tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/trafics-20282/articlestrafics – The Conversation2024-03-20T16:00:56Ztag:theconversation.com,2011:article/2262522024-03-20T16:00:56Z2024-03-20T16:00:56ZMarseille vue de l’intérieur : une exploration de la violence urbaine<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué et que le président de la République s'y est rendu le 19 mars 2024, annonçant <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/19/a-marseille-emmanuel-macron-annonce-plus-de-82-interpellations-dans-le-cadre-d-une-operation-sans-precedent-contre-le-trafic-de-drogue_6222863_823449.html">« une opération sans précédent »</a> pour lutter contre le trafic de drogue.
Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône.</em></p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-1-4-la-mauvaise-reputation-220875">La mauvaise réputation</a></h2>
<p>Les représentations des cités marseillaises comme lieux de violence tributaires du trafic de drogue nourrissent des imaginaires masquant d’autres formes de violences structurelles.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-2-4-des-trafics-pas-si-juteux-des-morts-complexes-220893">Des trafics pas si juteux, des morts complexes</a></h2>
<p>Il existe de profondes contradictions et ambiguïtés concernant le trafic de la drogue à Félix-Pyat, qu'il est nécessaire saisir dans son contexte social, économique, et culturel pour véritablement le comprendre.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-34-des-murs-devant-les-yeux-221139">Des murs devant les yeux</a></h2>
<p>Certains aménagements des infrastructures du territoire à Marseille peuvent être vus comme une forme de violence, dont les effets sont tout aussi insécurisants que les activités du trafic de drogue.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-44-etat-partout-etat-nulle-part-221195">État partout, État nulle part ?</a></h2>
<p>Les habitants de cités comme Félix-Pyat ne se perçoivent plus comme vivant au sein d’espaces bénéficiant d’un état de droit, mais plutôt dans des lieux d’exception devant être disciplinés et punis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark</span></em></p>À partir du quartier Félix Pyat à Marseille, deux anthropologues ont choisi de comprendre le contexte de violence au-delà du phénomène de trafic de drogue qui mine la cité phocéenne.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208752024-03-11T16:14:07Z2024-03-11T16:14:07ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (1/4) – La mauvaise réputation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572905/original/file-20240201-15-ld5s43.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C28%2C6287%2C3416&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Grands ensembles à Félix Pyat, Marseille, 3e arrondissement, 2021.
</span> <span class="attribution"><span class="source">D.Rodgers & S. Jensen</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Une image difficile à déconstruire mais qui masque aussi des violences structurelles tenaces.</em></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le film <em>BAC Nord</em>, sorti en 2021.</span>
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<p>Une course-poursuite s’engage entre policiers et trafiquants de drogues. Trois agents de la Brigade anticriminalité (BAC) de Marseille s’engouffrent dans une cité afin d’y kidnapper un trafiquant, puis s’échappent en franchissant une barricade de deux mètres de haut, poursuivis par une horde de jeunes hommes cagoulés et armés sur des motos, tout en faisant face à une véritable pluie de détritus jetés depuis les tours environnantes par les habitants hostiles de la cité. Cette scène rocambolesque ouvre le film Bac Nord. Sorti en salle en 2021, il traite plus largement du trafic de drogue et de la corruption policière à Marseille.</p>
<p>Promu sous le label « inspiré par des faits réels », le film articule un ensemble de discours médiatiques et politiques reflétant un imaginaire violent censé caractériser Marseille. Un sujet qui a été rapidement instrumentalisé en politique comme en témoigne par exemple un <a href="https://twitter.com/MLP_officiel/status/1433132385214816278">tweet</a> de Marine Le Pen daté du 1<sup>er</sup> septembre 2021 :</p>
<blockquote>
<p>« BAC Nord : alors que le président va faire un show médiatique à <a href="https://twitter.com/hashtag/Marseille">#Marseille</a>, la réalité c’est ce film ! Allez le voir ! Prenez conscience de cette terrible réalité et de l’urgence à reprendre la main. »</p>
</blockquote>
<p>Plus récemment, le ministre de l’intérieur <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/a-marseille-gerald-darmanin-vise-uber-shit-et-les-consommateurs-de-drogues-des-beaux-quartiers-20240104">Gérald Darmanin</a> a évoqué la cité phocéenne, en mettant l’accent sur ses « points de deal » à « nettoyer » et la responsabilité des consommateurs de drogues issus des « beaux quartiers ».</p>
<h2>Des représentations symboliques violentes</h2>
<p>Il est en fait commun d’entendre des expressions telles que « Marseille, c’est Chicago », « Marseille, c’est le Far West », ou bien « Marseille, la capitale du crime français ». Comme l’ont analysé <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100397430">Cesare Mattina et Nicolas Maisetti</a>, ce genre de représentation constitue une forme de stigmatisation et de violence symbolique, au sens où elles s’inscrivent durablement dans nos schémas de perception à propos du monde d’une manière qui dépasse les statistiques.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Peut-on vraiment qualifier Marseille de « French Chicago » ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">myretroposter</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Marseille – comme d’autres villes telles que Glasgow, Naples, ou Chicago – est, dans notre imaginaire, une métropole gangrénée par la violence, <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/5159567/marseille-est-la-ville-la-plus-dangereuse-deurope-selon-un-site-americain.htm">« la plus dangereuse d’Europe »</a>, après certains médias. Pourtant, statistiquement parlant, les niveaux de violence à Marseille ne sont souvent pas plus élevés qu’à Paris. Le chercheur Laurent Mucchielli l’avait déjà souligné en 2013 dans son rapport <a href="https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/drupal_fjj/publication-print/mucchielli_marseille.pdf">« Délinquance et criminalité à Marseille : fantasmes et réalités »</a>. Et les statistiques récentes concernant les crimes et délits sur <a href="https://ville-data.com/delinquance/classement-des-villes-les-plus-dangereuses-de-france">d’autres villes françaises</a> le confirment encore : Marseille arriverait 13<sup>e</sup> derrière Paris.</p>
<p>Il faut de plus distinguer délinquance, vols avec violence armée ou non, criminalité organisée et <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/insecurite-nantes-paris-marseille-les-villes-francaises-devissent-dans-le-classement-mondial-des-villes-les-plus-sures-20220923">sentiment d’insécurité</a>, autant de critères qui <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/cartes-delinquance-a-paris-lyon-ou-marseille-les-arrondissements-centraux-ou-touristiques-sont-les-plus-cibles_5702228.html">peuvent faire varier les statistiques</a>.</p>
<p>Ainsi, les représentations de la violence à Marseille sont souvent liées à des effets de loupe ou à des distorsions, des perceptions, et des expériences très variées.</p>
<p>La scène d’ouverture du film Bac Nord est particulièrement pertinente à ce niveau là, car elle a été tournée à Félix-Pyat, une cité dans laquelle nous avons effectué un travail de terrain de sept mois entre 2021 et 2023, ce qui nous permet d’affirmer avec certitude que sa réalité quotidienne ne correspond absolument pas aux images véhiculées par le film.</p>
<h2>Du Parc Bellevue à Félix-Pyat</h2>
<p>La cité Félix-Pyat – aussi connue comme le <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">« Parc Bellevue »</a> – a été construite en copropriété entre 1958 et 1961 pour accueillir les colons Pieds-noirs revenant d’Algérie et du Protectorat français de la Tunisie. Au cours de la décennie qui a suivi la construction de la cité, une deuxième vague d’immigrants est arrivée, principalement d’Afrique du Nord. Cette population maghrébine a lentement, puis plus rapidement, remplacé les premiers habitants de la cité. Cependant, au lieu de vendre leurs appartements, beaucoup de ces derniers ont commencé à les louer aux nouveaux arrivants.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Félix Pyat, 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/44359189@N08/5096826992">Catherine Champerneau/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Dès lors, un grand nombre de propriétaires, parce qu’ils n’habitaient plus à Félix-Pyat, ont cessé de payer les services et les charges de la copropriété, qui s’est lourdement endettée. Les édifices se sont peu à peu dégradés et un cercle vicieux s’est enclenché : ceux qui ont pu se le permettre ont déménagé le plus rapidement possible, alors que ceux qui sont restés étaient les plus paupérisés.</p>
<p>Dès les années 1980, la cité se caractérise par une pauvreté croissante. A partir des années 1990, l’immigration maghrébine est remplacée par les arrivées de réfugiés bosniaques et kurdes, mais aussi albanais et surtout, une nouvelle immigration comorienne. De fait, Félix-Pyat est aujourd’hui connue comme la <a href="https://www.routledge.com/The-Diaspora-of-the-Comoros-in-France-Ethnicised-Biopolitics-and-Communitarisation/Fritsch/p/book/9780367627942">« capitale des Comores »</a> à Marseille, qui concentre elle-même le plus grand nombre de Comoriens en dehors des Comores.</p>
<p>Félix-Pyat se distingue aussi par le fait que, géographiquement, c’est le soi-disant « Quartier Nord » le plus central de Marseille, située dans le III<sup>e</sup> arrondissement de la ville, dans le quartier de Saint-Mauront. La cité est donc beaucoup plus accessible depuis et vers le reste de la ville que d’autres cités plus au nord comme La Castellane ou bien Frais Vallon à l’Est.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte Google de la cité Félix Pyat dans Marseille, IIIᵉ arrondissement" src="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte Google de la cité Félix Pyat dans Marseille, IIIᵉ arrondissement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.com/maps/search/felix+pyat+marseille+cit%C3%A9/@43.3179808,5.3438843,13.89z?hl=fr&entry=ttu">Google maps</a></span>
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<p>En 2022, nous avons mené une « enquête de ménage » – porte à porte – auprès d’un échantillon représentatif de 228 des 605 ménages que compte la cité dont les résultats seront publiés dans un livre en cours de rédaction. Notre objectif était à la fois de collecter des données socio-économiques sur la population de la cité, mais aussi à propos des perceptions concernant la violence et l’insécurité dans la cité.</p>
<p>La population de la cité est d’environ 3,500 habitants, avec un ratio moyen de 5,8 personnes par ménage, réparties dans des logements de taille variables. La population de la cité est en générale jeune ; l’âge moyen est de 28 ans. Elle se partage de manière plus ou moins égale en termes de sexes.</p>
<p>Une majorité des ménages de la cité disent s’identifier avec « la communauté comorienne » : 57 % de la population, contre 30 % s’identifiant avec « la communauté maghrébine », et 13 % s’identifiant avec une autre communauté. Notre enquête de ménage confirme aussi que Félix-Pyat reste une cité pauvre : 63 % des chefs de famille gagnent moins de 1,000 euros par mois.</p>
<p>En parallèle, Félix-Pyat concentre aussi de nombreuses organisations associatives, et il existe clairement un tissu social et culturel collectif très fort, qui se mobilise de façon visible lors des célébrations de <a href="https://www.persee.fr/doc/diasp_1637-5823_2009_num_15_1_1195">« grands mariages »</a>, autour de la religion, ou bien lors de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quipe_des_Comores_de_football_%C3%A0_la_Coupe_d%27Afrique_des_nations_2021">l’épopée sportive de l’équipe de foot des Comores à la CAN 2021</a> par exemple, quand les matchs furent projetés en plein air sur la place principale de la cité.</p>
<p>On vit, on rit, on aime, on pleure à Félix-Pyat, dont l’histoire, en fin de compte, est une « histoire plurielle et emblématique de l’évolution de la société française durant les cinq dernières décennies », comme l’ont très bien décrit Marie d’Hombres et Blandine Scherer dans leur superbe livre <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">« Au 143 rue Félix Pyat »</a>, recueillant textes, propos, et témoignages d’habitants du quartier.</p>
<h2>« Tout se passe là-bas, rien ici »</h2>
<p>Nous ne voulons pas, pour autant, minimiser ni la présence ni la violence du trafic de drogue à Félix-Pyat. Les deux y sont indéniablement manifestes. Mais compte tenu des représentations sensationnalistes qui abondent autour du phénomène, nous tenons à remarquer en premier lieu que les activités liées à la drogue sont bien plus visibles dans d’autres cités de la ville que nous avons pu visiter. Il est important de réaliser que le trafic de la drogue à Marseille est un phénomène très variable, comme cela est par ailleurs très bien décrit dans une étude sur <a href="https://theses.hal.science/tel-01955264/">« La concentration du crime et les caractéristiques de l’aménagement de l’espace urbain à Marseille »</a>.</p>
<p>Ceci étant dit, sur les murs de l’un des premiers bâtiments que l’on croise en entrant dans la cité Félix-Pyat, un graffiti suggère que « tout se passe là-bas, rien ici », avec une flèche indiquant le bâtiment suivant, où se trouverait le « charbon », c’est-à-dire un point de vente de la drogue. On voit régulièrement une clientèle variée s’y rendre pour acheter de la drogue, le plus souvent en soirée, mais aussi pendant la journée.</p>
<p>Les « guetteurs » sont aussi une présence régulière aux coins des rues de la cité, qu’ils barricadent à intervalles réguliers afin de faciliter les livraisons de drogue, tandis que plusieurs habitants nous ont raconté comment les cages d’escalier d’immeubles pouvaient aussi être barricadées pour ralentir la police en cas de descente.</p>
<p>Un interlocuteur, que nous nommerons Tarek, nous a précisé :</p>
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<p>« mais quand une vieille dame arrive, ils enlèvent les barricades pour qu’elle puisse passer ». Après une petite pause, il ajouta, « en fait, non, je blague. Ils ne sont pas gentils ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Tout se passe là-bas, rien ici. »</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Rodgers & S. Jensen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Il y a aussi eu plusieurs <a href="https://www.laprovence.com/article/edition-marseille/6009924/relaxe-par-la-justice-tue-a-felix-pyat.html">meurtres</a> liés au trafic de drogue dans la cité au cours des dernières années, ainsi que de multiples <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/58910306011716/marseille-des-tirs-a-felix-pyat-cette-nuit-quatre-blesses-dont-trois-graves">blessés</a>.</p>
<p>Félix-Pyat a en outre fait les titres des journaux début septembre 2023 pour un cas de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/ce-qu-il-faut-savoir-sur-le-proces-des-agresseurs-presumes-de-l-adolescent-sequestre-et-torture-au-chalumeau-a-marseille-2835617.html">torture d’un jeune trafiquant</a> de drogue extérieur à la cité qui avait voulu y vendre indépendamment du trafic local.</p>
<h2>D’abord la saleté, la pauvreté et ensuite la peur</h2>
<p>L’angoisse des parents de jeunes dans la cité, qu’ils soient impliqués dans le trafic ou pas, était souvent palpable lors de beaucoup des entretiens que nous avons effectués.</p>
<p>Certains habitants ont aussi exprimé le sentiment plus général de « vivre avec la peur » à cause de la délinquance et du trafic de drogue, même si celle-ci variait clairement en fonction des personnes ainsi que de leur relation avec différents espaces de la cité : paradoxalement, ceux qui vivaient plus prêt d’un point de vente exprimaient moins de peur que ceux dont les appartements étaient plus éloignés, à cause vraisemblablement d’un effet de familiarisation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/serie-drogues-en-france-loin-des-cliches-204829">Série : Drogues en France, loin des clichés</a>
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<p>Beaucoup de jeunes femmes ont néanmoins souligné qu’elles évitaient de passer par certaines zones de la cité, en particulier lorsqu’elles y voyaient des attroupements de « guetteurs ». Les jeunes hommes, par contre, exprimaient plus de peur face aux risques de violence policière lors des descentes de CRS cherchant à perturber et interrompre le trafic de drogue.</p>
<p>Cependant, les résultats de notre enquête de ménage rapportent que la violence et la délinquance ne sont pas perçues comme étant le problème le plus important auquel les habitants de la cité sont confrontés au quotidien. Lors des entretiens, la « saleté », la « pauvreté », « l’état des bâtiments » et la « santé » sont des préoccupations qui sont apparues en premier comme l’indique le tableau ci-dessous.</p>
<p>Il ne fait aucun doute que la saleté est un problème réel à Félix-Pyat. Le mistral fait fréquemment voler les ordures non ramassées dans les rues de la cité, qui sont peuplées de rats et de gabians agressifs qui se battent entre eux pour les déchets alimentaires.</p>
<p>La même chose vaut pour la pauvreté : 54 % des ménages dépendent de l’assistance sociale. L’insalubrité des bâtiments de la cité est évidente et leur détérioration telle qu’elle se constate sur le plan visuel, sonore ou même olfactif. Les infrastructures de la cité – routes, parcs, bâtiments scolaires – sont généralement en mauvais état, en raison du manque d’entretien. Les bâtis endommagés par les incendies fréquents – plusieurs se sont déclarés lors de notre travail de terrain – sont rarement réparés et souffrent d’un vandalisme constant.</p>
<p>Beaucoup des habitants de Félix-Pyat sont aussi clairement en mauvaise santé. Certains par exemple souffrent de maladies respiratoires pour des raisons très certainement liées aux conditions environnementales ambiantes, <a href="https://marsactu.fr/legionelle-273-habitants-dair-bel-poursuivent-leur-combat-hors-norme-au-tribunal/">comme cela a été le cas dans d’autres cités marseillaises</a>.</p>
<h2>De quelles violences parle-t-on ?</h2>
<p>Les résultats de notre enquête de ménage nous permettent donc de remettre la violence associée à la délinquance et au trafic de drogues à Félix-Pyat à sa juste place parmi d’autres préoccupations au quotidien.</p>
<p>Dans d’autres contextes, ces préoccupations auxquelles sont confrontés la population de la cité sont souvent caractérisées comme des formes de violences – la pauvreté comme de la <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520243262/pathologies-of-power">« violence structurelle »</a>, le délabrement des bâtiments et espaces publics comme de la <a href="https://www.jstor.org/stable/43497507">« violence infrastructurelle »</a>, ou bien la saleté comme de la <a href="https://global.oup.com/academic/product/flammable-9780195372939">« violence environnementale »</a> – qui s’enchevêtrent et se renforcent.</p>
<p>À Félix-Pyat également, ces phénomènes s’auto-alimentent et créent un environnement qui impacte de manière systémique la vie quotidienne de la population de la cité. Vu ainsi, il ne suffit pas de décrire Félix-Pyat comme une cité violente du fait du trafic de drogue pour comprendre – encore moins résoudre – quoi que ce soit. Au contraire, ce constat peut masquer – et potentiellement légitimer – la situation plus large d’oppression structurelle dans laquelle vivent ses habitants, et dont les dynamiques dépassent le seul contexte de la cité.</p>
<p>Il nous parait dès lors opportun de mobiliser une autre notion de violence pour penser à la manière dont la situation globale dans les cités telles que Félix-Pyat est perçue, qui est celle de la violence « épistémique », mise en avant par <a href="https://monoskop.org/images/b/b7/Foucault_Michel_L_archeologie_du_savoir.pdf">Michel Foucault</a>.</p>
<p>Celle-ci caractérise une forme de violence à travers laquelle est imposée une <em>épistémè</em>, ou autrement dit, des règles de production du savoir qui déterminent les limites de nos connaissances. La violence épistémique fonctionne donc en imposant un cadre de pensée préétabli, dans le cas présent en focalisant le regard sur certains processus comme des formes de violences au détriment d’autres.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/K63Rr7zpIKY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Visite de Félix Pyat : quartier défavorisé de Marseille (avec le rappeur Yassta) par le reporter GabMorrison, YouTube, 2022.</span></figcaption>
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<p>Appréhender la violence dans les cités de Marseille uniquement à partir de la violence liée au trafic de drogue et limiter son analyse à l’échelle des cités constituent donc une violence épistémique qui empêche de réfléchir autrement.</p>
<p>Afin de la contrecarrer, nous avons clairement besoin d’un nouveau vocabulaire concernant la violence. Il faudrait en particulier parler de violences au pluriel, pour nous permettre de montrer la nature systémique du phénomène, mais aussi de comparer les effets de différentes formes de violence.</p>
<p>Ce n’est qu’en élargissant notre regard et en analysant ensemble plutôt que séparément différentes violences que nous pourrons faire place à de nouvelles idées et changer l’optique des discussions contemporaines concernant la violence dans les cités de Marseille, qui va bien au-delà de la criminalité et la délinquance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark </span></em></p>Les représentations des cités marseillaises comme lieux de violence tributaires du trafic de drogue nourrissent des imaginaires masquant d’autres formes de violences structurelles.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101462023-07-24T18:35:37Z2023-07-24T18:35:37ZLa France au cœur des trafics de drogue : un regard géopolitique<p>« Narco-État » : le terme est désormais très répandu pour qualifier un territoire où de colossales sommes d’argent issues du trafic de drogue structurent l’économie criminelle. Cette formule est parfois employée pour désigner certains pays européens, y compris la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/stupefiants-le-senat-veut-eviter-que-la-france-ne-devienne-un-narco-etat-20">France</a>, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/anvers-face-a-l-explosion-du-trafic-de-coke-5207660">Belgique</a> et les <a href="https://www.europe1.fr/international/drogue-pourquoi-les-autorites-francaises-qualifient-les-pays-bas-de-narco-etat-4177348">Pays-Bas</a>.</p>
<p>Certes, au regard des milliards d’euros produits par les entreprises, ces trois pays sont loin d’être des narco-États où tout l’appareil de production serait dédié à une activité criminelle. Il n’en demeure pas moins que le crime organisé est en plein essor en <a href="https://www.europol.europa.eu/publications-events/main-reports/socta-report">Europe</a> et en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/18/laure-beccuau-procureure-de-paris-l-infiltration-de-nos-societes-par-les-reseaux-criminels-depasse-toutes-les-fictions_6150397_3224.html">France</a>.</p>
<p>La drogue reste le premier facteur d’accumulation de richesse du crime organisé. Quelles sont les raisons qui font de la France un pays situé au cœur de la majorité des trafics sur le continent européen ?</p>
<h2>France : augmentation continue du trafic et de la consommation</h2>
<p>Pour dresser un état des lieux du trafic de drogue, les chercheurs s’appuient sur trois indicateurs : les saisies, les surfaces de production et les enquêtes de consommation. Ces informations peuvent être croisées avec les déclarations des trafiquants qui témoignent devant les tribunaux ou dans des <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/truand-mes-50-ans-dans-le-milieu-corso-marseillais/">livres</a>.</p>
<p>À l’échelle mondiale, le cannabis est de loin la drogue la plus consommée, mais la consommation de cocaïne augmente de manière significative, le <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/world-drug-report-2022.html">nombre de saisies ayant explosé dans le monde depuis 2014</a>. Le marché de l’héroïne est relativement stable, tout comme celui des drogues de synthèse. La grande nouveauté est <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/sante-publique/lobservatoire-europeen-des-drogues-sinquiete-de-lexplosion-des-produits-de-synthese">l’essor des opioïdes de synthèse</a>.</p>
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<p>La situation de la France, notamment en <a href="https://insightcrime.org/wp-content/uploads/2023/03/2023-02-DP-BILAN-2022-LUTTE-CONTRE-LES-DROGUES.pdf">termes d’augmentation des saisies</a> (cf. tableau ci-dessous), est en cohérence avec la géopolitique mondiale des drogues.</p>
<p><iframe id="8PRr6" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8PRr6/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ces 20 dernières années, l’offre de cocaïne s’est « démocratisée » et a fortement augmenté dans les quartiers urbains populaires comme dans les territoires ruraux. On observe une <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/thema/la-cocaine-un-marche-en-essor-evolutions-et-tendances-en-france-thema/">hausse de la consommation de cocaïne proportionnellement aux autres drogues</a>.</p>
<p>Les prix médians de toutes les drogues sont relativement stables, mais la pureté des produits est de plus en plus élevée. Le cannabis consommé aujourd’hui en France contient <a href="https://www.europe1.fr/sante/de-plus-en-plus-fort-en-thc-le-cannabis-comporte-plus-de-risques-quavant-4038196">4 à 5 fois plus de THC que celui consommé il y a 20 ans</a>. Le nombre de personnes interpellées pour trafic de stupéfiants en France est en forte augmentation depuis 20 ans (doublement de 2005 à 2009). 44 000 personnes ont été interpellées en 2020.</p>
<p>Le secteur de la drogue générerait en France environ 3 milliards d’euros de gains par an et impliquerait <a href="https://www.la-croix.com/France/La-drogue-genere-23-milliards-deuros-chiffre-daffaires-France-2016-11-02-1200800282#">240 000 personnes pour le seul trafic de cannabis</a>. Un des principaux moyens de distribution des drogues en France demeure le consommateur-revendeur. Une partie d’entre eux constituent une multitude de petits réseaux d’usagers-revendeurs qui s’approvisionnent via un trafic de « fourmis », en particulier aux Pays-Bas ou en Espagne. Le reste de la drogue consommée en France est acheminée par des réseaux criminels qui profitent de la mondialisation de l’économie.</p>
<h2>Géopolitique des drogues en France : des contraintes structurelles</h2>
<p>Produites au Sud, les drogues sont consommées au Nord. Ni la France, ni la Belgique, ni les Pays-Bas ne sont en capacité de stopper leur arrivée. Le cannabis provient avant tout du Maroc, qui est l’un des principaux producteurs de résine de cannabis au monde. Cette production est un facteur de stabilité sociale dans la région du Rif, traditionnellement rebelle, très pauvre, où le <a href="https://le-cartographe.net/m/publications/89-atlas-des-mafias">cannabis fait vivre des centaines de milliers de personnes</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La culture du cannabis, une activité répandue au nord du Maroc.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://le-cartographe.net/m/publications/89-atlas-des-mafias).">Carte Fabrizio Maccaglia, Atlas des mafias, ed. Autrement, 2014, p. 47</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si le cannabis marocain arrive si aisément en France, c’est dans une vaste mesure parce que Paris et Rabat ont des intérêts géopolitiques communs dont la préservation se fait au détriment de la lutte contre le trafic. Les forces de l’ordre sont tributaires de ces intérêts géopolitiques qu’elles ne maîtrisent pas. D’une part, une partie de l’élite politique et administrative marocaine est <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2004-1-page-63.htm">impliquée dans le trafic de drogue à travers des schémas de corruption</a> ; mais, d’autre part, le Maroc est un allié important de la France dans la <a href="https://ladepeche.mr/?p=4644">lutte contre le djihadisme</a> en Afrique du Nord et dans la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/20/madrid-salue-le-role-essentiel-du-maroc-en-matiere-migratoire_6170295_3212.html">lutte contre l’immigration clandestine</a>. C’est pourquoi, en dépit d’actions représsives dans les deux pays (éradication des plants de cannabis au Maroc et saisies en France), le trafic de cannabis perdure.</p>
<p>Notons également que, depuis cinq ans, le <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/749599/politique/maroc-la-nouvelle-route-de-la-cocaine/">Maroc est devenu un hub pour la cocaïne</a>, bien qu’il n’en soit pas producteur.</p>
<p>La cocaïne arrive en France par différents moyens. La voie maritime du commerce mondial demeure prégnante. La drogue voyage par conteneurs, avec la complicité de sociétés de transport ou à leur insu selon la technique du <em>rip off</em>. Les saisies de cocaïne dans le port du Havre sont passées de 2,8 tonnes en 2019 à 3,8 tonnes en 2020 puis 11 tonnes en 2021. Les ballots de cocaïne peuvent aussi être largués en mer et récupérés par des trafiquants, selon une <a href="http://www.annecoppel.fr/wp-content/uploads/1996/01/ATLAS-intro-XXIII.pdf">technique mise en place par les clans galiciens</a> dans les années 1980.</p>
<p>Aujourd’hui, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/cocaine-les-antilles-guyane-zone-de-rebond-du-trafic-selon-un-rapport-de-l-ofdt-1380154.html">15 à 20 % du marché français de cocaïne est alimenté par la Guyane</a> et 55 % des quantités de cocaïne saisies à l’entrée en métropole <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/plus-de-la-moitie-de-la-cocaine-saisie-dans-l-hexagone-en-2022-provenait-des-antilles-guyane-1370926.html">proviennent des Antilles et de la Guyane réunies</a>. En 2021, le nombre de passeurs interpellés en Guyane a augmenté de 75 % par rapport à 2017 : 608 passeurs avaient été interpellés en 2017, pour 921 kilos saisis, contre <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxco2d3.pdf">1 065 passeurs et 2 tonnes en 2021</a>. 50 passagers par avion en provenance de Kourou sont potentiellement des « mules » !</p>
<p>En outre, le trafic vers la France passe par les <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/crime-trafics-et-reseaux-geopolitique-de-leconomie-parallele/">zones de stockage mises en place par les trafiquants dans les années 2000</a> en Afrique subsaharienne (500 kilos saisis en 1997, 5 tonnes en 2007), puis dans les Caraïbes. Les trafiquants français installés dans les Caraïbes ont créé une « autoroute de la cocaïne par voilier » comme le démontrent les saisies de cocaïne depuis 10 ans.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les zones de transit de la cocaïne dans les Caraïbes et en Afrique. Carte de Pascale Perez, dans <em>Crime trafics et réseaux</em>, Ellipes, 2012, p. 61.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>De nouvelles routes s’ouvrent en envoyant la cocaïne par bateau en Russie et en Ukraine. Cette cocaïne revient ensuite sur le marché occidental par camion, comme en témoignent les saisies de cocaïne impliquant des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/un-reseau-de-cocaine-demantele-un-coup-porte-au-milieu-des-balkans-25-07-2019-2326877_24.php">organisations serbes et monténégrines</a>. La guerre actuelle semble toutefois avoir provisoirement interrompu cette route.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La route « Amérique du Sud-Europe de l’Est » pour livrer la cocaine en Europe de l’Ouest. Carte Pascale Perez dans Crime trafics et réseaux, ed. Ellipes, 2012, p. 61.</span>
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<p>La France est également le terminal de la route de la soie… de l’héroïne. Fabriquée essentiellement en Afghanistan, l’héroïne <a href="https://espace-mondial-atlas.sciencespo.fr/fr/rubrique-strategies-des-acteurs-internationaux/carte-3C42-production-et-trafic-des-principales-drogues-(hors-cannabis)-situation-au-milieu-des-annees-2010.html">traverse toute l’Europe pour arriver en France à travers Milan puis la Suisse</a>.</p>
<p>Enfin, en ce qui concerne les drogues de synthèse, le trafic est moins documenté mais il fait l’objet d’un « trafic de fourmis », en particulier en provenance des Pays-Bas (et de la province belge du Limbourg) devenus le <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/ecstasy-la-viet-connection-decapitee-a-paris-apres-lincarceration-du-gros-et-une-saisie-de-120-kg-02-04-2023-IDAEDD7NPJCYBN7SSPIFSR6XK4.php">principal producteur d’ecstasy au monde</a>.</p>
<h2>La force des organisations criminelles françaises</h2>
<p>L’émergence des organisations trafiquantes des quartiers populaires est confirmée. Investies dans la vente de tous les stupéfiants soit en gros, soit en détail, elles gèrent <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/drogue-l-office-anti-stupefiants-a-permis-l-identification-de-pres-de-4000-points-de-deal-450-ont-ete-demanteles_4336949.html">4 000 grands points de deal en France</a> dans les grandes métropoles comme dans les villes moyennes.</p>
<p>Ces dernières années, on observe <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/288921.pdf">leur mainmise croissante sur le marché de la cocaïne</a>, la diversification des produits revendus dérivés du cannabis (variétés hybrides, huiles, résines, concentrés) et le recours de plus en plus fréquent aux livraisons à domicile via des « centrales d’achat » recourant aux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/trafic-de-drogue-sur-snapchat-des-pubs-et-des-promos-comme-dans-l-economie-legale-3858056">techniques propres au marketing direct</a> (packaging, promotions, carte de fidélité…) par l’entremise des réseaux sociaux.</p>
<p>Pour protéger leur système, les coteries trafiquantes françaises n’hésitent plus désormais à <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/a-armes-illegales-le-trafic-darmes-a-feu-en-france/">employer des armes de guerre</a> lors des règlements de comptes. Les enlèvements et séquestrations liés au trafic de stupéfiants sont devenus une pratique courante en France : 129 en 2020, 128 en 2022, soit une fois tous les trois jours, les chiffres réels étant sans doute plus élevés, toutes les victimes ne se signalant pas au regard de leurs activités.</p>
<p>La violence systémique déjà évoquée s’accompagne parfois d’une véritable <a href="https://www.lexpress.fr/societe/une-demi-tonne-de-cannabis-dans-un-local-municipal-debut-du-proces-lundi-a-bobigny_2070266.html">force de corruption</a>. À <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/trafic-de-drogue-une-maire-normande-et-son-adjoint-mis-en-examen-pour-complicite_5299789.html">Canteleu</a>, dans la banlieue de Rouen, une bande avait acquis un tel pouvoir d’intimidation qu’elle exerçait des pressions sur la mairie afin que celle-ci ferme les yeux sur ses activités. Les affaires de <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/trafic-jusqua-deux-ans-de-prison-pour-danciens-responsables-des-douanes-coupables-de-derives-avec-un-informateur-20220929_HWNCIRGQJJGNRHDN2SJZJ6CRAI/">corruption des forces de l’ordre</a> se succèdent. Sur la corruption du personnel politique, nous manquons de données judiciaires mais des <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/la-france-des-caids/">sources existent</a>.</p>
<h2>Les narco-comptoirs du nouveau banditisme français</h2>
<p>Les réseaux dits « de cité » sont <a href="https://www.autrement.com/atlas-des-mafias/9782746739604">très organisés</a> et efficaces en matière de logistique. Ils ne sont plus les petites mains des anciens gangsters français, qui dépendaient de l’approvisionnement de ces derniers. Dans les années 1990/2000, les caïds des cités devaient <a href="http://www.mafias.fr/2009/11/17/etats-generaux-de-lantimafia-2009/">se rendre en Espagne</a> pour discuter avec un narco-courtier de l’ancienne génération pour obtenir du cannabis. Depuis vingt ans, les narco-bandits des cités ont acquis une <a href="https://crimhalt.org/1971/06/25/la-guerre-de-lombre-2/">dimension transnationale</a> en s’approvisionnant directement en Colombie et au Maroc, où ils sont <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/17/le-caid-marseillais-hakim-berrebouh-extrade-et-mis-en-examen-pour-trafic-de-drogue_6106377_3224.html">parfois propriétaires des champs de cannabis</a>.</p>
<p>Des barons français du narcotrafic sont présents à Saint-Domingue, à Dubaï ou au Maroc, et <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3304163-20220608-maroc-baron-francais-drogue-recherche-interpol-enfin-arrete">gèrent leur trafic à distance</a>. Aujourd’hui, les cartels colombiens peuvent même envoyer des chimistes en France pour <a href="https://www.lejdd.fr/societe/info-jdd-cocaine-des-colombiens-arretes-dans-laisne-133540">reconstituer la cocaïne dans un laboratoire de fortune</a>.</p>
<p>Enfin, les narcos français scellent des alliances avec des mafias internationales, comme dans le cas de <a href="https://www.20minutes.fr/societe/1970243-20161128-reseaux-mafia-italienne-france">« joint-ventures » entre les gangs des cités et la mafia calabraise</a> ou avec des <a href="https://www.lejdd.fr/societe/info-jdd-cocaine-des-colombiens-arretes-dans-laisne-133540">cartels internationaux de la drogue</a>.</p>
<p>Ce phénomène d’alliance est favorisé par le fait que la France est aussi une terre de repli, de blanchiment et parfois de trafic de drogue pour les organisations étrangères. Par exemple, la mafia albanophone joue un rôle important dans le trafic d’héroïne, particulièrement dans la région Rhône-Alpes, <a href="https://www.ledauphine.com/faits-divers-justice/2021/06/13/pays-de-savoie-quand-les-mafias-albanaises-inventent-le-uberheroine">où elle tient 90 % du trafic d’héroïne</a>.</p>
<p>Les données analysées ici révèlent la <a href="https://www.causeur.fr/face-a-la-drogue-la-confiscation-261291">relative inefficacité du dispositif répressif en France</a>. En plus du débat sur la légalisation des drogues, une des pistes qui pourrait être privilégiée est la <a href="https://crimhalt.org/2023/06/29/crimhalt-partenaire-du-projet-rinse-research-and-information-sharing-on-freezing-and-confiscation-orders-in-european-union/">confiscation des avoirs criminels générés par le trafic</a>.</p>
<hr>
<p><em>Cet article, rédigé à l’aide de la revue de presse quotidienne du site <a href="https://crimorg.com/">crimorg.com</a> a été co-écrit avec Mehdi Ajerar, spécialiste de la géopolitique du crime organisé et du terrorisme. Mehdi Ajerar a rédigé, à l’Université Paris 8, un mémoire de géopolitique sur les représentations criminelles du trafic de drogue à Saint-Ouen à l’Université Paris 8. Il est titulaire d’un <a href="https://formation.cnam.fr/rechercher-par-discipline/master-criminologie-securite-defense-renseignement-cybermenaces-1085602.kjsp">master 2 de criminologie au CNAM</a> et membre de l’association <a href="https://crimhalt.org/">Crim’HALT</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rizzoli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>S’il est exagéré de qualifier la France de « narco-État », le pays ne s’en trouve pas moins au cœur de nombreux trafics de drogue, celle-ci provenant aussi bien des Amériques que d’Afrique et d’Asie.Fabrice Rizzoli, Spécialiste des mafias et président de l'association Crim'HALT. Enseignant en géopolitique des criminalités., Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2083112023-07-17T19:22:06Z2023-07-17T19:22:06ZTrafic de stupéfiants : comment l’économie légale se rend co-responsable<p>Et si l’économie légale endossait une responsabilité non négligeable dans l’<a href="https://www.lepoint.fr/dossiers/monde/cocaine-europe-drogue-trafic-france-narcos/">explosion actuelle du trafic de stupéfiants</a> et en particulier de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/20-heures/drogue-explosion-de-la-consommation-de-cocaine-en-france_5668124.html">cocaïne</a> ? On a souvent tendance à penser la réalité de façon manichéenne avec, d’un côté, le <a href="https://theconversation.com/topics/commerce-illegal-37412">monde de l’illégal</a> recourant communément à la violence et, de l’autre, une sphère légale, par essence saine et pacifique, prospérant indépendamment du crime.</p>
<p>La réalité est bien <a href="https://www.puf.com/content/La_face_cach%C3%A9e_de_l%C3%A9conomie">moins binaire</a>. Le comprendre devient un impératif afin de mieux combattre la banalisation de la consommation de stupéfiants en France et ailleurs. Cette consommation affecte nos économies, nos systèmes de santé et même nos <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-cocaine-represente-une-menace-pour-les-democraties-europeennes-27-11-2022-2499382_24.php">démocraties</a> avec les sommes d’argent dont dispose le commerce illégal à des fins de corruption, comme l’expliquait récemment au <em>Point</em> le directeur du Centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les <a href="https://theconversation.com/topics/drogues-27914">stupéfiants</a> regroupant six pays européens.</p>
<p>Trois exemples de détournement d’outils légaux au profit des narcotrafiquants illustrent comment l’économie légale fournit – parfois sciemment – des instruments de développement des activités criminelles, dont le trafic de stupéfiants. Il s’agit des <em>trust and company service providers</em>, des fournisseurs de <a href="https://theconversation.com/topics/telecommunications-33904">messagerie cryptée</a> et des infrastructures <a href="https://theconversation.com/topics/port-35998">portuaires</a>.</p>
<h2>Déclarer légalement une entreprise de couverture</h2>
<p>Le terme de « sociétés-écrans » revient régulièrement lorsqu’il s’agit de trafic de stupéfiants, qu’elles servent de façade légale pour l’activité illégale ou d’outil de blanchiment de l’argent sale.</p>
<p>Des prestataires légaux, les <em>trust and company service providers</em> (TCSP) (« prestataires de services aux sociétés et fiducies »), offrent en toute légalité des services d’enregistrement et de domiciliation des sociétés et fiducies permettant de garantir l’opacité sur la propriété réelle des entités. En quelques clics sur Internet, il est possible d’immatriculer une société dans une place <em>offshore</em> pour une somme modique et sans même forcément se déplacer.</p>
