tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/violence-27124/articlesviolence – The Conversation2024-03-21T15:42:38Ztag:theconversation.com,2011:article/2260942024-03-21T15:42:38Z2024-03-21T15:42:38Z#MeTooGarçons : « 80% des violences ont lieu ou commencent avant l’âge de 18 ans »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583163/original/file-20240320-30-k0hlnv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C28%2C4790%2C3491&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon les chiffres de l'enquête Virage (2015) au cours de leur vie, 3,9 % des hommes interrogés ont subi des violences sexuelles, contre 14,5 % des femmes</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/silhouette-de-l-homme-448834/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Les comédiens <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240227-metoogar%C3%A7ons-les-hommes-victimes-minoritaires-en-chiffres-et-minor%C3%A9s-dans-leurs-traumatismes-violences-agressions-sexuelles-tabou">Aurélien Wiick</a> puis Francis Renaud ont récemment révélé les abus à caractère sexuel dont ils auraient victimes plus jeunes de la part de réalisateurs ou producteurs de <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">cinéma</a>, donnant lieu à la première vague <a href="https://www.lefigaro.fr/cinema/metoogarcons-accuse-d-agressions-sexuelles-par-deux-hommes-dominique-besnehard-se-defend-20240302">#MeTooGarçons en France</a>.
Cette récente prise de parole s’inscrit dans un <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-familiales-la-triste-realite-des-donnees-154492">phénomène de plus grande ampleur</a> dénonçant les <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-sur-mineurs-pourquoi-la-question-dun-age-legal-de-consentement-fait-debat-153987">violences et agressions sexuelles commises sur mineurs</a>. La sociologue Lucie Wicky, doctorante à l’EHESS et l’Ined, interroge la spécificité des violences sexuelles subies par les hommes. Ses premiers résultats de recherche questionnent la conception même de l’enfance et de son statut dans la société.</em></p>
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<h2>Vous êtes la première chercheuse en France à vous intéresser en détail aux violences sexuelles commises sur des hommes. Comment avez-vous travaillé ?</h2>
<p>J’ai mobilisé <a href="https://virage.site.ined.fr/">l’enquête Virage, conduite en 2015 par l’Ined</a>, qui est la dernière grande enquête probabiliste de ce type en France, portant sur plus de 27,000 répondants (questionnaire téléphonique) de 20 à 69 ans vivant en France métropolitaine. On estime que l’échantillon est représentatif et la méthodologie – proche de la première enquête sur les violences envers les femmes qui date d’il y a 25 ans <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/docs/violences-envers-les-femmes-et-etat-de-sante-mentale-resultats-de-l-enquete-enveff-2000">(Enveff, 2000)</a> – intègre la question des violences subies sur les douze derniers mois ainsi que tout au long de la vie.</p>
<p>L’enquête interroge des éléments biographiques, traite les violences des plus énonciables aux plus intimes (psychologique, physique puis sexuelle) en investissant aussi bien les espaces de vie considérés comme publics (milieu scolaire, professionnel, espaces publics) que privés (couple, ancienne relation, famille et entourage). La méthodologie est très spécifique dans ce type d’enquêtes : les questionnaires ne mobilisent pas les termes de « violences » ou « viols », empreints de lourdes représentations, mais listent plutôt des faits et laissent à chaque répondant la possibilité de répondre par oui ou non, car beaucoup d’enquêtés n’ont pas identifié les violences comme telles.</p>
<p>Je me suis aussi appuyée sur l’enquête « Contexte de la sexualité en France » qui <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/2/Publications/Autres/CSF-dossierdepresse0307.pdf">date de 2006</a> pour explorer le rapport aux normes de genre et de sexualité des hommes qui ont déclaré des violences. Enfin, j’ai réalisé 50 entretiens biographiques avec des hommes qui avaient déclaré des violences sexuelles dans le cadre de l’enquête Virage et accepté un entretien complémentaire. J’ai aussi interrogé 10 femmes pour avoir un point de comparaison.</p>
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<figcaption><span class="caption">#MeTooGarçons, témoignage de l’acteur Aurélien Wiick (<em>C hebdo</em>, février 2024).</span></figcaption>
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<p>Il existe assez peu de données plus récentes du fait de l’investissement que ce type d’enquêtes nécessite, ce qui en dit aussi long sur la prise en compte de ces violences et de leurs poids par les pouvoirs publics. Les enquêtes de <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Sources-et-methodes-statistiques/Glossaire/Victimation">victimation du ministère</a> ou les sources judiciaires ne sont pas toujours fiables car les dépôts de plaintes et leur suivi ne sont pas représentatifs : peu de victimes déposent plainte et ces dernières ne donnent pas toujours lieu à des poursuites.</p>
<p>J’émets d’ailleurs l’hypothèse qu’avec l’émergence des mouvements #MeToo et une <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-contre-les-hommes-une-prise-de-conscience-progressive-57325">certaine prise de conscience sociétale</a> vis-à-vis de ces violences, les chiffres seraient plus importants si l’enquête était reproduite aujourd’hui. Les différentes vagues du mouvement ont certainement participé à la prise de conscience des violences subies par les victimes elles-mêmes. Une partie de mes recherches se concentre justement sur cette question de la qualification des violences comme telles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lopera-un-univers-propice-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-222421">L’opéra, un univers propice aux violences sexistes et sexuelles ?</a>
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<h2>Dans quel sens ?</h2>
<p><a href="https://www.ined.fr/fr/recherche/chercheurs/Wicky+Lucie">Ma thèse</a> porte sur les violences subies par les hommes à différents moments de leur vie, enfants, adolescents ou adultes, et la façon dont ils les qualifient et les énoncent. En réalisant les entretiens, je me suis rendue compte que certains enquêtés ont du mal à qualifier de « violence sexuelle » les faits subis, et plus spécifiquement lorsque ces derniers ont été commis à l’adolescence ou à l’âge adulte.</p>
<p>En revanche, lorsque les faits sont survenus à l’enfance (principalement avant 11 ans), ils expriment plus « facilement » les choses une fois les faits qualifiés. Beaucoup parlent d’ailleurs des faits à la troisième personne pour les mettre à distance. La majorité décrit des violences sexuelles commises par d’autres hommes, généralement des adultes, toujours en situation de domination.</p>
<p>Cela m’a amené à retravailler la définition même de violence de genre et j’assume de requalifier certains faits décrits par les enquêtés comme étant des agressions sexuelles même lorsque ces derniers ne l’énoncent pas de cette façon. Leurs récits décrivent des pratiques sexuelles contraintes par des rapports de domination interactionnels et structurels, autrement dit, des dominations liées aux rapports de pouvoir : genre, statut social, âge, etc.</p>
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<p>Ce qui m’a aussi frappé, c’est l’intérêt public centré sur les faits en termes de gradation allant des attouchements aux viols, <a href="https://theses.fr/2011IEPP007">dans un carcan juridique plutôt hétéronormé</a> – c’est-à-dire où l’hétérosexualité est la norme – mais qui ne reflète pas forcément le ressenti et la gravité perçue. Ainsi, pour beaucoup d’enquêtés, c’est bien l’exposition aux violences par la répétition, la durée, leur fréquence, l’environnement, la proximité avec l’auteur – sans forcément qu’il y ait systématiquement violences avec pénétration – qui influence le sentiment de gravité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/culture-pornographique-et-tele-realite-quand-linceste-envahit-nos-ecrans-220437">Culture pornographique et télé-réalité : quand l’inceste envahit nos écrans</a>
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<h2>Comment expliquez-vous ce phénomène de « silenciation » et non de tabou que vous décrivez dans vos travaux ?</h2>
<p>Il faut distinguer « silenciation » et tabou. D’une part, les hommes ayant subi des violences sexuelles évoquent surtout des faits commis durant l’enfance et l’adolescence (80 % des violences sexuelles déclarées ont lieu ou ont commencé avant l’âge de 18 ans), moins une fois adultes. Pour les femmes, ce sont des violences qui existent et perdurent tout au long de la vie. Et quand elles déposent plainte, comme le montrait récemment une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1748895819863095">enquête parue au Royaume-Uni en 2019</a>, leurs paroles sont moins prises en compte que les hommes, pour qui la plainte mène plus souvent au procès.</p>
<p>Comme les femmes, les hommes parlent rarement de ces violences subies enfants, mais plutôt adultes. Toutefois, contrairement aux femmes, leur parole est plus facilement prise au sérieux lorsqu’ils énoncent les violences, ils sont plus soutenus par leurs proches, sauf lorsqu’ils sont homosexuels. Dans ces cas-là, comme pour les femmes, on leur incombe la responsabilité de leur agression, comme si leurs corps étaient, de fait, sexualisés, et on les rappelle à l’ordre hétérosexuel en les responsabilisant des violences sexuelles qu’ils ont subies. Autrement dit, la société considère que les « hommes sont des enfants avant 11 ans, alors que les femmes sont des “filles” quel que soit leur âge aux violences », sauf s’ils s’identifient comme gays.</p>
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<figcaption><span class="caption">Anne-Claude Ambroise-Rendu, « L’histoire de la reconnaissance de l’inceste subi par les garçons », 2022.</span></figcaption>
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<p>Mais le dénominateur commun est bien que tous et toutes ont été agressés principalement par des hommes (adultes, parfois mineurs eux aussi, d’après les entretiens ils sont toujours plus âgés que les victimes mais les données ne permettent pas d’être aussi précis). À partir de là, je ne pense pas qu’on puisse parler de tabou mais en revanche on peut parler de silenciation.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/popvuln/4281">D’après mes résultats</a>, ces pratiques opèrent à différents niveaux. Structurellement tout d’abord, avec par exemple la création tardive d’un numéro, le <a href="https://www.allo119.gouv.fr/presentation">119</a>, gratuit depuis 2003, <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2013-1-page-16.htm">mais aussi des signalements</a> qui n’aboutissent pas et des <a href="https://www.cairn.info/viol--9782724624007.htm">plaintes qui ne donnent rien</a>.</p>
<p>Tout concourt à rappeler aux victimes que leurs récits n’aboutiront pas à des actes ou une répression des violences. Ces pratiques structurelles imprègnent l’institution familiale : lorsqu’il y a violence, on n’en parle pas, on ne réagit pas. Et bien sûr il y a le niveau de silenciation imposé par le ou les auteurs des faits. Très souvent ces derniers sont minorés ou intériorisés comme étant « normaux », y compris par les auteurs qui vont parler d’« initiation » à la sexualité ou de « jeux » par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inceste-la-fin-dun-tabou-politique-153666">Inceste : la fin d’un tabou politique ?</a>
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<h2>Comment expliquer qu’aujourd’hui il existe une prise de parole aussi importante ?</h2>
<p>Je montre que ces violences sont tributaires d’un rapport de domination lié à l’âge, social ou biologique, mais aussi générationnel. Il y a eu plusieurs événements qui ont aidé à prendre la parole publiquement ; les premiers témoignages d’inceste de femmes dans les années 1980, avec le témoignage marquant d’<a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/l-incroyable-temoignage-d-eva-thomas-victime-d-inceste-vous-avez-eu-une-belle-histoire-d-amour-avec-votre-pere-vous-pourriez-etre-contente-2515632.html">Eva Thomas en 1986</a>, premier témoignage à visage découvert, puis les <a href="https://www.fayard.fr/livre/histoire-de-la-pedophilie-9782213672328/ie-9782213672328/">affaires de pédocriminalité</a> dans les années 1990 où l’on voit émerger une certaine parole des hommes. <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2010-3-page-12.htm">L’affaire Outreau</a> en revanche a eu des conséquences lourdes quant à la prise en compte de la parole des enfants, <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-59.htm">dans les années 2000</a>.</p>
<p>Je fais l’hypothèse que les années 2010/2015 marquent un tournant, avec la constitution d’associations comme <a href="https://colosse.fr/">Colosse pied d’argile</a> dans le rugby ou <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/a-lyon-la-parole-liberee-tourne-la-page-et-publie-un-livre-blanc-2010217.html">La Parole Libérée</a> dénonçant le silence dans l’Église et à l’origine de l’affaire Philippe Barbarin par exemple. Les violences sont dénoncées par « secteurs » où elles s’exercent : le sport, l’Église, la famille (avec <a href="https://www.liberation.fr/societe/familles/metooinceste-depuis-deux-ans-des-temoignages-par-milliers-et-des-enseignements-tires-20230921_UKJHZLZFWNDDRPS4PM3BHNX3Q4/">#MeTooInceste</a> par exemple), etc.</p>
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<figcaption><span class="caption">Association Colosse Pied d’Argile, présentation, YouTube.</span></figcaption>
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<p>L’émergence des réseaux sociaux constitue de nouveaux espaces de prise de parole pour les hommes comme pour les femmes. Ces effets sociohistoriques et ceux de la légitimation de la parole impulsée plutôt par des personnalités, produit aujourd’hui une prise de parole plus importante que dans le passé, qui amène à une certaine visibilité, associée à une partielle prise de conscience sociale de la réalité des violences sexuelles, pourtant observée et décrite de longue date.</p>
<p>C’est là où l’effet générationnel joue aussi un rôle : les hommes ayant grandi dans les années 1950, jusqu’aux années 1980 environ, ont vécu dans l’idée qu’un enfant se tait et que sa parole n’a pas d’importance. À table, en public, avec les adultes… Un enfant ne parle pas, dans sa famille comme dans l’espace public.</p>
<p>La domination masculine et adulte s’illustre ici à travers la figure de l’homme tout puissant, le « chef de famille » au rôle hégémonique au sein du foyer. Ce dernier ne laisse alors pas d’espaces de parole possibles. C’était aussi constitutif de la façon dont on envisageait les masculinités, valorisée à travers une certaine forme de violence dans le passé, moins aujourd’hui. C’est d’ailleurs aussi pour cela que des hommes ayant subi des violences après le début de leur construction de genre – à l’adolescence ou jeune adulte – ont du mal à s’envisager comme victimes.</p>
<h2>Comment analysez-vous ces changements d’époque ?</h2>
<p>Mon travail de recherche questionne en filigrane le concept de l’enfance qui a été longtemps dominant : celui où la hiérarchie sociale et les besoins des adultes passent avant ceux des enfants.</p>
<p>La parole de ces derniers est déconsidérée, silenciée et leur corps n’est pas respecté. Quand on force un enfant à faire un bisou à un adulte, quand on le contraint physiquement, on lui rappelle que l’adulte a le contrôle de son corps, et que son corps ne lui appartient pas.</p>
<p>Or, ne pas parler aux enfants, ne pas leur apprendre que leur corps est à eux, ne pas prendre en compte leur parole, leur mobilisation (pensons aux <a href="https://basta.media/Mobilisation-reprimee-dans-les-lycees-et-facs-Une-volonte-de-museler-la-jeunesse-par-la-violence">grèves lycéennes</a> par exemple et la forte répression en réponse) entrave leur compréhension de la violence mais aussi leur autonomie et façonne ainsi leur mise en vulnérabilité.</p>
<p>Peut-être doit-on aujourd’hui repenser le <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2023-3-page-14.htm">statut de mineur</a> et ce qu’il recouvre pour mieux protéger les enfants – et peut-être aussi envisager de les <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2020-1-page-106.htm">laisser se protéger eux-mêmes</a>.</p>
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<p><em>Propos recueillis par Clea Chakraverty.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucie Wicky a reçu des financements de l'Ined et l'Université de Strasbourg. </span></em></p>Les violences sexuelles à l’encontre des garçons relèvent de rapports de domination liés au genre, à l’âge mais aussi un effet générationnel, englobant une vision spécifique des enfants.Lucie Wicky, Doctorante, EHESS, Ined, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211392024-03-13T15:56:04Z2024-03-13T15:56:04ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (3/4) - Des murs devant les yeux<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. L’une de ses caractéristiques : un parc urbain défaillant et dangereux.</em></p>
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<p>La violence du trafic de la drogue est souvent perçue comme faisant partie intégrante de la vie dans les cités de Marseille. Nous l’avons constaté un après-midi d’avril 2022, lorsque nous avons parcouru la cité avec Nadia, une femme d’une trentaine d’années qui est née et a grandi dans le quartier.</p>
<p>Pendant notre marche, elle nous a parlé de la transformation du quartier au fil des ans, et notamment <a href="https://www.calameo.com/books/007482417572bb6428aec">d’un plan de rénovation urbaine qui eut lieu entre 2001 et 2005</a>. Celui-ci avait impliqué la démolition de plusieurs bâtiments afin « d’aérer » la cité, c’est-à-dire créer des espaces ouverts entre les bâtiments construits à l’origine de manière très rapprochée, et rendre la cité architecturalement moins opprimante. Même s’il y avait eu des oppositions à cette initiative à l’époque, Nadia pensait qu’en fin de compte cela avait bien amélioré la vie quotidienne dans la cité.</p>
<p>Ceci étant dit, plusieurs endroits de la cité mettaient néanmoins Nadia mal à l’aise. Parmi ces derniers, la piste de pétanque qui, selon elle, était « un espace très masculin », mais aussi et surtout, les lieux proches des points de vente de drogue connus. Plus particulièrement, la place centrale à l’entrée du quartier qu’elle nous disait avoir peur de traverser.</p>
<p>Elle nous a notamment expliqué qu’elle l’évitait régulièrement en raison des « petits » qui y traînaient souvent. « Je préférerais qu’ils ne soient pas là », nous dit-elle, malgré le fait qu’elle les connaissait presque tous, car eux aussi étaient originaires de la cité.</p>
<h2>« les petits » et « les grands »</h2>
<p><a href="https://www.theses.fr/2022PA100107">Comme c’est le cas dans de nombreuses autres cités à Marseille et ailleurs</a>, les personnes qui participent au trafic de drogue à Félix-Pyat peuvent être catégorisées en groupe d’âge. Il y a « les petits », généralement âgés de 14 et 18 ans, et « les grands », qui ont plutôt entre 19 et 25 ans.</p>
<p>Ces groupes d’âge ont des rôles différents au sein de l’organisation du trafic – les « petits » sont des « guetteurs » ou des « rabatteurs » (qui dirigent les clients vers le point de vente), et les « grands » sont des « charbonneurs » (vendeurs), ou bien des « gérants » de point de vente.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-marseille-lespace-public-vu-par-ceux-et-celles-qui-sinjectent-des-drogues-209646">À Marseille, l’espace public vu par ceux et celles qui s’injectent des drogues</a>
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<p>Les « petits » sont très visibles dans les rues de la cité, soit individuellement, soit en groupe. Beaucoup d’habitants de Félix-Pyat – de toutes générations – nous ont dit au cours de nos recherches qu’ils étaient devenus « incontrôlables ». Ils faisaient notamment la comparaison avec quelques années auparavant, quand « ils respectaient les grands », et les habitants de la cité plus généralement.</p>
<blockquote>
<p>« Ils rendaient service… ils ne nous embêtaient pas, sauf en fumant ou en encombrant les escaliers, mais maintenant ils nous menacent », nous a raconté Noémie, une ancienne habitante qui a longtemps vécu dans de la cité et qui y revient souvent.</p>
</blockquote>
<p>Faisant explicitement écho au malaise de Nadia et Noémie, deux autres jeunes femmes de la cité âgées d’une vingtaine d’années, que nous appellerons Mariama et Jeanne, ont souligné lors d’un entretien :</p>
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<p>« On les connaît tous – on a grandi avec ! – mais on ne passe pas à côté d’eux. Il vaut mieux éviter… Ils sont imprévisibles et c’est dangereux… On ne sait pas ce qu’ils pensent, on ne sait pas ce qu’ils disent… Ils ne sont pas bienveillants, on va dire, et ils sont… ils s’en foutent !… Il vaut mieux prendre des distances… »</p>
</blockquote>
<p>D’autres habitants nous ont relaté souffrir des menaces et des insultes répétées. Ils nous ont dit aussi devoir périodiquement justifier leur présence dans les espaces publics de la cité.</p>
<p>Nous en avons d’ailleurs nous-mêmes fait l’expérience, lors de nos recherches. Plusieurs fois, un ou plusieurs jeunes de ce groupe de « petits » nous ont interpellé, demandant de manière menaçante ce que nous faisions là, nous disant que nous n’avions rien à faire dans la cité, ou bien nous accusant d’être des policiers et nous sommant de partir.</p>
<h2>La lettre</h2>
<p>En mai 2023, après une série de fusillades dans la cité liée à la guerre entre <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/17/a-marseille-la-rivalite-entre-deux-bandes-de-trafiquants-de-drogue-de-plus-en-plus-meurtriere_6185612_3224.html">deux réseaux du trafic de drogue</a> qui a ensanglanté la ville, un groupe de mères de Félix-Pyat a organisé des marches pour protester contre l’insécurité ambiante.</p>
<p>Ces marches ont été accompagnées d’une forte présence policière qui a considérablement perturbé le trafic de drogue, effrayant les clients et freinant les livraisons.</p>
<p>Après la troisième marche, la lettre suivante a été affichée un peu partout dans la cité :</p>
<p>C’est la première fois qu’une telle initiative était menée à Félix-Pyat, même si ce genre de message a déjà été observé dans d’autres cités en France. La lettre ressemblait d’ailleurs fortement à une lettre similaire qui avait été affichée en banlieue parisienne et qui a circulé sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Selon les témoignages que nous avons pu recueillir, cette lettre a marqué un tournant dans les relations avec les « jeunes du quartier ».</p>
<p>Même si certains habitants ont été choqués par sa nature menaçante – certains parlant même de la « honte » de voir « des fils menacer leurs mères » – la plupart ont jugé cette lettre de manière plus positive, soulignant que les « jeunes » s’excusaient et proposaient d’essayer de minimiser l’impact du trafic de drogue sur la vie quotidienne du quartier.</p>
<p>Aamira nous a dit, par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai rigolé pour les fautes d’orthographe… C’est un avertissement, mais ils ont aussi dit qu’il ferait un effort, c’est du donnant-donnant – les jeunes essayent de faire propre, ils respectent les parents, ils nettoient… C’est uniquement menaçant si on ne respecte pas l’avertissement. »</p>
</blockquote>
<p>Comme nous l’a dit un autre de nos interlocuteurs, Abu, « ils ont fait un effort et se sont responsabilisés ! », notant en particulier que « les jeunes » allaient tenter de « sécuriser » les rues contre les fusillades après celles ayant sévi dans Félix-Pyat au cours des derniers mois.</p>
<p>Ces derniers ont de facto placés des bennes à ordures à des points stratégiques dans les rues de la cité afin de faire office de barrage et de ralentir les voitures. Même si certains habitants s’en plaignaient – notamment parce qu’il avait été stipulé de façon claire qu’ils n’avaient pas le droit de bouger ces conteneurs – beaucoup voyaient cette initiative d’un bon œil.</p>
<p>Par exemple, lors d’une conversation avec une personne travaillant pour une association locale, nous avons observé ensemble des CRS venus remettre les bennes à leur place, et celle-ci a remarqué :</p>
<blockquote>
<p>« la police nous enlève le peu de sécurité que nous avons, elle rend l’endroit ouvert aux attaques en enlevant les conteneurs ».</p>
</blockquote>
<h2>L’ambiguïté de la gouvernance criminelle</h2>
<p>Ces différents exemples illustrent bien comment le trafic de drogue impacte l’organisation urbaine de Félix-Pyat et influence la vie quotidienne des habitants de la cité, tantôt de manière négative, mais aussi parfois plus positivement (même si, bien sûr, la défense de la cité à travers la réorganisation de bennes d’ordures ne peut être vue que comme une action assez désespérée et ponctuelle…).</p>
<p>La plupart des médias ont tendance à décrire ce phénomène de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/perspectives-on-politics/article/abs/conceptualizing-criminal-governance/0105EC32BB9F26830179CF0B16917B02">« gouvernance criminelle »</a> à Marseille comme étant uniquement dérogatoire à l’ordre public, parlant de l’émergence de <a href="https://www.laprovence.com/article/actualites/2628570/marseille-existe-t-il-des-cites-interdites.html">« cités interdites »</a>.</p>
<p>Le problème avec cette vision des choses trop étroite est qu’elle situe la dynamique d’agencement urbain des cités marseillaises comme étant uniquement liée aux impulsions d’acteurs locaux, tels que les trafiquants de drogues d’un quartier.</p>
<p>Plus particulièrement, l’idée des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ms4LVcABjiI">« cités interdites »</a> place la responsabilité de l’interdiction au sein des cités, ce qui n’est que partiellement le cas. En fait, ces actes d’agencement urbain découlent souvent d’éléments qui sont extérieurs à la cité, comme nous venons de le montrer. Dans le cas de la violence à laquelle étaient confrontés les habitants du quartier en 2023, elle était due à une guerre de réseaux de drogues plus larges que le petit trafic dans le quartier.</p>
<h2>Que deviendra le bâtiment B ?</h2>
<p>La nature problématique de ce type de représentation devient encore plus claire en se penchant sur une autre forme d’organisation des espaces urbains : les processus d’aménagement du territoire (qu’ils soient portés par des institutions étatiques ou privées).</p>
<p>La question du futur du bâtiment B à Félix-Pyat est souvent revenue dans nos conversations avec les habitants et acteurs du quartier, par exemple.</p>
<p>Plus grand immeuble de la cité – avec 20 étages, 146 appartements, et plus de 600 habitants – c’est aussi l’un des plus insalubres : les vide-ordures sont remplis à ras bord, les murs couverts de graffiti, les appartements prennent régulièrement feu, et les ascenseurs sont généralement en panne.</p>
<p>Depuis des années, il fait l’objet de rumeurs concernant sa destruction imminente. Bien que cette dernière ait été <a href="https://marsactu.fr/a-felix-pyat-la-tour-b-va-tomber/">actée par l’Agence nationale de rénovation urbaine</a> (ANRU), le déficit budgétaire du bailleur social propriétaire de la majorité des appartements, <a href="https://marsactu.fr/marseille-habitat-face-a-un-mur-de-dettes-a-cause-de-471-parkings-hors-de-prix/">Marseille Habitat</a>, ainsi que le refus par les quelques propriétaires individuels de vendre leurs appartements à des prix inférieurs au marché, empêche sa mise en œuvre.</p>
<p>Aucune information officielle n’a cependant filtré sur l’état d’avancement ou pas de la destruction auprès des habitants, comme nous avons pu le constater lors de multiples réunions organisées par divers acteurs locaux dans la cité. De nombreuses personnes y présentaient des signes d’exaspération et d’énervement.</p>
<p>Certains habitants propriétaires d’appartements dans l’édifice se demandaient s’ils seraient expropriés sans recevoir une compensation adéquate. D’autres, locataires, <a href="https://www.cairn.info/revue-negociations-2023-1-page-5.htm">s’inquiétaient à l’idée de devoir être relogés loin de la cité</a>. Tous en tout cas partageaient le sentiment que « personne ne sait rien », mais aussi que c’était une stratégie voulue afin de créer de l’incertitude et du stress, dans le but d’épuiser les habitants et de faciliter la destruction de l’édifice.</p>
<p>Ces inquiétudes concernant la destruction du bâtiment B viennent aussi s’additionner à d’autres incertitudes liées à l’initiative de rénovation urbaine baptisée <a href="https://www.euromediterranee.fr/">Euroméditerranée</a>. Lancé en 1995, ce partenariat public-privé de 7 milliards d’euros vise à <a href="https://www.theses.fr/2019EHES0135">remodeler une vaste zone</a> située immédiatement au nord du centre-ville de Marseille. Felix-Pyat ne fait pas partie de la zone, mais la borde, et constitue donc un site de développement immobilier potentiel de premier ordre.</p>
<p>Certains habitants de Félix-Pyat avec qui nous avons discuté nous ont explicitement exprimé leur anxiété – « tout le monde est stressé » – face à cette gentrification potentielle, Selim nous disant même carrément :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que ce quartier, il est voué à être détruit. Parce que là, le projet Euromed… il y a plein d’échos qui disent qu’il y a plein de plans différents et parmi ces plans-là, Félix-Pyat n’existe pas… Donc, je pense qu’ils veulent détruire Félix-Pyat… Enfin, le détruire pour le reconstruire et ramener d’autres personnes, en fait, d’autres, euh… on va dire d’autres catégories de personnes… »</p>
</blockquote>
<h2>Détruire le quartier pour le reconstruire</h2>
<p>Ces craintes sont devenues particulièrement apparentes autour de l’aménagement dans le cadre de l’initiative Euroméditerranée d’un espace vert, le parc Bougainville, en bordure nord de la cité Félix-Pyat. Les travaux, <a href="https://www.euromediterranee.fr/projets/parc-bougainville">prévus en deux étapes</a>, ont commencé en 2022, et dureront jusqu’en 2027. <a href="https://madeinmarseille.net/155624-parc-municipal-bougainville-ouvre-public/">Une fois terminé</a>, le parc comprendra entre autres des jardins thématiques, des espaces pour différents sports de plein air, un parc aquatique, un hectare de « prairie sauvage », une rivière réhabilitée, des jardins potagers collectifs, ainsi qu’un « jardin pédagogique ».</p>
<p>Quand le parc Bougainville sera finalisé, un grand mur le séparera de Félix-Pyat, et il n’existera qu’un seul accès au Parc à partir de la cité, comme le montre l’image ci-dessous.</p>
<p>Cette architecture particulière du côté sud du Parc contraste brutalement avec le côté nord plus ouvert, une situation que de nombreux habitants de Félix-Pyat ne manquaient pas de noter lors de nos échanges avec eux en 2022, se plaignant aussi plus généralement d’un manque de concertation avec eux. En même temps, beaucoup avaient néanmoins l’espoir que le projet leur soit bénéfique.</p>
<h2>Une clôture grillagée</h2>
<p>Des représentants de la politique de la ville avec qui nous avons effectué des entretiens en 2022 nous avaient cependant déclaré que « le parc Bougainville n’est pas prévu pour eux [<em>ndlr, les habitants de la cité Félix Pyat</em>] ». C’est donc sans surprise qu’au fur et à mesure que le projet s’est mis en place, les discours des habitants de Félix-Pyat ont évolué.</p>
<p>Lors de notre retour à la cité en 2023, presque plus personne ne parlait positivement du parc. Un nouvel élément particulièrement dérangeant pour les habitants de la cité était apparu : une grande clôture grillagée érigée au-dessus du mur séparant la cité du parc, ostensiblement afin de minimiser le jet de déchets venant des édifices bordurant le parc.</p>
<p>« C’est comme si on était des animaux qu’on met en cage » nous a commenté laconiquement une personne travaillant pour une association locale de Félix-Pyat.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La clôture grillagée. À noter que la tombée du mur de l’autre côté fait plus de 3 mètres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Rodgers, S. Jensen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce dernier commentaire reflète bien les effets psychosociologiques négatifs que ce genre d’aménagement du territoire exclusif peut avoir. Cela peut potentiellement contribuer à la normalisation de visions ségrégationnistes de la société, et c’est pour cela que dans d’autres contextes, par exemple à <a href="https://www.jstor.org/stable/43497506">Managua</a> au Nicaragua, des initiatives de rénovation urbaine analogues à l’Euroméditerranée ont été qualifiées de « violence infrastructurelle », pour souligner comment elles peuvent être intrinsèquement oppressives.</p>
<p>Toute proportion gardée – le contexte nicaraguayen étant plus violent et autoritaire – on pourrait se demander dans quelle mesure l’aménagement des infrastructures du territoire à Marseille peut lui aussi être vu dans certains cas comme une forme de violence, dont les effets sociospatiaux sont tout aussi déstabilisants que ceux des activités du trafic de la drogue.</p>
<p>Pour les habitants des cités telles que Félix-Pyat en tout cas, il s’agit de se confronter à un autre type de stress émotionnel qui ne fait que renforcer leur sentiment d’isolation et de mise à l’écart.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark
</span></em></p>Certains aménagements des infrastructures du territoire à Marseille peuvent être vus comme une forme de violence, dont les effets sont tout aussi insécurisants que les activités du trafic de drogue.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2254712024-03-12T16:09:35Z2024-03-12T16:09:35ZMobilisation contre l’A69 : vers de nouvelles dynamiques de la violence ?<p>Le 22 et 23 février 2024, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement s’est rendu auprès des activistes de la ZAD du site dit « de Crem’Arbre » qui s’oppose à l’autoroute A69 ainsi qu’auprès des autorités locales. Sa déclaration, <a href="https://unece.org/sites/default/files/2024-02/UNSR_EnvDefenders_Aarhus_De%CC%81claration_fin_mission_Tarn_29.02.2024_FR.pdf">publiée le 29 février 2024</a>, dénonçait des pratiques de répression</p>
<blockquote>
<p>« qui entrent dans le cadre de l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants, visée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des obligations internationales de la France relatives à la <a href="https://unece.org/sites/default/files/2024-02/UNSR_EnvDefenders_Aarhus_De%CC%81claration_fin_mission_Tarn_29.02.2024_FR.pdf">Convention contre la torture des Nations unies</a> ».</p>
</blockquote>
<p>Il <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/02/29/a-69-le-rapporteur-des-nations-unies-demande-des-mesures-immediates-pour-proteger-les-opposants-au-projet-d-autoroute_6219270_3244.html">réclamait en particulier</a></p>
<blockquote>
<p>« une enquête et des sanctions pour les actes de privation de sommeil, de combustion de matériaux, d’allumage de feux et de déversement de produits a priori inflammables par les forces de l’ordre, qui ont pu mettre en danger la vie des “écureuils” [les militants installés dans les arbres] ». </p>
</blockquote>
<p>De leur côté, le 8 mars 2024 lors d’un rassemblement républicain à Saïx, les élus décrivaient la Crem’Arbre comme « une zone de guerre avec des tranchées, et des pièges » (citation attribuée au maire de Saïx par <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/manif-des-elus-pour-l-a69-la-zad-une-zone-de-guerre-pour-le-maire-de-saix-1953179#"><em>France Bleu</em></a>). Ils inscrivaient aussi les actions écologistes « parmi les heures les plus sombres de l’histoire » (citation attribuée au préfet du Tarn dans le même article).</p>
<p>Le conflit contre l’A69 témoignerait-il d’une nouvelle dynamique de la violence dans les conflits environnementaux ?</p>
<p>Le mouvement social écologiste justifie ici l’exercice de la violence par les <a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-violence-des-mouvements-ecologistes-le-rituel-de-lecodesordre-entre-spectacle-et-espoir-dun-nouveau-monde-217934">moyens (en particulier répressifs) déployés par l’État pour le réguler</a>. Or, comme l’écrivait le <a href="https://journals.openedition.org/clio/11976">sociologue allemand Harald Welzer</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Au-delà de toutes règles du droit international, l’exercice de la violence n’a rien de statique mais évolue constamment en fonction des conditions générales engendrées par les structures, les personnes et les situations. »</p>
</blockquote>
<p>La situation écologique dégradée, l’extrême détermination des activistes écologistes, la diversité des tactiques employées par les mouvements sociaux et la structure du cadre répressif sont autant d’éléments qui interagissent entre eux et dictent la dynamique de la violence. Ici, ils sont de l’ordre de l’emballement.</p>
<h2>ZAD d’en bas, ZAD d’en haut</h2>
<p>Dès le 12 novembre 2023, des activistes ont commencé à occuper des arbres sur le tracé de l’A69. Animés par une extrême détermination à défendre le vivant, ils sont prêts à faire rempart de leur corps contre un projet d’autoroute jugé écocidaire.</p>
<p>L’appel à la ZAD précisait en effet :</p>
<blockquote>
<p>« En moins d’un an, NGE (<em>l’entreprise en charge des travaux de l’autoroute A69, ndla</em>) est parvenu à massacrer tous les écosystèmes forestiers […].</p>
<p>Tous ? Non. Route de la Cremade à Saix, à quelques encablures de la CremZad expulsée le 22 octobre, la Crem’Arbre résiste encore et toujours, dernière forêt debout sur le tracé. »</p>
</blockquote>
<p>La tactique militante consistant à habiter un arbre pour en empêcher sa « mise à mort » n’est pas une pratique nouvelle. En 1995 aux États-Unis, Julia « Butterfly » Hill grimpait dans dans le Séquoia « Luna », vieux de 1 000 ans, à plus de 55 mètres de haut <a href="https://www.editionslibre.org/produit/de-seve-et-de-sang-julia-butterfly-hill-legacy-of-luna-livre-sequoia/">pour y rester deux ans</a>.</p>
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<p>En France, la pratique a récemment pris de l’ampleur, même si elle reste assez marginale. Elle a été médiatisée par le <a href="https://gnsafrance.org">Groupe national de surveillance des arbres</a> (GNSA) et les grèves de la faim de <a href="https://theconversation.com/thomas-brail-et-la69-ou-les-paradoxes-de-la-desobeissance-civile-213787">Thomas Brail, qui s’était perché dans un arbre et avait entrepris une grève de la faim</a> face au ministère de la Transition écologique l’automne dernier.</p>
<p>Mais le dispositif tactique sur le site dit « de Crem’Arbre » ne se réduit pas à cette occupation des cimes. En effet, ce qui constitue son originalité, c’est bien sa topographie, à la fois au sol et en l’air, un écosystème à la fois relié et indépendant, entre ZAD en altitude et ZAD au sol.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/thomas-brail-et-la69-ou-les-paradoxes-de-la-desobeissance-civile-213787">Thomas Brail et l’A69, ou les paradoxes de la désobéissance civile</a>
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<p>En haut dans les arbres, les habitations reliées entre elles par un ensemble de tyroliennes sont plus ou moins sophistiquées. Elles vont de la simple tente jusqu’à d’impressionnantes cabanes, comportant parfois panneau solaire, cuisine et poêle pour se chauffer. Les « écureuils », arboristes, grimpeurs et grimpeuses (dont certains internationaux ayant passé leur vie dans les arbres) qui habitent ce monde du haut ne descendent apparemment qu’en de très rares occasions, pouvant vivre avec une certaine autonomie.</p>
<p>Celle-ci va toutefois de pair avec d’importants sacrifices. Les « écureuils » doivent affronter le froid, l’attente, la faim, la précarité des soins corporels de base, sans parler du danger de la potentielle chute, ce qui demande un niveau d’engagement pour le moins extrême.</p>
<p>Cette pratique d’occupation des arbres s’inscrit dans le cadre de la <a href="https://theconversation.com/la-desobeissance-civile-climatique-les-etats-face-a-un-nouveau-defi-democratique-214988">désobéissance civile</a>, fondamentalement non violente. Pourtant, on peut considérer qu’elle implique de consentir à une certaine forme de violence sacrificielle envers soi-même.</p>
<p>En bas, au pied des arbres, la ZAD de soutien aux « écureuils » a un fonctionnement et des pratiques militantes complémentaires, tout en lui étant propre. On y retrouve les tactiques plus offensives, qui y sont mieux acceptées : barricades et confrontations avec les forces de l’ordre, vol de matériel et sabotage d’engins de chantiers…</p>
<p>Le fait de recourir à ce genre d’actions directes plus offensives pour la défense des arbres n’est pas nouveau : à l’international, elles étaient déjà pratiquées sous forme d’<a href="https://journals.openedition.org/trans/851">« éco-tage »</a> (sabotage pour motifs environnementaux) et de <a href="https://www.britannica.com/topic/monkeywrenching">« monkey-wrenching »</a> (sabotage non violent, popularisé par le roman <em>The Monkey Wrench Gang</em> – traduit en français par « Le Gang de la clef à molette » – de l’Américain Edward Abbey en 1975) dans les années 1980 par Judi Bari, l’une des fondatrices de Earth First !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/plus-haute-zad-deurope-faut-il-encore-amenager-les-glaciers-alpins-216918">« Plus haute ZAD d’Europe » : faut-il encore aménager les glaciers alpins ?</a>
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<h2>« Monde de merde » vs « autre monde »</h2>
<p>Notons que ces violences écologistes relèvent rarement du registre de la violence <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/24/les-racines-de-la-violence_1675170_3232.html">autotélique</a> (c’est-à-dire, qui est sa propre finalité en elle-même), mais plutôt d’un geste politique au service d’un imaginaire qui ferait entrevoir un autre monde.</p>
