tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/rassemblement-national-rn-62992/articlesRassemblement national (RN) – The Conversation2024-03-24T17:52:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2255032024-03-24T17:52:48Z2024-03-24T17:52:48ZComment Éric Zemmour a-t-il droitisé la France ?<p>Comment expliquer la popularité grandissante du Rassemblement national (RN) aujourd’hui ? <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/11/elections-europeennes-2024-le-rn-dans-une-dynamique-favorable_6221331_823448.html">Les sondages récents</a> sur les intentions de vote aux élections européennes mettent en avant un nouvel indicateur central du vote RN : les électeurs <a href="https://theconversation.com/comment-le-ressentiment-nourrit-le-vote-rn-dans-les-zones-rurales-213110">insatisfaits</a> de la vie qu’ils mènent seraient plus susceptibles de voter pour lui.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/09/03/marine-le-pen-nantie-du-vote-populaire-vise-les-classes-moyennes_6187612_823448.html">études</a> sur la sociologie électorale du RN mettent en effet l’accent sur sa capacité à capter les classes moyennes en jouant sur la « peur du déclassement » à laquelle il apporterait une réponse en termes de maintien des acquis sociaux. Ce parti deviendrait ainsi le</p>
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<p>« porte-parole d’une demande de souverainisme et de justice sociale, défendant une redistribution qui ne serait pas disponible aux étrangers ».</p>
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<p>Cependant, ces analyses invitent à un raccourci entre demande de justice sociale et adhésion aux idées de « préférences nationales » du RN. Or cela repose sur une idée trompeuse : que le vote RN est un vote d’adhésion totale – théorie qui a été remise en cause par les <a href="https://www.septentrion.com/FR/livre/?GCOI=27574100118550">analyses sociologiques</a>. On peut notamment trouver un exemple de cette adhésion partielle et contextuelle aux idées du RN dans le militantisme de groupes sociaux qui seraient à priori plus rétives à l’engagement au RN que d’autres, notamment les activistes homosexuels ou les militantes féministes. Il convient dès lors de parler de synchronicité plutôt que de lien causal entre le vote RN des classes moyennes et leur perception d’un malaise social.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-peripherique-abstention-et-vote-rn-une-analyse-geographique-pour-depasser-les-idees-recues-175768">« France périphérique », abstention et vote RN : une analyse géographique pour dépasser les idées reçues</a>
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<h2>Vers la fin de la stigmatisation du vote RN ?</h2>
<p>La vraie question qui est posée par l’élargissement du socle électoral du RN aux classes moyennes et à une partie des classes supérieures est celle de la marginalité du RN. Il y a 30 ans, le vote FN était honteux, vu comme un geste lourd de sens qui catégorisait automatiquement ses acteurs comme racistes. Aujourd’hui le programme du RN n’a pas changé, mais on peut désormais voter RN et l’assumer publiquement. Cela peut nous porter à croire que le stigmate négatif qui était associé au vote pour l’extrême droite est en voie de disparition.</p>
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<p>Il importe dès lors aux études actuelles de poser la question du moteur de la disparition de ce stigmate, c’est-à-dire des ressorts de l’interaction entre les électeurs RN et le débat public. Au niveau microsociologique, celui des électeurs, des <a href="https://www.septentrion.com/FR/livre/?GCOI=27574100118550">études récentes</a> montrent que la dimension toujours stigmatisante du RN peut être « dépassée, contournée par l’inclusion dans des entre-soi particuliers ».</p>
<p>Au niveau macrosociologique, celui du débat public, <a href="https://www.theses.fr/s300079">mes recherches</a> tendent à montrer le décloisonnement des idées portées par l’extrême droite, auparavant confinées au domaine directement politique, pour se diffuser aujourd’hui dans les domaines journalistiques, littéraires et philosophiques. Mon hypothèse est la suivante : la popularité grandissante du RN serait en partie liée à une « droitisation » du débat public français.</p>
<h2>Le rôle des producteurs idéologiques illibéraux dans la « droitisation » du débat public</h2>
<p>En effet, l’un des atouts dont l’extrême droite française dispose aujourd’hui est la multiplication d’intellectuels et d’écrivains qui défendent et font circuler ses idées dans le débat public sous couvert d’un nouveau <a href="https://www.illiberalism.org/illiberalism-conceptual-introduction/">positionnement illibéral</a>, c’est-à-dire opposé au progressisme, aux droits des femmes, des individus racisés, des immigrés et de la communauté LGBTQ+.</p>
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<p>Les producteurs idéologiques illibéraux que j’identifie – notamment <a href="https://theconversation.com/eric-zemmour-une-histoire-francaise-169213">Éric Zemmour</a>, <a href="https://theconversation.com/alain-finkielkraut-nouvel-academicien-le-fragile-bonheur-de-limmortalite-53241">Alain Finkielkraut</a>, <a href="https://theconversation.com/apres-houellebecq-economiste-houellebecq-sociologue-du-travail-171992">Michel Houellebecq</a> et <a href="https://michelonfray.com">Michel Onfray</a> – participent, en irriguant le débat public de leurs idées <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/NoteBaroV13_GI_CulturalBacklash_fevrier2022_VF.pdf">nativistes</a>, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/zemmour-candidat-on-a-relu-son-premier-sexe-et-on-a-des-questions-a-lui-poser_189446.html">patriarcales</a> et <a href="https://tetu.com/2021/12/01/tribune-election-presidentielle-2022-eric-zemmour-candidat-homophobie/">hétéronormées</a>, à la normalisation des présupposés racistes, misogynes et LGBT-phobes sur lesquels reposent ces idées.</p>
<p>L’objectif de mes recherches est d’étudier le rôle de ces producteurs idéologiques illibéraux dans la « droitisation » du débat public en France. L’angle d’approche n’est pas celui de la demande, mais de l’offre : autrement dit, je ne cherche pas à montrer que les Français deviennent plus racistes, sexistes ou homophobes dans leurs valeurs politiques – thèse qui est contestée par la <a href="https://esprit.presse.fr/article/vincent-tiberj/a-force-d-y-croire-la-france-s-est-elle-droitisee-43763">sociologie électorale</a>. Mon hypothèse suppose au contraire un décalage entre une demande publique de tolérance et de respect de la diversité, d’une part, et une offre idéologique obsédée par l’immigration et les valeurs dites « traditionnelles », d’autre part.</p>
<p><a href="https://academic.oup.com/edited-volume/55211/chapter-abstract/441369796">Je me suis tout particulièrement intéressée</a> aux idées qu’ Éric Zemmour véhicule dans ses écrits afin d’expliquer son rôle dans la droitisation du débat public français.</p>
<h2>Le cas Éric Zemmour</h2>
<p>Dans sa trilogie d’essais politiques à succès, Zemmour retrace l’histoire de ce qu’il considère comme la destruction de l’identité et de la souveraineté de la France dans tous les domaines. Ces livres reprennent toutes les thématiques classiques de l’illibéralisme : la disparition des hiérarchies traditionnelles, de l’homogénéité culturelle et le besoin de défendre la nation comprise d’une manière très ethnicisée. L’essai le plus populaire de cette trilogie, <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757"><em>Le Suicide français</em></a>, publié en 2014 avec un tirage initial de 85 000 exemplaires, s’est finalement vendu à plus de 450 000 exemplaires. Les maigres résultats électoraux de Zemmour à l’élection présidentielle de 2022 sont donc à mettre en contraste avec le rayonnement médiatique massif de ses écrits et son <a href="https://www.illiberalism.org/wp-content/uploads/2022/09/Perine-Schir-and-Marlene-Laruelle-Eric-Zemmour-The-New-Face-of-the-French-Far-Right-Media-Sponsored-Neoliberal-and-Reactionary-1.pdf">omniprésence dans le débat public</a>.</p>
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<h2>Détourner les propos des forces progressistes</h2>
<p>L’idéologie progressiste condamnée par Zemmour serait responsable non seulement de la marginalisation de l’ancienne majorité culturelle mais aussi de son « remplacement » par des immigrés, musulmans notamment. Zemmour défend ici ouvertement les fondements de la théorie du <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/l-article-a-lire-pour-comprendre-pourquoi-le-grand-remplacement-est-une-idee-raciste-et-complotiste_4965228.html">« grand remplacement »</a> formulée par Renaud Camus, assurant qu’elle est <a href="https://www.fnac.com/a16213716/Eric-Zemmour-La-France-n-a-pas-dit-son-dernier-mot">« ni un mythe ni un complot »</a> en la prolongeant d’une intentionnalité cachée de sa propre création.</p>
<p>En invitant « naïvement » cette population musulmane à s’installer en France, cette dernière aurait eu l’opportunité de <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">mettre en œuvre sa stratégie</a> de « revanche » à travers la « contre-colonisation ». En effet, selon Zemmour, les anciennes colonies de la France en Afrique du Nord, d’où proviennent la majorité des immigrés musulmans français, nourrissent un rêve secret de revanche contre leurs anciens maîtres.</p>
<p>Zemmour <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">tire cet argument</a> de la célèbre citation de l’auteur décolonial <a href="https://theconversation.com/quotes-from-frantz-fanons-wretched-of-the-earth-that-resonate-60-years-later-173108">Frantz Fanon</a> : « Le colonisé est un persécuté qui rêve en permanence de devenir persécuteur. » Si Fanon fait ici référence à la violence nécessaire pour parvenir à la décolonisation, il n’évoque en aucun cas une ambition cachée de « revanche ». On peut voir ici un exemple d’une des techniques rhétoriques de persuasion favorites de Zemmour : pour délégitimer en amont toute critique de ses arguments, il se réapproprie la terminologie de ses adversaires progressistes en en retournant le sens, afin d’atteindre des positions opposées.</p>
<p>Zemmour voit une preuve de cette « contre-colonisation » dans la surreprésentation des familles immigrées musulmanes dans les banlieues. Bien que les sources de ce phénomène aient été <a href="https://www.quesaisje.com/la-crise-des-banlieues?v=1820">clairement identifiées</a> comme économiques et sociales, il existe <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">pour Zemmour</a> une raison plus profonde : les musulmans, où qu’ils vivent, formeraient « un peuple dans le peuple », car l’islam serait « à la fois une identité, une religion et un système juridico-politique ». Selon Zemmour, l’islam présupposerait intrinsèquement une volonté de domination, et le rôle de la communauté des fidèles serait de la mettre en œuvre dans le monde.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vivons-nous-dans-une-ere-de-migration-de-masse-196916">Vivons-nous dans une ère de migration de masse ?</a>
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<h2>Manipuler par transfert d’autorité</h2>
<p>Ce réquisitoire contre les musulmans permet ensuite à Zemmour d’introduire le présupposé selon lequel il existe un type d’immigrés potentiellement assimilables – les immigrés chrétiens européens blancs – et un autre qui ne le sera jamais. Les immigrés musulmans ne pourraient être mélangés avec les « bons » immigrés, tout comme <a href="https://www.fnac.com/a16213716/Eric-Zemmour-La-France-n-a-pas-dit-son-dernier-mot">« l’huile et le vinaigre »</a> ne peuvent pas être mélangés.</p>
<p>Cette dernière référence, régulièrement convoquée par Zemmour, serait d’après lui empruntée au général de Gaulle, bien que ce dernier ne l’a jamais prononcée publiquement (elle aurait été formulée en 1959 lors d’une entrevue privée avec Alain Peyrefitte. Peyrefitte l’a <a href="https://www.fayard.fr/livre/cetait-de-gaulle-tome-i-9782213028323/">rapportée</a> près de 25 ans après la mort de de Gaulle, qui n’a jamais pu en confirmer la véracité.)</p>
<p>L’authenticité de la citation n’est pas essentielle dans la stratégie de Zemmour. Le véritable objectif de ce passage – et de l’intense activité de <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/on-dira-ce-qu-on-voudra/segments/chronique/119094/maude-landry-en-francais-svp-name-dropping">« name dropping »</a> qui caractérise l’ensemble de ses ouvrages – n’est pas l’objectivité mais la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-langue-de-zemmour-cecile-alduy/9782021497472">« manipulation par transfert d’autorité »</a> par laquelle l’auteur fait accepter une opinion problématique en l’associant à une figure d’autorité largement appréciée par le grand public.</p>
<h2>Décréter des vérités indiscutables sur la nature humaine</h2>
<p>Éric Zemmour use également de cette <a href="https://www.arretsurimages.net/chroniques/arrets-sur-histoire/zemmour-et-la-midinette-beauvoir">stratégie</a> pour discréditer les femmes, détournant notamment <a href="https://www.albin-michel.fr/destin-francais-9782226320070">Simone de Beauvoir</a> ou Benoite Groult.</p>
<p>Dans les écrits de Zemmour, les femmes sont <a href="https://theses.fr/s300079">systématiquement décrites</a> en fonction de ce qu’elles peuvent apporter aux hommes : soit comme des génitrices, soit comme des objets de conquête sexuelle. La vie des femmes se <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">résumerait</a> selon l’auteur à une « quête obstinée de protection » qu’elles acquièreraient par le mariage, et le « besoin de protéger et d’éduquer ses petits ». Avec l’utilisation du registre du comportement animal, l’auteur souhaite donner une objectivité à son propos en proposant une perspective éthologique (et non anthropologique) qui exclue automatiquement les femmes de la catégorie des être rationnels.</p>
<p>L’auteur atteste de cette différence fondamentale en <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">rappelant</a> :</p>
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<p>« la subtilité des rapports entre les hommes et les femmes. Le besoin des hommes de dominer – au moins formellement – pour se rassurer sexuellement. Le besoin des femmes d’admirer pour se donner sans honte ».</p>
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<p>Apparait ici un autre procédé rhétorique favori de Zemmour : le discours aphoristique. Il prétend se référer à des vérités indiscutables sur la nature humaine, en usant notamment d’une combinaison d’articles définis à valeur générique (« des femmes »,« des hommes ») et l’usage de l’infinitif (« dominer », « admirer ») permettant un effacement des traces qui permettent de relier l’énoncé avec la scène d’énonciation.</p>
<p>Zemmour reconnaît que les femmes ont progressivement obtenu des droits qui leur permettent d’échapper à leur statut de soumission. Cette nouvelle indépendance reposerait selon lui sur une <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">« virilité d’emprunt »</a> : pour s’émanciper, les femmes auraient décidé de « devenir des hommes ». Cette approche suppose qu’intelligence et masculinité soient indissociables.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-les-nouvelles-femmes-de-droite-sinvitent-dans-la-campagne-177293">Quand les « nouvelles femmes de droite » s’invitent dans la campagne</a>
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<h2>Invisibiliser le lien entre idées promues et discriminations</h2>
<p>Si les femmes ont décidé de « devenir des hommes », cela suppose également l’absence de catégories alternatives en dehors de celles des femmes et des hommes. En effet, <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">pour Zemmour</a>, les études de genre ne seraient rien d’autre qu’« une volonté totalitaire mal dissimulée de nous transformer en androgynes, en neutres », et de détruire simultanément les catégories sur lesquelles s’est construite l’ancienne domination patriarcale.</p>
<p><a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">Selon Zemmour</a>, il n’est pas nécessaire de défendre les droits de la communauté queer car « la prétendue “homophobie” » n’existe pas. En effet, l’homosexualité est conceptualisée par l’auteur comme « une forme particulière d’adultère », c’est-à-dire une pratique sexuelle qui existerait en marge du modèle du mariage hétérosexuel. On pourrait ainsi concilier « le mariage pour la famille et les enfants, et le goût des garçons pour le plaisir ». L’homosexualité n’aurait donc vocation qu’à rester dans le cadre strictement privé, et l’auteur <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">va jusqu’à dire</a> que cette autocensure est « la garantie d’une vraie liberté », rendant ainsi invisible le lien causal entre hétéronormativité prescriptive, discriminations et violences envers les personnes LGBTQ.</p>
<p>La diffusion des idées de Zemmour dans l’espace public et médiatique – notamment via <a href="https://www.nouvelobs.com/edito/20230412.OBS72090/bollore-un-projet-politique.html">l’empire médiatique reactionnaire</a> de Vincent Bolloré – contribue à normaliser les discriminations défendues par l’illiberalisme. Cela légitime en retour les projets politiques d’extrême droite.</p>
<h2>Faciliter la tâche du RN</h2>
<p>A ce jour, Zemmour n’arrive pas à s’imposer sur le terrain de la lutte politique.</p>
<p>Le combat culturel qu’il mène profite d’avantage au RN qu’à Reconquête, son propre parti. L’atout du RN est qu’il dispose d’une forme de monopole du parti d’extrême droite dans l’espace médiatique. Celui-ci s’est renforcé peu à peu par une formulation du combat électoral en affrontement bilatéral entre le RN et la majorité présidentielle – lors des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/11/09/progressistes-contre-populistes-macron-tente-d-imposer-sa-vision_5381010_823448.html">européennes de 2019</a>, des <a href="https://www.la-croix.com/France/Presidentielle-2022-Emmanuel-Macron-installe-deja-duel-Marine-Le-Pen-2022-04-08-1201209364">présidentielles de 2022</a> et encore pour les <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/europeennes/c-est-trop-tard-pour-faire-autrement-la-majorite-divisee-sur-la-strategie-anti-rn-pour-les-elections-europeennes_6419575.html">européennes de 2024</a>.</p>
<p>Ce monopole fonctionne comme un champ de gravitation : toute défense publique d’idéologie illibérale est systématiquement mise en lien avec le programme porté par le parti, et semble ainsi le légitimer. Le RN profite ainsi du labeur des producteurs idéologiques comme Zemmour ou <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/19/le-rassemblement-national-savoure-sa-victoire-ideologique-obtenue-sans-reflexion-de-fond_6211708_823448.html">Michel Onfray</a>, qui n’ont pourtant rien à voir avec le parti.</p>
<p>Un large score du RN aux élections européennes serait ainsi d’avantage imputable à cet effet gravitationnel, plutôt qu’à une prétendue adéquation entre son programme et les valeurs politiques des Français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225503/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Périne Schir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Producteur d’idées illibérales, Éric Zemmour participe à une « droitisation » du débat public en usant de plusieurs stratégies rhétoriques.Périne Schir, Research fellow at the Illiberalism Studies Program, the George Washington University ; PhD student in political philosophy, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2243912024-03-11T16:11:39Z2024-03-11T16:11:39ZComment une idée politique s’impose-t-elle dans le débat public ?<p>Le Rassemblement national a récemment revendiqué sa <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/projet-de-loi-immigration-la-victoire-ideologique-du-rassemblement-national-est-de-plus-en-plus-forte-chaque-jour-se-targue-jordan-bardella_6253689.html">« victoire idéologique »</a> à propos du vote de la loi sur l’immigration. De fait, alors que les <a href="https://www.academia.edu/11495225/Vers_lextr%C3%AAme_avec_Luc_Boltanski_2014_">idées d’extrême droite</a> étaient autrefois marquées d’une forte illégitimité intellectuelle et politique, restant cantonnées dans des <a href="https://www.cairn.info/revue-agone-2014-2.htm?contenu=sommaire">espaces sociaux assez restreints</a>, certaines de ses conceptions comme la <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-03398326">« préférence nationale »</a>, et de ses formules, comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-2-page-111.htm">« grand remplacement »</a>, tendent à occuper une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/21/fait-divers-immigration-les-idees-d-extreme-droite-se-diffusent-dans-les-medias-et-l-opinion_6212070_823448.html">place grandissante</a> <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/la_grande_confusion">dans les médias et le débat politique</a>.</p>
<p>La réussite de telles idées, qui semblent (du moins à celles et ceux qui ne les partagent pas) <a href="https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/221123/ceux-qui-ont-banalise-l-idee-folle-du-grand-remplacement">« folles »</a> et dangereuses conduit à questionner les <a href="https://www.atlande.eu/clefs-concours/1061-les-idees-politiques-comme-faits-sociaux-terrains-methodes-denquete-analyses-9782350309330.html">mécanismes sociaux</a> par lesquels des idées s’imposent politiquement au-delà de leur contenu propre et de l’éventuelle force intrinsèque de leurs arguments.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-medias-peuvent-influencer-la-signification-dune-information-201408">Comment les médias peuvent influencer la signification d’une information ?</a>
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<h2>Gagner la bataille des idées</h2>
<p>Dans la vulgate marxiste, les idées sont d’abord vues comme le reflet des positions économiques et sociales. Pour les philosophes <a href="https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000c.htm">Karl Marx et Friedrich Engels</a>, « les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante ». En imposant sa domination économique, la classe bourgeoise impose donc également, selon Marx et Engels, ses idées, idées qui dissimulent la réalité des rapports sociaux (les inégalités et l’exploitation) en justifiant l’ordre existant.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="////" src="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le philosophe italien Antonio Gramsci (1891-1937), fondateur de la notion d’hégémonie culturelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
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<p>Renouvelant l’approche marxiste, certains auteurs ont souligné l’autonomie relative des idées en considérant qu’elles n’étaient pas déterminées aussi mécaniquement par l’infrastructure économique et qu’elles pouvaient être inversement porteuses d’une transformation sociale. Pour le militant et théoricien communiste <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_oeuvre_vie_d_antonio_gramsci-9782348044809">Antonio Gramsci</a>, puisque la suprématie économique de la classe bourgeoise repose sur tout un « appareil d’hégémonie » (école, administration, médias…) qui diffuse sa conception du monde, ses croyances et les fait accepter, la classe dominée doit construire, grâce à ses propres intellectuels « organiques » (c’est-à-dire « organiquement » liés à leur classe sociale), une contre-hégémonie, afin d’enclencher une dynamique révolutionnaire. Pour Gramsci, la bataille des idées est une dimension essentielle de la bataille politique.</p>
<p>Initialement formulée dans un horizon marxiste, cette théorie de « l’hégémonie culturelle » a été réappropriée dans des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/en-quete-de-politique/en-quete-de-politique-du-samedi-14-octobre-2023-8145689">perspectives politiques très opposées</a>. C’est le cas dès les années 1960 en Italie avec le groupe postfasciste <em>Ordine nuovo</em>.</p>
<p>En France, suite à la victoire de François Mitterrand en 1981, l’essayiste d’extrême droite Alain de Benoist et le <a href="https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2010_num_174_1_4229">GRECE</a> (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), laboratoire d’idées de la <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1993_num_40_1_3005">« Nouvelle Droite »</a> dont il est le cofondateur en 1969, se font les défenseurs d’un « gramscisme de droite ». En 2007, c’est <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/166441-interview-de-m-nicolas-sarkozy-ministre-de-linterieur-et-de-lamenage">Nicolas Sarkozy</a> qui s’en revendique : « J’ai fait mienne l’analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées » déclare-t-il alors. Cette antienne a depuis été reprise par <a href="https://aoc.media/analyse/2022/04/03/a-droite-gramsci-et-ses-avatars/">Eric Zemmour</a> notamment.</p>
<h2>Stratégies rhétoriques</h2>
<p>Dans cette lutte idéologique, les stratégies de présentation des idées sont cruciales. On peut par exemple s’appuyer sur une logique de scandalisation en empruntant une rhétorique outrancière ou un style « populiste ». <a href="https://www.youtube.com/watch?v=p7w3PJzsA2w">« Je suis le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas »</a> affirmait ainsi Jean-Luc Mélenchon en 2010 afin de réintroduire dans le débat une certaine forme de conflictualité politique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean-Luc Mélenchon déclare lors d’un meeting en 2010 : « Je suis la bruit et la fureur, le tumulte et le fracas ».</span></figcaption>
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<p>La stratégie inverse, qui consiste à viser une certaine normalisation, peut aussi être employée. De longue date, le <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-25.htm">Front national</a>, renommé Rassemblement national, a cherché la respectabilité en dissimulant une partie de son idéologie afin de la rendre davantage acceptable et de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/marine-le-pen-prise-aux-mots-cecile-alduy/9782021172102">mieux la diffuser</a>.</p>
<p>Le recours à l’autorité de la science ou de l’expertise constitue aussi un procédé classique de ces entreprises de légitimation. Depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, du <a href="https://www.pulaval.com/livres/le-marxisme-dans-les-grands-recits-essai-d-analyse-du-discours">marxisme</a> au <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2017-3-page-71.htm?contenu=resume">néolibéralisme</a>, beaucoup d’idéologies politiques se sont présentées comme des sciences.</p>
<p>Mais au-delà de son apparente rationalité ou cohérence, l’efficacité persuasive d’une idée politique réside dans son aptitude à <a href="https://www.decitre.fr/livre-pod/peur-espoir-compassion-indignation-9782247117680.html">mobiliser des affects</a> (joie, colère, peur, indignation, compassion…) et à déployer des récits spécifiques. On se souvient ainsi comment le candidat écologiste à la présidentielle de 1974 René Dumont avait cherché à alerter sur l’épuisement des ressources naturelles en <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09167743/rene-dumont-je-bois-devant-vous-un-verre-d-eau-precieuse">buvant un verre d’eau à la télévision</a>. Dans un autre genre, le clip de campagne d’Eric Zemmour mettait en scène <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/entre-les-lignes/eric-zemmour-les-ressorts-emotionnels-de-sa-video-de-candidature-analyses_4846243.html">l’imaginaire du « grand remplacement »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Candidat à l’élection présidentielle de 1974, René Dumont, écologiste, tente de sensibiliser les téléspectateurs au gaspillage. INA.</span></figcaption>
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<h2>Circulations intellectuelles</h2>
<p>La fortune d’une idée ne tient pas qu’aux stratégies de communication et à l’habilité rhétorique de ses promoteurs. Pour s’imposer, elle suppose d’être relayée par une multitude de médiateurs, de « passeurs » et de vecteurs comme des <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2009-1-page-8.htm">intellectuels</a>, des journalistes, des éditeurs, des <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-2-page-7.htm?contenu=article">partis politiques</a>, des <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2011-1-page-5.htm">militants</a> ou des groupes de réflexion.</p>
<p>Le succès des idées d’extrême droite doit sans doute beaucoup à la constitution de ce qui a été désignée comme une <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2015-2-page-101.htm?contenu=resume">nébuleuse « néo-réactionnaire »</a> regroupant des essayistes, romanciers, journalistes – tels que Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq, Eric Zemmour ou Mathieu Bock-Côté – qui partagent un certain nombre de topiques : une conception essentialisante de l’identité nationale, le rejet de l’immigration, la dénonciation de la « bien-pensance », etc.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="L’économiste austro-hongrois Friedrich Hayek (1899-1992), considéré comme l’un des pères du néolibéralisme" src="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’économiste austro-hongrois Friedrich Hayek (1899-1992), considéré comme l’un des pères du néolibéralisme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>De même, les travaux académiques consacrés aux idées néolibérales ont souligné l’importance jouée par la <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2002-5-page-9.htm">société du Mont-Pèlerin</a>, ce groupe de réflexion fondé en 1947 sous l’égide de l’économiste Friedrich Hayek (dans la localité suisse du Mont-Pèlerin), qui, via l’organisation de conférences, la traduction d’ouvrages et leurs relais dans les élites du monde occidental ont contribué à diffuser leurs idées économiques dans les instances internationales telles que le <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1998_num_121_1_3241">FMI ou la Banque Mondiale</a> jusque dans les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/business_model-9782348042706">« business schools » et les universités</a>.</p>
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<p>La carrière d’une idée politique est ainsi tributaire non seulement des ressources matérielles ou financières des acteurs qui travaillent à sa circulation mais aussi et surtout de leurs ressources symboliques. Les sociologues français Pierre Bourdieu et Luc Boltanski ont bien analysé comment <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/839981-la-production-de-l-ideologie-dominante-pierre-bourdieu-luc-boltanski-demopoliis">l’idéologie dominante</a> se façonne et circule à travers des lieux prétendument « neutres ». Il s’agit, dans les années 1970 en France, d’institutions comme le Commissariat général au Plan, de grandes écoles comme Sciences Po ou l’ENA ou encore de revues comme <em>Esprit</em>, qui permettent à des membres des élites caractérisés par le cumul des fonctions (par exemple, inspecteur des finances, directeur de cabinet et enseignant à Sciences Po), de se rencontrer.</p>
<h2>Des supports médiatiques aux appropriations ordinaires</h2>
<p>Cependant, une idée ne s’impose véritablement que si elle est reçue et surtout <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2015-1-page-7.htm?contenu=resume">appropriée</a> par de larges publics au-delà même des champs intellectuel et politique. À cet égard, si les effets des médias sont loin d’être directs et unilatéraux, ils n’en demeurent pas moins essentiels.</p>
<p>Le rôle des réseaux socionumériques apparaît aujourd’hui évident dans la diffusion de certains discours tels que le <a href="https://www.cairn.info/revue-mots-2022-3.htm">complotisme</a> ou des thèmes chers à l’extrême droite. Ils contribuent à faire émerger de nouvelles figures d’<a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2023-2-page-39.htm?contenu=article">« influenceurs »</a> politiques. On le constate du coté des identitaires : ils ont su aussi mettre à profit ces moyens de communication, pour diffuser la notion de <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2022-2-page-47.htm">« remigration »</a> qu’ils ont largement popularisée sur X (ex-Twitter), au point qu’il n’est peut-être pas excessif de parler d’un <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/8455">« gramscisme numérique »</a>.</p>
<p>Plus généralement, au sein même des médias grand public, on a souvent souligné le développement depuis une dizaine d’années d’un <a href="https://www.afsp.info/pdf.php?id=7505">espace médiatique de droite radicale</a> contribuant <a href="https://www.fayard.fr/livre/comment-sommes-nous-devenus-reacs-9782213716473/">à discuter et donc légitimer des idées d’extrême droite qui étaient jusque-là considérées comme taboues</a>.</p>
<p>Au-delà des journaux télévisés et des émissions politiques, les <a href="https://www.cairn.info/la-politique-sur-un-plateau--9782130594383.htm?contenu=sommaire"><em>talk-shows</em></a> se sont imposés comme des lieux de « débat » politique, qui peuvent contribuer à la banalisation de certains messages : <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/touche-pas-a-mon-peuple-claire-secail/9782021544732">Touche pas à Mon Poste !</a> est ainsi accusé de faire le jeu du Rassemblement national et de Reconquête à travers la surreprésentation des invités d’extrême droite et de leurs thèmes (insécurité, immigration…).</p>
<p>Les idées politiques peuvent également se loger dans une grande variété de productions médiatiques, artistiques ou culturelles, y compris celles qui sont considérées comme mineures : un genre musical tel que le rap peut se faire aussi bien le support d’idées <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2015-1-page-153.htm">postcoloniales</a> – avec des groupes comme Ministère des Affaires populaires, La Rumeur… – que <a href="https://journals.openedition.org/clo/4385">racistes</a> comme on le voit avec l’émergence d’un « rap identitaire » porté par des figures telles que Millésime K, Kroc Blanc, Amalek…</p>
<p>Elles ne se diffusent donc pas que par des canaux ni même des porte-paroles labellisés comme politiques. La réussite définitive d’une idée politique peut d’ailleurs se mesurer à sa capacité à se masquer comme telle en s’imposant sur le mode de l’<a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-le_discours_ideologique_ou_la_force_de_l_evidence_thierry_guilbert-9782296049307-25348.html">évidence</a> et à devenir, pour reprendre les mots des politistes <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2017-3-page-5.htm">Mathieu Hauchecorne et Frédérique Matonti</a>, « si profondément incorporée qu’elle n’a le plus souvent pas besoin d’être mise en mots et peut dans bien des cas s’exprimer ou agir à l’insu des personnes qui l’utilisent. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cédric Passard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les luttes idéologiques, les stratégies de présentation des idées sont cruciales.Cédric Passard, Maître de conférences en science politique, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212282024-02-04T15:36:34Z2024-02-04T15:36:34ZAffaires des emplois fictifs : des procès politiques ?<p>Ce 5 février le tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement quant au procès des assistants parlementaires européens de l’Union pour la démocratie française (UDF) et du MoDem, <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/affaire-des-emplois-fictifs-du-modem-fin-de-proces-pour-francois-bayrou-20231121_DWTZFFQQSZA4RA3X6JFMUPNWBA/">dirigé par François Bayrou</a>. Certains de ces assistants - <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/05/francois-bayrou-relaxe-dans-l-affaire-des-assistants-parlementaires-europeens-du-modem_6214845_823448.html">deux ont été relaxés ainsi que François Bayrou </a>- étaient suspectés d’avoir œuvré davantage pour le parti que pour leurs eurodéputés. Cette affaire fait écho à d’autres au sein de la classe politique française.</p>
<p>Le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI), sont également soupçonnés d’<a href="https://theconversation.com/penelopegate-la-fin-du-on-a-toujours-fait-comme-ca-72307">emplois fictifs</a>. <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/15/soupcons-d-emplois-fictifs-deux-ex-assistants-parlementaires-de-melenchon-au-parlement-europeen-places-sous-le-statut-de-temoin-assiste_6149945_3224.html">Une enquête</a> sur les conditions d’emploi d’assistants d’eurodéputés de LFI est en cours. Quant au RN, deux juges d’instruction financiers ont ordonné le 8 décembre 2023 le renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris de Marine et Jean-Marie Le Pen, du parti et de 25 autres de ses membres pour <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/08/marine-le-pen-et-le-rassemblement-national-renvoyes-en-correctionnelle-dans-l-affaire-des-assistants-parlementaires_6204691_823448.html">détournement de fonds publics</a>. Alors que les procès contre des responsables ou des partis politiques sont nombreux, les médias et les protagonistes eux-mêmes ne les qualifient pas systématiquement de « procès politiques ». Que recouvre alors cette notion dans le champ scientifique ?</p>
<h2>Une double stratégie de politisation</h2>
<p>Les procès dits « politiques » sont ceux où la justice est instrumentalisée soit par l’instruction puis le ministère public, soit par les accusés, voire par une combinaison stratégique de ces deux volontés. Comme l’a montré la politiste <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/punir-les-opposants-vanessa-codaccioni">Vanessa Codaccioni</a>, les procès politiques sont le produit d’une double stratégie de politisation, du pouvoir et de l’opposition. Le premier mobilise des incriminations qui peuvent justifier le recours à des juridictions d’exception (comme la <a href="https://www.cairn.info/revue-deliberee-2017-2-page-36.htm">Cour de sûreté de l’État durant la guerre d’Algérie</a>) mobilisées contre les « ennemis de l’intérieur », offrant à l’accusation des outils extraordinaires tels les gardes à vue prolongées (dans la lutte antiterroriste) et de procédures militaires. Magistrats aux ordres du garde des Sceaux, débats contradictoires tronqués et condamnations pour l’exemple <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691649436/political-justice">en sont les marques</a> dans les régimes autoritaires et même parfois en régime démocratique.</p>
<p>Sur la longue durée, historiens et juristes ont plutôt <a href="https://afhj.fr/le-proces-politique/">interrogé</a> cette première forme de politisation de la justice. Toutefois, si le procès politique appartient à l’arsenal répressif d’un régime, l’opposition peut retourner à son profit la procédure, si ce n’est au tribunal, du moins dans l’opinion en médiatisant l’événement. L’affaire politico-judiciaire devient alors un espace alternatif pour faire de la politique en dehors du cadre institutionnel. Ainsi en 1863, le procès des Treize fédère les défenseurs des « libertés nécessaires » contre le Second Empire. Les procès politiques peuvent donc devenir une véritable opportunité qui permet à une opposition de retourner le stigmate, de catalyser ses forces et de se structurer sur le long terme.</p>
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<figcaption><span class="caption">« 1972 : Gisèle Halimi défend l’avortement » (Archive INA).</span></figcaption>
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<p>Dans l’affaire des emplois fictifs, les attitudes des partis varient non seulement selon leur rapport aux institutions, mais aussi en fonction de leur stratégie.</p>
<h2>Au pouvoir ou dans l’opposition : des stratégies à géométrie variable</h2>
<p>François Bayrou, leader de l’un des partis alliés de la coalition au pouvoir depuis 2017, a incarné la posture du <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1122374-abus-de-pouvoir-francois-bayrou-plon">défenseur de l’État de droit</a> face aux atteintes et dérives de la présidence de Nicolas Sarkozy. Aussi, ne peut-il emprunter la posture outragée de la victime d’un procès politique pour dénoncer un quelconque acharnement d’une justice qui lui serait idéologiquement hostile. <a href="https://www.france24.com/fr/france/20231106-de-bayrou-%C3%A0-dupond-moretti-pour-un-ministre-en-proc%C3%A8s-d%C3%A9missionner-n-est-plus-d-actualit%C3%A9">Garde des Sceaux démissionnaire</a> en raison d’une enquête préliminaire qui mènera à sa mise en examen dans l’affaire des emplois fictifs du MoDem au Parlement européen, il a choisi de répondre aux éléments du dossier point par point, davantage en législateur expérimenté qu’en dirigeant d’une formation politique.</p>
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<p>Tout à l’inverse, <a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-larme-du-charisme-en-politique-159379">Jean-Luc Mélenchon</a> a théorisé pour la Vᵉ République une justice à charge contre les opposants politiques, en s’appuyant sur des précédents historiques et des exemples étrangers. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/09/18/en-parallele-de-son-proces-jean-luc-melenchon-delivre-ses-verites_5511905_823448.html">Assimilant la France aux systèmes illibéraux</a>, voire dictatoriaux, le leader de La France insoumise dénonce, derrière une médiatisation à charge par les organes proches du pouvoir, une tentative de le discréditer et de le faire taire. La vigueur de ses réactions est renforcée par une perquisition qui <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2019/12/09/perquisition-houleuse-a-lfi-jean-luc-melenchon-et-ses-proches-fixes-sur-leur-sort-lundi_6022145_1653578.html">éclaire</a> l’interpénétration de sa vie privée et du financement de sa communication politique. La personnalisation grandiloquente - « la République, c’est moi ! » - vise à renouer avec les grandes heures des combats pour les libertés parlementaires – du Léon Gambetta sous le Second Empire à Léon Blum au procès de Riom -, en rappelant que la tradition républicaine française réserve la souveraineté populaire au Parlement.</p>
<p>Quelques jours avant <a href="https://www.leparisien.fr/politique/jean-luc-melenchon-condamne-a-trois-mois-de-prison-avec-sursis-pour-rebellion-et-provocation-09-12-2019-8212674.php">la condamnation</a> du leader de LFI par le tribunal correctionnel de Bobigny pour « actes d’intimidation envers l’autorité judiciaire, rébellion et provocation », l’ancien candidat à la présidentielle et ses soutiens avaient dénoncé un procès politique. Dans une tribune intitulée « <a href="https://www.lejdd.fr/International/tribune-melenchon-lula-iglesias-appellent-a-la-fin-des-proces-politiques-3918341">Le temps des procès politiques doit cesser</a> », publiée le 15 septembre dans le <em>Journal du Dimanche</em>, plus de 200 personnalités, parmi lesquelles Jean-Luc Mélenchon lui-même, le brésilien Lula, l’équatorien Rafael Correa ou encore l’espagnol Pablo Iglesias, mettaient en garde contre le recours croissant à la « tactique du lawfare », c’est-à-dire « une instrumentalisation de la justice pour éliminer des concurrents politiques ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1170932343512555520"}"></div></p>
<p>Quelques jours plus tard, le leader des insoumis faisait paraître <a href="https://www.label-emmaus.co/fr/9782259282987-et-ainsi-de-suite-un-proces-politique-en-france/"><em>Et ainsi de suite… Un procès politique en France</em></a>, dans lequel il dénonçait une justice politique aux ordres de l’exécutif avec la complicité des médias :</p>
<blockquote>
<p>« Le <em>lawfare</em> est une guerre judiciaire, médiatique et psychologique. La leçon des expériences montre qu’on ne peut rien négocier, rien stopper. Il ne faut jamais renoncer à mener cette bataille comme une bataille politique, un rapport de force. Jusqu’à ce que la réputation de l’adversaire devienne aussi discutée que celle de l’accusé sans preuve » [p. 179].</p>
</blockquote>
<p>Quant à l’extrême droite, longtemps habituée à dénoncer, elle aussi, l’hostilité de la justice à son égard, le passage du Front au Rassemblement national vient percuter cette instrumentalisation des procédures judiciaires.</p>
<p>Si Jean-Marie Le Pen ne pouvait que se satisfaire de ses condamnations à répétition, qui venaient renforcer sa marginalité face à « l’establishment » et sa posture de tribun de la plèbe contre les élites coalisées, la normalisation et <a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">la dédiabolisation du Rassemblement</a> de Marine Le Pen rendent complexe la posture victimaire. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/20/pourquoi-le-rassemblement-national-est-en-voie-de-normalisation_6211950_823448.html">L’institutionnalisation du RN</a> à l’Assemblée nationale depuis 2022 (vice-présidences et respect des codes parlementaires) apparaîtrait incohérente avec la dénonciation véhémente d’une justice politique et incompatible avec l’aspiration à devenir un parti de gouvernement apte à être admis au sein d’une coalition.</p>