<p>Ces prestataires agissent en toute liberté malgré des <a href="https://www.fatf-gafi.org/en/publications/Methodsandtrends/Moneylaunderingusingtrustandcompanyserviceproviders.html">rapports</a> du Groupe d’action financière (Gafi) pointant la responsabilité de ces sociétés dans le blanchiment d’argent. Le Gafi est l’organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.</p>
<p>En particulier, ces TCSP peuvent proposer, moyennant finance, des « directeurs désignés » (nominee directors), c’est-à-dire des personnes dont le nom apparaitra dans les registres en lieu et place du nom du véritable propriétaire (<em>beneficial owner</em>). Ils ne disposent d’aucun pouvoir opérationnel et décisionnel dans la société, n’ont pas non plus de droit d’accès ou de regard sur les comptes bancaires de la société : dit autrement, ce sont des hommes de paille. Cette option est évidemment fort appréciée des narcotrafiquants.</p>
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<p>L’approvisionnement de la France se fait via des organisations internationalisées pour l’import de gros. Ce sont ces organisations qui ont des sociétés-écrans. La <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-OFFSHORE-707-1-1-0-1.html">lutte est compliquée</a> car elle suppose de s’immiscer dans la souveraineté des places offshore. Le traçage des flux financiers est aussi difficile du fait de la multiplication des juridictions dans lesquelles les sociétés et les comptes bancaires associés sont créés.</p>
<h2>Des « WhatsApp » pour gangsters</h2>
<p>Les fournisseurs de messagerie cryptés ne peuvent pas non plus se dédouaner de certaines responsabilités. L’<a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/enquetes/2020/retour-sur-l-affaire-encrochat">opération d’infiltration d’EncroChat</a> menée en 2020 sous l’égide d’Europol et d’Eurojust l’a bien mis en évidence. Elle a permis aux forces de l’ordre de divers pays associés d’accéder à plus de 120 millions de messages cryptés largement émis par des acteurs du narcobanditisme. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/constitutionnalite-d-une-preuve-penale-classee-secret-defense">jugé</a> que les éléments collectés ainsi par des moyens classés secret défense pouvaient être utilisés dans un procès sans porter atteinte aux droits de la défense.</p>
<p>C’est grâce à une société légale, EncroChat, vite surnommée « le WhatsApp des gangsters », qu’ils ont été envoyés. Les activités de cette entreprise de télécommunications des Pays-Bas ont cessé en juin 2020 juste après la révélation de l’infiltration du système par les forces de l’ordre.</p>
<p>Aujourd’hui placée sous enquête, l’entreprise proposait des téléphones modifiés aux fonctionnalités propres à attirer spécifiquement des organisations criminelles. Sans micro, ni caméra, ni GPS, ces téléphones n’étaient pas traçables. Ils étaient également reliés à un système de messagerie chiffrée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1671459308557541378"}"></div></p>
<p>Via ce canal, les criminels géraient divers points du trafic : organisation logistique de l’acheminement des stupéfiants, règlements des factures, approvisionnement en armes, location de services illégaux tels que des tueurs à gages… Toutes ces opérations pouvaient être réalisées en des temps record. Outre le cryptage des messages, le système offrait un ensemble d’options utiles aux activités criminelles. On retrouvait notamment la possibilité d’utiliser un code PIN spécifique pour effacer toutes les données du téléphone et pour afficher de fausses interfaces de nature à dérouter les enquêteurs qui se saisiraient de l’objet.</p>
<p>Assurant que l’offre de tels services n’était pas problématique, les dirigeants d’EncroChat ont toujours prétendu que le cryptage, le non-traçage et l’effacement des données répondaient à des besoins typiques des journalistes ou bien des activistes, donc de personnes craignant que leurs actions soient espionnées sans pour autant s’inscrire dans l’illégalité.</p>
<p>L’analyse par les forces de l’ordre des messages interceptés montre cependant que la quasi-totalité d’entre eux conduit à des membres d’organisations criminelles comme la Mocro-Maffia néerlandaise ou le cartel de Sinaloa. Sans boutiques, ni revendeurs officiels, il était d’ailleurs quasi nécessaire d’être coopté par le membre d’une organisation criminelle pour acquérir un « Encro ».</p>
<h2>Des ports qui ne s’estiment pas responsables</h2>
<p>Nombre de messages décryptés par les autorités concernaient l’organisation du transport des stupéfiants, notamment de la cocaïne. Or le mode principal d’acheminement des drogues reste la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-4-page-119.htm">voie maritime</a>. Cela pose la question stratégique des zones portuaires et de l’utilisation en ces endroits d’infrastructures légales par des organisations criminelles.</p>
<p>Récemment, l’actualité a braqué les projecteurs sur les ports d’<a href="https://www.courrierinternational.com/article/drogues-anvers-et-rotterdam-points-d-entree-du-marche-europeen-de-la-cocaine">Anvers et de Rotterdam</a>, principaux ports européens et portes d’entrée de la cocaïne en Europe. Des saisies ont toutefois montré que d’autres ports européens sont concernés, en particulier, pour ce qui est de la France, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/seine-maritime/havre/drogue-pres-de-2-tonnes-de-cocaine-saisies-sur-le-port-du-havre-le-19-fevrier-2724110.html">Le Havre</a>, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/finistere/brest/saisie-de-343-kilos-de-cocaine-pres-de-brest-un-homme-interpelle-2796350.html">Brest</a> et <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/quelque-400-kg-de-cocaine-saisis-par-les-douanes-sur-le-port-de-montoir-lundi-soir-a61f768a-f3dd-11ed-9f02-f7c1b8f6226c">Montoire-de-Bretagne</a>.</p>
<p>Le commerce mondial ne cesse de croître et passe à 90 % par les voies maritimes. D’après la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) ce sont plus de <a href="https://unctad.org/system/files/official-document/rmt2022overview_fr.pdf#page=5">11 milliards de tonnes de marchandises</a> qui circulent annuellement dans le monde sur des porte-conteneurs et des vraquiers. Loin de se répartir harmonieusement entre les différents ports, l’activité commerciale maritime est extrêmement <a href="https://www.mdpi.com/2220-9964/10/1/40">polarisée</a> avec de grands ports se livrant une concurrence sans merci pour capter toujours plus de flux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Avec seulement 2 % de containers inspectés à Rotterdam, la porte est ouverte pour faire circuler en quantité importante des marchandises illégales.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Guilhem Vellut/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Cela se traduit par une <a href="https://theconversation.com/transport-maritime-40-ans-de-course-au-gigantisme-206780">course au gigantisme</a> des infrastructures – en réponse aussi au développement des capacités de charge des nouvelles générations de super porte-conteneurs – et à la rapidité de traitement du dépotage des cargaisons. Le <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/rotterdam-10e-port-mondial-en-2019">port de Rotterdam</a> se targue ainsi de fonctionner <a href="https://www.marfret.fr/ports/rotterdam/">24h/24, 365 jours/365</a> et de prendre en charge un conteneur toutes les six secondes.</p>
<p>Naturellement, la quête d’une extrême fluidité dans la circulation des marchandises s’accommode mal du ralentissement induit par d’éventuels contrôles sur la nature – légale ou non – des marchandises. Au nom de l’efficience économique, le choix a clairement été fait de peu contrôler : environ <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/drogue-addictions/cocaine/reportage-saisies-records-de-cocaine-le-port-belge-d-anvers-plus-que-jamais-cible-par-les-narcotrafiquants_5593875.html">2 % des marchandises seulement sont inspectés</a>, totalement ou partiellement, à Anvers et Rotterdam, au détriment de la sécurité.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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</figure>
<p>Cela ouvre des possibilités majeures de dissimulation de marchandises illégales au milieu des chargements légaux avec un risque de détection faible. À cela s’ajoutent des stratégies pour dévier d’éventuels contrôles, là aussi en exploitant les failles de l’économie légale. Les organisations criminelles vont exploiter leur capacité de corruption pour obtenir la complicité de professions clefs comme les dockers, les douaniers, les transporteurs. Cette corruption passe par des pots-de-vin mais aussi par des pressions (menaces, éventuelles violences) sur les personnes.</p>
<p>Si le rôle des ports dans l’entrée de stupéfiants sur nos territoires est avéré, la route semble pourtant encore longue pour que les autorités portuaires en endossent pleinement la responsabilité si l’on en croit cet extrait du <a href="https://reporting.portofrotterdam.com/FbContent.ashx/pub_1011/downloads/v230308163517/Highligths-Annual-Report-2021-Port-of-Rotterdam-Authority.pdf#page=12">rapport annuel d’activité 2021 du port de Rotterdam</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le crime lié aux stupéfiants au port a régulièrement été dans l’actualité l’année dernière. S’attaquer à la criminalité subversive est un défi posé à la société dans son ensemble qui, à strictement parler, n’est pas de la responsabilité de l’Autorité du Port de Rotterdam. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, une lutte efficace contre le trafic de stupéfiants doit intégrer le fait que l’économie légale fournit des « facilitateurs » auxquels il convient également de s’attaquer dans une logique d’entrave aux trafics.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clotilde Champeyrache ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Services d’immatriculation de sociétés-écrans, messageries cryptées et modes de régulation des infrastructures portuaires sont autant d’exemples de supports fournis par l’économie légale aux trafics.Clotilde Champeyrache, Associate Professor in Economics, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1882382022-08-18T17:36:09Z2022-08-18T17:36:09ZQuand la Chine exécute ses prisonniers pour alimenter le trafic d’organes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/478911/original/file-20220812-20-nble4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C17%2C5742%2C2535&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le traffic d'organes en Chine est une industrie de plusieurs milliards de dollars. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/medical-team-surgeons-hospital-doing-minimal-1023401719">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>C’est, sans conteste, l’une des <a href="https://www.who.int/health-topics/transplantation#tab=tab_1">plus grandes réussites de la médecine moderne</a>. La greffe d’organes <a href="https://www.frm.org/recherches-autres-maladies/greffes">a, en effet, sauvé des millions de vies</a>. Cependant, l’offre limitée de donneurs associée à une demande massive de greffes a créé une pénurie (<em>5 273 transplantations ont ainsi été réalisées en France en 2021, alors que près de 20 000 patients sont en liste d’attente d’un rein, d’un cœur, etc</em>. <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/06/20/greffes-d-organes-les-retards-lies-a-la-pandemie-persistent_6131267_1650684.html">ndlr</a>).</p>
<p>Ce manque a alimenté une industrie mondiale du trafic d’organes, qui exploite en premier lieu les membres les plus pauvres, défavorisés voire persécutés de la société, parfois considérés comme de simples « sources » à la disposition de ceux qui sont capables de s’offrir leurs organes.</p>
<p>Bien que <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/human-trafficking/glo-act2/Countries/unodc-develops-toolkit-on-the-investigation-and-prosecution-of-trafficking-in-persons-for-organ-removal.html">cette pratique existe dans de nombreux pays</a>, la situation en Chine est particulièrement préoccupante. Ce pays est le seul au monde à organiser le trafic d’organes à une échelle industrielle, en prélevant des organes sur des <a href="https://www.amnesty.fr/focus/prisonnier-opinion?gclid=CjwKCAjw0dKXBhBPEiwA2bmObew4YZzKx52mMc_REexvo_RRHgo_IkJ8aMqGhPOAet2jDVYXUtG8RhoC_XwQAvD_BwE">prisonniers d’opinion exécutés</a>. Cette pratique est connue sous le nom de prélèvement forcé d’organes.</p>
<h2>Un trafic aussi odieux que rentable</h2>
<p>Considérons un instant l’hypothétique scénario suivant : au Canada, un patient atteint d’une maladie cardiaque en phase terminale a besoin d’une greffe de cœur pour survivre.</p>
<p>Ses médecins l’informent qu’il doit s’inscrire sur une liste d’attente jusqu’à ce qu’un donneur compatible décède dans des conditions appropriées… ce qui peut se produire des semaines, des mois, voire des années plus tard. Mais, en se renseignant un peu, le patient découvre un programme de greffe en Chine qui peut lui garantir une greffe cardiaque à partir d’un donneur compatible quelques semaines à l’avance.</p>
<p>Cela soulève plusieurs questions importantes.</p>
<p>Une transplantation cardiaque ne peut provenir que de donneurs décédés. Alors, comment un hôpital peut-il mettre en relation ce patient avec un donneur potentiel « décédé » des semaines à l’avance ? Comment l’hôpital a-t-il trouvé ce donneur ? Comment les responsables de l’hôpital savent-ils quand ce donneur va mourir ? Ce dernier a-t-il consenti à ce que ses organes soient prélevés ?</p>
<p>Les réponses à ces questions sont terribles. La Chine utilise en fait des prisonniers d’opinion incarcérés comme réservoir d’organes, afin de fournir des greffes compatibles à la demande. Ces prisonniers, que l’on peut difficilement qualifier de « donneurs », sont exécutés et leurs organes sont prélevés contre leur gré, puis utilisés dans une industrie de greffes prolifique et particulièrement rentable.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/u2bUusvh3c0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">China’s $$$-Billion Murder for Organs Industry – Explainer.</span></figcaption>
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<p>En tant que néphrologues (spécialistes des reins) spécialisés dans les greffes et professionnels de la santé, notre objectif est de sensibiliser nos collègues, les institutions, les patients et le public au trafic d’organes, en particulier au prélèvement forcé d’organes. Nous sommes engagés dans des organisations telles que <a href="https://dafoh.org">Doctors Against Forced Organ Harvesting</a> et <a href="https://endtransplantabuse.org">International Coalition to End Transplant Abuse in China</a>, qui ont réalisé un travail considérable dans ce domaine depuis plus de dix ans.</p>
<p>La Chine possède actuellement le deuxième plus grand programme de greffes au monde. Ces dernières ont augmenté rapidement au début des années 2000, sans qu’il y ait une augmentation correspondante des donneurs d’organes volontaires, ce qui a suscité des <a href="https://doi.org/10.1186/s12910-019-0406-6">questions sur l’origine des organes</a>.</p>
<p>Or, pendant cette période de croissance rapide des greffes, les pratiquants de la discipline bouddhiste du Qi gong, connue sous le nom de Falun Gong, étaient <a href="https://endtransplantabuse.org/fr/introduction/?">détenus, persécutés et tués</a> en grand nombre par le gouvernement chinois. De même, la Chine a entamé en 2017 une campagne de <a href="https://conservativepartyhumanrightscommission.co.uk/wp-content/uploads/2021/01/CPHRC-China-Report.pdf">détention massive, surveillance, stérilisation et travail forcé</a> contre l’ethnie ouïghoure du Xinjiang.</p>
<h2>Enquêtes sur les droits de l’homme</h2>
<p>Les préoccupations concernant les prélèvements d’organes forcés ont commencé à émerger en 2006-2007, grâce au travail de deux avocats internationaux spécialisés dans les droits de l’homme, David Kilgour et David Matas, <a href="https://doi.org/10.3325%2Fcmj.2016.57.219">nommés pour le prix Nobel de la paix pour leur travail</a>. Le <a href="https://chinatribunal.com/">Tribunal de Chine</a>, dirigé par <a href="https://www.gresham.ac.uk/speakers/professor-sir-geoffrey-nice-qc">Sir Geoffrey Nice</a>, a été formé en 2019 pour enquêter de manière indépendante sur les allégations de prélèvements d’organes forcés.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/476244/original/file-20220727-1268-iqbmrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme debout en plein air devant des panneaux s’opposant aux prélèvements d’organes forcés en Chine" src="https://images.theconversation.com/files/476244/original/file-20220727-1268-iqbmrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/476244/original/file-20220727-1268-iqbmrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/476244/original/file-20220727-1268-iqbmrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/476244/original/file-20220727-1268-iqbmrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/476244/original/file-20220727-1268-iqbmrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/476244/original/file-20220727-1268-iqbmrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/476244/original/file-20220727-1268-iqbmrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’avocat des droits de l’homme David Kilgour s’adresse à des pratiquants de Falun Gong qui manifestent contre les prélèvements d’organes forcés en Chine devant le Parlement australien à Canberra, en Australie, en novembre 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rod McGuirk/AP</span></span>
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</figure>
<p>Le Tribunal a examiné de multiples types de preuves, notamment les nombres de transplantations, les tests médicaux réalisés sur des prisonniers détenus, les appels téléphoniques enregistrés vers les hôpitaux de transplantation ainsi que les témoignages de chirurgiens et de prisonniers. La <a href="https://chinatribunal.com/wp-content/uploads/2020/02/China-Tribunal-SHORT-FORM-CONCLUSION_Final.pdf">conclusion finale</a>, publiée en mars 2020, « a confirmé au-delà de tout doute raisonnable » que la Chine utilisait des prisonniers d'opinion exécutés comme source d’organes pour la greffe depuis de nombreuses années.</p>
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<p>Bien que les responsables chinois des greffes aient affirmé qu’une réforme significative de la transplantation avait eu lieu depuis 2015, <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/feb/07/china-still-using-executed-prisoners-organs-transplants-vatican">des preuves récentes</a> suggèrent que la pratique barbare du prélèvement forcé d’organes s’est poursuivie. L’<em>American Journal of Transplantation</em>, la principale revue mondiale sur les procédures de transplantations, a publié en avril un article qui a révélé que la <a href="https://doi.org/10.1111/ajt.16969">mort cérébrale n’avait pas été déclarée dans de nombreux cas de prélèvements d’organes en Chine</a>, et que le prélèvement des organes vitaux du donneur était la cause réelle du décès. En d’autres termes, ces prisonniers étaient exécutés par prélèvement de leurs organes à des fins de transplantation.</p>
<p>La <a href="https://ishlt.org/">Société internationale de transplantation cardiaque et pulmonaire</a> a publié en juin une <a href="https://doi.org/10.1016/j.healun.2022.05.012">déclaration</a> de politique générale excluant les demandes « liées à la transplantation et impliquant des organes ou des tissus provenant de donneurs humains en République populaire de Chine ».</p>
<h2>Sensibilisation</h2>
<p>Le recours à des pratiques médicales non éthiques à l’encontre de groupes marginalisés n’est, malheureusement, pas nouveau.</p>
<p>Les <a href="https://wienerholocaustlibrary.org/exhibition/science-and-suffering-victims-and-perpetrators-of-nazi-human-experimentation/">nazis ont mené des expériences terribles</a> sur des victimes juives et autres « indésirables » dans les camps de concentration. Les psychiatres soviétiques ont créé le concept de <a href="https://www.bmj.com/content/bmj/293/6548/641.full.pdf">schizophrénie à évolution lente</a> pour désigner les dissidents politiques, les privant ainsi de leurs droits civiques, de leur emploi et de leur crédibilité. Des chercheurs américains ont, eux, étudié les effets de la <a href="https://www.cdc.gov/tuskegee/timeline.htm">syphilis non traitée chez les Afro-Américains dans le cadre de l’étude Tuskegee</a>.</p>
<p>Depuis des décennies, la Chine exécute des prisonniers et n'a pas hésité à de nombreuses reprises à utiliser leurs organes pour des greffes. Les chirurgiens transplanteurs, les professionnels de la santé et la communauté mondiale doivent sensibiliser et faire pression sur les gouvernements, les institutions et les hôpitaux pour qu’ils agissent.</p>
<p>Il est essentiel de faire preuve de diligence et d’éviter les collaborations quand la transparence concernant la source des organes ne peut être faite. Nous devons protester contre l’incarcération et l’<a href="https://www.thestar.com/opinion/contributors/2022/07/25/the-largest-incarceration-of-a-minority-group-since-the-holocaust-canada-must-take-action-to-stop-the-genocide-of-uyghurs-in-china.html">oppression injustes et inhumaines des Ouïghours</a> et des groupes marginalisés dans le monde entier.</p>
<p>Nous devons encourager <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F183">l’enregistrement des donneurs d’organes</a> et <a href="https://lop.parl.ca/sites/PublicWebsite/default/en_CA/ResearchPublications/202029E">soutenir les initiatives</a> qui augmentent les dons afin de réduire la demande de trafic d’organes illégal.</p>
<hr>
<p><em>Susie Hughes, directrice exécutive de l’association <a href="https://endtransplantabuse.org/">End Transplant Abuse in China</a>, est co-autrice de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188238/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ali Iqbal est membre de International Coalition to End Transplant Abuse in China, et Doctors Against Forced Organ Harvesting.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aliya Khan a reçu des financements de partenaires industriels pour le développement de nouvelles molécules contre l'ostéoporose et les maladies parathyroïdiennes. Fonds reçus d'Amgen, Alexion, Ascendis, Chugai, Radius, Ultragenyx.</span></em></p>Cœur, poumons… le trafic d’organes en Chine offre un catalogue aux patients les plus riches en attente de greffes. D’où viennent ces organes ? Les prisons chinoises détiennent les réponses…Ali Iqbal, Transplant Nephrologist, Assistant Professor of Medicine, McMaster UniversityAliya Khan, Clinical professor, Faculty of Health Sciences, McMaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1833172022-05-19T19:27:14Z2022-05-19T19:27:14ZDix circonstances qui mènent à une nouvelle pandémie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/463765/original/file-20220517-20211-sg6kvl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=67%2C11%2C7409%2C3161&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La population humaine, en pleine croissance, est sous la menace de pandémies de nature inédite du fait même de son développement incontrôlé.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/image-photo/blurred-crowd-unrecognizable-street-1652886169">Aleksandr Ozerov / Shutterstock </a></span></figcaption></figure><p>Épidémies et pandémies ne sont, malheureusement, pas nouvelles. Un simple coup d’œil à l’histoire de l’humanité suffit à montrer que la lutte de notre espèce contre les maladies infectieuses a été constante. Sans parler du récent Covid, la peste noire, le choléra, la tuberculose, la grippe, la typhoïde ou la variole ne sont que quelques exemples de celles qui ont laissé des traces indélébiles…</p>
<p>Chaque maladie nécessite une action spécifique et la mise en œuvre de différents mécanismes de prévention, de réponse et de traitement. C’est pourquoi il est essentiel d’identifier les origines et les modes d’apparition des agents pathogènes.</p>
<p>À cet égard, environ 60 % des maladies infectieuses émergentes signalées <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4230840/">dans le monde sont des zoonoses</a> (qui sont transmises entre les animaux et les humains). On estime qu’environ un milliard de personnes dans le monde tombent malades et que des millions meurent chaque année à la suite d’événements zoonotiques. Et sur plus de 30 nouveaux agents pathogènes humains détectés au cours des dernières décennies, 75 % <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5960580/">ont pour origine des animaux</a>.</p>
<p>L’émergence récente de plusieurs zoonoses – grippe aviaire H5N1, grippe aviaire H7N9, VIH, Zika, virus du Nil occidental, syndrome respiratoire aigu sévère (SARS), syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), Ebola ou Covid-19 (SARS-CoV-2) enter autres – a fait peser de graves menaces sur la santé humaine et le développement économique mondial.</p>
<p>Elles sont généralement imprévisibles, car beaucoup ont pour origine des animaux et sont causées par de nouveaux virus qui ne sont détectés qu’après coup. Cependant, il existe au moins dix facteurs dont nous savons déjà avec certitude qu’ils sont liés à l’émergence d’une future épidémie ou pandémie. Les voici réunis et expliqués ci-dessous.</p>
<h2>1. Guerres et famines</h2>
<p>Les préjudices causés par la guerre sont évidemment nombreux et complexes : les morts, les blessures et les déplacements massifs de populations pour fuir les combats sont les plus évidents. Mais l’émergence d’épidémies infectieuses est également étroitement liée aux conflits.</p>
<p>En 2006, des <a href="https://theconversation.com/pour-vaincre-le-cholera-il-faut-surtout-un-reseau-deau-potable-decent-104893">épidémies de choléra</a> ont été signalées dans 33 pays africains, dont 88 % dans des pays touchés par des conflits. Ces dernières années, plusieurs pays du Moyen-Orient et d’Afrique ont connu des épidémies infectieuses comme conséquence directe de la guerre, exacerbées par les pénuries de nourriture et d’eau, les déplacements et les dommages causés aux <a href="https://www.mdpi.com/2071-1050/13/19/10783">infrastructures et aux services de santé</a>.</p>
<h2>2. Changement d’affectation des terres</h2>
<p>Le changement d’affectation des sols est une modification majeure de l’écosystème directement induite par les populations humaines. Les conséquences sont très larges.</p>
<p>Ces altérations peuvent en effet affecter la diversité, l’abondance et la distribution des animaux sauvages et les rendre plus sensibles aux infections par des agents pathogènes. En outre, en créant de nouvelles possibilités de contact, ils facilitent la circulation et la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29466832/">propagation des pathogènes entre les espèces</a>, ce qui peut au final conduire à une infection humaine.</p>
<p><strong>3. Déforestation</strong></p>
<p>Par la déforestation et la fragmentation des forêts, nous favorisons l’extinction des espèces spécialistes de ces habitats et le développement, l’installation d’espèces plus généralistes. Certaines <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25392474/">espèces sauvages qui sont les hôtes d’agents pathogènes</a>, en particulier les chauves-souris et d’autres espèces de mammifères comme les rongeurs, sont relativement plus abondantes dans les paysages ainsi transformés, tels que les écosystèmes agricoles et les zones urbaines, que dans les sites adjacents non perturbés.</p>
<p>L’établissement de pâturages, de plantations ou d’exploitations d’élevage intensif à proximité des lisières forestières peut également <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3223631/">accroître le flux d’agents pathogènes de la faune sauvage vers l’homme</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/462441/original/file-20220511-12-mlmrt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462441/original/file-20220511-12-mlmrt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462441/original/file-20220511-12-mlmrt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=193&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462441/original/file-20220511-12-mlmrt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=193&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462441/original/file-20220511-12-mlmrt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=193&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462441/original/file-20220511-12-mlmrt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=242&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462441/original/file-20220511-12-mlmrt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=242&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462441/original/file-20220511-12-mlmrt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=242&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Zone déboisée de l’Amazonie brésilienne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/image-photo/area-illegal-deforestation-vegetation-native-brazilian-1156323865">Tarcisio Schnaider/Shutterstock</a></span>
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<h2>4. urbanisation et croissance démographique incontrôlées</h2>
<p>L’évolution de la taille et de la densité de la population par l’urbanisation affecte là encore la <a href="https://theconversation.com/laugmentation-de-la-population-mondiale-responsable-des-crises-sanitaires-174983">dynamique des maladies infectieuses</a>. Par exemple, la grippe tend à présenter des épidémies qui persistent davantage <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aat6030">dans les régions urbaines plus peuplées et plus denses</a>.</p>
<h2>5. Le changement climatique</h2>
<p>Le changement climatique augmente le risque de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0160412015300489">transmission virale inter-espèces</a>. De nombreuses espèces de virus sont encore inconnues, mais sont susceptibles d’avoir la capacité d’infecter notre espèce. Heureusement, la grande majorité d’entre elles circulent actuellement de manière silencieuse chez les mammifères sauvages.</p>
<p>Toutefois, la hausse des températures attendue avec le changement climatique entraînera des migrations massives d’animaux à la recherche de conditions environnementales plus douces, ce qui facilitera l’émergence de « points chauds de biodiversité » (zone biogéographique menacée comptant au minimum 1500 espèces végétales et animales endémiques). S’ils atteignent des zones à forte densité de population humaine, principalement en Asie et en Afrique, de nouvelles possibilités de propagation zoonotique à l’homme apparaîtront.</p>
<p>Selon des prévisions récentes fondées sur des scénarios de changement climatique, d’ici 2070, la transmission de virus entre espèces <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-022-04788-w">sera multipliée par 4 000 environ</a>.</p>
<h2>6. Mondialisation</h2>
<p>La mondialisation a facilité la propagation de nombreux agents infectieux aux quatre coins du monde.</p>
<p>La transmission des maladies infectieuses est le meilleur exemple de la porosité croissante des frontières. La mondialisation et la connectivité accrue <a href="https://theconversation.com/pour-arreter-le-variant-omicron-fermer-les-frontieres-nest-pas-la-solution-172746">accélèrent l’émergence potentielle d’une pandémie</a>, et sa diffusion rapide, en raison du mouvement constant des micro-organismes par le biais du <a href="https://globalizationandhealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12992-021-00677-5">commerce et des transports internationaux</a>.</p>
<h2>7. Chasse, commerce et consommation de viande de brousse</h2>
<p>La transmission des zoonoses peut se produire à n’importe quel point de la chaîne d’approvisionnement en viande de brousse, de la chasse en forêt au lieu de consommation. Les pathogènes qui ont été transmis à l’humain à partir de la viande de brousse sont nombreux et comprennent, entre autres, le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7123567/">VIH, le virus Ebola, le virus simien spumeux et le virus de la variole du singe</a>…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/462440/original/file-20220511-25-ggpviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2649%2C1923&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462440/original/file-20220511-25-ggpviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2649%2C1923&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462440/original/file-20220511-25-ggpviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462440/original/file-20220511-25-ggpviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462440/original/file-20220511-25-ggpviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462440/original/file-20220511-25-ggpviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462440/original/file-20220511-25-ggpviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462440/original/file-20220511-25-ggpviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une vue du marché de Tomohon en Indonésie, où les animaux sauvages sont échangés pour la consommation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/image-photo/tomohon-indonesia-snake-stall-extreme-market-1609828087">Sony Herdiana/Shutterstock</a></span>
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<h2>8. Trafic illégal d’espèces et marchés d’animaux sauvages</h2>
<p>Un écosystème présentant une grande richesse en espèces réduit le taux de rencontre entre les individus sensibles et infectieux, ce qui diminue la probabilité de transmission des agents pathogènes. À l’inverse, les marchés d’animaux vivants et autres enclos cachés du commerce illégal sont des lieux où les espèces les plus diverses sont entassées dans des cages surpeuplées.</p>
<p>Dans ces conditions, non seulement ils partagent le même espace malsain et contre nature, mais aussi les ectoparasites et les endoparasites vecteurs de maladies. Les animaux saignent, bavent, défèquent et urinent les uns sur les autres : ce qui entraîne l’échange de micro-organismes pathogènes et de parasites, forçant ainsi des <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanplh/article/PIIS2542-5196(21)00112-1/fulltext">interactions entre espèces qui n’auraient jamais dû se produire</a>.</p>
<h2>9. Évolution microbienne</h2>
<p>Les micro-organismes évoluent constamment, naturellement et en réponse aux pressions de sélection directes et indirectes de leur environnement. Un exemple bien établi est celui des virus de la grippe A, dont le réservoir ancestral est le gibier d’eau, à partir duquel ils ont réussi à infecter d’autres types d’animaux.</p>
<p>Le développement mondial de nombreux types de résistance aux antimicrobiens chez les <a href="https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/antimicrobial-resistance">agents pathogènes humains courants</a> est une démonstration claire de l’énorme capacité des micro-organismes à s’adapter rapidement.</p>
<h2>10. Effondrement des systèmes de santé publique</h2>
<p>Au cours des dernières décennies, dans de nombreux pays, on a assisté à un retrait progressif du soutien financier aux systèmes de santé publique.</p>
<p>Cela a décimé l’infrastructure essentielle nécessaire pour faire face aux épidémies soudaines. L’émergence récente et rapide de nouvelles menaces de maladies infectieuses, telles que le Covid-19, associée à la résurgence de maladies plus anciennes, comme la rougeole et la tuberculose, a des <a href="https://www.bmj.com/content/375/bmj.n2374">implications importantes pour les systèmes de santé publique mondiaux</a>.</p>
<p>Nous devons être conscients que la préparation à d’éventuelles épidémies et pandémies futures nécessite une étude approfondie et consciencieuse des facteurs potentiels qui facilitent l’émergence des maladies infectieuses. Une analyse minutieuse et critique permettra de concevoir de futures stratégies de prévision et de prévention.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183317/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raúl Rivas González no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>Dix facteurs entraînent, historiquement, de nouvelles pandémies. Voici comment guerre, déforestation ou trafic illégal d’espèces protégées par exemple mettent en danger la santé mondiale.Raúl Rivas González, Catedrático de Microbiología, Universidad de SalamancaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810872022-05-01T16:45:53Z2022-05-01T16:45:53ZLe trafic d’armes, pierre angulaire de la criminalité au Mexique<p>Andrés Manuel López Obrador (gauche) a été <a href="https://www.france24.com/fr/20180628-mexique-amlo-andres-manuel-lopez-obrador-gauche-favori-presidentielle-morena">élu président du Mexique en 2018</a> à l’issue d’une campagne au cours de laquelle il avait promis à ses concitoyens de réduire significativement la <a href="http://www.scielo.org.co/scielo.php?script=sci_abstract&pid=S0121-51672019000100286&lng=en&nrm=iso&tlng=es">corruption, l’impunité et l’insécurité</a>. Des thèmes correspondant aux préoccupations des Mexicains : en septembre 2017, un sondage avait montré que <a href="https://www.pewresearch.org/global/2017/09/14/mexicans-are-downbeat-about-their-countrys-direction/">84 % d’entre eux considéraient</a> que la criminalité et la corruption étaient les principaux problèmes du pays.</p>
<p>L’une des principales stratégies de lutte contre la corruption et le crime a été résumée dans une phrase fameuse du film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=3690.html"><em>Les Hommes du président</em></a> (1976) (consacré à l’affaire du Watergate), invitant à cesser de se concentrer sur les personnes impliquées en bout de chaîne et, plutôt, à suivre la piste de l’argent : « Follow the money ». Ce phénomène a été étudié dans de nombreux travaux, notamment consacrés aux <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-richesse-cachee-des-nations-gabriel-zucman/9782021375688">paradis fiscaux</a>.</p>
<p>S’inspirant de ce principe, la présente contribution se propose, pour mieux comprendre le <a href="https://urbanviolence.org/the-micro-geopolitics-of-organised-crime/">phénomène de la criminalité au Mexique</a>, de ne pas suivre la piste des criminels, mais des armes, puisque la quantité d’armes en circulation est directement liée à celle des homicides et autres crimes. Dans les faits, il y a plus d’homicides de civils au <a href="http://www.pbs.org/wgbh/frontline/article/the-staggering-death-toll-of-mexicos-drug-war/">Mexique qu’en Afghanistan ou en Irak</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mexique : fusils d’assaut et véhicules blindés, la démonstration de force d’un puissant cartel – Le Parisien.</span></figcaption>
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<h2>L’afflux d’armes achetées aux États-Unis</h2>
<p>En 2010, le Mexique a <a href="http://armsglobe.chromeexperiments.com/">dépensé</a> 47 878 654 USD pour importer des armes à feu militaires, civiles et munitions, dont plus de <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/16805">50 % provenaient des États-Unis (67 % des munitions)</a>. Cela représentait 0,45 % du PIB et, en 2020, le pourcentage passe à près de <a href="https://datos.bancomundial.org/indicador/MS.MIL.XPND.GD.ZS?end=2020&locations=MX&start=2000&view=chart">0,57 %</a>.</p>
<p>Cependant, il existe tout un marché invisible, facilité par les politiques étatsuniennes. Les États-Unis sont les <a href="https://www.sipri.org/media/press-release/2020/new-sipri-data-reveals-scale-chinese-arms-industry">plus grands producteurs d’armes au monde</a>, et le port d’armes y est <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2021/09/13/key-facts-about-americans-and-guns/">considéré comme un droit constitutionnel</a>. À l’inverse, le Mexique a des politiques prohibitives sur le port d’armes. Or, il existe une concentration de <a href="https://www.mcclatchydc.com/news/nation-world/world/article24726304.html">magasins d’armes</a> dans les <a href="http://fileserver.idpc.net/library/Informe%20de%20pol%C3%83%C2%ADtica%20del%20IDPC%20Mexico.pdf">États du sud des États-Unis qui bordent le Mexique</a>, bien que de récentes études montrent que ce n’est pas « toute la frontière » qui est concernée, mais plutôt certains <a href="https://www.animalpolitico.com/el-blog-de-causa-en-comun/la-venta-de-armas-en-la-frontera-sur-de-los-eu/"><em>hotspots</em> d’armes</a>. Une proportion importante des armureries étatsuniennes <a href="https://academic.oup.com/joeg/article-abstract/15/2/297/929819">dépend</a> de la demande croissante en provenance du Mexique, et 14 % des armes destinées à entrer illégalement au Mexique sont interceptées par les autorités des deux pays (12 % par les Mexicains et 2 % par les États-Uniens). En d’autres termes, le contrôle des armes à la frontière est totalement inefficace, aussi bien du côté mexicain qu’étatsunien.</p>
<p>L’une des explications de cette inefficacité tient probablement au fait que les deux gouvernements ont élaboré en 2009 une stratégie secrète appelée <a href="https://www.washingtonpost.com/investigations/us-anti-gunrunning-effort-turns-fatally-wrong/2011/07/14/gIQAH5d6YI_story.html">« Fast and furious »</a> visant à arrêter les trafiquants de drogue. Des traceurs avaient été intégrés à cette fin aux armes illégales que les trafiquants achetaient aux États-Unis et avec lesquelles ils traversaient la frontière. Le président mexicain Felipe Calderón (droite, 2006-2012) a ainsi accepté que ces armes à feu entrent au Mexique – et y fassent donc des victimes –, estimant que cela permettrait d’arrêter un certain nombre de narcotrafiquants.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le Mexique inculpe sept personnes dans le cadre de la stratégie « Fast and furious » (Fox 10 Phoenix).</span></figcaption>
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<p>Depuis le <a href="https://www.theguardian.com/news/2016/dec/08/mexico-war-on-drugs-cost-achievements-us-billions">début de la « guerre contre la drogue »</a> en 2007, les groupes trafiquants sont devenus plus violents, se sont multipliés et ont commencé à obtenir des revenus d’autres activités, si bien qu’ils ont pu être qualifiés de <a href="https://www.redalyc.org/pdf/767/76746670008.pdf">« criminels géopolitiques »</a>. Comme l’indique un <a href="https://ioangrillo.substack.com/p/who-is-really-killing-mexican-journalists?s=r">spécialiste de la criminalité organisée au Mexique</a>, les cartels se sont depuis longtemps transformés en réseaux d’affaires organisant de multiples types d’escroqueries : des fraudes financières (blanchiment d’argent ou utilisation de paradis fiscaux) au trafic de personnes (migrants), en passant par le vol de pétrole, l’extorsion de mines d’or, le très rentable trafic de médicaments ou encore, évidemment, le trafic d’armes de gros calibre.</p>
