tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/obligation-vaccinale-106987/articlesobligation vaccinale – The Conversation2022-07-24T15:48:59Ztag:theconversation.com,2011:article/1875652022-07-24T15:48:59Z2022-07-24T15:48:59ZDébat : L’obligation vaccinale… pour certains ou pour tous ?<p>Dans son <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/p_3356224/fr/avis-n2022-0044/ac/sespev-du-21-juillet-2022-du-college-de-la-haute-autorite-de-sante-relatif-a-l-obligation-de-vaccination-contre-la-covid-19-des-professionnels-des-secteurs-sanitaire-et-medico-social#:%7E:text=Voir%20aussi-,Avis%20n%C2%B02022.0044%2FAC%2FSESPEV%20du%2021%20juillet%202022,secteurs%20sanitaire%20et%20m%C3%A9dico%2Dsocial">avis du 21 juillet 2022 relatif à l’obligation de vaccination contre le Covid-19 des professionnels des secteurs sanitaires et médico-social</a>, la Haute Autorité de santé rappelle que, « interrogée en juillet 2021 au sujet de l’obligation vaccinale, elle avait considéré que la couverture vaccinale des professionnels de santé, et plus largement de ceux qui ont des contacts fréquents et rapprochés avec des personnes vulnérables, revêtait un enjeu éthique autant que de santé publique ».</p>
<p>Le ministre de la Santé et de la prévention ayant saisi la HAS « pour obtenir son avis sur la pertinence du maintien ou de la levée de cette obligation de vaccination », l’instance maintient sa position opposée à toute évolution :</p>
<blockquote>
<p>« Au vu du contexte épidémique dynamique, des incertitudes sur l’évolution de l’épidémie dans les prochains mois, et de l’efficacité d’un schéma vaccinal complet à réduire le risque d’être infecté et de transmettre la maladie, la HAS considère que les données ne sont pas de nature à remettre en cause l’obligation vaccinale des personnels des secteurs sanitaire et médico-social qui concourt à une meilleure protection des personnes soignées ou accompagnées, au premier rang desquelles les plus vulnérables. »</p>
</blockquote>
<p>Elle rejoint l’Académie nationale de médecine qui affirmait sa position du 19 juillet 2022 que <a href="https://www.academie-medecine.fr/reintegrer-les-soignants-non-vaccines-contre-la-covid-19-serait-une-faute/">« réintégrer les soignants non vaccinés contre le Covid-19 serait une faute »</a>.</p>
<p>« Enjeu éthique », « faute »… Au-delà d’arguments scientifiques qui ne sauraient être contestés dès lors que des instances compétences en légitiment la pertinence, je ne suis pas certain que ces positions de jugement moral abordent le fond de la question politique à laquelle l’exécutif est confronté. Car si pour l’exemplarité et à juste titre – du fait d’une proximité évidente avec des personnes en situation de vulnérabilité – les professionnels du sanitaire et du médico-social doivent être vaccinés, considérons que nous sommes collectivement vulnérables au risque de contamination et donc responsables nous aussi à l’égard de la stratégie vaccinale.</p>
<p>Dès lors ne persistons pas à esquiver un enjeu qui s’impose à nous : <a href="https://theconversation.com/debat-lobligation-vaccinale-une-exigence-ethique-et-politique-157257">devons-nous décider d’une vaccination obligatoire</a> et donc systémique de l’ensemble de la population ?</p>
<h2>Au-delà des professions de santé</h2>
<p>Si des moyens (à préciser du fait de leurs conséquences en termes de libertés individuelles et de préservation de la confidentialité) devaient être mis en œuvre pour contrôler l’effectivité de la décision, quelles mesures seraient appliquées aux intervenants en contact direct avec des personnes dans la vie publique, je pense par exemple aux enseignants, à nos interlocuteurs dans les administrations mais aussi aux modalités pratiques d’une même exigence de sécurité sanitaire dans les entreprises ou dans les transports ?</p>
<p>À aucun moment ces aspects de santé publique n’ont été sérieusement abordés dans les débats parlementaires de ces derniers jours, et encore moins dans les prises de position de l’exécutif. Le principe d’égalité et celui de réciprocité constituent deux considérations qu’il nous faut appliquer aux approches de l’obligation vaccinale pour tous.</p>
<p>Ayant compris que le contexte démocratique actuel n’était pas favorable aux concertations qui permettraient d’examiner la justification de l’obligation vaccinale, dès le 2 mai 2022 <a href="https://theconversation.com/debat-retablir-dans-leurs-droits-les-professionnels-non-vaccines-pour-une-amnistie-presidentielle-et-une-convention-citoyenne-182304">j’ai développé des arguments en faveur d’une révision de l’interdiction d’exercice des professionnels pour motif de non vaccination</a>. Il me semblait que l’on pouvait se permettre cette ouverture et l’accompagner d’un débat qui, je le constate, intervient dans le contexte des débats parlementaires relatifs à la « loi sanitaire » alors qu’il aurait pu être anticipé.</p>
<p>Les prises de positions nécessairement contradictoires font apparaître que les règles auraient pu être revues sans pour autant donner à penser que les professionnels seraient alors en quoi que ce soit légitimés dans un choix personnel que je réprouve, ne serait-ce que d’un point de vue déontologique.</p>
<p>Je reprends donc en quelques points mon argumentation qui visait à envisager un mode de médiation et de réintégration au cas par cas dans une vie professionnelle dont je sais en quoi elle s’exerce dans la responsabilité et le souci de l’autre. Il est excessif d’évaluer le sens d’un engagement à l’aune d’un refus qui n’équivalait pas à l’expression d’une irresponsabilité.</p>
<p>D’autres professionnels – eux vaccinés – ont pour leur part fait le choix de mettre un terme à leur activité dans des établissements hospitaliers ou du médico-social, opposés à d’autres formes de contraintes qui dénaturaient les valeurs de leur métier. Ils sont plus nombreux que ceux qui ont été exclus pour refus de vaccination, et ne sont pas davantage que les autres irresponsables dans leurs choix. Ils fragilisent pourtant ceux qui sont accueillis dans les établissements, mais tout autant leurs collègues en devoir de suppléer aux carences (parfois même quand ils sont contaminés) !</p>
<h2>Une exigence de cohérence et d’apaisement</h2>
<p>Réintégrer les professionnels qui n’ont pas accepté la vaccination obligatoire relevait selon moi d’un choix politique, dès lors que les instances scientifiques n’estimaient pas cette mesure incompatible avec la situation sanitaire actuelle.</p>
<p>Il ne s’agissait en rien d’une réhabilitation, et les pouvoirs publics n’y auraient pas perdu leur crédibilité à imposer demain de telles mesures si les contraintes l’imposaient.</p>
<p>D’un point de vue strictement éthique, trois considérations peuvent éclairer les instances publiques. Bien que je respecte les récentes positions de la HAS et de l’Académie nationale de médecine, je me demande si l’interdiction professionnelle est aujourd’hui nécessaire et proportionnelle aux risques sanitaires tels qu’ils sont évalués (et dont on constate qu’ils n’ont pas justifié jusqu’à présent de dispositifs particuliers en dépit d’un rebond épidémique) ? N’est-il pas fondé, pour toute mesure adoptée dans l’urgence, d’évaluer sa pertinence et donc sa réversibilité possible selon ces critères qui tiennent compte de la complexité des arbitrages sur la base d’expertises scientifiques évoluant en fonction de l’acquisition des connaissances (ce qui est le cas à propos de l’efficacité des vaccins) ?</p>
<p><a href="https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/446939/3513870">Santé Publique France a dénombré 97 492 cas d’infections nosocomiales</a> avec pour conséquences des complications souvent graves, mais plus encore 310 décès de personnes hospitalisées. Je ne minimise donc pas l’importance de règles sanitaires strictes qui de toute évidence ne sont pas limitatives à la vaccination (cela d’autant plus que la majorité des contaminations nosocomiale est attribuée à des personnes hospitalisées).</p>
<p>Dès lors qu’il convient d’être soucieux de professionnels plus exposés que d’autres au risque de transmission du virus, encore conviendrait-il de nous assurer que, bien que contaminés, certains d’entre eux ne sont pas requis pour maintenir leur activité dans des services qui manquent de collaborateurs, ce qui semble le cas.</p>
<p>Je comprends parfaitement l’argumentation présentée par l’Académie nationale de médecine mais ne considère pas comme « une faute » ou « un revirement » l’éventualité de leur permettre de reprendre leurs activités. Si la décision de réintégration avait été prise, elle devait être accompagnée d’un entretien personnel de réintégration favorisant un dialogue de fond, ainsi que d’une démarche d’explicitation notamment à destination des professionnels qui, à juste titre, ont considéré qu’accepter la vaccination était un acte de responsabilité et de solidarité qui relevait de leur déontologie.</p>
<p>Pour avoir échangé ces derniers jours, suite à mes prises de position défavorables au maintien d’une mesure qui devrait être suspendue, j’ai compris que, comme la société dans son ensemble, ils aspirent à ce que l’on renonce au registre de la vindicte, de l’opprobre et de l’opposition des uns aux autres, car il dégrade la vie démocratique et les relations professionnelles.</p>
<p>L’Académie nationale de médecine évoque à juste titre un nécessaire « climat de confiance » ainsi que la « cohésion ». Je partage cette préoccupation, y ajoutant une exigence de cohérence et d’apaisement dont dépendra demain l’acceptabilité de mesures dont nous ne pourrions nous exonérer.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<h2>Envisager une concertation nationale ?</h2>