<p>Le RN apparaît en conséquence à la croisée des chemins à l’occasion de cette affaire judiciaire : s’il renoue avec son héritage de mouvement hostile aux institutions politiques et judiciaires, il risque de mettre à bas une décennie d’efforts pour s’intégrer au système. À cette aune, le prochain procès sur les emplois fictifs constituera un test important sur la pérennité de la stratégie de notabilisation et de respectabilité du RN.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221228/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les procès dits « politiques » sont ceux où la justice est instrumentalisée, par certains gouvernements, mais aussi des accusés qui politisent certains procès en les médiatisant.Pierre Allorant, Professeur d’Histoire du droit et des institutions, Université d’OrléansNoëlline Castagnez, Professeur d'Histoire politique contemporaine, Université d’OrléansWalter Badier, Maître de conférences en histoire contemporaine, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2164862024-01-17T16:43:50Z2024-01-17T16:43:50ZComment les eurodéputés RN tirent parti du Parlement européen<p><em>Si l’élection de nombreux députés d’extrême droite permettant la constitution d’un groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale en 2022 a été très commentée par les journalistes, sa présence au Parlement européen, sans discontinuer depuis les années 1980, passe plus inaperçue. L’Assemblée européenne est un lieu où les dirigeant·e·s du FN/RN se forment à la démocratie et lors des élections européennes de juin prochain, ils tenteront à nouveau d’obtenir des sièges.</em></p>
<p><em>Avec son ouvrage <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/a-lextreme-droite-de-lhemicycle/">« À l’extrême droite de l’hémicycle. Le RN au cœur de la démocratie européenne »</a> (éditions Raisons d’agir), Estelle Delaine nous offre de nouvelles clés pour comprendre la manière dont le Rassemblement national s’insère dans les institutions démocratiques. À partir d’archives parlementaires et partisanes, d’entretiens et d’observations, ce livre révèle comment les élus RN apprennent à manipuler le lexique démocratique, à transcrire leurs propositions politiques en amendements techniques, à parfois s’inscrire dans le consensus politique, à se connecter avec des représentants d’intérêts. Il expose comment les eurodéputés d’extrême droite, alors qu’ils déclarent combattre l’Union européenne de l’intérieur, bénéficient en réalité des ressources et des réseaux de la démocratie européenne.</em></p>
<hr>
<p>Dès sa genèse, l’évolution du Parlement européen a fait l’objet d’analyses parfois divergentes, du fait de son originalité dans le paysage des institutions démocratiques, mais aussi parce que des années 1950 aux années 1970 coexistaient plusieurs projets européens différents – les institutions des Communautés européennes cohabitant alors avec celles de l’Union de l’Europe occidentale, du Conseil de l’Europe et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord – comme l’indique <a href="https://www.cvce.eu/obj/discours_de_robert_schuman_strasbourg_19_mars_1958-fr-48fe3630-311c-476c-b39f-740b8749137b.html">Robert Schuman</a>, l’un des pères fondateurs de l’unification européenne, dans son discours d’investiture en tant que président de l’Assemblée européenne en 1958.</p>
<p>Certains considèrent que la progression des prérogatives du Parlement européen a été importante, faisant de cette institution le <a href="https://global.oup.com/academic/product/building-europes-parliament-9780199231997">symbole d’une démocratisation de l’Union européenne</a>, quand d’autres trouvent son pouvoir insuffisant en comparaison aux assemblées nationales – les pouvoirs du Parlement européen sont alors considérés comme des indicateurs (avec l’issue des référendums des années 1990, la complexité du fonctionnement ou le taux d’abstention) du « déficit démocratique » reproché à l’Union européenne.</p>
<p>La plupart des travaux, à l’instar de ceux du politologue <a href="https://www.librairie-sciencespo.fr/livre/9782275036205-le-gouvernement-de-l-union-europeenne-une-sociologie-polique-2e-edition-andy-smith/">Andy Smith</a>, font cependant le constat qu’il est impossible de considérer l’Europe d’aujourd’hui autrement que comme un gouvernement fortement fissuré. Ces fissures sont autant de portes d’entrée pour des formations antidémocratiques comme les partis d’extrême droite. En arrivant au Parlement européen, les membres de partis d’extrême droite peuvent non seulement se connecter avec d’autres représentants d’euroscepticisme et d’antidémocratisme, mais ils sont aussi propulsés au cœur du fonctionnement de la démocratie européenne.</p>
<h2>Des eurosceptiques et antiparlementaires dès les origines du Parlement</h2>
<p>Rappelons d’abord qu’extrême droite, euroscepticisme et antiparlementarisme ne sont pas des synonymes, et ne se recouvrent pas tout à fait. En arrivant dans <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2012-1-page-49.htm">l’Eurocratie</a> (le mode technocratique des institutions politiques de l’Union européenne, et les fortes critiques qui l’ont toujours accompagné) les partis d’extrême droite n’introduisent pas l’antiparlementarisme. Ils perpétuent et renouvellent certaines de ses versions pratiquées de longue date.</p>
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<p>Le Parlement européen a d’abord été pensé d’après un modèle fédéral afin de progressivement mettre en place la légitimité de la sphère européenne.</p>
<p>Mais en pratique, au-delà des théories démocratiques (fédérale, technocratique, référendaire, participative…) dont le Parlement européen se saisit, de vives réticences jalonnent son histoire. Dès sa genèse en 1958, on retrouve la présence de positions antiparlementaristes, c’est-à-dire opposées à ce que l’Assemblée européenne naisse ou obtienne des pouvoirs de contrôle et de délibération. On sait que certains membres des gouvernements nationaux, y compris d’États membres fondateurs, pouvaient être réticents à développer l’échelon européen – comme <a href="https://www.charles-de-gaulle.org/lhomme/dossiers-thematiques/de-gaulle-europe/">Charles de Gaulle</a>, chef de l’État français, qui a fait jouer tout le poids de son veto contre l’octroi de plus de pouvoir aux institutions européennes (dont le Parlement) et pour un fonctionnement intergouvernemental. De plus, les « pères de l’Europe » ne mentionnent pas d’institution délibérative lors de <a href="https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/history-eu/1945-59/schuman-declaration-may-1950_fr">discours fondateurs des Communautés</a>, et pour cause, ils perçoivent le parlementarisme <a href="https://www.puf.com/content/De_Vichy_%C3%A0_la_Communaut%C3%A9_europ%C3%A9enne">avec les yeux de leur temps</a>, critiques des Républiques parties en guerre, et dans un contexte de Guerre froide.</p>
<h2>L’extrême droite dans une Europe néolibérale</h2>
<p>Les dernières décennies ont certes vu le poids du Parlement être revalorisé mais ont aussi correspondu à la réaffirmation d’un cadre économique néolibéral <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Discours-de-Jose-Manuel-Barroso-sur-l-etat-de-l-Union-europeenne-_NG_-2010-09-07-578206">prônant l’austérité en temps de crises</a> ainsi qu’à une <a href="https://cessp.cnrs.fr/European-Civil-Service-in-Times-of-Crisis">managérisation</a> de la fonction publique européenne ; autant de processus qui sont venus renforcer les institutions exécutives de l’Europe au détriment du Parlement européen.</p>
<p>Une organisation institutionnelle qui laisse peu de place à l’instance élective impose aux eurodéputés une dépendance à la fois aux agents administratifs non élus, et à l’exécutif (la Commission et les ministres des États membres représentés par le Conseil de l’Union européenne). De plus, dans la fabrique de la loi européenne, autour d’un élu s’activent eurofonctionnaires, membres des cabinets de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne, membres des groupes politiques opposés, représentants des ministères et des parlements nationaux, syndicalistes, lobbyistes, journalistes. Toutes ces personnes se rencontrent et se côtoient lors de réunions, peuvent se retrouver lors d’événements, de <em>team building</em>, <em>networking</em>, de fêtes, d’apéritifs, etc. Durant ces moments l’extrême droite parlementaire est en contact permanent avec tous ces professionnels. Ces logiques de travail conduisent à la connexion des personnels d’extrême droite avec d’autres personnes puisant leurs références politiques dans d’autres traditions d’antidémocratisme, d’antilibéralisme, ou d’euroscepticisme (qu’elles soient ou non d’extrême droite), mais aussi avec des personnalités politiques de premier plan.</p>
<p>Tout ces éléments viennent complexifier les distinctions politiques (extrême droite/néolibéralisme/européisme) et expliquent des rapprochements entre différents professionnels à la fois en concurrence et pourtant évoluant dans le même monde. Évidemment, ces connexions n’ébranlent pas toutes les logiques institutionnelles et sociales et politiques, ceux qui occupent des positions dominantes dans la Commission ou le Conseil de l’Union européenne sont peu inquiétés par des eurodéputés minoritaires.</p>
<p>Néanmoins, la présence de ces eurodéputés peut renforcer des formes de fragilité de l’institution parlementaire lors des processus de décisions. Au niveau des groupes parlementaires majoritaires, le travail s’organise en tenant compte de cet élément, ce qui renforce paradoxalement la représentation de tendances marginales dans les commissions car une potentielle désunion affaiblit le Parlement dans les négociations. Or, dans cette configuration, les élus peuvent déclarer vouloir <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/marine-le-pen-dit-elle-vrai-sur-le-blocage-du-parlement-europeen_1762269.html">bloquer les institutions</a>, préférer appuyer des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/05/10/comment-le-rassemblement-national-vote-au-parlement-europeen_5460545_4355770.html">positions conservatrices</a> ou <a href="https://rassemblementnational.fr/videos/lexercice-dautosatisfaction-de-madame-von-der-leyen">investir le rôle d’opposants politiques démocratiques</a> et trouver des soutiens conjoncturels.</p>
<h2>Des membres de l’extrême droite formés à la démocratie</h2>
<p>Passé un premier étonnement de la présence de représentants nationalistes ou eurosceptiques d’extrême droite aux carrières longues au Parlement européen, comme <a href="https://www.europarl.europa.eu/meps/fr/1023/JEAN-MARIE_LE+PEN/history/8">Jean-Marie Le Pen</a> ou <a href="https://www.europarl.europa.eu/meps/fr/4525/NIGEL_FARAGE/history/9">Nigel Farage</a>, on comprend l’attrait d’un Parlement pour des élites partisanes d’extrême droite.</p>
<p>À l’instar d’autres parlements dans l’histoire, le Parlement européen offre des ressources importantes, et permet aux élus d’extrême droite de se former <em>à</em> et <em>par</em> la démocratie, potentiellement pour préparer d’autres élections – en ce sens Marine Le Pen a déclaré <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/01/08/a-l-assemblee-nationale-le-rn-se-fond-dans-le-paysage_6157027_4500055.html">au Monde en janvier 2023</a> (au sujet de son mandat de députée nationale, elle qui a aussi été eurodéputée de 2004 à 2017) : « nous ne sommes pas là pour faire une longue carrière parlementaire. Nous sommes là pour conquérir le pouvoir. En apprenant à être parlementaires, nous fabriquons en même temps un programme et des équipes de gouvernement. »</p>
<p>Le Parlement européen permet en effet des <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/02/24/damien-rieu-le-pro-de-l-agit-prop_1779491/">recrutements</a>, l’accès à des informations et des lieux de pouvoirs, des <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/les-fratelli-d-italia-ne-sont-pas-des-pestiferes-au-parlement-europeen-29-09-2022-2491812_1897.php;https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/marine-le-pen-peut-elle-defaire-l-europe-7360671">alliances et des coalitions</a> ainsi que l’accroissement des ressources financières des partis nationaux et européens <a href="https://www.cnccfp.fr/elections/representants-parlement-europeen/">qui s’investissent dans les campagnes</a>. Ce dernier point n’est pas négligeable : il comprend les frais de campagne (dont le montant était de 4 906 744 euros en 1994 et de 5 518 155 euros en 1999 pour le Front national (FN)) et les fonds de fonctionnement de groupes parlementaires (qui est pour le groupe d’extrême droite Europe des Nations et des Libertés de 17,5 millions d’euros entre 2015 et 2019).</p>
<p>D’autres sources de financements par des <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-rassemblement-national">banques et millionnaires russes</a> ainsi que des multiples <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/argent-public-le-rn-accuse-de-detournements-de-fonds-europeens">scandales politico-financiers</a> sur l’utilisation des enveloppes de fonds européens par les dirigeants du RN ont des incidences sur la pratique de la politique européenne qui demeurent encore à déterminer. Au sein du Parlement, les eurodéputés Rassemblement national (RN) y expérimentent un accès à des ressources directement issues de leur participation au jeu démocratique.</p>
<h2>Une formation feutrée</h2>
<p>Au Parlement européen, les élus d’extrême droite sont souvent décrits comme étant <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/05/14/le-bien-maigre-bilan-du-rassemblement-national-au-parlement-europeen_5461712_823448.html">peu présents, ou inefficaces</a>. Pourtant, les équipes parlementaires y font des apprentissages importants. L’incorporation des élites d’extrême droite dans l’élite politique européenne se fait aussi, paradoxalement, via le compromis, le consensus et la constitution d’alliances qui caractérisent le travail parlementaire européen.</p>
<p>Mes travaux soulignent que les dirigeants d’extrême droite ne sont pas sociologiquement désajustés dans une institution parlementaire supranationale – ils ont des origines sociales dominantes, sont diplômés du supérieur (y compris des écoles prestigieuses comme l’<a href="https://www.whoswho.fr/decede/biographie-ivan-blot_15145">ENA</a> ou Sciences Po Paris), ont des professions de cadres supérieurs (comme <a href="https://www.snesup.fr/sites/default/files/fichier/entretien_avec_gerard_lebreton_-_pu_lyon_3_-_conseiller_de_marine_le_pen_-_mars_2017.pdf">professeur d’université</a>, qui ne les distingue donc pas des autres eurodéputés ou assistants parlementaires. De ce fait, ils sont disposés à parfois mobiliser des registres déconflictualisés et consensuels – ce qui n’est donc pas le marqueur d’une modération politique mais de savoir-faire sociaux et universitaires.</p>
<p>S’il est peu probable qu’ils deviennent europhiles, les cadres d’extrême droite peuvent se projeter quelque temps dans ce lieu : le Parlement européen est un espace professionnel suffisamment prestigieux pour qu’ils ressentent une certaine revanche sociale en y restant, même dans un groupe minoritaire. Au-delà des idéologies, il y a une cohérence à la participation d’élites d’extrême droite à des espaces politiques comprenant majoritairement des membres des classes supérieures.</p>
<p>L’engagement politique d’élites sociales est différent de ceux des militants populaires : par la lecture ou l’écriture (sur des blogs, dans la presse ou dans des essais indépendants), la tenue de conférences ou d’une chaîne YouTube, voire pour celles et ceux qui ont des héritages familiaux liés à l’aristocratie, des dîners mondains ou de préservation du patrimoine. Il n’est donc pas moins « extrême » mais prend des formes variées et qui travaillent et traduisent leurs propos dans des registres plus mesurés. Un poste dans une équipe parlementaire RN est donc un moyen de poursuivre un militantisme nationaliste en bénéficiant d’un salaire et d’un statut qui permet de répondre à leurs aspirations ou à leurs ambitions professionnelles.</p>
<p>Comment des élites sociales peuvent-elles se décrire comme étant si reléguées ? En effet, la thématique du stigmate essaime les discours des élites partisanes d’extrême droite qui se disent « illégitimées » et <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/le-rn-denonce-l-ostracisme-de-son-groupe-au-parlement-europeen-6432033">ostracisées dans le champ politique</a> et dans la société. Or, se sentir décalé ne veut pas dire être dominé : il est possible de se vivre subjectivement comme un ou une déclassée tout en s’inscrivant de plain-pied dans les couches supérieures de la société. En effet, ils et elles peuvent, sur le plan des pratiques, mener un travail de maintien de positions dominantes et de distinction tout en développant des discours exprimant leur relégation.</p>
<p>Un sentiment d’échec peut aussi parcourir de nombreuses personnes diplômées mais avec des trajectoires scolaires difficiles et parsemées de revers objectifs ou plus subjectifs, ce qui renforce alors une crainte du déclassement ou de l’avenir. Leur engagement politique projeté au Parlement européen se nourrit des doctrines déclinistes et pessimistes d’extrême droite qui permettent de faire correspondre à des maux généraux des sentiments de peur très intimes. Il faut donc déconstruire le paradoxe apparent de ces élites se réclamant de l’antisystème au Parlement européen tout en bénéficiant d’un métier ajusté à leur profil sociologique.</p>
<p>L’Eurocratie est un espace professionnel internationalisé qui fournit des possibilités de reconversions à des « ex » de partis d’extrême droite européanisés, initialement passés par des postes d’assistant parlementaire mais aujourd’hui « fondus » dans le décor dans les milieux de la culture, de l’entrepreneuriat, du <em>lobbying</em> ou du droit. Une fois débarrassés des étiquettes partisanes ou du stigmate de la politique nationale, ne subsistent alors entre les agents que la concordance d’habitus dominants, et des affinités tirées de titres scolaires comparables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Estelle Delaine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors qu’ils déclarent combattre l’Union européenne de l’intérieur, les eurodéputés d’extrême droite bénéficient en réalité des ressources et des réseaux de la démocratie européenne.Estelle Delaine, Maîtresse de conférences en sciences politiques, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172372024-01-09T17:55:29Z2024-01-09T17:55:29ZGay et militant au Rassemblement national : un engagement improbable ?<p>En début d’année 2023, le Rassemblement national lançait une association parlementaire pour <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-rn-lance-une-association-pour-combattre-le-poison-wokiste-qui-met-en-danger-la-civilisation-5323822">lutter contre le « wokisme »</a> et notamment, contre la « propagande LGBT dans les écoles ». Ces prises de position au sein du FN/RN sur les questions LGBT+ sont anciennes et elles renvoient l’image d’un <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-185.htm">parti « sexiste et homophobe »</a>.</p>
<p>La visibilité de <a href="https://tetu.com/2023/04/01/politique-rassemblement-national-elus-gays-parti-assemblee-vernis-arc-en-ciel-rn/">membres du parti ouvertement homosexuels</a> – pour l’essentiel des hommes gays – a donc souvent été perçue comme improbable ou, tout du moins, paradoxale.</p>
<p>La contradiction pourrait se résumer en ces termes : comment des hommes qui s’identifient comme gays peuvent-ils rejoindre un parti qui n’encourage pas les politiques en faveur des droits LGBT+, voire qui s’y oppose activement ?</p>
<h2>Un apparent paradoxe</h2>
<p>Dans un chapitre de l’ouvrage <a href="https://journals.openedition.org/lectures/62633"><em>Sociologie politique du Rassemblement national. Enquêtes de terrain</em></a>, j’ai cherché à dénouer les fils de l’apparent paradoxe entre l’orientation sexuelle et l’orientation politique des homosexuels frontistes.</p>
<p>Je me suis pour cela concentrée sur deux <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/portraits-sociologiques-dispositions-et-variations-individuelles">portraits sociologiques</a>, élaborés à partir d’entretiens approfondis avec des militants – Maxime, 23 ans au moment de l’enquête, et Julian, 27 ans – qui ont rejoint le parti après l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête.</p>
<p>Ces deux cas étudiés sont loin d’épuiser l’ensemble des trajectoires possibles d’engagement de gays au FN/RN, mais le choix de resserrer ainsi l’analyse permet d’entrer dans le détail des parcours individuels et dans le concret des expériences au sein du parti. Ils montrent que loin de s’opposer, homosexualité et militantisme frontiste s’articulent et se façonnent mutuellement.</p>
<h2>Le conservatisme en héritage</h2>
<p>Maxime, étudiant en droit, est issu d’une famille des classes supérieures avec un père ingénieur et une mère universitaire qui a travaillé dans sa jeunesse pour Philippe de Villiers, le fondateur du parti souverainiste Mouvement pour la France. Il développe dès le plus jeune âge un intérêt pour la politique, avec des valeurs conservatrices de droite.</p>
<p>Dans la famille de Julian, la politique est également fortement valorisée : si son père avait un « devoir de réserve » en étant militaire dans la Marine nationale, sa mère a été attachée parlementaire auprès de députés de l’Union des Démocrates Indépendants (UDI) pendant quelques années.</p>
<p>Ses parents l’ont ainsi poussé à militer à son tour, ce qu’il fait, avant même d’être en âge de voter, en participant à la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Bien que les membres de sa famille ne soutiennent pas directement le Front national, les valeurs conservatrices qu’ils véhiculent rendent probable l’adhésion de Julian à certaines des idées frontistes. Julian appartient en effet, selon ses mots :</p>
<blockquote>
<p>[à l’une de ces] « vieilles familles qui sont très croyantes, qui sont vraiment attachées à une terre, des familles très traditionnelles et conservatrices – on se le dit souvent : en cas d’épuration ethnique, on serait les derniers à rester avec les Le Pen ».</p>
</blockquote>
<h2>« peut-être que je finirai hétéro »</h2>
<p>L’importance de la religion catholique est un autre point mis en avant par les enquêtés pour expliquer leurs préférences politiques. Maxime dit par exemple que sa famille maternelle est proche de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X qui rassemble des catholiques qualifié·e·s de <a href="https://www.nouvelobs.com/education/20170719.OBS2319/integrisme-racisme-j-ai-ete-eleve-a-la-fraternite-saint-pie-x.html">« traditionalistes »</a>. Il passe sa scolarité dans une école privée catholique hors contrat où les sociabilités adolescentes rejoignent ses valeurs conservatrices :</p>
<blockquote>
<p>« Cathos tradi’, ils s’engagent pas politiquement, ils font plus de l’associatif, les trucs de la Manif pour tous et tout ça ».</p>
</blockquote>
<p>Avec ses camarades du lycée, il part ainsi manifester contre la « loi Taubira », <a href="https://www.gouvernement.fr/action/le-mariage-pour-tous">visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe</a>, au moment où elle est débattue à l’Assemblée en 2013. À cette période, il se définit comme hétérosexuel et n’a jamais eu de relation homosexuelle.</p>
<p>C’est à 19 ans, lors d’une soirée en boîte de nuit, qu’il a un premier rapport sexuel avec un homme alors qu’il est en couple avec une femme. Il quitte, peu de temps après, sa copine et entame des relations avec des partenaires de même sexe. Pour autant, son opposition au « Mariage pour tous » n’a pas varié :</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mNQ3c-jl5KQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">KTO TV, 2013.</span></figcaption>
</figure>
<blockquote>
<p>« Je pense, et je le pense de plus en plus, que… les gays sont pas stables. Je vois le nombre de rapports sexuels que les gays peuvent avoir c’est… affreux ! […] pour un gosse je pense que c’est pas un bon modèle. Et le mariage entraîne la filiation. […] Je pense que le mode de vie aussi n’est pas sain. C’est pour ça aussi peut-être que je finirai hétéro. »</p>
</blockquote>
<p>La progressive définition de soi comme gay et la socialisation secondaire au sein d’espaces de sociabilité homosexuelle ne modifient donc pas fondamentalement les représentations qu’il avait auparavant de l’homosexualité.</p>
<h2>Défendre un ordre hétéronormé tout en étant gay</h2>
<p>Certains <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_commerce_des_pissotieres-9782707152039">travaux déjà anciens</a> ont fait l’hypothèse que le conservatisme d’hommes gays serait dû à la recherche d’une « respectabilité sociale » pour « compenser » le stigmate attaché à l’homosexualité.</p>
<p>Dans le cas de nos enquêtés, les attitudes politiques ne sont pas tant une conséquence de leur sexualité minorisée que de leurs socialisations conservatrices qui les mènent, d’une part, à rejoindre le Front national, et, d’autre part, à défendre un ordre hétéronormé tout en étant gay.</p>
<p>Leur position au sein du parti n’apparaît pas subversive à cet égard puisqu’ils promeuvent des valeurs familialistes qui valorisent l’hétérosexualité :</p>
<blockquote>
<p>« La vie à deux, le couple se fait entre un homme et une femme », « des enfants j’en voudrais mais uniquement avec une femme… »</p>
</blockquote>
<p>Cela étant, ils ne s’attachent pas non plus à défendre, dans toutes les sphères de leur existence, des opinions et des pratiques conservatrices. Tout en <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-798.htm">considérant l’hétérosexualité comme supérieure</a>, ils s’identifient comme gays, participent plusieurs fois par semaine à des soirées avec d’autres homosexuels dans des bars ou des boîtes de nuit et ont de nombreuses relations sexuelles et affectives avec des hommes.</p>
<p>Leur rapport aux normes de genre est également ambivalent. En entretien, ils déprécient fortement les hommes « efféminés », dont ils cherchent à se distinguer, et disent préférer les <a href="http://iris.ehess.fr/index.php?2419">« gays très hétéros »</a>. Mais ils peuvent se révéler très différents au quotidien et dans la sphère intime. Ainsi, loin du <a href="https://www.liberation.fr/politique/lextreme-droite-obsedee-par-sa-virilite-20210613_JGSCXRLMP5ECFFQBJ5VF2M77OM/">stéréotype du militant viril d’extrême droite</a>, ils utilisent couramment des pronoms féminins pour se désigner ou encore affirment apprécier être « considéré comme la maîtresse, l’amante tu vois de ce mec-là ».</p>
<p>Cette ambivalence vis-à-vis de l’homosexualité et de la masculinité est parfois vécue sur le mode du <a href="https://www.politika.io/fr/article/habitus">« déchirement »</a> (« peut-être que je finirai hétéro » avec, dans « l’idéal », « une maison en pavillon, une femme, un 4x4, les gros chiens et… des enfants »), mais elle n’est pas tout le temps, ni systématiquement, source de tensions individuelles.</p>
<h2>Sociabilités gaies en milieu partisan</h2>
<p>L’engagement militant de gays au FN est lié à leurs dispositions politiques mais aussi au contexte partisan où il prend place. Leur expérience au sein du parti est notamment façonnée par l’existence de sociabilités gaies intrapartisanes auxquelles ils vont progressivement prendre part.</p>
<p>Maxime et Julian <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2011-1-page-7.htm">ne parlent pas de leur homosexualité</a> au moment où ils entrent dans le parti. Ils ne le font qu’une fois qu’ils y sont suffisamment insérés, après plusieurs mois pour l’un et un an et demi pour l’autre, et qu’ils constatent que l’homosexualité n’est pas un « problème » pour les militants qu’ils côtoient. Ils découvrent alors que la sphère militante donne accès à des espaces de sociabilité homosexuelle, à l’entre-soi gay lors de soirées en boîtes de nuit ou chez des militants par exemple.</p>
<p>Si cela ne constitue pas au départ une incitation à rejoindre le parti, cela contribue à inscrire leur engagement partisan dans la durée et s’apparente sous certains aspects à une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1977_num_27_1_393715">rétribution de leur militantisme</a>.</p>
<p>Julian commente ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Y’a plein de mecs qui sont gays, mais alors là, même dans les cadres et compagnie. Y’avait un cadre qui était venu dans la section, dont je citerai pas le nom, on avait passé deux jours dans sa suite au Pullman où y’avait d’autres cadres du Front national qui nous avaient rejoints, on avait fait que baiser ! Fin bon, y’a pas de soucis là-dessus ! »</p>
</blockquote>
<p>Soulignons qu’il ne s’agit-là ni d’une spécificité du FN ni des militants gays : les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0011392113486659">liens intimes</a> font pleinement partie des expériences partisanes, où qu’elles se situent sur le spectre politique, même si les liens relevant de la sexualité sont rarement mis en avant.</p>
<h2>Le relatif contrôle de la visibilité homosexuelle</h2>
<p>L’homosexualité et sa visibilité ne sont cependant pas acceptées dans toutes les sphères du FN : il s’agit d’un vecteur d’affinités tout autant que d’oppositions intra-partisanes. Maxime explique par exemple avoir été fortement critiqué dans certains espaces où son homosexualité était connue :</p>
<blockquote>
<p>« Donc [pour eux] j’étais dans la bande de Philippot soi-disant, alors que pas du tout, j’étais bien content qu’il s’en aille d’ailleurs, j’étais plutôt dans la ligne de Marion [Maréchal]… Mais du coup j’étais dans les “mignons” à abattre. »</p>
</blockquote>
<p>La visibilité gaie vient parfois alimenter des logiques d’appartenance à des sous-groupes partisans. Maxime continue par ailleurs de « cacher » son homosexualité dans sa fédération d’origine, implantée dans le département rural où vivent ses parents, qu’il considère comme plutôt hostile envers les gays et au sujet de laquelle il conclut :</p>
<blockquote>
<p>« Y’a quand même plein de gens qui sont au Front national qui sont homophobes. »</p>
</blockquote>
<p>La publicisation de l’homosexualité à l’extérieur du parti est également fortement contrôlée. Ainsi Maxime a poursuivi en justice, avec le soutien du FN à l’époque, un journaliste qui l’a « outé » dans la presse, suite à sa participation à une manifestation contre le « Mariage pour tous ». L’enjeu du procès est alors, selon lui, de publiquement « affirmer qu’[il n’est] pas gay ».</p>
<h2>Les usages de l’homonationalisme</h2>
<p>Les expériences partisanes de Julian et Maxime sont également marquées par la progressive appropriation d’idées <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2013-1-page-151.htm">homonationalistes</a>. Ces idées reposent sur la stigmatisation de certaines populations, notamment racisées, en mobilisant de manière approximative et équivalente l’origine migratoire, l’appartenance religieuse, le lieu d’habitation, etc. Elles visent à les présenter comme étant intrinsèquement « homophobes » et les exclure de ce qui est pensé comme étant la « Nation française ».</p>
<p>Le parti est un lieu de production et de diffusion de l’homonationalisme, relayé par les cadres dans les <a href="https://www.liberation.fr/france/2010/12/20/pourquoi-marine-le-pen-defend-les-femmes-les-gays-les-juifs_701823/">discours officiels notamment depuis 2010</a> pour s’adapter aux normes de la compétition politique dans un contexte d’<a href="https://www.cairn.info/enquete-sur-la-sexualite-en-france--9782707154293-page-243.htm">acceptation croissante de l’homosexualité</a>.</p>
<p>Lorsque Julian et Maxime rejoignent le FN, ce n’est toutefois pas pour promouvoir des idées homonationalistes. Ils disent d’ailleurs n’avoir jamais connu de violences hétérosexistes de la part <a href="https://books.openedition.org/ined/14944">d’autres personnes que leurs proches</a>.</p>
<h2>Le souci de « la sécurité »</h2>
<p>L’homonationalisme n’est donc pas la cause de leur engagement politique mais les enquêtés vont, par la suite, le mobiliser comme une justification idéologique de leur affiliation au Front national.</p>
<p>Maxime commente ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que le vrai droit – et c’est pour ça qu’il y a autant de gays qui votent Front national, c’est impressionnant dans mon entourage, les gays, il doit y en avoir 60-70 % qui votent Front national – c’est la sécurité. Quand tu sors d’une boîte de nuit ou autre, tu tiens la main d’un gars et tu vas te faire agresser par la racaille du coin. […] j’ai pas forcément peur de l’islam. Mais la racaille qui interprète mal l’islam, ouais ouais c’est sûr ça peut faire peur ».</p>
</blockquote>
<p>Les militants participent, à leur tour, à diffuser ces idées sur la sécurité au sein de leur entourage ou via des supports de communication politique. Maxime poste régulièrement des tweets sur le sujet – comme celui disant que « les agressions homophobes sont causées par la montée de l’islamisme. Ne nous voilons pas la face » – qui sont ensuite « likés » par d’autres membres du parti.</p>
<p>La rhéthorique homonationaliste permet ainsi de justifier idéologiquement leur engagement en tant que gays et les conduit ponctuellement à donner une dimension politique à leur sexualité. Si l’expérience de l’homosexualité apparaît, au départ, marginale dans la formation de leurs préférences politiques, elle participe <em>in fine</em> à façonner leur engagement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217237/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maialen Pagiusco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Loin de s’opposer, homosexualité et militantisme frontiste s’articulent et se façonnent mutuellement.Maialen Pagiusco, Doctorante, ATER en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197662024-01-04T21:56:33Z2024-01-04T21:56:33Z« Fâchés pas fachos » : l’expression de Mélenchon a-t-elle encore un sens ?<p>Les expressions toutes faites permettant de parler de l’électorat sont légion : électorat « flottant », de « substitution », « captif »… Politiciens, éditorialistes et bien sûr politologues connaissent ces termes et rivalisent d’ingéniosité pour décrire les stratégies mises en place par les partis politiques pour s’attirer le vote des Français.</p>
<p>La dénomination des « fâchés pas fachos », quant à elle, <a href="https://theconversation.com/siphonner-les-voix-des-faches-pas-fachos-le-pari-perdu-de-melenchon-120143">semble être apparue</a> dans le contexte français des législatives de 2012. Elle a été utilisée par <a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-larme-du-charisme-en-politique-159379">Jean-Luc Mélenchon</a>, alors candidat à la députation dans le Pas-de-Calais puis fondateur du parti La France Insoumise, pour désigner les électeurs mécontents et parfois tentés par le vote d’extrême droite, avec notamment en tête les déçus de la gauche « hollandiste » et les abstentionnistes, qui ne se reconnaissent pas pour autant dans les idées du Front national.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1511418595204550665"}"></div></p>
<p>Réutilisée en 2017, cette expression le sera à nouveau <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2019/06/13/melenchon-et-lfi-ont-il-traite-les-gilets-jaunes-de-fachos-avant-de-les-recuperer-comme-l-accuse-onf_1731420/">à l’occasion du mouvement des « gilets jaunes »</a>, alors que la composition de ce dernier était encore incertaine.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un « facho » ?</h2>
<p>Si le terme « fâchés » ne demande guère à être explicité, celui de « facho » doit l’être tant il est utilisé et connoté dans le débat public. Idéologie et système politique indissociables de Benito Mussolini, le fascisme émerge à la fin des années 1910. Le fascisme définit des pouvoirs politiques qui imposent notamment nationalisme, totalitarisme et autoritarisme. L’utilisation de ce terme n’est cependant pas toujours étroitement corrélée à sa définition scientifique, comme le souligne l’historien <a href="https://www.cairn.info/le-fascisme--9782707153692-page-7.htm">Olivier Forlin</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le qualificatif « fasciste » appliqué à une idée, à un discours, à une action politique, a souvent servi à faire de leurs auteurs des adversaires et à les diaboliser. Inversement, sa fonction a aussi été de rassembler un camp, jusque-là dispersé, en vue d’un combat politique. L’antifascisme a constitué un ciment idéologique pour unir des forces politiques, notamment en France et en Italie […] ».</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/10/31/l-extreme-droite-est-une-vision-du-monde-pas-un-programme_6100478_823448.html">Pour l’historien Nicolas Lebourg</a>, le fascisme est un courant parmi les sous-champs des extrêmes droites, mais ils sont souvent utilisés de manière synonyme dans le débat public.</p>
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<p>La mise en évidence de cette métonymie permet de mieux comprendre l’expression qui nous occupe. En effet, en France, l’extrême droite est notoirement représentée par le Rassemblement national (RN) et Reconquête. S’il s’en défend publiquement, le premier est même reconnu ainsi <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/le-rassemblement-national-est-bien-d-extreme-droite-confirme-le-conseil-d-etat-sur-demande-du-rn_223428.html">par le Conseil d’État</a>. Nul doute que pour Jean-Luc Mélenchon, les « fachos » de l’expression sont représentés parmi les potentiels votants pour ce parti. Son idée est donc d’attirer à lui les gens en colère, mais pas celles et ceux qui se situent à l’extrême droite, incompatibles avec sa propre idéologie.</p>
<h2>La colère les rassemble</h2>
<p>Cette expression ne signifie pas, bien sûr, qu’il y aurait d’un côté les fâchés et de l’autre les « fachos ». En réalité, il y a d’un côté les fâchés qui entretiennent des liens (politiques, idéologiques, militants, etc.) avec l’extrême droite, et de l’autre des personnes qui sont seulement mécontentes, mais n’entretiennent pas de rapport avec ce courant politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lelectorat-senior-une-terre-de-mission-pour-jean-luc-melenchon-171258">L’électorat senior : une terre de mission pour Jean-Luc Mélenchon</a>
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<p>Nous pouvons poursuivre ce parallèle en nous référant à deux émotions qui peuvent schématiquement aider à caractériser ces deux groupes : la colère pour les « fâchés-non-fachos » et la peur accompagnée <a href="https://www.sciencespo.fr/fr/actualites/podcast-je-vote-tu-votes-nous-votons/">par la colère</a> pour les « fâchés-fachos ».</p>
<p>La colère a beau être une émotion négative, elle est aussi dotée d’une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-affects-de-la-politique-frederic-lordon/9782021343328">forte puissance motrice</a>, par exemple lorsque nous subissons ce que nous considérons être des injustices. En 2023, la réforme des retraites a ainsi énormément mobilisé, au point dépasser des <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/retraites-apres-une-mobilisation-record-les-syndicats-appellent-a-renforcer-le-mouvement-1902354">records du nombre de participants</a>. Ces rassemblements ont été nourris par une colère envers une politique jugée, entre autres choses <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-economie-et-social/pourquoi-l-actuel-projet-de-reforme-des-retraites-fait-il-debat-3701597">injuste</a>.</p>
<p>Les divergences entre les deux groupes s’observent dans leur soutien différencié au mouvement des retraites (stratégie au Parlement, dans la rue, enquêtes d’opinion, etc.). Tandis que la <a href="https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/reforme-des-retraites-la-gauche-denonce-une-regression-sociale-le-rn-veut-faire-barrage-5251153">gauche a appelé</a> à se mobiliser dans la rue, le RN s’est contenté d’une discrète participation à l’Assemblée nationale, comme le souligne le chercheur <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/reforme-des-retraites-l-apparente-discretion-du-rn-a-l-assemblee-une-strategie-redoutable-pour-engranger-des-points_5660309.html">Sylvain Crépon</a>. Il est possible de constater qu’à la fin de ce mouvement, les soutiens étaient <a href="https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-le-mouvement-social-du-6-juin-contre-la-reforme-des-retraites/">plus importants</a> auprès des électeurs et électrices de Jean-Luc Mélenchon que de Marine Le Pen. Inversement, l’hostilité au mouvement était bien supérieure chez les partisans de cette dernière. Si la colère des « fâchés non-fachos » permet de les définir largement, celle des « fâchés-fachos » est un moteur qui cohabite avec un autre affect de grande intensité à l’extrême droite : la peur.</p>
<h2>La peur les distingue</h2>
<p>Si la colère des « fâchés-fachos » est indéniable, elle est régulièrement adjointe d’une certaine crainte, voire davantage. Ainsi, les personnes d’extrême droite ont à la fois peur, par exemple d’une disparition individuelle ou collective comme le montre la théorie complotiste du <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/l-article-a-lire-pour-comprendre-pourquoi-le-grand-remplacement-est-une-idee-raciste-et-complotiste_4965228.html">« grand remplacement »</a>. Parallèlement, elles sont aussi en colère contre ce qu’elles estiment une inaction gouvernementale, notamment en matière d’immigration – cette dernière étant parfois même vécue <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/pour-le-gouvernement-l-immigration-n-est-pas-un-probleme-mais-un-projet-raille-marine-le-pen-20231210">comme une incitation</a>.</p>
<p>L’extrême droite – que ce soit celle de Marine Le Pen ou d’Éric Zemmour, est l’emplacement de l’échiquier politique le <a href="https://www.lexpress.fr/societe/difficulte-a-se-projeter-selon-l-ifop-83-des-francais-considerent-l-avenir-comme-inquietant_2183918.html">plus angoissé vis-à-vis de l’avenir</a> et travaillé par l’idée de décadence.</p>
<p>Les personnes qui ont une <a href="https://dictionary.apa.org/right-wing-authoritarianism">personnalité autoritaire de droite</a>, très répandues à l’extrême droite, ont également un fort besoin de se conformer aux normes sociales. Cela les amène à éprouver de la peur ou de la haine envers ce qui ne rentre pas dans ces normes, et donc à être sujettes à de hauts niveaux de racisme, sexisme, homophobie, etc.</p>
<p>Tous ces éléments montrent qu’au-delà de la colère, la peur est très présente chez les personnes d’extrême droite. Ce n’est pas un hasard si cette famille politique est associée à de nombreux qualificatifs en <em>phobie</em> (xénophobie, homophobie, islamophobie, etc.).</p>
<h2>L’abstention, un refuge politique</h2>
<p>Finalement, faire appel aux « fâchés pas fachos », est-ce encore pertinent actuellement ? Il est bien possible que ce soit le cas. Cette invitation a du sens car les « fâchés non-fachos » et les « fâchés-fachos » ne semblent pas se situer sur le même continuum, comment en atteste la <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat">faible porosité entre les électorats</a> de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen entre 2017 et 2022.</p>
<p>Même si l’extrême droite attire des citoyens fâchés, ces derniers ont également un autre refuge politique : l’abstention.</p>
<p>L’évolution des scores entre 2017 et 2022, de respectivement +2,4 % pour Jean-Luc Mélenchon et +1,9 % pour Marine Le Pen, peut laisser penser que l’appel aux « fâchés » du premier à au moins partiellement été entendu. Quid de l’avenir ? Le dernier <a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/intentions-de-vote-pour-lelection-presidentielle-de-2027-2/">sondage Harris interactive</a> imaginant l’élection présidentielle de 2027 place Marine Le Pen en tête de tous les scénarios, et Jean-Luc Mélenchon présent au second tour dans sept des huit hypothèses. Si ce duel devait avoir lieu, nul doute que l’ancien député des Bouches-du-Rhône relancerait l’électorat « fâché pas facho » afin de proposer un débouché politique inédit à des abstentionnistes de plus en plus nombreux. La formule pourrait ne pas avoir dit son dernier mot.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219766/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Ailloud est membre de la France insoumise. </span></em></p>Les sympathisants de l’extrême droite et de l’extrême gauche sont-ils vraiment les mêmes ? Disséquer l’expression « fâchés pas fachos » offre un éclairage bienvenu.Julien Ailloud, Chercheur postdoctoral, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202252023-12-20T19:57:59Z2023-12-20T19:57:59ZGérald Darmanin, symbole des illusions perdues du macronisme ?<p>Le projet de loi sur l’immigration était annoncé comme un moment décisif pour les différents acteurs de la vie politique française et en particulier pour Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Il constitue sans doute un tournant important pour l’homme politique et illustre a plusieurs égards les difficultés auxquelles font face Emmanuel Macron, le macronisme et le système politique français dans son ensemble.</p>