<p>L’occupation y est pensée « contre leur monde de merde », selon l’expression désormais consacrée dans de nombreuses luttes écologistes, mais aussi surtout « pour un autre monde », rendu présent par l’expérimentation active – ici, par la vie d’une ZAD – d’un autre modèle de société.</p>
<p>Ce type d’expérimentations n’est pas le fait d’un fantasmatique « groupuscule violent ». Le chantier de construction de la Crem’Arbre avait donné lieu à une mobilisation massive des défenseurs de l’environnement, y compris internationaux <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20240210-greta-thunberg-attendue-sur-la-cabanade-du-tarn-le-rassemblement-interdit-des-anti-a69">comme Greta Thunberg</a>.</p>
<p>Certes, il y a des désaccords entre les militants sur l’intensité des actions à mener. « Insulter et provoquer les forces de l’ordre attire la violence, les écureuils là-haut ont-ils envie de respirer des gaz lacrymogènes ? », s’interrogent certains. Quand d’autres accusent le mouvement d’être « trop mou, trop passif, la résistance ne peut se faire sans confrontation ! »</p>
<p>Ces débats ne sont pas sans rappeler les conflits autour des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/26/notre-dame-des-landes-la-route-des-chicanes-est-degagee_5247632_3224.html">barricades de la « route des chicanes »</a> de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, qui selon certain empêchaient l’intervention policière, quand d’autres estimaient qu’elles la favorisaient.</p>
<p>Malgré ces désaccords, qui existent à la Crem’Arbre ou ailleurs, un objectif commun s’était dessiné : défendre le vivant avec une détermination absolue, comme nous le rapportent des militants présents sur place.</p>
<blockquote>
<p>« Comment faire union dans un lieu qui est en perpétuelle désunion ? Il faut une force de caractère et une motivation assez fortes. Moi, c’est ça que je vois aussi, je ne vois pas juste les gens qui se déchirent sur comment elles ou ils doivent “être présents”, je vois aussi que tous ces gens ont envie d’être présents malgré tous les bâtons qu’ils ont dans les roues. »</p>
</blockquote>
<h2>Vers de nouvelles tactiques répressives ?</h2>
<p>Pour l’évacuation de la Crem’Arbre des cimes, un problème se posait : comment faire descendre ces « écureuils » ? En la matière, la tactique mise en œuvre par les forces de police est complexe. L’utilisation de nacelles ou d’unités spécialisées comme la <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/en-images/la-cnamo-une-unite-specialisee-dans-le-degagement-d-obstacles-complexes">CNAMO</a> (Cellule nationale d’appui à la mobilité, créée en 2011 à l’origine pour faire face aux activistes antinucléaires qui procédaient à des blocages terrerstres et aériens) peuvent représenter une mise en danger de la vie des activistes perchés sur les plus hautes cimes.</p>
<p>En effet, certains activistes menacent de se décrocher si les forces de l’ordre s’approchent trop près. Devant la contre-productivité des moyens répressifs habituels et le risque de la mort d’un activiste, les autorités se sont alors livrées à une véritable stratégie de siège visant explicitement à affamer l’adversaire, comme le montre la vidéo ci-dessous :</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yQyoVAmg0SI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tentative de ravitaillement sur la Crem’Arbre.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce que soulignait le Rapporteur spécial des Nations-Unis :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis le 15 février 2024 et jusqu’à ce jour, les autorités interdisent le ravitaillement en nourriture des “écureuils”. Entre le 15 et le 20 février 2024, les autorités ont également interdit le ravitaillement en eau des “écureuils”. Le 20 février, lorsque les autorités ont enfin permis aux “écureuils” d’avoir accès à l’eau potable, l’entreprise NGE chargée des opérations de défrichement sur place a percé les bidons d’eau apportés par les forces de l’ordre et destinés aux “écureuils” ».</p>
</blockquote>
<p>Ces privations de nourriture se sont accompagnées de privation de sommeil à l’aide de <a href="https://reporterre.net/Blindes-grenades-et-LBD-l-%C3%89tat-reprime-la-zad-contre-l-A69">lumières stroboscopiques, de martèlement de taules et de hurlements</a>. Un bidon d’essence a été vidé au pied de l’arbre occupé par une activiste <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/albi/autoroute-a69-une-plainte-deposee-pour-mise-en-danger-volontaire-de-la-vie-d-autrui-vers-un-nouveau-campement-des-opposants-2926161.html">qui a filmé la scène</a>.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-violence-des-mouvements-ecologistes-le-rituel-de-lecodesordre-entre-spectacle-et-espoir-dun-nouveau-monde-217934">À quoi sert la violence des mouvements écologistes ? Le rituel de l’écodésordre, entre spectacle et espoir d'un nouveau monde</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Déjà à Bure, un militant <a href="https://factuel.univ-lorraine.fr/node/6116">aurait été gratifié d’un bidon d’essence au motif « d’évacuation des substances dangereuses »</a>. Dans le cas qui nous occupe, on peut comprendre l’inquiétude de l’activiste lorsque l’on sait que des feux étaient allumés à proximité de son arbre, pas seulement pour brûler les bâtiments de la ZAD au sol, mais aussi parfois par les tirs de grenades lacrymogènes.</p>
<p>Enfin, l’intervention des autorités et la dénonciation de sa violence par les Nations-Unis ont leur propre grammaire.</p>
<ul>
<li><p>D’un côté pour les Nations unies, les écologistes sont des « défenseurs de l’environnement ».</p></li>
<li><p>Pendant ce temps, pour les autorités, ils sont des <a href="https://reporterre.net/Terroristes-chtarbes-les-promoteurs-de-l-A69-se-lachent-contre-les-opposants">« délinquants perchés dans les arbres »</a>, des « terroristes verts », une « secte d’ultra-gauche » ou des « éco-terroristes ».</p></li>
</ul>
<p>Il est bien évident que la répression ne devrait pas s’appliquer de la même manière à un défenseur de l’environnement, à un délinquant et encore moins à un terroriste. On peut donc se demander si les insultes assimilant les activistes à des animaux pendant l’évacuation de la Crem’Arbre ne relèvent pas d’un nécessaire mouvement de déshumanisation permettant l’exercice d’une violence plus intense par les forces de l’ordre.</p>
<p>Malgré l’évacuation du site, une autre ZAD, baptisée Cal’Arbre, <a href="https://reporterre.net/Lutte-contre-l-A69-les-militants-creent-une-nouvelle-zad">a déjà repoussé sur un autre lieu du tracé</a>.</p>
<h2>Mourir pour un arbre ?</h2>
<p>On peut rappeler que dans l’histoire des luttes écologistes, les défenseurs des arbres ont déjà été directement visés. En 1990, Judi Bari, militante de Earth First ! a été victime d’un <a href="https://daily.jstor.org/how-judi-bari-tried-to-unite-loggers-and-environmentalists/">attentat à la bombe dans sa voiture</a>. Plus récemment, en 2023, l’écologiste Manuel Esteban Paez Teran, a été <a href="https://reporterre.net/%C3%89tats-Unis-l-ecologiste-tue-par-la-police-a-ete-touche-par-57-balles">tué par balle par la police d’Atlanta</a>.</p>
<p>La situation n’est pas si violente pour les militants de la Crem’Arbre. Mais ils subissent tout de même des pressions violentes qui rappellent celles vécues par les activistes du premier roman d’action directe écologiste « Le gang de la clef à molette » d’Edward Abbey (1975). Les personnages, après avoir été affamés, assoiffés et privés de sommeil, finissent par émerger de leur canyon pour se rendre.</p>
<p>Toutefois, il existe un risque élevé dans la situation actuelle. C’est celui de la mort d’un activiste qui, ne cédant pas à la violence de la répression, mettrait finalement sa vie dans la balance. Thomas Brail l’avait déjà clairement signifié lors d’une intervention des forces de l’ordre : « Si vous continuez, vous aurez ma mort sur la conscience ».</p>
<p>À la célèbre question que posait Paul Watson aux membres de SeaShepherd « Êtes-vous prêt à mourir pour une baleine ? » pourrait désormais se faire entendre en écho :</p>
<blockquote>
<p>« Êtes-vous prêt à mourir pour un arbre ? »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/225471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Porchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les mobilisations contre l’A69 se poursuivent dans les arbres et au sol, il existe un risque significatif d’emballement de la violence. Un phénomène qui n’est pas sans précédent historique.David Porchon, Doctorant en sciences politiques, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208932024-03-12T16:05:11Z2024-03-12T16:05:11ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (2/4) - Des trafics pas si juteux, des morts complexes<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Mais le pouvoir d’attraction de la drogue et de son trafic recèle aussi de nombreuses parts d’ombre.</em></p>
<hr>
<blockquote>
<p>« Il faut se méfier des apparences… Ça paraît déstructuré, on sait nous en les observant que tous les 2-3 jours, tout le monde change de rôle… [Le réseau], ça génère… à peu près, 80,000 euros par semaine, donc ça fait beaucoup d’argent dans l’arrondissement le plus pauvre de France… ».</p>
</blockquote>
<p>Cette phrase est issue d’un entretien que nous avons effectué avec un policier, lors de nos recherches dans la cité de Félix-Pyat dans le III<sup>e</sup> arrondissement de Marseille. Elle résume bien la manière contradictoire dont le trafic de drogue dans les cités de la ville est perçu : il est à la fois opaque et énigmatique, organisé et lucratif.</p>
<h2>Un guetteur ne touche pas quatre fois le smic</h2>
<p>Si l’on s’attarde par exemple sur la particularité du vocabulaire utilisé, l’expression « le réseau », confère au trafic un certain formalisme et une structure tentaculaire, tout comme la rhétorique qui l’accompagne via d’autres termes communément mis en avant, tels que le « business » ou le <a href="https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/marseille-comment-le-trafic-de-drogue-gangrene-des-quartiers-de-la-ville-7900063451">« supermarché de la drogue »</a>.</p>
<p>Pourtant, de profondes contradictions et ambiguïtés sous-tendent le trafic de drogue à Félix-Pyat. Le chiffre de 80 000 euros de bénéfice hebdomadaire avancé par le policier nous semble difficile à réconcilier avec les niveaux de trafic que nous avons pu observer lors de nos recherches dans la cité. Et ceci même en prenant en compte le fait qu’une grande partie des ventes se font par <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxcg2dc.pdf">internet</a> plutôt que par le deal de rue.</p>
<p>En tout cas, les chiffres de saisies policières partielles concernant le trafic prenant place dans la cité auxquels nous avons eu accès impliquent souvent des quantités de drogue très faibles. Nous avons également essayé de confirmer certains des chiffres sur les rémunérations des différents « métiers » de la drogue, comme les « guetteurs », c’est-à-dire l’échelon le plus bas du trafic qui concerne surtout des jeunes de 14 à 18 ans. Postés en des lieux stratégiques de la cité, ils ont la responsabilité de donner l’alerte si la police ou toute personne jugée « suspecte » pénètre dans les lieux. Les autorités, mais aussi les travailleurs sociaux, associatifs, et même certains habitants du quartier, affirment qu’ils gagnent près de 200 euros par jour.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5QVjvvVH0yc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">So La Zone, le jeune rappeur marseillais, originaire de la Castellane, s’est fait connaître en racontant notamment son quotidien de dealer et ses relations avec la police et les institutions judiciaires.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cela signifierait donc qu’un « guetteur » gagne quatre fois plus que le smic. À la lumière de nos observations sur le terrain, ce montant nous parait peu probable. En effet, les guetteurs que nous avons vus n’affichent que très peu de signes ostentatoires d’une quelconque richesse et donnent souvent même plutôt l’impression d’être dans le besoin à la façon dont ils sont habillés.</p>
<p>De plus, il s’agit d’une activité irrégulière et à temps partiel. Les jeunes proches du réseau avec qui nous avons échangé ont suggéré qu’au mieux un guetteur pouvait s’attendre à recevoir « un kebab ou un peu de drogue, peut-être 20 euros, s’il a de la chance ». Certains <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ms4LVcABjiI">reportages</a> à propos du trafic de drogue à Félix-Pyat semblent en outre confirmer ces dires.</p>
<p>Il arrive même que les guetteurs ne perçoivent aucune rémunération, en tout cas quand ils commencent cette activité. Comme nous l’a expliqué un jeune de Félix-Pyat qui avait été « aspirant guetteur », il s’était mis à guetter « juste comme ça », en imitant d’autres jeunes, pour essayer de se rapprocher du réseau, parce qu’il « voulait se faire de l’argent facile ». Ce dernier a rapidement déchanté et a vite délaissé le trafic après quelques semaines.</p>
<p>Au vu de la condition socio-économique de ceux qui nous ont confié avoir été impliqués par le passé dans le trafic de la drogue à Félix-Pyat, on peut aussi estimer que la grande majorité ne s’est pas enrichie (une situation qui s’applique aussi à <a href="https://www.berghahnjournals.com/downloadpdf/view/journals/focaal/2017/78/fcl780109.pdf">d’autres contextes</a>).</p>
<p>Selon nos recherches et nos entretiens, il apparaîtrait donc que les niveaux de rémunérations liés au trafic de drogue restent en vérité assez flous et souvent de l’ordre du fantasme, en tout cas au niveau de la cité – ceci ne veut pas dire que le trafic de drogue ne génère pas des revenus importants, mais ceux-ci sont surtout associés avec les hautes sphères du crime organisé, comme l’ont par exemple documenté <a href="https://www.cairn.info/milieux-criminels-et-pouvoirs-politiques--9782811100179.htm">Jean-Louis Briquet et Gilles Favarel-Garrigues</a>.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un règlement de compte ?</h2>
<p>S’il existe des éléments de contradictions et de confusion autour des discours concernant les rémunérations associées avec le trafic de drogue, ils sont encore plus importants concernant d’autres notions associées avec celui-ci, comme celle du « règlement de compte », largement relayée par les <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/reglement-de-comptes-a-marseille-coup-de-filet-contre-une-equipe-de-la-dz-mafia-suspectee-d-un-narchomicide-a-la-cite-des-micocouliers-2905520.html">médias</a> pour parler des homicides liés au trafic de drogue à Marseille.</p>
<p>Si l’expression n’a aucun statut juridique formel, elle n’en est pas moins utilisée, notamment par la police ou les institutions publiques, pour décrire une grande partie des <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/carte-reglements-de-comptes-dans-quels-quartiers-ont-eu-lieu-les-narchomicides-a-marseille-en-2023-2873189.html">homicides</a> liés au trafic de drogue qui ont lieu dans cité phocéenne ou ailleurs. À Marseille, on dénombre chaque année entre 20 et 30 règlements de compte par an depuis 2015, avec un pic exceptionnel de <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">49 morts en 2023</a>.</p>
<p>La logique sous-jacente du « règlement de compte » est de distinguer les <a href="https://books.openedition.org/pup/50550">meurtres liés aux dynamiques internes du trafic de drogue</a> – par exemple pour des questions de conflits d’ordre financiers ou de contrôle du marché – de meurtres qui seraient plus d’ordre interpersonnel ou accidentel.</p>
<p>Les médias parlent clairement beaucoup moins de ces derniers, préférant plutôt établir des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_r%C3%A8glements_de_comptes_%C3%A0_Marseille_et_sa_r%C3%A9gion">décomptes annuels</a> du nombre croissant de règlements de compte à Marseille.</p>
<p>Mais décrire un homicide systématiquement comme un « règlement de compte » est épistémologiquement problématique, car il décontextualise cette violence, limitant sa cause et ses conséquences au seul trafic de drogue et aux personnes directement impliquées, c’est-à-dire à un conflit entre la victime et son meurtrier.</p>
<p>En réalité, les dynamiques et les motivations qui sous-tendent la violence liée au trafic de drogue ont souvent d’autres dimensions, et trouvent leurs origines dans un contexte plus large qui reste méconnu.</p>
<h2>Comprendre les logiques de la violence</h2>
<p>Prenons par exemple le <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/homme-24-ans-abattu-cite-felix-pyat-marseille-1364327.html">conflit violent survenu à Félix-Pyat en 2017</a> impliquant la mort d’un trafiquant local, tué par d’autres trafiquants de la cité. À priori, ce meurtre correspondrait très bien à la notion d’un règlement de compte, c’est-à-dire une tuerie entre dealers pour le contrôle du trafic dans la cité. C’est effectivement ce qui a été rapporté dans les médias à l’époque.</p>
<p>Mais même si ces éléments étaient factuels, parler de ce meurtre uniquement en termes de règlement de compte est réducteur et masque certains facteurs significatifs, historiques, communautaires ou démographiques. Le fait notamment que la victime était d’origine maghrébine et que ses assassins étaient Comoriens. Aucun média ne l’a mentionné, or c’est capital si l’on veut comprendre les logiques de cette violence.</p>
<p>L’assassinat peut être lié à un moment critique de transition dans l’organisation du trafic de drogue à Félix-Pyat. Ce dernier était jusque-là dominé par un groupe de Maghrébins qui cantonnait les Comoriens à des tâches subalternes, en les maltraitant au passage. Suite à l’assassinat du trafiquant maghrébin, c’est un groupe de Comoriens qui a pris les commandes du trafic local.</p>
<p>Ce basculement peut être associé à des évolutions démographiques plus larges, et plus particulièrement à la minorisation de la population maghrébine de Félix-Pyat suite à une <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">importante vague migratoire comorienne</a> dans les années 1990 et 2000.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SUO3NGtd8FU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage LCP sur la diaspora comorienne à Marseille.</span></figcaption>
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<p>Ceci a conduit à des tensions raciales dans la cité, qui ont certainement contribué au cycle de violences débouchant sur le meurtre, et dont on retrouve trace lors d’entretiens que nous avons effectués.</p>
<p>Les discours, tant de ceux impliqués dans le trafic que de nombreux habitants du quartier, expliquaient le meurtre comme une vengeance des « esclaves noirs » contre les « esclavagistes arabes », reprenant une rhétorique historique et racialisée symboliquement puissante.</p>
<p>Ce meurtre montre ainsi que les causes de ce genre de violence débordent souvent les seuls enjeux du trafic de drogue et qu’ils peuvent être liés à une histoire et à des dynamiques locales particulières.</p>
<p>Cette contextualisation est d’autant plus importante quand on considère la réponse policière à ces meurtres. La stratégie dite de « pilonnage » notamment qui, comme <a href="https://www.20minutes.fr/societe/3227239-20220201-marseille-quoi-strategie-pilonnage-trafics-stup">l’indiquait un article récent</a>, consiste principalement à « taper de façon massive et répétée sur les endroits les plus problématiques pour effriter les points de deals et les réseaux de trafiquants » ne prend pas forcément en compte ces éléments contextuels.</p>
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<img alt="Contrôle d’un scooter dans le IIIᵉ arrondissement de Marseille, 2010. Photo d’illustration" src="https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Contrôle d’un scooter, 2010. Photo d’illustration.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/25998107@N03/4460904556/in/album-72157623565134453/">Philippe Pujol/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comme le relèvent les chercheurs Michel Peraldi et Claire Duport, ces interventions policières s’inscrivent dans un champ d’action limitée, celui du <a href="https://www.transverscite.org/IMG/pdf/marseille_une_affaire_d_etat_aoc_2021.pdf">« harcèlement policier et judiciaire »</a> uniquement des individus perçus comme directement associés avec le trafic de la drogue. Une compréhension plus large des enjeux démographiques et historiques pourrait peut-être permettre de mettre en place des mesures plus efficaces – et pas uniquement répressives – pour lutter contre et pallier les effets du trafic de la drogue.</p>
<h2>Des morts imbriquées dans des dynamiques plus larges</h2>
<p>La violence liée au trafic de la drogue est également indissociable de la vie sociale de la cité, dans la mesure où un trafiquant de drogue assassiné dans un règlement de compte est toujours le fils, l’ami, l’amant, le voisin ou une connaissance de quelqu’un. Autant de perspectives qui nourrissent un récit plus complexe que celui généralement rendu public et qui permettent aussi de mieux comprendre la place et les conséquences du trafic et de sa violence dans la cité.</p>
<p>Prenons par exemple un deuxième homicide qui a eu lieu à Félix-Pyat en février 2022, lorsque nous étions sur le terrain. La victime était un jeune homme de 23 ans. Selon les médias et la police, il était <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/un-marseillais-de-23-ans-tue-par-balles-a-la-cite-felix-pyat-1644832997">« connu des forces de l’ordre »</a>, laissant ainsi entendre que cette mort était probablement un règlement de compte on ne peut plus « classique ».</p>
<p>Dans la cité, par contre, de nombreuses rumeurs contradictoires ont circulé. Si aucune de celles-ci ne remettait en cause le fait que la victime ait été impliquée dans le trafic de drogue, il a été dit que les causes de sa mort étaient toutes autres, et que le jeune homme aurait « mal regardé » ou « mal parlé » à quelqu’un, qu’il aurait fait de l’œil à la femme d’un d’autre, qu’il devait de l’argent ou encore qu’il était au centre d’un conflit familial.</p>
<p>Nous ne savons pas ce qui est vrai ou pas, mais le fait qu’il y ait eu de multiples rumeurs est significatif, car cela suggère, comme dans le cas du meurtre qui a eu lieu à Félix-Pyat en 2017, que cette mort était potentiellement au cœur de dynamiques plus larges que des conflits d’intérêts internes au trafic de drogue.</p>
<p>Il ne s’agit pas juste d’un problème d’ordre conceptuel ou de représentation. Une expression telle que la notion du « règlement de compte » – ou bien aussi celle plus récente de <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/narchomicide-a-marseille-deux-hommes-mis-en-examen-20240112">« narchomicide »</a> – finit par conditionner la manière dont on traite la violence.</p>
<p>La couverture médiatique des règlements de compte contribue en particulier à déshumaniser les protagonistes de ces violences, les qualifiant en général uniquement de personnes « connues des services de police », « connues pour des délits liés aux stupéfiants », ou bien « connues pour des faits de trafic de drogue ».</p>
<p>Réduire ainsi tant les auteurs et victimes d’un règlement de compte ou narchomicide à leur seul statut de criminel récidiviste conditionne non seulement la réponse des autorités publiques au trafic de la drogue mais aussi la réception émotionnelle et morale de cette violence, empêchant en particulier de comprendre comment cette violence peut émerger et les conséquences profondes qu’elle peut avoir.</p>
<h2>Une ambiance changée</h2>
<p>En mai 2023, nous sommes retournés à Félix-Pyat après quelques mois d’absence. La cité était en deuil, car <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/trois-jeunes-hommes-tues-par-balles-devant-une-boite-de-nuit-a-marseille-2777410.html">trois jeunes avaient été assassinés</a> dans leur voiture à la sortie d’une boite de nuit. Les médias ont présenté l’affaire comme un règlement de compte, soulignant en particulier :</p>
<blockquote>
<p>« parmi les occupants de la voiture (visée) trois étaient connus des services de police pour trafic de stupéfiants et sont originaires d’une cité qui est connue pour les trafics de stupéfiants, la cité Félix-Pyat ».</p>
</blockquote>
<p>Il y avait en fait <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/marseille-trois-hommes-tues-par-balles-ce-matin-selon-les-secours-21-05-2023-UTW5UM74QVHIBEYLXIGD5XNIXQ.php">cinq personnes dans la voiture</a>, et d’après les habitants de Félix-Pyat avec qui nous en avons parlé, une seule des trois victimes aurait été impliquée dans le trafic.</p>
<p>Cependant, tous « étaient des gens que tout le monde connaissait ». Des centaines de personnes de la cité sont allées à leurs prières funéraires, et encore plus ont circulé sans discriminer entre les appartements des familles des trois défunts afin de leur présenter leurs condoléances, et en particulier aux mères, « qui sont celles qui souffrent le plus de la violence », comme nous a dit Nadia lors d’un entretien.</p>
<hr>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/meres-des-quartiers-populaires-des-intermediaires-sur-le-fil-210141">Mères des quartiers populaires : des intermédiaires sur le fil</a>
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</em>
</p>
<hr>
<h2>« Tu pourrais mourir juste parce que tu sors acheter du pain… »</h2>
<p>Mais au-delà du choc, l’ambiance dans la cité nous a semblé particulièrement pesante en mai 2023, en partie parce que ces meurtres ont eu lieu durant une période de six mois de violence accrue à Félix-Pyat.</p>
<p>De multiples attaques perpétrées depuis des voitures en marche par des personnes extérieures à la cité avaient notamment eu lieu, faisant plusieurs dizaines de blessés, dont beaucoup de victimes « collatérales » qui n’étaient pas liées au trafic de drogue.</p>
<p>Les habitants du quartier liaient cette nouvelle violence indiscriminée à une guerre entre <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/17/a-marseille-la-rivalite-entre-deux-bandes-de-trafiquants-de-drogue-de-plus-en-plus-meurtriere_6185612_3224.html">deux réseaux du trafic de drogue</a> opérant au niveau de la ville de Marseille tout entière <a href="https://www.ouest-france.fr/provence-alpes-cote-dazur/marseille-13000/dz-mafia-vs-yoda-trois-choses-a-savoir-sur-ces-deux-gangs-de-trafiquants-en-guerre-a-marseille-1ccb662a-3ce2-11ee-96f7-905515ebb819">et avec des ramifications internationales</a>. Ils n’en comprenaient pas la logique car elle n’était plus locale, dépassant le cadre de la cité, ce qui générait une énorme peur.</p>
<p>Les habitants de la cité se voyaient comme les victimes d’enjeux qui les dépassaient totalement :</p>
<blockquote>
<p>« Avant la personne qui mourrait était la personne qui était visée, c’était normal. Maintenant il n’y a plus de logique… » nous dit Aamira, une habitante de longue date.</p>
</blockquote>
<p>Fatima, pour sa part, renchérit :</p>
<blockquote>
<p>« on a tous peur, tu t’imagines, tu pourrais mourir juste parce que tu sors acheter du pain… ».</p>
</blockquote>
<p>Face à cette violence imprévisible et d’origine externe, la réponse des habitants a donc été de mettre en avant les liens sociaux et la solidarité au sein de la communauté, et de commémorer les trois jeunes morts. Cette réaction collective démontre bien à quel point les effets de la violence du trafic de la drogue vont au-delà de celui-ci, et comment ils affectent la communauté locale tout entière.</p>
<p>Sans une compréhension plus globale du contexte et des conséquences sociales et culturelles de cette violence et de la façon dont elle se structure, nous ne pourrons pas développer d’outils efficaces pour la contrer. Et limiter ses effets.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220893/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark
</span></em></p>Il existe de profondes contradictions et ambiguïtés concernant le trafic de la drogue à Félix-Pyat.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2230552024-02-12T10:58:25Z2024-02-12T10:58:25ZComment lutter contre les incivilités envers les agents de la fonction publique ?<p>Le constat est sans appel. De plus en plus d’agents de la fonction publique subissent la violence, l’agressivité et l’incivilité des usagers. Les exemples ne manquent pas : à Nîmes (Gard), une <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/gard/nimes/nimes-hausse-de-400-des-agressions-d-agents-municipaux-en-2021-2432551.html">hausse de 400 % des agressions d’agents municipaux</a> a été enregistrée en 2021 ; en novembre 2022, dans le Pas-de-Calais, un <a href="https://www.la-croix.com/France/Pas-Calais-agent-impots-tue-dun-controle-fiscal-2022-11-22-1201243184">contrôleur fiscal trouve la mort dans l’exercice de ses fonctions</a> ; un mois plus tard, en Haute-Vienne, un <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/haute-vienne/limoges/limoges-la-tcl-suspend-ses-bus-apres-l-agression-d-un-chauffeur-2677096.html">contrôleur de bus se fait agresser</a> physiquement, etc.</p>
<p>Au niveau national, en 2021, pas moins de 35 000 professionnels de santé ont été agressés et en 2022, 12 000 actes d’incivilité ont été recensés auprès des agents des Caisses d’allocations familiales (CAF). Entre 2020 et 2023, Pôle emploi a pour sa part enregistré une <a href="https://www.fonction-publique.gouv.fr/toutes-les-actualites/lancement-du-plan-de-protection-des-agents-publics">hausse de 20 % des violences</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1485907044020465665"}"></div></p>
<p>Certains établissements ont alors décidé d’agir en <a href="https://www.lepopulaire.fr/limoges-87000/actualites/les-agents-du-service-public-trop-souvent-confrontes-aux-incivilites-en-haute-vienne_14250689/">formant leurs agents</a> tandis que certaines collectivités lancent des campagnes de <a href="https://www.cap-com.org/actualit%C3%A9s/incivilites-et-service-public-la-com-vent-debout-avec-les-agents">sensibilisation auprès des usagers</a>, mais ces actions restent isolées. Ainsi, un <a href="https://www.fonction-publique.gouv.fr/toutes-les-actualites/lancement-du-plan-de-protection-des-agents-publics">Plan national de protection</a> des agents des trois versants de la fonction publique et des opérateurs de service public a été présenté le 18 septembre dernier par Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publique.</p>
<p>Ce plan propose une feuille de route autour de trois grands axes de travail. Le premier concerne une meilleure compréhension de la situation avec notamment la mise en place, au premier semestre 2024, d’un baromètre annuel pour mesurer les actes violents subis par les agents. Le deuxième porte sur un inventaire des moyens ou ressources nécessaires pour préserver la sécurité des agents. Enfin, le troisième axe prévoit, pour l’administration concernée par des incivilités, des mesures telles que la possibilité de porter plainte.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1704058414681485705"}"></div></p>
<p>Ces trois propositions permettront sans aucun doute de mieux identifier les actes d’incivilité et de répondre aux conséquences de ces actes en termes de moyens et ressources. Pour autant, cette approche ne pose pas la question, pourtant essentielle, des raisons sous-jacentes qui conduisent à ce type de comportement spécifique chez l’usager, au-delà du contexte morose actuel.</p>
<h2>Quand la colère monte</h2>
<p>Fin 2022, en réaction à la mort de l’agent du fisc mentionnée plus haut, Guillaume Dannard, responsable CFDT à la Sécurité sociale, déclarait dans une <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/economie/travail/mort-d-un-agent-du-fisc-dans-les-services-publics-les-incivilites-ou-les-violences-se-multiplient_AV-202211230296.html">interview</a> accordée à RMC :</p>
<blockquote>
<p>« [Les incivilités ou les violences] se multiplient parce qu’il y a une dégradation forte du service rendu à nos assurés, puisque les délais pour traiter les dossiers s’allongent. Et mécaniquement, ça crée de l’incivilité quand nos concitoyens n’arrivent pas à avoir les droits en temps et en heure ».</p>
</blockquote>
<p>Ce triste constat illustre le mécanisme qui s’opère derrière l’émergence des incivilités : la non-atteinte de l’objectif que s’est fixé l’usager en faisant appel au service, l’incertitude et l’absence de contrôle sur la situation, le sentiment d’injustice dans la manière dont l’usager et son problème sont considérés ou encore la responsabilité d’une tierce personne ou d’un événement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1595346118938066945"}"></div></p>
<p>Lorsqu’un usager fait appel à un service – public ou privé – via une agence physique ou un autre canal (téléphone, e-mail, etc.), il s’attend en effet à ce que l’agent résolve son problème, par exemple : « Je souhaite obtenir un remboursement » ou « Je dois effectuer un changement d’adresse ». Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.</p>
<p>Une première <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/mar.21528">étude</a> que nous avons menée auprès de 1114 usagers de centre d’appels révèle justement que la non-atteinte de l’objectif initial, l’incertitude, l’absence de contrôle sur la situation, une situation perçue comme injuste et la responsabilité d’une tierce personne ou d’un événement génèrent de la frustration qui, à son tour, peut entraîner un comportement violent ou des incivilités.</p>
<p>Une deuxième <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/20515707231182488">étude</a> conduite auprès de 971 répondants montre en outre que la non-atteinte des objectifs, la responsabilité de la situation par une tierce personne ou un événement et le manque de contrôle sur cette situation génère, ici, de la colère chez l’usager. De plus, la présence simultanée de deux de ces facteurs – l’absence de contrôle et la non-atteinte de l’objectif, par exemple – amplifie cette colère, ce qui peut ensuite entraîner un comportement déviant chez l’usager.</p>
<h2>Réapprendre à parler à l’usager</h2>
<p>L’analyse du comportement émotionnel des usagers démontre donc la nécessité de fournir des clés aux agents de la fonction publique qui sont amenés à communiquer avec eux, que ce soit par écrit, par téléphone ou en face à face. En effet, les agents doivent être en mesure d’aider les usagers à restaurer leur contrôle sur la situation, à réduire leur incertitude et à résoudre leur problème. Pour cela, plusieurs pistes peuvent être envisagées.</p>
<p>La première est d’offrir à l’usager plusieurs choix parmi les canaux de communication. Si l’usager ne peut pas résoudre son problème par un canal, la possibilité de le faire via un autre minimisera son sentiment de manque de contrôle et par conséquent les émotions négatives induites.</p>
<p>Au-delà du sentiment de contrôle, la deuxième piste de travail est que l’usager soit sécurisé sur son niveau d’incertitude et sur le fait que son problème sera résolu. Pour cela, la formation des agents sur la manière d’adopter une posture, une attitude, un langage clair, compréhensible et empathique, peut réduire les émotions négatives et par conséquent les incivilités et les violences. De même, des formations plus pointues, voire le recrutement d’agents avec des profils particuliers, sont encouragés.</p>
<p>La formation d’agents à la reconnaissance des premiers signes de colère à travers des techniques éprouvées de communication, des simulations, des méthodes de gestion des conflits et d’écoute active permettrait d’éviter son amplification et ses effets négatifs. Lorsque le niveau de colère est faible, l’usager réagit mieux aux appels à la raison. En ce sens, la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) vient juste d’<a href="https://www.modernisation.gouv.fr/presse/lutte-contre-les-incivilites-et-les-agressions-stanislas-guerini-lance-une-formation-pour">initier un programme de plusieurs modules</a> conçus avec les agents.</p>
<h2>Les usagers demandent « plus d’humanité »</h2>
<p>Nous suggérons donc aux agents confrontés à des signaux précoces de colère d’encourager la prise de recul en fournissant à l’usager des informations et des explications sur l’origine de la défaillance du service. De cette manière, les usagers peuvent procéder à une réévaluation et réguler leur colère plus efficacement. Dans une situation d’escalade de la colère, il est peu probable que les faits et les informations soient utiles. Dans ces circonstances, les agents doivent faire preuve d’empathie et de compréhension afin de favoriser chez l’usager la répression de sa colère.</p>
<p>Enfin, les usagers – et les agents également – réclament plus « d’humanité » dans les relations. Plutôt que de remplacer l’être humain par des robots, il semble capital d’investir et de renforcer les moyens et les ressources liés aux technologies d’interaction et d’accompagnement entre l’usager et l’agent. L’expérimentation de l’intelligence artificielle (IA) dans les services publics en octobre dernier semble déjà porter ses fruits.</p>
<p>L’IA, utilisée pour des tâches avant tout administratives, a permis une réduction du temps de réponse, passant de 7 jours à 3 jours, les avis positifs des agents sont de 70 % et le <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/quand-l-intelligence-artificielle-rend-les-services-publics-plus-reactifs-20231219">taux de satisfaction des usagers atteint 74 %</a>. Cela permet ainsi aux agents de la fonction publique de se concentrer sur le relationnel et <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-lia-alliee-de-taille-des-services-publics-2043516">l’accompagnement des usagers</a> dans la résolution de leurs problèmes, et ainsi, potentiellement, réduire les actes d’incivilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223055/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des efforts en matière de formation des agents ou de multiplication des canaux de contacts pourraient notamment permettre de limiter la colère des usagers.Aude Rychalski, Professeure Associée en Marketing, ESSCA School of ManagementHelena V. González-Gómez, Professeure Associée en Comportement Organisationnel, Neoma Business SchoolSarah Hudson, Professeure en Management et Organisation, Rennes School of BusinessLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2218922024-01-24T17:15:18Z2024-01-24T17:15:18ZÉquateur : comment le « havre de paix » de l’Amérique du Sud est devenu l’un des pays les plus violents du monde<p>Qui l’eût cru ? La célèbre phrase prononcée en 1991 par le président équatorien de l’époque, Rodrigo Borja Cevallos (1988-1992), lors de la conférence « Paix pour le développement », et répétée dix ans plus tard par un autre président, Gustavo Noboa Bejarano (2000-2003), dans son rapport à la nation de 2002, selon laquelle l’Équateur serait un « havre de paix » dans le monde, a complètement perdu de son sens au début de la troisième décennie du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>En effet, ces dernières années, l’Équateur est devenu l’un des pays les plus violents du monde. Selon une <a href="https://globalinitiative.net/analysis/ocindex-2023/">étude</a> de la <a href="https://globalinitiative.net/about-us/our-story/">Global Initiative against Transnational Organized Crime</a>, il se classe au onzième rang des pays les plus violents du monde, non loin de la Syrie, de l’Irak ou encore de l’Afghanistan.</p>
<p>L’Équateur occupe également la 96<sup>e</sup> place sur 146 pays (23<sup>e</sup> sur 32 au niveau régional) dans <a href="https://worldjusticeproject.org/rule-of-law-index/">l’indice 2023 de l’État de droit établi par le World Justice Project</a>, qui suit et évalue des indicateurs tels que les limites du pouvoir étatique, l’absence de corruption, l’ouverture politique, les droits fondamentaux, l’ordre et la sécurité, l’application des lois et le fonctionnement de la justice civile et pénale.</p>
<p>Il y a moins de cinq ans, en 2019, l’Équateur était encore considéré comme l’un des pays les plus sûrs d’Amérique latine, avec un taux de 6,7 morts violentes pour 100 000 habitants. Aujourd’hui, ce ratio est passé à 45 pour 100 000.</p>
<p>Début janvier, le président Daniel Noboa, dont le mandat a démarré en novembre 2023, a <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-09-janvier-2024-9073446">proclamé l’état d’urgence</a> et annoncé la mise en place d’un couvre-feu dans l’ensemble du pays à la suite de <a href="https://www.bfmtv.com/international/amerique-latine/chef-de-gang-homme-dangereux-qui-est-fito-le-narcotrafiquant-le-plus-recherche-d-equateur_AV-202401110428.html">l’évasion d’Adolfo Macias, alias Fito</a>, chef du plus important groupe criminel d’Équateur, Los Choneros. Se sont ensuivis des affrontements extrêmement violents entre les forces de l’État et les organisations criminelles.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_s8GSsZGnqs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce fut une démonstration éclatante de la puissance de feu dont disposent les gangs. Il ne s’agit pas d’incidents isolés : ce à quoi on assiste ne peut être qualifié que de guerre entre les groupes criminels et l’État, avec pour enjeu le contrôle du territoire et des populations.</p>
<h2>L’économie du trafic de drogue alimente la criminalité</h2>
<p>Si les mafias se livrent aux activités criminelles les plus diverses, c’est le trafic de drogue qui se trouve à la racine du cycle de violence actuel. Il ne s’agit pas seulement de cocaïne, mais aussi d’héroïne et, plus récemment, de cette drogue synthétique destructrice qu’est le fentanyl.</p>
<p>La « narcotisation » de l’économie criminelle est due à plusieurs facteurs : la situation géographique du pays, puisque l’Équateur se trouve dans le voisinage des plus grands États producteurs de cocaïne au monde ; le fait que l’économie soit <a href="https://books.openedition.org/pur/46393">dollarisée</a>, donc plus attrayante pour le blanchiment d’argent sale ; la capacité limitée de l’État à surveiller les différents itinéraires aériens, maritimes et terrestres d’acheminement de la drogue à destination et en provenance du pays ; les causes structurelles, telles que le chômage et les inégalités sociales ; et la forte influence des médias, en particulier des réseaux sociaux, sur une jeunesse de plus en plus séduite par la « culture du trafic de drogue » en tant que modèle de leadership, de pouvoir et d’argent facile.</p>