<p>La frontière entre les États-Unis et le Mexique est poreuse pour tout ce qui va vers le sud et hermétique pour tout ce qui va vers le nord. Il est vrai que les réalités sont extrêmement contrastées en termes de <a href="https://www.amazon.fr/Why-Nations-Fail-Origins-Prosperity/dp/1846684307">confiance dans les institutions</a> ou de salaires (5 dollars par jour dans l’une et 7 dollars par heure dans l’autre).</p>
<h2>Un procès qui pourrait changer la donne</h2>
<p>Si l’on replace ce phénomène dans le contexte d’un État mexicain aux faibles capacités ; d’un système judiciaire <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03503523/document">dysfonctionnel</a> ; d’une société marquée par de <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/21569">grandes inégalités et des conditions de travail épouvantables</a> ; d’une guerre contre la drogue ratée depuis 2007 ; des décennies de présence criminelle ; et de <a href="https://ioangrillo.substack.com/p/who-is-really-killing-mexican-journalists?s=r">l’incapacité de la société dans son ensemble à faire face à ces problèmes</a>, on constate sans surprise que la situation est conforme à ce que de multiples études ont révélé à l’échelle planétaire : les <a href="https://www.jstor.org/stable/10.5749/j.ctt6wr830">cellules criminelles</a> sont entretenues et reproduites par les jeunes de 16 à 24 ans défavorisés sur le plan socio-économique, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4057578">et le Mexique ne fait pas exception</a>.</p>
<p>Cependant, depuis son élection en 2018, Andrés Manuel López Obrador n’est pas resté les bras croisés. En août 2021, le gouvernement mexicain, représenté par son ministre des Affaires étrangères Marcelo Ebrard, a intenté à Boston un procès aux fabricants d’armes Smith & Wesson, Beretta, Century Arms, Colt, Glock et Ruger, les <a href="https://www.theguardian.com/world/2011/dec/08/us-guns-mexico-drug-cartels">accusant d’être des facilitateurs d’armes pour les cartels mexicains</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1513799583167836164"}"></div></p>
<p>Un <a href="https://www.gob.mx/sre/documentos/nota-informativa-relaciones-exteriores-no-16">document officiel</a> présenté par le Mexique lors de ce procès affirme qu’entre 70 et 90 % des armes découvertes sur les scènes de crime au Mexique ont fait l’objet d’un trafic illégal depuis les États-Unis et que l’industrie étatsunienne « sait comment fabriquer et vendre des armes pour éviter ce commerce illégal », puisque son propre gouvernement lui a recommandé depuis 2001 de contrôler et de superviser la vente d’armes, ce qu’elle a refusé.</p>
<h2>L’indispensable contrôle de l’industrie américaine de l’armement</h2>
<p>Il est clair que le marché de l’armement des États-Unis a <a href="https://igarape.org.br/en/the-way-of-the-gun-estimating-firearms-traffic-across-the-us-mexico-border/">besoin de la demande mexicaine pour survivre</a>. On estime que <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/aug/04/mexico-guns-us-manufacturers-lawsuit">2,5 millions d’armes</a> sont entrées illégalement au Mexique au cours des dix dernières années : le crime organisé mexicain a donc largement contribué à la bonne santé financière de l’industrie étatsunienne des armes pendant cette décennie.</p>
<p>Les deux pays ont évidemment intérêt à ce que leurs citoyens cessent d’être tués par des armes à feu aux mains d’éléments criminels, et donc que ces armes à feu soient nettement plus contrôlées. De fait, <a href="https://edition.cnn.com/2022/02/06/us/mexico-lawsuit-us-gun-manufacturers/index.html">treize États</a> des États-Unis ont soutenu le procès du gouvernement mexicain. Parce qu’elle alimente la violence armée, la politique de commercialisation est selon eux inacceptable, y compris aux États-Unis mêmes.</p>
<p>Réduire ces flux d’armes aurait un impact évident sur le taux d’homicides au Mexique – qui <a href="https://dataunodc.un.org/content/Country-profile ?country=Mexico">atteignait en 2018</a> le scandaleux niveau de 29,1 victimes pour 100 000 habitants –, et aux États-Unis – <a href="https://worldpopulationreview.com/country-rankings/murder-rate-by-country">4,9</a>, parmi le plus élevé des pays du G7. Sans collaboration, aucune politique publique ne pourra réduire efficacement la violence, les inégalités et la criminalité dans ces deux pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181087/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jaime Aragon Falomir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La circulation non contrôlée d’armes à feu, en provenance essentiellement des États-Unis, fait du Mexique un des pays comptant le plus d’homicides volontaires au monde. Comment y remédier ?Jaime Aragon Falomir, Maître de conférences en civilisation latino-américaine, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678512021-09-28T18:46:09Z2021-09-28T18:46:09ZVingt ans de guerre à l’opium en Afghanistan : retour sur une déroute américaine<p>Le 7 octobre 2001, les États-Unis, suite aux attentats du 11 septembre précédent, lançaient, avec leurs alliés de l’OTAN, l’opération <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/09/26/l-operation-change-de-nom-et-devient-8220-liberte-immuable-8221_226216_1819218.html">« Enduring freedom »</a>. Celle-ci visait à détruire les infrastructures d’Al-Qaïda en Afghanistan et le régime des talibans, jugé coupable de les abriter et de les protéger.</p>
<p>En dehors de la mise en avant du thème de la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/FD001270.pdf">« guerre contre le terrorisme »</a>, très vite, la propagande, consubstantielle à toute opération de cette envergure, a mobilisé celui de la lutte contre la drogue, en présentant les talibans <a href="https://2001-2009.state.gov/p/inl/rls/rm/sep_oct/5210.htm">comme de vulgaires « narco-terroristes »</a>, trafiquant l’opium et l’héroïne afin, notamment, de détruire la jeunesse occidentale. Dès 2002, le premier ministre britannique, Tony Blair, le plus fidèle allié des États-Unis, <a href="https://frontline.thehindu.com/world-affairs/the-narco-politics-of-afghanistan/article30246131.ece">déclarait</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les armes que les talibans achètent sont payées avec les vies des jeunes Britanniques qui achètent leur drogue dans les rues britanniques. C’est un autre aspect de leur régime que nous devons détruire. »</p>
</blockquote>
<p>L’agitation de cette thématique permettait de conférer un supplément d’âme à l’opération et de justifier un investissement guerrier de longue durée contre des talibans qui, chassés du pouvoir, n’en allaient pas moins se réorganiser très rapidement pour mener la lutte armée contre le nouveau régime mis en place par la coalition occidentale.</p>
<h2>L’opium comme arme de guerre</h2>
<p>Pourtant, cette volonté affichée de lutter contre l’opium n’avait pas toujours été de mise de la part des États-Unis. Au contraire, Washington avait <a href="https://apjjf.org/-Peter-Dale-Scott/3145/article.html">longtemps fermé les yeux</a> sur l’explosion de la production dans les années 1980, consécutive à l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979.</p>
<p>Quand l’Armée rouge franchit la frontière, si l’opium est connu depuis des siècles dans le pays et fait l’objet d’une consommation régulière, notamment dans les populations baloutches, la <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/periodiques/drogues-enjeux-internationaux/opium-afghan-20-ans-de-suprematie-mondiale-numero-5-juin-2013/">production est faible</a>, estimée par les spécialistes à 180-200 tonnes par an, tandis que la fabrication de l’héroïne est inexistante.</p>
<p>Cette production est rapidement dynamisée, sous l’effet d’une double nécessité : financer le djihad lancé contre l’occupant, et faire face aux conséquences des destructions infligées par la politique de la terre brûlée mise en œuvre par les Soviétiques.</p>
<p>Dès 1981, plusieurs fatwas prononcées par des chefs religieux appartenant à la résistance afghane appellent les paysans à développer les plantations de pavot. Des appels immédiatement entendus par des cultivateurs qui voient leur cadre de vie bouleversé par la guerre. La culture du pavot est en effet particulièrement bien adaptée au temps de désolation que traversent les campagnes du pays.</p>
<p>Économe en eau dans un contexte où les systèmes d’irrigation sont largement détruits, exigeant une main-d’œuvre abondante à un moment où la population surnuméraire explose et plus lucrative que le blé, la culture de l’opium se développe rapidement. Collecté et acheté par les seigneurs de la guerre, il est transformé en héroïne dans les zones tribales du Pakistan. Le tout sous la supervision des services secrets pakistanais, qui voient dans le développement du trafic un moyen de soutenir financièrement la guérilla contre les Russes.</p>
<p>On retrouve là une utilisation des drogues qui n’est pas sans rappeler la situation qui prévalait en Asie du Sud-Est une dizaine d’années plus tôt, quand la <a href="http://www.organized-crime.de/revmcc01.htm">CIA couvrait les trafics d’héroïne au Laos</a> destinés à financer les guérillas anticommunistes. À ceci près qu’il semble que, en Afghanistan, les Américains ne sont pas impliqués directement, mais par l’intermédiaire de <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-2-page-126.htm">leurs alliés pakistanais</a>, ce qui ne va pas sans provoquer des tensions entre la Drug Enforcement Agency (DEA) et la CIA, laquelle, au nom de la realpolitik, décourage toute velléité d’intervention de l’agence chargée de la lutte contre la drogue.</p>
<p>Zbigniew Brzezinski, le conseiller de Jimmy Carter sur les affaires afghanes et architecte de l’alliance avec les moudjahidines, <a href="http://thenation.s3.amazonaws.com/pdf/la_nouvel_observateur_brzezinski.pdf">déclarera bien des années plus tard</a> que cette stratégie n’était qu’un moindre mal à côté de l’effondrement de l’URSS auquel le djihad afghan avait largement contribué.</p>
<p>En 1989, quand l’Armée rouge quitte l’Afghanistan, le pays produit 1 200 tonnes d’opium soit 35 % de la production mondiale. Ce départ, malheureusement pour la population, ne signifie pas la fin des conflits. Après la chute du régime communiste de Najibullah en 1992 sous les coups des moudjahidines, une guerre civile s’engage entre les alliés d’hier pour la prise du pouvoir, accélérant encore le chaos dans le pays et favorisant un nouvel essor de l’opium et de la corruption qui va avec.</p>
<p>Entre 1989 et 1996, année de la prise de Kaboul par les talibans, la production double et atteint plus de 2 000 tonnes. Par une ironie certaine, ce sont ceux-là mêmes que l’administration Bush accusera de « narco-terrorisme » qui mettent provisoirement un frein à la production. <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/les-talibans-ont-eradique-le-pavot-19-08-2001-2002376555.php">Suite à une fatwa de juillet 2000</a>, celle-ci retombe aux niveaux d’avant l’intervention soviétique, soit 185 tonnes. Les superficies de culture du pavot passent alors de 82 000 hectares à 8 000.</p>
<p>Il semble que le nouveau régime ait pu faire appliquer cette décision sans trop recourir à la coercition du fait de la popularité dont il jouit auprès d’une partie de la paysannerie. Celle-ci reconnaît aux talibans le mérite d’avoir mis fin au chaos de la guerre civile entre factions et d’avoir rétabli un certain ordre dans le pays. Cependant, l’interdiction et les pertes de revenus qu’elle fit subir aux plus vulnérables des paysans (métayers, ouvriers agricoles, petits propriétaires) leur fit perdre une partie de leur base sociale.</p>
<p>Ironie supplémentaire, quelques mois avant l’invasion de l’Afghanistan par la coalition occidentale, en mai 2001 précisément, une <a href="https://www.nytimes.com/2001/05/20/world/taliban-s-ban-on-poppy-a-success-us-aides-say.html">délégation américaine saluera la politique anti-drogue</a> du nouveau régime et Colin Powell, à la tête du département d’État, décidera d’allouer près de 43 millions de dollars pour aider les agriculteurs, dans un contexte où la sécheresse sévit, à opérer la transition…</p>
<h2>Faillite du State building</h2>
<p>La chute du régime des talibans va relancer la production d’opium dans le pays pour la simple raison que l’intervention américaine remet au pouvoir les anciens seigneurs de la guerre qui étaient au cœur de tous les trafics depuis les années 1980, tandis que les paysans, notamment les fermiers et les métayers, faute d’alternatives, consacrent au pavot une partie croissante de leurs parcelles.</p>
<p>Cela d’autant plus que la stabilité économique n’est pas au rendez-vous avec, à partir de 2004, la montée en puissance, notamment dans le sud du pays, des talibans chassés du pouvoir. Dans les zones qu’ils contrôlent, pour ne pas s’aliéner les paysans, ils tolèrent les cultures du pavot, sur lesquelles ils prélèvent des taxes. À l’époque, toutes les factions, qu’elles soient proches du gouvernement de Kaboul ou dans l’opposition armée, sont peu ou prou impliquées dans les <a href="https://www.fayard.fr/1001-nuits/afghanistan-opium-de-guerre-opium-de-paix-9782842058975">trafics d’opium et d’héroïne</a>.</p>
<p>Certains spécialistes estiment toutefois que c’est du côté du gouvernement prooccidental plutôt que des talibans que la <a href="https://www.telegraph.co.uk/world-news/2021/08/22/learned-taliban-will-fund-decades-studying-afghanistans-opium/">corruption par l’argent des trafics est la plus grande</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lechec-du-nation-building-en-afghanistan-166580">L’échec du « nation building » en Afghanistan</a>
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<p>En 2005, 9 tonnes d’opium sont retrouvées dans la résidence du gouverneur du Helmand, qui passera du côté des talibans après sa destitution. La corruption est gigantesque et <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/103/article_69004.asp">affecte l’entourage proche du président Hamid Karzai</a>. Pourtant, les Américains ne se focalisent que sur les talibans. En cela, ils ne font qu’utiliser une technique éprouvée de diabolisation déjà essayée sur d’autres terrains, par exemple en Colombie avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), <a href="https://vih.org/20150511/la-guerre-a-la-cocaine-a-lepreuve-de-leffet-ballon/">qualifiées de « narco guérilla » par leur ambassadeur en 1984</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Le trafic de drogue est certainement l’une des principales sources de revenu au sein même du gouvernemnt », France 24, 21 août 2009.</span></figcaption>
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<p>Pourtant, les travaux de terrain montrent que les revenus que tirent les talibans de l’opium ne sont pas grand-chose à côté de ceux qu’ils tirent des taxes sur les marchandises qui transitent dans les régions où ils sont présents. Une <a href="https://www.unodc.org/documents/mexicoandcentralamerica/publications/CrimenOrganizado/Global_Afghan_Opium_Trade_2011-web.pdf">étude</a> évalue en 2009 leurs revenus tirés de la drogue à 155 millions de dollars, soit une petite partie de l’argent engendré par le trafic de drogues dans le pays, à savoir 2,5 milliards de dollars.</p>
<p>Ce sont donc bel et bien les alliés des États-Unis dans la guerre contre la terreur qui sont au cœur des trafics illicites. À partir de 2004, les Américains, qui avaient <a href="https://rusi.org/explore-our-research/publications/rusi-newsbrief/fighting-uks-war-drugs-afghanistan">délégué la lutte contre l’opium et l’héroïne à leur allié britannique</a>, vont reprendre la main en mettant au cœur de leur discours le lien entre terrorisme et trafics. Robert B. Charles, secrétaire adjoint de l’<em>International Narcotics and Law Enforcement Affairs</em>, un service du département d’État chargé de la lutte internationale contre les drogues, <a href="https://2001-2009.state.gov/p/inl/rls/rm/31039.htm">déclarait alors</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Couper l’approvisionnement en opium est essentiel pour établir une démocratie sûre et stable, ainsi que pour gagner la guerre mondiale contre le terrorisme. »</p>
</blockquote>
<h2>Bilan de faillite</h2>
<p>Entre 2002 et 2015, on estime que 8 milliards de dollars ont été dépensés dans la guerre à la drogue en Afghanistan, surtout dans les zones du sud du pays tenues par les talibans. Les méthodes employées sont variées : épandages, arrachages manuels… jusqu’aux <a href="https://www.lse.ac.uk/united-states/Assets/Documents/Heroin-Labs-in-Afghanistan-Mansfield.pdf">bombardements aériens de laboratoires d’héroïne</a>. Cette politique, qui privilégie la force au détriment d’autres stratégies comme le développement alternatif, ne remportera que des succès très relatifs.</p>
<p>En 2020, l’Afghanistan produit <a href="https://www.unodc.org/res/wdr2021/field/WDR21_Booklet_3.pdf">85 % de l’opium mondial</a> et est le premier producteur mondial d’héroïne. <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/frontpage/2018/May/last-years-record-opium-production-in-afghanistan-threatens-sustainable-development--latest-survey-reveals.html">20 à 30 % du PIB</a> serait engendré par le commerce de l’opium et de l’héroïne et la production d’opium a été multipliée par 30 entre 2001 et 2020. De plus, l’Afghanistan est en train de devenir un acteur important du marché de la résine de cannabis, tandis que la <a href="https://www.emcdda.europa.eu/news/2020/11/emerging-methamphetamine-industry-in-afghanistan-worrying-says-new-emcdda-study_en">production de méthamphétamine</a> se développe.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/09/qui-dira-que-cette-guerre-a-ete-menee-en-vain-les-afghanistan-papers-revelent-l-ampleur-des-dysfonctionnements-du-conflit-en-afghanistan_6022261_3210.html">Comme l’a reconnu Douglas Lute</a>, l’actuel représentant des États-Unis à l’OTAN et ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale pour l’Irak et l’Afghanistan de George W. Bush et Barack Obama, « nous n’avions aucune compréhension fondamentale de l’Afghanistan. Nous ne savions pas ce que nous faisions.[…] Par exemple sur l’économie. Nous devions établir “un marché florissant”. Nous aurions dû spécifier : “un marché de la drogue florissant”, car c’est la seule partie qui fonctionne. »</p>
<p>Dans ce contexte, certains chercheurs estiment qu’il est douteux que les talibans, malgré une volonté affichée, <a href="https://asia.nikkei.com/Politics/International-relations/Afghanistan-turmoil/Afghanistan-s-vast-narcotics-trade-likely-to-continue-under-Taliban">renouvellent l’interdiction de 2000</a>. L’économie liée à l’opium est devenue trop importante dans les stratégies de survie d’une proportion importante de la population, dans un contexte où, du fait du retrait des États-Unis, les flots d’argent que leur présence engendrait vont s’arrêter, aggravant la situation économique.</p>
<p>La <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Studies/Illicit_DT_through_SEE_REPORT_2014_web.pdf">route des Balkans</a> de l’héroïne qui alimente l’Europe n’est probablement pas près de se tarir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167851/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Gandilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement aux affirmations récurrentes de Washington, ce ne sont pas les talibans, mais les alliés afghans des États-Unis qui ont, depuis vingt ans, été les principaux trafiquants d’opium.Michel Gandilhon, Chargé d'enseignement, master de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1623722021-06-09T18:46:43Z2021-06-09T18:46:43ZCharnier Paris-Descartes : quel encadrement pour le don du corps à la science ?<p>En <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/don-de-corps-a-la-science-un-charnier-au-coeur-de-paris_2108389.html">novembre 2019</a>, la journaliste Anne Jouan révèle les effroyables conditions de conservation et d’utilisation des corps au Centre du don des corps de l’Université Paris-Descartes. Le précieux témoignage de Dominique Hordé, ancienne secrétaire générale du CDC, permet de faire la lumière sur de nombreux dysfonctionnements. Des <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Charnier-de-Descartes-les-diapos-de-l-horreur-1740747">photos</a> témoignent de lacunes dans la protection des corps, existantes depuis de nombreuses années.</p>
<p>Plusieurs <a href="https://www.franceinter.fr/charnier-de-paris-descartes-les-10-documents-qui-accablent-les-autorites">documents</a> ont montré que la maltraitance des corps était normalisée, voire institutionnalisée.</p>
<p>Ces révélations ont conduit à la constitution de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/26/affaire-du-charnier-de-descartes-un-an-apres-le-debut-du-scandale-la-colere-des-familles_6061234_3224.html">l’association Charnier Paris-Descartes</a> qui entend obtenir justice pour les donneurs. Plusieurs individus et l’université elle-même ont été <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/scandale-du-don-des-corps-l-ancien-president-de-paris-descartes-mis-en-examen_2152379.html">mis en examen</a> pour atteinte à l’intégrité des cadavres. Rappelons que le don du corps à la science et, surtout, l’utilisation de ces corps répondent à quelques <a href="http://www.theses.fr/s189793">exigences éthiques et juridiques</a>.</p>
<h2>L’instrumentalisation historique des cadavres</h2>
<p>Historiquement, l’acquisition de connaissances médicales a été possible grâce à la dissection de cadavres. Durant la Renaissance, c’est la profanation de tombes qui a permis d’en apprendre plus sur l’anatomie humaine. Ainsi les découvertes de Léonard de Vinci ont-elles été possibles <a href="https://www.franceculture.fr/sciences/3-dessins-de-leonard-de-vinci-anatomiste-de-genie">grâce à l’étude de cadavres</a>. L’exécution des condamnés à mort a également été instrumentalisée pour que les scientifiques expérimentent sur le corps des suppliciés. Le physicien Giovanni Aldini fit par exemple <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Galvanisme">ses expériences galvaniques</a> sur des cadavres décapités pour identifier des phénomènes électriques dans le fonctionnement du corps humain.</p>
<h2>L’encadrement du don de corps</h2>
<p>L’adoption de la loi relative à la liberté des funérailles le 15 novembre 1887 constitue le fondement du don de corps à la science. Il a ensuite été précisé par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000023512733/">l’article R.2213-13</a> du Code général des collectivités territoriales qui prévoit notamment :</p>
<blockquote>
<p>« Un établissement de santé, de formation ou de recherche ne peut accepter de don de corps que si l’intéressé en a fait la déclaration écrite en entier, datée et signée de sa main. Cette déclaration peut contenir notamment l’indication de l’établissement auquel le corps est remis. »</p>
</blockquote>
<p>La principale exigence liée au don du corps apparaît : c’est le consentement de l’individu. Il doit avoir été formulé <em>ante-mortem</em>. Cela témoigne du fait que la volonté humaine continue d’avoir des effets <em>post-mortem</em>.</p>
<p>De manière générale, le consentement à l’expérimentation médicale est un prérequis indispensable. L’article 7 du <a href="https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/ccpr.aspx">Pacte international relatif aux droits civils et politiques</a> prohibe l’expérimentation non consentie, à l’instar de la <a href="https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/090000168007cf99">Convention d’Oviedo</a> en ses articles 5 et 16. Cette interdiction n’est pas prévue par la Convention européenne des droits de l’Homme mais a été énoncée par le juge européen dans son arrêt Bataliny contre Russie qui a assimilé une telle expérimentation à un traitement inhumain et dégradant. Dans cette affaire, un individu avait été forcé de prendre un traitement expérimental. Son consentement et la nécessité médicale de l’expérimentation faisaient défaut.</p>
<p>Cependant, ces textes visent plus particulièrement le cobaye humain vivant. Le législateur français distingue d’ailleurs la recherche impliquant la personne humaine vivante, encadrée par les articles <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072665/LEGISCTA000006170998/#LEGISCTA000032722874">L.1121-1</a> et suivants du Code de la santé publique, et le don du corps à la science qui ne répond qu’à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070633/LEGISCTA000006197791/#LEGIARTI000023512733">l’article R.2213-13</a> du Code général des collectivités territoriales.</p>
<p>En principe, le cobaye vivant <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032722892">consent à une expérimentation</a> pour laquelle il bénéficie d’informations spécifiques. Celui qui accepte de donner son corps à la science ne dispose pas de données relatives au traitement qu’il sera amené à subir. Ce consentement manque de lisibilité, cette activité étant mal circonscrite. Le défaut d’harmonisation des pratiques au sein des centres de don des corps conduit les individus à consentir à une utilisation méconnue de leurs dépouilles. Les différents <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/le-charnier-de-descartes">témoignages des proches</a> de donneurs montrent que ces derniers n’avaient pas conscience de l’utilisation qui pouvait être faite de leurs corps après le don. Ce défaut de précision est toutefois amorti par des principes protecteurs.</p>
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<h2>Quelques principes protecteurs du cadavre</h2>
<p>Certains éléments de protection acquis du vivant de la personne persistent par-delà la mort. Dans un arrêt du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007825407/">Conseil d’État de 1993</a>, le juge administratif a étendu l’application des principes déontologiques fondamentaux relatifs à la protection de la personne aux cadavres. En considérant que ces principes continuent de s’appliquer après la mort de l’individu, le juge retient que cette protection du corps humain n’est pas seulement liée à la personnalité juridique, laquelle cesse au moment du décès. L’individu décédé doit donc être protégé du seul fait de son humanité. Le législateur a entériné cela avec l’adoption de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000019983158/">l’article 16-1-1 du code civil</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence. »</p>
</blockquote>
<p>La principale difficulté tient dans l’application de cet énoncé de principe. Cette exigence de traitement respectueux, digne et décent du cadavre semble trop floue pour assurer une protection effective de ce dernier. Surtout, la mise en œuvre de cette règle est délicate puisque nul ne peut en assurer le contrôle. Pourtant, la protection du cadavre est, selon le juge de la Cour de cassation, une <a href="https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/respect-du-cadavre-le-recours-a-lordre-public-virtuel/h/de79ad23fad24f1b76e3815dd76719ec.htm">notion d’ordre public</a>.</p>
<p>Il s’agit de protéger non seulement le cadavre, mais également les sentiments des vivants qui ne doivent pas souffrir de la manière dont seront traités leurs proches défunts. Le code pénal réprime d’ailleurs les atteintes à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000019983162/">l’intégrité du cadavre</a>. Cette incrimination est très large et englobe divers actes perpétrés sur le corps d’une personne décédée (ex : nécrophilie, membres découpés, accélération de la décomposition d’un corps, <em>etc</em>.).</p>
<h2>Un défaut d’encadrement fragilisant la protection des cadavres</h2>
<p>La pratique expérimentale sur le cobaye vivant est l’objet de très nombreuses normes <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000006685827/2008-01-29/">nationales</a>, <a href="https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/090000168008372e">européennes</a>, <a href="https://cioms.ch/publications/product/lignes-directrices-internationales-dethique-pour-la-recherche-en-matiere-de-sante-impliquant-des-participants-humains/">internationales</a>.</p>
<p>Les recherches sur le cadavre souffrent, elles, d’un encadrement insuffisant. Plusieurs pistes doivent être envisagées pour assurer une meilleure protection des corps donnés à la science. Une harmonisation des modalités de don, d’information, de consentement et de traitement des corps devrait être envisagée sur le plan national, <a href="https://nypost.com/2019/07/25/fbi-finds-bodies-sewn-together-like-frankenstein-in-human-chop-shop/">voire international</a>.</p>
<p>Le terme de « don » témoigne d’une réification du corps de la personne après son décès. Il conviendrait d’assurer une traçabilité complète entre le moment du don et l’inhumation ou la crémation. Cela permettrait non seulement aux familles de savoir ce que sont devenus leurs proches, mais également d’éviter qu’un <a href="https://www.franceinter.fr/le-trafic-des-cranes-l-autre-scandale-de-paris-descartes">trafic de corps</a> et/ou de membres puisse être mis en place.</p>
<p>Le principe de non-patrimonialité du corps humain empêche de lui conférer une valeur monétaire. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006419300/">L’article 16-5 du code civil</a> prévoit en ce sens :</p>
<blockquote>
<p>« Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles. »</p>
</blockquote>
<p>Cet article devrait empêcher la vente des corps donnés à la science : cela a pourtant déjà été réalisé, notamment pour des crash-tests dans l’industrie automobiles. Cela vaut à plus forte raison encore lorsque les donneurs n’ont pas été informés de <a href="https://www.lefigaro.fr/faits-divers/paris-descartes-l-universite-a-mis-a-disposition-des-corps-pour-des-crash-tests-et-des-experiences-militaires-20210602">telles possibilités</a>.</p>
<p>Toutefois, seule une meilleure prise en charge institutionnelle des corps donnés à la science permettra de les protéger efficacement. Les révélations relatives au fonctionnement du CDC Paris-Descartes soulignent l’existence de dysfonctionnements systémiques contraires au principe de respect dû au corps humain. Un groupe de travail a d’ores et déjà formulé <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Frederique-Vidal-Il-faut-nouvelles-regles-don-corps-science-2021-06-07-1201159851">diverses recommandations</a> tendant à renforcer la protection des corps donnés à la science. Elles s’articulent autour de trois principes fondamentaux : la gratuité, l’anonymat et le respect. Il s’agira de mobiliser les pistes envisagées pour compléter les dispositions existantes et garantir une meilleure effectivité de la protection des cadavres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162372/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elise Roumeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le don du corps à la science et, surtout, l’utilisation de ces corps répondent à des exigences éthiques et juridiques qui manquent d’effectivité.Elise Roumeau, Doctorante & ATER en droit privé - Centre Michel de l'Hospital, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1616992021-05-31T19:07:59Z2021-05-31T19:07:59ZExplosion des deals ? Ce qu'Internet a vraiment fait au trafic de drogue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/403588/original/file-20210531-25-qarybd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C218%2C3071%2C1218&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La vente de drogue par le biais des réseaux sociaux est une prolongation des modes de consommation et de trafic plus conventionnels. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/6ScKApDyAMQ">Unsplash/GRAS GRÜN</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Depuis le début de l’année 2021, quelques événements tragiques liés à la problématique des drogues, comme le procès de l’affaire dite <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Sarah_Halimi">Sarah Halimi</a> ou la mort du policier <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/en-depit-de-ses-denegations-le-tueur-d-eric-masson-est-confondu-20210512">Éric Masson</a> retiennent l’attention de la presse. Ces faits divers, pas nécessairement plus représentatifs que d’autres, sont à ce point médiatisés qu’ils semblent obliger les politiques à prendre position, suivant la logique des <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_effets_d_information_en_politique-9782747506595-10471.html">effets d’information</a> mise en évidence en particulier par Jacques Gerstlé.</p>
<p>Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a ainsi tenu, à plusieurs reprises, des déclarations percutantes visant à mettre en avant, et en scène, la lutte engagée contre le trafic de stupéfiants. L’une des plus récentes (19/05/2021) concerne l’utilisation des réseaux sociaux, l’ancien maire de Tourcoing s’en prenant <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/snapchat-est-devenue-le-reseau-social-de-la-drogue-selon-darmanin_2151106.html">tout particulièrement à Snapchat</a>.</p>
<blockquote>
<p>« C’est sur Snapchat que les livreurs de drogue donnent leurs rendez-vous, comme vous donnez rendez-vous sans doute pour livrer une pizza. […] C’est totalement démoralisé. »</p>
</blockquote>
<p>Il dénonce par la suite une « ubérisation » du trafic via « les réseaux sociaux », appelant les dirigeants de Snapchat à « prendre (leurs) responsabilités » pour « arrêter d’être le réseau social de la drogue ».</p>
<p>Il est vrai que depuis quelques années, de nombreuses affaires de trafic de stupéfiants, via les réseaux sociaux, ont été dévoilées. Le phénomène n’est donc pas si nouveau que cela et déjà, pour les années 2015-2016, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) pointait les <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxacwc.pdf">tendances</a>, pour les commerçants de drogues, à recourir au dark web et à Internet. Les réseaux sociaux vont également très vite être sollicités. </p>
<p>En novembre 2019, l’Institut de Recherche et d’Études en Droit de l’Information et de la Culture, <a href="http://www.iredic.fr/2019/11/19/de-la-rue-aux-reseaux-sociaux-le-commerce-2-0-des-dealers-de-drogue/">note</a> que « les dealers utilisent les réseaux sociaux pour mettre en avant des offres promotionnelles du type « jusqu’à minuit, 1 gramme acheté, 1 gramme offert » ou des ventes flash avec distribution à prix cassés, sur un lieu de rendez-vous annoncé aux clients à la dernière minute », avec des exemples de ce type d’offres promotionnelles dans la région marseillaise.</p>
<h2>« Uber-shit »</h2>
<p>Tout le territoire français est concerné. Fin juillet 2020, un réseau relativement important avait d’ailleurs été démantelé en Bretagne ; le chef de l’organisation, originaire de Rennes, <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/bretagne-un-reseau-de-trafic-de-drogue-sur-les-reseaux-sociaux-demantele-27-07-2020-8359389.php">avait</a> « constitué un réseau labellisé “Ubershit” développé par un marketing numérique diffusé sur différents réseaux sociaux ».</p>
<p>D’autres se déploient à Grenoble, Annecy et dans bien d’autres régions, suivant des informations de plus en plus fréquentes et diversifiées disponibles dans les médias : « À Toulouse, les dealers font ouvertement leur pub sur les réseaux sociaux » (<a href="https://www.lejournaltoulousain.fr/societe/trafic-drogue-reseaux-sociaux-publicite-85175/"><em>Le Journal toulousain</em></a>, 6 aout 2020), « Un trafic de drogue démantelé sur les réseaux sociaux » (sur WhatsApp, en <a href="https://www.rci.fm/guadeloupe/infos/Faits-divers/Un-trafic-de-drogue-demantele-sur-les-reseaux-sociaux">Guadeloupe</a>, 7 janvier 2021), « “Shit, beuh ou coke ?” : quand le trafic de drogue s’invite sur les réseaux sociaux » (<a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/enquete-shit-beuh-ou-coke-quand-le-trafic-de-drogue-s-invite-sur-les-reseaux-sociaux-1991353.html">France 3 Auvergne-Rhône-Alpes</a>, 10 mars 2021) ; « Bourg-en-Bresse : il vendait la drogue sur les réseaux sociaux » (<a href="https://www.lavoixdelain.fr/actualite-43903-bourg-en-bresse-il-vendait-la-drogue-sur-les-reseaux-sociaux"><em>La Voix de l’Ain</em></a>, 29/03/2021), « À Lille, via Snapchat ou WhatsApp, la livraison de drogue en plein essor » (<a href="https://www.lavoixdunord.fr/987200/article/2021-04-20/lille-snapchat-ou-whatsapp-la-livraison-de-drogue-en-plein-essor"><em>La Voix du Nord</em></a>, 20 avril 2021), etc.</p>
<h2>Une adaptation de filières traditionnelles</h2>
<p>Si l’ensemble des réseaux sont utilisés, ceux qui donnent le plus de mal aux autorités de police semblent être Snapchat, qui « ne permet pas de trouver des profils d’utilisateur par mots-clefs » ou les messageries cryptées comme <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/snapchat-reseau-social-drogue-darmanin_fr_60a4d302e4b03e1dd39092d3">WhatsApp</a>. Par ailleurs, il est à noter que ces trafics organisés via les réseaux sociaux apparaissent essentiellement comme des développements de réseaux déjà structurés.</p>
<p><a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxac2a9.pdf">Selon l’OFDT</a> (septembre 2020), ils sont « l’expression de l’adaptation de filières traditionnelles aux réalités de la demande dans les grandes métropoles et de la volonté de développer des pratiques moins visibles » que le fonctionnement des points de deal repérés en milieu urbain, dans ce que l’on nomme un peu vite <em>les quartiers</em>.</p>
<p>Dès lors, le fait que les réseaux sociaux favorisent la discrétion et la banalisation des transactions du commerce de drogues est-il problématique, ainsi que le ministre de l’Intérieur tend à l’affirmer ?</p>
<p>Un premier constat, tout d’abord, relatif à la répression des trafics : comme en témoignent les affaires mentionnées précédemment – et bien d’autres – l’utilisation des réseaux sociaux n’offre aucunement l’impunité aux dealers, et quelles que soient les techniques utilisées, le risque de se faire prendre perdure. Des facilités supplémentaires sont même parfois offertes aux forces de l’ordre, qui, sous certaines conditions, peuvent se faire passer pour des acheteurs, beaucoup plus facilement que dans la rue.</p>
<p>Est-ce que, par ailleurs, ce type de méthodes assèche les trafics plus traditionnels de ce que l’on appelle parfois « les supermarchés de la drogue », ces lieux de deal quasiment institutionnalisés, parfois connus de la police depuis longtemps, comme nous le montrions déjà dans une <a href="https://www.decitre.fr/livres/politique-moeurs-et-cannabis-9782952000703.html">enquête publiée en 2003</a> ?</p>
<p>Apparemment pas : aucune étude ne démontre un recul du nombre de points de deal du fait de la sollicitation de ces nouvelles technologies, ni d’ailleurs de lien avec une éventuelle augmentation de la consommation de stupéfiants.</p>
<h2>Les réseaux sociaux offrent confort et sécurité</h2>
<p>L’utilisation des réseaux sociaux paraît présenter des avantages notables pour l’ensemble de la société. Tout d’abord, ils permettent effectivement d’éviter les transactions dans la rue, risquées non seulement pour le trafiquant, mais surtout pour l’usager, qui peut parfois être confronté à des groupes criminels armés et se retrouver mêlé à des violences, voire des rixes.</p>
<p>Du point de vue de la consommation, on remarque aussi, sur les réseaux sociaux, que les ventes s’accompagnent parfois d’informations (certes non contrôlées) sur la nature des produits, ce qui n’est pas le cas à l’extérieur.</p>
<p>Surtout, ces procédés permettent d’éviter les nuisances faites aux riverains et aux habitants des zones concernées par les trafics les plus denses. L’équipe d’<em>Envoyé spécial</em> vient par exemple de montrer l’impact de l’un de ces trafics sur le milieu scolaire dans un quartier sensible de Nîmes : <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/video-dans-cette-ecole-de-nimes-cernee-par-le-trafic-de-drogue-des-enfants-de-6ans-sont-temoins-de-courses-poursuites-et-reglements-de-comptes_4638445.html">« des trafiquants aux portes de l’école »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XUP46ezPgVA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption"><em>Envoyé spécial</em>, France 2.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cependant, au-delà de l’aspect technique qui focalise l’attention, le recours aux réseaux sociaux est-il vraiment nouveau ?</p>
<p>Si l’on considère une acception large de l’idée de réseau social, on se doit de remarquer que la commercialisation de drogue dans des cercles privés, le plus souvent aux domiciles des vendeurs ou des acheteurs, se pratique de longue date, pour, semble-t-il, l’ensemble des substances.</p>
<h2>Des amis qui vous veulent du bien ?</h2>
<p>La confiance faite à des amis ou à des relations plus ou moins proches offre en effet depuis bien longtemps le cadre sécurisé recherché. <a href="https://www.canal-u.tv/video/ehess/2_dealers_demons_des_temps_modernes.25883">Aude Lalande</a> montre ainsi qu’une partie importante du trafic d’héroïne en France dans les années 1970-2000 se déroulait en appartements.</p>
<p>Pour le cannabis également, des pratiques sociales relationnelles sont bien connues des consommateurs : un membre du groupe social achète en gros et revend aux autres de petites quantités. Que le téléphone, autrefois, soit utilisé, ou tel réseau numérique aujourd’hui, est-ce vraiment important ?</p>
<p>Ne serait-on pas, une fois de plus en matière de drogues et d’addictions, en train de se focaliser sur un sujet finalement pas si pertinent que cela ?</p>
<p>La priorité ne doit-elle pas être de réduire les nuisances sociales et de rendre plus sûre la vie de tous, notamment celle des riverains et des usagers de drogues ? L’existence des trafiquants est également mise à mal, et les mauvais traitements qu’ils subissent vont parfois bien au-delà de ce que l’on peut attendre de l’application du principe de proportionnalité des peines.</p>
<p>Les dealers sont en effet communément diabolisés dans l’espace politico-médiatique, mais ce sont souvent aussi des victimes de violences, comme l’explique par exemple Vincent Benso dans sa contribution aux séminaires de l’EHESS organisés sur ces questions, dont les <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-vivre_avec_les_drogues_alessandro_stella_anne_coppel-9782343233901-70077.html">actes</a> viennent d’être publiés.</p>
