt que par votre voisin qui aime surtout parler d’histoires d’extraterrestres. Votre évaluation de l’expertise et de la fiabilité de ces sources consolidera ou non votre conviction de la réalité de ce poisson.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-cadeaux-font-ils-vraiment-le-bonheur-des-enfants-175878">Les cadeaux font-ils vraiment le bonheur des enfants ?</a>
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<p>Dans une autre recherche, <a href="http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15248372.2015.1061529">nous avons présenté</a> aux enfants de nouvelles espèces d’animaux, tantôt plausibles (comme un poisson vivant dans l’océan), tantôt incroyables (par exemple un poisson vivant sur la lune), ou improbables (un poisson aussi gros qu’une voiture). Puis, nous leur avons offert le choix soit de vérifier par eux-mêmes que l’espèce existe, soit de le demander à quelqu’un. On leur a aussi fait écouter les comptes rendus d’un gardien de zoo, pour le rôle de l’expert, ou d’un chef cuisinier (dans le rôle du personnage non expert).</p>
<p>Nous avons constaté que les enfants ajoutaient foi aux espèces plausibles et rejetaient les espèces incroyables. Ils prenaient leur décision en comparant les nouvelles informations à leurs connaissances préalables. Pour les animaux improbables – ceux qui pouvaient exister mais qui étaient rares ou étranges – les enfants avaient beaucoup plus de chances d’y croire lorsque le gardien du zoo affirmait qu’ils existaient que lorsque le chef cuisinier le faisait.</p>
<p>En d’autres termes, les enfants font appel à leur expertise, tout comme les adultes.</p>
<h2>L’implication des parents</h2>
<p>Si les enfants sont si intelligents, pourquoi donc croient-ils au Père Noël ?</p>
<p>La raison est simple : leurs parents et bien d’autres personnes se donnent beaucoup de mal pour entretenir le mythe du Père Noël. Une étude récente a évalué que <a href="http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0885201416300375">84 % des parents</a> emmenaient leur enfant rencontrer deux sosies du Père Noël au moins pendant la saison des fêtes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1202733411670073345"}"></div></p>
<p>« The Elf on the Shelf » – initialement un album parlant de ces lutins qui regardent si les enfants sont sages et en informent le Père Noël – est désormais une franchise multimillionnaire. Et il existe des <a href="https://about.usps.com/holidaynews/letters-from-santa.htm">services postaux</a> qui assurent des réponses personnalisées aux lettres des enfants.</p>
<p>Pourquoi nous sentons-nous obligés de faire tant d’efforts ? Pourquoi l’oncle Jack insiste-t-il pour monter faire quelques pas sur le toit la veille de Noël et y faire tinter des clochettes ?</p>
<p>Tout simplement parce que les enfants sont loin d’être irréfléchis et ne croient pas tout ce qu’on leur dit. Nous, les adultes, devons donc multiplier les preuves : les cloches sur le toit, les pères Noël vivants au centre commercial, la carotte à moitié mangée le matin de Noël.</p>
<h2>Les indices évalués par les enfants</h2>
<p>Compte tenu de tous ces efforts, il serait presque irrationnel de la part des enfants de ne pas croire au Père Noël. En adhérant au mythe, ils exercent en fait leurs capacités de réflexion scientifique.</p>
<p>Tout d’abord, ils évaluent leurs sources d’information. Comme le montre un <a href="https://labs.la.utexas.edu/woolley/">projet</a> mené dans mon laboratoire, ils se fient plus facilement à un adulte qu’à un enfant pour juger de ce qui est réel ou non.</p>
<p>Ensuite, pour statuer sur l’existence du Père Noël, ils se réfèrent à un certain nombre de preuves, comme le verre de lait vide et les biscuits retrouvés à moitié mangés le matin de Noël. Concernant d’autres êtres fantastiques, comme les sorcières d’Halloween, les enfants utilisent des indices similaires <a href="http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1467-7687.2004.00366.x/full">pour étayer</a> leurs croyances.</p>
<p>Enfin, à mesure que leurs capacités de compréhension s’étoffent, les enfants <a href="http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0885201414000720">s’arrêtent</a> sur sur certains des points absurdes du mythe du Père Noël : comment un homme corpulent peut-il bien descendre dans une cheminée étroite, comment des animaux pourraient-ils voler…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1248461260653342721"}"></div></p>
<p>Certains parents se demandent s’ils nuisent à leurs enfants en leur relayant la croyance au Père Noël. Des philosophes et des blogueurs ont mis en avant un certain nombre d’arguments contre la perpétuation d’un « mensonge », certains assurant que cela pouvait induire une <a href="http://theweek.com/articles/664507/stop-lying-kids-about-santa">méfiance permanente</a> envers les parents et les autres autorités.</p>
<p>Alors que faire ?</p>
<p>Rien ne prouve que la <a href="http://link.springer.com/article/10.1007/BF02253287">croyance</a> dans le Père Noël puisse affecter de manière significative la confiance que les enfants ont en leurs parents. Par ailleurs, non seulement ils ont en main tous les outils nécessaires pour découvrir la vérité, mais le fait de s’intéresser au Père Noël peut aussi leur donner une chance d’exercer ces capacités.</p>
<p>Donc, si vous pensez qu’il est amusant pour vous et votre famille de convier la figure du Père Noël à vous accompagner pendant les fêtes, vous ne devriez pas hésiter. Vos enfants s’en sortiront bien. Et peut-être même apprendront-ils quelque chose.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152294/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacqueline D. Woolley a reçu des fonds du National Institute of Child Health and Human Development.</span></em></p>Raconter aux enfants l’histoire du Père Noël revient-il à sous-estimer leurs compétences ? Et si cela leur permettait au contraire d’exercer leur esprit critique ?Jacqueline D. Woolley, Professor and Department of Psychology Chair, The University of Texas at AustinLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514312020-12-20T21:52:47Z2020-12-20T21:52:47ZJésus a-t-il échappé à une tentative de meurtre alors qu’il était bébé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376013/original/file-20201220-15-jjvdii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=64%2C7%2C4740%2C4085&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nicolas Poussin, « Le massacre des Innocents », vers 1630. Musée Condé, Chantilly.