<p>À la défiance qui s’est renforcée au cours de ces deux années de pandémie entre la société civile et les instances gouvernementales, doit désormais répondre la réhabilitation d’un principe de confiance réciproque. Une telle visée se construit dans la concertation indispensable, comme l’exprimait le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dans son <a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/398">avis n° 137 du 2 septembre 2021</a>.</p>
<p>N’oublions pas que nombre des professionnels qui ont été interdits d’exercice étaient, dès février-mars 2020, sur le front dans les hôpitaux et les Ehpad sans bénéficier de dispositifs de protections. Ils ont défendu les valeurs du soin au point d’être considérés, un temps donné, comme nos héros !</p>
<p>C’est pourquoi je témoigne de ma sollicitude à leur égard, sans cautionner un choix personnel entachant l’exemplarité exigée des bonnes pratiques professionnelles, et me situais du côté de ceux qui interviennent aujourd’hui en faveur de leur réintégration. Mais je demande, de surcroît, aux instances publiques d’organiser une concertation nationale consacrée à l’obligation vaccinale.</p>
<p>Car il s’agit là de la question qui s’impose à nous, aussi délicate soit-elle, si l’on souhaite parvenir à une position incontestable face aux dilemmes de choix politiques dont les aspects éthiques ne sont pas réductibles à la seule appréciation d’instances scientifiques dans un contexte donné. Cela ne m’empêche pas d’en comprendre les prudences et leur respect du principe de précaution.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187565/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’obligation vaccinale des professionnels de santé est maintenue. Pourra-t-on encore, demain, éviter l’obligation vaccinale pour tous ? Arguments et réflexions sur un sujet complexe.Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1728852021-12-14T19:54:38Z2021-12-14T19:54:38ZPour comprendre la crise sociale en Guadeloupe<p>Une de nombreuses vidéos sur la situation sociale de la Guadeloupe a retenu particulièrement notre attention. On y voit le syndicaliste Élie Domota face à un gendarme sur un barrage. Le syndicaliste, entouré de ses partisans, calme mais apparemment déterminé s’adresse au militaire entouré, lui, d’agents fraîchement débarqués sur l’île. Il lui demande de transmettre le message suivant au préfet.</p>
<p>« Dites-lui que nous avons un compte ancestral à régler et que nous irons jusqu’au bout ». Tout aussi calme, l’agent de la force publique lui demande alors de préciser ce qu’il entend par « jusqu’au bout ». S’adressant à nouveau au militaire, cette fois en créole, il répond « la i pann i sek ». Proverbe imagé que l’on peut traduire par « advienne que pourra ». Constatant la surprise de son interlocuteur qui ne comprend pas la réponse, il complète le proverbe sur un ton sarcastique par « menm mouillé i sek » (arrivera ce qui doit arriver), comme pour marquer la fin de l’échange avec un interlocuteur avec lequel on rompt la communication.</p>
<p>Cet échange révélateur des tensions de la crise sociale de 2021 est dans la continuité des mobilisations antérieures.</p>
<h2>Une longue histoire de mobilisations</h2>
<p>Celles de <a href="https://www.humanite.fr/mai-1967-greve-et-manifestation-sanglante-en-guadeloupe-636569">mai 1967</a>, auxquelles se réfère ouvertement le <a href="http://ugtg.org/spip.php?article327">mouvement social</a> se sont soldées par un nombre inconnu à ce jour de morts parmi les manifestants, dont Jacques Nestor, leader du mouvement syndicaliste. Ces évènements sont perçus comme une agression coloniale « subie » par la population, sans défense, de Pointe-à-Pitre et plus largement de la Guadeloupe.</p>
<p><a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/aux-antilles-greve-generale-2009-laisse-gout-amer-678261.html">En 2009</a>, des milliers de personnes avaient participé à des manifestations contre la crise économique et sociale aux Antilles. Elie Domota du LKP (Lyannaj Kont Pwofitasyon : Mobilisation contre l’exploitation), mouvement de tête de la mobilisation, affirmait dans une émission de la télévision locale Canal 10 que si « l’on veut la guerre civile, on l’aura. Il y aura des morts comme en <a href="https://www.karthala.com/hommes-et-societes-sciences-economiques-et-politiques/2560-mobilisations-sociales-aux-antilles-les-evenements-de-2009-dans-tous-leurs-sens-9782811106508.html">1967</a> mais pas de leur côté. »</p>
<p>Le mouvement social de 2009 a depuis été inscrit dans le rapport de la <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/aux-antilles-greve-generale-2009-laisse-gout-amer-678261.html">commission animée par l’historien Benjamin Stora</a>. Selon ce dernier, les mobilisés de l’époque manifestaient une volonté de « réappropriation sinon d’un destin du moins d’un avenir ». Cette commission d’information et de recherche historique a été instituée par un arrêté du 22 avril 2014 de la ministre des outremers, Georges Pau-Langevin. Sous la direction de l’historien Benjamin Stora, elle a été « chargée d’étudier et de rendre un rapport » sur plusieurs évènements notamment ceux de Guadeloupe survenus entre les 26 et 28 mai 1967.</p>
<p>En 2021, après le refus d’abrogation de l’obligation vaccinale, <a href="https://www.leprogres.fr/sante/2021/11/16/la-guerre-est-declaree-la-situation-se-tend-en-guadeloupe-autour-de-l-obligation-vaccinale">Maïté N’Toumo</a>, l’actuelle secrétaire générale du principal syndicat de salariés, l’UGTG (l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe) n’exclut pas l’affrontement. Estimant que le refus de dialogue des autorités et la suspension des soignants réfractaires à la vaccination constituent une violence. Elle déclare à son tour que la guerre est déclarée.</p>
<p>Il faut signaler qu’en 2009, le LKP, était à la fois un front puissant d’une cinquantaine d’organisations et le principal interlocuteur des autorités étatiques. En 2021, c’est une organisation parmi les autres dans un collectif qui s’oppose à l’obligation vaccinale et qui présente une plate-forme de revendications sociales. L’UGTG,la CGTG et les partis politiques indépendantistes ne font plus partie de ce LKP affaibli.</p>
<p>Comme en 2009, cette « guerre syndicale » est un appel au blocage avec toutefois une capacité de mobilisation moindre en 2021. Elle concerne aujourd’hui principalement les professions médicales et paramédicales ainsi que les pompiers qui refusent le vaccin au motif que la loi qui l’impose porte atteinte à la liberté individuelle et au droit de disposer de son corps.</p>
<p>Mais ce qui marque principalement les événements de 2021 est la place des jeunes, désoeuvrés, violents, qui marque un tournant dans la manifestation.</p>
<h2>L’irruption de la jeunesse guadeloupéenne</h2>
<p>La situation sociale de la Guadeloupe est devenue <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/11/20/la-guadeloupe-s-embrase-sur-fond-de-crise-sanitaire_6102952_3244.html">explosive</a> après l’irruption de ces jeunes dans l’action collective certains précisant qu’ils venaient en aide ainsi aux soignants et qu’ils étaient eux aussi contre l’obligation vaccinale.</p>
<p>Ils sont à l’origine d’une paralysie quasi complète du fonctionnement normal de la société insulaire. Après le refus des autorités et le déclenchement d’une grève générale illimitée par les syndicats, de nombreux barrages tenus par ces jeunes ont été érigés sur plusieurs points stratégiques de l’archipel.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un piéton traverse un barrage filtrant fait de véhicules brûlés et de débris à Mare Gaillard, près de Pointe-a-Pitre la Guadeloupe, le 22 novembre 2021" src="https://images.theconversation.com/files/436138/original/file-20211207-21-awm5zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436138/original/file-20211207-21-awm5zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436138/original/file-20211207-21-awm5zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436138/original/file-20211207-21-awm5zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436138/original/file-20211207-21-awm5zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436138/original/file-20211207-21-awm5zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436138/original/file-20211207-21-awm5zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">De nombreux barrages mis en place par les émeutiers ont paralysé la circulation routière sur l’île de la Guadeloupe, ici près de Pointe-a-Pitre le 22 novembre 2021.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.afpforum.com/AFPForum/Search/Results.aspx?pn=1&smd=8&q=3819541520319057085_0&fst=guadeloupe&fto=1&mui=3&t=2#pn=7&smd=8&mui=3&q=3819541519779247332_0&fst=guadeloupe&fto=1&t=2">Philippe Archambault/AFP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Rapidement, il ne s’agit plus seulement d’une mobilisation contre l’obligation vaccinale. La tension est d’une autre nature, le sens de la contestation aussi. Aux revendications des syndicats présentées selon des modalités convenues s’ajoutent désormais des actions violentes sans formulations de demandes précises et audibles. À l’échange conventionnel entre les forces de l’ordre et le LKP, s’oppose l’action imprévisible de jeunes masqués dont l’un des objectifs est de défier la force publique.</p>
<p>Des incendies de voitures et d’immeubles dans les centres villes, ressemblent aux violences urbaines que connaissent sporadiquement les banlieues françaises, un phénomène nouveau qui s’interprète, pour l’heure, comme une <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/crise-sociale-en-guadeloupe-ce-que-veulent-les-jeunes-1164586.html">mobilisation de défiance</a>.</p>
<p>La mobilisation des jeunes plus seulement concerner l’objet premier de la contestation. Ces jeunes en déshérence qu’il faut distinguer de ceux qui sont sur les barrages contrôlés par les syndicats sont pour l’essentiel des garçons, mineurs et jeunes adultes. Le plus souvent inactifs ils vivent du secteur informel et d’actions illicites.</p>