<p>En partant de ces considérations, le recours aux réseaux sociaux ne constitue-t-il pas un moindre mal ? Face au blocage des processus de légalisation, dont nombre d’experts montrent les avantages en termes de lutte contre le crime organisé, de connaissance des produits consommés et de prévention – ce qui transparaît dans le <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/341940/3351816/version/1/file/210505+Rapport+cannabis+recreatif.pdf">rapport parlementaire</a> sur le cannabis récréatif tout récemment publié –, ces procédés ne permettent-ils pas de limiter les dommages liés à l’exposition des points de deal ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161699/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sonny Perseil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le recours aux réseaux sociaux dans le trafic de drogues s’inscrit dans des pratiques traditionnelles et pourrait, faute de mieux, limiter les dommages liés à l’exposition des points de deal.Sonny Perseil, HDR en science politique et sc. de gestion, Lirsa EA4603, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1576042021-03-28T16:41:09Z2021-03-28T16:41:09ZViolences en bandes : un « trou noir » dans les statistiques<p>À l’instar des « zonards » décrits par <a href="https://www.puf.com/content/Zonards_Une_famille_de_rue">Tristana Pimor</a> (2014) ou des « clochards » suivis par <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2007-1-page-47.htm">Patrick Bruneteaux</a> (2007), les « jeunes des bandes » dans les quartiers pauvres des métropoles, régulièrement cités par les médias lors de faits de violence, portent rarement plainte au commissariat en cas d’agression ou de vol.</p>
<p>Ces jeunes, selon nos définitions, se constituent <a href="https://theconversation.com/comprendre-le-phenomene-des-bandes-et-ses-evolutions-154660">d’adolescents et de jeunes adultes</a> qui représentent environ 10 % de la jeunesse masculine (moins de 30 ans) de leur quartier.</p>
<p>Les violences verbales, comme les menaces et les chantages, les violences matérielles comme le vol ou le vandalisme, ou encore les violences physiques se réalisent le plus souvent dans un entre-soi où les témoins, les victimes et les coupables changent régulièrement de rôle et partagent une même défiance à l’égard des policiers et des juges.</p>
<h2>Homicides et violences</h2>
<p>Laurent Mucchielli observait au <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/mucchielli_laurent/B_recherche_homidices/homicides/homicides_texte.html">sujet des homicides</a>, citant deux spécialistes de la <a href="https://books.openedition.org/pum/10771?lang=fr">« victimologie »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il est classique en criminologie de s’interroger sur les relations entre agresseurs et agressés (Fattah, 1971). Le premier constat qui en est toujours ressorti est celui de l’importance des cas dans lesquels la victime connaissait son agresseur. La proportion varie des deux tiers aux quatre cinquièmes selon les pays et les époques. […] Les bagarres entre jeunes hommes dans les quartiers pauvres tiennent ici une place centrale en [dehors des homicides conjugaux ou familiaux]. Et c’est sans doute dans ce cadre que les travaux soulignant la part prise par le comportement de la victime dans l’homicide sont les plus décisifs. Von Hentig et Wolfgang (1958) avaient beaucoup insisté sur les provocations de la victime et avaient suggéré que, dans de nombreux cas de ce type, la répartition des rôles entre l’auteur et la victime aurait pu s’inverser si les circonstances (notamment le fait d’être armé ou de se servir de son arme le premier) avaient été légèrement différentes. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ce contexte, seuls les homicides sont enregistrés par les services de l’État, les violences sublétales (qui n’entraînent pas la mort) n’offrant dans la plupart des cas ni témoin ni victime aux services de police.</p>
<p>Rappelons par ailleurs que les <a href="https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/commercants-rackettes-aux-4000-on-a-ete-jusqu-a-se-dire-tant-mieux-si-notre-commerce-est-incendie-20-01-2021-8420255.php">différentes formes d’intimidation</a> des témoins susceptibles de transmettre des informations à la police réduisent considérablement les probabilités de condamnation en cas de dépôt de plaintes.</p>
<h2>Une population difficile d’accès</h2>
<p>Par ailleurs les jeunes socialisés dans ces bandes des quartiers pauvres représentent certainement l’une des populations les plus difficiles d’accès pour les sociologues et criminologues menant des enquêtes quantitatives dites de victimation : leur seuil de tolérance à la violence transforme des violences agies ou subies en jeu ou en leçon ; leur culture de la clandestinité en lien avec leur carrière délinquante les a par ailleurs habitués à dissimuler leurs violences ; leur culture anti-institutionnelle et leur <a href="https://agone.org/livres/lecoledesouvriers/lecoledesouvriers">anti-intellectualisme</a>, système de défense typique des jeunes hommes des classes populaires qui trouve son emphase avec les jeunes des bandes, tout comme <a href="https://www.puf.com/content/La_formation_des_bandes">leurs difficultés</a> de lecture et d’écriture compliquent toutes formes d’enquête par questionnaire.</p>
<p>Autrement dit nous sommes ici devant « un véritable trou noir statistique » alors même que ces jeunes sont surreprésentés aussi bien chez les victimes que chez les auteurs de délits et de crimes.</p>
<p>Comment expliquer cette absence de dépôt de plainte en cas de vol ou d’agression ?</p>
<h2>Identifier les motivations au silence</h2>
<p>Les raisons s’avèrent beaucoup plus nombreuses que les quelques pistes qu’on imagine à première vue. Depuis près de vingt-cinq ans, je mène mes travaux de sociologue par <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00682935">l’ethnographie</a> ou accompagnant des équipes de prévention spécialisée en « travail de rue ».</p>
<p>Ce travail s’effectue avec des éducateurs de la prévention spécialisée et consiste en une déambulation dans l’espace public, à la recherche de jeunes « en rupture » (familiale et institutionnelle) afin de réaliser une prise de contact, de nouer un lien (en suggérant et organisant des loisirs par exemple), de proposer un parcours de réinsertion sociale et, avant cela, si besoin, d’entreprendre une action de prévention (prévention des conduites à risques comme la consommation de drogues).</p>
<p>Depuis le milieu des années 2000, j’accompagne ces professionnels dans des quartiers de la Politique de la ville, ce qui m’a permis d’identifier une douzaine de motivations nourrissant le silence qui entoure les violences et autorise, d’une certaine façon leur engrenage, leur continuité et leur escalade.</p>
<h2>L’honneur et les valeurs « masculines »</h2>
<p>Les logiques traditionnelles de l’honneur masculin imposées par la socialisation familiale ou amicale jouent un rôle clef comme le relève l’anthropologue Julian Pitt-Rivers <a href="https://www.fayard.fr/pluriel/anthropologie-de-lhonneur-9782012788404">dans le bassin méditerranéen</a> :</p>
<blockquote>
<p>« En confisquant l’usage de la force, l’étatisation tue une forme de civilisation de l’honneur : entre l’honneur et la légalité, l’antinomie est fondamentale et persiste jusqu’à nos jours. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi un jeune homme rencontré raconte* :</p>
<blockquote>
<p>« On m’a toujours dit de me battre comme un homme, même ma mère. Quand j’étais gamin, ma mère me disait : “Tu ne vas pas pleurnicher comme ta sœur !” Une fois, j’ai parlé à mon père, à propos d’un gars qui m’avait volé mon vélo. Il m’a dit : “Tu le retrouves, tu le tapes et tu reprends ton vélo.” Il voulait que je ramène le vélo le lendemain, sinon, ben, pour lui, c’était la honte pour toute la famille. C’est comme si je le déshonorais, comme si je n’étais plus son fils. » (23 ans)</p>
</blockquote>
<p>À cette problématique de l’honneur vient s’ajouter la revendication des logiques traditionnelles de la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-domination-masculine-pierre-bourdieu/9782020352512">domination masculine</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Moi je suis un bonhomme, pas une meuf, pas un petit pédé. Je n’ai besoin de personne. Je règle mes comptes tout seul. » (16 ans)</p>
</blockquote>
<h2>L’adolescent pris dans le monde des adultes</h2>
<p>L’<a href="http://www.bm.ville-antony.fr/medias/detailstatic.aspx?INSTANCE=exploitation&RSC_BASE=AB6&RSC_DOCID=209113">entre-soi adolescent</a> et ses secrets se confrontent aussi au monde des adultes :</p>
<blockquote>
<p>« Quand j’étais jeune, tous les adultes, pour moi, ben c’étaient des poucaves [argot : une personne qui donne des informations à la police ou à toute autre forme institutionnelle de contrôle, ndlr] Il ne fallait jamais rien dire à un adulte. Les adultes ne comprenaient rien. Si j’étais en embrouille avec quelqu’un, y’avait que mes potes qui étaient au courant. Nos histoires à nous, ben ça restait entre nous. On n’était plus des gamins. » (25 ans)</p>
</blockquote>
<p>Or ce monde adulte parait lointain, isolé et souvent impuissant :</p>
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<p>« Et puis mon daron, il a déjà assez de problèmes comme ça. Il est fatigué. Il est seul dans sa tête avec ses problèmes. Il va faire quoi ? S’embrouiller avec des lascars ? Non, c’est à moi de gérer ça. C’est comme les profs : tu parles à un prof, il dispute le mec qui te casse les couilles mais lui, il s’en bat les couilles, lui, il t’attend à la sortie, et là, le prof ne sera pas là. Donc ça ne sert à rien. Tu comprends vite que ça sert à rien, ça ne fait qu’aggraver le problème, c’est tout ce que ça fait. » (19 ans)</p>
</blockquote>
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<figcaption><span class="caption">« La rue, ça fait mal », Kery James.</span></figcaption>
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<h2>Le sentiment d’abandon</h2>
<p>La défiance envers les institutions républicaines voire envers « la <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-france-nous-laches-9782213635798">France</a> » justifie un rejet du système, même quand ce dernier pourrait apporter une aide ou un suivi.</p>
<blockquote>
<p>« Le système n’est pas fait pour nous. Il protège les Blancs, les riches. Nous, notre parole ne vaut rien. On est coupable à la naissance. » (22 ans)</p>
</blockquote>
<p>Un sentiment d’autant plus fort que les jeunes concernés ignorent les autres abandons de la nation : de la paysannerie aux petits commerçants en passant par la souveraineté monétaire, les grandes entreprises d’État et les fleurons industriels…</p>
<p>C’est cette même défiance qui nourrit les contentieux personnels avec des policiers et des juges :</p>
<blockquote>
<p>« Tu me vois au commissariat pour déposer une plainte ? Les flics, ils rigolent, c’est sûr ! Ils me diront que je n’ai que ce que je mérite. Depuis le temps qu’ils me courent après, ils ont la haine contre moi. » (18 ans)</p>
</blockquote>
<h2>L’illégalité des activités</h2>
<p>Les jeunes rencontrés sont souvent pris dans des activités illicites ou illégales, ou à la frontière. Vols, menus larcins, trafics rendent leur acquisition de biens personnels compliquée à défendre auprès des autorités compétentes :</p>
<blockquote>
<p>« Pourquoi je n’ai pas déposé plainte après le vol du scooter ? Ben le scooter n’était pas à moi. Je l’avais emprunté à un gars qui, lui, l’avait troqué avec un gars qui… Comment dire ? Ben, il l’avait volé, voilà. C’était un scooter volé à l’origine, donc… » (19 ans)</p>
</blockquote>
<p>Or, même avec un scooter en règle, la peur des représailles impose le silence :</p>
<blockquote>
<p>« Dans le quartier, le mec qui poucave, ben la police n’a pas les moyens de le protéger. Y’a trop de failles. Le mec, il dépose plainte, mais il n’y aura pas de policiers pour le protéger quand il rentrera chez lui. Il faut qu’il déménage, lui et toute sa famille. Ici, c’est grave de porter plainte. » (18 ans)</p>
</blockquote>
<p>Dans ce contexte où le système « officiel » est rejeté, craint ou fuit, ne reste que le recours à « la justice » de l’entre-soi.</p>
<h2>Le tribunal de la table de ping-pong</h2>
<p>On parlera cependant le plus souvent de « médiation » et on réservera le mot « justice » à certaines situations dans lesquelles on constate une autorité, plus ou moins légitime voire impartiale qui se réfère à des valeurs morales, juge des conflits et impose ses décisions par la contrainte ou la persuasion.</p>
<p>J’ai notamment décrit cette autorité « judicaire » dans « Le tribunal de la table de ping-pong » dans mon roman <a href="https://halldulivre.com/livre/9782847431292-pirate-du-bitume-thomas-sauvadet/"><em>Pirate du Bitume</em></a> inspiré de mes enquêtes sociologiques.</p>
<blockquote>
<p>« Il avait encore tapé mon petit frère. Moi, je voulais le défoncer, mais comme le gars, c’est le petit frère d’une grosse famille du quartier, ben j’ai temporisé. J’ai appelé ses grands frères et j’ai expliqué la situation, comme quoi il s’en prenait à mon petit frère sans raison. Là, y’a eu des débats. D’autres “grands du quartier” sont arrivés. Ils étaient neutres, donc ils ont joué les arbitres. En fin de compte, ils m’ont tous donné raison. Après ça, ses grands frères ont juré qu’ils allaient s’occuper de son cas. Ils lui ont fait la misère. Du coup, le mec qui tapait mon petit frère, ben il s’est calmé grave. On règle nos affaires entre nous. C’est plus rapide et plus efficace qu’un dépôt de plainte. En une heure, le problème est réglé. » (19 ans)</p>
</blockquote>
<p>Les « grands frères » ou plus simplement « les grand(s) », est un terme utilisé par les jeunes des bandes et les travailleurs sociaux. Cette dénomination passe-partout nomme des personnes qui ne sont pas toujours nommables – parce qu’ils sont souvent des « caïds » ayant un rôle dans l’organisation des trafics, des vols, de l’usage de la violence – mais qui le deviennent grâce à la positivité du mot (« grands ») ou de l’expression (« grands du quartier »).</p>
<h2>Des « grands » valorisés</h2>
<p>Grand : qui n’aimerait pas être ainsi désigné ? Dans la rue, un « grand » correspond à un jeune homme d’une vingtaine voire d’une trentaine d’années dont la socialisation juvénile n’en finit plus. Il occupe la plus haute place dans la hiérarchie des bandes : soit en tant que sportif accompli (l’entraîneur de la salle de boxe ou de musculation et ses amis…), soit en tant qu’acteur du milieu politico-associatif local (le président de l’association des « jeunes du quartier » et ses amis…), ou encore, le plus souvent, en tant que voyou aguerri (le grossiste de cannabis, ses principaux associés et leurs amis…).</p>
<p>Les « grands » en cours de clochardisation (autres jeunes adultes encore engagés dans les bandes du quartier) ne sont pas considérés comme des « vrais grands ». Ils sont purement et simplement ignorés, méprisés.</p>
<p>Les « vrais grands », on en compte généralement une dizaine ou une trentaine par quartier. On les trouve le plus souvent dans le café le plus proche, parfois devenu la propriété de l’un d’entre eux.</p>
<p>Les jeunes engagés dans les bandes évoluent dans un microcosme (le réseau des bandes du quartier) quasi exclusivement masculin. Les mères, les tantes, les sœurs et les cousines doivent être maintenues à distance et, autant que possible, ne rien savoir des fréquentations et des activités de leurs fils, frères, cousins ou neveux.</p>
<p>Pour les relations de flirt, les jeunes des bandes et plus largement les jeunes des quartiers étudiés dans leur ensemble, <a href="https://www.armand-colin.com/les-jeunes-et-lamour-dans-les-cites-9782200351151">s’éloignent</a> des réseaux d’interconnaissances locales. Seules quelques filles intègrent le milieu masculin des bandes du quartier. Elles <a href="https://journals.openedition.org/sdt/25385">imitent</a> les codes et les comportements des garçons.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film « Bande de filles » de Céline Sciamma (2014).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Distances et ruptures institutionnelles</h2>
<p>Rares sont ainsi les dépôts de plainte, les entrevues avec des services sociaux ou administratifs. Les lenteurs et les complexités administratives du recours judiciaire rendent le processus quasi inexistant :</p>
<blockquote>
<p>« Déposer plainte, t’es malade, c’est un truc de ouf ! Si tu portes plainte à chaque embrouille, tu passes ta vie au tribunal à remplir des paperasses. Je n’ai pas que ça à faire » (23 ans).</p>
</blockquote>
<p>Seule exception, les cas donnant lieu à des dommages et intérêts dont les jeunes ne mesurent pas toujours l’ampleur :</p>
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<p>« C’est vrai que, quand j’ai appris que l’autre avait touché 30 000 euros pour son œil crevé, ben je me suis dit : “Merde ! Moi aussi j’aurais pu prendre des sous si j’avais déposé plainte après mon traumatisme crânien”. » (17 ans, victime d’un guet-apens à la sortie du local des éducateurs)</p>
</blockquote>
<p>Il existe par ailleurs des collaborations cachées avec les services de police : pour échapper à la prison ou éliminer la concurrence.</p>
<h2>Un usage illégal de la violence comme routine</h2>
<p>Les jeunes des bandes ne sont pas forcément concernés par l’ensemble des raisons évoquées. Certains n’ont, par exemple, pas connu les logiques traditionnelles de l’honneur masculin imposées par la socialisation familiale, d’autres n’ont jamais bénéficié de « la justice de l’entre-soi » du fait de leur position marginale dans la hiérarchie des bandes, voire de leur réputation de souffre-douleur.</p>
<p>Tous sont par contre soumis aux logiques traditionnelles de l’honneur masculin imposées par la socialisation amicale. Tous évoluent également dans un entre-soi où la protection étatique la plus élémentaire, à savoir la monopolisation wébérienne de la violence physique légitime par l’État, et plus globalement la protection des adultes, s’avèrent défaillantes ou complaisantes à l’égard de l’usage illégal de la violence.</p>
<p>Dans ce contexte le « capital guerrier » s’impose comme le capital le plus rentable à court et moyen terme, malgré des <a href="https://www.armand-colin.com/le-capital-guerrier-9782200347024">risques évidents de faillite</a> (blessures, handicaps, folie…).</p>
<p>Pour lutter contre cette « loi du silence » que les bandes s’imposent et imposent aux habitants des quartiers pauvres, les institutions policière et judiciaire ont besoin d’informations donc d’informateurs.</p>
<p>La protection des témoins et victimes, avant et après le procès, représente une condition <em>sine qua non</em> pour gagner leur confiance. Lorsqu’on sait que l’identité et les coordonnées d’un <a href="http://www.thierryvallatavocat.com/2016/05/le-nouveau-regime-de-protection-des-temoins.html">témoin décisif</a> figuraient dans le dossier d’instruction contre un terroriste du 13 novembre 2015, on mesure le chemin escarpé qui nous attend.</p>
<hr>
<p><em>Toutes les citations et données relèvent d’un travail à paraître en janvier 2022, « Le capital guerrier II. Travail social et voyoucratie ».</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157604/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Sauvadet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un « trou noir statistique » complexifie la prise en compte de la violence des jeunes surreprésentés aussi bien chez les victimes que chez les auteurs de délits et de crimes.Thomas Sauvadet, Sociologue, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1528862021-01-28T18:07:20Z2021-01-28T18:07:20ZLa lutte contre le trafic de drogue nuit-elle aux politiques de développement ?<p>Depuis la ratification de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, le régime mondial de contrôle des drogues a tenté de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0955395911001575?via%3Dihub">changer le comportement humain</a> et de <a href="https://digitallibrary.un.org/record/258955?ln=en">prévenir la consommation de drogues</a> par la punition, afin d’atteindre un « monde sans drogues ».</p>
<p>Cette ambition clé, basée sur la simple prédiction que la prohibition assécherait éventuellement la demande des drogues illégales, a été réaffirmée par la communauté internationale depuis trente ans à travers des <a href="https://www.unodc.org/documents/commissions/CND/Political_Declaration/Political_Declaration_1990/1990_Political_Declaration_and_Programme_of_Action.pdf">déclarations politiques</a> aux Nations unies.</p>
<p>Pourtant, la demande, l’offre et le trafic des drogues illégales <a href="https://wdr.unodc.org/wdr2020/en/exsum.html">augmentent chaque année</a> et de manière ininterrompue dans le même laps de temps. De plus, le paradigme de la prohibition, qui base la quasi-totalité des interventions publiques sur la répression, a créé des <a href="https://www.unodc.org/documents/wdr/WDR_2008/WDR08_French_web.pdf">conséquences négatives majeures</a> qui remettent en cause l’accomplissement d’autres objectifs globaux de développement.</p>
<h2>Contrôle des drogues et conséquences « surprises »</h2>
<p>Ce sont ces conséquences, reconnues par les Nations unies en 2008 comme conséquences « inattendues » du régime du contrôle des drogues, qui semblent montrer que le régime de contrôle (somme toute construit sur de bonnes intentions mais mis en place par la répression) met à mal la réalisation des <a href="https://www.globalcommissionondrugs.org/wp-content/uploads/2020/06/2018SDG_FRA_web.pdf">objectifs du développement durable et l’Agenda de 2030</a>.</p>
<p>Elles incluent les dommages causés par la prohibition : déplacement budgétaire et politique dans les priorités nationales (du secteur de la santé vers celui de la justice, par exemple) ; déplacement géographique de la production et de la violence sans qu’elles soient réduites pour autant (effet ballon gonflable) ; et un marché illégal de plus de 500 milliards de dollars dans les mains d’intérêts illégaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1268437379838345224"}"></div></p>
<p>Autres conséquences dont la source est corrélée au <a href="http://fileserver.idpc.net/library/Executive_Summary_FR.pdf">contrôle répressif des drogues</a> : l’augmentation de la violence et de l’insécurité du fait de l’affrontement entre forces de l’ordre et trafiquants dans des quartiers souvent défavorisés ; la surincarcération et la surpopulation carcérale pour des délits mineurs ; l’enrichissement de groupes criminels ; ou encore la transmission de maladies infectieuses.</p>
<p>Voici deux problèmes liés que le régime international – en termes de droit international – pose aux politiques et aux objectifs de développement : alors que les conventions internationales sur les drogues sont construites autour de la notion que la <a href="https://www.unodc.org/documents/commissions/CND/Int_Drug_Control_Conventions/Ebook/The_International_Drug_Control_Conventions_F.pdf">dépendance est un fléau</a> (un terme exclusif aux conventions sur les drogues dans l’arsenal normatif international), le système international n’arrive pas à y intégrer la définition même du <a href="https://www.who.int/substance_abuse/terminology/ICD10ClinicalDiagnosis.pdf">syndrome de la dépendance par l’OMS</a>, qui inclut un désir incontrôlable de consommation ; un risque réaliste de rechute ; et des symptômes physiques et psychologiques de sevrage. Cette situation s’aggrave même lorsqu’est pris en compte le manque d’évaluation scientifique dans la <a href="http://www.globalcommissionondrugs.org/wp-content/uploads/2019/06/2019Report_EN_web.pdf">classification de ces substances</a>, entre ce qui est légal ou pas, dangereux ou moins.</p>
<h2>Les objectifs de développement durable mis à mal</h2>
<p>Sur la base de ces conclusions, le <a href="https://journals.openedition.org/poldev/3408">récent numéro spécial de <em>International Development Policy</em></a> consacré aux politiques de développement et de contrôle des drogues tente de répondre à une question simple : ces politiques se renforcent-elles mutuellement ou sont-elles contradictoires ? Il examine un large spectre de problématiques liées au développement, afin d’identifier les impacts réels du contrôle des drogues, et d’analyser à quel point les barrières au développement durable sont endogènes ou exogènes au contrôle des drogues.</p>
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<figcaption><span class="caption">Éradication de la coca : l’ONU débloque des aides financières.</span></figcaption>
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<p>L’exploration des interactions entre le développement et le contrôle des drogues commence par les <a href="https://journals.openedition.org/poldev/4152">programmes</a> de « développement alternatif », qui sont vus principalement du point de vue agricole ou répressif, sans prise en compte des autres problématiques socio-économiques induites par ces programmes d’éradication ou de substitution des cultures agricoles, et spécifiquement dans les communautés rurales des pays producteurs. L’<a href="https://journals.openedition.org/poldev/4167">Afghanistan</a> sert de miroir de l’incapacité de ces programmes à tenir compte des besoins des populations locales, ou de leur offrir des perspectives de long terme. Toutefois les <a href="https://journals.openedition.org/poldev/3711">agences gouvernementales</a> adoptent une autre position, tout en reconnaissant les lacunes du développement alternatif.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1276425716452651015"}"></div></p>
<p>Ces interactions concernent également des dimensions du développement qui subissent elles-mêmes des changements profonds actuellement : le climat, l’égalité des genres, les droits de l’enfant ou la santé publique. En effet, comment concilier la protection des enfants et un contrôle des drogues moins répressif ? Pourquoi les femmes subissent-elles bien plus les impacts négatifs de la répression que les hommes ? Est-ce lié aux structures patriarcales des systèmes de justice ? De la même manière, le numéro spécial aborde l’impact de la production illégale et intensive du cannabis sur le climat ; le débat autour du commerce équitable en cas de légalisation globale du cannabis afin de ne pas laisser les producteurs traditionnels sur le côté ; ou la difficulté de déploiement des services sanitaires nécessaires aux consommateurs de drogues, souvent sur des bases idéologiques.</p>
<h2>Politique et dilemmes sociétaux</h2>
<p>Ce numéro spécial apporte surtout une première lecture « politique » du désaccord entre développement et contrôle des drogues : à travers l’analyse des flux financiers illicites dans les <a href="https://journals.openedition.org/poldev/4243">zones de conflits</a> ; l’utilisation du contrôle des drogues afin d’influencer, par l’émotion politique, la compétition et la participation aux <a href="https://journals.openedition.org/poldev/3842">processus électoraux</a> ; ou la définition large des <a href="https://journals.openedition.org/poldev/4278">acteurs du contrôle des drogues</a> (par ailleurs tous acteurs du développement), des dimensions nouvelles sont ajoutées à la littérature existante. Ces discussions conceptuelles sont ancrées dans la théorie et dans l’empirique à travers différents exemples nationaux, de l’Afrique du Sud au Mexique, et du Maroc au Croissant d’Or (Afghanistan-Myanmar-Pakistan).</p>
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<figcaption><span class="caption">« Drogue : le Covid contre le trafic » (Arte).</span></figcaption>
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<p>Il semble ainsi certain que l’agenda de développement durable pourrait être mis en place pour la majorité des populations sans la réforme du régime de contrôle des drogues. Toutefois, ce développement laisserait de côté les personnes concernées par les drogues illégales (consommateurs, producteurs, chimistes, trafiquants, passeurs, etc.) ainsi que leurs communautés, qui sont statistiquement peu nombreuses pour influencer le résultat quantitatif de l’agenda de 2030.</p>
<p>La conclusion finale tirée de ce numéro spécial est la « vulnérabilisation » par la loi des personnes concernées par les drogues illégales, ces personnes perdant par leur implication dans le marché des drogues leur place dans le débat public et leur poids politique comme citoyens, et peuvent ainsi être négligées par les politiques de développement. Ceci s’entend dans le cadre de politiques de contrôle des drogues qui ne réduisent ni le trafic ni la consommation problématique, tout en ne permettant pas aux communautés concernées d’être plus résilientes ou plus intégrées dans la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152886/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Khalid Tinasti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La lutte contre le trafic et la consommation de drogues dans le monde ne va pas sans conséquences néfastes pour les objectifs du développement durable de l’ONU.Khalid Tinasti, Chercheur invité au GSI, et secrétaire exécutif de la Global Commission on Drug Policy, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1523322020-12-30T22:40:35Z2020-12-30T22:40:35ZLes États-Unis, la France et la French Connection : retour sur les origines géopolitiques de la loi de 1970<p>La <a href="http://www.caat.online.fr/dossiers/loi1970.htm#:%7E:text=628%20du%20Code%20de%20la,fondamentalement%20comme%20une%20loi%20p%C3%A9nale.">loi de 1970</a> réprimant l’usage et le trafic de drogues, adoptée par la représentation nationale il y a cinquante ans, est trop souvent réduite à l’expression d’une « panique morale » affectant une classe politique <a href="https://www.pistes.fr/swaps/60_247.htm">affolée</a> par la progression de l’usage de drogues illicites dans la société française, ainsi que par la contestation politique et sociétale à l’œuvre dans des franges croissantes de la jeunesse depuis le mouvement de mai 1968.</p>
<p>Si cette dimension est bien réelle, les soubassements géopolitiques de la loi sont en revanche rarement mis en avant, notamment les pressions considérables exercées à l’époque par les États-Unis sur le gouvernement français. La France n’était pas loin, en effet, d’être considérée par Washington comme un vulgaire <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2801">« État voyou »</a> puisqu’elle était non seulement l’allié le plus rétif du monde occidental, mais aussi la source principale de l’héroïne consommée en Amérique du Nord.</p>
<p>Pourtant, à la toute fin des années 1960, quand la loi est votée, l’épidémie d’héroïne n’en est qu’à ses débuts en France. Les usages sont encore marginaux : <a href="https://www.cairn.info/l-impossible-prohibition--9782262051570.htm">182 consommateurs seulement sont interpellés en 1969</a>. Mais aux États-Unis, il n’en va pas de même. Le pays, qui comptait 20 000 héroïnomanes à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en recense, au milieu des années 1960, environ <a href="https://books.google.sm/books?id=4iIsUorX6wsC&hl=it">150 000</a>. Les consommations et le trafic se situent au cœur des métropoles américaines, notamment New York, et touchent particulièrement de jeunes hommes, y compris les <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2016-2-page-100.htm">engagés au Vietnam</a>, parmi lesquels ceux issus de la minorité noire sont surreprésentés. En 1971, Nixon déclare que l’abus de drogues est devenu <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y8TGLLQlD9M">l’ennemi public numéro 1</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’Amérique du Nord a le triste privilège de compter le plus grand nombre d’héroïnomanes au monde. […] La toxicomanie aux États-Unis a maintenant pris l’allure d’une catastrophe nationale. Si nous ne venons pas à bout de ce fléau, c’est lui qui viendra à bout de nous. »</p>
</blockquote>
<h2>La France : « rogue state » ?</h2>
<p>Mais c’est la France, en réalité, qui est la cible de l’administration américaine. Celle-ci est, en effet, l’un des plus grands producteurs d’héroïne au monde grâce à ses filières corso-marseillaises. Dans les années 1960, elles produisent, selon le Bureau of Narcotics, l’ancêtre de la DEA, près de 75 % de l’héroïne consommée aux États-Unis, soit 8 à 10 tonnes par an. Et ce, dans l’indifférence à peu près générale de la classe politique locale et nationale. D’une part, parce que la production n’est pas destinée au marché hexagonal, les acteurs du trafic ne souhaitant pas attirer l’attention de la police, du gouvernement et de l’opinion sur leurs activités ; d’autre part, à cause des porosités entre le monde de la pègre et celui de la classe politique.</p>
<p>À Marseille, si la municipalité socialiste sait avoir recours, quand il le faut, aux services occasionnels rendus par la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=q_XY4ao426E">famille Guérini</a>, le gaullisme local a lui aussi des accointances avec le monde criminel, notamment par l’entremise de certains membres du Service d’action civique (SAC) recrutés, à la fin de guerre d’Algérie, pour lutter contre l’OAS, notamment dans le milieu proche de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/11/21/dossier-d-comme-drogue-d-alain-jaubert_2547466_1819218.html">Marcel Francisci, surnommé aux États-Unis « M. Heroin »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ljsYxOzRSEE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Tous ces facteurs s’inscrivent dans un contexte plus large caractérisé par l’hostilité relative que le pouvoir politique éprouve pour les États-Unis considérés comme une « force d’occupation ». Les années 1960 sont en effet le théâtre de tensions entre les deux pays du fait de la politique de De Gaulle visant à débarrasser la France et l’Europe occidentale de la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-10-page-127.htm">tutelle américaine</a>. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, en témoigne dans ses <a href="https://www.amazon.fr/Limportune-verite-Raymond-Marcellin/dp/2259003516/ref=sr_1_2?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=raymond+marcellin&qid=1608108574&s=books&sr=1-2">Mémoires</a> : </p>
<blockquote>
<p>« La férocité de la campagne menée par la presse américaine contre la France, et relayée par certains journalistes français, n’avait pas seulement, pour principale raison, le trafic de l’héroïne. La politique extérieure française soulevait la colère d’un grand nombre d’Américains. La construction de la force atomique française, la défense tous azimuts, l’embargo sur les armes pour Israël, les attaques contre le dollar et le déficit de la balance des comptes américaine, tout cet ensemble ne nous faisait pas une très bonne presse dans une partie de l’opinion publique américaine. »</p>
</blockquote>
<h2>Au cœur du trafic, Marseille</h2>
<p>Pourtant, les trafics d’héroïne entre la France et l’Amérique ne datent pas d’hier. Les filières françaises sont actives depuis au moins les <a href="http://pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2233">années 1930</a>. C’est à cette époque que les premiers laboratoires apparaissent dans la région parisienne et à Marseille, dont le port est en connexion avec l’Indochine coloniale, où l’opium est légal depuis la création de la <a href="http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/38260">régie de l’opium en 1881</a>, ou encore avec la Turquie et l’Iran. En 1937, trois laboratoires d’héroïne sont démantelés en France, dont un recelait 100 kg d’héroïne, une saisie énorme au regard de celles réalisées dans le monde à l’époque, soit 867 kg.</p>
<p>Après la Seconde Guerre mondiale, la demande aux États-Unis se développant, le trafic s’intensifie et les exportations d’héroïne française prennent la direction de l’Italie où Cosa Nostra se charge de la réexpédition outre-Atlantique. À l’époque, l’État américain ne réagit pas. La priorité du moment n’est pas de lutter contre le trafic d’héroïne, mais d’endiguer l’expansion du mouvement communiste, très puissant en France, et en particulier à Marseille où le PCF est influent sur les docks, lieux de passage obligés des marchandises américaines envoyées en Europe occidentale dans le cadre du plan Marshall. Dans la lutte anticommuniste, les organisations criminelles corses sont alors considérées par le <a href="https://www.amazon.fr/gp/product/B0714FD8ZS/ref=dbs_a_def_rwt_hsch_vapi_tkin_p1_i0">Deep State américain</a> comme des <a href="https://www.franceinter.fr/oeuvres/la-politique-de-l-heroine-l-implication-de-la-cia-dans-le-trafic-des-drogues">alliées</a>.</p>
<p>Renforcées et légitimées par la guerre froide en raison de leur participation à la croisade contre les « rouges », les filières corso-marseillaises sont, au début des années 1960, aptes à répondre à la demande croissante d’héroïne sur le marché étatsunien. Ce que les Américains dénomment à l’époque la <a href="http://thierry-colombie.fr/livre/la-french-connection/">French Connection</a> n’est rien d’autre qu’une appellation générique désignant une multitude d’équipes indépendantes, parfois rivales. La French Connection n’est pas une organisation pyramidale, comme Cosa Nostra en Sicile ou aux États-Unis. Structurée autour d’un financeur, appartenant aux hautes sphères du milieu, qui avance les fonds pour acheter la morphine-base en Turquie et les infrastructures techniques nécessaires à sa transformation, l’équipe comprend un ou deux chimistes, un assistant et une multitude d’hommes de main (guetteurs, approvisionneurs) dont une partie va se charger de l’acheminement du produit vers la <a href="https://editions.flammarion.com/quand-j-etais-gangster/9782081352797">côte Est des États-Unis</a>. Le plus souvent dans des voitures, acheminées par bateau directement ou indirectement via <a href="https://www.franceculture.fr/societe/presse-french-connection-marseille-montreal-new-york">Montréal au Canada</a> ou Vera Cruz au Mexique. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=968&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=968&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=968&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’animateur de télévision Jacques Angelvin (1914-1978) a raconté dans cet ouvrage publié chez Plon en 1968 ses cinq années de prison aux États-Unis. Condamné pour y avoir introduit une voiture contenant plus de 50 kilos d’héroïne, il affirme avoir été la victime d’une machination.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Plon</span></span>
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<p>De plus, en France, les laboratoires sont disséminés dans des villas de l’arrière-pays marseillais, tout en étant extrêmement mobiles, ne servant le plus souvent qu’une fois. Le système est parfaitement cloisonné. Les investisseurs ne sont jamais en contact direct avec les organisateurs matériels du trafic et se contentent de toucher les dividendes de leurs investissements. En outre, les équipes marseillaises activent une diaspora d’acteurs aux origines très disparates : contrebandiers installés au Mexique ; commerciaux rattachés à la société Pernod-Ricard ; anciens collaborateurs en fuite en <a href="https://www.outrostempos.uema.br/index.php/outros_tempos_uema/article/view/604">Argentine en 1945</a>… ainsi que des « occasionnels » de rencontre, recrutés comme mules : des diplomates guatémaltèques corrompus, un <a href="https://www.amazon.fr/French-Connection-Narcotics-International-Conspiracy/dp/1592280447/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=french+connection+robin+moore&qid=1608237246&s=books&sr=1-1">présentateur abusé de l’ORTF</a>…</p>
<h2>Le Bureau des narcotiques à Paris et à Marseille</h2>
<p>La démission de De Gaulle, en 1969, et l’arrivée concomitante au pouvoir de Georges Pompidou et de Richard Nixon à la tête de l’administration américaine précipitent les choses.</p>
<p>Dès ses premiers mois d’exercice, Nixon décide en effet, après avoir écrit une lettre à son homologue français pour se plaindre de la passivité des pouvoirs publics hexagonaux, de renforcer en France la présence du Bureau des Narcotiques et des drogues dangereuses (BNDD). L’ambassade américaine à Paris devient le siège central de la région Europe pour la lutte contre les drogues, tandis que des agents fédéraux sont missionnés à Marseille, au consulat américain, pour mettre la pression sur une police locale jugée passive.</p>
<p>En outre, Nixon exige la tenue d’une réunion au sommet avec la direction de la police judiciaire française afin de lancer une coopération renforcée avec les services français. Des réunions trimestrielles des deux côtés de l’Atlantique sont instituées. Parallèlement, le ministère de l’Intérieur fait de la lutte contre l’héroïne une priorité en renforçant <a href="https://www.amazon.fr/bataille-French-connection-Honor%C3%A9-G%C3%A9vaudan-ebook/dp/B07M68CQGG/ref=sr_1_2?dchild=1&qid=1608109229&refinements=p_27%3AHonor%C3%A9+G%C3%A9vaudan&s=books&sr=1-2">l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants
(OCRTIS)</a> qui faisait jusque-là figure de parent pauvre, voire misérable, de la police judiciaire, avec ses 16 fonctionnaires. Une antenne est créée à New York, chargée de faire l’interface entre les services français et américains, tenus désormais de partager leurs renseignements. En 1971, un protocole de coopération franco-américain est signé à Paris.</p>
<h2>Grandeur et misère de la loi de 1970</h2>
<p>Si c’est un lieu commun aujourd’hui d’affirmer que la loi de 1970, dans son aspect concernant la répression de l’usage, a constitué un <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-catastrophe-invisible/">échec</a>, il semble incontestable qu’elle n’est pas restée sans effet sur l’offre et qu’elle a contribué au démantèlement et à la démobilisation des filières corso-marseillaises de l’héroïne.</p>
<p>Alors qu’avant l’adoption de la loi, la législation prévoyait une peine de cinq années de prison pour la production de drogues illicites, le quadruplement des peines - vingt, voire trente ans de prison en cas de récidive - va dissuader un certain nombre d’acteurs de poursuivre leurs activités. À cet égard, le <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2012-3-page-89.htm">cas de Joseph Cesari</a>, l’un des meilleurs chimistes de son temps, est édifiant.</p>
<p>Arrêté une première fois à Aubagne, au Clos Saint-Antoine, en 1964, avec deux de ses assistants, à la faveur du démantèlement d’un laboratoire où près de 100 kg de morphine-base et autant d’héroïne pure sont saisis, le Corse est condamné en correctionnelle à sept ans de prison. Après une libération anticipée pour raisons de santé en 1970, il reprend très vite ses activités. Réarrêté en 1972, alors que la législation a entretemps changé, il est condamné cette fois à vingt ans de prison et se suicide peu après dans une cellule des Baumettes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331841672620150786"}"></div></p>
<p>En outre, la police est plus efficace comme l’illustre, en 1972, la saisie record de plus de 400 kg d’héroïne à bord du <em>Caprice des Temps</em> dans le port de Marseille. À l’époque, de nombreux acteurs estiment que les coûts en termes répressifs excèdent largement les bénéfices, et se retirent d’un secteur qui leur a permis, qui plus est, d’accumuler des capitaux considérables - plusieurs milliards d’euros, recyclés dans d’autres domaines d’activité. Le dernier laboratoire est démantelé en 1981 à Saint-Maximin, tandis que la répression s’accroît encore suite à <a href="http://thierry-colombie.fr/livre/mort-juge-michel/">l’assassinat du juge Michel</a> dans un contexte où le milieu marseillais est marqué par des guerres intestines qui voient s’affronter une nouvelle génération incarnée par Gaétan Zampa et Jacques Imbert.</p>