</span> </figcaption></figure><p>L’évangile selon Matthieu nous raconte un fameux épisode de la vie de Jésus, juste après sa naissance : le massacre des Innocents. Le roi de Judée de l’époque, Hérode le Grand (vers 72-4 av. J.-C.), apprend, par des mages arrivés à Jérusalem, qu’un « roi des Juifs » vient de naître. Il fait aussitôt rechercher l’enfant car il voit en lui un concurrent susceptible de lui ravir son trône. Il « entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem, tous les enfants jusqu’à deux ans », écrit Matthieu (Mt 2, 16). Mais Joseph, père de Jésus, prévenu par un ange, parvient à prendre la fuite en Égypte, en compagnie de Marie et du bébé. Ils <a href="https://www.info-bible.org/lsg/40.Matthieu.html">ne reviennent en Judée qu’après la mort d’Hérode, quelques mois plus tard</a>.</p>
<p>On peut remarquer que l’histoire du massacre cadre bien avec ce que l’on sait, par ailleurs, de la cruauté prêtée à Hérode. Le roi, peut-être atteint d’une forme de délire paranoïaque dans les dernières années de son règne, était allé jusqu’à faire exécuter trois de ses propres enfants : Aristobule et Alexandre en 7 av. J.-C., puis Antipater en 4 av. J.-C., comme le raconte <a href="https://www.lhistoire.fr/livres/un-nouvel-h%C3%A9rode">l’historien antique Flavius Josèphe</a>.</p>
<p>L’Hérode historique était donc bien un massacreur de jeunes princes innocents et le récit de la tuerie de Bethléem se fonde sur un contexte qui le rend vraisemblable, mais non véridique. Pourquoi donc avoir inventé cette histoire ?</p>
<h2>Œdipe, le bébé pendu par les pieds</h2>
<p>D’anciens mythes grecs, bien connus à l’époque de Jésus, racontaient comment un enfant condamné à mort finissait tout de même par s’en sortir après avoir déjoué les tentatives de meurtre de ses ennemis. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Oedipe abandonné, enluminure de la Fleur des Histoires de jean mansel, seconde moitié du XVe siècle.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La légende d’Œdipe constituait le prototype de ces récits, sorte de roman d’apprentissage du futur chef, <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1319766-dipe-ou-la-legende-du-conquerant-marie-delcourt-les-belles-lettres">comme l’a montré Marie Delcourt (<em>Œdipe ou la légende du conquérant</em>, Liège, Paris, Les Belles Lettres, 1981)</a>.</p>
<p>Laïos, roi de Thèbes, apprend par un oracle qu’il sera tué par son propre fils. Il tente d’empêcher que la prophétie ne se réalise, en cessant toute relation sexuelle avec Jocaste, sa femme. Mais celle-ci, vexée, le fait boire et s’unit à lui alors qu’il est ivre. Neuf mois plus tard, lorsqu’elle accouche, Laïos arrache l’enfant des bras de sa mère. Il escalade une montagne, voisine de Thèbes, et y abandonne le bébé, après l’avoir pendu par les pieds à un arbre. Laïos a cloué les talons de l’enfant avant de lui passer une corde autour des mollets. A priori aucune chance que le petit survive. Il doit rapidement mourir de soif ou dévoré par des bêtes sauvages.</p>
<p>Sauf que c’est évidemment le contraire qui se produit, sans quoi, il n’y aurait pas de légende. Le mythe raconte une histoire qui échappe à la logique des hommes. Il s’agit de montrer que le bébé n’est pas n’importe qui : il est le protégé d’un grand dieu.</p>
<p>Un berger, passant sur la montagne, découvre l’enfant, le libère et l’emmène dans sa ville : Corinthe. Le roi local se désespérait justement de ne pas avoir de fils. Il adopte le petit et le nomme Œdipe, c’est-à-dire « Pieds-enflés », en raison des blessures infligées par les clous de Laïos. L’enfant est sain et sauf. Il a survécu, contre toute attente. Le bébé aux pieds cloués est maintenant qualifié pour un brillant avenir de chef.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Frederick Goodal, « La découverte de Moïse », 1862.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7a/The_Finding_of_Moses.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Romulus et Moïse, les bébés sauvés des eaux</h2>
<p>De la même manière, dans la légende romaine, le petit Romulus et son frère Rémus sont abandonnés sur le Tibre avant d’être sauvés par une louve, animal envoyé par le dieu Mars, qui vient les allaiter. Le divin père de Romulus, futur fondateur et roi de Rome, n’a pas l’intention de voir périr son enfant. Romulus a une mission terrestre à accomplir : il est prédestiné par les Cieux, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Tite/index.htm">comme le suggère l’historien latin Tite-Live</a>.</p>
<p>Ce schéma légendaire se trouve également dans la Bible, jetant un pont entre la mythologie gréco-romaine et le judaïsme. Le petit Moïse échappe de justesse à ses assassins égyptiens, envoyés par le pharaon, tyran cruel, qui veut faire tuer tous les fils des Hébreux (Exode 1). Sa mère l’abandonne sur le Nil dans une caisse en papyrus. Heureusement, le bébé est sauvé des eaux par la fille du pharaon qui le découvre et l’adopte comme son fils. Étonnant retournement ! Moïse accède au statut de prince d’Égypte, de même qu’Œdipe est recueilli par le roi de Corinthe dont il devient le fils adoptif. Le schéma narratif de l’enfant persécuté qui s’en sort finalement est un modèle universel.</p>
<h2>Le storytelling de l’enfant persécuté</h2>
<p>Dans les années 50 av. J.-C., ce même storytelling est exploité par Jules César qui raconte qu’il a échappé, dans sa jeunesse, aux persécutions du dictateur romain Sylla, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/cesar.htm">comme le rapporte l’historien latin Suétone (<em>Vie de César</em>, 1)</a>.</p>
<p>Plus proche encore chronologiquement de Jésus, l’empereur Auguste, reprend à son tour le même schéma légitimateur. « Quelques mois avant la naissance d’Auguste, il se produisit à Rome, dans un lieu public, un prodige annonçant que la nature allait enfanter un roi pour le peuple romain : le Sénat épouvanté décréta que l’on n’élèverait aucun des enfants mâles nés cette année-là », <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/auguste.htm">écrit Suétone (<em>Vie d’Auguste</em>, 94)</a>.</p>
<p>Mais la décision du Sénat n’est pas appliquée, car les femmes de plusieurs sénateurs sont alors enceintes. C’est ainsi que le futur Auguste aurait finalement été sauvé.</p>
<p>Il est intéressant de remarquer que Suétone nous donne le nom de l’inventeur de cette fable : Julius Marathus, affranchi et conseiller d’Auguste, rédacteur du Journal officiel de l’Empire. Il s’agit donc bien d’un mythe officiel dont la signification est politico-religieuse. Le storytelling de l’enfant qui échappe au meurtre est un stéréotype servant à légitimer le leader destiné à fonder de nouvelles règles, normes sociales et institutions : Moïse avec les Tables de la Loi, Auguste avec l’instauration du régime impérial.</p>
<p>Il pouvait donc être intéressant pour Matthieu d’offrir à ses lecteurs une nouvelle version de ce schéma narratif, dès lors qu’il cherchait à présenter Jésus comme un législateur et un réformateur, venu refonder la société juive. Jésus annonce l’émergence d’un monde nouveau, et il possède toute légitimité pour le faire. C’est ce que signifie l’histoire du massacre des Innocents, calquée sur les récits légitimateurs du passé. Jésus est le nouveau Moïse, ou encore l’Auguste des Juifs, fondateur d’une ère nouvelle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Friedrich Herlin de Nördlingen, Circoncision de Jésus. Retable de Rothenburg, 1466.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/76/CirconcisionRothenburg.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Jésus exfiltré en Égypte ou circoncis à Jérusalem ?</h2>
<p>Mais le récit du massacre est en contradiction avec l’épisode de la circoncision de Jésus au Temple, « huit jours » après sa naissance, relatée par l’évangile selon Luc (Lc 2, 21). Comment peut-on imaginer que Jésus puisse aller se faire circoncire à Jérusalem, capitale du méchant roi Hérode, une semaine à peine après avoir échappé à sa tentative de meurtre ? Pourquoi la menace aurait-elle disparu tout d’un coup ?</p>
<p>Luc ignore le massacre des Innocents, tandis que l’incohérence entre les évangiles de Matthieu et Luc nous prouve que <a href="https://www.lhistoire.fr/livres/j%C3%A9sus-aux-quatre-visages">divers récits concurrents sur la naissance du Christ ont circulé parallèlement</a>.</p>
