tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/retronews-43722/articlesRetronews – The Conversation2017-11-12T20:07:39Ztag:theconversation.com,2011:article/868152017-11-12T20:07:39Z2017-11-12T20:07:39ZLa politique des otages sous l’Occupation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/193090/original/file-20171102-26462-u03uh6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Au camp des martyrs [...] 1, Ténine ; 2. Michels; 3, Granet ; 4, Auffret ; 5, Guy Môquet ; 6, Pourchasse », _L'Humanité_, 22 octobre 1944 .</span> <span class="attribution"><span class="source">Source RetroNews BnF</span></span></figcaption></figure><p><em>Nous vous proposons cet article en partenariat avec <a href="https://www.retronews.fr/">RetroNews</a>, le site de presse de la <a href="http://www.bnf.fr/fr/acc/x.accueil.html">Bibliothèque nationale de France</a>.</em></p>
<hr>
<p>Le 23 octobre 1941, partout en France, les quotidiens publient une liste de 48 otages fusillés par les autorités d’occupation allemande.</p>
<p>Dans <em>Le Matin</em> :</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/le-matin/23-octobre-1941/66/176177/3" frameborder="0"></iframe>
<p>Dans <em>Le Réveil du Nord</em> :</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/le-reveil-du-nord/23-octobre-1941/381/1316709/2" frameborder="0"></iframe>
<p>Dans <em>Le Petit Parisien</em> :</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/le-petit-parisien/23-octobre-1941/2/63116/3" frameborder="0"></iframe>
<p>Ces exécutions correspondent à une accélération dramatique de la répression menée par l’occupant allemand et plus spécifiquement à la mise en œuvre de la « politique des otages » [Sur le sujet, voir l’<a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article186137">article de Dominique Tantin</a>]. Au cours de l’été 1941, après l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’Union soviétique, le général Otto Von Stülpnagel, à la tête du Militärbefelshaber in Frankreich (MBF), décrète que toute activité communiste pourra être punie de la peine de mort. Le 21 août 1941, Pierre Georges, le futur colonel Fabien (<a href="http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/?article50415">voir sa biographie dans le Maitron</a>) abat l’aspirant Moser au métro Barbès. Les autorités allemandes décident alors qu’« en cas de nouvel acte, un nombre d’otages correspondant à la gravité de l’acte commis, sera fusillé ». Depuis Berlin, les instructions d’Hitler, relayées par le maréchal Keitel, considèrent que « l’effet de terreur doit être accru par la méthode d’exécution » et envisagent « la peine de mort pour 50 à 100 communistes comme le châtiment convenable pour la mort d’un soldat allemand ». Ainsi, en France, le « code des otages » prévoit que, faute de pouvoir arrêter les coupables, l’occupant décidera de représailles massives, en priorité contre les communistes et les Juifs, considérés comme « idéologiquement coupables ».</p>
<p>Le 20 octobre, à Nantes, Karl Hotz est exécuté par un commando composé de Gilbert <a href="http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/?article18123">Brustlein</a> et <a href="http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article49675">Spartaco Guisco</a>, membres de l’Organisation spéciale de combat (OS) du Parti communiste clandestin. Aussitôt, Von Stülpnagel annonce l’exécution de 50 otages. Son avis est reproduit dans tous les quotidiens en France :</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/paris-soir/23-octobre-1941/131/108353/1" frameborder="0"></iframe>
<p>Ce sont finalement <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?mot15508">48 otages</a> qui sont exécutés en différents lieux : <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?mot15508">27 à Châteaubriant</a>, <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?mot15509">16 au champ de tir du Bêle à Nantes</a> et <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?mot15509">5 au Mont-Valérien</a>. L’avocat <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article159640">Fernand Ridel</a> avait pu échapper à la mort.</p>
<p>La liste des otages, parmi lesquels figurent une majorité de communistes et de nombreux militants identifiés comme juifs, souligne l’application des critères idéologiques des autorités nazies. Mais on y retrouve également des militants socialistes, tels qu’<a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article24928">Alexandre Fourny</a> et d’autres identifiés comme gaullistes et très peu connus, à l’image de <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article166950">Michel Dabat</a> et <a href="http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article167046">Jean‑Pierre Glou</a>, tous deux âgés de 20 ans.</p>
