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Aide au développement : la France peut mieux faire

Le président Emanuel Macron et la chanteuse Angelique Kidjo posent avec des ex-joueurs de basket de la NBA à l'école Louis Pasteur à Lagos au Nigéria, à la suite d'un partenariat avec l'AFD. Ludovic MARIN / POOL / AFP

À son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron a affirmé vouloir consacrer 0,55 % du revenu national brut (RNB) français à l’aide publique au développement (APD) d’ici 2022 après des baisses à ce poste sous la présidence précédente – pourtant socialiste.

L’objectif est de consacrer à terme 0,7 % du RNB à l’aide, cible que la France partage avec les 30 autres pays membres du Comité d’aide au développement (CAD) depuis les années 70 et jamais atteinte par le pays depuis lors.

Dans cette optique, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement acta en février 2018 une augmentation de l’aide par paliers : 0,44 % en 2018 et en 2019, 0,47 % en 2020, 0,51 % en 2021 et 0,55 % en 2022. D’emblée, les marches furent inégales, concentrant le plus gros de l’effort sur les deux dernières années du mandat présidentiel, et l’objectif final restait éloigné des 0,7 %. Cependant, les grandes lignes étaient tracées. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le prêt : faiblesse française

Les chiffres préliminaires de l’aide au développement pour l’année 2019, diffusés mi-avril, attestent à première vue des progrès français en matière d’aide.

Avec 12,2 milliards de dollars américains qui représentent 0,44 % du RNB, la France se maintient par rapport à 2018. Elle reste en 5e position en termes de volume d’APD derrière les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon. La feuille de route est donc suivie pour autant que l’on considère les cibles, loin des 0,7 % qui devraient déjà être engagés, louables et suffisantes.

Qu’est-ce qu’est l’aide publique au développement (APD) ? Elle permet d’agir dans des secteurs indispensables : santé, eau, éducation, activités économiques, infrastructures, État de droit, démocratie..

Si l’on considère l’aide en pourcentage du RNB, la France occupe le 8e rang des pays du CAD ex-aequo avec la Suisse. Elle gagne une place par rapport à 2018 et se situe au-dessus de la moyenne à 0,38 % du RNB, mais elle est largement distancée par certains de ses voisins européens comme le Luxembourg (1,05 %) ou la Norvège (1,02 %).

Au-delà de la quantité d’aide fournie, les chiffres préliminaires offrent un aperçu de la manière qu’ont les pays donateurs du CAD d’allouer l’aide, souvent sous forme de dons ou de prêts à rembourser. Or, malgré une hausse des dons bilatéraux, près de 50 % de l’aide bilatérale brute française n’est pas allouée sous forme de dons, mais plutôt de prêts, plaçant la France au rang de deuxième pire élève après le Japon. L’examen par les pairs du CAD de 2018 avait déjà relevé cette faiblesse française.

Le choix des pays à revenu intermédiaire

Il avait également été souligné que la distribution de l’aide favorise les pays à revenu intermédiaire plutôt que les « pays les moins développés ». Le RNB par habitant des pays à revenu intermédiaire les place entre les pays à faible revenu et les pays à revenu élevé. Les seuils de revenu considérés sont définis par la Banque Mondiale et changent chaque année. Si cet indicateur est imparfait, notamment car il ne reflète pas les inégalités internes, il donne une idée des pays où l’aide est la plus nécessaire.

Or, en moyenne sur les années 2017 et 2018, les premiers bénéficiaires de l’aide française en volume sont trois pays à revenu intermédiaire : le Maroc, la Turquie et l’Indonésie.

En 2018, la France s’est alors engagée à changer ces pratiques grâce à « un rééquilibrage des instruments de l’aide en faveur des dons » et « une montée en puissance de la composante bilatérale de l’APD », en faveur d’une liste de « pays prioritaires » dont la plupart sont des pays à faible revenu. Il faut attendre les résultats définitifs détaillés pour l’année 2019 pour juger de ses efforts.

Aide publique au développement : la promesse jamais tenue, Brut, le 8 avril 2017.