<p>Dès lors, après des tentatives de délocalisation ratées dans d’autres régions, comme les <a href="https://www.lamontagne.fr/chambon-sur-lignon-43400/actualites/le-retour-rate-de-la-french-connection-en-auvergne_11242914/">Cévennes</a>, illustrées par la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/03/11/dix-personnes-sont-arretees-apres-la-decouverte-d-un-laboratoire-d-heroine_2816986_1819218.html">saisie en 1980 du laboratoire de Chambon-sur-Lignon</a>, la production se déplace dans des contrées plus accueillantes, notamment en Italie, comme le montre l’arrestation d’Antoine Bousquet, ancien de la « French », à Palerme, en Sicile la même année, et au Liban, où la guerre civile va favoriser la production d’opium et d’héroïne.</p>
<p>Certains membres de la French Connection se lancent pour leur propre compte dans le <a href="https://theconversation.com/aux-origines-de-la-cocaine-connection-en-france-125787">trafic émergent de cocaïne</a> ou se mettent au service des cartels colombiens, forts de leurs compétences acquises dans le trafic d’héroïne. Les coups de bélier policiers franco-américains des années 1970, par un classique <a href="https://vih.org/20150511/la-guerre-a-la-cocaine-a-lepreuve-de-leffet-ballon/">« effet ballon »</a>, n’auront abouti qu’à la dispersion des équipes aux quatre coins du monde, favorisant la <a href="https://www.erudit.org/en/journals/dss/1900-v1-n1-dss02700/1037782ar/abstract/">globalisation des réseaux transnationaux de trafiquants</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152332/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Allocation de recherche doctorale (ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche - ENS Cachan, 2008-2011). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michel Gandilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a cinquante ans, le 31 décembre 1970, la France votait une loi majeure réprimant l'usage et le trafic des drogues. Retour sur les circonstances géopolitiques de l'adoption de ce texte controversé.Michel Gandilhon, Chargé d'enseignement, master de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Alexandre Marchant, Historien, enseignant, chercheur associé ISP , École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1460862020-10-22T19:53:33Z2020-10-22T19:53:33ZLa vente d’animaux sauvages, un danger pour la biodiversité<p>La vente d’animaux sauvages – en tant que nourriture, ingrédients pour la médecine traditionnelle ou animaux de compagnie – est aujourd’hui reconnue comme un facteur majeur de l’érosion de la biodiversité.</p>
<p>La surexploitation de ces animaux, associée à la dégradation et à la fragmentation de leurs habitats, a ramené les effectifs de nombreuses espèces dans la nature à des nombres très réduits. Pis : elle compromet la survie de nombreuses espèces à court, moyen et long terme. Les grands mammifères (tigres, éléphants, lions, etc.), plus connus du grand public parce que plus médiatisés, en sont une parfaite illustration. Néanmoins, cette menace pèse d’une manière plus sournoise et plus silencieuse sur un grand nombre d’espèces moins connues.</p>
<p>Une <a href="https://science.sciencemag.org/content/366/6461/71.abstract">étude publiée en 2019</a> dans la revue <em>Science</em> estime que sur plus de 31 500 espèces animales terrestres (oiseaux, mammifères et reptiles), près de 18 %, soit 5 579 espèces, sont sujettes au commerce. Selon l’étude, dans les années à venir, ce sont pas moins de 8 775 espèces qui seront menacées d’extinction du fait des activités commerciales.</p>
<h2>Le commerce du perroquet en Algérie</h2>
<p>Jusqu’ici, les études scientifiques documentant le commerce légal et illégal d’animaux sauvages se sont principalement focalisées sur certaines régions, en particulier les grands pays importateurs et exportateurs de faune et de flore sauvage et des produits qui en sont issus (Chine, Indonésie, Malaisie, Singapour, Brésil, États-Unis…). En revanche, ces études n’accordaient qu’une attention réduite aux pays d’Afrique du Nord, en dépit du fait que leur position géographique leur confère un statut de porte d’entrée vers les pays consommateurs (Europe et Amérique du Nord). Ce sont ces raisons qui nous ont poussés à démarrer en 2017 une étude sur la portée du commerce d’espèces animales sauvages en Algérie.</p>
<p>Une partie de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.2989/00306525.2020.1763492?needAccess=true">nos résultats</a> publiés dans la revue <em>Ostrich</em></p>
<p>traitent du commerce du perroquet gris du Gabon « Psittacus erithacus » et du perroquet Timneh « Psittacus Timneh » en Algérie. Ces deux espèces vivent principalement dans une bande étroite de l’Afrique centrale, allant de la Cote d’Ivoire à l’ouest jusqu’au Kenya à l’est. Ce qui veut dire que l’ensemble des spécimens observés en vente ont été importés. Ces deux espèces sont aussi considérées par l’<a href="https://www.iucn.org/fr">Union internationale de la conservation de la nature</a> (UICN) comme menacées d’extinction, du fait de la fragmentation de leur habitat naturel et surtout à cause de la surexploitation dont elles font l’objet afin d’alimenter la demande locale et internationale d’animaux de compagnie.</p>
<p>Nos résultats indiquent que malgré l’interdiction du commerce international de ces espèces suite à leur classement dans <a href="https://cites.org/fra/disc/text.php#I">l’annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction</a>, des quantités assez importantes sont commercialisées. Durant la période d’étude, qui a duré de juillet 2017 à mars 2019 pour l’enquête en ligne, et d’août à septembre pour les marchés de rues et les animaleries, nous avions estimé que plus de 600 spécimens ont été mis en vente sur l’ensemble de l’Algérie. Les perroquets sont acheminés et vendus illégalement, dans les marchés de rue, dans les animaleries, et surtout sur les plates-formes de vente en ligne. Ces ventes se font sans aucun contrôle apparent de la part des autorités, ce qui constitue un manquement aux lois en vigueur qui interdisent la vente d’animaux sauvages inscrits dans l’annexe I de la CITES.</p>
<p>Il est aussi important de signaler que le nombre élevé de spécimens vendus en ligne va dans le sens d’autres travaux qui indiquent un glissement des ventes d’animaux sauvages des marchés physiques <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2287884X2030042X">vers les marchés en ligne</a>. Ce qui souligne les nouveaux défis imposés par le développement technologique, en matière de conservation de la biodiversité. Le manque de littérature scientifique à ce sujet ne permet pas pour le moment de proposer des solutions tangibles permettant de renverser cette tendance, mais offre plutôt des pistes à explorer concernant l’étude des comportements des consommateurs, qui in fine pourraient servir à l’élaboration de stratégies de changement de ces comportements.</p>
<h2>Quelques pistes pour renverser la tendance</h2>
<p>Les entretiens que nous avons menés dans le cadre de notre enquête avec des vendeurs de perroquets gris indiquent que près de 50 % d’entre eux ignorent que ces oiseaux sont des espèces menacées et que leur vente en Algérie est illégale.</p>
<p>Les résultats mettent l’accent sur des points très importants pour la conservation de la faune sauvage. Tout d’abord, il est nécessaire de veiller à une meilleure application de la réglementation internationale et nationale en matière de commerce d’animaux sauvages. Il convient notamment pour cela d’adapter la réglementation régissant le commerce en ligne afin d’endiguer le trafic d’animaux et de plantes sauvages sur Internet.</p>
<p>Des actions concrètes devraient être entreprises par les agences gouvernementales, les organisations non gouvernementales et la communauté scientifique pour développer des stratégies permettant de diminuer le trafic d’animaux sauvages.</p>
<p>Une première étape serait d’inviter les compagnies de vente en ligne qui ne l’ont pas encore fait à ajouter l’interdiction de la vente d’animaux sauvages à leurs conditions d’utilisation. Il faut aussi essayer de mettre en place des filtres permettant de détecter toute annonce frauduleuse. Ces filtres consisteraient en des programmes capables de détecter et de signaler les annonces comportant les noms des espèces inscrites à l’annexe I de la CITES ou interdites à la vente dans le cadre des législations locales. Bien sûr, l’élaboration de ces filtres nécessiterait une collaboration des différents acteurs agissant dans le domaine de la conservation pour mettre en place une telle base de données. Il faut surtout réussir à l’actualiser chaque fois que les vendeurs changent les qualificatifs qu’ils utilisent pour décrire leurs produits, ce qui constitue un défi considérable.</p>
<p>Une seconde requiert l’organisation de campagnes de sensibilisation visant à informer non seulement le grand public mais surtout les consommateurs de ces produits. Cette démarche aurait pour objectif de réduire la demande en expliquant l’impact de ces activités sur la biodiversité, mais aussi l’éventuelle implication de ces consommateurs dans des activités illégales, ce qui pourrait les amener à changer de comportement.</p>
<p>Enfin, une réflexion plus globale sur les sanctions pénales liées au trafic d’animaux sauvages devrait être entreprise. De <a href="https://blogs.worldbank.org/fr/voices/commerce-illegal-des-especes-sauvages-faire-appliquer-la-loi-pour-y-mettre-fin">l’avis de nombreux experts</a>, les sanctions liées à ce genre de crime sont dans de nombreuses régions du monde en inadéquation non seulement avec les dégâts causés à la nature, mais aussi avec les profits générés par ce trafic dont le chiffre d’affaires annuel est <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01639625.2010.483162">estimé à plus de 20 milliards de dollars</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146086/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sadek Atoussi a reçu des financements de Ministère de l'enseignement supérieur
Cleveland zoo metroparks</span></em></p>Le commerce illégal d’espèces sauvages, comme les perroquets d’Afrique, risque d’accélérer leur l’extinction et représente une sérieuse menace pour la biodiversité.Sadek Atoussi, Maitres de conférences en écologie, Université 8 Mai 1945 GuelmaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1377942020-06-03T17:27:17Z2020-06-03T17:27:17ZSerpents, tortues, oiseaux ou hippocampes… le marché florissant des animaux sauvages en Occident<p>La crise sanitaire a remis sous les projecteurs les enjeux liés au commerce des animaux sauvages, une pratique très ancienne dans la plupart des sociétés humaines. Le commerce de l’ivoire a précédé celui de l’or, les pharaons s’affichaient déjà au côté d’espèces exotiques, et le commerce d’animaux pour alimenter les arènes romaines a mené à l’extinction locale de nombreuses espèces.</p>
<p>Loin d’être en perte de vitesse, ces échanges représentent désormais une menace majeure pour la biodiversité, posent d’importants problèmes de santé publique et soulèvent des questions éthiques légitimes sur la souffrance animale.</p>
<p>Contrairement à certaines idées reçues, le commerce international d’animaux sauvages n’est pas interdit et ne se limite pas à quelques espèces emblématiques. Il représente une manne financière très importante avoisinant chaque année les 100 milliards de dollars. Le commerce illégal représente environ un quart de ce montant, soit au moins <a href="https://www.unenvironment.org/resources/report/rise-environmental-crime-growing-threat-natural-resources-peace-development-and">7 à 23 milliards de dollars</a>. Il est aussi rentable voire plus que le trafic de drogues ou d’armes.</p>
<h2>Un commerce à l’évolution rapide</h2>
<p>Chaque année, des <a href="https://science.sciencemag.org/content/366/6461/71.full">millions d’individus appartenant à des milliers d’espèces</a> de mammifères, d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens mais aussi de poissons, de coraux, de coquillages et autres invertébrés sont commercialisés pour répondre à une demande toujours grandissante à l’échelle mondiale.</p>
<p>Les animaux sauvages sont commercialisés pour leurs produits dérivés (fourrure, corne, peau, carapace, etc.) comme nourriture luxueuse, pour leurs propriétés pharmaceutiques supposées ou encore comme animaux de compagnie. On entend par animal sauvage tout individu qui n’appartient pas à une espèce domestique et qui a été prélevé directement dans la nature ou élevé en captivité, sachant que la <a href="https://www.researchgate.net/profile/Vincent_Nijman/publication/290937761_Trade_of_%E2%80%99captive-bred%E2%80%99_birds_from_the_Solomon_Islands_a_closer_look_at_the_global_trade_in_hornbills/links/569cb6d808aea14769561cbf.pdf">frontière entre les deux est souvent floue</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/337477/original/file-20200526-106836-1orwwpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337477/original/file-20200526-106836-1orwwpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337477/original/file-20200526-106836-1orwwpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=790&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337477/original/file-20200526-106836-1orwwpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=790&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337477/original/file-20200526-106836-1orwwpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=790&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337477/original/file-20200526-106836-1orwwpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337477/original/file-20200526-106836-1orwwpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337477/original/file-20200526-106836-1orwwpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Loris lent de Java (<em>Nycticebus javanicus</em>), espèce en danger critique d’extinction offert à a la vente comme animal de compagnie sur un marché indonésien. Cette espèce fait l’objet d’un trafic vers différents pays dont les États-Unis, le Canada, la Russie ou le Japon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abbullah Langgeng</span></span>
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</figure>
<p>Ce marché évolue très rapidement en réponse aux nouvelles demandes. Par exemple, la demande en Calao à casque rond (<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/bird-conservation-international/article/trade-in-the-helmeted-hornbill-rhinoplax-vigil-the-ivory-hornbill/561C8F59CB72395B2C2BA17194621B04"><em>Rhinoplax vigil</em></a>) – dont le casque est prisé comme support d’artisanat – a drastiquement augmenté en l’espace de quelques années, faisant passer cette espèce d’un risque mineur à un danger critique d’extinction.</p>
<p>Les espèces nouvellement décrites par les scientifiques peuvent se retrouver sur le marché international avant même de bénéficier d’un statut de protection, comme cette petite tortue indonésienne (<em><a href="https://science.sciencemag.org/content/312/5777/1137.2?casa_token=qWcd38ZBnhcAAAAA:ec66DORt3G0ikcnVeKRBS0-o8HMyI68jUgsxnCrqVayUSzhFAh1h0xeEl8lG-SvFhV_aGgFEXmIlK99k">Chelodina mccordi</a></em>) qui a aujourd’hui quasiment disparu de son milieu naturel.</p>
<h2>Les pays occidentaux grands importateurs</h2>
<p>Les médias ont largement traité des marchés aux animaux chinois, <a href="https://theconversation.com/coronavirus-pourquoi-fermer-les-marches-aux-animaux-en-chine-serait-une-tres-mauvaise-idee-130960">présentés comme des repoussoirs</a>, oubliant que les pays occidentaux sont aussi de gros consommateurs d’animaux sauvages, destinés notamment au marché d’animaux de compagnie de plus en plus exotiques.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/339878/original/file-20200604-67355-524m8q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/339878/original/file-20200604-67355-524m8q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/339878/original/file-20200604-67355-524m8q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=308&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/339878/original/file-20200604-67355-524m8q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=308&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/339878/original/file-20200604-67355-524m8q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=308&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/339878/original/file-20200604-67355-524m8q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=387&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/339878/original/file-20200604-67355-524m8q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=387&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/339878/original/file-20200604-67355-524m8q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=387&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les chiffres sont présentés pour l’ensemble des 27 pays de l’Union Européenne et le Royaume-Uni, et pour la Chine et Hong Kong. Ces chiffres concernent les espèces d’oiseaux, de reptiles, de mammifères, d’amphibiens, d’Anthozoaires (coraux et anémones) et de poissons (Actinoptérygiens) inscrits à la CITES.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sigaud d’après les données tirées de la CITES Trade Database</span></span>
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</figure>
<p>L’Europe importe légalement chaque année pour des dizaines de milliards de dollars d’animaux sauvages et de leurs produits. Ces 10 dernières années, la France a par exemple importé vivants plus de 40 000 tortues russes (<em>Testudo horsfieldii</em>) et près de 25 000 hippocampes dorés (<em>Hippocampus kuda</em>), deux espèces classées vulnérables face au risque d’extinction.</p>
<p>Avec plus de <a href="https://science.sciencemag.org/content/324/5927/594">1,5 milliard d’animaux</a> importés entre 2000 et 2006, les États-Unis sont les plus gros importateurs d’animaux sauvages vivants dont la grande majorité sont destinés au marché des animaux de compagnie.</p>
<p>Près de 15 millions d’iguanes verts ont été importés aux USA depuis la création de la CITES et au moins <a href="https://www.nationalgeographic.com/animals/2020/03/ball-pythons-west-africa-exports/">800 000 foyers</a> possèdent un serpent aux États-Unis. Ce sont <em>a minima</em> 40 millions de reptiles (toutes espèces confondues) qui ont été échangés légalement dans le monde ces 15 dernières années, l’espèce la plus exportée légalement d’Afrique étant le python royal (<em>Python regius</em>).</p>
<p>Par ailleurs, le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/ibi.12653">Japon</a> a importé, toujours légalement, plus de 260 000 oiseaux vivants appartenant à 362 espèces entre 2005 et 2015.</p>
<h2>Les règles hétérogènes d’un marché globalisé</h2>
<p>Ce commerce est particulièrement difficile à contrôler. D’abord parce que l’aire de répartition d’une espèce peut chevaucher plusieurs pays qui ne vont pas forcément adopter les mêmes mesures de protection. Une espèce peut aussi être en danger d’extinction et ne pas faire l’objet d’une réglementation de son commerce international.</p>
<p>Enfin, une espèce peut être protégée dans son aire de répartition, interdite de commerce international, tout en étant légalement commercialisée dans un pays consommateur. Ainsi, les éléphants sont protégés dans la plupart des pays et le commerce international de leur ivoire est l’objet d’un moratoire depuis 1989.</p>
<p>Pourtant, sur le territoire japonais le commerce d’ivoire est <a href="https://www.nationalgeographic.com/animals/2018/09/japan-illegal-ivory-trade-african-elephants/">légal</a>. De la même manière, jusqu’à très récemment le commerce de pangolins n’était pas interdit en Chine, bien que les 8 espèces de pangolins soient parmi les plus trafiquées au monde depuis des années et interdites de commerce international depuis 2017 (certaines depuis 2000). Le Gabon, pourtant investi dans la protection de son patrimoine naturel, vient à peine d’inscrire (le 31 mars 2020) toutes les espèces de pangolins sur sa liste d’espèces protégées.</p>
<h2>Deux classifications internationales différentes</h2>
<p>La convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (<a href="https://cites.org/fra/disc/what.php">CITES</a>) est un cadre légal juridiquement contraignant, entré en vigueur en 1975 qui réglemente le commerce international des espèces sauvages pour éviter leur surexploitation et leur disparition dans le milieu naturel. Elle compte aujourd’hui 183 pays signataires.</p>
<p>Les espèces inscrites à la CITES sont classées selon le niveau de risque que leur fait encourir le commerce international. En annexe I figurent les espèces les plus menacées dont le commerce international est interdit. En annexe II figurent les espèces qui ne sont pas encore considérées en danger d’extinction mais qui pourraient le devenir si leur commerce n’était pas contrôlé.</p>
<p>Actuellement, la grande majorité des 5 800 espèces animales inscrites à la CITES sont classées en annexe II, et seulement 11 % en annexe I. La liste des espèces inscrites à la CITES est actualisée tous les 2 ou 3 ans seulement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/339877/original/file-20200604-67368-w3fo6o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/339877/original/file-20200604-67368-w3fo6o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/339877/original/file-20200604-67368-w3fo6o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/339877/original/file-20200604-67368-w3fo6o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/339877/original/file-20200604-67368-w3fo6o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/339877/original/file-20200604-67368-w3fo6o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/339877/original/file-20200604-67368-w3fo6o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/339877/original/file-20200604-67368-w3fo6o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chiffres représentant l’ensemble des pays de l’Union européenne et le Royaume-Uni. Ils indiquent au sein de l’Union européenne et du Royaume-Uni le pays qui importe le plus d’individus de cette espèce.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sigaud d’après les données de la CITES Trade Database et de la liste rouge UICN</span></span>
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<p>En parallèle de la CITES, la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (<a href="https://www.iucnredlist.org/">UICN</a>) est l’inventaire mondial de l’état de conservation global des espèces sauvages et constitue à ce jour l’outil de référence le plus complet pour connaître le niveau des menaces sur les espèces.</p>
<p>Malheureusement, cette liste ne confère aucune protection légale. Elle compte actuellement 116 177 espèces sur les 1,8 million connues et indique qu’une espèce de mammifères sur quatre, un oiseau sur huit, et plus d’un amphibien sur trois sont menacés d’extinction.</p>
<p>Des centaines d’espèces classées en danger d’extinction ou vulnérables selon la liste rouge UICN ne bénéficient d’aucune protection par la CITES. Il faut en moyenne <a href="https://science.sciencemag.org/content/363/6428/686.full">dix ans</a> pour qu’une espèce classée menacée d’extinction par l’UICN soit inscrite en annexe de la CITES.</p>
<h2>Un système de contrôles peu efficace</h2>
<p>Les signataires de la CITES doivent notamment mettre en place un organe scientifique chargé d’évaluer le risque que le commerce international fait peser sur les espèces inscrites à la CITES présentes sur leur territoire. Ils assurent également la délivrance des permis et les contrôles. Ce sont des tâches lourdes et complexes à assurer, même pour les pays les plus riches.</p>
<p>Entre 2000 et 2006, plus de la moitié des animaux vivants importés aux États-Unis étaient identifiés <a href="https://science.sciencemag.org/content/324/5927/594.full">par les douanes</a> au niveau le plus basique (par ex. mammifères, oiseaux, reptiles ou amphibiens), et seulement 14 % au niveau de l’espèce. De plus, beaucoup d’espèces listées proviennent de pays riches en biodiversité où la gouvernance est faible et la corruption omniprésente. <a href="https://science.sciencemag.org/content/330/6012/1752.full">Certains observateurs</a> s’interrogent même sur l’efficacité de la CITES pour contrôler le commerce international.</p>
<p>À l’heure actuelle, l’absence de cohérence et de moyens mis en œuvre pour contrôler le commerce des animaux sauvages a des conséquences sanitaires et environnementales majeures. Une prise de conscience de l’ampleur de ce marché (y compris en Europe) est plus que jamais nécessaire. Il est urgent d’améliorer la réglementation et les contrôles à l’échelle nationale et internationale, et de mener des campagnes de sensibilisation auprès d’un large public afin de diminuer drastiquement et durablement la demande en animaux sauvages sous toutes ses formes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137794/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Sigaud a reçu des financements de la Japan Society for Promotion of Science.</span></em></p>La consommation d’animaux sauvages n’est pas l’apanage de l’Afrique et de l’Asie. Les pays occidentaux importent massivement des espèces exotiques destinées au marché des animaux de compagnie.Marie Sigaud, Postdoctoral research fellow, Kyoto UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1378412020-05-24T17:04:40Z2020-05-24T17:04:40ZRacket, vols, corruption : comment les réseaux criminels profitent de la crise sanitaire<p>La crise sanitaire exacerbe les carences d’un système économique défaillant et inégalitaire, qui s’en remet à la solidarité citoyenne pour faire face aux urgences de la pandémie. Alors que les gouvernements cherchent encore la direction à suivre après le confinement, les réseaux criminels construisent déjà le nouveau monde qui s’offre à eux. Leur capacité <a href="https://www.researchgate.net/publication/333255876_Social_Enterprise_Between_Crime_Economy_and_Democratic_Transformation_in_Southern_Italy">à profiter des crises est connue</a>. Pour reprendre les <a href="https://rep.repubblica.it/pwa/intervista/2020/04/06/news/cafiero_de_raho_i_clan_sfrutteranno_l_emergenza_per_mangiarsi_l_economia_-253334622/">termes</a> du commissaire italien antimafia Cafiero De Raho : « les clans exploiteront cette période d’émergence pour manger l’économie ».</p>
<p>Les secteurs économiques à fort potentiel de gains sont particulièrement investis par la criminalité. Dans les « zones grises » de la complicité et de la connivence, criminels, politiques, entrepreneurs et fonctionnaires nouent des alliances et échangent des faveurs, à la frontière entre légalité et illégalité.</p>
<h2>Une pénétration progressive de l’économie illégale</h2>
<p>Les réseaux criminels offrent protection et intermédiation aux acteurs économiques et professionnels, en échange de quoi ces derniers leur proposent des compétences dont ils sont dépourvus. Des capitaux illicites sont ainsi investis dans les marchés, ce qui entraîne la pénétration progressive de <a href="https://www.mulino.it/isbn/9788815284280">l’économie illégale dans l’économie légale</a>.</p>
<p>La criminalité organisée agit comme régulateur des activités économiques, en faisant baisser les coûts et en produisant des contextes favorables à la concurrence, y compris grâce à son réseau relationnel très étendu, facilitant captation d’informations et de collaborations.</p>
<p>Elle bénéficie en particulier de trois atouts qui lui assurent des avantages en termes de compétitivité sur le marché : le découragement de la concurrence par l’intimidation et la violence ; la réduction des coûts du travail par l’évasion fiscale et l’emploi des travailleurs au noir ; la disponibilité de liquidités pour les investissements par les activités illégales (trafic de drogue, usure, vente d’armes).</p>
<p>Si depuis la crise économique de 2008, ces formes d’entrelacement se sont structurées dans tous les pays, l’actuelle crise sanitaire les renforce car elle les étend aux services et aux solidarités.</p>
<h2>Un système bancaire parallèle</h2>
<p>La première zone de risque vient des liquidités dont disposent les réseaux criminels, liquidités qui leur permettent d’octroyer des crédits à la manière d’un système bancaire parallèle.</p>
<p>En fournissant aux entreprises les fonds nécessaires pour résister à la crise et relancer leurs activités après le confinement, ils s’assurent une présence stable sur les marchés. C’est le cas, de plusieurs restaurants et hôtel de luxe qui, durant le confinement, ont accepté des <a href="https://lavialibera.libera.it/it-schede-128-camorra_e_covid_una_fonte_rivela_gli_usurai_hanno_gia_preso_alcune_attivita_a_sud_di_napoli">prêts à usure de la Camorra</a>, dans une commune au sud de Naples.</p>
<p>Dans ce contexte particulier, les entreprises en difficulté acceptent plus facilement les capitaux illégaux et les formes de protection et de collaboration, ce qui finit par phagocyter des entités économiques jusqu’alors saines. Les affaires criminelles s’orientent également vers le rachat d’entreprises au bord de la faillite (notamment de petites et moyennes entreprises), et en profitent pour blanchir des capitaux illicites. Ces ressources illégales concurrencent directement le soutien aux entreprises mis en place par les gouvernements.</p>
<h2>S’endetter auprès de la mafia</h2>
<p>La demande de liquidité, sous forme de prêt à usure, concerne aussi les personnes, comme le montre Enza Rando de l’association italienne Libéra, qui lutte contre les <a href="https://www.libera.it/schede-1277-coronavirus_allarme_libera_molti_imprenditori_cercano_aiuto_da_usurai_denunce_in_calo">criminalités organisées et la corruption</a> :</p>
<blockquote>
<p>« En ce moment, les personnes en difficulté ne dénoncent plus les usuriers mais elles vont plutôt les chercher, ce qui est le plus alarmant. Les cas d’usure, on les connaîtra après l’émergence du coronavirus mais, pour le moment, il y a très peu d’appels à notre numéro vert. »</p>
</blockquote>
<p>La fragilité de certaines populations, dont tous les revenus proviennent des économies informelles ou du travail au noir, a été exacerbée par l’impossibilité de sortir et de bénéficier des amortisseurs sociaux, tel le chômage partiel prévu par la plupart des États européens.</p>
<p>À titre d’exemple, en Italie, environ 3,7 millions de travailleurs sont irréguliers et à l’arrêt du fait de la pandémie. Une économie cachée qui compte pour environ 200 milliards, <a href="https://www.istat.it/it/archivio/234323">soit 12,1 % du PIB italien</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, non seulement la mafia octroie des prêts, mais elle se paye le luxe d’annuler toute échéance durant la période de confinement et va jusqu’à proposer des aides matérielles, comme des denrées alimentaires, des médicaments ou du matériel sanitaire.</p>
<p>À Palerme, un délinquant local, frère du boss mafieux Giuseppe Cusimano, a organisé des distributions gratuites de paniers alimentaires dans l’un des quartiers les plus pauvres de la ville. Le <a href="https://rep.repubblica.it/pwa/locali/2020/04/08/news/palermo_il_fratello_del_boss_della_droga_fa_la_spesa_per_lo_zen-253439286/">journaliste</a> ayant relaté cet épisode est aujourd’hui menacé par ces mêmes réseaux, qui invitent la population à leur témoigner sa gratitude.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/L4DnWXlB5RA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Konbini, comment la mafia profite du coronavirus.</span></figcaption>
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<p>Au Mexique, des membres présumés d’un cartel de la drogue livrent aussi des denrées alimentaires à des familles à faible revenu. Les boîtes dans lesquelles sont stockés les aliments portent la marque du logo du clan, <a href="https://www.facebook.com/laexpansion.chiapas.9/posts/647989576035198">« Cartel del Golfo »</a>, rappelant ainsi aux bénéficiaires qu’il ne s’agit pas d’aides publiques.</p>
<p>Par ces opérations de « bienfaisance », les réseaux criminels restaurent des formes de consensus populaire, toutes mobilisables ultérieurement sous forme de dette et de lien de subordination.</p>
<h2>Racketter le consensus social</h2>
<p>De même, l’offre de « petits boulots » (distribution de denrées ou services aux personnes isolées) permet de créer des liens de dépendance et d’établir un contrôle dans les territoires. Dans les favelas brésiliennes, les trafiquants de drogue maintiennent leurs relations avec la population grâce à ces services de proximité. Ils imposent même le confinement aux familles pauvres, se présentant à eux comme des protecteurs plus attentifs à leur sécurité sanitaire que le <a href="https://www.occrp.org/en/daily/11930-organized-crime-enforcing-quarantine-in-brazilian-favelas">gouvernement de Bolsonaro</a>.</p>
<p>À l’inverse, dans la ville sicilienne de Messine, une centaine de personnes a participé au cortège funéraire du boss local, sans aucune intervention de police, et malgré le <a href="http://www.messinaora.it/notizia/2020/04/13/esclusiva-messina-ecco-le-foto-del-corteo-funebre-per-il-fratello-del-boss-pentito/128987">confinement</a>.</p>
<p>Dans les deux cas, on peut y voir l’expression du consensus social dont disposent les réseaux criminels, qui profitent de cette crise pour se poser en substituts de l’État, notamment là où le système de <em>welfare</em> fait défaut. Par ailleurs, le nombre de <a href="https://lavialibera.libera.it/it-schede-65-gli_effetti_indesiderati_del_coronavirus_le_sei_opportunita_illecite_per_le_mafie">vols de matériel sanitaire a augmenté</a>.</p>
<p>Ces marchés (fabrication de masques, de gel hydroalcoolique, recyclage et destruction des déchets sanitaires, etc.) intéressent tout particulièrement les groupes criminels déjà installés ou émergents. À titre d’exemple, entre le 3 et le 10 mars 2020, plus de 34 000 masques chirurgicaux contrefaits ont été saisis par les autorités répressives du monde entier dans le cadre de <a href="https://www.europol.europa.eu/newsroom/news/how-criminals-profit-covid-19-pandemic">l’opération PANGEA</a> soutenue par Europol.</p>
<h2>Boom de la corruption</h2>
<p>Grâce aux liquidités dont ils disposent, les réseaux criminels peuvent contrôler ou racheter des entreprises légales en mesure de remporter des contrats de fourniture d’équipements de santé. Ils peuvent aussi mobiliser leurs réseaux pour intervenir sur des marchés publics ouverts dans l’urgence et dont les critères de contrôle en matière d’accès sont faibles. Comme l’affirmaient récemment <a href="https://www.biznews.com/global-citizen/2020/04/09/coronavirus-covid-19-corruption-kleptocrats">deux juges</a>, le Sud-africain Richard J. Goldstone et l’Américain Mark L. Wolf :</p>
<blockquote>
<p>« Nous pouvons prédire avec confiance que la réponse à la pandémie sera une aubaine pour les kleptocrates – une opportunité pour les dirigeants corrompus de nombreux pays de s’enrichir. »</p>
</blockquote>
<p>Le réseau OCCRP <a href="https://www.occrp.org/en">(Organized crime and corruption reporting project)</a> qui observe les réseaux de criminalité organisée, <a href="https://www.occrp.org/en/coronavirus/opaque-coronavirus-procurement-deal-hands-millions-to-slovenian-gambling-mogul">relate de nombreux cas de corruption</a> : en Slovénie, près d’un tiers des quelque 80 millions d’euros de contrats accordés par l’État dans le contexte de la crise sanitaire ont été destinés à des entreprises privées, et notamment à un homme d’affaires spécialisé dans les jeux de hasard et l’immobilier, alors qu’un autre marché a été attribué à une petite entreprise produisant des jus de fruits et de l’huile.</p>
<p>En Italie, les sociétés de deux hommes d’affaires accusés à plusieurs reprises de fraude ont obtenu 64 millions d’euros de contrats d’État pour la fourniture d’équipements de protection aux <a href="https://www.occrp.org/en/daily/12007-italy-grants-covid-19-public-contracts-to-alleged-fraudsters">autorités publiques</a>.</p>
<p>Partout, de tels cas se multiplient à la faveur du relâchement des dispositifs anticorruption et au nom d’une simplification administrative qui faciliterait les investissements dans la production de matériel sanitaire. Il s’agit d’une fausse solution : Human Rights Watch, Global Witness et Transparency International ont co-signé une <a href="https://transparency-france.org/actu/covid-19-fmi-rendre-les-fonds-covid-19-transparents-et-redevables/#.XqBuxy9Ph0s">lettre</a> adressée au FMI, demandant que les décaissements rapides de plus de mille milliards de dollars d’aide aux gouvernements « ne se fassent pas au détriment de la transparence de base et des mesures anticorruptions raisonnables, qui devraient être exigées des pays bénéficiaires »</p>
<h2>L’affaiblissement de la réprobation morale</h2>
<p>L’affaiblissement de la réprobation morale de l’illégalité sera l’une des conséquences de ces formes d’infiltration criminelle.</p>
<p>Dans un marché capitaliste et une société en crise, il semblera légitime de faire appel aux ressources de la criminalité et à son offre structurée de services illégaux, devenue indispensables. Le recours aux réseaux apparaîtra d’autant plus « justifié » que les frontières entre licite et illicite seront fragiles et le recours à ces réseaux considéré comme le seul moyen de rester sur le marché et de survivre économiquement. Ce qui renforcera la baisse généralisée du coût moral des activités de collusion avec la criminalité.</p>
<p>Face à cela, deux formes d’intervention institutionnelles sont possibles : l’une répressive et l’autre préventive. Les États peuvent d’abord chercher à circonscrire les zones de risque en accroissant les contrôles de police et en élargissant les pouvoirs des préfets. C’est le cas en Italie.</p>
<p>Des juges réclament également l’installation d’une <a href="https://www.occrp.org/en/daily/12056-two-judges-call-for-an-international-anti-graft-court">Cour internationale anticorruption (IACC)</a>, qui pourrait récupérer les gains mal acquis blanchis. Cependant, la voie répressive n’intervient qu’ex-post, une fois les dégâts déjà produits.</p>
<h2>Prévenir et mobiliser</h2>
<p>C’est pour cela que d’autres interventions, de type préventif, sont nécessaires, dans l’immédiat et à tous les niveaux. Notamment, avec des aides publiques aux populations les plus touchées, des exonérations fiscales, des guichets de signalement d’usure, des dispositifs d’accès au crédit simplifiés, etc.</p>
<p>De manière complémentaire, la mobilisation citoyenne est indispensable pour lutter contre l’ancrage territorial des réseaux criminels. Les exemples sont nombreux : en Italie, <a href="https://www.libera.it/schede-1274-linea_libera_contro_mafie_e_corruzione">l’association Libera</a> a mis en place une permanence téléphonique pour signaler les infiltrations criminelles et les prêts à usure et pour accompagner les demandes d’accès aux aides publiques.</p>
<p>À Naples, des paniers solidaires sont accrochés aux balcons afin de permettre à chacun de donner ou de prendre librement des aliments.</p>
<p>Dans les quartiers nord de Marseille ou en banlieue parisienne, les associations de quartier distribuent des tablettes pour les élèves confinés ou <a href="https://www.facebook.com/avecnous13/ethttp://lepoles.org/">produisent de masques</a>.</p>
<p>Au-delà de l’aide matérielle, il s’agit en effet de rester présent dans ces territoires, pour limiter les risques d’infiltration et de recrutement, mais aussi pour éviter une légitimation des réseaux criminels, de crainte d’avoir à en subir les répercussions après le confinement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elisabetta Bucolo est membre de DeMains Libres. </span></em></p>Les réseaux criminels ont saisi l’occasion d’exploiter la crise sanitaire ce qui risque de renforcer leur pouvoir économique à l’échelle mondiale.Elisabetta Bucolo, Maîtresse de Conférences en Sociologie et membre du Lise-Cnrs, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1376362020-05-04T19:42:32Z2020-05-04T19:42:32ZDe Managua au Cap, le trafic de drogue au temps du Covid-19<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/331731/original/file-20200430-42935-1tsu3y0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=49%2C261%2C4099%2C2624&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des gangs de trafiquants de drogue ont contribué à imposer des couvre-feux dans les favelas (quartiers pauvres) de Rio, ordonnant aux habitants de rester chez eux après 20 heures.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Un <a href="https://www.theguardian.com/society/2020/apr/13/a-million-volunteer-to-help-nhs-and-others-during-covid-19-lockdown">million de personnes</a> se seraient portées volontaires pour soutenir les activités du département de santé publique (NHS) au Royaume-Uni. Ailleurs des milliers <a href="https://www.un.org/africarenewal/web-features/coronavirus/meet-10-young-people-leading-covid-19-response-their-communities">d’individus</a> prennent des initiatives localement afin d’atténuer les effets de la pandémie. Un peu partout dans le monde, un mouvement de solidarité globale face à la propagation du Covid-19 semble émerger.</p>
<p>Certaines de ces initiatives incluent étonnamment des groupes considérés comme hors-la-loi, tels les gangs. Certains <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/mar/25/brazil-rio-gangs-coronavirus">reportages</a> récents rapportent ainsi qu’à Rio de Janeiro, au Brésil, des gangs de trafiquants de drogue ont contribué à imposer des couvre-feux dans les favelas (quartiers pauvres) de la ville, ordonnant aux habitants de rester chez eux après 20 heures.</p>
<p>Les membres de ces gangs <a href="https://www.reuters.com/article/us-health-coronavirus-brazil-favelas-fea/gangs-call-curfews-as-coronavirus-hits-rio-favelas-idUSKBN21B3EV">se justifient</a> en affirmant imposer « un couvre-feu parce que personne ne prend cette [pandémie] au sérieux ». Un acte que beaucoup ont salué face à la <a href="https://theconversation.com/face-a-sa-gestion-de-crise-au-bresil-le-pouvoir-de-bolsonaro-ebranle-136158">réponse désastreuse</a> du gouvernement Bolsonaro au Covid-19.</p>
<p>De même, en Afrique du Sud, la propagation du Covid-19 a donné lieu à des <a href="https://www.bbc.com/news/av/world-africa-52205158/how-coronavirus-inspired-a-gangland-truce-in-south-africa">trêves entre gangs rivaux</a> dans la ville du Cap, avec des groupes ennemis allant parfois même jusqu’à s’allier afin d’aider à distribuer de la nourriture dans les townships (communautés pauvres) pour faire face aux pénuries causées par <a href="https://theconversation.com/covid-19-south-africas-neglected-military-faces-mission-impossible-133250">l’imposition de mesures de confinement par l’armée sudafricaine</a>.</p>