<p>Les derniers événements ont été particulièrement difficiles pour le ministre même si celui qui a remis <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/info-franceinfo-vote-de-rejet-de-la-loi-immigration-gerald-darmanin-a-propose-sa-demission-refusee-par-le-president-lors-d-un-entretien-lundi-soir-a-l-elysee_6237198.html">sa lettre de démission, refusée par l’Élysée</a> (suite au vote de la motion de rejet de la loi sur l’immigration) <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/en-direct-loi-immigration-nous-sommes-plus-pres-d-un-accord-que-d-un-desaccord-affirme-darmanin-20231218">se félicite</a> aujourd’hui de la séquence politique qui a vu l’adoption de cette même loi.</p>
<p>L’homme politique est-il pour autant renforcé de cet épisode et que nous dit-il de l’état du macronisme ?</p>
<h2>Une image d’homme de droite</h2>
<p>Si Gérald Darmanin a pu publiquement <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/presidentielle-2027-gerald-darmanin-estime-qu-edouard-philippe-est-le-mieux-place-mais-s-interroge-sur-son-envie_6109053.html">interroger sa volonté</a> de se positionner dans la course pour le poste de président de la République, il fait très clairement parti des personnes qui pourraient prétendre à la succession d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Darmanin s’est construit une image d’homme de droite attaché au respect de l’ordre et son rôle de ministre de l’Intérieur a donné corps à ce positionnement. Mais plusieurs ratés (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/16/gerald-darmanin-doit-tirer-les-lecons-du-chaos-au-stade-de-france_6162045_3232.html">incidents du Stade de France</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/societe/terrorisme-islamiste-darmanin-plaide-pour-une-injonction-de-soins-FJ5FEWIDYZCEVKUAN3CSTXHOG4/">attaques terroristes</a>…) et polémiques (<a href="https://www.lepoint.fr/societe/gerald-darmanin-maintient-ses-propos-sur-karim-benzema-25-10-2023-2540792_23.php#11">affaire Karim Benzema</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/accusations-de-viol-a-l-encontre-de-gerald-darmanin-le-non-lieu-en-faveur-du-ministre-de-l-interieur-est-confirme-en-appel_5620133.html">accusation de viol</a>…) ont écorné sa réputation d’efficacité et de rigueur. Le rejet de « son » projet de loi sur l’immigration porte un coup certain à ses ambitions personnelles qui s’appuyaient en grande partie sur sa légitimité en matière de sécurité.</p>
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<p>Difficile pourtant de prévoir ce qu’il adviendra des ambitions présidentielles de Darmanin tant la période qui s’ouvre est inédite sous la V<sup>e</sup> République. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/la-ve-republique/les-grandes-etapes-de-la-ve-republique">Pour la première fois</a>, un président encore jeune quittera la présidence sans avoir été battu… alors que la possibilité qu’<a href="https://fr.news.yahoo.com/emmanuel-macron-pourrait-il-se-representer-en-2032-151353458.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAEKnCJD-4Puu94CtwDzyqMxOwQpDP1vGFHerRERgF4B1jyXWISobCd63hHgltqw3Oh95r1Db3-hkKua6TWiKp0H1yAoVvvxfn1Yr3jSxxiXfgw8aSkHR0_DL6ujHfEb48njeoWtcR5S6knPk_DbXa0vZG6669MwJO4f0YDYY0TT3">il puisse se représenter de manière non consécutive</a> n’est pas écartée.</p>
<p>Jamais, une telle situation n’était arrivée et la succession d’Emmanuel Macron risque donc de réserver des stratégies et des montages politiques nouveaux.</p>
<p>Pour la première fois, la <a href="https://www.lejdd.fr/politique/presidentielle-2027-marine-le-pen-caracole-en-tete-edouard-philippe-favori-du-camp-macroniste-dapres-un-sondage-139319">favorite des sondages</a> et de l’élection présidentielle pourrait être Marine Le Pen, la candidate du parti représentant l’extrême droite française. Dans ce contexte, le positionnement d’homme de droite de Darmanin et sa connaissance des dossiers régaliens, légitimés par son passage place Beauvau, seront sans doute recherchés par ceux qui décideront de se lancer dans la bataille face à Marine Le Pen.</p>
<h2>Pas de vrai virage politique, sauf vers la droite</h2>
<p>Lors de sa première élection présidentielle, Emmanuel Macron s’était fait élire en promettant de <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">dépasser le clivage droite/gauche</a>.</p>
<p>Les sujets mis en avant, à l’image de l’immigration, et les mesures prises, comme dans le cadre de la réforme des retraites, semblent entériner l’idée que le parti présidentiel penche désormais fortement <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-lheritier-cache-de-nicolas-sarkozy-178669">à droite</a>.</p>
<p>Le départ d’anciens alliés issus de la gauche, à l’instar tout récemment de <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/daniel-cohn-bendit/europeennes-daniel-cohn-bendit-rompt-avec-macron-et-appelle-les-ecologistes-a-rejoindre-glucksmann-1f927344-9804-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">Daniel Cohn Bendit</a>, parait d’ailleurs confirmer ce virage.</p>
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<figcaption><span class="caption">Immigration : le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2023, HuffPost.</span></figcaption>
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<p>Lors de la seconde élection, il avait déclaré que le résultat morcelé du premier tour l’obligeait à faire de la politique autrement et qu’il avait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SMHd9uYD5H8">compris le message</a>. L’épisode des échanges et négociations entre Darmanin et Les Républicains (LR) lors de la loi sur l’immigration donne pourtant l’image de manœuvres politiciennes peu en accord avec l’idée de nouvelles pratiques politiques et de la recherche d’un consensus autour d’un projet commun. Alors que certains en appellent à une <a href="https://books.openedition.org/putc/157?lang=fr">VIᵉ république</a>, la façon dont les jeux de pouvoir s’organisent sous et autour d’Emmanuel Macron rappelle en tous points celles des époques précédentes.</p>
<p>La loi sur l’immigration symbolise à plusieurs égards la « politique à l’ancienne » que l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron devait faire disparaître. En ce sens, elle illustre l’échec de la tentative de faire de la politique autrement. La <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-parlement-en-toc-l-amertume-d-une-deputee-macroniste-decidee-a-ne-pas-se-representer-a-l-assemblee-5879426">décision de certains élus macronistes</a> de ne pas rempiler suite au premier quinquennat, avaient déjà en partie mis en exergue ce phénomène. Force est constater que l’utilisation répétée du 49.3 semble témoigner des <a href="https://www.lopinion.fr/politique/les-deputes-macronistes-doivent-encore-apprendre-a-perdre">difficultés du camp présidentiel</a> à <a href="https://theconversation.com/macron-incarnation-de-la-theorie-des-paradoxes-et-de-ses-limites-195300">co-construire, à négocier, à convaincre</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/changer-de-constitution-pour-changer-de-regime-180160">Changer de constitution pour changer de régime ?</a>
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<h2>Un décalage profond avec les électeurs</h2>
<p>L’incapacité de parvenir à mettre en place de nouvelles pratiques politiques illustre un phénomène plus profond pour la V<sup>e</sup> République et le système démocratique : celui du décalage entre la façon dont les décideurs politiques comprennent les messages des urnes et des élections et la réalité des aspirations des électeurs et de la population. L’affaire de la loi sur l’immigration vient rappeler que le macronisme n’est pas parvenu à combler ce décalage… qui s’est sans doute amplifié au cours des dernières années suite à des scandales comme <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/dossier/affaire-benalla-macron-garde-du-corps-video-manifestant">l’affaire Benalla</a> ou la crise des <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/qui-sont-les-gilets-jaunes-et-leurs-soutiens.html">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Mais l’épisode de la loi sur l’immigration est aussi un tournant politique car la motion de rejet de la loi sur l’immigration a donné lieu à un vote uni de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/loi-immigration-et-integration-ce-quil-faut-savoir-1902727">LR, du Rassemblement national (RN) et de la gauche</a>. Cette alliance, bien que de circonstance, montre à quel point le Rassemblement national est devenu un <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">parti comme les autres</a> au sein de la vie politique française.</p>
<h2>Un parfum de fatalité ?</h2>
<p>Le Front Républicain contre l’extrême droite s’est transformé en un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/13/l-arc-republicain-un-concept-destine-a-exclure-certains-du-champ-de-la-legitimite-politique_6205527_3232.html">Arc Républicain</a> visant tous les extrêmes. Et les partis « traditionnels » s’allient désormais de plus en plus avec le RN au hasard des circonstances. La <a href="https://www.lopinion.fr/politique/la-strategie-de-la-cravate-du-rn-fonctionne-t-elle">stratégie de Marine Le Pen</a> visant à cultiver une image sérieuse et modérée à l’Assemblée Nationale semble donc porter ses fruits, d’autant plus qu’elle positionne son groupe parlementaire en complète opposition avec la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/la-on-va-dans-le-mur-au-sein-de-lfi-la-strategie-de-la-bordelisation-fait-debat-16-12-2023-SOHC2BQIXBDGXHV45XZP6OGKZE.php">stratégie volontiers provocatrice</a> et belliqueuse de LFI et de certaines personnalités de gauche.</p>
<p>Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron, qui avait affirmé qu’il parviendrait à faire baisser l’extrême droite en France, ne parvient pas à empêcher l’expansion du RN. Les figures comme Gérald Darmanin semblaient pourtant <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1182443/article/2022-05-20/gerald-darmanin-l-atout-droite-pop-de-macron-rempile-l-interieur">destinées à élargir le spectre du parti présidentiel</a> et devaient faire barrage au parti d’extrême droite en se positionnant sur ses thématiques et ses idées. Les déboires du ministre de l’Intérieur illustrent au contraire les limites des stratégies de lutte contre l’extrême droite visant à s’appuyer sur des personnalités censées reprendre et représenter leurs idées pour attirer les électeurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">Le RN, « trou noir » du paysage politique français</a>
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<p>Mais l’expansion du RN est à mettre en perspective avec les succès des partis d’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/22/giorgia-meloni-un-an-a-la-tete-de-litalie">Italie</a> ou au <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/24/extreme-droite-aux-pays-bas-l-original-triomphe-toujours-de-la-copie_6202071_3232.html">Pays Bas</a> ou par exemple en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/en-argentine-le-choc-et-les-interrogations-apres-l-election-triomphale-de-javier-milei-a-la-presidence_6201228_3210.html">Argentine</a>. L’exemple français n’est pas exceptionnel et ces succès donnent un parfum de fatalité à l’incapacité d’Emmanuel Macron et du camp présidentiel à contrer l’expansion du parti présidé par Jordan Bardella.</p>
<p>La période de turbulences économiques, sociales, géopolitiques et environnementales actuelle est aussi un terrain particulièrement fertile pour la montée des extrêmes et des populismes. Dans le cas de la France, cette montée ne pourra être un tant soit peu contenue que si des personnes comme Gérald Darmanin et Emmanuel Macron parviennent à éviter des séquences comme celle de la loi sur l’immigration tant elles mettent en lumière les illusions perdues de leur aventure politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Gérald Darmanin incarne l’échec d’une « nouvelle façon » de faire de la politique.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199202023-12-17T15:42:19Z2023-12-17T15:42:19ZCe que la loi immigration dit de l’impasse dans laquelle se trouve Emmanuel Macron<p>Quoiqu’il advienne du projet de loi sur l’immigration à l’issue de la CMP qui se réunira ce lundi, restera l’image de cet étrange rigodon dansé par les oppositions réunies à l’Assemblée nationale, ce 11 décembre 2023. Pour la seconde fois de son deuxième mandat, Emmanuel Macron échoue à constituer cette majorité de projets qu’il appelait de ses vœux <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/24/reforme-des-retraites-ecole-sante-les-chantiers-prioritaires-d-emmanuel-macron-s-il-est-reelu_6123441_6059010.html">au soir des élections législatives de 2022</a>. Ce disant, il se limitait alors à traduire en termes opérationnels le vote des Français qui, en ne lui accordant qu’une majorité relative, mandataient sans ambiguïté les différents partis pour travailler ensemble à des compromis dans l’intérêt général.</p>
<p>D’où ce résultat en forme de scrutin proportionnel, bien qu’acquis au scrutin majoritaire. Visiblement, seul le camp présidentiel semble avoir entendu le message : les oppositions rejetant systématiquement la main tendue par la majorité présidentielle quand il s’agit d’un texte à forte résonance politique. Ce déni de compromis, à rebours du message électoral, fait que le Parlement marche désormais à l’amble rompu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<h2>Incommunication politique</h2>
<p>Les choses qui se répètent ne plaisent donc pas toujours. La réforme des retraites, portée par Elisabeth Borne s’était échouée contre le <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798">récif des boucliers du refus</a>, bien qu’allégée par rapport à la précédente tentative. <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">L’article 49.3</a> était alors venu pallier l’incapacité d’obtenir une majorité plurielle. Scénario réitéré, mais en plus grave pour le projet de loi immigration, à la suite d’une manière <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">d’opéra-bouffe</a> qui se termine dans un véritable guet-apens par un grave échec du gouvernement.</p>
<p>Pourtant, si une question se prêtait pleinement à un « en même temps », c’était bien celle de l’immigration sur laquelle droite et gauche s’usent les dents depuis plus de trente ans sans parvenir à une solution durable à laquelle pourtant aspirent <a href="https://elabe.fr/loi-immigration-motion-rejet/">près de 70 % des Français</a> : la gauche par irréalisme, la droite par obsession sécuritaire. La tentative du gouvernement d’équilibrer humanité et sécurité a fait long feu pour l’heure, étouffée dans une véritable partie de poker menteur.</p>
<p>Voici la droite sénatoriale qui adopte un texte fortement durci, le rendant inacceptable par la gauche, mais aussi par une partie de la majorité présidentielle. Voilà la commission des lois de l’Assemblée nationale qui rééquilibre l’ensemble à une très confortable majorité. Voici le Rassemblement national qui laisse croire à sa volonté de débattre du texte. Voilà LR qui se lance, un peu pour la forme, dans une motion de rejet… quitte à ne pas défendre le texte sénatorial.</p>
<p>Enfin la majorité présidentielle semble sous-estimer le danger et laisse s’absenter certains de ses membres. Et pour la première fois depuis 25 ans (c’était en octobre <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/10/22/en-1998-le-fiasco-du-vote-sur-le-pacs-humilie-la-gauche_1779095_823448.html">1998 à propos du PACS</a>), à la surprise générale après une semaine de dupes, la motion de rejet est adoptée, le RN ayant abattu ses cartes au dernier moment pour profiter de l’occasion de tailler une croupière au président tout en s’abritant sous le parapluie des autres opposants. Pour être hasardeux, le coup n’en est pas moins rude : en fermant la porte préalablement à toute discussion, on franchit un cran dans le refus de communication entre les minorités coalisées et la majorité présidentielle. Pas de débat, mais l’exigence d’un parti, LR, que sa seule position soit reconnue par les autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">Comment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien</a>
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<h2>Des perdants, un gagnant</h2>
<p>Le vote de lundi ferme donc sans doute définitivement la porte à une <a href="https://www.lepoint.fr/debats/le-compromis-politique-est-absent-de-la-culture-francaise-22-06-2022-2480637_2.php">culture du compromis</a> avec un Parlement où les vieux appareils politiques sont d’abord préoccupés par la manière de revenir sur le devant de la scène en réduisant le moment Macron à une parenthèse sans lendemain.</p>
<p>Qui perd à ce jeu partisan ? <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/direct-loi-immigration-jusqu-ou-ira-gerald-darmanin_6244458.html">Gérald Darmanin</a>, bien sûr, qui, après avoir goulûment endossé le rôle de Don Quichotte, s’est vu sèchement remis en place par ses anciens amis qu’il s’était pourtant fait fort de convaincre.</p>
<p>Le gouvernement également, qui, une nouvelle fois voit son action réformatrice entravée. Surtout, Emmanuel Macron, dont l’autorité politique ressort affaiblie par <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635.htm">cette paralysie réformatrice</a> alors qu’il lui reste trois ans et demi de mandat à accomplir.</p>
<p>Qui gagne, en revanche ? LR et la Nupes, semble-t-il, puisqu’ils ont obtenu le rejet du texte. Victoire à la Pyrrhus cependant : une fois de plus, ces deux forces ont fait la démonstration qu’elles ne constituaient pas une majorité alternative, et qu’elles ne parvenaient à s’imposer qu’avec le puissant renfort du RN.</p>
<p>Et pour LR, le constat d’un comportement étrangement pusillanime qui les amène à renoncer à un texte incorporant pourtant nombre de leurs revendications depuis 15 ans. Seul gagnant sans ombre au tableau : le RN, dont la position sur l’immigration est suffisamment connue pour ne pas être rappelée, et qui, placé en embuscade derrière LR et la Nupes, peut avoir le triomphe modeste. Et plus que jamais constituer selon l’heureuse expression de Luc Rouban, le <a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">« trou noir » de notre galaxie politique</a>.</p>
<h2>Vraie ou fausse sortie</h2>
<p>Qu’Emmanuel Macron pense avoir tout intérêt à limiter les choses à un accident de parcours en même temps qu’il affirme vouloir poursuivre la procédure législative, on peut le comprendre. Il a donc écarté tout recours à la dissolution et toute utilisation de 49.3, tout en invitant le gouvernement à mettre en œuvre la commission mixte paritaire : composée de 7 sénateurs et de 7 députés, la CMP est majoritairement du côté des oppositions. On pousse les feux et la CMP se réunira dès lundi prochain. La Première ministre, qui pris la main sur les discussions, a d’ores et déjà réuni les responsables de LR et laissé entendre que la piste d’accord pourrait se dessiner.</p>
<p>Et ensuite ? Soit on parvient à un texte de compromis, qui risquerait dans ce contexte de droitiser encore le projet initial, quitte à heurter une partie de la majorité présidentielle. Ce texte serait ensuite soumis au vote des deux chambres. Soit la CMP ne parvient pas à concilier les points de vue, et les choses en restent là. A charge pour la majorité présidentielle de dénoncer devant l’opinion le blocage entretenu par une opposition autiste.</p>
<p>Quoiqu’il en soit, il s’agira plus d’une sortie de secours que d’une sortie de crise. Si elle répond éventuellement à court terme à la question d’un projet de loi particulier, elle ne saurait suffire à corriger l’onde de choc produite par le 11 décembre.</p>
<p>Au-delà des personnes et des acteurs politiques, ce sont les institutions mêmes qui sortent affaiblies de cette tempête sous le crâne parlementaire.</p>
<p>Ce n’est plus seulement la légitimité présidentielle qui se voit mise en question : n’est-ce pas l’image même du fonctionnement et du rôle du Parlement qui est affectée ? N’est-ce pas l’essence du régime parlementaire reposant sur la collaboration des pouvoirs qui se voit compromise ?</p>
<p>Notre système politique a besoin d’un choc pour sortir de la torpeur entretenue où il baigne. En ce sens, Emmanuel Macron n’aurait-il pas eu tort d’écarter la possibilité d’une dissolution ? De toute manière, il devra y recourir tôt ou tard, la démonstration étant faite qu’il se verra empêché d’avancer sur le terrain des réformes dans les 42 mois qui lui restent à accomplir. Le blocage qu’on lui impose ne serait-il pas le moment opportun, puisqu’il permet d’éclairer le refus systématique des partis de jouer le jeu d’une concertation constructive dans l’intérêt général ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219920/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les oppositions rejettent systématiquement la main tendue par la majorité présidentielle quand il s’agit d’un texte à forte résonance politique, un déni de compromis à rebours du message électoral.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177222023-12-17T15:39:03Z2023-12-17T15:39:03ZDe la droite à l’extrême droite : sur les logiques du recrutement au sommet du Rassemblement national<p>Les événements récents autour du rejet de la loi immigration ont donné au Rassemblement national l’occasion de faire bruyamment entendre ses revendications politiques, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/jordan-bardella-demande-la-dissolution-de-l-assemblee-nationale-20231212">comme la dissolution du gouvernement</a>. Fort d’un grand nombre d’élus à l’Assemblée nationale, le parti lepéniste peut aussi compter sur un nombre important de transfuges politiques, autrement dit des convertis, parfois sur le tard, à l’extrême droite.</p>
<p>Qu’il s’agisse de Sébastien Chenu (venu de l’Union pour un mouvement populaire), de Julien Odoul (venu du centre), de Laurent Jacobelli (venu de Debout ! La France), ou encore de Franck Allisio ou de Philippe Ballard (qui viennent aussi, tous deux, de la droite), ces profils interrogent, comme ils questionnent plus largement la légitimation du RN.</p>
<p>En effet, nombre d’explications rapides et normatives sont régulièrement convoquées pour saisir ce phénomène : qu’il s’agisse de la la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/rn-apres-l-arc-republicain-l-elysee-en-ligne-de-mire-8945186">porosité</a> importante entre les électorats « de gauche » et ceux de « Marine » ou de l’équivalence des « extrêmes » (gauche et droite). Mais on évite généralement de penser un des faits empiriques parmi les plus flagrants : celui de l’importante porosité de la droite à l’extrême droite contemporaine, qu’il s’agisse des professionnels de la politique ou des électorats, comme cela a déjà été souligné par les <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807305595-le-vote-fn">sociologues du vote</a>.</p>
<p>La « normalisation » du « Front » par des recrutements de professionnels venus de la droite, qui sont d’ailleurs bien médiatisés, mérite de fait attention car ils sont le signe d’un renouvellement (partiel) des équipes dirigeantes du RN et en disent long sur l’acceptabilité d’un engagement public à l’extrême droite aujourd’hui. Que nous disent du RN ces recrutements ? Sont-ils politiquement pluriels ? Sont-ils désintéressés ?</p>
<h2>Un nécessaire recul historique</h2>
<p>Il faut d’abord prendre un nécessaire recul historique sur les porosités dans le recrutement de professionnels de la politique à l’extrême droite, et en dehors. Invoquées aujourd’hui comme des marques de « normalisation », les conversions au Front national étaient monnaie courante dans les années 1980 ou 1990. De la séquence des élections législatives de 1986, jusqu’aux logiques du recrutement des cadres dirigeants du Front national des années 1990, on peut étudier le recrutement régulier <a href="https://www.cairn.info/le-front-national-a-decouvert--2724606965-page-83.htm">« d’élites vitrines »</a>, principalement venues de la droite et notamment de petites formations partisanes.</p>
<p>Bruno Mégret n’était-il pas, comme une large partie de ses soutiens alors convertis au Front national, un ancien partisan du Rassemblement pour la République (RPR) ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Crise au FN : Bruno Mégret annonce son départ, INA, 1998.</span></figcaption>
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<p>De la même manière, la question des conversions et des <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2001_num_14_56_1186">inconstances</a> en politique de manière générale mérite d’être mise au centre de l’analyse pour décloisonner l’analyse du FN devenu Rassemblement national.</p>
<p>La politique n’est pas systématiquement une affaire de constance politique ou partisane. Les exemples historiques et contemporains ne manquent pas, à droite comme à gauche. Le cas de la formation de La République en Marche à l’occasion des échéances électorales de 2017 en est un bon exemple : ce parti est alors bien fourni en anciens cadres du <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635-page-229.htm">Parti socialiste</a>, tout comme les différents gouvernements de la présidence d’Emmanuel Macron sont composés d’anciens dirigeants de la droite, comme de la gauche.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-bilan-demmanuel-macron-agenda-neo-liberal-et-pragmatisme-face-aux-crises-178671">Le bilan d’Emmanuel Macron : agenda néo-libéral et pragmatisme face aux crises</a>
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<h2>Une porosité politique située à droite</h2>
<p>Ensuite, si porosités il y a, il faut les situer et quantifier les formations partisanes qui ont plus de chance de produire des convertis à l’extrême droite que d’autres.</p>
<p>D’une part, il convient de le rappeler et d’insister : les inconstants sont largement minoritaires dans les instances de direction du FN-RN. La majorité des dirigeants de l’organisation sont plutôt issus de filières partisanes à l’extrême droite, ce sont alors des militants du FN-RN, qui n’ont jamais fait partie d’autres formations politiques auparavant, à l’exception de mouvements ou petits partis d’extrême droite.</p>
<p>D’autre part, l’analyse des carrières des membres des bureaux politiques, le « conseil d’administration » du RN, atteste bien que la droite est bien plus poreuse à l’extrême droite que ne l’est la gauche, ou l’extrême-gauche.</p>
<p>Qu’il s’agisse de l’histoire du parti sur le temps long ou sous la présidence de Marine Le Pen (2011-2022), la très large majorité des transfuges viennent ainsi de la droite.</p>
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<p>Ce sont dans leur majorité d’anciens cadres de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), ou de formations centristes (dans une moindre mesure) qui se reconvertissent en politique. Les cas bien médiatisés d’<a href="https://www.lepoint.fr/politique/andrea-kotarac-le-rn-doit-faire-sa-revolution-ecologique-08-10-2022-2492919_20.php">Andréa Kotarac</a> (LFI) ou <a href="https://www.lepoint.fr/politique/aurelien-legrand-l-ancien-du-npa-qui-gravit-les-echelons-du-fn-27-04-2016-2035358_20.php">d’Aurélien Legrand</a> (ex-NPA) ne doivent ainsi pas laisser à penser que la porosité du FN-RN s’étend massivement à toutes les formations partisanes.</p>
<p>Ce faisant, ce n’est ainsi pas une « normalisation » tous azimuts qu’il convient d’analyser, mais bien comment certains professionnels de la droite, soucieux d’opérer des carrières ascendantes et plus rapides que dans leurs organisations d’origine en viennent à militer, et surtout à vivre « de et pour » la politique à l’extrême droite.</p>
<h2>Des engagements professionnels et intéressés</h2>
<p>En effet, dès lors qu’on étudie des professionnels de la politique, on ne peut les considérer de la même manière que des électeurs « ordinaires » pour qui l’acte de vote, bien qu’il puisse revêtir des sens multiples, n’est pas systématiquement relié à leurs conditions matérielles d’existence, ni à leur emploi.</p>
<p>Les carrières des professionnels de la politique sont <a href="https://hal.science/halshs-00386826/">intéressées</a>, et pour une large partie des transfuges étudiés, l’enjeu est double.</p>
<p>D’une part, il peut s’agir de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/22/les-candidats-ou-l-importance-des-files-d-attente-en-politique_6099534_3232.html">« couper la file d’attente »</a> de leurs anciennes formations partisanes et, par-là, de « monter » plus vite dans la hiérarchie politique.</p>
<p>D’autre part, cela se comprend car le marché des postes au RN est plus fluide qu’ailleurs, et les occasions ne manquent ainsi pas, pour certains transfuges, d’opérer des ascensions partisanes rapides, d’accéder à des mandats d’élus régionaux moins d’un an après une adhésion au RN, d’être recrutés comme collaborateurs politiques ou parlementaires, d’être promus à la tête d’une fédération, ou encore d’entrer au Palais Bourbon en 2017, puis en 2022.</p>
<h2>Des profils recrutés avec attention</h2>
<p>Tous ces éléments méritent toutefois d’être resitués dans deux processus. D’une part, recruter des transfuges ne se fait pas à l’aveugle. L’organisation travaille à capter certains profils, plutôt que d’autres, d’anciens professionnels de la politique réputés compétents, bien dotés en titres scolaires pour certains prestigieux, ayant des compétences techniques spécifiques (dans la communication politique par exemple).</p>
<p>Les cas de Laurent Jacobelli (diplômé de l’ESSEC, ex-cadre de l’audiovisuel, passé dans les groupes dirigeants de Debout La France), de Sébastien Chenu « pur professionnel » de la politique à l’Union pour un mouvement populaire ou de Philippe Ballard (ex-journaliste, ex professionnel de la politique locale à l’UMP) l’attestent bien.</p>
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<figcaption><span class="caption">Philippe Ballard, ancien présentateur de JT, élu RN dans l’Oise, s’exprime sur LCP, 13 mai 2023.</span></figcaption>
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<p>D’autre part, tous les transfuges ne se valent pas sur le marché politique à l’extrême droite. Le niveau et type de diplôme, tout comme l’expérience passée en politique structurent durablement les carrières au sein du FN-RN, les pentes des trajectoires d’ascension, tout comme les rétributions auxquelles les transfuges peuvent prétendre. Les militants de feu le <a href="https://www.lemonde.fr/education/article/2015/10/01/le-front-national-revient-a-sciences-po-paris_4779996_1473685.html">« FN Sciences Po »</a> accèdent par exemple à des mandats régionaux et à des postes de collaborateurs d’eurodéputés, quand un Julien Odoul (ex collaborateur centriste) ou un Sébastien Chenu (secrétaire départemental, conseiller régional puis député) opèrent des ascensions partisanes plus rapides et à des postes plus prestigieux (secrétaires départementaux, conseillers régionaux, députés).</p>
<p>Les conversions politiques au FN-RN sont ainsi plus probables dès lors que l’on vient de la droite, et les carrières espérées plus fructueuses pour les professionnels dès lors qu’ils disposent de monnaies d’échange particulières, qui prend la forme de titres scolaires distinctifs ou d’expériences politiques professionnelles.</p>
<p>Ces résultats n’épuisent toutefois pas la question de la place des idées dans les conversions en politique. Les transfuges sont prompts à mobiliser le registre de la « prise de conscience idéologique » pour les justifier. D’un point de vue sociologique, il faudrait plutôt saisir l’ajustement de possibles et pensables professionnels dans un contexte ou l’extrême droite (et ses idées et cadrages) n’est plus si illégitime aux yeux de bon nombre de professionnels de la politique et d’observateurs journalistiques, favorisant de ce fait un espace du dicible plus important pour celles et ceux qui s’y convertissent.</p>
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<p><em>Cet article fait écho au chapitre de l’autrice issu de l’ouvrage <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">« Sociologie politique du Rassemblement national : enquêtes de terrain »</a>, paru ce mois-ci aux Presses Universitaires du Septentrion.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217722/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Safia Dahani ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les profils issus de la droite et désormais affiliés au RN interrogent, comme ils questionnent plus largement la légitimation du parti lepéniste.Safia Dahani, Post-doctorante en sociologie, EHESS, CESSP, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197572023-12-12T18:48:52Z2023-12-12T18:48:52ZLe RN, « trou noir » du paysage politique français<p>Les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/20/manouchian-au-pantheon-la-normalisation-contrariee-de-marine-le-pen_6217449_823448.html">récentes polémiques </a>autour de la présence de Marine Le Pen lors de l'hommage à Nation et la panthéonisation de Méliné et Missak Manouchian soulignent la difficulté dans lequel se trouve la présidence de la République comme le gouvernement à définir une ligne stratégique cohérente face au Rassemblement national (RN). Certes, le chef de l'État a tenté de mettre à distance la formation d'extrême-droite dans un entretien <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/19/dans-un-entretien-inedit-a-l-humanite-emmanuel-macron-veut-convaincre-qu-il-ne-mene-pas-une-politique-d-extreme-droite_6217287_823448.html">avec le journal <em>L'Humanité</em></a>, mais cette critique ne permettra pas de convaincre l’opinion que le macronisme se rapproche de la gauche ni de contrer le RN qui en fait ses délices. <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-edito-politique/rn-et-arc-republicain-cacophonie-au-sommet-de-l-etat_6345301.html">La divergence de positionnement</a> du président de la République, qui entend exclure le RN de <a href="https://www.liberation.fr/politique/larc-republicain-une-notion-piegeuse-et-devoyee-20240219_T7EJMGZI2FHPVJRTHQWO4DYREA/">« l'arc républicain »</a>, et de son Premier ministre, qui considère au contraire qu'il en fait partie, témoigne même d’une situation de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/12/projet-de-loi-immigration-gerald-darmanin-entraine-la-majorite-dans-la-crise_6205321_823448.html">crise politique</a> plus profonde. </p>
<p>Celle-ci devient cette fois explicite et vient confirmer le fait que le RN est devenu le « trou noir » du paysage politique français, absorbant tout ce qui se trouve à sa périphérie, pliant l’espace-temps politique en contraignant les autres partis à céder ou à échouer. Mais il s’avère également capable désormais de s'auto-alimenter politiquement en se renforçant des stratégies qui poussent à le confiner ou à le réduire à l'héritage historique du Front national. S’étant engagé sur la voie de la droitisation, le macronisme ne peut plus éviter le clivage droite-gauche qu’il a toujours renié et voulu dépasser. Sa critique du RN devient dès lors assez inefficace et les tentatives de l’exclure du champ de la politique « normale » contribuent à le renforcer en lui permettant de capter tous ceux qui refusent cette normalité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">Un an après l’élection d’Emmanuel Macron, que reste-t-il de la « Macronie » ?</a>
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<h2>L’immigration reste un facteur central de clivage dans le débat politique</h2>
<p>On a souvent évoqué la fin du clivage droite-gauche, un clivage historiquement associé à une sociologie désormais dépassée où les ouvriers de gauche votaient contre les bourgeois de droite. De nombreuses études ont montré que les trajectoires électorales des citoyens sont désormais plus ondoyantes, <a href="https://www.pug.fr/produit/2011/9782706152979/le-vote-clive">plus fluides et plus incertaines</a>.</p>
<p><a href="https://www.contrepoints.org/2022/07/25/435689-luc-rouban-le-probleme-nest-pas-le-separatisme-mais-lanomie">La désaffiliation politique</a> des catégories socioprofessionnelles modestes, qui s’abstiennent ou votent pour le RN plus que pour la gauche, vient s’ajouter aux transformations de l’offre politique du RN qui n’est plus celle du Front national. Le RN entend prendre en charge l’ensemble des vulnérabilités, qu’elles soient économiques ou sociétales, dans le cadre d’un souverainisme lui-même adouci et qui ne revendique plus la sortie de l’Union européenne. Avec cela il faut prendre en compte le fait que 33 % des catégories supérieures ont voté pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2022. Le traditionnel « vote de classe » est ainsi bien mort car les « classes » se sont dissoutes dans des trajectoires individuelles qui se différencient fortement et ne communient plus dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2023-3-page-43.htm">mêmes croyances</a>.</p>
<p>Le clivage droite-gauche, lui, en revanche, est toujours bien vivant et c’est bien le problème auquel le macronisme vient de se confronter. S’il est une question clivante entre la droite et la gauche, c’est bien celle de <a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">l’immigration</a>, mais pas de toute l’immigration, celle des arabo-musulmans.</p>
<p>C’est bien à droite que cette question arrive en tête des préoccupations et c’est bien également au sein des droites que la fermeture des frontières aux migrations est considérée comme une priorité, avec un net rapprochement des électorats LR et de ceux de l’extrême droite. C’est ce que montrent bien de nombreuses enquêtes, notamment celle menée dans le cadre du <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Barometre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague%2014%20-%20Fevrier%202023%20-%20vFR.pdf%20(1).%20pdf">Baromètre de la confiance politique du Cevipof</a>.</p>
<iframe title="Perception de l’immigration et de l’islam selon l’électorat " aria-label="Colonnes groupées" id="datawrapper-chart-m0afJ" src="https://datawrapper.dwcdn.net/m0afJ/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="border: none;" width="100%" height="484" data-external="1"></iframe>
<h2>Le macronisme impossible ?</h2>
<p>Cette polarisation forte sur le terrain de l’immigration, qui est aussi puissante que celle que provoque les <a href="https://forum-midem.de/wp-content/uploads/2023/08/TUD_MIDEM_Study_2023-1_Polarization_in_Europe_.pdf">réactions face au changement climatique</a>, ne permet guère la mise en place d’un compromis gestionnaire s’appuyant sur le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/12/la-petite-histoire-retiendra-peut-etre-que-le-en-meme-temps-est-mort-un-11-decembre-dans-un-hemicycle-surchauffe_6205380_823448.html">« en même temps »</a> du macronisme.</p>
<p>Ce dernier a toujours tenté d’échapper aux contraintes de la vie partisane et de ses appareils en voulant sortir des doctrines constituées et des idéologies. Mais ses limites se sont vite révélées, notamment lors de la crise des <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">« gilets jaunes »</a> et lors de la réforme des retraites.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/redistribution-des-richesses-quand-mobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-et-gilets-jaunes-se-rejoignent-192893">Redistribution des richesses : quand mobilisation contre la réforme des retraites et « gilets jaunes » se rejoignent</a>
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<p>L’absence d’interlocuteur, voire d’opposant structuré, laisse le pouvoir face au redoutable choix entre la décision unilatérale du souverain « éclairé », qui suscite des réactions violentes non encadrées par les partis et les syndicats, et l’absence de décision, laissant le doute s’installer sur l’intérêt que portent les hautes sphères du pouvoir à la vie quotidienne des Français.</p>
<p>La lecture critique qui peut être faite désormais du macronisme est bien de s’être laissé enfermé, à partir de considérations totalement justifiables sur la nécessité de rendre <a href="https://theconversation.com/et-si-les-citoyens-participaient-aux-referendums-inities-par-le-president-187378">l’action publique efficace</a>, dans ce dilemme qui, de ce fait, produit de l’inefficacité politique. L’efficacité en politique reste en effet toujours de nature politique. Il faut séduire, emporter l’adhésion, susciter des ralliements, créer des mythes et un récit, quels que soient les chiffres ou les bilans économiques. Cette efficacité réelle ne se réduit pas à des politiques publiques, des décrets et des arrangements négociés entre groupes d’intérêts dans une temporalité réduite au prochain budget ou dans l’urgence de la crise, comme celle des agriculteurs. Gouverner, ce n’est pas faire de la « gouvernance » et de l’entre-soi. <a href="https://www.pug.fr/produit/1662/9782706142635/l-entreprise-macron">L’État n’est pas une entreprise privée</a>. Les efforts déployés par Gérald Darmanin pour convaincre ses alliés LR d’entrer dans le jeu du compromis lors de la loi immigration conduisaient à ignorer le fait que le débat politique en France est désormais un débat entre les droites, un débat dans lequel la vraie question est désormais de savoir s’il faut encore ou pas combattre le RN et, surtout, sur quel terrain car le RN n’est plus le FN et se retrouve en position de monopoliser la droite sociale.</p>
<h2>L’horizon des évènements</h2>
<p>Le gouvernement d’Élisabeth Borne a donc eu bien du mal à faire vivre une « majorité de projets » et celui de Gabriel Attal est désormais confronté au même problème car certains de ces projets sont bien plus porteurs que d’autres de valeurs mais également d’intérêts stratégiques pour LR ou le RN. Il ressort de la succession de conflits, d’incidents, de déclarations à l’emporte-pièce qui alimentent la crise démocratique, que l’on vit depuis l’élection de 2017, que le RN a pu s’imposer progressivement comme <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100180610">force politique de référence</a>.</p>
<p>Les autres forces de droite sont irrésistiblement attirées <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">par son champ gravitationnel</a> et se retrouvent sur l’horizon des évènements, avant dislocation et transformation en particules élémentaires. La stratégie de la diabolisation et du procès en extrémisme, quant à elle, ne fonctionne plus mais contribue à stigmatiser des électeurs ou des électeurs potentiels qui risquent de ne pas voter en fonction des programmes mais du sentiment de mépris social que cela va leur laisser.</p>
<p>Le RN profite du fait que ses zones d’ombre, sur la vie économique ou sur les relations internationales, comme ses points de faiblesse, notamment son faible ancrage dans la haute fonction publique et les élites culturelles ou scientifiques, qu’il essaie de compenser au cas par cas en ralliant par exemple l’ancien patron de Frontex sur sa liste pour les européennes, sont plus que compensés par la cohérence de ses positions souverainistes et anti-immigration. Et ce, à un moment où les questions internationales dominent : crise migratoire évidemment, mais aussi guerre en Europe, retour en force de <a href="https://theconversation.com/regards-croises-sur-lantisemitisme-ordinaire-en-france-217330">l’antisémitisme après le 7 octobre</a>, pandémies, réchauffement climatique.</p>
<p>Le RN incarne le retour du politique mais de manière plus habile que La France insoumise qui s’y consacre aussi mais en donne souvent une mauvaise image, celle de la conflictualité et de l’irrespect pour les institutions. Il est devenu le grand gagnant par défaut d’une situation où la modération est suspecte de macronisme, porté par un président en qui les Français n’ont pas confiance, et où la radicalité ne peut que renforcer ses propres positions.</p>
<p>C’est d’ailleurs ce qu’a signifié aussi cette <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/loi-immigration-lalliance-entre-la-nupes-le-rn-et-les-republicains-pour-empecher-le-debat-0bc0d1e4-9854-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">étonnante convergence</a> des oppositions dans le refus de débattre le projet de loi immigration. Bien qu’étant aux antipodes les uns des autres sur le terrain des valeurs et des projets de société, LFI, le RN et LR ont voté contre, non par cynisme mais en réalité contre « l’anti-politique » que représente le macronisme. Le refus de lancer une modification constitutionnelle pour élargir le champ du référendum, la multiplication d’agora extérieures au Parlement, comme les conventions citoyennes, laissent toujours ce goût étrange d’une fuite en avant dans un contexte fortement conflictuel où la violence s’est généralisée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le RN est devenu le « trou noir » du paysage politique français, absorbant tout ce qui se trouve à sa périphérie, pliant l’espace-temps politique en contraignant les autres partis à céder ou à échouer.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178322023-12-05T17:12:14Z2023-12-05T17:12:14ZDu FN au RN : comment les femmes sont devenues indispensables à l’extrême droite<p>« J’étais assez contre mais, avec le recul, cette loi a permis aux femmes d’arriver en nombre dans ce monde. » <a href="https://www.leparisien.fr/politique/marine-le-pen-subir-du-sexisme-ca-mest-arrive-mais-jamais-au-rn-12-02-2023-VFWKWC27WFG5HHWV323VTUUIBY.php">Par ces quelques mots</a> au sujet de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_tendant_%C3%A0_favoriser_l%27%C3%A9gal_acc%C3%A8s_des_femmes_et_des_hommes_aux_mandats_%C3%A9lectoraux_et_fonctions_%C3%A9lectives">loi sur la parité</a>, Marine Le Pen met en lumière l’ambivalence régnant au <a href="https://theconversation.com/le-rn-est-il-devenu-un-parti-comme-les-autres-201690">Rassemblement national</a> (RN) à l’égard des hiérarchies de genre. Celles-ci structurent la plupart des groupements politiques, (y compris ceux qui se revendiquent progressistes, voire féministes). La subordination des femmes est particulièrement flagrante dans les groupes conservateurs qui défendent explicitement un ordre social basé sur une hiérarchie stricte des rôles des sexes et qui acceptent, par conséquent, la domination masculine.</p>