<p>Les barons de la drogue locaux ont également formé des alliances stratégiques avec les cartels transnationaux. Outre les avantages économiques qu’ils procurent, ces liens ont conduit à :</p>
<ul>
<li><p>une professionnalisation de la gestion des marchés criminels en Équateur ;</p></li>
<li><p>une spécialisation accrue dans les tâches criminelles (extorsion, blanchiment d’argent, exploitation minière illégale, entre autres) ;</p></li>
<li><p>une meilleure formation des tueurs à gages, des experts en explosifs et des spécialistes du renseignement criminel ;</p></li>
<li><p>une communication plus efficace entre les guérilleros dans tout le pays, notamment par le biais des graffitis muraux.</p></li>
</ul>
<h2>Crise du système pénitentiaire</h2>
<p>Parmi les nombreux facteurs qui ont déclenché la crise systémique actuelle de la sécurité, il y a la réduction, il y a plusieurs années, du budget consacré par le gouvernement central à la rénovation du système pénitentiaire du pays.</p>
<p>Les investissements ont chuté en 2014, provoquant une crise qui s’est accentuée en 2020 avec la pandémie. De nombreux fonctionnaires du système pénitentiaire ont été licenciés et des directions entières dans le secteur de la justice ont été supprimées. Sous l’ancien président <a href="https://theconversation.com/en-equateur-lavenir-incertain-du-president-lenin-moreno-125084">Lenin Moreno</a>, le ministère de la Justice, des droits de l’homme et des affaires religieuses a été supprimé et le secrétariat des droits de l’homme et le Service national de prise en charge globale des adultes privés de liberté, qui gère les prisons, ont été créés.</p>
<p>Tout cela a provoqué un manque de clarté dans la gestion des graves problèmes des prisons et une augmentation de la surpopulation dans les 34 centres de détention du pays. Les prisons sont devenues, au fil du temps, des arrière-gardes stratégiques pour les barons de la drogue, qui y font régner leur loi par la violence.</p>
<p>Les <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/26/equateur-31-morts-apres-trois-jours-demeutes-dans-la-prison-del-litoral">émeutes dans les prisons</a> sont de plus en plus fréquentes depuis la pandémie de Covid-19 : au cours des trois dernières années, il y a eu 11 massacres dans les prisons, qui se sont soldés par 412 morts, dans six prisons de cinq villes du pays.</p>
<p>Cette violence déborde sur l’ensemble de la société. La diffusion sur Internet de diverses atrocités – démembrements, décapitations, pendaison de cadavres sur des ponts et dans des lieux publics – est devenue monnaie courante.</p>
<p>Les mafias locales s’inspirent en cela des cartels colombiens et mexicains. Les actions les plus spectaculaires sont le fait des groupes relevant du cartel <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Jalisco_New_Generation_Cartel">Jalisco Nueva Generación</a>, dont certains membres ont reçu une formation militaire – y compris parfois aux États-Unis – et dont les opérations répondent à des logiques culturelles religieuses, notamment le <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-12885917/Inside-Ecuadors-brutal-gangs.html">cannibalisme</a> et le culte de la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Santa_Muerte">Sainte Mort</a>, deux éléments qui se traduisent dans des pratiques de violence glaçante.</p>
<h2>Écoles de tueurs à gages</h2>
<p>Le 1<sup>er</sup> avril 2023, le président d’alors, Guillermo Lasso, a émis le <a href="https://www.reuters.com/world/americas/ecuadors-lasso-authorizes-civilian-use-guns-citing-insecurity-2023-04-02/">décret exécutif 707</a> qui facilite le port et l’utilisation d’armes par les civils. Les groupes criminels ont alors encore intensifié leurs attaques, en particulier les assassinats de cibles spécifiques par des tueurs à gages.</p>
<p>Il est surprenant que l’existence de quatre écoles notoires de tueurs à gages, situées dans les villes de Durán, Manta, Lago Agrio et Esmeraldas, n’ait pas été formellement dénoncée à ce jour.</p>
<p>Selon des informations provenant de sources policières, ces écoles forment des assassins juniors, intermédiaires et seniors. Selon leur expérience, leur discipline et le niveau d’importance des cibles, leurs salaires varient entre 200 et 10 000 dollars américains par mois.</p>
<p>La formation de ces assassins ne se fait pas nécessairement en personne, mais, souvent, « en distanciel », par le biais de jeux vidéo destinés à faire perdre aux recrues leurs sentiments de peur et de remords. Il s’agit d’une préparation psychologique essentielle pour les jeunes qui, en raison de la pauvreté, du chômage et du manque d’opportunités d’études, sont facilement recrutés en tant qu’assassins pour les différents groupes mafieux.</p>
<p>Les gangs disposent de mécanismes de plus en plus puissants pour attirer les habitants des régions les plus défavorisées du pays, qui sont contraints (sous la menace ou par nécessité économique) de rejoindre le monde criminel.</p>
<h2>Un narco-État en construction</h2>
<p>De plus en plus, les groupes criminels se révèlent en mesure d’exercer une influence sur les autorités locales pour dissimuler leurs activités sous des formes pseudo-légales et faire avancer leurs objectifs stratégiques visant à transformer l’Équateur en un narco-État.</p>
<p>Ce sont avant tout les citoyens équatoriens qui en paient le prix. Les meurtres macabres, les enlèvements et autres actes de violence les obligent à changer leurs habitudes ou à opter pour une existence complètement isolée.</p>
<p>Un climat d’insécurité et de méfiance s’installe dans la société, exacerbé par les médias traditionnels et les réseaux sociaux, qui continuent d’opérer sans véritable engagement en matière d’éthique journalistique et de responsabilité sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221892/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maria Fernanda Noboa Gonzalez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le pays semble en train de perdre sa guerre contre les gangs mafieux étroitement liés au narco-trafic mondial.Maria Fernanda Noboa Gonzalez, Doutora em Estudos Internacionais, Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales (FLACSO) - EcuadorLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197742024-01-11T16:42:26Z2024-01-11T16:42:26ZGTA VI, le jeu vidéo le plus attendu de tous les temps<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568112/original/file-20240106-21-35m25l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C15%2C2560%2C1586&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lucia et Jason, les « héros » de GTA VI</span> <span class="attribution"><span class="source">Wall.alphacoders.com</span></span></figcaption></figure><p>Sortie le 5 décembre 2023 et cumulant 150 millions de visualisations en trois semaines, la première <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QdBZY2fkU-0">bande-annonce du jeu vidéo <em>Grand Theft Auto VI</em></a> est devenue iconique pour les gamers du monde entier, impatients d’expérimenter ce jeu considéré comme le plus attendu de tous les temps. Cette bande-annonce est la <a href="https://www.leparisien.fr/high-tech/gta-vi-la-bande-annonce-bat-deja-des-records-et-devient-la-troisieme-video-la-plus-vue-de-youtube-en-24-heures-06-12-2023-YGGVCZ32HJBAJDHSVECJDHDQHE.php">vidéo la plus regardée de YouTube en 24 heures</a>, avec environ 93 millions de vues, hors vidéos musicales, seuls deux clips du groupe sud-coréen BTS ayant fait mieux.</p>
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<figcaption><span class="caption">La bande-annonce du jeu vidéo <em>GTA VI</em>.</span></figcaption>
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<p>Ce trailer de <em>GTA VI</em> est aussi le <a href="https://www.gamingdeputy.com/fr/gta-6-etablit-le-record-de-la-bande-annonce-youtube-la-plus-appreciee/">plus liké de YouTube, jeux vidéo, séries et films confondus</a>, ce qui démontre la satisfaction et l’enthousiasme des fans. Ceux-ci sont à l’affût de la moindre information concernant le jeu et de nombreuses rumeurs circulent qu’il est parfois très difficile de vérifier. Déjà en septembre 2022, quand un hacker de 18 ans <a href="https://www.tf1info.fr/culture/jeu-video-gta-vi-fuite-massive-le-hacker-qui-a-pirate-gta-6-de-rockstar-games-condamne-a-vie-a-la-prison-hopital-2280232.html">a fait fuiter 90 vidéos de <em>GTA VI</em></a> sur des forums, cela a produit des débats sans fin et des <a href="https://www.lacremedugaming.fr/actus/news/gta-6-ca-va-trop-loin-encore-une-fois-182626.html">spéculations parfois très farfelues</a>.</p>
<h2>Un gameplay élaboré et addictif dans un univers sulfureux</h2>
<p>L’origine de <em>GTA</em> remonte à 1987 avec la <a href="https://www.rockstarmag.fr/rockstar-games-lhistoire-dune-vision-audacieuse-du-jeu-video/">création du studio DMA Design</a> par David Jones, ingénieur informatique et programmeur de 22 ans. Lui et son équipe créeront rapidement plusieurs jeux populaires dont <a href="https://www.jeuxvideo.com/jeux/jeu-55575/"><em>Lemmings</em></a>. Avec le <a href="https://www.sportskeeda.com/gta/news-an-original-gta-creator-mike-dailly-wins-lifetime-achievement-award-scottish-game-awards">développeur Mike Dailly</a>, ils se lancent le défi de programmer une ville virtuelle, un monde ouvert parallèle dans lequel s’affrontent policiers et gangsters. Cependant, après plusieurs semaines de tests, les développeurs réalisent que jouer les policiers qui respectent les règles n’est pas très amusant et décident de centrer le jeu sur les gangsters.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage de la BBC dans les locaux de DMA Design en 1996.</span></figcaption>
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<p>En 1995, David Scott Jones présente <em>Race’n Chace</em> aux frères <a href="https://www.radiofrance.fr/mouv/podcasts/arnaques-crimes-et-putaclic/dan-et-sam-houser-gta-c-est-vraiment-plus-fort-que-toi-5400879">Sam et Dan Houser de BMG Interactive</a> qui voient le potentiel d’un jeu sur des criminels réservé aux adultes et acceptent de lancer le jeu mais sous le nom <em>Grand Theft Auto</em>. Ils recrutent le publiciste <a href="https://www.jeuxvideo.com/news/1463315/gta-payer-pour-avoir-mauvaise-presse-une-bonne-strategie.htm">Max Clifford pour avertir les médias et les politiques</a> de la prochaine sortie d’un jeu violent et immoral ce qui crée un énorme bad buzz et donne une image sulfureuse à <em>GTA</em> dont la promotion est faite massivement et gratuitement par la presse.</p>
<p>Interdit aux moins de 18 ans, <em>Grand Theft Auto</em> sort le 28 novembre 1997 sur PC, PlayStation, Sega Saturn, Nintendo 64 et Gameboy Color. Grâce au scandale, à son univers et à ses qualités techniques, il dépasse les <a href="https://www.senscritique.com/liste/les_ventes_de_la_saga_gta/321420">deux millions d’exemplaires vendus</a>. Les joueurs peuvent incarner un des huit personnages de criminels et accomplir des missions de plus en plus difficiles et lucratives pour la mafia de Liberty City, version fictive de New York. Ils sont ensuite envoyés à San Andreas (San Francisco) et à Vice City (Miami).</p>
<p><a href="https://www.versionmuseum.com/history-of/grand-theft-auto">Les prochaines versions de <em>GTA</em></a> seront de plus en plus sophistiquées et violentes, les joueurs étant incités à causer un maximum de destruction et de carnage avec de nouvelles armes et de nouveaux véhicules. Véritable <a href="https://www.radiofrance.fr/mouv/podcasts/hype-tech/gta-iii-fete-ces-20-ans-retour-sur-le-jeu-qui-a-change-l-histoire-de-la-franchise-5425307">révolution dans le monde du jeu vidéo, <em>GTA III</em></a>, conçu spécialement pour bénéficier des capacités de la PlayStation 2, marquera le passage de la franchise à la 3D avec une sophistication narrative et un design visuel bien supérieurs. Les libertés sont encore plus importantes dans un monde <a href="https://www.micromania.fr/fanzone/la-liberte-guidant-le-joueur-inevitable-avenement-de-open-world.html">aux possibilités et aux vies infinies et un jeu qui n’a pas de fin</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Présentation de <em>GTA III</em>, évalué 97/100 sur Metacritic.</span></figcaption>
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<p>La franchise <em>GTA</em> a grandement <a href="https://leclaireur.fnac.com/article/cp60972-depuis-quand-on-joue-en-monde-ouvert/">contribué au développement des mondes ouverts</a>, où les personnages peuvent aller n’importe où au lieu de suivre un chemin imposé, et faire n’importe quoi au lieu d’être limités à certaines actions. Cela incite les joueurs à se défouler en commettant des crimes et des infractions qui ne font pas partie des missions de base, alimentant le <a href="https://www.slate.fr/tribune/78450/jeu-video-violence-liberte-expression">débat sur la relation entre violence virtuelle et réelle</a>.</p>
<p>Après plusieurs acquisitions successives, les éditeurs du jeu intègrent le <a href="https://leclaireur.fnac.com/article/cp50038-rockstar-games-lhistoire-des-createurs-de-gta-et-red-dead-redemption/">groupe Take-Two Interactive sous le nom de Rockstar Games</a>, division pilotée par les frères Houser. Ils produiront ensemble toutes éditions de <em>GTA</em> à partir de la troisième jusqu’au départ de Dan en 2020. <a href="https://www.bfmtv.com/tech/gaming/gta-vi-rockstar-games-donne-rendez-vous-debut-decembre-pour-devoiler-le-prochain-grand-theft-auto_AV-202311080579.html">Sam est toujours aujourd’hui le président de Rockstar Games</a> et producteur exécutif de <em>GTA VI</em>. <a href="https://www.linkedin.com/in/david-jones-79557023/?original_referer=https%3A%2F%2Fwww%2Egoogle%2Efr%2F">David Jones partira en 2000</a> fonder plusieurs entreprises successives de gaming : Realtime Worlds, nWay, Reagent Games, et Denki.</p>
<h2>Les performances extraordinaires de <em>GTA V</em></h2>
<p>Contrairement à ce que son nom indique, <em>GTA V</em> est le septième volet principal de la série de jeux vidéo <em>Grand Theft Auto</em>, et la quinzième version au total. Au moment de sa sortie en 2013, <em>GTA V</em> est le <a href="https://www.statista.com/chart/1466/most-expensive-video-games-of-all-time/">jeu le plus cher jamais produit</a>, avec un budget de 265 millions de dollars. Le jeu <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02184494/document">conçu comme un film</a> se déroule à Los Santos, copie virtuelle impressionnante de Los Angeles, dans une ambiance qui mélange toujours hip-hop, réseaux criminels, et parodie de la société américaine.</p>
<p>Malgré ce coût de développement considérable, <a href="https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=1000012084.html"><em>GTA V</em> est le produit culturel le plus rentable de tous les temps</a> loin devant le deuxième, le <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/cinema-le-phenomene-avatar-en-quatre-chiffres-fous-1888650">film <em>Avatar</em></a> de James Cameron. <a href="https://www.take2games.com/ir/news/rockstar-games-announces-grand-theft-auto-vi-coming-2025">Vendu à plus de 190 millions d’exemplaires</a>, il a généré plus de huit milliards de dollars de revenus, dont un milliard dans les trois premiers jours. Au total, 410 millions d’unités de jeux de la série <em>GTA</em> se sont écoulées toutes versions confondues.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le triomphe de <em>GTA V</em>, un jeu produit comme un long métrage.</span></figcaption>
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<p>Cependant, <em>GTA V</em> n’est pas le jeu vidéo le plus vendu, arrivant deuxième derrière <em>Minecraft</em> et ses 300 millions d’exemplaires. Il faut également préciser que le <a href="https://theconversation.com/fortnite-un-phenomene-economique-social-sportif-et-culturel-124543">phénomène mondial <em>Fortnite</em></a>, sorti en 2017 et qui rassemble 236 millions de joueurs actifs mensuels, <a href="https://www.demandsage.com/fortnite-statistics/">a généré 26 milliards de dollars de revenus</a> à fin 2022. Cependant, c’est grâce aux microtransactions d’achats d’objets virtuels issus d’une multitude de franchises, et non grâce à la vente du jeu lui-même qui est gratuit.</p>
<p>Il peut paraître surprenant qu’un jeu vidéo réservé à un public averti et dont l’univers est assez excluant devienne à la fois une <a href="https://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/09/16/gta-v-un-bad-boy-chez-les-blockbusters_3478050_651865.html">véritable référence et un blockbuster</a>. La popularité de <em>GTA V</em> a été amplifiée par l’explosion du streaming, des milliers de viewers se rassemblant sur les <a href="https://actustream.fr/articles/Top-10-streamers-GTA-V-Twitch">chaînes Twitch</a> et YouTube dédiées au jeu. En septembre 2023, les lives ont été visionnés par <a href="https://www.statista.com/statistics/1247955/gta-v-unit-sales-worldwide-total/">152 000 spectateurs simultanés</a> en moyenne. <a href="https://gta5.tv/quel-est-le-menu-de-mode-le-plus-creatif-pour-jouer-a-gta-5-sur-pc">Les modes créatifs de <em>GTA V</em></a> permettent de personnaliser son avatar, de créer ses propres aventures, de réaliser un film, ou de simuler une vie virtuelle.</p>
<p><em>GTA V</em> est un <a href="https://www.cnetfrance.fr/news/le-jeu-gta-v-est-le-produit-culturel-le-plus-rentable-de-tous-les-temps-39866820.htm">jeu à la longévité exceptionnelle</a> qui a été adapté sur trois générations de consoles différentes : les PlayStation 3 et Xbox 360, puis les PlayStation 4 et Xbox One, et la dernière génération des <a href="https://theconversation.com/ps5-en-rupture-mondiale-desastre-ou-genie-marketing-150692">PlayStation 5</a> et Xbox Series X/S. Pour ce dernier lancement en 2020, soit sept ans après la sortie du jeu, 20 millions de copies ont été vendues. Cette dernière mise à jour <a href="https://www.pcgamer.com/gta-5s-latest-hyper-realistic-visual-overhaul-mod-is-breathtaking/">bénéficie de graphismes hyperréalistes</a> avec des effets d’ombres, de reflets, de transparence et de textures révolutionnaires. <em>GTA V</em> est encore aujourd’hui un des jeux qui rassemble le plus d’utilisateurs mensuels juste derrière <em>Fortnite</em> et <em>Call of Duty</em>.</p>
<h2><em>GTA VI</em>, un phénomène de société avant sa sortie</h2>
<p><em>GTA VI</em> sera un retour aux sources : le <a href="https://www.gamingbible.com/news/platform/gta-6-new-vice-city-footage-leaks-blows-fans-minds-449912-20230815">jeu se déroule à Vice City</a>, dans la région de Leonida, ville inspirée de Miami en Floride déjà présente dans la première version. Rockstar Games surfe aussi sur la fascination suscitée par <em>Grand Theft Auto : Vice City</em> sorti en 2003, et <em>Grand Theft Auto : Vice City Stories</em> sorti en 2014. En plus de conquérir une nouvelle génération de gamers, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/retrogaming-remasters-et-remakes-quand-les-jeux-video-s-emparent-de-la-nostalgie-6879769"><em>GTA VI</em> cherche à capitaliser sur la nostalgie</a> des adultes qui ont joué à d’anciennes versions de <em>GTA</em> pendant leur adolescence.</p>
<p>La bande-annonce de <em>GTA VI</em> fait référence à de nombreux faits divers, aux déviances de la société américaine, et à des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=mtGWI1k0qhs">mèmes de la culture geek</a> comme la femme aux deux marteaux, l’alligator dans la piscine, le twerk sur le toit d’une voiture, l’homme nu poursuivi par un policier, le joker de Floride et l’Oldsmobile jaune devant l’Avalon Hôtel de Miami. Le nombre considérable de visualisations est sans doute en partie dû aux personnes qui ont cherché à identifier tous les <em>Easter eggs</em> cachés dans la vidéo.</p>
<p><em>GTA VI</em> semble centré sur un personnage féminin, <a href="https://www.jeuxvideo.com/news/1822826/gta-6-qui-sont-jason-et-lucia-les-deux-personnages-jouables.htm">Lucia, qui sera associée à Jason dans une version moderne de « Bonnie and Clyde »</a>. Ce sera donc une première pour <em>GTA</em> d’avoir un personnage féminin jouable, et même une éventuelle romance entre les deux protagonistes en fonction des choix du joueur. La relation prosociale établie avec ces personnages se poursuivra sur les réseaux sociaux, ces personnages paraissant développés pour être également des <a href="https://theconversation.com/les-influenceurs-virtuels-sont-ils-plus-puissants-que-les-influenceurs-humains-178056">influenceurs virtuels</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Comparaison graphique entre <em>GTA V</em> et <em>GTA VI</em>.</span></figcaption>
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<p>Il faudra attendre au moins un an et l’année 2025 pour jouer à <em>GTA VI</em>, c’est-à-dire 12 ans après le lancement de <em>GTA V</em>. L’éditeur Rockstar Games aurait développé spécialement une <a href="https://www.tomshardware.fr/gta-6-un-nouveau-moteur-graphique-pour-un-rendu-encore-plus-realiste/">nouvelle version de son moteur de jeu</a>, le Rockstar Advanced Game Engine 9 (RAGE 9), qui permettrait d’obtenir un <a href="https://www.rockstarmag.fr/gta-6-les-ameliorations-apportees-par-la-nouvelle-version-du-rockstar-rage-exclue-rockstar-mag/">niveau de réalisme jamais vu jusqu’à présent</a> :</p>
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<li><p>une qualité de netteté et de précision des paysages de près comme de loin qui rend le jeu extrêmement immersif ;</p></li>
<li><p>une chronologie spécifique avec une alternance de jours et de nuits, de levés et de couchés de soleil ;</p></li>
<li><p>des effets de lumière saisissants, en particulier la nuit avec les éclairages artificiels ;</p></li>
<li><p>une véritable météorologie avec pluies, vents, nuages, et éclairs, ainsi que leurs conséquences respectives sur l’environnement ;</p></li>
<li><p>une physique de l’eau, de la vapeur, de la boue et du sable simulée en temps réel ;</p></li>
<li><p>une très forte densité d’animaux : chiens, chats, cerfs, flamants roses, dauphins, alligators, tortues de mer… ;</p></li>
<li><p>une déformation ultra précise et spécifique des véhicules lors des accidents ;</p></li>
<li><p>une multiplication des personnages-non-joueurs photo-réalistes animés par intelligence artificielle qui interagissent entre eux ;</p></li>
<li><p>le corps et les vêtements des personnages sont beaucoup plus soignés, en particulier la peau, les cheveux, les yeux, les accessoires et les bijoux.</p></li>
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<p><a href="https://www.bbc.com/worklife/article/20231214-gta-6-grand-theft-auto-vi-could-smash-revenue-records"><em>GTA VI</em> pourrait coûter deux milliards de dollars</a> de développement, soit huit fois plus que <em>GTA V</em> et vingt fois plus que <em>GTA IV</em>. Rockstar Games consacre donc des moyens colossaux à la création de <em>GTA VI</em> qui deviendrait le jeu le plus coûteux devant <em>Red Dead Redemption II</em> qui a nécessité 500 millions de dollars d’investissement et qui a été développé par… Rockstar Games. <em>GTA VI</em> pourrait bien rapporter un milliard de dollars en 24 heures et même être rentable dès la première semaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219774/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sa sortie n’est prévue qu’en 2025, et pourtant Grand Theft Auto VI est déjà un phénomène se société qui promet de surpasser les éditions précédentes.Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196522023-12-18T19:01:04Z2023-12-18T19:01:04ZInsécurité dans les campagnes : l’affrontement de deux mondes ?<p>Dans la nuit du 18 au 19 novembre 2023 le <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/meurtre-de-thomas-a-crepol/mort-de-thomas-a-crepol-ces-elements-de-l-enquete-qui-montrent-la-complexite-du-dossier_6223491.html">meurtre de Thomas</a> a laissé la France sous le choc. Le jeune homme de 16 ans a été poignardé lors d’une fête de village à Crépol, un petit village d’un peu plus de 500 habitants dans la Drôme.</p>
<p>Pour beaucoup, les campagnes semblaient exemptes de ces formes de violence. Or ce meurtre relance de nombreuses questions à la fois sur l’insécurité en milieu rural, sur l’opposition entre jeunes ruraux et jeunes urbains et semble – en définitive – cristalliser <a href="https://theconversation.com/comment-le-ressentiment-nourrit-le-vote-rn-dans-les-zones-rurales-213110">des tensions politiques et sociales</a>. Derrière la question des violences dans ces territoires refont surface des tensions vis-à-vis de la polémique du <a href="https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/le-racisme-anti-blancs-existe-t-il/">racisme anti-blanc</a> et <a href="https://theconversation.com/attaques-terroristes-conflits-comment-exister-face-aux-tragedies-du-monde-215719">des tiraillements « civilisationnels »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/zones-rurales-contre-zones-urbaines-deux-france-sopposent-elles-vraiment-dans-les-urnes-189609">Zones rurales contre zones urbaines : deux France s’opposent-elles vraiment dans les urnes ?</a>
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<h2>Des violences avant tout intrafamiliales</h2>
<p>La question de l’insécurité au sein des espaces ruraux est centrale et difficile à éclaircir avec les chiffres mis à disposition par le gouvernement. Les rapports annuels sur l’insécurité et la <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites">délinquance</a> ne permettent pas bien de distinguer rural et urbain.</p>
<p>Les zones de gendarmerie (en opposition avec les « zones de police ») représentent la moitié de la population française dont les deux tiers sont urbains ou périurbains. D’autre part, il faut noter que ces chiffres doivent être considérés à l’aune de l’évolution de notre rapport au délit comme c’est notamment le cas avec le phénomène des <a href="https://books.openedition.org/pressesmines/8223?lang=fr">violences sexistes et sexuelles</a> avec l’ouverture de la parole et le travail de sensibilisation qui font que les victimes expriment plus facilement qu’avant ces violences.</p>
<p>Nous pouvons toutefois tirer de ces rapports l’augmentation de plusieurs types de délits dans les communes à faible densité de population. Les villes – c’est-à-dire les zones à forte ou très forte densité de population – bien qu’hétérogènes se distinguent vis-à-vis de la criminalité et notamment de la violence en campagne. Entre 2016 et 2022, les homicides ont stagné en France avec <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Conjoncture-N-99-Decembre-2023">0,08 ‱ contre 0,19 ‱</a> pour les zones urbaines. Ils ont même diminué à Paris sur cette période.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emeutes-en-france-des-films-pour-mieux-comprendre-le-conflit-208896">Émeutes en France : des films pour mieux comprendre le conflit</a>
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<p>Les vols avec et sans armes ont stagné (avec bien évidemment un taux très faible en 2020 du fait des confinements). Ce qui a pu augmenter sont les coups et violences volontaires ainsi que les violences sexuelles. Pour les violences volontaires, nous sommes passés dans les campagnes de 1,5 ‰ à 2,6 ‰ (4,5 à 6,5 dans les grandes villes) ; pour la très grande majorité des violences dans le cadre familial. Enfin, les violences sexuelles observées ont triplé, mais sont aussi le résultat de la libération de la parole notamment <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-metoo-quest-ce-qui-a-change-105225">à la suite du mouvement #MeToo</a>.</p>
<h2>Distinguer délinquance et sentiment d’insécurité</h2>
<p>Quoi qu’il en soit, il faut se rappeler que l’évolution de la délinquance ne correspond pas nécessairement <a href="https://www.cairn.info/vous-avez-dit-securite--9782353712397.htm">au sentiment d’insécurité</a>.</p>
<p>Puisque de nombreux délits et crimes ne créent pas toujours des victimes, et ne participent pas à l’évolution du sentiment d’insécurité sur un territoire là où des comportements d’incivilité risquent d’y contribuer sans qu’ils soient pour autant répréhensibles pénalement. L’impolitesse, la mobilisation de l’espace public ou encore le <a href="https://www.fayard.fr/livre/la-galere-jeunes-en-survie-9782213019048/">« zonage »</a> des jeunes peuvent, par exemple, renforcer le sentiment d'insécurité.</p>
<p>Ce que l’on peut observer de manière générale c’est que les espaces ruraux connaissent moins de violences et de criminalité que le reste du territoire. Le Service Statistique du Ministère de la Sécurité Intérieure (SSMSI) rappelle ainsi que la majorité des actes délinquants reposent sur 1 % des communes sur le territoire national. Sans qu’il s’agisse d’une règle stricte, le rapport du SSMSI montre que la Creuse, département rural, connaît un taux de crime avec violence trois fois inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis, et que les communes sans criminalités sont toujours dans des <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Conjoncture-N-99-Decembre-2023">espaces ruraux</a>. Est-ce à dire que l’on rencontre l’opposition de deux mondes ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-les-campagnes-pourquoi-les-jeunes-se-detournent-ils-des-lieux-publics-186540">Dans les campagnes, pourquoi les jeunes se détournent-ils des lieux publics ?</a>
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<h2>L’affrontement de deux mondes ?</h2>
<p>L’opposition entre les campagnes et les villes est un phénomène <a href="https://theses.hal.science/tel-03559941/document">bien souvent exagéré</a>, par des visions folkloristes comme les <a href="https://www.les-bodins.fr/-Les-aventures-des-Bodin-s-.html">Bodin’s</a>, qui tend à effacer la nuance et l’hétérogénéité des territoires en France. Les différences économiques, en matière d’accès aux services sont à relativiser lorsque l’on observe, par exemple, une pauvreté présente principalement dans les zones urbaines « Quartiers Politiques de la Ville » (QPV) et au sein des espaces ruraux.</p>
<p>Dans les espaces ruraux, le <a href="https://www.theses.fr/2008TOU20042">discours récurrent</a> est celui de l’injustice de la centralisation et de l’urbanocentrisme des politiques. Alors que pour les quartiers politiques de la ville le discours fréquemment employé est celui de la marge que représentent les banlieues et de la stigmatisation de population dominées.</p>
<p>Le rural et l’urbain ne sont pas deux réalités opposées, le premier n’est pas le négatif de l’autre.</p>
<p>Puisque ce qui caractérise l’urbanité ou la ruralité est la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030">densité de population</a>, nous pouvons alors facilement considérer que nous faisons face à un spectre de la ruralité et de la ville. Ce ne sont pas deux « mondes » ou deux « pôles » qui s’opposent, mais plutôt de nombreux espaces plus ou moins denses, plus ou moins éloignés des métropoles.</p>
<p>Des espaces urbanisés ou périurbains viennent se positionner – s’intercaler – entre ces territoires et nous permettent de considérer que nous ne sommes pas dans une opposition, mais dans un dégradé. De plus il faut garder à l’esprit que la ruralité comme l’urbanité ne sont pas des réalités homogènes.</p>
<p>Si cette considération est facile à avoir en tête lorsqu’on parle des villes, elle est plus difficile à prendre en considération lorsque l’on parle des campagnes. Si l’on accepte aisément que Neuilly-sur-Seine ne soit pas la même réalité que La Courneuve, on a souvent plus de mal à accepter que vivre sur l’île d’Oléron n’est pas la même chose que vivre dans un hameau dans les Alpes et que ce n’est pas non plus vivre au bord du bassin d’Arcachon ou au <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">centre de la Creuse</a>.</p>
<p>Ce qui persiste dans les imaginaires ce sont avant tout des prénotions que l’on peut avoir d’une part et d’autres de cette <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">hypothétique barrière</a>. Pour ce qui concerne les stéréotypes sur les ruraux : des idées préconçues sur le retard culturel, un entre-soi passéiste et xénophobe. Et pour les urbains, l’« ensauvagement », la violence et l’assistanat. Ainsi, bien avant toute autre chose, ce sont <a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">nos représentations</a> qui viennent jouer sur la construction d’un sentiment d’opposition entre ces deux « mondes ».</p>
<h2>La cristallisation de multiples tensions</h2>
<p>Les contextes géographiques distincts cachent des réalités communes de domination. Pauvreté élevée, marginalisation, faible taux de service, difficultés liées à <a href="https://pur-editions.fr/product/8573/des-vies-de-pauvres">l’emploi et à la formation</a>, les ressemblances sont sociologiquement bien plus structurantes des vécus que les ancrages géographiques et ce qui est vécu comme une diversité culturelle.</p>
<p>La ruralité et l’urbanité restent des marqueurs symboliques d’identités pour beaucoup de jeunes et derrière le drame qui a frappé les habitants de Crépol vient la peur de <a href="https://theconversation.com/emeutes-au-dela-des-eclats-le-reflet-de-vies-brutalisees-209239">« l’ensauvagement »</a> et de l’envahissement d’espaces qui semblent « préservés » de ces formes de violence.</p>
<p>Or, s’il y a un taux de criminalité avec violence plus « faible » en milieu rural qu’en ville, nous devons rappeler que cela ne signifie pas que les espaces ruraux sont exempts de toute forme de violence. Dans le <a href="https://www.nouvelle-aquitaine.fr/sites/default/files/2022-11/rapport%20rural%20der.pdf">rapport</a> sur les violences sexistes et sexuelles en milieu rural l’autrice rappelle que de nombreuses formes de violence sont passées sous silence et invisibilisées du fait de l’interconnaissance locale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violences-sous-silence-une-enquete-en-nouvelle-aquitaine-revele-lampleur-des-feminicides-en-milieu-rural-189187">Violences sous silence : une enquête en Nouvelle-Aquitaine révèle l’ampleur des féminicides en milieu rural</a>
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<p>En réalité, ce ne sont pas tant les questions de violences et/ou de criminalités qui font débat, mais un rapport à la politique et une récupération faite notamment par des mouvements d’extrême droite. À Bordeaux, Toulouse, Brest, Crépol ou encore Clermont-Ferrand des <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/manifestation/mort-de-thomas-a-crepol-plusieurs-manifestations-de-lultradroite-interdites-en-france-4d96699a-9056-11ee-b098-8644c47fd929">manifestations ont été interdites</a> par crainte de violences entre des groupes d’extrême droite et d’extrême-gauche. Pourtant, les élus locaux apportent une nuance importante sur leur territoire, mais souvent peu visible et peu mise en avant face <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-13-14/le-13-14-du-lundi-04-decembre-2023-5011742">aux instrumentalisations de ce drame</a>.</p>
<p>Aussi, s’il faut être prudent avec les données que l’on peut mobiliser, il est clair que des montées identitaires et politiques traversent de tels évènements comme cela a pu être notamment observé sur le réseau social X. On voit ici encore que la ruralité, bien loin d’être en marge des problématiques contemporaines, se retrouve en leur cœur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219652/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé est membre du CERTOP et du CED</span></em></p>Comment le drame de Crépol et l’opposition entre jeunes ruraux et jeunes urbains cristallisent des tensions politiques et sociales.Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179342023-11-16T11:52:56Z2023-11-16T11:52:56ZÀ quoi sert la violence des mouvements écologistes ? Le rituel de l’écodésordre, entre spectacle et espoir d'un nouveau monde<p>La question de la violence a récemment été mise en tension avec celle de l’écologie politique, à travers la dissolution – finalement annulée par le Conseil d’État – du <a href="https://theconversation.com/provocation-implicite-et-salades-arrachees-les-raisons-de-la-dissolution-annulee-des-soulevements-de-la-terre-217481">collectif écologiste Les Soulèvements de la Terre</a>. Argument invoqué : les affrontements avec les forces de l’ordre lors des manifestations, mais surtout la violence contre les biens, en particulier <a href="https://theconversation.com/sainte-soline-un-tournant-pour-les-mouvements-ecologistes-203304">ce printemps à Sainte-Soline</a>.</p>
<p>« Un cap supplémentaire a été franchi » dans la violence, tant lors des manifestations contre la réforme des retraites que lors du rassemblement contre les mégabassines à Sainte-Soline, estimait le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cegrvimani/l16b1824-t1_rapport-enquete">rapport de la commission d’enquête</a> sur les « groupuscules violents » <a href="https://lcp.fr/actualites/groupuscules-violents-en-manifestations-la-commission-d-enquete-s-inquiete-d-un">rendu public ce 14 novembre</a>. Désobéissance civile pacifiste nécessaire pour les uns, illégalisme violent à réprimer pour les autres. Qu’en est-il vraiment ?</p>
<h2>La violence comme rituel et comme spectacle</h2>
<p>Dans l’immense majorité des cas, pour les activistes écologistes, le franchissement de la légalité advient lorsqu’ils estiment que toutes les tentatives de contestations démocratiques ont été épuisées. Ensuite, certains <a href="https://aoc.media/analyse/2023/05/21/jusquou-assumer-la-contre-violence-en-anthropocene/">éléments ethnographiques</a> semblent nous indiquer que dans les pratiques de dégradations, de désarmements, d’occupations illégales ou de manifestations de masse menant à la confrontation, la violence est avant tout une tentative politique de reprendre le pouvoir sur un monde menaçant par l’ouverture d’un nouvel imaginaire spectaculaire.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Il faut souligner que les mobilisations écologistes semblent faire office de catalyseur des luttes, et apportent de ce fait une diversité de tactiques militantes dont l’intensité est variable, mais dont la violence reste essentiellement codée et limitée. Ces observations ethnographiques convergent, à ce titre, avec les <a href="https://www.cairn.info/le-vertige-de-l-emeute--9782130819097.htm">travaux de terrain portant sur la violence émeutière</a>, laquelle obéit à une casuistique de l’affrontement, un désordre chaotique et pourtant réglé s’apparentant bien souvent à une pratique festive.</p>
<p>Comprendre : cette violence produit un spectacle, dans le sens où il y a en général un petit nombre d’acteurs de la violence, face à un grand nombre de spectateurs qui l’approuvent. Comme tout spectacle, et donc comme tout rituel, l’usage de la violence reste limité par un ensemble de règles, de code, et par des individus dans le groupe qui vont orchestrer sa régulation.</p>
<h2>Qu’est-ce que la violence légitime ?</h2>
<p>C’est pourquoi, sur les terrains étudiés en France depuis janvier 2022 à travers une ethnographie de proximité, nous n’avons jamais observé un membre des forces de l’ordre isolé se faire lyncher, et ce même lorsque la répression avait infligé des mutilations et blessures importantes dans le camp militant. Les tirs de cocktails Molotov restent relativement marginaux, peu de militants étant enclin à franchir ce degré d’intensité de la violence qui nécessiterait selon eux de « réunir certaines conditions de sécurité ».</p>
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<p>Face à une administration publique gardée par quelques agents, les grilles vont être découpées, mais l’affront s’arrêtera là : « on leur a montré qu’on aurait pu rentrer quand on voulait ! » Il est possible de détériorer une entreprise, par exemple en lui coupant l’eau, ou en la saccageant, mais l’incendier ou la faire exploser dépasserait sans doute les limites tacites de la violence légitime.</p>
<p>Il ne s’agit pas ici d’évacuer les conséquences de la violence : la confrontation provoquant des brûlures et bris d’os chez les forces de l’ordre, éborgnements, arrachage de mains, perte du visage, voire <a href="https://www.radiofrance.fr/mouv/la-france-est-le-pays-d-europe-qui-compte-le-plus-de-morts-en-manifestations-4872972">la mort chez les militants</a>. Les conséquences plus complexes sur les systèmes sociaux des « désarmements » et obstructions des voix publiques sont également bien réelles. Il ne s’agit pas ici non plus de minimiser les effets de contingence et d’opportunisme, ou encore le fait que la violence échappe parfois à tout contrôle (il nous est arrivé d’échapper de justesse à des tirs « amis », et parfois certaines dégradations dépassent les organisations).</p>
<p>Mais la violence semble malgré tout obéir à des règles qui la limitent. Si la violence est à ce point limitée, quelle en est donc sa fonction ? Que sert-elle ?</p>
<h2>Un rituel de l’écodésordre pour imaginer un nouveau monde</h2>
<p>Une observation des phénomènes d’action directe offensive nous indique que la violence semble être au service d’un rituel consistant à mettre à bas l’ordre établi en franchissant la limite de la loi et ceci afin de plonger dans l’imaginaire d’un nouvel ordre du monde. L’illégalisme s’entendrait comme le franchissement d’une frontière, un passage entre deux mondes. La violence est le couteau qui découpe une fenêtre vers cet autre monde, elle rend présent, aux yeux de tous, un avenir souhaité.</p>
<p>La nature des actions menées nous renseigne sur ce nouveau monde, dont les grilles des institutions seraient ouvertes, les infrastructures dégradant l’environnement mises hors d’état de nuire, la liberté d’occuper l’espace public absolue, l’alimentation non carnée, les échanges non marchands, la solidarité désinstitutionnalisée, etc.</p>
<p>Il s’agit d’un écodésordre, dont toutes les composantes tactiques participent à l’avènement d’un nouvel imaginaire qui devient plus palpable dans ce passage ouvert par la violence. Cette violence doit donc avant tout être comprise comme une résistance physique, qui s’inscrit dans le réel en opposition face à un ordre.</p>
<h2>De l’impunité désacralisée</h2>
<p>Reste que l’écodésordre est évalué, jugé et sanctionné au regard du référentiel établi par l’ordre politique et social de notre démocratie libérale. Dans cet ordre, le coup de cutter dans une bâche est une atteinte impardonnable à l’outil de production agricole. Dans l’ordre – pour l’instant imaginaire – de l’écologie radicale, il s’agit de désarmer une bombe climatique : désacraliser la propriété privée pour montrer ce qu’elle masque.</p>