<p>On pourra se reporter au <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/">Dictionnaire des fusillés</a>, en ligne, pour retrouver l’intégralité de leurs biographies, et plus largement celles de l’ensemble des fusillés durant la période de l’Occupation, qu’ils aient été condamnés à mort, désignés comme otages ou exécutés sommairement (pour ces derniers, les recherches sont encore en cours).</p>
<p>Dès le 23 octobre, <a href="http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00304/reaction-apres-les-represailles-allemandes-suite-aux-attentats-de-la-resistance.html">au micro de la BBC</a>, le général de Gaulle évoque les exécutions de la veille et souligne le « crime » des autorités allemandes : « Nous étions certains que ce peuple déséquilibré ne contraindrait pas longtemps sa nature et qu’il irait tout droit au crime à la première crise de peur ou de colère. » Mais, il réitère aussi son désaccord avec la tactique des attentats individuels, qu’il juge inadaptée au rapport de force.</p>
<p>Dès le 21 octobre, un autre attentat a lieu à Bordeaux où le conseiller d’administration militaire Hans Reimers est abattu par <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article128316">Pierre Rebière</a>, militant communiste et membre de l’Organisation spéciale (OS).</p>
<p>Un nouvel avis des autorités allemandes est aussitôt diffusé :</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/paris-soir/25-octobre-1941/131/104353/1" frameborder="0"></iframe>
<p>Le 24 octobre, ce sont cette fois 50 otages qui <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article186036">sont fusillés au camp de Souge</a>. À nouveau, les communistes sont majoritaires parmi les victimes.</p>
<p>Quelques semaines plus tard, la presse clandestine du Parti communiste se fait à son tour l’écho de l’événement, pour évoquer le souvenir des « martyrs », et en particulier des fusillés de Châteaubriant. En zone nord, dès l’édition du 1<sup>er</sup> novembre 1941, <a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k879372w.r=l%27humanit%C3%A9%20clandestine?rk=2725335;2"><em>L’Humanité</em> clandestine</a> rend hommage aux fusillés et conclut :</p>
<blockquote>
<p>« Adieu, chers camarades, adieu chers compagnons de combat : vous êtes morts pour la France, et la cause pour laquelle vous êtes tombés triomphera. Les traîtres de Vichy ont beau vouloir faire du mouchardage pro-allemand une obligation, le peuple de France restera lui-même, plein de haine pour les oppresseurs, et leurs valets, plein de haine pour vos assassins.</p>
<p>Adieu camarades, frères : votre souvenir vit dans la mémoire de tout un peuple qui vous vengera et qui redonnera à la France sa liberté et son indépendance. »</p>
</blockquote>
<p>En zone sud, on trouve également un nouvel hommage dans l’<a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k881764k/f1.item.r=l%E2%80%99humanit%C3%A9%20clandestine.zoom">édition du 16 novembre 1941</a>.</p>
<p>La répression continuera de s’intensifier dans les semaines suivantes, avec notamment 95 exécutions le 15 décembre 1941 (69 au Mont-Valérien, 13 à Caen, 9 à Châteaubriant et 4 à Fontevrault), parmi lesquelles celles des députés communistes <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article24207">Gabriel Péri</a> et Lucien Sampaix. Au total, 243 otages sont fusillés entre septembre et décembre 1941.</p>
<p>Comme le montre la presse clandestine, dès l’automne 1941, certaines de ces victimes sont plus particulièrement mises en avant, notamment parce qu’il s’agissait de militants déjà connus avant-guerre, en tant qu’élus ou dirigeants syndicaux. D’autres, comme <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article21581">Émile David</a> et <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article148598">Guy Môquet</a>, tous deux fils de dirigeants du PCF, frappent les esprits par leur jeunesse. Ils s’inscriront durablement dans la mémoire communiste.</p>
<p>Ainsi, <em>L’Humanité</em> du 22 octobre 1944 rend plus particulièrement hommage aux 27 de Châteaubriant, érigés en symboles de la répression et de l’engagement des communistes dans la Résistance. En une figure une photographie d’un groupe d’internés du camp de Choiseul où est soulignée la présence de <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article73993">Maurice Ténine</a>, <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article122225">Charles Michels</a>, <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article74774">Désiré Granet</a>, <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article10438">Jules Auffret</a>, <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article148598">Guy Môquet</a> et <em>Henri Pourchasse</em>.</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/l-humanite/22-octobre-1944/40/1897345/1" frameborder="0"></iframe>
<p>Mais la guerre n’est pas encore terminée et l’éditorial de Georges Cogniot souligne la nécessité de poursuivre le combat, traçant une continuité entre la lutte clandestine et la conduite de la guerre :</p>