<p>Certes, depuis la création du Front national (FN) en 1972, des femmes ont pu occuper des places de dirigeantes, locales et nationales, et ont été élues. Mais, comme le montrent mes recherches en cours, la plupart étaient actives dans les coulisses du parti et occupaient des positions secondaires, voire subalternes. Sous la présidence de Jean-Marie Le Pen, les femmes, déjà rares parmi les adhérents, étaient <a href="https://www.theses.fr/2002STR30016">reléguées à des places considérées marginales</a>. Elles rendaient leur militance légitime essentiellement en <a href="https://www.routledge.com/Right-Wing-Women-From-Conservatives-to-Extremists-Around-the-World/Bacchetta-Power/p/book/9780415927789">tant qu’épouses ou filles d’autres militants masculins</a>. Les hommes constituaient, en revanche, la majorité des membres actifs du FN et occupaient des positions de premier plan en tant que candidats, élus et responsables.</p>
<p>Cependant, des évolutions institutionnelles et partisanes au tournant des années 2000 invitent à ré-interroger les rapports de genre qui structurent le FN : dans quelle mesure ont-ils évolué ?</p>
<h2>Une injonction légale et un modèle</h2>
<p>L’introduction de la <a href="https://theconversation.com/les-zones-blanches-de-la-parite-en-politique-la-nouvelle-loi-sera-t-elle-efficace-156062">loi dite sur la parité</a> au début des années 2000 a permis une visibilité inédite aux femmes du FN en rendant leur présence nécessaire sur les listes électorales. Vu sa situation financière compliquée, le FN essaie d’éviter des amendes pour cause du non-respect de la loi. Les injonctions au respect de la représentation paritaire pèsent donc particulièrement sur le parti à la flamme : de plus en plus de femmes sont investies en tant que candidates et susceptibles d’être élues (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_Rassemblement_national">sur 87 députés RN siégeant à l’AN, 33 sont des femmes, soit 38 %. À titre de comparaison, c’est 42 % chez LFI</a>). Et ces candidates frontistes ne sont pas une simple vitrine électorale. Les groupes des militants que j’ai observés durant mon enquête de terrain sont, en effet, de plus en plus mixtes. Lors de quelques réunions de sections, j’ai pu constater qu’environ la moitié des participants étaient des femmes.</p>
<p>Au-delà de l’injonction au respect des règles paritaires, on peut aussi penser que l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN ait pu favoriser l’évolution des rapports de genre structurant le parti.</p>
<p>Pour nombre d’anciens membres du parti et de sympathisants, Marine Le Pen a légitimé sa place de présidente par la filiation avec le co-fondateur du FN. Cependant, l’hérédité politique n’est pas la seule ressource dont elle joue. Quarantenaire, divorcée et avocate, la benjamine de Jean-Marie Le Pen dispose de ressources personnelles importantes qui font d’elle une <a href="https://theconversation.com/lelite-de-lanti-elitisme-un-paradoxe-francais-182177">femme socialement dominante</a>. Marine Le Pen incarne ainsi pour certaines femmes un modèle à imiter. Cela en encourage certaines à se lancer dans une carrière politique locale. D’après mon enquête, il s’agirait surtout de femmes issues des classes moyennes et moyennes supérieures, généralement pourvues de compétences en communication, en organisation ou d’autres ressources jugées appropriées pour s’engager dans le domaine politique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724176697988108735"}"></div></p>
<p>Ces évolutions aux niveaux institutionnel (loi parité) et partisan (arrivée de Marine Le Pen) ont ouvert des opportunités inédites aux femmes. Elles peuvent désormais représenter le FN dans les conseils municipaux, départementaux, régionaux et au Parlement. Mais si elles exercent ainsi une forme de pouvoir politique, elles ne déjouent que partiellement les mécanismes de domination masculine particulièrement <a href="https://journals.openedition.org/teth/2117">prégnants</a> au sein des groupes militants frontistes.</p>
<h2>Le cas d’Isabelle</h2>
<p>Résidente dans une petite commune paupérisée du Sud-Est, Isabelle (prénom fictif) a porté les couleurs du FN à toutes les élections locales entre 2008 et 2017, a été conseillère régionale entre 2010 et 2021 et siège en tant que conseillère municipale depuis 2014. Son parcours m’a permis d’analyser comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique au FN.</p>
<p>Professeure des écoles dans l’Éducation nationale, Isabelle représente une <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">catégorie socioprofessionnelle habituellement considérée comme réfractaire au FN</a> et peut incarner l’ouverture sociale apparemment recherchée par le parti (on songe à la création du <a href="https://www.france24.com/fr/20131014-collectif-racine-professeurs-front-national-marine-le-pen-municipales">Collectif Racine</a> pour rassembler les enseignants proches des idées du FN). Isabelle porte également la casquette de directrice d’école, elle appartient donc aux classes moyennes culturelles. Or, les cadres et les professions intellectuelles supérieures et intermédiaires sont sous-représentées parmi les candidats et, surtout, les candidates frontistes. La profession d’Isabelle semble avoir été tout aussi, voire davantage, centrale que son genre pour être sélectionnée en position éligible sur la liste des régionales.</p>
<p>En effet, lors d’une conférence de presse, Isabelle avait eu l’occasion d’exprimer ses opinions sur l’état de l’école publique à Jean-Marie Le Pen et avait montré partager le point de vue de Marine Le Pen sur l’éducation. Quelques semaines après la conférence, Isabelle reçoit un courrier de Jean-Marie Le Pen sollicite Isabelle pour qu’elle rejoigne la liste des candidats aux élections régionales de 2010 qu’il conduisait.</p>
<h2>Une valeur politique déterminée par les hommes</h2>
<p>S’intéresser aux conditions d’entrée en politique d’Isabelle apporte un éclairage édifiant sur l’inertie des hiérarchies de genre au sein de l’extrême droite. En effet, la valeur des attributs de genre et de classe d’Isabelle est déterminée par des hommes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oZgW7HnHngY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce sont les leaders locaux (le secrétaire départemental du FN) et nationaux (Jean-Marie Le Pen) qui ont sollicité la candidature d’Isabelle. En tant que femme issue de la classe moyenne culturelle, elle incarnait un personnel politique socialement et politiquement plus légitime que l’ancien responsable de la section frontiste où Isabelle militait (celui-ci se déclarait royaliste et était, selon nos sources, peu mobilisé et agressif à l’égard des adhérents).</p>
<p>Le conjoint d’Isabelle, Christophe (prénom fictif), a joué ensuite un rôle déterminant. C’est lui qui l’a exhortée à accepter la candidature. Sans ses incitations, elle n’aurait probablement pas accepté d’être investie. Or, c’est parce qu’Isabelle est devenue candidate puis élue du FN que Christophe a été nommé secrétaire de circonscription. Il a pu se servir des ressources politiques de sa conjointe pour connaître une promotion.</p>
<p>Cet usage stratégique des ressources d’Isabelle par Christophe ainsi que le besoin ressenti par Isabelle de compter sur son conjoint et sur le président du FN pour accepter la candidature et accéder au mandat invitent à remettre toute forme de domination féminine en perspective.</p>
<p>Les interactions entre l’élue et son entourage montrent la résistance des logiques de domination masculine qui régissent l’entrée en politique des femmes au FN. Ce sont, notamment, Jean-Marie Le Pen et le secrétaire départemental du FN de l’époque qui décidaient quand et dans quelle mesure la classe et le genre pouvaient devenir des ressources politiques.</p>
<p>Isabelle n’est pas un cas atypique. Lors de mon enquête, en 2018, l’entrée en politique des femmes au FN (aujourd’hui RN) dépendait souvent du conjoint et des leaders - souvent des hommes - qui encourageaient et permettaient l’avancement leur « carrière ». Par conséquent, la féminisation du personnel frontiste soutenait toujours le genre frontiste dominant (masculin).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217832/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margherita Crippa a reçu des financements de université de sydney </span></em></p>Comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique ? Cas d’école au sein de l’extrême droite française.Margherita Crippa, Doctorante, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2186642023-12-05T17:08:44Z2023-12-05T17:08:44ZEn Pologne, aux Pays-Bas et ailleurs en Europe : les multiples visages des populismes de droite radicale<p>Les récentes élections législatives en <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1418875/resultats-elections-pologne-2023/">Pologne</a> (15 octobre 2023) et <a href="https://fr.euronews.com/2023/11/23/seisme-politique-aux-pays-bas-lextreme-droite-de-geert-wilders-remporte-les-legislatives">aux Pays-Bas</a> (22 novembre 2023) ont témoigné de la vitalité électorale des droites radicales populistes dans les deux pays.</p>
<p>En Pologne, le scrutin d’octobre a démontré la résilience du PiS (Droit et justice), au pouvoir depuis 2015. Malgré une mobilisation sans précédent de l’opposition emmenée par la Coalition civique de Donald Tusk (et qui devrait finir par réussir à former le gouvernement avec ses alliés, malgré la <a href="https://theconversation.com/pologne-malgre-sa-defaite-electorale-la-droite-dure-menace-letat-de-droit-217316">résistance acharnée du pouvoir sortant)</a>, le parti du premier ministre Mateusz Morawiecki est arrivé en première position avec 35,28 % des voix, flanqué de <em>Konfederacja</em>, coalition hétérogène d’anciens membres de l’extrême droite qui a, elle, réuni 7,16 % des suffrages. De leur côté, les Pays-Bas ont vu le PPV (Parti pour la liberté) de Geert Wilders l’emporter avec 23,6 % des suffrages, devenant contre toute attente le premier parti au Parlement avec 37 sièges, soit presque la moitié des sièges nécessaires pour obtenir une majorité (76 sur 150).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pays-bas-quels-scenarios-apres-la-victoire-du-leader-populiste-geert-wilders-218549">Pays-Bas : quels scénarios après la victoire du leader populiste Geert Wilders ?</a>
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<p>Ces succès s’inscrivent dans une tendance plus globale au regain des forces de droite radicale populiste dans nombre de pays européens, à l’instar de l’Italie, de la Suède ou de la Finlande, sans oublier naturellement la France. Ces partis ont actuellement le vent en poupe dans de nombreux États membres de l’UE : <a href="https://theconversation.com/autriche-lextreme-droite-bientot-de-retour-au-pouvoir-199626">Autriche</a>, <a href="https://www.rtl.be/actu/magazine/cptljd/apres-la-victoire-de-lextreme-droite-aux-pays-bas-le-vlaams-belang-peut-il/2023-11-26/article/612043">Belgique</a>, <a href="https://fr.euronews.com/2023/11/28/elections-en-2024-la-roumanie-sera-t-elle-le-prochain-pays-de-lue-a-voter-pour-lextreme-dr">Roumanie</a>, <a href="https://balkaninsight.com/2023/06/16/croatian-right-gears-up-early-for-election-eying-power/">Croatie</a>, <a href="https://fr.euronews.com/2023/03/05/legislatives-en-estonie-lextreme-droite-gagnante-selon-les-resultats-provisoires">Estonie</a> ou <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Bulgarie-crise-politique-perdure-lextreme-droite-prorusse-profite-2023-04-04-1201262064">Bulgarie</a>, en particulier. Outre-Rhin, l’AfD réunit actuellement 21 % des intentions de vote, loin devant les sociaux-démocrates du SPD, une percée <a href="https://www.lopinion.fr/international/elections-regionales-en-allemagne-une-poussee-de-lafd-en-hesse-et-en-baviere">confirmée dans les urnes début octobre</a> aux élections régionales en Bavière (14,6 %, +4 points) et en Hesse (18,4 %, +5 points). En <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2006/07/01/en-slovaquie-la-gauche-s-allie-a-l-extreme-droite-et-aux-populistes_790625_3214.html">Slovaquie</a>, les ultranationalistes du Parti national (SNS) se sont imposés comme partenaires de Robert Fico à l’issue des élections de septembre dernier.</p>
<p>Les expériences polonaise et néerlandaise confirment la dynamique actuelle des droites radicales populistes. Elles illustrent également la diversité et la complexité de la scène populiste contemporaine.</p>
<h2>Des trajectoires parallèles</h2>
<p>Le PiS polonais incarne un modèle de parti conservateur qui s’est radicalisé au fil du temps en s’appropriant certains thèmes de l’extrême droite.</p>
<p>Le parti de <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/portrait-de-jaroslaw-kaczynski-ancien-premier-ministre-polonais-president-du-parti-droit-et-justice">Jaroslaw Kaczynski</a>, créé en 2001, a adopté au départ un populisme de droite teinté de conservatisme social et de nationalisme. Son agenda national-conservateur s’est affirmé avec le temps, à travers des rapprochements successifs avec des mouvements situés plus à droite sur l’échiquier. Le PiS a remporté deux élections consécutives (2015 et 2019) en s’appuyant sur des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/31/en-pologne-la-quasi-interdiction-de-l-avortement-est-entree-en-vigueur-sur-fond-de-manifestations_6068302_3210.html">réformes conservatrices</a>, la mise au pas du système judiciaire (<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/05/la-reforme-de-la-justice-de-2019-en-pologne-enfreint-le-droit-de-l-union-europeenne_6176287_3210.html">réforme de 2019</a>) et l’affirmation récurrente qu’il représente un rempart contre les influences étrangères.</p>
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<p>Cet agenda national-conservateur lui a permis d’assurer un temps sa position de parti dominant et de convserver le pouvoir entre 2015 et 2023, ce qui explique sa trajectoire centrifuge marquée par une <a href="https://www.taurillon.org/l-etat-de-droit-en-pologne-une-situation-enlisee">dérive illibérale sur l’État de droit</a>. Cette tendance l’a d’ailleurs amené à entrer en conflit avec les institutions européennes à ce sujet.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bras-de-fer-entre-bruxelles-et-varsovie-comprendre-la-strategie-des-autorites-polonaises-169665">Bras de fer entre Bruxelles et Varsovie : comprendre la stratégie des autorités polonaises</a>
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<p>Sur le plan économique, le PiS est volontiers interventionniste, mettant l’accent sur le soutien aux familles, la protection sociale et la promotion des entreprises polonaises (y compris par des mesures protectionnistes). En outre, le PiS a mis en place des programmes de soutien à l’agriculture, offrant des subventions aux agriculteurs et mettant l’accent sur la préservation de l’agriculture familiale traditionnelle.</p>
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<p>Le PVV néerlandais a été fondé en 2006 par Geert Wilders après son départ du Parti populaire pour la démocratie et la liberté (VVD) deux ans plus tôt. Son programme comprend des éléments nationalistes, conservateurs et libéraux, et prône la fermeté en matière d’immigration et de justice.</p>
<p>Une partie de son pouvoir de séduction repose sur un <a href="https://www.la-croix.com/international/Pays-Bas-Geert-Wilders-20-ans-campagne-anti-islam-anti-immigration-2023-11-23-1201291960">discours profondément anti-islam</a> – jusqu’à l’outrance – et une critique acerbe de la classe politique dirigeante. Wilders désigne l’immigration comme la principale menace pour l’État-providence néerlandais, dénonce le « tsunami de l’asile et de l’immigration de masse » et propose d’interdire les écoles islamiques, le Coran (qu’il a comparé à <em>Mein Kampf</em>) et les mosquées pour mettre un terme à ce qu’il considère comme « l’islamisation » du pays.</p>
<p>Le populisme demeure une caractéristique forte du PVV. En 2023, Wilders a largement fait appel au « ras-le-bol » des électeurs néerlandais après <a href="https://theconversation.com/la-chute-du-gouvernement-rutte-aux-pays-bas-illustration-des-forces-et-faiblesses-du-regime-parlementaire-209659">13 ans de gouvernement VVD de Mark Rutte</a>. Sur le plan économique, le PVV a progressivement évolué d’un programme néolibéral vers des positions plus sociales, proches de celles de Marine Le Pen en France.</p>
<p>Contrairement au PiS, le PVV n’a jamais été en mesure d’accéder au pouvoir jusqu’à présent. Les élections de 2023 marquent à cet égard un tournant historique vers sa normalisation. D’abord grâce aux efforts de Wilders pour <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/pays-bas/elections-aux-pays-bas-geert-wilders-de-la-haine-de-lislam-au-discours-modere-pour-gagner-751b0e26-89df-11ee-a1c0-8cef14bedf93">tempérer ses positions les plus radicales</a> et se donner un profil plus fréquentable, mais surtout grâce à la porte entrouverte avant le scrutin par la nouvelle dirigeante du VVD, Dilan Yesilgöz-Zegerius, à une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/nov/23/netherlands-far-right-geert-wilders-victory-mark-rutte">possible alliance avec le PVV</a>.</p>
<h2>Divergences et convergences</h2>
<p>Si le PVV néerlandais, comme le RN en France, s’efforce d’épouser les grandes évolutions de société sur les questions de mœurs – souvent d’ailleurs pour mieux diaboliser un islam jugé « retrograde » ou « totalitaire » –, d’autres incarnent à l’inverse une réaction conservatrice face aux enjeux d’égalité femmes-hommes ou de promotion des droits LGBT. Viktor Orban en Hongrie et le PiS polonais s’imposent ainsi comme des hérauts de cette contre-révolution culturelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-pologne-loffensive-anti-lgbt-illustre-un-incroyable-renversement-de-valeurs-120770">En Pologne, l'offensive anti-LGBT illustre un incroyable renversement de valeurs</a>
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<p>En Italie, Giorgia Meloni a été élue sur le slogan <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3289">« Dieu, famille, patrie »</a> ; en Espagne, Vox fait de la <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/vox-la-tentative-de-lultra-droite-contre-les-droits-des-femmes-en-espagne-30929">lutte contre l’avortement</a> ou le <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/espagne-un-candidat-du-parti-vox-compare-le-mariage-homosexuel-a-une-union-entre-une-personne-et-un-animal/">mariage homosexuel</a> un de ses principaux chevaux de bataille.</p>
<p>En dépit de leurs différences, le PVV et le PiS, et au-delà l’ensemble des partis de droite radicale populiste, se rejoignent sur certains traits idéologiques communs : rejet de l’immigration, hostilité envers l’islam, et affirmation de l’identité et de la souveraineté nationales, notamment face à l’Union européenne. Tous ces mouvements partagent également un agenda autoritaire et sécuritaire fondé sur la loi et l’ordre, et la plupart adhèrent à l’idée d’une « préférence nationale » pour assurer l’accès prioritaire aux nationaux à l’emploi et à l’aide sociale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Proportion de sièges détenus au Parlement national par le principal parti de droite radicale, au 23 novembre 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.aubedigitale.com/ou-lextreme-droite-a-gagne-du-terrain-en-europe/">Statista</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Un peu partout en Europe, les partis de droite radicale populiste semblent en mesure d’exploiter les insécurités économiques, le pessimisme et les colères sociales, notamment face à l’impact de la guerre en Ukraine. Le gouvernement polonais du PiS a certes joué, dès février 2022, un rôle essentiel pour soutenir l’effort de guerre du pays voisin, tout en accueillant près d’un million et demi de réfugiés ukrainiens. Mais dans les mois précédant les élections du 15 octobre dernier, le PiS s’est progressivement rapproché des positions de <em>Konfederacja</em>, coalition dénonçant les effets du conflit ukrainien sur les populations rurales défavorisées, qui constituent le cœur de l’électorat du PiS. Ainsi, plusieurs prises de position négatives à l’égard de l’Ukraine, contre l’afflux de céréales et pour l’arrêt des livraisons d’armes ont marqué la fin de la campagne des conservateurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-les-tensions-polono-ukrainiennes-215109">Comprendre les tensions polono-ukrainiennes</a>
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<p>Par contraste, le PVV défend depuis longtemps des relations plus étroites avec Vladimir Poutine, considéré comme un allié dans la lutte contre le terrorisme et l’immigration de masse. Geert Wilders s’était mobilisé lors du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/04/07/le-resultat-du-referendum-aux-pays-bas-nouveau-signe-de-defiance-pour-l-europe_4897522_3210.html">référendum de 2016 aux Pays-Bas</a> pour s’opposer à la ratification de l’Accord d’association entre l’UE et l’Ukraine. Wilders est à la fois très pro-OTAN à domicile mais également contre l’expansion de l’organisation à l’Est et contre la « russophobie hystérique » – il s’est notamment rendu à Moscou en 2018. Lors de sa campagne électorale, il a appelé de ses vœux l’avènement de « l’heure de la <em>realpolitik</em> », la <a href="https://www.kyivpost.com/post/24544">fin de la livraison d’armes et du soutien financier à Kiev</a> et l’ouverture de négociations avec la Russie.</p>
<h2>Les enjeux des élections européennes</h2>
<p>Cette montée en puissance des mouvements de droite radicale populiste pourrait représenter un enjeu majeur des élections européennes de juin 2024.</p>
<p>Ces partis, qui avaient longtemps été les principaux acteurs de l’opposition à l’Union européenne, ont, pour la plupart, opéré depuis quelques années un recentrage stratégique sur la question – souvent du fait de leur accession au pouvoir. En Italie, par exemple, <a href="https://information.tv5monde.com/international/giorgia-meloni-sest-elle-vraiment-convertie-leurope-1413340">Giorgia Meloni</a> s’est éloignée de ses positions les plus radicales sur l’immigration ou l’UE et recherche désormais le compromis avec Ursula von der Leyen et les autorités européennes sur ces sujets. En France, la question européenne a été très largement absente de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2022, quand bien même cette dernière n’a jamais véritablement abandonné la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/20/election-presidentielle-le-frexit-cache-de-marine-le-pen-est-un-projet-de-rupture-deletere-pour-la-france-et-pour-l-europe_6122908_3232.html">vieille idée d’une « Europe des nations libres et indépendantes »</a>, si chère à son père.</p>
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<p>En Pologne, le PiS s’oppose à Bruxelles depuis plusieurs années à propos de ses réformes judiciaires et de sa décision, en octobre 2021, de décréter certains articles des traités européens <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211007-trait%C3%A9s-de-l-ue-la-pologne-juge-certains-articles-incompatibles-avec-sa-constitution">incompatibles avec la Constitution nationale</a>, remettant en question le principe même de primauté du droit européen, s’alignant sur ce point avec la Hongrie de Viktor Orban. Aux Pays-Bas, Wilders a longtemps incarné un euroscepticisme « dur » prônant tout simplement une sortie unilatérale de l’Union. Comme beaucoup de ses homologues européens, le leader d’extrême droite a récemment adouci ses positions pour élargir sa base électorale, et propose désormais un <a href="https://www.levif.be/international/europe/le-nexit-de-geert-wilders-et-si-les-pays-bas-quittaient-lunion-europeenne/">référendum sur un éventuel « Nexit »</a>.</p>
<p>Jusqu’à présent, au Parlement européen, ces partis sont demeurés fortement divisés, répartis entre les groupes <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et Démocratie</a>, celui des <a href="https://www.ecrgroup.eu/">Conservateurs et Réformistes européens</a> et les non-inscrits. Les désaccords entre ID et les CRE tiennent pour beaucoup à leurs positions respectives sur la question de l’attitude à adopter à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine et, en filigrane, face à l’OTAN et aux États-Unis.</p>
<h2>Pro ou anti-Poutine ?</h2>
<p>Parmi les admirateurs zélés du président russe, on retrouve beaucoup des mouvements opposés à l’OTAN – RN, FPÖ, FvD néerlandais (qui a obtenu 2,2 % aux dernières législatives), ATAKA et Vazrazhdane en Bulgarie, SPD tchèque ou AUR en Roumanie. Pour les populistes de droite, Poutine a longtemps été vu comme l’incarnation d’un leadership fort, comme un défenseur des valeurs chrétiennes et un gardien de la civilisation européenne face à la « menace » de l’islam. De façon plus prosaïque, l’attitude des extrêmes droites européennes a été indexée, aussi, sur la dépendance au gaz russe dans des pays tels que l’Autriche, la Bulgarie, la Tchéquie ou la Serbie, ou sur l’existence d’intérêts économiques liés aux investissements russes comme en Italie ou en Hongrie. Sans oublier les liens financiers établis avec le maître du Kremlin, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-rassemblement-national">à l’image du parti lepéniste en France</a>, ou les liens d’amitié personnelle, comme cela fut le cas pour Silvio Berlusconi en Italie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-dela-des-liens-entre-le-rn-et-la-russie-le-grand-projet-illiberal-europeen-207570">Au-delà des liens entre le RN et la Russie : le grand projet illibéral européen</a>
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<p>La topographie des groupes européens recoupe en partie cette ligne de clivage, opposant des partis plus « mainstream » et souvent plus atlantistes, autour de Giorgia Meloni, de Vox ou des Polonais du PiS chez les Conservateurs réformistes, à un groupe ID devenu au fil du temps le principal lieu de convergence des forces pro-russes autour de Marine Le Pen, Matteo Salvini ou de l’AfD allemande. Le cas de Geert Wilders, pro-OTAN et pro-russe, n’en ressort qu’avec plus d’originalité sur ce point.</p>
<p>Si la perspective d’une vaste alliance d’extrême droite au Parlement européen demeure assez peu probable, les succès à venir laissent toutefois entrevoir un nouveau glissement du centre de gravité de la politique européenne et un pouvoir de nuisance accru de la part de mouvements qui, s’ils poursuivent leur chemin vers la normalisation, n’en demeurent pas moins les principaux vecteurs d’opposition aux valeurs fondatrices de l’UE. </p>
<p>À l’image du PiS polonais, l’exercice du pouvoir par ces partis est marqué par une dérive illibérale, caractérisée par l’opposition à certaines des valeurs et des normes qui assurent l’équilibre politique et institutionnel des démocraties modernes. Une telle dérive participe d’un mouvement plus large et particulièrement préoccupant d’érosion démocratique, à laquelle la Coalition civique, en Pologne, devra répondre avec méthode. Parallèlement, le soutien européen à l’Ukraine risque de se trouver affaibli au Parlement européen aussi bien qu’au niveau des États membres. L’arrivée au pouvoir du PVV ne fait que renforcer une telle dérive.</p>
<p>Enfin, fort d’un éventuel futur statut de premier ministre, Wilders pourrait être tenté d’abandonner Marine Le Pen pour rejoindre Giorgia Meloni et les Conservateurs réformistes à Strasbourg en juin prochain. L’hypothèse d’une alliance de la droite du <a href="https://www.eppgroup.eu/fr">Parti populaire européen</a>, qui regroupe les partis de droite « traditionnels », et d’un groupe CRE renforcé, emmené par Giorgia Meloni et le PiS, laisserait entrevoir un durcissement des politiques migratoires de l’UE et, plus fondamentalement encore, un affaiblissement du <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr"><em>Green Deal</em> européen</a> par des partis d’extrême droite souvent climato-sceptiques et peu soucieux de transition énergétique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La droite radicale populiste a le vent en poupe en Europe, mais des divergences sensibles existent entre les partis de cette famille politique hétérogène.Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Gilles Ivaldi, Chercheur en science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173302023-11-30T16:51:39Z2023-11-30T16:51:39ZRegards croisés sur l’antisémitisme ordinaire en France<p><em>Depuis les attaques du Hamas sur des civils israéliens le 7 octobre et les représailles massives d'Israël à Gaza, des événements graves et une hausse de l’antisémitisme en France ont conduit à des prises de position politique ou médiatique, tandis que de nombreux débats émaillent les discussions pour savoir ce qui est antisémite ou non. Parmi les artistes engagés sur ce sujet, l’illustrateur Joann Sfar a publié une série de posts <a href="https://www.instagram.com/joannsfar/?hl=fr">Instagram</a> afin d’exprimer son ressenti. La chercheuse Solveig Hennebert s’est appuyée sur certains de ses dessins afin d’expliciter un certain nombre d’éléments constitutifs de l’antisémitisme. Si certains faits ont surgi en lien avec le contexte, ils doivent aussi être analysés dans l’histoire longue de l’antisémitisme, sans prétention à l’exhaustivité. Illustrations publiées avec l’aimable autorisation de Joann Sfar.</em></p>
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<p>Les dernières semaines ont vu une hausse des actes antisémites en France : <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/15/antisemitisme-1-518-actes-recenses-depuis-le-7-octobre-peu-de-condamnations_6200221_3224.html">1 518 ont été recensés</a> entre le 7 octobre et le 15 novembre. Depuis le début des années 2000, les chiffres oscillent entre 400 et 1 000 par an habituellement, mais il est courant d’observer des pics de propos ou violences antisémites selon les actualités nationales ou internationales. Face à ces actes antisémites, les personnes juives ou – assimilées – ont souvent exprimé un sentiment d’abandon <a href="https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2018_num_250_2_5616?q=solveig%20hennebert">lors de cérémonies commémoratives</a> ou encore dans les entretiens que j’ai réalisés au cours de mon <a href="https://triangle.ens-lyon.fr/spip.php?article6505">enquête de terrain de thèse</a>.</p>
<p>J’utilise à dessein la formulation « personnes juives ou assimilées » que j’ai forgée dans le cadre de mes recherches. Cela permet d’inclure les personnes qui se définissent comme juives par religion, par culture, par rapport à leur histoire familiale ; tout autant que celles qui ne se considèrent pas comme juives, mais subissent l’antisémitisme malgré tout, du fait de représentations discriminantes liées au nom de famille, à l’apparence physique, etc.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-democratie-pervertie-un-antisemitisme-sans-antisemites-91012">L’antisémitisme</a> renvoie à la haine contre les personnes juives envisagées comme appartenant à une « race ». Cette conceptualisation remonte entre autres au XV<sup>e</sup> siècle avec les <a href="https://sup.sorbonne-universite.fr/catalogue/histoire-moderne-et-contemporaine/iberica/la-purete-de-sang-en-espagne">premiers statuts de pureté de sang</a> dans la péninsule ibérique. Avant (sans que cela ait totalement disparu), les <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annales-histoire-sciences-sociales/article/abs/de-lantijudaisme-a-lantisemitisme-et-a-rebours/AE18B33EDD926C84968F93C88DF6B61D">persécutions</a> étaient plutôt liées à de l’antijudaïsme, c’est-à-dire que les personnes étaient visées en tant que membres d’une religion et non d’une supposée race.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757">Les Juifs français face aux attentats et à l’antisémitisme aujourd’hui</a>
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<h2>Les chiffres de l’antisémitisme</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzoIb4WoGWd","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Le recensement des crimes et délits est source de <a href="https://theconversation.com/linsecurite-un-epouvantail-electoral-a-deminer-132362">nombreuses interrogations méthodologiques</a>, mais les chiffres restent malgré tout des indicateurs à prendre en compte. Les données sont collectées de la même manière à toutes les périodes, et indiquent donc quoi qu’il en soit une hausse drastique.</p>
<p>Des événements nationaux ou internationaux sont parfois identifiés comme le déclencheur d’une « nouvelle » vague d’attaques antisémites, et souvent associés au conflit israélo-palestinien. Cependant, des recherches scientifiques ont montré que les perceptions antisémites sont également en hausse lors d’événements centrés sur la France, comme ce fut le cas en 1999, au moment des débats sur l’indemnisation des spoliations subies par les <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02409301/file/2016-mayer-et-al-cncdh-2015-un-recul2.pdf">Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale</a>.</p>
<p>Il convient de garder en tête que si analytiquement le contexte peut avoir du sens, il faut prendre en compte ce qu’il y a de <a href="https://theconversation.com/la-maladie-n-9-un-symptome-de-lantisemitisme-francais-218057">structurel dans l’antisémitisme</a> tel qu’il s’exprime en France.</p>
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<a href="https://theconversation.com/combattre-lantisemitisme-lenseignement-de-la-shoah-a-lere-de-twitter-et-tiktok-198542">Combattre l’antisémitisme : l’enseignement de la Shoah à l’ère de Twitter et TikTok</a>
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<h2>L’héritage de l’extrême droite</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzG2HQ5ogTU","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>La présence du Rassemblement national et plus largement de l’extrême droite au <a href="https://www-mediapart-fr.bibelec.univ-lyon2.fr/journal/france/131123/aux-marches-contre-l-antisemitisme-des-elus-d-extreme-droite-au-lourd-passif">rassemblement contre l’antisémitisme du 12 novembre</a> a causé de nombreux débats, certains allant même jusqu’à parler de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/12/gregoire-kauffmann-historien-la-presence-siderante-du-rn-a-la-manifestation-contre-l-antisemitisme-est-le-signe-d-une-profonde-recomposition-du-jeu-politique_6199658_3232.html">« recomposition du champ politique »</a>. À l’inverse, des organisations se sont mobilisées pour rappeler les <a href="https://blogs.mediapart.fr/juives-et-juifs-revolutionnaires/blog/121123/pour-l-emancipation-de-toutes-et-tous-contre-l-antisemitisme-d-ou-qu-il-vienne">liens du RN avec les idéologies antisémites</a>.</p>
<p>L’antisémitisme tel qu’il s’est exprimé ces dernières semaines s’inscrit dans une histoire longue avec des références au nazisme, un ancrage à l’extrême droite, et repose sur des mythes et des préjugés séculaires. En effet, de nombreux préjugés antisémites sont hérités de la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annales-histoire-sciences-sociales/article/abs/de-lantijudaisme-a-lantisemitisme-et-a-rebours/AE18B33EDD926C84968F93C88DF6B61D">l’antijudaïsme chrétien</a> :</p>
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<p>« les Juifs ont de l’argent »</p>
<p>« les Juifs contrôlent le monde »</p>
<p>« les Juifs contrôlent les médias »</p>
<p>« les Juifs sont des tueurs d’enfants »…</p>
</blockquote>
<p>L’ensemble de ces mythes qui sont formulés ainsi ou réappropriés selon des tournures différentes sont à comprendre dans une généalogie historique.</p>
<h2>Un nouvel antisémitisme ?</h2>
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<p>Ces dernières années nous assistons à des discours sur ce qui est présenté comme « un nouvel antisémitisme ». Celui-ci serait le fait des populations musulmanes – ou assimilées – et aurait des spécificités liées à l’islam.</p>
<p>Cependant, des <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02409301/file/2016-mayer-et-al-cncdh-2015-un-recul2.pdf">enquêtes scientifiques</a> montrent que ce sont toujours en partie les mêmes mythes issus de l’Europe chrétienne qui sont mobilisés dans les discours antisémites.</p>
<p>Les stéréotypes principaux sont ceux qui renvoient à l’argent et au pouvoir notamment. Par ailleurs, le rejet des Juifs va souvent de pair avec des visions négatives d’autres minorités.</p>
<p>Ainsi l’expression <a href="https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2020_num_107_1_2992?q=jud%C3%A9ophobie#comm_0588-8018_2020_num_107_1_T8_0068_0000">« nouvel antisémitisme »</a> ne semble pas appropriée puisque ce sont les mêmes préjugés qui reviennent. Même si des <a href="https://www-mediapart-fr.bibelec.univ-lyon2.fr/journal/international/211123/l-operation-du-7-octobre-ne-vise-pas-seulement-tuer-mais-filmer-les-tueries-et-les-atrocites">évolutions sont perceptibles</a>, il est nécessaire encore une fois de penser les préjugés dans une <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-du-6-9-france-bleu-isere/antisemitisme-un-mouvement-de-fond-depuis-les-annees-2000-juge-l-historien-grenoblois-tal-bruttmann-6454392">histoire longue</a>.</p>
<h2>« Laissez-moi hors de propos »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Cz3u953o_ZY/ ?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>La question du silence de certains vis-à-vis des événements n’a pas manqué de soulever aussi celle de l’antisémitisme à gauche. Le sujet ne cesse d’être discuté depuis le 7 octobre, même si ce débat est présent depuis de nombreuses années. Les différentes personnalités politiques de gauche accusées <a href="https://www.lepoint.fr/politique/melenchon-face-aux-accusations-repetees-d-antisemitisme-23-10-2023-2540503_20.php">se défendent de tous préjugés</a> à l’encontre des Juifs. Un argument souvent mobilisé est de renvoyer à la tradition antisémite de l’extrême droite. S’il est vrai que les électeurs du Rassemblement national ont des préjugés antisémites particulièrement élévés, ceux des électeurs de La France Insoumise sont également supérieurs à la moyenne, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/10/nonna-mayer-les-stereotypes-antisemites-gardent-un-certain-impact-dans-une-petite-partie-de-la-gauche_6199286_823448.html">rapporte Nonna Mayer dans <em>Le Monde</em></a>. Ce sont par ailleurs notamment les mythes séculaires du rapport des Juifs à l’argent et au pouvoir qui persistent, y compris à l’extrême gauche.</p>
<p>L’antisémitisme de personnes à gauche du spectre politique n’est cependant pas récent, et des travaux universitaires montrent même que certains préjugés étaient présents au sein des <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Juifs-un-probleme-pour-la">mouvements de résistance</a> de gauche (et de droite) pendant la Seconde Guerre mondiale.</p>
<h2>Des manifestations directes de la violence</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzVoJsIoYcO","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Au niveau international, de nombreux actes de violence physique ont été perpétrés, des menaces de mort proférées. En France comme ailleurs, on a recensé des cris de « mort aux Juifs », des incitations à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/video-des-slogans-antisemites-scandes-devant-l-opera-de-sydney-aux-couleurs-d-israel">« gazer les Juifs »</a>, des tags <a href="https://www.instagram.com/p/CzOh4Cvo3Ss/ ?hl=fr&img_index=1">« interdit aux Juifs »</a> notamment devant des boutiques parisiennes. Les agressions physiques, qu’elles soient mortelles ou non, <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/1159-actes-antisemites-recenses-en-france-en-un-mois-annonce-gerald-darmanin">sont également multiples</a>, et la qualification antisémite n’est pas évidente.</p>
<p>Les discussions politico-médiatiques qui interrogent la réalité de la motivation antisémite des auteurs de certains faits contribuent à un <a href="https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757">sentiment d’abandon</a> chez certaines personnes juives – ou assimilées, ressenti déjà présent lors d’actes antérieurs aux événements du 7 octobre.</p>
<p>Les crimes sont souvent d’autant plus traumatiques quand les personnes sont attaquées à leur domicile comme ce fut le cas de <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/meurtres/meurtre-de-mireille-knoll/meurtre-de-mireille-knoll-l-affaire-sarah-halimi-a-peut-etre-pu-inciter-la-justice-a-retenir-le-caractere-antisemite-selon-l-avocat-d-un-des-deux-suspects_2688360.html">Mireille Knoll et Sarah Halimi</a>.</p>
<p>Le propos n’est pas de dire que toute personne juive agressée l’est à ce titre là ; cependant, les propos tenus par les agresseurs, les tags laissés sur les lieux, les revendications… sont des éléments qui doivent contribuer à interroger le motif. Par ailleurs, je ne remets pas en cause la non-poursuite des personnes qui ne sont pas responsables pénalement ; cependant, le fait que leur violence se soit tournée contre des personnes juives – ou assimilées – doit être interrogé socialement. Si les troubles psychiatriques peuvent expliquer le passage à l’acte, les préjugés antisémites s’inscrivent dans un contexte social.</p>
<h2>Banaliser</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzLcHuBoiJ9","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Depuis le 7 octobre, des discours <a href="https://www.liberation.fr/checknews/tags-insultes-menaces-que-sait-on-du-recensement-des-antisemites-enregistres-depuis-le-7-octobre-20231117_FIAUJA3DKNGNDFHMH7K3R5B6H4/">relativisent l’existence de l’antisémitisme</a>, soit à travers une minimisation : des chiffres, des formes de la violence, de l’existence des victimes, ou encore du caractère antisémite de certains actes. S’il est vrai que c’est à la justice de statuer sur le caractère aggravant « antisémite », cela n’empêche pas que le motif soit envisagé en amont.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-maladie-n-9-un-symptome-de-lantisemitisme-francais-218057">La « maladie n°9 » : un symptôme de l’antisémitisme français</a>
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<p>Le traitement médiatique des actes antisémites est complexe, et y compris <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Juifs-un-probleme-pour-la">après la Seconde Guerre mondiale</a> la spécificité des discriminations raciales n’était pas nécessairement dite ouvertement. Parfois sous couvert d’humour, la judaïcité des personnes est moquée ou tournée en dérision.</p>
<p>Les manifestations directes et paroxystiques de la violence, tels que les meurtres, les coups et blessures… ne doivent pas conduire à minimiser ce qu’il est commun d’appeler des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/11/29/universites-americaines-zones-de-langage-surveille_5390404_3232.html">« micro-agressions »</a>.</p>
<p>Nous pouvons poser l’hypothèse que l’une des conséquences des violences extrêmes (qu’elles soient racistes, sexistes, homophobes…) est de contribuer à banaliser les autres formes d’agressions. Ainsi, par rapport au génocide, ou aux meurtres, d’autres actes peuvent paraître anodins ; ils sont pourtant constitutifs de l’expérience de l’antisémitisme et témoignent de la permanence des préjugés et discriminations.</p>
<h2>« Leur peur, ma rage »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Cyc96WzIuFr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>De nombreuses personnes font le récit de micro-agressions qu’elles subissent dans leur quotidien. Par exemple, le fait d’associer automatiquement les personnes juives – ou assimilées – à Israël et plus spécifiquement au gouvernement en place, ou les personnes musulmanes – ou assimilées – au Hamas et au terrorisme.</p>
<p>L’usage même du <a href="https://www.instagram.com/p/C0BoM2yNi_o/ ?img_index=1">terme « antisémitisme »</a> est parfois remis en question sur la base de l’argument selon lequel « les Arabes/les Palestiniens/les Musulmans » seraient également des Sémites.</p>
<p>Utiliser ce terme pour parler uniquement des discriminations envers les personnes juives – ou assimilées – serait alors selon eux excluant. Pourtant l’expression « peuples sémites » n’est pas une réalité sociale, mais le fruit d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-4-page-441.htm">conceptualisation raciste en Europe au XIX<sup>e</sup> siècle</a>.</p>