<p>L’engagement de ces jeunes, bien qu’il défie les autorités, est spontané sans concertation avec le mouvement social. Il ne repose donc pas sur un programme de revendications qui changent d’un barrage à un autre.</p>
<h2>Les raisons de la colère</h2>
<p>Cette partie de la jeunesse qui se trouve sur les barricades exprime à sa manière une exclusion qui dépasse la simple revendication de ressources. Leur crise est plus profonde. Elle révèle l’extrême faiblesse de tous les cercles de socialisation dont la famille, l’école et le tissu associatif.</p>
<p>Comme l’a montré le démographe <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/325/tendances.demographiques.migratoires.regions.ultraperipheriques.impact.cohesion.economique.sociale.territoriale.rapport.synthese.fr.pdf">Claude-Valentin Marie</a>, l’employabilité de cette partie de la jeunesse est difficile.</p>
<p>Le chômage touche en premier lieu ceux qui n’ont pas de diplômes. À cela s’ajoute le départ des plus diplômés qui quittent la Guadeloupe et de ceux à la recherche d’un emploi correspondant à leur qualification. Les jeunes de 15 à 29 ans sont les plus touchés par le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4480182">chômage</a>. Leur formation est un défi. Beaucoup d’entre eux sont nés dans des <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-l-action-2017-2-page-7.htm">familles</a> monoparentales et sans emplois, ce qui révèle un problème dont on n’a pas encore évalué la gravité.</p>
<p>Face à cette évolution de la situation, l’attitude des représentants du gouvernement pourrait renforcer les tensions devenant, paradoxalement, le moteur de la contestation. Certes, on peut difficilement discuter avec des émeutiers non identifiés sans revendications précises. Mais lors de son passage en Guadeloupe le 29 novembre Sébastien Lecornu le ministre des outremers a imposé aux syndicalistes la condamnation des violences de ces jeunes comme condition préalable au dialogue. La condition semble remplie en <a href="https://www.martinique.franceantilles.fr/actualite/social/un-chemin-de-sortie-de-solution-est-possible-avant-tout-car-il-y-a-une-condamnation-unanime-des-violences-lecornu-594063.php">Martinique</a>, pas en Guadeloupe.</p>
<p>En refusant de discuter avec les syndicats, les autorités ignorent les lois de la mobilisation et se privent d’un probable apaisement de la situation. Pour l’heure, les seuls échanges en cours concernent les élus locaux et les représentants du mouvement social qui doivent se rencontrer autour d’une proposition d’accord de méthode qui prévoit la venue d’une délégation interministérielle. Dans un <a href="https://www.outre-mer.gouv.fr/le-gouvernement-precise-sa-methode-pour-lelaboration-de-plans-daction-interministeriels-pour-la">communiqué</a> datant du 3 décembre, le ministre préfère confier au préfet la mission de le représenter lors d’éventuels échanges.</p>
<h2>De nouvelles formes d’actions collectives ?</h2>
<p>En Guadeloupe comme ailleurs l’<a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1983_num_24_3_3673">action collective</a> repose généralement sur deux dimensions complémentaires. D’une part une intégration horizontale qui révèle le degré de solidarité du groupe contestataire. Ce mode d’intégration se construit le plus souvent sur la base d’intérêts individuels ou collectifs à agir. En Guadeloupe la défense de l’identité culturelle et des acquis sociaux sont les ressorts récurrents de la mobilisation. D’autre part, une intégration verticale qui renseigne sur la nature des relations du groupe avec les autorités.</p>
<p>La qualité des relations avec le préfet ou le gouvernement participe à l’intensité de l’action collective. Lorsque la communication et le dialogue existent entre la direction du groupe mobilisé et les autorités, les probabilités de surgissement de la mobilisation sont faibles. On peut penser que les tensions actuelles entre le mouvement social et le ministre Lecornu sont alimentées par des échanges limités.</p>
<p>En croisant ces deux dimensions, on peut donc déduire les probabilités de déclenchement et l’intensité de la contestation. La <a href="https://fr1lib.org/book/3515400/5e19ba">mobilisation</a> est d’autant plus importante que la solidarité interne est forte et que l’intégration verticale est faible.</p>
<p>Par exemple, en 2009 le LKP a fédéré dans une démarche horizontale inclusive une myriade de partis et d’associations. Son dialogue vertical, conflictuel avec le représentant de l’État s’est déroulé en marginalisant les élus locaux et en médiatisant l’échange ; ce qui a galvanisé les troupes.</p>
<p>En 2021, le contexte, les acteurs et la stratégie du gouvernement ont changé.</p>
<p>Autre différence notable, la base sociale du LKP, moins diversifiée, s’est réduite, ce qui pourrait limiter aussi les probabilités de succès de la mobilisation contre l’obligation vaccinale.</p>
<p>Quelques jours avant l’arrivée du ministre, le LKP a rassemblé vraisemblablement plusieurs milliers de <a href="https://www.karibinfo.com/index.php/2021/12/04/un-deboule-pointois-contre-la-vaccination-obligatoire/">manifestants</a> en associant à sa démarche le groupe carnavalesque Akiyo, illustrant ainsi l’idée selon laquelle l’affirmation identitaire est un des ressorts de la mobilisation. Contrairement à ce qui s’est passé en 2009, il n’est pas sûr par conséquent que le mouvement social ait la capacité autonome d’un déploiement de force.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/McTdzUWnNKU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Manifestation conte la vaccination obligatoire et le passe sanitaire le 4 décembre 2021 à Pointe-à-Pitre, Guadeloupe.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un usage politique de l’opposition à la vaccination</h2>
<p>Cette crise a provoqué une division du mouvement nationaliste. Curieusement, ce sont les « anciens » qui par réalisme et confiance dans la science militent pour la vaccination. Les « anciens » nationalistes se réfèrent le plus souvent aux pays voisins indépendants qui n’hésitent pas dans une démarche « responsable » à vacciner leur population. Cuba est l’exemple le plus cité. Ils interpellent les « jeunes » sur l’attitude qu’ils auraient dans l’hypothèse d’une Guadeloupe souveraine.</p>
<p>Les « jeunes » ne sont pas nécessairement plus modernes. Ils fondent leur opposition à la vaccination sur des croyances dans une pharmacopée locale qui renforcerait les défenses immunitaires.</p>
<p>Ces « jeunes », qui dirigent aujourd’hui les syndicats, en symbiose avec une part notable de la population sensible aux discours douteux des réseaux sociaux, ont construit une opposition à la vaccination fondée sur des arguments d’ordre identitaire ; ce qui fait dire à Luc Ferry sur LCI le 28 novembre que la Guadeloupe est un territoire « ancestral » ! En réalité, il s’agit d’un usage politique de l’opposition à la vaccination par des syndicalistes par ailleurs militants politiques dont certains avouent être vaccinés.</p>
<p>Les allusions sur des médias de l’hexagone à des pratiques vaudous supposées pour expliquer la résistance à cette vaccination sont également purement fantaisistes dans la mesure où cette religion n’est pas pratiquée en Guadeloupe. Si la minorité haïtienne présente sur le sol guadeloupéen en a éventuellement une pratique, elle est discrète et ne peut alors avoir de lien avec la résistance à la vaccination.</p>
<p>La peur du vaccin est difficilement compréhensible quand on sait le nombre de morts causés par la pandémie.</p>
<p>En réalité, cette peur se conjugue avec une <a href="https://theconversation.com/du-code-noir-au-chlordecone-comprendre-le-refus-de-lobligation-vaccinale-aux-antilles-francaises-172668">méfiance généralisée</a> à l’égard des autorités étatiques et locales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172885/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fred Reno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Guadeloupe, les mobilisations mêlent des formes d’actions et des revendications différentes : manifestations syndicales et émeutes, lutte contre la vaccination obligatoire et colère des jeunes.Fred Reno, Professeur de science politique, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1726682021-12-01T18:55:15Z2021-12-01T18:55:15ZDu « Code noir » au chlordécone, comprendre le refus de l’obligation vaccinale aux Antilles françaises<p>Depuis plusieurs semaines, la situation en Guadeloupe est explosive. Plusieurs enjeux se mêlent et ont fait naître la forte mobilisation actuelle contre la politique sanitaire du gouvernement. Une partie de la population a même opté pour une résistance violente. Les mobilisations se sont aussi levées en Martinique et à Saint-Martin. Face à cela, le gouvernement français a essentiellement répondu par un rappel au respect de la loi et au maintien de l’ordre public, ce qui n’a fait que radicaliser la situation, comme l’avait prévu le politologue <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/opinions/debats/fred-reno-les-sens-et-le-moteur-de-la-crise-de-2021-en-guadeloupe-605173.php">Fred Reno</a>.</p>
<p>Pour comprendre la profondeur de la crise actuelle et plus conjoncturellement pourquoi l’argumentaire et la communication des autorités politiques et sanitaires en matière de Covid n’ont pas convaincu, il est nécessaire de replacer les récents événements dans une perspective historique plus large, qui renvoie au passé colonial des Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique) et à son héritage actuel.</p>
<h2>Aux origines du droit dérogatoire</h2>