<blockquote>
<p>« C’étaient des soldats. Soyons soldats avant tout. Subordonnons chaque acte et chaque pensée à l’effort de guerre, c’est-à-dire à l’effort de liquidation des nids de résistance hitlériens à Lorient, à Saint-Nazaire, à La Rochelle, à la pointe de Grave, en même temps à la délivrance de l’Alsace et de la Lorraine, à l’invasion du Reich, à l’écrasement militaire de l’Allemagne nazie par l’armée française nouvelle issue de l’amalgame des F.F.I. et de l’armée de débarquement d’Afrique. »</p>
</blockquote>
<p>Un autre texte, rédigé par l’enseignante <a href="http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article140388&id_mot=77">Jacqueline Marchand</a>, militante antifasciste et résistante, adopte un registre plus émotionnel. Elle y évoque ses propres souvenirs de l’annonce des exécutions dans la presse et souligne d’ailleurs qu’elle fut directement affectée de constater la mort d’un militant qu’elle avait côtoyé dans le Loiret – peut-être l’instituteur <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article136485">Raymond Laforge</a> ou l’imprimeur <a href="http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article132142">Raymond Tellier</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les journaux publiaient encore les listes d’otages fusillés. J’ai lu ces 48 noms – et parmi eux celui d’un vieux camarade du Loiret – dans la rue, un soir d’automne, avec un ami, fusillé depuis, en juillet dernier. »</p>
</blockquote>
<p>En évoquant un « ami, fusillé depuis », elle souligne également que les victimes de la répression furent encore nombreuses par la suite, jusqu’à la fin de l’Occupation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86815/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paul Boulland est Secrétaire général de l’association Les Amis du Maitron Il est aussi membre du Bureau de l’Association française pour l’histoire des mondes du travail (AFHMT)</span></em></p>Dans la France de Vichy, les annonces d’exécutions se succèdent dans la presse, marquant la mise en œuvre par l’occupant allemand d’une « politique des otages ».Paul Boulland, Chercheur au Centre d’histoire sociale du XXe siècle (CNRS/université Paris‑1), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/868102017-11-05T22:05:59Z2017-11-05T22:05:59ZEn 1926, le combat pour le droit à la libre critique des films<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/193082/original/file-20171102-26483-uaiyg1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Jim le haponneur_ au cinéma dans _Le Journal_ du 20 mai 1928.</span> <span class="attribution"><span class="source">Retronews</span></span></figcaption></figure><p><em>Nous vous proposons cet article en partenariat avec <a href="https://www.retronews.fr/">RetroNews</a>, le site de presse de la <a href="http://www.bnf.fr/fr/acc/x.accueil.html">Bibliothèque nationale de France</a>.</em></p>
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<p>La critique des films prochainement à l’affiche est une pratique aujourd’hui communément admise, et même accessible à tous, chacun ayant désormais la possibilité et la liberté de donner son avis de diverses manières sur Internet. Or, cela n’a pas toujours été le cas. Le droit de faire la critique d’un film a longtemps été remis en cause par les producteurs de cinéma. Dans les années 1920, un événement va cependant provoquer, sur le long terme, l’émancipation de la critique cinématographique.</p>
<p>L’affaire remonte au 15 octobre 1926 : Léon Moussinac, critique au journal <em>L’Humanité</em> dans lequel il tient une rubrique cinématographique toutes les semaines depuis plus de trois ans, <a href="https://www.retronews.fr/journal/40/342537/4">publie une critique incisive</a> du film américain <em>Jim le harponneur</em> (<em>The Sea Beast</em>) réalisé par Millard Webb et distribué en France par la Société des Cinéromans.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VVKsRIvSrkk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Celle-ci appartient à un magnat de la presse et du cinéma, Jean Sapène, qui est par ailleurs directeur du quotidien <em>Le Matin</em>, fondateur du consortium de la presse parisienne regroupant les quatre grands quotidiens <em>Le Matin</em>, <em>Le Petit Journal</em>, <em>Le Petit Parisien</em> et <em>Le Journal</em>, et administrateur de la maison de production Pathé-Consortium-Cinéma. Le jugement de Moussinac est sans appel sur <em>Jim le harponneur</em>, dont il explique qu’il est selon lui :</p>
<blockquote>
<p>« Le type même du mauvais film américain et du mauvais film tout court. […] Jim le harponneur constitue l’exemple caractéristique du spectacle cinéma-tographique à siffler sans hésitation. »</p>
</blockquote>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/l-humanite/15-octobre-1926/40/342537/4" frameborder="0"></iframe>