<p>À Rio de Janeiro comme au Cap, les gangs constituent souvent la principale forme d’autorité dans les favelas et les townships, soit parce que la présence de l’État y est faible ou inexistante, soit parce que celui-ci leur a <a href="https://books.google.ch/books?id=MYsyc-n1kJ0C&pg=PA192&dq=The+sovereign+outsourced:+local+justice+and+violence+in+Port+Elizabeth&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwjthLKbq-_oAhVcBhAIHV-0BO4Q6AEISjAE#v=onepage&q=The%20sovereign%20outsourced%3A%20local%20justice%20and%20violence%20in%20Port%20Elizabeth&f=false">« délégué »</a> son pouvoir.</p>
<p>Les gangs fournissent souvent déjà aux communautés locales toute une gamme de services, notamment en termes de sécurité, de prêts financiers, ou bien en offrant des formes de justice (violente). Répondre à la menace que constitue le Covid-19 peut être vu ainsi tout simplement comme une extension de ces formes de <a href="https://theglobal.blog/2020/03/18/gang-governance-from-the-local-to-the-global/">« gouvernance gangster »</a>.</p>
<h2>Dynamique des gangs</h2>
<p>Les gangs – tout comme beaucoup <a href="https://theconversation.com/terrorists-militants-and-criminal-gangs-join-the-fight-against-the-coronavirus-135914">d’autres groupes armés</a> – sont des institutions locales fondamentalement imbriquées dans leur contexte social, qui réagissent toujours à l’évolution de leurs <a href="https://theconversation.com/what-gangs-tell-us-about-the-world-we-live-in-114221">circonstances structurelles</a>. Ainsi, l’émergence des gangs peut être liée de manière générale à des conditions plus larges d’inégalité, et de lutte contre la discrimination et l’exclusion sociale. Mais dans quelle mesure les interventions par des gangs dans le contexte de la propagation du Covid-19 sont-elles altruistes ou plutôt instrumentales ?</p>
<p>C’est une question que nous explorons actuellement dans le cadre de notre recherche comparative sur la dynamique des gangs au Nicaragua et en Afrique du Sud pour le projet <a href="https://graduateinstitute.ch/research-centres/centre-conflict-development-peacebuilding/gangs-gangsters-and-ganglands-towards">GANGS</a>. Le matériel de recherche qui a nourri cet article s’adosse à une recherche <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/1019/1_-_GANGS_project_overview.pdf?1588060229">en cours</a> qui se déroule en ce moment au <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-latin-american-studies/article/living-in-the-shadow-of-death-gangs-violence-and-social-order-in-urban-nicaragua-19962002/4DF2EFF5663289AACBC6538C126A8E30">Nicaragua</a> et en <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/G/bo6161597.html">Afrique du Sud</a>.</p>
<p>Notre planning de recherche a été considérablement perturbé par la crise de Covid-19. A peine étions-nous arrivés en Afrique du Sud le 12 mars pour un mois de travail de terrain que nos universités respectives nous ont demandé de rentrer dans la précipitation en Europe. Grâce à WhatsAap et aux nouvelles technologies, nous sommes cependant en contact permanent avec de nombreuses personnes-ressources qui nous aident sur le terrain, et que nous connaissons pour la plupart depuis plus de <a href="https://www.cairn.info/revue-cultures-et-conflits-2018-2-page-59.htm">vingt ans</a>.</p>
<p>Nous avons discuté virtuellement avec divers types d’habitants des quartiers pauvres des villes au Nicaragua et en Afrique du Sud dans lesquelles nous effectuons nos recherches, y compris des membres de gangs et des trafiquants de drogue. Nous leur avons demandé comment le Covid-19 avait affecté leurs activités. Leurs réponses apportent une image bien plus nuancée que la plupart des reportages publiés jusqu’à maintenant, suggérant en particulier que dans certains cas, le Covid-19 a donné lieu à la fois à des contraintes mais aussi à de nouvelles opportunités pour les gangs et le trafic de drogue. Les actes des gangs s’inscrivent alors moins dans une dynamique altruiste que dans une recherche de gains personnels ou de rapports de force.</p>
<h2>Le Nicaragua, entre peur et ignorance de la pandémie</h2>
<p>Le Nicaragua est devenu <a href="https://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214-109X(20)30131-5/fulltext">notoire</a> comme l’un des rares pays au monde à avoir ignoré les réalités du Covid-19. Le pays n’a ni fermé ses frontières, ni imposé quelconques mesures de confinement, ni favorisé une politique de distanciation sociale, et il n’a pas non plus mis en place de mesures de soutien économique face aux perturbations causées par la pandémie.</p>
<p>Ceci étant dit, nos conversations avec des habitants du barrio Luis Fanor Hernández*, un quartier pauvre de Managua, la capitale du Nicaragua, laisse voir qu’en dépit de l’absence de mesures de confinement et de distanciation sociale formelles, nombre d’individus sont plus réticents à sortir dans la rue et de nombreuses entreprises locales ont fermées. Comme nous l’a expliqué Doña Yolanda, une habitante du quartier que Dennis connaît depuis plus de vingt ans :</p>
<blockquote>
<p>« Les gens ont peur du virus, alors ils ne sortent pas, les rues sont désertes et les magasins fermés ».</p>
</blockquote>
<p>Ceci a eu un impact dramatique et extrêmement négatif sur les moyens de survie économique étant donné que beaucoup au Nicaragua – le <a href="https://www.forbes.com/places/nicaragua/">deuxième pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental après Haïti</a> – vivent au jour le jour.</p>
<p>Cela comprend de nombreux petits trafiquants de drogue tel Antonio, qui nous confia :</p>
<blockquote>
<p>« Ce pays est foutu, les gens n’ont pas d’argent, alors ils ne viennent plus acheter de [la drogue]. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329779/original/file-20200422-47810-vh7v20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329779/original/file-20200422-47810-vh7v20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329779/original/file-20200422-47810-vh7v20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329779/original/file-20200422-47810-vh7v20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329779/original/file-20200422-47810-vh7v20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=973&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329779/original/file-20200422-47810-vh7v20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=973&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329779/original/file-20200422-47810-vh7v20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=973&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les invendus d’Antonio.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dennis Rodgers</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il nous a envoyé une photo de son stock de drogue invendu, en se plaignant :</p>
<blockquote>
<p>« Je peux normalement vendre tout ça en une journée, mais je n’ai rien vendu du tout, personne ne vient, les affaires se sont effondrées. »</p>
</blockquote>
<h2>Quand le marché de la drogue s’effondre</h2>
<p>Nous avons demandé à Antonio s’il avait une stratégie afin de pallier la perte de ses revenus. Il nous a expliqué alors qu’il avait recours à deux stratégies différentes. La première consistait à appeler ses clients de classe moyenne et supérieure et de leur proposer un service de livraison à domicile :</p>
<blockquote>
<p>« Comme ça, au lieu de me rencontrer au marché ou qu’ils viennent me trouver dans le quartier, ils m’appellent et je vais chez eux, je dépose la drogue à travers leur portail, je recule de deux mètres, ils la prennent et me laissent l’argent que je récupère ensuite après qu’ils aient reculé de deux mètres. »</p>
</blockquote>
<p>Ceci étant dit, Antonio vendait principalement ses drogues – du crack, de la cocaïne, et de la marijuana – à des membres de gangs et autres jeunes du barrio Luis Fanor Hernández, et il n’a qu’une poignée de clients de classe moyenne et supérieure, auxquels il doit offrir une remise de 20 à 30 % par rapport aux prix qu’il pratiquait avant la crise.</p>
<p>La deuxième stratégie à laquelle Antonio a recours est le recouvrement (musclé) de dettes auprès de ses clients. Il n’est pas rare que les trafiquants de drogue au Nicaragua permettent à leurs clients de s’endetter, afin de les fidéliser. Mais, lorsque ces dettes atteignent un niveau qu’un dealer juge insoutenable, il demande un remboursement partiel de celles-ci, combinant un refus de vendre plus de drogues avec des menaces et de la violence physique afin d’obtenir gain de cause.</p>
<p>Cette violence reste en général maîtrisée, impliquant tout au plus un passage à tabac. Si un trafiquant de drogue par exemple sortait un couteau ou une arme à feu pour une petite dette, il acquerrait une mauvaise réputation auprès de sa clientèle qu’il risquerait de perdre. Le Covid-19 a cependant changé cela, comme Antonio nous l’a expliqué :</p>
<blockquote>
<p>« Maintenant, il est plus facile de demander de se faire rembourser ses dettes. À cause du virus, je ne peux pas tabasser les gens, car cela impliquerait de les toucher, alors maintenant j’ai une excuse valable pour les menacer avec un pistolet à deux mètres et demander mon argent. C’est beaucoup plus efficace, les gens ont vraiment peur des armes à feu, alors ils paient tout de suite. »</p>
</blockquote>
<p>Il est clair qu’une telle stratégie n’est pas viable sur le long terme, mais elle reflète bien les circonstances extraordinaires précipitées par la propagation du Covid-19, et les actions qui en découlent.</p>
<h2>En Afrique du Sud, les gangs forcent les gens à rester dans la rue</h2>
<p>La situation en Afrique du Sud est très différente. Le gouvernement a réagi rapidement à la pandémie en imposant un confinement à l’échelle nationale, et des patrouilles par l’armée sud-africaine. Il a également tenté d’organiser des <a href="https://theconversation.com/gaps-in-south-africas-relief-scheme-leave-some-workers-with-no-income-136403">distributions de vivres</a> auprès des communautés les plus défavorisées. Cependant, ni les mesures de confinement ni la distribution de nourriture n’ont été mises en œuvre de manière très efficace.</p>
<p>Dans certains <a href="https://theconversation.com/whats-driving-cape-towns-water-insecurity-and-what-can-be-done-about-it-81845">« townships » ou quartiers pauvres</a> du Cap, tel que <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Mitchells_Plain">Mitchells Plain</a>, par exemple, les gangs ont mené des émeutes contre le manque de nourriture, tandis que dans les bidonvilles tel que Overcome Heights, dans lequel nous travaillons, les gangs cherchent activement – et parfois violemment – à forcer les habitants locaux à ne pas rester chez eux mais à poursuivre leurs activités quotidiennes dans les rues du bidonville.</p>
<p>La logique sous-jacente de cette stratégie est clairement de faire en sorte que les habitants du bidonville, qui constituent la plus grande partie de la clientèle des trafiquants de drogue locaux, puissent toujours acheter de la drogue (principalement de la méthamphétamine en cristaux, connue localement sous le nom de « tik »). Ainsi, selon Norma, une habitante d’Overcome Heights et une <a href="https://dignity.dk/wp-content/uploads/publication-series-no24.pdf">informatrice clef de Steffen</a>, le trafic de drogue y a en fait prospéré en raison de la pandémie.</p>
<p>En effet, des gangs rivaux du bidonville ont saisi la situation d’urgence provoquée par la pandémie afin de consolider un accord de paix fragile conclu en décembre 2019 après presque deux années de violence extrême qui avait fait plusieurs centaines de morts localement – principalement des membres des gangs, mais aussi parmi les habitants du bidonville. Le trafic de drogue en a bénéficié, se déroulant désormais dans un environnement plus sûr – et plus facilement gérable – qu’avant.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329785/original/file-20200422-47847-z2yssn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329785/original/file-20200422-47847-z2yssn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329785/original/file-20200422-47847-z2yssn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329785/original/file-20200422-47847-z2yssn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329785/original/file-20200422-47847-z2yssn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329785/original/file-20200422-47847-z2yssn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329785/original/file-20200422-47847-z2yssn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un parc dans un township du Cap transformé en mémorial pour membres de gangs décédés. Chaque ruban symbolise un membre de gang tué.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dennis Rodgers</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>L’émergence de nouvelles entreprises</h2>
<p>Ce contexte de <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2020/04/12/unprecedented-truce-notorious-south-african-slums-gangs-join">paix relative</a> a également permis aux gangs locaux de développer de nouvelles activités qui profitent de la crise du Covid-19.</p>
<p>Par exemple, les mesures de confinement ont conduit à la fermeture des « shebeens » (bars informels clandestins) et de la plupart des petits magasins dans les townships. Les gangs locaux ont pris le relais, vendant de l’alcool et des cigarettes dans leurs maisons de shoot qui eux, restent encore ouverts. Ils le font cependant à des prix très élevés.</p>
<p>Selon Norma, l’alcool est désormais vendu au double de son prix d’avant la pandémie, tandis que les cigarettes coûtent désormais 5 rands (0,25 €) individuellement, contre un prix moyen d’environ 35 rands par paquet de 20 auparavant. Paradoxalement, le prix des drogues est resté ce qu’il était avant la crise.</p>
<h2>Les gangs face au Covid-19 – volontaires ou profiteurs ?</h2>
<p>Vue depuis Managua et le Cap, les actions des gangs et des trafiquants de drogue par rapport au Covid-19 semblent clairement relever moins de formes de soutien communautaire altruistes, et plus des stratégies liées à leur survie ou bien afin de saisir des opportunités conjoncturelles pour élargir leur base de ressources, aussi bien sur le plan collectif qu’individuellement.</p>
<p>Il en est probablement de même dans d’autres contextes, dont le Brésil, par exemple, où l’emprise des gangs sur les favelas est rarement stable, et différents gangs s’y battent constamment. Ils doivent aussi faire face à d’autres acteurs armés tels que des milices paramilitaires ou bien l’État brésilien. Agir afin de faire respecter les mesures de confinement permet clairement à un gang assiégé de se consolider, et une pandémie telle que celle du Covid-19 offre la possibilité de changer les rapports de force, d’empiéter sur les territoires d’autres groupes, ou bien de conquérir des nouvelles parts du marché de la drogue. À ce titre, ce que les actions des gangs pourraient bien signaler, ce sont en fait les <a href="https://theconversation.com/what-is-solidarity-during-coronavirus-and-always-its-more-than-were-all-in-this-together-135002">limites de la solidarité sociale</a> en temps de crise, et une fenêtre sur le futur si la pandémie devait s’empirer.</p>
<hr>
<p><em>Les prénoms et certains noms de lieux ont été anonymisés par mesure de sécurité.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137636/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers receives funding from the European Research Council (ERC) under the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme (grant agreement No. 787935).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>A quel point l’activité des gangs et leur « aide » en temps de crise peuvent-elles vraiment être qualifiées d’altruistes ?Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1357722020-04-19T17:58:31Z2020-04-19T17:58:31ZTrafic d’espèces et pandémie : quelles réponses au non-respect des normes ?<p>Du VIH au SARS, de la grippe aviaire à Ebola, les grandes épidémies naissent lors de contacts trop rapprochés entre les hommes et les animaux. Le risque est aggravé lorsque des espèces sont transportées loin de leur aire de répartition naturelle autour de laquelle les populations humaines ont pu développer une certaine immunité.</p>
<p>Après la détection d’un cas de grippe aviaire hautement pathogène chez un oiseau au Royaume-Uni, et en raison du risque sanitaire qu’il portait, l’Union européenne a décidé en octobre 2005 <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_05_1351">d’interdire toute importation d’oiseaux de pays tiers</a>. Le lien entre prévention des maladies infectieuses et commerce international d’animaux sauvages était déjà clairement établi.</p>
<p>L’origine animale du Codiv-19 semble elle aussi faire consensus parmi la communauté scientifique : le virus, hébergé dans des populations de chauve-souris, aurait transité par un hôte intermédiaire, le pangolin, pour ensuite contaminer l’homme.</p>
<p>Une <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-020-2169-0">étude publiée dans la revue <em>Nature</em> le 26 mars 2020</a> décrit le pangolin comme le seul mammifère connu (en dehors de la chauve-souris) infecté par un coronavirus apparenté au CoV-2 du SARS. Ces travaux semblent confirmer que la présence de cette espèce au sein du marché de Huanan, à Wuhan, où la pandémie a débuté, a pu jouer un rôle dans la transmission du virus à l’homme.</p>
<h2>Le pangolin, objet de convoitises</h2>
<p>Le pangolin détient aussi le triste statut <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2016/09/29/les-pangolins-mammiferes-les-plus-braconnes-au-monde-desormais-proteges_5993453_3244.html">d’espèce la plus braconnée au monde</a>.</p>
<p>Présent en Asie et en Afrique, c’est un insectivore solitaire, appréciant les fourmis, extrêmement facile à chasser : son mécanisme de défense face à ses prédateurs habituels, félins ou singes, consiste à s’enrouler sur lui-même. Une fois trouvé, le chasseur n’a plus qu’à le ramasser. Autrefois largement présent en Chine, ses populations se sont depuis longtemps effondrées.</p>
<p>Entre les années 1960 et 1980, <a href="https://cites.org/sites/default/files/fra/com/sc/69/F-SC69-57-A.pdf">jusqu’à 160 000 pangolins auraient été récoltés</a> chaque année dans le pays à des fins de consommation. La sous-espèce de pangolin chinois est désormais <a href="https://www.iucnredlist.org/species/12764/168392151">classée « en danger critique d’extinction »</a> par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1250516523334217731"}"></div></p>
<p>Face à la convoitise que suscitent les pangolins, les États parties à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (<a href="https://www.cites.org/fra">CITES</a>) ont <a href="https://cites.org/sites/default/files/eng/cop/17/prop/060216/E-CoP17-Prop-11.pdf">décidé en 2016</a> de transférer les huit espèces de pangolins de l’Annexe II à l’Annexe I, celle des espèces menacées d’extinction dont le commerce n’est autorisé que dans des conditions exceptionnelles.</p>
<p>Depuis cette date, aucun commerce international de pangolins ne peut être autorisé sans permis d’importation et d’exportation délivrés par des autorités scientifiques. En Chine, l’article 27 de la <a href="http://www.cwca.org.cn/resources/legislation/ff80808154ddd33a0156c45a481b0e4b.html">loi du 8 novembre 1988</a> pour la protection de la faune interdit la vente, l’achat ou l’utilisation des produits de ces espèces protégées. L’article 151 du <a href="https://www.fmprc.gov.cn/ce/cgvienna/eng/dbtyw/jdwt/crimelaw/t209043.htm">code pénal chinois</a> réprime leur trafic d’une peine de plus de 5 ans d’emprisonnement, pouvant aller jusqu’à la mort si les circonstances sont particulièrement graves.</p>
<h2>La Chine responsable de la crise ?</h2>
<p>Les pangolins chinois ayant disparu, leur chasse étant par ailleurs interdite, ceux mis en vente sur le marché de Wuhan étaient nécessairement issus de filières clandestines, importés en violation des dispositions de la convention CITES et de la loi chinoise sur la protection de la faune. La responsabilité de la Chine pour ne s’être pas suffisamment assurée du respect des normes environnementales pourrait-elle être recherchée ?</p>
<p>Le Secrétariat de la convention CITES, assuré par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, pourrait considérer à la lumière de ces éléments que les dispositions de la convention n’ont pas été effectivement appliquées par les autorités chinoises et leur demander l’adoption de mesures correctives (article XII de la <a href="https://www.cites.org/sites/default/files/fra/disc/CITES-Convention-FR.pdf">Convention</a>).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1242195818934947853"}"></div></p>
<p>La Conférence des Parties pourrait également adresser à la Chine toute recommandation qu’elle juge appropriée. La Chine a vraisemblablement anticipé ces critiques en renforçant sa législation sur les espèces sauvages. Le 24 février 2020, le Comité permanent du Congrès national du peuple a totalement <a href="http://www.xinhuanet.com/politics/2020-02/24/c_1125620762.htm">interdit le commerce et la consommation d’animaux sauvages</a>, qu’ils soient ou non sur les listes d’espèces protégées.</p>
<p>En théorie, un État pourrait également saisir la Cour Internationale de justice (CIJ) pour dénoncer la violation, par la Chine, des dispositions de la convention CITES. Le moyen avait été invoqué par <a href="https://www.cairn.info/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2014-4-page-732.htm">l’Australie à l’égard du Japon</a> dans le <a href="https://www.icj-cij.org/fr/affaire/148">contentieux</a> relatif à la chasse à la baleine dans le Pacifique.</p>
<h2>56 pays impliqués dans le trafic de pangolins</h2>
<p>En réalité, il est peu probable que de telles procédures soient mises en œuvre, tant le trafic des espèces sauvages constitue un fléau mondial auquel tous les États sont confrontés.</p>
<p><a href="https://cites.org/sites/default/files/fra/com/sc/69/F-SC69-57-A.pdf">Un rapport</a> de l’UICN pour le Secrétariat de la Convention CITES révélait en 2017 que 56 États étaient impliqués dans le commerce illégal de pangolins (comme pays d’origine, d’exportation, de transit et/ou de destination) et que ce commerce était mondial.</p>
<p>Le trafic d’espèces sauvages figure parmi les activités criminelles les plus lucratives, souvent associé à d’autres activités illicites comme le blanchiment d’argent et la corruption.</p>
<p>Selon un <a href="https://www.interpol.int/fr/Actualites-et-evenements/Actualites/2018/La-criminalite-organisee-alimente-les-grands-conflits-et-le-terrorisme-dans-le-monde-entier">rapport</a> d’Interpol, il constitue avec les autres atteintes à l’environnement la principale source de financement des groupes armés et terroristes dans le monde. La protection des espèces est aussi un enjeu de nature sécuritaire.</p>
<p>La crise du Covid-19 permettra-t-elle de renforcer la lutte contre le braconnage et le trafic d’espèces ? Rien n’est moins sûr à court terme car la crise sanitaire pourrait paradoxalement accroître encore la pression sur la faune sauvage.</p>
<p>Des populations entières en Afrique et en Asie ont recours à des <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/01/les-malgaches-se-ruent-sur-les-plantes-medicinales-traditionnelles-pour-eviter-le-coronavirus_6035223_3212.html">remèdes</a> à base de plantes ou d’animaux pour renforcer leur système immunitaire.</p>
<p>D’autres <a href="http://www.leparisien.fr/societe/covid-19-halte-a-la-chasse-aux-pangolins-et-aux-vengeances-sur-les-chauves-souris-08-04-2020-8296008.php">se vengent</a> sur des populations de pangolins ou de chauves-souris prétendument responsables de la maladie. Enfin, l’arrêt brutal du tourisme – et de ses devises – dans les parcs africains laisse le champ libre aux <a href="http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200405-la-pand%C3%A9mie-covid-19-menace-la-faune-sauvage-kenya">braconniers</a>.</p>
<h2>Attaquer les causes profondes de la crise sanitaire</h2>
<p>Deux évènements internationaux sont cependant susceptibles de changer la donne. Le <a href="https://www.iucncongress2020.org/">Congrès mondial de la nature</a> de l’UICN, qui devait se tenir à Marseille au mois de juin, est reporté en janvier 2021.</p>
<p>Portée par une quarantaine d’organisations membres de l’UICN, y compris le ministère français des Affaires étrangères, une <a href="https://www.iucncongress2020.org/fr/motion/047">motion</a> demande aux États de « traiter les crimes environnementaux comme des infractions graves » en prévoyant des sanctions pénales dissuasives et proportionnées, et en accroissant les moyens accordés à la lutte contre cette criminalité. Les liens entre trafics d’espèces protégées et crise sanitaire devraient lui conférer une dimension nouvelle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1242910584041017344"}"></div></p>
<p>Quelques mois plus tard se tiendra en Chine la 15<sup>e</sup> Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique, initialement prévue au mois d’octobre 2020. Il s’agit d’un rendez-vous majeur destiné à déterminer le cadre d’action des trente prochaines années pour tenter d’enrayer l’effondrement de la biodiversité.</p>
<p>Les causes plus profondes de cette crise sanitaire, liées à la déforestation et à la perte des habitats naturels entraînant une trop grande proximité avec la faune et la flore sauvages y seront abordées. L’exigence de distanciation sociale entre humains pour freiner l’expansion de la pandémie pourrait déboucher sur des propositions concrètes visant à nous distancier plus durablement de la faune sauvage.</p>
<h2>Vers une nouvelle régulation du trafic</h2>
<p>Dans le cadre de la Convention CITES, la décision de limiter le commerce international d’une espèce est conditionnée à sa menace d’extinction, sans prise en compte des risques sanitaires que le commerce de certaines d’entre elles est susceptible de créer.</p>
<p>Le réseau de surveillance du commerce de faune et de flore sauvages « Traffic » <a href="https://www.traffic.org/site/assets/files/12764/covid-19-briefing-vfinal.pdf">appelait</a> en avril 2020 à une réponse internationale coordonnée contre les risques de maladies liés au commerce des espèces sauvages, évoquant un nouvel accord international qui pourrait être développé sous les auspices de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OiE).</p>
<p>En France, la <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/parquet_europeen_justice_penale_specialisee">réforme</a> visant à créer des juridictions spécialisées pour l’environnement devrait être relancée dès la sortie de crise de manière à ce que nous disposions de magistrats spécialement formés pour lutter contre les crimes environnementaux. Les ports et aéroports français sont en effet les lieux de transits de nombreux trafics entre l’Afrique et l’Asie dans lesquels les saisies d’animaux sauvages, y compris de <a href="https://www.ina.fr/video/G1143105_001_031">pangolins</a>, sont courantes.</p>
<p>Un vendeur de pangolins du marché de Wuhan, pour un bénéfice de quelques centaines d’euros, aura probablement provoqué la plus grave crise sanitaire et économique que le monde ait connue depuis plus d’un siècle. L’analyse coûts-bénéfices de la transaction réalisée milite pour que des moyens plus importants soient enfin alloués à la protection de la faune sauvage et que cessent les trafics illicites.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135772/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien MABILE est Président de la Commission droit et politiques environnementales du Comité français de l'UICN, membre de la Commission mondiale du droit de l'environnement de l'UICN, membre de la Commission environnement du Club des Juristes, membre du Club des Avocats Environnementalistes. </span></em></p>La crise sanitaire pose la question des recours possibles contre les pays qui ne respectent pas la réglementation en matière de faune sauvage, et des lacunes des protections existantes.Sébastien Mabile, Docteur en droit, avocat, chargé d'enseignement, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1317262020-02-12T19:23:12Z2020-02-12T19:23:12ZFact check : Le pangolin a-t-il pu servir de vecteur au Covid-19 ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/315075/original/file-20200212-61958-1nv1a3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C3501%2C2444&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un pangolin des Philippines et sa progéniture.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Philippine_Pangolins_by_Gregg_Yan.jpg">Gregg Yan / Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Une équipe de scientifiques chinois basée à Guangzhou suspecte le pangolin d’être un hôte intermédiaire entre les chauves-souris et l’humain. En effet, ces chercheurs auraient isolé un virus à partir de ces mammifères, dont la séquence génétique est à 99 % similaire à celle du coronavirus <a href="http://www.inrs.fr/actualites/epidemie-pneumonies-coronavirus.html">SARS-CoV-2</a> (nom officiel du virus responsable de la maladie Covid-19, qui sévit principalement en Chine). Une information <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/coronavirus-trouver-l-animal-coupable-un-jeu-du-chat-et-de-la-souris-20200207">largement reprise</a> mais à prendre avec beaucoup de précautions car leurs résultats n’ont <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-020-00364-2">pas encore été publiés</a> donc non soumis à une relecture par la communauté scientifique. S’il est très difficile de se prononcer, nous pouvons néanmoins réfléchir à cette possibilité en comprenant la biologie et les contacts qui peuvent exister entre l’homme et le pangolin.</p>
<h2>Pangolin, qui es-tu ?</h2>
<p>Il existe actuellement huit espèces de pangolins formant la famille des Manidés, unique famille actuelle de l’ordre des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pholidota">Pholidotes</a>. Leur caractéristique la plus visible est la présence d’écailles sur la quasi-totalité du corps. Elles servent bien sûr à se protéger des prédateurs, le pangolin pouvant se rouler en boule, mais aussi à éviter les morsures des fourmis et des termites qui sont ses proies favorites.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/PL2aLJ0tMwI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Le pangolin, une espèce en danger de disparition » (<em>National Geographic</em>).</span></figcaption>
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<p>Ces animaux vivent dans les forêts tropicales d’Afrique et d’Asie, ils sont plutôt nocturnes, solitaires et possèdent un excellent odorat leur permettant de repérer des insectes pour se nourrir.</p>
<h2>Leurs contacts avec les humains</h2>
<p>Pour transmettre un coronavirus, les contacts entre les individus doivent être longs, rapprochés et répétés. Les pangolins vivent dans la forêt et n’ont pas tendance à s’approcher des humains. Dans ces conditions, pourquoi les suspecter ?</p>
<p>Il faut savoir que le pangolin est l’une des espèces les plus braconnées dans le monde. Son commerce est strictement interdit, pourtant plus de 20 tonnes sont saisies chaque année dans le monde, ce qui laisse craindre des chiffres astronomiques sur le trafic total. </p>
<p>Ce commerce a deux finalités principales : la consommation de la viande, essentiellement en Chine et dans d’autres pays d’Asie du Sud-Est, le reste de l’animal, principalement les écailles, pouvant être utilisé dans la médecine traditionnelle. <a href="https://www.traffic.org/publications/reports/the-global-trafficking-of-pangolins/">Une association de protection</a> a estimé une consommation d’un million d’individus dans le monde en cinq ans, avec pour conséquence de voir figurer ces animaux sur les listes des espèces en très grave danger.</p>
<p>Les animaux, vivants ou morts peuvent donc être stockés dans des enclos exigus et dans les marchés où des contacts prolongés avec les humains peuvent avoir lieu.</p>
<h2>Un coupable idéal ?</h2>
<p>Comme dans le cas du SRAS avec la civette palmiste masquée, les virologues ont rapidement suspecté une transmission de la chauve-souris à l’homme via un autre animal. Il est très important de l’identifier rapidement pour que des mesures de confinement puissent être mises en place.</p>
<p>Les équipes de scientifiques ont prélevé des individus de nombreuses espèces animales différentes afin d’identifier un possible hôte intermédiaire entre les chauves-souris et les humains. Ce pourrait être le pangolin.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/qua-t-on-appris-de-lanalyse-genetique-du-coronavirus-130823">Qu’a-t-on appris de l’analyse génétique du coronavirus?</a>
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</p>
<hr>
<p>Si un responsable doit être pointé du doigt, c’est bien sûr l’homme. En effet, il n’y aucune raison naturelle d’avoir des relations étroites entre ces espèces sauvages et les humains. Le fait de les chasser, puis de les rassembler dans les marchés est la meilleure manière pour que des chauves-souris aient pu transmettre le virus aux pangolins, et qu’à leur tour, ils transmettent le virus à l’homme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131726/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Géraldine Veron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une équipe de scientifiques chinois suspecte le pangolin d’être un hôte intermédiaire du Covid-19 entre les chauves-souris et l’humain. Quels éléments avons-nous pour juger de cette affirmation ?Géraldine Veron, Professeur du Museum & Chargée de conservation des collections de Mammifères, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1296382020-01-13T21:56:21Z2020-01-13T21:56:21Z« Mourir est un soulagement » : 33 ex-narcos témoignent de l’échec de la guerre contre la drogue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/309768/original/file-20200113-103966-1y6opw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=162%2C90%2C5583%2C3764&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Toutes les formes de violence en Amérique Latine portent en elles la violence structurelle de l’État.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/image-photo/mexico-city07-october-2019-various-weapons-1525889897">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Je viens du nord du Mexique, une des régions les plus affectées par la violence liée à la guerre contre le narcotrafic. Entre 2008 et 2012, ma ville a traversé une des périodes les plus instables et les plus violentes de son histoire. Les « balaceras », affrontements entre cartels et militaires, commencèrent de façon sporadique, avant de devenir très fréquents. Ils survenaient en plein jour, en pleine ville. J’ai ainsi assisté un jour à une balacera à deux pas de l’université où j’enseignais.</p>
<p>Nous avons dû fermer les portes et appliquer le protocole de sécurité prévu pour ce genre de situations. Tous mes amis et mes proches ont connu des expériences similaires. Certains ont été témoins d’échanges de tirs depuis leurs voitures, d’autres depuis leurs maisons.</p>
<p>Dans ce contexte de violence prégnante, le cartel de los Zetas a commencé à faire du chantage aux commerçants locaux. Ils devaient payer un « droit d’utilisation », sans quoi on fusillerait leur boutique, ou on séquestrerait un de leurs proches.</p>
<p>Petit à petit, les commerces ont fermé et la paranoïa s’est installée, du fait des messages que les trafiquants postaient sur les réseaux sociaux : « Ce soir, ne sortez pas, il va y avoir des tirs. » Parfois, ces menaces se concrétisaient.</p>
<p>J’ai finalement décidé d’aller effectuer mon doctorat à l’étranger. Je ne voulais plus poursuivre mes études dans ce contexte d’insécurité, je suis donc partie au Royaume-Uni. C’est là bas qu’a émergé mon intérêt académique pour la violence liée au narcotrafic. Sur les conseils d’une enseignante, j’ai canalisé ma frustration contre les politiques sécuritaires de l’ex-président Calderon (2006-2012) en en faisant mon sujet de thèse. <a href="https://justiceinmexico.org/wp-content/uploads/2019/11/GARCIA_Violence-Within.pdf">Je travaille sur ce thème</a> depuis sept ans maintenant.</p>
<h2>33 histoires de vie de narcotrafiquants</h2>
<p>L’objet central de ma thèse est d’étudier la violence du narcotrafic en analysant les parcours de vie de ses acteurs. Entre octobre 2014 et janvier 2015, j’ai interviewé 33 hommes qui ont été impliqués dans ces réseaux. Nous avons abordé des sujets comme leur enfance et leur adolescence, l’alcoolisme, la drogue, le vandalisme, et leur intégration puis leur rôle dans le trafic. Le but étant de comprendre l’impact de ces expériences personnelles sur l’intégration dans ces réseaux, j’ai étudié ces récits d’un point de vue discursif.</p>
<p><iframe id="nSGMs" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/nSGMs/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Mon étude comporte deux caractéristiques principales. Sur le plan méthodologique, interviewer des « narcos » en première source est inédit dans le monde académique. Jusqu’à aujourd’hui, aucune autre étude n’a compilé plus de trente entretiens avec d’anciens dealers.</p>
<p>Sur le plan académique, mon travail éclaire une perspective jusqu’alors négligée par les enquêteurs, les fonctionnaires et la classe politique : celle des criminels eux-mêmes. L’analyse de leurs récits de vie met donc en lumière les possibles causes de leur implication dans le trafic et éclaire leur logique de compréhension du monde. C’est un élément-clé, non seulement pour aborder un phénomène complexe mais aussi pour élaborer des politiques publiques et de sécurité. Jusqu’ici, celles-ci ont été élaborées depuis la perspective de ceux qui font la politique. Leur échec cuisant n’est donc pas surprenant.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/308880/original/file-20200107-123403-daxm69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308880/original/file-20200107-123403-daxm69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308880/original/file-20200107-123403-daxm69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1784&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308880/original/file-20200107-123403-daxm69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1784&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308880/original/file-20200107-123403-daxm69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1784&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308880/original/file-20200107-123403-daxm69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=2242&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308880/original/file-20200107-123403-daxm69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=2242&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308880/original/file-20200107-123403-daxm69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=2242&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>Les « narcos » : ni monstres ni victimes</h2>
<p>Pour commencer, il faut reconnaître que les narcotrafiquants font partie de notre société. Ils sont exposés aux mêmes discours, valeurs et traditions que nous autres. L’un des principaux problèmes au Mexique est que le gouvernement les discrimine systématiquement en reproduisant un discours binaire américain opposant « eux » à « nous » et les « bons » aux « mauvais ». En plus d’être absurde et d’une extrême simplicité, ce discours occulte les nombreuses nuances qui permettent de saisir les causes de cette violence.</p>
<p>L’analyse des parcours de vie des anciens trafiquants met en lumière ces nuances. Les participants ne se perçoivent ni comme victimes ni comme monstres. Ils ne justifient pas leur implication dans le trafic comme une « unique option » pour survivre, comme de nombreuses études académiques l’assurent. Ils reconnaissent qu’ils y sont entrés car, même quand l’économie informelle leur permettait de survivre correctement et de subvenir aux besoins de leurs familles, ils en voulaient « plus ».</p>
<p>Les personnes que j’ai interrogées ne se voient pas non plus comme les criminels sanguinaires représentés dans les films. Elles se définissent comme des acteurs libres qui ont décidé de travailler dans une industrie illégale, mais aussi comme des personnes « jetables ».</p>
<p>Outre un problème d’addiction et de drogue, et le manque de perspective générale de vie, ce sentiment de marginalisation explique qu’ils valorisent peu leur propre existence et que la mort, à l’inverse, est perçue comme un soulagement.</p>
<p>Il est essentiel de considérer cet aspect dans la construction des politiques publiques. Une des tâches centrales est d’éviter que les enfants et les jeunes se sentent jetables.</p>
<p>Mon enquête révèle comment les participants reproduisent le discours binaire du gouvernement. Ils se définissent comme les marginalisés de la société. Ils reproduisent aussi l’éthique individualiste qui s’est insinuée au Mexique depuis l’entrée du néolibéralisme à la fin des années 1980. Ils n’accusent pas l’État ou la société pour leur condition sociale, mais ne ressentent pas non plus de remords pour leurs crimes. Ils considèrent qu’ils n’ont « pas eu de chance » de naître pauvres et marginalisés et que leurs victimes n’ont « pas eu de chance » de tomber sur eux. Leur logique est simple : « chacun pour soi ».</p>
<h2>La pauvreté, une condition figée et inévitable</h2>
<p>En analysant les entretiens réalisés, j’ai identifié un ensemble d’éléments qui reviennent régulièrement et d’idées reçues, que j’appelle « le discours du narco ».</p>
<p>Le discours du narcotrafiquant donne un sens clair à la pauvreté. Ils partent de l’hypothèse que les pauvres n’ayant pas d’avenir, ils n’ont rien à perdre. Comme l’a assuré Wilson, que j’ai interrogé : « Je savais que j’allais grandir et mourir dans la pauvreté et je demandais seulement à Dieu : pourquoi moi ? » La pauvreté est essentialisée, et se comprend comme une condition inévitable, sans jamais désigner de responsables. Il est tenu pour acquis qu’« il faut bien que quelqu’un soit pauvre » (Lamberto) et que « vous ne pouvez rien y faire » (Tabo).</p>
<p>Cette interprétation de la pauvreté est sous-tendue par une vision du monde individualiste : les individus sont responsables de leur développement économique et social. « Je savais que j’étais seul, que si je voulais quelque chose, je devrais l’obtenir par moi-même » (Rigoleto).</p>
<p><iframe id="ILHMm" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ILHMm/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La logique du discours narco en matière de pauvreté sous-tend que les individus sont seuls et que par conséquent prime « la loi du plus fort » (Yuca). C’est ainsi que l’explique également Cristian : </p>
<blockquote>