<p>Il s’agissait à l’époque de soutenir les idéologies stigmatisant les personnes juives – ou assimilées – en présentant une théorie pseudo-biologique sur les « sémites ». Cela a permis d’enraciner le <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-2014-4-page-901.htm">discours racialiste</a> envers les individus qui ne peuvent plus sortir du groupe par la conversion (bien que celle-ci ne protégeait pas toujours). Par ailleurs, à cette époque, les discours étaient centrés sur l’Europe et les Juifs, et l’antisémitisme dans ce contexte a véhiculé le sens qu’on lui connaît aujourd’hui.</p>
<h2>« Dieu et moi ne sommes pas en bons termes »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzqHrYJoDon","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Depuis le 7 octobre, et face à la multiplication des actes antisémites, de nombreuses personnes juives – ou assimilées – ont pris la parole dans les médias, sur les réseaux sociaux, auprès de leurs proches… pour parler de leur vécu de l’antisémitisme. Certains à l’inverse ne prennent pas la parole, d’autres prient… ces réactions sont variées, à l’image de la diversité de la population juive.</p>
<p>Certains ont exprimé leurs critiques face à <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/121123/marche-contre-l-antisemitisme-les-gauches-qui-appellent-ne-pas-manifester-renoncent-leur-role-historique">l’absence de la gauche</a> dans la lutte contre l’antisémitisme, et à la présence de l’extrême droite.</p>
<p>Le <a href="https://www.instagram.com/collectif_golem/">collectif « Golem »</a> a même été créé dans ce prolongement, à l’image d’une autre organisation, les <a href="https://www.lesguerrieresdelapaix.com/mouvement/ ?goto=manifeste">« guerrières de la paix »</a> créée en 2022, qui se mobilise aux côtés de personnes musulmanes – ou assimilées, contre « les racismes » et pour la paix en Israël-Palestine.</p>
<p>L’humour peut aussi être un moyen de surmonter les violences vécues au quotidien. Joann Sfar propose par exemple « la nouvelle blague juive », présentée en ouverture de cet article, pour dire que « ça ne va pas ». Cependant, l’humour ne doit pas faire oublier que <a href="https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-legicom-2015-1-page-39.htm#no11">certains propos peuvent être antisémites</a> s’ils stigmatisent une population (à travers une tradition, des traits physiques, etc.), même s’ils sont pensés pour faire rire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-vieux-demon-de-la-gauche-francaise-215459">L’antisémitisme, vieux démon de la gauche française ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/217330/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Solveig Hennebert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vague de comportements et attaques antisémites de ces dernières semaines doit être analysée dans l’histoire longue de l’antisémitisme ordinaire en France.Solveig Hennebert, Doctorante, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2187392023-11-29T17:25:13Z2023-11-29T17:25:13ZDes affaires « Thomas » à « Mourad », une inquiétante libération de la parole raciste<p>Les récents événements, ratonnades à Romans sur Isère, <a href="https://www.slate.fr/story/256848/mort-thomas-agression-mourad-concurrence-politique-faits-divers-france">récupérations politiques</a> suite à la mort du jeune Thomas à Crépol et l’agression de Mourad dans le Val-de-Marne mais aussi les tags, comportements, agressions <a href="https://theconversation.com/comment-le-racisme-et-lantisemitisme-salimentent-aujourdhui-193740">racistes antisémites ou islamophobes</a>, témoignent <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/mort-de-thomas-a-crepol-pour-rn-et-reconquete-un-horizon-de-guerre-civile-a-peine-voile-20231128_VFDH3ICMGFAJFGPX2IGTPUBSUY/">d’une transformation d’un certain nombre d’idées en actes</a>.</p>
<p>Chaque fois qu’une société se montre de plus en plus hostile à toute marque d’altérité, elle convoque un imaginaire fondé sur <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/linvention-de-la-tradition/">l’idéalisation d’un passé mythique</a>.</p>
<p>Les origines, la « communauté » deviennent alors des biens « menacés ». On recherche dans les traditions, dans les racines, parfois dans le sang, la vérité de l’identité. Il n’est pas rare alors de nourrir, sur le registre de la déploration, une <a href="https://editions.flammarion.com/contre-les-racines/9782081409460">nostalgie rance</a>. Et que déplorons-nous ? Que d’autres que nous viennent peupler nos paysages familiers, paysages géographiques et mentaux que nous ne reconnaissons plus, l’étranger les ayant dénaturés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
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<p>Ce refus de la rencontre, cette obsession de l’homogénéité ne restent pas dans les psychismes individuels. Ils nourrissent le ressentiment et s’incarnent politiquement dans des mesures répressives de contrôle des mouvements de population.</p>
<p>Tout particulièrement, lorsque les pouvoirs publics, comme la droite classique, entretiennent <a href="https://www.liberation.fr/politique/eric-ciotti-plus-a-droite-que-lextreme-droite-20231127_VDOYYNLN6BF3VEYRZLHLEY26O4/">l’illusion que le meilleur moyen de combattre l’extrême droite est de parler sa langue</a>.</p>
<p>Il convient d’analyser les mutations du climat intellectuel qui expliquent largement la libération de la parole raciste. Ce mouvement s’accomplit dans deux directions, l’islamophobie et l’antisémitisme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">De l’impensable au possible : comment le RN s’est inséré dans la société française</a>
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<h2>Du droit d’être islamophobe</h2>
<p>Pour la première d’entre elle, il est significatif que certains intellectuels aient réclamé, au nom de la liberté d’expression, le droit d’être islamophobe.</p>
<p>Pascal Bruckner, parmi d’autres, auteur de <em>Un racisme imaginaire. Islamophobie et culpabilité</em> (Grasset, 2017), n’hésite pas à <a href="https://www.licra.org/lislamophobie-une-arme-dintimidation-massive">prétendre</a> que « l’accusation d’islamophobie n’est rien d’autre qu’une arme de destruction massive du débat intellectuel, digne de ce qui se faisait contre “ les ennemis du peuple ” en Union soviétique » !</p>
<p>Le Conseil de l’Europe a pourtant, dès 2005, défini ce terme :</p>
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<p>« Peur ou préjugés à l’égard de l’islam, des musulmans et des questions qui les concernent, prenant la forme de situations quotidiennes de racisme et de discrimination. »</p>
</blockquote>
<p>Comment, en effet, ne pas voir que les mécanismes de l’essentialisme racisant sont ici repérables : <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/islamophobie-9782707189462">l’islamophobie</a>, en effet, construit une identité définitive, négativement attribuée à tous les musulmans.</p>
<p>Mais certains auteurs, appartenant le plus souvent à des courants rationalistes et/ou anticléricaux, revendiquent le terme pour désigner la critique de l’islam en tant que religion et, donc, défendent la légitimité de son rejet. La phobie, pourtant, ne peut être comprise comme un simple rejet.</p>
<p>Il y a surtout la peur et l’effroi suscités par la perception d’une menace. Bref, peut-on avoir peur de l’islam sans craindre les musulmans ? En définitive, ne contribue-t-on pas ainsi à occulter les discriminations dont les musulmans sont victimes ?</p>
<p>Ces discriminations – que de nombreux « républicains » autoproclamés, ont du mal à reconnaître – prennent des contours parfois <a href="https://theconversation.com/fr/topics/les-couleurs-du-racisme-121322">insidieux</a>, dont témoignent sans ambiguïté <a href="http://marieannevalfort.com/wp-content/uploads/2017/05/Panthe%CC%81onSorbonneMagazine2015_VALFORT.pdf">depuis plusieurs années</a> diverses <a href="https://www.liberation.fr/societe/violences-emploi-logement-ce-que-revele-le-premier-rapport-sur-les-discriminations-en-france-20231128_D5T5OUOXZBDNRLHUFMIUAZ3B74">enquêtes</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lecole-de-la-republique-est-elle-islamophobe-52729">L’école de la République est-elle islamophobe ?</a>
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<h2>Un « racisme de résistance » assumé</h2>
<p>Ce processus d’aveuglement au racisme dont les musulmans sont victimes trouvent le renfort d’une <a href="https://theconversation.com/controverses-pourquoi-la-notion-de-la-cite-perturbe-le-debat-public-216654">interprétation contestable de la laïcité</a>, laquelle relativise sa dimension de pacification pour privilégier celle d’émancipation : la philosophie implicite est qu’il convient de combattre par la raison l’obscurantisme religieux.</p>
<p>Dans son livre de 2017, <em>Philosophie libérale de la religion</em> (titre de la récente traduction française), <a href="https://www.cairn.info/philosophie-liberale-de-la-religion--9791037028990.htm">Cécile Laborde</a> montre que l’objet privilégié de la laïcité française, durant les trois dernières décennies, est le religieux pathologique ou, si l’on préfère, le religieux dangereux. Cette vision de l’islam semble pourtant très éloignée de la <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2017-4-page-599.htm">pratique du croyant ordinaire</a>.</p>
<p>Ce n’est pas un hasard si le Front national devenu Rassemblement national s’est <a href="https://www.marianne.net/politique/le-pen/presidentielle-pourquoi-le-programme-de-le-pen-transgresse-laicite-et-liberte-de-conscience">emparé de la laïcité</a> pour la transformer en valeur patrimoniale.</p>
<p>L’islamophobie se justifie ainsi, à l’extrême droite mais pas seulement, par une sorte de « racisme de résistance », c’est-à-dire attitude fondée sur l’hypothèse que l’influence islamique mettrait en péril nos valeurs, voire notre civilisation.</p>
<h2>Un nouvel antisémitisme ?</h2>
<p>Il faut aussi souligner ce qui apparaît comme le produit d’une opération idéologique de stigmatisation des musulmans : la thèse du « nouvel antisémitisme ».</p>
<p>En avril 2018, <em>Le Parisien</em> publie le <a href="https://www.leparisien.fr/societe/manifeste-contre-le-nouvel-antisemitisme-21-04-2018-7676787.php">« Manifeste contre le nouvel antisémitisme »</a>, rédigé par Philippe Val et réunissant environ 300 signataires dont un ancien président de la République (Nicolas Sarkozy). À peu près simultanément, chez Albin Michel, paraît <a href="https://www.albin-michel.fr/le-nouvel-antisemitisme-en-france-9782226436153"><em>Le Nouvel Antisémitisme en France</em></a>, ouvrage collectif signé de quinze auteurs (et préfacé par Élisabeth de Fontenay). Le « Manifeste » et l’ouvrage dénoncent une épuration ethnique des Juifs dans certains quartiers, « à bas bruit au pays d’Émile Zola et de Clemenceau », épuration dont la responsabilité est attribuée à l’islamisme et, par amalgame, bien souvent aux musulmans.</p>
<p>Pourtant, invoquer un « nouvel antisémitisme » qui serait spécifiquement musulman, c’est contribuer à l’opération de blanchiment de l’extrême droite, dont la judéophobie serait en voie d’extinction.</p>
<p>Or, comme le défendait lucidement une tribune publiée par <em>Le Monde</em> peu après, le 3 mai 2018 :« La lutte contre l’antisémitisme doit être le combat de tous ».</p>
<p>Cette tribune fit l’objet des attaques de l’extrême droite, mais aussi de celles des nationaux-républicains, terme qui désigne <a href="https://journals.openedition.org/lectures/58369">l’idéologie du Printemps républicain</a> et de quantité d’autres organisations unies par la volonté de transformer le principe juridique de laïcité en valeur identitaire. Autrement dit de substituer l’exaltation de l’identité nationale à l’attachement aux principes universalisables de la devise républicaine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gZERxHEKiFg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Y a-t-il vraiment un « antisémitisme musulman » ? Médiapart, mai 2018.</span></figcaption>
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<p>Il ne s’agit évidemment pas de prétendre que les personnes de confession musulmane seraient exemptes de propos antisémites. Comment ignorer l’antisémitisme virulent porté par le djihadisme et auquel de jeunes musulmans sont parfois sensibles ? Ainsi que le souligne Claude Askolovitch, <a href="https://www.slate.fr/story/160777/manifeste-contre-nouvel-antisemitisme-logie-devastatrice">dans un article profondément juste</a>, le Manifeste, en exigeant de l’islam de France qu’il « ouvre la voie », « rend responsable chaque musulman de la violence de quelques-uns ». On peut, avec lui, se demander si « la passion nationale pour une laïcité de combat n’est pas un refus de notre part musulmane ». Et, ajoute-t-il :</p>
<blockquote>
<p>« On reproche d’abord aux musulmans d’être ici, d’ici. L’antisémitisme est un autre élément à charge de preuve : une bonne raison, progressiste, de détester celles et ceux, voilées, barbus, dont on ne veut pas. »</p>
</blockquote>
<p>Nous faisons nôtre sa conclusion :</p>
<blockquote>
<p>« Il est, dans le Juif, pour celui qui le hait, une licence à quitter l’humanité. Ce n’est ni nouveau, ni singulièrement, ni essentiellement musulman. »</p>
</blockquote>
<h2>L’inextinguible haine des Juifs</h2>
<p>L’idée, défendue depuis 2002 par Pierre-André Taguieff, selon laquelle l’antisémitisme a changé de nature en se parant des habits de l’antiracisme, c’est-à-dire en prenant la défense des Arabes et des musulmans, est non conforme au fait que les stéréotypes judéophobes s’accompagnent le plus souvent d’une image négative de l’islam et, plus généralement, nourrissent des opinions hostiles aux minorités, quelles qu’elles soient. Une étude quantitative, récemment menée en Allemagne, l’établit nettement. N’oublions pas le <a href="https://www.bmi.bund.de/SharedDocs/downloads/DE/publikationen/themen/heimat-integration/BMI23010-uem-frz.pdf">célèbre avertissement</a> de Fanon :« Noirs, quand on dit du mal des Juifs, tendez l’oreille, on parle de vous ».</p>
<p>Partout où le nationalisme progresse, que l’immigration arabe ou musulmane soit ou non présente, la haine des Juifs est réactivée et <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/04/12/orban-reecrit-lhistoire-de-la-shoah-en-hongrie/">emprunte des chemins balisés</a>.</p>
<p>Dans l’actuel contexte de guerre au Proche-Orient, la croissance spectaculaire des actes antisémites est profondément alarmante. Il devrait être clair pour tous que chercher à les dissimuler sous le masque de l’antisionisme n’est qu’un mécanisme opportuniste de recyclage de la haine.</p>
<p>La tentative de considérer <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/09/LOOS/59034">l’antisionisme comme antisémite par nature doit être vigoureusement dénoncée</a>. Il existe des critiques légitimes de la politique de colonisation d’Israël qui se disent antisionistes sans que leurs positions puissent être qualifiées d’antisémites. Ceci étant, le terme antisionisme ne devrait être utilisé que dans un sens bien précis : désigner ceux qui ont combattu le sionisme (ou n’y ont pas adhéré) avant qu’il ne se réalise dans la création d’un État pour les Juifs.</p>
<p>Son usage devrait être considéré comme obsolète : ou l’on critique la politique coloniale d’Israël (était-il anti-français de s’élever contre la puissance coloniale française ?) ou l’on veut la destruction de l’État et, alors, on est antisémite.</p>
<p>Qu’il s’agisse de l’antisémitisme ou de l’islamophobie, les formations extrémistes jouent des termes pour diffuser leurs idées et promouvoir la haine de l’autre et le refus de l’altérité. Les derniers événements l’illustrent. C’est dans cette perspective que le combat pour donner leur sens aux mots relève de l’exigence démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218739/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Policar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mutations du climat intellectuel expliquent largement la libération de la parole raciste notamment dans deux directions, l’islamophobie et l’antisémitisme.Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175802023-11-16T17:13:26Z2023-11-16T17:13:26ZImmigration : les Français y sont-ils aussi opposés qu’on le dit ?<p>Encore un <a href="https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/textes-legislatifs/la-loi-en-clair/projet-de-loi-pour-controler-limmigration-ameliorer-lintegration.html">projet de loi sur l’immigration</a> en débat au Parlement, c’est le 29<sup>e</sup> depuis 1980, soit en moyenne un tous les 17 mois. Cette prolifération est parfois due à la volonté de revenir sur des mesures adoptées par un autre gouvernement, mais elle montre aussi le <a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">niveau de crispation atteint à l’égard des immigrés</a> dans nombre de partis politiques. Tout se passe comme s’il fallait prouver aux électeurs que le pouvoir mène des politiques efficaces contre l’immigration illégale et pour la sécurité publique. <a href="http://www.pergama.fr/2023/10/13/immigration-de-travail-france-deni/">De nombreux politiciens</a> semblent persuadés que les considérations négatives envers les immigrés prédominent dans l’opinion publique.</p>
<p>Qu’en est-il exactement ? Comment ont évolué les perceptions de l’immigration depuis 40 ans ?</p>
<p>Dans l’<a href="http://www.valeurs-france.fr">enquête sur les valeurs des Européens</a> (EVS), réalisée tous les neuf ans, une question sur la préférence nationale à l’embauche est posée dans les mêmes termes depuis 1990. Alors que 61 % des Français se déclaraient favorables à une préférence nationale à l’embauche en 1990, ils ne sont plus que 42 % à y être favorables en 2018. Il s’agit d’une évolution à la baisse très importante, là où on aurait pu s’attendre à une augmentation.</p>
<p>En effet, pendant la même période, depuis les années 1990, <a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">l’extrême droite a progressé</a>. Mais ses succès sont loin d’être seulement dus à des discours anti-immigration. Ses demandes sur l’augmentation du pouvoir d’achat, sa critique de la classe politique, sont attrait pour des leaders autoritaires y sont aussi pour beaucoup. Même si la thématique de l’immigration est un enjeu qui marque constamment l’électorat du Rassemblement national, ce n’est pas le seul.</p>
<p>Au second tour de l’élection de 2022, <a href="https://www.cairn.info/le-vote-clive--9782706152979-page-225.htm">d’après un sondage Opinionway</a>, l’enjeu le plus déterminant pour l’électorat Le Pen était le pouvoir d’achat, l’immigration ne venant qu’en second, suivi par l’identité française et la délinquance. Et dans un <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/08/119689-Rapport-SR-N233.pdf">sondage IFOP d’août 2023</a>, la lutte contre l’immigration clandestine ne vient qu’en 5<sup>e</sup> position des enjeux prioritaires chez les personnes proches du Rassemblement national (<a href="https://www.ifop.com/publication/balise-dopinion-233-letat-desprit-des-francais-a-la-rentree-optimisme-et-enjeux-prioritaires/">et en 10ᵉ position pour l’ensemble des Français</a>).</p>
<h2>Des perceptions de l’immigration plus modérées qu’on ne le croit</h2>
<p>Les perceptions des immigrés en France et en Europe peuvent être analysées à travers les réponses à cinq questions de la dernière vague de <a href="https://www.atlasofeuropeanvalues.eu/maptool.html">l’enquête EVS (2018)</a>.</p>
<p><iframe id="IzdXG" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/IzdXG/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les réponses montrent que les jugements sont plus mesurés qu’on pourrait le penser. L’effet de l’immigration sur le développement de la France n’est jugé mauvais que par un quart des Français. À peu près le même pourcentage le considère bon, alors que près de la moitié répondent « ni bon, ni mauvais ». L’idée que les immigrés prennent les emplois des gens du pays est aussi très minoritaire, beaucoup ayant probablement conscience que les <a href="https://theconversation.com/les-noires-sont-sales-par-contre-elles-font-de-bonnes-nounous-dans-lemploi-domestique-des-stereotypes-tenaces-150191">immigrés occupent des emplois peu demandés</a>. La préférence nationale à l’embauche quand les emplois sont rares, le stéréotype d’un <a href="https://theconversation.com/fact-check-les-refugies-sont-ils-mieux-accompagnes-que-les-sdf-128596">effet néfaste pour la Sécurité sociale</a> et la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-lien-entre-immigration-et-delinquance-est-une-illusion-205603">criminalité</a> recueillent davantage de soutiens.</p>
<p>Ces cinq indicateurs très liés entre eux nous ont permis de construire un indice unique de perception des immigrés, découpé en deux parties à peu près égales : 45 % des Français partagent des jugements négatifs vis-à-vis des immigrés. C’est un tout petit plus que chez nos voisins d’Europe de l’Ouest (42 %) mais beaucoup moins qu’en Europe du Sud (51 %) et de l’Est (67 %). Les Scandinaves sont les plus ouverts (37 %).</p>
<h2>Pourquoi de telles différences selon les sociétés ?</h2>
<p>Les explications de ces fortes différences de perception des immigrés sont nombreuses. Le fait d’être très nationaliste joue beaucoup, tout particulièrement le nationalisme dit « nativiste » (qui valorise fortement le fait d’être né dans le pays ou d’y avoir des ascendants). Plus les Français et les Européens valorisent leur identité nationale, <a href="https://www.pug.fr/produit/2045/9782706151620/les-europeens-et-leurs-valeurs">plus ils tendent à avoir des orientations négatives à l’égard des immigrés</a>.</p>
<p>Jouent également fortement le niveau d’individualisation (vouloir être autonome dans tous les domaines de sa vie) et d’individualisme (être centré sur son intérêt personnel), ainsi que la position sociale et le positionnement sur l’échelle gauche droite, comme le montre les graphiques ci-dessous.</p>
<p>Le rejet des immigrés est nettement plus fort chez les personnes nationalistes, faiblement individualisées, fortement individualistes, appartenant à des catégories défavorisées et orientées à droite.</p>
<p><iframe id="Okie8" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Okie8/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>On aurait pu penser que l’effet de la religion sur les perceptions des immigrés serait très important. Les grandes religions portent en effet un message clair d’accueil de l’étranger, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/23/le-pape-francois-citoyen-d-honneur-de-marseille-venu-crier-justice-pour-les-migrants-et-les-vulnerables_6190697_3210.html">comme le rappelle très souvent le pape François</a>.</p>
<p>Or quand on observe le niveau des perceptions négatives selon le degré d’intégration au catholicisme, les différences ne sont pas énormes. Les perceptions négatives vont de 54 % chez les catholiques non pratiquants à 43 % chez les pratiquants réguliers. Elles sont de 40 % chez les athées convaincus (et de 10 % chez les musulmans). Le message d’accueil porté par les religions est probablement freiné en France par le fort nationalisme des catholiques pratiquants.</p>
<p>Tous ces facteurs explicatifs n’annulent probablement pas l’effet que peuvent ou pourraient avoir les hommes politiques et les politiques publiques sur l’opinion. Or, depuis 1974, les <a href="https://www.migrationsenquestions.fr/question_reponse/1068-quelle-est-levolution-de-la-politique-migratoire-en-france-depuis-1945/">politiques migratoires se sont beaucoup durcies</a>. La France n’a pas vraiment pris sa part de l’accueil des migrants en Europe, eu égard à sa population et à sa richesse. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/07/immigration-le-grand-deni-un-salutaire-rappel-a-la-realite_6164503_3232.html">Ils sont pourtant économiquement plutôt bénéfiques pour notre économie</a>.</p>
<h2>Le paradoxe : une acceptation qui progresse, un milieu politique très frileux</h2>
<p>Un très grand nombre de sondages confirment qu’en France, l’acceptation des immigrés est plus forte qu’autrefois et que la xénophobie s’est affaiblie. Ainsi, en 2021, <a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/le-regard-des-francais-sur-le-droit-de-vote-des-residents-etrangers-aux-elections-locales-baro-edition-2021/">67 % approuvaient que les étrangers puissent voter aux élections locales</a>, soit 13 points de plus qu’en 2013.</p>
<p>Alors que <a href="https://fr.statista.com/statistiques/661665/francais-adhesion-trop-immigres-france/">74 % jugeaient qu’il y avait trop d’immigrés en France en 1995 et 65 % en 2005, il n’y en aurait plus qu’environ 60 % aujourd’hui</a>. <a href="https://www.kantarpublic.com/fr/barometres/barometre-d-image-du-rassemblement-national/barometre-d-image-du-rassemblement-national-2022">Et selon un sondage Kantar Public sur l’image du Rassemblement national</a>, il n’y aurait même que 47 % des Français à le penser en 2022. Pour des raisons difficiles à expliquer, cette question, très souvent posée, donne des résultats un peu différents, même à des moments proches. Les réponses à cette question sont en tout cas très clivées selon l’orientation politique des sondés, allant de près de 90 % d’approbation à l’extrême droite à environ un tiers à gauche et même dans le camp présidentiel.</p>
<p>La presse cite beaucoup les résultats peu favorables à l’acceptation des immigrés mais peu des résultats plus positifs. Ainsi, environ <a href="https://observationsociete.fr/modes-de-vie/mdv-valeurs/valeurs_immigres-2/">70 % des Français</a> estiment aujourd’hui que <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/limmigration-une-source-denrichissement/00093576">« L’immigration est une source d’enrichissement culturel »</a>, ce qui est rarement souligné.</p>
<p>On observe donc un paradoxe entre ce que montrent les sondages – une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/16/sur-les-questions-migratoires-une-opinion-de-moins-en-moins-crispee_6177918_3224.html">acceptation plus importante qu’autrefois de l’immigration</a>, des valeurs de compassion et de solidarité, qui contrebalancent en partie les craintes à l’égard des immigrés – et les discours des hommes politiques au pouvoir, allant d’un rejet absolu à des formes d’accueil extrêmement prudentes.</p>
<h2>Des politiques migratoires françaises de plus en plus répressives</h2>
<p>Le projet de loi actuellement en débat au Parlement vise <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/comment-la-loi-asile-et-immigration-changerait-elle-la-vie-des-travailleurs-sans-papiers-6745347">à durcir encore la législation des personnes en situation irrégulière</a>. Les personnes ayant fait l’objet d’une OTQF (obligation de quitter le territoire français) devraient pouvoir être expulsés plus facilement et plus rapidement. L’aspect novateur que comportait le projet : permettre des régularisations de personnes en situation irrégulière ayant un travail dans un « métier en tension » (cafés-restauration, santé, services à la personne, bâtiment…) et leur donner une carte de séjour d’un an a été quasi abandonné par le Sénat. La droite et l’extrême droite ont mené un combat très actif, craignant qu’une politique de régularisation selon des critères fixés, et non très limitatifs au cas par cas selon l’appréciation d’un préfet, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html">ne génère un « appel d’air » à l’égard de nouveaux migrants</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/93zSCpj_XmU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pourtant le choix du pays européen par les arrivants sans visas tient avant tout à la présence antérieure de membres de leur famille, de leur réseau social ou au minimum d’une diaspora nationale déjà là pour aider à leur intégration. La connaissance de la langue joue aussi. De même que l’attractivité économique du pays. Or, à part pour les Maghrébins, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-vendredi-03-mars-2023-4894599">France apparaît assez peu attractive</a>. Elle l’est beaucoup moins que le Royaume-Uni ou l’Allemagne. <a href="https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/migrants-migrations-50-questions-pour-vous-faire-votre">Toutes les études</a> montrent depuis déjà longtemps qu’il n’y a pas de corrélation entre les politiques migratoires suivies par un pays et le nombre des arrivées. Les flux migratoires sont d’abord générés par les énormes problèmes existant dans les pays de départ et non par les politiques plus ou moins ouvertes des pays de réception.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217580/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement à ce que laisse penser l’actualité médiatico-politique, plusieurs études montrent que les Français acceptent de plus en plus les immigrés.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166512023-11-13T19:36:31Z2023-11-13T19:36:31ZDe l’impensable au possible : comment le RN s’est inséré dans la société française<p>La marche contre l’antisémitisme le 12 novembre 2023 à Paris a, pour la journaliste politique du Monde, Solenn Royer marqué <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/13/marches-contre-l-antisemitisme-l-absence-d-emmanuel-macron-n-a-pas-ete-comprise-notamment-en-macronie-ou-certains-evoquent-une-occasion-manquee_6199810_823448.html">« un avant et un après »</a> pour le parti lepéniste. Comme le note le quotidien national, « en nombre, les élus du parti de Marine Le Pen, même isolés et sous tension, ont pu défiler jusqu’au bout » aux côtés de toutes celles et ceux qui ont voulu montrer leur rejet de l’antisémitisme en France.</p>
<p>Cette marche vient à l’appui d’un constat de plus en plus probant : le Rassemblement national occupe désormais une place plus favorable que par le passé dans le paysage politique français. En 2022, en accédant pour la deuxième fois consécutive au second tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen n’avait pas suscité autant la surprise que son père en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oWZIKQlJK_M">2002</a>. Pour la seconde fois dans l’histoire de la V<sup>e</sup> République, des députés de ce parti ont aussi fait leur entrée au Palais Bourbon, et cette fois, avec 89 sièges, ils forment le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/06/28/metiers-mandats-precedents-trajectoires-ideologiques-explorez-le-profil-des-89-deputes-du-rassemblement-national_6132344_4355770.html">deuxième plus grand groupe de l’Assemblée nationale</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">France 24, le RN à la marche contre l’antisémitisme, le 12 novembre 2023, via YouTube.</span></figcaption>
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<p>Le parti lepéniste est ainsi depuis fréquemment présenté comme étant <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/du-grain-a-moudre/le-front-national-est-il-aux-portes-du-pouvoir-3246582">aux portes du pouvoir</a>. Comment expliquer ces succès contemporains ? Ce parti créé en 1972, qui change de nom pour devenir en 2018 le Rassemblement national, a-t-il réussi sa mue ?</p>
<p>Notre ouvrage collectif récent, <a href="https://journals.openedition.org/lectures/62633"><em>Sociologie politique du Rassemblement national : enquêtes de terrain</em></a>, publié ce mois-ci aux Presses Universitaires du Septentrion,) s’empare de cette trajectoire de « normalisation » en se penchant sur les deux premiers mandats de la présidence de Marine Le Pen au sein du parti (2011-2018).</p>
<p>Sur la période, le FN-RN est parvenu à s’inscrire encore davantage dans l’espace politique, à fidéliser du personnel, à augmenter ses scores électoraux locaux (départementaux, régionaux) et nationaux (scrutins présidentiels, européens) principalement durant des scrutins de liste.</p>
<p>La prise du pouvoir par le RN semble alors être passée de l’ordre de l’impensable à celui du possible. Comment le parti d’extrême droite s’est-il inséré progressivement dans certains pans de la société française ?</p>
<h2>Saisir l’implantation du RN dans sa diversité</h2>
<p>Les résultats des élections (municipales, législatives, européennes) attestent de la consolidation électorale du principal parti d’extrême droite française, depuis les années 2010. <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/902-pourquoi-tant-de-votes-rn-dans-les-classes-populaires.html">La sociologie du vote</a> a montré qu’il est difficile de parler d’un électorat homogène et qu’il est plus juste de souligner qu’il existe une pluralité d’électorats rassemblés dans <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/10/l-electorat-frontiste-n-existe-pas_5141998_3232.html">« un conglomérat »</a>).</p>
<p>Les territoires d’implantation du RN sont donc divers, et le sont d’ailleurs encore davantage dans la période récente, comme le montre la comparaison des résultats des élections législatives de <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/carte-resultats-des-legislatives-2022-visualisez-la-percee-du-rassemblement-national-au-premier-tour_5194912.html">2017 à ceux de 2022</a>. Ces implantations répondent à des logiques locales spécifiques qu’il s’agit d’élucider : les mobilisations électorales du RN ne prennent pas la même forme que l’on se trouve dans le Sud-Est ou dans le Nord-Est, dans des terres « d’élection » ou des terres « de mission » du parti, en contexte urbain ou rural, etc.</p>
<p>La pluralité des implantations invite aux études localisées pour comprendre les forces, mais aussi les faiblesses, du parti dans chaque configuration locale. Les succès du RN doivent aussi se comprendre dans la durée. Les soutiens électoraux dont il bénéficie reposent sur des « déjà-là » socioculturels endormis, qui sont stimulés et réactivés en périodes d’élections. Les études de cas présentes dans le livre montrent en effet comment le parti est capable d’entretenir des soutiens insérés dans le tissu social local, dont dépendent ses victoires dans les territoires.</p>
<h2>Le RN, de haut en bas</h2>
<p>De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque « le Rassemblement national » ? Ce parti est le plus souvent appréhendé dans les médias comme un bloc monolithique, réduit aux prises de parole de Marine Le Pen ou plus récemment de Jordan Bardella. Or, y compris au sommet du parti, les instances dirigeantes ne se résument pas aux porte-parole les plus connus.</p>
<p>Par le biais de la sociographie, on peut alors saisir avec précision comment se structure le « haut » de l’organisation partisane afin de comprendre les logiques de gestion interne du parti, notamment celle de l’argent et du pouvoir, dont la presse a montré les défaillances, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/front-national/affaire-des-kits-de-campagne-le-rassemblement-national-condamne-en-appel-a-une-amende-de-250-000-euros_5712755.html">pour l’organisation des campagnes</a> ou pour l’utilisation des fonds publics <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/22/assistants-parlementaires-europeens-du-fn-le-parquet-requiert-le-renvoi-du-parti-de-marine-le-pen-et-de-vingt-six-autres-prevenus-devant-le-tribunal_6190561_3224.html">pour l’embauche d’assistants</a>.</p>
<p>Qui le RN recrute-t-il sur des listes, dans son entourage, ou encore dans ses instances dirigeantes ? S’interroger sur les modes de recrutement des cadres du parti permet également de comprendre son ajustement aux logiques du champ politique ou <a href="https://www.acrimed.org/-Les-medias-et-le-Front-National-">journalistique</a>. Cela est d’autant plus nécessaire au regard de la stratégie dite de « dédiabolisation » du RN, mais aussi plus largement dans un contexte de crise de légitimité de la forme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/12/remi-lefebvre-les-partis-politiques-hors-jeu-de-la-presidentielle-ou-presque_6076412_3232.html">« parti politique »</a>.</p>
<p>Comprendre l’organisation du RN implique enfin d’étudier les différents échelons du parti, de « haut en bas » pour ainsi dire : des instances dirigeantes aux <a href="https://www.puf.com/content/Simples_militants">« simples militants »</a>, en passant par les cadres des Fédérations, les collectifs formant les sections locales, etc. Cette analyse à différents niveaux permet de constater qu’il n’existe pas « un » profil militant unique au RN, mais une pluralité de trajectoires amenant des individus à intégrer l’organisation lepéniste et à s’y professionnaliser plus ou moins, selon les profils et les configurations locales.</p>
<h2>Un « nouveau » RN ?</h2>
<p>La question du recrutement partisan pose enfin celle de l’« ouverture » du RN à de nouveaux profils. Différents chapitres du livre collectif étudient ainsi des groupes militants, des électeurs ou des dirigeants que l’on pourrait penser « atypiques ».</p>
<p>Pour casser son image de parti d’extrême droite, l’organisation lepéniste cherche depuis longtemps à se présenter comme un parti « moderne », sensible par exemple à la <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/video-echange-tres-tendu-entre-mathilde-panot-et-marine-le-pen-sur-les-droits-des-femmes-et-le-hamas-7900308608">question des droits des femmes</a>. Mais aussi des minorités <a href="https://tetu.com/2023/04/01/politique-rassemblement-national-elus-gays-parti-assemblee-vernis-arc-en-ciel-rn/">sexuelles</a>. Il s’agit dès lors de se montrer ouvert à des engagements d’apparence « atypique », allant dans le sens de son narratif.</p>
<p>Le phénomène n’est pas nouveau : dans cette <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i04167303/jean-marie-le-pen">vidéo de campagne de 1995</a>, Jean-Marie Le Pen se met en scène répondant aux questions de quatre militantes FN, dont la martiniquaise Huguette Fatna et Maria Tabary (« immigrée portugaise […] devenue française »), alimentant une rhétorique visant à battre en brèche les accusations de xénophobie et racisme. Dans une logique similaire, le dialogue avec la cadre du FN/RN Sylvie Goddyn permet au président du FN d’aborder la question de l’écologie et du bien-être animal.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uqTqTxomE0E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Campagne 1995 de Jean-Marie Le Pen.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’ouverture à de nouvelles thématiques et à de « nouvelles têtes » fait donc partie intégrante de la stratégie du parti, et ce de longue date. Par ailleurs, la sociologie de ces nouveaux profils permet de reconstituer finement les logiques et la cohérence de leur adhésion au RN, au-delà du seul constat de leur atypicité. La sociologie refuse de réduire les individus à un seul trait distinctif et montre, derrière le vernis et la façade partisane, le poids des socialisations qui expliquent le passage (bref ou plus prolongé) au RN.</p>
<p>Enfin, ces militantismes plus inhabituels ne doivent pas faire oublier que ce parti rallie aussi à ses rangs des profils plus classiques de l’extrême droite, comme les <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2021-1-page-59.htm">catholiques traditionalistes</a> ou des membres de la <a href="https://www.la-croix.com/France/Generation-identitaire-Rassemblement-national-complementarite-assumee-2021-02-20-1201141700">mouvance identitaire</a>.</p>
<h2>Le RN est-il un parti « comme les autres » ?</h2>
<p>L’extrême droite est encore un sujet « chaud » politiquement et médiatiquement, parfois perçu comme fascinant et exotique. Il est ainsi souvent traité de façon exceptionnelle, comme intrinsèquement différent des autres partis politiques.</p>
<p>Même si cette organisation partisane a bien sûr ses spécificités, nous pensons que celles-ci doivent être étudiées avec les mêmes outils, empiriques et analytiques, que ceux employés pour étudier les autres formations partisanes. Pour comprendre la normalisation en cours du RN, il faut certainement normaliser son étude sociologique.</p>
<p>Face à la profusion de sondages et d’essais sans base empirique sur ce parti, il devient dès lors urgent de multiplier (et de mutualiser) les enquêtes proprement sociologiques sur le RN, redonnant toute son épaisseur sociale au phénomène lepéniste.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1029&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1029&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1029&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1293&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1293&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1293&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<hr>
<p><em>Les auteurs viennent de publier <a href="https://journals.openedition.org/lectures/62633"><em>Sociologie politique du Rassemblement national : enquêtes de terrain</em></a>, aux Presses Universitaires du Septentrion.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216651/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La prise du pouvoir par le RN, de l’impensable, semble être devenue possible. Comment le parti d’extrême droite s’est-il inséré progressivement dans certains pans de la société française ?Estelle Delaine, Maîtresse de conférences en sciences politiques, Université Rennes 2Félicien Faury, Postdoctorant, CESDIP , Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Guillaume Letourneur, Docteur en science politique, CNRS, membre du CESSP, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneSafia Dahani, Post-doctorante en sociologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2154592023-10-11T17:25:31Z2023-10-11T17:25:31ZL’antisémitisme, vieux démon de la gauche française ?<p>La barbarie de l’attaque menée en Israël par le Hamas le 7 octobre 2023 a suscité des commentaires qui réactivent un débat déjà ancien au vu des propos <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/attaque-du-hamas-contre-israel-pourquoi-les-prises-de-position-de-lfi-mettent-l-alliance-de-la-nupes-une-nouvelle-fois-en-danger_6111054.html">tenus par certains membres</a> de la classe politique et des indignations qu’ils ont suscités. Les positions récentes sur le Hamas ou les prises de paroles clivées sur le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/11/attaque-du-hamas-contre-israel-l-onde-de-choc-s-etend-a-la-politique-francaise_6193763_823448.html">conflit israélo-palestinien</a> soulignent-elles un antisémitisme latent à gauche, et plus précisément à gauche de la gauche ?</p>
<p>La question est rémanente, même si dans l’histoire, la <a href="https://journals.openedition.org/assr/3245">haine des Juifs</a> se situe plus à droite et à l’extrême droite, d’abord du côté du christianisme, puis de courants proprement racistes, avec le sommet qu’a constitué le nazisme.</p>
<p>À peine forgé en Allemagne par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wilhelm_Marr">Wilhelm Marr en 1879</a>, le terme « antisémitisme » a connu un succès mondial, dans un contexte qui précédait de peu l’affaire Dreyfus (1894) et relevait déjà de la <a href="https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1988_num_68_4_4999_t1_0528_0000_2">« guerre des deux France »</a>, opposant une droite antisémite, nationaliste, antirépublicaine et catholique, à une gauche républicaine, souvent laïcarde.</p>
<p>L’antijudaïsme, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-histoire/comment-distinguer-l-antijudaisme-et-l-antisemitisme-9195216">puis l’antisémitisme</a> avaient cependant déjà trouvé de longue date un espace à gauche.</p>
<h2>Des penseurs aux sentiments ambivalents</h2>
<p><a href="https://www.revuedesdeuxmondes.fr/la-haine-des-juifs-au-temps-des-lumieres-le-cas-voltaire/">Voltaire</a>, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2005/09/A/12974">Marx</a>, <a href="https://www.cairn.info/juifs-et-anarchistes--9782841621613-page-143.htm">Proudhon</a> aussi, portés par de profonds sentiments anti-religieux, et sans que l’on puisse alors parler d’antisémitisme ce qui serait anachronique, ont eu des mots lourds de préjugés haineux vis-à-vis des juifs et du judaïsme .</p>
<p>À la toute fin du XIX<sup>e</sup>, Jean Jaurès, avant de se rallier à Zola et aux dreyfusards, a pris <a href="https://books.openedition.org/pur/125196?lang=fr">à partie</a> la « race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain » (<a href="http://www.jaures.info/dossiers/dossiers.php?val=23_jaures+lantisemitisme">1898, discours au Tivoli</a>. Une histoire notamment bien documentée par Léon Poliakov dans son <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/histoire-de-l-antisemitisme-l-age-de-la-foi-t1-leon-poliakov/9782757872086"><em>Histoire de l’antisémitisme</em></a>.</p>
<p>Après la destruction des <a href="https://www.babelio.com/livres/Hilberg-La-Destruction-des-juifs-dEurope/119851">juifs d’Europe</a> par les nazis, la haine des juifs, jusque-là de l’ordre de l’opinion, relevait <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/comment-la-france-a-traine-des-pieds-pour-envoyer-les-antisemites-au-tribunal-2675222">désormais du crime</a>, et on aurait pu s’attendre à ce qu’elle décline, en général, et plus particulièrement à gauche. Ç’aurait été une erreur.</p>