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<p><em>Christian-Georges Schwentzel a écrit <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/christian-georges-schwentzel/les-quatre-saisons-du-christ-christian-georges-schwentzel/">« Les Quatre saisons du Christ, un parcours politique dans la Judée romaine »</a>, éditions Vendémiaire, 2018</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’on en croit l’évangile selon Matthieu, Jésus aurait échappé à une tentative d’assassinat, juste après sa naissance, à Bethléem. Ce fameux épisode est-il historique?Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514302020-12-13T21:33:41Z2020-12-13T21:33:41ZWonder Woman peut-elle être à la fois sexy et féministe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/374269/original/file-20201210-15-10t2tve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C976%2C598&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Wonder Woman interprétée par Gal Gadot.</span> </figcaption></figure><p>Alors que <em>Wonder Woman 1984</em> sort en salles aux États-Unis et sur HBO Max, le 25 décembre 2020, l’icône de la guerrière sexy peut-elle servir de support à un message féministe ?</p>
<p>Les deux volets de <em>Wonder Woman</em> (2017 et 2020), réalisés par une femme, Patty Jenkins, mettent en scène une puissante guerrière, dans laquelle on peut voir une incarnation du « girl power », <a href="https://www.rtl.fr/culture/super/wonder-woman-1984-date-intrigue-personnages-le-point-sur-les-infos-7800082899">ce phénomène culturel d’inspiration féministe</a>.</p>
<p>Mais Wonder Woman porte aussi une tenue très provocante. Peut-elle être à la fois une <a href="https://theconversation.com/wonder-woman-feminist-icon-or-symbol-of-oppression-79674">icône féministe et susciter le désir érotique</a> ?</p>
<p>La polémique a commencé dès l’automne 2016, lorsque le personnage de fiction fut choisi par l’ONU dans le cadre d’une campagne en faveur de l’émancipation des femmes. Wonder Woman venait d’être nommée « ambassadrice » des Nations unies, suscitant une vague de protestations <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/2016/12/13/03004-20161213ARTFIG00236-wonder-woman-et-l-onu-c-est-fini.php">qui contraignit finalement l’ONU à annuler son choix</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1118&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1118&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374289/original/file-20201210-18-1813ns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1118&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’affiche de <em>Wonder Woman 1984</em>.</span>
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<h2>Les Amazones : entre fantasmes et réalité</h2>
<p>Au regard de l’histoire de l’érotisme, Wonder Woman est l’un des derniers avatars d’un fantasme sexuel dont les origines remontent à l’Antiquité. Prenez une belle fille, selon les canons du moment, et habillez-la en guerrière, l’effet érotique est garanti.</p>
<p>Le psychologue William Moulton Marston, créateur de la figure de Wonder Woman, icône des comics, en 1941, en était évidemment parfaitement conscient. Il <a href="https://www.eveprogramme.com/15521/un-pionnier-de-legalite-william-m-marston-createur-de-wonder-woman/">s’inscrit volontairement dans la continuité des anciens mythes grecs</a>.</p>
<p>Des guerrières ont réellement existé dans l’histoire, notamment chez les Scythes, peuple en grande partie nomade qui vécut, il y a 2 500 ans, dans les steppes d’Eurasie centrale. Dans ces régions, les femmes accompagnaient leurs époux à la guerre ou à la chasse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sexe-et-erotisme-dans-lantiquite-greco-romaine-126161">Sexe et érotisme dans l’Antiquité gréco-romaine</a>
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<p>Fascinés par ces cavalières si différentes de leurs propres épouses, les Grecs antiques les transformèrent en figures de légende. Ils cristallisèrent sur elles leurs désirs, leurs peurs et leurs fantasmes. C’est <a href="https://www.femina.ch/societe/actu-societe/les-fieres-amazones-bien-plus-quun-fantasme">ainsi que naquirent les Amazones</a>.</p>
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<span class="caption">Amazone à cheval armée d’un lasso. Pyxis attique, Vᵉ siècle av. J.-C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.archaeology.wiki/blog/2015/06/10/amazon-spotted-attic-pyxis/">Mississippi University Museum</a></span>
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<h2>Combat et séduction</h2>
<p>Dans la mythologie grecque, les Amazones vivent au sein d’une société matriarcale gouvernée par des reines. Lysippé, fondatrice du royaume féminin, avait édifié sa capitale à Thémiscyra, au nord-est de la Turquie actuelle. Thémiscyra est aussi le lieu de naissance de Wonder Woman dont William Moulton Marston a voulu ainsi inscrire l’histoire dans le prolongement des mythes antiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/wonder-woman-et-le-fantasme-sexuel-de-la-femme-guerriere-78007">Wonder Woman et le fantasme sexuel de la femme guerrière</a>
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<p>Les Amazones montent à cheval. Elles manient des haches, lancent des javelots et tirent à l’arc. Sur une céramique grecque du V<sup>e</sup> siècle av. J.-C., aujourd’hui au Musée de l’Université du Mississippi, on peut voir une guerrière sur sa monture faisant tournoyer un lasso, comme plus tard Wonder Woman, tandis qu’un soldat grec, à droite, s’abrite derrière un grand bouclier. La scène représente un duel, mais c’est aussi une métaphore de la séduction, comme le laisse entendre le support : une <em>pyxis</em>, c’est-à-dire un récipient destiné aux onguents dont les femmes étaient censées s’enduire pour prendre des hommes dans leurs filets. La <a href="https://www.seeker.com/2500-year-old-wonder-woman-found-on-vase-1769923996.html">relation de séduction est ici vue comme une lutte entre les sexes</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=678&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=678&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=678&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=852&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=852&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374271/original/file-20201210-17-1au87oq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=852&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’empereur romain Claude massacrant une allégorie de la Bretagne figurée comme une Amazone. Relief provenant d’Aphrodisias (Turquie). Iᵉʳ siècle apr. J.-C.</span>
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<h2>La jument domptée par le mâle</h2>
<p>La plupart des mythes mettant en scène des Amazones sont construits sur un même schéma narratif montrant comment la fille farouche finit par être soumise par un héros viril. Le modèle en est l’histoire d’Héraclès, parti à la recherche de la ceinture de la reine Hippolyté. Séduite par la magnifique musculature du héros, la reine dénoue d’elle-même sa ceinture pour l’offrir à Héraclès qui devient son amant. La ceinture est une métaphore de la virginité que perd la reine dans les bras de son séducteur. Celle dont le nom signifie « Jument libérée » se laisse ainsi dompter. Mais l’affaire se termine mal : croyant qu’elle l’a trahi, Héraclès tue Hippolyté. Une manière <a href="https://journals.openedition.org/lectures/23866">d’achever un processus de domination phallocratique</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/combattantes-de-meres-en-filles-les-femmes-guerrieres-ont-elles-reellement-existe-138271">Combattantes de mères en filles : les femmes guerrières ont-elles réellement existé ?</a>
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<p>Telle est aussi la conclusion du mythe racontant comment le beau héros athénien Thésée séduit la reine amazone Antiopé. Quittant son royaume, celle-ci le suit jusqu’en Grèce, où il la met finalement à l’écart pour épouser un meilleur parti. Selon l’une des versions de cette légende, lors de la cérémonie de noces de son ancien amant, Antiopé surgit tout armée pour s’opposer au mariage. Thésée est alors bien obligé de la tuer. Tout est bien qui finit bien <a href="https://www.babelio.com/livres/Schwentzel-Le-nombril-dAphrodite/1184758">pour la virilité dominante</a>.</p>
<p>Ces mythes grecs ont ensuite inspiré les Romains. Ainsi, lors de son triomphe à Rome, en 61 av. J.-C., Pompée, chef militaire victorieux, fit défiler des captives habillées en Amazones qu’il prétendait avoir capturées lors de ses conquêtes en Orient. Un siècle plus tard, après avoir envahi la Grande-Bretagne, l’empereur Claude (41-54 apr. J.-C.) se fit représenter dans l’art officiel comme un héros viril en train de terrasser une allégorie féminine de la province conquise. Britannia, à terre, est vêtue, <a href="http://aphrodisias.classics.ox.ac.uk/sebasteionreliefs.html">telle une Amazone, d’une courte tunique qui lui dénude un sein</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374272/original/file-20201210-13-fm0zsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nancy Callahan incarnée par Jessica Alba dans <em>Sin City</em> de Frank Miller (2005).</span>