<p>Autre exemple, lors des suites du <a href="http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Espace-presse/Cellule-Demeter-le-tribunal-juge-illegales-les-missions-de-prevention-et-de-suivi-des-actions-ideologiques-contre-le-secteur-agricole">premier procès issu de la cellule Déméter</a>, le procureur accusait les antispécistes de vol et de maltraitance animale, provoquant quelques murmures outrés des activistes présents à nos côtés dans la salle. Pour le prévenu, celui-ci avait en effet libéré – et donc sauvé – un animal du massacre et des tortures d’un élevage intensif.</p>
<p>Ainsi, la violence exprimée à travers ces mobilisations exprime davantage une contre-violence qui vise à empêcher le développement d’une violence jugée encore plus grande et plus dangereuse, car elle vise toute la communauté (la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité…) et pas simplement le propriétaire du bien. Mais l’écodésordre peut-il être légal ?</p>
<h2>Écodésordre et illégalisme</h2>
<p>Il semble que ce soit la constitutionnalité même de la république qui est touchée par cette question. On peut en effet lire dans ce texte fondateur que « le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits et devoirs définis dans la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/charte-de-l-environnement-de-2004">Charte de l’environnement de 2004</a> ». Rappelons, à toutes fins utiles, que cette charte de l’environnement édicte </p>
<blockquote>
<p>« qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».</p>
</blockquote>
<p>Or, en s’appuyant sur des arguments scientifiques, les activistes écologistes considèrent que les décisions gouvernementales confortent la trajectoire catastrophique de l’Anthropocène, et précipitent des effondrements à venir. Selon eux, il y aurait une faillite de l’État à protéger ses propres citoyens et les générations à venir. C’est de là sans doute que d’anciennes aspirations jacobines réemergent à nouveau, et que <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-du-24-juin-1793#:%7E:text=Article%2035.,le%20plus%20indispensable%20des%20devoirs.">l’article 35 de la Constitution du 24 juin 1793 résonne dans certains imaginaires</a> : « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »</p>
<p>On assiste alors à un renversement de la perception de la violence. Au nom du progrès social, nos sociétés ont accepté le développement d’une violence écologique (écocidaire) contre l’environnement autrefois perçu comme une « bonne violence ». Cela a produit une forme d’impunité environnementale : <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100234100">ni responsable, ni coupable pour les actes préjudiciables à l’environnement</a>.</p>
<p>Mais aujourd’hui, la perception et la justification de cette violence contre l’environnement ne sont plus acceptées par certains activistes. Continuer à détruire l’environnement n’est plus justifiable au regard de l’ampleur des conséquences terrestres. Selon cette logique, il y aurait une nécessité de remettre en cause l’ordre social, économique et politique qui continue à justifier ces attaques contre l’environnement au nom de principes jugés obsolètes.</p>
<h2>Désobéissance civile ou mouvement de résistance ?</h2>
<p>Dans cette perspective, il nous semble absurde de parler de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/desobeissance-civile-69805">désobéissance civile</a> pour l’écologie radicale. Elle relèverait bien plus de la catégorie des mouvements de résistance dans la mesure où elle affirme son identité non pas dans la transition, mais dans la rupture. Elle regroupe un collectif d’acteurs civils et institutionnels mêlant un ensemble de procédés plus ou moins radicaux de non-coopération, voire de confrontation avec une adversité.</p>
<p>Comme la résistance, elle s’attaque au pouvoir en place, mettant en cause la prétendue <a href="https://arenes.fr/livre/sans-armes-face-a-hitler/">légitimité de sa présence, ses symboles, sa propagande et ses moyens de répression</a>. L’écologie radicale pose aujourd’hui les mêmes questions que la résistance (civile en particulier). Ainsi que l’écrivait Jacques Semelin en 1989 dans « Sans armes face à Hitler », les questions sont les suivantes :</p>
<ul>
<li><p>Qu’avons-nous aujourd’hui à défendre ?</p></li>
<li><p>Qu’est-ce qui fonde notre identité collective ?</p></li>
<li><p>Quelles sont les valeurs qui méritent d’être défendues en cas de crise menaçant la sécurité et l’intégrité de nos sociétés ?</p></li>
</ul>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La lutte du Larzac, un combat pas exempt de répression policière, ici avec la mobilisation de gendarmes mobiles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Community of the Ark of Lanza del Vasto/Wikipedia, CC BY</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Finalement, assiste-t-on vraiment à une intensification de la violence au sein du mouvement écologiste ? Si l’on se souvient qu’en 1982 l’élu écologiste Shaïm Nissim tirait « pacifiquement » au lance-roquette sur Malville et que quelques années auparavant un <a href="https://theconversation.com/la-desobeissance-civile-climatique-les-etats-face-a-un-nouveau-defi-democratique-214988">véhicule bélier du Larzac</a> enfonçait les grilles de la préfecture, on peut en douter. Mais qu’adviendra-t-il de la contestation sociale globale lorsque les conditions environnementales seront tellement dégradées que la satisfaction des besoins sera remise en cause ?</p>
<p>Bien heureux alors le temps des salades arrachées et de la violence contenue au seul rituel de l’écodésordre de la résistance civile. La dissolution du mouvement par les autorités se révèle ainsi être une tentative maladroite – ou désespérée – de circonscrire le désordre dans un mouvement, alors que nous serions en fait en présence d’un phénomène social diffus : une désacralisation de l’impunité environnementale à l’origine de l’avènement d’un illégalisme. Et qui, face à la menace existentielle, pose la question de la régulation globale de la violence à nouveaux frais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217934/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Porchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les vicissitudes des Soulèvements de la Terre interrogent sur la violence des mouvements écologistes. Violence qui a une fonction clé : celle d'un grand spectacle qui entend imaginer un nouveau monde.David Porchon, Doctorant en sciences politiques, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171992023-11-14T18:56:07Z2023-11-14T18:56:07ZComment appréhender les images des violences terroristes contre les otages ?<p><em>Attention, les descriptions de faits violents rapportés dans cet article peuvent heurter un public sensible.</em></p>
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<p>Visuellement, Shani Louk est apparue aux yeux de tous le 7 octobre dernier. Cette jeune Israélo-Allemande, tatoueuse de profession, a été kidnappée alors qu’elle participait au festival Tribe of Nova. On l’a vue dénudée et sur le ventre, à l’arrière d’un pickup, dans une courte vidéo de propagande prise par le Hamas.</p>
<p>Sur cette vidéo, sa tête est ensanglantée et elle apparaît inconsciente. Plusieurs miliciens du Hamas la présentent en trophée, tandis qu’un autre, placé à côté du véhicule, lui crache dessus. Le film montre ensuite le véhicule démarrer et disparaître au loin. Shani Louk a été rapidement identifiée par sa mère grâce à ses tatouages et à ses dreadlocks. Trois semaines après son enlèvement, <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67260093">elle a été déclarée morte</a>.</p>
<p>Le destin tragique et révoltant de Shani Louk doit nous inciter à réfléchir à la visibilité de la violence terroriste, à l’usage qui en est fait et à l’impact que ces images ont sur nous. En prenant évidemment toutes les précautions possibles.</p>
<p>Le raid meurtrier du Hamas sur Israël le 7 octobre 2023 a apporté son lot d’images atroces, même si, apparemment, les plus insoutenables n’ont pas toujours été diffusées, et qu’Israël dispose d’un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/videos-de-l-attaque-du-hamas-une-nouvelle-dimension-de-la-cruaute-4379606">montage vidéo de 43 minutes</a> d’images très difficiles à regarder, qui ont été montrées à des chercheurs, des journalistes et des parlementaires.</p>
<p>L’embarras des médias et leur autocensure sont importants dès qu’il s’agit de montrer la violence, dès que la dignité des victimes est en jeu, dès que les images relèvent de la propagande, dès qu’elles sont trop perturbantes, mais aussi dès qu’elles provoqueraient des émotions trop fortes.</p>
<p>La déontologie journalistique (voir par exemple la <a href="https://www.afp.com/sites/default/files/charte_deontologique_afp-mars2023.pdf">page 19 de cette charte de l’AFP</a>) comme les spécialistes des images fixent des règles à ce sujet, partant du postulat que la violence peut être l’ennemie de l’information, et qu’on comprend mieux un phénomène lorsque sa représentation est « apaisée ».</p>
<p>Le philosophe <a href="https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/321">Yves Michaud</a> pense ainsi que les images des blessés de l’attentat du RER Saint-Michel en 1995 ne dénoncent ni la violence ni le terrorisme, mais on pourrait poser tout au contraire que, le temps passant, elles acquièrent désormais une valeur d’archives historiques, annonçant l’ère du terrorisme djihadiste en France.</p>
<p>Nombre d’images tombent dans l’oubli et demeurent invisibles. Mais la <a href="https://laviedesidees.fr/Faut-il-montrer-les-images-de-violence">visibilité de la violence</a> est une question qui ne fait que se répéter et s’amplifier à l’ère de la profusion d’images et de leurs canaux de diffusion.</p>
<p>On peut dès lors s’interroger, comme le suggérait l’essayiste, romancière et militante américaine <a href="https://bourgoisediteur.fr/catalogue/devant-la-douleur-des-autres/">Susan Sontag</a> dans son essai « Devant la douleur des autres », sur le fait d’accepter de se laisser hanter par les images de violence et d’apprendre à les regarder.</p>
<h2>Nudité et violence</h2>
<p>L’effroi provoqué par les images de la capture de Shani Louk tient notamment à la vulnérabilité de la jeune fille exposée. Elle se retrouve au milieu des visages ivres de haine des membres du Hamas qui inspirent la terreur et occupent tout l’espace d’une image qui proclame leur gloire.</p>
<p>L’empathie qu’une image peut provoquer peut ainsi passer par la présence dérangeante de la nudité comme préalable récurrent à la violence ou à la mort.</p>
<p>On pense aux femmes dénudées lors des pogroms de Lviv en Ukraine en 1941, où furent tués des milliers de Juifs. On dispose de plusieurs photos de ces femmes, qui ne sont bizarrement pas devenues iconiques, peut-être parce que, comme le note l’historienne anglaise <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/P/bo12346074.html">Griselda Pollock</a> à propos des massacres de Juifs dans les pays baltes à la même époque, pour un regard masculin, la nudité détourne de la perspective de la mort.</p>
<p>Pour autant, comme l’a montré <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Images_malgr%C3%A9_tout-2050-1-1-0-1.html">Georges Didi-Huberman</a>, ce sont bien trois photos de corps nus, vivants puis morts, de femmes déshabillées avant l’entrée dans les chambres à gaz d’Auschwitz, prises par les membres d’un Sonderkommando – des unités de travail dans les centres d’extermination nazis, composées de prisonniers, juifs dans leur très grande majorité, forcés à participer au processus de la « solution finale » – qui donne un « imaginable » à la pensée du « dehors » et à ce dont personne n’entrevoyait la possibilité.</p>
<p>Plus près de nous, en 1972, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/photographie/kim-phuc-la-petite-fille-au-napalm-photographiee-au-vietnam-il-y-a-47-ans-se-raconte-dans-sauvee-de-l-enfer_3647071.html">« napalm girl »</a> de Nick Ut, petite fille au dos brûlé et hurlant de douleur, fuyant son village bombardé, a failli ne jamais paraître dans les journaux du monde entier, parce qu’Associated Press était gêné par sa nudité. Encore aujourd’hui, les algorithmes des réseaux sociaux traquent et éliminent cette image, alors même qu’elle est célèbre et que sa puissance iconographique provient du contraste entre la fragilité de Kim Phuc – c’est son nom – et le champ de bataille où elle est piégée, son statut d’enfant innocent et la violence des adultes dont elle est victime.</p>
<p>Le destin visuel de Shani Louk fait immanquablement penser à l’image méconnue mais saisissante de la jeune patriote russe Zoïa Kosmodemianskaïa, tuée par les nazis en 1941 dans le village de Petrishchevo, pendue puis dépoitraillée, le sein coupé, mais le visage intact. Analysant la photographie de son corps, <a href="https://www.rougeprofond.com/produit/representer-lhorreur/">Frédéric Astruc</a> montre qu’elle est un point d’équilibre improbable entre beauté et horreur, et qu’elle redonne toute son humanité à Zoïa face à ses meurtriers barbares.</p>
<p>Faire disparaître le corps de Shani Louk, dont le visage est d’ailleurs dérobé, c’est aussi prendre le risque d’interdire toute identification et reconduire l’effacement de sa présence au monde voulu par ses bourreaux.</p>
<h2>Une image saturée d’oppositions</h2>
<p>La mise en scène par le Hamas de cet enlèvement est un précipité de ce qui caractérise le terrorisme contemporain. En effet, les actions terroristes sont marquées par une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-sociales-2002-4-page-525.htm">déconnexion</a> entre les victimes réellement touchées et les cibles politiques ultimement visées.</p>
<p>Dans la « logique » de cette violence aveugle, tuer des gens au Bataclan ferait avancer la cause de l’établissement d’un califat dans la zone syro-irakienne, et mitrailler des danseurs dans le désert permettrait de lutter contre Israël.</p>
<p>Mais la réception de ces actions par les populations relève de la pure terreur, sans idée qu’une transaction politique entre les terroristes et l’État soit possible, car l’atteinte à des civils qui ne sont pas directement concernés est insupportable. Pour le Hamas, Shani Louk est une prise de guerre, mais son dénuement dit justement le contraire : elle est dès l’origine étrangère au conflit, ni son métier ni l’activité festive qu’elle menait avant d’être prise en otage ne l’en rapproche, et sa capture n’est pas un objectif militaire.</p>
<p>Comme souvent, les images de propagande sont réversibles : là où le Hamas entend mettre en scène un coup de force, les publics occidentaux voient une action armée qui vise essentiellement des civils désarmés, et rappelle plutôt la brutalité des gangs et des cartels mexicains. Voire une activité criminelle dépolitisée, où les assassinats de bébés et d’enfants, les viols de femmes, les kidnappings de vieilles dames, les tirs systématiques sur toute personne rencontrée, jusque dans l’espace domestique, ne peuvent être rapportés à une quelconque logique militaire.</p>
<p>C’est au contraire la dissymétrie entre tueurs et victimes que dévoile la vidéo de Shani Louk, dans des couples d’oppositions difficiles à appréhender émotionnellement.</p>
<p>Comme au Bataclan encore, opposition entre une rave party insouciante et l’irruption d’une violence qui l’achève dans le sang. Opposition entre l’espace de la fête et celui de la guerre, symbolisé ici par les mitraillettes et les jeeps. Opposition entre les photographies de Shani Louk avant son enlèvement, qui ont circulé sur Internet, la montrant en tenue bohème, clubbeuse, jeune fille « de son époque » posant sur Instagram pour ses <a href="https://www.businessinsider.com/shani-louk-friends-family-describe-german-israel-who-was-killed-2023-11">13 000 followers</a>, et ses derniers instants insupportables.</p>
<p>Opposition de posture et de sons entre des miliciens gesticulant et hurlant, levant leurs armes, et une jeune femme inconsciente. Opposition des religions entre combattants fanatisés et victimes, le Hamas traquant des « Juifs », avant de traquer des « Israéliens », ce qui a conduit à l’utilisation du mot « pogrom » pour qualifier l’attaque du 7 octobre. Toutes ces oppositions reconduisent en fait le découplage initial entre des univers qui « n’auraient pas dû » se rencontrer et que le terrorisme fait se rencontrer, celui de la violence et celui des civils.</p>
<p>Accepter d’être hanté par les images de souffrance et de violence, c’est se laisser envahir par des émotions dites négatives, par la sidération et le choc, alors même que les journalistes hésitent à les montrer, que la loi française interdit pénalement de publier des images portant atteinte à la dignité des victimes, et que les <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/10/23/guerres-massacres-attentats-les-conseils-d-un-psychiatre-pour-se-proteger-face-aux-images-violentes_6196124_3210.html">psychologues déconseillent de les regarder</a> au risque sinon de la sidération permanente, de <a href="https://www.slate.fr/tech-internet/operation-net-propre/travailleurs-horreur-quotidien-philipines-moderateurs-contenu-choquant-images-videos-reseaux-sociaux">l’anxiété</a>, du dégoût, voire de l’insensibilisation.</p>
<p>On sait que les images de propagande, d’exécutions (par Daech, par exemple), ici d’enlèvements, sont utilisées à des fins d’enrôlement de nouvelles recrues, de galvanisation, de construction de toute une imagerie de la violence et du martyre, afin de renforcer la radicalisation des terroristes.</p>
<p>Mais a contrario, les images choquantes peuvent aussi jouer un rôle de dénonciation et fédérer celles et ceux qui combattent ces violences. Pour ne citer qu’un exemple, les photos nazies ont été utilisées par la résistance polonaise, par les Soviétiques, par les journaux alliés, pour dénoncer le nazisme.</p>
<p>Cet iconoclasme contemporain tient à la confusion que pointait déjà <a href="https://lafabrique.fr/le-spectateur-emancipe/">Jacques Rancière</a> entre « l’intolérable dans l’image », celui de la réalité, et « l’intolérable de l’image ». Se confronter aux images c’est aussi accéder à d’autres émotions, la compassion notamment, provoquer des comportements, une révolte voire un engagement, face à la violence contre les civils, accéder à des informations, déconstruire une propagande, documenter une situation, ou encore identifier des assassins pour une éventuelle action en justice.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217199/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Taïeb ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le destin tragique et révoltant de Shani Louk, tuée par le Hamas, fait réfléchir à la visibilité de la violence et à la façon d’être traversé par les images.Emmanuel Taïeb, Professeur de Science politique - Rédacteur en chef de Quaderni, Sciences Po LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162842023-10-30T19:09:19Z2023-10-30T19:09:19ZComment les sorcières sont devenues des icônes féministes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/556306/original/file-20231027-17-4bj4it.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1020%2C590&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Femmes accusées d'être sorcières brûlées sur le bûcher à Derenburg en 1555</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Zeitung_Derenburg_1555_crop.jpg">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Halloween oblige, les sorcières réapparaissent, aux côtés d’autres figures d’épouvante convoquées pour l’occasion. Pourtant, contrairement aux citrouilles, zombies et autres <em>poltergeists</em>, elles n’ont jamais tout à fait quitté l’actualité ces dernières années – et surtout, elles se rapportent à une réalité historique.</p>
<p>Des personnalités contemporaines, comme la députée Sandrine Rousseau, ont par exemple signé des <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/lappel-de-200-personnalites-sorcieres-de-tous-les-pays-unissons-nous-3928922">tribunes associant cette figure à leurs revendications</a>. Présentées comme des femmes persécutées en raison de leur genre, dans la lignée des <a href="https://entremonde.net/caliban-et-la-sorciere">travaux de la philosophe Silvia Federici</a> et de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sorcieres-9782355221224">l’ouvrage de Mona Chollet</a>, les sorcières irriguent le débat public.</p>
<p>En effet, la répression de la sorcellerie peut être vue comme une <a href="https://www.nonfiction.fr/article-9624-la-sorciere-metaphore-de-la-condition-feminine.htm">métaphore de la condition féminine à travers l’histoire</a>, manifestation violente de l’hégémonie patriarcale.</p>
<p>Pour les historiennes et les historiens spécialistes, le <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/witchcraft-in-early-modern-europe/many-reasons-why-witchcraft-and-the-problem-of-multiple-explanation/8E67EE2828CB2F730F9E5D1DDB1B31A4">constat est plus contrasté</a>, <a href="https://books.openedition.org/pul/7157?lang=en">sans minimiser l’impact des discours et des imaginaires misogynes à l’œuvre dans ces accusations</a>, ni la réalité des dizaines de milliers de femmes persécutées et tuées pour crime de sorcellerie.</p>
<p>Finalement, de quoi parle-t-on lorsque nous évoquons les « sorcières » ? De trois objets, complémentaires, mais distincts. La persécution réelle d’individus accusés de sorcellerie d’abord. D’une figure symbolique ensuite, s’appuyant sur cette dernière, mais construction culturelle au fil des siècles sur laquelle se sont bâtis et appuyés des discours puissants et encore actifs aujourd’hui. D’une nouvelle réalité, enfin, celle d’individus s’identifiant comme « sorcières » et dont les pratiques comme les croyances se revendiquent des accusées du passé, notamment les adeptes des <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1997_num_100_1_1181_t1_0106_0000_3">mouvements néo-païens</a>.</p>
<h2>La répression de la sorcellerie, une réalité historique</h2>
<p>De l’Antiquité, le Moyen Âge conserve le souvenir d’une législation <a href="https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1976_ant_27_1_2009">romaine</a> et impériale rigoureusement sévère contre les magiciens et la magie, <a href="https://www.jstor.org/stable/283219">qu’elle condamnait à mort lorsque celle-ci était destinée à nuire</a>. Héritier de ces conceptions, le Moyen Âge chrétien organise une lutte contre toutes formes de réminiscences du paganisme – pratiques magiques et divinatoires, culte des idoles, etc. – que l’Église englobe dans le champ des superstitions.</p>
<p>Les premiers procès de sorcellerie apparaissent, dans les sources, <a href="https://www.binge.audio/podcast/pop-culture/maxime-et-les-proces-de-sorcellerie-partie-1">dès le début du XIIIᵉ siècle, notamment en Italie du Nord</a>. Ils se rencontrent de plus en plus fréquemment en raison, notamment, d’un changement de perception.</p>
<p>De fait, la sorcellerie est progressivement considérée comme un crime plus grave. Dès les années 1280, elle tend à être assimilée à une hérésie, dans le cadre d’une mouvement plus large. En effet, à la même période, l’Église inaugure un vaste projet de lutte contre toutes les hérésies, dans un contexte de crise politique et d’affirmation du pouvoir pontifical. Elle se dote d’une institution spécifiquement dédiée à ce projet, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-lundis-de-l-histoire/heresie-et-inquisition-9253397">l’Inquisition</a>.</p>
<p>Dans ce nouveau paradigme, la sorcellerie impliquerait explicitement un pacte avec le diable et l’invocation des démons. De ce fait, les accusés encourent la peine réservée aux hérétiques : la <a href="https://journals.openedition.org/medievales/1087">condamnation au bûcher</a>. Un des moments clefs de cette nouvelle définition est la promulgation, en 1326, de la bulle <em>Super illius specula</em> <a href="https://www.cairn.info/satan-heretique--9782738113665-page-17.htm">par le pape Jean XXII (1316-1334)</a>. La sorcellerie est considérée comme une menace tangible pour la société chrétienne.</p>
<p>Pour la combattre, l’Église n’est pas seule. Les pouvoirs laïcs – les rois, les seigneurs, mais aussi les villes – et leur justice participent également à la répression.</p>
<p>Les procès se rencontrent de plus en plus fréquemment en Europe et se multiplient jusqu’à la fin du XV<sup>e</sup> siècle, sans être toutefois un phénomène de masse.</p>
<p>Bien qu’associées dans l’imaginaire collectif au Moyen Âge, les grandes « chasses aux sorcières » ne démarrent véritablement qu’à l’époque moderne.</p>
<p>L’approche quantitative de la répression de la sorcellerie est complexe. La conservation des sources est incomplète, leur étude non exhaustive. Néanmoins, un consensus se dégage. En Europe, entre les XIII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles, le nombre de procès en sorcellerie se situerait entre <a href="https://www.kaggle.com/datasets/michaelbryantds/witch-trials">100 000 et 120 000 pour 30 000 à 50 000 exécutions</a>.</p>
<h2>Entre 1550 et 1650, 80 à 85 % des personnes poursuivies sont des femmes</h2>
<p>Parmi les individus accusés, les femmes occupent une part prépondérante sur l’ensemble de la période de criminalisation.</p>
<p>Celles-ci ont des profils très divers. Contrairement aux idées reçues, l’étude des procès révèle que ce ne sont <a href="https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_1993_num_12_2_1668">pas exclusivement des femmes marginalisées, vieilles, célibataires ou veuves</a>. Toutes les catégories sociales se rencontrent devant les tribunaux, y compris les mieux insérées et les plus fortunées.</p>
<p><a href="https://www.cath.ch/newsf/la-chasse-aux-sorcieres-sest-developpee-comme-une-fake-news/">Personne n’est à l’abri d’une accusation de sorcellerie</a>, souvent issue d’une dénonciation, qui peut découler d’une rumeur ou de tensions.</p>
<p>À l’origine, la machine judiciaire n’est pas spécifiquement dirigée contre les femmes, mais la persécution se concentre sur elles <a href="https://books.openedition.org/pul/7157?lang=en">à partir de la fin du Moyen Âge et tout au long de l’époque moderne</a>.</p>
<p>Ainsi, si cette criminalisation touche à l’époque médiévale <a href="https://hal.science/hal-03296671/">autant les femmes que les hommes</a> – avec parfois des particularismes régionaux où peuvent s’observer <a href="https://journals.openedition.org/crm/11507?lang=es">certaines nuances</a>, <a href="https://www.routledge.com/The-Witch-Hunt-in-Early-Modern-Europe/Levack/p/book/9781138808102">entre 1550 et 1650, 80 à 85 % des personnes poursuivies auraient été des femmes</a>.</p>
<p>Pour comprendre cette évolution, il faut se pencher sur le concept novateur du sabbat, sur lequel se sont appuyées les chasses aux sorcières. Cet imaginaire, qui se construit au XV<sup>e</sup> siècle, englobe, en apparence, autant les hommes que les femmes. Toutefois, dès le départ, comme l’indiquent les historiennes Martine Ostorero et Catherine Chêne, il diffuse les ferments d’une misogynie destinée à s’amplifier par la suite, dans une <a href="https://shs.hal.science/halshs-03394529">période de circulation intense de stéréotypes contre les femmes</a>. Selon ce paradigme, les femmes, plus faibles, sont davantage susceptibles de <a href="https://journals.openedition.org/crm/768">céder au diable que les hommes</a>.</p>
<p>Avant toute chose, c’est du fait de la croyance en la réalité de leur pacte avec les démons que ces femmes, mais aussi ces hommes et ces enfants, font l’objet de poursuites judiciaires et, dans un cas sur deux, sont susceptibles d’être condamnés, le plus souvent à mort.</p>
<h2>La sorcière, de la répression à la figure « mythique »</h2>
<p>Plusieurs coups d’arrêts marquent la fin des procès et amorcent la décriminalisation de la sorcellerie (édit du Parlement de Paris de 1682, <em>Witchcraft Act</em> de 1736). Ainsi, en Europe, <a href="https://www.slate.fr/societe/femmes-coupables/anna-goldi-proces-injuste-sorciere-condamnee-mort-histoire-suisse">Anna Göldi</a> fut la dernière personne exécutée pour sorcellerie en 1734 à Glaris, en Suisse.</p>
<p>Désormais dépénalisé, le phénomène devient un objet d’études et de fascination.</p>
<p><em>La Sorcière</em> de Jules Michelet (1862) marque une rupture importante dans la réhabilitation du personnage. En insistant sur sa dimension symbolique et mythique dans le discours historique national, la sorcière ne serait plus simplement une création de l’Église et de l’État pour justifier leur pouvoir. C’est l’incarnation du peuple, auquel il attribue un génie particulier, et de sa <a href="https://books.openedition.org/septentrion/13577?lang=fr">révolte contre les oppressions du Moyen Âge</a>.</p>
<p>Une nouvelle approche de la sorcellerie émerge en parallèle, mettant l’accent sur ses éléments folkloriques. Certains auteurs, comme les frères Grimm, cherchent à démontrer les liens entre la <a href="https://publikationen.sulb.uni-saarland.de/handle/20.500.11880/23635">sorcellerie et les anciennes croyances païennes</a>. Leurs œuvres ont contribué à la circulation de la <a href="https://www.24heures.ch/comment-ma-sorciere-est-devenue-bien-aimee-259859275274">figure de la sorcière dans la culture populaire</a>, où l’on a assisté à son <a href="https://leclaireur.fnac.com/article/66475-sorcieres-des-icones-de-la-pop-culture-entre-bouc-emissaire-et-stars-des-reseaux-sociaux/">« réenchantement »</a>.</p>
<h2>Sorcières et paganisme</h2>
<p>Au tournant du XX<sup>e</sup> siècle, Alphonse Montague Summers suggère que les sorcières étaient membres d’une organisation secrète, hostile à l’Église et à l’État, qui poursuivrait des <a href="https://www.academia.edu/79069952/The_History_OF_Witch_Craft_And_Demonology_Montague_Summers_Complete_Edition_Ultra_Rare_Book_Exhaustive_Annalysis_on_Demons_to_the_Occult_ETC">cultes païens antérieurs au christianisme</a>. On lui doit surtout la traduction du <em>Marteau des sorcières</em>, traité du dominicain Heinrich Kramer, composé entre 1486-1487, dans lequel il appelle à la lutte contre l’hérésie des sorcières, que Summers produit pour donner une <a href="https://www.jstor.org/stable/43446479">nouvelle actualité à son contenu et à ses théories misogynes, auxquelles il adhère</a>.</p>
<p>En 1921, Margaret Alice Murray propose des <a href="https://books.openedition.org/pur/52872?lang=fr">interprétations nouvelles et controversées sur le paganisme des sorcières</a>.</p>
<p>Dans <em>The Witch-Cult in Western Europe</em> (1921), elle suppose l’existence continue d’un culte archaïque de la fertilité dédiée à la déesse Diane dont les sorcières avaient prolongé la pratique ainsi que l’existence réelle, partout en Europe, au sein de sectes de sorcières (des <em>covens</em>). En 1931, dans <em>God of Witches</em>, elle postule encore que ce culte rendrait hommage à un « dieu cornu », diabolisé au Moyen Âge, et que les sorcières avaient été persécutées, après que ces <em>covens</em> furent découverts, vers 1450, puisqu’elles auraient formé une résistance souterraine opposée à l’Église et à l’État.</p>
<p>Ses théories sont <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1997_num_100_1_1181_t1_0106_0000_3">à l’origine des mouvements néo-païens comme la Wicca</a>. Les adeptes de cette religion se nomment sorcières et sorciers. Initiée au Royaume-Uni par Gerald Gardner en s’inspirant des travaux de Murray, la Wicca fait partie d’un mouvement païen contemporain plus vaste fondant leurs pratiques <a href="https://theconversation.com/as-witchcraft-becomes-a-multibillion-dollar-business-practitioners-connection-to-the-natural-world-is-changing-209677">sur l’idée d’une réactivation d’une culture qualifiée de préchrétienne</a>.</p>
<p>Le nombre d’adeptes de cette religion fait l’objet de discussions intenses, mais on estime qu’il pourrait y avoir <a href="https://www.newsweek.com/witchcraft-wiccans-mysticism-astrology-witches-millennials-pagans-religion-1221019">environ 1,5 million de « sorcières » et de « sorciers » aux États-Unis</a>.</p>
<h2>Sorcières et féminisme</h2>
<p>Dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, dans la première vague féministe, la célèbre autrice et suffragette américaine <a href="https://www.jstor.org/stable/25163624?searchText=Matilda%20Joslyn%20Gage&searchUri=%2Faction%2FdoBasicSearch%3FQuery%3DMatilda%2BJoslyn%2BGage&ab_segments=0%2Fbasic_search_gsv2%2Fcontrol&refreqid=fastly-default%3A62c5b4843b71d8780360c10391a32089">Matilda Joslyn Gage</a> voit en la sorcière le symbole de la science réprimée par l’obscurantisme et l’Église.</p>
<p>Dans le cadre du mouvement de libération des femmes, l’œuvre de Murray inspire un <em>Witches Liberation Movement</em> qui donne naissance à de nombreux groupes féministes aux États-Unis <a href="https://www.jstor.org/stable/3173832">tout particulièrement à New York, à partir d’octobre 1968</a>.</p>
<p>En proposant de réhabiliter le terme « sorcière » grâce à la déconstruction des stéréotypes négatifs associés à ce terme, le mouvement le réinterprète comme une figure de résistance féminine.</p>
<p>Dans les milieux américains, en 1973, Barbara Ehrenreich et Deirdre English, journalistes et écrivaines, signent <em>Sorcières, sages-femmes et infirmières</em>. Elles avancent une théorie controversée. Si les femmes ont été persécutées comme sorcières, c’est en raison d’un savoir accumulé qui mettrait en péril la norme et la domination de genre, et plus spécifiquement la communauté médicale masculine concurrencée par leur connaissance du corps féminin. S’il est vrai que les <a href="https://theconversation.com/la-disparition-progressive-des-femmes-medecins-du-moyen-age-une-histoire-oubliee-192360">professions médicales se structurent au profit des hommes</a> à la fin du Moyen Âge, rien n’établit une corrélation entre un savoir détenu par les femmes et leur condamnation pour sorcellerie. L’historien David Harley parle même de <a href="https://academic.oup.com/shm/article-abstract/3/1/1/1689119">« mythe » de la sorcière sage-femme</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Tremate, tremate le streghe son tornate ! » (Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour !).</span></figcaption>
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<p>Dans le même temps, en Italie, les mouvements militants en faveur de la légalisation de l’avortement et engagés dans l’« Unione Donne Italiane », une association féministe italienne créée en 1944, s’inspirent de la vision de Michelet et utilisent pour slogan « Tremate, tremate, le streghe son tornate » (<em>Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour !</em>).</p>
<p>Issues de ces luttes, la sociologue Leopoldina Fortunati et la philosophe Silvia Federici proposent une lecture nouvelle de Karl Marx pour expliquer l’émergence du capitalisme. Selon elles, la naissance de ce système a nécessairement impliqué l’apport d’une <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/dictionnaire/definition/96548">accumulation primitive de capital</a> permise par la dépossession sytématique par les hommes du travail non payé des femmes, de leurs corps, de <a href="https://journals.openedition.org/grm/783">leurs moyens de production et de reproduction</a>. En somme, pour les autrices, le <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2014/07/09/le-corps-terrain-originel-de-l-exploitation-des-femmes_4454118_3260.html">capitalisme n’aurait pas pu se déployer sans le contrôle des corps féminins</a>. L’institutionnalisation du viol, de la prostitution et de la chasse aux sorcières auraient été des manifestations de l’assujettissement méthodique des femmes par les hommes <a href="https://journals.openedition.org/grm/783">et de l’appropriation de leur travail</a>.</p>
<p>Dans cette perspective, Françoise d’Eaubonne, grande figure du MLF et de l’écoféminisme français, dans <em>Le sexocide des sorcières</em> (1999), analyse la chasse aux sorcières comme une « guerre séculaire contre les femmes ».</p>
<p>Très largement médiatisée, la sorcière entre définitivement dans le langage commun comme une figure devenue incontournable de l’<em>empowerment</em> féminin.</p>
<p>Il existe donc un écart manifeste entre la compréhension historique d’un phénomène de répression et les discours et interprétations qui mobilisent la figure de la sorcière depuis le XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Ces réinvestissements – <a href="https://theyorkhistorian.com/2017/03/11/the-european-witch-hunts-a-mass-murder-of-women/">sans être exempts d’approximations ou d’anachronismes</a> – ne possèdent pas moins de valeur, tant sur le plan symbolique qu’analytique. Ils témoignent des préoccupations actuelles, politiques, sociales et culturelles.</p>
<p>Plus généralement, comme l’annonçait dès 1975 la <a href="https://femenrev.persee.fr/issue/sorci_0339-0705_1975_num_1_1">revue féministe française <em>Sorcières</em></a>, ils expriment le combat pour la cause des femmes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216284/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Gelly-Perbellini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De quoi parle-t-on lorsque nous évoquons les « sorcières » ? Et quels imaginaires convoque cette figure historique devenue mythique ?Maxime Gelly-Perbellini, Doctorant en histoire du Moyen Âge, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160382023-10-20T12:35:42Z2023-10-20T12:35:42ZTout comme Daesh, le Hamas diffuse les images de ses atrocités afin de maximiser leur impact psychologique<p>Le Hamas a chorégraphié très soigneusement <a href="https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/7097/guerre-israel-palestine-gaza-hamas-semaine1">son attaque contre des objectifs militaires et civils dans le sud d’Israël, le 7 octobre</a>. Même si leurs actions terroristes dans le passé ont parfois été très <a href="https://www.jpost.com/israel-news/on-this-day-suicide-bombing-kills-15-at-sbarro-pizzeria-676228">« spectaculaires »</a>, il y a cette fois un changement important dans la stratégie de propagande de l’organisation. </p>
<p>En effet, les membres de l’organisation ont soigneusement préparé l’opération, comme le montrent les <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/hamas-posted-video-of-mock-attack-on-social-media-weeks-before-border-breach">vidéos enregistrées</a>, mais ils ont surtout pris soin de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Yt7TexDOTas">documenter visuellement</a> leurs actions terroristes et de les diffuser sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Comment expliquer ce changement dans leur stratégie de propagande ? </p>
<p>Je propose deux hypothèses : premièrement, le Hamas souhaitait maximiser l’impact de son attaque, tant par le nombre de victimes mortelles que par la prise d’otages ; deuxièmement, l’organisation palestinienne cherchait à obtenir un niveau élevé d’exposition publique de ses atrocités afin de nuire psychologiquement aux Israéliens et de gagner les faveurs d’une certaine opinion publique palestinienne, arabe et musulmane. </p>
<p>En ce sens, le Hamas se rapproche du modus operandi de communication de l’<a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/les-djihadistes-de-l-etat-islamique-ei-menace-au-moyen-orient_1562607.html">État islamique (EI)</a> — Daesh. Il a bien compris le pouvoir des images brutales comme arme dans leur guerre contre Israël.</p>
<p>J’ai étudié depuis un certain temps la question de la propagande des organisations islamistes. J’ai consacré un chapitre sur le sujet dans mon livre sur la <a href="https://www.routledge.com/Strategic-Communication-and-Deformative-Transparency-Persuasion-in-Politics/Nahon-Serfaty/p/book/9780367606794">« transparence grotesque »</a>, donc le dévoilement proactif (<em>proactive disclosure</em>, dans le langage stratégique) des images sanguinaires et dégradantes du corps humain, dans la communication publique. J’ai aussi étudié les stratégies de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/15245004221136223?icid=int.sj-abstract.citing-articles.25">recrutement</a> des organisations terroristes et analysé l’influence de la révolution iranienne dans la propagande terroriste islamiste, tant chiite que sunnite. </p>
<h2>L’impact « visuel » de la révolution iranienne</h2>
<p>En mettant fortement l’accent sur les images (décapitations, massacres, etc.), lors de sa campagne de terreur dans les années 2010, l’État islamique-Daesh défiait en quelque sorte l’un des principes les plus sacrés de l’islam sunnite, qui condamne les représentations visuelles du corps humain. À l’opposé, les talibans afghans appliquent rigoureusement cette prescription coranique, interdisant la diffusion d’images, le cinéma et la télévision. </p>
<p>Mais un changement s’est produit dans le monde islamique avec la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_iranienne">révolution iranienne</a>, en 1979, sous la direction des ayatollahs chiites. Cet événement a eu une influence significative sur d’autres groupes islamistes, même au sein d’organisations d’inspiration wahhabite-sunnite telles que EI-Daesh et Al-Qaida. </p>
<p>En effet, le chiisme est plus « libéral » sur l’utilisation d’images visuelles comme outil pour propager la foi et glorifier le comportement héroïque des martyrs. Les ayatollahs iraniens ont également revendiqué le martyre des kamikazes combattant les ennemis de l’Islam, soit des « ennemis proches » musulmans (lors de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988), soit des « ennemis lointains » non musulmans (comme dans le cas de l’organisation chiite <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/what-hezbollah">Hezbollah</a> responsable de l'attentat au camion piégé contre la caserne des Marines américains à Beyrouth en 1983).</p>
<h2>Influences croisées</h2>
<p>L’organisation sunnite palestinienne <a href="https://catalog.swanlibraries.net/Record/a1153458?searchId=28670680&recordIndex=8&page=1&referred=resultIndex">Hamas</a>, étroitement liée aux Frères musulmans égyptiens, collabore avec le Hezbollah chiite et reçoit du financement de l’Iran, démontrant la pollinisation croisée idéologique et stratégique entre les deux principales branches de l’Islam en matière de terrorisme et de propagande.</p>