<p>Ce passé colonial est essentiellement caractérisé par un processus de <a href="https://www.academia.edu/44158111/Du_Code_Noir_au_Chlord%C3%A9cone_h%C3%A9ritage_colonial_fran%C3%A7ais_aux_Antilles_Du_monstre_esclavagiste_au_monstre_chimique_Crimes_contre_lhumanit%C3%A9_et_r%C3%A9parations">dérogations locales au droit français</a> mené et assumé par l’État.</p>
<p>Ces dérogations sont la conséquence du statut colonial lui-même, qui entraîne intentionnellement une subordination du territoire et de sa population au profit de la métropole et de ses intérêts économiques et stratégiques. Dans son <a href="https://www.larevuedesressources.org/IMG/pdf/CESAIRE.pdf"><em>Discours sur le colonialisme</em></a>, Aimé Césaire rappelle cette réalité en insistant sur le fait que l’agriculture en particulier est orientée dans les colonies (et cette analyse reste valable aujourd’hui encore, à travers les cultures intensives de la canne et de la banane) « vers le seul bénéfice des métropoles ».</p>
<p>Parmi ces dérogations, on peut citer au premier chef le fameux <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/le-code-noir/"><em>Code noir</em></a>. Cet édit sur la police des îles françaises d’Amérique datant de 1685, constitue dès sa promulgation une profonde violation du droit français puisque ce dernier ne tolérait déjà plus, à l’époque, l’esclavage sur le sol du royaume. Les Antilles françaises avaient de plus été intégrées au domaine royal dix ans auparavant, et la coutume de Paris y était officiellement en vigueur.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le _Code noir_ datant de 1685" src="https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=723&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=723&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=723&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=908&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=908&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=908&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le <em>Code noir</em> datant de 1685 peut être considéré comme l’acte fondateur du droit colonial français.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce texte législatif, préparé par les Colbert père et fils et promulgué par Louis XIV, et qui légalise l’esclavage pour des raisons économiques et géopolitiques, peut donc être considéré comme <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782247121137-code-noir-jean-francois-niort/">l’acte fondateur du droit colonial français</a> en tant qu’ensemble de règles dérogeant au droit commun national.</p>
<p>À la légalisation de l’esclavage s’ajoutera, aux XVIIIe et XIXe siècles, la mise en place d’une politique de discrimination et de ségrégation juridique et sociale envers les affranchis et leurs descendants, appelés <a href="http://calamar.univ-ag.fr/cagi/NiortConditionlibrecouleur.pdf">« libres de couleur »</a>. Ces mesures conduisent à l’institution d’un véritable apartheid racial (avant ceux instaurés dans le sud des États-Unis et en Afrique du Sud), aggravant encore davantage la spécificité dérogatoire du modèle social antillais en regard du modèle français.</p>
<p>Pire encore, lorsque Bonaparte rétablit l’esclavage à la Guadeloupe le 16 juillet 1802 (huit ans après sa première abolition en février 1794) à travers un arrêté qui viole formellement la constitution qu’il avait lui-même instaurée en 1799, il tente de masquer cette illégalité manifeste par une autre : il ordonne que le texte ne soit pas publié au Journal officiel et reste secret jusqu’en 1803.</p>
<p>On atteint ici un sommet dans l’<a href="https://my.editions-ue.com/catalog/details/store/us/book/978-3-639-50715-7/du-code-noir-au-chlord%C3%A9cone,-h%C3%A9ritage-colonial-fran%C3%A7ais-aux-antilles?search=code%20noir%20niort">histoire des crimes coloniaux</a>, à la fois dans le degré de violation du droit national, et dans le mépris exprimé par le gouvernement à l’égard des populations qui en furent victimes pendant 42 années durant.</p>
<h2>Héritage colonial</h2>
<p>Malgré l’abolition définitive de l’esclavage (1848), puis du statut colonial (1946), cette politique dérogatoire est encore bien présente dans de nombreux domaines aux Antilles françaises, alors que la départementalisation a, dans le même temps, créé par ailleurs de nouveaux retards structurels de développement, comme le rappelle le politologue <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/opinions/debats/george-calixte-ce-que-traduit-l-opposition-a-l-obligation-vaccinale-605164.php">Georges Calixte</a>.</p>
<p>Politique dérogatoire par exemple dans l’instauration en 1954 de l’indemnité dite de « vie chère » au profit des seuls fonctionnaires. Cette mesure crée une importante disparité de pouvoir d’achat (40 % en l’occurrence) avec les salariés du secteur privé, le tout dans un cadre de réelle « vie chère » due en particulier au caractère peu ouvert des circuits économiques locaux (sociétés d’import-export, de grande distribution et de concessions automobiles restées aux mains de quelques groupes très puissants contrôlant et dominant le marché local et donc les prix) et qui constitue d’ailleurs l’une des principales revendications des mobilisations actuelles.</p>
<p>Mais les dérogations les plus connues sont cependant celles liées à l’utilisation, dans les bananeraies antillaises, du chlordécone et des épandages aériens de pesticides, qui ont donné lieu à de virulentes contestations locales dans les années 2010.</p>
<p>Le <a href="https://www.la-croix.com/France/Scandale-chlordecone-Guadeloupe-Martinique-lautre-raison-colere-2021-11-22-1201186422">chlordécone</a> fut pourtant interdit dans l’Hexagone en 1990 mais reste autorisée aux Antilles jusqu’en 1993 – plus huit mois à la demande des planteurs, pour pouvoir « écouler les stocks ».</p>
<p>Quant aux <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/05/31/manifestation-contre-l-epandage-aerien-en-guadeloupe_3421953_3244.html">épandages aériens de pesticides</a>, interdits par une directive européenne de 2009 (transposée en droit français par une ordonnance en 2011), ils seront pourtant autorisés localement jusqu’en 2015, à travers de multiples autorisations préfectorales et ministérielles « dérogatoires » et réitérées malgré l’intervention des tribunaux administratifs locaux.</p>
<p>À ce sujet, dans sa lettre ouverte du 11 juin 2013 adressée à la ministre de la Santé par le <a href="https://www.facebook.com/notes/2661130637532443/">docteur Jos-Pelage</a>, présidente de l’Association médicale pour la sauvegarde de l’environnement et de la santé (AMSES) en Martinique, avait débuté par cette formule-choc : « Aux Antilles françaises, on meurt par dérogation ». Elle ajoute qu’on peut légitimement se demander si on n’assiste pas là à une « survivance du vieil esprit colonial, qui, reposant sur le honteux postulat de l’infériorité de l’autochtone, considère la vie de celui-ci comme une valeur négligeable ».</p>
<h2>« Monstruosités juridiques »</h2>
<p>Ces « monstruosités » esclavagistes d’une part et chimiques d’autre part, sont donc fondées sur des <a href="https://www.academia.edu/44158111/Du_Code_Noir_au_Chlord%C3%A9cone_h%C3%A9ritage_colonial_fran%C3%A7ais_aux_Antilles_Du_monstre_esclavagiste_au_monstre_chimique_Crimes_contre_lhumanit%C3%A9_et_r%C3%A9parations">« monstruosités juridiques »</a>, c’est-à-dire des dérogations manifestes et profondes au droit national dans des domaines aussi importants que le droit à la liberté et à l’égalité, proclamés par la Déclaration des droits de l’homme de 1789, et que le droit à la santé et à un environnement sain, affirmés par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/charte-de-l-environnement">Charte de l’environnement de 2005</a>.</p>
<p>Dès lors, il n’est pas surprenant que l’argument du gouvernement pour imposer l’obligation vaccinale des soignants selon lequel « la loi est la même pour tous » ne convainque pas autant dans les Antilles que dans l’Hexagone. La politique juridique coloniale et son héritage ont en effet profondément dégradé le rapport au droit, à la loi, à l’État, et par conséquent ont altéré le degré de confiance dans les autorités qui produisent et appliquent les règles juridiques, spécialement en matière sanitaire.</p>
<p>On comprend alors les propos d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/france/guadeloupe/guadeloupe-ce-ne-serait-pas-choquant-qu-il-y-ait-une-specificite-ultra-marine-aux-mesures-sanitaires-aux-yeux-d-yves-jego_4855909.html">Yves Jégo</a>, ancien secrétaire d’État chargé des outre-mer, plaidant pour une prise en compte de cette réalité par les gouvernants actuels, quitte à établir des spécificités ultramarines aux mesures sanitaires.</p>
<h2>Une crise au-delà des enjeux liés à la vaccination</h2>
<p>Quant à l’explosion de colère et de violence qui accompagne cette résistance à la politique sanitaire du gouvernement, il faut rappeler que le sujet de la vaccination ne constitue qu’un des <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/greve-generale-illimitee-la-plateforme-de-revendications-compte-32-points-1159861.html">32 points</a> des revendications économiques, sociales, et sociétales formulées par l’intersyndicale actuelle.</p>
<p>Notons qu’elles sont d’ailleurs quasiment identiques à celles exprimées par le <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/aux-antilles-greve-generale-2009-laisse-gout-amer-678261.html">mouvement « LKP » de 2009</a>. Cela montre à quel point, comme le souligne encore Yves Jégo dans son intervention précitée, « il y a eu une décennie de perdue » dans le traitement des retards structurels de développement qui affectent les Antilles françaises du fait de son passé et de son héritage colonial.</p>