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<h2>Guerrières en cage et poupées sexy</h2>
<p>De nos jours, la guerrière est un personnage de fiction relativement banal. Mais toutes les Amazones du XXI<sup>e</sup> siècle ne sont pas conçues sur le même modèle. Dans <em>Sin City</em>, film tiré du comics de Frank Miller, Nancy Callahan, vêtue en <em>cow girl</em>, joue avec deux revolvers et fait tournoyer un lasso en se déhanchant sur le comptoir d’une taverne. C’est une Amazone en cage, dont la seule fonction est d’émoustiller une clientèle exclusivement masculine. Une fille dominée, comme dans les mythes grecs ou le défilé de Pompée. De plus, si elle parvient à échapper à son agresseur, Roark Junior, c’est <a href="https://oblikon.net/analyses/dossier-sin-city-explications-et-analyses-pour-mieux-comprendre-les-adaptations-cines/4/">toujours grâce à John Hartigan, un officier de police au grand cœur, héros viril contemporain</a>.</p>
<p>Wonder Woman, elle, n’est ni en cage, ni dominée par un homme. Mais elle a été conçue par William Moulton Marston comme une femme aguichante : sa tunique courte dévoile ses cuisses et sa cuirasse épouse la forme de sa poitrine. Diadème, bracelets et hautes bottines à talons font également partie de cet attirail de la séduction. Le résultat est une sorte de poupée ultra-sexy.</p>
<p>Comme Wonder Woman, la figure de Lara Croft incarne une guerrière indomptable, bien différente en cela des Amazones de la mythologie grecque.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374273/original/file-20201210-14-1crlk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’évolution de Lara Croft depuis son apparition en 1996.</span>
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<p><a href="https://geeko.lesoir.be/2018/03/15/tomb-raider-lincroyable-evolution-de-lara-croft-en-22-annees/">L’examen des avatars successifs du personnage</a> depuis 1996 nous montre que ses vêtements sont devenus plus amples et couvrants, à partir de 2013, gommant quelque peu le fort potentiel érotique du début.</p>
<p>Mais son physique demeure toujours conforme aux canons de la beauté féminine du moment.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/70NUW9KSVKM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les femmes guerrières sont aujourd’hui très présentes au cinéma, qu’il s’inspire de la réalité ou relève de la pure fiction. Des combattantes kurdes, mises à l’honneur par Caroline Fourest (<em>Sœurs d’armes</em>, 2019) à <em>Wonder Woman</em>, en passant par Rey dans <em>Star Wars IX</em> (Jeffrey J. Abrams, 2019) ou encore <em>Mulan</em> (Niki Caro, 2020), elles n’ont jamais été aussi présentes sur les écrans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lascension-des-hero-nes-dans-star-wars-une-victoire-feministe-130222">L’ascension des héroïnes dans « Star Wars », une victoire féministe ?</a>
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<p>Si elles ne sont pas toutes « féministes », dans le sens où elles véhiculent encore de vieux clichés phallocratiques, elles s’inscrivent néanmoins dans un phénomène général de féminisation des héros de fiction, de surcroît dans des œuvres souvent réalisées par des femmes. Elles nous parlent de notre époque et de nos tentatives pour renouveler notre conception de la féminité, tout en recyclant parfois des stéréotypes qui remontent à l’Antiquité gréco-romaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151430/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les deux volets de Wonder Woman (2017 et 2020) mettent en scène une puissante guerrière, dans laquelle on peut voir une incarnation du « girl power », ce phénomène culturel d’inspiration féministe.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1451472020-09-03T19:49:28Z2020-09-03T19:49:28ZBonnes feuilles : « Amazonie, l’archéologie au féminin »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/356411/original/file-20200903-20-owlha2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=92%2C177%2C1591%2C1082&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans cette fiction du XIXᵉ siècle, la valeureuse Amérindienne Tikuna défend son infortuné mari d’un jaguar, acquérant ainsi le statut de « descendante des Amazones » (gravure Riou 1875).
</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Il existe une région du monde où les femmes ont toujours joué un rôle majeur : l’Amazonie. Ce sont elles en effet qui ont fait resurgir le glorieux passé de ce territoire vaste de sept millions de kilomètres carrés, révélant les connaissances en ingénierie et le savoir scientifique exceptionnel des tribus de la forêt.</em></p>
<p><em>Stephen Rostain, archéologue et grand spécialiste de l’Amazonie, offre une galerie de portraits de ces pionnières dans son livre <a href="https://www.belin-editeur.com/amazonie-larcheologie-au-feminin#anchor1">« Amazonie, l’archéologie au féminin »</a> sorti aux Éditions Belin. Ce livre a reçu le Grand prix du livre d'archéologie 2020. Nous vous en proposons ici un extrait, dans lequel l’auteur plante le décor en revenant sur le mythe des Amazones.</em></p>
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<p>Le mythe des Amazones remonte à l’antiquité, quand les philosophes grecs décrivaient et dissertaient sur des pays qu’ils n’avaient pas vus. Homère lança la première salve littéraire sur le sujet, au VIII<sup>e</sup> siècle avant J.-C. On situait la patrie de ces femmes guerrières sur les rives de la mer Noire, parfois également en Turquie, en Asie Mineure ou en Lybie. Tous les auteurs s’accordaient à les décrire comme belliqueuses, adroites cavalières et habiles au maniement des armes, essentiellement l’arc et les flèches, la lance, un petit bouclier en demi-lune et même la hache. Leur autre caractéristique était de vivre sans hommes, ceux-ci étant asservis ou utilisés occasionnellement comme procréateurs, pour ne garder que les enfants filles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356412/original/file-20200903-14-1iepwiz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356412/original/file-20200903-14-1iepwiz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356412/original/file-20200903-14-1iepwiz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356412/original/file-20200903-14-1iepwiz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356412/original/file-20200903-14-1iepwiz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356412/original/file-20200903-14-1iepwiz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356412/original/file-20200903-14-1iepwiz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">C’est en référence aux femmes guerrières des textes classiques, représentées sur ce cratère antique se battant contre des Grecs, que l’Amazonie fut baptisée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D.R.</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La geste hellène était riche de leurs aventures, souvent belligérantes, avec les hommes. Nombreux étaient les héros grecs – Héraclès, Achille, Thésée, Bellérophon, Priam, Alexandre le Grand, etc. – qui tombèrent sous leurs charmes. Dans ces relations de haine/amour, l’Amazone, généralement une reine, finissait souvent par mourir. En effet, le récit de ces femmes indépendantes et périlleuses visait surtout à condamner cette puissance matriarcale et devait donc obligatoirement s’achever par la défaite et la mort de la protagoniste excentrique (même si on ne peut nier qu’elles étaient parfois présentées sous un jour plus positif). Tout héros qui se respectait devait avoir combattu les Amazones, dont le sort était de toutes les façons scellé puisqu’elles étaient systématiquement vaincues dans les mythes.</p>
<p>De telles hérésies sociétales étaient hautement condamnables dans le monde égéen classique. Dans cette civilisation antique misogyne, les Amazones étaient surtout vues comme des guerrières avant d’être considérées en tant que femmes, l’association des deux qualités étant de toute façon inacceptable. Cette utopie inversée représentait l’aspect le plus barbare de l’humanité. Impossible d’échapper à la fatalité pour ces filles du dieu de la guerre Arès et d’une nymphe.</p>