<p>La révolution iranienne de 1979 a marqué un tournant dans la re-politisation de l’Islam. Dans ses chroniques sur l’Iran, le philosophe français Michel Foucault observe avec enthousiasme la « politique spirituelle » qui anime le mouvement dirigé par l’ayatollah Khomeini. Pour Foucault, la révolution islamique représentait une rupture avec les valeurs occidentales et les prescriptions libérales/marxistes de modernisation, à travers la mobilisation de toute une société dotée d’une « volonté politique » et d’idéaux utopiques. Même si la « folie » de Foucault sur la révolution iranienne a été <a href="https://rauli.cbs.dk/index.php/foucault-studies/article/download/3989/4391">largement critiquée</a>, son analyse offre un aperçu pertinent de l’impact du mouvement social d’inspiration chiite dans le monde islamique et au-delà.</p>
<p><a href="https://www.leddv.fr/analyse/michel-foucault-patient-zero-de-lislamo-gauchisme-20211112">Foucault écrit</a> : </p>
<blockquote>
<p>Sa singularité qui a constitué jusqu’ici sa force risque bien de faire par la suite sa puissance d’expansion. C’est bien, en effet, comme mouvement ‘islamique’ qu’il peut incendier toute la région, renverser les régimes les plus instables et inquiéter les plus solides. L’Islam — qui n’est pas simplement une religion, mais un mode de vie, une appartenance à une histoire et à une civilisation — risque de constituer une gigantesque poudrière, à l’échelle de centaines de millions d’hommes. Depuis hier, tout État musulman peut être révolutionné de l’intérieur, à partir de ses traditions séculaires. </p>
</blockquote>
<p>La révolution iranienne a également influencé la légitimation stratégique de la violence comme moyen d’atteindre des objectifs politiques et religieux. </p>
<h2>Martyrs et guerre sainte</h2>
<p>Enracinée dans la glorification chiite du martyre — historiquement liée à l’assassinat de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Al-Hussein_ibn_Ali">Imam Hussein</a>, petit-fils du Prophète, en l’an 680 par des opposants musulmans dans la ville de Karbala — la justification de la violence contre soi-même afin de détruire des ennemis infidèles a été largement adoptée par des organisations extrémistes d’<a href="https://www.cairn-int.info/article-E_RAI_009_0081--islamist-strategies-and-the-legitimizing.htm">inspiration sunnite</a>. </p>
<p><a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/129">Le jihad (la guerre sainte) mené contre l’Union soviétique par les moudjahidines (combattants)</a> de différents pays arabes et musulmans en Afghanistan a également prouvé la valeur stratégique de la violence contre une puissance occupante. Idéologiquement et opérationnellement, l’exemple afghan est devenu le modèle pour des milliers de militants qui sont retournés en héros victorieux dans leurs pays ou régions d’origine (Algérie, Cachemire, Bosnie, Irak, Pakistan, Tchétchénie).</p>
<p>Un autre effet de la révolution iranienne et de la guerre antisoviétique en Afghanistan a été la prise de conscience de l’importance de ce que le chercheur iranien <a href="https://academic.oup.com/joc/article-abstract/29/3/107/4371739?redirectedFrom=fulltext">Hamid Mowlana</a> appelle un « système de communication total », combinant les réseaux de communication traditionnels, tels que les mosquées ou les écoles religieuses (madrasas), avec les moyens de communication modernes. </p>
<p>Les moudjahidines combattant les Soviétiques ont exploité leurs prouesses militaires avec l’aide des réseaux de diffusion américains et européens et, paradoxalement, de l’appareil de propagande du gouvernement américain présidé par le républicain Ronald Reagan.</p>
<p>À l’ère d’un sectarisme virtuel non territorialisé, le Hamas, inspiré par les actions de l’EI-Daesh et sous l’influence de la glorification chiite des images des martyrs et de la « violence sainte », s’est lancé sur deux fronts dans cette étape de la guerre contre l’État juif : un front violent contre Israël par le terrorisme et les lancements de roquettes ; l’autre par la propagande et la guerre psychologique pour démoraliser ceux qu’ils appellent « l’ennemi » et gagner l’admiration de leurs <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_foZMY8xfD8">supporteurs</a>, y compris ceux et celles du monde universitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216038/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isaac Nahon-Serfaty ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En diffusant les images brutales de son opération du 7 octobre, le Hamas se rapproche du modus operandi de communication de l’État islamique. Il a bien compris leur pouvoir comme arme de guerre.Isaac Nahon-Serfaty, Associate Professor, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152972023-10-10T21:16:19Z2023-10-10T21:16:19ZComment le Hamas a récupéré le désespoir palestinien<p>Depuis samedi matin, le Hamas, conduit une attaque inhumaine et de grande ampleur contre l’État hébreu. L’organisation islamique, qui est considérée comme <a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-au-proche-orient-hamas-et-hezbollah-deux-organisations-classees-terroristes-en-europe-11268480">terroriste</a> par l’Union européenne, a tiré des milliers de roquettes sur les villes israéliennes depuis la bande de Gaza, où elle officie. Et de manière totalement inédite, des combattants du Hamas se sont infiltrés dans les territoires israéliens pour s’en prendre violemment et massivement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/pres-de-gaza-la-rave-party-a-vire-au-cauchemar_6193286_3210.html">à des civils</a>. À ce stade, on <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/israel-gaza-1100-morts-en-48-heures-l-armee-israelienne-a-frappe-cette-nuit-500-cibles-du-hamas-4173346">dénombre</a> plus de 800 morts côté israélien et 2 600 blessés, et, côté palestinien, au moins 687 morts depuis samedi et 2 900 blessés.</p>
<p>Le monde est stupéfait par les évènements. Pourtant, pour beaucoup d’observateurs, comme Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, les évènements sont <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/elie-barnavi-l-attaque-du-hamas-resulte-de-la-conjonction-d-une-organisation-islamiste-fanatique-et-d-une-politique-israelienne-imbecile_6193197_3232.html">« surprenants mais étaient prévisibles »</a>. L’ampleur de l’attaque est inédite, la faille de l’armée et des services secrets israéliens est étonnante et la violence est terrifiante et inacceptable. Mais en effet, la conjoncture actuelle laissait présager une escalade de violence.</p>
<p>Sur le terrain, dont je reviens à peine, on ressent clairement au sein de la population palestinienne un désespoir croissant et multifactoriel, et une violence latente. Plus personne ne parle de « paix », mais plutôt de « fin de l’occupation »… et les jeunes parlent de « résistance, par tous les moyens ».</p>
<p>C’est dans ce contexte que le Hamas a conduit son attaque. Et l’organisation a récupéré ce désespoir pour se légitimer et obtenir le soutien d’une partie de l’opinion palestinienne.</p>
<h2>Gaza, une « prison à ciel ouvert » qui favorise la radicalisation</h2>
<p>À Gaza, d’où opère le Hamas, 2,3 millions de Palestiniens s’entassent sur 365 km faisant de la bande de Gaza l’un des territoires les plus densément peuplés au monde. <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127031">Plus de deux tiers</a> de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et, selon l’ONG israélienne B’Tselem, le <a href="https://plateforme-palestine.org/Gaza-les-chiffres-cles-2023">taux de chômage est de 75 %</a> chez les moins de 29 ans.</p>
<p>Depuis 2007, ce territoire est aussi soumis à un <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/05/29/a-gaza-des-bateaux-palestiniens-contre-la-nouvelle-barriere-maritime-voulue-par-israel_5306341_3218.html">blocus israélien</a> à la fois maritime, aérien et terrestre, qui prive presque entièrement ce territoire de contacts avec le monde extérieur.</p>
<p>Les Gazaouis sont régulièrement coupés d’eau et d’électricité et dépendent essentiellement des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinionfr/palestine-israel-aide-internationale-normalise-siege-gaza">aides internationales</a>. Les entrées et les sorties de Gaza dépendent des autorisations données par les forces israéliennes et sont extrêmement rares, ce qui lui vaut le surnom de « prison à ciel ouvert ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Gaza : Une « prison à ciel ouvert » depuis 15 ans Human Rights Watch, YouTube.</span></figcaption>
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<p>Dans ces conditions, la population gazaouite, et notamment la jeunesse, coupée du monde, se radicalise. La plupart pensent n’avoir plus rien à perdre et ne croient plus aux solutions politiques et à la paix. Progressivement l’idée qu’il faut résister à l’occupation de l’État hébreu par la violence, prônée par les groupes islamistes, se répand. Ce qui fait le jeu du Hamas et du Jihad islamique qui regroupent de plus en plus de combattants.</p>
<h2>La Cisjordanie, un territoire démembré</h2>
<p>En Cisjordanie, l’attaque du Hamas n’a pas été condamnée, voire la population palestinienne a exprimé son soutien par des manifestations.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un territoire fragmenté, Le Monde, 2018.</span></figcaption>
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<p>Le reste du monde s’étonne qu’on puisse soutenir une telle cruauté qui est sans équivoque inacceptable. Mais, il faut aussi s’intéresser aux causes de ce soutien. En Cisjordanie aussi, la population et la jeunesse sont désabusées voir désespérées.</p>
<p>Le territoire palestinien est complètement démembré. La colonisation est largement soutenue et accompagnée par le gouvernement israélien. Plus de 280 colonies et 710 000 colons ont été dénombrés par l’ONU. Des habitations palestiniennes sont régulièrement <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/israel-and-occupied-palestinian-territories/report-israel-and-occupied-palestinian-territories/">détruites</a>.</p>
<p>Depuis 2002, plus de 700 km de mur sont construits entre les territoires palestiniens et Israël. Ce mur sécuritaire devait suivre la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_verte_(Isra%C3%ABl)">ligne verte de 315km</a>, prévue par le plan de partage de l’ONU de 1947, finalement, il n’en finit pas de faire des tours et des détours en empiétant progressivement sur des bouts de territoires palestiniens et en isolant certaines villes palestiniennes.</p>
<p>Un député palestinien me dit « c’est le mur des Lamentations arabe », d’autres parlent du « mur de la honte ». Même Jérusalem-Est est de plus en plus occupée, jusque sur l’esplanade des Mosquées qui abrite la Mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam. Notons que l’attaque du Hamas est dénommée « déluge Al-Aqsa », un symbole au cœur du conflit qui montre que le groupe islamiste s’appuie sur les frustrations et les rancœurs de la population…</p>
<h2>Un désespoir quotidien</h2>
<p>La liberté de mouvement des habitants de Cisjordanie est extrêmement limitée : elle dépend des autorisations et des laissez-passer obtenus auprès des autorités israéliennes. Quotidiennement, les Palestiniens doivent traverser, laborieusement, des <a href="https://books.openedition.org/pup/8020?lang=fr">checkpoints</a>.</p>
<p>Certains enfants m’expliquent qu’ils traversent le checkpoint entre Abu Dis et Jérusalem pour aller à l’école ; ils y vont seuls parce que leurs parents n’ont pas les autorisations et y passent une heure au moins tous les jours. Certains étudiants, eux, m’expliquent qu’auparavant, pour rejoindre leur université, ils pouvaient y aller à pied, maintenant, il y a le mur et un checkpoint. L’ONU estime qu’il y a environ <a href="https://www.un.org/unispal/fr/faits-et-chiffres/">593 checkpoints</a>, visant, pour la plupart, à protéger les colons israéliens.</p>
<p>La situation économique en Cisjordanie est aussi déplorable. Les <a href="https://unctad.org/fr/news/les-restrictions-economiques-en-cisjordanie-ont-coute-50-milliards-de-dollars-entre-2000-et">restrictions israéliennes</a> bloquent le développement. Le <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127031">taux de pauvreté</a> s’élève à 36 % et le taux de chômage à 26 %.</p>
<p>L’armée israélienne, surtout depuis l’arrivée du dernier gouvernement de Nétanyahou, démultiplie les <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/03/important-raid-israelien-sur-jenine-8-palestiniens-tues-une-cinquantaine-de-blesses">interventions</a> et les raids de prévention. Avant l’attaque du Hamas, depuis le début de l’année, 200 Palestiniens avaient été tués. <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/05/1134792">L’ONU dénombre</a> 4 900 prisonniers politiques palestiniens et relève les conditions déplorables des prisons israéliennes et les mauvais traitements infligés.</p>
<h2>Impasse politique, violence latente</h2>
<p>À tout ceci s’ajoute l’impasse politique. Il n’y a pas eu d’élections depuis 2006 en Palestine. L’Autorité palestinienne, reconnue comme représentant légitime du peuple palestinien, est devenue une coquille vide qui n’a plus aucun pouvoir effectif. Le pouvoir est concentré dans les mains de Mahmoud Abbas, 87 ans, qui a perdu le soutien de sa population. La <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/la-corruption-de-leurs-dirigeants-est-un-fleau-pour-les-palestiniens-20190515">corruption</a> paralyse toutes les institutions palestiniennes.</p>
<p>Suite aux échecs, à répétitions, des négociations entre l’Autorité palestinienne et Israël, certains considèrent même que Mahmoud Abbas est <a href="https://www.iris-france.org/168899-palestine-biden-hypocrite-abbas-complice/">« complice »</a> de l’occupation israélienne.</p>
<p>La population n’attend plus rien de la politique et encore moins des négociations. Depuis le début de l’année, on avait une résurgence d’attaques « individuelles » issues du désespoir quotidien. Comme ce chauffeur palestinien qui, fin août, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1347957/attaque-a-un-checkpoint-en-cisjordanie-occupee-trois-blesses.html">a foncé dans un groupe de soldats israéliens</a> alors qu’il s’apprêtait à franchir un check-point.</p>
<p>C’est ce même désespoir qui pousse aujourd’hui une partie de la population palestinienne à soutenir les attaques du Hamas pourtant cruellement inhumaines. Comme l’indique Elie Barnavi, on pourrait même craindre, en suivant, le déclenchement d’une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/elie-barnavi-l-attaque-du-hamas-resulte-de-la-conjonction-d-une-organisation-islamiste-fanatique-et-d-une-politique-israelienne-imbecile_6193197_3232.html">nouvelle intifada</a>…</p>
<h2>Une opération politique du Hamas</h2>
<p>En réalité, le Hamas n’a fait que profiter de ce contexte favorable à la violence. Le Hamas, qui prône la résistance armée et refuse de reconnaître l’existence d’Israël, a instrumentalisé la frustration et le désespoir des Palestiniens pour se positionner en « véritable défenseur de la cause palestinienne ».</p>
<p>En 2006, le Hamas était sorti vainqueur des élections législatives palestiniennes. Malgré le déroulement démocratique de ces élections, le résultat n’avait pas été reconnu par la communauté internationale qui refusait qu’une organisation terroriste prenne le pouvoir. Le Hamas s’est donc replié dans la bande Gaza sur laquelle il a pris le contrôle. Depuis Gaza, il a continué de se radicaliser, de délégitimer l’Autorité palestinienne et il a attendu le momentum pour mettre son discours et sa stratégie en œuvre. Aux yeux de l’organisation, ce momentum est arrivé. Les cadres ont sans doute estimé que le contexte était favorable pour une attaque de grande ampleur qui leur permettrait de gagner en popularité.</p>
<p>D’une part, la <a href="https://theconversation.com/avec-sa-reforme-judiciaire-benyamin-netanyahou-consolide-son-heritage-politique-210667">déstabilisation interne en Israël</a> a offert une brèche dont le Hamas pouvait profiter. Israël n’a jamais été aussi divisé que depuis l’arrivée de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/29/netanyahou-revient-a-la-tete-du-gouvernement-le-plus-a-droite-de-l-histoire-d-israel_6155974_3210.html">coalition d’ultra-orthodoxes</a> et de nationaux-religieux formée par Nétanyahou. Des manifestations de grande ampleur contre la réforme de la justice ont secoué le pays depuis plusieurs mois. De manière totalement inédite, les réservistes israéliens, indispensables à la défense israélienne, s’étaient mis en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/07/en-israel-revolte-inedite-des-reservistes-de-l-armee_6164478_3210.html">grève</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Israël : la rupture Nétanyahou ? » (Le dessous des cartes, la leçon de géopolitique (Arte).</span></figcaption>
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<p>Par ailleurs, la conjoncture internationale est incontestablement en train de changer et le Hamas a probablement vu ce contexte mouvant comme une opportunité à saisir. L’équilibre des puissances évolue, de nouveaux équilibres se créent et la région se reconfigure. En témoignent l’accord entre Téhéran et Riyad, et les <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/117072-000-A/les-accords-d-abraham-qu-est-ce-que-c-est/">accords d’Abraham</a> qui ont normalisé les relations d’Israël avec certains pays arabes. <a href="https://theconversation.com/deux-si%C3%A8cles-de-grand-jeu-geopolitique-pour-les-grandes-puissances-210223">Les plaques tectoniques bougent</a> : le statu quo au <a href="https://theconversation.com/le-haut-karabakh-livre-a-lui-meme-214195">Haut-Karabakh</a> est rompu, les <a href="https://theconversation.com/afrique-des-transitions-democratiques-aux-transitions-militaires-197467">coups d’État s’enchaînent en Afrique</a>. Le Hamas a estimé le moment opportun pour imposer un bouleversement de situation.</p>
<p>Ainsi, 50 ans après la guerre du Kippour, 30 ans après le processus des accords d’Oslo, les événements tragiques de ces derniers jours sont à resituer dans la complexité tragique de ce conflit qui oppose deux peuples depuis 1948. Le Hamas se sert du désespoir et de la colère palestinienne pour conduire des actes d’une violence inouïe qui vont délégitimer une cause légitime.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215297/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Durrieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'attaque du Hamas s'appuie sur un contexte double: le désespoir palestinien et une conjoncture géopolitique opportune.Marie Durrieu, Doctorante associée à l'Institut de Recherche Stratégique de l'École Militaire en science politique et relations internationales (CMH EA 4232-UCA), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2111382023-10-08T17:16:49Z2023-10-08T17:16:49ZQue sait-on des enfants exposés aux violences conjugales ?<p>Le 31 août dernier, une policière a été assassinée à coups de machettes sous les yeux de son enfant de trois ans. <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/feminicides/feminicide-en-savoie-ce-que-l-on-sait-du-meurtre-d-une-policiere-et-de-l-interpellation-de-son-ex-mari_6037253.html">Ce féminicide</a> met en relief de nombreuses questions. Que sait-on des enfants exposés aux violences intrafamiliales ? Existe-t-il des différences de genre ? Comment réagissent les mères ? Quelles stratégies mettent en place les pères violents vis-à-vis de leurs enfants ? Quelles sont les séquelles psychologiques possibles pour un enfant exposé à de <a href="https://theconversation.com/abus-violences-crises-guerres-les-traumatismes-vecus-dans-lenfance-ont-des-effets-durables-178220">telles violences ?</a></p>
<p>J’ai mené et dirigé quatre recherches de 2018 à 2022 sur les <a href="https://theconversation.com/violences-sous-silence-une-enquete-en-nouvelle-aquitaine-revele-lampleur-des-feminicides-en-milieu-rural-189187">violences faites aux femmes</a> et aux enfants dans <a href="https://theconversation.com/handicap-une-enquete-en-nouvelle-aquitaine-revele-quune-femme-sur-deux-a-subi-des-violences-sexuelles-170677">différents contextes</a> (échantillon : 2523 femmes, 453 enfants et 374 hommes). Couplées avec les statistiques officielles des violences sur mineur·e·s, ces enquêtes offrent des données permettant de mieux appréhender l’exposition à la violence dans l’enfance et d’ouvrir des pistes de réflexion sur son impact.</p>
<h2>Hors agressions sexuelles, les victimes mineures sont autant des filles que des garçons</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2003-2-page-45.htm">40 % des violences physiques</a> au sein d’un couple apparaissent pour la première fois pendant la grossesse. Une fois nés, cela entraîne <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/smq/2000-v25-n1-smq1234/013034ar.pdf">chez ces enfants</a> des « problèmes extériorisés » (agressivité, violences sur autrui…) et des « problèmes intériorisés » (anxiété, dépression, somatisation…), avec des variables genrées importantes entre les garçons et les filles, qui somatisent davantage.</p>
<p>À noter, une spécificité : les hommes violents le sont avec leurs enfants quel que soit leur sexe. Ils ne protègent pas davantage leurs fils. En effet, si on ôte les <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-familiales-la-triste-realite-des-donnees-154492">violences sexuelles</a>, les violences faites aux mineurs au sein du foyer <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5763591?sommaire=5763633">concernent 44 % de garçons et 56 % de filles</a> (victimes directes de violences physiques, verbales, psychologiques ou négligences lourdes au sein de sa famille). En cela, la notion de machisme, qui revêt une violence à l’égard du genre féminin n’est pas applicable sur les enfants des auteurs de violence. Nous parlons donc ici de violences virilistes : ayant trait aux enfants co-victimes de violences conjugales, la haine du parent violent peut s’abattre sur n’importe quel enfant, qu’il soit garçon ou fille.</p>
<p>Mais à l’âge adulte, les violences domestiques touchent très majoritairement les femmes (<a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047799?sommaire=6047805">87 % des victimes</a>).</p>
<h2>Le quitter quand « il touche aux enfants »</h2>
<p>Quant aux violences au sein du couple, les mères subissent beaucoup plus de violences que les autres catégories de population (89 % des mères contre 71 % de l’ensemble de la population). Les victimes de violences avec enfants en parlent davantage aux institutions, tout en ayant un parcours de violence plus long que la moyenne constatée. Ceci s’explique par une raison évoquée dans tous les entretiens menés auprès de ces femmes : « ne pas changer l’enfant d’école tant qu’il n’est pas au collège ».</p>
<p><iframe id="vV6RZ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/vV6RZ/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Parmi les témoignages que j’ai recueillis, une grande majorité des victimes de violences peuvent accepter les violences subies, mais les déclarent inacceptables pour leurs enfants. Notre étude révèle que les <a href="https://cri-adb.org/base/cri-adb/757/">femmes victimes avec enfants</a> quittent leur conjoint lorsque ces derniers sont touchés directement.</p>
<h2>Les violences « indirectes »</h2>
<p>Mais parmi les victimes adultes déclarant que les enfants n’ont pas subi de violences, quel est le degré de traumatisme lié à cette « exposition » ? Même s’ils ne subissent pas de violence physique, les enfants peuvent être affectés par des violences psychologiques et des tensions familiales. <a href="https://journals.openedition.org/efg/3420">Certaines études parlent d’enfant symptôme, d’enfant repère ou d’enfant trait d’union</a>. Le témoignage d’une femme ayant déclaré que ces enfants n’ont subi aucune violence illustre cette problématique :</p>
<blockquote>
<p>« Il a voulu me lacérer le visage avec un rasoir, m’a donné un coup de poing à la cuisse qui m’a mise au sol et m’a donné un coup de pied dans le ventre, toujours devant les enfants. »</p>
</blockquote>
<p>Lors d’entretiens menés au cours de mes recherches, certaines femmes ont relaté leur calvaire et les violences physiques infligées durant une nuit entière, ce qui <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/ma-vie-a-ete-volee-les-enfants-victimes-oubliees-des-violences-conjugales_4176511.html">ne laisse aucun doute</a> sur le fait que les enfants entendent et donc vivent ces violences.</p>
<blockquote>
<p>« Un soir, il voulait me tuer m’a-t-il dit, mais qu’avant il allait me violer. Après plusieurs heures à subir des coups, mon plus jeune fils s’est réveillé à cause du bruit, je l’ai porté et ramené dans sa chambre. Il n’avait que 2 ans… et je suis partie vite à la gendarmerie pieds nus et en nuisette avec mon dernier fils dans les bras. Les gendarmes ont ensuite été chercher le plus grand qui avait 4 ans. »</p>
</blockquote>
<h2>Diviser les enfants pour mieux régner</h2>
<p>Les auteurs de violences font toujours appel aux mêmes leviers pour « justifier » leurs violences envers leur conjointe et leurs enfants : ceux des stéréotypes de genre. Ainsi, une maison vue par l’agresseur comme mal rangée, une tenue jugée trop provocante ou, au contraire, pas assez féminine, ou bien l’éducation des enfants serviront de prétexte aux violences.</p>
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<p>Par ailleurs, le père violent peut dégrader physiquement et psychologiquement un seul de ses enfants, qui va être assimilé « aux défauts » de la mère. Peu importe le sexe de ce dernier, ce peut être le garçon qui ressemble physiquement à sa mère comme la fille qui est ramenée aux mêmes défauts stéréotypés attribués à la mère. Cela va avoir pour effet de diviser la famille mais surtout de <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/sites/default/files/2020-04/fiche_presentation_kit_tom_et_lena.pdf">créer un malaise dans la fratrie entre l’enfant « soi-disant épargné » et l’autre</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gfHMJYt0Jro?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le court-métrage « Tom et Lena » illustre l’impact des violences au sein du couple sur les enfants.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce processus volontaire va diviser la fratrie et la famille tout en entraînant un panel d’émotions qui ne font pas unité. S’ensuivent alors la culpabilité pour les enfants « épargnés », et l’humiliation pour les autres. Cela va nécessairement engendrer un conflit de loyauté envers la mère, mais aussi avec le frère ou la sœur apparenté à cette dernière.</p>
<h2>Quel impact sur le développement psychique de l’enfant ?</h2>
<p>Comment vivre avec la culpabilité de ne pas être la cible de ces violences tout en y étant exposé ? Comment supporter de « rester sans rien faire » alors que toute la famille est touchée ? Cette situation tiraillante créera une tension entre le fait que le père peut être potentiellement aimant alors qu’il est violent avec la mère, voire avec un autre frère ou sœur. L’enfant directement touché par les coups et/ou les humiliations intégrera davantage les rôles moraux et sociaux que son frère ou sa sœur non directement touché, en déclarant plus clairement que « papa est méchant », comme l’ont montrés les observations et entretiens menés auprès des professionnels.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/reMo105ZBkI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Pour détecter les enfants en danger, en France, les lieux Mélanie et Amélie ont été créés au sein de la police et de la gendarmerie. Le protocole états-unien du NICHD est également un modèle à suivre.</span></figcaption>
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<p>Cela n’augure rien sur les <a href="https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2013-impact-psycho_violences_Salmona.pdf">conséquences post-traumatiques engendrées par de telles violences</a>. Les symptômes observés sont protéiformes et <a href="https://www.cairn.info/l-ecole-face-a-la-violence--9782200616083-page-83.htm">se rapprochent de ceux engendrés par le harcèlement entre pairs</a>. Les conséquences sont variables, de nature et d’intensité différentes selon l’âge des enfants, leur place dans la fratrie et leur sexe : intégration de schémas inadaptés, stratégies de survie, endossement de différents rôles, somatisations… Un symptôme invisible socialement est généralement ignoré : c’est celui de l’enfant qui, pour anticiper les violences, ne se fait jamais remarquer (l’enfant premier à l’école, jamais insolent, calme et gentil…) Or, <a href="https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2021-4-page-88.htm">ce n’est pas parce qu’un enfant n’est pas jugé « dangereux » qu’il n’est pas en danger</a>.</p>
<h2>Des conséquences jusqu’à l’âge adulte</h2>
<p>À long terme, les conséquences peuvent être multiples. Les <a href="https://theconversation.com/les-maltraitances-de-lenfance-laissent-des-cicatrices-dans-ladn-157900">recherches récentes sur l’épigénétique</a> tendent à montrer <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03266126v1/document">l’impact biologique et mental qu’induisent ces violences</a> tout au long de la vie. Les travaux sociologiques et criminologiques montrent le lien entre l’environnement violent et les <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2008-2-page-115.htm">risques de passage à l’acte une fois adulte</a>, notamment en raison de la normalisation de la violence (avec des <a href="https://www.cairn.info/revue-empan-2009-1-page-119.htm">probabilités plus importantes pour les garçons de perpétuer ces violences</a>).</p>
<p>Si les facteurs de risque sont plus importants, <a href="https://www.cairn.info/l-enfant-et-le-monde--9782361063047-page-82.htm">cela n’induit pas que tous les enfants victimes deviendront violents à leur tour</a>. Quelle est la probabilité qu’ils deviennent violents avec leur futur partenaire ? Quelle sera l’intégration de leur dévalorisation à l’âge adulte ? Et par conséquent quels sont les risques d’être à leur tour victimes de violences en couple ? Quel que soit le traitement différencié infligé aux enfants, ces violences directes ou indirectes auront un impact sur leur destinée. Une étude longitudinale visant à mieux comprendre comment les expériences de violences infantiles affectent le développement psychologique et les relations affectives à l’âge adulte pourrait apporter des éclaircissements essentiels à ces questions complexes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211138/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Johanna Dagorn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quatre recherches menées de 2018 à 2022 offrent de nouvelles clés de compréhension sur l’exposition aux violences dans l’enfance.Johanna Dagorn, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078492023-09-05T17:04:25Z2023-09-05T17:04:25ZCe que l’engouement pour le rugby dit de notre rapport à la violence<p>Ces derniers mois, la violence a envahi nos écrans. Violence lors des <a href="https://theconversation.com/la-repetition-et-la-rage-au-coeur-des-emeutes-francaises-208899">émeutes cet été</a>. Violence lors de certaines manifestations contre la réforme des retraites. Violence dans les heurts entre manifestants et policiers <a href="https://theconversation.com/sainte-soline-un-tournant-pour-les-mouvements-ecologistes-203304">à Sainte-Soline</a>. Règlements de compte à l’arme lourde sur fond de trafic de drogue à Marseille.</p>
<p>Au même moment, on observe un engouement populaire pour certains sports violents, comme le rugby. Le dernier Grand Chelem de l’équipe de France dans le Tournoi des six nations, en 2022, a ainsi réuni <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/rugby/6-nations/6-nations-record-d-audience-pour-france-2-avec-plus-de-34-millions-de-telespectateurs-99114986-a911-11ec-9ac1-ea170a3bd944">34,2 millions de téléspectateurs français</a>. La Coupe du monde de rugby, qui démarre le vendredi 8 septembre en France, promet de battre tous les records d’audience. Qu’est-ce que l’engouement populaire pour ce sport dit de notre rapport à la violence ?</p>
<p>Pour chaque match de rugby professionnel, <a href="https://theses.hal.science/tel-04162667">4 joueurs doivent sortir du terrain sur blessure, en moyenne</a>.</p>
<p>Sans compter les fréquentes sorties temporaires pour saignement ou suspicion de commotion cérébrale… Les atteintes neurologiques de rugbymen, désormais bien documentées, sont les conséquences de <a href="https://sportsmedicine-open.springeropen.com/articles/10.1186/s40798-021-00398-4">l’accumulation de ces chocs violents</a>. <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10/le-7-9h30-l-interview-de-9h10-du-mardi-04-avril-2023-4164142">En 2018, une série noire au cours de laquelle 4 jeunes rugbymen français sont décédés</a> a d’ailleurs provoqué une prise de conscience du grand public et des instances du rugby.</p>
<h2>Violence et spectacle sportif</h2>
<p>Le degré de violence accepté dans les spectacles sportifs serait un reflet du niveau de violence d’une société donnée, <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1976_num_2_6_3481">selon l’analyse de Norbert Elias</a>. Le degré de violence des spectacles sportifs modernes est ainsi bien inférieur à celui offert par exemple dans les Jeux olympiques antiques : les lutteurs pratiquant le <a href="https://www.herodote.net/Lutte_pugilat_et_pancrace-synthese-321.php">pancrace</a> s’affrontaient alors dans des combats parfois terribles.</p>
<p>Selon Norbert Elias, le niveau d’acceptation des actes de violence dans les spectacles sportifs était alors plus élevé, car le niveau général de violence physique et d’insécurité était alors lui aussi bien supérieur à celui de notre société actuelle.</p>
<p>Pour autant, regarder un match de rugby, c’est bien sûr <a href="https://journals-sagepub-com.kedge.idm.oclc.org/doi/abs/10.1177/2051570719844683">être confronté à une part de violence</a> quelque peu primitive et sauvage entre individus.</p>
<p>Les chocs captent l’attention des spectateurs et spectatrices qui se projettent dans le combat se déroulant sous leurs yeux. Une identification aux individus vaillants et résistants à la douleur peut ainsi s’observer.</p>
<p>De plus, assister au spectacle de ces chocs permet aux (télé) spectateurs de s’immerger dans une réalité <a href="https://www.researchgate.net/publication/276283284_Marketplace_Mythology_and_Discourses_of_Power">débarrassée de bien des artifices de la vie sociale habituelle</a>.</p>
<p>On se focalise le temps du match sur certains éléments de la condition humaine : combattre pour la défense de son terrain, faire reculer ses rivaux, faire preuve de solidarité, se sacrifier individuellement pour une cause collective… </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le flanker toulousain Thierry Dusautoir, au centre, face à Toulon, en septembre 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pascal Pavani/AFP</span></span>
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<p>Des joueurs comme <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/rugby/xv-de-france/gregory-alldritt-beaucoup-de-fierte-et-un-tres-grand-honneur-d-etre-le-capitaine-du-xv-de-france-20230818">Gregory Aldritt</a> ou avant lui, <a href="https://www.lemonde.fr/rugby/article/2017/04/19/rugby-fin-de-partie-pour-thierry-dusautoir_5113602_1616937.html">Thierry Dusautoir</a> et <a href="https://www.lerugbynistere.fr/news/rugby-video-jean-pierre-rives-raconte-la-plus-grande-lecon-sportive-de-sa-vie-3112221738.php">Jean-Pierre Rives</a> incarnent ces éléments aux yeux du grand public.</p>
<h2>Rugby et domestication de la violence</h2>
<p>Cette forme de bestialité est toutefois très encadrée par un ensemble de règles fort complexes et évolutives. Ce spectacle n’est que faiblement attractif pour un individu qui le regarderait sans avoir été initié par un parent, un éducateur, un ami ou un commentateur, capable de décoder les actions et de les interpréter.</p>
<p>Les spectateurs et spectatrices ne sont donc pas laissés seuls face à la violence brute. La conformité des gestes aux règles et à l’esprit du jeu <a href="https://journals-sagepub-com.kedge.idm.oclc.org/doi/abs/10.1177/2051570719844683">est sans cesse débattue entre eux</a>.</p>
<p>Les actions sont même abondamment commentées par les arbitres en direct, au fur et à mesure qu’ils rendent leurs décisions pendant les matchs. Devant sa télévision, tout un chacun peut d’ailleurs constater leur souci désormais constant de préserver la sécurité des joueurs. </p>
<p>Ainsi, les amateurs de ce sport évaluent et apprécient la capacité des joueurs à conjuguer cette part de sauvagerie à certains raffinements, comme la malice, la science du jeu, la connaissance des règles et une forme d’esthétique.</p>
<p>Les règles du jeu sont très évolutives : régulièrement, elles viennent notamment davantage encadrer la violence pour mieux assurer la sécurité des joueurs. Cependant, quelques codes et valeurs sont eux, immuables. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ju5gh6vRgcw&t=314s">Le respect accordé aux adversaires et à l’arbitre est par exemple sacralisé</a>.</p>
<p>Le spectacle du rugby s’inscrit ainsi dans une dialectique nature/culture, mêlant sauvagerie et raffinement, associant code d’honneur immuable et complexité de règles évolutives. Le spectacle des chocs et de la douleur des joueurs crée alors les conditions d’une réflexion et de discussions sur l’acceptabilité et les limites de la violence. On parle ainsi d’une <a href="https://alcor-institute.com/online-first-dubreuil-et-dion-2019-le-spectacle-de-la-douleur-dans-lexperience-une-etude-dans-les-stades-de-rugby/">domestication de celle-ci face au spectacle de la douleur</a>.</p>
<p><a href="https://purehost.bath.ac.uk/ws/portalfiles/portal/9884811/JCR_2013.pdf">Plutôt que d’évacuer les dimensions négatives de leur expérience</a>, les spectateurs cherchent à explorer l’ambivalence du jeu, nourri de violence brute et de sophistication. Par conséquent, la discussion entre individus au stade ou devant la télévision permet d’investir la dialectique nature/culture dans une perspective qui dépasse celle de l’enjeu d’un match.</p>
<h2>Projections symboliques</h2>
<p>Si le spectacle de la violence est apprécié, c’est aussi parce que la douleur consécutive aux chocs est associée <a href="https://academic.oup.com/jcr/article-abstract/44/1/22/2970267?redirectedFrom=fulltext">à tout un contenu symbolique et moral</a>.</p>
<p>Déjà à l’époque baroque, des représentations de corps sanglants et souffrants <a href="https://www.persee.fr/doc/rhren_1771-1347_2013_num_77_1_3344_t17_0284_0000_3">étaient les sujets centraux de nombreuses disciplines</a> – théâtre, poésie, récits, sonnets, pamphlets politiques, ouvrages de théologie, biographies, hagiographies et spectacles.</p>
<p>Ces images et évocations apportaient une leçon de morale, un sujet de pensée ou un instrument de méditation. De la même façon, les exécutions publiques qui attiraient des foules hétérogènes, permettaient systématiquement aux autorités de <a href="https://read.dukeupress.edu/french-historical-studies/article-abstract/24/3/501/9373/Fe-te-Populaire-Ou-Ce-re-monial-D-etat-Le-Rituel?redirectedFrom=fulltext">délivrer un message politique, moral ou religieux</a>, et <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1983_num_38_4_410964">à la foule d’exprimer un avis</a>.</p>
<p>Les corps souffrants des joueurs de rugby forment également le réceptacle de projections symboliques. Ils aident à discuter du bien-fondé des normes : dans quelle mesure les règles du jeu et leur interprétation est compatible avec notre vision du bien et du mal.</p>
<h2>Sensibles à la violence interpersonnelle</h2>
<p>Depuis l’horreur de la seconde guerre mondiale, notons que la violence tend à faire l’objet d’une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_dechainement_du_monde-9782707198150">disqualification définitive</a>, morale et politique. Nous sommes devenus hyper sensibles à la violence interpersonnelle.</p>
<p>Pourtant, certains anthropologues estiment qu’elle est omniprésente et <a href="https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1972_num_26_1_1740">inhérente aux sociétés humaines</a>. Elle est décrite dans beaucoup de récits que ce soit <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/essais-sur-la-violence/">à travers les mythes ou l’épopée</a>. Une dimension esthétique des combats, depuis des millénaires, <a href="https://www.fnac.com/a7472756/Vintage-International-An-Iliad-Alessandro-Baricco">a également été identifiée</a>. Pour René Girard comme pour Georges Bataille, la violence nous obnubile, occupe nos débats, tarabuste nos passions et nos raisons.</p>
<p>En conclusion, l’engouement pour le rugby témoigne à la fois de notre fascination pour la violence et de notre conscience qu’elle ne doit pas se déployer sans bornes ni garde-fous. Puisqu’il nous faut composer avec elle, le rugby offre précisément le spectacle d’une violence mise en examen. Les règles sans cesse actualisées empêchent que celle-ci n’atteigne une intensité incontrôlable. La violence y est confrontée à un raffinement de codes et constamment située au regard de valeurs morales fondamentales. Le rugby encourage donc réflexion et débats sur la violence.</p>
<p>Toutefois, demeurons vigilants. Certaines tentatives d’esthétisation et de <a href="https://www.dailymotion.com/video/x88vluk">folklorisation</a> de la violence dans le rugby contribuent à la normaliser. Celle-ci n’est bien sûr jamais anodine, sa banalisation serait donc une erreur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207849/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Dubreuil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Coupe du monde de rugby 2023, qui a lieu en France, promet de battre des records d’audience. Qu’est-ce que l’engouement pour ce sport à la violence très encadrée dit de notre rapport à celle-ci ?Clément Dubreuil, Professeur et chercheur à KEDGE Business School, auteur d'une thèse sur la violence et le rugby, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094302023-08-31T17:58:02Z2023-08-31T17:58:02ZComment les groupuscules d’extrême droite se recomposent après Génération identitaire<p>La présence de groupuscules violents affiliés à l’extrême droite dans les rues de Lyon durant les émeutes de juin 2023, ou plus tôt, lors de rassemblements organisés (tel le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/quatre-questions-sur-le-comite-du-9-mai-autroise-a-manifester-dans-les-rues-de-paris-ce-week-end%205813786.htlm">comité du 9 mai</a>) tout comme la résurgence d’une <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/la-menace-terroriste-issue-de-lultradroite-en-france-et-en-europe/">menace terroriste d’ultra droite</a>, souligne une forme de recomposition de ces mouvements, pourtant mis à mal ces dernières années par une série de dissolutions.</p>