<p>Le hasard et l’anecdote veulent qu’il inaugure <a href="https://www.retronews.fr/journal/40/342537/4">dans le même numéro</a> une consultation auprès de la corporation du cinéma sur le statut de la critique cinématographique.</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/l-humanite/15-octobre-1926/40/342537/4" frameborder="0"></iframe>
<h2>Le crime de « critique »</h2>
<blockquote>
<p>« Quelle illustration inespérée de l’opportunité et de la portée de l’enquête menée par notre camarade Moussinac, en quatrième page, sur la domestication de la critique par les distributeurs de publicité cinématographique. À peine est-elle lancée que les vendeurs de films s’insurgent contre qui refuse d’être à leur solde »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.retronews.fr/journal/40/342535/1">note deux semaines</a> plus tard Paul Vaillant-Couturier, qui annonce ainsi en une le procès intenté par Jean Sapène au journal et à Moussinac sous le titre : « La Société des Cinéromans poursuit <em>L’Humanité</em>… pour crime de “critique” ! ».</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/l-humanite/29-octobre-1926/40/342535/1" frameborder="0"></iframe>
<p>Ne manquant pas d’humour, Moussinac <a href="https://www.retronews.fr/journal/40/342535/4">publie en page 4 du même numéro</a> l’assignation du tribunal comme étant la réponse de Sapène à son enquête.</p>
<p>Cette enquête s’inscrit dans un mouvement de contestation plus large de la part de certains critiques soucieux de la liberté et de l’indépendance de la critique cinématographique, qui reprochent depuis plusieurs années à des journaux quotidiens et revues professionnelles leur inféodation aux maisons de production, les accusant de n’être que des « agents de publicité […] camouflés en critiques » comme l’écrira Moussinac.</p>
<p>Sapène réclame donc 100 000 francs de dommages-intérêts en raison du préjudice commercial causé par la critique du film, et intente en parallèle deux autres procès à <em>L’Humanité</em> pour des articles visant des réalisateurs de sa société. Le tout faisant partie selon lui d’une campagne de dénigrement plus vaste à son encontre. Il est vrai que <em>L’Humanité</em>, et notamment Moussinac, se sont employés <a href="https://www.retronews.fr/search/#allTerms=Sap%25C3%25A8ne&sort=date-asc&publishedStart=1924-07-11&publishedEnd=1926-10-15&tfPublications%255B0%255D=L%2527Humanit%25C3%25A9&documentType=page&page=1">à plusieurs reprises</a> à dénoncer les ambitions capitalistes de Sapène.</p>
<h2>Déroulement du procès</h2>
<p>Le premier procès, qui se tient devant la 3<sup>e</sup> chambre du Tribunal civil de la Seine le 13 mars 1928, est un événement important en ce qu’il constitue la première occasion pour la justice d’établir les droits des critiques de cinéma. <a href="https://www.retronews.fr/journal/40/287481/4">Un compte-rendu</a> des argumentaires des deux parties paraît le jour suivant dans <em>L’Humanité</em>. Le verdict tombe le 20 mars : <em>L’Humanité</em> et Moussinac sont condamnés à 500 francs de dommages-intérêts. Le journaliste <a href="https://www.retronews.fr/journal/40/338147/1">qui commente</a> le procès dès le lendemain exprime son incompréhension face à une décision qu’il qualifie d’« aussi incohérente que tendancieuse ».</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/l-humanite/21-mars-1928/40/338147/2" frameborder="0"></iframe>
<p>À l’annonce de la sentence du procès, de nombreux confrères, toutes sensibilités confondues, <a href="https://www.retronews.fr/journal/40/666815/6">manifestent leur soutien</a> à Moussinac. <em>L’Action française</em> <a href="https://www.retronews.fr/journal/4/503699/4">parle ainsi</a> de « condamnation extravagante ». <em>Le Journal</em>, lui, <a href="https://www.retronews.fr/journal/129/228389/4">souligne le paradoxe</a> qui réside dans ce jugement « alors que pour le théâtre les tribunaux admettent volontiers la liberté absolue de la critique ».</p>
<p>Excepté évidemment <em>Le Matin</em> qui résume le procès à sa plus stricte expression et <a href="https://www.retronews.fr/journal/66/152341/2">considère</a> pour sa part que le tribunal « a jugé que M. Léon Moussinac avait excédé les limites de son droit de critique ». Cette condamnation suscite même la création en mai de la même année d’une Association amicale de la critique cinématographique, qui se donne comme objectif la défense de l’indépendance de la critique.</p>
<h2>La relaxe</h2>
<p>Moussinac conteste ce jugement qui pourrait avoir de graves conséquences sur la liberté de la critique et décide de faire appel. Entre-temps, Sapène <a href="https://www.retronews.fr/journal/40/292505/4">est débouté</a> aux deux autres procès qu’il avait intentés à <em>L’Humanité</em>, le Tribunal de commerce jugeant ses demandes mal fondées.</p>