<p>« Dans mon quartier, nous connaissions toutes les règles : celui qui dort perd. C’était ça la loi. Tu dois être dur, violent, tu dois te protéger car personne ne le fera pour toi. »</p>
</blockquote>
<p>Cette vision considère que les enfants et les jeunes deviendront inéluctablement toxicomanes et membres de gangs : « Lorsque tu grandis dans un quartier pauvre, tu sais déjà que tu deviendras addict à un moment ou à un autre » (Palomo). De la même manière, les gangs (« pandillas »), qui impliquent un vandalisme et une violence quotidiens, sont perçus comme « l’unique manière de survivre à la violence dans les rues » (Piochas). Par conséquent, il est tenu pour acquis que ces jeunes n’ont pas d’avenir et qu’ils sont donc à l’image des déchets, « jetables ». « Quand tu es dépendant à la drogue, tu te considères toi-même comme un déchet, un moins que rien… à qui va importer la vie d’un pauvre toxico ? » (Palomo).</p>
<p>La mort précoce de ces jeunes est elle aussi perçue comme inévitable : « Quand tu vois tellement de tes compagnons mourir dans une bagarre, d’une overdose, d’une balle de la police, tu t’habitues à l’idée que c’est aussi ce qui t’attend » (Tigre). La fatalité préside face au destin des jeunes pauvres : « J’ai toujours pensé que mon destin était de mourir, d’une overdose ou d’une balle » (Pancho).</p>
<p>Selon cette logique, l’une des rares manières de profiter de la vie est de consommer des produits de luxe, et la seule façon d’y accéder est l’« argent facile » qui leur octroie une « vie facile ». Le bonheur offert par l’argent facile, ils le savent éphémère mais considèrent qu’il en vaut la peine, car dans ce monde, estiment-ils, « sans argent tu n’es rien » (Canastas). Ils admettent les risques qu’ils courent : « Un jour tu peux être dans un restaurant luxueux entouré de belles femmes, et le lendemain te réveiller dans une cellule de prison » (Ponciano).</p>
<p>Ainsi, la vie facile doit se vivre vite, et au maximum : « Mon objectif était de profiter de chaque jour comme si c’était le dernier. Je ne lésinais sur rien. Je m’achetais les meilleures voitures, les meilleurs vins et j’avais les plus belles femmes » (Jaime).</p>
<h2>Violence, machisme et fantasme du parricide</h2>
<p>Le discours narco met aussi en lumière l’idée selon laquelle « un vrai homme » doit être agressif, violent et coureur de jupons.</p>
<p>Les interviewés évoquaient les quartiers pauvres comme « la jungle » en faisant allusion à la loi du plus fort. La violence physique est essentielle pour survivre, littéralement.</p>
<p>Cette vision éclaire un aspect clé de la violence : elle est acquise. Les hommes ne naissent pas violents, ils le deviennent. Comme l’explique Jorge : « Quand j’étais enfant, les plus grands me tapaient, profitaient de moi parce que j’étais seul. Je n’étais pas violent… mais j’ai dû le devenir, devenir plus violent qu’eux. Tu n’as pas le choix si tu veux survivre dans la rue. »</p>
<p>Dans « la jungle », les hommes survivent aussi grâce à une certaine réputation. On considère que « l’homme véritable » est hétérosexuel, coureur de jupons, fêtard, consommateur de drogues et d’alcool » (Dávila).</p>
<p>Dans ce discours aussi, on perçoit qu’à la différence des femmes, le vrai homme ne doit pas montrer ses peurs, ses émotions et ses faiblesses, et la meilleure manière de le faire est de montrer sa force et sa domination dans tous les domaines : dans la bande, dans les bagarres avec des bandes rivales, et à la maison, dans sa famille.</p>
<p>Un thème récurrent des entretiens que j’ai menés est la rancœur ressentie par les participants envers leurs parents. 28 des 33 interrogés ont ainsi admis qu’à un certain moment de leur vie, leur principal objectif était de tuer leurs parents. Les violences domestiques et de genre sont les premières expériences de vie qu’ont connues ces participants. Tous sont d’accord sur le fait que leur frustration principale était de voir leurs pères frapper et abuser de leur mère en permanence. Ce motif est constant dans les récits, non seulement lorsque l’on aborde l’enfance mais également lorsqu’on parle d’addiction à la drogue, de violence et d’implication dans le crime.</p>
<p>Pour certains participants, le fantasme de tuer et de faire souffrir ses parents a été le déclencheur pour s’engager dans le narcotrafic. Rorro explique ainsi que « lorsque j’étais enfant, je n’avais pas de rêves pour l’avenir, mon seul objectif était de tuer mon père lorsque je serais grand… je voulais le couper en morceaux », et s’impliquer dans le trafic lui donner cette possibilité. Ponciano signale lui aussi que lorsqu’il devait torturer des gens, il imaginait que la personne était son père, et « je le faisais souffrir avec plus d’entrain, comme lui nous a fait souffrir ».</p>
<p>Les fantasmes des participants autour du meurtre de leurs parents sont semblables, tous se rejoignent sur le fait de vouloir les faire souffrir : ils voulaient se venger non pas pour leur propre souffrance, mais pour celle de leur mère. Tous confient aussi que lorsque l’opportunité a surgi, ils n’ont pas pu assouvir leur fantasme. Facundo l’explique ainsi : </p>
<blockquote>
<p>« Si j’avais voulu, je l’aurais tué. J’avais des dizaines de “sicarios” qui travaillaient pour moi. Si j’avais voulu… j’aurais pu le voir torturé. Mais je n’ai pas pu… j’ai dit : “Va-t-en loin d’ici, que je ne te voie plus. La prochaine fois, je te tue”. »</p>
</blockquote>
<p><iframe id="dmbin" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/dmbin/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Quels enseignements pour l’Amérique latine ?</h2>
<p>Dans toute l’Amérique latine, les causes de crime et de violence sont similaires. Indépendamment du type de violence, de narcotrafic, d’armée, de guérilla ou de gang, il me semble qu’il y a deux axes transversaux : la pauvreté et les masculinités toxiques. La vie quotidienne que connaissent les plus pauvres constitue le terreau pour toutes les formes de violence (domestique, de genre, de bandes). Tout cela est marqué par une forme de violence invisible, et rarement reconnue : la violence structurelle exercée par l’État.</p>
<p>Universitaires, politiques et société civile, nous devons comprendre et apprendre de ces expériences. On reconnaît la pauvreté comme la mère de tous les maux, mais nous ne savons pas ce que signifie vivre dans la pauvreté. Le problème de la violence ne peut être contenu et évité que si on la comprend et on la combat localement. Chaque région, chaque quartier, a des problèmes et des besoins spécifiques. Les politiques publiques conçues à grande échelle ne fonctionnent pas. La solution consistant à combattre le problème de la violence à la racine n’offre pas de grandes récompenses à la classe politique.</p>
<p>De la même façon, les masculinités dominantes dans nos pays non seulement justifient mais encouragent la violence. On répond invariablement aux problèmes dans la région par l’agression et des politiques sécuritaires militarisées. Les politiques non violentes ne sont pas envisagées dans nos pays car le machisme et la violence sont institutionnalisés.</p>
<p>La clé pour la combattre est de l’analyser : d’où vient-elle ? Comment est-elle justifiée et par qui ? Comment se reproduit-elle ? Comment y réagir ? Pour y répondre, nous avons besoin d’une approche interdisciplinaire et de gouvernements disposés à écouter.</p>
<p>Le plus urgent est le changement de paradigme : que les militaires restent dans leur rôle, que les problèmes complexes soient résolus localement, et qu’on laisse de côté le discours binaire qui justifie la mort d’« eux », ce qui ne fait qu’alimenter leur indifférence envers « nous ».</p>
<hr>
<p><em>La <a href="https://ciperchile.cl/2020/01/03/por-que-fracasa-la-guerra-contra-el-narcotrafico-entrevista-a-33-ex-narcos-mexicanos-para-quienes-morir-es-un-alivio/">version originale</a> de cet article a été publiée par le Centro de Investigación Periodística (<a href="https://ciperchile.cl/">CIPER</a>) de Chile.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129638/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Karina Garcia Reyes a reçu des financements du Consejo Nacional de Ciencia y Tecnología (CONACYT) et un soutien du Secretaría de Educación Pública (SEP) in Mexico.</span></em></p>Une chercheuse a interviewé 33 ex-trafiquants de drogue mexicains pour comprendre leur engagement dans le narcotrafic.Karina G. Garcia Reyes, Profesora de la Escuela de Sociología, Política y Relaciones Internacionales y del departamento de Estudios Latinoamericanos, University of BristolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1248362019-11-19T14:57:11Z2019-11-19T14:57:11ZPlus de capacité routière, plus de trafic : il faut revenir à la loi fondamentale de la congestion pour mieux la combattre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297986/original/file-20191021-56228-19fkptx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5000%2C3337&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Montréal est la deuxième ville la plus congestionnée au Canada avec un total de 145 heures perdues per capita dans le trafic à l’heure de pointe, en 2018.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Lors d’un séjour aux États-Unis, j’ai été étonnée d’entendre un responsable de la planification des transports d’une grande métropole américaine affirmer que la congestion routière n’était pas un problème, car elle était un signe de vitalité économique.</p>
<p>Certains disaient même qu’aspirer à une absence de congestion n’est pas souhaitable, car le réseau routier est conçu pour absorber le pic de trafic à l’heure de pointe du matin. Ne pas avoir de congestion signifie donc que le réseau est en surcapacité.</p>
<p>Pourtant, les coûts environnementaux, sociaux et économiques liés à la congestion routière sont bien réels et affectent quotidiennement la santé, la qualité de vie et le portefeuille de tous les contribuables.</p>
<p>Les conséquences de la congestion routière se mesurent généralement en temps additionnel de déplacement, auquel sont associés les coûts liés à l’utilisation additionnelle des véhicules (carburant, usure et entretien).</p>
<h2>Des coûts de 4,2 milliards à Montréal</h2>
<p>Certaines études comptabilisent également les émissions de gaz à effet de serre (GES) et les conséquences des accidents supplémentaires générés par le temps additionnel passé dans le trafic. La congestion entraîne également d’autres coûts directs et indirects comme l’usure prématurée des routes et l’impact sur la santé des populations.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/298156/original/file-20191022-55685-112pwlw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/298156/original/file-20191022-55685-112pwlw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/298156/original/file-20191022-55685-112pwlw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/298156/original/file-20191022-55685-112pwlw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/298156/original/file-20191022-55685-112pwlw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/298156/original/file-20191022-55685-112pwlw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/298156/original/file-20191022-55685-112pwlw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Circulation dense sur le pont Jacques-Cartier, à Montréal, le 18 mai 2017.</span>
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</figure>
<p><a href="http://inrix.com/scorecard/">Montréal serait la deuxième ville la plus congestionnée au Canada</a>, avec un total de 145 heures perdues per capita dans le trafic à l’heure de pointe, en 2018. Elle arrive après Toronto, qui occupe le premier rang des villes canadiennes (167 heures perdues). Québec occupe le neuvième rang (85 heures perdues).</p>
<h2>Hausse des émissions de GES</h2>
<p>La congestion routière accroît aussi la pollution atmosphérique produite par la combustion des énergies fossiles, ce qui a pour conséquences un accroissement des problèmes respiratoires, des décès prématurés ainsi que plusieurs types de cancers, et ce, <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/9781786359513-022/full/html">particulièrement pour les populations limitrophes, souvent défavorisées</a>.</p>
<p>Les véhicules à essence et au diesel émettent également du dioxyde de carbone (CO<sub>2</sub>), un puissant GES responsable du réchauffement climatique. Au Canada, l’ensemble du secteur des transports est la <a href="http://data.ec.gc.ca/data/substances/monitor/canada-s-official-greenhouse-gas-inventory/RIN_-_FR_-_Sommaire.pdf">deuxième plus importante source d’émissions de CO₂</a>, représentant 28 % des émissions totales.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-canadiens-ont-les-voitures-les-plus-grosses-et-les-plus-energivores-au-monde-116862">Les Canadiens ont les voitures les plus grosses et les plus énergivores au monde</a>
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</em>
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<hr>
<p>Au Québec, le transport représente <a href="http://www.environnement.gouv.qc.ca/changements/ges/2015/inventaire1990-2015.pdf">43 % des émissions totales de GES en 2016, dont 80 % provenaient des transports routiers</a>. Ces émissions <a href="http://www.bv.transports.gouv.qc.ca/mono/1233551.pdf">ont augmenté de 52 % entre 1990 et 2016</a>.</p>
<p>Bien que les émissions de GES attribuables à la congestion routière ne soient pas systématiquement inventoriées, celles-ci servent souvent à justifier les nouveaux projets routiers. Mais pourquoi la congestion persiste-t-elle, malgré les interventions gouvernementales visant à la réduire ?</p>
<h2>Construisez des routes et ils vont conduire !</h2>
<p>La réponse des gouvernements aux problèmes de congestion a généralement été de construire de nouvelles routes ou d’élargir les routes existantes. Or cette mesure s’avère inefficace, car l’augmentation de la capacité ne fait qu’accroître l’utilisation des véhicules.</p>
<p>Les nouvelles routes engendrent une demande supplémentaire équivalente à la nouvelle capacité. Ce quasi-équilibrage naturel entre la demande et l’offre explique le fait que les voies atteignent les niveaux de congestion pré-expansion entre <a href="https://repository.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1087&context=real-estate_papers">cinq et dix ans après la construction de nouvelles voies</a>.</p>
<p>Ce qu’<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Anthony_Downs">Anthony Downs</a> avait appelé « la loi fondamentale de la congestion autoroutière » en 1962 a depuis été confirmé par un grand nombre d’études scientifiques.</p>
<p>Le nouveau trafic causé par l’augmentation de la capacité routière, communément appelé la « demande induite », provient de <a href="https://repository.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1087&context=real-estate_papers">quatre sources</a> : l’augmentation du trafic commercial, le changement des habitudes de déplacement, la migration de la population, et, dans une moindre mesure, le détournement du trafic provenant d’autres voies.</p>
<h2>Une augmentation du temps de déplacement</h2>
<p>À court terme, le nouveau segment routier diminue les temps de déplacement, donc les coûts, ce qui incite les individus et les entreprises à voyager davantage, à changer d’heure de départ ou d’itinéraire, à choisir la voiture plutôt que les transports en commun, ou à déménager plus loin des lieux d’emploi.</p>
<p>Cette augmentation de la demande vient donc, à moyen terme, compenser de manière proportionnelle la nouvelle offre routière, et, du même coup, la réduction des émissions de GES qui auraient pu être associée à une diminution de la congestion.</p>
<p>Qui plus est, le réseau routier peut ne pas être utilisé à sa capacité optimale, car les usagers prennent une décision individuelle quant à l’itinéraire le plus rapide pour leur déplacement, et ce, indépendamment des choix des autres. Ces décisions peuvent ne pas correspondre à l’optimal social. Ainsi, l’ajout d’une voie de circulation peut augmenter le temps total de déplacement sur l’ensemble du réseau (et vice-versa), d’où la nécessité de coordonner les déplacements individuels.</p>
<h2>Ajouter des routes n’améliore pas l’économie</h2>
<p>Un autre argument souvent évoqué pour justifier l’augmentation de la capacité routière est celui de la création d’emploi et du développement économique. Bien que les infrastructures routières créent de l’emploi lors de leur construction, la plupart des études n’ont pas observé de lien entre l’augmentation de la capacité routière et l’activité économique. En effet, c’est plutôt un <a href="http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.558.3989&rep=rep1&type=pdf">déplacement de l’activité économique</a> à travers une même région métropolitaine qui est constaté.</p>
<p>Par exemple, les entreprises exportatrices vont être localisées le long de la nouvelle infrastructure routière, mais <a href="https://repository.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1031&context=real-estate_papers">cela n’aura pas d’effet important</a> sur la valeur totale de leur production.</p>
<h2>Augmenter le transport collectif ne suffit pas</h2>
<p>L’augmentation des transports en commun est souvent mise de l’avant comme étant la principale solution alternative à la construction de voies additionnelles ou de nouvelles routes. Cependant, conformément à la loi fondamentale de la congestion, l’espace libéré par l’utilisation des transports collectifs est, ultimement, compensé par la demande additionnelle qu’il crée. Ainsi, les transports collectifs <a href="https://repository.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1087&context=real-estate_papers">ne suffisent pas</a> à réduire la congestion.</p>
<p>En fait, si l’objectif est de faire diminuer le trafic automobile, la seule méthode efficace du côté de la gestion de l’offre est la <a href="https://nacto.org/docs/usdg/disappearing_traffic_cairns.pdf">réduction de la capacité routière</a>, car la loi de la congestion routière fonctionne également en sens inverse : on fait référence alors à la « demande réduite ». En plus de faire diminuer la demande de déplacements, le retranchement du nombre de voies et la restriction de la circulation comportent également des bénéfices sociaux, environnementaux et économiques mesurables et documentés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/298169/original/file-20191022-55701-2gsrso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/298169/original/file-20191022-55701-2gsrso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/298169/original/file-20191022-55701-2gsrso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/298169/original/file-20191022-55701-2gsrso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/298169/original/file-20191022-55701-2gsrso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/298169/original/file-20191022-55701-2gsrso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/298169/original/file-20191022-55701-2gsrso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’ajout de nouveaux modes de transport collectif ne réglera pas les problèmes de congestion.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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</figure>
<h2>Mesures écofiscales</h2>
<p>D’autres mesures permettent de gérer la demande en transport. D’abord, l’imposition de mesures écofiscales, comme la taxe sur l’essence, la <a href="https://journalmetro.com/actualites/national/2395049/quebec-appelee-a-implanter-une-taxe-kilometrique-pour-lavenir-de-la-mobilite/">tarification au kilométrage</a> et la taxe sur les stationnements, peuvent contribuer à réduire l’utilisation des véhicules.</p>
<p>Ainsi, une <a href="http://www.bv.transports.gouv.qc.ca/mono/1233551.pdf">étude</a> révèle qu’augmenter la taxe sur l’essence à 0,46$/L au Québec et instaurer une tarification routière de 0,15$/km dans le Grand Montréal permettrait d’atteindre le quart de la cible québécoise de la réduction des émissions des GES provenant des transports, en plus d’augmenter l’utilisation des transports collectifs de presque 40 %.</p>
<p>L’écofiscalité incite également les automobilistes à emprunter les modes de transports collectifs et actifs, pour autant que ces choix s’offrent à eux.</p>
<p>Le télétravail, les horaires variables, la gestion du stationnement et les politiques de croissance dite « intelligente », permettent aussi de réduire les distances de déplacement et la nécessité ou la volonté de les effectuer en automobile. Ces mesures ont des conséquences positives sur la santé publique, la qualité de vie urbaine, les valeurs foncières, la consommation locale, etc.</p>
<p>Les choix de planification les plus efficaces ne sont pas toujours les plus populaires. <a href="http://www.transformingurbantransport.com/strategies-and-tactics">Pour les faire accepter</a>, les décideurs doivent agir au bon moment, avoir recours à l’expertise technique, réaliser des projets pilotes, trouver des alliés, compenser les inconvénients et travailler avec les divers paliers de gouvernement.</p>
<p>Ce texte est une version abrégée d’un texte publié originalement dans la revue <a href="http://www.climatoscope.ca/">Le Climatoscope</a></p>
<p>[<em>Ne manquez aucun de nos articles écrits par nos experts universitaires</em>. <a href="https://theconversation.com/ca-fr/newsletters">Abonnez-vous à notre infolettre hebdomadaire</a>. ]</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124836/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fanny Tremblay-Racicot receives funding from le Fonds de Recherche du Québec - Société et culture and Transition Énergétique Québec.</span></em></p>Pour diminuer le trafic, la seule méthode efficace du côté de la gestion de l'offre de transports est la réduction de la capacité routière, car celle-ci a une incidence sur la demande.Fanny Tremblay-Racicot, Professeure adjointe, administration municipale et régionale, École nationale d'administration publique (ENAP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1063872018-11-05T19:57:58Z2018-11-05T19:57:58ZLégalisation de la corne de rhinocéros, un remède pire que le mal ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/243927/original/file-20181105-83638-vdyrgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C57%2C1920%2C1218&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Défense naturelle, la corne du rhinocéros fait l’objet d’un vaste trafic menaçant l’espèce. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/rhino-corne-nature-rhinoc%C3%A9ros-1575253/">Kdsphotos/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>C’est une décision qui a provoqué autant d’indignation que d’incompréhension. Le 29 octobre dernier, la Chine annonçait par voie de presse un <a href="http://english.gov.cn/policies/latest_releases/2018/10/29/content_281476367121088.htm">assouplissement de sa législation</a> relative aux cornes de rhinocéros ainsi qu’aux os de tigres.</p>
<p>Si le texte stipule que l’achat, la vente, l’importation ou l’exportation de « produits dérivés » du rhinocéros et du tigre restent interdits, il signale en revanche que les cornes et ossements peuvent désormais être obtenus à partir d’animaux d’élevage, à des fins de recherche médicale ou de soins, par des hôpitaux ou soignants autorisés par le gouvernement chinois.</p>
<p>L’annonce, accueillie par un torrent de critiques, a notamment laissé perplexe le WWF, l’une des plus importantes organisations mondiales de protection de l’environnement, qui <a href="https://www.worldwildlife.org/press-releases/wwf-statement-on-china-s-legalization-of-domestic-trade-in-tiger-bone-and-rhino-horn">s’inquiète d’une réouverture</a> d’un marché pourtant jugé illégal en Chine depuis 1993.</p>
<p>Qu’est-il donc passé par la tête des autorités chinoises ?</p>
<h2>Un précédent en Afrique du Sud</h2>
<p>À y regarder de plus près, ce revirement intervient un an et demi après une <a href="https://news.nationalgeographic.com/2017/08/wildlife-watch-rhino-horn-south-africa-auction/">décision similaire en Afrique du Sud</a>, où subsistent 70 % des presque 30 000 rhinocéros blancs (<em>Ceratotherium simum</em>) encore en vie.</p>
<p>En avril 2017, un moratoire en vigueur dans le pays depuis 2009 prenait fin, réautorisant le commerce de cornes en Afrique du Sud. Une décision lourdement influencée par un certain <a href="https://theconversation.com/why-allowing-the-sale-of-horn-stockpiles-is-a-setback-for-rhinos-in-the-wild-82773">John Hume</a>, riche propriétaire terrien pouvant se targuer d’être le plus gros éleveur de rhinocéros au monde, avec 1 600 animaux.</p>
<p>Le calcul de Hume est simple : initialement vendus à des zoos ou des réserves, ces rhinocéros représentent désormais un moyen contrôlé de produire de la corne « d’élevage ». La corne étant composée de kératine comme nos cheveux ou nos ongles, elle peut être prélevée sans douleur et repousse au fil du temps. Ainsi, en décornant son cheptel régulièrement, Hume aurait accumulé près de 6 tonnes de corne qu’il entend vendre pour inonder le marché illégal et contrecarrer le braconnage.</p>
<p>Mais cette décision sud-africaine ne concerne que le marché interne au pays, quasiment inexistant, puisque l’essentiel de la corne s’échange en Asie. La récente décision chinoise semble donc répondre à celle de l’Afrique du Sud, en vue de créer peu à peu un cadre légal mondial pour réguler le trafic de corne de rhinocéros : il deviendrait alors possible aux producteurs sud-africains de vendre légalement à des consommateurs asiatiques.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3uGkQWJBe_Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« We have to legalise trade in rhino horn », John Hume présente ses arguments en faveur de la légalisation du commerce de cornes de rhinocéros. (TEDxJohannesburg/YouTube, 2013).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un trafic global</h2>
<p>Hasard du calendrier, à peine deux semaines avant la décision de la Chine, était diffusé en France le <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/075836-000-A/rhino-dollars/">documentaire <em>Rhino dollars</em></a> d’Olivia Mokiejewski, montrant l’ampleur et la complexité du trafic de corne à travers une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/10/25/les-rhinoceros-auront-surement-disparu-dans-une-vingtaine-d-annees_5374575_3212.html">investigation saisissante</a>, remontant la plupart des maillons de la chaîne.</p>
<p>Car loin d’être un simple problème d’écologie et de disparition des espèces, le trafic de corne – et plus généralement des produits issus d’animaux – représente le quatrième plus gros trafic mondial, derrière ceux de la drogue, des armes et des êtres humains.</p>
<p>En Afrique du Sud, il prospère sur les ruines de l’Apartheid, les inégalités sociales que ce système a engendrées, et sur le niveau de vie très faible d’une grande partie de la population. Un rhinocéros abattu peut rapporter au braconnier <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/10/25/les-rhinoceros-auront-surement-disparu-dans-une-vingtaine-d-annees_5374575_3212.html">50 à 100 fois le salaire moyen</a> : difficile de parler d’écologie quand la corne devient le seul moyen de faire vivre sa famille ! La situation précaire dans les pays limitrophes, comme au Mozambique, entretient également un afflux régulier de braconniers, tout en permettant à des parrains locaux de s’enrichir rapidement.</p>
<p>De l’autre côté de la planète, les consommateurs, derniers maillons de la chaîne, se rencontrent principalement au Vietnam et en Chine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1052077680382758913"}"></div></p>
<h2>Un rôle social de premier plan</h2>
<p>Vu d’Occident, il est courant d’accuser la médecine traditionnelle asiatique d’employer ce prétendu remède miracle pour tout et n’importe quoi – quand bien même <a href="https://www.pbs.org/wnet/nature/rhinoceros-rhino-horn-use-fact-vs-fiction/1178/">aucune étude scientifique sérieuse</a> n’a jamais prouvé quelque effet que ce soit.</p>
<p>Si ce rôle médicinal reste important, des enquêtes sur le terrain ont également clairement <a href="https://www.sciencedaily.com/releases/2018/05/180514095509.htm">montré le rôle social</a> de la corne de rhinocéros.</p>
<p>Symbole de réussite, elle peut servir à sceller un gros contrat ou simplement être offerte comme marque de respect à une personne importante, voire un officiel de l’État. Une tendance vietnamienne se développe même depuis quelques années, consistant à offrir de la corne à un proche se sachant condamné par un cancer : le présent indique alors que la famille a retourné ciel et terre pour offrir un ultime cadeau d’exception.</p>
<p>C’est d’ailleurs probablement une rumeur autour d’un prétendu homme politique miraculeusement guéri d’un cancer par la corne qui a fait <a href="https://www.theguardian.com/environment/2011/nov/25/cure-cancer-rhino-horn-vietnam">s’envoler le trafic</a> au cours de la dernière décennie. Alors que les années 2000 avaient vu un net recul du braconnage et qu’on ne dénombrait que 13 rhinocéros tués en 2007 en Afrique du Sud, le massacre a dépassé les 1 200 têtes 7 ans plus tard, soit une <a href="https://www.savetherhino.org/rhino-info/poaching-stats/">augmentation de 9 300 %</a>. La faute à un appel d’air créée par cette rumeur au Vietnam, amplifiée par les trafiquants eux-mêmes, prêts à tout pour faire s’envoler les prix et la demande.</p>
<p>C’est dans ce contexte de tensions renouvelées qu’a germé l’idée d’un commerce régulé et organisé. Mais est-ce réellement la bonne voie à prendre endiguer le massacre ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"849023908502282242"}"></div></p>
<h2>Les sérieuses limites à la légalisation</h2>
<p>Sans surprise, les principaux partisans d’une régulation de ce commerce sont les <a href="http://ltrs.org.za/wp-content/uploads/2018/09/Ecological-Economics-Rhino-2018.pdf">éleveurs de rhinocéros eux-mêmes</a>, à l’image de John Hume. Persuadés que le marché se régulera de lui-même et que la nature ne peut être protégée que lorsqu’on lui attribue une valeur monétaire, ils attendent la mise en place d’un commerce légal et libéral, encadré le moins possible par les États.</p>
<p>Mais la grande majorité des chercheurs et écologistes se penchant sur le sujet craignent, bien au contraire, que cette possible légalisation n’aggrave la situation sur plusieurs points.</p>
<p>Les <a href="https://www.sciencedaily.com/releases/2018/05/180514095509.htm">enquêtes de terrain</a> montrent en effet clairement que les consommateurs sont prêts à payer le double du prix pour de la corne « sauvage », convaincus qu’elle est plus efficace ou simplement parce que le prestige associé est supérieur. La corne d’élevage aurait ainsi du mal à remplacer la corne braconnée, contrairement à ce que soutient Hume.</p>
<p>Pire, il est hautement probable que la légalisation permette un blanchiment massif de cornes braconnées, sauf à mettre en place des filières strictes et des systèmes de contrôle efficaces et mondialement coordonnés – systèmes qui, de l’aveu même d’un pays comme le Vietnam, paraissent utopiques à l’heure actuelle.</p>
<p>Tout indique également que la légalisation pourrait créer une augmentation de la demande, non seulement des consommateurs réguliers, mais également auprès d’une population moins fortunée en cas de baisse des prix.</p>
<p>Enfin, l’élevage des rhinocéros pourrait rapidement tourner à l’industrialisation aux dépens du bien-être des animaux, comme le montrent l’exemple des nombreuses <a href="https://www.nytimes.com/2017/06/05/science/animal-farms-southeast-asia-endangered-animals.html">fermes à tigre asiatiques</a>, agissant sous couvert de conservation de l’espèce mais où les félins sont en réalité exploités pour leurs organes dans d’atroces conditions.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1035452633983545344"}"></div></p>
<h2>Agir sur tous les maillons de la chaîne</h2>
<p>Dans cette situation, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1617138115300108">différentes études</a> sur la légalisation du commerce de corne tendent à montrer qu’il pourrait s’agir là de la pire des solutions. <em>A contrario</em>, l’endiguement du trafic doit nécessairement passer par les différents maillons de la chaîne, à commencer par l’amélioration de la situation sociale dans le sud de l’Afrique, permettant de réduire le nombre de braconniers.</p>
<p>Des précédents existent : par une politique de conservation impliquant les habitants au plus près, le Kenya est ainsi parvenu à <a href="https://www.savetherhino.org/africa/kenya/kenya-poaching-stats-out/">faire diminuer la pression du braconnage</a> sur sa faune. Les moyens d’investigation policière, permettant d’appréhender les trafiquants locaux, doivent également être renforcés et étendus.</p>
<p>À l’autre bout de la chaîne, en Asie, les campagnes de sensibilisation doivent agir tant sur le plan médicinal que social, afin de faire baisser la demande, en abandonnant l’argument écologiste qui n’a quasiment aucun impact sur des consommateurs se sentant non-responsables de cette situation.</p>
<p>Il s’agit d’un travail de fond complexe, impliquant des centaines d’acteurs différents à l’échelle mondiale, mais qui s’avérera certainement plus efficace qu’une légalisation aux conséquences potentiellement désastreuses. La communauté internationale doit donc prendre le taureau par les cornes pour que les rhinocéros ne craignent plus pour les leurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Mallet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fin septembre, Pékin a annoncé assouplir sa législation sur les cornes de rhinocéros. Cette décision pose la question de la légalisation de tels produits et de ses conséquences pour la survie de l’espèce.Christophe Mallet, Doctorant en morphologie fonctionnelle, paléontologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/979682018-07-15T21:24:53Z2018-07-15T21:24:53ZDe Mossoul à Paris : trajectoire d’une œuvre pillée<p>Les gardiens ailés de Nimroud, mi-hommes mi-taureaux pensaient-ils finir leur vie de pierre dans une <a href="https://www.theguardian.com/world/2015/jul/03/antiquities-looted-by-isis-end-up-in-london-shops">galerie d’art de Londres</a> ? Ces pièces d’origine mésopotamienne ont été, comme d’autres, <a href="https://www.theguardian.com/world/2015/mar/06/isis-destroys-ancient-assyrian-site-of-nimrud">pillées sur les champs de bataille syriens ou irakiens</a> par Daech et leurs comparses. Elles atterrissent ensuite sur des marchés européens, où, parfois, elles sont repérées par des spécialistes et des policiers.</p>
<p>Le pillage d’antiquité n’est pas nouveau en soi. En revanche, les routes du pillage demeurent complexes : quel a été le parcours de ces pièces ? Et par quel biais ont-elles pu atterrir dans cette galerie huppée du sud-londonien ?</p>
<p>Si l’Europe n’est pas l’unique destination ou l’unique point de redistribution mondial des antiquités – la contrebande vers les pays du Golfe semble importante –, le vieux continent draine cependant bien plus d’intermédiaires et d’acteurs locaux.</p>
<h2>Trafic frontalier… et fausses antiquités</h2>
<p>Pour rejoindre l’Europe, plusieurs voies sont possibles, plusieurs modes opératoires également, incluant différents modes de transports souvent définis par la taille de l’objet, sa valeur marché, sa destination finale.</p>
<p>Aujourd’hui, partant de Syrie, il est probable que ces antiquités se trouvent entre les mains d’un villageois qui, dans la misère de la guerre, cherche quelques biens de valeur sur un site archéologique proche de son lieu de résidence.</p>
<p>Si notre villageois réside à proximité de la frontière turque, il sera tenté de les faire passer par le biais de connaissances familiales. Ou bien ses trouvailles lui seront échangées contre de maigres émoluments par des milices ou autres groupes bénéficiant d’une logistique régionale des deux côtés de la frontière.</p>
<p>Les trafics de biens manufacturés, d’alcool, de sucre ou d’essence entre la Syrie et la Turquie n’ayant pas attendu la guerre pour se développer, les réseaux locaux qui l’animaient (transporteurs, taxis, maraîchers, épiciers notamment) sont restés disponibles en fonction des situations militaires fluctuantes aux divers points de passage.</p>
<p>C’est ce type de trafic frontalier que l’on retrouve le plus dans les saisies de la police et la gendarmerie turque, en plus des saisies sur des réfugiés.</p>
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<figcaption><span class="caption">Antiquités syriennes, sur la route du trafic, France 24, 2015.</span></figcaption>
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<p>Les antiquités y sont en quantité négligeable aux côtés d’armes et de devises étrangères notamment. Rien de bien nouveau donc dans les villes frontalières, du moins en matière d’antiquités, car les belles pièces n’ont pas vocation à être vendues à la sauvette, ni proposées dans ces contextes particulièrement surveillés, trop près des sites pillés.</p>
<p>Ces reventes opportunistes, qui sont bien antérieures au conflit syrien, alimentent un marché régional qui repose plus sur de la contrefaçon que sur le pillage véritable.</p>
<p>Ces sceaux assyriens et autres fragments de statuettes sortent plus souvent des ateliers d’habiles sculpteurs que de strates archéologiques. On en retrouve en vente sur Internet jusqu’aux États-Unis, pour des sommes ne dépassant guère les 200 dollars, ce qui donne une idée du prix de départ. Là encore, pas de quoi financer une armée.</p>
<h2>La contrebande, business familial</h2>
<p>En revanche, pour que des pièces pillées en Syrie ne terminent pas leur course dans une carrière de gravats, comme mobilier de jardin sur l’aire de repos d’une station-service, ou dans le bric-à-brac d’un bazar régional, il leur faut soit un client en Europe, soit un agent local qui se chargera d’organiser son passage vers le marché européen, en se servant d’intermédiaires ou en leur revendant ces pièces.</p>
<p>Qu’est qu’un intermédiaire et qui sont-ils ? Le plus souvent des « entreprises » familiales, dont les acteurs actuels représentent la deuxième ou troisième génération, implantées dans différents pays clefs entre le <a href="http://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780198716020.001.0001/acprof-9780198716020">Proche-Orient, l’Anatolie, les Balkans</a> et l’espace Schengen.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/225581/original/file-20180701-117425-1w9dku2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225581/original/file-20180701-117425-1w9dku2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225581/original/file-20180701-117425-1w9dku2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225581/original/file-20180701-117425-1w9dku2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225581/original/file-20180701-117425-1w9dku2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225581/original/file-20180701-117425-1w9dku2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=907&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225581/original/file-20180701-117425-1w9dku2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=907&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225581/original/file-20180701-117425-1w9dku2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=907&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte Schengen.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Martin Godon</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Elles bénéficient d’accointances dans des communautés issues des diverses diasporas engendrées, rien qu’à l’échelle du XX<sup>e</sup> siècle, par la dislocation de l’Empire ottoman, les guerres russo-turques et les instabilités chroniques dans les Balkans et le Caucase.</p>
<p>On pense ainsi à la famille Telliağaoğlu. <a href="https://traffickingculture.org/encyclopedia/case-studies/garland-sarcophagus">Depuis les années 80</a>, l’un des frères, plus connus sous le pseudonyme de <a href="https://archive.archaeology.org/0101/newsbriefs/edip.html">Blind Edip</a> ou du « trafiquant du siècle » mène un business aux ramifications qui englobent divers groupes criminels en Europe continentale et au Royaume-Uni, reposant avant tout sur des liens de confiances.</p>
<p>Elles côtoient et utilisent dans certains cas les services (logistiques de transport, corruptions) d’entreprises plus puissantes du crime organisé, contrôlant notamment la contrebande d’opiacés provenant d’Afghanistan et passant par les Balkans pour rejoindre l’espace Schengen.</p>
<p>Un schéma similaire reposant plus sur les infrastructures maritimes de Méditerranées orientale peut être décrit pour la zone levantine au départ des ports à conteneurs localisés entre Beyrouth et Alexandrie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225582/original/file-20180701-117374-fpu9fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225582/original/file-20180701-117374-fpu9fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225582/original/file-20180701-117374-fpu9fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225582/original/file-20180701-117374-fpu9fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225582/original/file-20180701-117374-fpu9fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225582/original/file-20180701-117374-fpu9fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225582/original/file-20180701-117374-fpu9fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ports et logistique à l’œuvre dans les trafics.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Martin Godon</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Profitant de l’instabilité politique et économique récurrente dans la zone balkanique notamment, ces organisations criminelles ont pu s’assurer en partie le contrôle des axes de transports vers l’espace Schengen, aux niveaux des zones de stockages dans les ports francs, des points de rupture de charges, des frontières et des aires de déchargements.</p>
<h2>La Turquie, zone de passage</h2>
<p>Bien que bonnes élèves de l’Organisation mondiale des douanes, les douanes turques ne peuvent à elles seules endiguer l’ensemble des trafics en transfert sur leur sol.</p>
<p>La position géographique de la Turquie, avec une façade maritime sur la mer Noire, la Méditerranée et l’Égée, favorise la redistribution continentale et maritime. La voie terrestre, par les Balkans, utilise le dense réseau routier traversant les états hors de l’UE et de l’espace Schengen, qui permet de pénétrer au cœur de l’Europe par la Hongrie et la Croatie notamment.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/225583/original/file-20180701-117436-407n4f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225583/original/file-20180701-117436-407n4f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225583/original/file-20180701-117436-407n4f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225583/original/file-20180701-117436-407n4f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225583/original/file-20180701-117436-407n4f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225583/original/file-20180701-117436-407n4f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225583/original/file-20180701-117436-407n4f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225583/original/file-20180701-117436-407n4f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Voies et hot spots.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Martin Godon</span>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span>