<p>En 2019, l’association le Bastion social avait en effet été dissoute suivi de Génération identitaire (GI) et l’Alvarium en 2021, puis des Zouaves en 2022. Quels effets sur les fragmentations et sur les restructurations locales des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/ultradroite-la-menace-est-elle-reelle-9374531">différents groupuscules et de leurs militants</a> ?</p>
<p>En prenant le cas de Génération identitaire, on s’intéressera à la manière dont se déroule une dissolution en interne et aux efforts déployés par l’organisation pour rester active.</p>
<h2>2012-2021 : les années GI</h2>
<p>GI est une association créée en 2012 par plusieurs cadres du réseau <a href="https://reflexes.samizdat.net/une-autre-jeunesse/">Une Autre Jeunesse</a>. Elle est constituée d’un bureau national qui dicte la direction politique du mouvement et d’un réseau d’organisations à travers la France (GI Paris, GI Lyon, GI Toulouse, GI Rouen, etc.). En 2017, l’organisation revendique <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2022-2-page-153.htm">3 500 adhérents (dont 300 militants actifs)</a> et on recensait environ une trentaine de sections actives contre moins d’une dizaine en mars 2021. Les sections locales de GI vont d’une part, <a href="https://www.lemonde.fr/immigration-etdiversite/article/2018/04/22/migrants-dans-les-alpes-francaises-renforts-importants-pour-controler-les-frontieres_5289094_1654200.html">participer aux campagnes nationales</a> et, d’autre part, former leurs militants et mettre en place des actions politiques <a href="https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/intrusion-a-la-caf-de-bobigny-en-2019-condamnation-confirmee-pour-les-19-militants-de-generation-identitaire-29-09-2022-FHQ4FKWWCNFB7EN3BJWEYZPGYE.php">au niveau régional</a>.</p>
<p>Le 3 mars 2021, le Conseil d’État confirme la dissolution de l’association Génération Identitaire. Le décret de dissolution avance deux raisons principales, l’une idéologique :</p>
<blockquote>
<p>« [l’idéologie de GI incite à la] haine, à la violence ou à la discrimination des individus à raison de leur origine, de leur race ou de leur religion. »</p>
</blockquote>
<p>L’autre est d’ordre organisationnel :</p>
<blockquote>
<p>« Génération identitaire » emploie […] dans son organisation, une symbolique et une rhétorique martiales, l’identifiant implicitement ou explicitement à une formation paramilitaire [et] démontrent la volonté d’agir en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043210363">tant que milice privée</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Concrètement, la dissolution interdit l’utilisation du nom « Génération identitaire ». Elle impose également une modification de l’identité des dirigeants, des méthodes et des objets de l’organisation. Il est donc impossible de recréer un « GI bis », avec les mêmes membres au bureau national et les mêmes actions d’agitation-propagande (banderole et fumigène) contre « l’islamisation de la France » et « l’immigration de masse ». À la suite du décret de dissolution et en attendant de reformer des organisations locales en accord avec la loi, le mouvement suspend toutes les actions militantes.</p>
<h2>Cohésion, sport, formation</h2>
<p>De façon générale, et pour permettre à l’ensemble des sections de maintenir une activité entre la dissolution (mars 2021) et la création officielle des nouvelles organisations locales (début 2022), le bureau national impose la mise en place d’un triptyque : cohésion, sport, formation. Ce triptyque existait déjà avant la dissolution. Cependant, là où sous GI, il était considéré comme un prérequis aux mobilisations collectives, il devient à partir de la dissolution l’activité principale des différentes sections.</p>
<p>D’abord, les actions de « cohésion » ont pour but de fédérer la communauté militante. Au niveau national, cela consiste à se rendre à la journée de la « fierté » parisienne ou lyonnaise. Au niveau local, cela peut consister en des week-ends de « cohésion ». L’objectif affirmé est de maintenir des expériences communes et par là des sociabilités militantes. Bien que le bureau national sépare les actions de cohésion des actions sportives dans son triptyque, ces dernières se retrouvent au cœur de la cohésion.</p>
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<figcaption><span class="caption">Documentaire sur la jeunesse nationaliste et identitaire, France 3 ile de France, 2022.</span></figcaption>
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<p>Les week-ends organisés dans les sections locales sont l’occasion de pratiquer la randonnée ou de mettre en place des entraînements physiques (courses à pied, renforcement musculaire, courses d’obstacles, formation anti-agression, etc.). Au niveau national, on trouve les tournois de foot et de boxe organisés entre les fédérations chaque année.</p>
<p>Enfin, la formation passe par des activités ciblées localement : conférence, cercle de lecture, rédaction de communiqué, comportement à adopter en garde à vue, etc. Au niveau national, l’université d’été, qui a lieu au mois d’août, permet d’homogénéiser les connaissances de plus d’une centaine de participants. L’objectif de ce triptyque est de maintenir un style de vie basé sur la communauté, la fierté de sa culture et le dépassement de soi.</p>
<h2>La création de nouveaux groupes</h2>
<p>À la fin de l’année 2021, un ensemble de nouvelles organisations locales, qui s’appuient sur les anciennes sections de GI, commencent à voir le jour : « les Natifs » à Paris, « les Normaux » à Rouen, « les Remparts » à Lyon, « Furie française » à Toulouse, etc. Les groupes locaux les mieux implantés vont reprendre le système d’Une Autre Jeunesse (ancêtre de GI), c’est-à-dire un réseau composé de sections régionales qui possèdent leurs propres identités. Il existe toujours un bureau national, mais il prend des décisions officieusement et il n’y a plus de campagne nationale officielle comme cela a pu exister avec l’opération « Defend Europe » au sein de GI, qui consistait à s’opposer aux passages de migrants dans les <a href="https://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/04/22/migrants-dans-les-alpes-francaises-renforts-importants-pour-controler-les-frontieres_5289094_1654200.html">Alpes françaises</a> ou par la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Defend-Europe-loperation-anti-migrant-identitaires-Mediterranee-2017-08-02-1200867223">Méditerranée</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trois responsables de Génération identitaire ont été condamnés ce jeudi à des peines de prison ferme et à une forte amende pour une mission commando qu’ils avaient réalisée au printemps 2018 au col de l’Échelle dans les Hautes Alpes (Euronews, 2021).</span></figcaption>
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<p>Sous l’effet de la dissolution, les nouveaux groupes se réorientent vers d’autres thèmes et essaient notamment de mener des <a href="https://www.liberation.fr/checknews/slogans-et-banderoles-que-sest-il-passe-lors-de-lintervention-a-rouen-de-la-militante-alice-coffin-20210617_MAVVMQNZMNCFRFHXGNVXCJX5B4/">actions « anti-woke »</a> et contre la « dictature sanitaire ».</p>
<p>Cependant, l’objectif premier est de continuer à porter le thème de la défense de l’identité européenne, c’est ce qui amènera la création d’une nouvelle association nationale en octobre 2022 <a href="https://argosfrance.org/">dénommée « Argos »</a>, en référence aux argonautes de la mythologie grecque. Il s’agit d’un mouvement communautaire qui vise à rassembler tous les Français de « souche européenne » et qui prône « le dépassement de soi, la communauté et l’aventure ».</p>
<p>Les activités communautaires nationales sont transférées à l’association « Argos » : Université d’été, tournoi de boxe, journée de la fierté, etc. Les activités militantes restent sous le contrôle des sections régionales, qui gardent leurs identités (« les Remparts » à Lyon, « les Normaux » à Rouen, etc.) et ne se confondent pas avec « Argos », contrairement à ce qui fut le cas au moment de la création de GI.</p>
<h2>Des espaces de socialisation</h2>
<p>Les locaux associatifs utilisés par les groupes régionaux de GI n’ont pas été dissous par le décret de mars 2021. Les Identitaires louent des locaux mais par l’intermédiaire d’<a href="https://www.rue89lyon.fr/2021/03/04/dissolution-locaux-identitaires-toujours-ouverts-lyon/">associations indépendantes de GI</a>. Ces lieux peuvent avoir plusieurs fonctions : permanence politique, conférence, formation militante, bar, salle de boxe, etc. Ce sont des espaces de socialisation importants, que ce soit pour les sympathisants et les militants Identitaires, mais aussi pour les sympathisants et les militants des autres organisations d’extrême droite qui peuvent se rendre dans ces « maisons de l’identité » (nom donné par les militants Identitaire à ces lieux). La référence en la matière étant bien évidemment « La Traboule », « la Maison de l’identité » lyonnaise. Au moment de la dissolution, seuls Lyon et Rouen occupaient un local.</p>
<p>Occuper ce type de lieu est un avantage politique indéniable pour s’implanter localement face aux organisations concurrentes d’extrême droite. C’est d’ailleurs ce qui explique que depuis une dizaine d’années, les sections de GI les plus importantes ont toutes essayé d’ouvrir leur local associatif.</p>
<h2>Un nouveau concurrent ?</h2>
<p>La réorganisation de l’espace politique d’extrême droite à partir d’avril 2021, avec notamment, la candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle et la création de son parti politique « Reconquête », ainsi que l’émergence de Génération Z (GZ), son organisation de jeunesse, va avoir des effets importants sur les sections locales de GI post-dissolution.</p>
<p>GZ est créée en février 2021 et va apparaître comme un concurrent direct de Génération identitaire, mais aussi des autres organisations politiques d’extrême droite (Action française, Rassemblement national de la jeunesse, etc.). GZ revendique <a href="https://www.lepoint.fr/politique/dans-les-coulisses-de-gz-les-jeunes-partisans-d-eric-zemmour-17-12-2021-2457340_20.php#11">6 500 membres</a> et réussi à s’implanter dans les régions où GI est déjà présent (Lyon, Paris, Rouen, Toulouse, Montpellier, etc.).</p>
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<figcaption><span class="caption">Trois responsables de Génération identitaire ont été condamnés ce jeudi à des peines de prison ferme et à une forte amende pour une mission commando qu’ils avaient réalisée au printemps 2018 au col de l’Échelle dans les Hautes Alpes, Euronews, 2021.</span></figcaption>
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<p>L’éclosion de GZ modifie les rapports de force au sein de cet espace politique. Ainsi, Génération Z constitue un concurrent de poids, mais apparaît également comme un réservoir militant incontournable et attire les convoitises des autres groupes de jeunesses d’extrême droite. Ceci permet par exemple d’expliquer les stratégies d’entrisme mise en place par Furie française (ex-GI Toulouse) en direction de GZ Occitanie. L’objectif étant d’y recruter les meilleurs profils.</p>
<p>En définitive, la dissolution de la marque « Génération identitaire » a clairement limité ses capacités d’actions et son rôle de lanceur d’alerte. Cependant, ce mouvement a pu s’appuyer sur ses structures communautaires locales pour maintenir une activité et relancer de nouveaux projets. Toujours est-il que pour le moment, le potentiel de mobilisation et l’écho médiatique des Identitaires se limite au niveau <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/qui-est-le-groupuscule-furie-francaise-a-toulouse-8328681">régional</a> et reste donc largement en deçà de ce qu’a pu proposer GI. Néanmoins, cela n’empêche pas les militants appartenant aux nouvelles sections locales Identitaires, de venir gonfler les rangs de l’ultra droite lors des <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/a-lyon-quatre-blesses-dans-des-affrontements-entre-manifestants-et-militants-dextreme-droite-20230622_WWVV6HLAIZCUDIBSO4SAHI5Q3A/">récentes manifestations</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209430/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Mitrevitch s'intéresse au maintien de l'engagement militant à l'extrême droite. Entre 2016 et 2022, il a réalisé une enquête éthnographique à découvert, avec plusieurs fédérations de Génération Identitaire à travers la France.</span></em></p>Les groupuscules d’extrême droite déploient plusieurs stratégies afin de se maintenir en activité, malgré les risques de dissolution, comme le montre l’exemple de Génération identitaire.Nicolas Mitrévitch, Doctorant en sociologie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2093802023-07-25T20:03:40Z2023-07-25T20:03:40ZUn nouveau rapport laisse penser qu’aucun effort sérieux n’est déployé pour mettre fin au profilage racial à Montréal<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539373/original/file-20230725-17-ah5wvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C5%2C1891%2C1247&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Service de Police de la Ville de Montréal aurait encore du chemin à faire pour éradiquer le profilage racial au sein de son organisation.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Un nouveau rapport accablant <a href="https://spvm.qc.ca/upload/02/Rapport_final_2e_mandat.pdf">que vient de rendre public le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sur le profilage racial à Montréal</a> laisse penser que la Ville et ses forces de police <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1990437/spvm-interpellations-dagher-montreal-police">ont renoncé à lutter contre le problème</a>.</p>
<p>Mise à jour d’une étude réalisée en 2019, le rapport rédigé par quatre chercheurs indépendants engagés par le SPVM a révélé que les taux de profilage racial étaient identiques ou supérieurs à ceux enregistrés quatre ans plus tôt. En effet, les personnes noires, autochtones et arabes sont encore particulièrement susceptibles d’être interpellées par les forces de l’ordre.</p>
<p>Ainsi, le rapport souligne les problèmes non seulement du SPVM, mais aussi de l’administration municipale qui a promis depuis longtemps de mettre fin au profilage racial.</p>
<p>Le problème du profilage racial <a href="https://canadiandimension.com/articles/view/robyn-maynard-police-violence-legacy-of-racial-and-economic-injustice">remonte aux prémices de la surveillance policière</a> en Amérique du Nord. Cependant, il attire davantage l’attention du public depuis 10 ou 15 ans.</p>
<h2>L’histoire du profilage racial à Montréal</h2>
<p>Montréal est une ville marquée par une <a href="https://www.ledevoir.com/societe/791858/manifestation-contre-le-profilage-racial-et-le-projet-de-loi-14-a-montreal">longue histoire de manifestations contre la violence et le racisme policiers</a>. La mort de <a href="https://www.ledevoir.com/societe/791858/manifestation-contre-le-profilage-racial-et-le-projet-de-loi-14-a-montreal">Fredy Villanueva</a>, tué par la police dans un parc en 2008, a déclenché des rassemblements de grande envergure. La tournure des événements a pris une telle ampleur, en partie parce que le drame s’est produit au cœur d’une campagne de maintien de l’ordre incroyablement raciste dans un quartier du nord-est de la ville.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme pleure dans une poignée de mouchoirs" src="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lilian Villanueva, mère de Fredy Villanueva, réagit au rapport du coroner sur la mort de son fils lors d’une conférence de presse en 2013 à Montréal. Villanueva a été abattu par la police dans un parc de Montréal en 2008.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
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<p>Un <a href="https://www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/profilage-racial-et-discrimina-1">rapport long et accablant</a> de la Commission des droits de la personne du Québec sur le profilage racial a suivi en 2011, tandis qu’une série de rapports plus courts ont été publiés au cours des cinq années suivantes.</p>
<p>Bien que ces manifestations et ces rapports aient interpellé le SPVM, la lutte contre le profilage racial incombe, en fin de compte, aux entités gouvernementales qui encadrent la police, notamment la Ville de Montréal.</p>
<p>La première véritable intervention de la Ville face aux critiques grandissantes à l’endroit du SPVM a été d’organiser une <a href="https://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=6877,142735375&_dad=portal&_schema=PORTAL">grande consultation publique</a> sur le profilage racial en 2017. La consultation a permis à un grand nombre d’organismes communautaires, d’activistes et de chercheurs d’<a href="https://doi.org/10.1080/02722011.2020.1831139">appeler à une réforme de la police</a>.</p>
<p>Parmi ces revendications figuraient le renforcement du contrôle et de la discipline au sein de la police, l’abolition des interpellations policières arbitraires et le transfert partiel du budget de la police à des initiatives de sécurité centrées sur la communauté.</p>
<p>La Ville a refusé ces demandes, mais a pris une mesure sans précédent en <a href="https://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/DOCCONSULT_20170519.PDF">demandant au SPVM de réaliser une analyse des interpellations policières par groupe racial</a>, un indicateur clé du profilage racial. Le SPVM a répondu favorablement à la demande et engagé rapidement les trois chercheurs indépendants pour la rédaction d’un rapport.</p>
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<img alt="Un manifestant vêtu d’un parka brandit une pancarte dénonçant le profilage racial par la police" src="https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des gens participent à une manifestation à Montréal en février 2021 et demandent justice pour un homme noir qui a été arrêté à tort par la police et emprisonné pendant six jours ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>À quand des mesures ?</h2>
<p>D’une certaine manière, la Ville a repoussé le moment d’agir. Les Montréalais ont été informés que <a href="https://ocpm.qc.ca/sites/default/files/pdf/P100/8-27_Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf">des mesures concrètes seraient décidées après une évaluation plus détaillée du problème, mais que des initiatives seraient prises prochainement</a>.</p>
<p>Entre-temps, une nouvelle administration municipale est entrée en fonction. Valérie Plante a été élue mairesse et son parti, Projet Montréal, a remporté une majorité de sièges lors des élections de novembre 2017. Après l’élection, la <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/montreal-police-report-fail-address-racial-profile-1.4416461">mairesse a annoncé</a> que la lutte contre le « profilage social et racial » constituerait une priorité pour son administration.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme aux cheveux bruns fait des gestes avec ses mains alors qu’elle parle dans un microphone" src="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La mairesse de Montréal Valérie Plante s’exprime lors d’une conférence de presse à Montréal en août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
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<p>L’analyse des interpellations policières promise en 2017 a finalement été achevée en 2019. Communément appelée <a href="https://spvm.qc.ca/upload/Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf">rapport Armony</a>, l’étude a conclu que les personnes noires et autochtones étaient plus de quatre fois plus susceptibles que les personnes blanches d’être interpellées par la police, tandis que les personnes arabes l’étaient deux fois plus.</p>
<p>Lorsqu’on examine les données en fonction du genre, soulignaient également les auteurs, on observait que les femmes autochtones étaient 11 fois plus susceptibles d’être interpellées que les femmes blanches.</p>
<p>Une fois l’évaluation terminée, la Ville se devait d’agir. Cependant, plutôt que de tenir compte des revendications de la communauté, l’administration de Projet Montréal a investi ses espoirs dans une nouvelle politique d’interpellation policière.</p>
<p>La politique, instaurée en juillet 2020, précise que les interpellations policières ne doivent pas être discriminatoires et qu’elles doivent se fonder sur des « faits observables » qui justifient l’interpellation. Cette politique a été largement critiquée à l’époque, car elle ne faisait que reprendre les dispositions antidiscriminatoires de la Charte canadienne des droits et libertés.</p>
<p>De nombreuses personnes (<a href="https://montrealgazette.com/opinion/opinion-new-montreal-police-policy-wont-stop-racial-profiling">y compris moi-même</a>) ont également fait remarquer que la police pouvait toujours trouver des « faits observables » pour justifier une interpellation motivée par d’autres critères discriminatoires.</p>
<h2>Soutien à la police</h2>
<p>Depuis 2020, l’administration de Valérie Plante a vanté à plusieurs reprises la politique d’interpellation policière comme un antidote efficace au profilage racial. Par exemple, Plante a cité la politique en février 2023, alors qu’elle était appelée à témoigner dans le cadre d’un recours collectif contre la Ville et le SPVM pour profilage racial.</p>
<p>Évoquant la politique, <a href="https://www.noovo.info/nouvelle/action-collective-pour-profilage-racial-temoignage-de-la-mairesse-de-montreal.html">elle a attesté</a> que son équipe était « très proactive et travaillait dur sur le profilage racial ».</p>
<p>Ce récit, déjà contesté, a été totalement discrédité lorsque le rapport actualisé sur le profilage racial a été publié en juin 2023.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme noir chauve fait des gestes pendant qu’il parle" src="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dan Philip, président de la Ligue des Noirs du Québec, répond à une question lors d’une conférence de presse à Montréal en 2019 après qu’un juge ait autorisé un recours collectif contre la Ville pour profilage racial.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Paul Chiasson</span></span>
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<p><a href="https://spvm.qc.ca/upload/02/Rapport_final_2e_mandat.pdf">Ce rapport</a> indique que les personnes noires sont aujourd’hui 3,6 fois plus susceptibles d’être interpellées par la police que les personnes blanches (une légère baisse par rapport à 2019), les personnes arabes sont 2,6 fois plus susceptibles d’être interpellées (une légère hausse) et les personnes autochtones sont maintenant six fois plus susceptibles d’être interpellées (une forte hausse). </p>
<p>Si quiconque s’attendait à un mea culpa de la part de la Ville concernant ses maigres efforts pour lutter contre le profilage racial, il y a de quoi être déçu, comme je le suis. Valérie Plante, qui a reconnu avoir été choquée par le rapport de 2019, n’a pas encore commenté publiquement les nouvelles conclusions.</p>
<p>Son collègue Alain Vaillancourt, membre du comité exécutif et responsable de la sécurité publique, s’est contenté de <a href="https://www.ledevoir.com/societe/793501/malgre-un-rapport-extremement-critique-le-spvm-maintient-les-interpellations-policieres">dire qu’il soutenait le directeur de la police de la ville, Fady Dagher</a>, et qu’il se sentait « comfortable » avec son projet visant à changer la « culture » du SPVM. </p>
<p>Dagher a notamment refusé d’appliquer le moratoire sur les interpellations recommandé par les quatre chercheurs et s’est plutôt engagé à se concentrer sur l’amélioration du recrutement et de la promotion des policiers racisés, une <a href="https://doi.org/10.1080/02722011.2020.1831139">mesure en vigueur au SPVM depuis 1991</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1672250179611684864"}"></div></p>
<p>La réponse de la Ville au problème du profilage racial semble avoir franchi une nouvelle étape. Après avoir retardé la prise de mesures en 2017 et mis en œuvre une nouvelle politique plusieurs ont jugé inefficace en 2019, la Ville semble se contenter de laisser le problème entre les mains du directeur de la police renoncer à son rôle de supervision de la police au nom de la population.</p>
<p>Dans une ville ayant une longue histoire de manifestations contre la violence et le racisme policiers, je ne m’attends pas à ce que cette position soit acceptée par la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209380/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ted Rutland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La réponse de la Ville de Montréal au nouveau rapport de la SPVM sur le profilage racial démontre peu de volonté de changer les choses.Ted Rutland, Associate professor, Geography, Planning and Environment, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088962023-07-06T17:20:15Z2023-07-06T17:20:15ZÉmeutes en France : des films pour mieux comprendre le conflit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535048/original/file-20230630-42965-kgb8rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1920%2C1270&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Image tirée du film _La classe_.</span> </figcaption></figure><p>La France a été secouée par plusieurs journées d'émeutes, après qu'un adolescent a été <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/01/mort-de-nahel-m-un-besoin-de-vraies-reponses-face-a-la-colere-et-a-la-peur_6180123_3232.html">abattu mardi 27 juin</a> par un policier à Nanterre, suite à un refus d’obtempérer. </p>
<p>Certains artistes, intellectuels et citoyens se sont indignés et ont réagi face un phénomène de violences policières. Le Haut Commissaire des Nations unies a exhorté la France à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/apres-la-mort-de-nahel-la-france-doit-s-attaquer-aux-profonds-problemes-de-racisme-dans-la-police-pour-cette-instance-de-l-onu_219986.html">s’attaquer au racisme au sein de la police et des forces de l’ordre</a>. Il y a quelques semaines, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a également <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/onu/la-france-epinglee-a-l-onu-pour-les-discriminations-raciales-et-les-violences-policieres_5801627.html">accusé la France de discrimination raciale et de violences policières</a>.</p>
<p>En fait, le cinéma français raconte cette histoire depuis plusieurs années. Par exemple, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I4Fr6xokozw"><em>Athena</em></a> (2022) raconte comment, après le meurtre d’une adolescente, le conflit dégénère en quasi-guerre civile.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Athena</em> (2022).</span></figcaption>
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<h2>Ce n’est pas la première fois</h2>
<p>Ce film peut sembler prémonitoire, mais il y a eu des précédents en termes d'émeutes et de révoltes dans les quartiers populaires dans l’actualité française, notamment en 2005.</p>
<p>Dans la nuit du 27 octobre de cette année-là, à Clichy-sous-Bois, à l’est de Paris, trois jeunes hommes se sont cachés dans un transformateur électrique pour ne pas avoir à répondre aux interrogatoires de la police. Deux d’entre eux sont morts électrocutés et le troisième a survécu à de graves brûlures après avoir été hospitalisé dans un état très sérieux.</p>
<p>La réaction fut une <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/2005_French_riots">immense et violente révolte populaire</a> qui dura trois semaines. Les émeutes se sont étendues à toute la France et ont touché les banlieues de 200 villes. Les propos du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui a qualifié les jeunes des banlieues de « racailles » lors d’une visite dans le quartier du Val d’argent à Argenteuil, n’ont pas arrangé les choses. Devant l’impossibilité de maîtriser la situation, le Premier ministre Dominique de Villepin a déclaré l’état d’urgence. Neuf mille véhicules ont été détruits et des bâtiments institutionnels attaqués, sans compter les blessés et les interpellations. Au total, les <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20061027.OBS7196/le-bilan-des-violences-de-2005.html">dégâts ont été estimés à plus de 150 millions d’euros</a>.</p>
<p>Ce qui se passe aujourd’hui est similaire et n’est ni isolé ni nouveau en France. Ces incidents ne sont pas toujours couverts par les médias européens, même s'ils se produisent régulièrement. Les films sortis en France ces dernières décennies en témoignent, dénonçant une fracture sociale quotidienne, des rapports difficiles avec la police, la frustration de ne pouvoir sortir du cercle du quartier, et une école qui se veut rédemptrice face à un problème qui semble perdurer.</p>
<h2>Les origines du conflit</h2>
<p>Le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gsRxwuj1AxU"><em>Retour à Reims</em></a> (2021), réalisé à partir de fragments documentaires issus du fonds de l’<a href="https://www.ina.fr/">Institut national de l’audiovisuel</a> (INA), retrace avec précision le phénomène de l’arrivée massive de l’immigration grâce aux lois qui l’ont favorisée après la Seconde Guerre mondiale. Le paysage social des villes s’en trouve transformé, entraînant une cohabitation qui n’est pas toujours facile.</p>
<p>Dans les années 1940 et 1950, des bateaux en provenance d’Algérie et du Maroc arrivent chaque jour sur les côtes françaises avec des milliers de personnes. Ils sont reçus et accueillis par les institutions et les entreprises avec des mesures <a href="https://www.youtube.com/watch?v=L0lrA1jiQxk">déjà discriminatoires en termes de salaires et de droits</a>.</p>
<p>Le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ykg0DfSkwmc"><em>Les Femmes du 6e étage</em></a> (2010) raconte également le quotidien d’un groupe de femmes espagnoles qui ont émigré pour devenir employées de maison. Dans la tendresse de la nostalgie et de l’humour, il raconte aussi le harcèlement, les abus et les difficultés auxquels de nombreuses femmes étrangères <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z_OaJMUvDuU">ont dû faire face</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Les Femmes du 6e étage</em> (2010).</span></figcaption>
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<h2>Les problèmes de la <em>banlieue</em>, un thème récurrent du cinéma français</h2>
<p>Quel rapport avec le meurtre récent de Nahel et les émeutes ? Eh bien, les années ont passé et les enfants et petits-enfants de ces premières générations d’immigrés sont nés en France, ont été élevés sous la devise « liberté, égalité, fraternité », mais ont vite découvert qu’elle ne s’appliquait pas à eux.</p>
<p>C’est pourquoi, dans les années 1980, ont eu lieu les <a href="https://fresques.ina.fr/sudorama/fiche-media/00000000269/l-arrivee-de-la-marche-pour-l-egalite-et-contre-le-racisme-a-paris.html">premières manifestations contre le racisme</a> et les discriminations liées à l’origine.</p>
<p>Les quartiers des grandes villes ont été configurés pour accueillir l’ensemble de la population active, étrangère ou non, en construisant massivement des HLM (<em>habitation à loyer modéré</em>) dans les ZUP (<em>zone d’urbanisation prioritaire</em>). Ils ont été construits en très peu de temps, avec des matériaux de mauvaise qualité, pour loger les milliers de personnes que des villes comme Paris, Toulouse ou Marseille accueillaient. Aujourd’hui, ce sont de véritables ghettos, appelés <em>quartiers sensibles</em> en référence aux problèmes constants qui les habitent.</p>
<p>Le film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=12551.html"><em>La Haine</em></a> (1995) montre la vie de jeunes vivant dans une banlieue, sans aller à l’école, fuyant les contrôles de police, essayant sans succès d’éviter la drogue et la délinquance. Cela ne se termine pas bien. Sans en dévoiler l’issue, on peut s’en faire une idée rien qu’en regardant les informations de ces derniers jours.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trailer pour <em>La Haine</em> (1995).</span></figcaption>
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<p>Trois décennies plus tard, <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=273579.html"><em>Les Misérables</em></a> (2019), qui a remporté de nombreux prix, est devenu un reflet actualisé du même thème : l’abandon des quartiers, la <em>banlieue</em> devenue ghetto, la relation compliquée entre des cultures différentes et le travail de la police, montré comme une forme d’ingérence continue et ennuyeuse dans la vie quotidienne des banlieues françaises, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006151880/">avec des contrôles plus intenses depuis les attaques terroristes à Paris</a>, notamment sur les personnes d’apparence maghrébine et noire africaine.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Les Misérables</em> (2019).</span></figcaption>
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<h2>L’école comme base de la solution</h2>
<p>La réalité s’entête, mais le cinéma crée d’autres espaces, confrontant les clichés et posant un autre regard sur le réel. Dans un esprit profondément français, l’école est très souvent présentée comme la solution universelle à ces problèmes sociétaux. En effet, de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/03/le-cinema-s-engage-sur-les-chemins-de-l-ecole_6144133_3232.html">nombreux films traitent du thème de l’éducation et de l’école</a>.</p>
<p>C’est le cas de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QPXyGosb3_g"><em>Entre les murs</em></a> (2008), également primé, fait directement référence à l’oasis apparente de la salle de classe, qui reproduit pourtant ce qu’il y a à l’extérieur. Une mosaïque diverse qui expose la délicate complexité d’une société, remettant en question les généralisations, les stéréotypes et les préjugés.</p>
<p>Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0BufXB1AUfM"><em>Le brio</em></a> (2017), il est question de l’université. Dans ce film, un professeur de littérature montre à travers Schopenhauer – et son livre <a href="https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/fichier/l-art-d-avoir-toujours-raison.pdf"><em>L’art d’avoir toujours raison</em></a> – comment les mots peuvent créer un nouvel univers. L’étudiante, elle, sauve le professeur de l’expulsion et atteint ses objectifs académiques. La compréhension émerge dans le processus de découverte de leurs différences apparemment irréconciliables.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trailer pour <em>Le brio</em> (2017).</span></figcaption>
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<p>La littérature française est fréquemment utilisée comme une planche de salut : les personnages, les histoires et les auteurs sont les références des protagonistes. Dans le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=o7g0hQDNAFs"><em>Les grands esprits</em></a> (2017), le livre rédempteur est <em>Les Misérables</em>, de Victor Hugo, analysé par chacun des personnages comme s’il était l’un des symboles de la marginalisation et des problèmes actuels. D’autre part, le professeur blanc, aux yeux bleus, bourgeois, accablé de préjugés, se découvre lui-même à travers l’autre qu’il méprisait.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cartel des <em>Intocables</em>.</span>
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<p>Le savoir et l’école sont des instruments qui viennent sans cesse à la rescousse des problèmes sociaux dans le cinéma français. Ils finissent, malgré les obstacles, à créer de nouvelles relations d’empathie qui, dans l’espace filmique, résoudront le conflit. Mais dans la vie réelle, il reste encore beaucoup à résoudre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208896/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ana María Iglesias Botrán ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cinéma français dénonce les violences policières depuis des années.Ana María Iglesias Botrán, Profesora del Departamento de Filología Francesa en la Facultad de Filosofía y Letras. Doctora especialista en estudios culturales franceses y Análisis del Discurso, Universidad de ValladolidLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088992023-07-02T09:40:51Z2023-07-02T09:40:51ZLa répétition et la rage, au cœur des émeutes françaises<p>Bien qu’elles nous surprennent chaque fois, depuis les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/l-ete-des-minguettes-1981-les-rodeos-de-la-colere-7720633">révoltes des Minguettes</a> dans les années 1980, les émeutes se répètent en suivant le même scénario : un jeune est tué ou gravement blessé par le police et les violences explosent dans le quartier concerné, dans les quartiers voisins, parfois, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/violences-urbaines-comment-se-sont-deroulees-les-emeutes-de-2005_5919854.html">comme en 2005</a> et aujourd’hui, dans tous les quartiers « difficiles » qui se reconnaissent dans la victime de la police.</p>
<p>Depuis quarante ans, les révoltes urbaines sont dominées par la rage des jeunes qui s’attaquent aux symboles de l’ordre et de l’État, aux mairies, aux centres sociaux, aux écoles, puis aux commerces…</p>
<h2>Une rage et un vide institutionnel</h2>
<p>La rage conduit <a href="https://www.letelegramme.fr/morbihan/lorient-56100/nuit-de-violences-a-lorient-a-quoi-bon-detruire-leur-propre-quartier-6383853.php">à détruire son propre quartier</a> devant les habitants qui condamnent mais « comprennent » et se sentent impuissants.</p>
<p>Dans tous les cas aussi se révèle un vide institutionnel et politique dans la mesure où les acteurs locaux, les élus, les associations, les églises et les mosquées, les travailleurs sociaux et les enseignants avouent leur impuissance et ne sont pas audibles.</p>
<p>Seule la révolte des Minguettes en 1981 avait débouché sur la <a href="https://www.histoire-immigration.fr/sites/default/files/musee-numerique/documents/marche_egalite.pdf">Marche pour l’égalité et contre le racisme</a>. Mais depuis, aucun mouvement ne semble naître des colères.</p>
<p>Enfin, dans tous les cas aussi, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/mort-de-nahel-la-choregraphie-tres-classique-des-reactions-politiques_5888596.html">chacun joue son rôle</a> : la droite dénonce la violence et stigmatise les quartiers et les victimes de la police ; la gauche dénonce les injustices et promet des politiques sociales dans les quartiers. Nicolas Sarkozy avait choisi la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/emeutes-urbaines-quatre-questions-sur-le-precedent-de-2005-qui-est-dans-toutes-les-tetes-8489821">police en 2005</a>, Macron a manifesté <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/06/28/jeune-tue-a-nanterre-rien-ne-justifie-la-mort-dun-jeune-declare-emmanuel-macron-11306938.php">sa compassion</a> pour le jeune tué par la police à Nanterre, mais il faut bien dire que les hommes politiques et les présidents ne sont guère entendus dans les quartiers concernés.</p>
<p>Puis le silence s’installe jusqu’à la prochaine fois où on redécouvrira à nouveau les problèmes des quartiers et ceux de la police. </p>
<h2>Des leçons à tirer</h2>
<p>La récurrence des émeutes urbaines et de leurs scénarios devrait nous conduire à tirer quelques leçons relativement simples.</p>
<p>Les politiques urbaines ratent leurs cibles. Depuis 40 ans, de <a href="https://www.capital.fr/immobilier/emeute-les-vraies-raisons-de-lechec-de-politique-de-la-ville-1473031">considérables efforts ont été consacrés à l’amélioration des logements et des équipements</a>. Les appartements sont de meilleure qualité, il y a des centres sociaux, des écoles, des collèges, des lignes de bus… Il est faux de dire que ces quartiers ont été abandonnés.</p>
<p>En revanche, la mixité sociale et culturelle des quartiers s’est plutôt dégradée. Le plus souvent, les habitants sont pauvres, précaires, et sont immigrés ou issus des immigrations successives.</p>
<p>Mais surtout, ceux qui « s’en sortent » quittent le quartier et sont remplacés par des habitants encore plus pauvres et venant d’encore plus loin. Le bâti s’améliore et le social se dégrade.</p>
<p>On répugne à parler de ghettos, mais le processus social à l’œuvre est bien celui <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2016-3-page-415.htm">d’une ghettoïsation</a>, d’un clivage croissant entre les quartiers et leur environnement, d’un entre soi imposé et qui se renforce de l’intérieur. On fréquente la même école, le même centre social, on a les mêmes relations, on participe à la même économie plus ou moins légale…</p>
<p>Malgré les moyens mobilisés et la bonne volonté des élus locaux, on se sent hors de la société en raison de ses origines, de sa culture, de sa religion… Malgré les politiques sociales et le travail des élus, les quartiers n’ont pas de ressources institutionnelles et politiques propres.</p>
<p>Alors que les <a href="http://e-cours.univ-paris1.fr/modules/uoh/paris-banlieues/u4/co/-module_1.html">banlieues rouges</a> étaient fortement encadrées par les partis, les syndicats et les mouvements d’éducation populaires, les quartiers n’ont guère de porte-voix. En tous cas, pas de porte-voix dans lesquels ils se reconnaissent : les travailleurs sociaux et les enseignants sont pleins de bonne volonté, mais ils ne vivent plus depuis longtemps dans les quartiers où ils travaillent.</p>
<p>Cette coupure fonctionne dans les deux sens et l’émeute révèle que les élus et les associations n’ont pas de véritables relais dans les quartiers dont les habitants se sentent ignorés et abandonnés. Les appels au calme sont sans échos. Le clivage n’est seulement social, il est aussi politique. </p>