<p>Plus de quatre ans après la parution de la critique incriminée, le 12 décembre 1930, la Cour d’appel de Paris <a href="https://www.retronews.fr/journal/40/335061/4">relaxe finalement Moussinac</a> de toute amende à payer, établissant ainsi la première jurisprudence en matière de critique de cinéma. Cette décision symbolise la reconnaissance du droit à la critique cinématographique et contribue à la légitimation du cinéma comme étant un art, et non plus seulement une industrie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86810/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Champomier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment le procès d’un journaliste de l’Humanité, en 1928, contribua à légitimer le droit à la critique de cinéma.Emmanuelle Champomier, Doctorante en études cinématographiques et audiovisuelles , Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/855002017-10-15T19:53:08Z2017-10-15T19:53:08ZL’accueil des réfugiés en France au XIXᵉ siècle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/190283/original/file-20171015-3537-1tawoxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Honoré Daumier, « Le réfugié politique ».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://art.famsf.org/honor%C3%A9-daumier/le-r%C3%A9fugi%C3%A9-politique-19954125">Fine Arts Museum of San Francisco</a></span></figcaption></figure><p><em>Nous vous proposons cet article en partenariat avec <a href="https://www.retronews.fr/">RetroNews</a>, le site de presse de la <a href="http://www.bnf.fr/fr/acc/x.accueil.html">Bibliothèque nationale de France</a>.</em></p>
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<p>Alors que la crise de l’asile occupe aujourd’hui les unes des journaux européens et s’impose comme un sujet politique et médiatique de premier ordre, le détour par la presse du XIX<sup>e</sup> siècle montre que l’accueil de réfugiés étrangers n’est pas sans avoir suscité l’intérêt des journaux de l’époque.</p>
<p>La France a accueilli entre le printemps 1813 et la fin de l’année 1814 plus de 10 000 réfugiés espagnols, ceux qu’on appelait les « joséphins » en référence à leur engagement en faveur du régime de Joseph Bonaparte. Ils ont reçu à leur arrivée en France des secours qui ont été distribués pour la première fois à l’été 1813. <a href="https://www.retronews.fr/journal/journal-des-debats-politiques-et-litteraires/11-octobre-1814/134/277207/3">Il en est fait mention</a> dans le <em>Journal des débats</em> et des décrets du 11 octobre 1814 :</p>
<blockquote>
<p>« […] il sera donné aux réfugiés espagnols non militaires, y compris les femmes et les enfants, des secours comme aux Espagnols militaires réfugiés. Pour les obtenir, ils sont tenus de se faire inscrire chez les commandants d’armes des lieux où ils habitent, ou chez le commandant qui est le plus à proximité de leur résidence. »``</p>
</blockquote>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/journal-des-debats-politiques-et-litteraires/11-octobre-1814/134/277207/3" frameborder="0"></iframe>
<p>Mais l’attribution de cette aide financière a rapidement fait l’objet de critiques sous le régime de la Restauration, comme le montrent les <a href="https://www.retronews.fr/journal/journal-des-debats-politiques-et-litteraires/04-mars-1817/134/775833/2">débats à la Chambre des députés</a> retranscrits dans le <em>Journal des débats politiques et littéraires</em> en 1817.</p>
<blockquote>
<p>« M. Cornet d’Incourt : Je me suis servi de l’expression de traitement d’inactivité, parce qu’il résulte des discussions qui ont eu lieu, que les réfugiés espagnols ne reçoivent pas uniquement des secours alimentaires, mais des traitements ou des pensions (comme vous voudrez les appeler) proportionnés à leurs grades et aux emplois qu’ils occupaient dans le gouvernement de Joseph Buonaparte. »</p>
</blockquote>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/journal-des-debats-politiques-et-litteraires/04-mars-1817/134/775833/2" frameborder="0"></iframe>
<h2>Massification et diversification</h2>
<p>Au cours des années 1820, l’accueil d’exilés politiques s’est poursuivi, rythmé par l’arrivée aux frontières d’exilés espagnols, italiens et portugais engagés en faveur du libéralisme. Mais à partir de la monarchie de Juillet, la France a dû faire face tout à la fois à une massification et à une diversification géographique des émigrations politiques.</p>
<p>Si le « soleil de Juillet » dont parlait Heinrich Heine a exercé son attrait sur les patriotes allemands, italiens et espagnols, les plus nombreux à arriver en France à partir de l’hiver 1831-1832 sont les Polonais de la « Grande Émigration », dont plus de 4 000 d’entre eux ont reçu des secours de l’État dès leur arrivée et ont suscité des manifestations de solidarité au sein de la société civile, <a href="https://www.retronews.fr/journal/22/477825/2">comme on peut le lire dans <em>Le Constitutionnel</em></a> du 28 janvier 1832 :</p>