<p>Pire encore, la situation sociale et économique s’est aggravée depuis 2009, comme le souligne <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/opinions/debats/george-calixte-ce-que-traduit-l-opposition-a-l-obligation-vaccinale-605164.php">Georges Calixte</a> dans son article précité. La précarité a en effet augmenté en Guadeloupe. Plus d’un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et près de 60 % des 16-25 ans sont au chômage.</p>
<p>Dès lors, la seule solution réelle et pérenne à cette crise, comme déjà à celle de 2009, semble être la mise à plat et le traitement, une fois pour toutes, de ces problèmes structurels, ce qui représente certes un « immense chantier », mais un « chantier indispensable », comme le rappelle Yves Jégo.</p>
<h2>Autonomie, indépendance, souveraineté : quel avenir politique pour les Antilles françaises ?</h2>
<p>Et puisqu’entre-temps le mot d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/crise-aux-antilles/cinq-questions-sur-une-autonomie-de-la-guadeloupe-evoquee-par-le-gouvernement-pour-calmer-la-contestation_4861283.html">« autonomie »</a> a été « lâché » par le gouvernement, ce chantier comportera forcément une discussion approfondie à ce sujet, car c’est par le biais d’une plus grande autonomie que le rapport à la loi et aux autorités qui la produisent et l’appliquent pourrait se réparer, s’améliorer, dès lors que cette loi deviendrait plus adaptée aux spécificités locales et surtout plus respectueuse des populations concernées.</p>
<p>Outre « l’autonomie de développement économique », lancée en 2014 par <a href="https://www.makacla.com/COMPTE-RENDU-DE-L-ACTIVITE-DU-DEPUTE-SERGE-LETCHIMY-Semaine-du-03-au-13-juin-2014_a1754.html">Serge Letchimy</a>, député de la Martinique (et aujourd’hui président de la Communauté territoriale), à l’occasion de l’affaire des épandages aériens de pesticides, la notion d’autonomie, en Guadeloupe, renvoie également à la question beaucoup plus politique de l’évolution statutaire, qui est restée en statu quo depuis l’échec du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Consultations_locales_de_2003_sur_les_modifications_de_statut_territorial_en_Outre-mer">référendum local du 7 décembre 2003</a> alors que la Martinique a finalement opté, en 2010, pour une « collectivité unique », installée en 2015.</p>
<p>Les discussions sont d’ores et déjà amorcées entre les élus locaux, qui mettent en avant la notion de <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/de-la-domiciliation-du-pouvoir-a-l-autonomie-le-complexe-des-acteurs-politiques-de-la-guadeloupe-1166314.html">« domiciliation locale du pouvoir de décision »</a>, et l’intersyndicale à l’origine de la mobilisation, qui est dominée par une tendance plus nettement « nationaliste » et même indépendantiste.</p>
<p>Car comme le rappelle le juriste <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/actualite/politique/pierre-yves-chicot-l-autonomie-comme-le-developpement-sont-d-abord-question-d-attitude-et-de-mental-605162.php">Pierre-Yves Chicot</a>, la notion d’autonomie, prévue à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000571356/">article 74 de la Constitution</a>, est polymorphe et graduée, et a même été étendue depuis la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 (art. 74-1).</p>
<p>Rappelons qu’il existe aussi une notion intermédiaire, celle de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2013-2-page-33.htm">« souveraineté » locale ou « partagée » dans une perspective fédérale</a>, d’ailleurs prévue dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000571356/">titre XIII de la Constitution de 1958</a> (abrogé en 1995 faute d’avoir été mis en pratique) à travers la forme particulière d’une « Communauté française » composée d’« États membres » (cf. les anciens art. 76 et 77), et qui pourrait constituer une option politique médiane entre simple autonomie et pleine indépendance si elle était politiquement réactivée.</p>
<p>Alors que le référendum sur l’éventuelle indépendance de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000571356/">Nouvelle-Calédonie</a>, déjà très « autonome » (cf. art. 74-1, 76 et 77 nouveaux de la Constitution), approche à grands pas, l’avenir nous révélera donc quel sera le visage de cette plus ou moins grande « autonomie » politique en Guadeloupe à l’issue de la crise actuelle.</p>
<h2>La question centrale de l’agriculture et de l’alimentation</h2>
<p>Quoi qu’il en soit, c’est en premier lieu autour de la question de l’agriculture et de l’alimentation, encore profondément impactée par le passé et l’héritage colonial comme on l’a vu plus haut, que pourrait se positionner finalement le degré de « décolonisation » et d’émancipation économique et politique aux Antilles en général et en Guadeloupe en particulier.</p>
<p>Au-delà de la simple « autosuffisance alimentaire », tentée sans succès par le Schéma régional de développement économique (SRDEII), le curseur se placera donc finalement quelque part entre « l’autonomie alimentaire », comme viennent de le proposer Didier Destouches et Cécile Madassamy dans un <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/manifeste-pour-l-autonomie-alimentaire-1106149.html">manifeste récemment paru</a>, et la pleine <a href="https://viacampesina.org/fr/1996-declaration-de-rome-de-la-via-campesina-qui-definit-la-souverainete-alimentaire-pour-la-premiere-fois">« souveraineté alimentaire »</a>, revendiquée par le mouvement « patriotique » local, qui insiste, dans le sillage du scandale du chlordécone et des épandages aériens, sur le lien entre cette souveraineté alimentaire et la défense de l’environnement ainsi que la <a href="https://www.nouvellesetincelles.fr/article/1041/SOUVERAINETE-ALIMENTAIRE-DEFENSE-DE-L-ENVIRONNEMENT-ET-LA-SANTE-Quel-modele-de-developpement.html">protection de la santé</a>.</p>
<p>La satisfaction des besoins alimentaires de la population locale à travers une agriculture saine et durable protégeant la santé publique et individuelle constitue en effet non seulement une nécessité économique et humaine, mais aussi un « enjeu profondément politique », comme le rappellent les auteurs du manifeste précité, non seulement aux Antilles françaises, mais dans tous les pays du monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Niort ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Revenir aux origines du droit dérogatoire appliqué aux Antilles permet de comprendre le rapport conflictuel des insulaires aux directives du gouvernement français.Jean-François Niort, Maître de conférences hdr en Histoire du droit et docteur en Science politique (Faculté des Sciences juridiques et économiques de la Guadeloupe), Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1646512021-07-18T16:46:11Z2021-07-18T16:46:11ZLe passe sanitaire : de sérieux risques éthiques ?<p>L’annonce faite par Emmanuel Macron <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/07/12/adresse-aux-francais-12-juillet-2021">lundi 12 juillet</a> concernant la généralisation du passe sanitaire constitue un réel revirement dans la politique de santé publique menée jusqu’ici contre la Covid-19 en France.</p>
<p>Alors qu’une telle mesure permettrait d’alléger les restrictions sanitaires en préservant l’accès à la vie publique, elle pose néanmoins de sérieux problèmes sur le plan moral et n’a d’ailleurs pas manqué de susciter de <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/pass-sanitaire/manifestations-contre-le-pass-sanitaire-quelques-milliers-de-personnes-ont-manifeste-samedi-matin-dans-plusieurs-villes-de-france_4706091.html">nombreuses manifestations</a> en France samedi 17 juillet.</p>
<p>Lors du début de la campagne de vaccination en janvier 2021, s’appliquait le principe du <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide_vaccination_contre_la_covid_Ehpad_-_usld.pdf">consentement libre et éclairé</a> du patient. Or, les annonces de l’obligation vaccinale pour les personnels des établissements de santé, et surtout la généralisation du passe sanitaire, changent la donne. Sans rendre la vaccination obligatoire pour toute la population (ce qui reviendrait à renoncer au principe de consentement), le passe la rendra effectivement nécessaire à terme, sauf immunité attestée ou test PCR aux frais de la personne, pour accéder à l’espace public (transports de longue distance, hôpitaux, restaurants, lieux de loisir et de culture, centres commerciaux…). Cette mesure contraint la population non seulement sur ses choix vaccinaux, mais également en lui demandant de justifier de son identité et de son état de santé.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uzOXfvVipvs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Dans son allocution du lundi 12 juillet, Emmanuel Macron a annoncé l’extension rapide du passe vaccinal à la plupart des lieux publics, ainsi que la vaccination obligatoire pour les soignants.</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans un <a href="https://theconversation.com/le-masque-pour-la-liberte-de-tous-143968">précédent article</a>, j’avais argumenté que l’obligation du port du masque ne constituait pas une atteinte aux libertés fondamentales. Au contraire, combinée avec d’autres mesures de prophylaxie, et bien que fortement critiquée par certains comme une mesure liberticide, elle permettait de garantir nos libertés en maintenant l’espace public accessible avec des précautions peu coûteuses sur le plan individuel.</p>
<p>Le passe sanitaire, cependant, pose des problèmes d’un tout autre ordre. La difficulté n’est pas l’obligation vaccinale en tant que telle, puisqu’<a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/preserver-sa-sante/vaccination/vaccins-obligatoires/article/11-vaccins-obligatoires-depuis-2018">onze vaccins</a> sont actuellement obligatoires en France, comme les vaccins contre le tétanos ou la diphtérie par exemple.</p>