<p>Alors, les Amazones antiques n’étaient-elles qu’un mythe déclamé par de vieux philosophes avinés ? Peut-être pas, car de fastueuses tombes de femmes archères et cavalières, datées entre 600 et 200 avant J.-C., ont été mises au jour par les archéologues en 2012 à la frontière entre la Russie et le Kazakhstan. Les cimetières sauromates contiennent jusqu’à 20 % de tombes féminines avec des armes. Plus à l’ouest, cette proportion monte à 27-29 % chez les Scythes. Les femmes guerrières ont bien existé. En outre, des fémurs déformés prouvent la pratique intensive de l’équitation. Pas de doute, sous l’impulsion de l’archéologie, la mythologie occidentale a rencontré la réalité orientale dans les steppes russes.</p>
<h2>La naissance du mythe équatorial</h2>
<p>C’est donc nourris de textes classique et religieux que s’engagèrent les conquistadors vers les basses terres orientales d’Équateur en février 1541. Face à la réalité tropicale sylvicole, ils déchantèrent. Épuisés, perdus et affamés, les survivants s’interrogèrent. Un commando fut alors envoyé en pirogue en aval sous l’autorité de Francisco de Orellana. Emportés par le courant et harcelés par les Amérindiens, ils ne purent revenir à leur point de départ et poursuivirent leur navigation pendant près de neuf mois, jusqu’à atteindre l’embouchure de l’Amazone.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Une des premières gravures des Amazones tropicales, bien armées comme il se doit.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D.R.</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les détails de cette épopée furent retranscrits par le Père Gaspar de Carvajal, qui donna un vernis brillant à son texte. Ce lascar de prêtre avait certes une imagination fertile, qu’il mit au service d’une narration arrangée pour faire passer ce qui s’assimile à une désertion pour un haut fait d’abnégation et de découverte. Pour cela, il prit des libertés certaines avec les chiffres et les faits. Ainsi, fit-il scintiller une lamentable fuite clochardesque en tentant de vendre des vessies pour des lanternes. Une douzaine de femmes accompagnant les hommes en bataille, une foi inébranlable dans les déclarations d’un autochtone parlant une langue inconnue mais pressé de répondre par les Espagnols, quelques réminiscences un peu trop fidèles à un fameux mythe grec, des contradictions vite balayées, un zest d’extrapolation, et ça y est, un nouveau peuple féminin tropical était né, acté et baptisé. Il était une « foi » une histoire écrite à l’eau bénite. La fructueuse recette hollywoodienne « sexe + violence + fortune » fonctionnait déjà à merveille.</p>
<p>Alors, un récit exagéré, probablement ; un texte machiavélique, certainement. L’homme de Dieu a su mettre en scène son témoignage jouant sur la fascination érotique des Amazones : la femme s’oppose à l’homme, la barbarie à la civilisation. Pourtant, il ne faut pas jeter le texte du curé avec l’eau du bénitier car, nous le verrons plus loin, il contient des informations exceptionnelles, en partie confirmées par les recherches récentes.</p>
<p>On n’a pas pardonné à Gaspar de Carvajal et, à travers lui, à Francisco de Orellana, de s’être écarté du chemin si pratique du mythe pour témoigner de ses observations. Le merveilleux est évidemment plus séduisant que le réel. C’est un peu comme le paradoxe d’aujourd’hui, où de moins en moins de personnes acceptent l’existence en Dieu alors qu’elles sont toujours plus nombreuses à croire au Diable. Dès les premières lectures de la chronique du scribe de cette aventure amazonienne, l’Espagne du XVI<sup>e</sup> siècle mettait déjà en doute la véracité de la chronique. Pour beaucoup, il était évident que le prêtre cherchait avant tout à sauver sa tête et celle de ses compagnons pour leur faute, celle d’avoir abandonné leur chef en territoire hostile sur le Napo, en Équateur. Comment croire en l’existence de villages entiers de « Sauvages », de cette force militaire redoutable qu’ils représentaient et de cette abondance dans laquelle ils vivaient.</p>
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<span class="caption">Bien que ce rite hystérique d’humiliation de la tête des vaincus chez les Chiriguanos se passe en Amazonie bolivienne près de 350 ans après l’expédition de Francisco de Orellana, la dramatisation de cette scène d’une douzaine de femmes en furie n’est pas sans faire penser au témoignage de Gaspar de Carvajal sur les Amazones.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Thouars, 1884</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Tout simplement inimaginable lorsque considérait encore que l’Amazonie pouvait être un avatar du Paradis ou de l’Enfer terrestres. Si l’éventualité du dynamisme humain et culturel de ces Tropiques était sujette à caution, personne en revanche ne songeait à contester la possibilité d’existence de femmes guerrières.</p>
<p>Parfaitement congrues dans la continuité d’une conception d’un Nouveau Monde conjuguant la tradition classique grecque et l’idéal chrétien, la présence d’Amazones était tout aussi logique que celle de monstres de tout poil : hommes-chien, Indiens Longues-oreilles, Acéphales, Cannibales, Sirènes, etc. Bien qu’horrifiée par l’hérésie d’une société matriarcale extrême, l’Europe ne doutait pas de leur réalité, là-bas, dans ces terres inconnues lointaines. Il faut dire que Christophe Colomb lui-même en avait parlé. Il écrivait dans son Journal de bord le 6 janvier 1493, qu’un Amérindien lui rapporta que « là, vers l’est, il y avait une île habitée seulement par des femmes », appelée Martinino (l’actuelle Martinique).</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">« Rivière des Amazones », détail de la carte de l’Atlantique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. de Vaulx, 1613</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Malgré la faiblesse du témoignage, confortant les dires de Marco Polo sur l’Asie, l’esprit de l’Amiral de la mer Océane s’enflamma et sa plume s’envola. Il ressortit alors comme certitudes les poncifs habituels : activité guerrière, armement d’arc et de flèches, armure de lames de cuivre, etc. Avec un tel adoubement, pas étonnant que ses successeurs s’attendissent à rencontrer es Amazones dans la grande forêt pluviale. Ils pressaient d’ailleurs de questions à leur sujet les Amérindiens qui, prompts à complaire ces envahissants envahisseurs tout en s’en débarrassant, leur confirmaient leur existence en les localisant au plus loin.</p>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">Prisonnier au XVᵉ siècle des Tupinamba cannibales de la côte du Brésil, Hans Staden est confié aux mains des femmes du village. Ce genre d’image issu du livre qu’il publia après s’être échappé a pu alimenter la légende de sauvagerie des Amazones dans les récits ultérieurs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">H. Staden 1557</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>Après le retour</h2>
<p>Que devinrent les inventeurs – pris évidemment ici dans le respect du sens étymologique de découvreurs – des Amazones tropicales : le chef de la troupe et le scribe religieux ?</p>
<p>Après son aventure fluviale, Francisco de Orellana rentra en Espagne où il fut accusé de trahison par Pizarro. Grâce au témoignage bienveillant du prêtre, il échappa au courroux de la couronne espagnole et fut absout. Il organisa une nouvelle expédition vers l’Amazone, mais manquant de fonds, il se lança dans la piraterie pour compléter son petit pécule. Il mourut sur l’Amazone en 1546, comme presque tout son équipage d’alors.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356419/original/file-20200903-16-ttyetf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356419/original/file-20200903-16-ttyetf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356419/original/file-20200903-16-ttyetf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356419/original/file-20200903-16-ttyetf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356419/original/file-20200903-16-ttyetf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356419/original/file-20200903-16-ttyetf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356419/original/file-20200903-16-ttyetf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356419/original/file-20200903-16-ttyetf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’ouvrage est paru aux éditions Belin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Editions Belin</span></span>