Par ailleurs, le rapport du CAD indiquait que « les deux tiers de l’APD française sont gérés dans le cadre de missions dont l’objectif principal n’est pas le développement » (p.14). Par exemple, on trouve la mission « Défense – sous la responsabilité du Ministère des Armées – dont les objectifs sont « la poursuite de la modernisation et de la transformation des armées vers un modèle soutenable, ambitieux, maintenant le rang de la France parmi les grandes puissances militaires et garantissant une autonomie de décision » et « un effort constant au profit des équipements à travers les opérations d’armement […] l’entretien programmé des matériels […] et les matériels du combattant et la dissuasion, garante de notre souveraineté » (p.8).

Cela dissone face à la définition de l’APD qui stipule que pour être comptabilisées comme telles, les sommes qui la constituent doivent avoir pour « but exprès de promouvoir le développement économique et d’améliorer les conditions de vie dans les pays en développement ».

L’aide française en « équivalent-don » progresse peu

Enfin, selon les chiffres préliminaires pour 2019, l’aide française en équivalent-don n’a que très peu progressé en termes de volume et par rapport au RNB en comparaison avec 2018. Cette méthode de calcul, appliquée depuis 2019, implique de prendre en compte « ’l’élément don » des prêts [et d’autres instruments] exprimé sous forme de valeur monétaire » (p.1).

Sans compter que l’ambition française d’augmenter l’aide au développement à 0,55 % puis 0,7 % du RNB n’est toujours pas portée par une nouvelle loi d’orientation et de programmation. Cette dernière, actuellement en discussion pourrait néanmoins être adoptée à l’automne 2020. Mais, sur fond de crise sanitaire et économique mondiale liée à la Covid-19, quelles seront ses modalités ?

Le gouvernement devra résister à la tentation de sacrifier ses objectifs ambitieux d’augmentation de l’aide dans les deux dernières années du quinquennat.

Quelle aide pour la suite ?

En réponse à la crise sanitaire, l’état français s’est engagé sous l’initiative de l’Agence française de développement « Covid-19 Santé en commun » qui prévoit 1,2 milliard d’euros d’aide aux pays d’Afrique, dont 1 milliard sous forme de prêts et 150 millions sous forme de dons.

Ces modalités sont critiquées par les organisations non gouvernementales (ONG) car des prêts pourraient accabler d’autant plus les pays les plus pauvres souvent déjà endettés.

De plus, ce financement n’est pas supplémentaire mais « redéployé » sur de nouveaux pôles comme le soutien aux systèmes de santé africains, le soutien à la recherche africaine, le soutien humanitaire et le soutien économique. Ainsi, la crainte est que l’aide affectée à la lutte contre la Covid-19 privera pour l’instant de soutien des populations et des causes qui comptaient sur des financements français.

La France s’est également engagée aux niveaux européen et mondial pour lever des fonds au profit de la lutte contre la Covid-19, mais des doutes persistent autour de l’établissement, en pratique, des fruits de la recherche comme véritables « biens publics mondiaux ». Ils concernent notamment la participation des pays du Sud aux prises de décision, l’accès aux résultats de la recherche, les prix des produits de santé – qui pourraient les rendre inaccessibles à certains pays –, les autorisations de fabrication et de distribution, etc.

En somme, si la France s’est engagée à augmenter la quantité d’aide au développement fournie, elle est encore loin de la barre des 0,7 %.

Des signes positifs

Signes positifs, les montants accordés à la mission aide publique au développement du budget 2020 ont été revus à la hausse, une tendance que l’opinion publique française semble soutenir de plus en plus.

Aussi, le 26 mai dernier le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean‑Yves Le Drian a affirmé à l’association Coordination Sud, groupement d’ONG françaises de solidarité internationale, souhaiter maintenir le cap pour l’APD française malgré la crise de la Covid-19 ainsi que la révision de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Les prochains mois et les deux prochaines années vont révéler, sur fond d’incertitude et de défis liés à la crise sanitaire, la solidité des engagements français.

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