<blockquote>
<p>« – Les élèves du collège royal d’Orléans ont ouvert entr’eux une souscription au profit des réfugiés polonais. […]</p>
<p>– Le premier convoi des colonnes de Polonais qui arrivent en France par Forbach, a dû faire son entrée le 25 à Metz, il est composé d'environ 70 officiers […];»</p>
<p>« La réunion était embellie par un grand nombre de dames qui ont fait une quête pour les Polonais réfugiés. La collecte a produit une somme assez considérable, qui sera versée au comité central, présidé par le général Lafayette. »</p>
</blockquote>
<p>Au cours de cette décennie, les étrangers accueillis en France pour des motifs politiques n’étaient cependant pas tous inspirés par le libéralisme comme les Polonais, ceux qu’on appelait alors les « Français du Nord ». La première guerre carliste espagnole (1833-1839) s’est soldée par l’exil de milliers de partisans légitimistes du prétendant Don Carlos vers la France.</p>
<p>Les révolutions de 1848-1849 et les phénomènes de répression qui les ont accompagnées ont incité de nouveaux opposants européens, libéraux et démocrates, à prendre le chemin de l’exil jusqu’à la France, qu’ils fussent Lombards ou Vénitiens, Allemands ou Hongrois.</p>
<p>En mai 1848, <a href="https://www.retronews.fr/journal/22/748325/2"><em>Le Constitutionnel</em> relate</a> le passage à Strasbourg de colonnes d’Allemands qui « doivent être traités comme réfugiés politiques » et se voient disséminés dans les départements français.</p>
<blockquote>
<p>« Nous lisons dans le <em>Courrier du Bas-Rhin</em> : </p>
<p>« Une décision ministérielle parvenue à Strasbourg porte que les Allemands qui peuvent se trouver réunis sur le territoire français seront internés dans différents départements, parmi lesquels seront désignés à leur choix ceux du Doubs, du Jura, de la Haute-Saône, des Ardennes, etc. Ils doivent être traités comme réfugiés politiques et recevront des passeports avec secours de route.</p>
<p>Une première colonne d’une soixantaine d’hommes est revenue du Haut-Rhin à Strasbourg dans la journée de vendredi ; une seconde colonne est arrivée samedi. Les citoyens de Strasbourg ont continué, avec un généreux empressement, à pourvoir à la subsistance de ces réfugiés. Si la politique adoptée par le Gouvernement français l’oblige à s’opposer au séjour prolongé de ces étrangers dans les départements du Rhin, la sympathie de la population de Strasbourg pour ces défenseurs de la cause républicaine en Allemagne ne conserve pas le moins le droit d’adoucir, autant que possible, la pénible position dans laquelle ils se trouvent en ce moment. »</p>
</blockquote>
<h2>La construction du « réfugié »</h2>
<p>C’est aussi au cours de la première moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, époque où les migrations politiques vers la France se sont intensifiées, que s’est parallèlement construite, de manière à la fois juridique et empirique, la catégorie administrative du « réfugié ». Elle est circonscrite dans de nouvelles lois qui adoptent ce terme dans leur intitulé, en premier lieu celle du 21 avril 1832, précédée de <a href="https://www.retronews.fr/journal/le-figaro/10-avril-1832/203/628327/1">débats houleux à la Chambre</a> dont se fait l’écho <em>Le Figaro</em> du 10 avril 1832.</p>
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<p>« Pareille loi, on le comprend d’avance, ne pouvait passer sans qu’elle soulevât une chaude et opiniâtre opposition. Ainsi il en a été.</p>
<p>Nous avons eu des discours comme aux plus beaux temps de la ferveur parlementaire. Nous avons eu, comme alors, des interruptions et des cris, des attaques violentes et des rappels à l’ordre. Le drame avec toutes ses scènes a été complet.</p>
<p>M. Lafayette, généreux avocat de tous les patriotes du genre humain, vénérable citoyen cosmopolite des deux-mondes, a plaidé avec cette onction qu’on lui sait la cause des étrangers victimes des malheurs politiques de leur patrie, et surtout la victorieuse tyrannie de l’autocrate. »</p>
</blockquote>
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<p>Grâce à cet appareil législatif, grâce à la réglementation et aux expérimentations qui l’ont accompagné et précisé, les réfugiés ont été progressivement définis comme des individus coupés de tout lien avec leur pays d’origine, venus en France pour des motifs exclusivement politiques, et devant compter sur l’aide du gouvernement pour subsister.</p>
<p>Néanmoins, après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, l’exil n’est plus seulement un phénomène auquel l’opinion de gauche française assiste avec sympathie, tandis que l’administration renâcle pour des raisons à la fois économiques et politiques ; il devient aussi un triste article d’exportation. Les proscrits républicains français, qui ont sans doute représenté un effectif de plus de 10 000 personnes, se sont dispersés dans plusieurs pays d’accueil tels que la Belgique et la Grande-Bretagne.</p>