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<p>Gaspar de Carvajal fut plus chanceux. De retour au Pérou, on le nomma vice-prieur du couvent de San Rosario, à Lima. En 1550, il fut envoyé à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tucuman">Tucuman</a>, en Argentine, en qualité de « protecteur des Indiens » et revint au Pérou en 1557 pour devenir le Supérieur de son ordre religieux. Il se dédia alors à plaider auprès du Roi d’Espagne la cause des Amérindiens maltraités dans les mines et cela jusqu’à sa mort à Lima en 1584, à l’âge canonique de 84 ans.</p>
<p>Toutefois, dans les siècles suivants, ses écrits sur les Amazones allaient faire des émules, tout aussi imaginatifs que lui, qui firent vivre encore longtemps le mythe des Amazones.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145147/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphen Rostain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Stephen Rostain parle dans son nouvel opus des femmes archéologues qui ont fait resurgir le passé de l’Amazonie. Dans cet extrait, il est question du mythe des Amazones.Stéphen Rostain, Archéologue spécialiste de l’Amazonie, Directeur de recherche au CNRS, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1418992020-08-20T18:25:01Z2020-08-20T18:25:01ZDésirs et plumes : pourquoi les créatures ailées nous font-elles fantasmer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/345280/original/file-20200702-111242-1l8f6fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1198%2C673&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Katy Perry en Isis dans le clip de la chanson « Dark Horse », en 2014. Capture d’écran.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=0KSOMA3QBU0">Capture d'écran</a></span></figcaption></figure><p>Depuis l’Antiquité, diverses civilisations ont imaginé des créatures ailées : divinités, génies, anges et fées. Elles ont en commun d’incarner de puissants désirs, charnels ou spirituels, parfois les deux en même temps.</p>
<p>Pourquoi ces corps sertis de plumes ou d’ailes d’insectes nous font-ils toujours rêver ?</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/353913/original/file-20200820-24-18qneq5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/353913/original/file-20200820-24-18qneq5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353913/original/file-20200820-24-18qneq5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353913/original/file-20200820-24-18qneq5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353913/original/file-20200820-24-18qneq5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353913/original/file-20200820-24-18qneq5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353913/original/file-20200820-24-18qneq5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353913/original/file-20200820-24-18qneq5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Déesse ailée, sans doute Ishtar. Plaque en terre cuite, XVIIIᵉ siècle av. J.-C. British Museum, Londres.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Plaque_Burney#/media/Fichier:Queen_of_the_Night_BM_ME_2003-7-18.1_n01.jpg">Wikipedia</a></span>
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<h2>Désirs sexuels ailés</h2>
<p>Les créatures ailées revêtent souvent une forte dimension érotique, comme le montre bien la représentation d’une déesse nue, sans doute Ishtar, modelée il y a 4000 ans sur une plaque en terre cuite provenant du sud de l’Irak. Aujourd’hui exposée au <em>British Museum</em>, l’œuvre provoque le regard du visiteur. Ce qui frappe, outre cette nudité affichée, ce sont les ailes que la divinité porte dans le dos, comme un manteau de plumes largement ouvert pour dévoiler ses seins hauts et pleins, son profond nombril et son triangle pubien, seulement obscurci par un léger voile d’ombre. Ishtar était la déesse du désir sexuel et la protectrice des prostituées qui œuvraient dans son sanctuaire à Uruk, une des plus anciennes cités de l’histoire de l’humanité.</p>
<p>En Grèce, la déesse de l’Aurore, une jeune fille ailée nommée Eos, incarne un désir féminin jamais totalement assouvi, malgré de nombreux amants successifs. Sur des céramiques, on la voit poursuivant de beaux garçons avec lesquels elle souhaite faire l’amour, comme le jeune prince troyen Tithon.</p>
<figure class="align-center zoomable">
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<span class="caption">Eos poursuivant Tithon. Céramique attique, vers 470-460 av. J.-C. Musée du Louvre, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Tithonos_Eos_Louvre_G438_detail.jpg">Wikipedia</a></span>
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<p>De manière plus inquiétante, les Sirènes antiques, ces créatures mi-femmes mi-oiseaux, sont elles aussi des prédatrices, dévoreuses des marins qu’elles attirent par leurs chants suaves vers de dangereux rivages où ils trouvent la mort. Le fantasme de la féminité dotée d’ailes possède ainsi son versant sombre : la femme trompeuse et fatale.</p>
<p>Comme l’a montré Serinity Young <a href="https://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/oso/9780195307887.001.0001/oso-9780195307887">dans son essai intitulé <em>Women Who Fly</em></a>, la « femme volante » est une figure complexe, tantôt positive, tantôt négative, mais toujours fascinante.</p>
<p>Dans la mythologie grecque, les ailes ne sont cependant pas réservées aux personnages féminins. Éros, fils d’Aphrodite, appelé Cupidon par les Romains, est lui aussi un être aérien. Incarnation du désir érotique, il parcourt le ciel, décochant ses flèches qui rendent tout le monde amoureux. L’angelot est toujours indirectement célébré aujourd’hui lors de la Saint-Valentin.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-saint-valentin-et-les-divinites-de-lamour-109978">La Saint Valentin et les divinités de l’amour</a>
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<span class="caption">« Cupidon taillant son arc », peinture de Parmigianino, vers 1533. Kunsthistorisches Museum, Vienne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cupidon_fabriquant_son_arc#/media/Fichier:Parmigianino_-_Cupid_-_WGA17032.jpg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Après l’Antiquité, Éros inspira encore de nombreux artistes, comme Parmigianino, dont le « Cupidon taillant son arc », peint vers 1533, exhibe ses fesses <a href="https://www.persee.fr/doc/xvi_1774-4466_2011_num_7_1_1018">dans une pose que l’on peut qualifier d’homoérotique</a>.</p>
<h2>Victoire et beauté</h2>
<p>L’œuvre la plus célèbre représentant une femme ailée est sans nul doute la Victoire de Samothrace, aujourd’hui au Musée du Louvre, où elle a atterri au XIX<sup>e</sup> siècle. Encore une déesse. Appelée Niké par les Grecs et Victoria par les Romains, vous la voyez perchée sur la proue d’un navire, d’où elle domine l’escalier Daru. Imaginez : descendant du ciel, elle vient tout juste de se poser à l’avant du bateau. À cause du puissant vent marin qui souffle sur elle, son drapé léger adhère à son corps. Il en épouse parfaitement les formes pulpeuses, révélant son nombril, ses seins et ses cuisses. Ce qui produit un fort effet érotique à l’origine du succès de l’œuvre.</p>
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<span class="caption">La Victoire de Samothrace, IIᵉ siècle av. J.-C. Musée du Louvre, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/bf/Victoire_de_Samothrace_-_Musee_du_Louvre_-_20190812.jpg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Mais le désir incarné par cette séduisante divinité se dédouble : au plaisir charnel immédiatement suggéré par ce physique parfait, du moins selon les critères de l’époque, s’ajoute un rêve de victoire dont la divinité est pourvoyeuse. La Victoire de Samothrace est une somme de promesses : beauté et succès.</p>
<h2>Élévation, érection et résurrection</h2>
<p>L’envol de Niké traduit aussi un rêve de libération des entraves du corps et de la pesanteur. La Victoire de Samothrace triomphe des lois physiques auxquelles les êtres humains sont soumis. On retrouve l’expression du même désir dans le mythe d’Icare, ce Grec qui s’éleva dans les airs, bien au-dessus de sa condition de simple mortel, avant sa chute fatale. Morale de l’histoire : Icare s’est pris pour un dieu. Il a <a href="http://bcs.fltr.ucl.ac.be/METAM/Met08/Mo8-Plan.htm">transgressé les lois humaines</a>.</p>
<p>L’élévation prend une forme mystique dans le mythe d’Orion, un grand et beau chasseur qui, après sa mort, est admis par les dieux dans le Ciel où il a le privilège de pouvoir se métamorphoser en constellation, selon un processus que les Grecs nommaient <em>catasterismos</em>. Une mosaïque récemment découverte à Pompéi en offre la plus belle illustration antique connue. Remarquez que le jeune homme s’élève cette fois, non au moyen de plumes, mais d’ailes de papillon, symbole de légèreté et d’apesanteur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pompei-lantique-cite-renait-de-ses-cendres-a-paris-140574">Pompéi : l’antique cité renaît de ses cendres à Paris</a>