<h2>Un constant face-à-face</h2>
<p>Dans ce contexte, se construit un <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/nanterre-on-assiste-depuis-une-trentaine-d-annees-a-ce-face-a-face-entre-la-police-et-une-ultra-minorite-de-jeunes-qui-abiment-nos-quartiers-deplore-mokrane-kessi-france-des-banlieues_VN-202306290630.html">face à face entre les jeunes et les policiers</a>. Les uns et les autres fonctionnent comme des « bandes » avec leurs haines et leurs territoires.</p>
<p>L’État est réduit à la violence légale et les jeunes à leur délinquance réelle ou potentielle. La police est jugée « mécaniquement » raciste puisque tout jeune est a priori suspect. Les jeunes haïssent la police, ce qui « justifie » le racisme des policiers et la violence des jeunes. Les habitants voudraient plus de policiers afin d’assurer un peu d’ordre, tout en étant solidaires de leurs enfants.</p>
<p>Cette « guerre » se joue habituellement à niveau bas, mais quand un jeune est tué, tout explose et c’est reparti pour un tour, jusqu’à la prochaine révolte qui nous surprendra autant que les précédentes.</p>
<p>Il y a cependant quelque chose de nouveau dans cette répétition tragique. C’est d’abord la montée de l’extrême droite, pas seulement à l’extrême droite, avec un récit parfaitement raciste des révoltes de banlieue qui s’installe, qui parle d’ensauvagement et <a href="https://www.bfmtv.com/politique/jordan-bardella-si-monsieur-darmanin-veut-lutter-contre-l-islamisme-alors-il-faut-maitriser-l-immigration_VN-202306280290.html">d’immigration</a>, et dont on peut craindre qu’il finisse par triompher dans les urnes.</p>
<p>La seconde nouveauté est la paralysie politique et intellectuelle de la gauche qui dénonce les injustices, qui, parfois, soutient les émeutes, mais qui ne semble pas avoir de solution politique à l’exception d’une réforme nécessaire de la police.</p>
<p>Tant que le processus de ghettoïsation se poursuivra, tant que le face-à-face des jeunes et de la police sera la règle, on voit mal comment la prochaine bavure et la prochaine émeute ne seraient pas déjà là.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Dubet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si des efforts pour améliorer les logements ont été réalisés dans les quartiers populaires, la mixité sociale et culturelle s'est dégradée. Reste un face à face entre les jeunes et la police.François Dubet, Professeur des universités émérite, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2082612023-06-29T10:42:26Z2023-06-29T10:42:26ZGuerres du XXᵉ siècle : une histoire de rupture entre l’humain et son environnement<p>Faire la guerre est une <a href="https://theconversation.com/le-retour-de-la-guerre-confirme-en-creux-que-lhistoire-est-bel-et-bien-finie-178909">activité humaine</a>, <a href="https://theconversation.com/quand-larcheologie-enquete-sur-lorigine-de-la-violence-organisee-149382">violente</a>, très ancienne ; un recours à la force, généralement armée, entre plusieurs collectivités organisées, clans, factions ou États pour contraindre la partie adverse à se soumettre à sa volonté. Elle est, selon la définition du célèbre théoricien de la guerre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/De_la_guerre">Carl von Clausewitz</a> « un acte de violence dont l’objet est de contraindre l’adversaire à se plier à notre volonté ». En ce sens, « la guerre n’est que la simple continuation de la politique par d’autres moyens », « un choc de volonté et de moyens ».</p>
<p>Parce qu’elle se joue sur des terrains, et plus généralement dans des espaces – le « théâtre des opérations » –, la guerre possède un environnement propre avec lequel elle entretient des relations multiples et protéiformes : en s’y déployant, elle le modifie au même moment par sa simple expression.</p>
<p>Les militaires ont d’abord cherché à tirer tactiquement profit de l’environnement dans la conduite des opérations. Ils y ont toujours cherché ce qui était bénéfique ou préjudiciable aux opérations militaires.</p>
<h2>Des impacts qui vont crescendo</h2>
<p>Historiquement, les modifications environnementales en lien avec des confrontations armées restèrent longtemps très locales, superficielles, les combats ne concernant que des aires géographiques restreintes, sur de courtes périodes de temps et avec un nombre limité de combattants usant principalement de l’arme blanche ou d’armes à feu portatives et d’une artillerie rudimentaire, sans projectiles explosifs. La guerre a longtemps été menée par des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/combattre-stephane-audoin-rouzeau/9782020975087">« raids sans cesse recommencés en territoire adverse »</a>, par l’embuscade.</p>
<p>Mais la magnitude et la diversité des conséquences environnementales des guerres n’ont cessé de progresser avec l’accroissement de la violence guerrière, des dimensions des armées en présence et surtout de la puissance d’armes qui se sont aussi diversifiées et spécialisées.</p>
<p>Un premier seuil dans la brutalité guerrière a été franchi avec les guerres napoléoniennes du XIX<sup>e</sup> siècle, qui ont inauguré la <a href="https://www.decitre.fr/livres/mondes-en-guerre-9782379332470.html">massification de la guerre</a>, avec les premières confrontations à grande échelle entre des armées nationales dont les effectifs étaient en partie issus de la conscription.</p>
<p>La technicisation de la guerre initiée à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle sous l’impulsion de progrès technologiques et de l’armement et le recours massif à cet arsenal d’une puissance inédite marquèrent avec la Première Guerre mondiale (1914 -1918), appelée la Grande Guerre, l’entrée <a href="https://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt//DB=2.1/SET=2/TTL=1/SHW?FRST=1">dans l’ère des guerres modernes mécanisées</a>.</p>
<h2>La Grande Guerre, un tournant majeur</h2>
<p>La <a href="https://theconversation.com/1920-2020-cent-ans-apres-les-munitions-de-la-grande-guerre-polluent-toujours-nos-sols-134268">Grande Guerre</a> a été la première rupture anthropologique dans les relations de l’être humain avec son environnement ; jamais encore auparavant celui-ci n’avait été si profondément et si durablement bouleversé en si peu de temps. La guerre devint dès lors un facteur de l’anthropisation des milieux.</p>
<p>Cette guerre d’une violence environnementale inouïe fut totale, se gagnant ou se perdant au front ou à l’arrière en investissant aussi tous les compartiments de l’environnement : les airs, les mers, les sols et le sous-sol, plaines et montagnes.</p>
<p>Elle fut aussi un point d’inflexion dans l’acte guerrier. La plus grande des guerres des machines et de matériel, largement dominée par l’artillerie, fut aussi désincarnée. On <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/combattre-stephane-audoin-rouzeau/9782020975087">se tua à distance sans se voir</a>, 14–18 est cette catastrophe inaugurale d’un XX<sup>e</sup> siècle barbare.</p>
<p>Durant les deux conflits mondiaux, l’empreinte environnementale, <a href="https://www.researchgate.net/publication/232897171_The_long-term_effects_of_explosive_munitions_on_the_WWI_battlefield_surface_of_Verdun_France">lorsqu’elle est connue et surtout visible</a>, reste une conséquence co-latérale de la guerre : le combattant était visé, et non l’environnement dans lequel il évoluait.</p>
<h2>Au Vietnam, l’environnement dans le viseur</h2>
<p>C’est avec la guerre du Vietnam (1955–1975) et la Guerre froide que l’environnement devient délibérément visé par des actions militaires <a href="https://www.researchgate.net/publication/232897171_The_long-term_effects_of_explosive_munitions_on_the_WWI_battlefield_surface_of_Verdun_France">pour en déloger le combattant</a>.</p>
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<p>L’invisibilisation défensive du combattant de la Grande Guerre dans ses tranchées laissa place, dans des guerres de plus en plus technologiques, à des tactiques fondées sur l’hypervisibilisation de l’ennemi, en supprimant des éléments environnementaux susceptibles de le dissimuler : caméras thermiques contre l’obscurité, agents défoliants ou tapis de bombes contre la jungle au Vietnam, usage du phosphore blanc pour brûler les forêts lors de la guerre de 2020 au Haut-Karabagh (communication orale). L’œil électronique des drones a besoin de voir pour frapper.</p>
<p>Mais avec le Vietnam, ce furent aussi les effets environnementaux d’une guerre qui étaient devenus brutalement visibles par des millions de téléspectateurs et de lecteurs.</p>
<h2>La naissance de l’écocide</h2>
<p>De cette prise de conscience naquit, dans un cadre plus large de la critique de l’intervention militaire américaine au Vietnam, le nom et le concept « d’écocide ».</p>
<p>Dans <a href="https://nzetc.victoria.ac.nz/tm/scholarly/tei-Salient34141971-t1-body-d12.html"><em>Ecocide in Indochina</em></a> (1970), Barry Weisberg le définit comme une stratégie visant à détruire l’ennemi en s’en prenant en partie à lui, mais aussi à tout son environnement naturel, à ce qui lui permet de subsister.</p>
<p>Les séquelles environnementales des guerres sont une réalité sans équivoque ; la magnitude et la typologie de ces modifications sont étroitement liées à l’intensité des combats, leur densité (violence des combats sur une aire géographique restreinte), leur dynamique (évolution spatiale et temporelle des champs de bataille), la puissance des armes et les compartiments environnementaux investis par les forces armées (sol, sous-sol, eaux et airs).</p>
<p>Peu de phénomènes géomorphologiques, qu’ils soient strictement géologiques et/ou biogéomorphologiques – actions des organismes vivants sur le paysage – sont capables à l’instar des guerres modernes de modifier et perturber durablement l’environnement sur une si courte période, à de telles magnitudes.</p>
<h2>Des conséquences encore mal connues</h2>
<p>Les études environnementales et historiques pour établir des liens entre des changements de l’état normal de notre environnement – voire des pollutions lorsque ces modifications sont synonymes de nuisances – et des conflits armés majeurs, restent locales, parcellaires et encore à leur balbutiement.</p>
<p>Nous mesurons tout juste aujourd’hui l’importance des traces plus que centenaires laissées par la Grande Guerre dans nos sols et les nappes, alors que l’Europe est ébranlée depuis le 24 février 2022 par un conflit interétatique de haute intensité, d’une brutalité inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. Une guerre d’agression de la Russie à l’encontre d’un état souverain, l’Ukraine, d’une physionomie qu’on croyait reléguée au passé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208261/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Hubé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les conséquences des conflits armés sur l’environnement ont pris une ampleur nouvelle au XXᵉ siècle, avec la technicisation de la guerre.Daniel Hubé, Ingénieur environnementaliste, BRGMLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2080402023-06-21T18:38:49Z2023-06-21T18:38:49ZPourquoi l’attaque à Annecy n’a-t-elle pas été qualifiée de terroriste ?<p>Le 10 juin dernier, l’auteur de l’agression au couteau à Annecy de quatre enfants et des adultes qui s’étaient interposés a été mis en examen pour tentative d’assassinat. Dans les heures et les jours qui ont suivi ce crime, plusieurs voix se sont élevées pour interroger <a href="https://www.la-croix.com/France/Attaque-dAnnecy-pourquoi-justice-estime-nest-pas-acte-terroriste-2023-06-09-1201270883">l’absence de qualification terroriste donnée à ces actes</a>. </p>
<p>L’ensemble des témoignages rapportés par la presse font en effet apparaître qu’au moment des faits, l’agresseur <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/09/annecy-le-suspect-abdelmessih-h-est-un-refugie-syrien-chretien-venu-de-suede_6176810_3224.html">a répété agir « au nom de Jésus Christ »</a>. Or, au cours des dernières années, des attaques au couteau commises par des personnes prétendant agir au nom d’une religion – en l’occurrence l’islam – ont très régulièrement été qualifiées de <a href="https://theconversation.com/de-halle-a-manchester-le-terrorisme-est-la-domination-par-la-panique-113935">terroristes</a> par les autorités, que ce soit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_la_gare_Saint-Charles_de_Marseille">à Marseille en octobre 2017</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_du_march%C3%A9_de_No%C3%ABl_de_Strasbourg">à Strasbourg en décembre 2018</a>, ou encore <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_la_basilique_Notre-Dame_de_Nice">à Nice en octobre 2020</a>. Pourquoi donc cette qualification a-t-elle été exclue s’agissant de l’attaque commise à Annecy ?</p>
<h2>Un caractère foncièrement subjectif</h2>
<p>D’un point de vue strictement juridique, cette décision apparaît certes tout à fait régulière. Mais l’honnêteté intellectuelle invite immédiatement à préciser que le choix contraire de retenir la qualification terroriste aurait été tout aussi conforme au cadre légal applicable.</p>
<p>Le propre de cette qualification est en effet de présenter un caractère foncièrement subjectif. Aux termes de l’article 421-1 du code pénal, un crime ou un délit terroriste est en réalité une infraction de droit commun – tel un meurtre, un enlèvement ou encore des destructions par incendie – mais qui se trouve « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-mere-des-arts-des-lois-et-du-terrorisme-50995">France, mère des arts, des lois… et du terrorisme</a>
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<p>Une définition qui offre aux autorités répressives une marge d’appréciation considérable. Définir ce qui trouble, ou non, gravement l’ordre public implique déjà une approche nécessairement subjective, dépendant de la sensibilité relative des pouvoirs publics – et des médias – à tel ou tel fait criminel. Mais déterminer si la personne avait également l’intention spécifique d’intimider ou de terroriser autrui par son geste, ouvre inévitablement sur l’arbitraire.</p>
<p>Sauf à ce que l’acte soit clairement revendiqué comme tel, la caractérisation d’une telle intention reposera alors nécessairement, non sur des éléments objectivables, mais sur des éléments au mieux contextuels ou, pire encore, sur l’émotion suscitée par les faits, a fortiori lorsque ces derniers sont fortement médiatisés. </p>
<p>C’est ainsi qu’après le <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-les-memoriaux-du-13-novembre-150334">traumatisme</a> suscité par les attentats du 13 novembre 2015, des milliers de personnes ont été perquisitionnées sur le fondement de suspicions particulièrement vagues, la réalité de leur implication <a href="https://theconversation.com/quel-bilan-pour-les-mesures-administratives-de-lutte-contre-le-terrorisme-147163">dans un éventuel projet terroriste</a> n’étant avérée que dans moins de 1 % des cas. En dernière analyse, la qualification d’une infraction comme terroriste recèle ainsi d’un inévitable arbitraire.</p>
<h2>Une situation délicate</h2>
<p>Cette situation pose, d’un point de vue démocratique, plusieurs difficultés. En premier lieu, elle nous expose au risque d’une répression arbitraire ou, à tout le moins, disproportionnée. Bien sûr, il est des crimes dont la dimension véritablement « terroriste » ne souffre en pratique <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-ldm-2002-1-page-131.htm">d’aucune discussion sérieuse</a>, à l’image des attentats de New York du 11 septembre 2001.</p>
<p>Mais il faut avoir l’esprit que la plupart des faits aujourd’hui poursuivis comme acte de terrorisme ne constituent pas des meurtres de masse clairement revendiqués ni même des agressions de rues commises par des personnes isolées mais des actes de participation à des groupements suspectés de fomenter des projets d’attentat – et qualifiés à ce titre d’associations de malfaiteurs terroristes. C’est par exemple sous cette qualification qu’ont été mises en cause la plupart des personnes soupçonnées de revenir ou de vouloir se rendre en <a href="https://www.cairn.info/revue-rhizome-2016-1-page-69.htm">Syrie</a> à l’époque où ce territoire était partiellement sous contrôle de l’organisation de l’État islamique.</p>
<p>Mais comment alors, sans risquer de basculer dans l’arbitraire, caractériser une volonté d’intimider ou de terrifier <a href="https://www.cairn.info/revue-deliberee-2017-2-page-16.htm">au seul stade des actes préparatoires</a> ? Soulignons par ailleurs que ce risque d’arbitraire ne pose pas seulement difficulté du point de vue des droits des personnes poursuivies ou suspectées. En étendant démesurément le filet pénal, il a aussi pour conséquence un <a href="https://theconversation.com/lutte-antiterroriste-les-mailles-du-filet-francais-sont-encore-bien-trop-larges-167814">potentiel éparpillement des forces répressives</a> affectant leur capacité à répondre en temps utile aux projets d’attentat avérés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-terreur-un-instrument-politique-171874">La terreur, un instrument politique ?</a>
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<h2>Le risque de la stigmatisation</h2>
<p>En second lieu, le caractère trop malléable de la qualification terroriste fait également courir le risque d’une approche discriminatoire, par les pouvoirs publics, de ce type de criminalité. Comment en effet justifier que, devant un mode opératoire similaire, des actes commis au nom d’une religion soient qualifiés tels quand ceux qui sont commis au nom d’une autre ne le sont pas ? Depuis de nombreuses années, des organisations internationales comme le <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2017/06/counter-terrorism-measures-are-fuelling-racism-un-rights-expert-warns">haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU</a> ou des organisations non gouvernementales comme Amnesty International alertent sur le fait que :</p>
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<p>« Les discriminations contre les personnes musulmanes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en Europe ont contribué à créer un environnement qui les expose davantage <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/02/europe-how-to-combat-counter-terror-discrimination/">aux propos haineux et aux attaques</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Une situation qui ne pose pas seulement problème en soi, mais aussi en raison du rôle paradoxal qu’une telle stigmatisation peut jouer dans le basculement dans la violence criminelle de jeunes gens qui verront dans un Islam aussi mythifié qu’il est diabolisé par d’autres le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/09/BONELLI/59014">moyen de donner un sens à leur envie de revanche sociale</a>.</p>
<h2>Resserrer la notion juridique</h2>
<p>C’est pourquoi il apparaît aujourd’hui nécessaire de réfléchir, sinon à sa suppression, du moins à un resserrement de la notion juridique de terrorisme pour en limiter le potentiel d’arbitraire. Il ne s’agit nullement de priver les autorités des leurs moyens d’action mais, bien au contraire, de leur permettre de se recentrer sur les projets criminels avérés, lesquels seront d’autant mieux prévenus que leurs critères d’identification sont définis avec davantage de rigueur. </p>
<p>À cet égard, le droit de l’Union européenne nous suggère des pistes intéressantes. <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32017L0541#d1e614-6-1">La directive du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme</a> définit en effet les infractions terroristes, de façon sensiblement plus précise que le droit français, comme celles ayant pour objet de « gravement intimider une population », de « contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » ou de « gravement déstabiliser ou détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d’un pays ou d’une organisation internationale ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-le-terrorisme-le-cas-albert-camus-118847">Penser le terrorisme : le cas Albert Camus</a>
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<p>Loin de s’étendre potentiellement à tout acte perçu comme terrorisant, la définition européenne restreint ainsi <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20371-actes-juridiques-de-lue-quest-ce-quune-directive#:%7E:text=La%20directive%20est%20un%20acte,quant%20%C3%A0%20eux%20d%C3%A9termin%C3%A9s%20nationalement.">la notion</a> non seulement aux actes d’une particulière gravité – en exigeant notamment des actes explicitement dirigés non contre des personnes isolées, mais contre un groupe de personnes spécifiques – mais aussi aux actes destinés, directement ou indirectement, à faire pression sur les pouvoirs publics. À l’aune d’une telle définition, les attaques commises sans revendication explicite, fut-ce avec une coloration religieuse, n’auraient plus vocation à être qualifiés de terroristes. </p>
<p>Une telle redéfinition ne priverait nullement le pouvoir répressif des moyens de sanctionner ce type d’infractions : elles le seraient simplement en vertu du droit commun. Elle n’empêcherait pas davantage de recourir à des mesures d’enquêtes particulièrement poussées et mises en œuvre par des services spécialisés, s’agissant des crimes ou délits qui, ne relevant plus de la notion de terrorisme, n’en resterait pas moins commis en bande organisée – le régime d’enquête applicable aux faits terroristes n’étant qu’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071154/LEGISCTA000006138138?etatTexte=VIGUEUR&etatTexte=VIGUEUR_DIFF&anchor=LEGISCTA000038311675#LEGISCTA000038311675">déclinaison d’un régime applicable à la criminalité organisée</a>. En étant limitée aux actes les plus graves, à ceux qui déstabilisent véritablement les structures sociales d’une nation, elle permettrait en revanche de renforcer la condamnation symbolique de ce type de criminalité, quand sa généralisation tend au contraire à la banaliser dangereusement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La qualification d’attaque « terroriste » présente un caractère foncièrement subjectif et mérite d’être affiné au regard des diverses attaques récentes comme à Annecy.Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2045962023-05-08T18:06:07Z2023-05-08T18:06:07ZComment une crise parlementaire inédite est née avec la réforme des retraites<p>Au terme d’une séquence très animée dans les hémicycles parlementaires, il est permis de tirer quelques leçons de la réforme des retraites, aujourd’hui promulguée. <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">La crise</a> qui est née de la mise à l’ordre du jour du texte, et qui s’est renforcée par le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, n’est pas une crise de régime mais plutôt une <a href="https://www.liberation.fr/politique/plus-quune-simple-crise-politique-nous-sommes-face-a-une-crise-parlementaire-20230426_P2ZDHS7BF5FTXGFDTU6IMVPMUU/">crise de la culture parlementaire</a>.</p>
<p>En effet, le gouvernement et le Parlement ont eu recours, parfois avec insistance, aux seuls outils de l’arsenal constitutionnel et réglementaire : <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">outre l’article 49.3</a>, on peut citer l’article 47.1 de la loi fondamentale, par exemple, ou le désormais célèbre article 38 du Règlement du Sénat. C’est bien la preuve, chemin faisant, que ces armes ont été créées pour aider <a href="https://theconversation.com/de-la-manifestation-encadree-a-la-revolte-spontanee-comprendre-le-declenchement-des-actions-contestata_ires-202524">à surmonter une crise</a>, certainement pas pour en créer une nouvelle.</p>
<p>Du reste, même si le gouvernement est aujourd’hui isolé et doit sortir de cette ornière rapidement, le président de la République n’est pas empêché. Depuis 1958, plusieurs présidents ont connu des situations particulièrement difficiles, accompagnées d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2001-2-page-71.htm">forte dégradation de leur image</a>, avant une amélioration, plus ou moins lente, de la situation politique : Charles de Gaulle face à la grève des mineurs de 1963 ; Jacques Chirac face aux grandes grèves de 1995 ; Nicolas Sarkozy et les mouvements sociaux de 2010 ; Emmanuel Macron, déjà, face aux « gilets jaunes » en 2018. Le chef de l’État avoisine aujourd’hui <a href="https://www.challenges.fr/politique/il-paie-cash-la-reforme-des-retraites-macron-un-president-decrie-en-quete-du-rebond-de-popularite_853266">avec les plus bas niveaux de son premier mandat</a>, sans atteindre les étiages de ses prédécesseurs Hollande et Sarkozy.</p>
<p>Il lui reste à trouver les moyens de sortir de cette difficulté, sans toutefois pouvoir espérer en revenir à la situation antérieure au mois de janvier dernier. Les conséquences du vote de la réforme des retraites ont, en effet, cristallisé durablement les positionnements des uns et des autres.</p>
<h2>Un mécontentement appuyé, des protestations vigoureuses</h2>
<p>Le printemps 2023 ne connaît pas pour autant une crise politique anodine ; l’ampleur des mécontentements ne se tarit pas vraiment. Les concerts de casseroles, par exemple, en direction des élus et des représentants des institutions se multiplient, comme autant de protestations populaires, humoristiques, folkloriques et symboliques, mais appuyées et vigoureuses.</p>
<p>Les prédécesseurs d’Emmanuel Macron, même confrontés à la difficulté de gouverner face aux crises précitées, n’ont pas dû faire face à un mouvement de politique intérieure de cette ampleur et si singulier, relayé désormais dans le monde.</p>
<p>Certes, d’autres chefs de gouvernement ont utilisé l’article 49.3, certains précocement (Michel Debré dès 1959), d’autres abondamment (Michel Rocard, 28 fois, entre 1988 et 1991). Et il est vrai que le gouvernement de Pierre Bérégovoy manqua de tomber, non pas à neuf voix comme l’actuelle Première ministre, mais à trois voix, le <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/206147-declaration-de-m-pierre-beregovoy-premier-ministre-propos-de-la-mot">1er juin 1992</a>. Mais masquer la crise par la compétition des chiffres est inutile.</p>
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<p>Car la crise est là, de nature plus préoccupante, car sans véritable précédent sous la V<sup>e</sup> République : c’est une crise de la <a href="https://www.liberation.fr/politique/plus-quune-simple-crise-politique-nous-sommes-face-a-une-crise-parlementaire-20230426_P2ZDHS7BF5FTXGFDTU6IMVPMUU">culture parlementaire</a>. Loin d’une crise institutionnelle qui serait visible, il s’agit d’une crise organique, visant le fonctionnement même de la vie publique, et donc plus cachée.</p>
<h2>Un effet boomerang qui touche l’exécutif</h2>
<p>Le Parlement dont les prérogatives principales se fixent sur le vote annuel des budgets de l’État et de la Sécurité sociale, sur le vote des lois et le contrôle du gouvernement, se trouve considérablement freiné dans son activité, ce qui, avec un effet boomerang, <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100954300">touche vigoureusement le pouvoir exécutif</a> et, de fil en aiguille, l’édifice de l’État tout entier.</p>
<p>Depuis 1962 et l’adoption de la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/paul-reynaud-et-georges-pompidou-4-octobre-1962">seule motion de censure du régime</a>, le gouvernement était habitué aux majorités absolues des lendemains d’élections législatives, laissant peu de place à l’imprévu d’éventuelles mises en minorité. Soixante ans plus tard, la majorité relative sortie des urnes en 2022 donne une belle leçon à tous les protagonistes de la vie publique. A commencer par la capacité, très atteinte, à fabriquer des majorités. Non pas que cela fût impossible de vivre avec une seule majorité relative.</p>
<p>Rappelons ici que les Troisième et IV<sup>e</sup> Républiques avaient fonctionné de la sorte quotidiennement, vivant avec la nécessité constante de bâtir, sur chaque texte, des majorités nouvelles, par la délibération sans concessions des parlementaires et par l’échange d’arguments contradictoires.</p>
<p>Le Gouvernement, en bientôt une année, est parvenu à faire adopter par le Parlement des projets de loi, la plupart du temps en élargissant sur sa droite sa petite majorité à quelques élus « LR ». Mais sur les textes d’envergure qui, les uns après les autres, ont vocation à être inscrits à l’ordre du jour des Chambres, le processus majoritaire s’est aujourd’hui grippé.</p>
<h2>Déphasage entre groupes parlementaires et partis</h2>
<p>L’essor du nombre des groupes parlementaires, et plus sournoisement, le déphasage de ces groupes avec des partis politiques désormais faibles, ont produit un phénomène d’individualisation ou d’autogestion de ces structures internes au Parlement.</p>
<p>Cette tendance ignore ainsi la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-vie-politique-sous-la-troisime-republique-1870-1940-jean-marie-mayeur/9782020067775">culture parlementaire de la coalition</a>, de la « concentration » ou de la « conjonction » républicaine, fondée sur un axiome pourtant assez simple : l’union fait la force.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les gouvernements de coalition semblent être la norme en Europe, Euronews, 23 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Contrairement à <a href="https://www.liberation.fr/economie/social/laurent-berger-maintient-lunite-pour-casser-la-baraque-le-1er-mai-20230416_WKM2BYJBM5DEFPO4HN5JBG2QRY/">l’exceptionnelle unité du front intersyndical</a> mené par Laurent Berger, la Nupes, derrière une façade unie, est restée un regroupement de forces sans véritable lien, imperméable à l’idée d’une fusion, sous la férule de la France insoumise.</p>
<p>Le groupe LR a vécu, entre gêne et atermoiements, la dissidence de 19 de ses élus lors du scrutin sur la motion de censure, une dissidence qui pourrait se terminer en scission.</p>
<h2>Crise de la sociabilité parlementaire</h2>
<p>Cette autre leçon de la réforme des retraites est ici : l’article 49.3 a été utilisé, non comme un outil de « régulation majoritaire », visant à conforter la fragilité momentanée d’une majorité, mais comme un moyen de gouvernement, se substituant au phénomène majoritaire traditionnel, au « fait majoritaire » dont on connaissait jusqu’alors l’automaticité.</p>
<p>On comprend pourquoi le gouvernement ne sait plus à quel saint se vouer, quand les oppositions, de surcroît, n’offrent point de majorité de rechange, sinon dans une improbable conjonction des extrêmes. Privé de la ressource énergétique que constitue habituellement une majorité, le gouvernement est voué à la panne sèche, face à une crispation du Parlement et à la crise de sa sociabilité, au nom de laquelle, jadis, on assurait le service minimum de la fabrique et du vote de la loi.</p>
<p>Il en va jusqu’à l’atmosphère de la buvette de l’Assemblée où, en chiens de faïence, on se toise, quand on ne s’invective pas. Hier encore, il arrivait qu’on y recherche, aux suspensions de séance, la solution collective à un blocage. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/12/06/a-l-assemblee-nationale-l-obstruction-parlementaire-menace-les-relations-entre-le-camp-presidentiel-et-les-oppositions_6153092_823448.html">L’obstruction</a> enfin, qui n’est pas un phénomène récent, a pris des proportions telles qu’aujourd’hui, l’étude complète d’un texte peut ne pas aboutir avant son vote solennel, ni en commission, ni en séance.</p>
<p>Cette crise de la sociabilité parlementaire, qui <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/en-quete-de-politique/en-quete-de-politique-du-samedi-15-avril-2023-3365060">paralyse l’action du gouvernement</a>, a atteint des sommets avec l’encombrement inégalé du processus réglementaire des <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/parlement-francais/assemblee-nationale/assemblee-nationale-les-sanctions-de-deputes-battent-des-records_5657201.html">sanctions prises contre les députés</a>, et pas seulement en réponse à l’obstruction. L’Assemblée nationale en a prononcé le même nombre entre 1958 et 2017, entre 2017 et 2022 et entre 2022 et le printemps 2023.</p>
<p>Par ailleurs, cette séquence parlementaire consacrée à la réforme des retraites n’aura pas contribué à réduire la violence dont les parlementaires sont régulièrement les victimes depuis quelques années et qui ne s’apparente plus aux seuls relents <a href="https://www.larcier-intersentia.com/fr/l-antiparlementarisme-9782802773375.html">d’antiparlementarisme</a> que la France <a href="https://editions.flammarion.com/les-droites-en-france/9782700702606">connaît régulièrement depuis 1815</a>.</p>
<p>Cette violence à rebours, s’en prenant <a href="https://theconversation.com/la-violence-contre-les-elus-un-nouveau-mal-democratique-180142">aux permanences des élus</a> quand ce n’est pas aux élus eux-mêmes de retour dans <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/01/09/la-multiplication-des-violences-contre-les-deputes-n-a-pas-d-equivalent-sous-la-ve-republique_5406990_823448.html">leurs circonscriptions</a>, prouve que la crise que traverse notre vie publique et parlementaire est d’un nouvel ordre.</p>
<p>Les députés, élus de la Nation, sont désormais perçus comme les représentants du pouvoir central – quel paradoxe ! – et donc comme les agents du pouvoir exécutif lui-même. Avec le rappel, éclatant et indiscutable, que le Parlement est toujours au centre de la vie politique, voici probablement une autre révélation de la réforme des retraites, dans la France de 2023.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204596/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Bellon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise parlementaire paralyse l’action du gouvernement et se révèle comme la véritable crise politique de 2023.Christophe Bellon, Maître de conférences en histoire contemporaine et Vice-Doyen de Faculté, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2046262023-05-02T20:24:02Z2023-05-02T20:24:02ZManifestations : la police peut-elle sortir de la confrontation permanente ?<p>Depuis janvier 2023 et les premières mobilisations contre la réforme des retraites, au 1<sup>er</sup> mai 2023, l’actualité s’est fait régulièrement l’écho d’actions musclées et des confrontations qui ont <a href="https://theconversation.com/la-militarisation-du-maintien-de-lordre-en-france-vers-une-derive-autoritaire-203432">caractérisé</a> le rapport entre forces du maintien de l’ordre et manifestants. Une situation déjà observée dans les années 2010, notamment à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes.</p>
<p>Construits à partir d’entretiens réalisés avec des policiers, des gendarmes ou des membres du corps préfectoral, du recueil de documentation interne à la police et à la gendarmerie et de mises en perspective internationales, différents travaux de spécialistes ont montré ce <a href="https://theconversation.com/violence-et-police-un-probleme-dencadrement-juridique-185097">tournant</a>. Ainsi, la « gestion patrimonialiste des conflits sociaux », fondée sur la négociation avec les organisations syndicales et une <a href="https://www.cairn.info/strategies-de-la-rue--9782724607074.htm">certaine tolérance</a> vis-à-vis des troubles causés par les manifestants, a laissé la place à un modèle de maintien de l’ordre beaucoup plus dur, dont l’objectif semble être d’empêcher les manifestations, plutôt que de faciliter leur déroulement.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/maintien-de-lordre-qui-decide-de-quoi-119128">Ces opérations de maintien de l’ordre</a> sont en effet caractérisées depuis quelques années, par une certaine <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/politiques-du-desordre-olivier-fillieule/9782021433968">« brutalisation »</a> et un <a href="https://www.cairn.info/police-et-societe-en-france--9782724640007-page-325.htm">durcissement</a> dont témoigne aussi l’usage croissant d’outils judiciaires et administratifs contre les manifestants.</p>
<h2>Un changement de doctrine qui a fait long feu</h2>
<p>Pourtant, lorsque la mobilisation contre la réforme des retraites a débuté, en janvier, les difficultés relatives aux opérations de maintien de l’ordre semblaient être de l’histoire ancienne. Depuis le <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/laurent-nunez-devrait-remplacer-didier-lallement-a-la-tete-de-la-prefecture-de-police-de-paris-4124120">remplacement</a> de Didier Lallement par Laurent Nunez au poste de préfet de police, une approche différente de l’encadrement des cortèges parisiens prévalait. Les policiers et les gendarmes n’encadraient plus les manifestants au plus près, mais se situaient au contraire à bonne distance de ceux-ci, dans des rues adjacentes. Et les syndicats et leur service d’ordre avaient repris la main sur l’organisation des manifestations, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/manifestation-contre-la-reforme-des-retraites-comment-le-maintien-de-l-ordre-est-il-assure-dans-les-corteges_5605253.html">bonne intelligence</a> avec les préfets et les forces de l’ordre.</p>
<p>Mais ce récit de l’« adoucissement » ne résiste guère à l’analyse et occulte certains excès policiers à l’encontre de manifestants. Un journaliste indépendant a ainsi dû être <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/manifestation-un-homme-emascule-apres-un-coup-de-matraque-d-un-policier-20230122">amputé d’un testicule</a> suite au coup de matraque porté par un policier lors de la manifestation du 19 janvier, à Paris. De plus, l’apparent changement de doctrine consécutif à la nomination de Laurent Nunez n’a pas empêché plusieurs dizaines de personnes visiblement pacifiques de subir des <a href="https://actu.fr/societe/coups-injustifies-usage-d-armes-les-violences-policieres-c-est-quoi-exactement_58340413.html">matraquages injustifiés</a> lors de charges policières (le 19 janvier, le 31 janvier et le 11 février).</p>
<p>Surtout, à partir du 16 mars et du recours par le gouvernement à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, les journalistes et les observateurs ont largement documenté les violences physiques exercées par les forces de l’ordre à l’encontre des manifestants, ainsi que les arrestations arbitraires, voire les <a href="https://www.bfmtv.com/paris/violences-de-policiers-de-la-brav-m-deux-manifestants-vont-porter-plainte_AN-202303260314.html">humiliations</a> subies par ces derniers lors des manifestations nocturnes (non-déclarées par les syndicats) consécutives à l’annonce du recours au 49.3.</p>
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<h2>Des unités policières et des dispositifs judiciaires qui interrogent</h2>
<p>Les critiques se sont notamment focalisées sur les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/24/je-peux-te-dire-qu-on-en-a-casse-des-coudes-et-des-gueules-quand-la-brav-m-derape-au-cours-d-une-interpellation_6166857_3224.html">agissements de la BRAV-M</a>, une unité créée en 2019 pour réprimer les cortèges mobiles et sauvages des Gilets jaunes. Mais d’autres images attestent également de violences commises par des policiers membres de CRS ou de Compagnies d’Intervention (CI).</p>
<p>Au total, depuis le début de la mobilisation, l’IGPN a été saisie de <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/reforme-des-retraites-53-enquetes-judiciaires-confiees-a-l-igpn-depuis-le-debut-du-mouvement_AN-202304140038.html">53 enquêtes judiciaires</a>, principalement pour Paris (chiffres au 1<sup>er</sup> mai), tandis que la Défenseure des droits a été saisie <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/retraites-115-saisines-de-la-defenseure-des-droits-depuis-le-debut-de-la-mobilisation-20230417">115 fois</a> (chiffres du 17 avril) pour des violences policières supposées.</p>
<p>Concernant les arrestations arbitraires, si elles peuvent être décrites comme telles, c’est en raison du faible nombre d’interpellations qui aboutissent, en bout de chaîne, à des déferrements. Ainsi, au cours de la soirée du 16 mars, 292 personnes ont été placées en garde-à-vue mais seulement neuf d’entre elles ont été déférées avec des <a href="https://www.bfmtv.com/paris/neuf-personnes-deferees-sur-les-292-interpellations-lors-de-la-manifestation-place-de-la-concorde-j">sanctions très faibles</a>.</p>
<p>Le lendemain, 64 personnes ont été placées en garde-à-vue et six d’entre elles <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/200323/violences-interpellations-abusives-le-retour-d-un-maintien-de-l-ordre-qui-seme-l">ont été déférées</a>. Cela renforce l’idée d’un détournement de la garde-à-vue, qui n’est plus utilisée pour mettre un suspect à disposition d’un officier de police judiciaire (OPJ), mais simplement pour punir un individu d’avoir participé à une manifestation ou « pour vider les rues ».</p>
<h2>Un basculement répressif</h2>
<p>Comment peut-on expliquer ce basculement répressif à partir de la mi-mars ? Les forces de l’ordre, soutenues par le gouvernement et les syndicats policiers, avancent trois types d’arguments, déjà utilisés au plus fort du mouvement des Gilets jaunes, en décembre 2018.</p>
<p>Le premier a trait au <a href="https://theconversation.com/le-vertige-de-lemeute-108449">caractère émeutier</a> des manifestations les plus récentes, rendant les moyens habituellement employés pour encadrer les manifestations intersyndicales insuffisants pour rétablir l’ordre. Le deuxième argument pointe la fatigue et la lassitude des forces de l’ordre à cause de la répétition des manifestations et de la surcharge de travail, ce qui expliquerait les dérives et les bavures.</p>
<p>Le troisième est la violence exercée contre les forces de l’ordre, dont ont témoigné de nombreuses images comme ce policer qui s’écroule après avoir reçu un pavé dans la tête lors de la <a href="https://www.bfmtv.com/paris/greve-du-23-mars-a-paris-laurent-nunez-annonce-saisir-la-justice-apres-la-blessure-d-un-policier-a-la-tete_AN-202303240410.html">manifestation parisienne du 23 mars</a>. Les chiffres rapportés par le ministère de l’Intérieur font état de 441 policiers blessés pour cette seule journée à Paris.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1638924339482443778"}"></div></p>