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<p>Les voies fluviales Danubienne et Rhénane et leurs affluents, en utilisant le transport de fret et de vrac sec, permettent de traverser l’Europe de la mer Noire aux ports de la mer du Nord et de la Hanse en passant par les places prisées autrichiennes, suisses et allemandes du marché intérieur européen de l’antiquité. Par voies maritimes, les ports de Méditerranée occidentale sont autant d’entrées en Europe ou de points de redistribution vers l’Angleterre ou les États-Unis et l’Asie.</p>
<p>Une fois en Europe, ces antiquités en provenance de Syrie ou d’Irak seront écoulées auprès de certains professionnels souvent liés aux entreprises intermédiaires de logistiques et de transports, qui y trouvent un moyen d’investir dans un stock dormant, attirés par les prix relativement bas de ces pièces qui ne peuvent prétendre à un accès rapide et aisé au marché légal et dont l’offre dépasse actuellement la demande.</p>
<p>Elles y sont souvent échangées ou redistribuées en fonction de certains paramètres, souvent liés a l’historique des fouilles européennes en Méditerranée et au Moyen-Orient. Selon la nature de l’antiquité, il sera plus facile de l’introduire sur un marché plutôt qu’un autre. Le marché de la numismatique est plus dense en Allemagne qu’en Angleterre, témoignage d’une certaine domination allemande sur les fouilles classiques dès le XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226948/original/file-20180710-70039-1o1uuyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226948/original/file-20180710-70039-1o1uuyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=625&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226948/original/file-20180710-70039-1o1uuyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=625&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226948/original/file-20180710-70039-1o1uuyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=625&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226948/original/file-20180710-70039-1o1uuyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=785&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226948/original/file-20180710-70039-1o1uuyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=785&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226948/original/file-20180710-70039-1o1uuyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=785&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Statuette féminine, période Halaf fin Vᵉ siècle avant J.C, argile, ancienne Mésopotamie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/islespunkfan/8174945208/">Brooklyn Museum/Neil R/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Les fines céramiques à décors géométrique de la période Halaf (env. 6100-5500 av. J.-C) provenant du Haut Euphrate ou les statuettes et tablettes en terre cuite des cultures sumériennes (env. 3000 av. J.-C) issues des sites jalonnant les vallées du Tigre et de l’Euphrate seront plus légitimes si introduites sur le marché anglais, voire français, du fait des nombreux mouvements de troupes dans ces régions, entre les campagnes napoléoniennes et la Deuxième Guerre mondiale.</p>
<h2>À qui profite le crime ?</h2>
<p>En nous penchant sur la clientèle, nous abordons une vaste sphère dans laquelle se croisent un commerce et des achats tout à fait légaux, une clientèle et des vendeurs n’ayant rien de criminels ou encore des collectionneurs aux motivations altruistes au regard de la destruction quotidienne du patrimoine culturel sous l’égide des états par manque de moyens accordés ou logiques de rénovations urbaines.</p>
<p>L’ambiguïté de certains états concernant la question sensible des biens inscrits aux Trésors nationaux tend également à rendre légitime aux yeux de certains particuliers l’acquisition de pièces douteuses. À cet égard, la marchandisation du patrimoine que l’on constate en France notamment, par le biais d’un recourt presque systématique aux fonds privés dans le développement des collections des Musées, la valorisation du patrimoine urbain tend a créer l’amalgame entre des biens considérés comme publics et la sphère privée de l’économie du luxe.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Qd7YvTuzuX0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jack Lang, invité de France Inter, 3 juillet 2018.</span></figcaption>
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<p>En outre, le marché de l’antiquité s’adresse à une clientèle particulière, principalement composée d’une élite cultivée, aisée voire fortunée. Cette élite regroupe les corps de métiers les plus prestigieux, capitaines d’industries, avocats, banquiers et financiers, universitaires, personnalités du monde de la culture, personnalités médiatiques en quête de respectabilité culturelle, femmes et hommes politiques.</p>
<p>Pour certains, l’entrée dans le cercle relativement fermé des collectionneurs et des évènements mondains y afférents est gage de reconnaissance et un moyen de diversifier ses relations, pour d’autres cela leur confère une tessiture culturelle et savante de façade à moindre coût. Certains trouvent dans l’acquisition d’antiquités un moyen de placement, d’autres y verront le moyen de blanchir aisément des espèces mal acquises.</p>
<p>Soulignons qu’un grand nombre, incluant antiquaires et clients, y vivent une passion qui se traduit souvent par d’excellentes expositions et rédactions d’ouvrages qui les honorent et dont la société savante et l’archivage historique bénéficient.</p>
<p>La perméabilité morale est aidée par la nature des biens culturels. Il est aisé, parfois légitime, de se présenter comme le dernier rempart avant l’abandon et la destruction d’un bien culturel.</p>
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<figcaption><span class="caption">Table ronde à Drouot autour du trafic de biens culturels, 2015.</span></figcaption>
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<h2>Une mince frontière entre légalité et illégalité</h2>
<p>Certaines antiquités sont illicites par conventions, d’autres ne le sont que depuis peu, comme tout en pan du patrimoine culturel provenant du continent africain, <a href="https://www.connaissancedesarts.com/archi-jardin-et-patrimoine/restitution-du-patrimoine-africain%E2%80%89-emmanuel-macron-nomme-deux-experts-culturels-1189898/">dont la restitution fait à présent débat</a>.</p>
<p>La frontière entre la légalité et l’illégalité est donc mince, à la différence des trafics aisément condamnables perpétrés par les intermédiaires, voire les commanditaires du trafic d’antiquités, tels que le trafic de drogue, d’armes et de personnes, que l’on retrouve pourtant de plus en plus immiscés <a href="http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2013/04/22/03015-20130422ARTFIG00266-la-dynastie-nahmad-dans-l-oeil-du-cyclone.php">dans le financement du marché de l’antiquité et de l’art</a> et non plus uniquement cantonné à un rôle d’intermédiaire.</p>
<p>Cette frontière, mince au point qu’elle facilite l’osmose, est une interface invisible entre le crime organisé et ces élites qui en sont les proies faciles tant leurs carrières dépendent de leur image publique.</p>
<p>C’est probablement sur ce point que réside le plus grand danger lié au trafic d’antiquités : sa capacité à faire cohabiter deux mondes opposés, l’un benoîtement désinvolte et l’autre prédateur.</p>
<p>Ainsi, quelques années après les cocktails des salons internationaux et la volupté des ventes privées, des invitations et des dons sous le patronage d’un antiquaire exécutant, le prédateur se rappellera au bon souvenir d’un élu, d’un magistrat, d’un haut fonctionnaire, d’un patron de presse… ou d’un ancien chef d’État.</p>
<h2>Le pillage, miroir du désespoir humain</h2>
<p>En matière de trafic d’antiquités, il est aisé de stigmatiser le client, l’antiquaire, ou les pays qui, pour des raisons structurelles ou conjoncturelles, se retrouvent en première ligne, comme c’est le cas pour la Turquie dans le contexte syrien actuel. Traquer l’antiquité pillée pour seul but de l’exhiber auprès de son vendeur et de son acheteur ne règle en rien deux problèmes majeurs.</p>
<p>Celui du pillage donc de la destruction de sites archéologiques, qui ne dépend pas exclusivement du marché privé de l’antiquité, et celui de l’utilisation du marché de l’antiquité comme interface ou portail favorisant la corruption passive en direction d’un client ou amateur, par voie de corruption active ou de chantage initié par des acteurs directs ou indirects du marché de l’antiquité.</p>
<p>D’un point de vue scientifique, un artefact archéologique prélevé par pillage d’un site n’a plus beaucoup de valeur scientifique. Arraché à son contexte archéologique qui est le plus souvent complètement détruit, cet artefact n’a plus qu’une valeur représentative, si tant est qu’il présente des caractéristiques précises pour l’identifier à une aire chrono-culturelle suffisamment documentée.</p>
<p>En temps de guerre, les pillages de sites sont la résultante de situations humaines le plus souvent désespérées. Stopper les réseaux d’intermédiaires hors de Syrie n’arrêtera pas un pillage qui répond à un réflexe de survie.</p>
<p>En période de paix, les pillages de sites sont favorisés par l’appât du gain et un système de protection des sites déficient associé à un manque profond de pédagogie, sans compter la prédation urbaine ou d’expropriations massives qui s’effectue le plus souvent <a href="http://www.mom.fr/sites/mom.fr/files/img/Ressources_numeriques_et_outils/Documents_numerises/Colloques_texte_integral/Patrimoines_culturels_en_Mediterranee_orientale/2eme_atelier/Gillot_edite.pdf">au détriment de sites culturels et des populations locales avoisinantes</a>. À cet égard, la <a href="https://www.coe.int/fr/web/culture-and-heritage/faro-convention">Convention de Faro de 2005</a>, organisée par le Conseil de l’Europe, ouvre la voie vers une approche inclusive du patrimoine matériel, non plus considéré comme un simple vestige mais comme élément constitutif de l’identité des populations qui l’entourent.</p>
<p>Cette approche doit être encouragée car elle correspond plus au patrimoine culturel tel qu’il existe au-delà des civilisations du bâti, de la ville patrimoine <a href="https://journals.openedition.org/gc/1832">à forte valeur touristique</a>, apanages européens et méditerranéens particulièrement représentés à l’Unesco.</p>
<p>Dans les pays dits consommateurs, où se trouvent localisées l’offre et la demande, jeter l’opprobre médiatique sur tel ou tel antiquaire susceptible de participer au trafic d’antiquités n’est guère opportun, bien que cela soit devenu courant depuis les conflits irakien et syrien.</p>
<p>Sans preuve étayant le pillage et reliant le vendeur au trafic lui permettant d’acquérir une pièce douteuse, il est impossible d’entamer une quelconque procédure judiciaire. Outre le risque d’être poursuivi pour diffamation, ces dénonciations affectent le travail des services de police et de gendarmerie. Cependant, une analyse des politiques nationales européennes en matière de lutte contre le trafic de biens culturels, l’étude du développement des législations en la matière, du rôle des parlementaires dans l’évolution des lois et des outils techniques comme la modernisation du registre de police, encore appelé <a href="https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F23207">« registre de brocante »</a> en France, permet de s’assurer de la bonne volonté et de l’indépendance du législateur dont on attend qu’il cherche à dynamiser un secteur économique sans faire de concessions sur le contrôle des antiquités et leur traçabilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97968/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Martin Godon a rédigé cet article dans le cadre de recherches réalisées avec le concours de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturel. Le travail en cours été présenté le 14 mars 2018 lors des rencontres des IFRE (Ministère des affaires étrangères).</span></em></p>L’Europe : une destination de choix pour les trafiquants d’antiquités qui peuvent compter sur leurs réseaux bien implantés jusqu’aux plus hautes sphères de nos sociétés.Martin Godon, Archéologue, Institut Français d’Études Anatolienne, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/914622018-02-13T20:24:25Z2018-02-13T20:24:25ZAfghanistan 2018, le chaos et les talibans<p>Entre les 20 et 28 janvier 2018, Kaboul a été frappé <a href="https://www.washingtonpost.com/world/afghan-military-academy-attacked-in-latest-string-of-high-profile-attacks/2018/01/29/8dc59ed8-04bf-11e8-8777-2a059f168dd2_story.html?utm_term=.7da7ca670a48">à trois reprises</a> par un terrorisme urbain faisant au moins 130 morts. Les talibasn ont revendiqué deux de ces trois attaques, l’une ciblant l’hôtel Intercontinental de Kaboul (20 janvier) et l’autre consistant en une terrible attaque à l’ambulance piégée (27 janvier).</p>
<p><a href="http://time.com/5126270/terrorist-attacks-afghanistan-taliban-isis/">Daech n’est pas en reste</a>, avec une attaque menée près d’une académie militaire dans la capitale (28 janvier), mais aussi le ciblage des bureaux de l’ONG Save the Children à Jalalabad (25 janvier).</p>
<p>Au-delà de l’actualité, terrible, il faut avoir en tête l’état des lieux en Afghanistan en 2018. <a href="http://www.bbc.com/news/world-asia-42863116">Selon une étude réalisée récemment par la BBC</a>, sur plusieurs mois, le gouvernement légal afghan ne tient véritablement que 30 % du pays. Sur le reste du territoire, où réside 50 % de la population afghane, les talibans ont au moins une « présence physique ouverte et active ». Comment expliquer un tel désastre ?</p>
<h2>La faute des forces étrangères ?</h2>
<p>Si on écoute les autorités de Kaboul et de Washington, l’affaire est entendue : tout est de la faute de l’environnement régional afghan. Le Pakistan est le bouc-émissaire principal. Mais certains officiels afghans et américains n’hésitent pas à <a href="https://www.isas.nus.edu.sg/ISAS%20Reports/ISAS%20Working%20Paper%20152%20-%20Irans%20diplomacy%20towards%20Afghanistan.pdf">accuser l’Iran</a> et même la Russie. Ainsi, en Afghanistan, certains vont jusqu’à accuser les services russes d’avoir aidé les talibans <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/oct/22/russia-supplying-taliban-afghanistan">à prendre Kunduz en 2015 et 2016</a>.</p>
<p>Le problème de ces accusations, c’est qu’elles se font parfois abusives, voire qu’elles sont fausses. Par exemple, on sait que l’Iran a tissé des liens avec les talibans depuis le début de la décennie 2010, quand les Américains eux-mêmes ont accepté l’idée selon laquelle les vaincre militairement serait impossible, et qu’un dialogue politique était nécessaire en Afghanistan. Pas de complot iranien contre la stabilité afghane ici, donc, mais une simple reconnaissance du rapport de forces sur place, autant à Téhéran qu’ailleurs.</p>
<p>Par contre, les accusations <a href="http://www.atimes.com/atimes/Middle_East/KI05Ak02.html">associant Iraniens et fourniture d’armes aux Taliban</a> semblent bien avoir été exagérées. De même, les autorités afghanes et américaines continuent d’affirmer que le Kremlin a fourni des armes aux Taliban… alors que les <a href="https://www.reuters.com/article/us-usa-afghanistan-russia/u-s-official-no-physical-evidence-russia-gave-weapons-to-taliban-idUSKBN18J25R">preuves sont inexistantes</a>.</p>
<h2>Le Pakistan dans le rôle du bouc émissaire</h2>
<p>Quant aux accusations contre le Pakistan, elles tombent parfois dans le simplisme, et s’appuient sur des omissions importantes à propos d’une relation bilatérale complexe.</p>
<p>Par exemple, le fait que géopolitiquement, Afghanistan et Pakistan s’opposent depuis la fondation de ce pays. Kaboul, dans la continuité du mollah Omar et des régimes précédents en Afghanistan, s’obstine à <a href="https://tribune.com.pk/story/1530071/durand-line-will-never-accepted-formal-border-karzai/">ne pas reconnaître la ligne Durand</a>, la frontière actuelle entre les deux États. Les nationalistes pachtounes afghans soutenant cette politique peuvent, à partir de là, revendiquer <a href="https://thediplomat.com/2014/02/why-the-durand-line-matters/">jusqu’à… 60 % du territoire pakistanais</a>. Kaboul n’a d’ailleurs pas hésité, par le passé, à soutenir des séparatistes pachtounes et baloutches en territoire pakistanais.</p>
<p>C’est dans cette logique de « guerre froide » qu’il faut voir les difficultés de coopération entre Afghans et Pakistanais. Aujourd’hui, si le Pakistan a des contacts, et peut-être des moyens d’influencer, une partie des Taliban, non seulement il n’est pas le seul, mais surtout, il serait simpliste d’imaginer qu’ils les contrôlent. Ajoutant à la difficulté de la relation bilatérale entre Kaboul et Islamabad, il ne faut pas non plus oublier que des forces terroristes anti-pakistanaises utilisent l’<a href="https://www.thenews.com.pk/latest/186995-Pak-army-destroys-militant-hideouts-near-Pak-Afghan-border">Afghanistan comme refuge</a>.</p>
<p>Les accusations afghanes contre le Pakistan peuvent donc être aujourd’hui retournées contre Kaboul. Une telle situation demanderait l’abandon de la recherche d’un bouc émissaire unique dans la situation actuelle, et un effort renouvelé, par Washington, pour aider à la coopération entre les deux pays.</p>
<h2>Les États-Unis, ou comment rater la paix</h2>
<p>Enfin, si on veut rechercher un responsable étranger à la situation afghane, il serait bon de se pencher sur le rôle des États-Unis eux-mêmes.</p>
<p>Dans la période 2001-2003, après avoir vaincu militairement le mollah Omar, les Américains ont raté la paix. Ils ont refusé toute idée de <em>state building</em> alors que ce pays dévasté pendant déjà plus de 20 ans à l’époque en aurait eu bien besoin. Le choix de mener la guerre en Irak a achevé de faire passer l’Afghanistan au second plan à une époque où gagner la paix, notamment en aidant les campagnes et en menant une diplomatie active au niveau régional, aurait été possible.</p>
<p>Le désir de cibler Al Qaïda plutôt que de travailler à la stabilisation de l’Afghanistan a amené à la collaboration avec des chefs de guerre n’ayant que faire des droits de l’Homme, de leurs ennemis mais aussi des populations civiles. Par la suite, <a href="https://www.alaraby.co.uk/english/comment/2017/8/30/america-not-pakistan-is-responsible-for-failings-in-afghanistan">selon Human Rights Watch</a>, les États-Unis ont toujours préféré les gains politiques et sécuritaires sur le court terme, plutôt que de prendre au sérieux la défense des droits des Afghans.</p>
<p>Selon l’ONU, sur les neuf premiers mois de 2017, 38 % des morts civiles au moins sont à attribuer aux bombardements des forces internationales. Ces morts aident, incontestablement, à <a href="https://theintercept.com/2017/08/15/fearful-villagers-see-the-u-s-using-afghanistan-as-a-playground-for-their-weapons/">nourrir la rébellion des Taliban</a> jusqu’à aujourd’hui. Par contre, l’efficacité de ces bombardements est parfois <a href="http://www.huffingtonpost.fr/didier-chaudet/le-dernier-bombardement-americain-en-afghanistan-est-il-la-solut_a_22039917/">très discutable</a>.</p>
<h2>Retour sur le champ de bataille afghan</h2>
<p>Mais se limiter à la critique de la politique afghane de Washington n’est pas suffisant. Il faut prendre en compte, d’une part, les problèmes associés au gouvernement légal afghan et, d’autre part, la capacité de résilience des talibans sur le terrain.</p>
<p>Il y a, bien entendu, la corruption, qui explique bien des limitations dans la lutte contre les rebelles. On peut prendre l’<a href="http://www.huffingtonpost.fr/didier-chaudet/apres-le-dernier-attentat-de-kaboul-comment-la-france-peut-aide_a_22121437/">exemple des « soldats fantômes »</a>, n’existant que théoriquement, mais dont les salaires bien réels sont détournés. Ce scandale a affaibli des forces de sécurité dont les pertes, sur le champ de bataille, sont, par ailleurs, <a href="https://www.washingtonpost.com/world/asia_pacific/us-watchdog-finds-major-internal-flaws-hampering-afghanistan-war-effort/2017/04/30/30643c22-2c25-11e7-9081-f5405f56d3e4_story.html">« incroyablement élevées »</a>.</p>
<p>La situation militaire est <a href="https://www.nytimes.com/2017/08/21/world/asia/trump-afghanistan-war-taliban.html?mcubz=3&_r=0">désastreuse pour Kaboul</a> : les désertions ne sont pas rares, dans l’armée et dans la police. Et ce, pour plusieurs raisons : l’importance du nombre de morts dans les forces de sécurité justement, le refus de donner sa vie pour un régime qui ressemble à une <a href="https://www.nytimes.com/2017/08/18/world/asia/in-afghanistan-a-destructive-game-of-thrones.html">coalition d’intérêts contraires</a> plutôt qu’à une démocratie, les menaces des talibans <a href="http://foreignpolicy.com/2017/10/20/ghost-soldiers-too-many-u-s-trained-afghans-are-going-awol/">contre les membres des services de sécurité et leurs familles</a>…</p>
<h2>Le pouvoir d’attraction des Taliban</h2>
<p>Face à un pouvoir faible, les talibans ont de bonnes raisons de se sentir forts. Financièrement, ils ont les moyens de mener leur guérilla contre Kaboul. Grâce à l’argent du trafic de drogues, ils seraient capables d’avoir <a href="https://www.thenation.com/article/america-is-losing-yet-another-drug-war-in-afghanistan/">25 000 combattants (rémunérés 300 dollars par mois) à leur disposition</a>. Ils sont passés de la taxation de l’opium à la production en masse d’héroïne, et auraient 500 laboratoires dédiés à cela en Afghanistan même – preuve supplémentaire qu’ils contrôlent suffisamment une partie du territoire afghan pour y agir à leur guise.</p>
<p>La corruption du gouvernement leur permet, par ailleurs, de se faire bien voir d’une partie des Afghans. En effet, la justice des talibans est plus attractive que celle du pouvoir : elle ne demande pas à être soudoyée et est expéditive, mais efficace. Ainsi dans le cadre de l’administration parallèle des Taliban, si les habitants d’une zone se plaignent d’un de leurs représentants, <a href="http://www.bbc.com/news/world-asia-16851949">ce dernier peut être renvoyé</a>… Ce n’est pas toujours aussi simple quand il s’agit d’un leader local appuyé par Kaboul.</p>
<p>Par ailleurs, <a href="http://www.huffingtonpost.fr/didier-chaudet/comprendre-le-mollah-omar_b_5676623.html">du mollah Omar</a> au leader actuel, mollah Haibatullah Akhundzada, le positionnement idéologique est clair, et peut être attractif pour une partie des Afghans : un nationalisme rejetant la présence militaire étrangère, et le refus de voir l’Afghanistan utiliser contre un autre État… Ce qui revient à <a href="http://www.dw.com/en/afghanistan-taliban-leader-wants-us-and-nato-troops-out/a-39387625">rejeter autant les Américains que les djihadistes transnationaux</a>.</p>
<p>S’ils ont su mener leur propre <a href="https://thediplomat.com/2017/01/the-rise-of-taliban-diplomacy/">diplomatie régionale</a>, les talibans ne sont pas pour autant soumis aux intérêts de puissances étrangères, gardant bien leur caractère nationaliste. C’est une caractéristique historique des Taliban : comme rappelé plus haut, ils sont connus pour avoir refusé toute reconnaissance de la ligne Durand dans les années 1990, malgré l’important soutien pakistanais à l’époque. Loin de s’opposer au nationalisme pachtoune (ce que voulaient les services pakistanais), <a href="http://www.mei.edu/content/article/durand-line-british-legacy-plaguing-afghan-pakistani-relations">ils l’ont nourri et radicalisé</a> en l’associant au fondamentalisme islamiste.</p>
<p>Et aujourd’hui, tout en recrutant toujours principalement en milieu pachtoune, ils sont même capables de trouver des soutiens dans d’autres groupes ethniques afghans, en s’appuyant sur la <a href="http://foreignpolicy.com/2016/06/15/ethnic-minorities-are-fueling-the-talibans-expansion-in-afghanistan/">désaffection de certains Ouzbeks, Tadjiks et Turkmènes</a> face au gouvernement de Kaboul.</p>
<p>De ce fait, en plus d’être un danger militaire et terroriste, les talibans apparaissent de plus en plus comme une sérieuse alternative politique au pouvoir légal.</p>
<h2>Une « entente cordiale » contre la fatalité</h2>
<p>Pourtant, la rébellion n’est pas aussi forte et unie qu’on pourrait le penser : des divisions sont clairement apparues une fois que la mort du mollah Omar, en fait dès le 23 avril 2013, a été confirmée (été 2015), voire même plus tôt. Les talibans doivent également tenir compte de la <a href="https://gandhara.rferl.org/a/afghanistan-is-taliban-face-off/28824567.html">compétition de Daech</a>. D’ailleurs, certains rebelles, idéologiquement plus durs, ne veulent pas forcément combattre l’État islamique.</p>
<p>Plus largement, ce qu’on appelle « Taliban » est souvent moins une rébellion monolithique qu’une multitude de rébellions locales en réaction à la mauvaise gouvernance de Kaboul, ou aux choix militaires américains. Les talibans ne sont forts qu’à cause des faiblesses et des erreurs de Kaboul et de Washington.</p>
<p>L’incapacité de ces capitales à trouver le moyen de forger une « entente cordiale » régionale prenant en compte les intérêts des principaux acteurs de la zone est une difficulté supplémentaire pour stabiliser l’Afghanistan.</p>
<p>La victoire de la rébellion contre le pouvoir légal afghan n’est donc pas une fatalité. Et l’Histoire longue de l’Afghanistan nous rappelle que l’idée du pays comme étant forcément le « cimetière des Empires » est une approche simpliste du passé plus qu’une réalité.</p>
<p>La paix dans ce pays martyr demande une logique non seulement militaire, mais, plus que jamais, diplomatique, prenant en compte les réalités humaines et géopolitiques de la région.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91462/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Didier Chaudet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le gouvernement légal afghan ne tient véritablement que 30 % du pays face à des talibans qui profitent surtout des faiblesses et des erreurs de Kaboul, mais aussi de Washington.Didier Chaudet, Attaché scientifique, Institut français d'études sur l'Asie centraleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/850072017-11-06T22:40:38Z2017-11-06T22:40:38ZPourquoi le bois d’agar est-il si précieux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/192279/original/file-20171027-13340-1oc80y9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C32%2C870%2C557&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le bois d’agar, plus cher que l’or.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/60/Agarwood.JPG">Hafizmuar/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Se promener en forêt tropicale humide, que ce soit Amazonie ou en Asie du Sud-Est, c’est aller à la rencontre d’une multitude d’espèces, animales, végétales et fongiques.</p>
<p>Pour le microbiologiste, ces forêts sont d’un intérêt tout particulier : dans ces espaces très denses en végétation, les espèces interagissent entre elles. C’est notamment le cas de l’<em>Aquilaria</em>, un arbre qui révèle des qualités particulières lorsqu’il se trouve en interaction avec certains micro-organismes.</p>
<p>Cet arbre tropical appartient à la famille des Thymelaeceae, qui comprend une quarantaine d’espèces réparties principalement dans le Sud-Est asiatique. Il possède une allure élancée, une écorce claire et des feuilles d’un vert brillant intense ; il peut facilement dépasser les cinq mètres de hauteur.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/192274/original/file-20171027-13367-rvr1gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/192274/original/file-20171027-13367-rvr1gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/192274/original/file-20171027-13367-rvr1gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/192274/original/file-20171027-13367-rvr1gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/192274/original/file-20171027-13367-rvr1gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/192274/original/file-20171027-13367-rvr1gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/192274/original/file-20171027-13367-rvr1gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Copeaux de bois noircis d’<em>Aquilaria</em> sp. récoltés au Laos.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cirad</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’<em>Aquilaria</em> est à l’origine du bois d’agar, ainsi que d’essences recherchées et d’autres produits rares et précieux. Une caractéristique qu’il partage avec un genre proche, le <em>Gyrinops</em>, doté de neuf espèces réparties également dans le Sud-Est asiatique.</p>
<p>Ces arbres sont connus <a href="https://books.google.fr/books?id=CqlPDAAAQBAJ&pg=PR5&lpg=PR5&dq=agarwood+century+old&source=bl&ots=lfnSPUiUU7&sig=EEc2SEpT-2-eQaQ_A5jn3Pwgci4&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwjopf6f29vWAhUFK8AKHVtPAlYQ6AEIXDAN#v=onepage&q&f=false">depuis des millénaires</a> pour les vertus de leur bois noir, résineux et odorant. Il s’agit de l’un des bois les plus précieux au monde ; son coût, <a href="http://www.bbc.com/travel/story/20170306-the-scent-thats-pricier-than-gold">plus élévé que celui de l’or</a>, peut atteindre <a href="https://www.tdg.ch/economie/entreprises/Un-eldorado-nomme-agar-oud-gaharu-ou-jinkoh/story/26516176">30 000 dollars le kilo</a>.</p>
<p>Plusieurs espèces du genre <em>Aquilaria</em> sont ainsi recherchées pour leur bois d’agar, et ce particulièrement depuis les années 1970 en Asie du Sud-Est. L’espèce la plus exploitée, largement répandue en Malaisie, est <em>A. malaccensis</em> ; citons également <em>A. crassna</em> au Laos et <em>A. sinensis</em> en Chine.</p>
<p>Des différences de qualité entre les bois d’agar issus de ces différentes espèces, de même qu’au sein même d’une même espèce, ont été mises en évidence.</p>
<h2>Un arbre aux vertus multiples</h2>
<p>Le bois d’agar est aussi connu sous le nom d’<em>Eaglewood</em>, oud, <em>Aloeswood</em>, <em>Gaharu</em> en Indonésie, <em>Jinkoh</em> ou <em>Kanankoh</em> au Japon. Il est utilisé par les peuples d’Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient pour ses propriétés odorantes – son parfum est boisé, puissant, musqué – et médicinales.</p>
<p>On l’utilise comme encens dans certains rituels religieux, <a href="https://iias.asia/sites/default/files/IIAS_NL45_2425.pdf">notamment en Corée</a> ou dans l’<a href="http://www.thehindu.com/society/history-and-culture/spreading-the-fragrance/article19801635.ece">hindouisme</a>. Il a aussi servi de support pour conserver certains textes : c’est le cas du Pormuniyan, un recueil médico-magique javanais, conservé à la <a href="http://classes.bnf.fr/ecritures/grand/s082.htm">Bibliothèque nationale de France</a>. On l’utilise également sous forme d’huile essentielle, extraite du bois après un processus de macération et de distillation complexe.</p>
<p>Mais cet intérêt pour les arbres du genre <em>Aquilaria</em> ne se limite pas à la production de bois d’agar ; elle concerne aussi les feuilles dont les infusions ont des vertus sédatives ou digestives reconnues par les médecines ayurvédique et chinoise.</p>
<p>Or moins de 10 % des arbres produisent le bois d’agar.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/192276/original/file-20171027-13327-nd7jbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/192276/original/file-20171027-13327-nd7jbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=621&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/192276/original/file-20171027-13327-nd7jbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=621&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/192276/original/file-20171027-13327-nd7jbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=621&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/192276/original/file-20171027-13327-nd7jbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=780&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/192276/original/file-20171027-13327-nd7jbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=780&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/192276/original/file-20171027-13327-nd7jbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=780&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bois d’agar utilisé ici dans un rosaire incrusté d’or, dynastie Qing XIXᵉ siècle, Chine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Qing-Agarwood-Rosary.jpg">Adilnor Collection, Suède/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La genèse du bois d’agar</h2>
<p>Dans la nature, les arbres subissent des chocs. Dans les sous-bois, des branches d’autres arbres peuvent leur tomber dessus, des animaux peuvent blesser leurs troncs… En réaction à ces stress physiques ou biologiques, l’arbre se défend ; nous étudions ce phénomène dans <a href="https://www.researchgate.net/publication/319276100_NGS_analysis_of_fungal_OTUs_in_Aquilaria_sp_from_French_Guyana_Cambodia_Laos_and_Thailand_NGS_analysis_of_fungal_OTUs_in_Aquilaria_sp_from_French_Guyana_Cambodia_Laos_and_Thailand?ev=prf_high">des plantations expérimentales</a> et avons <a href="http://www.irg-wp.com/index.html">présenté</a> différents <a href="http://agritrop.cirad.fr/585227/">travaux</a> à ce sujet.</p>
<p>Ces blessures physiques constituent des portes d’entrée pour toutes sortes de micro-organismes qui vont profiter de cet accès pour se développer grâce à une ressource normalement inaccessible sur un arbre vivant : le bois. Par un mécanisme d’autodéfense encore mal connu, l’<em>Aquilaria</em> produit alors le bois d’agar.</p>
<p>Des cas semblables sont connus pour d’autres espèces : un écorçage maîtrisé des branches permettra, par exemple, la production de gomme arabique chez <em>Acacia senegal</em> (ou gommier blanc) que l’on trouve notamment dans les <a href="http://uses.plantnet-project.org/fr/Acacia_senegal_(PROTA)">régions sèches d’Afrique tropicale, du Sénégal à la mer Rouge</a>.</p>
<h2>Victime de son succès</h2>
<p>Bien qu’une filière ait été organisée autour de la production du bois d’agar, la pression trop forte sur cette ressource a immanquablement abouti à sa dégradation et celle des produits qui en sont issus.</p>
<p>Les espèces du genre <em>Aquilaria</em> sont désormais inscrites à l’<a href="https://cites.org/fra/app/index.php">Annexe II</a> de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) pour cause de surexploitation dans leur milieu naturel. Cela est dû, entre autres, à la coupe quasi systématique des arbres dans l’espoir d’y trouver du bois d’agar, nombre d’arbres étant ainsi coupés en vain.</p>
<p>Pour accélérer l’infestation, de nombreux exploitants en viennent à blesser artificiellement les arbres ; mais cette blessure induit le plus souvent une huile essentielle jugée de moindre qualité.</p>
<p>Pour pallier cette surexploitation, des plantations ont été réalisées dans l’aire d’origine et aussi dans <a href="https://www.ctguyane.fr/lancement-programme-aquilguyane/">des aires d’introduction sélectionnées</a> avec le soutien des pouvoirs publics. C’est notamment le cas en Guyane où la communauté Hmong a initié le développement de cette culture à haute valeur ajoutée avec des aides européennes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/193457/original/file-20171106-1046-ugldts.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/193457/original/file-20171106-1046-ugldts.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/193457/original/file-20171106-1046-ugldts.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/193457/original/file-20171106-1046-ugldts.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/193457/original/file-20171106-1046-ugldts.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/193457/original/file-20171106-1046-ugldts.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/193457/original/file-20171106-1046-ugldts.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À gauche : développement de plantations d’Aquilaria pour la production de bois d’agar à Cacao, en Guyane. À droite : pépinière de production de plants d’<em>A. crasna</em> ; arbres âgés d’un an environ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cirad</span></span>
</figcaption>
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<h2>Un arbre méconnu</h2>
<p>Nos connaissances quant à la gestion de telles plantations et la production de bois d’agar de qualité sont aujourd’hui encore très insuffisantes. Or la compréhension de la formation de ce bois est à la base de l’amélioration de la qualité de cette production et de sa durabilité.</p>
<p>Nous savons que les différences de qualité sont essentiellement dues à des variations en composés phénoliques – ces molécules à la base des parfums – de l’huile essentielle. L’origine de ces variations est potentiellement imputable aux techniques utilisées pour accélérer la production du bois d’agar.</p>
<p>Les exploitants ont en effet expérimenté diverses techniques de blessures des arbres. Ils peuvent, par exemple, perforer les troncs avec ou sans pulvérisation de solutions chimiques qui contiennent ou non un cortège de micro-organismes. Ces bactéries et champignons issus de l’environnement pénètrent dans les tissus du bois des arbres et induisent une réaction de défense de l’arbre.</p>
<p>D’autres utilisent une technique plus spectaculaire, consistant à implanter des <a href="https://ethnoecologie.revues.org/704">centaines de clous</a> le long du tronc pour provoquer une réaction de l’arbre entraînant le noircissement du bois et donc la formation de bois d’agar.</p>
<p>Si ces méthodes ont pu faire leurs preuves, l’huile essentielle ainsi obtenue est en général considérée d’une qualité insuffisante (en raison de son parfum insatisfaisant) par les industriels de la parfumerie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/192277/original/file-20171027-13309-18e6cd1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/192277/original/file-20171027-13309-18e6cd1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/192277/original/file-20171027-13309-18e6cd1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/192277/original/file-20171027-13309-18e6cd1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/192277/original/file-20171027-13309-18e6cd1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/192277/original/file-20171027-13309-18e6cd1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/192277/original/file-20171027-13309-18e6cd1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Hong Kong, écorce d’<em>Aquilaria sinensis</em> où l’on aperçoit le bois noirci suite à une incision artificielle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:HK_Aquilaria_sinensis_Bark.JPG">Chong Fat/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Vers une production équitable et durable</h2>
<p>L’enjeu pour les années à venir consiste donc à obtenir, en Guyane notamment, l’implantation durable d’une filière de production de bois d’agar de qualité.</p>
<p>Si du point de vue de la sylviculture, la gestion des arbres (qu’on appelle <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00882190/document">« conduite des peuplements »</a>) reste à perfectionner, il est impératif de mieux comprendre comment s’opère la formation du bois d’agar.</p>
<p>À cette fin, nos équipes <a href="https://www.researchgate.net/profile/Clara_Zaremski">focalisent leurs recherches</a> sur cet aspect en partenariat avec l’<a href="https://www.univ-guyane.fr/">Université de Guyane</a>.</p>
<p><a href="http://agris.fao.org/agris-search/search.do?recordID=FR2017104524">Des travaux antérieurs</a> ont déjà permis de caractériser quelques communautés microbiennes de certaines espèces du genre <em>Aquilaria</em> ; les méthodes et les résultats différents cependant d’une équipe à l’autre. Ces résultats ne permettent donc pas pour le moment de comprendre le rôle de ces micro-organismes dans la formation du bois d’agar.</p>
<p>Pour améliorer nos connaissances, nous développons l’échange de connaissances avec les producteurs, détenteurs d’un savoir traditionnel sur plusieurs générations ; cette collaboration a lieu dans le cadre de plantations conduites en Guyane française, où un dispositif permettant de caractériser le microbiote associé à la production d’un bois d’agar de qualité a été mis en place.</p>
<p>Ce travail s’appuiera également sur des analyses conduites en laboratoire grâce aux outils modernes de séquençage (Illumina MiSeq et Sanger). Ces techniques de biologie moléculaire permettent, en effet, à partir d’un prélèvement de bois, d’extraire l’ADN de tous les organismes présents afin d’identifier les micro-organismes potentiellement impliqués dans la réaction de l’arbre conduisant à la production du bois d’agar.</p>
<p>Ces micro-organismes feront alors l’objet d’études plus poussées afin de comprendre par quels mécanismes physiologiques ils interagissent avec <em>Aquilaria</em>.</p>
<p>Mieux connaître ces micro-organismes permettra de mieux comprendre ces arbres extraordinaires, et, espérons-le, de développer une filière à la fois durable, rentable pour les populations et respectueuse de leurs traditions millénaires.</p>
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<p><em>Les auteurs ont récemment <a href="https://fetedelascience.fr/pid35201/fiche-evenement.html?identifiant=33533880">présenté leurs recherches</a> à Cayenne (Guyane) dans le cadre de la Fête de la Science 2017.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85007/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clara Zaremski a reçu des financements dans le cadre d’un projet financé par le Fond européen de développement régional (<a href="http://www.ctguyane.fr/les-fonds-europeens">www.ctguyane.fr/les-fonds-europeens</a>).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marc Ducousso a reçu des financements dans le cadre d’un projet financé par le Fond européen de développement régional (<a href="http://www.ctguyane.fr/les-fonds-europeens">www.ctguyane.fr/les-fonds-europeens</a>).</span></em></p>Le bois d’agar est si précieux qu’il met en danger l’espèce d’arbre dont il est issu. En Guyane, des chercheurs observent comment se forme ce bois pour tenter de mieux le protéger.Clara Zaremski, Doctorante en écologie microbienne, CiradMarc Ducousso, Chercheur en écologie microbienne, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.