<p>C’est d’abord que certains communistes français de la moitié du <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-shoah-2001-1-page-171.htm">XX<sup>e</sup> siècle y étaient perméables</a>, ne serait-ce que pour combattre Léon Blum ou Pierre Mendès-France ou en conformité plus ou moins aveugle au « Parti » lui-même à la botte de Moscou.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=806&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=806&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=806&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1013&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1013&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1013&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’homme politique de gauche Pierre Mendès France faisait l’objet de campagnes antisémites de la part de ses adversaires politiques, y compris à gauche.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/pierre-mendes-france-1932-4c71a3">Picryl</a></span>
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<p><a href="https://www.humanite.fr/medias/urss/television-lantisemitisme-au-temps-de-staline-697456">Staline</a> vouait ainsi aux juifs une haine ancienne. Le dictateur avait d’ailleurs a terminé sa vie en délirant, accusant ses médecins juifs de comploter contre lui – les <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2006/04/20/staline-et-le-complot-des-blouses-blanches_763505_3260.html">« blouses blanches »</a> n’ont dû leur survie qu’à sa mort en mars 1953.</p>
<p>Et en 1968, le dirigeant polonais <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/W%C5%82adys%C5%82aw_Gomu%C5%82ka">Władysław Gomulka</a> avait obligé la plupart des derniers juifs de Pologne à <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1956/12/PIERRE/21988">partir</a> au fil d’une campagne antisémite.</p>
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<p>À des expressions spectaculaires s’est ajoutée, plus subtile, la minimisation de la spécificité juive du camp d’Auschwitz, patente sur place dans plusieurs pavillons de pays de l’empire soviétique lorsqu’on le visitait, jusque dans les années 80, comme si la destruction des personnes ne les avait pas visées comme juives.</p>
<p>Comme le rappelle Valérie Igounet, le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/histoire-du-negationnisme-en-france-valerie-igounet/9782020354929">négationnisme</a> n’a pas été le monopole de l’extrême droite.</p>
<h2>Le tournant de la fin des années 60</h2>
<p>L’antisémitisme de la gauche de la gauche en France, lourd de préjugés associant les Juifs à l’argent et au capital, ainsi qu’au pouvoir médiatique, n’a revêtu après-guerre une réelle importance qu’à partir de la fin des années 60.</p>
<p>Le phénomène est d’autant plus marqué avec la question <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2009-4-page-59.htm">israélo-palestinienne</a> qui prend alors un essor particulier.</p>
<p>C’est d’abord à <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/histoires-politiques/histoires-politiques-du-mardi-10-octobre-2023-2548613">l’extrême-gauche</a> que la tentation antisémite a cheminé, par identification au <a href="https://shs.hal.science/halshs-00370072/document/">mouvement palestinien</a>.</p>
<p>Mais l’attentat terroriste de Münich, en 1972, au cours duquel le commando « Septembre noir » a tué plusieurs athlètes israéliens participant aux Jeux Olympiques a douché les ardeurs gauchistes les plus haineuses.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tHGYSXxBfbU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les JO de Munich 1972 sont les premiers organisés en Allemagne depuis la seconde guerre mondiale. La RFA veut effacer le souvenir des JO de Berlin de 1936. Mais les 5 et 6 septembre huit terroristes du groupe armé pro-palestinien « Septembre noir » prennent en otage neuf athlètes de la délégation israélienne, deux autres sont tués en tentant d’empêcher l’assaut.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’événement a notamment généré au sein de la <a href="https://www.cairn.info/sartre-et-les-juifs--9782707146151-page-225.htm">gauche prolétarienne</a> une prise de conscience ayant certainement contribué au rejet du terrorisme par ce mouvement, puis à son auto-dissolution, même si Sartre avait déclaré un mois après l’attentat, dans <em>J’accuse. La Cause du Peuple</em>, (15 octobre 1972) :</p>
<blockquote>
<p>« Dans cette guerre, la seule arme dont disposent les Palestiniens est le terrorisme, c’est une arme terrible mais les opprimés pauvres n’en ont pas d’autres. »</p>
</blockquote>
<p>Sartre, comme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2018/04/04/en-1972-dans-la-revue-rouge-edwy-plenel-a-t-il-vraiment-declare-etre-solidaire-des-terroristes-des-j_1653472">certains militants à l’époque</a>, reviendra ensuite sur ce positionnement.</p>
<h2>Une nouvelle évolution dans les années 80</h2>
<p>Puis plusieurs évolutions ont déplacé la donne. L’immigration de travail récente, en provenance d’Afrique du Nord, avait muté pour devenir « immigration de peuplement », fortement impactée par le chômage et la précarité.</p>
<p>Cette dernière est en butte avec un racisme lui-même en cours de transformation, <a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1985_num_34_1_2039">différencialiste</a>, lui déniant toute capacité d’intégration. En même temps, au sein des populations qui en étaient issues, une double identification s’est ébauchée : nationale, avec la cause palestinienne, et religieuse, avec l’islam.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-racisme-et-lantisemitisme-salimentent-aujourdhui-193740">Comment le racisme et l’antisémitisme s’alimentent aujourd’hui</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>À gauche, l’antiracisme n’en est alors pas moins pleinement compatible avec la lutte contre l’antisémitisme, ce qu’incarne le Président François Mitterrand ; aussi bien la <a href="https://www.histoire-immigration.fr/collections/marche-pour-l-egalite-et-contre-le-racisme-strasbourg">Marche de 1983 contre le racisme</a> que la <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000805/la-naissance-de-sos-racisme.html">naissance de SOS-Racisme</a> l’installent du côté de valeurs universelles qui ne laissent aucune place à la haine des juifs.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/q4z8aUpG5Xs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">1985, la naissance de SOS Racisme (INA).</span></figcaption>
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<h2>Le traumatisme de Sabra et Chatila</h2>
<p>L’image d’Israël va se dégrader aux yeux de l’opinion française en général à partir de 1982 et plus précisément de l’invasion du Liban et du siège de Beyrouth par l’armée israélienne. Les massacres commis par les milices chrétiennes dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila ont <a href="https://www.cairn.info/une-histoire-du-liban--9782262066475-page-229.htm">révulsé le monde entier</a>.</p>
<p>L’opinion, y compris au sein de la gauche en Israël, y voit en effet, non sans raison, la main israélienne, une passivité délibérée, une autorisation d’agir qui a rendu possibles ces crimes. Le discrédit vis-à-vis de l’État hébreu fait son chemin à gauche, et pas seulement dans la gauche de la gauche.</p>
<p>Cependant, la sensibilité favorable aux Palestiniens n’a pas encore pris de forte coloration antisémite. <a href="https://www.letemps.ch/monde/europe/attentat-rue-copernic-1980-condamnation-perpetuite-laccuse">L’attentat du 3 octobre 1980</a> visant la synagogue de la rue Copernic n’est d’ailleurs pas associé à la cause palestinienne. La gauche dans son ensemble participe alors d’une opinion presque unanime pour y voir une action d’extrême droite – il faudra du temps avant que l’hypothèse d’un groupe terroriste venu du Proche-Orient puisse s’imposer. Plus tard, François Mitterrand, alors candidat à l’élection présidentielle, fera partie des manifestants en 1990 <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/02/18/01016-20190218ARTFIG00142-en-1990-francois-mitterrand-marchait-contre-l-antisemitisme.php">venus signifier leur refus de l’antisémitisme</a> après la <a href="https://www.lesechos.fr/2015/01/un-president-qui-manifeste-dans-la-rue-le-seul-precedent-de-mitterrand-en-1990-241470">profanation d’un cimetière juif</a>.</p>
<h2>Sionisme = Juifs, antisionisme = antisémitisme ?</h2>
<p>Le début des années 2000, le 11 septembre 2001 en particulier, marquent un tournant droitier lourd d’une forte hostilité à l’islam dans de nombreuses démocraties occidentales : gouvernement Bush, montée de l’extrême droite en Europe.</p>
<p>Dans la <a href="https://www.vie-publique.fr/dossier/37993-la-cohabitation-dans-la-vie-politique-francaise">France de la cohabitation</a>, celle de Chirac et Jospin, les socialistes sont plus lents que la droite à percevoir la montée d’un antisémitisme actif et virulent, souvent le fait de personnes issues de l’immigration récente, projection en hexagone des tensions proche-orientales. Aux marges de la gauche française et de ses partis, lors de manifestations pro-palestiniennes <a href="https://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-2064QG.htm">notamment en 2014</a>, des voix se font entendre non seulement visant Israël pour sa politique, mais s’en prenant jusqu’à son existence même. Les Juifs n’auraient pas droit à cet État, pourtant entériné à la naissance par la communauté internationale, y compris par l’Union soviétique.</p>
<p>Une équation élémentaire se confirme alors, héritière du soviétisme : sionisme = Juifs, et symétriquement, antisionisme =antisémitisme, oublieuse qu’il est possible d’être critique voire hostile à Israël sans être antisémite, <a href="https://www.librest.com/livres/la-derniere-histoire-juive--age-d-or-et-declin-de-l-humour-juif-michel-wieviorka_0-10266589_9782207179710.html">et qu’il existe des antisémites favorables à son existence</a>.</p>
<p>L’association de l’antisionisme et de l’antisémitisme fonctionne y compris à l’échelle internationale, comme lors de la conférence mondiale de <a href="https://www.un.org/fr/conferences/racism/durban2001">Durban</a> contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance, en 2001. Israël, pourtant seule démocratie au Proche-Orient, serait raciste, pratiquerait l’apartheid, ce qui justifierait un boycott.</p>
<h2>L’islamisme ressort puissant de l’antisémitisme</h2>
<p>La montée de l’islamisme a remis la haine des Juifs au cœur du débat. Le chercheur Marc Sageman en rend compte, en montrant qu’il constitue un <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.9783/9780812206791/html">ressort puissant</a> pour les auteurs d’attentats djihadistes au début des années 2000. Elle n’a guère de relais politique dans l’opinion et à gauche notamment, mais cela n’empêche pas une critique droitière de se développer, accusant la gauche d’aveuglement, de naïveté ou de complaisance.</p>
<p>Pour rendre compte d’orientations qui conjugueraient soutien à l’islamisme radical et appartenance à la gauche, certains ont trouvé utile de parler <a href="https://theconversation.com/islamo-gauchisme-sen-prendre-a-la-recherche-montre-limpossible-decolonisation-de-luniversite-149411">d’islamo-gauchisme</a>, une expression en fait doublement malheureuse. Elle confond en effet islam et islamisme (islamo n’est pas islamismo), et gauche et gauchisme, alors que ceux qui y recourent sont eux-mêmes vite dans la dénonciation de toute la gauche, et dans la hantise de l’islam en général.</p>
<p>La gauche de la gauche française, et l’écologie politique n’en sont pas moins parfois pénétrées par un antisémitisme qui ne distingue ni l’existence de l’État d’Israël d’avec la politique de son gouvernement, ni cet État d’avec les juifs de la diaspora.</p>
<h2>« Dérapages » et nouvel antisémitisme</h2>
<p>La guerre en Irak, le conflit au Proche-Orient, ont suscité à plusieurs reprises, outre des attaques et menaces sur des membres de la communauté juive en France, des <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20030402.OBS8954/les-derapages-divisent-les-verts.html">« dérapages »</a> parmi certaines formations politiques. C’était le cas notamment en 2003 lorsqu’Aurélie Filippetti, alors porte-parole des Verts, décide de prendre ses distances avec son parti à la suite de <a href="https://www.liberation.fr/evenement/2003/04/02/volee-de-voix-vertes_460391/">propos antisémites</a> lors de manifestations.</p>
<p>De là à leur imputer un antisémitisme flagrant et partagé par tous les sympathisants de ces formations, à l’instar aujourd’hui de La France insoumise (LFI), il y a un pas qu’il ne faut pas franchir. Cela ne vaut en effet que dans des cas limités, et en tous cas rarement explicites.</p>
<p>Le phénomène existe, pointe extrême de logiques qui, sans témoigner nécessairement d’une haine proprement antisémite, mais n’en étant pas toujours très éloignées, mettent aujourd’hui sur une même balance la barbarie et les crimes de guerre du Hamas, et la politique du gouvernement israélien, que d’ailleurs critique en Israël <a href="https://theconversation.com/israel-hamas-le-sujet-meme-de-la-paix-a-disparu-215287">même une opposition démocratique</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-democratie-pervertie-un-antisemitisme-sans-antisemites-91012">La démocratie pervertie : un antisémitisme sans antisémites</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Il ne doit pas faire oublier l’antisémitisme d’extrême droite, malgré les efforts de dirigeants du Rassemblement national <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/le-rassemblement-national-est-il-l-ami-des-juifs-3659257">pour s’en démarquer</a>, ni celui qui pénètre certains musulmans avec éventuellement des soutiens idéologiques confusionnistes, d’extrême-gauche comme <a href="https://www.marianne.net/societe/police-et-justice/extrait-de-lantisemitisme-a-lhomophobie-alain-soral-rattrape-par-la-justice-en-suisse">d’extrême-droite</a>.</p>
<p>Ce « nouvel antisémitisme », dont la dénomination appartient d’ailleurs plutôt au vocabulaire de la droite, est aussi diffus, poreux, flou, et, ainsi que le reflétait une enquête récente parmi les <a href="https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-etudiants-sur-lantisemitisme-2/">étudiants</a>, il taraude toute la société.</p>
<hr>
<p><em>Publication de l’auteur à paraître : <a href="https://www.librest.com/livres/la-derniere-histoire-juive--age-d-or-et-declin-de-l-humour-juif-michel-wieviorka_0-10266589_9782207179710.html">« La dernière histoire juive »</a> aux édition Denoël le 1<sup>er</sup> novembre 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215459/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment l’antijudaïsme puis l’antisémitisme ont aussi trouvé un espace de résonance historique au sein de la gauche française.Michel Wieviorka, Sociologue, membre Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS, EHSS-CNRS), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2133192023-09-26T19:09:15Z2023-09-26T19:09:15ZAvec les députés novices, le rôle déterminant des collaborateurs parlementaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550054/original/file-20230925-15-hyoef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C15%2C2048%2C1345&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue de l'hémicyle où siègent les députés du Parti socialiste, 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/partisocialiste/10437350944">Mathieu Delmestre/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les deux dernières élections législatives françaises eurent des dénouements inédits sous la V<sup>e</sup> République. Celle de 2017 fut marquée par la victoire d’un parti émergent et l’arrivée massive au Palais Bourbon de députés <a href="https://www.puf.com/content/Les_candidats">sans engagement préalable en politique</a>, tandis que la suivante vit la majorité parlementaire sortante être réduite à une majorité relative. De ce fait, l’attention s’est surtout portée sur <a href="https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/21/legislatives-2022-une-assemblee-jeune-avec-un-renouvellement-au-dessus-de-la-moyenne-de-la-ve-republique-porte-par-les-oppositions_6131383_6104324.html">l’ampleur des renouvellements législatifs</a> (72 % de nouveaux députés en 2017, 52 % en 2022), ainsi que sur les espoirs de transformation du fonctionnement du champ politique, tant ceux d’un « nouveau monde » macronien que ceux d’un fonctionnement proprement parlementaire du régime dans la situation de majorité relative.</p>
<p>Au point d’éclipser le rôle de ceux qui contribuent quotidiennement au travail politique et <a href="https://theconversation.com/turnover-des-assistants-parlementaires-a-lassemblee-nationale-comme-dans-une-entreprise-de-services-104913">parlementaire</a> : les collaborateurs parlementaires, salariés dont le travail consiste à épauler le député dans ses différentes activités, tant dans les coulisses du Palais Bourbon qu’en circonscription.</p>
<p>L’étude des entourages des primo-députés permet pourtant de contribuer aux réflexions sur le noviciat en politique, en complexifiant la compréhension de l’action de ces élus et de ses conditions de réussite, et de saisir comment la collaboration parlementaire fut transformée – ou non – par l’irruption de ces nouveaux entrants.</p>
<p>Le questionnement de cette enquête est donc le suivant : les députés novices s’entourent-ils différemment par rapport à leurs collègues plus expérimentés ? La réalisation de biographies collectives, réalisées à partir de LinkedIn, comparant le profil des collaborateurs des XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> législatures (2017-2022) et (2022-2027), et la conduite d’entretiens avec des députés élus pour la première fois en juin 2022 permettent d’apporter des éléments de réponses, présentés lors d’un <a href="https://ceraps.univ-lille.fr/detail-event/journee-detude-noviciat-en-politique">colloque sur le noviciat en politique</a>.</p>
<h2>Qui sont les collaborateurs des députés novices ?</h2>
<p>Malgré les forts taux de renouvellement lors des élections, les recrutements effectués par les députés en 2017 et 2022 sont conformes à <a href="https://hal.science/hal-01870895/document">certaines tendances de longs termes</a>. Leurs collaborateurs sont ainsi une population jeune (c’est souvent un premier emploi), diplômée – souvent en droit ou en science politique –, et largement féminisée (autour de 50 %). La taille des équipes est proche de ce qui fut mesuré par le passé, puisque les nouveaux députés avaient en moyenne environ 3,7 collaborateurs, pour un nombre total de collaborateurs approchant rapidement les 2000 individus.</p>
<p>Toutefois, les collaborateurs des députés Rassemblement national élus ou réélus en 2022 se distinguent des autres collaborateurs. En effet, ceux-ci cumulent plus que les autres un mandat électif, notamment de conseiller municipal ou régional, avec leur position de collaborateur : le panel de 95 collaborateurs RN possédait ainsi 54 mandats, contre seulement 24 mandats pour le panel de 142 collaborateurs Renaissance. Cela souligne l’étroitesse du vivier de candidats et de militants du parti, puisqu’un nombre restreint d’individus cumulent les mandats, les candidatures et les positions de collaborateurs.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Mandats possédés par les collaborateurs LREM, LFI et RN en octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le capital culturel possédé par les collaborateurs RN est par ailleurs moindre par rapport à leurs homologues des deux groupes principaux REN et La France Insoumise : environ 85 % des collaborateurs LFI et REN ont un diplôme de niveau au moins bac +5, contre seulement 60 % des collaborateurs RN. L’origine sociale plus populaire des collaborateurs RN montre ainsi que le parti joue un rôle de promotion sociale de ses militants par la collaboration.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Niveau de diplôme des collaborateurs LREM, LFI et RN en septembre 2022 (%). Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Ghemires, 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>Comment les députés novices choisissent-ils leurs collaborateurs ?</h2>
<p>Les entretiens réalisés avec des primo-députés montrent la centralité de certains critères de recrutement : l’obtention d’un diplôme juridique ou en science politique, une expérience dans le travail politique ou parlementaire, la <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2004-5-page-4.htm">possession d’une expérience militante</a> ou d’une implantation dans la circonscription sont ainsi particulièrement valorisés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uH_uHahHzSo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les collaborateurs parlementaires dans l’ombre des députés, LCI, 2021.</span></figcaption>
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<p>Ces propriétés sont souvent réunies chez les militants ayant pris part à la campagne législative, ce qui explique la fréquence de leur recrutement par les nouveaux députés. Cela permet à l’élu de récompenser les militants l’ayant aidé, tout en ayant pu s’assurer de leurs compétences et de leur loyauté pendant la campagne. La proximité qui en résulte souvent explique que les nouveaux élus tiennent à transposer à leur cabinet parlementaire le fonctionnement souvent consensuel et collectif de l’équipe de campagne, comme un élu insoumis qui décrit son équipe – non sans contradiction – comme une « [coopérative] avec un chef ».</p>
<h2>Un rapport différencié au militantisme politique</h2>
<p>Selon l’appartenance partisane des élus, on constate un rapport différencié au militantisme politique lors du recrutement des collaborateurs. Les élus de la majorité (Renaissance-MoDem-Horizons) affichent un rapport plus distancié au militantisme politique, alors que les élus d’opposition valorisent davantage l’expérience militante.</p>
<p>Ainsi, les quatre députés LFI interrogés ont recruté exclusivement des militants Insoumis, alors qu’une élue Horizon a recruté une sympathisante Nupes, qui avait cependant participé à sa campagne. Deux conceptions de la collaboration parlementaire s’opposent ici : une conception technocratique et apolitique, <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635.htm">largement diffusée à l’intérieur de la majorité</a>, et une conception militante et politique, valorisant davantage les savoirs partisans, plus présente chez les partis à l’identité militante plus forte, notamment à gauche.</p>
<p>Enfin, les primo-députés font des choix différents selon leur expérience en politique. Alors que les élus les plus novices font des choix improvisés et dans l’urgence lors de la constitution de leurs équipes, les élus les plus expérimentés anticipent davantage le recrutement de leur équipe, souvent avant même leur élection, et leurs choix sont plus stratégiques et adaptés aux objectifs poursuivis.</p>
<p>Les nouveaux élus les plus néophytes sont ainsi pénalisés au début de leur mandat par leur méconnaissance de la collaboration parlementaire, contrairement aux néo-députés plus chevronnés qui connaissent mieux le fonctionnement de la collaboration parlementaire.</p>
<h2>Le noviciat des collaborateurs</h2>
<p>Cependant, le noviciat à l’Assemblée ne concerne pas seulement les députés puisque, parce qu’elle est faiblement formalisée, la position de collaborateur s’apprend largement sur le tas. La découverte des spécificités de cette fonction, comme le rythme soutenu ou la dépendance envers l’élu, peut entraîner des désillusions. Celles-ci sont d’autant plus vives lorsque le collaborateur n’a pas eu d’engagement militant préalable lui ayant permis de se familiariser avec ces aspects du champ politique. C’est le cas de nombre de collaborateurs recrutés après un premier engagement politique lors de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017.</p>
<p>Un récit fréquemment entendu dans les couloirs de l’Assemblée raconte le départ massif et rapide de ces collaborateurs novices lors de la première année de la XV<sup>e</sup> législature. Même si les <a href="https://theconversation.com/turnover-des-assistants-parlementaires-a-lassemblee-nationale-comme-dans-une-entreprise-de-services-104913">études disponibles à ce sujet</a> relativisent ce phénomène, les données recueillies confirment en partie ce narratif. Les biographies collectives réalisées montrent que les collaborateurs LREM partis pendant la première année de la XV<sup>e</sup> législature étaient, par rapport aux collaborateurs restés, plus diplômés, davantage issus du secteur privé (36 % contre 13 %), et qu’ils ont effectué davantage de reconversions dans ce secteur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Expérience professionnelle des collaborateurs LREM partis ou restés en septembre 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Les raisons de ces départs sont nombreuses, mais la distance avec le monde politique semble avoir favorisé le départ rapide des collaborateurs. <a href="https://laviedesidees.fr/Etienne-Ollion-Les-candidats">L’échec des députés novices</a>, qui ne sont pas parvenus à jouer les premiers rôles lors de la précédente législature (2017-2022), peut donc également être imputé au recrutement de collaborateurs inexpérimentés, moins susceptibles de les seconder efficacement. L’organisation de leurs entourages apparaît ainsi plus que jamais déterminante pour la réussite des élus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213319/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annis Ghemires a été collaborateur parlementaire d'un député de novembre 2018 à septembre 2020. </span></em></p>L’étude des entourages des primo-députés permet de contribuer aux réflexions sur le noviciat en politique.Annis Ghemires, Doctorant en science politique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2139102023-09-20T16:13:19Z2023-09-20T16:13:19ZLes obstacles à « la reconquête du vote populaire rural » : discussion sur l’ouvrage de Cagé et Piketty<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/549342/original/file-20230920-27-1h1ztb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C4608%2C3055&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Thizy, Rhône, 2021. Des commerces vides le long de la rue principale, signe de la désertification rurale et industrielle de ce bourg qui était autrefois un petit centre de production textile dans la campagne.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/51203465224/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/une-histoire-du-conflit-politique-julia-cage/9782021454543"><em>Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022</em></a> de Julia Cagé et Thomas Piketty, « la reconquête du vote populaire rural » est identifiée comme la « priorité absolue pour le bloc social-écologique » (p.741).</p>
<p>À l’issue de cet ouvrage qui déploie une analyse prolifique des inégalités sociospatiales en regard des comportements électoraux, Cagé et Piketty émettent un ensemble de propositions pour attirer à gauche les classes populaires rurales. Les deux économistes se risquent ainsi à un certain volontarisme politique sur la base d’un travail scientifique à la fois original, rigoureux et discutable par endroits. Ils invitent notamment à renforcer les services publics dans les espaces ruraux où dominerait, selon l’expression consacrée et maintes fois utilisée dans le livre, un fort « sentiment d’abandon » chez les classes populaires. Une autre de leurs idées est de faciliter, à l’instar du RN, l’accès à la propriété pour ces ménages sensibles aux inégalités de patrimoine et très attachés au fait de posséder leur chez-soi.</p>
<p>Mais par-delà l’adéquation a priori des mesures proposées, l’hypothèse de la « reconquête » des classes populaires rurales par la gauche n’a rien d’évident dans certains villages et bourgs où les idées d’extrême droite sont devenues hégémoniques face à l’absence d’opposition.</p>
<p>Il y a la difficulté pour un ouvrier ou une employée à se déclarer publiquement de gauche, tandis que se dire « de droite » ou « pour Le Pen », c’est déjà s’assurer un minimum de respectabilité en se désolidarisant des plus précaires taxés <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">« d’assistés »</a> par ces <a href="https://www.puf.com/content/Simples_militants">discours politiques dominants</a>.</p>
<p><em>Une histoire du conflit politique</em> peut intégrer par endroits ces éléments, mais l’équation générale laisse peu de place aux rapports sociaux concrets qui déterminent l’espace des possibles politiques.</p>
<p>Dans ce livre de 850 pages, les enquêtes de terrain qui permettent de mettre au jour de tels processus sont surtout mobilisées comme des recueils d’entretiens qui viennent illustrer la démonstration des chiffres. Alors certes, la notion de « classe géo-sociale » établie à partir d’un assemblage inédit d’indicateurs quantitatifs ouvre des perspectives de compréhension, <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2014-4-page-423.htm">dans le sillage des travaux</a> sur les <a href="https://www.ehess.fr/fr/ouvrage/mondes-ruraux-et-classes-sociales">dimensions locales de l’espace social</a>. Mais on peut s’interroger sur la capacité des catégories statistiques à saisir, à elles seules, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html">« les effets de lieu »</a> qui tiennent à la spécificité locale des rapports de classes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-ressentiment-nourrit-le-vote-rn-dans-les-zones-rurales-213110">Comment le ressentiment nourrit le vote RN dans les zones rurales</a>
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<h2>Des configurations défavorables à la gauche</h2>
<p>Cagé et Piketty font malgré tout plusieurs incursions vers une prise en compte de ces configurations, comme lorsqu’ils mentionnent que « le vote pour le FN-RN est devenu au fil du temps plus étroitement associé aux communes comptant la plus forte proportion d’ouvriers (principalement dans les bourgs et les villages). » Et ensuite que : « Ce vote a également toujours été une fonction croissante de la proportion d’indépendants. » (p.733)</p>
<p>Seulement, lorsque les deux économistes s’étonnent positivement de corrélations entre la structure de la population et les comportements politiques, ils ne vont jamais jusqu’à les appréhender frontalement, c’est-à-dire de manière relationnelle, en envisageant la construction réciproque des classes sociales par les rapports qu’elles entretiennent entre elles. À défaut, comment comprendre que dans certaines configurations du tissu économique local, les <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2020-2-page-4.htm?ref=">affinités sociales</a> et politiques des classes populaires jouent contre la politisation à gauche.</p>
<p>Il est fréquent qu’un ouvrier rural soit ami avec un artisan (ou un autre indépendant) et influencé politiquement (à droite) par lui. À l’inverse, les groupes sociaux qui portent typiquement le vote à gauche sont soit absents de ces villages et bourgs populaires, du fait notamment du départ des jeunes diplômés ne trouvant pas de débouchés sur le <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2021-2-page-135.htm">marché de l’emploi local</a>, soit dans un entre-soi ignoré des classes populaires locales.</p>
<p>Cette configuration a des implications sur les modèles de réussite considérés localement comme légitimes, sur la façon dont les gens se définissent et s’identifient à <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2016-2-page-21.htm;">« un nous »</a>, et donc sur les comportements électoraux.</p>
<p>Par conséquent, si l’approche de Cagé et Piketty permet mieux que jamais de répondre à la première partie de la question présente en 1<sup>ere</sup> ligne de leur livre, « Qui vote pour qui ? », le débat reste ouvert sur la seconde partie, « et pourquoi ? »</p>
<h2>Des affinités transclasses</h2>
<p>Les membres des classes populaires rurales ont tendance à dénigrer d’autres classes populaires associées dans leurs représentations à la ville, à l’immigration et à l’assistanat.</p>
<p>Tandis qu’ils cherchent à minimiser le sentiment anti-immigré des classes populaires rurales ailleurs dans l’ouvrage, Cagé et Piketty donnent une profondeur historique à ce rejet, en montrant qu’à chaque époque une somme de stéréotypes étaient mobilisés par les ruraux à l’encontre de leurs homologues des villes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Zone industrielle et commerciale, Chavelot-Golbey, Vosges, 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jfgornet/16945119899/">Jean-François Gornet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Or cette sorte de « fausse conscience rurale » tient aussi au fait que dans certaines campagnes, ouvrier·e·s et employé·e·s aspirent largement au style de vie incarné dans leur monde proche par des artisans, des petits patrons, des propriétaires comme eux. Certes ces derniers sont davantage dotés en capital économique, mais ils les côtoient au quotidien, faisant parfois partie de leurs amis proches, de leurs familles, etc.</p>
<p>Ces affinités transclasses se comprennent logiquement si l’on a en tête le schéma de l’espace social proposé par <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html">Pierre Bourdieu</a>. Les ouvriers et ouvrières de petites PME, propriétaires de leur logement et évoluant dans des sociabilités relativement homogènes ont des aspirations caractéristiques <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2018-2-page-9.htm">du bas à droite » de l’espace social</a>, dans lequel se situent des individus au niveau de revenus et patrimoine différents, mais qui se rejoignent sur les valeurs, les goûts, la distance vis-à-vis du monde scolaire et du pôle culturel largement associé aux grandes villes.</p>
<p>Cette petite bourgeoisie économique qui influence les classes populaires rurales est fièrement de droite et d’extrême droite, se faisant le relais informel de partis politiques pourtant assez <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2020-2-page-70.htm?ref=doi">absents des sociabilités locales</a>.</p>
<h2>Réputation et conformisme politique</h2>
<p>Cette forme de bourgeoisie impose l’idée d’une méritocratie par le travail qui justifie à la fois le respect d’une hiérarchie sociale par le capital économique et la stigmatisation des plus précaires. Plus encore, ces groupes dominent les classes populaires au quotidien en distribuant les « bons points » des réputations des un·e·s et des autres sur le marché du travail et de là, dans toutes les scènes de la vie sociale, puisqu’en milieu rural, « tout se sait » et tout est lié.</p>
<p>Ces logiques réputationnelles sont omniprésentes dans mes enquêtes de terrain et forment la clé de voûte d’une analyse liant les conditions sociales et spatiales aux positionnements politiques.</p>
<p>C’est par exemple toute l’histoire d’Eric, cet ouvrier trentenaire qui a claqué la porte d’une petite PME. Son patron, qui était également un « pote », membre de son équipe de foot et partenaire occasionnel de chasse, l’a ensuite discrédité auprès des autres employeurs et plus largement de tout son entourage en le présentant comme un mauvais travailleur, surtout trop revendicatif. Plus tard, au cours d’une discussion avec plusieurs entrepreneurs locaux lors de laquelle des critiques lui sont adressées, Éric affirmera : « Moi, je suis bien de droite ».</p>
<p>La « sale réputation » dont il a souffert ne l’a pas mené à se politiser contre le patronat, mais bien à se revendiquer du « bon côté » de la frontière sociale avec « les bosseurs », contre lesdits « assistés », « cas sociaux » ou encore les « Mélenchons », comme on dit dans son entourage familial et amical pour désigner les personnes qui remettent en cause les inégalités.</p>
<h2>Des obstacles démographiques</h2>
<p>C’est pourquoi, pour jouer les pessimistes face à la démarche de Cagé et Piketty, on pourrait considérer que la « reconquête » des classes populaires rurales devrait avant tout passer par un bouleversement des dynamiques démographiques.</p>
<p>Ce dernier verrait les classes sociales plus marquées à gauche « s’établir » dans les campagnes industrielles et les bourgs en déclin. Une telle dynamique ne saurait cependant reposer sur le simple désir de verdure des citadins ou sur la volonté politique de quelques militants.</p>
<p>On pourrait à minima penser à la relocalisation d’emplois qualifiés dans les campagnes populaires qui permettrait aussi d’enrayer le départ des jeunes diplômés ruraux, notamment des <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100751100">jeunes femmes</a> issues des <a href="https://ladispute.fr/catalogue/des-femmes-qui-tiennent-la-campagne/">classes populaires locales</a> dont les <a href="https://www.cairn.info/revue-formation-emploi-2022-3-page-97.htm">qualifications scolaires</a> ne sont pas adaptées au marché de l’emploi local.</p>
<p>De ce point de vue, la proposition de renforcement des services publics que l’on retrouve chez Cagé et Piketty pourrait se coordonner avec une politique de recrutement des diplômé·e·s issu·e·s de ces territoires.</p>
<p>Mais à l’heure actuelle, la tendance générale reste la suivante : les campagnes qui attirent les potentiels électeurs de gauche ne sont pas celles où l’on retrouve les plus fortes proportions de classes populaires. Comme les autres groupes sociaux, les représentants du pôle culturel de l’espace social ont une attirance pour les lieux, urbains et ruraux, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/rester_bourgeois-9782707175656">où se concentrent déjà des personnes qui leur ressemblent</a>.</p>
<p>Plus les différences d’opportunités d’emplois locaux, de styles de vie, de comportements politiques se polarisent géographiquement (et donc socialement), moins les espaces ruraux marqués par une domination du vote RN ont de probabilité d’attirer des individus et des groupes sociaux marqués à gauche.</p>
<p>La droitisation se construit en partie ainsi et les réponses à y apporter diviseront probablement la gauche, à l’image de la ligne envisagée par François Ruffin, qui s’adresse à la fois aux classes populaires et à leurs proches artisans, auto-entrepreneurs, petits-patrons qui font office dans les sociabilités de <a href="http://cup.columbia.edu/book/the-peoples-choice/9780231197953">leader d’opinion</a>.</p>
<h2>Un « nous » à reconstruire</h2>
<p>Cagé et Piketty, tout au long de leur livre, font du « sentiment d’abandon » une clé d’explication du vote RN. Sans écarter ce cas de figure, mes enquêtes m’ont surtout amené à observer une attitude différente à partir du moment où les classes populaires rurales ne se voient pas imposer ce registre de réponse. Loin de se vivre en permanence comme <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2016-3-page-39.htm">« abandonnés » par Paris</a>, ces hommes et femmes ont accès à une reconnaissance locale et rejettent fortement le mode de vie urbain.</p>
<p>Alors qu’ils seraient plus anonymes en ville, les ouvrier·e·s et employé·e·s des villages sont pris dans des rapports de réciprocité intenses, où ce qui se passe ailleurs importe finalement moins. Les réduire, par une bienveillance située socialement, à cette image d’abandonnés ne ferait probablement que susciter chez eux le sentiment d’être incompris.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">gilets jaunes au rond-point de l’autoroute, sortie Meximieux-Pérouges (A42). 26 septembre 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Gilets_jaunes_au_rond-point_de_l%27autoroute,_sortie_Meximieux-P%C3%A9rouges_%28A42%29.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>C’est justement tout le succès du RN que d’avoir imposé ce registre de l’abandon dans le champ politique, tout en proposant à leur électorat un tableau cynique du lien social. Le RN vend aux classes populaires rurales une réification passéiste d’une prétendue tradition dans laquelle leur style de vie serait la norme universelle. Et plus encore, il promet une re-hiérarchisation des groupes sociaux de telle sorte que ces petits propriétaires s’assurent d’être toujours mieux traités que d’autres en dessous d’eux, ces autres issus de l’immigration avec qui la concurrence est présentée, de facto, comme inévitable.</p>
<p>Les ouvriers et employées des zones rurales désindustrialisées, qui font l’expérience de la concurrence pour l’emploi et s’accommodent assez largement des discours anti-immigrés, reconnaissent ainsi au RN d’être le porteur d’une vision intrinsèquement conflictuelle et donc honnête du monde social.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/zones-commerciales-peripheriques-de-leldorado-economique-au-peril-territorial-212478">Zones commerciales périphériques : de l’eldorado économique au péril territorial</a>
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<h2>Les classes populaires n’ont pas le luxe de l’individualisme</h2>
<p>Là où la gauche pourrait prendre appui, c’est sur le fait que cette conflictualité vécue va de pair avec un besoin de solidarité. Les classes populaires n’ont pas le luxe de l’individualisme. Parce ce que rien n’est complètement acquis pour éviter de « tomber plus bas », il faut compter sur la reconnaissance et le soutien des autres. Ce que dit le RN, c’est que cette solidarité ne saurait exister autrement qu’au prix de l’exclusion d’une partie du reste du monde, sur des critères non pas sociaux mais ethnoraciaux.</p>
<p>Ce positionnement a trouvé un écho facile chez les classes populaires rurales qui ont tendance à se revendiquer d’un « nous » sélectif, conflictuel, sous forme d’un « déjà nous » ou « nous d’abord » qui résonne avec les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2018-2-page-57.htm">préférences</a> proposées par l’extrême droite.</p>
<p>C’est par cette solidarité à petit rayon que l’on pense s’en sortir dans un contexte où il n’y a pas suffisamment de travail et de ressources pour que tout le monde s’assure une respectabilité. En l’état actuel des rapports de force sociaux et politiques, il est difficilement envisageable de voir ce « déjà nous » être transformé, par le simple fait d’un nouveau discours de gauche, en un <a href="https://www.penguin.co.uk/books/175505/the-uses-of-literacy-by-hoggart-richard/9780141191584">« nous les classes populaires »</a>.</p>
<p>Néanmoins, par optimisme, on peut se rappeler que malgré l’imprégnation des idées d’extrême droite, ce n’est pas contre les immigrés que les classes populaires rurales ont enfilé un gilet jaune. Il s’agissait bien de la nécessaire question de répartition des richesses face aux difficultés économiques vécues. Malgré son côté perfectible, c’est là tout l’intérêt du livre de Cagé et Piketty, que de vouloir recentrer le débat politique autour de ces questions, en apportant de l’empirique et du factuel à disposition de celles et ceux qui voudraient savoir de quoi il en retourne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213910/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benoit Coquard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La proposition dans ‘Une histoire du conflit politique’ de Cagé et Piketty de reconquérir les classes populaires rurales votant à droite et RN omet la complexité des liens sociaux sur ces territoires.Benoit Coquard, Sociologue, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094302023-08-31T17:58:02Z2023-08-31T17:58:02ZComment les groupuscules d’extrême droite se recomposent après Génération identitaire<p>La présence de groupuscules violents affiliés à l’extrême droite dans les rues de Lyon durant les émeutes de juin 2023, ou plus tôt, lors de rassemblements organisés (tel le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/quatre-questions-sur-le-comite-du-9-mai-autroise-a-manifester-dans-les-rues-de-paris-ce-week-end%205813786.htlm">comité du 9 mai</a>) tout comme la résurgence d’une <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/la-menace-terroriste-issue-de-lultradroite-en-france-et-en-europe/">menace terroriste d’ultra droite</a>, souligne une forme de recomposition de ces mouvements, pourtant mis à mal ces dernières années par une série de dissolutions.</p>
<p>En 2019, l’association le Bastion social avait en effet été dissoute suivi de Génération identitaire (GI) et l’Alvarium en 2021, puis des Zouaves en 2022. Quels effets sur les fragmentations et sur les restructurations locales des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/ultradroite-la-menace-est-elle-reelle-9374531">différents groupuscules et de leurs militants</a> ?</p>
<p>En prenant le cas de Génération identitaire, on s’intéressera à la manière dont se déroule une dissolution en interne et aux efforts déployés par l’organisation pour rester active.</p>
<h2>2012-2021 : les années GI</h2>
<p>GI est une association créée en 2012 par plusieurs cadres du réseau <a href="https://reflexes.samizdat.net/une-autre-jeunesse/">Une Autre Jeunesse</a>. Elle est constituée d’un bureau national qui dicte la direction politique du mouvement et d’un réseau d’organisations à travers la France (GI Paris, GI Lyon, GI Toulouse, GI Rouen, etc.). En 2017, l’organisation revendique <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2022-2-page-153.htm">3 500 adhérents (dont 300 militants actifs)</a> et on recensait environ une trentaine de sections actives contre moins d’une dizaine en mars 2021. Les sections locales de GI vont d’une part, <a href="https://www.lemonde.fr/immigration-etdiversite/article/2018/04/22/migrants-dans-les-alpes-francaises-renforts-importants-pour-controler-les-frontieres_5289094_1654200.html">participer aux campagnes nationales</a> et, d’autre part, former leurs militants et mettre en place des actions politiques <a href="https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/intrusion-a-la-caf-de-bobigny-en-2019-condamnation-confirmee-pour-les-19-militants-de-generation-identitaire-29-09-2022-FHQ4FKWWCNFB7EN3BJWEYZPGYE.php">au niveau régional</a>.</p>