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<p>Mystique et érotisme se rejoignent et se confondent dans le mythe égyptien de la déesse Isis. Alors que son époux Osiris a été atrocement mutilé par son frère Seth, Isis parvient à le ranimer, après s’être transformée en oiseau. C’est en battant des ailes, au-dessus de la momie d’Osiris, qu’elle parvient à l’exciter suffisamment pour faire l’amour avec lui une dernière fois et tomber enceinte de cette ultime union. Isis ailée incarne la femme parfaite, capable de réveiller la virilité refroidie d’un cadavre, grâce aux caresses de ses plumes. Les ailes d’Isis représentent la toute-puissance féminine, créatrice d’excitation sexuelle et de vie.</p>
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<figcaption>
<span class="caption">Pazuzu, statuette assyrienne en bronze, VIIIᵉ-VIIᵉ siècles av. J.-C. (Musée du Louvre, Paris).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/95/PazuzuDemonAssyria1stMillenniumBCE.jpg">Wikipedia</a></span>
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</figure>
<p>La force virile a également été figurée sous la forme de créatures ailées. Les Assyriens adoraient Pazuzu, un génie protecteur à l’aspect un peu effrayant, comme en témoigne une statuette, aujourd’hui au Louvre. Ces représentations servaient d’amulettes, écartant le malheur. Parfois, le sexe de Pazuzu est en érection, soulignant davantage encore sa puissance phallique.</p>
<figure class="align-right zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Pénis ailés, os, époque romaine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/32/Roman_Bone_Winged_Phallus_%28FindID_264333%29.jpg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans un sens très proche, les Grecs et les Romains ont imaginé des porte-bonheurs en forme de phallus ailés, réduisant ainsi l’être ailé à l’organe qui leur paraissait essentiel.</p>
<p>Ces créatures volantes n’ont pas disparu avec la christianisation de l’Empire romain. L’Église a seulement tenté de désexualiser les anges ; ce qui a eu pour effet d’en faire des êtres androgynes <a href="http://art-figuration.blogspot.com/2011/06/le-sexedes-anges.html">à la beauté souvent troublante</a>.</p>
<p>Toujours dans le monde chrétien, la <a href="https://www.books.fr/les-ailes-du-desir/">légende de Christine l’Admirable</a>, une Flamande née au XIIᵉ siècle, n’est pas sans rappeler les mythes d’Isis et d’Orion : elle se serait élevée de son cercueil, le jour de ses funérailles, battant des ailes et s’envolant comme un oiseau jusqu’au plafond de l’église où se tenait la cérémonie.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Kendall Jenner lors du défilé Victoria’s Secret, en 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://art-figuration.blogspot.com/2011/06/le-sexedes-anges.html">YouTube</a></span>
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</figure>
<h2>Marketing, plumes et fées</h2>
<p>De manière beaucoup plus terre à terre, les femmes emplumées font aujourd’hui partie des stratégies de marketing destinées à susciter chez le public le désir d’acheter. Un des exemples les plus flagrants est Victoria’s Secret, célèbre marque de lingerie qui <a href="http://fr.orientpalms.com/serkan-cura-2575">dispose de son spécialiste des plumes, ou plumassier, Serkan Cura</a>, réalisateur de corsets extravagants.</p>
<p>Les top models, ou « Anges », qui s’exhibent lors des défilés sont réputées être les plus belles femmes du moment, comme Kendall Jenner qui, en 2016, se fait remarquer avec ses grandes ailes colorées, <a href="https://www.huffingtonpost.co.uk/2016/12/01/kendall-jenner-gets-her-wings-at-the-victorias-secret-fashion-s_a_21618213/">telle une Ishtar contemporaine</a>.</p>
<p>Mais si la marque a connu jusque-là un grand succès, ses ventes sont en baisse depuis 2018, le public s’insurgeant désormais <a href="http://www.slate.fr/story/191967/victorias-secret-fin-fantasme-lingerie-marque-faillite-survie-crise-covid-19">contre l’idéal de maigreur qu’elle promeut</a>.</p>
<p>Plus subtile, la marque Nike, dont le nom est directement tiré de celui de la déesse Niké, a pour logo une plume stylisée, promesse de victoire et de dépassement de soi.</p>
<p>Depuis que Katy Perry a arboré des ailes, déguisée en Isis dans le clip de la chanson <em>Dark Horse</em>, en 2014, rares sont les stars qui ne sont jamais apparues ailées dans les médias ou lors d’un show. L’image de la femme à plumes, associée à un érotisme plus ou moins torride, permet aussi de faire la promotion de spectacles de carnaval ou de cabaret.</p>
<p>Mais la palme de la sexualité ailée revient sans nul doute à Megan Fox dans le film <em>Passion Play</em> (de Mitch Glazer, 2010), suivie par les <a href="https://www.celebcrunch.net/2019/08/orlando-bloom-and-cara-delevingne-talk.html">ébats féériques de Cara Delevingne et de son amant humain</a> dans la série <em>Carnival Row</em>(2019-).</p>
<p>Les ailes du désir n’en ont pas fini de battre.</p>
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<p><em>Christian-Georges Schwentzel a publié <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/le-nombril-daphrodite-9782228924795">« Le Nombril d’Aphrodite, une histoire érotique de l’Antiquité »</a>, aux éditions Payot.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis l’Antiquité, diverses civilisations ont imaginé des créatures ailées : divinités, génies, anges et fées. Pourquoi ces corps sertis de plumes ou d’ailes d’insectes nous font-ils toujours rêver ?Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1354992020-06-01T17:20:38Z2020-06-01T17:20:38ZL’influence de la Lune est-elle réelle ou imaginaire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/338800/original/file-20200601-95009-58jgyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5751%2C3794&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Lune aurait-elle une influence sur les cultures ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/vFrhuBvI-hI">Luca Huter / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’humain a fini par associer à la Lune de nombreuses propriétés ainsi que divers pouvoirs, mais quelle est la part d’imaginaire et celle de réel dans tout cela ?</p>
<p>Il ne faut pas croire que cette question des influences lunaires ne relève que du folklore ou de la croyance : elle peut en fait être étudiée en pratique. Bien sûr, comme pour tout test scientifique, il y a quelques conditions : avoir beaucoup de sujets (pas un seul arbre ou une personne), observer longtemps (un cycle ne suffit pas), éliminer les effets sans lien direct (pour étudier l’influence de la pleine lune sur les accidents de voiture, il faut d’abord enlever la variation hebdomadaire bien connue), utiliser les éphémérides correctes (non, on ne peut pas décider d’avoir un cycle des phases lunaire de 30 jours au lieu de 29,53 parce que c’est plus facile pour les calculs), ne pas sélectionner les données pour conserver juste celles allant dans le sens de l’effet recherché, avoir une réplication sur d’autres données ou par d’autres chercheurs. Ceci étant dit, examinons un peu les différents domaines où la Lune a été incriminée.</p>
<h2>La Lune donne-t-elle des informations sur l’atmosphère ?</h2>
<p>Parfois, oui. La Lune apparaîtra ainsi plus foncée lors des éclipses totales si l’atmosphère terrestre contient beaucoup de poussières. Aux alentours des Nouvelles Lunes, la lumière cendrée sera plus brillante si le côté de la Terre qui fait face à notre satellite comporte plus de nuages. Et si vous voyez un halo autour de la pleine lune, c’est que l’atmosphère présente des cristaux de glace en altitude, dans des nuages appelés <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cirrostratus">cirrostratus</a> qui précèdent parfois, mais pas toujours, une dégradation du temps.</p>
<p>Tout ce qui vient d’être décrit est en fait lié à l’atmosphère, la Lune n’est en rien responsable, mais existe-t-il un effet direct ? Oubliez la tradition disant que la Nouvelle Lune annonce un changement de temps (puisque la phase est la même pour tous les pays de la Terre, cela impliquerait un changement de météo partout dans le monde le même jour !). Par contre, des <a href="https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2019MNRAS.484L.136C/abstract">effets, quoique faibles</a>, de la Lune ont été remarqués pour la météo de l’observatoire de Cerro Paranal et pour les pluies tropicales : ils sont liés en fait aux marées océaniques ou atmosphériques.</p>