<p>Dans le même temps, c’est le statut à la fois administratif et symbolique d’une France terre d’asile qui s’est trouvé compromis par un régime suspicieux à l’égard des exilés étrangers, ne manifestant plus de compassion pour ceux qui étaient considérés comme des fauteurs de troubles et des ennemis politiques en puissance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85500/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Diaz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Espagnols, Allemands, Polonais, Italiens… Ils sont nombreux à avoir cherché asile en France au cours du XIXᵉ siècle.Delphine Diaz, Maîtresse de conférences en histoire, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/845262017-09-24T19:51:46Z2017-09-24T19:51:46ZEn 1927, la création d’un prix de littérature publicitaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/187237/original/file-20170923-17306-12igakq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une du _Siècle_ du 22 juillet 1927</span> <span class="attribution"><span class="source">Retronews</span></span></figcaption></figure><p><em>Nous vous proposons cet article en partenariat avec <a href="https://www.retronews.fr/">RetroNews</a>, le site de presse de la <a href="http://www.bnf.fr/fr/acc/x.accueil.html">Bibliothèque nationale de France</a>.</em></p>
<hr>
<blockquote>
<p>« À l’heure où les difficultés de l’existence se font sentir pour l’intellectuel plus que pour tout autre, n’y a-t-il pas dans la littérature le moyen d’y pallier ? Il est une force exploitée à l’étranger et dédaignée, même méprisée en France : la publicité. »</p>
</blockquote>
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<p>Ainsi s’exprime Louis Brun, directeur des puissantes éditions Grasset, dans l’<a href="https://www.retronews.fr/journal/paris-soir/28-janvier-1927/131/98621/1">éditorial de <em>Paris-Soir</em></a> du 28 janvier 1927 destiné à annoncer le prix Beaumarchais de littérature publicitaire que vient de fonder l’agence L’Encartage, spécialisée dans la réalisation de supports publicitaires insérés dans les livres, en collaboration avec <em>La Revue de la femme</em> (<a href="https://www.retronews.fr/journal/le-siecle/11-mars-1927/93/579545/2"><em>Le Siècle</em></a>, 11 mars 1927). Une dizaine de marques prestigieuses s’étant associées à cette initiative sans précédent, le prix se voit doté de la coquette somme de 35 000 francs.</p>
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<p>Dès le 5 février, la presse parisienne s’empare de la nouvelle. Dans <a href="https://www.retronews.fr/journal/le-rappel/05-fevrier-1927/144/324743/3"><em>Le Rappel</em></a>, cette dernière voisine avec l’annonce, non moins surprenante, du prochain roman d’un certain Sim (Simenon) qui sera écrit dans une cage de verre sous les yeux du public ! Décidément, <a href="https://www.retronews.fr/journal/le-temps/15-fevrier-1927/123/647071/1">commente <em>Le Temps</em> du 15 février</a>, « Voici que des mains fortunées autant qu’habiles [tendent] un rameau d’or aux poètes et aux romanciers ». Le 22 février 1927 commence, à l’instigation de Paul Reboux, la publication quotidienne dans <em>Paris-Soir</em>, dont il est alors le directeur, de la <a href="https://www.retronews.fr/journal/paris-soir/22-fevrier-1927/131/96667/1">grande enquête « Industrie, Commerce et Littérature »</a>.</p>
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<p>« Estimez-vous qu’un écrivain s’amoindrit en signant de son nom un texte de publicité ? », est-il demandé aux gens de lettres ; et à ceux du commerce : « Ne seriez-vous pas disposé à accueillir pour la propagande commerciale la collaboration d’écrivains ? ». Quelques jours plus tard, c’est dans l’hebdomadaire <em>Chantecler</em> du 26 février que face à Fernand Divoire prétendant que « l’Art s’abaisse s’il devient un boniment », Blaise Cendrars développe sous le titre « Publicité = Poésie », son vibrant hommage à la publicité, cette « fleur de la vie contemporaine », la 7<sup>e</sup> merveille du monde moderne.</p>
<p>Tous les écrivains sans exception peuvent prendre part à la « compétition ». Les concurrents devront consacrer à la gloire de l’une des maisons subventionnaires de leur choix (<a href="https://www.retronews.fr/journal/le-siecle/23-mars-1927/93/1209547/2"><em>Le Siècle</em></a>, 23 mars 1927) :</p>
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<p>« 1<sup>e</sup> un texte à la fois littéraire et publicitaire de 150 lignes, sérieux ou humoristique ; 2<sup>e</sup> un écho d’information de dix lignes ; 3<sup>e</sup> une brève formule dans le genre de : “Oui, mais Ribby habille mieux”. »</p>
</blockquote>