<p>La violence exercée par les forces de l’ordre est alors présentée comme une réponse, par l’État, à ce déferlement. Ces arguments ne peuvent pas être balayés notamment avec la <a href="https://www.cairn.info/violences-politiques-en-france--9782724627305.htm">recomposition du répertoire manifestant</a>, avec des violences de certains groupes minoritaires (facilitées à Paris par le contexte urbain, et notamment l’amas de poubelles dans les rues).</p>
<p>La lecture des journaux de marche des compagnies de CRS, comme a pu le faire Le Monde, est à cet égard <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/25/retraites-les-crs-eprouves-apres-une-journee-noire-a-nantes-rennes-bordeaux-ou-toulouse_6166955_3224.html">instructive</a> : celles-ci ont dû faire en différents endroits à des guets-apens, des jets de projectiles, incendies de poubelles ou de palettes, tirs de mortiers d’artifice, voire de cocktails Molotov. Cependant, ces éléments forment le contexte de l’intervention, sans pour autant déterminer la stratégie adoptée par les forces de l’ordre.</p>
<h2>Un manque d’intérêt pour les stratégies de désescalade</h2>
<p>Face à ces nouvelles conditions, nous observons un manque d’intérêt persistant des différentes autorités (ministère de l’Intérieur, préfecture de police de Paris, police nationale et gendarmerie nationale) pour la notion de désescalade.</p>
<p>Cette approche vise à retarder, voire éviter le recours à la force, en privilégiant d’autres moyens (temporisation, dialogue, recul des forces de l’ordre) tant que cela est possible. S’en passer conduit les forces de l’ordre à se montrer brutales dès qu’une difficulté apparaît et <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=41982">contribue à distinguer nettement la France</a> d’un grand nombre de pays européens.</p>
<p>Plusieurs conséquences en découlent : une incapacité à opérer des distinctions entre les profils de manifestants – et donc l’usage de la force contre des manifestants apparemment non violents ; une sous-utilisation des mécanismes de communication en continu par l’emploi de moyens humains (équipes dédiées chargées de communiquer en continu avec les manifestants) et technologiques (l’utilisation de panneaux lumineux permettant de rendre plus visibles les ordres de dispersion et sommations) ; une tendance à réduire la contestation sociale à l’action de groupes minoritaires (d’« ultragauche » notamment), et donc à déployer la force.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’unité dite de la BRAV-M a été particulièrement cible de critiques. Émission de C à Vous, YouTube, 7 avril 2023.</span></figcaption>
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<p>Sans entrer dans le détail de faits individuels pour lesquels les procédures judiciaires sont en cours, le non-respect de <a href="https://www.interieur.gouv.fr/deontologie">règles déontologiques</a> tel que le port du RIO (numéro d’identification), le fait d’avoir le visage masqué, l’emploi d’un ton agressif ou du tutoiement, l’usage de gaz lacrymogène non légitime, etc., apparaît de façon récurrente.</p>
<p>L’utilisation d’unités proactives à l’instar des Brav-M – binômes motorisés mandatés pour interpeller des individus suspectés d’infractions – est l’expression paroxystique de cet ensemble de décisions et pratiques reposant sur un style d’action musclé : interpellations violentes, relations individuelles agressives avec des manifestants, etc.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/24/je-peux-te-dire-qu-on-en-a-casse-des-coudes-et-des-gueules-quand-la-brav-m-derape-au-cours-d-une-interpellation_6166857_3224.html">L’enregistrement diffusé par <em>Le Monde</em></a> le soir du 20 mars, révèle ces dérives : <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/violences-policieres/police-un-enregistrement-audio-accablant-pour-les-policiers-de-la-brav-m_5732423.html">propos insultants et humiliants</a> et attitudes menaçantes se succèdent auprès de plusieurs jeunes interpellés pendant de longues minutes ; « je peux te dire qu’on en a cassé des coudes et des gueules ».</p>
<h2>Deux effets pervers majeurs</h2>
<p>Outre qu’elle contribue à porter atteinte à la réputation de la France sur le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/14/le-maintien-de-l-ordre-a-la-francaise-une-agressivite-a-rebours-des-voisins-europeens_6169477_3232.html">plan international</a>, cette stratégie confrontationnelle comporte deux effets pervers majeurs.</p>
<p>D’abord, elle a des conséquences humaines sur les individus qui en sont les victimes en termes, a minima, d’atteintes à la liberté de manifester, et a maxima, d’atteintes physiques graves. Ensuite, elle tend à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2011-6-page-1047.htm">accroître</a> l’hostilité de la part des manifestants, y compris ceux qui sont au départ pacifiques. L’utilisation perçue comme illégitime et excessive de la force finit par devenir un élément de mobilisation. Les interventions viriles d’unités comme les Brav-M sont elles-mêmes facteurs de dégradations des situations.</p>
<p>Une telle stratégie accroît plus généralement les antagonismes entre manifestants et forces de l’ordre, défenseurs des libertés publiques et organisations professionnelles de défense des policiers. C’est ici le risque du « hard power trap », quand la dégradation des relations aboutit à ce que l’obéissance ne résulte plus que de la contrainte, bien mis en évidence dans les <a href="https://policy.bristoluniversitypress.co.uk/good-policing">travaux internationaux sur la police</a> depuis de nombreuses années.</p>
<p>Au contraire, dans le cas de la manifestation dans le Tarn du 21 avril <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/albi/manifestations-contre-l-autoroute-a69-premiere-en-france-d-une-surveillance-en-drones-par-les-forces-de-l-ordre-2758690.html">contre un projet autoroutier</a>, la police était présente mais peu visible et éloignée des cortèges, résultant en peu de heurts. D’autres choix sont donc possibles.</p>
<h2>Ce que nous apprend l’histoire des polices</h2>
<p>L’histoire des polices montre que certaines périodes sont plus favorables à une réflexion collective sur les conditions de la légitimité des polices. En France, entre les années 1970 et 1990 s’est construit un ensemble de pratiques de maintien de l’ordre reposant sur le tryptique <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100688560">« prévision, négociation, contrôle »</a>, logique associée à une acceptation tendancielle de la pacification des conflits par les mouvements protestataires.</p>
<p>Devant une transformation des répertoires (plus imprévisibles, moins déclarés, moins organisés, etc.) et l’incapacité à neutraliser les protestataires plus violents, les gouvernements français ont privilégié, depuis maintenant une dizaine d’années, une réponse consistant à frapper plus durement l’ensemble des manifestants pour préserver l’ordre public.</p>
<p><a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100546260">Dans un ouvrage récent</a>, nous montrons que le modèle policier français, dont la légitimité a d’abord été pensée par rapport à la préservation de l’ordre politique, doit désormais s’adapter aux demandes de tranquillité émanant des territoires et asseoir l’autorité de ses agents aux yeux des publics divers d’une société française inégalitaire et plurielle.</p>
<p>Cette question se pose particulièrement pour le maintien de l’ordre. A un moment où le fonctionnement de la démocratie représentative <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">est structurellement remis en cause</a>, et où donc de nouvelles formes de protestation ne manqueront pas d’émerger, il semble essentiel de prendre le temps de repenser le maintien de l’ordre, en combinant usage légitime et proportionné de la force et respect des libertés individuelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204626/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les opérations de maintien de l’ordre sont caractérisées depuis quelques années, par une certaine « brutalisation » qui distingue la France de ses voisins européens.Jacques de Maillard, Professeur des Universités, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Aurélien Restelli, Doctorant, sociologie, CESDIP, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2035132023-04-20T15:59:41Z2023-04-20T15:59:41ZLes mots choisis du ministre de l’Intérieur pour une stratégie très politique<p>Les propos du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur la création de cellules <a href="https://reporterre.net/Cellule-antizad-Darmanin-accroit-la-criminalisation-des-ecologistes">« antizad »</a> pour début septembre 2023 ou sur l’appel à <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/04/07/menace-de-dissolution-des-soulevements-de-la-terre-la-bataille-des-arguments-est-engagee_6168689_3244.html">dissoudre</a> le mouvement Les Soulèvements de la Terre illustrent une stratégie classique pour ceux qui occupent la place Beauvau.</p>
<p>Depuis Nicolas Sarkozy – pour ne parler que du XXI<sup>e</sup> siècle –, le ministère de l’Intérieur est considéré comme un tremplin menant aux plus hautes fonctions de la République. L’image de maintien de l’ordre et de protection attachée à ce poste répond aux désirs des citoyens en manque de sécurité.</p>
<p>Grande est alors la tentation de faire monter en puissance <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/203285-discours-de-m-jacques-chirac-president-de-la-republique-sur-la-democr">ce thème de l’insécurité</a>, surtout lorsque l’on se sent en faiblesse sur d’autres thèmes, à l’image de la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/1852356001044/jacques-chirac">stratégie élaborée par Jacques Chirac</a> face à Lionel Jospin en 2001-2002, avec les résultats que l’on connaît. Or, les présentations fondées sur des travaux de long terme sur le sujet sont souvent balayées par des discours démagogiques et parfois simplistes <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/03/31/manifestations-et-violences-les-erreurs-et-approximations-de-gerald-darmanin_6167693_4355770.html">qui tordent les faits</a> pour mieux mettre en scène les qualités supposées du ministre et de ses troupes.</p>
<h2>Une rhétorique sécuritaire peu fondée mais politiquement efficace</h2>
<p>Faut-il pour autant se désintéresser de ces paroles ? Les exemples étrangers de leaders a priori fantaisistes ou ridicules mais néanmoins <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/donald-trump-quand-le-monde-ny-croyait-pas-20220414_6VQEYELMQ5HJHJWEOUEP2HVME4">élus par la suite</a> montrent que, même si on les considère comme <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/19/technology/whatsapp-brazil-presidential-election.html">irrationnels</a>, les arguments ou les constructions liées à la sécurité peuvent toucher des électeurs.</p>
<p>Lorsque de surcroît ces discours s’ancrent dans des figures redondantes du passé, cela leur confère une légitimité accrue, quel que soit leur degré de cohérence et de réalisme. Il est alors intéressant de regarder comment des dirigeants politiques s’enferment dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2007-3-page-68.htm">rhétorique passéiste sur la sécurité et les violences</a> censée rassurer les électeurs mais qui les <a href="https://www.cairn.info/la-police-contre-les-citoyens--9782353711055.htm">piègent eux-mêmes.</a></p>
<p>À force d’élaborer des déclarations martiales et n’acceptant aucune contestation ni aucun bémol, ces dirigeants deviennent incapables de produire une réflexion critique sur leur action ou sur le fonctionnement de leurs troupes. Plusieurs concepts sont utilisés de manière plus ou moins adroite pour construire l’image d’un ministre omnipotent servi par une police absolument irréprochable. Or, ces excès d’autosatisfaction conduisent au refus de débattre, et à la négation de tout travail d’analyse n’entrant pas dans le crédo ministériel.</p>
<h2>Un discours prisonnier du manichéisme</h2>
<p>À travers de telles questions, il s’agit moins d’écouter ou de comprendre des arguments que de classer rapidement les personnes en deux camps : ceux qui aiment la police et ceux qui la détestent, les seconds devenant les ennemis de la société dans son ensemble.</p>
<p>Dans ce cadre de pensée, toute tentative d’explication devient suspecte de complicité, cela nous renvoyant au fameux discours de Manuel Valls qui, à propos du terrorisme, lançait : <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/03/03/terrorisme-la-cinglante-reponse-des-sciences-sociales-a-manuel-valls_4875959_3224.html%22%22">« comprendre, c’est déjà un peu excuser »</a>.</p>
<p>Ou encore <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/197172-declaration-de-m-manuel-valls-premier-ministre-en-reponse-diverses">d’affirmer devant le Sénat</a> :</p>
<blockquote>
<p>« j’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques aux événements qui se sont produits ! »</p>
</blockquote>
<p>La confusion entre la démarche de condamnation et celle de compréhension <a href="https://www.cairn.info/condamner--9782749246796.htm">n’est pas nouvelle</a>. Elle interdit par avance tout travail de réflexion prenant en compte la complexité des situations et conduit au simplisme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/u6jBBsIRxmk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo du Parisien, des violences de la police sur les manifestants sont dénoncées par les opposants à la réforme.</span></figcaption>
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<p>On peut être pour la police dans son principe et condamner ses débordements, voire même chercher à les comprendre. On peut aussi avoir une conception de la police différente de celle du ministre en lui rappelant que selon <a href="https://www.education.gouv.fr/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-du-26-ao%C3%BBt-1789-10544">l’article 12</a> de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la force publique est « instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».</p>
<h2>Une violence croissante ?</h2>
<p>Associée au manichéisme, et le nourrissant, l’idée selon laquelle notre société serait victime d’une violence croissante <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/une-histoire-de-la-violence-robert-muchembled/9782757850091">s’est depuis longtemps installée</a> dans le paysage politique français. Auparavant utilisé pour caractériser – et caricaturer – l’évolution des banlieues, cet argument sert désormais pour discréditer aussi bien les débats à l’Assemblée que les manifestants.</p>
<p>Il est évident qu’existe aujourd’hui une violence dans notre société, mais celle-ci n’est pas un phénomène nouveau. La loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038358582">« anticasseurs » du 10 avril 2019</a> fait écho aux précédentes lois <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/loi-anti-casseurs-un-air-de-1970-souffle-sur-la-france_3135749.html">« anticasseurs » de 1970</a> ou de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000516044">1981</a> élaborées pour lutter <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/autonomes-manifestations-anarchistes-annees-1970">contre les « autonomes »</a>, sans parler des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/09/01/apres-les-incidents-au-parc-des-princes-m-pasqua-se-dit-oppose-a-l-adoption-d-une-loi-specifique-pour-lutter-contre-la-violence-dans-les-stades_3938708_1819218.html">propositions « Pasqua » en 1993</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ke8t8LROW-8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Interview de Charles Pasqua autour de la loi sur la sécurité intérieure, 1993, Antenne 2, INA.</span></figcaption>
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<p>Le romantisme associé à mai 1968 cache souvent la violence de ce moment, avec des barricades fermant des rues en plein centre de Paris et des policiers blessés par les petits pavés parisiens, excellente arme de jet. Le fameux discours du préfet Grimaud incitant les policiers à la modération dans la répression, en mai 1968, insiste aussi sur la « sauvagerie des agressions contre la police », évoquant comme aujourd’hui les « jets de produits chimiques destinés <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/05/16/la-lettre-de-maurice-grimaud-aux-policiers_1046120_1004868.html">à aveugler ou à brûler gravement</a> ».</p>
<p>Comme on le voit, la violence n’est donc pas nouvelle ni croissante, et c’est bien pour cela qu’ont été créées les <a href="https://www.decitre.fr/livres/histoire-et-dictionnaire-de-la-police-9782221085738.html">unités spéciales de maintien de l’ordre CRS en 1944 et gendarmes mobiles en 1921</a> : pour éviter que ne dérivent des situations potentiellement violentes tout en protégeant davantage l’État. Insister sur cette prétendue nouveauté, c’est montrer ses limites dans la gestion d’un phénomène pourtant courant.</p>
<h2>Des mobilisations policières récurrentes</h2>
<p>La nouveauté, pourtant non prouvée, de cette violence obligerait à des dispositifs <a href="https://www.leparisien.fr/economie/retraites/retraites-un-dispositif-de-securite-inedit-pour-ce-mardi-avec-13-000-policiers-et-gendarmes-mobilises-27-03-2023-BNM7TRQ7JBBA3J274OAJBXWOTQ.php">« exceptionnels » ou « inédits »</a>. Mais cet argument de « l’exceptionnel » ne cesse d’être répété par les différents titulaires du poste. Par exemple, le nombre des policiers mobilisés lors des manifestations anti-CPE de 2006 était plus important que celui annoncé <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite/2006/04/04/01001-20060404ARTFIG90236-_policiers_et_gendarmes_mobilises.php">lors des dernières mobilisations</a>. En 2018, les blindés de la Gendarmerie devaient apporter la réponse aux violences des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lk87fWhupcY">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Là aussi, ce rapide retour en arrière nous montre que <a href="https://journals.openedition.org/ejts/4720?lang=tr">« le spectacle de la police des foules »</a> exige des déclarations montrant combien le ministre est capable de mettre en place des troupes pour protéger les citoyens.</p>
<p>Et, parmi les discours récurrents dénonçant la violence croissante de « l’ultra gauche », on voit aussi ressortir <a href="https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/manifestations-du-28-mars-darmanin-annonce-un-dispositif-inedit-de-13-000-forces-de-l-ordre-dont-5500-a-paris_AN-202303270640.html">l’argument de l’étranger</a> qui serait responsable à lui seul d’une radicalisation des mouvements sociaux, sans que soit d’ailleurs précisé quel serait cet étranger.</p>
<p>Ce discours a été entendu dans le cas de Sainte-Soline, mais il s’inscrit dans le prolongement d’un discours anti-écologiste <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/vital-michalon-creys-malville-manifestation">né à Creys-Malville en 1977</a>. À cette époque, il était largement alimenté par la <a href="https://fresques.ina.fr/rhone-alpes/fiche-media/Rhonal00258/les-manifestations-de-creys-malville.html">xénophobie anti-allemande</a> où le souvenir de l’occupation était encore très fort et le désordre associé aux combats écologistes d’outre-Rhin.</p>
<h2>Discréditer les droits de l’Homme</h2>
<p>À une autre échelle, cette vision dénonçant « l’étranger » permet du même coup de <a href="https://journals.openedition.org/revdh/3598?lang=es">discréditer</a> toutes les instances internationales <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/06/21/violences-policieres-la-france-condamnee-par-la-cedh-pour-negligence-dans-la-mort-d-ali-ziri_1660971">condamnant</a> les violences commises par la police française, et qui feraient <a href="https://www.lepoint.fr/faits-divers/violences-policieres-la-condamnation-qui-embarrasse-la-france-27-05-2019-2315369_2627.php">partie du complot contre la France</a>. Le ministère de l’Intérieur qui disposerait selon lui de la meilleure police, impossible à critiquer, rejette ainsi toute comparaison internationale qui <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/14/le-maintien-de-l-ordre-a-la-francaise-une-agressivite-a-rebours-des-voisins-europeens_6169477_3232.html">pourrait lui nuire</a>.</p>
<p>Dans le même ordre d’idée, on pourrait évoquer les arguments sur la <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/perimetres-dinterdiction-de-manifestation-ladministration-prefectorale-organisait-sciemment-lincontestabilite-de-ses-arretes-par-serge-slama/">légalité de l’action gouvernementale</a> justifiant l’usage de la police à employer la force, ou l’utilisation <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2021-1-page-33.htm">détournée du sociologue Max Weber par G. Darmanin dans ce but</a>.</p>
<p>La reprise négative du discours contre les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/droit-de-l-hommisme-histoire-d-un-neologisme-pejoratif-8107313">« droits-de-l’hommisme »</a>, singeant Jean-Pierre Chevènement en 1999 ou N. Sarkozy en 2002 va dans le même sens.</p>
<h2>Artifices rhétoriques</h2>
<p>Tous ces artifices rhétoriques sont destinés à dissimuler les vraies questions qui se posent à l’occasion des manifestations et de leur répression : la qualité du débat démocratique et, pour ce qui concerne la police, la <a href="https://theconversation.com/la-militarisation-du-maintien-de-lordre-en-france-vers-une-derive-autoritaire-203432">qualité des armes et stratégies utilisées</a>. </p>
<p>Il ne s’agit pas d’être pro ou anti-police, mais de réfléchir collectivement sur ce qu’est une bonne police, démocratique, acceptable, et qui ne justifie pas à tout prix les écarts de quelques-uns de ses éléments.</p>
<p>Une réflexion doit aussi être lancée sur l’instrumentalisation de plus en plus visible de l’outil policier pour éviter les débats qui ne conviennent pas à ceux qui tiennent le pouvoir exécutif, et les dérives de candidats à la magistrature suprême qui pense que les seules qualités pour y arriver sont l’autoritarisme, l’obstination et le manque d’ouverture sur l’extérieur.</p>
<p>Ce discours serait risible s’il ne causait pas des blessures de plus en plus graves tant du côté des manifestants que des forces de l’ordre. Car le mépris vis-à-vis des contestataires n’a d’égal que celui pour ses policiers, soignés certes à travers des <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4031564-20230406-reforme-retraites-darmanin-defend-gestion-maintient-ordre-manifestation-devant-alliance">mesures catégorielles</a> mais pourtant envoyés jusqu’à l’usure combattre des idées que beaucoup d’entre eux partagent pourtant, notamment sur les retraites.</p>
<p>Finalement, malgré les discours, le ministre soucieux d’imposer une image d’autorité se soucie assez peu que des policiers ou des gendarmes soient blessés pour défendre son image et celle de l’exécutif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203513/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Mouhanna a reçu des financements du Ministère de la Justice, de l'ANR et de l'ADEME pour les recherches qu'il mène actuellement </span></em></p>La rhétorique sur l’insécurité et les violences émanant du ministère de l’Intérieur permettent d’éviter un débat de fond sur la réforme de l’institution policière.Christian Mouhanna, Chercheur au CNRS, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2034322023-04-10T19:25:16Z2023-04-10T19:25:16ZLa militarisation du maintien de l’ordre en France : vers une dérive autoritaire ?<p>Depuis l’utilisation du 49.3 par Élisabeth Borne le 16 mars, les manifestations connaissent un regain de colère qui se traduit par une <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-03-28/les-manifestations-de-2023-sont-elles-vraiment-plus-violentes-qu-avant-f6d3d97a-dc41-4347-91a9-05ba1f86ece3">augmentation des incidents en marge des manifestations</a> contre le projet de réforme des retraites. La frustration et l’exaspération laissent de plus en plus souvent place <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798">à l’expression physique du mécontentement social</a> qui n’a pu se manifester concrètement au parlement.</p>
<p>Pour répondre <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-les-citoyens-au-miroir-de-leurs-blessures-emotionnelles-203182">aux jets de pierres et aux poubelles brûlées</a>, le ministère de l’Intérieur a mis en place un <a href="https://www.letemps.ch/monde/ong-denoncent-violence-policiere-repression-manifestations-france">important déploiement de force</a>, acte jugé excessif et inapproprié <a href="https://fr.myeurop.info/2023/03/28/violences-policieres-limage-de-la-france-atteinte-a-letranger/">sur la scène internationale</a> par différents observateurs comme <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/france-manifestations-un-recours-excessif-a-la-la-force-et-aux-arrestations-abusives">Amnesty International</a>.</p>
<p>À ces accusations graves de violations répétées des droits humains (manifester, circuler librement, exprimer publiquement ses opinions sans risque), le gouvernement retourne le vecteur : ce ne seraient pas les excès d’une partie des forces de l’ordre qui poseraient problème, mais <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/que-sont-les-factieux-denonces-par-emmanuel-macron-20230322">« les factieux »</a>, ces manifestants qui voudraient renverser le pouvoir.</p>
<p>Auditionné mercredi 5 avril par la commission des lois de l’Assemblée nationale puis par le Sénat, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/05/gerald-darmanin-va-s-expliquer-devant-les-deputes-et-les-senateurs-sur-le-maintien-de-l-ordre_6168317_823448.html">Gérald Darmanin l’assure encore</a>, « la poussée extrêmement forte des violences » est due exclusivement à « l’ultragauche », aux « casseurs » et – s’il voulait faire dans la provocation, dit-il – aux preneurs d’otages (il parle de « prise d’otages » de la part des manifestants violents). Ces affirmations en viennent à omettre un autre facteur essentiel pour saisir la situation actuelle : <a href="https://www.europe1.fr/societe/formation-insuffisante-hierarchie-absente-deni-des-violences-ces-maux-qui-minent-la-police-4008577">l’évolution récente du protocole du maintien de l’ordre français</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lenquete-police-population-du-ministere-de-linterieur-est-trompeuse-142098">Pourquoi l’enquête « police-population » du ministère de l’Intérieur est trompeuse</a>
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<h2>Le LBD, exemple d’une militarisation accrue des forces de l’ordre</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2008-1-page-101.htm">Depuis une trentaine d’années</a>, les gouvernements successifs ont décidé de renforcer le matériel des gendarmes mobiles et des CRS qui sont les principales forces de l’ordre mobilisées pour encadrer les manifestations. L’armure, le pistolet, le gaz lacrymogène et des <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/retraites/les-jets-de-grenades-par-les-forces-de-lordre-font-a-nouveau-polemique-dans-les-manifestations-ed95e4ec-c947-11ed-b7b6-abe6ad8a6310">armes de guerre reconnues</a> comme telles par l’État (<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/05/09/police-un-deficit-de-formation-a-l-usage-des-fusils-d-assaut_6125349_3224.html">fusils d’assaut</a>, <a href="https://www.midilibre.fr/2023/03/27/elle-fait-le-bruit-dun-avion-au-decollage-quest-ce-que-la-grenade-gm2l-si-decriee-par-les-manifestants-11092097.php">grenades de désencerclement</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/gilets-jaunes-le-lbd-reconnu-comme-arme-de-guerre-par-la-reglementation-internationale_3414301.html">LBD</a>) deviennent peu à peu partie intégrante de l’équipement standard pour le maintien de l’ordre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peut-on-abolir-la-police-la-question-fait-debat-aux-etats-unis-140477">Peut-on abolir la police ? La question fait débat aux États-Unis</a>
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<p>L’un des symboles de ce nouvel équipement est le lanceur de balles de défense (LBD). Introduit par Claude Guéant en 1995, le LBD est interdit dans le cadre des manifestations et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/flash-ball-lbd-40-ces-armes-non-letales-denoncees-depuis-dix-ans-par-presque-tout-le-monde-4585504">expérimenté dans des unités spéciales</a> pour lutter contre le terrorisme et les prises d’otage. Ce choix s’explique aussi bien par les <a href="https://fr-fr.facebook.com/Ina.fr/videos/le-flash-ball-une-invention-fran%C3%A7aise-1995/2055936861371072/">pressions subies par le Conseil de l’Europe</a>, que par la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/6-decembre-1986-quand-la-mort-de-malik-oussekine-illustrait-les-techniques-policieres-de-l-epoque-4357262">mort de Malik Oussekine en 1986</a> qui reste encore dans les esprits des dirigeants politiques.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mfx0DPryCes?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’affaire Malik Oussekine, 1986, INA.</span></figcaption>
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<p>Il faut attendre <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/11/29/plusieurs-blesses-dans-une-manifestation-etudiante-a-nantes_983694_3224.html">au moins 2007 pour que le LBD soit utilisé à titre expérimental en manifestation</a>, et son premier usage se solde par une blessure grave. En effet, un lycéen est énucléé et, après onze années de procès, la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/07/05/97001-20180705FILWWW00208-l-etat-condamne-a-payer-86000-euros-a-un-lyceen-eborgne-par-un-flash-ball.php">justice reconnaît que le policier</a> avait illégalement et illégitimement tiré sur un manifestant inoffensif.</p>
<h2>Une « dangerosité totalement disproportionnée »</h2>
<p>Par cette décision prise en juillet 2018, le tribunal administratif fait donc suite à plusieurs condamnations émises par d’autres instances françaises : l’inspection générale des services <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/08/19/tir-de-flashball-a-montreuil-des-policiers-n-ont-pas-respecte-les-regles-selon-l-igs_1229952_3224.html">s’alarme du non-respect des règles</a> permettant l’usage du LBD par les forces de l’ordre en juillet 2009, la Commission nationale de déontologie de la Sécurité (qui était chargée de veiller à la déontologie des forces de sécurité publiques et privées) <a href="https://www.francetvinfo.fr/france/la-commission-nationale-de-deontologie-de-la-securite-cnds-met-en-cause-l-utilisation-de-flashball-par-la-police_236191.html">s’inquiète de la « dangerosité totalement disproportionnée »</a> du LBD en manifestation, ou encore le défenseur des droits en <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/jacques-toubon-tire-a-vue-sur-le-flash-ball-4955110">demande l’interdiction en manifestation</a> en 2015 tant l’arme s’avère dangereuse et inutile (même sans les LBD, « la police n’est pas désarmée », elle dispose d’autres outils moins dangereux pour maintenir l’ordre).</p>
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<p>Pourtant, en décembre 2018, le troisième acte des « gilets jaunes » marque également celui du retour en force du LBD. En seulement quatre mois, plus de <a href="https://www.lepoint.fr/societe/gilets-jaunes-plus-de-13-000-tirs-de-lbd-recenses-07-03-2019-2299070_23.php">13 000 tirs de LBD</a> sont réalisés contre les manifestants.</p>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/deux-ans-apres-que-sont-devenus-les-gilets-jaunes-mutiles-en-manifestation-2727108">Selon le journaliste David Dufresnes</a>, en l’espace d’un an, plus de 300 « gilets jaunes » sont sérieusement blessés et une trentaine éborgnés suite à ces tirs. Le LBD, <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/gilets-jaunes-le-lbd-reconnu-comme-arme-de-guerre-par-la-reglementation-internationale_3414301.html">cette arme de guerre</a> selon les réglementations françaises et <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/critiquee-par-l-onu-la-france-assume-et-justifie-l-usage-du-lbd-24-04-2019-8059386.php">internationales</a>, est passé en moins de trois décennies du statut d’arme expérimentale antiterroriste à celui d’« arme non létale ».</p>
<h2>Un maintien de l’ordre efficace et plus pacifié dans le dernier tiers du XXᵉ siècle</h2>
<p>Depuis 2018, la France a été catégorisée par le magazine <em>The Economist</em> comme une <a href="https://www.economist.com/graphic-detail/2019/01/08/the-retreat-of-global-democracy-stopped-in-2018">« démocratie défaillante »</a> au même titre que l’Italie, la Pologne et la Hongrie… Un résultat des plus surprenants quand on compare le protocole de maintien de l’ordre actuel avec celui adopté entre 1968 et 2000.</p>
<p>Bien qu’imparfait, le <a href="https://www.cairn.info/strategies-de-la-rue--9782724607074.htm">modèle adopté avec et après</a> les événements de 1968 par le préfet Maurice Grimaud et le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin (imités par leurs successeurs) se révèle très efficace.</p>
<p>La mise à distance des corps (entre manifestants et policiers), la construction d’une gradation de la réponse donnée par les agents, la surveillance par l’infiltration des manifestants (<a href="https://www.cairn.info/revue-parlements-2022-2-page-173.htm">afin de renseigner au mieux les forces de l’ordre de la situation</a>), le développement de nouvelles tactiques visant à s’adapter aux risques d’affrontements et la volonté de laisser les manifestants s’exprimer calmement dans l’espace public, sont autant de changements qui permettent une pacification conséquente de la rue. Des agents chargés d’appréhender les « casseurs » restaient en retrait, prêts à intervenir dès le signal reçu, sans avoir à charger contre l’ensemble du cortège. <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/maintien-de-l-ordre-les-brav-m-sont-elles-totalement-indispensables-comme-l-affirme-laurent-nunez_5751668.html">Contrairement à certaines déclarations officielles</a>, ces manifestants violents étaient déjà chaussés pour fuir, tout comme les agents étaient déjà préparés pour les poursuivre.</p>
<p>Les années 1968-1983 furent pourtant marquées par des manifestations particulièrement violentes. Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre étaient courants. Toutefois, il y avait une <a href="https://journals.openedition.org/lectures/47106">volonté politique de pacifier</a> les relations entre « la rue » et les forces de l’ordre. Cette pacification se poursuit tout au long des <a href="https://voidnetwork.gr/wp-content/uploads/2016/09/Policing-Protest-The-Control-of-Mass-Demonstrations-in-Western-Democracies-edited-by-Donatella-della-Porta-and-Herbert-Reiter-.pdf">décennies 1970-1990</a>.</p>
<p>Bien entendu, il ne faut pas idéaliser la période. Des incidents parfois très graves eurent lieu. il y eut au moins trois morts et quelques dizaines de blessés parmi les manifestants <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21084">entre 1977 et 1999</a>, tout comme plusieurs dizaines de policiers et gendarmes furent blessés et un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1976/03/05/un-viticulteur-et-un-commandant-de-c-r-s-sont-tues-dans-l-aude-dans-une-fusillade-entre-forces-de-l-ordre-et-manifestants-le-midi-en-ebullition_3124627_1819218.html">CRS tué par balle en 1976</a>. Cependant, la volonté des gouvernements alors en place d’assurer un maintien de l’ordre pacifié a offert d’excellents résultats avec <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21084">seulement 5 % d’atteintes contre les biens et les personnes</a> lors des manifestations entre 1975 et 1990.</p>
<h2>Les inquiétudes d’une tentation autoritaire</h2>
<p>À travers l’exemple du LBD, il est possible de constater que le renforcement de l’équipement du maintien de l’ordre – <a href="https://www.lesechos.fr/2017/02/securite-le-couteux-suremploi-des-crs-167042">analogue à la baisse des effectifs des agents spécialisés dans le domaine</a> – a été suivi d’une <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/violences-policieres/les-violences-policieres-en-france-sont-elles-plus-frequentes-ou-sont-elles-devenues-plus-visibles_4203791.html">augmentation des accusations d’abus par les forces de l’ordre</a>. Le problème ne vient pas de la formation des CRS et des gendarmes mobiles, qualitative par le temps qui y est consacré et son <a href="https://www.lepoint.fr/societe/maintien-de-l-ordre-qui-est-responsable-08-07-2019-2323204_23.php">adaptation aux évolutions des manifestations publiques</a>, mais <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/279024-maintien-de-lordre-une-doctrine-en-debat">du changement de la doctrine</a>, du déploiement de policiers non spécialisés pour ce type de mission et des défaillances de la chaîne de commandement.</p>
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<figcaption><span class="caption">À Paris sur les Grands Boulevards, le 23 mars 2023, de nombreux manifestants sont attaqués par les forces de l’ordre de manière qualifiée de disproportionnée, YouTube.</span></figcaption>
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<p>Les sociologues Sébastien Roché et Olivier Fillieule <a href="https://www.publicsenat.fr/article/societe/violences-policieres-le-maintien-de-l-ordre-part-completement-a-vau-l-eau-et-pietine">l’ont longuement analysé</a> : si l’usage des LBD a reculé pour l’instant, les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/16/ordre-public-l-affrontement-ne-garantit-pas-la-securite_6130540_3232.html">incitations au contact avec les manifestants</a>, <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/reforme-des-retraites-les-nasses-sont-elles-vraiment-interdites-en-manifestation-21-03-2023-RDX322CFXREZ3M5GJLG7542LC4.php">l’usage répété des nasses</a>, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/societe/violences-policieres-le-maintien-de-l-ordre-part-completement-a-vau-l-eau-et-pietine">« les interpellations de masse pour dissuader de participer au cortège »</a>, ou encore le <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4031345-20230405-identification-policiers-conseil-etat-refuse-forcer-main-interieur">refus de veiller au bon port du RIO</a> (numéro d’identification des policiers) ne peuvent qu’alimenter les incidents et nourrir la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/27/maintien-de-l-ordre-la-brutalisation-des-interventions-est-aujourd-hui-au-c-ur-de-la-strategie-francaise_6167151_3232.html">défiance populaire à l’égard des forces de l’ordre</a>.</p>
<h2>La France montrée du doigt</h2>
<p>Ainsi, depuis le sommet de la COP21 mais plus encore les mouvements sociaux contre la loi El Khomri en 2016, l’image de la France s’est fortement détériorée à l’international. L’accroissement de la répression a commencé aussi bien à <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20160213.OBS4610/yves-sintomer-la-france-peut-evoluer-vers-un-regime-autoritaire.html">inquiéter les Français</a>, qui éprouvent une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/contre-la-reforme-des-retraites-les-francais-soutiennent-le-mouvement-social-mais-ont-peur-de-manifester_216213.html">peur croissante d’aller</a> <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/12/19/j-ai-eu-peur-pour-ma-vie-face-a-l-escalade-de-la-violence-ils-ont-renonce-a-manifester_6063917_1653578.html">manifester dans la rue</a> voire <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/12/05/face-a-la-police-la-peur-d-aller-manifester_1767301/">d’exprimer publiquement leurs opinions</a>, que les observateurs <a href="https://www.nouvelobs.com/social/20230324.OBS71307/macron-parle-la-rue-lui-repond-comment-la-mobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-est-elle-vue-de-l-etranger.html">européens et nord-américains</a>, qui voient là l’image d’un pouvoir « méprisant et insensible », « autoritaire », « brutal ».</p>
<p>Cela n’est pas nouveau. La France a déjà été condamnée pour son usage excessif et répété de la force dans son protocole de maintien de l’ordre par la <a href="https://www.la-croix.com/France/Justice/France-condamnee-violences-policieres-2017-11-16-1200892527">Cour européenne des droits de l’Homme en 2017</a> puis en <a href="https://www.lepoint.fr/faits-divers/violences-policieres-la-condamnation-qui-embarrasse-la-france-27-05-2019-2315369_2627.php">2019</a>.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/le-conseil-constitutionnel-censure-l-ex-article-24-de-la-proposition-de-loi-securite-globale_6080897_3224.html">Le projet de loi de sécurité globale</a> avait également suscité beaucoup d’inquiétudes puisqu’il cherchait à punir toute diffusion d’images de policiers et de gendarmes (<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/15/les-principaux-articles-de-la-loi-securite-globale-definitivement-adoptee-par-l-assemblee-nationale_6076884_3224.html">« délit de provocation à l’identification »</a>. Cela aurait <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/03/france-new-security-law-risks-dystopian-surveillance-state/">drastiquement réduit la possibilité</a> de poursuivre les éventuels agents responsables d’abus.</p>
<p>L’usage de la violence ne saurait être toléré dans une démocratie. Cela vaut aussi bien pour les manifestants (qui doivent en répondre devant la loi) que pour les forces de l’ordre. Comme le rappelait <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/05/16/la-lettre-de-maurice-grimaud-aux-policiers_1046120_1004868.html">Maurice Grimaud en mai 1968</a>, « frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière ». Ou, pour reprendre <a href="https://blogs.letemps.ch/frederic-maillard/author/frederic-maillard/">l’expression plus récente du socio-économiste suisse Frédéric Maillard qui tient le blog <em>L’observatoire des polices</em></a>, « les voyous ne méritent pas qu’on les [forces de l’ordre] leur ressemble ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203432/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryan Muller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le changement de la doctrine de maintien de l’ordre et des défaillances dans la chaîne de commandement illustrent une évolution inquiétante dans l’encadrement des manifestations.Bryan Muller, Docteur en Histoire contemporaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.