<p>Beaucoup plus problématique est le <em>caractère non-obligatoire mais néanmoins exigé</em> du vaccin contre la Covid-19, qui risque de provoquer des exclusions et d’accroître les inégalités, surtout parmi les populations déjà fragilisées.</p>
<h2>Un problème moral, surtout pour les plus jeunes</h2>
<p>L’aspect le plus problématique de cette mesure concerne son application aux mineurs à partir de l’âge de 12 ans. La difficulté ne relève pas uniquement de leur capacité cognitive à prendre une décision autonome et informée sur la vaccination. Plus problématique est le fait que leur accès même aux services de santé, et donc à la vaccination, passe par leurs parents, et demeure soumis à la volonté et aux convictions de ceux-ci ; en effet <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/grands-dossiers/vaccin-covid-19/je-suis-un-particulier/article/la-vaccination-des-mineurs">l’accord des deux parents</a> reste obligatoire pour se faire vacciner avant 18 ans.</p>
<p>Cela veut dire concrètement que les jeunes dont les parents refusent la vaccination pourraient se voir exclus de fait de la vie culturelle et publique. S’il n’est pas pour l’heure prévu d’étendre la vaccination obligatoire ou le passe sanitaire à l’école, certains élèves pourraient se trouver dans l’impossibilité de participer aux activités extra-scolaires et aux sorties qui font pleinement partie de l’éducation. Sans pouvoir accéder aux musées, aux cinémas, aux bibliothèques, aux activités sportives ou aux lieux de rencontre, c’est leur possibilité de se construire en se confrontant à d’autres perspectives et à d’autres milieux culturels qui risque d’être compromise.</p>
<p>La situation est d’autant plus préoccupante que ces restrictions risquent de fragiliser encore plus les individus les plus marginalisés et les plus défavorisés au sein de notre société, et d’accroître les inégalités d’opportunité déjà bien présentes.</p>
<p>Il convient de se demander si cette mesure ne représente pas un coût trop élevé pour la jeunesse, d’autant plus qu’elle fait porter une grande part de la responsabilité de la protection de la vie des plus vulnérables aux jeunes qui, pour l’instant du moins, tirent un faible bénéfice de la vaccination. Et cela alors même que les adultes les plus à risque de contracter et de mourir du SARS-CoV-2 (les populations âgées ou souffrant de comorbidités) bénéficient du droit de refuser la vaccination.</p>
<h2>Et pour les adultes ?</h2>
<p>Pour les adultes également, l’introduction du passe sanitaire risque d’accroître les inégalités et les fractures au sein de la société. Les plus vulnérables et marginalisés, notamment les <a href="https://www.francebleu.fr/infos/societe/covid-19-des-maraudes-pour-vacciner-les-sans-abris-a-strasbourg-1622714120">sans domicile fixe</a> et les personnes en situation irrégulière, ont effectivement plus facilement accès à la vaccination en France que dans <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/32502/covid-19-pour-les-sans-papiers-le-long-chemin-de-la-vaccination">certains autres pays européens</a>. Leur accès à l’information et leur situation sociale peuvent néanmoins constituer un frein.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1414971964368818178"}"></div></p>
<p>Concernant la liberté de circuler au sein de l’Union européenne, les mesures risquent de porter atteinte aux droits des non-résidents de circuler en France, compte tenu du fait que l’UE ne dispose d’assez de doses que pour vacciner <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/covid-19-l-ue-a-assez-de-doses-pour-vacciner-70-de-sa-population-adulte-mais-la-campagne-reste-a-la-traine-888760.html">70 % de sa population adulte</a> et que les stratégies vaccinales varient d’un pays à l’autre. Le passe vaccinal est ainsi susceptible de remettre en question la réalité de l’espace Schengen.</p>
<p>Au-delà des inégalités d’accès à la sphère publique, cependant, l’introduction du passe sanitaire pour des activités de la vie quotidienne pose un sérieux problème concernant la divulgation et la protection des données personnelles. Avec la mise en place du pass, il reviendra à chacun d’entre nous de choisir entre accepter de divulguer des informations sur notre identité et notre état de santé pour accéder aux lieux publics, ou renoncer à fréquenter ces lieux. Pour beaucoup de personnes qui devront continuer de se rendre au travail par des transports ou dans des lieux exigeant le pass, il s’agira d’un choix contraint.</p>
<p>Le 3 mai, le <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_3_mai_2021.pdf">conseil scientifique</a> avait d’ailleurs estimé que puisque le passe utilise des données personnelles, l’on devait limiter son usage aux seuls événements rassemblant un grand nombre de personnes et l’exclure pour des actes de la vie quotidienne.</p>
<h2>Protéger les vulnérables sans créer de nouvelles vulnérabilités</h2>
<p>Il va de soi que les situations d’urgence requièrent des mesures fortes et parfois des restrictions imposées à nos libertés individuelles. Encore faut-il que les politiques mises en place veillent à enfreindre le moins possible ces libertés, en évitant de créer de nouvelles vulnérabilités.</p>
<p>Or la mise en place du passe sanitaire pourrait s’avérer un prix trop fort à payer pour retrouver la vie d’avant et « tomber les masques », comme promis <a href="https://www.bfmtv.com/politique/l-obligation-du-port-du-masque-progressivement-levee-dans-les-lieux-ou-le-pass-sanitaire-s-applique_AN-202107130513.html">par Olivier Véran</a> le 13 juillet. Dans tous les cas, il semble peu légitime de l’étendre aux mineurs et de leur en faire supporter les conséquences sans qu’ils ne bénéficient du droit de décider par eux-mêmes de leur vaccination.</p>
<p>Il faut bien entendu tout mettre en œuvre pour sauver des vies, et cela exige des sacrifices de la part de chacun d’entre nous. Mais il n’est pas acceptable de sacrifier certaines parties de la population pour en sauver d’autres. Si le passe sanitaire augmente les inégalités d’accès à l’espace public et à la culture, il nuira gravement aux conditions d’existence de segments entiers de la population <a href="https://www.inegalites.fr/Inegalites-d-acces-a-la-culture-democratiser-les-pratiques-par-l-education">déjà fragilisés</a>, qu’il est également du devoir de l’État de protéger.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1412752500797677578"}"></div></p>
<p>Dans ce contexte, une obligation vaccinale pour l’ensemble de la population adulte pourrait être une <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/vaccin/pass-sanitaire-obligation-vaccinale-l-avocat-patrice-spinosi-ne-voit-pas-le-conseil-d-etat-et-le-conseil-constitutionnel-chambouler-le-dispositif-gouvernemental_4702709.html">moins mauvaise solution</a>, en tout cas sur le plan moral, bien qu’il eût été dans tous les cas nettement préférable de miser sur la persuasion plutôt que la coercition.</p>
<p>Les principes <a href="https://www.cairn.info/revue-contraste-2019-2-page-39.htm">d’autonomie et de consentement</a> libre et éclairé restent parmi les plus fondamentaux pour garantir le respect de nos libertés individuelles. Y renoncer (dans ce cas bien précis) se justifie peut-être compte tenu des millions de morts de la Covid-19 dans le monde, et des conséquences très lourdes des mesures de confinement. Cela doit rester un choix de dernier recours.</p>
<p>Cependant, nous renoncerions à quelque chose de bien plus essentiel en actant l’exclusion de fait d’une partie de la population de l’espace public.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164651/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélissa Fox-Muraton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la vaccination massive de la population est nécessaire à la sortie de crise, la contraindre par l’extension du passe vaccinal pose un certain nombre de problèmes éthiques fondamentaux.Mélissa Fox-Muraton, Professeur de Philosophie, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1639982021-07-06T17:23:51Z2021-07-06T17:23:51ZDébat : La vaccination, entre devoir démocratique et obligation légale<p>Dans un <a href="https://theconversation.com/coronavirus-comment-preparer-une-societe-democratique-a-un-risque-sanitaire-denvergure-128255">précédent article paru en février 2020</a>, je rappelais l’avertissement de la commission d’enquête destinée à évaluer la manière dont avait été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) en 2009 :</p>
<blockquote>
<p>« La défiance à l’égard de la vaccination constitue un défi pour l’avenir. Demain, il nous faudra peut-être faire face à une nouvelle pandémie à la gravité plus sévère. La mobilisation du corps social sera alors indispensable. Comment ferons-nous si l’on ne croit plus aux mesures de santé publique ? »</p>
</blockquote>
<p>Cette interrogation me paraît aujourd’hui encore déterminante, alors que l’exécutif évoque la perspective de contraindre des professionnels de santé et du médicosocial à la vaccination, faute d’avoir su donner à comprendre la signification démocratique de cet engagement et de cette responsabilité.</p>
<p>Le contexte épidémique inquiétant, marqué par la montée de variants plus transmissibles, ainsi que les données, probantes, relatives à l’efficacité du vaccin pour limiter la transmission virale, plaident pour l’accentuation de la mise en avant de l’urgence vaccinale ainsi que de sa pertinence scientifique. Les avantages préventifs individuels et collectifs d’un vaccin auquel nous avons le privilège de pouvoir accéder sans restriction en France s’opposent en effet aux convictions, aux représentations, aux défiances et aux peurs des personnes qui refusent l’injection.</p>
<p>Avant d’évoquer les enjeux immédiats de la vaccination, je proposerai quatre constats pour tenter de cerner les réticences des personnes qui résistent aux prescriptions et aux injonctions, aussi fondées soient-elles.</p>