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<p>Le jury, présidé par Paul Reboux, est composé de cinq écrivains, dont Jean Giraudoux, Pierre Mac Orlan et André Maurois, les dix autres membres appartenant au monde de l’édition ou de la presse, du commerce ou de la publicité, parmi lesquels : Louis Brun, Madame Couchoux, directrice de la <em>Revue de la femme</em>, Étienne Damour, président de la Corporation des techniciens de publicité et fondateur de la revue <em>Vendre</em>, le président de la Chambre syndicale de la couture parisienne, le directeur commercial de la Société des automobiles Voisin…</p>
<p>Tandis que les candidatures affluent, la polémique s’enflamme. Le grand prix Beaumarchais ? Une « pure rigolade » lance Ernest Tisserand (<a href="https://www.retronews.fr/journal/paris-soir/22-mai-1927/131/106045/2"><em>Paris-Soir</em></a>, 22 mai 1927), un « délit de simonie », <a href="https://www.retronews.fr/journal/l-action-francaise/14-avril-1927/4/502971/4">surenchérit <em>L’Action française</em></a> (14 avril 1927), un concours qui ne s’adresse certes pas aux « Purs », à « ces quarts de dieu qui écrivent d’une plume arrachée au croupion d’un cygne » (<a href="https://www.retronews.fr/embed-journal/le-siecle/23-avril-1927/93/1209553/2"><em>Le Siècle</em>, 23 avril 1927</a>), ironise Noël Sabord. Quand Paul Reboux se réjouit « que la plupart des hommes de lettres d’aujourd’hui, enfin désenvoûtés d’un orgueil saugrenu, prennent conscience de leur “valeur” au sens financier du mot », <em>Vendre</em> déplore qu’ils « ne se demandent jamais s’ils ont les qualités et les connaissances nécessaires pour faire un bon rédacteur publicitaire. »</p>
<p>Les paris vont bon train. Cendrars gage que c’est un poète moderne qui obtiendra le prix. L’ouverture des enveloppes, <a href="https://www.retronews.fr/journal/paris-soir/12-juillet-1927/131/97553/5">prévient <em>Paris-Soir</em></a> le 12 juillet, réservera des surprises. Le 13 les résultats tombent. Le jury réuni au Drouant (le restaurant des Goncourt), a décerné à l’unanimité le prix Beaumarchais à un chroniqueur du Figaro – cela ne s’invente pas ! – M. James de Coquet, à qui échoit la somme de 20 000 francs, pour « Le bonheur de vivre » (<a href="https://www.retronews.fr/journal/le-figaro-supplement-litteraire-du-dimanche/16-juillet-1927/105/985857/2"><em>Le Figaro</em>, Supplément littéraire du dimanche</a>, 16 juillet 1927), élégante dissertation dédiée aux tissus Rodier qu’un lecteur de <em>L’Intransigeant</em> se refuse à qualifier de « publicitaire » : « C’est une page de littérature et rien de plus… », <a href="https://www.retronews.fr/journal/l-intransigeant/20-octobre-1927/44/907499/2">s’indigne-t-il le 20 octobre 1927</a>.</p>
<p>Personne, en revanche, ne semble avoir soupçonné les candidatures de n’avoir pas été aussi anonymes que semblait le prévoir le règlement (<a href="https://www.retronews.fr/journal/paris-soir/28-juin-1927/131/108039/2"><em>Paris-Soir</em></a>, 28 juin 1927). Le second prix (8 000 Francs à partager) revient à Paule de Gironde (Susse frères) et R. L. Dupuy (Vuitton), rédacteurs de la revue <em>Vendre</em>, tandis que la princesse Bibesco (Lanvin), Colette (Soieries Ducharne), Pierre Bost (Dim) et Eugène Marsan (Perugia) se partagent 5 000 francs.</p>
<p>On imagine volontiers la déconvenue des écrivains (sans compter les candidatures malheureuses de Pierre Mille et de Joseph Delteil). Mais qu’importe ! Avec ou sans prix, cela n’empêchera pas plusieurs d’entre eux de signer encore de nombreux textes publicitaires. Quant aux autres, ils purent se consoler en retrouvant quelques années plus tard « le lauréat du grand prix Beaumarchais » <a href="https://www.retronews.fr/journal/l-echo-de-paris/26-mars-1931/120/585043/2">dans un feuilleton de <em>L’Écho de Paris</em></a> (26 mars 1931), sous les traits du malheureux Anatole Marjolin, « ex-professeur de phraséologie latine à la Sorbonne » qui, ayant vendu son talent à Satan, se trouve réduit à fournir les colonnes de Candide de quatrains en série faisant alterner à la rime La Peau de Porc et la « Joie de vivre ».</p>
<p>Révélateur des tensions et des connivences à géométrie variable qui existaient alors entre les mondes du journalisme, de la publicité et de la littérature, le prix Beaumarchais ne fut pas reconduit. Il n’en reste pas moins un passionnant témoin de l’histoire croisée de la littérature et de la publicité.</p>
<hr>
<p><em>Cette contribution se rattache au site <a href="http://littepub.net/">Littépub.net</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84526/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Boucharenc ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 1927, plusieurs marques décident de créer un « Prix de littérature publicitaire » avec 35 000 francs à la clé. Journalistes et écrivains s’interrogent : peut-on mélanger littérature et publicité ?Myriam Boucharenc, Professeur de littérature française du XXè siècle, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.