<p>Autre réputation lunaire : elle provoque tsunami, tremblement de terre, ou éruption. Bien sûr, les marées terrestres (eh, oui, il n’y a pas que l’eau qui se soulève, le sol aussi) malaxent la croûte de notre planète tandis que les marées océaniques, en déplaçant de grandes quantités d’eau, augmentent ou diminuent la pression sur cette croûte.</p>
<p>Toutefois, il est clair que le rôle de la Lune n’est pas gigantesque, et en fait vous le savez déjà : on n’annonce pas de grosse catastrophe mondiale, éruption généralisée et tremblement de terre global, à chaque pleine lune. Au pire, il est possible que les marées puissent amener la goutte qui fait déborder le vase pour une faille proche du changement ou un volcan prêt à entrer en éruption.</p>
<h2>Jardiner avec la Lune</h2>
<p>Au départ, tout repose sur une analogie simple : la forme de la Lune croît entre la Nouvelle Lune et la pleine lune, donc notre satellite favorise tout ce qui doit croître et c’est le bon moment de semer. Le temps passant, certains ont modifié la tradition initiale et « Lune croissante » se réfère parfois à une Lune située plus loin de l’équateur céleste (la projection de notre équateur terrestre sur la sphère céleste), ce qui fait que la Lune change de hauteur par rapport à l’horizon, comme le Soleil est plus haut dans le ciel en été et plus bas en hiver.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Lune aide-t-elle à faire pousser ces plantes ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kym MacKinnon/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’idée repose ici sur une conception plus <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/gravifique">« gravifique »</a> : une Lune située plus près du zénith « tire » vers le haut les plantes, les poussant à se développer bien droites. Cette lune croissante-là deviendrait donc favorable à ce qui pousse hors du sol (maïs, par exemple) et défavorable à ce qui doit s’y enterrer (carottes, par exemple).</p>
<p>Enfin, depuis un siècle environ, d’autres encore combinent la croissance de la Lune (selon l’une ou l’autre acception) à sa position dans le ciel, un mélange lune/astrologie en quelque sorte. Toutefois, on le sait depuis des siècles et on l’a prouvé : qualité du sol, alimentation en eau, contrôle des ravageurs, et météo sont les facteurs les plus importants à surveiller pour tout bon jardinier. Comme le souligne un <a href="https://www.snhf.org/wp-content/uploads/2016/10/jardiner-avec-la-lune.pdf">dépliant</a> de la société nationale d’horticulture de France, la Lune n’y est pas pour grand-chose.</p>
<h2>L’effet de la Lune sur les animaux</h2>
<p>Non, les loups ne hurlent pas plus à la pleine lune, les chiens ne sont alors pas plus agressifs, et les vaches ne mettent pas plus souvent bas à cette phase.</p>
<p>Cela dit, il existe bien une influence lunaire dans certains cas. Ainsi, à cause de la lumière lunaire, les proies se cachent plus et se déplacent moins les nuits de pleine lune. Il ne faut pas oublier les marées : divers animaux marins (comme le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ver_palolo">ver Palolo</a>, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grunion">poisson grunion</a>, les oursins ou le concombre de mer) ont des comportements reproductifs (dépôt ou éclosion des œufs) liés aux marées. En fait, diverses expériences en laboratoire (sous éclairage aléatoire, avec marées artificielles) ont même permis de montrer que certains animaux marins possèdent une horloge interne liée à la Lune – leur « app » personnelle pour avoir l’horaire des marées ! En plus, d’autres animaux, comme le bousier ou la puce de mer, utilisent la Lune pour s’orienter – une boussole particulière mais efficace.</p>
<p>Reste un dernier animal : l’humain. La Lune réglerait quand il faut se couper les cheveux, prendre des médicaments, cuire le pain, faire des enfants ou en accoucher ou entrer en crise psychotique. C’est encore elle que les médecins, infirmières, et autres policiers blâment régulièrement pour un surcroît de travail certains jours. Pourtant, les études statistiques se suivent et se ressemblent toutes, quel que soit le sujet (accidents de la route, suicides, meurtres, urgences générales ou <a href="https://www.researchgate.net/publication/228651293_Madness_and_the_moon_The_lunar_cycle_and_psychopathology">psychiatriques</a>, consultations médicales, crimes divers rapportés à la police, arrestations, overdoses, crises d’épilepsie, accouchements, règles, voire cours du Dow Jones) : circulez, y a rien à voir.</p>
<p>Quelques exceptions existent. Ainsi, vous dormirez plus mal à la pleine lune si vos volets ferment mal ou vos tentures ne sont pas opaques car l’humain a besoin d’obscurité pour dormir. Faites aussi attention à ne pas croiser des cervidés les nuits de pleine lune si vous êtes en voiture : ce n’est pas tant que vous allez subitement devenir sadique et vouloir en renverser un, mais que vous risquez donc plus d’en rencontrer un car ils se déplacent plus quand ils ont de la lumière.</p>
<h2>Les biais cognitifs à l’action</h2>
<p>Mais s’il y a si peu d’effets réels de la Lune, pourquoi diable l’impression subsiste-t-elle ? En fait, on assiste à la combinaison de deux choses : une tradition forte et de puissants biais cognitifs.</p>
<p>On possède une myriade d’affirmations sur les effets lunaires en tout genre. Toutefois, quand on examine les sources, on voit qu’elles ne reposent pas sur une expérience quelconque mais sur des traditions infiniment répétées : quasiment les mêmes mots se retrouvent quelques siècles avant notre ère, au Moyen-âge, au XVIII<sup>e</sup> siècle, ou aujourd’hui. Assénées avec conviction, ces phrases se répètent de génération en génération, avec le bel impact de l’autorité qui n’admet aucune remise en question.</p>
<p>Ces traditions sont en fait basées sur deux piliers simples. Le premier est l’analogie : la Lune croît entre nouvelle lune et pleine lune, alors les plantes, cheveux, ou autres doivent aussi croître ; la Lune décroît entre pleine lune et nouvelle lune, alors les animaux d’élevage maigrissent, il faut vite récolter. Le second pilier est le dualisme Soleil-Lune : Soleil sec et chaud contre Lune froide et humide. Du coup, la Lune est favorable à l’humidité (et partant, à la pourriture), elle est liée aux organes (cerveau, yeux) et maladies (embarras respiratoires) « aqueux », et ses rayons sont froids. En combinant les deux aspects, on reproduit toutes les traditions bien connues, alors que ces raisonnements n’ont finalement aucun véritable fondement.</p>
<p>D’autre part, notre cerveau nous joue des tours, ce qui n’aide pas à reconnaître le vrai du faux. Outre une furieuse inclination à préférer les raisonnements simples, notre cerveau souffre d’une perception sélective (on remarque plus facilement ce qui conforte nos idées préconçues), d’un souvenir sélectif (on retient et on se souvient mieux de ce qui conforte nos idées préconçues), et d’une exposition sélective (on lit, on regarde, on se confronte principalement à des sources d’information qui confortent nos idées préconçues).</p>
<p>Ainsi, le personnel médical fourbu après une grosse journée de travail remarquera la pleine lune en rentrant chez lui, mais oubliera toutes les autres fois où c’était pleine lune sans surcroît de travail ou les fois où il y avait beaucoup de travail mais rien de particulier dans le ciel. Sur une base nourrie par la tradition, on retiendra l’association, même rare, et elle viendra renforcer la croyance initiale. C’est « pile, je gagne » et « face, tu perds ».</p>
<p>Hélas, on n’y peut pas grand-chose car on n’échappe jamais totalement à ces biais, même en les connaissant (c’est d’ailleurs pour cela que la méthode scientifique est née), et il y a donc fort à parier que l’on parlera encore longtemps de ces mystérieux effets lunaires !</p>
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<p><em>Retrouvez d’autres petites histoires étonnantes dans le livre « Astronomie de l’étrange », Belin, ISBN 978-2-410-01629-1.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yaël Nazé est l'autrice de « Astronomie de l’étrange » chez Belin.</span></em></p>La Lune nourrit nos imaginaires depuis la nuit des temps. Faut-il planter ses tomates à la pleine lune ? Y a-t-il vraiment plus de crimes ces nuits là ? Faisons le point, scientifiquement.Yaël Nazé, Astronome FNRS à l'Institut d'astrophysique et de géophysique, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.