<p>Le 3 mars 2021, le Conseil d’État confirme la dissolution de l’association Génération Identitaire. Le décret de dissolution avance deux raisons principales, l’une idéologique :</p>
<blockquote>
<p>« [l’idéologie de GI incite à la] haine, à la violence ou à la discrimination des individus à raison de leur origine, de leur race ou de leur religion. »</p>
</blockquote>
<p>L’autre est d’ordre organisationnel :</p>
<blockquote>
<p>« Génération identitaire » emploie […] dans son organisation, une symbolique et une rhétorique martiales, l’identifiant implicitement ou explicitement à une formation paramilitaire [et] démontrent la volonté d’agir en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043210363">tant que milice privée</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Concrètement, la dissolution interdit l’utilisation du nom « Génération identitaire ». Elle impose également une modification de l’identité des dirigeants, des méthodes et des objets de l’organisation. Il est donc impossible de recréer un « GI bis », avec les mêmes membres au bureau national et les mêmes actions d’agitation-propagande (banderole et fumigène) contre « l’islamisation de la France » et « l’immigration de masse ». À la suite du décret de dissolution et en attendant de reformer des organisations locales en accord avec la loi, le mouvement suspend toutes les actions militantes.</p>
<h2>Cohésion, sport, formation</h2>
<p>De façon générale, et pour permettre à l’ensemble des sections de maintenir une activité entre la dissolution (mars 2021) et la création officielle des nouvelles organisations locales (début 2022), le bureau national impose la mise en place d’un triptyque : cohésion, sport, formation. Ce triptyque existait déjà avant la dissolution. Cependant, là où sous GI, il était considéré comme un prérequis aux mobilisations collectives, il devient à partir de la dissolution l’activité principale des différentes sections.</p>
<p>D’abord, les actions de « cohésion » ont pour but de fédérer la communauté militante. Au niveau national, cela consiste à se rendre à la journée de la « fierté » parisienne ou lyonnaise. Au niveau local, cela peut consister en des week-ends de « cohésion ». L’objectif affirmé est de maintenir des expériences communes et par là des sociabilités militantes. Bien que le bureau national sépare les actions de cohésion des actions sportives dans son triptyque, ces dernières se retrouvent au cœur de la cohésion.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/P3tkdJcpD5w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Documentaire sur la jeunesse nationaliste et identitaire, France 3 ile de France, 2022.</span></figcaption>
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<p>Les week-ends organisés dans les sections locales sont l’occasion de pratiquer la randonnée ou de mettre en place des entraînements physiques (courses à pied, renforcement musculaire, courses d’obstacles, formation anti-agression, etc.). Au niveau national, on trouve les tournois de foot et de boxe organisés entre les fédérations chaque année.</p>
<p>Enfin, la formation passe par des activités ciblées localement : conférence, cercle de lecture, rédaction de communiqué, comportement à adopter en garde à vue, etc. Au niveau national, l’université d’été, qui a lieu au mois d’août, permet d’homogénéiser les connaissances de plus d’une centaine de participants. L’objectif de ce triptyque est de maintenir un style de vie basé sur la communauté, la fierté de sa culture et le dépassement de soi.</p>
<h2>La création de nouveaux groupes</h2>
<p>À la fin de l’année 2021, un ensemble de nouvelles organisations locales, qui s’appuient sur les anciennes sections de GI, commencent à voir le jour : « les Natifs » à Paris, « les Normaux » à Rouen, « les Remparts » à Lyon, « Furie française » à Toulouse, etc. Les groupes locaux les mieux implantés vont reprendre le système d’Une Autre Jeunesse (ancêtre de GI), c’est-à-dire un réseau composé de sections régionales qui possèdent leurs propres identités. Il existe toujours un bureau national, mais il prend des décisions officieusement et il n’y a plus de campagne nationale officielle comme cela a pu exister avec l’opération « Defend Europe » au sein de GI, qui consistait à s’opposer aux passages de migrants dans les <a href="https://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/04/22/migrants-dans-les-alpes-francaises-renforts-importants-pour-controler-les-frontieres_5289094_1654200.html">Alpes françaises</a> ou par la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Defend-Europe-loperation-anti-migrant-identitaires-Mediterranee-2017-08-02-1200867223">Méditerranée</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AN42o72wRoQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trois responsables de Génération identitaire ont été condamnés ce jeudi à des peines de prison ferme et à une forte amende pour une mission commando qu’ils avaient réalisée au printemps 2018 au col de l’Échelle dans les Hautes Alpes (Euronews, 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Sous l’effet de la dissolution, les nouveaux groupes se réorientent vers d’autres thèmes et essaient notamment de mener des <a href="https://www.liberation.fr/checknews/slogans-et-banderoles-que-sest-il-passe-lors-de-lintervention-a-rouen-de-la-militante-alice-coffin-20210617_MAVVMQNZMNCFRFHXGNVXCJX5B4/">actions « anti-woke »</a> et contre la « dictature sanitaire ».</p>
<p>Cependant, l’objectif premier est de continuer à porter le thème de la défense de l’identité européenne, c’est ce qui amènera la création d’une nouvelle association nationale en octobre 2022 <a href="https://argosfrance.org/">dénommée « Argos »</a>, en référence aux argonautes de la mythologie grecque. Il s’agit d’un mouvement communautaire qui vise à rassembler tous les Français de « souche européenne » et qui prône « le dépassement de soi, la communauté et l’aventure ».</p>
<p>Les activités communautaires nationales sont transférées à l’association « Argos » : Université d’été, tournoi de boxe, journée de la fierté, etc. Les activités militantes restent sous le contrôle des sections régionales, qui gardent leurs identités (« les Remparts » à Lyon, « les Normaux » à Rouen, etc.) et ne se confondent pas avec « Argos », contrairement à ce qui fut le cas au moment de la création de GI.</p>
<h2>Des espaces de socialisation</h2>
<p>Les locaux associatifs utilisés par les groupes régionaux de GI n’ont pas été dissous par le décret de mars 2021. Les Identitaires louent des locaux mais par l’intermédiaire d’<a href="https://www.rue89lyon.fr/2021/03/04/dissolution-locaux-identitaires-toujours-ouverts-lyon/">associations indépendantes de GI</a>. Ces lieux peuvent avoir plusieurs fonctions : permanence politique, conférence, formation militante, bar, salle de boxe, etc. Ce sont des espaces de socialisation importants, que ce soit pour les sympathisants et les militants Identitaires, mais aussi pour les sympathisants et les militants des autres organisations d’extrême droite qui peuvent se rendre dans ces « maisons de l’identité » (nom donné par les militants Identitaire à ces lieux). La référence en la matière étant bien évidemment « La Traboule », « la Maison de l’identité » lyonnaise. Au moment de la dissolution, seuls Lyon et Rouen occupaient un local.</p>
<p>Occuper ce type de lieu est un avantage politique indéniable pour s’implanter localement face aux organisations concurrentes d’extrême droite. C’est d’ailleurs ce qui explique que depuis une dizaine d’années, les sections de GI les plus importantes ont toutes essayé d’ouvrir leur local associatif.</p>
<h2>Un nouveau concurrent ?</h2>
<p>La réorganisation de l’espace politique d’extrême droite à partir d’avril 2021, avec notamment, la candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle et la création de son parti politique « Reconquête », ainsi que l’émergence de Génération Z (GZ), son organisation de jeunesse, va avoir des effets importants sur les sections locales de GI post-dissolution.</p>
<p>GZ est créée en février 2021 et va apparaître comme un concurrent direct de Génération identitaire, mais aussi des autres organisations politiques d’extrême droite (Action française, Rassemblement national de la jeunesse, etc.). GZ revendique <a href="https://www.lepoint.fr/politique/dans-les-coulisses-de-gz-les-jeunes-partisans-d-eric-zemmour-17-12-2021-2457340_20.php#11">6 500 membres</a> et réussi à s’implanter dans les régions où GI est déjà présent (Lyon, Paris, Rouen, Toulouse, Montpellier, etc.).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9Jy3kdo6pO4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trois responsables de Génération identitaire ont été condamnés ce jeudi à des peines de prison ferme et à une forte amende pour une mission commando qu’ils avaient réalisée au printemps 2018 au col de l’Échelle dans les Hautes Alpes, Euronews, 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’éclosion de GZ modifie les rapports de force au sein de cet espace politique. Ainsi, Génération Z constitue un concurrent de poids, mais apparaît également comme un réservoir militant incontournable et attire les convoitises des autres groupes de jeunesses d’extrême droite. Ceci permet par exemple d’expliquer les stratégies d’entrisme mise en place par Furie française (ex-GI Toulouse) en direction de GZ Occitanie. L’objectif étant d’y recruter les meilleurs profils.</p>
<p>En définitive, la dissolution de la marque « Génération identitaire » a clairement limité ses capacités d’actions et son rôle de lanceur d’alerte. Cependant, ce mouvement a pu s’appuyer sur ses structures communautaires locales pour maintenir une activité et relancer de nouveaux projets. Toujours est-il que pour le moment, le potentiel de mobilisation et l’écho médiatique des Identitaires se limite au niveau <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/qui-est-le-groupuscule-furie-francaise-a-toulouse-8328681">régional</a> et reste donc largement en deçà de ce qu’a pu proposer GI. Néanmoins, cela n’empêche pas les militants appartenant aux nouvelles sections locales Identitaires, de venir gonfler les rangs de l’ultra droite lors des <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/a-lyon-quatre-blesses-dans-des-affrontements-entre-manifestants-et-militants-dextreme-droite-20230622_WWVV6HLAIZCUDIBSO4SAHI5Q3A/">récentes manifestations</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209430/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Mitrevitch s'intéresse au maintien de l'engagement militant à l'extrême droite. Entre 2016 et 2022, il a réalisé une enquête éthnographique à découvert, avec plusieurs fédérations de Génération Identitaire à travers la France.</span></em></p>Les groupuscules d’extrême droite déploient plusieurs stratégies afin de se maintenir en activité, malgré les risques de dissolution, comme le montre l’exemple de Génération identitaire.Nicolas Mitrévitch, Doctorant en sociologie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2106062023-07-31T16:19:48Z2023-07-31T16:19:48ZLa crise du Journal du dimanche et ce qu’elle dit de l’avenir de la presse française<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540176/original/file-20230731-160144-7q9ssu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2048%2C1355&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'équipe du Journal du dimanche s'oppose à l'arrivée comme directeur de la rédaction de Geoffroy Lejeune, connu pour porter une idéologie d'extrême-droite.</span> <span class="attribution"><span class="source">JDD</span></span></figcaption></figure><p>Après plus de cinq semaines de mobilisation contre Arnaud Lagardère (et à travers lui contre Vincent Bolloré), la rédaction du <em>Journal du dimanche</em> (<em>JDD</em>) continue avec acharnement <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/comment-geoffroy-lejeune-pourrait-il-faire-un-journal-du-dimanche-sans-journalistes-20230728_L6E2YIR35NBS3FCRSLGAOBGAZQ/">à défendre son indépendance</a>. L’équipe s’oppose en effet de manière presque unanime au recrutement comme directeur de la rédaction de Geoffroy Lejeune, connu pour porter une idéologie d’extrême droite. Mais cela n’empêche pas le groupe Lagardère de se montrer inflexible et d’ignorer toutes les demandes de la rédaction : l’arrivée de l’ancien journaliste de <em>Valeurs actuelles</em> a été confirmée et fixée au 1ʳᵉ août dans un <a href="https://www.lagardere.com/communique-presse/la-direction-de-lagardere-news-prend-acte-avec-regrets-de-labsence-daccord-avec-la-societe-des-journalistes-du-journal-du-dimanche-sdj-et-les-organisations-syndicales/">communiqué publié le 24 juillet</a>. Quelle que soit l’issue de cette grève, on aurait tort de penser qu’il s’agit d’un conflit isolé et sans implication pour le reste des médias : dans ce combat si dissymétrique se joue sans doute une partie de l’avenir de la presse française.</p>
<p>Cette mobilisation est en effet exceptionnelle non seulement par sa longévité mais parce qu’elle vise à défendre l’indépendance du journalisme et finalement son existence même. Certes, il y a bien sûr eu d’autres mouvements sociaux importants et durables dans l’histoire récente des médias français. On peut rappeler par exemple la longue grève qui a touché <em>Le Parisien libéré</em> en 1975 et qui s’est prolongée <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/28-mois-de-greve-quand-les-salaries-du-parisien-libere-tentaient-de-survivre-dans-le-conflit-4676893">pendant 28 mois</a>. Mais cette crise était très différente de celle que connaît aujourd’hui le <em>JDD</em> puisqu’elle opposait le propriétaire du quotidien au Syndicat du Livre sur des questions touchant à la modernisation de la fabrication du journal.</p>
<h2>Le souvenir de la grève de l’ORTF en 1968</h2>
<p>Si la presse écrite a connu d’autres conflits liés à la volonté de défendre l’autonomie d’une rédaction, <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2023/06/01/les-journalistes-du-quotidien-les-echos-en-greve-pour-obtenir-un-renforcement-des-garanties-d-independance_6175786_3236.html">à l’image des <em>Échos</em> encore récemment</a>, ils n’ont jamais atteint une telle durée dans l’histoire récente. L’exemple le plus proche de la mobilisation de la rédaction du <em>JDD</em> est peut-être la longue grève des techniciens et des journalistes de l’ORTF en 1968.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KS1GrMSHl30?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Récit de Mai 1968, et de la grève à l’ORTF, télévision et Radio France, Marcel Trillat, qui était journaliste de télévision à « 5 colonnes à la une » jusqu’en 1968, raconte le mai 68 de ceux de la télévision, le mai 68 à l’ORTF. Interviewé par Jeanne Menjoulet (Centre d’Histoire sociale des mondes contemporains, CHS).</span></figcaption>
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<p>Ce mouvement social, qui a duré presque deux mois, avait déjà pour but de défendre la liberté de l’information. La différence était bien sûr que les journalistes se battaient contre la mainmise de l’État et non contre les choix d’un industriel devenu propriétaire d’un média.</p>
<p>Le conflit en cours au <em>JDD</em> a aussi pour caractéristique de s’inscrire dans le prolongement de deux autres grèves qui ont déjà mis en évidence la brutalité des méthodes de Vincent Bolloré. Après Itélé en 2016 et Europe 1 en 2021, c’est en effet la <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Greve-JDD-Canal-iTele-Europe-1-precedents-mouvements-contre-choix-Bollore-2023-06-26-1201273084">troisième rédaction qui se révolte contre cet industriel</a>.</p>
<p>La répétition de ces crises témoigne de la singularité du modèle Bolloré. Cet empire a d’abord pour particularité son extension très importante et le choix de Vivendi de se recentrer sur des activités en lien avec les médias, la publicité ou l’édition. Il est unique également, au moins à l’échelle française, par la radicalité de l’idéologie promue par Vincent Bolloré et par le rapport de force très agressif qu’il institue de manière systématique avec les rédactions.</p>
<h2>Une bataille déjà perdue ?</h2>
<p>Il est par ailleurs probable, comme en témoignent justement les exemples d’Itélé et d’Europe 1, que la bataille des journalistes du <em>JDD</em> se soldera par une défaite. Les deux grèves précédentes ont en effet connu la même conclusion : les normes éthiques censées encadrer le travail journalistique ont été foulées au pied, et les protections dont bénéficient en principe les rédactions ont été contournées, ou perverties. Les journalistes ont été sommés de se soumettre (et donc d’accepter cette réorientation idéologique) ou de se démettre (et donc de quitter le journal en échange d’une indemnité financière).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cfocwJAJwuk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Itélé est entré dans sa troisième semaine de grève contre Bolloré et l’arrivée de Jean-Marc Morandini (AFP).</span></figcaption>
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<p>L’attitude inflexible d’Arnaud Lagardère laisse penser qu’il en ira de même pour le <em>JDD</em>. Alors même que la grève a été chaque jour reconduite à plus de 95 % pendant plus d’un mois, la SDJ n’a même pas obtenu l’ajout dans la charte de déontologie d’un paragraphe demandant l’interdiction dans le journal de « propos racistes, sexistes et homophobes ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1684209146625753089"}"></div></p>
<p>À travers le choix de Geoffroy Lejeune, c’est donc bien une profonde réorientation de la ligne éditoriale qui va être imposée à l’ensemble des journalistes qui accepteront de rester.</p>
<h2>Des soutiens contrastés</h2>
<p>Depuis le début de cette crise, les réactions ont été assez unanimes dans le monde journalistique, en dehors bien sûr des médias détenus par Vincent Bolloré, car la profession voit bien qu’elle est tout entière concernée.</p>
<p>Le soutien du monde politique a cependant été beaucoup plus <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/29/soutien-au-jdd-la-droite-defend-geoffroy-lejeune-jean-luc-melenchon-detonne-a-gauche_6179719_823448.html">contrasté</a>. S’il est majoritaire à gauche, il n’est pas pour autant unanime : Jean-Luc Mélenchon a jugé par exemple, dans une note de blog publiée le 15 juillet 2023, que le <em>JDD</em> penchait déjà à l’extrême droite et que les journalistes de l’hebdomadaire sont depuis longtemps habitués à <a href="https://melenchon.fr/2023/07/15/retour-a-la-raison-sur-les-revoltes-urbaines/">« lécher les pieds du patron »</a>.</p>
<p>De nombreux élus des Républicains se sont eux associés au discours de Reconquête et du Rassemblement national sur la prétendue domination idéologique exercée par la gauche sur les médias. Eric Ciotti s’est ainsi opposé avec virulence à la tribune de soutien à la rédaction du <em>JDD</em> parue dans <em>Le Monde</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1673625627201613825"}"></div></p>
<p>Quant à François-Xavier Bellamy, il a ostensiblement défendu la nomination de Geoffroy Lejeune, alors même que ce dernier a été évincé de <em>Valeurs actuelles</em> en raison d’une ligne éditoriale <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2023/06/03/geoffroy-lejeune-mis-a-pied-de-valeurs-actuelles-sur-fond-de-bataille-editoriale_6176070_3236.html">jugée trop marquée à l’extrême droite par l’actionnaire lui-même</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1673943478533758977"}"></div></p>
<p>Le plus inquiétant sans doute est que le lectorat semble lui aussi divisé ou simplement indifférent. Ce désintérêt relatif s’explique peut-être par la banalisation du discours de l’extrême droite <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-eric-zemmour-le-probleme-mais-la-legitimite-que-lui-conferent-les-medias-125271">dans l’espace médiatique</a>, mais elle doit aussi être reliée à l’évolution des ventes du <em>Journal du dimanche</em>. Ces dernières ont en effet fortement baissé au cours des quinze dernières années. D’après les chiffres de l’APCM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias), la diffusion de l’hebdomadaire a même été divisée par deux en un peu plus d’une décennie, passant d’environ 260 000 exemplaires en 2010 <a href="https://www.acpm.fr/Support/le-journal-du-dimanche">à 131 700 exemplaires en 2022</a>. Si cette crise soulève évidemment des questions d’ordre éthique, elle traduit donc aussi l’épuisement d’un modèle économique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-francais-choisissent-ils-leurs-medias-204941">Comment les Français choisissent-ils leurs médias ?</a>
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<h2>Des dispositifs obsolètes</h2>
<p>La situation actuelle montre par ailleurs l’insuffisance des dispositifs dont dispose notre pays en matière de régulation des médias. L’Arcom a <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/26/c8-a-nouveau-sanctionnee-par-l-arcom-pour-l-emission-presentee-par-cyril-hanouna-a-hauteur-de-500-000-euros-d-amende_6183517_3234.html">encore récemment</a> infligé des sanctions aux chaînes de Vincent Bolloré, et elle pourra se prononcer sur le renouvellement de la fréquence de C8 et CNews en 2025, mais elle n’a pas évidemment vocation à intervenir dans le fonctionnement de la presse écrite.</p>
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<p>La loi qui régit la <a href="https://www.csa.fr/Proteger/Garantie-des-droits-et-libertes/Le-dispositif-anti-concentration">concentration des médias</a> date par ailleurs de 1986 et, même si elle a été aménagée depuis, elle est totalement inadaptée au paysage médiatique qui est le nôtre aujourd’hui. En témoigne par exemple la règle dite des « deux sur trois », qui interdit sous certaines conditions de posséder à la fois un quotidien, une radio et une chaîne de télévision : Vincent Bolloré possède un <a href="https://lesjours.fr/obsessions/l-empire/">empire d’une extraordinaire diversité</a> mais il n’a encore racheté aucun quotidien, et n’est donc pas concerné par ce dispositif.</p>
<p>Comme pour mieux nous renvoyer à l’obsolescence de nos règles nationales, les seules limites au rachat de Lagardère par Vincent Bolloré sont venues de l’Europe : la Commission européenne a validé cette OPA, mais elle a lancé une enquête sur une éventuelle prise de contrôle anticipée qui pourrait valoir au groupe Bolloré une amende de presque un <a href="https://www.lefigaro.fr/medias/vivendi-lagardere-bruxelles-enquete-sur-une-eventuelle-prise-de-controle-anticipee-20230725">milliard d’euros</a>.</p>
<p>Elle a aussi obligé Vivendi à vendre <em>Gala</em> pour <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/vivendi-va-vendre-gala-au-groupe-le-figaro-20230704_PLGSJ2ROLND3JINFJTNC43PKDY/?redirected=1&redirected=1">acquérir <em>Paris Match</em></a> afin d’éviter une situation de monopole sur les magazines « people », puisque ce groupe possède également l’hebdomadaire <em>Voici</em>.</p>
<h2>Adapter les mécanismes de régulation</h2>
<p>La menace représentée par le modèle Bolloré oblige donc de toute évidence à adapter nos mécanismes de régulation. La bonne nouvelle est qu’un consensus semble se dégager sur le sujet au sein d’une partie au moins du monde politique : une proposition de loi transpartisane, réunissant des élus des partis de gauche et de la majorité présidentielle, pourrait être examinée en fin d’année, avec la volonté de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/19/jdd-des-deputes-deposent-une-proposition-de-loi-transpartisane-pour-l-independance-des-redactions_6182595_3234.html">renforcer les pouvoirs des collectifs de journalistes face aux actionnaires</a>.</p>
<p>On peut par ailleurs espérer que les États généraux du droit à l’information, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/13/emmanuel-macron-annonce-le-lancement-en-septembre-des-etats-generaux-de-l-information_6181805_3234.html">qui vont être lancés en septembre</a>, donneront lieu à des initiatives pour renforcer l’indépendance éditoriale des rédactions. Mais dans tous les cas, il sera malheureusement trop tard pour les journalistes du <em>JDD</em>.</p>
<h2>Une rédaction face à la tentation réactionnaire</h2>
<p>Cette crise pose aussi la question de l’orientation idéologique qu’un nouvel actionnaire peut donner à un journal ayant une histoire et une identité fortes. Ces dernières années – et ce n’est un secret pour personne – la ligne du <em>JDD</em> était dans l’ensemble plutôt favorable à Emmanuel Macron, ce qui n’excluait pas un réel pluralisme interne. De manière plus générale, cet hebdomadaire a toujours cultivé une image de modération qui le situe aux antipodes d’un journal d’opinion tel que <em>Valeurs actuelles</em>.</p>
<p>L’arrivée de Geoffroy Lejeune ne témoigne donc pas seulement de la volonté d’infléchir cette ligne. Elle traduit le choix assumé de l’inverser, en faisant d’un journal traditionnellement proche du pouvoir politique un outil de contestation de ce même pouvoir.</p>
<p>Geoffroy Lejeune incarne en effet mieux qu’aucun autre la tentation réactionnaire à laquelle une partie des médias français ont cédé depuis une dizaine d’années. Ami de jeunesse de Marion Maréchal, il a été un soutien de la première heure d’Eric Zemmour, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gDqnIgykf7Y">dont il a imaginé l’élection dès 2015 dans un roman intitulé <em>Une élection ordinaire</em></a>.</p>
<p>Son ascension rapide dans le monde journalistique au cours de la dernière décennie avait déjà pour origine la nouvelle impulsion donnée à la ligne éditoriale d’un titre historique de la presse française. Il a bénéficié en effet de l’élan qu’a amené Yves de Kerdrel dès son arrivée à la tête de <em>Valeurs actuelles</em> en 2012 : ce dernier a choisi de faire évoluer un hebdomadaire jusque là assez conservateur vers une idéologie beaucoup plus radicale. Devenu à son tour directeur de la rédaction en 2016, Geoffroy Lejeune a prolongé et accentué ce glissement.</p>
<p>À partir des années 2010, <em>Valeurs actuelles</em> a ainsi multiplié les unes provocatrices sur l’« invasion » musulmane, sur l’« ensauvagement » des banlieues ou sur les « barbares » venus de l’étranger. Autour de Geoffroy Lejeune, une très jeune rédaction s’est constituée et a su investir les plateaux de télévision, à commencer par ceux de CNews. Or, on sait déjà qu’à l’image de Charlotte d’Ornellas, plusieurs de ces journalistes sont destinés à rejoindre Geoffroy Lejeune <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/26/jdd-comment-geoffroy-lejeune-pourrait-il-sortir-un-journal-dans-l-etat-actuel-du-chantier_6183531_3234.html">au sein de la nouvelle rédaction du <em>JDD</em></a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Charlotte d’Ornellas et Geoffroy Lejeune invités par l’ISSEP, institution fondée par Marion Maréchal, 2020.</span></figcaption>
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<h2>Le lourd héritage du journalisme d’extrême droite</h2>
<p>Les défenseurs de son bilan à la tête de <em>Valeurs actuelles</em> rappellent, à juste titre, la légitimité du journalisme d’opinion. Mais dans le cas de <em>Valeurs actuelles</em>, du moins depuis le virage éditorial opéré ces dernières années, il ne s’agit pas de n’importe quelle opinion : obsédés par la désignation d’un ennemi de l’intérieur qui menacerait la cohésion de la nation, Geoffroy Lejeune et son équipe ont mis à l’honneur un imaginaire raciste et xénophobe qui leur a valu plusieurs condamnations judiciaires, en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/12/09/valeurs-actuelles-condamne-en-appel-pour-provocation-a-la-haine_4828041_3224.html">2015</a> <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/17/valeurs-actuelles-condamne-en-appel-pour-injure-publique-a-caractere-raciste-envers-daniele-obono_6150329_3224.html">et en 2022</a> notamment. Cet imaginaire ne vient pas de nulle part et il a même déjà connu son heure de gloire dans la presse française : entre la Belle Époque et la Seconde Guerre mondiale, toute une tradition journalistique s’est appuyée sur le recours à des caricatures et à des unes provocatrices pour stigmatiser des minorités prétendument inassimilables.</p>
<p>Bien sûr, la rédaction de <em>Valeurs actuelles</em> ne revendique jamais ouvertement cet héritage encombrant. Mais le candidat qu’elle a soutenu avec ardeur lors de la dernière élection présidentielle apparaît comme un trait d’union assumé entre ces deux périodes de l’histoire de France en général et de l’histoire de la presse en particulier. Éric Zemmour n’a eu de cesse en effet de manifester son admiration pour Charles Maurras et plus encore pour <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/jacques-bainville-un-cassandre-si-actuel-20210421">Jacques Bainville</a>, qui a été jusqu’à sa mort l’une des figures les plus en vue de L’Action française.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/540024/original/file-20230729-19-n309uv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540024/original/file-20230729-19-n309uv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540024/original/file-20230729-19-n309uv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540024/original/file-20230729-19-n309uv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540024/original/file-20230729-19-n309uv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540024/original/file-20230729-19-n309uv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540024/original/file-20230729-19-n309uv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540024/original/file-20230729-19-n309uv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’Action française du 14 février 1936, annonçant les funérailles de Bainville.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k766243n.texteImage#">Gallica/BNF</a></span>
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<p>Dans <em>Face à l’info</em>, émission qui lui aura servi de rampe de lancement vers la présidentielle, il s’est en outre ouvertement interrogé à plusieurs reprises sur l’innocence de Dreyfus et sur le rôle joué par Zola dans cette affaire. « C’est trouble cette histoire aussi » a-t-il notamment déclaré le 29 septembre 2020, dans une émission où il a également estimé que le « J’accuse » de Zola et la victoire des dreyfusards ont contribué à la désorganisation de l’armée en 1914. Il est revenu sur le sujet quelques jours plus tard, en affirmant dans l’émission du 15 octobre 2020 : « En plus l’étude graphologique est assez, comment dire, parlante… on ne saura jamais. » En distillant un tel soupçon devant des centaines de milliers de téléspectateurs, Eric Zemmour a renoué avec les mensonges et avec les obsessions de la presse antidreyfusarde.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/540020/original/file-20230729-24848-aas7km.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540020/original/file-20230729-24848-aas7km.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540020/original/file-20230729-24848-aas7km.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540020/original/file-20230729-24848-aas7km.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540020/original/file-20230729-24848-aas7km.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540020/original/file-20230729-24848-aas7km.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540020/original/file-20230729-24848-aas7km.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540020/original/file-20230729-24848-aas7km.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La Libre Parole illustrée, 15 décembre 1894.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archive</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-right zoomable">
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<span class="caption">Psst… ! 23 juillet 1898.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">La Libre Parole, 10 septembre 1899.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">Planche n°4 de la série Le Musée des Horreurs (1899/1900), par Victor Lenepveu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Victor Lenepveu</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Depuis la Libération, l’extrême droite médiatique n’avait évidemment pas disparu mais elle était tenue à l’écart de la presse « mainstream ». Elle occupe à nouveau le devant de la scène, et le combat idéologique que mène Vincent Bolloré lui permet de jouer les premiers rôles à la télévision comme dans la presse écrite. Cela explique sans doute la résistance désespérée de la rédaction du <em>Journal du dimanche</em> aujourd’hui : instruite par l’exemple d’Itélé et d’Europe 1, elle sait très bien ce que signifie l’arrivée des signatures venues de <em>Valeurs actuelles</em>.</p>
<h2>Les quotidiens nationaux ou la possibilité d’une mue</h2>
<p>Le basculement prévisible du <em>JDD</em> vers cette forme de journalisme identitaire ne peut donc qu’inquiéter. D’une manière plus générale, les grands journaux fondés à la Libération ont aujourd’hui perdu une part de leur rayonnement et de leur influence. Leur domination avait déjà été largement battue en brèche par la <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2004-1-page-171.htm">montée en puissance de la télévision à partir des années 1960</a>, et elle tend à s’estomper encore davantage depuis les débuts de la révolution numérique.</p>
<p>La presse magazine est de loin le secteur le plus touché par cette désaffection. Le cas du <em>JDD</em> est en effet loin d’être isolé : faute d’avoir suffisamment anticipé le passage au digital, les hebdomadaires connaissent une crise profonde de leur modèle économique, ce qui affecte leurs ventes comme leur capacité à influencer l’opinion publique. Cette fragilité a favorisé l’arrivée de nouveaux acteurs, à commencer bien sûr par Vincent Bolloré. Avant de prendre possession du <em>Journal du dimanche</em> et de <em>Paris Match</em>, ce dernier a notamment profité du désengagement de Bertelsmann pour acquérir la vingtaine d’hebdomadaires de <a href="https://www.vivendi.com/communique/vivendi-finalise-lacquisition-de-prisma-media-numero-un-de-la-presse-magazine-en-france/">Prisma Media</a>.</p>
<p>Vincent Bolloré n’est cependant pas le seul dans ce cas, puisque le groupe Reworld Media s’est fait une spécialité de racheter des magazines en difficulté en les vidant de leur substance : à défaut d’infléchir la ligne éditoriale de ces titres, le nouvel actionnaire les transforme de manière systématique en journaux « low-cost » en ayant recours <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Medias/Pres-200-journalistes-Mondadori-renoncent-travailler-Reworld-Media-2019-10-01-1201051279">à des agences extérieures et en multipliant les publicités déguisées</a>. Pour Reworld Media et Vivendi, les journaux sont ainsi avant tout des marques médiatiques, que l’on peut détourner de leur fonction originelle après avoir provoqué le départ de la majeure partie des journalistes.</p>
<p>Il ne faut pas pour autant désespérer de la presse papier car la situation des quotidiens nationaux est heureusement plus encourageante. <em>Le Monde</em>, <em>Le Figaro</em> et dans une moindre mesure <em>Libération</em> ont en effet réussi à négocier la transition numérique : à la fin de l’année 2021, <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2021/12/21/pour-ses-77-ans-le-monde-s-offre-un-record-de-500-000-abonnes_6106916_3236.html"><em>Le Monde</em> a même dépassé pour la première fois le cap des 500000 abonnés, en battant un record de diffusion datant de 1979</a>.</p>
<p>Si l’on peut regretter qu’aucun de ces titres ne soit indépendant d’un point de vue économique, à l’inverse d’un “pureplayer” comme Mediapart, la situation de ces rédactions n’a rien de commun avec les conditions de travail auxquelles les journalistes sont soumis dans les médias détenus par Vincent Bolloré.</p>
<p>La presse écrite dans son ensemble vit donc une situation difficile, et sa faiblesse fait d’elle la proie de prédateurs qui peuvent retourner contre elle son histoire, son éthique et ses valeurs. Il est probable que l’empire de Vincent Bolloré continuera à s’étendre, et que d’autres médias verront leur ligne éditoriale brutalement remise en cause par l’arrivée de figures comme Geoffroy Lejeune. Mais le pire, dans la crise que traverse aujourd’hui le <em>Journal du dimanche</em>, serait de mettre tous les titres de presse sur le même plan.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210606/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Lévrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mobilisation au Journal du dimanche est exceptionnelle non seulement par sa longévité mais parce qu’elle vise à défendre l’indépendance du journalisme et finalement son existence même.Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences, chercheur associé au GRIPIC, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2075702023-06-18T15:40:49Z2023-06-18T15:40:49ZAu-delà des liens entre le RN et la Russie : le grand projet illibéral européen<p>Le Rassemblement national aurait servi de « courroie de transmission » pour la Russie, conclut <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ceingeren/l16b1311-t1_rapport-enquete">l’enquête parlementaire sur l’ingérence étrangère dans la politique française</a> dont le rapport a été rendu public le 1<sup>er</sup> juin dernier.</p>
<p>La commission d’enquête a été <a href="https://lcp.fr/actualites/ingerences-etrangeres-le-rn-veut-creer-une-commission-d-enquete-pour-laver-son-honneur">créée et présidée</a> par le député RN Jean-Philippe Tanguy dans le but de faire taire les accusations répétées selon lesquelles Marine Le Pen et son parti auraient une <a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">connivence trop marquée avec le régime de Vladimir Poutine</a>. L’exercice, censé dédouaner le RN, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/video/russie-le-rn-pris-a-son-propre-piege-avec-la-commission-d-enquete-sur-les-ingerences_218621.html">a eu l’effet inverse</a>.</p>
<p>Toutefois, le rapport n’évoque guère un phénomène particulièrement inquiétant pour les démocraties de l’UE : ce qu’il convient de voir, au-delà de la posture « pro-russe » du RN, c’est la progression des idées dites de « démocratie illibérale » au sein de la droite dure (l’extrême droite et certains segments de la droite républicaine), en Europe centrale comme en Europe occidentale.</p>
<h2>Les liens bien connus du FN/RN avec Moscou</h2>
<p>Le rapport met en évidence les <a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">liens de longue date</a> existant entre le Front national/RN et la Russie. Dès la fin des années 1960, Jean-Marie Le Pen a noué avec des figures nationalistes et antisémites russes des contacts qui <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/02/20/m-le-pen-justifie-ses-liens-avec-m-jirinovski_3707658_1819218.html">se sont développés à la chute de l’URSS</a> et se sont ensuite étendus à <a href="https://www.planet.fr/politique-les-troublants-reseaux-russes-de-la-famille-le-pen.718541.29334.html">certains cercles proches du président Poutine</a>.</p>
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<p>En 2011, Marine Le Pen reprend le flambeau du parti et continue à entretenir les liens initiés par son père. Elle-même a effectué quatre voyages officiels en Russie, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/coulisses/2015/05/26/25006-20150526ARTFIG00235-la-mysterieuse-visite-de-marine-le-pen-a-moscou.php">accueillie chaque fois par Sergueï Narychkine</a>, président de la Douma de 2011 à 2016, proche conseiller de Poutine et aujourd’hui chef du SVR, le service de renseignement extérieur russe. Elle a également eu un entretien avec le président russe en mars 2017, peu avant la présidentielle française.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1516865412100669442"}"></div></p>
<p>Avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN, cet impératif de rapprochement avec le Kremlin s’est étendu au reste du parti. On a vu se multiplier les visites d’élus FN/RN en Russie, ainsi qu’en Crimée et au Donbass, pour <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/06/l-etonnant-charter-des-observateurs-francais-d-extreme-droite-pour-le-referendum-de-poutine_6079391_3210.html">observer, et légitimer, des élections</a> jugées illégales par la communauté internationale. Notons que les élus FN/RN n’étaient pas les seuls : quelques élus des <a href="https://www.ledauphine.com/vaucluse/2019/03/20/jean-claude-bouchet-a-rencontre-poutine">Républicains</a> et <a href="https://www.charentelibre.fr/charente/legislatives-en-russie-le-depute-lambert-observe-le-vote-en-crimee-et-suscite-un-vif-emoi-6041494.php">du PS</a> ont fait de même.</p>
<p>Cette proximité avec la Russie de Poutine s’est reflétée dans le comportement des députés RN au Parlement européen, où ils s’alignaient « systématiquement », selon le rapport de l’enquête, sur les intérêts de Moscou.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Extrait du rapport de la commission parlementaire. Ici, les votes des députés RN dans les années précédant l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ceingeren/l16b1311-t1_rapport-enquete#_Toc256000067">Assemblée nationale</a></span>
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<p>Depuis le 24 février 2022, les députés RN ont certes condamné l’agression russe contre l’Ukraine, mais la majorité de leurs <a href="https://www.lexpress.fr/politique/marine-le-pen-et-lukraine-un-soutien-de-facade-ce-que-revelent-les-votes-rn-3MH5RSBKWZCQTPYJRWJHLHWJJQ/">autres votes</a> continuent de refléter leur tropisme : ils se sont notamment abstenus lors du vote en faveur de <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0015_FR.html">l’établissement d’un tribunal sur les crimes d’agression</a> contre l’Ukraine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-crimes-commis-en-ukraine-pourront-ils-un-jour-faire-lobjet-dun-proces-international-181021">Les crimes commis en Ukraine pourront-ils un jour faire l’objet d’un procès international ?</a>
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<p>Les conclusions de la commission se concentrent en particulier sur l’aspect financier de la proximité du RN avec la Russie : une banque tchéco-russe a accordé un <a href="https://www.bfmtv.com/economie/quelle-est-cette-banque-russe-qui-a-octroye-un-pret-de-9-millions-d-euros-au-rn_AV-202204210437.html">prêt au Front national</a> (9 millions d’euros) et une autre son fondateur Jean-Marie Le Pen (2 millions) en 2014.</p>
<p>Le rapport, qui insiste évidemment sur le timing suspect de ce financement arrivé, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/020415/crimee-et-finances-du-fn-les-textos-secrets-du-kremlin">comme l’avait déjà montré Mediapart</a>, juste après que <a href="https://www.liberation.fr/france/2015/04/03/au-fn-la-russie-reconnaissante_1234468/">Marine Le Pen ait soutenu l’annexion de la Crimée</a>, échoue toutefois à démontrer une causalité directe entre le financement octroyé au FN/RN et ses prises de position.</p>
<p>Plus généralement, en lisant le rapport attentivement, on ne peut que s’étonner de sa faible profondeur analytique et de son absence totale de contextualisation.</p>
<h2>Client ou partenaire ?</h2>
<p>La notion de « courroie de transmission » employée dans le rapport pour désigner le RN est problématique, car elle suppose la passivité du transmetteur, lequel se contenterait de recevoir des ordres de Moscou et de les exécuter. C’est mal comprendre la nature de la relation qui unit Marine Le Pen, et plus généralement les figures de la droite dure européenne, à la Russie.</p>
<p>En réalité, ces formations sont maîtresses de leur jeu politique et de leur agenda idéologique, et décident elles-mêmes de s’identifier (ou non) à Moscou, suivant le contexte national.</p>
<p>Dans les pays voisins de la Russie marqués par une grande tradition de défiance envers le puissant voisin, comme en <a href="https://www.europeaninterest.eu/article/finns-party-applies-for-group-change-in-european-parliament/">Finlande</a>, en <a href="https://www.dw.com/en/polands-duda-approves-controversial-russian-influence-bill/a-65764029">Pologne</a> ou en <a href="https://balkaninsight.com/2021/10/08/in-echo-chambers-of-nationalist-romanian-party-russias-favourite-narratives/">Roumanie</a> les extrêmes droites sont russophobes, même si leurs valeurs idéologiques sont très souvent en résonance avec les narratifs promus par les outils d’influence russe.</p>
<p>Dans les pays plus lointains, afficher son soutien à la Russie ou son admiration à l’égard de Vladimir Poutine permet de renforcer l’image de marque du parti ou du leader, et incarne la résistance à « l’establishment », au « mainstream », aux « élites ». Jusqu’au 24 février 2022, la Russie et Poutine étaient, aux yeux de bon nombre de partis d’extrême droite, des marques idéologiques symbolisant la rébellion et la révolte contre l’ordre établi – intérieur comme international.</p>