<h2>Des professionnels de santé qui ne sont pas reconnus au sein de leur communauté</h2>
<p>Le 3 juillet, 96 médecins <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/en-finir-au-plus-vite-avec-la-pandemie-lappel-de-96-medecins-pour-la-vaccination-obligatoire-des-soignants-4055792">ont appelé à la vaccination obligatoire des soignants</a>. Constatant l’échec de leurs tentatives à convaincre les membres d’équipes soignantes rétifs à la vaccination, ils s’en remettent désormais au législateur pour prescrire ce à quoi ils ne sont pas parvenus. Selon eux, « Parce que c’est un devoir éthique de protection des personnes vulnérables dont ils ont la charge, tous les soignants doivent être vaccinés. » </p>
<p>Il s’agit là d’une forme de défaite dont on ne devrait pas minimiser la signification. Elle souligne en effet la crise de crédibilité qui affecte les autorités y compris médico-scientifiques, pourtant certainement plus fondées que des responsables politiques à légitimer une nécessaire vaccination.</p>
<p>Quelques jours plus tôt, le 30 juin 2021, les instances médicales de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), premier centre hospitalo-universitaire européen, diffusaient auprès des 100 000 collaborateurs du groupe un message d’alerte :</p>
<blockquote>
<p>« Nous en sommes à 70 % de vaccination parmi l’ensemble de celles et ceux qui travaillent à l’AP-HP. Cela signifie que 30 % d’entre vous ne sont pas vaccinés. Actuellement, une cinquantaine de personnels de l’AP-HP se fait vacciner chaque jour. Cela signifie que pour couvrir toute l’AP-HP, il faudrait près de deux ans. (…) Nous entendons parfois dire “ je le ferai quand ce sera obligatoire ”. Mais faut-il vraiment subir l’obligation, plutôt que la devancer ? (…) Aujourd’hui, nous disons clairement que nous devons tous nous faire vacciner. Le plus rapidement possible. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1410152274962362370"}"></div></p>
<p>Ces efforts d’incitation et de persuasion <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/06/18/covid-19-pourquoi-la-vaccination-plafonne-chez-les-infirmiers-et-les-aides-soignants_6084616_3244.html">n’ont pourtant pas abouti auprès des soignants qui les contestent</a>. Ces derniers devraient être, plus que d’autres, en mesure de saisir les enjeux de la vaccination, ne serait-ce qu’en termes d’exemplarité, et parce qu’ils acceptent déjà 4 vaccins obligatoires (diphtérie, tétanos, poliomyélite et hépatite B). Mais bien que conscients des principes déontologiques encadrant leurs missions, ils restent rétifs à consentir à cette contrainte spécifique au vaccin du Covid-19. </p>
<p>Du reste, on pourrait arguer que depuis le début de la crise sanitaire, ils ont assumé leurs missions, y compris lorsqu’ils ne disposaient pas des moyens de protection indispensables à des pratiques exposées au risque viral… Rappelons cependant que, du 1<sup>er</sup> mars 2020 au 22 juin 2021, Santé publique France a dénombré <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/recensement-national-des-cas-de-covid-19-chez-les-professionnels-en-etablissements-de-sante">82 449 cas de Covid-19 chez les professionnels exerçant en établissement de santé (dont 20 175 infirmiers et 17 627 aides-soignants, représentant respectivement 24 % et 21 % des cas)</a>.</p>
<p>La question se pose ici des modalités d’accompagnement et d’explication d’une stratégie vaccinale qui a évolué dans un contexte incertain, parfois confus et contradictoire, dès son lancement le 28 décembre 2020.</p>
<h2>Remise en cause de l’autorité scientifique</h2>
<p>Ce premier constat en appelle un second. Le 29 janvier 2021, le Premier ministre a annoncé son refus de recourir à toute mesure de confinement, en dépit d’alertes épidémiologiques. Ce faisant, il a mis en cause l’autorité scientifique. Or c’est cette même autorité scientifique qui nous fait défaut aujourd’hui pour éclairer les décisions délicates (personnelles et collectives) auxquelles nous confronte une nouvelle menace de poussée épidémique.</p>
<p>Rappelons-nous <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/week-end-direct/jean-francois-delfraissy-juge-qu-il-faudra-probablement-aller-vers-un-confinement-24-01_VN-202101240209.html">l’avertissement formulé le 24 janvier dernier</a> par Jean‑François Delfraissy, président du Conseil scientifique Covid-19 :</p>
<blockquote>
<p>« Si nous continuons sans rien faire de plus, nous allons nous retrouver dans une situation extrêmement difficile, comme les autres pays, dès la mi-mars. »</p>
</blockquote>
<p>D’autres enjeux auront toutefois prévalu sur ses analyses. Quand bien même en retardant à début avril les mesures réclamées fin janvier par les scientifiques, le gouvernement a alourdi le bilan de la pandémie en France de « plus de 14 000 décès, près de 112 000 hospitalisations, dont 28 000 en réanimation, et environ 160 000 cas de Covid-19 long supplémentaires », <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/06/18/le-lourd-cout-humain-d-un-troisieme-confinement-tardif-en-france_6084619_3244.html#:%7E:text=On%20y%20observe%20d%E2%80%99abord,enfin%20massivement%20sur%20les%20d%C3%A9c%C3%A8s.">selon les estimations du quotidien <em>Le Monde</em></a>.</p>
<p>De quoi susciter une certaine circonspection à l’égard des arbitrages politiques, d’autant plus qu’ils sont décidés dans le confinement d’instances comme le Conseil de sécurité sanitaire, le chef de l’État s’attribuant des compétences en matière de santé publique, ou précipités, faute d’anticipation, comme c’est le cas en matière d’obligation vaccinale. La confusion des genres, et parfois le manque de loyauté, attisent les attitudes suspicieuses à l’égard des positions officielles.</p>
<h2>Une défiance renforcée par les conditions du « retour à la normale »</h2>
<p>Les conditions du dernier déconfinement en date n’ont pas fait davantage l’objet de concertation en société que celles du 11 mai 2020. Le 2<sup>e</sup> confinement du 29 octobre 2020 s’explique en grande partie par l’impréparation à une phase de résurgence de la pandémie <a href="https://theconversation.com/covid-19-ce-qui-va-se-passer-a-lautomne-dependra-grandement-de-ce-que-lon-fait-aujourdhui-144914">qui imposait des mesures préventives</a>. Comme en juin dernier, la liberté était proclamée et célébrée comme la délivrance de contraintes sanitaires qui avaient épuisé et dérouté nombre d’entre nous. </p>
<p>En ce début d’été, au moment des premières vacances, voilà que s’insinue la menace d’un horizon qui perturbe les plans gouvernementaux et met en cause des promesses peut-être imprudentes. Comment adopter la position ajustée aux circonstances, et accorder confiance aux instances qui semblent surprises et dépourvues alors qu’elles prétendaient imposer leur agenda au virus ?</p>
<p>Le 12 mai 2021, dans le document gouvernemental <a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/une_strategie_et_un_agenda_de_reouverture_mai_2021.pdf">« Une stratégie et un agenda de réouverture »</a>, les étapes de sortie entre le 3 mai et le 30 juin sont décrites. La vaccination est évoquée sans mention incitative. Un développement est consacré à « La vigilance individuelle et collective enfin » insistant sur des mesures déjà bien intégrées au sein de la société : « La réussite de la réouverture repose sur l’implication de chacun. Cela suppose le respect par tous les Français, pour un temps encore, des gestes barrières et des règles de prudence qu’ils ont su adopter depuis plus d’un an. »</p>
<p>Dans ce document, aucune anticipation <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_6_mai_2021.pdf">des éventualités identifiées le 6 mai par le Conseil scientifique Covid-19</a> : « À moyen terme, et en vue de la période estivale, les scénarios d’évolution restent ouverts et doivent être anticipés. Dans une hypothèse défavorable, en cas de quatrième vague, l’épuisement des personnels de santé n’offrira plus les mêmes capacités de prise en charge, en soins critiques en particulier. Si une vague intervenait pendant une canicule estivale, ces difficultés en seraient accrues. »</p>
<p>Il est significatif à cet égard que la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043567200">loi n° 2021-689 du 31 mai 2021</a> relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire n’évoque en rien l’éventualité d’une obligation vaccinale. De telle sorte que c’est <em>in extremis</em>, en évoquant le recours à des dispositifs obligatoires, que le gouvernement tenterait d’intervenir pour contrer une 4<sup>e</sup> vague pandémique dont seule la vaccination atténuerait les effets. </p>
<p>Observons que cette fois, l’exécutif s’en remet sans réserve à l’expertise scientifique pour cautionner un processus législatif favorable à la vaccination des professionnels. Rien à voir cette fois avec la gestion dite « politique » de la crise, qui avait notamment mené au « pari présidentiel » de renoncer à toute idée de confinement le 29 janvier 2021.</p>
<h2>« Les Français sont désormais favorables à la vaccination obligatoire »</h2>
<p>Dans un courrier adressé le 1<sup>er</sup> juillet 2021 aux présidents de groupes parlementaires, le Premier ministre les consulte à propos « des mesures de prévention et de gestion (…) permettant d’éviter d’imposer à nouveau des contraintes fortes aux Français ». </p>
<p>Jean Castex aborde clairement l’obligation vaccinale imposée aux professionnels exerçant dans un contexte qui favorise les risques de contamination (c’est notamment le cas dans les établissements de soins ou d’hébergement de personnes en situation de vulnérabilité). Cependant son interrogation est plus vaste, puisqu’il demande si les présidents de groupe estiment « que cette obligation devrait être étendue plus largement ». Le Premier ministre remarque en effet que </p>
<blockquote>
