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femme d'origine asiatique de profil avec un schéma de cerveau sur le côté de sa tête
Le diabète de type 2, caractérisé aux stades avancés par une résistance à l’insuline, constitue un facteur de risque important de l’Alzheimer. (Shutterstock)

Alzheimer : au cœur de l’interaction entre l’insuline et les vaisseaux sanguins du cerveau

La population vieillit et le nombre de personnes atteintes de maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer, ne cesse d’augmenter. Environ 75 000 Canadiens reçoivent un diagnostic d’Alzheimer chaque année et voient leurs capacités cognitives décroître. Un supplice qui s’étend généralement sur plusieurs années, auquel les proches assistent, impuissants.

Les maladies neurodégénératives se caractérisent par des protéinopathies, c’est-à-dire des accumulations anormales de protéines dans le cerveau, qui nuisent au fonctionnement des neurones. Pour développer des médicaments contre l’Alzheimer, l’approche thérapeutique la plus étudiée consiste à tenter de réduire l’agrégation au niveau des neurones du peptide bêta-amyloïde et de la protéine tau.

Cependant, pour atteindre leurs cibles, les médicaments doivent d’abord franchir la barrière hématoencéphalique (BHE), afin de passer du sang au cerveau. En effet, les cellules endothéliales, soit celles qui tapissent les microvaisseaux sanguins du cerveau, régissent les échanges entre le sang et le cerveau. Elles maintiennent un équilibre qui permet l’accès à des molécules essentielles comme le glucose, mais qui restreint le passage de la plupart des remèdes pharmaceutiques, dont le nouveau médicament lecanemab, qui fait couler beaucoup d'encre.

Lorsque ces cellules endothéliales cérébrales sont malades, l’équilibre est brisé. Le cerveau peine alors à récupérer dans la circulation les substances dont il a besoin, et à y rejeter celles qui pourraient lui nuire.

Le cerveau et les autres organes du corps sont ainsi en communication constante, dans la santé comme dans la maladie.

Experts en maladies neurodégénératives et BHE, nous avons mené une étude sur les dysfonctions du récepteur de l’insuline dans l’Alzheimer.

Insuline et cerveau

L’insuline est une hormone essentielle à la vie. Elle est surtout connue pour son effet sur la régulation de la glycémie et demeure incontournable dans le traitement pharmaceutique du diabète. Au cours des dernières décennies, des chercheurs ont remarqué des anomalies vasculaires et métaboliques chez une forte proportion de patients atteints de démence.

En effet, le diabète de type 2, caractérisé aux stades avancés par une résistance à l’insuline, constitue un facteur de risque important de l’Alzheimer. Certains indices suggèrent que le cerveau Alzheimer répond moins bien à l’insuline. À l’inverse, des études ont montré que l’insuline pouvait améliorer la mémoire, ce qui a motivé l’élaboration d’essais cliniques portant sur l’effet de l’insuline sur la maladie d’Alzheimer.

Pourtant, nous ignorons toujours quels types de cellules et quels mécanismes sont impliqués dans l’action – et la perte d’action – de l’insuline au cerveau. La grande majorité de l’insuline est produite par le pancréas et sécrétée dans la circulation sanguine. Par conséquent, pour affecter le cerveau, l’insuline doit d’abord interagir avec la BHE et ses cellules endothéliales cérébrales, qui sont en contact avec le sang et peuvent capter l’insuline grâce à des récepteurs, protéines spécifiques à leur surface.

Alzheimer et récepteur de l’insuline

Afin de mesurer la quantité de ces récepteurs à l’insuline dans le cerveau, nous avons effectué des analyses directement dans des tissus humains. Ces échantillons provenaient d’une cohorte de plus d’un millier de personnes qui ont accepté de faire don de leur cerveau après leur décès. Nous y avons accès grâce à une collaboration avec des chercheurs de l’Université Rush à Chicago.