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<p>La relation entre la Russie et les leaders de la droite dure européenne comme Marine Le Pen, Matteo Salvini pour l’Italie, Heinz-Christian Strache pour l’Autriche, de nombreuses figures de l’AfD en Allemagne, est une relation de <em>confluence</em> idéologique et d’intérêts mutuels bien compris, non <em>d’influence</em> de Moscou sur des pions passifs et instrumentalisés.</p>
<p>La Russie peut les soutenir politiquement et financièrement, car elle estime que leur victoire l’avantagerait, mais elle ne dicte pas pour autant leur agenda domestique, pas plus qu’elle ne les transforme en marionnettes à son service. Comme le formule la politologue <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1354068821995813?journalCode=ppqa">Maria Snegovaya</a>, « l’ordre du jour de ces groupes [nationaux-populistes] est rarement fixé par le Kremlin, mais il peut ponctuellement correspondre aux intérêts de celui-ci ». Là encore, il s’agit d’une <em>confluence</em> plus que d’une <em>influence</em>.</p>
<h2>L’obsession pour la Russie empêche de voir la structuration d’une internationale illibérale</h2>
<p>En outre, la priorité donnée à la recherche des preuves de l’influence de la Russie passe sous silence les autres influences existantes dans le monde de l’extrême droite européenne : les grandes fondations de la <a href="https://www.opendemocracy.net/en/5050/the-american-dark-money-behind-europes-far-right/">droite chrétienne américaine</a> comme la <a href="https://billygraham.org/">Billy Graham Evangelistic Association</a>, la <a href="https://charleskochfoundation.org/">Charles Koch Foundation</a>, l’<a href="https://www.acton.org/">Acton Institute</a>, etc. ont elles aussi dépensé des dizaines de millions d’euros pour aider leurs confrères européens, et pourtant elles sont rarement un sujet médiatique sensationnalisé comme l’est l’argent russe.</p>
<p>Steve Bannon, l’ancien conseiller de Donald Trump, représentant de l’alt-right américaine, a <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-44926417">longtemps espéré unifier</a> l’extrême droite européenne derrière les États-Unis. Le cas italien de Georgia Meloni et de son parti Fratelli d’Italia, ainsi que le régime national-conservateur polonais, confirment qu’une extrême droite européenne pro-américaine et antirusse est également à l’ordre du jour.</p>
<p>Au-delà des affinités pro-russes de Marine Le Pen, c’est la construction d’un réseau international de l’extrême droite européenne, souvent sous le label plus respectable du « national-conservatisme », qui est en jeu.</p>
<p>Marine Le Pen a par exemple rencontré à deux reprises le premier ministre hongrois Victor Orban : en 2021 tout d’abord, pour partager ses critiques à l’encontre de l’UE et asseoir son statut de présidentiable (ainsi que pour répondre à ses concurrents Éric Zemmour et sa propre nièce Marion Maréchal, précédemment reçus par le dirigeant hongrois), en 2022 ensuite aux côtés du leader du parti d’extrême droite espagnol Vox et du premier ministre polonais pour <a href="https://www.lexpress.fr/societe/marine-le-pen-avec-ses-allies-europeens-a-madrid-pour-eteindre-le-feu-francais_2167043.html">acter</a> la construction d’une stratégie européenne des droites dures.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1487201692806430724"}"></div></p>
<p>C’est d’ailleurs un prêt hongrois de 10,7 millions d’euros qui a <a href="https://www.challenges.fr/politique/poutine-orban-les-encombrants-allies-de-marine-le-pen_808974">financé</a> une partie de la campagne de Marine Le Pen de 2022, et Orban a publiquement <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/15/presidentielle-2022-entre-marine-le-pen-et-le-nationaliste-hongrois-viktor-orban-une-proximite-tres-inspiree_6122256_6059010.html">soutenu</a> sa candidature.</p>
<p>Là encore, il ne s’agit pas de voir en Marine Le Pen la « courroie de transmission » de la Hongrie d’Orban, mais de comprendre les stratégies de soutien mutuel et d’alliance que se portent ces leaders afin d’avancer des agendas idéologiques partagés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-autrichienne-soutien-indefectible-de-la-hongrie-de-viktor-orban-207055">L’extrême droite autrichienne, soutien indéfectible de la Hongrie de Viktor Orban</a>
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<p>Les enjeux géopolitiques sont par ailleurs aujourd’hui « minorés » par la guerre en Ukraine, en particulier car la Hongrie et la Pologne, qui s’épaulent mutuellement dans leur déconstruction démocratique, appartiennent à deux camps différents dans leur vision du conflit.</p>
<p>En outre, bien que la Hongrie soit souvent vue comme un « cheval de Troie » prorusse au sein de l’EU, le régime orbánien <a href="https://www.illiberalism.org/blues-on-the-danube-cpacs-return-to-hungary/">vient de recevoir</a> à Budapest la grand-messe réactionnaire américaine de la CPAC (Conservative Political Action Conference), accueillant des dizaines de représentants des droites dures américaines et des figures européennes plus atlantistes que russophiles.</p>
<p>La recherche systématique de « la main de la Russie » derrière les postures des partis d’extrême droite peut conduire à négliger, voire à ignorer totalement, la transnationalisation illibérale en cours.</p>
<h2>Des arguments inefficaces pour lutter contre le RN</h2>
<p>Le rapport de la commission parlementaire a donné lieu à une nouvelle vague de dénonciation de la « poutinophilie » de Marine Le Pen. Toutefois, espérer que cette dénonciation suffira pour délégitimer l’offre politique du RN dans l’arène nationale, alors que Marine Le Pen <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/sondage-marine-le-pen-atteint-son-plus-haut-niveau-avec-36-dopinions-favorables">caracole en tête dans les enquêtes de popularité</a>, est pour le moins naïf.</p>
<p>Le RN et bon nombre de ses alliés européens promeuvent la souveraineté nationale aux dépens des prérogatives de l’UE, souhaitent que l’UE devienne moins atlantiste et plus « continentale », et disent vouloir protéger les valeurs dites traditionnelles (sur le plan des rapports de genre, de la famille, comme de la définition de la nation). Tous ces sujets ne sont pas mineurs pour notre société. Ils méritent d’être discutés de manière frontale.</p>
<p>L’Italie est aujourd’hui dirigée par une figure bien plus réactionnaire que Marine Le Pen – mais pro-atlantiste –, l’Espagne pourrait rejoindre le bloc des droites dures à la suite des élections qui se tiendront fin juillet, et l’AfD (<a href="https://www.dw.com/en/germanys-far-right-afd-gets-a-boost/a-65803522">atteint des intentions de vote très élevées en Allemagne</a> (18 %). Dans un tel contexte, sortir du chapeau la carte prorusse contre Marine Le Pen semble un combat perdu d’avance qui ne donne pas la part belle au vrai débat d’idées, seul capable d’aboutir à un affaiblissement durable de l’extrême droite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207570/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Se focaliser sur les liens entre le RN et la Russie peut conduire à négliger le projet, caressé par plusieurs partis d’extrême droite de l’UE, consistant à édifier un espace illibéral européen.Marlene Laruelle, Research Professor and Director at the Institute for European, Russian and Eurasian Studies (IERES), George Washington UniversityPérine Schir, Research fellow at the Illiberalism Studies Program, the George Washington University ; PhD student in political philosophy, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2016902023-04-04T17:37:39Z2023-04-04T17:37:39ZLe RN est-il devenu un parti comme les autres ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516066/original/file-20230317-4390-mps24g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président du RN, Jordan Bardella, pose pour un selfie lors d’une cérémonie à Villers-Cotterats, dans le nord de la France, le 11 novembre 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">François Nascimbeni / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Au coeur de la mobilisation sociale et politique contre le projet de réforme des retraites un parti semble particulièrement « profiter » de cette crise : le Rassemblement national (RN), comme <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sondage-marine-le-pen-sort-renforcee-du-conflit-sur-la-reforme-des-retraites-1932612">le montrent de récents sondages</a>. Fort de 88 députés que à l’Assemblée nationale et d'une présence accrue dans les médias, le RN est-il devenu une organisation partisane comme les autres ?</p>
<p>En faisant abstraction du jeu des alliances façon Nupes, il en fait, en tous cas, le <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">principal parti d’opposition</a> au gouvernement – un parti qui a joué un rôle non négligeable lors des dernières séquences législatives autour de la réforme de la retraite.</p>
<p>20 ans plus tôt, lorsque l’extrême droite accède pour la première fois de son histoire au second tour de l’élection présidentielle, la France est sous le choc. 1,3 million de personnes manifestent contre le <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-toulon_sous_le_front_national_entretiens_non_directifs_virginie_martin-9782747528009-1698.html">Front national</a> (FN), parmi lesquels beaucoup de <a href="https://youtu.be/TsL-2R402r4">jeunes</a>. Jean-Marie Le Pen fait face à une mobilisation anti-FN si forte qu’il n’atteint même pas 18 % des suffrages au second tour de ces élections de 2002 contre <a href="https://theconversation.com/jacques-chirac-un-bulldozer-en-politique-63283">Jacques Chirac</a> (environ 5,5 millions de voix). Le <a href="https://www.academia.edu/17405902/La_gauche_et_la_droite_face_au_FN_chapter_">Front républicain</a> fonctionne parfaitement.</p>
<p>Quelle stratégie a été appliquée par le FN-RN, pour passer du statut de parti marginal et honni à une organisation notabilisée, voire institutionnalisée ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Manifestations après l’annonce de la présence du FN au second tour des présidentielles de 2002.</span></figcaption>
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<h2>Une stratégie de normalisation en deux temps</h2>
<p>Depuis sa création en 1972, le FN-RN a été présent par trois fois au second tour de l’élection présidentielle : en 2002, en <a href="https://theconversation.com/le-front-national-2002-2017-du-vote-de-classe-au-vote-de-classement-77303">2017</a> et 2022. Les deux dernières fois, Marine Le Pen a atteint des scores considérables : 33,9 % et 41,45 %. Cette progressive montée du RN, la stabilité de ses votes et son ancrage territorial sont les marqueurs d’une normalisation et d’une banalisation du parti d’extrême droite.</p>
<p>Cette normalisation s’est construite autour d’une dynamique de changement, qu’on a coutume de nommer « dédiabolisation ». Celle-ci s’est faite progressivement et a été marquée par deux séquences. La première a permis au parti de se notabiliser, un phénomène accéléré avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN. La seconde séquence est très directement liée à l’élection de députés RN à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une phase d’institutionnalisation.</p>
<h2>Des manifestations de 2002 à « Marine »</h2>
<p>Le congrès de Tours en 2011 marque un tournant dans l’histoire du FN. Le père de la famille Le Pen, créateur du FN, va passer la main. Le vote des militants en faveur de la fille est sans appel – 67,65 % des voix – face à Bruno Gollnisch.</p>
<p>L’image du FN ne sera plus celle de Jean-Marie, l’homme pour qui les chambres à gaz sont un <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab87032378/le-pen-sur-chambres-a-gaz">« détail de l’histoire »</a> celui que les plus âgés ont connu un bandeau noir sur l’œil gauche. Marine Le Pen, femme de 45 ans arrive à la tête de ce parti.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/01/02/le-message-c-est-le-medium_2718681_1819218.html">« Le message, c’est le medium »</a> écrivait le sociologue Marshall McLuhan. Cela vaut aussi pour le FN ; l’égérie a changé, la dédiabolisation s’incarne plus que jamais dès cette <a href="https://www.cairn.info/le-genre-presidentiel--9782707174543-page-131.htm">nouvelle image au féminin</a>.</p>
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<p>Cette dédiabolisation tentée par le passé, fin des années 90, par un Bruno Mégret qui voulait normaliser le FN, voire faire des alliances avec la droite, a finalement semblé indispensable lors de la présidentielle de 2002. À l’époque, il n’était pas envisageable pour Jean-Marie Le Pen de sortir de sa spécificité et de nourrir la droite classique. Il est apparu urgent à ce moment-là de rassurer les français et de montrer combien le FN n’était pas une menace pour l’État et le pays. La <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2016-2-page-17.htm">dédiabolisation</a> s’est dès lors avérée nécessaire.</p>
<p>Marine Le Pen est une des plus convaincues de cette nécessité depuis 2002. Elle suivra cette ligne au plus près. En 2015, elle finira même par <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2016/10/05/jean-marie-le-pen-conteste-son-exclusion-du-front-national-devant-le-tribunal_5008310_823448.html">exclure</a> celui qui porte plus que quiconque le stigmate extrême droite : Jean-Marie Le Pen. À la faveur de prises de position dans <em>Rivarol</em> sur Pétain et les chambres à gaz, la <a href="https://theconversation.com/marine-le-pen-oedipe-et-le-meurtre-du-pere-72226">fille sortira le père</a>.</p>
<h2>Modifier l’image de marque du FN</h2>
<p>L’année 2018 est marquée d’un autre moment de stratégie d’effacement du passé. Elle passe par le changement de nom du parti. Le Front national n’est plus, le Rassemblement national est né. Avec ce mot « rassemblement » se matérialise la volonté de passer de parti de la protestation à un parti de gouvernement : « rassembler » pour pouvoir gouverner.</p>
<p>Dans la même logique, en 2022, Marine Le Pen se tient loin d’<a href="https://theconversation.com/pourquoi-eric-zemmour-embarrasse-t-il-autant-la-droite-170846">Eric Zemmour</a> et ne cède pas à ses appels du pied, prouvant encore une fois son attachement à cette stratégie de dédiabolisation.</p>
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<p>Quelques mois plus tard, l’<a href="https://theconversation.com/rn-clap-de-fin-pour-les-le-pen-190153">élection de Jordan Bardella</a> à la tête du RN offre un nouveau visage au parti. Par sa jeunesse et son parcours, il donne encore d’autres gages à cette séquence de dédiabolisation. Fils d’une famille immigrée italienne, son ancrage dans le 93 et son cursus universitaire à la Sorbonne offrent des gages de normalité – son parcours pourrait ressembler à celui de beaucoup de jeunes. Néamoins, derrière ces données, il y a aussi son militantisme à l’UNI et ses accointances traditionnelles, voire identitaires, et son regard sur une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/07/jordan-bardella-l-heritier-de-marine-le-pen-qui-cherche-a-imprimer-sa-marque-identitaire_6129158_823448.html%C2%BB%5D">« France ensauvagée et inhumaine »</a>.</p>
<p>Car bien sûr, malgré cette normalisation en vue de la conquête du pouvoir suprême, le RN reste attaché au corpus idéologique qui est le sien. Preuve en sont les marqueurs tels le renforcement de la politique nataliste en France (<a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/au-c-ur-des-debats-sur-la-reforme-des-retraites-le-rn-appelle-a-soutenir-une-politique-nataliste_5686343.html">pour « résister » face à l’immigration</a>), <a href="https://www.lejdd.fr/politique/marine-le-pen-fondamentalement-contre-la-pantheonisation-de-gisele-halimi-soutien-des-terroristes-du-fln-133456">l’opposition à l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon</a> ou encore la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/09/29/presidentielle-marine-le-pen-propose-de-sacraliser-la-priorite-nationale-dans-la-constitution_6096373_6059010.html">sacralisation de la « priorité nationale » dans la constitution</a>. Le RN ne se défait pas des thématiques historiques qui ont prévalu à la création du FN.</p>
<h2>Le Parlement : le cordon sanitaire est tombé</h2>
<p>Quel que soit le corpus idéologique dont se réclame le RN, l’hémicycle de l’Assemblée nationale offre au parti ses lettres de notabilisation, mais surtout son écrin d’institutionnalisation. De marginal et honni, le parti devient celui qui détient deux vice-présidences à la chambre basse.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/live/2022/06/29/l-assemblee-nationale-en-direct-vice-presidents-questeurs-secretaires-suivez-en-direct-la-seance-d-attribution-des-postes-du-bureau_6132463_823448.html">vice-présidences</a> qui ont mathématiquement été permises avec le soutien d’autres partis politiques – Les Républicains et Renaissance – puisque Hélène Laporte a obtenu 284 voix et Sébastien chenu 290. Face à la vague de députés RN, le cordon sanitaire est tombé. La normalisation s’est installée.</p>
<p>D’autant plus que, ici encore, Marine Le Pen joue la carte de la capacité à gouverner. Elle ne veut pas trop cliver pour présenter une opposition constructive, « une opposition responsable ». Dans cette optique, elle est vigilante au taux de présence de son groupe à l’assemblée, au respect de la fonction (silence, retenue, vêtements) et refuse les blocages systématiques de lois proposés par l’opposition.</p>
<p>Certes, l’épisode du député De Fournas a bien failli saper ces efforts de respectabilité. En prononçant la phrase <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/parlement-francais/assemblee-nationale/qu-il-s-retourne-nt-en-afrique-comment-des-propos-racistes-ont-fini-par-etre-prononces-a-l-assemblee-nationale_5457871.html">« qu’il(s) retourne(nt) en Afrique »</a> au sein de l’hémicycle, celui-ci a donné une occasion aux oppositions de prouver que la dédiabolisation était un leurre. Mais l’épisode a été relativement bien géré médiatiquement et en interne. La <a href="https://theconversation.com/exclusion-du-depute-rn-ce-quen-dit-la-recherche-en-economie-comportementale-sur-les-sanctions-194272">sanction</a> est tombée, l’élu a perdu son porte-parolat. La discrétion est assez vite revenue.</p>
<p>De surcroit, quelles que soient les stratégies adoptées, avoir des députés à l’Assemblée nationale signifie <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2021-1-page-29.htm">saisir des moyens essentiels</a> : assistants, informations, formations, moyens pécuniaires et possibilité, pour beaucoup d’élus sans expérience, de se professionnaliser. Il s’agit d’une marche déterminante pour envisager la conquête du pouvoir.</p>
<p>Reste à savoir quelle attitude adopter face au parti de Jordan Bardella et de Marine Le Pen. Est-il possible d’isoler un parti à ce point institutionnalisé et soutenu dans les urnes ? De continuer à « tabouiser » un parti recueillant autant de soutiens électoraux ? De se priver de ses électeurs en le stigmatisant ? Ce mois-ci, un <a href="https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-marine-le-pen-et-jean-luc-melenchon-balise-dopinion-214/">sondage Ifop</a> a montré que le RN était considéré comme le parti incarnant le mieux l’opposition au gouvernement (la stratégie de discrétion du RN semble mieux payer que celle du chahut de LFI…).</p>
<p>Depuis le début des années 80, aucune attitude pérenne et efficace n’a été trouvée face au FN-RN. C’est une quadrature du cercle pour le paysage politique français. S’il n’est pas un parti tout à fait comme les autres, le FN-RN est aujourd’hui à certains égards le deuxième parti de France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment, de parti « infréquentable », le FN-RN est-il devenu un parti incontournable du paysage politique français ? Décryptage d’une stratégie de dédiabolisation efficace.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1989392023-02-26T17:15:38Z2023-02-26T17:15:38ZLa dénonciation publique, une caractéristique des discours populistes ?<p>Lors des discussions houleuses à l’Assemblée nationale sur le projet controversé de réforme des retraites du gouvernement, le député Louis Boyard a publié sur son compte Twitter la liste des députés qui ont voté contre une proposition de loi socialiste visant à proposer des repas à un euro à tous les étudiants. Cette initiative, assortie de la mention « retenez leurs noms », a suscité de vives critiques dans la majorité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1623710452973727746"}"></div></p>
<p>Le tweet du député et les différentes oppositions à la <a href="https://theconversation.com/retraites-comment-la-reforme-incarne-le-bras-de-fer-entre-le-pouvoir-et-la-rue-198083">réforme des retraites</a> mettent aujourd’hui en lumière l’importance de la dénonciation publique dans les démocraties. Cette forme de discours apparaît dans le débat comme une contestation du pouvoir en place. Mais elle donne aussi à voir un spectacle politique dans lequel les acteurs populistes ont fait de ce mode d’action une stratégie.</p>
<p>Si les définitions des populismes sont plurielles et polémiques, la plupart s’accordent sur une série de caractéristiques propres à ces mouvements. Les <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/le-nouveau-national-populisme/">populismes</a> seraient portés par des leaders charismatiques et dénonceraient les élites en place au nom d’un peuple victime perçu comme homogène. Cette définition des populismes est une montée en généralité théorique nécessaire à leur conceptualisation, mais elle masque en même temps leurs spécificités.</p>
<p>En France, trois candidats à la dernière élection présidentielle s’inscrivent dans ce courant : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Éric Zemmour. Ils revendiquent un <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/quest-ce-que-le-populisme">« monopole de la représentation populaire »</a>, mais ne s’appuient pas sur les mêmes figures du « peuple » et des « élites ». L’analyse des dénonciations publiques produites par les trois acteurs peut alors constituer un moyen de mieux saisir ces deux figures aux contours flous.</p>
<p>Les dénonciations sont des formes narratives produites dans l’espace public et appartiennent à la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-contre-democratie-pierre-rosanvallon/9782757841167">critique sociale et politique</a>. Elles présentent une conflictualité et renseignent l’identité de ceux qui les portent car elles construisent des « victimes » et des « bourreaux », un « nous » et un « eux ».</p>
<p>En s’appuyant sur un corpus de dénonciations produites sur Twitter par Jean-Luc Mélenchon (1478 tweets), Marine Le Pen (2052 tweets) et Eric Zemmour (952 tweets) entre l’annonce publique de leur candidature et le second tour des élections présidentielles (2022), il s’agit ici de déplier les notions de « peuple » et « d’élites » en revenant sur les figures de bourreau et de victime les plus couramment mises en avant par ces acteurs.</p>
<h2>Les figures de bourreau</h2>
<p>Emmanuel Macron représente « le bourreau » le plus dénoncé par les trois candidats : 19,01 % des contenus d’Éric Zemmour, 18,03 % pour Marine Le Pen et 17,73 % pour Jean-Luc Mélenchon.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1492859596217761797"}"></div></p>
<p>Ce résultat est en partie déterminé par le contexte électoral qui incite les acteurs à critiquer le président sortant pour se présenter comme une alternative crédible à celui-ci. En ce sens, le gouvernement constitue la deuxième figure la plus dénoncée par Marine Le Pen (17,3 %) et Jean Luc Mélenchon (10,62 %). Éric Zemmour accuse quant à lui le gouvernement dans seulement 4,1 % de ses contenus. Cette différence peut résulter d’une annonce plus tardive de candidature à l’élection l’ayant conduit à moins se positionner contre les mesures mises en place par le gouvernement dans les années qui ont précédé le scrutin.</p>
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<p>Eric Zemmour dénonce en revanche amplement les autres candidats à l’élection. Valérie Pécresse a ainsi constitué la deuxième figure qu’il a le plus dénoncée (7,14 %). Au-delà de la candidate LR, Eric Zemmour a largement critiqué « les politiciens professionnels » (3,26 %), Jean-Luc Mélenchon (1,57 %), Marine Le Pen (1,36 %) et Yannick Jadot (0,63 %). Mélenchon, quant à lui, dénonce fréquemment Marine Le Pen (3,11 %), Eric Zemmour (2,84 %) et dans une moindre mesure Anne Hidalgo (0,68 %). Marine Le Pen est finalement celle qui critique le moins ses adversaires. Elle concentre ses dénonciations sur Emmanuel Macron et le gouvernement pour se présenter comme leur principale opposante. Le seul candidat que Marine Le Pen critique parfois est Eric Zemmour (0,53 %) car il occupe un espace politique assez proche du sien.</p>
<h2>L’UE et les médias comme figures antagonistes</h2>
<p>La dénonciation de l’Union européenne a aussi été relativement importante pour les trois acteurs. Marine Le Pen a été la candidate qui a le plus critiqué l’UE (4,63 %) ; tandis qu’Eric Zemmour (1,15 %) et Jean-Luc Mélonchon (0,88 %) ont moins visé cette figure de bourreau.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1484439548625133568"}"></div></p>
<p>Les trois candidats partagent ensuite une dénonciation des médias et des journalistes. Ceux-ci ont en effet constitué la 4<sup>e</sup> figure la plus critiquée par Eric Zemmour (4,62 %) et la 5<sup>e</sup> par Jean-Luc Mélenchon (3,06 %). La dénonciation des médias a en revanche été beaucoup plus parcellaire dans les contenus de Marine Le Pen (1,07 %).</p>
<p>Des convergences s’observent donc dans les figures dénoncées par les acteurs, mais elles ne doivent pas masquer leurs différences.</p>
<p>Si Le Pen et Zemmour semblent proches, avec par exemple un même taux de dénonciation de l’institution judiciaire (respectivement 2,58 % et 2,67 % des contenus), il peut être hâtif de les mettre sur un même plan. Eric Zemmour se démarque en effet de Marine Le Pen en ce qu’il durcit le discours de la candidate RN. D’une part, Eric Zemmour mobilise un discours ouvertement plus <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/stigmatiser-discours-mediatiques-et-normes-sociales/">stigmatisant</a>. Il cible prioritairement les personnes lorsqu’il dénonce l’immigration (4,56 % des contenus critiquent les migrants, les réfugiés, les clandestins ou les étrangers contre 4,23 % pour l’immigration) ; là où Marine Le Pen dénonce le phénomène migratoire en priorité (5,7 %) en évitant une attaque plus systématique contre les étrangers (1,7 %). D’autre part, Eric Zemmour se distingue de Marine Le Pen par sa dénonciation du « Grand remplacement » (3,47 % des contenus) ; une <a href="https://theconversation.com/politiques-identitaires-et-mythe-du-grand-remplacement-117471">théorie xénophobe</a> que la candidate RN prétend aujourd’hui mettre à distance.</p>
<p>Jean-Luc Mélenchon se différencie enfin des autres acteurs sur de nombreux sujets, signe que le clivage gauche/droite n’est pas complètement désuet. Le candidat insoumis dénonce en effet des figures qui ne sont pas critiquées par les deux autres leaders, entre autres : le système capitaliste/néolibéral (3,99 %), le nucléaire (2,57 %), les ultra-riches (2,23 %) ou les fermes-usines (0,95 %).</p>
<h2>Les figures de victime</h2>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2005-2.htm">notion de « peuple »</a> recouvre des réalités multiples et diffère en fonction des approches et des contextes politiques. Les victimes dans le récit de dénonciation sont un des biais par lesquels les candidats populistes construisent des figures du « peuple ».</p>
<p>Celles-ci sont très proches pour Eric Zemmour et Marine Le Pen, les deux plus récurrentes étant identiques : les Français constituent 36,4 % des victimes d’Eric Zemmour et 35,72 % de celles de Marine Le Pen ; la France, respectivement 17,5 % et 12,71 %. Le « peuple-victime » de ces deux leaders renvoie avant tout à un <a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1997_num_79_1_2772">peuple-ethnos</a>, centré sur l’appartenance à la communauté nationale. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, mobilise moins ces deux figures (4,24 % pour les Français et 2,32 % pour la France). Le « peuple-victime » du leader insoumis est celui des « classes populaires » (11,97 %) ; il prend pour référent un critère économique et social. Il se distingue en cela du peuple-ethnos des deux autres leaders, bien qu’il le mobilise par moment.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1483900104318857219"}"></div></p>
<p><a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1997_num_79_1_2772">Le peuple-demos</a>, qui est centré sur un référent démocratique et renvoie à la communauté des citoyens, occupe également une place significative dans le récit des trois acteurs. Celui-ci constitue notamment la troisième figure la plus mobilisée par Jean-Luc Mélenchon (7,1 % des contenus). Le peuple-demos est une victime moins récurrente mais tout de même importante dans les récits d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen (respectivement 3,68 % et 2,29 %).</p>
<p>Par ailleurs, les « femmes » constituent des victimes régulières dans le récit des trois acteurs. Eric Zemmour est celui qui les mobilise le plus dans ce rôle (2,73 %), tandis que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen les présentent comme victimes dans des proportions similaires : respectivement 2,16 % et 2,29 % des contenus.</p>
<p>Mélenchon et Le Pen mobilisent aussi de nombreuses figures de victime identiques, mais dans des proportions différentes : les animaux constituent par exemple 1,69 % des victimes de Jean-Luc Mélenchon contre 0,49 % de celles de Marine Le Pen ; l’environnement et la biodiversité représentent 4,47 % des victimes du leader insoumis et 0,88 % de celles de la candidate RN. Inversement, Marine Le Pen mobilise aussi des victimes qui sont identiques à celles d’Eric Zemmour : par exemple, les policiers (respectivement 1,51 % et 2,31 %) ainsi que les agriculteurs (respectivement 1,66 % et 1,36 %).</p>
<h2>L’autovictimisation</h2>
<p>Les trois leaders partagent enfin une même stratégie d’autovictimisation. Cette démarche permet aux acteurs de créer une symétrie d’oppression avec le peuple-victime dont ils revendiquent la représentation. Ainsi, Eric Zemmour est celui qui se présente le plus souvent comme une victime (7,46 %), suivi par Jean-Luc Mélenchon (5,2 %), puis Marine Le Pen (2,19 %).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1467540791413379079"}"></div></p>
<p>Réduire les populismes à une opposition floue entre le peuple et les élites n’est ainsi pas toujours pertinent pour saisir leurs spécificités. Les antagonismes sur lesquels ils s’appuient semblent plus formalisés. En l’espèce, les notions de « peuple » et « d’élites » occupent une place relative dans les dénonciations.</p>
<p>Le « peuple » est souvent mis en avant indirectement. Il l’est par l’intermédiaire d’un référent national et ethnique par Marine Le Pen et Eric Zemmour lorsqu’ils définissent la France et les Français comme les victimes principales du contexte politique. Il l’est aussi par Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il installe les classes populaires dans ce rôle, recentrant la notion de peuple sur une condition sociale spécifique et s’inscrivant ainsi dans une tradition politique radicalement différente de celle des deux autres leaders. Le terme peuple est aussi mobilisé de manière plus explicite par les trois acteurs. Il renvoie alors le plus souvent à un référent démocratique et caractérise la communauté des citoyens. La notion d’« élites », en revanche, occupe une place presque nulle dans les dénonciations et seul Eric Zemmour lui accorde une position importante lorsqu’il accuse les « politiciens professionnels » ; une figure qui peut être associée à une forme d’élite politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198939/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Swan DUFOUR est en contrat doctoral au laboratoire CARISM (Université Paris-Panthéon-Assas). </span></em></p>Cette forme de discours apparaît dans le débat comme une contestation du pouvoir en place. Les populistes ont fait de ce mode d’action une stratégie.Swan Dufour, Doctorant en Sciences de l'information et de la communication au laboratoire CARISM, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1942162022-11-15T16:52:12Z2022-11-15T16:52:12ZL’extrême droite au Parlement européen, ou le renard dans le poulailler<p>Plusieurs pays de l’Union européenne sont actuellement gouvernés par des partis politiques d’extrême droite.</p>
<p>En Hongrie, le parti <em>Fidesz</em> du premier ministre Viktor Orban <a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/how-viktor-orban-wins/">démantèle progressivement</a> les protections constitutionnelles de l’État de droit et des institutions démocratiques du pays. La Pologne, sous la houlette du parti Droit et Justice au pouvoir, a montré des <a href="https://www.dw.com/en/eu-fines-poland-1-million-per-day-over-judicial-reforms/a-59635269">tendances tout aussi inquiétantes</a>. Plus récemment, Giorgia Meloni et le parti Frères d’Italie viennent de remporter les élections législatives italiennes de septembre 2022 et ont <a href="https://theconversation.com/des-vertus-de-linstabilite-gouvernementale-en-italie-192431">formé une coalition</a> gouvernementale avec le parti d’extrême droite <em>Lega</em> de Matteo Salvini et le parti <em>Forza Italia</em> de Silvio Berlusconi. En Suède, le gouvernement minoritaire nouvellement élu dépend du soutien des <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/oct/14/swedish-parties-agree-coalition-with-backing-of-far-right">Démocrates de Suède, un parti d’extrême droite</a>.</p>
<p>Les partis d’extrême droite sont présents sur la scène politique européenne depuis longtemps, mais les partis libéraux et démocrates peinent toujours à élaborer une ligne de conduite claire à leur égard.</p>
<p>Le Parlement européen est un lieu approprié pour observer les dilemmes auxquels les partis traditionnels sont confrontés face aux partis d’extrême droite. En particulier lorsque ces derniers ont été élus démocratiquement et font partie d’une institution démocratique telle qu’un Parlement supranational. Rappelons que le Parlement européen, seul organe directement élu de l’UE, accueille <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2022/698880/EPRS_BRI(2022)698880_FR.pdf">705 membres élus, issus de 206 partis politiques nationaux</a>. La plupart d’entre eux se rassemblent dans différents groupes politiques partageant des idéologies similaires. L’extrême droite est présente dans plusieurs de ces groupes, ce qui montre à quel point elle est devenue partie intégrante du système.</p>
<h2>Des partis présents dans plusieurs groupes au Parlement européen</h2>
<p>En 2015, Marine Le Pen et son Rassemblement national ont réussi à créer leur propre groupe politique d’extrême droite et se sont associés à Matteo Salvini et sa <em>Lega</em>. Aujourd’hui, ce groupe au Parlement européen s’appelle <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et démocratie (ID)</a>. Il constitue le cinquième groupe politique le plus important (sur sept). Parmi les autres partis qui y siègent, citons Alternative pour l’Allemagne (AFD) en Allemagne, le Parti de la liberté (FPO) en Autriche, l’Intérêt flamand (Vlaams Belang) en Belgique et le Parti populaire danois.</p>
<p>Bien qu’elles aient été jusqu’ici des acteurs plutôt passifs au sein des commissions du Parlement européen, ces formations disposent d’une influence réelle au plus haut niveau. Au sein de la <a href="https://www.europarl.europa.eu/committees/fr/about/conference-of-committee-chairs">Conférence des présidents</a>, chaque groupe politique dispose d’une voix, quelle que soit sa taille. Si les grands groupes tels que les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates ne parviennent pas à un consensus, ils peuvent parfois avoir besoin du soutien de l’extrême droite pour obtenir une majorité.</p>
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<p>Le parti polonais Droit et Justice dirige également un groupe politique, connu sous le nom de <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/les-groupes-au-parlement-europeen-les-conservateurs-et-reformistes-europeens-cre/">Conservateurs et Réformistes européens (CRE)</a>. Ce groupe, qui comprend également, parmi ses membres les plus notables, les Démocrates de Suède, les Frères d’Italie et le parti espagnol <em>Vox</em>, représente la <a href="https://www.europarl.europa.eu/erpl-public/hemicycle/index.htm">quatrième force au Parlement européen</a>.</p>
<p>En revanche, le parti hongrois <em>Fidesz</em> a fait partie de 2004 et jusqu’en 2021 du plus grand groupe politique, celui des chrétiens-démocrates (<a href="https://www.eppgroup.eu/fr">Parti populaire européen, PPE</a>). Viktor Orban a longtemps été protégé par des responsables politiques puissants tels que l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel et l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk. Le Fidesz a toutefois <a href="https://www.institutmontaigne.org/analyses/la-sortie-du-ppe-de-fidesz-reduira-linfluence-hongroise-au-sein-de-lue">quitté le PPE au début de l’année 2021</a>, lorsque les pressions internes liées à la remise en cause de l’État de droit en Hongrie sont devenues trop fortes pour justifier son appartenance. Aujourd’hui, ses membres n’appartiennent à aucun groupe politique au Parlement européen, ce qui les prive de pouvoir politique et de visibilité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Répartition des sièges au Parlement européen (17 October 2022).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.europarl.europa.eu/erpl-public/hemicycle/index.htm?lang=en&loc=str">europarl.europa.eu</a></span>
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<p>Leur statut au sein des groupes politiques du Parlement européen a permis aux partis d’extrême droite non seulement de gagner en visibilité et en pouvoir, mais aussi de récolter <a href="https://eu.boell.org/en/2016/01/14/enf-new-right-wing-force-european-parliament-and-how-deal-it">d’importants bénéfices financiers</a>. En 2017, Marine Le Pen a été accusée d’avoir embauché de <a href="https://euobserver.com/eu-political/136944">« faux assistants »</a>, et en avril de cette année, elle-même et d’autres membres de son parti ont été accusés d’avoir détourné <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/apr/17/eu-anti-fraud-body-accuses-marine-le-pen-france-election">620 000 euros de fonds européens</a>.</p>
<p>En janvier, Morten Messerschmidt, du Parti populaire danois, a été condamné pour avoir utilisé des fonds européens pour une <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/danish-mp-convicted-of-eu-funds-fraud-elected-to-head-far-right-party/">campagne politique au Danemark</a>. Grâce aux ressources européennes, de nombreux partis d’extrême droite ont pu croître et étendre leur influence dans leur pays tout en s’attaquant au projet européen.</p>
<h2>Un cordon sanitaire peu étanche</h2>
<p>Les groupes politiques traditionnels du Parlement européen, notamment les chrétiens-démocrates, les sociaux-démocrates, les libéraux et les Verts, ont depuis longtemps conclu un <a href="https://www.euractiv.com/section/future-eu/news/the-brief-the-costs-of-a-cordon-sanitaire/">accord informel</a> connu sous le nom de « cordon sanitaire » qui empêche les membres de l’extrême droite d’obtenir des postes clés au Parlement.</p>
<p>Les sociaux-démocrates et les Verts ont chacun adopté des politiques propres de non-coopération avec l’extrême droite. Les sociaux-démocrates ont pour principe formel de ne pas coopérer avec le groupe Identité et Démocratie de Marine Le Pen. Les Verts ont une politique similaire, mais un peu plus souple : leurs membres peuvent voter en faveur de propositions législatives présentées par Identité et Démocratie si le contenu est jugé de nature technique. Les Verts laissent également la question de la définition de l’appartenance à l’extrême droite assez ouverte. Ainsi, leurs membres peuvent choisir s’ils souhaitent ou non boycotter certains partis membres d’autres groupes au Parlement européen, comme Droit et Justice ou Frères d’Italie, membres du groupe CRE. Le cordon sanitaire est donc poreux et dépendant du contexte.</p>
<p>En outre, comme les chrétiens-démocrates ont réussi à protéger le Fidesz de toute pression politique, il a longtemps été épargné par les mesures du « cordon sanitaire ». Cela a changé en septembre 2018, lorsque le <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2018-0340_EN.html">Parlement européen a lancé une procédure de sanctions formelles</a>, en vertu de <a href="https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/promoting-and-safeguarding-the-eu-s-values.html">l’article 7 du Traité sur l’Union européenne</a>, en raison de préoccupations liées au recul démocratique de la Hongrie. La plupart des chrétiens-démocrates ont alors voté en faveur de la résolution. Après que le PPE a modifié ses règles internes pour permettre l’expulsion d’un parti entier, <a href="https://www.politico.eu/article/epp-suspension-rules-fidesz-european-parliament-viktor-orban-hungary/">Fidesz a choisi de le quitter</a>, début 2021.</p>
<p>Ces exemples démontrent la complexité et l’ambiguïté inhérentes à la présence de l’extrême droite au Parlement européen. Ils mettent également en lumière les circonstances dans lesquelles les partis traditionnels – malgré leurs convictions – peuvent <a href="https://www.graduateinstitute.ch/communications/news/european-union-and-far-right-letting-wolf-fold">soutenir l’extrême droite</a>.</p>
<h2>Les affaires courantes continuent</h2>
<p>Après la victoire des Frères d’Italie à l’intérieur du pays, peu de choses ont changé au Parlement européen. Au sein des chrétiens-démocrates, il y a eu des <a href="https://www.politico.eu/article/call-boot-berlusconi-party-forza-italia-eu-parliament-epp-back-meloni-brothers-italy/">appels à bannir <em>Forza Italia</em></a> du groupe PPE si ce parti continuait, sur le plan domestique, à soutenir Giorgia Meloni, mais cela ne s’est pas encore produit.</p>
<p>Manfred Weber, le chef du PPE, a soutenu <em>Forza Italia</em> lors des élections italiennes et, bien qu’il ait été <a href="https://www.sueddeutsche.de/politik/eu-weber-wegen-wahlkampfhilfe-fuer-berlusconi-in-der-kritik-dpa.urn-newsml-dpa-com-20090101-220909-99-693826">fortement critiqué</a> pour cela, cet épisode fut une illustration supplémentaire de la façon dont les partis traditionnels peuvent directement ou indirectement soutenir les partis d’extrême droite.</p>
<p>Des spéculations ont été faites sur une <a href="https://www.euractiv.com/section/eu-priorities-2020/news/brothers-of-italy-mep-no-way-for-ecr-and-id-to-merge-in-one-group/">possible fusion</a> entre d’une part ECR (de Droit et Justice et des Frères d’Italie) et d’autre part ID (du Rassemblement national et de la <em>Lega</em>). En termes de puissance numérique, cela changerait la donne politique au Parlement européen – combinés, ces deux groupes deviendraient la troisième force la plus importante derrière les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates. Pourtant, une fusion est peu probable étant donné leurs <a href="https://www.euractiv.com/section/eu-priorities-2020/news/brothers-of-italy-mep-no-way-for-ecr-and-id-to-merge-in-one-group/">positions divergentes</a> concernant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. ECR soutient les sanctions contre la Russie, alors que la majorité d’ID s’y est opposée. Il y a au moins une question sur laquelle les Frères d’Italie et la <em>Lega</em> sont d’accord : tous deux ont <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/news/italys-meloni-backs-orban-says-hungary-is-democratic/">voté contre</a> une résolution du Parlement européen déclarant que la Hongrie ne constitue plus une démocratie.</p>
<p>Complication supplémentaire : le cycle électoral du Parlement européen n’est pas aligné sur les élections nationales. Même si Meloni a gagné au niveau national, cela ne change pas la représentation numérique des Frères d’Italie au Parlement européen, et les prochaines élections européennes n’auront pas lieu avant mai 2024. Mais une plus grande influence de l’extrême droite pourrait se faire sentir au Conseil, où le <em>Fidesz</em> et Droit et Justice ont déjà <a href="https://www.liberties.eu/fr/stories/pis-fidesz-weakness/18955">réussi à bloquer</a> plusieurs décisions importantes, comme le budget de l’UE…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194216/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christin Tonne est est chercheuse affiliée au Centre Albert Hirschman sur la démocratie de l'Institut universitaire de Genève (IHEID). Cet article est basé sur les recherches qu'elle a menées pour sa thèse de doctorat. Elle reçoit actuellement un financement de l'IHEID pour un projet pilote de suivi sur les défenses démocratiques contre l'extrême droite dans les institutions européennes.
</span></em></p>Au Parlement européen, les divers partis d’extrême droite font désormais partie intégrante du paysage.Christin Tonne, Research associate at the Albert Hirschman Centre On Democracy, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.