<p>« de nombreuses personnes ne respectent pas l’isolement lorsqu’elles sont infectées par le virus. Ce constat pourrait conduire à nous interroger sur l’opportunité d’instaurer une obligation d’isolement, assortie de sanctions, comme nous l’avons déjà fait pour les personnes en provenance de certains pays à risque élevé. » </p>
</blockquote>
<p>Depuis, la position du gouvernement s’est précisée, ne retenant plus dans son agenda qu’un texte législatif contraignant les seuls professionnels. Son application sur les soignants semble non seulement plus évidente que sur la population générale, mais qui plus est, sa valeur pédagogique ne doit pas être négligée. </p>
<p>Toutefois, rien n’indique que des professionnels se conforment à une mesure qu’ils pourraient considérer de nature à les stigmatiser, voire injuste. Cela d’autant plus que des mesures alternatives à la vaccination leur ont permis depuis des mois de prendre en compte la protection sanitaire de personnes vulnérables en établissement comme à domicile.</p>
<p>Le 1er juillet dernier également, un sondage Odoxa indiquait que les Français sont désormais <a href="http://www.odoxa.fr/sondage/les-francais-sont-desormais-favorables-a-la-vaccination-obligatoire/">« favorables à la vaccination obligatoire »</a>, près des trois-quarts (72 %) se déclarant favorables à la vaccination obligatoire des soignants, et près de six sur dix (58 %) y étant même favorables pour l’ensemble de la population.</p>
<p>C’est dire que pour l’exécutif, les questions de courage politique et de prudence ne constituent plus des entraves à la décision. Le reproche qui pourrait lui être fait est celui d’un attentisme discutable si l’on tient compte des positions scientifiques développées depuis l’énoncé de la stratégie vaccinale française.</p>
<p>Et ce d’autant plus que depuis quelques jours, l’Institut Pasteur et la Haute Autorité de Santé (HAS) ont produit les arguments attendus pour aborder sur des bases robustes la justification d’une obligation vaccinale.</p>
<h2>« L’approche la plus efficace pour contrôler l’épidémie »</h2>
<p><a href="https://www.has-sante.fr/jcms/p_3221338/fr/strategie-de-vaccination-contre-le-sars-cov-2-recommandations-preliminaires-sur-la-strategie-de-priorisation-des-populations-a-vacciner">Le 30 novembre 2020</a> la HAS considérait que « La décision de rendre obligatoire une vaccination est d’autant plus justifiée sur le plan éthique que les connaissances sur les futurs vaccins et leur capacité à limiter la contagion du virus sont étendues ». Or, toujours selon l’institution, dans le cas des vaccins contre la Covid-19, cela n’aurait pas dû être le cas « avant un certain temps ». </p>
<p>Pourtant, sept mois plus tard, le 29 juin 2021, l’Institut Pasteur a présenté une étude dont les résultats justifient effectivement l’hypothèse d’une obligation vaccinale. Selon les auteurs de ces travaux, la vaccination est en effet <a href="https://modelisation-covid19.pasteur.fr/evaluate-control-measures/impact-partially-vaccinated-population/">« l’approche la plus efficace pour contrôler l’épidémie »</a>, car les personnes non vaccinées « contribuent à la transmission de façon disproportionnée : une personne non vaccinée a 12 fois plus de risque de transmettre le SARS-CoV-2 qu’une personne vaccinée ».</p>
<p>Le lendemain de la publication de cette étude, la HAS déclarait qu’à la lumière des données disponibles sur la protection conférée par les vaccins contre la transmission, « la vaccination des professionnels de santé et plus généralement de ceux qui sont en contact avec des personnes vulnérables <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/p_3275310/fr/covid-19-intensifier-la-vaccination-des-personnes-vulnerables-et-precaires-ainsi-que-des-soignants">revêt un enjeu éthique autant que de santé publique</a> ». L’institution considère désormais qu’il est impératif que « leur couverture vaccinale progresse rapidement, sans quoi, face à une résurgence épidémique, la question de l’obligation vaccinale doit être rapidement posée en tout premier lieu pour les professionnels du secteur sanitaire, social et médicosocial qui ont été les cibles prioritaires de la vaccination dans les premières phases de la vaccination ». Elle n’exclut pas que selon l’évolution de l’épidémie, la réflexion sur l’obligation vaccinale s’étende à l’ensemble de la population.</p>
<p>Les positions des autorités sanitaires sont donc explicites à l’égard de la vaccination des professionnels ; elles délivrent les décideurs politiques de tout dilemme stratégique.</p>
<p>En ce qui concerne la population en général, dans sa position l’Institut Pasteur précise : « Cela suggère que, dans une population partiellement vaccinée, des mesures de contrôle qui ne seraient appliquées qu’aux personnes non vaccinées pourraient maximiser le contrôle de l’épidémie tout en minimisant l’impact sociétal. Cela soulève néanmoins des questions sociales et éthiques importantes qui doivent être discutées. »</p>
<h2>Une pédagogie trop tardive</h2>
<p>Respecter les libertés individuelles, l’autonomie des personnes, éclairer leur discernement par des arguments fondés, démontrés et pesés aurait nécessité une approche informative cohérente et une concertation publique. Là également nous avons été défaillants. Dès l’annonce des premiers vaccins fin juillet 2020 une pédagogie de la responsabilité partagée devait être mise en œuvre. L’objectif du chiffre diffère d’une mobilisation éthique et politique qui mérite mieux que des propos incantatoires.</p>
<p>Le discours médico-scientifique, comme les injonctions politiques, s’avèrent à bien des égards inopérants là où l’engagement relève de valeurs, de représentations, de convictions personnelles, d’un rapport de confiance et de solidarités entamées, et plus particulièrement là où les vulnérabilités de toute nature se sont avérées les plus fortes au cours de cette crise.</p>
<p>Depuis le début de la campagne de vaccination en France, 34 329 183 personnes ont reçu au moins une injection (soit 50,9 % de la population totale) et 23 839 666 personnes ont désormais un schéma vaccinal complet (soit 35,4 % de la population totale). Des chiffres encore éloignés des seuils permettant <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/vaccin/covid-19-quelle-menace-represente-le-variant-delta_4680313.html">d’absorber la vague épidémique qui s’annonce</a>.</p>
<h2>Favoriser l’esprit de discernement et le sens des responsabilités</h2>
<p><a href="https://www.academie-medecine.fr/obligation-nest-pas-un-gros-mot-quand-il-sagit-de-vacciner-contre-la-covid-19/">« “Obligation” n’est pas un gros mot quand il s’agit de vacciner contre la Covid-19 »</a>, affirmaient les membres de l’Académie nationale de médecine le 25 mai 2021. </p>
<p>L’argument est rationnel et strict, peu discutable : </p>
<blockquote>
<p>« [L’obligation vaccinale] s’impose dans tous les cas où une vaccination efficace permet d’éliminer une maladie répandue, sévère et souvent mortelle. Avec un taux d’efficacité de 90 à 95 % contre les formes graves de la Covid-19, les vaccins actuellement homologués en France contre le SARS-CoV-2 remplissent les conditions qui permettent de recourir à l’obligation vaccinale face à une épidémie redoutable, en particulier socialement, que les mesures individuelles (gestes barrière) et collectives (couvre-feu, confinement) sont incapables de contrôler dans la durée. »</p>
</blockquote>
<p>Professeur d’éthique médicale, je suis convaincu à la fois de la justification d’une vaccination accessible à tous, y compris au plan international (à ce jour 1,6 milliard de personnes ont accès aux 4,3 milliards de doses préemptées par les pays en capacité d’en assumer le coût), ainsi que de son obligation morale et déontologique – puisque tout indique aujourd’hui qu’une telle vaccination s’avère pertinente. </p>
<p>Je m’interroge néanmoins sur les modalités pratiques et les conséquences d’une légalisation de l’obligation vaccinale. En termes d’éthique, nous privilégions l’approche au cas par cas pour éviter des systématismes toujours discriminatoires à l’égard des personnes les plus vulnérables.</p>
<p>Dès lors que l’argumentation contradictoire est préférée au discours d’autorité et aux dogmatismes, les opinions se forment notamment à partir des interventions dans les médias. On constate que cette fois encore, ces derniers se sont substitués à l’organisation d’une concertation publique qui aurait été plus constructive, si l’État avait su produire une communication publique accessible à tous, notamment à propos des vaccins de nouvelle génération, dont la conception inquiète, y compris certains professionnels de santé.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vaccination-une-hesitation-francaise-150773">Vaccination : une hésitation française</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Nous disposons de quelques semaines pour proposer une approche en responsabilité d’enjeux qui concernent les libertés individuelles au regard des impératifs de santé publique. Il nous faut désormais aller plus avant dans une réflexion qui favorise l’esprit d’ouverture, de discernement et le sens des responsabilités, et ainsi tenir compte de la position des personnes aujourd’hui réfractaires à la vaccination qui, elles aussi, doivent être reconnues dans leur faculté d’assumer leurs décisions. </p>
<p>Pour ce qui me concerne, je préfère exercer le devoir démocratique de vaccination plutôt que de concéder à l’obligation vaccinale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163998/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Faut-il obliger les personnels soignants à recevoir le vaccin contre la Covid-19 ? La question est délicate, mais la situation actuelle tendrait à imposer une réponse par l’affirmative.Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.