Nous avons découvert que le récepteur qui lie l’insuline est majoritairement localisé au niveau des microvaisseaux, donc au sein même de la BHE. De plus, l’abondance de ce récepteur est diminuée chez les sujets Alzheimer. Cette diminution pourrait engendrer la perte de réponse à l’insuline du cerveau atteint d’Alzheimer.

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Le récepteur cérébral de l’insuline est localisé principalement au niveau de la BHE, et sa capacité à répondre à l’insuline du sang est diminuée dans la maladie d’Alzheimer. (Manon Leclerc), Fourni par l'auteur

Dysfonction du récepteur de l’insuline

Afin de mieux contrôler les variables expérimentales et mesurer la réponse du récepteur à l’insuline, nous avons ensuite testé nos hypothèses chez la souris. La technique de perfusion cérébrale in situ consiste à injecter l’insuline directement dans la carotide (artère située dans le cou) afin qu’elle se rende, directement et en totalité, au cerveau. Nous avons ainsi démontré que l’insuline en circulation active principalement les récepteurs localisés sur les microvaisseaux cérébraux.

Bien qu’il était généralement admis que l’insuline traversait la BHE pour atteindre plus profondément dans le tissu cérébral les cellules comme les neurones, nos résultats montrent que la proportion de l’insuline qui franchit la BHE est faible.

Ces deux observations confirment ainsi que la majorité de l’insuline doit interagir avec les cellules de la BHE avant de pouvoir exercer une action sur le cerveau.

Nous avons ensuite appliqué la même méthode sur des souris transgéniques, génétiquement modifiées dans le but de modéliser la maladie d’Alzheimer. Nous avons constaté que la réponse à l’insuline au niveau de la BHE était dysfonctionnelle, avec une absence d’activation du récepteur de l’insuline dans ces souris malades.

Ainsi, tant chez l’humain que chez le rongeur, le récepteur cérébral de l’insuline est localisé principalement au niveau de la BHE, et sa capacité à répondre à l’insuline du sang est diminuée dans la maladie d’Alzheimer.

Une percée significative

En somme, nos résultats suggèrent que l’altération du nombre, de la structure et de la fonction des récepteurs de l’insuline au niveau des cellules endothéliales de la BHE contribuerait à la résistance à l’insuline cérébrale observée dans l’Alzheimer.

Les efforts de recherche en Alzheimer se concentrent présentement sur des médicaments qui, pour atteindre leur cible thérapeutique, les neurones, doivent d’abord traverser la BHE, qui leur restreint considérablement le passage. En ciblant plutôt le dysfonctionnement métabolique du cerveau, nous proposons une alternative de recherche qui présente deux avantages majeurs.

Le premier est de pouvoir utiliser des traitements qui n’ont pas à franchir l’obstacle de la BHE, puisque ce sont les cellules endothéliales elles-mêmes qui deviennent la cible thérapeutique. Le second implique la « réutilisation des médicaments », qui consiste à profiter du phénoménal arsenal thérapeutique déjà approuvé pour lutter contre le diabète et l’obésité, mais dans un contexte d’Alzheimer.

Rappelons que les quelques médicaments donc nous disposons n’apportent qu’une modeste amélioration des symptômes. Combattre la résistance à l’insuline du cerveau permettrait de briser le cercle vicieux entre neuropathologie (maladie qui touche le cerveau) et diabète, et en théorie ralentir la progression de la maladie.

Le travail n’est pas terminé

Du côté de la recherche fondamentale, nous continuerons à étudier les mécanismes en aval des microvaisseaux, afin de comprendre l’action de l’insuline sur les couches profondes du cerveau.

Nous espérons que la recherche clinique emboîtera le pas avec des études chez l’humain visant à repositionner vers l’Alzheimer des médicaments ciblant certaines maladies associées au métabolisme, comme le diabète.

Dans l’immédiat, en attendant des solutions pharmaceutiques, chacun d’entre nous aurait avantage à adopter le cocktail préventif que l’on connaît tous : une alimentation saine combinée à de l’exercice physique et mental fréquent.

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